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Full text of "Echos d'orient"

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ÉCHOS  D'ORIENT 


ÉCHOS    D'ORIENT 

Revue    bimestrielle 

DE  THÉOLOGIE,  DE  DROIT  CANONIQUE, 

DE  LITURGIE,  D'ARCHÉOLOGIE,  D'HISTOIRE 

ET  DE  GÉOGRAPHIE  ORIENTALES 


Tome  XIV  —  Année   1911 


PARIS 

5,      RUE      BAYARD,      5 


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l   LIBRARY    « 


Toronto 


t/./^  Of//) 


LETTRE   DE  S.    S.    PIE   X 
AUX  DÉLÉGUÉS  APOSTOLIQUES  EN  ORIENT 


VENERABILIBUS  FRATRIBUS  ARCHIEPISCOPIS 
DELEGATIS  APOSTOLICIS  BYZANTIf,  IN 
GR/tCIA,  IN  y^GYPTO,  IN  MESOPOTAMIA, 
IN  PERSIA,  IN  SYRIA  ET  IN  INDUS  ORIEN- 
TALIBUS  CONSIDENTIBUS 

Plus  PP.  X 

VENERABILES    FRATRES, 
SALUTEM     ET     APOSTOLICAM     BENEDICTIONEM 

Ex  quo,  nono  labente  saeculo,  Orientis 
gentes  ab  unitate  Ecclesire  catholicae  cœ- 
perunt  avelli,  vix  dici  potest  quantum  a 
viris  sanctis  adiaboratum  sit,  ut  dissi- 
dentes fratres  ad  ejus  gremium  revoca- 
rentur.  Prae  ceteris  vero  Summi  Pontifices, 
Decessores  Nostri.  proeo  quo  fungebantur 
munere,  fidem  et  unitatem  ecclesiasticam 
tuendi,  ni!  intentatum  reliquerunt,  ut 
qua  paternis  adhortationibus,  qua  publicis 
legationibus,  qua  solemnibus  consiliis, 
funestissimum  dissidium  tolieretur,  quod 
Occidenti  quidem  in  mœrorem  cessit, 
Orienti  vero  grave  intulit  dampum.  Hujus 
sollicitudinis  testes  sunt,  ut  paucos  tan- 
tum  recenseamus,  Gregorius  IX,  Innocen- 
tius  IV,  Clemens  IV,  Gregorius  X,  Euge- 
nius  IV,  Gregorius  XIII  et  Benedic- 
tus  XIV  (i).  Sed  neminem  latet,  quanto 
animi  sui  studio  nuperrimo  tempore  De- 
cessor  Noster  felicis  recordationis  Léo  XIII 
Orientis  gentes  invitaverit  ut  Ecclesiae 
Romanae  iterum  consociarentur.  «  Nos 
quidem  certe  (inquit)  (2),  pervetusta 
Orientis  gloria,  et  in  omne  genus  homi- 


(i)  Const.  Xuper  ad  nos  16  Mart.  1743,  aliamlidei 
professionem  Orientalibus  praescribit. 

(21  AUocutio  Si  fuit  in  re,  i3  déc.  1880,  ad 
S.  i<.  E.  Gard.,  in  ,-Ed.  Vat.;  Act.,  vol.  II,  p.  179; 
cf.  etiam  Ep.  Ap.  Prceclara  gratulationis,  20  Jun. 
1894;  Act.,  vol.  XIV,  p.  195. 

Echos  d'Orient,   14'  année.  —  N'  86. 


A  NOS  VENERABLES  FRÈRES  LES  ARCHE- 
VÊQUES DÉLÉGUÉS  APOSTOLIQUES,  RÉ- 
SIDANT A  CONSTANTINOPLE,  EN  GRÈCE, 
EN  EGYPTE,  EN  MÉSOPOTAMIE,  EN  PERSE^ 
EN  SYRIE  ET  AUX  INDES  ORIENTALES 

PIE    X.     PAPE 

VÉNÉRABLES  FRÈRES, 
SALUT  ET  BÉNÉDICTION  APOSTOLIQUE 

Depuis  le  jour  où,  au  déclin  du  ix^  siècle, 
les  nations  de  POrient  ont  commencé  à 
être  arrachées  à  l'unité  de  l'Eglise  catho- 
lique, il  est  difficile  de  dire  la  quantité 
d'efforts  qui  ont  été  faits  par  de  saints  per- 
sonnages en  vue  de  ramener  dans  le  sein 
de  cette  Eglise  les  frères  dissidents.  En 
tète  de  tous  les  autres,  les  Souverains  Pon- 
tifes, Nos  Prédécesseurs,  en  vertu  de  la 
charge  qu'ils  remplissaient  de  défendre  la 
foi  et  Punité  ecclésiastique,  n'ont  omis 
aucune  tentative  pour  mettre  fin,  soit  par 
de  paternelles  exhortations,  soit  par  des 
délégations  officielles,  soit  par  des  conciles 
solennels,  au  très  funeste  schisme  qui  a 
été  pour  l'Occident  un  grand  chagrin  et  a 
causé  à  l'Orient  un  grave  dommage.  IIs- 
sont  témoins  de  cette  sollicitude,  pour  n'ea 
citer  que  quelques-uns,  les  Grégoire  IX,^ 
les  Innocent  I\',  les  Clément  IV,  les  Gré- 
goire X,  les  Eugène  IV,  les  Grégoire  XIII 
et  les  Benoit  XIV  {i).  Mais  personne 
n'ignore  avec  quel  généreux  empressement, 
en  ces  derniers  temps.  Notre  Prédécesseur, 
d'heureuse  mémoire.  Léon  XIII,  a  invité 
les  nations  de  l'Orient  à  s'unir  de  nouveau 
à  l'Eglise  romaine.  «  Pour  Nous,  dit-il  (2), 
c'est  un  fait  certain  que  le  souvenir  même 


(i)  La  Constitution  Nuper  ad  nos  du  16  mars  174? 
prescrit  une  profession  de  foi  spéciale  aux  Orientaux. 

(2)  Allocution  Si  fuit  in  re ,  i3  déc.  1880,  aux 
cardinaux;  Acta,  t.  II,  p.  179.  Voir  aussi  les  Lettres 
apostoliques  Prceclara  gratulationis  du  20  juin 
1894;  Acta,  t.  XIV,  p.  195. 

Janvier    rgii. 


ECHOS   D  ORIENT 


num  fama  meritorum  ipsa  recordatione 
delectat.  Ibi  enim  salutis  humani  generis 
incunabula,  et  christianae  sapientiae  pri- 
mordia  ;  illinc  omnium  beneficiorum , 
quœ  una  cum  sacre  Evangelio  accepimus, 
velut  abundantissimus  amnis  in  Occiden- 

tem  influxit Atque  haec  Nobiscum  in 

anime  considérantes,  niliil  tam  cupimus 
atque  optamus,  quam  dare  operam,  ut 
Oriente  toto  majorum  virtus  et  magni- 
tude reviviscat.  Eoque  magis,  quod  illic 
humanorum  eventuum  is  volvitur  cursus, 
ut  indicia  identidem  appareant,  quaespem 
portendant,  Orientis  populos,  ab  Ecclesias 
Remanie  sinu  tam  diuturno  tempère  dis- 
sociâtes, cum  eadem  aliquando  in  gra- 
tiam,  aspirante  Deo,  redituros.  » 

Nec  mineri  sane  desiderie  Nos  ipsî, 
Ven.  Fratres,  quod  probe  nostis,  tene- 
mur  ut  cite  dies  lllucescat,  tôt  anxiis 
sancterum  virorum  vêtis  exoptatus,  que 
penitus  a  fundamentis  subvertatur  murus 
ille,  qui  dues  jamdiu  dividit  populos, 
atque  bis  une  fidei  et  caritatis  amplexu 
permixtis,  pax  invocata  tandem  aliquando 
refloreat,  fiatque  unutn  ovile  et  tinus  pas- 
tor{\). 

Nobis  tamen  base  anime  revolventibus, 
gravis  mœroris  occasionem  nuperrime 
prîebuit  scriptum  aliquod,  in  recens  cen- 
dito  diarie  «  Roma  e  l'Oriente  »  evulga- 
tum,  cui  titulus  «  Pensées  sur  la  question 
de  l'union  des  Eglises  ».  Enimvere  lot 
iisque  tam  gravibus  erroribus,  non  modo 
theologicis,  verum  etiam  histericis,  scrip- 
tum illud  scatet,  ut  vix  possit  major  cu- 
mulus paucioribus  paginis  centineri. 

Nimirum,  ibi  non  minus  temere  quam 
falso  huic  opinioni  fit  aditus  dogma  de 
processiene  Spiritus  Sancti  a  Filio  haud- 
quaquam  ex  ipsis  Evangelii  verbis  pro- 
fluere,  aut  antiquorum  Patrum  fide  com- 
probari;  —  pariter  imprudentissime  in 
dubium  revocatur,  utrum  sacra  de  Pur- 
gatorio  ac  de  Immaculata  Beatas  Mariae 
Conceptione  dogmata  a  sanctis  viris  prie- 
rum  saeculorum  agnita  fuerint;  —  cum 

(i)  Joan.  X,  i6. 


de  la  très  antique  gloire  de  l'Orient  et  la 
renommée  des  services  rendus  par  lui  à 
l'humanité  nous  est  un  charme.  Là,  en 
effet,  est  le  berceau  du  salut  du  genre 
humain;  là  sent  les  origines  de  la  sagesse 
chrétienne  ;  c'est  de  là  que,  comme  un 
fleuve  très  abondant,  s'est  déversé  sur 
l'Occident  le  flot  de  tous  les  bienfaits  que 
nous  avons  reçus  avec  le  saint  Evangile 

»  En  livrant  Notre  esprit  à  ces  considéra- 
tions, Nous  ne  désirons  et  ne  souhaitons 
rien  tant  que  de  donner  Nos  seins  à  ce  que 
par  tout  l'Orient  revive  la  vertu  et  la  gran- 
deur des  ancêtres.  Et  cela,  d'autant  plus 
que  le  cours  des  événements  humains  y 
laisse  apparaître  de  temps  en  temps  des 
indices  de  nature  à  faire  espérer  que  les 
peuples  de  l'Orient,  séparés  pendant  long- 
temps du  sein  de  l'Eglise  romaine,  se 
réconcilieront  un  jour,  s'il  plaît  à  Dieu, 
avec  elle.  » 

Il  n'est,  certes,  pas  moindre,  vous  le 
savez  bien,  Vénérables  Frères,  Notre  désir 
qui  Nous  fait  souhaiter  de  voir  bientôt  luire 
le  jour,  objet  des  vœux  anxieux  de  tant  de 
saints  personnages,  où  tombera  tout  à  fait 
définitivement  le  mur  qui,  depuis  long- 
temps, sépare  les  deux  peuples,  où,  enlacés 
dans  l'unique  embrassement  de  la  foi  et  de 
la  charité,  ils  verront  enfin  refleurir  la  paix 
tant  implorée,  et  où  il  n'y  aura  plus  qu'un 
seul  bercail  et  un  seul  pasteur  (i). 

Nous  étions  sous  l'impression  de  ces  sen- 
timents lorsque  naguère,  dans  une  revue 
de  fondation  récente,  Roma  e  l'Oriente. 
parut  un  article  qui  Nous  causa  un  grand 
chagrin.  Il  avait  pour  titre  :  «  Pensées  sur 
la  question  de  l'union  des  Eglises.  »  Cet 
écrit  fourmille  de  tant  et  de  si  graves  erreurs 
théolegiques,  et  même  historiques,  qu'il 
était  difficile  d'en  accumuler  davantage  en 
moins  de  pages. 

On  y  admet,  avec  autant  de  témérité  que 
de  fausseté,  l'opinion  que  le  dogme  de  la 
procession  du  Saint-Esprit  a  Filio  ne 
découle  nullement  des  paroles  mêmes  de 
l'Evangile  et  n'a  pas  d'appui  dans  la  foi  des 
anciens  Pères;  c'est  de  même  avec  une 
très  grande  imprudence  qu'on  met  en  doute 
la  question  de  savoir  si  les  dogmes  sacrés 
du  Purgatoire  et  de  l'Immaculée  Concep- 
tion ont  été  reconnus  par  les  saints  des 
siècles  antérieurs.  Venant  à  parler  de  la 

(i)  Joan.  X,  16. 


LETTRE    DE    S.    3.    PIE    X   AUX    DÉLÉGUÉS    APOSTOLIdUES    EN    ORIENT 


vero  de  Ecclesiae  constitutione  incidit 
sermo,  primo  renovatur  error  a  Decessore 
Nostro  Innocentio  X  (i)  jamdiu  damna- 
tus,  quo  suadetur  S.  Paulum  haberi  tam- 
quam  fratrem  omnino  parem  S.  Petro,  — 
deinde  non  minori  falsitate  injicitur  per- 
suasio,  Ecclesiam  catholicam  non  fuisse 
primis  sasculis  principatum  unius,  iioc  est 
monarchiam  ;  aut  primatum  Ecclesiae  Ro- 
manas  nuliis  validis  argumentis  inniti.  — 
Sed  nec  ibidem  intacta  relinquitur  catiio- 
lica  doctrina  de  Sanctissimo  Eucharistise 
Sacramento,  cum  praefracte  docetur,  sen- 
tentiam  suscipi  posse,  qiiae  tenet  apud 
Graecos  verba  consecratoria  effectum  non 
sortiri,  nisi  jam  prolata  oratione  i!!a  quam 
«  epiclesim  »  vocant,  cum  tamen  com- 
pertum  sit  Ecclesiae  minime  competere 
jus  circa  ipsam  sacramentorum  substan- 
tiam  quidpiam  innovandi  ;  —  cui  haud- 
minus  absonum  est,  validam  habendam 
esse  Confirmationem  a  quovis  presbytero 
collatam  (2.) 

Vel  ex  hoc  errorum  summario,  quibus 
refertum  est  illud  scriptum,  facile  intelli- 
gitis,  Venerabiles  Fratres,  gravissimum 
offendiculum  omnibus  ipsum  perlegen- 
tibus  allatum  fuisse,  et  Nos  ipsos  magno- 
pere  obstupuisse,  catholicam  doctrinam, 
non  obtectis  verbis  adeo  procaciter  per- 
verti, pluraque  ad  historiam  spectantia, 
de  causis  orientalis  schismatis,  a  vero 
audacter  nimis  detorqueri.  Ac  primum 
quidem  falso  in  crimen  vocantur  sanctis- 
simi  Pontifices  Nicolaus  1  et  Léo  IX,  quasi 
magna  dissensionis  pars  illius  debeatur 
superbiae  et  ambitioni,  hujus  vero  acribus 
objurgationibus;  perinde  ac  si  prioris 
vigor  apostolicus  in  sacrosanctis  juribus 
tuendis  superbiae  sit  tribuendus:  alterius 
autem  sedulitas  in  coercendis  improbis 
vocari  velit  crudelitas.  Historiae  quoque 
jura  conculcantur  cum  sacrae  illae  expedi- 
tiones,   quas  cruciatas  vocant  tamquam 


■il  Décret.  Congr.  gen.  S.  R.  et  L'.  Inquis., 
24  Jan.  1647. 

(21  Cf.  Btned.  XIV,  Const  tut.  Etsi  pastomlis, 
pro  Ita'ogrœcis,  16  Maii  1742,  ubi  dicit  irritara 
nunc  fore  confirmationem  a  ^implici  presbytero 
iaino  ex  so'a  episcopi  delegatione  collatam. 


constitution  de  l'Eglise .  on  renouvelle 
d'abord  une  erreur  condamnée  depuis 
longtemps  par  Notre  prédécesseur  Inno- 
cent X{i),  à  savoir  que  saint  Paul  aurait  été 
considéré  comme  un  frère  absolument  égal 
à  saint  Pierre;  puis,  non  moins  fausse- 
ment, on  invite  à  croire  que  l'Eglise  primi- 
tive ne  connaissait  pas  la  primauté  d'un 
seul  chef,  la  monarchie;  que  la  suprématie 
de  l'Eglise  romaine  ne  se  fonde  pas  sur  des 
arguments  valables.  On  n'y  laisse  pas 
même  intacte  la  doctrine  catholique  sur 
l'Eucharistie,  quand  on  enseigne  péremp- 
toirement qu'on  peut  adopter  l'opinion 
que,  chez  les  Grecs,  les  paroles  consécra- 
toires  n'ont  d'effet  qu'après  la  prière  appe- 
lée épiclèse,  alors  qu'on  sait  bien  que 
l'Eglise  n'a  le  droit  de  rien  innover  pour 
ce  qui  touche  à  la  substance  des  sacre- 
ments, et  il  ne  lui  répugne  pas  moins  de 
déclarer  valide  la  Confirmation  adminis- 
trée par  n'importe  quel  prêtre  (2). 

Par  ce  simple  résumé  des  erreurs  dont 
cet  écrit  est  rempli ,  vous  comprendrez 
facilement,  Vénérables  Frères,  qu'il  ait  été 
pour  tous  ceux  qui  l'ont  lu  un  très  grave 
scandale,  et  que  Xous-même  ayons  été 
extrêmement  surpris  d'y  voir  la  doctrine 
catholique  si  nettement  et  si  impertinem- 
ment  dénaturée,  en  même  temps  que 
divers  points  relatifs  à  l'histoire  du  schisme 
oriental  si  hardiment  faussés. 

C'est  une  erreur  que  d'accuser  les  très 
saints  pontifes  Nicolas  I*-  et  Léon  IX 
d'avoir  pour  une  grande  part  provoqué  la 
dissension,  le  premier  par  son  orgueil  et 
son  ambition,  le  second  par  la  violence 
de  ses  récriminations,  comme  s'il  fallait 
attribuer  à  l'orgueil  la  vigueur  apostolique 
du  premier  dans  la  défense  de  droits  sacro- 
saints,  et  appeler  cruauté  le  zèle  du  second 
à  réprimer  le  mal.  C'est  également  fouler 
aux  pieds  les  droits  de  l'histoire  que  de 
traiter  comme  des  brigandages  ces  saintes 
expéditions  qu'on  appelle  les  croisades,  00 
encore,  ce  qui  est  plus  grave,  dimputer  au 


(  I  )  Décret  de  la  Congrégation  généra'e  du  Saint- 
Office,  24  janvier  1647. 

(2)  Cf.  Benoit  XIV,  Constitution  Etsi  pastoralis, 
pour  les  Italo-Grecs,  26  mai  1742,  où  il  déclare  in- 
valide la  confirmation  conférée  par  un  simp  e  prêtre 
latin  en  vertu  de  la  seule  délégation  de  l'évéque. 


ECHOS   DORIENT 


4atrocinia  traducuntur;  aut  cum,  quod 
etiam  gravius  est,  Romani  Pontifices 
incusantur,  quasi  studium,  quo  conati 
-sunt  Orientis  gentes  ad  conjunctionem 
cum  Ecclesia  Romana  vocare,  dominandi 
cupiditati  sit  adscribendum,  non  aposto- 
licae  sollicitudini  pascendi  Christi  gregis. 

Nec  stuporem  addidit  levem  quod  in 
€odem  scripto  adseritur,  Grœcos  Florentiae 
a  Latinis  coactos  fuisse  ut  unitati  subscri- 
berent,  aut  eosdem  argumentis  falsis 
inductos,  ut  dogma  de  processione  Spi- 
TitusSancti  etiam  aFiliosusciperent.  Quin 
etiam  eo  usque  proceditur,  ut  iiistoriae 
juribus  conculcatis,  in  dubium  revocetur, 
utrum  Generalia  Concilia,  quae  post  Grae- 
■corum  dissensionem  celebrata  sunt,  hoc 
est  ab  octavo  usque  ad  Vaticanum,  tam- 
quam  œcumenica  vere  sinthabenda;  unde 
hybridae  cujusdam  unitatis  ratio  propo- 
nitur,  id  solum  ab  utraque  Ecclesia  dein- 
ceps  agnoscendum  tamquam  legitimum, 
quod  commune  patrimonium  fuerit  ante 
^jiscessionem,  ceteris,  tamquam  superva- 
caneis  et  forte  spuriis  additamentis,  alto 
silentio  pressis. 

Haec  vobis,  Venerabiles  Fratres,  signifi- 
canda  duximus,  non  solum  ut  sciatis 
memoratas  propositiones  atque  sententias 
falsas,  temerarias,  a  fide  catholica  aliénas 
a  Nobis  reprobari,  sed  etiam  ut  quantum 
in  vobis  est,  a  populis  vigilantiae  vestrae 
commissis  tam  diram  luem  propulsare 
conemini,  omnes  adhortando,  ut  in  ac- 
cepta doctrina    permaneant,    neve   alteri 

unquam  consentiant,  licet angélus  de 

/:œlo  evangeli^et  (i).  Simul  tamen  enixe 
oramus,  ut  eos  persuasos  faciatis,  nihil 
J^obis  antiquius  esse,  quam  ut  omnes 
bonae  voluntatis  homines  vires  indefesse 
■exerant,  quo  concupita  unitas  citius  obti- 
«eatur,  ut  in  una  fidei  catholicae  profes- 
sione,  sub  uno  pastore  summo  adunentur, 
quas  discordia  dispersas  retinet  oves. 
Quod  facilius  quidem  continget,  si  ad 
Spiritum  Sanctum  Paraclitum,  qui  «  non 
est  dissensionis  Deus,   sed   pacis  »  (2), 


(i)  Gai.  I,  8. 

(2)  /  Cor.  XIV,  33. 


désir  de  domination  plutôt  qu'à  la  préoccu- 
pation apostolique  de  nourrir  le  troupeau 
du  Christ,  le  zèle  et  les  efforts  des  Pontifes 
romains  pour  la  réunion  des  Eglises. 

Nous  n'avons  pas  été,  non  plus,  légère- 
ment stupéfait  de  lire  dans  ce  même  écrit 
l'assertion  que  les  Grecs  à  Florence  ont  été 
contraints  par  les  Latins  de  souscrire  à 
l'unité,  ou  qu'ils  ont  été  amenés  par  de 
faux  arguments  à  accepter  le  dogme  de  la 
procession  du  Saint-Esprit.  On  va  même, 
dans  ce  mépris  des  lois  de  l'histoire,  jus- 
qu'à émettre  des  doutes  sur  le  caractère 
œcuménique  des  conciles  généraux  qui  ont 
été  tenus  depuis  le  schisme  grec,  c'est-à- 
dire  du  VIII«  concile  œcuménique  jusqu'à 
celui  du  Vatican.  Tout  cela  pour  conclure 
à  un  projet  d'unité  hybride,  d'après  lequel 
ne  serait  désormais  reconnu  légitime  par 
les  deux  Eglises  que  ce  qui  était  leur  patri- 
moine commun  avant  le  schisme.  Pour  le 
reste,  on  le  tiendrait  dans  un  silence  pro- 
fond, comme  des  additions  peut-être  illé- 
gitimes, en  tout  cas  superflues. 

Nous  avons  cru  devoir,  Vénérables 
Frères,  porter  ce  qui  précède  à  votre  con- 
naissance, non  seulement  pour  que  vous 
sachiez  que  les  propositions  précitées.  Nous 
les  réprouvons  comme  fausses,  téméraires, 
étrangères  à  la  foi  catholique,  mais  aussi 
afin  que,  autant  qu'il  est  en  votre  pouvoir, 
vous  vous  efforciez  d'écarter  des  peuples 
qui  sont  confiés  à  votre  vigilance  un  fléau 
si  pernicieux,  en  exhortant  tous  les  catho- 
liques à  demeurer  fermes  dans  la  doctrine 
reçue  et  à  n'adhérer  à  aucune  autre,  «  fût- 
elle  annoncée  par  un  ange  du  ciel  »  (i).  En 
même  temps,  Nous  vous  conjurons  avec 
instance  de  les  bien  persuader  que  Nous 
n'avons  rien  tant  à  cœur  que  de  voir  tous 
les  hommes  de  bonne  volonté  travailler 
inlassablement  à  obtenir  au  plus  tôt  l'unité 
si  désirée,  afin  que  les  brebis  dispersées 
par  la  dissension  se  réunissent  dans  une 
même  profession  de  foi  catholique,  sous 
un  seul  Pasteur  suprême.  Ce  résultat,  nous 
l'obtiendrons  plus  facilement  si  nous  mul- 
tiplions les  prières  à  l'Esprit-Saint  qui 
«  est  un  Dieu  de  paix  et  non  pas  de  dis- 
corde (2)  ».  Ainsi  se  réalisera  le  vœu  que  le 


(i)  Gai.  I,  8. 

(2)  /  Cor.  XIV,  33. 


LETTRE    DE    S.    S.    PIE    X    AUX    DELEGUES   APOSTOLIQUES    EN    ORIENT 


fervidae  ingeminentur  preces;  inde  enim 
fiet  ut  Christi  votum  impleatur,  quod 
ante  subeundos  extremos  cruciatus  cum 
gemitibus  expressit  (i):  «  Ut  omnes 
unum  sint,  sicut  tu,  Pater,  in  me,  et  ego 
in  te  ;  ut  et  ipsi  in  nobis  unum  sint.  » 

Denique  hoc  omnes  in  animum  indu- 
cant  suum,  incassum  omnino  in  hoc 
opère  adlaborari,  nisi  imprimis  recta  et 
intégra  fides  cathoiica  retineatur,  qualis 
in  Sacra  Scriptura,  Patrum  traditione, 
Ecclesiae  consensu,  Conciliis  Generalibus, 
ac  Summorum  Pontiticum  decretis  est  tra- 
dita  et  consecrata.  Pergant  igitur  quot- 
quot  contendunt  causam  tueri  unitatis  : 
pergant  fldei  galea  induti,  anchoram  spei 
tenentes,  caritatis  igné  succensi,  sedulam 
in  hoc  divinissimo  negotio  navare  ope- 
ram;  et  pacis  auctor  atque  amator  Deus. 
cujus  in  potestate  posita  sunt  tempora  et 
momenta  (2),  diem  accelerabit,  quo 
Orientis  gentes  ad  catholicam  unitatem 
exultantes  sint  rediturae,  atque  huic  Apo- 
stolicae  Sedi  conjunctae,  depulsiserroribus, 
salutis  aeternae  portum  ingressurae. 

Has  Nostras  litteras,  Venerabiies  Fra- 
tres,  in  linguam  vernaculam  regionis 
unicuique  vestrum  concreditcie  diiigenter 
translatas  evulgare  curabitis,  Dum  porro 
vos  certiores  facere  gaudemus,  dilectum 
auctorem  scripîi  inconsiderate,  sed  bona 
fide  ab  ipso  elucubrati,  sincère  et  ex 
corde  coram  Nobis  adhaesisse  doctrinis 
in  hac  epistola  expositis,  et  cuncta  quae 
Sancta  Sedes  Apostolica  docet,  rejicit  et 
condemnat,  et  ipsum,  Deo  adjuvante, 
usque  ad  ultimum  vitas  fmem  docere, 
rejicere  et  condemnare  esse  paratum, 
divinorum  auspicem  munerum,  Nostrœ- 
que  benevolentiae  testem  Apostolicam 
Benedictionem  Vobis  peramanter  in  Do- 
mino impertimus. 

Datum  Romae,  apud  S.  Petrum,  die 
XXVI  Decembris,  anno  MCMX,  Pontifi- 
catus  Nostri  octavo. 

Plus  PP.  X. 


(i)  Joan.  XVII,  21. 
(2)  Act.  I,  7. 


Christ  exprimait  avec  des  gémissements 
avant  de  subir  les  derniers  tourments  (i)  : 
«  Qu'ils  soient  un,  mon  Père,  comme  vous 
êtes  en  moi  et  moi  en  vous;  qu'ils  soient, 
eux  aussi,  un  en  nous.  » 


Entin,  que  tous  se  pénètrent  bien  de 
cette  idée  qu'on  ferait  œuvre  absolument 
vaine  si  d'abord  on  ne  maintenait  fidèle  et 
entière  la  foi  catholique,  telle  qu'elle  a  été 
transmise  et  consacrée  dans  la  Sainte  Ecri- 
ture, la  tradition  des  Pères,  le  consente- 
ment de  l'Eglise,  les  conciles  généraux  et 
les  décrets  des  Souverains  Pontifes.  Cou- 
rage donc  à  tous  ceux  qui  ont  à  cœur  de 
défendre  la  cause  de  l'unité;  revêtus  du 
casque  de  la  foi,  tenant  fermement  l'ancre 
de  l'espérance,  embrasés  du  feu  de  la  cha- 
rité, qu'ils  travaillent  de  tout  leur  zèle 
à  cette  tâche  toute  divine.  Et  Dieu,  père  et 
ami  de  la  paix,  maître  des  temps  et  des 
heures  (2),  hâtera  le  jour  où  les  peuples 
d'Orient  doivent  revenir  triomphants  à 
l'unité  catholique,  et,  unis  au  Siège  apo- 
stolique, purifiés  de  toute  erreur,  entrer  au 
port  du  salut  éternel. 

Vous  prendrez  soin.  Vénérables  Frères, 
de  faire  traduire  soigneusement  cette  lettre 
dans  la  langue  de  la  région  qui  vous  est 
confiée  et  de  la  répandre.  En  vous  annon- 
çant avec  joie  que  le  cher  auteur  de  cet 
écrit,  rédigé  avec  légèreté  mais  avec  bonne 
foi,  a  adhéré  sincèrement  et  de  tout  cœur 
en  Notre  présence  aux  doctrines  exposées 
dans  cette  lettre,  et  s'est  déclaré  prêt  à  en- 
seigner, rejeter  et  condamner  jusqu'à  la  fin 
de  sa  vie  tout  ce  que  le  Saint-Siège  aposto- 
lique enseigne,  rejette  et  condamne,  comme 
gage  des  divines  faveurs,  Nous  vous  accor- 
dons affectueusement  dans  le  Seigneur  la 
bénédiction  apostolique. 

Donné  à  Rome,  près  de  Saint-Pierre,  le 
26  décembre  1910,  en  la  VIII^  année  de 
Notre  Pontificat. 

PIE  X.  PAPE 


(  i)  Joan.  XVII,  21. 
(2)  .4c/.  I,  7. 


CONSÉCRATION    ET   ÉPICLÊSE 

D'APRÈS  CHOSROV  LE   GRAND 


Les  Arméniens  grégoriens  partagent 
aujourd'hui  communément  l'erreur  des 
Grecs  orthodoxes  consistant  à  attribuer 
la  consécration  eucharistique,  non  aux 
paroles  du  Sauveur  :  Ceci  est  mon  corps, 
ceci  est  mon  sang,  mais  à  l'épiclèse  ou 
invocation  du  Saint-Esprit,  qui  suit,  dans 
la  liturgie,  le  récit  de  la  Cène.  Les  pages 
ci-après  se  proposent  de  montrer  qu'une 
telle  croyance  non  seulement  n'a  aucune 
racine  dans  la  tradition  ecclésiastique 
arménienne,  mais  encore  est  en  contra- 
diction avec  elle,  La  littérature  arménienne 
étant  encore  fort  peu  connue,  notre  étude 
ne  pourra  pas  être  de  tous  points  com- 
plète; elle  nous  permettra  du  moins  de 
poser  des  jalons  suffisamment  indicateurs. 

Le  premier  auteur  qui  se  présente  à 
notre  examen  est  Chosrov  le  Grand, 
appelé  aussi  Chosrov  Antzévatsi,  du  nom 
de  la  ville  dont  il  fut  évêque  (i)  (t  972). 
Ce  personnage,  qui,  avant  d'entrer  dans 
les  Ordres,  avait  vécu  dans  le  mariage  et 
qui  est  le  père  de  saint  Grégoire  de  Narek, 
«  le  Pindare  des  Arméniens  »  (2),  fut 
lui-même  un  écrivain  remarquable.  II  a 
laissé  de  très  intéressants  Commentaires 
du  bréviaire  et  de  la  messe,  qui  ont  été 
édités  à  Constantinople  en  1730.  L'expli- 
cation de  la  messe  a  été  traduite  en  latin 
il  y  a  une  trentaine  d'années  par  le 
Dr  P.  Vetter  (3). 

Ce  dernier  éditeur,  énumérant  dans  la 
préface   de  son   travail   les  points  où  la 


(i)  Antzévatsiq.dans  laprovince  duVasbouragan. 
Cf.  Indjidji,  L'Arménie  ancienne,  1822,  p.  196,  cité 
par  '^t\z,  L'Arménie  chrétienne  et  sa  littérature. 
Louvain,  1886,  p.  257;  Tournebize,  Histoire  poli- 
tique et  religieuse  de  l'Arménie,  Paris,  1910,  p.  117. 

(2)  L.  Petit,  art.  Arménie  dans  le  Dictionnaire 
de  théologie  catholique  de  Vacant-Mangenot, 
t.  1",  col.  1939. 

(3)  P.  Vetter,  Chosroœ  magni,  episcopi  mono- 
physitici,  Explicatio  precum  missœ  e  lingua  arme- 
niaca  in  latinam  versa.  Fribourg-en-Brisgau,  1880, 
in-S",  xi-64  pages. 


doctrine  de  Chosrov  se  trouve  erronée, 
signale,  entre  autres,  l'attribution  de  la 
consécration  eucharistique  à  l'épiclèse  (i). 
Mais  après  une  lecture  attentive  des  pas- 
sages concernant  cette  question,  je  crois 
qu'il  faut  ici  faire  bénéficier  notre  auteur 
de  la  très  juste  remarque  formulée  par 
Vetter  à  propos  de  certaines  expressions 
semblant  indiquer  la  théorie  de  l'impa- 
nation.  Sed  omnia  hœc  non  sunt  nisi  incom- 
mode et  incmidite  dicta,  neque  licet  verha 
premere  (2). 

On  ne  doit  pas  chercher  dans  ce  com- 
mentaire liturgique  d'un  écrivain  mono- 
physite,  moins  encore  que  dans  les  autres 
traités  analogues,  même  rédigés  par  des 
auteurs  catholiques,  une  précision  théo- 
logique rigoureuse  et  continue.  Etant 
donné  le  double  fait  liturgique  de  la  répé- 
tition des  paroles  du  Sauveur  par  le 
prêtre  et  de  l'oraison  d'épiclèse,  y  a-t-il 
lieu  de  tant  s'étonner  qu'un  évêque  du 
x*'  siècle  parle  de  la  consécration  eucha- 
ristique à  propos  de  l'un  et  de  l'autre  de 
ces  deux  faits?  Et  dès  là  que,  dans  la 
liturgie,  la  commémoraison  de  la  Cène 
précède  l'invocation  au  Saint-Esprit,  l'at- 
tribution formelle  de  la  conversion  eucha- 
ristique aux  paroles  du  Christ  faite  par 
Chosrov  à  plusieurs  reprises  ne  doit-elle 
pas  être  prise  en  considération,  sous  pré- 
texte que  deux  ou  trois  expressions  con- 
cernant l'épiclèse  paraissent  moins  pré- 
cises ?  Celles-ci  seront  tout  simplement  à 
expliquer,  et  la  teneur  de  la  formule  épi- 
clétique  y  suffirait  presque;  mais  ii  serait 
illogique  de  les  mettre  en  contradiction 


(i)  Errât  deinde  Chosroes  putans  non  ad  verba 
Christi  prolata,  sed  ad  epiclesin,  quœ  dicitur, 
pronunciatam  panem  consecrari  et  vinum  ac 
transsubstantiari.  Quo  errore  plurimos  eccle- 
siarum  orientalium  theologos  captos  esse  constat. 
(Vetter,  op.  cit.,  p.  x.) 

(2)  Ibid. 


CONSÉCRATION    ET    EPICLESE    D  APRES   CHOSROV    LE   GRAND 


I  I 


avec  l'efficacité  consécratoire  des  mots 
divins:  Ceci  est  mon  corps,  ceci  est  le 
calice  de  mon  sang. 

Pour  montrer  au  lecteur  le  bien  fondé 
de  ce  jugement,  nous  allons  passer  en 
revue,  dans  l'ouvrage  de  Chosrov,  les 
textes  en  question. 

Au  cours  de  l'explication  de  la  longue 
action  de  grâces  qui  va  du  Sanctus  au 
récit  de  la  Cène,  notre  commentateur, 
trouvant  dans  la  liturgie  mention  des 
sacrifices  de  la  loi  ancienne,  dit  que  ces 
sacrifices  figuraient  le  Christ  sacrificateur. 

Omnes  entm  antiquorum  temporum  obla- 
tiones  —  sive  peccaiorum  causa  fuerunt 
sive  redemptionis  sive  laudationis  — 
Christ  um  sacrijicantem  prœfigurarunt  (  i  ) . 

Cette  idée  du  Christ  sacrificateur  dans  le 
mystère  eucharistique,  souvent  exprimée 
d'ailleurs  dans  la  teneur  même  des  ana- 
phores,  suggère  déjà  la  croyance  à  l'effi- 
cacité consécratoire  des  paroles  du  Sau- 
veur. Or,  cette  idée,  Chosrov  ne  se  lasse 
pas  de  la  répéter  au  fur  et  à  mesure  que 
les  formules  liturgiques  lui  en  fournissent 
l'occasion.  Voici  comment  il  s'exprime 
quelques  lignes  seulement  après  celles 
que  nous  venons  de  citer  : 

Non  solum  ut  debitorem  et  débita,  inquit 

{s.-e.  sacerdos)  unigenitum  tuum  dedisti, 
sed  ut  victimam  et  unctutn,  quia  loco  pon- 
tificum  unctorwn  hune  dedisti,  «  ut  sit 
nobis  unctus  et pontifex  »,  victima  et  agnus 
sacrificii  et  panis  propositionis  {2). 

Le  Christ,  au  sacrifice  de  l'autel,  est 
donc  à  la  fois  pontife  et  victime.  Le  com- 
mentateur arménien  paraphrase  briève- 
ment cette  pensée,  puis  passe  à  une 
autre,  assez  connexe  à  la  précédente  et 
fournie,  elle  aussi,  par  le  texte  même  du 
canon.  Le  Fils  de  Dieu,  lit-on  dans  celui- 
ci,  est  à  l'autel  tout  ensemble  le  distribu- 
teur et  la  chose  distribuée.  Là-dessus, 
notre  auteur  d'insister  encore,  rappelant 
que  cette  affirmation  du  sacerdoce  du 
Christ  est  fréquente  chez  saint  Paul.  Et  il 
continue  ainsi  : 

(1)  Vetter,  op.  cit.,  p.  2Ô. 

(2)  Id.,  p.   27. 


A  cette  table,  le  Christ  est  le  dispensa- 
teur, et  c'est  lui  aussi  qui  est  distribué.  De 
même,  en  effet,  qu'au  Cénacle  c'était  lui 
qui  distribuait  aux  apôtres  et  était  lui-même 
distribué,  de  même,  depuis  ce  jour  jus- 
qu'aujourd'hui, c'est  lui  qui  distribue  et 
est  distribué,  sans  se  consommer,  à  tous 
les  fidèles,  dans  toutes  les  églises  (i). 

Cette  assimilation  de  l'acte  accompli 
par  Notre-Seigneur  au  Cénacle  avec  celui 
qu'il  accomplit  dans  toutes  nos  églises, 
assimilation  familière  aux  anciens  docteurs 
et  spécialement  à  saint  Jean  Chrysostome, 
ne  contient-elle  pas  déjà  implicitement  la 
doctrine  de  la  consécration  par  les  paroles 
prononcées  sur  le  pain  et  le  vin  au  swr 
du  Jeudi-Saint  et  répétées  maintenant  par 
le  prêtre  au  nom  de  Jésus? 

Aussi  bien,  Chosrov  le  proclame  un 
peu  plus  loin  avec  l'anaphore  qu'il  com- 
mente, et  surtout  avec  saint  Jean  Chry- 
sostome qu'il  cite  expressément,  les  prêtres 
ne  sont  que  des  ministres,  des  représen- 
tants; c'est  le  Christ  qui  opère  vraiment 
le  sacrement. 

Perficere  sacramentum  nostrum  non  est, 
sed  nos,  ut  beatus  dicit  Joannes,  minis- 
trorum  ordinem  habemus:  ille  aulem  — 
de  Christo  loquitur — sanctijicat  et  rénovât. 
Nos  enim  offerimus  ad altare  et  ministerii 
causa  adsumus,  gratias  pro  beneficiis  Dei 
agentes.  «  Sed  unire  secum  panem  et  salu- 
tarem  eum  Jacere,  Christi  opus  est.  »  (2) 

Il  n'est  pas  douteux  que  le  beatus 
Joannes  auquel  se  réfère  ici  le  liturgiste 
arménien  ne  soit  saint  Jean  Chrysostome. 
Le  passage  directement  visé  est  emprunté 
à  la  LXXX1I«  homélie  du  grand  docteur 
sur  l'Evangile  de  saint  Matthieu. 

Les  offrandes  eucharistiques,  disait  le 
prédicateur  d'Antioche,  ne  sont  pas  œuvre 
d'une  vertu  humaine.  Celui  qui  a  accompli 
ce  miracle  jadis  à  la  Cène,  c'est  encore  lui 
qui  l'opère  maintenant.  Nous,  nous  tenons 
rang  de  ministres;  mais  celui  qui  sanctifie 
ces  offrandes  et  qui  les  transforme,  c'est 
lui  (3  ». 

(i)  Vetter,  Op.  cit.,  p.  28. 

(2)  Vetter,  op.  cit.,  p.  35. 

(3)  Saint  Jean  Chrysostome,  In  Matth.  hom. 
LXXXII,  5;  MiGNE,  P.  G.,  t.  LVII-LVIII,  col.  744  : 


12 


ECHOS    D  ORIENT 


Pas  n'est  besoin  d'insister  sur  l'impor- 
tance spéciale  qu'une  telle  citation  com- 
munique à  ces  quelques  lignes  de  Chosrov. 
On  sait  avec  quelle  précision  saint  Jean 
Chrysostome  affirme  à  plusieurs  reprises 
la  doctrine  de  la  consécration  par  les 
paroles  du  Sauveur:  «  Le  prêtre  est  là, 
dit-il  ailleurs  en  un  passage  dont  le  paral- 
lélisme absolu  avec  celui  qui  précède  est 
évident,  le  prêtre  est  là,  qui  représente 
le  Christ  et  prononce  ces  paroles;  mais 
■c'est  la  puissance  et  la  grâce  de  Dieu  qui 
opère.  Ceci  est  mon  corps,  dit-il.  Cette 
parole  transforme  les  oblats.  »  (i)  Le  fait 
que  l'évêque  d'Antzévatsiq  connaît  saint 
Jean  Chrysostome  et  qu'il  le  cite  nommé- 
ment, est  pour  nous  un  précieux  secours 
pour  nous  aider  à  préciser  le  sens  de  son 
témoignage.  11  nous  permet  d'affirmer, 
on  peut  dire  avec  certitude,  que,  malgré 
des  expressions  un  peu  moins  nettes,  sa 
pensée  au  sujet  de  la  forme  de  l'Eucha- 
ristie va  rejoindre  pleinement,  en  réalité, 
celle  du  grand  docteur  auquel  il  se 
réfère. 

La  dernière  proposition  du  passage  de 
Chosrov  que  nous  venons  de  transcrire 
renferme  des  expressions  qui  sont  de 
celles  dont  Vetter  signale  à  bon  droit 
l'inexactitude  théologique,  tout  en  décla- 
rant qu'elles  constituent  des  entorses  à  la 
précision  du  langage  plutôt  qu'à  l'ortho- 
doxie de  la  foi  (2).  A  vouloir  pousser  trop 
dans  le  détail  l'analogie  générale  entre 
l'Eucharistie  et  l'Incarnation,  Chosrov  en 
arrive,  comme  d'ailleurs  maints  autres 
écrivains  monophysites,  à  parler  d'union 
du  Christ  avec  le  pain  :  unire  secum 
panem.   Que  cependant  il  n'ait  point  par 


Oùx  ï(TTiv  àvôpwTti'vTi;  ôyvâ(X£wç  k'pya  ta  Ttpoxeîjiîva.  '() 
T(5Te  TaCra  Ttotrjaaç  èv  èxsfvw  tw  Se^Ttvw,  ou-o;  xal 
■vvv  aÙTO  âpyôt^eTat*  r^]}.tX(,  ûiryjpcTwv  Tâ|tv  iiziyo^iî't ,  o 
o\  aYtâÇwv  ayrà  xal  [xeTacrxeyâÇwv  aÙTdi;.  Le  lecteur 
a  pu  noter  de  lui-même  la  citation  particulièrement 
littéralede  la  proposition  ainsirendue  par  Chosrov  : 
Nos  ministrorum  ordinem  habemiis. 

(i)  Id.,  Hom.  I  de  Proditione  Judœ,  n"  6;  Mtcne, 
P.  G.,  t.  LXII,  col.  612.  Cf.  Echos  d'Orient,  t.  XI, 
1908,  p.  102,  et  t.  XIII,  1910,  p.  321. 

(2)  Vetter,  op.  cit.,  p.  xi.  Suspecta'  illœ  seti- 
ientiœ  Chosroœ  imputandœ  sunt  ut  menda  non 
Jjdei,  sed  locutionis.  Cf.  p.  18,  29,  35,  36,  46. 


là  professé  la  théorie  protestante  de  l'im- 
panation,  d'autres  passages  le  prouvent, 
où  il  exprime  équivalemment  la  transsub- 
stantiation. Ainsi,  à  plusieurs  reprises, 
il  oppose,  comme  choses  contraires,  le 
pain  et  le  vin  au  corps  et  au  sang  du 
Sauveur  :  après  la  consécration,  ce  n'est 
plus  du  pain  et  du  vin,  c'est  le  corps  et 
le  sang  du  Christ  (i).  Nous  n'avons  pas 
à  insister  ici  sur  ces  imprécisions  de  for- 
mules. 11  nous  suffit  de  constater,  dans  la 
petite  phrase  en  question,  l'énoncé  très 
net  de  cette  proposition  :  la  consécration 
est  une  opération  du  Christ  lui-même, 
dont  les  prêtres  ne  sont  que  les  représen- 
tants. Or,  une  telle  affirmation  est  la 
majeure  d'où  se  déduit  logiquement  la 
croyance  catholique  touchant  la  forme  de 
l'Eucharistie. 

Encore  que  cette  dernière  conséquence 
n'ait  pas  été  énoncée  par  notre  auteur  du 
x*  siècle  aussi  explicitement  que  nous  le 
faisons  aujourd'hui,  il  n'en  demeure  pas 
moins  que  les  principes  posés  par  lui  la 
postulent  nécessairement.  Au  surplus, 
outre  la  majeure  qui  vient  d'être  signalée, 
il  n'est  pas  impossible  de  découvrir  équi- 
valemment, sinon  en  propres  termes, 
dans  la  paraphrase  liturgique  de  Chosrov, 
la  mineure  et  la  conclusion  du  syllogisme 
très  simple  formulé  par  la  théologie 
catholique. 

De  fait,  au  cours  de  son  commentaire 
quelque  peu  diffus  des  paroles  pronon- 
cées par  Jésus  sur  le  calice,  le  docteur 
arménien  écrit  ces  mots  :  «  Le  Christ  a 
voulu  nous  apprendre  comment  doit  être 
accompli  le  mystère.  » 

La  phrase,  il  est  vrai,  se  termine  ensuite 
par  une  explication  que  les  partisans  de 
1  épiclèse  consécratoire  ne  manqueraient 
pas  de  nous  opposer  tout  de  suite  comme 
une  objection.  Le  commentateur  ajoute, 
en  effet:  «  11  nous  l'a  appris,  dis-je,  par 
la  bénédiction  et  l'action  de  grâces.  »  (2) 
Mais  l'objection  est-elle  vraiment  sérieuse, 

([)  Id.,  p.  16,  18,  29,  33,  36,  5o. 

(2)  Vetter,  op.  cit.,  p.  3i.  Edocere  voltiit  nos 

mysterium  guomodo  perjîci  debeat  :  cum  benedic- 
tione,  dico,  et  gratiarum  actione  docuit. 


CONSÉCRATION    ET   ÉPICLÈSE   D'aPRÈS   CHOSROV    LE   GRAND 


»3 


étant  donné  les  enseignements  ci-dessus 
indiqués  sur  le  sacerdoce  du  Christ  à 
l'autel,  étant  donné  aussi  la  place  occupée 
par  cette  phrase  au  milieu  d'une  explica- 
tion de  la  formulé  divine  :  «  Ceci  est  mon 
sang  »?  N'est-il  pas  naturel  de  croire  que 
la  bénédiction  et  l'action  de  grâces  visées 
ici  ne  sont  pas  autre  chose  que  la  béné- 
diction et  l'action  de  grâces  mentionnées 
par  le  récit  évangélique  comme  accompa- 
gnant renonciation  des  paroles  sacrées? 
Aussi  bien,  quatre  lignes  après  celles  que 
nous  venons  de  citer,  Chosrov,  rappelant 
ces  paroles  sacrées,  les  rattache  à  ce  qui 
précède,  d'une  manière  qui  semble  bien 
ne  laisser  aucun  doute  sur  sa  pensée  : 

Donnant  donc  le  calice  aux  disciples,  il 
dit  :  «  Ceci  est  mon  sang,  'le  sang]  du 
Nouveau  Testament,  qui  est  répandu  pour 
vous  et  pour  un  grand  nombre  en  rémission 
des  péchés.  »  (i) 

Est-il  si  téméraire,  dès  lors,  de  trans- 
poser ces  expressions  anciennes  en  celles- 
ci  plus  modernes,  mais  de  même  sens  : 
Le  Christ,  à  l'autel,  est  le  vrai  sacrifica- 
teur dont  les  prêtres  ne  font  que  tenir  la 
place.  Or,  il  nous  a  enseigné  lui-même 
que,  pour  tenir  sa  place  et  opérer  le  mys- 
tère en  son  nom,  il  faut  répéter  sur  le 
pain  et  le  vin  sa  formule  divine  et  son 
geste  auguste. 

Nous  voilà  en  possession  d'une  majeure 
et  d'une  mineure  suffisamment  explicites, 
croyons-nous.  Devrons-nous  renoncer  à 
trouver  chez  notre  auteur  l'énoncé  de  la 
conclusion  désormais  évidente?  Point  du 
tout.  Et  même  —  détail  piquant  pour 
£eux-là  surtout  qui  se  laissent  volontiers 
impressionner  et  convaincre  par  certaines 
affirmations  patristiques  de  la  vertu  con- 
sécratrice  du  Saint-Esprit,  prises  isolé- 
m.ent  et  détachées  de  leur  contexte  — 
nous  rencontrons  cet  énoncé  précisément 
au  beau  milieu  du  commentaire  de  l'épi- 
clèse.  Notre  liturgiste,  poursuivant  tou- 
jours la  comparaison,  qui  lui  est  chère, 

r»    Dans   «    igitur   *    calicem    discipulis    ait: 
Hic  est  sanguis  meus  novi  testamenti,  qui  pro 
vobis  et  multis  effunditur  in  remissionem  pecca- 
torum.  » 


de  l'Eucharistie  avec  l'Incarnation,  y 
attribue,  il  est  vrai,  les  deux  miracles  au 
Saint-Esprit;  et  cela  n'a  pas  de  quoi 
nous  surprendre.  Mais  il  ajoute  aussitôt 
que,  si  le  changement  eucharistique  se 
produit  ainsi  par  l'opération  de  la  troi- 
sième personne  divine,  c'est  que  «  la 
parole  du  Christ  est  infaillible,  qui  â 
ordonné  de  renouveler  en  souvenir  de 
lui  jusqu'à  son  avènement  ce  qu'il  a  fait 
lui-même  le  premier  ».  (i) 

Le  lecteur  fera-t-il  maintenant  difficulté 
de  reconnaître,  dans  les  passages  allégués 
de  Chosrov  le  Grand,  des  témoignages 
nettement  favorables  à  l'enseignement 
catholique  touchant  la  forme  de  l'Eucha- 
ristie? 


Si  telle  est  bien  la  doctrine  à  dégager 
des  textes  que  nous  avons  rapprochés, 
comment  expliquer  que  Vetter  et  quelques 
autres  après  lui  aient  pu  affirmer  que  le 
célèbre  liturgiste  arménien  attribuait  la 
consécration  à  l'épiclèse  et  non  aux 
paroles  du  Sauveur?  (2)  Je  viens  d'en 
signaler  incidemment  la  raison  tout  à 
l'heure.  C'est  que  l'on  s'est  laissé  trop 
impressionner  par  plusieurs  autres  textes, 
où  l'opération  eucharistique  du  Saint- 
Esprit  est  nettement  mise  en  relief,  mais 
que  l'on  a  eu  tort  de  considérer  isolément, 
sans  projeter  sur  eux  la  lumière  jaillie  des 
affirmations  étudiées  ci-dessus.  Mainte- 
nant que  nous  connaissons  d'une  ma- 
nière suffisamment  précise  la  pensée  de 
Chosrov  au  sujet  de  la  vertu  consécratrice 
du  Christ  et  de  ses  paroles,  nous  pouvons 
lui  demander  sa  pensée  au  sujet  de  la 
vertu  consécratrice  du  Saint-Esprit  et  de 
la  formule  d'invocation.  Nous  ne  nous 
étonnerons  pas  outre  mesure  de  trouver 
ici  encore  le  commentateur  très  afïîrmatif. 


m)  Vetter,  op.  cit.,  p.  36.  Idem  hoc  videmus 
credimusque  fieri,  quia  infallibile  est  verbum 
Christi,  qui  quod  ipse  primus  fecit,  id  usque  ad 
adventum  suum  in  sui  memoriam  fieri  Jussit. 

{2\  Vetter.  op.  cit.,  p.  x.  Cf.  L.  Petit,  art. 
«  Arménie  »,  toc.  cit.,  col.  igSô;  Tolrnebize,  His- 
toire politique  et  religieuse  de  l'Arménie,  Paris, 
1910,  p.  584. 


14 


ECHOS    D  ORIENT 


Mais  la  constatation  préalablement  faite 
de  sa  doctrine  sur  le  sacerdoce  eucharis- 
tique du  Christ  nous  obligera,  en  dépit 
peut-être  d'une  certaine  imprécision  de 
l'auteur,  à  concilier  entre  elles  ces  doubles 
données  en  apparence  contradictoires. 

Que  la  confection  des  sacrements,  et 
spécialement  de  l'Eucharistie,  soit  attri- 
buée à  l'Esprit-Saint,  cela  n'a  rien  que  de 
naturel,  puisqu'il  est  le  Sanctificateur  et 
le  Vivificateur.  Aussi  Ghosrov  peut-il 
écrire  : 

Le  prêtre  appelle  Vivificateur  et  Libéra- 
teur l'Esprit-Saint,  parce  que,  par  lui,  le 
baptême  nous  a  régénérés  pour  nous  faire 
enfants  de  Dieu,  nous  délivrer  des  péchés 
et  nous  vivifier  pour  la  vie  immortelle.  Ce 
même  Esprit-Saint  accomplit  aussi  ce  divin 
sacrement  (de  l'Eucharistie),  vivifiant  et 
libérateur  (i). 

Mais  l'action  de  la  troisième  personne 
divine  exclut  si  peu  celle  de  la  seconde, 
que  le  Kturgiste  arménien  ïes  conctïie 
l'une  et  l'autre  au  début  de  sa  paraphrase 
du  récit  de  la  Cène.  Ici  encore,  ses  expres- 
sions se  ressentent  de  rîmprécision  ou 
de  l'inexactitude  de  ses  doctrines  christo- 
îogiques;  du  moins,  sous  le  bénéfice  de 
cette  observation,  nous  pouvons  être 
assurés  de  son  enseignement  eucharis- 
tique. Voici  comment  il  s'exprime: 

Jésus  prit  du  pain  et  le  bénit.  Bénir,  c'est 
introduire  le  Saint-Esprit.  Celui-ci,  envoyé 
à  Marie,  accomplit  en  elle  l'inefïable  incar- 
nation et  unit  avec  le  Verbe  divin  la  chair 
qui  fut  tirée  de  la  Vierge;  c'est  pareillement 
lui  qui  fera  le  miracle  du  pain  uni  au  Fils 
de  Dieu  (2). 

De  la  phrase  qu'on  vient  de  lire,  il  suit 
logiquement  que  l'opération  eucharistique 
du  Saint-Esprit  coïncide,  en  réalité,  avec 
l'opération  eucharistique  du  Fils.  Et  qu'on 
n'aille  pas  épiloguer  sur  le  futur  employé 


(i)  Yetter,  op.  cit.,  p.  17. 

(2)  Ibid.,  p.  29.  Accepit  panent  et  benedixit.  Et 
«  benedicere  »  e*^  :  Spiritum  Sanctum  introducere. 
Qui  ad  Mariant  missus  ineffabilem  in  ea  perfecit 
incarnationem  et  cuni  Verbo  divino  univit  carnem, 
quœ  ex  Virgine  fuit,  is  pariter  pa?iis  cum  Filio 
Dei  uniti  faciet  miraculum. 


par  notre  auteur  dans  la  proposition 
finale  :  «  C'est  pareillement  lui  qui  fera 
le  miracle  du  pain  uni  au  Fils  de  Dieu  », 
pour  donner  à  entendre  que  cette  action 
de  la  troisième  personne  divine  est  à 
reporter  à  l'instant  ultérieur  de  l'épiclèse. 
Non,  le  sens  naturel  de  ce  futur  ne  sau- 
rait, d'après  le  contexte,  dépasser  le 
moment  où  vont  être  prononcées  les 
paroles  du  Sauveur,  par  lesquelles  le  Christ 
consécrateur  opérera  cette  bénédiction 
effective  qui  consiste,  dit  Chosrov,  à 
«  introduire  l'Esprit-Saint  ». 

De  fait,  voyons  comment  le  liturgiste 
d'Antzévatsiq  paraphrase  la  formule  d'épi- 
clèse.  La  teneur  de  cette  oraison  étant, 
on  le  sait,  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort  en 
faveur  de  l'efficacité  consécratrice  du 
Saint-Esprit,  il  est  intéressant  de  terminer 
par  là  notre  consultation.  Or,  après  avoir 
transcrit  le  texte  même  de  la  prière  (i), 
voici  quel  commentaire  Chosrov  nous  en 
donne  (le  lecteur  remarquera  de  lui-même 
les  inexactitudes  déjà  signalées  au  sujet 
de  l'Incarnation)  : 

Nous  t'adoronSj  te  prions  et  te  supplions, 
Seîgneur,  Créateur  et  Père,  qui  nous  as 
donné  ton  Fils  unique  pour  Rédempteur, 
qui  le  places  sur  l'autel  et  nous  le  donnes 
pour  nourriture.  Pleins  de  confiance  en  ta 
bienfaisance  infinie,  nous  te  prions  d'en- 
voyer l'Esprit-SaLnt  sur  nous  et  sur  le  sacri- 
fice, afin  que  le  Saint-Esprit  nous  sanctifie, 

nous  aussi Le  Rédempteur,  en  effet, 

s'est  incarné  de  la  Vierge  Marie  :  l'Esprit- 
Saint,  eavoyépar  le  Père,  a  pris  de  la  chair 
du  sein  de   Marie,  l'a  mêlée  et  unie  au 


(i)  Le  lecteur  aimera  sans  doute  à  lire  la  formule 
d'épié  lèse  que  Chosrov  avait  sous  les  yeux.  La 
voki  :  Adoramus  et  precamur  et  rogamus  te, 
Domine,  niitte  super  nos  et  oblata  hœc  dona 
coœternuni  tuum  et  consubstantialem  Sanctum 
Spiritum,  qui  pani  isti  benedicat  et  père  euni 
faciat  corpus  Domini  nostri  et  Redemptoris  Jesu 
Christi;et  caLici  isti  benedicat  et  vere  eum  faciat 
sanguinem  Domini  nostri  et  Redemptoris  Jesu 
Christi,  ut  sit  a-ccedentibus  liberationi  a  condem- 
natione,  expiationi,  peccatonini  remissioni.  Vet- 
TER,  Op.  cit.,  p.  35,  36.  On  le  voit,  c'est  ce  qu'il  y 
a  de  plus  formel  en  apparence;  et  pourtant,  nous 
connaissons  déjà  la  pensée  de  Chosrov  touchant 
l'efficacité  des  paroles  du  Sauveur,  et  nous  allons 
la  voir  renforcée  par  son  commentaire  même  de 
ce  texte  liturgique. 


CONSÉCRATION    ET    ÉPICLÈSE    D  APRES    CHOSROV    LE   GRAND 


Verbe  divin C'est  encore  la  même  opé- 
ration qu'accomplit  à  l'église  et  au  saint 
autel  l'Esprit  divin.  Le  pain  qui  a  été  pris, 
il  l'unit  au  Fils  de  Dieu;  il  en  fait  autant 
pour  le  calice,  et  l'un  et  l'autre  deviennent 
véritablement  le  corps  et  le  sang  du  Christ. 
Cela,  nous  le  voyons  s'accomplir  et  nous 
le  croyons,  car  elle  est  infaillible  la  parole 
du  Christ  qui  a  ordonné  de  renouveler  en 
souvenir  de  lui  jusqu'à  son  avènement  ce 
qu'il  a  lui-même  fait  le  premier.  Comme 
le  Père  était,  est  et  est  toujours,  et  qu'il  n'y 
a  eu  aucun  temps  où  il  n'ait  été,  ainsi 
l'Esprit-Saint  a  toujours  été  avec  le  Père  et 
avec  le  Fils,  et  il  est  éternel  et  consubstan- 
tiel.  C'est  lui  aussi  qui  a  opéré  ce  miracle 
étrange,  de  changer  le  simple  pain  et  le 
vin  en  l'incorruptibilité  du  corps  et  du  sang 

d'un  Dieu Après  avoir  prié  avec  foi  pour 

que  le  Saint-Esprit  descende  sur  l'auguste 
sacrifice,  nous  professons,  selon  la  parole 
divine,  [la  présence  du'  corps  et  du  sang, 
et  nous  nous  mettons  à  prier  d'un  cœur 
où  n'entre  aucune  hésitation.  Notre  àme 
sait,  sans  aucun  doute  ni  hésitation  pos- 
sible, que  le  Fils  de  Dieu  est  sur  l'autel 
sacré,  renouvelant  sous  nos  yeux  la  mort 
qu'il  a  endurée  pour  nous.  C'est,  en  effet, 
depuis  lors,  le  même  corps  qui  fut  sur  la 
croix  et  dans  le  tombeau  (iX 

La  part  une  fois  faite  aux  inexactitudes 
théologiques  déjà  rappelées,  il  reste  que 
cette  paraphrase  de  l'épiclèse,  loin  dêtre 
opposée  à  la  croyance  catholique  sur  la 
forme  de  l'Eucharistie,  en  constitue  au 
contraire,  si  je  ne  me  trompe,  une  écla- 
tante confirmation.  Rien  n'y  insinue  que 
l'opération  consécratrice  du  Saint-Esprit 
s'effectue  au  moment  précis  où  cette 
oraison  est  prononcée:  bien  plutôt  en 
ressort-il  que  cette  opération  a  déjà  eu 
lieu  à  l'instant  où  était  dite  sur  le  pain  et 
le  vin  la  parole  infaillible  du  Christ.  Ce 
qui  s'en  dégage  aussi  avec  une  évidente 
netteté,  c'est  l'idée  de  la  coopération 
eucharistique  des  trois  personnes  divines, 
idée  qui,  par  sa  fréquente  répétition,  se 
trouve  être  un  véritable  lieu  commun  dans 
la  théologie  patristique  et  spécialement 
dans  la  littérature  spéciale  formée  par  les 

0)  Vettef,  op.  cit.,  p.  36-37. 


commentaires  de  la  liturgie.  Or,  le  relief 
saisissant  donné  à  cette  idée  va  directe 
ment  à  ruiner  la  signification  exclusive 
de  consécration  que  d'aucuns  voudraient 
donner  aux  formules  d'épiclèse.  Pour  ma 
part,  plus  j'étudie  ces  anciens  auteurs, 
théologiens  et  liturgistes,  plus  je  les  com 
pare  entre  eux,  plus  il  m'apparaît  que  la 
véritable  expHcation  de  l'épiclèse  est  là. 
La  pensée  de  Chosrov,  ici  encore,  me 
semble  suffisamment  claire.  Nous  lavons 
entendu  nous  déclarer,  en  substance, 
que  le  Christ  accomplit  la  consécration 
en  prononçant  les  mêmes  paroles  qu'au 
Cénacle  :  Ceci  est  mon  corps,  ceci  est 
mon  sang.  Maintenant  il  note  d'une  façon 
très  précise  qu'à  cette  action  du  Fils  coo- 
pèrent, tout  naturellement,  le  Père  et  le 
Saint-Esprit.  La  coopération  de  ce  dernier 
est  particulièrement  soulignée,  à  raison 
surtout  de  l'analogie  entre  l'Eucharistie  et 
l'Incarnation,  analogie  poussée  jusqu'à 
l'exagération  par  notre  liturgiste.  Mais, 
en  dépit  de  cette  insistance  spéciale,  tout 
me  paraît  indiquer  que  Chosrov  rapporte 
réellement  cette  coopération  du  Saint- 
Esprit  à  l'instant  antérieur  où  étaient 
proférées  les  paroles  du  Sauveur.  N'a-t- 
on pas  remarqué,  entre  autres  choses, 
que,  au  cours  de  cette  explication  d'une 
formule  qui,  à  première  vue,  semblerait 
faire  difficulté,  il  emploie,  pour  désigner 
l'efficacité  consécratrice  du  Saint-Esprit, 
un  verbe  au  temps  passé?  «  C'est  lui 
aussi,  dit-il,  qui  a  accompli  ce  miracle 
étrange  de  changer  le  simple  pain  et  le 
vin  en  l'incorruptibilité  du  corps  et  du 
sang  d'un  Dieu.  »  (i) 


(i)  Vetter,  op.  et  lac.  cit.  Qui  etiam  egregium 
taie  miraculum  *.fecit  »  :  merum  panem  et  vinum 
in  incorruptibilitatem  corporis  ac  sanguini*  Dei 
transmutons.  On  rencontre  ici,  pour  le  noter  en 
passant,  un  assez  frappant  correctif  à  apporter  aux 
expressions  de  Chosrov,  qui,  au  premier  abord, 
sembleraient  désigner  une  sorte  d'impanation.  11 
s'en  trouve  d'autres  de  ce  genre  dans  l'explication 
de  la  messe  :  ce  qui  montre  une  fois  de  plus  que 
les  anciens  auteurs  veulent  être  étudiés  dans  leur 
ensemble  et  qu'il  ne  faudrait  pas  prendre  au  pied 
de  la  lettre  certaines  de  leurs  formules  isolées  du 
contexte  général  que  forme  le  recueil  de  leurs 
écrits. 


i6 


ECHOS    D  ORIENT 


II  nous  est  donc  permis,  pensons-nous, 
de  conclure  avec  assurance  que  les  Armé- 
niens grégoriens  et  ceux  qui,  comme 
eux,  seraient  partisans  de  la  consécration 
par  l'épiclèse,  ne  peuvent  du  moins  pas 
se  prévaloir  du  témoignage  de  Chosrov 
le  Grand.  Celui-ci,  je  crois  l'avoir  dé- 
montré, est  au  contraire  nettement  favo- 
rable à  la  croyance  catholique  de  la  con- 
sécration par  les  paroles  du  Sauveur. 
Quant  à  l'épiclèse,  sa  paraphrase  nous  la 


donne  à  considérer  comme  une  expres- 
sion post  factum  de  la  coopération  du 
Saint-Esprit  à  l'action  eucharistique  des 
deux  autres  personnes  divines.  L'analogie 
avec  l'Incarnation,  beaucoup  plus  que 
l'idée  générale  de  sanctification,  paraît 
bien  être,  au  jugement  de  notre  auteur, 
la  raison  de  l'insistance  spéciale  de  la 
liturgie  sur  cette  coopération  du  Saint- 
Esprit.  Sévérien  Salaville. 

Constantinople. 


LE  PROTÉVANGILE  DE  JACQUES 

ET  L'IMMACULÉE  CONCEPTION 


Les  Evangiles  canoniques  ne  nous  ap- 
prennent que  fort  peu  de  chose  sur  la 
Vierge  Marie.  Ils  se  contentent  de  mettre 
en  lumière  sa  maternité  virginale  et  se 
taisent  à  peu  près  complètement  sur  le 
reste  de  sa  vie.  Ils  ne  disent  rien  en  par- 
ticulier de  sa  naissance  et  de  son  enfance. 

De  très  bonne  heure,  la  piété  des  fidèles 
se  préoccupa  de  combler  cette  lacune,  au 
risque  de  nous  fournir,  au  lieu  d'une  his- 
toire proprement  dite,  de  pieuses  légendes, 
qui,  sans  être  dépourvues  de  tout  fonde- 
ment réel,  feraient  la  part  belle  à  la  fan- 
taisie. La  première  de  ces  productions  de 
la  piété  populaire  qui  soit  parvenue  jus- 
qu'à nous  est  le  Protévangile  de  Jacques. 
Ecrit  en  grec  par  un  catholique,  vers  le 
milieu  du  ii«  siècle,  au  moins  pour  la 
partie  qui  regarde  la  vie  de  la  Vierge 
avant  la  naissance  de  Jésus  (i),  cet  apo- 
cryphe mérite  d'attirer  toute  notre  atten- 
tion, tant  à  cause  de  son  contenu  que  de 
l'influence  qu'il  a  exercée  sur  la  liturgie 
et  la  théologie  mariales  de  l'Eglise  grecque. 
C'est  en  réfléchissant  sur  les  données  qu'il 


(i)  Telles  sont  les  conclusions  auxquelles  s'ar- 
rête le  récent  éditeur  du  Protévangile  de  Jacques, 
M.  E.  Aman,  et  qui  nous  paraissent  tout  à  fait 
justifiées.  Emile  Aman,  le  Protévangile  de  Jacques 
et  ses  remaniements  latins.  Paris,  1910,  p.  99-100. 


fournit,  et  qui  ont  été  de  bonne  heure 
universellement  acceptées,  que  les  ora- 
teurs byzantins  ont  été  amenés  à  dire  de 
si  belles  choses  sur  l'Immaculée. 

L'idée  de  la  conception  immaculée  perce- 
t-elle  dans  l'ouvrage  lui-même?  On  l'y 
trouve  au  moins  à  l'état  implicite.  L'au- 
teur a  pour  but  de  glorifier  Marie,  Vierge 
et  Mère,  et  de  la  venger  de  certaines  ca- 
lomnies répandues  par  les  Juifs.  Il  prend- 
un  soin  spécial  d'écarter  d'elle,  dès  sa 
plus  tendre  enfance,  tout  ce  qui,  de  près 
ou  de  loin,  pourrait  ternir  sa  virginale 
pureté.  Aucune  souillure  en  la  future 
Mère  du  Sauveur  :  telle  est  la  thèse  qu'il 
ne  cesse  d'inculquer. 

Il  est  vrai  qu'il  s'agit  surtout  de  souil- 
lure physique  et  légale.  Mais  l'argument 
a  fortiori  est  ici  de  mise.  S'il  fallait  que 
Marie  fût  absolument  pure  dans  sa  chair 
pour  être  digne  de  devenir  la  Mère  de 
Jésus,  à  plus  forte  raison  devait-elle  être 
immaculée  dans  son  âme.  On  peut  dire 
que,  dès  cette  époque  reculée,  le  dogme 
de  la  conception  immaculée  esta  l'horizon 
de  la  conscience  chrétienne.  Celle-ci  n'aper- 
çoit la  Mère  de  Dieu  que  nimbée  d'une 
auréole  d'idéale  pureté.  La  tache  originelle, 
comme  toute  autre  souillure,  est  tacite- 
ment exclue;  si  on  ne  le  dit  point  exprès- 


LE   PROTÉVANGILE   DE  JACQUES   ET   L'IMMACULÉE   CONCEPTION 


17 


sèment,  c'est  sans  doute  parce  que  la  chose 
va  de  soi. 

Dans  les  milieux  chrétiens  où  fut  com- 
posé le  Protévangile,  écrit  M.  Aman,  in- 
stinctivement la  piété  populaire  faisait  le 
raisonnement  qui  revient  à  chaque  page 
des  traités  modernes  de  mariologie  :  il  faut 
admettre  que  la  Vierge  Marie,  non  seule- 
ment a  reçu  les  mêmes  faveurs  que  les  saints 
les  plus  éminents,  mais  qu'elle  les  a  eues 
d'une  manière  plus  excellente.  Et  comme 
l'on  ne  savait  point  discuter  alors  sur  la 
grâce  ou  le  péché  originel,  comme  l'on  ne 
pouvait  point  dire  si  Jérémie  ou  Jean-Bap- 
tiste avaient  été  sanctihés  dès  le  sein  de 
leur  mère  (i),  l'on  ne  pouvait  pas  affirmer 
non  plus  que  la  Vierge  avait  été  conçue 
sans  la  souillure  originelle,  mais  l'on  pou- 
vait assurer  que  sa  naissance  avait  surpassé 
en  sainteté  et  en  miracle  celle  des  plus 
saints  personnages  (2). 

Au  lieu  de  parler  d'impossibilité,  il  est 
sans  doute  plus  sage  de  dire  que,  si  l'on 
n'affirmait  point  alors  expressément  que 
Marie  a  été  conçue  sans  péché,  c'est  parce 
que  la  question  n'avait  pas  été  posée 
directement.  Si  quelqu'un  l'avait  soulevée, 
et  nous  croyons  qu'elle  aurait  pu  l'être  au 
second  siècle,  nul  doute  que  la  conscience 
chrétienne  n'eût  répondu  comme  elle 
répondra  plus  tard. 

Mais  n'y  a-t-il  rien  dans  le  texte  du 
Protévangile  qui  indique  positivement  que 
la  conception  de  Marie  n'a  pas  ressemblé 
en  tout  à  celle  des  autres  hommes?  L'au- 
teur affirme  qu'elle  a  été  au  moins  aussi 
miraculeuse  que  celle  du  Précurseur.  Les 
parents  de  la  Vierge  sont  frappés  de  sté- 
rilité. Par  leurs  prières,  ils  obtiennent  que 
Dieu  fasse  cesser  leur  opprobre.  Un  ange 
annonce  séparément  àjoachim  et  à  Anne 
l'heureuse  nouvelle  qu'ils  auront  une  pos- 
térité. Marie  nous  est  ainsi  présentée 
comme  Fille  de  la  promesse,  comme  un 
don  de  Dieu  et  un  fruit,  non  de  la  passion, 
mais  de  la  prière. 

Cela  sans  doute  ne  suffit  pas  en  soi 
pour  faire  jaillir  l'idée  de  la  conception 

(i)Je  ne  vois  pas  pourquoi  on  n'aurait  pas  pu 
le  dire. 

(2)  Aman,  op.  cit.,  p.  i5-i6. 


immaculée,  mais  cela  a  suffi  en  fait,  nous 
le  verrons,  aux  docteurs  postérieurs  pour 
s'élever  jusqu'à  cette  idée.  Sans  trop  ré- 
fléchir que  leur  raisonnement  pouvait 
s'appliquer  à  d'autres  qu'à  Marie,  de  ce 
que  celle-ci  était  un  don  de  Dieu,  ils  ont 
conclu  que  ce  don  ne  pouvait  qu'être  abso- 
lument pur  et  immaculé;  ou  plutôt,  dans 
leur  esprit,  au  miracle  accordant  la  fécon- 
dité à  des  parents  stériles  se  sont  associées 
les  exigences  spéciales  de  la  maternité 
divine.  L"intervention  de  Dieu  en  faveur 
de  sa  Mère  a  été,  comme  il  convenait, 
plus  parfaite  et  plus  intime  que  dans  les 
autres  naissances  miraculeuses,  et  lui 
a  valu  un  privilège  unique. 

L'auteur  du  Protévangile  s'est-il  contenté 
d'attribuer  à  Marie  une  conception  rappe- 
lant celle  de  certains  personnages  bibliques 
illustres,  et  en  particulier  celle  de  Jean- 
Baptiste?  Ne  lui  est-il  pas  venu  à  l'idée  de 
faire  sur  ce  point  la  Mère  semblable  au 
Fils? 

La  question,  dit  M.  Aman,  mérite  d'être 
posée.  Une  des  raisons  pour  lesquelles  la 
théologie  s'est  opposée  longtemps  au  privi- 
lège de  l'Immaculée  Conception  de  la  Vierge, 
c'est  que,  conçue  à  la  manière  de  tous  les 
autres  hommes,  fille  de  la  concupiscence 
charnelle,  Marie  avait  dû  contracter  la  souil- 
lure que  transmet  depuis  Adam  la  généra- 
tion humaine.  Si  l'auteur  a  cru  à  la  con- 
ception virginale  de  sainte  Anne;  si,  en  la 
rapportant,  il  s'est  fait  sur  ce  point  l'écho 
de  la  tradition  et  de  la  piété  populaire,  il 
faut  le  ranger  parmi  les  tout  premiers  défen- 
seurs de  l'Immaculée  Conception;  il  faut 
reconnaître,  de  plus,  que  cette  idée  a  dans  la 
tradition  catholique  des  racines  beaucoup 
plus  profondes  qu'on  ne  le  suppose  ordi- 
nairement. 

La  question  est  une  question  de  texte  et 
de  grammaire.  On  lit,  c.  iv,v.,  2  :  «Joachim, 
Joachim,  le  Seigneur  Dieu  a  exaucé  ta  prière  ; 
descends  d'ici,  car  voici  que  ta  femme  Anne 
concevra  dans  son  sein  (èv  Ya<rrs:  Kr^-lz-xv.  » 
Telle  est  du  moins  la  leçon  adoptée  par 
Tischendorf  comme  texte  reçu  :  c'est  celle 
que  donnent,  en  effet,  tous  les  manuscrits 
grecs  consultés  par  lui,  sauf  un  seul,  mais 
très  ancien,  qui  porte  :  «  Anne,  ta  femme, 
,   a  conçu    siX-zj^e).  »  Fidèle  à  lui-même,  ce 


ECHOS   D  ORIENT 


manuscrit  donne  une  leçon  correspondante 
au  verset  4.  —  Anne  exprime  sa  joie  de 
revoir  son  mari  :  «  J'étais  veuve  et  je  ne  le 
suis  plus,  j'étais  sans  enfant  et  voici  que  je 
concevrai  »  (X7)'}o[jLat,  d'après  le  texte  reçu); 
«  voici  que  j'ai  conçu  »  (stXTj^a,  d'après  le 
manuscrit  désigné  plus  haut)  (i). 

La  leçon  eChr/^t  au  verset  4  est  encore 
donnée  par  deux  autres  manuscrits,  dont 
l'un,  qui  ne  date  que  du  xvi^  siècle,  porte 
à  la  fois  3-JÂÀr,6oiji.a'.  xal  eO.r/fa  (2).  Si  la 
leçon  £'j.r,çaest  la  leçon  primitive,  le  Pro- 
iévangile  paraît  enseigner  la  conception 
virginale  de  Marie,  et,  du  coup,  écarte 
d'elle  toute  idée  de  péché  originel.  Mais 
est-ce  là  le  texte  original?  D'après  le  con- 
texte, il  semble  que  non.  L'auteur  insinue 
discrètement  que  Joachim  a  été  le  père  de 
Marie,  lorsqu'aprèsavoir  racontél'entrevue 
des  deux  époux,  il  écrit  : 

Et  Joachim,  ce  premier  jour,alla  se  reposer 
dans  sa  maison.  Le  lendemain,  il  apportait 
ses  offrandes,  se  disant  en  lui-même  :  «  Si 
le  Seigneur  Dieu  m'est  propice,  c'est  ce 
que  me  manifestera  la  lame  d'or  du  grand 
prêtre  (3). 

Ce  n'est  peut-être  là  cependant  qu'une 
interprétation  subjective.  Peut-être  l'au- 
teur a-t-il  simplement  voulu  dire  que  Joa- 
chim était  allé  remercier  le  Seigneur  sans 
retard,  dès  le  lendemain  même  de  son 
retour,  et  aussi  s'assurer  que  la  promesse 
de  l'ange  s'accomplirait.  Ce  qui  est  cer- 
tain, c'est  que  la  leçon  tCkr/fo.  est  très 
ancienne.  Nous  savons  par  saint  Epiphane 
qu'elle  était  déjà  fort  répandue  à  la  fin  du 
iv«  siècle.  Réfutant  la  secte  des  Collyri- 
diens,  qui  rendaient  à  Marie  un  culte  exa- 
géré et  allaient  jusqu'à  lui  offrir  des  sacri- 
fices, l'évêque  de  Salamine  écrit: 

S'il  n'est  pas  permis  d'adorer  les  anges, 
combien  moins  encore  celle  qui  est  née 
d'Anne,  celle  qui  a  été  donnée  à  Anne  du 
fait  de  Joachim,  celle  qui  a  été  obtenue  par 
les  prières  et  les  supplications  enfin  exau- 
cées de  son  père  et  de  sa  mère.  Elle  n'est 

(i)  Aman,  op.  cit.,  p.  17-18. 

(2)  Ibid.,  p.  194. 

(3)  Kat  àvcTtaûaaro  'I(i)axîi(i  tt,v  Ttpwrrjv  r,[X£pav  si; 
Tov  O'.xov  aùxoy.  Trj  Bï  êTraOptov  TrpotrlcpEpe  rà  Scôpa 
aÙToC.  (Protévangiïe,  iv,  4;  v,  i.  Aman^  p.  igS-igô.) 


point  née  en  dehors  des  règles  ordinaires 
de  la  nature,  mais,  comme  toute  créature 
humaine,  delà  semence  d'un  homme  et  du 
sein  d'une  femme.  Si,  en  effet,  l'histoire 
de  Marie  et  les  traditions  portent  qu'il  a  été 
dit  à  son  père  Joachim  dans  le  désert  :  ta 
femme  a  conçu,  cela  ne  signifie  pas  que  la 
chose  est  arrivée  sans  le  commerce  habituel 
ni  sans  la  semence  de  l'homme.  Mais  l'ange 
envoyé  vers  lui  lui  a  prédit  ce  qui  devait 
arriver,  afin  qu'il  n'y  eût  pas  d'incertitude 
sur  le  compte  de  celle  qui  était  déjà  pro- 
duite en  toute  vérité,  étant  déjà  prévue  par 
Dieu  et  déjà  née  pour  cet  homme  juste  (i). 

Ainsi,  à  l'époque  d'Epiphane,  on  lisait 
dans  l'histoire  de  Marie,  c'est-à-dire  dans 
le  Protévangiïe  de  Jacques,  le  même  texte 
dont  témoigne  le  manuscrit  B.  Et  ce  n'était 
pas  une  leçon  extraordinaire.  L'évêque  de 
Salamine,  préoccupé  de  réfuter  des  opi- 
nions qu'il  juge  indéfendables  et  qui  s'ap- 
puient sur  ce  texte,  ne  propose  pas  une 
leçon  différente.  Il  s'ingénie  à  montrer  quece 
parfait  peut  être  interprété  comme  un  futur  ; 
il  cherche  dans  l'Ecriture  des  exemples  de 
parfaits  prophétiques  :  ta  femme  a  conçu, 
cela  veut  dire  concevra;  il  ne  lui  vient  pas 
à  la  pensée  d'invoquer  une  autre  leçon  plus 
facile  à  interpréter.  Le  texte  dont  témoigne 
Epiphane  et  l'interprétation  que  plusieurs 
en  avaient  donnée  ont  du  circuler  long- 
temps dans  l'Eglise  byzantine.  Au  vni*  siècle, 
André  de  Crète,  dans  le  canon  pour  la  fête 
de  la  conception  d'Anne  (9  déc),  signale 
comme  une  erreur  l'idée  que  Marie  a  pu 
naître  d'une  manière  aussi  miraculeuse  [2]', 
au  X''  siècle,  le  Ménologe  exécuté  par  les 
soins  de  l'empereur  Basile  II  combat  encore 
l'idée  que  Marie  a  été  engendrée  sans  l'in- 
tervention de  l'homme,  //ooi;  avopô;  (3). 

Les  versions  et  les  remaniements  du  Prot- 
évangiïe permettent  aussi  de  conclure  que 
la  leçon  ta  femme  a  conçu  a  été  d'assez 
bonne  heure  répandue  en  des  régions  très 

(i)  Et  yàp  r|  Tr,;  Maptaç  îdTopta  xal  TrapaSdffst; 
ïyov(Tr/  ÔTt  èppriÔY)  tw  Ttarpl  aÙTf,ç  'Iwxxelu.  âv  rf, 
Èpvififf),  OTt  ri  f-Qyri  (7oy  (>uv2tXr,çv»Ï3t,  oùx  ôft  avîV)  a'j^y- 
jioLi  Toij'îo  âyévîTO,  o'jhï  OTt  avîu  <T7t£p|xaTo;  àv5pô;, 
àX),à  -b  [xl),).ov  £0-£<T9ai  TipoEOéaTCis^v  ô  ayi'£),o;  àTio- 
(T-oLltk.  Hœres.  lxxix,  5.  P.  G.,  t.  XLII,  col.  748  B. 

(2)  P.  G.,  t.  XCVII,  col.  i3i3  A. 

(3)  P.  G.,  t.  CXVII,  col.  196  C.  Le  Ménologe 
reproduit,  en  l'abrégeant,  le  texte  de  saint  André 
de  Crète.  Il  ne  faudrait  point,  dès  lors,  trop  insister 
sur  ce  témoignage  pour  établir  qu'encore  au 
x"  siècle,  il  y  avait  dans  l'Eglise  byzantine  des 
partisans  de  la  conception  virginale  de  Marie. 


LE   PROTÉVANGILE   DE  JACaUES   ET   L'IMMACULÉE   CONCEPTION 


»9 


différentes.  Le  texte  syriaque  (qui  remonte 
au  ye  ou  au  vi^  sièclei  suit,  sur  les  deux 
points  signalés  plus  haut,  la  leçon  du  ma- 
nuscrit B.  Le  texte  éthiopien  lit  comme  le 
texte  syriaque  ta  femme  a  conçu L'évan- 
gile latin  de  Pseudo-Matthieu  a  une  leçon 
curieuse  et  qui  témoigne  qu'il  a  lu,  lui 
aussi,  la  leçon  la  plus  difficile  :  quam  scias 
ex  semine  iuo  concepisse  jiliam.  C'est  la 
leçon  de  quatre  manuscrits;  et  ils  ajoutent, 
quelques  lignes  plus  loin  :  excitavit  enim 
Deiis  semeîi  in  ea,   unde  gratias  referas 

Deo,  et  semen  ejus  erit  benedictum Je 

ne  vois  guère  qu'une  explication  qui  rende 
compte  de  la  leçon  étrange  ex  semine  tuo 
concepisse,  surtout  si  l'on  remarque  que 
dans  le  remaniement  latin  l'absence  de 
Joachim  dure  beaucoup  plus  longtemps  que 
dans  le  Protévangile  (cinq  mois  au  lieu  de 
quarante  jours).  L'auteur  a  dû  lire  dans  le 
texte  grec  une  leçon  analogue  à  celle  du 
manuscrit  B.  Il  l'a  comprise  comme  les 
Collyridiens  d'Epiphane,  mais  elle  l'a 
choqué,  et  il  a  pensé  la  corriger  en  insé- 
rant fort  maladroitement  ex  semine  tuo. 
Il  a  cru  expliquer  cette  incohérence  même 
en  ajoutant  :  excitavit  enim  Deus  semen 
in  ea:  mais  cet  essai  d'explication  est  immé- 
diatement compromis  par  les  mots  qui 
suivent  :  et  semen  ejus  erit  benedictum  (i\ 
Il  y  a  là  un  jeu  de  mots  sur  lequel  il  con- 
vient de  ne  pas  insister,  mais  qui  ne  con- 
tribue pas  à  la  clarté  du  texte.  Enfin,  pour 
ce  qui  concerne  la  rencontre  d'Anne  et  de 
Joachim.  le  texte  latin  attesté  par  quatre 
manuscrits  donne  la  leçon  :  Vidua  eram 
et  ecce  jam  non  sum,  s  ter  i  lis  eram  et  ecce 
jam  concepi.  II  est  évident,  d'après  cette 
discussion,  que  c'est  la  leçon  du  manuscrit 
B  qui  a  donné  naissance  à  celle  de  Pseudo- 
Matthieu. Si  cet  écrit  remonte  à  la  fin  du 
v^  siècle  ou  au  commencement  du  vi«, 
nous  avons  là  une  nouvelle  preuve  de  la 
diffusion  de  la  leçon  dAr,z>x  (2). 

Tous  ces  témoignages  tendraient  à  nous 
persuader  que  le  texte  original  devait 
porter  le  parfait,  et  que  le  futur  Xr/^sTa'., 
Àr.'iojxa-.,  est  une  correction  postérieure.  H 
faut  remarquer,  en  effet,  que  lesjplusanciens 

II)  Un  manuscrit  porte  la  leçon  suivante  :  Des- 
cende de  montibus  et  revertere  ad  con;ugem 
tuam,  et  inpenies  eam  habentem  in  utero  de  Spi- 
ritu  Sancto.  (Aman,  p.  288.) 

t2)  Ibid.,  p.  19-2 1. 


manuscrits  du  Protévangile  ne  remontent 
pas  au  delà  du  x«  siècle  (i).  Il  est  vrai 
que,  absolument  parlant,  ce  parfait  n'im- 
plique pas  nécessairement  la  conception 
virginale  et  qu'on  pourrait  l'interpréter  à 
la  manière  de  saint  Epiphane.  Mais,  la 
plupart  des  lecteurs  devaient  l'entendre 
au  sens  obvie,  comme  les  Collyridiens. 
L'idée  qu'on  avait,  dès  cette  époque  re- 
culée, de  la  parfaite  pureté  de  la  Mère  de 
Jésus  ne  pouvait  que  contribuer  à  accré- 
diter cette  manière  de  voir,  que  les  doc- 
teurs devront  redresser,  sans  que  d'ail- 
leurs la  sainteté  initiale  de  la  Vierge  ait 
à  en  souffrir. 

Avons-nous  tiré  du  Protévangile  de 
Jacques  tout  ce  qu'il  peut  fournir  à  notre 
sujet?  Il  importe  de  signaler  encore  un 
passage  du  cantique  que  l'auteur  met 
dans  la  bouche  d'Anne,  après  la  naissance 
de  Marie. 

Je  chanterai  un  cantique  au  Seigneur 
mon  Dieu,  parce  qu'il  m'a  visitée  et  a  enlevé 
de  moi  l'opprobre  de  mes  ennemis.  Et  le 
Seigneur  m'a  donné  un  fruit  de  {sat  Jus- 
tice, fruit  unique  en  son  genre,  riche  (en 
effets  bienfaisants)  devant  lui  (2). 

A  la  leçon  ;  un  fruit  de  sa  Justice  main- 
tenue par  Tischendorf,  M.  Aman  préfère 
la  leçon  :  un  fruit  de  justice,  attestée  par 
plusieurs  manuscrits  et  la  version  syriaque. 
Pour  lui,  ce  fruit  de  justice  désigne  le 
repos  et  la  sécurité  que  le  Seigneur  a 
accordés  à  Anne.  On  lit,  en  effet,  dans 
Isaïe,  c.  XXXII,  v.  17  :  «  La  droiture  habi- 
tera dans  le  désert,  et  la  justice  s'établira 
dans  le  verger;  le  produit  de  la  droiture 
sera  la  paix,  le  fruit  de  la  Justice  sera  le 
repos  et  la  sécurité  pour  jamais.  » 

Le  rapprochement  est  ingénieux,  mais 
est-ce  bien  là  le  fruit  de  justice  dont  parle 
Anne  dans  son  cantique?  Ce  fruit  de  jus- 
tice que  le  Seigneur  lui  a  donné  ne  dé- 
signe-t-il  point  Marie?  En  maintenant  la 
leçon  :  un  fruit  de  sa  justice,  Tischendori 

(i)  Ibid.,  p.  64. 

(2)  "Aaw  à)OT,v  x"jp:ti)  tw  ôew  (lou,  ors  itzzT/.vbxtô 
jie  x*l  àçci/.STO  àit'IîAoy  tô  ôvecSo;  twv  £y_6s«5v  jiou, 
xai  e8»xév  jioi  x'jpioc  %a^iùi'*  £ixaio<rJvr,;  [aCiroû], 
[tovooûfftov,  ■sîoXyitXà(r'.ov  àvwiriov  s*jto'3.  {Protévan- 
gile, VI,  3.  AMAN,  p.  202-203.) 


20 


ECHOS   D  ORIENT 


l'a  sans  doute  pensé.  C'est  l'interprétation 
qui  nous  paraît  de  beaucoup  la  meilleure. 
Marie  est  appelée  un  fruit  de  justice,  c'est- 
à-dire  un  fruit  de  sainteté,  digne  de  celui 
qui  l'a  accordé.  C'est  un  fruit  unique  en 
son  genre,  [jiovooLia-i.ov,  qui  renferme  en  lui 
toutes  sortes  de  propriétés,  TroXu7îXàa-wv(i). 
Dire  que  la  Vierge  est  un  fruit  de  sain- 
teté, un  fruit  donné  par  la  sainteté  de 
Dieu,  n'est-ce  point  affirmer  équivalemment 
qu'elle  n'a  pas  contracté  la  faute  origi- 


nelle? Ce  n'est  point  du  texte  d'isaie  qu'il 
faut  rapprocher  notre  passage,  mais  plu- 
tôt de  ces  paroles  de  l'ange  Gabriel  au 
sujet  de  Jésus  :  Quod  nascetur  ex  te  sanc- 
tum.  (Luc,  I,  35.)  Toute  proportion  gardée 
et  avec  les  réticences  qui  s'imposent, 
Marie  est  sainte  à  l'aurore  de  son  exis- 
tence comme  Jésus  est  saint. 


M.  JUGIE. 


Constantinople. 


STATUTS   DE    L'EXARCHAT   BULGARE 

(Suite.)  w 


CHAPITRE  V 

ÉLECTION  DES  MEMBRES  DU  CONSEIL  d'ÉPARCHIE 

Art.  48.  —  Les  membres  du  Conseil  de 
l'éparchie  sont  nommés  pour  quatre  ans 
et  renouvelables  par  moitié  tous  les  deux 
ans.  La  première  fois,  ce  sont  les  moins 
anciensparrangd'ordination  qui  se  retirent. 

Art.  4g.  —  Les  candidats  au  Conseil 
devront  satisfaire  aux  conditions  suivantes  : 

i"  Avoir  une  paroisse  dans  l'éparchie  où 
siège  le  Conseil  ; 

2°  Avoir  au  moins  trente  ans  d'âge; 

3°  Avoir  un  certificat  constatant  qu'ils 
ont  terminé  leurs  études  dans  un  Sémi- 
naire ou  dans  une  école  secondaire. 

Remarque.  —  Cette  condition  ne  sera 
exigée  que  peu  à  peu,  autant  que  cela  sera 
possible. 

4°  Se  distinguer  par  une  vie  exemplaire 
et  pleine  d'équité; 

5°  Etre  connu  pour  son  expérience  et 
pour  l'accomplissement  fidèle  de  ses  devoirs 
sacerdotaux  ; 

6°  N'avoir  pas  encouru  de  condamnation 
devant  les  tribunaux  ecclésiastiques  ou 
civils  ; 

7°  Ne  pas  être  apparentés  entre  eux  jus- 
qu'au quatrième  degré  inclusivement,  ou 
jusqu'au  troisième  inclusivement,  s'il  s'agit 
de  parenté  spirituelle; 

(i)  Aman  traduit  :  fruit  simple,  (mais)  de  mul- 
tiple aspect  devant  lui. 
(2)  Voir  Echos  d'Orient,  nov.  1910,  p.  35 1 -355. 


Remarque.  —  Si  plusieurs  parents  aux 
degrés  prohibés  étaient  élus,  on  choisirait 
celui  qui  a  réuni  le  plus  de  voix;  s'ils  en 
avaient  le  même  nombre,  on  tirerait  au 
sort. 

Art.  5o.  —  Tous  les  deux  ans,  le  métro- 
polite ou  son  remplaçant  invite  par  lettre 
circulaire  les  électeurs  ecclésiastiques  à  se 
rendre  à  sa  résidence  le  deuxième  dimanche 
après  la  réception  de  la  circulaire,  afin  de 
procéder  aux  élections. 

Art.  5i.  —  Le  dimanche  indiqué,  après 
la  messe,  les  électeurs  se  réunissent  au  pa- 
lais épiscopal,  sous  la  présidence  du  métro- 
polite ou  de  son  remplaçant.  Si  les  trois 
quarts  au  moins  des  électeurs  sont  présents, 
le  président  déclare  la  séance  ouverte;  si  ce 
nombre  n'est  pas  atteint,  il  ajourne  l'élec- 
tion au  dimanche  suivant,  et  alors,  quel 
que  soit  le  nombre  des  électeurs,  il  ouvre 
la  session  après  une  dévote  prière. 

Art.  52.  —  Avant  de  procéder  à  l'élec- 
tion, on  dresse  une  liste  de  candidats  ou 
bien  chacun  propose  le  nom  d'un  prêtre. 
Les  membres  du  Conseil  sont  élus  d'après 
cette  liste,  au  scrutin  secret,  et  à  la  majorité 
absolue.  En  procédant  à  cette  élection,  on 
aura  soin  de  remplacer  les  élus  dans  leur 
charge  pastorale. 

Art.  53.  — Le  procès-verbal  de  l'élection 
doit  être  transcrit  au  registre  du  protocole 
et  signé  par  tous  les  électeurs.  On  en  fait 
deux  copies  signées  par  tous,  approuvées 
par  l'évêque  ou  par  son  remplaçant,  et  des- 


STATUTS  DE  L  EXARCHAT  BULGARE 


21 


tinées  l'une  au  saint  synode  et  l'autre  au 
ministre  des  Cultes. 

Art.  54.  —  L'élection  faite,  le  saint  sy- 
node l'examine;  s'il  la  trouve  conformeaux 
règlements  il  l'approuve,  et  en  informe  l'au- 
torité diocésaine  ainsi  que  le  ministre  des 
Cultes.  Celui-ci  soumet  l'élection  à  l'appro- 
bation du  prince.  Dans  le  cas  contraire, 
elle  est  annulée,  et  l'on  mentionne  sur  le 
registre  du  protocole  le  motif  de  cette  annu- 
lation. Après  quoi  l'on  écrit  à  qui  de  droit 
pour  faire  procéder  à  de  nouvelles  élections. 

Art.  55.  —  Le  membre  élu  n'a  pas  le 
droit  de  donner  sa  démission,  sauf  en  cas 
de  maladie,  d'extrême  vieillesse,  ou  pour 
toute  autre  raison  très  grave. 

Art.  56.  —  Si,  dès  le  commencement  ou 
par  la  suite,  un  membre  élu  donne  sa  dé- 
mission pour  quelqu'une  de  ces  raisons,  le 
saint  synode  demande  au  ministre  des 
Cultes  d'approuver  la  nomination  de  celui 
qui,  aux  élections,  aurait  obtenu  le  plus  de 
voix  après  le  démissionnaire.  Le  membre 
ainsi  nommé  rempliraitces  fonctions  jusqu'à 
la  fin  de  la  période  de  son  prédécesseur. 

Remarque.  —  S' il  est  prouvé  qu'un  prêtre 
intrigue  pour  être  élu  membre  du  Conseil, 
il  perd  ses  droits  à  l'élection. 

CHAPITRE  VI 

VICAIRES  ÉPISCOPAUX 

Art.  57.  —  Les  vicaires  épiscopaux  sont 
choisis  par  l'évéque  du  diocèse  et  confirmés 
par  le  gouvernement.  On  informe  le  saint 
synode  de  cette  nomination. 

Art.  58.  —  Les  conditions  prévues  par 
l'article  49  pour  les  membres  du  Conseil 
diocésain  sont  en  vigueur  également  pour 
les  vicaires  épiscopaux. 

CHAPITRE  VII 

ÉLECTEURS   DIOCÉSAINS 

Art.  59.  —  Chaque  diocèse  a  six  électeurs 
laïques  et  ecclésiastiques  choisis  dans  chaque 
vicariat  et  dans  le  canton  où  se  trouve  le 
chef-lieu  du  diocèse.  Trois  de  ces  électeurs 
doivent  être  curés  et  trois  laïques.  Ils  restent 
en  charge  pendant  quatre  ans.  Représen- 
tants légitimes  du  clergé  et  du  peuple,  ils 
nomment  les  délégués  diocésains  pour  l'élec- 
tion de  l'exarque  (art.  22),  des  évêques 
(art.  41  j  et  des  membres  du  Conseil  diocé- 
sain (art.  52). 


Art.  60.  —  Un  curé  ne  peut  être  nommé 
électeur  diocésain  que  s'il  remplit  les  con- 
ditions prévues  par  l'article  49  pour  les 
membres  du  Conseil  diocésain.  Un  laïque 
n'est  éligible  que  s'il  est  sujet  bulgare  et 
chrétien  orthodoxe,  et  s'il  sait  lire  et  écrire; 
il  doit  être  âgé  de  trente  ans,  appartenir  à 
une  paroisse  du  diocèse,  et  se  faire  remar- 
quer par  l'honnêteté  et  la  piété  de  sa  vie;  il 
doit  répondre,  en  outre,  aux  conditions  de 
l'article  88. 

Art.  61.  —  Trois  mois  avant  l'expiration 
des  pouvoirs,  le  saint  synode,  d'accord  avec 
le  gouvernement,  invite  les  autorités  diocé- 
saines à  procéder  au  choix  des  électeurs  dio- 
césains ecclésiastiques  et  laïques. 

Art.  62.  —  Au  reçu  de  l'avis  synodal, 
l'évéque  ou  son  remplaçant  charge  un  des 
membres  du  Conseil,  de  concert  avec  deux 
curés  de  la  ville  ou  des  environs,  de  dresser 
une  liste  des  personnes  éligibles  dans  le 
chef-lieu  du  diocèse.  De  leur  côté  et  sur 
l'ordre  de  l'autorité  diocésaine,  les  vicaires 
épiscopaux,  aidés  par  deux  curés  de  la  ville 
ou  des  paroisses  voisines,  dressent  des  listes 
analogues.  Ces  listes  doivent  contenir  les 
noms  des  prêtres  de  la  ville  ou  du  canton 
qui  réunissent  les  qualités  requises  par  l'ar- 
ticle 49,  et  les  noms  de  un  à  trois  laïques  de 
chaque  paroisse  ayant  aussi  les  qualités 
énumérées  à  l'article  60. 

Art.  63.  — Quand  les  listes  sont  dressées, 
l'autorité  diocésaine  invite  les  Conseils  de 
Fabrique  des  paroisses  qui  dépendent  direc- 
tement de  la  métropole  à  choisir  chacun  un 
représentant.  Ainsi  désignés,  les  électeurs, 
munis  de  leurs  lettres  de  créance,  signées 
par  les  marguilliers  et  scellées  du  sceau  de 
l'église,  se  rendront  à  la  ville  métropoli- 
taine le  deuxième  dimanche  après  la  publi- 
cation de  l'avis. 

Art.  64.  —  Au  jour  fixé,  le  vicaire  général 
désigné  par  l'évéque  et  les  deux  prêtres 
mentionnés  à  l'article  précédent  procèdent 
à  la  vérification  des  pouvoirs,  puis  ils  in- 
vitent les  représentants  à  choisir  comme 
électeurs  diocésains,  pour  le  canton  où  se 
trouve  le  siège  du  métropolitain,  trois  prêtres 
et  trois  laïques  parm  i  ceux  dont  les  noms  sont 
inscrits  sur  la  liste  qui  leur  est  présentée. 
Cette  élection  a  lieu  au  scrutin  secret  et  à  la 
majorité  absolue. 

Art.  65.  —  On  dresse  le  procès-verbal  de 
l'élection.  Tous  les  électeurs  présents,  le 
président  et  les  deux  prêtres  assistants  le 


22 


ECHOS    D  ORIENT 


signent,  puis  on  l'envoie  au  métropolitain 
en  y  joignant,  dans  une  lettre  spéciale,  la 
liste  des  candidats. 

Art.  66.  —  Pour  le  choix  des  électeurs 
diocésains  dans  les  vicariats,  les  vicaires 
épiscopaux  invitent  les  Conseils  de  Fabrique 
à  nommer  des  représentants  qui  se  réu- 
nissent au  chef-lieu  du  vicariat,  et  le  vicaire 
épiscopal,  aidé  par  ses  deux  prêtres  auxi- 
liaires, procède  à  l'élection  suivant  le  pro- 
cédé indiqué  par  les  articles  62  et  63. 

Remarque.  —  On  fait  deux  exemplaires 
du  procès-verbal  de  cette  élection,  égale- 
ment signés  par  tous  les  assistants  et  scellés 
du  sceau  du  vicariat.  Un  exemplaire  accom- 
pagné de  la  liste  des  candidats  est  envoyé 
à  l'autorité  diocésaine,  l'autre  reste  aux 
archives  du  vicariat. 

Art.  67.  —  Au  reçu  de  ce  procès-verbal, 
l'évéque  ou  son  remplaçant  l'examine  en 
son  Conseil;  s'il  le  trouve  régulier,  il  en 
prend  acte,  et  proclame  électeurs  diocésains 
les  personnes  désignées  dont  les  noms  sont 
communiqués  au  saint  synode  et  au  minis- 
tère des  Cultes.  Ensuite,  l'autorité  diocé- 
saine délivre  aux  élus  un  certificat  avec 
lequel  ils  se  présentent  à  l'assemblée  élective 
chaque  fois  qu'ils  y  sont  convoqués,  à  la 
métropole,  durant  la  période  de  quatre  ans. 

Art.  68.  —  Si  dans  cet  intervalle  de 
quatre  ans  un  électeur  vient  à  mourir  ou 
change  de  diocèse,  le  curé  en  informe  l'au- 
torité diocésaine  qui,  de  concert  avec  le 
Conseil,  désigne  un  de  ceux  qui  ont  obtenu 
le  plus  de  voix.  Le  nouvel  électeur  tiendra  la 
place  de  l'ancien  jusqu'à  la  fin  de  la  période. 

Remarque.  —  Pour  toutes  ces  élections, 
en  cas  de  ballottage,  la  voix  du  président 
l'emporte. 

CHAPITRE  VIII 

PAROISSES  ET  PRETRES 

Art.  69.  —  Les  paroisses  se  divisent  en 
paroisses  des  villes  et  paroisses  des  villages. 
Les  paroisses  des  villes  compi-ennent  au 
moins  200  et  au  plus  3oo  maisons;  celles 
des  villages,  au  moins  i5o  et  au  plus 
25o  maisons. 

Remarque.  —  En  cas  de  nécessité,  on 
peut,  avec  l'autorisation  préalable  du  saint 
synode,  avoir  des  paroisses  comprenant 
moins  de  i5o  maisons,  spécialement  dans 
les  villages. 

Art.  70.  —  Nul  ne  peut  être  ordonné 
prêtre  s'il  n'est  pourvu  d'une  paroisse. 


Remarque.  —  Exception  est  faite  pour 
ceux  qui  doivent  exercer  quelque  fonction 
dans  une  administration  ecclésiastique  ou 
dans  les  monastères. 

Art.  71.  —  Le  candidat  à  l'ordination 
doit  réunir  les  qualités  suivantes: 

1°  Appartenir  à  l'Eglise  bulgare; 

2"  Avoir  au  moins  vingt-cinq  ans; 

3''  Etre  Bulgare  de  naissance,  si  la  paroisse 
est  exclusivement  bulgare;  si  la  paroisse  se 
compose  de  Bulgares  et  de  non  Bulgares, 
le  prêtre  doit  posséder  parfaitement  la  langue 
bulgare  et  celle  des  non  Bulgares; 

4°  Etre  muni  d'un  certificat  attestant  qu'il 
a  fait  ses  études  dans  un  Séminaire. 

Remarque. — Provisoirement  onadmettra 
à  l'ordination  les  personnes  qui,  n'ayant 
pas  terminé  leurs  études  au  Séminaire, 
peuvent  présenter  un  certificat  de  troisième 
classe  de  quelque  école  laïque,  et  subir  un 
examen  sur  les  matières  du  prograinme 
dressé  par  le  saint  synode. 

b''  Avoir  des  notions  exactes  sur  la  foi 
orthodoxe; 

6°  Fournir  un  certificat  de  son  pays  de 
naissance  et  de  tous  les  endroits  où  il  a  vécu 
attestant  qu'il  est  honnête,  qu'il  se  conduit 
bien  et  jouit  de  l'estime  générale; 

7°  Présenter  un  certificat  de  son  Père  spi- 
rituel attestant  qu'il  s'est  confessé  et  qu'il 
n'a  point  d'empêchements  lui  interdisant 
le  sacerdoce; 

8°  N'avoir  point  de  casier  judiciaire; 

9°  Faire  la  preuve  qu'il  n'a  pas  eu  de 
maladie  mentale  ou  contagieuse. 

Art.  72.  —  Celui  qui  désire  entrer  dans 
l'Ordre  sacerdotal  devra  présenter  à  l'auto- 
rité diocésaine,  suivant  la  forme  habituelle, 
une  demande  accompagnée  des  documents 
indiqués  ci-dessus.  Si  le  candidat  est  d'un 
autre  diocèse,  l'évéque  informera  son  Ordi- 
naire et  lui  demandera  des  renseignements 
sur  sa  vie  et  sur  sa  conduite. 

Art.  73.  —  A  la  réception  de  cette  de- 
mande, l'autorité  diocésaine  examine  les 
documents  et  constate  si  le  candidat  répond 
aux  conditions  prévues  par  l'article  71; 
puis  elle  envoie  ces  documents  au  saint 
synode  en  lui  faisant  connaître  si  le  candidat 
est  destiné  à  une  paroisse,  à  une  fonction 
de  l'administration  ecclésiastique  ou  à 
quelque  monastère.  S'il  est  destiné  à  une 
paroisse,  on  doit  préciser  si  la  paroisse  est 
vacante  et  combien  elle  a  de  maisons. 

Art.  74.  —  Quand  le  saint  synode  a  donné 


STATUTS  DE  L  EXARCHAT  BULGARE 


23 


l'autorisation  nécessaire,  et  si  le  candidat 
est  destiné  à  une  paroisse,  l'autorité  diocé- 
saine charge  le  vicaire  général  ou  quelque 
autre  prêtre  de  faire  voter  la  paroisse  va- 
cante au  sujet  du  candidat. 

Art.  75.  —  Au  jour  fixé,  le  délégué  de 
l'évêque  convoque  dans  la  cour  de  l'église 
ou  à  l'école  tous  les  prêtres  de  l'église  dont 
fait  partie  la  paroisse  vacante  ainsi  que  les 
paroissiens  de  marque,  instruits  ou  recom- 
mandabies  par  leur  bonne  conduite  et  leur 
piété,  et  l'on  procède  sous  sa  présidence 
à  l'élection  au  scrutin  secret. 

Art.  76.  —  On  dresse  le  procès-verbal  de 
l'élection  et  on  le  consigne  dans  le  registre. 
Un  exemplaire  signé  par  tous  les  assistants 
et  par  le  président  et  scellé  du  sceau  de 
l'église  doit  être  envoyé  à  l'évêque  du  diocèse. 

Art.  77.  —  L'évêque  présente  ce  rapport 
au  Conseil.  Si  l'élection  a  été  faite  suivant 
les  règles  et  s'il  n'arrive  aucune  réclamation 
contre  le  candidat  ou  contre  l'élection, 
l'évêque  procède  à  l'ordination  conformé- 
ment aux  prescriptions  de  l'Eglise  ortho- 
doxe. 

Art.  78.  —  Si  l'on  recevait  contre  le 
candidat  une  réclamation,  signée  par  des 
chrétiens  orthodoxes  recommandables  par 
leur  honnêteté,  l'ordination  serait  différée 
et  l'on  instruirait  l'affaire.  Si  les  accusations 
sont  trouvées  sans  fondement,  on  procède 
à  l'ordination.  Au  cas  contraire,  on  prend 
les  dispositions  nécessaires  pour  le  choix 
d'un  autre  candidat  à  la  paroisse  vacante. 

CHAPITRE  IX 

AUMÔNIERS    MILITAIRES 

Art.  79.  —  Pour  faciliter  l'accomplis- 
sement des  devoirs  religieux  à  l'armée,  le 
gouvernement,  après  entente  préalable  et 
avec  l'approbation  de  l'Ordinaire,  nomme 
des  prêtres  qui  portent  le  nom  de  «  prêtres 
de  garnisons  ». 

Art.  80.  —  On  ne  peut  nommer  à  cette 
charge  que  des  prêtres  ayant  terminé  les 
études  du  Séminaire,  ou  des  prêtres  qui, 
dans  la  carrière  ecclésiastique,  se  sont  mon- 
trés d'une  conduite  irréprochable  et  qui 
ont  prouvé  leur  aptitude  à  accomplir  digne- 
ment ce  devoir. 

Art.  81.  —  Les  aumôniers  militaires 
n'ont  le  droit  d'accomplir  les  cérémonies 
religieuses  que  pour  les  militaires  et  par- 
tout où  logent  ceux-ci,  soit  en  commun, 


soit  en  particulier.  Les  cérémonies  pour  les 
familles  des  militaires  seront  accomplies  par 
les  curés  de  l'endroit. 

Art.  82.  —  Avant  de  célébrer  la  messe  ou 
quelque  autre  cérémonie  dans  une  église, 
les  aumôniers  doivent  en  demander  l'auto- 
risation aux  autorités  ecclésiastiques  de 
l'endroit. 

CHAPITRE  X 

CONSEILS    DE     FABRIQUE 

Art.  83.  —  Chaque  église  a  un  Conseil 
de  Fabrique  composé  de  trois  à  cinq  laïques. 
Dans  les  villages  où  il  n'y  a  pas  d'église,  il 
y  a  quand  même  un  Conseil  de  Fabrique 
composé  du  même  nombre  de  membres, 
et  ce  Conseil,  de  concert  avec  le  curé,  s'oc- 
cupera d'élever  une  église  ou  une  chapelle 
dans  le  village.  Le  curé  est  de  droit  prési- 
dent du  Conseil  de  Fabrique;  dans  les 
églises  où  il  y  a  plusieurs  prêtres,  l'Ordi- 
naire désignera  l'un  d'eux. 

Art.  84.  —  Pour  être  élu  membre  du 
Conseil  de  Fabrique,  il  faut  être  sujet  bul- 
gare orthodoxe,  âgé  de  trente  ans,  appar- 
tenir à  la  paroisse  et,  d'une  façon  générale, 
mener  une  vie  honnête  et  chrétienne. 

Art.  85.  —  L'élection  des  Conseils  de 
Fabrique  se  fait  toujours  durant  le  mois  de 
janvier  par  les  paroissiens  qui  ont  le  droit 
de  voter;  leurs  pouvoirs  durent  deux  ans. 

Art.  86.  —  Le  jour  de  l'élection  du  Con- 
seil de  Fabrique,  les  paroissiens  élisent 
encore  une  Commission  de  trois  à  cinq 
membres.  Bulgares  orthodoxes,  habitant  la 
même  paroisse.  Cette  Commission,  après 
avoir  confirmé  dans  leur  charge  les  nou- 
veaux fabriciens,  examine  avec  eux  les 
comptes,  recettes  et  dépenses  de  l'église  pen- 
dant l'année  écoulée. 

Art.  87.  —  Un  mois  avant  l'expiration 
des  pouvoirs,  le  saint  synode,  après  entente 
préalable  avec  le  ministère  des  Cultes, 
invite  les  autorités  diocésaines  à  prendre  les 
dispositions  nécessaires  pour  que,  un  jour 
de  fête  à  leur  choix,  l'on  procède  aux  élec- 
tions. Dans  le  cas  où  les  élections  n'auraient 
pas  lieu  au  jour  indiqué,  l'autorité  diocé- 
saine fixerait  elle-même  un  autre  jour  de 
fête.  Si,  pour  différents  motifs,  les  élections 
ne  se  faisaient  pas  encore,  alors  l'autorité 
diocésaine  nommerait  une  Commission  de 
trois  à  cinq  membres,  choisis  parmi  les 
paroissiens  et  ayant  les  qualités  prévues 


24 


ECHOS   D  ORIENT 


par  l'article  84,  et  la  chargerait  de  remplir 
jusqu'à  la  fin  de  l'année  les  fonctions  du 
Conseil  de  Fabrique. 

Art.  88.  —  Ne  peuvent  être  électeurs  : 

1°  Ceux  qui  sont  actuellement  sous  les 
drapeaux  ; 

2°  Ceux  qui  ont  perdu  leurs  droits  civils 
et  politiques; 

3°  Ceux  qui  ont  fait  une  faillite  fraudu- 
leuse; 

40  Ceux  qui  sont  en  tutelle  pour  cause  de 
folie; 

5°  Les  condamnés  à  trois  mois  au  moins 
de  prison  pour  vol,  escroquerie,  abus  de 
confiance,  fraude  sur  la  qualité  et  la  quan- 
tité dans  le  commerce,  pour  détournement 
des  fonds  publics,  pour  falsification  de 
pièces,  pour  concussion,  corruption  ou  vio- 
lence, pour  parjure  ou  faux  témoignage  ; 

6"  Ceux  qui  tiennent  des  maisons  de  pro- 
stitution et  ceux  qui  vivent  en  concubinage. 

Remarque.  —  Toutes  les  Jois  qu'il  se 
■présente  des  élections  aux  Conseils  de  Fa- 
brique, un  mois  auparavant  l'autorité  dio- 
césaine prend  les  dispositions  nécessaires 
pour  recueillir  des  informations,  afin  de 
connaître  ceux  des  paroissiens  qui  auraient 
encouru  une  condamnation  les  privant  de 
leur  droit  d'électeur,  ou  encore  ceux  qui 
seraient  en  tutelle  pour  cause  de  Jolie. 

Art.  89.  —  Au  jour  fixé  par  l'autorité 
diocésaine,  les  assemblées  électorales  s'ou- 
vrent après  la  messe  et  durent  jusqu'à 
I  heuredel'après-midi. Elles sontsurveillées 
et  dirigées  par  un  Bureau  composé  de  quatre 
paroissiens  élus  au  scrutin  public  et  pré- 
sidées par  le  curé  delà  paroisse.  S'il  y  avait 
plusieurs  curés  pour  une  église,  le  prési- 
dent serait  désigné  par  l'autorité  ecclésias- 
tique du  lieu. 

Art.  90.  —  Après  l'élection,  on  dresse  le 
procès-verbal  qui,  signé  par  les  membres 
du  Bureau  et  revêtu  du  cachet  de  l'église, 
ou  bien,  là  où  il  n'y  pas  d'église,  du  cachet 
du  prêtre  président,  est  soumis  dans  la 
forme  ordinaire  à  l'approbation  de  l'autorité 
diocésaine. 

CHAPITRE  XI 

LES   MONASTÈRES 

Art.  91 .  —  On  appelle  monastère  un  lieu 
sacré  comprenant  une  église  et  d'autres 
bâtiments  destinés  au  logement  des  moines 
qui  se  sont  consacrés  à  une  vie  solitaire  et 
sanctifiée.  Les  monastères  se  fondent  sui- 


vant les  règles  de  l'Eglise  avec  l'autorisation 
préalable  de  l'Ordinaire. 

Art.  92.  —  Les  monastères  se  divisent  : 
I"  en  stavropégiaques  qui  relèvent  du  saint 
synode  et  2°  en  monastères  diocésains  qui 
dépendent  de  l'Ordinaire.  Les  monastères 
de  Rila  et  de  Troyan  appartiennent  à  la 
première  catégorie  et  tous  les  autres  à  la 
seconde. 

Art.  93.  —  Les  monastères  stavropé- 
giaques ou  diocésains  qui  ont  plus  de  cinq 
Frères  sont  dirigés  par  le  Conseil  du  monas- 
tère; celui-ci  fonctionne  sous  la  direction 
d'un  supérieur. 

Art.  94.  —  Font  de  droit  partie  du  Con- 
seil du  monastère  tous  les  Frères  recom- 
mandables  par  une  vie  monastique  exem- 
plaire, par  leur  expérience  et  par  leurs 
mérites  signalés,  qui  ont  été  reçus,  soit  par 
le  saint  synode,  dan^  les  monastères  sta- 
vropégiaques, soit  par  l'Ordinaire,  dans  les 
monastères  diocésains. 

Art.  95.  —  Pour  que  quelqu'un  soit  élu 
supérieur,  il  doit  être  religieux,  membre  de 
la  communauté  ou  d'un  autre  monastère 
et  en  outre  posséder  les  qualités  religieuses, 
morales  et  intellectuelles  nécessaires  à  cette 
charge. 

Art.  96.  —  Le  supérieur  est  élu  à  vie  par 
toute  la  communauté,  et  s'il  possède  les 
qualités  énumérées  par  l'article  95,  il  est 
approuvé  par  le  saint  synode,  dans  les  mo- 
nastères stavropégiaques,  et  par  l'Ordinaire, 
dans  les  monastères  diocésains. 

Si,  pour  cause  de  maladie  et  de  vieillesse, 
ou  pour  infidélité  à  ses  devoirs,  le  supérieur 
nuit  aux  intérêts  du  monastère,  l'autorité 
spirituelle  compétente  pourvoit  à  l'élection 
d'un  nouveau  supérieur. 

Art.  97.  —  Si,  à  deux  reprises  consécu- 
tives, la  communauté  choisit  et  présente 
à  l'approbation  un  religieux  indigne  et  inca- 
pable de  remplir  la  charge  de  supérieur, 
l'autorité  compétente  désigne  un  supérieur 
qui  gouverne  le  monastère  jusqu'à  ce  que 
la  communauté  soit  disposée  à  élire  un 
candidat  digne  de  cette  charge. 

Art.  98.  —  Les  monastères  de  moins  de 
cinq  religieux  sont  gouvernés  par  des  supé- 
rieurs que  nomme  l'Ordinaire. 

Art.  99.  —  Quand  un  monastère,  faute 
de  religieux,  ne  peut  plus  continuer  son 
existence  indépendante,  le  saint  synode, 
sur  l'avis  de  l'autorité  diocésaine,  le  rattache 
à  un  autre.  .  (A  suivre.) 


CHRYSOBULLE  DE  L'IMPÉRATRICE  THÉODORA 

(1283) 


Le  II  décembre  1282,  au  début  d'une 
campagne  contre  Jean  Ducas,  Michel  Paléo- 
logue  mourait  dans  son  camp  près 
d'Hexamilion.  Son  fils  Andronic,  après 
de  hâtives  funérailles  faites  de  nuit, 
revint  aussitôt  à  Constantinople.  Le  jeune 
prince,  d'esprit  faible,  superstitieux,  de 
vues  bornées  en  politique,  ne  partageait 
nullement  les  idées  de  son  père  sur  l'Union 
des  Eglises;  son  hésitation,  s'il  en  eut 
vraiment,  fut  courte  :  endoctriné  par  sa 
tante  Eulogia,  il  se  livra  tout  entier  aux 
mains  des  antiunionistes,  de  Théodore 
Mouzalon  et  d'un  ramassis  de  moines 
fanatiques  (i).  Quelques  mois  lui  suffirent 
pour  anéantir  le  pacte  signé  au  concile 
de  Lyon. 

Tout  d'abord  il  força  le  patriarche  Jean 
Veccos  à  se  retirer  au  monastère  de  la 
Panachrantos,  et  dès  le  31  décembre  le 
vieux  Joseph,  infirme,  presque  mourant, 
était  rapporté  en  triomphe  au  palais  pa- 
triarcal. Contre  les  catholiques,  son  parti 
se  réconcilia  un  instant  avec  celui  de  l'an- 
cien patriarche  Arsène.  Sainte-Sophie  fut 
purifiée  à  l'eau  bénite  de  la  souillure 
acquise  au  contact  des  latinophrones 
(5  janv.  1283).  Des  peines  sévères  vinrent 
frapper  laïques  et  clercs  unionistes.  Veccos 
comparut  devant  un  synode  présidé,  à 
défaut  de  Joseph,  impotent,  par  Athanase, 
patriarche  d'Alexandrie,  et  se  laissa  arra- 
cher sa  démission,  ce  qui  ne  l'empêcha 
pas  d'être  exilé  à  Brousse.  Ses  amis,  Con- 
stantin Méliténiote  et  Georges  Métochite, 
avaient  déjà  été  déposés,  comme  cou- 
pables d'avoir,  à  Rome,  assisté  à  la  messe 
du  Pape  (2). 


y  1 1  A  leur  tète  étaient  les  moines  galésiotes  Ga- 
laction  et  Méléce,  dont  le  premier  avait  perdu  la 
vue  et  le  second  avait  eu  la  langue  coupée  par 
ordre  de  Michel. 

(2)  Sur  ces  événements,  voir  Pachymère,  De  An- 
dron.  Palœol.,  i,  1-12.P.  G.,  t.  CXLIV,  col.  i5-43. 


Joseph  mourut  au  commencement  du 
mois  de  mars.  De  sa  propre  autorité, 
Andronic  lui  donna  pour  successeur  un 
humble  fonctionnaire  de  Sainte-Sophie, 
le  protoapostolarios  Georges,  originaire  de 
Chypre.  Cet  individu  avait  été  unioniste 
fervent;  comme  tant  d'autres,  il  se  tour- 
nait du  côté  du  soleil  levant.  En  une 
journée,  il  reçut  l'habit  monastique,  avec 
le  nom  de  Grégoire,  le  lectorat  et  le  dia- 
conat ;  le  dimanche  des  Rameaux,  1 1  avril, 
il  fut  sacré  à  Sainte-Sophie. 

Le  Mercredi-Saint  fut  levé  l'interdit 
pesant  sur  le  clergé,  qui  dut  implorer 
publiquement  son  pardon  :  malgré  cela, 
le  lendemain  on  lui  distribua,  au  lieu  de 
la  communion,  du  pain  ordinaire  acheté 
au  marché.  Il  n'en  avait  pas  fini  avec  les 
humiliations  (i). 

En  effet,  quelques  jours  après  Pâques, 
Andronic  donnait  l'ordre  de  réunir  un 
nouveau  synode  dans  l'église  des  Bla- 
quernes.  Le  patriarche  Grégoire  ne  pré- 
sida l'assemblée  que  pour  la  forme.  Son 
chef  véritable  était  Andronic,  ancien  mé- 
tropolite de  Sardes,  qui  avait  quitté  son 
diocèse  pour  devenir  moine  et  dont 
l'empereur  venait  de  faire  son  confesseur. 
Michel  Strategopoulos  assistait  au  concile 
avec  des  soldats,  non  pour  maintenir 
l'ordre,  mais  comme  exécuteur  des  basses 
œuvres  de  juges  indignes. 

Le  synode  condamna  comme  contu- 
maces Théodore  de  Cyzique  et  d'autres 
évêques  qui  refusèrent  de  comparaître  ; 
Athanase  d'Alexandrie  fut  rayé  des  dip- 
tyques sacrés;  de  nombreux  prélats 
furent  déposés  et  livrés  aux  insultes  de 
la  populace  (2). 

En  outre,  nous  apprend  Pachymère  (3), 
le  concile  réclama  de  l'impératrice  Théo- 

(i)  Pachymère,  op.  cit.,  i,  12-16,  ibid.,  col.  43-57. 

(2)  Pachymère,  op.  cit.,  i,  17,  ibid.,  col.  58^S3. 

(3)  Pachymère,  op.  cit.,  i,  19,  ibid.,  col.  63. 


26 


ÉCHOS   d'orient 


dora,  veuve  de  Michel  Paléologue,  «  une 
profession  de  foi;  la  répudiation  par  écrit 
de  ce  qui  s'était  fait  (c'est-à-dire  de  l'union 
avec  Rome);  la  promesse  qu'elle  ne  de- 
manderait jamais  pour  son  mari  la  sépul- 
ture ecclésiastique  (èv  'lyX'j.oiO'.y.i:;)  :  à  ces 
conditions,  on  ferait  mémoire  d'elle  à 
l'église  comme  de  son  fils,  ainsi  qu'il  est 
d'usage  pour  les  empereurs  ».  L'impé- 
ratrice obéit,  bien  que  Pachymère  se  taise 
à  ce  sujet. 

Jean  Eugenikos,  exhortant  Constantin 
Dragasèsà  rompre  l'Union  de  Florence  (i), 
lui  cite  en  exemple  la  très  pieuse  Théo- 
dora  et  son  fils  le  très  pieux  Andronic, 
et  lui  rappelle  «  comment  ils  avaient  fait 
disparaître  l'innovation  qu'on  avait  osée 
et  obéi  en  tout  aux  saints  conciles  œcu- 
méniques; comment  ils  avaient  extirpé  à 
fond  la  racine  amère  de  cette  zizanie  qu'est 
le  latinisme;  comment,  pour  Dieu  et  la 
vérité,  ils  avaient  méprisé  toutes  lescraintes 

humaines ;  commentilsavaientpromis 

à  l'Eglise  du  Christ  de  ne  jamais  l'obliger 

à  faire  mémoire  de  leur  époux  et  père ; 

comment  ils  avaient  déposé  en  synode 
l'impie  et  vain  Veccos,  qui  avait  à  plu- 
sieurs reprises  apostasie  l'Eglise  du  Christ 
sans  s'être  jamais  sincèrement  et  vérita- 
blement repenti,  et  comment  ils  avaient 
retranché  ses  partisans  de  la  société  des 
chrétiens  orthodoxes  (2).  » 

Pour  attribuer  ce  rôle  actif  à  Théodora, 
le  fougueux  nomophylax  a  sollicité  les 
textes.  Pachymère  nous  est  garant  de 
l'affection  de  l'impératrice  pour  son 
mari,  qui  ne  s'en  était  pas  toujours  montré 
digne.  Lorsque  Eulogia  insultait  à  la 
mémoire  de  son  frère  Michel,  descendu 
dans  la  tombe  depuis  quelques  jours  à 
peine,  et  soutenait  à  Théodora  qu'il  était 
irrévocablement  damné,  la  pauvre  veuve 
souffrait  cruellement.  Elle  cherchait  des 
consolations  dans  les  entretiens  de  Veccos 
et  aussi,  il  est  vrai,   de  Joseph  (3).  On 


(i)    Lettre    inédite    dans    le    cod.    Paris.    2075, 
fol.  288  seq. 

(2)  Ibid.,  fol.  291  v°. 

(3)  Pachymère,  op.  cit.,  i,  3,  P.  G.,  t.  CXLIV, 
col.  20. 


peut  conclure  de  ces  détails  que  Théodora 
avait  accepté  l'Union;  au  cas  contraire, 
l'historien  ne  manquerait  pas  de  nous  en 
avertir  comme  il  le  fait  pour  Eulogia. 
D'ailleurs,  si  cette  adhésion  n'eût  pas  été 
bien  établie  aux  yeux  du  public  au  moment 
du  synode  des  Blaquernes,  on  n'eût  pas 
exigé  de  Théodora  une  rétractation  solen- 
nelle, pas  plus  qu'on  n'en  exigea  de  sa 
belle-sœur. 

La  religion  de  l'impératrice  n'était  sans 
doute  pas  très  éclairée  ou  même,  si  on 
veut,  manquait  de  sincérité;  mais  les 
documents  ne  permettent  pas  de  la  re- 
garder comme  une  adversaire  farouche  de 
l'Union.  Jean  Eugenikos  est  d'autant  plus 
coupable  qu'il  a  pris  la  peine  de  copier 
desa  main,  probablement  dans  les  archives 
de  Sainte-Sophie,  la  profession  de  foi  de 
Théodora:  on  peut  la  lire  au  fol.  244  du 
cod.  Paris.  2075;  il  n'y  a  rien  de  pareil  à 
ce  qu'il  avance. 

L'intérêt  que  présente  cette  pièce, 
restée  jusqu'ici  inédite,  nous  engage  à  la 
publier  dans  notre  revue,  avec  une  tra- 
duction française.  Il  en  existe  d'autres 
copies  que  nous  n'avons  pu  consulter, 
par  exemple  dans  le  cod.  Athous  716,  du 
xive  siècle  (i),  et  dans  le  cod.  11,  du 
xvie  siècle,  de  la  Société  historique  et 
ethnologique  d'Athènes,  p.  130  (2). 

Remarquons,  pour  finir,  qu'on  n'a 
signalé  à  notre  connaissance  aucun  autre 
chrysobulle  d'impératrice. 

Cod.  Paris.  2075,  ^o^-  244. 

t  To  Îtov  xr^q  oijio)vOYias  t^ç  xpaïaiâç  xal 
àyîaç  r.jjicôv  xupCaç  xal  ^tTizoïY/iç  etiI  'colç 
£xx);r,(Tt.aaTi.xol!ç  TcoàvuaTtv,  ottsp  8'.à  O'.xî'.o- 
ys'lpo'j  o-Ta'jpO'j  à-Tz'  oipyf^q  eTriorwo-aTO  xal 
xaTto  ô'.à  TYJ;  olxsiaç  (j':rj)a\i  ev  yp'JT'.yr^ 
êo'j).AYi  cpcpojjiévriç  xal  àTtr.toprijjLévriÇ  §•.'  oçeia; 
It.S'zkqr.q. 

t      0£OÔcbpa     £V     Xp!,(TT(0     TW      Qeô)      TC'.OTT, 

a'jyo'Jara  xal  auTOxpaTÔp'.o'O'a  'Pwpiaiwv  Aoû- 
xa'-va  Ko^v7,VTi  t,  naXawÀoyiva. 

(i)  S.  Lambros,  Catalogue  of  the  Greek  manu- 
scripts  on  mount  Athos,  t.  I",  p.  61. 

(2)  S.  La.mbros,  Néo;  'EXXr)voiivr|(jiwv,  t.  VI  (1909), 
p.  239. 


CHRYSOBULLE   DE    l'IMPÉRATRICE    THÉODORA   (1283) 


27 


t  Oùy  woTrep  £irl  twv  aXXtov  xaTopôtouà- 
Twv,  oo-a  Ti?  èul  T(j>r/;pta  ia'JTOÛ  xaTOc^wo-a'. 
ouvr' 3-£Ta'.,  o'jTto  iioi  xal  l—l  ty;?  s'jTîêcîa^ 
aùr/.ç  oox£l-  sxcïva  ixàv  vàp  xpû—TS'-v  y.a/.ôv 
xal  TzavràTras"'.  Tr.oeXv  ioa^/r,  iva  6  êAs-j^wv  èv 
Tw  xou'TTrâ)  0  oOsàvioç  TTaTf.p  xal  Ôeô^  à7:o5'.- 
ooÎTi  Èv  TÔi  '^av£o«'  î'jo-sêc'.av  os  Tr,v  xal 
àperf,;  à-àxr,;  7rr,vTÎv  tî  xal  àpyT,v  xal  u.T,T£pa 
TU"\Yàvo'J7av  O'j  xpû-TTTîtv,  àX).'  èa3av'lî^î'.v 
Tolr —à?',  xal  Sr.'jLOT'-î'Jî'-v  Tior/o'.ov  xalTO'JTÔ 
èoT'-v,  oj?  îuo'l  yî  ^a(v£Ta'..  to  T.itiTspov  csto;, 
ô  Ta  Issà  £'jay«/£A<,a  la— ootÔîv  twv  àvOotoTrtov 
Xàa— £'.v   o».axsA£Û£Ta»..   A'.à  to'jto  oîrrô  rroTs 

à)./.OT£     TO     TCpÔ;     ^£ÔV     £'J5-£ê£^     •J7r£TT£0>aT0 

7:apa3-rr,Ta'.  r,    êa^'J^'la    uo'j  0'jt£  vjv    u— 0- 

(TT£A)>îTa'.,  û'.aToavoï   8s    uâÀÀov  xal   Ôtaês- 

êa'.O'JTa'.   oGtwç   ev   TcâT".    —•.tts'js'.v,   wç  xal 

àvtoOev  r.  toj  OîO'j  èxxÀr.o-'la  6u.oAo*'£lv  xal 

T'.TTsûs'-v  solÔaçs.  ToÛto  oîôe  ^zb^  6  xal  Ta 

êà^r,  Twv  xaoo'.wv  ruiwv  sos'jvwv,  v-.vojtxs- 
'  i  '  >  I  '    i 

Ttoiav  os  xal  tx/ts?  avOpto— o'.,  o>?  oOosv  —ao' 

T,U.lv  SpÔ-^^jAtt  STSpOV,  àXX'   T,    TO   y/TiT'.OV  TTiÇ 

xa^OA'.xr];  xal  à—OTToA'-XT^;  sxxXT.TÎaç.  'E— si 

0£    O'JTtO  'iOOVsl   TT,    ToCI    0£O'J   '/àoiT'.    Xal  O'JTtO 
i  i  i'  /•    i 

■npstrês'js!.  r,  êaT'.Xsla  txou,  OtîXov  7:à'/Twç,  St». 

xal  Tr,v  oXcOp'lav  OttÔOst'Iv  te  xal  —oâç'.v  T-f,v 

ou  xaXw?  STtl  Ttô  —poXaêôvTi  ypovco  È-'.'Tvu.- 

êâaav  tt,  sxx/r.o-ia  xal  a'JTT,v  zlç  téXo^  «ru^ysa- 

o-av    SX    'i'jy/,?    <J.éîrr,ç   à-OTTpéssTa».,    u'.^xsï, 

êo£XJTT£Tai,     E'iTe     slo/vT,     sÎts     olxovoula 

£Ît£  T',  —apa-XrÎT'.ov  STspov  oux  àXr.Qôj^  tovo- 

aà^ETO,  xal  toj?  £— aivo'j^/Ta^  £Ti  xal  vjv  aùrr.v 

xal  TrpOTXî'.asvo'j^    auTr,    ttoXsîxIouç   Y.vsTxa'. 

T-/,;  Toù   OîoCi  èxxXr.T'la;,    s-'.^oûXo'J^  os  T-r.ç 

sauTwv  a-ojT/jpia;.  syCipoùç  os  xal  Xuuswva^ 

xal  TÔJv  Traoaosvousvtov  auToûc,  xal  wr  ttoo- 
i        /-  i  "  ^     » 

çsvo'j;    à— (oXs'la^    'l/'jywv     à— oêàXXsTa»..    El 

vàp    xal   rr.v'.xaÙTa,    ocrov   slysv    sxslv/;,   to 

•i'jyoêXaêàs  ouXàvQavsv,  àX'Aà  ys  vGv  oO  Xav- 

Oàvî'.  tÀv  ëaT'.Xs'lav   'jlo'j-    £0'loa^£  vào  a-jT-rv 

•.  ■"      '»  'il' 

aJTa  Ta  -oiv>jLaTa  xal  X6-'0î.  a£Tà  tcjv  -oavaà- 

,«'_''  ''  iii 

Twv  àXr,(l£lç  TS  xal  êsêa'.O'..  IlXr.v  t,  êao-'.XsCa 

aoj  xal  tÔts  tt,  yip'-T'-  Toû  Osod  —  Èv.TTa- 

jjlÉvy,;,  Xs-'G),  rF,^  j— oOstsco^  —  o-'^ôooa  sêa- 

p'JV£TO     xal     sS'j^/ipa'-vE    to     âTÛvf,0£;    xal 

xav/O'^avs^  tov  7:pày|jLaT0;  xal  7,"'avàxT£'.  s—' 

ajTw.   xav   ar,  to  os'.vôv,  otcotov  y.v.  sqr.-'l- 

(TTaTO-    xal   £v   TÔ)  7:ap6'/T'.  Se   ttoX'J   jjiâXXov 

àyavaxTsl  o-acpwç  opwTa  tt[^  oj  xaXfjç  £X£'lvr,? 

ÈTT'.voia;    oOx   àya^ôv    aTzavT-r.Tav    to    tÉXo;;, 


'AXXà  7:£pl  u.£v  TO'jTOiV  ovJtwç  eys'..  'EtzÛ.  oi 
xal    tÔv    Bixxov    S '.à    Ta    6XàTCT,aa    ayTOÛ 

oôvaaTa.  It»,  oè  xal  tov  MeX'.T'.v'.wty.v  xal  tÔv 

Il  ' 

Meto'/Itt.v  toc  ô'JLO'joovac  ayToù   t.   toû  ^eoG 

xaT£0'lxa3-£v  £xxXr,0"la  xal  aTCSXT'puçe  xal  tt,ç 

xo'.vcov'laç  k-x'jTr,:^  t.XXotoIwts,  to'.0'jto'j;  Ssô-^ 

Tto^  auToùs  T.vslTa'.  T,  êaT'.Xs'la  uou,  ixo'.vw- 

v/;to'j^  xal  à— o^.t.to'Js  ttj  4'''^^*?  '^'i^  rxxXr,- 

7'la.;  è^axoXo'j^ÙTa.   'EttsI  os  tt,   auTr,  ayia 

TO'j  Hto'j  sxxXrjCT'la  sooçs  xal  Tsv  suôv  aùOrrrr.v 

xal  êaT'-Xsa  xal  ouô^'jvov  TsXs'JTr'o-a'/ra  u.vr- 
i     -    i  '  i      '  j 

•jLOo-uvwv  Twv  vsvou'-fTusvtov   'JLT,  àc'-WTa'.  81 

a'.T'lav  T7^^  ot.OsItt,^  0— o^tew^  xal  rr,?  è/Tsû- 

Osv  5-j-'yjT£to?,  T,  êaTiXsla  aoj  tÔv  toO  QsoG 

TrsoT'.'jLWTa  'iôêov  xal  tt.v  sic  tt.v  àvlav  auToù 
i   ^   i  1  '       '      '       i 

èxxXr.Tiav  cy7:£'lQ£'.av  TTipyet. xal  xaTaoiyETa-, 

tÔ    oôcav    èzl    toÛto)    aÙTr    xal    où    ar—OTE 

'  11'  i    ' 

àvayxàTT,    tx^/r,  aoTuvov  ttoisIv   st'    auTÔi    tw 
aù6£*/TT,   u.O'J  xal  êao-'.Xsï  xal  ouoCùvco    ao'J 

r     i  i       ^     t    i       l 

oùo£  àXXo  T».    —aoà  to   0',aTSTa^u£vov  auTr,. 

"E— scrOa'.  "'ào  xaTa  —àvTa  xal  àxoXoyO£Tv  auTr, 

TT,  TO'J  ^z.firj  èxxXTjTCaT,  êaT'.Xs'la  jxou  êotiX^Ta'. 

TT.v   lo'lay  Trâ'/Ttoç  svts'jBsv  (TWTY.oîav  O'.xoyo- 

txO'JTa  xal   Tr,v   £'JTsê£'.av   éoL'j~7,^  Yvtopl^E'.v 

TOÏç  Tiâa-t  xal  çavspoGv  èOsXouTa,  t,v  àvwQsv 

èx    TzaTsowv    TaoaXa^o'Jaa    xal    'j.iyz'.    Toû 
Il  i    /.i 

Ttasô'/Toc  '/oôvo'j  a-JvYTaTa  csuXàHs'.  xal  £a); 

i  Al  •   '  i  " 

téXo'j;  tt,   toÛ    à7W)[ ](Ta'/TOç    a!>TT,v    xal 

àvaO£l^a^/TOç  olxT'ldaovoç  OsoO  Gu).à7T£'.v  à£l 

OJvà|Jl£'.  (?). 

La  fin  du  texte  est  très  difficile  à  lire  à 
cause  de  l'usure  du  papier;  les  deux  der 
niers  mots  sont  peut-être  yàp'.T'.  ôuv/.TSTa'.. 

Traduction.  —  +  Copie  de  la  confes- 
sion de  notre  puissante  et  sainte  dame  et 
impératrice  au  sujet  des  affaires  ecclé- 
siastiques, certifiée  par  elle  au  commen- 
cement d'une  croix  tracée  de  sa  main  et 
à  la  fin  de  son  effigie  gravée  sur  une 
bulle  d'or  et  suspendue  par  un  cordon  de 
soie  pourpre. 

t  Théodora,  dans  le  Christ  Dieu  fidèle 
Augusta  et  impératrice  des  Romains, 
Ducaena,  Comnena,  Palasologina. 

+  Ce  qui  convient  à  toutes  les  autres 
bonnes  œuvres  que  l'homme  peut  accom- 
plir en  vue  de  son  salut  ne  me  paraît 
pas  s'appliquer  à  la  piété  elle-même. 
Celles-là,  en  effet,  il  est  bon  de  les  garder 
complètement  invisibles  et  cachées,  afin 


28 


ECHOS    D  ORIENT 


que  Dieu,  notre  Père  céleste,  qui  voit 
dans  le  secret,  nous  le  rende  en  public. 
Mais  la  piété,  qui  est  la  source,  le  prin- 
cipe et  la  mère  de  toute  vertu,  il  est  salu- 
taire, non  de  la  cacher,  mais  de  la  publier 
et  de  la  manifester  à  tous,  et  c'est  là,  me 
semble-t-il,  notre  lumière,  cette  lumière 
qui,  d'après  l'ordre  donné  par  les  saints 
évangiles,  doit  briller  devant  les  hommes. 
C'est  pourquoi  je  n'ai  jamais  hésité 
autrefois  à  montrer  ma  piété  envers  Dieu, 
et  je  n'hésite  point  maintenant;  au  con- 
traire, je  l'expose  clairement  et  j'affirme 
avec  énergie  croire  en  tout  comme  l'Eglise 
de  Dieu  nous  enseigne  à  croire  et  à  con- 
fesser. Dieu  le  sait,  lui  qui  scrute  le  fond 
de  nos  cœurs.  Mais  que  tous  les  hommes 
connaissent  aussi  que  je  n'ai  pas  d'autre 
opinion  que  la  véritable  opinion  de 
l'Eglise  catholique  et  apostolique.  Puisque 
donc  par  la  grâce  de  Dieu,  tels  sont  mes 
sentiments  et  mes  préoccupations,  il  est 
bien  évident  que  cette  funeste  affaire  et 
cet  acte,  qui  ont  eu  malheureusement  lieu 
dans  l'Eglise  en  ces  derniers  temps  et  y 
ont  jeté  une  confusion  complète,  je  les 
rejette  du  fond  de  l'âme,  je  les  hais,  je 
les  ai  en  horreur,  qu'on  les  appelle  faus- 
sement paix,  condescendance  ou  de  toute 
autre  dénomination  semblable.  Quant  à 
ceux  qui,  encore  maintenant,  continuent 
à  les  louer  et  à  y  adhérer,  je  les  regarde 
comme  des  ennemis  de  l'Eglise  de  Dieu, 
des  adversaires  de  leur  propre  salut,  un 
fléau  pour  leurs  propres  partisans,  et  je 
les  rejette  comme  des  causes  de  perdition 
pour  les  âmes.  Car  si  tout  ce  que  cette 
affaire  contenait  de  nuisible  aux  âmes 
m'échappait  alors,  je  le  connais  aujourd'hui, 
instruite  par  les  choses  elles-mêmes  et 
avec  les  choses  par  des  discours  pleins 


de  vérité  et  de  certitude.  Même  alors,  je 
veux  dire  au  début  de  l'affaire,  par  la 
grâce  de  Dieu,  je  supportais  la  chose  avec 
la  plus  vive  peine  à  cause  de  sa  nou- 
veauté et  je  m'en  indignais,  bien  que  ne 
connaissant  pas  toute  la  grandeur  du 
mal  :  combien  plus  vive  est  mon  indi- 
gnation, maintenant  que  je  vois  claire- 
ment le  mauvais  résultat  d'une  invention 
mauvaise. 

Cela  étant  ainsi,  puisque  Veccos,  pour 
ses  dogmes  blasphématoires,  en  outre 
Méliténiote  et  Métochite  comme  ses  par- 
tisans, ont  été  condamnés  par  l'Eglise  de 
Dieu,  rejetés  par  elle  et  séparés  de  sa 
communion,  je  les  regarde  comme  tels, 
excommuniés  et  rejetés,  m'en  rapportant 
au  jugement  de  l'Eglise. 

Puisqu'il  a  aussi  paru  bon  à  la  même 
sainte  Eglise  de  Dieu  de  ne  pas  honorer 
après  sa  mort  des  services  canoniques 
mon  seigneur,  empereur  et  époux,  à  cause 
de  ladite  affaire  et  des  troubles  amenés 
par  elle,  préférant  la  crainte  de  Dieu  et 
l'obéissance  à  sa  sainte  Eglise,  je  consens 
à  ce  qui  lui  a  paru  bon  sur  ce  point,  et 
je  l'accepte  et  je  ne  l'obligerai  jamais  à 
faire  un  service  pour  mon  dit  seigneur, 
empereur  et  époux  ni  autre  chose  que  ce 
qu'elle  a  ordonné.  Car  je  veux  en  tout 
suivre  ladite  Eglise  de  Dieu  et  m'en  tenir 
à  elle  pour  procurer  par  là  mon  propre 
salut,  et  je  veux  faire  connaître  et  mani- 
fester à  tous  ma  piété  :  j'ai  reçu  celle-ci 
du  ciel  par  les  Pères,  je  l'ai  gardée  en 
l'augmentant  jusqu'au  temps  présent  et 
la  garderai  jusqu'à  la  fin,  avec  l'aide  du 

Dieu  de  miséricorde  qui  me   l'a  [ ] 

et  m'a  montré  à  la  conserver  toujours. 

S.    PÉTRIDÈS. 


ANNEXION  DE  L'ILLYRICUM 

AU   PATRIARCAT   ŒCUMÉNIQUE 


Dans  les  premières  années  du  v«  siècle, 
au  temps  de  la  Notifia  dignitattim,  il  y 
avait  deux  lllyricum  dans  l'empire  romain  : 
4'lllyricum  occidental  qui  relevait  au  point 
de  vue  civil  du  prœfectus  pr .  Italice, 
Africœ  et  Illyrici,  et  l'Illyricum  oriental, 
qui  avait  un  préfet  spécial,  le  prœfectus 
pr.  Illyrici.  La  préfecture  de  l'Illyricum 
oriental,  comprenant  les  deux  diocèses  de 
Dacie  et  de  Macédoine,  fut  cédée  en  379 
par  l'empereur  Gratien  à  son  collègue 
Théodose  comme  cadeau  de  joyeux  avè- 
iiement;  quant  à  l'Illyricum  occidental, 
fort  entamé  déjà  par  les  barbares,  il  fut 
rattaché  à  l'empire  d'Orient  entre  les  an- 
nées 424  et  437,  sans  qu'on  puisse  exac- 
tement préciser  la  date. 

Ces  deux  cessions  bénévoles  furent  le 
point  de  départ  d'un  grave  conflit  reli- 
gieux entre  les  papes  et  les  évêques  de 
Byzance.  Tant  que  cette  vaste  région,  de 
langue  grecque  en  majorité,  avait  fait 
partie  de  l'empire  occidental,  les  Byzan- 
tins avaient  trouvé  fort  naturel  que  ses 
métropolitains  et  ses  évêques  se  sou- 
•missent  à  la  juridiction  du  patriarche 
romain,  mais  du  jour  où  Constantinople 
exerça  sur  eux  la  suprématie  politique, 
elle  réclama  également  la  suprématie  reli- 
gieuse. C'était,  bien  avant  l'emploi  du 
terme,  la  revendication  de  l'œcuménicité, 
<:'est-à-dire  de  la  haute  juridiction  ecclé- 
siastique sur  toutes  les  provinces  et  sur 
toutes  les  villes  qui  civilement  étaient 
soumises  à  la  capitale  de  l'Orient.  Et 
•comme,  pour  des  raisons  faciles  à  conce- 
voir, les  empereurs  grecs  appuyaient  de 
toute  leur  autorité  les  tendances  centrali- 
satrices des  évêques  de  leur  capitale, 
ceux-ci  ne  devaient  pas  tarder  à  entrer 
sur  ce  point  en  lutte  plus  ou  moins  ou- 
verte avec  le  Saint-Siège. 

11  semble   que  l'institution  par  Rome 


d'un  vicaire  apostolique  à  Thessalonique, 
chargé  de  la  représenter  en  ces  régions 
lointaines,  ait  coïncidé  avec  la  cession  de 
l'Illyricum  oriental  à  l'empire  grec.  Du 
moins,  l'honneur  en  est  attribué  au  pape 
saint  Damase,  qui  mourut  le  1 1  décembre 
384,  et  le  premier  titulaire  en  fut  saint 
Ascholius,  mort  lui-même,  selon  toute 
probalité,  au  début  de  l'année  383.  Saint 
Damase,  qui  avait,  peu  avant  la  réunion 
du  Ih  Concile  œcuménique,  écrit  deux 
lettres  à  Ascholius  pour  le  mettre  en 
garde  contre  l'élection  de  Maxime  le  Cy- 
nique (1),  l'établit  vers  le  même  temps 
son  représentant  en  Illyrie,  ainsi  que 
l'assurent  d'une  manière  très  explicite  une 
lettre  du  pape  Innocent  I^',  de  l'année  402, 
à  Anysius  de  Thessalonique  (2),  et  une 
autre  lettre  de  ce  même  Pape,  de  l'année 
407  ou  408,  à  Rufus,  successeur  d'Any- 
sius  (3).  Le  pape  Sirice  (384-399),  succes- 
seur de  Damase,  confirma  Anysius  dans 
sa  charge  (4),  de  même  que  le  pape 
Anastase  I"  (nov.  399,  déc.  401),  ainsi 
que  nous  l'apprend  une  lettre  d'Innocent  l»' 
à  Anysius  (5).  Le  pape  Innocent  I«'",  à  son 
tour,  conféra  les  mêmes  pouvoirs  à  Any- 
sius et  à  Rufus  (6),  et  c'est  dans  sa  lettre 
que  nous  trouvons  l'énumération  des 
provinces  soumises  à  la  juridiction  de  ce 
vicariat  apostolique  :  Achaïe,  Thessalie, 
Vieille  et  Nouvelle  Epire,  Crète,  Dacie 
méditerranéenne,  Dacie  ripuaire,  Mésie, 
Dardanie  et  Prévalitane. 

Le  vicaire  apostolique  de  Thessalonique 
avait  le  droit  d'informer  sur  les  affaires 


(i)Mansi,  Conciliorum  co//ec;jo,t.  VIII,p.  749sq. 

(2)  Mavsi,  op.  cit.,  t.  VIII,  p.  751. 

(3)  Mansi,  op.  et  loc.  cit. 

{4)  Mansi,  op.  cit.,  t.  VIII,  p.  750  sq.  Litteras 
dederamusut  nulla  licentia  essetsine  consensu  tua 
in  Illyrico  episcopos  ordinare  prœsumere. 

<5)  Mansi,  op.  cit.,  t.  VIII,  p.  jbi  A. 

(6)  Mansi,  op.  cit.,  t.  VIII,  p.  761. 


30 


ÉCHOS    d'orient 


ecclésiastiques  de  l'Iliyricum  et  d'en  déci- 
der, en  lieu  et  place  du  Pape.  A  ce  titre, 
il  présidait  les  Conciles  régionaux  des 
diverses  provinces  de  l'Iliyricum,  jugeant 
et  tranchant  les  différends,  sauf  à  remettre 
au  Pape  la  décision  à  porter  sur  les 
affaires  d'un  caractère  plus  grave,  ou  bien 
quand  les  intéressés  en  appelaient  eux- 
mêmes  au  suprême  tribunal  romain.  11 
confirmait  de  plus  l'élection  des  métropo- 
litains et  des  simples  évêques,  et  accor- 
dait l'autorisation  de  procéder  au  sacre. 
Dans  les  premiers  temps,  les  Papes  lui 
avaient  réservé  l'ordination,  non  seule- 
ment des  métropolitains,  mais  encore  de 
tous  les  évêques;  mais,  dès  le  v«  siècle, 
sur  la  plainte  des  métropolitains,  Rome 
concéda  à  ceux-ci  la  consécration  de  leurs 
suffragants.  Enfin,  le  vicaire  apostolique 
de  Thessalonique  siégeait  à  une  place  pri- 
vilégiée dans  les  Conciles  œcuméniques 
et  il  en  souscrivait  les  décisions  immédia- 
tement après  les  patriarches.  Bref,  il 
jouissait  des  prérogatives  d'un  exarque, 
d'un  patriarche  même  pourrait-on  dire, 
soumis  il  est  vrai  à  un  autre  patriarche, 
celui  de  Rome. 

La  première  tentative  que  l'on  surprend 
d'une  usurpation  de  pouvoir,  de  la  part 
de  Byzance,  sur  le  vicariat  apostolique  de 
Thessalonique  se  rapporte  au  commence- 
ment du  pontificat  de  saint  Boniface 
(déc.  418-sept.  422).  La  série  de  pièces 
relatives  au  procès  de  Périgène  en  fournit 
la  meilleure  attestation  (i).  Celui-ci,  dési- 
gné par  le  métropolitain  de  Corinthe  pour 
occuper  le  siège  de  Patras,  n'avait  pas  été 
accepté  des  fidèles  de  cette  ville;  il  dut 
revenir  à  Corinthe,  son  pays  natal,  sem- 
ble-t-il,  où,  grâce  à  l'intervention  du  pape 
Boniface,  il  remplaça  le  métropolitain, 
quand  celui-ci  vint  à  mourir  (419).  Les 
circonstances  de  la  promotion  de  Périgène 
sont  également  mentionnées  par  un  con- 
temporain, l'historien  Socrate  (2);  on 
peut  donc  tenir  le  fait  pour  incontesté. 


(i)  Mansi,  op.  cit.,  t.  VIII,  p.  752-759. 
(2)  Bist.  eccles.y  \.  VII,  c.  xxxvi,  Migne,  P.  G., 
t.  LXVII,  col.  820. 


Ce  transfert  de  Périgène  d'un  siège  (non 
occupé,  il  est  vrai)  à  un  autre,  sans  doute 
aussi  des  compétitions  personnelles  don- 
nèrent à  cette  nomination  une  gravité 
inattendue.  Des  évêques  d'illyrie  s'en  plai- 
gnirent à  Rufus,  vicaire  apostolique  de 
Thessalonique,  puis  au  pape  saint  Boni- 
face,  et  n'en  obtenant  aucune  satisfaction, 
ils  recoururent  à  l'évêque  de  Constanti- 
nople,  Atticus.  Sur  sa  demande,  ils  déci- 
dèrent la  convocation  d'un  Concile  à 
Corinthe  pour  régler  le  différend,  décision 
qui  fut  immédiatement  annulée  par  Rome, 
qui  ne  pouvait,  sous  peine  de  disparaître, 
tolérer  que  l'on  revisât  une  sentence  cano- 
nique portée  par  son  vicaire  apostolique 
et  confirmée  par  elle-même.  Alors  Atticus. 
dont  nous  soupçonnons  les  agissements 
tortueux  dans  cette  affaire,  s'adressa  au 
pouvoir  civil,  et,  le  14  juillet  421,  parais- 
sait une  loi  de  Théodose  11,  qui  rattachait 
les  provinces  de  l'Iliyricum  oriental  à 
l'Eglise  de  Constantinople  (1),  en  interdi- 
sant à  quiconque  de  décider  les  affaires 
importantes  de  l'IIlyrie  sans  l'autorisation 
de  l'évêque  de  la  nouvelle  Rome,  qui  a 
hérité  des  prérogatives  de  l'ancienneRome. 

Cette  loi  ne  trouva  pas  ou  trouva  peu 
d'application.  En  effet,  peu  après  sa  pro- 
mulgation, l'empereur  d'Occident,  Hono- 
rius,  transmettait  à  son  impérial  neveu, 
Théodose  H,  les  réclamations  du  pape 
saint  Boniface,  «  contre  certains  rescrits 
obtenus  par  subreption  et  qui  violaient 
les  droits  acquis  du  Saint-Siège  en  Illy- 
rie  »  (2).  Cette  intervention  d'Honorius 
décida  Théodose  II  à  lui  répondre  qu'il 
faisait  droit  à  la  requête  pontificale  et  qu'il 
allait  informer  le  préfet  du  prétoire  de 
l'IIlyrie  de  tenir  la  loi  de  421  pour  non 
avenue;  en  même  temps,  il  rejetait  la 
faute,  non  sur  Atticus  qu'il  ne  mention- 
nait pas,  mais  sur  le  compte  des  évêques 
d'illyrie  (3). 

La  constitution  impériale  de  Théodose  II, 
qui  aurait  rétracté  celle  du  14  juillet  421, 

(1}  Cod.  Justin.,  Cod.  I,  tit.  II,  6,  dans  Corpus 
juris  civilis,  édit.  Beck.  Leipzig,  1837,  p.  9. 

(2)  Mansi,  op.  cit.,  t.  VIII.  col.  759. 

(3)  Mansi,  op.  et  loc.  cit. 


ANNEXION    DE    L  ILLYRICUM   AU    PATRIARCAT   ŒCUMENIQUE 


31 


n'a  pas  été  retrouvée,  et  rien  ne  prouve 
même  qu'elle  ait  jamais  existé;  des  ins- 
tructions adressées  au  préfet  du  prétoire 
ont  pu  suffire  à  retarder  les  effets  de  la 
première  loi.  Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point 
particulier,  il  est  certain  que  rillyricum 
continua  à  être  soumis  directement  au 
Pape  pour  les  questions  religieuses.  Nous 
avons,  en  effet,  une  lettre  du  pape  saint 
Célestin,  datée  de  l'année  424,  adressée 
à  neuf  métropolitains  d'illyricum  et  qui 
mentionne,  de  plus,  les  deux  métropoli- 
tains de  Thessalonique  et  de  Dyrra- 
chium  (i);  elle  leur  enjoint  d'obéir  à  Ru- 
fus  de  Thessalonique,  le  vicaire  du  pon- 
tife romain.  D'autre  part,  en  435,  le  pape 
Sixte  III  envoie  deux  lettres  relatives  aux 
droits  du  métropolitain  Anastase  de  Thes- 
salonique. Dans  la  seconde,  qui  est  du 
8  juillet.  Sixte  III  rappelle  au  synode  de  la 
ville  que  les  privilèges  accordés  par  lui 
à  leur  évêque  ne  diffèrent  pas  de  ceux 
que  Rome  avait  précédemment  accordés 
aux  prédécesseurs  d'Anastase  (2).  Et  ces 
privilèges  indiqués  d'une  manière  expli- 
cite ne  peuvent  que  se  rapporter  au  vica- 
riat apostolique.  Deux  autres  lettres 
du  même  Sixte  111,  en  date  du  18  dé- 
cembre 437  et  adressées,  l'une  à  Proclus, 
évêque  de  Constantinople,  la  seconde  à 
tout  l'épiscopat  illyrien  (3),  ne  laissent 
pas  le  moindre  doute  sur  les  rapports 
réels  de  cet  épiscopat  avec  le  métropoli- 
tain de  Thessalonique.  Celui-ci  est  con- 
firmé par  le  Pape  dans  tous  ses  droits 
antérieurs,   et   avec  une   insistance    qui 

(1)  Ep.  m,  MiGNE,  p.  L.,  t.  L,  col.  428:  Nec 
nova  hœc  sedi  apostolicœ  cura  de  vobis  est  :  sta- 
tutum,  nostis,  sœpius  experimentum  hoc  quod  nos 
agimus,  Thessalonicensi  ecclesiœ  semper  esse 
commissum,  ut  vobis  vigilanter  intendat. 

(2)  Ep.  VII  et  VV//,.MiG>E,  P.  L.,  t.  L,  col.  610- 
612  :  Habeant  honorem  suum  metropolitani  sin- 
gularum  (provinciarum),  salvo  hujus  privilégia 
quem  honorare  debeant  amplius  honorati.  In  pro- 
vincia  sua  jus  habeant  ordinandi;  sed  hoc,  inscio 
vel  invito  quem  de  omnibus  volumus  ordinatio- 
nibus  consuli,  nullus  audeat  ordinare.  Ad  Thessa- 
lonicensem  majores  causœ  re/erantur  antistitem. 

(3)  Ep.  IX  et  X,  MiGKE,  P.  L.,  t.  L,  col.  612-618. 
Qu'on  remarque  ce  passage,  col.  617  B  :  Illyricanœ 
omnes  ecclesiœ,  ut  a  decessoribus  nostris  accepi- 
mus,  et  nos  quoque  fecimus,  ad  curam  nunc  per- 
tinent Thessalonicensis  antistitis. 


montre  bien  que,  çà  et  là,  des  métropo- 
litains d'illyrie  s'efforçaient,  avec  l'appui 
de  l'évêque  de  la  capitale,  de  se  sous- 
traire à  l'autorité  de  Rome. 

En  l'année  439,  malgré  que  la  loi  du 
14  juillet  421  eût  été  abrogée,  elle  fut 
insérée  dans  le  Code  Théodosien  :  ma- 
nœuvre habile  de  l'évêque  byzantin,  qui 
posait  là,  à  n'en  pas  douter,  la  pierre 
d'attente  de  sa  future  autorité  sur  cette 
région.  Comme  l'a  si  bien  dit  Ms'-  Du- 
chesne  :  «  En  ce  qui  regarde  les  affaires 
religieuses  d'illyricum,  l'influence  de 
Rome  et  de  Ravenne  ne  pouvait  s'exercer 
que  par  intermittences,  par  lettres  et  dé- 
putations:  celle  du  patriarcat  de  Constan- 
tinople était  sans  cesse  présente,  sans 
cesse  agissante.  Quel  miracle  qu'elle  ait 
prévalu  à  certains  moments.'*  »  (i).  Elle 
ne  prévalut  pourtant  pas  jusqu'à  faire 
abandonner  par  le  Pape  ses  droits  de  sou- 
veraineté. Après  comme  avant  l'insertion 
dans  le  Code  de  la  loi  de  42 1 ,  l'organisa- 
tion ecclésiastique  de  l'illyricum  resta  ce 
qu'elle  était,  et  jusqu'au  schisme  d'Acace, 
en  484,  la  juridiction  pontificale  con- 
tinua à  s'y  exercer.  Par  deux  fois,  il  est 
vrai,  Constantinople  essaya  de  contester 
cette  suprématie  de  Rome,  d'abord  en 
faisant  promulguer  la  loi  du  14  juillet 
421,  ensuite  en  la  faisant  insérer  dans  le 
Code  théodosien,  en  439,  mais  ces  deux 
tentatives  des  patriarches  byzantins  et  de 
la   cour   impériale    demeurèrent   vaines. 

Nous  avons  vu  les  papes  Boniface,  Cé- 
lestin et  Sixte  ne  tenir  aucun  compte  de 
la  loi  de  421  ;  nous  allons  voir  après  439 
le  pape  saint  Léon  agir  dans  l'illyricum 
comme  si  cette  loi  n'avait  pas  été  inscrite 
dans  le  Code.  Dès  l'année  444,  il  recom- 
mande aux  métropolitains  de  l'IIlyrie 
l'obéissance  à  son  légat,  l'évêque  de  Thes- 
salonique, mais  en  spécifiant  quels  sont 
les  droits  dont  celui-ci  jouit,  comme  ses 
lointains  prédécesseurs  au  temps  de  saint 
Sirice  (2).  Mêmes  recommandations  dans 


(i)    DucHESNE,    Eglises   séparées.    Paris,    i8g6, 
p.  278. 
(2)  Epist.  V,  MiGNE,  P,  L.,  t.  LIV,  col.  614-616. 


32 


ECHOS   D  ORIENT 


la  lettre  que  saint  Léon  adresse  le  même 
jour  à  Anastase  de  Thessalonique  :  le 
métropolitain  peut  élire  et  ordonner  les 
évêques  de  sa  province,  suivant  les  règles 
canoniques,  mais  il  doit  au  préalable  en 
obtenir  l'autorisation  d' Anastase;  par 
contre,  c'est  ce  dernier  qui  ordonne  les 
métropolitains  et  qui  convoque  évêques 
suffragants  et  métropolitains  aux  Con- 
ciles régionaux,  où  tous  sont  tenus,  sauf 
pour  des  raisons  majeures,  de  comparaître. 
Comme  précédemment,  les  causes  d'un 
intérêt  supérieur  sont  réservées  au  juge- 
ment direct  de  Rome,  sans  passer  par  la 
médiation  de  Thessalonique  (i).  Somme 
toute,  la  législation  arrêtée  dès  le  début 
par  les  papes  Damase  et  Sirice  ne  s'est 
presque  pas  modifiée. 

Les  mêmes  avis  sont  donnés  et  les 
mêmes  privilèges  confirmés  dans  les  deux 
réponses  de  saint  Léon  (446)  à  six  métro- 
politains de  rillyrie  et  au  titulaire  de 
Thessalonique  (2).  Toutefois,  les  procédés 
par  trop  cavaliers  d'Anastase  vis-à-vis  de 
ses  subordonnés,  surtout  à  l'égard  d'Atti- 
cus,  métropolitain  de  Nicopolis  d'Epire, 
qu'il  avait  contraint  par  la  force  à  assister 
au  concile,  y  reçoivent  un  blâme  des  plus 
significatifs,  en  même  temps  qu'une  cer- 
taine restriction  est  apportée  à  l'exercice 
de  ses  prérogatives.  Les  excès  même  que 
commit,  en  la  circonstance,  le  vicaire 
apostolique  fournissent  la  meilleure  preuve 
que  l'on  pourrait  invoquer  à  l'appui  de 
cette  organisation  ecclésiastique,  car  Ana- 
stase fit  enlever  Atticus  par  les  soldats 
romains,  sur  ordre  formel  du  préfet  du 
prétoire,  et  le  força  ainsi  à  venir  par- 
devant  lui  se  soumettre  à  sa  juridiction. 
Acte  d'autorité  inouï  dont  le  préfet  n'au- 
rait jamais  pris  la  responsabilité,  si  les 
provinces  d'illyrie  eussent  vraiment  re- 
connu la  suprématie  religieuse  de  Cons- 
tantinople.  Dans  une  lettre  de  saint  Léon 
à  son  successeur,  Euxitheus,  de  l'année 
457,  les  privilèges  du  vicariat  apostolique 


(i)  Epist.  VI,  MiGNE,  P.  L.,  t.  LIV,  col.  616-620. 
(2)   Epist.   XIII  et  XIV,  MiGNE,  P.  L.,  t.  LIV, 
col.  663-677;  voir  aussi  col.  1220. 


de  Thessalonique  sont  encore  confir- 
més (i),  et  il  serait  loisible  d'en  trouver 
d'autres  attestations  dans  le  reste  de  la 
correspondance  de  ce  Souverain  Pontife. 

Le  schisme  à  propos  d'Acace  (484-519) 
troubla  gravement  cette  situation.  Les 
évêques  de  Thessalonique  observèrent  la 
même  attitude  que  l'ensemblede  l'épiscopat 
byzantin  et  perdirent,  pour  cette  raison,  la 
communion  du  Pape.  Dès  lors,  il  ne  pou- 
vait être  question  de  leur  conférer  les  pou- 
voirs de  vicaire  apostolique.  On  ne  voit  pas 
que,  dans  cette  période,  les  patriarches  de 
Constantinople  aient  repris  leurs  tentatives 
d'annexion.  L'Illyricum  fut  abandonné  à 
lui-même  ;  les  Papes  faisaient  ce  qu'ils  pou- 
vaient pour  maintenir  dans  leur  commu- 
nion et  dans  leur  obédience  certains  groupes 
épiscopaux  sur  lesquels  ils  se  trouvaient 
avoir  plus  d'action.  C'est  ainsi  que  Gélase 
renoua  des  relations  avec  les  évêques  de  la 
Dardanie  et  des  provinces  voisines,  pays 
latins,  plus  accessibles  que  d'autres  aux 
conseils  de  Rome  (2).  Ces  relations  se 
maintinrent;  nous  avons  encore  (3)  une 
lettre  du  pape  Symmaque  adressée  aux 
évêques  de  ce  pays.  Anastase  11  échangea 
des  lettres  avec  l'évêque  de  Lychnide 
(Achrida),  dans  l'Epire  nouvelle  (4).  Dès 
avant  la  mort  de  l'empereur  Anastase, 
l'Epire  ancienne  était  rentrée  dans  la  com- 
munion romaine,  par  l'intermédiaire  de 
son  métropolitain,  Alcyson  de  Nicopolis. 
Ces  démarches  n'étaient  pas  sans  danger. 
L'empereur  Anastase,  irrité,  manda  à  Con- 
stantinople les  évêques  de  Nicopolis,  de 
Lychnide,  de  Sardique,  de  Naïssus  et  de 
Pautalia;  deux  d'entre  eux  y  moururent, 
dont  le  métropolitain  Alcyson  (5). 

C'est  dans  ces  circonstances  que  se  pro- 
duisit une  manifestation  assez  imposante 
de  l'épiscopat  d'Illyricum .  Quarante  évêques 
de  ces  régions,  indignés  de  ce  que  le  métro- 
politain de  Thessalonique  fût  entré  en 
communion  avec  Tithothée,  patriarche 
intrus  de  Constantinople,  se  réunirent  et 
rédigèrent  une  pièce  par  laquelle  ils  décla- 


(i)  Epist.  CL,  MiGNE,  P.  L.,  t.  LIV,  col.  1120. 

(2)  Jaffé  Regesta,  628,  624,  635,  638,  639,  664^ 
Thiel,  Epistolœ  romanorum  pontificum,  t.  I, 
p.  348. 

(3)  Jaffé,  Regesta,  663. 

(4)  Jaffé,  Regesta,  746. 

(5)  Chron.  Marcellini  corn.,  anno  5 16. 


ANNEXION   DE    L'ILLYRICUM   AU    PATRIARCAT   ŒCUMÉNIQUE 


33 


raient  rompre  avec  lui  et  rentrer  dans  la 
communion  de  Rome.  En  rapportant  ce 
fait.  Théodore  le  Lecteur  donne  à  l'évêque 
de  Thessalonique  le  titre  de  patriarche,  ce 
qui  étonne  très   fort  Théophane,   auquel 

nous  devons  ce  fragment  de  Théodore 

Ce  qui  est  sur,  c'est  que  l'autorité  exercée 
par  les  évéques  de  Thessalonique  sur  les 
métropolitains  et  autres  prélats  d'Illyricum 
ressemblait  beaucoup  à  la  juridiction 
patriarcale.  Il  n'y  avait  qu'une  différence, 
c'est  que  la  juridiction  patriarcale  était 
ordinaire,  inhérente  à  un  siège  déterminé, 
tandis  que  la  juridiction  de  Thessalonique 
n'était  que  déléguée;  c'était  la  juridiction 
patriarcale  du  Pape,  exercée  par  commis- 
sion spéciale. 

Une  fois  l'union  rompue  (484),  les  pou- 
voirs délégués  avaient  cessé  par  le  fait.  Les 
évéques  de  Thessalonique  firent  de  grands 
efîoits  pour  échapper  aux  conséquences  qui 
découlaientde  là.  Dès  le  temps  de  Félix  III, 
André,  qui  occupait  alors  ce  siège,  s'efforça 
à  diverses  reprises  de  renouer  avec  Rome, 
sans  se  mettre  mal  avec  le  gouverne- 
ment (  I  ).  L'entreprise  était  malaisée,  il  y 
échoua.  Dorothée,  son  successeur,  sembla 
d'abord  être  dans  les  mêmes  dispositions; 
mais  le  clergé  de  Thessalonique  était  alors 
soumis  à  des  influences  théologiques  peu 
favorables  à  l'union.  Quand  l'empire  eut 
changé  d'attitude  et  donné  satisfaction  au 
pape  Hormisdas  (5 19),  la  résistance  se  pro- 
longea quelque  temps  à  Thessalonique;  on 
se  porta  même  à  des  violences  sur  la  per- 
sonne des  légats  romains  envoyés  pour 
célébrer  la  réconciliation.  Dorothée  était 
responsable  de  ces  désordres;  mais  le 
principal  instigateur  avait  été  un  prêtre, 
Aristide,  contre  lequel  le  pape  Hormisdas 
se  montra  très  irrité.  Hormisdas  aurait 
voulu  que  Dorothée  fût  déposé,  auquel  cas 
il  demandait  qu'on  ne  le  remplaçât  pas  par 
Aristide.  Ce  conflit,  sur  la  suite  duquel 
nous  ne  sommes  pas  renseignés,  finit 
cependant  par  s'apaiser.  Dorothée  resta 
évêque,  et  même  il  eut  Aristide  pour  suc- 
cesseur. 

Ce  n'est  évidemment  pas  à  de  tels  prélats 
que  les  Papes  auraient  songé  pour  les  repré- 
senter  ;  aussi  est-il  inutile  de  chercher 

une  trace  quelconque  de  délégation  de  pou- 


(i)    Jaffé,  Regesta,  617,  638,  746;  Thiel,  Epi- 
stolœ  romanorum  pontificum,  t.  I,  p.  63o. 


voirs,  de  vicariat  apostolique,  au  temps  de 
Dorothée  et  d'Aristide.  A  ce  point  de  vue, 
la  situation  demeura  depuis  Siq  ce  qu'elle 
avait  été  auparavant,  au  temps  du  schisme. 
Les  rapports  de  communion  furent  rétablis 
tant  bien  que  mal;  ce  fut  le  seul  change- 
ment (  i). 

Si  le  vicariat  apostolique  de  Thessalonique 
ne  fut  pas  rétabli  après  l'union  des  deux 
Eglises  orientale  et  occidentale,  en  5 19,  les 
Papes  recouvrèrent,  du  moins,  leur  an- 
cienne juridiction  sur  tout  riliyricum.  L'af- 
faire d'Etienne,  métropolitain  de  Larissa, 
déposé  en  531  par  le  patriarche  byzantin 
Epiphane,  au  mépris  de  tout  droit,  et  rétabli 
par  le  pape  Agapit,  ne  laisse  aucune  prise 
au  doute  sur  ce  point  (2).  Le  métropolitain, 
aussi  bien  que  trois  de  ses  suffragants, 
Elpidios  de  Thèbes,  Timothée  de  Diocé- 
sarée  et  Etienne  de  Lamia,  dénoncent  les 
empiétements  de  Byzance  et  affirment 
qu'il  appartient  au  Pape  de  sauvegarder 
les  lois  dans  toutes  les  Eglises,  «  surtout 
dans  son  lllyricum  »  (3). 

La  question  de  Justiniana  prima  en  est 
une  nouvelle  confirmation.  Le  14  avril 
535  paraissait  la  Novelle  XI  de  Justinien, 
adressée  à  Catellianus,  archevêque  de 
Justiniana  prima,  ancien  village  natal  de 
l'empereur,  et  par  laquelle  il  était  déclaré 
que  le  titulaire  de  ce  siège,  jusque-là 
simple  métropolitain  de  la  province  de 
Dardanie,  serait  désormais  archevêque  de 
plusieurs  provinces,  non  solum  metropoli' 
tanus  sed  et  archiepiscopiis.  Ces  provinces 
sont  la  Dacie  méditerranéenne,  la  Dacie 
ripuaire,  la  Mésie  II,  la  Dardanie,  la  Pré- 
valitane,  la  Macédoine  II,  et  ce  qui  restait 
encore  à  l'empire  byzantin  de  la  Pan- 
nonie  H,  en  somme  tout  l'ancien  diocèse  de 
Dacie  (4).  Dans  les  Novelles  impériales, 
les  évéques  de  ces  provinces  sont  affran- 
chis à  l'avenir  de  tout  lien  avec  Thessa- 
lonique,   ce    qui    suppose    évidemment 


1 1  )  DucHESNE,  Eglises  séparées,  p .  260-265,  passim» 

(2)  Sur  cette   affaire,  voir  Duchesne,   op.    cit., 
p.  244-260. 

(3)  Mansi,  Concil.  collectio,  t.  VIII,  col.  739-772. 

(4)  Elles  sont  énumérées  dans  la  Novelle  XI  et 
la  Novelle  CXXXI,  c.  m. 


34 


ECHOS    D  ORIENT 


qu'ils  dépendaient  de  cette  métropole 
auparavant.  Par  suite  de  ce  remaniement 
impérial,  l'ancienne  préfecture  d'IIlyrie, 
qui  avait  eu  son  siège  tantôt  à  Thessaio- 
nique  et  tantôt  à  Sirmium,  se  trouvait 
reportée  à  Justiniana  prima;  et  il  était 
juste,  ajoutait  l'empereur,  que  les  hon- 
neurs ecclésiastiques  suivissent  les  hon- 
neurs civils  et  que  l'évêque  de  cette  ville 
acquît  une  prééminence  spéciale  en  deve- 
nant une  sorte  d'exarque  pour  les  pro- 
vinces de  l'ancien  diocèse  de  Dacie. 

Si  la  législation  des  codes  théodosien 
et  justinien  —  la  loi  de  421  venait  d'être 
insérée  dans  ce  dernier  —  avait  été 
appliquée,  l'assentiment  du  patriarche 
byzantin  aurait  dû  être  requis  pour  cette 
réorganisation  ecclésiastique,  puisque  c'est 
à  lui  que  Théodose  II  avait  confié  la  haute 
juridiction  sur  ces  provinces.  Or,  ce  n'est 
pas  avec  l'évêque  de  sa  capitale,  mais 
avec  celui  de  Rome  que  justinien  négocie 
quand  des  protestations  s'élèvent  contre 
sa  loi.  Le  pape  Agapit,  informé  du  chan- 
gement survenu  en  Illyrie  par  une  ambas- 
sadeimpérialedeConstantinople,  remet  (i) 
l'examen  de  l'affaire  à  ses  légats  (15  oc- 
tobre 535.)  La  décision  ne  fut  pas  prise 
tout  de  suite  malgré  le  voyage  d'Agapit 
à  Byzance,  et  ce  fut  avec  l'un  de  ses  suc- 
cesseurs, le  pape  Vigile,  que  l'on  conclut 
un  arrangement  définitif  après  des  pour- 
parlers assez  longs.  D'accord  avec  Vigile, 
l'empereur  dédouble  (2),  le  18  mars  545, 
la  juridiction  supérieure  de  l'illyricum, 
et  crée,  au  profit  de  son  pays  natal,  un 
nouveau  diocèse  ou  exarchat.  Le  titulaire 
àt  Justiniana  prima  aura  sous  son  autorité 
et  il  ordonnera  les  évêques  des  sept  pro- 
vinces indiquées,  lui-même  sera  ordonné 
par  son  propre  concile  et  sera,  dans  les 
provinces  de  sa  circonscription,  «  le 
représentant  {locum  tenens)  du  Siège 
apostolique  de  Rome,  selon  ce  qui  a  été 
défini  par  le  saint  pape  Vigile  »,  ajoute  la 
Novelle. 

La  forme  sous  laquelle  s'exerça    cette 


(i)  Mansi.  op.  cit.,  t.  VIII,  col.  853  A. 
(2)  Novelle  CXXXI,  c.  m. 


nouvelle  primatie  fut  celle  d'un  vicariat 
apostolique,  analogue  à  celui  des  évêques 
d'Arles  et  à  celui  qui  avait  fonctionné,  au 
siècle  précédent,  entre  les  mains  de  l'évêque 
de  Thessalonique.  Nous  sommes  peu  ren- 
seignés sur  ce  nouveau  vicariat.  Dans  la 
correspondance  de  saint  Grégoire,  il  est 
souvent  question  de  l'autorité  du  Pape  en 
niyricum,  très  rarement  de  celle  de  ses 
vicaires.  Cependant,  on  y  trouve  (1)  les 
pièces  relatives  aux  pouvoirs  conférés  à 
Jean  de  Justiniana  prima;  ces  pouvoirs 
sont  encore  mentionnés  dans  deux  lettres 
adressées  aux  métropolitains  de  Sardique 
et  de  Scodra  (2)  subordonnés  au  vicaire, 
enfin  dans  une  lettre  fort  dure,  adressée  au 
vicaire  lui-même,  coupable  de  prévarica- 
tion dans  un  jugement  (3).  Après  saint 
Grégoire,  aucun  évêque  de  ce  siège  n'est 
connu  (4). 

L'évêque  de  Thessalonique  conservait 
pourtant  son  titre  de  vicaire  pontifical 
avec  la  juridiction  supérieure  sur  les 
autres  provinces  de  l'illyricum  oriental,  à 
savoir  la  Macédoine  l^^,  la  Thessalie, 
l'Achaïe,  la  Crète,  la  Vieille  et  la  Nouvelle 
Epire.  Cela  ressort  d'une  lettre  de  saint 
Grégoire  le  Grand  (5),  où  le  métropolitain 
de  Nicopolis  est  qualifié  de  minor  relative- 
ment à  celui  de  Thessalonique.  Cela  res- 
sort aussi  d'une  autre  lettre  du  pape  saint 
Martin  l^r  (649-653),  qui  reproche  vive- 
ment à  l'un  d'eux  de  lui  avoir  écrit  sans 
se  qualifier  ainsi  (6).  Au  Vl^  Concile 
œcuménique  de  681,  Jean  de  Thessalo- 
nique signe  encore  comme  vicaire  ponti- 
fical (7). 

Quant  à  la  juridiction  pontificale,  elle 
s'exerçait  indifféremment  sur  l'un  ou 
l'autre  vicariat,  celui  de  Justiniana  prima 
comme  celui  de  Thessalonique.  Saint 
Grégoire  le  Grand  n'écrivit  pas  moins  de 
21  lettres  durant  son  pontificat  (590-604) 
relatives  à  l'illyricum  et  qui,  toutes, 
démontrent    que  le    Pape    était   le    vrai 


(1)  Jaffé,  Regesta,  1164,  ii65. 

(2)  Jaffé,  Regesta,  i325,  1860,  186 

(3)  Jaffé,  Regesta,  1210. 

(4)  DucHESNE,  op.  cit.,  p.  271. 

(5)  Jaffé,  Regesta,  192 1. 

(6)  Jaffé,  Regesta,  2071. 

(7)  Mansi,  op.  cit.,  t.  XI,  col.  669. 


ANNEXION    DE    l'ILLYRICUM    AU    PATRIARCAT    ŒCUMÉNIQUE 


35 


patriarche  de  ces  provinces.  Au  cours  du 
VII®  siècle,  nous  rencontrons  plusieurs 
exemples  de  haute  juridiction  métropoli- 
taine que  les  évêques  de  Rome  exercent 
sur  ces  contrées.  Ainsi,  en  décembre 
623,  le  pape  Honorius  écrit  à  plusieurs 
éveques  d'  pire  pour  suspendre  la  confir- 
mation d'Hypace,  nouveau  métropolitain 
d'Epire,  et  lui  enjoindre  de  venir  s'expli- 
quer à  Rome  (i).  En  novembre  649,  le 
pape  saint  Martin  dépose  Paul,  archevêque 
monothélite  de  Thessalonique,  et  sa  lettre 
marque  expressément  que  ce  prélat  dépend 
du  Saint-Siège  (2).  En  décembre  667,  le 
pape  Vitalien  intervient  dans  les  affaires 
de  Crète  et  casse  la  sentence  de  déposi- 
tion prononcée  dans  un  concile  provincial 
contre  l'évêque  Jean  de  Lampe  par  l'ar- 
chevêque Paul  et  par  ses  suffragants  (3). 
Vers  l'année  633,  afin  de  contenir  les 
Avares  au  delà  des  frontières  de  l'empire, 
Héraclius  demande  le  concours  des 
Croates  et  des  Serbes  qu'il  installe  dans 
la  partie  septentrionale  de  l'illyricum.  Et 
comme  le  Siège  de  Rome  exerce  sur  ces 
provinces  de  l'empire  grec  les  droits 
patriarcaux,  l'empereur  prie  le  Pape  d'y 
envoyer  un  archevêque,  des  évêques,  des 
prêtres  et  des  diacres  qui  réussissent  peu 
après  à  faire  pénétrer  le  christianisme 
parmi  eux,  conversion  qui,  malheureuse- 
ment, est  de  fort  courte  durée  (4),  du 
moins  chez  les  Serbes.  Aux  conciles  de 
Constantinople  de  681  et  de  692,  les 
évêques  de  Tlllyricum  se  rattachent  nette- 
ment au  patriarcat  romain,  aussi  bien  que 
les  évêques  italiens  délégués  par  le  Pape. 
Enfin,  dans  VEctbesis  du  pseudo-Epiphane, 
tableau  de  la  hiérarchie  ecclésiastique  du 
patriarcat  byzantin  vers  le  milieu  du 
vil»  siècle,  ne  figure  aucune  métropole  ou 
évêché  des  dix  ou  onze  provinces  de  l'illy- 
ricum,   comprises    soit   dans   le   vicariat 


11)  Mansi,  op.  cit.,  t.  X,  col.  58i. 
(21   Mansi,  op.  cit.,   t.   X,   col.   833-849,  surtout 
f<37  C. 

(3)  Mansi,  op.  cit.,  t.  XI,  col.  16-19. 

(4)  Constantin  Porphyrogénète,  De  adminis- 
trando  imperio,  c.  xixi,  Migne,  P.  G.,  t.  CXIII, 
col.  284-292,  et  G.  Markovitch,  Gli  Slavi  ed  i 
Papi.  Agram,  1897,  t.  I,  p.  32-38. 


de  Thessalonique,  soit  dans  celui  de  Jus^ 
tiniana  prima. 

On  peut  donc  conclure  que,  au  moins 
jusqu'au  vni«  siècle,  les  provinces  ecclé- 
siastiques de  tout  rillyricum  ont  été  con- 
sidérées comme  faisant  partie  du  pa- 
triarcat romain.  L'empereur  Léon  l'isau- 
rien,  le  premier,  semble  avoir  dérogé  à 
cette  tradition  lorsque,  vers  l'année  732, 
après  l'excommunication  lancée  contre  lui 
par  le  Pape,  il  éleva  le  chiffre  du  tribut  de 
la  Calabre  et  de  la  Sicile,  confisqua  les 
patrimoines  de  l'Eglise  romaine  dans  cette 
région  et  atteignit  l'autorité  du  Pape  en 
lui  arrachant  l'obédience  des  évêchés  de 
rUlyrie  et  de  l'Italie  méridionale  qui  furent 
dorénavant  rattachés  au  patriarcat  de 
Constantinople.  Telle  est,  du  moins,  l'in- 
terprétation que  l'on  a  cru  pouvoir  donner 
d'un  texte  assez  obscur  de  Théophane  (  i  ). 
Elle  est  confirmée  par  la  réflexion  étrange 
du  clerc  Basile,  qui,  au  ix«  siècle,  men- 
tionne qu'un  certain  nombre  de  métropoles 
d'Italie  ou  d'IUyrie  ont  été  soumises  à  la 
juridiction  de  Constantinople,  parce  que 
«  le  Pape  de  l'ancienne  Rome  était  entre 
les  mains  des  barbares  »  (2). 

Le  fait  que,  au  moment  du  Vll^  concile 
œcuménique  (787),  des  négociations  s'en- 
gagent entre  Rome  et  Byzance  pour  que 
les  provinces  enlevées  au  Pape  lui  fassent 
retour,  tandis  qu'en  681,  lors  du  Vl«  Con- 
cile, elles  dépendaient  encore  de  lui,  vient 
encore  à  l'appui  de  cette  assertion.  Entre 
ces  deux  dates,  en  effet,  nous  ne  voyons 
que  j'affaire  iconoclaste  (726-787),  qui,, 
en  modifiant  la  nature  des  rapports  reli- 
gieux des  deux  Eglises,  a  dû  conséquem- 
ment  amener  des  changements  dans  leur 
juridiction  réciproque.  C'est  ce  que  déclare 
expressément  le  pape  Adrien  \^^,  dans  une 
lettre  adressée  à  Charlemagne  après  le 
concile  de  787  (3).  Ce  Pape  fit  des  dé- 
marches successives  auprès  de  la  cour 
byzantine  et  auprès  du   patriarche  saint 

(i)  Chronographia,  A.  M.  6224,  Migne,  P.  G., 
t.  CVIII,  col.  828. 

(2)  Gelzer,  Georgii  Cyprii  descriptio  orbis 
romani,  p.  27 

(3)  Mansi,  op.  cit.,  t.  XIII,  col.  808  sq. 


36 


ÉCHOS    d'orient 


Taraise  (784-806)  pour  recouvrer  son 
ancienne  juridiction;  mais  ses  deux 
lettres,  avant  d'être  lues  devant  les 
membres  du  VII^  concile,  furent  allégées 
de  tout  ce  qui  avait  trait  à  la  juridiction 
de  Rome  sur  l'Italie  méridionale  et  sur 
rillyrie,  ainsi  que  le  dit  Athanase  le 
Bibliothécaire  (i),  et  ainsi  qu'en  té- 
moignent les  actes  mêmes  du  concile,  où 
les  deux  lettres  peuvent  se  lire,  mais  con- 
sidérablement abrégées  (2).  Les  réclama- 
tions de  Rome  étaient  donc  demeurées 
infructueuses. 

Pendant  les  règnes  troublés  de  Con- 
stantin VI  (790-797),  d'Irène  (797-802), 
de  Nicéphore  (802-811)  et  de  Michel 
Rhangabé  (81 1-813),  les  Papes  ne  purent 
récupérer  leurs  privilèges  patriarcaux. 
Sous  les  empereurs  de  la  deuxième 
période  iconoclaste,  Léon  l'Arménien 
{813-820),  Michel  le  Bègue  (820-829)  ^^ 
Théophile  (829-842),  ils  avaient  beaucoup 
plus  à  soutenir  les  catholiques  persécutés 
qu'à  se  préoccuper  de  leur  juridiction  sur 
J'illyricum.  Lorsque,  l'iconoclasme  enfin 


vaincu,  la  question  put  être  reprise,  un 
nouvel  élément  de  discorde  avait  surgi,  le 
peuple  bulgare,  qui,  installé  depuis  deux 
siècles  sur  une  bonne  partie  des  terri- 
toires contestés,  venait  d'être  converti 
par  les  missionnaires  romains  et  byzan- 
tins et  qui,  par  suite,  ne  savait  trop  à 
qui  entendre.  Nous  verrons  une  autre 
fois  comment  se  termina  ce  conflit,  à  la 
défaveur  des  deux  prétendants  et  au  seul 
bénéfice  de  la  nation  bulgare.  Ceci,  bien 
entendu,  pour  les  provinces  occupées  par 
ce  peuple  turco-slave;  quant  aux  pro- 
vinces du  Sud-Ouest  de  l'Illyrie,  celles 
qui  faisaient  encore  partie  de  l'empire 
byzantin,  elles  restèrent  comme  aupara- 
vant, malgré  toutes  les  protestations  des 
Papes,  sous  l'autorité  du  patriarche  de 
Constantinople,  et,  dans  les  premières 
années  du  x^  siècle,  l'empereur  Léon  VI, 
d'accord  avec  le  patriarche  Nicolas,  les 
incorporait  définitivement  à  l'Eglise  de  la 
capitale. 

SiMÉON  Vailhé. 

Constantinople. 


LA  DOCTRINE  DE  L-AnAeEiA 

D'APRÈS  SAINT  MAXIME 


Une  doctrine  ascétique,  intéressante  à 
■étudier  parce  qu'elle  est  originale,  est 
celle  qui  a  pour  objet  l'analyse  d'un  état 
d'âme  spécial  désigné  par  les  mystiques 
byzantins  sous  le  nom  grec  d'àT:àQ£t,a. 
Aussi,  dans  cet  article,  nous  nous  propo- 
sons d'étudier  cette  doctrine  dans  les 
•écrits  d'un  théologien  du  vu»  siècle  qui 
l'a  caractérisée  avec  netteté  :  saint  Maxime 
le  Confesseur  (580-662). 

Cet  auteur  définit  l'â-àQeia  :  Un  état  de 
calme  mental  dans  lequel  l'âme  est  diffici- 

(i)  Mansi,  op.  cit.,  t.  XII,  col.  1073. 

(2)  Mansi,  op.  cit.,  t.  XII,  col.  1056-1072,  et 
t.  XIII,  col.  527  sq.  ;  t.  XII,  col.  1077-1084,  et  t.  XIII, 
.col.  536  sq. 


lement  portée  au  vice  (i).  Ainsi,  à  s'en 
tenir  strictement  aux  termes  de  cette 
définition,  l'àTîàOs'-a  n'implique  ni  la  des- 
truction radicale  des  passions  —  comme 
semblerait  l'indiquer  l'étymologie  du  mot 
oL-rAhziT.  —  puisque  l'âme  peut  encore 
parfois  être  portée  au  vice  —  ni  la  lutte 


(i)  Saint  Maxime,  dans  P.  G.,  t.  XC,  col.  967, 
Capitum  de  caritaie  centuria  I,  n.  399  :  «  'A7rà8etâ 
è(TTcv  elprivixr,  xaTacrTaaii;  4'">'X''i»j  ^taÔ'v  SuffXîvvjTo; 
YtveTai  TTpô;  -/.axtav.  »  Le  mot  6uffxtvr|To;,  qui  signifie 
difficile  à  mouvoir,  lent,  paresseux,  pesant, 
(Cf.  Henri  E&tieh^e,  Thésaurus  grœcœ  linguœ, 
t.  II',  col.  1762),  est  le  terme  essentiel  de  la  défini- 
tion :  il  exprime  une  sorte  d'insensibilité  relative 
de  l'âme  vis-à-vis  des  mouvements  de  la  concu- 
piscence. 


LA  DOCTRINE   DE   l'AIIABEIA,    D' APRÈS   SAINT   MAXIME 


37 


habituelle  quoique  victorieuse  de  l'âme 
contre  les  violents  assauts  de  la  concu- 
piscence, puisque  l'aiguillon  de  la  passion 
se  fait  difficilement  sentir  :  mais  elle  sup- 
pose simplement  dans  l'âme  un  état  de 
calme  habituel  et  un  affranchissement 
partiel  des  sollicitations  vicieuses  (i). 

Mais  cette  tranquillité  de  l'àme  et  cette 
délivrance  partielle  des  tyrannies  de  la 
concupiscence  sont  plus  ou  moins  par- 
faites, selon  qu'une  seule  faculté  de 
l'homme  les  éprouve  ou  que  toutes  en 
ressentent  les  bienfaits.  Bref,  l'à-àOsia 
comporte  plusieurs  degrés.  Saint  Maxime 
en  distingue  quatre  que  nous  allons  suc- 
cessivement analyser. 

I.  Abstention 

DE   TOUT   ACTE   CORPOREL  VICIEUX. 

A  son  premier  degré,  V'XTzâ^e'.x  exclut 
tout  acte  vicieux  dont  l'accomplissement 
réclame  le  concours  du  corps  (2).  En 
effet,  dit  saint  Maxime,  une  partie  des 
pensées  de  l'homme  proviennent  de  l'état 
de  son  corps;  si  donc  celui-ci  est  le 
théâtre  des  jouissances  voluptueuses,  les 
penséesanimalesquien  résultenttroublent 
!a  sérénité  de  l'esprit  (3).  Or,  ce  trouble 
peut  provenir  aussi  bien  des  paroles  que 
des  actions.  Par  suite,  de  même  que  les 
actions  honteuses,  les  paroles  lascives 
sont  incompatibles  avec  cet  état  (4). 

D'autre  part,  la  volupté  exige  des 
sommes  d'argent  qu'elle  amasse  par 
l'avarice;  dès  lors,  la  parfaite  continence 
implique  le  renoncement  à  ce  vice  (5). 

D'un  autre  côté,  la  luxure  trouve  son 
aliment    dans    la    gourmandise.     Donc 


(i)  Nous  disons  :  affranchissement  partiel;  car, 
si  l'àme  est  difficilement  portée  au  vice,  il  en  ré- 
sulte que,  sans  effort,  elle  peut  réprimer  les 
moindres  mouvements  de  la  concupiscence  ;  ce 
n'est  plus  une  tyrannie;  c'est  donc  un  affranchis- 
sement, mais  partiel,  puisque  tout  réveil  de  la 
passion  n'est  pas  conjuré. 

(2)  Op.  et  t.  cit.,  Capitum  quinquies  centenorum. 
centuria  III,  col.  1282,  n.  Syo. 

(3)  Op.  cit.,  cent.  I,  col.  973,  n.  402. 

(4)  Op.  cit.,  cent.  IV,  col.  1067,  n.  449;  col.  1425, 
n.  654. 

(5)  Cent.  I,  col.  973,  n.  402. 


l'àTîàOc'.a  qui  suppose  l'habitude  de  la 
continence  entraîne  avec  elle  la  sobriété 
et  la  tempérance  (i). 

Aussi,  notre  auteur,  pour  expliquer  sa 
pensée,  se  sert-il  à  bon  droit  d'une  gra- 
cieuse comparaison.  Cet  état,  dit-il,  est 
la  terre  promise  des  ascètes.  Mais,  de 
même  que  les  Israélites  n'ont  pénétré 
dans  la  terre  promise  ni  à  leur  retour 
d'Egypte,  ni  après  le  passage  de  la  mer 
Rouge,  mais  après  un  long  séjour  dans 
le  désert,  ainsi  l'ascète  n'est  kr.xHr,;,  ni 
immédiatement  au  sortir  de  l'état  de 
péché,  ni  même  après  sa  victoire  passa- 
gère sur  ses  passions,  mais  il  ne  le  de- 
vient qu'après  s'être  livré  à  de  longues 
mortifications  (2). 

Mais,  au-dessus  du  corps  de  l'homme, 
vient  son  esprit.  Donc,  après  avoir 
étudié  rà-àOî'.a  à  son  premier  degré  dans 
la  pureté  corporelle,  étudions-la  à  son 
second  degré  dans  la  pureté  de  l'esprit. 

11.  Pureté  de  l'esprit. 

Si,  à  ce  premier  degré,  l'àTcàOs'.a  exclut 
les  actes  libidineux  mauvais,  les  pensées 
impures  qui  enflamment  la  concupis- 
cence peuvent  encore  subsister  dans  l'in- 
telligence. Au  second  degré,  toutes  ces 
pensées  qui  sont  le  prélude  des  actes  vi- 
cieux sont  absolument  bannies  de  l'es- 
prit :  Vk-TzkHt'jx  devient  la  pureté  intellec- 
tuelle. 

Evidemment,  il  y  a  autant  de  sortes  de 
puretés  de  l'esprit  qu'il  y  a  de  sortes 
d'impuretés  de  l'esprit.  Or,  saint  Maxime 
distingue  quatre  formes  de  ces  dernières  : 
il  reconnaît  donc  implicitement  les  quatre 
formes  de  pureté  intellectuelle  qui  leur 
sont  opposées. 

Ainsi,  pour  lui,  la  première  forme  de 
l'impureté  de  l'esprit  consiste  dans  les 
connaissances  erronées,  -•"/(Ôt'.v  'Ivj^jt,  : 
donc  la  première  sorte  de  pureté  intellec- 
tuelle est  l'absence  de  toute  erreur  dans 


(i)  Alla  ex  Vatic.  capita,  col.  1428,  n.  1^4; Liber 
asceticus,  col.  936,  n.  393. 
[2)  Alia  ex  Vatic.  capit.,  col.  1428,  n.  654. 


38 


ÉCHOS  d'orient 


l'esprit.  De  même,  la  deuxième  forme 
d'impureté  étant  l'ignorance  partielle  de 
quelque  science,  la  seconde  forme  de  pu- 
reté d'esprit  est  la  science  universelle  ; 
la  troisième  forme  d'impureté  intellec- 
tuelle étant  la  simple  présence  dans  l'in- 
telligence de  pensées  en  étroite  connexion 
avec  le  vice,  la  troisième  espèce  de  pureté 
d'esprit  est  l'absence  de  ces  mauvaises 
pensées  dans  l'intelligence.  Enfin,  la  qua- 
trième sorte  d'impureté  d'esprit  est  le 
consentement  à  ces  pensées  peccami- 
neuses  :  donc  la  pureté  intellectuelle 
opposée  sera  l'absence  dans  l'âme  de  con- 
sentement à  ces  pensées  mauvaises  (i). 

Or,  saint  Maxime  n'entend  désigner, 
par  le  mot  à-àOsia,  ni  la  première  espèce 
de  pureté  intellectuelle  —  qui  est  simple- 
ment l'inerrance  de  l'esprit  sans  carac- 
tère moral  déterminé,  —  ni  la  seconde 
forme  de  pureté  —  la  science  universelle 
qui  est  l'apanage  exclusif  de  Dieu,  —  ni 
la  quatrième  espèce  — qui  est  simplement 
le  refus  de  consentir  au  péché,  —  mais  il 
désigne  par  ce  mot  la  troisième  forme  de 
pureté  de  l'esprit  qui  exclut  dans  l'intel- 
ligence la  présence  même  des  représen- 
tations impures  (2). 

Mais  les  raisonnements  inspirés  par  la 
passion  viennent  des  mauvaises  impres- 
sions produites  dans  l'imagination  par  la 
représentation  des  choses  extérieures. 
Partant,  ce  calme  mental  exclut  les  ima- 
ginations impures  (3). 

Or,  ces  représentations  proviennent  de 
la  vue  des  objets  extérieurs  :  on  recon- 
naîtra donc  que  l'ascète  a  atteint  ce  degré 
d'à-à8ï'.a,  non  pas  quand,  loin  de  tout 
objet  provocateur,  il  n'a  aucune  mauvaise 
pensée,  mais  lorsque,  en  présence  même 
de  l'objet  dangereux,  il  est  délivré  de  ces 
images  malsaines  (4). 

D'autre  part,  les  données  sur  lesquelles 
travaille  l'imagination,  sont  fournies  par 


(i)  Capitum  de  caritate  centuria  III,  col.  1028, 
n.  432-433. 

(2)  Capitum  de  caritate  centuria  III,  col.  1028, 
n.  432-433. 

(3)  Centuria  I,  col.  973,  n.  402. 

(4)  Centuria  IV,  col.  1060,  n.  451. 


la  mémoire.  Par  conséquent,  une  imagi- 
nation absolument  affranchie  de  toute 
image  sensuelle  suppose  une  mémoire 
également  libérée  de  tout  souvenir  libi- 
dineux. Par  suite,  ce  second  degré  de 
l'àuàOsia  exclut  aussi  tout  rappel  par  la 
mémoire  des  souvenirs  dangereux  (i). 
Telle  est  donc  la  doctrine  de  saint 
Maxime  sur  l'à-àOsia  à  son  second  de- 
gré (2).  Entendu  dans  ce  sens  de  calme 
de  l'esprit  résultant  de  la  parfaite  pureté 
intellectuelle,  le  mot  à-àOît-a  reçoit  sous 
la  plume  de  notre  auteur  une  acception 
légèrement  semblable  à  celle  que  lui  ont 
donnée  des  classiques  comme  Cicéron 
et  Plutarque  (3).  Mais,  tandis  que  ces 
auteurs  ne  comprennent  sous  ce  mot^ 
synonyme  pour  eux  d'aTapaçU,  que  l'im- 
passibilité stoïcienne,  c'est-à-dire  l'absence 
de  tout  trouble  mental  quelconque  pro- 
venant des  passions,  Maxime  précise  le 
caractère  moral  de  ces  troubles  dont  la 
disparition  constitue  le  second  degré  de 
rà— àBs'.a. 

111.  Pureté  du  cœur. 

De  la  pureté  de  l'esprit,  passons  à 
celle  du  cœur  :  c'est  le  troisième  degré  de 
l'àTîàOcLa. 

Saint  Maxime  la  caractérise  en  ces 
termes  :  chez  celui  qui  est  parvenu  à 
cet  état,  la  faculté  appétitive  n'est  plus 
portée  au  vice,  c'est-à-dire  que  les  affec- 
tions n'ont  plus  de  caractère  volup- 
tueux (4).  C'est  la  pureté  du  cœur  en- 
tendue, non  dans  le  sens  de  droiture 
d'intention,  mais  uniquement  dans  le 
sens  de  pureté  des  affections  (5). 

(i)  Ibid. 

(2)  On  peut  le  remarquer,  saint  Maxime  prend 
surtout  le  mot  passion  dans  le  sens  de  passion 
mauvaise,  de  concupiscence  vicieuse.  Mais,  indi- 
rectement, il  rattache  à  cette  tendance  puissante 
les  passions  qui  lui  servent  d'auxiliaires  :  la 
colère,  l'avarice,  etc. 

(3)  Cicéron  (  106-43  av.  J.-C),  édition  Millier,  1879, 
Academ.,  p.  2,  42;  Plutarque  (5o  ap.  J.-C),  édit. 
F.  Diibner  (1846-1855),  û/on,  p.  32;  Mora/.,  p.  lobj. 

(4)  Cent.  III,  col.  1282,  n.  570. 

(5)  Ces  deux  sens  se  trouvent  fréquemment 
réunis  et  même  confondus  dans  les  auteurs  mys- 
tiques. Ils  sont  pourtant  distincts.  Car,  si  la  pureté 


LA    DOCTRINE    DE    L"AnA0EIA,   D'aPRÈS   SAINT   MAXIME 


39 


Or,  le  cœur,  dégagé  de  toute  attache 
au  plaisir  mondain,  ne  peut  cependant 
se  passer  d'amour  :  à  l'amour  du  plaisir 
il  faut  donc  substituer  une  affection  puis- 
sante :  l'amour  de  Dieu.  Partant,  la  cha- 
rité devient  la  gardienne  de  la  pureté  du 
cœur,  comme  la  continence  est  la  gar- 
dienne de  celle  du  corps  (i). 

Mais  celui  qui  s'attache  à  Dieu  par  la 
charité  enveloppe  dans  son  amour  tout 
ce  qu'aime  Dieu,  et,  par  conséquent,  le 
prochain.  On  reconnaîtra  donc  que  l'as- 
cète a  atteint  ce  degré  de  l'i-àSs-.a,  si, 
dans  ses  affections  surnaturelles,  il  n'éta- 
blit aucune  différence  «  entre  le  bien 
propre  et  le  bien  d'autrui,  entre  le  servi- 
teur et  le  fils  de  famille,  etc.  »  (2). 

Toutefois,  si,  au  regard  de  la  foi,  l'as- 
cète à-aOrî;  aime  tous  les  hommes  d'un 
égal  amour,  ce  nivellement  des  affections 
dans  l'ordre  surnaturel  laisse  subsister 
l'amitié  naturelle.  Mais,  dans  ce  cas, 
rà-ràÇlEta  implique  la  constance  et  la  dis- 
crétion :  la  constance,  car,  puisque  l'as- 
cète aime  le  prochain  comme  lui-même, 
il  doit  l'aimer  toujours  comme  il  s'aime 
toujours  lui-même  ;  la  discrétion,  car 
l'ami  fidèle  et  délicat  doit  avoir  soin  de 
cacher  les  défauts  du  prochain  quand  il 
est  inutile  de  les  révéler.  Si  donc  l'ascète, 
à  l'heure  de  la  tentation,  ne  sait  pas 
garder  cette  réserve  à  l'égard  de  son  ami, 
c'est  une  preuve  qu'il  n'a  pas  atteint  ce 
degré  d'i-à^s'.a  (3). 

De  plus,  le  sincère  amour  exclut  le 
désir  de  la  vengeance  dans  le  cas  d'une 
injure  reçue  et,  par  suite,  la  colère.  C'est 
pourquoi  l'ascète  offensé  par  une  insulte 
ne  nourrit  aucun  ressentiment  contre 
l'offenseur  (4). 

Mais  si  l'amour  de  Dieu  et  celui  du 
prochain  ont  pris  dans  le  cœur  la  place 


des  atfections  suppose,  à  un  degré  élevé,  la  droi- 
ture d'intention,  celle-ci,  à  un  degré  inférieur, 
peut  exister  sans  la  pureté  des  affections. 

fi)  Cent.  I,  col.  964,  n.  397;  cent.  III,  col.  i  028, 
n.  433. 

(2)  Cent.   /,  col.    993,   n.  414;  Cf.  Saint  Paul, 
Gai.,  m,  28. 

(3)  Cent.  IV,  col.  i  070,  n.  457. 

(4)  Cent.  IV,  col.  i  oSj,  n.  449. 


de  l'amour  passionné  du  monde,  ces  deux 
affections  doivent  subsister  dans  l'ascète 
durant  toute  sa  vie  consciente.  D'autre 
part,  les  phénomènes  inconscients  qui  se 
déroulent  pendant  le  sommeil,  rêves, 
cauchemars,  etc.,  sont,  d'ordinaire,  la 
répercussion  de  ceux  qui  se  produisent 
pendant  la  vie  consciente  de  l'état  de 
veille.  Donc  l'ascète,  parvenu  à  l'affran- 
chissement de  toute  affection  mauvaise, 
n'aura,  pendant  le  sommeil,  ni  songes 
lascifs  provenant  des  passions  de  l'appétit 
concupiscible  indomptées,  ni  rêves  tristes 
causés  par  les  passions  de  l'appétit  iras- 
cible insuffisamment  mortifiées  (i). 

On  le  voit  donc,  le  troisième  degré  de 
l'krMf.oL,  constitué  essentiellement  par  la 
pureté  de  cœur,  suppose  un  grand  amour 
de  Dieu  et  du  prochain,  l'oubli  des  injures, 
la  discrétion,  la  constance  et  le  calme  de 
l'esprit  durant  l'état  de  veille  et  durant 
le  sommeil. 

Compris  dans  ce  sens  d'absence  d'affec- 
tion, le  mot  k-ÔLhv.y.  a  été  employé  par 
les  classiques  grecs  comme  Platon  (2), 
Aristote  (3)  et  Plutarque  (4).  Mais  le 
moraliste  chrétien,  à  rencontre  des  phi- 
losophes païens,  qui  ont  laissé  l'âme  vide 
de  tout  amour,  a  substitué  aux  affections 
mauvaises  détruites  le  pur  amour  de 
Dieu  et  du  prochain. 

IV.  L'esprit  est  délivré 

DES    PENSÉES    INUTILES    OU     INDIFFÉRENTES. 

Pure  de  tout  acte  corporel  libidineux, 
affranchie  de  toute  pensée  impure,  dégagée 


(i)  Cent.  I,  col.  981,  n^  407;  cent.  II,  col.  i  006, 
n*  420.  Cette  corrélation  établie  par  saint  Maxime 
entre  les  sentiments  que  l'on  a  durant  l'état  de 
veille  et  ceux  que  l'on  éprouve  durant  le  sommeil 
est  admise  aujourd'hui  par  la  plupart  des  mora- 
listes et  des  psychologues.  On  peut  admettre  aussi, 
mais  avec  moins  de  certitude,  que  les  songes  las- 
cifs ou  tristes  correspondent  à  peu  prés  toujours 
aux  passions  immortifiées  de  l'appétit  concupis- 
cible ou  irascible. 

(2)  Platon  (édit.  Schanz,  1875-1887),  Defini- 
tiones,  p.  413. 

(3)  Aristote  (édit.  Acad.  roy.  de  Prusse  i83i- 
1870),  Analytica  posteriora,  p.  2,  i3,  18;  De 
anima,  p.  2;  Ethic.  ad  Nie,  p.  2. 

(4)  Plutarque,  De  superstitione,  p.  167. 


40 


ÉCHOS   d'orient 


de  toute  affection  mauvaise,  l'âme  pou- 
vait encore,  dans  les  trois  premiers  de- 
grés d'à-àGsia,  abriter  des  pensées  qui, 
sans  caractère  peccamineux  nettement 
tranché,  étaient  simplement  le  résultat 
des  impressions  faites  sur  les  sens  par 
les  objets  extérieurs. 

Le  quatrième  degré  d'àTzà6£!.a  bannit  de 
l'esprit  cette  catégorie  de  pensées,  qu'on 
peut  qualifier  d'inutiles. 

Pour  bien  comprendre  la  nature  de  ces 
pensées  et,  partant,  pour  saisir  avec  pré- 
cision les  caractères  de  cet  état  mental, 
distinguons  avec  saint  Maxime  trois  sortes 
de  pensées  :  i°  la  pensée  qui  est  jointe  à 
une  affection  libidineuse,  qui,  par  suite, 
«  éloigne  de  Dieu  »,  6  s^TraQr,;  lov'.a-jji.oç; 
2°  la  pensée  qui  n'est  accompagnée 
d'aucun  sentiment,  «  pensée  simple, 
nue  »,  6  'lô.bç  Àovi,3-|j.o;;  y  la  pensée 
«  informée  par  la  charité  »  qui  dégage 
l'âme  des  préoccupations  purement  hu- 
maines, r,  vvcôcn<;  Tj  7:aQoGa-a  rr.v  àvà7rr,v(i). 

Or,  nous  l'avons  vu,  le  deuxième  degré 
de  VoltMzkx  exclut  toute  pensée  jointe  à 
une  affection  peccamineuse,  6  èa-aOyiç 
loyio-ijLÔç.  D'autre  part,  il  ne  s'agit  pas  ici 
de  bannir  de  l'esprit  la  pensée  accompa- 
gnée de  sentiments  d'amour  de  Dieu, 
puisqu'elle  est  sainte.  Il  est  donc  unique- 
ment question  de  la  deuxième  espèce  de 
pensée,  6  •lû.oq  Àovitijloç  qui,  sans  être 
mauvaise,  n'affranchit  pas  l'esprit  des 
préoccupations  purement  humaines,  et, 
dès  lors,  n'est  pas  positivement  bonne, 
mais  est  indifférente. 

Voici  pourquoi  cette  sorte  de  pensée 
est  incompatible  avec  ràTràôet-a.  Elle  est 
produite  dans  l'âme  par  les  impressions 
que  font  sur  nos  sens  les  objets  exté- 
rieurs (2).  11  en  résulte  que  ces  représen- 


(i)  Cent.  IV,  col.  i  077,  n.  460. 

(2)  Cent.  III,  col.  1037,  n.  434;  col.  1281,  n.  570. 
L'adjectif  •hù'oz  est  employé  par  les  auteurs  clas- 
siques dans  les  multiples  sens  de  pur,  simple,  nu, 
dépouillé,  léger.  Cf.  Henri  Estienne,  Thésaurus 
grœcœ  linguœ,  t.  VIII,  col.  1910;  H,  Vincent, 
Revue  de  Philologie,  t.  II,  p.  37.  Dans  le  cas  qui 
nous  occupe,  il  est  facile  de  prouver  que  l'expres- 
sion 4"'ô;  ).oyi(7[jl6î  signifie  :  pensée  dégagée  de 
toute  affection.  En  effet,  saint   Maxime  identifie 


tations  diverses  provenant  des  impres- 
sions sensibles  produisent  dans  l'imagi- 
nation un  flot  d'images  qui  distraient 
l'âme  dans  la  prière  (i).  Or,  celle-ci,  dans 
l'état  de  parfaite  charité  que  requiert  cet 
état,  doit  être  «  le  pur  et  brillant  miroir 
de  Dieu  »  (2).  11  faut  donc  que,  par  la 
contemplation,  l'âme  s'attache  habituel- 
lement aux  pensées  saintes  inspirées  par 
la  charité  et  rejette  les  considérations 
d'ordre  inférieur  ayant  trait  aux  choses 
sensibles  (3). 

En  second  lieu,  l'âme  à-aôr^ç  doit  jouir 
d'un  calme  habituel  et,  dès  lors,  éloigner 
d'elle  les  pensées  terrestres  qui,  sans  être 
peccamineuses,  troubleraient  sa  sérénité. 

Enfin,  cette  catégorie  de  pensées  inu- 
tiles, bien  que  sans  caractère  moral  posi- 
tif, donc  vraiment  indifférentes  au  début, 
peuvent  peu  à  peu  réveiller  les  sentiments 
mauvais  assoupis,  déjà  exclus  par  le  troi- 
sième degré  d'à-àÔs'.a  (4). 

Donc,  pour  ces  trois  raisons,  l'ascète 
bannit  de  son  esprit  toutes  les  représen- 
tations Imaginatives,  réflexions  ou  raison- 
nements qui  lui  sont  suggérés  par  la  vue 
des  objets  sensibles. 

Dès  lors,  uni  à  Dieu  par  la  charité  et  la 
contemplation,  l'ascète  à-aÔY^;  participe 
en  quelque  sorte  à  la  liberté  de  Dieu, 
puisqu'il  est  habituellement  affranchi  de 
la  tyrannie  de  ses  passions;  à  l'impassi- 
bilité divine,  puisque  le  calme  dont  il 
jouit  n'est  pas  même  troublé  par  des  pen- 
sées inutiles;  enfin,  à  l'immutabilité  de 
Dieu,  puisque,  délivré  de  la  fluctuation  des 
affections  purement  humaines,  il  est 
arrivé  à  un  certain  état  de  fixité  mentale. 

Toutefois,  cette  liberté  n'est  pas  com- 
plète, puisque  les  tentations  restent  pos- 
sibles  (3);   cette  impassibilité  n'est  que 

ô  "LiXô;  ),oyi(7[idç  à  ô  à7r).oy<;  XoyeffjKSi;.  Or,  il  définit 
l'ô  à7r),o-jç  ^oyco-iiôç  par  ô  St'jra  iriOouç  ),oyi(T(x,6;  : 
pensée  sans  passion.  Donc  l'à'\i0.oç  loy:<T\).6i  signi- 
fie aussi  :  pensée  sans  passion  :  Cf.  Cent.  I,  col. 
1077,  n.  460. 
(i)  Cent.  IV,  col.  1057,  n.  449. 

(2)  Cent.  III,  col.  1082,  n.  570. 

(3)  Cent.  III,  col.  io32,  n.  434. 

(4)  Cent  III,  col,  1281,  n.  571. 

J5)  Epistola  ad  Constantinum,  t.  XCI,  col.  421,. 
n.  236. 


LA   DOCTRINE    DE    L"AnABEIA,    d'aPRÈS   SAINT  MAXIME 


41 


relative,  car  c'est  seulement  après  la  mort 
que  l'âme,  «  à  l'abri  des  flots  de  la  mer 
tourmentée  de  cette  vie  »,  peut  pleine- 
ment en  jouir  (i);  enfin,  cette  immutabi- 
lité n'est  pas  absolue,  puisque,  au  sens 
strict  du  mot,  l'iâncàOe'-a  n'appartient  qu'à 
Dieu,  «  qui  est  la  fin  des  êtres  et  la  per- 
fection même  »  (2). 

V.  —  Conclusion. 

Nous  pouvons  maintenant,  dans  une 
courte  synthèse,  établir  deux  points  : 
1°  les  deux  éléments  essentiels  de  la  défi- 
nition de  rà-àOs'.a,  telle  que  l'a  formulée 
saint  Maxime,  et  telle  que  nous  l'avons 
donnée  nous-même  au  début  de  cette 
étude,  se  retrouvent  dans  les  quatre 
■degrés  analysés;  2»  il  y  a  entre  ces 
quatre  degrés  une  étroite  connexion. 

1°  L'à-àOs'.a  implique  dans  l'âme  le 
calme  habituel  et  une  certaine  difficulté 
à  être  sollicitée  au  vice.  Or,  cette  tranquil- 
lité se  trouve  dans  le  premier  degré, 
puisque  la  volonté,  qui  serait  troublée  par 
des  chutes  honteuses,  ne  consent  plus 
aux  actes  libidineux;  elle  apparaît  dans  le 
second  degré,  puisque  l'agitation  produite 
d'ordinaire  par  les  représentations  im- 
pures y  a  cessé;  elle  se  retrouve  dans  le 
troisième,  car  la  rupture  de  l'équilibre 
mental,  toujours  possible  quand  il  y  a 
conflit  de  sentiments,  y  est  conjurée  par 
ce  fait  que  les  affections  désordonnées 
n'ont  plus  de  place  dans  le  cœur;  enfin, 
elle  est  surtout  réalisée  dans  le  quatrième, 
puisque  l'esprit  se  ferme  jusqu'aux  pen- 
sées indifférentes  de  nature  à  troubler  sa 
sérénité. 

D'un  autre  côté,  l'aiguillon  de  la  con- 
cupiscence cesse,  ordinairement,  de  pro- 
duire des  actes  corporels  mauvais  dans 
le  premier  degré  de  l'à-àOs'.a,  des  pensées 
licencieuses  dans  le  second,  des  affections 
impures  dans  le  troisième,  et  il  n'est  plus 
réveillé,  dans  le  quatrième,  par  les  pen- 


(i)  Mystagogia,  t.  cit.,  col.  717,  n.  527. 

u)  Epistola  ad  Dominum  Georgium,  t.  cit., 
•col.  364,  n.  201  ;  t.  cit.  Ambiguorum  liber,  col.  1073, 
n.  121. 


sées  simplement  indifférentes,  puisque, 
habituellement,  l'esprit  les  écarte.  C'est 
donc  un  affranchissement  partiel  des 
sollicitations  vicieuses,  qui,  à  peine  visible 
dans  le  premier  degré,  très  marqué  dans 
le  second  et  le  troisième,  presque  complet 
dans  le  quatrième,  est  réel  dans  tous  les 
degrés. 

Ainsi,  quoique  d'une  façon  diverse,  les 
deux  éléments  constitutifs  de  V%~7ht'.%  se 
retrouvent  dans  ces  quatre  degrés. 

20  On  remarque  entre  ces  quatre  degrés 
de  l'à-àOs'.a  une  étroite  connexion.  En 
effet,  le  processus  logique  de  la  passion 
est  de  suivre  les  étapes  suivantes  :  s'allu- 
mer à  l'occasion  d'une  pensée  moralement 
indifférente  à  son  début,  puis  s'enflam- 
mer dans  les  mauvais  désirs,  ensuite 
devenir  l'objet  exclusif  de  toutes  les  pen- 
sées, et  enfin  faire  explosion  dans  l'acte 
corporel  peccamineux.  Donc,  si  l'on  sui- 
vait strictement  l'ordre  logique,  il  faudrat, 
dans  rà-à9£'.a,  s'affranchir  successivement 
des  pensées  indifférentes,  occasion  des 
mauvais  désirs,  puis  des  affections  mau- 
vaises, origine  des  pensées  impures,  enfin 
des  pensées  lascives,  sources  des  actes 
peccamineux .  Mais  la  nature  suit  l'ordre  in- 
verse, parce  qu'elle  va  du  plus  facile  au  plus 
difficile.  Saint  Maxime  a  fait  de  même  dans 
sa  classification  des  degrés  de  \'x-xHt\t. 
C'est  pourquoi  il  élimine,  dans  le  deuxième 
degré,  les  mauvaises  pensées  qui  provo- 
queraient les  actions  coupables  déjà 
exclues  par  le  premier:  dans  le  troi- 
sième, les  affections  qui  causeraient  les 
mauvaises  pensées  condamnées  par  le 
second;  enfin,  dans  le  quatrième,  les 
pensées  oiseuses,  occasions  indirectes  des 
affections  mauvaises  bannies  de  l'esprit 
par  le  troisième  degré.  Ordre  inverse  du 
premier,  moins  logique  apparemment, 
mais  plus  conforme  à  la  réalité  (i). 


E.  Montmasson. 


Constantinople. 


(i)  T.  XC,  col.  128 1.  Saint  Maxime  a  pris  soin 
lui-même  de  faire  remarquer  cet  enchaînement 
des  idées,  base  de  sa  classification. 


LE    MONACHISME   ORIENTAL 


Les  lignes  qui  suivent  n'ont  nullement 
la  prétention  d'étudier  le  monachisme  dans 
son  ensemble.  Ce  sujet  trop  vaste  dépas- 
serait les  limites  de  notre  compétence, 
et  d'ailleurs  nous  croyons  que,  malgré 
les  travaux  érudits  des  RR.  PP.  Vailhé, 
Dom  Butler,  Dom  Besse,  de  M.  Ladeuze, 
Dom  Leclercq  et  d'autres  (i),  il  est  tou- 
jours vrai  de  dire,  même  aujourd'hui, 
que  :  «  l'heure  n'est  pas  encore  venue  de 
songer  à  un  ouvrage  de  cette  nature,  car 
la  critique  est  loin  d'avoir  terminé  son 
œuvre  de  «  préparation  »  (2).  Notre  but 
plus  simple  consistera  à  présenter  au  lec- 
teur une  courte  étude  sur  le  Terme  idéal 
de  l 'évolution  de  la  vie  religieuse  en  Orient 
et  en  Occident,  les  Etapes  de  l'initiation 
monastique  du  religieux  oriental,  la  Nature 
du  vœu  monastique  du  microschème  et  du 
mégaloschème,  la  Dispense  du  vœu  motias- 
tique  en  Orient. 

1.  Le  terme  idéal  de  l'évolution 

DE    LA    VIE    religieuse 

EN  Orient  et  en  Occident. 

Précédée  de  la  vie  pauvre  et  austère 
des  premiers  chrétiens  de  Jérusalem,  la 
vie  religieuse  préluda  de  bonne  heure  par 

(i)  Vailhé,  Echos  d'Orient,  articles  divers,  1897- 
igoS.  Revue  de  VOrient  chrétien,  diverses  études, 
1898-1900,  1904.  Articles  sur  Saint  Euthyme  le 
Grand,  1907-1909.  Tirage  à  part  de  cette  dernière 
étude,  1909.  L'Eglise  de  Constantinople,  dans  le 
Dictionnaire  de  théologie  catholique,  t.  III, 
col.  1495- i5oo.  Dom  Butler,  The  lausiac  history 
of  Palladius.  Cambridge,  1898.  Ladeuze,  Etude 
sur  le  cénobitisme  pakhomien  pendant  le  iv'  siècle 
et  la  première  moitié  du  v*.  Louvain,  1898.  A 
côté  de  ces  travaux,  nous  devons  une  mention 
spéciale  à  l'étude  que  M.  Evetts  a  publiée  sur 
le  Rite  copte  de  la  prise  d'habit  et  de  la  profes- 
sion religieuse,  dans  la.  Revue  de  l'Orient  chrétien, 
1906,  p.  60-73,  i3o-i48,  et  à  celle  de  Dom  Ville- 
court,  sur  le  Rite  copte  de  la  profession  mona- 
cale pour  les  religieuses,  dans  le  Bessarione,  1909 
et  1910.  Voir  aussi  l'article  Cénobitisme,  dans  le 
Dictionnaire  d  archéologie  chrétienne  et  de  li- 
turgie, fasc.  XXII. 

(2)  DoM  Besse,  Les  Moines  d'Orient.  Paris,  1900, 
p.  V. 


la  vie  chaste  et  souvent  très  pauvre  des 
ascètes,  et  débuta  vers  le  milieu  du 
ni«  siècle  par  l'anachorétisme  rigide  de 
saint  Paul  de  Thèhes  et  d'autres  solitaires. 
Leur  vie  complètement  isolée  était  la 
forme  de  vie  religieuse  la  plus  stricte- 
ment idiorythmique  (i). 

Malgré  la  perfection  de  ce  genre  de 
vie,  une  élite  d'anachorètes  (2)  eut  vite 
acquis  l'expérience  qu'il  valait  mieux  se 
grouper  pour  échapper  aux  inconvénients 
multiples  d'une  vie  trop  monastique, 
c'est-à-dire  trop  solitaire  et  trop  re- 
tirée (3).  Cette  deuxième  étape  de  la  vie 
religieuse  inaugura  le  monéfthisme  des 
ermitages  ou  laures  (4). 

Mais  là  ne  devait  pas  s'arrêter  le  déve- 
loppement de  la  vie  religieuse  et  la  ten- 
dance des  serviteurs  de  Dieu  à  se  réunir 
en  une  Société  de  plus  en  plus  cénobi- 
tique  et  monarchique.  Le  cénobitisme  qui 
prit  naissance  avec  saint  Pakhômeet  saint 
Basile  (5)  garda  une  idiorytbmie  assez  pro- 
noncée jusqu'à  la  réforme  de  saint  Théo- 
dore Studite,  dont  le  cénobitisme,  malgré 


(i)  Au  mot  idiorythmique,  qui  signifie  régime 
de  vie  religieuse  plus  ou  moins  particulariste,  par 
opposition  au  régime  cénobitique,  nous  préfére- 
rions le  mot  idiobitique.  Ce  terme  correspondrait 
mieux  à  celui  de  cénobitique  et,  par  suite,  serait 
plus  vite  compris  des  profanes. 

(2)  DoM  Besse,  op.  cit.,  p.  28-32;  Vailhé,  Saint 
Euthyme  le  Grand,  p.  9. 

(3)  Ainsi  pensaient  saint  Antoine  le  Grand,  les 
deux  Macaire  d'Alexandrie,  saint  Macaire  l'Egyp- 
tien, fondateurs,  les  deux  premiers  de  la  laure  de 
Nitrie  et  le  troisième  de  celle  de  Scété;  saint 
Hilarion,  saint  Chariton.  Dom  Besse,  op.  cit., 
p.  78-79  ;  Vailhé,  op.  cit.,  p.  9-i3.  L^ne  élite,  disons- 
nous  à  dessein,  car  l'anachorétisme  original  et 
même  parfois  bizarre  décrit  par  Dom  Besse, 
op.  cit.,  p.  36-56,  le  R.  P.  Vailhé,  op.  cit.,  p.  14- 
i5,  le  R.  P.  Pargoire,  l'Eglise  byzantine  de  527 
à  84J,  subsista  très  longtemps,  sinon  toujours, 
dans  l'empire  byzantin. 

(4)  De  Aocjpac,  grandes  rues,  viens,  quartiers, 
colonies. 

(5)  Pargoire,  Saint  Basile,  dans  le  Dictionnaire 
d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie,  fasc.  XIII, 
col.  5o5;  B.  Laurès,  les  Monastères  idiorythmes 
de  l'Athos,  dans  Echos  d'Orient,  t.  IV,  p.  293; 
DoM  Villecourt,  op.  cit.,  p.  39. 


LE    MONACHISME   ORIENTAL 


43 


l'idiorythmie  du  pécule  (i),  différait  peu 
de  celui  des  moines  d'Occident  et  était 
le  terme  idéal  de  l'évolution  de  la  vie 
religieuse  en  Orient  (2).  Ce  terme  est 
celui  d'un  cénobitisme  isolé  et  spora- 
dique  conservant  et  tenant  à  conserver, 
à  l'égard  de  l'ensemble  des  monastères, 
une  idiorythtnie  ou  indépendance  absolue. 
Ce  terme  ne  devait  pas  être  celui  de 
l'évolution  de  la  vie  religieuse  en  Occi- 
dent. Celui-ci,  avec  son  esprit  d'organi- 
sation et  de  centralisation,  devait  aboutir, 
non  plus  seulement  au  cénobitisme  entiè- 
rement monarchique  de  chaque  maison 
religieuse,  mais  encore  au  cénobitisme 
et  à  l'organisation  monarchique  de  toutes 
les  maisons  religieuses  observant  la 
même  règle  ou  manière  de  vivre.  Nous 
ne  parlons,  bien  entendu,  que  de  la  ten- 
dance générale,  car  saint  Pakhôme  a,  dès 
le  ive  siècle,  réalisé  le  même  idéal  que 
es  Occidentaux. 

Jusqu'au  cénobitisme  de  saint  Benoît  de 
Nursie,  l'Occident  monastique  formé  à 
l'école  de  l'Orient  parcourut,  en  les  abré- 
geant, les  mêmes  phases  dans  l'évolution 
de  sa  vie  religieuse.  Une  évolution  pos- 
térieure au  cénobitisme  isolé  des  moines 
orientaux  et  des  premiers  moines  occi- 
dentaux fut  la  fédération  ou  alliance  sous 
une  règle  commune  (3)  et  une  autorité 
centrale  relative,  soit  de  monastères,  sur- 
tout à  partir  de  la  réforme  d'Aniane  et  de 
Cluny,  soit  de  couvents  (4)  de  chanoines 
réguliers. 

(1)  Pargoire,  l'Eglise  byzantine,  p.  3i5. 

(2)  La  régie  du  Stoudion  servit  de  modèle  aux 
monastères  orthodoxes  des  âges  postérieurs,  spé- 
cialement à  ceux  de  Russie  et  à  celui  de  Khi- 
landar  à  YAthos,  mais,  au  dire  des  voyageurs  qui 
ont  visité  ces  monastères,  on  ne  voit  pas  en  quoi 
ils  se  distinguent  des  autres  monastères  orientaux 
même  cénobitiques,  dont  le  cénobitisme  est  plus 
ou  moins  mêlé  d'idiorythmie. 

(3)  Règle  commune  spéciale  que  les  Grecs  appel- 
leraient typikon  et  à  laquelle  les  Latins  donne- 
raient le  nom  de  constitutions.  Cette  régie,  spé- 
ciale chez  les  Bénédictins,  n'était  que  le  complé- 
ment de  celle  de  saint  Benoît,  et  chez  les  Chanoines 
réguliers,  le  complément  de  la  règle  de  saint 
Augustin. 

(4)  Nous  rappelons  au  lecteur,  qu'au  point  de 
vue  canonique  latin,  le  mot  monastère  désigne 
l'habitation  locale  d'une  communauté  de  moines. 


A  cette  fédération  qui  n'était  encore 
qu'une  communauté  imparfaite  de  monas- 
tères et  que  les  diverses  Congrégations 
ou  fédérations  de  Bénédictins  noirs  (i) 
ont  conservée  et  même  généralisée  sous 
Léon  Xlll,  qui  les  a  invitées  à  établir  la 
fédération  de  tous  leurs  monastères  sous 
la  présidence  de  l'abbé  Primat  de  l'abbaye 
de  Saint-Anselme  de  Rome,  devait  suc- 
céder au  xnie  siècle  et  durant  les  deux 
siècles  suivants  le  cénobitisme  pleine- 
ment monarchique  des  quatre  Ordres 
mendiants  (Franciscains,  Dominicains, 
Carmes,  Augustins)  et  des  autres  Ordres 
qui  imitèrent  leur  genre  de  vie.  Aux 
mendiants  s'ajoutèrent,  au  xvi®  siècle,  les 
clercs  réguliers  (Jésuites,  Barnabites,  Théa- 
tins,  etc.):  aux  xvii®,  xviif  et  surtout  au 
xix«  siècles,  les  Congrégations  et  Instituts 
ecclésiastiques,  dont  le  nombre  est  trop 
considérable  pour  en  tenter  ici  l'énuméra- 
tion  (2).  A  ces  deux  dernières  sortes  de 
sociétés  religieuses,  l'Eglise  n'a  pas  cru 
devoir  accorder  ou  imposer  les  vœux  que 
le  droit  occidental  appelle  vœux  solennels 
et  dont  nous  serons  amenés  à  parler 
plus  bas. 

Quelle  que  soit  l'opinion  de  nos  lec- 
teurs sur  la  perfection  des  diverses 
formes  de  la  vie  religieuse,  il  nous  paraît 
difficile  qu'ils  songent  à  contester  que  la 
vie  commune  ou  l'absence  d'idiorythmie 
exigée  par  le  cénobitisme  n'a  été  pleine- 
ment   réalisée    que    par   l'union  monar- 

et  que  celui  de  couvent  est  plutôt  réservé  à  la 
demeure  des  autres  religieux.  En  Orient,  le  terme 
de  u.ovaffTT,p'.ov  ou  aovr,  s'applique  depuis  long- 
temps à  toutes  les  maisons  religieuses,  cénobi- 
tiques ou  non,  distinctes  des  ■t.ùXix  et  des  xa>.-jpa;, 
dont  la  dénomination  serait  plutôt  celle  des  petits 
monastères  ou  demeures  monastiques.  Dans  les 
premiers  temps,  le  mot  liovaaTTiP'.ov  servait  à 
dénommer  l'habitation  des  moines  idiorythmes 
par  opposition  à  celle  des  cénobites  appelée 
xo;v6ê'.ov. 

(i)  On  donne  ce  nom  aux  Bénédictins  vêtus  de 
noir.  Les  Bénédictins  habillés  de  blanc  et  appar- 
tenant à  des  réformes  ou  variétés  de  l'Ordre  de 
Saint-Benoit  portent  le  nom  générique  de  Béné- 
dictins blancs.  Les  Bénédictins  bleus  ou  Sylves- 
trins  sont  la  troisième  catégorie  des  fils  de  saint 
Benoît. 

(2)  La  liste  des  diverses  Sociétés  religieuses  a 
été  dressée  par  M"  Battandieb,  dans  son  Annuaire 
pontifical  catholique.  Paris,  1899,  p.  269-323. 


44 


ÉCHOS  d'orient 


chique  des  maisons  religieuses,  telle  que 
l'a  accomplie  l'Occident,  surtout  à  partir 
du  xiue  siècle  (i). 

II.  Etapes  de  l'initiation  monasticlue 

DU    RELIGIEUX    ORIENTAL. 

Selon  la  législation  du  droit  ecclésias- 
tique oriental  fixée  dans  ses  grandes 
lignes  depuis  Justinien  ou,  en  tout  cas, 
depuis  le  Concile  in  Trullo  et  le  synode 
tenu  à  Constantinople  en  86i,  l'initiation 
monastique  comporte  quatre  étapes  :  le 
postulat  plus  ou  moins  long  (2),  la  pre- 
mière prise  d'habit  et  première  tonsure 
ou  noviciat  (3),  la  deuxième  prise  d'habit 
et  seconde  tonsure  ou  profession  du  petit 
habit,  enfin,  la  troisième  vêture  (4)  et 
troisième  tonsure  ou  prise  du  grand 
habit,  de  l'habit  angélique.  Le  nom  tradi- 
tionnel des  novices  est  celui  de  rasophores 
ou  d'àpyàpiot..  Les  premiers  profès  sont 
appelés  sfavrophores  (5),  microschèmes , 
avancés  ou  parfaits,  xsÀsioi,  et  les  seconds, 
mégaloschèmes  ou  profès  de  l'habit  angé- 
lique (6). 


(i)  Et  dont  la  forme  la  moins  idiorythmique 
est  celle  de  la  Société  de  Jésus. 

(2)  A  une  époque  dont  il  n'est  guère  possible 
d'assigner  la  date  initiale,  le  postulat  durait  à 
peine  quelques  jours.  De  nos  jours,  la  durée  en 
est  plus  longue,  mais  ii  ne  dépasse  pas  deux  à 
trois  mois.  Dom  Placide  de  Meester,  Voyage  de 
deux  Bénédictins  aux  monastères  du  Mont  Athos. 
Paris,  1908,  p.  i63-i65. 

(3)  La  Novelle  5,  c.  11,  de  Justinien  (535)  fixe  à 
trois  ans  la  durée  de  la  8oy.t^.aata.  La  loi  établie 
par  cette  novelle  nous  explique  pourquoi  la  pro- 
fession religieuse  des  Grecs  a  reçu  et  a  gardé  le 
nom  de  vêture  et  de  tonsure.  La  raison  en  est  que 
l'aspirant,  pendant  le  noviciat,  devait  conserver 
la  chevelure  et  l'habit  laïque. 

(4)  La  distinction  de  petit  et  grand  habit  est 
signalée  par  le  patriarche  Jean  le  Jeûneur  (582-595) 
dans  sa  S -.8 «a-/. a). c'a  [xova^o'jdcôv.  Pitra,  Juris  eccle- 
siastici  Grœcoriim  historia  et  monumenta.  Rome, 
1864-1869,  t.  II,  p.  234,  n°  XXXI.  Selon  M.  Evetts, 
la  division  des  profès  du  petit  et  du  grand  habit 
doit  être  antérieure  à  451.  Selon  cet  écrivain, 
après  451,  les  Coptes  devenus  hétérodoxes  n'au- 
raient pas  accepté  ou  conservé,  pour  le  cérémonial 
de  la  profession  monacale,  un  texte  semblable  à 
celui  des  Grecs.  Or,  cette  similitude  est  presque 
absolue,  op.  cit.,  p.  65. 

(5)  A  cause  de  la  croix  qu'ils  reçoivent  à  la  pro- 
fession. 

(6)  GoAR,  Rituale  Grœcorum.  Paris,  1740,  p.  468, 


Aujourd'hui,  la  dénomination  de  raso- 
phore  a  un  peu  varié.  Selon  les  lieux  et 
les  monastères,  les  rasophores  font  ou  ne 
font  pas  les  vœux  monastiques,  sont  ou 
ne  sont  pas  libres  de  quitter  la  vie  reli- 
gieuse. D'après  Vering,  la  division  an- 
cienne serait  encore  générale  aujour- 
d'hui (i).  Le  P.  Dom  de  Meester  l'affirme 
aussi  pour  les  monastères  idiorythmes  du 
mont  Athos  (2).  En  Grèce,  les  rasophores 
sont  considérés  comme  de  vrais  religieux 
et  forment  la  première  catégorie  de  profès 
dont  la  profession  implicite  est,  au  dire 
de  M.  Sakellaropoulos,  essentiellement  la 
même  que  celle  des  microschèmes  et  des 
mégaloschèmes  (3).  Si  l'on  en  croit  Dom 
Placide  de  Meester,  les  rasophores  du 
monastère  athonite  de  Rossihon  ne  sont 
ni  novices  ni  profès  et  sont  libres  de  se 
retirer.  Mg»'  Milasch  leur  refuse  ce  droit, 
bien  qu'il  ne  les  range  pas  parmi  les 
profès  (4). 

Antérieurement  à  la  législation  actuelle, 
c'est-à-dire  pendant  le  premier  âge  du 
monachisme,  la  vie  religieuse  ne  connais- 
sait que  deux  étapes,  celle  des  postulants 
et  celle  des  profès.  Encore  ces  deux 
étapes  ne  consistaient-elles  guère  que 
dans  la  demande  et  l'acceptation  du  can- 
didat (5).  Ces  deux  étapes  de  l'initiation 
monastique  sont  décrites  d'une  manière 
sobre,  mais  intéressante,  par  M.  Ladeuze  : 

Quelqu'un  se  présentait-il  à  la  porte  du 
monastère  pour  se  faire  religieux,  on  por- 
tait la  nouvelle  au  supérieur  du  monas- 
tère. Le  postulant  devait  rester  quelques 


488;  Vering,  Kirchenrecht.  Fribourg-en-Brisgau, 
1893,  p.  975-976;  de  Meester,  op.  cit.,  p.  163-167. 
La  dénomination  de  profès  de  l'habit  angélique 
est  due  au  genre  de  vie  plus  parfaite  à  laquelle 
doivent  s'astreindre  les  mégaloschèmes.  D'après 
une  légende,  le  nom  d'habit  angélique  aurait  été 
imposé  par  un  ange  durant  une  vision  dont  fut 
favorisé  saint  Antoine  ou  saint  Pakhôme.  (Evetts, 
op.  cit.,  p.  64:  GoAR,  op.  cit.,  p.  517.) 
(i)  Op.  cit.,  p.  976. 

(2)  Op.  cit.,  p.  166. 

(3)  Sakellaropoulos,    'Exy.).r,o-;a<TTt5tbv     St'xasov,. 
p.  325,  n.  4. 

(4)  Das   Kirchenrecht  der  Morgenlaendischen 
Kirche.  Zara,  1897,  p.  657. 

(5)  Il  en  était  encore  ainsi  à  l'époque  de  saint 
Basile,  Migne,  P.  G.,  t.  XXXI,  col.  gSS. 


LE   MONACHISME   ORIENTAL 


45 


jours  au  dehors,  près  de  la  porte  du  cou- 
vent (i).  Là,  on  lui  apprenait  quelques 
prières  ;  puis  on  le  soumettait  à  l'examen 
d'admission.  Le  trouvait-on  bien  disposé, 
on  lui  enseignait  la  règle  cénobitique.  Les 
moines  de  la  maison  des  portiers  étaient 
chargés  de  ces  premières  instructions.  Au 
bout  de  quelques  jours,  le  postulant  quit- 
tait ses  habits  séculiers,  pour  revêtir  le 
costume  monastique,  et  était  amené  par 
le  portier  au  milieu  des  Frères  réunis  pour 
la  prière.  On  le  faisait  asseoir  à  un  endroit 
dont  il  ne  s'éloignait  pas  avant  que  le 
prévôt  de  la  famille  à  laquelle  on  l'asso- 
ciait ne  lui  eût  marqué  sa  place  définitive. 
C'est  ainsi  que  la  règle  de  saint  Jérôme 
(1,139)  décrit  la  réception  des  nouveaux 
moines.  (2) 

L'absence  d'un  noviciat  (3),  regrettable 
sans  doute,  était  toutefois  corrigée,  dans 
le  cénobitisme  primitif,  par  l'épreuve  pré- 
liminaire à  l'admission,  par  le  pouvoir  que 
gardait  le  supérieur  de  renvoyer  facilement 
les  religieux  dont  la  conduite  n'était  pas 
édifiante,  et  surtout  par  la  surveillance 
spéciale  et  les  exercices  extraordinaires 
auxquels  (saint  Pakhôme)  soumettait  ceux 
de  la  vertu  desquels  il  avait  des  raisons  de 
se  défier.  Ce  dernier  point  pourrait  être 
regardé  comme  une  tentative  de  noviciat, 
mais  le  fait  qu'il  fallait  ainsi  établir  une 
épreuve  spéciale  pour  des  individus  parti- 
culiers montre que  le  noviciat  n'exis- 
tait pas  parmi  les  cénobites  pakhômiens 
à  l'état  d'institution  régulière  et  géné- 
rale (4). 

La  vie  de  sainte  Eupraxie,  dit  à  son  tour 
Dom  Villecourt,  nous  offre  un  exemple  de 

véture  (5) des  anciens  temps Le 

voici  dans  sa  charmante  simplicité  :  Eu- 
praxie n'est  encore  qu'un  enfant,  bien  au- 


in  Cassien  tlnst.,  iv,  3)  dit  que,  durant  les  dix 
jours  que  le  postulant  demeurait  en  dehors  du 
couvent,  il  devait  se  jeter  aux  pieds  de  tous  les 
Frères  qui  passaient,  et  que  ceux-ci  le  rebutaient 
avec  beaucoup  de  rudesse,  pour  éprouver  la  sin- 
cérité de  son  désir  et  sa  patience.  (Note  de 
M.  Ladeuze.» 

(2)  Ladeuze,  op.  cit.,  p.  280. 

(3)  Et  de  profession  explicite.  On  allègue  parfois 
la  formule  des  vœux  des  moines  d'Atripé,  mais 
cette  formule  ne  nous  semble  pas  une  formule 
proprement  dite  de  vœu  religieux. 

(4)  Op.  cit.,  p.  282. 

(5i  Ou  profession  religieuse. 


dessous  de  l'âge  requis  par  saint  Basile  (i), 
quand  elle  demande  son  admission  au 
monastère,  car  elle  n'a  pas  sept  ans.  L'en- 
fant est  résolue  à  tout,  et  sa  mère  ne  peut 
l'arracher  du  monastère.  Dès  le  lendemain, 
l'abbesse  l'introduit  au  secretarium,  et, 
après  avoir  prié  sur  elle,  lui  donne  l'habit 
monastique,  puis,  étendant  les  mains  sur 
elle,  fait  cette  prière  :  «  Roi  des  siècles, 
achève  dans  la  paix  la  bonne  œuvre  que 
tu  as  commencée  en  elle;  accorde  à  cette 
petite  enfant  de  marcher  selon  ton  nom  et 
de  pouvoir  toujours  se  reposer  dans  une 
parfaite  confiance  en  toi.  »  Alors  sa  mère  : 
«  Ma  fille,  es-tu  contente  d'être  revêtue  de 
cet  habit?  »  Eupraxie  de  répondre  :  «  Oui, 
ma  mère,  parce  que,  comme  je  l'ai  appris 
de  l'abbesse  et  que  les  Sœurs  l'ont  dit,  il  est 
le  gage  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
donne  à  ceux  qui  l'aiment.  »  La  mère: 
«  Que  ton  fiancé  te  rende  digne  de  son  lit 
nuptial.  »  Et,  tout  en  priant  pour  sa  fille, 
elle  dit  adieu  à  l'abbesse  et  aux  Sœurs;  elle 
embrasse  sa  fille  et  s'en  va  (2). 

L'épreuve  dont  parle  M.  Ladeuze  «  n'était 
pas  toujours  nécessaire,  ou  du  moins 
pouvait,  quand  on  était  renseigné  d'ail- 
leurs, se  faire  très  rapidement  »  (3). 
Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  saint 
Basile  ne  connaît,  lui  aussi,  que  deux 
étapes  dans  l'initiation  monastique.  Saint 
Jérôme  lui-même,  comme  sa  règle  (4)  en 
fait  foi,  n'en  connut  pas  d'autres. 

Cependant,  vers  le  même  temps,  c'est- 
à-dire  l'époque  de  Sozomène,  presque 
contemporain  du  solitaire  de  Bethléem, 
et  un  peu  plus  tard,  à  l'époque  de  Denys 
le  Petit,  on  pouvait  lire  dans  un  texte 
interpolé  de  la  règle  de  saint  Pakhôme 
l'obligation  d'un  noviciat  de  trois  ans. 
C'est  donc  que  déjà  les  étapes  canoniques 
de  cette  initiation  étaient,  en  partie  du 
moins,  celles  que  connut  Jean  le  Jeûneur, 
à.  la  fm  du  vi«  siècle. 


(i)  Seize  ou  dix-sept  ans.  Can.  18,  Migne,  P.  G., 
t.  XXXII,  col.  718-719. 

(2)  Op.  cit.,  p.  47. 

(3)  Ladeuze,  op.  cit.,  p.  280-281,  n.  4. 

(4)  Textes  épars  réunis  en  un  double  corps  de 
règles,  au  xv*  siècle,  par  l'Espagnol  Lupus  de 
Olmedo,  sous  le  titre  de  Régula  monachorum^ 
dans  Migne,  P.  L.,  t.  XXX,  col.  329-398  et  407-438. 


46 


ÉCHOS   d'orient 


III.  Nature  du  vœu  MONASTiauE 

CHEZ  LE  MICROSCHÈME  ET  LE  MÉGALOSCHÈME, 

La  profession  religieuse  de  ces  deux 
catégories  de  moines  est  parfois  comparée 
à  celle  du  vœu  simple  et  du  vœu  solennel 
des  religieux  latins.  Cette  comparaison 
est  vraie  au  point  de  vue  du  rituel,  qui 
est  généralement  plus  simple  dans  la 
première  profession  et  revêt  plus  de  solen- 
nité dans  l'émission  des  seconds  vœux 
de  pauvreté,  chasteté  et  obéissance  (i). 
Mais  la  similitude  s'arrête  là  et  n'atteint 
pas  le  fond  même  du  vœu  simple  ou 
solennel  qu'émettent  les  religieux  occiden- 
taux. Le  vœu  simple  de  ces  derniers  leur 
interdit  de  sortir  de  leur  communauté 
sans  l'autorisation  du  Saint-Siège,  mais 
ils  ne  sont  pas  encore  agrégés  définitive- 
ment à  leur  Société,  si  on  y  émet  des 
vœux  solennels  (2).  Cette  agrégation  dé- 
finitive n'a  lieu  que  par  le  vœu  solennel, 
dont  la  stabilité  est  telle  (et  c'est  la  raison 
même  de  sa  dénomination)  que  l'Eglise 
n'en  dispense  presque  jamais  (3). 


(i)  On  pourrait  être  tenté  d'assimiler  les  micro- 
schèmes  aux  réguliers  latins  ordinaires  et  les  tnégo- 
loschèmes  aux  pères  jubilés  de  l'Occident.  Cette 
assimilation  est  impossible,  puisque  le  titre  de 
pères  jubilés  équivaut  à  celui  de  pères  maîtres  ou 
docteurs  de  l'Ordre. 

(2)  Dans  lequel  cas,  laSociété  religieuse  est  appelée 
Ordre  tout  court  ou  Congrégation  d'un  Ordre 
^groupement  de  provinces},  et  ses  membres 
reçoivent  le  ti're  canonique  de  réguliers.  Les  So- 
ciétés à  vœux  simples  ne  portent  que  le  nom  de 
Congrégations  ou  Instituts  ecclésiastiques  et  leurs 
membres  n'ont  canoniquement  droit  qu'au  nom 
de  religieux. 

(3)  Le  religieux  latin  à  vœux  solennels  (moine, 
chanoine  régulier,  mendiant,  clerc  régulier)  peut 
être  sécularisé,  autrement  dit  être  admis  à  vivre 
dans  le  siècle  et  en  dehors  de  sa  communauté, 
mais  il  demeure  religieux  à  vœux  solennels  et  n'a 
pas  de  noviciat  à  refaire  s'il  reprend  la  vie  com- 
mune. Telle  n'est  pas  la  situation  du  religieux  des 
Congrégations  et  Instituts  ecclésiastiques  à  qui  le 
Saint-Siège  accorde  assez  souvent  la  dispense  des 
trois  vœux,  s'il  est  convers  ou  laïque,  et  s'il  est 
prêtre,  celle  des  vœux  de  pauvreté  et  d'obéissance. 
Il  va  sans  dire,  toutefois,  que  la  sécularisation  simple 
peut  lui  être  accordée  comme  aux  réguliers.  En  cer- 
tains cas  spéciaux,  très  rares,  Rome  accorde  au 
régulier  convers  la  dispense  de  ses  trois  vœux,  sous 
certaines  conditions  visant  surtout  le  vœu  de  chas- 
teté, conditions  imposées  aussiau  religieux  laïque  à 
vœux  simples.  D'aucuns  disent  même  qu'à  l'époque 


Or,  à  ce  point  de  vue,  le  vœu  de  sia- 
vrophore  ou  microschème  est  identique  à 
celui  du  mégaloschème  ou  profès  de  l'habit 
angélique  (i).  Le  texte  même  des  prières 
de  la  deuxième  profession  nous  avertit 
que  le  religieux  qui  en  est  l'objet  est  ou 
est  censé  (2)  parvenu  à  un  degré  de 
perfection  assez  élevé,  pour  s'obliger 
à  une  plus  grande  austérité  (3),  mais  on 
ne  voit  nulle  part  qu'il  s'attache  par  un 
nouveau  lien  au  monastère  dont  il  fait 
partie  (4).  Somme  toute,  la  profession  par 
laquelle  le  mégaloschème  s'oblige  à  une 
perfection  religieuse  pour  ainsi  dire 
angélique  est  analogue  à  la  cérémonie 
par  laquelle  certains  religieux  occiden- 
taux (^)  célèbrent  le  jubilé  de  leur  vie 
religieuse  et  promettent  à  Dieu  de  consa- 
crer leurs  derniers  jours  à  une  vie  plus 
sainte  et  plus  détachée  des  choses  de  la 
terre. 

IV.    La   DISPENSE   DU    VŒU  MONASTIQUE 

EN  Orient. 

Nous  venons  de  voir  qu'au  sujet  de  la 
dispense  des  vœux  religieux  l'Eglise  ro-  gi 
maine    fait   une  grande  différence  entre  ^ 
le  vœu  simple  des  Congrégations  et  1ns- 


de  la  Révolution  française  et  en  d'autres  circon- 
stances la  dispense  du  vœu  de  chasteté  aurait  été 
octrovée  aux  réguliers  prêtres.  La  chose  n'est  pas  • 
plus  impossible  en  principe  pour  eux  que  pour  les 
prêtres  séculiers  ou  les  prêtres  religieux  à  vœux 
simples.  Notre  avis,  cependant,  est  que  le  cas 
récemment  éclairci  de  Talleyrand,  à  qui  la  dispense 
du  célibatn'anullementété  accordée, contrairement 
au  dire  de  certains  historiens  mal  informés,  doit 
nous  rendre  défiants  même  au  sujet  de  la  dis- 
pense du  célibat  des  simples  prêtres. 
(i)  Sakellaropoulos,  op.  cit.,  p.  325. 

(2)  De  nos  jours,  le  grand  habit  a  beaucoup 
perdu  de  son  importance,  puisqu'il  s'est  souvent 
conféré  à  des  microschèmes  dont  la  perfection 
monastique  est  encore  ordinaire. 

(3)  GoAR,  op.  cit.,  p.  5o6;  Evetts,  op.  cit., 
p.  147-148. 

(4)  Notre  manière  de  voir  était  celle  de  saint 
ThédoreStudite,  qui,  ne  voyant  pas  de  différence 
entre  les  profès  du  petit  et  du  grand  habit,  s'est 
efforcé  de  supprimer  la  profession  du  grand  habit 
dans  les  monastères  qui  suivaient  le  typikon  du 
Stoudion.  (Goar,  op.  cit.,  p.  517;  Pargoi^e,  l'Eglise 
by^^antine,  p.  3 12). 

(5)  Tels  les  Capucins. 


LE   MONACHISME   ORIENTAL 


47 


tituts  ecclésiastiques  et  le  vœu  solennel 
des  grands  Ordres  ou  Ordres  proprement 
dits.  A.  Ballerini  (i)  et  d'autres  affirment 
même  que  le  régulier  dispensé  du  vœu 
de  chasteté  ne  l'est  que  provisoirement  et 
demeure  toujours  religieux. 

Jusqu'au  xix^  siècle,  aucune  Eglise 
orientale  n'avait  songé  à  discuter  la  ques- 
tion de  la  dispense  du  vœu  monastique. 
C'est  l'Eglise  russe  qui  l'agita  la  première 
fois  en  1823,  à  propos  du  cas  de  l'archi- 
mandrite Joasaph  Lebedinski.  Après  une 
assez  longue  hésitation,  elle  lui  accorda  la 
dispense.  D'autres  cas  analogues  s'étant 
présentés  dans  la  suite,  le  statut  consis- 
torial  des  évêchés  fut  définitivement  ré- 
formé, et  la  faculté  de  dispenser  du  vœu 
monastique  fut  accordée  aux  évêques 
diocésains. 

La  procédure  à  suivre  est  celle-ci  (2): 
L'higoumène  s'efforce  de  détourner  le 
moine  de  son  idée  de  quitter  le  monas- 
tère. S'il  n'y  réussit  pas,  un  ecclésiastique 
nommé  par  l'évêque  s'y  emploie  à  son 
tour,  et  si  la  démarche  de  ce  dernier  reste 
sans  résultat,  le  Consistoire  épiscopal  s'y 
emploie  également  pendant  six  mois, 
après  lesquels  il  accorde  la  dispense  des 
vœux  et  même  de  l'état  ecclésiastique, 
d'où  il  suit  que  l'ancien  moine  peut 
contracter  mariage  (3).  M?'  Milasch 
raconte  qu'il  a  consulté  sur  ce  point  les 
plus  compétents  parmi  les  canonistes 
russes,  et  que  de  son  enquête  il  résulte 
qu'aucune  raison  solide  ne  milite  en  fa- 


1 1 1  Opus  theologicum  morale.  Prati,  1893, 
p.  20-21. 

(21  Art.  36  du  statut  consistorial  (i883),  art.  349 
du  tome  IX  du  Code  civil  (éd.  1886). 

(3)  Milasch,  op.  cit.,  p.  668.  Le  saint  synode  se 
réserve  d'user  envers  l'ancien  moine  des  sanctions 
dont  il  dispose,  en  le  privant,  par  exemple,  de  son 
titre  académique  de  docteur  et  en  lui  faisant  interdire 
tout  enseignement;  punition  qui  peut  le  réduire 
à  la  misère,  comme  cela  est  arrivé  à  l'ancien  ar- 
chimandrite Bucharev  if  1871);  voir  Palmieri, 
dans  le  Bessarione,  1907,  p.  119,  n.  4. 


veur  de  la  coutume  de  leur  Eglise  (i). 
Jusqu'ici,  ni  l'autorité  ni  les  canonistes 
des  autres  Eglises  orientales  ndnt  ap- 
prouvé la  législation  de  l'Eglise  russe 
concernant  la  dispense  du  vœu  monas- 
tique. Quelle  Eglise  a  tort?  Tout  bien 
pesé,  le  tort  parait  être  du  côté  des 
Eglises  réfractaires  au  droit  ecclésiastique 
russe.  Et  de  fait,  au  point  de  vue  ortho- 
doxe et  même  catholique,  à  moins  de 
dire,  comme  certains  scolastiques,  que 
l'Eglise  ne  peut  pas  plus  dispenser  du  vœu 
solennel  qu'elle  ne  peut  enlever  à  un 
prêtre  son  caractère  sacerdotal,  rien  ne 
prouve  que  la  faculté  de  dispenser  du 
vœu  monastique  ne  fasse  pas  partie  des 
attributions  du  pouvoir  épiscopal,  tant 
que  l'autorité  centrale,  le  concile  œcumé- 
nique selon  les  uns,  le  pontife  suprême 
selon  les  autres,  ne  s'est  pas  réservé  cette 
faculté.  Or,  aucun  concile  œcuménique 
ne  s'étant  réservé  ce  droit  et  ne  s'étant 
prononcé  sur  cette  grave  question,  il 
semble  logique,  au  point  de  vue  ortho- 
doxe, de  conclure  que  l'Eglise  russe  n'a 
pas  tort  de  croire  qu'elle  peut  octroyer  à 
ses  évêques  le  pouvoir  d'accorder  aux 
moines  la  dispense  de  leurs  vœux  de 
religion  (2). 


A.  Catoire. 


Constantinople. 


(i)  Op.  cit.,  p.  668,  n.  3.  En  tout  cas,  une  consta- 
tation s'impose,  c'est  qu'en  accordant  aux  évêques 
la  faculté  de  dispenser  les  moines  de  leurs  vœux 
et  de  l'état  ecclésiastique  pour  des  motifs  ordi- 
naires, l'Eglise  russe  se  montre  moins  sévère  que 
l'Eglise  catholique  romaine,  qui  pour  les  mêmes 
motifs  n'accorde  la  dispense  des  vœux  de  religion 
qu'aux  religieux  à  vœux  simples  et  ne  concède  en 
certains  cas  très  rares  la  dispense  de  l'état  ecclé- 
siastique qu'aux  sous-diacres  et  aux  diacres. 

(2)  On  peut  se  demander  pourquoi  les  théolo- 
giens grecs  (Christodoulou,  Eutaxias  et  d'autres» 
qui  rejettent  la  doctrine  de  l'indélébilité  du  carac- 
tère sacerdotal  n'admettraient  pas  que  l'Eglise 
peut  dénouer  le  lien  qui  unit  le  moine  à  Dieu  par 
la  profession  religieuse. 


POUR  L'UNION  DES  ÉGLISES 


A  l'occasion  de  l'article  du  prince  Max 
de  Saxe,  paru  dans  Roma  e  l'Oriente  et 
dont  on  trouvera,  en  tête  de  ce  fascicule, 
la  condamnation  par  S.  S.  le  pape  Pie  X, 
M&r  Gérasime ,  métropolite  gréco-arabe 
orthodoxe  de  Beyrouth,  a  adressé,  avec 
le  consentement  de  son  chef  hiérarchique, 
S.  B.  Mgr  Grégoire,  patriarche  d'Antioche, 
une  lettre  pastorale  à  tous  les  chrétiens 
orthodoxes.  Nous  sommes  heureux  de 
publier  la  traduction  française  de  ce  docu- 
ment, faite  sur  l'arabe,  examinée  et  auto- 
risée par  l'auteur,  en  adressant  à  Sa 
Grandeur  nos  plus  sincères  remercie- 
ments pour  le  ton  vraiment  digne  avec 
lequel  il  a  parlé  d'une  aussi  grave  ques- 
tion, ton  qui  contraste  si  heureusement 
avec  celui  qu'employèrent,  en  octobre 
1895,  le  patriarche  Anthime  Vil  et  le  saint 
synode  grec  de  Constantinople  dans  leur 
réponse  à  l'Encyclique  si  paternelle  de 
Léon  XIll.  Est-ce  pour  ce  motif  que  les 
feuilles  grecques  de  Constantinople,  tout 
en  annonçant  la  lettre,  se  sont  bien 
gardées  de  la  publier  et  même  de  la  ré- 
sumer? 

Nous  constatons,  de  plus,  avec  plaisir 
que  Sa  Grandeur  établit  dès  le  principe  la 
distinction  qui  s'impose  entre  les  diver- 
gences d'ordre  dogmatique  et  celles 
d'ordre  disciplinaire,  et  que  même,  pour 
les  premières,  elle  parle  de  divergences 
substantielles  et  de  malentendus.  C'est 
ainsi  que  nous  ne  voyons  pas  figurer  dans 
sa  lettre  les  reproches  si  vifs  que  l'on  peut 
lire  dans  la  réponse  d'Anthime  VII  et  qui 
sont  adressés  aux  Latins  pour  se  servir 
de  pain  azyme  au  lieu  de  pain  levé,  du 
taptême  par  infusion  au  lieu  du  baptême 
par  immersion,  pour  ne  donner  aux  laïques 
îa  communion  que  sous  une  seule  espèce. 
Nous  sommes  indemnes  aussi  du  reproche 
de  nouveauté  en  croyant  à  l'immaculée 
conception  de  la  Sainte  Vierge,  en  attri- 
buant aux  paroles  de  l'institution  et  non 
à  l'épiclèse  la  transformation  du  pain  et 


du  vin  au  corps  et  au  sang  deJésus-Christ. 
Si  l'addition  du  Filioque  au  symbole  latin 
est  rappelée,  ce  n'est  que  pour  introduire 
la  divergence  doctrinale  des  deux  Eglises 
au  sujet  de  la  procession  du  Saint-Esprit. 
Restent  donc,  avec  cette  difficulté  sur 
laquelle  il  serait  aisé  de  s'entendre,  la 
question  de  la  primauté  et  de  l'infaillibilité 
du  Pape,  celle  du  purgatoire,  enfin  celle 
du  bonheur  ou  du  malheur  éternel  des 
justes  et  des  réprouvés  que  Sa  Grandeur 
renvoie  après  le  jugement  dernier,  tandis 
que  l'Eglise  catholique  les  fait  suivre 
immédiatement  le  jugement  particulier. 

Sauf  les  deux  derniers  points  sur  les- 
quels Mgr  le  métropolite  de  Beyrouth 
s'arrête  avec  quelque  insistance,  nous 
avons  moins  un  exposé  doctrinal  que  la 
fixation  d'un  terrain  de  discussion.  Ter- 
rain fort  circonscrit,  du  reste,  puisqu'il  ne 
comporte  guère  que  quatre  difficultés,  et 
dont  les  deux  dernières  peuvent  se  ramener 
aisément  à  une  seule.  Nous  n'avons 
aujourd'hui  ni  le  temps  ni  la  place  néces- 
saires pour  résumer  sur  ces  quatre  points 
la  doctrine,  bien  connue  du  reste,  de 
l'Eglise  catholique.  Qu'il  nous  suffise 
d'avoir  attiré  l'attention  de  nos  lecteurs 
sur  ce  grave  document.  Si  les  difficultés 
touchant  à  une  question  aussi  importante 
et  aussi  complexe  que  celle  de  l'union  des 
Eglises  étaient  toujours  examinées  avec  le 
sérieux,  la  dignité,  la  charité  vraiment 
chrétienne  qui  animent  la  lettre  de 
Mëi"  Gérasime,  nous  aurions  bientôt  le 
rapprochement  des  cœurs  qui  amènerait 
à  bref  délai  celui  des  esprits,  en  attendant 
l'union  de  tous  les  disciples  du  Christ 
sous  le  Chef  visible  qu'il  a  daigné,  en 
remontant  vers  son  Père,  léguer  à  la  sainte 
Eglise. 

Voici  le  document  : 

Les  Eglises  de  Dieu  doivent  être  unies 
dans  la  même  foi  et  la  même  charité, 
selon  le  vœu  suprême  de  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  qui,  la  veille  de  sa  Passion  et 


POUR   L  UNION    DES  ÉGLISES 


49 


immédialement  après  l'institution  du 
grand  sacrement  de  son  amour  et  de 
l'unité,  a  prié  son  Père  de  faire  que  tous 
ceux  qui  croient  en  son  Nom  soient  un 
comme  Lui  et  son  Père  sont  un,  et  qui  est 
mort,  dit  Tévangéliste  saint  Jean,  afin  de 
faire  l'unité  des  enfants  de  Dieu. 

Les  Eglises  de  Dieu  en  Orient  et  en  Occi- 
dent ont  vécu  dans  cette  divine  unité 
durant  plusieurs  siècles.  Les  monuments 
les  plus  authentiques  et  les  plus  augustes 
de  l'unité  de  toutes  les  Eglises  de  Dieu 
sont  ces  vénérables  conciles  œcuméniques 
où  tous  les  évêques,  successeurs  des  apôtres, 
siégeaient  autour  des  patriarches  des 
quatre  sièges  apostoliques  d'Orient,  sous  la 
présidence  du  Pape  de  Rome,  qui  est  le 
premier  des  patriarches. 

Nous  proclamons  devant  le  monde 
chrétien  que  notre  vœu  le  plus  ardent  est 
le  rétablissement  de  cette  antique  unité 
sur  les  bases  solides  et  durables  de  l'ensei- 
gnement et  des  traditions  apostoliques, 
tels  qu'ils  sont  consignés  dans  les  écrits 
des  Pères  et  dans  les  actes  authentiques 
des  conciles  œcuméniques. 

Quant  aux  points  qui  constituent  une 
différence  dogmatique  entre  les  Eglises 
apostoliques  d'Orient  et  l'Eglise  apostolique 
de  Rome,  nous  déclarons  formellement 
que,  quoique  quelques-uns  de  ces  points 
constituent  une  divergence  substantielle 
entre  ces  Eglises ,  cependant  plusieurs 
points  reposent  indubitablement  sur  un 
simple  malentendu  entre  les  deux  parties, 
et  personne  ne  nie  la  possibilité  de  lever 
ce  malentendu  sur  les  uns  et  de  rétablir  la 
concorde  sur  les  autres  en  se  basant  sur 
l'Ecriture  Sainte  et  les  saintes  doctrines  : 
il  est  incontestable  que  sur  une  telle  base 
l'union  désirée  des  Eglises  s'opérera  infail- 
liblement. 

Nous  croyons  et  confessons  que  Jésus- 
Christ,  lui-même,  a  constitué  dans  son 
Eglise  un  Collège  apostolique  pour  le 
gouvernement  du  peuple  chrétien  et  que 
saint  Pierre  était  l'un  des  «  Notables»  dans 
ce  Collège. 

Nous  reconnaissons  avec  saint  Grégoire 
le  Grand,  pape  de  Rome,  que  saint  Pierre 
a  fondé  dans  l'Eglise  trois  sièges  principaux 
appelés  pour  cela  sièges  apostoliques, 
c'est-à-dire  le  siège  d'Antioche.  le  siège 
d'Alexandrie  et  le  siège  de  Rome,  et  que 
ces  trois  sièges   sont   une  seule  et   même 


chose  (i).  Quant  à  l'Eglise  de  Jérusalem, 
elle  doit  son  rang  et  son  honneur  à  ce 
que  c'est  dans  la  Ville  Sainte  que  le  Sei- 
gneur a  vécu  et  qu'il  est  mort;  que  le 
Saint-Esprit  y  est  descendu  sur  les  apôtres  ; 

(i)  Nous  ne  nous  permettrons  que  d'ajouter  cette 
note  au  texte  de  M^'  Gérasime,  parce  que  le  résumé 
qu'il  donne  d'une  lettre  de  saint  Grégoire  risque 
d'induire  les  lecteurs  en  erreur.  Bien  que  Sa  Gran- 
deur se  soit  abstenue  de  toute  référence,  elle  a  eu 
certainement  en  vue  la  lettre  XL  du  livre  VII, 
adressée  à  Euloge,  patriarche  d'.\lexandrie,  Migne, 
P.  L.,  t.  LXXVII,  col.  899.  Voici  le  passage  en 
question  :  «  Itaque  cum  multi  sint  apostoli,  pro 
ipso  tamen  principatu  sola  apostolorum  principis 
sedes  in  auctoritate  convaluit,  quae  in  tribus  locis 
unius  est.  Ipse  enim  sublimavit  sedem,  in  qua 
etiam  quiescere  et  praesentem  vitam  finire  digna- 
tus  est.  Ipse  decoravit  sedem,  in  qua  evangelistam 
discipulum  misit.  Ipse  firmavit  sedem,  in  qua 
septem  annis,  quamvis  discessurus,  sedit.  Cum 
ergo  unius  atque  una  sit  sedes,  cui  ex  auctoritate 
divina  très  nunc  episcopi  praesident,  quidquid  ego 
de  vobis  boni  audio,  hoc  mihi  imputo;  si  quid  de 
me  boni  creditis,  hoc  vestris  meritis  imputate.  » 
En  faisant  dire  à  saint  Grégoire  que  les  trois  sièges 
de  Rome,  d'Alexandrie  et  d'Antioche  —  pour 
observer  l'ordre  même  reconnu  par  le  Pape  à  la 
suite  de  la  tradition  chrétienne  —  sont  une  seule 
et  même  chose,  on  pourrait  conclure  que  le  siège 
de  Rome  n'a  pas  la  primauté,  puisque  les  deux 
autres  sont  égaux.  Tout  autre  est  la  pensée  du 
Pape.  Saint  Grégoire  dit  ici,  ce  qu'il  ne  cesse  de 
répéter  ailleurs,  qu'un  seul  apôtre,  saint  Pierre,  a 
fondé  les  trois  sièges  de  Rome,  d'Antioche  et 
d'Alexandrie:  deux  directement  par  lui-même,  le  troi- 
sième par  son  disciple  saint  Marc;  par  conséquent, 
ajoute-t-il,  ces  trois  sièges  n'en  font  (pour  ainsi 
dire)  qu'un,  parce  qu'ils  sont  d'un  seul,  c'est-à-dire 
parce  qu'ils  ont  été  fondés  par  un  seul,  cum  ergo 
unius  atque  una  sit  sedes.  Et  poursuivant  sa 
pensée,  amenée  là  surtout  pour  un  échange  de 
compliments  et  de  politesses,  le  Pape  ajoute  : 
Quidquid  ego  de  vobis  boni  audio,  hoc  mihi 
imputo:  si  quid  de  me  boni  creditis,  hoc  vestris 
meritis  imputate. 

Ce  témoignage  n'est  pas  isolé.  Dans  la  lettre  LX 
du  livre  VI,  adressée  au  même  patriarche  Euloge, 
Migne,  P.  L.,  t.  LXXVII,  col.  i<^,  saint  Grégoire 
dit.  encore  :  «  Sicut  omnibus  liquet  quod  beatus 
evangelista  Marcus  a  sancto  Petro  apostolo  magis- 
tro  suo  Alexandriam  sit  transmissus,  sic  hujus 
nos  magistri  et  discipuli  unitate  constringimur, 
ut  et  ego  sedi  discipuli  praesidere  videar  propter 
magistrum,  et  vos  sedi  magistri  propter  disci- 
pulum. »  Va-t-on  en  conclure  que  saint  Euloge 
était  pape  de  Rome  et  saint  Grégoire  patriarche 
d'Alexandrie?  Ailleurs  encore  au  même  Euloge: 
«  Sit  ergo  illi  laus,  sit  in  excelsis  gloria,  cujus 
dono  adhuc  in  sede  Pétri  clamât  vox  Marci.  » 
(Migne,  t.  cit.,  col.  i  092}.  Ailleurs  encore  au  même 
Euloge  :  *  Nam  veritatis  minister.  Pétri  sequax  et 
sanctae  Ecclesiae  praedicator,  scio  quia  illa  loqui 
potuisti,  quae  de  sede  Pétri  apostoli.  per  os  doc- 
toris  sonare  debuerunt.  »  (Migse,  t.  cit.,  co\.  i  096.) 
La  même  pensée  se  retrouve  dans  la  correspon- 


so 


ECHOS    DORIENT 


et  que  d'elle  est  née  1'  «  Eglise  chrétienne. 

Nous  croyons  et  confessons  également 
que  le  Seigneur,  parlant  de  l'autorité  su- 
prême dans  son  Eglise,  a  dit  :  «  Les  rois 
des  nations  aiment  à  dominer  sur  elles  et 
à  les  traiter  avec  empire  :  mais  parmi  vous, 
il  n'en  est  pas  ainsi  ;  vous  êtes  des  frères,  et 
le  premier  d'entre  vous  est  le  serviteur  de 
tous.  »  Par  ces  paroles,  le  Seigneur  a  tracé 
aux  chefs  de  l'Eglise  la  règle  essentielle 
dan  s  l'exercice  de  leur  autorité  et  l'exécution 
de  leurs  ordres. 

Pour  ce  qui  est  de  l'addition  du  Filioque 
au  symbole  de  la  foi,  il  eût  été  préférable 
que  les  Occidentaux  n'aient  pas  fait  cette 
insertion  au  symbole  de  la  foi  qui  est 
commune  aux  deux  Eglises  d'Orient  et 
d'Occident  sans  consulter  l'Eglise  d'Orient 
et  sans  l'autorité  d'un  concile  œcuménique 
représentant  les  deux  Eglises.  Aussi  plu- 
sieurs Papes  eux-mêmes,  parmi  lesquels 
Jean  VIII  et  Léon  III,  se  sont  élevés  autant 
que  les  Orientaux  contre  cette  addition  faite 
sans  l'autorité  d'un  concile  œcuménique. 
Cette  addition  a  été  occasion  d'un  schisme 
dans  le  corps  de  l'Eglise  et  a  provoqué  une 
querelle  dogmatique  sur  la  procession 
du  Saint-Esprit,  querelle  dont  l'Eglise 
n'avait  pas  besoin. 

Pour  ce  qui  est  du  purgatoire,  l'Eglise 
occidentale  l'admet,  mais  l'Eglise  orientale 
le  nie.  Cette  divergence  provient  de  la 
diversité  de  comprendre  les  pénitences 
canoniques  qui  sont  imposées  aux  fidèles 

dance  de  ce  Pape  avec  Anastasc,  patriarche  d'An- 
tioche  :  «  De  sancto  Ignatio  vestra  béatitude 
cognoscat,  quia  non  solum  vester  est,  sed  etiam 
noster.  Sicut  enim  magistrum  ejus  apostolorum 
principem  habemus  communem,  ita  quoque  ejus- 
dem  principis  discipulum  nullus  nostrum  habeat 
privatum.  *  (Migne,  t.  cit.,  col.  765.)  Ailleurs 
encore  :  «  Perpendat  cujus  sedem  teneat.  Numquid 
non  illius  cui  voce  Veritatis  dictum  est  :  Cum 
senueris,  aliiis  te  cingeî  et  ducet  quo  tu  non  vis.  * 
(MiGSE,  t.  cit.,  col.  9o5.)  Nous  arrêtons  là  ces  cita- 
tions, qui  sont  du  reste  suffisantes.  Toute  une  étude 
serait  à  faire  sur  les  rapports  étroits  des  trois 
sièges  de  Rome,  d'Alexandrie  et  d'Antioche,  au 
temps  du  pape  saint  Grégoire,  sans  que  l'on  pût 
découvrir  quoi  que  ce  soit  qtii  portât  atteinte  à  la 
primauté  du  siège  de  Rome,  primauté  qui  est  du 
reste  affirmée  à  plusieurs  reprises  dans  les  lettres 
de  ce  même  Pape.  Comme  conclusion,  ne  déta- 
chons jamais  une  phrase,  à  plus  forte  raison  un 
membre  de  phrase  de  son  contexte,  pas  plus  dans 
les  ouvrages  des  Pères  grecs  que  dans  ceux  des 
Pères  latins;  sinon,  nous  nous  exposerions  presque 
toujours,  et  malgré  nous,  bien  entendu,  à  trahir 
leur  pensée. 


se  confessant  de  leurs  péchés  ;  les  Occi- 
dentaux considèrent  ces  pénitences  cano- 
niques comme  des  satisfactions  expia- 
toires, qui  doivent  être  intégralement 
remplies  même  après  la  mort;  les  Orien- 
taux les  considèrent  comme  des  pénitences 
ayant  pour  but  de  détourner  les  pécheurs 
du  retour  au  péché.  Si  les  deux  Eglises  se 
rapprochent  avec  un  esprit  de  conciliation 
et  examinent  ce  point  par  une  discussion 
impartiale,  basée  sur- la  crainte  de  Dieu  et 
l'amour  sincère  de  l'union,  il  est  hors  de 
doute  qu'elles  parviendront  à  se  com- 
prendre et  à  trancher  ce  point  à  la  satisfac- 
tion des  deux  parties  en  éclaircissant  la 
vérité  qui  est  enseignée  par  la  parole  de 
Dieu  et  par  la  doctrine  des  anciens  Pères. 

Nous  disons  la  même  chose  de  la  ques- 
tion du  bonheur  des  justes  et  des  peines 
des  damnés.  La  divergence  de  croyance  en 
ce  point  ne  sera  pas  difficile  à  dissiper. 
Il  est  notoire  que  notre  sainte  Eglise  croit 
ce  qu'ont  dit  les  anciens  Pères,  à  savoir 
que  les  âmes  des  justes  jouissent  de  la 
félicité  dont  les  âmes  sont  capables.  Ce 
qui  veut  dire  que  l'état  des  âmes  dans  l'es- 
pace de  temps  qui  va  de  la  mort  au  juge- 
ment (c/ern/er)  est  l'état  d'individus  réserv'és 
au  jugement  d'un  juge  juste;  l'innocent 
d'entre  eux  est  bienheureux  par  la  con- 
science de  son  innocence,  et  le  coupable 
est  malheureux  par  la  conscience  de  sa 
culpabilité.  L'Eglise  a  un  vaste  champ 
d'intercession  tant 'que  la  sentence  défini- 
tive du  Juge  n'a  pas  été  rendue,  ce  qui  ne 
peut  avoir  lieu  dans  la  croyance  qui  admet 
la  sentence  du  souverain  Juge  condamnant 
l'âme  après  la  mort  à  tel  nombre  d'années 
dans  le  purgatoire.  Notre  Eglise,  on  le 
sait,  n'admet  pas  que  l'Eglise  puisse  aucu- 
nement faire  révoquer  à  Dieu  une  sentence 
rendue  ou  lui  faire  diminuer  une  peine 
établie  par  l'arrêt  de  sa  justice. 

Après  cet  exposé,  nous  reconnaissons 
que  la  foi  de  l'Eglise  occidentale  et  de 
l'Eglise  orientale  a  été  anciennement  la 
même  et  qu'elle  a  varié  dans  la  suite. 
Mais  nous  désirons  vivement  que  toutes 
les  divergences,  tant  substantielles  qu'ap- 
parentes, soient  supprimées,  et  que  l'Orient  \ 
et  l'Occident  reviennent  à  l'ancienne  unité  ' 
dans  la  même  foi  et  la  même  charité,  se 
pardonnant  mutuellement  ce  qui  a  pu 
blesser  les  uns  et  les  autres  dans  les  temps 
passés  et  se,  souvenant    du   précepte   du 


LA  CRISE   RELIGfEUSB   EN    ROUMANIE 


5» 


Maitre  commun  :  «  Cest  à  ce  signe  que 
l'on  reconnaîtra  que  vous  êtes  mes  disciples 
si  vous  vous  aimez  les  uns  les  autres.  » 

Il  va  sans  dire  que  la  reconstitution  de 
l'unité  desdites  Eglises  de  Dieu  aura  pour 
base  le  maintien  intact  de  tous  les  pri- 
vilèges et  de  tous  les  droits  des  Eglises. 
Chaque  Eglise  gardera  ses  droits  et  son 
autonomie  comme  dans  Tantiquité.  c'est-à- 
dire  ainsi  qu'il  a  été  arrêté  dans  les  con- 
ciles œcuméniques,  et  notamment  dans  le 
concile  de  Xicée. 


Nous  faisons  cette  déclaration  solennelle 
à  la  face  du  monde  chrétien,  espérant 
trouver  dans  le  cœur  de  tous  un  écho  de 
nos  sincères  dispositions,  et  si,  ce  qu'à 
Dieu  ne  plaise,  notre  attente  était  illusoire 
et  l'union  tant  désirée  ne  se  réalisait  point, 
nous  aurons  du  moins  accompli  un  devoir 
fraternel  et  rejeté  de  nos  épaules  la  respon- 
sabilité de  la  division  et  du  schisme  aux 
yeux  de  notre  Dieu  qui  est  te  Dieu  de  paix. 

S.  Vailhé. 


LA  CRISE  RELIGIEUSE  EN  ROUMANIE 


(«) 


Au  mois  de  juillet  dernier,  nous  avons 
montré  dans  quelle  situation  fâcheuse 
s'étaient  mis  le  saint  synode  et  surtout  le 
primat  de  Roumanie. 

11  fallait  à  tout  prix  essayer  d'en  sortir. 
Le  ministre  des  Cultes,  par  amour-propre 
de  politicien  sectaire,  le  saint  synode  et  le 
primat,  par  crainte,  n'ont  pas  voulu  avoir 
recours  au  remède  honnête  et  sûr  que  les 
canons  et  le  bon  sens  indiquaient. 

Que  restait-il  à  faire,  puisque  enfin  il 
fallait  faire  quelque  chose?  Essayer  encore 
et  sans  cesse  de  dénaturer  les  faits  :  farder 
outrageusement  la  vérité,  a!ors  même 
que  tout  le  monde  la  connaît  ;  commettre 
des  dénis  de  justice  avec  une  audace  stu- 
péfiante. 

On  fit  tout  cela. 

Mais  suivons  le  cours  des  événements. 
Au  mois  de  mai,  le  saint  synode  a  donc 
lancé  une  Encyclique  au  peuple  roumain. 
Le  Moniteur  officiel  et  les  journaux  l'ont 
publiée,  et  nous  n'hésiterions  pas  à  la 
mettre  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs  si 
ce  document  présentait  le  moindre  intérêt. 

Le  but  de  l'Encyclique  est  évidemment 
de  défendre  le  primat  contre  les  accusa- 
tions très  nettes  et  très  précises  —  plagiat, 
immoralité  et  hérésie  —  de  l'évêque  de 
Roman  et  des  trois  prêtres. 

i)  Voir  Échos  d'Orient,  igio,  p.  48-50,  i83  sq-, 


Dans  tout  procès  canonique  —  est-il  dit 
dans  l'Encyclique,  —  le  premier  chef  d'ac- 
cusation se  trouvant  être  non  fondé,  l'ac- 
cusé estacquitté  sans  que  l'accusateur  puisse 
prouver  les  autres  chefs  d'accusation.  Le 
saint  synode  ayant  jugé  l'accusation  d'hé- 
résie et  l'ayant  trouvée  non  fondée,  les  deux 
autres  chefs  d'accusation  tombent  d'eux- 
mêmes,  et  le  primat  est  déclaré  innocent. 

Il  y  a,  dans  ces  quelques  lignes,  autant 

d'erreurs voulues  que  de  mots.  Voici 

pourquoi  : 

Le  saint  synode  ne  pouvait  en  aucun 
cas  déclarer  faux  le  premier  chef  d'accu- 
sation, puisqu'il  n'avait  fait  l'objet  d'aucun 
débat.  Mais,  en  admettant  même  qu'il  y 
aurait  eu  procès,  la  sentence  rendue  serait 
parfaitement  mulle. 

En  effet:  a)  on  ne  conçoit  pas  un  débat 
contradictoire,  une  seule  partie  étant  pré- 
sente, tandis  que  l'autre  n'a  même  pas 
été  citée. 

b)  Les  canons  prévoient,  en  effet,  l'ac- 
quittement de  l'accusé  lorsque  le  premier 
chef  d'accusation  —  mais  premier  dans 
l'ordre  indiqué  par  l'accusateur  —  se 
trouve  être  non  fondé  :  or,  1  accusation 
d'hérésie  contre  le  primat  était  le  troiaème 
chef  d'accusation. 

(  Le  saint  synode  ayant  commencé  par 
juger  la  troisième,  il  était  tenu  de  juger  les 
deux  autres  accusations  parce  qu'il  n'avait 


S2 


ÉCHOS   d'orient 


pas  suivi  l'ordre  des  accusations  et  qu'il 
n'a  pas  le  droit  d'intervertir  cet  ordre. 

La  vérité  est  que  le  saint  synode  a  évité 
soigneusement  tout  procès,  car,  une  fois 
engagé  dans  cette  voie,  la  chute  du  primat 
eût  été  certaine. 

L'Encyclique  ajoute  que  les  accusations 
de  l'évêque  de  Roman  n'ont  aucune 
valeur  parce  que  l'évêque  lui-même  est 
coupable  de  manquements  graves.  On 
ne  saurait  être  plus  imprudent!  M»""  Safirin 
adresse  aussitôt  une  lettre  au  président 
du  saint  synode,  proteste  contre  cette 
affirmation  qu'il  déclare  calomnieuse  et 
demande  à  être  jugé  par  le  saint  synode 
convoqué  d'urgence.  Et  l'évêque  de  Roman 
profite  de  cette  occasion  pour  accuser  le 
saint  synode  d'avoir  voulu  induire  le 
peuple  en  erreur,  et  pour.renouveler  contre 
le  primat  les  accusations  de  plagiat,  d'im- 
moralité et  d'hérésie. 

Entre-temps,  le  primat  avait  obtenu  que 
les  prêtres  accusateurs,  MM.  Paunesco  et 
Draghici,  fussent  déposés  par  l'officialité 
diocésaine  pour  avoir  calomnié  le  primat. 
Les  prêtres  déposés  en  ont  appelé  de  ce 
jugement  au  saint  synode.  En  effet,  une 
accusation  précise  ne  peut  être  déclarée 
calomnieuse  sans  avoir  été  jugée.  C'est 
l'évidence  même.  Mais  une  nouvelle  diffi- 
culté surgissait  par  suite  de  la  nouvelle 
loi  de  réforme  religieuse  qui  donne  le 
droit  de  juger  les  appels  et  au  Consistoire 
supérieur  et  au  saint  synode. 

Pour  tourner  la  difficulté,  le  Consistoire 
supérieur  décida  que  le  saint  synode  fai- 
sant les  fonctions  d'une  espèce  de  Cour  de 
cassation  ecclésiastique  jugerait  les  appels 
au  point  de  vue  des  vices  de  forme  seule- 
ment, et,  si  la  sentence  est  cassée,  elle 
serait  envoyée  au  Consistoire  supérieur  qui 
jugerait  le  fond. 

En  sorte  que  le  Consistoire  supérieur 
décide  ce  que  doit  faire  le  saint  synode  — 
la  plus  haute  assemblée  ecclésiastique  — 
et  lui  impose  ses  décisions.  Cette  déci- 
sion prise,  la  session  du  Consistoire  supé- 
rieur est  déclarée  close. 

Conformément  à  la  nouvelle  loi,  la  ses- 
sion du  saint  synode  est  ouverte  aussitôt 


que  celle  du  Consistoire  supérieur  a  pris 
fin.  Le  lendemain  de  l'ouverture,  le 
primat,  président  du  saint  synode,  reçut 
de  Mgr  Safirin,  évêque  de  Roman,  la  lettre 
suivante  : 

A  Sa  Sainteté  le  président 

du  saint  synode  de  la  sainte  Eglise 

autocéphale  orthodoxe  roujnaine. 

Monseigneur, 

Sans  tenir  compte  de  mon  état  de  santé 
—  j'ai  été  et  suis  encore  souffrant,  —  j'au- 
rais préféré  attendre  à  Roman,  ma  résidence 
épiscopale,  le  résultat  de  la  plainte  que  j'ai 
déposée  sur  le  bureau  du  saint  synode,  le 
14  mai  1910,  contre  S.  S.  le  métropolitain 
primat,  M»'  Athanase  Mironesco,  et  ne 
venir  à  Bucarest  que  pour  être  jugé  par  le 
saint  synode  —  ainsi  que  je  l'ai  demandé 
(acte  n°  906)  le  18  juin  1910  —  pour  les 
accusations  que  le  saint  synode  et  l'Ency- 
clique synodale  du  24  mai  i9ioontapportées 
contre  moi. 

J'aurais  préféré  aussi  attendre  à  Roman 
les  mesures  qui  seraient  prises  et  leur  appli- 
cation pour  rendre  la  paix  nécessaire  à 
notre  sainte  Eglise  et  pour  tranquilliser  la 
conscience  des  croyants. 

Mais,  tandis  que  j'attendais  le  résultat  de 
l'accusation  adressée  au  saint  synode  contre 
S.  S.  le  primat  M«'  Athanase  Mironesco 
et  mon  procès  —  ce  pourquoi  j'avais 
demandé  la  convocation  urgente  du  saint 
synode,  —  je  suis  simplement  invité  à 
prendre  part  aux  séances  du  saint  synode. 
Je  me  suis  cependant  rendu  à  Bucarest 
pour  être  à  la  disposition  du  saint  synode. 
Mais  ma  santé  ne  me  permettant  pas  de 
prendre  part  à  la  séance  d'aujourd'hui,  je 
suis  obligé  d'envoyer  par  écrit  ce  que  je 
comptais  dire  de  vive  voix,  à  savoir  : 

1°  Je  ne  puis  prendre  part  aux  séances 
du  saint  synode  tant  que  cette  sainte 
assemblée  sera  présidée  par  S.  S.  le  métro- 
politain Athanase  Mironesco,  qui  est  accusé 
de  plagiat,  d'immoralité  et  d'hérésie.  Il 
n'est  pas  tolérable  que  le  président  du 
saint  synode  soit  sous  le  coup  d'accusations 
de  cette  sorte;  le  fait  étant  de  nature  à 
atteindre  gravement  non  seulement  les 
intérêts  de  l'Eglise,  mais  ceux  du  pays.  La 
lumière  doit  donc  être  faite. 

2"  Je  ne  puis  prendre  part  aux  séances 


LA   CRISE    RELIGIEUSE   EN   ROUMANIE 


53 


du  saint  synode  parce  que,  dernièrement, 
on  a  formulé  des  accusations  contre  moi. 
Il  est  donc  naturel  que  je  ne  prenne  pas 
part  aux  travaux  du  saint  synode  avant 
d'avoir  été  jugé,  car  je  ne  saurais  rester 
sous  le  coup  d'accusations  non  prouvées 
et  qui  sont  de  nature  à  diminuer  le  prestige 
d'un  évêque  et  de  notre  sainte  Eglise. 

Je  tiens  encore  à  faire  la  déclaration  sui- 
vante. Toute  décision  qui  sera  prise  par 
le  saint  synode  sous  la  présidence  de 
S.  S.  M?""  Athanase  Mironesco,  mis  sous 
accusations  selon  toutes  les  formes  cano- 
niques, sera  considérée  par  moi  comme 
nulle  et  non  avenue  et  comme  ayant  été 
prise  à  l'encontre  des  prescriptions  cano- 
niques. 

(ss)  Gerasime, 
évêque  de  Roman. 

L'évêque  d'Argesch  demanda  aussitôt 
le  renvoi  de  toute  discussion  jusqu'au 
complet  rétablissement  de  l'évêque  de 
Roman.  La  proposition  est  immédiatement 
admise.  On  sentait  le  désir  de  tous  les 
membres  du  saint  synode  et  surtout  du 
ministre  des  Cultes  d'éviter  toute  discus- 
sion qui  pouvait  devenir  dangereuse  et 
de  réduire  au  minimum  la  durée  de  la 
session. 

Personne  n'avait  la  conscience  tran- 
quille. Malgré  tout,  le  primat  a  présidé  la 
séance,  où  on  a  juge  et  rejeté  les  appels 
des  prêtres  déposés,  sans  que  ceux-ci  aient 
même  été  cités  et  entendus!! 

Après  cet  acte  de  justice  et  de  haute 
charité  chrétienne,  le  primat  a  demandé 
au  ministre  des  Cultes  de  clore  le  lende- 
main la  session  ordinaire  du  saint  synode. 

Au  commencement  de  la  dernière  séance, 
le  président  du  saint  synode  a  reçu  de 
l'évêque  de  Roman  la  protestation  sui- 
vante : 

A  Sa  Sainteté  le  président 

du  saint  synode  de  la  sainte  Eglise 

autocéphale  orthodoxe  roumaine. 

Monseigneur, 

A  la  suite  de  la  décision  que  le  saint 
synode  a  prise  hier  sous  la  présidence  de 
S.  S.  le  métropolitain  primat,  M^""  Atha- 
nase Mironesco,  au  sujet  de   ma  plainte 


n°  I  56o  du  25  octobre  1910,  dans  laquelle 
il  est  aussi  question  du  procès  canonique 
entre  Sa  Sainteté  et  moi,  je  tiens  à  protester 
contre  cette  décision  prise  sous  la  présidence 
de  l'accusé  et  à  l'encontre  des  dispositions 
canoniques  pour  les  procès  devant  le  saint 
synode,  et  à  vous  communiquer  que,  quoique 
mieux  portant,  je  ne  puis  prendre  part  à  la 
séance  d'aujourd'hui,  parce  qu'elle  est  pré- 
sidée par  celui  qui  est  accusé  de  plagiat, 
d'immoralité  et  d'hérésie. 

En  conséquence,  je  déclare  nuls  et  non 
avenus  les  votes  d'hier,  ainsi  que  tous  ceux 
auxquels  on  procéderait  sous  la  présidence 
de  S.  S.  M^""  Athanase  Mironesco  tant  que 
le  procès  canonique  n'aura  pas  eu  lieu. 
(ss)  Gerasime, 
évêque  de  Roman. 

Mais  cette  protestation  n'a  même  pas 
été  lue  dans  la  dernière  séance  du  saint 
synode.  Quelques  jours  après  la  fermeture 
du  saint  synode,  l'un  des  trois  prêtres 
déposés,  M.  Paunesco,  a  envoyé  au  pré- 
sident du  saint  synode  la  protestation 
suivante  : 

A  Sa  Sainteté  le  président 

du  saint  synode  de  la  sainte  Eglise 

autocéphale  orthodoxe  roumaine. 

Monseigneur, 

Le  saint  synode  ayant  repoussé  mon 
appel  contre  la  sentence  n»  14/ 19 10  de  l'Of- 
ficialité  diocésaine  comme  ne  contenant 
pas  de  vices  de  forme  : 

1°  Attendu  que  le  saint  synode  est  obligé 
par  les  canons  — «  le  prêtre  condamné  par 
son  évêque  a  le  droit  de  s'adresser  au  saint 
synode,  qui,  après  l'avoir  entendu,  jugera 
son  cas  »  (xi^  canon  de  Carthage)  —  de 
juger  le  fond  et  non  pas  seulement  la 
forme  ; 

2°  Attendu  que,  alors  même  que,  par  une 
interprétation  erronée  des  canons,  on  recon- 
naîtrait au  saint  synode  le  droit  de  'juger 
seulement  la  forme,  encore  aurait-il  dû 
juger  le  fond  de  mon  procès,  car,  dans  l'es- 
pèce, il  n'est  pas  question  d'une  déposition 
que  peut  juger  en  première  instance  l'évêque 
par  l'Officialité  diocésaine,  mais  d'un  procès 
entre  moi  et  mon  évêque,  procès  qui  ne 
peut  être  jugé  dans  le  fond  que  par  le  saint 
synode  ; 


54 


ÉCHOS   d'orient 


Attendu  que,  alors  même  que  la  décision 
de  rOtficialité  diocésaine  n'eût  contenu 
aucun  vice  de  forme  —  et  il  est  facile  de  se 
rendre  compte  qu'elle  en  contient,  — elle 
serait  nulle,  car  l'évéque  ne  peut  juger  lui- 
même  sa  propre  cause; 

3'^  Attendu  que  la  décision  du  29  octobre 
1910  est  nulle,  parce  qu'elle  est  rendue  sous 
la  présidence  de  mon  adversaire  qui  avait 
intérêt  à  me  condamner,  avec  l'espoir  de 
se  sauver  lui-même  ;  adversaire  accusé 
non  seulement  par  moi,  mais  aussi  par 
S.  S.  l'évéque  de  Roman,  qui  a  déclaré 
nulles  et  non  avenues  toutes  les  décisions 
que  le  saint  synode  rendra  sous  la  prési- 
dence de  M?'  Athanase  Mironesco; 

4°  Attendu  que  la  décision  du  29  octobre 
est  nulle,  parce  que  je  n'ai  pas  été  cité  pour 
soutenir  mon  appel,  comme  j'en  ai  le  droit, 
car  on  ne  peut  être  jugé  ni  par  le  saint 
synode  ni  par  la  Commission  du  jugement 
sans  avoir  été  cité; 

5''  Attendu  que  la  décision  du  29  octobre 
est  nulle,  parce  que  la  majorité  des  membres 
de  la  Commission  était  récusable; 

6°  Attendu  que  les  accusations  contre 
M?""  Athanase  Mironesco  et  celles  de  l'évéque 
de  Roman  sont  les  mêmes,  et  que  le  saint 
synode  n'a  pas  osé  juger  la  cause  et  punir 
l'évéque  de  Roman  comme  calomniateur,' 
ma  déposition  n'est  pas  une  condamnation, 
mais  un  abus  de  pouvoir  qui  ne  saurait 
m'atteindre,  étant  nul  et  non  avenu,  comme 
l'a  fort  bien  déclaré  l'évéque  de  Roman. 

Pour  ces  motifs,  je  proteste  contre  la  déci- 
sion du  saint  synode,  je  demande  que  le 
saint  synode  soit  convoqué  d'urgence,  que 
l'on  admette  ma  contestation,  que  l'on 
revienne  sur  la  décision  du  29  octobre,  que 
l'on  admette  mon  appel,  que  le  saint  synode 
juge  le  fond  de  mon  procès  et  que  je  sois 
déposé  au  cas  où  je  ne  pourrais  pas  prouver 
les  accusations  de  plagiat,  d'immoralité 
et  d'hérésie,  que  j'ai  apportées  contre 
S.  S.  Ms'  Athanase  Mironesco. 

Mais  jusqu'alors  je  considère  la  décision 
du  saint  synode  du  29  octobre  1910  comme 
nulle  et  non  avenue,  et  je  l'attaquerais 
devant  toutes  les  instances  ecclésiastiques, 


civiles   ou    militaires,   où    elle   me   serait 
opposée. 

Je  suis  de  Votre  Sainteté  le  très  humble 
serviteur. 

(ss)  St.  Paunesco. 


La  crise  reste  toujours  ouverte,  la  situa- 
tion toujours  mauvaise.  Le  gouvernement 
libéral  devra  se  retirer  très  prochaine- 
ment. C'est  une  question  de  jours.  Au 
moment  où  cet  article  paraîtra,  le  chan- 
gement de  gouvernement  sera  un  fait 
accompli. 

Il  a  semblé  au  gouvernement  libéral, 
sans  doute,  plus  agréable  de  ne  donner 
aucune  solution  à  la  question  religieuse, 
et  il  a  préféré  laisser  cette  grave  tâche  au 
prochain  gouvernement.  Or,  un  gouver- 
nement conservateur  pur  (i)  ne  sera  ni 
assez  fort  pour  tenter  de  redresser  éner- 
giquement  les  choses  ni  d'assez  longue 
durée  pour  arriver  à  un  résultat  quelconque 
s'il  en  voulait  faire  la  tentative. 

Comme  nous  le  disions  au  mois  de 
juillet  dernier,  cette  crise  très  grave  n'est 
que  le  résultat  de  l'introduction  de  la 
politique  dans  l'Eglise. 

Bannir  toute  politique  de  l'Eglise,  voilà 
la  grande  réforme  qu'un  gouvernement 
fort  et  conscient  devra  entreprendre  si 
l'on  veut  éviter  que  l'Eglise  ne  se  trouve 
prochainement  dans  une  situation  qui  rap- 
pellera les  plus  tristes  époques  de  l'his- 
toire des  Eglises  orthodoxes. 

Jean-Marie. 

P.-S.  —  Le  patriarche  grec  de  Constan- 
tinople,  Joachim  III,  n'a  encore  donné 
aucune  suite  à  l'appel  très  canonique  que 
les  trois  prêtres  accusateurs  du  primat  lui 
ont  adressé. 


(i)  A  la  suite  d'une  scission  survenue  il  y  a  trois 
ans  dans  le  parti  conservateur,  la  Roumanie  compte 
aujourd'hui  deux  partis  conservateurs. 


BIBLIOGRAPHIE 


Gabriel  Millet,  Monuments  byzantins  de 
Mistra.  Matériaux  pour  l'étude  de  l'archi- 
tecture et  de  la  peinture  en  Grèce,  aux 
xiv«  et  xv«  siècles.  Paris,  E.  Leroux, 
igio.  Album  de  i52  planches,  plus 
36  pages  de  tables.  iFait  partie  des 
Monuments  de  l'art  byzantin.)  Prix: 
60  francs. 

M.  Gabriel  Millet  est,  à  l'heure  actuelle, 
avec  M.  Diehl.  l'homme  de  France  le  mieux 
informé  de  tout  ce  qui  a  trait  à  l'art  byzan- 
tin. Son  volume  sur  le  monastère  de 
Daphni,  le  premier  de  la  collection,  l'avait 
mis  particulièrement  en  vue;  ses  études 
subséquentes,  son  cours  à  l'Ecole  des  Hautes 
Etudes,  sa  riche  collection  de  photographies, 
de  plans  et  de  dessins,  n'ont  fait  depuis  que 
confirmer  sa  renommée  naissante;  enfin, 
l'ouvrage  capital  que  nous  présentons 
aujourd'hui,  fruit  de  tant  de  labeurs,  de 
tant  de  peines  morales  et  physiques,  fait 
de  lui  un  maître  incontesté,  en  même  temps 
qu'un  guide  à  toute  épreuve. 

L'album  est  incomparable.  Grâce  à  lui, 
Mistra,  ce  petit  coin  du  Péloponèse,  situé 
à  une  lieue  de  l'antique  Sparte,  remarqué 
par  Guillaume  de  Villehardouin  et  où 
s'abrita  des  siècles  durant  la  civilisation 
byzantine  avec  tous  ses  raffinements, 
devient  un  lieu  unique,  étudié  artistique- 
ment comme  aucun  autre  lieu  de  l'Orient 
chrétien  n'a  été  encore  étudié.  Bien  que  le 
texte  qui  doive  accompagner  et  interpréter 
ces  planches  n'ait  pas  été  encore  publié, 
la  table  explicative  qui  les  précède  suffit 
pour  le  moment  à  nous  en  donner  un 
aperçu.  Trois  grandes  divisions  dans  cet 
Album,  consacré  à  l'architecture  depuis  la 
planche  i  jusqu'à  la  planche  44,  à  la  sculp- 
ture depuis  la  planche  46  jusqu'à  la 
planche  63,  aux  peintures  depuis  la  planche 
64  jusqu'à  la  planche  i52.  Sous  chacune  de 
ces  rubriques  générales  figurent,  en  dehors 
du  plan  de  Mistra  et  de  divers  édifices,  en 
dehors  des  vues  de  Mistra,  de  son  château 
et  de  ses  principaux  monuments,  la  métro- 
pole, l'église  des  Saints-Théodores,  l'église 
et  le  monastère  du  Brontochion,  la  chapelle 
de  Saint-Jean,  l'église  et  le  monastèr  de  la 
Péribleptos,     Sainte-Sophie,     l'église     de 


l'EvanghHistria,  enfin  l'église  de  la  Panta- 
nassa. 

«  Les  dates  ne  sont  point  indiquées,  dit 
M.  Millet  lui-même  dans  son  avertis- 
sement, parce  que  le  plus  souvent  elles 
offrent  matière  à  discussion.  Il  est  certain 
que  le  couvent  des  Saints-Théodores  et 
celui  du  Brontochion  furent  fondés  par  le 
protosyncelle  Pachôme,  l'un  avant  1296. 
l'autre  avant  i3 1 1  ;  que  l'église  de  la  Métro- 
pole fut  édifiée  par  le  métropolite  Nicéphore 
MoschopDulos  en  i3io;  celle  de  Sainte- 
Sophie  par  le  despote  Manuel  Cantacu- 
zène  vers  i35o;  enfin,  celle  de  la  Pantanassa 
par  le  protostrator  Jean  Phrangopoulos, 
peut-être  en  1428,  en  tout  cas  avant  1445. 
Mais  ces  monuments  mêmes  ne  nous  sont 
pas  toujours  parvenus  sous  leur  aspect  pri- 
mitif: la  Métropole,  par  exemple,  a  été 
transformée  par  le  métropolite  Mathieu, 
d'époque  inconnue,  et  les  autres  restent 
sans  date.  » 

Le  volume  de  texte  ayant  pour  titre  M/5- 
tra.  Recherches  sur  l'art  byzantin  au  temps 
des  Paléologues  nous  renseignera  plus  com- 
plètement là-dessus,  en  même  temps  qu'il 
comparera  ces  divers  monuments  avec  ceux 
d'époques  et  de  régions  différentes,  mais 
appartenant  tous  à  l'art  byzantin.  Dès 
aujourd'hui,  qu'il  nous  suffise  d'avoir  pré- 
senté cet  Album  de  i52  planches,  qui  fait 
le  plus  grand  honneur  à  son  auteur  et  à  ses 
auxiliaires  qu'il  a  voulu  tous  associer  à  son 
nom,  ainsi  qu'à  la  science  française.  Des- 
sins, plans,  photographies,  tables  elles- 
mêmes  si  précises  et  si  minutieuses,  tout 
est  irréprochable. 

S.  Vailhé. 

R.  HuBER,  Empire  ottoman.  Carte  statis- 
tique des  cultes  chrétiens.  Le  Caire,  Baa- 
der  et  Gross  (19 10).  Prix  :  10  marcs. 

Le  major  Huber  commence  à  publier  sa 
grande  carte  statistique  des  cultes  chrétiens 
de  l'empire  ottoman,  dont  il  circulait  déjà 
quelques  copies  faites  à  la  main  par  l'auteur 
lui-même.  Ces  cartes,  qui  sont  au  nombre 
de  4  pour  la  Turquie  d'Europe —  les  seules 
parues  jusqu'à  présent  —  sont  au  g^^^. 
Elles  donnent  par  vilayet,  par  sandjak  et 


56 


ECHOS   D  ORIENT 


par  caza,  et  de  plus  pour  les  confessions 
suivantes  :  Catholiques,  Arméniens  grégo- 
riens. Grecs  orthodoxe-;.  Bulgares  schisma- 
tiques,  Roumains  et  Serbes  orthodoxes,  Pro- 
testants, divers  signes  spéciaux  qui  retracent 
la  vie  intérieure  de  chacune  de  ces  confes- 
sions religieuses.  Ces  signes  indiquent  le 
siège  du  métropolite  ou  de  l'archevêque; 
celui  de  l'évéque  et  celui  de  l'abbaye;  la 
cathédrale,  l'église  ou  la  chapelle;  le  cou- 
vent ou  le  monastère;  le  Séminaire  théolo- 
gique, le  gymnase  ou  le  lycée,  les  écoles 
secondaires  pour  les  garçons  ou  pour  les 
filles;  les  écoles  primaires;  l'orphelinat; 
l'église  fréquentée  par  les  Grecs  orthodoxes 
et  les  Bulgares  patriarchistes,  ou  par  les 
Bulgares  exarchistes,  ou  par  les  Serbes 
patriarchistes,  ou  par  les  Roumains  patriar- 
chistes; enfin,  les  écoles  normales  grecques. 
De  plus,  le  bas  des  cartons  n°  i  et  n'^  2  con- 
tient les  satistiques  des  écoles  par  vilayet 
et  parcaza,  et  aussi  parconfession  religieuse; 
tableau  des  plus  instructifs,  bien  qu'on  ne 
puisse  évidemment  prendre  comme  parole 
d'évangile  ces  renseignements  fournis  par 
les  intéressés  eux-mêmes  et,  à  ce  titre,  légiti- 
mement suspects. 

Le  major  Huber  ne  nous  en  voudra  pas 
de  cette  réserve,  en  dépit  de  la  peine  et  du 
temps  qu'il  a  employés  à  recueillir  ces  ren- 
seignements ;  il  sait  trop  comme  nous  que, 
dans  cette  Turquie  d'Europe  où  sévit  si  âpre 
et  si  cruelle  la  lutte  des  nationalités,  chacun 
a  intérêt  à  exagérer  sa  position  pour  pouvoir 
dans  l'avenir  grossir  ses  revendications. 
Les  Juifs  et  les  musulmans  ne  figurent  pas 
dans  les  cartes,  pour  ne  pas  trop  les  empâter, 
mais  les  musulmans  seront  signalés  dans 
les  cartes  qui  paraîtront  plus  tard  pour  les 
vilayets  de  l'Asie  ottomane.  Nous  avons  là 
un  travail  de  grand  mérite,  parce  qu'il  est 
le  fruit  de  beaucoup  de  temps  et  de  nom- 
breuses recherches,  et  nous  lui  souhaitons 
de  tout  cœur  le  plus  grand  succès  auprès 
de  nos  lecteurs. 

S.  Vailhé. 

Conférences  de  Saint-Etienne  à  Jérusalem 
(1909-1910).  Paris,  J.  Gabalda,  1910,  in-12 
de  X-32I  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

Voici  la  série  des  conférences  qui  figurent 
dans  ce  volume  de  la  collection  Etudes 
palestiniennes  et  orientales,  sous  la  direc- 
tion du  R.  P.  Lagrange.  Les  origines  baby- 


loniennes, par  le  R.  P.  Dhorme,  O.  P.; 
A  travers  les  papyrus  grecs,  par  le 
R.  P.  Lagrange,  O.  P.  ;  Mesures  de  capacité 
des  Hébreux  au  temps  de  l'Evangile,  par  le 
R.  P.  Germer-Durand,  des  Augustins  de 
l'Assomption  ;  Au  bord  du  lac  de  Tibériade, 
par  l'abbé  Biever;Mamère,  parle  R.  P.  Abel, 
O.  P.  ;  Marc  diacre  et  sa  biographie  de 
saint  Porphyre,  évêque  de  Ga^a,  par  le 
R.  P.  Abel,  O.  P.;  Un  Arabe  patriarche 
de  Jérusalem,  saint  Elie,  par  le  R.  P.  Gé- 
nier,  O.  P. 

Les  sujets  sont  aussi  variésque  les  auteurs, 
bien  que  ceux-ci  appartiennent  en  grande 
majorité  à  l'Ordre  de  Saint-Dominique  et 
à  l'Ecole  pratique  d'études  bibliques;  je 
me  hâte  de  dire  qu'ils  sont  tous  instructifs 
et  intéressants.  En  donner  une  analyse, 
même  sommaire,  dépasserait  assurément 
le  peu  de  place  dont  je  puis  disposer;  nos 
lecteurs  qui  s'occupent  plus  particuliè- 
rement d'études  orientales  ou  bibliques 
verront  avec  plaisir  que  toutes  ces  confé- 
rences rentrent  dans  le  cadre  de  leurs  tra- 
vaux ou  de  leurs  préoccupations.  Par  ail- 
leurs, le  nom  des  conférenciers  et  l'Ecole 
biblique  qui  les  a  patronnés  sont  le  meilleur 
garant  de  leur  compétence.  Dans  Tavant- 
propos,  malicieux  et  délicat  comme  tout  ce 
qu'il  écrit,  le  R.  P.  Lagrange  s'excuse  de 
présenter  ces  conférences  au  public  instruit, 
à  peu  près  telles  qu'elles  furent  prononcées 
devant  l'auditoire  de  Jérusalem  ;  bien  des 
lecteurs,  au  nombre  desquels  je  me  range, 
n'auront  qu'un  regret,  c'est  qu'on  n'ait  pas 
commencé  plus  tôt  et  que  certaines  confé- 
rences des  années  précédentes  n'aient  pas 
été  recueillies. 

P.  291  :  Je  ne  crois  pas  que  les  Spoudaei 
soient  des  religieux  au  vrai  sens  du  mot; 
plusieurs  étaient  mariés;  c'étaient  des 
membres  laïques  de  pieuses  confréries  dans 
le  genre  des  Pénitents,  P.  3o5  :  Flavius  pour 
Elavien.  Ce  qui  regarde  le  concile  de  Sidon 
et  la  conduite  du  patriarche  Elie  aurait 
besoin  d'être  modifié  avec  les  résultats  des 
recherches  de  M.  Lebon. 

S.  Vailhé. 

C.  Beccari,  s.  J.,  I.  Notij(ia  e  Saggi  di 
opère  e  documenti  inediti  riguardanti  la 
storia  di  Etiopia  durante  i  secoli  xvi, 
XVII  e  xviii.  Rome,  Casa  Editrice  Italiana, 
1903,  grand  in-S",  x-5i9  pages,  avec  fac- 
similés  et  cartes. 


BIBLIOGRAPHIE 


57 


—  II.  //  Tigré  descrittoda  un  missionario 
gesuita  del  secolo  xvii.  Rome,  Tipografia 
deirUnioneeditrice,i90Q,in-8'^',  i  i4pages. 

Postulaleur  général  des  causes  de  béati- 
fication pour  la  Compagnie  de  Jésus,  le 
R.  P.  Camille  Beccari  a  été  amené  par  ses 
fonctions  à  étudier  de  très  près  les  do- 
cuments concernant  huit  Jésuites  marty- 
risés vers  i63o  en  Ethiopie  et  dont  la  cause 
se  heurte  à  certaines  difficultés  suscitées 
jadis  par  la  passion  ou  l'ignorance.  Afin 
donc  de  rendre  plus  décisive  la  réponse 
à  l'avocat  du  diable,  l'éminent  religieux 
a  entrepris  une  véritable  exploration  des 
sources  se  rapportant  à  l'histoire  moderne 
de  l'Abyssinie:  archives  de  la  Compagnie 
de  Jésus  et  de  la  Propagande,  manuscrits 
du  British  Muséum,  archives  et  biblio- 
thèque nationales  de  Lisbonne,  etc.  Sans 
oublier  le  motif  spécial  qui  a  servi  d'occa- 
sion à  ses  recherches,  l'auteur  n'a  eu  garde, 
chemin  faisant,  de  négliger  l'énorme  quan- 
tité de  pièces  inédites  que  ses  patientes  in- 
vestigations lui  ont  permis  de  découvrir.  Il 
en  a  dressé  un  inventaire  méthodique, 
avec  résumés,  notices  ou  extraits,  et  c'est 
ce  beau  travail  qu'il  nous  a  offert  sous  ce 
titre:  Notifia  e  Saggi Notice  et  spé- 
cimens d'ouvrages  et  de  documents  inédits 
concernant  l histoire  d'Ethiopie  durant 
les  xvi%  xvii^  et  xviii^  siècles.  On  devine 
sans  peine  qu'un  tel  ouvrage  dépasse  de 
beaucoup  la  portée  d'un  simple  travail  oc- 
casionnel; qu'il  a  un  intérêt  général  très 
grand,  qui  en  fait  une  œuvre  de  toute  pre- 
mière valeur  et  désormais  indispensable 
aux  historiens  de  l'Abyssinie. 

Le  R.  P.  Beccari  divise  son  livre  en  trois 
parties.  La  première  (p.  3-74)  contient 
i'énumération  des  ouvrages  et  écrits,  inédits 
pour  la  plupart  et  souvent  même  inconnus 
des  chercheurs  les  plus  compétents,  mais 
que  lui-même  a  pu  découvrir  et  parcourir  : 
importants  travaux  {d'histoire  éthiopienne 
des  PP.  Paez,  Almeida,  Mendezet  quelques 
anonymes;  270  relations  et  lettres  des 
missionnaires  Jésuites,  de  l'an  i  56o  à  l'an 
1713;  541  pièces  des  personnages  les  plus 
divers,  rois  d'Ethiopie  ou  de  Portugal,  re- 
présentants des  cours  européennes,  pa- 
triarches, évêques,  préfets  apostoliques,  ex- 
plorateurs, missionnaires,  etc.  La  seconde 
partie  (p.  75-226»  donne  une  brève  mais  très 
complète  analyse  des  principales  pièces  ma- 


nuscrites —  il  y  en  a  68,  —  puis  un  im- 
portant abrégé,  fait  d'une  manière  très 
précise  d'après  les  Actes  de  la  Propagande, 
de  l'histoire  des  missions  éthiopiennes 
depuis  1634,  date  de  l'expulsion  des  Jésuites, 
jusqu'à  l'année  1800.  Enfin,  la  troisième 
partie  (p.  226-4991  est  intitulée:  Saggi  di 
documenti  et  nous  présente,  précédés  de 
courtes  introductions,  trente-deux  spé- 
cimens des  documents  signalés,  choisis  na- 
turellement parmi  les  plus  intéressants. 
Sauf  quatre  lettres  du  roi  Seltàn  Sagad 
V1607-1632),  qui  sont  en  éthiopien,  ces 
textes  furent  rédigés  en  portugais,  en  espa- 
gnol, en  italien,  en  latin  ou  en  français. 
Ils  sont,  d'ailleurs,  quand  celaest  nécessaire, 
accompagnés  d'une  traduction  italienne. 
Les  quatre  lettres  éthiopiennes  bénéficient 
même  d'une  double  traduction,  une  latine, 
due  aux  missionnaires  contemporains; 
l'autre,  italienne,  faite  par  le  savant  profes- 
seur qu'est  Guidi.  A  ces  précieux  spécimens 
et  extraits,  le  P.  Beccari  a  ajouté  un  certain 
nombre  de  fac-similés,  au  sujet  desquels  je 
lui  reprocherai  seulement  de  ne  leur  avoir 
point  consacré  un  index  spécial  permettant 
de  les  retrouver  facilement. 

Nous  ne  pouvons  entrer  dans  le  détail  de 
ces  documents.  Il  en  est  qui  font  peu  d'hon- 
neur à  leurs  auteurs,  quels  qu'ils  soient. 
Mais  il  faut  remercier  et  féliciter  l'érudit 
Jésuite  d'avoir  publié  tels  quels  ces  textes. 
Ses  illustres  confrères,  les  missionnaires 
d'Ethiopie,  ne  perdent  rien  de  leur  gloire  à 
cette  publication,  qui  est  par  ailleurs  d'une 
utilité  capitale  pour  la  science  historique. 

IL  —  Dans  la  préface  du  bel  ouvrage  dont 
nous  venons  de  donner  une  rapide  analyse, 
le  R.  P.  Beccari  appelait  modestement  un 
«  petit  travail  »,  questo  piccolo  lavoro.  ce 
respectable  volume  de  53o  pages.  C'est  que 
déjà  il  songeait  à  quelque  chose  de  beaucoup 
plus  considérable,  c'est-à-dire  à  éditer  les 
œuvres  des  anciens  missionnaires  d'Abys- 
sinie,  parmi  lesquelles  plusieurs  sont  assez 
étendues  en  même  temps  que  très  impor- 
tantes pour  l'histoire  ecclésiastique  et  pro- 
fane de  l'Ethiopie.  Ce  projet  a  été  bril- 
lamment mis  à  exécution,  et  l'année  1910 
a  vu  paraître  le  tome  X  des  Rerum  yEthio- 
picarum  Scriptores  occidentales  inediti  a 
sœculo  XVI  ad  xix  i^Rome,  Casa  Editrice 
Italiana),  collection  remarquable  à  laquelle 
le  volume  Notifia  e  Saggi  sert  de  magis- 
trale introduction.  Le  tome  IV  renferme  les 


58 


ÉCHOS   d'orient 


trois  traités  hislorico-géograpiiiques  du 
P.  Emmanuel  Barradas  (1572- 1646)  sur 
l'Ethiopie.  Ce  sont  les  principaux  chapitres 
du  plus  important  de  ces  traités,  celui  qui 
concerne  le  royaume  de  Tigré,  que  l'infa- 
tigable éditeur  nous  présente  «  in  veste  ita- 
liana»,  pour  employer  son  expression,  dans 
une  brochure  publiée  sous  les  auspices  de 
l'Institut  colonial  italien.  On  ne  peut  qu'être 
reconnaissant  au  R.  P.  Beccari  d'avoir  ainsi 
fait  connaître  au  grand  public,  par  cet  im- 
portant extrait  des  œuvres  du  célèbre  Jésuite 
portugais,  un  intéressant  spécimen  des  ren- 
seignements de  toutes  sortes  contenus  dans 
les  écrits  des  anciens  missionnaires.  On  sait 
que  le  Tigré  est  une  province  de  l'empire 
d'Ethiopie,  qui  a  constitué  à  différentes 
époques  un  royaume  distinct  ayant  pour 
capitale  Axoum,  puis  Adoua.  Barradas 
nous  en  donne  une  description  fort  détaillée 
à  tous  les  points  de  vue  :  géographie,  flore, 
faune,  mœurs  et  coutumes,  législation,  reli- 
gion. C'est  ce  dernier  chapitre  qui  est  le  plus 
développé  (p.  yS-ioS),  comme  il  convient 
de  la  part  d'un  missionnaire.  On  saura  gré 
au  savant  éditeur  des  nombreuses  annota- 
tions explicatives  ou  correctives  qu'il  a  pris 
la  peine  de  mettre  au  bas  des  pages.  On 
regrettera  qu'à  défaut  d'un  index  des  noms 
propres,  il  n'ait  pas  tout  au  moins  inséré  à 
la  fin  de  l'ouvrage  une  table  des  matières. 
S.  Salaville. 

Mélanges  de  la  Faculté  orientale  dt  l'Uni- 
versité Saint-Joseph,  à  Beyrouth  (Syrie), 
t.  III,  1908-1909,  in-4ode8i6  + 121  pages, 
avec  nombreuses  planches  photogra- 
phiques hors  texte.  Beyrouth,  impri- 
merie catholique,  1908-1909. 

Les  Echos  d  Orient  ont  déjà  salué  avec 
joie  (t.  X,  p.  i82-i83;  t.  XI,  p.  126-128) 
les  deux  premiers  volumes  des  Mélanges 
de  la  Faculté  orientale  de  l'Université 
Saint-Joseph.  Le  présent  volume  ne  le  cède 
en  rien  aux  précédents  pour  la  variété  et 
l'inédit.  Les  Orientalistes  ont  certainement 
su  gré  aux  savants  rédacteurs  de  l'avoir 
divisé  en  deux  fascicules,  ce  qui  a  permis 
aux  lecteurs  d'attendre  plus  patiemment 
les  études  non  encore  complètement  prêtes, 
et  aux  auteurs  de  «  se  hâter  lentement  » 
dans  leur  préparation.  De  l'un  et  de  l'autre 
nous  ne  pouvons  que  donner  un  rapide 
sommaire,  mais  on  sait  que  la  réputation 


de  ces  travaux  consciencieux  est  faite,  et 
Ion  pourra  toujours  y  recourir  de  confiance. 

I.  —  Kitâb  an-Na'am,  texte  lexico- 
graphique  arabe,  édité  et  annoté  par  le 
P.  M.  Bouyges. 

II.  —  Etudes  sur  le  règne  du  Calife 
Omaiyade  Mo'âwia  I"  (3«  série  :  la  jeu- 
nesse du  Calife  Yazîd  I"),  par  le  P.  H.  Lam- 
mens.  Nous  n'avons  plus  à  faire  l'éloge 
ni  de  l'étude  ni  de  l'auteur,  qui  est  certai- 
nement un  des  plus  doctes  islamisants 
contemporains. 

III.  —  Ailius  Statut  us,  gouverneur  de 
Phénicie  (vers  298-304).  Le  P.  Jalabert  a 
retrouvé  dans  deux  inscriptions  grecques 
de  Syrie  le  nom  de  ce  personnage,  jusqu'ici 
totalement  inconnu,  qui  aurait  été  prceses 
de  Phénicie  sous  la  tétrarchie. 

IV.  — Notes  de  lexicographie  hébraïque, 
par  le  P.  Joûon. 

V.  —  Kehrverspsalmen.  Contrairement 
à  l'opinion  de  E.  Baumann,  le  P.  H.  Wies- 
mann  soutient  l'existence  du  refrain  {Kehr- 
vers)  dans  les  psaumes,  et  il  cite  comme 
psaumes  à  refrain  les  psaumes  cvii,  lxxx, 

XLII,  XLIII,  xcix. 

VI.  —  Ausflûge  in  der  Arabia  Petrœa. 
Le  D'  B.  Moritz,  directeur  de  la  Biblio- 
thèque khédiviale  du  Caire,  communique 
d'intéressantes  notes  scientifiques  sur  les 
excursions  entreprises  par  lui  dans  l'Arabie 
Pétrée,  le  long  de  la  voie  ferrée  du  Hedjaz, 
en  1905  et  1906.  Signalons  spécialement  la 
revision  soigneuse  qu'il  fait  de  la  topono- 
mastique  de  l'Arabie  Pétrée  et  de  l'Arabie 
Heureuse,  d'après  Ptoléméeetles  géographes 
arabes. 

VII.  —  Inscriptions  d'Asie  Mineure 
(Pont,  Cappadoce,  Cilicie),  par  le  P.  G.  de 
Jerphanion  et  le  P.  Jalabert.  Ces  inscrip- 
tions comprennent  :  quelques  textes  histo- 
riques (une  dédicace  à  Julia  Domna,  une 
autreàCaracalla  et  Julia  Domna);  des  mil- 
liaires  qui  permettent  de  préciser  le  tracé 
des  voies  romaines  d'Amasée  à  Néocé- 
sarée,  et  de  Tavium  à  Euagina  et  Sebasto- 
polis;  une  inscription  en  l'honneur  d'un 
Ménandre  de  province,  qui  brilla  dans  la 
Comédie  Nouvelle  ;  de  nombreuses  épi- 
taphes,  païennes  et  chrétiennes,  renfer- 
mant quelques  formules  intéressantes. 

VIII.  —  Inscriptions  arabes  du  Mont 
Thabor,  par  le  P.  Lammens. 

IX.  — L'Epître  à  Constantin  (=  le  basi- 
leus  Constantin  VIII,  976-1025),  écrit  reli- 


BIBLIOGRAPHIE 


59 


gieux  druse  auquel  le  mystère  de  cette  race 
et  de  cette  religion  donne  un  vif  intérêt. 
Cette  curieuse  lettre  est  publiée,  avec  tra- 
duction française  et  annotations,  par  les 
PP.  J.  Rhalil  et  L.  Ronzevalle. 

IX.  —  Notes  épigraphiques,  par  le 
R.  P.  Mouterde.  Voici  les  sous-titres,  sui- 
vant lesquels  se  succèdent  ces  notes  :  mil- 
liaires  et  épitaphes  de  Beyrouth;  ex-voto  de 
Deir  el-Qal'a;  sceau  de  Maéès;  inscription 
cachée  de  Gebeil-Byblos;  pierres  gravées 
de  Gebeil  et  de  Damas;  nouvelles  inscrip- 
tions rupestres  en  l'honneur  d'Hadrien  ; 
un  nouveau  dékaprote  àGérasa  ;  les  Hamii 
de  l'Antiliban. 

X.  —  La  Hatnâsa  (Anthologie  poétique) 
de  Buhturi,  poète  arabe  (821-897),  éditée 
par  le  P.  L.  Cheikho. 

XI.  —  Deux  missions  archéologiques 
américaines  en  Syrie  (  1899- 1900  et  1904- 
1905).  Le  savant  épigraphiste  qu'est  le 
P.  Jalabert  consacre  aux  résultats  de  ces 
missions  40  pages  d'utile  lecture.  Relevons-y 
de  fines  notes  jetées  en  passant  au  sujet  du 
caractère  scripturaire  ou  liturgique  d'un 
bon  nombre  d'inscriptions. 

XII.  —  Notes  et  études  d'archéologie 
orientale.  Le  P.  S.  Ronzevalle  a  réuni  sous 
ce  titre  divers  articles  ou  fragments  inédits 
concernant  :  le  «  trône  d'Astarté  »;  un 
fragment  de  stèle  funéraire  araméenne  à 
Nîrab,  des  tablettes  égyptiennes,  la  stèle 
de  Adloùn,  une  stèle  hittite  des  environs 
deRestan,  les  monuments  hittites  d'Arslân- 
Tépé,  les  inscriptions  phéniciennes  de 
Paphos  et  de  Chyiroi.  Le  tout  est  illustré 
de  vues  photographiques,  qui  parlent  aux 
yeux  en  même  temps  qu'à  l'esprit. 

XIII.  —  Saint  Barlaam  du  MontCasius, 
par  le  P.  Paul  Peeters.  On  lira  avec  plaisir, 
malgré  les  citations  arabes  dont  elle  est  çà 
et  là  hérissée,  cette  fine  dissertation  du 
distingué  bollandiste  sur  un  saint  dont  la 
légende,  à  en  juger  par  le  synaxaire  arabe 
melkite  et  par  une  vie  et  un  office  géor- 
giens, offre  plus  d'un  point  de  contact  avec 
le  roman  du  Barlaam  hindou  et  avec  la 
passion  grecque  du  martyr  saint  Barlaam 
d'Antioche.  A  propos  des  phrases  ou  expres- 
sions arabes  insérées  sans  traduction  dans 
son  article,  le  R.  P.  Peeters  ne  m'en  vou- 
dra pas  de  lui  soumettre  l'observation  sui- 
vante :  c'est  que  les  lecteurs  peu  ou  point 
arabisants  lui  auraient  su  gré  de  leur  épar- 
gner l'humiliation   qu'ils  éprouvent  à  ne 


pouvoir  suivre  aussi  complètement  qu'ils 
le  désireraient  ses  intéressantes  remarques 
critiques. 

Enfin,  le  volume  se  termine  par  une  con- 
sidérable bibliographie,  qui  n'embrasse  pas 
moins  de  1 2 1  pages  avec  pagination  spéciale. 
La  plupartdeces  recensions,  jusque  parmi  les 
plus  courtes,  sont  elles-mêmes  de  remar- 
quables notes  critiques  qu'on  aura  grand 
profit  à  consulter.  Pourquoi,  afin  de  faciliter 
cette  consultation,  les  rédacteurs  n'ont-ils 
pas  dressé  une  table  détaillée  des  ouvrages 
analysés? 

Il  est  également  regrettable  qu'à  l'exacti- 
tude presque  impeccable  qui  a  présidé  à  la 
rédaction  et  à  l'impression  de  ces  précieux 
travaux,  exactitude  dont  témoignent  encore 
les  listes  d'errata  et  d  addenda  insérées  aux 
pages  478-479  et  8 14-8 16,  on  n'ait  pas  ajouté 
le  soin  de  dresser  des  indices  plus  com- 
plets que  le  trop  bref  sommaire  placé  en 
tête  des  deux  fascicules.  Plusieurs  de  ces 
travaux  étant  des  études  de  longue  haleine, 
il  serait  important  de  pouvoir  s'y  orienter 
rapidement  à  l'aide  de  quelques  points  de 
repère.  Des  titres  courants  au  sommet  des 
pages  seraient  aussi  d'un  grand  secours.  Les 
savants  professeurs  de  l'Université  Saint- 
Joseph,  qui,  mieux  que  personne,  savent 
par  expériencel'utilitépratiquedeces  bonnes 
recettesdu  métier,  voudront,  nous  n'en  dou- 
tons pas,  en  faire  bénéficier  désormais  les 
Mélanges  de  la  Faculté  orientale.  Ceux-ci 
gagneront  à  ces  améliorations  accessoires, 
non  pas  plus  de  valeur  scientifique  —  car 
à  cet  égard  leur  supériorité  est  établie,  — 
mais  l'appréciable  avantage  d'être  pour  les 
travailleurs  d'une  plus  grande  utilité. 

S.  Salaville. 

Mélanges  de  la  Faculté  orientale  de  l'Uni- 
versité Saint-Joseph  à  Beyrouth  (Syrie  1, 
t.  IV.  in-4°  de  5o8  4-  lx  pages.  Beyrouth, 
imprimerie  catholique,  1910. 

L'Université  de  Beyrouth  vient  de  publier 
le  IV^  volume  de  ses  Mélanges.  C'est 
un  fort  volume  in -4'  de  5o8-lx  pages. 
On  y  lit  des  «  notes  de  lexicographie  hé- 
braïque »  du  P.  Paul  JoCion;  un  mémoire 
du  P.  L.  Cheikho  sur  quelques  légendes 
islamiques  apocrj'phes  ;  des  travaux  du 
P.  H.  Lammens  sur  l'hisiroire  de  l'Islam 
aux  premiers  temps  de  l'hégire;  des  notes 
d'archéologie  orientale  du   P.   S.  Ronze- 


^ 


6o 


ÉCHOS  d'orient 


valle;  des  notes  d'épigraphie  syrienne  des 
PP.  L.  Jalabert  et  R.  Mouterde,  etc. 

Ces  travaux,  marqués  au  coin  de  la 
science  vraie,  sont  d'ordre  si  divers  qu'il 
serait  difficile  de  les  analyser  ici.  Signa- 
lons le  vif  intérêt  que  présente  l'étude  du 
P.  Lammens intitulée  :/e  Triumvirat  Ahou- 
Bakr,  'Omar  et  Abou-'Obaida.  On  y  voit 
comment  ces  trois  personnages  formèrent 
autour  de  Mahomet  une  sorte  de  conspira- 
tion pour  confisquer  à  leur  profit  le  mouve- 
ment de  l'Islam,  en  écartant  les  parents  et 
les  héritiers  légitimes  du  prétendu  prophète. 

Dans  un  autre  mémoire,  le  même  auteur, 
à  propos  du  monument  énigmatique  de 
Mchatta,émetunehypothèsequi  ne  manque 
pas  de  vraisemblance,  attribuant  au  règne 
de  Jazid  II  l'entreprise  de  cet  ouvrage  resté 
inachevé. 

L'ensemble  du  volume  contient  seize 
planches  hors  texte  et  28  figures  dans  le 
texte.  J.  Germer-Durand. 

A.  Rabbath,  s.  1.,  Documents  inédits  pour 
servir  à  l'histoire  du  christianisme  en 
Or;en^(xvi<'-xix^siècle\t.  II,  I"  fascicule. 
Paris,  Picard  et  fils,  1910,  in-8°  de 
208  pages. 

Les  Echos  d'Orient  (1906,  49-5 1,  58; 
1908, 1 23)  ont  déjà  rendu  compte  du  premier 
volume  de  ces  documents.  Le  premier  fas- 
cicule du  tome  II  renferme  le  diaire  des  mis- 
sionnaires Carmes  d'Alep  de  1669a  i8i9;la 
relation  des  missions  carmes  d'Alep  en  i  ôSy  ; 
les  documents  relatifs  au  protectorat  des 
Eglises  maronites  d'Alep  et  de  Chypre  de 
1686  à  1687;  ceux  qui  ont  trait  à  l'histoire 
des  missions  franciscaines  et  carmes  en 
Palestine  et  à  leurs  difficultés  avec  les  Druses 
en  1825;  ceux  qui  se  rapportent  aux  chré- 
tiens de  Damas  et  du  Hauran  de  i835  à  1845; 
ceux  qui  dépeignent  la  vie  chrétienne  en 
Orient  au  xvii«  siècle  d'après  les  relations 
des  missionnaires;  enfin,  une  relation  des 
missions  jésuites  en  i653. 

Malgré  les  raisons  alléguées  par  l'auteur 
dans  sa  préface  pour  justifier  sa  manière  de 
grouper  les  documents,  j'estime  qu'il  aurait 
mieux  fait  de  suivre  l'ordre  chronologique 
dans  la  publication  de  ces  pièces.  En  efTet, 
un  ouvrage  de  ce  genre  est  avant  tout,  non 
pas  un  livre  qu'on  lit  d'un  bout  à  l'autre 
pour  s'intéresser,  mais  un  livre  que  l'on 
consulte  pour  se  documenter.  II  importe 


donc  assez  peu  qu'il  y  ait  de  la  variété  dans 
la  mise  en  ordre  de  ces  documents;  mais  il 
est  essentiel  qu'il  y  ait  le  plus  possible  de 
points  de  repère  pour  trouver  les  textes  cher- 
chés, et,  dans  ce  but,  à  mon  avis,  rien  ne 
vaut  l'ordre  chronologique.  Néanmoins, 
quelle  que  soit  la  manière  dont  ils  sont 
groupés,  nul  n'ignore  l'importance  de  la 
publication  de  ces  documents  pour  l'histoire 
du  christianisme  en  Orient;  d'ailleurs, 
d'excellentes  tables  viendront  certainement, 
à  la  fin  de  ce  tome,  comme  pour  le  tome  I", 
remédier  à  ce  petit  défaut. 

E.   MONTMASSON. 

Actes  de  S.  S.  Pie  X.  Encycliques,  Motu 
proprio.  Brefs,  Allocutions,  etc.  Texte 
latin  avec  traduction  française  en  regard, 
précédés  d'une  notice  bibliographique, 
suivis  d'une  table  générale  alphabétique. 
4  vol.  in-8°  écu  de  340  pages  environ. 
Paris,  Maison  de  la  Bonne  Presse.  Prix  : 
I  franc  le  volume. 

Fidèle  à  ses  traditions,  la  Maison  de  la 
Bonne  Presse  a  publié  les  Actes  de  Pie  X, 
comme  elle  avait  déjà  publié  les  Actes  de 
Léon  XIII.  Ces  quatre  volumes  contiennent 
toutes  les  lettres  ou  discours  du  Pape,  depuis 
l'Encyclique  E  supremi  apostolatus,  la  pre- 
mière de  son  pontificat,  promulguée  le 
4  octobre  1903,  jusqu'aux  plus  récents  docu- 
ments de  1907,  y  compris  les  discours  pro- 
noncés aux  réceptions  de  personnages  offi- 
ciels, les  allocutions  aux  pèlerinages,  etc. 
Une  seconde  partie  dans  chaque  volume 
contient  les  actes  et  décrets  des  Congréga- 
tions romaines. 

La  part  faite  aux  nations  et  aux  Eglises 
d'Orient  est  importante  dans  les  documents 
publiés  aujourd'hui.  Le  Saint-Siège  ne  s'est 
jamais  désintéressé  de  l'Orient.  La  réunion 
en  volumes  de  ses  actes  diplomatiques  ou 
religieux  en  est  la  meilleure  preuve. 

C'est  d'abord  22  juillet  1907  la  magni-- 
fique  lettre  de  Pie  X  au  cardinal  Vannu- 
telli,  président  du  Comité  des  fêtes  pour  le 
XV^  centenaire  de  saint  Jean  Chrysostome. 
Le  Pape  y  montre  bien  quel  intérêt,  à 
l'exemple  de  Léon  XIII,  il  porte  à  l'Eglise 
d'Orient,  dont  saint  Jean  Chrysostome  est 
la  plus  pure  gloire. 

La  langue  slave  a  motivé  un  décret  de  la 
S.  Cong.  des  Rites  (18  déc.  1906,  t.  IV, 
p.  3oo),  réglant  définitivement  son  emploi 


BIBLIOGRAPHIE 


6i 


dans  les  églises  des  provinces  de  Goritz,  de 
Zara  et  d'Agram,  afin  d'empêcher  que 
l'usage  arbitraire  du  slave  ou  du  latin  ne 
trouble  la  piété  des  fidèles. 

Les  Polonais  furent  aussi  l'objet  de  plu- 
sieurs documents  pontificaux,  soit  au  sujet 
d'un  accord  intervenu  entre  le  Saint-Siège 
et  la  Russie,  concernant  l'étude  de  la  langue, 
de  l'histoire  et  de  la  littérature  russes  dans 
les  Séminaires  (  22  juillet  1907,  t.  IV,  p.  349^, 
soit  pour  autoriser,  suivantlescirconstances, 
l'emploi  du  russe  et  du  polonais  dans  les 
cérémonies  religieuses,  comme  langues 
extra-liturgiques  (i3  octobre  1906,  t.  IV, 
p.  345),  soit  encore  au  sujet  de  la  soumis- 
sion simulée,  puis  de  la  condamnation  défi- 
nitive des  Mariavites  (5  avril  1906,  t.  II, 
p.  178;  5  décembre  1906,  t.  IV,  p.  250). 

Les  actes  pontificaux,  par  rapport  à 
l'Orient,  contiennent  encore  les  discours 
prononcés  à  la  réception,  par  le  Pape,  du 
P.  Marie-Bernard,  envoyé  du  négus  Mé- 
nélik  (21  mars  1907,  t.  III,  p.  210);  à  la 
réception  de  S.  Exe.  Méchescha,  ambassa- 
deur extraordinaire  du  négus  (7  oct.  1907, 
t.  III,  p.  214),  et  de  l'ambassadeur  du  shah 
de  Perse  (24  juin  1907,  t.  III,  p.  2i3). 

Signalons  aussi  les  réponses  de  la  S.  Gong, 
du  Goncile,  permettant,  après  le  Décret 
Recenti,  d'envoyer  des  honoraires  de  messes 
aux  prélats  ayant  juridiction  épiscopale  en 
Orient  (9  sept.  1907,  18  mars  1908,  t.  IV, 
p.  269  et  271). 

On  le  voit,  la  part  faite  à  l'Orient  dans 
les  documents  pontificaux  est  assez  impor- 
tante. A  signaler  encore  au  tome  II  les 
règles  spéciales  édictées  par  la  S.  Gong,  de 
la  Visite  apostolique,  document  qui  peut 
servir  pour  l'organisation  matérielle  des 
édifices  religieux.  Ges  volumes  ont  leur 
place  marquée,  non  seulement  dans  les 
bibliothèques  ecclésiastiques,  mais  encore 
dans  celles  des  hommes  d'études,  qui  s'in- 
téressent au  mouvement  des  Eglises  et  du 
catholicisme  en  Orient. 

A.  Trannoy. 

P.  Franchi  de'  Cavalieri  et  J.  Lietzmann, 
Specimina  codicorum  grœcorum  Vati- 
canorum.  Bonn,  A.  iMarcus  et  E.  Weber, 
1910,  xvr  pages,  5o  planches.  Prix  : 
7  fr.  5o. 

Grâce  à  l'obligeance  avec  laquelle  la 
plupart    des    grandes    bibliothèques    per- 


mettent la  reproduction  photographique 
de  leurs  manuscrits,  grâce  aussi  aux  per- 
fectionnements apporté  à  la  photographie 
en  blanc  sur  noir,  tous  les  savants  ont 
aujourd'hui  le  moyen  de  remonter  aux 
sources  originales.  Par  suite,  laconnaissance 
de  la  paléographie  pratique  leur  est  deve- 
nue indispensable.  Le  volume  que  nous 
annonçons  leur  sera  pour  cela  d'un  précieux 
secours. 

Avec  l'autorisation  du  R.P.  Ehrle,  préfet 
de  la  Vaticane,  et  le  concours  de  M.  Mer- 
cati,  MM.  Franchi  de'  Gavalieri  et  Lietz- 
mann ont  pu  choisir  parmi  les  trésors  de 
la  bibliothèque  pontificale  cinquante  ma- 
nuscrits datés  du  iv«  au  xvi«  siècle.  Ils 
reproduisent  une  page  de  chacun  d'eux  en 
5o  planches  héliographiques  de  o'^jiS  sur 
0^,24,  et  nous  avons  trouvé  ces  reproduc- 
tions excellentes.  La  page,  prise  parmi 
celles  qui  présentent  des  formes  caractéris- 
tiques, est  assez  souvent  en  grandeur  natu- 
relle, au  moins  assez  peu  réduite  pour  per- 
mettre facilement  la  lecture. 

La  provenance  des  manuscrits  choisis  est 
très  variée  :  Rome,  Gonstantinople,  Mo- 
nembasie,  Malvito  en  Galabre,  Gapoue, 
Athos,  Sicile,  Grète.  Otrante,  île  de  Halki, 
Russie,  G   io,  Ghypre. 

Une  introduction  en  latin  donnequelques 
indications  sur  chaque  manuscrit,  sa  date, 
son  lieu  d'origine,  les  éditions  qui  l'ont 
utilisé,  etc.  On  y  a  joint  la  transcription  de 
quelques  passages  dont  le  déchiffrement 
pourrait  embarrasser  des  commençants. 

Le  prix  modique  auquel  se  vend  l'ou- 
vrage, relié,  le  met  à  la  portée  de  tous. 
Ajoutons  qu'il  a  été  tiré  à  l'usage  des  biblio- 
philes cent  exemplaires  numérotés  sur 
carton,  reliés  en  cuir  plein,  au  prix  de 
i5  francs. 

En  félicitant  les  auteurs  et  en  les  remer- 
ciant du  service  rendu  par  eux  à  tant  de 
travailleurs,  nous  osons  leur  exprimer  un 
regret.  Pourquoi  s'être  arrêtés  au  xvi*  siècle? 
Le  dernier  codex  reproduit  est  de  i565. 
L'apprenti  paléographe  peut  se  trouver, 
même  en  Occident,  en  face  de  manuscrits 
plus  tardifs,  et  qui,  j'en  parle  par  expé- 
rience, n'en  sont  pour  cela  pas  plus  aisés 
à  déchiffrer. 

Le  cod.  Palat.  44  est  donné  avec  un  point 
d'interrogation  comme  écrit  à  Monembasie. 
Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  de  doute  à  avoir  : 
Movoêadi'a  ne  saurait  étonner  quand  on  voit 


62 


ÉCHOS    d'orient 


les  cacographies  dont  s'est  rendu  coupable 
le  copiste  du  manuscrit. 

Quant  au  cod.  Palat.  269,11  n'a  sûrement 
pas  été  écrit  in  regione  Gordyena  Armenio- 
rum,  comme  le  proposent  dubitativement 
les  éditeurs  :  il  est  probable  que  son  copiste 
n'avait  même  jamais  entendu  parler  de  la 
Gordyène.  Je  crois  qu'il  s'agit  d'un  village 
(toS  x^ptou,  dit  le  manuscrit,  non  tt,;  /tôpaç) 

dont  le  nom  commençait  par  Gord 

R.  Bousquet. 

G.    LaMBAKIS,    01    ÉTirà  àfTTepeç  xr^q  aTîoxaXû- 

'|iew;.  Athènes,  1909.  Th.  Tzavellas, 
8-476  pages  in-8°,  nombreuses  illustra- 
tions. Prix:  7  fr.  5o. 

Les  Echos  d  Orient  ont  parlé  déjà  plu- 
sieurs fois  à  leurs  lecteurs  de  M.  G.  Lam- 
bakis,  professeur  d'archéologie  chrétienne 
à  l'Université  et  de  liturgie  à  l'Odéon  d'A- 
thènes, fondateur  et  directeur  du  musée 
chrétien  de  cette  ville,  membre  de  nom- 
breuses Sociétés  savantes.  Le  nouveau  livre 
de  lui  que  nous  annonçons  est  excessi- 
vement curieux. 

Les  sept  étoiles  de  l'Apocalypse,  ce  sont, 
nul  ne  l'ignore,  les  sept  Eglises  d'Asie  aux- 
quelles le  voyant  de  Patmos  envoie  ses 
lettres.  M.  Lambakis  a  visité  une  ou  plu- 
sieurs fois  l'île  qui  garde  encore  vivante  la 
mémoire  de  Jean,  puis  Ephèse,  Smyrne, 
Pergame,  Thyatire,  Sardes,  Philadelphie  et 
Laodicée,  sans  compter  Colosses  et  Hiera- 
polis.  Le  livre  où  il  nous  raconte  ses  voyag-es 
ne  ressemble  nullement  à  ceux  d'Arundell 
et  de  Ms""  Le  Camus  sur  le  même  sujet. 

M.  Lambakis  est  orthodoxe  pieux,  Grec 
patriote,  archéologue  de  profession.  Son 
livre,  dédié  à  la  mémoire  de  sa  mère,  nous 
décrit  longuement  ses  impressions  de  chré- 
tien à  la  vue  des  lieux  sanctifiés  par  le  séjour 
de  l'apôtre  bien-aimé  et  de  tant  d'autres 
saints;  il  pleure  sur  les  ruines  accumulées 
en  trop  d'endroits;  il  s'attendrit  avec  une 
émotion  naïvedevantunfragmentdemarbre 
qui  porte  quelques  traces  de  sculpture  chré- 
tienne. 

Dans  ce  livre,  ce  qui  touche  à  l'histoire 
chrétienne  des  sites  n'est  pas  nouveau  pour 
nous,  au  moins  quand  il  s'agit  des  premiers 
siècles.  Mais  l'auteur,  autant  qu'il  le  peut, 
continue  cette  histoire  jusqu'à  nos  jours. 
Il  nous  décrit  dans  le  plus  minutieux  détail 
toutes  les  ruines  encore  debout,  toutes  les 


églises,  chapelles  et  fontaines  sacrées,  ne 
nous  faisant  grâce  ni  d'une  icône,  ni  d'un 
chapiteau,  ni  d'un  débris  quelconque.  De 
très  nombreuses  photographies  et  de  plus 
nombreux  dessins  nous  font  connaître  le 
moindre  monument,  le  paysage,  les  habi- 
tants, les  morceaux  de  pierre  travaillés.  Les 
photographies  sont  seulement  assez  mal 
venues  sur  le  papier  trop  mince  de  l'éditeur. 
Bien  entendu,  M.  Lambakis  a  copié  toutes 
les  inscriptions  qu'il  rencontrait,  même 
les  plus  modernes,  même  les  plus  insigni- 
fiantes. 

Pèlerin  de  l'orthodoxie,  il  communie 
dévotement  dans  la  grotte  de  Patmos  et 
prêche  avec  onction  dans  de  nombreuses 
églises,  rappelant  aux  indigènes  les  grands 
souvenirs  de  la  contrée  qu'ils  habitent;  il 
leur  apprend  à  donner  à  leurs  enfants  les 
noms  des  martyrs  locaux  et  veut  être  le 
parrain  des  nouveaux  baptisés.  Pèlerin  de 
l'hellénisme,  il  prononce  des  discours,  ré- 
pond à  ceux  que  lui  adressent  lesép/iories, 
fait  des  conférences  dans  les  écoles,  s'in- 
forme des  statistiques  et  les  note  pour  nous. 

En  somme,  son  ouvrage  ne  peut  qu'être 
utile  aux  nombreux  souscripteurs  d'Asie 
Mineure  qui  ont  tenu  à  se  le  procurer.  Il 
rendra  également  service  à  maint  érudit, 
malgré  quelques  légers  défauts.  Nous  avons 
relevé  çà  et  là  de  disgracieuses  fautes  d'im- 
pression, trop  de  références  de  seconde 
main  (Tite-Live,  p.  417,  est  cité  d'après 
Spon!),  quelques  inexactitudes:  la  plus 
grave  est  celle  qui  consiste,  après  les  tra- 
vaux de  Duchesne  et  de  Ramsay,  à  con- 
fondre Hiérapolis  et  Hiéropolis.  Enfin  je 
me  suis  étonné  de  voir  traduire  p.  428  le 
français  rasée,  en  parlant  d'une  ville  dé- 
truite, par  s;'Ji'.ff(i,£V-ri. 

R.  Bousquet. 

S.  PÉTRiDÈs,  A.  A.,  Jean  Apokaukos, 
lettres  et  autres  documents  inédits, 
Sofia,  1909,  32  pages  in-4°.  Extrait  des 
Investi;  de  l'Institut  archéologique  russe 
de  Constantinople. 

Jean  Apokaukos  est  ce  métropolite  de 
Naupacte,  instruit,  intelligent  et  ambitieux, 
qui  joua  un  certain  rôle  dans  les  affaires  de 
l'EgHse  grecque  dans  le  premier  quart  du 
xni«  siècle.  On  avait  déjà  publié  de  lui  de 
nombreuses  lettres,  des  épigrammes,  des 
réponses  canoniques.  Le  P.  Pétridès  apporte 


BIBLIOGRAPHIE 


63 


une  nouvelle  contribution  à  l'histoire  du 
personnageen  éditant  les  33pièces  contenues 
dans  le  cod.  Baroccianus  i3i  :  21  lettres, 
I  acte,  II  solutions  canoniques.  Plusieurs 
des  lettres  sont  intéressantes  pour  l'histoire 
politique  de  cette  époque  troublée;  d'autres 
nous  fournissent  les  nomsd'évêques  incon- 
nus, et  une  nous  apprend  l'existence  d'un 
siège  épiscopal  à  Dragomestos.  Quatre  des 
pièces  delà  collection  ayant  été  déjà  éditées 
d'après  d'autres  manuscrits,  le  P.  Pétridès 
secontentededonnerlesvariantesdu  manus- 
crit d'Oxford,  qui  permet  en  outre  de  com- 
pléter l'une  d'elles. 

L.  Babdou. 

F.  M.  Abel,  O.  P.  Une  a'Oîsière  autour  de 
la  mer  Morte.  Paris.  V.  Lecoffre,  1911, 
in-8°,  11-184  pages,  12  planches.  Prix: 
7  fr.  5o. 

Dans  un  style  alerte,  parfois  trop  imagé, 
toujours  intéressant,  l'auteur  de  ce  volume 
décrit  les  bords  de  la  mer  Morte  qu'il  a 
explorés,  rappelle  les  traditions  relatives 
aux  diverses  localités  visitées,  passe  en 
revue  les  légendes  qui  se  sont  accréditées 
dans  cette  région,  et,  tour  à  tour  botaniste, 
géologue,  topographe,  historien  en  même 
temps  que  «  secrétaire  de  navigation  »,  unit 
la  précision  de  la  dissertation  scientifique 
au  pittoresque  du  récit  de  voyage.  Les  douze 
planches  et  les  quarante-six  gravures  très 
réussies  qui  illustrent  ces  pages  en  rendent 
la  lecture  plus  attrayante  encore. 

Je  formulerai  cependant  quelques  regrets. 
P.  82  :  l'auteur,  qui  fait  souvent  de  la  topo- 
graphie au  cours  de  ce  récit,  se  contente 
de  localiser  Sodome  et  Zoara  et  de  citer, 
sans  la  discuter,  l'opinion  de  Clermonl- 
Ganneau  sur  l'emplacement  de  Gomorrhe; 
il  ne  dit  rien  de  la  localisation  d'Adama  et 
de  Séboïm.  Or,  dans  un  livre  destiné  à  faire 
connaître  du  nouveau,  tout  en  rapportant 
ce  qui  est  déjà  connu,  on  aimerait  à  trouver, 
à  défaut  de  certitudes,  l'exposé  de  simples 
hypothèses  que  d'autres  pourront  vérifier 
plus  tard.  P.  86  :  il  n'est  pas  exact  d'aflfirmer 
que  le  soufre  est  Vêlement  essentiel  de  l'as- 
phalte. Substance  complexe,  l'asphalte  est 
avant  tout  composée  de  carbures  d'hydro- 
gène, d"oxyde  de  pétroléine  et  de  matières 
oxygénées  variables  ;  mais  le  soufre  ne  peut 
V  entrer  que  comme  élément  accessoire. 

Si  j'ajoute  que,  à  la  page  170,  certaines 


expressions,   telles  que  se  payer  la  tête 

de ,  bluff,  fiasco  sont  triviales,  que  la 

description  d'un  coucher  de  soleil  et  d'un 
lever  de  lune  sur  la  mer  Morte  n*a  rien  de 
remarquable,  et,  partant,  est  inutile,  p.  12, 
et  que,  enfin,  à  la  page  5o,  il  eût  été  préfé- 
rable de  mettre  sous  la  figure  10  un  titre 
français  au  lieu  du  titre  latin  que  ne  com- 
prendront pas  certains  lecteurs,  j'aurai 
signalé  à  peu  près  toutes  les  petites  taches 
qui  sont  trop  peu  visibles  pour  déparer  un 
travail  sérieux  sous  bien  des  rapports. 

E.    MONTMASSON. 

J.  DE  Kergorlay,  Sites  délaissés  d'Orient. 
Du  Sinaï  à  Jérusalem.  Paris,  Hachette, 
1911,  in-i2  de  xx-i88  pages,  avec 
32  planches  et  une  carte  hors  texte. 
Prix  :  4  francs- 
Ce  n'est  pas  un  voyage  banal  qu'avait 
entrepris  M.  le  comte  Jean  de  Kergorlay,  et 
la  manière  dont  il  le  raconte  est  encore 
moins  banale.  Sans  s'attarder  aux  mille 
petits  incidents  de  route  qui  trop  souvent 
encombrent  les  notes  des  voyageurs,  sans 
se  perdre  dans  la  description  des  couleurs 
féeriques  qui  parent  les  lieux  visités,  en 
cinq  petits  chapitres,  écrits  dans  un  style 
imagé  et  en  même  temps  d'une  pureté  clas- 
sique, il  fait  revivre  sous  nos  yeux  les  ruines 
de  Magharahet  de  Serabitel-K.hadi  m,  l'oasis 
de  Feiran,  le  site  grandiose  du  Sinaï  avec 
le  monastère  de  Sainte-Catherine,  la  divine 
et  inoubliable  Pétra,  enfin  les  châteaux  de 
nos  pères  les  Croisés  dans  la  terre  d'oultre- 
Jourdain.  Je  ne  connais  que  par  la  lecture 
les  lieux  décrits  dans  les  trois  premiers 
chapitres,  mais  les  souvenirs  précis  que  j'ai 
conservés  de  nos  excursions  à  Pétra  et  à 
travers  les  hauts  plateaux  de  xMoab  et  que  je 
retrouve  ici  exprimés  avec  une  fidélité,  un 
entrain  et  une  grâce  incomparables,  sont 
le  meilleur  garant  qu'il  en  est  de  la  première 
comme  de  la  seconde  partie  et  que  la  vérité 
la  plus  absolue  préside  au  récit  de  tout  le 
^•oyage. 

Quelques  petites  taches  ont  été  relevées 
au  cours  de  la  lecture,  ainsi  p.  58  ;  le  codex 
syrsin  (?\  p.  62,  expression  curieuse  qui 
figure  déjà  dans  un  Guide;  Gardthauson, 
p.  64;  saint  Jean  Climaque  qui  vivait  au 
vi^ siècle,  p.  67.  Les  proportions  du  Khazneh 
données  p.  I23  sont  trop  faibles  ;  il  n'a  pas 
20,  mais  32  mètres  de  haut  d'après  une  de 


64 


ÉCHOS   d'orient 


nosphotographies.  Vétille,  du  reste,  qui  n'at- 
teint pas  la  description  si  esthétique  et  pour- 
tant si  vraie  de  ce  monument  unique.  Les 
gravures  bien  choisies  sont  d'une  exécution 
irréprochable  et  font  grand  honneur  aux 
photographes  comme  à  la  maison  Hachette. 

S.  Vailhé. 

D.  Placide  de  Meester,  O.  S.  B.  Le 
collège  pontifical  grec  de  Rome,  extrait 
de  la  Semaine  de  Rome.  Rome,  collège 
grec,  19 10,  in-8°  de  70  pages. 

L'opuscule  de  Dom  de  Meester  contient 
deux  parties.  L'une  retrace  brièvement 
l'histoire  interne  du  collège  et  l'autre 
signale  les  personnages  célèbres  du  collège 
et  son  influence  à  l'extérieur.  Chacune  de 
ces  parties  est  précédée  d'une  photographie 
très  réussie  représentant,  la  première,  la 
façade  du  collège  et  de  l'église  Saint-Atha- 
nase,  et  la  seconde,  le  personnel  actuel  : 
supérieurs,  directeurs  et  élèves. 

Erigé  en  iSyy  par  Grégoire  XIII  et  confié 
successivement  à  un  Croisier,  à  un  prêtre 
séculier,  à  un  religieux  di  San  Biagio  di 
Monte  Citorio,  à  un  gentilhomme  chy- 
priote, à  des  prêtres  séculiers,  aux  Jésuites, 
aux  Somasques,  aux  Dominicains,  de  nou- 
veau aux  Jésuites,  puis  aux  séculiers,  une 
troisième  fois  aux  Jésuites  et  enfin  aux 
Bénédictins,  le  collège  grec  «  devint  désor- 
mais fameux  pour  les  vicissitudes  qu'il  eut 
à  traverser  ».  A  propos  de  la  liturgie  et  des 
pénitences  de  l'Eglise  orientale,  le  Révérend 
Père  regrette  que  dans  le  passé  les  divers 
supérieurs  du  collège  n'aient  pas  décidé 
l'observation  pure  et  simple  du  rite  grec, 
excepté  en  ce  qui  touche  l'ordination,  pour 
laquelle  on  résolut  d'assez  bonne  heure  de 
se  conformer  au  typikon  de  ce  rite. 


«  A  peine  inauguré  (et  grâce  à  la  largeur 
de  vues  qui  avait  présidé  à  son  institution), 
le  collège  pontifical  grec  de  Saint-Athanase 
donne  au  monde  civilisé  le  spectacle  d'une 
pépinière  d'hommes  illustres  »,  médecins, 
moines  et  religieux,  professeurs  et  autres 
grands  hommes  d'Italie,  de  Rome  et  d'ail- 
leurs. Les  plus  célèbres  sont  :  le  théologien 
Pierre  Arcudius,  de  Corfou  (i562  ou  i563- 
i633);  Léon  AUatius,  philosophe,  théolo- 
gien, médecin,  archéologue  (i 580-1669); 
le  fameux  métropolite  Vélamin  Rutski 
(i  573-1637);  Jérôme  Barbarigo,  évêque  de 
Paronaxos,  en  Grèce,  et  confesseur  de  la 
foi  (1725);  Pierre  Rodotà,  historien  du  rite 
grec  en  Italie  (xviii'*  siècle).  Parmi  les  nom- 
breux élèves  formés  à  Saint-Athanase, 
l'histoire  nous  dit  qu'il  y  eut  peu  de  déser- 
teurs, une  dizaine  à  peine  en  tout.  Les 
principaux  furent  Païsios  Ligaridès  (t  1678) 
et  Jérôme  Cigalas  (1622- 1687.  J'avoue 
cependant  que  la  lecture  de  la  Bibliogra- 
phie hellénique  d'Emile  Legrand  produit 
une  autre  impression  et  qu'on  en  conclu- 
rait aisément  à  des  désertions  plus  nom- 
breuses. 

L'opuscule  de  dom  de  Meester  se  ter- 
mine par  un  extrait  d'un  rapport  de  Cerri, 
secrétaire  de  la  Propagande,  intitulé  :  Etat 
présent  de  l'Eglise  romaine  dans  toutes 
les  parties  du  monde  (Amsterdam,  1716), 
et  destiné  à  Innocent  XI.  Le  jugement 
porté  sur  le  collège  grec  de  Rome  et  les 
Jésuites  qui  en  étaient  les  supérieurs  et 
directeurs  à  cette  époque  est  pessimiste  et 
malveillant.  Le  docte  Bénédictin,  dont  nous 
partageons  l'avis  modéré,  n'a  pas  de  peine 
à  démontrer  que  l'appréciation  de  Cerri  est 
d'allure  trop  pamphlétaire  pour  n'être  pas 
partiale  et  injuste. 

A.  Catoire. 


1667-10.  —  Imp.  P.  Feron-Vrau,  3  et  b,  rue  Bayard,  Paris,  VIII'.  -^  Le^gérant  :  E.  Petithesby. 


NESTORIUS 
JUGÉ   D'APRÈS   LE    «   LIVRE  D'HÉRACLIDE  » 


On  parlait  depuis  quelques  années  entre 
savants  d'un  ouvrage  de  Nestorius  re- 
trouvé en  traduction  syriaque  dans  un 
manuscrit  de  la  bibliothèque  du  patriarche 
nestorien,  à  Kotchanès,  dans  le  Kurdistan 
turc,  et  portant  le  titre  bizarre  de  Baiar 
d'Héraclide.  Les  rares  initiés  qui  avaient 
pu  en  prendre  connaissance  en  parlaient 
comme  dune  découverte  inappréciable 
pour  l'histoire  de  la  controverse  nesto- 
rienne,  et  plusieurs,  donnant  raison  aux 
'^  historiens  et  aux  théologiens  qui,  à  travers 
les  siècles,  ont  avancé  que  cette  contro- 
verse avait  été  une  pure  logomachie,  con- 
cluaient, après  l'avoir  parcouru,  que  Nes- 
torius n'avait  pas  été  nestorien.  Parmi 
ces  derniers,  il  faut  nommer  M.  Béthune 
Baker,  qui  fit  paraître  en  1908  un  livre 
dédié  à  Nestorius  et  à  l'Eglise  nesto- 
rienne,  dans  lequel  le  condamné  du  con- 
cile d'Ephèse  recevait  un  brevet  d'ortho- 
doxie (1).  Le  public,  qui,  n'ayant  pas 
à  sa  disposition  la  principale  pièce  du 
procès,  ne  pouvait  contrôler  tous  les  dires 
de  M.  Baker,  fit  en  général  bon  accueil 
à  ses  affirmations. 

La  légende  (car  c'en  était  une)  de  l'or- 
thodoxie de  Nestorius  commençait  à  se 
répandre  quand,  en  19 10,  M.  P.  Bedjan, 
Lazariste,  a  fait  paraître  le  texte  syriaque 
de  l'ouvrage  de  Nestorius  sous  le  titre  : 
le  Livre  d'Héradidede  Damas{2).  M.  l'abbé 
F.  Nau  en   a  publié,   presque  en  même 


ùi  Nestorius  and  his  Teaching  a  fresh  exami- 
nation  of  the  évidence  with  spécial  référence  ta 
the  newlr  recovered  Apology  of  Nestorius  1  The 
Ba\ar  of  Heraclides).  Cambridge,  1908,  in-12, 
xviii-232  pages.  Voir  Echos  d'Orient,  t.  XIII  (1910), 
p.  121. 

(2)  Nestobils,  le  Livre  d'Héraclide  de  Damas. 
Paris,  1910.  In-8  ,  684  pages.  M.  F.  Nau,  Note  sur 
le  titre  «  Tegourtà  Heraclidis  »  {Revue  de  l'Orient 
chrétien,  t.  XIV,  1909),  a  fait  remarquer  que  le 
mot  syriaque  Tegourtà,  équivalent  du  grec  :rpavu.a- 
T£ia,  devait  se  traduire  par  traité  ou  livre  et  non 
par  bazar,  p.  208-2C9. 


Echos  d'Orient,    14'  année. 


temps,  une  bonne  traduction  française  (  1  ). 
L'un  et  l'autre,  dans  leurs  introductions, 
ne  sont  pas  de  l'avis  de  M.  Baker.  Us 
trouvent  que  Nestorius  a  professé  une 
doctrine  hérétique,  touchant  le  mode 
d'union  de  la  nature  divine  et  de  la  nature 
humaine  en  Jésus-Christ.  C'est  une  con- 
viction semblable  que  nous  a  laissée  la 
lecture  du  Livre  d'Héraclide  traduit  par 
M.  Nau.  Faire  connaître  au  lecteur  les 
motifs  de  cette  conviction,  après  lui  avoir 
donné  quelques  indications  sur  l'ouvrage 
de  Nestorius,  tel  est  le  but  du  présent 
article. 

*  * 
Le  Livre  d'Héraclide  de  Damas,  un  des 
ouvrages  les  plus  ennuyeux  qui  soient 
sortis  de  la  main  des  hommes  (2),  fut  com- 
posé par  Nestorius  dans  sa  vieillesse  et 
terminé  en  431,  presque  à  la  veille  de  sa 
mort,  arrivée  entre  la  convocation  et  l'ou- 
verture du  concile  de  Chalcédoine.  Pour- 
quoi ce  titre  de  Livre  d'Héraclide?  Parce 
que  les  écrits  portant  le  nom  de  Nestorius 
étaient  condamnés  au  feu  et  que  l'auteur, 
dit  le  traducteur  syrien,  «  craignait  que 
son   propre  nom.  abhorré   de  beaucoup 


(1)  Nestorils,  le  Livre  d'Héraclide  de  Damas, 
traduit  en  français  par  F.  Nau,  avec  le  concours 
du  R.  P.  Bedjan  et  de  M.  Briére,  suivi  du  texte  grec 
des  trois  homélies  de  Nestorius  sur  les  tentations 
de  Notre-Seigneur  et  de  trois  appendices  :  Lettre 
à  Cosme.  Présents  envoyés  d'Alexandrie  aux 
chambellans  de  la  cour  impériale.  Lettre  de  Nes- 
torius aux  habitants  de  Constantinople.  Paris. 
Letouzey  et  Ané,  1910.  in-8\  xxviii-404  pages.  Prix  : 
10  francs.  La  traduction  de  M.  Nau  ne  mérite  que 
des  éloges.  Elle  est  bien  française  et  aussi  claire 
qu'elle  peut  l'être.  On  v  remirque  quelques  fautes 
d'impression, spécialementdans  la  numérotation  des 
références.  Ce  qui  est  dit  dans  l'introduction  sous 
la  rubrique  :  les  Doctrines,  p.  xii-xvi,  ne  nous 
paraît  pas  tout  à  fait  au  point.  Les  traducteurs 
latins  ont  moins  faussé  que  ne  pense  M.  Nau  la 
vraie  pensée  de  saint  Cyrille. 

(2)  Il  faut  beaucoup  de  courage  pour  le  lire  jus- 
qu'au bout.  Que  n'a-t-il  pas  fallu  d'héroïsme  pour 
le  traduire? 

Mars    igii. 


66 


ÉCHOS  d'orient 


de  gens,  ne  les  empêchât  de  le  lire  »  (i). 
L'ouvrage  porte  toutes  les  marques  d'au- 
thenticité qu'on  peut  souhaiter.  On  n'y 
surprend  qu'une  interpolation  évidente  : 
la  prophétie  sur  saint  Léon  «  qui  devra 
remettre  les  vases  sacrés  aux  mains  des 
barbares  »  (2).  La  version  syriaque  est 
assez  obscure  par  endroits;  elle  présente 
peu  de  lacunes,  mais  on  y  soupçonne 
quelques  interversions.  Quant  au  carac- 
tère et  au  contenu  du  livre,  voici  ce  qu'en 
dit  M,  Nau  : 

C'est  un  ouvrage  de  controverse  philoso- 
phique et  théologique,  où  l'histoire  ne  joue 
qu'un  rôle  secondaire;  Nestorius  a  reçu  les 
Actes  du  concile  d'Ephèse  et  il  se  propose 
de  les  commenter  à  son  point  de  vue,  en 
réfutant  les  accusations,  en  mettant  en  relief 
les  fautes  de  procédure  et  en  précisant  l'objet 
du  litige  et  ses  accusations  contre  Cyrille 
(p.  88-290).  Il  ajoute  une  introduction  phi- 
losophico-théologique  sur  les  diverses  héré- 
sies (p.  5-88)  et  un  appendice  sur  les  consé- 
quences que  sa  condamnation  a  entraînées 
(p.  290-331). 

Dans  le  corps  de  l'ouvrage  (88-290),  il 
suit  l'ordre  des  Actes  :  d'abord  (^88-1 16),  les 
préliminaires  du  concile  et  la  question  de 
forme  :  origine  de  la  controverse  au  sujet 
de  la  locution  «  Mère  de  Dieu  »  (91-92), 
mobiles  de  Cyrille  (92-95  ),  lettres  de  Cyrille 
et  de  Nestorius,  tenuede  la  première  session, 
sans  attendre  les  Orientaux  ni  les  légats  du 
Pape,  sous  la  présidence  de  Cyrille,  qui 
était  l'un  des  accusés  ;  protestation  des  autres 
évéques,  du  comte  Candidianus  et  de  l'em- 
pereur (95-116);  puis  viennent,  prises  dans 
les  Actes,  les  paroles  de  Pierre,  prêtre 
d'Alexandrie,  de  Memnon,  de  Cyrille,  de 
Juvénal,  de  Théodote  et  d'Acace  (i  i6-i25); 
à  l'occasion  du  symbole  de  Nicée,  qui  a  été 
lu  ensuite  au  concile,  Nestorius  oppose  sa 
manière  de  le  comprendre  à  celle  de  Cyrille 
et  continue  la  comparaison  de  leurs  lettres 
(i 26-1 63);  il  cite  ensuite  et  commente  l'un 
après  l'autre  les  fragments  qu'on  lui  a 
attribués  à  Ephèse  (i63-235);  il  raconte  à  sa 
manière  comment  on  a  forcé  la  main 
à  l'empereur  pour  lui  faire  accepter  le  fait 


(i)  Le  livre  d'Héraclide,  trad.  Nau,  p.  3. 
(2)  P.  33i.  Allusion  au  pillage  de  Rome  par  Gen- 
séric,  en  455. 


accompli  (235-259);  il  examine  cnlin  la 
lettre  de  Cyrille  à  Acace  et,  à  son  occasion, 
l'accord  avec  les  Orientaux  (259-290). 

Dans  l'appendice,  qui  est  fort  intéressant, 
Nestorius  commente  la  campagne  contre 
Théodore  et  Diodore,  le  concile  de  Flavien. 
la  lettre  de  saint  Léon,  le  conciliabule 
d'Ephèse  (  i). 

A  y  regarder  de  près,  cet  ouvrage 
n'apprend  rien  de  nouveau,  au  point  de 
vue  historique,  sauf  quelques  détails  et 
quelques  interprétations  des  faits,  qui 
seront  toujours  sujets  à  caution  tant 
qu'on  ne  pourra  les  contrôler  par  ailleurs, 
parce  que  l'auteur  fait  sa  propre  apologie 
et  que  le  ton  de  sa  polémique  est  loin 
de  respirer  la  sérénité.  On  n'y  trouve 
aucune  pièce  nouvelle  qu'on  ne  connût 
déjà.  Nestorius  nous  y  apparaît  tel  que 
nous  le  dépeignent  les  documents  con- 
temporains :  violent,  entêté,  incapable  de 
saisir  une  pensée  contraire  à  la  sienne, 
vaniteux,  bavard  intarissable  ressassant 
toujours  les  mêmes  choses.  Au  demeu- 
rant, il  ne  laisse  pas  d'inspirer  quelque 
sympathie,  soit  parce  que  ses  adversaires 
ne  paraissent  pas  avoir  été  toujours  irré- 
prochables dans  leurs  procédés  à  son 
égard,  soit  parce  qu'on  sent  que,  chez 
lui,  c'est  moins  le  cœur  que  l'esprit  qui 
est  en  défaut. 

Au  point  de  vue  théologique,  le  Livre 
d'Héraclide,  sans  nous  livrer  de  secret 
proprement  dit,  a  une  réelle  importance, 
parce  qu'il  nous  fait  connaître  dans  son 
fond  la  doctrine  christologique  de  son 
auteur.  Cette  doctrine  n'était  point  un 
mystère  pour  qui  avait  lu  les  écrits  polé- 
miques de  saint  Cyrille,  les  Actes  du 
concile  d'Ephèse  et  surtout  les  homélies,  j 
les  lettres  et  les  fragments  divers  qui  nous  1 
restaient  de  Nestorius  et  qu'avait  re- 
cueillis récemment  M.  F.  Loofs  (2).  Il 
était  clair,  d'après  tous  ces  documents,  que 
Nestorius  avait  véritablement  enseigné, 
non  pas   toujours  en  paroles,   mais  en 

(1)  P.    XVIII-XIX. 

(2)  F.  Loofs,  Nestoriana,  Die  Fragmente  des  Nes- 
torius gesammelt,  untersucht  und  herausgegeben. 
Halle,  igo5. 


NESTORIUS  JUGE    PAR    LE    «    LIVRE    D  HERACLIDE    » 


67 


réalité,  tout  ce  qu'on  entend  habituelle- 
ment sous  le  nom  de  nestorianisme:  néga- 
tion dje  la  maternité  divine  de  Marie, 
affirmation  de  deux  personnes,  de  deux 
fils  en  Jésus-Christ,  union  extrinsèque  et 
morale,  non  physique  et  substantielle,  de 
la  nature  divine  et  de  la  nature  humaine 
dans  l'Homme-Dieu. 

Cependant,  comme  en  certains  pas- 
sages, l'hérésiarque  s'exprimait  d'une 
manière  correcte  et  irréprochable,  qu'il 
défendait,  par  exemple,  de  dire  deux  Fils, 
deux  Christs,  deux  Seigneurs,  qu'il  ne 
rejetait  pas  absolument  le  mot  Tbeoiocos 
et  qu'il  proclamait  hautement  la  divinité 
du  Christ,  qu'en  un  mot  il  avait  souvent 
l'apparence  de  l'orthodoxie,  sans  en  avoir 
la  réalité,  certains  esprits  plus  indulgents 
que  perspicaces  pouvaient  se  permettre 
d'absoudre  Nestorius  d'hérésie,  prétendre 
qu'il  était  orthodoxe  tout  autant,  sinon 
plus,  que  saint  Cyrille,  et  avancer  que 
toute  la  controverse  nestorienne  ne  repo- 
sait que  sur  une  divergence  de  termino- 
logie. Pareilles  affirmations  ne  pourront 
désormais  en  imposer  à  personne,  devant 
les  explications  trop  claires  et  trop  sou- 
vent répétées  que  l'on  trouve  dans  le 
Livre  d'Héradide.  La  théorie  de  l'union 
des  deux  natures,  exposée  par  Nestorius 
dans  cet  ouvrage,  peut  se  résumer  dans 
les  points  suivants  : 

r^  Comme  il  n'y  a  pas  de  nature  com- 
plète sans  personnalité  (i)et  que  le  Verbe 
s'est  uni  à  une  nature  humaine  complète, 
il  s'ensuit  qu'en  Jésus-Christ  la  nature 
humaine  conserve  sa  personnalité  et 
qu'elle  subsiste  en  elle-même  et  non  dans 
le  Verbe. 

2°  L'union  de  la  personne  du  Verbe  et 
de  la  personne  humaine  est  volontaire^ 
c'est-à-dire  se  fait  par  la  volonté,  par 
compénétration  amoureuse  des  deux,  de 
telle  manière  qu'il  n'y  a  plus  qu'une  seule 
volonté  morale.  11  y  a  don  mutuel  de 
chaque  personne  l'une  à  l'autre,  et 
comme  un  prêt  et  un  échange  des  per- 
sonnalités (prosôpons).   Cet  échange  per- 

II)  Nestorius  dit:  sans  prosôpon  naturel. 


met  d'affirmer  que  les  deux  personnalités 
naturelles  aboutissent  à  une  personnalité 
morale  unique,  que  Nestorius  appelle  le 
prosôpon  d'union  :  «  La  divinité  (ou  le 
Verbe)  se  sert  du  prosôpon  de  l'humanité,  et 
l'humanité  (ou  l'homme)  de  celui  de  la 
divinité;  de  cette  manière,  nous  disons  un 
seul  prosôpon  pour  les  deux  (i). 

30  Cette  personnalité  artificielle  et  pu- 
rement dénominative,  ce  prosôpon  écono- 
mique, ce  masque  unique  jeté  sur  la  face 
de  Dieu  le  Verbe  et  de  l'homme  Jésus,  est 
désigné  par  les  termes  de  Fils,  de  Christ, 
de  Seigneur.  C'est  pourquoi  Nestorius 
affirme  souvent  qu'il  n'y  a  qu'un  seul 
Christ,  qu'un  seul  Fils,  qu'un  seul  Sei- 
gneur; mais  chacun  de  ces  mots  éveille 
dans  la  pensée  nestorienne  l'idée  de  deux 
personnes,  la  divine  et  l'humaine,  qui 
demeurent  distinctes  et  sans  confusion. 

4^'  Du  moment  que  la  personne  du 
Verbe  d'une  part,  et  la  p>ersonne  de 
l'homme,  d'autre  part,  restent  parfaite- 
ment distinctes  et  continuent  à  subsister 
chacune  en  elle-même,  que  leur  union 
n'est  que  morale,  et  non  physique  et 
substantielle,  du  moment  qu'il  y  a  deux 
sujets  d'attribution,  deux  moi,  il  s'ensuit 
qu'on  ne  peut  attribuer  à  Dieu  le  Verbe 
les  propriétés  et  les  actions  de  la  personne 
humaine  et  vice  versa.  On  ne  pourra  pas 
dire  de  Dieu  le  Verbe  qu'il  est  né  de  la 
Vierge  Marie,  qu'il  a  souffert,  qu'il  est 
mort.  On  ne  pourra  pas  appeler  Marie 
^soTÔzo;,  au  sens  propre  du  mot  et  sans 
faire  des  réserves.  En  un  mot,  ce  que  les 
théologiens  appellent  la  communication  des 
idiomes  n'est  pas  permise  par  rapport 
à  Dieu  le  Verbe. 

50  Cette  communication  des  propriétés 
peut  cependant  se  faire  par  rapport  aux 
termes  qui  désignent  le  prosôpon  d'union, 
c'est-à-dire  par  rapport  aux  mots  Christ, 
Fils,  Seigneur.  Dès  lors,  on  pourra  très 
bien  dire  que  Marie  est  mère  du  Christ, 
Xp'.TTOTÔxo;,  parce  que  ce  nom  de  Christ 
fait  songer  à  la  fois  aux  deux  personnes 
qui  sont  unies,  à  la  personne  divine  et 

it  Le  Livre  d'Héradide,  p.  212-213. 


68 


ECHOS   D  ORIENT 


à  la  personne  humaine,  et,  tout  naturel- 
lement, l'esprit  attribuera,  dans  ce  cas,  la 
naissance  à  la  personne  humaine.  On 
affirmera  aussi  que  la  Vierge  a  enfanté 
le  Fils,  le  Seigneur,  que  le  Christ,  le  Fils, 
le  Seigneur  est  Dieu  et  aussi  qu'il  est 
homme,  parce  que  chacun  de  ces  termes 
désigne  à  la  fois  les  deux  natures  com- 
plètes, les  deux  personnes  qui  se  font 
don  mutuellement  de  certains  titres  les 
dénommant  toutes  les  deux  à  cause  de 
leur  intime  union. 

6°  Nestorius  n'ayant  pas  la  notion  d'une 
nature  abstraite,  mais  entendant  toujours 
par  ce  mot  une  nature  individuelle  con- 
crète et  douée  de  personnalité,  on  com- 
prend pourquoi  il  mêle  constamment 
dans  son  langage  les  termes  concrets  et 
les  termes  abstraits,  qui  sont  pour  lui 
équivalents  :  ce  qui  le  fait  parler  parfois 
d'une  manière  orthodoxe;  mais  il  ne  faut 
point  s'y  laisser  prendre  :  c'est  une  ortho- 
doxie purement  verbale. 

Justifions  par  quelques  citations  em- 
pruntées au  Livre  d'Héradide  les  divers 
points  de  cette  petite  synthèse. 

1.  Le  Verbe  s'est  uni 
A  une  personne  humaine. 

Que  Nestorius  ait  suivi  ou  non  les 
leçons  de  Théodore  de  Mopsueste,  une 
chose  est  certaine  :  c'est  qu'il  mérite  vrai- 
ment d'être  appelé  son  disciple  en  chris- 
tologie.  C'est,  chez  l'un  et  chez  l'autre,  la 
même  conception  de  l'union  des  deux  na- 
tures, et  tous  deux  partent,  pour  l'établir, 
du  même  principe  philosophique.  Ce 
principe  est  celui-ci  :  toute  nature  com- 
plète est  une  personne. 

Lorsque  nous  distinguons  les  natures 
(en  Jésus-Christ),  dit  Théodore,  nous 
disons  que  la  nature  de  Dieu  le  Verbe  est 
complète,  et  complète  aussi  la  personne, 
car  on  ne  saurait  avancer  qu'une  hypo- 
stase  {ou  nature)  est  impersonnelle;  de 
même,  nous  disons  que  la  nature  de 
l'homme  est  complète,  elle  aussi,  et  com- 
plète la  personne.  Cependant,  quand  nous 
considérons  l'union,   -rr.v   duvâ-^eiav,    nous 


disons  alors  qu'il  n'y  a  qu'une  personne, 

rrpdffojTTOv  (l). 

Nestorius  dit  dans  le  même  sens: 

Toute  nature  complète  n'a  pas  besoin 
d'une  autre  nature  pour  être  et  pour  vivre; 
car  elle  possède  en  elle  et  elle  a  reçu  tout  ce 

qu'il  faut  pour  être Comment  donc  des 

deux  natures  complètes  dis-tu  une  seule 
nature,  puisque  l'humanité  est  complète 
et  n'a  pas  besoin  de  l'union  de  la  divinité 
pour  être  homme?  (2) 

Sous  le  prosôpon  naturel  il  y  a  une 
nature  (3). 

La  divinité  subsiste  unie  à  l'humanité, 
et  l'humanité  subsiste  en  nature  unie  à  la 
divinité  (4). 

Ce  n'est  pas  pour  cela  que  tu  me  répri- 
mandes (il  s'agit  de  Cyrille),  mais  c'est 
parce  que  je  sépare  les  propriétés  de  l'union 
à  chacune  des  natures,  de  sorte  que  cha- 
cune de  celles-ci  subsiste  dans  son  hypo- 
stase.  Je  ne  dis  pas  qu'elles  remontent  à 
Dieu  le  Verbe,  comme  s'il  était  les  deux 

par    essence Tu     l'appelles    homme 

comme  chose  superflue,  par  le  nom  et  en 
paroles  seulement,  puisque  tu  n'acceptes 
pas  de  reconnaître  l'essence  et  l'opération 
de  l'homme,  et  l'existence  de  deux  natures 
dans  leurs  propriétés,  dan<i  l'hyposiase  et 
dans  l'essence  de  chacune  d  elles  (5). 

L'humanité  utilise  le  prosôpon  delà  divi- 
nité et  la  divinité  le  prosôpon  de  l'huma- 
nité (6). 

Je  dis  deux  natures,  et  autre  est  celui  qui 
revêt  et  autre  celui  qui  est  revêtu;  et  il  y  a 
deux  prosôpons  :  de  celui  qui  revêt  et  de 
celui  qui  est  revêtu  (7). 

De  ces  passages  et  autres  semblables, 
qui  abondent  dans  le  Livre  d'Héradide,  il 
ressort  clairement  que,  d'après  Nestorius, 
la    nature    humaine   en  Jésus-Christ    est 

(i)  "Otocv  |X£v  yàp  Taç  ç-j(7£t;  Staxpt'vwjxev,  T£>,£îav 
Tr|V  ç'jffiv  ToO  0cO-3  Aôyou  çajtèv  xai  T£>.£tov  tô  Ttpo- 
(TWTTOV  oySÈ  yàp  àTipôffWTtdv  àffTtv  ûitdo-faff'.v  £l7r£Ïv. 
xE/.îîav  5È  xat  ttiV  toC  àvÔpojTtoy  yùdiv,  xai  tÔ  7:p<5- 
(TtoTTOv  ôixot'w;-  "0-:av  (aÉvto;  £7tt  rr.v  duvàçEtav  àTiî- 
8w[jL£v,  £v  TipôffwTtov  TÔTî  ?a(i£v.  Fragmenta  dogma- 
tica,  P.  G.,  t.  LXVI,  col.  981. 

(2)  Le  Livre  d'Héradide,  p.  268. 

(3)  P.  274. 
U)  P-  •73- 

(5)  P.  184-185. 

(6)  P.  i83. 

(7)  P-  '93. 


NESTORIUS  JUGÉ    PAR    LE    «    LIVRE    D'HÉRACLIDE    » 


69 


une  vraie  personne,  subsistant  en  elle- 
même,  se  possédant  elle-même  et  sujet 
d'attribution  d'actions  qui  lui  sont  propres, 
d  l'exclusion  de  Dieu  le  Verbe.  On  voit 
aussi  que  pour  lui  les  mots  :  essence, 
oÙT'la,  nature,  'fus-.,;,  hypostase,  j-ôa-raT-.;, 
personne,  -rpôo-w-ov  naturel  ont  une  signi- 
fication identique.  Ils  désignent  la  nature 
concrète,  individuelle  et  douée  de  per- 
sonnalité: aucun  ne  signifie  l'essence 
spécifique  ou  abstraite  par  opposition  à 
l'individu  et  à  la  personne,  Nestorius 
n'a  aucune  notion  de  l'essence  abstraite 
ou  d'une  nature  individuelle  qui  ne  serait 
pas  en  même  temps  une  personne.  C'est 
ce  qu'il  faut  avoir  toujours  présent  à 
l'esprit  quand  on  le  lit,  sous  peine  de 
mal  interpréter  sa  pensée. 

II.  Le  prosôpon  d'union. 

Nous  venons  de  dire  qu'en  termino- 
logie nestorienne  les  mots  :  essence, 
nature,  hypostase,  personne,  sont  syno- 
nymes, du  moins  quand  il  s'agit  de  la 
christologie.  Mais  le  terme  qui  désigne 
la  personne,  le  mot  prosôpon,  a  une  exten- 
sion plus  grande  que  les  autres.  11  y  a 
plusieurs  sortes  de  prosôpons.  Toute  na- 
ture, toute  hypostase  a  son  prosôpon,  le 
prosôpofi  naturel,  mais  tout  prosôpon  n'est 
pas  nécessairement  une  hypostase,  une 
nature,  une  essence  unique. 

Bien  que  le  prosôpon  n'existe  pas  sans 
essence,  cependant  l'essence  et  le  prosôpon 
ne  sont  pas  la  même  chose  1 1). 

En  effet,  en  dehors  du  prosôpon  naturel, 
inséparable  de  chaque  nature,  on  peut 
distinguer  un  prosôpon  artificiel,  moral, 
dénominatif.  Tenir  la  place  de  quelqu'un 
se  dit  :  tenir  le  prosôpon  de  ce  quel- 
qu'un (2).  En  ce  sens,  on  peut  commu- 
niquer son  prosôpon  à  autrui.  Un  roi  com- 
munique son  prosôpon  à  l'ambassadeur 
qui  le  représente  et  en  qui  il  est  présent 
moralem.ent. 


(1)  P.  i5o. 

(2)  p.  25,  118.  Nestorius  dit  aussi:  ils  font  ligure 
{prosôpon)  d'orthodoxes,  p.  3o.  II  parle  du  prosô- 
pon des  Romains,  p.  327. 


11  en  est  de  même  d'un  roi  et  seigneur 
qui  a  pris  le  prosôpon  du  serviteur  comme 
son  prosôpon,  a  donné  son  prosôpon  au 
serviteur  et  a  fait  connaître  que  lui-même 
est  celui-là  et  que  celui-là  est  lui-même  : 
c'est  dans  le  prosôpon  du  serviteur  qu'il 
supporte  les  opprobres,  et  c'est  dans  le 
prosôpon  du  Seigneur  que  le  serviteur  est 
honoré  (i). 

C'est  par  cette  dernière  comparaison 
que  Nestorius  cherche  à  expliquer  l'union 
des  deux  natures-persomies  en  Jésus-Christ. 
Le  Verbe  et  l'homme  ont  échangé  mu- 
tuellement leurs  prosôpons,  et  le  résultat 
de  cet  échange,  de  ce  prêt  réciproque, 
est  un  prosôpon  unique  pour  les  deux  : 

La  divinité  se  sert  du  prosôpon  de  l'hu- 
manité, et  l'humanité  de  celui  de  la  divi- 
nité; de  cette  manière  nous  disons  un  seul 
prosôpon  pour  les  deux  (2). 

L'union  des  prosôpons  a  lieu  en  pro- 
sôpon, et  non  en  essence  ni  en  nature.  On 
ne  doit  pas  concevoir  une  essence  sans 
hypostase,  comme  si  l'union  (des  essences ") 
avait  eu  lieu  en  une  essence  et  qu'il  y  eût 
un  prosôpon  d'une  seule  essence.  Mais  les 
natures  subsistent  dans  leurs  prosôpons 
et  dans  leur  nature  et  dans  le  prosôpon 
d'union.  Quant  au  prosôpon  naturel  de 
l'une,  l'autre  se  sert  du  même  en  vertu  de 
r union:  ainsi,  il  ny  a  qu'un  prosôpon 
pour  les  deux  natures.  Le  prosôpon  d'une 
essence  se  sert  du  prosôpon  même  de 
l'autre.  Mais  quelle  essence  vas-tu  faire 
sans  prosôpon?  Celle  de  la  divinité  ou 
celle  de  l'humanité?  Alors  tu  ne  diras 
plus  que  Dieu  le  Verbe  est  chair  et  aussi 
que  la  chair  est  Fils. 

Si  tu  attribues  à  Dieu  le  Verbe  deux 
natures  :  Dieu  et  l'homme,  et  que  l'homme 
ne  soit  rien,  on  ne  peut  penser  de  toi  rien 
autre  (que  ce  qui  suit  1  :  ou  bien  tu  dis  seu- 
lement le  nom  et  l'apparence  de  l'homme 
sans  nature  qui  aurait  servi  à  désigner  le 
Verbe;  ou  tu  fais  comme  si  l'humanité  a 
été  inutile  en  nature  au  prosôpon  de  l'éco- 
nomie pour  nous  (de  l'Incarnation),  ou 
pour  que  Dieu  le  Verbe  pût  apparaître  et 
souffrir  contre  sa  volonté  les  souffrances 
humaines  (h). 

\l)  P.  52. 

(2)  P.  212-213. 

(3)  P.  193-1^. 


7© 


ÉCHOS    d'orient 


Parmi  les  innombrables  passages  dans 
lesquels  Nestorius  répète  sa  théorie,  au 
point  dagacer  les  nerfs  du  lecteur,  celui 
qu'on  vient  de  lire  mérite  particulièrement 
d'attirer  l'attention.  On  y  saisit  bien  ce 
qu'il  faut  entendre  par  prosôpon  de  l'union 
ou  de  l'économie  et  la  différence  radicale 
qu'il  y  a  entre  ce  prosôpon  unique,  artifi- 
ciel, ce  masque  trompeur,  cette  fiction, 
cette  personne  purement  nominale,  et 
l'unique  personne  réelle,  vivante  du 
Verbe  incarné  qui  supprime  le  moi  hu- 
main et  en  qui  subsiste  la  nature  humaine, 
selon  l'enseignement  de  saint  Cyrille  et  la 
doctrine  de  l'Eglise. 

Cette  union  en  un  prosôpon  unique  ne 
peut  être  que  morale.  Nestorius  dit  :  vo- 
lontaire et  amoureuse. 

Les  natures  qui  sont  unies  volontaire- 
ment reçoivent  l'union,  non  en  une  seule 
nature,  mais  pour  produire  l'union  volon- 
taire du  prosôpon  de  l'économie  (i). 

Les  deux  natures  sont  séparées  dans  l'es- 
sence, mais  sont  unies  par  l'amour  et  dans 
le  mém& prosôpon  (2). 

Par  les  actions,  le  Christ  s'est  fait  une 
image,  afin  de  vouloir  ce  que  Dieu  voulait, 
pour  qu'il  n'y  eût  dans  les  deux  qu'une 
seule  et  même  volonté  et  un  seul  prosôpon 
sans  division  ;  celui-ci  est  celui-là  et  celui-là 
est  celui-ci,  tandis  que  l'un  et  l'autre  sub- 
sistent (3). 

Pour  expliquer  le  prosôpon  d'union, 
Nestorius  aime  à  s'appuyer  sur  le  fameux 
texte  de  l'épître  aux  Philippiens  (ii,  7-8)  : 
Formam  servi  accipiens,  in  siniilitudinem 
bomimmi  factus  et  habitû  inventus  ut 
homo  : 

Il  prit  la  forme  du  serviteur;  ce  n'est 
pas  l'essence  de  l'homme  qui  était  la  forme 
du  serviteur;  mais  celui  qui  la  prit  en  fit 

son  image  et  son  prosôpon Celui  qui 

fut  pris  avait  l'essence  et  la  nature  de 
l'homme;  mais  celui  qui  prit  fut  trouvé 
homme  par  son  aspect  sans  avoir  la  nature 


(1)  P.  35. 

(2)  P.  5o. 

(3}  P.  63.  A  force  d'insister  sur  l'unité  de  volonté, 
les  nestoriens  ont  fini  par  tomber  dans  le  monothé- 
lisme  (Nat,  p.  xii). 


de  l'homme.  Car  il  ne  prit  pas  la  nature, 
mais  la  forme,  la  Jorme-  et  l'apparence  de 
l'homme,  dans  tout  ce  que  le  prosôpon 
comporte  1 1  ). 

L'Apôtre  dit  d'abord  «  la  forme  de 
Dieu  »  gui  est  la  similitude  de  Dieu,  et 
ensuite  :  «  il  prit  la  forme  du  serviteur  ». 
ni  pour  l'essence,  ni  pour  la  nature,  mais 
pour  la  similitude  et  le  prosôpon,  pour  par- 
ticiper à  la  forme  du  serviteur  et  pour  que 
la  forme  du  serviteur  participât  aussi  à  la 
forme  de  Dieu,  afin  qu'il  y  eût  nécessaire- 
ment un  seul  prosôpon  avec  les  deux 
natures.  Car  la  forme  est  le  prosôpon  (21. 

Ce  passage  achève  de  nous  montrer  le 
côté  fictif  et  artificiel  du  prosôpon  d'union. 
L'union  des  deux  natures  est  une  union 
par  imputation,  affirmation  et  déclaration. 
Le  Verbe  considère  comme  sienne  la  per- 
sonne humaine;  il  se  l'approprie  par 
bienveillance,  par  affection;  à  son  tour,  la 
personne  humaine  considère  comme 
sienne  la  personne  du  Verbe  et  lui  est 
étroitement  unie  par  l'amour.  C'est  un 
don  mutuel  comme  celui  qui  se  fait  par 
l'amitié  :  le  mien  est  le  tien  et  le  tien  est 
le  mien. 

Les  comparaisons  auxquelles  Nestorius 
a  recours  pour  faire  comprendre  sa  théo- 
rie suggèrent  l'idée  d'une  union  morale 
et  extrinsèque.  Nous  avons  déjà  signalé 
la  comparaison  du  roi  qui  veut  qu'on 
considère  son  serviteur  comme  fui-méme. 
En  voici  d'autres  : 

Que  le  corps  ait  été  le  temple  de  la  divi- 
nité de  Dieu  le  Verbe,  et  que  le  temple  ait 
été  uni  par  une  adhésion  supérieure 
[n'jviov.x)  de  la  divinité,  au  point  de  s'attri- 
buer ce  qui  lui  est  propre  par  la  liaison  de 
la  nature  de  la  divinité,  c'est  beau  à  con- 
fesser et  conforme  à  la  tradition  des  Evan- 
giles; mais  non  qu'il  le  prit  pour  son 
essence  (3). 

Comment    dites- vous   de    moi    que   je 
divise  l'union  comme  par  un  éloignement. 
local  parce  que  j'ai  dit:  à  cause  de  celui 
qui  est  revêtu  j'adore  le  vêtement?  Car  le 


(n  P.-  145. 
(21  P.  147. 

(3j  Pour  son  essence,  c'est-à-dire   pour  le  faire 
subsister  dans  l'unité  de  sa  personne,  p.   iSg. 


NESTORIUS  JUGÉ    PAR    LE    «    LIVRE    D'HÉRACLIDE    » 


7» 


vêtement  n'est  pas  en  dehors  de  celui  qui 
le  revêt,  ni  celui  qui  est  revêtu  en  dehors 
du  vêtement,  mais  il  est  conçu  de  la  même 
manière.  En  conséquence,  on  ne  peut 
pas  adorer  celui  qui  est  revêtu  en  dehors 
du  costume  qu'il  a  avec  lui,  et  sous  lequel 
il  siège  avec  le  Père  (il. 

Dieu  le  Verbe  et  l'homme  se  servent  des 
prosôpons  naturels  de  l'une  et  de  l'autre 
nature  dans  ce  qui  leur  est  propre;  comme 
le  feu  était  dans  le  buisson  et  le  buisson 
était  feu,  et  le  feu  était  buisson,  et  chacun 
d'eux  était  buisson  et  feu,  et  il  n'y  avait 
pas  deux  buissons  ni  deux  feux.  Car  tous 
deux  étaient  dans  le  feu  et  tous  deux  dans 
le  buisson,  non  comme  séparés,  mais 
comme  unis.  Des  deux  natures  proviennent 
des  prosôpons  naturels  {2). 

Cette  dernière  comparaison  exprime 
une  union  plus  intime;  certains  Pères 
orthodoxes  en  ont  employé  d'appro- 
chantes ;  mais  il  faut  se  souvenir  que 
Nestorius  maintient  deux  personnes  dis- 
tinctes. Le  buisson  reste  buisson  et  le  feu 
reste  feu,  bien  qu'ils  soient  unis. 

m.  Le  Christ,  le  Fils,  le  Seigneur. 

De  l'union  des  deux  personnes  divine 
et  humaine  résulte,  dit  Nestorius,  une 
personnalité  supérieure  unique  ou  proso- 
pon  d'union.  Cette  personnalité  supérieure 
n'est  pas  Dieu  le  Verbe,  car  Dieu  le  Verbe 
est  un  des  composants  et  ne  dénomme 
que  la  nature  divine  : 

Le  prosôpon  ne  se  trouve  pas  dans  l'es- 
sence; il  n'est  pas  i  par  exemple)  dans 
l'essence  de  Dieu  le  Verbe  qui  n'est  pas  le 
prosôpon  d'union  des  natures  qui  se  sont 
unies,  de  manière  à  unir  les  essences  dans 
un  prosôpon  de  Dieu  le  Verbe,  car  il  n'est 
pas  les  deux  par  essence  (3). 

Il  faut  cependant  donner  un  nom  à  ce 
prosôpon  unique  commun  aux  deux  per- 
sonnes unies  : 

Autre,  en  effet,  est  le  nom  qui  indique 
deux  natures  et  autre  celui  qui  en  indique 

une  (4). 

'K  p.  159. 
-^  P.  141. 
-^i  P.  146. 

■4'  P.  i85. 


Le  nom  qui  indique  les  deux  natures 
unies  est  celui  de  Christ.  C'est  aussi  celui 
de  Fils  et  celui  de  Seigneur.  C'est  pour- 
quoi on  doit  dire  un  seul  Christ,  un  seul 
Fils,  un  seul  Seigneur. 

Le  nom  de  Christ  indique  les  deux 
natures  (i). 

Le  prosôpon  commun  des  deux  natures, 
c'est  le  Christ  (2). 

L'union  est  dans  un  seul  prosôpon  du 
Christ  (3). 

Le  nom  de  Christ,  ou  de  Fils,  ou  de 
Seigneur,  qui  est  attribué  au  Fils  unique 
par  les  Livres  divins,  est  l'indice  de  deux 
natures  :  tantôt  il  indique  la  divinité,  tan- 
tôt l'humanité  et  tantôt  les  deux  141. 

C'est  au  Christ  qu'appartiennent  les  deux 
natures  et  non  à  Dieu  le  Verbe  (5). 

Il  en  est  du  nom  de  Dieu  comme  du 
nom  de  Fils;  l'un  indique  les  natures  et 
l'autre  le  prosôpon  du  Fils.  Le  même  est 
Dieu  et  Fils,  et  il  n'y  a  qu'un  prosôpon 
pour  les  deux  natures  et  non  pour  une 
essence;  c'est  pourquoi  les  deux  natures 
forment  un  seul  tils  et  elles  sont  en  un 
fils  (6). 

Il  n'y  a  pas  un  autre  et  un  autre,  parce 
que  le  Christ  n'est  pas  sans  Dieu  le  Verbe, 
ni  Dieu  le  Verbe  sans  le  Christ,  mais  on 
reconnaît  un  autre  et  un  autre,  parce  que 
le  Christ  est  formé  dans  l'union  à  l'aide 
de  Dieu  le  Verbe  et  de  l'humanité  (7). 

Cette  différence  de  signification  entre 
le  mot  «  Dieu  le  Verbe  »  et  les  mots  Fils, 
Seigneur,  Christ  ou  Sauveur  (8),  Nesto- 
rius cherche  à  l'appuyer  sur  l'usage  de 
l'Ecriture  et  aussi  sur  le  symbole  de  Nicée, 
qui  dit  :  «  Je  crois  en  un  seul  Seigneur 

Jésus-Christ,  le  Fils  de  Dieu qui  est 

né,  qui  a  souffert,  etc.  ».  11  reproche  vi- 
vement à  Cyrille  d'avoir  commencé  le 
symbole  en  substituant  le  mot  «  Verbe  » 
au  mot  «  Seigneur  Jésus-Christ  »  (9). 


Il)  Ibid. 
<2)  P.  281. 
(3)  P.  127. 
14)  P.  228-229. 
(5)  P.  i5o. 
(61  P.  191. 
ij)  P.  186. 

(8)  D'un  autre  et  d'un  autre  résulte  notre  Sau- 
veur, p.  186. 

(9)  P.  .79. 


72 


ECHOS   D  ORIENT 


IV.  La  COMMUN' ication  des  idiomes. 

On  devine  tout  de  suite  par  ce  qui 
précède  comment  Nestorius  va  envisager 
la  communication  réciproque  des  pro- 
priétés des  deux  natures.  Cette  commu- 
nication ne  pourra  se  faire  que  sur  le 
prosôpon  d'union  et  sur  les  noms  qui  le 
désignent.  Au  Christ,  au  Fils,  au  Seigneur 
on  pourra  attribuer  tous  les  attributs 
divins  et  humains.  Le  Christ  est  Dieu 
parfait  et  homme  parfait,  le  Fils  aussi, 
le  Seigneur  aussi.  Le  Christ  est  à  la  fois 
passible  et  impassible,  Fils  de  Dieu  et 
Fils  de  Marie.  Mais  la  communication  des 
propriétés  est  interdite  par  rapport  à 
Dieu  le  Verbe  et  par  rapport  à  la  per- 
sonne humaine  considérée  comme  telle  : 

Celui  qui  apparaissait  par  essence,  j'ai 
dit  qu'il  était  d'entre  les  Juifs  et  qu'il 
n'était  pas  Dieu  le  Verbe;  car  je  confesse 
que  l'homme  en  essence  et  en  nature  est 
d'entre  les  Juifs  et  n'est  pas  Dieu  le  Verbe 
en  nature.  Je  dis  que  l'homme  en  nature 
est  en  dehors  de  la  nature  de  Dieu  le  Verbe, 
mais  il  est  Dieu  par  cette  union  qui  a  lieu 
dans  le  prosôpon  (i  ). 

Si  tu  lis  tout  le  Nouveau  Testament,  tu 
n'y  trouveras  pas  que  la  mort  soit  attribuée 
à  Dieu  le  Verbe,  mais  au  Christ,  ou  au 
Seigneur,  ou  au  Fils  (2). 

Cyrille  a  dit  que  tout  ce  que  les  livres 
divins  attribuent  au  Christ  doit  être  attri- 
bué à  Dieu  le  Verbe  :  la  naissance  d'une 
femme,  la  croix,  la  mort,  l'ensevelissement, 
la  résurrection,  l'ascension,  la  seconde 
venue,  lorsqu'il  viendra  de  nouveau.  Ce 
n'est  pas  là  ce  que  les  Pères  (de  Nicée)  ont 
commencé  à  dire  (3). 

La  naissance  d'une  femme  ne  peut  donc 
être  attribuée  à  Dieu  le  Verbe.  Voilà 
pourquoi  Nestorius  en  veut  au  mot 
ôeoTÔxoç.  Qu'on  dise  tant  qu'on  voudra 
que  Marie  est  mère  du  Christ,  du  Fils,  du 
Seigneur;  qu'on  se  garde  de  dire  qu'elle 
n'est  que  mère  d'un  homme,  à  cause  de 
l'union  des  natures;  mais  qu'on  n'en  fasse 


(i)P.  179. 

{2)  P.  228-2?o.  Cf.  p.  321,  323,  etc. 
(3)  P.  148. 


pas  une  déesse;  qu'on  ne  dise  pas  que 
Dieu  le  Verbe  est  né  d'elle  : 

Montre-moi  que  Dieu  le  Verbe  est  né, 
selon  la  chair  d'une  femme;  explique  en- 
suite comment  tu  entends  qu'il  est  né 

Commence  par  nous  montrer  que  les 
Pères  l'appellent  Mère  de  Dieu  ou  que 
Dieu  le  Verbe  naquit  dans  la  chair,  ou 
même  qu'il  naquit  de  quelque  manière  (1). 

Ils  proclament  le  nom  de  Mère  de  Dieu 
pour  qu'ils  puissent  dire  que  Dieu  est 
mort.  Quant  aux  Pères  qui  ont  résisté  jus- 
qu'à la  mort  aux  hérétiques,  qui  auraient 
dit  Mère  de  Dieu,  en  réalité,  ils  n'em- 
ploient ces  mots  en  aucun  endroit,  et  ils 
ne  les  ont  pas  insérés  dans  les  écrits  du 
concile  (2). 

La  Vierge  est  par  nature  mère  de 
l'homme,  mais  par  la  manifestation  Mère 
de  Dieu.  Si  tu  dis  qu'il  est  né  d'elle  par 
manifestation  et  non  par  nature,  il  sortit 
donc  uni  à  celui  qui  naquit  d'elle  dans  la 
chair  (3). 

On  voit  par  cette  dernière  citation  que 
Nestorius  n'est  pas  l'adversaire  irréduc- 
tible du  mot  Théotocos.  11  le  rejette  habi- 
tuellement à  cause  du  sens  hérétique 
dont  il  est  susceptible,  mais  sa  théorie 
lui  permet  de  l'accepter,  car  Marie  est 
Mère  de  Dieu  en  tant  qu'elle  est  Mère  du 
Christ,  c'est-à-dire  Mère  de  l'homme  au- 
quel Dieu  le  Verbe  est  uni  (4). 

Le  nom  de  Dieu  peut  s'appliquer  à  la 
personne  humaine  dans  le  Christ,  à  cause 
de  son  union  à  la  personne  divine.  Nes- 
torius nous  l'a  déjà  dit: 

Je  dis  que  l'homme  en  nature  est  en 
dehors  de  la  nature  de  Dieu  le  Verbe,  mais 
il  est  Dieu  par  cette  union  qui  a  eu  lieu 
dans  \q  prosôpon  (5). 

Pour  la  même  raison  et  dans  la  même 
mesure,  l'homme  en  Jésus-Christ  pourra 
participer  à  l'adoration  de  Dieu  le  Verbe  : 


(1)  P.  i3i,  i32. 

(2)  P.  i63. 

(3)  P.  173. 

(41  Dans- les  Nestoriana  publiés  par  Loofs,  on 
trouve  plusieurs  passages  où  Nestorius  dit  ne  pas 
proscrire  absolument  le  Osotoxoç.  Cf.  Nestoriana, 
p.   167,   181,   184.   i85,   191,  272,  273,  3oi,  3o2,  3oq, 

3l2. 

(5)  Le  Livre  d'Héraclide,  p.  179. 


NESTORIUS  JUGE    PAR    LE    «    LIVRE    D'HÉRACLIDE    » 


73 


L'homme  est  adoré  avec  Dieu,  et  il  n'y  a 
pas  deux  adorations,  mais  une;  car,  par 
cette  unique  adoration  de  cette  unique  es- 
sence, l'autre  est  aussi  adorée.  Car  il  n'est 
pas  adoré  par  une  adoration  propre,  celui 
qui  est  adoré  avec  l'autre,  mais  tous   les 

deux  le  sont   ensemble Il    n'est  pas 

adoré  dans  son  prosôpon,  mais  dans  le 
prosôpon  qui  lui  est  uni  et  qui  est  commun 
à  cause  de  l'union  (  i  ). 

V.  Le  mélange  des  termes  concrets 

ET  DES  TERMES  ABSTRAITS 

Ce  qui  déroute  le  plus  au  premier 
abord,  quand  on  lit  Nestorius,  c'est  le 
mélange  continuel  qu'il  fait  des  termes 
concrets  et  des  termes  abstraits.  Ce 
mélange  s'explique  chez  lui  tout  naturel- 
lement, par  le  fait  qu'il  n'a  pas  la  concep- 
tion d'une  nature  qui  ne  soit  pas  en 
même  temps  une  personne.  Nature 
humaine  et  humanité  signifie  un  homme, 
une  personne  humaine.  De  même,  divi- 
nité, nature  divine,  désigne,  quand  il 
parle  de  l'Incarnation,  la  personne  du 
Verbe  et  vice  versa.  C'est  pourquoi  le 
mot  OsoTÔxo?  éveille  tout  de  suite  chez  lui 
l'idée  que  la  Vierge  a  engendré  la  nature 
divine.  De  même,  dire  que  Dieu  le  Verbe 
est  m.ort  équivaudrait  à  affirmer  que  la 
nature  divine  est  passible  et  mortelle. 
Affirmer  qu'il  y  a  deux  natures  en  Jésus- 
Christ  est  reconnaître,  par  le  fait  même, 
qu'il  y  a  deux  suppôts,  deux  personnes, 
un  autre  et  un  autre,  celui-ci  et  celui-là  : 

Celui  qui  dit  que  la  divinité  et  l'huma- 
nité ne  sont  pas  la  même  chose  définit,  par 
une  distinction  de  nature,  que  celui-ci 
n'est  pas  celui-là  et  que  celui-là  n'est  pas 
celui-ci...  J'ai  dit  que  l'union  de  l'ensemble 
des  natures,  de  la  divinité  et  de  l'humanité 
est  sans  séparation  :  «  que  Dieu  n'est  pas 
séparé  de  celui  qui  est  visible  »  (2). 

Deux  natures,  donc  deux  personnes  : 
Nestorius  se  montre  incapable  de  saisir 
les  choses  autrement.  Aussi  se  trompe- 
t-il   lourdement    lorsqu'il   proclame    son 

P.  211. 
P.  276. 


accord  avec  les  Orientaux  qui  ont  signé  le 
symbole  d'union  de  433  (i),  avec  Flavien 
deConstantinople(2)etavecsaintLéon(3), 
parce  que  tous  ceux-là  affirment  deux 
natures  distinctes  et  sans  confusion  dans 
l'unique  personne  de  Jésus-Christ.  11  ne 
s'aperçoit  pas  que  ses  deux  natures  à  lui 
ne  correspondent  pas  aux  deux  natures 
des  autres,  ni  que  l'unique  personne  de 
saint  Léon  n'est  pas  l'unique  prosôpon 
d'union  inventé  par  Théodore  de  Mop- 
sueste.  C'est  avec  ce  dernier  seul  que 
Nestorius  est  d'accord,  et  il  a  raison  de 
le  reconnaître  (4). 

VL  Nestorius  et  saint  Cyrille. 

Saint  Cyrille  est  vivement  pris  à  partie 
dans  tout  le  Livre  d'Héraclide.  Il  serait 
trop  long  d'examiner  un  à  un  les  divers 
griefs  qu'élève  contre  lui  Nestorius  et 
d'en  peser  la  valeur.  Qu'il  nous  suffise 
de  dire  que  l'évêque  d'Alexandrie  a  bien 
compris  l'hérésiarque  et  n'a  point  faussé 
sa  pensée.  Le  petit  aperçu  qu'on  vient  de 
lire  le  prouve  surabondamment.  Nestorius 
a  beau  répéter  qu'il  ne  nie  pas  la  divinité 
du  Christ,  qu'il  ne  dit  pas  deux  Fils,  qu'il 
ne  sépare  pas  l'humanité  de  Dieu  le 
Verbe  :  ce  ne  sont  là  que  des  mots  re- 
couvrant une  pensée  hétérodoxe.  Comme 
le  dit  très  bien  Dom  H.  Leclercq, 

Théodore  et  Nestorius  ont  le  goût  de  ces 
habiletés  de  langage  qui  respectent  l'ex- 
pression et  altèrent  les  idées  et  le  sens.  Ils 
affirment  qu'il  n'y  a  en  Jésus-Christ  qu'un 
seul  Fils,  un  seul  Seigneur,  une  seule  per- 
sonne, autant  de  mots  à  double  sens  qui 
forment  un  des  premiers  et  non  des  moins 
curieux  chapitres  de  la  doctrine  des  restric- 
tions mentales.  Derrière  ce  paravent  ortho- 
doxe, on  retrouve  intactes  les  idées  favo- 
rites, à  savoir  l'indépendance  physique  du 
Fils  de  Dieu  et  du  Fils  de  Marie.  Toute 
nature  complète  est  une  personne;  voilà 


(i)  P.  88,  256-263. 

(2)  p.  3 10,  326,  371,  374. 

(3)  P.  298,  3o2,  33o. 

(4)  P.  291-293.  Us  étaient  obligés  de  les  chasser 
(Diodore  et  Théodore)  avec  moi  parce  qu'ils  pen 

j   saient  les  mêmes  choses  et  non  d'autres,  p.  293. 


74 


ÉCHOS   d'orient 


le  principe.  Par  un  curieux  revirement,  le 
souci  de  combattre  l'apoUinarisme  a  jeté 
dans  une  autre  erreur  (i). 

L'hérésie  nestorienne  était  d'autant 
plus  dangereuse  qu'elle  s'enveloppait 
d'une  terminologie  équivoque  et  pouvait 
tromper  les  croyants  non  avertis.  Elle  a 
dérouté  à  travers  les  siècles  plus  d'un 
historien  et  plus  d'un  théologien.  Des 
exemples  récents  prouvent  qu'elle  peut 
encore  faire  des  dupes.  On  ne  peut  qu'ad- 
mirer la  perspicacité  de  l'évêque  d'Alexan- 
drie, qui  a  su  si  bien  enlever  à  l'erreur  le 
masque  d'orthodoxie  sous  lequel  elle 
cherchait  à  se  dissimuler  et  dévoiler 
les  petites  habiletés  par  lesquelles  elle 
essayait  de  donner  le  change.  Loin  de  lui 
reprocher,  comme  on  le  fait  parfois,  sa 
fameuse  formule  :  Une  seule  nature  du 
Verhe  incarné,  aià  cp-jo-t,;  -roù  BsoG  Aovo-j 
o-£3-apx(0|jL£vr,  (2),  il  faut  lui  savoir  gré  de 
l'avoir  employée,  car  elle  était  merveilleu- 
sement apte  à  réfuter  l'hérésie. 

11  est  prouvé,  en  effet,  que  saint  Cyrille, 
se  plaçant  complètement  sur  le  terrain  de 
l'adversaire,  a  adopté  sa  terminologie. 
Pour  lui  comme  pour  Nestorius,  les  mots 
nature,  hypostase,  personne,  -fjo-iç, 
uTrôoTao-tç,  TtpÔTwrov  (naturel)  sont  syno- 
nymes dans  la  théologie  de  l'Incarnation. 
Ils  désignent  la  nature  concrète,  indivi- 
duelle et  personnelle  (3).  C'est  pourquoi 
il  devait  nécessairement  dire,  pour 
exprimer  le  dogme  catholique  en  style 
nestorien  :  une  seule  nature-personne  {'^-'j'yi^) 
du  Verhe  încûrné.  C'est  pourquoi  aussi 
il  n'applique  jamais  à  la  nature  humaine 
du  Christ  le  mot  cpû^u,  excepté  lorsqu'il 
se  place  au  point  de  vue  des  Antio- 
chiens  orthodoxes;  et  dans  ce  cas,  il  a 
bien  soin  de  faire  remarquer  en  quel  sens 
on  peut  dire  que  la  nature  humaine  du 

(i)  Héfélé-Leclercq,  Histoire  des  conciles,  l.  11, 
1"  partie,  p.  804,  en  note. 

(2)  Cette  formule,  saint  Cyrille  l'a  empruntée  au 
pseudo-Athanase,  auteur  de  la  profession  de  foi 
Ttepi  -fj;  (7apy.w(T£w;  xoû  0eoO  Aôyou. 

(3)  C'est  ce  que  démontre  très  bien  M.  J.  Lebon 
dans  sa  belle  étude  :  le  Monophysisme  sévérien 
Louvain,  1909,  p.  242-333,  spécialement  p.  25o-252, 

29I~'»92. 


Christ  est  une  tpj7'„;(  i).  Cette  terminologie 
n'était  sans  doute  pas  sans  danger.  Elle 
avait  le  tort  de  ne  pas  concorder  avec 
celle  des  Orientaux  orthodoxes,  ni  sur- 
tout avec  celle  de  l'Occident  catholique. 
Elle  donnait  aux  mots  un  sens  différent 
suivant  qu'on  parlait  du  dogme  trinitaire 
ou  de  l'Incarnation;  mais  on  ne  contestera 
pas  sa  valeur  apologétique.  A  la  formule 
nestorienne:  deux  natures-personnes  ne 
formant  qu'une  personne  morale  com- 
mune, il  était  de  bonne  guerre  d'opposer 
celle-ci  :  une  seule  nature-personne,  celle 
de  Dieu  le  Verbe,  unie  substantiellement 
à  une  humanité,  complète,  sans  doute, 
mais  supportée  par  la  personne  divine  un 
peu  comme  une  qualité  naturelle  est  sup- 
portée par  le  sujet  en  qui  elle  se  trouve  (2). 
Saint  Cyrille  recourt  aussi  fréquemment 
à  la  comparaison  de  l'âme  et  du  corps 
unis  de  manière  à  ne  former  qu'une 
personne  humaine.  11  va  sans  dire  que  ce 
n'est  qu'une  comparaison  qui  ne  rend 
point  d'une  manière  parfaitement  adéquate 
l'idée  catholique  de  l'union  des  deux 
natures  enJésus-Christ.  Nestorius  triomphe 
quand,  prenant  au  pied  de  la  lettre  cette 
comparaison,  il  fait  de  Cyrille  un  apolli- 
nariste  ou  un  arien.  Il  ne  comprend  pas 
que  l'évêque  d'Alexandiie  veut  seulement 
faire  entendre  que  l'humanité  en  Jésus- 
Christ  n'est  point  une  personne,  mais 
subsiste  dans  la  personne  du  Verbe. 
Saint  Cyrille  répète  assez  que  le  Verbe 
reste    impassible,    malgré    l'intimité    de 


(i)  Quand  saint  Cyrille  dit  deux  natures  dans  le 
Christ,  8-Jo  ç-Jo-s:;,  il  ajoute  les  mots  èv  Sîojpia  :  par 
la  considération  intellectuelle  :  habituellement,  il 
désigne  l'élément  humain  dans  le  Christ  par  les 
mots  o-ipl,  î6ta  ffioH,  (Tw(ia,  àvôpwirÔTrj;,  tô  x^^Çéôi- 
TTivov,  To  y.aô'ritiâ;,  etc.  Lebon.  Ibid.,  p.  25i.  Les 
traducteurs  latins  n'ont  pas  trahi  saint  Cyrille 
quand  ils  ont  rendu  ces  termes  par  natiira 
hiimana:  ils  traduisaient  exactement  en  termino- 
logie occidentale  la  pensée  de  l'évêque  d'Alexandrie. 

(21  Saint  Cyrille  rend  l'idée  d'une  nature  consi- 
dérée d'une  manière  abstraite  comme  séparée  du 
suppôt  par  les  expressions  TtoiÔTr,;  cp-j<7:xTÎ  et  t'o 
Tteô;  etvat.  Lebon,  Ibid.,  p.  43 1,  en  note.  Il  dit,  par 
exemple,  «  que  la  divinité  et  l'humanité  ne  sont 
pas  une  même  chose  en  qualité  naturelle  »,  âv  7to'.(î- 
zr,z'.  ç-jfftxT,.  Lettre  à  Acace  de  Mélitène,  P.  G., 
t.  LXXVH;  col.  193. 


aUELQUES   SUPERSTITIONS   LITURGICIUBS   CHEZ   LES   GRECS 


75 


l'union,  pour  qu'on  ne  se  méprenne  pas 
sur  sa  véritable  pensée. 

Cette  union  intime  de  la  divinité  et  de 
l'humanité  en  Jésus-Christ  reste  pour  Ja 
raison  une  énigme.  Nestorius  ne  peut  ar- 
river à  la  saisir,  et  il  n'y  a  à  cela  rien  d'éton- 
nant. On  ne  comprend  pas  le  mystère. 
Sa  théorie  à  lui  est  sans  doute  plus  acces- 
sible à  la  faiblesse  de  notre  esprit:  elle  est 
séduisante,  mais  c'est  une  explication  en 
contradiction  avec  ies  données  révélées  et 
la  foi  de  l'Eglise.  Comme  la  plupart  des 
hérésies,  ce  n'est  qu'une  tentative  de  la 
raison  pour  mettre  le  dogme  à  sa  portée 


en  faisant  évanouir  le  mystère,  il  serait 
facile  de  montrer  que  le  Christ  nesto- 
rien  n'est  pas  sensiblement  difterent  du 
Jésus  de  M.  Harnack  ou  du  Christ  de  tel 
moderniste  de  renom.  Tant  il  est  vrai 
qu'il  est  difficile  d'être  original  en  matière 
d'hérésie  comme  en  beaucoup  d'autres 
choses.  Tout  est  dit,  et  J'en  vient  trop 
tard,  depuis  dix-neuf  siècles  que  l'esprit 
humain  scrute  les  profondeurs  de  la 
parole  de  Dieu. 


M.  JUGIE. 


Constantinople. 


QUELQUES     SUPERSTITIONS    LITURGIQUES 

CHEZ    LES   GRECS 


Par  ces  mots,  J'entends  non  les  supers- 
titions analogues  à  celles  qu'on  rencontre 
partout,  comme  celle  du  mardi,  jour  néfaste 
de  toute  antiquité,  surtout  depuis  la  prise 
de  Constantinople  par  les  Turcs,  ou  du  sel 
jeté  dans  le  feu,  ou  celle  de  retourner 
contre  le  mur  les  glaces  de  la  chambre 
ou  est  exposé  un  cadavre,  ou  encore  celle 
de  toucher  le  pied  du  mort  avant  l'enseve- 
lissement afin  d'être  délivré  de  son  sou- 
venir: mais  des  croyances  ou  des  pratiques 
liées,  on  ne  sait  le  plus  souvent  pour  quel 
motif,  au  culte  des  saints,  ou  accompagnées 
de  prières  non  approuvées  par  l'Eglise 
orthodoxe  ou  de  formules  de  style  litur- 
gique. J'en  signalerai  quelques-unes  tout 
en  regrettant  de  ne  pouvoir  donner  en  grec 
ces  rituels  et  ces  formules  quasi  mysté- 
rieuses où  la  langue  éloquente  et  imagée 
de  la  période  patristique  se  mêle  au  parler 
populaire  des  paysans  illettrés. 

1.  Le  GATEAU  DE  SAINT  PhaNOURIOS. 

Le  culte  de  saint  Phanourios,  martyr, 
aurait  été  absolument  inconnu  dans  l'Eglise 


grecque  au  moyen  âge,  s'il  fallait  s'en  rap- 
porter au  Syitaxaire  de  Constantinople, 
publié  par  les  Bollandistes(Bruxeiles,  1902). 
Son  nom  n'y  figure  pas.  11  est  probable 
que  le  saint  ne  jouissait  alors  que  d'un 
culte  local.  Les  anciens  Bollandistes  ont  en 
effet  publié  (  i  )  des  miracula  à  lui  attribués  : 
les  faits  se  sont  passés  en  Crète  au  viiF  siècle . 
et  le  culte  du  martyr  aurait  été  introduit 
dans  cette  île  par  des  prêtres  venus  de 
Rhodes. 

Le  Synaxariste  de  Nicodème  l'hagio- 
rite(2)acette mention  au  27  août  :  «  Aujour- 
d'hui, mémoire  du  saint  martyr  Phanourios, 
qui  réapparut  en  l'année  1300.  » 

Cette  «  réapparition  »  a  valu  au  saint 
une  place  considérable  dans  les  dévotions 
populaires.  On  lui  a  composé  un  office 
propre  avec  un  synaxaire  ou  légende  (^). 
La  brochure  à  o  fr.  05  est  une  de  celles 
que  les  petits  colporteurs  de  Grèce  ont  tou- 


(II  Acta  Sanctorum,  mai,  t.  VI,  p.  685  sq. 

121  Nicodème,  Sv;at5apKrrTjS,  édit;  Athènes,  1868, 
t.  II,  p.  346. 

(3*  On  peut  lire  cet  office  dans  Doukakès,  Mifa; 
•7-jvatxp:'7-:T,;,  août.  .Athènes,  1894,  p.  387  sq. 


76 


ÉCHOS   d'orient 


jours  dans  leur  éventaire.  Les  catholiques 
eux-mêmes  connaissent  bien  le  saint;  sans 
savoir  pourquoi,  ils  l'ont  identifié  à  saint 
Expédit! 

Voici  en  quelques  mots  ce  que  raconte 
le  synaxaire.  De  Phanourios  tout  est  in- 
connu, origine,  pays,  époque,  famille,  date 
et  lieu  du  martyre.  Mais  dans  l'île  de 
Rhodes,  sous  la  domination  turque,  un 
barbare,  c'est-à-dire  un  Turc,  creusant  la 
terre,  rencontra  sous  sa  pioche  les  fonda- 
tions d'une  église  détruite  et  oubliée  depuis 
des  siècles.  Beaucoup  d'icônes  gisaient 
par  terre  brisées  ou  effacées;  parmi  elles, 
une  seule,  brillante,  fraîche  et  comme 
peinte  du  jour  même.  L'archevêque  du 
pays,  un  savant,  Nil,  y  lut  ces  mots  : 
'0  ayiOs  ^avo'jpwç.  Phanourios  était  repré- 
senté en  soldat,  très  jeune,  tenant  de  la 
main  droite  une  croix.  Au-dessus  de  la 
croix  était  une  lampe  allumée.  Tout  autour, 
douze  petits  cadres  racontaient  son  mar- 
tyre. Ce  sont  les  scènes  de  supplices  que 
l'on  voit  représentées  sur  tant  d'icônes 
dans  les  églises  de  rite  byzantin.  Dans 
l'une,  le  martyr  tenait  à  la  main  des  char- 
bons allumés. 

L'archevêque  Nil  obtint  la  permission  de 
reconstruire  l'église,  et  les  miracles  se  mul- 
tiplièrent. Trois  diacres  crétois  venus  à 
Rhodes  pour  être  ordonnés  prêtres  répan- 
dirent à  leur  retour  dans  leur  île  la  dévo- 
tion au  nouveau  saint  (i). 

De  Crète,  elle  passe  dans  le  Péloponèse, 
puis  à  Athènes  où  une  petite  église  a  été 
placée  sous  son  vocable.  Sa  vogue,  je  l'ai 
déjà  dit,  est  très  grande.  11  est  représenté, 
d'après  la  légende,  en  soldat,  mais  il  tient 
de  la  main  droite  une  croix  et  de  la  main 
gauche  un  cierge  allumé.  On  rencontre 
son  icône  parfois  surchargée  d'ex-voto 
de  métal  blanc  dans  beaucoup  d'églises 
et  de  chapelles  en  Attique.  On  l'a  même, 
ainsi  que  sainte  Maure,  associé  à  sainte 
Barbe  dans  la  curieuse  église  à  trois  autels 
du  Nouveau  Daphni  entre  Athènes  et 
Eleusis  (2). 

(i)  Remarquer  ce  détail,  emprunté  aux  miracula 
publiés  par  les  Bollandistes. 
(2)  A  l'église  Sainte-Barbe  du  Nouveau  Daphni, 


Comme  à  saint  Expédit.  les  dévots  ont 
recours  à  lui  dans  les  cas  urgents,  lorsque 
la  grâce  sollicitée  doit  être  obtenue  de 
suite.  On  l'invoque  surtout  à  cause  de  son 
nom  pour  retrouver  des  objets  perdus 
(grec  moderne  cpavspôvto  =  indiquer); 
mais  on  le  fait  de  singulière  façon.  C'est 
le  gâteau  de  saint  Phanourios. 

On  prend  de  la  pâte  qu'on  mélange 
d'huile,  d'épices,  de  sucre,  de  mastic  (1) 
et  d'encens.  De  chaque  côté  du  pétrin,  on 
allume  trois  cierges  de  cire  liés  de  manière 
à  n'obtenir  qu'une  flamme.  Le  gâteau  cuit, 
sans  l'avoir  fait  bénir  par  un  prêtre,  on  le 
partage  en  quarante  morceaux  que  l'on 
envoie  à  autant  de  personnes,  ou  au  besoin 
qu'on  distribue  aux  passants  ou  aux 
pauvres,  en  disant:  «  C'est  le  gâteau  de 
saint  Phanourios.»  Les  quarante  personnes 
aussitôt  doivent  répondre  :  «  Que  le  bon 
Dieu  pardonne  les  péchés  de  la  mère  de 
Phanourios.  » 

Car  le  peuple  croit  que  la  mère  de  Pha- 
nourios, femme  de  mauvaise  vie,  n'est 
pas  encore  entrée  au  paradis,  et  que  le 
saint  ne  refuse  rien  à  ceux  qui  font  prier 
pour  elle. 

II.  La  Messe  de  Saint-Jean-Baptiste. 

Saint  Jean-Baptiste,  que  les  Grecs  dé- 
signent ordinairement  sous  le  nom  de 
Prodromos,  le  Précurseur,  est  très  vénéré 
par  eux;  son  icône,  on  le  sait,  est  dans 
toutes  les  églises.  L'Eglise  grecque  célèbre 
sa  conception  le  23  septembre;  sa  nais- 
sance le  24  juin;  sa  décollation  le  28  août; 
en  outre,  le  7  janvier,  c'est-à-dire  le  lende- 
main de  la  Théophanie,  sa  rencontre  avec 
Notre-Seigneur. 

Son  culte  parmi  le  populaire  est  parfois 
accompagné  de  pratiques  superstitieuses. 
La  plus  étrange  est  peut-être  la  messe  dite 
de  Saint-Jean,  offerte  pour  délivrer  un 
malade  d'une  fièvre  persistante. 

où  il  a  cinq  ou  six  icônes  dont  une  magnifique 
de  1°  X  o°5o,  il  est  représenté  une  fois  tenant  le 
cierge  de  la  main  droite,  une  autre  fois  le  cierge 
est  remplacé  par  un  réchaud  d'où  jaillissent  des 
flammes. 
(1)  Résine  d'une  espèce  de  lentisque. 


QUELQUES   SUPERSTITIONS    LITURGIQ.UES   CHEZ   LES  GRECS 


77 


On  s'adresse  à  un  prêtre  du  nom  de 
Jean,  c'est-à-dire  qui  ait  reçu  ce  nom  au 
baptême.  La  messe,  célébrée  dans  une 
église  placée  sous  le  vocable  de  saint  Jean, 
doit  être  commencée  avant  le  lever  du 
soleil,  de  manière  à  finir  le  soleil  étant 
déjà  levé.  La  personne  qui  chercheà  obtenir 
pour  une  autre  la  grâce  de  guérison  aura 
jeûné  la  veille.  Elle  entrera  à  l'église  du 
pied  gauche,  baisera  d'abord  l'icône  de 
Notre-Seigneur,  puis,  après  une  simple 
inclinaison  de  tête  devant  celle  de  la 
Panaghia,  elle  ira  saluer  et  baiser  celle  de 
saint  Jean.  Cela  fait,  elle  allumera  un  cierge 
qui  doit  être  tenu  avec  les  trois  premiers 
doigts  de  la  main  gauche.  Ce  cierge,  elle 
le  portera  de  la  même  main  devant  l'icône 
du  saint.  La  messe  terminée,  elle  sortira 
de  l'église  sans  parler  à  personne  avant 
d'avoir  embrassé  le  malade.  Et  si  toutes 
ces  minutieuses  recommandations  ont  été 
suivies,  la  fièvre  disparaîtra  bientôt. 

C'est  à  l'église  Saint-Jean,  près  du  vieux 
théâtre,  qu'Athéniens  et  Athéniennes  font 
célébrer  cette  messe.  Une  dame  de  la 
haute  société  m'a  affirmé  avoir  obtenu  de 
cette  manière  la  guérison  de  son  fils.  Est-il 
besoin  d'ajouter  que  le  prêtre  qui  célèbre 
offre  simplement  le  Saint-Sacrifice  pour  la 
guérison  d'un  malade,  sans  se  soucier  de 
ces  pratiques  superstitieuses? 

m.  La  guérison  de  la  jaunisse. 

Ni  le  gâteau  de  saint  Phanourios  ni  la 
messe  de  saint  Jean  ne  sont  des  panacées 
universelles.  Pour  la  jaunisse,  par  exemple, 
il  y  a  un  rite  spécial. 

Quand  un  malade  est  atteint  de  la  jau- 
nisse, on  fait  appeler  une  guérisseuse. 
Ce  sont  le  plus  souvent  de  très  vieilles 
femmes  qui  exercent  le  métier  de  chasser 
les  maladies  par  des  conjurations.  Après 
avoir  offert  de  l'encens  et  allumé  deux 
cierges  de  cire  jaune,  elle  récite  sur  le 
malade  cette  oraison  de  si  étrange  allure  : 

Comme  la  Panaghia,  Mère  de  Dieu,  des- 
cendait de  la  montagne  des  Oliviers  avec 
des  myriades  d'anges  et  d'archanges,  elle 
rencontra  la  jaunisse.  S'étant  arrêtée,  elle 


lui  demanda  par  deux  fois  :  «  Jaunisse,  com- 
pagne de  la  Mort,  sœur  de  Charon,  où  vas- 
tu?  »  Celle-ci  répondit  :  «  Les  montagnes 
m'ont  vue  et  se  sont  effondrées;  la  mer 
m'a  vue  et  s'est  enfuie;  les  astres  m'ont  vue 
et  sont  devenus  jaunes,  et  tu  me  demandes 
où  je  vais?  Je  vais  monter  sur  la  tête  de 
N...,  et  pénétrer  en  lui,  dans  le  foie,  et  le 
faire  souffrir;  et  qu'il  souffre  bien.  Et  si  je 
trouve  en  lui  de  la  négligence,  je  lui  pren- 
drai son  âme.  »  Alors  les  saints  apôtres  du 
haut  du  ciel  firent  entendre  des  gémis- 
sements, et  Notre-Dame,  Mère  de  Dieu,  en- 
voya l'archange  Michel  avec  des  statuettes. 
EîowÀa,  et  un  cachet  en  or  pour  chasser  la 
jaunisse,  par  exorcisme,  sur  les  montagnes 
les  plus  hautes,  où  l'herbe  ne  pousse  point, 
où  ne  sonne  aucune  cloche.  Donc  qu'elle 
s'en  aille  d'ici  ;  qu'elle  parte  loin  du  serv'iteur 
de  Dieu  N...,  qui  a  été  baptisé  et  oint  du 
Saint  Chrême  ! 

Cette  prière  n'est  pas  imprimée.  Elle 
se  transmet  par  tradition  orale,  et  les 
initiés  en  gardent  soigneusement  le  secret, 
car  ce  serait  donner  à  un  profane  la  pos- 
sibilité d'opérer  des  guérisons.  La  plupart 
des  guérisseuses  en  viennent  à  se  prendre 
elles-mêmes  à  leurs  supercheries,  et  croient 
vraiment  qu'une  prière  connue  perd  en 
partie  son  efficacité. 

Avant  même  que  la  cérémonie  fût 
commencée,  on  avait  préparé  un  verre 
rempli  de  vin  rouge.  Dans  le  verre,  l'opé- 
rateur laisse  tomber  un  cotistantinato,  c'est- 
à-dire  une  pièce  d'or  à  l'effigie  de  Con- 
stantin, ou  à  défaut  une  pièce  d'or  quel- 
conque. Ce  verre,  l'opérateur  parti,  est 
exposé  durant  la  nuit  dans  un  lieu  éclairé 
par  les  étoiles.  On  le  laisse  ainsi  à  l'air 
durant  trois  nuits  ;  mais  pendant  la  journée 
on  le  conserve  dans  la  chambre  du  malade. 
Après  !a  troisième  nuit,  le  malade  boit  en 
trois  fois  le  contenu  du  verre,  et  la  jau- 
nisse s'en  va,  en  même  temps  qu'une 
légère  couleur  rouge  commence  à  ranimer 
le  teint  du  convalescent. 

M.  V...,de  Syra,  qui  tient  cette  formule 
d'un  pappas  grec  très  acharné  à  détruire 
ces  coutumes  superstitieuses,  a  été  guéri 
d'autre  façon.  11  avait  huit  ans.  Une  spé- 
cialiste fut  appelée.  Elle  lui  enroula  autour 


78 


ECHOS    D  ORIENT 


du  COU  un  cordon  formé  de  trois  fils  jaune, 
vert  et  blanc,  en  récitant  la  prière  :  «  La 

Panaghia,  Mère  de  Dieu,  descendait » 

Le  cordon  fut  laissé  en  place  pendant  trois 
jours,  et  le  troisième  au  soir  on  le  jeta  dans 
la  mer. 

Que  la  jaunisse  soit  guérie  par  de  tels 
procédés,  on  le  croira  malaisément.  Pour- 
tant des  patients  affirment  avoir  été  sou- 
lagés. Il  se  peut  que  les  guérisseuses 
mélangent  au  vin  un  remède  secret. 
Comme  aussi  bien  il  est  possible  qu'elles 
attendent  pour  agir  la  dernière  période 
de  la  maladie  qui  dure  de  quinze  jours  à 
trois  semaines,  le  malade  alors  guérirait 
de  lui-même. 

Quant  au  mélange  de  vin  rouge  et 
d'une  pièce  d'or,  il  faut  y  voir  un  simple 
rite  de  magie  imitative  (i).  La  pièce  d'or 
(en  grec  populaire,  jaunisse  se  dit  y  pus-r,) 
disparaît  dans  la  couleur  rouge.  Ce  rite, 
mélange  des  deux  couleurs,  doit  remonter 
à  une  très  haute  antiquité.  Pline  appelle  la 
jaunisse  morbus  regius,  et  parmi  d'absurdes 
remèdes  qu'il  conseille  d'employer  pour 
la  combattre,  il  signale  du  vin  dans  lequel 
on  a  lavé  les  pattes  d'une  poule  qui  ait 
les  pattes  jaunes  (2). 

IV.  La  MALADIE    d'yeux  DANS  L'ILE  DE  SyRA. 

Les  maladies  d'yeux,  chassie,  taie, 
ophtalmie  purulente,  ne  sont  pas  rares 
en  pays  grec.  Au  dire  des  médecins,  on 
doit  les  attribuer  à1;rois  causes  principales, 
atavisme,  manque  de  propreté  et  passage 
brusque  d'intérieurs  insuffisamment  éclai- 
rés à  ila  lumière  éblouissante  du  soleil. 

De  juste  il  y  avait  là  place  pour  une 
formule  de  guérison.  A  Syra,  m'a  raconté 
le  P.  B.  R.,  des  Augustins  de  l'Assomption, 
quand  un  malade  est  atteint  de  la  chassie 
(en  grec  populaire  To-vxTjÀa),  ses  amis  le 
promènent  autour  de  la  ville  ou  même  du 
quartier,  en  répétant  à  grands  xnis  une 
prière  :  «  Que  Dieu  ait  pitié  de  luietenlève 


(i)  Voir  Bros,  la  Religion  des  peuples  non  civi- 
lisés. Paris,  1907,  p.  71. 
(2)  ¥*LiNE,  Hist.  natur.,  xxx,  28. 


la  tsimbla  »  ;  cette  procession  bruyante  a 
lieu  pendant  la  nuit,  parfois  au  grand 
dam  des  gens  pressés  de  dormir.  Après 
trois  tours,  le  patient  est  ramené  ;à  sa 
maison,  et  si  les  conducteurs  ont  vrai rraeint 
observé  da  formule,  :à  l'aurore  ses  yeux 
seront  redevenus  sains.  Car  les  guérisseurs 
ont  toujours  un  motif  pour  ajourner  la 
guérison.  Ils  le  trouvent  le  plus  siouvent 
dans  le  manque  de  confiance  du  malade 
ou  la  négligence  de  son  entourage. 

V.    LE   MAUVAIS  (ŒIL. 

■La  crainte  de  l'ensorceliement  par  le 
mauvais  cdl  est  répandtue  partomt  en 
Grèce,  à  ice  poiat  que  même  les  moins 
crédules  me  peuveTit  se  soustraire  tout 
à  fait  il  son  influence.  Tel  qui  rit  et  se 
moque  des  guérisons  obtenues  par  un 
procédé  magique,  dès  qu'on  il'interroge 
sur  le  pouvoir  du  mauvais  œil,  la  ^aTxavb., 
devient  tout  d'un  coup  sérieux. 

La  croyance  au  mauvais  œil  est  au-ssi 
vieille  que  la  magie.  Dans  les  rituels 
védiques,  on  indiquait  déjà  le  moyen  de  se 
préserver  de  ses  redoutables  atteintes  (  1  ), 
et  Pline  l'Ancien,  qui  a  pour  ainsi  dire 
codifié  les  pratiques  superstitieuses  du 
monde  grec  et  romain,  a  un  paragraphe 
sur  ce  sujet  (2).  D'après  lui,  des  peuplades 
africaines  jouiraient  de  ce  singulier  privi- 
lège, et  Cicéron,  qu'il  cite,  assure  que  les 
femmes  dont  la  pupille  est  double  ont  le 
mauvais  mL  Les  Grecs  modernes  voient 
dans  des  sourcils  noirs  très  arqués  et  se 
rejoignant  au-dessus  du  nez  une  marque 
assurée  du  mauvais  œil. 

L'Eglise  orthodoxe  a  une  prière  pour 
délivrer  les  malades  ensorcelés  par  la  bas- 
cania.  Elle  n'a  pas  été,  comme  Texorcisme 
de  Tryphon  (3),  conservée  dans  le  grand 
euchologe  olifidel  ;  on  la  trouve  cependant 

(  I  )  Roussel,  la  Religion  védique.  Paris,  1 909,  p.  24^ . 
«  Regarde-moi  avec  l'œil  de  Mitra  »  est  une  for- 
mule de  bienvenue  ou  d'adieu.  De  même  en  Grèce  : 
«  va  p-r,  ^ao-xaôr,;.  » 

(2)  Pline,  op.  cit.,  vu,  2. 

(3)  Voir  mon  article  :  l'Exorcisme  de  Tryphon  i 
le  martyr,  dans  Echos  d'Orient,  t.  XII  (1909),  ! 
p.  201. 


CyJELaUES    SUPERSTITIONS    LITURGIQUES    CHEZ    LES    GRECS 


7? 


dans  quelques  rituels  de  poche,  analogues 
à  nos  vade-mecum  liturgiques.  Elle  est 
curieuse,  et  je  la  donnerai  plus  tard  avec 
quelques  autres  du  même  genre,  car  dans 
le  présent  article  je  ne  m'occupe  que  de 
ce  qui  a  un  caractère  nettement  supersti- 
tieux. 

Voici  trois  manières  de  délivrer  de 
l'ensorcellement  par  le  mauvais  œil. 

Dans  un  village  de  Macédoine,  un  garçon, 
une  jeune  tille  ou  même  une  personne 
âgée  dépérissent  sans  que  l'on  en  connaisse 
la  cause.  Les  paysans  macédoniens  ne 
sont  guère  pathologues.  La  famille,  avant 
même  d'aller  au  médecin,  considéré  tou- 
jours comme  un  porte-malheur,  s'adresse 
à  une  spécialiste,  qui  naturellement  déclare 
que  la  maladie  est  la  conséquence  d'un 
sort  jeté  par  le  mauvais  œil.  Elle  commence 
la  conjuration.  Elle  prend  trois  grains  de 
sel,"  et.  les  tenant  entre  les  doigts,  elle 
fait  le  signe  de  la  croix  sur  le  patient  en 
disant  :  «  Au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du 
Saint-Esprit,  que  celui  qui  t'a  ensorcelé 
crève  (sic.  va  T-xà^rj.  »  Puis  elle  jette  un 
grain  de  sel  dans  le  feu  et  un  autre  dans 
l'eau;  le  malade  mange  le  troisième,  et  le 
sort  est  conjuré. 

Au  Pirée,  une  vieille  femme,  réputée 
pour  ses  guérisons  récite  cette  presque 
incompréhensible  formule  : 

Au  nom  du  Christ  et  de  la  Panaghia.  Le 
Christ  est  vainqueur  ici  et  aussi  la  grande 
Panaghia  qui  chasse  les  maux  et  délivre 
des  embûches.  Le  25  décembre,  le  Christ 
est  né:  que  cette  heure-ci  soit  bénie  comme 
celle-là! 

Dans  l'île  de  Spetsai,  le  rituel  magique 
est  plus  compliqué.  La  guérisseuse  prend 
trois  clous  de  girofle  et  une  aiguille  pour 
les  percer,  puis  un  verre  d'eau  et  un  cierge 
de  cire.  Elle  perce  avec  l'aiguille  un  pre- 
mier clou,  et,  le  tenantàla  main,  récite  en 
faisant  trois  fois  le  signe  de  la  croix  la 
prière  suivante  : 

Dieu  saint.  Dieu  fort,  Dieu  puissant,  aie 
pitié   de   nous  !  Notre  Père    qui  êtes  aux 

cieux etc.    Jésus-Christ  est  vainqueur 

et  chasse  tous  les  maux. 


Au  moment  de  terminer  la  prière  elle 
fait  encore  trois  fois  le  signe  de  la  croix 
sur  le  malade  avec  l'aiguille  enfilée.  Puis 
elle  brûle  le  clou  à  la  flamme  du  cierge 
et  en  jette  le  charbon  dans  l'eau.  Elle 
recommence  la  même  opération  avec  les 
deux  autres  clous  de  girofle,  mais  sans 
répéter  la  prière.  Cela  fait,  le  malade  boit 
en  trois  fois  un  peu  de  cette  eau  mélangée 
de  cendre.  La  guérisseuse  enfin,  ayant 
fait  une  dernière  onction  sur  le  front  du 
malade  avec  le  pouce  trempé  dans  l'eau, 
prend  le  verre  et  en  jette  le  contenu  dans 
la  rue.  Le  malade  guérira  (i). 

L'action  du  mauvais  œil  peut  s'exercer 
même  sur  des  objets  inanimés.  Un  San- 
toriniote  m'a  raconté  souvent  qu'une  dame 
avait  fait  se  dessécher  dans  la  cour  de  sa 
maison  paternelle  un  magnifique  laurier- 
rose:  en  vingt-quatre  heures  l'arbre  avait 
péri. 

«  Dieu  te  préserve  du  mauvais  œil  !  » 
c'est  un  souhait  qu'on  entend  volontiers. 
Plusieurs  même  ont  le  mauvais  œil  sans 
qu'ils  s'en  doutent,  les  pappasoulesprêtres 
étrangers  rencontrés  à  certaines  heures. 
Le  moyen  facile  de  conjurer  le  sort  en 
semblable  occurrence  est  de  faire  un  nœud 
à  son  mouchoir  pour  lier  le  maléfice,  ou 
de  cracher  par  terre,  ou  sur  soi-même, 
comme  le  faisait,  sur  la  recommandation 
de  la  vieille  Cotytaris,  le  cyciope  de  Théo- 
crite  (2). 

Dans  une  campagne  de  l'île  de  Naxos, 
un  prêtre,  au  cours  d'une  promenade,  dé- 
signait du   doigt  «à   son  compagnon  les 


(i)  La  conjuration  par  le  moyen  d'un  objet  livré 
au  feu  était  déjà  pratiquée  à  Babylone.  On  brûlait 
un  oignon,  une  datte,  une  fleur,  etc.  Le  patient 
prenait  la  parole  lui-même.  «  Comme  cet  oignon 
est  pelé  et  jeté  dans  le  feu ,  ainsi  la  malédic- 
tion   qui  est  dans  mon  corps,  qu'elle  soit  pelée 

comms  cet  oignon.  Que  le  brûlant  Girru  la  con- 
sume. »(Lagrange,  Etudes  sur  les  religions  sémi- 
tiques. Paris,  1905,  p.  227). 

(2)  IdylL,  VI,  5g,  édit.  Ahrens.  Polyphéme,  ou 
plutôt  Damœtas,  emploie  l'expression  encore  en 
usage  :  'Q;  51.7}  ^adxavôtô.  11  crache  pour  se  protéger 
contre  la  jalousie  de  la  nymphe  Gailathée.  (Cf.  éga- 
lement Anthologia  palatina,  xii,  229.)  Les  forge- 
rons d'Athènes  avaient  coutume,  pour  conjurer  la 
bascania,à&  pendre  devant  leur  forge  une  enseigne 
ridicule  (Aristoph.,  fragm.  5!0). 


8o 


ECHOS   D  ORIENT 


plus  grasses  brebis  d'un  troupeau.  Sur- 
pris de  voir  l'agitation  du  berger,  à  la  pre- 
mière occasion  il  en  demanda  la  cause, 
et  apprit  non  sans  une  joie  maligne  que 
le  paysan  avait  reconnu  en  lui  le  don  du 
mauvais  oeil  et  que  les  brebis  marquées 
du  doigt  mourraient  dans  l'année. 

VI.  Autres  superstitions. 

Les  pratiques  superstitieuses  sont  en 
nombre  considérable.  Chaque  centre  de 
population,  chaque  village  même  a  les 
siennes.  C'est  peut-être  dans  l'île  de 
Corfou  qu'on  les  rencontre  les  plus  nom- 
breuses, les  Corfiotes  ayant  à  leurs  pra- 
tiques traditionnelles  ajouté  celles  intro- 
duites au  cours  des  siècles  par  les  Génois 
et  les  Vénitiens.  Mais  les  plus  curieuses 
se  rencontrent  dans  les  villages  purement 
grecs  du  Péloponèse.  Voici  trois  ou  quatre 
exemples  en  rapport  avec  le  titre  du  pré- 
sent article. 

Dans  les  villages  de  Stymphali,  le  jour  de 
la  Tsiknopempti  (jeudi-gras),  tous  doivent 
manger  du  macaroni  au  beurre.  S'abstenir 
serait  courir  le  risque  de  perdre  dans  le 
courant  de  l'année  une  partie  de  son  bétail. 

Ailleurs,  lesménagères,pournepasavoir 
de  boutons  aux  mains,  éviteront  de  tra- 
vailler le  jour  de  sainte  Maure.  (Maure,  en 
grec,  signifie  noire.)  Le  jour  de  la  fête  de 
saint  Syméon,  les  femmes  enceintes  se 
gardent    soigneusement  de   toucher   un 


objet  rouge;  car  leur  enfant,  à  sa  nais- 
sance, pourrait  avoir  des  marques  de  la 
même  couleur. 

Dans  le  Péloponèse,  une  jeune  fille,  pour 
ne  pas  avoir  le  teint  noirci  par  le  soleil, 
passe  le  i«''  mars  à  un  des  doigts  de  la 
main  gauche  une  bague  tressée  de  fils 
blancs  et  rouges(  i  ).  Le  jour  de  Pâques,  celte 
bague  sera  jetée  dans  un  puits,  ou  accro- 
chée à  l'agneau  que  la  famille  fait  rôtir 
le  matin  de  la  fête.  Ainsi  le  soleil,  de  juin 
à  septembre,  sera  impuissant  contre  la 
fraîcheur  de  son  teint. 

*  » 
L'origine    de   ces    usages  est  le  plus 

souvent  malaisée  à  découvrir.  11  convient 
alors  d'imiter  la  sagesse  du  bon  Pline. 
Quand  je  débarquai  à  Naples  pour  la  pre- 
mière fois,  je  m'étonnai  de  voir  suspendue 
au  cou  de  presque  tous  les  bambins,  à 
côté  de  la  croix  ou  d'une  médaille  dé  la 
Sainte  Vierge,  une  petite  branche  de 
corail.  C'est,  paraît-il,  un  préservatif  contre 
le  mauvais  œil.  Arrivé  à  Rome  quelques 
jours  plus  tard,  j'eus  la  curiosité  de  savoir 
si  VHistoria  naturalis  connaissait  cette 
coutume  et  quelle  raison  elle  en  donnait. 
La  réponse  est  topique.  «  Une  branche  de 
corail  suspendue  au  cou  d'un  enfant  passe 
pour  le  mettre  en  sûreté.  »  Les  paysans 
grecs  répondent  le  plus  souvent,  à  la  façon 
de  Pline  :  «  è'-a-i.  »,  c'est  comme  çà. 

Louis  Arnaud. 

Athènes. 


FORMATION  DE  L'ÉGLISE  BULGARE 


L'Eglise  bulgare  occupe  actuellement 
la  partie  de  la  péninsule  balkanique  que 
l'on  désignait  autrefois  sous  les  noms 
de  Mésie,  Dacie,  Thrace  et  Macédoine. 
Divisée  en  deux  tronçons  principaux, 
puisqu'elle  est  comprise  à  la  fois  dans  le 
royaume  de  Bulgarie  et  dans  les  provinces 
de  la  Turquie  d'Europe,  elle  a,  de  tout 
tempSj  suivi  les  variations  politiques  de 


son  peuple,  agrandi  ou  restreint  ses  fron 
tières,  selon  la  bonne  ou  la  mauvaise 
fortune  de   l'Etat    bulgare,   prospéré   ou 

(i)  A  Babylone,  un  texte  publié  par  Zimmern  met 
en  scène  la  déesse  Ichtar  donnant  une  quenouille  à 
une  femme  pour  filer  une  corde  à  double  fil,  noir 
et  blanc.  Cette  corde  protège  contre  la  malédiction 
des  dieux  et  rompt  les  charmes  (Lagrange,  op. 
cit.,  p.  224).  On  pourrait  faire  beaucoup  d'autres 
rapprochements  apssi  intéressants. 


FORMATION    DE    L  EGLISE    BULGARE 


8l 


même  cessé  d'exister,  suivant  que  les 
Bulgares  développaient  leur  empire  ou 
perdaient  leur  indépendance.  Sous  le  nom 
que  nous  lui  donnons  aujourd'hui,  l'Eglise 
bulgare  naquit  en  même  temps  que  le 
tsar  Boris  sortait  des  fonts  baptismaux, 
c'est-à-dire  vers  l'année  865,  bien  qu'elle 
remonte  au  moins  jusqu'au  v«  siècle  par 
les  peuplades  slaves  qui  forment  la  majo- 
rité de  sa  population,  et  que,  par  les  tribus 
thraco-illyriennes,  produit  autochtone  du 
vieux  sol,  elle  se  rattache  aisément  aux 
premières  conquêtes  du  christianisme. 
Aussi,  sans  raconter  les  missions  de  saint 
Paul  et  de  ses  disciples,  ni  entrer  dans  des 
considérations  par  trop  étrangères  à  notre 
sujet,  convient-il,  néanmoins,  d'exposer 
en  deux  mots  la  situation  politique  et 
religieuse  de  cette  contrée  durant  les  huit 
premiers  siècles  de  notre  ère,  afin  de  bien 
comprendre  les  rivalités  et  les  luttes  d'in- 
tluence  qui  s'établirent  entre  Rome  et 
Constantinople,  au  sujet  de  la  juridiction 
ecclésiastique  à  exercer  dès  le  berceau 
même  de  l'Eglise  bulgare. 

Les  Tbraco-Illyriens,  les  plus  anciens 
habitants  connus  de  toute  cette  région, 
constituaient  deux  branches  de  la  même 
souche,  dont  lune,  orientale,  se  compo- 
sait surtout  de  Macédoniens  et  de  Thraces, 
et  l'autre,  occidentale,  comprenait  les 
llyriens  ou  Albanais  et  les  Epirotes.  Après 
avoir  conquis  une  bonne  partie  de  l'Asie 
avec  Alexandre  le  Grand,  après  avoir  dis- 
puté avec  Pyrrhus  la  possession  de  l'Italie 
et  de  l'empire  du  monde  à  la  République 
romaine,  ces  peuples  frères  furent  défini- 
tivement vaincus  par  les  armes  de  Rome. 
Dès  le  ne  siècle  avant  Jésus-Christ,  la 
Macédoine  était  une  province  romaine, 
la  Mésie  en  l'an  6  de  notre  ère,  la  Thrace 
en  l'an  46,  la  Dacie  transdanubienne  en 
l'an  108. 

Romanisées  de  bonne  heure,  c'est-à- 
dire  latinisées  dans  le  Nord  et  hellénisées 
dans  le  Sud  et  sur  le  littoral,  converties 
presque  immédiatement  au  christianisme 
—  la  dernière  tribu,  celle  des  Besses, 
embrassa  la  religion  du  Christ  vers  l'an 
400.  —  ces  populations  se  virent  aussi  de 


bonne  heure  forcées  d'admettre  sur  leur 
territoire  un  peuple  qui  leur  était  étranger 
par  sa  langue  et  par  ses  mœurs  et  qui 
devait  rapidement  leur  enlever  la  prépon- 
dérance. Dès  les  conquêtes  de  Trajan  en 
Dacie  —  la  Transylvanie  et  la  Moldova- 
lachie  actuelles,  —  les  Slaves  semblent 
établis  dans  cette  province.  Vers  la  fin  du 
n«  siècle,  ils  se  rapprochèrent  du  Danube. 
Plus  tard,  à  la  suite  de  victoires  rem- 
portées sur  eux  par  les  empereurs  Aurélien, 
Probus,  Carus,  Dioclétien  et  Galère,  une 
de  leurs  tribus,  les  Carpes,  qui  a  donné 
son  nom  aux  Carpathes,  fut  transplantée 
tout  entière  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  en 
Mésie,  dans  la  Dacia  ripensiset  en  Thrace. 
et  vint  ainsi  consolider  les  petits  noyaux 
slaves  qui  isolément  s'étaient  déjà  formés 
sur  le  territoire  romain.  C'est  là  le  pre- 
mier jalon  sérieux  de  la  colonisation  slave  , 
dans  la  péninsule  balkanique. 

Au  début  du  v«  siècle,  nous  trouvons 
bon  nombre  de  Slaves  parmi  les  hauts 
dignitairesderempiregrec,et,  auviesiècle, 
deux  Slaves  originaires  de  Vederiana,  dans 
la  Haute-Macédoine,  Justin  et  Justinien, 
assis  sur  le  trône  de  Byzance.  Mais  l'émi- 
gration décisive  se  produisit  à  la  fin  du 
v«  siècle,  ayant  son  point  de  départ  dans 
les  anciennes  provinces  de  la  Dacie  trans- 
danubienne. Deux  peuples  slaves  en  sor- 
tirent, les  Antes,  qui  disparurent  bientôt, 
et  les  Slovènes,  dont  le  nom  s'appliqua 
depuis  à  l'ensemble  de  la  race.  A  partir  de 
ce  moment,  les  invasions  slaves  ne  ces- 
sèrent plus,  jusqu'à  ce  que  toute  la  pénin- 
sule balkanique,  depuis  l'istrie  et  les 
bouches  du  Danube  jusqu'à  la  chaîne  du 
Taygète,  fût  en  leur  possession. 

En  l'année  493,  le  général  romain  Julien 
succombe  dans  une  bataille  qu'il  leur 
avait  livrée  en  Thrace;  en  513,  les  Slaves 
ravagent  la  Macédoine,  l'Epire  et  la  Thes- 
salie  jusqu'aux  Thermopyles.  Dans  les 
premières  années  du  règne  de  Justinien, 
Antes  et  Slovènes  violent  à  qui  mieux 
mieux  les  frontières  de  l'empire  oriental; 
leur  incursion  de  540  les  pousse  jusqu'à 
l'isthme  de  Corinthe,  celle  de  339  jus- 
qu'aux portes  de  Constantinople,  et  cela 


82 


ECHOS   D  ORIENT 


SOUS  le  règne  de  l'empereur  qui  avait 
reconquis  l'Afrique  et  l'Italie  et  presque 
réalisé  sur  son  nom  l'ancienne  unité 
romaine.  Vers  l'année  s8o,  les  Avares, 
suivis  de  leurs  esclaves  slaves,  descendent 
ravager  les  alentours  de  Thessalonique  et 
même  le  Péloponèse.  Maîtres  en  583  de 
Singidunum  (Belgrade),  de  Viminacium 
et  des  places  environnantes,  de  Ratiaria 
(Arcar  sur  le  Danube),  de  Dorostolon 
(Silistrie),  de  Marcianopolis  (Deven  près 
de  Varna)  et  des  autres  villes  mésiennes 
en  787,  ils  poursuivent  avec  des  alterna- 
tives  de  succès  et  de  revers  leurs  guerres 
contre  les  Byzantins  sous  Maurice,  Phocas 
et  Héraclius.  Le  règne  de  celui-ci  faillit 
être  le  dernier  de  l'empire.  En  623,  pen- 
dant que  les  Avares  assiégeaient  Byzance, 
de  concert  avec  les  armées  de  Chosroès  qui 
,  occupaient  le  littoral  asiatique,  les  Slaves 
exerçaient  leurs  pirateries  sur  la  mer  Egée 
et  tentaient  une  expédition  contre  l'île  de 
Crète,  Le  26  juillet  626,  ces  trois  peuples 
réunis  manquèrent  prendre  Constanti- 
nople.  Héraclius  ne  les  arrêta  plus  tard 
qu'en  s'alliant  avec  le  roi  des  Bulgares  et 
avec  les  Serbo-Croates  qu'il  installa,  à  titre 
d'amis,  dans  la  partie  septentrionale  de 
rniyricum.  Bref,  depuis  quarante  ans, 
à  la  suite  d'invasions  heureuses  ou  par 
le.  fait  d'une  lente  pénétration,  les  Slaves 
s'étaient  glissés  partout  dans  l'empire  :  ils 
constituaient  la  majorité  de  la  population 
en  Mésie  et  en  Macédoine;  dans  l'Achaïe 
et  même  au  Péloponèse,  ils  se  sentaient 
assez   forts   pour  en   imposer. 

Que  faire  de  ces  envahisseurs?  Ne  pou- 
vant ni  les  exterminer  ni  les  rejeter  hors 
de  ses  frontières,  impuissant  à  se  les  assi- 
miler, l'empire  jugea  bon  de  se  les  attacher 
comme  sujets  ou  comme  amis.  C'était 
peut-être  là  une  résolution  que  lui  impo- 
saient les  circonstances,  mais  qui  n'en  fut 
pas  moins  une  faute  et  un  danger  nouveau. 
Les  tribus  slaves  des  provinces  byzantines 
profitèrent  de  leur  situation  privilégiée 
pour  mettre  au  pillage  les  terres  ou  les 
villes  de  leurs  voisins;  de  67s  à  681,  en 
six  ans,  elles  assiégèrent  quatre  fois  Thes- 
salonique;  leurs    corsaires    continuèrent  ] 


à  écumer  les  mers  et  à  dévaster  l'Archipel 
pendant  dix  années  consécutives.  Que 
d'expéditions,  que  de  luttes  n'eurent  pas 
à  engager  Constantin  Pogonat  et  son  fils 
Justinien  II  contre  ces  maraudeurs,  presque 
toujours  insaisissables  !  Le  dernier  empe- 
reur en  força  30000  qu'il  avait  faits  pri- 
sonniers à  servir  désormais  l'empire  dans 
le  thème  de  Serrés;  vers  688,  il  en  trans- 
portait 30000  autres  en  Asie-Mineure, 
dans  le  thème  de  l'Opsikion. 

Lorsque  la  peste  eut  dépeuplé  en  747 
l'Achaïe  et  le  Péloponèse,  les  Slaves  se 
multiplièrent  à  tel  point  dans  ces  deux 
provinces  que  l'empereur  Constantin  Por- 
phyrogénètealâché  cet  aveu  effrayant  pour 
la  pureté  originelle  de  la  race  grecque  : 
«  Tout  le  pays  devint  slave.  »  Même  en 
tenant  compte  de  l'exagération  manifeste 
qu'a  commise  la  plume  impériale,  plu- 
sieurs historiens  modernes,  se  basant  sur- 
tout sur  le  récit  des  miracles  de  saint 
Demetrius,  admettent  qu'en  Grèce  comme 
en  Macédoine  c'est  l'élément  slave  qui 
a  dominé  depuis  le  règne  de  Justinien  II 
jusqu'à  celui  de  Léon  IV  le  Khazar,  c'est- 
à-dire  des  années  685  à  780.  Peu  après 
la  victoire  remportée  par  les  Byzantins 
à  Anchialos  (17  juin  762),  des  Slaves,  au 
nombre  de  208  000,  demandent  à  passer 
en  Asie,  pour  y  former  sous  l'autorité  des 
empereurs  des  colonies  militaires;  la  plu- 
part, restés  au  pays,  s'employaient  au 
brigandage  avec  la  canaille  byzantine  et 
bulgare,  et  il  fallut  une  nouvelle  cam- 
pagne en  764  pour  réprimer  ces  bandits. 

J'arrête  là  cette  énumération  monotone 
de  sièges  et  de  batailles,  de  victoires  et  de 
défaites  qui  se  poursuivirent  des  siècles 
durant  entre  les  populations  slaves  et  by- 
zantines. Toutefois,  malgré  leurs  invasions 
successives,  en  dépit  de  leur  supériorité 
numérique  sur  leurs  voisins  thraces,  grecs 
et  latins  —  il  y  avait  aussi  des  Latins,  et  les 
Valaques  de  Macédoine  sont  aujourd'hui 
leurs  descendants,  —  les  Slaves  n'avaient 
pas  encore  réussi  à  constituer  une  nation 
bien  déterminée.  Emiettés  en  tribus  mul- 
tiples, soumis  au  régime  féodal,  ils  se 
seraient  déchirés  dans  les  guerres  civiles 


FORMATION    DE    L  EGLISE    BULGARE 


83 


et  auraient  succombé  dans  les  luttes  avec 
rétranger,  si  un  peuple,  étranger  au  leur 
par  sa  race,  sa  langue  et  sa  religion,  le 
peuple  bulgare,  n'était  venu  réunir  en  un 
seul  faisceau  toutes  ces  forces  éparses  et 
former  un  seul  corps  politique  définitif. 

«  * 

Dès  les  premiers  siècles  de  l'ère  chré- 
tienne, une  puissante  tribu,  d'origine  tar- 
tare  ou  turque  selon  toute  vraisemblance, 
occupait  le  pays  compris  entre  le  Don  et 
le  Volga.  Elle  y  était  campée  depuis  bien 
longtemps,  si  l'on  doit  croire  les  historiens 
arméniens,  en  particulier  Moïse  de  Khoren 
qui  en  parle  sur  la  foi  de  témoignages 
antérieurs  à  lui.  Les  membres  de  cette 
tribu  s'appelaient  Boulgares,  c'est-à-dire, 
selon  l'étymoiogie  reçue,  hommes  du 
Volga,  car  ils  avaient  fait  un  séjour  assez 
long  sur  les  terres  situées  le  long  du 
cours  inférieur  de  ce  tleuve.  Peu  à  peu, 
sous  la  poussée  d'autres  peuples  de  race 
turque,  ou  par  instinct  de  la  rapine  et  du 
pillage,  instinct  qui  les  guida  longtemps, 
ils  s'étaient  rapprochés  du  Danube  et  des 
limites  de  l'empire  grec.  C'est  l'empereur 
Zenon  qui,  le  premier,  semble  leur  avoir 
facilité  l'accès  des  terres  romaines,  en 
recourant  à  leurs  services  contre  les  Goths 
de  Théodoric,  dont  la  tutelle  devenait  de 
plus  en  plus  gênante  pour  la  cour  de 
Constantinople.  L'empire  n'eut  pas  d'ail- 
leurs à  se  louer  de  ces  auxiliaires.  Bien 
qu'ils  eussent  la  réputation  d'être  invin- 
cibles, les  Bulgares  n'attendirent  pas  le 
choc  des  troupes  gothiques  qui  les  pour- 
suivirent, finirent  par  les  atteindre  et  leur 
infliger  une  sanglante  défaite  sur  les  bords 
du  Borysthène  ou  Dnieper.  Leur  khan  ou 
général,  Libertem,  fut  blessé  et  faillit  être 
pris  par  Théodoric.  Ceci  se  passait  entre 
les  années  482  et  487. 

Dans  les  premières  années  du  vi«  siècle, 
les  Bulgares  revenaient  en  Thrace,  cette 
fois-ci  pour  leur  propre  compte,  et  triom- 
phaient des  Grecs  près  de  la  rivière  Zourta. 
Cette  incursion  fructueuse  fut  dès  lors 
renouvelée  souvent,  les  Bulgares  ayant 
pris  l'habitude  de  razzier  moissons,  bes- 
tiaux et  habitants  sur  les  terres  de  l'empire 


pour  ne  laisser  après  leur  passage  que 
ruines  et  désolation.  Un  historien  de  cette 
époque,  Jornandès,  a  bien  décrit  en 
quelques  mots  discrets  la  profonde  terreur 
que  ces  barbares  avaient  su  inspirer  à  ses 
contemporains  :  «  Au-dessus  de  la  mer 
Pontique,  dit  cet  auteur,  se  développent 
les  demeures  des  Bulgares,  devenus  cé- 
lèbres par  les  désastres  que  nous  ont 
attirés  nos  malheurs,  (i)  »  A  leur  tour, 
des  Romains  de  vieille  souche,  devenus 
ministre  ou  ami  du  souverain  des  Goths, 
Cassiodore  et  l'évêque  Ennodius  de  Pavie, 
n'en  parlent  qu'avec  le  plus  vif  émoi. 

11  ne  faudrait  pas  s'imaginer  pourtant 
que  tout  tremblait  devant  eux  et  que, 
s'ils  avaient  dès  lors  voulu  exercer  une 
action  énergique  et  continue,  c'en  était  fait 
de  l'empire  byzantin.  En  effet,  les  Bulgares 
n'agissent  presque  jamais  en  leur  nom 
personnel.  Jusqu'au  milieu  du  vii«  siècle, 
jusqu'au  règne  de  Kourt,  ils  sont  plutôt, 
ainsi  que  les  Slaves,  les  auxiliaires  et  les 
mercenaires  des  Avares  que  leurs  propres 
maîtres.  C'est  le  khagan  des  Avares  qui  di- 
rige l'ensemble  des  tribus  slaves  et  turques, 
et  c'est  lui  qui  préside  à  la  fédération. 
Fédération  de  pillards,  du  reste,  peu  fixés 
au  sol  et  préférant  venir  à  des  dates  régu- 
lières prendre  par  la  violence  le  fruit  des 
travaux  des  autres,  que  de  cultiver  les 
champs  péniblement  eux-mêmes.  Si  les 
maîtres  de  Constantinople  n'avaient  dû, 
dans  ce  désarroi  universel,  exercer  une 
vigilance  attentive  sur  trois  parties  du 
monde,  en  surveillant  à  la  fois  les  fron- 
tières d'Europe,  d'Afrique  et  d'Asie,  les 
hordes  bulgares  n'auraient  jamais  quitté 
les  marais  insalubres  qui  leur  servaient 
de  résidence. 

Voyant  l'empire  affaibli  par  des  dé- 
penses insensées  et  par  des  guerres  sans 
cesse  renaissantes,  le  sentant  attaqué,  har- 
celé pour  ainsi  dire  par  les  bandes  avares 
et  slaves,  les  Bulgares  passèrent  et  repas- 
sèrent le  Danube  plusieurs  fois  au  cours 
du  vie   siècle,  ramenant  d'habitude  chez 


(I)  De  origine  actugue   Getarum,  c.  n,  p.  i83. 
Paris,  édit.  Savagner. 


84 


ECHOS    D  ORIENT 


eux  après  chaque  incursion  un  riche  bu- 
tin et  de  longues  colonnes  de  prisonniers. 
Parfois  aussi,  les  Byzantins  se  tenaient 
sur  leurs  gardes,  et  c'étaient  les  Bulgares 
vaincus  et  captifs  qui  s'en  allaient,  comme 
en  y^S,  coloniser  l'Arménie  romaine  et  la 
Lazie.  En  635,  une  alliance  était  conclue 
entre  les  deux  peuples  ennemis,  au  détri- 
ment des  Avares,  dont  les  Bulgares,  jus- 
que-là vassaux,  venaient  de  secouer  le 
joug  :  le  khan  Kourt  ou  Kouvrat  qu'Hé- 
raclius  avait  jadis  tenu  sur  les  fonts  bap- 
tismaux à  Constantinople  (i),  mettait  ses 
troupes  à  la  disposition  du  basileus  et  opé- 
rait une  diversion  en  sa  faveur  dans  les 
cantonnementsde  Pannonie.  Ce  faitmarque 
une  date  importante  dans  l'histoire  des 
Bulgares,  qui  peuvent,  à  partir  de  ce  mo- 
ment, être  considérés  comme  une  nation 
vraiment  indépendante. 

A  la  mort  deKourt,  d'après  les  données 
des  chroniqueurs  byzantins  du  ix«=  siècle, 
saint  Théophane  et  Nicéphore  le  pa- 
triarche, la  nation  bulgare  se  serait  frac- 
tionnée en  cinq  groupes  principaux,  dont 
chacun  se  trouvait  sous  le  commandement 
d'un  des  fils  du  défunt.  Deux  de  ces  hordes 
restèrent  dans  leur  pays  d'origine,  l'une 
au  delà  du  Volga,  l'autre  en  deçà  du  Don, 
pour  constituer,  sous  la  direction  des  fils 
aînés  Batbaïas  et  Kotragos,  des  Etats  indé- 
pendants. L'un  et  l'autre  royaume  dut 
accepter  plus  tard  la  suzeraineté  des  Kha- 
zars,  pour  embrasser  l'islamisme  versl'an- 
née  922,  être  détruit  par  les  Tartares  au 
xiiF  siècle  et  se  fondre  finalement  dans  les 
possessions  de  la  Russie.  Deux  autres  tri- 
bus, commandées  par  les  plus  jeunes  fils 


(i)  Le  patriarche  Nicéphore,  Breviarium  histori- 
cum,  MiGNE,  P.  G.,  t.  C,  col.  893,  rapporte  que, 
vers  l'année  618  ou  619,  le  prince  des  Huns  vint 
à  Byzance,  avec  les  principaux  chefs  de  son  peuple 
et  leurs  femmes,  et  que  là  ils  reçurent  tous  le  bap- 
tême. Or,  ce  chroniqueur  identifie  toujours  dans 
la  suite  les  Huns  avec  les  Ounogoundoures  et  avec 
les  Bulgares,  de  même  le  chroniqueur  Théophane 
et  Constantin  Porphyrogénète.  En  faut-il  davan- 
tage pour  conclure  que  ce  prince  anonvme  des 
Huns  est  le  souverain  des  Bulgares,  Kourt,  qui 
régnait  à  ce  moment,  était  l'ami  et  l'allié  d'Héra- 
clius  et  est  toujours  appelé  chef  des  Ounogoun- 
doures par  les  chroniqueurs  byzantins? 


de  Kourt,  s'établirent,  l'une  dans  la  Pan- 
nonie où  elle  renforça  la  puissance  des 
Avares,  l'autre  dans  l'Italie  du  Nord,  aux 
environs  de  Ravenne.  La  cinquième,  enfin, 
sous  les  ordres  d'Asparoukh  ou  Esperikh, 
franchit  le  Dnieper  et  le  Dniester  et  se 
cantonna  tout  d'abord  entre  ce  dernier 
fleuve,  la  mer  Noire  et  le  Danube,  c'est- 
à-dire  qu'elle  occupa  les  terrains  ûingeux 
de  la  Bessarabie,  pour,  de  là,  tenter  des 
incursions  en  Mésie  et  en  Thrace, 

Si,  à  rencontre  de  ce  que  racontent  les 
deux  chroniqueurs  byzantins,  toutes  ces 
migrations  ne  se  sont  pas  accomplies  en 
même  temps,  si  Nicéphore  et  Théophane 
ont  eu  tort  de  bloquer  sous  le  règne 
d'un  seul  empereur  byzantin  des  événe- 
ments qui  se  sont  peut-être  déroulés  au 
cours  de  plusieurs  siècles,  il  n'en  est  pas 
moins  vrai  que  la  fondation  du  nouvel  Etat 
bulgare  par  Asparoukh,  sur  les  terres  de 
la  Bessarabie  moderne,  est  généralement 
attribuée  par  les  historiens  à  cette  époque. 
Le  fait  aurait  eu  lieu,  d'après  les  chroni- 
queurs byzantins,  sous  le  règne  de  Con- 
stantin Pogonat,  entre  les  années  668  et 
685  ;  en  réalité,  il  s'est  passé  un  peu  plus 
tôt,  si  nous  ajoutons  foi  aux  calculs  chrono- 
logiquesquevient  d'établir  M.  Bury  d'après 
une  ancienne  inscription  bulgare  (i), 
connue  depuis  quelques  années,  et  qui 
daterait  le  règne  d'Asparoukh  des  années 
640  à  660.  Le  passage  du  Danube  a  pro- 
bablement eu  lieu  en  659. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ce  point  particu- 
lier, un  fait  est  certain,  c'est  que  l'établis- 
sement des  Bulgares  en  Bessarabie  a  pré- 
cédé l'avènement  de  Constantin  Pogonat, 
mais  que,  par  contre,  c'est  sous  le  règne 
de  cet  empereur  que  les  razzias  des  Bul- 
gares devenant  par  trop  fréquentes,  les 
Byzantins  entrèrent  en  lutte  ouverte  avec 
eux.  Une  double  expédition  terrestre  et 
maritime  fut  dirigée  par  Constantin  IV  en 
personne  contre  ces  maraudeurs,  et  dans 
leur  pays;  malheureusement,  pour  des 
causes  restées  mystérieuses,  les  succès  du 


1 1 1  The  Chronological  Cycle  of  the  Btilgarians, 
dans  la  By^antinische  Zeitschrift,  Munich  (!9ioK 
t.  XIX,  p.  126-144. 


FORMATION    DE    L  EGLISE   BULGARE 


débutfurent  suivis  de  revers  assez  prompts: 
la  panique  se  mit  dans  les  troupes  byzan- 
tines, qui  repassèrent  le  Danube  en  toute 
hâte,  talonnées  par  les  Bulgares,  qui  mas- 
sacrèrent bon  nombre  de  soldats  et  occu- 
pèrent le  pays  entre  ce  fleuve  et  la  chaîne 
des  Balkans.  Sans  rien  abandonner  de 
leurs  anciennes  possessions,  ils  fondèrent 
ainsi  un  Etat  assez  considérable,  dont  les 
centres  principaux  furent  Varna  et  Sllistrie. 
Les  tribus  slaves  des  territoires  occupés, 
dont  les  sept  plus  importantes  formaient 
une  confédération,  se  rallièrent  sans  dif- 
ficulté aux  vainqueurs  qui,  par  suite  de 
cet  accroissement  de  population,  deve- 
naient un  danger  des  plus  sérieux  pour 
l'empire.  Ce  n'était  pas,  à  vrai  dire, 
nous  l'avons  déjà  vu,  la  première  fois  que 
les  Bulgares  avaient  franchi  le  Danube, 
mais  leur  séjour  permanent  dans  les  pro- 
vinces romaines  de  Scythie  (Dobroudja) 
et  de  Mésie  est  désormais  un  fait  accom- 
pli. Maîtres  de  cette  partie  du  sol  romain, 
ils  ne  l'ont  plus  quittée.  La  défaite  de  Con- 
stantin Pogonat  remonte  à  l'année  679. 

Pour  conserver  la  Thrace  et  leurs  pos- 
sessions de  Macédoine,  les  Grecs  con- 
clurent un  traité  avec  les  nouveaux  venus, 
et,  moyennant  un tributannuel  assez  élevé, 
ils  vécurent  tout  d'abord  en  bons  termes 
avec  leurs  voisins.  Mais  comme  ceux-ci 
étaient  et  sont  encore  éminemment  posi- 
tifs, dès  que  le  remboursement  de  l'im- 
pôt se  faisait  par  trop  attendre,  les  hos- 
tilités recommençaient.  C'est  ainsi  que 
tout  le  viiie  siècle  et  les  vingt  premières 
années  du  ix«  furent  remplies  de  luttes 
sanglantes,  tantôt  au  profit  des  Bulgares 
et  tantôt  à  leur  défaveur,  mais  qui  se  ter- 
minaient généralement  par  la  défaite  et 
l'humiliation  des  Byzantins. 

Dès  l'année  688,  les  adversaires  se 
trouvaient  auxprises  etsortaientégalement 
meurtris  de  la  lutte.  En  705,  les  Bulgares 
renversaient  l'usurpateur  Tibère  III  et 
rétablissaient  sur  le  trône  Justinien  II 
Rhinotmète,  qui  s'était  réfugié  à  la  cour 
de  leur  khan  (  i);  trois  ans  après,  ils  anéan- 


(i)  A  cette  occasion,  Justinien  H   donna  au  sou- 


tissaient  dans  la  plaine  d'Anchialos  une 
puissante  armée  de  ce  même  Justinien  qui 
s'était  retourné  contre  eux;  en  71 1,  à  la 
nouvelle  de  l'assassinat  de  cet  empereur, 
ils  venaient,  sous  les  ordres  de  Tervel, 
ravager  les  faubourgs  de  Constantinople 
et  ne  se  retiraient  que  chargés  de  butin 
et  da  prisonniers.  Après  de  longues 
années  de  paix,  les  Bulgares  reprirent  en 
755  la  guerre  contre  les  Byzantins  et  la 
poursuivirent  pendant  dix  années.  Au 
cours  de  ces  longues  hostilités,  sous  les 
khans  Kormisoch,  Telets,  Baian,  etc.. 
marquées  par  de  fréquentes  révolutions 
politiques  et  par  des  dissensions  intestines 
en  Bulgarie,  les  Grecs  eurent  souvent 
l'occasion  d'intervenir  dans  les  affaires 
intérieures  de  ce  pays.  Un  khan  bulgare, 
Vinekh,  chrétien  sans  doute,  et  que  les 
chroniqueurs  désignent  sous  le  nom 
romain  de  Sabinus,  vivait  alors  à  la  cour 
de  Constantin  Copronyme  et,  de  là,  gou- 
vernait la  partie  de  ses  Etats  qui  lui  était 
restée  fidèle.  Son  intervention  et  son 
appui  ne  contribuèrent  pas  peu  à  assurer 
la  victoire  des  Byzantins  à  Anchialos 
(17  juin  762)  et  la  défaite  définitive  des 
Bulgares.  En  777,  un  autre  khan,  Tzérig 
ou  Télérig,  détrôné  comme  Vinekh  et 
réfugié  à  Byzance.  y  reçut  le  baptême 
avec  le  titre  de  patrice  ei  ne  tarda  pas  à 
épouser  une  princesse  byzantine. 

La  guerre  recommence  en  791  et  se 
poursuit  presque  sans  discontinuité;  par 
malheur,  les  Grecs  essuient  défaites  sur 
défaites.  Parmi  les  principales,  signalons 
celles  de  792  et  de  81 1.  En  792  périt  le 
fameux  Lakhanodracon,  l'ancien  ami  de 
Copronyme,  le  meilleur  général  et  le  plus 
grand  malfaiteur  de  l'empire.  Le  26  juil- 
let 811,  le  basileus  Nicéphore  est  vaincu 
et  tué  par  Kroum  ;  son  crâne  évidé,  en- 


verain  bulgare  Tervel  le  titre  honorifique  de  césar 
qui  était  parfois  accordé  à  des  membres  de  la 
famille  impériale  et  désignait  dans  ce  cas  le  futur 
héritier.  Les  historiens  bulgares  en  ont  conclu  que 
les  Byzantins  avaient  accordé  alors  aux  Khans  de 
leur  tribu  la  dignité  d'empereur  ou  de  tsar;  mais 
césar  n'a  jamais  signifié  empereur  chez  les  Byzan- 
tins; c'est  le  mot  basileus  ou  celui  d'autocrator 
qui  a  ce  sens. 


86 


ECHOS   D  ORIENT 


châsse  en  argent,  sert  désormais  de  coupe 
royale  aux  orgies  de  son  adversaire.  Les 
vainqueurs    profitent    de    leurs    succès 
pour  ravager  la  Macédoine  et  la  Thrace. 
Le   22   juillet    813,    devant   Andrinople, 
Michel  ler  Rhangabé  est  battu  par  Kroum, 
qui  s'avance  jusque    sous   les  murs    de 
Constantinople,  et  là,  en  face  de  la  porte 
Dorée,    au    grand    scandale    des    dévots 
byzantins,  immole  à  ses  dieux  des  ani- 
maux et   des  victimes  humaines.  Blessé 
par  ordre  de  Léon  l'Arménien,  successeur 
de  Michel  l^r,  et  chassé  de  la  capitale,  le 
roi  bulgare  se  venge  de  cette  trahison  en 
mettant  tout  à  feu  et  à  sang  dans  la  Thrace 
et  une  partie  de  la  Macédoine,  détruisant 
les  villes,   saccageant  les  récoltes,  égor- 
geant les  habitants  ou  les  traînant  prison- 
niers à   sa  suite.  Andrinople   fut,  après 
un  long  siège,  contrainte  de  se  rendre  et 
1 2  000  habitants,  sans  compter  les  femmes 
et  les  enfants,  furent  transportés  sur  les 
rives  du  Danube.  L'année  suivante,  après 
la  prise  d'Arcadiopolis,  50000  autres  pre- 
naient le  chemin  de  la  Bulgarie.  La  mort 
violente  du  souverain  barbare,  survenue 
le  13  avril  815,  permit  tout  d'abord  aux 
Byzantins  de  respirer;  la  victoire  de  Mé- 
sembria,  remportée  en  817,  les  poussa  à 
infliger  aux  Bulgares  des  désastres  ana- 
logues à  ceux  qu'ils  avaient  subis  de  leur 
part.    Enfin,  l'avènement  d'Omortag  ou 
Mortagon  en   819,  suivi  d'une  trêve  de 
trente  ans,   amena  entre  les  deux  Etats 
un  rapprochement  durable  qui  fut  même 
suivi  de  rapports  assez  intimes. 

Ainsi,  par  leurs  victoires  sur  les  Grecs 
et  grâce  à  leur  esprit  de  prosélytisme,  les 
Bulgares,  dont  le  nombre  était  plutôt  res- 
treint lors  de  la  traversée  du  Danube, 
avaient  attiré  à  eux  et  réuni  sous  leur 
domination  toutes  les  tribus  slaves  établies 
sur  leur  territoire  et  qui  firent  dorénavant 
cause  commune  avec  eux.  En  811,  les 
grands  de  la  nation  slave,  les  boyards 
buvaient,  à  la  suite  de  Kroum,  dans  le 
crâne  de  Nicéphore  :  ainsi  encore,  dès  cette 
époque,  le  souverain  bulgare  s'intitule 
prince  des  Slaves  et  des  Bulgares. 

11  se  produisit  donc  alors,  dans  la  pénin- 


sule balkanique,  le  même  phénomène  que 
l'on  avait  constaté  en  Gaule  aux  v«  et 
vi«  siècles.  Les  Bulgares  d'Asparoukh  et 
de  ses  successeurs  y  jouèrent  le  même 
rôle  que  les  Francs  de  Clovis  et  de  ses 
héritiers  dans  notre  pays.  Au  contact  des 
vaincus  supérieurs  en  nombre  et  en  civi- 
lisation, les  vainqueurs  perdirent  leur 
nationalité,  leur  idiome  et  leur  religion, 
mais,  en  retour,  ils  donnèrent  leur  nom 
—  et  pour  toujours  —  à  l'amalgame  ethno- 
graphique. A  mesure  que  la  fusion  se  fit 
entre  les  deux  principaux  éléments,  à 
mesure  que  le  nouvel  Etat,  de  bulgare 
devint  de  plus  en  plus  slave,  il  acquit  une 
plus  grande  force.  Tous  les  Slaves  qui 
avaient  pénétré  depuis  des  siècles  dans 
l'empire  byzantin,  conservant  envers  et 
contre  tous  leurs  usages  et  leur  langue, 
portèrent  leurs  regards  au  delà  des  fron- 
tières, souhaitant,  hâtant  de  leur  mieux 
leur  union  avec  les  nouveaux  venus  qui 
étaient  pour  eux  des  frères.  Désormais, 
tout  Slave,  sujet  de  Byzance,  est  son 
ennemi  caché  ou  déclaré,  autant  qu'il  est 
l'allié  des  Bulgares. 


Fixer  d'une  manière  précise  les  limites 
territoriales  des  Bulgares,  alors  qu'ils 
guerroyaient  sans  cesse,  tantôt  sur  un 
point,  tantôt  sur  un  autre,  n'est  pas  chose 
bien  aisée.  Pour  ne  pas  remonter  trop 
haut  et  sans  tenir  compte  des  annexions 
passagères,  il  semble  qu'avant  le  règne 
de  Kroum,  dans  les  premières  années  du 
ixe  siècle,  le  nouvel  Etat  comprenait  la 
Bulgarie  dite  danubienne  et  la  Valachie, 
c'est-à-dire  qu'il  s'étendait  de  la  chaîne 
des  Balkans  aux  Carpathes  de  la  Transyl- 
vanie. 

Kroum  conquit,  pour  sa  part,  une 
bonne  portion  de  la  Hongrie  orientale  et 
devint  ainsi  voisin  des  Moraves  qui 
devaient  bientôt  embrasser  le  christia- 
nisme, voisin  des  Francs  qui  venaient 
d'anéantir  le  royaume  des  Avares,  voisin 
des  Byzantins  et  des  Serbes.  En  809,  les 
Bulgares    apparurent  dans  le    bassin  du 


FORMATION    DE    L  EGLISE    BULGARE 


87 


Slrymon  et  ils  s'emparèrent  de  Sardique 
ou  Sofia,  ville  restée  jusque-là  au  pouvoir 
des  Grecs  :  en  812,  ils  prenaient  les  ports 
de  Mésembria  et  Débeltos,  sur  la  mer 
Noire,  puis  Andrinople,  etc.  Toutes  ces 
places,  à  l'exception  de  Sofia  et  de  la 
région  adjacente,  furent  d'ailleurs  rendues 
aux  Byzantins  lors  du  traité  de  820  con- 
clu entre  eux  et  Omortag.  Ce  dernier, 
libre  de  ses  mouvements  du  côté  de 
Constantinople,  dirigea  tous  ses  efforts 
vers  l'Ouest,  et,  à  la  suite  de  plusieurs 
campagnes  payées  parfois  d'insuccès,  il 
réussit  à  garder  la  boucle  du  Sirmium 
entre  l'embouchure  de  la  Save  et  celle  de 
la  Drave.  C'est  Rasa  ou  Novi-Bazar  qui 
constituait  la  principale  place  forte  des 
Bulgares  près  de  la  frontière  serbe. 

L'unité  politique  de  la  partie  septen- 
trionale de  la  péninsule  balkanique  s'était 
donc  faite  sous  le  drapeau  bulgare,  elle 
allait  être  consacrée  par  l'unité  religieuse. 
Avant  la  conversion  et  le  baptême  de 
Boris,  que  l'on  peut  comparer  au  baptême 
de  Clovis  à  Reims,  nous  n'avons  que 
peu  de  renseignements  sur  la  diffusion  du 
christianisme  chez  les  Bulgares.  Il  est 
probable  toutefois,  malgré  le  silence  de 
l'histoire,  que  le  voisinage  des  Grecs  et 
des  Francs,  tous  chrétiens,  ne  fut  pas 
sans  exercer  une  salutaire  influence  sur 
l'esprit  grossier  de  ces  barbares.  Du  reste, 
le  pays  qu'ils  avaient  conquis  en  deçà 
du  Danube  était  chrétien  depuis  plusieurs 
siècles.  Dans  la  Scythie,  la  Mésie  inférieure 
et  l'Hémimont,  on  ne  comptait,  lors  de 
leur  arrivée,  pas  moins  de  huit  diocèses 
grecs,  une  métropole  avec  cinq  évêchés 
suffragants  et  deux  archevêchés  autocé- 
phales.  Si  nous  nous  tournons  vers  la  fron- 
tière occidentale,  vers  la  région  annexée 
parKroum,  Omortag  et  leurs  successeurs, 
nous  rencontrons  les  provinces  ecclésias- 
tiques de  Dacie,  Dardanie,  Prévalitane  et 
Macédoine,  soumises  à  la  juridiction  pa- 
triarcale de  Rome,  et  qui,  à  elles  toutes, 
renfermaient  bon  nombre  de  sièges  épi- 
scopaux,  comme  Sofia,  Nich,  Uskub,  etc. 

Toute  cette  population  chrétienne, 
même  submergée  par  le  flot  des  invasions 


slaves,  n'avait  pas  entièrement  disparu, 
lorsque  Asparoukh  et  ses  bandes  traver- 
sèrent le  Danube  afin  de  la  subjuguer: 
loin  de  là,  elle  formait  de  beaucoup  la 
majorité.  Le  chroniqueur  Théophane  l'a 
fait  remarquer  avec  raison  (i),  les  Bul- 
gares s'installèrent  sur  une  terre  chré- 
tienne, ils  rencontrèrent  partout  des 
églises  et  des  prêtres,  grecs  ou  slaves.  Si 
je  n'avais  craint  d'abuser  de  la  patience 
du  lecteur,  il  aurait  été  facile,  en  m'ap- 
puyant  surtout  sur  le  récit  des  miracles 
de  saint  Démétrius,  de  prouver  que  les 
Slaves  établis  sur  le  territoire  byzantin 
avaient,  pour  la  plupart,  renoncé  au  paga- 
nisme dès  le  vue  et  le  viif  siècles. 

Un  autre  motif  contribua  puissamment 
à  la  rapide  diffusion  du  christianisme.  Les 
campagnes  heureuses  de  Kroum  et  de  ses 
prédécesseurs  étaient  d'ordinaire  suivies 
de  transplantations  de  captifs  qui  ame- 
naient dans  le  royaume  une  foule  de  chré- 
tiens, évêques,  prêtres  et  simples  fidèles, 
tous  ardents  propagateurs  de  l'Evangile. 
Le  fait  même  que,  vers  l'an  818,  le  khan 
Omortag,  pour  parer  au  danger  qui  mena- 
çait le  culte  national,  mettait  à  mort 
l'évêqued' Andrinople  avec  trois  autres  pré- 
lats et  374  personnes,  démontre  que  leurs 
prédications  et  leurs  exemples  portaient 
des  fruits  et  que  la  religion  du  Christ  s'in- 
filtrait insensiblement  parmi  la  race  con- 
quérante. 

Cequi  l'atteste  mieux  encore,  c'est  la  pro- 
fession de  christianisme  mise  au  compte  de 
plusieurs  membres  de  la  famille  régnante. 
Au  dire  de  Théophylacte  d'Achrida,  l'un 
des  fils  d'Omortag,  Nravota,  avait  été 
converti  par  un  Grec  prisonnier  en  Bul- 
garie, et  il  fut,  pour  ce  fait,  assassiné  par 
son  frère  Malomir  qui  s'empara  du  trône, 
tout  en  étant  le  plus  jeune  héritier.  Nous 
avons  déjà  vu  le  khan  Télérig  s'enfuir 
à  Byzance  et  y  recevoir  le  baptême  en 
777;  peu  d'années  auparavant,  Vinekh  ou 
Sabinus  avait  agi  de  même.  Bien  plus, 
Kourt,  le  véritable  fondateur  de  l'Etat  bul- 


(I)  Anno   miindi  6  i-^i,  Migne,  P.  G.,  t.   CVIII, 
col.  72H. 


88 


ECHOS    D  ORIENT 


gare,  le  véritable  organisateur  de  la  nation 
bulgare,  était  venu  à  Constantinople  se 
faire  baptiser,  en  l'an  6i8  ou  619,  ainsi 
que  les  principaux  membres  de  sa  tribu, 
et  l'empereur  Héraclius  lui  avait  servi  de 
parrain. 

Croit-on  que  de  pareils  exemples  soient 
restés  sans  influence  sur  la  mentalité  des 
grands  de  la  nation  et  même  du  menu 
peuple?  Et  ne  pourrait-on  pas  expliquer 
les  rivalités  funestes  qui  divisèrent  la 
famille  royale  au  vni«  siècle  et  pendant  la 
première  moitié  du  ix^,  par  les  deux  ten- 
dances chrétienne  et  païenne  qui  s'y 
dessinaient  depuis  longtemps  et  armaient 
trop  souventune  moitié  du  royaume  contre 
l'autre?  Ne  comprendrait-on  pas  alors 
pourquoi  Sabinus,  chrétien  et  réfugié  à  la 
cour  de  Byzance,  continua  pourtant  à  gou- 
verner une  partie  de  ses  Etats?  Dans  l'igno- 
rance à  peu  près  complète  où  nous 
sommes  de  la  politique  intérieure  de  la 
Bulgarie  et  des  mobiles  qui  la  dirigeaient, 
cette  hypothèse  devient  l'explication  plau- 
sible de  faits  certains,  mais  dont  sans  elle 
les  causes  nous  échappent.  Le  baptême  de 
Boris  ne  serait  pas  ainsi  la  première  étape 
des  Bulgares  vers  le  christianisme,  mais  le 
dernier  pas  d'une  marche  qui  durait  depuis 
plus  de  deux  cents  ans  ;  sa  conversion  serait 
la  revanche  de  la  fuite  de  Sabinus  et  de 
Télérig  à  Byzance,  ainsi  que  du  meurtre 
de  Nravota.  Victoire  achetée  au  prix  de 
grands  sacrifices,  il  est  vrai,  car  Boris  dut 
noyer  toute  opposition  dans  le  sang  des 
boyards  païens. 

En  effet,  si  glorieuses  que  fussent  les 
conquêtes  du  christianisme, elles  n'auraient 
probablement  pas  réussi  à  déterminer  la 
nation,  si  un  prince  valeureux  et  résolu 
n'avait  lui-même  donné  l'exemple  en 
entraînant  à  sa  suite  les  adorateurs  des 
faux  dieux.  A  vrai  dire,  nous  sommes 
encore  assez  mal  fixés  sur  les  motifs  qui 
poussèrent  le  khan  Boris  à  une  démarche 
aussi  hardie.  On  a  parlé  d'une  sœur  de 
Boris  prisonnière  à  Byzance  et  qui,  de 
retour  chez  les  siens,  leur  aurait  inculqué 
les  premières  notions  de  la  religion 
révélée  ;  ce  fait  ne  paraît  avoir  que  la  portée 


d'une  simple  légende.  On  a  même  cité  le 
nom  d'un  moine.  Méthode,  peintre  habile, 
dont  un  tableau  du  jugement  dernier 
aurait  décidé  la  conversion  du  roi,  et  l'on 
a  voulu  voir  dans  ce  personnage  le  frère 
de  saint  Cyrille;  mais,  d'après  Syméon 
Métaphraste,  qui,  le  premier,  rapporte  ce 
récit,  ceci  n'eut  lieu  qu'après  le  baptême 
de  Boris,  et  le  susdit  Méthode  n'était  pas 
moine,  mais  peintre  de  profession.  11  est 
d'ailleurs  prouvé  aujourd'hui  que  les  deux 
frères  Cyrille  et  Méthode  ne  sont  pour  rien 
dans  la  conversion  des  Bulgares  et  qu'on 
doitattribuer  à  l'influence  deleurspremiers 
disciples  la  juste  popularité  dont  ces  deux 
apôtres  des  Moraves  ont  joui  et  jouissent 
toujours  en  Bulgarie. 

Sans  rejeter  la  part  de  la  grâce  qui  fut 
sans  doute  considérable  mais  qui  échappe 
à  nos  investigations;  sans  méconnaître  le 
zèle  des  missionnaires  grecs  qui  s'exerça 
de  longs  mois,  peut-être  même  de  longues 
années  sur  la  personne  du  khan  bulgare, 
on  peut  toutefois  avouer  que  la  conversion 
de  Boris  est  due  en  partie  à  des  raisons 
politiques.  Les  Byzantins  formaient  un 
grand  empire  chrétien  à  l'Orient;  vers 
l'Ouest  s'étendaient  et  s'appuyaient  toute 
une  série  de  royaumes  francs.  Etats  chré- 
tiens et  germano-latins;  situés  entre  ces 
deux  grands  groupements,  les  Slaves  se 
tournaient  de  plus  en  plus  vers  l'Evangile, 
et  un  œil  exercé  devait  fatalement  découvrir 
qu'ils  appartiendraient  à  la  dynastie  chré- 
tienne qui  saurait  les  gagner.  Or,  le  sou- 
verain morave  venait,  peu  auparavant, 
d'embrasser  la  religion  chrétienne;  en 
s'obstinant  à  rester  fidèle  aux  dieux  des 
steppes  asiatiques,  Boris  risquait  de  voir 
ses  sujets  slaves  se  tourner  vers  la  Moravie 
et  constituer  sous  l'autorité  de  Rastiz  la 
première  monarchie  slave  chrétienne.  Tous 
les  efforts  de  ses  ancêtres  auraient  été 
ainsi  frappés  d'un  seul  coup  de  stérilité. 
11  ne  le  voulut  point,  et  à  la  monarchie 
chrétienne  morave  qui  groupait  les  Slaves 
de  l'Europe  centrale,  il  sut  opposer  la 
monarchie  chrétienne  bulgare  autour  de 
laquelle  s'étaient  déjà  rangés  les  Slaves 
méridionaux. 


LA   CÉRÉMONIE    DU    LAVEMENT    DES    PIEDS   A  JÉRUSALEM 


89 


Quant  aux  circonstances  qui  accompa- 
gnèrent l'entrée  de  Boris  dans  la  religion 
chrétienne,  nous  les  ignorons  absolument. 
Sa  démarche  ne  fut  pas  secrète,  comme 
on  le  répète  à  plaisir,  puisqu'elle  était 
connue,  et  par  l'empereur  d'Allemagne, 
et  par  le  Pape,  et  par  Hincmar  de  Reims, 
près  d'un  an  avant  qu'elle  fût  accomplie. 
Une  chose  est  sûre,  c'est  qu'il  reçut  le 
baptême  par  l'intermédiaire  de  prêtres 
grecs,  preuve  évidente  que  ceux-ci  s'étaient 
déjà  chargés  de  son  instruction  religieuse; 
une  chose  non  moins  incontestable,  c'est 
qu'on  l'appela  alors  Michel,  à  cause  du 
nom  du  basiîeus,  remarque  le  continuateur 
de  Théophane,  On  en  a  conclu,  je  crois 
avec  raison,  que  le  roi  bulgare  eut  pour 
parrain  Michel  III  l'Ivrogne  —  singulier 
parrain  pour  une  jeune  Eglise!  Confor- 
mément aux  usages  du  temps,  une  fois 
qu'il  eut  reçu  le  baptême,  le  souverain 
contraignit  ses  sujets  à  partager  ses  nou- 
velles croyances;  mais  ce  brusque  chan- 
gement ne  fut  pas  goûté  de  tout  le 
monde,  surtout  des  boyards,  les  chefs  de 
la  nation.  Une  violente  insurrection  éclata 
pour  renverser  Boris  du  trône  et  lui  sub- 


stituer un  païen;  elle  fut  arrêtée  par  la 
mort  violente  des  principaux  meneurs. 

La  date  de  cet  événement  capital  pour 
l'avenir  de  la  péninsule  balkanique  doit 
se  placer  à  la  fin  de  864,  ou  mieux  dans 
dans  les  premiers  mois  de  865.  En  effet, 
d'après  une  lettre  écrite  au  mois  de  mai 
864  par  le  pape  saint  Nicolas  à  Salomon, 
évêque  de  Constance,  on  sait  que  Louis  le 
Germanique  espérait  alors  la  conversion 
du  souverain  des  Bulgares  et  que  nombre 
des  sujets  de  ce  dernier  s'étaient  déjà  faits 
chrétiens  (i).  De  même,  Hincmar  rap- 
porte dans  ses  Antiales  (2) ,  à  la  date  de  864, 
que  Boris  avait  promis  de  se  convertir  au 
christianisme.  Enfin,  dans  sa  fameuse 
encyclique  de  867,  Photius  déclare  qu'il 
ne  s'est  pas  écoulé  tout  à  fait  deux  ans 
entre  l'arrivée  en  Bulgarie  des  mission- 
naires latins,  fin  de  l'année  866,  et  la  con- 
version des  Bulgares  opérée  par  les  prêtres 
grecs  (3).  Ceci  nous  reporte  bien  au  début 
de  l'année  86î. 


{A  suivre.) 


Constantinople. 


SiMÉON   VaILHÉ, 


LA  CÉRÉMONIE   DU    LAVEMENT  DES   PIEDS 

A   JÉRUSALEM 


A  la  fin  d'une  étude  consacrée  au  rite 
du  lavement  des  pieds  le  Jeudi-Saint  dans 
l'Eglise  grecque,  après  avoir  prévenu  le 
lecteur  que  Jérusalem  est  un  des  rares 
endroits  où  les  orthodoxes  aient  conservé 
cette  touchante  cérémonie,  je  la  décrivais 
telle  qu'elle  y  avait  lieu  au  xii^  siècle  (i). 
On  sera  sans  doute  bien  aise  de  savoir 
comment  elle  s'exécute  aujourd'hui. 

Nous  en  trouvons  le  texte  et  les  ru- 
briques dans  une  brochure  d'accès  peu 

fi)  s.  Pétridès,  le  Lavement  des  pieds  le  Jeudi- 
Saint  dans  l'Eglise  grecque,  dans  Echos  d'Orient, 
t.  III,  1899- içoo,  p.  321-326. 


commode,   intitulée  :     H    U:a    ^/.o/ojO'la 

aY'.wTarr, ;  IuovIt'.ooç  r/.x/,r,7'!a;.  Cette  bro- 
chure, de  14  pages  petit  in-folio,  a  été 
imprimée  en  1895,  par  ordre  du  pa- 
triarche Gérasime  I<^r,  à  l'imprimerie  de  la 
communauté  du  Saint-Sépulcre.  Page  3, 
un  avis   nous  apprend  l'existence  d'une 


(11  Jaffé,  n' 2  708  :  Quia  vero  dicis,  quod  rex 
speret,  quod  ipse  rex  Vulgarorum  ad  fidem  velit 
converti,  et  jam  multi  ex  ipsis  christiani  facti 
sint,  gratias  agimus  Deo. 

\2)  Edit.  Pertz,  t.  I",  p.  473. 

(3)  MiGNE,  P.  G.,  t.  Cil,  co!.  724. 


90 


ECHOS    D  ORIENT 


première  édition  en  1883.  L'indication 
des  sources  est  très  vague  :  le  rite  s'ac- 
complit, nous  dit-on,  selon  la  tradition 
ancienne  et  les  typica  manuscrits  (i). 

Voici  la  traduction  intégrale  de  l'of- 
fice (2);  j'y  ajoute  seulement  quelques 
notes  explicatives. 

Cet  office  (3)  est  célébré  le  Jeudi-Saint 
par  Sa  Béatitude  le  patriarche  sur  le 
parvis  (4).  ou,  si  la  pluie  71e  le  permettait 
pas,  dans  l'église  même  de  l'Anastasis  (5). 
La  veille,  on  prépare,  au  milieu  du  parvis 
et  en  face  de  la  porte  du  monastère  Saint- 
Abraham,  une  estrade  ainsi  disposée. 

Sur  le  côté  occidental,  au  milieu,  est 
placé  le  trône  patriarcal  ;  de  chaque  côté 
de  ce  trône,  sont  rangés  dou^e  fauteuils 
destinés  aux  prêtres  qui  représentent  les 
disciples.  Au  centre  de  l'estrade  est  une 
cuvette  avec  une  aiguière  et  deux  linges. 

Ces  préparatifs  ainsi  faits,  à  la  fin  de 
la  messe  célébrée  dans  l'église  de  saint 
Jacques,  frère  du  Seigneur  et  premier 
évêque  de  Jérusalem,  les  prêtres  représen- 
tant les  disciples,  choisis  parmi  les  archi- 
mandrites et  protosyncelles  de  la  commu- 
nauté et  parmi  les  prêtres  de  la  Ville 
Sainte,  revêtus  de  leurs  ornements,  se 
placent  deux  à  deux  de  chaque  côté  de 
la  Belle  Porte  (6).  Sa  Béatitude  le  pa- 
triarche prend  sur  l'autel  l'évangéliaire  (j) 
et  le  remet  à  celui  qui  est  chargé  de  lire  les 
évangiles  du  v[-TY,p.  Aussitôt,  pendant  que 
les  chœurs  chantent  alternativement  les 
versets  du  psaume  L,  le  cortège  se  rend 
par  la  chapelle  des  Myrophores  (8)  au 


(i)  La  brochure  nous  a  été  procurée  par  notre 
confrère  le  P.  A.  Chappet,  à  qui  nous  offrons  nos 
plus  vîfs  remerciements. 

(2)  Cette  traduction  est  due  à  notre  confrère  le 
P.  M.  Voutsinos. 

(3)  En  grec,  vittti^p  :  ce  raot  désignait  primitive- 
ment le  bassin  qui  sert  au  lavement  des  pieds, 
mais  la  dénomination  s'est  étendue  à  toute  la 
cérémonie. 

(4)  Les  Grecs  appellent  la  basilique  église  de 
l'Anastasis  ou  Résurrection,  et  le  parvis  qui  la 
précède  àyia  a-JÀ-rj. 

(5)  En  grec,  dans  le  catholicon  :  c'est  la  partie 
appelée  communément  en  français  le  chœur  des 
Grecs.  ' 

(6)  La  porte  centrale  de  l'iconostase  dans  les 
églises  de  rite  byzantin. 

(7)  Ce  livre  reste  en  effet  à  demeure  sur  l'autel. 

(8)  Nom  des  «  saintes  femmes  »  dans  la  liturgie 
grecque. 


parvis  et  se  tient  devant  la  porte  de  l'Ana- 
stasis. L'<f.évangéliste»{  I  )  monteà  l'ambon, 
et  celui  qui  porte  «  la  cruche  d'eau  »  se 
place  pj-ès  de  l'estrade  (2). 

A  la  fin  du  psaume  L,  l'évangéliste  à 
l'ambon  commence  le  chant  du  premier 
évangile. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Et  pouf  être  rendus 
dignes  d'entendre  la  lecture  du  saint  Evan- 
gile, supplions  le  Seigneur  notre  Dieu  (3). 
Sagesse!  Debout!  Ecoutons  le  saint  Evan- 
gile. 

Le  patriarche.  —  Paix  à  tous  (4). 
L'ÉVANGÉLISTE.  —  Lccturc  du  saint  Evan- 
gile selon  Matthieu.  Soyons  attentifs  (5). 
En  ce  temps-là,  Jésus  ayant  appelé  ses 
douze  disciples  leur  dit  : 

Le  PATRIARCHE.  —  Vous  savcz  que  la 
pâque  a  lieu  après  deux  jours,  et  le  Fils  de 
l'homme  sera  livré  pour  être  crucifié. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  La  fête  des  azymes 
arriva,  où  il  fallait  immoler  la  pâque,  et  il 
envoya  Pierre  et  Jean,  disant  : 

Le  PATRIARCHE.  —  Allez,  préparez-nous 
la  pâque,  afin  que  nous  la  mangions. 
L'ÉVANGÉLISTE.  —  Ils  lui  dirent  : 
Pierre  et  Jean.  —  Seigneur,  où  voulez- 
vous  que   nous  vous  préparions  ce  qu'il 
faut  pour  manger  la  pâque? 
L'ÉVANGÉLISTE.  —  II  leur  dit  : 
Le  patriarche.  —  Allez  à  la  ville  et  vous 
rencontrerez    un    homme     portant     une 
cruche  d'eau;    suivez-le,  et,  quelque   part 
qu'il  «ntre,    dites    au   propriétaire    de  la 
maison  :  Le  Maître  dit  :  Où  est  le  lieu  où 
je  pourrai  manger  la  pâque  avec  mes  dis- 
ciples? Et  là,  préparez-nous  ce  qu'il  faut. 
Les  deux  disciples  vont  vers  l'estrade  et 
disent  à  celui  qui  porte  la  cruche  : 

Pierre  et  Jean.  —  Le  Maître  dit  :  Où 
est  le  lieu  où  je  pourrai  manger  la  pâque 
avec  mes  disciples? 

Celui  qui  porte  la  cruche.  —  C'est  ici. 
Et  aussitôt  ils   reviennent  vers  le   pa- 
triarche disant  : 


(1)  C'est-à-dire  le  diacre  (?)  chargé  de  lire  les 
évangiles. 

(2)  On  remarquera  que  les  rubriques  n'ont  rien 
dit  de  ce  personnage,  pas  plus  du  reste  que  de 
l'ambon  ou  chaire  portative  qu'on  a  dû  préparer 
avec  le  reste. 

(3)  Le  chœur  répond  trois  fois  :  Kyrie,  eleison. 

(4)  Le  chœur  répond  :  Et  à  votre  esprit. 

(5)  Le  chœur  répond  :  Gloire  à  vous,  Seigneur, 
gloire  à  vous. 


LA   CÉRÉMONIE    DU    LAVEMENT    DES    PIEDS    A  JÉRUSALEM 


91 


Pierre  et  Jean.  —  Seigneur,  tout  est  prêt. 

Après  cela,  le  cortège  se  dirige  vers  l'es- 
trade dans  l'ordre  suivant  :  les  porteurs 
de  la  croix  patriarcale  et  des  hexapte- 
ryga  (i)  marchent  les  premiers,  puis 
viennent  ceux  qui  forment  les  chœurs  en 
chantant  la  cinquième  ode  du  «  canon  »  (21 
du  Jeudi-Saint  : 

ODE    V.    QUATRIÈME   TON    PLAGAL 

Hirmus  (3).  —  Unis  par  le  lien  de  la 
charité,  les  apôtres  se  confiaient  au  Christ, 
souverain  de  l'univers,  qui  lavait  les  beaux 
pieds  de  ces  évangélistes  de  la  paix. 

Tropaires.  —  La  Sagesse  divine,  qui 
tient  dans  l'éther  les  formidables  eaux 
supérieures,  qui  met  un  frein  aux  abîmes, 
qui  arrête  la  fureur  des  mers,  met  de  l'eau 
dans  un  bassin  et  le  Maître  lave  les  pieds 
de  ses  serviteurs. 

Le  Seigneur  donne  à  ses  disciples 
l'exemple  de  l'humilité;  celui  qui  vêt  le 
ciel  de  nuées  se  ceint  d'un  linge;  celui  qui 
tient  dans  sa  main  la  vie  de  tout  être 
vivant  plie  le  genou  pour  laver  les  pieds 
de  ses  serviteurs. 

Les  chantres  sont  suivis  des  diacres 
qui  portent  le  «  dicerium  »  et  le  «  trice- 
rium  »(4),  et  dont  deux  encensent  Sa  Béa- 
titude le  patriarche  qui  bénit  le  peuple  et 
s'avance  vers  l'estrade  à  travers  la  double 
rangée  de  ceux  qui  figurent  les  disciples. 
Lorsqu'il  en  approche,  ceux  qui  portent 
les  «  hexapteryga  »  et  la  croix  patriarcale 
se  tiennent  des  deux  côtés  de  l'escalier  en 
bas,  les  chœurs  montent  et  se  tiennent  en 
haut  de   l'escalier,   Sa   Béatitude  le  pa- 


in  Eventails  métalliques  dont  l'écran  est  formé 
d'une  tête  de  chérubin  entourée  de  six  ailes;  on 
les  porte  aux  processions  des  deux  côtés  de  la 
croix. 

{2)  Le  canon  est  une  poésie  rythmique,  composée 
de  neuf  odes  correspondant  aux  neuf  odes  ou 
cantiques  scripturaires  de  l'office  de  l'aurore;  la 
deuxième  ode  manque  ordinairement.  On  trou- 
vera le  canon  du  Jeudi-Saint  dans  le  TptfôS'ov, 
édit.  Rome,  187g,  p.  653. 

(3|  L'ode  est  divisée  en  plusieurs  strophes  ryth- 
miques nommées  tropaires:  Vhirmus  est  le  tro- 
paire  tvpe,  que  les  autres  imitent  pour  le  nombre 
des  syllabes  et  des  accents  toniques,  par  suite 
pour  le  chant. 

(4)  Ce  sont  deux  candébbres  unis  par  un  ruban, 
l'un  à  deux  branches  en  forme  de  croix  de  Saint- 
André,  l'autre  à  trois  branches;  l'évêque  grec  s'en 
sert  à  certains  moments  pour  bénir. 


triarche  monte  sur  le  premier  degré  de 
l'escalier  et  l'évangéliste  chante  : 

L'ÉvANGÉLisTE.  —  Et  lorsquc  l'heure  fut 
venue,  il  se  mit  à  table,  et  les  douze 
avec  lui. 

Le  patriarche  monte  et  s'assied  au  trône: 
après  lui  les  disciples  montent  deux  à 
deux,  lui  font  la  petite  u.£Tâvoia  (i)  et 
occupent  leurs  fauteuils: pendant  ce  temps, 
l'évangéliste  a  terminé  sa  phrase  et  con- 
tinue : 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Et  Jésus  Icuf  dit  : 

Le  PATRIARCHE.  —  J'ai  désiré  vivement 
manger  cette  pàque  avec  vous  avant  de  souf- 
frir; car  je  vous  le  dis,  je  n'en  mangerai 
plus  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  accomplie  dans 
le  royaume  de  Dieu. 

Leschantres  commencent  les  idiomèles{2) 
du  lavement  des  pieds  : 

Premier  ton.  —  Christ  notre  Dieu,  qui 
te  ceignis  d'un  linge  et  lavas  les  pieds  de 
tes  disciples,  purifie  notre  àme  de  ses 
souillures  et  ceins-nous  d'un  lien  spirituel, 
pour  que  nous  observions  tes  commande- 
ments et  que  nous  célébrions  ta  bonté. 

Deuxième  ton.  —  Fidèles,  qui  allons 
jouir  d'un  immense  bienfait,  accourons 
pieusement  vers  le  vénérable  bassin,  non 
pour  laver  les  taches  du  corps,  mais  pour 
sanctifier  mystiquement  notre  àme.  Le 
Christ  notre  Sauveur,  qui  regarde  la  terre 
et  la  fait  trembler,  s'incline  et  touche  des 
pieds  d'argile,  accordant  la  victoire  cer- 
taine contre  toute  puissance  ennemie. 
Disons-lui  en  action  de  grâces  :  Toi  qui 
nous  as  montré  la  meilleure  voie  de  l'élé- 
vation, l'humilité,  sauve-nous.  Dieu  bon 
et  ami  des  hommes! 

Même  ton.  —  Pierre  n'osait  pas  laisser 
laver  ses  pieds  par  ces  mains  immaculées 
qui  avaient  créé  Adam.  Mais,  entendant 
ces  mots  :  Si  je  ne  te  lave,  tu  n'auras  pas 
de  part  avec  moi,  saisi  de  terreur,  il  te 
cria,  Seigneur  :  Ne  lave  pas  seulement  mes 
pieds,  mais  encore  mes  mains  et  ma  tète. 
O  grandeur  des  dons  du  .Maître!  Il  rend 
ses  disciples  participants  de  la  grâce  et  leur 
promet  qu'il  aura  part  avec  eux  dans  la 
gloire  ineffable,  comme  il  leur  dit  aussi  du 

(i|  Inclination  profonde,  suivie  ordinairement 
d'un  signe  de  croix. 

(2)  Tropaires  qui  ont  chacun  leur  mélodie  spé- 
ciale. On  trouvera  ceux-ci  dans  l'office  du  lave- 
ment des  pieds,  EJyo>.ô-j-.ov  tô  pÀ-n.  édit.  Rome, 
1873,  p.  376. 


92 


ECHOS    D  ORIENT 


calice  mystique  qu'il  le  boirait  de  nouveau 
avec  eux  dans  le  royaume  des  cieux.  Ce 
royaume,  rends-nous  en  dignes  aussi,  dans 
ta  bonté  et  ta  miséricorde. 

Quatrième  ton  plagal.  —  Aujourd'hui, 
l'inaccessible  par  essence  entreprend  un 
travail  d'esclave;  il  se  ceint  d'un  linge, 
celui  qui  enveloppe  le  ciel  de  nuages;  il 
verse  de  l'eau  dans  un  bassin,  celui  qui  a 
divisé  les  flots  de  la  mer  Rouge;  et  pliant 
les  genoux,  il  commence  à  laver  les  pieds 
de  ses  disciples  et  à  les  essuyer  du  linge 
dont  il  était  ceint.  Quand  donc  il  eut  lavé 
les  pieds  des  disciples,  il  leur  dit  :  Vous 
êtes  purs,  mais  non  pas  tous;  voulant  dire 
qu'un  le  trahissait. 

Même  ton.  —  11  eût  mieux  valu  pour  toi. 
Judas,  de  n'être  pas  conçu  dans  le  sein  de 
ta  mère;  il  eût  mieux  valu  pour  toi  de 
n'être  pas  né,  traître  qui  t'es  détourné  du 
Fils  de  Dieu.  A  cause  de  toi,  le  collège  des 
disciples  du  Christ  a  été  dispersé  et  le 
larron  crucifié  vendange  la  Vigne  véritable. 
A  cause  de  toi,  la  barrière  a  été  brisée  et  les 
impies  détruisent  le  Temple  que  n'a  pas 
bâti  la  main  de  l'homme.  Tu  regrettais  à 
cause  de  son  prix  le  parfum  de  la  péche- 
resse :  comment  n'as-tu  pas  tremblé  en 
livrant  le  sang  du  Juste  aux  mains  des 
impies!  Il  eût  mieux  valu  pour  toi  de 
n'être  pas  né,  traître  qui  t'es  détourné  du 
Fils  de  Dieu. 

Même  ton.  —  Saisi  d'un  sommeil  diabo- 
lique. Judas  s'est  endormi  pour  la  mort. 
C'est  l'heure  de  veiller,  l'heure  de  faire 
pénitence;  que  le  cœur  soupire,  que  les 
paupières  versent  des  larmes,  que  le  psaume 
reste  vigilant,  car  grande  est  la  puissance 
de  la  croix.  Le  Christ  est  à  notre  porte,  la 
Pâque  immolée  arrive.  Gloire  à  toi,  Sei- 
neur,  gloire  à  toi  ! 

Ensuite^  collecte  par  le  diacre  (i)  ; 

En  paix,  prions  le  Seigneur. 

Pour  la  paix  d'en  haut  et  le  salut  de  nos 
âmes,  prions  le  Seigneur. 

Pour  la  paix  du  monde  entier,  l'aff'er- 
missement  des  saintes  Eglises  de  Dieu  et 
l'union  de  tous,  prions  le  Seigneur. 

Pour  cette  maison  sainte  et  pour  ceux 
qui  y  entrent  avec  foi,  piété  et  crainte  de 
Dieu,  prions  le  Seigneur. 


(i)  EùyoXÔY^ov  To  (isya,  édit.  citée,  p.  377.  A 
chaque  lormule  de  la  collecte  (ff-jvaTzrr,)  diaconale, 
les  chœurs  répondent  :  Kyrie,  eleison. 


Pour  les  chrétiens  pieux  et  orthodoxes, 
prions  le  Seigneur. 

Pour  notre  père  et  patriarche,  l'ordre 
vénérable  des  prêtres,  le  diaconat  dans  le 
Christ,  tout  le  clergé  et  le  peuple,  prions 
le  Seigneur. 

Pource  saint  monastère,  cetteVille  Sainte, 
toute  ville  et  pays,  prions  le  Seigneur. 

Pour  la  salubrité  de  l'air,  l'abondance 
des  fruits  de  la  terre  et  des  temps  pacifiques, 
prions  le  Seigneur. 

Pour  les  navigateurs,  les  voyageurs,  les 
malades,  les  gens  qui  souff'rent,  les  prison- 
niers et  leur  salut,  prions  le  Seigneur. 

Pour  que  ce  bassin  soit  béni  et  sanctifié 
par  la  vertu,  l'énergie  et  la  venue  du  Saint- 
Esprit,  prions  le  Seigneur. 

Pour  qu'il  soit  un  moyen  de  purification 
des  souillures  de  nos  péchés,  prions  le  Sei 
gneur. 

Pour  être  délivrés  de  toute  affliction,  co- 
lère, danger  et  nécessité,  prions  le  Seigneur. 

Secours-nous,  sauve-nous,  aie  pitié  de 
nous  et  garde-nous,  ô  Dieu,  par  ta  grâce. 

Faisant  mémoire  de  la  toute  sainte, 
immaculée,  bénie  par-dessus  tout,  notre 
glorieuse  Dame  la  Mère  de  Dieu  et  toujours 
Vierge,  Marie,  et  de  tous  les  saints,  recom- 
mandons-nous nous-mêmes  et  les  uns  les 
autres  et  toute  notre  vie  au  Christ  Dieu  (i). 

Le  patriarche  (2)  ; 

Parce  que  tu  es  la  purification  de  nos 
âmes  et  à  toi  nous  rendons  gloire,  ainsi 
qu'à  ton  Père  éternel  et  qu'à  ton  très  saint 
et  bon  et  vivifiant  Esprit,  maintenant  et 
toujours  et  dans  les  siècles  des  siècles. 
Amen  (3). 

Le  diacre  : 

Prions  le  Seigneur  (4). 

Le  patriarche  se  lève  et  dit  celte  oraison  : 

Seigneur  et  Dieu  très  bon,  inaccessible 
dans  votre  divinité,  vous  qui  dans  la  forme 
de  l'esclave  avez  pris  le  vêtement  des  ser- 
viteurs et,  en  modèle  d'humilité  salutaire, 
avez  lavé  de  vos  mains  immaculées  et 
essuyé  d'un  linge  les  pieds  de  vos  disciples, 
jetez  aussi  maintenant  un  regard  sur  nous. 


(1)  Les  chœurs  répondent  :  A  toi,  Seigneur. 

(2)  La  rubrique  ajoute  :  èx^tôvwç;  ce  mot  indique 
non  une  simple  lecture  à  voix  haute,  mais  un  véri- 
table chant. 

(3}  Bien  que  la  rubrique  n'en  dise  rien,  ce  sont 
sans  doute  les  chœurs  qui,  comme  d'ordinaire 
répondent  :  amen;  de  même  à  la  fin  des  oraisons» 

(4)  Les  chœurs  répondent  :  Kyrie,  eleison. 


LA  CÉRÉMONIE    DU    LAVEMENT    DES   PIEDS    A  JÉRUSALEM 


93 


vos  serviteurs,  qui  imitons  le  glorieux 
exemple  de  votre  condescendance  ;  accordez- 
nous  d'être  purifiés  des  souillures  de  la 
chair  et  des  taches  de  l'àme  par  le  contact 
de  cette  eau  ;  accordez-nous  la  grâce  de  la 
descente  invisible  de  votre  Esprit-Saint; 
protégez  nos  âmes  et  nos  corps  du  serpent 
rusé  qui  guette  notre  talon,  afin  que,  de- 
venus purs,  nous  vous  rendions  un  culte 
agréable,  foulant  aux  pieds  les  serpents,  les 
scorpions  et  toute  puissance  de  l'ennemi. 

//  conclut  en  chantant  (i)  : 

Parce  qu'à  vous  convient  toute  gloire, 
honneur  et  adoration,  ainsi  qu'à  votre  Père 
éternel  et  à  votre  Esprit  très  saint,  mainte- 
nant et  toujours  et  dans  les  siècles  des 
siècles.  Amen. 

Paix  à  tous  [2). 

Le  diacre  : 

Inclinons  nos  têtes  devant  le  Seigneuries). 
Prions  le  Seigneur  !4). 

Le  patriarche  dit  cette  oraison  : 

Seigneur  notre  Dieu,  qui  nous  avez 
montré  la  mesure  de  l'humilité  dans  votre 
haute  condescendance  et  avez  déclaré  que 
le  dernier  en  place  est  le  premier,  accordez- 
nous  votre  grâce  dans  le  service  du  pro- 
chain, élevez-nous  par  la  divine  humilité, 
gardez-nous  de  toute  souillure,  nous  lavant 
dans  nos  larmes  et  nous  purifiant  par  la 
splendeur  de  votre  grâce  purificatrice,  afin 
que  toujours  prosternés  sincèrement  devant 
vous  nous  obtenions  pitié  et  miséricorde  à 
votre  redoutable  tribunal. 

//  conclut  en  chantant  : 

Parce  que  vous  êtes  un  Dieu  miséricor- 
dieux et  ami  des  hommes,  et  à  vous  nous 
rendons  gloire,  au  Père  et  au  Fils  et  au 
Saint-Esprit,  maintenant  et  toujours  et 
dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 

Le  patriarche  et  les  disciples  s'asseyent 
et  l'évangéliste  commence  le  deux^me 
évangile. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Et  pouf  être  rendus 
dignes  d'entendre  la  lecture  du  saint  Evan- 
gile, supplions  le  Seigneur  notre  Dieu  (3i. 
Sagesse!  Debout!  Ecoutons  le  saint  Evan- 
gile. 


(Il  Un  oubli  a  fait  omettre  cette  rubrique. 
(2)  Les  chœurs  répondent  :  Et  à  votre  esprit. 
i3|  Les   chœurs  répondent  :  Devant  vous,  Sei- 
neur. 

(4)  Les  chœurs  répondent  :  Kyrie,  eleison. 
t5|   Les   chœurs   répondent   trois    fois  :    Kyrie, 
eleison. 


Le  patriarche.  —  Paix  à  tous  •  i). 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Lecturc  du  saint  Evan- 
gile selon  Jean.  Soyons  attentifs  12). 

En  ce  temps-là,  Jésus,  sachant  que  le 
Père  a  tout  remis  entre  ses  mains,  et  qu'il 
est  sorti  de  Dieu  et  qu'il  va  à  Dieu,  se  leva 
de  table,  ôta  ses  vêtements  et,  ayant  pris 
un  linge,  il  se  ceignit;  ensuite,  il  mit  de 
l'eau  dans  le  bassin  et  commença  à  laver 
les  pieds  de  ses  disciples  et  à  les  essuyer 
avec  le  linge  dont  il  était  ceint. 

Lorsque  l'évangéliste  dit  :  «  //  se  leva  de 
table  »,  Sa  Béatitude  le  patriarche  se 
lève  et  descend  de  son  trône:  les  diacres 
l'aident  à  déposer  la  mitre,  les  «  encol- 
pia  »  (3  ),  r  n  omophorion  »  (4),  le  «  sac- 
cos  »  (5),  et  r  «  epigonation  »  (6)e/,  à  leur 
place,  à  se  ceindre  de  linges;  puis,  deux 
diacres  portant  le  bassin.  Sa  Béatitude  le 
patriarche  prend  l'aiguière  de  la  main 
droite,  s'avance  vers  le  dernier  des  dis- 
ciples, s'agenouille,  verse  de  l'eau  dans  le 
bassin,  lui  lave  les  pieds,  les  essuie  avec  le 
linge  et  les  baise;  il  fait  de  même  succes- 
sivement à  tous  les  disciples,  jusqu'à  ce 
qu'il  vienne  à  Pierre.  Et  tout  le  temps  que 
Sa  Béatitude  le  patriarche  lave  les  pieds 
des  autres,  l'évangéliste  répète  :  «  Ensuite 
il  mit  de  l'eau  dans  le  bassin  et  commença 
à  laver  les  pieds  de  ses  disciples  et  à  les 
essuyer  avec  le  linge  dont  il  était  ceint.  » 
Lorsque  Sa  Béatitude  le  patriarche  arrive 
à  Pierre,  l'évangéliste  continue  : 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Il  vint  donc  à  Simon 
Pierre  et  celui-ci  lui  dit  : 

Pierre  171.  —  Seigneur,  vous  me  lavez 
les  pieds  ! 


(1)  Les  chœurs  répondent  :  Et  à  votre  esprit. 

(21  Les  chœurs  répondent  :  Gloire  à  vous.  Sei- 
gneur, gloire  à  l'ous. 

{'5)  L'encolpion  est  un  médaillon  orné  d'une 
sainte  image  et  que  l'évéque  porte  suspendu  au 
cou  :  les  patriarches  portent  deux  encolpia. 

•4)  Bande  d'étoffe  en  soie,  brodée  et  ornée  de 
croix,  qui  se  porte  autour  du  cou,  et  dont  les 
extrémités  retombent  l'une  par  derrière  sur  les 
épaules,  l'autre  par  devant  jusqu'aux  genoux  : 
c'est  le  pallium  du  rite  romain. 

(5)  Tunique  de  soie  brodée  àdeini-manches,  qui 
remplace  la  chasuble  pour  les  évéques. 

(6)  Ornement  en  forme  de  lf^<i3nge,  portant  une 
croix  ou  une  image  brodée  ;  il  se  porte  à  la  hau- 
teur du  genou  droit  à  l'aide  d'un  ruban  passé  sur 
l'épaule  gauche  ou  attaché  à  la  ceinture;  il  est 
réservé  aux  dignitaires  ecclésiastiques. 

(7)  L'apôtre  se  lève  pour  parler,  comme  il  appert 
de  la  rubrique  finale. 


94 


ECHOS   D  ORIENT 


L'ÉvANGÉLiSTE. — Jésus répondit  ct  lui  dit  : 

Le  patriarche.  —  Ce  que  je  fais,  tu  ne 
le  sais  pas  maintenant,'  mais  tu  le  sauras 
plus  tard. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Pierre  lui  dit  : 

Pierre.  —  Jamais  vous  ne  me  laverez 
les  pieds. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  lui  dit  : 

Le  PATRIARCHE.  —  Si  je  ne  te  lave,  tu 
n'auras  pas  de  part  avec  moi. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Pierre  lui  dit  : 

Pierre.  —  Seigneur,  non  seulement  mes 
pieds,  mais  les  mains  aussi  et  la  tête. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  lui  dit  : 

Le  patriarche.  —  Celui  qui  a  été  lavé 
n'a  besoin  que  de  laver  les  pieds,  et  il  est 
pur  tout  entier;  et  vous  aussi  vous  êtes 
purs,  mais  pas  tous. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Car  il  savait  quel  était 
celui  qui  le  trahirait;  c'est  pourquoi  il  dit  : 
Vous  n'êtes  pas  tous  purs. 

Cela  dit,  Pierre  s'assied,  et  Sa  Béatitude 
le  patriarche  s'agenouille  et  lui  lave  les 
pieds  comme  aux  autres  disciples. 

L'évangéliste  comjjience  le  troisième 
évangile  : 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Leçou  du  saint  évan- 
gile selon  Jean.  Soyons  attentifs  (i). 

En  ce  temps-là,  lorsque  Jésus  eut  lavé  les 
pieds  de  ses  disciples'et  qu'il  eut  repris  ses 
vêtements,  s'étant  remis  à  table  il  leur  dit: 

Pendant  ce  temps  les  diacres  enlèvent  les 
linges  à  Sa  Béatitude  le  patriarche  et  le 
revêtent  des  ornements  pontificaux  :  Jus- 
qu'à la  fin  de  cette  opération,  l'évangéliste 
répète  les  mots  :  et  qu'il  eut  repris  ses  vête- 
ments; après  quoi.  Sa  Béatitude  le 
patriarche  s'étant  assis  sur  son  trône, 
l'évangéliste  continue  :  s'étant  remis  à 
table  il  leur  dit  : 

Le  patriarche.  —  Savez-vous  ce  que  je 
vous  ai  fait?  Vous  m'appelez  le  Maître  et 
le  Seigneur,  et  vous  dites  bien,  car  je  le 
suis.  Si  donc  j'ai  lavé  vos  pieds,  moi  le 
Seigneur  et  le  Maître,  vous  devez  aussi 
vous  laver  les  pieds  les  uns  aux  autres.  Car 
je  vous  ai  donné  l'exemple,  afin  que, 
comme  j'ai  fait  pour  vous,  vous  fassiez, 
vous  aussi.  En  vérité,  en  vérité,  je  vous  le 
dis,  le  serviteur  n'est  pas  plus  grand  que 
son  maître,  ni  l'apôtre  plus  grand  que  celui 
qui  l'a  envoyé.  Si  vous  savez  ces  choses, 


(i)  Les  chœurs  répondent:  Gloire  à  vous.  Sei- 
gneur, gloire  à  vous. 


bien  heureux  serez- vous  si  vous  les  pratiquez. 
Je  ne  dis  pas  ceci  de  vous  tous,  je  connais 
ceux  que  j'ai  choisis;  mais  afin  que  l'Ecri- 
ture s'accomplisse  :  Celui  qui  mange  le 
pain  avec  moi  a  levé  le  pied  contre  moi. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  ayant  dit  ces 
choses  fut  troublé  en  son  esprit  et  il  attesta 
et  dit  : 

Le  patriarche.  —  En  vérité,  en  vérité, 
je  vous  dis  qu'un  de  vous  me  trahira. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Lcs  disciples  donc  se 
regardaient  l'un  l'autre,  incertains  de  qui 
il  parlait.  Or,  un  des  disciples  était  couché 
contre  le  sein  de  Jésus,  celui  que  Jésus 
aimait.  Simon  Pierre  lui  fit  donc  signe  de 
demander  quel  était  celui  dont  il  parlait. 
Et  celui-là,  Jean,  s'étant  appuyé  sur  la  poi- 
trine de  Jésus,  lui  dit  : 

Jean. — Seigneur,  quel  est  celui  qui  vous 
trahira? 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  lui  répondit  : 

Le  patriarche.  — Celui  qui  met  la  main 
avec  moi  dans  le  plat.  Le  Fils  de  l'homme 
s'en  va,  comme  il  est  écrit  à  son  sujet; 
mais  malheur  à  cet  homme  par  qui  le  Fils 
de  l'homme  est  trahi. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  douc  Icur  dit 
encore  : 

Le  patriarche.  —  Mes  petits  enfants,  je 
suis  encore  un  peu  de  temps  avec  vous. 
Vous  me  chercherez,  et,  comme  j'ai  dit  aux 
Juifs  :  Où  je  vais,  vous  ne  pouvez  venir,  je 
le  dis  à  vous  aussi  maintenant.  Je  vous 
donne  un  commandement  nouveau,  que 
vous  vous  aimiez  les  uns  les  autres,  et  que 
vous  vous  aimiez  les  uns  les  autres  comme 
je  vous  ai  aimés.  C'est  à  cela  que  tous  con- 
naîtront que  vous  êtes  mes  disciples,  si 
vous  avez  de  l'amour  les  uns  pour  les 
autres. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  SimoH  Pierre  lui  dit  : 

Pierre.  —  Seigneur,  où  allez-vous? 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  lui  répondit  : 

Le  patriarche.  —  Où  je  vais  tu  ne  peux 
me  suivre  maintenant,  mais  tu  me  suivras 
plus  tard. 

L'évangéliste.  —  Pierre  lui  dit  : 

Pierre.  —  Seigneur,  pourquoi  nepuis-je 
pas  vous  suivre  maintenant?  Je  donnerai 
ma  vie  pour  vous. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  luî  répondît  : 

Le  patriarche.  —  Tu  donneras  ta  vie 
pour  moi?  En  vérité,  je  te  le  dis,  le  coq  ne 
chantera  pas  avant  que  tu  m'aies  renié 
trois  fois. 


LA   CÉRÉMONIE    DU    LAVEMENT    DES    PIEDS    A  JÉRUSALEM 


95 


L'ÉVANGÉLisTE.  —  Jésus  doiic  Icar  dit 
.ncore : 

Le  patpi arche.  —  Que  votre  cœur  ne  se 
trouble  pas  et  ne  craigne  pas.  Croyez  en 
Dieu  et  croyez  en  moi.  Dans  la  maison  de 
mon  Père  il  y  a  beaucoup  de  demeures;  si 
cela  n'était,  je  vous  l'aurais  dit.  car  je  vais 
vous  préparer  une  place.  Et  lorsque  je  m'en 
serai  allé  et  vous  aurai  préparé  une  place, 
je  reviendrai  et  vous  prendrai  avec  moi, 
afin  que  là  où  je  suis,  vous  soyez  aussi.  Et 
vous  savez  où  je  vais  et  vous  savez  le  che- 
min. 

Lévangéliste.  —  Thomas  lui  dit: 

Tho.mas.  —  Seigneur,  nous  ne  savons  où 
vous  allez,  comment  pouvons-nous  savoir 
le  chemin? 

L'ÉVANGÉLisTE.  —  Jésus  lui  dit  : 

Le  PATRIARCHE.    —   Je   suis   la   voie,  la 

vérité  et  la  vie.  Personne  ne  vient  au  Père, 

sinon  par  moi.  Si  vous  m'aviez   connu, 

ous  auriez    connu    aussi   mon   Père,    et 

bientôt  vous  leconnaîtrez.  et  vous  l'avez  vu. 

.  L'ÉVANGÉLiSTE.  —  Philippe  lui  dit  : 

Philippe.  —  Seigneur,  montrez-nous  le 
Père  et  cela  nous  suffit. 

LÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  lui  dit  : 

Le  PATRIARCHE.  —  Dcpuis  si  longtemps 
je  suis  avec  vous  et  tu  ne  m'as  pas  connu, 
Philippe?  Celui  qui  me  voit  voit  le  Père. 
Comment  dis-tu  :  .Montrez-nous  le  Père? 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  donc  leur  dit 
encore  : 

Le  PATRIARCHE.  —  Si  vous  m'aimez, 
bservez  mes  commandements.  Encore  un 
peu  de  temps  et  le  monde  ne  me  verra 
plus;  mais  vous,  vous  me  verrez,  parce 
que  je  vis  et  que  vous  vivrez  aussi.  Celui 
-^ui  a  mes  commandements  et  les  garde 
est  celui  qui  m'aime,  et  celui  qui  m'aime 
sera  aimé  par  mon  Père,  et  je  l'aimerai 
aussi,  et  je  me  manifesterai  à  lui. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Judas,  non  pas  l'Isca- 
riote,  lui  dit  : 

Judas.  —  Seigneur,  d'où  vient  que  vous 
DUS  manifesterez  à  nous  et  non  au  monde? 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  répondit  et  lui 
dit: 

Le  PATRIARCHE.  —  Si  quelqu'un  m'aime, 
il  gardera  ma  parole,  et  mon  Père  l'aimera, 
et  nous  viendrons  à  lui,  et  nous  ferons  en 
lui  notre  demeure.  Celui  qui  ne  m'aime 
pas  ne  garde  pas  mes  paroles. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésus  dit  donc  encore 
à  ses  disciples  : 


Le  PATRIARCHE.  —  Vous  scTcz  tous  scau- 
dalisés  à  mon  sujet,  celte  nuit;  car  il  est 
écrit  :  Je  frapperai  le  berger  et  les  brebis  du 
troupeau  seront  dispersées.  In  peu  de  temps 
et  vous  ne  me  verrez  plus;  et  encore  un 
peu  de  temps  et  vous  me  verrez,  parce  que 
je  vais  vers  le  Père. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  iMatthicu  répondit  et 
dit  au.x  autres  disciples: 

Matthieu.  —  Qu'est-ce  qu'il  nous  dit  : 
L"n  peu  de  temps  et  vous  ne  me  verrez  plus; 
et  encore  un  peu  de  temps  et  vous  me 
verrez,  parce  que  je  vais  vers  le  Père? 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  AloTS,  Barthélemv 
dit: 

Barthélémy.  —  Qu'est-ce  qu'il  nous  dit: 
Un  peu  de  temps? 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Simon  de  Cana  leur 
dit: 

Simon.  —  Nous  ne  savons  ce  dont  il 
parle. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jésusconnutdoncqu'ils 
voulaient  l'interroger  et  leur  dit  : 

Le  patriarche.  —  Vous  cherchez  entre 
vous  pourquoi  j'ai  dit:  Un  peu  de  temps  et 
vous  ne  me  verrez  plus,  et  encore  un  peu 
de  temps  et  vous  me  verrez.  En  vérité,  en 
vérité,  je  vous  dis  que  vous  pleurerez,  vous, 
et  gémirez;  le  monde  se  réjouira  et  vous 
serez  contristés  :  mais  votre  tristesse  sera 
changée  en  joie.  La  femme,  lorsqu'elle 
enfante,  est  dans  la  tristesse  parce  que  son 
heure  est  venue;  mais  lorsqu'elle  a  enfanté 
un  fils,  elle  ne  se  souvient  plus  de  sa  dou- 
leur, à  cause  de  sa  joie  de  ce  qu'un  homme 
est  né  dans  le  monde.  Vous  avez  donc  aussi 
de  la  tristesse  maintenant;  mais  je  vous 
reverrai  et  votre  cœur  se  réjouira,  et  personne 
ne  vous  enlèvera  votre  joie,  et  en  ce  jour- 
là  vous  ne  m'interrogerez  plus  sur  rien.  Je 
vous  ai  dit  ces  choses  en  paraboles,  mais 
l'heure  vient  où  je  ne  vous  parlerai  plus 
en  paraboles,  mais  je  vous  parlerai  ouver- 
tement du  Père. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jacqucs,  fils  d'Alphée, 
lui  dit  : 

Jacques,  fils  d'Alphée.  — Voilà  que  main- 
tenant vous  parlez  ouvertement  et  vous  ne 
dites  aucune  parabole. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Jacques.  fils  dcZébédée. 
lui  dit  : 

Jacques,  fils  de  Zébédée.  —  Nous  savons 
maintenant  que  vous  savez  tout  et  que  vous 
n'avez  pas   besoin  qu'on  vous  interroge. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  André  lui  dit 


96 


ÉCHOS    d'orient 


André.  —  En  cela  nous  croyons  et  nous 
savons  véritablement  que  vous  êtes  sorti 
de  Dieu. 

L'ÉvANGÉLisTE.  —  Jésus  lui  dit  : 

Le  patriarche.  —  Vous  croyez  mainte- 
nant? Voici  que  l'heure  vient,  et  déjà  elle 
est  venue,  où  vous  serez  dispersés  chacun 
de  son  côté  et  me  laisserez  seul  ;  et  je  ne 
suis  pas  seul,  parce  que  mon  Père  est  avec 
moi.  Je  vous  ai  dit  ces  choses  afin  que  vous 
ayez  la  paix  en  moi.  Dans  le  monde,  vous 
serez  opprimés,  mais  ayez  confiance,  j'ai 
vaincu  le  monde. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Ainsi  parla  Jésus  et  il 
leva  les  yeux  au  ciel  et  il  dit  : 

Le  patriarche.  —  Père,  l'heure  est  venue  ; 
glorifiez  votre  Fils  pour  que  votre  Fils  vous 
glorifie.  Je  vous  ai  glorifié  sur  la  terre.  J'ai 
consommé  l'œuvre  que  vous  m'aviez 
donnée  à  faire.  Et  maintenant,  glorifiez- 
moi,  vous.  Père,  en  vous-même,  de  la 
gloire  que  j'avais  en  vous  avant  que  le 
monde  fût.  J'ai  manifesté  votre  nom  aux 
hommes  que  vous  m'avez  donnés  du  milieu 
du  monde.  Ils  étaient  à  vous,  et  vous  me 
les  avez  donnés,  et  ils  ont  gardé  votre 
parole.  Père  saint,  conservez  dans  votre 
nom  ceux  que  vous  m'avez  donnés,  afin 
qu'ils  soient  un  comme  nous.  Lorsque 
j'étais  avec  eux  dans  le  monde,  je  les  con- 
servais en  votre  nom.  J'ai  gardé  ceux  que 
vous  m'avez  donnés,  et  aucun  d'eux  n'a 
péri,  hors  le  fils  de  perdition,  pour  que 
l'Ecriture  fût  accomplie.  Je  ne  prie  pas  seule- 
ment pour  eux,  mais  encore  pour  ceux  qui 
croiront  en  moi  par  leur  parole.  Père,  ceux 
que  vous  m'avez  donnés,  je  veux  que  là  où 
je  suis,  ils  soient  avec  moi,  afin  qu'ils 
voient  ma  gloire  que  vous  m'avez  donnée, 
car  vous  m'avez  aimé  avant  la  constitution 
du  monde.  Père  juste,  le  monde  ne  vous 
a  pas  connu,  mais  moi  je  vous  ai  connu, 
et  ceux-ci  ont  connu  que  vous  m'avez 
envoyé.  Je  leur  ai  fait  connaître  votre  nom 
et  je  le  leur  ferai  connaître,  afin  que  l'amour 
dont  vous  m'avez  aimé  soit  en  eux  et  que 
je  sois  en  eux. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Lorsque  Jésus  eut  dit 
ces  choses,  il  s'en  alla  avec  ses  disciples  au 
delà  du  torrent  de  Cédron,  là  où  il  y  avait  un 
jardin,  dans  lequel  il  entra  lui  et  ses  dis- 
ciples (i). 


(i)  Les  chœurs  répondent  :  Gloire  à  vous,  Sei- 
gneur, gloire  à  vous. 


Aussitôt  après,  l'évangéliste  commence 
le  quatrième  évangile. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Lccturc  du  saint  évan- 
gile selon  Matthieu.  Soyons  attentifs  (i). 

En  ce  temps-là,  Jésus  prend  avec  lui  ses 
disciples  dans  un  village  appelé  Gethsé- 
mani  et  il  dit  à  ses  disciples  : 

Le  patriarche.  —  Asseyez-vous  ici 
tandis  que  j'irai  là  et  prierai. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  ¥a  ayant  pris  avec  lui 
Pierre  et  les  deux  fils  de  Zébédée,  il  com- 
mença à  être  contristé  et  affligé.  Jésus  leur 
dit  alors  : 

Dès  que  l'évangéliste  a  prononcé  les 
mots  :  Et  ayant  pris  avec  lui  Pierre,  Sa 
Béatitude  le  patriarche  se  lève  du  trône, 
invite  les  trois  premiers  disciples ,  et,  accofn- 
pagné  par  eux,  descend  de  l'estrade;  et, 
descendu,  tandis  qu'ils  se  tiennent  sur  les 
degrés  de  l'échelle,  il  leur  dit  : 

Le  patriarche.  —  Mon  âme  est  triste 
jusqu'à  la  mort;  restez  ici  et  veillezavec  moi. 

Ayant  dit  cela,  il  va  vers  le  lieu  de  la 
prière,  préparé  près  de  l'estrade,  et  prie 
ainsi. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Et,  s'étant  éloigné  un 
peu,  il  se  prosterna  sur  la  face,  priant  et 
disant  : 

Le  patriarche.  —  Mon  Père,  si  c'est 
possible,  que  ce  calice  s'éloigne  de  moi  ; 
cependant,  non  pas  comme  je  veux,  mais 
comme  vous  voulez. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Et  Un  angc  du  ciel  lui 
apparut  le  fortifiant,  et  étant  tombé  en 
agonie  il  priait  plus  longuement,  et  sa 
sueur  devint  comme  des  gouttes  de  sang 
découlant  jusqu'à  terre.  Et  s'étant  levé 
après  sa  prière,  il  vint  vers  ses  disciples  et 
les  trouva  endormis  et  dit  à  Pierre  : 

Le  patriarche.  —  Ainsi  vous  n'avez  pu 
veiller  une  heure  avec  moi?  Veillez  et 
priez  afin  que  vous  n'entriez  pas  en  tenta- 
tion; l'esprit  est  prompt,  mais  la  chair  est 
faible. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  S'en  étant  allé  encore 
une  fois,  il  pria,  disant  : 

Le  patriarche.  —  Mon  Père,  si  ce  calice 
ne  peut  passer  loin  de  moi  sans  que  je  le- 
boive,  que  votre  volonté  se  fasse. 

L'ÉVANGÉLISTE.  —  Et  étant  revenu  il  les 
trouva  encore  endormis,  car  leurs  yeux 
étaient  appesantis,  et,  les  ayant  laissés,  il 

(i)  Les  chœurs  répondent:  Gloire  à  vous.  Sei- 
gneur, gloire  à  vous. 


LA    CÉRÉMONIE    DU    LAVEMENT   DBS    PIEDS    A  JÉRUSALEM 


97 


s'en  alla  encore  et  pria  une  troisième  fois  | 
disant  les  mêmes  paroles  : 

Le  PATRIARCHE.  —  Mon  Père,  si  ce  calice 
ne  peut  passer  loin  de  moi  sans  que  je  le 
boive,  que  votre  volonté  se  fasse. 

L'ÉVANGÉLisiE.  —  Alors  il  vint  vers  ses 
disciples  et  leur  dit  : 

Le  patriarche.  —  Dormez  maintenant 
et  reposez- vous.  Voici  que  l'heure  approche 
et  le  Fils  de  l'homme  sera  livré  aux  mains 
des  pécheurs.  Levez-vous,  allons,  voici 
qu'approche  celui  qui  me  livrera  (i). 

A  la  fin  de  la  prière  et  après  les  mots  : 
Voici  qu'approche  celui  qui  me  livrera.  Sa 
Béatitude  le  patriarche  remonte  sur  l'es- 
trade et  lit  à  haute  voix  l'oraison  suivante. 
L'évangéliste  descend  de  Vambon,  oit  monte 
le  prédicateur,  après  avoir  demandé  la 
bénédiction  de  Sa  Béatitude  le  patriarche. 

Le  diacre.  —  Prions  le  Seigneur  (2). 

Le  PATRIARCHE.  —  Scigneur  notre  Dieu, 
qui  dans   votre  infinie   miséricorde  vous 
êtes  anéanti  et  avez  pris  la  forme  de  l'es- 
clave; qui,  au  temps  de  votre  salutaire  et 
vivifiante  et  volontaire  Passion,  avez  daigné 
souper  avec  vos  saints  disciples  et  apôtres, 
et  après  cela,  vous  étant  ceint  d'un  linge, 
avez  lavé  les  pieds  de  vos  saints  disciples, 
leur  donnant  l'exemple    de  l'humilité  et 
de  l'amour  réciproque,  ayant  dit  :  Comme 
je  vous  ai  fait,  vous  aussi  faites  de  même 
les  uns  aux  autres;  vous,  Seigneur,  venant 
au  milieu  de  vos  indignes  serviteurs  qui 
ont    suivi    votre   exemple,   effacez    toute 
tache  et  souillure  de  nos  âmes,  afin  que, 
lavés  de  la  poussière  qui  s'est  attachée  à 
nous  à  la  suite  de  nos  fautes  et  essuyés  par 
le  linge  de  la  charité,  nous  puissions  vous 
être  agréables  tous  les  jours  de  notre  vie  et 
trouver  grâce  devant  vous. 
//  chante  la  conclusion  (3)  ; 
Parce  que  vous  êtes  celui  qui  bénit  et 
sanctifie  toutes  choses.  Christ  notre  Dieu, 
et  à  vous  nous  rendons  gloire,  comme  à 
votre  Père  éternel  et  à  votre  très  saint  et 
bon  et  vivifiant  Esprit,  maintenant  et  tou- 
jours et  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen. 
A  la  fin  de  cette  oraison,  le  prédicateur, 
du  haut  de  l'ainbon,  prononce  une  courte 
instruction,    après    laquelle   les    chœurs 


(0  Les  chœurs  répondent  :  Gloire  à  vous,  Sei- 
gneur, gloire  à  vous. 

[2)  Les  chœurs  répondent  :  Kyrie,  eleison. 

(3)  Dans  le  texte,  simplement  :  èx^wvwç. 


chantent  :  Et;  TroÀXi  Stt,,  linr.oix.  Sa  Béati- 
tude le  patriarche  se  lève,  bénit  le  peuple 
avec  le  tricerium,  descend  de  l'estrade, 
précédé  de  tous  ceux  qui  forment  le  cor- 
tège comme  il  a  été  indiqué,  et,  sanctifiant 
le  peuple  à  l'aide  d'un  bouquet  de  fleurs  et 
de  Veau  du  bassin  (i),  //  monte  au  pa- 
triarcat, les  chœurs  chantant  le  long  de  la 
route  les  àva?a6t;Lo"i  du  4"  ton  (2),  jusqu'à 
la  grande  salle,  où  a  lieu  l'apolysis  (3). 


On  voit  que  l'office  du  lavement  des 
pieds  à  Jérusalem  comprend  treize  par- 
ties, à  savoir  : 

1 .  Le  psaume  l: 

2.  Evangile  selon  saint  Matthieu  ; 

3.  Ode  5  du  canon  du  Jeudi-Saint; 

4.  Idiomèles  ; 

5.  Collecte  diaconale; 

6.  Oraison  ; 

7.  Oraison; 

8.  Evangile  selon  saint  Jean; 

9.  Evangile  selon  saint  Jean; 

10.  Evangile  selon  saint  Matthieu; 

1 1.  Oraison  ; 

12.  'Avaêa^'jLO'l; 

13.  Apolysis. 

Le  plan  de  l'office  est  exactement  celui 
de  l'office  contenu  dans  l'euchologe 
imprimé  (4);  mais  les  numéros  2,  9  et  10 
ne  se  trouvent  pas  dans  celui-ci.  L'addition 
de  ces  trois  leçons  de  l'Evangile  est  la 
caractéristique  de  l'office  hiérosolymitain. 
Il  offre  une  autre  divergence,  mais  sans 
importance  aucune  :  à  la  fin  de  l'office, 
le  chant  des  àvaêa^aol  à  la  place  du  chant 
de  deux  tropaires  (5). 

Ce  qui  le  distingue  essentiellement  de 


(i)  Dans  le  texte  :  iy^^^wv  tÔv  ),abv  St'âvOoSÉafiri;. 
âitô  To-3  v.7rTf,po;.  Sauf  dans  quelques  églises  de 
Grèce  et  en  Russie,  on  ne  se  sert  pas  avec  l'eau 
bénite  d'un  goupillon,  mais  d'un  bouquet  de  ver- 
dure, ordinairement  de  basilic. 

(21  Sur  les  àvaoaôfjLot,  voir  l'article  du  R.  P.  L.  Petit 
dans  le  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne  et 
de  liturgie,  t.  I",  col.  1860. 

(3)  Sur  l'apolysis  ou  conclusion  des  offices  litur- 
giques dans  le  rite  byzantin,  voir  mon  article  dans 
le  même  Dictionnaire,  t.  I",  col.  2601. 

(4)  E-JyoÀôvtov  To  [i^Y*>  édit.  citée,  p.  375-38o. 

(5)  Cf.' ibid.,  p.  38o. 


98 


ÉCHOS    d'orient 


l'autre  office,  c'est  son  caractère  drama- 
tique: il  constitue  un  drame  liturgique 
véritable,  tout  à  fait  pareil  à  ces  drames 
d'église  qu'on  trouve  à  l'origine  du 
théâtre  français.  Les  éléments  sont  les 
mêmes  :  mise  en  scène,  sinon  dans 
l'église,  au  moins  tout  à  côté  ;  rôles  tenus 
par  les  membres  du  clergé  en  ornements 
liturgiques;  dialogues  formés  de  phrases 
de  l'évangile.  On  a  sans  doute  remarqué 
l'introduction  de  quelques  mots  qui  ne 
sont  pas  dans  le  texte  évangélique  et  les 
modifications  que  celui-ci  a  subies  çà  et 
là  pour  se  prêter  au  dialogue. 

L'existence  de  drames  liturgiques  dans 
le  moyen  âge  byzantin  est  prouvée  par 
ailleurs.  Luitprand  raconte  qu'on  érigeait 
fréquemment  un  vrai  théâtre  dans  Sainte- 
Sophie.  Un  de  ces  drames  est  connu, 
celui  des  Trois  enfants  dans  la  fournaise. 
Le  lavement  des  pieds,  tel  qu'il  est  pra- 
tiqué à  Jérusalem,  me  paraît  se  rattacher 
étroitement  à  ce  genre  d'enseignement 
pieux. 


11  n'est  pas  hors  de  propos  d'ajouter  ici 
une  brève  description  du  lavement  des 
pieds  tel  qu'il  est  pratiqué  dans  l'île  de 
Patmos  :  je  résume  un  article  d'E.  Alexakis, 
originaire  de  cette  île,  en  regrettant  que 
l'auteur  n'ait  pas  apporté  plus  de  préci- 
sion dans  certains  détails  (i). 

L'estrade  est  dressée,  l'après-midi  du 
Mercredi-Saint,  sur  une  des  deux  places 
du  chef-lieu  de  l'île,  à  tour  de  rôle.  C'est 
un  plancher  peu  élevé,  reposant  sur  des 
tréteaux  de  bois.  Tout  autour  sont 
plantés  des  mâts,  reliés  par  des  guir- 
landes de  myrte  et  de  nard  sauvage,  et 
portant  alternativement  une  croix  et  un 
fanal.  Un  pupitre  servira  au  chant  des 
évangiles.  Douze  sièges  sont  disposés  en 


(i)  E.  Alexakis,  dans  'EffTÎa,  t.  XXVII,  p.  336- 
338.  Athènes,'  1889.  Je  n'ai  pu  consulter  la  descrip- 
tion de  Kbumbacher,  Griechische  Reise,  p.  3/6. 
Berlin,  1886.  Le  regretté  savant.  Geschichte  der 
byzantin.  Litteratur,  2'  édit.,  p.  645,  ne  manque 
pas  de  signaler  la  cérémonie  de  Patmos  à  propos 
du  drame  liturgique  byzantin. 


deux  rangs;  au  milieu,  celui  du  célébrant, 
flanqué  de  deux  hexapieryga.  Dans  un 
coin,  le  lieu  de  la  prière  duChrist,  marqué 
par  une  image  du  Sauveur  couronné 
d'épines. 

La  cérémonie  a  lieu  vers  1 1  heures, 
après  la  messe  du  Jeudi-Saint.  Elle  est 
présidée  par  l'higoumène  du  célèbre 
monastère  de  Saint-Jean,  qui  est  en  même 
temps  le  plus  haut  dignitaire  ecclésiastique 
de  l'île,  ou  parfois  par  quelque  évêque 
pèlerin.  Au  son  des  cloches  il  quitte  le 
monastère,  accompagné  de  onze  prêtres 
et  de  quatre  diacres  qui  encensent.  Les 
prêtres  portent  des  ornements  semblables 
en  velours  rouge  (1),  mais  n'ont  pas 
l'aube;  les  diacres  sont  en  aube  rouge  (2). 
Je  ne  parviens  pas  à  comprendre  si  les 
prêtres  sortent  du  couvent  revêtus  des 
ornements  ou  s'ils  ne  les  prennent  que 
sur  la  place. 

Onze  prêtres  seulement  jouent  le  rôle 
d'apôtres.  C'est  que  Judas  n'est  pas 
représenté  par  un  prêtre,  mais  par  quelque 
pauvre  à  qui  les  moines  payent  pour  cet 
office  ingrat  une  paire  de  souliers  neufs 
et  la  somme  de  trente  piastres. 

Les  cloches  des  églises  saluent  la  pro- 
cession au  passage.  Les  meilleurs  chantres 
du  monastère,  rangés  autour  du  pupitre, 
exécutent  six  fois  lentement  un  solennel 
alléluia,  puis  entonnent  Vapolyiikion  (3) 
du  jour.  Le  cortège  arrive,  Pierre  et  Judas 
en  dernier  lieu,  devant  l'higoumène  : 
c'est  Judas  qui  porte  le  bassin,  un  bassin 
d'argent. 

La  cérémonie  commence  par  l'accla- 
mation ordinaire   (4),    puis   l'higoumène 

(i|  Dans  le  rite  byzantin,  le  rouge  est  la  couleur 
des  jours  de  jeune  :  comme  tant  d'autres  régies 
liturgiques,  celle-ci  n'est  plus  que  bien  rarement 
observée. 

(2)  Dès  le  moyen  âge,  le  sticherarion,  primitive- 
ment blanc,  est  souvent  de  la  même  couleur  que 
le  reste  des  ornements.  Celui  du  diacre,  par  sa 
décoration  plus  soignée,  rappelle  moins  l'aube 
que  la  dalmatique  latine. 

(3)  Sur  ce  tropaire  principal  de  l'office  grec,  voir 
mon  article  dans  le  Dictionnaire  d'archéologie 
chrétienne  et  de  liturgie,  t.  1  '.  col.  2602. 

■  (4J  En  voici  la  traduction  :  Béni  soit  notre  Dieu, 
toujours,  maintenant  et  à  jamais  et  da7is  les 
siècles  des  siècles.  Amen. 


DÉCRETS    DES   CHAPITRES   GÉNÉRAUX    DES   BASILJENS   CHOUÉRITES   DE    I73O   A    1 79O      99 


bénit  leau  du  bassin  et  on  chante  les 
idiomèles  déjà  connus  (ou  un  seul?). 
Ensuite  commencent  les  évangiles.  C'est 
ici  surtout  que  l'exactitude  fait  défaut 
au  texte  que  j'analyse.  D'après  l'auteur, 
il  n'y  aurait  que  trois  leçons  :  une  de 
saint  Matthieu,  une  de  saint  Jean  et  une 
de  saint  Marc.  Mais  il  me  paraît  sûr 
qu'il  se  trompe  et  il  y  a  sans  doute 
quatre  leçons  comme  à  Jérusalem  (à  moins 
que  la  première  et  la  deuxième  ne  soient 
réunies  en  une  seule?).  Autre  différence: 
la  dernière  leçon,  celle  qui  raconte  la 
prière  de  Jésus  à  Gethsémani,  serait  tirée 


de  saint  Marc  à  Patmos,  tandis  qu'à  Jéru- 
salem elle  est  de  saint  Matthieu.  Quoi 
qu'il  en  soit,  les  lectures  évangéliques 
ont  lieu  à  Patmos  avec  le  même  appareil 
que  nous  avons  vu  dans  la  Ville  Sainte 
et  avec  la  même  forme  dialoguée.  A  la 
fin,  l'officiant  bénit  l'assistance  avec  l'eau 
qui  reste  dans  le  bassin,  on  chante  le 
fameux  idîomèle  du  Mercredi-Saint  : 
KÛg'-£,  r.  sv7:oÀAal^à;j.xp-:'lav;,  de  Cassia  (  i), 
et  le  tout  se  termine  par  X'apolysis 
comme  à  l'ordinaire. 

S.    PÉTRIDÈS. 


DÉCRETS  DES  CHAPITRES  GENERAUX 

DES  BASILIENS  CHOUÉRITES 

DE  1750  A  1790 


Le  récit  des  démêlés  regrettables  entre 
Ignace  Sarrouf,  métropolite  de  Beyrouth, 
et  les  Chouérites  nous  amène  naturelle- 
ment à  parler  d'un  autre  désaccord,  né 
de  ceux-ci  et  qui  n'eut  pas  moins  de 
retentissement  que  les  précédents.  Il 
s'agit  des  vingt  nouveaux  règlements 
imposés  aux  Chouérites  par  ce  même 
Ignace  Sarrouf,  mais,  cette  fois,  sous  le 
couvert  du  patriarche  Athanase  V  Jauhar 
et  de  son  concile  national  plénier  de 
Saint-Sauveur,  en  l'année  1790.  Mais 
avant  d'engager  le  lecteur  dans  toutes  ces 
intrigues,  nous  avons  mieux  aimé  le 
laisser  reposer  un  instant  en  lui  présen- 
tant quelques-unes  de  ces  ordonnances 
monastiques  que  les  Chouérites  ont,  de 
tout  temps,  qualifiées  d'encre  sur  du 
papier. 

A  l'époque  de  leur  fondation,  en  1697, 
les  Chouérites  n'ayant  pas  encore  de 
Constitutions  régulières,  prirent  l'habi- 
tude de  s'en  faire  quelques-unes  à  chaque 


Chapitre  général  de  la  Congrégation.  Ces 
règlements,  émis  en  assemblée  plénière 
de  tous  les  membres  de  la  nouvelle 
famille  religieuse  et  avec  l'agrément  de 
tous,  étaient  destinés  à  faire  partie  des 
Constitutions  proprement  dites  qui  dirige- 
raient la  Congrégation  et  pour  lesquelles 
on  solliciterait  l'approbation  pontificale. 
Ainsi,  ils  étaient  élaborés  suivant  les 
circonstances  et  les  besoins  des  temps, 
et  avaient  force  de  loi  dans  la  Congréga- 
tion naissante.  Au  premier  Chapitre  géné- 
ral, en  1720,  les  règlements  "qui  furent 
portés  étaient  au  nombre  de  dix-huit; 
plus  tard,  quinze  nouvelles  prescriptions 
leur  furent  ajoutées,  puis  trois  autres, 
puis  huit,  enfin  une  vingtaine.  Et  ce  sont 
ces  premières  Constitutions  religieuses 
que  les  Chouérites  présentèrent  lors   dt 

(i)  Sur  cet  idiomèle,  son  histoire  ou  sa  légende, 
et  la  vogue  dont  il  jouit  chez  les  Grecs,  voir  mon 
article  Cassia,  dans  Revue   de  l'Orient  chrétien, 

t.  Vil  11902),  p,  237  sq. 


lOO 


ÉCHOS    D  ORIENT 


sa  première  visite  à  Mar-Hanna,  à  l'appro- 
bation d'Athanase  IV  Dabbas,  qui  les 
confirma  compiaisamment  à  Fourzol,  en 
1723. 

Tous  ces  règlements  ainsi  élaborés 
trouvèrent  place  dans  le  livre  des  Consti- 
tutiones  sancii  Basilii  magni  que  nous 
avons  longuement  analysé  ici  même  et 
qui  eut  pour  auteur  le  P.  Nicolas  Saiegh, 
de  vénérée  mémoire.  Présenté  en  1750  à 
l'approbation  pontificale,  il  ne  fut  définiti- 
vement confirmé  qu'en  1757  par  le  Bref 
Ecclesiœ  catholicœ  regimini  meritis,  que 
Benoît  XIV  adressa  au  P.  Ignace  Jarbouh, 
successeur  du  P.  Saiegh.  A  ces  règles 
autorisées,  sages  et  composées  pour  les 
Chouérites  eux-mêmes,  ceux-ci  ne  prê- 
tèrent pas  une  attention  sérieuse,  et, 
au  lieu  de  s'astreindre  à  les  faire  passer 
dans  leur  vie  religieuse,  ils  se  conten- 
tèrent de  s'autoriser  de  la  confirmation 
accordée  par  Rome  en  vue  des  difficultés 
qui  ne  manquaient  pas  de  surgir. 

Cependant,  ils  prescrivirent  d'en  lire 
un  ou  deux  chapitres,  le  dimanche,  au 
réfectoire,  et  ils  continuèrent  à  émettre, 
à  la  fin  de  chaque  Chapitre  général,  des 
règlements  auxquels  on  s'est  plu  à  donner 
le  titre  de  A'mal  ul  Majma'  el  'Am, 
Actes  du  Chapitre  général.  Tout  en  étant 
présentés  sous  une  forme  nouvelle,  ces 
Actes  se  trouvent  en  toutes  lettres  dans  le 
livre  des  Constitutions;  mais  l'on  n'y 
prend  pas  garde,  et  les  nouveaux  digni- 
taires chouérites  élus  au  Chapitre  géné- 
ral sont  persuadés  de  la  nullité  de  leur 
assemblée  solennelle,  toutes  les  fois 
qu'elle  n'émet  point  de  ces  A'mal  ul 
Majma'  el  [Am.  Au  lieu  de  mettre  sous 
clé  les  sages  règlements  confirmés  et 
approuvés  par  Rome,  il  semble  que  le 
premier  et  le  plus  urgent  devoir  du  Cha- 
pitre général  serait  d'en  faciliter  et  d'en 
presser  la  pratique,  sans  se  mettre  en 
peine  d'en  émettre  d'autres  qui  ne  s'ac- 
cordent pas  toujours  avec  les  premiers. 
De  là  vient  le  peu  d'importance  que 
trop  souvent  les  subordonnés  y  attachent. 
Au  dernier  Chapitre  général,  tenu  en 
IQ07,   Alépins    et  Chj ii4gf itf^-^ -ifMJirè nés 


firent  imprimer  à  Beyrouth  leurs  A'mal 
ul  Majma'  el  'Am.  Si  l'on  s'est  gardé 
d'en  distribuer  un  exemplaire  à  chaque 
religieux,  on  en  a  tout  de  même  envoyé 
un  ou  deux  dans  chaque  monastère,  et 
bien  que  ce  ne  soit  là  qu'une  demi-me- 
sure, on  ne  saurait  trop  s'en  réjouir. 

Ce  ne  sont  pas  de  ces  règlements  con- 
temporains que  je  voudrais  entretenir  le 
lecteur,  je  me  propose  plutôt  de  lui 
mettre  sous  les  yeux  les  Décrets  des  Cha- 
pitres chouérites  élaborés  entre  les  années 
1750  et  1790.  Ayant  eu  la  bonne  fortune 
de  les  retrouver  réunis  dans  une  seule  et 
même  copie  qui  ne  manque  pas  d'intérêt, 
je  donnerai  tout  d'abord  la  traduction  des 
décrets  élaborés  de  1750  à  1790,  puis  celle 
des  décrets  du  Chapitre  général  de  1790. 

1.   DÉCRETS  DES  CHAPITRES  GÉNÉRAUX 

DES  Chouérites  de  1750  a  1790. 

Liste  de  ce  qui  a  été  prescrit  et  décrété 
dans  plusieurs  Chapitres  généraux  et  par- 
ticuliers, depuis  l'année  ij5o  jusqu'au 
Chapitre  général  qui   eut  lieu  à  Saint- 


Michel  en 


7  go. 


1°  Aucun  d'entre  nous  ne  fera  de  fian- 
çailles et  de  mariages,  à  moins  qu'il  ne  soit 
chargé  par  l'évéque  d'exercer  le  saint  mis- 
nistère  (i). 

2"  Les  femmes  n'auront  point  accès  dans 
nos  couvents,  sauf  à  l'église  et  pour  un 
motif  spirituel.  S'il  est  urgent  cependant 
d'avoir  affaire  à  elles,  que  ce  soit  dans  un  ■ 
endroit  isolé  du  monastère;  que  l'on  ne 
conclue  avec  elles  ni  ventes  ni  achats  (2). 

3"  On  n'admettra  point  les  adolescents 
dans  les  monastères,  sauf  pour  un  motif 
d'instruction  spirituelle.  Dans  ce  cas,  il 
faut  les  recevoir  dans  un  endroit  isolé  du 


(;)  Cette  régie  a  été  modifiée  depuis,  et  aujour- 
d'hui le  métropolite  de  Beyrouth  autorise  le  supé- 
rieur du  monastère  à  permettre  l'exercice  du  saint 
ministère  dans  tes  alentours  du  couvent,  à  n'im- 
porte quel  prêtre  du  monastère.  Les  mariages  et 
les  fiançailles  sont  toujours  faits,  cependant,  par 
le  supérieur  du  monastère,  accompagné  d'un 
prêtre  désigné  par  lui. 

(2)  Malgré  cette  prescription  et  la  clôture  rigou- 
reusement établie  dans  touslescouventschouérites, 
les  femmes  ont  encore  accès  dans  les  monastères. 
Ce  sont  elles  qui  s'occupent  de  laver  et  de  coudre 
les  effets  des  religieux. 


DÉCRETS  DES   CHAPITRES  GÉNÉRAUX  DES  BASILIENS  CHOUÉRITES  DE    17=.0  A    1 79O        lOI 


monastère,  en  dehors  des  cellules,  et  ne 
point  leur  permettre  d'y  coucher.  On  n'ad- 
mettra pas  non  plus  dans  les  couvents  de 
cuisinier  laïque  qui  n'aurait  pas  dépassé 
vingt  ans  [j). 

4°  Le  Père  Général  n'ouvrira  point  les 
lettres  des  Pères  assistants  qui  porteraient 
la  note  «  sous  réserve  ».  De  même,  les 
supérieurs  n'ouvriront  point  les  lettres  du 
Père  Général  et  des  assistants  envoyées  aux 
Pères  et  aux  Frères  ou  reçues  d'eux.  Le 
signe  servant  à  distinguer  ces  lettres  est 
connu  (2).  En  dehors  de  ces  missives 
adressées  aux  Pères  et  aux  Frères,  il  faut 
que  le  Père  supérieur  ouvre  les  lettres  en- 
vovées  ou  reçues,  qu'il  les  fasse  parvenir 
ensuite  à  leurs  destinataires  ou  qu'il  les 
expédie.  Celui  qui  contrevient  à  cette  pres- 
cription sera  puni  (3). 

5"  Le  religieux  qui  se  transporterait  d'un 
couvent  à  un  autre,  sans  être  muni  d'un 
billet  de  son  supérieur,  n'y  sera  point 
admis,  à  moins  qu'il  n'ait  un  motif  légi- 
time évident. 

6*^  Le  Frère  cellérier  ne  prêtera  et  n'em- 
pruntera les  choses  qui  concernent  sa  fonc- 
tion qu'avec  l'autorisation  du  supérieur.  11 
n'ira  pas  non  plus  chez  les  voisins  à  moins 
d'y  être  autorisé. 

7"  Celui  qui  aurait  été  convaincu  d'avoir 
écouté  aux  portes  des  cellules  sera  puni 
très  sévèrement,  car  son  acte  devrait  être 
considéré  comme  un  péché  grave. 

8^'  Les  Pères  et  les  Frères  ne  pourront 
quitter  l'église  qu'à  la  fin  des  uLaxapiçao- 
dont  la  récitation  doit  avoir  lieu  à  la 
grand'messe.  Au  lieu  des  aaxaoïTjAO':  on 
dira  quelquefois  les  antiphones.  Celui  qui 
serait  obligé  de  quitter  l'église  avant  ces 
prières,  devrait  y  être  autorisé  par  le  supé- 
rieur (4). 

111  Les  Frères  convers  cliouérites  ne  se  sont 
jamais  astreints  à  faire  la  cuisine  au  monastère, 
car  bien  souvent  ils  n'embrassaient  la  vie  reli- 
gieuse que  pour  aspirer  plus  facilement  au  sacer- 
doce. 

(2)  Ce  signe  consiste  dans  les  initiales  des  deux 
mots  arabes  qui  signifient  «  Père  Général  ». 

(3i  Aujourd'hui  le  supérieur  du  monastère 
n'ouvre  que  les  lettres  adressées  aux  simples 
novices  et  celles  qu'ils  expédient.  11  ne  saurait, 
sans  soulever  de  tempête  et  bien  que  les  Constitu- 
tions soient  formelles  sur  ce  point,  toucher  aux 
lettres  des  Frères  profès  ou  à  celles  des  Pères. 

(4»  Cette  règle  a  sa  raison  d'être,  en  ce  sens  que 
les  u.a/.ap'.(Tij.o;  qui  font  partie  de  l'office  divin 
étaient  récités  à    la  grand'messe  ou    plutôt    à   la 


9'  Le  silence  le  plus  rigoureux  sera 
observé,  notamment  :  aj  à  l'église  ;  b/  au 
réfectoire;  c)  depuis  la  prière  des  Petites 
Complies  jusqu'après  la  prière  des  Laudes 
du  lendemain.  S'il  est  urgent  de  rompre  le 
silence,  que  ce  soit  à  voix  basse;  celui  qui 
y  contreviendra  sera  puni.  Cependant,  à 
la  cuisine  et  dans  les  corridors,  que  la  con- 
versation soit  faite  avec  calme  et  res- 
pect (i). 

10'  Un  Frère  qui  entrerait  dans  la  cellule 
d'un  autre  devrait  en  laisser  la  porte  ou- 
verte jusqu'au  moment  de  son  départ,  alors 
même  que  ce  serait  pour  un  motif  de  con- 
fession ou  de  direction.  Celui  qui  y  contre- 
viendra sera  puni. 

H"  On  observera  le  jeune  monastique 
habituel  ;  on  ne  mangera  point  de  fruits  en 
cachette,  en  dehors  du  réfectoire,  et  l'on 
ne  s'autorisera  point  à  boire  de  l'eau-de-vie 
ou  autres  boissons,  si  ce  n'est  avec  l'avis 
du  Père  spirituel,  et  s'il  est  présent  (2). 

12'  Les  dimanches  et  les  jours  de  fêtes, 
les  Frères  ne  communieront  qu'à  la  grand'- 
messe. Aucun  d'eux  n'est  autorisé  à  S2  dis- 
penser de  la  messe  solennelle.  Les  diacres 
y  concélébreront,  et,  s'il  y  a  un  motif  qui 
les  en  empêche,  il  appartient  au  supérieur 
d'en  décider. 

i3°  C'est  le  supérieur,  avec  deux  Frères, 
qui  dépouilleront  le  scrutin.  Ils  en  déclare- 
ront ainsi  le  ré>ultat  :  admis  ou  refusé.  Ils 
ne  déclareront  point  le  nombre  des  voix 
pour,  mais  ils  garderont  là-dessus  un  secret 
absolu.  De  même,  il  ne  sera  point  permis  aux 
Frères  électeurs  de  révéler  ce  qu'ils  auraient 
accompli.  La  même  discipline  sera  obser- 
vée dans  le  scrutin  des  ordinands  (3). 

mess3  de  communauté,  et  non  point  après  sexte. 
Or,  les  religieux,  qui  sont  tous  t^nus  à  l'office  du 
chœur,  n'y  satisfaisaient  point  en  quittant  l'église 
au  début  de  la  messe,  et  on  les  obligeait  à  réciter 
ces  prières  en  leur  particulier. 

Il)  Depuis  longtemps  cette  règle  est  complète- 
ment tombée  en  désuétude. 

(2)  Cette  régie  aurait  grand  besoin  d'être  renou- 
velée. 

(3)  Voici  le  mode  usité  pour  les  scrutins  monas- 
tiques. Ils  ont  lieu  ordinairement  au  réfectoire,  à  la 
fin  du  repas,  en  présence  de  tous  les  Frères.  Ceux-ci 
étant  debout,  le  supérieur  leur  adresse  une  petite 
exhortation,  leur  déclare  que  tel  Frère  novice  a  ter- 
miné ses  années  de  probation  et  que  le  Père  général 
désire  qu'il  fasse  sa  profession  religieuse;  enfin,  il  les 
invite  à  demander  les  lumières  du  Saint-Esprit, 
pour  que,  dans  le  scrutin  auquel  ils  vont  procéder, 
il  n'y  ait  rien  d'humain  qui  les  empêche  d'agir 
conforméîrièrit  à  leur  conscience.  Là-dessus,  chacun 


102 


ECHOS    D  ORIENT 


14"  On  observera  avec  ponctualité  la  dis- 
cipline et  le  respect  monastiques,  selon  que 
nous  le  recommande  notre  Père  saint 
Basile.  Personne  ne  quittera  sa  cellule  sans 
être  complètement  habillé;  il  ne  placera 
point  son  manteau  sur  les  épaules  en  lais- 
sant pendre  les  manches.  On  ne  dira  point 
d'injures,  de  plaisanteries,  de  moqueries 
et  de  paroles  insolentes,  même  avec  les 
laïques.  On  ne  portera  la  main  sur  per- 
sonne, même  par  manière  de  plaisanterie. 
On  ne  couchera  qu'avec  le  compa\  (  i  ),  la 
ceinture  et  la  -aiafAsvT-r,  (2  ). 
-  i5"  On  ne  se  promènera  pas  dans  le 
monastère  aux  heures  de  silence  ;  les  Frères 
resteront  dans  leurs  cellules.  On  ne  fré- 
quentera pas  les  laïques  auxquels  nous  ne 
permettons  point  d'habiter  avec  les  reli- 
gieux (dans  les  monastères). 

16"  Le  Père  spirituel,  le  Frère  tailleur  et 
un  Père  assistant —  s'il  en  est  de  présent  — 
feront  une  fois  l'an,  au  mois  de  septembre, 
la  visite  des  cellules  des  Frères.  On  en  reti- 
rera ce  qui  ne  s'y  trouverait  pas  en  confor- 
mité avec  la  pauvreté  monastique,  et  l'on 
prendra  note  de  ce  qui  manquerait.  Il 
appartient  au  Père  général  seul  de  faire  la 
visite  des  cellules  des  assistants  et  des  supé- 
rieurs (3). 

récite  en  particulier  un  Pater,  un  Ave  et  un  Gloria, 
puis  !e  Frère  cellérier  arrive,  portant  un  petit  pla- 
teau sur  lequel  est  une  petite  boîte  en  bois  avec 
quelques  grains  de  blé  et  d'orge,  suivant  le  nombre 
des  religieux  réunis.  Il  passe  au-devant  de  tous  en 
commençant  par  le  Père  supérieur  ;  chacun  prend 
en  main  un  grain  de  blé  et  un  grain  d'orge.  Ceci 
fait,  le  Frère  cellérier  passe  une  seconde  fois,  et  alors, 
chaque  Frère  jette  dans  la  boîte,  bien  secrètement, 
soit  Un  grain  de  blé,  soit  un  grain  d'orge,  selon 
que  le  novice  lui  paraît  digne  ou  non  de  prononcer 
ses  vœux.  Les  grains  de  bléysont  favorables,  les 
grains  d'orge  défavorables.  Enfin,  on  porte  le 
résultat  de  ce  scrutin  devant  le  supérieur.  Celui-ci 
invite  deux  prêtres,  et  enseinble  ils  comptent  les 
grains  de  blé  et  d'orge  après  les  avoir  bénis  d'un 
signe  de  croix.  Finalement,  il  rappelle  le  novice, 
qui,  durant  tout  le  scrutin,  doit  se  tenir  en  dehors, 
à  la  porte  du  réfectoire;  il  lui  signifie  le  résultat 
du  scrutin  et  lui  adresse  quelques  paroles  d'exhor- 
tation, suivant  les  circonstances. 

(  1 1  Le  compas  est  le  vêtement  principal  du  reli- 
gieux, ouvert  par  devant,  et  qui  lui  couvre  tout 
le  corps. 

(2)  La  TtapaijLïvTr,  n'est  autre  que  Veskim  religieux 
dont  nous  avons  déjà  parlé.  (Voir  Echos  d'Orient, 
t.  VI  [igoSi,  p.  i74ri83.) 

j3)  Cette  visite  ne  se  fait  plus  de  nos  jours,  et 
chaque  religieux  est  libre  de  garder  dans  sa  cellule 
les  objets  ou  meubles  qu'il  souhaite.  De  là  des  dif- 
férences  considérables  dans    l'ameublement  et  la 


17'  On  observera  avec  exactitude  les 
règles  de  la  prière  mentale,  les  conférences 
spirituelles  les  dimanches,  les  retraites 
annuelles  au  temps  fixé.  On  punira  très 
sévèrement  celui  qui  les  négligera,  et  l'on 
n'admettra  aucun  motif,  pour  s'en  dispen- 
ser, quelque  valable  qu'il  soit  (  i). 

18"  Les  dimanches  et  les  jours  de  fêtes, 
on  ne  permettra  plus  désormais  de  faire 
des  comptes  1 2 1,  ou  encore  de  faire  voyager 
les  moukres  et  les  courriers  spéciaux. 

19°  Au  commencement  de  chaque  mois, 
l'hebdomadier  procédera  à  la  petite  béné- 
diction de  l'eau,  et  il  en  aspergera  le  cou- 
vent. 

20°  Les  Frères  ne  demanderont  qu'à  leur 
supérieur  respectif  tout  ce  dont  ils  auront  be- 
soin,commeboîtes, canifs,  mouchoirs,  etc.  ; 

décoration  des  cellules,  dont  certaines  renferment 
des  tapis  précieux,  des  tables  d'un  travail  rare. 
des  tableaux,  des  portraits  richement  encadrés, 
tandis  que  d'autres  n'ont  qu'une  pauvre  natte  et 
quelques  vieux  livres  où  les  religieux  apprennent 
à  lire  l'office  divin. 

(i|  Les  conférences  spirituelles  sont  depuis  long- 
temps inconnues  dans  les  couvents  chouérites,  par 
suite  du  manque  d'instruction  sérieuse.  Quant  aux 
retraites  annuelles,  elles  se  font  encore,  mais  elles 
ne  sont  ni  prêchées  ni  méditées  ;  on  se  contente 
de  lire,  pendant  trois  ou  quatre  jours,  la  Perfec- 
tion chrétienne,  de  Rodriguez;  la  Balance  du 
Temps,  VEchelle  des  Vertus,  la  Retraite  de  saint 
Ignace  de  Loyola  et  la  Préparation  à  la  mort  de 
saint  Alphonse  de  Liguori.  A  la  fin  de  la  retraite, 
chaque  religieux  fait  une  confession  générale.  Tout 
cela  est  fort  bien  et  serait  mieux  encore,  si  le 
silence  et  le  recueillement  étaient  plus  observés. 
C'est  un  dicton  chez  les  Chouérites  que  l'on  entre 
à  la  retraite  aiguille  à  coudre  et  que  l'on  en  sort 
aiguille  à  matelas  ;  il  y  a  là  sans  doute  quelque 
exagération  due  au  génie  syrien. 

Voici  la  manière  dont  se  pratique  l'oraison  men- 
tale. Après  les  Petites  Compiles,  les  religieux  font 
un  examen  de  conscience,  d'après  une  formule 
récitée  par  l'hebdomadier.  Puis  tous  quittent  leurs 
stalles  et  se  dispersent  dans  l'église,  en  criant  en 
arabe  :  «  Par  les  prières  de  nos  saints  Pères,  etc.  » 
Ils  choisissent  d'ordinaire  l'endroit  le  plus  sombre 
de  l'église  pour  s'y  accroupir,  la  tête  entre  les 
mains.  PenJant  ce  temps,  un  novice  s'est  mis  à 
genoux  au  milieu  du  chœur,  tenant  à  la  main  la 
Préparation  à  la  mort  de  saint  Liguori.  Après  une 
formule  préparatoire  à  l'oraison,  il  lit  rapidement 
une  partie  de  la  méditation  du  jour  et  la  termine 
en  exhortant  ses  confrères  à  prendre  les  résolu- 
tions appropriées. 

(2)  Ces  comptes  avaient  lieu,  soit  avec  les  fer- 
miers, soit  avec  les  ouvriers  que  le  couvent  enga- 
geait à  la  journée.  Ils  se  font  encore  de  nos  jours 
les  dimanches  et  les  jours  de  fêtes,  parce  qu'on 
est  plus  libre  ces  jours-là,  et  que  les  ouvriers  ne 
sauraient  sacrifier  un  jour  de  travail  pour  venir  au 
monastère. 


DÉCRETS  DES  CHAPITRES  GÉNÉRAUX  DES   BASILIENS  CHOUÉRITES  DE    I7$0  A    I79O         i03 


car  c'est  à  lui  qu'il  incombe  de  subvenir 
aux  besoins  de  chacun. 

21  Personne  n'est  autorisé  à  pénétrer 
dans  la  cellule  d'un  Frère  ou  à  en  prendre 
quoi  que  ce  soit  qu'après  en  avoir  obtenu 
la  permission.  Celui  qui  y  contreviendra 
sera  cité  au  réfectoire  par  le  Père  supérieur 
qui  lui  infligera  la  punition  méritée  par  ce 
£;rave  délit.  Que  si,  dans  le  cas  d'une 
nécessité  urgente,  le  supérieur  du  monas- 
tère doit  pénétrer  dans  la  cellule  d'un 
Frère  et  en  prendre  quelque  chose,  il 
devrait  en  avertir  le  propriétaire  pour 
couper  court  au  scandale. 

22  Aucun  Père  ou  Frère,  pas  même  les 
supérieurs,  n'exercera  la  médecine  et  tout 
ce  qui  s'en  rapproche,  à  moins  qu'il  ne 
possède  un  certificat  délivré  par  un  habile 
médecin  et  avec  l'autorisation  écrite  du 
supérieur  général.  Celui  qui  exercera  ce 
métier  devra  se  conformer  en  tous  points 
au  chapitre  des  Constitutions  qui  le  con- 
cerne. Le  Père  général,  cependant,  dési- 
gnera quelqu'un  pour  prendre  soin  de  la 
santé  des  Frères. 

23°  Tous  les  Pères  de  la  Congrégation 
célébreront  chacun  cinq  messes  pour  le 
repos  de  l'àme  d'un  Frère  décédé  et  2  messes 
pour  l'âme  d'une  religieuse  défunte.  En 
outre,  on  offrira  40  messes  avec  les  services 
habituels,  dans  le  monastère  auquel  appar- 
tenait le  Père  ou  le  Frère  décédé  (  i\ 

24^'  On  ne  permettra  plus  désormais  les 
bains  de  mer,  encore  moins  les  bains  chauds 
(des  villes).  En  cas  de  nécessité  urgente, 
on  doit  avoir  l'autorisation  du  supérieur 
général.  De  même,  on  ne  permettra  plus 
de  dresser  des  tentes  particulières  (2  1. 

Quant  aux  tentes  communes  on  en  accor- 
dera rarement  l'autorisation  suivant  que  le 
Père  général  le  jugera  opportun  et  capable 
de  procurer  la  gloire  de  Dieu. 


(i)  Cette  régie  a  toujours  été  modifiée  suivant 
Je  plus  ou  moins  grand  nombre  de  religieux.  Au- 
jourd'hui les  Chouérites  offrent  10  messes  pour 
l'àme  d'un  Père,  d'un  Frère  ou  d'une  Sœur  défunts. 
Les  Frères  convers  offrent  10  communions  et 
récitent  10  chapelets.  Par  malheur,  ces  10  messes, 
qui  devraient  être  dites  par  les  religieux  eux-mêmes, 
sont  trop  souvent  cédées  à  des  prêtres  maronites. 

(2)  Ces  tentes  de  toiles  étaient  dressées,  pour  les 
moines,  dans  le  jardin  de  Saint-Michel  de  Zouq- 
-Mikail,  où  les  chaleurs  sont  excessives  durant  l'été. 
Comme  les  religieux  n'étaient  plus  soumis  à  la 
clôture  monastique,  il  y  eut  parfois  des  désordres 
qui  forcèrent  les  supérieurs  à  abolir  cet  usage. 


25"'  Le  Frère  qui  aurait  été  convaincu 
d'avoir  menacé  le  novice  de  ne  point  voter 
pour  lui  (au  temps  de  sa  profession  reli- 
gieuse! sera  privé  de  la  voix  active  idans 
les  délibérations  monacales  1.  Celui  qui, 
sans  motif  plausible  ou  urgent,  refuserait 
de  prendre  part  au  scrutin  serait  puni.  Que 
si,  au  premier  et  au  deuxième  votes,  le 
scrutin  ne  donne  pas  de  résultat,  le  novice 
sera  refusé,  conformément  aux  Constitu- 
tions. Ne  prendra  part  au  scrutin  que  celui 
qui  aura  passé  trois  mois  entiers  dans  le 
monastère. 

26"  On  ne  permettra  plus  le  port  d'habits 
en  laine,  des  gilets  à  boutons  et  d'autres 
vêtements  incompatibles  avec  l'état  monas- 
tique (  i). 

27"  Les  Frères  banniront  de  leur  milieu 
toute  partialité,  soit  en  parole,  soit  en 
action,  car  nous  sommes  tous  un  dans  le 
Christ  et  enfants  d'une  seule  Congrégation. 
C'est  pourquoi  il  ne  sera  point  permis  aux 
supérieurs  majeurs  de  garder  le  silence 
lorsqu'ils  se  rendront  compte  de  l'existence 
de  cet  esprit  opposé  à  l'esprit  de  charité, 
d'union  et  d'égalité  qui  doit  régner  parmi 
les  Frères  qui  nous  viennent  de  diverses 
contrées. 

28"  On  bannira  les  réunions  particulières 
où  l'on  calomnie  le  prochain,  où  l'on  médit 
de  lui,  où  on  le  tourne  en  ridicule,  notam- 
ment en  présence  des  laïques.  Le  supérieur 
punira  très  sévèrement  celui  qui  sera 
reconnu  coupable,  ou  bien  il  le  dénoncera 
au  supérieur  général. 

29"  Les  supérieurs  veilleront  à  ce  que  les 
religieux  soient  toujours  à  l'intérieur  du 
monastère.  Ils  ne  permettront  à  personne 
d'en  sortir,  à  moins  d'une  nécessité  urgente 
et  accompagné  d'un  socius  à  sa  conve- 
nance, suivant  la  teneur  des  Constitutions 
particulières  et  générales;  ils  ne  se  sépare- 
ront l'un  de  l'autre  qu'à  la  rentrée  au  mo- 
nastère. Cette  règle  sera  observée  avec 
exactitude,  notamment  aux  couvents  de 
Saint-Michel  et  de  Zahlé.  Enfin,  on  ban- 
nira, dans  les  monastères,  les  visites  des 


(i)  Dans  les  premiers  temps,  tous  les  religieux, 
Pères  et  Frères,  portaient  des  habits  en  coton  blanc 
qu'ils  faisaient  teindre  en  bleu,  et.  aux  pieds,  de 
simples  sandales  noires.  Or,  à  cette  époque,  il 
parait  que  certains  supérieurs  majeurs  se  crurent 
le  droit  de  changer  le  costume  monastique;  c'est 
pourquoi  le  Chapitre  générai  s'élève  contre  ces 
abus. 


104 


ÉCHOS  d'orient 


Frères  entre  eux  et  celles  qu'ils  pourraient 
recevoir  du  dehors. 

3o'  Nous  recommandons  à  tout  supérieur 
de  monastère  de  surveiller  les  corridors  et 
les  cellules,  après  la  prière  des  Petites 
Complies,  soit  par  lui-même,  soit  par  l'in- 
termédiaire d'un  prêtre  désigné  à  cet  effet. 
Nous  lui  faisons  un  devoir  de  prohiber,  à 
cette  heure,  toute  conversation  et  toute 
réunion  des  Frères  dans  les  cellules.  Il 
punira  sévèrement  le  délinquant,  notam- 
ment celui  qu'il  verra  dans  la  cellule  d'un 
autre  et  qui  en  tiendrait  la  porte  fermée, 
chose  contraire  à  nos  Constitutions. 

3i°  Lorsque  le  Père  général  réclame  quoi 
que  ce  soit  de  la  part  des  supérieurs  de 
monastère,  ceux-ci  le  lui  remettront  le  plus 
tôt  possible;  si,  cependant,  ils  ont  des  mo- 
tifs légitimes  à  faire  valoir,  ils  les  lui  pré- 
senteront avec  respect  et  soumission,  don- 
nant ainsi  à  leurs  subordonnés  l'exemple 
de  l'obéissance  religieuse. 

32°  Les  supérieurs  auront  soin  de  bien 
organiser  leurs  monastères  respectifs.  Ils 
subviendront  à  tous  les  besoins  de  leurs 
religieux.  Nous  leurs  recommandons  in- 
stamment de  donner  leur  sollicitude  spé- 
cialement aux  malades,  conformément  à  la 
teneur  de  nos  Constitutions,  de  pourvoir  à 
leurs  besoins  et  de  ne  leur  donner  aucune 
occasion  de  murmure  qui  les  mette  dans 
la  nécessité  de  transgresser  le  vœu  de  pau- 
vreté en  réclamant  à  autrui  ce  dont  ils 
auraient  besoin.  Nous  rendons  leur  con- 
science gravement  responsable  de  toutes 
ces  transgressions.  De  même,  nous  recom- 
mandons aux  infirmes  de  se  comporter 
avec  patience;  dans  chaque  monastère,  on 
leur  préposera  un  Frère  infirmier  qui  soit 
vertueux,  patient,  plein  de  charité  pour  le 
prochain  (1). 

33''  Nous  ne  permettons  point  aux  reli- 
gieux de  réclamer  quoi  que  ce  soit  à  leurs 
parents  ou  à  d'autres,  sinon  après  en  avoir 
obtenu  l'autorisation  de  leur  supérieur  res- 
pectif; et  celui  qui  recevrait  quoi  que  ce 
soit  ne  devrait  l'accepter  qu'avec  la  même 
autorisation. 

34"  Les  supérieurs  s'eff"orceront  d'être 
utiles  aux  Frères  en  leur  procurant  une 
certaine  instruction  (2);  ils  les  exhorteront 

(i)  La  règle  concernant  les  soins  à  donner  aux 
malades  n'a  pas  été  toujours  bien  observée  dans 
les  couvents  chouérites. 

(2)  L'instruction  consistait  surtout  à  savoir  lire 


à  la  lecture  spirituelle  et  à  la  pratique  de  la 
direction,  même  en  dehors  de  la  confes- 
sion. 

35'^  Il  est  prohibé  de  faire  des  ventes  et 
des  achats  dans  les  monastères  pour  un 
motif  de  gain  temporel.  On  n'y  conclura 
point  non  plus  de  marché  concernant  la 
soie  des  couvents;  que  si  le  Père  général  ou 
l'un  des  supérieurs  entreprend  de  conclure 
un  marché  de  ce  genre,  que  ce  soit  alors 
par  l'intermédiaire  d'un  laïque.  Dans  tous 
les  cas,  on  ne  devrait  agir  qu'avec  l'avis  et 
le  consentement  du  Père  général  (  i). 

36"  Il  n'est  point  permis  aux  simples 
prêtres  d'user  à  leur  guise  des  honoraires 
de  messes;  ils  doivent  les  remettre  sur-le- 
champ  à  leur  supérieur.  De  plus,  ils  n'of- 
friront des  messes  pour  l'âme  de  leurs 
parents  défunts  ou  pour  d'autres,  qu'avec 
l'autorisation  du  supérieur  (2). 

37''  Les  religieux  ne  se  livreront  plus 
désormais  à  des  jeux  mondains,  tels  que 
le  jeu  d'échecs,  le  jeu  de  dames  et  le  jeu 

le  psautier,  considéré  alors  comme  le  premier  livre 
de  lecture  dans  les  plus  humbles  écoles.  Toutefois, 
il  y  avait  et  il  y  a  encore  des  exceptions,  et  cer- 
tains prêtres  ordonnés  sans  avoir  fait  d'études 
préalables  se  contentent  de  savoir  lire  l'évangile. 
Pour  remédier  à  ces  abus,  provenant  surtout,  chez 
les  Chouérites  alépins,  des  longs  généralats  du 
P.  Thomas  Qabbach  et  du  P.  Gabriel  Basile, 
Rome  a  nommé  directement,  l'année  dernière,  le 
R.  P.  Jean  Khaouam  supérieur  général  de  cette 
Congrégation. 

(i)Ces  marchés  avaient  toujours  lieu  au  monas- 
té'e  à  la  fin  de  la  récolte  des  vers  à  soie.  Comme 
c'est  la  principale  ressource  des  monastères  en 
Svrie,  les  supérieurs  apportaient  tous  leurs  soins  à 
faire  un  marché  profitable  à  la  Congrégation.  Ces 
longs  pourparlers  causaient  et  causent  encore  du 
trouble  dans  le  monastère  en  nuisant  considéra- 
blement aux  offices  religieux. 

(2)  Cette  règle  n'est  plus  en  usage  aujourd'hui; 
cependant,  les  prêtres  qui  vivent  dans  les  monas- 
tères sont  obligés  d'offrir  annuellement  200  messes 
aux  intentions  du  Père  général,  tant  pour  payer 
les  dépenses  que  fait  pour  eux  la  Congrégation, 
que  pour  diminuer  le  nombre  des  messes  de  fon- 
dation que  la  Congrégation  s'oblige  à  acquitter 
annuellement.  Les  Alépins  chouérites  auraient 
actuellement  plus  de  i5  000  messes  de  fondation 
à  acquitter  chaque  année  ;  les  Chouérites  indigènes 
doivent  certainement  en  avoir  autant,  car  au  mo- 
ment de  leur  séparation,  en  1829,  les  charges  furent 
également  réparties  des  deux  côtés.  Les  Baladites, 
eux,  prescrivent  5o  messes  par  an  à  chaque  prêtre 
vivant  dans  les  monastères;  les  supérieurs  majeurs 
et  les  curés  de  paroisses  en  sont  dispensés.  Comme 
les  religieux  prêtres  de  ces  Congrégations  ne  suf- 
fisent pas  à  acquitter  ces  messes  de  fondation, 
celles  qui  restent  sont  cédées  à  des  moines  maro- 
nites libanais. 


DÉCRETS  DES  CHAPITRES  GÉNÉRAUX  DES   BASILIENS  CHOUÉRITES  DE    I75O  A    1  79O         IO5 


du  Tâb-oua-Dik  (i);  celui  qui  y  contre- 
viendra sera  puni  très  sévèrement. 

38"  Aucun  supérieur  ou  subordonné 
n'aura  la  liberté  de  descendre  à  Beyrouth, 
à  moins  qu'il  ne  soit  muni  de  l'autorisa- 
tion écrite  du  Père  général;  le  supérieur 
de  la  procure  n'y  admettra  point  celui  qui 
contreviendra  à  cette  règle. 

39"  On  ne  se  confessera  aux  prêtres 
étrangers  à  notre  Congrégation  qu'en  cas 
de  nécessité  et  avec  l'autorisation  du  Père 
général. 

40°  Le  religieux  qui  souhaiterait  être 
élevé  aux  saints  Ordres  et  qui  le  réclame- 
rait, soit  par  lui-même,  soit  par  l'intermé- 
diaire d'un  autre,  de  quelque  façon  que  ce 
soit,  saura  qu'il  transgresse  ses  vœux;  il 
ne  nous  sera  point  non  plus  loisible  de  le 
présenter  aux  ordinations,  car,  dit  le  pro- 
verbe vulgaire,  «  qui  recherche  l'Ordre,  le 
perd  ». 

41  "  Nous  ne  permettons  point  aux  supé- 
rieurs, encore  moins  aux  subordonnés,  de 
s'offrir  comme  caution  ou  de  prêter  de 
l'argent  aux  fermiers  ou  à  d'autres,  en 
engageant  la  récolte  des  vers  à  soie  ou 
autres  objets  précieux.  Cette  conduite  serait 
opposée  à  la  teneur  de  nos  Constitutions 
approuvées  et  de  nos  vœux  religieux. 

42"  Nous  ordonnons  qu'aucun  religieux 
de  chœur  ou  Frère  convers  ne  couche  en 
dehors  de  son  monastère,  soit  à  Beyrouth, 
soit  à  Zouq-Mikaïl,  à  Zahlé  ou  en  d'autres 
endroits  ou  villages  avoisinant  les  monas- 
tères, à  moins  de  nécessité,  par  exemple 
pour  veiller  un  moribond.  Le  délinquant 
sera  puni  très  sévèrement  par  son  supérieur. 

43°  Nous  défendons  à  tout  supérieur  et  à 
tout  subordonné  de  raconter  aux  laïques 
ce  qui  se  passe  dans  les  monastères,  de  les 
entretenir  des  défauts  ou  querelles  des 
moines  et  des  supérieurs.  Celui  qui  en 
aura  été  convaincu  sera  puni  sévère- 
ment (2). 

(i)  Le  Tàb-oua-Dik  est  un  jeu  de  hasard  très 
usité  à  Alep  ;  il  consiste  en  une  petite  planche  de 
bois  sur  laquelle  figurent  quatre  rangées  de  21  pe- 
tits trous  chacune.  Sur  les  deux  premières  rangées, 
de  chaque  côté  des  joueurs,  on  place  21  pions 
blancs  et  noirs.  On  y  joue  au  moyen  de  quatre 
petits  roseaux  aplatis,  dont  une  face  est  noire  et 
l'autre  blanche,  qu'on  lance  contre  une  bouteille. 
Le  pion  qui  pjrvicnt  à  pénétrer  parmi  ceux  du 
voisin  est  appelé  Tàb,  tandis  que  la  planche  porte 
le  nom  de  Dik. 

(21  II  n'y  a  jamais  eu  de  secret  pour  les  laTques 
dans  les  monastères  chouérites. 


44^  Nous  ordonnons  que,  désormais,  les 
femmes  n'habitent  plus  dans  les  monas- 
tères ou  à  côté  d'eux,  alors  même  qu'elles 
seraient  les  meilleures  protectrices  de  la 
Congrégation;  on  ne  les  enterrera  point 
non  plus  dans  les  cimetières  des  religieux. 

^b"  Usage  de  l'eau-de-vie  et  du  vin.  A 
celui  dont  la  santé  réclamerait  l'usage  de 
l'eau-de-vie,  nous  ne  permettons  d"en 
prendre  qu'une  petite  tasse  chaque  fois; 
quant  à  celui  qui  aurait  besoin  d'user  de 
vin,  qu'il  en  prenne  chaque  rois  deux  petits 
verres  contenant  chacun  environ  les  trois 
quarts  d'une  once.  Nous  exhortons  le 
supérieur  à  donner  tous  ses  soins  à  l'obser- 
vation de  cette  règle,  et  nous  ordonnons 
au  Frère  cellérier  de  ne  point  faciliter  da- 
vantage l'usage  de  ces  boissons,  et  de  dé- 
noncer au  supérieur  celui  qui  chercherait 
à  transgresser  cette  ordonnance  1 1). 

46^'  Conformément  à  la  petite  brochure 
ordonnée  par  le  P.  Nicolas  iSaïegh\  on 
jeûnera  tous  les  jours  pendant  lesquels  il 
faut  réciter  les  acTois-a,  et  il  n'appartient 
point  au  supérieur  d'en  dispenser  (2). 

47  "  Aucun  de  nos  religieux  n'est  autorisé 
à  accepter  chez  lui  un  dépôt  quelconque. 
En  cas  de  nécessité,  le  supérieur  seul  pour- 
rait le  faire,  mais  il  est  requis  que  ce  soit 
en  présence  de  deux  autres  Pères,  pour  en 
témoigner.  Celui  qui  y  contreviendrait 
serait  puni  très  sévèrement. 

48*»  Suivant  la  coutume  reçue,  le  supé- 
rieur du  monastère  fera  la  visite  des  effets 
de  tout  religieux  qui  se  transporterait  à  un 
autre  couvent;  cette  visite  devrait  être  faite 
avec  discernement.  Que  si  le  religieux 
dérobe  quoi  que  ce  soit  aux  recherches  du 
supérieur,  il  appartient  au  Père  général  de 
le  punir. 

49°  Nous  ordonnons  à  tous  de  veiller  à 
ne  point  transgresser  le  vœu  de  pauvreté 
en  ce  qui  concerne  les  choses  nécessaires 
au  culte,  notamment  les  ornements  sacrés 
et  autres  choses  semblables.  C'est  pour- 
quoi tout  prêtre,  même  supérieur  de  mo- 

(U  Les  Chouérites,  pas  plus  que  les  autres 
religieux  de  Syrie,  n'ont  jamais  usé  de  vin  à  table, 
à  rencontre  des  communautés  européennes.  L'eau, 
du  reste,  est  excellente. 

(2)  Nous  n'avons  jamais  pu  retrouver  cette  bro- 
chure où  le  P.  Saïgh  organise  les  aîcrwpia  dans 
un  ordre  qui  différait  quelque  peu  de  celui  que 
nous  voyons  dans  r'oJpoÀôviov.  Aujourd'hui,  même 
dans  les  monastères,  les  asatôpta  s^nt  tombés  en 
désuétud.'. 


io6 


ECHOS    D  ORIENT 


nastère,  qui  aurait  confectionné  pour  lui 
ou  pour  un  autre  un  ornement  nouveau, 
sans  l'autorisation  du  Père  général,  sera 
puni.  Dans  le  cas  où  il  l'aurait  reçu  en 
présent,  de  la  part  d'un  bienfaiteur,  il  n'en 
userait  point  avant  d'en  avoir  obtenu  l'au- 
torisation du  Père  général.  Nous  ne  dis- 
pensons de  cette  règle  que  les  Pères  qui 
vivent  en  dehors  des  monastères  dans  des 
paroisses  lointaines  (i). 

II.  DÉCRETS  DU  Chapitre  général 

DES    ChOUÉRITES    en    I79O. 

i"  Désormais,  dans  tous  les  monastères, 
on  fera  usage  de  la  viande,  deux  fois  la 
semaine,  tant  pour  les  malades  que  pour 
les  bien  portants.  De  plus,  si  le  supérieur 
le  permet  et  que  ce  soit  possible,  on  pourra 
en  faire  usage  trois  fois.  Par  suite,  il  n'ap- 
partient point  aux  Pères  ou  aux  Frères  d'y 
faire  la  moindre  opposition,  encore  moins 
de  murmurer  ou  de  faire  paraître  du  mé- 
contentement (2). 

2"  Les  religieux  dont  la  santé  est  faible, 
ceux  qui  sont  avancés  en  âge  ou  qui  sont 
atteints  de  certaines  infirmités,  feront 
usage  de  café  une  fois  le  jour,  le  matin 
(après  le  déjeuner).  On  n'en  permettra 
point  l'usage  aux  autres,  et,  s'il  faut  outre- 
passer cette  règle,  on  doit  avoir  l'autori- 
sation du  supérieur  (3  ). 

3"  Aucun  religieux  ne  fera  usage  de  tabac, 
à  moins  qu'il  n'ait  un  certificat  octroyé  par 
le  P.  Clément  Tabib  et  l'autorisation  écrite 
du  Père  général.  Celui  qui  aurait  rempli 
ces  conditions  ne  fumera  qu'à  l'intérieur 
de  sa  cellule  seulement;  et,  s'il  est  con- 

(i)  C'.is  prescriptions,  qui  ont  pour  but  de  sau- 
vegarder le  vœu  de  pauvreté,  lurent  occasionnées 
par  l'habitude  des  supérieurs  majeurs  de  garder 
de  l'argent  sur  eux.  Plus  tard,  le  mal  gagn  i  les 
supérieurs  de  monastère,  les  simples  prêtres  et 
enfin  les  Frères  convers.  Aujourd'hui,  chaque  reli- 
gieux vivant  dans  un  couvent  a  droit,  à  la  tin  de 
l'année,  à  25  francs  que  la  Congrégition  lui  donne 
pour  s'acheter  un  habit;  il  lui  est.  par  contre,  loi- 
sible de  chercher  à  acquérir  autant  d'argent  qu'il 
désire.  Ne  sefait-il  pas  plus  conforme  au  vœu  de 
pauvreté  de  fournir  à  chaque  religieux  tout  ce 
dont  il  pourrait  avoir  besoin? 

(2)  L'usage  de  manger  de  la  viande  leur  avait 
été  définitivement  accordé  par  le  patriarche  Tliéo- 
dose  VI  Dahan,  en  1787. 

(3)  Aujourd'hui,  une  petite  tasse  de  café  est 
distribuée  aux  Frères,  dans  tous  les  monastères 
chouérites,  le  matin  après  le  déjeuner,  et  à  midi, 
après  le  diner. 


vaincu  d'avoir  fumé  sur  les  chemins,  dans 
les  maisons  ou  dans  tout  autre  endroit  en 
dehors  de  sa  cellule,  il  en  sera  privé  une 
année  entière,  sans  miséricorde;  s'il  con- 
trevient à  cette  défense,  on  le  citera  au 
chapitre  des  assistants.  Désormais,  on 
n'admettra  point  un  novice  à  faire  sa  pro- 
fession religieuse,  à  moins  de  lui  faire  pro- 
mettre qu'il  ne  fera  jamais  usage  de  tabac  ; 
de  même,  on  ne  présentera  un  religieux  à 
l'Ordre  du  diaconat  que  sous  la  même  con- 
dition (I  ). 

4"  Chaque  supérieur  de  monastère  devra 
choisir,  en  présence  des  Frères  assemblés, 
un  procureur,  puis  un  directeur  spirituel 
auquel  les  Frères  auront  recours  dans  leurs 
besoins  (2). 

5"  Au  nom  du  Seigneur,  nous  recom- 
mandons aux  Pères  et  aux  Frères  de  ne 
retenir  chez  eux  quoi  que  ce  soit  en  fait  de 
monnaie,  pour  quelque  motif  que  ce  soit, 
tant  par  eux-mêmes  que  par  le  moyen 
d'autrui,  avec  une  intention  bonne  ou 
mauvaise,  ou  même  dans  un  but  d'éco- 
nomie qui  devrait  tourner  au  profit  de  la 
Congrégation.  Quant  aux  supérieurs  qui 
remplissent  certaines  charges  dans  la  Con- 
grégation, nous  leur  ordonnons,  au  nom 
de  l'obéissance  :  a),  de  dire  la  vérité  au 
Père  général  lorsqu'il  cherchera  à  connaître 
ce  qu'ils  pourraient  détenir,  et  il  n'y  a  pas 
de  mal  à  ce  qu'ils  lui  disent  plus  ou  moins, 
lorsqu'ils  ne  sont  pas  sûrs  de  la  réalité  ;  — b) 
lorsqu'ils  sont  appelés  dans  d'autres  mo- 
nastères, de  ne  rien  garder  de  ce  qui  appar- 
tient aux  couvents  où  ils  auraient  exercé  la 
charge  de  supérieur.  Nous  ne  saurions  être 
plus  indulgents  à  ce  sujet,  et  nous  jugeons 
que  celui  qui  contrevient  à  cette  règle  se 
rend  coupable  d'un  péché  grave  et  trans- 
gresse son  vœu;  —  c)  de  tenir  bien  exac- 
tement les  comptes  des  recettes  et  des 
dépenses,  sans  rien  ajouter  ni  retrancher. 

Quant  aux  curés  des  villages,  nous  leur 
ordonnons  de  remettre  au  Père  général, 
deux  fois  par  an,  tout  ce  qu'ils  pourront 
avoir.  Nous  exceptons,  cependant,  les  curés 
de  Zahlé  auxquels  nous  prescrivons  de 
garder  dix  piastres  seulement  pour  eux  et 
de  remettre  le  reste  au  Père  général  toutes 

(i)  De  nos  jours,  l'usage  du  tabac  est  général 
chez  lés  Chouérites,  depuis  le  supérieur  jusqu'au 
dernier  des  inférieurs. 

(2)  Cet  article  n'est  plus  observé,  au  moins 
pour  ce  qui  regarde  le  directeur  spirituel. 


l'église    SAINTE-EUPHÉMIE    et    RUFINIANES   A  CHALCÉDOINE 


107 


les  fois  qu'il  leur  en  fera  la  demande. 
Cependant,  les  Frères  cellérier,  intendant, 
jardinier,  ou  tout  autre  religieux  qui  aurait 
à  remplir  une  charge  réclamant  le  port  de 
monnaie  sur  soi,  ne  sont  pas  autorisés  à 
garder  de  l'argent  sur  eux  le  jour  du 
dimanche.  Mais,  le  samedi  soir,  ils  remet- 
tront à  leur  supérieur  respectif  tout  l'argent 
qu'ils  pourront  avoir  sur  eux,  à  moins 
qu'ils  ne  jouissent  d'une  autorisation  con- 
traire. Enfin,  les  Pères  qui  se  seraient 
absentés  pour  un  temps  devront,  à  leur 
retour,  déclarer  au  Père  général  en  toute 
vérité  tout  ce  qu'ils  pourront  avoir  d'argent 
sur  eux,  ou  bien  en  dépôt,  de  quelque 
façon  que  ce  soit. 

La  transgression  de  ces  prescriptions  en 
une  matière  qui  dépasserait  le  tiers  d'une 
piastre,  avec  pleine  connaissance  et  liberté, 
serait  jugée  un  péché  grave,  contraire  au 
vœu  de  pauvreté  et  dont  l'absolution  est 
réservée.  Si  le  délinquant  meurt  dans  cet 
état,  il  sera  privé  des  bienfaits  spirituels 
que  la  Congrégation  a  coutume  d'offrir 
pour  ses  enfants  qui  meurent  dans  le 
Seigneur. 

6"  Nous  ordonnons  à  tout  supérieur 
d'avoir  chez  lui  une  copie  de  ces  prescrip- 
tions, afin  d'en  faire  faire  la  lecture  publique 
au  commencement  de  chaque  mois.  11 
adressera,  en  même  temps,  de  fortes  admo- 


nitions aux  délinquants,  afin  que  ces  règles 
soient  observées  avec  exactitude,  que  la 
perfection  religieuse  règne  en  maîtresse 
parmi  nous  et  que  chacun  reconnaisse  ses 
obligations.  Les  supérieurs  qui  transgres- 
seront ces  ordonnances  seront  sévèrement 
repris  par  le  Père  général,  et.  s'ils  n'en 
tiennent  aucun  compte  et  qu'ils  continuent 
à  se  relâcher  en  cette  matière,  ils  seront 
cités  au  Chapitre  des  assistants  qui  aura 
tout  droit  de  les  destituer  et  de  les  faire 
remplacer  par  d'autres. 

m.  Cas  réservés   au  supérieur  général. 

i"  Sortir  du  monastère,  la  nuit,  secrè- 
tement et  sans  aucune  autorisation. 

2°  Injurier  son  supérieur  ou  un  Père 
assistant,  en  public  ou  en  particulier. 

3°  S'approprier  de  l'argent  à  partir  d'un 
tiers  de  piastre  et  au-dessus,  à  l'insu  du 
supérieur,  contrairement  au  voeu  de  pau- 
vreté. 

4'  Tout  acte  impur,  de  nature  grave, 
commis  entre  deux  personnes  —  ce  qu'à 
Dieu  ne  plaise!  —  alors  même  que  seule- 
mentl'uned'elles  serait  consacrée  à  Dieu(i). 

Paul  Bacel, 

prêtre  du  rite  grec. 
Svrie. 


L'ÉGLISE    SAINTE-EUPHÉMIE  ET   RUFINIANES 

A  CHALCÉDOINE  <'* 


On  mecommunique  à  l'instant,  soigneu- 
sement découpé,  un  article  de  Topogra- 
phie hy:{a7itine  que  M.  J.  Miliopculos  a  fait 

(  1  )  Sous  le  titre  de  Topographie  byzantine,  l'étude 
suivante  du  regretté  P.  Pargoire  a  paru  dans  un 
journal  français  de  Constantinople,  aujourd'hui 
disparu,  \q  Servet  du  11  juillet  1900.  Nous  l'avons 
recueillie,  parce  qu'elle  intéresse  deux  des  prin- 
cipaux sanctuaires  de  Chalcédoine.  l'église  Sainte- 
Euphémie,  où  fut  tenu  en  461  le  IV*  concile  œcumé- 
nique, l'église  Saint-Pierre  de  Rutînianes,  au  fau- 
bourg du  Chêne,  où  fut  condamné  saint  Jean 
Chrysostome  en  403.  Depuis  lors,  le  P.  Pargoire 
a  établi  (Echos  d'Orient,  t.  VI,  3i5-3i7)  que  très 
probablement  le  couvent  et  l'église  Sainte-Bassa 


paraître  dans  les  numéros  des  6  et  7  juin 
de  votre  S^rr(?/ français.  L'auteur  y  affirme 
dès  le  second  paragraphe  : 

i"  Que  Rufinianes  s'élevait  entre  la  sta- 
tion actuelle  du  chemin  de  fer  de  Haïdar- 
Pacha  et  la  caserne  Sélimié  ; 


s'élevaient  prés  de  l'ancienne  gare  de  Hardar-Pacha, 
et  le  P.  Vailhé  [Echos  d'Orient,  t.  XI,  p.  227)  est 
venu  encore  confirmer  sa  savante  hypothèse.  (Note 

DE    LA    RÉDACTION.) 

(i)  D'ordinaire, k  supérieur  général  permet  aux 
assistants,  et  aux  supérieurs  de  monastère  d'ab- 
soudre de  ces  cas  réservés. 


io8 


ÉCHOS   d'orient 


2"  Que  les  ruines  de  l'église  de  Sainte- 
Euphémie  se  trouvent  sous  la  station  de 
Haïdar-Pacha. 

Ces  deux  assertions,  émises  tout  d'abord 
en  allemand  dans  la  Byiantinische  Zeits- 
chrift,  n'en  sont  pas  plus  exactes  pour 
cela.  Me  permettez-vous,  Monsieur  le 
directeur,  de  montrer  en  quelques  mots 
par  où  elles  pèchent?  Ce  sera  du  même 
coup  montrer  par  un  exemple  comment 
le  dogmatisme  topographique  de  M.J.Mi- 
liopoulos  s'expose  facilement  à  tromper 
ceux  de  vos  nombreux  lecteurs  qui,  sé- 
journant à  Kadi-Keui  ou  aux  environs, 
voudraient  connaître  au  juste  le  passé 
byzantin  de  leur  ville  et  de  ses  faubourgs. 
Je  commence  par  l'église  Sainte-Euphé- 
mie.  «  L'emplacement  de  cette  église  est 
occupé  actuellement  par  la  gare  du  che- 
min de  fer  de  Haïdar-Pacha.  »  Ainsi  parlait 
déjà  M.  J.  Miliopoulos,  le  28  juillet  1899, 
dans  un  travail  où  il  avait  soin  d'écrire, 
en  guise  de  préface,  que  toutes  ses  con- 
clusions topographiques  étaient  basées 
d'une  manière  absolue  «  sur  lesindications 
des  historiens».  Serait-il  indiscret,  aujour- 
d'hui qu'il  renouvelle  son  affirmation,  de 
lui  demander  quels  sont,  dans  l'espèce, 
les  historiens  qui  permettent  d'identifier 
le  temple  euphémien  de  Chalcédoine  avec 
la  gare  actuelle  de  Haïdar-Pacha?  Le  seul, 
à  ma  connaissance,  qui  s'étende  avec 
détails  sur  la  situation  de  la  basilique  où 
se  tint  le  IV^  concile  œcuménique,  c'est 
Evagre.  Or,  ou  je  me  trompe  fort,  ou 
les  indications  d'Evagre  ont  tout  ce  qu'il 
faut  pour  saper  à  la  base  les  dires  de 
M.  J.  Miliopoulos.  Qu'on  en  juge  : 

p  Evagre  place  l'église  à  quelque  chose 
comme  deux  stades  du  rivage,  c'est-à-dire 
environ  à  260  mètres.  La  gare  de  Haïdar- 
Pacha  se  trouve-t-elle  à  cette  distance?  Je 
ne  la  visite  point  tous  les  jours;  il  me 
semble  pourtant  qu'elle  est  un  peu  plus 
voisine  de  la  mer. 

2°  Evagre  place  l'église  sur  une  hauteur, 
sur  une  hauteur  médiocre,  si  l'on  veut,  et 
aux  pentes  douces,  mais  sur  une  hauteur 
qu'il  faut  tout  de  même  gravir.  La  gare  de 
Haïdar-Pacha  couronne-t-elle  une  élévation 


quelconque?  Elle  me  paraît  plutôt  située 
dans  un  trou  :  du  moins,  si  je  ne  m'abuse, 
en  quittant  le  bateau  on  y  accède  pour 
ainsi  dire  de  plain-pied. 

30  Evagre  place  l'église  en  un  point 
d'où  les  spectateurs  peuvent  promener 
leurs  regards  sur  les  champs  couchés 
tout  autour  à  leurs  pieds,  sur  l'herbe  des 
prairies,  sur  les  moissons  ondoyantes, 
sur  les  arbres  aux  essences  variées.  La 
gare  de  Haïdar-Pacha  règne-t-elle  sur  un 
si  beau  point  de  vue?  Elle  ne  domine 
guère,  ce  me  semble,  que  la  plaine  liquide, 
où,  comme  on  sait,  l'herbe,  les  moissons 
et  les  arbres  n'abondent  pas. 

Voilà  quelles  sont  exactement  les  indi- 
cations d'un  historien  sur  la  basilique 
Sainte-Euphémie.  Ceux  qui  préféreraient 
le  lire  dans  le  texte  original  n'ont  qu'à 
ouvrir  l'Histoire  ecclésiastique  d'Evagre, 
c.  Il,  1.  111.  Après  en  avoir  parcouru 
les  premières  lignes,  ils  concluront  sans 
doute,  comme  les  autres,  que  l'église  du 
IVe  concile  général  était  debout,  non  pas  à 
la  gare  de  Haïdar-Pacha,  mais  bien  sur 
la  petite  colline  aujourd'hui  couverte  de 
maisons  qui  s'élève  entre  la  voie  ferrée 
et  Kadi-Keuï. 

Si  M.  J.  Miliopoulos  m'objecte  que  l'on 
a  remué  des  ruines  chrétiennes  en  jetant 
les  fondements  de  la  gare,  je  lui  répon- 
drai que,  dans  ces  environs  de  Constan- 
tinople,  où  l'on  a  tant  bâti  et  tant  détruit, 
où  les  édifices  profanes  eux-mêmes  et  les 
habitations  particulières  portaient  cou- 
ramment des  ornementations  d'ordre  reli- 
gieux, où  les  matériaux  de  construction 
ont  vu  changer  vingt  fois  leur  place  et 
leur  destination  première,  la  seule  pré- 
sence de  ruines  chrétiennes,  indéterminées 
et  anonymes,  ne  suffit  pas  à  localiser  un 
monument.  Ceci  est  particulièrement  vrai 
dans  les  cas  où  la  situation  des  ruines 
est  en  contradiction  formelle  avec  les  don- 
nées de  l'histoire,  et  ce  cas-là  est  le  nôtre. 
* 
*  * 

Parlons  maintenant,  si  vous  me  le  per- 
mettez, de  Rufinianes. 

A  la  suite  de  topographes  quelque  peu 
démodés,  M.  J.  Miliopoulos  s'obstine   à 


l'église   SAINTE-EUPHÉMIE    ET    RUFINIANES  A    CHALCÉDOINE 


109 


mettre  ce  faubourg  chalcédonien  au  nord 
de  Kadi-Keuï,  entre  la  gare  de  Haidar- 
Pacha  et  la  caserne  de  Sélimié.  Les  indi- 
cations des  historiens  l'y  autorisent-elles? 
Je  laisse  le  soin  de  répondre  à  ceux  des 
lecteurs  qui  se  rappellent  encore  les 
deux  ou  trois  pauvres  textes  allégués  par 
M.  Miliopoulos  dans  la  dernière  partie  de 
son  article,  et  j'apporte  tout  de  suite  deux 
témoignages  autrement  péremptoires,  au- 
trement probants. 

1°  La  Chronographie  de  Théophane 
mentionne  quelque  part  (i)  les  trois 
localités  maritimes  de  Satyre,  de  Bryas, 
de  Kartalimen.  Le  livre  des  Cérémonies  de 
Constantin  Porphyrogénète  énumère  de 
son  côté  (2)  les  quatre  petits  ports  de 
Satyre,  de  Polyatikon,  de  Rufinianes  et  de 
Hiéria.  Réunis,  ces  deux  textes  prouvent 
que  Hiéria,  Rufinianes,  Polyatikon,  Satyre, 
Bryas  et  Kartalimen  se  trouvaient  éche- 
lonnés à  la  file  sur  une  même  côte. 
Mais  sur  quelle  côte?  La  réponse  n'est 
point  difficile.  Comme,  de  l'aveu  de  tous 
et  de  l'aveu  de  M.  J.  Miliopoulos  lui-même, 
Hiéria  correspond  au  moderne  Phéner- 
Baghtché,  et  Kartalimen  au  moderne 
Cartal,  il  est  bien  évident  que  les  quatre 
échelles  situées  entre  ces  deux  points 
extrêmes  doivent  être  placées  de  toute 
nécessité  sur  la  rive  qui  regarde  les  îles 
des  Princes;  Rufinianes,  la  première  de 
ces  échelles  à  l'est  de  Hiéria  ou  de  Phéner- 
Baghtché,  ne  peut  être  cherchée  ailleurs 
qu'aux  environs  actuels  de  Djadé-Bostan. 

Comment  M.J.  Miliopoulos  échappera- 
t-il  à  cette  conclusion?  Il  dira  que  le  pas- 
sage du  Porphyrogénète  est  fautif,  il  y 
supposera  une  transposition  de  copiste, 
il  y  reléguera  le  nom  de  Rufinianes  après 
celui  de  Hiéria.  Mais  de  quel  droit?  Depuis 
quand,  je  vous  prie,  est-il  permis  en  bonne 
critique  de  porter  la  main  sur  un  texte  qui 
ne  blesse  ni  l'histoire,  ni  la  géographie,  ni 
la  grammaire,  ni  le  bon  sens?  Existe-t-il, 
dites-moi,  des  témoignages  décisifs  qui 
rendent  la  retouche  obligatoire  et  le  chan- 


(i)  Edition  de  Boor,  t.  I",  p.  397,  ligne  5. 
(2)  MiGNE,  P.  G.,  t.  CXH,  col.  937. 


gement  nécessaire?  Le  seul  témoignage 
décisif  qui  existe  est  celui  de  Callinique: 
loin  d'infirmer  la  phrase  du  Porphyrogé- 
nète, il  la  confirme  pleinement. 

2°  Callinique  est  un  moine  de  Rufi- 
nianes qui  a  écrit  à  Rufinianes  et  pour 
les  moines  de  Rufinianes  l'histoire  de 
saint  Hypace.  higoumène  de  Rufinianes. 
Cela  donne  à  penser  qu'il  parle  de  Rufi- 
nianes en  connaissance  de  cause  et  que 
ses  indications  ne  doivent  pas  nous  laisser 
indifférents.  Or,  que  dit-il?  Exactement 
ceci  :  que  son  héros  passant  de  Thrace  en 
Bithynie  vint  débarquer  à  Chalcédoine  et 
qu'il  rencontra  Rufinianes  à  trois  milles  de 
cette  ville,  en  faisant  route  vers  l'Est.  Les 
amateurs  de  grec  demanderont  le  texte 
original  à  la  Vie  de  saint  Hypace,  soit  à  la 
première  édition  donnée  par  les  Bollan- 
distes  dans  leurs  Actes  des  Saints,  t.  IV, 
de  juin,  p.  233,  soit  à  la  seconde,  parue 
à  Leipzig  en  1892,  p.  18.  En  quelque 
langue  d'ailleurs  qu'elle  soit  rapportée, 
l'indication  de  l'hagiographe  n'en  est  ni 
moins  nette  ni  moins  précise  :  Rufinianes, 
cette  localité  maritime  si  fréquemment 
mentionnée  par  les  auteurs  byzantins, 
s'élevait  à  trois  milles  romains  de  Chal- 
cédoine, du  côté  de  l'est.  C'est  donc  en 
face  des  îles  des  Princes,  à  quelques 
minutes  au  delà  du  débarcadère  actuel  de 
Djadé-Bostan,  qu'il  faut  la  placer.  Djadé- 
Bostan,  les  environs  immédiats  de  Djadé- 
Bostan,   voilà,   qu'on  le   veuille  ou  non, 

son  emplacement à  moins  de  changer 

les  quatre  points  cardinaux  et  la  valeur 
des  distances;  à  moins  de  prouver  que 
l'espace  compris  entre  la  gare  de  Haïdar- 
Pacha  et  la  caserne  Sélimié  se  trouve  à 
l'est  de  Chalcédoine  et  à  trois  milles  de  ses 
murs. 

Dans  les  questions  de  topographie,  je 
me  permettrai  cette  remarque  générale 
en  terminant,  il  est  toujours  permis  de 
se  tromper,  et  c'est  là  une  permission 
dont,  pour  ma  part,  j'avoue  avoir  usé 
plus  dune  fois.  Ce  qui  n'est  point  du 
tout  permis,  au  contraire,  c'est  de  fermer 
les  yeux  à  l'évidence  et  de  vouloir  faire 
triompher  sa  manière  de  voir  par  tous  les 


1  lO 


ÉCHOS   d'orient 


moyens.  J'ai  traité,  l'an  dernier,  la  question 
de  Rufinianes  en  m'appuyant  sur  le  texte 
deCallinique,  et  mon  travail,  pour  modeste 
qu'il  fût,  n'a  pas  laissé,  je  le  sais  et  j'en 
ai  la  preuve,  que  d'attirer  l'attention  de 
M.  j.  Miliopoulos.  Pourquoi  donc  M.  j.  Mi- 
liopoulos  feint-il  encore  d'ignorer  ce  texte 
de  Callinique,  si  capital  et  si  péremptoire? 
Est-ce  parce  que  le  témoignage  de  Calli- 
nique réduit  à  néant  ses  plus  chères  idées 
qu'il  lui  est  loisible  de  confisquer  ce  témoi- 
gnage et  de  le  tenir  soigneusement  caché 
à  ses  lecteurs?  Un  lecteur,  quel  qu'il 
soit,  a  toujours  le  droit  de  connaître  la 
vérité,  et  un  écrivain  digne  de  ce  nom  a 
toujours  le  devoir  de  la  donner  entière, 
dût-il  rétracter  pour  cela  les  opinions  qu'il 
a  précédemment  lancées  dans  le  public. 
Ah!  de  grâce,  défendons  nos  vues 
tant  qu'elles  sont  défendables,  mais  ne 
manquons  jamais  d'apporter  dans  nos 
recherches  et  nos  discussions,  à  défaut 
de  science  profonde,  un  peu  de  loyauté 
sincère  et  de  bonne  foi. 

Si  je  ne  tenais,  Monsieur  le   directeur. 


à  ne  pas  abuser  de  la  bienveillante  hospi- 
talité que  vous  m'offrez  dans  vos  colonnes, 
il  me  serait  encore  facile  de  relever  chez 
M.J,  Miliopoulos  nombre  d'autres  erreurs. 
Mais  à  quoi  bon? Je  désirais  surtout  mettre 
en  garde,  par  un  exemple,  contre  les 
affirmations  tranchantes  d'une  topogra- 
phie fortement  risquée,  et  ce  qui  précède 
suffit.  Aussi  bien  vos  lecteurs  concluront 
d'eux-mêmes  que  plusieurs  des  autres 
identifications  proposées  par  l'auteur  au 
cours  de  son  article  ne  peuvent  qu'être 
ruineuses  :  déduites  de  la  place  indûment 
assignée  à  Rufinianes^  elles  s'écroulent 
par  le  fait  même  que  s'écroule  la  malen- 
contreuse identification  qui  leur  sert  de 
base. 

Recevez,  Monsieur  le  directeur,  avec 
mes  remerciements  pour  l'aimable  accueil 
fait  à  ces  lignes  déjà  trop  longues,  l'hom- 
mage de  mon  profond  respect. 

+  J.  Pargoire. 

Kadi-Keui',  le  5  juillet  igoo. 


ORGANISATION  DE  L'ÉGLISE  GRECQUE  ORTHODOXE 

DE    CONSTANTINOPLE 


On  a  souvent  parlé  du  clergé  grec 
orthodoxe,  raconté  les  faits  principaux 
de  sa  vie  extérieure,  et  signalé  les  vices 
de  sa  constitution  hiérarchique,  à  l'occa- 
sion de  conflits  survenus  entre  supérieurs 
et  inférieurs.  Mais  il  est  intéressant  de  se 
rendre  compte,  à  la  lumière  des  docu- 
ments officiels,  des  lois  qui  régissent  les 
diverses  parties  de  cet  organisme  com- 
pliqué. C'est  ce  que  nous  nous  proposons 
de  faire  brièvement  en  étudiant  tour  à 
tour  le  patriarche,  le  saint  synode,  le  Con- 
seil mixte,  les  métropolites,  les  Commis- 
sions, le  clergé  paroissial  et  les  monas- 
tères actuels  :  quelques  statistiques  sou- 


ligneront la   différence  qui  existe    entre 
l'idéal  et  la  réalité  (i). 

I.  Le  patriarche. 

Appelé  à  gouverner  la  Grande  Eglise, 
à  porter  le  glorieux  titre  d'oecuménique, 
à  être  au  point  de  vue  civil  le  trait  d'union 
entre  la  nation  grecque  et  le  gouverne- 

(i)  Sous  le  titre  de  Règlements  généraux  de 
l'Eglise  orthodoxe  en  Turquie,  le  R.  P.  Petit, 
directeur  de  cette  Revue,  a  traduit  dans  la  Revue 
de  l'Orient  chrétien,  t.  111,  p.  393-424,  et  t.  IV, 
p.  227-246,  les  principaux  des  documents  officiels; 
nous  nous  sommes  avant  tout  inspirés  de  son 
travail. 


ORGANISATION    DE    L  EGLISE    GRECQUE    ORTHODOXE  DE    CONSTANTINOPLE 


(  I  I 


ment  turc,  le  futur  patriarche  doit  avoir 
administré  une  métropole  pendant  sept 
ans,  s'être  signalé  par  l'intégrité  de  sa 
vie,  son  respect  des  saints  canons  et  des 
traditions  et  avoir  conquis  l'estime  uni- 
verselle avant  d'aspirer  à  ce  suprême 
honneur. 

Le  trône  œcuménique  vacant,  le  saint 
~  synode,  d'accord  avec  le  Conseil  mixte, 
nomme  un  locum  tenens,  choisi  parmi  les 
métropolites  en  résidence  à  Constanti- 
nople,  fait  un  rapport  à  la  Sublime  Porte 
sur  la  vacance  du  siège  et  sur  la  per- 
sonne du  remplaçant  provisoire,  prépare, 
selon  les  indications  du  gouvernement 
turc,  la  prochaine  élection,  écrit  à  tous 
les  métropolites  soumis  au  Phanar  d'en- 
voyer à  Constantinople,  en  l'espace  de 
quarante  et  un  jours,  sur  un  bulletin 
signé,  le  nom  de  leur  candidat  et  signifie 
aux  habitants  des  éparchies  de  se  choisir 
des  représentants  laïques  pour  la  future 
réunion  électorale. 

Cinq  jours  avant  que  celle-ci  soit  tenue, 
les  synodiques  et  les  métropolites  présents 
dans  la  capitale  réunissent  leurs  bulletins 
de  vote  à  ceux  des  autres  évêques,  le 
locum  tenens  fixe  la  date  des  élections  et 
convoque  tous  ceux  qui  doivent  participer 
à  la  réunion. 

Le  jour  venu,  en  présence  de  tous  les 
électeurs,  le  secrétaire  du  saint  synode 
dépouille  les  bulletins:  on  réunit  les 
noms  de  tous  ceux  qui  ont  reçu  quelques 
voix  aux  noms  proposés  par  les  membres 
laïques  et  agréés  par  l'assemblée  sur  un 
registre  spécial  portant  les  sceaux  du 
locum  tenens,  du  saint  synode  et  du  Con- 
seil mixte,  et  on  communique  ces  résultats 
à  la  Sublime  Porte. 

Le  sultan  raye  les  noms  désagréables 
et  renvoie  le  dossier  dans  les  vingt-quatre 
heures.  Alors  ecclésiastiques  et  laïques 
choisissent  trois  candidats  parmi  les  noms 
qui  restent:  le  vote  est  secret,  tous  les 
membres,  laïques  ou  ecclésiastiques,  ont 
droit  à  une  voix.  Puis,  les  synodiques  se 
réunissent  à  l'église,  la  messe  commence, 
le  Saint-Esprit  est  invoqué,  on  vote  en 
présence  des  électeurs  laïques,  et,  s'il  y  a 


égalité  de  suffrages,    la    voix    du    locum 
tefiens  est  prépondérante. 

Aussitôt  élu,  le  patriarche  se  fait  recon- 
naître par  la  Sublime  Porte. 

Proclamé  au  terme   d'un  vote  à   trois 
degrés,  le  sujet  n'est  pas  dans  la  même 
mesure  l'élu  de  la  nation  grecque.  L'élec- 
tion a  été  surtout  l'œuvre  des  ecclésias- 
tiques au  premier  et  au  troisième  vote:  si 
les  laïques  ont  choisi  des  représentants, 
ces  derniers  n'ont  pris  part  qu'aux  deux 
premiers  scrutins:  le  troisième  n'a  reçu 
que  les  suffrages  des  ecclésiastiques.  De 
plus,  à    la    réunion   électorale,   ce    n'est 
qu'une    élite  du   monde    laïque    qui   est 
convoquée:  trois  des   employés  les  plus 
considérés  du  patriarcat,  dont    le  grand 
logothète;  les   huit    membres    laïques   du 
Conseil  mixte;  huit  fonctionnaires  civils 
ou  militaires:  le  gouverneur  de  Samos  ou 
son   représentant:    quatre    membres  des 
plus    connus    parmi    les    savants;    cinq 
négociants,  un  banquier,  dix  notables  des 
corporations,  deux  délégués  des  paroisses 
de  la    ville   et   du    Bosphore,    vingt-huit 
représentants    des   diocèses   de   Césarée, 
Ephèse,    Héraclée,    Cyzique,    Nicomédie, 
Nicée,    Chalcédoine,    Dercos,    Thessalo- 
nique,      Andrinople,      Amasée,     Janina, 
Brousse,  Monastir,  Bosna,  Rhodes,  Crète, 
Trébizonde,  Philippopoli,  Serrés,  Smyrne, 
Mitylène,  Varna,  Chio,  Uskub,  Pisidie  et 
Néocésarée  (i). 

Ajoutons  que  l'honneur  de  remettre  la 
crosse  au  patriarche  est  réservé  au  métro- 
polite d'Héraclée. 

Chef  spirituel  de  l'orthodoxie,  l'élu, 
avant  de  prendre  des  décisions,  doit  con- 
sulter son  Conseil,  le  saint  synode,  re- 
cruté lui  aussi  d'après  un  système  spécial 
que  nous  allons  étudier. 

II.    Le   SAINT  SYNODE. 

Composée  de  douze  membres,  présidée 
par  le   patriarche,  cette  assemblée    régit 

(ij  C'est  la  liste  des  diocèses  qui  envoient  réel- 
lement aujourd'hui  leurs  délégués;  la  liste  officielle 
et  imprimée  dirtére  quelque  peu  car  on  v  trouve 
les  diocèses  de  Tirnovo,  Larissa,  \'iddin  et  Sofia 
qui  appartiennent,  soit  à  l'Eglise  bulgare,  soit  à 
celle  de  la  Grèce. 


I  12 


ÉCHOS   d'orient 


J'orthodoxie,  veille  à  l'observation  des 
saints  canons,  nomme  les  évêques  et  les 
métropolites,  surveille  les  monastères, 
pourvoit  aux  besoins  de  l'école  théolo- 
gique de  Halki,  prémunit  les  fidèles 
contre  les  propagandes  étrangères,  dé- 
signe les  prédicateurs,  surveille  l'impres- 
sion des  nouveaux  livres  et  tranche  les 
difficultés  rencontrées  par  les  métropo- 
lites dans  leurs  diocèses,  sans  que  ceux-ci 
se  mêlent  de  ce  qui  est  l'attribution  du 
saint  synode. 

Tous  les  métropolites  ont  le  droit  de 
faire  partie,  pendant  deux  ans,  de  ce 
•Conseil  patriarcal,  dont  le  personnel  se 
renouvelle  tous  les  ans  par  moitié  :  le 
patriarche  envoie  à  la  Sublime  Porte  le 
registre  des  évêques  en  permanence  dans 
la  capitale  et  la  liste  de  ceux  qui  en 
sortent. 

Mais,  avant  de  remplir  ce  rôle  de  con- 
seillers, les  titulaires  des  métropoles  nou- 
vellement ordonnés  doivent  rester  cinq 
ans  dans  leur  diocèse  et,  s'il  survient  un 
■déplacement,  trois  ans  dans  le  nouveau 
diocèse  qui  leur  est  assigné.  Convoqués 
par  le  patriarche  à  se  rendre  au  saint 
synode,  ils  n'ont  le  droit  de  refuser  d'obéir 
à  l'appel  que  s'ils  sont  avancés  en  âge. 
Et  comme  leur  séjour. à  Constantinople 
nécessite  des  dépenses  plus  élevées  que 
leur  vie  au  sein  de  leurs  ouailles,  ceux  qui, 
dans  leurs  diocèses,  recevaient  moins  de 
yo  Goo  piastres  (soit  près  de  i  o ooo  francs) 
d'appointements  recevront  un  supplément 
représentant  leurs  frais  exceptionnels. 

Par  suite,  les  fonctions  de  synodiques 
sont  convoitées.  Pour  mettre  un  frein  à 
cette  cupidité  et  permettre  à  tous  les 
métropolites,  leur  tour  venu,  de  participer 
au  gouvernement  de  l'Eglise,  on  les  a 
divisés  en  trois  séries;  trois  mois  avant 
la  fin  de  chaque  année,  le  patriarche,  d'ac- 
cord avec  le  saint  synode,  en  appelle  deux 
de  chaque  série,  le  premier  et  le  dernier 
de  la  liste,  pour  remplacer  les  anciens 
qui  doivent,  sans  délai,  rejoindre  leur 
troupeau.  En  cas  de  décès  de  l'un  des 
synodiques  avant  la  fin  de  son  mandat, 
si  la  mort   survient  la  première  année, 


celui  qui  le  suit  immédiatement  sur  la 
liste  doit  le  remplacer  aussitôt  et  achever 
les  deux  ans;  si  la  mort  arrive  la  se- 
conde année,  les  quelques  mois  qui 
restent  sont  réunis  aux  deux  ans  de  stage 
du  métropolite  qui  suit. 

Toute  décision  prise  à  linsu  et  en 
l'absence  du  patriarche  est  sans  valeur  ; 
mais  cedernier  est  tenu  d'accepter  tous  les 
projets  qui  ont  réuni  la  majorité  des  voix 
du  synode  en  séance  plénière. 

Le  stage  au  Conseil  patriarcal  fini,  les 
métropolites,  pour  demeurer  dans  la 
capitale,  doivent  présenter  des  raisons 
très  graves,  solliciter  la  permission  du 
patriarche  et  des  synodiques,  l'avis  con- 
forme de  la  Sublime  Porte,  et,  dans  ce 
cas,  ils  n'ont  plus  le  droit,  à  moins  d'une 
permission  spéciale,  de  représenter  le 
saint  synode  en  présidant  les  cérémonies 
liturgiques  (i). 

Aux  termes  des   règlements  officiels, 
les  devoirs  des  conseillers  du  patriarche 
sont  nombreux.  Comme  synodiques,  ils 
sont   tenus   de    se    réunir   trois   fois   la 
semaine  et,  après  chaque  séance,  de  trans- 
mettre   à    la    Sublime    Porte    le    compte 
rendu  de  leurs  délibérations  souscrit  par 
eux  et  marqué  du  sceau  à  six  pièces,  dont 
la  garde  est  confiée  aux  six  membres  non 
sortants,   la    clé   restant   aux    mains  du 
patriarche.   Assisté    de  son   Conseil,    ce 
dernier  doit  prendre  l'initiative  de   sou- 
tenir convenablement  les  patriarches  dé- 
posés, les  métropolites    démissionnaires 
et  les  évêques  titulaires.  Quant  aux  mé- 
tropolites qui  donnent  spontanément  leur 
démission,  ils    ont  le  choix  du    lieu  de 
leur  retraite,  au  su  du  patriarche  et  des 
synodiques,  mais  hors  du  diocèse  qu'ils 
avaient  gouverné  auparavant.  Toutefois, 
si  leur  destitution  est  motivée,  le  lieu  de 
leur  résidence  est  déterminé  par  le  chef 
de  la   Grande  Eglise   et   ses    conseillers 


(i)  D'ordinaire,  les  métropolites  ne  peuvent 
rester  à  Constantinople  plus  de  deux  inois  après 
leur  sortie  du  saint  synode.  Si,  avec  une  autori- 
sation spéciale,  ils  prolongent  leur  séjour  dans  la 
capitale,  c'est  à  la  condition  qu'ils  ne  troubleront 
pas  l'Eglise  par  des  agissements  secrets. 


ORGANISATION    DE    L'ÉGLISE   GRECQUE    ORTHODOXE    DE   CONSTANTINOPLE  I  I  } 


dans  le  cas  où  le  motif  de  la  déposition 
serait  canonique,  et  par  le  patriarche  et  la 
Sublime  Porte  dans  le  cas  où  la  raison 
serait  politique. 

Chargés  de  désigner  les  ecclésiastiques 
qui  doivent  faire  partie  de  la  Commission 
ecclésiastique  dont  nous  parlerons  tout  à 
l'heure,  le  patriarche  et  ses  conseillers 
doivent  également  .  veiller  à  ce  qu'une 
pareille  Commission  soit  instituée  dans 
chaque  diocèse,  à  ce  que  les  clercs 
appelés  aux  Ordres  reçoivent  une  éduca- 
tion soignée  à  l'école  théologique,  à  ce 
que  chaque  métropolite  ait  dans  son  dio- 
cèse un  prédicateur  qui  annonce  la  parole 
de  Dieu  sans  se  faire  payer  par  les  fidèles, 
à  ce  que  les  diocèses  les  plus  considé- 
rables possèdent  une  école  dite  hiératique^ 
destinée  à  la  formation  première  des 
futurs  prêtres,  surtout  des  fils  de  popes, 
entretenus  aux  frais  des  fidèles  sous  la 
surveillance  de  l'évêque  et  des  notables 
du  diocèse.  A  ce  sujet,  de  temps  en 
temps,  des  circulaires  sont  envoyées  par 
le  patriarche  à  tous  les  métropolites, 
pour  qu'ils  signalent  au  saint  synode  les 
élèves  les  mieux  doués  de  ces  établisse- 
ments préparatoires  etpourqu'ils  songent, 
de  concert  avec  les  riches  de  leurs  dio- 
cèses qui  devront  subvenir  aux  frais  de 
leur  éducation,  à  les  envoyer  à  l'école 
théologique  de  Halki  (i). 

Tels  sont  les  devoirs  réciproques  des 
synodiques  vis-à-vis  des  métropolites  et 
de  ces  derniers  vis-à-vis  des  synodiques 
et  du  patriarche.  Dans  cette  organisation 
très  complexe  de  la  hiérarchie,  nous 
avons  déjà  remarqué  le  rôle  qui  est  as- 
signé à  l'élément  laïque.  C'est  que,  en  effet, 
au-dessous  du  saint  synode,  il  existe  une 
assemblée  dite  Conseil  mixte  national  per- 
manent, à  la  fois  laïque  et  ecclésiastique, 
dont  nous  allons  préciser  les  attributions. 

111.  Le  Conseil  mixte. 

Composé  de  douze  membres,  dont 
quatre  évêques,  qui  sont  en  même  temps 

(i)  En  fait,  ces  écoles  hiératiques  n'existent  pas, 
sauf  deux  ou  trois  exceptions. 


membres  du  saint  synode,  et  huit  laïques, 
présidé  par  le  patriarche  quand  il  y  a  de 
graves  décisions  à  prendre  et  par  le  mé- 
tropolite le  plus  ancien  en  temps  ordi- 
naire, comprenant  deux  secrétaires  qui 
traduisent  les  actes  de  l'assemblée  en 
grec,  en  turc,  en  bulgare  et  en  français, 
le  Conseil  mixte,  dont  la  durée  de  service 
est  de  deux  ans,  est  renouvelé  par  moitié 
tous  les  ans. 

Voici  comment  se  fait  l'élection  de  ses 
membres.  Pour  le  choix  des  laïques,  au 
jour  fixé,  le  patriarche  avertit  les  habi- 
tants des  42  paroisses  de  Constantinople 
et  du  Bosphore  d'élire,  selon  leur  impor- 
tance, 26  délégués  en  tout;  tous  ces 
délégués,  hommes  honorables,  se  réu- 
nissent au  Phanar  et,  de  concert  avec  les 
synodiques  et  les  membres  du  Conseil 
mixte,  désignent  les  noms  des  candidats; 
à  la  suite  d'un  vote  secret  dans  lequel 
tous  les  électeurs  ont  voix  égale  ;  on  pro- 
clame les  quatre  élus,  on  transcrit  le  procès- 
verbal  de  l'acte  sur  les  registres  réguliers 
du  protocole  et  la  validation  est  pro- 
noncée après  notification  des  résultats  à 
la  Sublime  Porte. 

Pour  les  membres  ecclésiastiques,  le 
choix  est  plus  simple  à  opérer  :  le  saint 
synode  désigne  parmi  ses  membres  ceux 
qui  le  représenteront  au  Conseil  mixte,  et 
le  mandat  de  ces  derniers  dans  cette 
assemblée  a  la  même  durée  que  leur 
mandat  au  saint  synode. 

Agés  de  plus  de  trente  ans,  experts 
dans  les  affaires,  bien  vus  du  gouverne- 
ment ottoman  et  de  la  communauté 
grecque,  les  conseillers,  une  fois  leur 
nomination  acceptée,  ne  doivent  démis- 
sionner avant  l'expiration  des  deux  ans 
que  pour  une  très  grave  raison:  dans  ce 
cas,  la  place  vacante  est  occupée  par  un 
autre,  choisi  par  le  patriarche,  le  saint 
synode,  le  Conseil  mixte  et  agréé  du 
sultan  ;  cet  appel  prématuré  ne  préjudicie 
nullement  à  l'éligibilité  du  sujet  pour  la 
période  suivante. 

Les  membres  laïques,  travaillant  gra- 
tuitement, ne  reçoivent  aucune  rétribu- 
tion. Nul  ne  peut  obtenir  la  permission 


114 


ÉCHOS    d'orient 


de  s'absenter  des  séances  régfuJières  plus 
de  deux  mois,  aucun  ne  peut  le  faire 
plus  d'un  mois  sans  l'autorisation  du 
président;  en  cas  d'infraction  à  ce  règle- 
ment, le  délinquant  est  remplacé  par  un 
autre  sans  l'avis  préalable  de  la  Sublime 
Porte.  Accusé,  le  membre  laïque  est  jugé 
par  le  gouvernement  turc  d'après  le  Code 
pénal,  le  membre  ecclésiastique  par  le 
saint  synode  d'après  les  saints  caftons. 

Réuni  deux  fois  la  semaine  au  Phanar 
sous  la  présidence  d'un  ecclésiastique,  le 
Conseil  examine  toutes  les  questions  dans 
l'ordre  de  leur  inscription  sur  les  re- 
gistres, donnant  cependant  la  priorité 
aux  questions  urgentes,  et  fait  consigner 
au  fur  et  à  mesure  par  un  secrétaire  les 
décisions  prises. 

Veiller  sur  la  marche  des  écoles,  sur  la 
tenue  des  hôpitaux,  des  hospices  et  des 
autres  établissements  de  bienfaisance,  sur 
les  recettes  et  les  dépenses  des  églises 
de  Constantinople,  sur  les  revenus  des 
monastères  soumis  au  Phanar  ;  régler  les 
contestations  qui  surviennent  à  l'occa- 
sion des  testaments  et  des  mariages  et 
toutes  les  questions  non  ecclésiastiques 
que  la  Sublime  Porte  renvoie  au  patriarcat, 
à  l'exception  des  litiges  pour  la  possession 
des  différents  immeubles,  procès  relevant 
directement  des  tribunaux  turcs:  nommer 
les  épitropes  et  les  éphores  chargés  de  la 
direction  des  écoles  et  des  autres  établis- 
sements grecs  ;  examiner  et  approuver 
chaque  année  les  comptes  des  épitropes 
avant  de  les  faire  consigner  dans  un 
registre  spécial:  à  la  fin  de  chaque  année, 
reviser  les  comptes  généraux  devant  les 
nouveaux  membres  réunis  en  séance, 
puis  les  garder  dans  les  archives,  tels 
sont  les  principaux  devoirs  des  conseillers. 

Le  trésorier  et  le  secrétaire  de  l'assem- 
blée ont  des  attributions  délimitées  par 
le  Conseil  après  discussion.  Toute  séance 
où  il  y  a  les  deux  tiers  des  membres  est 
considérée  comme  plénière.  Si  l'impor- 
tance de  la  question  débattue  l'exige,  on 
vote,  et,  en  cas  d'égalité  des  suffrages 
exprimés,  la  voix  du  président  est  pré- 
pondérante. Toutes  les  décisions  écrites, 


souscrites  par  tous  les  membres,  sont 
marquées  du  sceau  à  trois  pièces  au  Con- 
seil mixte,  dont  un  morceau  reste  aux 
mains  des  ecclésiastiques,  tandis  que  les 
deux  autres  sont  détenus  par  les  conseil- 
lers laïques. 

Chargés  de  donner  le  caractère  officiel 
à  tous  les  écrits  épiscopaux  relatifs  aux 
questions  économiques,  de  recueillir  l'ar- 
gent versé  préalablement  à  l'examen  des 
procès,  de  surveiller  la  manière  dont  le 
patriarche  gère  les  biens  de  la  commu- 
nauté grecque,  d'accord  avec  les  métro- 
polites et  les  chefs  spirituels  des  diverses 
Eglises,  les  conseillers,  avertis  par  hasard 
des  désordres  du  saint  clergé  orthodoxe, 
doivent  en  aviser  le  patriarche  et  le  saint 
synode  pour  que  ces  derniers  y  apportent 
un  prompt  remède  (i). 

IV.  Les  métropolites. 

Sujets  turcs,  d'une  conduite  jugée  irré- 
prochable en  tout  temps  et  attestée  par 
des  témoignages  écrits  provenant  des 
lieux  où  ils  ont  séjourné  avant  d'entrer 
au  service  du  patriarche  ou  des  évêques, 
connus  de  l'Eglise  orthodoxe  par  les  cinq 
ans  de  ministère  qu'ils  ont  passés  au 
Phanar  ou  dans  une  métropole ^  arrivés 
à  l'âge  prescrit  par  les  canons,  connais- 
sant les  langues  grecque,  turque  et  slave 
selon  réparchie  à  laquelle  ils  désirent  être 
attachés,  d'une  science  théologiqueattestée 
par  le  diplôme  que  leur  a  décerné  l'Ecole 
théologique  de  Halki  ou,  s'ils  sont  sortis 
d'une  école  étrangère,  le  certificat  d'apti- 
tudes que  leur  délivre  TEcole  de  Halki  après 
un  long  examen,  d'une  intégrité  et  d'une 
vertu  éprouvées,  les  candidats  à  l'épi- 
scopat  sont  choisis  par  le  saint  synode, 
d'accord  avec  le  patriarche,  à  la  majorité 
des  suffrages,  quand  certaines  métropoles 
ont  été  déclarées  vacantes. 

En  réalité,  ce  vote,  où,  comme  de  cou- 


(i)  Cette  surveillance  n'est  pas,  au  reste,  la  sp 
cialité  des  conseillers;  car,  aux   termes  des  règle- 
ments, tout  chrétien  orthodoxe  est  tenu  de  dénoncer 
à  l'autorité  ecclésiastique  les  écarts  de  conduite  du 
clergé  grec. 


ORGANISATION    DE    l'ÉGLISE    GRECQUE   ORTHODOXE    DE   CONSTANTINOPLE  I  I  S 


tume,  Ja  voix  du  patriarche  est  prépon- 
dérante en  cas  d'égalité,  est  double  :  au 
premier  scrutin,  le  chef  de  la  Grande 
Eglise  et  les  synodiques  choisissent  trois 
candidats  parmi  la  multitude  de  ceux  qui 
attendent  cet  ihonneur  ;  au  second  scrutin, 
pendant  une  cérémonie  liturgique,  les 
électeurs  désignent  défmitiviement  le  titu- 
laire de  la  métropole  vacante.  D'ordinaire, 
une  élection  est  le  point  de  départ  d'une 
longue  série  de  promotions  et  de  substi- 
tutions (i). 

Désireux  d'arriver  à  ce  poste,  les  clercs 
pourraient  répandre  de  fausses  nouvelles 
sur  le  décès  des  métropolites.  Pour 
éviter  de  tomber  dans  ce  piège,  le  saint 
synode,  d'après  les  règlements,  ne  doit 
procéder  au  remplacement  des  évéques 
qu'après  avoir  reçu  la  nouvelle  officielle 
de  leur  mort  dans  une  lettre  signée  du 
clergé   et  du  peuple  de  leurs  éparchies. 

Obligés  de  séjourner  dans  leurs  dio- 
cèses, de  les  visiter,  de  ne  pas  faire  gérer 
leurs  affaires  par  les  évêques  titulaires, 
sauf  dans  le  cas  de  maladie,  de  vieillesse 
extrême  ou  d'absence  motivée  à  Constan- 
tinople,  inamovibles  comme  le  patriarche, 
les  métropolites  ne  doivent  être  déplacés 
que  dans  le  cas  de  notoire  inexpérience 
ou  pour  des  causes  purement  canoniques. 
D'autre  part,  à  l'effet  de  remplacer  un 
indigne  ou  un  incapable,  le  saint  synode 
n'a  pas  le  droit  de  contraindre  un  autre 
évêque  à  éctïanger  son  diocèse  pour  un 
autre,  dont  l'administration  lui  répugne. 

En  cas  de  grave  accusation,  le  saint 
synode  fait  le  procès  du  métropolite 
incriminé,  après  avoir  essavé  de  tout 
arranger  à  l'amiable.  Si  les  griefs  sont 
d'ordre  canonique,  l'inculpé  est  cité  au 
Phanar  et  jugé  par  le  saint  synode  seul  : 
si  les  chefs  d'accusation  sont  politiques. 


(i)  Voici  le  procédé  généralement  suivi  :  Un  mé- 
tropolite négligent  ou  de  mœurs  suspeaesprovoque 
les  plaiotes  de  ses  ouailles;  aussitôt,  deux  ou  trois 
autres  évéques,  dont  les  postes  sont  moins  rému- 
nérateurs, font  valoir  les  griefs  des  pieux  ortho- 
doxes ;  le  saint  synode  destitue  ou  plos  générale- 
ment se  contente  de  déplacer  le  n>étFQpDlite 
inculpé  ;  son  successeur  est  rem,placé  par  un  autre, 
lequel  est  remplacé  à  son  tour,  etc.,  etc. 


une  Commission  composée  de  quatre 
métropolites  et  de  quatre  membres  d^ 
Conseil  mixte  étudie  le  dossier,  fait  un 
rapport  à  la  Sublime  Porte,  et  l'accusé, 
condamné  à  subir  des  peines  canoniques, 
est  privé  de  son  titre  si  son  crime  est 
notoire. 

Mais,  si  de  minutieuses  ordonnances 
réglementent  la  vie  du  métropolite, 
d'autres  non  moins  détaillées  déterminent 
les  formalités  à  remplir  après  sa  mont. 
Les  titulaires  des  diocèses  n'ont  pas  le 
droit,  par  testaments,  de  disposer  de 
leurs  biens  propres  :  à  leur  décès,  leur 
fortune  servira  d'abord  à  payer  les  frais 
de  sépulture  et  de  services  funèbres;  le 
reste,  biens  meubles  ou  immeubles,  sera 
divisé  en  trois  parts  égales. 

La  première  servira  à  doter  la  métro- 
pole d'une  somme  pouvant  suffire  à 
l'achat  des  biens  immeubles  dont  les 
revenus  seront  perçus  jusqu'à  concur- 
rence des  émoluments  que  la  métropole 
fournissait  à  l'évêque.  A  cette  date,  le 
tiers  des  revenus  servira  aux  établisse- 
ments publics  du  diocèse. 

La  deuxième  partie  revient  aux  héritiers 
du  défunt. 

Du  troisième  lot,  une  moitié  sera  donnée 
aux  établissements  nationaux  de  bienfai- 
sance de  Constantinople  ;  la  deuxième 
moitié  servira  à  l'achat  de  biens  immeubles 
pour  le  patriarcat  œcuménique;  les  re- 
venus seront  perçus  par  le  Phanar  jus- 
qu'à concurrence  de  la  somme  que  le 
métropolite  défunt  devait  au  patriarcat: 
le  recouvrement  effectué,  les  revenus 
continueront  à  être  versés  aux  établisse- 
ments nationaux  de  bienfaisance. 

Tel  est,  dans  les  cas  ordinaires,  le  pro- 
cédé suivi.  Mais  si  le  défunt  avait  une 
fortune  qui  lui  était  échue  par  voie  d'hé- 
ritage, la  casuistique  phanariote  fait  une 
distinction.  S'il  y  a  un  testament  qui 
règle  l'emploi  de  ces  biens  pour  l'avenir, 
le  patriarcat  le  respecte  et  les  biens  seront 
affectés  aux  héritiers  désignés;  mais,  s'il 
n'y  a  pas  de  testament,  cette  fortune  sera 
répartie  comme  îl  vient  d'être  dit  dans  k 
cas  précédent  :  règlement  qui  s'appHqoe 


ii6 


ÉCHOS   d'orient 


également  aux  patriarches  et  à  tous  les 
évêques;  mais,  pour  éviter  un  conflit  juri- 
dique avec  les  lois  turques,  on  se  con- 
forme aux  dispositions  de  ces  dernières, 
relatives  aux  immeubles  et  aux  terrains 
vakoufs. 

Dès  lors,  pour  que  la  mort  d'un  chef 
hiérarchique  ne  puisse  pas  exciter  cer- 
taines convoitises,  aussitôt  que  le  métro- 
polite a  cessé  de  vivre,  quatre  laïques 
des  plus  honorables  du  diocèse  et  quatre 
ecclésiastiques  font  l'inventaire  de  la  for- 
tune laissée  par  le  défunt,  la  gardent  sous 


scellés,  avertissent  le  patriarcat  et  s'oc- 
cupent des  frais  de  sépulture  et  des  hono- 
raires de  messes  pour  le  mort. 

La  vie  des  évêques  grecs  examinée 
depuis  leur  sacre  jusqu'à  leur  décès,  des- 
cendons un  degré  de  la  hiérarchie  pour 
étudier  les  relations  entre  les  chefs  spiri- 
tuels de  la  Grande  Eglise  et  la  population 
des  monastères. 


{A  suivre.) 


Constantinople. 


E.   MONTMASSON. 


RAPPROCHEMENT 

ENTRE  LE  PATRIARCAT  ŒCUMÉNIQUE 

ET  L'EXARCHAT  BULGARE 


Depuis  bientôt  quatre  mois,  on  parle 
beaucoup,  dans  les  milieux  grecs  et  bul- 
gares, d'un  rapprochement  prochain  entre 
la  Grande  Eglise  et  l'Exarchat  bulgare, 
c'est-à-dire  de  la  cessation  d'un  schisme 
qui  divise  ces  deux  Eglises  orthodoxes 
depuis  environ  quarante  ans.  Nous  allons, 
à  notre  tour,  nous  en  occuper  dans  cette 
Chronique  en  parlant  successivement  des 
premiers  pourparlers  relatifs  à  cet  accord 
futur,  puis  du  mode  de  solution  du  litige 
proposé  par  l'exarque  bulgare,  ensuite 
du  mode  de  solution  imaginé  par  le 
patriarche  œcuménique,  et  enfin  de  cer- 
taines difficultés  imprévues  qui  retardent 
la  conclusion  de  cet  accord. 

I.  —  Les  premiers  pourparlers. 

Le  7  novembre  dernier,  l'ambassadeur 
de  Russie  à  Constantinople,  M.  Tcharikof, 
accompagné  de  son  premier  secrétaire, 
fait  une  visite  au  patriarche  œcuménique, 
au  cours  de  laquelle,  après  lui  avoir  parlé 
du  très  vif  intérêt  qu'il  prend  aux  affaires 


du  Phanar  et  des  autres  patriarcats,  il  lui 
conseille  instamment  de  régler  d'une 
façon  ou  d'une  autre  le  différend  qui 
a  causé  le  schisme  entre  les  deux  Eglises 
orthodoxes,  grecque  et  bulgare. 

Huit  jours  après,  le  15  novembre,  au 
saint  synode  grec,  le  patriarche  Joachim  111 
parle  des  efforts  faits  en  vue  d'un  rappro- 
chement entre  Grecs  et  Bulgares  par  une 
grande  nation  orthodoxe.  D'un  autre  côté, 
constatant  des  efforts  semblables  faits 
dans  le  |même  but  par  les  Bulgares,  il 
conclut  que  le  temps  est  venu  de  combler 
le  fossé  qui  sépare  ces  deux  Eglises  et 
d'unir  tous  les  peuples  orthodoxes 
d'Orient. 

Les  synodiques  souscrivent  à  cette  pro- 
position. Mais,  très  logiquement,  ils  con- 
cluent que,  pour  que  cette  entente  soit 
possible .  sur  le  terrain  ecclésiastique,  il 
faut  au  préalable,  comme  conditioti  essen- 
tielle, supprimer  les  causes  qui  ont  amené 
le  schisme. 

Cette  décision  du  saint  synode  est  très 
commentée  dans  les  milieux  phanariotes. 


RAPPROCHEMENT    ENTRE    LE    PATRIARCAT    ŒCUMÉNIQUE    ET    L'EXARCHAT   BULGARE       II 7 


m 

m 


On  cherche  quelles  sont  précisément  les 
conditions  qu'on  va  poser  à  l'Exarchat 
bulgare  avant  d'accepter  un  rapproche- 
ment quelconque  avec  lui.  Certains 
pensent  qu'on  lui  demandera  simplement 
un  exposé  écrit  de  ses  desiderata  et  de 
ses  propositions. 

En  tout  cas,  le  principe  du  rapproche- 
ment est  accepté  au  Phanar.  C'est  le  pre- 
mier pas  vers  l'union  de  la  part  des 
Grecs. 

Du  reste,  pour  arriver  au  but,  ils  n'ont 
qu'à  faire  mi-chemin.  Voici,  en  effet,  que 
les  Bulgares  viennent  à  eux.  Mais  de 
même  qu'au  Phanar  la  première  idée  de 
l'entente  a  été  émise  par  un  laïque,  l'am- 
bassadeur de  Russie,  de  même,  avant 
de  causer  directement  avec  le  Phanar, 
l'exarque  bulgare  se  fait  représenter  par 
un  laïque. 

En  effet,  le  i8  novembre,  le  député 
bulgare  de  Monastir  au  Parlement  otto- 
man, M.  Pantché  Doreff,  accompagné  de 
ses  collègues,  les  députés  grecs  Bousios, 
Honaios,  Ch.  Bambacas  et  D.  Dingas, 
visite  le  patriarche  œcuménique,  s'entre- 
tient longuement  avec  lui  de  l'union  pro- 
jetée, affirme  à  Sa  Toute  Sainteté  Joa- 
chim  III  qu'en  Bulgarie  et  à  l'Exarchat 
bulgare  des  négociations  sont  entamées 
dans  ce  but  et  déclare  habilement  que  les 
Bulgares  de  Macédoine  et  le  peuple  bul- 
gare tout  entier  partagent  ses  propres 
sentiments,  considèrent  la  Grande  Eglise 
comme  l'Eglise-mère  et  qu'ils  rêvent  la 
fin  du  schisme. 

Emu  sans  doute  par  ces  déclarations, 
le  patriarche  œcuménique  répond  que  la 
Grande  Eglise  a  toujours  désiré  mettre 
n  au  schisme.  Mais,  en  homme  avisé,  il 
(demande  à  l'Eglise  bulgare,  c'est-à-dire 
à  l'Exarchat,  de  lui  adresser  par  écrit  ses 
desiderata  et  ses  propositions  en  vue  de 
l'extinction  du  schisme. 

Le  délégué  laïque  convient  de  la  néces- 
sité de  cet  exposé  écrit,  et,  au  moment 
où  il  prend  congé  de  Joachim  111,  il  entend 
de  la  bouche  de  ce  dernier  ces  réconfor- 
tantes paroles  : 

Dans  notre  entrevue,  je  vois  les  arrhes 


de  la  prochaine  union  du  patriarcat  œcu- 
ménique avec  l'Eglise  bulgare. 

Le  lendemain,  dans  certaines  conversa- 
tions entre  ecclésiastiques  phanariotes, 
l'importance  de  cette  entrevue  est  souli- 
gnée. Seuls,  les  synodiques,  toujours 
défiants,  persistent  à  poser  des  condi- 
tions. Deux  surtout  sont  précisées  : 
1°  l'entente  entre  les  deux  Eglises  n'est 
possible  que  si  l'on  supprime  les  causes 
qui  ont  produit  le  schisme  ;  2»  il  faut  faire 
de  l'Exarchat  bulgare  le  prolongement 
du  Phanar. 

En  réalité,  les  conditions  sur  lesquelles 
il  s'agit  de  s'entendre  avant  de  signer  un 
accord  sont  plus  complexes  que  ne 
semblent  le  dire  les  synodiques  du  Pha- 
nar. Pour  nous  en  faire  une  idée  exacte, 
demandons  d'abord  à  l'exarque  bulgare 
comment  il  envisage  la  solution  du  diffé- 
rend. 

II.  —  Mode  de  solution  du  litige  proposé 

PAR    l'exarque    bulgare. 

Ces  questions  à  poser  à  l'exarque  bul- 
gare, un  rédacteur  du  journal  grec,  la 
Proodos,  les  lui  a  faites  le  19  novembre. 
Nous  n'avons  donc,  pour  nous  renseigner 
à  ce  sujet,  qu'à  rapporter  les  réponses 
données  au  journaliste  par  ce  haut  digni- 
taire ecclésiastique. 

La  conversation,  avant  de  porter  sur 
des  points  précis,  a  d'abord  trait  à  l'idée 
même  du  rapprochement  : 

—  Comment,  Béatitude,  dit  le  journa- 
liste, envisagez-vous  aujourd'hui  l'accord 
entre  le  patriarcat  et  l'exarchat? 

—  Cette  entente,  pour  laquelle  je  n'ai 
jamais  cessé  de  nourrir  des  espérances,  est 
désirée  de  tous  et  certainement  elle  rem- 
plira de  joie  tous  ceux  qui  travaillent  aux 
intérêts  des  deux  nations.  La  nouvelle 
situation  politique  nous  impose  aussi  ce 
rapprochement  pour  notre  propre  progrès 
et  pour  celui  de  la  Jeune-Turquie,  qui, 
débarrassée  des  entraves  de  l'absolutisme, 
attend  de  ses  enfants  la  concorde  et  l'union. 
C'est  pourquoi  j'ai  entendu  prononcer  le 
mot  d'accord  avec  joie  et  je  poursuivrai 


iï8 


ECHOS    D  ORIENT 


toute  démarche  qui  tendra  à  cette  union 
désirable  entre  le  patriarcat  et  nous. 

L'entretien  une  fois  engagé,  le  journa- 
liste,  précisant  ses  questions,  demande  : 

—  Comment  comprenez-vous  l'entente? 

—  La  question  est  assez  délicate  et 
appelle  quelques  réserves  parce  que  certains 
pourraient  exploiter  mes  réponses  en  vue 
de  leurs  desseins  particuliers;  cependant, 
je  n'hésite  pas  à  répondre  que  je  conçois 
l'accord  dans  le  domaine  de  la  juridiction 
des  deux  Eglises,  c'est-à-dire  sur  le  terrain 
purement  ecclésiastique.  Il  y  a  entre  nous 
un  différend  ecclésiastique  et  il  s'agit  de  le 
trancher. 

—  Que  pensez-vous  de  la  réception  faite 
hier  à  M.  Doreff  ,par  Sa  Toute  Sainteté? 

—  J'en  ai  lu  aujourd'hui  le  compte  rendu 
dans  la  Prooû?05,  et  j'avoue  ne  pouvoir  rien 
désirer  de  mieux. 

Puis  l'exarque  explique  finement  que 
celte  entrevue  n'a  pas  eu  seulement  le 
caractère  d'une  visite  de  politesse  à  Joa- 
chim  III,  car  M.  Doreff  étant  membre  du 
Conseil  national  de  l'Exarchat,  sa  démarche 
constitue,  de  la  part  de  cet  Exarchat,  le 
premier  pas  vers  la  réconciliation.  Au 
reste,  comme  les  députés  bulgares  et 
grecs  ont  parlé  entre  eux  de  cette  ques- 
tion à  la  Chambre  des  députés  ottomane, 
de  ce  fait,  des  efforts  en  vue  du  rappro- 
chement se  font  sur  le  terrain  politique 
en  même  temps  que  dans  le  domaine 
religieux. 

Enfin,  supplié  une  seconde  fois  d'expri- 
mer sa  pensée  au  sujet  des  conditions 
dans  lesquelles  se  fera  l'accord,  l'exarque 
fait  ces  déclarations  : 

La  condition  la  plus  importante  et  la  plus 
sérieuse  de  ce  rapprochement,  c'est  la  bonne 
volonté.  Si  celle-là  existe,  tout  va  bien.  Je 
veux  croire  que  cette  bonne  volonté  existe 
aussi  bien  de  votre  côté  que  du  nôtre,  et 
que,  dès  lors,  on  trouvera  le  modus  vivendi 
cherché. 

—  Avant-hier,  au  saint  synode  patriarcal, 
on  a  parlé  de  cette  question,  et  les  vénérables 
synodiques  ont  déclaré  que,  pour  mettre 
fin  au  schisme  conformément  aux  saints 
canons  de  l'Eglise,  il  fallait  au  préalable 


que   l'exarchat    exprimât    ses    regrets  au 
patriarcat. 

—  Lorsque  la  bonne  volonté  existe,  tout 
s'aplanit.  Si  nous  voulons  mettre  en  avant 
des  théories  juridiques  ou  dogmatiques, 
jamais  nous  n'aboutirons  à  un  résultat.  Il 
faut  nous  persuader  que  la  sincérité  et  la 
bonne  volonté,  —  j'insiste,  vous  le  voyez, 
sur  ce  mot  —  existent,  et  que,  dès  lors,  tout 
ira  bien.  Quant  aux  saints  canons,  je  ferai 
seulement  observer  qu'ils  constituent  les 
lois  administratives  d'après  lesquelles  on 
gouverne  l'Eglise.  Puisque  ces  lois  visaient 
d'autres  époques  passées  et  qu'elles  s'adres- 
saient à  la  société  de  ces  temps-là,  leur  appli- 
cation serait  aujourd'hui  quelque  peu  dif- 
ficile. 

Sur  cette  question,  j'estime  que  le  pa- 
triarcat ou  plutôt  l'Eglise  doit  modifier  sa 
politique  et  sa  manière  de  voir. 

Là-dessus,  le  journaliste  perspicace  fait 
une  objection  à  l'exarque. 

Vous  allez,  lui  dit-il,  réunir  deux  natio- 
nalités dans  la  même  organisation  ecclé- 
siastique. Mais,  inévitablement,  de  part  et 
d'autre,  le  chauvinisme  éclatera  et  il  en 
résultera  des  divergences  nées  de  l'esprit 
de  parti.  Du  reste,  les  saints  canons  ne 
condamnent-ils  pas  ces  divergences  de 
nationalité? 

L'exarque  repren<i  : 

—  Sans  doute  les  saints  canons  pou- 
vaient renfermer  de  pareilles  défenses,  car, 
à  l'époque  où  ils  furent  rédigés,  le  chauvi- 
nisme ne  divisait  pas  les  Qrthodoxes.  Au- 
jourd'hui,les  conditions  sont  autres.  Chaque 
nation  et  chaque  race  pourra  prier  dans  sa 
langue  et  avoir  son  église.  En  refusant  d'ad- 
mettre cette  vérité,  nous  ne  servirions  pas 
nos  intérêts.  Je  veux  donc  un  accord  basé 
sur  le  fait  de  notre  existence  comme  nation. 

—  Alors,  qu'arrivera-t-il  aux  métropolites 
grecs  et  bulgares  qui  ont  leur  siège  dans 
les  mêmes  villes? 

—  Une  fois  l'accord  des  deux  Eglises 
survenu,  notre  autorité  spirituelle  la  plus 
élevée  sera  le  patriarcat.  Dans  ce  cas,  l'exar- 
chat cessera  d'être  l'autorité  spirituelle  la 
plus  élevée  des  Bulgares,  il  constituera  une 
simple  section  du  patriarcat  et  s'occupera 
uniquement  des  affaires  intéressant  les  Bul- 
gares orthodoxes.  L'exarque  demeurera  à 
Constantinople,    non    plus    indépendant 


RAPPROCHEMENT    ENTRE    LE    PATRIARCAT    ŒCUMÉNIQUE    ET    L'EXARCHAT    BULGARE       1  I9 


comme  aujourd'hui,  mais,  comme  je  l'ai 
dit,  sous  la  suzeraineté  du  patriarcat.  Dans 
les  villes  où  il  y  a  deux  métropolites  ortho- 
doxes, celui-là  restera  qui  a  sous  sa  juri- 
diction la  plus  grande  partie  de  la  popula- 
tion. Pour  la  partie  la  plus  faible,  il  y  aura 
un  archimandrite  qui  reconnaîtra  le  métro- 
polite pour  supérieur.  Ce  dernier,  toutefois, 
ne  se  mêlera  pas  des  affaires  intérieures  de 
cette  petite  communauté.  Une  semblable 
organisation  se  voit  déjà  à  Uskub,  où  il  y 
a  une  communauté  grecque  indépendante 
et  ne  reconnaissant  pour  supérieur,  selon 
les  conventions,  que  le  métropolite  serbe. 
En  résumé,  l'entente  se  fera  sur  la  base 
d'un  firman  (i  i  que  le  patriarcat  a  reconnu 
en  partie  et  dans  lequel  on  introduira  quel- 
ques modifications.  Rien  de  plus  simple 
que  cela  quand  la  bonne  volonté  existe. 
Quant  à  la  population  (de  5o ooo  Bulgares 
patriarcaux  et  de  5o  000  Serbes  )  au  sujet  de 
laquelle  il  y  a  contestation  entre  le  patriar- 
cat et  l'exarchat,  elle  sera  convoquée  pour 
déclarer  librement  de  quel  chef  hiérarchique 
elle  désire  relever,  et  conformément  à  ces 
déclarations  de  la  population,  les  métro- 
poles seront  déclarées  grecques  ou  bulgares. 

Ces  nombreux  renseignements  reçus, 
le  journaliste  pouvait  s'estimer  suffisam- 
ment renseigné  sur  les  conditions  dans 
lesquelles  l'exarque  comptait  accepter  le 
rapprochement  et  se  retirer  pouraller  inter- 
roger à  son  tour  le  patriarche  Joachim  sur 
le  même  sujet.  Nous  aussi,  après  l'avoir 
suivi  à  l'exarchat,  nous  le  suivrons  au  Pha- 
nar,  afin  de  comparer  les  deux  sons  de 
cloche. 

111.  —  Mode  de  solution  du  litige 

PROPOSÉ    PAR    le    PATRIARCHE    ŒCUMÉNIQUE. 

Voici  les  déclarations  que,  le  24  no- 
vembre dernier,  le  patriarche  Joachim  III 
a  faites  au  rédacteur  de  la  Proodos  : 

Durant  ces  derniers  jours,  on  a  beaucoup 
parlé  des  efforts  faits  à  la  fois  par  la  nation 
grecque  et  par  la  nation  bulgare  en  vue  de 
quelque  réconciliation  et  de  quelque  rap- 
prochement. 

(1)  C'est  le  firman  constitutif  de  l'exarchat  bul- 
gare du  22  mars  1870,  que  les  Echos  d'Orient,  nov. 
1910,  p.  356,  ont  reproduit. 


Ce  qu'on  a  rapporté,  commenté,  et  ce 
que  beaucoup  ont  écrit  au  sujet  de  l'entente 
amicale  des  deux  nations,  qui  reposerait, 
d'après  les  uns,  sur  la  cessation  du  schisme, 
et,  d'après  d'autres,  sur  d'autres  bases,  est 
de  part  et  d'autre  inexact.  La  vérité,  qui 
n'aura  pas  besoin  de  démenti,  est  que  ces 
deux  nations  qui  se  sont  heurtées  en  Tur- 
quie d'Europe,  il  y  a  près  de  cinquante  ans, 
ont  senti  la  nécessité,  non  de  se  faire  la 
guerre,  mais  de  s'entendre  sur  un  nouveau 
terrain  politique,  depuis  qiie,  par  la  grâce 
de  Dieu,  le  gouvernement  constitutionnel 
s'est  élevé  sur  les  ruines  de  la  tyrannie,  et 
de  travailler  de  concert,  avec  tous  leurs 
compatriotes,  à  la  consolidation  de  l'égalité 
politique,  de  l'égalité  devant  la  loi  et  de  la 
justice. 

Un  tel  rapprochement  et  une  telle  en- 
tente entre  les  deux  nations  doivent  être 
désirés  par  le  gouvernement  impérial  lui- 
même.  Cette  union  une  fois  accomplie 
n'exclut  pas  le  rapprochement  de  l'Eglise 
de  Constantinople  et  de  l'Eglise  bulgare 
sur  le  terrain  des  saints  canons  ecclé- 
siastiques   en  vue  de  la  cessation   du 

schisme. 

Du  reste,  tout  chrétien,  à  quelque  Eglise 
qu'il  appartienne,  doit  désirer  cette  récon- 
ciliation de  tous  les  orthodoxes  basée  sur 
ce  qui  a  été  fixé  par  les  traditions  historiques, 
ecclésiastiques  et  sacrées. 

Comme  confirmation  de  ce  que  j'ai  dit, 
je  vous  rapporte  que,  dans  l'entrevue  que 
j'ai  eue  récemment  avec  le  grand  vizir, 
quand  il  a  été  question  de  trancher  le  diffé- 
rend survenu  au  sujet  de  la  possession  des 
églises.  Son  Altesse,  me  parlant  avec  une 
franchise  vraiment  amicale,  a  exprimé  le 
vœu  que  le  patriarcat  consente  à  satisfaire 
quelques-uns  des  désirs  des  autres  nations 
chrétiennes  en  désaccord  avec  lui.  Sans 
s'immiscer  dans  les  attributions  du  patriar- 
cat, le  gouvernement  considérera  cette 
conduite  comme  très  utile  aux  intérêts  de 
l'Etat. 

Le  patriarcat  œcuménique,  prêtant  une 
oreille  bienveillante  à  ces  conseils  en  vue 
de  l'entente,  ne  peut  pas  néanmoins  fermer 
les  yeux  sur  sa  situation  canonique  qui  date 
de  tant  de  siècles  :  il  doit  sans  doute  satis- 
faire les  désirs  sincères  et  dégagés  de  toute 
préoccupation  terrestre  des  chrétiens,  ses 
fidèles  ;  mais  il  doit  également  garder  intact 
le  dépôt  sacré  dont  Dieu  la  établi  gardien. 


120 


ECHOS    D  ORIENT 


A  ces  déclarations  du  patriarche  œcu- 
ménique, il  faut,  pour  se  faire  une  idée 
nette  de  son  mode  de  solution  jusqu'ici 
assez  imprécis,  joindre  les  explications 
qu'il  a  données  le  26  novembre  à  M.  Naou- 
mof,  correspondant  du  Préporeti  de 
Sofia,  dans  une  audience  qu'il  lui  a 
accordée. 

Après  avoir  résumé  à  grands  traits  les 
origines  historiques  du  schisme,  Sa  Toute 
Sainteté  déclare  : 

La  faute  a  été  que  le  différend  (qui  aurait 
dû  rester  exclusivement  politique)  a  été 
porté  sur  le  terrain  ecclésiastique.  Dans  ce 
conflit,  les  Bulgares  avaient  l'appui  de  la 
Russie.  Alors  est  née  chez  les  Grecs  la  per- 
suasion que  le  slavisme  menaçait  l'exis- 
tence de  l'hellénisme,  et  chez  les  Bulgares 
la  conviction  que  nous  les  persécutions  et 
les  trahissions. 

—  Les  prétextes  de  ce  conflit,  Toute  Sain- 
teté, reposaient  sur  ce  fait  qu'on  ne  per- 
mettait pas  aux  Bulgares  de  prier  dans  leur 
langue  et  que,  sous  les  noms  de  patriarcat 
et  d'exarchat,  les  Eglises  étaient  purement 
nationales. 

—  Cela  est  vrai.  Le  patriarcat  ne  voulait 
pas  deux  nationalités  dans  sa  hiérarchie  et 
refusait  d'agréer  la  constitution  d'un  synode 
et  d'un  Conseil  mixte  composé,  à  nombre 
égal,  de  Grecs  et  de  Bulgares.  Cependant, 
dans  le  clergé  patriarcal,  il  y  eut  toujours 
des  métropolites  bulgares,  et  même  un  pa- 
triarche, comme  Raphaël. 

—  Mais  toujours  des  métropolites  et  un 
patriarche  hellénisés 

—  Oui,  ils  étaient  toujours  hellénisés, 
mais  il  n'est  pas  vrai  que  le  patriarcat 
tyrannisait  les  Bulgares.  Le  patriarcat 
n'avait  pas  deux  administrations,  l'une 
pour  les  Grecs  et  l'autre  pour  les  Bulgares. 
L'administration  était  toujours  la  même 
pour  tous.  La  bonne  ou  la  mauvaise  admi- 
nistration dans  les  éparchies  dépendait  du 
métropolite.  S'il  était  bon,  comme  à  Sofia, 
les  hommes  l'aimaient  et  les  aff'aires  allaient 
à  souhait.  Quand  il  était  mauvais,  comme 
à  Tirnovo,  les  aff'aires  allaient  mal.  Jamais 
la  mauvaise  administration  n'a  été  le  fait 
du  patriarcat.  Mais  il  y  a  encore  une  autre 
explication  de  ce  fait.  Dans  les  éparchies 
grecques,  les  métropolites  ne  pouvaient  pas 
se  livrer  à  des  actes  arbitraires,  parce  que 


la  population,  plus  éveillée  et  mieux  édu- 
quée,  s'y  opposait;  tandis  que  les  Bulgares, 
plus  simples  et  plus  timides,  n'osaient  pas 
refréner  l'arbitraire  du  métropolite. 

—  Que  faut-il ,  Toute  Sainteté,  pour 
rétablir  dans  l'avenir  les  relations  ami- 
cales? 

—  Il  faut  que  les  influences  étrangères 
nous  laissent  tranquilles.  Il  nous  faut  vivre 
dans  la  charité  et  dans  la  concorde,  de  ma- 
nière à  profiter  de  la  liberté  constitutionnelle 
pour  nous  développer  dans  la  paix.  Il  y  a  ici 
deux  autorités  spirituelles,  le  patriarcat  et 
l'exarchat.  Il  faut  que,  des  deux  côtés,  on 
donne  des  conseils  par  l'organe  de  quelques 
particuliers  en  vue  d'une  entente  et  d'un 
accord  consentis  de  part  et  d'autre.  Les 
Bulgares  désirent  rester  Bulgares.  Ils  ont 
leurs  églises  et  leurs  écoles.  Personne  ne 
peut  les  leur  enlever.  Ce  sont  leurs  droits, 
de  même  que  les  Grecs  ont  les  leurs.  Il 
n'existe  pas  (là)  de  sujet  de  dissension. 

Avant  tout,  il  faut  faire  régler  la  question 
des  églises  par  la  population.  Cette  solution 
de  la  question  aura  une  grande  importance 
pour  le  rapprochement  qui  suivra.  Sur  cette 
question,  j'ai  consulté  des  Européens,  cano- 
nistes  distingués,  qui  m'ont  assuré  que, 
sans  prendre  en  considération  la  question  du 
schisme,  nous  pouvions  résoudre  laquestion 
à  l'amiable  par  un  compromis  accepté  de 
part  et  d'autre. 

—  Comment  pensez-vous.  Toute  Sain- 
teté, faire  résoudre  la  question  par  la  popu- 
lation? 

—  Je  n'ai  pas  encore  réfléchi  sur  le  côté 
pratique  de  la  question,  mais  je  vous  dirai 
ceci  :  il  faut  que  dans  les  villages  helléno- 
manes  —  comme  vous  les  appelez  —  la 
population,  libre  de  toute  influence  exté- 
rieure, se  réunisse  pour  dire,  selon  sa  con- 
science, sous  la  juridiction  de  qui  elle  entend 
demeurer,  du  patriarcat  ou  de  l'exarchat. 
Puisqu'une  Commission  mixte,  composée 
de  Grecs  et  de  Bulgares,  prenant  en  consi- 
dération le  nombre  d'adhérents  de  chaque 
parti,  décide  auquel  desdeux  revientl'église. 
Le  parti  le  moins  nombreux  sollicitera  du 
gouvernement  un  secours  pécunaire  pour 

la  construction  d'une  nouvelle  église Il 

y  a  aussi  un  autre  mode  de  solution 

—  Le  système  de  roulement?  (la  célé- 
bration de  la  messe  à  tour  de  rôle). 

—  Non.  Cela  s'est  produit  dans  certains 
villages,  mais  il   faut  y   renoncer,  parce 


RAPPROCHEMENT    ENTRE    LE    PATRIARCAT    ŒCUMÉNIQUE    ET    L  EXARCHAT    BULGARE       121 


que  cela  rappelle  le  schisme,  il  faut  savoir 
que  j'étais  opposé  à  la  proclamation  du 
schisme. 

—  Il  existe  un  autre  procédé,  mais  il  me 
paraît  plus  difficile  à  pratiquer.  Dans  les 
églises,  on  célébrerait  la  messe  dans  les 
deux  langues  et.  dans  les  écoles,  on  ensei- 
gnerait également  les  deux  langues  concur- 
remment avec  le  turc.  Toutefois,  ce  n'est 
là  que  mon  opinion  personnelle,  ce  n'est 
pas  celle  du  patriarcat.  Si  la  question  est 
discutée  au  synode,  peut-être  trouvera-t-on 
une  autre  solution. 

—  Mais,  permettez-moi.  Toute  Sainteté, 
de  vous  demander  si  cette  population  hel- 
lénomane  est  affranchie  de  toute  crainte, 
et  peut  se  jeter  ainsi  dans  le  sein  de 
l'Exarchat. 

—  Certainement.  Je  pense  qu'il  y  a  encore 
à  craindre  du  côté  de  la  Bulgarie.  Et  de 
nouveau  je  redis  :  la  solution  de  cette  ques- 
tion par  une  commune  entente  sera  d'un 
grand  poids  pour  la  réconciliation  qui 
suivra. 

Telle  est  ma  solution  de  la  question  de 
la  réconciliation,  solution  que  j'appellerai 
politique,  parce  qu'elle  a  trait  aux  relations 
politiques  des  deux  nations  qui  ont  à  dé- 
fendre les  mêmes  droits. 

Quant  à  l'autre  aspect  de  la  question,  le 
point  de  vue  canofiique.  c'est-à-dire  les 
relations  entre  le  patriarcat  et  l'exarchat, 
la  situation  des  Grecs  en  Bulgarie,  etc.,  je 
le  considère  comme  un  peu  plus  difficile 
à  trancher  pour  le  moment,  mais,  avec  de 
la  bonne  volonté,  le  premier  rapprochement 
opéré  sur  le  terrain  politique  facilitera  la 
solution  de  cette  question. 

Ainsi  parla  le  patriarche  œcuménique. 
Entre  ses  explications  et  celles  données 
par  l'exarque  bulgare,  notons  trois  points 
de  ressemblance  :  i»  tous  les  deux  font 
passer  la  solution  de  la  question  politique 
avant  la  solution  de  la  question  canonique: 
2'^  tous  les  deux  estiment  que  la  première 
solution  facilitera  singulièrement  la  se- 
conde: 3"  tous  les  deux  comptent  avant 
tout  sur  la  bonne  volonté  de  la  part  des 
Grecs  et  de  la  part  des  Bulgares. 

^  Malgré  cette  bonne  volonté,  quelques 
difficultés  ont  surgi,  qu'il  nous  reste  à 
exposer. 


IV.  —  Difficultés  imprévues 

QUI  RETARDENT  LA  CONCLUSION  DE  l' ACCORD. 

En  effet,  tandis  que,  à  l'exarchat  bulgare, 
on  décide,  le  29  novembre,  de  faciliter 
l'entente  politique  en  évitant  de  mettre  sur 
le  tapis  la  question  canonique  et  d'en- 
joindre aux  métropolites  bulgares  de  Macé- 
doine de  ne  pgs  accepter  les  églises  et  les 
écoles  contestées  que  leur  ont  accordées 
les  autorités  turques  avant  de  s'être  enten- 
dues sur  cette  question  avec  la  population 
grecque  de  ces  diocèses,  voici  que  les 
Serbes  troublent  les  préparatifs  de  l'en- 
tente cordiale. 

Ces  orthodoxes,  Slaves  il  est  vrai,  mais 
reconnaissant  en  Turquie  le  Phanar  comme 
suprême  autorité  religieuse,  ont  peur  que, 
par  cette  union  avec  l'exarchat  bulgare,  le 
patriarche  grec  sacrifie  leurs  intérêts  à  ceux 
des  Bulgares.  Ceux-ci,  à  leur  tour,  sont 
inquiets,  car  ils  sont  jaloux  des  quelques 
concessions  faites  par  le  Phanar  aux  Serbes, 
et  ils  voudraient  bien  occuper  eux-mêmes, 
au  nom  des  Slaves,  les  deux  métropoles 
d'Uskub  et  de  Prizrend,  détenues  jusqu'ici 
par  deux  titulaires  serbes,  ainsi  que  la 
métropole  de  Dibra  où  Tannée  dernière  un 
autre  Serbe,  M^'f"  Barnabe,  fut  donné  comme 
auxiliaire  au  métropolite  grec.  On  attend 
donc  que  les  Serbes  et  les  Bulgares  signent 
de  concert  un  compromis  à  ce  sujet,  avant 
de  poursuivre  les  négociations  relatives 
à  l'entente.  Le  compromis  n'est  pas  près 
d'être  conclu,  et  le  30  novembre/ 13  dé- 
cembre 19 10,  fête  de  la  Saint-André,  con- 
sidéré comme  le  fondateur  de  l'Eglise  de 
Byzance,  on  remarqua  pour  la  première 
fois  l'absence  de  l'ambassadeur  serbe  à 
cette  cérémonie. 

A  ce  premier  obstacle  joignons-en  un 
autre,  la  légèreté  imprudente  avec  laquelle 
les  chefs  hiérarchiques  des  Eglises  grecque 
et  bulgare,  en  multipliant  leurs  déclara- 
tions aux  journalistes  de  la  capitale,  ont 
ressuscité  de  vieilles  querelles.  C'est  pour- 
quoi, si  l'on  en  croit  la  Proodos  du 
14  décembre,  qui,  elle-même,  se  fonde  sur 
les  télégrammes  d'un  journal  bulgare,  les 
membres  du  Conseil  mixte  du  Phanar  et 


122 


ECHOS   D  ORIENT 


les  députés  grecs  et  bulgares  delà  Chambre 
ottomane  donnent  aux  chefs  hiérarchiques 
des  deux  Eglises  le  conseil  de  s'abstenir 
pendant  qtielqiie  temps  de  faire  des  déclara- 
tions aux  journalistes  de  Consiantinople. 
Ils  en  donnent  les  raisons  suivantes  : 

I»  Ces  déclarations  rappellent  à  la  popu- 
lation qu'il  y  a  des  divergences  canoniques, 
causes  du  schisme  entre  les  deux  Eglises. 

2°  M  en  résulte  des  discussions  qui  dégé- 
nèrent en  querelles  et  peuvent  compro- 
mettre l'accord  sur  le  terrain  politique, 
prélude  de  l'accord  sur  le  terrain  cano- 
nique. 

y  II  est  donc  opportun  de  laisser  de 
côté  pour  le  moment  les  questions  qui 
ont  simplement  trait  au  droit  canonique. 

Ces  raisons  ne  manquent  pas  de  jus- 
tesse. L'heure  est  critique,  en  effet, car  les 
Serbes  ne  s'opposent  pas  seuls  à  l'alliance 
gréco-bulgare.  Voici  que  les  jeunes-Turcs 
leur  tendent  la  main,  opposant  coalition  à 
coalition  et  manifestant  leur  sympathie  aux 
Serbes  par  la  protection  spéciale  qu'ils 
leur  accordent  en  Macédoine. 

D'où  leur  vient  cette  attitude?  Sim- 
plement de  ce  fait  que,  en  hommes  clair- 
voyants, ils  voient  la  Grèce  se  dresser 
derrière  les  Grecs  ottomans,  la  Bulgarie 
derrière  les  Bulgares  de  Turquie,  et 
l'alliance  politique  des  deux  royaumes 
grec  et  bulgare  se  nouer  contre  eux  avec 
l'appui  des  Grecs  et  des  Bulgares  de  Tur- 
quie. Comme  ils  ne  manquent  pas  de 
perspicacité,  les  Jeunes-Turcs  entrevoient 
aussi  dans  les  coulisses  du  théâtre  le  grand 
acteur  russe,  découvert  maladroitement 
dès  le  premier  jour  par  le  patriarche 
Joachim  III. 

Cependant,  les  pourparlers  entre  Bul- 
gares et  Grecs  se  poursuivent  activement  : 
laïques  et  ecclésiastiques,  remplis  du 
même  zèle,  travaillent  à  la  fois  et  arrivent 


à  une  entente  provisoire:  les  laïques,  sur 
la  question  de  la  collaboration  des  députés 
grecs  et  bulgares  dans  les  négociations; 
les  ecclésiastiques,  sur  la  question  des 
rapports  entre  le  Phanar  et  l'exarchat, d'une 
part,  et  la  Sublime  Porte,  de  l'autre. 

Cette  dernière  question,  en  effet,  mé- 
rite d'être  discutée  avec  le  gouvernement 
ottoman,  car  elle  se  présente  sous  les  deux 
formes  distinctes  suivantes  : 

1°  Comment  le  ministère  de  la  Guerre 
entend-il,  désorm.ais,  solutionner  les  négo- 
ciations entamées  entre  lui  et  les  Eglises 
orthodoxes  à  propos  de  certaines  réclama- 
tions relatives  au  service  militaire  obliga- 
toire pour  tous  les  sujets  ottomans? 

2°  Comment  le  ministère  de  l'Instruc- 
tion publique  accueillera-t-il  les  nom- 
breuses observations  qui  lui  ont  été  adres- 
sées par  le  Phanar  au  sujet  des  matières 
à  enseigner  dans  toutes  les  écoles  chré- 
tiennes, soumises  au  gouvernement  otto- 
man? 

C'est  en  vue  d'obtenir  une  réponse  fa- 
vorable à  ces  diverses  requêtes  que  le 
Kapoukéhahia  de  l'exarchat  bulgare  visite 
le  patriarcat  grec,  que  le  Kapoukéhahia  du 
Phanar  rend  la  visite  à  l'exarchat  bulgare; 
que  de  part  et  d'autre  on  cause  avec  les 
ministres  turcs  de  la  Guerre  et  de  l'In- 
struction publique,  tandis  que,  gravement, 
dans  la  solennité  de  ses  réunions  syno- 
dales, le  haut  Conseil  ecclésiastique  de  Sa 
Toute  Sainteté  Joachim  111  envisage  au 
point  de  vue  canonique  la  possibilité  de 
l'union  projetée  entre  les  deux  Eglises. 

Le  succès  de  ces  négociations  n'est  pas 
impossible,  les  amères  déceptions  ne  le 
sont  pas  non  plus.  Attendons,  pour  nous 
prononcer,  que  le  lent  travail  de  la  diplo- 
matie à  la  fois  politique  et  ecclésiastique 
présente  à  notre  examen  critique  des  ré- 
sultats précis.  G.  Bartas. 


BIBLIOGRAPHIE 


A  Camerlynck,  Cotnmentarius  in  Episto- 
las  catholicas.  Bruges.  Ch.  Beyaert, 
5«  édition.  in-S"  de  279  pages.  Prix  : 
3  fr.  5o. 

Ce  commentaire  latin  sur  les  «  Epitres 
catholiques  »  publié  par  M.  Camerlynck, 
professeur  au  Grand  Séminaire  de  Bruges, 
-st  une  refonte  de  l'œuvre  de  M.  Van  Steen- 
:iste.  La  clarté  dans  l'exposé  des  opinions 
jt  la  richesse  de  la  documentation  sont  les 
qualités  qui,  dans  cet  ouvrage,  frappent  en 
.^remier  lieu  le  lecteur.  Pour  ma  part,  je 
ilicite  particulièrement  l'auteur  de  la  har- 
diesse de  bon  aloi  avec  laquelle  il  prend 
riarti  pour  une  opinion,  quand  plusieurs 
>ont  probables,  et  de  l'heureuse  idée  qu'il 
a  eue  de  mettre  à  côté  des  mots  latins  et 
grecs  les  mots  correspondants  flamands, 
français  et  anglais  qui  en  facilitent  l'intel- 
ligence. 

Mais,  si  certaines  questions  discutées  sont 
bien  résolues,  on  regrette  que,  sur  certains 
autres  points,  l'auteur  n'ait  fait  que  repro- 
duire la  pensée  de  ses  devanciers.  Ainsi, 
p.  21,  2(j,  après  avoir  bien  établi  que  les 
Frères  du  Seigneur  ne  sont  pas  des  frères 
utérins  de  Jésus,  ce  qui  est  le  côté  négatif 
Je  la  thèse,  il  ne  fait,  pour  la  question  des 
degrés  de  parenté  de  ces  Frères  du  Sei- 
j;neur,  côté  positif  de  la  thèse,  que  se  ranger 
aux  conclusions  probables  du  P.  Durand 
[Revue  biblique,  1908,  p.  84  s.  .  Ailleurs, 
les  conclusions  tirées  dépassent  la  portée 
des  prémisses.  Ainsi,  p.  90,  de  ce  que  la 
F  Pétri  fait  allusion  à  une  violente  persé- 
cution, il  ne  résulte  pas  nécessairement 
qu'elle  ait  été  composée  entre  les  années  63 
et  65;  car,  si  cette  persécution,  commencée 
en  63-64.  "^  firiit  qu'en  67,  l'Epître  a  pu 
être  composée  en  66,  aussi  bien  qu'en  65  ou 
en  63-64.  ^^  même,  p.  221,  du  texte  de  la 
/*  Joannis,  III,  8  :  In  hoc  apparuii  Filius 
Dei,  ut  dissolvat  opéra  diaboli,  il  est  exa- 
^^éré  de  conclure  avec  saint  Augustin  et 
saint  Thomas:  sans  le  péché  d'Adam,  le 
Christ  ne  se  serait  pas  incarné.  En  effet,  le 
texte  ne  saurait  infirmer  l'opinion  contraire 
de  Scot,  car  il  ne  porte  pas  :  el;  toSto  jtôvov 
ifxv£;tô6r,  =/n  hoc  tantum  apparuii,  mais 


simplement  :  t'A  touto  èiavîiwOy,  ^=  In  hoc 
apparuit;  d'où  l'on  doit  conclure:  i"  en 
fait,  c'est  bien  à  cause  du  péché  d'Adam 
qu'a  eu  lieu  l'Incarnation  ;  2"  mais,  en  droit, 
il  n'est  pas  prouvé  qu'elle  ne  se  fût  pas  pro- 
duite, sans  l'existence  de  ce  péché,  uni- 
quement pour  la  perfection  de  l'univers. 
A  ces  observations  sur  les  conclusions  de 
l'auteur,  j'ajoute  que  les  formes  verbales 
contemplât,  contemplavit  (p.  44 1  ne  sont  pas 
latines,  par  suite,  doivent  être  remplacées 
par  contemplatur,  contemplatus  est,  et  que 
le  mot  impudicitœ  est  sans  doute  pour 
impudicitiœ  (p.  266':  fautes  d'impression 
ou  d'inattention  que  corrigera  sans  doute 
la  sixième  édition  de  cet  ouvrage. 

E.   MONTMASSON. 

A.  Camerlynck,  Commentarius  in  Actus 
Apostolorum.  Bruges,  Ch.  Beyaert.  1910, 
6^  édition,  in-S"  de  448  pages.  Prix  : 
5  francs. 

Refonte  complète  du  Commentaire  de 
M .  Van  Steenkiste  sur  les  A  ctes  des  apôtres, 
cet  ouvrage  de  M.  A.  Camerlynck,  écrit  tout 
entier  en  latin,  se  distingue  à  la  fois  par  la 
clarté  et  l'élégance  de  l'exposition,  par  la 
critique  sérieuse  des  opinions  relatives  à 
l'origine  des  Actes,  et,  généralement  aussi, 
par  l'exactitude  dans  l'explication  détaillée 
du  texte  grec  et  latin.  On  peut,  notamment, 
présenter  comme  des  modèles  du  genre  la_ 
démonstration  de  l'authenticité  du  livre 
et  l'exposé  de  la  situation  politico-religieuse 
des  Juifs  à  l'époque  des  apôtres  i  p.  25, 67-83  ). 

Avant  de  faire  à  l'auteur  quelques  obser- 
vations sur  le  fond,  je  lui  signalerai  quel- 
ques fautes  typographiques  d'accentuation 
grecque  et  une  faute  de  latin  que  la  septième 
édition  du  livre  pourra  corriger.  P.  216:  à 
la  place  de  TaTrs-.vw'j:;.  il  taut  zxT.tivioc.^ . 
p.  3oi  :  Ir^-rr^aiç  est  pOUr  ^f,T-/,it;:  p.  35 1  : 
ês^ioiz  doit  être  corrigé  par  soYaorta  ;  p.  425  : 
Tw  àv£{jt.(.>  est  mis  pour  zw  àvéaw;  enfin 
p.  442  :  testimonio  amitiœ  est  mis  pour  tes- 
timonio  amicitiœ. 

Passant  maintenant  à  la  discussion  des 
opinions  émises,  je  demanderai  à  l'auteur 
pourquoi,  à  la  page  200,  il  se  montre  si  ré- 


124 


ECHOS    D  ORIENT 


serve  quand  il  s'agit  de  choisir  entre  les 
diversesopinions tendant  à  concilier  Actes, 
VII,  55,  et  Gen.  xxxiii,  19,  et  xxiii,8,  19.  La 
question  débattue  est  celle-ci  :  comment 
saint  Etienne,  rempli  du  Saint-P2sprit,  a- 
t-il  pu  dire  dans  son  discours  devant  le  San- 
hédrin: «  Nos  pères  ont  été  déposés  dans 
le  sépulcre  acheté  par  Abraham,  à  prix 
d'argent,  aux  fils  d'Hémor,  fils  de  Sichem  », 
alors  que,  d'après  la  Genèse,  c'est  Jacob  et 
non  Abraham  qui  a  acheté  ce  tombeau? 

N'est-il  pas  aisé  de  répondre  :  l'essentiel 
du  discours  de  saint  Etienne  n'est  pas  de 
rapporter  ce  détail  sans  importance,  et,  par 
suite,  quand  le  Saint-Esprit  inspire  saint 
Luc  dans  la  citation  de  ce  fait,  c'est  sim- 
plement pour  attester  que  ce  détail,  vrai  ou 
faux,  a  été  fidèlement  rapporté  par  l'auteur 
sacré?  Ainsi  ce  qui  est  inspiré,  c'est  l'inser- 
tion, non  le  fait.  11  faut,  de  toute  nécessité, 
se  ranger  à  cette  opinion  si  l'on  ne  veut 
pas  se  heurter  à  bien  d'autres  difficultés  de 
ce  genre.  Du  reste,  l'auteur  de  cet  ouvrage 
en  convient  timidement,  p.  207,  suivant 
en  cela  les  principes  d'interprétation  for- 
mulés par  le  R.  P.  Pesch. 

En  second  lieu ,  M .  Camerlynck  est-il  bien 
sûr  de  ce  qu'il  écrit,  quand  (p.  333)  il  affirme 
que  ceux  qui  écoutèrent  sérieusement  saint 
Paul  à  Athènes  étaient  des  stoïciens  et  que 
ceux  qui  s'en  moquèrent  étaient  des  épicu- 
riens? Ce  sont  là  de  simples  conjectures 
qui  ne  reposent  nullement  sur  le  texte 
sacré. 

De  même,  l'auteur  ne  peut  pas  être  sûr  de 
ce  qu'il  avance,  p.  426,  quand  il  explique 
longuement  l'expression  :  accingentes  na- 
veni,  du  chapitre  xxvii,  17,  en  se  servant  des 
termes  mêmes  employés  par  les  marins  mo- 
dernes, parce  qu'il  ignore  dans  quelle 
mesure  les  bateaux  du  temps  de  saint  Luc 
ressemblaient  aux  nôtres. 

Si  j'attire  l'attention  de  l'auteur  sur  ces 
minuties,  ce  n'est  pas  pour  en  exagérer 
l'importance.  Mais  j'estime  qu'il  est  bon, 
en  exégèse,  quand  on  donne  une  explication 
dont  le  caractère  est  hypothétique,  de  tou- 
jours présenter  cette  explication  comme 
telle.  C'est,  du  reste,  la  règle  à  laquelle  se 
conforme  d'ordinaire  M.  Camerlynck,  et 
c'est  pourquoi  ce  volume  a  une  réelle 
valeur  scientifique,  sans  cesser  cependant 
d'être  un  manuel  de  vulgarisation  à  l'usage 
des  Grands  Séminaires. 

E.   MONTMASSON. 


R.  Pary,  La  fin  du  monde  est  proche, 
démonstration  de  cette  vérité  par  des 
témoignages  tirés  de  la  Sainte  Ecri- 
ture, etc.  Saint-Brieuc,  R.  Prud'homme, 
in-8°,  297  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

Démontrer  que  la  fin  du  monde  est  proche 
est  une  tâche  difficile  devant  laquelle  bon 
nombre  de  théologiens  et  d'exégètes  au- 
raient reculé.  M.  Pary  a  eu  le  courage  d'es- 
sayer, en  s'appuyant  sur  des  témoignages 
tirés  de  la  Sainte  Ecriture,  des  Pères  de 
l'Eglise,  des  docteurs  du  moyen  âge,  de  la 
vie  des  saints,  de  la  liturgie,  des  apparitions 
de  la  Sainte  Vierge,  des  actes  des  Souverains 
Pontifes,  des  autorités  contemporaines  et  de 
diverses  observations  sur  les  temps  présents. 
Nous  ne  pensons  pas  qu'il  ait  réussi. 

Nous  ferons  d'abord  à  l'auteur  quelques 
observations  de  détail  avant  de  lui  dire 
notre  opinion  sur  l'essentiel  de  sa  thèse. 

i"  Il  est  arbitraire  d'appliquer  à  l'histoire 
de  l'humanité  morte,  puis  régénérée,  le 
miracle  de  la  résurrection  de  Lazare  après 
un  séjour  de  quatre  jours  dans  le  tombeau 
(p.  53,  54);  2"  la  croyance  à  la  durée  du 
monde  de  six  mille  ans  repose  sur  une 
hypothèse  qui,  bien  que  basée  sur  une  tra- 
dition juive  ancienne,  n'a  été  jusqu'ici  ni 
vérifiéeni  vérifiable(p.  53,54);  3"  l'insertion 
dans  le  bréviaire  par  l'Eglise  d'un  passage 
des  homélies  de  saint  Léon  le  Grand  et  de 
saint  Grégoire  le  Grand  relatif  à  la  fin  des 
temps  ne  prouve  pas  plus  l'approche  de 
cette  fin  que  l'insertion  dans  le  bréviaire 
d'une  foule  de  légendes  de  saints  ne  prouve 
la  certitude  historique  des  faits  racontés 
(p.  65);  4"  de  ce  que,  à  la  Salette,  la  Sainte 
Vierge  a  fait  connaître  à  deux  enfants  une 
grande  nouvelle  qu'ils  doivent  publier 
dans  le  monde  entier,  et  du  fait  «  qu'elle 
ne  peut  pas  retenir  le  bras  de  son  Fils  »,  il 
résulte  bien  qu'un  grand  châtiment  va  punir 
le  monde  coupable,  mais  il  ne  s'ensuit  pas 
nécessairement  que  ce  malheur  soit  l'un  de 
ceux  qui  précéderont  la  fin  du  monde 
(  p.  1 22)  ;  5°  de  ce  que  la  première  apparition 
de  la  Sainte  Vierge  à  Lourdes  survint«  après 
une  période  de  douze  fois  douze  jours  dans 
la  douzième  année  qui  suivit  l'apparition 
de  la  Salette  »,  et  du  fait  que  cette  appari- 
tion eut  lieu  «  le  soir»,  il  ne  résulte  pas  que 
les  événements  annoncés  soient  ceux  qui 
précéderont  la  fin  du  monde.  Le  prétendre, 
c'est  donner  à  l'exégèse  rabbinique  basée  sur 


BIBLIOGRAPHIE 


125 


les  nombres  une  importance  qu'elle  n'a  pas 
p.  127). 

Passons  à  l'essentiel  de  la  thèse.  L'auteur 
a  raisonné  ainsi.  Dire  que  la  fin  du  monde 
est  proche,  c'est  parler  d'une  proximité 
relative  à  la  durée  totale  du  monde  (p.  14). 
Or,  le  monde,  d'après  une  tradition  rab- 
binique  admise,  du  reste,  par  quelques 
Pères,  doit  durer  six  mille  ans,  dont  quatre 
mille  ans  avant  le  Christ  et  deux  mille  ans 
après.  Du  reste,  les  calamités  physiques  et 
morales  qui  affligent  maintenant  l'huma- 
nité sont  d'une  nature  telle  que.  à  n'en 
pas  douter,  elles  ont  les  caractères  des 
grands  malheurs,  prodromes  de  la  fin  des 
temps.  Nous  voilà  donc  très  près  de  cette 
fin!  Conclusion  exagérée  d'un  argument 
doublement  fautif  que  l'on  peut  ainsi  rétor- 
quer :  I'  l'opinion  rabbinique,  d'après  la- 
quelle le  monde  doit  durer  six  mille  ans, 
est  une  simple  hypothèse,  d'ailleurs  con- 
traire à  l'histoire  pour  la  période  antérieure 
à  Jésus-Christ  ;  donc  il  est  peu  probable  que 
nous  soyons  arrivés  à  la  fin  des  temps;  2"  il 
n'est  pas  démontré  que  les  fléaux  qui  boule- 
versent le  monde  à  l'heure  actuelle  soient 
plus  grands  que  ceux  qui  ont  provoqué  les 
terreurs  de  l'humanité  à  d'autres  époques. 
M.  Pary  n'a  qu'à  lire  les  Pères  de  l'Eglise, 
à  commencer  par  les  Pères  apostoliques,  et 
surtout  les  chroniqueurs  byzantins,  pour 
s'en  rendre  compte. 

Si  ces  pages  n'ont  pas  prouvé  la  thèse  de 
l'auteur,  du  moins  elles  ont  le  mérite  de 
présenter  l'historique  de  la  question  à  tra- 
vers les  âges;  c'est  surtout  à  ce  point  de 
vue  qu'elles  sont  intétessantes. 

E.   MONT.MASSON. 

J.  Ebersolt  :  Le  grand  palais  de  Constan- 
tinople  et  le  Livre  des  Cérémonies.  Paris, 
E.  Leroux,  1910,  in-8°  de  xv-237  pages, 
avec  un  plan  hors  texte  dressé  par 
M.  Thiers. 

Dans  l'avant-propos  qu'il  a  rédigé  pour 
ce  volume.  M,  Diehl  a  loué  avec  raison  la 
méthode  employée  par  xM.  Ebersolt  et  qui 
Jistingue  son  travail  de  ceux  de  Labarte, 
Paspatès,  Bjeljaev  et  von  Reber.  «  En 
entreprenant,  dit-il,  de  restituer  la  demeure 
des  empereurs  de  Constantinople,  il  a  mis 
à  la  base  de  son  travail  un  principe:  le 
principe  chronologique.  Grâce  à  cette 
méthode  ingénieuse  et  nouvelle,  il  a  étudié 


et  classé,  selon  l'ordre  historique  où  ils  se 
succédèrent,  les  divers  groupes  d'édifices 
dont  s'accrut  au  cours  des  siècles  le  Palais- 
Sacré,  et,  dans  la  confusion  et  l'obscurité 
des  textes,  il  a  pu,  grâce  à  ce  fil  d'Ariane, 
se  reconnaître  et  suivre  une  voie  nette  et 
fermement  tracée.  -»  M .  Strzygowski  a 
déjà  fait  remarquer,  5)-;^. Zez?5c/[r(/if(  19 10), 
p.  65o,  que  la  méthode  n'était  pas  nouvelle 
et  qu'elle  avait  été  inaugurée  par  Unger 
dans  son  grand  travail  sur  l'art  chrétien  et 
byzantin,  enfoui  dans  l'Encyclopédie  de 
Ersch  et  Gruber.  Le  mérite  de  M.  Ebersolt 

—  et  il  n'est  pas  mince,  —  c'est,  puisqu'il 
ignorait  l'étude  d'Unger,  d'avoir  relu  tous 
les  textes,  de  les  avoir  confrontés,  groupés 
et  critiqués,  bref  d'avoir  refait  en  grande 
partie  un  travail  déjà  fait.  Il  y  a  ajouté 
l'étude  sur  place,  menée  de  concert  avec 
un  architecte,  ce  qui  lui  a  permis  de  dresser 
un  plan  et  de  localiser  bon  nombred'annexes 
du  Palais-Sacré  tout  autrement  que  Labarte 
et  ses  imitateurs. 

On  n'attend  pas  de  moi  que  je  discute 
ici,  point  par  point,  toutes  les  conclusions 
de  l'auteur  et  que  j'indique  en  quoi  elles 
concordent  avec  celles  de  ses  devanciers, 
en  quoi  aussi  elles  en  diffèrent.  Pareille 
énumération  et  surtout  pareille  critique 
seraient  mal  à  l'aise  dans  l'espace  réservé 
à  un  simple  compte  rendu.  Voici  tout  de 
même  la  liste  complète  des  sujets  traités. 
Rien  n'est  plus  capable  de  faire  deviner  la 
somme  des  recherches  consacrées  à  la  res- 
titution aussi  exacte  que  possible  de  ce 
fameux  palais  qui,  de  Constantin  aux 
Comnènes,  semblait  vraiment  le  cœur  et 
la  tête  de  l'empire,  l.  Les  abords  du 
palais.   —   11.  La  Chalcé.  Les  Noumera, 

—  III.  Les  quartiers  des  scholaires,  des 
excubiteurs  et  des  candidats.  —  IV.  L'église 
du  Seigneur,  le  Consistoire  et  l'Onopo- 
dion.  —  V.  Le  palais  de  Daphné.  —  VI. 
Le  Triclinos  et  le  tribunal  des  Dix-neufs 
lits.  Le  Delphax.  —  VIL  La  iMagnaure  et 
ses  abords.  —  VI 11.  Le  Chrysotriclinos  et 
ses  dépendances.  —  IX.  Le  Lausiacos,  le 
Justinianos  et  les  Skyla.  —  X.  Les  phiales 
des  deux  factions.  —  XL  L'église  de  la 
Vierge-du-Phare.  —  XII.  Le  Triconque  et 
ses  dépendances.  —  XIII.  La  situation  du 
Triconque.  L'Abside.  Les  passages  du 
Seigneur  et  des  Quarante-Saints.  —  XIV. 
Les  constructions  de  Basile  I".  —  XV. 
L'église  de  Saint-Démétrius.  —  XVI.  Le 


126 


ECHOS    D  ORIENT 


port  et  le  palais  du  Boucoléon.  La  Porphvra. 
Le  Mouchroutas.  XVII.  —  Les  entrées  et 
les  limites  du  palais.  La  Thermastra.  — 
XVIII.  Les  aspects  du  palais.  —  XIX.  Le 
palais  et  le  L  ivre  des  Cérémonies .  Deux  excel- 
lents index,  l'un  français,  l'autre  grec,  per- 
mettent au  chercheur  de  retrouver  tout  de 
suite  les  nombreux  monuments  profanes  ou 
ecclésiastiques  dont  il  est  traité  dans  cet 
ouvrage,  tandis  qu'une  liste  numérotée  des 
monuments  sert  de  clé  au  plan  qui  accom- 
pagne le  volume. 

Livre  qui  ne  laisse  pas  grand'chose  à 
désirer,  comme  on  le  voit,  au  point  de  vue 
de  l'ordre,  de  la  clarté,  des  recherches 
méthodiques.  Les  ouvrages  dépouillés,  sur- 
tout les  textes  originaux, sont  innombrables 
et  figurent  tous  au  bas  des  pages,  à  l'appui 
de  ce  qui  est  avancé  dans  le  texte.  Ce  que 
j'ai  goûté  par-dessus  tout,  c'est  l'introduc- 
tion et  le  chapitre  XIX  dans  lesquels  M.  Eber- 
solt  indique  avec  une  précision  inimitable 
les  parties  datées  par  d'autres  que  lui  du 
Livre  des  Cérémonies  et  celles  fort  nom- 
breuses assurément,  que  sa  méthode  histo- 
rique lui  a  permis  de  dater.  Quelques  petites 
remarques  pour  terminer.  On  dit  plutôt 
monothélite  que  monothélète,  p.  i5.  Théo- 
phile voulant  punir  les  meurtriers  de  son 
père,  p.  72,  note  4;  de  qui  s'agit-il,  le  père 
de  cet  empereur  n'ayant  pas  été  tué  ?  Ce  n'est 
pas  au  Lausiacos,  p.  98,  mais  au  Chryso- 
triclinos  que  Théophile  eut  sa  discussion 
avec  les  deux  frères  Grapti  et  qu'il  les  fit 
battre  de  verges,  ainsi  que  l'a  raconté  une 
des  deux  victimes,  saint  Théodore,  dans 
une  lettre  conservée  (Migne,  P.  G.,  t.  CXVI, 
col.  672).  Ce  document,  consulté,  aurait 
pu  fournir  d'autres  renseignements  utiles 
sur  le  palais. 

S.  Vailhé. 

J.  Ebersolt  :  Sainte-Sophie  de  Constanti- 
nople.  Etude  de  topographie  d'après  les 
cérémonies.  Paris,  E.  Leroux,  1910,  in-8" 
de  iv-38  pages  avec  un  plan .  Prix  :  4  francs. 

L'auteur,  qui  est  resté  une  année  entière 
à  Constantinople  pour  étudier  sur  place  les 
principaux  monuments  byzantins,  a  eu 
l'excellente  idée  de  résumer  les  résultats  de 
sa  brochure,  très  nourrie  de  textes  et  d'ob- 
servations topographiques  et,  par  suite,  un 
peu  difficile  à  suivre.  Je  les  reproduis  textuel- 
lement. 


«  1"  L'horologion  était  situé  à  l'angle 
Sud-Ouest  de  l'église; 

»  2"  Parmi  les  portiques  qui  entouraient 
l'atrium,  l'un,  le  portique  méridional,  avait 
un  passage,  l'Athyr,  donnant  accès  à  la 
cour  qui  précédait  l'église; 

»  3"  Les  quatre  piliers  de  la  façade  Ouest 
ne  sont  pas  primitifs.  Au  milieu  de  cette 
façade  se  trouvait  la  Belle  Porte,  qui  était 
le  grand  portail  d'entrée  de  l'église; 

»  4''  Le  patriarcat  attenant  à  Sainte-Sophie 
était  situé  sur  le  côté  méridional  ; 

»  S"  L'empereur  accédait  aux  tribunes 
par  un  escalier  en  bois  qui  conduisait  aux 
galeries  méridionales,  par  un  escalier  en 
colimaçon  situé  derrière  l'abside  et  par  un 
autre  escalier  en  colimaçon  situé  près  du 
puits  sacré  et  donnant  accès  à  l'extrémité 
orientale  de  la  galerie  méridionale.  Il  exis- 
tait, en  outre,  un  escalier  près  du  minaret 
Sud-Ouest  ; 

»  6"  Sur  les  trois  façades  Nord,  Sud  et  Est, 
des  portiques  bordaient  l'édifice; 

»  7"  Une  église  consacrée  à  saint  Nicolas 
s'élevait  à  l'est  de  Sainte-Sophie; 

»  8"  Près  du  skevophylakion  se  trouvait 
une  autre  église  sous  le  vocable  de  saint 
Pierre  ; 

»  9"  Outre  le  baptistère  qui  subsiste  à 
l'angle  Sud-Ouest,  il  existait  sur  le  côté  Nord 
un  grand  baptistère.  Cet  édifice  ne  semble 
pas  pouvoir  être  identifié  avec  la  rotonde 
qui  se  dresse  à  l'angle  Nord-Est.  Cette 
rotonde  serait  plutôt  l'ancien  skevophyla- 
kion. » 

Toutes  ces  conclusions  ne  sont  pas 
neuves,  et  celles  qui  n'étaient  pas  encore 
connues  ne  sont  peut-être  pas  toutes  à  l'abri 
de  reproches.  Néanmoins  M.  Ebersolt  a  eu 
le  grand  avantage  d'avoir  vu  les  lieux  et, 
textes  en  main,  de  les  avoir  étudiés  lon- 
guement, ensuite  d'avoir  bâti  un  système, 
cohérent.  Si  mince  que  soit  la  brochure, 
elle  abonde  en  textes  byzantins  au  bas  des 
pages,  ce  qui  permet  toujours  de  contrôler 
les  dires  de  l'auteur  et,  s'il  y  a  lieu,  de  les 
rectifier.  Le  reproche  que  je  lui  fais,  c'est 
d'avoir  commencé  trop  ex  abrupto  et, 
sans  nous  avoir  parlé  du  monument  lui- 
même,  de  discuter  immédiatement  sur  la 
place  de  tel  ou  tel  édifice  secondaire  attenant 
à  la  célèbre  basilique.  N'eût-il  pas  été  plus 
simple  de  réunir  les  textes  —  du  moins  les 
principaux  —  antérieurs  au  Livre  des  Céré- 
monies et,  avec  leur  aide,  de  classer  chro- 


BIBLIOGRAPHIE 


127 


nologiquement  les  divers  éditices  rattachés 
à  Sainte-Sophie  qui  appartiennent  au 
vi^  siècle  ou  qui  doivent  se  placer  entre  les 
règnes  de  Justinien  et  de  Constantin  Por- 
phyrogénète?  De  plus,  n'a-t-il  pas  fait  appel 
parfois  à  des  textes  postérieurs  au  x*  siècle 
pour  localiser  des  annexes  de  la  basilique 
qui  n'existaient  peut-être  pas  alors?  Mais 
je  sais  trop  aussi  que,  quand  on  s'occupe 
Je  topographie,  il  est  bien  difficile  de  ne 
pas  déborder  l'époque  que  l'on  étudie. 
Autre  remarque  :  les  laïques  byzantinistes 
ont  la  fâcheuse  habitude  d'employer  des 
termes  qui  jurent  par  trop  avec  la  théo- 
logie; ainsi,  p.  10,  on  fait  adorer  à  l'empe- 
reur un  des  battants  de  la  porte,  alors  qu'il 
'allait  dire  vénérer  les  croix  qui  se  trouvaient 
sur  l'un  des  battants  de  la  porte;  de  même, 
p.  10,  note  3,  «  l'empereur  allait  adorer  les 
saints  bois»,  pour  l'empereur  allait  adorer 
ia  croix,  etc. 

Au  demeurant,  cette  brochure  sur  Sainte- 
Sophie  sera  fort  bien  accueillie  et  par  les 
amateurs  d'art  byzantin  et  par  les  voyageurs 
qui  peuvent  y  trouver  un  excellent  guide 
et,  à  l'aide  du  plan,  se  reconnaître  faci- 
lement dans  la  célèbre  basilique.  Quel 
dommage  que  le  prix  en  soit  si  élevé! 

S.  Va  lhé. 

A.  Baudrillart  —  A.  Vogt  —  U.  Rou- 
zihs,  Dictionnaires  d'histoire  et  de  géo- 
graphie ecclésiastiques,  fascicule  11  : 
Achot-Adulis,  col.  321-640.  Paris,  Letou- 
zey  et  x\né,  1910,  Prix:  5  francs. 

Les  Echos  d'Orient  ont  déjà  dit,  en 
iiinonçant  le  premier  fascicule,  la  bonne 
tenue  scientifique  de  ce  nouveau  diction- 
naire. Le  fascicule  II  est  venu  confirmer 
cette  e.xcellente  impression,  et  les  noms  des 
directeurs  nous  sont  un  garant  des  belles 
promesses  suggérées  par  ces  débuts.  Dans 
le  grand  nombre  d'articles  que  contiennent 
ces  colonnes,  une  large  part  est  faite  aux 
hommes  et  aux  chosesd'Orient.  Signalons-y 
notamment  des  notices  de  géographie 
ecclésiastique  sur  les  évêchés  d'Achrida, 
Achyraus,  Acmonia,  Acoura,  Acrasus, 
Acre,  Acroenus.  Adana,  Adherbaidjan, 
Adraa,  Adramythum,  Adrassus,  Adulis, 
et  sur  la  province  ecclésiastique  d'Adia- 
bène.  L'hagiographie  et  l'histoire  orien- 
tales ne  sont  pas  moins  bien  représentées. 
Outre  qu'une  foule   de  saints  y  ont  leur 


notice  (voir,  par  exemple,  la  liste  des 
Adrien),  on  y  trouvera  de  précieuses  études 
sous  ces  titres  :  Actes  des  martyrs  et  des 
saints  arméniens,  par  le  R.  P.  Tourne- 
bize;  Actes  coptes,  éthiopiens,  syriaques, 
par  F.  Nau;  Actes  des  martyrs  grecs  et 
latins,  par  A.  Dufourcq.  Mentionnons 
enfin  quelques  articles  consacrés  à  des  per- 
sonnages orientaux  ou  intéressant  l'his- 
toire d'Orient  :  Acyndinus,  Açoghig  (his- 
torien arménien),  Acropolite  (^Constantin 
et  Georges),  Adam  (Germanos),  Adaman- 
tius,  Adimantus,  Adolios,  Adhémar  de 
Monteil,  les  Papes  du  nom  d'Adrien,  etc. 
Cette  énumération,  très  incomplète  encore, 
dit  assez  la  souveraine  utilité  d'un  pareil 
recueil,  qui  fait  grand  honneur  à  la  science 
catholique  française.  Sans  être  trop  surpris 
qu'un  monument  de  ce  genre,  qu'il  faut 
construire  pierre  par  pierre,  mette  quelques 
lenteurs  à  poser  ses  premières  assises,  nous 
souhaitons  volontiers  le  voir  cependant 
grandir  assez  vite,  pour  le  plus  grand  pro- 
fit de  tous  les  ouvriers  du  labeur  intellec- 
tuel. Il  y  aura  sans  doute  çà  et  là  des 
pierres  à  changer  ou  à  ajouter,  de  petites 
brèches  à  réparer,  des  lacunes  à  combler. 
Mais  malgré  les  imperfections  insépa- 
rables de  toute  œuvre  humaine,  le  Diction- 
naire d'histoire  et  de  géographie  ecclésias- 
tique rendra,  dans  les  divers  domaines  du 
travail  scientifique,  d'inappréciables  ser- 
vices. S.  Salaville. 

Ch.  Diehl,  Manuel  d'art  bys^antin.  Paris, 
A.  Picard,  19 10,  in-8°,  xi-SSy  pages. 
Prix  :  i5  francs. 

Ce  livre,  déclare  l'auteur  lui-même  dans 
sa  préface,  est  moins  un  manuel  qu'une 
histoire  de  l'art  byzantin;  c'est-à-dire  que 
les  renseignements  pratiques  qu'on  est  en 
droit  de  lui  demander  y  sont  groupés  plu- 
tôt selon  l'ordre  historique  que  selon  l'ordre 
systématique.  Quatre  livres  correspondent 
aux  quatre  époques  principales  qu'il  est 
aisé  de  distinguer  dans  cette  histoire  de  l'art 
byzantin  ;  voici  le  sommaire  de  chaque 
livre  : 

Livre  1.  —  Origines  et  formation  de  l'art 
byzantin.  L'évolution  de  Tart  chrétien  au 
iv«  siècle.  Caractère  et  origine  de  l'art  nou- 
veau. Les  origines  syriennes.  Les  origines 
égyptiennes.  Les  origines  anatoliennes.  La 
diffusion  des  inikiences  orientales.  Rôle  de 


128 


ECHOS    D  ORIENT 


Constantinople  dans  la  formation  de  l'art 
byzantin. 

Livre  II.  —  Le  premier  âge  d'or  de  l'art 
byzantin.  Sainte-Sophie.  L'art  de  bâtir 
chez  les  Byzantins.  Les  monuments  de 
l'architecture  au  vi«  siècle.  Les  monuments 
de  la  peinture.  Fresques,  mosaïques  et 
icônes.  L'illustration  des  manuscrits.  Les 
tissus.  La  sculpture.  L'orfèvrerie  et  les 
arts  du  métal.  La  formation  de  l'iconogra- 
phie. L'art  byzantin  de  Justinien  aux  ico- 
noclastes. La  querelle  des  images. 

Livre  III.  —  Le  second  âge  d'or  de  l'art 
byzantin.  L'époque  des  empereurs  macé- 
doniens et  des  Comnènes.  La  renaissance 
macédonienne.  Caractères  générau.x  de  l'art 
nouveau.  L'art  profane  à  Byzance.  Les 
monuments  de  l'architecture  civile.  Le 
Palais-Sacré.  L'habitation  byzantine.  Les 
monuments  de  l'architecture  religieuse.  Le 
système  de  la  décoration  et  le  développe- 
ment de  l'iconographie.  Les  monuments 
de  la  peinture.  Les  mosaïques.  L'illustra- 
tion des  manuscrits.  Les  fresques  et  les 
icônes.  Les  tissus.  Les  monuments  de  la 
sculpture.  L'orfèvrerie  et  les  arts  de  l'émail. 
Les  influences  byzantines  en  Occident. 

Livre  IV.  —  La  dernière  évolution  de 
l'art  byzantin  (du  milieu  duxiii«  au  milieu 
du  xvi'=  siècle).  La  renaissance  du  xiv«  siècle. 
L'architecture  du  milieu  du  xiii<=  au  milieu 
du  xvi^  siècle.  Les  monuments  de  la  pein- 
ture, mosaïques  et  fresques.  Icônes  et  mi- 
niatures. Les  étoffes.  La  sculpture  et  l'or- 
fèvrerie. Conclusion. 

Nous  joignons  notre  voix  à  celles  de 
critiques  plus  autorisés  pour  affirmer  à 
M.  Diehl  qu'il  a  parfaitement  rempli  son 
but  en  mettant  au  point  ce  que  nous  savons 
exactement  à  cette  heure  sur  les  difficiles 
problèmes  que  soulève  à  chaque  pas  l'his- 
toire de  l'art  byzantin.  Il  ne  se  flatte  nul- 
lement de  les  avoir  tous  résolus,  et  il  sait 
que  sur  bien  des  points  les  solutions  ac- 
tuelles ne  sont  que  provisoires.  Mais  il 
nous  expose  sans  parti  pris  les  théories, 
parfois  hasardeuses,  mises  en  avant  par 
d'autres,  et  il  nous  les  expose  avec  une 
rare  clarté.  Son  livre  n'a  nullement  l'as- 
pect rébarbatif  qu'on  pourrait  craindre  en 
pareil  sujet.  L'érudition  profonde  de  l'au- 


teur n'a  rien  perdu  à  rester  cachée  sous  les 
charmes  du  style. 

Dans  la  question  des  origines  de  l'art 
byzantin,  M.  Diehl  adopte  nettement  une 
thèse  modérée,  ce  dont  nous  ne  pouvons 
que  le  féliciter.  D'autres  chapitres  sont  par- 
ticulièrement nouveaux,  comme  ceux  sur 
les  fresques  des  églises  rupesiresde  laCap- 
padoce  et  les  églises  russes,  et  surtout  l'étude 
de  l'époque  des  Paléologues. 

L'illustration  du  volume  mérite  tous  nos 
éloges  :  il  contient  420  gravures,  dont  bon 
nombre  reproduisent  des  documents  iné- 
dits. 

Nous  ne  voyons  guère  que  deux  points 
où  des  réserves  paraissent  s'imposer. 
D'abord  à  propos  des  basiliques  de  Bin-Bir- 
Kilissé,  où  nous  ne  saurions  admettre  les 
conclusions  de  Strzygowski  et  où  M.  Diehl 
ne  tient  peut-être  pas  assez  compte  des 
découvertes  de  Ramsay  et  miss  Bell.  En- 
suite, au  sujet  des  iconoclastes.  En  dehors 
de  toute  préoccupation  confessionnelle, 
nous  aimerions  plus  de  vigueur  à  stigma- 
tiser, comme  il  le  mérite,  le  vandalisme 
stupide  qui  anéantit  de  riches  trésors  artis- 
tiques en  Orient.  Ajoutons  pour  le  regretter 
que  M.  Diehl  croit  encore  que  les  ortho- 
doxes adoraient  les  images  :  toute  une 
classe  d'érudits  semble  s'obstiner  à  prendre 
ce  verbe  français  dans  un  sens  qu'il  n'a 
jamais  eu;  nous  ne  cesserons  pas  de  pro- 
tester contre  cette  injure  au  lexique. 

En  finissant,  quelques  menues  observa- 
tions dont  il  sera  facile  de  tenir  compte 
pour  une  nouvelle  édition.  P.  418,  420, 
423,  lire  Boudroum-djami,  non  Boudroun. 
P.  782,  lire  Roukouzelis,  non  Koukom^el. 
P.  676,  lire  Saint-Jean  de  Côle,  non  Saint- 
Jean  de  la  Côte.  Pourquoi  l'orthographe 
allemande  Wiranscheir,  au  lieu  de  Viran 
Chéhir,  et  surtout  Fétijé-djami,  au  lieu  de 
Fétiyé-djami?  Cette  dernière  suggérera  à 
tel  lecteur  français  une  prononciation 
erronée,  d'autant  plus  que  djami  est  trans- 
crit à  la  française,  non  plus  à  l'allemande. 
P.  336,  le  concile  iconoclaste  de  Hiéria  est 
daté  de  754;  à  la  page  suivante,  il  l'est  de 
753  :  c'est  cette  dernière  date  qui  est  la 
bonne.  P.  356,  accentuer  cptXàpyjoo;. 

R.  Bousquet. 


i49-n.  —  Imp.  P.  Feron-Vrau,  3  et  5,  rue  Bayard,  Paris,  VIII'.  —  Le  gérant  :  E.  Petithenrt. 


LE  R.  P.  SOPHRONE  RABOIS-BOUSQUET 


Pour  nous  conformer  à  un  désir  que  le 
défunt  avait  souvent  exprimé  pendant  sa 
vie,  c'est  pour  la 
première  et  la  der- 
nière fois  que  son 
vrai  nom  de  Rabois- 
Bousquet  paraît 
danscetterevueoùil 
écrivit  si  souvent  et 
presque  dès  le  début 
sous  le  nom  de 
Pétridès.  Pourquoi 
ce  pseudonyme? 
Certes,  ce  n'est  pas 
qu'il  rougît  du  nom 
du  vénérable  vieil- 
lard qu'il  entourait 
d'une  tendresse  si 
profonde  et  si  déli- 
cate et  que  la  dispa- 
rition imprévue  de 
son  dernier  enfant 
a  laissé  inconso- 
lable! Mais  ayant, 
sur  l'appel  divin,  dit 
adieu  à  son  pays  et 
à  sa  famille  pour  se 
consacrer  entière- 
ment à  un  pays  et 
à  un  peuple  nou- 
veaux, il  lui  plut, 
comme  jadis  au  pa- 
triarche de  Chaldée, 
d'attester  cette  con- 
sécration en  renon- 
çant à  ce  qui  lui  res- 
tait encore  de  plus 
cher,  à  son  propre 
nom.  Toutefois,  il 
sut,  même  alors,  à 
l'amour  delà  nation 
qui  avait  captivé  son 
cœur  unir  le  culte 
et  les  souvenirs  du 

foyer  natal,  et,  par  le  nom  de  Pétridès, 
associer  son  père  à  ses  travaux  apostoliques 

Echos  d'Orient,   14.*  année.  —  N'  88. 


et  scientifiques  auprès  du   peuple  grec. 
Le    R.    P.    Rabois-Bousquet,    dont    la 


LE    p.    p.    SOPHRONE    BABOIS-BOUSQUET 


rédaction    des  Echos   d'Orient   pleure   et 
pleurera   longtemps    la   perte,    naquit   à 

Mai    iQii. 


130 


ECHOS   D  ORIENT 


Saint-Léon-d'Issigeac,  commune  du  dépar- 
tement de  la  Dordogne,  le  24  juin  1864. 
Il  reçut  au  baptême  le  prénom  de  Jean- 
Bap:iste  avec  celui  de  Léon  qu'il  portait 
plus  ordinairement.  C'est  dans  sa  famille, 
de  condition  aisée,  qu'il  fit  ses  premières 
études  jusqu'en  1873,  où  il  entra  au  Petit 
Séminaire  de  Bergerac,  pour  en  sortir  en 
1879,  ^  J''*»g^  <^^  quinze  ans.  11  se  rendit 
alors  au  Grand  Séminaire  de  Périgueux, 
où  il  resta  jusqu'en  1883,  A  dix-neuf" ans, 
il  avait  donc  terminé  ses  études  philoso- 
phiques et  théologiques.  Que  faire,  si 
jeune  encore,  quand  l'Eglise  catholique 
n'autorise  pas  l'accès  aux  Ordres  majeurs 
avant  l'âge  de  vingt  et  un  ans  révolus? 
Passionné  pour  les  études  littéraires,  mais 
en  même  temps  fort  épris  de  liberté,  le 
jeune  homme  résolut  de  s'adonner  à  l'en- 
seignement, et  c'est  ainsi  que,  de  1883  à 
1887,  nous  le  rencontrons  dans  diverses 
institutions  ecclésiastiques  :  à  Saint-Joseph 
de  Sarlat,  à  Saint-Sauveur  de  Redon,  à 
Saint-Thomas  d'Aquin  dOullins,  ailleurs 
encore. 

Entre-temps,  son  humeur  voyageuse 
savait  découvrir  des  excursions  pieuses  ou 
instructives  pour  les  vacances.  Tantôt,  il 
passait  la  Manche  pour  se  perfectionner 
dsns  l'étude  de  la  langue  anglaise  qu'il 
parlait  couramment  et  à  laquelle  il  con- 
sacra (Sarlat,  1 884)  une  plaquette  intitulée  : 
Tableau  synoptique  de  la  conjugaison  des 
verbes  anglais;  tantôt,  avec  onze  compa- 
gnons de  route,  il  allait  à  pied,  comme  les 
anciens  pèlerins,  de  son  village  natal  au 
sanctuaire  de  Lourdes  {Un  pèlerinage  à 
pied  à  Notre-Dame  de  Lourdes,  Redon);  le 
plus  souvent,  il  s'aventurait  çà  et  là  dans 
son  département  d'origine  à  la  recherche 
des  stations  préhistoriques  et  des  curio- 
sités archéologiques  qu'elles  pouvaient 
contenir.  Dès  ce  moment,  tout  ce  qui  tou- 
chait à  la  vie,  aux  mœurs  et  aux  usages 
de  l'homme  primitif  lui  tenait  tellement  à 
cœur  qu'il  en  venait  parfois  à  perdre  réel- 
lement de  vue  le  temps,  les  lieux  et  aussi- 
les  convenances  sociales;  après  des  jours 
et  des  jours  de  recherches  ou  de  fouilles, 
il  rentrait  à  la  maison  paternelle  dans  un 


état  lamentable,  couvert  de  poussière  et 
de  sueur,  les  habits  en  lambeaux,  mais 
l'œil  satisfait  et  le  sourire  aux  lèvres. 
Pensez  donc  !  11  rapportait  dans  ses  poches, 
dans  ses  mouchoirs,  dans  tout  ce  qu'il 
avait  sur  lui,  de  quoi  compléter  sa  collec- 
tion de  silex  taillés  ou  les  ustensiles  ména- 
gers de  l'homme  préhistorique. 

A  ce  goût  de  la  campagne  et  des  recher- 
ches archéologiques  dont  sa  santé  ne  pou- 
vait que  bénéficier,  il  joignit  de  bonne 
heure  celui  des  langues  romanes.  Méri- 
dional ardent,  régîonaliste  convaincu,  il 
demanda  son  agrégation  à  la  Société  litté- 
raire du  Félibrige.  Nous  avons  encore  la 
lettre  de  Frédéric  Mistral,  en  date  du 
15  février  1884,  qui  lui  accordait  cette 
faveur. 

Les  excellents  vers  publiés  par  vous  dans 
le  Feu  follet,  lui  écrivait  le  célèbre  poète 
provençal,  votre  demande  chaleureuse, 
votre  jeunesse  et  votre  enthousiasme  vous 
ouvrent  à  deux  battants  les  portes  du  Féli- 
brige. Comme  vous  appartiendrez  à  la 
maintenance  de  l'Aquitaine,  il  est  néces- 
saire que  vous  adressiez  votre  demande  à 
M.  le  comte  de  Toulouse-Lautrec,  syndic 
de  cette  section  félibréenne. 

La  demande  fut  faite  et  agréée:  le 
diplôme  de  félibre,  signé  par  le  comte  de 
Toulouse-Lautrec  et  confirmé  p^vle capoulie 
Mistral,  lui  fut  délivré  le  4  mai  1884.  A  ce 
titre,  il  collabora  à  diverses  revues  de  pro- 
vince, notamment  à  la  Revue  félibj  éenne 
de  r-*aul  Mariéton,  avec  lequel  il  avait  lié 
connaissance  à  Lyon  et  qui  resta  assez 
longtemps  en  relations  avec  lui.  Même 
après  qu'il  se  fut  établi  définitivement  en 
Orient,  le  P.  Rabois-Bousquet  n'oublia 
jamais  le  doux  parler  de  la  terre  natale,  et 
lui  qui  se  désespérait  parfois  de  manquer 
de  mémoire  récitait  souvent  des  poésies 
entières  de  Jasmin  et  les  strophes  enso- 
leillées de  Mireille.  S'il  ne  portait  pas, 
comme  Philadelphe  de  Gerbe,  la  belle 
poétesse  de  Bigorre,  le  deuil  éternel  et 
•symbolique  de  la  patrie  méridionale,  du 
moins  il  partageait  à  l'égard  de  Simon  de 
Montfort  les  rancunes  tenaces  d'Auguste 
Fourès  et  de  tout  bon  félibre;  il  ne  par- 


LE    R.    P.    SOPHRONE    RABOIS-BOUSaUET 


131 


donna  jamais  à  un  directeur  d'institution, 
Français  du  Nord,  trop  chauvin  ou  trop 
ignorant,  de  lui  avoir  confisqué  et  brûlé 
Toloîa,  la  grandiose  épopée  de  Félix  Gras. 

11  avait  ainsi  atteint  l'âge  de  vingt- 
trois  ans,  quand  il  résolut  de  fixer  sa  vie 
jusque-là  quelque  peu  errante  et  entra  au 
Noviciat  des  Augustins  de  l'Assomption, 
à  Tabbave  de  Livry,  la  gracieuse  retraite 
immortalisée  par  M«>"  de  Sévigné.  Deux 
ans  après,  à  Nîmes,  près  du  tombeau  du 
fondateur,  il  se  consacrait  à  Dieu  dans  la 
vie  religieuse.  Diverses  résidences  de 
France  le  retinrent  tour  à  tour  jusqu'à 
l'année  1894,  où  il  put  enfin  réaliser  ses 
vœux  et  se  rendre  en  Orient. 

Jeune  encore,  il  avait  en  effet  rencontré 
un  modeste  ecclésiastique,  professeur  de 
grec  à  Bergerac  et  qui  lui  avait,  comme 
tant  d'autres  prêtres  français  l'ont  déjà  fait 
et  le  feront  encore,  inspiré  un  vif  amour 
pour  la  langue  grecque.  De  la  langue, 
l'affection  remonte  très  aisément  à  l'Eglise 
qui  l'emploie  et  au  peuple  qui  la  parle; 
le  P.  Rabois-Bousquet  ne  sépara  pas 
les  unes  des  autres  ces  diverses  affections, 
et,  si  l'on  veut  bien  nous  pardonner 
ce  souvenir,  il  devint  alors  plus  fanatique 
que  les  Hellènes.  Aussi,  quand  le  grand 
pape  Léon  XIII  chargea  les  Augustins  de 
l'Assomption  d'organiser  des  Séminaires 
destinés  à  former  un  clergé  grec-catho- 
lique et  des  paroisses  pour  les  fidèles  de 
rite  byzantin  unis  à  Rome,  ne  faut-il  pas 
s'étonner  que  notre  cher  défunt  fut  un 
des  premiers  religieux  qui  demanda  à 
embrasser  usque  ad  mortem  le  rite  grec. 

N'ayant  pu,  malgré  ses  vives  instances, 
être  ordonné  prêtre  dans  ce  rite,  du  moins 
quatre  mois  après  il  lui  était  donné  de  ne 
plus  être  prêtre  latin,  et,  dès  le  mois  de 
janvier  1897,  il  célébrait  sa  première  messe 
en  grec;  dès  lors  aussi,  le  P.  Front  Rabois- 
Bousquet  devint  le  P.  Sophrone  Pétridès. 
Ceux-là  seuls  s'étonneront  des  renonce- 
ments qu'imposent  de  pareils  sacrifices 
qui  sont  toujours  prêts  à  échanger  leur 
nationalité  contre  celle  qui  leur  promet 
plus  de  pain  ou  plus  de  considération  et 
qui,  fermés  à  toute  idée  de  dévouement, 


soupçonnent  dans  les  actes  inspirés  par 
le  pur  esprit  de  l'Evangile  une  arrière- 
pensée  de  duplicité  et  de  tromperie  ou  des 
sentiments  plus  vils  encore. 

Après  avoir  résidé  trois  ans  à  notre 
maison  de  Koum-Kapou,  dans  Stamboul, 
où  on  l'employa  comme  professeur  auprès 
des  jeunes  séminaristes,  il  fit  partie,  au 
mois  de  septembre  1899,  ^^  '^  rédaction 
des  Echos  d'Orient,  à  Kadi-Keuï.  La  revue 
paraissait  depuis  deux  ans  et  elle  avait 
déjà  le  caractère  qu'elle  possède  encore. 
Pendant  près  de  douze  ans,  jusqu'à  sa 
dernière  maladie,  il  associa  dans  la  mesure 
du  possible  cette  charge  de  rédacteur  à  la 
revue  et  de  byzantiniste  avec  celle  de  pro- 
fesseur au  Grand  Séminaire;  pour  varier 
ses  occupations,  il  dirigeait  les  offices  de 
l'Eglise  grecque  catholique.  N'oublions 
pas  de  mentionner  les  Missions  des  Au- 
gustins de  l'Assomption,  bulletin  d'oeuvre 
mensuel,  dont  il  fut  le  zélé  secrétaire 
pendant  le  même  laps  de  temps. 

Nous  n'avons  pas  la  prétention  d'énu- 
mérer  ici  tous  les  travaux  qu'il  publia  au 
cours  de  ces  douze  années  dans  les  Echos 
d'Orient.  Ceux  qui  possèdent  la  collection 
complète  de  la  revue  et  qui  voudront 
bien  jeter  un  regard  sur  les  tables  de  ma- 
tières s'apercevront  vite  que  le  contenu 
de  ses  articles  est  des  plus  variés.  Epigra- 
phie,  archéologie  sous  ses  diverses  formes, 
topographie,  liturgie,  histoire  littéraire  et 
en  particulier  poésie  byzantine,  ce  sont  là 
habituellement  les  sujets  qu'il  se  plaisait 
le  plus  à  traiter:  on  remarquera  qu'ils 
répondent  à  ses  premières  études  — 
l'objet  seul  en  est  différent,  —  tant  il  est 
vrai  que  notre  esprit  comme  notre  corps 
ne  peut  échapper  au  premier  pli  donné  et 
que,  bon  gré,  mal  gré,  il  revient  aux  pre- 
mières tendances  ou,  si  l'on  veut,  aux 
premiers  goûts  de  notre  jeunesse.  En  ces 
derniers  temps  seulement,  le  P.  Rabois- 
Bousquet  s'était  adonné  à  des  études  de 
géographie  byzantine,  pour  lesquelles  il 
avait  montré  tout  d'abord  assez  de  répu- 
gnance, et  à  des  éditions  de  textes  grecs 
vers  lesquelles  le  portaient  ses  goûts 
philologiques. 


132 


ÉCHOS    d'orient 


Ce  qui,  même  en  dehors  des  recensions 
nombreuses  signées  de  son  nom,  est 
encore  plus  difficile  à  indiquer,  c'est  le 
menu  travail  ordinaire,  presque  quotidien, 
de  revision  des  manuscrits,  de  correction 
des  épreuves,  etc.,  que  connaissent  seuls 
ceux  qui  ont  pénétré  dans  l'intimité  de  la 
rédaction  d'un  journal  ou  d'une  revue.  A 
ce  labeur  ingrat  il  apportait  un  dévoue- 
ment inlassable,  et  lui  qui,  dans  le  com- 
merce de  la  vie,  ne  manifestait  pas  toujours 
une  humeur  bien  facile,  savait,  pour  la  cir- 
constance, surmonter  les  aspérités  de  son 
caractère  et  consacrer  au  service  qu'on  lui 
demandait  tout  son  zèle  et  toute  son  appli- 
cation. De  même,  dès  qu'il  tenait  la 
plume,  il  oubliait  les  paradoxes  dont  il 
était  volontiers  prodigue  en  conversation; 
le  Gascon  disparaissait  pour  ne  laisser 
place  qu'à  l'homme  de  bon  sens  et  de  bon 
jugement  qu'il  était  au  fond  jusqu'à  la 
moelle  des  os. 

Et  maintenant,  le  voilà  perdu  sans 
retour  pour  la  revue  qui  lui  était  si  chère, 
pour  les  études  byzantines  auxquelles  il 
s'était  donné  tout  entier,  pour  l'Eglise 
grecque  catholique  à  laquelle  il  était  atta- 
ché de  tout  son  cœur!  Quinze  jours 
encore  avant  sa  mort,  rien  ne  faisait  pré- 
voir ni  sa  maladie  ni  surtout  sa  mort 
inopinée.  Sans  doute,  depuis  deux  ans, 
les  accès  de  fièvre  paludéenne  qu'il  avait 
rapportée  des  bords  du  lac  de  Nicée 
avaient  affaibli  son  organisme;  sans  doute, 
le  dernier  hiver  si  long  et  si  rigoureux  lui 
avait  apporté  un  contingent  de  rhumes 
plus  qu'ordinaire;  mais  qui  aurait  pu 
soupçonner  que  sur  lun  d'eux  la  pneu- 
monie viendrait  se  greffer  en  tapinois  et 
l'enlever  traîtreusement,  presque  avant 
qu'il  ait  eu  le  temps  de  se  reconnaître? 
C'est  pendant  la  nuit  du  17  au  18  avril 
dernier,  à  l'âge  de  quarante-sept  ans,  que 
notre  ami  nous  a  quittés  définitivement. 
Puisse  Dieu  lui  avoir  fait  miséricorde  et 
l'avoir  récompensé  du  zèle  et  du  dévoue- 
ment qu'il  avait  consacrés  à  son  service! 

Pour  nous,  qui  l'avons  connu  intime- 
ment, sa  mémoire  nous  restera  toujours 
chère.  Nous  avions  su,  en  effet,  pénétrer 


au  fond  de  lui-même  et,  sous  des  dehors 
quelque  peu  rébarbatifs,  sous  un  langage 
parfois  peu  engageant  et  qui  décelait  tou- 
jours un  grand  original,  découvrir  un 
esprit  lucide,  une  intelligence  très  ouverte 
et  bien  avertie,  un  cœur  aimant  et  dévoué. 

S'il  nous  est  impossible  d'énumérer 
tous  les  articles  que  le  P.  Rabois-Bous- 
quet  a  publiés  durant  douze  ans  dans  les 
£■^^05  d'Orient,  nous  devons  du  moins 
donner  la  nomenclature  de  ses  travaux 
parus  ailleurs.  En  même  temps  qu'ils 
témoigneront  de  son  activité  scientifique, 
ils  pourront  à  l'occasion  rendre  service  aux 
travailleurs  et  faciliter  leurs  recherches. 

i»  Poésies  inédites  de  Dimitri  Pépanos 
{Bessarione,  t.  VII,  1900,  p.  518-549). 

20  Ojfice  inédit  de  saint  Romain  le  Mé- 
lode  (Byiantinische  Zeitschrift,  t.  XI,  1902, 
p.  358-369);  yers  inédits  de  Jean  T^etiès 
(Ibid.,  t.  XII,  1903,  p.  568-570);  Office 
inédit  de  saint  Clément  l'Hymnographe 
{Ibid.,  t.  XII,  1903,  p.  571-581);  Notes 
d'hymnographie  byzantine  (Ibid.,  t.  XIII, 
1904,  p.  421-428);  À  propos  d'encensoirs 
by:{autins  de  Sicile  {Ibid.,  t.  XIII,  1904, 
p.  480-482);  Hpitapbe  de  Théodore  Kama- 
teros  {Ibid.,  t.  XIX,   19 10,  p.  7-10). 

30  Jean  Apokauhos,  lettres  et  autres 
documents  inédits  {Bulletin  de  l'Institut 
archéologique  russe  à  Constantinopîe,  t.  XIV, 
1909,  p.  69-100). 

40  Deux  Canons  inédits  de  Georges  Sky- 
lit:{ès{yiiantiiskii  yretnennihA-  X,  1903, 
p.  460-494). 

50  Le  Vénérable  Jean-André  Car^a,  évêque 
latin  de  Syra  {Revue  de  l'Orient  chrétien, 
t.  V,  1900,  p.  407-422;  Une  formule  ma- 
gique byzantine  {Ibid.,  t.  V,  1900,  p.  597- 
604);  les  Deux  mélodes  du  nom  d'Anasiase 
{Ibid.,  t.  VI,  1901,  p.  444-452);  Cassia 
{Ibid.,  t.  Vil,  1902,  p.  218-244);  S^i^i 
Jean  le  Paléolaurite,  en  collaboration  avec  le 
R.  P.  Vailhé  {Ibid.,  t.  IX,  1904,  p.  333- 
358,  491-511),  étude  publiée  ensuite  à 
part  dans  la  Bibliothèque  hagiographique 
oriental  editU..  Clugnet,  fascicule  Vil  ;  Trai- 
tés liturgiques  de  saint  Maxime  et  de  saint 
Germain  traduits  par  Anastase  le  Biblio- 
thécaire {Ibid.,  t.  X,    1905,   p.    289-313, 


SENTENCE    SYNODIQUE   CONTRE    LE    CLERGÉ    UNIONISTE   (1283) 


Ï33 


350-364);  le  Cbrysohulle  de  Manuel  Corn- 
nène  sur  les  biens  d'Eglise  (Ibid.,  t.  XIV, 
1909,  p.  203-208);  le  Synaxaire  de  Marc 
d'Epbèse  {Ibid,,  t.  XV,  1910,  p.  97-107). 

6»  Dans  le  Dictionnaire  de  tbéologie 
catholique  de  Vacant-Mangenot,  quelques 
notices  s.  v.  Antimension,  Damilas, 
Damodos,  Daphnopatès,  Davianos,  Demi- 
sianos,  Diamantès  Rhysios,  Dishypatos. 

70  Dans  le  Dictionnaire  d'archéologie 
chrétienne  et  de  liturgie  de  Dom  Cabrol, 
quelques  notices  s.  v.  Ablutions,  Absoute, 
Acrotéleutique,  Agneau  pascal,  Ainoi 
dans  la  liturgie  grecque,  Anapausimos, 
Anastasimos,  Anatolika,  Antimension, 
Apodeipnon,  Apodosis,  Apolysis,  Apoly- 
tikion,  Astérisque. 

8°  Dans  le  Dictionnaire  d'histoire  et  de 
géographie  ecclésiastiques  de  M^"^  Baudril- 
lart,  des  notices  s.  v.  Aburgius,  Abydus, 


Acalissus,  Acanda,  Acembès,  Achelous, 
Achyraus,  Acmonia,  Acrasus,  Acrœnus, 
Adada,  Adramyttium  et  nombre  d'autres 
qui  paraîtront  dans  les  fascicules  suivants. 

90  Dans  The  catholic  Encyclopedia  de 
New-York  (Robert  Appleton  Company), 
un  grand  nombre  de  notices  sur  diverses 
questions  géographiques;  ces  notices  sont 
même  trop  nombreuses  pour  que  nous  en 
puissions  citer  ici  la  liste  complète. 

Et  maintenant,  sur  sa  tombe  à  peine 
fermée,  en  présence  du  travail  accompli  et 
de  celui  qui  reste  à  ses  amis  et  collabora- 
teurs, il  est  bien  permis  de  dire  :  Messis 
quidem  multa,  operarii  auiem  pauci.  Ne  se 
présentera-t-il  pas  des  ouvriers  pour 
prendre  la  place  —  sinon  pour  les  rem- 
placer —  de  ceux  qui  sont  tombés  si  pré- 
maturément sur  le  champ  de  la  science  et 
de  l'apostolat?  La  Rédaction. 


SENTENCE  SYNODIQUE 
CONTRE  LE  CLERGÉ  UNIONISTE  (1283) 


J'ai  eu  récemment  l'occasion  de  résumer 
rapidement  dans  cette  revue  les  événe- 
ments qui  se  déroulèrent  à  Constantinople 
après  la  mort  de  Michel  VllI  Paléologue  et 
qui  marquèrent  la  rupture,  dès  les  pre- 
miers jours  du  règne  d'Andronic  II,  de 
l'Union  des  Eglises  conclue  au  concile  de 
Lyon  en  1274:  je  publiais  en  même  temps 
le  texte  d'un  chrysobulle  où,  sur  l'injonc- 
tion du  synode  des  Blaquernes  (avril 
1283),  l'impératrice  Théodora,  veuve  de 
Michel  Vlll.  rétractait  publiquement  sa 
conduite  antérieure  (i). 

Voici  une  autre  pièce  inédite  se  rappor- 
tant à  la  même  époque.  C'est  la  sentence 
4u  synode  patriarcal  au  sujet  des  évéques, 

(i|  s.  PÉTRiDÈs,  Chrysobulle  de  l'impératrice 
Théodora  {i283},  dans  Echos  d'Orient,  t.  XIV 
(1911)  p.  25-28. 


prêtres  et  diacres  qui  avaient  adhéré 
à  l'Union.  Il  y  manque  malheureusement 
les  signatures  des  membres  du  synode  et 
la  date  exacte.  Mais  comme  Andronic  II 
et  le  patriarche  Grégoire,  dès  sa  nomina- 
tion, montrèrent  la  plus  grande  hâte  à 
régler  la  situation  religieuse,  on  peut 
croire,  sans  crainte  de  se  tromper  de 
beaucoup,  que  le  synode  dont  nous  avons 
l'acte  se  tint  à  la  fin  d'avril  ou  au  début 
de  mai  1283. 

Ce  nouveau  texte,  comme  le  premier, 
est  tiré  du  cod.  2075  du  fonds  grec  de  la 
Bibliothèque  nationale,  à  Paris,  autographe 
du  nomophylax  Jean  Eugenikos;  je  n'en 
connais  pas  d'autre  copie.  Il  n'est  pas 
signalé  dans  l'inventaire  sommaire  de 
M.  H.  Omont,  ce  qui  explique  qu'il  ait 
échappé  jusqu'ici  à  l'attention. 


134 


ECHOS    D  ORIENT 


Cod.  Paris.  2073,   fol.  47  v. 
'ATcôcpaT!.^     TUvoo'.xYj     ToG     piaxap'.ojTaTOu 

ToG  Kurpîou. 

t  'H  |/.£Tpvotr,ç  r,{jLO)v  (Tuvàjjia  t^,  ttsoI 
ajTYjV  UpiOTàTV|  Twv  àpyiepétov  ouYiyûpe!. 
xal  xO!,v^  Tri  twv  àyuov  iraTp!.apywv  rÂ,ç 
avaTOÀf,;  vvwjjiï;  oy.Aov  arao-i  o'.à  xoG  Tcaoôv- 
TOs  xaOixrf,!T!.  Ypà|jLjjiaToç,  ôxt.  èîTia-xciTrou;, 
Upsi;  TE  xal  Siaxévo'jç  'O'^?  sv  tw  xaip^  t-?^^ 
exxATiTtaTT'.XY,;  exeiv/jç  Ttjyyûo-swi;  ôiwxTa; 
6[ji.0À0Y0U[Ji£V(oç  àvacpavévTa<;  Tj  t^  aùroùç 
Tipiwp'laç  x£ypf|crQat.  xaxà  twv  eijasêslv  alpou- 
{jiivwv  xal  TT,?  tÔt£  êXàê/iÇ  àcpiT^aaévwv  r, 
Tw  T:apaoi.o6vat.  toIç  T!.uLtoooÙTi  xal  TiooTav- 
Y£).X£iv  (j^uyfiç  xaxor|0£t:x  xal  yyô)ii.r,ç  Tropa- 
rpoirr,  xal  o^awr^^Ti,,  toÙ^  towÛto'j;  xaOr,p7,- 
jjlÉvoj;  r,v£lTat,  xal  àva^ious  '^oG  £7:'.;7xo7:i.xoG 
xal  Upa-rixoG  xal  oiaxovuoG  àçt.tib!jLaTO<;,  xaTa- 
XuTa^  opQoSo^la?  t6  yE  xaB'iayToGç  àvacsa- 
yh-zaq  xal  ttÎ?  twv  ypio-Tiavcov  £xxArjT'la«; 
EyCipoGi;.  Kal  yoGv,  £'^  Ti^  àiiô  ve  arî|jL£pov  eIç 
TO  £^7,ç  to'.oGtoç  Y£y£vf,a-9ai  ky.pt.ëi'ri  [xapTU- 
pwt,s  àvaS£i.y6£ÎY|,  toGtov  k^zo^z^T:a.v7^a^.  7:av- 
T£)v(ô;  TYiÇ  Upâç  XEiTOupyiaç  TzapaxîÀE'JOtjLîBa. 

'Qç       av       Si       T[,V£Ç       tJI.7)       àv£^£A£yXTlOÇ      TT^V 

xaxao'lxrjV  TaûxTiv  0£y6[A£V0'.  àowa  Trào-yEiv 
•j-ola!ji.êàv(OTî,  xal  toç  àOÉa-jjiou  xa'jTr,;  xaTa- 
êowvTa;.  ty,;  -i/r/i/ou,  5i.op!.v6uL£8aTO'jç  toioGtÔv 
Ti.  Spâs-ai  £Yxa)vO'j|ji.£vo'j;  xal  6—0  xaTY^yoplav 
Èjj.TZ'l-TOV-açSuoyiji.oG,  TÉtOs  [j.£v  àpyoùç  jjiivs'.v 
TcàoY,;  UpwTUvrj;  xal  toG  ÈTC'.o-xÔTroL»  extoç 
St.aTp'l^£t,v  [jiôv/jV  ot.aTpO!pr,v  È'yovTaç  exeIOev, 
av  èir'la-xoTzot,  -rGywo-.v  ol  T:,ooa-avv£AAÔu.£vo!.* 
ETiàv  0£  àpy  !.£p£Ùi;  yy-f^^io^xr^i;  sirapy  iaç£X£'lvr,i; 
irapà  Tov  t6w)v  à'^urixat,,  ôuou  èvôî,aTpiê(ov 
6  xaTr,YopoG[jL£vo;  AlyEtai  xôv  &t.wy[ji.ov  £V£p- 
yfiO'aî,,  TYjVixaGTa  £ç£-:àT£(o<;  Y£vop.£vr,ç  xal 
aTcooE'l^Eojç  J^Y,TY,6£icrr,^  xal  à^'.07tiT7(ov  ett'.t- 
xâvTtov  {jLapxGpcov,  7tavT£Af.  3a  Tr,v  TT,ç  S'.axpi- 
!7£(.)ç  /^  xaxaxp'la-£(jL)ç  £;£Vîy8-V''a',  aTrô'jao-iv, 
xaGto;  ôr.AaSy,  al  7:pà^£!.ç  ajxal  -epl  xoG 
£yxa)vOupi.£VO'j  ^//-plJ^EaQa!,  Scotouo-'..  Kal  xaGxa 
iA£v  ùTi  7:ap'  Y,aû>v  etûItwv  Svwxxwv  xa9oA',xà)ç 

£^£V7jV£XTar  7:£pl  0£  TWV  Ô'îTOI.  TOG  ETTÎ.TXOr'.XoG 

£Xuyûvà^!.ti)|jLaxoç  evtw  ElpYj^Évco  TÂ^s  auyyû- 
TEtoç  xaipw  ToG  BÉxou  xov  Traxptapyixôv  9p6- 
vov  È'yovTO^,  0  xr,  tuvôSw  xowwç  eooçe,  toGto 
OTi  xal  TT£py  9ri!7£xa'/  eooçe  oè  Tzàvxa?  àpy/^o-at, 
xal  xwv  àpyt£paxt.xwv  àiuOTT/îva'.  Ôpôvwv  xal 


a-TTOOT/iXCOTav  aTcavTE;,  -/.y,v  £'.  [j.y,  T'//a  y, 
tGvooo;  7:£0!.£7ro()Y',aaTO  xal  o-uj^iiraOeia^  Y,çicoo-£ 

OUTtOTCY/jîlTaToG;  7:pOY,yY,!jajJL£VOUÇ  'JTtÈp  Vj7Z- 

êE'la;  ajToG  àyiôvà;  X£  xal  x'-voGvoui;.  'A)«.Aà 
ypY,  xal  TtEpl  xwv  UpÉojv  à7:).w;  xal  oiaxôviov 
eItteIv,  ojç  av  tGttov  toutovI  tôv  Aôyov  ol  t?,^ 
EjTEêoGç  £xx)/ir,<Tiaç  ulol  xal  xavov-a  UT:oXajj>- 
êaVOVTS;  TIEpl  ToGxtov  [JlY,o'  OT'.oGv  o'.a',p£po>v- 
xai.  Kal  Tolvuv  UpEÎç  xal  ot.ax6vciu»;,  oto'.  oy, 
UpaTEUEiv  Tipo  Tr,;  xoG  BÉXOU  7:aTp!.apy£iaç 
ÈO.ayov,  à/x).à  xal  o'to'.  xax'  ajxov  exsIvov  tov 
xaipov  eiq  ôiaxâvou;  f,  UpÉa.;  T^poi^Y^Tav,  [xr, 
jjiEVTO!.  Gtto  twv  ÈxeLvou  ytipîï)'/  {Ji.r,o'  £v  a'JT?, 
TY,  êaTÙioi  Twv  ttÔaîojv,  EVEpyoG;  £wa^  xô 
àîco  xoGoE  xal  o-acpw^  A£î.xoupyoù?  Oîou  Tiapa- 
X£).£yô{ji.ECla,  av  |jly^  xt.  É'xspov  Tipoo-t.a-xàjxEVOv 
à7:oxa>)>UY)  xoGùe  xoG  y.EixoupyY^tJLaxoç-  xal 
vàp  Tràvxa^  xoGxouç  ETi'.xljjL'.a  xà  TzpoTY^xovxa 
xadaplTavxa  xal  TxÀYjpaywyîa  àvE-niAYjTtXWs 
xal  aGÔiç  [ji,£xt,£va'.  x-À,v  lEpwo-GvYjV  etto'Iy^itev. 
"OOev  sl'xtç  oÉôo'.xî  Oeov  xal  xy,;  ÉauxoG  o-coxy,- 
plaç  £7ri,Qujj.Y,xt,x(o;  £/£!,,  ojx  o'^eOvE!.  ajxoùs 
aTiavalvEa-Gai  ojoà  xa6'  oAO'j  xoG  )>ootoG  oia- 
xp[v£TOa'.,  7îAY,pocpopia  ùï  jjiàXLTxa  xr,  iiào-ri 
-ooTUvai  ajxolçxal  xols  Oîîo'.;  vaolç  'i;aAAÔv- 
xcov  ajxwv  à7cpoxp!.}ji.ax'l3-xt>)ç  -pOTxpÉy£t,v  xal 
EUAoytav  xal  EÙyYjV  xo|Jil!^Ea-8at  Ttap'  auxwv 
xal  xoG  Oe'Iou  xal  àypàvxo'J  a£xa)vauêâv£V/ 
!7(Ô!j.axô;  XE  xal  aïjUaxoç,  co?  8é;j.'.s  yp'.o-x'-a- 
voGç  Tiapà  xwv  yvr,aC(oç  AE'.xo'jpyoGvxojv  OecJ), 
ijLY,  àa'^'.êaAXovxa;  (J-y.Se  eIç  ovaxplTS'.;  0',a)vO- 
yt.T[JiâiV  £[jL7T'l7xxovxa>;,  piY,7roi;  TTÉpav  xoG 
ôi.xaiou  àxp'.êo'jfjLEvwv  x'.vwv  àvxl  xoG  ix!.o-6ov 
xal  yâp'.v  GeoOev  xojjii^ETOa',  xaxaoixYjV  xal 
àravàxxY,(Tt.v  0-uu.êfi  xal  xoa'lo-ao-fla'.-  xà  yàp 
otxEla  |j.£xpa  ExaTXOV  ElôÉva».  xaAÔv  xal  iay, 
ylvEaBai  xov   êo'JAÔut.£vov    lEpcoo-JVY.s    xpix-À^v 

JJlY,ô'    £XXAY.«T!.aTX!.XCÔV    TrpayiJlàxtOV    EÇEXaTXY/,/. 

'E-eI  oj  Tiào-iv  à-nAwç  xà  xoiaGxa  xpîvE'.v 
EcsEixai.,  u-ovoiç  5e  xol?  UpEGo-'.v,  oG^  Eirl 
xoGxo  xal  Y;  àvtoOEv  TipOEyEipio-axo  yâpi;,  olç 
xal  TZE'.He7hc(.i  Ejo-sêoGo-'.  xal  x-r,v  «xpiêEiav 
xtôv  ÔeIcjv  ôovuàxcov  '^'jAàxxoua-iv  aira^  ''tpbz 
S!,ax£)vEG£xa!.  vôjJio;,  w  xal  G7:axoG£'.v  Trào-a 
àvàvxYj,  ETTE'.OYi  xal  'l^'jyoj'^EAÈç  xoGxo  jj.àA!.Txa 
xal  a-(dXY^p!.ov  xô  Se  y,pi/v.-/  xoG;  xp'.xà^;  xal 
xoiç  vO|j.o9£xa'.ç  vojj-oQexeIv  xal  -o!,p.alv£!,v 
xoGç  TTOiuÉvaç  xà  Tupôêaxa  oW-rcEp  x'.  xcôv 
«xoTWxÉptov  xal  xov  XY,;  Ejxa;la^  -apa- 
)/jÔvXtOV  ClETpLÔv  OjOeIç  E'^àvY,  £7:a!.v£<yas  OjôÉ- 


SENTENCE    SYNODIQJJE  CONTRE    LE   CLERGÉ    UNIONISTE   («283) 


•^5 


TOT^     WptO'U.SVO!.^     TO'JTO'.^     ÈlJLlxivîlV     TO     TWV 

— '.TTtôv  a— av  TÛTTY,|jLa  xal  Toù^  Upia^  a.\ùt~.v- 
^aÎTî  xal  T!.u.âv  oj^  'jTrr.piTa;  xal  Aî'.TOjpyo'j^ 
fjîoCi  xal  T.ixwv  Ttpô^  ajTov  â'.aA/.axTà^  xal 
|jLîTÎTaî  xal  ètj.|jLivovTa;  rr,^  àvwÔîv  SjÀov^îf? 
àç'.O'jTOa».  xal  y  àp'.TO^,  t,^  xal  aTravTî^  àç'.olaOî 
xal  7:pox6~TO'.Tî  i-'  èp*''^'*^  àvaflo^,  OTa  rr.v 
èxclôîv  7Tpo;5vojT'.  jjiaxap'.ÔTr.Ta,  ■nipcTêsîa'.^ 
■zr.ç  \jT:-o6L*r/o'j  Htcxr'zocoz  xal  TcâvTwv  twv 
a"iwv.    Aurv. 

Traduction.  —  Sentence  synodique  du 
très  bienheureux  patriarche  de  Constanti- 
nople  Grégoire  de  Chypre  (i). 

+  Notre  Médiocrité  (2),  d'accord  avec  la 
très  sainte  assemblée  des  évêques  réunis 
auprès  d'elle  et  de  l'avis  commun  des 
saints  patriarches  d'Orient,  fait  connaître 
à  tous  par  la  présente  lettre  que  les 
évêques,  prêtres  et  diacres  qui,  au  temps 
de  la  confusion  dans  l'Eglise  (3),  se  sont 
montrés  évidemment  persécuteurs,  soit 
en  usant  de  châtiment  contre  ceux  qui 
préféraient  la  piété  et  se  tenaient  éloi- 
gnés du  fléau  d'alors,  soit  en  les  livrant 
à  qui  les  châtierait  et  en  les  accusant  par 
méchanceté  d'âme,  égarement  de  l'esprit 
et  grossièreté  :  ceux-là,  elle  les  regarde 
comme  déposés  et  indignes  de  la  charge 
épiscopale,  sacerdotale  et  diaconale,  pour 
s'être  montrés  destructeurs  de  l'ortho- 
doxie et  ennemis  de  l'Eglise  chrétienne. 
Et  donc  si  dorénavant,  à  partir  d'aujour- 
d'hui, des  témoignages  sûrs  prouvent  que 
quelqu'un  s'est  conduit  de  la  sorte,  nous 
ordonnons  qu'il  cesse  absolument  les 
fonctions  sacrées. 

Si  certains,  n'admettant  pas  cette  con- 
damnation sans  contrôle,  objectent  qu'ils 
souffrent  injustement  et  réclament  contre 
cette  décision  comme  inique,  nous  ordon- 
nons que  ceux  à  qui  on  reproche  de  telles 
choses    et  qu'on  accuse    de   persécution 


(1)  C'est  pour  me  conformer  à  l'usage  français 
que  j'emploie  cette  expression  qui  prête  à  l'amphi- 
bologie; les  Grecs  disent  «le  Chypriote»,  Grégoire 
«  de  Chypre  »  signifierait  pour  eux  que  Grégoire 
était  archevêque  de  Chypre. 

(2)  Formule  d'humilité  habituelle  à  la  chancel- 
lerie patriarcale. 

(3)  Euphémisme  de  l'époque  pour  désigner  l'Union. 


restent  suspens  de  tout  sacerdoce  et 
vivent  hors  de  leur  diocèse,  n'en  retirant 
que  leur  subsistance,  si  les  accusés  sont 
des  évêques.  Et  lorsqu'un  évêque  légi- 
time de  cette  éparchie  arrivera  au  lieu  où 
on  dit  que  l'accusé  a  commis  la  persécu- 
tion durant  son  séjour,  alors  aura  lieu 
une  enquête,  on  cherchera  des  preuves 
et  on  produira  des  témoins  dignes  de 
foi,  puis  on  portera  la  sentence  d'acquit- 
tement ou  de  condamnation,  c'est-à-dire 
selon  que  les  actes  mêmes  permettront 
déjuger  au  sujet  de  l'accusé. 

Telles  sont  les  peines  prononcées  par 
nous  au  sujet  des  persécuteurs  en  général. 
Quant  à  ceux  qui  ont  acquis  la  dignité 
épiscopale  au  dit  temps  de  la  confusion, 
lorsque  Veccos  occupait  le  trône  patriar- 
cal, l'avis  unanime  du  synode  sera  exé- 
cuté, et  cet  avis  est  que  tous  soient  sus- 
pens et  quittent  leurs  sièges  épiscopaux. 
Donc  que  tous  les  quittent,  à  moins  que 
le  synode  n'ait  du  regret  à  propos  de 
quelqu'un  et  ne  le  juge  digne  de  compas- 
sion, ému  par  ses  combats  antérieurs  et 
les  dangers  courus  par  lui  en  faveur  de  la 
piété. 

11  nous  faut  aussi  parler  des  simples 
prêtres  et  des  diacres,  de  sorte  que  les  fils 
de  la  sainte  Eglise,  acceptant  ces  paroles 
comme  une  règle  et  une  loi,  n'aient  aucun 
désaccord.  Donc,  les  prêtres  et  diacres  q,ui 
ont  été  ordonnés  avant  le  patriarcat  de 
Veccos,  et  même  ceux  qui,  pendant  cette 
époque,  ont  été  promus  diacres  ou  prêtres 
saufdeses  mains  et  dans  cette  reine  descités, 
nous  ordonnons  qu'ils  soient  désormais 
en  activité  et  ministres  de  Dieu,  si  quelque 
autre  empêchement  ne  les  écarte  pas  de 
ce  ministère  :  car  ils  ont  tous  été  purifiés 
par  les  peines  et  la  discipline  convenables 
qui  les  ont  rendus  irréprochables  et  de 
nouveau  participants  du  sacerdoce.  C'est 
pourquoi  quiconque  craint  Dieu  et  a  le 
désir  de  son  propre  salut  ne  doit  pas  les 
refuser  ni  avoir  désormais  la  moindre 
hésitation,  mais  au  contraire  venir  à  eux 
en  toute  confiance,  se  rendre  aux  saintes 
églises  quand  ils  y  chantent,  accepter 
d'eux   l'eulogie  et   la  bénédiction  et  en 


136 


ECHOS   D  ORIENT 


recevoir  le  Corps  et  le  Sang  divins  et 
purs,  comme  des  chrétiens  le  doivent  des 
légitimes  ministres  de  Dieu,  sans  se 
laisser  aller  à  des  pensées  de  doute  et 
d'hésitation,  de  peur  qu'eh  montrant  trop 
de  rigueur  sur  le  droit,  au  lieu  de  recueillir 
la  récompense  et  la  grâce  de  Dieu,  il 
n'arrive  qu'on  en  recueille  son  indigna- 
tion et  sa  condamnation  :  car  il  est  bon 
que  chacun  connaisse  sa  propre  mesure 
et  que  le  premier  venu  ne  devienne  pas  juge 
du  sacerdoce  et  examinateur  des  affaires 
ecclésiastiques  :  il  n'a  pas  été  donné  à  tous 
en  général  de  juger  de  ces  choses,  mais 
aux  prêtres  seuls,  que  la  grâce  d'en  haut 
a  désignés  pour  cela;  s'ils  observent  la 
piété  et  gardent  exactement  les  dogmes 
divins,  toutes  les  lois  sacrées  ordonnent 
de  leur  obéir,  et  il  faut  absolument  se 
soumettre  à  ces  lois,  parce  que  cela  est 
très    utile    à    l'âme    et    très    salutaire  : 


mais  juger  les  juges,  légiférer  pour  les 
législateurs,  ou  que  les  brebis  paissent 
les  pasteurs,  c'est  une  chose  des  plus 
absurdes  et  un  obstacle  à  la  loi  du  bon 
ordre,  que  nul  n'a  jamais  osé  louer, 
11  est  donc  juste  que  sans  aucune  hésita- 
tion la  foule  tout  entière  des  tldèles  obéisse 
à  ce  que  nous  avons  établi,  respecte  et 
honore  les  prêtres  comme  les  serviteurs 
et  les  ministres  de  Dieu,  comme  nos  mé- 
diateurs et  nos  arbitres  auprès  de  lui;  par 
cette  obéissance,  ils  se  rendront  dignes 
de  la  bénédiction  et  de  la  grâce  d'en  haut. 
Nous  vous  les  souhaitons  à  tous  et 
d'avancer  en  bonnes  œuvres,  toutes  celles 
qui  procurent  la  béatitude  céleste,  par 
l'intercession  de  la  très  pure  Mère  de  Dieu; 
et  de  tous  les  saints.  Amen. 


+   S.   PÉTRIDÈS. 


Constantinople. 


LA  PRIMAUTÉ  ROMAINE 

AU  CONCILE  D'ÉPHÈSE 


U  La  déclaration  du  légat  Philippe. 

C'était  le  1 1  juillet  431,  à  Ephèse.  Plus 
de  deux  cents  évêques,  venus  de  tous 
les  points  de  l'empire  romain,  et  spé- 
cialement des  pays  d'Orient,  étaient  as- 
semblés dans  la  grande  salle  de  l'évêché, 
sous  la  présidence  de  saint  Cyrille 
d'Alexandrie  et  des  trois  légats  romains, 
les  évêques  Arcadius  et  Projectus  et  le 
prêtre  Philippe,  qui  tenaient  la  place  de 
l'évêque  de  Rome,  saint  Célestin.  Par 
ordre  des  empereurs  Théodore  11  et  Va- 
lentinien  III  et  avec  le  consentement  du 
Pape,  tous  ces  prélats  avaient  été  convo- 
qués en  concile  général  pour  délibérer 
sur  l'affaire  de  Nestorius,  évêque  de  Con- 
stantinople, accusé  d'hérésie.  On  en 
était  à  la  troisième  session.  La  deuxième 


s'était  tenue  la  veille,  en  l'honneur  des 
trois  légats  pontificaux  arrivés  tout  ré- 
cemment. Ceux-ci,  obéissant  à  une  in- 
struction du  pape  Célestin,  avaient  de- 
mandé communication  des  actes  de  lai 
première  session,  dans  laquelle  Nestorius 
avait  été  excommunié  et  déposé  comme 
hérétique.  Ils  devaient,  disaient-ils,  con- 
firmer ce  qui  avait  été  fait  en  leur 
absence (i).  Le  concile  s'était  docilement 
soumis  à  cette  exigence  sans  élever  au- 
cune protestation;  il  avait  remis  intégra- 
lement aux  légats  les  pièces  du  procès 
qui  s'était  déroulé,  le  22  juin,  dans 
l'église  Sainte-Marie  d'Ephèse. 

(i)  "Iva  xaxà  x^  Yvw[j.r,v  toù  (/.axaptou  TratTra  vjti'jiv.., 
—  xat  Yifxeïi;  ô{iotwç  t?,  a-jTwv  xataôcffei  pEêatwaojfjiev. 
Mansi,  Amplissima  Collectio  Conciliorum,  t.  IV, 
col.  128g. 


LA    PRIMAUTÉ    ROMAINE    AU    CONCILE    D  EPHESE 


137 


Les  représentants  de  Célestin  s'étaient 
-empressés  de  parcourir  ces  documents, 
et,  dès  le  lendemain,  11  juillet,  au  début 
de  la  troisième  session,  ils  pouvaient  dé- 
clarer qu'ils  n'y  avaient  rien  trouvé  qui 
ne  fût  conforme  à  la  discipline  ecclésias- 
;tique.  Cependant,  avant  de  donner  leur 
approbation,  ils  devaient  encore  réclamer 
-l'accomplissement  d'une  autre  formalité, 
prescrite  elle  aussi  par  celui  qui  les  avait 
-envoyés.  On  devait  relire  en  leur  pré- 
sence, et  devant  tout  le  concile  assemblé, 
les  actes  de  cette  première  session. 

Le  concile  allait-il  perdre  patience? 
N'allait-il  pas  voir  dans  cette  nouvelle 
exigence  une  atteinte  portée  à  son  auto- 
rité et  à  sa  dignité?  N'y  avait-il  donc  que 
l'évêque  de  Rome  qui  fût  quelque  chose 
dans  l'Eglise,  et  fallait-il  tout  recommen- 
cer, parce  qu'on  avait  commencé  sans  ses 
représentants?  (i)  Je  ne  sais,  mais,  ce  qui 
•est  certain,  c'est  que,  cette  fois  encore, 
on  n'entendit  point  de  protestation.  Res- 
pectueux et  soumis,  les  Pères  du  concile 
assistèrent  comme  à  une  représentation 
de  leur  première  session.  Quand  tout  fut 
fmi,  le  prêtre  Philippe,  légat  du  Siège 
apostolique  (2),  prit  le  premier  la  parole 
pour  approuver  la  condamnation  de  Nes- 
torius.  Il  débuta  par  cette  solennelle  dé- 
claration : 

Il  n'est  douteux  pour  personne,  ou  plu- 
tôt, c'est  un  fait  connu  de  tous  les  siècles, 

(i)  A  plusieurs  reprises,  et  notamment  à  la  pre- 
.miére  session  il  est  dit  dans  les  actes  du  concile 
que  saint  Cyrille  tenait  la  place  du  pape  Célestin, 
<Kypî),).oy  SsÉ^ovTo;  xal  tôv  tottov  to-j  ÈTrtov.oTto'j  tt,; 
""Ptojjiatwv  'Exy.Arjff'ac.  Mansi,  IV,  col.  Ii23.  1279, 
i3o5,  1841 .  Le  Pape  avait  en  effet  délégué  saint 
-Cyrille  pour  exécuter  la  sentence  portée  contre 
Nestorius  par  le  concile  romain  de  480,  avant  qu'il 
lût  question  du  concile  général.  Cette  délégation 
a  persévéré  tacitement,  tant  que  l'affaire  de  Nes- 
torius n'a  pas  été  réglée;  mais  pour  des  raisons 
à  lui  connues,  Célestin  a  envoyé  à  Ephése  d'autres 
légats,  à  qui  il  a  donné  des  instructions  très  pré- 
cises, notamment  celle  de  se  faire  rendre  compte 
de  tout  ce  qui  aurait  été  fait  en  leur  absence,  s'ils 
arrivaient  en  retard.  Mansi,  Ibid.,  col.  556.  Le  Pape 
approuvait  la  foi  de  l'évêque  d'Alexandrie,  mais  il 
semble  qu'il  le  jugeait  moins  apte,  à  cause  de  son 
■caractère  personnel  et  de  ses  relations  avec  Nesto- 
rius et  l'empereur,  à  représenter  le  Siège  aposto- 
lique avec  la  sérénité  et  l'impartialité  voulues. 

(2)  Massi,  Ibid.,  col.  i  296. 


que  le  saint  et  bienheureux  Pierre,  le  prince 
et  le  chef  des  apôtres,  la  colonne  de  la  foi, 
le  fondement  de  l'Eglise  catholique,  a  reçu 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  le  Sauveur 
et  Rédempteur  du  genre  humain,  les  clés 
du  royaume,  et  qu'à  lui  a  été  donné  pou- 
voir de  lier  et  de  délier  des  péchés;  c'est 
lui  qui,  jusqu'à  maintenant  et  pour  tou- 
jours, \'it  et  juge  dans  ses  successeurs. 
C'est  son  successeur  et  remplaçant  régulier, 
notre  saint  et  bienheureux  pape  Célestin, 
évêque,  qui  nous  a  envoyés  à  ce  concile 
pour  suppléer  sa  présence  (i  ). 

On  devine  le  motif  qui  inspira  au  légat 
pontifical  ce  magnifique  commentaire  du 
Tu  es  Petrus.  Il  voulait  attirer  l'attention 
des  membres  du  concile  sur  l'autorité 
souveraine  dont  il  était  investi  comme 
représentant  et  suppléant  de  l'évêque  de 
Rome.  Il  était  difficile  de  dire  mieux  et 
d'exprimer  tant  de  choses  en  si  peu  de 
mots.  On  trouve  dans  ce  petit  morceau  la 
marque  du  génie  romain.  C'est  vraiment 
du  style  lapidaire.  Examinons  sa  portée 
théologique. 

Philippe  proclame  comme  une  chose  qui 
n'est  douteuse  pour  personne  dans  le  pré- 
sent, comme  un  fait  connu  de  tous  les  siècles 
chrétiens  dans  le  passé,  l'institution  divine 
de  la  primauté  de  juridiction  de  l'apôtre 
Pierre  sur  les  autres  apôtres  et  sur  l'Eglise 
universelle,  la  transmission  de  droit  divin 
de  cette  primauté  à  ses  successeurs,  les 
évêques  de  Rome,  et  la  perpétuité  de 
cette  primauté  en  ces  derniers. 

1°  Le  légat  parle  d'abord  de  la  primauté 
de  Pierre,  et  les  termes  qu'il  emploie 
signifient,  non  une  simple  primauté  d'hon- 
neur, mais  une  véritable  primauté  de 
juridiction.  Par  rapport  aux  apôtres, 
Pierre  est  le  prince,  le  guide  (pritweps, 
6  sçapyo^  I2T)  qui  préside  et  conduit;  le 
chef,  la  tête  (caput,  y,vçoù:f,)  qui  com- 
mande et  donne  l'impulsion. 

Par  rapport  à  l'Eglise  universelle,  tt.^ 
xafloA'.x7,;  £/.xÀT,T'laç,  si  celle-ci  est  un  édi- 
fice, Pierre  en  est  le  fondement,  6  ^sas- 
A'.o;;  si  elle  est  un  royaume,  une  cité,  il 

(1)  Ibid. 

(2)  Ce  titre  de  ïlapyoç  tùv  âTîocTTÔÂtov  est  donné 
fréquemment  à  Pierre  dans  la  liturgie  grecque. 


138 


ÉCHOS  D'ORIENT 


en  a  reçu  les  clés,  tàs  kAsIç  tî^^  ^ao-iAsia^ 
PAqy.'o,  et  personne  ne  peut  faire  partie 
de  ce  royaume,  de  cette  cité,  sans  son 
intermédiaire  ou  contre  son  gré;  si  elle 
est  une  société  religieuse  destinée  à  ache- 
miner les  âmes  dans  la  voie  du  salut  et  à 
les  délivrer  du  péché,  c'est  lui  qui  possède 
le  pouvoir  souverain  de  lier  et  de  délier 
les  consciences,  xa\  aÙTw  SsSoTat.  e^ouo-ia 
TO'ji  ôîTaîvy  xal  K'JV.-/  à'^aoT'la.;. 

Par  rapport  à  la  doctrine  révélée,  Pierre 
est  la  colonne  inébranlable  de  la  foi, 
6  xuov  TT^;  t'Ittso);.  Déjà  contenue  impli- 
citement dans  les  expressions  précédentes, 
l'idée  de  l'infaillibilité  doctrinale  apparaît 
ici  plus  clairement. 

Tous  ces  privilèges,  Pierre  les  tient 
directement  de  Jésus-Christ,  à-ô  toû  xup'lou 
Y.jjLwv  l7,7où  Xp'.TTO'ji.  L'alluslon  au  texte  de 
saint  Matthieu,  xvi,  18-19  :  Tu  ^^  Petrus 
et  super  hanc  peiram  œdificaho  Ecclesiain 
meam,  etc.,  est  transparente.  L'institution 
divine  de  la  primauté  est  donc  directement 
affirmée. 

2«  Le  légat  n'est  pas  moins  heureux 
dans  la  manière  dont  il  exprime  la  pri- 
mauté du  Pontife  romain,  successeur  de 
Pierre.  C'est  Pierre  qui  vit  en  lui,  èv  to^; 
ajToû  o'.aooyo'.»;  'C.r^,  et  qui  lui  passe  tous 
ses  pouvoirs,  xal  o'.xàs^i.  L'évêque  de 
Rome  continue  la  persofirre  de  Pierre  à 
travers  les  siècles  et  jusqu'à  la  fin  des 
temps,  £(o;  Toj  vjv  xal  %tL  Pierre  ne 
meurt  pas.  Impossible  de  mieux  dire  que 
la  primauté  romaine  est  de  droit  divin  et 
qu'elle  doit  durer  autant  que  l'Eglise  mi- 
litante. 

Déjà,  à  la  fin  de  la  deuxième  session,  le 
même  prêtre  Philippe  avait  exprimé  d'une 
manière  non  moins  énergique  la  primauté 
de  juridiction  de  l'évêque  de  Rome  par 
ces  mots  adressés  aux  Pères  du  concile  : 

En  applaudissant  aux  lettres  de  notre 
bienheureux  pape,  membres  saints,  vous 
vous  êtes  unis  à  la  tête  sainte:  car  Votre 
Béatitude  n'ignore  pas  que  le  bienheureux 
apôtre  Pierre  est  la  tête  de  toute  la  société 
des  croyants,  et  des  apôtres  eux-mêmes  (i). 

(l)  Ta  àyia  (J.È>.r„  Taï;  àysan  Cfiwv  çwvaïç,  t?,  iyta 


Entre  l'évêque  de  Rome  et  les  autres 
évêques  de  la  catholicité,  il  existe  les 
mêmes  relations  qu'entre  la  tête  et  les 
membres  dans  le  corps,  et  la  raison  de 
cela  est  que  l'apôtre  Pierre,  qui  se  survit 
dans  les  évêques  de  Rome,  ses  succes- 
seurs, a  été  chef  des  apôtres  et  de  toute  la 
société  des  croyants. 

Dans  les  déclarations  du  légat,  nous 
trouvons  la  substance  des  définitions 
solennelles  que,  quatorze  siècles  plus 
tard,  prononcera  le  concile  du  Vatican: 

Si  quelqu'un  dit  que  le  bienheureux 
apôtre  Pierre  n'a  pas  été  établi  par  le  Christ 
prince  de  tous  les  apôtres  et  chef  visible  de 
toute.  l'Eglise  militante,  ou  que  le  même 
n'a  reçLi  directement  et  immédiatement  du 
même  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  qu'une 
primauté  d'honneur,  et  non  une  primauté 
de  juridiction  proprement  dite  et  véritable,^ 
que  celui-là  soit  anathème  (i). 

Anathème  à  qui  dit  que  ce  n'est  pas  en 
vertu  de  l'institution  de  Jésus-Christ  lui- 
même,  c'est-à-dire  de  droit  divin,  que  le 
bienheureux  Pierre  a  des  successeurs  perpé- 
tuels dans  sa  primauté  sur  l'Eglise  univer- 
selle ou  à  qui  affirme  que  le  Pontife  romain 
n'est  pas  le  successeur  du  bienheureux 
Pierre  dans  cette  même  primauté  (2). 

Le  concile  du  Vatican  lui-même  a  fait 
siennes  les  paroles  du  légat  d'Ephèse,  en 
les  insérant  dans  la  trame  du  chapitre  11 
de  la  Constitution  Pastor  œiernus  (3).  On 
conviendra  qu'elles  méritaient  cet  hon- 
neur. 

Quelle  fut  l'attitude  du  concile,  en  en- 
tendant cette  solennelle  proclamation  des 
privilèges  de  Pierre  et  de  ses  successeurs? 
Ce  fut  celle  du  silence  approbatif.  Personne 
dans  l'assemblée  ne  se  leva  pour  donner 
un  démenti  à  l'orateur,  qui  avait  dit  :  // 
n'est  douteux  pour  personne;  il  est  connu 
de  tous  les  siècles.  Et  cependant,  des  pro- 


y.Eïa)./, brr{\i6y^x~z'   O'J   yip   à"S"vo£Ï  vpLoiv  r,  aay.a- 

piÔT-r,;,  OTt  r,  xe5a),r,  oÀr,;  "rf^  iriarew;,  r,  xal  toiv  àïro- 
fftôXwv,  6  (laxapio;  Ilérpoî,  ô  à7r<Î!TTo),o;.  Mansi, 
t.  IV,  col.  I  289. 

(i)    Denzinger-Banwart,  Enchiridion   symbolo- 
rum  et  definitionum.  Fribourg,  1908,  n"  1828. 

(2)  Ibid.,  n°  1825. 

(3)  Ibid.,  n°  1824. 


LA    PRIMAUTE    ROMAINE   AU    COMCILE    D  EPHESE 


«39 


testations  s'imposaient,  si  les  déclarations 
du  légat  n'avaient  pas  été  l'expression  de 
la  croyance  commune  ;  car  il  s'agissait 
d'affirmations  audacieuses  et  presque  em- 
phatiques touchant  une  doctrine  présen- 
tée comme  révélée,  dont  la  répercussion 
dans  le  domaine  pratique  de  la  vie  de 
l'Eglise  devait  nécessairement  se  faire 
sentir.  Les  Pères  d'Ephèse  ne  pouvaient 
l'ignorer,  eux  qui  venaient  de  se  soumettre 
docilement  aux  exigences,  un  peu  humi- 
liantes pour  eux,  des  légats  romains. 

Le  concile  œcuménique  pris  dans  son 
ensemble  a  donc  reconnu  tacitement  la 
primauté  de  juridiction  de  droit  divin  que 
possède  l'évêque  de  Rome  comme  suc- 
cesseur de  saint  Pierre.  S'il  n'y  a  pas  eu 
de  définition  sur  ce  point,  si  ce  qu'on 
appelle  le  magistère  solennel  de  l'Eglise 
n'est  pas  entré  en  jeu,  il  y  a  eu  du  moins 
intervention  du  magistère  ordinaire.  11  y 
a  eu  consentement  moralement  unanime, 
quoique  tacite,  des  évêques  catholiques 
sur  un  point  relatif  à  la  foi. 

D'ailleurs,  on  peut  montrer  que  ce  con- 
sentement s'est  manifesté  d'une  manière 
positive  par  certains  actes  et  certaines 
paroles,  qui  constituent  un  vivant  com- 
mentaire des  déclarations  du  légat  ponti- 
fical. Ces  actes,  ces  paroles  appartiennent, 
soit  au  pape  Célestin,  président  du  con- 
cile par  ses  représentants,  soit  au  concile 
en  corps,  soit  à  ses  principaux  membres, 
soit  même  au  groupe  des  Orientaux  schis- 
matiques,  qui,  sous  la  conduite  de  Jean 
d'Antioche,  avait  refusé  de  se  joindre  au 
concile  et  s'étaient  formés  en  conciliabule. 

II.    La    CONDUITE    DU    PAPE   CÉLESTIN. 

Qu'on  remarque  tout  d'abord  combien 
est  vif  chez  le  pape  Célestin  le  sentiment 
de  son  pouvoir  primatial  et  avec  quelle 
assurance  et  quelle  maîtrise  il  l'exerce  à 
la  face  de  l'Eglise  universelle.  A  peine  a-t-il 
entendu  parler  de  la  nouvelle  controverse 
qui  commence  à  agiter  l'Orient,  ce  gar- 
dien vigilant  de  la  foi  demande  des  ren- 
seignements à  l'évêque  d'Alexandrie. 
Quand  il  les  a  reçus,  il  convoque  sans 


retard  un  concile  à  Rome,  tranche  décisi- 
vementlaquestion  dogmatique  et  prononce 
contre  Nestorius  une  sentence  de  déposi- 
tion si,  dans  le  délai  de  dix  jours,  l'héré- 
siarque ne  s'est  pas  rétracté.  Il  considère 
sa  sentence  comme  étant  celle  même  de 
Jésus-Christ  : 

Nous  avons  écrit  les  mêmes  choses  à  Nos 
saints  frères  et  collègues  dans  l'épiscopat  : 
Jean,  Rufus,  Juvénal  et  Flavien,  atîn  que 
Notre  sentence,  ou  plutôt  la  sentence  divine 
du  Christ  Notre-Seigneur  à  son  sujet  (de 
Nestorius\  soit  connue  de  plusieurs  (iL 

C'est  Cyrille,  l'évêque  du  premier  siège 
de  l'Orient,  qui  est  chargé  d'exécuter  cette 
décision  dans  le  délai  fixé,  et  qui  pour 
cela  est  investi  des  pleins  pouvoirs  du 
Pape  : 

L'autorité  de  Notre  Siège  vous  est  com- 
muniquée, et  vous  en  userez  à  Notre  place 
pour  exécuter  rigoureusement  Notre  Dé- 
cret 12). 

Célestin  a  réglé  l'affaire  en  juge  souve- 
rain: il  n'a  pas  eu  besoin  de  l'intervention 
d'un  concile  œcuménique,  et  il  n'en 
voyait  nullement  la  nécessité.  Cependant, 
quand  l'empereur,  sollicité  à  la  fois  par 
Nestorius  et  par  quelques  moines  ortho- 
doxes, victimes  de  la  brutalité  de  l'évêque 
hérétique,  convoque  à  Ephèse  un  concile 
général,  le  Pape  y  consent  et  trouve  même 
que  cette  assemblée  pourra  rendre  d'utiles 
services  à  la  chrétienté  (3);  mais  il  veille 
à  ce  que  l'autorité  du  Siège  apostolique 
n'en  soit  point  diminuée.  Le  concile  n'aura 
point  à  reprendre  un  procès  déjà  terminé; 
son  rôle  sera  de  se  conformer  à  la  sentence 


(!)   Eadem    hœc  ad  sanctos    quoque  fratres  et 

coepiscopos perscripsimtts,  quo   nostra,   imo 

yero  divina  Christi  Domini  nostri  sententia  plu- 
ribus  de  eo  sit  manifesta.  Epistola  ad  Cyrillum. 
Mansi,  t.  IV,  col.  1022. 

<2)  Noslrœ  Sedis  auctoritate  adscita,  nostraque 
t'ice  et  loco,  cum  potestate  usus,  ejusmodi  non 
absque  exquisita  severitate  sententiam  exsequeris. 
Ibid.,  col.  1019. 

(3)  Non  est  inefficax  in  divinis  maxime  causis 
cura  regalis,  quœ  pertinet  ad  Deum.  Epistola  ad 
Cyrillum.  Mansf,  t.  IV,  col.  1292.  Voir  aussi, 
col.  1291,  la  lettre  à  l'empereur. 


I40 


ECHOS    D  ORIENT 


romaine  et  de  l'exécuter.  11  écrit  aux  Pères 
du  concile  : 

Dans  Notre  sollicitude,  Nous  vous  avons 
envoyé  Nos  saints  frères  dans  le  sacerdoce, 
les  évéques  Arcadius  et  Projectus  et  le 
prêtre  Philippe,  pour  assister  aux  débats 
et  exécuter  ce  qui  a  déjà  été  réglé  par  Nous. 
Nous  ne  doutons  point  que  Votre  Sainteté 
n'y  donne  son  assentiment  (i). 

Les  légats  reçoivent  des  instructions 
brèves,  mais  très  précises,  sur  la  conduite 
qu'ils  devront  tenir  à  l'assemblée  pour 
ne  pas  compromettre  la  dignité  du  Siège 
apostolique  : 

Il  faut  que  l'autorité  du  Siège  apostolique 

soit    sauvegardée;    Nous   l'ordonnons 

S'il  y  a  quelque  dispute,  ce  sera  à  vous  à 
juger  des  opinions  des  autres,  sans  vous 
mêler  à  la  controverse  (2). 

S'ils  arrivent  en  retard,  ils  devront 
s'informer  de  la  manière  dont  les  choses 
se  sont  passées  avant  leur  arrivée  (3). 
Nous  avons  vu  que  les  légats  avaient 
fidèlement  obéi  à  cette  recommandation. 

Voici  donc  que  le  Pape  a  tracé  au  con- 
cile le  programme  qu'il  devra  suivre  et  a 
fait  de  lui  l'exécuteur  de  ses  volontés. 
Cependant,  ce  programme  va  être  dépassé. 
Les  disputes  et  les  divisions  que  Célestin 
prévoyait  vaguement  se  sont  produites. 
Froissés  de  ce  qu'on  avait  ouvert  l'assem- 
blée avant  leur  arrivée,  un  certain  nombre 
d'Orientaux,  ayant  à  leur  tête  Jean  d'An- 
tioche,  se  sont  constitués  en  concile 
séparé.  De  part  et  d'autre,  on  s'est  lancé 
des  anathèmes.  L'empereur,  après  de 
longues  et  pénibles  négociations,  s'est 
rangé  du  parti  de  l'orthodoxie,  mais  a 
refusé  de  sanctionner  les  condamnations 
portées  contre  les  Antiochiens.  Que  va 


(i)  Direximus  pro  nostra  sollicitudine  sanctos 

fratres   et  consacerdotes  nostros qui  iis  quœ 

aguntur  intersint,  et  quœ  a  nobis  antea  statuta 
sunt  exequantur.  Quitus  prœstandum  a  vestra 
sanctitate  non  dubitamus  assensum.  Epistola  ad 
synodum.  Mansi,  t.  IV,  col.  1287. 

(2)  Et  auctoritatem  Sedis  apostolicœ  custodiri 

debere  mandamus Ad  disceptationem  si  fuerit 

ventum,  vos  de  eorutn  sententiis  judicare  debeatis, 
non  subire  certamen.  Mansi,  Ibid.,  col.  556. 

(3)  Ibid. 


faire  le  Pape?  11  se  trouve  en  présence  de 
décisions  prises  par  un  concile  œcumé- 
nique avec  la  participation  de  ses  légats. 
Va-t-il  se  sentir  l'autorité  nécessaire  pour 
faire  un  choix  dans  ces  décisions,  pour 
confirmer  les  unes  et  rejeter  les  autres, 
proclamant  ainsi  sa  suprématie  sur  le  con- 
cile général?  Parfaitement.  A  peine  a-l-il 
reçu  les  Actes  d'Ephèse,  qu'il  adresse  aux 
membres  du  concile  une  lettre  datée  du 
ly  mars  432,  que  certains  historiens  ne 
paraissent  pas  avoir  suffisamment  remar- 
quée. Il  reconnaît  que  l'assemblée  a  fidèle- 
ment exécuté  ses  volontés  en  ce  qui 
regarde  Nestorius,  mais  il  n'approuve  pas 
la  sentence  qui  a  été  portée  contre  Jean 
d'Antioche  et  les  siens  : 

Quant  à  ceux  qui  paraissent  avoir  par- 
tagé l'impiété  de  Nestorius  et  ont  participé 
à  ses  crimes,  bien  que  la  sentence  que  vous- 
avez  portée  contre  eux  se  lise  (dans  les 
Actes),  cependant,  Nous  décidons  de  Notre 
côté  ce  qui  nous  paraît  (le  mieux).  Il  y  a 
dans  les  affaires  de  ce  genre  bien  des  choses 
à  considérer,  dont  le  Siège  apostolique  a 
toujours  tenu  compte  (i). 

Et  le  Pape  continue  en  disant  qu'il  ne 
faut  condamner  que  les  hérétiques  obs- 
tinés. Les  Orientaux  ne  paraissent  pas 
être  dans  ce  cas.  11  faut  dès  lors  user  de 
longanimitéàleurégardet  imiter  l'exemple 
que  Célestin  lui-même  a  donné  dans 
l'affaire  des  pélagiens,  c'est-à-dire  leur 
laisser  ouvert  le  chemin  du  retour.  Qu'on 
écrive  à  Jean  d'Antioche  pour  le  ramener 
et  lui  faire  condamner  l'hérésie  (2). 

Cette  décision  était  la  sagesse  même. 
Elle  réparait  en  partie  le  mal  causé  par  le 
schisme  qui  s'était  produit  à  Ephèse  entre 
les  évêques.  Saint  Cyrille  et  les  siens, 
malgré  les  sacrifices  d'amour-propre  que 


(i)  De  his  autem  qui  cttm  Nestorio  videntur 
pari  impietate  sensisse,  atque  se  socios  ejus  sce- 
leribus  addiderunt,  quamquam  legatur  in  eos 
vestra  sententia,  tamen  nos  quoque  decernimus 
quod  videtur.  Multa  perspicienda  sunt  in  talibus^ 
causis ,  quœ  apostolica  sedes  semper  aspexit^ 
Mansi,  t.  V,  col.  269. 

(2)  Antiochenum  vero ,si habet spem  correctionis , 
epistolis  a  vestra  fraternitate  volumus  conveniri^ 
Mansi,  Ibid. 


LA    PRIMAUTÉ    ROMAINE   AU   CONCILE    D  EPHESE 


141 


cela  dut  leur  coûter,  s'y  conformèrent  en 
toute  sincérité.  Après  de  longs  pourpar- 
lers, Orientaux  et  Cyrilliens  se  réconci- 
lièrent et  souscrivirent  un  symboiedunion, 
en  4^3. 

Dans  plusieurs  de  ses  lettres,  écrites  à 
l'occasion  du  concile  d'Ephèse,  Célestin 
parle  de  sa  sollicitude  pour  le  bien  et  la 
p.ux  de  l'Eglise  universelle.  On  sent,  en 
le  lisant,  qu'il  considère  comme  un  devoir 
d'étot  de  s'occuper  de  tout  ce  qui  intéresse 
la  chrétienté.  A  saint  Cyrille,  il  écrit,  avant 
le  concile,  qu'il  sera  présent  à  l'assemblée 
par  la  pensée,  parce  qu'on  doit  y  traiter 
d'une  atfaire  qui  intéresse  tout  le  monde 
et  qu'il  n'a  rien  tant  à  cœur  que  la  tran- 
quillité de  l'Eglise  catholique  (i).  Dans  sa 
lettre  du  is  mars  432,  adressée  au  con- 
cile, on  lit  ce  passage  : 

Il  est  vrai  que  Nous  sommes  très  éloi- 
gne de  vous,  mais  Notre  sollicitude  Nous 
rend  tout  présent.  Personne  n'est  absent 
des  pi  éoccupaticns  du  bienheureux  apôtre 
Pierre  (2). 

Bien  touchantes  aussi  sont  ces  paroles 
adressées  au  clergé  et  au  peuple  de  Con- 
stantinople  : 

Quels  n'étaient  pas  Nos  soucis  et  Notre 
sollicitude  pour  vous  durant  cette  guerre 
intestine?  Les  nuits  se  passaient  pour  Nous 
commeles  jours,  car,  en  ces  sortes  d'affaires, 
le  temps  ne  dure  pas Un  impie  a  vai- 
nement essayé  de  mordre  de  troupeau"); 
car  la  houlette  du  pas  eur  (qui  est  le  Christ) 
vous  consolait,  celte  houlette  à  laquelle  il 
d  nna  ion  troupeau  à  paître,  au  moment 
de  monter  au  ciel  (3). 

On  voit  dans  cette  dernière  phrase  une 
allusion  aux  paroles  de  Jésus  à  Pierre  :  Pais 


{ 1 1  Studeo  quieti  catholicœ.  Mansi,  t.  IV,  col.  1292. 

(2)  Per  sollicitudinem  totum  propius  intuemur. 
Omnes  habet  beati  Pétri  apostoli  cura  prœsentes. 
Mansi,  l.  V,  268. 

(3i  Quœ  nos  de  vobis  in  bello  intest ino  positis 
cura  atque  solliciludo  tune  habuitr  In  tnodum 
dierum  duximus  noctes,  quia  talibus  causis  omne 

tempus  angustum  est Inani  tamen  semper  elusus 

est  morsu,quando  ejusdem  pastorisvirgavos  con- 
solabatur  et  baculus,  cui  gregem  suum  etiam 
pascendum  tradidit  ilurus  ad  coslum.  Mansi,  Ibid., 
col.  274. 


mes  agneaux,  pais  mes  brebis.  Célestin  se  sait 
le  successeur  de  Pierre,  le  gardien  de  tout 
le  troupeau  du  Christ.  C'est  pourquoi  il 
s'est  efforcé  d'en  remplir  l'office. 

III.  Témoignages  collectifs 
DES  Pères  du  concile. 

Nous  avons  dit  plus  haut  avec  quelle 
docilité  le  concile  s'était  plié  aux  exigences 
des  légats  romains.  Ce  n'était  point  là 
une  vaine  obséquiosité.  Les  Pères  d'Ephèse 
étaient  intimement  persuadés  que  l'évêque 
de  Rome  était  leur  chef  et  qu'il  avait  le 
droit  de  leur  commander.  Aussi  accep- 
tèrent-ils sans  récrimination  le  rôle  d'exé- 
cuteurs des  volontés  papales.  Nous  le 
voyons  d'abord  par  les  termes  mêmes  de 
la  sentence  portée  contre  Nestorius,  qui 
fut  la  décision  capitale  du  concile  : 

Forcés,  disent  les  Pères,  par  les  canons 
et  par  la  lettre  de  notre  très  saint  Père  et 
collègue,  Célestin,  évêque  de  Rome,  nous 
avons  dû,  avec  larmes,  en  venir  à  cette 
triste  sentence  :  Le  Seigneur  Jésus-Christ, 
qu'il  a  blasphémé,  décide  par  ce  saint  con- 
cile que  Nesto  ius  est  privé  de  la  digniti 
cpisccpale  et  de  la  communion  sacerdo- 
tale (i). 

Qu'on  remarque  que  cette  sentence  fut 
prononcée  à  la  première  session,  avant 
l'arrivée  des  légats.  Ce  ne  fut  donc  point 
sous  1  influence  de  ces  derniers  que  les 
Pères  se  dirent  forcés,  àva^Tcaîw^  y.%-:t-v.- 
yhi/-t;.  par  la  lettre  du  pape  Célestin, 
tout  aussi  bien  que  par  les  canons,  de 
déposer  Nestorius. 

Après  qu'ils  eurent  entendu  la  lecture 
de  la  lettre  du  Pape  au  concile,  par  laquelle 
il  demandait  qu'on  exécutât  ce  qu'il  avait 
décidé  auparavant  dans  le  synode  romain 
de  430,  les  Pères,  loin  d'être  froissés  de 
ce  langage,  l'approuvèrent  par  des  accla- 
mations unanimes:  C'est  là  le  juste  juge- 
ment; au  nouveau  Paul,   Célestin A 

(i)  'Avatfxatwç  xaTeiîeix9£>'£;  i^tô  f'  xavovwv  xai 
i%  TT,;  littOTOÀf,;  to-3  âYtiotitoy  Ila-rpô;  f.ficov  xai  <tw>.- 
).£:T0-jpftj-3  KâîiîffTtvou  Toû  inKixÔTto-j  rr,;  'Pwfiai'wv 
èxxXr.ff'aî,  £axpCffavT£;  TtoUix:;,  ira  tt,^  <Txi<6pw5rr,v 
xa-r'  a-J-ro-j  èxwpr,<rïjt£v  ijîdçaffiv.  Mansi,  t.  IV,  I2U. 


142 


ÉCHOS    d'orient 


Célestin,  gardien  de  la  foi;  A  Célestin, 
d'accord  avec  le  concile,  tout  le  concile  rend 
grâces  (i).  Firmus  de  Césarée  ajouta  au 
nom  de  tous  : 

Le  Saint-Siège  apostolique  du  très  saint 

évêque  Célestin avait   déjà   porté   sur 

cette  affaire  une  sentence  et  prescrit  une 
règle  que  nous  n'avons  fait  que  suivre 
quand  nous  sommes  arrivés  à  Ephèse  (2). 

Dans  ses  lettres  aux  empereurs,  le  Con- 
cile répète  que  le  pape  Célestin  avait  con- 
damné auparavant  l'hérésie  de  Nestorius 
et  avait  porté  contre  lui  une  sentence 
dont  l'exécution  avait  été  confiée  à  saint 
Cyrille  : 

Nous  avons  canoniquement  déposé  Nes- 
torius et  nous  avons  loué  le  très  saint 
évêque  de  Rome,  Célestin,  qui,  avant  notre 
sentence,  avait  condamné  les  doctrines 
impies  de  Nestorius,  pour  la  plus  grande 
sécurité  des  Eglises  et  de  la  foi  que  nous 
ont  transmise  les  saints  apôtres  et  évangé- 
listes  et  les  saints  Pères  (3). 

A  la  fin  de  la  cinquième  session,  les 
Pères  rédigent  deux  rapports  sur  l'histoire 
du  concile  :  l'un  est  pour  l'empereur, 
l'autre  pour  l'évêque  de  Rome,  qui,  par 
cette  attention  spéciale,  est  ainsi  distingué 
du  reste  des  évêques  de  la  chrétienté.  Le 
rapport  qui  lui  est  adressé  débute  par  ces 
mots: 

Le  zèle  de  Votre  Sainteté  pour  la  religion 
et  sa  sollicitude  agréable  à  Dieu  pour  la 
pureté  de  la  foi  sont  devenus  dignes  de 
toute  admiration;  car  à  vous,  qui  êtes  si 
grand,  il  est  d'habitude  de  briller  en  tout 
et  de  mettre  tous  vos  soins  à  affermir  les 
Eglises.  Et  puisqu'il  fallait  que  tout  fût 
porté  à  la  connaissance  de  Votre  Sain- 
teté, nous  avons  dû  nécessairement  vous 
écrire  (4). 

(i)  Hoc  justutn  judicium,  novo  Paulo  Cœlestino 

Cœlestino,  custodi  Jidei,  Cœlestino,  cum  synodo 
concordi,  Cœlestino  universa  synodus  gratias 
agit.  Mansi,  t.  IV,  1287. 

(2)  Ibid.,  col.  1288-1289. 

(3)  Ibid.,  col.  1240.  Cf.  col.  i3oi. 

(4)  "Eôoç  yàp  û[iïv  TO?î  o-jTto  (j.£yâ),0'.;  £C;6oy,:|i£rv  eIç 
aTravta  Ep£i(7[i.!i  te  twv  'Exx),r,(ntôv  xa.c  éot-jTwv  7T0i£?(j6a 

ôdioTTiToç  àv£v£j(6r|Vai  rà  7rapxxo).ou9T,ffavTa  ypà9op.£v 
àvaVxafwç.  Ibid.,  col.  1329. 


11  y  a  dans  ces  phrases  autre  chose 
que  de  banales  formules  de  politesse.  Le 
concile  reconnaît  ici,  une  fois  de  plus,  la 
suprématie  de  l'évêque  de  Rome  et  rend 
hommage  à  son  rôle  de  gardien  de  la  foi 
de  l'Eglise  universelle. 

IV.  Témoignages  particuliers 

DES  PRINCIPAUX  MEMBRES  DU  CONCILE. 

A  côté  des  témoignages  collectifs  que 
nous  venons  de  signaler,  il  faut  placer  les 
attestations  particulières  des  principaux 
membres  du  concile.  La  belle  lettre  que 
saint  Cyrille  d'Alexandrie  écrivit  au  pape 
Célestin  pour  lui  dénoncer  l'hérésie  de 
Nestorius  vient  ici  en  première  ligne.  En 
voici  quelques  passages  : 

Si,  dans  des  affaires  aussi  sérieuses  et 
aussi  importantes  que  celles  où  il  y  va  de 
la  pureté  de  la  foi,  que  certains  esprits 
tentent  de  corrompre,  il  eût  été  permis  de 
se  taire  et  qu'on  eût  pu,  sans  mériter  de 
reproche  et  sans  passer  pour  un  esprit  cha- 
grin, cacher  à  Votre  Sainteté  les  agitations 
dont  nous  souffrons,  je  me  serais  dit  à 
moi-même:  ce  silence  est  une  bonne  chose 
et  on  ne  court  aucun  risque  à  le  garder; 
mieux  vaut  se  tenir  tranquille  que  de  s'en- 
gager dans  le  tumulte.  Mais,  parce  que 
Dieu  veut  que,  dans  ces  occasions,  nous 
agissions  avec  prudence  et  que  l'usage 
antique  des  Eglises  nous  invite  à  consulter 
Votre  Sainteté  (^i),  je  ne  puis  me  dispenser 
de  lui  en  écrire  pour  l'informer  que  Satan, 
maintenant  encore,  met  le  trouble  partout, 
se  déchaîne  contre  les  Eglises  de  Dieu  et 
s'efforce  de  pervertir  les  fidèles  du  monde 
entier  qui  marchent  dans  la  vraie  foi 

Quoique  les  choses  en  soient  à  ce  point, 
nous  n'avons  pas  osé  renoncer  à  la  com- 
munion de  Nestorius  avant  d'en  avoir 
référé  à  Votre  Piété.  C'est  pourquoi  daignez 
nous  faire  connaître  ce  que  vous  en  pensez 
et  nous  dire  si  nous  devons  encore  commu- 
niquer avec  lui,  ou,  au  contraire,  déclarer 
qu'on  ne  devra  plus  désormais  être  en 
communion  avec  un  homme  qui  croit  et 
enseigne  une  pareille  hérésie.  Que  Votre 


(i)  Kal  rèt  (Aaxpà  rtSv  £XX>,rj(T'.(wv  e9t)  TîEÎÔouatv  àva- 
,  ;  xotvouffôat  Tf,  (T/;  ôfftÔTriTi. 


LA    PRIMAUTÉ    ROMAINE    AU   CONCILE    D  EPHESE 


14' 


Piété  fasse  connaître  clairement  ses  inten- 
tions par  lettres  à  nos  frères,  les  évéques 
de  Macédoine  et  à  ceux  de  tout  l'Orienti  i). 

C'était  comnie  un  axiome  reçu  dans 
l'ancienne  Eglise  qu'il  fallait  consulter 
l'évêque  de  Rome  dans  toute  affaire  im- 
portante intéressant  la  foi  ou  la  disci- 
pline. Saint  Cyrille  le  rappelle  dans  sa 
lettre.  11  déclare  en  même  temps  très 
clairement,  lui,  le  premier  prélat  del'Orient, 
que  le  Pape  est  le  centre  de  la  communion 
ecclésiastique  et  que  c'est  à  lui  de  décider 
en  dernier  ressort  avec  qui  l'on  doit  rester 
en  communion,  avec  qui  il  faut  rompre. 

Quand  Célestin  l'eut  délégué  pour  exé- 
cuter la  sentence  contre  Nestorius,  l'évêque 
d'Alexandrie  se  montra  toujours  très 
honoré  du  rôle  de  représentant  du  Siège 
apostolique,  comme  on  le  voit  par  ses 
lettres  et  par  les  Actes  du  concile  (2). 
Loin  de  se  dresser  en  face  de  l'évêque  de 
Rome  comme  un  égal,  il  reconnaît  l'auto- 
rité suprême  de  celui  en  qui  Pierre  con- 
tinue de  vivre  et  de  gouverner. 

Après  Cyrille,  voici  l'évêque  de  Jéru> 
salem,  Juvénal,  qui,  à  la  quatrième  ses- 
sion, déclare  que  Jean  d'Antioche  aurait 
dû  rendre  honneur  et  obéissance  au  Siège 
apostolique  de  la  grande  Rome  par  lequel 
l'usage  et  la  tradition  apostolique  veulent 
que  le  siège  d'Antioche  lui-même  soit  dirigé 
etjugé{}). 

Les  paroles  prononcées  par  Théodote 
d'Ancyre,  à  la  seconde  session,  méritent 
aussi  d'être  signalées  : 

Dieu,  dit-il,  a  montré  que  la  sentence  du 
saint  concile  était  juste  par  les  lettres  du 
très  pieux  évêque  Célestin  (^'l. 

li)  Mansi.  t.  IV,  col.  1012,  loiô. 

(2)  Massi,  Ibid.,  col.  ioo3,  1070,  ii23,  1279, 
1294,   i3oô. 

(3)  llap'w  {jià^.'.aTa  eôoç  a-^Tov  tmv  'AvT'.oyiw' 
60ÔV0;,  ïX  àîiooToÀtr-T,;  àxo).oy6îa;  xal  TcxpaSôtTsu); 
îéiveTÔxt  xai  îrap'a-Jrw  û'.zâ^^sff^ai.  Mansi,  Ibid., 
col.  1  3 12.  Il  y  a  quelque  obscurité  dans  les  Actes 
à  cet  endroit.  Juvénal,  toujouri  préoccupé  de 
grandir  son  siège,  nomme  en  même  temps  le  siège 
de  Rome  et  celui  de  Jérusalem.  Il  en  résulte  une 
équivoque  contre  laquelle  nous  prévient  une  noe 
marginale  du  texte  original  qui  fait  remarquer  que 
ïcap'w  uLa>.'.<rTa,  etc.,  ne  peut  se  rapporter  qu'au 
siège  de  Rome. 

(4)  Massi,  Ibid.,  col.  i  289. 


L'approbation  du  Pape  équivaut  ici, 
d'après  Théodote,  à  l'approbation  même 
de  Dieu.  Célestin,  lui  aussi,  a  dit  que  sa 
sentence  était  celle  de  Jésus-Christ. 

V.  TÉxMOIgnage  des  Orientaux.  L'appel. 
d'Euthérius  de  Tyane  et  d'Helladius 
de  Tarse. 

Quand  on  parcourt  les  Actes  du  con- 
ciliabule des  Orientaux  à  Ephèse,  on  est 
frappé  du  silence  gardé  sur  la  conduite  du 
pape  Célestin  dans  l'affaire  de  Nestorius. 
Jamais  il  n'est  mis  en  cause;  jamais  son 
autorité  n'est  contestée,  bien  que  son  ac- 
tion ait  été  prépondérante.  C'est  toujours 
«  l'Egyptien  »,  Cyrille,  qui  est  attaqué, 
soit  dans  ses  actes,  soit  dans  sa  doctrine. 
Comment  expliquer  cette  attitude,  sinon 
en  supposant  chez  les  Orientaux  la  foi  à 
la  primauté  romaine  de  droit  divin,  que 
nous  avons  vue  si  bien  affirmée  par  saint 
Cyrille  et  ses  partisans.  Nous  n'en  sommes, 
du  reste,  pas  réduits  aux  pures  supposi- 
tions. Les  principaux  d'entre  les  Orien- 
taux nous  ont  laissé  des  témoignages  non 
équivoques  de  leur  croyance  aux  privi- 
lèges du  Siège  apostolique. 

Et  tout  d'abord,  leur  chef,  Jean  d'An- 
tioche, fut  un  des  premiers  à  reconnaître 
la  légitimité  de  la  sentence  portée  à 
Rome,  en  430,  contre  son  ami  Nestorius. 
Averti  de  cette  sentence  par  une  lettre 
du  pape  Célestin,  il  écrivit  aussitôt  à 
l'hérésiarque  pour  lui  conseiller  une  sou- 
mission sans  délai  : 

Bien  que  mon  Seigneur  (O,  le  très  pieux 
évêque  Célestin,  vous  ait  fixé  par  sa  lettre 
le  très  court  délai  de  dix  jours  pour 
répondre,  vous  pouvez  cependant  le  faire 
en  moins  de  temps;  un  jour,  quelques 
heures  même  suffisent  pour  cela Ar- 
rêtez, par  votre  obéissance,  les  effets  de 
cette  lettre,  semblable  à  une  violente  tem- 
pête. Si  nous  cédons,  elle  ne  causera  ni 
agitation  ni  trouble;  si  nous  résistons, 
nous  aurons  lieu  de  nous  en  repentir  (2). 

(i|  L'expression  6  xOpiô;  sjlo-j  est  un  simple  titre 
honorifique  qui  ne  prouve  rien  pour  la  primauté  de 
Célestin.  Dans  la  même  lettre,  Jean  donne  le  même 
titre  à  l'évêque  Archelaûs.  Mansi,  t.  IV,  col.  1068 

(2)  Mansi,  t.  IV,  col.  1064,  1068. 


144 


ÉCHOS    d'orient 


Nestorius  ne  voulut  point  écouter  ces 
sages  conseils.  Mais  cela  ne  prouve  pas 
qu'il  ait  lui-même  mis  en  doute  l'autorité 
suprême  du  Siège  de  Rome.  Autant  qu'on 
peut  en  juger  par  les  écrits  qui  nous 
restent  de  lui,  il  a  vu  en  Célestin  un  Pape 
mal  informé,  peu  capable  de  saisir  les 
subtilités  de  sa  théorie  christologique  et 
prévenu  contre  lui  par  «  l'Egyptien  ». 

L'Egyptien,  dit-il,  s'est  adressé  à  Célestin 
de  Rome,  homme  trop  simple  pour  péné- 
trer la  subtilité  des  opinions  théologiques. 
Lui-même,  comme  les  autres,  s'est  laissé 
prendre  aux  sophismes  de  Cyrille  (i). 

La. Lettre  à  Cosme  d'Antioche,  qui  raconte 
en  résumé  l'histoire  de  Nestorius,  pré- 
sente aussi  Célestin  comme  un  homme 
peu  instruit  (2).  C'est  toujours  la  tactique 
des  hérétiques  de  supposer  le  Pape  mal 
informé  ou  pas  assez  intelligent  pour  les 
comprendre.  Nestorius  est  tombé  dans 
ce  travers.  Dans  le  Livre  d'Héraclide,  il 
donne  de  grands  éloges  à  saint  Léon 
parce  qu'il  se  figure  que  ce  Pape  est  de 
son  avis  (3).  Parlant  du  brigandage 
d'Ephèse  de  449,  il  écrit  : 

On  n'y  trouvait  point  l'évéque  de  Rome, 
ni  le  Siège  de  saint  Pierre,  ni  l'honneur 
apostolique,  ni  le  chef  aimé  des  Romains; 
mais  c'est  celui  d'Alexandrie  qui  siégeait 
avec  autorité  et  il  fît  siéger  aussi  avec  lui 
celui  d'Ephèse,  et  il  demandait  à  celui  de 
Rome  —  nous  voulons  dire  à  Julien,  qui 
représentait  le  saint  évêque  de  Rome  — 
s'il  adhérait  au  saint  concile  et  s'il  voulait 
lire  dans  les  Actes  ce  qui  avait  été  fait  à 
Constantinople  (4). 

L'évéque  d'Alexandrie  interrogeait  donc 
comme  celui  qui  a  le  pouvoir,  et  il  parlait 
comme  s'il    portait  des   décisions    tnême 


(i)  Ad  Romanum  Ccelestinum  convertitur, 
quippe   ad  simpliciorem   quam    qui  posset    vim 

dogmatum   subtilius  penetrare Seductionibus 

ejus  niox  tam  alii  quam  etiam  Cœlestinus 
abreptus  est.  F.  Looks,  Nestoriana.  Halle,  igoS, 
p.  204. 

(2)  Cette  lettre  a  été  publiée  en  traduction  fran- 
çaise par  F.  Nau,  à  la  fin  de  la  traduction  du 
Livre  d'Héraclide  de  Damas.  Paris,   1910,  p.  364. 

(3)  Le  Livre  d'Héraclide,  trad.  Nau,  p.  298. 

(4)  Il  s'agit  du  concile  de  Constantinople  de  448, 
qui  condamna  Eutychès. 


contre  eux  (les  Romains).  Si  ceux-ci  lui 
donnaient  l'adhésion  de  leur  pensée,  ce 
n'est  pas  pour  accepter  ce  qu'ils  voulaient, 
ni  pour  leur  donner  la  prééminence;  mais 
c'est  qu'il  recevrait  l'évéque  de  Rome  en 
surplus,  à  son  côté,  dans  le  cas  où  il  adhé- 
rerait à  lui;  sinon,  s'il  trouvait  en  lui  un 
adversaire,   on   le  chasserait   comme  s'il 

n'avait  poupoir  en  rien 

Tu  connaissais  (ô  Dioscore),  tu  connais- 
sais exactement  ce  que  Léon  avait  mandé 
au  sujet  de  sa  lettre  à  l'empereur,  à  l'impé- 
ratrice et  à  Flavien  lui-même,  et  tu  as  pris 
au  contraire  la  route  gui  conduit  vers 
l'empereur  pour  la  suivre  en  laissant  celle 
gui  conduit  à  Dieu,  sans  t'en  soucier  beau- 
coup. Je  ne  dis  pas  asse!{  :  tu  ne  l'as  comptée 
pour  rien  et  tu  as  méprisé  Dieu  (i). 

A  lire  attentivement  ce  passage,  on 
voit  que  Nestorius  ne  faisait  point  excep- 
tion parmi  ses  contemporains,  que  pour 
lui,  comme  pour  eux,  le  Siège  de  Rome 
était  le  Siège  de  Pierre,  que  ce  Siège  avait 
la  prééminence,  que  lui  obéir  était  obéir 
à  Dieu  et  suivre  le  chemin  qui  conduit 
à  lui.  Nestorius  a  seulement  eu  le  tort 
d'être  inconséquent,  de  faire  ce  qu'il 
reproche  à  Dioscore;  car  lui  aussi  suivit  la 
route  qui  conduisait  à  l'empereur  et  aban- 
donna la  route  qui  conduisait  à  Dieu,  la 
route  de  l'obéissance  au  Pape,  lorsqu'au 
lieu  de  se  soumettre  promptement  à  la 
décision  de  Célestin,  il  se  tourna  vers  l'em- 
pereur pour  demander  un  concile  général. 

Dans  le  groupe  des  Orientaux  adver- 
saires de  Cyrille,  on  remarquait  deux 
évêques  fort  intelligents,  mais  de  caractère 
intraitable,  Euthérius  de  Tyane  et  Helladius 
de  Tarse.  Ces  prélats  furent  de  ceux  qui 
refusèrent  obstinément  de  souscrire  à 
l'union  conclue,  en  433,  entre  saint  Cyrille 
et  Jean  d'Antioche.  Ils  étaient  tellement 
persuadés  de  la  bonté  de  leur  cause  que, 
du  fond  de  l'Asie  Mineure,  ils  se  tour- 
nèrent vers  le  Pape  Sixte  111  comme  vers 
leur  Sauveur  et  lui  écrivirent  une  belle 
lettre,  qui  est  un  témoignage  irréfragable 
de  leur  croyance  à  la  primauté  romaine  (2)  : 

(i)  Le  livre  d'Héraclide,  p.  3o2-3o3. 
(2)  Cet  appel  au  Pape  a  échappé  au  R.  P.  Bernar- 
dakis  dans  son  travail  sur  les  appels  des  Orientaux 


LA   PRIMAUTE    ROMAINE    AU    CONCILE    D^EPHESE 


145 


Dans  sa  perpétuelle  sollicitude  pour  le 
genre  humain,  le  Christ  Notre-Seigneur 
a  préparé  à  chaque  époque  des  flambeaux 
éclatants  pour  guider  les  hommes  de  bonne 
volonté,  confondre  leurs  ennemis,  détruire 
le  mensonge  et  confirmer  la  vérité.  C'est 
ainsi  que  sous  le  cruel  Pharaon  il  fit  surgir 
le  bienheureux  Moïse  contre  Jamnès  et 
Mambré,  qu'à  Simon  le  Magicien  il  opposa 
Pierre  le  Victorieux  ;  et  c'est  ainsi  que  contre 
les  ennemis  de  nos  jours  il  a  fait  lever 
Votre  Sainteté,  qui.  nous  en  avons  la  ferme 
espérance,  délivrera  l'univers  de  l'erreur 
égyptienne  (i).  Nouveau  Moïse,  vous  frap- 
perez tout  Egyptien  hérétique  et  vous  sau- 
verez tout  Israélite  orthodoxe. 

Devant  les  innombrables  attentats  com- 
miscontrelavérité,  envoyant  la  perleétince- 
lante  de  l'orthodoxie  en  butte  à  des  attaques, 
inouïes  jusqu'ici,  de  la  part  de  ceux  qui  ont 
inventé  ces  nouveautés  contre  la  foi  aposto- 
lique de  nos  pères,  il  est  de  notredevoir,  à  nous 
qui  sommes  assaillis  par  les  plus  violentes 
tempêtes  et  sommes  presque  entre  les  mains 
des  pirates,  de  crier  vers  celui  que  Dieu 
nous  a  donné  comme  pilote,  et,  par  amour 
pour  la  vérité,  de  le  renseigner  autant  que 
possible.  Dans  votre  sagesse,  vous  ne  nous 
répondrez  point  par  le  mépris;  vous  ne  pas- 
serez point  à  la  légère  sur  une  si  grave 
affaire,  mais  vous  lui  donnerez  tous  vos 
soins  et  vous  imposerez  le  châtiment  et  la 
réforme  avec  toute  la  fermeté  et  toute 
l'assurance  qui  conviennent,  et  qui  ne 
peuvent  qu'être  agréables  à  Dieu  (2). 

A  plusieurs  reprises  déjà  dans  le  passé, 
votre  Siège  apostolique  a  suffi  à  réfuter  le 
mensonge,  à  réprimer  l'impiété,  à  réformer 
ce  qui  en  avait  besoin,  et  à  protéger  l'uni- 
vers pour  la  plus  grande  joie  du  Christ  (3), 
tant  sous  le  bienheureux  et  saint  évêque 

au  Saint-Siège  {Echos  d'Orient,  t.  VI).  Il  n'est  pas 
non  plus  signalé  par  Dora  Leclercq  dans  la   note 
ajoutée  au  tome  II  (II'  partie,  p.  1238-1259)  de  sa 
traduction  de  l'Histoire  des  conciles  de  Hételé. 
il)  11  s'agit  de  la  doctrine  de  saint  Cyrille. 

(2)  Nostrum  quidem  est ad  eiim  clamare  qui 

a  Deo  productus  est  gubernator  eumque  pro 
amore  veritatis,  quantum  possibile  est  edocere; 

tuœ  autem  gratiœ  sapientiœque  est imponere 

emendationem  cum  tota  constantia  et  Deo  dilecta 
fiducia. 

(3)  Et  olim   siquidem suffecit  vestra  apo- 

stolica    sedes ad    mendacium   convincendum, 

impietatemque  reprimendam  et  corrigenda  quœ 
necessarium  fuit  muniendumque  orbem  terrarum 
ad  gloriam  Christi. 


Damase  que  sous  plusieurs  autres  pontifes 
célèbres  et  dignes  d'admiration.  C'est  pour- 
quoi nous  osons,  nous  aussi,  vous  adresser 
nos  demandes  pressantes,  afin  que  vous 
veniez  au  secours  de  l'univers  et  dans  la 
partie  qui  est  dans  l'erreur,  et  dans  celle 
qui  subit  une  tyrannique  persécution,  parce 
qu'elle  refuse  de  donner  son  assentiment 
à  des  doctrines  inacceptables 

Nous  prosternant  aux  pieds  de  Votre 
Piété,  nous  vous  supplions  de  nous  tendre 
une  main  secourable,  d'empêcher  le  nau- 
frage de  la  chrétienté,  d'ordonner  une 
enquête  sur  tout  ce  qui  s'est  passé  et  de 
corriger  ces  abus  (i).  Que  les  saints  pas- 
teurs qu'on  a  injustement  éloignés  de  leurs 
ouailles  soient  rappelés,  et  que  la  tranquil- 
lité et  l'ancienne  concorde  soient  rendues 
aux  troupeaux 

Nous  aurions  depuis  longtemps  accouru 
auprès  de  Votre  Sainteté,  nous  qui  sommes 
de  divers  pays,  c'est-à-dire  des  régions  de 
l'Euphrate,  des  deux  Cilicies,  de  la  Cappa- 
doce  seconde,  de  la  Bithynie,  de  la  Thes- 
salie  et  de  la  Mésie  (2),  pour  répandre  des 
torrents  de  larmes  et  pleurer  publiquement 
les  maux  inouïs  qui  ont  fondu  sur  nous, 
mais  nous  avons  été  retenus  par  la  crainte 
des  loups,  prompts  adresser  des  embûches 
aux  troupeaux,  à  les  ravir,  à  les  induire  en 
erreur  et  en  toute  sorte  de  maux.  Nous 
avons  donc  été  obligés  de  vous  envoyer 
à  notre  place  des  clercs  et  des  moines  pour 
nous  représenter.  Nous  vous  en  supplions 
donc,  levez-vous  sans  retard,  et,  dans  votre 
zèle  ardent,  dressez  un  grand  trophée  contre 
les  ennemis,  ayant  devant  les  yeux  la  dili- 
gence du  bon  Pasteur  et  son  amour  pour  la 
brebis  égarée 

Imitez  ce  grand  héraut  de  la  foi,  Paul, 
l'œil  du  monde,  en  qui  nous  croyons  pos- 
séder le  gage  de  notre  union  intime  avec 
Votre  Sainteté.  Car  il  est  notre  compa- 
triote (i),  celui  qui,  après  avoir  détruit 
l'erreur  par  tout  l'univers,  est  devenu  l'or- 
nement de  Votre  Siège  apostolique.  A  lui 
le  bienheureux  Pierre  tendit  une  main  amie 


(i)  Rogamus  et  sanctis  tuœ  religiositatis  provol- 
vimur  pedibus  ut  manum  porrigas  salutarem  et 
auferas  mundi  naufragiutn  omniumque  horum 
inquisitionem  jubeas  fieri. 

(2)  On  voit  qu'Euthérius  et  Helladius  parlent  pour 
tous  ceux  qui  n'ont  pas  voulu  accepter  le  symbole 
d'union  de  433. 

(3)  Se  rappeler  que  saint  Paul  est  né  à  Tarse, 


146 


ÉCHOS   d'orient 


et  se  l'associa,  pour  qu'il  fût  clair  qu'à 
tous  deux  était  confiée  la  sauvegarde  de 
l'orthodoxie  (i).  Nous  vous  en  prions 
encore  une  fois,  ne  nous  méprisez  point, 
nous  que  tant  de  maux  accablent.  Nous  ne 
luttons  ni  pour  des  richesses,  ni  pour  la 
gloire,  ni  pour  tout  autre  intérêt  temporel, 
mais  pour  la  possession  de  la  vraie  religion, 
pour  le  trésor  de  la  foi  reçu  de  nos  pères, 
pour  l'espérance  commune  des  fidèles  (2). 

Cette  lettre  se  passe  de  commentaire. 
Euthérius  et  Helladius  y  affirment  claire- 
ment la  primauté  de  juridiction  de  l'évêque 
de  Rome  sur  l'Eglise  universelle.  Cette 
primauté  est  de  droit  divin,  car  l'évêque 
de  Rome,  successeur  de  Pierre,  est  le 
pilote  placé  par  Dieu  au  gouvernail  de 
l'Eglise.  Il  a  le  pouvoir  et  le  devoir  de 
s'occuper  des  intérêts  de  toute  la  chré- 
tienté. A  lui  de  veiller  à  la  pureté  de  la 
foi  en  condamnant  les  hérétiques;  à  lui 
de  corriger  les  abus,  de  casser  les  sen- 
tences injustes,  d'imposer  sa  volonté  à 
tous,  de  recevoir  des  appels  de  tous  les 
points  de  l'univers. 

Le  meilleur  théologien  du  groupe  des 
Orientaux  était  certainement  Théodoret, 
évêque  de  Cyr.  Lui  aussi  résista  longtemps 
au  concile  d'Ephèse,  mais  il  n'en  admet- 
tait pas  moins  la  primauté  du  siège  de 
Rome,  comme  il  le  prouva,  quelques 
années  plus  tard,  lorsque,  déposé  de  son 


siège,  au  brigandage  d'Ephèse,  en  449,  il 
en  appela  au  pape  Léon  : 

Nous  recourons  à  votre  Siège  aposto- 
lique, lui  écrit-il,  pour  recevoir  de  vous  les 
remèdes  aux  blessures  des  Eglises.  C'est  à 
vous,  en  effet,  qu'il  convient  d'avoir  la  pri- 
mauté en  tout  {i). 

Il  dit  dans  une  autre  lettre  que  le  siège 
de  Renie  a  la  direction,  y.ystjiovtav,  des 
Eglises  qui  soni  par  tout  l'univers  (2). 

Après  avoir  rapporté  tous  ces  témoi- 
gnages irrécusables  de  la  foi  de  l'Eglise 
universelleàlaprimauté  romaine,  à  l'époque 
du  concile  d'Ephèse,  nous  croyons  inutile 
de  nous  arrêter  à  discuter  les  arguties 
par  lesquelles  les  Gallicans  essayaient  d'en 
détruire  ou  d'en  atténuer  la  portée.  Ces 
arguties  disparaissent  devant  le  faisceau 
de  lumière  projeté  par  l'ensemble  de  ces 
preuves,  comme  disparaît  l'ombre  devant 
le  soleil.  Le  prêtre  Philippe  avait  bien 
raison  de  le  dire  :  il  n'était  douteux  pour 
personne,  dans  l'Eglise,  en  431,  que  le 
bienheureux  Pierre,  le  prince  et  le  chef 
des  apôtres,  la  colonne  de  la  foi,  le  fon- 
dement de  l'Eglise  catholique,  le  porte- 
clés  du  royaume,  continue  de  vivre  et  de 
gouverner  dans  la  personne  de  ses  suc- 
cesseurs, les  évêques  de  Rome. 


Constantinople. 


M.  JUGIE. 


PRIÈRES  SUPERSTITIEUSHS 

DES  GRECS  DE  CHIMARA 


Il  est  très  difficile  en  Grèce  de  se  pro- 
curer d'authentiques  prières  supersti- 
tieuses. Les  gestes  des  sorcières  et  leurs 


(i)  lUius  apostolicœ  sedisfactus  est  ornamentum 
et  a  beato  Petro  dexteram  societalis  accepit,  ut 
appareret  ab  utrisque  œquam  subtilitatem  dogma- 
tum  custodiri. 

(2)  Cette  lettre  est  tirée  du  Synodicon  cassi- 
nense.  Mansi,  t.  V,  col.  893-897. 


simagrées  varient  plus  ou  moins  selon  le 
malade  et  l'argent  qu'elles  escomptent 
de  la  guérison.  Mais  les  formules  leur 
sont  pour  ainsi  dire  sacrées.  C'est  le 
côté  le  plus  curieux  de  ces  pratiques 
quasi  païennes.  Un  prêtre  catholique  du 


(i)  Epist.  CXIII.  P.  G.,  t.  LXXXIII.  col.    i3i6. 
(2)  Epist.  ex VI.  Ibid.,  col.  1324. 


PRIERES    SUPERSTITIEUSES    DES  GRECS    DE    CHIMARA 


147 


diocèse  d'Athènesme  racontait  récemment 
que,  au  cours  d'une  attaque  de  jaunisse,  il 
avait  reçu  la  visite  de  trois  guérisseuses, 
dont  la  plus  jeune  lui  parut  avoir  au 
moins  soixante-dix  ans.  Malgré  ses  ins- 
tances, aucune  ne  consentit  à  lui  confier 
le  secret  de  la  formule  déprécatoire  usitée 
pour  la  maladie  dont  il  souffrait. 

Celles  qui  suivent  ont  été  recueillies  chez 
les  Albano-Grecs  orthodoxes  du  nord 
de  l'Epire  et  de  Chimara,  près  de  Haghii- 
Saranda,  le  port  de  l'Epire  turque  (i). 
Ayant  eu  l'occasion  de  rendre  service  à 
une  Grecque  chimariote,  je  lui  demandai 
en  retour  quelques  prières  ou  formules 
authentiques  employées  par  les  guéris- 
seuses de  son  pays.  Elle  m'en  envoya 
cinq  ou  six  seulement. 

—  Cherchez  ailleurs,  ajoutait-elle;  les 
vieilles  ne  me  confient  plus  rien.  Elles 
craignent  de  perdre  leur  gagne-pain,  et  sur- 
tout de  se  voir  enlever  le  pouvoir  de  guérir, 
car  une  formule  connue  n'est  plus  efficace. 

I.   ApOSTÈME,    abcès   ou    FURONCLE. 

Quelqu'un  souflfre-t-U  d'un  abcès  ou 
d'un  furoncle.?  Le  guérisseur  vient,  muni 
d'une  hache,  et  trace  avec  le  tranchant 
des  signes  de  croix  un  peu  partout,  sur 
le  linteau  de  la  porte,  sur  le  seuil  et  au 
coin  de  làtre.  Un  compère  interroge: 

—  Que  fais-tu  donc? 

Le  guérisseur  continue  ses  signes  de 
croix.  Soudain,  il  se  redresse  et  frappe 
violemment  d'un  coup  de  hache  en  di- 
sant : 

—  je  coupe  l'abcès. 

Il  répète  ce  geste  trois  fois  sur  le  lin- 
teau et  sur  le  foyer;  et  l'abcès  n'enfle 
plus,  mais  commence  à  suppurer. 

C'est  un  rite  de  magie  imitative,  auquel 

(i)  Le  territoire  de  Chimara  (  10 000  habitants)  est 
constitué  par  une  agglomération  de  sept  villages 
albano-grecs  des  monts  acrocérauni^ns,  vers  le 
nord  de  l'Epire  turque.  Chimara,  le  chef-lieu 
(2  200  habitants),  qu'on  voit  très  bien  de  la  mer, 
un  peu  avant  d'arriver  à  Santi-Quaranta  (Ha^ii- 
Sarandat,  le  port  turc  situé  en  face  de  l'ile  de  Cor- 
fou,  est  bâtie  sur  une  colline,  entourée  elle-même 
d'un  demi-cercle  de  montagnes  inaccessibles  finis- 
sant à  la  mer.  Les  villages  sont  sur  la  montagne. 


on   a   ajouté    l'emploi    superstitieux   du 
signe  de  la  croix. 

II.  Une  PAILLE  DANS  l'œil. 

Un  grain  de  sable,  une  escarbille  de 
charbon  ou  un  fétu  de  paille  est  entré 
dans  l'œil  d'un  berger  et  refuse  de  sortir. 
Vite,  sur  la  promesse  de  deux  ou  trois 
sous,  une  vieille  accourt,  saisit  les  cils  du 
patient  et  les  fait  mouvoir  en  forme  de 
croix.  Ce  faisant,  elle  répète  de  façon 
inintelligible  ces  paroles  : 

—  Grain  dans  l'œil  ( ;jL7:à;jL7::aAov  en 
albanais),  poisson  dans  la  poêle;  le  vent 
le  fait  entrer,  le  Christ  le  fait  sortir. 

En  Charolais  et  en  Languedoc,  les  enfants 
qui  ont  le  hoquet,  pour  avoir  trop  ri  ou 
mangé  sans  mesure,  s'essayent  à  répéter 
sept  fois  sans  respirer  :  «  J'ai  le  hoquet, 
Dieu  me  l'a  fait;  petit  Jésus,  je  ne  lai 
plus.  »  Dans  les  deux  cas,  le  procédé  est 
le  même.  La  sorcière,  en  faisant  mouvoir 
en  tous  sens  les  paupières  du  paysan 
crédule,  fait  sortir  le  grain  de  sable  ou 
l'escarbille.  De  même,  les  paroles  pronon- 
cées par  l'enfant  règlent  sa  respiration  et 
arrêtent  le  hoquet.  Mais  le  gamin  autant 
que  le  guérisseur  chimariote  est  persuadé 
que  seule  la  formule  agit. 

m.  La  bascania  ou  mauvais  œil. 

Le  traitement  de  la  bascania  est  la 
grande  spécialité  de  ces  guérisseuses.  Il 
n'en  est  pas  de  plus  lucrative.  La  sorcière 
amenée  examine  longuement  le  malade. 
S'il  se  met  à  bâiller,  c'est  qu'il  est  vrai- 
ment victime  de  la  bascania.  Mais  il 
importe  d'abord  de  savoir  qui  l'a  ensor- 
celé, car  la  formule  varie  selon  le  sexe  du 
jettatore.  Ce  qui  nous  parait  si  difficile 
n'est  qu'un  jeu  pour  la  sorcière.  Elle 
compte  les  bâillements.  Le  prétendu  ma- 
lade, ahuri  par  cette  folle  consultation, 
bâille-t-il  quatre  fois,  par  exemple,  c'est 
par  une  femme  qu'est  venue  la  bascania. 
Bàille-t-il  cinq  fois,  c'est parunhomme(i). 
Et  l'exorcisme  commence. 

U  )  Le   bàiUemeat  chez   les  Cafres  est  le  signe 


148 


ÉCHOS  d'orient 


On  fait  sur  le  malade  un  signe  de  croix 
de  la  main  droite  et  l'on  récite  cette 
prière  : 

—  Saint  Anargyros,  thaumaturge,  qui  as 
guéri  de  nombreux  malades,  guéris  encore 
ce  serviteur  de  Dieu  qui  a  été  baptisé,  con- 
firmé et  consacré  à  Dieu.  Bascania,  basca- 
nia,  sors  de  sa  tête  et  de  ses  entrailles.  Va 
sur  les  collines  et  dans  les  montagnes,  là 
où  le  cheval  ne  hennit  pas,  où  l'on  ne  cuit 
pas  de  gâteaux  pour  les  enfants.  Si  la  bas- 
cania provient  d'un  homme  (ou  si  elle  pro- 
vient d'une  femme),  que  son  œil  crève,  que 
son  cœur  crève!  (i)  —  Au  nom  du  Père  et 
Fils....  (trois  fois). 

L'ensorcelé  boit  un  verre  d'eau,  et  le 
sort  est  conjuré. 

Un  jeune  Chimariote  de  mes  amis, 
souffrant  de  la  fièvre  depuis  huit  jours, 
refusait  nettement  de  se  livrer  à  de  si  en- 
fantines pratiques.  On  le  fit  exorciser 
pendant  qu'il  dormait,  et  au  réveil,  sans 
même  l'avertir,  on  lui  donna  à  boire  le 
verre    d'eau  préparé  par  la  guérisseuse. 

—  Pour  comble  de  malchance,  ajou- 
tait-il en  riant,  ce  même  jour  la  fièvre 
disparut,  et  toute  ma  famille  demeura 
persuadée  que  l'exorcisme  m'avait  guéri. 

IV.     L'ÉRYSIPÈLE. 

En  casd'érysipèle,  la  formuleàemployer 
est  simple,  bien  qu'on  ne  comprenne  pas 
pour  quel  motif  un  texte  du  quatrième 
Evangile  a  été  choisi. 

Au  commencement  était  le  Verbe,  et  le 
Verbe  était  Dieu.  Erysipèle,  érysipèle,  éry- 
sipèle,  va-t-en.  Ne  touche  pas  un  seul  nerf. 
Qu'il  ne  souff're  rien.  Amen. 

La  vieille  femme  tenant  à  la  main  un 
morceau  d'argent  ou  une  pièce  de  mon- 
naie répète  par  trois  fois  cet  exorcisme. 
Puis  elle  souffle  à  trois  reprises  sur  le 
patient. 


de  l'appel  d'un  bon  esprit.  A.  Bros,  la  Religion 
des  peuples  non  civilisés,  p.  41. 

(1)  Le  terme  est  fort,  mais  c'est  la  seule  traduc- 
tion possible,  va  (7/.d(ffT,.  Les  Grecs,  d'ailleurs,  se  le 
disent  couramment  dans  le  sens  de  :  tu  m'embêtes, 
tais-toi,  le  diable  t'emporte  !  M'è'ffy.acrei;,  (T/.i(Ts.. 


V.  La  tsica. 

Dans  le  patois  albano-grec,  on  désigne 
sous  le  nom  de  -vT'lxa  toute  inflammation' 
de  l'œil  suivie  de  suppuration. 

La  guérisseuse  arrive  avec  une  branche 
d'olivier,  de  l'herbe  aux  scorpions,  de 
l'herbe  de  prairie  et  un  couteau  à  manche 
noir.  Elle  attache  le  tout  ensemble  et 
trace  un  signe  de  croix  sur  l'œil  malade 
en  disant  cette  prière  : 

—  Au  nom  du  Père  et  du  Fils (trois 

fois).  Saint  Anargyros,  thaumaturge,  toi 
qui  as  guéri  de  nombreux  malades,  guéris 
encore  ton  serviteur  N...  Il  y  avait  deux 
frères  qui  s'aimaient  bien.  Ils  taillaient 
un  jour  le  linteau  et  l'appui  d'une  fenêtre 
de  marbre.  La  pierre  éclata  et  un  fragment 
frappa  l'un  des  serviteurs  de  Dieu  dans 
l'œil.  Lors  il  grinça  des  dents  et  poussa  de 
grands  cris,  et  son  cri  troubla  la  mer.  Et  il 
ne  put  supporter  son  mal,  pas  même  un 
jour,  pas  même  un  quart  d'heure.  Or.  la 
Panaghia  venait  d'Orient,  se  dirigeant  vers 
l'Ouest.  Elle  demanda  :  «  Qu'a  donc  le  ser- 
viteur de  Dieu  à  l'œil?  »  Quelqu'un  répon- 
dit :  «  Il  y  avait  deux  frères  qui  s'aimaient 
bien.  Ils  taillaient  le  linteau  et  l'appui 
d'une  fenêtre  de  marbre,  et  un  éclat  frappa- 
le  serviteur  de  Dieu  dans  l'œil.  Et  il  grince 
des  dents,  et  il  crie,  et  son  cri  trouble  la 
mer,  et  il  ne  peut  supporter  son  mal,  pas 
même  un  jour,  pas  même  un  quart  d'heure.» 
Et  la  Panaghia  dit  :  «  Prenez  sur  le 
mur  de  l'herbe  aux  scorpions,  puis  de 
l'herbe  de  prairie  et  un  couteau  à  manche 
noir,  et  dispersez  la  maladie.  Oui,  qu'elle 
aille  sur  les  collines  et  dans  les  montagnes, 
où  le  coq  ne  lance  pas  son  cocorico,  où  l'on 
ne  cuit  pas  de  gâteaux  pour  les  enfants,  où 
la  lampe  du  Sauveur  ne  brûle  pas.  Comme 
les  rayons  du  soleil,  les  rouges  et  les  verts, 
s'évanouissent,  qu'ainsi  s'évanouisse  la 
tsica!  »  Au  nom  du  Père  et  du  Fils 

Elle  souffle  trois  fois  sur  l'œil,  et  l'in- 
flammation commence  à  diminuer. 

Quelques  remarques  sur  cette  extraor- 
dinaire  invocation.  Le  saint  invoqué  n'est 
pas  un  personnage  réel.  Anargyros,  celui 
qui  ne  reçoit  pas  d'argent,  est  un  titre 
donné  à  plusieurs  saints  du  calendrier 
grec.  Les  plus  connus  sont  les  médecins 


PRIÈRES   SUPERSTITIEUSES   DES    GRECS    DE   CHIMARA 


149 


martyrs  Corne  et  Damien,  qui,  dit-on, 
donnaient  gratuitement  des  consultations 
aux  chrétiens  pauvres.  Dix  anargyres  sont 
nommés  par  groupes  de  deux  dans  la 
curieuse  prière  dite  des  sept  dormants  (1), 
que  l'on  récite  sur  les  malades  pour  les 
faire  dormir.  Le  dernier  de  la  série  est  le 
martyr  Tryphon,  qui  joue  un  grand  rôle 
dans  les  exorcismes  extra-liturgiques.  11 
va  de  pair  avec  saint  Thalelaios. 

Suit  la  relation  très  réaliste  du  miracle 
opéré  par  la  Panaghia.  On  se  demande 
pourquoi  c'est  la  Panaghia  qui  agit  et  non 
Vanargyros.  Il  y  a  sans  doute  juxtaposi- 
tion de  deux  prières,  l'une  plus  ancienne 
et  de  style  vraiment  liturgique  analogue 
à  la  première  partie  de  celle  employée 
contre  la  hascania;  une  autre  d'allure  et 
de  langue  populaire  dans  laquelle  seule 
la  Panaghia  est  en  scène.  Mais  les  magi- 
ciens ne  se  posent  guère  de  telles  ques- 
tions. 11  leur  importe  seulement  d'avoir 
une  recette  pour  guérir,  et  certes  la 
Sainte  Vierge  a  donné  la  meilleure.  Son 
bref  discours  abonde  en  expressions  pit- 
toresques et  en  images  empruntées  à  la 
vie  des  paysans.  Même  dans  les  maisons 
les  plus  pauvres,  à  Chimara,  une  veilleuse 
brûle  jour  et  nuit  devant  l'icône  du  Sau- 
veur ou  du  saint  protecteur  de  la  famille; 
les  gâteaux  dont  il  est  parlé,  les  coulouria, 
sont  les  gimbelettes  dont  sont  friands 
tous  les  Orientaux.  Comment  veilleuse, 
gimbelelte,  ou  le  coq  qui  par  son  chant 
Joyeux  met  la  maison  en  gaieté,  pour- 
raient-ils se  trouver  dans  les  montagnes 
pierreuses  qui  s'étagent  le  long  des  côtes 
de  la  mer  loniennne? 

Il  est  toujours  périlleux  d'indiquer  le 
pays  d'origine  de  telles  compositions, 
d'autant  que  les  mêmes  motifs  se  re- 
trouvent dans  tout  le  monde  orthodoxe. 
Je  connais  sept  ou  huit  exorcismes  em- 
ployés ailleurs  qu'en  Epire,  et  à  quelques 
détails  près  tout  à  fait  dans  le  genre  de 
la  prière  contre  la  tsica.  Ici  pourtant  la 
mention  de  la  mer  qu'on  aperçoit  de  Chi- 


li) GoAR,   ECyoÀôv'.ov    sive  Rituale  Grœcorum. 
Paris,  1647,  P-  7o3. 


mara,  l'allusion  au  coucher  du  soleil  si 
magnifique  en  ces  montagnes,  et  ce  nom 
même  de  tsica  donné  par  les  paysans 
albanais  au  plus  haut  sommet  des  monts 
acrocérauniens,  presque  toujours  couvert 
de  neige,  sont  un  indice  de  la  provenance. 
Des  Albanais  ou  des  Epirotes  riverains 
de  la  mer  Ionienne  n'auraient  pas  conçu 
cette  prière  autrement.  Enfin,  l'emploi  de 
l'herbe  aux  scorpions  comme  remède  est 
j  encore  un  indice,  car  cette  petite  plante 
}  grimpante,  de  la  famille  des  scorpiures, 
qu'on  appelle  aussi  chenille  ou  chenil- 
lette,  est  propre  à  la  région  méditerra- 
néenne. 

Il  existe  une  formule  et  un  rite  spécial 
pour  faire  disparaître  l'irritation  causée 
à  l'œil  par  l'orgelet.  C'est  un  simple  jeu 
de  mots.  Le  paysan  affecté  de  ce  léger 
ennui  se  lève  avec  «  la  première  étoile  » 
et  prend  un  grain  d'orge.  Orgelet  se  dit 
en  grec  populaire  xo'M  qui  signifie  éga- 
lement orge.  Puis  il  dit  :  «  Orge,  prends 
l'orge  »,  et  en  prononçant  ces  paroles  il 
jette  le  grain  derrière  ses  épaules.  Il 
recommence  trois  fois,  ajoute  la  recette, 
et  l'orgelet  disparaît. 

VI.  Présages  et  protection 

DES   animaux  par   LA  MAGIE. 

M.  Albert  Dumont,  qui  fut  directeur 
de  l'Ecole  française  d'Athènes,  rapportant 
quelques  croyances  populaires  des  Alba- 
nais, écrit  :  «  Les  chefs  ont  l'art  de  con- 
sulter les  auspices,  surtout  en  regardant 
les  os  et  les  entrailles  des  bêtes  qu'ils 
tuent  ».  (i)  Les  Chimariotes  orthodoxes 
agissent  de  même.  Au  milieu  d'un  ban- 
quet, quand  l'agneau  rôti  à  la  pallikare  a. 
été  découpé  et  partagé,  l'ancien  de  la 
famille  prend  l'omoplate  et  examine  à 
contre-jour  la  fosse  où  s'attache  le  muscle. 
Et  d'après  la  disposition  des  rides  de  l'os 
il  prédit  l'avenir.  C'est  un  privilège  des 
vieillards  ou  des  chefs.  Aussi  n'est-ii  pas 
étonnant  que  l'un  d'eux,  au  printemps 


(  u  A.  Dumont,  le  Balkan  et  l'Adriatique.  Paris, 
1874,  p.  3 II. 


i^o 


ECHOS    D  ORIENT 


dernier,  ait  annoncé  l'arrivée  à  Chimara 
des  troupes  turques,  qui  d'ailleurs,  est-il 
juste  d'ajouter,  occupaient  le  pays  depuis 
plusieurs  semaines. 

Ces  paysans,  la  plupart  bergers,  pour 
qui  la  vie  est  toujours  peineuse,  et  qui 
se  croient  trop  souvent  le  jouet  de  puis- 
sances malignes,  cherchent  par  instinct 
à  se  rendre  le  sort  favorable.  Le  moindre 
geste,  le  plus  futile  incident  est  inter- 
prété par  eux  en  bien  ou  en  mal.  Si  dans 
la  maison  un  petit  enfant  s'amuse  à 
marcher  à  quatre  pattes,  c'est  qu'un  ami 
ou  un  parent  viendra  rendre  visite.  Si  un 
taon  de  mulet  se  pose  sur  la  main  d'un 
agoyate,  de  suite  on  en  conclut  que 
celui-ci  recevra  une  heureuse  nouvelle. 
Un  mari  et  sa  femme  se  promènent. 
Aperçoivent-ils  deux  serpents  réunis, 
c'est  de  bon  augure.  Mais  si  à  leur 
approche  les  serpents  s'enfuient  chacun 
de  leur  côté,  le  divorce  séparera  bientôt 
les  deux  conjoints. 

Le  serpent  est  en  général  redouté  et 
pour  cause.  Mais  ce  qui  de  prime  abord 
surprend,  c'est  que  cette  crainte  du  mal- 
faisant reptile  est  surtout  fondée  sur  des 
raisons  superstitieuses.  Un  paysan  de 
Drymadès,  en  Epire  turque,  à  qui  je  disais, 
pour  connaître  son  sentiment,  que  le 
mardi  était  un  jour  néfaste  depuis  la  prise 
de  Constantinople,  me  répondit  :  «  Non, 
ce  n'est  pas  le  véritable  motif.  Mais  le 
serpent  trompa  notre  mère  Eve  un  mardi, 
et  depuis  ce  fatal  jour  nous  sommes  tous 
malheureux.  » 

Le  loup  est  encore  plus  exécré,  pour 
des  motifs  de  même  valeur.  De  tous  temps, 
chez  les  Grecs,  ce  terrible  animal  a  été 
l'objet  de  croyances  superstitieuses.  Après 
avoir  raconté  la  fantastique  histoire  d'An- 
thus  l'Arcadien  métamorphosé  en  loup, 
Pline  ajoute  :  «  On  est  stupéfait  de  l'excès 
de  la  crédulité  grecque.  »  Le  naïf  écrivain 
n'était  pourtant  guère  exigeant  (i). 


(i)  Pline,  Hist.  nat.,  VIII,  34.  La  croyance  aax 
loups-garous,  si  répandue  dans  les  campagnes  de 
France,  a  existé  de  tout  temps  chez  les  Grecs.  De 
même  l'expression  avoir  vu  le  loup  pour  rester 
muet  est  d'origine  grecque.  Théocrite,   xiv,  22. 


Les  paysans  d'aujourd'hui  sont  aussi 
crédules  que  leurs  ancêtres.  Ils  croient 
pouvoir  protéger  un  agneau  contre  la  dent 
du  loup  aussi  facilement  qu'ils  guérissent 
un  abcès.  Mais  il  est  permis  plus  encore 
de  douter  de  l'efficacité  d'un  exorcisme 
quand  il  s'adresse  à  un  animal  affamé. 
Voici  la  formule  : 

On  prend  trois  clous  et  un  peu  de  laine 
de  mouton  et  l'on  fixe  celte  laine  avec  les 
trois  clous  sur  un  arbre  ou  sur  un  tronc 
desséché.  II  faut  être  deux.  Pendant  que  le 
premier  enfonce  les  clous,  son  compère  lui 
demande  :  «  Que  fais-tu?  »  L'autre  répond  : 
Je  cloue  le  loup  pour  qu'il  n'ose  pas  manger 
les  moutons.  »  Et  il  cloue  solidement. 

On  rencontre  fréquemment  ces  clous 
dans  les  endroits  fréquentés  par  les  ber- 
gers. Les  passants  se  feraient  scrupule 
d'y  toucher  :  ce  sont  des  £;opx',a. 

Le  procédé  est  un  de  ceux  employés 
par  les  primitifs  pour  se  rendre  la  chasse 
favorable,  à  moins  qu'on  ne  veuille  y 
voir  un  rite  d'envoûtement,  l'animal  visé 
ressentant  les  effets  du  clou,  ou  même 
une  innocente  ruse  destinée  à  faire  croire 
au  loup  que  les  brebis  vivantes  sont  pro- 
tégées de  même  façon  que  la  touffe  de 
laine  exposée  à  l'air.  Les  sorciers  meneurs 
de  loups  du  Limousin  ont  pour  encîa- 
-veler  l'animal  des  formules  encore  plus 
absurdes. 

11  existe  heureusement  des  animaux 
moins  redoutables  que  la  vipère  ou  le 
loup.  Encore  est-il  nécessaire  de  se  pro- 
téger contre  leurs  attaques.  Ainsi  la 
mouche  charbonneuse,  les  guêpes  ou 
certaines  mouches  venimeuses.  Quand 
une  de  ces  bestioles  a  piqué  un  mouton, 
un  mulet  ou  une  chèvre,  le  conducteur 
ou  le  berger  doit  se  hâter  de  dire  : 

Autant  de  temps  dure  la  grêle  au  soleil, 
autant  de  temps  reste  le  ver  dans  l'endroit 
où  il  est. 

Puis   il   prendra  trois    petites  pierres 


Dans  l'hypothèse  totémiste,  l'Apollon  lycien  adoré 
à  Corinthe  était  primitivement  un  dieu  loup. 
Habert,  la  religion  de  la  Grèce  antique,  p.  41. 
Paris,  1910. 


PRIÈRES   SUPERSTITIEUSES   DES   GRECS   DE   CHIMARA 


151 


avec  une  touffe  de  la  toison  ou  des  poils 
de  l'animal,  et  il  ira  les  placer  sous  la 
racine  d'un  poirier,  de  manière  que  la 
laine  ou  le  poil  soit  caché  par  les  pierres. 
Pendanttrois  jours  il  recommencerachaque 
matin  et  chaque  soir  au  lever  et  au  cou- 
cher du  soleil.  Pour  un  homme,  le  rituel 
est  le  même.  On  cache  sous  les  pierres 
une  mèche  de  cheveux.  Que  peut  bien 
valoir  un  traitement  de  ce  genre  en  cas 
d'infection   charbonneuse,   par  exemple? 


Ces  pratiques  superstitieuses  prises 
entre  cent  autres  dans  un  même  village 
ne  seraient  pas  à  relever,  si  elles  ne  nous 
apprenaient  à  mieux  connaître  la  menta- 
lité religieuse  du  paysan  grec.  H  a  ceci  de 
particulier  qu'étant  attaché  jusqu'au  fana- 
tisme au  credo  orthodoxe,  il  s'attache 
presque  avec  une  égale  ardeur,  malgré  les 
efforts  du  haut  clergé  et  ceux  des  Hellènes 
instruits,  à  ces  pratiques  mi-païennes,  mi- 
chrétiennes,  qui  le  surchargent  de  vaines 
observances  et  l'entretiennent  dans  une 
crainte  servile  de  l'inconnu  (i).  Toutes, 
en  définitive,  sous  une  forme  ou  sous  une 
autre,  remontent  à  une  très  haute  antiquité, 
et  il  a  fallu  des  siècles  de  christianisme 
pour   en   débarrasser  nos  imaginations. 

A  la  tribune  de  la  Chambre  des  députés, 
M.  Maurice  Barrés  constatait  récemment 
qu'en  France,  à  mesure  que  la  foi  éclairée 
diminue  dans  les  campagnes,  les  absur- 
dités de  la  magie  ou  les  panacées  de  la 
sorcellerie  la  remplacent.  Et  il  disait  con- 
naître un  village  du  Midi  «  où  l'on  pose 
dans  la  bière  les  souliers  du  mort  et  de 
l'argent;  les  souliers  pour  qu'il  puisse 
aller  au  bout  de  son  voyage,  l'argent  pour 
qu'il  puisse  satisfaire  à  la  divinité  infer- 
nale »  (2).  Or,  à  Nébégler,  au  Sud  de 


(i)  Par  contre,  le  clergé  des  campagnes,  peu  i  n- 
struitet  peu  influent,  ne  s'oppose  guère  à  la  super- 
stition. Le  pourrait-il  d'ailleurs?  puisque  lui- 
même  favorise  certaines  pratiques  dans  lesquelles 
la  crédulité  la  plus  condamnable  se  mêle  à  l'en- 
seignement chrétien,  messe  de  saint  Jean,  crovance 
au  mauvais  œil,  exorcisme  de  saint  Tryphon,  etc. 

(2)  Séance  du  17  janvier  igii.  Cf.  le  Bulletin  de 
la  semaine,  25  janv.  191 1. 


Larissa,  le  même  rite  se  retrouve  sous  un 
aspect  un  peu  différent.  Les  parents,  après 
avoir  terminé  la  toilette  du  mort,  glissent 
quelque  menue  monnaie  dans  sa  poche. 
C'est  une  survivance  curieuse  de  la 
croyance  antique  au  Styx  et  à  la  barque 
de  Charon  (1). 

Mais  il  faut  bien  prendre  garde  d'inter- 
préter de  même  manière  ces  deux  pra- 
tiques. Car  les  paysans  français  qui  se 
livrent  à  ces  folies  macabres  sont  libérés, 
ou  se  croient  tels:  ils  n'ont  plus  de  foi 
positive.  Ceux  de  Nébégler  sont  de  braves 
gens  qui  ont  l'intention  de  satisfaire  à 
toutes  les  obligations  des  funérailles  chré- 
tiennes, et  qui,  seulement  par  habitude, 
par  tradition  et  par  ignorance,  conser/ent 
un  rite  dont  ils  ne  connaissent  pas  la 
signification  précise.  Des  deux  groupes 
de  paysans  les  plus  à  plaindre  et  les  plus 
éloignés  de  l'esprit  chrétien,  les  moins 
libérés  ne  sont  pas  ceux  de  Nébégler. 

C'est  d'après  les  mêmes  principes  qu'il 
convient  de  juger  les  Albano-Grecs.  Ils 
demeurent  dans  leur  ignorance  très  atta- 
chés à  leur  religion  et  dociles  aux  instruc- 
tions de  leurs  pappas.  Mais  ils  ont  le  passé 
contre  eux.  Ils  sont  à  la  fois  héritiers  des 
anciens  Hellènes,  qui  durant  l'antiquité 
furent  en  leur  qualité  de  médecins  comme 
les  colporteurs  des  pratiques  magiques, 
et  des  Byzantins  adonnés  de  tout  temps, 
malgré  l'orthodoxie,  aux  plus  vulgaires 
superstitions.  A  Byzance  même,  à  l'époque 
de  saint  Théodore  le  Studite,  une  des 
puissances  de  la  cité  était  la  sorcière  (2). 

Louis  Arnaud. 

Athènes. 


(i)  Tout  le  monde  connaît  les  raisons  fournies 
par  les  écrivains  classiques  pour  justifier  cette 
coutume.  De  fait,  Lucien  s'en  est  moqué.  Dans 
le  y.ariTtXo'Jî  Micyllos  injurie  Charon  qui  refuse 
de  le  prendre  dans  sa  barque.  Le  vrai  motif  de  sa 
déconvenue  c'est  qu'il  n'a  pas  d'argent  pour  payer 
le  passage.  Lucien,  xaTâ-itÀo-j;,  xviii.  Cf.  Maury, 
Histoire  des  religions  de  la  Grèce  antique.  Paris, 
1857,  t.  II,  p.  i53. 

(2)  J.  Pargoire,  l'Eglise  byzantine  de  5i-j  a  84-, 
Paris,  1905,  p.  320. 


FORMATION   DE    L'ÉGLISE  BULGARE 

(Fin  "1.) 


Au  lendemain  de  son  baptême,  Boris 
demandait  à  Photius,  alors  patriarche  de 
Constantinople,  un  archevêque,  des 
évêques  et  le  cortège  obligé  d'une  hié- 
rarchie régulière.  Soit  qu'il  méconnût  la 
réalité  de  la  situation,  soit  qu'il  trouvât 
les  Bulgares  par  trop  dénués  de  culture 
chrétienne  pour  leur  accorder  l'autonomie 
ecclésiastique,  le  patriarche  byzantin  se 
contenta  d'adresser  au  khan  des  mission- 
naires avec  une  fort  jolie  lettre  (2).  Ce 
n'était  pas  ce  que  voulait  Boris.  Aussi, 
moins  de  deux  ans  après,  envoyait-il  une 
ambassade  solennelle  à  Rome  et  une  autre 
au  roi  de  Germanie,  pour  en  obtenir  ce 
que  lui  avait  refusé  Constantinople.  Le 
but  intéressé  du  souverain  bulgare  appa- 
raît manifestement  dans  cette  double 
ambassade.  Au  fond,  il  se  souciait  mé- 
diocrement d'une  suprématie  religieuse 
universelle,  d'où  qu'elle  vînt,  de  Byzance, 
de  Rome  ou  d'Allemagne;  mais  il  voyait 
un  empereur  d'Orient  couronné  par  le 
patriarche  de  Constantinople,  un  empe- 
reur d'Occident  couronné  par  l'évêque  de 
Rome,  et  son  flair  de  barbare  lui  suggé- 
rait qu'il  ne  serait  basileus  ou  tsar  que 
lorsqu'il  aurait  son  patriarche. 

L'habileté  avec  laquelle  le  pape  saint 
Nicolas  sut  entrer  dans  les  vues  de  Boris 
rendit  vains  pour  le  moment  tous  ses 
calculs  politiques.  C'est  au  mois  d'août  866 
qu'il  avait  reçu  l'ambassade  et  les  présents 
du  khan  bulgare,  c'est  le  13  novembre 
de  la  même  année  qu'une  mission  offi- 
cielle partit  de  Rome  pour  la  Bulgarie. 
Elle  avait  deux  évêques  à  sa  tête,  Formose 
de  Porto  et  Paul  de  Populania,  et  arriva 
à  destination  vers  la  fin  de  866.  Ces  deux 
évêques  devaient  gouverner  l'Eglise  bul- 
gare à  titre  provisoire,  en  attendant  qu'on 


(i)  Voir  Echos  d'Orient,  mars  iqii,  p.  8089. 
(2)  M  IGNE,  P.  G.,  t.  Cil,  coL  627-696. 


leur  donnât  des  successeurs  définitifs  sous 
la  haute  direction  d'un  archevêque,  dont 
l'investiture  par  le  pallium  appartiendrait 
au  Saint-Siège.  Saint  Nicolas  résolvait  en- 
suite, dans  ses  106  réponses  aux  consul- 
tations des  Bulgares  (i),  une  série  de 
questions  dogmatiques,  morales  et  disci- 
plinaires, posées  par  le  souverain  bulgare. 
A  défaut  d'autre  mérite  —  et  ce  n'est  pas 
le  seul  qu'on  leur  reconnaît  —  elles  ont 
au  moins  celui  d'être  claires,  précises, 
pratiques;  avantage  qu'on  ne  saurait  ac- 
corder aux  hautes  spéculations  de  méta- 
physique byzantine  que  contenait  la  ré- 
ponse de  Photius. 

Boris  s'éprit  d'une  véritable  affection 
pour  Formose,  le  chef  de  la  mission  ro- 
maine ;  il  lui  laissa  libre  carrière  pour  or- 
ganiser la  chrétienté  naissante  et  renvoyer 
dans  leurs  foyers  les  missionnaires  qui 
lui  déplairaient.  Formose  ne  se  fit  pas 
faute  d'user  de  la  permission.  A  peine  la 
mission  allemande  qui  était  dirigée  par 
Ermenrich,  évêque  de  Passau,  eut-elle  mis 
le  pied  en  Bulgarie,  qu'elle  fut  priée,  très 
poliment  du  reste,  de  reprendre  le  chemin 
qu'elle  venait  de  parcourir.  Quant  aux 
missionnaires  grecs,  coupables,  au  sur- 
plus, de  repousser  la  communion  ro- 
maine, on  usa  de  moins  de  ménage- 
ments à  leur  égard.  Partout  le  rite  latin 
fut  substitué  au  rite  grec,  les  églises  dé- 
saffectées, les  chrétiens  reconfirmés,  à  ce 
qu'assure  du  moins  Photius,  qui,  en  867, 
dénonce  le  fait  à  toute  la  chrétienté  (2). 

En  rien  de  temps,  Formose  avait  établi 
la  foi  chrétienne  sur  les  ruines  du  paga- 
nisme. A  force  de  le  voir  à  l'œuvre,  le 
khan  bulgare  le  demanda  au  Pape  comme 
archevêque;  saint  Nicolas  refusa,  allé- 
guant le  Canon  ecclésiastique  qui  prohi- 


(i)  MiGNE,  P.  L.,  t.  CXIX,  col.  978  sq. 
(2)  MiGNE,  p.  G.,  t.  Cil,  coL  724-734. 


FORMATION    DE    L  EGLISE    BULGARE 


153 


bait  le  transfert  d'un  évêque  d'un  siège 
à  un  autre,  et,  avant  de  mourir  (13  no- 
vembre 867),  il  mit  fin  à  la  mission  du 
légat  (i). 

La  nouvelle  mission,  destinée  à  rem- 
placer celle  de  Formose,  comprenait  des 
prêtres  pour  l'instruction  du  peuple  et 
deux  évêques,  Dominique  de  Trivento 
dans  le Samnium  etGrimoald  de  Bomarzo. 
Parmi  les  prêtres,  Boris  avait  toute  lati- 
tude de  choisir  celui  qui  lui  agréerait  et 
de  le  signaler  à  l'attention  du  Saint-Siège, 
qui  lui  donnerait,  avec  la  consécration 
épiscopale,  l'investiture  canonique.  La 
mission  n'était  pas  encore  partie  à  l'avè- 
nement d'Adrien  II,  qui  se  contenta  d'ap- 
prouver les  mesures  prises  par  son  pré- 
décesseur et  de  modifier  l'en-tête  des 
lettres  de  saint  Nicolas  en  substituant 
partout  son  propre  nom  (2). 

Une  violente  colère  saisit  le  souverain 
bulgare,  à  la  nouvelle  que  son  candidat 
était  repoussé.  Formose  lui-même  n'alla- 
t-il  pas  jusqu'à  manifester  un  peu  trop 
haut  son  mécontentement  de  ce  rappel 
précipité?  On  l'en  accusa  plus  tard,  même 
à  la  Cour  romaine,  en  assurant  que 
«  de  solennels  engagements  avaient  été 
échangés  entre  Boris  et  lui  :  Boris  jurant 
qu'il  n'accepterait  jamais  d'autre  arche- 
vêque que  Formose,  Formose  jurant  qu'il 
reviendrait  vers  Boris  le  plus  prompte- 
ment  possible  »;  mais  la  mémoire  de  ce 
Pape  a  été  si  calomniée  qu'on  est  en  droit 
de  ne  pas  croire  sur  parole  ses  ennemis 
personnels. 

Formose  parti,  le  souverain  bulgare 
réclama,  par  son  ambassadeur  Pierre,  le 
diacre  Marin  qu'il  avait  eu  l'occasion  de 
connaître  de  près,  ou  bien  un  autre  des 
cardinaux  romains;  cette  fois  encore,  il  se 
heurta  contre  un  refus.  Dans  la  lettre 
qu'il  lui  adresse  pendant  l'été  de  869, 
Adrien  II  répond  que  le  diacre  Marin  est 
déjà  désigné  pour  le  représenter  au  con- 
cile de  Constantinople:  à  sa  place,  il  dé- 
lègue le   sous-diacre  Silvestre  (3).  Boris 

(i)  Jaffé.  0*2887. 

(2)  Jaffé,  n*  2889. 

(3)  Jaffé,  n*  2916. 


n'y  tint  plus  et,  sur-le-champ  (magna  sub 
velocitate),  il  renvoya  en  Italie  le  sous- 
diacre  Silvestre,  ainsi  que  les  évêques 
Léopard  d'Ancône  et  Dominique  de  Tri- 
vento. Toute  relation  n'était  pourtant  pas 
rompue,  car,  en  même  temps,  il  récla- 
mait du  Pape  un  archevêque  ou  bien  For- 
mose de  Porto.  Adrien  11  n'envoya  ni  l'un 
ni  l'autre,  mais  il  promit  de  sacrer  arche- 
vêque le  prêtre  que  Boris  désignerait 
nommément  (i). 

On  s'obstinait  ainsi  de  part  et  d'autre 
à  ne  rien  modifier  des  exigences  pre- 
mières. Le  refus  de  Rome  était  d'autant 
plus  inopportun  que  de  graves  change^ 
ments  politiques  et  religieux  venaient  de 
se  produire  sur  la  scène  si  agitée  de 
Byzance,  où  l'empereur  Basile  avait  rem- 
placé Michel  111,  et  le  patriarche  Ignace 
son  rival  Photius.  L'un  et  l'autre  avaient 
tout  de  suite  porté  leur  attention  sur  la 
situation  intérieure  de  la  Bulgarie,  et  le 
khan  bulgare  semble  bien  avoir,  dès  lors, 
prêté  l'oreille  aux  avances  qui  lui  venaient 
de  Constantinople.  C'est,  du  moins,  ce 
que  permettent  de  conclure  les  vives  re- 
montrances, faites  en  juin  869,  par  le 
Pape  au  patriarche  Ignace,  lorsqu'il  lui 
enjoint  de  s'abstenir  de  toute  immixtion 
dans  les  affaires  de  Bulgarie  et  de  n'en- 
voyer aucun  prêtre  grec  dans  ce  pays  (2). 
La  lecture  attentive  de  l'appendice  des 
actes  du  V11I«  concile  œcuménique  con- 
firme cette  supposition,  en  mettant  sous 
les  yeux  la  réalisation  du  plan  certaine- 
ment combiné  d'avance  entre  les  deux 
cours  de  Byzance  et  de  Péreiaslavets. 

Le  VIII«  synode,  réuni  à  Constantinople 
cette  année-là,  en  869,  avait  pour  but  de 
condamner  solennellement  l'intrusion  de 
Photius  et  de  rétablir  la  paix  religieuse, 
gravement  compromise  par  cette  usurpa- 
tion :  double  fin  qui  fut  atteinte  sans  trop 
de  difficultés.  Or,  trois  jours  après  la 
clôture  du  concile,  le  3  mars  870,  fut 
tenue  une  réunion  extraconciliaire  en 
présence  de  l'empereur  Basile  I«^  des 
légats  du  Pape,  du  patriarche  Ignace  et 

(i)  Jaffé,  n'  2925. 
(2)  Jaffé,  n*  agiS. 


154 


ECHOS    D  ORIENT 


des  représentants  des  trois  patriarches 
orientaux.  Etaient  présents  aussi  les 
membres  d'une  ambassade  bulgare,  que 
Boris  avait  députée  au  concile. 

Le  chef  de  l'ambassade,  Pierre,  celui-là 
même  qui  avait  visité  Rome  à  plusieurs 
reprises  et  cherché  à  obtenir  du  Pape 
Formose  ou  Marin  comme  archevêque, 
prit  le  premier  la  parole,  demandant  que 
l'on  décidât  définitivement  si  l'Eglise  bul- 
gare relèverait  à  l'avenir  de  Rome  ou  de 
Constantinople.  Malgré  l'opposition  des 
légats  romains,  les  Grecs  arrêtèrent  que 
la  direction  ecclésiastique  de  la  Bulgarie 
appartiendrait  dorénavant  au  patriarche 
byzantin.  Les  motifs  invoqués  furent  que 
la  Bulgarie  avait  jadis  formé  des  pro- 
vinces de  l'empire  et  que,  lors  de  la  con- 
quête, les  Bulgares  y  avaient  trouvé  un 
clergé  grec.  Les  envoyés  du  Pape  objec- 
taient avec  raison  que  l'administration  de 
l'Eglise  ne  doit  pas  être  subordonnée  à 
des  considérations  politiques,  que  des 
prêtres  grecs  pouvaient  parfaitement  dé- 
pendre du  patriarche  de  Rome  et  que,  de 
fait,  le  pays  des  Bulgares  constituait  jadis 
une  partie  de  l'illyricum  oriental,  c'est-à- 
dire  du  patriarcat  romain;  mais  les  trois 
délégués  des  patriarches  d'Orient,  d'ac- 
cord avec  l'empereur  et  le  patriarche 
Ignace,  lequel  ne  souffla  mot  en  dépit  de 
toutes  les  adjurations  des  légats,  répli- 
quèrent finalement  qu'il  n'appartenait  pas 
à  des  transfuges  de  l'empire  grec,  comme 
l'étaient  les  Romains,  d'exercer  la  moindre 
juridiction  sur  les  terres  du  basileus. 
Curieuse  remarque  de  la  part  de  trois 
sujets  d'un  calife  arabe,  mais  qui  prouve 
mieux  que  toutes  les  démonstrations 
qu'en  Orient  la  politique  domine  toujours 
les  questions  religieuses  et  que  celles-ci 
ne  sont  réglées  que  conformément  aux 
intérêts  de  celle-là. 

En  dépit  des  protestations  réitérées 
des  légats  pontificaux,  et  bien  qu'ils 
eussent  remis,  séance  tenante,  à  Ignace 
une  lettre  du  Pape  relative  à  la  Bulgarie 
—  lettre  que  le  patriarche  refusa  d'ailleurs 
de  lire  en  ce  moment  —  de  par  la  déci- 
sion des  trois   délégués   orientaux,  qui 


n'étaient  ni  qualifiés  ni  acceptés  comme 
arbitres,  la  juridiction  religieuse  sur  la 
Bulgarie  fut  adjugée  à  l'Eglise  byzan- 
tine (i).  L'ambassade  bulgare,  complice 
plutôt  que  trompée,  revint  apporter  à  son 
souverain  cette  décision.  Dans  le  courant 
de  cette  même  année  870,  les  mission- 
naires latins,  expulsés  par  Boris,  se  re- 
pliaient vers  l'Italie  sous  la  conduite  de 
Grimoald  de  Bomarzo,  pendant  qu'un  ar- 
chevêque et  des  évêques  grecs  prenaient 
officiellement,  au  nom  d'Ignace,  posses- 
sion de  l'Eglise  bulgare  (2). 

Vainement  Adrien  II  protesta-t-il  contre 
cet  escamotage  indigne  et  adressa-t-il  des 
menaces  à  l'empereur  grec  et  à  Ignace. 
Basile  répondit  presque  par  des  insultes; 
quant  à  Ignace,  il  répliqua  au  Pape  que, 
récemment,  les  Latins  n'avaient  pas  mieux 
agi  envers  les  prêtres  grecs  de  Bulgarie. 
Tout  en  contenant  une  bonne  part  de  vérité, 
adressée  à  son  supérieur,  au  chef  de 
l'Eglise  qui,  depuis  dix  ans,  remuait  ciel 
et  terre  pour  le  rétablir  sur  son  trône  pa- 
triarcal, la  réponse  d'Ignace  n'en  consti- 
tuait pas  moins  une  forte  insolence.  Elle 
fut  relevée,  quoique  en  termes  modérés, 
par  le  Pape,  dans  sa  lettre  du  10  no- 
vembre 871,  dont  il  ne  s'est  conservé 
qu'un  fragment  (3).  Et  la  mort  surprit  le 
doux  Pontife,  avant  qu'il  eût  pu  mener 
l'affaire  à  bonne  fin. 


(i)  Il  est  bon  de  signaler  que  le  territoire,  alors 
occupé  par  les  Bulgares,  n'était  pas  jadis,  dans 
toutes  ses  parties,  compris  dans  les  limites  du 
patriarcat  romain.  Ainsi,  les  deux  archevêchés 
autocéphales  d'Odyssos  et  de  Tomi,  la  métropole 
de  Marcianopolis  avec  ses  cinq  suffragants  sont 
inscrits,  dès  le  milieu  du  vu'  siècle,  dans  VEcthesis 
du  pseudo-Epiphane,  Gelzer,  Ungednickte...  Texte 
der  Notitiœ  episcopatuum,  p.  535  et  542,  c'est-à- 
dire  dans  le  patriarcat  de  Byzance.  Peut-être  même 
que  la  capitale  des  Bulgares,  Péreiaslavets,  en  fai- 
sait partie.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que,  dans 
son  ensemble,  l'Eglise  bulgare  appartenait  à  l'an- 
cien Illyricum  et,  par  conséquent,  au  patriarcat 
romain. 

(2)  L'envoi  d'un  archevêque  et  de  plusieurs 
évêques  est  attesté  par  une  lettre  d'Adrien  II  à 
l'empereur  Basile,  Migne,  P.  L.,  t.  CXXII, 
col.  i3io;  par  une  lettre  du  pape  Jean  VIII  à 
Domagoi,  de  l'année  873,  Jaffé,  n*  2964;  enfin  par 
Constantin  Porphyrogénéte,  Vita  Basilii,  Migne, 
P.  G.,  t.  CIX,  col.  357,  n»  96. 

(3)  Migne,  P.  L.,  t.  CXXII,  col.  [3if. 


FORMATION    DE   L  EGLISE    BULGARE 


155 


Le  successeur  d'Adrien  II,  le  pape 
Jean  VIH,  continua  en  Bulgarie  la  politique 
religieuse  de  ses  deux  prédécesseurs  :  il 
paraît  même  l'avoir  accentuée  au  point 
d'en  faire  dépendre  ses  rapports  avec 
l'Eglise  grecque.  Elu  pape  le  14  décembre 
872,  il  adressait  à  Boris,  dès  les  premiers 
mois  de  l'année  suivante,  une  lettre  fort 
sévère,  dans  laquelle  il  demandait  l'ex- 
pulsion de  Bulgarie  de  la  mission  grecque, 
sous  peine,  en  cas  de  refus,  de  déposer 
Ignace  et  tous  les  clercs  qui  le  soutien- 
draient, sous  peine  même  d'excommunier 
ceux-ci,  ainsi  que  la  nation  bulgare  et  son 
souverain  (i).  D'autres  lettres  suivirent, 
sur  un  ton  tout  aussi  menaçant,  notam- 
ment pendant  les  années  875  et  878  (2). 
Le  souverain  bulgare  n'était  pas  seul  à 
recevoir  de  pareilles  admonestations,  i'em- 
pereur  grec  n'était  pas  mieux  traité  (3); 
ni  l'un  ni  l'autre  ne  parut  tout  d'abord 
y  prêter  la  moindre  attention. 

Puis,  mécontent  de  voir  Basile  l»""  aussi 
bien  que  Boris  faire  la  sourde  oreille  à  ses 
avis  les  plus  pressants,  Jean  VIII  s'imagina 
que  Formose  les  soutenait  sous  main 
dans  leur  résistance  au  Saint-Siège;  aussi 
réunit-il,  le  30  juin  876,  un  concile  qui 
déposa  et  excommunia  l'évêque  récalci- 
trant (4).  Celui-ci  avait  déjà  pris  la  fuite. 
Quant  à  Ignace,  il  reçut  trois  ordres  suc- 
cessifs, conçus  dans  les  termes  les  plus 
formels,  d'avoir  à  rappeler  les  évêques  et 
les  prêtres  grecs  qui  le  représentaient  en 
Bulgarie.  La  troisième  lettre,  datée  du 
16  avril  878,  portait  que  si,  dans  le  délai 
de  trente  jours  après  sa  réception,  Ignace 
n'avait  pas  obéi  aux  injonctions  du  Pape, 
il  serait  immédiatement  déposé  (5). 

Quand  les  deux  légats  du  Pape  arri- 
vèrent à  Constantinople,  le  patriarche  était 
mort  depuis  le  23  octobre  877,  et  Pho- 
tius,  avec  son  consentement,  semble-t-il, 
l'avait  remplacé.  Jean  V\l\  le  reconnut  et, 
au  concile  de  879,  le  nouveau  patriarche 


1 1)  Jaffé,  n"  2932. 

(2)  Jaffé,  n"  2996.  3i3o-3i32. 

(3)  Jaffé,  n°  2999.  3ii8, 
(4*  jAFFt,  n*  3042. 

(5)  Jaffé,  n'  3i33, 


promit  de  s'entendre  avec  l'empereur 
pour  le  règlement  définitif  de  la  question 
bulgare.  La.  promesse  fut  tenue,  puisque, 
le  13  août  880,  le  Pape  écrivait  à  Basile  1*^  : 
«Je  vous  rends  de  nombreuses  actions  de 
grâces  de  ce  que,  par  amour  pour  nous 
et  comme  le  demandait  la  justice,  vous 
nous  avez  permis  de  posséder  le  diocèse 
des  Bulgares  (i).  De  fait,  ni  dans  la 
Notitia  episcopahium  de  Léon  le  Sage,  ré- 
digée au  début  du  x*^  siècle,  ni  dans  celle 
de  Constantin  Porphyrogénète  qui  lui  est 
postérieure  d'une  cinquantaine  d'années, 
ne  figure  l'Eglise  bulgare  ou  Je  moindre 
diocèse  situé  sur  son  territoire,  alors  que 
Kiev,  métropole  de  l'Eglise  russe,  mais 
soumise  à  Constantinople,  apparaît  dans 
tous  les  documents  analogues  jusqu'à 
l'obtention  de  son  autonomie. 

Dans  les  idées  de  Photius.  comme  dans 
celles  de  la  plupart  des  Byzantins  de  ce 
temps,  la  juridiction  ecclésiastique  se  liant 
d'ordinaire  sur  l'étendue  et  les  limites  de 
l'Etat,  ce  n'était  pas  diminuer  sérieusement 
le  patrimoine  du  patriarcat  de  Constanti- 
nople que  d'abandonner  à  Rome  un  pays 
placé,  pour  longtemps  sans  doute,  en 
dehors  de  l'empire.  Il  n'en  demeure  pas 
moins  vrai  que  la  renonciation  fut  faite  (2). 

Cependant,  si  toute  difficulté  était  levée 
du  côté  de  Constantinople,  il  n'en  était 
pas  de  même  du  côté  de  la  Bulgarie. 
Boris  ne  comprit  pas  ou  feignit  de  ne  pas 
comprendre  le  nouvel  accord  survenu 
entre  Rome  et  Constantinople,  et  il  garda 
le  clergé  grec  jusqu'à  plus  ample  infor- 
mation. Les  avis  et  les  ordres  du  Pape 
glissèrent  sur  son  crâne  épais,  comme 
avaient  jadis  glissé  les  spéculations  méta- 
physiques de  Photius. 

Vers  la  même  époque,  le  royaume  voi- 
sin de  Moravie  vit  se  terminer  une  lutte 
engagée  depuis  une  vingtaine  d'années 
entre  les  Allemands  et  les  Slaves,  lutte 
qui  devait  exercer  une  intluence  décisive 
sur  l'avenir  religieux  de  la  Bulgarie.  On 


(i)  MiGNE,  P.  L.,  t.  CXXVI,  col.  909. 
(i)  LK9Ôrfi3c.,  l'Europe  et  ie  Saint-Siège  à  répoque 
carolingienne.  Paris,  1895,  p.  70. 


156 


ECHOS   D  ORIENT 


sait,  sans  doute,  que  les  deux  frères 
Cyrille  et  Méthode  avaient  introduit  en 
Moravie,  avec  la  foi  en  Jésus-Christ, 
l'alphabet  slave  et  la  liturgie  slavonne. 
Approuvées  par  le  pape  Adrien  II  en  867, 
ces  innovations  liturgiques  des  deux 
frères  recevaient  en  873,  de  la  part  de 
Jean  VllI,  un  blâme  officiel.  Méthode  était 
prié,  sous  menace  des  peines  canoniques, 
de  célébrer  la  messe  en  grec  ou  en 
latin  (i).  Comme  le  missionnaire  byzan- 
tin ne  semble  pas  avoir  utilisé  cet  avertis- 
sement, le  Pape  réitéra  sa  défense  en 
879,  lui  enjoignant,  en  outre,  de  se 
rendre  à  Rome  (2).  Méthode  obéit,  et 
Jean  VllI  fut  si  satisfait  des  explications 
données  de  vive  voix  qu'il  autorisa,  non 
seulement  «  la  prédication  ou  certaines 
prières  en  langue  slave,  mais  encore  tous 
les  offices,  les  heures,  les  leçons,  la 
messe,  les  formes  les  plus  intimes  et  les 
plus  sacrées  de  la  liturgie  chrétienne  »  (3). 
Or,  moins  de  six  années  après  cette 
lettre  de  Jean  Vlll  à  Swatopluk,  prince  de 
Moravie,  le  pape  Etienne  V  prenait  des 
décisions  diamétralement  opposées,  pros- 
crivait la  liturgie  slavonne  et  ramenait 
les  Moraves  à  un  latinisme  rigoureux  (4). 
Pour  ce  faire,  il  s'appuyait  sur  la  lettre  de 
Jean  Vlll  à  Sv/atopluk,  dont  nous  avons 
cité  la  principale  prescription,  et  qui  fixe 
précisément  le  contraire.  Comment  expli- 
quer cette  anomalie?  C'est  que  l'évêque 
allemand  Wiching,  l'associé  de  Méthode, 
avait,  durant  cet  intervalle,  tronqué  et 
falsifié  la  lettre  de  Jean  Vlll,  trompé  ainsi 
son  successeur  Etienne  V  et  servi  les 
intérêts  de  sa  patrie  et  de  sa  liturgie 
latine,  sans  négliger  les  siens  propres  (5). 
Swatopluk,  abusé,  reconnut  en  886 
Wiching  comme  le  successeur  de  saint 
Méthode,  mort  l'année  précédente,  pen- 
dant que  les  vrais  disciples  du  Saint,  sous 
la  conduite  de  Gorazd,  Nahum,  Clément, 

(i)  Jaffê,  n°  2978. 

(2)  MiGNE,  P.  L.,  t.  CXXVI,  col.  85o. 

(3)  MiGNE,  P.  L.,  t.  CXXVI,  col.  906. 

(4)  Jaffé,  n.  3407  et  3408. 

(5)  J'ai  résumé  la  savante  dissertation  du  P.  La- 
pôtre,  l'Europe  et  le  Saint-Siège  à  l'époque  caro- 
lingienne, p.  91-170. 


Sabas  et  Angelar,  quittaient  la  terre 
inhospitalière  de  Moravie  pour  se  réfugier 
en  Bulgarie.  Le  roi  Boris  les  y  reçut  à 
bras  ouverts.  De  870  à  886,  son  royaume 
avait  été  évangélisé  par  des  missionnaires 
grecs;  le  souverain  bulgare  profita  de 
l'occasion  pour  confier  son  peuple,  en 
majorité  slave,  à  un  clergé  slave.  II  donna 
le  titre  d'archevêque  à  Gorazd,  le  chef  de 
la  mission  ;  quant  à  Clément,  il  reçut 
l'un  des  sept  évêchés  que  Boris  avait 
établis  dans  son  royaume,  celui  de  la 
province  de  Koutmetsivtsa  (i).  A  la  mort 
de  Gorazd,  ce  fut  Clément  que  l'on  recon- 
nut comme  chef  de  l'Eglise  bulgare,  avec 
le  titre  épiscopal  de  Vélitsa  (2). 

Peu  à  peu,  grâce  à  la  politique  sage  et 
prudente  de  Boris  et  de  son  fils  Syméon, 
grâce  surtout  à  l'esprit  de  prosélytisme 
des  missionnaires,  les  nombreux  dis- 
ciples des  saints  Cyrille  et  Méthode  avaient 
propagé  par  toute  la  Bulgarie  l'œuvre  et 
les  traditions  de  leurs  maîtres;  ils  y 
avaient  surtout  acclimaté  la  liturgie  sla- 
vonne, qui,  de  là,  allait  se  répandre  chez 
tous  les  peuples  slaves.  Par  malheur, 
Boris  était  en  même  temps  parvenu  à  ses 
idées  de  la  première  heure,  il  avait  cons- 
titué une  Eglise  nationale.  Sans  tenir 
compte  ni  de  la  Papauté  ni  du  patriarcat 
œcuménique,  nous  le  voyons  modifier 
les  évêchés  de  ses  Etats,  en  créer  de  nou- 
veaux, mettre  à  leur  tête  qui  bon  lui 
semble,  bref,  se  conduire  en  tout  comme 
s'il  était  le  maître  de  l'Eglise  aussi  bien 
que  du  royaume  (3).  Le  mal  byzantin, 
comme  on  l'a  appelé,  a  pénétré  chez  les 
Bulgares  dès  leur  baptême;  désormais,  il 
ne  saurait  plus  être  question  d'indépen- 
dance de  l'Eglise. 

Syméon  (893-927),  le  premier  qui  s'ap- 
pela basileus  des  Bulgares,  nous  dit  Théo- 
phylacte  d'Achrida  (4),  continua  la  poli- 
tique religieusede  son  père,  Boris,  et  si,  par 
deux  fois,  il  prit  Andrinople,  si,  par  cinq 


(i)  Vita  démentis,  dans  Miam,  p.  G.,  t.  CXXVI, 
n.  17,  col.  1224. 

(2)  Op.  cit.,  n.  20,  col.  1228. 

(3)  Op.  cit.,  n.  17,  col  1224;  n°*  20,  23,  col.  1228  sq. 

(4)  Vita  démentis,  n'  19,  col,  i  225. 


FORMATION    DE   L  EGLISE    BULGARE 


157 


fois,  il  ravagea  la  plaine  de  Thrace,  assié- 
gea Constantinople  et  força  même  l'empe- 
reur Romain  Lécapène  à  se  présenter  en 
suppliant  devant  lui  (924),  ce  fut  moins 
pour  se  donner  la  vaine  complaisance 
d'humilier  les  Grecs,  que  pour  les  forcer 
à  reconnaître  à  lui  le  titre  de  tsar  ou  de 
basileus  qu'il  avait  pris  sans  leur  autori- 
sation, et  à  son  Eglise  bulgare  le  titre  de 
patriarcat,  c'est-à-dire  l'autonomie  ecclé- 
siastique. 

En  913,  il  ne  possédait  pas  encore  la 
dignité  de  tsar  et  cherchait  à  l'obtenir  par 
la  force  des  armes,  d'après  ce  récit  des 
chroniqueurs  byzantins  qu'a  admirable- 
ment résumés  le  P.  Lapôtre  : 

Pour  la  première  fois,  Syméon  s'était 
avancé  jusque  sous  les  murs  de  Constanti- 
nople avec  une  armée  innombrable;  et, 
depuis  le  palais  des  Blachernes  jusqu'à  la 
Porte  d'Or,  étincelait  au  soleil  l'immense 
forêt  des  lances  bulgares.  Il  avait  bien 
fallu  se  résigner  à  faire  quelque  chose.  On 
flatta  d'abord  l'amour-propre  de  l'archôn 
bulgare,  en  invitant  ses  deux  fils  à  venir 
s'asseoir  à  la  table  impériale,  en  compa- 
gnie du  jeune  basileus.  Puis,  à  l'issue  du 
festin,  le  patriarche  Nicolas  se  rendait  à 
l'Hebdomon,  hors  les  murs,  où  Syméon 
était  resté.  Alors,  racontent  avec  ensemble 
les  chroniqueurs  byzantins,  le  roi  bulgare 
s'étant  incliné  humblement,  le  patriarche 
récita  sur  lui  des  prières.  Et  ce  qui  prouve 
qu'il  ne  s'agissait  pas  d'une  bénédiction 
ordinaire,  mais  que  l'on  voulait  donner  à 
Syméon  l'illusion  d'un  vrai  sacre,  c'est  que 
les  mêmes  chroniqueurs  ajoutent  qu'aussi- 
tôt après  avoir  récité  les  prières  le  patriarche 
byzantin  prit  sa  propre  coiff"ure,  son  épir- 
rhiptarion,  et  la  posa  sur  la  tête  de  Syméon , 
en  guise  de  couronne.  Dans  le  fait,  il  n'y 
eut  là  qu'une  vaine  comédie,  dont  Nicolas, 
tout  le  premier,  ne  tint  aucun  compte; 
mais  cette  comédie  met  en  pleine  évidence 
l'erreur  de  ceux  qui  s'imaginent  qu'à  pa- 
reille date  Syméon  avait  reçu  des  pontifes 
romains  la  couronne  et  la  dignité  impé- 
riales. Sacré  par  le  Pape  et  déjà  basileus, 
Syméon  n'aurait  pas  mendié  ainsi  la  béné- 
diction du  patriarche  byzantin.  Ce  n'est 
qu'en  924  qu'on  le  voit  tout  d'un  coup 
cesser  cette  sorte  de  mendicité  à  main 
armée  et  retourner  ses    sollicitations  du 


côté  de  l'Occident.  Alors  seulement  son 
espoir  s'évanouit  de  pouvoir  obtenir  la 
dignité  impériale  de  la  même  source  et  au 
même  titre  que  le  basileus  byzantin  (i). 

Il  semble  cependant  que  Syméon  ait  eu 
le  temps,  avant  de  mourir,  de  négocier  avec 
Rome  un  pacte  qui  assurait  à  sa  famille 
quelque  chose  comme  un  sacre  royal,  avec 
l'envoi  d'une  couronne  et  la  bénédiction 
pontificale.  Néanmoins,  j'inclinerais  à 
croire  que  la  concession  n'arriva  en  Bul- 
garie qu'après  la  mort  de  Syméon,  et 
qu'elle  ne  profita  qu'à  son  fils  Pierre  (2). 

Nous  n'avons,  en  effet,  que  deux  témoi- 
gnages, et  fort  tardifs,  d'où  l'on  peut 
conclure  au  couronnement  du  tsar  Syméon 
par  le  Pape.  Un  manuscrit  slave,  du 
xve  siècle,  qui  donne  la  liste  des  tsars, 
des  tsarines,  des  patriarches  et  des 
évêques  de  Bulgarie,  cite  les  noms  de 
quatre  patriarches  de  Pereiaslavets  ou 
Preslav,  au  temps  des  tsars  Syméon  et 
Pierre  (3).  Or,  comme  suivant  les  idées 
politiques  et  théologiques  alors  en  cours 
à  Byzance  et  en  Bulgarie  il  ne  pouvait 
y  avoir  de  vrais  basileus  sans  la  bénédic- 
tion d'un  patriarche,  et  qu'il  n'y  avait  pas 
non  plus  de  patriarche  sans  basileus,  on 
en  a  déduit  que  Syméon  avait  déjà  le  titre 
de  tsar.  La  déduction  vaut  ce  qu'elle 
vaut,  d'autant  qu'elle  s'appuie  sur  un 
document  de  médiocre  valeur. 

En  second  lieu,  le  tsar  bulgare  loanitza 
ou  Caloïan,  désireux  d'obtenir  semblable 
faveur  pour  lui,  cite  au  pape  Innocent  III, 
en  1202,  les  exemples  de  «  Pierre  et 
Samuel  et  de  ceux  qui  les  ont  précédés, 
comme  nous  le  trouvons  écrit  dans  nos 
livres  »  (4).  A  vrai  dire,  le  nom  de 
Syméon  ne  figure  pas  dans  cette  énumé- 
ration,  mais  il  est  légitime  de  le  supposer 
inclus  dans  les  souverains  chrétiens  qui 
ont  précédé  Samuel  et  Pierre  et  qui  sont 

(i)  Lapôtre,  op.  cit.,  p.  86;  Theophanes  contU 
nuatus,  dans  Migne,  P.  G.,  t.  CIX,  col.  402;  Geor- 
gius  monachus  coniinuatus,  dans  Migne,  t.  cit., 
col.  940. 

(2)  Lapôtre,  op.  cit.,  p.  88. 

(3)  JiRECEK,  Geschichte  der  Bulgaren.  Prague, 
1876,  p.  168. 

(4)  HuRMuzAKi,  Documente  privîtore  la  Istori-' 
Românilor.  Bucarest,  1887,  t.  I,  p.  2. 


158 


ÉCHOS    d'orient 


trois  en  tout,  Syméon,  Vladimir  et  Boris. 
Un  peu  plus  tard,  dans  une  lettre  de 
1204,  Caloïan  désigne  nommément  Sy- 
méon, avec  Pierre  et  Samuel,  comme 
ayant  reçu  la  couronne  et  la  bénédiction 
de  l'évêque  de  Rome  (i).  Bien  que  ces 
exemples  soient  cités  à  Innocent  111  dans 
un  but  intéressé,  pour  obtenir  de  lui  le 
titre  impérial  et,  pour  l'archevêque  de 
Tirnovo,  la  dignité  patriarcale,  double 
honneur  qu'avait  refusé  au  souverain  bul- 
gare la  cour  byzantine,  les  historiens  sont 
d'avis  pourtant  d'admettre  ce  témoignage. 
On  sait,  en  effet,  par  ailleurs,  que  le 
légat  pontifical  Madalbert  présida  en 
928  le  concile  de  Spalato,  une  fois  de 
retour  de  Bulgarie,  où  il  avait  amené  la 
paix  entre  les  Bulgares  et  les  Croates  (2). 
Syméon  était  mort  au  mois  de  mai 
de  l'année  précédente,  et  il  est  à  peu 
près  certain  que  le  légat  pontifical  lui 
avait  apporté  de  Rome  la  couronne  tant 
désirée  ou,  s'il  était  déjà  mort,  qu'il  l'a 
remise  à  son  fils  Pierre.  D'une  manière 
comme  de  l'autre,  c'est  en  cette  année 
927  qu'il  convient  de  placer  la  reconnais- 
sance de  l'empire  et  du  patriarcat  bulgares. 
La  chancellerie  byzantine  ne  modifia 
pas  sa  manière  d'agir,  et,  après  comme 
avant  la  reconnaissance  de  Rome,  elle  ne 
vit  dans  Pierre  qu'un  khan  ou  un  archôn, 
s'obstinant  à  ne  pas  le  traiter  en  basileus. 
Malgré  le  mariage  en  928  du  souverain 
bulgare  avec  une  princesse  byzantine  et  les 
relations  plus  étroites  qui  s'établirent  entre 
les  deux  cours,  Constantinople  lui  refusa 
ce  titre  jusqu'en  943.  A  ce  moment,  pour 
des  motifs  restés  encore  mystérieux,  la 
cour  de  Byzance  reconnut  Pierre  pour 
tsar  et  Damien,  l'archevêque  de  son  église, 
pour  patriarche  (3).  Cette  reconnaissance, 
qui  tenait  tant  au  cœur  des  Bulgares, 
entraîna-t-elle  la  rupture  des  rapports 
qu'ils  avaient  noués  avec  Rome  et  avec 
l'Eglise  d'Occident?  Nous  ne  le  pensons 
pas,  surtout  si  l'on  veut  bien  tenir  compte 

(1)  HuRiHUZAKi,  op.  cit.,  p.  3o. 

(2)  Farlati,  Illyi-icum  sacrum,  t.  III,  p.  102-104. 

(3)  Rambaud,  l'Empire  grec  au  x'  siècle.  Paris. 
1869,  p.  340-345. 


de  ce  fait  que,  depuis  la  chute  définitive 
de  Photius,  en  887,  jusqu'à  la  révolte  de 
Michel  Cérulaire,  en  1054,  sans  être  tou- 
jours bien  chaudes,  les  marques  de  sym 
pathie  et  les  attestations  de  parfaite  ortho- 
doxie religieuse  ne  cessèrent  presque  pas 
d'exister  entre  l'Eglise  de  Rome  et  celle 
de  Constantinople. 


L'âge  d'or  du  royaume  et  de  l'Eglise 
bulgares,  atteint  sous  le  tsar  Syméon,  fut 
suivi  d'une  prompte  décadence  sous  son 
fils,  le  tsar  Pierre  (927-969),  prince  reli- 
gieux mais  faible,  inféodé  à  la  politique 
byzantine.  Muni  d'un  traité  de  paix  à 
longue  échéance  avec  les  Grecs,  Pierre 
négligea  d'entretenir  son  armée,  oubliant 
qu'une  nation  jeune  et  entreprenante 
comme  la  sienne  avait  besoin,  pour  ne 
pas  dépérir,  d'être  tenue  sans  cesse  en 
éveil.  Aussi,  qu'arriva-t-il?  C'est  que  les 
boyards,  incapables  de  repos,  fomentèrent 
de  constantes  révoltes  et  que  les  forces 
vives  de  l'empire  s'épuisèrent  en  querelles 
intestines.  Bien  plus,  le  boyard  Chich- 
man  de  Tirnovo  réussit,  en  963,  à  con- 
quérir son  indépendance  et  à  détacher,  à 
son  profit,  toute  la  Bulgarie  occidentale, 
comprise  entre  le  Rhodope  et  l'Adria- 
tique, pour  en  former  un  second  empire 
bulgare.  Ce  que  voyant,  les  Byzantins, 
qui,  jusque-là,  payaient  tribut  à  Pierre, 
refusèrent  dorénavant  de  le  faire.  La 
guerre  s'ensuivit  :  Pierre  fut  battu  par  les 
basileus  Nicéphore  Phocas  et  par  les 
Russes  de  Sviatoslav  qui  envahirent  ses 
Etats  (1). 

Après  sa  mort,  969,  les  Russes  s'em- 
parèrent de  Preslav,  sa  capitale,  et  firent 
son  fils,  Boris  11,  prisonnier  (970).  Celui- 
ci  appela  à  son  secours  l'empereur  grec 
Jean  Tzimiscès,  qui  accourut,  en  effet, 
reprit  Preslav,  délivra  le  tsar  Boris  et, 
traître  à  sa  parole,  l'amena  à  Constanti- 
nople (972),  pour  le  faire  renoncer  à  la 


(1)  ScHLUM BERGER,  Un  empereur  byzantin  au 
X' siècle,  Nicévhore  Phocas.  Paris,  1890,  p.  339- 
343,  548-576,  735-742. 


FORMATION    DE    L  EGLISE    BULGARE 


1^9 


couronne  et  devenir  patrice  byzantin.  Par 
le  fait  de  ces  victoires  et  de  cette  trahison 
de  Tzimiscès,  la  dynastie  bulgare  était  à 
tout  jamais  exclue  du  trône,  et  la  Bul- 
garie orientale  incorporée  purement  et 
simplement  à  l'empire  grec  (i). 

Restait  la  Bulgarie  occidentale  ou  achri- 
déenne,  séparée  de  la  Bulgarie  danubienne 
depuis  963  par  la  révolte  de  Chichman,  et 
qui  avait  réussi  à  garder  son  indépen- 
dance. Entre  elle  et  Tempire  byzantin 
s'engagea  un  duel  à  mort,  qui  dura  près 
de  cinquante  ans  et  se  termina  par  la 
ruine  définitive  de  l'un  de  ces  Etats. 
Devenus  les  seuls  maîtres  du  parti  national 
bulgare,  lors  de  la  déposition  du  tsar 
Boris  II  par  Jean  Tzimiscès,  les  fils  de 
Chichman,  David  d'abord  (968-977),  puis 
Samuel  (977-1014),  luttèrent  sans  relâche 
contre  les  Byzantins.  Pendant  cinq  cam- 
pagnes successives,  le  basileus  Basile  II, 
surnommé  le  biilgaroctone  ou  tueur  des 
Bulgares,  tourna  toutes  les  forces  de  son 
empire  contre  les  tsars  de  Bulgarie.  Battu 
en  986.  il  reprit  en  991  les  hostilités  qui 
durèrent  jusqu'en  995  (2):  durant  la 
seconde  campagne  (996-999),  il  remporta 
de  nombreux  succès  et  s'empara  de 
Durazzo  (3);  durant  la  troisième  (looi- 
1005),  il  emporta  d'assaut  les  villes  de 
Verria,  Servia,  Mogléna,  Scopia  et  autres 
places  de  la  haute  et  de  la  basse  Macédoine 
ainsi  que  de  l'Albanie  (4);  durant  la  qua- 
trième (1006-101  5),  presque  toute  la  Bul- 
garie fut  conquise,  et  le  terrible  adver- 
saire de  Basile  11,  le  tsar  Samuel,  expira  de 
douleur,  24  octobre  1014,  à  la  vue  de 
15000  prisonniers  bulgares  que  le  basi- 
leus vainqueur  lui  renvoyait  après  leur 
avoir  crevé  les  yeux  (5):  enfin  la  cinquième 
campagne  se  termina  par  la  mort  violente 
du  tsar  Gabriel  Romain,  fils  de  Samuel 
(1016-1018),  puis  de  Jean  Vladistlav,  son 
neveu  (1016-1018),  et  par  l'annexion  de 


(1)  ScHLLMBERGER,   l'Epopéc  byzantine  à  la  fin 
du  X'  siècle.  Paris,  «896,  t.  I",  p.  585-673,  751-755. 

(2)  SCHLL'MBERGER,    Op.  cU.,   t.    II,    p.   42-58. 

(3)  SCHLUMBERGER,    Op.   Cit.,   t.   II,   p.    l3l-l5o. 

(4)  SCHLUMBERGER,    Op.    Cit.,   t.    II,    p.    211-232. 

(5)  ScHLUMBEBGEB,  op.  cU.,  t.  II,  p.  333-366. 


toute  la  Bulgarie  à  l'empire  byzantin  (i). 

Au  milieu  de  ces  rivalités  et  de  ces  luttes 
d'extermination,  que  devenait  le  chef  de 
l'Eglise  bulgare?  Il  changeait  de  siège, 
aussi  souvent  que  les  tsars  changeaient  de 
résidence,  se  fixait  d'abord  à  Preslav,  capi- 
tale des  Bulgares  fondée  par  Omortag  en 
822  et  retrouvée  naguère  près  de  Choumia, 
puis  à  Dristra,  la  Silistrie  moderne,  puis 
à  Sraditza  ou  Sofia,  puis  à  Viddin,  puis  à 
Mogléna,  puis  à  Prespa,  et  enfin  à 
Achrida  (2).  On  voit  donc  combien  est 
erronée  l'opinion  de  ceux  qui  fixent  le 
siège  du  premier  patriarcat  bulgare  soit  à 
Preslav,  soit  à  Achrida.  Preslav  et  Achrida 
ne  sont  que  le  premier  et  le  dernier  séjour 
de  ce  patriarcat  nomade,  ambulant,  qui 
compte  jusqu'à  sept  sièges  différents,  et 
encore  en  oubliant  que  saint  Gorazd 
dirigea  l'Eglise  bulgare,  sans  avoir  de  siège 
fixe,  et  saint  Clément  comme  évèque  de 
Vélitza. 

Les  noms  des  archevêques  ou  des 
patriarches  placés  à  la  tête  de  cette  Eglise 
ne  sont  pas  tous  également  connus  et 
surtout  également  sûrs.  Le  premier,  qui 
fut  envoyé  par  Ignace  en  870  est  cité  sous 
cinq  ou  six  noms  différents;  d'après  un 
document  bulgare  fort  ancien,  il  paraît 
s'être  appelé  Joseph  (3).  Après  lui  vien- 
draient Georges,  cité  dans  une  lettre  du 
pape  Jean  VIII  à  Boris  (4),  datée  du  16  avril 
878,  et  Agathon  qui  assiste  au  concile 
photien  de  878  (Ç).  Cependant  Georges  et 
Agathon  ne  portent  que  le  titre  d'évêque, 
et   rien  ne   nous   assure  que  le  premier 


(1)  SCHLUMBERGER,    Op.   Cit.,   t.    II,    p.    375-397. 

(2)  Nous  tenons  ces  renseignements  d'une  Notitia 
episcopatuum,  publiée  par  Du  Cange,  Familùff 
augustœ  byzantinœ,  citée  par  Le  Quien,  Oriens 
christianus,  t.  II,  coi.  289-292,  et  rééditée  par 
H.  Geizer,  Der  Patriarchat  von  Achrida.  Geschi- 
chte  und  L'rkunden.  Leipzig,  1902,  p.  6sq;  nous 
les  tenons  surtout  d'une  novelle  de  Basile  II, 
celui-là  même  qui  mit  fin  à  ce  patriarcat,  novelle 
datée  de  mars  1020,  et  publiée  par  Geizer  dans  la 
By^antinische  Zeitschrift.  Leipzig,  t.  II  (1893), 
p.  44  sq. 

(3)  GoLouBiNSKF,  Précis  d'histoire  des  Eglises 
orthodoxes  (en  russe}.  Moscou,  1871,  p.  34,  256. 

(4)  MiGNE,  P.  L.,  t.  CXXVI,  col.  758;  Jaffé, 
n"  3i3o. 

(5)  GoLOUBiNSKi,  op.  cit.,  p.  35. 


i6o 


ÉCHOS   d'orient 


archevêque  fût  déjà  mort  à  ce  moment. 
Nous  trouvons  ensuite  Léonce,  Démétrius, 
Serge,  Grégoire,  dont  les  noms  figurent 
dans  un  synodicon  bulgare  et  qui  sont 
placés  à  cette  époque,  mais  d'une  manière 
dubitative,  par  Goioubinski  (  i  ),  N'oublions 
pas  saint  Gorazd  et  saint  Clément,  mort 
le  27  juillet  916,  qui,  tous  les  deux, 
exercèrent  le  pouvoir  d'archevêque  de 
Bulgarie  sans  en  porter  le  titre.  Enfin, 
nous  abordons  un  terrain  plus  solide  avec 
Damien,  qui  fut  reconnu  comme  pa- 
triarche par  Rome  d'abord,  ensuite  par 
Constantinople.  Chassé  de  Dristra,  siège 
de  son  patriarcat,  et  déposé  par  l'empe- 
reur Tzimiscès  en  972,  lors  de  la  prise  de 
cette  ville  et  de  la  conquête  de  la  Bulgarie 
orientale,  Damien  se  réfugia  auprès  de 
David,  tsar  de  la  Bulgarie  achridéenne,  et 
fut  accueilli  comme  le  chef  véritable  de 
l'Eglise  bulgare.  Ses  successeurs  furent 
Germain  ou  Gabriel,  qui  résida  à  Viddin 
et  à  Prespa;  Philippe  qui,  le  premier,  se 
fixa  à  Achrida;  David,  qui  dut  assister  à  la 
ruine  de  sa  patrie  ;  Jean,  enfin,  qui,  après 
la  suppression  du  royaume  bulgare  occi- 
dental, fut  confirmé  dans  sa  charge  par  le 
basileus  Basile  II,  mais  avec  le  simple  titre 
d'archevêque  de  Bulgarie  (2). 

Quant  à  l'étendue  de  la  juridiction  de 
ces  archevêques  et  de  ces  patriarches, 
quant  au  nombre  des  sièges  épiscopaux 
qui  leur  étaient  soumis,  nous  les  connais- 
sonssuffisamment,  depuisqu'on  a  retrouvé 
dans  un  chrysobulle  de  Michel  VIII  Paléo- 
logue,  daté  de  1272,  trois  novelles  jadis 
envoyées  à  Jean  d' Achrida  par  Basile  II,  en 
vue  de  réorganiser  l'Eglise  bulgare  et  de 
lui  assigner  des  limites  précises  (3).  On  y 


{i)  Op.  cit.,  p.  36. 

(2)  ScHLUMBERGER,  l'Epopéc  byzantine  à  la  fin 
du  x*  siècle,  t.  II,  p.  418-432;  Zachariœ  von  Lin- 
genthal,  Beitraege  ^ur  Geschichte  der  bulgaris- 
chen  Kirche,  dans  les  Mémoires  de  l'Académie 
impériale  des  sciences  de  Saint-Pétersbourg. 
t.  VIII  (1864),  p.  9-1 1,  14-16. 

(3)  Un  fragment  de  ce  chrysobulle  fut  d'abord 
édité  par  Rhallis  et  Potlis,  S-JvTayiJLa  twv  xavdvwv, 
t.  V,  p.  266  sq.,  et  reproduit  par  Zachariae  von 
Lingenthal  dans  son  Jus  grœco-romanum ,  t.  III, 
p.  319.  Porphyre  Ouspenskij  retrouva  au  Sinaï  le 
texte  complet  qui  fut  édité,  d'après  sa  copie,  par 


voit  tout  d'abord  que,  tout  en  le  mainte- 
nant sur  son  siège  d'Achrida,  Basile  II 
accordait  à  Jean  la  juridiction  que  lui  et 
ses  prédécesseurs  avaient  possédée  sous 
le  tsar  bulgare  Samuel  (977-1014).  Par 
suite  de  ce  premier  règlement,  il  recon- 
naissait à  son  archevêché  seize  évêchés 
suffragants,  à  savoir  :  Castoria,  Glavinitza, 
Mogléna,  Bitolia  ou  Monastir,  Stroumnitza, 
Morovisd,  Vélévouzda  ou  Kustendil,  Sra- 
ditza  ou  Sofia,  Nich,  Vranitza,  Belgrade, 
Thromos,  Scopia  ou  Uskub,  Prizdriana  ou 
Prizrend,  Lipainion  ou  Lipljan,  enfin 
Servia  (i).  Cette  première  novelle  est  datée 
de  1018. 

Le  métropolitain  Jean  ne  trouva  pas  le 
nombre  de  ces  évêchés  suffisant  et  il  se 
mit  à  réclamer  tous  les  diocèses  qui  avaient 
appartenu  à  ses  prédécesseurs,  au  temps 
de  la  plus  grande  extension  de  l'empire 
bulgare,  sous  le  tsar  Pierre  (927-968). 
L'empereur  grec  crut  devoir  condescendre 
à  ses  désirs  et,  par  une  seconde  Novelle 
datée  de  mars  1020,  il  décréta  que  «  le 
très  saint  archevêché  de  Bulgarie  serait 
constitué  dorénavant,  comme  aux  jours 
du  tsar  Pierre,  avec  tous  les  évêchés  suf- 
fragants qu'il  comptait  à  cette  époque  ». 
En  conséquence,  aux  seize  évêchés  déjà 
concédés,  il  en  adjoignit  douze  autres, 
ceux  de  Dristra  ou  Silistrie,  Viddin,  Rhasos 
ouRosaprèsdeNovi-Bazar,Oraia,Tzernik, 
La  Chimère,  Driynopolis,  peut-être  Vella, 
Bothrotos,  Janina,  Cozila  et  Pétra,  avec 
la  juridiction  sur  les  Valaques  de  Bulgarie 
et  sur  les  Turcs  du  Vardar  (2).  Enfin  la 
troisième  ordonnance  de  Basile  II,  publiée 
un  peu  plus  tard,  concédait  à  l'archevêque 
d'Achrida  l'évêché  de  Servia,  déjà  donné, 
mais  que  le  métropolitain  de  Thessalo- 
nique  se  refusait  à  abandonner,  et  les 
évêchés  de  Stagoi  et  de  Verria  (3). 

Cette  série  de  pièces  extrêmement  inté- 


E.  Goioubinski,  op.  cit.,  p.  259-263,  et  réédité  d'une 
manière  vraiment  critique  par  H.  Gelzer  dans  la 
Bysiantinische  Zeitschrift,  t.  Il  (1893),  p.  42-46. 

(i)  By^antinische  Zeitschrift,  t.  Il,   p.  42    sq., 
48-55. 

(2)  Byi^antinische   Zeitschrift,   t.    II,    p.  44-46, 
55  sq. 

(3)  By^antinische  Zeitschrift,  t.  II,  p.  46. 


ORGANISATION    DE    l'ÉGLISE   GRECQ^UE   ORTHODOXE    DE   CONSTANTINOPLE  l6l 


Fessantes  nous  offre  donc  le  tableau  le  plus 
complet  que  nous  connaissions  du  pre- 
mier patriarcat  bulgare.  Lors  de  sa  recon- 
stitution par  Basile  II  sous  forme  d'arche- 
vêché autonome,  vers  l'année  1020,  il 
comptait  trente  diocèses  soumis  au  siège 
d'Achrida:  il  en  comptait  vingt-huit  sous 


le  tsar  Pierre  (927-969),  seize  sous  le  tsar 
Samuel  (977-1014),  et  nous  savons  déjà 
par  la  yita  S.  Cleimntis  (i)que,  sous  le 
khan  Boris  (864-889),  il  en  avait  sept 
seulement. 

SiMÉON  Vailhé. 

Constantinople. 


ORGANISATION  DE    L'ÉGLISE   GRECQUE 

ORTHODOXE    DE    CONSTANTINOPLE 
{Fin  ^'\) 


V.  Les  MONASTÈRES. 

Patriarcaux  ou  épiscopaux  (2),  tous  les 
monastères  sans  exception  sont  sous  la 
surveillance  de  révêque  le  plus  rapproché. 

Les  couvents  étant  absolument  séparés 
du  monde,  les  moines  qui,  auparavant, 
exerçaient  un  ministère  quelconque  dans 
les  villages  voisins  doivent  abandonner 
ces  relations  ;  les  chrétiens  orthodoxes  de 
ces  localités  seront  fondus  dans  le  bercail 
commun  de  l'évêché  et  dépendront  de 
lui  aussi  directement  que  les  fidèles  des 
autres  paroisses. 

Divisés  en  trois  classes,  les  monastères 
du  premier  groupe  comprennent  plus  de 
vingt  moines  qui  mènent  la  vie  commune 
et  chantent  tous  les  jours  la  messe;  ceux 
du  deuxième  comprennent  plus  de  dix 
religieux  qui  gardent  la  vie  commune 
et  doivent,  en  dehors  des  offices,  chanter 
la  messe  trois  fois  par  semaine:  enfin, 
ceux  de  la  troisième  classe  renferment  plus 
de  cinq  moines  qui,  soumis  à  la  vie  com- 
mune, ne  chantent  la  messe  que  les 
samedis  et  les  dimanches. 

Quant  aux  couvents   qui  ne  rentrent 


(n  Voir  Echos  d'Orient,  mars  1911,9.  iioà  116. 

(2)  Les  higouménes  ou  supérieurs  des  couvents 
sont  nommés  directement  par  le  patriarche  dans 
les  premiers,  par  l'évêque  ou  le  métropolite  dans 
les  seconds. 


dans  aucune  de  ces  catégories,  l'évêque 
du  lieu  peut  les  soumettre  au  règlement 
qui  lui  plaît,  mais  non  au  règlement  des 
monastères  paroissiaux  qui  n'ont  qu'un 
higoumène. 

A  la  tête  des  couvents  abandonnés 
depuis  plusieurs  années,  ni  le  patriarche 
ni  l'ordinaire  ne  peuvent  nommer  d'hi- 
goumènes,  ce  serait  un  prétexte  pour 
s'en  approprier  les  revenus;  mais,  sur 
l'avis  conforme  du  saint  synode  et  du 
Conseil  mixte,  l'évêque  du  lieu  ou  du  voi- 
sinage nommera  une  Commission  qui 
répartira  les  revenus  entre  les  établisse- 
ments nationaux  qui  se  trouvent  dans  la 
gêne.  Dans  le  même  but,  le  Phanar  s'effor- 
cera de  retirer  annuellement  lo  %  des 
recettes  perçues  par  les  monastères  pos- 
sesseurs de  vastes  propriétés,  comme 
ceux  de  Moldavie  et  de  Valachie. 

Les  couvents  du  mont  Athos,  qui 
forment  une  catégorie  à  part  et  sont  auto- 
despotes, ne  peuvent  rien  changer  à  leur 
organisation  générale  et  à  leurs  relations 
avec  le  Phanar.  Affranchis  de  toutes  les 
redevances  particulières,  ils  fourniront 
annuellement  au  trésor  patriarcal  la  somme 
de  4  oooflorins  autrichiens,  soit9  800  francs 
de  notre  monnaie. 

Par  des  règlements  spéciaux,  les  moines 

(i)  MiGNE,  p.  G.,  t.  CXXVI,  n*  23,  col.  1229. 


l62 


ECHOS   D  ORIENT 


fixent  l'emploi  de  leur  temps,  le  procédé 
à  suivre  pour  l'élection  et  le  remplacement 
des  higoumènes,  l'emploi  des  ressources 
et  la  vérification  des  comptes  de  ces  divers 
établissements. 

VI.  Le  clergé  paroissial. 

Laissant  maintenant  de  côté  les  métro- 
polites et  les  moines,  il  est  intéressant  de 
rechercher  quelle  est  la  situation  qui  est 
faite  aux  prêtres  des  paroisses. 

Arrivé  à  l'âge  prescrit  par  les  règles 
canoniques,  muni  d'un  certificat  de  bonne 
conduite  signé  des  notables  de  son  village, 
pourvu  d'un  diplôme  de  fin  d'études  qui 
lui  est  délivré  à  sa  sortie  d'une  école  ecclé- 
siastique ou  d'une  école  secondaire  dite 
hellénique,  à  défaut  de  ce  témoignage, 
pouvant  subir  des  examens  sur  les  sciences 
sacrées  devant  une  Commission  désignée 
à  cet  effet  par  le  patriarche,  le  candidat  à 
l'ordination,  avant  d'être  promu  aux 
ordres,  doit  attendre  la  vacance  d'une 
paroisse  et  sa  désignation  à  ce  poste  pro- 
posée par  les  notables  et  acceptée  par  le 
chef  spirituel  de  la  Grande  Eglise. 

Assez  sommaire  pour  les  candidats  aux 
ordres  inférieurs,  l'examen  que  subissent 
les  clercs  avant  leur  ordination  porte  sur 
un  programme  plus  étendu  quand  ils 
aspirent  à  la  prêtrise  et  quand  ils  doivent 
encore  exercer  les  fonctions  délicates  de 
confesseur.  Ceci  figure  dans  le  pro- 
gramme; en  réalité,  sauf  exception  pour 
quelques  prêtres  des  villes,  le  clergé  parois- 
sial marié  —  et  c'est  la  presque  totalité  — 
est  d'une  ignorance  navrante. 

Pour  assurer  des  revenus  au  clergé 
paroissial,  le  patriarche  Joachim  111  a 
fondé  une  Caisse  centrale  dite  hiératique, 
mise  sous  la  garde  constante  de  la  Com- 
mission dite  ecclésiastique. 

Son  but  immédiat  est  de  soutenir  les 
prêtres  et  les  diacres  da  ns  la  nécessité  ;  mais, 
indirectement,  elle  a  pour  but  aussi  d'amé- 
liorer la  situation  matérielle  et  morale  du 
clergé  en  réunissant  les  fonds  requis 
pour  l'achat  des  livres  pieux,  la  constitu- 
tion des  bibliothèques  paroissiales,  etc. 


Il  s'agit  maintenant  d'alimenter  ce  trésor 
central.  Les  rtssoMxc&s régulières  destinées 
à  l'approvisionner  sont  :  a)  les  dépôts 
mensuels  des  prêtres  et  des  diacres  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions,  fixés  d'après 
le  rang  de  la  paroisse  dans  les  cadres 
patriarcaux;  b)  un  droit  perçu  sur  tout 
clerc  nouvellement  ordonné  à  son  entrée 
dans  une  paroisse  ou  sur  tout  prêtre  à  son 
transfert  dans  une  autre  paroisse;  c)  les 
biens  des  prêtres  et  diacres  de  l'arche- 
vêché mourant  sans  héritiers;  d)  tous  les 
apports  supplémentaires  que  la  Commis- 
sion ecclésiastique  et  le  patriarcat  peuvent 
imaginer. 

Les  ressourcesextraordinairessont:  pies 
peines  pécuniaires  infligées  aux  prêtres  et 
aux  diacres  coupables  d'une  faute  quel- 
conque; 2°  les  amendes  que  peut  exiger 
le  protosyncelle  (grand  vicaire)  pour  les 
patènes  ou  les  objets  sacrés  du  patriarcat 
que  l'on  emporte  sans  permission;  3°  les 
cotisations  extraordinaires  des  clercs  et 
les  dons  des  fidèles. 

Voici  quelles  sont  les  redevances  men- 
suelles du  clergé  paroissial  au  patriarcat. 
Les  paroisses  du  Phanar  et  de  Péra  donnent 

2  %  de  leurs  revenus,  soit,  en  général,  le 

3  %  de  la  solde  mensuelle  des  diacres. 
Les  autres  paroisses,  à  ce  point  de  vue, 
sont  divisées  en  trois  classes  :  celles  de  pre- 
mière classe  donnent  10  piastres  par 
mois  (i)  pour  les  curés  et  6  piastres  par 
mois  pour  les  confesseurs  et  les  hebdo- 
madiers;  dans  celles  de  deuxième  classe, 
les  curés  donnent  6  piastres,  les  autres 
ecclésiastiques  4;  dans  celles  de  troisième 
classe,  les  chefs  donnent  4  piastres,  les 
confesseurs  et  les  hebdomadiers  2. 

Ces  redevances  sont  obligatoires  dans 
l'archevêché,  et  aucun  ecclésiastique  n'a  le 
droit  de  s'en  affranchir,  sous  peine  d'être 
dénoncé  par  la  Commission  financière  à 
la  Commission  ecclésiastique  chargée  de 
le  poursuivre. 

La  Caisse  centrale  qui  reçoit  tous  ces 
revenus  a  deux  clés  :  la  première  est  aux 


(i)  On  sait  que  la  piastre  turque  vaut  un  peu 
plus  de  o  fr.  20  de  notre  monnaie. 


ORGANISATION    DE    L'ÉGLISE    GRECQ.UE   ORTHODOXE    DE   CONSTANTINOPLE  165 


mains  du  proiosyncelîe  (grand  vicaire)  ;  la 
seconde  aux  mains  du  trésorier  perpétuel. 

VII.  La  Commission  financière. 

Présidée  par  le  protosyncelle,  composée 
d'un  vice-président,  du  grand  archidiacre, 
de  trois  autres  ecclésiastiques,  dont  un 
diacre  à  la  fois  secrétaire  et  comptable,  et 
de  trois  autres  membres  laïques  choisis 
parmi  les  notables  de  la  nation,  cette  Com- 
mission élit  son  personnel  dans  la  pre- 
mière semaine  de  septembre  et  s'occupe 
de  la  perception  des  ressources  de  la  Caisse 
centrale.  Quand  elle  prête  dans  les  graves 
nécessités,  elle  ne  livre  jamais  plus  de  la 
moitié  des  revenus  mensuels  encaissés. 
Avec  l'autre  moitié  et  avec  les  rapports 
irréguliers,  elle  constitue  peu  à  peu  un 
capital  de  réserve:  chaque  fois  que  l'en- 
caisse dépasse  lo  livres  turques  (environ 
230  francs  de  notre  monnaie),  on  la  verse 
dans  une  caisse  spéciale  destinée  à  rece- 
voir tous  les  dépôts  similaires. 

11  appartient  à  cette  Commission  de 
faire  un  rapport  annuel  sur  les  clercs  qui 
ont  besoin  de  secours  pécuniaires,  d'aug- 
menter les  revenus  du  trésor,  de  tenir  à 
jour  les  livres  de  compte,  de  réunir  ses 
membres  deux  fois  la  semaine  ou  plus 
souvent,  si  c'est  nécessaire,  chez  le  pro- 
tosyncelle, pour  prendre  des  décisions  à 
la  pluralité  des  voix,  et  de  soumettre  tous 
ses  projets,  pour  les  faire  valider,  à  la 
Commission  ecclésiastique.  A  la  fin  de 
chaque  année,  en  août,  elle  remettra  tous 
les  comptes  de  l'année  à  cette  dernière 
Commission  qui  en  consignera  les  résul- 
tats dans  un  registre  spécial. 

VIII.  La  Commission  ecclésiastique. 

Composée  d'ecclésiastiques,  cette  as- 
semblée veille  à  l'observation  des  règles 
liturgiques,  à  la  bonne  tenue  des  églises  et 
des  chapelles,  à  la  propreté  des  vases  et 
des  linges  sacrés  ;  elle  surveille  la  con- 
duite des  clercs  et  inflige  aux  délinquants 
des  peines  spirituelles  et  des  amendes  en 
argent,  examine  les  différends  survenus 
entre    ecclésiastiques,    choisit    pour    les 


attacher  au  patriarcat  1«  plus  vertueux  et 
les  plus  instruits  des  prêtres  et  des  moines, 
nomme,  dépose  et  transfère  les  diacres, 
les  hebdomadiers  et  les  confesseurs. 

C'est  à  elle  qu'il  appartient  de  faire 
passer  des  examens  aux  candidats  à  l'or- 
dination et,  quand  les  prêtres  viennent 
d'un  autre  diocèse,  d'examiner  leurs  pa- 
piers d'ordination  et  de  leur  délivrer  un 
certificat,  de  faire  passer  tous  les  six  mois 
un  examen  aux  futurs  confesseurs,  de 
surveiller  les  prédicateurs  et  de  faire  un 
rapport  au  patriarche  sur  la  conduite  des 
prêtres  ou  des  moines  venus  à  Constan- 
tinople  pour  n'importe  quelle  raison  des 
autres  diocèses. 

A  elle  aussi  d'accueillir  et  d'examiner 
les  néophytes  convertis  à  l'orthodoxie, 
de  revoir  les  livres  de  liturgie  et  de 
piété  (i),  d'accepter  ou  de  rejeter  les  ma- 
nuscrits d'auteurs  soumis  à  lexamen  du 
Phanar,  et  dans  le  cas  où  les  ouvragés 
sont  agréés,  d'exiger  de  l'auteur  un 
exemplaire  du  livre  imprimé  à  ses  frais 
et  portant  le  sceau  de  la  Commission  à 
toutes  les  pages,  de  prévenir  les  fidèles 
des  erreurs  contenues  dans  les  livres 
imprimés  sans  sa  permission  et  enfin  de 
distribuer,  selon  la  volonté  des  éditeurs, 
les  ouvrages  envoyés  au  patriarcat. 

Du  reste,  l'auteur  d'un  livre  examiné 
a  des  obligations  vis-à-vis  de  la  Commis- 
sion; il  doit  en  céder  un  exemplaire  à 
chacun  de  ses  membres,  un  exemplaire 
au  bibliothécaire  de  l'Ecole  théologique 
de  Halki,  un  exemplaire  au  bibliothécaire 
de  la  grande  école  de  la  nation  et  un  autre 
à  celui  de  la  bibliothèque  patriarcale. 

IX.  —  Statistique  et  conclusions. 

La  statistique  suivante,  faite  à  la  fin  de 
l'année  1906,  met  en  regard,  avec  l'indi- 
cation du  siège  du  diocèse,  le  nombre 
d'églises,  de  monastères,  de  sanctuaires 
et  de  prêtres  qui  se  trouvent  dans  les  dio- 
cèses relevant  du  patriarcat  œcuménique 
de  Constantinople. 

(i)  Les  livres  de  théologie  proprement  dite  sont 
examinés  par  une  Commission  spéciale. 


i64 


ÉCHOS   d'orient 


MÉTROPOLES 

RÉSIDENCES 

ÉGLISES 

MONASTÈRES 

SANCTUAIKES 
(UagliiaMiiata. 

PRÊTRES 

1.  Constanlinople. 

2.  Césarée. 

Césarée. 

60 

2 

4 

45 

3.  Éphèse. 

Manissa. 

— 

— 

4.  Héraclée. 

Rodosto. 

— 

— 



— 

5.  Cyzique. 

Artaki. 

— 

— 

— 

— 

6.  Nicomédie. 

Ismidt. 

76 

— 

27 

73 

7.  Nicée. 

Ghemlek. 

25 

2 

20 

40 

8.  Chalcédoine. 

K.adi-Keuï. 

— 

— 

— 

9,  Dercos. 

Thérapia. 

44 

— 

60 

46 

10.  Thessalonique. 

Salonique. 

— 

2 

— 

— 

,    II.  Andrinople, 

Andrinople. 

68 

— 

— 

ICI 

12.  Amasée. 

Samsoun. 

25o 

— 

5 

280  à  3oo 

i3.  Janina. 

Janina. 

228 

I 

— 

142 

14.  Brousse. 

Brousse. 

25 

2 



29 

i5.  Monasiir. 

Monastir. 

80 

— 

5 

93 

16.  Néocésarée. 

Ordou. 

— 

— 



17.  Iconium. 

Nigdé. 

— 

— 





18.  Berrhœa. 

Véria. 

46 

I 



47 

19.  Pisidie. 

Isbarta. 

i3 

I 

I 

8 

•    20.  Crète. 

Candie. 

— 

i5 





21.  Trébizonde. 

Trébizonde. 

78 

3 

i3 

102 

22.  Nicopolis. 

Prévésa. 

100 

— 

100 

23.  Philippopoli. 

Plovdif. 

27 

— 



63 

24.  Rhodes. 

Métropolis. 

7 

I 

— 

1 12 

25.  Serrés. 

Serrés 

70 

I 

8 

80 

26.  Drama. 

Drama. 

— 

I 





27.  Smyrne. 

Smyrne. 

— 

— 





28.  Mytilène. 

Metelin. 

— 

— 

— 



29.  Didymoteikhos. 

Dimotika. 

55 

— 

4 

96 

3o.  Ancyre. 

Angora. 

7 

— 

— 

.    10 

3i.  Philadelphie. 

Alachéhir. 

17 

— 

— 

19 

32.  Melénik. 

Melnik. 

— 

_ 

— 

33.  Ainos. 

Dédé-Agatch. 

19 

2 

I 

21 

34.  Méthymna. 

Achironi. 

36 

I 

2 

41 

35.  Korytza. 

Korytza. 

184 

— 

102 

36.  Mesembria. 

Missivri. 

— 

I 

— 



37.  Samos. 

Vathy. 

76 

7 

— 

119 

38.  Bizya. 

Vizia. 

25 

21 

43 

39.  Anchialos. 

Anchialos. 

— 

I 

— 

40.  Varna. 

Varna. 

1 1 

— 

— 

i3 

41.  Maronia. 

Ghumuldjina. 

— 

— 

— 

42.  Seiybria. 

Silivri. 

— 

— 

— 



43.  Sozoagathopolis. 

Sozopolis. 

9 

— 

— 

10 

44.  Xanthé. 

Iskidjé. 

— 

— 

— 

— 

45.  Ganos  et  Chora. 

Chora. 

— 

— 





46.  Chio. 

Castro. 

— 

3 

— 



47.  Lemnos. 

Lemnos. 

— 

— 





48.  Imbros. 

Castro. 

8 

— 



i5 

49.  Dyrrachium. 

Durazzo. 

— 

— 

— 

— 

5o.  Scopia. 

Uskub. 

— 

— 



— 

5i.  Castoria. 

Castoria. 

482 

— 

__ 

192 

52.  Rascoprisrena. 

Prizrend. 

90 

— 

5 

141 

53.  Bodéna. 

Vodéna. 

65 

— 

12 

72 

54.  Belgrade. 

Béralun. 

io3 

— 

— 

55.  Strumnitza. 

Stroumitza. 

18 

— 

I 

'7 

56.  Grévena. 

Grévéna. 

109 

I 

— 

98 

57.  Sisanios. 

Siatista. 

— 

— 

— 

ORGANISATION    DE   l'ÉGLISE   GRECQ.UE   ORTHODOXE   DE   CONSTANTINOPLE  165 


MÉTROPOLES 

RÉSIDENCES 

ÉGLISES 

MOXlSfEUS 

SAKCTlilRES 
(Ragbiasmata.) 

PRÊTRES 

58.  Mogléna. 

Florina. 

26 



32 

3o 

59.  Presba. 

Ochrida. 

46 

10 

8 

45 

60.  Debra. 

Dibrai. 

— 

— 

— 

61.  Cassandria. 

Polygyro. 

l32 

— 

i8 

74 

62.  Chaldia. 

Gumuch-Hané. 

— 

I 

— 

— 

63.  Elasson. 

Elasson. 

66 

2 

2 

82 

64.  Proconèse. 

Marmara. 

22 

— 

21 

28 

65.  Dryïnoupolis. 

Argyrocastro. 

170 

4 

— 

i56 

66.  Cos. 

Istan-Keuï. 

16 

— 

— 

20 

67.  Lilitza. 

Orta-K.euï. 

20 

— 

— 

24 

68.  Carpathos. 

Carpathos. 

— 

I 

— 

69.  Serbia. 

Servia. 

84 

I 

2 

66 

70.  Névrokop. 

Névrokop. 

5 

— 

— 

5 

71.  Léros  et  Calymnos. 

Léros. 

70 

— 

— 

39 

72.  Colonia. 

K.ara-Hissar-Charki . 

— 

I 

— 

1 

73.  Eleuihéropolis. 

Pravichla. 

— 

— 

— 

— 

74.  Paramythia. 

Paramythia. 

58o 

2 

— 

102 

75.  Bella. 

Vella. 

— 

2 

— 

— 

76.  Hélioupolis. 

Aïdin. 

41 

— 

— 

55 

77.  Callioupolis. 

Gallipoli. 

3o 

— 

10 

40 

78.  Rhodopolis. 

Livéria. 

— 

— 

— 

— 

79.  Kréné. 

Tchesmé. 

41 

— 

— 

70 

80.  Quarante-Églises. 

Kir-Kilissé. 

— 

— 

81.  Tyroloé. 

Tchorlou. 

— 

— 

— 

-    = 

Au  total,  cela  nous  fait,  pour  les  dio- 
cèses dont  nous  possédons  les  statis- 
tiques complètes,  72  monastères  patriar- 
caux (i)  dont  les  higoumènes  sont 
nommés  directement  par  le  patriarche, 
^  807  églises,  282  hagbiasmata  ou  fon- 
taines sacrées  (2)  et  une  population  de 
3  107  prêtres.  Les  éléments  de  la  statis- 
tique précédente  nous  permettent  d'éta- 
blir les  quatre  points  suivants  : 

10  //  n'y  a  pas  proportion  entre  l'im- 
portance des  diocèses  et  Je  nombre  des  mo- 
nastères patriarcaux  qui  y  sont  entretenus. 
Ainsi,  on  compte  15  monastères  dans 
l'île  de    Crète,    7  dans  celle   de  Samos, 


(i)  On  les  appelle  stavropégiaques,  parce  que  le 
patriarche  œcuménique  en  prend  en  quelque 
sorte  possession  en  enfonçant  une  croix  dans  le 
sol  à  la  pose  de  la  première  pierre  (<TTaypôv 
-TtTiYvjfjLi  =  j'enfonce  une  croix);  les  autres  sont 
Ivopiaxal  =■  paroissiaux. 

(2)  L'haghiasma  (to  i^fa^fia)  est  une  fontaine  très 
fréquentée,  dont  l'eau  est  censée  avoir  des  vertus 
curatives  et  prés  de  laquelle  la  piété  populaire 
entretient  une  veilleuse  bien  abritée. 


6  dans  les  îles  des  Princes,  4  dans  le  dio- 
cèse de  Dryinoupolis,  alors  qu'on  n'en 
trouve  que  2  dans  celui  de  Césarée, 
I  dans  celui  de  Janina,  i  dans  celui  de 
Drama  et  i  dans  celui  d'Anchialos. 
Notons  aussi  que,  sur  81  diocèses,  27  seu- 
lement ont  des  monastères  patriarcaux 
et  qu'à  ce  nombre  il  faut  ajouter  les  trois 
qui  se  trouvent  dans  l'évêché  de  Kitros 
et  celui  de  l'île  de  Patmos. 

2°  //  n'y  a  pas  toujours  proportion  entre 
le  nombre  des  églises  des  divers  diocèses  et 
le  nombre  des  prêtres  qui  les  desservent. 

En  effet,  le  nombre  minimum  des  églises 
est  dans  les  diocèses  de  Névrocop,  d'Im- 
bros,  de  Sozoagathopolis,  de  Rhodes  et 
de  Léros  et  Calymnos,  respectivement  de 
5,  8,  q,  7  et  7;  d'autre  part,  le  nombre 
maximum  des  églises  est,  dans  les  dio- 
cèses d'Amasée,  de  Janina,  de  Castoria, 
de  Paramythia  et  de  Koritza,  respective- 
ment de  250,  228,  482,  580  et  184.  Or, 
si,  à  Névrocop  et  à  Sozoagathopolis,  au 
minimum  de  5  et  de  9  églises  correspond 


i66 


ÉCHOS   d'orient 


le  minimum  de  5  et  de  10  prêtres,  par 
contre,  à  Léros  et  à  Calymnos,  il  y  a 
39  prêtres  pour  7  églises.  De  même,  si, 
au  maximum  de  250  églises,  correspond 
àAmaséelechiffre;;m:vî/;mwde28oprêtres, 
par  contre,  il  y  a  dans  les  diocèses  de 
Castoria  et  de  Paramythia  respectivement 
192  et  102  prêtres  pour  482  et  580  églises. 
Ces  exemples  qu'on  pourrait  multiplier 
accusent  une  réelle  disproportion. 

30  //  n'y  a  pas  toujours  proportion  entre 
le  chiffre  des  émoluments  des  divers  métro- 
polites et  le  nombre  des  églises  et  des  prêtres 
des  diocèses  (i). 

Ainsi  les  titulaires  d'Amasée,  de 
Janina,  de  Castoria,  de  Rhodes,  de  Dercos 
reçoivent  respectivement:  83  000,  89  500, 
52000,  52500  et  82500  piastres.  En 
divisant  successivement  chacun  de  ces 
nombres  par  le  nombre  des  églises  et 
le  nombre  des  prêtres  de  l'éparchie,  nous 
avons  les  rapports  suivants:  Amasée  a 
83  000  piastres  pour  280  églises  et 
300  prêtres,  Janina  89  500  piastres  pour 
228  églises  et  142  prêtres,  Castoria 
52000  piastres  pour  482  églises  et 
192  prêtres,  Rhodes  52  500  piastres  pour 
7  églises  et  112  prêtres,  Dercos  82500 
piastres  pour  44  églises  et  46  prêtres. 
Qui  ne  voit  l'anomalie?  Dans  l'ordre 
décroissant  du  nombre  des  églises,  nous 
avons  Castoria,  Amasée,  Janina,  Dercos, 
Rhodes;  dans  l'ordre  décroissant  du 
nombre  des  prêtres,  nous  obtenons  : 
Amasée,  Castoria,  Janina,  Rhodes,  Der- 
cos; enfin,  dans  l'ordre  décroissant  du 
montant  des  rétributions  des  évêques, 
nous  avons  :   Janina,    Amasée,    Dercos, 


(i)  On  sait  que  les  églises  des  diocèses  et,  con- 
séquemment,  les  fidèles  sont  chargés  de  fournir 
aux  évêques  des  appointements  suffisants.  D'où 
cette  relation  toute  naturelle  :  plus  le  diocèse  a 
d'églises  et  de  prêtres,  plus  les  émoluments  du 
métropolite  peuvent  être  développés. 


Rhodes,  Castoria.  Le  métropolite  de  Dercos, 
plus  rapproché  du  Phanar,  semble  plus 
favorisé  au  point  de  vue  financier. 

4°  Les  haghiasmata  sont  très  diversement 
répartis  :  des  métropoles  peu  importantes, 
commeGallipoli,  Vodénaet  Proconèse,  en 
ont  jusqu'à  10,  12  et  21,  tandis  que 
d'autres,  de  plus  d'étendue,  comme 
celles  de  Césarée  et  de  Monastir,  n'en 
ont  que  4  et  5,  et  que  celles  d'Andri- 
nople  et  de  Janina  n'en  ont  aucun. 

A  ces  anomalies  que  font  ressortir  les 
rapprochements  des  chiffres,  qu'on  ajoute 
une  série  d'irrégularités:  le  patriarche 
maintenant  au  saint  synode  les  conseil- 
lers qui,  leur  stage  fini,  devraient  rentrer 
dans  leurs  diocèses  (1);  le  saint  synode 
s'arrogeant  un  jour  le  pouvoir  de  dépla- 
cer sans  raison  un  métropolite  malgré  la 
volonté  de  ce  dernier;  les  conseillers  de 
la  Corne  d'Or  réclamant  l'héritage  inté- 
gral d'un  ancien  moine  de  Chio,  expulsé 
de  son  monastère,  qui,  d'ailleurs,  laisse 
des  héritiers  naturels;  les  membres  du 
Conseil  mixte  souvent  en  conflit  avec  les 
synodiques  pour  les  limites  de  leurs  attri- 
butions respectives,  très  fréquemment, 
des  métropolites  sans  mission  intriguant 
dans  la  capitale  auprès  du  Phanar  :  autant 
de  dérogations  aux  prescriptions  cano- 
niques qui  montrent,  par  leur  retour 
périodique,  que  tout  n'est  pas  harmonieu- 
sement concerté  dans  cette  Eglise  sans 
hiérarchie  sérieusement  constituée,  corps 
d'une  puissante  ossature,  mais  qui,  en 
réalité,  n'a  pas  de  tête. 

E.    MONTMASSON. 


(i)  Par  exemple,  les  métropolites  de  Cyzique  et 
de  Nicomédie,  grands  soutiens  de  Joachim  111, 
devaient  rentrer  dans  leurs  diocèses  en  1909; 
le  patriarche  les  a  gardés  au  Phanar  malgré  les 
protestations. 


LE  DIVORCE  D'APRÈS  L'ÉGLISE  CATHOLIQUE 
ET    L'ÉGLISE    ORTHODOXE 


Nous  étonnerions  plus  d'un  lecteur 
d'Occident  ou  d'Orient  si  nous  lui  disions 
que  la  plupart  des  manuels  ou  diction- 
naires de  théologie  ou  de  droit  ecclésias- 
tique qu'il  a  sous  la  main  ne  donnent 
pas  un  exposé  assez  exact  de  cette  fameuse 
question,  l'une  des  plus  importantes 
parmi  celles  qui  divisent  les  deux  Grandes 
Eglises.  Les  auteurs  se  contentent  ordi- 
nairement d'affirmer,  d'une  part,  que 
l'Eglise  orthodoxe  admet  le  divorce  à  viu- 
ciilo  et  que  l'Eglise  catholique  le  condamne  ; 
de  l'autre,  que  le  nœud  du  litige  entre 
orthodoxes  et  catholiques  au  sujet  du 
divorce  consiste  à  savoir  si,  d'après 
l'Evangile  et  la  tradition,  l'adultère  est  ou 
n'est  pas  un  motif  légitime  de  divorce  (i). 

Or,  que  cet  exposé  ne  soit  pas  assez 
exact,  c'est  ce  que  nous  nous  proposons 
de  montrer  rapidement  dans  le  présent 
travailque  nous  diviserons  en  deux  parties. 
Dans  la  première,  nous  signalerons  l'ac- 
cord et  la  divergence  entre  les  deux  Eglises 
touchant  la  doctrine  du  divorce  à  vincido 
et  les  motifs  qui  la  justifient;  dans  la 
seconde,  nous  rappellerons  ce  que  l'Eglise 
orthodoxe  enseigne  au  sujet  de  ce 
divorce  (2). 


(1)  Les  auteurs  orthodoxes  eux-mêmes  favorisent 
cette  manière  inexacte  de  parler.  Tels,  par  exemple, 
MÉTROPHANE  Critopollos  dans  sa  Confession  de 
foi,  p.  149  (KiMMEL,  Librisymbolici  ecclesiœ  orien- 
taiis,  léna  1848;  Gass,  Symbolik  des  griechischen 
Kirche,  Berlin,  1872,  p.  290-291);  Androutsos,  Aoy- 
(laTf/.T,  ôp6o6ô?oy  àvaTO/.;y.f,;  £/.x).r,(T;aç,  Athènes, 
1907,  p.  400;  Aoy.';[x;ov  o-y[x,6oXtxr,;,  Athènes,  1901, 
p.  333;  Sakellaropoulos,  'ExxXr.fftadTi/.bv  Sîxa-.ov, 
Athènes,  1898,  p.  540.  Dans  sa  SyiiêoXsxr,,  M.  An- 
droutsos,  après  avoir  dit  sans  restriction  que 
l'Eglise  d'Occident  n'admet  pas  le  divorce  à  vin- 
culo,  ajoute  qu'elle  autorise  le  divorce  temporaire 
à  thoro  et  mensa  et  ne  prononce  le  divorce  à  vin- 
culo  qu'au  cas  de  nullité,  surtout  en  faveur  des 
têtes  couronnées.  Ces  méprises  regrettables 
dénotent  chez  l'auteur  une  connaissance  insuffi- 
sante du  droit  occidental  concernant  le  mariage. 

(2)  Nous  ne  dirons  rien  du  divorce  à  thoro  et 
habitatione  {vel  mensa).  Ce  divorce  est  temporaire 


I.  Accord  et  divergence  entre  les  deux 
Eglises  touchant  la  doctrine  du  divorce 

a  vinculo. 

Bien  que  l'Eglise  romaine  ne  pense  pas 
pouvoir  accorder  le  divorce  à  vinculo,  s'il 
s'agit  du  mariage  consommé  des  chré- 
tiens, elle  se  croit  pourtant  autorisée,  en 
raison  d'une  épikie  légitime  que  la  tradi- 
tion ne  contredit  pas,  à  considérer  (i) 
comme  dissous  à  vinculo,  en  vertu  du 
droit  divin  positif,  implicite,  le  mariage 
non  encore  consommé  des  époux  qui 
émettent  la  profession  solennelle  de  reli- 
gion (2).  C'est  encore  en  raison  de  la 
même  épikie,  et  cette  fois  en  vertu  du 
droit  simplement  ecclésiastique,  qu'elle 
estime  avoir  reçu  du  Christ  le  privilège 
d'octroyer  pour  une  raison  grave  et 
juste  (2)  la  dispense  du  mariage  conclu  et 
non  consommé. 

Jusqu'ici  les  deux  Eglises  sont  d'ac- 
cord (3);  elles  s'accordent  aussi,  en  partie 
du  moins,  pour  accepter  les  clauses  du 
droit  romain  qui  autorisait  le  divorce  à 
vinculo  par  consentement  mutuel  ou  tout 
autre  motif  grave  (4).  Chose  curieuse  et 

chez  les  orthodoxes  (trois,  six,  neuf  mois  ou  plus), 
et  n'est  que  le  prélude  du  divorce  à  vinculo. 
TheotOKas,  NojjioXoYÎa  "oC  oîxoup.e'vtxoCraTp'.apyît'o-j, 
Constantinople,  1897,  p.  284  en  note;  Milasch,  Dos 
Kirchenrecht  der  morgenlaendischen  Kirche, 
p.  640,  note  2;  Sakellaropoulos,  op.  cit.,  p.  55o. 
(i)  L'Eglise,  en  ce  cas,  n'accorde  pas,  mais  cons- 
tate la  dispense  accordée  par  le  droit  divin. 

(2)  Le  mariage  même  consommé  des  païens 
convertis  qui,  servatis  servandis,  usent  du  privi- 
lège de  la  foi  promulgué  par  saint  Paul,  est  assi- 
milé au  mariage  ratum  et  non  consummatum  des 
fidèles  nés  de  parents  chrétiens  ou  mariés  après 
leur  baptême. 

(3)  Nous  allons  voir  en  effet  que  pour  les  ortho- 
doxes le  motif  du  divorce  à  vinculo  du  mariage 
consommé  ou  seulement  conclu  est  toute  raison 
grave  et  juste. 

(4)  La  première  clause  n'est  conservée  par  les  deux 
Eglises  que  pour  l'entrée  en  religion.  Quant  à  la 
seconde,  l'Orient  et  l'Occident  chrétiens  s'entendent 
pour  la  maintenir  en  ce  qui  concerne  le  mariage 


i68 


ÉCHOS    d'orient 


digne  de  remarque,  c'est  qu'au  sujet  de  la 
seconde  clause  du  droit  romain,  les  motifs 
du  divorce  à  vinculo  du  mariage  non  con- 
sommé sont  en  droit  et  en  fait,  dans  l'en- 
semble, les  mêmes  dans  le  droit  catho- 
lique que  les  motifs  signalés  par  le  droit 
orthodoxe  pour  le  divorce  consommé  ou 
non  (  I  ),  L'accord  peut  aller  même  plus  loin , 
car  l'une  et  l'autre  Eglise  sont  autorisées 
à  concéder  le  divorce  à  vinculo  du  mariage 
consommé,  lorsque  les  conjoints  l'ont 
consommé  dans  l'infidélité.  Des  auteurs 
appelés  magni   nominis  par    Benoît    XIV 


conclu  et  non  consommé  et  peuvent  s'entendre 
également  s'il  s'agit  du  divorce  à  vinculo  du 
mariage  consommé  dans  l'infidélité. 

(i)  Dés  là,  en  effet,  que,  sans  tenir  compte  des 
enfants  dans  l'appréciation  des  motifs,  le  motif 
général  de  la  raison  grave  et  Juste  justifiant  le 
divorce  à  vinculo  du  mariage  quel  qu'il  soit,  con- 
sommé ou  non,  est  admis,  ce  qui  est  le  cas  pour 
l'Eglise  séparée,  comme  la  seconde  partie  de  notre 
article  l'établira  en  peu  de  mots,  les  motifs  parti- 
culiers de  l'Eglise  orthodoxe  pour  les  deux  divorces 
à  vinculo  seront  les  mêmes  que  ceux  de  l'Eglise 
catholique  concernant  le  divorce  à  vinculo  du 
mariage  ratum  et  non  consummatum,  sauf  le  cas 
d'appréciation  pratique  parfois  différent.  En  fait, 
ni  les  documents  officiels  ni  les  ouvrages  cano- 
niques de  l'Eglise  grecque  ne  traitent  expressément 
la  question  spéciale  des  motifs  du  divorce  à  vin- 
culo du  mariage  non  consommé,  très  probablement 
parce  que  la  chose  est  jugée  inutile  ou  que  sans 
doute,  si  l'on  excepte  le  cas  d'impuissance  probable, 
pareils  cas  doivent  être  excessivement  rares,  sinon 
inexistants  dans  l'Eglise  orientale.  Mais  si  la  ques- 
tion était  posée,  vu  que  l'appréciation  des  motifs 
de  l'un  et  l'autre  divorce  est  la  même,  la  réponse 
assimilerait  sûrement  l'ensemble  des  motifs  des 
deux  divorces. 

Notre  droit  ecclésiastique  ne  détermine  en 
détail  ni  la  nature  ni  le  nombre  des  motifs  légi- 
times du  divorce  à  vinculo  qu'il  autorise,  ce  qui 
explique  le  dissentiment  des  théologiens  et  des 
canonistes,  quand  ils  donnent  des  exemples  de  ce 
divorce.  Toutefois,  l'énumération  de  plusieurs  de 
ces  cas  suffit  à  convaincre  de  l'identité  générale 
des  motifs  du  divorce  à  vinculo  dans  les  deux 
droits.  Ainsi  les  motifs  les  plus  communément 
allégués  par  nos  auteurs  sont  :  l'impuissance 
sérieusement  probable,  le  scandale,  la  stérilité 
très  probable,  la  différence  de  condition,  une 
maladie  contagieuse,  des  froissements  persistants, 
une  haine  irréductible,  un  danger  grave  pour  la 
vie  de  l'un  des  conjoints,  l'adultère,  l'apostasie, 
l'hérésie,  etc.  Lehmkuhl,  Theologia  moralis,  t.  II, 
n°  703,  fait  observer  que  les  Acta  sanctœ  Sedis  et 
le  traité  De  impedimentis  matrimonii  de  Feije 
contiennent  de  nombreux  cas  {permulta  exempta) 
de  divorce  du  mariage  non  consommé  concédé 
sous  les  pontificats  de  Pie  IX  et  de  Léon  XIII,  pour 
l'un  ou  l'autre  de  ces  motifs  ou  un  motif  analogue. 


attribuent  ce  droit  à  l'Eglise.  L'opinion  de 
ces  docteurs,  qui  a  pour  elle  l'autorité  de 
Grégoire  Xlll  et  d'Urbain  Vlll  et  qui  cadre 
fort  bien  avec  la  loi  canonique  de  l'Eglise 
orthodoxe  concernant  le  motif  général  du 
divorce  à  vinculo,  est  assez  sérieuse  pour 
constituer  un  principe  sûr  de  jurispru- 
dence ecclésiastique  (i). 

Les  deux  concessions  à  la  doctrine  du 
divorce  à  vinculo  que  nous  venons  de 
signaler  sont  cependant  les  seules  que 
l'Eglise  catholique  ne  juge  pas  incompa- 
tibles avec  l'enseignement  du  Christ.  La 
première  ne  lui  est  pas  opposée,  puisque 
le  contrat  du  mariage  n'étant  encore  que 
le  jus  ad  rem,  c'est-à-dire  à  l'union  des 
corps  par  l'acte  de  la  génération,  sa  rési- 
liation ne  nuit  pas  au  bien  essentiel  et 
primordial  de  l'institution  matrimoniale. 
Quant  au  divorce  du  mariage  consommé 
dans  l'infidélité,  il  a  pour  objet  un  ma- 
riage achevé  en  dehors  de  la  loi  nouvelle 
et  pouvant  dès  lors  bénéficier  de  la  tolé- 
rance accordée  aux  époux  sous  la  loi 
ancienne.  En  allant  plus  avant  dans  la 
voie  de  la  concession,  l'Eglise  grecque  et 
les  autres  Eglises  orientales,  loin  de 
réformer  la  législation  romaine,  comme 
le  prétend  M&'  Milasch  (2),  ont,  au  con- 
traire, fait  une  entorse  à  la  loi  évangélique 
en  faveur  de  cette  législation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  lignes  qui  pré- 
cèdent nous  donnent  le  droit  de  dire  que,, 
s'il  y  a  désaccord  entre  orthodoxes  et 
catholiques  au  sujet  de  la  concession  du 
divorce  à  vinculo,  il  existe  néanmoins  entre 
eux,  sur  plusieurs  points  importants,  un. 
accord  frappant  sur  lequel  théologiens 
et  canonistes  n'attirent  généralement  pas: 
l'attention. 

IL  Ce  Q.UE  l'Église  grecque  enseigne 

AU  sujet  des  motifs  du  divorce  a  VINCULO. 

La  lecture  des  ouvrages  canoniques  ou^ 
théologiques    des    Latins    et   des    Grecs 

(i)  Ballerini-Palmieri,  Opus  theologicum  mo- 
rale, Prati,  1892-1894,  t.  VI,  p.  336-347. 

(2)  C'est-à-dire  en  admettant  qu'une  raison 
grave  et  juste  peut  légitimer  aussi  bien  le  divorce 


LE   DIVORCE   D  APRES    L  EGLISE   CATHOLIQ.UE   ET   L  EGLISE   ORTHODOXE 


169 


laisse  ordinairement  l'impression  que, 
aux  yeux  de  l'Eglise  séparée,  l'adultère 
est  le  motif  unique  ou  fondamental  du  di- 
vorce à  vincido  du  mariage  consommé  (ou 
non)  des  chrétiens.  Que  l'adultère  ait  été 
le  motif  occasionnel  et  comme  le  point  de 
départ  de  la  concession  du  divorce  en 
question,  nousl'accordons  volontiers.  Mais 
une  fois  ce  motif  reconnu  comme  légi- 
time, les  empereurs  (  i  )  et  l'Eglise  d'Orient 
eurent  vite  fait  d'interpréter  l'Evangile  et 
de  déclarer  que,  par  analogie,  tout  acte 
aussi  grave  que  l'adultère  est  un  motif 
suffisant  de  divorce,  d'où  il  résulte  que, 
dans  le  texte  de  saint  Matthieu  (2), 
l'adultère  est  allégué,  non  comme  motif 
exclusif,  mais  comme  exemple,  et  que,  au 
fond,  le  principe  sur  lequel  l'Eglise 
grecque  s'appuie  pour  prononcer  le  divorce 
est  ce  principe  mis  en  avant  par  l'Eglise 
romaine  pour  dissoudre  le  mariage  sim- 
plement conclu  :  Le  lien  du  mariage  peut 
être  rompu  pour  toute  raison  grave  et 
juste  (3).  Ce  principe  est  formellement 
admis  par  les  canonistes  grecs  depuis 
Justinien  (4). 


du    mariage    consommé    que    celui    du     mariage 
ratum  et  non  consommatum. 

(i)  Principalement:  Justinien,  novelle  117,  Cor- 
pus juris  civilis,  édit.  Lud.  Beck.  Leipzig,  iSSj, 
t.  II,  cap.  VIII,  IX,  X,  XI,  XII,  p.  232-235;  Basile  I", 
Basilicorum  libri  LX,  t.  III,  I.  XXVIII,  n°  i,  m,  iv. 
Leipzig,  1843;  LÉON  le  Sage,  novelle  20.  (Harme- 
NOPOLLos,  Hexabiblos,  éd.  Heimbach,  Leipzig, 
i85i,  p.  577-580.) 

(2)  XIX,  9  et  V,  32. 

(3)  Ka-rà  aù-ix'i  £-j).o"'ov.  Cette  expression  est  celle 
du  droit  et  des  canonistes  grecs. 

(4)  Zhishman,  Bas  Eherecht  der  orientalischen 
Kirche.  Vienne,  1864,  p.  119.  Pour  s'en  assurer,  il 
suffit  de  consulter,  outre  les  nomocanons  qui 
répètent  les  lois  impériales,  Balsamon,  Rhalli  et 
PoTLi,  dans  SyvTàyîia  twv  ôsî'Ôv  xal  îcpôiv 
y. avôvwv,  Athènes,  1854,  t.  II,  p.  8;  t.  IV,  p.  i23; 
Zonaras,  ibid.,  t.  II,  p.  5o6;  Blastarès,  ibid., 
t.  VI.  p.  175-179;  Theotokas,  op.  cit.,  p.  249-290, 
passim;  Milasch,  op.  cit.,  p.  5o6;  Sakellaropou- 

LOS,   op.    cit.,    p.    539-540;    ChRISTODOULOU,    AoX![1.;OV 

èy.x>.r,(Tta<r     Tfxoû     Scxaiov».     Constantinople,     1896, 
p.  444,  etc. 

A  noter  ici  que,  sans  doute,  il  est  tenu  compte 
du  sort  à  faire  aux  enfants  après  le  divorce,  mais 
on  ne  voit  nulle  part  que  celte  préoccupation 
entre  en  ligne  de  compte  chez  les  canonistes  ou 
les  théologiens  grecs  dans  leur  appréciation  des 
motifs  du  divorce  du  mariage  consommé.  Cette 
observation  a  son  importance  :  il  ne  pourrait  être 


Selon  ce  principe,  des  motifs  plus  ou 
moins  nombreux  peuvent  être  proposés 
à  titre  d'exemples,  mais  aucune  liste  de 
ces  motifs  n'est  exhaustive,  aucun  prin- 
cipe n'étant  épuisé  par  les  applications,  si 
nombreuses  soient-elles,  que  l'on  en 
déduit  (i). 

11  n'est  donc  nullement  surprenant  que 
les  auteurs  orthodoxes  ou  autres  qui 
traitent  la  question  ne  s'accordent  pas  au 
sujet  de  l'énumération  des  causes  légi- 
times de  divorce  à  vinculo  (2).  L'énumé- 
ration la  plus  complète  que  l'on  puisse 
en  donner  comprend  les  cas  que  voici  : 
i»  L'adultère;  2''  l'attentat  à  la  vie  du  con- 
joint; 30  l'avortement  volontaire;  4°  la 
sodomie;  5°  l'accusation  fausse  d'adul- 
tère;   6"  l'apostasie;   7°   l'hérésie;   8»   le 


question  en  effet  de  voir  une  différence  entre  les 
motifs  du  divorce  de  l'un  et  de  l'autre  mariage 
que  si  cette  préoccupation  existait  en  fait. 

(i)  A  l'exemple  de  Justinien  et  de  Basile  I",  Bal- 
samon, Zonaras,  Aristène,  les  nomocanons  grecs 
et  la  Kormtchaïa  slave  affirment  que  le  mariage 
ne  peut  être  dissous  que  pour  les  motifs  suivants  : 
1°  Un  crime  qui  mérite  la  mort;  2*  un  fait  équi- 
valent à  la  mort  naturelle;  3*  l'adultère  ou  le 
soupçon  d'adultère;  4*  le  défaut  d'une  condition 
essentielle  du  mariage;  5°  l'entrée  en  religion; 
6*  l'attentat  à  la  vie  du  conjoint;  7'  la  tentation 
d'adultère  provenant  du  mari;  8'  l'accusation 
fausse  d'adultère;  9*  l'impuissance;  10°  la  captivité. 
Mais  ces  canonistes  supposent  et  les  canonistes 
modernes  admettent  formellement,  à  la  suite  de 
Léon  le  Sage,  Harmenopoulos,  op.  cit.,  ibid.,  que 
d'autres  motifs  sont  assimilables  à  l'un  ou  à 
l'autre  des  motifs  indiqués.  Milasch,  op.  cit., 
p.  629,  réduit  même  tous  les  motifs  à  la  mort 
(naturelle,  morale,  religieuse),  ce  qui  revient  en 
somme  à  légitimer  le  principe  énoncé  plus  haut 
que  tout  motif  grave  permet  à  l'Eglise  de  pro- 
noncer la  dissolution  du  lien  matrimonial. 

(2)  Pour  Sakellaropoulos,  op.  cit.,  p.  540-548, 
les  motifs  de  divorce  sont  au  nombre  de  neuf. 
Vering,  Lehrbuch  des  katholischen,  orientalischen 
und  protestantischen  Kirchenrechts,  p.  940-942, 
en  énumère  quatorze.  Christodoulou,  op.  cit., 
p.  444-446,  en  compte  douze.  Selon  Zhishman,  op. 
cit.,  p.  119,  ces  motifs  atteignent  le  même  nombre. 
Enfin,  Theotokas,  op.  cit.,  p.  249-280,  dresse  une 
liste  de  quinze  motifs  de  divorce.  Les  codes  reli- 
gieux ou  statuts  nomocanoniques  des  divers  Etats 
orthodoxes  ne  s'entendent  pas  davantage  sur  le 
nombre  des  causes  du  divorce  à  vinculo.  Ainsi 
le  code  hellénique  en  admet  neuf  et  le  code  russe 
n'en  reconnaît  actuellement  que  six.  (Voir  pour  la 
Grèce  l'ouvrage  de  Sakellaropoulos,  ibid.,  et  pour 
la  Russie  dans  la  Revue  Augustinienne,  l'article 
intitulé  :  La  vie  chrétienne  en  Russie.  Mariage 
mixte  et  divorce,  d'E.  Evrard,  t.  VI,  p.  379-383.) 


17© 


ECHOS    D  ORIENT 


schisme  de  l'un  des  époux,  s'il  prête  à 
scandale;  9»  l'acte  de  tenir  son  enfant 
sur  les  fonts  baptismaux;  io«  l'accepta- 
tion de  l'épiscopat;  ii»  l'entrée  en  reli- 
gion; i2<»  le  crime  de  haute  trahison; 
130  la  disparition  moralement  certaine  de 
l'un  des  conjoints;  14''  le  délaissement 
coupable  d'un  époux  par  l'autre;  ly  l'im- 
puissance; 160  la  folie;  17"  la  lèpre  ou 
toute  autre  maladie  contagieuse;  18»  la 
captivité;  190  la  condamnation  à  la  pri- 
son perpétuelle  ou  de  longue  durée  ; 
200  la   condamnation   à  une  peine  infa- 


mante; 21»  l'antipathie  irréductible  (i); 
22»  la  défloration  de  la  femme  antérieure 
au  mariage. 

Cette  courte  étude  nous  suggère  natu- 
rellement la  réflexion  qu'avant  d'entre- 
prendre la  critique  ou  même  simplement 
l'énoncé  de  la  doctrine  d'une  Eglise, 
grande  ou  petite,  les  écrivains  feraient 
bien,  pour  éviter  les  méprises,  de  con- 
sulter et  d'étudier  mûrement  les  auteurs 
compétents  qui  ont  exposé  cette  doc- 
trine. A,  Catoire, 

Constantinople. 


STATUTS  DE  UEXARCHAT  BULGARE 


SECONDE  PARTIE 

JURIDICTION  ADMINISTRATIVE  ET  JUDI- 
CIAIRE DES  AUTORITÉS  ECCLÉSIAS- 
TiaUES 

CHAPITRE  PREMIER 
juridiction  du  saint  synode 

Art.  100.  —  En  sa  qualité  d'autorité  spi- 
rituelle souveraine  dans  le  territoire  de 
l'exarchat,  le  saint  synode  veille  aux  points 
suivants  : 

lo  Que  la  doctrine  de  la  sainte  Eglise 
orthodoxe  conserve  sa  pureté  et  son  inté- 
grité; 

2°  Que  les  rubriques  de  la  sainte  Eglise 
orthodoxe  touchant  la  célébration  de  l'of- 
fice divin  soient  suivies  exactement; 

3°  Que  les  évéques  et  tous  les  ministres 
de  l'Eglise  s'acquittent  fidèlement  de  leurs 
obligations; 

4"  Que  l'on  prêche  au  peuple  la  parole  de 
Dieu  sans  récriminer  contre  l'organisation 
et  les  lois  de  l'Etat; 


(1)  Voir  Echos  d'Orient,  nov.   1910,  p.  35i-355, 
janv.  191 1,  p.  2024. 


5°  Que  tous  les  clercs  montrent  la  sou- 
mission et  la  docilité  voulues  envers  leur 
supérieur,  et  que  celui-ci  les  traite  avec 
bienveillance; 

6^  Que  l'on  fasse  les  efforts  nécessaires 
pour  construire  des  églises  et  des  chapelles 
là  où  il  en  est  besoin; 

7°  Que  l'on  observe  la  décence  dans  les 
églises  et  que  l'on  y  garde  le  bon  ordre; 

8°  Que  dans  toutes  les  églises  et  tous  les 
monastères  les  ornements  sacerdotaux 
aient  une  coupe  uniforme; 

9°  Il  doit  veiller  à  la  prospérité  matérielle 
et  spirituelle  des  monastères  et  donner  dans 
ce  but  les  ordres  qu'il  juge  nécessaires; 

10"  Il  a  le  droit  d'imprimer  les  livres 
liturgiques  en  profitant,  au  besoin,  de  l'al- 


(i)  MiLASCH,  op.  cit.,  p.  638,  n.  19,  et  Uner- 
windliche  Abneigung  als  Ehetrennungsgrund. 
Vienne,  1905,  passim,  proteste  contre  le  code 
austro-hongrois  qui  impose  le  divorce  aux  ortho- 
doxes pour  ce  motif.  Il  avoue  toutefois  qu'une 
décision  synodale  du  patriarcat  de  Constantinople 
(i3i5)  et  l'usage  actuel  du  patriarcat  de  Carlowitz 
peuvent  servir  de  prétexte  à  cette  jurisprudence. 
Il  aurait  pu  ajouter  que  de  nos  jours  encore  le 
patriarcat  de  Constantinople  accepte  ce  motif, 
bien  que,  d'après  Théotokas,  op.  cit.,  p.  256,  en 
note,  le  nomocanon  ne  contienne  pas  de  principe 
explicite  qui  justifie  l'acceptation  de  cette  cause  de 
divorce. 


STATUTS  DE  L  EXARCHAT  BULGARE 


171 


location    accordée    par    le    ministère   des 
Cultes; 

1 1"  D'examiner  préalablement  et  d'ap- 
prouver les  ouvrages  d'instruction  reli- 
gieuse et,  en  général,  les  ouvrages  de  théo- 
logie en  usage  dans  les  écoles  orthodoxes; 

la*'  De  recevoir  des  biens  meubles  et  im- 
meubles laissés  à  l'Eglise,  soit  par  don, 
soit  par  testament; 

i3"  De  demander  au  clergé  et  aux  moines 
des  subsides  pour  pouvoir  faire  imprimer 
et  répandre  parmi  le  clergé  et  les  fidèles 
des  publications  et  des  livres  d'instruction 
religieuse  et  morale,  pour  soutenir  des 
boursiers  dans  les  Séminaires,  pour  contri- 
buer au  développement  et  au  perfectionne- 
ment de  la  musique  religieuse; 

14-  11  prendra  les  mesures  nécessaires 
pour  faire  échouer  les  efforts  des  propagan- 
distes hétérodoxes  contre  l'Eglise  ortho- 
doxe; en  cas  de  nécessité,  il  demandera  au 
pouvoir  civil  la  cessation  du  mal. 

iS»  11  nommera  les  candidats  à  l'épis- 
copat  et  les  protosyncelles  auprès  des 
métropolites  ; 

16°  Il  distribuera  aux  prêtres  qui  le 
méritent  les  offices  et  les  distinctions  ecclé- 
siastiques, soit  directement,  soit  sur  la 
recommandation  de  l'autorité  diocésaine 
compétente; 

17"  Il  prendra  des  dispositions  pour  que 
le  clergé,  soit  séculier,  soit  régulier,  soit  vêtu 
d'une  manière  uniforme,  modeste  et  digne; 

iS-^  Il  prendra  soin  que  les  prêtres  et  les 
moines  n'errent  pas  sans  travail  et  qu'ils 
ne  se  livrent  pas  à  des  métiers  interdits  par 
les  canons  ecclésiastiques; 

190  II  a  le  devoir  de  susciter  de  lui-même 
ou  par  les  autorités  diocésaines  des  pour- 
suites contre  les  coupables  devant  les  tri- 
bunaux ecclésiastiques; 

20°  Il  examine  et  tranche  en  dernier  res- 
sort les  plaintes  qu'on  lui  adresse  directe- 
ment ou  par  voie  d'appel  dans  les  procès 
d'ordre  spirituel  et  s'il  s'agit  de  divorce; 

Remarque.  —  Quand  le  saint  synode 
trouve  qu'un  acte  d'appel  n'est  pas  sujfi- 
samment  instruit,  il  demande  les  rensei- 
gnements complémentaires  au  Conseil  du 
diocèse  compétent  qui,  en  pareil  cas,  se 
borne  à  fournir  les  renseignements  de- 
mandés sans  se  mêler  désormais  de  donner 
une  solution  au  procès. 

210  II  nomme  et  renvoie  les  employés 
et   les    domestiques    de   sa   chancellerie. 


Art.  10 1.  —  Les  Séminaires  du  pays  se 
trouvent  sous  la  direction  du  saint  synode; 
chacun  possède  un  pensionnat.  Leur 
nombre  ainsi  que  celui  des  pensionnaires 
et  le  lieu  où  s'ouvriront  ces  Séminaires 
seront  fixés  d'accord  avec  le  ministère  des 
Cultes  et  par  un  règlement  spécial. 

Le  saint  synode  arrête  le  programme  et 
le  règlement  de  ces  Séminaires;  il  nomme 
et  renvoie  les  recteurs,  les  professeurs  et 
les  surveillants. 

L'entretien  des  Séminaires  et  de  leurs 
pensionnats  est  fait  au  moyen  de  sommes 
délivrées  par  le  ministère  des  Cultes  quand 
elles  sont  réclamées  et  justifiées  par  qui  de 
droit. 

Art.  102.  —  Les  professeurs  d'instruc- 
tion religieuse  sont  nommés  dans  toutes 
les  autres  institutions  par  le  ministère  de 
l'Instruction  publique,  d'accord  avec  le 
saint  synode. 

Art.  io3.  —  Le  saint  synode  a  le  droit 
d'exécuter  tout  ce  qui  a  été  prévu  pour  lui 
dans  le  présent  règlement  et.  en  outre, 
dans  diverses  nécessités  et  occasions,  de 
prendre  et  d'appliquer  des  décisions  ana- 
logues en  matière  d'administration  ecclé- 
siastique. 

Art.  104.  —  Pour  tous  les  points  énu- 
mérés  dans  le  chapitre  précédent,  l'exarque 
ou  son  remplaçant  ne  peut  rien  décider  et 
rien  appliquer  sans  l'avis  des  membres  du 
saint  synode,  et  vice  versa  ces  derniers  ne 
peuvent  rien  sans  l'avis  de  l'exarque  ou  de 
son  remplaçant.  Sous  ces  conditions,  le 
pouvoir  exécutif  appartient  toujours  à 
l'exarque  ou  à  son  remplaçant. 

CHAPITRE  II 

SÉANCES  DU  SAINT  SYNODE 

Art.  io5.  —  Les  séances  du  saint  synode 
sont  régulières  quand  elles  ont  lieu  sous  la 
présidence  de  l'exarque  ou  de  son  repré- 
sentant, en  présence  au  moins  de  deux 
membres. 

Art.  106.  —  Les  décisions  du  saint 
synode  sont  prises  à  l'unanimité  ou  à  la 
pluralité  des  voix.  Au  cas  où  les  votes  se 
balanceraient,  l'avis  pour  lequel  le  prési- 
dent a  donné  sa  voix  prédomine. 

Art.  107.  —  Dans  les  séances  du  saint 
synode,  les  membres  se  placent  par  rang 
d'ancienneté  ;  celle-ci  se  compte  à  partir  du 


172 


ECHOS   D  ORIENT 


jour  OÙ  les  synodiques  ont  été  élevés  à  la 
dignité  métropolitaine. 

Remarque.  —  Ofi  garde  le  même  ordre  à 
l'église;  pour  les  e'vêgues,  l'ancienneté  est 
déterminée  parladate  de  leur  consécration. 

Art.  io8.  —  Le  président  du  saint  sy- 
node ouvre  et  ferme  les  séances;  il  les 
dirige  poliment  et  sans  partialité  et  veille  à 
ce  que  l'on  garde  sa  dignité  pendant  les 
délibérations. 

Art.  109.  —  Les  membres  du  saint 
synode  doivent  se  comporter  avec  respect 
à  l'égard  du  président  ainsi  qu'entre  eux; 
ils  ne  doivent  pas  non  plus  oublier  leurs 
obligations  en  tant  que  synodiques. 

Art.  iio.  —  Quand  un  synodique  en 
vient,  dans  une  séance,  à  manquer  aux 
convenances  ou  que,  sans  motif  plausible, 
il  se  détourne  de  ses  obligations,  le  prési- 
dent lui  adresse  des  observations  en  parti- 
culier et,  si  c'est  insuffisant,  il  propose  lui- 
même  au  saint  synode  de  lui  infliger  une 
pénitence. 

Art.  III.  —  Si  l'exarque,  en  tant  que 
président  du  saint  synode,  viole  les  articles 
104  et  108  ou  les  statuts  en  général,  les 
membres  du  saint  synode,  après  quelques 
remarques  respectueuses,  prient  le  ministre 
des  Cultes  d'user  de  son  influence  pour 
l'amener  à  résipiscence;  en  cas  d'insuccès, 
ils  prennent,  d'accord  avec  le  ministre 
des  Cultes,  des  mesures  pour  le  destituer. 

Dans  le  cas  où  le  remplaçant  de 
l'exarque  tiendrait  la  même  conduite,  les 
synodiques  lui  feraient  les  observations 
nécessaires;  s'il  n'en  profitait  pas,  ils  en 
référeraient  à  l'exarque  qui  les  lui  renou- 
vellerait; si  alors  il  ne  se  corrigeait  pas, 
on  procéderait  à  son  changement. 

Art.  112.  —  Pour  chaque  séance  on 
rédige  un  procès-verbal,  lequel,  une  fois 
approuvé,  est  inscrit  dans  le  registre  des 
procès-verbaux  et  doit  porter  la  signature 
du  président  et  celle  de  tous  les  membres 
qui  ont  pris  part  à  la  séance. 

Les  copies  des  actes  synodaux  sont  léga- 
lisées par  la  signature  du  secrétaire  du 
synode  et  par  l'imposition  du  sceau  sy- 
nodal. 

CHAPITRE  III 

entretien  du  saint  synode 

Art.  i  1 3  —  Les  dépenses  du  saint  synode 
sont  les  suivantes  : 


1°  Traitement  annuel  des  membres  du 
saint  synode; 

2°  Frais  de  chancellerie  ; 

3°  Traitement  des  employés  et  des  domes- 
tiques de  la  chancellerie  ; 

4°  Chauffage  et  éclairage  ; 

50  Achat  de  livres  pour  la  bibliothèque; 

6°  Dépenses  extraordinaires. 

Art.  1 14.  —  Toutes  ces  dépenses  sont 
couvertes  par  les  sommes  que  verse  le 
gouvernement  à  la  caisse  de  l'exarchat 
pour  tous  les  mariages  de  la  principauté 
contractés  pendant  l'année  (art.  192). 

CHAPITRE  IV 

JURIDICTION  DES  ÉVÊQUES 

Art.  I  i5.  —  Les  évéques  ont  les  droits  et 
les  devoirs  suivants  : 

1°  En  raison  de  la  charge  épiscopale,  ils 
doivent  être  par  leurs  paroles  et  par  leurs 
actes  les  maîtres  et  les  guides  du  clergé  et 
du  peuple,  se  comportant  envers  tous  avec 
la  dignité  convenable  et  avec  un  amour 
paternel  ; 

2°  Ils  doivent  garder  et  défendre  la  foi- 
de  leur  troupeau  ; 

3°  Veiller  à  ce  que  les  cérémonies  se  fassent 
suivant  les  rubriques  et  à  ce  que,  dans  les 
églises  et  les  monastères,  régnent  la  décence 
et  la  pompe  voulues; 

4"  Veiller  à  ce  que,  dans  les  églises,  on 
suive  la  règle  prescrite  pour  les  offices  de 
chaque  jour  et  à  ce  que  la  messe  soit 
célébrée  les  dimanches  et  les  jours  de  fête; 

5"  Qu'ils  instruisent  et  prêchent  souvent 
dans  les  églises  le  clergé  et  les  fidèles  de 
leurs  diocèses,  afin  que  la  paix  et  la  charité 
régnent  entre  eux  et  qu'ils  avancent  dans 
la  piété  et  la  pureté  des  mœurs; 

6°  Qu'ils  conseillent  la  bienfaisance  aux 
fidèles  et  qu'ils  les  y  encouragent,  les 
exhortant  à  faciliter  par  des  souscriptions 
l'ouverture  d'orphelinats,  d'hospices  et 
d'hôpitaux,  ainsi  qu'à  soutenir  les  Sociétés 
qui  ont  pour  but  de  venir  en  aide  aux 
malades  et  aux  pauvres  ; 

7°  Ils  ne  doivent  pas  punir  les  clercs 
avant  la  décision  du  Conseil  diocésain,, 
sauf  dans  des  circonstances  extraordinaires 
où  l'évêque  peut  infliger  au  délinquant 
une  suspense  de  quinze  jours; 

8°  Ils  doivent  visiter,  au  moins  une  fois 
par  an,  les  principales  villes  de  leurs  dio- 


STATUTS   DE    l'EXARCHAT    BULGARE 


173 


cèses;  quant  aux  villages,  ils  les  visiteront 
lorsqu'ils  le  pourront.  L'exarque  et  les 
membres  du  saint  synode  satisferont  à  ce 
devoir  de  la  visite  pastorale  par  l'intermé- 
diaire des  évêques  qui  seront  nommés  leurs 
remplaçants; 

9'  Tous  les  deux  ans,  ils  présenteront  au 
saint  synode  un  rapport  sur  l'état  des 
églises,  la  situation  morale  des  fidèles  et 
la  conduite  du  clergé  de  leurs  diocèses; 

10"  Ils  veilleront  à  faire  construire  des 
églises  et  des  chapelles  là  où  elles  sont 
nécessaires  ;  leur  autorisation  est  néces- 
saire pour  les  bâtir; 

I  r'  lis  consacreront  les  nouvelles  églises; 

12"  Soit  dans  le  clergé  séculier,  soit  dans 
le  clergé  régulier,  qu'ils  n'ordonnent  prêtres 
que  des  sujets  pieux  et  recommandables; 

i3"  Ils  veilleront  à  ce  que  les  églises 
soient  fournies  des  livres  et  des  ornements 
nécessaires,  et  à  ce  qu'on  en  prenne  soin; 

i4'^' Au  besoin,  ils  formeront  un  tribunal 
ecclésiastique  pour  la  poursuite  des  clercs 
coupables,  qu'ils  suspendront  de  leurs 
fonctions  jusqu'à  ce  que  le  Conseil  diocé- 
sain se  soit  prononcé; 

i5"  Ils  nommeront  leurs  remplaçants  et 
les  higoumènes  (art.  98),  ainsi  que  les 
aum.ôniers  des  hôpitaux  et  des  prisons; 

16''  Ils  prendront  des  hommes  expéri- 
mentés, soit  dans  leur  Conseil,  soit  ailleurs 
et  les  enverront  avec  mission  d'instruire 
diverses  affaires  dans  leurs  diocèses  et  de 
voir  dans  quel  état  se  trouvent  les  églises, 
les  chapelles  et  les  monastères; 

17°  Quand  ils  le  jugeront  à  propos,  ils 
convoqueront  les  prêtres  pour  examiner 
avec  eux  diverses  questions  concernant  le 
progrès  moral  du  clergé  et  l'éducation  reli- 
gieuse des  fidèles  et  pour  se  concerter  sur  les 
mesures  à  prendre  contre  l'extension  et  le 
développement  de  certaines  doctrines  con- 
traires à  l'Eglise  orthodoxe; 

18'^  Chaque  année,  au  plus  tard  à  la  fin 
du  mois  d'août,  ils  enverront  au  saint 
synode  la  liste  des  paroisses  et  des  prêtres; 

19°  Ils  lui  enverront  aussi  un  relevé  des 
divorces  survenus  au  cours  de  l'année. 

20"  Ils  peuvent  recevoir  des  biens, 
meubles  et  immeubles  laissés,  soit  par  don, 
soit  par  testament,  et  ils  les  emploieront 
conformément  à  la  volonté  des  donateurs 
ou  des  testateurs. 

21"  Qu'ils  accomplissent  toutes  les  pres- 
criptions de  cette  présente  loi  ecclésiastique, 


ainsi  que  les  dispositions  prises  par  le  saint 
synode. 

Art.  116.  —  Sans  une  autorisation  préa- 
lable du  saint  synode  les  évêques  ne 
peuvent  aller  à  la  capitale  ni  rendre  une 
visite  aux  fonctionnaires  supérieurs;  pen- 
dant les  vacances  synodales,  la  permission 
est  demandée  au  métropolitain. 

Les  évêques  ne  peuvent  sans  l'autorisa- 
tion de  l'ordinaire  se  rendre  dans  un  dio- 
cèse voisin;  s'ils  le  font,  ils  encourent 
d'après  les  lois  canoniques  une  grave  res- 
ponsabilité. 

Art.  117.  —  Les  évêques  qui  désirent 
passer  la  frontière  de  la  principauté  doivent 
en  demander  l'autorisation  au  ministre  des 
Cultes  par  le  canal  du  saint  synode. 

Art.  118.  —  Auprès  de  chaque  métropo- 
lite se  trouve  un  protosyncelle  approuvé 
par  le  saint  synode  et  confirmé  par  le- 
ministre  des  Cultes;  il  aide  l'évêque  à  gou- 
verner son  diocèse,  le  remplace  au  besoin 
et  dépend  directement  de  lui  ;  son  traite- 
ment est  pris  sur  la  mense  épiscopale. 

On  choisit  comme  protosyncelles  des 
ecclésiastiques  se  trouvant  déjà  sur  la  liste 
des  candidats  à  l'épiscopat. 

CHAPITRE  V 

juridiction  du  conseil  DIOCÉSAIN 

Art.  119.  —  Le  Conseil  diocésain  a  dans 
son  ressort  : 

1°  Les  différends  entre  ecclésiastiques; 

2"  Les  plaintes  réciproques  des  séculiers 
et  des  clercs  au  sujet  de  l'exercice  du  culte  ; 

3°  Les  questions  de  parenté  pour  le 
mariage  ; 

4°  Les  questions  concernant  les  mariages 
illégitimes; 

5"  Les  questions  concernant  la  rupture 
des  fiançailles  et  le  divorce; 

6"  Les  pénitences  imposées  par  l'Eglise 
aux  divers  coupables; 

7°  La  collecte  régulière  et  la  distribution 
des  revenus  ; 

8°  Le  soin  de  veiller  à  ce  que  les  Conseils 
de  Fabrique  dressent  le  budget  annuel  et  le 
portent  à  leur  connaissance  et  à  leur  appro- 
bation ; 

9"  La  revision  des  comptes  des  Conseils 
de  Fabrique,  déjà  vus  par  les  Commissions  ; 

10"  Il  doit  insister  pour  que  les  Conseils 
de  Fabrique  ouvrent  et  entretiennent  des 


174 


ÉCHOS   d'orient 


maisons,  qui  fourniront  des  cierges  en  cire 
d'abeille  pour  les  cérémonies  religieuses 
faites  dans  l'église  ou  hors  de  l'église; 

II"  Il  poursuit  devant  les  tribunaux 
civils  les  Conseils  de  Fabrique  ou  quiconque 
aurait  abusé  des  revenus  et  des  biens  ecclé- 
siastiques; 

12'^  Il  peut  destituer  les  Conseils  de 
Fabrique  qui  ne  remplissent  pas  leur  charge 
avec  soin  et  avec  conscience; 

i3"^  En  cas  de  nécessité,  il  permet  aux 
Conseils  de  Fabrique  de  dépenser  des 
sommes  non  prévues  par  leur  budget; 

14"  Il  veille  à  ce  qu'aucun  Conseil  de 
Fabrique  ne  commande  ou  n'achète  des 
images  ou  des  ornements  sans  sa  permis- 
sion ou  sans  celle  du  vicaire  épiscopal; 

i5'^  11  doit  avoir  la  liste  détaillée  des 
prêtres,  paroisses,  églises,  chapelles  et 
monastères  diocésains,  de  leurs  biens 
meubles  et  immeubles; 

16"  Il  fera  l'inventaire  des  biens  meubles 
et  immeubles  de  la  métropole  ; 

17"  Il  aidera  l'évéque  en  tout,  sauf  en  ce 
qui  lui  est  spécialement  réservé  par  la  pré- 
sente loi  et  par  les  canons  ecclésiastiques; 

18"  Il  est  chargé  d'exécuter  tous  les 
articles  de  cette  loi. 

Art.  120.  —  Le  Conseil  diocésain  n'a  pas 
le  droit  d'instruire  des  procès  qui  sont  déjà 
présentés  à  la  chancellerie  des  cantons 
soumis  à  la  juridiction  des  vicaires  épisco- 
paux,  avant  que  ces  procès  n'aient  été  exa- 
minés par  ces  derniers,  sauf  toutefois  le  cas 
où  il  s'agirait  de  plaintes  dirigées  contre  les 
vicaires  épiscopaux  eux-mêmes. 

Art.  121. — Pour  tous  ces  points,  l'évéque 
ou  son  vicaire  général  n'a  pas  le  droit  de 
décider  et  de  faire  quelque  chose  sans  l'avis 
du  Conseil  diocésain,  et  celui-ci  sans  l'as- 
sentiment de  l'évéque. 

A  ces  conditions  le  pouvoir  exécutif 
appartient  toujours  à  l'évéque  ou  à  son 
vicaire  général. 

CHAPITRE  VI 

SÉANCES  ET  CHANCELLERIE 
DU  CONSEIL  DIOCÉSAIN 

Art.  122.  —  Le  Conseil  diocésain  tient 
séance  dans  le  palais  métropolitain. 

Art.  123.  —  L'ordre  en  est  le  même  que 
celui  qui  est  établi  dans  les  articles  io5  à 
1 12  pour  les  séances  du  saint  synode. 


Art.  124.  —  Le  métropolite  qui  préside 
doit  se  comporter  avec  politesse  et  sans 
parti  pris  envers  les  autres  membres;  s'il 
oublie  ce  qui  est  fixé  à  l'article  121,  après 
quelques  observations  respectueuses,  on  en 
référera  au  saint  synode. 

Si  c'est,  au  contraire,  son  remplaçant 
qui  vient  à  s'oublier,  on  lui  adresse  poli- 
ment des  observations,  et,  dans  le  cas  où  il 
n'en  tiendrait  pas  compte,  on  en  réfère  au 
métropolite. 

Art.  125.  —  Le  Conseil  a  une  caisse 
placée  sous  la  responsabilité  d'un  caissier 
choisi  parmi  les  membres;  celui-ci  est  tenu 
de  présenter  un  garant.  Le  ministre  des 
Cultes  fait  vérifier  par  un  reviseur  les 
comptes  du  Conseil. 

Art.  126.  —  Chaque  Conseil  a  sa  chan- 
cellerie, laquelle  sert  en  même  temps  de 
chancellerie  à  l'Ordinaire.  Elle  est  com- 
posée : 

i"  D'un  premier  secrétaire  nommé  par 
l'évéque  et  approuvé  par  le  saint  synode; 

2"  D'un  second  secrétaire  et  d'un  copiste, 
lesquels  doivent,  autant  que  possible,  être 
diacres  et  servir  aux  cérémonies  pontifi- 
cales; 

3°  D'un  ou  de  deux  domestiques. 

Remarque.  —  Le  second  secrétaire,  le 
copiste,  le  ou  les  domestiques  sont  nommés 
par  l'évéque. 

Art.  127.  —  Toutes  les  lettres,  pétitions 
ou  autres  affaires  qui  sont  du  ressort  du 
Conseil  sont  adressées  à  l'évéque  qui  les 
fait  suivre. 

Art.  128.  —  La  chancellerie  épiscopale 
est  ouverte  chaque  fois  qu'il  y  a  séance  et 
à  des  heures  déterminées. 

Art.  129.  —  Le  premier  secrétaire,  avec 
l'aide  du  second  secrétaire  et  du  copiste, 
s'occupe  des  écritures  et  est  responsable 
des  irrégularités  et  des  vices  de  forme  que 
l'on  pourrait  découvrir  dans  les  pièces. 

Art.  i3o.  —  Les  citations  et  les  avis  au 
sujet  d'affaires  qui  doivent  être  examinées 
par  le  Conseil  se  font  au  moyen  d'imprimés 
revêtus  de  la  signature  du  premier  secré- 
taire. 

CHAPITRE  VII 

POUVOIRS  DES  VICAIRES  ÉPISCOPAUX 

Art.  i3i.  —  Les  vicaires  épiscopaux 
doivent  : 

r  Veiller  à  ce  que  la  messe  et  les  céré- 


STATUTS  DE  L  EXARCHAT  BULGARE 


Ï75 


monies  liturgiques  soient  célébrées  dans 
leurs  districts  suivant  le  cérémonial  de 
l'Eglise  orthodoxe; 

2<^  A  ce  que  les  prêtres  s'acquittent  con- 
sciencieusement de  leurs  fonctions  et  se 
conduisent  comme  l'exige  leur  état; 

3''  A  ce  qu'ils  suivent  exactement  les 
ordres  de  l'autorité  diocésaine; 

40  Ils  avertiront  l'autorité  diocésaine  des 
mouvements  religieux  qui  risqueraient  de 
troubler  la  paix  de  l'Eglise  dans  les  dis- 
tricts; 

5'  Ils  visiteront,  au  moins  une  fois  par 
an,  les  paroisses  du  vicariat  pour  se 
rendre  compte  de  plus  près  de  la  situation 
des  églises  et  de  leurs  prêtres,  des  Conseils 
de  Fabrique  et  des  chrétiens;  après  quoi  ils 
feront  leur  rapport  à  l'autorité  diocésaine; 

6'  Ils  s'emploieront  à  remplacer  provi- 
soirement les  prêtres  malades  ou  décédés 
jusqu'à  nouvelle  disposition  de  l'Ordinaire; 

7-  Ils  réclameront  les  budgets  des  Con- 
seils de  Fabrique  et  les  présenteront  à 
l'examen  et  à  la  ratification  de  l'Ordinaire; 

8°  Ils  vérifieront  chaque  année  les 
comptes  des  Conseils  de  Fabrique  et  signa- 
leront à  l'Ordinaire  toutes  les  irrégularités; 

9'^  Ils  régleront,  de  concert  avec  des 
assesseurs,  les  pétitions  soumises  à  l'auto- 
rité ecclésiastique  et  mettront  leurs  soins 
à  la  réconciliation  des  deux  parties.  En 
cas  d'insuccès,  ils  les  enverront  à  l'Ordi- 
naire; ils  ne  se  mêleront  pas  des  questions 
concernant  les  mariages  illégitimes,  pas 
plus  que  des  querelles  survenues  entre  des 
prêtres  et  leurs  fidèles  au  sujet  des  cérémo- 
nies liturgiques; 

10°  Ils  distribueront  les  actes  de  bap- 
tême, les  permis  de  mariage  qu'ils  rece- 
vront de  l'autorité  diocésaine,  au  prix  fixé 
dans  l'article  134; 

ir'  Chaque  mois,  ils  présenteront  à  l'au- 
torité les  comptes  des  recettes  et  des  dé- 
penses de  leur  vicariat; 

12'^  Ils  feront  l'inventaire  des  objets  du 
vicariat  et  ils  en  enverront  une  copie  à 
l'évêque. 

CHAPITRE  VIII 

SÉANCES 
ET  CHANCELLERIE  DES  VICARIATS  ÉPISCOPAUX 

Art.  i32.  —  Quand  il  y  a  dans  le  vica- 
riat des  affaires  à  régler  (art.  i3i,  n"  9),  le 
vicaire  convoque  au  moins  deux   prêtres 


de  la  ville  ou  des  villages  comme  asses- 
seurs. Pour  chaque  séance,  on  rédige  un 
procès-verbal  signé  par  tous  les  membres. 
Art.  i33.  —  Dans  tous  les  vicariats,  il  y 
a  une  chancellerie,  composée  d'un  secré- 
taire et  d'un  employé  nommés  par  le 
métropolite  sur  la  présentation  du  vicaire 
épiscopal. 

CHAPITRE  IX 

RECETTES 
ET    DÉPENSES    DES   CONSEILS   DIOCÉSAINS 

Art.  134.  —  Les  recettes  sont: 

1°  Permis  de  mariage,  12  francs; 

2'^  Extrait  de  baptême,  o  fr.  20  ; 

3*^    Certificat    de    permis    de    mariage, 

0  fr.  20  ; 

4°  Acte  de  mariage  pour  les  deux  con- 
joints, o  fr.  5o  chacun; 

5**  Lettre  de  divorce,  de  10  à  100  francs; 

6»  Copie  d'extraits  de  baptême  pour  les 
personnes  qui  ne  sont  pas  munies  d'un 
extrait  imprimé,  o  fr.  20; 

7°  Copie  d'un  acte  de  baptême  ou  de  ma- 
riage, o  fr.  20; 

8"  Copie  d'un  acte  de  divorce,  2  francs; 

9°  Frais  de  timbre  pour  chaque  copie, 

1  franc; 

lo'' Amendes  ecclésiastiques  (déterminées 
par  le  Conseil); 

11°  Taxes  imposées  aux  copies  des 
procès- verbaux,  décisions,  etc..  suivant  ce 
que  les  tribunaux  départementaux  auront 
établi. 

Art.  i35.  —  Les  permis  de  mariage,  les 
certificats  des  permis  de  mariage  et  ceux  de 
baptême  portant  le  cachet  de  l'exarchat 
sont  envoyés  aux  métropolites  par  le  mi- 
nistère des  Cultes. 

Les  souches  de  tous  ces  documents  sont 
recueillies  à  la  fin  de  l'année  pour  être  con- 
servées dans  les  archives  des  Conseils  dio- 
césains. 

Art.  i36.  —  Les  dépenses  annuelles  des 
Conseils  diocésains  sont: 

i-  Protosyncelle,  de  2  400  à  4200  francs; 

2  Quatre  membres  du  Conseil,  3oo  francs 
chacun; 

3^  Caissier,  3oo  francs  ; 

4^  Premier  secrétaire,  de  i  980  à  3  000 
francs  ; 

5°  Second  secrétaire,  de  960  à  i  680  francs  ; 

6"  Copiste,  de  600  à  i  200  francs; 

7"  Domestiques,  environ  i  080  francs; 


176 


ECHOS   D  ORIENT 


8°  Frais  de  chancellerie,  800  à  1 200 
francs  ; 

9°  Bibliothèque,  100  francs; 

10°  Frais  extraordinaires,  200  francs; 

11°   Voyages  des    électeurs    diocésains, 

0  fr.  20  par  kilomètre; 

i2«  Archiprêtres  ou  curés  de  canton,  36o 
à  600  francs  ; 

i3»  Dépenses  de  l'archiprêtré,  200  francs 
par  localité  ; 

14°  Secrétaire  de  l'archiprêtré,  de  720  à 

1  200  francs  ; 

1 5°  Domestique  de  ce  dernier,  3oo  francs; 

16"  Chancellerie  du  même  archiprétre, 
200  francs. 

Art.  137.  —  Deux  mois  avant  la  fin  de 
l'année,  chaque  Conseil  diocésain  présente 
au  saint  synode  le  projet  de  budget  pour 
l'année  suivante,  et  celui-ci,  après  l'avoir 
approuvé,  l'envoie  au  ministre  des  Cultes. 

Art.  i38.  —  Chaque  année,  au  mois 
d'avril  au  plus  tard,  le  caissier  présente  au 
Conseil  diocésain  le  rapport  du  budget 
écoulé  au  sujet  duquel  le  Conseil  prend 


une  décision.  Le  rapport  est  signé  par  le 
caissier,  la  décision  par  le  Conseil;  triple 
copie  en  est  faite  dont  l'une  est  conservée 
dans  le  dossier  du  caissier,  la  seconde  est 
adressée  au  saint  synode,  et  la  troisième 
au  ministère  des  Cultes. 

Art.  139.  —  Les  vicaires  épiscopaux 
doivent  présenter  chaque  mois,  au  Conseil 
diocésain,  les  recettes  des  livres  de  comptes, 
après  avoir  payé  les  employés  de  la  chan- 
cellerie et  les  frais  que  celle-ci  entraîne. 

Art.  140.  —  L'excédent  annuel  des 
Caisses  diocésaines  est  employé  à  couvrir 
les  dépenses  des  Conseils  diocésains  qui 
sont  en  déficit  ou  à  constituer  des  fonds 
pour  les  pensions  et  les  secours  à  servir 
aux  prêtres. 

Art.  141.  —  Les  appartements  loués  par 
le  métropolite  ou  les  vicaires  épiscopaux 
sont  payés  par  le  gouvernement;  de  même 
sont  à  la  charge  de  l'Etat  la  construction 
et  les  réparations  des  métropoles  et  des 
habitations  des  vicaires  épiscopaux. 

(A  suivre.) 


SCEAUX    BYZANTINS 


Voici  la  description  de  quatre  sceaux 
byzantins  en  plomb,  qui  sont  entrés  au 
musée  de  Notre-Dame  de  France,  à  Jéru- 
salem. 

I.  —  Le  premier  n'est  pas  inédit,  il 
figure  dans  le  grand  ouvrage  de  M.  Schlum- 
berger  (i),  mais  il  n'est  pas  inutile  d'en 
signaler  une  réplique  trouvée  au  mont 
des  Oliviers,  bien  loin  probablement  du 
premier  exemplaire,  qui  figure  au  musée 
d'Athènes. 


////AY 

SAP 

A«AI 

rvpo 

ÂK 

n^ 

(Sceau)  de  Paul  diacre  et  banquier. 
njaÛAO'j  0',àx(ovou)   xal   àpyup07rp(àT0u). 
Sur  les  deux  faces,  l'inscription  est  en- 


(i)   ScHLUMBERGER,   Sigillographie  de  l'Empire 
by^aritin,  Paris,  1884,  p.  388. 


tourée  d'une  petite  couronne  de  feuillage. 

La  première  lettre  manque;  tout  le 
reste  est  conforme  au  type  publié  par 
M.  Schlumberger. 

M.  Schlumberger  exprime  son  étonne- 
ment  de  voir  associer  sur  la  même  tête 
deux  fonctions  qui  paraîtraient  devoir 
s'exclure.  Mais,  en  pratique,  on  les  voit 
trop  souvent  réunies  en  Orient. 

Les  autres  sceaux  appartiennent  à  la 
série  des  monogrammes  cruciformes, 
vrais  casse-tête,  sans  grande  utilité  pour 
l'histoire,  à  moins  qu'ils  ne  signalent 
des  personnages  importants,  ce  qui  se 
vérifie  pour  deux  d'entre  eux. 

II.  —  Celui-ci  est  un  sceau  impérial, 
trouvé  récemment  dans  les  fouilles  de 
Saint-Pierre,  sur  le  mont  Sion.  Le  droit 
représente  la  Vierge  debout,  tenant  l'En- 
fant Jésus  dans  ses  bras.  L'image  est 
placée  entre  deux  croix,  comme  l'indice 


SCEAUX    BYZANTINS 


177 


M   sur  les  monnaies   du    même   temps. 
Le    monogramme  du    revers   contient 
les  éléments  du  nom  de  Justin. 


N- 


S 

T 


'lo'jTTv/o'j-  {Sceau)  de  Justin. 

11  s'agit  probablement  de  Justin  1er, 
518-527. 

111.  —  Le  troisième  est  le  sceau  d'un 
patriarche. 


n 


T 


H 

Fcrvocio-j  —aTO'.ào'/o'J- 

(Sceau)  de  Grégoire,  patriarche. 

11  a  été  trouvé  à  Jérusalem.  Le  nom  de 
Grégoire  ne  figure  pas  dans  la  liste  des 
patriarches  de  la  Ville  Sainte,  mais  on 
le  trouve  sur  la  liste  des  patriarches 
d'Antioche  de  569  à  593. 

Les  deux  lettres  A  et  X  forment  mono- 
gramme. L'a  est  formé  par  un  chevron 
qui  réunit  les  deux  lignes  du  X. 

IV.  —  Le  numéro  4  représente  au  droit 
une  figure  en  buste  coiffée  d'une  toque, 
quelque  chose  comme  un  kamilafka.  Le 
plomb  étant  un  peu  usé,  on  ne  peut  être 
très  affirmatif. 

Au  revers,  c'est  le  monogramme  du 
■nom  de  Jean,  dont  les  exemples  sous 
cette  forme  ne  sont  pas  rares. 


'Iwàvvo-j-  {Sceau)  de  Jean. 
Les  deux  lettres  CO  et  A  forment  un 
monogramme. 


AUTRES    MONOGRAMMES 

A  ces  sceaux  de  plomb  on  peut  joindre 
deux  autres  monogrammes,  estampés 
sur  des  anses  d'amphores,  indiquant  le 
nom  du  potier. 

Le  premier  est  au  musée  de  Notre-Dame 
de  France. 

H 


CO 

La  forme  4>tôr^.;  pour  <ï>tô-:'.o;  était  cou- 
rante à  l'époque  byzantine.  On  lit  dans 
les  inscriptions  également  Mr.Ltop'-.v  pour 
ar.uos'.ov  et  xyp'.v  pour  /.jp'.ov. 

La  forme  <ï>w-:'.;  est  encore  usitée  en 
Palestine  dans  le  langage  commun.  Le 
D"-  Photios,  nom  inscrit  sur  sa  porte,  est 
appelé  couramment  le  D^  Photi. 

Le  second  fait  partie  de  la  collection  du 
baron  von  Ustinov. 


n 


N 

'lojA'-avoù- 

On  trouve  encore  des  monogrammes 
sur  les  pierres  fines  qui  servaient  de  chaton 
à  des  bagues. 

Le  suivant  est  gravé  sur  une  gemme 
de  la  collection  de  M.  H.  Clarck. 


O 
A 


V 

"n 


Po'J-nùJ.ù-j  • 

Tout  ce  qu'on  peut  dire  de  ce  nom, 
c'est  qu'il  figure  dans  l'Index  du  Corpus 
des  inscriptions  grecques. 


J.  Germer-Durand. 


Jérusalem. 


A   TRAVERS   L'ORIENT  CHRÉTIEN 


I.  Projet  d'union  des  Eglises  orthodoxes 
ET  DE  l'Eglise  arménienne. 

Depuis  près  de  quatre  mois,  à  l'exemple 
de  l'Eglise  bulgare,  qui  a  tenté  de  conclure 
avec  l'Eglise  phanariote  une  entente  cor- 
diale, l'Eglise  arménienne  envisage,  elle 
aussi,  la  possibilité  d'un  rapprochement, 
non  seulement  avec  l'Eglise  grecque  or- 
thodoxe, mais  encore  avec  toutes  les 
Eglises  orthodoxes. 

Ce  projet,  pour  aboutir,  a  besoin  d'être 
débattu  entre  Grecs  et  Arméniens;  et  parce 
que,  de  part  et  d'autre,  les  laïques  jouent 
un  rôle  assez  considérable  dans  le  gou- 
vernement de  l'Eglise,  la  haute  hiérarchie 
ecclésiastique  doit  aussi,  de  part  et 
d'autre,  obtenir  en  cette  matière,  comme 
en  tant  d'autres  similaires,  l'assentiment 
préalable  des  notabilités  laïques. 

C'est  là  que  l'on  rencontre  une  première 
difficulté.  Car,  le  19  décembre/ i^r  janvier 
dernier,  le  rédacteur  en  chef  de  I3.  Proodos, 
se  faisant  l'écho  des  milieux  phanariotes, 
considérait  l'union  projetée  entre  les 
Grecs  et  les  Arméniens  comme  difficile  à 
réaliser  pour  trois  raisons:  1°  l'Eglise  ar- 
ménienne n'est  'pas  autonome  depuis 
longtemps;  autrefois,  son  chef  hiérar- 
chique recevait  l'ordination  et  la  juridic- 
tion du  métropolitain  grec  de  Césarée  de 
Cappadoce  et,  par  conséquent,  relevait 
réellement  de  lui;  de  plus,  les  prédicateurs 
du  christianisme  en  Arménie  au  iv^  siècle 
étant  venus  de  Césarée,  l'Eglise  d'Armé- 
nie dépend  de  celle  de  Césarée  par  son 
origine  (i);  2^  on  craint  que  la  reconnais- 
sance officielle  de  l'Eglise  arménienne 
comme  autocéphale  ne  nuise  à  l'Eglise 
grecque,  à  cause  du  conflit  des  deux  natio- 
nalités grecque  et  arménienne  qui  en  sera 


(i)  Les  Arméniens  pourraient  demander  aux 
Byzantins  de  qui  relevait  leur  Eglise  à  eux  avant 
le  concile  de  Constantinople  en  38i,  et  surtout 
avant  le  28*  canon  du  concile  de  Chalcédoine  en 
451. 


le  résultat  fatal;  y  les  Grecs  considèrent 
les  Arméniens  comme  hérétiques  :  pour- 
ront-ils donc  se  résigner  à  traiter  avec 
eux  comme  avec  des  égaux? 

Cependant,  on  essaye  de  part  et  d'autre  : 
des  pourparlers  s'engagent  à  cet  effet 
entre  les  chefs  hiérarchiques  des  deux 
Eglises  :  dans  une  visite  au  Phanar  du 
27  décembre  9  janvier,  le  représentant 
des  Arméniens,  diis  grégoriens,  cause 
longuement  avec  le  patriarche  grec  joa- 
chim  111  des  différentes  questions  qui 
intéressent  à  la  fois  les  deux  Eglises  et, 
notamment,  de  leur  projet  d'union. 

Le  lendemain,  dans  les  cercles  officiels, 
les  personnages  influents  apprécient 
favorablement  les  résultats  de  l'entrevue. 
En  même  temps,  dans  les  journaux  ar- 
méniens, on  réfute  toutes  les  objections 
faites  précédemment  par  les  Grecs  à  la 
possibilité  de  l'entente  projetée.  D'abord, 
dit  l'un  d'eux,  le  christianisme  a  été 
prêché  en  Arménie,  non  pas  au  iv«  sièc'e, 
mais  au  i*'''  siècle,  vers  l'an  35  après 
Jésus-Christ;  par  conséquent,  l'Eglise 
arménienne  est  apostolique  et  a  des  droits 
à  l'autocéphalie.  De  même,  elle  s'est  con- 
servée elle-même  autocéphale  pendant 
trois  siècles  sans  recevoir  de  pouvoirs  de 
Césarée,  car  le  premier  évêque  arménien 
ordonné  par  l'évêque  grec  de  Césarée  est 
Grégoire  l'illuminateur  (302  ap.  J.-C).  En 
second  lieu,  ce  fait  s'explique  et  ne 
prouve  rien  contre  l'autocéphalie  de 
l'Eglise  arménienne,  car  Grégoire  l'illu- 
minateur ayant  fait  ses  études  et  vécu 
longtemps  à  Césarée,  il  n'y  avait  rien 
d'étonnant  à  ce  qu'il  fût  ordonné  à 
Césarée  même  (i). 

Enfin,   l'Eglise   autocéphale  orthodoxe 


(i)  Inutile  de  prouver  que  la  thèse  de  l'évangéli- 
sation  de  l'Arménie  au  i"  siècle  est  indémontrable, 
aussi  bien  que  celle  des  Grecs  qui  fait  introduire 
le  christianisme  en  cette  région  uniquement  par 
Césarée;  c'est  Edesse  et  d'autres  Eglises  de  Syrie 
qui  ont  fourni  les  premiers  apôtres. 


A  TRAVERS    L  ORIENT   CHRETIEN 


179 


peut  très  bien  admettre  dans  son  sein  la 
nationalité  arménienne  dans  les  limites 
restreintes  assignées  par  les  saints  canons 
aux  Eglises  autocéphales,  de  même  que 
les  Russes,  les  Serbes,  les  Grecs  et  les 
Roumains  ont  gardé  leur  nationalité  au 
sein  de  l'orthodoxie. 

La  valeur  de  ces  motifs  n'est  pas  incon- 
testable. Cependant,  Grecs  et  Arméniens 
en  sont  sutfisamment  persuadés  pour 
s'entendre  déjà  le  2/15  janvier  191 1  sur 
le  point  suivant: 

A  l'avenir,  quand  il  sera  question  d'af- 
faires intéressant  l'orthodoxie  tout  entière, 
les  centres  ecclésiastiques  soumettront 
ensemble  leurs  demandes  au  gouverne- 
ment qui  leur  répondra  par  un  takrir 
unique  que  signeront  leurs  chefs  hiérar- 
chiques respectifs. 

De  plus,  il  est  entendu  que,  désormais, 
quand  il  s'agira  de  ces  mêmes  questions 
intéressant  les  deux  communautés  grecque 
et  arménienne,  les  deux  patriarcats  travail- 
leront de  concert  à  les  élucider. 

Mais  en  quoi  consistera  précisément 
cette  collaboration?  Ce  point  n'est  pas 
encore  clairement  établi,  et  c'est  pourquoi, 
en  vue  de  le  fixer,  lè  chancelier  du 
patriarcat  grec  se  rend  le  s/f8  janvier  au 
patriarcat  arménien. 

Nous  ne  connaissons  pas  encore  les 
décisions  prises  dans  cette  entrevue, 
mais  un  fait  certain,  c'est  qu'elles  ont 
provoqué  la  mauvaise  humeur  des  jour- 
nalistes turcs.  Ces  derniers,  dont  quelques- 
uns  sont  clairvoyants,  n'ignorent  pas  que 
ce  projet  d'union  entre  Arméniens  et 
Grecs  sur  le  terrain  ecclésiastique  est 
plutôt  un  projet  de  coalition  gréco-armé- 
nienne contre  les  Turcs,  sur  le  terrain 
politique.  En  conséquence,  un  rédacteur 
du  Tanine  essaye,  dans  le  numéro  de  ce 
journal  du  7/20  janvier,  d'en  amoindrir 
la  portée,  A  son  avis,  l'agitation  que  l'on 
fait  autour  de  ce  projet  n'est  pas  fondée, 
car  de  deux  choses  l'une  :  ou  bien  ce 
projet  est  politique  et  dirigé  contre  la 
patrie  ottomane,  ou  bien  il  est  purement 
religieux.  Dans  le  premier  cas,  à  cause 
des  divisions  intestines  entre  chrétiens,  il 


y  aura  nécessairement  mésintelligence,  et, 
par  suite,  le  projet  ne  réussira  pas;  dans 
le  second  cas,  il  n'aura  pas  plus  de 
succès,  car,  en  Orient,  les  questions  poli- 
tiques sont  le  fondement  des  questions 
religieuses  :  étant  purement  religieux,  ce 
projet  sera  donc  sans  base  sérieuse. 

D'après  un  autre  journal  ottoman,  le 
Jeune-Turc,  voici  quelle  aurait  été  l'origine 
de  ce  rapprochement  entre  Grecs  et  Ar- 
méniens. Le  jour  où,  à  Koum-Kapou,  la 
communauté  arménienne  a  célébré  un 
service  funèbre  en  l'honneur  du  catbolicos 
d'Etchmiadzine,  récemment  décédé,  le 
représentant  du  patriarcat  arménien  a 
fait  une  visite  au  Phanar.  Sans  doute,  ces 
pourparlers  ont  dû  aboutir  à  des  décisions 
prises  en  commun,  car,  le  lendemain,  dans 
la  ProoJos,  journal  grec  entièrement  aux 
ordres  du  patriarche  œcuménique,  on 
lisait  sous  la  plume  d'un  prêtre  grec,  Joa- 
chim  Apostolidès,  un  éloge  dithyrambique 
de  l'Eglise  arménienne.  Aussitôt  toute  la 
presse  grecque  a  répété  ce  refrain  d'admi- 
ration fort  tendancieux .  Insensible  et 
sceptique,  la  presse  arménienne  a  fait 
d'abord  la  sourde  oreille,  puis  elle  a  posi- 
tivement protesté.  A  ce  moment,  les 
Grecs,  indignés  de  voir  leurs  avances 
repoussées,  ont  jugé  bon  de  faire  volte- 
face  et  ont  envoyé  le  Néologos,  journal 
grec  fort  hostile  au  Phanar,  dire  aux  Armé- 
niens que  l'heure  du  rapprochement 
n'avait  pas  encore  sonné. 

Cet  exposé  de  la  situation  fait  par  un 
Turc  est  sans  doute  légèrement  travesti, 
car  les  Arméniens,  quelque  peu  sceptiques 
au  début,  ont  réellement  répondu  à  ces 
appels  touchants  de  leurs  confrères  en 
christianisme.  Nous  avons  de  cette  entente 
au  moins  partielle  les  trois  preuves  sui- 
vantes : 

D'abord,  le  10  23  janvier,  le  métropo- 
lite grec  d'Hélioupolis,  M?»"  Panarète,  s'est 
rendu  à  Baidéra  pour  célébrer  l'anniver- 
saire de  la  fondation  d'un  hôpital  grec. 
La  communauté  arménienne  de  l'endroit, 
à  la  tête  de  laquelle  se  trouve  l'évêque 
Khatsadour,  est  allée  à  la  rencontre  du 
prélat  grec  :  les  élèves  des  écoles  de  cette 


i8o 


ÉCHOS   d'orient 


localité,  garçons  et  filles,  l'ont  chanté  ; 
puis  le  métropolite  grec  est  entré  dans 
une  église  arménienne,  où  un  éphore  l'a 
complimenté  dans  un  discours  qui  a 
montré  les  liens  séculaires  existant  entre 
les  deux  nations.  A  son  tour,  l'évêque 
arménien  a  parlé  en  grec  sur  le  même 
sujet.  Enfin,  en  réponse  à  ces  deux  dis- 
cours, le  métropolite  grec  a  fait  une 
prière  pour  la  nation  arménienne. 

En  second  lieu,  un  journal  arménien  du 
19  mars  i^""  avril  louait  dans  le  patriarche 
grecjoachim  111  «  un  caractère  magnanime 
et  un  amour  pour  les  Arméniens  égal  à 
celui  qu'il  a  pour  son  propre  troupeau  ». 
Enfin  le  même  journal  rapporte  que  le 
patriarche  grec  et  le  représentant  du  pa- 
triarcat arménien  ont  échangé  leurs  vues 
sur  deux  points  :  à)  sur  la  situation  des 
soldats  chrétiens,  grecs  ou  arméniens, 
dans  l'armée  turque;  h)  sur  la  question 
des  écoles.  Sur  ces  deux  points,  le 
Phanar  et  le  patriarcat  arménien  se  sont 
unis  pour  exposer  leurs  réclamations  à  la 
Sublime  Porte. 

Depuis  ce  jour,  un  revirement  s'est 
produit.  De  part  et  d'autre,  on  a  passé  de 
la  confiance  mutuelle  à  la  défiance,  de  la 
défiance  au  scepticisme  et  du  scepticisme 
à  la  négation  à  peu  près  complète. 

Comment  s'est  produite  cette  volte-face? 
C'est  encore  la  Proodos,  journal  grec,  qui 
nous  le  dit,  en  se  basant  elle-même  sur  les 
tristes  aveux  faits  par  un  journal  armé- 
nien, le  Zajnanac,  en  date  du  10  2}  avril. 
Pour  éviter  des  longueurs  inutiles,  nous 
résumons,  au  lieu  de  traduire  textuelle- 
ment. 

D'abord,  les  Grecs  ont  montré  une 
admirable  bonne  volonté  :  ils  ont  préco- 
nisé l'union  simultanée  des  deux  Eglises 
grecque  et  arménienne  sur  le  double  ter- 
rain politique  et  ecclésiastique,  pour  deux 
raisons  :  i"  il  n'y  a  que  de  légères  diver- 
gences entre  les  doctrines  enseignées  par 
les  deux  Eglises;  2«>  auprès  du  gouverne- 
nement  turc  les  deux  nations  orthodoxes(?) 
ont  les  mêmes  intérêts  à  défendre.  A  ce 
sujet,  le  patriarche  joachim  111  a  commu- 
niqué d'excellentes  idées  à  la  presse;  à 


son  tour,  le  métropolite  de  Colonia  a  fait 
ressortir  dans  une  brochure  que,  malgré 
les  quelques  divergences  doctrinales  qui 
séparent  les  deux  Eglises,  il  leur  était 
facile  de  s'entendre  par  un   compromis. 

Mais  on  n'avait  pas  encore  compté  avec 
le  saint  synode  phanariote  :  dans  ce  haut 
Conseil  ecclésiastique,  l'idée  du  rappro- 
chement projeté  s'est  heurtée  à  l'inflexi- 
bilité des  saints  cations.  Que  disent  en 
effet  les  saints  canons?  Que  jamais  on  ne 
peut  cimenter  d'union  entre  une  Eglise 
orthodoxe  et  une  Eglise  scbisma tique.  Or, 
on  sait  que  l'Eglise  arménienne  grégo- 
rienne est  traitée  de  schismatique  par  les 
Grecs  phanariotes.  Voilà  donc  le  mur 
infranchissable  qui  sépare  les  deux  Eglises. 
Aussi,  très  logiquement,  le  saint  synode 
déclare-t-il  que  les  démarches  faites  récem- 
ment par  quelques  personnalitésen  vue  du 
rapprochement  projeté  sont  dénuées  de 
fondement  et  que  le  saint  synode  ne  peut 
consentir  à  ce  rapprochement,  parce  que 
l'Eglise  arménienne  est  certainement  schis- 
matique. En  conséquence,  les  conseillers 
du  patriarche  œcuménique  décrètent  que 
là  où  il  n'existe  pas  d'église  arménienne 
à  leur  disposition,  les  soldats  arméniens 
n'ont  pas  le  droit  de  communier  dans  les 
églises  grecques  orthodoxes. 

Ainsi  le  veut  le  saint  synode.  Cepen- 
dant le  patriarche  joachim  111,  plus  souple,^ 
a  laissé  entendre  à  l'évêque  arménien  de 
Balata  que,  malgré  cette  décision  des 
synodiques,  on  pouvait  donner  la  Com- 
munion aux  soldats  arméniens  en  cas 
d'urgente  nécessité. 

Sur  cette  question,  une  grande  discus- 
sion s'élève  au  Phanar  entre  le  patriarche 
œcuménique  et  ses  conseillers.  Ceux-ci,, 
toujours  appuyés  sur  les  saints  canons, 
ont  résolu  de  garder  leurs  positions. 

C'est  en  vain  que  deux  métropolites, 
avisés  reviennent  à  la  charge  pour  tenter 
quelque  conciliation;  au  nom  des  saints^ 
canons,  les  «  saints  Pères»  (sic)  ne  quittent 
pas  le  terrain  sur  lequel  ils  se  sont 
placés. 

En  conséquence,  à  l'effet  de  triompher 
des  saints  canons,   un  évêque  arménien^^ 


A   TRAVERS    L  ORIENT   CHRETIEN 


i8: 


Msr  Ohannessian,  se  plaint  au  patriarcat 
grec  des  graves  inconvénients  de  cette 
situation.  On  lui  répond  au  Phanar  que 
les  Arméniens  n'ont  pas  encore  fat  la 
démarche  officielle  nécessaire.  C'est  donc 
une  simple  question  de  formalité  à  rem- 
plir. 

Désireux  du  succès,  les  Arméniens  s'y 
soumettent  :  le  protosyncelle  Tourian 
(grand  vicaire  arménien),  personnage 
vraiment  officiel,  visite  doncjoachim  III  à 
ce  sujet.  De  cet  échange  de  vues  résultent 
de  belles  promesses.  Mais  l'accord  n'est 
pas  encore  survenu.  Dès  lors,  force  nous 
est  d'arrêter  là  l'exposé  de  cette  question. 
Nous  la  reprendrons  le  jour  où  les  syno- 
diques,  faisant  fléchir  l'inflexibilité  des 
saints  canons,  abandonneront  leurs  posi- 
tions. 

11.  Traduction  de  l'Écriture  Sainte 
en  néo-grec. 

On  sait  avec  quelle  passion  on  discute 
dans  les  milieux  grecs  la  «  question  de  la 
langue  ».  Cette  question  est  celle-ci  :  des 
deux  formes  du  grec  actuellement  écrites 
et  parlées,  le  grec  dit  éptiré  et  le  néo-grec 
dit  vulgaire  ou  malliariste,  quelle  est 
celle  qu'il  faut  garder? 

Nous  n'avons  pas  dans  cette  Chronique 
à  nous  occuper  directement  de  cette  ques- 
tion de  grammaire.  Toutefois,  nous  devons 
indirectement  en  parler  à  l'occasion  d'un 
débat  d'ordre  ecclésiastique  qui  a  été  sou- 
levé récemment  à  Athènes  et  à  Constan- 
tinople,  et  dont  voici  le  bref  exposé  (i). 

Vers  la  fin  du  mois  de  février,  sur  la 
proposition  d'un  député,  la  Chambre 
hellénique  d'Athènes  a  voté  que  la  langue 
dite  épurée  était  la  langue  officielle  du 
royaume  de  Grèce  et  a  fait  insérer  cette 


(I)  Un  de  nos  collaborateurs,  le  R.  P.  T.  Xan- 
thopoulos,  a  consacré  deux  articles  fort  érudits  à 
celte  question:  Traduction  de  l'Ecriture  Sainte 
en  néo-grec  avant  le  xix'  siècle,  et  Les  dernières 
traductions  de  l'Ecriture  Sainte  en  néo-grec,  dans 
les  Echos  d'Orient,  t.  V  (1902),  p.  321-332;  t.  VI 
(1903),  p.  230-240.  Au  dire  d'un  bon  juge,  le  regretté 
Krumbacher,  c'est  la  meilleure  étude  qui  existe 
sur  ce  sujet. 


décision  comme  un  article  de  la  Constitu- 
tion qu'elle  est  en  train  de  reviser.  Aus- 
sitôt, des  députés,  poussés  par  le  profes- 
seur Mistriotis  qui  avait  provoqué  dans 
ce  but  une  grande  agitation,  soit  parmi  la 
population,  soit  parmi  les  étudiants  de 
l'Université;  poussés  par  le  patriarche 
œcuménique.  Joachim  III,  qui  s'était  lancé 
par  une  lettre  ouvertement  dans  le  con- 
flit, et  par  le  saint  synode  d'Athènes,  pro- 
posèrent d'y  ajouter  un  article  spécial 
relatif  à  la  traduction  de  l'Ecriture  Sainte. 

Au  premier  abord,  le  premier  ministre, 
M.  Vénizélos,  repoussa  cette  proposition- 
comme  inutile.  Puis,  devant  les  pressantes 
réclamations  du  saint  synode  et  surtout 
devant  l'agitation  de  la  rue,  il  voulut  bien 
faire  insérer  dans  la  Constitution  un 
article  d'après  lequel  il  est  décidé  que  le 
texte  de  la  Sainte  Ecriture  sera  conservé 
immuable  et  que  l'édition  de  ce  texte,  sans 
la  permission  de  la  Grande  Eglise,  est  abso- 
lument défendue. 

Satisfait  sur  l'objet  essentiel  de  sa. 
requête,  le  saint  synode  d'Athènes  a  été 
pourtant  très  mécontent  de  la  dernière 
clause  de  l'article  ajouté  à  la  Constitution. 
On  se  l'explique  aisément.  Pourquoi  l'au- 
torisation de  la  Grande  Eglise  de  Cons- 
tantinople  est-elle  la  condition  essentielle 
de  tout  changement  dans  le  texte  de  la 
Bible?  Exiger  cette  autorisation  préalable, 
n'est-ce  pas  mettre  l'Eglise  autonome  et 
autocéphale  de  Grèce  sous  la  dépendance 
de  celle  de  Constantinople?  C'est  pour- 
quoi le  saint  synode  d'Athènes  proteste 
avec  indignation  contre  cette  addition  dans 
la  Constitution  hellénique  :  il  ne  veut  à 
aucun  prix  —  et  avec  raison,  car  la  Con- 
stitution reconnaît  par  ailleurs  son  auto- 
nomie —  que  l'autorisation  de  faire  des 
traductions  de  la  Bible  en  langue  moderne 
doive  être  demandée  à  la  Grande  Eglise 
du  Phanar.  Il  considère  cette  ordonnance 
comme  devant  léser  l'autocéphalie  de 
l'Eglise  de  Grèce,  et,  pour  cette  raison, 
espère  que  la  Chambre  retirera  cette  addi- 
tion. 

Ce  refus  obstiné  de  l'Eglise  de  Grèce 
de  recevoir  les  directions  de  la  Grande 


l82 


ÉCHOS   d'orient 


Eglise  provoque,  on  ne  sait  vraiment 
pourquoi,  l'indignation  de  cette  dernière. 
C'est  pourquoi  un  rédacteur  de  la  Proodos 
de Constanlinople gourmande  lourdement 
l'Eglise  hellénique,  au  nom  dejoachim  111, 
en  ces  termes  : 

Qu'il  nous  soit  permis  d'exprimer  notre 
profonde  douleur  au  sujet  de  la  mauvaise 
humeur  du  synode  de  l'Eglise  de  Grèce, 
relativement  à  la  proposition  faite  par 
M.  Vénizélos  à  l'Assemblée  nationale  de 
soumettre  au  jugement  de  la  Grande  Eglise 
la  traduction  dans  une  autre  langue  du 
texte  de  la  Sainte  Ecriture Cette  oppo- 
sition insensée,  inexplicable,  et  d'ailleurs 
anticanonique,  nous  ne  nous  étions  jamais 
imaginé  qu'il  fût  possible  de  la  faire. 

Cependant,  malgré  les  protestations  du 
saint  synode  hellénique,  M.  Vénizélos  n'a 
pas  encore  retiré  sa  confiance  au  patriarche 
œcuménique,  dans  lequel  il  salue  «  le 
représentant  de  la  plus  grande  autorité 
ecclésiastique  ».  En  conséquence,  fort  de 
cette  confiance  du  premier  ministre  de 
Grèce,  le  Phanar  se  met  à  l'œuvre.  Comme 
on  a  besoin  de  critiquer  une  mauvaise 
traduction  de  la  Bible,  pour  flétrir  en 
général  toute  traduction  en  néo-grec,  des 
métropolites  présentent  un  rapport  sur  la 
traduction  des  Evangiles,  déjà  ancienne, 
de  M.  Pallis,  et  qui  amena,  voilà  dix  ans, 
une  véritable  insurrection.  A  leur  avis, 
cette  version  est  écrite  «  dans  une  langue 
détestable  »,  et  elle  est  pleine  d'inexac- 
titudes. Indigné,  le  patriarche  œcumé- 
nique publie  une  Encyclique  —  ce  n'est 
pas  la  première  —  qui  attire  l'attention 
des  métropolites  sur  les  traductions  de  la 
Bible  en  langue  vulgaire  et  sur  les  profes- 
seurs qui  s'expriment  en  néo-grec  dans 
les  divers  diocèses.  Soumise  au  jugement 
du  saint  synode  et  du  Conseil  mixte,  cette 
Encyclique  recommande  l'enseignement 
de  la  langue  grecque  dans  sa  pureté  et  la 
mise  à  l'écart  des  professeurs  qui  s'ex- 
priment en  grec  non  épuré,  dits  profes- 
seurs malliaristes.  En  même  temps,  une 
Commission  composée  du  métropolite  de 
Philadelphie  et  de  deux  membres  du  Con- 
seil mixte  est  chargée  de  rechercher  s'il 


y  a  dans  les  écoles  des  éphores,  des  pro- 
fesseurs et  des  élèves  favorisant  la  diffu- 
sion de  la  langue  vulgaire. 

Moins  encore  que  M.  'Vénizélos  en 
Grèce,  Joachim  111  jouit  de  l'autorité  voulue 
pour  trancher  le  différend  grammatical, 
et  c'est  la  grande  erreur  commise  par 
l'Eglise  de  Grèce,  aussi  bien  que  par  celle 
de  Constantinople,  de  mêler  deux  ques- 
tions parfaitement  distinctes  et  de  con- 
fondre un  débat  religieux  avec  un  débat 
linguistique.  L'Eglise  orthodoxe,  tout 
autant  que  l'Eglise  catholique,  a  le  droit 
d'approuver  ou  de  condamner  toute  tra- 
duction de  la  Bible  qu'elle  juge  nuisible 
aux  fidèles,  c'est  incontestable;  l'Eglise 
de  Constantinople  a  également  le  droit 
d'imposer  dans  ses  écoles  comme  langue 
d'enseignement  le  grec  qui  lui  agrée  le 
mieux.  Mais  qu'elle  n'aille  pas  ensuite 
mêler  à  plaisir  ces  deux  questions  et 
traiter  d'hérétiques,  d'athées  {sic),  des 
professeurs  qui  emploient  la  langue  usitée 
de  tout  le  monde,  au  lieu  d'une  langue 
factice,  œuvre  de  quelques  pédants.  Nous 
sortons  ici  du  terrain  religieux  pour  entrer 
sur  le  terrain  grammatical  et  linguistique: 
c'est  donc  avec  des  arguments  philolo- 
giques, et  non  avec  des  raisons  théolo- 
giques, que  la  discussion  doit  se  mener. 

Quant  à  l'incursion  faite  sur  le  domaine 
de  l'Eglise  grecque,  c'est  un  abus  de 
pouvoir  du  patriarcat  œcuménique.  11  a 
fallu  des  politiciens  aussi  ignorants  de  la 
religion  et  des  principes  qui  régissent  les 
Eglises  orthodoxes  tels  que  le  sont  les 
députés  d'Athènes  pour  le  tolérer,  bien 
plus,  pour  l'insérer  dans  la  Constitution. 
Le  saint  synode  du  royaume  hellénique  a 
protesté  avec  raison  contre  cet  abus:  la 
presse  d'Athènes  s'est  élevée  avec  non 
moins  de  raison  contre  cette  immixtion 
du  Phanar  dans  les  affaires  de  leur  Eglise. 
Le  patriarche  œcuménique  n'est  pas  le 
Pape;  si  celui-ci  est  le  chef  incontesté  de 
tous  les  catholiques,  lui  ne  l'est  pas  de 
tous  les  orthodoxes.  Il  est  le  chef  —  et 
encore!  le  saint  synode  l'est  plus  que  lui 
—  de  l'Eglise  de  Constantinople;  pour  les 
autres  Eglises,  s'il  juge  que  telle  circon- 


A   TRAVERS   L  ORIENT  CHRETIEN 


183 


stance  critique  exige  de  sa  part  l'envoi  de 
bons  conseils,  il  adresse  ces  bons  conseils, 
quitte,  à  ces  Eglises,  d'en  tenir  compte 
ou  de  les  décliner  poliment. 

111.  Les  Valaq.ues 
ET  LES  Albanais  orthodoxes. 

Les  Valaques  orthodoxes  ou  Roumains 
de  Macédoine,  soumis  à  l'autorité  reli- 
gieuse du  patriarcat  œcuménique,  veulent 
continuer  à  entretenir  avec  la  Grande 
Eglise  d'excellentes  relations,  à  condition 
pourtant  de  ne  pas  être  entièrement 
sacrifiés  à  l'élément  grec.  A  cet  effet,  ils 
ont  récemment  nommé  une  Commission 
qui  a  exposé  au  patriarcat  du  Phanar  les 
revendications  suivantes  : 

Les  Koutso-Valaques  de  Macédoine  eî 
d'Epire  resteront  fidèles  à  la  Grande 
Eglise  : 

a)  Si  la  Grande  Eglise  reconnaît  les  com- 
munautés roumaines  qui  existent  en 
Macédoine  et  en  Epire  et  qui  sont  recon- 
nues par  le  gouvernement  turc  ; 

b)  Si  elle  lève  les  interdits  et  les  peines 
canoniques  qui  ont  été  portés  par  elle 
contre  les  prêtres  valaques; 

c)  Si  le  patriarcat  adresse  aux  métropo- 
lites une  encyclique  dans  laquelle  il  les 
avertira  qu'il  reconnaît  les  communautés 
roumaines,  qu'il  lève  les  interdits  et  les 
peines  canoniques  qui  pèsent  sur  les 
prêtres  koutso-valaques,  et  qu'il  permet  à 
ces  derniers  de  bâtir  et  de  bénir  de  nou- 
velles églises  dans  l'avenir; 

^)S'il  demande  aux  métropolites  de  con- 
célébrer avec  les  prêtres  koutso-valaques; 

e)  Si  le  patriarcat  promet  qu'à  l'avenir 
il  nommera  des  évêques  ou  des  métropo- 
lites connaissant  parfaitement  la  langue 
roumaine  pour  les  destiner  aux  régions 
habitées  par  une  population  compacte  de 
Koutso-Valaques. 

/)  Enfin,  on  demande  que  des  élèves 
koutso-valaques  soient  admis  à  l'Ecole 
théologique  de  Halki  au  même  titre  que 
les  élèves  grecs. 

Ces  réclamations  des  Koutso-Valaques, 
bien   que  non  souscrites  par  toutes  les 


communautés  roumaines  de  Macédoine, 
ont  été  présentées  au  patriarche  Joa- 
chim  111  par  M.  Bassaria,  sénateur  ottoman  ; 
jusqu'ici,  le  saint  synode  ne  s'est  pas  pro- 
noncé à  leur  sujet.  Même  s'il  ne  donne 
pas  satisfaction  complète  aux  plaignants, 
il  sera  tenu  de  ne  pas  repousser  en  bloc 
toutes  leurs  revendications,  sous  peine  de 
voir  ces  derniers,  poussés  à  bout,  se  séparer 
du  Phanar  et  constituer  une  autocéphalie 
distincte.  Certes,  ce  n'est  pas  le  gouver- 
nement turc,  lequel  tente  par  tous  les 
moyens  d'amoindrir  l'influence  de  l'élé- 
ment grec  en  Macédoine,  qui  y  mettrait 
obstacle. 

Le  même  mouvement  commence  à  se 
dessiner  parmi  les  Albanais  orthodoxes, 
dépendant  eux  aussi  du  patriarcat  œcumé- 
nique. Un  journal  hebdomadaire  qui  se 
publie  à  Stamboul  en  albanais  et  en  grec 
depuis  les  premiers  jours  d'avril  et  qui  est 
intitulé  «E  ^érieta,  la  Vérité  »,  paraît  être 
leur  organe.  Les  membres  de  ce  groupe 
vont  même  plus  loin  que  les  Roumains 
de  Macédoine  et  menacent  le  patriarcat  de 
reconnaître,  tout  en  gardant  le  rite 
byzantin  avec  la  langue  grecque,  l'auto- 
rité de  Rome.  Ce  serait  là,  assurent-ils,  le 
meilleur  moyen  de  rétablir  la  concorde 
entre  les  frères  séparés  de  la  même  race, 
les  Albanais  du  Nord,  catholiques  latins, 
et  les  Albanais  du  Sud,  orthodoxes.  La 
presse  grecque  n'y  a  prêté  jusqu'ici  pas 
grande  attention;  elle  se  contente  à  l'oc- 
casion de  parler  des  Grecs  albanopbones, 
c'est-à-dire  parlant  albanais. 

L'épithète  est  une  vraie  trouvaille  dont 
se  sert  couramment  le  Phanar  pour  dési- 
gner les  Albanais  orthodoxes,  comme 
celles  d'arabophones,  biilgaropbones,  via- 
chopbones,  etc.,  désignent  les  Syriens,  les 
Bulgares  et  les  Roumains  orthodoxes,  etc. 
C'est  à  peu  près  comme  si  le  Pape  et  ses 
représentants,  pour  désigner  les  catho- 
liques, disaient  :  •«  ce  sont  des  Italiens  gal- 
lophones,  germanophones,  anglophones, 
hispanophones,  arabophones  et  même 
japonophones  ».  Quand  l'esprit  national 
se  mêle  à  tout,  il  ne  tarde  pas  à  devenir 
ridicule. 


i84 


ECHOS  D  ORIENT 


IV.  Question  de  l'exarchat  bulgare. 

Nous  avons  vu  précédemment  (i)  que 
des  pourparlers  avaient  été  engagés  sérieu- 
sement entre  l'exarchat  bulgare  et  le 
patriarcat  du  Phanar  en  vue  d'un  rappro- 
chement, peut-être  même  d'une  entente 
cordiale.  Tout  enchantant  le  premier  cou- 
plet de  cette  idylle  à  peine  ébauchée, 
l'Eglise  bulgare  n'entend  pas  cependant 
être  complètement  assujettie  au  Phanar  ; 
elle  rêve  même  de  l'autonomie  complète, 
et  la  question  précise  qu'elle  se  pose  à  ce 
sujet  est  celle-ci  :  que  deviendra  l'exar- 
chat bulgare?  Sera-t-il  absorbé  par  le 
patriarcat  grec,  sera-t-il  élevé  lui-même 
au  rang  de  Patriarcat,  ou  bien  adoptera-t- 
on toute  autre  combinaison? 

Les  divers  aspects  de  la  question  ont  été 
envisagés  par  le  métropolite  bulgare  de 
Varna,  Ms''  Syméon,  un  Grec  d'origine. 

Au  jugement  de  ce  prélat,  il  n'est  pas 
nécessaire  à  l'Eglise  bulgare  pour  devenir 
autonome  d'avoir  à  sa  tête  un  patriarche, 
puisque  certaines  Eglises  très  orthodoxes, 
comme  l'Eglise  russe,  l'Eglise  serbe, 
l'Eglise  roumaine  et  l'Eglise  hellénique  en 
sont  privées,  sans  cesser  pourtant  d'être 
autonomes.  Donc,  à  l'exemple  de  ces 
diverses  Eglises  nationales,  l'Eglise  bul- 
gare peut  acquérir  son  autocéphalie  en 
suivant  la  même  méthode. 

Le  procédé  canonique  consiste  simple- 
ment pour  l'Eglise  bulgare  à  se  faire 
reconnaître  par  celle  de  Constantinople, 
parce  que  celle-ci  est  en  quelque  sorte  (?) 
la  mère  des  autres  Eglises  orthodoxes; 
après  quoi,  elle  sera  reconnue  par  les 
autres.  11  faut  donc  causer  avec  le  Phanar, 
la  Grande  Eglise  accordera  un  titre  officiel 
au  chef  hiérarchique  de  l'Eglise  bulgare, 
et  la  transformation  sera  accomplie. 

Méthode  simple  à  la  vérité,  si  on  l'en- 
visage théoriquement,  mais  plus  compli- 
quée si  on  létudie  dans  son  utilisation 
pratique.  Ces  complications,  le  même 
métropolite  ne  les  ignore  pas;  c'est  pour- 
quoi il  fit  part,  le  24  mars  /  6  avril,  de  ses 

(i)  Echos  d'Orient,  mars  1911,  p.  116-122. 


vues  à  ce  sujet  au  rédacteur  d'un  journal. 
Cette  fois,  en  fin  casuiste,  le  métropo- 
lite distingue  deux  cas  possibles  dans  la 
solution  de  la  question  : 

a)  Ou  bien,  dit-il,  on  élèvera  le  chef 
hiérarchique  bulgare  au  rangde  patriarche. 
Le  sultan  le  reconnaîtra  en  lui  conférant 
le  bérat  et  toute  difficulté  sera  levée. 

Mais,  on  l'a  vu,  notre  évêque  a  déclaré 
auparavant  que  cette  transformation  de 
l'exarque  en  patriarche  n'était  pas  néces- 
saire. Cette  solution  lui  paraît  donc  inu- 
tile et  il  expose  ainsi  la  deuxième  alter- 
native. 

b)  Ou  bien,  sans  demander  l'avis  du 
Phanar,  nous  proclamerons  l'exarque  pa- 
triarche. Rien  ne  s'y  oppose  :  puisque, 
en  effet,  sans  l'avis  de  la  Turquie,  la  prin- 
cipauté de  Bulgarie  a  été  érigée  en  royaume 
et  son  prince  en  roi;  puisque,  d'autre 
part,  nous  avons  dans  le  passé  proclamé 
l'Eglise  bulgare  autocéphale  sous  le  ne\ 
même  {sic)  du  patriarche  œcuménique, 
pourquoi  ne  pourrions-nous  pas  mainte- 
nant élever  l'exarque  au  rangde  patriarche? 

Seulement  —  et  le  métropolite  ne  se  le 
dissimule  pas  —  il  y  a  une  réelle  diffé- 
rence entre  la  situation  politique  et  la  si- 
tuation religieuse  :  car,  pour  opérer  le 
changement  politique  dont  on  vient  de 
parler,  on  possédait  les  deux  facteurs  né- 
cessaires :  la  bonne  volonté  et  \argent\ 
tandis  que,  pour  effectuer  la  transforma- 
tion ecclésiastique  en  question,  «  on  a 
bien  la  bonne  volonté,  mais  il  manque 
X argent  ». 

En  définitive,  le  métropolite  bulgare  de 
Varna  déclare  que  la  solution  de  cette 
question  canonique  n'est  pas  d'ordre  ca- 
nonique,  mais  plutôt  d'ordre  financier... 

Ce  langage  détonne  singulièrement  sur 
les  lèvres  d'un  haut  ecclésiastique.  Aussi 
l'exarque  bulgare  croit-il  devoir  protester 
contre  ces  déclarations  quand  il  fait  écrire 
le  28  mars  10  avril  dans  le  Navden  Glas. 
journal  bulgare  : 

J'ai  été  désagréablement  surpris  des  ar- 
ticles dans  lesquels  le  métropolite  Syméon 
fait  des  efforts  pour  me  faire  élire  patriarche 
des  Bulgares.  Pareille  idée  ne  m'est  jamais 


A    TRAVERS    L  ORIENT   CHRETIEN 


185 


venue  à  l'esprit;  je  ne  l'ai  pas  non  plus 
reçue  du  dehors,  ni  de  la  part  du  gouver- 
nement bulgare,  ni  de  la  part  des  cercles 

officiels Mon  programme  s'est  toujours 

borné  à  servir  comme  ecclésiastique  les  in- 
térêts de  la  nation  bulgare.  C'est  en  cela 
que  je  place  le  but  de  mon  activité  :  je  n'ai 
jamais  eu  d'autre  ambition. 

Cette  réponse,  dont  il  faut  louer  la  mo- 
destie, renferme  pourtant  un  détail  signi- 
ficatif: l'exarque  se  déclare  un  ecclésias- 
tique au  service  de  l'Etat  bulgare.  C'est 
pour  confirmer  la  même  idée  que  ce  pré- 
lat ajoute  dans  le  même  journal  et  à  la 
même  date  : 

Il  faut  que  l'exarque  reste  à  Constanti- 
nople  pour  obtenir  du  gouvernement  turc 
Vexequatur  des  firmans.  C'est  pourquoi 
l'Eglise  de  Bulgarie  doit  être  une  section 
de  l'exarchat;  il  convient  qu'elle  soit  gou- 
vernée par  un  Synode  et  par  un  représen- 
tant de  l'exarque,  mais  toujours  en  union 
avec  l'exarchat. 

Nous  voilà  loin  des  projets  chimériques 
du  métropolite  de  Varna.  Beaucoup  plus 
positif  que  ce  dernier  prélat,  l'exarque  jus- 
tifie sa  manière  de  voir  par  la  raison  sui- 
vante : 

Notre  entente  avec  le  patriarcat  a  pour 
fondement  la  conservation  de  nos  privi- 
lèges; son  résultat  sera  l'amélioration  des 
relations  entre  les  Grecs  et  les  Bulgares  de 
Turquie. 

Bref,  l'exarque  est  partisan  du  maintien 
de  l'exarchat  à  Constantinople.  Cette  op- 
position entre  l'opinion  de  l'exarque  et 
celle  du  métropolitain  Syméon  et  d'autres 
évèques  bulgares  est  l'objet  des  railleries 
du  journal  ottoman  le  Jeune  Turc  dans 
lequel  nous  lisons,  le  2   15  mars: 

Dans  ces  derniers  temps,  une  émouvante 

discussion  était  engagée  dans  la  presse  bul- 
gare sur  l'opportunité  du  transfert  de  l'exar- 
chat bulgare  de  Constantinople  à  Sophia. 
On  mentionnait  également  à  l'occasion  des 
bruits  sur  un  rapprochement  gréco-bul- 
gare; on  disait  que  le  patriarcat  grec  pren- 
drait en  mains  l'administration  des  Eglises 
bulgares  de  Macédoine  et  que  l'exarchat 
bulgare  serait  supprimé. 
Toute   cette  polémique  de  presse,  à  ce 


qu'il  paraît,  ne  correspondait  pas  à  la  réa- 
lité :  car  cette  même  presse,  en  discutant 
aujourd'hui  la  même  question,  soutient 
une  toute  autre  thèse  et  préconise  même  le 
maintien  de  l'exarchat  à  Constantinople. 

Ainsi  le  journal  Dnevnik  de  Sophia^ 
traitant  dans  son  article  de  fond  la  question 
de  l'exarchat  et  de  l'unification  de  l'Eglise 
bulgare,  dit  que  personne  ne  peut  contester 
le  rôle  civilisateur  que  joue  l'exarchat  à 
l'égard  de  l'élément  bulgare  de  l'empire 
ottoman. 

Le  seul  fait  que  tous  nos  ennemis,  dit  le 
Dnevnik,  considèrent  notre  exarchat  de 
Constantinople  comme  une  pierre  d'achop- 
pement et  travaillent  depuis  dix  ans  à  le 
faire  disparaître  de  là,  suffit  pour  nous  dé- 
montrer d'une  façon  ostensible  que  l'exis- 
tence de  l'exarchat  à  Constantinople  est 
une  chose  nécessaire  pour  l'unification  et 
le  développement  de  l'élément  bulgare. 

Un  coup  d'oeil  rétrospectif  sur  l'histoire 
des  événements  de  Turquie  nous  fera  voir 
que  l'exarchat  bulgare  remplit  avec  grand 
succès  son  rôle,  quoiqu'il  ait  eu  à  lutter 
contre  de  très  grandes  difficultés  de  toute 
espèce. 

C'est  pourquoi  nous  ne  pouvons  pas 
comprendre  la  tendance  de  ceux  qui  re- 
commandent l'unification  de  l'Eglise  bul- 
gare, ce  qui  amènerait  la  suppression  de 
l'exarchat  à  Constantinople. 

Telle  est  la  situation.  Les  Bulgares 
n'ont  évidemment  aucun  intérêt  politique 
à  diviser  leur  Eglise  en  deux;  d'une  part, 
l'Eglise  du  royaume  de  Bulgarie  qui  aurait 
un  patriarche  ou  un  saint  synode  à  sa 
tête  ;  d'autre  part,  l'Eglise  bulgare  de  l'em- 
pire ottoman  qui  conserverait  l'exarque 
ou  adopterait  toute  autre  constitution  or- 
ganique. Tout  les  pousse  au  contraire  à 
maintenir  le  statu  quo  actuel  et  à  n'avoir 
qu'un  seul  chef  pour  les  Bulgares  de  Bul- 
garie, comme  pour  les  Bulgares  de  Tur- 
quie, l'exarque  qui  réside  à  Constanti- 
nople. Par  là,  en  effet,  est  maintenue 
l'union  entre  les  deux  groupes  de  la 
même  race,  et  ceux  que  les  intérêts  poli- 
tiques ont  divisés  momentanément  en 
octobre  1908  se  trouvent  toujours  aussi 
étroitement  unis  par  le  lien  religieux. 

Georges  Bartas. 


BIBLIOGRAPHIE 


N.  N.  Gloubokovskii,  Bogoslovskaia  entsi- 
clopediia  {Encyclopédie  ihéologique), 
t.  XI.  Saint-Pétersbourg,  1910,  in-8*'. 
470  colonnes. 

Le  tome  XI  de  YEncyclopédie  théolo- 
gique russe  est  de  beaucoup  le  plus  court 
de  tous  ceux  qui  ont  paru.  Il  ne  compte  que 
235  pages  ou  470  colonnes  et  reste  dans  la 
lettre  K  {Klavda-Kinname).  La  plupart 
des  articles  sont  des  notices  biographiques. 
Il  y  a  la  série  des  Claudiens,  des  Claudius 
et  des  Cléments.  Les  quatorze  Papes  du 
nom  de  Clément  sont  assez  bien  traités. 
On  n'y  remarque  point  trop  d'animosité 
contre  la  Papauté.  A  Clément  d'Alexandrie 
sont  consacrées  35  colonnes;  on  donne  sur 
chacun  de  ses  ouvrages  un  petit  aperçu 
érudit.  Les  apocryphes  clémentins  (24  col.) 
sont  aussi  sérieusement  étudiés. 

Signalons  deux  articles  fort  intéressants 
pour  l'histoire  intérieure  de  l'Eglise  russe  : 
Les  cimetières  raskolniks ;  les  Serments 
ou  anathèmes  des  conciles  de  Moscou  de 
i656  et  de  i66y.  Ces  anathèmes  (Kliatvy) 
furent  prononcés  contre  les  vieux  ritua- 
listes,  qui  ne  voulurent  point  accepter  les 
réformes  liturgiques  du  patriarche  Nicon. 
Ils  embarrassent  un  peu  les  théologiens 
orthodoxes,  depuis  que  le  saint  synode, 
dans  le  but  de  favoriser  le  retour  des  Sta- 
rovières  dans  le  giron  de  l'Eglise  officielle, 
a  levé  ces  anathèmes  pour  ceux  d'entre  eux 
qui  font  leur  soumission  à  la  hiérarchie 
niconienne  tout  en  gardant  les  vieux  rites. 
On  sait,  en  effet,  que  l'Eglise  russe  a  ses 
Uniates,  auxquels  elle  permet,  entre  autres 
choses,  de  remplacer,  dans  le  Symbole,  le 
mot  «  Seigneur  »  par  l'adjectif  «  vrai  » 
dans  Et  in  Spiritum  Sanctum  Dominum. 
Les  théologiens  russes  qui  attaquent  encore 
l'addition  du  Filioque  ne  songent  sans 
doute  pas  à  l'addition  du  verum  acceptée 
par  le  saint  synode  chez  les  Edinovertsy. 

L'archéologie  est  représentée  par  un 
article  de  M.  Rybinskii  sur  l'écriture  cunéi- 
forme, la  théologie  morale  par  l'article  de 
M.  Bronzov  sur  le  serment,  l'exégèse  par 
plusieurs  articles  sur  les  apocryphes  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau   Testament,  Un 


exégète  de  profession,  M.  A.  lounguérov, 
revient  sur  la  question  des  deutérocano- 
niques  de  l'Ancien  Testament,  déjà  tou- 
chée à  l'article  Canon  des  Ecritures.  Il  nie 
formellement  l'inspiration  et  la  canonicité 
de  ces  livres,  qu'il  désigne  par  le  terme  de 
non  canoniques.  Il  parait  ignorer  l'histoire 
des  variations  des  théologiens  orthodoxes 
sur  la  question  et  se  trompe  complètement 
lorsqu'il  affirme  que  le  concile  de  Jérusalem 
en  1672  a  déclaré  que  les  deutérocanoniques 
ne  font  pas  partie  du  canon.  Ce  concile 
«  considère  au  contraire  ces  livres  comme 
des  parties  authentiques  de  l'Ecriture  au 
même  titre  que  les  autres  livres  cane- 
niques,  parce  qu'une  ancienne  tradition, 
ou  plutôt  parce  que  l'Eglise  catholique, 
qui  nous  a  donné  pour  authentiques  les 
saints  Evangiles  et  les  autres  livres  de 
l'Ecriture,  nous  affirme  aussi  manifeste- 
tnent  que  ceux-ci  appartiennent  à  la  Sain!e 
Ecriture  {Confession  de  Dosithée,  3«  ques- 
tion). Il  est  vrai  qu'en  publiant  une  tra- 
duction russe  de  la  confession  de  Dosithée, 
en  i838,  le  saint  synode  a  supprimé  tout 
ce  passage.  Cette  suppression  n'a  peut- 
être  pas  été  remarquée  par  M.  lounguérov. 
Un  article  dont  le  besoin  ne  se  faisait 
guère  sentir  dans  une  encyclopédie  théolo- 
gique, même  orthodoxe,  est  l'article  :  Clé- 
rical, Cléricalisme,  Partis  cléricaux.  On 
y  apprend,  entre  autres  choses,  que  la  Rome 
papale  a  marché  sur  les  traces  de  la  Rome 
païenne  en  établissant,  entre  les  clercs  et 
les  laïques,  une  distinction  semblable  à 
celle  qui  existait  entre  les  patriciens  et  les 
plébéiens.  Quand  on  fait  partie  d'un  pays 
qui  souffre,  depuis  des  siècles,  du  césaro- 
papisme,  on  pourrait  peut-être  se  taire 
sur  le  cléricalisme  ou,  du  moins,  en  parler 
sans  déclamer  contre  l'autocratie  papale. 

M.    JUGIE. 

H.  Saladin  et  G.  Migeon,  Manuel  d'art 
musulman,  en  deux  volumes.  Paris. 
A.  Picard  et  fils,  1907.  In-8%  xxiri-585  et 
Lxxxiii-464  pages.  Prix:  i5  francs  le  vo- 
lume. 

Ce  manuel  est  la  première  étude  d'en- 


BIBLIOGRAPHIE 


187 


semble  qui  ait  paru  sur  l'art  musulman, 
du  moins  dans  notre  langue. 

Dans  le  premier  volume,  M.  Saladin 
étudie  l'architecture  II  la  considère  d'abord 
en  elle-même  dans  ses  éléments  essentiels, 
puis  dans  les  différentes  écoles  où  ses  ca- 
ractères généraux  se  sont  diversifiés  : 
récolesyro-égyptienne.  inspiratrice  des  mo- 
numents de  l'Egypte,  de  la  Svrie  et  de 
l'Arabie;  l'école  du  Moghreb.  embrassant 
dans  son  vaste  domaine  la  Tunisie,  l'Al- 
gérie, le  Maroc,  l'Espagne  et  la  Sicile; 
l'école  persane,  créatrice  des  chefs-d'œuvre 
de  'a  Perse,  de  la  Mésopotamie  et  du  Tur- 
kestan;  l'école  ottomane  di  Turquie  d'Eu- 
rope et  dAsie  Mineure;  enfin  l'école  in- 
doue avec  ses  floraisons  variées  qui  s'épa- 
nouirent dans  l'Inde,  la  Chine  et  l'Extrême- 
Orient. 

L'auteur,  qui  est  architecte  et  membre  de 
la  Commission  archéologique  de  l'Afrique 
du  Nord,  constate  avec  raison  que  la  civi- 
lisation musulmane  est  avant  tout  une 
civilisation  arabe  qui  s'est  inspirée  des 
modèles  grecs,  persans,  syriens,  égyptiens, 
espagnols  et  indous.  Il  est  également  dans 
le  vrai  lorsqu'il  admet,  en  principe  géné- 
ral, «  que  les  arts  exercés  par  les  musul- 
mans peuvent  être  considérés  à  l'origine 
comme  une  variation  spéciale  de  l'art  local 
à  l'usage  des  musulmans  »  (p.  16).  C'est 
là,  en  effet,  une  loi  générale  applicable  à 
toutes  ks  formes  de  la  civilisation,  car  dès 
qu'un  peuple  est  transplanté  dans  un  pays 
étranger,  il  subit  l'influence  de  ce  dernier, 
tout  en  lui  imposant  la  sienne,  et,  par 
suite,  la  combinaison  de  ces  deux  influences 
s:  reflétera  naturellementdans l'art,  expres- 
sion synthétique  de  la  civilisation  de  ce 
peuple. 

Mais  est-il  bien  vrai,  comme  le  prétend 
cet  auteur,  que  «  le  contraste  soit  extraor- 
dinaire entre  la  splendeur  des  premiers 
siècles  du  mahométisme  et  la  barbarie  du 
monde  chrétien  jusqu'aux  Croisades  »? 
p.  91  Peu  exacte  sous  le  rapport  purement 
artistique,  cette  antithèse  est  encore  moins 
accusée  si  on  l'envisage  sous  les  autres 
points  de  vue  :  car  la  supériorité  intellec- 
tuelle des  Arabes  de  cette  époque  ne  peut 
pas.  sans  quelque  exagération,  être  étendue 
au  reste  du  monde  musulman,  et,  de  plus, 
il  faudrait  démontrer  qu'elle  n'est  pas  elle- 
même  un  héritage  de  la  civilisation  byzan- 
tine. 


Par  contre,  en  reconnaissant  que  «  l'art 
byzantin  fut  une  déformation  (transforma- 
tion serait  mieuxi  asiatique  de  l'art  gréco- 
romain  »,  M.  Saladin  a  raison  contre 
M.  Strzygoswski  qui,  dans  Orient  oder 
Rom,  p.  8,  exclut  totalement  l'influence 
romaine  dans  la  genèse  de  l'art  byzantin. 
Sous  ce  rapport,  il  donne  la  main  à 
M.  Diehl,  aux  yeux  duquel  «  l'art  byzan- 
tin vient  non  seulement  de  Rome,  mais  de 
l'Orient  hellénistique  ».  i  C.  Diehl,  Etudes 
byzantines,  p.  35 1-352.) 

D'ailleurs,  M.  Saladin  a  très  bien  défini 
les  vestiges  byzantins  qui  se  retrouvent  dans 
l'architecture  musulmane  :  prépondérance 
des  voûtes  et  des  coupoles,  emploi  des 
tirants  en  bois,  des  abaques  élevés,  des 
charpentes  décorées,  de  la  mosaïque  sous 
toutes  ses  formes,  des  placages  de  marbre 
sur  les  murs,  etc.,  p.  36;  très  visible,  on  le 
voit,  dans  l'architecture  des  mosquées, 
cette  influence  n'apparaît  pas  moins  dans 
la  structure  des  caravansérails  et  des  forti- 
fications byzantines  (^p.  Sy),  et  dans  la 
décoration  intérieure  de  ces  divers  monu- 
ments (p.  38). 

Au  surplus,  cette  pénétration  de  l'art  de 
Byzance  dans  l'art  musulman  se  remarque 
aussi,  mais  avec  moins  de  relief  dans  les 
arts  plastiques  et  industriels  que  dans 
l'architecture.  C'est  ce  que  met  en  lumière 
M.  G.  Migeon,  professeur  à  l'Ecole  du 
Louvre,  dans  le  second  volume  de  ce  ma- 
nuel. 

Précédé  d'un  précis  historique  des  civili- 
sations musulmanes,  cet  exposé  des  objets 
d'art  musulman  est  une  galerie  charmante 
où  le  génie  artistique  de  cette  race  s'est 
complu  autant  dans  les  délicatesses  minu- 
tieuses de  la  miniature,  de  la  bijouterie, 
des  monnaies,  des  verres  émaillés,  des 
cristaux  de  roche,  des  tissus  et  des  tapis 
que  dans  les  raffinements  de  la  peinture, 
de  la  sculpture,  des  ivoires,  des  cuivres 
incrustés,  des  bronzes,  des  armes  et  de  la 
céramique. 

Dans  ce  travail  délicat  d'analyse,  l'au- 
teur, soucieux  de  ne  pas  dépasser  les  limites 
d'un  simple  manuel,  a  dû  forcément  réduire 
ses  développements  à  l'essentiel  ;  parfois 
même  on  regrette  qu'il  ait,  pour  ce  motif, 
glissé  trop  rapidement  sur  certaines  ques- 
tions particulièrement  intéressantes.  Ainsi, 
par  exemple,  les  tapis  turcs,  assurément 
inférieurs  dans  l'ensemble  aux  tapis  per- 


ÉCHOS    d'orient 


sans  sur  lesquels  l'auteur  s'étend  avec 
complaisance,  méritaient  mieux  pourtant 
qu'une  mention  de  quelques  lignes,  p.  458. 
De  plus,  s'il  est  vrai  de  dire  que  «  le  grand 
■centre  de  fabrication  des  tapis  en  Asie  Mi- 
neure estOuschak  »,  pour  la  quantité  four- 
nie, d'autres  villes  comme  Césarée,  Sivas 
et  Koniah  en  produisent  de  meilleure 
qualité  :  c'est  ce  qu'a  démontré  un  examen 
comparatif  fait  à  une  exposition  de  ces 
divers  tapis  à  Koniah  en  1904. 

Au  reste,  M.  Migeon  ne  prétend  pas 
avoir  dit  le  dernier  mot  sur  ces  questions 
fort  délicates.  Bon  nombre,  en  effet,  de 
bois  sculptés,  de  faïences  à  décors  divers 
«t  de  verres  émaillés  restent  à  classer,  que 
les  chercheurs  de  l'avenir  réussiront  sans 
doute  à  faire  rentrer  dans  une  catégorie 
connue. 

En  attendant,  tous  les  spécialistes  que 
passionnent  les  questions  d'art  trouveront 
condensées  dans  ces  deux  volumes  les  ré- 
ponses aux  divers  problèmes  que  l'on  peut 
se  poser  au  sujet  de  l'art  musulman.  D'ail- 
leurs, les  420  figures  du  premier  volume 
et  les  376  du  second,  toutes  très  soignées, 
contribuent  en  même  temps  que  la  nou- 
veauté du  sujet  et  la  largeur  de  vues  dans 
laquelle  a  été  conçu  le  manuel,  à  en  rendre 
la  lecture  très  attrayante. 

E.    MONTMASSON. 

L.  Jalabert,  s.  ].,  Epigraphie.  Extrait  du 
Dictionnaire  apologétique  de  la  foi  ca- 
tholique de  M.  d'Alès  (Paris,  Beau- 
chesne),  t.  I,  col.  1404-1457. 

Je  viens  de  lire,  et  très  attentivement, 
l'étude  que  le  R.  P.  Jalabert  a  consacrée  à 
l'épigraphie  chrétienne,  et  je  ne  puis 
rendre  la  sensation  du  plaisir  littéraire 
qu'elle  m'a  procuré.  Ce  serait  le  cas  de 
redire,  en  parodiant  un  mot  célèbre,  que 
si  les  belles-lettres  sont  bannies  de  France 
par  nos  modernes  barbares,  elles  trouve- 
ronttoujoursun  refuge  au  sein  d'une  célèbre 
Compagnie.  Mais  le  R.  P.  Jalabert  m'en 
voudrait  certainement  si  je  me  contentais 
d'apprécier  la  belle  tenue  littéraire  d'une 
étude  qui  ne  s'y  prêtait  guère;  aussi  bien 
n'est-ce  là  que  le  moindre  mérite  de  son 
travail.  Erudition  immense  et  impeccable, 
clarté  d'exposition,  divisions  et  subdivi- 
sions bien  ordonnées,  bien  classées,  rien 
n'y  manque. 


L'étude  comprend  deux  grandes  divi- 
sions :  1°  Les  inscriptions  chrétiennes; 
2°  l'apologétique  des  inscriptions  par  rap- 
port au  Nouveau  Testament  et  à  l'Eglise. 
Dans  la  première  partie,  on  traite  successi- 
vement de  la  comparaison  des  inscriptions 
chrétiennes  et  des  inscriptions  païennes, 
de  l'ancienneté  des  inscriptions  chrétiennes 
et  des  textes  crypto-chrétiens,  de  la  diffu- 
sion des  inscriptions  chrétiennes,  comment 
sont  datées  les  inscriptions  chrétiennes,  le 
formulaire  de  l'épigraphie  chrétienne,  les 
premiers  essais  d'utilisation  des  inscriptions 
dans  un  but  apologétique.  Dans  la  partie 
relatant  les  rapports  des  inscriptions  chré- 
tiennes avec  le  Nouveau  Testament,  on 
étudie  les  citations  bibliques,  le  vocabu- 
laire et  la  syntaxe  du  grec  néo-testamen- 
taire, puis  le  recensement  de  Quirinius, 
Lysanias,  tétrarque  d'Abilène,  divers  traits 
relatifs  au  voyage  de  saint  Paul.  Dans  la 
partie  intitulée:  les  inscriptions  et  l'Eglise, 
on  étudie  successivement  la  vie  extérieure 
de  l'Eglise,  c'est-à-dire  son  milieu,  sa  dif- 
fusion, son  unité,  ses  luttes  et  ses  divisions, 
ainsi  que  la  vie  intérieure  de  l'Eglise,  c'est- 
à-dire  le  Credo,  les  sacrements,  le  culte 
chrétien,  les  institutions  ecclésiastiques. 
Suit  une  excellente  bibliographie. 

Quelques  remarques  pour  terminer  :  col. 
1409  sq.,  la  date  tardive  des  inscriptions  ^ 
de  Syrie  et  d'Egypte  ne  tiendrait-elle  pas  à  ; 
ce  que  la  généralité  des  premiers  chrétiens  > 
de  ces  deux  provinces  parlaient  d'autres 
langues  que  le  grec  ou  le  latin;  col.  1410, 
s'arrêter  à  Justinien  pour  l'épigraphie 
chrétienne  en  Orient,  c'est  fort  restreindre 
le  sujet.  Dès  lors,  il  n'est  pas  étonnant  que 
les  inscriptions  soient  si  peu  nombreuses. 
Pourquoi  ne  pas  s'arrêter  au  milieu  du 
VII*  siècle,  à  641,  par  exemple,  date  de  la 
mort  d'Héraclius?  Ace  moment,  le  monde 
gréco-romain  a  bien  pris  fin.  En  Occident, 
les  barbares  se  sont  installés  définitivement 
sur  les  terres  de  l'empire,  même  sur  celles  ; 
qu'avait  reprises  Justinien  ;  en  Orient,  l'in- 
vasion arabe  a  conquis  la  moitié  de  l'em- 
pire. Nous  avons  là  une  date  qui  marque 
une  période  décisive  et  qui  ouvre  l'ère  du 
byzantinisme;  tout  le  monde  pourrait 
l'accepter.  Sinon,  remontons  à  Constantin. 

S.  Vailhé. 

Mgr  J.  BoRGOMANERO,  Qucstiones  practicœ 
theologiœ  moralis  ad  usum   missiona- 


BIBLIOGRAPHIE 


189 


riorum  prœsertim  orientalium  regio- 
num.  Rome,  F.  Pustet,  19 10,  in-8''  de 
vii-233  pages.  Prix  :  3  francs. 

Les  questions  pratiques  étudiées  par  le 
docte  prélat  sont  exposées  sous  forme  de 
cas  de  conscience  rédigés  par  lui  et  résolus 
par  les  curés  de  Constantinople  sous  sa 
présidence,  durant  ses  années  de  vicariat 
général.  Ces  cas  de  conscience  ont  pour 
objet  :  I.  Le  Baptême  et  la  Pénitence.  II.  Le 
Mariage.  IIL  L'Eucharistie  et  la  messe. 
IV.  La  foi,  la  coopération,  la  communica- 
tion in  divinis.  V.  L'obligation  du  rite 
propre.  VI.  Les  commandements  de 
l'Eglise  et  les  usages  de  l'Orient. 

Suivent  sept  appendices  contenant: 
1.  La  formule  abrégée  de  l'abjuration.  II. 
Un  résumé  et  un  commentaire  du  Décret 
Ne  temere.  III.  Les  prescriptions  de  la 
Lettre  apostolique  Orientalium  dignitas. 
IV.  Un  tableau  synoptique  des  rites  orien- 
taux catholiques.  V.  Règles  concernant  les 
Ruthènes  de  l'Amérique  du  Nord.  VI. 
Règles  à  observer  au  sujet  des  enfants 
catholiques  qui  assistent  aux  cérémonies 
des  non-catholiques.  VII.  Statuts  des  con- 
férences théologiques  instituées  à  Constan- 
tinople par  Me"  Vincent  Sardi. 

La  table  des  matières  est  précédée  d'une 
table  alphabétique  des  sujets  importants 
traités  dans  l'ouvrage. 

Le  livre  de  M»""  Borgomanero  se  recom- 
mande par  la  brièveté,  la  simplicité  du 
style  et  la  largeur  des  idées  unies  à  l'ortho- 
doxie de  la  doctrine.  La  table  alphabétique 
en  rend  la  consultation  facile  et  rapide. 
Plus  d'un  lecteur,  cependant,  regrettera 
que  cette  table  ne  donne  pas  l'analyse  som- 
maire des  solutions.  Au  IV^  appendice, 
l'auteur  appelle  Epislola  apostolica  la 
Bulle  Orientalium  dignitas.  Nous  pensons 
que  cette  dénomination,  pour  désigner 
une  Bulle  pontificale,  est  moins  régulière 
ou,  en  tout  cas,  moins  employée  que  celle 
de  Litterœ  apostolicœ  qui  est,  du  reste, 
l'appellation  du  présent  document  dans  les 
Leonis  XIII  P.  M.  acta. 

Ces  petites  chicanes  n'atteignent  en  rien 
le  fond  même  du  travail  de  M»»"  Borgoma- 
nero, auquel  nous  souhaitons  le  succès  de 
propagande  que  lui  mérite  sa  valeur  intrin- 
sèque. 

A.  Catoire. 


P.  Kaer,  San  Doimo  vescovo  e  martire 
di  Salona  neliarcheologia  e  nell'agio- 
grafia.  Sebenico,  Fosco,  1908,  in-8\ 
280  pages. 

Membre  correspondant  de  la  Commis- 
sion centrale  d'archéologie  et  d'histoire  à 
Vienne  et  dans  plusieurs  autres  villes  de 
l'Europe,  M.  Kaer,  appelé  à  parler  de  saint 
Doimo  ou  Domnijs,  évêque  et  martyr  de 
Salone,  examine  cette  question  au  point 
de  vue  archéologique  et  au  point  de  vue 
hagiographique. 

Dans  sa  thèse,  on  peut  distinguer  deux 
parties  qui  veulent  être  destructive  et  con- 
structive.  Dans  la  première,  il  cherche  à 
réfuter  les  conclusions  de  ses  devanciers, 
notamment  celles  de  Bulic,  Zélic  et  Zeiller 
sur  les  résultats  des  fouilles  de  Salone. 
Dans  la  seconde,  en  s'appuyant  sur  la  tra- 
dition, sur  le  Liber  Pontificalis,  sur  les 
renseignements  pris  au  musée  du  Latran, 
et  sur  les  preuves  historiques  que  l'on 
trouve  du  IX.«  au  XII*  siècle,  il  s'efforce  de 
prouver  que  saint  Doimo  ou  Domnius, 
évêque  de  Salone,  a  été  martyrisé  sous 
Trajan,  et  que  ses  reliques  sont  conservées 
dans  la  cathédrale  de  Spalato.  En  somme, 
sa  thèse  se  fonde  sur  la  décision  toute  né- 
gative de  la  S.  Cong.  des  Rites  en  date  du 
22  avril  1902:  Ex  hactenus  deductis  non 
infirmari  sententiam,  quœ  tenet  S.  Dom- 
nionem  seu  Domnium  episcopum  salonita- 
num  passum  fuisse  sub  Trajano,  ejusque 
reliquia  in  cathedrali Spalatensiasservari. 

Et  l'archéologue  de  s'écrier  :  Roma  locuia 
est.  causa  finita.  Or,  c'est  là  une  conclu- 
sion exagérée.  Que  dit,  en  effet,  la  décision 
précitée?  Ex  hactenus  deductis  non  infir- 
mari sententiam;  elle  constate  seulement 
l'insuffisance  des  preuves  apportées  contre 
la  thèse  traditionnelle,  sans  avancer  qu'à 
l'avenir  une  découverte  nouvelle  ne  diri- 
mera  pas  la  question  dans  le  sens  contraire. 

Un  certain  nombre  de  fautes  typogra- 
phiques déparent  cette  étude:  les  mots 
français  et  latins  sont  rarement  bien 
écrits."  Voici  des  exemples:  p.  218,  nous 
lisons  fnartytibus  pour  martyribus,  et 
p.  219,  martiribus  pour  martyribus: 
p.  232,  Mignè  pour  Migne;  p,  238,  euisdem 
pour  ejusdem;  p.  263,  traslatione  pour 
translatione  {iexte  latinl;  p.  278,  diverses 
relation  pour  relationes. 

Mais  il  est  un  autre  point  sur  lequel  j'at- 


190 


ECHOS    D  ORIENT 


tirerai  rattention  de  l'auteur.  Son  étude 
veut  être  une  démonstration  scientifique. 
Donc  ce  n'est  pas  un  pamphlet,  ce  n'est 
pas  une  diatribe  ni  une  causerie  littéraire 
sur  les  idées  d'autrui.  Par  suite,  elles  sont 
inutiles  et  déplacées,  les  boutades  amères 
que  l'auteur  croit  devoir  adresser  à  M.  Loisy, 
p.  2o5,  et  aux  hypercritiques  en  général, 
p.  205;  inutiles  aussi  les  traits  satiriques 
dont  il  accable  les  partisans  de  l'opinion 
contraire  à  la  sienne,  p.  21 5,  97,  102,  etc. 
Persuadé  que,  lorsqu'il  s'agit  des  preuves 
positives,  les  démonstrations  sont  rarement 
apodictiques  parce  qu'elles  constituent  des 
inductions  trop  incomplètes,  l'auteur  au- 
rait gagné  à  se  montrer  indulgent  vis-à-vis 
des  opinions  des  autres  et  légèrement 
sceptique  vis-à-vis  de  la  sienne.  Le  lecteur 
aurait  ainsi  trouvé,  avec  des  conclusions 
plus  modérées  et  plus  justes,  plus  de  clarté 
et  plus  de  sérénité  d'esprit. 

E.   MONTMASSON. 

H.  Grégoire,  Notes  épigraphiques.  1909, 
Bruxelles,  17  pages  in-8".  Extrait  de  la 
Revue  de  l'instruction  publique  en  Bel- 
gique, t.  LUI. 

Ces  nouvelles  notes  de  M.  Grégoire  sont 
au  nombre  de  quatre.  La  première  se  rap- 
porte à  l'épithète  Diasoritès  donnée  parfois 
à  saint  Georges;  elle  est  sans  doute  dérivée 
d'un  nom  de  lieu,  Diasoron,  peut-être  Dios 
oros.  La  deuxième  rectifie  les  lectures 
acceptées  par  A.  P.  Kerameus  et  d'autres 
dans  une  inscription  d'Héraclée  du  Pont, 
relative  à  la  construction  d'une  tour,  de 
1206  à  12 II,  par  David,  frère  d'Alexis  Com- 
nène.  La  troisième  s'attaque  à  une  autre 
inscription  jusqu'ici  illisible,  et  y  retrouve 
l'épitaphe  d'Artémidore,  cubiculaire  de 
Zenon,  mort  à  Ancyre  en  484:  toutes  mes 
félicitations  pour  cette  restitution  qui  paraît 
sûre.  Enfin,  dans  l'épitaphe  de  Michel 
Comnène,  trouvée  à  Iconium,  M.  Grégoire 
croit  devoir  traduire  les  mots  àixY,paç 
APANHS  par  émir  d'Arane;  Arane  serait 
l'îlot  Aretias  ou  Areionesos,  près  de  Cerasus, 
appelé  par  les  Turcs  Kerasound  adassi, 
mais  par  les  Grecs  Aranitis. 

S.  Pétridès. 

P.  AraBANTINOS,  'HTretpioTixbv  yXcoffaàorov. 
Athènes,  P.  A.  Pétrakès,  1909,  102  pages, 
petit  in-8°.  Prix  :  2  fr.  5o. 


Panayote  Arabantinos  composa  en  1861 
un  glossaire  du  dialecte  épirote  :  c'est  cet 
ouvrage  qu'a  édité  récemment  un  de  ses 
fils.  Cet  acte  de  piété  nous  permet  de  rendre 
un  nouvel  hommage  au  zèle  du  conscien- 
cieux historien  de  l'Epire,  dont  les  livre<î, 
bien  que  vieillis,  peuvent  encore  rendre  des 
services.  M.  Constantin  Arabantinos  a 
élagué  du  catalogue  dressé  par  son  père 
les  mots  panhelléniques  ou  appartenant 
à  d'autres  dialectes,  et  qui  encombraient  le 
travail  primitif;  il  maintient  seulement 
ceux  qui  sont  employés  en  Epire  avec  une 
signification  difi^érente.  En  outre,  il  a  ajouté 
bon  nombre  de  mots  nouveaux.  Les  phi- 
lologues regretteront  que,  guidé  par  un 
préjugé  fanatique  trop  commun  encore 
chez  les  Grecs,  il  ait  éliminé  les  mots  d'ori- 
gine étrangère.  11  aurait  dû  nous  débar- 
rasser, par  contre,  des  «  dorismes  »  que  son 
père  croyait  voir  dans  la  langue  moderne 
et  de  l'orthographe  barbare  £Xr,i,  for^i,  >, 
(article  féminin  pluriel). 

R.  Bousquet. 

S.  EUSTRATIADÈS.  riavBsxTYi  N'.xoXào'j  Ka- 
pa-r^a.  Alexandria,  Imprimerie  patriar- 
cale, 1910,  extrait  de  la  revue  'ExxÀY.i'.a- 
ffTtxbç  çpàpo;,  t.  VI,  p.  8r-iil. 

Ms'-  Sophrone  Eustratiadès,  métropolite 
de  Leontopolis,  mais  qui  réside  à  Zagazig 
et  non,  bien  entendu,  aux  ruines  de  Tell 
Mokdam,  possède  un  manuscrit  autographe 
où  Nicolas  Karatzas,  grand  logothète  de  la 
Grande  Eglise,  a  copié  de  nombreux  docu- 
ments intéressant  le  droit  canonique.  Dans 
cet  article,  il  nous  donne  la  description 
détaillée  du  recueil  et  en  publie  quelques 
textes;  ce  n'est  d'ailleurs  pas  la  première 
fois  qu'il  y  puise.  Pourquoi  n'avoir  pas  fait 
précéder  son  analyse  d'une  notice  sur 
Nicolas?  Le  mot  que  l'éditeur  a  cru  lire 
ria/Jvtxoi»,  fol.  342,  ne  serait-il  pas  ttottsa- 
vixou  ou  Tra/apTrtvot»? 

R.   BO    SQUET. 

J.-H.-M.  Clément.  La  représentation  de  la 
madone  à  travers  les  âges.  Bloud  et  C'% 
Paris,  1909,  in-i6,  71  pages.  Collection 
Science  et  religion,  n°  547.  Prix  :  o  fr.  60. 

Le  sujet  que  M.  l'abbé  Clément  s'est  pro- 
posé est  bien  vaste  pour  se  laisser  traiter 
en  une  soixantaine  de  petites  pages.  L'au- 


BIBLIOGRAPHIE 


191 


teur  a  dû  se  borner  à  une  esquisse,  et  celle- 
ci  est  excellente.  On  approuvera  ses  juge- 
ments sévères  sur  l'œuvre  des  peintres  et 
sculpteurs  modernes,  même  ceux  de  la 
Renaissance:  l'artiste  «  religieux  »  doit  être 
avant  tout  un  croyant.  Je  m'étonne  que 
M.  Clément  ait  fait  l'honneur  d'une  repro- 
duction à  un  dessin  qu'il  qualifie  lui-même 
comme  il  le  mérite.  J'aurais  voulu  aussi 
un  chapitre  sur  l'art  byzantin  :  celui-ci 
n'est  représenté  que  par  une  icône  russe 
moderne  et  quelques  bulles  de  plomb,  en 
dehors  d'une  Vierge  «  dite  de  saint  Luc  ». 
—  P.  2g,  note,  un  sermon  de  saint  Bernard 
est  cité  avec  cette  référence  :  «  S.rmons  de 
la  Pathologie  (sic)  de  M  igné.  » 

L.  Bardou. 

L.  Petit,  A.  A.,  et  W.  Regel,  Actes  de 
l'Athos.  III.  Actes  d'Esphigménou.  Pé- 
tersbourg,  1906.  XXXIV-122  pages  in-S^'. 
Extraitde  Vi^antiiskii  Vremennik,i.XU. 

Le  monastère  d'Esphigménou,  comme 
la  plupart  des  couvents  du  mont  Athos, 
revendique  une  origine  bien  ancienne  :  il 
remonterait,  dit  la  tradition  locale,  à  l'impé- 
ratrice Pulchérie,  sœur  de  Théodose  le 
Jeune.  C'est  moins  que  vraisemblable. 
Peut-être  s'agit-il  de  Pulchérie,  sœur  de 
Romain  Argyre,  1028-1034.  Du  moins, 
c'est  à  cette  époque  que  l'existence  du  mo- 
nastère se  laisse  saisir  pour  la  première 
fois,  avec  celle  d'un  higoumène  connu 
en  io3o.  Dans  la  préface,  le  R.  P.  L.  Petit 
esquisse  son  histoire  à  partir  de  cette  date, 
en  s'aidant  surtout  de  44  pièces  publiées 
à  la  suite,  la  première  de  1034,  la  dernière 
de  1848.  Plusieurs  de  ces  pièces  sont  en 
slave;  M.  Regel  en  a  établi  le  texte,  de 
même  qu'il  a  fourni  en  partie  le  texte  des 
autres  documents.  R.  Bousquet. 

W.  Regel,  E.  Kurtz  et  B.  Korablev. 
Actes  de  l'Athos.  IV.  Actes  d:i  Zogra- 
phou.  Pétersbourg,  1907,  2i3  pages  in-8\ 
Extrait  de  Vi^antiiskii  Vremennik, 
t.  XllI. 

Ce  quatrième  fascicule  des  Actes  de 
l'Athos  contient  80  pièces  intéressant  l'his- 
toire du  monastère  de  Zographou,  pièces 
s'échelonnant  de  980  à  1748.  De  ces  docu- 
ments, 67  sont  grecs  et  i3  slaves;  les  pre- 
miers sont  publiés  par  M.  Kurtz,  les  autres 


par  M.  Korablev.  Un  petit  nombre  avaient 
été  déjà  édités  avec  plus  ou  moins  de  soins 
par  divers  savants.  M.  Regel  a  collationné 
ou  copié  lui-même  au  Mont  Athos  cette 
importante  collection,  qui  reste  encore 
malheureusement  incomplète.  Les  noms 
des  éditeurs  nous  sont  de  sûrs  garants  que 
leur  publication  est  impeccable  au  point 
de  vue  philologique.  On  regrettera,  cepen- 
dant, qu'ils  n'aient  pas  cru  devoir  donner 
un  résumé  français  des  actes. 

R.  Bousquet. 

C.  Michel  et  P.  Peeters,  S.  J.,  Évangiles 
apocryphes.  Paris,  A.  Picard  et  fils, 
191 1,  in-8°,  Lx-245  pages.  Prix:  3  francs. 

Dans  la  collection  des  Textes  et  docu- 
ments pour  l'étude  historique  du  christia- 
nisme publiés  sous  la  direction  de  H.  Hem- 
meretP.  Lejay,  C.  Michel  et  le  R.  P.  P.  Pee- 
ters publient,  en  les  annotant  et  en  les 
traduisant,  le  premier,  le  Protévangile  de 
Jacques,  le  Pseudo-Matthieu  et  V Evangile 
de  Thomas,  et  le  second,  l'Histoire  de 
Joseph  le  charpentier. 

Une  introduction  critique,  qui  sert  de 
prélude  à  la  publication  des  textes  traduits, 
refait  en  abrégé  l'historique  des  éditions  et 
des  textes  manuscri.s  de  ces  Evangiles 
apocryphes.  De  ces  notes  détaillées,  rele- 
vons simplement  les  points  suivants  : 

i"  Le  Protévangile  de  Jacques,  édité 
pour  la  première  fois  par  Théodore  Biblian- 
der,  à  Bàle,  en  i552,  l'a  été  dernièrement, 
d'abord  par  Tischendorf,  qui  a  utilisé  à  cet 
effet  dix-sept  manuscrits,  puis  par  M.  l'abbé 
E.  Aman  dans  un  ouvrage  dont  les  Echos 
d'Orient  ont  rendu  compte.  Le  titre  varie 
selon  les  manuscrits  :  donc,  celui  que  l'au- 
teur a  adopté  à    a.  suite  des  Tischendorf: 

ùôço-j  ;j.Y-:o,-  I-r,«Toy  Xçtcrrou,  n'cst  pas  Certain. 
Il  n'est  pas  davantage  possible  d'indiquer 
Tivec  certitude  la  date  de  la  composition 
de  cet  apocryphe.  Toutefois,  à  la  suite  de 
M.  Harnack,  M.  Michel  croit  pouvoir  en 
faire  remonter  la  première  partie  à  la  fin 
du  II*  siècle  et  la  seconde  un  peu  avant  le 
VI*  sièc'e.  Enfin,  l'auteur,  qui  n'est  pas  un 
Judéo-chrétien,  n'est  pas  Jacques  le  Mineur, 
mai  '  un  certain  Jacques  'Kxwooî  t-.;  sur 
lequel  on  ne  possède  pas  de  renseignements 
précis. 
2"  La  première  partie  du  Pseudo-Mat- 


192 


ÉCHOS   d'orient 


thieu  fut  publiée  pour  la  première  fois  à 
Halle,  par  Thilo,  en  1 869  ;  la  seconde  l'a  été 
récemment,  par  Tischendorf,  d'après  un 
certain  nombre  de  manuscrits  découverts 
en  Italie.  Cet  apocryphe  tient  lieu  en  Occi- 
dent d'une  traduction  latine  du  Protévan- 
gile  de  Jacques.  Il  ne  semble  pas  avoir  été 
composé  avant  la  fin  du  iv«  siècle  ni  après 
le  vi«  siècle. 

3°  L'Evangile  de  Thomas  a  paru  en 
quatre  rédactions  distinctes  :  deux  grecques, 
une  latine  et  une  syriaque.  La  première  a 
été  éditée  pour  la  première  fois  à  Venise 
par  Mingarelli,  en  1764;  la  seconde  et  la 
troisième  l'ont  été  par  Tischendorf,  et  la 
quatrième  par  Wright,  à  Londres,  en  i865. 
L'auteur  ne  paraît  pas  devoir  être  identifié 
avec  Thomas  l'apôtre. 

4°  L'Histoire  de  Joseph  le  charpentier, 
qui  est  plutôt  le  récit  de  la  mort  de  saint 
Joseph,  a  paru  en  trois  rédaction^  dis- 
tinctes :  la  recension  copte  dite  bohaïrique, 
la  version  saïdique  et  la  version  arabe.  Ces 
versionsdiffèrent  et  pourtant  se  complètent, 
ce  qui  semble  attester  leur  commune  pro- 
venance d'un  original  plus  détaillé.  La 
date  de  la  composition,  incertaine  comme 
les  autres,  ne  paraît  pas  devoir  être  reculée 
au  delà  du  iv«  siècle.  Enfin,  les  récits  bohaï- 
rique et  saïdique  ont  été  publiés  à  Paris, 
par  Revillout,  en  1876;  le  récit  arabe,  par 
G.  Wallin,  à  Leipzig,  en  1722. 

Corrects  dans  l'ensemble,  les  textes 
publiés  dans  cet  ouvrage  présentent  pour- 
tant quelques  formes  douteuses  :  p.  102  : 
temptare  virginem  tuam?  pour  dubitare 
de  virgine  tua;  p.  180:  la  forme  verbale 
un  peu  barbare  des  manuscrits  éTreTrj/susv 
remplacée  par  sTrsTrjSeusv  avec  le  sens  de  : 
s'occuper  longuement  de.  Cette  substitu- 
tion, imaginée  par  Thilo  et  Tischendorf, 
est  ingénieuse  mais  incertaine.  Le  texte 
latin  qui  porte:  docebat  illum  paraît  avoir 
exactement  rendu  l'idée  :  il  s'agit  en  effet 
de  questions  faites  par  le  maître  de  Jésus  à 
son  divin  élève.  Et  puisqu'on  fait  remar- 
quer que  Je'sus  n'y  répondait  pas,  il  faut 
que  le  verbe  précédent,  don  t  le  mot  o-.SàaxaXoç 
est  sujet,  exprime  ou  l'idée  de  questionner 
ou  l'idée  d'enseigner.  Du  reste,  beaucoup 
d'autres  corrections  sont  aussi  arbitraires, 
mais  il  faut  s'en  contenter  provisoirement 
pour  donner  aux  phrases  du  récit  un 
sens  acceptable.  E.  Montmasson. 


D.  Bassi  —  E.  Martini,  Disegno  storico 
délia  vita  e cultura greca.  Milan,  U.  Hoe- 
pli,  1910,  in-i6,  xvi-7gi  pages.  Prix: 
7  fr.  5o. 

On  connaît  le  succès  de  la  bibliothèque 
de  vulgarisation  entreprise,  sous  le  titre  de 
«  Manuels  Hœpli  »,  par  l'éditeur  Hœpli, 
de  Milan.  Deux  savantsdistinguésviennent 
d'ajouter  à  la  collection  un  intéressant 
précis  intitulé  «  Esquisse  historique  de  la 
vie  et  de  la  culture  grecques  ».  L'ouvrage 
est  divisé  en  quatre  livres:  I.  Mythologie 
et  religion.  —  IL  La  Grèce  depuis  les 
temps  les  plus  anciens  jusqu'au  vi^  siècle 
avant  notre  ère.  —  III.  Grandeur  et  déca- 
dence de  la  Grèce  :  de  Marathon  à  Ché- 
ronée.  —  IV.  LaGrèce  du  règne  d'A  lexandre 
à  celui  de  Justinien.  Ce  dernier  livre,  seul, 
rentre  directement  dans  le  cadre  de  nos 
études.  Et  je  dois  avouer  que  j'ai  trouvé 
un  peu  maigre  la  part  faite  à  cette  pé- 
riode de  la  vie  et  de  la  civilisation  hellé- 
niques. Il  n'y  est  presque  rien  dit  de  l'in- 
fluence réciproque  qu'exercèrent  l'un  sur 
l'autre  le  judaïsme  et  l'hellénisme,  de  la 
part  prise  par  ce  dernier  dans  la  propaga- 
tion de  la  religion  chrétienne  et  dans 
la  littérature  ecclésiastique  des  premiers 
siècles.  On  se  contente  d'énumérer  les 
principaux  représentants  de  cette  littéra- 
ture en  y  joignant,  en  traduction  italienne, 
deux  extraits  des  œuvres  de  saint  Basile  et 
de  saint  Jean  Chrysostome.  Je  sais  bien 
que  les  auteurs,  selon  l'avertissement  mis 
en  tête  de  la  préface,  s'en  sont  tenus  aux 
programmes  officiels.  Mais  il  dépend  pré- 
cisément des  savants  de  faire,  au  besoin, 
modifier  ces  programmes  ;  et  l'intérêt  crois- 
sant que  le  public  instruit  attache  à  l'his- 
toire des  origines  chrétiennes  suffirait 
à  exiger  une  modification  dans  le  sens  que 
nous  venons  d'indiquer.  Le  titre  même  de 
ce  livre  IV  me  suggère  une  autre  remarque  : 
pourquoi  confondre  «  la  Grèce  »  avec 
«  l'hellénisme  »? 

Pour  l'histoire  profane  de  la  vie  et  de  la 
culture  grecques,  ce  manuel,  d'impression 
très  nette,  sera  certainement  fort  goûté  et 
rendra  grand  service.  Nous  souhaitons 
aux  prochaines  éditions  d'accentuer  un- 
peu  plus  la  note  chrétienne  exigée  par  la 
dernière  période  de  cette  histoire. 

S.  Salaville. 


44C-II.  —  Imp.  P.  Feron-Vrau,  b  et  5,  rue  Bayard,  Paris,  VIU».  —  Le  gérant  :  E.  Petithenrt. 


SÉVÉRIEN    DE  GABALA 

ET  LE    SYMBOLE   ATHANASIEN 


Malgré  de  nombreuses  et  très  érudites 
recherches,  l'origine  du  symbole  Qui- 
cumque,  dit  de  saint  Athanase.  reste  encore 
un  problème.  11  ne  se  passe  guère  d'années 
sans  que  quelque  critique  ne  propose  une 
solution  nouvelle,  qui  ne  se  trouve  jamais 
être  pleinement  satisfaisante.  Dans  une 
savante  étude  publiée  récemment,  Dom 
Morin  a  résumé  ainsi  l'état  actuel  de  la 
question  (i)  : 

Relaiivement  à  l'origine  du  Quicumque 
ou  symbole  d'Athanase,  trois  données  sont 
désormais  acquises,  sur  lesquelles  tous  les 
critiques  sont  d'accord  : 

En  premier  lieu,  la  pièce  n'est  point  de 
saint  Athanase,  bien  qu'elle  porte  son  nom 
dans  de  nombreux  manuscrits,  comme 
dans  l'usage  officiel. 

Secondement,  elle  a  été  rédigée  non  en 
grec,  mais  en  latin. 

Troisièmement  enfin,  elle  est  pour  sûr 
antérieure  à  l'époque  carolingienne.  Swain- 
son,  de  nos  jours,  a  émis  une  théorie  d'après 
laquelle  le  Quicumque  n'aurait  été  con- 
stitué qu'au  cours  du  ix«  siècle,  au  moyen 
de  deux  parties  distinctes  qu'on  aurait  alors 
soudées  l'une  à  l'autre.  Cette  théorie  est 
de  tout  point  insoutenable;  un  seul  fait 
suffit  à  le  prouver;  nous  possédons  plu- 
sieurs copies  du  texte  complet  du  Qui- 
cumque remontant  au  vnr  siècle;  l'une 
d'elles  peut  même  être  datée  de  l'an  700 
environ,  plutôt  avant  qu'après  (2). 

En  dehors  de  ces  trois  points,  c'est  l'in- 
certitude la  plus  déconcertante,  une  diver- 
gence d'opinions  tout  à  fait  extraordinaire. 


(i)  L'origine  du  symbole  d'Athanase  dans  The 
Journal  of  Theological  Studies,  janvier  191 1, 
p.  161-190.  Cet  article  doit  être  suivi  d'un  autre 
d'égale  longueur,  dont  l'auteur  nous  a  très  obli- 
geamment communiqué  les  épreuves.  Qu'il  reçoive 
ici  tous  nos  remerciements.  Le  travail  entier  est 
divisé  en  quatre  parties  qui  ne  sont  autres  que 
les  conlércnces  ou  Lectures  données  par  Dom 
Morin  à  l'Université  d'Oxford,  en  octobre  1910. 

(2)Celle  du  ms.de  Bobbio,  Ambrosian.  O212  sup. 

Echos  d'Orient,    14*  année.  —  .V   8g. 


Par  exemple,  pour  ce  qui  est  du  pays  d'ori- 
gine, les  meilleurs  juges,  en  Angleterre 
surtout,  ont  opiné  pour  la  Gaule  méridio- 
nale, la  vallée  du  Rhône  et  la  Provence, 
en  tout  cas,  pour  la  sphère  d'influence  de 
l'école  de  Lérins:  c'est  même  là,  on  peut 
le  dire,  le  sentiment  qui  tend  à  prévaloir 
de  plus  en  plus  à  notre  époque.  Cepen- 
dant, des  érudits  très  compétents  ont  sou- 
tenu la  possibilité  d'une  provenance  espa- 
gnole ou  africaine;  tout  dernièrement  même, 
une  voix  s'est  élevée  en  faveur  de  Milan. 
Encore  moins  est-on  près  de  s'entendre 
au  sujet  de  la  date.  Le  jésuite  Brewer  (i) 
croit  pouvoir  la  fixer  entre  l'automne  de 
382  et  l'hiver  de  l'année  suivante.  Kùnstle 
est  également  d'avis  qu'elle  peut  remonter 
jusqu'au  déclin  du  iv*  siècle  (2);  Katten- 
busch  (3),  au  second  décennium  du  v*. 
Waterland,  Ommaney,  Burn,  placent  la 
composition  du  symbole  à  des  dates  qui 
vont  s'échelonnant  entre  427  et  450,  tandis 
que  Caspari  et  Kraus  n'ont  pas  hésité  à 
l'abaisser  jusqu'au  vi«  siècle.  Moi-même, 
il  y  a  neuf  ans,  j'essayais  de  montrer  que, 
si  véritablement  le  Quicumque  est  origi- 
naire du  sud  de  la  Gaule,  rien  n'empêche 
de  descendre  jusqu'à  la  première  moitié 
du  vi'^  siècle,  plusieurs  motifs  semblent 
même  y  inviter;  mais  il  n'est  guère  pos- 
sible de  dépasser  cette  date,  sans  quoi  l'on 
tombe  en  pleine  décadence  et  barbarie  (4). 
C'est  à  cette  solution  que  s'est  rallié,  pro- 
visoirement du  moins,  l'un  des  hommes 
d'Oxford  qui  contribuent  le  plus,  présen- 
tement, au  renom  de  cette  Université, 
M.  Turner  (5).  Le  D""  Loofs,  au  con- 
traire, examen  fait  des  différentes  hypc- 


(1)  Das  sogen.  Athanasianische  Glaubensbe, 
kenntnis  ein  Werk  des  hl.  Ambrosius.  Paderborn- 
1909,  p.  89  sq. 

(2)  Antipriscilliana,  Fribourg-en-B.,  igoS,  p.  241. 

(3)  Theolog.  Literatur^eitung,  année  XXII 
(1897),  col.  144. 

(4)  Revue  bénédictine,  t.  XVIII  (1901),  p.  33/  sq. 

(5)  The  Uistory  and  Use  of  Creeds  and  Ana- 
thenias  in  the  Early  Centuries  of  the  church 
(1906),  p.  75. 


Juillet    igi  i . 


194 


ECHOS   D  ORIENT 


thèses  émises  jusqu'à  ce  jour,  persiste  à 
prétendre  que  le  Quicumque  est  le  résultat 
d'un  long  travail  d'élucubration  et  d'accré- 
tions  successives  qui  ont  pu  se  produire 
de  45o  à  l'an  600  (i). 

Ainsi  désaccord  completentreles  savants; 
les  uns  voient  dans  le  Quicumque  un  pro- 
duit de  l'âge  d'or  de  la  patristique  d'une 
époque  où  «  l'originalité  de  la  pensée  était 
encore  un  don  commun  des  théologiens  (2)  ; 
les  autres  y  reconnaissent  plutôt  l'œuvre 
d'un  compilateur  —  d'un  compilateur  de 
premier  ordre  évidemment  —  plus  voisin, 
toutefois,  des  Césaire  et  des  Isidore  que 
des  Augustin  et  des  Ambroise  »  (3). 

Après  avoir  écrit  ces  lignes,  l'érudit 
Bénédictin  examine  les  causes  de  ces  diver- 
gences, bien  faites  pour  inspirer  quelque 
scepticisme  à  l'endroit  de  la  critique  in- 
terne, car  c'est  la  critique  interne  qui  a 
enfanté  presque  toutes  ces  hypothèses.  Les 
témoignages  externes  font  presque  com- 
plètement défaut.  La  pièce  est  de  facture 
tout  à  fait  impersonnelle.  Ce  qui  a  surtout 
égaré  les  savants,  d'après  Dom  Morin,  c'est 
qu'ils  ont  cherché  à  découvrir  dans  le  Qiii- 
cutnque  telle  ou  telle  tendance  doctrinale, 
alors  que  le  symbole  n'est  pas  tant  carac- 
térisé par  son  fond  que  par  la  manière 
plutôt  rare  et  nouvelle  dont  la  doctrine  est 
formulée.  Cette  manière  donne  «  l'impres- 
sion que  la  pièce  ne  doit  guère  remonter 
beaucoup  plus  haut  que  le  vi^  siècle  ». 

Quant  au  pays  d'origine,  impossible  de 
le  déterminer  autrement  que  par  les  té- 
moignages externes.  Se  basant  sur  ce  fait 
que  l'existence  du  Quicumque  est  attestée 
pour  la  première  fois  au  concile  de  Tolède 
de  633  et  sur  l'invraisemblance  d'une  ori- 
gine gallicane,  une  fois  passé  l'an  550, 
Dom  Morin  se  prononce  pour  la  prove- 
nance espagnole  dans  la  seconde  moitié 
du  VF  siècle.  Il  se  hasarde  même  à  pro- 
noncer un  nom,  celui  de  Martin  de  Braga, 


(i)  Article  «  Athanasianum  »,  dans  la  Realency- 
clopœdie  fur  protest.  Théologie,  3*  édit.,  t.  II, 
p.  177  sq. 

(2)  BcRN,  An  Introduction  to  the  Creeds.  Londres, 
1899,  p.  182. 

(3)  The  Journal  of  theological  Studies,  loc.  cit., 
p.  161-162. 


l'homme  le  plus  érudit  de  son  temps,  à 
qui  l'Orient  et  l'Occident  étaient  également 
connus,  qui,  après  des  voyages  en  Orient, 
vint  aborder,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  au 
pays  de  Galice.  Parmi  les  écrits  de  ce  per- 
sonnage, qui  sont  considérés  comme  per- 
dus, saint  Isidore  de  Séville  mentionne  une 
Règ  e  de  foi,  régula  fidei.  Ne  serait-ce  point 
là  notre  Quicumque?  C'est  sur  ce  point 
d'interrogation  que  Dom  Morin  termine 
son  travail.  Avec  une  loyauté  scientifique 
qui  l'honore,  il  combat  résolument  l'hypo- 
thèse qu'il  avait  émise,  il  y  a  neuf  ans, 
sur  l'origine  gallicane  du  symbole,  et  sa 
composition  probable  par  saint  Césaire 
d'Arles  (i).  II.  ne  nie  pas  cependant  que 
l'influence  de  l'école  de  Lérins  ait  été  sen- 
sible dans  la  rédaction  de  la  pièce,  car  les 
écrits  des  Lériniens  étaient  fort  en  honneur 
en  Espagne  au  vi*^  siècle. 

Telles  sont  les  conclusions  auxquelles 
s'arrête  le  savant  Bénédictin.  Comme  lui, 
nous  sommes  pleinement  convaincu  qu'en 
la  matière  la  critique  interne  pure  est  in- 
capable de  fournir  autre  chose  que  des  pro- 
babilités. Or,  le  nombre  des  probabilités 
est  incalculable.  Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait 
un  seul  Père  latin,  voire  même  un  seul 
Père  grec,  à  partir  du  iv^  siècle,  auquel  on 
ne  puisse  faire  honneur  du  Quicumque,  en 
employant  les  procédés  du  P.  Brewer  rela- 
tivement à  saint  Ambroise,  c'est-à-dire  en 
allant  quêter  çà  et  là  dans  les  divers  écrits 
d'un  même  Père  des  phrases  et  des  bouts 
de  phrases  susceptibles  d'être  rapprochés 
des  versets  du  symbole. 

Quant  aux  rares  témoignages  externes 
dont  on  dispose,  ils  ne  peuvent  pas  non 
plus  fournir  une  solution  certaine  du  pro- 
b  ème.  Certes,  la  manière  dont  Dom  Morin 
les  utilise  au  profit  de  ses  conclusions  est 
ingénieuse,  mais  elle  n'est  pas  à  l'abri  de 
toute  discussion.  Du  fait  que  le  concile 
espagnol  de  633  a  fait  des  emprunts  au 
Quicumque,  il  ne  s'ensuit  pas  nécessaire- 
ment que  celui-ci  ait  été  composé  par  un 
Espagnol.  Les  Pères  de  Tolède  ont  pu  le 
trouver  dans  quelque  théologien  de  la  Gaule 


[i)  Revue  bénédictine,  t.  XVIII,  p.  340, 


SEVERFEN    DE    GABALA   ET    LE    SYMBOLE    ATHANASIEN 


195 


méridionale,  puisqu'on  nous  dit  que  les 
ouvrages  des  Lériniens  étaient  fort  goûtés 
en  Espagne  au  vi^  siècle.  Dira-t-on  que, 
passé  l'an  530,  la  Gaule  était  incapable  de 
produire  un  pareil  chef-d'œuvre?  Mais, 
outre  qu'il  est  dangereux  d'affirmer  de  pa- 
reilles impossibilités,  qui  empêche  de  sup- 
poser que  le  Lérinien,  auteur  présumé  du 
symbole,  a  vécu  avant  l'an  s  50,  et  peut- 
être  dans  la  première  moitié  du  v«  siècle? 
Car  on  ne  voit  aucune  nécessité  à  ce  que 
le  Quicumqiie  ait  dû  attirer  l'attention  gé- 
nérale aussitôt  après  son  apparition.  On 
sait  combien  sont  fréquentes  les  professions 
de  foi  composées  par  de  simples  particuliers 
dans  l'ancienne  Eglise,  et  beaucoup,  et  de 
très  belles,  sont  restées  inaperçues. 


La  nouvelle  thèse  de  Dom  Morin  n'est 
donc  qu'une  hypothèse  de  plus,  ajoutée  à 
tant  d'autres;  mais  toutes  les  hypothèses 
ne  sont  pas  à  mettre  sur  le  même  rang. 
Nous  reconnaissons  volontiers  que  cette 
dernière  vient  l'une  des  premières  pour  le 
degré  de  vraisemblance.  Ce  qui  va  suivre 
n'est  pas  d'ailleurs  de  nature  à  l'ébranler 
directement,  car  nous  n'avons  pas  décou- 
vert l'auteur  du  Quicuinque,  nous  croyons 
seulement  avoir  trouvé  la  source  (ou  l'une 
des  sources)  de  la  partie  trinitaire  de  ce 
symbole. 

Cette  source  est  grecque.  C'est  la  pre- 
mière des  homélies  de  Sévérien  de  Gabala, 
que  le  méchitariste  Jean-Baptiste  Aucher 
traduisit  en  latin  d'une  ancienne  version 
arménienne,  etqu'iléditaà  Venise,  en  1837, 
sous  le  titre  :  Severiani  sive  Seberiani 
Gahalorum  episœpi  Emesensis  bomilicR  nunc 
primum  editœ  ex  antiqua  versione  armena 
in  latimim  sermonem  trattslatce  (i).  Sévé- 
rien, évêque  de  Gabala,  l'infidèle  ami  de 
saint  Jean  Chrysostome,  est  un  nom  bien 

(1)  Ces  homélies  sont  au  nombre  de  quinze.  Leur 
authenticité  n'est  pas  douteuse.  Plusieurs  d'entre 
elles  sont  citées  par  les  auteurs  anciens.  Aucher 
a  publié  le  texte  arménien  avec  la  traduction  latine 
en  regard.  L'épithète  Emensensis,  donnée  par  le 
texte  arménien  à  Sévérien,  signifie  vraisemblable- 
ment, comme  le  pense  Aucher,  p.  xvi,  que  l'évéque 
de  Gabala  était  natif  d'Emèse. 


connu  dans  la  littérature  patristique,  et  il 
est  inutile  d'esquisser  ici  sa  notice  biogra- 
phique. Quanta  l'homélie  en  question,  elle 
fut  prononcée  à  Jérusalem  un  dimanche 
qui  se  trouvait  être  la  fête  de  l'Epiphanie, 
\2l  fête  des  Lumières  {\).  Si  l'on  fait  atten- 
tion :  i'^  que  Sévérien  de  Gabala  est  mort 
vers  l'an  408;  a»  que  la  fête  de  l'Epiphanie 
se  célébrait  le  6  janvier  (2):  3»  qu'entre  les 
années  382-408,  le  6  janvier  est  tombé  un 
dimanche  en  390,  396,  401  et  407;  4"  que 
l'année  401  doit  être  exclue,  parce  que 
Sévérien  se  trouvait  alors  vraisemblable- 
ment à  Constantinople,  et  que  la  date  407 
paraît  peu  probable,  il  reste  que  notre  ho- 
mélie a  dû  être  prêchée  le  6  janvier  390, 
ou  le  6  janvier  396. 

Son  authenticité  est  hors  de  doute.  Au 
point  de  vue  interne,  c'est  bien  le  style 
alerte,  nerveux,  de  fer,  selon  l'expression 
de  Saville,  sentencieux,  ami  de  l'antithèse, 
que  l'on  connaît  à  l'évéque  de  Gabala,  qui 
dit  de  lui-même  :  J'aime  toujours  à  dire 
beaucoup  de  choses  en  peu  de  mots  (3).  Par 
ailleurs,  la  version  arménienne  remonte 
au  ve  siècle,  c'est-à-dire  à  làge  d'or  de  la 
littérature  arménienne,  comme  nous  l'ap- 
prend Aucher  dans  son  introduction  (4). 
11  est  difficile  de  supposer  qu'un  traducteur 
presque  contemporain  de  Sévérien  lui  ait 
attribué  des  écrits  qui  ne  lui  appartenaient 
pas.  Enfin,  il  est  peut-être  permis  d'iden- 
tifier notre  homélie  avec  celle  dont  parle 
Gennade  de  Marseille  dans  son  Liber  de 
scriptoribus  ecclesiasticis  :  Legi  ej'us  (Seve- 


{i)  Le  titre  de  l'homélie  est  le  suivant:  In  magna 
die  luminum  {-3.  âyta  2w-al,  Jerosolymis  prolata. 
De  fide,  deque  generatione  Filii  ex  Pâtre.  L'ora- 
teur dit  en  débutant:  Hortatur  locus  dominicus  de 
Domino  loci  agere  atque  dies  dominica  super- 
veniens. 

I21  A  cette  époque,  la  fête  du  25  décembre  n'était 
pas  encore  introduite  dans  le  diocèse  de  Jérusalem. 
La  fête  du  6  janvier  correspondait  à  la  fois  à  notre 
Noël  et  à  notre  Epiphanie.  C'est  sous  l'épiscopat 
de  Juvénal  (424-458),  comme  l'a  prouvé  le  P.  S.  Vaiihé, 
{^Echos  d'Orient,  U  VIII,  1905,  p.  212-218),  que  la 
fête  occidentale  du  25  décembre  fat  adoptée  dans 
la  Ville  Sainte. 

(3)  Semper  compendiose  agere  me  delectat,  et 
plura  paucis  comprehendere.  Homil.  IX.  Aucher, 
p.  337. 

(4)  Aucher,  p.  xvni. 


196 


ÉCHOS  d'orient 


riani)  de  Baptismo  et  Epîphaniœ  solemnitale 
Hbellum  gratissimum  (i).  Si  nous  enten- 
dons bien  le  prêtre  marseillais,  il  veut  dire 
qu'il  a  lu  un  petit  livre  contenant  deux 
homélies  de  Sévérien  de  Gabala;  l'une  sur 
le  baptême,  que  nous  possédons  encore,  et 
qui  est  la  dixième  du  recueil  d'Aucher(2); 
l'autre  sur  l'Epiphanie,  qui  est  peut-être 
celle  dont  nous  parlons  (3).  La  lecture  de 
ces  deux  pièces  enthousiasma  Gennade,  et 
il  écrit  de  leur  auteur  qu'il  est  in  homiliis 
declamator  admirabilis.  Cet  éloge  est  par- 
faitement mérité,  surtout  pour  ce  qui  re- 
garde la  longue  homélie  sur  le  baptême. 
L'homélie  sur  l'Epiphanie,  quoique  assez 
courte  (elle  tient  en  sept  pages),  est  aussi 
d'une  grande  beauté  et  d'un  riche  contenu 
dogmatique.  C'est,  peut-on  dire,  un  résumé 
en  phrases  lapidaires  de  la  théologie  de 
Dieu  un  et  trine.  L'orateur  commence  par 
nous  parler  du  Dieu  unique,  principe  sans 
principe,  source  de  tout  être,  possédant 
toutes  les  perfections,  dégagé  de  toute 
imperfection  (p.  5-9).  11  passe  ensuite  au 
dogme  trinitaire  et  il  insiste  spécialement 
sur  la  génération  éternelle  du  Verbe 
(p.  9-1 1  ).  il  termine  par  l'admirable  exposé 
que  voici  du  mystère  de  Dieu  en  trois  per- 
sonnes (4)  : 

Erat  Pater  ingenitus,  et  Filius  genitus, 
Ens  ab  illo  Ente  substantiali,  vita  e  vita. 
Sicut,  ait,  Pater  habet  vitam  in  seipso,  iia 
et Filio dédit  habere  vitam.  Non  quasi  prius 
genuerit,  et  postmodum  dederit  ei  vitam, 
sed  Vivens  viventem  vitam  genuit,  et 
Creator  creatorem,  judicemque.  Non  enim 
improprie  velut  adscitiam  habet  Patris  vir- 


(i)  Liber  de  scriptoribus  ecclesiasticis,  c.  xxi. 
P.  L.,  t.  LVIII,  col.  1075. 

(2)  P.  371-401.  Le  texte  grec  de  cette  homélie  se 
trouve  parmi  les  œuvres  de  saint  Basile.  P.  G., 
t.  XXX!,  col.  423-444. 

(3|  L'identification  cependant  n'est  pas  absolu- 
ment sûre,  car  Matthaei  a  édité  dans  ses  Lectiones 
Mosquenses  une  homélie  In  Dei  appariiionem 
sous  le  nom  de  Sévérien  de  Gabala.  Cette  homélie 
est  reproduite  dans  Migne,  P.  G.,  t.  LXV,  col.  i5-26. 
Elle  est  d'une  remarquable  banalité.  Par  ailleurs, 
le  libellus  dont  parle  Gennade  peut  ne  désigner 
qu'un  seul  discours,  puisque  le  souvenir  du  bap- 
tême du  Christ  est  attaché  à  la  fête  dé  l'Epiphanie. 

(4)  Nous  reproduisons  la  traduction  latine  d'Au- 
cher,  n'ayant  pu  découvrir  le  texte  original. 


tutem,  sed  ex  natura  aequalis  ei  fuit,  juxta 
illud  quod  in  Evangelio  exponitur,  quod  : 
Omne  quod  Patris  est,  illud  meum  est.  — 
Et  :  Ego  et  Pater  meus  unum  sumus.  — 
Fa  :  Qui  vidit  me  vidit  Pat  rem. 

Omnia  quœcumque  Patris  sunt,  eadem 
et  Filii,  nisi  solum  quod  non  est  Pater;  et 
omne  quicquid  Filius  est,  idem  et  Pater, 
nisi  solummodo  quod  non  est  Filius,  nec 
carnem  sumpsit;  atque  omne  quidquid 
Pater  est  et  Filius,  idem  et  Spiritus  sanctus, 
praeter  quod  non  est  Pater  et  Filius,  neque 
homo  factus  est,  sicut  Filius.  Vivit  Pater: 
Vivo  ego,  inquit,  Dominus  virtutum.  Vivit 
et  Filius  :  Ego  sutn,  ait,  vita  et  lux  et  veritas . 
Vivit  et  Spiritus  sanctus  :  Caro  nihiljuvat, 
sed  Spiritus  est  qui  vivijicat. 

Unus  est  etiam  Dominus,  et  unus  Deus, 
et  unus  Rex  ;  non  Dominos,  nec  Deos, 
neque  Reges  profitemur  sanctam  Trini- 
tatem,  secjndum  quod  Seraphim  clama- 
hdinùnXQm^Xo:  Sanctus,  Sanctus,  Sanctus  ; 
ter  Sanctus  et  semel  Dominus.  Siquidem 
unus  est  Dominatus  Patris  et  Filii  et  Spi- 
ritus sancti.  Unus  Dominus  et  Deus,  Pater; 
non  est  enim  alius  Deus  Pater.  Et  unus 
Dominus  et  Deus,  Filius;  non  est  enim 
alius  Filius.  Et  unus  Dominus  et  Deus, 
Spiritus  sanctus;  non  est  enim  alius  Spi- 
ritus Deus,  nisi  Dei  Spiritus.  Unus  est 
Deus  Pater,  ex  quo  omnia.  Unus  Dominus 
Jésus  Christus,  per  quem  omnia;  et  unus 
Spiritus  sanctissimus,  qui  omnia  rénovât 
et  sanctificat.  Unum  baptismum  et  unam 
Ecclesiam  Paulus  prasdicat,  non  ipse,  sed 
ille  de  quo  dicebat  :  Si  experimentum  ali- 
quod  quœritis  Christi,  qui  per  me  vobis- 
cum  loquitur. 

Genuit  Pater  Filium,  non  tamen  in  Ge- 
nitum  suum  mutatus  fuit;  sed  est  Pater, 
Pater;  et  Filius,  Filius;  et  Spiritus  sanctus, 
Spiritus  Dei.  Genitus  est  Filius,  nec  tamen 
in  Patrem  mutatus  est;  non  enim  in  oppro- 
brium  vel  in  explosionem  est  Patris  Filius, 
sedexscientia(i)  Ingeniti  Genitus.  Nediffi- 
damus  de  divina  gène  atione.  Ne  contem- 
namus  et  ipsius  carnalem  nativitatem.  Ne 
pessumdemusetvoluntariam  paupertatem. 
Dignitas  angelorum,  honor  coram  standi 
est;  dignitas  Unigeniti  sedere  a  dextra  Pa- 
tris. Angeli  vel  nomen  ipsum  ministerii 
est,  et  archangeli  principatus  ministerii. 


(i)  Au  lieu  de  ex  scientia,  il  faut  peut-être  tra- 
duire ex  essentia. 


SEVERIEN    DE   GABALA    ET    LE    SYMBOLE    ATHANASIEN 


197 


Deum  autem  apud  Deum  dici,  nomen  Dei 
est.  Deum,  inquam  apud  Deum,  non  Dii. 
Non  enim  duos  Ingenitos  neque  duos  Ge- 
nitos  confitemur,  sed  unum  Ingenitum  et 
unum  Genitum,  et  unum  Spiritum  veri- 
tatis  ex  Pâtre  procedentem. 

Très  et  unus,  unus  et  très,  quia  unam 
essentiam  sanctœ  Trinitatis  profitemur,  in 
tribus  hypostasibus  perfectarum  persona- 
rum.  Non  enim  persona  Patris  est  persona 
Filii,  neque  persona  Filii  aut  Spiritus  sancti 
est  persona  Patris,  quamquam  jam  inde  ex 
una  ipsa  essentia  Patris  est  Filius  et  Spi- 
ritus sanctus.  Quoniam  Unigenitus  Filius, 
qui  ante  sgecula  est  et  ex  Pâtre  et  apud 
Patrem,  Deus  apud  Deum,  et  idem  homo 
cum  hominibus,  non  decidens  a  divinitate, 
etsi  incarnatus  comperitur,  non  deturbatus 
a  prima  sua  nativitate,  etsi  per  carnalem 
nativitatem  ex  Virgine  apparuit  in  carne 
natus.  Imo  etiam  dum  in  utero  Virginis 
erat,  non  erant  ab  ipso  vacui  cœli  et  terra 
universaque  creatura. 

1.  Quicumque  vult  salvus  esse,  ante 
omnia  opus  est  ut  teneat  catholicam 
fidem, 

2.  Quam  nisi  quisque  integram  inviola- 
tamque  servaverit  :  absque  dubio  in  aeter- 
num  peribit. 

3.  Fides  autem  catholica  haec  est  ut  unum 
Deum  in  Trinitate  et  Trinitatem  in  uni- 
tate  veneremur. 

4.  Neque  confundentes  personas,  neque 
substantiam  séparantes. 

5.  Alia  est  enim  persona  Patris,  alia 
Filii,  alia  Spiritus  sancti. 

6.  Sed  Patris  et  Filii  et  Spiritus  sancti 
una  est  divinitas,  aequalis  gloria,  coaeterna 
majestas. 

7.  Qualis  Pater,  talis  Filius,  talis  Spi- 
ritus sanctus. 


Ingenito  Dec  Patri,  et  Genito  ab  ipso 
Filio  unigenito  et  Spiritui  sancto  procedenti 
ex  illorum  essentia,  tribus  in  unasubstantia 
omnis  gloria,  nunc  et  semper,  et  in  sascula 
saeculorum.  Amen  (i). 

Ces  quelques  lignes  renferment  non 
seulement  tout  le  fond  doctrinal  de  la 
partie  trinitaire  du  Quicumque,  mais  encore 
la  plupart  des  expressions  et  des  tournures, 
plusieurs  phrases  entières  qu'on  retrouve 
presque  mot  pour  mot  dans  le  texte  du 
symbole.  La  concordance  est  telle,  qu'il 
paraît  vraiment  difficile  de  l'attribuer  à  un 
pur  hasard.  Pour  la  rendre  plus  sensible, 
nous  allons  reproduire  les  versets  du  Qui- 
cumque, en  mettant  en  regard  les  passages 
correspondants  de  l'homélie.  Nous  ajou- 
tons entre  crochets  quelques  phrases 
d'autres  homélies  du  même  auteur,  sus- 
ceptibles d'être  rapprochées  du  texte  du 
svmbole. 


8.  Increatus  Pater,  increatus  Filius,  in- 
creatus  Spiritus  sanctus. 


3.  Très  et  unus,  unus  et  très,  quia  unam 
essentiam  sanctœ  Trinitatis  profitemur, 
in  tribus  hypostasibus  perfectarum  per- 
sonarum; 


5.  Non  enim  persona  Patris  est  persona 
Filii,  neque  persona  Filii  aut  Spiritus 
sancti  est  persona  Patris. 

6.  Quamquam  Jam  inde  ex  una  ipsa  es- 
sentia Patris  et  est  Filius  Spiritus  sanctus 
(p.  i5). 

7.  Omne  quidqutd  Pater  est,  et  Filius, 
idem  et  Spiritus  sanctus  (p.  i3). 

Erat  Pater,  Pater  verus;  et  Filius, 
Filius  vere,  et  Sanctissimus  Spiritus, 
certus  Spiritus  Dei  (p.  1 1). 

Vipit  Pater,  vivit  et  Filius,  vivit  et  Spi- 
ritus sanctus  {p.  i3). 

Est  Pater,  Pater;  et  Filius,  Filius,  et 
Spiritus  sanctus,  Spiritus  Dei  (p.  i5). 


(l)  AUCHER,  p.    l3-I7. 


I9S 


ÉCHOS   d'orient 


g.  Immensus  Pater,  immensus  Filius, 
immensus  Spiritus  sanctus. 


10.  ^ternus  Pater,  aeternus  Filius,  aeter- 
nus  Spiritus  sanctus. 


11.  Et  tamen  non  très  aeterni,  sed  unus 
aeternus. 

12.  Sicot  non  très  increati  nec  très  im- 
mensi,  sed  unus  increatus  et  unus  im- 
mensus. 

i3.  Similiter  omnipotens  Pater,  omni- 
potens  Filius,  omnipotens  Spiritus  sanctus. 

14.  Et  tamen  non  très  omnipotentes,  sed 
unus  omnipotens. 


i5.  Ita  Deus  Pater,  Deus  Filius,  Deus 
Spiritus  sanctus. 

16.  Et  tamen  non  très  Dii,  sed  unus  est 
Deus. 

17.  Ita  Dominus  Pater,  Dominus  Filius, 
Dominus  Spiritus  sanctus. 

18.  Et  tamen  non  très  Domini,  sed  unus 
est  Dominus. 

19.  Quia  sicut  singillatim  unamquamque 
personam  Deum  ac  Dominum  confiteri 
christiana  veritate  compellimur,  ita  très 
Deos  aut  Dominos  dicere  catholica  reli- 
gione  prohibemur. 


9.  [Magnus  quippe  est  Genitor,  magnus 

et  Genitus Magnus  est  Pater,  et  magna 

virtus  ejus,  Spiritus  sanctus.  Homil.  VII, 
p.  289I. 

[Si  Pater  libérât,  et  Filius  libérât,  et  Spi- 
ritus libérât.  Ibid.,  p.  »g3.] 

[Inter  fidèles  Pater,  inter  fidèles  Filius, 
inter  fidèles  Spiritus  quoque  sanctus  ... 
In  medio  itaque  Pater,  in  medio  Filius,  in 
medio  etiam  Spiritus  sanctus.  Homil.  V, 

p.   20I-203.] 

10.  Ante  sœcula  est  Genitor,  ante  sœcula 
temporaque  et  Genitus  (p.  9).  Unigenitus 
semper  erat  et  sempiternus  apud  Geni- 
torem  est  (p.  i3). 

[Ante  saecula  Pater,  ante  saecula  Filius, 
ante  seecula  Spiritus  sanctus.  Homilia  de 
Serpente,  7.  P.  G.,  t.  LVI,  col.  5 10.; 


13-14.  [Quemadmodum  cum  dixerim 
Deus,  et  Deus,  et  Deus,  non  très  deos  dico, 
sed  unum;  similiter  quum  dicam  Omni- 
potens, et  Omnipotens,  et  Omnipotens,  non 
très  dico  omnipotentes,  sed  unum.  Ho- 
mil. IV,  p.  173.] 

[Ecclesia  non  très  omnipotentes  novit, 
sed  unam  virtutem  quae  omnia  potenter 
tenet.  Veraciter  omnipotentia  in  Pâtre  et 
Filio  et  Spiritu  sancto  agnoscitur.  Ibid., 
p.  159.] 

iS-ig.  Unus  est  etiam  Dominus,  et  unus 
Deus  et  unus  Rex,  non  Dominos,  nec  Deos, 
neque  Reges  profitemur  sanciam  Trini- 
tatem  :  secundum  quod  Seraphim  clama- 
bant in  templo :  Sanctus, Sanctus, Sanctus: 
ter  sanctus  et  semel  Dominus.  Siquidem 
unus  est  dominatus  Patris  et  Filii  et  Spi- 
ritus sancti.  Unus  Dominus  et  Deus  Pater; 
non  est  enim  alius  Deus  Pater.  Et  unus 
Dominus  et  Deus  Filius;  non  est  enim 
alius  Filius.  Et  unus  Dominus  et  Deus, 
Spiritus  sanctus;  non  est  enim  alius  Spi- 
ritus Deus  nisi  Dei  Spiritus  (p.  i3). 

[CLHotnil.  IV,  p.  i63  :  Dominus  et  Deus 
est  Pater;  Dominus  et  Deus  est  Filius. 

[Qui  dixerit  très  Deos  seorsum  ab  invicem 
anathema  sit.  Homil.  IV,  p.  iSg.] 

[Régnât  Pater;  régnât  Filius,  régnât  Spi- 
ritus sanctus Dominus  Pater,  Dominus 

Filius,  Dominus  Spiritus  sanctus.  Homilia 
de  Serpente,  y,  P.  G.,  t.  LVI,  col.  5io,  5i  i .] 


SÉVÉRFEN    DE    GABALA    ET    LE    SYMBOLE    ATHANASIEN 


199 


20.  Pater  a  nullo  est  factus,  nec  creatus, 
nec  genitus. 

21.  Filius  a  Pâtre  solo  est,  non  factus, 
nec  creatus,  sed  genitus. 

22.  Spiritus  sanctus  a  Pâtre  et  Filio,  non 
factus,  nec  creatus,  nec  genitus,  sed  pro- 
cedens. 

23.  Unus  ergo  Pater,  non  très  Patres, 
unus  Filius,  non  très  Filii,  unus  Spiritus 
sanctus,  non  très  Spiritus  sancti. 


24.  Et  in  hac  Trinitate  nihil  prius  aut 
posterius,  nihil  majus  aut  minus,  sed  totae 
très  personae  coaeternce  sibi  sunt,  et  coas- 
quales. 

25.  Ita  ut  per  omnia,  sicut  jam  supra 
dictum  est,  et  unitas  in  Trinitate,  et  Tri- 
nitas  in  unitate  venerenda  sit. 

26.  Qui  vult  ergo  salvus  esse,  ita  de  Tri- 
nitate sentiat. 


20.  Principium  omnium  Deus  est,  ipse 
vero  a  nullo  unquam  principio  factus 
ip.  5).  Erat  Pater  ingeniius  (p.  i3). 

21.  Generavit  Ingenitus  Genitum  suum 
(p.  9).  Erat  Filius  genitus,  ens  ab  illo  ente 
substantiali  1  p.  i3). 

20-22.  Ingenito  Deo  Patri,  et  Genito 
ab  ipso  Filio  Unigenito,  et  Spiritui  sancto 
procedenti  ex  illorum  essentia,  tribus  in 
una  substantia,  omnis  gloria  (p.  17). 

2'i.Etquemadmodum  non  estalius  Pater 
prœter  unum  solum,  similiter  nec  alius 
est  Filius  prœter  unicum,  neque  alius 
Spiritus  coœqualis  prœter  Spiritum  Dei 

(P-  9)- 
Non  duos  Ingenitos,  neque  duos  Genitos 

coniitemur,  sed  unum  Ingeniium,  et  unum 

Genitum,  et  unum  Spiritum  veritatis  ex 

Pâtre  procedentem  {p.  i5). 

Unus  est  Deus  Pater,  ex  quo  omnia, 
Unus  Dominus  Jésus  Christus,  per  quem 
omnia,  et  unus  Spiritus  sanctissimuSy  qui 
omnia  rénovât  et  sanctificat  (p.  iS). 

Non  quasi  prius  genuerit ex  natura 

œqualis  ei  fuit  (p.  i31. 

24.  [iVon  est  ordo  in  immortali  natura, 
talis  ordo  ut  unus  alterum  superet.  Quivis 
dicatur  prius,  ejusdem  honoris  est  et  se- 
cundus,  et  non  diminuitur  aut  despicitur 
quodammodo  tertius.  Homil.  VII,  p.  261, 
2r33.1 


Ce  parallèle  nous  paraît  impression- 
nant. Voici  les  conclusions  qu'il  nous 
suggère  : 

i'3  Si  le  rédacteur  du  Qtnaimqiie  n'a 
pas  utilisé  l'homélie  de  Sévérien  de  Gabala 
pour  la  partie  trinitaire,  nous  sommes  en 
présence  d'un  phénomène  littéraire  vrai- 
ment curieux,  qui  ne  peut  qu'augmenter 
notre  scepticisme  à  l'endroit  de  la  critique 
interne  pure.  Il  y  a  lieu  de  se  demander 
quand  on  pourra  affirmer  avec  certitude 
la  dépendance  d'un  texte  donné  à  l'égard 
d'un  autre,  hormis  le  cas  d'une  transcrip- 
tion servile  et  à  peu  près  complète.  Qu'on 
remarque,  en  effet,  que  sur  vingt-six  ver- 
sets du  symbole,  nous  en  avons  retrouvé 
plus  de  la  moitié,  et  plusieurs  presque 
mot  pour  mot,  dans  deux  pages  de  l'ho- 


mélie de  révêque  de  Gabala.  Nous  sommes 
loin  ici  du  procédé  qui  consiste  à  par- 
courir tous  les  ouvrages  d'un  auteur  pour 
glaner  çà  et  là  des  phrases,  des  débris  de 
phrases  rappelant,  pour  le  fond  ou  la  forme, 
le  texte  du  symbole. 

Ce  procédé,  le  P.  Brewer  n'est  pas  le 
seul  à  l'avoir  employé.  D'autres  que  lui 
l'ont  appliqué  à  Vincent  de  Lérins,  à  saint 
Augustin  (1),  etc.  Ceux  qui  lui  trouvent 
quelque  valeur  reconnaîtront  sans  doute 
que,  de  toutes  les  concordances  relevées 
jusqu'ici  entre  le  Quiatmqite  et  n'importe 
quel  écrivain  ecclésiastique,  il   n'en   est 


(i)  Cf.  TixERONT,  article  «  Athanase  (Symbole  de 
saint)  »,  dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catho- 
lique Vacant-Mangenot,  t.  I'%  col.  2184-2186. 


200 


ECHOS   D  ORIENT 


point  de  comparables  à  celles  que  nous 
signalons  entre  la  partie  trinitaire  du  sym- 
bole et  l'homélie  de  Sévérien,  puisqu'elles 
sont  très  nombreuses,  sont  tirées  d'une 
même  pièce  et  viennent  les  unes  à  la  suite 
des  autres  dans  un  contexte  de  deux 
pages. 

On  peut  aller  plus  loin  et  avancer  que, 
si  la  dépendance  n'existe  point  dans  le 
cas  présent,  il  paraît  difficile  de  l'admettre 
pour  la  profession  de  foi  du  IV^  concile 
de  Tolède  (décembre  633).  Cependant,  la 
grande  majorité  des  critiques  n'hésite  point 
à  reconnaître  que  le  concile  espagnol  a 
fait  des  emprunts  au  Quicumque  (1).  Voici 
deux  passages  de  la  profession  de  foi  de 
Tolède,  que  Dom  Morin  donne  comme 
preuve  certaine  de  l'utilisation  du  sym- 
bole par  les  évêques  espagnols  : 

In  penonarum  diversitatetrinitatem  cre- 
dentes,  in  divinitate  unitatem  praedicantes 
nec  personas  confundimus,nec  substantiam 
separamus.  Patrem  a  nullo  factum  vel 
geniium  dicimus  :  Filium  a  Pat?'e  non  fac- 
tum sed genitum  asserimus  :  Spiritum  vero 
sanctum  nec  creatum,  nec  genitum  sed  pro- 
cedentem  ex  Paire  et  Filio  profîtemur. 
Ipsum  autem  Dotninum  nosirum  Jesum 
Christum  Dei  Filium  et  creatorem  omnium 
exsubstantia  Patrisantesœculagenitum... 

^qualis  Patri  secundum  divinitatem, 

minor  Pâtre  secundum  humanitatem 

Deus  et  homo,  non  autem  duo  Filii  et  Dei 

duo praeferens   passionem  et  mortem 

pro  salute  nostra descendit  ad  infe- 

ros Hœc  est  catholicœ  ecc\esis£  fîdes 

quam  quisquis  firmissime  custodierit,  p2r- 
petuam  salutem  habebit  (2). 

Certes,  il  y  a  là  plus  d'une  coïncidence 
verbale  digne  d'attirer  l'attention,  mais 
celles  que  nous  avons  trouvées  dans  l'ho- 
mélie de  l'évêque  de  Gabala  nous  paraissent 
tout  aussi  frappantes. 

20  II  est  clair  que  Sévérien  de  Gabala 
était  de  force  à  composer  le  Quicumque. 
La  chose  ne  paraît  pas  contestable  pour  la 
partie  trinitaire.  Une  des  particularités  les 


(i)  Cf.  Dom  Morin, art.  cit.,  p.  174-175.  Le  D'  Loofs 
ne  reconnaît  point  le  Quicumque  dans  la  profes- 
sion de  Tolède.  Realencyclopœdie,  loc.  cit.,  p.  191. 

(2)  DoM  Morin,  loc.  cit.,  p.  174-175. 


plus  remarquables  du  symbole  consiste  à 
appliquer  successivement  à  chaque  per- 
sonne divine  un  même  attribut.  Or,  nos 
citations,  qu'il  serait  facile  de  multiplier, 
montrent  que  Sévérien  affectionne  ce  pro- 
cédé, dont  le  but  est  de  mettre  en  relief 
l'égalité  parfaite  des  personnes  divines 
entre  elles. 

La  doctrine  de  la  procession  du  Saint- 
Esprit  a  Pâtre  et  Filio  n'est  pas  ignorée  de 
l'orateur  syrien.  S'il  dit  simplement  à  un 
endroit  :  Qui  a  Paire  procedit,  il  écrit 
quelques  lignes  plus  loin  :  procedens  ex 
illorum  esseniia,  formule  équivalente  à 
celle  du  symbole  :  A  Paire  et  Filio.  La  doc- 
trine du  Filioqiie  est  d'ailleurs  contenue 
implicitement  dans  cet  autre  passsage  de 
notre  homélie  ;  Omnia  quœcumque  Patris 
sunt,  eadem  et  Filii,  nisi  solum  quod  non 
est  Pater;  et  omne  quicquid  Filius  est,  idem 
et  Pater,  nisi  solummodo  quod  non  est  Filius, 
nec  carnem  sumpsit  (i).  A  en  juger  par  la 
manière  dont  ils  s'expriment,  certains  cri- 
tiques paraissent  ignorer  que  la  formule 
ab  utroque  est  employée  assez  couramment 
par  plusieurs  Pères  grecs,  notamment  par 
Didyme  l'Aveugle,  saint  Epiphane,  saint 
Cyrille  d'Alexandrie.  On  la  trouve  aussi 
chez  les  Syriens  et  chez  les  Arméniens, 
quelquefois  sous  la  forme  donnée  par  Sé- 
vérien de  Gabala:  ab  utriusque  essentia{2). 
Si  l'on  n'avait  à  faire  valoir  contre  l'origine 
grecque  du  Quicumque  que  l'emploi  de  la 
formule  a  Paire  et  Filio,  nous  croyons  que 
l'argument   n'aurait  pas   grande   portée. 

L'évêque  de  Gabala  aurait-il  pu  être 
l'auteur  de  la  partie  christologique  du  sym- 
bole? Je  crois  qu'on  peut  répondre  affir- 
mativement. Si  l'on  s'amusait  à  chercher 
dans  ses  homélies  des  passages  équiva- 
lents pour  le  sens  ou  identiques  dans  la 
forme  aux  versets  de  la  dernière  partie 


(1)  AUCHER,    p.    l3. 

(2)  Cf.  pour  les  Syriens,  l'article  du  P.  S.  Sala- 
ville  :  Doctrina  de  Spiritus  sancti  ex  Filio  pro- 
cessione  in  quibusdam  syriacis  epicleseos  for- 
mulis  aliisque  documentis  ipsas  illustrantibus, 
dans  les  Slaporum  Litterœ  Theologicœ,  t.  V  (1909),, 
p.  165-172;  et  pour  les  Arméniens,  Avedichian, 
Dissertasiione  sullaprocessione  dello  Spirito  Santo 
dal  Padre  e  dal  Figliuolo.  Venise,  1824. 


SÉVÉRIEN    DE   GABALA    ET    LE    SYMBOLE    ATHANASIEN 


201 


du  Qiticumque,  on  arriverait  sans  doute 
à  des  résultats  assez  satisfaisants.  Voici, 
par  exemple,  un  extrait  d'une  homélie 
pour  la  fête  de  Noël  qui  appartient  sûre- 
ment à  Sévérien  : 

Tum  quidem  secundum  naturatn  anie 
sœcula  genitus  est  ex  Pâtre,  prout  novit 
ille qui  genuit  :  hodie  veto  rursus  ex  Virgine 
praeter  naturam  natus  est,  prout  Spiritus 
sancti  novit  gratia.  Et  superna  ejus  gene- 
ratio  vera  est,  et  inferior  ejus  generatio 
minime  falsa  :  et  vere  Deus  ex  Deo genitus 
est,  et  vere  homo  idem  ex  Virgine  natus 
est.  Sursum  solus  ex  solo  Unigenitus,  deor- 
sum  solus  ex  sola  Virgine  idem  Unige- 
nitus (il. 

Mais  notre  intention  n'est  pas  de  sou- 
tenir un  paradoxe.  Nous  reconnaissons 
volontiers  que  Sévérien  de  Gabala  n'a  ré- 
digé ni  la  partie  trinitaire  ni  la  partie  chris- 
tologique  du  QiUcumqtie,  que  ce  symbole 
a  été  composé  en  latin  et  par  un  Latin, 
qu'il  ne  s'est  pas  formé  par  accrétions  suc- 
cessives, comme  le  veulent  certains  cri- 
tiques, qu'il  n'y  a  même  pas  à  distinguer 
deux  rédacteurs,  l'un  pour  la  partie  trini- 
taire, l'autre  pour  la  partie  christologique. 
A  partir  de  la  controverse  nestorienne, 
rien  n'est  plus  fréquent  que  les  professions 
de  foi  où  le  dogme  trinitaire  est  nettement 
séparé  du  dogme  christologique  (2). 

y  Le  fait  que  Gennade  de  Marseille  a 
très  probablement  connu  l'homélie  de  Sé- 
vérien pourra  suggérer  à  certains  qu'il  est 
peut-être  le  rédacteur  du  Quicumqiie.  Les 
nombreux  érudits  qui  ont  assigné  pour 
patrie  au  Qinciimqtie  la  Gaule  méridionale, 
ne  manqueront  sans  doute  pas  de  faire 
ressortir  la  vraisemblance  de  cette  hypo- 
thèse. A  la  fin  de  son  Liber  de  scripiorihiis 
ecclesiasticis,  Gennade  déclare  qu'il  a  en- 
voyé son  ouvrage  au  pape  Gélase  avec  une 


[i)In  natalem  Christi  diem.P.  G.,  t.LVI.coLSSy. 

(2)  Signalons  parmi  ces  symboles  celui  de  Théo- 
dore de  Mopsueste,  qui  fut  dénoncé  comme  entaché 
d'hérésie  par  le  prêtre  Charisius,  à  la  sixième  ses- 
sion du  concile  d'Ephése.  Mansi,  Amplissima  Coll. 
concil.,  t.  IV,  col.  1347-1352;  la  confession  de  foi 
d'Acace  de  Bérée,  donnée  par  le  Synodicon  Cas- 
sinense,  Ma.nsi,  t.  Y,  col.  1012-1014;  celle  de  Théo- 
doret,  dans  une  lettre  au  peuple  de  Constantinople, 
Mansi,  Ibid.,  col.  817-818. 


lettre  contenant  sa  profession  de  foi,  epi- 
stolam  de  fide  mea  (  1  ).  Certains  ont  identifié 
cette  profession  de  foi  avec  le  Liber  de 
ecclesiasticis  dogmatibiis  du  même  auteur. 
Mais  rien  n'est  plus  contestable  que  cette 
identification.  Des  critiques  comme  Cas- 
pari  voient  dans  cet  opuscule  un  débris 
des  huit  livres  contre  toutes  les  hérésies  du 
prêtre  marseillais,  ou  plus  précisément 
la  conclusion  positive  de  cet  ouvrage 
perdu  (2).  Y  aurait-il  témérité  à  supposer 
que  cette  profession  de  foi  envoyée  au 
pape  Gélase  était  notre  Quicumque?  On 
pourra  faire  à  cette  hypothèse  une  grave 
objection.  Le  Quicumque  est  une  formule 
tout  à  fait  impersonnelle.  Or,  Gennade 
parle  de  sa  foi  personnelle,  de  fide  mea. 
Quoi  qu'il  en  soit,  faisons  remarquer  qu'il 
y  a  quelque  intérêt  à  comparer  le  texte  du 
symbole  avec  les  deux  premiers  chapitres 
du  Liber  de  ecclesiasticis  dogmatibus.  En 
voici  des  extraits  : 

Credimus  unum  esse  Deum  Patrem,  et 
Filium  et  Spiritum  sanctum  :  Patrem  eo 
quod  filium  habeat;  Filium  eo  quod  patrem 
habeat;  Spiritum  sanctum  eo  quod  sit  ex 
Pâtre  et  Filio  procedens,  Pairi  et  Fi  io 
coaeternus.  Pater  ergo  principium  deitatis, 
qui  sicut  nunquam  fuit  non  Deus,  ita  nun- 
quam  fuit  non  Pater,  a  quo  Filius  natus, 
a  quo  Spiritus  sanctus  non  natus  quia  non 
est  Filius,  neque  ingenitus,  quia  non  est 
Pater,  neque  factus,  quia  non  est  ex  nihilo, 
sed  ex  Deo  Pâtre  et  Deo  Filio  Deus  proce- 
dens. Pater  œternus,  eo  quod  aeternum 
habeat  Filium,  cujus  aeternus  sit  Pater. 
F«72M5cF^ernM5,  eo  quod  sit  Patricoaet.rnus. 
Spiritus  sanctus  œternus,  eo  quod  sit  Patri 
et  Filio  coaeternus.  Non  confusa  in  una 
persona  Trinitas,  ut  Sabelli  js  dicit;  neque 
separata  aut  divisa  in  natura  divinitas, 
ut  Arius  blasphémât;  sed  alter  in  persona 
Pater,  alter  in  persona  Filius,  alter  in 
persona  Spiritus  sanctus.  Unus  natura  in 
sancta  Trinitate  Deus  Pater,  et  Filius,  et 
Spiritus  sanctus. 

Non  Pater  carnem  assumpsit,  neque  Spi- 
ritus sanctus,  sed  Filius  tantum,  ut  qui 

(i)  De  Scriptoribus  ecclesiasticis,  c.  c.  P.  L., 
t.  LVIII,  col.  H20. 

(2)  Bardenhewer,  les  Pères  de  l'Eglise,  t.  III 
(éd.  franc.),  p.  1 16-1 17. 


202 


ECHOS   D  ORIENT 


erat  in  divinitate  Dei  Patris  Filius,  ipse 

fieret  in  homine  hominis  matris  Filius 

Natus  secundum  veritatem  naturae  ex  Deo 

Dei  Filius  ut esset  perus  Deus  et  verus 

homo  unus  Filius.  Non  ergo  duos  Christos, 
neque  duos   filios  fatemur,   sed  Deum  et 

hominem  unum  Filium Deus  ergo  ho- 

minem  assumpsit.  homo  in  Deum  transivit, 

non  naturae  versibilitate sed  Deidigna- 

tione  (i). 

Mais  Gennade  n'est  vraisemblablement 
pas  le  seul  des  théologiens  de  la  Gaule 
méridionale  à  avoir  lu  les  homélies  de 
Sévérien  de  Gabala,  que  sans  doute  Cas- 
sien  avait  apportées  de  Constantinople,  en 
quittant  saint  Jean  Chrysostome  condamné 
à  l'exil.  Nous  croyons  que  Fauste  de  Riez 
a  dû  les  connaître  aussi,  et  qu'il  a  peut- 
être  plus  de  titres  que  Gennade  à  la  pater- 
nité du  Qidcumque,  s'il  est  vrai  que  le 
Liher  de  Spiritu  sancto,  mis  sous  le  nom 
du  diacre  Paschase  (2),  et  le  Breviariiim 
fidei  adversus  Arianos  (3),  «  celui  de  tous 
-  les  écrits  antiariens,  dit  Dom  Morin,  qui 
paraît  offrir  le  plus  de  points  de  ressem- 
blance avec  le  symbole  d'Athanase  »,sont 
vraiment  de  lui,  ce  qui  ne  nous  semble 
guère  contestable.  Dans  le  Liher  de  Spi- 
ritu sancto,  on  peut  relever  plusieurs  pas- 
sages qui  rappellent  le  Quicumque.  L'au- 
teur parle  à  plusieurs  reprises  de  la  catholica 
fides  (4).  Il  emploie  presque  toujours  le 
mot  suhstantia  au  lieu  du  mot  natura. 
Voici  quelques  phrases  intéressantes  : 

Pater  est  ingenitus,  Filius  unigenitus, 
Spiritus  sanctus  ab  utroque  procedit  (5). 

In  proprietate  personœ  alter  est  Pater, 
alter  est  Filius,  alter  est  Spiritus  sanc- 
tus (6). 


(1)  P.  L.,  t.  LVIII,  col.  979-981. 

(2)  Dans  MiGNE,  P.  L.,  t.  LXII,  col.  9  sq.  Gennade 
signale  cet  ouvrage  de  Fauste  dans  son  livre  De 
Scriptoj-ibus  ecclesiasticis,  c.  lxxxv.  P.  L.,  t.  LVIII, 
col.  1109. 

(3)  P.  L.,  t.  XIII,  col.  653-672.  Plusieurs  savants 
identifient  ce  Breviarium  fidei  avec  le  parvus 
libellus  adversus  arianos  et  macedonianos  signalé 
par  Gennade,  loc.  cit. 

(4)  Cf.  P.  L.,  t.  LXII,  col.  9,  27. 

(5)  Ibid.,  col.  17. 

(6)  Ibid.,  col.  29. 


Sicut  unus  Pater  et  unus  Filius,  ita  et 
unus  Spiritus  sanctus  (i). 

Unitatem  singularitate,  trinitatem  plu- 
ralitate  commendat  (2). 

Quant  au  Breviarium  fidei  adversus 
Arianos,  les  expressions  identiques  à  celles 
du  symbole  abondent.  On  y  remarque  en 
particulier  l'attribution  d'une  même  pro- 
priété à  chaque  personne  divine,  les  for- 
mules :  Trinitas  in  unitate,  unitas  in  Tri- 
nitate.  —  Nihil  ibi  majus  nihilque  minus. 
Jésus-Christ  est  dit  minor  Pâtre  propter 
humanitatem  assumptam,  cequalis  propter 
deitatem  perpetuam  (3). 

Si  l'on  fait  attention  que  Fauste  a  été 
catéchiste  (4),  qu'il  a  écrit  contre  les  ariens 
et  les  macédoniens,  et  qu'il  s'est  occupé 
de  réfuter  la  doctrine  nestorienne  (5),  on 
verra  là  autant  de  motifs  nouveaux  de  lui 
attribuer  le  Qiiicumqite. 

Faisons,  en  terminant,  une  dernière 
remarque.  Dom  Morin,  à  la  suite  de 
M.  Turner,  fait  observer  que  «  le  Qui- 
cumque, au  premier  aspect,  se  distingue 
nettement  de  tous  les  autres  symboles 
connus,  orthodoxes  ou  non».  Tandis  que 
ceux-ci  débutent  par  le  simple  énoncé 
Credo,  Confiieor,  Profiteor,  généralement 
au  singulier,  parfois  au  pluriel,  celui-ci  se 
présente  à  la  façon  d'un  vrai  constitutum, 
d'une  ordonnance  dogmatique  à  laquelle 
doit  se  soumettre  quiconque  veut  être 
sauvé.  De  là  ces  termes  énergiques  des- 
tinés à  urger  l'obligation  de  la  loi  :  «  Qiii- 
cumque  vult  salvus  esse,  ante  omnia  opus  est 

ut  teneat  catholicam  fidem christiana 

verïtSite compellimur catholica  religione 


(i)  Ibid.,  col.  37. 

(2)  CoL  14. 

(3)  P.  L.,  t.  XIII,  col.  656,  659,  665-670. 

(4)  Ex  traditione  symboli  occasione  accepta, 
cotnposuit  librum  de  Spiritu  sancto.  Gennade, 
De  script,  eccles.,  c.  lxxxv,  col.  1109.  Il  a  pu  lui 
venir  aussi  à  l'idée  de  composer  un  symbole  de  foi. 

(5}  Fauste  a  écrit  une  lettre  dogmatique  au  diacre 
Gratus,  qui  était  devenu  nestorien.  On  trouve 
dans  cette  lettre  la  comparaison  de  l'union  de 
l'âme  et  du  corps  pour  expliquer  le  mystère  de 
l'Incarnation  :  Sicut  anima  et  corpus  hominem 
facit,  ita  divinitas  et  humanitas  unus  est  Christus. 
P.  L.,  t.  LVIII,  col.  855.  Nouvelle  concordanc 
avec  le  Quicumque. 


SÉVÉRIEN    DE  GABALA   ET    LE    SYMBOLE    ATHANASIEN 


203 


prohibemur necessarium  ^5/ ad  a'ternam 

salutem  »:  de  là  ces  sortes  d'anathèmes 
contre  lesquels,  de  nos  jours,  s'est  tant 
émue  l'opinion,  surtout  en  Angleterre  : 
«  Quam  nisi  quisque  integram  inviola- 
tamque  servaverit,  absqiiedubioin  œternum 

peribit quam    nisi    quisque   fideliter 

fîrmiterque  crediderit,  salvus  esse  tion  po- 
terit.  » 

Or,  il  existe  un  autre  symbole  qui  res- 
semble, à  ce  point  de  vue,  au  Qiiicumque. 
C'est  celui  que  l'Africain  Marius  Mercator 
attribue  à  Théodore  de  Mopsueste,  et  que 
des  prêtres  partisans  de  Nestorius  impo- 
saient aux  hérétiques  convertis  en  Lydie 
à  l'époque  du  concile  d'Ephèse.  Le  prêtre 
Charisius  de  Philadelphie  dénonça  ce  sym- 
bole aux  Pères  d'Ephèse  comme  entaché 
de  l'hérésie  nestorienne.  Le  concile  re- 
connut que  l'accusation  était  fondée,  et  il 
en  prit  occasion  pour  porter  sa  fameuse 
défense  «  de  présenter,  d'écrire  ou  de  com- 
poser une  formule  de  foi  différente  de 
celle  de  Nicée  »  (i).  Le  symbole  de  Théo- 
dore de  Mopsueste  est  rédigé  sous  forme 
de  constitution  dogmatique  obligatoire. 
Il  débute  presque  comme  le  Qtiicutnque  : 

Qui  nunc  primum  in  ecclesiasticorum 
dogmatumdisciplinaaccurateinstituuntur, 
vel  ab  haeretico  quopiam  errore  ad  veri- 
tatem  transite  volunt,  eosdoceri  Qtconfiteri 
oportet  in  unum  nos  Deum,  Patrem  sempi- 
ternum  credere (2) 

Après  avoir  exposé  le  dogme  trini- 
taire  (3),  Théodore  passe  au  dogme  de 
l'Incarnation  : 

Quin  de  dispensatione  quoque,  quam 
salutis  nostrae  causa  in  Christi  Domini 
incarnatione  Dominus  Deus  perfecit,  nosse 
Oj?or/ef  Dominum  Deum  Verbum  hominem 
secundum  naturam  perfectum,  ex  humana 


I  Mansi,  t.  IV,  col.  i36i-i364. 

-I  Ibid.,  coL  1347.  -Mansi  donne  le  texte  original. 
Nous  prêterons  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur  la 
traduction  latine. 

'3)  On  a  cru  découvrir  dans  ce  symbole  une 
négation  de  la  doctrine  du  Filioque;  mais,  en  réa- 
lité, en  affirmant  que  le  Saint-Esprit  n'a  pas  reçu 
son  existence  par  le  Fils,  Théodore  ne  vise  que 
rhérésie  de  Macédonius. 


carne  et  anima  rationali  consistentem  ex 
.\brahae  et  David  semine  assumpsisse  (i). 

Enfin  vient  Tanathème  final  : 

Hœc  est  ecclesiasticorum  dogmatum  doc- 
trina,  et  omnis  qui  diversa  ab  his  sentit, 
anathema  sit  (2). 

Ne  dirait-on  pas  que  le  rédacteur  du 
Quicumque  avait  en  vue  de  réfuter  le  sym- 
bole de  Théodore?  Evidemment,  c'est  en- 
core là  une  simple  hypothèse.  Mais  il  ne 
faut  pas  oublier  que  les  théologiens  de  la 
Gaule  méridionale  se  sont  beaucoup  oc- 
cupés de  l'hérésie  nestorienne,  depuis  Jean 
Cassien,  qui,  dès  le  début  de  la  contro- 
verse, composa,  à  la  demande  du  futur 
pape  saint  Léon,  sept  livres  De  Incarna- 
tione Christi  contra  Nestorium  (3),  jusqu'à 
Gennade,  qui  nous  apprend  lui-même  qu'il 
écrivit  six  livres  contre  Nestorius  (4).  Le 
symbole  de  l'évêque  de  Mopsueste  se  trou- 
vait dans  les  Actes  d'Ephèse,  et  il  a  pu 
venir  à  l'idée  de  quelque  Lérinien  de  lui 
opposer  une  profession  de  foi  orthodoxe. 

Marius  Mercator  nous  a  laissé  une  courte 
réfutation  de  la  formule  de  Théodore,  où 
l'on  trouve  la  substance  de  la  partie  chris- 
tologique  du  Qiiicumque  (5).  Certaines 
expressions  sont  assez  voisines  de  celles 
du  symbole,  pour  qu'on  ait  pu  songer  à 
attribuer  celui-ci  à  Mercator  (6).  Mais  cette 
hypothèse  nous  paraît  peu  vraisemblable. 


(i)  Mansi,  ibid.,  col.  i35o. 

(2)  Ibid.,  col.  i35i. 

(3)  P.  L.,  t.  L,  col.  9-272.  Nous  avons  trouvé 
dans  ce  traité  la  phrase  suivante  :  Fides  ergo 
hœc  tantvm  catholica,  hœc  tantum  ver  a  est; 
Dominum  Jesum  Christum  sicut  Deum  ita  et 
hominem,  et  sicut  hominem  ita  et  Deum  credere, 
col.  125  C.  Cassien  connaît  le  Libellus  emenda- 
tionis  de  Leporius,  Mansi,  t.  IV,  col.  519-527,  qui 
renferme  toutes  les  idées  de  la  partie  christologique 
du  Quicumque,  et  presque  dans  le  même  ordre, 
moins  la  comparaison  tirée  de  l'union  de  l'àme  et 
du  corps.  On  y  rencontre  en  particulier  l'article 
ad  inferna  descendit.  Par  ailleurs,  Cassien  a  vrai- 
semblablement eu  entre  les  mains  les  homélies  de 
Sévérien  de  Gabala.  Tout  cela  nous  avait  d'abord 
fait  songer  à  lui  attribuer  le  symbole  athaoasien. 

(4)  P.  L..  t.  LVIII,  col.  1120. 

(5)  P.  L.,  t,  XLVIII,  col.  i045-io5o. 

(6|  Mercator  développe  en  particulier  la  compa- 
raison tirée  de  l'union  de  l'âme  et  du  corps  :  Homo 
ergo  cum  est  et  enuntiatur  homo,  una  natura 
est,  atque  una  substantia,  unaque  persona,  col.  1048. 


204 


ÉCHOS   d'orient 


Nous  ignorons  l'accueil  que  le  public 
savant  réserve  aux  observations  qui  pré- 
cèdent. Peut-être  auront-elles  pour  effet 
d'augmenter  la  légitime  défiance  que 
d'excellents  esprits  éprouvent  en  face  des 
affirmations  de  la  critique  interne.  Peut- 
être  aussi,  et  c'est  notre  souhait,  sont-elles 


de  nature  à  mettre  quelque  érudit  sur  uni 
heureuse  piste  qui  lui  fera  trouver,  s'il  es 
trouvable,  le  nom  du  mystérieux  auteu 
du  symbole  athanasien. 

Martin  Jugie. 

Constantinople. 


DOCUMENTS 
SUR    LA    RUPTURE    DE    L'UNION    DE    FLORENCE 


En  examinant  le  codex  1295  du  fonds 
grec  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris, 
j'ai  remarqué  trois  documents  intéressant 
l'histoire,  encore  mal  connue  dans  le  dé- 
tail, des  faits  qui  suivirent  à  Constanti- 
nople l'union  de  Florence. 

La  première  de  ces  pièces  est  V Apologie 
et  rapport  à  l'empereur,  des  évêques  et  autres 
clercs,  au  sujet  du  concile  de  Florence;  elle 
a  été  publiée  par  Dosithée  de  Jérusalem 
à  la  fin  de  l"Av:ippT,3-!.ç  de  Nectaire,  lassi, 
1682,  p.  233-236.  Les  variantes  fournies 
par  notre  manuscrit,  où  elle  occupe  les 
fol.  139  VO-140  v,  étant  d'importance 
minime,  je  m'abstiens  de  les  relever.  Mais 
le  livre  de  Nectaire  étant  d'une  insigne 
rareté  (i),  on  me  permettra  de  dire  en 
quelques  mots  ce  qu'est  cette  Apologie  du 
clergé  à  l'empereur  Jean  Vlll  Paléologue. 

La  veille,  les  signataires  ont  donné  leurs 
réponses,  écrites  de  leur  propre  main, 
aux  officiers  de  l'empereur,  pour  lui  être 
remises;  mais  l'empereur  leur  ayant  fait 
donner  l'ordre  d'ajouter  à  ces  réponses 
leurs  signatures,  ils  se  sont  réunis  pour 
délibérer  plus  mûrement  et  à  loisir,  et  ont 
rédigé  le  présent  rapport,  qu'ils  ont  signé. 
Dès  le  début,  le  ton  est  aigre  et  frise  l'im- 
pertinence. 

L'empereur  veut  savoir  ce  qui  les  scan- 

(i)  Sur  cet  ouvrage,  voir  E.  Legrand,  Bibliogra- 
phie hellénique  du  xviT  siècle,  t.  II,  p.  401-408; 
1.  BiA>u  et  N.  HoDO^,  Bibliograjia  românéscâ 
yeche,  t.  1,  p.  25i-258. 


dalise  dans  le  décret  d'union;  ils  le  dironi 
une  autre  fois  en  détail,  s'il  y  a  lieu. 
Pour  aujourd'hui,  ils  ne  traiteront  qu'ur 
seul  point.  Ce  serait  bien  mal  connaîtra 
ces  Byzantins,  que  de  croire  qu'ils  voni 
tenir  leur  promesse.  De  fait,  ils  parleni 
de  l'addition  du  Filioque,  puis  de  la  doc- 
trine elle-même  de  la  procession  du  Saint- 
Esprit  du  Père  et  du  Fils  ou  par  le  Fils, 
et,  à  les  lire,  on  peut  se  convaincre  toul 
de  suite  que  les  arguments  catholiques 
longuement  développés  à  Florence  onl 
glissé  sur  leurs  esprits  comm.e  l'eau  sur 
une  toile  cirée.  Mais  ils  ajoutent  bien 
d'autres  considérations.  Quelques-unes 
sont  curieuses;  s'il  en  est  parmi  eux  qui 
aient  signé  l'union,  c'est  qu'ils  ont  été 
entraînés;  ils  ne  disent  pourtant  pas, 
comme  l'ont  affirmé  d'autres,  et  comme 
le  répètent  si  volontiers  les  Grecs  mo- 
dernes, qu'on  leur  ait  fait  violence. 

Ils  terminent  enfin  leur  Apologie  en 
demandant  à  Constantinople  la  réunion 
d'un  nouveau  concile,  auquel  prendraient 
part  les  patriarches  orientaux,  et  qui 
serait  véritablement  œcuménique.  Les 
bons  apôtres  ajoutent  que  rien  n'est  plus 
facile  que  cette  réunion,  si  les  Latins  y 
consentent! 

La  pièce  porte  d'abord  la  signature  de 
cinq  métropolites  :  Macaire  de  Nicomédie, 
Ignace  de  Tirnovo,  Damien  de  Moldova-| 
lachie,  Théognoste  de  Perg'e  et  Attalia, 
Acace  de  Dercos.  Les  trois  premiers  avaient 


DOCUMENTS   SUR   LA   RUPTURE   DE   L  UNION    DE   FLORENCE 


20- 


souscrit  lacté  d'union  (i  );  Théognosteme 
semble  inconnu  d'ailleurs;  Acace  est  évi- 
demment le  métropolite  de  ce  nom  qui 
signe  vers  la  même  époque  la  lettre  du 
clergé  byzantin  aux  Bohèmes,  et  dont  le 
siège  n'est  pas  indiqué  (2). 

Outre  ces  prélats,  ont  encore  signé  les 
personnages  suivants  :  Balsamon,  grand 
chartophylax  et  archidiacre  ;  Sylvestre 
Syropoulos,  grand  ecclésiarque,  diacre: 
Théodote,  hégoumène  de  Stoudion,  hiéro- 
moine;  Isidore,  hiéromoine  et  confesseur; 
Néophyte,  hiéromoine  et  confesseur;  Jo- 
seph, hiéromoine  et  hégoumène  de  Cos- 
midion  ;  Gerontios,  hiéromoine,  hégou- 
mène du  Pantocrator;  Cyrille,  hiéromoine, 
hégoumène  de  la  Périblepte  ;  Germain, 
hiéromoine  de  Saint-Basile  ;  Théodore  Agal- 
lianos,  hiéromnémon,  diacre. 

Je  traduis  les  noms  et  les  titres  tels  que 
les  donne  l'édition  de  Dosithée.  Observons 
que  le  chartophylax  Michel  Balsamon, 
l'ecclésiarque  Silvestre  Syropoulos,  Geron- 
tios et  Germain,  avaient  accepté  l'union  à 
Florence  (3).  Gerontios  avait  alors  signé 
comme  ancien  hégoumène  du  Pantocrator, 
et  Germain  comme  ancien  hégoumène  de 
Saint-Basile.  Pour  ce  dernier,  le  cod.  Paris. 
1295,  comme  l'édition  de  Dosithée,  le  qua- 
lifie seulement  de  hiéromoine.  Théodote 
doit  être  ajouté  à  la  liste  des  hégoumènes 
de  Stoudion,  dressée  par  l'abbé  Marin  (4). 
Notre  manuscrit  indique  le  nom  de  famille 
du  hiéromoine  Isidore,  il  l'appelle  Zxyho- 
-oJMov  (5).  Il  supprime   la  signature  de 


(i)  Voir  Le  Qlien,  Oriens  christianus,  t.  I, 
coL  596,  1235,  1 252;  en  outre,  sur  Damien.C.AusEP, 
la  Moldovalachie  au  concile  de  Florence,  dans 
Echos  d'Orient,  t.  VllI  (igoS),  p.  8  sq.;  notre  dis- 
tingué collaborateur  n'a  pas  connu  l'Apologie 
signée  par  Damien. 

(2)  Il  y  a  pour  cosignataires,  comme  ici,  Macaire 
jt  Ignace  ;  il  figure  au  quatrième  rang,  après  Joseph 
Je  Philippopolis.  Voir  Allatius,  De  eccles.  occi- 
dent, et  orient,  perpet.  consensione.  Cologne,  1648, 
col.  94g.  Ajouter  son  nom  à  la  liste  des  évèques 

ie  Delcus  (Dercos),  dressée  par  le  R.  P.  L.  Petit, 
Jans  The  catholic  encyclopœdia,  t.  IV,  p.  6g6. 

(3)  Mx^si,  Amplissima  coll.  concil.,  édit.  Welter, 
•-.  XXXI  B,  col.  1701. 

(4)  Marin,  De  Studio.  Paris,  1897,  p.  117. 

|5)  J'ignorais  ce  détail  quand  j'ai  parlé  du  per- 
sonnage dans  mon  article  Œuvres  de  Jean  Euge- 
nikos,  dans  Echos  d'Orient,  t.  XIII  (1910),  p.  279. 


Théodore  Agallianos,  mais  après  celle  de 
Germain  ajoute  :  xal  àXÀo-.  t-.vs;  (i). 

V Apologie  n'est  pas  datée.  On  peut  sup- 
poser seulement  qu'elle  est  antérieure  à 
l'élection  du  patriarche  Métrophane  II. 
c'est-à-dire  au  4  mai  1440.  II  n'est  fait 
aucune  allusion  à  la  présence  d'un  titu- 
laire sur  le  trône,  absolument  comme  dans, 
la  lettre  aux  Bohèmes,  qui,  signée  en  partie 
par  les  mêmes  personnages,  doit  être  de 
la  même  époque. 

Le  document  que  nous  venons  d'étudier 
est  suivi  immédiatement  dans  le  manu- 
scrit de  Paris  par  un  extrait,  trop  court  à 
notre  gré,  d'un  discours  du  saint  synode 
(c'est-à-dire  de  son  président,  sans  doute 
Macaire  de  Nicomédie),  adressé  à  l'empe- 
reur. Voici  ce  morceau,  que  le  copiste 
nous  a  probablement  conservé  à  cause  de 
l'importance  que  devait  avoir  à  ses  yeux 
l'argument  tiré  du  pape  Honorius. 

Cod.  Paris.   1295,  fol.   141. 

t  A-ô  TOJ  -pOT'iojvr.T'-xo'j  Àôyo-J  ta,;  àv-laç 
TJvôoo'J  ~oô^  TGV  êaT'.'/.ia. 

Tàç  ôè  xaivàç  xîvosjtovia^*  xal  Toù^  to'jtojv 

î'^c'jpîTa^    tJjCiZm    —O'j   twv    sxxAriO-'.aTT'.xtôv 

-îO'.êoXwv  £x§àAAO'i.îv  xal  Ttô  hn.Hi\xy-\ 
■\  «    '  '  ' 

o'.xaiw^  xaflj-oêaAXoacV  'ja-j-Èv  ùr,   Hîôow- 
t  II  ' 

pov  TÔv  Tf,?  fpappâv,  ^i'^^y.vi  ~i  xal  riajÀov, 

ll'jppov  i'xx  xal  IIÉTGOv  toj;  KojvTTavT'-voj- 

TzôÀcOj^  — poîopîûa-avraç,  e-c».  ôè  xal  KGpov  tov 

TY..;      A).î;avopéojv     UpaTî'JTavTa     xal     tjv 

a-jTol.;    Ovwp'.ov  tov  rr,?    Pcôur,;  yôvo'xîvov 

—pôîopov.  E'.  0£  'Ovtôp'.o^  Pwar,^  stcvtxo—o^ 

STT'.v,    ETT'.   ôè   xal   alpcT'.xo;^,   ô-jvaTOV   apa 

tÔv  Tcàrav  twv   opQwv    èx— îtîIv    ôo-'uàTtov. 

O'jx  apa  £x).îiT:ovTO;-^  aÙToG  Tr,v  -«Itt'.v  0  to-j 

x'jploj  ô'.a-STrrwxî  AÔyo^,  ôv  Trspl  tyJ^  exxXr.- 

T'iaç  z\ory,z,  TT'jÀa^  ^ttO'j  >j.r^  o'JYft^r^^JT.'.  -zxj- 

TT.;  r.tz'.-^'z'À'yhv.v    Itz'.  yàp   £v  toI^  Io'.-itoI; 

È-'.Txô-o'.;  xal  |j.iÀarr,v  îOo-iêî'.av  o-w^îT^la'/. 

<I>av£pôv  Se  £X  -rouTtov  u.7,8è  ttî  tâc  'Ptôa/c 
^     ^  I  i    •         i'       "  i    '  - 

£xxA7,a-'la  -oo'r/xî'.v  tÔ  £t:1  TauTr,  r7,  TSToa 
T/-,v  ôxxAr.Tiav  wxoôo'JL-r^o-^a'..  ToGto  *'ào  xal 
'-popT'.xôv  xal  O'J  7:ôppo3  t/^;   ••O'jSa'ixf,^  Ta-;-.- 


(i)  Notons  encore  que  Sylvestre  Syropoulos  et 
Théodore  Agallianos  sont  signataires  de  la  lettre 
aux  Bohèmes,  avec  Gennade,  moine,  xaOoÀjxb; 
Z:fAT/.x>jj^,  à  la  suite  des  métropolites  que  j'ai 
indiqués  plus  haut. 


206 


ÉCHOS  d'orient 


'AA)."(oxoSô{j.yj<T£  |jLèv  Tr.v  èxxA/,(TÎav  6  XptT- 
-:0s,  <j)xoôôjjLT,(T£  ôè  auTTiv  £irl  T^  SeoAoyîa 
TOy  IlsTpo'j  xal  ettI  Tcâaiv  o».  rf,?  TO'.aûxir,^ 
6uoAo*'iac  tsÛAaxîc  STOvra».^. 

^xatvoîptovia;  COd.  —  -éost'.xô;.  —  'sxXittov- 
To;.  —  *(jcoÇ£ff6£.  —  '"A  la  suite  :  ïczz  (1.  earai) 
o£  TtXéov  6  Xôyoç,  et  à  la  suite  jusque  dans  la 
marge  ':  b  Bl  xaipbç  (?)  év^yslç  (?). 

TRADUCTION.  —  Extrait  de  l'allocu- 
tion du  saint  synode  à  l'empereur. 

Les  nouveautés,  les  mots  vides  de  sens, 
nous  les  rejetons  loin  de  l'enceinte  de 
l'Eglise,  et  nous  les  frappons  justement 
de  l'anathème;  avec  leurs  inventeurs,  nous 
voulons  dire  Cyrus,  patriarche  d'Alexan- 
drie; Théodore  de  Pharan,  Sergius  et  Paul, 
Pyrrhus  et  Pierre,  patriarches  de  Constan- 
tinople,  et  avec  eux  Honorius,  patriarche 
de  Rome.  Si  Honorius  est  évêque  de  Rome, 
et  s'il  est  en  même  temps  hérétique,  il  est 
donc  possible  que  le  Pape  tombe  dans 
l'erreur  dogmatique;  et,  s'il  abandonne 
la  vraie  foi,  cela  n'infirme  pas  la  parole 
prononcée  par  le  Seigneur  au  sujet  de 
l'Eglise,  que  les  portes  de  l'enfer  ne  pré- 
vaudront pas  contre  elle,  car  les  autres 
évêques  restent  pour  sauver  l'orthodoxie. 
Il  est  clair  aussi  que  les  mots  :  Et  sur  cette 
pierre  je  bâtirai  mmi  Eglise,  ne  s'appliquent 
pas  à  l'Eglise  de  Rome;  circonscrire 
l'Eglise  à  Rome  est  une  insolence  voisine 
de  l'humilité  judaïque.  Le  Christ  a  bâti 
son  Eglise,  mais  il  l'a  bâtie  sur  la  con- 
fession de  Pierre  et  sur  tous  ceux  qui 
seront  les  gardiens  de  cette  confession. 


Le  troisième  document  contenu  dans  le 
manuscrit  de  Paris  est  une  lettre  du  hié- 
romnémoii  à  Pachôme,  évêque  d'Amasée. 
L'auteur  de  cette  lettre  est  évidemment 
Théodore  Agallianos,  signataire,  comme 
on  a  vu,  de  la  lettre  aux  Bohèmes  et  de 
V Apologie  adressée  à  l'empereur.  Du  diacre 
Théodore  Agallianos,  qualifié  dans  les 
manuscrits  du  titre  de  dikaiophylax,  de 
chartophylax  et  de  hiéromnémon,  nous 
avons  encore  :  Collection  de  textes  patris- 


tiques  contre  les  Latins,  avec  des  notes  (  i  ) , 
Réfutation  de  Jean  Argyropoulos  (2);  Dia- 
logue avec  un  moine  contre  les  Latins (3); 
une  lettre  au  moine  Ignace  et  une  au  hié- 
romoine  Joseph  (4). 

Quant  au  destinataire  de  la  lettre,  son 
nom  est  nouveau.  Il  ne  s'agit  pourtant 
pas  d'un  personnage  totalement  inconnu. 
En  avril  1443,  les  patriarches  Philothée 
d'Alexandrie,  Dorothée  d'Antioche  et  Joa- 
chim  de  Jérusalem,  réunis  dans  cette  der- 
nière ville,  condamnaient,  à  la  requête 
d'Arsène,  métropolite  de  Césarée  de  Cap- 
padoce,  l'union  de  Florence,  ses  adhérents, 
et  en  particulier  Métrophane,  patriarche 
de  Constantinople,  que,  par  un  aimable 
jeu  de  mots,  ils  appellent  Mr.Tpôcpovoç.  Or, 
entre  autres  reproches  q\i'ils  adressent  à 
ce  fidèle  de  l'union,  se  trouve  celui  d'avoir 
sacré  quatre  faux  métropolites  ou  faux 
évêques ,  uLr,TpOT:o)viot,a  xal  s-'.TxoTT'lo'.a, 
disent-ils  spirituellement,  pour  les  dio- 
cèses d'Amasée,  Néocésarée,  Tyane  et 
Mocessus,  ajoutant  que  ces  quatre  prélats 
pensent  et  agissent  comme  des  Latins, 
trompent  et  corrompent  leur  troupeau, 
suscitent  des  scandales  à  l'Eglise  «  ortho- 
doxe »  (3).  Pachôme,  le  correspondant 
de  Théodore  Agallianos,  et  dont  on  va 
voir  les  idées  catholiques,  ne  peut  être 
que  le  métropolite  sacré  pour  Amasée 
par  Métrophane. 

Cod.  Paris.  1295,  fol.  155  v». 

t'Ert-oToX-ri  toG  UpojJLVi^fxovoç  Tcpôç  Ilayw- 
miov  Èti'Itxotzov  'Ajxaa-eiaç*- 

Ttç  r,  TOTaÛTY,   [Aï,vt,ç  TOÙ  TcàvTa  xa).où  xal 
arîêaa-fxiou  TzaTpo;  toG     Ajxao-sîaç,    co;   ]x'rfi 
a'JT0C5Qa)>p.^o-a',   êoû)^£TOat.   Trpoç   T,|jLâ;    ^'r'^ 
ouopooio'J^    xàv     ~pOs    êpayù    xaTaoiçaT'îa', 


(i)  Edité  par  Dosithée,  Téixoç  xaTaXÀayTî;.  lassi, 
1692,  p.  432-439. 

(2)  Edité  par  Dosithée,  TéfAo;  àYotirr,;.  lassi,  1698, 
p.  333-367;  reproduit  par  Migne,  P.  G.,  t.  CLVIIl, 
col.   I0II-I052. 

(3)  Edité  par  Dosithée,  Tôfio;  y.apâç.  lassi,  1705, 
p.  6IO-633. 

(4)  Dans  cod.  Bodl.  Canon.  49,  fol.  i53  et  i55  \'. 

(5)  La  sentence  des  patriarches  a  été  publiée, 
avec  leur  lettre  à  l'empereur,  par  Allatius,  op. 
cit.,  col.  939  sq.  Elle  se  trouve  aussi,  sans  la  lettre, 
parmi  les  pièces  ajoutées  à  la  fin  de  l'Avrippr^T;-. 
de  Nectaire.  lassi,  1682, «p.  236. 


INSCRIPTION   BYZANTINE   DE   SCYTHOPOLIS 


207 


T£,  îiàTîo  3'3:oa7'jLUÔTa":£*  où  vào  ttsôc  to6— oy 
TOJTO  Tov;  AÔyo-J  OeparreuTav;  xal  AÔ"'0'-ç  àu.',/.- 
/.coaivo'.^  xal  xo(r:o:q  Ta  ooxoùvTa  tcj'Io-'. 
-£'.p(0|jLsvot.?  T'jv'.Tràv  O'JTwç  àrrôvoto^  ^7^?~ 

ajToù^  ry.Éyyovraç  x/o^sv,  îo'  ol;  àv  ooxâ>7'. 
|jLr,  vo£~.v  opflw^  1^00^  «locotj  3è  •o.àAÀov  roù^ 
ùÀ^'yo^nv.^  rr '%-%-/,  wç  tô^  tocsô  SoAOu.à>VT'. 

OOXÎ'.^'    £'.   O  ào!.xîaC    XaTi*'"/ti)C    TÔiv   TUcTÉOtOV 

t'/.hr^toy  xal  «.t,  xay.ùj^  îlpfiT^av  TO'.  oox=^  Ta 

itcol  Twv  "oacsixôiv   Ixî'lvwv  ^TjTy, uaTwv  y:;' 

•r;u.wv  î'.pr, usva,  r/,î"t^ov.  £— •.TÎu.y.a-ov,  Ila'jAOç 

0  hîTrzéy'M^  70'.  ô'.ax£A£'j£Ta'/.  Toùc  vào  usTa 

-appr.T'la^   s/ir'yoj^    £'.pr,v07T0».îIv  rzzo:;    toj 

/ô''0'j  uLcaàÔY.xa^-  Àô^'Oi^  to'Ivjv  to'j;;  ao^'O'j; 

à'/T£).îv;ov  xal  ur    ar.vîo».  êaos'la,  sC—so   ar 

-x'rzr,      Toù     AÔvov     <TauTÔv     à-ncTyoîv.Ta^. 

(Fol.    156)    'AaA'.^oÛ    oro',    xal    TÔ    ê'.êÀ'lov 

'AvaTTag-'lo'j   to'j   ^sîou  TriTrouca'   ojx   sx-rio- 

oî-jTU'.T,v  •j-apç'-v  voàccov  TO  7r;£yaa  to  a*'t,ov, 

a>^  tÔ  —aoà  to'1,  aAA*  sx—oOcUTÔv,  Ôttso 
>  '  '  ' 

opOÔTSSov  xalxaTa  a6*'0v  TtaTaiç  'Lr,cjO'.;5ox£V 

xal  x'j-oy/tôibi^,  toç  opâç,  èît'.TTsXAto  to'.  tÔ 

-îpl  toÛto'j,   tvoi  jjLT,  xal  Taoî  70:  '/ôOa  oôçr, 

Ta  ^'oâuLuaTa  toc  xal  Ta  ttsÔ  ajTwv.   Foâ'iov 

,  >  '  '     * 

TO'lvjv  xal  ajTOC  Ta  tî  oôqavTa  70\  ;jlt,  ooOto^ 

£'.p-?ia^a'.  ô'.op^tôv  xal  (yauTOv  a'.T'laç  àsislç,  ï,v 

ÏOAO|JLà)VTOV;  U.'.TO'J<T'.TOÙ.;£À£*'yO'JÇ£77)r;>'aV£8. 

I  'Auiaffia;  codex,  et  de  même  plus  bas. 
2  TÔ  cod.  — 3  Cf.  Prov.  IX,8.  —4 II  Tit.  IV,2. 
—  5.  -ÉuLxooa  cod.  —  6  Cf.  Prov.  IX,  7,  8. 

TRADUCTION.  —  Lettre  du  hiérom- 
némon  à  Pachôme,  évêque  d'Amasée. 

Quel  vif  ressentiment  chez  le  très  bon 
et  vénérable  Père  d'Amasée,  pour  qu'il 
ne  veuille  pas  jeter  un  regard  sur  nous  et  | 


ne  daigne  pas  nous  admettre  même  pour 
un  instant  sous  le  même  toit  que  lui  ! 
Je  n'aurais  pas  cru  à  des  dispositions  sem- 
blables de  votre  part,  très  vénérable  Père. 
Car  il  ne  convient  pas  aux  ministres  du 
Verbe,  même  luttant  par  des  raisonne- 
ments, même  essayant  d'établir  leurs  opi- 
nions, de  témoigner  à  leurs  familiers  une 
aussi  implacable  inimitié,  s'il  arrive  à  ceux- 
ci  de  les  blâmer  sur  des  points  où  ils  leur 
paraissent  ne  pas  juger  avec  rectitude  ;  il 
est  plutôt  d'un  sage  d'aimer  qui  le  blâme, 
comme  le  pense  Salomon.  Si  vous  accusez 
nos  reproches  d'injustice,  et  si  vous  pensez 
que  j'ai  eu  tort  de  dire  ce  que  j'ai  dit  à 
propos  de  ces  questions  de  textes,  blâmez- 
moi,  faites-moi  des  reproches,  saint  Paul 
vous  le  prescrit,  car  la  raison  vous  a  appris 
que  des  reproches  faits  avec  franchise 
amènent  la  paix.  Réfutez  donc  les  raisons 
par  des  raisons  et  non  par  une  profonde 
colère,  si  vous  n'avez  pas  complètement 
abandonné  les  voies  de  la  raison.  En  outre, 
je  vous  ai  envoyé  le  livre  du  divin  Ana- 
stase.  II  ne  nomme  pas  le  Saint-Esprit 
îxropîuT'.xr.  jrap;'.;.  comme  a  votre  exem- 
plaire, mais  £x-op£VTÔv,  ce  qui  paraît  plus 
juste  et  absolument  conforme  à  la  raison. 
Je  vous  envoie  à  la  hâte,  comme  vous 
voyez,  ce  qui  en  est  de  ce  sujet,  pour  que 
vous  ne  croyiez  pas  cet  écrit  altéré,  comme 
vous  l'avez  cru  des  précédents.  Vous  aussi, 
écrivez-moi,  corrigeant  ce  qui  vous  semble 
inexact  dans  mes  affirmations,  et  vous 
libérant  de  l'accusation  portée  par  Salomon 
contre  qui  hait  les  remontrances. 

t   SOPHRONE   PÉTRIDÈS. 
Constantinople. 


INSCRIPTION    BYZANTINE    DE    SCYTHOPOLIS 


Les  Ecbos  d'Orient  ont  publié  en  dé- 
cembre 1901  (i)  une  inscription  grecque 
byzantine  de  Beisan,  l'ancienne  Scytho- 


n)T.  V,  p.  75. 


polis,  dont  l'interprétation  présentait  des 
difficultés  à  cause  des  abréviations  qu'elle 
contient.  La  lecture  provisoire  que  j'en 
proposai  alors  ne  satisfit  pas  de  tout  point 
les  épigraphistes;  elle  était,  en  effet,  fau- 


208 


ÉCHOS   d'orient 


tive.  J'ai,  depuis  lors,  reconnu  que  l'abré- 
viation XI*  ne  devait  pas  se  traduire  par 
Xpio-rco,  mais  par  Xpôvo)  (i). 

Cette  difficulté  n'était  pas  la  seule,  et, 
comme  la  Revue  biblique  vient  de  repu- 
blier le  même  texte  (2),  avec  une  lecture 
différente  sur  plusieurs  points,   et  sans 


t6kTHCA04Êl 
■^lACMAOTÏ" 

AITHCIH^A^^ 

TOY6HAonoiT(fP 


donner  la  lecture  de  la  dernière  ligne,  je 
crois  utile  de  reproduire  notre  estampage 
avec  la  nouvelle  interprétation  que  je 
propose. 

'Ex  r^iç  ooOsio-y,;  0(s)iaç  ç'.AOT'.u-la;,  x(aTà) 
aÏTriO-w  <I>Â(aot>îou)  'Apo-evlou  to-j  £vooç(oTà- 
TOi»),  TÔ  ':îap(ôv)  epy(ov)  toù  T(î)îy(ojs;)  àv3- 
VctôOr,  £v  Xp(ôvto)  ^{y.'sCkihiq)  ^h(^xo\j''.oj) 
'AvaTTao-îou,    fj.(y,vàç)    apy(ovTo;)    £v(aTOj), 

lVô(!,XTt,WVO<;)  V,    £(to'j;)   3-. 

Grâce  à  la  libéralité  impériale,  sur  la 
demande  de  l'illustrissime  Flavius  Arsène, 
l'ouvrage  de  ce  mur  a  été  renouvelé,  au 
temps  du  basileus  Flavius  Anastase,  au  com- 
mencement du  neuvième  mois,  indiction  }^, 
Van  200 

11  n'y  a  rien  à  remarquer  sur  les  trois 
premières  lignes. 

Les  difficultés  commencent  à  la  qua- 


(i)  Echos  d'Orient,  sept.  1908,  t.  X,  p.  3o6. 
(2)  Reinie  biblique,  avril  191 1,  p.  289. 


trième.  Le  texte  ne  porte  pas:  -zoi,  mais 
un  monogramme  contenant  les  lettres 
-ap,  qu'il  est  légitime  de  lire  irapôv,  puis 
l'abréviation  ^ç-^fÇ,  qui  se  complète  natu- 
rellement :  £p/ov. 

A  la  sixième  ligne,  l'abréviation  XP  est 
suivie  d'un  H  accosté  d'un  petit  0  que  je 
prendrais  volontiers,  en  admettant  une 
erreur  de  lapicide,  pour  un  sigma  de  forme 
lunaire,   abréviation   du   mot   ê(aT'.)i(.));. 

La  dernière  ligne  surtout  est  épineuse. 
Elle  contient  la  mention  du  mois  et  de 
l'année. 

L'expression  [-«.rivôç  apyovToç  n'est  pas 
sans  exeniple  en  grec,  et  le  nom  du  mois 
È'vaxo'j,  neuvième,  était  usité  dans  l'Orient 
byzantin.  L'indiction  troisième  s'est  ren- 
contrée deux  fois  sous  le  règne  d'Ana- 
stase,  en  495  et  en  510.  Quant  à  l'année 
relatée  plus  loin,  c'est  peut-être  200,  mais 
il  y  a  à  la  suite  un  signe  indistinct  qui 
pourrait  modifier  ce  chiffre.  Et  puis,  nous 
ne  savons  pas  quelle  ère  était  usitée  à 
Scythopolis  au  temps  d'Anastase. 

L'indiction,  d'ailleurs,  nous  place  aux 
environs  de  l'an  500,  c'est  déjà  quelque 
chose. 

Je  propose  ces  interprétations  avec  la 
réserve  qui  convient,  tout  prêt  à  recon- 
naître l'erreur,  si  d'autres  plus  experts 
trouvent  mieux. 

P.-S.  —  La  reproduction  de  l'estampage 
aura  encore  une  autre  utilité. 

J'ai  attribué  à  la  même  époque  ane  courte 
inscription  trouvée  dans  nos  fouilles  de 
Saint-Pierre  au  mont  Sion,  gravée  à  la 
pointe  sur  un  plat  de  terre  cuite  (i).  Cer- 
taines particularités  de  l'écriture  se  re- 
trouvent, en  effet,  sur  les  deux  documents, 
et  la  comparaison  n'est  pas  sans  intérêt. 


J.  Germer-Durand. 


Jérusalem. 


(i)  Echos  d'Orient,  1909.  t.  Xll,  p.  j5,  3o8. 


A  PROPOS  DE  LA  CUILLER   LITURGIQUE 
CHEZ   LES  GRECS 


On  dirait  que  se  manifeste,  surtout  de- 
puis quelques  annéesdans  l'Eglise  grecque, 
une  tendance  à  abandonner  certaines  habi- 
tudes ou  à  modifier  des  rites  qui,  à  cause 
de  leur  antiquité  même,  semblent  être 
devenus  sacrés.  Ainsi  le  rite  de  la  com- 
munion eucharistique  par  le  moyen  de  la 
labis. 

La  labis,  dit  très  clairement  M.  Clugnet. 
est  une  petite  cuiller  d'or,  d'argent  ou  de 
vermeil  dont  le  prêtre  se  sert  pour  distri- 
buer l'Eucharistie.  Avec  elle  il  retire  du 
calice  une  sainte  parcelle,  as:;;,  détrempée 
dans  le  précieux  sang,  et  l'introduit  dans 
la  bouche  du  fidèle  qui  se  tient  debout 
devant  lui  (il 

Les  malades  et  les  mourants  sont  com- 
munies de  même.  Le  prêtre  emporte  dans 
un  petit  ciboire  une  parcelle  et  l'administre 
au  malade. 

A  plusieurs  reprises  déjà,  des  fidèles,  à 
Athènes,  sous  prétexte  d'hygiène  et  de 
précautions  à  prendre,  ont  essayé,  tout  en 
protestant  de  leur  entière  soumission  aux 
règles  ecclésiastiques,  d'intéresser  le  pu- 
blic à  leurs  scrupules.  A  leur  avis,  le  rite 
doit  être  modifié.  La  polémique  entre  pro- 
testants sur  le  sujet  analogue  du  rituel  de 
la  Cène  les  y  encourageait.  En  Roumanie 
également,  ces  dernières  années,  la  ques- 
tion a  été  agitée.  Mais  on  peut  dire  que 
l'immense  majorité  des  orthodoxes  ne  con- 
sentirait pas  à  changer  un  rite  qui,  pour 
eux,  se  confond  avec  le  christianisme 
même. 

Il  sera  intéressant,  je  crois,  de  présenter 
à  ceux  de  nos  lecteurs  qui  s'occupent  de 
liturgie  byzantine  un  court  résumé  d'une 
récente  controverse  sur  ce  sujet.  Je  me 
ferai  simple  rapporteur,  je  résumerai  cinq 


il)  Dictionnaire  grec-français  des  noms  litur- 
giques, p.  88. 


ou  six  articles  de  journaux  (en  Grèce,  c'est 
surtout  dans  les  journaux  qu'on  agite  ces 
graves  questions),  dont  le  premier  eut  pour 
prétexte  l'idée  mise  en  avant  par  une  maî- 
tresse d'institution  de  jeunes  filles,  de 
passer  par  la  flamme  la  labis,  afin  de  la 
purifier  tout  à  fait  (i). 


«  M'ne  A.  Th...,  écrit  M.  P.  N...,  après 
beaucoup  d'autres,  s'occupe  du  rite  de  la 
communion.  C'est  un  sujet  délicat.  A  le 
traiter  il  semble  qu'on  attaque  la  religion, 
et  il  est  très  malaisé  de  le  discuter  de  sang- 
froid. 

»  Une  première  question  se  pose.  La 
communion  distribuée  avec  une  cuiller 
qui  passe  de  bouche  en  bouche  (sans 
être  essuyée)  olTre-t-elle  un  danger  de 
contamination?  La  réponse  ne  peut  faire 
de  doute.  On  a  beau  être  croyant,  on  a 
beau  croire  à  la  transsubstantiation,  on 
n'en  est  pas  moins  homme,  et  on  ne  peut 
oublier  qu'il  existe  des  microbes,  et  que 
ces  microbes,  jusqu'à  preuve  du  contraire, 
peuvent  aussi  bien  se  trouver  sur  un 
objet  sacré  qu'ailleurs.  Mais  de  suite  une 
deuxième  question.  Est-il  permis  de  douter 
à  ce  point  de  la  justice  et  de  la  bonté 
divine,  et  se  peut-il  que,  dans  l'accom- 
plissement d'un  devoir  impérieux,  celui 
de  la  communion  au  corps  et  au  sang  de 
Jésus-Christ,  nous  soyons  abandonnés 
ainsi  à  l'action  de  microbes  malfaisants? 
Là  encore,  conclut  M.  P.  N...,  la  réponse 
n'est  pas  douteuse. 

«  Je  souffre  beaucoup  d'un  tel  état  de 
choses,  lui  disait  un  père  de  famille,  car 


(i)  Voir  'EffTia  du  1 1  et  du  19  février  191 1;  N^ov 
"AffT'j  du  jô  février;  et  Sxpiîvîîdu  17  février.  A  des- 
sein je  ne  dôme  pas  de  noms  propres. 


2IO 


ÉCHOS    d'orient 


j'ai  des  enfants  et  je  veux  qu'ils  com- 
munient. D'autre  part,  je  ne  puis  per- 
mettre qu'on  leur  administre  le  sacrement 
avec  une  cuiller  qui  sort  peut-être  de  la 
bouche  d'un  mourant  ou  d'un  enfant  à 
moitié  étouffé  par  la  diphtérie.  Je  les  con- 
duis donc  une  fois  par  année  dans  une 
église  de  village  de  mon  pays,  à  un  prêtre 
que  je  connais,  et  là  nous  communions 
tous.  » 

«  Mni^  A.  Th...  a  trouvé  mieux.  Elle 
propose  que  sur  l'autel  brûle  une  lampe 
à  alcool.  Le  prêtre,  avant  de  communier 
un  fidèle,  ou  après  avoir  administré  un 
malade,  passerait  la  cuiller  à  travers  la 
flamme.  Ainsi  serait  évité  tout  péril  de 
contamination.  » 

Cet  article  paraissait  dans  VEstia  du 
1 1  février  dernier.  Or,  fait  digne  de  re- 
marque, le  même  journal,  en  deuxième 
page,  s'appliquait  à  le  réfuter,  en  rappelant 
que  l'année  précédente  la  même  question 
s'étant  posée,  le  métropolite  d'Athènes, 
T,  xscpaAYi  T95s  'ExxX-AjO-'laç,  y  avait  répondu 
non  sans  humour.  «  Pour  moi,  avait-il 
déclaré  à  un  reporter  de  VEstia,  j'ai  une 
inébranlable  confiance  dans  la  bonté 
divine.  Malgré  cela,  je  dois  reconnaître 
que  beaucoup  de  fidèles  partagent  vos 
appréhensions.  Mais,  à  mon  tour,  laissez- 
moi  vous  interroger.  Y  a-t-il  péril  seu- 
lement dans  la  communion?  Oubliez- 
vous  donc  les  bakals  et  leurs  verres 
jamais  lavés,  et  les  bords  brisés  et  en- 
crassés des  tasses  de  café,  et  dans  les 
restaurants  les  assiettes  à  peine  passées 
à  l'eau,  et  encore  plus  les  fourchettes  et 
les  couteaux  essuyés  le  plus  souvent 
avec  des  torchons  sales?  Et  aurez-vous 
la  prétention  de  faire  croire  au  monde 
qu'il  y  a  plus  de  danger  à  communier 
qu'à  se  servir  à  l'hôtel  d'une  cuiller  sale 
que,  pour  manger  votre  soupe,  vous 
mettrez  cent  fois  dans  la  bouche?  De 
même,  quand,  dans  une  pâtisserie,  vos 
enfants,  garçonnets  et  fillettes,  prennent 
un  gliko,  croyez-vous  que  les  cuillers 
qui  sont  sur  le  plateau  soient  toujours 
propres?  » 

Comme  de  juste,   la  presse   s'empara 


de  l'incident.  Deux  rédacteurs  des  Kairi  et 
du  Néon  Asty  s'accordèrent  pour  réfuter 
l'argumentation  de  M.  P.  N...,  et  donner 
raison  au  métropolite.  Le  fait  est  que, 
pour  le  peuple  orthodoxe,  la  question 
n'existe  pas.  Le  rédacteur  des  Kairi  ajoute 
un  raisonnement  curieux.  Tu  crois,  dit-il 
à  son  lecteur,  ou  tu  ne  crois  pas.  Si  tu  ne 
crois  pas,  tu  ne  communies  pas,  et  il  n'y 
a  pas  de  danger  de  contamination.  Mais 
si  tu  crois,  communie  sans  crainte,  car, 
même  si  des  microbes  contagieux  existent 
sur  la  cuiller.  Dieu  ne  permettra  pas  que 
tu  en  souffres.  En  d'autres  termes,  la  foi 
mettra  le  croyant  à  l'abri  de  la  contagion. 


On  croyait  la  discussion  terminée  quand, 
le  19  février,  un  nouvel  article  de  VEstia 
montra  que  les  adversaires  de  la  labis 
n'étaient  pas  seulement  des  laïques.  En 
effet,  M.  P.  N...  publiait  une  longue  lettre 
du  moine  Germanos  Papamoschou,  archi- 
diacre et  prohigoumène  du  monastère  de 
Xénia. 

Voici  le  résumé  de  sa  lettre.  «  Jusqu'à 
l'époque  de  saint  Basile,  les  chrétiens  ne 
communiaient  pas  seulement  quatre  fois 
l'année  comme  aujourd'hui,  mais  quatre 
fois  la  semaine.  Or,  il  n'y  avait  de  célébra- 
tion de  la  messe  que  le  dimanche.  Com- 
ment le  pouvaient-ils?  Ils  emportaient  dans 
leur  maison  le  pain  consacré,  et  s'admi- 
nistraient eux-mêmes  l'Eucharistie,  selon 
leur  dévotion.  Ne  pourrait- on  pas  en 
revenir  partiellement  à  cette  discipline? 
Sans  aller  jusqu'à  permettre  au  fidèle  de 
se  communier  lui-même,  l'Eglise  ne  pour- 
rait-elle pas  l'autoriser  à  conserver  chez 
lui,  dans  un  vase  précieux  et  en  lieu  con- 
venable, le  pain  et  le  vin  consacrés,  de 
sorte  que,  sur  son  désir,  un  prêtre  pour- 
rait lui  administrer,  à  lui  et  à  sa  famille, 
la  sainte  Eucharistie.  » 

Il  se  demande  ensuite:  «  Est-il  permis 
au  simple  fidèle  de  prendre  dans  ses  mains 
le  corps  du  Seigneur?  —  Sans  doute, 
répond-il,  puisqu'il  a  eu  ce  droit  jusqu'au 
Vll^  concile  œcuménique.  Les  fidèles  des 
deux  sexes    recevaient  le  pain  consacré 


A   PROPOS    DE    LA   CUILLER    LITURGIQUE   CHEZ    LES   GRECS 


21  I 


dans  \\  main.  Dans  l'Eglise  d'Occident, 
les  femmes  le  recevaient  sur  un  voile. 
Qui  plus  est,  les  fidèles,  non  contents 
d'emporter  chez  eux  l'Eucharistie,  s'en 
munissaient  encore  durant  leurs  absences 
ou  leurs  voyages.  C'était  un  viatique 
sacré  (i). 

»  Mais  l'Eglise  fiit  obligée  de  condamner 
cette  coutume  par  suite  des  abus  qui, 
avec  la  diminution  de  la  foi  et  l'ignorance 
croissante  des  fidèles,  s'étaient  peu  à  peu 
introduits.  Des  hérétiques  et  des  chré- 
tiens superstitieux  emportaient  le  pain 
consacré  chez  eux,  et,  au  lieu  de  le  manger, 
le  souillaient  à  dessein,  le  cachaient  ou 
l'employaient  à  des  recettes  magiques. 
Des  vieilles  femmes,  adoratrices  ignorantes 
dicones,  mélangeaient  au  pain  consacré 
la  crasse  ou  la  poussière  du  bois.  On 
commença  à  imposer  l'emploi  de  la  cuiller 
vers  le  viii«  ou  ix^  siècle. 

»  Ainsi,  conclut  le  prohigoumène  Ger- 
manos,  rien  ne  peut  faire  supposer  qu'il 
y  ait  là  une  question  dogmatique.  C'est 
par  nécessité,  pour  la  décence  et  la  véri- 
table piété,  que  l'Eglise  a  imposé  ce  rituel. 
Elle  pourrait  tout  aussi  bien  le  modifier  en 
partie,  supprimer  la  cuiller  et  ordonner 
d'autre  manière  l'administration  du  sacre- 
ment. » 

Comme  on  le  pense,  M.  P.  N... 
triomphe  avec  cette  lettre.  En  vérité, 
ajoute -t- il,  répondant  au  métropolite 
d'Athènes,  hôtels,  pâtisseries,  bakals  et 
restaurants  peuvent  devenir  des  foyers 
d'infection.  Mais  ceux  qui  les  fréquentent 
ne  sont  pas  en  général  des  agonisants  ou 
des  malades  dangereux.  Encore  là  prend- 
on  des  précautions.  «  Mais  si  le  très 
saint  métropolite  suivait  la  longue  agonie 
d'une  innocente  créature  étouffée  par  la 


(i)  I!  y  a  des  inexactitudes  et  des  imprécisions 
dans  la  thèse  telle  qu'elle  est  présentée  par  le  prohi- 
goumène Germanos.  Ceux  qui  voudront  rectifier 
liront  avec  profit  l'Eglise  byzantine  du  regretté 
P.  Pargoire,  surtout  p.  228  et  340. 


diphtérie  ou  la  laryngite  membraneuse, 
il  comprendrait  lui  aussi  que  le  plus 
grand  des  péchés  est  de  communier  une 
heure  après  un  enfant  bien  portant  avec 
cette  même  cuiller  qu'ont  souillée  les 
lèvres  du  malade.  » 

Deux  jours  avant,  dans  le  Scripp, 
l'évêque  de  Gortyne  et  de  Mégalopolis 
avait  protesté  en  termes  énergiques  contre 
l'idée  émise  par  M^^  Th...  Pour  lui,  le 
simple  fait  de  craindre  une  contagion  pos- 
sible est  impie  et  blasphématoire.  Le  plus 
en  danger,  dit-il,  est  le  prêtre  qui,  au  cas 
où  le  malade  ne  pourrait  prendre  tout  le 
pain  et  le  vin  consacrés,  doit  le  consommer 
lui-même  tout  de  suite,  ou  bien  le  jour 
suivant,  s'il  n'est  pas  à  jeun. 

«  En  i86s,  j'ai  reçu  l'ordination  sacer- 
dotale. Pendant  dix  années,  j*ai  été  curé, 
È^r.uLsp'.oç,  de  Stemnitsi,  et  pendant  vingt 
années  chargé  de  l'église  des  Saints- 
Théodore  à  Athènes.  Or,  durant  cette 
période,  j'ai  administré  l'Eucharistie  à 
six  malades  atteints  de  phtisie  galopante, 
quatre  hommes  et  deux  femmes:  à  sept 
enfants  de  sept  à  huit  ans  qui  se  mou- 
raient de  la  diphtérie:  à  onze  malades 
atteints  de  la  petite  vérole;  et  chaque 
fois,  sans  trembler  mais  avec  foi,  j'ai, 
après  la  communion,  léché  la  petite 
cuiller,  to  aoj-oCaÔlk'.  èxsv^o  eXîiçaasv.  » 


Avec  cette  lettre,  la  polémique  paraît 
close.  Mais  pour  combien  de  temps .^ 
Simple  rapporteur,  comme  je  l'ai  dit,  je 
n'ajouterai  aucune  réflexion  personnelle. 
Il  me  semble  pourtant  que  rien  ne  justifie 
mieux  l'Eglise  romaine  d'avoir  adopté 
pour  elle,  sans  l'imposer  aux  Orientaux, 
le  rite  de  la  communion  sous  la  seule 
espèce  du  pain. 


L.  Arnaud. 


Athènes. 


STATUTS   DE   L'EXARCHAT    BULGARE 

{Fin  "^) 


CHAPITRE  X 

DROITS    ET   DEVOIRS    DES    CURES 

Art.  142.  —  Les  curés  ont  les  droits  et 
les  devoirs  suivants  : 

i*"  Ils  réciteront  régulièrement  l'office 
quotidien  et  célébreront  avec  piété  la  sainte 
messe  aux  jours  indiqués  par  Vordo  et  aux 
fêtes  nationales; 

2°  Ils  prêcheront  la  parole  de  Dieu  ou 
liront  des  sermons  approuvés  par  l'autorité 
spirituelle; 

Remarque.  —  Les  laïques  ne  peuvent 
pas  prêcher  sans  la  permission  de  l'auto- 
rité spirituelle.  Si  quelqu'un  se  le  permet, 
le  prêtre  l'adjure  au  nom  de  la  loi  de  cesser; 
en  cas  d'obstination  de  sa  part,  le  service 
divin  se  poursuit,  mais  on  appelle  les 
autorités  civiles  pour  chasser  le  perturba- 
teur. On  dresse  alors  le  procès-verbal  des 
faits  que  l'on  enverra  à  l'autorité  compé- 
tente, pour  qu'elle  cite  le  coupable  devant 
les  tribunaux. 

3°  Dès  qu'ils  sont  priés  d'accomplir  une 
cérémonie,  ils  doivent  accéder  à  cette 
demande; 

4°  Ils  veilleront  à  la  propreté  et  à  l'orne- 
mentation des  églises,  à  la  bonne  tenue 
des  ornements,  livres  et  autres  objets  ecclé- 
siastiques; 

5"  Qu'ils  poussent  leurs  paroissiens  à 
faire  l'aumône  et  à  secourir  volontiers  les 
pauvres  et  les  indigents; 

6°  Qu'ils  n'aillent  pas  comme  le  peuple 
dans  les  cafés,  les  cabarets  et  les  débits  de 
boissons; 

y"  Qu'ils  ne  se  rendent  pas  dans  un  autre 
diocèse  sans  l'autorisation  écrite  de  leur 
ordinaire; 

Remarque.  —  Les  diacres,  les  clercs  et 
les  moines  sont  également  soumis  à  ces 
décisions. 

8°  Un  prêtre,  un  diacre  ou  un  religieux 
qui  vont  dans  une  ville  où  réside  soit  le 


{i)Voir  Echos  d'Orient,  1910,  p.35i-355;janv.  191  p 
p.  2C-24;  mai  igii,  p.  170-176. 


métropolite,  soit  son  vicaire  épiscopal, 
doivent  se  présenter  devant  l'autorité  spi- 
rituelle avec  la  lettre  d'obédience  néces- 
saire, et  cela  toutes  les  fois  qu'ils  se  rendent 
dans  leurs  diocèses; 

9°  Qu'ils  conservent  et  relisent  les  dif- 
férents ordres  et  dispositions  émanés  de 
l'autorité  spirituelle.  De  même,  ils  doivent 
conserver  les  permis  de  mariage  et  les 
copies  de  lettres  de  tout  leur  temps  de  ser- 
vice ecclésiastique; 

10°  Qu'ils  tiennent  en  règle  les  registres 
des  baptêmes,  mariages  et  sépultures. 

Art.  143.  —  Les  prêtres  qui  se  sont  dis- 
tingués, soit  par  un  long  service  dans  le 
gouvernement  des  églises,  soit  par  une  in- 
struction remarquable,  seront  récmpensés 
parles  dignités  ecclésiastiques  ou  par  toute 
autre  marque  de  distinction  (n"  16  de 
l'art.  100). 

Art.  144.  —  Les  curés  s'entretiennent 
avec  le  Iraitement  donné  par  le  gouverne- 
ment et  avec  les  recettes  acquises  en  accom- 
plissant leurs  fonctions  sacrées. 

Art.  145.  —  Les  traitements  sont  de 
480  francs  par  an  pour  les  curés  de  vil- 
lages, de  600  francs  pour  les  curés  de  chefs- 
lieux  d'arrondissements,  de  720  francs 
pour  les  curés  de  chefs-lieux  des  départe- 
ments. 

Remarque.  —  Le  traitement  des  prêtres 
qui  ont  fait  leurs  études  dans  les  Sémi- 
naires est  de  y 20  francs  pour  les  villages, 
de  g6o  francs  pour  les  chefs-lieux  d'ar- 
rondissements, de  I  080  francs  pour  les 
chefs-lieux  de  départements. 

Art.  146.  —  Les  recettes  occasionnelles 
provenant  des  diverses  cérémonies  sont 
fixées  par  le  tarif  suivant  :  a)  baptême, 
I  franc;  b)  mariage,  12  francs;  c)  grand 
service  funèbre,  6  francs;  d)  enterrement 
de  pe;  sonnes  n'ayant  pas  encore  quinze 
ans,  3  francs;  e)  Extrême-Onction, -i  franc 
à  chaque  prêtre;  J)  bénédiction  de  l'eau 
faite  après  invitation,  o  fr.  5o;  g)  messe, 
3  francs;  h)  cérémonie  pour  un  mort  (ab- 
soute), o  fr.  40;  i)  relevailles,  o  fr.  40;;)  eau 
bonite,  o  fr.  5o. 


STATUTS  DE  L  EXARCHAT  BULGARE 


213 


Art.  147.  —  Si  quelqu'un  invite  d'autres 
prêtres  à  participer  à  la  cérémonie  qu'ac- 
complit le  curé  de  la  paroisse,  il  doit  aussi 
les  payer. 

CHAPITRE  XI 

POUVOIRS    DES    CONSEILS    DE    FABRIQUES 

Art,  148.  —  L'action  de  ces  Conseils  de 
Fabriques  s'étend  aux  points  suivants  : 

i''  En  entrant  en  fonction,  le  Conseil  de 
Fabrique  fait  le  catalogue  de  toutes  les 
propriétés  de  l'église,  des  biens  meubles 
et  immeubles  et  de  tous  les  documents  et 
titres  de  propriété.  Cet  inventaire,  signé 
par  les  membres  du  nouveau  Conseil  de 
Fabrique,  est  tait  en  double;  une  copie  est 
déposée  dans  les  archives  de  la  paroisse, 
l'autre  envoyée  à  l'autorité  diocésaine.  Les 
Conseils  de  Fabrique  soumis  aux  vicaires 
épiscopaux  leur  envoient  également  une 
troisième  copie; 

2°  Le  nouveau  Conseil  examine  avec  la 
commission  (art.  86)  les  comptes  des  deux 
années  précédentes  de  l'ancien  Conseil,  et 
on  inscrit  le  résultat  dans  le  registre  des 
procès-verbaux,  où  signent  tous  les  membres 
présents  de  l'ancien  et  du  nouveau  Conseil 
de  Fabrique,  ainsi  que  les  membres  de  la 
Commission;  on  envoie  un  exemplaire  de 
ce  procès-verbal,  signé  par  toute  ^  les  per- 
sonnes présentes,  à  l'évêque  et  au  vicaire 
épiscopal.  Si  l'ancien  Conseil  de  Fabrique 
avait  injustement  dépensé  les  sommes  pré- 
vues dans  le  budget  ou  qu'il  eût  abusé  des 
biens  ecclésiastiques,  l'autorité  diocésaine 
le  citera  en  justice; 

3°  Il  s'occupe,  avec  la  permission  de 
l'évêque,  de  fournir  aux  églises  les  images 
et  tout  ce  qui  est  nécessaire  aux  offices; 

4°  Il  s'occupe  de  faire  construire  des 
églises  ou  des  chapelles  là  où  il  n'y  en  a  pas  ; 

5°  Il  fera  construire  une  chapelle  et  une 
chambre  mortuaire  dans  le  cimetière;  de 
même,  il  fera  entourer  de  murs  le  cimetière 
et  veillera  à  sa  propreté  ; 

6°  Il  priera  les  autorités  civiles  de  ne 
pas  permettre  que  des  cabarets  ou  des  mai- 
sons de  réjouissance  viennent  s'établir  près 
de  l'église,  à  moins  de  200  mètres  ; 

7"  Il  engagera  pour  l'église  un  sacristain 
et  des  chantres,  dont  le  traitement  annuel 
est  prévu  dans  le  budget; 

8-^  Les  Conseils  de  Fabrique  des  villes 


doivent  entretenir  un   diacre  dans  leurs 
églises; 

9"  Il  louera  aux  enchères  les  immeubles 
de  l'église  et  en  inscrira  le  revenu  dans  le 
livre  des  recettes; 

10^  Il  peut  recevoir  en  cadeau  ou  comme 
legs  testamentaire  des  biens,  meubles  et 
immeubles  au  profit  de  l'église; 

1 1"  Pendant  le  mois  d'octobre,  il  établira 
le  budget  des  recettes  et  des  dépenses  de 
l'église,  et  il  l'enverra  à  l'approbation  du 
Conseil  diocésain; 

12'^  En  dehors  des  dépenses  prévues  dans 
le  budget,  le  Conseil  de  Fabrique  ne  peut 
rien  dépenser  qu'après  en  avoir  demandé 
la  permission  à  l'autorité  diocésaine; 

i3°  Il  veillera  à  l'emploi  régulier  des 
recettes  de  l'église,  conformément  aux  dis- 
positions du  budget;! 

14°  Il  inscrira  dans  un  livre  spécial  por- 
tant le  sceau  du  Conseil  diocésain  ou  du 
vicaire  épiscopal  toutes  les  recettes  et  toutes 
les  dépenses,  avec  leurs  dates  respectives. 

Art.  149.  —  Les  décisions  des  Conseils 
de  Fabrique  doivent,  pour  avoir  force  de 
loi,  avoir  été  prises  en  séance  et  à  la  majo- 
rité des  voix.  Pour  acheter,  vendre,  modi- 
fier les  biens  ecclésiastiques,  pour  construire 
ou  réparer  les  murs  de  l'église,  les  Conseils 
doivent  en  informer  l'autorité  diocésaine 
et  faire  approuver  leur  démarche. 

Art.  i5o.  —  Les  recettes  de  l'église  pro- 
viennent : 

1°  Des  biens  ecclésiastiques; 

2"  Des  sommes  léguées  à  l'église  par  tes- 
tament; 

3'^  De  la  location  des  stalles; 

4'^  De  deux  quêtes,  dont  l'une  au  profit 
des  pauvres; 

5'^  De  la  vente  des  cierges; 

ô''  Des  extraits  de  naissance; 

7°  De  la  sonnerie  des  cloches  lors  de 
diverses  cérémonies,  des  illuminations  de 
l'église,  du  baptême  donné  à  la  maison 
sans  nécessité,  du  mariage  célébré  à  la 
maison,  du  corbillard,  le  tout  d'après  une 
taxe  fixée  par  le  Conseil  de  Fabrique  et 
approuvée  par  l'autorité  diocésaine. 

Art.  i5i.  — Il  est  défendu  aux  particu- 
liers de  vendre  ou  de  confectionner  des 
cierges.  Dans  les  villes  où  siègent  soit  le 
métropolite,  soit  les  vicaires  épiscopaux,  les 
Conseils  de  Fabrique  établissent  et  dirigent 
une  fabrique  de  cierges  en  cire.  Sont  tenus 
d'acheter   les  cierges  à  cette  maison    les 


214 


ÉCHOS    d'orient 


Conseils  de  Fabrique  de  toutes  les  églises 
comprises  dans  les  limites  de  la  métropole 
ou  des  vicariats  épiscopaux.  Les  cierges  qui 
sont  fabriqués  dans  cette  maison  doivent 
éire  de  cire  pure  et  porter  la  marque  du 
saint  synode. 

Art.  i52.  —  Les  Conseils  de  Fabrique 
qui  dirigent  cette  maison  sont  aussi  chargés 
de  la  vente  des  images  à  l'usage  des  fa- 
milles. 

Art.  i53.  —  Les  Conseils  de  fabrique 
emploient  leurs  recettes  aux  usages  sui- 
vants : 

r  Achat  de  cire,  huile,  vin,  hosties, 
encens,  ornements,  livres,  registres,  etc.; 

2°  Entretien  et  réparation  de  l'ég'ise  et 
de  ses  biens; 

3°  Ornementation  d-  l'église; 

4°  Traitement  d'un  diacre  dans  les  villes, 
des  chantres  et  autres  ministres; 

5°  Aumônes  et  œuvres  de  charité. 

Art.  154.  —  L'excédent  des  recettes  est 
divisé  en  trois  parties  :  la  première  est 
transmise  au  ministère  des  cultes  par  le 
métropolite,  pour  être  versée  dans  la  caisse 
qui  sert  à  fournir  des  pensions  aux  prêtres  ; 
laseconde  est  employée  à  soutenir  les  Sémi- 
naires; la  troisième,  qui  doit  servir  à  con- 
stituer un  capital,  est  versée  dans  les  caisses 
rurales  agricoles  placées  sous  la  surveil- 
lance des  Conseils  de  Fabrique. 

Art.  i55.  —  Chaque  église  a  un  registre 
où  l'on  inscrit  toutes  les  décisions  des 
Conseils  de  Fabrique  ainsi  que  les  comptes 
(art-  148,  n°  2). 

Outre  ce  registre,  il  y  a  encore  un  cahier 
relié  où  se  trouvent  les  noms  des  bienfai- 
teurs de  l'église  ainsi  que  les  noms  des 
marguilliers  qui  se  sont  acquittés  avec  zèle 
et  sans  reproche  de  leur  charge;  tous  ces 
noms  sont  proclamés  à  l'église  le  dimanche 
de  l'orthodoxie. 

CHAPITRE  XII 

juridiction  des  autorités  monastiques 

Art.  i56.  —  La  juridiction  monastique 
s'étend  aux  points  suivants  : 

1°  L'autorité  monasiique  veille  à  ce  que 
les  religieux  se  conforment  aux  anciennes 
règles  de  la  vie  religieuse  et  à  ce  que  les 
règles  de  l'Eglise,  le  règlement  du  couvent 
et  les  dispositions  de  l'autorité  spirituelle 
soient  exactement  ob  ervés; 


2"  Elle  emploie  les  religieux  selon  leurs 
capacités  et  leurs  forces  ; 

3°  EUedonnel'habitreligieux  aux  novices, 
après  en  avoir  demandé  préalablement  la 
permission  à  l'autorité  spirituelle; 

4°  Elle  fait  tous  ses  efforts  pour  conserver 
en  bon  état  le  monastère,  l'église,  les  mé- 
tokhia  et  les  biens  des  monastères; 

5°  Elle  procure  au  monastère  les  vivres 
nécessaires; 

6°  Elle  met  aux  enchères  la  location  des 
biens  de;  monastères,  quand  elle  le  juge 
nécessaire  ou  avantageux; 

7°  Elle  perçoit  en  temps  voulu  les  revenus 
des  monastères,  et,  après  avoir  demandé 
la  permission  à  1  autorité  spirituelle  com- 
pétente, elle  place  l'excédent  dans  les  éta- 
blissements de  crédit; 

8'-  Deux  mois  avant  l'expiration  de  l'an- 
née, elle  dresse  le  budget  des  recettes  et  des 
dépenses  et  l'envoie  à  l'approbation  de  l'au- 
torité spirituelle  compétente; 

9'^  En  dehors  des  dépenses  prévues  dans 
h  budget,  on  ne  pourra  rien  dépenser  sans 
la  permission  du  supérieur; 

10°  A  la  fin  de  chaque  année,  elle  arrête 
ses  comptes  et  en  donne  une  copie  à  l'au- 
torité supérieure; 

11°  Elle  tient  l'inventaire  de  tous  les 
biens,  immeubles  et  meubles; 

12°  Elle  ne  peut,  sans  l'autorisation  du 
saint  synode,  vendre,  modifier  ou  donner 
les  biens  des  monastères; 

i3°  Elle  peut  recevoir  par  testament  ou 
par  donation  des  meubles  ou  des  im- 
meubles au  profit  du  monastère; 

14°  Elle  recueille  pour  le  monastère 
comme  un  héritage  légitime  et  confor- 
mément aux  règles  de  l'Eglise  les  biens 
meubles  ou  immeubles  que  les  Frères 
laissent  en  mourant. 

Remarque.  —  Ceux  gui  désirent  embras- 
ser la  vie  religieuse  dans  un  couvent, 
doivent,  avant  de  prendre  l'habit,  disposer 
à  leur  gré  et  conformément  à  la  loi,  de 
leurs  biens:  par  conséquent,  tout  ce  qu'ils 
laissent  en  mourant  revient  au  monastère. 

Art.  157.  —  Aucune  mesure  ne  sera  exé- 
cutée avant  q  .elle  ait  été  prise  en  réunion, 
de  sorte  que  les  anciens  qui  sont  capitu- 
laires  n  •  puissent  rien  faire  sans  le  con- 
sentement de  l'higoumène,  et  celui-ci  sans 
l'avis  de  ces  anciens. 

Art.  1 58.  —  Sur  décision  du  saint  synode, 
une  portion  des  revenus  du  monastère  est 


STATUTS    DB    L EXARCHAT    BULGARE 


21$ 


consacrée  à  entretenir  des  bourses  dans 
les  Séminaires  et  à  payer  l'apprentissage 
d'artistes  en  peinture,  dessin,  etc.,  au  profit 
de  l'église. 

Art.   iSg.  —  Ces  décisions  sont  aussi 
applicables  aux  monastères  de  femme^. 


TROISIEME  PARTIE 

JUGEMENT 
ET  PUNITION  DES  ECCLÉSIASTiaUES 

Art.  i6o.  —  Les  ecclésiastiques  sont 
jugés  par  les  tribunaux  ordinaires  pour  les 
délits  criminels  ou  pour  les  délits  de  droit 
civil. 

Art.  i6i.  —  Les  autorités  judiciaires  et 
civiles  doivent  avertir  l'autorité  diocésaine 
toutes  les  fois  qu'un  ecclésiastique  est  cité 
devant  le  tribunal. 

Art.  162.  —  Les  tribunaux  civils,  avant 
d'exécuter  leur  arrêt  contre  un  ecclésias- 
tique coupable,  communiquent  à  ses  supé- 
rieurs diocésains  les  circonstances  du  procès 
et  la  sentence  prononcée;  après  quoi,  l'au- 
torité diocésaine  prend,  s'il  en  est  besoin, 
les  dispositio'  s  nécessaires  conformément 
aux  lois  ecclésiastiques. 

Art.  i63.  —  Les  clercs  font  la  prison 
préventive  là  où  l'autorité  religieuse  en 
décide;  dans  ce  cas,  les  subsistances  leur 
sont  fournies  par  le  gouvernement. 

Art.  164.  —  Si  des  fautes  ou  des  crimes 
sont  commis  contre  les  canons  de  l'église, 
contre  le  présent  règlement  et  ses  obliga- 
tions, ou  contre  les  ordres  de  l'autorité, 
les  évêques  sont  jugés  en  premier  et  der- 
nier ressort  par  le  saint  synode,  les  autres 
clercs  en  première  instance  par  le  métro- 
polite, en  appel  et  sans  pourvoi  par  le  saint 
synode. 

Pour  engager  des  procès  semblables,  il 
faut  que  les  accusateurs  et  Ls  témoirs 
appartiennent  à  la  confession  orthodoxe 
et  se  recommandent  par  une  conduite  irré- 
prochable. 

Akt.  i65.  —  Les  punitions  imposées 
par  les  autorités  religieuses  sont  : 

1°  Observation; 

2"  Réprimande; 

3^  Amende; 

4'  Excommunication  (avec  privation  de 


casuel  dans  les  proportions  détermi;  ées 
par  le  Conseil  diocésain^; 

D*'  Réclusion  dans  un  monast.re; 

6"  Privation  d'emploi  ; 

7°  Destitution  ; 

8°  Mise  en  interdit; 

go  Payement  au  do  .bk  de  l'argent  qui  a 
été  perçu  en  plus  de  la  taxe  fixée  pour  les 
cérémonies  ecclésiastiques. 

Remarque.  —  La  moitié  de  la  somme 
revient  à  la  personne  qui  a  subi  la  concus- 
sion, l'autre  moitié  reste  dans  la  caisse 
diocésaine. 

Art.  166.  —  En  dehors  des  cas  prévus 
par  les  canon>,  la  privation  d'emploi  avec 
ou  sans  destitution  est  infligée  aux  clercs 
pour  les  fautes  suivantes  : 

1°  S'ils  ont  enfreint  en  quo'  que  ce  soit 
les  lois  f.ndamentales  de  l'Etat  ou  de 
l'Egl  se  bulgare; 

2"  Si  leur  mauvaise  conduite  envers  les 
canons  de  l'Eglise  ou  les  lois  civiles  a  été 
un  scandale  et  a  provr*qué  le  blâme  et  la 
dé- approbation  générale. 

Remarque.  —  La  décision  prise  par  le 
Conseil  diocésain  de  destituer  un  clerc  ne 
sera  jamais  mise  à  exécution  avant  d'être 
examinée  et  confirmée  par  le  saint  synode. 

Art.  167.  —  Aux  peines  signalées  dans 
l'art.  166  sont  soumis  les  clercs  qui  exercent 
une  fonction  dans  l'Etat,  avec  cette  ditfé- 
lence  que,  s'ils  sont  frappés  d'excommu- 
nication, ils  perdent  leur  traitement  dans 
la  proportion  que  fixe  l'autorité  spirituelle. 

Art.  168.  —  Les  clercs  qui  se  sont  rendus 
coupables  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions 
sont  cités  devant  l'autorité  spirituelle  com- 
pétente; si  leur  faute  mérite  une  punition 
de  la  part  des  lois  civiles,  ils  sont  cités 
devant  les  tribunaux  civils. 

Art.  169.  —  Dès  qu'un  clerc  commence 
à  se  mal  conduire,  son  supérieur  ecclésias- 
tique l'avertit  paternellement  pour  qu'il  se 
convertisse  et  rentre  dans  le  devoir;  s'il 
vient  à  s'obstiner,  on  procédera  à  son  égard 
conformément  à  l'art.  166,  n"  2. 

Art.  170.  —  Sont  passibles  de  peines 
pour  crime  les  clercs  contre  qui  des  parti- 
culiers ont  déposé  des  plaintes. 

Art.  171 .  —  Un  clerc  frappé  de  suspense 
par  le  Conseil  diocésain  cesse  de  remplir 
seN  fonctions  dès  qu'on  lui  a  communiqué 
la  sentence,  bien  qu'il  rroteste  qu'il  pré- 
sentera au  saint  synode  une  requête  en 
appels.  Si  le  temps  fixé  pour  sa  mise  en  dis- 


2l6 


ÉCHOS   d'orient 


ponibilité  est  écoulé  avant  que  le  saint 
synode  se  soit  prononcé  sur  sa  requête,  il 
reprend  de  droit  ses  fonctions. 

Art.  172.  —  Les  condamnations  à  quinze 
jours  de  suspense  n'admettent  pas  d'appel. 

QUATRIÈME  PARTIE 

SCEAUX 
DES   AUTORITÉS  ECCLÉSIASTiaUES 

Art.  173.  —  Chaque  église  de  la  princi- 
pauté a  son  cachet  particulier,  de  forme 
ronde,  avec  le  chiftre  au  milieu  et  la  légende 
autour. 

I"  Saint  synode  :  au  milieu,  une  église 
à  trois  coupoles;  autour,  l'inscription  sui- 
vante :  saint  synode  de  l'Eglise  bulgare; 

2"  Métropolites:  au  milieu,  une  mitre, 
une  crosse  et  une  croix;  autour,  métropole 
deN...; 

3°  Conseils  diocésains:  au  milieu,  une 
croix;  autour.  Conseil  diocésain  de  N..., 
de  Sophia,  par  exemple; 

4°  Archiprétres  de  canton:  su  milieu, 
une  croix;  autour,  archiprêtre  de  N...,  de 
Tren,  par  exemple; 

5°  Curés:  au  milieu,  une  croix;  autour, 
curé  de  N...; 

6°  Eglises:  au  milieu,  l'image  du  saint 
patron;  autour,  le  nom  de  la  ville  ou  du 
village  (église  de  Saint-Nicolas,  Sophia); 

7°  Monastères  :  au  milieu,  l'image  du 
patron  ;  autour,  le  nom  du  monastère 
(monastère  de  Troïan). 

CINQ.UIÈME  PARTIE 

DISPOSITIONS   GÉNÉRALES 

Art.  174.  —  Pour  l'entretien  de  lexarque 
et  du  saint  synode,  le  gouvernement  de  la 
principauté  verse  chaque  année  dans  la 
caisse  de  l'exarchat  une  somme  propor- 
tionnée au  nombre  de  mariages  célébrés 
dans  les  diocèses  de  la  principauté,  en  pre- 
nant o  fr.  40  par  mariage. 


Art.  175.  —  Deux  mois  avant  l'expira- 
tion de  l'année,  le  saint  synode  examine  le 
budget  de  l'exarchat  ainsi  que  ses  comptes. 

Art.  176.  —  Les  métropolites  et  leurs 
évéques  auxiliaires  (art.  47)  reçoivent  du 
gouvernement  un  traitement  annuel  fixé 
par  le  budget. 

Art.  177.  —  Les  membres  du  saint 
synode  reço  vent  de  la  caisse  de  l'exarchat 
une  rétribution  annuelle. 

Art.  178.  —  Quand  on  a  besoin  du  pou- 
voir civil,  celui-ci,  sur  une  demande  de 
l'autorité  ecclésiastique,  se  met  à  sa  dispo- 
sition pour  faire  exécuter  les  arrêts  de  la 
présente  loi. 

Art.  179.  —  Aucun  ecclésiastique  ne 
peut  passer  au  service  de  l'Etat  sans  une 
décision  préalable  de  son  supérieur  direct. 

Art.  180.  —  Aucune  modification,  aucun 
changement  de  ces  statuts,  aucune  autre 
mesure  contraire  à  ces  statuts  et  concer- 
nant le  gouvernement  de  l'Eglise  ne  pourra 
se  faire  sans  l'autorisation  préalable  du 
saint  synode  et  du  ministre  des  cultes. 

Art.  181.  —  Les  élèves  sortant  des  Sé- 
minaires de  la  principauté  et  ceux  qui, 
connaissant  la  théologie,  se  proposent  d'em- 
brasser la  carrière  ecclésiastique,  sont  li- 
bérés du  service  militaire  s'ils  ont  reçu  les 
ordres  à  l'âge  de  vingt-sept  ans. 

Art.  182.  —  Les  employés  des  chance' - 
leries,  civils  ou  ecclésiastiques,  ont  tous 
les  droits  et  toutes  les  obligations  prévues 
pour  les  employés  civils. 

Art.  i83.  —  Les  dispositions  prises  par 
le  saint  synode,  dans  sa  séance  du  4  jan- 
vier 1891,  protocole  n°  69,  restent  en  vi- 
gueur. 

Art.  184.  —  Les  statuts  de  l'exarchat, 
adaptés  à  la  principauté  et  approuvés  par 
un  ukase  du  4  février  i883,  n«  82,  la  loi 
sur  le  changement  de  quelques  articles  des 
statuts  confirmée  par  l'ukase  du  i5  dé- 
cembre 1890,  n°  90,  et  la  loi  pour  le  chan- 
gement des  articles  3,  6  et  8  de  ces  statuts 
approuvée  par  un  ukase  de  1891,  n°  98,  et 
toutes  les  autres  lois,  mesures  et  dispo- 
sitions contraires  à  ces  présents  statuts  ces- 
seront dès  que  ces  présents  statuts  entre- 
ront en  vigueur. 


L'IMAGE    DE    LA   VIERGE    DE  PÉRAMOS 


Les  Echos  d'Orient  ont  déjà  parlé  à  leurs 
lecteurs  de  Péramos,  de  son  monastère 
et  d'une  antique  image  de  la  Sainte  Vierge 
qui  y  est  en  grande  vénération  (i).  Cette 
note  a  pour  but  de  compléter  les  rensei- 
gnements donnés  alors,  en  particulier 
d'attirer  l'attention  sur  un  texte  capital 
pour  l'histoire  de  ladite  image. 

Rappelons  d'abord  que  Péramos,  en 
turc  Pérama,  est  un  bourg  d'environ 
3  Goo  habitants  dans  la  partie  orientale  de 
la  presqu'île  de  Cyzique,  sur  la  côte  qui 
fait  face  à  Panderma,  l'ancienne  Panor- 
mos .  La  population,  exclusivement 
grecque,  se  dit  d'origine  crétoise.  En 
dehors  d'un  groupe  qui  se  proclame 
catholique  de  cœur  malgré  la  sauvage 
persécution  dont  il  est  l'objet  (2),  les 
Péramiotes  dépendent,  au  point  de  vue 
religieux,  de  l'éparchie  de  Cyzique.  Mais 
on  sait  que  Cyzique  étant,  depuis  de 
longs  siècles,  un  amas  de  ruines,  le 
métropolite  qui  en  porte  le  titre  réside 
à  Erdek,  en  grec  'ApTàxr,,  petite  ville 
située  de  l'autre  côté  de  l'isthme  (3). 


A  trois  heures  au  nord  de  Péramos  est 
le  monastère  de  IaTheotokos<ï>av£p(0'j.ivr,. 
C'est  un  vaste  quadrilatère  avec  cour  inté- 
rieure, avec  une  centaine  de  cellules. 
L'église  occupe  un  des  angles  de  la  cour. 
De  moines,  il  n'y  en  a  pas  plus  là  que 
dans  la  plupart  des  couvents  grecs,  en 
dehors  de  l'Athos.  Un  hégoumène,  qui 
n'est  même  pas  toujours  prêtre,  gère  les 
revenus  du  monastère,  encaisse  les 
offrandes  des  fidèles  et  rend  compte  de 
sa  gestion  au  patriarcat:  depuis  1903,  en 


(1)  R.  Bousquet,  l'Affaire  de  Péramos,  dans 
Echos  d'Orient,  t.  VI  (igoS),  p.  401-408. 

(2)  Outre  l'article  ci-dessus,  voir  Echos  d'Orient, 
t.  XIII  (igio),  p.  120. 

(3)  Sur  Péramos,  voir  la  très  complète  monogra- 
phie du  commandant  Reynaud,  extraite  de  la 
Revue  du  musée  social.  Paris,  1910. 


effet,  le  monastère,  de  diocésain,  èvootatxôv, 
est  devenu  stavropégiaque,  T-ra-jsoTTir.v'.a- 
xôv,  c'est-à-dire  dépend  exclusivement  du 
Phanar. 

Tout  le  long  de  l'année,  il  héberge  des 
pèlerins  et  des  malades,  surtout  des  alié- 
nés. Rien  n'est  fixé  pour  les  frais  de 
séjour,  chacun  donne  ce  qui  lui  plaît. 
C'est  pendant  l'octave  de  l'Assomption, 
ou  plutôt  du  1 5  août  à  la  fin  du  mois, 
qu'a  lieu  le  panayiri,  le  pèlerinage  pro- 
prement dit.  Constantinople,  la  Turquie 
d'Europe,  les  îles  de  l'Archipel,  l'Asie 
Mineure,  déversent  durant  cette  période, 
au  port  de  Péramos,  une  foule  de  8  à 
loooo  personnes. 

Des  boutiques,  faites  de  branches  et  de 
feuillages,  s'installent  aux  abords  du 
monastère,  garnies  de  toutes  sortes  de 
comestibles.  Des  orgues  de  Barbarie  y  ont 
été  transportés  à  dos  de  mulet  :  aux 
accents  de  l'harmonieux  instrument,  on 
danse  entre  les  deux  offices.  Après  deux 
ou  trois  nuits  passées  à  la  belle  étoile, 
chacun  redescend  :  comme  il  n'y  a  pas 
d'hôtels  à  Péramos,  toutes  les  maisons, 
les  deux  églises,  les  nombreuses  cha- 
pelles du  bourg  et  des  environs  immé- 
diats, sont  mises  à  contribution  pour 
héberger  les  étrangers,  qui  s'éloignent 
peu  à  peu  les  semaines  suivantes. 

Pendant  toutes  ces  fêtes,  l'image  de  la 
Phaneromeni  est  exposée  à  la  vénération 
des  pèlerins  dans  l'église  du  monastère. 
Malades  et  bien  portants  se  font  «  lire  », 
c'est-à-dire  qu'un  des  prêtres  venus  de 
Péramos  ou  des  villages  voisins  récite 
sur  eux  quelqu'une  des  prières  de  l'eu- 
chologe.  Le  fidèle  s'assied  par  terre  sur 
un  petit  tapis,  tenant  sur  ses  genoux 
l'icpne  contre  laquelle  il  appuie  le  front. 
Le  prêtre,  debout  devant  lui,  commence 
la  prière  qui  se  termine  souvent  sans  le 
moindre  incident.  Mais  il  est  des  cas,  et 
il  sont  assez  fréquents,  où  la  cérémonie 
prend  un  tout  autre  caractère.  Il  arrive 


2l8 


ECHOS    D  ORIENT 


en  effet  que,  sitôt  la  prière  commencée, 
l'icône  s'agite  dans  les  mains  qui  la 
tiennent,  frappe  à  coups  redoublés  le 
front  du  patient,  pèse  sur  lui  comme  un 
grand  poids  qu'il  ne  peut  soutenir,  et 
finalement  le  renverse  à  terre,  pendant 
qu'il  s'écrie  :  «  Panagia,  aie  pitié  de  moi! 
Panagia,  pardonne-moi!  » 

On  a  vu,  dit-on,  des  aliénés,  des  phti- 
siques, des  aveugles,  de  pauvres  gens 
affligés  de  plaies  purulentes,  se  relever 
guéris.  Voilà,  à  coup  sûr,  une  singulière 
façon  d'opérer  des  guérisons  !  Bien  en- 
tendu, aucun  contrôle  n'existe  de  ces  faits 
plus  ou  moins  extraordinaires  :  les  nier 
dans  le  pays,  ce  serait  d'ailleurs  s'expo- 
ser à  se  faire  lapider  par  les  dévotes.  J'ai 
ouï  parler  d'un  catholique  latin  qui,  par 
reconnaissance  pour  sa  guérison,  aurait 
passé  à  l'orthodoxie.  Un  prêtre  catholique 
et  un  ingénieur  français,  qui  ont  pu  assis- 
ter à  l'étrange  cérémonie,  m'ont  certifié 
que  l'icône  frappe  réellement,  même 
frappe  très  fort,  et  qu'ils  n'avaient  pu 
constater  aucune  supercherie  (i).  Une 
jeune  fille,  aujourd'hui  catholique,  m'a 
aussi  raconté  qu'elle  se  souvient  avoir 
été  renversée  par  l'image  qu'elle  tenait 
sur  ses  genoux,  et  cela  malgré  tous  ses 
efforts  pour  lutter  contre  la  puissance  qui 
la  terrassait.  Avait-elle  une  maladie?  Je 
l'ignore.  Mais  les  bien  portants  eux- 
mêmes  sont  parfois  frappés.  On  dit  alors 
que  la  personne  «  a  un  démon  ». 

L'icône  de  la  Phaneromeni  n'est  pas 
thaumaturge  seulement  dans  son  monas- 
tère. On  la  promène  fort  loin,  par  exemple 
jusqu'à  Smyrne.  Devant  une  épidémie, 
une  sécheresse  ou  tout  autre  fléau,  la 
localité  éprouvée  se  hâte  de  l'appeler  à 
son  aide. 

La  Vierge  qui  frappe  pour  guérir,  les 
Péramiotes  l'appellent  «  notre  Panaghia  » 
et  l'invoquent  en  toutes  circonstances  : 
«    Toute    Sainte   Manifestée,    aide-nous  ! 


(i)  Il  y  a  quelques  années,  les  journaux  grecs  de 
Constantinople  ont  mené  grand  bruit  au  sujet 
d'une  icône  frappeuse  qui  attirait  les  foules  dans 
l'église  d'Hexi  Marmara,  à  Stamboul  :  ce  n'était 
qu'une  indécente  supercherie. 


Toute  Sainte  aux  grands  yeux,  '^v/oCao- 
[xaTa,  bénis-nous!  »  11  est  une  prière  qui 
lui  est  consacrée,  que  l'on  récite  tous  les 
soirs  en  famille,  que  l'on  chante  à  l'église, 
en  voici  la  traduction  : 

O  Toute  Sainte,  notre  Reine,  nous  tous 
vos  serviteurs,  nous  nous  réfugions  sous 
votre  protection  et  nous  vous  prions, 
quoique  indignes.  Préservez  les  chrétiens, 
vos  serviteurs,  qui  vivent  en  ce  pays,  de 
toute  mauvaise  rencontre,  de  la  mort  subite 
et  de  tout  malheur.  Nous  savons  que  vous 
pouvez  tout.  Reine  du  monde,  notre  sou- 
veraine, ô  Manifestée,  écoutez  notre  prière. 


Si  vous  interrogez  un  paysan  de  Péra- 
mos  sur  l'histoire  du  monastère  et  de  son 
image,  il  vous  racontera  ceci  : 

Sur  la  côte  qui  fait  face  à  Péramos, 
près  de  Kourchounlou,  s'élevait  jadis  le 
monastère  du  Grand  Champ,  où  l'on 
vénérait  une  image  de  la  Theotol<:os  peinte 
sur  bois  de  noyer.  Lorsque  ce  monastère 
fut  saccagé  et  détruit  par  les  croisés,  la 
sainte  image  s'enfuit  sur  l'autre  rive  et 
vint  se  reposer  au  milieu  des  forêts  qui 
dominent  Péramos,  au  pied  du  mont 
Tchavli.  11  y  avait  là  les  ruines  d'un 
temple  dédié  à  Cybèle.  Un  berger,  en 
faisant  paître  son  troupeau,  trouva  l'icône 
et  la  porta  à  Péramos.  Mais  la  même 
nuit  elle  disparut,  et  on  la  retrouva  au 
même  endroit  dans  les  bois.  C'était  une 
indication.  Avec  les  matériaux  de  l'ancien 
temple,  on  construisit  église  et  monastère, 
et  la  Vierge  fut  désormais  honorée  là 
sous  le  titre  de  <ï>av£pwjx£VT,,  Manifestée. 

Telle  est  la  tradition  locale,  la  tradition 
commune  :  inutile  de  s'arrêter  aux  affir- 
mations ingénues  de  quelques  rares 
savants  du  crû,  d'après  lesquels  l'icône 
serait  due  au  pinceau  de  saint  Luc,  et  le 
monastère  remonterait  au  règne  de  Con- 
stantin. 

Et  cette  tradition  locale  une  fois  dégagée 
de  sa  chronologie  fantaisiste,  hâtons-nous 
de  dire  qu'elle  a  pour  elle  toutes  les  vrai- 
semblances. Si  elle  fait  venir  l'image  du 


à 


L  IMAGE    DE    LA   VIERGE    DE    PERAMOS 


219 


Grand  Champ,  c'est,  faut-il  croire,  qu'elle 
en  est  réellement  venue  :  on  ne  s'explique 
pas  autrement  l'introduction  dans  le  récit 
populaire  du  nom  de  ce  monastère  dès 
longtemps  disparu  de  l'histoire  et  qui 
n'eut  jamais  une  célébrité  exceptionnelle... 
Le  document  le  plus  ancien  conservé 
dans  les  archives  du  monastère  de  Péran.os 
est  un  firman  du  sultan  Moustafa  II,  daté 
du  mois  de  zilhidjé  11  11  de  l'hégire 'ou 
1700  de  notre  ère.  Ce  firman  donnait  l'au- 
torisation de  réparer  les  bâtiments  qui 
tombaient  en  ruines  (î).  En  outre,  M.  Th. 
Wiegand  prouve  l'existence  du  monastère 
au  moyen  âge  par  celle  d'un  grand  cha- 
piteau corinthien  en  marbre  utilisé  dans 
les  constructions  modernes  (2);  on  ne 
peut  guère  supposer  que  ce  chapiteau  ait 
é;é  apporté  d'ailleurs  par  les  sentiers 
escarpés  de  la  montagne. 

Mais  si  nous  n'avons  pas  de  renseigne- 
ments positifs  sur  le  couvent,  il  n'en  est 
pas  de  même  de  l'image  de  la  Phanero- 
meni.  En  1328,  nous  raconte  l'empereur 
Jean  Cantacuzène,  Andronic  III  vint  de 
Constantinople  à  Cyzique  «  pour  vénérer 
l'image  de  la  Mère  de  Dieu,  image  non 
faite  de  main  d'homme  et  conservée  dans 
l'église  d'Hyrtakion,  pour  visiter  aussi  le 
pays  qu'il  n'avait  pas  encore  vu  »  :  tt.v 
r?iç  OsourÎTOpoç  àyî!.poî:o'lr,Tov  e'.xovx,  f,  — oôç 
tÔv  £v  'Yz~7.y.<M  vaôv  t.v,  rrooTX'JVT^o-wv  (3). 
Hyrtakion  est  une  déformation  connue  du 
nom  d"ApTàxY;.  A  s'en  tenir  strictement 
à  la  phrase  de  Jean  Cantacuzène,  l'image 
miraculeuse  en  1328  aurait  donc  été 
placée  dans  une  église  de  la  ville  d'Artaki, 
non  dans  le  monastère  voisin  de  Péramos. 
Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  prendre  le  texte 
à  la  lettre.  Artaki  a  supplanté  Cyzique 
détruite;  elle  a  été  au  moyen  âge  et  de- 
meure aujourd'hui  le  principal  centre 
habité  dans  la  presqu'île;  elle  est,  comme 
je  le  disais  en  commençant,  la  résidence 

(i)  Ce  firrmn  et  quelques  pièces  postérieures  ont 
été  publiés  dans  la  brochure  Twôiivritia  xotvÔTTjtoç 
nepàfjLoy.  Constantinople,  1901,  32  pages  in-8*. 

(2)  Th.  Wiegand,  Reisen  in  Mysien,  dans 
Athen.  Mitteilungen,  1894,  p.  294. 

(3)  Cantacuz.,  Histor.,  II,  5  [P.  G.,  t.  CLIII, 
col.  440;  édit.  Bonn,  t.  I",  p.  339). 


du  métropolite.  Comment  supposer,  si 
elle  a  jamais  possédé  l'icône  dans  une 
de  ses  églises,  qu'elle  se  soit  privée  d'un 
tel  trésor  au  profit  d'un  monastère  quel- 
conque ?  Il  faut  donc  entendre,  à  mon  avis, 
que  l'église  où  Andronic  III  vint  en  pèle- 
rinage n'était  pas  située  dans  les  murs 
même  d'Artaki,  mais  sur  le  territoire 
dépendant  de  cette  ville,  et  rien  ne  s'op- 
pose à  ce  que  nous  l'identifiions  avec  le 
sanctuaire  du  mont  Tchavli  (i). 

Dès  le  xive  siècle,  au  moins,  notre 
icône  était  regardée  comme  miraculeuse. 
M.  E.  von  Dobschùtz  n'a  pas  manqué  de 
relever  le  texte  de  Jean  Cantacuzène  dans 
son  catalogue  des  images  de  la  Vierge 
«  non  faites  de  main  d'homme  »  men- 
tionnées par  les  historiens  byzantins  (2); 
mais  il  ne  s'est  pas  douté  que  l'image 
existe  encore. 

*    « 

D'après  la  tradition  populaire,  ai-je  dit, 
l'image  de  Péramos  vient  du  monastère 
du  Grand  Champ,  ruiné  par  les  croisés 
après  leur  conquête  de  Constantinople, 
soit  de  1204  à  1261  (3).  Comme  l'a 
démontré  le  P.  J.  Pargoire,  le  Grand  Champ 
existait  encore  entre  1289  et  1293;  à 
cette  époque,  en  effet,  le  patriarche  de 
Constantinople,  Athanase,  s'en  empara  au 
détriment  de  son  collègue  homonyme 
d'Alexandrie,  qui  l'avait  reçu  en  prébende 


(i)  L'article  était  déjà  composé  et  notre  collabo- 
rateur était  absent,  quand  j'ai  pris  connaissance 
d'un  article  de  M.  Gédéon  dans  l"E-xxXri(7ta(7T!xr, 
'A).rj6c;a  du  21  mai/3  juin  191 1,  p.  i53  sq.  II  en 
ressort  que  l'on  vénère  toujours  à  Artaki  une  vieille 
image  de  la  Sainte  Vierge,  appelée  Leventistra, 
du  nom  d'un  ancien  couvent  de  l'endroit.  Cette 
image  répond-elle  à  celle  qu'alla  vénérera  Artaki, 
en  i328,  l'empereur  Andronic  III?  M.  Gédéon  n'ose 
se  prononcer.  Encore  moins  ose-t-il  conclure  que 
ce  soit  la  même  image  que  l'on  vénérait  à  Artaki 
en  610  et  dont  le  métropolite  de  Cyzique,  Etienne, 
offrit  la  couronne  à  l'empereur  Héraclius,  Theo- 
phanis  Chronographia,  A.  M.  6102,  P.  G.,  t. 
CVIII,  col.  628.  Théophane,  en  effet,  ne  parle  pas 
d'image  de  la  Vierge,  mais  seulement  d'une  cou- 
ronne prise  dans  l'église  de  la  Sainte  Vierge  à 
Artaki.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  question  mériterait 
d'être  reprise.  (Note  du  P.  Vailhé.) 

(2)  E.  VON  DoBscHUETz,  ChristusbUder.  Leipzig, 
1899,  p.  84,  i5o*. 

(3)  Voir  aussi  Nicodemos,  'Ay.o/.ou6fa  -zQ-Ziviylon 
Ttarpô;  r^^iw'i  Ai(i.;).'xvo{î.  Constantinople,  p.  ).(tt'. 


220 


ECHOS   D  ORIENT 


de  l'empereur  Michel  Vlll  Paléologue.  11 
fut  probablement  détruit  dans  les  premiers 
mois  de  1303,  soit  par  les  Turcs,  soit,  si 
l'on  veut,  par  les  mercenaires  catalans  de 
Roger  de  Flor  (i),  qui  ravagèrent  alors 
tout  le  territoire  de  Cyzique. 

C'est  donc  entre  1303  et  1328  que 
l'image  de  la  Vierge  aurait  été  transférée 
de  la  côte  Sud-Est  de  la  Marmara  dans  la 
presqu'île  de  Cyzique.  Bien  entendu,  rien 
n'empêche  qu'elle  soit  beaucoup  plus 
ancienne.  La  vénération  dont  elle  est 
entourée  dès  son  apparition  dans  l'his- 
toire suggère  l'hypothèse  que  c'est  une 
précieuse  épave  du  temps  de  saint  Théo- 
phane  le  Chronographe,  échappée  à  la 
brutalité  des  iconoclastes. 

*  * 
Mais  ceci  reste  une  hypothèse.  11  fau- 
drait pouvoir  examiner  à  loisir  l'image  ; 


seule  l'autoritJ  supérieure  grecque  obtien- 
drait licence  de  procéder  à  cet  examen; 
qu'on  ne  compte  pas  la  voir  s'y  livrer  de 
si  tôt,  elle  a  de  bien  autres  préoccupations. 
11  m'a  même  été  impossible  de  trouver 
une  photographie;  celle-ci  n'existe  pas. 
Tout  ce  que  je  puis  dire,  c'est  que  la  pein- 
ture mesure  à  peu  près  o'»,9o  sur  o'n,65  ; 
la  planche,  fendue  en  plusieurs  endroits, 
est  entourée  d'un  cadre  de  fer.  L'expres- 
sion de  la  figure  de  la  Vierge  est  ravis- 
sante; elle  a  la  tête  inclinée  vers  son  Fils 
et  l'indique  de  la  main;  près  de  sa  tête 
trois  étoiles,  deux  d'un  côté,  une  de 
l'autre.  Le  Christ,  vêtu  de  rouge,  bénit 
d'une  main  et  de  l'autre  tient  un  rouleau. 
Tous  les  deux  portent  une  couronne  en 
argent  doré. 

Th.  Xanthopoulos. 


BULLETIN  DE  LITURGIE 

ET   D'ARCHÉOLOGIE    CHRÉTIENNES 


ORIGINES  LITURGIQUES  —  UN  HYMNAIRE  DES 
PREMIERS  SIÈCLES  —  LITURGIE  BAPTIS- 
MALE ET  EUCHARISTIQUE  —  HISTOIRE  DES 
FÊTES  ET  DU  BRÉVIAIRE  —  HYMNOGRAPHIE 
ET  LITURGIE  BYZANTINES  —  ARCHÉOLOGIE 
CHRÉTIENNE  EN  GÉNÉRAL  —  ARCHÉOLOGIE 
BYZANTINE 

Parmi  les  questions  que  pose  l'étude 
des  origines  liturgiques,  se  présente  en 
première  ligne  celle  des  influences  ju- 
daïques et  païennes  sur  le  culte  chré- 
tien. Un  savant  allemand,  M.  Gerhard 
Loeschcke,  vient  de  consacrer  à  ce  sujet 
une  plaquette  de  vulgarisation  scientifique 


(i)  J.  Pargoire,  saint  Théophane  le  chrono- 
graphe et  ses  rapports  avec  saint  Théodore 
Studite,  dans  Vi^antiiskii  premennik,  t.  IX  (1902). 
p.  94.  On  trouvera  dans  cette  étude  l'histoire  com- 
plète du  Grand  Champ,  célèbre  surtout  par  le  supé- 
riorat  de  saint  Théophane. 


destinée  surtout,  semble-t-il,  à  orienter  les 
étudiants  (i).  Elle  pourra  servir  comme 
programme  de  questions  à  approfondir 
et  comme  indication  générale  d'utiles  ré- 
férences, bien  que  celles-ci  soient  incom- 
plètes. Mais,  pour  la  solution  donnée  à 
l'ensemble  de  ces  problèmes,  il  nous  est 
impossible  de  nous  rallier  à  M.  Loeschcke; 
il  fait  la  part  beaucoup  trop  belle  à  la  syna- 
gogue et  au  paganisme,  tandis  qu'il  mini- 
mise par  trop  celle  de  Jésus  et  des  apôtres, 
ainsi  que  le  travail  spontané  du  christia- 
nisme sur  lui-même.  Ici,  comme  en  tout 
ce  qui  touche  aux  origines  chrétiennes, 
les  principes  de  certaines  écoles  protes- 
tantes ou  rationalistes  portent  souvent, 
quoi  qu'on  en  dise,  de  réels  préjudices  à 
la  science  véritable. 

(1)  G.  Loeschcke,  Jûdisches  und  Heidnisches 
im  christlichen  Kult.  Bonn,  A.  Marcus  et  E.  Weber, 
1910,  in-i6,  36  pages.  Prix  :  o  mk.  80. 


BULLETIN    DE    LITURGIE    ET    D'ARCHEOLOGIE    CHRETIENNES 


221 


Aussi  doit-on  se  réjouir  de  l'essor  nou- 
veau que  les  études  liturgiques  ont  pris, 
depuis  quelques  années,  parmi  les  érudits 
catholiques.  A  documentation  et  à  com- 
pétence égale,  d'ailleurs,  l'avantage  doit 
rester  à  ces  derniers.  Pour  ce  qui  concerne 
le  sujet  spécial  traité  par  Loeschcke,  on 
pourra  faire  la  comparaison  avec  l'article 
Culte  chrétien,  que  Do  m  Cabrol  a  donné 
récemment  au  Dictiofwaire  apologétique 
de  la  foi  catholique  (i).  Là  aussi  l'on  trou- 
vera une  orientation  très  sûre,  avec,  en 
plus,  des  principes  beaucoup  plus  solides 
et  des  procédés  plus  objectifs. 

En  proclamant,  avec  l'éminent  abbé  de 
Farnborough,  l'originalité  et  l'indépen- 
dance du  culte  chrétien,  nous  n'avons  pas 
la  pensée  —  cela  va  sans  dire  —  de  refuser 
tout  intérêt,  par  exemple,  à  ce  qui  a  trait 
à  la  liturgie  judaïque.  Celle-ci  sera  jugée 
avec  d'autant  plus  d'exactitude  et  de  vé- 
rité qu'elle  sera  mieux  connue.  C'est  pour 
la  faire  connaître  que  M.  le  professeur 
W.  Staerk  a  réuni  dans  deux  petites  bro- 
chures à  l'usage  des  étudiants  les  princi- 
paux textes  hébreux  concernant  le  culte 
juif:  prières  liturgiques  du  judaïsme  an- 
cien (2)  et  traité  «  Berakhoth  »  de  la 
Michna  (3). 

«  « 
La  collection  à  laquelle  appartiennent 
ces  deux  brochures  vient  de  publier,  tou- 
jours dans  le  but  de  fournir  des  textes 
pour  les  cours  d'histoire  des  dogmes  ou 
de  philologie,  une  traduction  nouvelle  des 
Odes  de  Salomon,  avec  des  notes  critiques, 
par  A.  Uiignad  et  W.  Staerk  (4).  Décou- 


(i)  A.  d'Alès,  Dictionnaire  apologétique  de  la 
foi  catholique,  fasc.  III.  Paris,  Beauchesne,  1910, 
col.  832-851. 

(2)  W.  Staerk,  Alljiidische  liturgische  Gebete 
ausgewaehlt  und  mit  einleitungen  herausgegeben 
(collection  Kleine  Texte  fur  theologische  und 
philologische  Vorlesungen  und  Ubungen,  heraus- 
gegeben von  Hans  Liet^mann,  n'  58).  Bonn,  Marcus 
et  Weber,  1910,  in-i6,  32  pages.  Prix  :  i  mark. 

ii)  Staerk,  Der  Mischnatraktat  Berakhoth  in  vo- 
halisiertem  Text,  mit  sprachlichen  und  sachlichen 
Bemerkungen  (même  collection,  n"  59,  même 
librairie).  Bonn,  1910,  in-i6,  18  pages.  Prix:omk:.6o. 

(4)  A.  Ungnad  et  W.  ^itaerk.  Die  Oden  Salomos 
aus  dem  syrischen  ûbersetzt,  mit  Anmerkungen 


vertes  tout  récemment  par  M.  Rendel 
Harris  dans  un  lot  de  papiers  syriaques 
provenant  de  la  région  du  Tigre,  et  pu- 
bliées par  lui  (1),  ces  Odes  ont  attiré 
aussitôt  l'attention  des  savants.  Elles  pos- 
sèdent déjà  toute  une  littérature,  qui  se 
grossit  sans  cesse  de  nouvelles  disserta- 
tions. Rappelons  seulement  qu'elles  ont 
été,  peu  après  leur  publication,  traduites 
en  allemand  par  J.  Flemming  et  commen- 
tées par  A.  Harnack  (2),  tandis  que  la 
Revue  biblique  en  a  donné  une  traduction 
française  due  à  M.  J.  Labourt,  avec  une 
introduction  et  un  commentaire  rédigés 
par  Mgr  Batiffol  (3). 

Ce  sont  quarante-deux  petites  pièces 
dont  la  nature  exacte  n'est  pas  encore 
nettement  déterminée  et  que,  pour  le 
moment,  l'on  ne  saurait  mieux  définir 
qu'en  les  qualifiant  d'hymnes  analogues 
aux  psaumes  hébraïques.  Leur  existence 
était  connue  par  le  signalement  qu'en 
fournissent  la  stichométrie  du  patriarche 
Nicéphore,  au  ix^  siècle,  et  la  Synopsis 
sanctœ  Scripturœ  du  pseudo-Athanase,  au 
vie  siècle;  par  une  brève  citation  qu'en 
fait  Lactance,  au  iv»  siècle;  enfin  par  cinq 
citations  plus  importantes  qu'en  fait  l'au- 
teur de  la  Pistis  Sophia.  œuvre  gnostique 
de  la  seconde  moitié  du  iii^  siècle  qui  a 
été  conservée  en  copte  (4), 

Les  deux  premières  odes  manquent 
dans  le  manuscrit  syriaque  de  M.  Rendel 
Harris,  ainsi  que  le  début  de  la  troisième. 
Mais  la  première  se  retrouve,  au  moins 
en  partie,  au  chapitre  lix  de  la  Pistis 
Sophia.  La  seconde  est  donc  la  seule  à 
fjire  complètement  défaut. 

(même  colleciio.i,  n'64).  Bonn,  1910,  in-16,40  pages. 
Prix  :  o  mk.  80. 

(i)  J.  Rendel  Harris,  The  Odes  and  Psalms  0/ 
Salomon,  now  first  published  from  the  syriac 
version,  Cambridge,  University  Press,  1909,  in-8*, 
154  4-  54  pages.  Prix  :  12  schellings. 

(2)  A.  Harnack  et  J.  Flemming,  Ein  jildisch  — 
christlichesPsalmbuchausdemerstenJahrhundert 
(collection  Texte  und  Untersuchungen,  xxxv,  4). 
Leipzig,  Hinrichs,  1910,  in-8*,  134  pages. 

(3)  M"  Batiffol,  M.  J.  Labourt,  les  Odes  de 
Salomon,  dans  Revue  biblique,  octobre  1910,  jan- 
vier et  avril  191 1. 

(4)  Voir,  pour  les  références,  Harnack,  op.  cit., 
p.  2-9;  Batiffol,  op.  cit.,  janvier  191 1,  p.  22-25. 


222 


ECHOS   D  ORIENT 


La  langue  originale  des  Odes  était-elle 
le  grec  ou  l'araméen?  Les  critiques  ne 
s'entendent  pas  sur  ce  point.  Ils  ne  s'en- 
tendent pas  davantage  sur  la  question  de 
savoir  si  ces  pièces  sont  d'origine  juive 
ou  chrétienne. 

M.  Rendel  Harris  voit  dans  ce  recueil 
un  hymnaire  chrétion.  C'est  le  titre  qu'il 
a  donné  à  une  édition  populaire  qu'il  en 
a  publiée  peu  après  l'apparition  de  son 
grand  ouvrage.  Un  hymnaire  chrétien  dti 
premier  siècle,  c'est  ainsi  qu'il  l'appelle  (  i  ). 
M.  Harnack,  au  contraire,  l'intitule  psau- 
tier judéo-chrétien  et  veut  y  reconnaître 
une  œuvre  juive  antérieure  à  Jésus,  à  saint 
Jean  et  à  saint  Paul,  mais  interpolée  d'une 
manière  notable  par  une  main  chrétienne. 
L'une  et  l'autre  de  ces  deux  opinions  ont 
leurs  partisans,  sans  parler  des  nuances 
que  chacun  prétend  donner  à  la  sienne. 

Harnack  base  son  jugement  sur  le  con- 
tenu des  hymnes,  qu'il  découpe  en  mor- 
ceaux plus  ou  moins  étendus,  suivant 
ce  qu'il  croit  être  idées  juives  ou  idées 
chrétiennes.  M.  G.  Diettrich,  pasteur  de 
Berlin,  qui  vient  de  publier  à  son  tour 
une  traduction  et  un  commentaire  des 
Odes  (2),  se  rallie  à  ce  système,  mais  en 
l'appuyant,  en  outre,  sur  la  métrique  de 
ces  poèmes.  Il  partage  chacun  d'eux  en 
un  certain  nombre  de  strophes,  et  s'efforce 
de  discerner  par  ce  moyen  ce  qui  est  texte 
primitif  et  ce  qui  est  addition  postérieure. 
Je  n'ai  pas  qualité  pour  juger  du  résultat 
de  tant  de  labeurs,  mais  je  crains  bien 
que  toute  cette  dépense  d'érudition  ne 
soit  motivée  par  un  désir  trop  vif  de 
trouver,  à  l'occasion  de  la  récente  décou- 
verte, du  paulinisme  avant  saint  Paul,  du 
johannisme  avant  saint  Jean,  du  christia- 
nisme avant  le  Christ. 

Aussi  bien,  les  raisons  ne  manquent 
pas  aux  partisans  de  l'opinion  opposée, 


(i)  Rendel  Harris,  An  early  Christian  Psalter. 
Londres,  Nisbet,  1909,  in-8°,  78  pages. 

(2)  G.  Diettrich,  Die  Oden  Salomos  unter 
Beriicksichtigung  der  iiberlieferien  Stichenglie- 
derung,  aus  dem  Syrischen  ins  Deutsche  iiber- 
set^t  und  mit  einen  Kommentar  versehen.  Berlin, 
Trowitz,  191 1,  in-8%  xxiii-i36  pages.  Prix  :  5  marks. 


parmi  lesquels  il  faut  ranger,  entre  autres, 
M.  Th.  von  Zahn,  M.  H.  Gunkel  et 
M?»"  Batiffol.  Ce  dernier  reconnaît  dans  les 
Odesdestracesde  la  christologie  docète(  i  ), 
M.  Gunkel  pense  à  la  gnose,  probable- 
ment égyptienne  (2).  M.  Th.  von  Zahn  (3) 
explique  de  la  manière  suivante  le  carac- 
tère complexe  de  ces  hymnes:  l'auteur 
est  un  chrétien  qui  s'est  placé  dans  le 
rôle  de  Salomon  le  poète-prophète;  il  lui 
a  attribué  ces  chants,  avec  les  prophéties 
ex  eventu  qu'ils  renferment.  L'origine  des 
Odes  n'est  donc  pas  juive;  elle  n'est 
même  pas  judéo-chrétienne,  car  l'on  ne 
saurait  songer  aux  Nazaréens  ou  aux 
Ebionites.  Elle  est  entièrement  chrétienne. 
Ces  hymnes,  ajoute  le  même  critique, 
paraissent  avoir  servi  dans  les  réunions 
liturgiques;  un  soliste  les  chantait,  et  la 
communauté  répondait  par  l'acclamation 
Alléluia. 

On  devine  que  l'accord  est  loin  d'exister 
sur  la  date  de  ces  poèmes.  Bornons-nous 
à  signaler  que  M&r  Batiffol  les  croit  com- 
posés avant  l'an  150  de  notre  ère,  et 
M.  Th.  von  Zahn  probablement  dans  la 
période  120-150. 

En  ce  qui  concerne  l'hypothèse  d'un 
usage  liturgique  des  Odes  de  Salomon, 
il  est  intéressant  de  noter  que  le  Testament 
du  Seigneur,  décrivant  la  psalmodie  de 
l'office  du  matin,  dit  :  «  On  y  chantera 
des  psaumes  et  quatre  cantiques  :  celui 
de  Moïse,  les  autres  de  Salomon  et  des  pro- 
phètes »  (4).  Ces  cantiques  de  Salomon, 
ainsi  assignés  à  la  psalmodie  matinale,  ont 
été  placés  par  les  canonistes  byzantins  au 
nombre  de  ces  psaumes  privés  (iowotuoI 
'J;a).!jLO'l)  dont  le  Concile  de  Laodicée,  au 
iv**  siècle,  prohiba  l'emploi  dans  les  céré- 
monies officielles  du  culte .  Ajoutons  qu'un 
savant  anglais,   M.   J.  H.  Bernard,  s'est 


(i)  Revue  biblique,  janvier  1911,  p.  52-59;  avril 
191 1,  p.  176  et  suiv. 

(2)  Zeitschrift  fur  die  neutestamentliche  Wis- 
senschaft  und  die  Kunde  des  Urchristentums, 
1910,  t.  XI,  fasc.  IV,  p.  291  et  suiv. 

(3)  Neue  kirchliche  Zeitschrift,  1910,  t.  XXI, 
p.  667  et  suiv.,  747  et  suiv. 

(4)  Rahmani,  Tesiamentum  Domini  nostri  Jesu 
Christ  i.  May  en  ce,  1899,  p.  55. 


BULLETIN    DE    LITURGIE    ET    D'aRCHÉOLOGIE   CHRETIENNES 


223 


appliqué  à  montrer  que  les  Odes  de  Sa- 
lomon  sont  «  un  recueil  d'hymnes  où 
abondent  les  allusions  au  baptême,  et 
comparables  à  l'hymne  de  saint  Ephrem 
sur  l'Epiphanie  »  (i). 

Je  prends  au  hasard  une  des  Odes  les 
plus  courtes,  la  XXXVIh,  pour  la  citer 
comme  spécimen. 

J'ai  étendu  mes  mains  vers  le  Seigneur, 
et  vers  le  Très-Haut  j'ai  élevé  ma  voix.  J'ai 
parlé  par  les  lèvres  de  mon  cœur,  et  il  m'a 
entendu,  ma  voix  atteignant  jusqu'à  lui. 
Sa  parole  est  venue  vers  moi,  qui  me  donna 
les  fruits  de  mes  travaux  et  me  donna  le 
repos  par  la  grâce  du  Seigneur.  Alléluia  f  (2) 

Quoi  qu'il  en  soit  des  nombreux  points 
d'interrogation  qui  demeurent  et  demeu- 
reront peut-être  longtemps  encore  posés, 
les  Odes  de  Salomon  méritent  d'être  lues 
et  étudiées  de  tous  ceux  qui  s'intéressent 
aux  origines  chrétiennes. 


M.HansLietzmann  aconsacré.en  1909, 
un  des  premiers  fascicules  de  la  collection 
deBonn,  qu'il  dirige,  aux  textes  liturgiques 
concernant  l'histoire  du  baptême  et  de  la 
messe  en  Orient  au  m*  et  au  iv*  siècle  (3). 
Cette  brochure  contient  le  texte  de  Pline 
sur  les  réunions  des  chrétiens,  les  passages 
de  la  Didaché,  de  saint  Justin,  des  Consti- 
tutions apostoliques,  de  saint  Cyrille  de 
Jérusalem.  Une  livraison  plus  récente 
fournit  le  texte  de  la  liturgie  clémentine, 
avec  l'anaphore  de  Sérapion  de  Thmuis, 
des  extraits  des  canons  apostoliques  et 
de  la  Constitution  ecclésiastique  égyp- 
tienne (4).  Les  notes  renferment  des  ren- 
vois qui  seront  fort  appréciés. 


(i)  J.  H.  Bernard,  Thi  Odes  of  Salomon,  dans 
The  Journal  of  theological  Studies,  octobre  1910, 
p.  1-3 1. 

(2)  Traduction  de  M.  J.  Labourl,  dans  Revue 
biblique,  janvier  191 1,  p.  16. 

(3)  Hans  Lietzmans,  Liturgische  Texte  ^ur  Ges- 
chichte  der  orientalischen  Taufe  und  Messe  im  II 
und IV Jahrhundert  (collection  Kleine  Texte,  etc., 
n'5).  Bonn,  Marcus  et  Weber,  1909,  in-i6,  16  pages. 
Prix  :  o  mk.  3o. 

(4)  L1ETZ.MANN,  Liturgische  Texte,  VI:  Die  kle- 
mentinische  Liturgie  aus  den  Constitutiones  Apo- 
stolorum  VIII,  nebst  Anhaengen  (même  collection. 


Sur  la  catéchèse  et  le  catéchuménat,  on 
consultera  avec  profit  les  articles  récents 
du  Dictionnaire  d'archéologie  cbrétienne  et 
de  liturgie  (i).  Dom  P.  de  Puniet,  qui  avait 
déjà  traité,  dans  le  même  recueil,  le  sujet 
du  baptême,  y  a  rédigé  une  monographie 
très  documentée  des  rites  du  catéchuménat 
dans  les  diverses  parties  de  la  chrétienté. 
C'est  un  des  travaux  les  plus  soignés  de 
ce  très  utile  répertoire. 

On  sait  l'importance  qu'avait  le  sym- 
bole ou  formulaire  de  la  foi  au  cours  des 
cérémonies  de  l'initiation  chrétienne.  Aussi 
l'étude  du  symbole  se  rattache-t-elle  direc- 
tement à  l'étude  du  catéchuménat  et  du 
baptême.  Un  ouvrage,  un  peu  oublié 
peut-être,  a  été  précisément  consacré,  il 
y  a  quelques  années,  par  un  savant  catho- 
lique, M.  B.  Doerholt.  à  l'historique  des 
discussions  concernant  le  symbole  bap- 
tismal (2).  Après  un  rapide  résumé  de  la 
tradition  ancienne  et  quelques  intéres- 
santes indications  au  sujet  de  la  légende 
des  douze  apôtres,  l'auteur  prend  l'histo- 
rique des  discussions  au  moment  où, 
vers  la  fin  du  moyen  âge,  l'on  commence, 
de-ci  de-là,  à  douter  de  l'attribution  apo- 
stolique. Il  le  poursuit  jusqu'à  nos  jours, 
en  relatant  avec  grand  soin  toutes  les 
études  importantes  provoquées  par  ces 
débats. 

Le  livre  de  M.  l'abbé  G.  Rauschen  sur 
l'Eucharistie  et  la  Pénitence  dans  les  six 
premiers  siècles  de  l'Eglise  relève  à  la  fois 
de  la  théologie  et  de  la  liturgie.  Je  signale 
ici  la  seconde  édition,  corrigée  et  aug- 
mentée, qui  a  paru  l'année  dernière.  Cet 
ouvrage  a  obtenu  partout  un  succès  qu'il 
méritait.  Les  Echos  d'Orient  ont  déjà  dit  sa 
valeur  lors  de  la  première  édition  alle- 
mande, ainsi  qu'à  l'occasion  des  éditions 

n°  61).  Bonn,  Marcus  et  Weber,  1910,  in-i6, 32  pages. 
Prix  :  o  mk.  80. 

(i)  Cabrol,  Dictionnaire  d'archéologie  chré- 
tienne et  de  liturgie,  fasc.  XX  et  XXI.  Paris, 
Letouzey  et  Ané,  1910.  Prix  :  5  francs  le  fascicule. 

(2)  B.  Doerholt,  Das  Taufsymbolum  der  alten 
Kirche  nach  Ursprung  und  Entwicklung.  I  Teil  : 
Geschichte  der  Symbol forschung.  Paderborn, 
F.  Schoening,  1898,  in-8°,  viii-iôi  pages.  Prix: 
4  marks.  Ce  tome  1"  n'a  pas  eu  de  suite,  à  notre 
connaissance  du  moins. 


224 


ÉCHOS    d'orient 


française  et  italienne  (i).  Dans  le  rema- 
niement qu'il  a  fait  subir  à  son  œuvre, 
l'auteur  a  surtout  tenu  compte  des  obser- 
vations que  lui  avaient  soumises  les  cri- 
tiques de  langue  allemande.  Pour  ma 
part,  j'ai  relevé  dans  le  récent  volume  les 
mêmes  omissions  importantes  de  certains 
travaux  français  sur  le  canon  de  la  messe, 
que  j'avais  constatées  dans  le  précédent. 
Le  nom  de  Dom  Cabrol,  et  le  nom  seu- 
lement avec  l'indication  d'un  article  de 
revue,  a  été  glissé  en  note,  manifeste- 
ment après  que  tout  le  travail  a  été  fait 
sans  recourir  à  lui.  D'autres  liturgistes 
auraient  droit  à  être  au  moins  signalés. 
Une  revue  allemande ,  la  Theologische 
Revue,  de  Munster,  a  même  pris  soin  de 
signaler  à  M.  Rauschen  certains  articles 
des  Echos  d'Orient  qui  auraient  pu  ne  point 
être  inutiles  (2). 

La  liturgie  orientale  et  l'ancienne  li- 
turgie gallicane  ne  sont  pas  sans  avoir, 
on  le  sait,  d'intéressantesanalogies,  comme 
on  peut  s'en  rendre  compte  en  parcourant 
le  chapitre  que  M&r  Duchesne  consacre  à 
la  messe  gallicane  dans  ses  Origines  du 
culte  chrétien  (3).  Pour  ne  rappeler  qu'un 
exemple  typique,  signalons  la  procession 
de  l'oblation,  commune  aux  deux  usages. 
Plusieurs  savants  ont  même  prétendu  que 
la  liturgie  gallicane  était  d'origine  direc- 
tement orientale.  Quoi  qu'il  en  soit,  les 
particularités  de  cette  liturgie  méritent 
d''être  étudiées.  Le  volume  que  M.  l'abbé 
A.  Netzer  vient  de  publier  :  Introduction 
de  la  messe  romaine  en  France  sous  les  Caro- 
lingiens (4),  est  une  excellente  contribu- 
tion à  cette  étude.  Nous  y  notons  que, 
d'après  les  sacramentaires  du  ix«  siècle, 
en  France,  le  Gloria  in  excelsis  et  le  Credo 
se  disaient  et  se  chantaient  en  grec  (5). 
Dans  le  sacramentaire  de  Saint-Amand, 


(i)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  XII,  1909,  p.  120-121; 
t.  XIII,  1910,  p.  189. 

(2)  A.  Struckmann,  dans  Theologische  Revue, 
18  janvier  1911,  col.  12. 

(3)  Duchesne,  Origines  du  culte  chrétien,  c.  vu. 

(4)  A.  Netzer,  Introduction  de  la  messe  romaine 
en  France  sous  les  Carolingiens.  Paris,  A.  Picard, 
1910,  in-8%  vi-366  pages.  Prix:  5  francs. 

(5)  Netzer,  op.  cit.,  p.  214-216,  228. 


c'est  le  texte  grec  qui  est  noté.  De  plus^ 
la  transcription  de  ce  texte  grec  en  carac- 
tères latins  témoigne  de  la  prononciation 
d'alors.  Voici  la  première  ligne  du  Gloria, 
à  titre  de  spécimen  :  Doxa  en  ypsistis  theo 
ke  ypigis  yrini  en  enthropis  eudohya  (i). 
La  liturgie,  plus  encore  peut-être  que 
toute  autre  section  des  études  ecclésias- 
tiques, doit  employer,  selon  un  mot  très 
usité  aujourd'hui,  la  méthode  comparative. 
A  ce  titre,  l'article  de  Dom  Gougaud  sur 
les  liturgies  celtiques  (2)  mérite  d'être 
particulièrement  signalé.  Le  savant  Béné- 
dictin y  traite  des  sources  et  des  origines 
de  ces  liturgies,  du  cadre  et  du  personnel 
liturgiques,  de  la  messe,  de  l'année  litur- 
gique, de  l'office  divin,  etc.;  c'est  une 
monographie  complète. 


Nous  avons  maintenant  à  présenter 
quelques  ouvrages  dont  les  sujets  se 
placent  sous  ces  deux  dernières  rubriques  : 
année  liturgique  et  office  divin.  Un  érudit 
de  grande  valeur,  M.  A.  Baumstark,  qui 
a  présidé  à  la  fondation  de  la  revue  Oriens 
christianus,  s'est  proposé  de  résumer  l'his- 
toire du  bréviaire  des  fêtes  et  de  l'année 
ecclésiastique  des  Jacobites  syriens  (3). 
Dans  la  première  partie  de  son  ouvrage, 
l'auteur  nous  montre,  par  l'étude  des  an- 
ciens écrivains  et  des  manuscrits,  le  déve- 
loppement de  l'office  depuis  le  iv»  siècle. 
Un  chapitre  spécial  est  consacré  à  l'étude 
de  la  formation  et  de  la  structure  des 
diverses  heures  canoniques.  La  seconde 
partie  du  livre,  consacrée  à  l'année  ecclé- 
siastique, renferme  l'histoire  des  fêtes 
principales  et  l'énumération  des  fêtes  des 
saints.  C'est  un  travail  comme  il  en  faut 
souhaiter  beaucoup,   si  l'on   désire   voir 


(1)  Ibid.,  p.  2i5. 

(2)  L.  Gougaud,  art.  «  Liturgies  celtiques  »  dans 
le  Dict.  d'archéol.  chrét.  et  de  liturgie,  fasc.  XXII, 
col.  2969-3032.  Cf.  le  récent  ouvrage  du  même 
auteur:  les  Chrétientés  celtiques.  Paris,  Gabaida 
1911,  in-i2,  xxxv-410  pages,  3  cartes.  Prix:  3  fr.  bo. 

(3)  A.  Baumstark,  Festbrepier  und  Kirchenjahr 
der  syrischen  Jakobiten  (collection  Studien  ;{ur 
Geschichte  und  Culttir  des  Alterthums,  III,  3-5). 
Paderborn,  F.  Schoeningh,  1910,  in-i°,  xii-3o8  pages. 
Prix:  8  marks. 


BULLETIN    DE    LITURGIE    ET    D  ARCHEOLOGIE   CHRETIENNES 


225 


mieux  explorer  de  jour  en  jour  le  vaste 
champ  des  liturgies  orientales.  Les  trois 
excellentes  tables  de  la  fin  trahissent 
l'homme  de  patient  labeur  et  de  conscien- 
cieuse érudition  :  table  des  manuscrits, 
table  des  noms  propres,  table  des  choses 
liturgiques. 

C'est  un  ouvrage  moins  spécial,  et,  au 
contraire,  de  portée  générale,  que  celui 
où  M.  Kellner,  professeur  à  l'Université 
de  Bonn,  a  réuni  les  principaux  résultats 
acquis  sur  l'année  ecclésiastique  et  les 
fêtes  des  saints  (1).  La  première  édition 
allemande  a  paru  en  1900;  une  seconde 
paraissait  en  1906,  en  même  temps  qu'une 
traduction  italienne  due  à  M^f  Mercati; 
une  troisième,  revue  et  augmentée,  vient 
de  paraître,  un  an  après  l'édition  française 
qu'en  a  donnée  le  R.  P.  Bund.  Entre 
temps,  l'ouvrage  était  aussi  présenté  aux 
lecteurs  anglais.  C'est  un  succès  mérité. 
Ce  manuel  s'impose  à  toutes  les  biblio- 
thèques ecclésiastiques.  Je  me  permets  de 
signaler  à  M.  Kellner  et  à  ses  lecteurs  cer- 
tains articles  des  Echos  d'Orient  de  nature 
à  compléter  ou  rectifier  çà  et  là  quelques 
indications  sur  la  fête  de  la  Présentation  de 
Marie,  l'introduction  de  ]a  fête  de  Noël  à 
Jérusalem,  les  origines  de  la  fête  de  l'An- 
nonciation, le  Carême  et  l'Ascension  (2). 
De  même,  la  troisième  partie  de  l'o  jvrage, 
intitulée  :  Sources  et  manière  de  s'en  servir, 
d'ailleurs  destinée  à  être  très  utile,  ne 
pourra  que  gagner  encore  en  précision  à 
utiliser  d'excellentes  études  consacrées 
par  les  Boliandistes  aux  Ménologes,  aux 
Synaxaires,  aux  Typica  (3).  Le  public  de 
langue  française  saura  gré  au  R.  P.  Bund 


(1)  K.  A.  H.  Kellner,  l'Année  ecclésiastique  et 
les  fêtes  des  saints  dans  leur  évolution  historique 
[EOPTOAOriA],  traduit  de  l'allemand  par  le 
R.  P.  J.  Bund,  de  la  Congrégation  des  Sacrés- 
Cœurs  de  Picpus.  Paris,  Lethielleux  (1910),  in-8% 
xix-556  pages.  Prix  :  4  francs. 

(2)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  V,  1902,  p.  221; 
t.  VIII,  1905,  p.  212;  t.  IX,  1906,  p.  i38;  t.  XIII, 
1910,  p.  65. 

(3)  Voir  ces  mots  à  la  table  des  vingt  premiers 
volumes  des  Analecta  Bollandiana.  Bruxelles, 
1904.  Je  dois  avertir  le  lecteur  que  je  fais  abstrac- 
tion, dans  ces  observations,  de  la  troisième  édition 
allemande  que  je  n'ai  pas  sous  la  main. 


de  sa  traduction.  11  s'y  est  glissé  çà  et  là 
quelques  inexactitudes;  une  réédition, 
que  nous  souhaitons  prochaine,  les  répa- 
rera (i). 

L'archimandriteJ.  Archatzikakis  a  donné 
à  la  revue  jérosolymitaine  Nea  Sien  une 
série  d'articles  sur  les  principales  fêtes 
dans  l'ancienne  Eglise  orientale,  réunis 
ensuite  en  volume  (2).  Il  s'y  occupe  de  la 
célébration  du  sabbat,  du  dimanche,  du 
mercredi  et  du  vendredi,  de  la  Pâque  et 
du  Carême,  de  l'Ascension,  de  la  Pente- 
côte, de  Noël  et  de  l'Epiphanie.  Bien  qu'il 
soit  incomplet  sous  bien  des  rapports, 
ce  travail  rendra  service  aux  lecteurs  de 
langue  grecque.  L'auteur,  qui  a  étudié  en 
Europe,  cite  couramment  le  latin,  le  fran- 
çais, l'anglais  et  l'allemand.  C'est  dire  que 
la  littérature  du  sujet  lui  est  suffisamment 
connue.  Pour  la  partie  proprement  orien- 
tale, on  trouvera  peut-être  chez  lui,  à 
l'occasion,  quelques  renseignements  de 
plus  qu'ailleurs.  Je  n'y  ai  pas  rencontré 
mention  de  l'article  du  P.  Vailhé  sur 
l'introduction  de  la  fête  de  Noël  à  Jéru- 
salem, qui  aurait  pu  fournir  quelque  pré- 
cision à  M.  Archatzikakis  sur  le  décret  du 
basileus  Justin,  rendant  cette  fête  univer- 
selle dans  l'empire  (3). 

Puisqu'il  s'agit  d'héortologie,  mention- 
nons, au  passage,  la  notice  de  Dom  Cabrol 
sur  la  fête  de  la  Chaire  de  saint  Pierre, 
dans  le  Dictimmaire  qu'il  dirige  avec  une 
si  remarquable  compétence. 

L'Histoire  du  Bréviaire  romain,  par 
W^  Batiffol,  dont  la  première  édition  re- 
monte à  l'année  1893,  demeurera  un  des 


(i)  Signalons  entre  autres:  p.  i5,  note  4,  des 
fautes  de  grec:  p.  28,  la  graphie  éortologique, 
sans  h;  p.  29,  en  note:  Mauri  pour  Mansi;  p.  29, 
au  bas  de  la  page,  légère  incorrection  ;  p.  88,  réfé- 
rence Matiscon,  II,  3,  qu'on  prendrait  pour  un 
auteur,  alors  qu'il  s'agit  du  concile  de  Mâcon; 
p.  95,  3'  ligne,  Amularius,  sans  dou'e  pour  Ama- 
laire;  p.  25i,  dernière  ligne:  Kypiaxr,  Scyrépa  bis 
5exdtTr)  TSTxpTr,  toû  MaTÔacov,  où  le  traducteur  a  dû 
oublier  que  bis  n'était  pas  l'adverbe  latin  signi- 
fiant deux  fois,  mais  la  conjonction  allemande 
qu'il  aurait  fallu  remplacer  en  français  par /«s^u'à. 

(2)  J,  Archatzikakis,  Ai  x-jpsw-répac  éopral  èv  r/, 
àpxa'a;  àvaxoXiîcr;  'Ex-/.Ar,ff!'a.  Jérusalem,  imprimerie 
du  Saint-Sépulcre,  19 10,  in-8*,  223  pages. 

(3)  Echos  d'Orient,  t.  VIII,  1905,  p.  218. 


226 


ECHOS   D  ORIENT 


meilleurs  monuments  du  renouveau  des 
études  de  liturgie  historique  à  notre 
époque.  Une  «  troisième  édition  refondue  » 
vient  de  paraître,  qui  atteste  le  succès  de 
ce  petit  livre  et  lui  apporte  d'utiles  perfec- 
tionnements (i).  De  ces  derniers  bénéficie 
spécialement  le  chapitre  i^r  sur  la  genèse 
des  heures.  L'auteur  y  a  précisé  certains 
points,  dont  quelques-uns  assez  impor- 
tants, en  utilisant  des  recherches  récentes, 
telles  que  les  articles  du  P.  Pargoire  sur 
l'origine  de  Prime  et  de  Compiles,  les  tra- 
vaux de  Dom  Cabrol,  Dom  Leclercq,  etc. 
On  aurait  pu,  croyons-nous,  glaner  aussi 
plus  d'une  heureuse  indication  dans  les 
études  du  P.  Louis  Petit  sur  l'antiphonie  (2) 
et  du  P.  Pétridès  sur  les  confréries  de 
spoudaei  et  de  philopones,  répandues  en 
Orient  depuis  le  iv^  siècle  (3).  Au  sujet 
de  l'hymne  du  lucernaire,  Ow;  lAapôv, 
M&r  Batiffol  écrit,  p.  10,  en  note:  «Je  ne 
vois  pas  que  du  texte  de  saint  Basile  (4) 
on  soit  en  droit  de  conclure  que  ce  petit 
psaume  soit  l'hymne  d'Athénogène.  » 
C'est  trop  peu  dire,  puisque  le  docteur 
cappadocien  atteste  formellement  qu'on 
ne  connaît  pas  l'auteur  de  cette  pièce. 

Msr  Batiffol  sera  le  premier  à  relever 
lui-même,  à  l'occasion,  d'autres  légères 
imperfections  de  son  ouvrage.  Quelques 
lignes  de  sa  préface  expriment  bien  sa 
pensée  à  cet  égard,  et  sont  peut-être  la 
meilleure  recommandation  de  son  livre  : 

Je  devais  aux  lecteurs  qui  ont  aimé  cette 
Histoire  du  Bréviaire  romain  et  qui  lui 
ont  pardonné  ce  qu'elle  avait  de  prématuré, 
de  la  reviser  avec  un  soin  extrême.  J'ad- 
mire, sans  en  être,  hélas!  les  gens  qui  n'ont 
pas  à  se  corriger,  et  qui  ne  font  jamais  que 
du  définitif.  Pour  nous,  historiens,  si  la 


(i)  P.  Batiffol,  Histoire  du  Bréviaire  romain, 
3*  édition  refondue.  Paris,  Picard  et  Gabalda,  191 1, 
in-i2,  x-449  pages.  Prix:  3  fr.  5o. 

(2)  L.  Petit,  art.  «  Antiphone  dans  la  liturgie 
grecque  »,  dans  le  Dictionnaire  d'archéologie 
chrétienne  et  de  liturgie,  t.  I",  col.  2467-2488. 

(3)  S.  Pétridès,  Spoudœi  et  Philopones,  dans 
Echos  d'Orient,  t.  IV,  1901,  p.  225  et  suiv;  t.  VII, 
1904,  p.  341-348. 

(4)  De  Spiritu  Sancto,  xxix,  73  ;  MiGne,  P.  G., 
t.  XXXII,  col.  2o5  A.  M*'  BatifFol  se  contente  de 
la  référence  inexacte  :  De  Spiritu  Sancto,  73. 


courbe  des  grandes  lignes  est  aisée  à  tracer, 
les  détails  sont  toujours  à  vérifier,  et  les 
détails  sont  infinis  (i). 

On  trouvera,  à  l'article  Cénohitisme,  de 
Dom  Leclercq  (2),  un  grand  nombre  de 
références  et  de  renseignements  sur  la 
liturgie  monastique,  les  origines  et  le 
développement  de  l'office. 


La  liturgiie  proprement  byzantine  est, 
à  elle  seule,  un  vaste  champ  de  travail, 
où  tout  est  loin  d'être  défriché.  Voici 
quelques  publications  récentes  qui  res- 
sortissent  de  ce  domaine. 

M.  A.  Baumstark  a  fourni  à  la  collection 
des  Textes  liturgiques  de  Bonn  la  messe 
constantînopolitaine  d'avant  le  ix«  siècle, 
c'est-à-dire  dans  son  état  antérieur  à  celui 
où  nous  la  présentent  les  premiers  manu- 
scrits complets  (3).  Sous  son  apparence 
modeste,  cette  petite  brochure  est  un  tra- 
vail critique  de  grande  valeur,  qui  sera 
fort  utile  pour  les  recherches  liturgiques 
sur  ce  terrain  spécial. 

Non  moins  utile  est  le  recueil,  donné 
par  M.  Paul  Maas  à  la  même  collection, 
d'hymnes  appartenant  aux  tout  premiers 
débuts  de  la  poésie  ecclésiastique  byzan- 
tine (ve  et  vje  s.)  (4).  Ce  sont  plusieurs 
pièces  anonymes,  déjà  éditées  et  étudiées 
par  le  docte  critique  dans  la  Byiantinische 
Zeitschrift  (5),  plus  une  prière  de  saint 
Romanos,  le  prince  des  mélodes,  à  la 
Sainte  Vierge,  et  quelques  très  intéres- 
sants spécimens  de  kontakia.  Ltkontakion, 
auquel  M.  P.  Maas  a  consacré  récemment 


(i)  Op.  cit.,  p.  IX.  J'ai  noté,  p.  252,  en  note,  et  à 
la  table,  p.  438,  Jeanne  de  Mont-Cornillon,  sans 
doute  pour  désigner  la  bienheureuse  Julienne  de 
Mont-Cornillon. 

(2)Dict.  d'archéol.  chrét.  et  de  liturgie,  fasc.  XXII, 
col.  3047  et  suiv. 

(3)  A.  Baumstark,  Liturgische  Texte  :  III.  Die 
Konstantinopolitanische  Messliturgie  vor  dem 
IX  Jahrhundert.  Uebersichtliche  Zusammenstel- 
lung  des  wichtigsten  Quellentnaterials.  Bonn, 
Marcuset  Weber,  1909,  in-i6, 16  pages.  Prix  :  o  mk.40. 

(4)  P.  Maas,  Fruhbyxjantinische  Kirchenpoesie. 
I.  Anonyme Hymnen  des  V-VIJahrhunderts. Bonn, 
Marcuset  Weber,  1910,  in-i6, 32  pages.  Prix  :omk.  80- 

(5)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  XllI,  1910,  p.  307. 


BULLETIN    DE    LITURGIE    ET    D  ARCHEOLOGIE    CHRETIENNES 


227 


un  savant  article  (i),  se  compose  d'un 
préambule  et  d'un  nombre  variable  de 
strophes;  les  initiales  de  chaque  strophe 
forment  un  acrostiche.  Ces  compositions 
rappellent  la  poésie  syrienne,  de  laquelle 
est  sortie  l'hymnographie  byzantine.  Bril- 
lant disciple  du  regretté  Krumbacher, 
M.  Maas  est  l'homme  le  mieux  préparé  à 
nous  donner  une  édition  des  œuvres  de 
Romanos.  Puissions-nous  l'avoir  bientôt! 

Dans  la  nouvelle  revue  Roma  e  V Oriente, 
un  autre  spécialiste  en  hymnographie 
byzantine,  Dom  Gassisi,  Basilien  de  Grot- 
taferrata,  a  publié  un  kontakioii  inédit  se 
rapportant  à  la  dédicace  de  Sainte-Sophie, 
qui  eut  lieu  le  23  ou  24  décembre  562, 
L'auteur  est  probablement  l'anonyme  qui 
avait  composé  pour  les  fêtes  du  Natale  de 
Constantinople,  célébrées  le  1 1  mai,  un 
autre  kontahion  dont  on  possède  des  frag- 
ments (2). 

Un  érudit  russe,  M.  Karabinov,  profes- 
seur d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie, 
consacre  tout  un  volume  aux  hymnes  du 
Triodion  quadragésimal {^).  Les  Byzantins, 
on  le  sait,  ont  donné  le  nom  de  Triodion 
à  un  des  livres  liturgiques  affectés  au 
propre  du  temps,  renfermant  l'office  des 
dix  semaines  qui  précèdent  Pâques.  De 
ce  livre,  l'auteur  étudie  le  plan,  la  com- 
position, la  rédaction  et  les  traductions 
slaves  qui  en  ont  été  faites.  11  partage 
l'histoire  de  la  formation  du  Triodion 
actuel  en  trois  périodes  :  ve-vni«  siècle, 
ix«  siècle,  x«-xve  siècle.  L'œuvre  de  la  pre- 
mière période  est  celle  des  hymnographes 
jérosolymitains,  le  reste  appartient  à  ceux 
de  Constantinople.  Notons  que  M.  Kara- 
binov s'inscrit  en  faux  contre  l'attribution 
traditionnelle  de  l'ensemble  du  Triodion 
à  saint  Théodore  Studite  et  à  son  frère, 
saint  Joseph   de  Thessalonique.  La  pre- 


(i)  p.  Maas,  Das  Kontakion,  dans  Byj^antinische 
Zeitschrift,  t.  XIX,  1910,  p.  285-3o6. 

(2)  Un  antichissimo  «  kontakion  »  inedito,Saggio 
di  testi  liturgici,  dans  Roma  e  l'Oriente,  n°  3,  jan- 
vier igii,  p.  165-187. 

(3)  J.  Karabinov,  Postnata  Triod,  istoj-itcheskiy 
ob\or  éia  plana,  sostapa,  redaktsiy  i  slavianskikh 
perevodov.  Saint-Pétersbourg,  B.  D.Smirnov,  1910, 
in-8°,  ix-294  pages. 


mière  traduction  slave  de  ce  recueil  date 
des  x«-xi«  siècles. 

Il  faut  souhaiter  que  chaque  livre  litur- 
gique obtienne  sa  monographie,  analogue 
à  celle  que  nous  venons  de  signaler  (i). 
M.  Karabinov  nous  donnera  bientôt,  espé- 
rons-le, celle  du  Pentekostarion  comme  la 
suite  naturelle  d'un  travail  si  bien  com- 
mencé. Parmi  les  inexactitudes  à  redresser, 
nous  lui  soumettrons  seulement  quelques 
dates  fautives,  entre  autres  (p.  107  et  112) 
celles  de  la  mort  de  saint  Jean  Damascène 
et  de  saint  Cosmas  de  Maiouma,  placées 
toutes  deux  vers  787,  alors  que  le  premier 
mourut  en  749  (2)  et  le  second  vers  753. 

La  célèbre  hymne  acatbiste  fait  partie  du 
Triodion.  Aussi  a-t-elie  sa  place  dans  le 
livre  de  M.  Karabinov  (3).  On  sait  que  la 
composition  de  cette  pièce  remarquable  est 
un  problème  littéraire  non  encore  résolu. 
Les  Ecbos  d'Orient  en  ont  parlé  à  plusieurs 
reprises  (4).  Signalons  seulement,  pour 
cette  fois,  que  M.  Papadopoulos-Kerameus 
a  de  nouveau,  naguère  encore,  traité  le 
sujet  sous  la  forme  d'un  article  intitulé  : 
L'état  de  la  question  concernant  l'hymne 
acatbiste {<y).  L'auteur,  maintenant  ses  posi- 
tions déjà  anciennes,  persiste  à  attribuer 
cette  hymne  au  patriarche  Photius  et  à  la 
dater  de  l'an  860.  Il  a  déjà  trouvé  et  trou- 
vera encore  beaucoup  de  contradicteurs(6). 

A  signaler  aussi,  sous  la  rubrique  des 
liturgies  byzantines,  le  numéro  Xll  de  l'ar- 
ticle Caucase,  par  Dom  Leclercq,  dans  le 
Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne.  Je  ne 
veux  pas,  d'ailleurs,  terminer  cette  énu- 

(1)  Signalons  un  article  très  documenté  de 
M.  B.  Pantchenko,  secrétaire  de  l'Institut  archéo- 
logique russe  à  Constantinople,  le  Synaxaire  de 
Sirmond,  où  a-t-il  été  rédigé?  dans  le  Bulletin 
de  l'Institut  archéologique  russe,  t.  XIV,  1909, 
p.  154-164. 

{2]  Voir  Echos  d'Orient,  t.  IX,  1906,  p.  28-3o, 
où  cette  date  a  été  établie  par  le  P.  Vailhé. 

(3)  P.  39  et  suiv. 

(4)  M.  Théarvic,  Photius  et  l'Acathiste,  dans 
Echos  d'Orient,  t.  VII,  1904,  p.  293-3oo;  Autovr 
de  l'Acathiste,  t.  VIII,  1905,  p.  i63-i66. 

(5)  A.  Papadapoulos-Kerameus,  'H  (Tr,!Jicpivr,  ôéeri; 
TO'3  Trepl  'Axaôi'ff^ov  "Tixvoy  'rin-fiaToc,  dans  Vii^an- 
tiiskiy  Vremennik,  t.  XV.  Saint-Pétersbourg,  1910, 
p.  357-383. 

(6)  M.  Maas,  Byt^antinische  Zeitschrift,  1910, 
p.  304  et  6o5,  a  déjà  exprimé  des  réserves  formelles. 


228 


ÉCHOS   d'orient 


mération  sans  mentionner  des  études 
d'ordre  plus  général,  mais  importantes  et 
utiles,  commes  celles  de  Dom  Cabrol, 
dans  le  même  recueil,  aux  mots  Cendres, 
Cenionisations ,  etc.  Les  articles  Catéchu- 
ménat  et  Baptême,  de  Dom  P.  de  Puniet, 
font  déjà  la  part  très  large  au  rite  byzantin 
et  aux  autres  rites  orientaux. 


L'archéologie  chrétienne  et  laliturgie  ont 
entre  elles  de  nombreux  points  de  contact. 
Aussi  bien  se  trouvent-elles  heureusement 
réunies  dans  le  beau  monument  scienti- 
fique que  dirige  Dom  Cabrol.  Elles  se 
trouvent  réunies  de  même  dans  l'excellent 
ouvrage  publié  par  le  R.  P.  Sixte  Scaglia, 
Cistercien^  sous  ce  titre  qui  en  révèle  déjà 
tout  l'intérêt  :  Notions  d'archéologie  chré- 
tienne adaptées  aux  sciences  théologiques  et 
liturgiques  (i).  L'auteur  est  un  Trappiste 
des  catacombes  de  Saint-Calixte,  qui  a 
étudié  longuement  et  avec  amour  son 
sujet.  Un  premier  volume  donne  les  no- 
tions générales  qui  seront  indispensables 
au  lecteur  pour  la  suite  de  l'ouvrage  : 
documents  antiques,  persécutions,  sépul- 
tures chrétiennes,  etc.  La  première  partie 
du  tome  II,  intitulée  Epigraphia,  est  un 
bon  traité  d'épigraphie  chrétienne.  Le 
R.  P.  Scaglia  y  étudie  les  inscriptions  se 
rapportant  aux  dogmes  :  à  Dieu,  au  Christ, 
à  la  Trinité,  aux  anges,  à  l'âme  humaine, 
à  la  béatitude  des  saints,  au  jugement 
général  et  au  second  avènement  du  Sau- 
veur, au  péché  originel,  au  Baptême,  à  la 
Confirmation,  à  l'Eucharistie;  puis  celles 
qui  ont  trait  à  la  hiérarchie  ecclésiastique; 
celles  qui  concernent  les  relations  de  pa- 
renté et  de  famille  ;  les  inscriptions  sacrées, 
c'est-à-dire  votives  ou  dédicatoires;  les 
inscriptions  damasiennes,  les  graffites,  et 
enfin  les  sceaux  et  monogrammes  des 
catacombes.  La  seconde  partie  de  ce  même 
tome  11  porte  en   sous-titre  :  Symhola  et 


(i)  SixTus  ScKGLiK,  Notiones  archœologiœ  chris- 
tianœ  disciplinis  theotogicis  et  liturgicis  coordi- 
natœ.  Rome,  Desclée,  1908-1910,  3  volumes  in-8° 
d'environ  400  pages  chacun  (ouvrage  encore  ina- 
chevé). Prix  :  6  francs  le  volume. 


picturœ  cœmeteriales.  Pour  les  symboles, 
l'auteur  y  examine  successivement  ceux 
qui  représentent  l'âme  et  la  béatitude  éter- 
nelle, le  Christ  et  la  croix,  les  sacrements. 
Pour  les  peintures,  il  suit  à  peu  près  le 
même  ordre;  mais  ici  la  matière  est  plus 
abondante  et  les  renseignements  plus 
nombreux. 

L'ouvrage  est  écrit  en  latin,  ce  qui  sera 
considéré  par  les  uns  comme  un  incon- 
vénient, par  les  autres  comme  un  avan- 
tage. Les  illustrations  phototypiques  sont 
multipliées,  comme  de  juste,  avec  un  goût 
parfait,  pour  compléter  la  documentation. 
La  liste  des  consuls,  des  Papes  et  des 
Césars,  insérée  à  la  fin  de  l'étude  sur  les 
inscriptions,  est  un  utile  appendice.  On 
pourrait  désirer  peut-être  que  les  tables 
de  ce  genre  fussent  plus  nombreuses.  On 
ne  s'étonnera  pas  outre  mesure  que  le 
travail  du  docte  Cistercien  porte  presque 
uniquement  sur  l'archéologie  chrétienne 
de  Rome,  et  l'on  en  sera  quitte  seulement 
pour  chercher  ailleurs  des  renseignements 
analogues  au  sujet  des  autres  Eglises 
anciennes. 

On  trouvera  quelques-uns  de  ces  ren- 
seignements dans  le  manuel  d'épigraphie 
chrétienne  que  M.  Marucchi  vient  de 
donner  à  la  collection  de  volumes  vulga- 
risateurs publiés  par  l'éditeur  Hœpli,  de 
Milan  (1).  L'éminent  professeur  de  l'Uni- 
versité de  Rome  traite  son  sujet  sur  un 
plan  à  peu  près  semblable  à  celui  du 
R.  P.  Scaglia.  Les  deux  ouvrages  sont  à 
compléter  l'un  par  l'autre,  et  tous  deux 
peuvent  l'être  à  leur  tour  sur  certains 
points,  par  l'excellent  article  Epigraphie, 
écrit  par  le  R.  P.  Jalabert,  S.  J.,  dans  le 
Dictionnaire  apologétique  de  la  foi  catho- 
lique (2). 

C'est  un  chapitre  spécial  de  son  ouvrage 


(1)  O.  Marucchi,  Epigrafia  christiana,  Trattato 
elementare  con  una  silloge  di  antiche  iscri!{ioni 
cristiani  principalmentediRoma.^\.i\a.n,{J.Hoepll, 
1910,  in-16.  viii-453  pages  et  3o  planches.  Prix  :  7  fr.  5o. 

(2)  Voir  Echos  d'Orient,  mai  191 1,  p.  188.  Voir 
aussi  l'article  Epigraphie  chrétienne,  par  M.  l'abbé 
S.  Bour,  dans  le  fascicule  XXXIV  du  Dictionnaire 
de  théologie  catholique  qui  vient  de  paraître,  col. 
300-358. 


BULLETIN    DE    LITURGIE    ET    D  ARCHEOLOGIE    CHRETIENNES 


229 


que  M.  Marucchi  présente  aux  lecteurs 
français  dans  une  brochure  de  la  nouvelle 
collection  Science  et  foi.  11  y  étudie  le  dogme 
de  l'Eucharistie  dans  les  monuments  des 
premiers  siècles  (i).  Çà  et  là  quelques 
expressions  peu  usitées  dans  notre  langue, 
telles  que  «  loi  du  mystère,  règlement  du 
mystère  »,  pour  loi  de  l'arcane  ou  du 
secret,  et  quelques  légères  incorrections 
faciles  à  corriger. 

Plusieurs  pages  de  la  brochure  de 
M.  Marucchi  sont  consacrées  à  parler  du 
poisson  symbolique  qui,  dans  les  cata- 
combes, représente  le  Christ.  Un  érudit 
allemand,  M.  Fr.  J.  Doelger,  consacre  au 
même  sujet  un  gros  ouvrage  dont  le  pre- 
mier volume  a  paru  :  Le  symbolisme  du 
poisson  dans  les  premiers  siècles  chrétiens, 
t.  l^r;  Recherches  d'histoire  des  religions  et 
d'épigraphie,  contribution  à  l'histoire  de  la 
christologie  primitive  et  de  la  doctrine  sa- 
cramentaire  (2).  Ces  500  pages,  d'une 
documentation  impeccable,  attestent  la 
maîtrise  de  l'auteur  en  ces  matières.  Après 
une  première  partie  de  notions  générales 
sur  le  symbolisme  chrétien  du  poisson, 
comparé  avec  les  éléments  analogues 
fournis  par  l'histoire  des  religions,  le  sa- 
vant archéologue  traite  du  mot  IX0YC 
comme  abréviation..  A  ce  titre,  il  le  consi- 
dère tour  à  tour  comme  inscription  funé- 
raire ou  basilicale,  comme  phylactère, 
comme  amulette,  etc.  Une  troisième  partie 
est  intitulée  :  Le  poisson  dans  les  religions 
sémitiques  de  l'Orient.  Ce  simple  énoncé 
de  chapitres  dit  assez  l'intérêt  et  la  valeur 
de  cette  très  érudite  monographie.  Des 
tables  alphabétiques  très  complètes  ter- 
minent ce  volume  et  achèvent  d'attester 
que  l'auteur  est  un  professionnel  rompu 


(i)  Marucchi,  le  Dogme  de  l'Eucharistie  dans 
les  monuments  des  premiers  siècles.  Bruxelles, 
Action  catholique,  et  Paris,  J.  Gabalda,  1910,  in-i6, 
3o  pages.  Prix  :  o  fr.  5o. 

(2)  Fr.  j.  Doelger,  IX0YC,  Das  Fischsymbol  in 
fruhchristlicher  Zeit.,  I  :  Religionsgeschichtliche 
und  epigraphiscfie  L'ntersuchungen,  ^ugleich  ein 
Beitrjg  "{ur  aeltesten  Christologie  und  Sakramen- 
tenlehre.  Rome,  1910  (dépôt  chez  Herder,  à  Fri- 
bourg-en-Brisgau),  in-8',  xx-473  pages,  avec  illus- 
trations et  planches  phototypiques.  Prix  :  16  marks. 


depuis  longtem.ps  à  tous  les  secrets  du 
métier.  Quand  le  tome  II  aura  paru,  on 
pourra  sans  témérité  regarder  le  sujet 
comme  épuisé. 

Les  lecteurs  désireux  de  s'orienter  rapi- 
dement dnns  l'étude  des  anciens  monu- 
ments du  christianisme  pourront  recourir 
aux  articles  que  l'infatigable  Dom  Leclercq 
insère  coup  sur  coup  dans  le  Dictionnaire 
d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie.  Signa- 
lons nomm.ément,  dans  les  fascicules  les 
plus  récents,  les  articles  Catacombes,  Cavea, 
Cella,  Cercueil,  etc. 

Une  mention  spéciale  est  due,  dans 
cette  revue,  à  la  notice  du  même  auteur 
sur  Chalcédoine.  Après  quelques  mots  sur 
les  origines  de  cette  ville,  on  y  étudie  :  la 
basilique  de  Sainte-Euphémie,  les  églises 
de  Suint-Christophe  et  de  Sainte-Bassa, 
le  mont  Saint-Auxence  et  ses  environs  : 
Hiéria,  Rufinianes,  Polyaticon  et  le  monas- 
tère de  Satyre,  la  liste  épiscopale,  l'épi- 
graphie  chalcédonienne.  Tous  les  sous- 
titres,  à  une  exception  près,  sont,  par 
eux-mêmes,  des  références  aux  remar- 
quables travaux  topographiques  du  re- 
gretté P.  Pargoire.  Aussi  sommes-nous 
heureux  de  transcrire  ici  une  note  de  Dom 
Leclercq,  laquelle  permettra,  du  reste, 
d'apprécier  à  sa  juste  valeur  la  compi- 
lation du  docte  Bénédictin.  Il  écrit  donc: 

Si  la  mort  n'avait  pas  été  plus  pro.Tipte 
que  nous  et  n'avait  enlevé  le  P.  J.  Pargoire, 
cet  e  étude  sur  Chalcédoine  lui  appartenait 
de  droit.  Etabli  sur  cette  terre  même  de 
l'ancienne  ville  bithynienne,  il  en  avait  à 
p  usieurs  reprises  exposé  la  topographie 
dans  divers  travaux  un  peu  dispersés  et 
dont  certains  sont  peu  accessibles.  C'est 
pour  cette  raison,  d'abord,  que  je  les  ai 
cités  as^ez  longuement,  mais  plus  encore 
dans  une  pensée  d'hommage  à  l'égard  de 
leur  auteur  et  d'utilité  pour  la  science  ar- 
chéologique (i). 

11  n'en  faut  pas  moins  à  Dom  Leclercq 
une  prodigieuse  faculté  d'assimilation  pour 
garder  son  assurance  dans  des  compila- 


(i)  H.  Leclerq,  art.  «  Chalcédoine»  dans  le  Die 
tionnaire  d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie, 
fasc.  XXIII,  II*  partie,  col.  89,  n.  2. 


230 


ÉCHOS    d'orient 


tions  de  ce  genre,  pour  faire  de  la  topo- 
graphie byzantine  à  Farnborougli,  sans 
connaître  autrement  que  par  les  livres  les 
lieux  dont  il  est  question.  Il  est  inévitable 
cependant  qu'il  ne  lui  échappe  parfois  cer- 
taines inexactitudes.  11  y  aura  lieu  peut-être 
d'y  revenir  plus  en  détail  pour  d'autres 
travaux.  Bornons-nous  à  en  relever  aujour- 
d'hui deux  ou  trois.  Col.  90,  il  faut  ajouter 
que  Chalcédoine  fut  d'abord  une  fondation 
phénicienne,  comme  le  prouvent  son  nom 
(qui  est  l'équivalent  de  Carthagé)  et  les 
ruines  de  Moda  Bournou.  Voir  à  ce  sujet 
une  étude  de  Mordtmann  dans  le  Bos- 
porus{i).  Col.  95,  note  2,  on  lit:  «  Haidar- 
Pacha,  petit  village  situé  à  environ  un  ki- 
lomètre au  nord-est  de  Kadi-Keui.  »  C'est 
un  quartier  de  cette  ville.  L'église  Saint- 
Christophe  n'était  pas  à  Chalcédoine, 
mais  à  une  quinzaine  de  kilomètres  de  là  ; 
il  y  aurait  eu  d'autres  églises  et  d'autres 
monastères  de  ce  diocèse  à  signaler,  no- 
tamment une  liste  de  quarante  couvents 
dont  les  supérieurs  signèrent  à  un  con- 
cile de  536  ;  il  est  vrai  que  ceux-ci  n'avaient 
pas  encore  été  étudiés  par  le  P.  Pargoire 
ou  par  ses  confrères. 

Ce  qu'il  vient  de  faire  pour  Chalcédoine, 
Dom  Leclercq  l'avait  déjà  fait  pour  Byzance 
et  pour  l'art  byzantin.  Sur  ce  dernier  sujet, 
un  livre  existe  désormais,  qui  restera  fon- 
damental; c'est  le  Manuel  d'art  by:{antin, 
de  M.  Charles  Diehl,  déjà  analysé  dans 
nos  colonnes  (2).  Le  savant  professeur  de 
la  Sorbonne,  dont  on  sait  la  compétence 
en  matière  d'histoire  et  d'archéologie 
byzantines,  a  communiqué  récemment  à 
l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres 
son  appréciation  sur  les  mosaïques  de 
Saint-Démétrius  de  Salonique  (3).  Voici 
la  conclusion  de  cette  notice  : 


(i)  A.  D.  Mordtmann,  Historische  Bilder  vom 
Bosporiis,  II  :  Die  Phœnikier  am  Bosporus,  dans 
Bosporus,  Mitteilungen  des  deutschen  Ausflugs- 
vereins  G.  Albert.  Constantinople,  1907,  p.  84  et 
suiv. 

(2)  Voir  Echos  d'Orient,  mars   191 1,  p.   127-128. 

(3)  Ch.  Diehl,  les  Mosaïques  de  Saint-Démétrius 
de  Salonique,  dans  Académie  des  inscriptions  et 


Dans  l'histoire  architecturale  de  Saint- 
Démétrius  de  Salonique,  bien  des  points 
restent  obscurs  encore.  L'étude  des  mo- 
saïques pourtant  permet  de  fixer  quelques 
faits  importants.  La  décoration  du  mur 
du  collatéral  peut  être,  dans  son  ensemble, 
datée  avec  certitude  du  vi«  siècle,  et  tout 
au  plus  fut-elle  restaurée  après  l'incendie, 
et  modifiée  un  peu  par  l'addition  des  trois 
médaillons  qui  se  réclament  des  «  temps 
de  Léon  »,  Les  panneaux  des  piliers  de 
l'abside  sont  de  date  postérieure;  mis  en 
place  après  la  construction  du  transept, 
ils  ne  sont  point  antérieurs  au  premier 
quart  du  vii«  siècle,  et  l'un  d'eux  même 
appartient  au  x«  ou  au  xi«.  Mais  c'est  jus- 
tement là  le  fait  intéressant  qu'apprend 
l'étude  de  ces  très  remarquables  mosaïques, 
qu'après  le  grand  effort  de  l'époque  de  Jus- 
tinien,  l'art  byzantin  ne  tomba  point  en 
décadence,  et  que,  dans  la  première  moitié 
au  moins  du  vn^  siècle,  il  était  capable 
encore  d'œuvres  tout  à  fait  éminentes. 

On  trouvera,  dans  le  Bulletin  de  l'In- 
stitut archéologique  russe  à  Constanti- 
nople (i),  un  très  intéressant  mémoire  de 
M.  Th.  Ouspensky,  directeur  de  l'Institut, 
au  sujet  de  ces  mosaïques  (2),  et  quelques 
pages  d'une  précision  professionnelle  sur 
la  technique  de  ces  œuvres  d'art,  par 
M.  N.  Klougué  (3).  Vingt  planches  pho- 
totypiques permettent  de  suivre  avec  in- 
térêt et  profit  ces  remarquables  études.  II 
nous  est  agréable  de  terminer  ces  lignes 
par  un  hommage  à  la  très  méritante  acti- 
vité de  l'Institut  archéologique  russe  à 
Constantinople. 


Sévérien  Salaville. 


Constantinople. 


belles-lettres,  comptes  rendus  des  séances,  janvier 

191  I,    p.   25-32. 

(i)  I^piéstiya  rousskago  archeologitcheskago 
Institouta  v'Konstantinopolié,  t.  XIV,  1909,  fasc.  I. 

(2)  Th.  Ouspensky,  Des  mosaïques  récemment 
découvertes  dans  l'église  Saint-Démétrius  de  Salo- 
nique (en  russe),  dans  le  recueil  cité,  p.  1-61. 

(3)  N.  Klougué,  Technique  des  mosaïques  de 
l'église  Saint-Démétrius  de  Salonique,  ibid., p. 62-67. 


UNE    INSCRIPTION    BYZANTINE    DE    JÉRICHO 


Le  R.  P.  Abel,  O.  P.,  a  publié  récem- 
ment dans  la  Revue  biblique  (i)  une  in- 
scription byzantine  fort  intéressante  qui 
est  contenue  dans  une  mosaïque  apparte- 
nant à  l'hospice  russe  de  Jéricho.  La  lecture 
de  l'inscription  ne  laisse  rien  à  désirer, 
sa  traduction  non  plus,  et  son  interpré- 
tation pas  davantage.  11  s'agit  bien  de 
Cyriaque,  prêtre  et  higoumène,  qui  a  bâti 
une  chapelle  en  l'honneur  de  saint  Georges, 
a  été  le  bienfaiteur  de  l'église  Sainte-Marie 
la  Neuve,  à  Jérusalem,  et  qui  est  mort  le 
1 1  décembre  566,  sous  le  règne  de  Justin  H. 
Sur  ce  point-là  —  et  c'est  le  principal  — 
nul  doute  ne  saurait  s'élever  contre  la  lec- 
ture et  la  chronologie  données. 

Qui  est  ce  Cyriaque.^  Ici  peut-être  l'hy- 
pothèse mise  en  avant  par  le  R.  P.  Abe^ 
pourrait  être  suivie  de  plusieurs  autres. 
J'ai  dit  hypothèse,  parce  qu'il  convient,  en 
effet,  de  bien  remarquer  que  l'identifica- 
tion du  Cyriaque  de  l'inscription  avec  le 
Cyriaque  de  la  laure  de  Calamon,  dont  parle 
Jean  Mosch  (2).  n'a  été  présentée  qu'avec 
les  plus  expresses  reserves.  Je  me  permets 
de  les  renouveler  en  attirant  l'attention 
sur  un  autre  personnage  qui  a  vécu  à  peu 
près  à  la  même  époque.  11  y  a,  en  effet, 
deux  difficultés  à  l'identification  proposée. 
Tout  d'abord,  Jean  Mosch  peut  n'avoir 
rencontré  Cyriaque  de  Calamon  que  lors 
de  son  dernier  séjour  en  Palestine,  après 
l'année  600,  ainsi  que  le  R.  P.  Abel  a  eu 
soin  de  le  noter,  et,  dès  lors,  on  ne  saurait 
songer  à  lui.  En  second  lieu,  et  pour  moi 
c'est  la  principale  objection,  l'inscription 
parle  de  Cyriaque,  prêtre  et  higoumène, 
alors  que  le  Pré  spirituel  fait  seulement  de 
Cyriaque  un  prêtre  de  Calamon.  Pour  nous 
en  tenir  à  un  exemple  pris  dans  Jean  Mosch, 
au  chapitre  vu,  les  prêtres  de  la  laure  des 
Tours  sont  parfaitement  distincts  de  l'hi- 


(i)  Avril  191 1,  p.  286-289. 

(2)  Pratum  spirituale,  c.  xlvi  et  xxvi. 


goumène  de  cette  même  laure.  Par  lui 
seul,  le  mot  de  prêtre  ne  saurait  donc  être 
l'équivalent  d'higoumène,  pas  plus  que  le 
mot  d'higoumène  ne  saurait  être  l'équiva- 
lent de  prêtre,  car  on  rencontre  au  vi«  siècle 
des  supérieurs  de  couvents  qui  ne  sont  pas 
prêtres  et  qui  ne  savent  même  pas  lire. 

Ceci  dit,  je  propose,  à  titre  d'hypothèse 
bien  entendu,  d'identifier  le  Cyriaque  de 
l'inscription  avec  Cyriaque,  prêtre  et  higou- 
mène de  la  laure  des  Tours  dans  la  vallée 
de  Jéricho.  Celui-ci  représenta  son  couvent 
au  concile  de  Constantinople  qui  fut  tenu 
sous  Menas  en  l'année  536:  par  cinq  fois, 
dans  les  Actes  du  concile,  il  est  dit  prêtre 
et  higoumène  (i);  par  deux  fois,  prêtre  et 
archimandrite  {2),  ce  qui  revient  au  même. 
Je  sais  bien  que  nous  ne  trouvons  ce 
Cyriaque  qu'en  536,  et  que,  de  là  à  566, 
c'est-à-dire  pendant  l'espace  de  trente  ans, 
il  a  eu  grand  temps  de  mourir;  peut-être 
aussi  a-t-iJ  eu  l'occasion  de  vivre  jusque-là! 

La  laure  des  Tours,  dont  il  est  ici  ques- 
tion, est  mentionnée  à  plusieurs  reprises 
dans  Jean  Mosch  (3);  elle  avait  été  fondée 
par  Jacques,  disciple  de  saint  Sabas,  au 
commencement  du  vi^  siècle  (4).  Dans  un 
récit  de  Jean  Mosch  (5),  cette  laure  est 
mise  en  rapport  avec  Jéricho,  car  nous 
voyons  un  de  ses  religieux,  qui  a  été  soigné 
et  qui  est  mort  à  l'hôpital  de  la  ville,  être 
transporté  ensuite  au  cimetière  de  la  laure. 


(  i)  Mansi,  Conciliorum  Co//ertio,t.VIlI,  col. 883  A 
911  A,  gSi  A,  942  A,  954  C. 

(2)  Op.  cit.,  t.  VIII,  col.  991  D,  I  018  D;  Trajan, 
prêtre  de  la  laure  des  Tours,  assistait  ainsi  que 
Cyriaque  à  ce  concile,  op.  et  loc.  cit. 

(3)  Pratum  spirituale,  c.  v  à  x,  xc,  c.  Cette  laure 
se  trouvait  prés  du  Jourdîiin;  du  chapitre  ix  de 
Jean  Mosch,  il  ressort  que  chaque  moine  habitait 
une  cellule  isolée,  bâtie  en  forme  de  tour.  Dès  lors, 
je  ne  sais  si  son  emplacement  a  été  retrouvé  aux 
ruines  du  ccenobium,  prés  de  Aïn-Hagla,  dont 
parle  le  R.  P.  Féderlin  dans  la  Terre  Sainte, 
i5  juin  1903,  p.  182. 

<4)  Vita  S.  Sabœ,  n*  16,  dduis  Cotelier,  Ecclesitt 
grœcœ  monumenta,  t.  III,  p.  240. 
(5)  Pratum  spirituale,  c.  yu 


232 


ECHOS    D  ORIENT 


Sans  vouloir  exagérer  cette  coïncidence, 
on  se  l'explique  plus  aisément  si  la  laure 
des  Tours  avait  des  propriétés  dans  Jéricho, 
et  si  l'un  de  ses  supérieurs,  Cyriaque,  y 
avait  bâti  un  sanctuaire  en  l'honneur  de 
saint  Georges.  Je  dois  ajouter  toutefois,  en 


terminant,  que  mon  hypothèse  n'est  pas 
plus  garantie  que  celle  du  R.  P.  Abel,  et 
peut-être  en  présentera~t-on  d'autres  qui 
ne  le  seront  pas  davantage. 

SiMÉON  Vailhé. 
Constantinople. 


VESTIGES    BYZANTINS 

DANS   L'ART  MUSULMAN 


Dans  les  deux  volumes  où  MM.  H.Saladin 
et  G.  Migeon  ont  exposé  la  genèse  et 
l'histoire  de  l'art  musulman,  il  n'est  pas 
sans  intérêt  de  relever  ici,  très  brièvement 
du  reste,  les  formes  diverses  sous  les- 
quelles s'est  trahie  l'influence  de  l'art 
byzantin  (i). 

Cette  influence  s'explique  aisément,  si 
l'on  considère  d'abord  que,  dans  les  pre- 
miers siècles  de  l'hégire,  les  Arabes 
empruntèrent  aux  Byzantins  leurs  archi- 
tectes, puis  que,  après  la  conquête  turque, 
le  rôle  des  grandes  églises  byzantines,  de 
Sainte-Sophie  notamment,  marqua  singu- 
lièrement dans  le  plan  des  monuments 
musulmans,  et  enfin  que  les  relations 
diverses,  mais  surtout  commerciales,  entre 
Byzantins  et  Arabes  ne  furent  pas  sans 
réagir  sur  les  arts  de  ces  derniers  (2). 

L'origine  de  cette  mutuelle  compéné- 
tration  des  deux  arts  étant  donc  une  fois 
signalée,  étudions-en  les  différentes  ma- 
nifestations, d'abord  dans  l'architecture, 
ensuite  dans  les  arts  plastiques  et  indus- 
triels. 

1.  Dans  l'architecture. 

Jaloux  du  faste  des  empereurs  byzantins 
et  désireux  de  les  surpasser,  les  califes 
ont  naturellement  commencé  par  imiter 

(i)  H.  Saladin  et  G.  Migeon,  Manuel  dart 
musulman  en  deux  volumes,  in-8°,  xxiii-585,  lxxxiii- 
464  pages. 

(2)  H.  Saladin,  op.  cit.,  t.  I",  p.  19-34. 


le  caractère  somptueux  des  édifices  de 
Byzance. 

Or,  l'art  byzantin  —  M.  Ch.  Diehl  l'a 
prouvé  contre  M.  Strzygowski(i) —  n'est 
pas  seulement  une  déformation  de  l'art 
hellénique,  c'est  aussi  une  transformation 
de  l'art  romain,  ou  plutôt  c'est  la  fusion 
de  ces  deux  arts  hellénique  et  romain  dans 
un  art  original  où  la  voûte  et  les  coupoles 
tiennent  une  place  prépondérante. 

Par  suite,  il  est  naturel  de  retrouver 
dans  les  premiers  édifices  musulmans  tous 
les  procédés  en  honneur  à  Byzance  pour 
la  construction  des  voûtes  et  des  arcades 
sur  colonnes,  l'élévation  des  abaques,  la 
décoration  des  charpentes,  l'emploi  de  la 
mosaïque  sous  toutes  ses  formes,  les  pla- 
cages de  marbre  sur  les  murs  et  de  bronze 
sur  les  boiseries,  et  la  construction  des 
fenêtres  en  dalles  de  marbre  repercées  à 
jour.  Aux  Byzantins  encore  les  architectes 
musulmans  empruntèrent  la  coupole  sur 
pendentifs  en  trompe  conique,  en  trompe 
en  quart  de  sphère  ou  en  triangles  sphé- 
riques,  la  coupole  sur  tambours  cylin- 
driques ou  octogonaux  et  la  coupole 
côtelée  (2). 

De  fait,  en  dehors  de  la  mosquée  de 
Sainte-Sophie,  qui  a  gardé  presque  intacte 
sa  forme  architecturale  d'église  byzantine, 
on  peut  constater  cette  influence  dans  la 
forme  intérieure  de  la  mosquée  Koubbet- 

(i)  Ch.   Diehl,  Etudes   byzantines,  p.   35i-352; 
M.  Strzygowsk.1,  Orient  oder  Rom,  p.  8. 
(2)  Saladin,  op.  et  t.  cit.,  p.  36. 


VESTIGES    BYZANTINS    DANS   L  ART   MUSULMAN 


233 


er-Sakra  (mosquée  d'Omar)  à  Jérusalem, 
et  de  la  mosquée  Abou  Rezzit  au  Caire  ( i ); 
de  même,  la  grande  mosquée  de  Damas 
rappelle,  par  les  arcades  des  portiques  de 
sa  cour  et  par  la  façade  de  son  transept, 
une  ancienne  église  chrétienne  consacrée 
à  saint  Jean-Baptiste  et  construite  par 
Théodose  en  379  ;  on  reconnaît  aussi  dans 
la  mosquée  d'ibn  Touloun,  au  Caire,  des 
colonnettes  intérieures  de  style  byzantin 
à  reliefs  très  méplats  (2). 

Si  maintenant  de  l'Egypte  nous  passons 
en  Tunisie,  en  Algérie  et  en  Espagne, 
nous  retrouvons  les  traces  du  même  ^rt 
dans  les  colonnades  de  la  djama  Zitouna 
de  Tunis  (732  J.-C.),  dans  la  mosquée  de 
Sidi-Okba  à  Kairouan  (670  J.-C),  dont  les 
colonnes  de  porphyre  proviennent  d'un 
édifice  byzantin  —  l'église  des  Roûm,  — 
d'où  elles  furent  tirées  par  Hassan-ben- 
en-Noman;  enfin,  dans  l'ornementation 
byzantine  du  mihrab  de  la  grande  mos- 
quée de  Cordoue  (785  J.-C).  (3) 

C'est  également  à  l'art  néo-hellénique 
qu'il  faut  rattacher  certains  détails  de  con- 
struction que  l'on  rencontre  dans  l'art 
ottoman  seldjoukide:  par  exemple,  dans  le 
porche  du  Tach-Médresséà  Ak-Chéhir(4), 
dans  la  grande  mosquée  de  Koniah,  dont 
les  fragments  ont  été  empruntés  à  une 
ancienne  église  byzantine  d'Iconium  (5); 
dans  le  plan  et  la  décoration  polychrome 
de  la  mosquée  du  sultan  Mourad  à  Brousse  ; 
dans  la  cour  ou  haram  de  la  mosquée  du 
sultan  Bayézid  à  Constantinople,  qui  rap- 
pelle l'atrium  des  églises  byzantines  avec 
la  fontaine  'f-iAT,,  qui  en  occupait  le  mi- 
lieu; enfin,  dans  les  petites  coupoles  alter- 
nant avec  les  berceaux  du  turbé  du  sultan 
Sélim  II,  à  Constantinople  (6). 

Très  visible,  on  le  voit,  dans  la  structure 
générale  des  mosquées,  cette  compéné- 
tration  mutuelle  des  deux  arts,  byzantin 
et  musulman,  apparaît  aussi  dans  l'archi- 


(i)  Saladin,  op.  et  t.  cit.,  p.  38. 

(2)  P.  84. 

{3)  P.  2i5,  221,  224,  23o,  23i. 

(4)  P-  438-440. 

(5)  P.  448. 

(6)  P.  486. 


tecture  des  caravansérails.  A  vrai  dire,  ces 
auberges  primitives  que  l'on  rencontre  si 
souvent  en  Asie  Mineure  et  en  Syrie  étaient 
de  tradition  byzantine.  Construits  de  cin- 
quante en  cinquante  milles  sur  les  routes 
de  l'empire,  ils  apparurent  comme  néces- 
saires aux  musulmans,  surtout  aux  musul- 
mans arabes,  à  la  fois  commerçants  et 
voyageurs  (i). 

Puis,  ce  furent  les  fortifications  byzan- 
tines qui  influèrent  sur  les  fortifications 
musulmanes  (2).  En  effet,  les  transfuges 
des  armées  impériales  passant  au  service 
des  califes,  utilisèrent  en  leur  faveur  leurs 
connaissances  techniques  de  la  défense  et 
de  l'attaque  des  places  fortes,  leur  ap- 
prirent à  employer  des  fûts  de  colonnes 
pour  relier  les  parements  intérieurs  et 
extérieurs  des  murailles,  à  ne  pas  liai- 
sonner  les  tours  avec  les  courtines,  afin 
de  ne  pas  leur  donner  de  solidarité  entre 
elles,  et  à  conjurer  la  chute  simultanée 
des  tours  et  des  courtines  en  les  soutenant 
par  de  gros  éperons  reliés  par  des  arcs 
au-dessus  desquels  ils  firent  passer  le 
chemin  de  ronde  (3).  Ainsi  l'architecture 
moghrebine  militaire  est  d'origine  à  peu 
près  exclusivement  byzantine,  parce  que 
les  Grecs  de  Constantinople,  au  cours  de 
leurs  expéditions  militaires  en  Mauritanie, 
avaient  laissé  des  ouvrages  fortifiés  très 
nombreux  —  dont  plusieurs  subsistent 
encore,  —  et  qui,  plus  tard,  se  sont  im- 
posés comme  modèles  aux  vainqueurs 
musulmans  (4). 

De  l'architecture  militaire,  passons  à  la 
décoration  des  édifices  musulmans.  Là 
aussi,  les  artistes  byzantins,  qui  faisaient 
alterner  la  brique  et  la  pierre,  ont  appris 
aux  architectes  arabes  à  faire  alterner  les 
voussoirs  rouges,  les  voussoirs  jaunes  et 
les  voussoirs  noirs  dans  leurs  mosquées 
les  plus  anciennes,  telle  la  mosquée 
Zitouna  de  Tunis;  de  même,  à  l'exemple 
des  Byzantins,  les  architectes  musulmans 


(1)  P.  37. 

(2)  Ibid. 

(3)  P.  37. 

(4)  P-  '97- 


2}4 


ECHOS   D  ORIENT 


ont  affectionné  l'emploi  des  tirants  en 
bois  dans  la  construction  des  voûtes;  on 
remarque  notamment  ce  fait  à  la  mosquée 
d'Omar,  à  la  mosquée  El-Aksa  à  Jéru- 
salem, à  celle  d'Abou-Rezzik  au  Caire,  et 
à  celle  de  Sidi-Okba  de  Kairouan  (i). 

A  son  tour,  la  mosaïque  byzantine  passa 
dans  l'art  musulman  en  même  temps  que 
la  céramique  mésopotamienne  ou  per- 
sane. Ainsi,  la  mosquée  de  Damas,  celles 
d'Omar  et  d'El-Aksa  à  Jérusalem  sont 
ornées  du  même  genre  de  mosaïque  que 
la  basilique  chrétienne  de  la  Nativité  du 
Christ  à  Bethléem  (2).  De  même,  les 
musulmans  d'Espagne  ont  fait  décorer 
avec  des  mosaïques  de  verre,  par  des  ar- 
tistes byzantins,  la  grande  mosquée  de 
Cordoue,  avant  d'établir  en  Espagne  des 
fabriques  de  ces  mosaïques  (3).  Enfin, 
l'autre  type  de  ces  mosaïques,  appelé  Vapus 
sectile  par  les  Romains,,  et  exécuté  avec  des 
fragments  polygonaux  que  l'on  admire  à 
Sainte-Sophie  et  à  la  cathédrale  de  Parenzo, 
servit  de  modèle  à  l'ornementation  en 
marbre  du  Caire,  de  Damas,  et  à  la  déco- 
ration en  faïence  découpée  de  Tlemcen, 
du  Maroc  et  de  l'Espagne  (4).  A  Cordoue, 
par  exemple,  le  palais  somptueux  de 
Médinat-az-Zahra,  que  le  calife  Abd-el- 
Kaman  fit  construire  en  926,  renferme 
de  magnifiques  mosaïques  dans  le  même 
style  que  celles  de  Byzance. 

Enfin,  les  citernes  byzantines,  réser- 
voirs à  ciel  ouvert  ou  citernes  couvertes, 
ont  servi  de  modèles  aux  musulmans  de 
de  Syrie  et  d'Afrique  (5), 

Telles  furent,  sommairement  esquis- 
sées, les  formes  diverses  sous  lesquelles 
l'architecture  byzantine  pénétra  dans  l'art 
arabe  et  turc.  Nous  allons  voir  mainte- 
nant que  ce  dernier  donna  encore  accès 
à  l'importation  des  arts  plastiques  et  indus- 
triels de  Byzance. 


(i)  P.  38. 

(2)  Clermont-Ganneau,    Recueil    d'archéologie 
orientale,  t.  II,  p.  323. 

(3)  Makkari,  trad.  de  Pascal  de  Gayangos,  1. 1", 
p.  93,  496,  498. 

(4)  Saladin,  p.  39. 

(5)  H.  Saladin,  t.  I",  p.  38. 


II.  Dans  les  arts  plastiques 

ET    industriels. 

Dans  ce  domaine,  en  effet,  nous  retrou- 
vons d'abord  la  mosaïque  néo-hellénique 
sous  une  forme  spéciale  appelée  Vopus 
alexandrinum,  dans  la  grande  mosquée 
de  Cordoue,  dont  nous  avons  déjà  parlé; 
constituée  par  une  combinaison  de  petits 
fragments  de  marbre  ou  de  porphyre, 
cette  mosaïque  revêt  la  disposition  du 
dessin  géométrique  cher  aux  Arabes  (1). 

De  même,  certains  ivoires  chrétiens  pré- 
sentent à  peu  près  complètement  le  style 
des  travaux  musulmans,  telle  la  châsse 
que  le  roi  d'Espagne  Dom  Sanche  fit  con- 
struire en  1033  pour  y  déposer  les  restes 
de  saint  Millan  (2);  telle  aussi  la  croix  de 
San-Fernando,  conservée  au  musée  archéo- 
logique de  Madrid;  elle  porte  l'inscription  : 
IHE  NAZARENUS,  REX  JUDEORUM. 

A  sa  partie  supérieure  rayonne  la  figure 
du  Christ  ressuscité;  au  bas  se  voit  la 
figure  d'Adam,  figure  du  Christ.  Au  revers 
de  la  croix  se  dessine  l'Agneau,  symbole 
du  Christ  immolé,  et,  sur  les  bras,  les 
symboles  des  évangélistes.  Voilà  des  mo- 
tifs purement  chrétiens. 

Voici  maintenant  des  traits  caractéris- 
tiques de  l'art  arabe  :  des  feuillages  cou- 
rant en  tous  sens,  des  cercles  entrelacés, 
des  figures  d'hommes  et  d'animaux  qui 
combattent,  comme  on  en  voit  souvent 
dans  la  décoration  mauresque. 

On  peut  aussi  ranger  parmi  les  ivoires 
d'origine  chrétienne  une  croix  dont  il  ne 
reste  que  deux  bras.  Décorée  d'animaux 
divers  :  aigles,  bouquetins,  cette  croix  a 
passé  de  la  collection  de  M.  Maillet  du 
Boullay  dans  celle  de  M.  Doistan,  qui 
l'offrit  au  musée  du  Louvre  (3). 

Constatée  ainsi  dans  les  ivoires,  cette 
influence  byzantine  apparaît  également 
dans  les  monnaies  (4).  Par  exemple,  le 
sultan  Soliman  II  adopta  au  revers  de  ses 


(i)  G.  MiGEON,  op.  cit.,  T.  II,  p.  79;  Marçais,  les 
Monuments  arabes  de  Tlemcen.  Paris,  igoS,  p.ySsq. 

(2)  MiGEON,  t.  II,  p.  141. 

(3)  G.  MiGEON,  op.  cit.,  t.  II,  p.  144. 

(4)  G.  MiGEON,  op.  cit.,  t.  II,  p.  i6:-i62. 


STATISTIQUES   MONASTIQUES   DES   ÉGLISES   ORTHODOXES   AUTOCÉPHALES  2} y 


pièces  d'argent  un  cavalier  brandissant 
une  arme,  la  tête  nimbée,  ou  bien  un 
cavalier  pointant  une  lance,  reproduction 
au  moins  probable  du  saint  Georges  ou 
du  saint  Eugène  des  Byzantins  (i  ).  D'ail- 
leurs, sur  les  monnaies  des  Orthokides,  on 
voit  assez  souvent  des  représentations  du 
Christ  ou  de  la  Vierge  qui  dénotent  chez 
leurs  possesseurs  ou  bien  un  emprunt 
byzantin,  ou  bien  le  désir  de  posséder  des 
monnaies  comprises  des  chrétiens  avec 
lesquelles  ils  entretenaient  des  relations 
commerciales  (2). 

Disons  un  mot  des  émaux.  A  cause  de 
la  multiplicité  et  de  la  variété  des  verres 
émaillés  que  nous  révèle  l'art  arabe,  on 
conjecture,  sans  pouvoir  l'établir  avec  pré- 
cision, que  remaillage  des  lampes  et  des 
verres  a  dû  être  l'une  des  traditions  artis- 
tiques transmises  par  les  Byzantins  (3). 

Si  maintenant  des  émaux  nous  passons 
aux  tissus,  nous  remarquons  que  les 
Arabes  ont  emprunté  aux  Byzantins  l'or- 
donnance générale  du  décor,  la  disposi- 
tion des  roues  tangentes  ou  isolées,  les 
lignes  horizontales  de  la  disposition  lo- 
sangée.  Dans  la  bande  circulaire,  on  trouve 
souvent  une  belle  inscription  arabe  qui 
rappelle  les  inscriptions  grecques  à  la 
louange  de  celui  auquel  le  tissu  était  des- 
tiné. Ailleurs  apparaît  la  figure  humaine 
se  dessinant  assez  nettement  et  les  roues 
tangentes  à  larges  bordures  circulaires 
portant  des  léopards  ailés  et  afrontés  (4). 


Au  centre  de  chacune  d'elles  apparaît  un 
homme  à  épaisse  chevelure,  qui  cherche 
à  étrangler  deux  bêtes  ressemblant  à  des 
tigres.  Tel  est  le  dessin  que  l'on  conserve 
au  musée  épiscopal  de  Vich  (Catalogne). 

Sans  doute  aussi  il  faut  voir  l'influence 
del'art  néo-hellénique  chrétienauxin«siècle 
dans  ces  étoffes  siciliennes,  dont  les  mo- 
tifs décoratifs  recèlent  quelques  symboles 
chrétiens,  des  croix  notamment,  et  dont 
M.  G.  Migeon  hésite  à  préciser  les  carac- 
tères (i). 

11  faudrait  peut-être  en  dire  autant  de 
ces  tapis  dits  polonais,  qu'on  a  fait  re- 
monter à  l'époque  de  Sobieski,  roi  de 
Pologne  (1625.- 1696),  et  dans  lesquels  on 
ne  retrouve  aucune  influence  persane. 

Au  reste,  M.  Migeon  le  reconnaît,  dans 
ce  domaine  encore  à  peu  près  inexploré, 
bien  d'autres  objets  d'art  restent  à  classer. 
Qu'il  nous  suffise  d'avoir  précisé  dans  ces 
quelques  lignes  quelle  a  été  la  zone  d'in- 
fluence de  l'art  byzantin  dans  l'immense 
domaine  de  l'art  musulman.  Si,  d'autre 
part,  l'on  remarque  que  l'art  byzantin, 
qui  a  passé  presque  tout  entier  dans  l'art 
russe  (2),  a  laissé  aussi  des  traces  durables 
dans  l'art  de  la  Géorgie  (3),  on  ne  doit 
pas  s'étonner  d'en  rencontrer  également 
quelques  vestiges  dans  les  motifs  décora- 
tifs des  arts  turc,  persan  et  arabe  (4). 


EZÉCHIEL  MONTMASSON. 


Constanlinople. 


STATISTIQUES    MONASTIQ.UES 

DES  ÉGLISES  ORTHODOXES  AUTOCÉPHALES 


La  vie  religieuse  n'est  guère  florissante, 
à  l'heure  qu'il  est,  dans  les  Eglises  ortho- 
doxes autocéphales.  De  l'aveu  de  la  presse 
ecclésiastique  et  des  autorités  officielles. 


(1)  P.  i63. 

(2)  Jbid. 
(3|  p.  342. 

(4)  P.  382.  393,  398. 


le  monachisme  aurait  besoin  d'une  réforme 
radicale.  Nos  lecteurs  n'ont  pas  oublié  le 


(i)  P.  415-416. 

(2)  VioLLET  LE  Duc.  l'Art  russe,  p.  24  sq. 

(3)  J.  MouRiER,  l'A  rtau  Caucase, Par. s,  igoj.p.  1&-22. 

(4)  Bayet,  Précis  de  l'histoire  de  l'art,  p.  124-125; 
Ch.  DiEHL,  Manuel  d'art  bysiantin,  Paris,  1910. 
p.   441-448. 


236 


ÉCHOS   d'orient 


programme  réformiste  que  M?''  Nicon, 
évêque  de  Vologda,  présenta  au  Congrès 
monastique  de  Moscou,  en  juillet  1909, 
et  qui  reçut  un  accueil  si  froid  de  la  part 
des  intéressés  (i).  Ce  programme  dévoilait 
bien  des  lacunes  et  bien  des  misères,  dont 
les  monastères  des  autres  Eglises  autocé- 
phales  ne  sont  pas  exempts.  S'il  prenait 
envie  à  un  apologiste  catholique  de  mon- 
trer la  supériorité  du  catholicisme  sur 
l'orthodoxie  orientale  sous  le  rapport  de 
la  pratique  des  conseils  évangéliques,  il 
aurait  certainement  beau  jeu.  Notre  inten- 
tion n'est  pas  d'entreprendre  ici  un  paral- 
lèle qui  exigerait  de  longs  développe- 
ments. Nous  voulons  simplement  produire 
quelques  statistiques  sur  le  nombre  des 
moines  et  des  monastères  des  différentes 
autocéphalies.  Nous  empruntons  les  don- 
nées qui  vont  suivre  soit  à  différents  ar- 
ticles parus  dans  les  Echos  d'Orient,  soit  à 
l'Histoire  de  l'Eglise  chrétienne  au  \\x^  siècle 
publiée  en  1901  par  A.  P.  Lopoukhine, 
avec  la  collaboration  de  plusieurs  profes- 
seurs ecclésiastiques  appartenant  à  di- 
verses Eglises  orthodoxes  (2). 

En  Russie,  on  compte  environ  80000  re- 
ligieux et  religieuses,  y  compris  les  novices 
ou  convers,  et  les  tchernit:{e,  espèce  de 
béguines  habillées  en  noir.  Les  statistiques 
que  nous  avons  consultées  ne  concordent 
pas  complètement.  L'ouvrage  de  Lopou- 
khine donne  800  monastères,  dont  500 
d'hommes  et  300  de  femmes,  abritant 
53000  âmes.  Sur  ce  nombre,  8000  njoines 
et  9000  moniales  seulement  sont  signalés 
comme  ayant  fait  profession.  Les  autres, 
c'est-à-dire  7  ooohommeset  29  000  femmes, 
sont  placés  dans  la  catégorie  des  novices 
ou  convers  (3).  Une  statistique  de  1898, 
reproduite  par  les  Echos  d'Orient  {4),  porte 
730  monastères,  dont  481  d'hommes, 
avec  I  5  072  moines  et  7  000  novices,  et 
249  de  femmes,  avec  8020  moniales  et 


(i)  J.  B,  Chronique  religieuse  de  Russie,  dans 
Echos  d'Orient,  juillet  1910,  t.  XIII,  p.  239-240. 

(2)  Istoriia  Khrinstianskoï  tserki.  Saint-Péters- 
bourg, 1901,  t.  II. 

(3)  Lopoukhine,  op.  cit.,  p.  726. 

(4)  Echos  d'Orient,  t.  VI,  p.  397. 


29000  novices;  en  plus,  elle  signale 
17300  religieux  ou  religieuses  ne  vivant 
pas  en  communauté.  C'est  dans  cette  der- 
nière catégorie  que  rentrent  les  tchernitze. 
Cela  fait  un  total  d'environ  76  000.  Une 
statistique  de  1904  porte  ce  chiffre  à  84389. 

On  remarquera  le  petit  nombre  des 
profès  et  des  professes,  et  le  grand  nombre 
des  novices,  surtout  parmi  les  femmes. 
Ce  phénomène  s'explique  en  partie  par  la 
législation  russe,  qui  fixe  l'âge  de  la  pro- 
fession à  trente  ans  pour  les  hommes, 
et  à  quarante  ans  pour  les  femmes.  Les 
novices  restent  libres  de  renoncer  à  la  vie 
monastique,  si  bon  leur  semble.  D'après 
la  statistique  de  Lopoukhine,  il  n'y  aurait 
que  17000  profès  et  professes;  d'après 
celle  des  Echos  d'Orient,  le  nombre  en 
serait  de  23000;  ce  n'est  pas  le  tiers  du 
chiffre  total. 

Après  la  Russie,  le  principal  centre  du 
Tiomch'isme  orthodoxe  est  le  Mont  Athos, 
dit  la  Sainte  Montagne.  Là  vivent  environ 
7  000  religieux,  profès  ou  novices  :  Russes, 
Grecs,  Bulgares,  Roumains,  Géorgiens  ou 
Serbes,  répartis  dans  vingt  monastères  et 
leurs  dépendances  (i). 

Le  royaume  de  Grèce  vient  ensuite, 
avec  I  300  moines  et  200  moniales.  D'après 
la  statistique  de  1908,  le  nombre  des  mo- 
nastères est  de  167,  dont  10  de  femmes. 
Au  moment  de  la  guerre  de  l'Indépen- 
dance, on  comptait  en  Grèce  544  monas- 
tères d'hommes  et  18  de  femmes,  avec 
une  population  de  3  000  âmes  ;  1 20  de  ces 
monastères  étaient  complètement  vides, 
et  200  avaient  moins  de  5  moines.  Le 
gouvernement  hellénique  a  confisqué  les 
propriétés  d'un  grand  nombre  de  ces 
couvents  (2). 

La  Roumanie  est  aussi  riche  en  monas- 
tères que  pauvre  en  moines.  Les  princi- 
paux de  ces  monastères  étaient  possédés, 
jusqu'à  leur  confiscation  par  le  prince 
Couza,  en  1864,  par  les  patriarches  orien- 
taux, la  communauté  du  Sinai  et  les  habi- 


(i)  Voir  Vailhé,  art.  Constantinople  (Eglise  de), 
dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catholique, 
t.  m,  col.  1493-1495. 

(2)  Lopoukhine,  op.  cit.,  p.  3io  et  suiv. 


A    TRAVERS    L  ORTHODOXIE 


237 


tants  de  l'Athos.  On  les  appelait  «  cou- 
vents dédiés  »,  parce  que  les  propriétaires 
les  avaient  jadis  consacrés  aux  saints  lieux 
du  monde  orthodoxe,  c'est-à-dire  aux 
monastères  de  Palestine,  de  l'Athos  et 
d'ailleurs.  En  1864,  le  nombre  des  cou- 
vents dédiés  se  montait  à  71,  avec 
25  skites  ou  couvents  dépendants.  Ce 
n'étaient  pas  précisément  des  foyers  de 
vie  monastique,  mais  des  fermes  ayant  à 
leur  tête  un  ou  plusieurs  moines.  Les 
autres  couvents  roumains  sont  très  peu 
peuplés  et  renferment  tout  au  plus  quelques 
centaines  de  religieux  (1). 

Le  patriarcat  de  Carlovitz  possédait,  en 
1900,  27  monastères  avec  636  habitants. 

Une  statistique  religieuse  de  la  Bulgarie 
dressée  en  1909  porte  75  monastères 
d'hommes  et  16  monastères  de  femmes, 
avec  une  population  de  169  moines  et 
260  religieuses. 

En  Serbie,  il  y  avait,  en  1903,  53  mo- 
nastères et  113  moines. 

En  Bukovine,  on  trouve  3  monastères 
etunecinquantainede  moines;  depuis  1908 
cette  autocéphalie  possède  en  plus  un  cou- 
vent de  religieuses  hospitalières. 

Le  personnel  monastique  est  insigni- 
fiant dans  le  patriarcat  d'Alexandrie,  en 
Bosnie-Herzégovine  et  en  Dalmatie. 

Le  Monténégro  possède  d'anciens  mo- 
nastères, qui  sont  tous  vides. 


Le  patriarcat  de  Jérusalem  compte  un 
nombre  relativement  considérable  de  mo- 
nastères. Il  y  en  a  20  à  Jérusalem  même 
et  aux  environs  ;  mais  la  grande  majorité 
n'est  habitée  que  par  un  fermier,  moine 
ou  laïque.  Le  nombre  total  des  moines 
ne  dépasse  pas  200. 

On  trouve  dans  le  patriarcat  d'Antioche 
17  monastères,  dont  le  plus  peuplé  compte 
50  moines;  les  trois  quarts  n'ont  que  de 
2  à  5  religieux. 

L'autocéphaliedeChypre possède  37  mo- 
nastères; en  multipliant  ce  chiffre  par  6 
ou  7,  on  aura  le  nombre  approximatif  des 
religieux. 

Si  le  patriarche  œcuménique  n'exerçait 
pas  sa  juridiction  sur  l'Athos,  il  aurait 
sans  doute  encore  un  assez  grand  nombre 
de  monastères,  mais  un  nombre  infime 
de  moines,  attendu  que  la  plupart  ne  sont 
habités  que  par  un,  deux  ou  trois  moines 
fermiers. 

Tout  compte  fait,  le  personnel  monas- 
tique des  Eglises  autocéphales  s'élève  à 
90000  membres  environ,  y  compris  les 
béguines  et  les  novices,  dont  le  nombre 
l'emporte  sur  celui  des  profès.  Ce  n'est 
guère  plus  de  la  moitié  du  nombre  des 
religieux  et  des  religieuses  que  possédait 
la  France  catholique  en  1900. 

M.  JUGIE. 


A  TRAVERS  L'ORTHODOXIE 


1.  Dans  l'Eglise  d'Alexandrie. 

Les  prêtres  de  cette  Eglise,  qui  souvent 
déploient  un  zèle  apostolique  louaMe, 
ont  parfois  à  lutter  contre  le  fanatisme 
musulman  qui  tendrait  à  les  arrêter  dans 
l'exercice  de  leurs  fonctions.  Ainsi,  durant 


(i)  Nous  n'avons  pu  nous  procurer  une  statis- 
tique exacte. 


le  mois  de  février  de  cette  année,  le  mé- 
tropolite de  Tripoli,  Théophane,  a  dû 
protester  auprès  du  gouverneur  turc  de 
cette  ville  contre  des  faits  déplorables  plu- 
sieurs fois  répétés  :  au  cours  d'un  enter- 
rement et  de  plusieurs  autres  proces- 
sions, par  exemple,  quelques-uns  des 
prêtres  qui  relèvent  de  sa  juridiction  ont 
été  obligés  d'affronter,  en  pleine  rue,  de 
grossières  injures,  une  grêle  de  pierres 


238 


ÉCHOS   d'orient 


habilement  dirigée  sur  eux  par  les  soins 
de  quelques  jeunes  gens  musulmans. 

Malgré  ces  difficultés  et  d'autres  sem- 
blables, le  patriarche  d'Alexandrie  n'imite 
pas  l'indolence  de  certains  évêques  ortho- 
doxes des  autres  patriarcats.  Ainsi,  après 
avoir  —  comme  nous  l'avons  dit  précé- 
demment—  envoyé  un  évêque  au  Soudan, 
il  s'est  occupé,  en  mars  191 1,  de  faire 
construire  à  Cadaref,  dans  le  Soudan, 
l'église  convenable  que  les  orthodoxes  de 
cette  localité  appelaient  de  tous  leurs 
vœux.  Puis,  en  avril,  c'est  à  Djibouti, 
dans  l'éparchie  d'Axoum,  qu'une  grande 
église  s'est  élevée,  construite  aux  frais  de 
généreux  bienfaiteurs. 

Toutefois,  le  zèle  des  évêques  ortho- 
doxes se  heurte  à  une  difficulté  connue 
depuis  longtemps  et  qui,  à  Alexandrie, 
semble  présenter  une  particulière  gra- 
vité :  la  conversion  à  l'Islam  d'un  certain 
nombre  de  «  pieux  »  orthodoxes.  Ainsi, 
au  mois  d'avril  dernier,  deux  Grecs  de 
Bara,  dans  le  Soudan,  se  sont  faits  mu- 
sulmans :  fait  assez  surprenant,  car,  d'or- 
dinaire, ce  sont  les  jeunes  filles  grecques, 
brutalement  enlevées  à  leurs  familles, 
qui  sont  obligées  de  renoncer  à  leur  reli- 
gion pour  obéir  aux  caprices  de  leurs 
ravisseurs. 

D'autres  points  noirs  sont  aperçus  à 
l'horizon  par  les  plus  clairvoyants  des 
'  orthodoxes  alexandrins.  Deux  surtout 
semblent  les  effrayer  :  a)  d'abord,  la  cons- 
truction au  Caire  d'un  grand  médressé  mu- 
sulman, affecté  spécialement  à  la  formation 
théologique  des  imams  qui  seront  ensuite 
envoyés  dans  toutes  les  régions  où  règne 
le  christianisme,  pour  y  prêcher  le  Coran  ; 
b)  ensuite,  la  propagande  catholique  dont 
l'inlassable  activité  semble  un  non-sens 
aux  docteurs  de  l'orthodoxie,  pour  les- 
quels la  vraie  religion  semble  être  un  tré- 
sor que  ses  possesseurs  doivent,  en 
avares,  conserver  pour  eux  seuls. 

II.  Dans  l'Eglise  d'Antioche. 

Le  3/16  mars  dernier,  le  saint  synode 
de  l'Eglise  de  Constantinople  a  été  invité 


à  s'occuper  encore  de  l'Eglise  d'Antioche, 
par  une  lettre  de  S.  B.  le  patriarche 
d'Antioche,  Grégoire,  ayant  trait  à  cer- 
taines irrégularités  canoniques  remar- 
quées dans  le  diocèse  de  Tarse-Adana. 
Dans  le  même  document,  on  rapportait 
le  vote  émis  par  les  habitants  de  cette 
éparchie  dans  le  but  de  faire  nommer 
comme  métropolite  l'un  des  candidats 
proposés  par  eux.  Ce  document  avait  été 
apporté  au  Phanar  par  une  Commission 
spécialement  choisie  à  cet  effet.  Cette  as- 
semblée de  délégués  déclara  au  patriarche 
œcuménique  que,  du  fait  de  la  reconnais- 
sance par  le  Phanar  de  M&'  Grégoire 
comme  patriarche  d'Antioche  canoni- 
quement  élu,  il  résultait  nécessairement 
—  car  c'était  la  condition  posée  préala- 
blement à  cette  reconnaissance  —  que, 
dans  les  diocèses  du  patriarcat  d'An- 
tioche où  dominait  la  population  grecque, 
les  métropolites  choisis  devaient  être 
grecs. 

A  cette  proposition  déjà  faite  à  l'exarque 
du  Phanar,  en  ce  diocèse,  le  métropolite 
de  Tyr  et  Sidon,  M?*"  Elias  Dib,  avait 
répondu  négativement,  déclarant  que  le 
choix  d'un  métropolite  grec  n'avait  pas 
été  la  condition  essentielle  de  la  recon- 
naissance en  question,  mais  devait  être 
considéré  comme  l'expression  d'un  simple 
désir,  non  d'une  condition  sine  qua  non, 
et  que,  par  suite,  l'Eglise  d'Antioche  res- 
tait libre  de  fixer  son  choix  sur  le  sujet 
qu'elle  voudrait. 

Cette  façon  d'envisager  la  question 
déplut  assez  au  Phanar:  car,  sans  plus 
d'explications,  le  saint  synode  phanariote 
conclut  que  la  «  très  sainte  Eglise  d'An- 
tioche »  devait  s'appliquer  à  satisfaire  les 
désirs  légitimes  et  les  justes  revendica- 
tions de  ce  diocèse. 

'  III.  Dans  l'Eglise  de  Jérusalem. 

Moins  calme  encore  que  le  patriarcat 
d'Antioche,  le  patriarcat  de  Jérusalem  n'a 
jamais  goûté  les  joies  du  vrai  repos  depuis 
l'insurrection  des  Arabophones  contre  la 
Confrérie  du   Saint-Sépulcre  survenue  il 


A    TRAVERS    L  ORTHODOXIE 


239 


y  a  deux  ans.  11  continue  en  191 1  à  cueil- 
lir les  fruits  amers  qui  mûrissent  peu  à 
peu  sur  cet  arbre  de  discorde. 

Par  exemple,  à  la  suite  de  l'entente  sur- 
venue entre  les  deux  partis  dissidents, 
les  monastères  volés  par  les  Arabophones 
aux  hagiotaphites  devaient  être  rendus  à 
leurs  propriétaires.  Les  Arabophones  y 
consentent  bien,  mais  font,  dans  cette 
restitution,  des  distinctions  très  subtiles. 
Ainsi  le  monastère  de  Jaffa,  devant  être 
rendu  à  la  «  sainte  communauté  du  Saint- 
Sépulcre  »,  le  représentant  de  cette  com- 
munauté se  présente  à  la  porte  de  ce  cou- 
vent. On  l'accueille  très  poliment,  mais 
on  lui  déclare  qu'on  ne  rendra  au  Saint- 
Sépulcre  que  l'auberge  du  monastère, 
car  l'église  et  les  autres  parties  du  cou- 
vent sont  considérées  comme  des  biens 
de  communauté. 

Aux  couvents  de  Lydda  et  de  Ramleh, 
le  délégué  du  Saint-Sépulcre  entend  des 
déclarations  semblables.  A  Ramleh,  on 
consent  bien  à  lui  livrer  les  appartements 
de  l'higoumène,  mais  non  l'église  du 
monastère.  A  Lydda,  au  contraire,  on  lui 
signifie  de  se  retirer  simplement,  parce 
qu'il  ne  serait  nullement  reçu.  Devant 
cette  résistance  désespérée,  le  représen- 
tant doit  se  retirer,  non  sans  avoir  mani- 
festé aux  moines,  par  une  bordée  d'in- 
jures, toute  la  profondeur  de  son  mécon- 
tentement. 

Ces  faits  se  passaient  en  février  191 1. 

Deux  mois  plus  tard,  en  avril  191 1,  un 
autre  représentant  de  la  communauté 
hagiotaphite,  Vépitrope  du  Saint-Sèpulcre 
au  métochion  de  Constantinople  était, 
lui  aussi,  suspecté  par  la  population  ortho- 
doxe du  Phanar.  En  effet,  à  cette  date.  Sa 
Toute  Sainteté  Joachim  111  recevait  d'une 
Commission,  représentant  les  paroisses 
du  Phanar,  un  long  rapport  couvert  des 
signatures  des  «  pieux  orthodoxes  du 
Phanar  les  plus  considérés  »  le  suppliant 
d'éloigner  du  métochion  hagiotaphite  Vépi- 
trope Dosithée,  à  cause  de  sa  conduite 
scandaleuse.  En  conséquence,  le  saint 
synode,  auquel  ce  rapport  fut  soumis, 
décida  de  demander  au  patriarche  de  Jéru- 


salem le  rappel  de  Vépitrope  en  question. 
Cette  demande  a  été  agréée  (i). 

IV.  Dans  l'Eglise  de  Chypre. 

Travaillée  plus  encore  que  sa  grande 
sœur  de  Jérusalem  par  les  divisions  intes- 
tines dont  nous  avons  rapporté  les  causes 
en  1908  et  en  1909,  l'Eglise  de  Chypre 
a-t-elle  enfin  conquis  la  paix  au  terme  de 
ses  longs  combats?  Oui  et  non  :  car  si 
les  partisans  du  métropolite  de  Kyrénia 
ont  fini  par  se  résigner  à  reconnaître  le 
métropolite  Cyrille  de  Kition  pour  arche- 
vêque de  l'ile,  tout  n'en  est  pas  moins  à 
réorganiser  dans  cette  île  longtemps 
divisée. 

Pourtant,  sur  l'invitation  de  l'arche- 
vêque, dont  la  résidence  est,  comme  par 
le  passé,  à  Nicosie,  le  saint  synode  de 
l'île  s'est  misa  l'œuvre.  Présidée  par  l'arche- 
vêque lui-même,  assisté  des  métropolites 
de  Kyrénia,  de  Paphos  et  de  Kition,  la 
haute  assemblée  s'est  appliquée  dès  la 
reprise  de  ses  travaux,  en  février  1911,  à 
élaborer  un  règlement  d'après  lequel 
toutes  les  questions  d'ordre  administratif 
et  économique  seront,  à  l'avenir,  canoni- 
quement  discutées.  A  cet  effet,  une  Com- 
mission a  été  nommée  pour  arrêter  dans 
ses  lignes  essentielles  le  pian  de  ce  règle- 
ment. 

Puis  les  synodiques  ont  examiné  les 
graves  (!)  questions  suivantes: 

1°  D'abord,  la  question  du  monastère 
de  Cbryssoriatissa,  qui  reste  depuis  long- 
temps sans  higoumène.  Au  mois  d'août 
19 10,  le  métropolite  de  Paphos,  au  cours 
de  sa  visite,  faite  le  jour  de  l'Assomption, 
constata  cette  triste  situation  et  entendit 
les  moines  le  supplier  de  leur  choisir  un 
higoumène.  Ce  choix,  ne  pouvaient-ils 
pas  le  faire  eux-mêmes  et  n'avaient-ils 
pas  pour  cela  un  règlement  tracé  depuis 
longtemps?  Sans  doute  :  mais  deux  biéro- 
moines  (moines-prêtres),  Théophile  et 
Mélèce,  ont  cru  devoir  déchirer  les 
feuilles  du  livre  qui  contenaient  l'ordre 

(n  riav-aivô;,  5  avril  191 1,  n'  14,  p.  187. 


240 


ÉCHOS   d'orient 


à  suivre  dans  l'élection  de  l'higoumène. 

On  s'explique  aisément  la  colère  du 
métropolite  de  Paphos  en  apprenant  le 
sans-gêne  avec  lequel  deux  moines  se 
sont  débarrassés   d'une    partie  de    leurs 

saintes  règles Fort  de  l'autorité  que 

lui  confèrent  les  saints  canons,  il  les  a 
frappés  de  la  peine  canonique  la  plus 
humiliante  pour  eux  :  la  suspense  a  divinis. 

Il  a  été  bien  mal  inspiré:  car,  sans 
tenir  aucun  compte  de  cette  décision 
épiscopale,  les  deux  coupables  ont  pris 
place  dans  l'église  comme  à  l'ordinaire 
pour  chanter  l'office,  et,  durant  la  céré- 
monie, ont  crié  à  tue-tête  qu'ils  ne  recon- 
naissaient pas  lajuridiction  du  métropolite 
de  Paphos  :  leur  persévérance  dans  ce 
genre  d'exercice  a  été  couronnée  d'un  tel 
succès,  qu'ils  ont  obligé  l'évêque  récalci- 
trant à  sortir  de  la  maison  de  Dieu,  à  tra- 
vers une  assistance  compacte,  ahurie  de  ce 
spectacle.  Le  lendemain,  ils  ont  recom- 
mencé les  mêmes  scènes  de  désordre  et 
se  sont  adjoint  un  troisième  biéromoine, 
nommé  Gérasime,  qui  avait  eu  maille  à 
partir  avec  le  métropolite  au  cours  d'une 
visite  pastorale  de  ce  dernier. 

Devant  cette  obstination  des  révoltés, 
le  métropolite  les  a  dénoncés  au  saint 
synode.  La  judicieuse  assemblée,  après 
avoir  reconnu  que  le  délit  des  moines- 
prêtres  Théophile  et  Mélèce  entraînait  la 
peine  canonique  de  la  dégradation,  admit 
pourtant  la  circonstance  atténuante  du 
repentir  qu'ils  manifestèrent  alors  de  leur 
faute,  et  condamna  Théophile  et  Mélèce  à 
être  suspens  a  divinis  pendant  cinq  ans, 
Gérasime  à  la  même  peine  pendant  un  an, 
tous  les  trois  enfin  à  être  privés  de  tout 
emploi  et  de  tout  droit  dans  l'administra- 
tion du  couvent,  soit  comme  électeurs, 
soit  comme  sujets  éligibles. 

2°  La  situation  anticanoniqiie  d'un  mo- 
nastère. D'après  un  rapport  du  métropo- 
lite de  Kition,  au  monastère  chypriote  de 
Saint-Georges,  certains  moines  abritent 
dans  leur  monastère  leurs  mères  et  leurs 
soeurs,  sans  avoir  obtenu  pour  cela  une 
autorisation  quelconque  du  métropolite 
et  sans  prendre  en  considération  qu'une 


pratique    de    ce   genre    ne    peut    jamais 
avoir  un  caractère  canonique. 

Visiblement  surpris  que  des  faits  pareils 
soient  tolérés,  le  saint  synode  a  cité  les 
chefs  hiérarchiques  de  ce  couvent,  le 
biéromoine  Niphon  et  le  moine  Cyrille,  à 
présenter  leur  défense  le  i6  29  mars.  A 
cette  date,  le  saint  synode  a  frappé  le 
premier  de  la  suspense  a  divinis  pendant 
cinq  ans,  et  les  a  condamnés  tous  deux 
à  quarante  jours  de  pénitence. 

y  La  loi  organique.  Comprenons  sous 
ce  titre  le  règlement  général  d'après 
lequel  le  saint  synode  doit  réorganiser 
l'Eglise  de  Chypre,  La  Commission  qui 
l'a  élaboré  vient  de  le  soumettre  à  ce 
haut  Conseil  ecclésiastique,  après  avoir 
ajouté  en  marge  de  chaque  page  les  points 
sur  lesquels  ses  divers  membres  ne  sont 
pas  d'accord.  Cet  exposé  porte  les  signa- 
tures du  métropolite  de  Kition,  président 
du  métropolite  de  Kyrénia,  et  de  MM.  Théo- 
dote  Constantinidès  et  Oiconomidès, 
membres  de  la  Commission.  Le  saint  sy- 
node se  propose  d'étudier  un  à  un  tous 
les  articles  de  ce  règlement.  Mais  les 
discussions  seront  longues  :  ne  le  sont- 
elles  pas  toujours  dans  l'île  de  Chypre? 

40  La  situation  économique  du  couvent 
de  Cbryssoriatissa.  L'attention  du  saint 
synode  a  été  attirée  sur  cette  question 
par  l'higoumène  de  ce  couvent,  M.  Cyrille, 
qui,  dans  un  rapport  très  documenté,  a 
représenté  ce  monastère  comme  grevé  de 
dettes  et  a  sollicité  en  conséquence  le 
secours  de  cette  assemblée  pour  sauver 
le  couvent.  Le  saint  synode,  qui  ne  se 
croit  pas  chargé  de  payer  toutes  les  dettes 
des  couvents  besogneux,  a  répondu  qu'il 
ferait  des  avances  d'argent  au  monastère 
dans  le  cas  seulement  où  les  créanciers 
exigeraient  sa  vente  aux  enchères  .pour 
se  rembourser  (i). 

A  la  solution  de  ces  quelques  questions 
d'intérêt  assez  particulier,  l'assemblée 
générale  des  représentants  de  l'Eglise  de 
Chypre  joindra  prochainement  la  solution 


(i)  'Ey.y.>.r,«Tia(TTty.bç   xr,(>uE,   n"   5,    3i     mars     191 1, 
p.  i52-i55. 


A    TRAVERS    L  ORTHODOXIE 


241 


de  bon  nombre  de  problèmes  agités.  Le 
2  mai  dernier,  elle  s'est  réunie  à  l'arche- 
vêché de  Nicosie  au  grand  complet  :  com- 
posée des  évêques  de  l'Ile,  des  higoumènes 
des  monastères,  des  députés  grecs  et  des 
membres  de  la  Commission  dite  «  de  ré- 
daction »,  sous  la  présidence  de  l'arche- 
vêque, elle  a  écouté  d"abord  une  allocution 
de  son  président  rapportant  en  quelques 
traits  l'historique  de  la  question  :  puis 
chaque  membre  a  pris  part  aux  discus- 
sions qui  se  sont  ouvertes  et  dont  le 
monde  hellénique  attend  les  éclaircisse- 
ments nécessaires  sur  la  question  de 
Chypre  (i). 

En  attendant  plus  ample  information, 
tournons  nos  regards  vers  l'Eglise  de 
Grèce. 

V.  Dans  l'Eglise  de  Grèce. 

Là,  non  plus,  le  calme  des  esprits  n'est 
pas  fait.  Les  différends  religieux  naissent 
des  querelles  politiques,  et  souvent  une 
question  en  apparence  d'ordre  général 
n'est  l'affaire  que  d'un  parti  ou  même  d'un 
personnage  ambitieux. 

Parmi  les  revendications  du  clergé  grec, 
nous  remarquons,  en  premier  lieu,  en  date 
du  mois  de  mars  191 1,  une  requête  col- 
lective d'un  certain  nombre  de  prêtres 
grecs  demandant  à  la  Chambre  hellénique 
le  droit  politique  d'être  électeurs  et  éli- 
gibles. 

En  soi,  cette  demande  n'a  rien  que  de 
juste.  On  ne  voit  pas,  en  effet,  comment 
le  prêtre  orthodoxe,  par  le  fait  même  qu'il 
est  homme  d'Eglise,  cesserait  d'être 
patriote,  par  suite  cesserait  de  prendre 
part,  dans  la  mesure  qui  est  accordée  aux 
autres  citoyens,  au  gouvernement  de  son 
pays.  Ce  qui  est  au  contraire  étonnant,  à 
mon  humble  avis,  c'est  que,  dans  un  pays 
épris  de  liberté  comme  la  Grèce  et  au  sein 
d'un  clergé  confondant  souvent  dans  sa 
pensée  les  intérêts  politiques  et  les  intérêts 
religieux,  cette  idée  de  la  participation 
effective  du  prêtre  au  gouvernement  de 


(i)  'Ex-/.>.r,(T:aTtT,/.ô;  xr,p-j;|,  n*  6,  p    3o3. 


son  pays  ait  mis  si  longtemps  à  se  faire 
jour.  Il  ne  semble  pas,  pourtant,  que  le 
gouvernement  grec  ait  l'intention  de  faire 
droit  pour  le  moment,  à  cette  légitime 
revendication. 

Mais  le  clergé  grec  se  réjouit  à  bon 
droit  de  deux  autres  projets  des  ministres 
relatifs  à  l'enseignement.  Le  ministre  de 
l'instruction  publique,  A.  Alexandris,  en 
est  l'auteur  et  les  a  développés  à  la  Chambre 
hellénique  le  21  mars-3  avril  191 1.  Le 
premier  de  ces  projets  a  trait  à  la  réorga- 
nisation de  l'Université  nationale,  qui  ne 
comprendra  plus  que  deux  sections,  celle 
de  médecine  et  celle  de  physique  ;  le  second 
se  rapporte  à  l'Université  dite  de  Capo 
d'Istria,  qui,  en  outre  du  Prytanée  et  de 
l'Académie  proprement  dite,  comprendra 
les  sept  chaires  de  théologie  que  voici  : 

à)  La  chaire  d'introduction  biblique  et 
d'exégèse  de  l'Ancien  Testament,  langue 
grecque  et  archéologie. 

b)  La  chaire  d'introduction  biblique  et 
d'exégèse  du  Nouveau  Testament,  histoire 
de  la  Bible  et  encyclopédie  de  la  théologie. 

c)  La  chaire  d'histoire  ecclésiastique,  de 
l'antiquité,  du  moyen  âge  et  des  temps 
modernes. 

d)  La  chaire  de  p^ologie  et  d'archéo- 
logie chrétienne.       * 

^)  La  chaire  de  théologie  dogmatique  et 
morale. 

/)  La  chaire  de  théologie  pratique  et 
symbolique. 

g)  La  chaire  de  droit  canonique. 

Ajoutons  que  cesdeux  Universités  seront 
indépendantes  sous  tous  les  rapports  et 
qu'elles  auront  aussi  une  administration, 
des  diplômes  et  des  locaux  distincts. 

A  la  bonne  heure  I  Le  clergé  grec  qui 
va  tous  les  ans  mendier  aux  Universités 
allemandes  un  complément  de  théologie 
plus  ou  moins  frelatée  ne  pourra  que 
gagner  à  trouver  dans  ces  propres  Univer- 
sités la  science  dont  il  a  besoin,  pourvu 
toutefois  que  l'accès  de  ces  facultés  dites 
nationales  ne  lui  soit  pas,  de  fait,  fermé 
par  quelque  loi  friponne  du  gouvernement 
hellénique  ou  rendu  impossible  par  des 
exigences  pécuniaires  exorbitantes. 


242 


ECHOS   D  ORIENT 


Du  reste,  l'Eglise  orthodoxe  de  Grèce 
a  conscience  du  danger  que  courent  ses 
prêtres  dans  leur  contact  avec  les  doctrines 
des  étrangers.  Elle  a  donc  raison,  elle 
aussi,  de  condamner  comme  hérétiques 
tous  ceux  de  ses  tils  qui,  par  les  nou- 
veautés de  leur  enseignement  théolo- 
gique, contribueraient  à  la  dépravation  des 
«  pieux  »  orthodoxes.  Mais  un  point  sur 
lequel  cette  même  Eglise  se  contredit,  c'est 
que,  tandis  qu'elle  réprouve  officiellement 
comme  des  excès  de  pouvoir  et  des 
attentats  à  la  liberté  de  pensée  les  mul- 
tiples condamnations  portées  par  l'Eglise 
romaine  contre  les  hérétiques  en  général 
et,  récemment,  contre  les  modernistes, 
elle  anathématise  à  son  tour  les  «  pieux 
orthodoxes  »  qui,  suspects  d'hérésie,  font 
entendre  des  nouveautés  dogmatiques 
aux  oreilles  des  fidèles  non  avertis.  Ainsi, 
par  exemple,  en  avril  et  en  mai  191 1,  le 
saint  synode  a  condamné  les  nommés 
Zaphiropoulos,  Mataranga,  Giannatos,  Pa- 
pajordanos,  Prionas  et  Ballianos  à  trois 
mois  de  prison  sur  la  dénonciation  du 
prédicateur  Sotiropoulos,  pour  avoir  fait 
du  prosélytisme  et  raillé  les  croyances  de 
l'orthodoxie.  Voilà,  certes,  qui  n'est  guère 
tolérant.  Je  m'étonne  aussi  que,  dans  le 
droit  pénal  moderne,  la  prison  soit  une 
peine  canonique  employée  par  la  sainte 

Eglise  de  Dieu En  tout  cas,  de  deux 

choses  l'une  :  ou  bien  l'Eglise  catholique, 
tout  comme  l'Eglise  orthodoxe,  a  le  droit 
de  condamner  les  hérétiques  comme  tels, 
ou  bien  elle  n'a  pas  ce  droit  qui  consti- 
tuerait un  soi-disant  attentat  à  la  liberté 
de  conscience.  Si  l'Eglise  catholique  a  le 
droit  de  poursuivre  les  hérétiques  consi- 
dérés comme  tels,  l'Eglise  orthodoxe  le 
possède  aussi,  et  je  la  félicite  de  son  zèle 
à  défendre  sa  foi;  si,  au  contraire,  l'Eglise 
catholique  n'a  pas  ce  droit  —  comme  le 
disent  les  revues  grecques,  —  comment 
l'Eglise  orthodoxe  le  posséderait-elle?  Elle 
est  donc  absolument  illogique  en  orga- 
nisant des  poursuites  contre  les  héré- 
tiques (i). 

(i)  IlavTaiv($;,  il  mai  191 1,  n"  19,  p.  3oo. 


VI.  Dans  les  Eglises  de  la  dispersion. 

De  l'Eglise  de  Grèce,  passons  aux  grou- 
pements grecs  qui  relèvent  de  sa  juridic- 
tion. On  ne  l'ignore  pas,  il  y  a  les  Grecs 
de  la  dispersion,  comme  il  y  avait  aux 
temps  évangéliques  les  Juifs  de  la  disper- 
sion :  réunis  en  communautés  plus  ou 
moins  homogènes  autour  de  l'archiman- 
drite qui  représente  auprès  des  orthodoxes 
exilés  l'Eglise  de  Grèce,  ces  pieux  ortho- 
doxes ont  aussi  leur  histoire  faite  de  déve- 
loppements inespérés,  comme  aussi,  par- 
fois, de  prodigieux  reculs.  Voici,  à  ce 
sujet,  les  renseignements  les  plus  inté- 
ressants que  nous  ayons  pu  recueillir. 

Ici,  c'est  un  troupeau  sans  pasteur  qui 
demande  un  prêtre.  Ainsi,  en  février  191 1, 
la  communauté  grecque  des  Etats-Unis 
à  fait  connaître  sa  pénurie  de  prêtres  par 
la  voie  des  journaux.  Aussitôt,  l'Eglise  de 
Grèce  lui  a  fait  savoir  que  ce  n'était  pas 
par  la  voie  des  journaux  ou  des  revues, 
mais  bien  par  la  voie  hiérarchique  — 
c'est-à-dire  par  des  suppliques  adressées 
au  saint  synode  —  que  les  demandes  de 
cette  nature  devaient  lui  être  adressées. 
En  attendant,  le  troupeau  reste,  sans  pas- 
teurs suffisants,  exposé  à  la  dent  des 
loups  protestants. 

Là  —  dans  certaines  villes  d'Amérique 
notamment,  —  c'est  contre  le  prosély- 
tisme protestant  que  l'orthodoxie  grecque 
doit  lutter.  Certains  orthodoxes,  en  effet, 
ont  cru  devoir  renier  la  foi  de  leur  mère, 
l'Eglise  de  Grèce,  pour  embrasser  la  reli- 
gion de  Luther  ou  de  Calvin,  et,  une  fois 
protestants,  «  dévorés  par  le  zèle  de  la 
maison  de  Dieu  »,  ils  battent  en  brèche 
le  vieil  édifice  de  l'orthodoxie.  Les  ortho- 
doxes restés  fidèles  ont  d'autant  plus  à 
redouter  ce  genre  de  propagande  que, 
non  contents  de  s'appuyer  comme  les 
catholiques  sur  la  seule  force  du  raison- 
nement, les  prédicateurs  évangéliques  de 
l'Amérique  du  Nord  font  souvent  appel 
à  la  séduction  de  l'or. 

Dans  d'autres  régions  de  l'Amérique, 
les  orthodoxes  goûtent  quelques  conso- 
lations. A  Lyn,  par  exemple,  la  commu- 


A   TRAVERS   L  ORTHODOXIE 


243 


nauté  orthodoxe  a  acheté  en  février  191 1 
une  église  située  sur  la  plus  belle  place 
de  la  ville  pour  la  somme  de  20000  dol- 
lars. 

Mais  —  toujours  en  Amérique  —  les 
orthodoxes,  par  la  voie  —  peu  canonique 
—  de  leur  journal  publié  à  New-York, 
VAtlantis,  sentent  le  besoin  de  demander 
un  évêque  à  leur  Eglise-mère.  Les  prin- 
cipales raisons  alléguées  pour  cette  récla- 
mation sont  les  suivantes  :  a)  Que  dans  les 
quatre-vingts  communautés  grecques  de 
TAmérique,  dont  la  population  s'élève  à 
40000oGrecs,lezèle  religieux  se  refroidit  de 
jour  en  jour;  b)  que  les  pieux  orthodoxes 
sont  condamnés  à  être  les  victimes  de  plus 
habiles  et  de  plus  pervers  qu'eux;  c)  que 
beaucoup  de  communautés  grecques  de- 
viennent le  théâtre  de  luttes  fraticides  et 
de  conflits  sans  cesse  renaissants  entre 
partis  cherchant  la  prépondérance  :  d)  que. 
dans  beaucoup  de  communautés,  les 
prêtres,  impuissants  à  satisfaire  les  ambi- 
tions des  notables  de  leurs  fidèles,  de- 
viennent l'objectif  commun  de  leurs 
attaques  et,  partant,  les  victimes  ordi- 
naires de  leurs  prétentions:  e)  que  beau- 
coup de  prêtres,  ne  parvenant  pas  par 
leurs  qualités  personnelles  à  gagner  l'af- 
fection de  leurs  fidèles,  prêtent  le  flanc 
par  leur  conduite  à  ces  discordes  pour 
des  motifs  futiles;  /)  que  du  fait  de  ces 
dissensions,  beaucoup  de  communautés 
sont  en  pleine  décadence  ou  du  moins 
croupissent  dans  le  marasme  moral. 

On  le  voit,  l'exposé  de  ces  motifs  en 
dit  long  sur  la  vie  intérieure  des  com- 
munautés grecques  du  Nouveau  Monde(  i  ). 

A  ces  causes  de  malaise,  un  orthodoxe 
judicieux  ajoute  l'absence  d'écoles  pure- 
ment grecques  dans  un  bon  nombre  de 
villes  habitées  par  les  communautés 
grecques.  Ainsi,  par  exemple,  ce  n'est 
qu'en  mai  191 1  que  la  communauté  hel- 
lénique, établie  depuis  longtemps  à  New- 
York,  a  pu  réunir  les  fonds  nécessaires  à 
la  construction  dune  école  grecque.  Jus- 
qu'alors, les  orthodoxes  séjournant  dans 

(i)  llavTa;vô;,  3i  mars  191 1,  n*  i3,  p.  202-2o3. 


la  plus  grande  ville  des  Etats-Unis  avaient 
donc  dû ,  comme  leurs  compatriotes 
des  autres  communautés  encore  privées 
d'écoles  à  leur  usage,  apprendre,  avec  la 
langue  du  pays,  les  idées  protestantes  et 
recevoir,  de  ce  fait,  une  éducation  très  peu 
«  orthodoxe  »  (i). 

Nous  arrêtons  là  cette  chronique  en  fai- 
sant remarquer  aux  lecteurs  de  cette  revue 
que  nous  n'avons  rapporté  ici  que  des 
faits  avoués  par  les  revues  et  journaux 
orthodoxes  et  que,  par  suite,  ce  rapide 
coup  d'œil  à  travers  l'orthodoxie  reproduit 
dans  ses  grandes  lignes  —  et  sauf  les 
appréciations  personnelles  que  nous  avons 
çà  et  là  exprimées  —  la  pensée  même  des 
Grecs  sur  les  Eglises  grecques  ortho- 
doxes (2). 

Georges  Bartas. 

P.-S.  —  Nous  tenons  à  remercier  publi- 
quement, dans  cette  revue  où  il  a  tant 
écrit,  les  personnes  qui  ont  bien  voulu 
nous  témoigner  leur  sympathie,  soit  par 
des  lettres  privées,  soit  dans  des  pério- 
diques scientifiques,  à  l'occasion  de  la  mort 
de  notre  confrère,  le  P.  Rabois-Bousquet. 
Une  exception  vaut  cependant  d'être  notée. 
Dans  le  fascicule  22,  du  2  i5  juin  191 1,  du 
Pantainos  qui  se  publie  à  Alexandrie  sous 
la  direct  onde  Gr.  Papamikhaïl,  on  résume 
(p.  35o)  la  notice  nécrologique  consacrée 
par  les  Echos  d'Orient  en  mai  dernier. 
L'entrefilet  veut  être  méchant,  il  n'est 
qu'injurieux  et  erroné.  L'auteur,  qui  n'en 
est  pas  à  sa  première,  commence  tout 
d'abord  par  écrire  le  mot  catholique  comme 
un  goujat.  C'est  là  son  habitude  et  nous 
n'insisterons  pas,  car  il  y  a  des  gens  qui 
tiennent  absolument  à  passer  pour  mal 
élevés.  Après  quoi,  il  confond  volontaire- 
ment séminaire  grec  et  séminaire  latin, 
direction  et  rédaction,  et,  par  cinq  fois,  il 
fait  diriger  par  le  P.  Rabois-Bousquet  les 
Echos  d'Orient  depuis  l'année  1899.  jus- 
fil  IIavTa:vô;,  2  juin  IQII,  n' 22,  p.  35o-35i. 
(2)  ClV,  pour  tous  les  renseignements  donnés 
dans  cette  chronique,  le  IlavTatvôç,  191 1,  n"  9-22; 
rEvtx>.r,<ria<rT:xTi  *At,9cj«,  1911,  n'siJ-24;  \'^/,t.\r^a:aa- 
7'./.ô;  vr,?-;,  1911,  n"  2-8.  Cette  dernière  revue, 
publiée  à  Larmaka,  dans  l'île  de  Chypre,  est  parti- 
culièrement bien  renseignée  sur  tout  ce  qui  a  trait 
à  la  vie  intérieure  de  l'Eglise  de  Chypre. 


244 


ÉCHOS   d'orient 


qu'à  l'année  191 1.  Ce  serait  là,  certes,  un 
honneur  pour  la  revue,  mais  ce  n'est  pas 
vrai;  le  défunt  n'en  était  qu'un  rédacteur 
ordinaire,  et  Papamikhaïl  le  sait  parfaite- 
ment. Allez  ensuite  vous  fier  à  ces  Mes- 
sieurs, citant  ou  commentant  des  textes 
rares  ou  anciens,  quand  ils  dénaturent 
ainsi  sous  vos  yeux  des  documents  con- 
temporains qui  sont  à  la  portée  de  tout  le 
monde!  Papamikhaïl  en  sera  pour  son  fiel, 
qu'il  n'est  pas  d'usage  de  répandre  sur  une 
tombe. 

Dans  le  fascicule  de  191 1,  p.  48-51,  les 
Echos  d'Orient  ont  reproduit,  sous  le  titre 
de  Pour  l'union  des  Eglises,  une  lettre  de 
M^""  Gérasime  Msarrat,  métropolite  ortho- 
doxe de  Beyrouth,  laquelle  avait  déjà  été 
publiée  par  la  grande  majorité  de  la  presse 
ottomane.  Depuis,  il  est  arrivé  au  siège 
de  la  rédaction  deux  lettres  de  Syrie  qui 
donnent  des  explications  à  ce  sujet.  L'une 
et  l'autre  s'accordent  à  dire  que  M^""  Géra- 
sime n'a  jamais  professé  les  idées  qui  sont 
exprimées  dans  cette  lettre  et  qu'il  s'est 
toujours,  notamment  dans  ses  ouvrages 
antérieurs,  montré  fort  hostile  au  catho- 


licisme et  à  l'union  des  Eglises.  Et  pour- 
tant le  document  ciié  par  notre  revue  n'est 
pas  faux,  il  a  été  bel  et  bien  signé  par  le 
métropolite  en  question.  Comment  expli- 
quer cette  anomalie?  Il  paraîtrait  qu'une 
dame,  d'origine  russe  mais  mariée  à  un 
Allemand,  aurait  rédigé  la  lettre,  et  que,  de 
gré  ou  par  persuasion,  elle  l'aurait  fait 
signer  par  Ms'"  Gérasime,  alors  malade  à 
Aley,  dans  le  Liban,  et  qui  était  loin  de 
s'imaginer  que  pareil  document  serait 
jamais  publié.  Si  le  fait  est  vrai,  —  tt  nos 
correspondants  méritent  toute  considéra- 
tion, —  il  ne  laisse  pas  qui  de  jeter  certain 
jour  sur  l'orthodoxie.  Nous  a  v.ons  déjà  dans 
le  monde  grec  une  dame  qui  s'était  illustrée 
par  des  lettres  de  ce  genre  et  que  la  presse 
grecque  ne  cite  jamais  qu'avec  les  titres  de  la 
«  célèbre  Galate  »;  à  présent,  voici  une 
Russo-Allemande  qui  entre  en  scène  à  son 
tour,  mais  sous  le  couvert  d'un  métropo- 
lite. Est-ce  que,  maintenant  que  leurs 
évêques  et  leurs  prêtres  négligent  tant  les 
études  théologiques,  les  Eglises  orthodoxes 
songeraient  réellement  à  éditer  une  mat?'o- 
logie?  G.  B. 


BIBLIOGRAPHIE 


C.  KiRCH,  Enchiridion  fontium  historiœ 
ecclesiasticœ  ajiiiguœ  in  usum  schola- 
rum.  Fribourg-en-Brisgau,  Herder.  1910, 
in  8°,  xxx-636  pages.  Prix  :  8  marks. 

Voici,  sur  le  modèle  de  Y  Enchiridion 
dogmatique  de  Denzinger-Banwart  (voir 
Echos  d'Orient,  t.  XII,  1909,  p.  378),  un 
recueil  de  documents  pour  l'histoire  an- 
cienne de  l'Eglise,  à  l'usage  des  Séminaires 
et  des  Universités.  L'idée  est  louable;  et 
bien  que  ^ampleur  de  la  matière  soit  ici 
de  nature  à  donner  toujours  lieu  à  des 
desiderata,  le  nouvel  ouvrage  rendra  cer- 
tainement de  grands  services  non  seule- 
ment aux  élèves,  mais  encore  aux  profes- 
seurs et  à  tous  les  travailleurs,  heureux 
d'avoir  sous  la  main  cette  «  bibliothèque  » 
portative. 

Le  volume  s'ouvre  sur  les  chapitres  de 
la  Didaché  relatifs  au  Baptême  et  à  l'Eu- 


charistie; il  se  ferme  sur  une  page  de  Paul 
Diacre  (écrite  vers  ySo)  racontant  l'entrevue 
de  saint  Léon  avec  Attila.  C'est  donc  sur 
un  espace  de  huit  siècles  que  se  répartissent 
les  documents,  insérés  par  ordre  chronolo- 
gique. On  comprendra  sans  peine  que  le 
collecteur  ait  dû  se  borner  à  faire  un  choix, 
sauf  à  sacrifier  des  textes  dont  plus  d'un 
lecteur  regrettera  sans  doute,  à  tel  moment, 
l'absence.  Tout  en  concevant  parfaitement 
l'impossibilité  de  satisfaire  à  cet  égard  tous 
les  désirs,  je  crois  devoir  signaler  certaines 
pièces  qui,  vu  leur  importance,  capitale 
pour  quelq  les-unes,  réclament  d'être  insé- 
rées dans  une  prochaine  édition.  Ainsi  le 
présent  recueil  ne  renferme  rien  de  la  Di- 
dascalie,  rien  de  l'Euchologe  de  Sérapion 
de  Thmuis,  rien  du  De  mysteriis  ni  du  De 
sacramentis.  Les  fragments  liturgiques  ré- 
cemment découverts  à  Deir  Balyzeh  méri- 
teraient aussi  d'y  trouver  place.  Quelques 


BIBLIOGRAPHIE 


245 


extraits  des  Odes  de  Salomon,  de  toute 
fraîche  découverte  encore,  auront  sans 
doute  à  figurer  dans  une  seconde  édition. 

L'index  chronologique  des  documents, 
placé  au  début  du  volume,  serait  plus  utile 
si,  sans  se  contenter  d  indiquer  le  sujet 
général  du  morceau,  on  y  avait  ajouté  L-s 
références  précises  de  l'ouvrage  dont  il  est 
tiré.  L'index  alphabétique  de  la  fin  sera, 
comme  de  juste,  vivement  apprécié. 
Quelques  notes  critiques,  sobres  et  précises, 
dans  le  genre  de  celles  de  VEnchiridion 
Denzinger-Banwart,  ajouteraient  un  nou- 
vel avantage  à  un  livre  qui  en  a  tant. 

Nous  ne  pouvons  que  rendre  hommage, 
et  nous  le  faisons  de  tout  cœur,  à  l'esprit 
pleinement  catholique  qui  a  inspiré  et  di- 
rigé le  R.  P.  Kirch  dans  le  choix  des  textes. 
Puisqu'il  a  visiblement  tenu  à  mettre  en 
particulière  évidence  les  documents  attes- 
tant la  primauté  romaine,  il  nous  permet- 
tra de  lui  signaler,  dans  les  Echos  d'Orient, 
t.  VI,  1903,  p.  3o,  118,  249,  l'étude  du 
R.  P.  Bernardakis  :  Les  appels  au  Pape 
dans  VEglise  grecque  jusqu'à  Photius.  Il 
y  trouverait  peut-être  plus  d'une  référence 
à  utiliser  dans  sa  «  Chrestomathie  patris- 
tique  »,  pour  me  servir  du  nom  que,  dans 
la  préface,  il  donne  lui-même  à  son  recueil. 

Tel  qu'il  est,  avec  ses  nombreuses  pièces 
datées,  numérotées,  publiées  en  texte 
grec  et  latin  d'après  les  meilleures  éditions 
existantes,  le  nouvel  Enchiridion  est  des- 
tiné, comme  celui  de  Denzinger,  à  beau- 
coup de  succès  et  à  beaucoup  d'utilité. 
S.  Salaville. 

Saint  Grégoire  de  Naregh,  Discorso  pa- 
negirico  alla  Beatissima  Vergine Maria, 
tradotto  in  lingua  italiana  dai  Padri 
délia  CongregazioneMechitarista.  Venise, 
Saint-Lazare,  1904,  in-4°,  56  pages.  Prix  : 
I  franc. 

Saint  Grégoire  de  Naregh,  fils  de  Chos- 
rov  le  Grand,  fut  une  des  grandes  figures 
de  l'Eglise  arménienne  au  x^  siècle.  Il  a 
laissé  de  nombreux  ouvrages,  parmi  les- 
quels il  faut  signaler  un  Commentaire  du 
Cantique  des  cantiques,  une  série  de  quatre- 
vingt-quinze  discours  désignés  sous  le  titre 
<ï Elégies  sacrées  et  plusieurs  panégyriques. 
C'est  l'un  de  ces  panégyriques,  consacré  à 
la  louange  de  la  Mère  de  Dieu,  que  les 
Mékitaristes  de  Venise  eurent  l'heureuse 


inspiration  de  traduire  en  italien,  en  1904, 
à  l'occasion  du  cinquantenaire  de  la  défi- 
nition de  l'Immaculée  Conception.  L'édi- 
tion, dédiée  au  pape  Pie  X,  porte  la  tra- 
duction italienne  avec  le  texte  arménien 
e.i  regard  et  quelques  notes  explicatives 
renvoyées  à  la  fin.  Elle  est  très  soignée  et 
fait  honneur  à  la  typographie  de  Saint- 
Lazare  de  Venise. 

Le  panégyrique  de  Grégoire  de  Naregh 
rappelle  par  le  fond  et  la  forme  les  meil- 
leures homélies  mariales  des  Byzantins. 
C'est  la  même  éloquence  abondante,  errant 
à  l'aventure  sans  plan  arrêté,  comme  un 
fleuve  au  cours  sinueux:  la  même  richesse 
de  comparaisons  enveloppant  des  idées 
identiques.  Parmi  ces  idées,  celle  de  l'Im- 
maculée Conception  apparaît  à  plusieurs 
endroits  :  Marie  est  la  Heur  de  Jessé  qui 
a  produit  le  fruit  de  notre  vie, et  qui,  bien 
que  faite  du  mélange  des  quatre  éléments, 
est  restée  cependant  exempte  de  ce  à  quoi 
nous  avons  tous  participé,  nous,  les  ter- 
restres. Elle  n'a  point  porté  en  elle  nos 
passions  naturelles  et  innées,  mais  a  vécu 
comme  un  chérubin  enflammé  et  resplen- 
dissant {jç>.  26). 

Ce  discours  du  grand  écrivain  arménien 
fait  souhaiter  la  traduction  en  langue  acces- 
sible aux  Européens  de  ses  autres  ouvrages. 

Puissent  les  Mékitaristes  de  Venise  rendre 
ce  service  à  la  science  sacrée! 

M.    JUGIE. 

E.  G.  ZOLOTAS,  Bpa/sTat  l-avoi6oj<;e'.ç  xal 
■Tsoa6-?,xa'.  si;  rà;  àv  tw  TraoôvT'.  tôjjico  Xtaxàç 
iTîtvpa^àç  xat  vsat  t'.vèî  ir^'.'(zx^X'..  Dans 
'A6T,va,  t.  XX.  Athènes,  1908,  p.  309- 
532. 

Nous  avons  annoncé.  Echos  d'Orient, 
t.  XIII  (1910),  p.  186,  la  publication  par 
M"*  Emilie  Zolotas  des  inscriptions  iné- 
dites, grecques  ou  latines,  de  l'île  de  Chio, 
inscriptions  recueillies  par  son  père.  M'"Zo- 
lotas,  dans  un  supplément  à  ce  travail,  rec- 
tifie un  certain  nombre  de  lectures,  ajoute 
des  explications  et  fait  connaître  plusieurs 
textes  nouveaux.  Nous  ne  pouvons  que  lui 
renouveler  nos  félicitations  et  nos  remer- 
ciements pour  l'acribie  scientifique  dont 
témoignent  ses  recherches  et  le  service 
rendu  par  elle  aux  historiens  futurs  de 
Chio. 

R.  Bousquet. 


246 


ECHOS   D  ORIENT 


E.  G.  ZOLOTAS,   Bu^avTiaxb;  BaxTÛÀto;  èv  Xt'w. 

Dans    'AOTjva,   t.  XXII,   Athènes,  1910, 
p.  147-186. 

Cet  article  est  consacré  à  un  anneau  d'or 
portant  le  nom  de  Michel  Dromokatès  en 
caractères  du  xw  siècle  et  des  armoiries. 
M"«  E.  Zolotas  identifie  le  possesseur  de 
cet  anneau  avec  Michel  Dromokatès  Chry- 
soloras,  un  des  Grecs  réfugiés  en  Italie 
après  la  prise  de  Constantinople  par  les 
Turcs.  Nous  possédons  deux  lettres  de 
François  Filelfo  concernant  ce  personnage. 
Dans  la  première,  en  grec,  datée  de  Milan, 
4  juin  1454,  il  le  recommande  à  son  fils 
Marins,  qui  résidait  alors  à  Turin,  comme 
un  honnête  homme  et  comme  son  parent  : 
Filelfo  était  en  effet  marié  à  Théodora, 
fille  de  Jean  Chrysoloras.  La  seconde,  en 
latin,  est  une  recommandation  au  marquis 
de  Mantoue;elle  est  datée  de  Milan,  i3  oc- 
tobre 1455.  On  peut  lire  ces  deux  lettres 
dans  E.  Legrand,  Cent  dix  lettres  grecques 
de  François  Filelfo.  Paris,  1892,  p.  69. 
M"^  Zolotas  n'a  pas  connu  la  première  et 
ne  cite  de  la  seconde  qu'une  phrase  très 
incorrectement  transcrite,  où  le  nom  même 
de  Dromokatès  est  mal  orthographié.  Elle 
fait  l'histoire,  jusqu'au  xix^  siècle,  des  deux 
familles  chiotes  des  Chrysoloras  et  des 
Dromokaïtès,  identifiant  ce  dernier  nom 
avec  celui  des  Dermokaïtès  et  des  Dromo- 
katès. Il  y  a  là  une  très  importante  contri- 
bution à  l'histoire  de  Chio. 

S.    PÉTRIDÈS. 

D.  Russo,  Studii  si  critice.  Bucarest,  Ra- 
sidescu,  1910,  i.-i23  pages  in-8«.  Prix  : 
3  francs. 

Recueil  d'articles  parus  dans  les  Convor- 
biri  literare.  D'abord  une  recension  de  la 
thèse  de  M.  S.  Romansky  sur  le  voïvode  va- 
laque  Neagœ,  puis  une  réplique  à  des  con- 
tradicteurs à  propos  d'un  livre  précédent 
de  M.  Russo.  iyo'w  Echos  d'0rie7it,  t.  X, 
p.  317.)  Vient  ensuite  une  excellente  étude 
sur  la  Xpr,<rToyi6£'.a  de  Byzantios,  livre  qui  a 
joui  d'une  vogue  immense  dans  les  milieux 
grecs,  ses  sources,  ses  imitations.  Enfin, 
à  propos  du  catalogue  des  manuscrits  grecs 
de  la  bibliothèque  de  l'Académie  roumaine 
publié  en  1909,  par  M.  C.  Litzica,  M.  Rus- 
so nous  expose  ce  que  doit  être  un  bon 
catalogue  moderne  de  manuscrits  et  prouve 


par  de  trop  nombreux  exemples  que  celui 
de  M.  C.  Litzica  est  loin  de  répondre  à 
l'idéal. 

L.  Bardou. 

M&'"  A.  Battandier,  Annuaire  pontifical 
catholique,  i^^  année,  191 1 .  Paris,  Maison 
de  la  Bonne  Presse,  in-8'',  791  pages. 
Prix  :  5  francs. 

Les  Echos  d'Orient  ont  déjà  dit,  t.  XIII, 
1910,  p.  3i5,  le  mérite,  la  valeur  et  l'utilité 
de  \  Annuaire  pontifical.  Le  XI V^^  volume 
ne  le  cède  en  rien  à  aucun  de  ses  prédéces- 
seurs. Les  renseignements  les  plus  instruc- 
tifs et  les  plus  précis  s'y  pressent  en  très 
grand  nombre,  sous  les  titres  suivants  : 
Calendrier,  le  Souverain  Pontife,  les  car- 
dinaux, l'épiscopat  catholique.  Ordres  reli- 
gieux et  missions,  notes  de  statistique, 
variétés  ecclésiastiques,  la  famille  pontifi- 
cale, la  chapelle  pontificale,  administrations 
palatines,  dicastères  pontificaux,  corps  di- 
plomatique, Ordres  pontificaux,  diocèse  de 
Rome,  nécrologe,  tables.  Toutes  ces  ru- 
briques renferment  de  précieuses  mines 
d'information  pour  quiconque  s'intéresse 
à  la  vie  de  l'Eglise  à  travers  l'histoire  et 
à  travers  le  monde.  Signalons  spécialement 
une  Chronologie  liturgique  depuis  le 
I"  siècle  jusqu'à  nos  jours,  p.  i5-32;  un 
résumé  très  précis  des  documents  ponti- 
ficaux depuis  1904,  p.  46-76  ;  un  intéressant 
article  sur  les  Papes  du  iii^  siècle,  p.  81-102  ; 
des  notices  sur  la  visite  ad  limina,  le  dio- 
cèse de  Périgueux,  l'évêchéde  Bethléem,  le 
catholicisme  en  Crète,  l'Eglise  melkite 
en  1907,  p.  380-461.  A  propos  de  ce  dernier 
article,  dû  à  la  plume  de  notre  distingué 
collaborateur,  le  R.  P.  Charon,  nous  nous 
permettrons  le  vœu  que  soit  imitée  désor- 
mais, dans  VAnnuaire,  l'exactitude  des 
dénominations  concernant  les  Eglises  orien- 
tales, dont  témoigne  le  très  utile  tableau 
des  pages  460-46 1 .  Relevons  encore  des  notes 
de  statistique  sur  l'Allemagne,  l'Espagne,  la 
Hollande,  la  Suisse,  les  États-Unis,  l'Aus- 
tralie, les  Conférences  de  Saint-Vincent  de 
Paul,  les  protestants,  les  juifs,  les  musul- 
mans. Rappelons  la  grande  utilité  et  l'ex- 
trême précision  des  listes  concernant  les  car- 
dinaux, les  évêques,  les  patriarcats  latins  et 
orientaux,  les  archevêchés  et  évêchés,  rési- 
dentiels et  titulaires,  les  délégations,  les 
vicariats,  les  préfectures  apostoliques,  etc. 


BIBLIOGRAPHIE 


247 


Ajoutons  enfin  que  des  tables  fort  soignées 
et  fort  complètes  donnent  d'exactes  réfé- 
rences non  seulement  au  présent  volume, 
mais  encore  à  tous  ceux  de  la  collection.  Et 
nos  lecteurs  n'auront  pas  de  peine  à  conclure 
que  YAnnuaire  pontifical,  avec  ses  trésors 
d'information  et  ses  agréments  d'illustra- 
tion, se  recommande  de  lui-même  à  leur 
intérêt.  S.  S  al  a  ville. 

V.  Lazar,  Die  Sudrumaenen  der  Turkei 
und  der  angren^enden  Laender.  Buca- 
rest, G.  Tonescu,  1910,  in-8<^,  334  pages. 

Divisé  en  dix  sections  précédées  d'une 
introduction,  cet  ouvrage  traite  successive- 
ment des  divers  noms  donnés  à  la  Rou- 
manie du  Sud,  de  son  étendue  géogra- 
phique, de  sa  population,  de  l'histoire 
abrégée  des  Roumains  du  Sud  ou  Valaques, 
de  leurs  traits  caractéristiques,  de  leur  loge- 
ment, de  leur  alimentation,  de  leur  habille- 
ment, de  leur  vie  économique  en  général, 
de  leur  langue,  de  leurs  mœurs,  traditions 
et  superstitions,  de  leurs  églises,  de  leurs 
écoles  et  de  leur  littérature  à  l'époque  con- 
temporaine. 

On  doit  signaler  surtout,  comme  particu- 
lièrement intéressante,  l'étude  du  caractère 
spécial  des  Roumains  du  Sud,  remar- 
quables notamment  par  la  vivacité  de  leur 
esprit  et  par  leurs  aptitudes  commerciales. 
De  même,  on  lira  avec  plaisir  les  considé- 
rations philologiques  sur  la  langue  valaque, 
dans  ses  rapports  avec  la  langue  roumaine 
proprement  dite  et  avec  la  langue  grecque 
liturgique. 

En  ce  qui  se  rapporte  proprement  aux 
mœurs  sociales  de  la  population  valaque, 
il  faut  louer  l'auteur,  qui  est  bibliothécaire 
de  l'Académie  roumaine,  des  nombreuses 
remarques  qu'il  nous  suggère  à  propos  de 
la  première  éducation  de  l'enfant,  du  ma- 
riage plutôt  prématuré  des  jeunes  gens  et 
des  jeunes  filles,  des  usages  relatifs  à  la 
sépulture  des  morts,  qui  semblent  une  sur- 
vivance de  certaines  coutumes  païennes,  et 
enfin  de  quelques  croyances  superstitieuses, 
telles  que  la  croyance  à  l'influence  néfaste 
du  mauvais  œil  et  des  fées  perfides.  Nous 
regrettons  —  et  c'est  là  une  lacune  du  livre 
—  que  l'auteur  ne  nous  ait  pas  renseignés 
sur  l'origine  historique  de  ces  superstitions. 

Enfin,  nous  n'avons  qu'à  louer  M.  Lazar 
de  la  précision,  en  même  temps  que  de  la 


sobriété  avec  laquelle  il  fait  l'histoire  de 
l'Eglise  des  Valaques  et  de  ses  démêlés  avec 
la  Sublime  Porte,  des  deux  sortes  d'écoles, 
grecques  et  roumaines,  qui  se  partagent  le 
pays  et  enfin  de  la  petite  anthologie  dans 
laquelle  il  met  sous  nos  yeux  les  principaux 
chefs-d'œuvre  de  la  littérature  valaque 
à  l'heure  actuelle. 

Toutefois,  son  ouvrage  aurait  gagné  en 
valeur  historique  s'il  avait  pris  soin  de 
constamment  indiquer  les  sources  où  il 
a  puisé  les  renseignements  qu'il  nous 
fournit.  Tel  qu'il  est,  cependant,  ce  livre 
est  fort  instructif,  car  il  constitue  un  digne 
pendant  à  la  magistrale  histoire  de  la  Rou- 
manie de  M.  Jorga,  dont  les  Echos  d'Orient 
ont  récemment  rendu  compte. 

E.   MONTMASSON. 

A.  Camerlynck,  Compendium  Inirodtic- 
tionis  generalis  in  Sacram  Scripiuram, 
pars  prior:  ^ocwwien/a.  Bruges,  C.  Beyaert, 
1911,  in-S",  xir-127  pages. 

Cet  opuscule  n'est  que  la  première  partie 
àtVIntroductio  Generalis  in  Sacram  Scrip- 
iuram, ouvrage  en  préparation,  qui  aura 
près  de  450  pages  in-8°  et  dans  laquelle  le 
chanoine  A.  Camerlynck  complète  sur 
cette  question  l'œuvre  de  ses  devanciers. 

Dans  cette  première  partie,  l'auteur  a 
réuni  tous  les  documents  relatifs  à  l'étude 
et  à  l'interprétation  des  Saintes  Ecritures. 
11  les  a  groupés  dans  sept  chapitres,  daprès 
un  certain  nombre  d'idées  directrices  qui 
répondent  aux  questions  de  méthode  en 
exégèse,  d'inspiration  et  d'inerrance  bi- 
blique, de  canonicité  et  d'historicité  des 
sources  scripturaires  et  d'herméneutique 
sacrée. 

Pour  être  forcément  aride  et  peu  varié, 
ce  répertoire  de  documents  n'en  est  pas 
moins  précieux,  car  il  renferme,  non  seu- 
lement tous  les  anciens  canons  ecclésias- 
tiques relatifs  à  l'enseignement  des  Ecri- 
tures, mais  encore  tous  les  récents  décrets 
de  S.  S.  Pie X  et  de  la  Commission  biblique. 
Ainsi,  élèves  et  maîtres  trouveront  dans  ce 
guide  toutes  les  directions  à  suivre,  avec 
d'autant  plus  de  facilité  que  l'auteur  a  résumé 
en  quelques  mots,  en  marge  de  chaque 
alinéa,  le  contenu  du  paragraphe. 

Quant  au  texte  même  de  ces  décrets 
publiés,  il  est  correct.  Je  n'ai  remarqué  que 
deux  fautes  typographiques.  P.  22  :  il  faut 


24» 


ECHOS    D  ORIENT 


lire  disciplinas,  au  lieu  de  diplinas;  p.  33  : 
lire  causa  au  lieu  de  caussa. 

E.  MONTMASSON. 

R.  P.  Paul-V.  Charland,  O.  P.,  Madame 
saincie  Anne  et  son  culte  au  moyen 
â^e.  Paris,  A.  Picard,  191 1,  t.  I«'",  in-8°, 
348  pages.  Prix  :  8  francs. 

S'il  y  a  dans  ce  gros  volume  de  nom- 
breuses pages  qui  sont  consacrées  à  sainte 
Anne  et  à  son  culte,  il  en  est  peut-être 
encore  davantage  qui  ne  le  sont  pas;  mais 
ces  dernières  respirent  un  tel  amour,  par- 
fois même  un  tel  enthousiasme  pour  l'his- 
toire religieuse  de  Byzanceet  pour  sa  poésie 
liturgique,  que  l'on  n'ose  point  trop  en  faire 
un  reproche  à  l'auteur.  Comme  il  semble 
avoir  vou'u  avant  tout  porter  à  la  connais- 
sance de  ses  compatriotes  franco-canadiens 
les  trésors  de  piété  et  de  dévotion  que  ren- 
ferme la  poésie  des  mélodes,  en  même 
temps  qu'il  les  initiait  aux  recherches  et 
aux  résultats  des  modernes  byzantinistes, 
notre  revue,  qui  est  plus  spécialement  vouée 
à  ces  études  et  que  le  R.  P.  Charland  cite 
du  reste  trop  souvent  et  avec  trop  déloges, 
serait  mal  venue  à  s'en  plaindre  et  à  prendre 
parti  contre  lui.  Il  est  trop  vrai  que  sainte 
Anne  et  son  culte  paraissent  quelquefois 
perdus  de  vue  dans  ce  livre,  où  les  digres- 
sions abondent;  il  est  trop  vrai  aussi  que 
ce  que  le  Révérend  Père  en  a  dit  se  trouve 
parfois  noyé  dans  des  considérations  assez 
étrangères  au  sujet,  mais,  pour  n'être  pas 
absolument  indispensables,  les  digressions 
sont  toutes  intéressantes,  l'érudition  de 
l'auteur  est  vaste  et  dans  l'ensemble  bien 
avertie;  son  style  alerte,  bien  que  trop 
oratoire,  ne  manque  pas  de  charmes.  Si  le 
R.  P.  Charland  avait  commencé  par  les 
renseig  ementsgénéraux qu'il  jugeait  utiles 
à  son  étude,  s'il  les  avait  exposés  plus  to- 
breme  it,  si,  en  abordant  et  l'histoire  et  le 
culte  de  sainte  Anne,  il  s'en  était  tenu  là 
une  fois  pour  toutes  sans  revenir  sur  ce 
qui  était  déjà  dit  et  bien  dit,  s'il  avait  enfin 
mieux  condensé  les  résultats  déjà  acquis 
et  ceux  que  lui-même  avait  obtenus,  il 
aurait  donné  un  ouvrage,  moins  volumi- 
neux sans  dou  e,  mais  de  tous  points  excel- 
lent. Tel  qu'il  est,  le  livre  est  bon  et  con- 
tribuera à  mieux  faire  connaître  et  sa  nte 
Anne,  et  les  poètes  byzantins  qui  l'ont  si 
bien  chantée. 


Je  signale  en  passant  quelques  distrac- 
tions de  style  ou  de  mémoire.  P.  14:  «  jus- 
qu'à ce  qu'il  en  vienne  »;  p.  70:  «  tombent 
sur  semaine  »  sont  sans  doute  des  cana- 
dismes.  Les  notes  ne  répondent  pas  tou- 
jours à  celles  qu'exigerait  le  texte;  je  ne 
cite  pas  d'exemples,  parce  qu'il  y  en  aurait 
trop  à  donner.  P.  1 25  :  «  Eusèbe  Emissène  », 
on  dit  plutôt  d'Emèse;  p.  i32  :  lire  VI  au 
lieu  de  V;  p.  190,  etc.  :  lire  Gelzer  au  lieu 
de  Gelser;  p.  193  :  lire  choréphores  au  lieu 
de  choéphores;  p.  84,  en  note  :  lire  Mamas 
au  lieu  de  Monos;  p.  i5  :  M.^'  Duchesne 
n'a  jamais  dit  qu'il  n'y  avait  pas  de  fête  de 
la  Sainte  Vierge  avant  le  vii^  siècle.  P.  iSy  : 
je  trouve  bien  sévères  les  appréciations  sur 
Hippolytos  von  Theben  de  M.  Diekamp  et 
sur  les  auteurs  grecs  du  x<=  au  xv^  siècle  ", 
qui  ont  écrit  de  nombreux  sermons  sur  la 
Sainte  Vierge  et  sur  sainte  Anne,  les- 
quels valent  bien  ceux  de  leurs  devanciers. 
P.  193  sq.  :  la  traduction  française  de 
l'hymne  de  s^int  Romano^  laisse  à  désirer 
comme  exactiiude;  le  texte  n'est  guère  serré 
de  près,  et  j'en  dis  autant  de  la  traduction 
qui  accompagne  les  divers  offices  grecs  à 
la  fin  du  volume.  P.  198:  je  doute  fort 
que  le  mélode  Anatole  soit  'e  patriarche 
de  ce  nom  au  v*  siècle,  lequel  du  reste 
n'était  pas  de  Byzance,  mais  égyptien;  de 
même,  le  poète  Anthimj  n'est  certainement 
pas  le  patriarche  de  ce  nom.  P.  199  :  saint 
Sophrone  n'est  pas  mort  en  63o,  mais  en 
638  au  plus  tôt.  P.  2o3  sq.  :  il  existe  réelle- 
ment deux  saints  André  de  Crète  qui  sont 
à  peu  près  contemporains,  mais  un  seul 
est  connu  comme  poète  byzantin.  P.  208  : 
«  Théophane,  que  l'Orient  a  surnommé  le 
YpauTÔç,  sans  doute  parce  qu'il  a  reconnu 
en  lui  un  maître  écrivain  »;  à  lire  cette 
phrase,  et  s'il  ne  citait  mon  étude  sur  ce 
poète,  on  ne  croirait  pas  que  le  R.  P.  Char- 
land l'ait  utilisée. 

Le  tome  I"  de  cet  ouvrage  comprend 
les  chapitres  suivants  :  La  fête  liturgique 
de  sainte  Anne,  Madame  saincte  Anne 
et  son  culte  en  Orient,  Monuments  lit- 
téraires. Fêtes  et  liturgie;  le  tome  II 
compiendra,  pour  l'Orient  :  Ancienneté 
de  ces  fêtes  et  liturgie  de  saint  Jean  Chry- 
sostome,  Religiosa  loca  ou  sanctuaires 
de  sainte  Anne,  Iconographie  ancienne, 
puis  Le  culte  de  sainte  Anne  en  Occident 
au  moyen  âge,  avec  les  mêmes  divisions 
que  pour  la  première  partie.  Nous  sommes 


BIBLIOGRAPHIE 


249 


heureux  d'en  enregistrer  la  prochaine  ap- 
parition. 

S.  Vailhé. 

J.  CoMPERNASS,  Deukmaeler  der  grîechis- 
chen  Volk^prache  fiir  sprachwissen- 
schaftliche  Uebungen  und  Vorlesungen. 
Strasbourg  Dumon'  Schauberg,  1911, 
in-8"  de  iv-69  pages.  Heft  I. 

Le  docte  maître  de  conférences  à  l'Uni- 
versité de  Zurich,  qui  a  déjà  fait  beaucoup 
pour  la  philologie  byzantine,  entreprend, 
à  l'usage  des  étudiants,  l'édition  ou  la  réé- 
dition d'une  série  de  textes  qui  leur  per- 
mettront de  se  familiariser  peu  à  peu  avec 
la  langue  byzantine  populaire,  et,  par  suite, 
avec  le  néo-grec,  si  honni  des  pédants  et 
des  maîtres  d'école.  La  brochure  comprend 
six  textes  en  tout,  dont  un  qui  est  inédit, 
et,  à  la  fin,  un  petit  lexique  des  mots  avec 
la  traduction  allemande  correspondante. 
Ce  sont:  i"  une  missive  adressée  à  l'émir 
de  Damas  sur  l'instigation  du  basileus 
Romain,  pièce  éditée  pour  la  première  fois; 
i""  une  lettre  du  sultan  d'Egypte  au  basileus 
Jean  Cantacuzène,  en  1349;  3''  un  récit  de 
Jean  Cananos  sur  le  siège  de  Constanti- 
nople  par  les  Turcs  au  mois  d'août  1422; 
4°  et  5"  deux  discours  de  Syméon  le  nou- 
veau théologien  du  xi«  siècle,  sur  la  foi  et 
sur  la  prière,  et  traduits  en  langue  popu- 
laire; 6"  le  récit  fait  par  Hiérothée  Abbatios 
du  tremblement  de  terre  survenu  le  3d  sep- 
tembre 1648  à  Céphalonie. 

Inutile  de  faire  remarquer  avec  quel  soin 
scrupuleux  tous  ces  documents  ont  été 
édités.  M.  Compernass  nous  promet  pour 
bientôt  d'autres  séries  de  textes,  dont 
quelques-uns  en  vers:  nous  en  prenons 
acte,  et  d'avance  nous  nous  en  félicitons. 
Le  présent  livre  est  dédié  :  Memoriœ  So- 
phronii  Petridis  S.  Assumptionis  presby- 
teri  grœci  sacrum.  Que  M.  Compernass 
me  permette  de  lai  dire  ici  publiquement 
combien  la  rédaction  des  Echos  d'Orient 
a  été  sensible  à  cette  délicate  attention. 

S.  Vailhé. 

J.  Gottwald,  Les  faits  principaux  de  V  his- 
toire byzantine  par  ordre  chronologique. 
Constantinople,  Otto  Keil,  191 1,  in-12 
de  63  pages. 


Tout  le  monde  n'a  pas  à  sa  disposition 
les  deux  volumes  dans  lesquels  Murait  a 
résumé  la  chronologie  de  l'empire  byzantin 
depuis  395  jusqu'à  1453;  l'ouvrage  est  rare, 
il  est  cher,  et,  de  plus,  si  nourri  de  faits, 
qu'on  ne  le  consulte  pas  souvent.  Au  sur- 
plus, les  erreurs  n'y  manquent  pas,  et  l'on 
sait  qu'en  ces  dernières  années  un  groupe 
de  savants  s'était  constitué  pour  le  refondre 
complètement  ;  chacun  aurait  pris  un  siècle 
à  son  compte,  mais  pour  des  raisons  mul- 
tiples, le  projet  a  été  abandonné.  C'est 
regrettable,  car  l'idée  était  bonne  et  aurait 
été  réalisée  supérieurement,  puisque  les 
sources  consultées  sont  citées  par  Murait 
à  l'appui  de  ce  qu'il  avance;  il  aurait 
donc  suffi  de  les  revoir,  de  les  corriger  au 
besoin,  et  surtout  d'ajouter  tous  les  do- 
cuments que  le  savant  Suisse  n'avait  pu 
dépouiller. 

Ce  n'est  pas  un  dessein  aussi  grandiose 
que  notre  collaborateur,  M.  Gottwald,  a 
voulu  mettre  à  exécution;  et  le  temps  et 
les  livres  nécessaires  lui  auraient  fait  défaut. 
Mais,  épris  de  tout  ce  qui  touche  à  l'histoire 
de  l'empire  byzantin,  et  sachant  par  expé- 
rience combien  il  est  difficile  de  se  recon- 
naître à  travers  ce  dédale  d'événements,  il 
a  mis  à  la  portée  du  public  les  principaux 
faits  de  cette  histoire,  avec,  à  côté,  l'indica- 
tion de  l'année.  Bien  entendu,  les  dates  ne 
s'appuient  sur  aucun  document;  on  doit  se 
contenter  de  l'affirmation  de  l'auteur,  qui 
a  raison  dans  la  plupart  des  cas.  A  ce  titre, 
nous  le  recommandons  bien  volontiers  à 
nos  lecteurs,  qui  sont  parfois  fort  embar- 
rassés pour  trouver  la  date  de  tel  ou  tel 
événement  ;  les  faits  cités  vont  de  595  à  1453. 
Il  y  a  quelques  graphies  malencontreuses  : 
ainsi,  p.  8:  Amidus  et  Amida;  p.  20:  la 
province  de  Cibyrie  pour  le  thème  des 
Cibyréotes;  p.  34,  année  957:  Sicilie  pour 
Sicile;  p.  44,  année  1094:  Anchialon  pour 
Anchialos,etGodefroipourGodefroy;p.  17: 
c'est  en  638,  non  en  637,  que  Jérusalem  a 
été  prise  par  les  Arabes;  p.  28:  en  832, 
non  en  836,  que  Jean  Lécanomante  devint 
patriarche,  mais  c'est  bien  en  836  que  la 
persécution  commença;  p.  54  sq.  :  on  dit 
Grégoire  plutôt  que  Georges  de  Chypre,  et 
p.  56  :  Anne,  plutôt  que  Jeanne  de  Savoie; 
p.  56:  c'est  en  i3ii,  non  en  i3i2,  que 
Niphon  devint  patriarche  de  Constanti- 
nople. 

S.  Vailhé. 


250 


ECHOS   D  ORIENT 


S.  LaMPROS,  'ApyupoTrouXeTa"  'Iwàvvou  'Aiyu- 
poTTOuXou  Xôyoi,  TrpayjJLaTei'at,  ÈTctcTToXai,  7rpo<r- 
cpwv/jjjLaTa,  àiravTTf^ffstç  xal  ÈTrtdToXai  ■Jrpb; 
aÙTov  xal  Tov  uibv  'Idactxiov,  ÈTriÇToXat  xat 
aTTociâffstç  7:ept  aùrcov.  Athènes,  P.  D.  Sakel- 
larios,  19 10,  in-S",  oxe'  (=  CXXV)  et 
352  pages,  avec  plusieurs  portraits  et  fac- 
similés. 

L'infatigable  érudit  qu'est  M.  Spyridon 
Lampros  vient  de  consacrer  un  bel  ouvrage 
à  la  famille  grecque  des  Argyropoulos,  dont 
le  représentant  le  plus  connu  dans  l'his- 
toire est  Jean  Argyropoulos.  Ce  dernier, 
philosophe  et  humaniste  du  xv^  siècle,  fut 
un  partisan  actif  de  l'union  avec  Rome.  Il 
avait  assisté  comme  diacre  au  concile  de 
P'iorence.  Après  la  prise  deConstantinople, 
il  se  retira  d'abord  à  Florence,  puis  à  Rome, 
où  il  mourut  en  i486.  Dans  une  savante 
introduction,  l'auteur  a  recueilli  tous  les 
éléments  d'une  biographie  détaillée  de  ce 
personnage,  en  y  ajoutant  une  étude  icono- 
graphique des  nombreux  portraits  qui  nous 
sont  restés  de  lui,  et  que  l'on  trouvera  ici 
fort  bien  reproduits  en  de  belles  gravures 
et  planches  hors  texte.  Jean  Argyropoulos 
était  marié.  Son  fils  Isaac,  habile  musicien, 
exerça  les  fonctions  de  diacre  grec  dans 
les  cérémonies  papales  solennelles,  de  1481 
à  i5o5.  La  famille  des  Argyropoulos  re- 
monterait, d'après  M.  Lampros,  jusqu'au 
milieu  du  ix«  siècle,  époque  où  vivait  un 
nommé  Léon  Argyros.  On  sait  que  la  dési- 
nence poulos  a  le  sens  de  fils. 

Voilà,  en  résumé,  de  quoi  traite  l'Intro- 
duction. Quant  aux  'Aoy^p&TcouXeïa  propre- 
ment dits,  c'est  un  recueil  des  œuvres  de 
Jean  Argyropoulos,  inédites  ou  éditées  avec 
trop  peu  de  soin  critique,  de  lettres  et 
d'autres  documents  concernant  cet  érudit 
byzantin  ou  son  fils  Isaac.  Ce  recueil  pré- 
sente un  triple  intérêt  littéraire,  historique 
et  théologique.  Signalons,  à  ce  dernier 
point  de  vue,  le  traité  de  Jean  Argyropoulos 
sur  la  procession  du  Saint-Esprit  et  le  con- 
cile de  Florence,  déjà  édité  par  Allatius, 
d'après  un  manuscrit  qui  nous  est  inconnu 
{Grœcia  orthodoxa,  Rome  i652,  t.  I*', 
p.  400-418;  Migne,  P.  G.,  t.  CLVIII, 
col.  992-1008),  et  que  M.  Lampros  réédite 
(p.  107-128)  en  utilisant  les  manuscrits 
suivants:  Paris,  1191,  949;  Madrid,  ii5; 
Ambr.  M.,  41  sup.;  Q.,  84  sup.  Mention- 
nons aussi  deux  traités  polémiques  dirigés 


contre  Argyropoulos  et  publiés  ici  :  l'un 
sur  les  anges,  par  Georges  Gennadios 
(cer  ains  manuscrits  l'attribuent  à  Marc 
d'Ephèse)  ;  l'autre,  de  Théodore  Agallianos, 
intitulé  :  «  Réfutation  du  livre  de  Jean 
Argyropoulos  en  faveur  de  la  doctrine  des 
Latins.  »  Pourquoi  avoir  placé  le  premier 
aux  dernières  pages  de  l'Introduction,  tan- 
dis que  le  second  se  trouve  après  les  œuvres 
personnelles  d' Argyropoulos? 

Le  lecteur  de  cet  excellent  ouvrage  fera 
bien  de  ne  pas  dédaigner  les  quelques  pages 
finales  (343-348) de  Corr/g-ew^a  et  Addenda, 
dont  plus  d'une  pourra  lui  être  utile.  Outre 
les  fautes  d'impression  indiquées  aux  Cor- 
rigenda,  on  en  rencontre  çà  et  là  quelques 
autres,  surtout  dans  les  textes  latins.  On 
regrettera  vivement  que  M.  Lamp  os  n'ait 
pas  ajouté  à  son  beau  travail  de  fouilleur 
d'archives  et  d'éditeur  de  textes  la  rédac- 
tion d'un  index  alphabétique  des  noms 
propres,  quun  volume  de  ce  genre  récla- 
merait plus  que  tout  autre.  Les  119  pages 
très  denses  qui  forment  l'Introduction  exi- 
geraient tout  au  moins  une  table  des  ma- 
tières spéciale.  L'absence  d^  pareils  réper- 
toires est  une  faute  que  de  bons  travailleurs 
comme  M.  Lampros  ne  devraient  jamais 
se  permettre. 

S.  Salaville. 

E.  Grapin,  Eusèbe  :  Histoire  ecclésias- 
tique, livres  V-VIII,  texte  grec  et  traduc- 
tion française  (Collection  des  Textes  et 
documents  pour  l'étude  historique  du 
christianis7ne).  Paris,  A.  Picard,  in-12, 
56 1  pages.  Prix  :  5  francs. 

Les  Echos  d'Orient  (t.  XIll,  1910,  p.  268) 
ont  déjà  annoncé  le  premier  volume  de 
cette  excellente  édition  de  Y  Histoire  ecclé- 
siastique d'Eusèbe.  Le  volume  que  nous 
signalons  aujourd'hui  s'ouvre  par  la  tou- 
chante relation  concernant  les  martyrs  de 
Lyou  et  de  Vienne,  se  continue  par  le  récit 
des  dissentiments  au  sujet  de  la  Pâque, 
par  de  précieuses  notices  sur  les  grands 
docteurs  :  Irénée,  Clément  d'Alexandrie, 
Origène,  etc.  les grandsévêques,  les  schismes 
et  les  hérésies,  les  persécutions  de  Dèce  et 
de  Valérien.  Afin  de  rester  fidèle  au  sys- 
tème adopté  pour  le  tome  I",  on  a  relégué 
les  notes  toutes  ensemble,  dans  un  appen- 
dice final.  C'est  regrettable,  car  de  la  sorte 
beaucoup  échapperont  à  nombre  de  lec- 


BIBLIOGRAPHIE 


2ÎI 


teurs  et  pourront  moins  facilement  être 
utilisées.  Le  tome  III  contiendra  une  intro- 
duction et  un  index. 

J'ai  relevé  dans  la  traduction  quelques 
légères  imperfections  cà  et  là.  P.  15,  livre  V. 
I,  10,  M.  l'abbé  Grapin  écrit:  «  Il  prenait 
avec  bonheur  la  défense  de  ses  frères  et  y 
mettait  son  àme.  »  II  faut  traduire  :  «  Il 
acceptait  volontiers,  pour  la  défense  de  ses 
frères,  de  donner  même  sa  vie.  »  C'est  le 
sens  du  texte  :  £ÙooxT,<raç  ûitèp  -nfiç  tSv  àosXoàiv 
àicoXoyt'a;  xat  t/jv  ÏolutoZ  ôsTvat  'liuyr^y.  P.   l53, 

1.  VI,  II,  2,  on  lit:  «  En  ce  qui  concerr.e 
Origène,  même  les  langes  de  son  berceau, 
pour  ainsi  dire,  me  paraissent  dignes  de 
mémoire.  »  C'est  forcer  un  peu  trop  l'hyper- 
bole d'Eusèbe  :  rà  I;  aÙTÔv  w;  stTiîTv  crapY^vcov 

àçtoavr,aôv£UTa P-49  :  communiquait,  où 

il  faudrait  communiquaient.  P.  56  :  «  de 
quelle  genre  »;  p.  yS  :  «  le  texte  hébreux  »; 
p.  187  :  «  il  est  venu  seulement  que  »,  pour 
«  il  n'est  venu  que  »;  p.  235  :  la  dernière 
phrase  du  chapitre  xxix  {}.  VI),  a  été 
victime  d'une  distraction  du  traducteur: 
«  A  Alexandrie,  après  Démétrius,  Héraclas 
ayant  recueilli  la  charge  pontificale,  et 
Denys  occupe  isic)  sa  place  dans  l'école  de 
la  catéchèse  de  ce  pays  ;  celui-ci  était  encore 
un  des  élèves  d'Origène.  » 

Ce  sont  là  vétilles  sans  grande  impor- 
tance. L'ensemble  du  volume  est  littérale- 
ment de  lecture  passionnante  pour  qui- 
conque s'intéresse  tant  soit  peu  à  l'antiquité 
chrétienne.  Puisse-t-il  gagner  au  père  de 
l'histoire  ecclésiastique  un  grand  nombre 
de  lecteurs! 

S.  Salaville. 

H.  A.  Krose.  s.  J.,  La  statistique  des 
missions  catholiques  (trad.  de  l'alle- 
mand), Bruxelles,  A.  Dewit,  191 1,  in-8% 
214  pages.  Prix  :  4  francs. 

Dans  cet  ouvrage,  le  R.  P.  Krose  prend 
le  mot  mission  non  pas  dans  le  sens  cano- 
nique, en  tant  que  s'appliquant  à  tout  ter- 
ritoire soumis  à  la  Congrégation  delà  Pro- 
pagande, mais  dans  le  sens  usuel,  en  tant 
que  désignant  l'activité  du  prosélytisme 
catholique  en  pays  non  chrétiens.  Une  inté- 
ressante introduction  indique  les  sources 
principales  de  la  statistique  des  missions 
catholiques  et  ce  qu'elle  a  produit  jusqu'ici. 
Puis  une  série  de  chapitres  traitent  les 
questions  suivantes  :  Qu'est-ce  que  la  sta- 


tistique des  missions?  Quel  est  son  objet? 
Statistique  des  recettes  et  des  dépenses  des 
missions;  utilité  de  la  statistique  des  mis- 
sions ;  principes  pour  l'estimation  des  succès 
d'une  mission.  Enfin,  la  partie  la  plus  con- 
sidérable du  volume  (p.  83-2 11  )  est  consa- 
crée à  l'état  présent  des  missions  catholiques 
en  Asie,  en  Australie  et  Océanie,  en  Afrique 
et  en  Amérique.  On  trouvera  dans  ces  pages 
des  données  très  précises  qui  complètent 
et  corrigent  au  besoin  les  Missiones  catho- 
licœ  éditées  par  la  Propagande.  Les  tableaux 
de  comparaison  avec  les  missions  protes- 
tantes seront  aussi  vivement  appréciés. 

L'auteur  propose  à  tous  les  missionnaires 
quelques  moyens  pour  arriver  à  une  statis- 
tique générale  uniforme.  Ses  observations 
à  ce  sujet  nous  ont  paru  très  pratiques  et 
très  utiles.  Nous  n'avons  pas  de  critique 
importante  à  lui  soumettre,  et  nous  souhai- 
tons volontiers  que  la  traduction  française 
de  son  ouvrage  contribue  au  succès  des 
idées  qui  l'ont  inspiré.  PuisqueleR.  P.  Krose 
fait  rentrer  dans  le  cadre  de  son  livre  l'Asie 
antérieure,  on  se  demande  pourquoi  il  en 
exclut  la  partie  asiatique  du  vicariat  apos- 
tolique de  Constantinople,  alors  qu'il  men- 
tionne Smyrne,  Rhodes,  Jérusalem,  Mos- 
soul .  Alep,  etc.  A  signaler  quelques  graphies 
déiectueuses  :  Aleppo,  p.  i25.  128;  Aleppe 
et  Mossul,  p.  126. 

S.  Salaville. 

R.  P.  R.  SouARN,  ex  augustinianis  ab 
i\seumptione ,  Praxis  missionarii  in 
Oriente  servata.  Paris,  J.  Gabalda,  1911, 
in- 16  de  vi-274  pages.  Prix  :  2  fr.  5o. 

Les  questions  traitées  par  le  R.  P.  Souam 
ont  trait,  comme  l'indique  le  sous-titre  de 
l'ouvrage,  aux  sacrements,  aux  rites,  à  la 
communicatio  in  sacris.  Suivent  divers 
appendices  ayant  pour  objet:  r'  l'admis- 
sion des  enfants  non  catholiques  aux  écoles 
catholiques  ;  2°  sept  décisions  récentes  ou 
anciennes  du  Saint-Siè.e  relatives  aux 
honoraires  de  messes  envoyés  aux  clergés 
orientaux,  à  l'obligation  de  la  messe  Pro 
POPULO  pour  les  curés  des  Eglises  orien- 
tales, aux  treize  articles  de  la  Constitution 
Orientalium  digmtas,  aux  pouvoirs  ac- 
cordés sur  mer  aux  prêtres  voyageurs, 
aux  éclaircissements  des  S.  C.  du  Concile 
et  des  Sacrements  sur  le  décret  Ne  temere, 
aux  mariages  mixtes  en   Hongrie,   aux 


2^2 


ÉCHOS   d'orient 


écoles  d'Orient,  catholiques  ou  non.  Ces 
décisions  sont  précédées  d'un  court  proœ- 
mium. 

Comme  le  Mémento  de  théologie  morale 
à  l'usage  des  missionnaires  du  même  au- 
teur, la  Praxis  i-e  termine  par  une  table 
analytico  -  alphabétique .  Nous  avens  le 
plaisir  de  constater  qu'un  nouveau  titre 
plus  heureux  a  été  substitué  à  l'ancien. 
Toutefois,  les  quelques  autres  desiderata 
signalés  en  1907  {Echos  d'Orient,  t.  X, 
p.  192)  pourraient  être  renouvelés  au  sujet 
de  la  Praxis.  Complétant  l'observation 
que  nous  soumettions  alors  à  l'auteur  tou- 
chant les  deux  décrets  mentionnés  par 
Benoît  XIV,  dont  l'un  édicté  par  saint 
Nicolas  P'  déclare  invalide  la  confirmation 
administrée  par  les  popes  de  Bulgarie  et  le 
second  promulgué  par  Innocent  IV  pro- 
nonce la  même  sentence  d'invalidité  con- 
cernant la  confirmation  conférée  par  les 
papas  de  l'île  de  Chypre,  nous  nous  per- 
mettons de  dire  à  notre  confrère  qu'un 
supplément  d'enquête  aurait  pu  le  con- 
vaincre de  l'abrogation  implicite  de  ces 
décrets,  car  celui  de  saint  Nicolas  I"  a  été 
publié  antérieurement  aux  accords  inter- 
venus peu  après  la  mort  du  pontife  entre 
Rome  et  le  patriarcat  de  Constantinople, 
dont  l'Eglise  bulgare  fut  déclarée  partie 
intégrante;  plus  tard,  au  xiii®  siècle,  entre 
le  patriarcat  de  Tirnovo  et  le  Saint-Siège, 
puis  de  nouveau  entre  Rome  et  l'Orient 
aux  conciles  de  Lyon  et  de  Florence.  Quant 
au  décret  d'Innocent  IV,  il  a  également 
été  révoqué,  d'une  manière  implicite,  au 
concile  de  Florence. 

A  propos  des  rites  orientaux,  notre  con- 
frère croit  pouvoir  affirmer  que,  selon  l'es- 
prit de  l'Eglise,  ces  rites  ont  le  pas  sur  le 
rite  latin,  quand  il  s'agit  de  décider  à  quel 
rite  appartiendra  un  enfant  né  d'un  père 
schismatique  et  d'une  mère  latine.  Solli- 
citée dernièrement  de  donner  sur  ce  point 
une  réponse  générale,  la  Piopagande  a  pré- 
féré garder  le  silence.  Elle  ne  partage  donc 
pas  l'avis  émis  dans  la  Praxis. 

Nous  ne  voyons  pas  bien  pourquoi  le 
proœtnium  placé  en  tête  des  documenta  et 
décréta  n'a  pas  été  uni  à  l'avant-propos 
qui  précède  le  livre. 

Nous  regrettons,  en  outre,  que  l'auteur 
n'ait  pu  se  procurer  ni  la  formule  abrégée 
de  l'abjuration  des  hérétiques  et  des  schis- 
matiques,  ni  les  dispositions  de  la  Consti- 


tution Eâ  semper  réglant  la  question  du 
rite  des  parents  et  enfants  ruthènes  domi- 
ciliés aux  Etats-Unis  de  l'Amérique.  Un 
autre  regret  est  que  la  Praxis  missionarii 
reproduise  le  long  exposé  dogmatique  du 
Mémento  concernant  1  indissolubilité  du 
mariage,  exposé  d'ailleurs  qui  ne  nous 
satisfait  pas  complètement.  Un  dernier 
regret  est  que  la  correction  définitive  des 
épreuves,  faites  soigneusement  par  l'au- 
teur, ne  soit  pas  arrivée  à  temps,  et  que, 
par  suite  de  ce  contr  temps  fâcheux,  il  ait 
été  mis  dans  l'impossibilité  de  prévenir 
certaines  fautes  regret  ables  dues,  les  unes, 
à  l'inadvertance,  les  autres,  opposées  aux 
règles  de  la  grammaire  ou  du  style.  Nous 
n'insistons  pas  sur  ces  fautes,  que  le  lecteur 
corrigera  facilement  de  lui-même. 

Il  nous  tarde  maintenant  d'affirmer  que 
ces  quelques  remarques  n'atteignent  en 
rien  le  fond  même  du  livre  du  R.  P.  Souarn. 
Au  point  de  vue  de  la  stàreté  des  principes, 
de  l'exposé  et  du  développement  des  ques- 
tions et  de  l'esprit  pratique,  la  Praxis  mis- 
sionarii est  appelée  à  rendre  de  réels  ser- 
vices dans  les  pays  de  mission.  Aussi,  soit 
à  cause  des  documents  nombreux  com- 
mentés dans  le  cours  de  l'ouvrage  ou  ajoutés 
en  appendice,  soit  à  cause  des  qualités 
signalées  et  que  ne  déparent  guère  quelques 
défauts  secondaires,  nous  souhaitons  que 
cet  ouvrage  soit  bientôt  dans  la  biblio- 
thèque des  missionnaires  et  des  professeurs 
de  théologie  morale  et  de  droit  canon,  dont 
les  recherches  seront  grandement  facilitées 
grâce  à  la  table  analytique,  revue  et  mise 
au  point. 

A.  Catoire 

E.  Jacquier,  Le  Nouveau  Testament  dans 
l'Eglise  chrétienne,  Paris,  Gabalda,  191 1, 
in-i2  de  448  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

Après  avoir  passé  en  revue  les  divers  tra- 
vaux qui  ont  paru  relativement  à  l'histoire 
du  Nouveau  Testament  depu  s  les  premiers 
siècles  du  christianisme  jusqu'à  nos  jours, 
l'auteur  de  cet  ouvrage  fait  remarquer  la 
manière  dont  les  anciens  écrivains  citaient 
l'Ecriture,  précise  le  sens  des  mots  cano- 
nique et  apocryphe,  et  recherche  ce  qu'ont 
de  commun  les  Evangiles  et  les  écrits  de 
la  période  post-apostolique. 

En  ce  qui  concerne  les  ressemblances 
entre  la  Didaché  et  les  Epîtres  de  saint 


BIBLIOGRAPHIE 


253 


Paul,  l'auteur,  très  réservé,  l'est  peut-être 
trop,  en  n'osant  pas  conclure  à  une  certaine 
dépendance  du  premier  livre  à  l'égard  de 
l'autre.  Si,  en  effet,  certaines  ressemblances 
sont  vagues,  comme  il  le  dit,  d'autres  — 
assez  nombreuses  —  sont  merveilleuses  de 
précision  (p.  70).  Cette  concordance  ne 
peut  donc  bien  s'expliquer  sans  une  cer- 
taine dépendance. 

D'une  façon  générale,  il  faut  louer  M.  Jac- 
quier de  sa  constante  préoccupation  de  ne 
pas  outrepasser  dans  ses  conclusions  les 
limites  des  preuves  fournies.  Qu'il  s'agisse, 
en  effet,  de  la  préparation,  de  la  formation, 
de  la  promulgaiion  ou  de  la  définition  du 
canon  du  Nouveau  Testament  par  le  con- 
cile de  Trente,  l'auteur  expose  les  données 
positives  relatives  à  chacune  de  ces  ques- 
tions avec  une  très  grande  exactitude,  en 
s'efforçant  de  le  aire  très  brièvement,  trop 
brièvement  parfois,  de  façon  à  présenter 
son  ouvrage  comme  un  recueil  de  témoi- 
gnages plutôt  que  comme  une  discussion 
complète  des  passages  douteux  des  livies 
cités. 

J'attirerai  cependant  son  attention  sur 
deux  points:  i^  Parlant  du  fragment  de 
Muratori,  l'auteur  affirme  incidemment 
que  la  Sagesse  peut  très  bien  être  l'oeuvre 
de  Philon  (p.  206).  Il  y  a  cependant  de 
!  rès  grandes  différences  entre  la  conception 
de  la  Sagesse  d'après  Philon,  et  la  concep- 
tion de  la  Sagesse  d'après  l'auteur  de  ce 
livre.  Ces  divergences,  l'auteur  ne  les  dis- 
cute pas;  il  est  donc  mal  fondé  à  présenter 
son  affirmation  sous  la  forme  trop  peu 
p^dubitative  qu'elle  revêt. 

2°  De  même,  il  est  exagéré  de  dire  (p.  42 1  )  : 
"«  De  nos  jours,  presque  tous  les  critiques 
catholiques  et  quelques  critiques  protes- 
ttan.s  ont  cru  quel  epître  aux  Hébreux  était 
[de  saint  Paul,  les  uns  immédiatement,  les 
[autres  médiatement,  suivant  la  conclusion 
[d'Origène.  »  En  réalité,  c'est  là  l'opinion 
td'un  certain  nombre  de  critiques  catho- 
lliques,  non  de  presque  tous.  D'un  autre 
[côté,  les  arguments  philologiques  sur  les- 
[quels  on  se  fonde  pour  étayer  l'opinion 
contraire  sont  trop  forts  pour  que  l'on  n'en 
[tienne  pas  compte  dans  un  précis  historique 
[de  la  question  tel  que  celui  que  renferme 
[ce  livre.  ^ 

Ces  quelques  remarques  faites,  nous 
idevons  louer  l'auteur  d'un  travail  critique 
tsi  consciencieux.    Cet  ouvrage  complète 


très  heureusement  son  étude  déjà  si  docu- 
mentée des  Evangiles,  et  sera  suivi  prochai- 
nement d'une  étude  relative  à  l'authenticité 
des  écrits  néo-testamentaires  qui  sera,  nous 
l'espérons,  le  digne  couronnement  des  pré- 
cédentes. 

En  attendant,  nous  tenons  à  faire  remar- 
quer dans  cet  e  revue  toute  consacrée  aux 
questions  orientales  que,  d'après  ce  critique 
—  comm  •  d'après  tant  d'autres  qui  ont 
suivi  en  cela  5sicéphore  Calliste,  —  «  le 
canon  du  Nouveau  Test  ment  dans  l'Eglise 
d'Orient  est  le  même  que  celui  que  nous 
avons  déjà  trouvé  dans  l'Eglise  d'Occi- 
dent »;  constatation  très  importante  à  faire 
pour  ceux  qu'intéresse  l'étude  de  l'exégèse 
en  Orient. 

E.  MONTMASSON. 

E.  Mangenot,  La  Résurrection  de  Jésus, 
suivie  de  deux  appendices  sur  la  Cruci- 
fixion et  l'Ascension.  Paris,  G.  Beau- 
chesne  et  C'*,  19 10.  In- 12,  402  pages. 
Prix  :  3  fr.  5o. 

En  se  plaçant  sur  le  double  terrain  de 
la  critique  exégétique  et  de  l'apologétique, 
mais  surtout  de  l'apologétique,  M.  Man- 
genot examine  le  fait  de  la  résurrection  de 
Jésus;  il  l'étudié  en  suivant  l'ordre  chro- 
nologique, d'abord  dans  saint  Paul,  puis 
dans  les  récits  évangéliques.  Enfin,  deux 
longs  appendices  sur  la  Crucifixion  et  l'As- 
cension de  Jésus  sont,  le  premier,  un  pré- 
liminaire, et  le  second  un  corollaire  de  la 
Résurrection . 

L'auteur,  qui  a  déjà  publié  les  éléments 
de  cet  ouvrage  dans  la  Revue  pratique 
d'apologétique  au  cours  des  années  1908 
et  1909,  y  expose  généralement  avec  beau- 
coup de  fidélité  les  opinions  des  adversaires. 
C'est  là,  pour  un  critique,  un  mérite  de 
premier  ordre,  et  nous  tenons  d'abord  à 
le  relever.  De  plus,  en  exégète  subtil,  il  dis- 
cute le  texte  sacré  en  serrant  de  près  les 
expressions  caractéristiques  de  l'idée  prin- 
cipale qu'il  veut  mettre  en  relief.  Toutefois, 
il  ne  prétend  pas  être  complet  ni  au  point 
de  vue  historique  ni  au  point  de  vue  exé- 
gétique. Rien  d'étonnant  à  cela,  il  ne  s'est 
pas  proposé  de  l'être.  Aussi  bien,  nous  ne 
lui  ferons  pas  un  reproche  d'avoir,  par 
exemple,  omis  de  signaler  avec  plus  de 
détails  la  théorie  de  M.  Le  Roy  sur  la  con- 
ception générale  de  la  matière,  base  de  la 


2=)4 


ECHOS    D  ORIENT 


théorie  de  cet  auteur  sur  la  Résurrection. 
Bien  au  contraire,  nous  pensons  que.  étant 
donné  son  but  surtout  apologétique  ip.  6), 
l'auteur  a  été  très  suffisamment  complet. 
Mais  c'est  précisément  dans  le  cadre  res- 
treint où  il  s'est  renfermé  que  nous  sui- 
vrons l'auteur  pour  lui  faire  les  quelques 
observations  suivantes  : 

i-^  P.  36-3-:  Pour  prouver  que  le  verbe 
sTàisr,  désigne  une  sépulture  honorable, 
dans  la  langue  du  Nouveau  Testament,  il 
ne  suffit  pas  de  rappeler  que  c'est  le  verbe 
qui  a  été  employé  pour  désigner  l'enseve- 
lissement de  David  et  du  riche  dans  la 
parabole  de  Lazare;  il  faudrait,  de  plus, 
montrer  que,  pour  désigner  l'ensevelisse- 
ment dans  la  fosse  commune,  un  autre 
verbe  est  ordinairement  employé.  Or,  ce 
supplément  de  preuve,  M,  Mangenot  ne 
le  fournit  pas. 

2"  P.  81-82  :  L'auteur  affirme,  mais  sans 
le  prouver  nettement,  que  l'indication  chro- 
nologique de  /  Cor.  XV,  4  :  xa-rà  ràç  Ypaciâî, 
ne  se  rapporte  pas  à  tçitv,  t->,  r^aspa,  mais 
à  àv£ffTT,.  Pourquoi  donc,  placée  immédia- 
tement après  àv£<7TTi  TOiTY,  TT,  T^uÉpa,  cctte 
expression  ne  se  rapporterait-elle  pas  à  la 

fois  à  àvsffTr,  et  à  to-'ty,  ty,  7;a£07.? 

3°  p.  84:  Sans  l'affirmer  positivement 
—  et  tout  en  excluant  avec  soin  cette  idée 
de  la  pensée  de  saint  Paul  —  M.  Mangenot 
laisse  entendre  que  le  texte  d'Isaïe,  xr,  10: 
Et  erit  sepulcrum  ejus  gloriosum,  son 
séjour  sera  glorieux,  a  quelque  valeur 
pour  signifier  la  résurrection  de  Jésus.  Or, 
qui  ne  voit  que  le  mot  séjour  peut  désigner 
ici  la  Palestine  entière,  et  que  la  gloire  dont 
il  est  question  peut  avoir  été  antérieure  ou 
bien  postérieure  à  la  Résurrection,  c'est- 
à-dire  avoir  pu  éclater  par  exemple  dans 
les  triomphes  ultérieurs  de  l'Eglise?  Ce 
texte  est  donc  trop  vague  pour  prouver  la 
résurrection  de  Jésus  et  la  critique  de  M.  Le 
Roy  sur  ce  point  est,  croyons-nous,  suffi- 
samment justifiée.  (Cf.  Le  Roy,  Dogme  et 
Critique,  p.  174.) 

-h"  p.  i65:  Nous  pensons,  avec  M?''  La- 
deuze,  que  l'expression  c^a/r  et  sang^da^ns 
II  Cor.  XV,  5o,  signifie  nature  viciée  plutôt 
que  organisme  physique  et  principe  de 
vie,  pour  deux  raisons  :  a)  c'est  le  sens  qu'a 
d'ordinairecetteexpression  dans  saint  Paul  ; 
b)  le  contexte  ne  s'y  oppose  pas,  car  bien 
que  l'idée  générale  du  passage  soit  simple- 
ment l'opposition  établie  par  saint  Paul 


entre  le  corps  mortel  actuel  et  le  corps 
immortel  futur,  l'Apôtre  indique  claire- 
ment la  cause  de  cette  mortalité  et,  partant, 
caractérise  la  nature  de  ce  corps  quand  il 
dit  au  verset  56  :  l'aiguillon  de  la  mort, 
c'est  le  péché. 

5*^  P.  327  :  Il  est  exagéré  d'affirmer  que 
la  résurrection  des  corps  est  clairement 
mentionnée  dans  Job  (xix,  23-27  '•  Certes,  il 
est  bien  plus  probable,  nous  en  convenons, 
que  l'auteur  de  ce  livre  parle  de  la  résur- 
rection de  la  chair  que  de  la  guérison  de 
Job.  Pourtant,  ce  n'est  pas  certain  ;  car 
pour  que  cette  opinion  devînt  une  certi- 
tude, il  faudrait  :  a)  connaître  avec  préci- 
sion l'auteur  du  livre,  et,  partant,  la  date 
approximative  de  sa  composition  :  connais- 
sances précises  que  l'on  n'a  pas;  b)  prouver 
que,  à  cette  date,  cet  auteur,  non  seulement 
pouvait  connaître  la  doctrine  de  la  résur- 
rection de  la  chair,  mais  que,  de  fait,  il  la 
connaissait  :  preuve  qui  fait  défaut. 

De  plus,  sur  cette  question,  un  doute 
grave  peut  encore  subsister,  car  Job  exhale 
son  désespoir  au  sujet  de  son  avenir  quand 
il  dit  (xiv,  7,  8,  10,  12)  :  Un  arbre  a  de  l es- 
pérance: coupé,  il  peut  verdir  encore;  dès 

qu'il  sent  l'eau,  il  reverdit Mais  l' homme 

meurt,  et  il  reste  étendu //  ne  se  réveil- 
lera pas  tant  que  subsistera  le  ciel,  il  ne 
sortira  pas  de  son  sommeil.  On  avouera 
sans  peine  que  la  comparaison  avec  l'arbre 
coupé  ne  laisse  aucun  doute  ici  sur  la  vraie 
pensée  de  Job  (xiv,  7,  8,  10),  et  crée,  au 
contraire,  un  doute  sérieux  sur  le  sens  de 
Job  (XIX,  26-27). 

Ces  quelques  remarques  faites,  je  ne 
m'attarderai  ni  à  signaler  à  l'auteur  une 
forme  verbale  plutôt  extraordinaire  :  sous- 
traya  (p.  392),  ni  à  lui  faire  remarquer  les 
lacunes  d'ordre  plutôt  psychologique  que 
la  sse  subsister  sa  méthode  purement  exé- 
gétique  et  critique  dans  l'examen  des  théo- 
ries relatives  aux  visions  de  saint  Paul. 
Lui-même,  sans  doute,  les  a  pressenties, 
et  c'est  peut-être  pour  cette  raison  que, 
contrairement  à  cette  méthode,  parfois  il 
s'oublie,  notamment  dans  l'étude  des  corps 

ressuscites,  à  faire  de  la  philosophie 

sans  le  savoir! 

E.  MONTMASSON. 

H.  Leroy,  S.  J.,  Jésus-Christ,  sa  vie,  son 
temps  (XVe  volume  des  Leçons  d'Ecri- 
ture Sainte,  année  1909),  Paris,  G.  Beau- 


BIBLIOGRAPHIE 


235 


chesne,  1910,  in-i8  jésus,  de  402  pages. 
Prix  :  3  francs. 

Nous  ne  saurions  dire  tout  le  bien  que 
nous  pensons  de  ces  dix  leçons  d'Ecriture 
Sainte,  où  la  science  exégétique  et  théolo- 
gique, l'esprit  de  piété,  une  forme  à  la  fois 
sobre  et  élégante  s'harmonisent  si  bien. 
L'auteur  commente  ce  qu'il  y  a  de  plus 
beau  et  de  plus  divin  dans  l'Evangile;  les 
discours  de  Jésus  avant  et  après  la  Cène. 
Le  texte  évangélique  l'amène  à  parler  de 
l'Eucharistie,  de  la  grâce,  de  la  primauté 
de  Pierre,  surtout  du  mystère  de  la  Trinité. 
Sur  tous  ces  hauts  sujets,  il  résume  admi- 
rablement, en  un  style  très  clair  et  très 
précis,  la  doctrine  catholique. 

Les  pensées  profondes,  qui  s'imposent 
à  la  méditation,  abondent  dans  l'ouvrage. 
Je  n'en  rapporterai  qu'une  seule,  qui  m'a 
particulièrement  frappé.  L'auteur  déclare 
que  la  prospérité  de  l'Eglise  et  son  exten- 
sion dans  le  monde  sont  en  étroite  dépen- 
dance avec  la  perfection  plus  ou  moins 
grande  avec  laquelle  les  chrétiens,  pasteurs 
et  fidèles,  observent  le  grand  précepte  de 
la  charité  et  de  l'union  fraternelle.  Faisant 
l'application  de  ce  principe  à  l'histoire  de 
l'Eglise  orientale,  il  écrit  : 

«  L'Eglise  d'Orient,  par  sa  position  géo- 
graphique, paraît  bien  avoir  eu  pour  mi  - 
sion  de  convertir  le  continent  asiatique. 
Elle  aurait  ainsi  épargné  au  monde  civilisé 
le  fanatisme,  la  barbarie  et  la  profond  ; 
immoralitéde  l'Islamisme  ;  enlevé  pour  une 
bonne  part  leur  caractère  sanguinaire  et 
persécuteur  aux  invasions  des  Tartares.  des 
Mongols,  des  Turcs  et  des  autres  peuples 
de  l'Asie  centrale.  L'entrée  de  la  Chine 
dans  l'Eglise  catholique  n'aurait  peut-être 
pas  supprimé  le  danger  que  l'on  est  con- 
venu d'appeler  le  péril  jaune,  mais  elle  en 
eût  du  moins  singulièrement  atténué  la 
gravité,  par  cela  seul  qu'il  ne  serait  pas 
une  menace  contre  la  religion  et  la  civili- 
sation chrétiennes.  Il  est  probable  que  le 
catholicisme  n'aurait  pas  tardé  à  franchir 
les  îles  océaniennes  du  sud-est  de  l'Asie,  et 
l'on  peut  croire  que  les  Eglises  de  l'Afrique 
du  Nord,  tranquilles  et  prospères,  eussent 
fait  pénétrer  la  lumière  de  l'Evangile  jus- 
qu'au cœur  de  la  grande  péninsule. 

»  Mais  à  peine  la  victoire  de  Cons- 
tantin a-t-elle  fermé  l'ère  des  persécutions, 
qu'éclatent  les  rivalités  entre  les  patriarches 


de  Constantinople,  de  Jérusalem,  d'An- 
tioche,  d'Alexandrie  et  les  divisions  des 
différentes  Eglises  prenant  fait  et  cause 
pour  leur  métrtjpolitain  ;  l'ambition  des 
patriarches  de  Constantinople  et  feur  ja- 
lousie à  l'égard  des  pontifes  romains;  l'im- 
mixtion des  empereurs  de  Byzance  dans 
les  affaires  ecclésiastiques  et  les  troubles 
qui  en  résultent;  les  querelles'théologiques 
poussées  par  l'esprit  d'orgueil  et  de  parti 
jusqu'aux  dernières  limites  de  l'argutie,  de 
la  haine,  de  l'entêtement  et  de  la  mauvaise 
foi,  et  engendrant  à  jet  continu  les  schismes 
et  les  hérésies.  Les  siècles  passent  et  les 
conflits  succèdent  aux  conflits,  les  divisions 
aux  divisions,  préparant  la  grande  apostasie 
commencée  par  le  patriarche  Photius  au 
ix«  siècle,  et  consommée  au  xi^  par  Michel 
Cérulaire.  » 

Il  serait  difficile  de  dire  mieux  et  si  briè- 
vement tant  les  causes  des  schismes  orien- 
taux que  leurs  funestes  effets  pour  l'Eglise 
de  Dieu.  L'auteur  a  trouvé  dans  l'Evangile 
un  principe  lumineux  pour  faire  la  philo- 
sophie de  l'histoire  de  l'Eglise. 

M.  JUGIE. 

K.  A.  H.  Kellner,  Heortologie  oder  die 
geschichtliche  Entwicklung  des  Kirchen- 
jahres  und  der  Heiligenfeste  von  den 
œltesten  Zeiten  bis  ^ur  Gegenwart.  Dritte, 
verbesserteAuflage.Fribourg-en-Brisgau, 
Herder,  1911,  in-S-',  xv-3i8  pages.  Prix: 
7  marks. 

Nous  avons  dit  plus  haut  (p.  225)  la  grande 
valeur  de  cet  ouvrage,  en  annonçant  la  tra- 
duction française  publiée  par  le  R.  P.  Bund. 
Ayant  reçu  depuis  la  troisième  édition 
allemande,  nous  nous  empressons  de  la 
signaler  à  nos  lecteurs.  Ils  y  trouveront 
quelques  additions  concernant  par  exemple 
les  fêtes  qui  forment  couronne  autour  de 
Noël,  les  dévotions  mariales,  les  fêtes 
d'apôtres.  A  signaler  aussi,  p.  3o5-3o8,  un 
Excursus  intitulé  :  La  légende  de  sainte 
Ursule  et  les  livres  liturgiques.  Ce  qui  est 
dit,  p.  6,  de  Compiles  au  temps  aposto- 
lique (?)  est  à  rectifier,  au  même  titre  que 
le  passage  correspondant  de  la  traduction 
française,  p.  12.  L'avant-propos  nous  ap- 
prend l'existence  d'une  nouvelle  traduction 
en  espagnol  de  cet  excellent  ouvrage,  dont 
le  succès  est  des  plus  mérités. 

S.  Sala  VILLE. 


256 


ÉCHOS    D  ORIENT 


G.  Rauschen,  Eucharistie  und  Buss  sakra- 
ment  in  den  ersten  sechs  Jahrhunderten 
der  Kirche,  2"  édition,  corrigée  et  aug- 
mentée.   Fribourg-en-Brisgau,    Herder, 

1910,  in-8°,  viii-252  pages.  Prix  :  4  marks. 

Notre  bulletin  de  liturgie  a  signalé  ci- 
dessus,  p.  223-224,  cette  seconde  édition 
d'un  ouvrage  estimé.  Nous  ne  voulons  que 
réparer  un  oubli  en  indiquant  ici  le  titre, 
l'adresse  et  le  prix  de  cet  excellent  volume 
de  la  librairie  Herder.  S.  S. 

A.  Baudrillart,  a.  Vogt,  U.  Rouziès, 
Dictionnaire  d'histoire  et  de  ge'ographi? 
ecclésiastiques,  fasc.  III  et  IV  :  Adulphe- 
Aix-la-Chapelle.  Paris,  Letouzey  et  Ané, 

191 1.  Prix  :  5  francs  le  fascicule 

La  longue  liste  des  collaborateurs  de  ces 
deux  fascicules  dit  assez  le  soin  des  direc- 
teurs à  répartir  le  travail  suivant  les  com- 
pétences. Dans  ce  grand  nombre  de  notices 
biographiques,  historiques,  géographiques, 
l'Orient  occupe  une  large  place.  Les  articles 
qui  le  concernent  sont  signés  :  Ermoni, 
Froidevaux,  Jugie,  Karalevsky  (C.  Charon), 
Montmasson,  Nau,  Palmieri,  Petit,  Pé- 
tridès,  Salaville,  Tournebize,  Vailhé,  au- 
tant de  noms  qui  ne  sont  pas  inconnus 
aux  lecteurs  des  Echos  d'Orient.  Les  articles 
sont  généralement  courts,  comme  il  con- 
vient à  un  répertoire  de  ce  genre.  Signa- 
lons cependant  l'importante  monographie 
consacrée,  col.  yoS-Sôi,  au  mot  Afrique, 
par  M.  AudoUent,  professeur  à  l'Université 
de  Clermont,  spécialiste  éminent  à  qui  la 
direction  ne  peut  que  se  féliciter  d'avoir 
confié  les  notices  sur  les  personnes  et  les 
choses  de  l'histoire  africaine.  Pour  des  tra- 
vaux de  cette  étendue,  il  est  regrettable 
que,  dans  ce  Dictionnaire  pas  plus  que  dans 
les  autres  qui  l'ont  précédé,  les  éditeurs  ne 
se  préoccupent  pas  de  faire  ressortir  davan- 
tage les  subdivisions  et  les  sous-titres  des- 
tinés à  servir  de  points  de  repère  aux  yeux 
et  à  l'esprit.  Pour  donner  une  idée  de  la 
quantité  de  renseignements  à  chercher  le 
long  de  ces  colonnes  très  denses,  voici  l'in- 
dication des  sujets  traités  au  mol  Afrique  : 
Introduction  du  christianisme,  les  pre- 
miers martyrs,  Tertullien,  le  montanisme, 
l'époque  de  saint  Cyprien,  le  donatisme, 
saint  Augustin,  les  hérésies,  les  Vandales, 


la  période  byzantine,  la  conquête  arabe, 
organisation  del'épiscopat.  M.  Froidevaux, 
proiesseur  à  l'Institut  catholique  de  Paris, 
prenant  l'histoire  d'Afrique  au  point  où  l'a 
laissée  M.  AudoUent,  nous  donne  ensuite, 
col.  861-871,  un  aperçu  sur  l'histo  re  du 
christianisme  africain  au  moyen  âge  et  aux 
époques  moderne  et  contemporaine.  De 
bonnes  cartes  permettent  de  suivre  sans 
peine  ces  intéressantes  données.  Belles 
études,  mais  où  l'on  aimerait  que  quelques 
titres  bien  en  saillie  viennent  par  intervalles 
orienter  les  recherches. 

Après  avoir  exprimé  encore  un  desi- 
deratum concernant  l'uniformité  dans  la 
transcription  française  des  noms  grecs  ou 
latins  (on  trouve,  par  exemple,  col.  921-922, 
Agathope  et  Agathopus  pour  deux  person- 
nages appelés  l'un  et  l'autre,  en  grec,  'Aya- 
0Ô7rou;\  il  ne  nous  restera  qu'à  affirmer  une 
fois  de  plus  que  ce  Dictionnaire  a  sa  place 
obligée  dans  toute  bibliothèque  où  l'on 
tient  à  mettre  à  la  disposition  des  chercheurs 
tous  les  bons  instruments  de  travail.  En 
matière  d'histoire  et  de  géographie  ecclé- 
siastiques, celui-ci  est  désormais  indispen- 
sable. S.  Salaville. 

H.  CoNNELLY,  .4  Homily  of  Mâr  Jacob  of 
Serûgh  on  the  mémorial  of  the  departed 
and  on  the  eucharistie  loaf.  Entrait  de 
Downside  Review,  décembre  19 10,  in-S", 
1 1  pages. 

Dom  Conneliy  publie,  en  traduction 
anglaise,  une  homélie  métrique  de  Jacques 
de  Saroug  (451-521)  sur  la  mémoire  des 
défunts  et  le  pain  eucharistique.  Le  texte 
syriaque  a  été  édité  par  le  R.  P.  Paul  Bedjan, 
Homiliœ  selectœ  Mar  Jacobi  Sarugensis, 
t.  I,  Paris,  1905,  p.  535-550,  et  Acta  mar- 
tyrum  et  sanctorum,  t.  V,  1895,  p.  615-627. 
C'est  une  très  intéressante  exhortation  à 
garder  fidèlement  l'usage  de  l'offrande  pour 
les  défunts,  en  vue  d'obtenir  que  Dieu  leur 
applique  les  fruits  du  Saint  Sacrifice.  On 
notera,  p.  9,  l'idée  de  la  coopération  eucha- 
ristique des  trois  personnes  divines  asso- 
ciée à  celle  de  l'épiclèse.  Liturgistes  et  théo- 
logiens ne  peuvent  qu'être  reconnaissants 
au  savant  Bénédictin  anglais  de  les  faire 
bénéficier  des  richesses  de  la  littérature 
ecclésiastique  syriaque. 

S.  Salaville. 


83i 


II.  —  Inip.  P.  Feron-Vrau,  3  et  b,  rue  Bayard,  Paris,  VIII*.  —  Le  gérant  :  E.  Petithenrt. 


L'ÉPISCOPAT   DE    NESTORIUS 


1.  La  chasse  aux  hérétiques. 

L'évêque  de  Constantinople,  Sisinnius, 
était  mort  à  la  fin  de  l'année  427.  Sa  suc- 
cession était  fort  convoitée  par  le  clergé  de 
la  capitale,  qui  parait  avoir  désiré  de  tout 
temps  cette  bonne  chose  qu'est  l'épis- 
copat.  Le  nombre  des  candidats  fut  si 
nombreux,  les  intrigues  si  compliquées, 
que  Thédose  II  ne  vit  d'autre  moyen  de 
pourvoir  le  siège  vacant  que  de  chercher 
un  sujet  en  dehors  du  clergé  constantino- 
politain.  Nestorius  raconte  lui-même,  dans 
le  Livre  d'Héraclide,  comment  l'empereur 
fut  amené  à  faire  choix  de  sa  personne. 
Voici  une  partie  du  discours  qu'il  lui  fait 
tenir  à  l'archimandrite  Dalmace,  venu 
avec  ses  moines  pour  demander  la  con- 
firmation de  la  sentence  portée  à  Ephèse  : 

J'attendais  que  vous  choisissiez  paisible- 
ment, de  crainte  que  la  hâte  ne  vous  égarât 
au  sujet  de  l'élu.  Mais  vous  avez  choisi, 
direz-vous,  et  je  n'ai  pas  accepté  votre  choix! 
Veux-tu  que  je  te  dise  quelque  chose  sur 
vous  autres?  Dirai-je  l'empressement,  les 
courses,  les  présents,  les  promesses,  les  ser- 
ments de  ceux  qui  voulaient  trafiquer  de 
l'épiscopat?  Parmi  ceux-là,  lequel  vouliez- 
vousqui  fùtévéque  1^  iMais  je  passe  là-dessus; 
quel  choix  ratifier  :  le  tien,  ou  celui-ci,  ou 
celui-là  ?  Car  les  candidats  étaient  nombreux 
et  non  choisis  parmi  les  meilleurs.  Chacun 
portait  aux  nues  son  candidat  et  dénigrait 
celui  des  autres.  Vous  n'avez  jamais  pu 
vous  entendre  sur  un  seul  nom.  L'élu  du 
I  peuple  ne  vous  agréait  point.  J'ai  lu  devant 
vous  le  verdict  du  peuple  sur  chacun  de 
ceux  qui  avaient  été  choisis.  Que  devais-je 
donc  faire  que  je  n'aie  pas  faii?  Vous, 
moines,  vous  n'étiez  pas  d'accord  avec  le 
clergé;  le  clergé,  d'ailleurs,  n'était  pas  una- 
nime; les  évêques  étaient  divisés;  le  peuple 

l'était  aussi Même  alors,  je  ne  me  suis 

oas  arrogé  le  pouvoir  de  faire  moi-même  le 
-hoix,  mais  je  vous  l'ai  laissé. 

(i)  Cette  étude  est  tirée  d'un  ouvrage  sur  Nesto- 
lus  qui  paraîtra  prochainement. 

Echos  d'Orient,   14'  année.  —  N'  go. 


Comme  vous  n'arriviez  à  rien,  vous  êtes 
tous  venus  et  vous  m'avez  laissé  libre  de 
choisir  celui  que  je  voudrais.  Après  m'être 
laissé  vaincre  avec  peine  par  vos  instances, 
j'ai  pensé  qu'il  ne  convenait  pas  de  choisir 
quelqu'un  d'ici,  de  crainte  qu'il  ne  soulevât 
contre  lui  des  inimitiés  et  des  haines;  car 
vous  vous  haïssiez  tous  les  uns  les  autres, 
comme  si  vous  aviez  tous  été  intéressés  à 
cette  aff"aire.  Je  me  mis  à  chercher  un 
homme  étranger,  inconnu  de  ceux  d'ici  et 
qui  ne  les  connaissait  pas,  un  homme 
illustre  par  sa  parole  et  par  ses  œuvres.  On 
me  fit  savoir  qu'il  y  en  avait  un  de  ce  genre 
à  Antioche;  c'était  Nestorius.  Je  l'envoyai 
chercher,  au  grand  regret  de  toute  cette  ville. 
Néanmoins,  je  le  fis  venir  pour  votre  propre 
avantage,  qui  m'était  pluscherque le  leur(i). 

On  conviendra  que  celui  qui  met  sur 
les  lèvres  de  Théodose  11  ce  piquant  récit 
n'était  pas  atteint  de  fausse  humilité. 
D'après  la  légende  syriaque,  le  nouvel 
élu,  en  se  rendant  à  Constantinople,  s'ar- 
rêta deux  jours  à  Mopsueste,  chez  son 
ancien  maître  Théodore.  Celui-ci  lui  fit  de 
sages  recommandations,  et  le  prémunit 
en  particulier  contre  les  dangers  d'un  zèle 
indiscret. 

«  Je  te  connais,  ô  mon  fils,  lui  dit-il  ;  il 
n'y  a  pas  de  femme  qui  ait  enfanté  un 
homme  aussi  zélé  que  toi;  c'est  pourquoi 
je  te  recommande  de  modérer  ton  zèle 
pour  combattre  les  opinions  des  autres; 
car,  de  même  que  l'homme  qui  possède 
une  fille  vierge  et  fort  belle,  d'une  part  se 
réjouit  de  sa  beauté,  et,  d'autre  part,  craint 
qu'elle  ne  tombe  entre  les  mains  d'hommes 
vains  et  qu'elle  ne  soit  déshonorée  à  cause 
même  de  sa  beauté  ;  de  même,  je  me  réjouis 
de  ton  zèle,  et  cependant  je  crains  que  tu 
ne  périsses  par  le  fait  d'hom  mes  méchants.  » 
Nestorius  lui  répondit  :  «  Maître,  qu'est-ce 
que  tu  me  dis  ?  Si  tu  avais  vécu  du  temps 
de  Notre-Seigneur,  il  t'aurait  été  dit  :  Est-ce 
que  vous  aussi  vous  voulez  vous  en  aller? 
La  venue  de  Notre-Seigneur  a  donné  de  la 

II)  Le  Livre  d'Héraclide,  traduct.  Nau,  p.  243  244. 
Septembre    igii. 


238 


ECHOS   D  ORIENT 


viande  à  manger;  l'estomac  qui  la  prend 
se  nourrit  et  celui  qui  ne  la  prend  pas 
s'épuise.  »  Après  avoir  reçu  beaucoup  de 
recommandations,  il  se  remit  en  route  (i). 

Ce  récit  ressemble  trop  à  une  prophétie 
pour  qu'on  n'éprouve  pas  quelque  doute 
sur  sa  véracité.  L'indiscrétion  dans  le  zèle, 
tel  fut,  en  effet,  le  défaut  que  Nestorius 
afficha  dès  le  début  de  son  épiscopat.  Il 
fut  consacré  le  10  avril  428  (2).  Ce  jour-là 
même,  il  prononça  son  premier  discours 
au  peuple,  et,  interpellant  l'empereur,  il 
s'écria  : 

«  Donne-moi,  ô  empereur,  un  pays  purgé 
d'hérétiques,  et  je  te  donnerai  le  ciel  en 
échange;  extermine  les  hérétiques  avec  moi, 
et  moi  j'exterminerai  les  Perses  avec  toi.  »(3) 
Si  quelques-uns  des  assistants,  dit  Socrate, 
qui  rapporte  ce  propos,  accueillirent  ces 
paroles  avec  plaisir,  à  cause  de  leur  hostilité 
pour  les  hérétiques,  il  n'en  fut  pas  de  même 
de  ceux  qui  savaient  discerner  le  caractère 
d'un  homme  d'après  ses  paroles;  il  ne  leur 
échappa  point  qu'ils  avaient  affaire  à  un 
homme  irréfléchi,  violent  et  vaniteux. 
Avant  même  qu'il  eût  eu  le  temps,  comme 
dit  le  proverbe,  de  goûter  l'eau  de  la  cité, 
il  se  déclarait  persécuteur  acharné  (4). 

Les  ariens  furent  les  premières  victimes 
de  son  zèle.  Le  cinquième  jour  après  son 
ordination,  il  voulut  détruire  l'oratoire 
dans  lequel  ces  hérétiques  avaient  l'habi- 
tude de  se  réunir  pour  prier  en  secret. 
Poussés  à  bout  par  le  désespoir,  les  ariens 
y  mirent  eux-mêmes  le  feu,  qui  s'étendit 
à  quelques  maisons  environnantes  et 
faillit  causer  de  grands  dégâts.  Les  Con- 
stantinopolitains  en  furent  quittes  pour  la 
peur,  mais  le  surnom  d'incendiaire  s'at- 
tacha dès  lors  au  fougueux  évêque  qui 


(i  )  M.  Brière,  la  Légende  syriaque  de  Nestorius, 
dans  la  Revue  de  l'Orient  chrétien,  t.  XV,  p.  19. 

(2)  C'est  la  date  donnée  par  Socrate.  Libératus, 
dans  son  Breviarium,  c.  iv,  indique  k  i"  avril, 
et  certains  historiens  lui  donnent  raison,  parce  que 
les  évêques  de  Constantinople  étaient  habituelle- 
ment consacrés  un  dimanche.  Or,  le  i"  avril  428 
tombait  un  dimanche,  tandis  que  le  10  avril  était 
un  mardi.  La  raison  n'est  pas  apodictique. 

(3)  Socrate,  Hist.  ecclés.,  1.  VII,  c.  xxix.  P.  G., 
t.  LXVII,  col.  804  B. 

(4)  Ibid. 


avait  occasionné  par  sa  faute  ce  commen- 
cement d'incendie  (i). 

Il  voulut  aussi,  dit  Socrate,  tourmenter 
les  novatiens,  jaloux  de  la  réputation  de 
piété  dont  jouissait  Paul,  un  de  leurs 
évêques,  mais  les  remontrances  des  princes 
arrêtèrentson  impétuosité.  Quantaux  maux 
nombreux  dont  il  affligea  les  Quartodéci- 
mans  dans  l'Asie,  la  Lydie  et  la  Carie,  et 
au  grand  nombre  de  ceux  qui  trouvèrent 
la  mort  à  cause  de  lui  dans  la  sédition  qui 
eut  lieu  à  Milet  et  à  Sardes,  je  veux  le 
passer  sous  silence  (2). 

Des  troubles  semblables  éclatèrent  dans 
l'Hellespont,  où  un  certain  Antoine, 
évêque  de  Germa,  imitant  l'exemple  de 
Nestorius  et  prétextant  ses  ordres,  paya 
de  sa  vie  les  persécutions  qu'il  flt  subir 
aux  Macédoniens.  Pour  les  punir  de  ce 
meurtre,  Nestorius  obtint  des  empereurs 
que  les  églises  que  ces  hérétiques  possé- 
daient à  Constantinople,  à  Cyzique  et 
dans  l'Hellespont  leur  fussent  enlevées  (3). 
Bientôt,  du  reste,  tous  les  hérétiques  de 
l'empire,  à  l'exceptiondespélagiens,  furent 
atteints  par  les  peines  sévères  que  Théo 
dose  11  porta  contre  eux  par  la  loi  du 
30  mai  428,  due  à  l'influence  de  Nesto- 
rius (4). 

Le  terrible  prélat  déploya,  contre  tout 
ce  qui  lui  parut  un  dérèglement,  aussi 
bien  dans  les  mœurs  publiques  que  dans 
la  conduite  des  clercs,  la  même  ardeur 
indiscrète  qui  l'animait  à  l'égard  des  héré- 
tiques. 

Il  supprima,  dit  la  légende  syriaque,  les 
jeux,  les  théâtres,  les  chants,  les  concerts, 

(1)  Socrate,  col.  804  C. 

(2)  Ibid.,  col.  8o5  A. 

(3)  Ibid.,  col.  808. 

(4)  C'est  bien  à  Nestorius  qu'il  faut  attribuer 
l'initiative  de  cette  loi.  11  le  déclare  lui-même  dans 
un  passage  d'une  de  ses  œuvres,  la  Tragédie, 
conservé  dans  le  Synodicon  Cassinense  :  Ad  hœc 
inveniens  [Cyrillus]  viri  illius  simplicitatem  {Cœ- 
lestini)  circumfert  pueriliter  aures  ejus  illusio- 
nibus  litterarum,  olim  guident  nostra  conscripta 
transjnittetis,  quasi  ad  demonstrationem  convic- 
tionum  quibus  contradici  non  posset,  tamquam  ego 
Christum  purum  hominem  dejinirem  qui  certe 
legem  inter  ipsa  meœ  ordinationis  initia  contra 
eos  qui  Christum  purum  hominem  dicunt  et  contra 
reliquas  hœreses  innovavi.  Loofs,  Nestoriana, 
p.  204-205. 


l'épiscopat  de  nestorius 


259 


les  danses  et  tous  les  amusements  dont 
s'occupaient  les  Romains;  et,  à  cause  de 
cela,  la  ville  conçut  contre  lui  une  haine 
profonde,  de  telle  sorte  qu'ils  en  vinrent 
même  jusqu'à  prendre  leurs  meubles  et  à  les 
jeter  dans  la  mer,  en  disant:  «  C'est  à  cause 
de  Nestorius  que  nous  agissons  ainsi.  »  Bien 
que  la  ville  l'eût  ainsi  en  haine,  l'empereur 
cependant  l'honorait  et  l'aimait  d'une  façon 
particulière  (i). 

Il  s'attaqua  aussi,  s'il  faut  en  croire  la 
Lettre  à  Cosme  et  l'historien  nestorien 
Mari,  aux  vices  du  clergé  et  des  moines  (2), 
et  il  s'aliéna  l'impératrice  Pulchérie. 

Elleavaitrhabitudededîner,le  dimanche, 
au  palais  épiscopal,  après  avoir  reçu  la  com- 
munion. Nestorius  ne  l'admit  pas,  et  il  en 
résulta  un  grand  bruit  contre  lui  de  la  part 
des  clercs  et  de  toute  la  cour.  De  plus,  il 
fit  effacer  l'image  de  l'impératrice,  qui  était 
peinte  au-dessus  de  l'autel  ;  cela  le  fit  presque 
chasser  de  l'église.  Il  fit  enlever  l'étole  de 
Pulchérie,  qui  était  tantôt  étendue  sur 
l'autel,  tantôt  portée  par  elle. 

En  la  grande  fête  de  Pâques,  l'empereur 
avait  coutume  de  recevoir  la  communion 
dans  le  Saint  des  saints;  Pulchérie  désira 
le  même  privilège  et  l'obtint  de  l'évêque 
Sisinnius.  Mais  Nestorius  n'admit  pas  cela  ; 
un  jour  qu'elle  se  dirigeait,  selon  sa  cou- 
tume, vers  le  Saint  des  saints,  il  la  vit  et 
demanda  ce  que  cela  signifiait;  l'archidiacre 
Pierre  lui  exposa  la  chose.  Nestorius  courut; 
il  la  rencontra  à  la  porte  du  Saint  des  saints 
et  l'arrêta  et  ne  lui  permit  pas  d'entrer. 

L'impératrice  fut  irritée  contre  lui  et  lui 
dit  :  «  Laisse-moi  entrer  selon  ma  coutume.  » 
Mais  il  lui  dit  :  «  Ce  lieu  ne  doit  être  foulé 
que  par  les  prêtres.  »  Elle  lui  dit  :  «  Est-ce 
parce  que  je  n'ai  pas  enfanté  Dieu?  »  Il  lui 
dit  :  «  Toi,  tu  as  enfanté  Satan  »,  et  il  la 
chassa  de  la  porte  du  Saint  des  saints  (3). 

II  est  difficile  de  dire  dans  quelle  mesure 
ces  anecdotes  sont  exactes.  Ce  qui  est 
certain,   c'est  que  Pulchérie  se  montra, 


(il  M.  Brière,  loc.  cit.,  p.  19. 

(2)  Lettre  à  Cosme,  dans  le  Lii^-e  d'Héraclide, 
édit.  Nau,  p.  363. 

(3)  Lettre  à  Cosme,  p.  363-364.  Plusieurs  de  ces 
anecdotes  sont  rapportées  par  Mari.  La  légende 
syriaque  mentionne  celle  qui  a  trait  au  portrait 
de  Pulchérie. 


dès  le  début  de  la  controverse  sur  le 
tbéotocos,  l'adversaire  de  Nestorius.  Celui-ci 
fait  allusion,  dans  le  Livre  d'Héraclide,  à 
certains  démêlés  qu'il  a  eus  avec  elle,  et 
lance  contre  elle  de  graves  accusations. 

Vous  aviez  avec  vous  contre  moi  une 
femme  belliqueuse,  une  reine,  jeune  fille 
vierge,  qui  combattait  contre  moi,  parce 
que  je  ne  voulais  pas  accueillir  sa  demande 
de  comparer  à  l'épouse  du  Christ  une  per- 
sonne corrompue  par  les  hommes.  Je  l'ai 
fait,  parce  que  j'avais  pitié  de  son  âme  et 
pour  ne  pas  faire  des  victimes  de  ceux 
qu'elle  choisissait  criminellement.  Je  ne 
fais  qu'indiquer  ceci,  car  elle  m'aimait; 
aussi  je  passe  sous  silence  le  reste  de  sa  fai- 
blesse d'esprit  de  jeune  fille  et  je  le  tais. 
C'est  pour  cela  qu'elle  a  lutté  contre  moi  (  i). 

Il  défendit  d'accepter  des  dons  à  l'occa- 
sion du  sacerdoce,  et  mécontenta  par  là 
plusieurs  évêques.  D'après  ce  qu'il  raconte 
lui-même,  il  s'attira  l'inimitié  de  saint 
Cyrille,  en  ne  lui  envoyant  pas  les  eulo- 
gies  d'usage  après  sa  consécration  épisco- 
pale  (2).  Il  présente  ce  fait  comme  ayant 
été  la  cause  déterminante  des  accusations 
d'hérésie  que  l'évêque  d'Alexandrie  porta 
contre  lui.  Mais  c'est  là,  comme  on  va  le 
voir,  une  interprétation  mesquine  et  tout 
à  fait  insuffisante  de  la  conduite  de  Cyrille. 

II.  Les  débuts  de  la  controverse 

SUR    LE    «    THÉOTOCOS  » 

Qui  aurait  dit  que  celui  qui  poursui- 
vait l'hérésie  avec  tant  de  rigueur  allait 


(i)  Le  Livre  d'Héraclide,  p.  89.  Les  auteurs  jaco- 
bites  accusent  aussi  Pulchérie  de  fautes  contre  les 
mœurs,  mais  leur  témoignage  est  plus  que  suspect. 
Celui  de  Nestorius  appelle  aussi  des  réserves.  Il 
ne  faut  pas  oublier  que  le  Livre  d'Héraclide  est 
une  apologie  personnelle  sans  sérénité,  où  les 
événements  sont  parfois  travestis  et  où  abondent 
les  jugements  téméraires. 

(2j  «  Déjà,  auparavant,  il  avait  été  blessé  par  moi 
et  il  ne  cherchait  qu'un  prétexte,  parce  qu'il  n'avait 
pas  reçu  de  ce  qu'on  appelle  eulogies.  Il  était 
aussi  froissé  de  ce  que  je  n'aidais  pas  ses  clercs.  » 
{Ibid.,  p.  92.1  Dans  une  lettre  à  Jean  d'Antioche, 
saint  Cyrille  déclare  que  Nestorius  a  considéré  ses 
démarches  auprès  de  lui  comme  inspirées  par  la 
malveillance  :  à),).'  ïxtï  iasv  wt;ot,  -zx-Z-x  vpiçovr* 
8-j<TtjL£vf..  Epist.  XH,  P.  G.,  t."  LXXVll,  col.  96  A. 


2b0 


ECHOS    D  ORIENT 


être  bientôt  lui-même  rangé  au  nombre 
des  hérétiques?  C'est  que,  sans  s'en  dou- 
ter, ce  fidèle  disciple  de  Théodore  de 
Mopsueste  portait  en  lui  une  pensée  hété- 
rodoxe. Aussi  son  étonnement  fut  grand 
quand  il  se  vit  accusé  d'hérésie;  il  nous 
l'apprend  lui-même  dans  une  lettre  à  Jean 
d'Antioche  : 

Je  croyais  que  les  hommes  auraient  pu 
lancer  plus  facilement  contre  moi  toute 
autre  calomnie  que  celle  d'avoir  des  senti- 
ments contraires  à  l'orthodoxie,  moi  qui 
mène  jusqu'à  ce  jour  la  lutte  contre  tous 
les  hérétiques  et  me  réjouis  des  nombreuses 
inimitiés  que  je  m'attire  par  cette  con- 
duite (i). 

Nestorius  avait  emmené  à  Constanti- 
nople  un  de  ses  amis  d'Antioche,  le  prêtre 
Anastase,  dont  il  fit  son  conseiller  intime. 
Un  jour,  c'était  vers  la  fin  de  428,  ce  per- 
sonnage, prêchant  dans  l'église  en  pré- 
sence de  l'évêque,  s'écria  :  «  Que  personne 
n'appelle  Marie  mère  de  Dieu,  Osotôxoç, 
car  Marie  appartenait  à  la  race  humaine; 
or,  il  est  impossible  que  d'une  créature 
humaine  puisse  naître  un  Dieu.  »  (2). 

Ces  paroles  causèrent  un  grand  émoi 
dans  l'assistance,  tant  parmi  les  clercs 
que  parmi  les  laïques;  des  protestations 
énergiques  se  firent  entendre.  On  croyait 
que  Nestorius  allait  désapprouver  le  pré- 
dicateur. Mais  il  n'en  fit  rien;  tout  au 
contraire,  il  prit  lui-même  la  défense 
d'Anastase  et  confirma  ce  qu'il  venait  de 
dire. 

Que  Marie  ne  fût  pas,  à  proprement 
parler,  mère  de  Dieu,  Théodore  de  Mop- 
sueste l'avait  dit  à  plusieurs  reprises 
dans  ses  ouvrages.  «  C'est  une  folie, 
avait-il  écrit,  de  dire  que  Dieu  est  né  de 
la  Vierge  »(3);  et  encore:  «Celui  qui  est 
né  de  la  Vierge  est  celui  qui  est  de  la  sub- 
stance de  la  Vierge,  mais  Dieu  le  Verbe 


(1)  Epistola  ad  Joan.  Antiochenum.  Loofs,  op. 
cit.,  p.  i83. 

(2)  SocRATE,  VII,  32,  col.  8o8. 

(3)  Est  dementia  Deum  ex  Virgine  natum  esse 
dicere.  Fragmenta  dogmatica.  P.  G.,  t.  LXVl, 
col.  993  C. 


n'est  pas  né  de  Marie.  »  (i)  Le  docteur 
antiochien  avait  concédé  cependant  que 
la  Vierge  pouvait  être  appelée  Théotocos 
en  un  certain  sens: 

Si  l'on  me  demande:  Marie  est-elle  mère 
de  l'homme  ou  mère  de  Dieu,  anthropo- 
tocos  ou  théotocos?  je  répondrai  que  j'ad- 
mets les  deux  termes.  La  Vierge  est  anthro- 
potocos  par  la  nature  même  de  son  enfan- 
tement; elle  est  théotocos  en  vertu  d'une 
relation.  Elle  est  anthropotocos  par  nature, 
puisque  celui  qui  était  dans  son  sein  et  en 
sortit  était  un  homme;  elle  est  théotocos. 
puisque  Dieu  était  dans  l'homme  enfanté, 
sans  être  circonscrit  par  lui  (2). 

C'est  en  réfutant  le  monophysisme 
apoUinariste  que  les  docteurs  d'Antioche 
avaient  été  amenés  à  contester  à  la  Vierge 
Marie  le  titre  de  Osotôxo?.  Profondément 
pénétré  de  leur  doctrine,  Nestorius  résolut 
de  la  faire  prévaloir  à  Constantinople,  et 
d'instruire  un  peuple  «  fort  dévot  à  la 
vérité,  mais  peu  éclairé,  à  qui  ses  docteurs 
antérieurs  n'avaient  pas  pris  le  temps,  à 
l'en  croire,  de  donner  une  connaissance 
exacte  des  dogmes  chrétiens  (3)  ». 

Déjà,  à  Antioche,  il  avait  eu  l'occasion 
de  combattre  les  apollinaristes  et  de  rejeter 
le  BsoTÔxo;  sans  avoir  soulevé  de  protes- 
tation. 

Pourquoi  m'appelles-tu  «  inventeur  de 
nouveautés  »,  écrit-il  dans  le  Livre  d'Hé- 
raclide,  en  s'adressant  à  Cyrille,  moi  qui 
n'ai  jamais  lancé  une  telle  question,  mais 
qui  l'ai  trouvée  à  Antioche?  Dans  cette 
ville,  j'ai  enseigné  et  parlé  sur  ces  matières, 
et  personne  ne  m'a  blâmé;  je  pensais  que 
ce  dogme  était  déjà  rejeté  (4). 

Le  scandale  provoqué  à  Constantinople 
par  le  discours  du  prêtre  Anastase  et  l'at- 
titude de  Nestorius  ne  fut  pas  petit.  Bientôt 
la  ville  fut  divisée  en  deux  camps.  Les 
uns,  dociles  à  l'enseignement  traditionnel 
qu'ils  avaient   reçu,   soutenaient  énergi- 


(1)  Natus  est  ex  Virgine  qui  ex  substantia  Vir- 
ginis  constat,  non  Deus  Verbum  ex  Maria  natus 
est.  Ibid.,  coi.  994  B. 

(2)  Ibid.,  col.  992  BC. 

J3)  LooFS,  p.  283.  On  voit  l'euphémisme  auquel 
recourt  Nestorius  pour  accuser  ses  prédécesseurs. 
(4)  Le  Livre  d'Héraclide,  p.  91. 


L  EPISCOPAT    DE    NESTORIUS 


261 


quement  que  Marie  était  mère  de  Dieu  et 
traitaient  de  photinien  quiconque  n'était 
pas  de  leur  avis.  Les  autres,  convaincus 
par  les  raisons  spécieuses  d'Anastase,  se 
prononçaient  contre  le  ^cotôxo^  et  accu- 
saient leurs  adversaires  de  manichéisme. 
Les  deux  partis  allèrent  trouver  Nestorius 
dans  son  palais  épiscopal,  pour  lui  de- 
mander la  solution  de  leur  querelle. 

Lorsque  je  les  interrogeai,  dit-il,  les  pre- 
miers ne  niaient  pas  l'humanité  ni  les  se- 
conds la  divinité;  ils  confessaient  ces  deux 
points  de  la  même  manière,  et  n'étaient 
divisés  que  par  les  mots.  Les  partisans 
d'Apollinaire  acceptaient  «  Mère  de  Dieu  » 
et  ceux  de  Photin  «  Mère  de  l'homme  »; 
mais  lorsque  j'ai  su  qu'ils  ne  se  disputaient 

pas  selon  le  sens  des  hérétiques ,  je  les 

ai  ramenés  de  cette  controverse  en  disant  : 
«  On  peut  accepter  ce  qui  est  dit  par  les 
uns  et  les  autres,  pourvu  qu'on  maintienne 
l'union  de  la  divinité  et  de  l'humanité  sans 
supprimer  ni  l'une  ni  l'autre.  Du  reste,  il 
vaut  mieux  se  servir  de  l'expression  la  plus 

sûre.  L'Evangile  dit  :  «  Le  Christ  est  né  » 

Si  vous  appelez  Marie  «  mère  du  Christ  » 
(/c'.a-:or'ixoî\  vous  désignezcelui-ci  et  celui-là 
dans  la  filiation.  Servez-vous  de  ce  qui 
n'est  pas  condamné  par  l'Evangile,  et  ban- 
nissez cette  controverse  d'entre  vous  en 
vousservantdetermesqui puissent  recueillir 
l'unanimité.  »  Quand  ils  entendirent  ces 
paroles  ils  dirent  :  «  Notre  question  a  été 
résolue  devant  Dieu.  »  (i) 

Mère  du  Christ,  '/p'.ttotôxoç,  tel  était  le 
mot  enchanteur  que  Nestorius  croyait  avoir 
découvert  pour  apaiser  toutes  les  discordes. 
Dans  une  série  de  sermons,  il  chercha  à 
en  montrer  la  légitimité,  combattant  à  la 
fois  les  expressions  «  Mère  de  Dieu  »  et 
«  Mère  de  l'homme  ».  Mais  les  gens  avisés 
ne  tardèrent  pas  à  s'apercevoir  que  sa 
théorie  sur  le  mode  d'union  des  deux 
natures  dans  le  Christ  recelait  une  hérésie. 
Le  disciple  de  Théodore  dédoublait  le 
Christ  en  deux  sujets,  en  deux  hypostases 
et  personnes:   d'un   côté,   le   Verbe;   de 


(1)  Ibid.,  p.  91-92.  Nestorius  dit  la  même  chose 
dans  une  lettre  à  Jean  d*.A.ntioche  (Loofs,  p.  i85) 
et  dans  sa  première  lettre  au  pape  Céiestin.  Ibid., 
p.  166. 


l'autre,  l'homme,  le  Fils  de  Marie,  sujet 
des  propriétés  humaines.  Aussi  des  accu- 
sations d'hérésie  commencèrent  à  circuler 
sur  le  compte  de  l'adversaire  du  tbéotocos. 
La  tolérance  relative  qu'il  manifestait  à 
l'égard  de  cette  expression  ne  fut  pas 
imitée  par  l'un  de  ses  amis,  Dorothée, 
évêque  de  Marcianopolis,  qui  dit  dans  un 
sermon  prêché  en  sa  présence  :  «  Que 
celui  qui  appelle  Marie  tbéotocos  soit  ana- 
thème.  »  (i)  Loin  de  protester,  Nestorius 
admit  aussitôt  après  Dorothée  à  la  com- 
munion. 

La  grande  majorité  des  clercs  et  des 
laïques  de  la  capitale  prit  dès  lors  parti 
contre  l'évêque  novateur.  Un  jour,  un 
laïque  courageux,  l'avocat  Eusèbe,  qui  de- 
vint plus  tard  évêque  de  Dorylée,  osa  l'in- 
terrompre au  moment  où  il  disait  que 
Dieu  le  Verbe  n'était  pas  né  deux  fois,  et 
affirma  la  double  génération  du  Fils  de 
Dieu,  aux  applaudissements  de  la  majo- 
rité des  assistants (2).  Nestorius  s'échappa 
en  invectives  contre  l'interrupteur,  qui, 
quelques  jours  après,  fit  placarder  sur  les 
murs  de  l'église  une  affiche  où  la  doctrine 
de  Nestorius  était  mise  en  parallèle  avec 
celle  de  Paul  de  Samosate  (3). 

De  nombreux  clercs  se  séparèrent  de 
la  communion  de  l'évêque  et  tinrent  des 
assemblées  à  part.  Ils  demandèrent  à 
Proclus,  évêque  nommé  de  Cyzique,  de 
prendre  la  défense  de  la  maternité  divine 
de  Marie,  ce  qu'il  fit  dans  un  beau  dis- 
cours qui  nous  a  été  conservé,  et  que  Nes- 
torius entreprit  vainement  de  réfuter  (4). 


(1)  Cvrilli  epist.  XI,  P.  G.,  t.'LXXVlI,  col.  81  B; 
Epist.'VIII,  col.  60;  Epist.  XIV,  col.  97.  Saint 
Cyrille  semble  présenter  le  discours  de  Dorothée 
comme  ayant  marqué  le  début  de  la  controverse, 
tandis  que  Socrate  nous  parle  du  discours  d'Ana- 
stase ;  mais  il  est  à  peu  près  sûr  que  Cyrille  a  passé 
sous  silence  l'incident  provoqué  par  Anastase  et 
n'a  retenu  que  le  propos  de  Dorothée,  à  cause  de 
sa  gravité.  C'est  ce  qui  paraît  ressortir  de  la  lettre 
à  Acace  de  Bérée,  Epist.  XIV,  col.  97  A. 

(2)  Marius  Mercator,  Impii  Xestorii  sermo  III, 
P.  L.,  t.  XLVIII,  col.  709-770. 

(3)  Voir  cette  pièce  dans  Massi;  Concil.  ampl. 
collectio,  t.  IV,  col.  1008-1011.  Eusèbe  n'avait  pas 
tout  à  fait  tort  de  comparer  la  doctrine  de  Nes- 
torius à  celle  de  Paul  de  Samosate. 

(4)  Ma>sj,  ibid.,  col.  577-588. 


262 


ECHOS   D  ORIENT 


Ce  dernier  se  mit  bientôt  à  sévir  avec 
violence  contre  ses  contradicteurs.  Plu- 
sieurs clercs  furent  excommuniés  et  dé- 
posés de  leurs  fonctions  (i).  Des  manifes- 
tants qui  avaient  essayé  de  protester  contre 
ces  mesures  arbitraires  et  n'avaient  pas 
craint  de  crier  :  «  Nous  avons  un  empe- 
reur; nous  n'avons  pas  d'évêque  »,  furent 
molestés  par  la  police,  conduits  au  tri- 
bunal et  flagellés  (2). 

Les  moines  ne  furent  pas  les  moins 
zélés  à  prendre  la  défense  de  la  maternité 
divine  de  la  Vierge,  L'un  d'eux  eut  la  sim- 
plicité de  vouloir  arrêter  Nestorius  au 
moment  où  celui-ci  se  rendait  à  l'autel 
pour  célébrer  le  Saint  Sacrifice.  11  reçut 
quelques  soufflets  de  la  main  épiscopale 
et  fut  livré  aux  magistrats,  qui  le  condam- 
nèrent à  l'exil,  après  lui  avoir  fait  subir 
une  cruelle  flagellation  (3).  L'archiman- 
drite Basile  se  présenta  avec  quelques-uns 
de  ses  moines  au  palais  épiscopal  pour 
demander  à  Nestorius  des  explications  sur 
sa  doctrine.  Après  les  avoir  longtemps  fait 
attendre,  ce  dernier  les  fit  saisir  par  la 
police.  On  les  conduisit  au  tribunal,  où 
ils  furent  brutalisés  d'une  manière  révol- 
tante; puis  on  les  emprisonna.  Ils  ne 
furent  relâchés  qu'après  avoir  reçu  plu- 
sieurs soufflets  de  leur  évêque  pour  toute 
explication  (4). 

m.  Nestorius  et  saint  Cyrille. 

L'opposition  que  sa  doctrine  rencontrait 
à  Constantinople,  loin  de  faire  réfléchir 
Nestorius  et  de  lui  inspirer  des  doutes  sur 
sa  propre  orthodoxie,  ne  fit  qu'exalter  sa 
présomption.  Faire  accepter  le  ypt-TTOToxoç 
par  l'Eglise  universelle,  tel  paraît  avoir  été 
son  but.  Il  fit  multiplier  les  copies  de  ses 
discours  et  les  envoya  partout  où  il  put. 
Les  premières  qui  parvinrent  à  Rome  pa- 

(i)  Parmi  ceux-là,  il  faut  nommer  le  prêtre  Phi- 
lippe, qui  avait  été  l'un  des  candidats  à  la  succes- 
sion de  Sisinnius.  Cyrilli  epist.  XI  ad  Cœlestinum. 
P.  G.,  t.  LXXVII,  col.  88-89. 

{2)  Basilii  diaconi  supplicatio  ad  imperatores. 
Mansi,  ibid.,  col.  1104. 

(3)  Ibid. 

(4)  Ibid.,  col.  1104-1105. 


naissent  n'avoir  pas  porté  de  signature. 
C'est  ce  qui  ressort  d'un  passage  de  la 
première  lettre  de  saint  Cyrille  à  Nesto- 
rius, où  il  est  dit  que  le  pape  Célestin  et 
les  évêques  qui  sont  avec  lui  ont  demandé 
à  révêque  d'Alexandrie  de  les  informer 
si  les  cahiers  qui  ont  été  apportés  à  Rome, 
on  ne  sait  comment,  sont,  oui  ou  non, 
de  révêque  de  Constantinople  (i). 

Celui-ci  eut  bientôt  une  occasion  d'en- 
trer en  correspondance  avec  le  Pape.  Plu- 
sieurs des  évêques  pélagiens  qui  avaient 
été  expulsés  d'Italie  pour  n'avoir  pas  voulu 
souscrire  l'Epistola  tractaioria  du  pape 
Zozime  s'étaient  réfugiés  àConstantinople, 
se  plaignant  d'avoir  été  condamnés  injus- 
tement, protestant  de  leur  orthodoxie  et 
réclamant  la  protection  de  Théodose  II 
et  de  Nestorius  (2).  Ils  réussirent  à  per- 
suader de  leur  innocence  plusieurs  per- 
sonnes. Hésitant  sur  leur  compte,  Nesto- 
rius écrivit  au  pape  Célestin  une  première 
lettre  pour  lui  demander  des  renseigne- 
ments sur  ces  personnages.  En  même 
temps,  il  l'informait  delà  nouvelle  contro- 
verse qui  venait  de  s'élever  à  Constanti- 
nople, et  il  lui  faisait  connaître  la  solution 
qu'il  avait  adoptée.  D'autres  lettres,  dont 
deux  nous  sont  parvenues,  suivirent  la 
première,  parce  que  le  Pape  ne  se  pressait 
pas  de  répondre  (3).  Toutes  traitaient  de 
la  question  de  la  maternité  divine  et  résu- 
maient assez  bien  la  doctrine  de  leur 
auteur.  A  ces  lettres,  d'ailleurs,  Nestorius 
joignit  quelques  cahiers  contenant  ses 
homélies  et  les  lettres  qu'il  avait  écrites 
à  révêque  d'Alexandrie  (4).  Rome  pouvait, 
dès  lors,  le  juger  en  connaissance  de 
cause. 

Les  cahiers  nestoriens  parvinrent  aussi 
de  bonne  heure  en  Egypte,  et  circulèrent 

(i)Cyrilliepist.IIadNestorium.P.G.,t.LXW'll, 
col.  41  A  B. 

(2)  Nestorii  epist.  ad  Cœlestinum  I.  Loofs, 
p.  i65-i66. 

(3)  Le  retard  du  Pape  venait,  comme  il  le  dit 
lui-même  dans  sa  lettre  à  Nestorius,  Mansi,  t.  IV, 
col.  1026),  de  ce  qu'il  avait  fallu  traduire  en  latin 
les  lettres  de  Nestorius. 

(4)  Cœlestini  epist.  ad  Nestor.  Mansi,  t.  IV. 
col.  1027  A.  N^estor.  epist.  ad  Cœlest.  III.  Loofs, 
p.  182. 


L  EPISCOPAT    DE    NESTORIUS 


263 


jusque  parmi  les  moines  du  désert.  L'évêque 
d'Alexandrie  avait  à  Constantinople  des 
représentants  qui  le  tenaient  très  exac- 
tement au  courant  de  tout  ce  qui  s'y  pas- 
sait, et  suivait  avec  attention  la  controverse 
sur  le  théotocos.  La  lecture  des  homélies 
de  Nestorius  l'eut  vite  convaincu  que  son 
confrère  de  Constantinople  enseignait  une 
hérésie.  Dans  l'homélie  pascale  de  429,  il 
crut  nécessaire  de  prémunir  les  fidèles 
contre  la  nouvelle  erreur  qui  commençait 
à  se  répandre,  il  affirma  l'unité  person- 
nelle du  Christ  et  revendiqua  pour  Marie 
le  titre  de  mère  de  Dieu  (i).  Mais  tout 
cela  était  dit  avec  beaucoup  de  discrétion 
et  sans  nommer  personne. 

Une  lettre  aux  moines  d'Egypte  suivit 
de  près  l'homélie  pascale.  Les  discours  de 
Nestorius  commençaient  à  troubler  les 
habitants  du  désert,  peu  rompus  aux  sub- 
tilités théologiques;  ils  discutaient  chau- 
dement sur  le  mystère  de  l'Incarnation,  et 
il  était  à  craindre  que  l'erreur  ne  se  ré- 
pandît parmi  eux  d'autant  plus  facile- 
ment qu'ils  étaient  moins  instruits.  C'est 
pour  faire  cesser  ces  querelles  et  réfuter 
les  sophismes  des  adversaires  du  ^sotôxo,; 
que  saint  Cyrille  écrivit  aux  moines.  Cette 
fois  encore,  Nestorius  n'était  pas  nommé, 
mais  il  était  clairement  visé;  plusieurs  de 
ses  expressions  étaient  citées  et  réfutées, 
par  exemple  celle-ci  :  «  Marie  n'a  pas 
enfanté  Dieu,  mais  un  homme,  instrument 
de  la  divinité  (2).  »  Avec  une  admirable 
lucidité,  Cyrille  exposait  la  théologie  de 
l'Incarnation  du  Verbe.  Contre  Nestorius, 
il  affirmait  l'unité  de  sujet  et  de  personne 
en  Jésus-Christ.  Dieu  le  Verbe  est  vérita- 
blement né  de  la  Vierge  selon  son  huma- 
nité, de  même,  il  a  vraiment  souffert  et 
est  mort  selon  cette  même  humanité  qui 
lui  appartient,  bien  qu'il  soit  resté  impas- 
sible selon  la  divinité. 

La  lettre  aux  moines  ne  tarde  pas  à  par- 


II)  Homilia  pasckalis  XVII.  P.  G.,  t.  LXXVII. 
col.  768-790.  Le  mot  Ocotoxo;  n'est  pas  employé 
dans  cette  homélie,  mais  on  y  trouve  son  équiva- 
lent f,    ULT.TT.p  ^tO'J,   COJ.    777  C. 

(2)Epist.  Iadmonachos.€gypti.P.  G.,  t.  LXXVII, 

col.  9-40. 


venir  à  Constantinople.  Elle  piqua  au  vit 
Nestorius,  qui  s'échappa  en  injures  contre 
«  l'Egyptien  ».  Deux  de  ses  amis  s'es- 
sayèrent à  réfuter  l'évêque  d'Alexandrie 
en  dénaturant  perfidement  son  enseigne- 
ment (i).  Trois  clercs  alexandrins,  qui 
avaient  été  condamnés  par  Cyrille  pour 
des  fautes  graves  contre  la  morale  (2), 
crurent  le  moment  favorable  d'intéresser 
Nestorius  à  leur  cause  et  de  solliciter  son 
appui  contre  leur  supérieur  hiérarchique 
dans  le  procès  qu'ils  voulaient  lui  intenter. 
Nestorius  n'hésita  pas  à  accueillir  favora 
blement  ces  plaintes.  N'était-il  pas  l'évêque 
de  la  capitale,  et  à  ce  titre  n'avait-il  pas  le 
droit  de  juger  en  appel  des  causes  ecclé- 
siastiques de  tout  l'Orient?  (3)  C'était, 
d'ailleurs,  une  belle  occasion  de  mettre 
«  l'Egyptien  »  à  la  raison  et  d'arrêter  ses 
accusations  importunes. 

.On  devine  que  Cyrille  trouva  le  procédé 
peu  délicat.  11  crut  le  moment  venu  de 
s'adresser  directement  à  Nestorius  pour 
attirer  son  attention  sur  l'hétérodoxie  de 
ses  formules  et  l'inviter  à  faire  cesser,  par 
une  rétractation  publique,  un  scandale  qui 
était  devenu  universel  (4).  11  suffisait  pour 
cela  de  l'acceptation  franche  et  loyale  du 
mot  ^îOTÔxo^.  Cette  première  lettre  reçut 
une  réponse  dédaigneuse  de  quelques 
lignes  (3).  Saint  Cyrille  en  écrivit  une 
seconde  au  début  de  février  430,  où,  après 
avoir  fait  allusion  aux  plaintes  portées 
contre  lui  par  les  trois  clercs  qu'il  avait 
déposés,  il  pria  de  nouveau  l'évêque  de 
Constantinople  de  mettre  fin  aux  scandales 
de  sa  prédication  et  lui  exposa  brièvement, 


(1)  Cyrilli  epist.  X.  Ibid.,  col.  64-65;  Xestorii 
epist.  ad  Cœlestin.  III.  Loofs,  p.  181. 

(2)  Le  premier  s'était  rendu  coupable  d'injustices 
contre  les  aveugles  et  des  pauvres  ;  le  second  avait 
tiré  l'épée  contre  sa  propre  mère;  le  troisième 
avait  commis  un  vol  avec  la  complicité  d'une  ser- 
vante. Cyrilli  epist.  IV  ad  Xestorium.  P.  G.,  t.  cit., 
col.  44:  Epist.  X  ad  clericus  suos,  col.  68. 

(3)  Le  synode  permanent,  c-j-jqoo^  ivCT,ao-3<>2, 
fonctionnait  déjà  à  Constantinople,  bien  que  sa 
juridiction  ne  fût  pas  encore  universellement  re- 
connue. 

(4)  îva  Ka-i<rr,  «rxivSaiov  olxoyjievsxôv.  P.  G.,  loc. 
cit.,  col.  41  B." 

(5)  Voir  cette  lettre  dans  Loors,  p.  168-169. 


204 


ECHOS   D  ORIENT 


mais  avec  une  précision  admirable,  le 
mode  d'union  des  deux  natures  : 

Le  Verbe,  dit-il,  s'est  uni  hypostatique- 
ment,  xaO  'uTzocxxax-i,  une  chair  animée  d'une 
âme  raisonnable,  et  il  est  ainsi  devenu 
homme  d'une  manière  incompréhensible 

et   ineffable Les  natures  qui   ont  été 

réunies  pour  former  une  unité  véritable 
étaient  différentes,  mais  des  deux  est  résulté 
un  seul  Christ  et  un  seul  Fils.  Ce  n'est  pas 
que  l'union  ait  détruit  la  différence  des 
natures,  mais  la  divinité  et  l'humanité, 
unies  d'une  manière  ineffable,  ne  consti- 
tuent qu'un  seul  Seigneur  Jésus-Christ  et 
un  seul  Fils  (i). 

Cette  fois,  Nestorius  répondit  plus  lon- 
guement. A  la  doctrine  de  Cyrille  sur 
l'union  hypostatique,  il  opposa  sa  propre 
théorie  ;  il  ne  cacha  pas  à  l'évêque  d'Alexan- 
drie qu'il  ne  comprenait  pas  l'union  hypo- 
statique et  qu'il  découvrait  des  contradic- 
tions dans  sa  lettre.  11  termina  en  disant 
à  son  correspondant  à  peu  près  ceci  : 

Je  rends  grâce  au  zèle  officieux, 
Qui  sur  tous  nos  périls  vous  fait  ouvrir  les  yeux; 

mais  quittez  ce  souci;  vos  clercs  vous  ont 
trompé  sur  la  situation  de  notre  Eglise; 
tout  va  bien  par  ici  et  tout  est  en  progrès. 
Voilà  nos  paroles  de  frère.  Que  si  quelqu'un 
aime  à  contester,  qu'il  sache  que  nous 
n'avons  pas  cette  habitude,  non  plus  que 
les  Eglises  de  Dieu.  Salut  à  toute  la  frater- 
nité (2). 

Ce  n'était  point  là  la  rétractation  qu'at- 
tendait Cyrille.  Il  vit  qu'il  perdait  son 
temps  à  vouloir  amener  à  ses  idées  quel- 
qu'un qui  se  moquait  de  ses  avertisse- 
ments et  qui  manifestait  l'intention  de 
l'appeler  à  son  tribunal  au  sujet  des  plaintes 


(i)  Cette  seconde  lettre  de  Cyrille  à  Nestorius 
est  la  plus  importante  de  toutes  au  point  de  vue 
dogmatique.  Le  pape  Célestin  l'approuva,  et  le 
concile  d'Ephèse  la  canonisa  solennellement  dans 
sa  première  session.  On  remarquera  qu'on  y  trouve 
déjà  l'expression  «  evcoo-k;  xaO'ÛTtoa-raatv  »,  mais 
non  la  formule  :  «  [ii'a  ç-jcrti;  toû  ©eoG  Arfyou  aecrap- 
xwiJiÉvv)  •*.  La  manière  dont  s'exprime  Cyrille  laisse 
entendre  qu'il  admet  deux  natures,  non  seulement 
avant  l'union,  mais  après  l'union.  Quoi  d'étonnant, 
dès  lors,  qu'il  ait  accepté  de  dire  «  deux  natures  » 
avec  les  Orientaux  dans  le  symbole  d'union  de  41^3  ? 

(2)  LooFs,  p.  173-180. 


portées  par  les  clercs  alexandrins  déposés. 
11  écrivit  à  ses  représentants  à  Constanti- 
nople  pour  leur  signifier  qu'il  n'accepte- 
rait jamais  Nestorius  comme  juge.  11  leur 
annonçait  en  même  temps  qu'il  se  prépa- 
rait à  écrire  à  qui  de  droit,  si  Nestorius 
persévérait  dans  ses  opinions  hérétiques 
et  dans  son  attitude  hostile  à  son  égard  (  i). 
Les  lettres  annoncées  furent  bientôt 
expédiées  :  l'une  était  pour  l'empereur, 
deux  autres  pour  les  princesses  de  la  fa- 
mille impériale,  une  quatrième  pour  le 
pape  Célestin.  Le  diacre  Possidonius  fut 
chargé  de  porter  cetre  dernière  à  destina- 
tion. Cyrille  lui  remit  en  plus  des  traduc- 
tions de  toutes  les  lettres  qu'il  avait  écrites 
jusque-là  dans  l'affaire  de  Nestorius,  un 
mémoire  ou  commonitorium,  dans  lequel 
il  opposait  en  quelques  brèves  proposi- 
tions les  erreurs  de  Nestorius  à  la  doc- 
trine orthodoxe,  et  un  recueil  de  textes 
patristiques  et  d'extraits  des  écrits  de 
l'hérésiarque  (2).  On  était  au  printemps 
de  430. 

IV.  Nestorius  condamné  a  Rome. 

Les  documents  envoyés  par  saint  Cyrille 
furent  les  bienvenus  à  Rome.  Le  pape 
Célestin  se  demandait  avec  anxiété  la  con- 
duite qu'il  allait  tenir  à  l'égard  de  l'évêque 
de  Constantinople,  sur  la  doctrine  duquel 
il  était  déjà  suffisamment  renseigné  tant 
par  les  lettres  qu'il  avait  reçues  de  lui 
que  par  les  cahiers  que  lui  avait  remis 
son  délégué  Antiochus  (3).  Sa  joie  fut 
grande  de  constater  que  l'évêque  d'Alexan- 
drie était  en  parfait  accord  de  sentiment 


(i)  Epist.  X  ad  clericos  suos.  P.  G.,  t.  LXXVII, 
col.  65-8o.  Dans  le  Livre  d'Héraclide,  p.  92-95, 
Nestorius  interprète  à  sa  façon  les  recommanda- 
tions de  Cyrille  à  ses  clercs.  Pour  ne  pas  dénaturer 
leur  portée,  il  faut  se  rappeler  dans  quelles  cir- 
constances elles  furent  données. 

(2)  Cyril,  epist.  XI  ad  Cœlest.  P.  G.,  t.  cit., 
col.  79-90.  Cyrille  semble  dire,  col.  80,  qu'il  a  déjà 
envoyé  précédemment  au  Pape  les  homélies  de 
Nestorius. 

(3)  Legimus  ergo  epistolarum  tenorem  et  eos 
libros  quos,  illustri  viro  filio  meo  Anliocho  red- 
dente,  suscepimus.  Cœlesti?ii  epistola  ad  Nesto- 
riutn.  Mansi,  t.  IV,  col.  1027  A. 


l'épiscopat  de  nestorius 


265 


avec  lui,  et  qu'il  avait  si  bien  pris  la  défense 
de  l'orthodoxie  (i).  Il  songea  aussitôt  à 
réunir  à  Rome  un  concile  des  évêques 
d'Italie,  qui  serait  chargé  d'examiner  l'af- 
faire de  Nestorius. 

Ce  concile  se  tint  au  début  du  mois 
d'août  430.  On  y  lut  le  dossier  envoyé 
par  saint  Cyrille  et  celui  que  Nestorius  avait 
fait  lui-même  parvenir  au  Pape.  Ce  ne  fut 
donc  pas  seulement  sur  le  Commonitorium 
de  saint  Cyrille  et  sur  les  extraits  des  dis- 
cours de  Nestorius  qu'il  avait  réunis,  que 
le  concile  romain  basa  son  jugement;  ce 
fut  aussi,  ce  fut  surtout  sur  les  lettres  et 
les  nombreuses  homélies  (2)  envoyées  par 
le  novateur,  antérieurement  à  l'arrivée  à 
Rome  de  l'Alexandrin  Possidonius.  C'est 
dire  qu'à  Rome  on  était  bien  renseigné. 
Si  l'évêque  d'Alexandrie  avait  été  le  seul 
à  fournir  des  documents,  Nestorius  aurait 
eu  quelque  raison  de  se  plaindre  et  d'ac- 
cuser «  l'Egyptien  »  d'avoir  travesti  sa 
doctrine  (3):  mais  cette  excuse  ne  lui  deve- 
nait plus  permise,  du  moment  qu'il  avait 
lui-même  pris  les  devants  pour  faire  con- 
naître au  Pape  sa  théorie  de  l'union  des 
deux  natures. 

Les  Actes  du  concile  romain  ne  nous 
sont  pas  parvenus,  sauf  un  fragment  de 
discours  de  saint  Célestin,  où  le  titre  de 
OsoTÔxo;;  donné  à  Marie  est  légitimé  par  les 
témoignages  de  plusieurs  Pères  latins  (4), 
mais  nous  trouvons  la  substance  de  ses 
décisions  dans  quatre  lettres  du  Pape 
adressées,  à  la  date  du  1 1  août  430,  à  Nes- 
torius, au  clergé  et  au  peuple  de  Con- 
stantinople,  à  Cyrille  et  à  Jean  d'Antioche. 

La  lettre  à  Nestorius  est  particulièrem.ent 
intéressante.  Le  Pape  lui  parle  sur  un  ton 


(1)  Voir  le  début  de  la  lettre  de  Célestin  à 
Cyrille.  Mansi,  ibid.,  col.  10 18. 

(2)  IlÉ7:o[J.Ç£  oà  ■/.%>.  £;T,Yr,(j£t;  7ïoa/.x;,£Ç*wv  i).r,/.îYy.Tas 
ypovwv  ta  o:E(TTpot}j.[jL£/a.  Cyrilli  epist.  XVI ad  Juve- 
nalem.  P.  G.,  ibid.,  col.  104  C.  Cf.  Epist.  XIII, 
ad  Joannem  Antioc/ien.,  col.  96  A  B. 

(3)  Dans  un  passage  de  la  Tragédie,  ouvrage  de 
Nestorius,  celui-ci  accuse  «  l'Egyptien  »  d'avoir 
séduit  par  ses  sophismes  le  pape  Célestin,  «  homme 
trop  simple  pour  pénétrer  la  subtilité  des  opinions 
théologiques  ».  (Loofs,  p.  204.)  11  est  évident  que 
Nestorius  se  fait  illusion. 

(4)  Mansi,  t.  IV,  col.  55o552. 


sévère,  il  fait  allusion  à  sa  grande  répu- 
tation, qui  lui  avait  valu  le  siège  de  Con- 
stantinople  et  qui  est  maintenant  si  com- 
promise. Si  on  n'a  pas  répondu  plus  tôt 
à  ses  lettres,  c'est  qu'il  a  fallu  prendre  le 
temps  de  les  traduire  en  latin.  Ces  lettres, 
ainsi  que  les  homélies  que  lui  a  remises 
Antiochus,  renferment  un  blasphème  évi- 
dent (i): 

Nous  t'avons  suivi  à  la  piste,  lui  dit  le 
Pape,  nous  t'avons  surpris,  nous  t'avons 
pris,  et  c'est  en  vain  que  tu  as  cherché  à 
envelopper  la  vérité  dans  les  obscurités  de 
ton  bavardage;  ton  langage  est  plein  de 
confusions;  tu  confesses  ce  que  tu  as  nié 
une  fois  et  tu  t'efforces  de  nouveau  de  nier 
ce  que  lu  as  déjà  confessé.  Aussi,  dans  tes 
lettres,  c'est  moins  contre  notre  foi  que 
contre  toi-même  que  tu  as  prononcé,  en 
voulant  parler  de  Dieu  le  Verbe  d'une  ma- 
nière opposée  à  la  foi  de  tous Aucun 

doute  n'est  possible  au  sujet  de  ces  lettres, 
puisque  c'est  toi-même  qui  les  as  envoyées, 
et  plût  au  ciel  qu'elles  ne  fussent  point 
tombées  entre  nos  mains,  car  nous  n'au- 
rions pas  été  obligés  d'examiner  un  si  grand 
crime  (2). 

Puis  Célestin  casse  toutes  les  sentences 
portées  par  Nestorius  contre  ceux  qui  se 
sont  opposés  à  sa  doctrine,  et  il  le  menace 
d'excommunication  et  de  déposition  si, 
dans  l'espace  de  dix  jours,  à  dater  de  la 
notification  qui  lui  sera  faite  par  Cyrille 
des  décisions  du  Siège  apostolique,  il  ne 
rétracte  ses  erreurs.  Cyrille,  en  effet,  dont 
Célestin  a  approuvé  et  approuve  la  foi  (3), 
sera  chargé  de  l'exécution  de  la  sentence 
papale. 

Dans  la  lettre  au  clergé  et  au  peuple  de 
Constantinople,  le  Pape  déclarait  que  Nes- 


(i)  Considérantes  nunc  interpretatas  tandem 
epistolas  tuas  apertam  blasphemiam  continentes. 
Mansi,  ibid.,  coi.  1026  E. 

<2)  In  his  quidem  nobis  vestigatus,  deprehensus 
et  tentas,  quodam  multiloquio  labebaris,  dum  pera 
involvis  obscuris  :  rursus  utraque  confundens,  vel 
confiteris  negata,  vel  niteris  negare  confessa. 
Sed  in  epistolis  tuis  non  tant  de  fide  nostra  quant 
de  te  tulisti  sententiam,  volens  de  Deo  Verbo 
aliter  quant  Jides  habeat  omnium  disputare.  Mansi, 
ibid.,  col.  1027  A. 

(3)  Alexandrinœ  ecclesiœ  sacerdotis  fidem  et 
probavimus  et  probamus,  col.  1034  C- 


266 


ÉCHOS  d'orient 


torius  enseignait  une  doctrine  détestable 
touchant  l'enfantement  virginal  et  la  divi- 
nité du  Sauveur,  comme  en  faisaient  foi 
les  écrits  signés  de  sa  propre  main,  qu'il 
avait  lui-même  envoyés,  et  le  rapport  de 
saint  Cyrille  (i).  Ecrivant  à  Cyrille,  il  fai- 
sait le  plus  grand  éloge  de  sa  vigilance 
et  de  sa  science  théologique;  il  le  félicitait 
d'avoir  découvert  tous  les  pièges  d'une 
prédication  artificieuse  (2)  et  l'instituait 
son  représentant  en  ces  termes  : 

L'autorité  de  notre  Siège  vous  est  com- 
muniquée, et  vous  en  userez  à  notre  place 
pour  exrcuter  rigoureusement  notre  dé- 
cret (3). 

Ce  ne  fut  point  par  saint  Cyrille  que 
Nestorius  apprit  tout  d'abord  la  sentence 
que  le  concile  romain  avait  portée  contre 
lui.  Son  ami  Jean  d'Antioche  fut  le  premier 
à  l'en  avertir.  11  lui  communiqua  une  copie 
de  la  lettre  que  Célestin  lui  avait  adres- 
sée ainsi  que  d'autres  lettres  de  l'évêque 
d'Alexandrie  et  le  supplia  instamment 
de  prendre  au  sérieux  les  graves  avertis- 
sements que  ces  pièces  contenaient  à  son 
adresse.  Le  diable,  lui  disait-il,  a  coutume 
de  grossir  outre  mesure  par  l'orgueil  les 
incidents  fâcheux  et  d'engager  dans  des 
impasses  ceux  qui  l'écoutent.  Le  délai  de 
dix  jours  est  sans  doute  court,  mais  la 
chose  dont  il  s'agit  peut  être  accomplie 
en  moins  de  temps  que  cela  :  un  jour, 
une  heure  y  peut  suffire. 

Car  il  n'y  a  rien  de  plus  facile  que  d'em- 
ployer un  terme  parfaitement  en  harmonie 
avec  l'Incarnation  du  Christ,  qui  a  été  fami- 
lier à  plusieurs  Pères,  et  qui  est  très  propre 
à  désigner  le  salutaire  enfantement  de  la 


(i)  Nestorius  episcopus  de  virgineo  partu  et  de 
divinitate  Christi  Dei  salvatoris  nostri,  veliit  ejus 
rcverentice  et  communis  omnium  salutis  oblitus, 
nefanda  prœdicat,  sicut  et  ejus  scripta  ad  nos  ab 
ipso  cum  propria  subscriptione  transmissa,  sicut 
etiam    relatio  sancti  fratris  et  coepiscopi   mei 

Cyrilli ad    me    missa    patefecit.    Ibid.,    IV, 

io35  D  C. 

(2)  Omnes  tendiculas  prœdicationis  callidœ  de- 
texisti.  P.  G.,  t.  LXXVII,  col.  91  B.  Célestin  a 
bien  saisi  le  caractère  de  l'hérésie  nestorienne, 
habile  à  se  dissimuler  sous  des  formules  équi- 
voques et  tenant  parfois  le  langage  de  l'orthodoxie. 

(3)  Ibid.,  col.  93  A. 


Vierge  (i).  Ta  sainteté  ne  doit  pas  craindre 
de  s'en  servir,  même  pour  éviter  de  se  con- 
tredire elle-même.  S'il  est  vrai,'  en  effet, 
comme  nous  l'avons  appris  de  la  bouche 
de  nos  amis  communs,  que  ta  doctrine 
s'accorde  avec  celle  des  Pères  et  des  docteurs 
de  l'Eglise,  qu'y  a-t-il  de  pénible  à  mani- 
fester une  pensée  orthodoxe  avec  le  terme 
qui  convient? 

Jean  continue  en  invitant  son  ami  à  réflé- 
chir sur  la  gravité  des  troubles  que  ses 
attaques  contre  le  mot  ôeo-ôxo;  ont  sou- 
levés dans  l'Eglise  universelle;  il  l'exhorte 
à  imiter  le  bel  exemple  que  donna  Théo- 
dore de  Mopsueste  à  Antioche.  Ce  vaillant 
homme  ne  craignit  pas  de  rétracter  publi- 
quement une  opinion  risquée  qu'il  avait 
émise  en  chaire,  lorsqu'il  vit  que  ses  pa- 
roles pouvaient  engendrer  des  querelles 
et  compromettre  la  paix  de  l'Eglise. 

Je  t'en  supplie  donc,  ne  rougis  point 
d'exprimer  à  haute  voix  ta  pensée,  que 
nous  savons  être  orthodoxe,  en  employant 
le  mot  qui  convient,  et  dont  beaucoup  de 
Pères  se  sont  servis  dans  leurs  écrits  et  leurs 

discours Ce  mot  de  théotocos,  jamais 

'aucun  docteur  de  l'Eglise  ne  l'a  rejeté. 
Ceux  qui  l'ont  employé  sont  nombreux  et 
comptent  parmi  les  plus  célèbres,  et  ceux 
qui  ne  l'ont  pas  employé  n'ont  pas  attaqué 
ceux  qui  en  ont  fait  usage. 

En  repoussant  ce  terme  pour  écarter  la 
fausse  signification  que  lui  donnent  les 
hérétiques,  nous  en  arrivons  à  mépriser  la 
conscience  de  nos  frères  et  aies  scandaliser 
inutilement.  Pourquoi  éviter  un  mot  qui 
exprime  une  idée  que  nous  acceptons?  Et 
si  nous  n'acceptons  pas  cette  idée,  il  est 
clair  que  nous  tombons  dans  une  grave 
erreur  et  que  nous  risquons  de  nier  l'In- 
carnation ineffable  du  Fils  unique  de  Dieu. 
Une  fois  ce  mot  écarté,  l'idée  qu'il  exprime 
disparaîtra  aussi;  d'où  il  suivra  que  celui 
qui  s'est  incarné  pour  nous  d'une  manière 
ineffable  n'est  pas  Dieu,  que  Dieu  le  Verbe 
ne  s'est  pas  anéanti  en  prenant  la  forme 
du  serviteur  pour  nous  témoigner  son  im- 


(i)  Tb  Y^o  yùr^rsa.a^a.'.  Trpoo-çôpo)  C)VÔ|iaT;  Iv  Tf;  xa-rà 
tbv  7ra[Apaff;).éa  Xpio-TÔv  ÙTïèp  r|U.wv  O'.xovo(i,{a,  rcTp'.a- 
IJLîvw  jiév  TioX/.ot;  'wv  Tta-répwv,  âitaÀT|6£yovTi  ôà  y.aù 
xr,  ffwTripîw  £X  TïaoÔévo'J  Y£vvr,(rct,  to'jto  pâô'.ov.  Mansi, 
t.'  IV,  col.   1064  À  B. 


i 


l'épiscopat  de  nestorius 


267 


mense  amour.  Or,  les  Saintes  Ecritures 
attestent  cette  grande  bonté  de  Dieu  à  notre 
égard,  lorsqu'elles  racontent  que  le  Fils 
unique  de  Dieu,  éternel  comme  son  Père, 
s'est  abaissé  jusqu'à  naître  virginalement 
de  la  Vierge,  selon  ces  paroles  du  divin 
Apôtre  :  Dieu  a  envoyé  son  Fils  né  d'une 
femme.  Ces  mots  signifient  bien  que  le  Fils 
unique  est  né  de  la  Vierge  (i). 

Nous  avons  tenu  à  mettre  ce  passage 
sous  les  yeux  du  lecteur,  parce  que,  s'il 
montre  que  Jean  d'Antioche  se  faisait  illu- 
sion sur  la  véritable  pensée  de  son  ami, 
il  établit  aussi  d'une   manière  suffisam- 
ment  claire    que    lui-même    était   d'une 
orthodoxie  irréprochable.  Et  Jean  ne  par- 
lait pas  seulement  en  son  nom  personnel. 
Il  nous  apprend  que  sa  lettre  a  reçu  l'ap- 
probation de  plusieurs  évêques  qui  se  trou- 
vaient présents  à  Antioche  au  moment  où 
il  l'écrivait  ;  il  donne  le  nom  de  ces  évêques  : 
Archelaùs,  Apringius,  Théodoret,  Héliade, 
Mélèce  et  Macaire,  nommé  récemment  à 
l'évêché  de  Laodicée.  Le  nom  de  Théodoret 
mérite  particulièrement  de  fixer  l'atten- 
tion. 11  ressort  de  là  que  ceux  qu'on  va  ap- 
peler les  «  Orientaux  »  au  concile  d'Ephèse, 
du  moins  la   plupart  et   les    principaux 
d'entre  eux,  ne  partageaient  pas  l'erreur 
de  Nestorius  touchant  le   mode  d'union 
des  deux  natures,  tout  en  employant  sou- 
vent une  terminologie  très  voisine  de  la 
sienne. 

Ainsi  les  trois  principaux  sièges  de  la 
chrétienté,  Rome,  Alexandrie  et  Antioche, 
s'étaient  déclarés  en  faveur  du  tbéotocos  et 
de  la  doctrine  que  ce  mot  suppose,  c'est- 
à-dire  l'unité  réelle  de  sujet,  de  personne 
dans  le  Christ.  Rome  surtout  avait  parlé 
net  et  ferme,  après  mûr  examen.  La  cause 
était  jugée,  terminée.  Une  telle  unanimité 
aurait  dû  ouvrir  enfin  les  yeux  à  Nestorius 
et  le  déterminer  à  suivre  les  conseils  fra- 
ternels de  Jean,  Que  de  luttes  stériles,  que 
de  scandales,  que  de  déchirements  et  de 
maux  de  tout  genre  auraient  été  épargnés 
à  la  chrétienté,  si  l'évêque  de  Constanti- 
nople  avait  eu  assez  de  vertu  pour  faire 
le  geste  que  son  maître  Théodore  avait 

{\)  Ibid.,  col.  I065CD. 


fait  à  Antioche,  pour  monter  en  chaire  et 
proclamer  franchement  et  loyalement  que 
Marie  était  mère  de  Dieu;  que  Dieu  le 
Verbe,  le  Fils  unique,  né  du  Père  avant 
tous  les  siècles,  était  né  une  seconde  fois 
selon  la  chair  de  la  Vierge. 

Mais  on  ne  pouvait  guère  attendre  une 
pareille  déclaration  de  la  part  de  quelqu'un 
qui  avait  une  confiance  illimitée  en  ses 
propres  lumières  et  qui  menait  campagne 
depuis  deux  ans  contre  le  tbéotocos,  avec 
l'intime  persuasion  qu'il  combattait  p>our 
l'orthodoxie. 

Nous  possédons  la  réponse  de  Nestorius 
à  la  lettre  de  Jean  d'Antioche.  Le  ton  en 
est  fort  courtois.  Après  avoir  remercié  son 
ami  de  sa  bienveillance  à  son  égard  et  de 
sa  sollicitude  pour  la  paix  de  l'Eglise  uni- 
verselle, Nestorius  déclare  qu'il  n'est  pas 
l'adversaire  irréductible  du  Osotôxoç.  mais 
que  ce  mot  a  besoin  d'être  expliqué  et 
qu'on  peut  facilement  lui  donner  un  sens 
arien  ou  apollinariste.  Voilà  pourquoi  il  a 
proposé  le  terme  yp'.TroTÔxo^,  pour  mettre 
d'accord  ceux  qui  se  disputaient  à  Con- 
stantinople  sur  le  Osotôxo^  et  l'àvOcw-oTÔxo^. 
Il  accepte  le  brevet  d'orthodoxie  que  lui 
a  délivré  Jean  dans  sa  lettre,  mais  il  laisse 
entendre  que  des  explications  ne  seront 
pas  inutiles  dans  le  futur  concile  qui  se 
prépare. 

Je  vous  en  prie,  dit-il,  cessez  de  vous 
préoccuper  de  cette  affaire;  sachez  seule- 
ment que,  par  la  grâce  de  Dieu,  nous  avons 
toujours  partagé  vos  sentiments  et  que  nous 
les  partageons  encore  pour  ce  qui  touche 
à  la  foi.  Priez  pour  que  le  Seigneur  Christ 
nous  vienne  en  aide  et  que  nous  puissions 
nous  entretenir  ensemble.  Il  est  clair,  en 
effet,  que  si  ce  concile  que  nous  espérons 
nous  fournit  l'occasion  de  nous  voir,  nous 
arrangerons  sans  scandale  et  en  toute  con- 
corde cette  affaire  et  les  autres  qui  inté- 
ressent le  bien  général.  Tout  ce  qui  aura 
été  décidé  d'un  commun  accord  s'imposera 
à  la  foi  de  tous,  et  personne  n'aura  de  raison 
de  faire  de  l'opposition.  Il  ne  faut  point 
que  la  présomption  coutumière  des  Egyp- 
tiens étonne  votre  Piété;  vous  n'ignorez 
pas  le  passé  (O. 

(i)  LooFS,  p.  i85-i86. 


268 


ÉCHOS    d'orient 


II  ajoute  en  post-scriptum  qu'après  la 
réception  de  la  lettre  de  Jean  il  a  gagné 
à  sa  doctrine  le  clergé,  le  peuple  et  la 
cour.  Quelques  applaudissements  venus 
d'un  auditoire  déjà  sympathique  —  les 
opposants  ne  venaient  plus  l'entendre  — 
avaient  donné  à  Nestorius  l'illusion  d'un 
triomphe  complet. 

Cette  lettre,  qui  parle  déjà  d'un  con- 
cile général  (i),  fut  probablement  écrite 
quelques  jours  avant  l'arrivée  à  Constan- 
tinople,  le  6  décembre  430,  des  délégués 
alexandrins  chargés  de  remettre  à  Nesto- 
rius les  pièces  venues  de  Rome  (2).  Saint 
Cyrille  ne  s'était  pas  pressé  de  les  faire 
parvenir  à  destination.  Fort  de  l'approba- 
tion que  le  Pape  avait  donnée  à  sa  doc- 
trine, il  voulut  la  condenser  dans  un  docu- 
ment que  Nestorius  aurait  à  signer  s'il 
voulait  rester  en  communion  avec  l'Eglise 
romaine  et  le  reste  de  la  chrétienté.  En 
agissant  de  la  sorte,  l'évêque  d'Alexandrie 
n'outrepassait  pasie  mandat  de  Célestin(3). 


On  peut  seulement  regretter  qu'il  n'ait 
pas  mis  plus  de  forme  et  de  courtoisie 
dans  le  libellé  de  son  ultimatum  (i). 

Celui-ci  fut  rédigé  sous  forme  d'une 
lettre  que  Cyrille  fit  approuver  par  un 
concile  réuni  par  lui  à  Alexandrie,  et  qui 
fut  expédiée  à  Nestorius  à  la  date  du  3  no- 
vembre 430.  C'est  un  exposé  magistral 
de  la  doctrine  orthodoxe  sur  le  mystère 
de  l'Incarnation.  Cyrille  y  met  vivement 
en  relief  l'unité  de  sujet  individuel  dans  le 
Christ,  et  fait  ressortir  avec  éclat  l'oppo- 
sition qui  existe  entre  sa  doctrine  et  la 
conception  nestorienne.  La  lettre  se  ter- 
mine par  douze  anathématismes  qui  en 
résument  brièvement  tout  le  contenu  doc- 
trinal et  réfutent  directement  les  erreurs 
de  Nestorius  (2).  Ce  sont  ces  anathéma- 
tismes que  celui-ci  devait  souscrire  pour 
échapper  à  la  condamnation  qui  le  mena- 
çait. 


Martin  Jugie. 


Constantinople. 


UNE    INNOVATION    LITURGIQUE 

A   ALEXANDRIE    EN    1702 


M.  Manuel  Gédéon  a  inséré  dans  son 
recueil  d'actes  patriarcaux  deux  textes  dif- 
férents d'une  lettre  adressée,  en  1702, 
par  le  patriarche  grec  de  Constantinople 


(i)  Nestorius  parle  aussi  du  concile  généraldans 
sa  troisième  lettre  au  pape  Célestin,  écrite  entre 
le  19  novembre  et  le  6  décembre  430.  Loofs,  p.  182. 

(2)  D'après  Loofs,  p.  98,  la  lettre  à  Jean  d'An- 
tioche  aurait  été  écrite  après  l'arrivée  des  Alexan- 
drins. Avec  Héfélé  nous  la  croyons  antérieure  à 
cette  date,  car  on  n'y  trouve  pas  d'allusion  aux 
anathématismes  de  Cyrille. 

(3)  Célestin  avait  écrit  à  Nestorius  :  Alexandrinœ 
Ecclesiœ  sacerdotis  Jidem  et  probavimus  et  pro- 
bamus.  Et  tu,  admonitus  per  eum  rursiis  senti 
nobiscum.  Cui  fratri  si  a  te  prœbetur  assensus, 
damnatis  omnibus  quœ  hucusque  sensisti,  statim 
hœc  volumus  praedices  quae  ipsum  videas  praedi- 
care.  Mansi,  t.  IV,  col.  1084.  Cf.  Cœlestini  epist. 
ad  Cyril tum,  col.  1022. 


à  son  collègue  d'Alexandrie,  Gérasime  11 
Palladas  (3). 

Le  savant  chartophylax  du  Phanar  s'était 
d'abord  contenté  de  reproduire  le  texte 
qui  avait  été  déjà  édité  en  1804,  dans 
V Epistolarion  de  l'imprimerie  patriarcale, 
et,  en  1879,  paimi  les  Lettres  d'Alexajidre 
Mavrocordatos  publiées  à  Trieste  (4).  11 
attribuait  alors  l'épître  à  Callinique  II.  Ce 


(i)  On  peut  dire,  à  la  décharge  de  saint  Cyrille, 
que  le  Pape  parlait  aussi  vertement  que  lui.  La 
période  des  admonitions  en  style  académique  était 
passée. 

(2)  Mansi,  t.  IV,  col.  un  sq. 

(3)  Manuel  Gédéon,  Kavovtxal  8taTà?£t;,  t.  I.  Con- 
stantinople, 1888,  p.  89-92;  t.  II.  1889,  p.  406-409. 

(4)  Th.  Livada,  'AXe^âvSpoy  Ma-jpoy.opSiTou  'Etîi- 
(jToXal  P'.  Trieste,  1879,  p.  ii2-ii5. 


UNE    INNOVATION    LITURGIQUE   A   ALEXANDRIE    EN     I702 


269 


prélat,  qui  avait  déjà  occupé  le  .  trône 
patriarcal  en  1688,  puis  de  1689  à  1693, 
l'occupa  une  troisième  fois  de  juillet  1694 
au  8  août  1702,  date  de  sa  mort  (i). 

Mais  le  codex  n°  1 1  de  la  bibliothèque 
du  Syllogue  littéraire  grec,  à  Constanti- 
nople,  contient  un  autre  texte  de  cette 
même  lettre.  Elle  y  est  attribuée  au 
patriarche  Gabriel  111,  qui  gouverna  la 
«Grande  Eglise  »  du  30  septembre  1702 
jusqu'en  novembre  1707  où  il  mourut  (2). 
La  date  de  1 702  se  lit  au  bas  du  document. 

La  fin  de  l'année  1702  ayant  vu  s'achever 
le  patriarcat  de  Callinique  II  et  s'ouvrir 
celui  de  Gabriel  111,  il  se  pourrait  que  la 
lettre  eût  été  préparée  par  le  premier  et 
rédigée  dans  sa  forme  définitive  par  le 
second.  Au  reste,  toute  la  différence  con- 
siste uniquement  en  des  variantes  litté- 
raires :  le  texte  du  manuscrit  du  Syllogue 
emploie  certaines  formes  de  la  langue 
parlée,  tandis,  que  celui  de  V Epistolarion 
et  des  Lettres  de  Mavrocordatos  s'en  tient 
uniformément  aux  expressions  de  ce  qu'on 
est  convenu  d'appeler  la  langue  relevée. 
Ce  dernier,  de  plus,  commence  très  brus- 
quement et  aborde  sans  préambule  le  sujet 
qui  avait  donné  occasion  à  la  lettre.  Celle-ci, 
dans  le  manuscrit  du  Syllogue,  débute 
par  un  prologue  général  qui  est  beaucoup 
plus  conforme  au  style  ordinaire  de  ces 
sortes  de  pièces. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  deux  textes 
et  des  différences  qu'ils  présentent,  voici 
quel  est  l'objet  de  la  lettre. 

Le  patriarche  du  Phanar  blâme  son  col- 
lègue alexandrin  d'avoir  introduit,  au  sein 
de  son  Eglise,  une  innovation  grave  dans 
la  célébration  de  la  messe,  au  moment  le 
plus  solennel  du  sacrifice,  c'est-à-dire  à 
la  Consécration.  Gérasime  et  ses  prêtres 
ne  prononcent  plus  à  haute  voix  les  paroles 
de  l'institution  eucharistique  :  «  Prenez  et 
mangez,  ceci  est  mon  corps Prenez  et 


(i)  Voir  M.  GédéON,  IIsTpcapy:'-»-  Hiva/.s;  Con- 
stantinople,  p.  607-614;  et  S.  Vailhé,  art.  Constan- 
tinople  dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catho- 
lique, t.  III,  col,  i3i2  et  1432. 

(2)  GÉDÉON,  naTpiapy./.ol  Ilivaxî;,  p.  614-617; 
[   S.  Vailhé,  op.  et  lac.  cit. 


buvez,  ceci  est  le  calice  de  mon  sang »  : 

et  il  a,  au  contraire,  introduit  la  pratique 
de  dire  à  haute  voix  l'épiclèse  ou  invoca- 
tion du  Saint-Esprit  qui  suit  le  récit  de  la 
Cène  (i). 

Le  patriarche  d'Alexandrie  avait  été 
amené  à  cette  double  mesure,  en  opposi- 
tion avec  les  usages  traditionnels,  par  son 
désir  de  protester  et  de  prémunir  les  fidèles, 
disait-il,  contre  la  croyance  des  Latins  attri- 
buant l'efficacité  consécratoire  aux  paroles 
de  Jésus-Christ  et  non  point  à  l'épiclèse  (2). 

Cette  nouvelle,  apportée  d'Alexandrie 
à  Constantinople,  y  avait  produit,  dans  les 
milieux  ecclésiastiques,  une  vive  émotion. 
Le  métropolite  de  Libye,  se  trouvant  de 
passage  dans  la  capitale,  fut  interrogé  à 
ce  sujet  et  confirma  le  fait  (3).  C'est  alors 
que  le  patriarche  œcuménique  adressa  à 
Gérasime  II  de  sévères  remontrances. 

Une  telle  innovation  dans  le  rite  eucha- 
ristique, déclare-t-il,  est  tout  à  fait  déplacée. 
Il  faut  la  faire  cesser  désormais  et  ordonner 
à  tous  les  prêtres,  vos  subordonnés,  de 
célébrer  selon  l'ordre  antique  et  traditionnel 
de  l'Eglise,  en  prononçant  à  voix  basse 
l'épiclèse  du  Saint-Esprit  et  à  haute  voix 
les  paroles  du  Christ  (4). 

Cela  n'empêche  pas  de  croire  à  la  vertu 
consécratoire  de  l'épiclèse,  ajoute  en  sub- 
stance Gabriel  III;  mais  il  faut  garder  un 
respect  sacré  à  la  pratique  traditionnelle, 
qui  remonte  d'ailleurs  aux  apôtres  et  au 
Sauveur  lui-même.  Jésus  aurait  d'abord 
consacré  par  une  bénédiction  silencieuse 
et  n'aurait  prononcé  qu'ensuite  les  paroles 
rapportées  par  les  évangélistes.  C'est  sur 
cette  argumentation  que  le  patriarche  du 
Phanar  base  l'usage  traditionnel  de  réciter 
à  haute  voix  les  paroles  de  l'institution  et 
à  voix  basse  l'épiclèse  (3). 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  faire  la  cri- 
tique d'une  pareille  opinion.  L'objet  de 
cette  note  est  simplement  de  résumer  le 


(i)  GÉDÉON,  Kavovixai  oixxxU';,  t.   I,  p.  90;  t.  II, 
p.  4:6. 

(2)  Ibid.,  p.  gi,  407. 

(3)  Ibid.,  p.  89,  407. 

(4)  Ibid.,  t.  II,  p.  407-408.  Cf.  t.  I,  p.  91. 
(3)  Ibid.,  t.  II,  p.  408-409.  Cf.  t.  I,  p.  90. 


270 


ECHOS    D  ORIENT 


document  historique  qui  nous  signale 
l'innovation  alexandrine  et  l'accueil  qu'elle 
reçut. 

Conscient  de  posséder  sur  ses  collègues 
une  autorité  réelle  que  ses  successeurs 
ont  bien  perdue  depuis,  Gabriel  111  termine 
sa  lettre  sur  un  ton  de  sévérité  et  presque 
de  menace. 

Il  faut  que  Votre  Béatitude  conserve  iné- 
branlable la  tradition  ancienne  et  fasse 
cesser  l'innovation  introduite.  Si  elle  la 
laissait  se  maintenir,  alors  le  siège  œcumé- 
nique poursuivrait  l'accomplissement  de 
son  devoir,  lui  qui  a  reçu,  en  plus  des 
autres,  le  privilège  de  gouverner  et  de  diriger 


toute  la  multitude  chrétienne  dans  la  droite 
voie  des  dogmes  de  l'Eglise,  de  ses  ordon- 
nances, des  antiques  traditions,  et  de  sur- 
veiller sévèrement  ceux  qui  s'en  écartent  (  i  ), 

Il  serait  intéressant  de  connaître  la  ré- 
ponse du  patriarche  d'Alexandrie  ainsi 
admonesté  par  Gabriel  111.  Peut-être  les 
documents  nous  la  livreront-ils  un  jour. 
En  attendant,  il  nous  a  paru  utile  de  si- 
gnaler cette  intervention  du  Phanar  dans 
une  affaire  de  l'Eglise  d'Alexandrie,  aux 
premières  années  du  xviiie  siècle. 


S.  Salaville. 


Constantinople. 


UNE   INSCRIPTION   LATINE  A   GALATA   DE    1418 


(i) 


On  se  rappelle  Its  protestations  nourries 
de  tous  les  amis  de  l'ancienne  Byzance, 
à  l'annonce  du  projet  de  démolition  des 
vieux  murs  de  Stamboul.  Depuis,  il  a  été 
dit  que  ces  vénérables  remparts,  témoins 
de  tant  de  faits  glorieux,  seraient  con- 
servés à  la  postérité.  Et  le  silence  s'est 
fait  autour  d'eux.  Pourtant,  une  démolition 
partielle  a  commencé  et  continue,  tout 
tranquillement,  pour  ainsi  dire  en  cachette, 
par  petits  tronçons,  sans  que  personne 
s'en  aperçoive,  —  témoin  la  carrière  ou- 
verte depuis  quelque  temps  dans  le  mur 
devant  le  Tekfour-Séraï,  pour  l'extraction 
de  pierres  destinées  au  pavage  des  rues 
de  Balata.  Mais  passons 

Personne  n'ignore  que  l'ancienne  Galata, 
la  célèbre  colonie  génoise  que  gouvernaient 
autrefois,  en  presque  complète  indépen- 
dance des  empereurs  de  Byzance,  les 
«  podestà  »  envoyés  par  la  Sérénissime 
république  de  Gênes,  était  également  en- 


(i)  Notre  ami  et  collaborateur,  M.  Gottwald, 
veut  bien  nous  autoriser  à  reproduire  l'étude 
ci-dessus  qui  a  paru  dans  le  journal  français  de 
Constantinople,  le  Stamboul,  du  9  décembre  1910; 
nous  lui  en  offrons,  ainsi  qu'à  la  direction  du 
journal,  nos  plus  vifs  remerciements. 


tourée  de  murs,  flanqués  de  tours  et  pro- 
tégés par  un  fossé.  Ici  la  destruction, 
inaugurée  en  1864  par  la  municipalité 
nouvellement  fondée  alors,  a  presque  en- 
tièrement accompli  son  œuvre;  quelques 
pans  de  muraille  seulement  près  de  Saint- 
Pierre,  à  Azap-Capou  et  à  Kurdji-Capou, 
ont  échappé  à  la  pioche  des  démolisseurs. 
Tout  dernièrement  encore,  on  a  rasé, 
sans  que  cela  fût  motivé  par  des  néces- 
sités de  circulation,  une  grande  tour  carrée 
qui  se  dressait  à  l'angle  de  Bit-Bazar.  La 
disparition  du  «  mur  murant  »  Galata  a 
laissé  à  la  voie  publique  un  espace  libre 
de  plus  de  9000  mètres,  soit  à  peu  près 
la  quarantième  partie  de  la  cité  génoise. 
Jusqu'à  cette  époque,  les  «  inscriptions 

(i)  Gédéon,  Kavovtxal  StaTaleti;,  t.  II,  p.  409, 
Une  telle  déclaration  d'un  patriarche  de  Con- 
stantinople vaut  d'être  citée  dans  son  texte  ori- 
ginal :  Et  8s  y.ai  àç-^aet  {-'i]  \)\xs.-céçia  fiaxocpidr-r,!;)  Tr,v 
■/iatvoT0[J.Y)6ei(Tav  Tcap'  a-JTr,î  7rapa),Xa-,'-r,v  va  àve- 
pYTjTat  a-JTd6c,  tôte  ÔéXet  âxo).ou9-r,(7£i  TriX-v  Tzapx  toO 

OÎXOUlJLevlXoij     TObTOU    ôpÔVOU     XO     7T0tV)T£0V,    oaTiç    ~poç 

Toï;  aXXoi;  7rpovd[jLiov  xéxrriTat  S'.euOsteïv  xal  pv^[i.i'^tiy 
TO  àizx\-(xy^ov  5(pt<TTtavtxàv  7:XripM(xa  eiç  Trà  op6à  tïjç 
'ExxXTjdta;  B6yii.a,xi  re  xal  SiaTaYfAara  xal  tàç  à|  ipyrtç 
irapaôdffEiç,  xal  im^y.énf.v  5pi(x-.iT£pov  èirl  tov»;  TrapexTps- 
7io;i.évouç  T(Sv  àxxXr|(7ta<TTtxôiv  StaxâEetov  te  xal  Trapa^ 
oôcTEMv.  Cf.  t.  I,  p.  go,  92,  où  la  même  idée  se 
trouve,  mais  exprimée  en  termes  moins  énergiques. 


UNE    INSCRIPTION    LATINE    A   GALATA    DE    I418 


271 


latines  »  que  les  chefs  de  l'ancienne  ville 
avaient  fait  placer  sur  les  murailles  à  l'oc- 
casion de  leur  construction  progressive 
ou  de  leurs  réparations,  et  qui  commé- 
moraient les  noms  des  podestà,  ceux  des 
doges  de  Gênes,  avec  leurs  armoiries, 
ainsi  que  les  dates,  se  trouvaient  à  leur 
emplacement  primitif.  Ces  pierres  furent 
enlevées  lors  du  démantèlement  des  murs. 
Grâce  aux  démarches  de  quelques  per- 
sonnes influentes,  elles  furent  placées  tout 
d'abord  dans  l'enclos  d'un  cimetière  turc, 
aux  Petits-Champs,  puis  dans  la  partie 
inférieure  de  la  tour  de  Galata  et  finalement 
au  musée  de  Stamboul,  où  elles  se  trouvent 
encore,  dans  l'entresol,  presque  oubliées. 
La  dernière  inscription  murale  que  nous 
avons  encore  vue  à  sa  place  se  trouvait 
sur  la  grande  tour  carrée,  démolie  il  y  a 
une  quinzaine  d'années,  qui  se  dressait  à 
l'entrée  supérieure  de  la  rue  Yuksek-Cal- 

dirim Une  belle  plaque  commémora- 

tive  existe  encore  au-dessus  de  la  porte 
Yanek-Capou  (la  dernière  porte  génoise 
encore  debout),  dans  les  parages  du  Vieux- 
Pont,  aux  armes  de  Gênes  et  des  familles 
De  Merude  et  Doria,  mais  sans  aucune 
inscription. 

II  était  donc  du  plus  haut  intérêt  de 
découvrir  à  Galata  une  inscription  murale 
/;/  situ,  fort  probablement  la  toute  dernière. 

A  la  suite  de  la  démolition  de  quelques 
vieilles  maisons  dans  la  ruelle  qui,  der- 
rière la  mosquée  de  Karakeuy,  mène  di- 
rectement à  la  porte  d'un  han  nouvellement 
construit,  une  partie  de  l'ancien  rempart 
génois,  contre  lequel  est  adossée  toute  la 
rangée  gauche  des  maisons  de  cette  rue, 
tandis  que  de  l'autre  côté  s'y  appuie  le 
Haviar  han,  a  revu  le  jour  il  y  a  quelques 
mois.  Je  profitai  de  cette  circonstance 
pour  relever  la  direction  du  mur  de  Galata 
à  cet  endroit:  mon  attention  fut  éveillée 
par  une  pierre  rectangulaire  encastrée 
dans  ce  mur,  sur  laquelle  apparaissaient 
des  traces  d'ornementation.  Après  avoir 
fait  enlever  l'épaisse  couche  de  crépi  qui 
la  recouvrait,  je  pus  constater  qu'il  s'agis- 
sait d'une  «  inscription  latine  »  du  Galata 
génois,  que  je  crois  inédite,  puisqu'elle 


ne  figure  pas  parmi  celles  publiées  par 
M.  Delaunay  dans  V Univers,  revue  orien- 
tale (cahiers  de  novembre  1874  à  mars 
1875),  ni  parmi  celles  reproduites  par 
Belgrano,  dans  les  Documetiti. 

Le  marbre  a  une  longueur  de  in^.^o  sur 
une  largeur  de  0"^,^^  et  forme  l'architrave 
d'une  porte  murée.  Sur  la  bordure  infé- 
rieure apparaît  en  une  seule  ligne  l'in- 
scription, en  caractères  gothiques  assez 
beaux,  hauts  de  o^^jO^ ,  précédés  et  terminés 
par  une  croix.  En  voici  le  texte  simple  et 
laconique  : 

Y  HIC.  MURUS.  CONSTRUCT.  FUIT. 
MCCCCXVIII.  TEMPOR.  POTESTACIE. 
///////////  MI  (?)  DNl.  TH  (?)  A  (?)  DISII. 
D.AURIA  t 

{Hic  murus  constructus  fuit  i4i8  tem- 
pore  potesiacie . . .  Domini  TbaMsii  (?) 
D'Aiiria.) 

Ce  mur  fut  construit  en  1418,  du  temps 
de  la  magistrature  du...  seigneur  Tbadi- 
sius  (.?)  Doria. 

L'inscription  ne  présente  que  peu  de 
difficultés.  Outre  les  abréviations  dans  les 
constriictus,  tempore,  Domini,  indiquées 
par  des  entrelacements  dans  les  dernières 
et  avant-dernières  lettres,  il  y  aurait  à 
relever  l'expression  potestacie  dérivée  de 
«  podestà  »  (/)o/^s/as  =  pouvoir).  Ce  terme 
est  employé  ici  à  caractériser  d'une  ma- 
nière précise  la  magistrature  particulière 
du  «  podestà  »,  qui,  par  ce  mot,  aura 
voulu  faire  ressortir  sa  complète  indépen- 
dance envers  ses  suzerains  de  l'autre  rive, 
les  empereurs  de  Byzance. 

Ce  n'est  pas  sous  le  règne  de  ces  der- 
niers, mais  sous  la  magistrature,  sous  le 
gouvernement  —  on  dirait  en  turc  sous 
le  podestalik  —  de  Doria  que  ce  mur  a  été 
construit.  Le  mot  suivant  a  complètement 
disparu  sous  une  brisure  de  la  pierre,  mais 
la  lacune  est  facile  à  combler  par  un  des 
qualificatifs  egregii,  spectabilis,  illustris- 
simi  ou  nobilissimi,  qui  se  rencontrent 
sur  les  autres  inscriptions  de  Galata. 

Le  prénom  «  Thedisii  »  ou  «  Thadisîi  » 
paraît  étrange.  Par  contre,  le  nom  de 
famille  d'  «  Auria  »,  qui  s'écrit  ordinaire- 
ment Doria,  est  un  des  plus  illustres  de 


272 


ECHOS   D  ORIENT 


la  république  génoise  et  appartient  à  la 
noble  famille  ghibelline  des  Doria,  qui  a 
joué  un  rôle  important  dans  l'histoire  de 
Gênes.  Déjà  en  1387  on  rencontre  le  nom 
d'un  Rafaël  d'Auria  (Doria),  podestà  de 
Galata,  sur  une  pierre  commémorative 
qui  se  trouvait  sur  la  première  tour  après 
celle  du  Christ,  dans  la  rue  Hendek.  Mal- 
heureusement, l'histoire  ne  nous  dit  rien 
au  sujet  de  ces  Doria,  «  podestas  »  de 
Galata. 

Trois  écussons,  séparés  par  des  orne- 
mentations en  feuillage  assez  bien  exécu- 
tées, surmontent  l'inscription.  Celui  du 
milieu,  à  la  place  d'honneur,  est  l'écusson 
de  Gênes,  une  simple  croix.  Nous  ne  pou- 
vons blasonner  d'une  manière  plus  pré- 
cise l'écusson  de  dextre,  les  émaux  n'étant 
pas  indiqués  sur  les  pierres  de  Galata. 


Comme  nous  voyons  figurer  à  cette  place 
sur  les  autres  inscriptions  les  armoiries 
des  doges  de  Gênes,  nous  devons  attri- 
buer ce  blason  à  Campofregoso,  alors 
doge  dans  la  métropole  ligurienne.  Celui 
de  senestre  appartient  aux  Doria,  qui  por- 
taient «  coupé  d'or  sur  argent,  à  l'aigle 
de  sable  couronnée  du  même,  becquée, 
membrée  et  languée  de  gueule  brochant 
sur  le  tout  ». 

Nous  espérons  que  cette  belle  pierre 
trouvera  bientôt  ou  a  déjà  trouvé  sa  place 
au  musée  impérial,  pour  y  compléter  la 
série  si  intéressante  des  inscriptions  gé- 
noises de  Galata,  derniers  vestiges  d'une 
grandeur  à  tout  jamais  disparue. 


J.  GOTTWALD, 


Mersine. 


LE    PROPRE   GREC   DE   JÉRUSALEM 


Nos  lecteurs  ont  eu  cette  année-ci,  avec 
quelques  notes  utiles,  la  traduction  de  la 
brochure  contenant  l'office  du  lavement 
des  pieds  en  usage  dans  l'Eglise  grecque 
de  Jérusalem  (1).  Je  voudrais  leur  faire 
connaître  aujourd'hui  trois  autres  bro- 
chures, qui  compléteront  ce  que  nous 
appellerions  le  propre  de  cette  Eglise  (2). 
Plus  d'un  sera  peut-être  étonné  de  l'exis- 
tence de  ces  recueils;  il  y  a  beaucoup  à 
découvrir  encore  chez  les  Grecs  actuels, 
presque  autant  que  chez  ceux  du  moyen 
âge. 


Voici  d'abord  une  plaquette  de  quinze 
petites  pages,  avec  un  titre  assez  obscur 
au  premier  aspect  :  "Tuvoi  •Icû.'kôixtvoi  xaxà 
Taç    AiTavciaç    xal   Ta;    Tipoli-avr/ÎTSt,;    twv 

(i)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  XIV  (1911),  p-  89-99. 

(2)  En  y  ajoutant  le  texte  de  la  messe  de  saint 
Jacques,  célébré  une  fois  par  an,  le  jour  de  la  fête 
de  l'apôtre. 


■7taopT,ai.{ôv  £v  Tw  Txavupw  vaw  tT^ç  'Avaarà- 
Tccoç.  Jérusalem,  imprimerie  de  la  com- 
munauté du  Saint-Sépulcre,  1901  (i). 
Expliquons  ce  titre. 

Les  hymnes  dont  il  s'agit  ici  n'ont  rien 
de  commun,  bien  entendu, avecleshymnes 
de  la  liturgie  romaine;  rien  de  commun 
non  plus  avec  les  poèmes  du  genre  de 
ceux  de  saint  Romain  ;  le  mot  désigne 
vaguement  des  chants  religieux,  tropaires 
isolés  ou  réunis  en  groupe  de  la  manière 
que  nous  verrons. 

Ces  chants  sont  exécutés  dans  l'église 
de  la  Résurrection  aux  processions  et  à  la 
réception  solennelle  du  patriarche. 

Le  premier  dimanche  du  grand  Carême, 
fête  de  l'Orthodoxie,  c'est-à-dire  du  réta- 
blissement du  culte   des   saintes  images 


(i)  Il  existe  une  édition  parue  en  1910  sous  ce 
titre:  'T(jLvoi  XtTavciwv  xat  à  èuiTaçioî  6pfjV0ç;  je 
dois  cette  indication,  comme  plusieurs  autres  uti- 
lisées au  cours  de  cet  article,  au  P.  Anthime 
Chappet,  à  qui  j'offre  mes  remerciements. 


LE  PROPRE  GREC  DE  JÉRUSALEM 


273 


en  843;  le  troisième  dimanclie  du  même 
Carême,  fête  de  l'adoration  de  la  croix, 
et  le  14  septembre,  fête  de  son  exaltation; 
le  dimanche  des  Rameaux,  le  dimanche 
après  Pâques,  où  l'Eglise  grecque  com- 
mémore l'apparition  de  Notre-Seigneur  à 
l'apôtre  saint  Thomas;  le  dimanche  de  la 
Pentecôte,  le  jour  de  l'Epiphanie,  le  jour 
de  saint  Nicolas  (i)  et  celui  de  saint  Da- 
mien  (2)  ont  lieu  deux  cérémonies  parti- 
culières. 

La  veille  au  soir  avant  les  vêpres,  le 
patriarche  fait  son  entrée  dans  la  basilique, 
accompagné  des  membres  du  saint  synode 
et  des  hégoumènes  de  la  Ville  Sainte.  Ar- 
rivé à  la  pierre  de  l'onction,  au  lieu  que  les 
Grecs  appellent  à-oxaOr^AojT-.;,  il  trouve 
les  deux  chœurs  des  chantres  qui  chantent 
une,  deux  ou  trois  fois  Vapolytikion  (3)  de 
la  fête.  Par  exception,  le  dimanche  de  l'Or- 
thodoxie, ils  chantent  les  quatre  tropaires 
à  la  Sainte  Trinité,  qui  font  partie  du  noc- 
turne dominical  ordinaire  (4). 

Or,  ce  sont  ces  entrées  du  patriarche 
qu'on  appelle  rapoT^T'ia-.  (5),  et  ces  venues 
des  chantres  à  sa  rencontre  qu'on  nomme 
TTpoj-avTY^TS'.^.  Notre  brochure  contient, 
p.  i2-It,  les  tropaires  chantés  dans  ces 
occasions,  qu'on  trouverait  aussi  bien, 
d'ailleurs,  dans  les  livres  liturgiques. 

Quant  aux  À'-avs^a-.  de  notre  titre,  aux 
processions,  elles  ont  lieu  ainsi.  Le  jour 
même  des  neuf  fêtes  énumérées  ci-dessus, 
après  la  messe,  le  patriarche,  accompagné 
de  tout  le  clergé  encore  revêtu  des  orne- 
ments sacrés,  se  dirige  vers  l'édicule  du 
Saint -Sépulcre,  le  xo'joo-jxa'.ov.  comme 
disent  les  Grecs;  le  cortège  en  fait  trois 

m  L'édition  de  1901  ne  parle  pas  de  cette  fête, 
qui  a  sans  doute  été  ajoutée  récemment  à  la  liste 
traditionnelle,  on  devine  pour  quelle  raison. 

(21  Patron  du  patriarche  actuel;  le  jour  changera, 
bien  entendu,  avec  son  successeur. 

(3)  Un  des  principaux  tropaires  de  l'office;  voir 
S.  Pétridès,  Apulytikion,  dans  le  Dictionnaire 
d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie  de  Dom 
Cabrol,  t.  I",  col.  2602. 

(4)  Par  exception  encore,  aux  létes  de  saint 
Nicolas  et  de  saint  Damien,  le  patriarche  entre 
dans  l'édicule  du  Saint-Sépulcre,  et  les  chantres 
exécutent  leurs  tropaires  devant  le  monument. 

(5)  Je  ne  connais  pas  d'autre  exemple  de  ce  mot 
pris  avec  cette  signification. 


fois  le  tour,  puis  se  dirige  successivement 
vers  le  lieu  de  la  Descente  de  la  croix, 
vers  les  chapelles  de  la  Couronne  d'épines, 
de  l'Invention  de  la  croix,  de  la  Division 
des  vêtements,  de  Saint-Longin,  vers  le 
lieu  du  Noli  me  tangere,  et  on  rentre  dans 
le  catholicoti,  que  nous  appelons  le  chœur 
des  Grecs. 

Autour  du  Saint-Sépulcre,  les  chœurs 
chantent  un  très  curieux  poème  de  vingt- 
quatre  tropaires  avec  acrostiche  alphabé- 
tique. Ce  poème  est  dialogué,  c'est-à-dire 
que  chaque  tropaire  est  mis  dans  la  bouche 
d'un  ou  plusieurs  des  personnages  évan- 
géliques  :  Marie,  mère  de  Jésus,  Marie, 
mère  de  Cléophas,  Marie-Madeleine,  Sa- 
lomé,  saint  Jean,  Joseph,  Nicodème;  le 
dernier  est  une  prière  des  assistants.  A  la 
suite  du  poème,  trois  autres  tropaires. 

A  la  Descente  de  la  croix,  on  chante 
trois  tropaires;  devant  chacune  des  quatre 
chapelles,  un  tropaire.  Au  Noli  me  tan- 
gere, le  8"  sca-oTTî'.Aàp'.ov  de  l'empereur 
Constantin  Porphyrogénète  (1);  à  la  ren- 
trée dans  le  catholicon,  un  fragment  du 
psaume  lxxvi  (lxxvii),  versets  14-15  (2). 

Tous  les  textes  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion sont  contenus  dans  la  brochure, 
p.  3-1 1  :  il  aurait  été,  semble-t-il,  plus  lo- 
gique de  les  placer  après  les  chants  fixés 
pour  la  réception  du  patriarche. 

Notons  que  chaque  dimanche  matin  un 
évêque,  quelquefois  même  le  patriarche, 
fait  avec  quelques  hégoumènes  ou  archi- 
mandrites une  entrée  plus  ou  moins  solen- 
nelle. Mais  il  n'y  a  pas  de  chants  exécutés, 
pas  plus  qu'à  la  fin  de  la  messe  pour  sa 
sortie. 

*  * 

Le  second  recueil  dont  nous  avons  à 
parler  a  été,  m'a-t-on  dit,  composé  vers 
le  milieu  du  siècle  dernier,  par  les  profes- 
seurs de  l'Ecole  théologique  de  Sainte- 
Croix;  il  est  en  usage  pour  la  réception 

(n  Cet  empereur  est  l'auteur  de  onze  tropaires 
portant  ce  nom  et  chantés  à  tour  de  rôle  chaque 
dimanche  vers  la  fin  de  l'office  de  l'aurore. 

(2)  Ces  versets  constituent  le  (lÉya  irpo-/.£i(A£vov 
chanté  aux  secondes  Vêpres  des  fêtes  de  Notre- 
Seigneur. 


274 


ÉCHOS    d'orient 


officielle  au  Saint-Sépulcre  des  groupes 
de  pèlerins  un  peu  importants,  d'une 
vingtaine  de  personnes  au  moins. 

Son  titre  est  :  '^'.or/'.-zr^ç  •jjj.vwoôç'tI  jxeXcj)- 

ijievo'. xal ÀiTavîyovTS^  £'.? Ta  svtôs  toG Tzaviipou 
vaoO  r/iç  'Avaorràffstoç  7tav3"£êao":a  Tupoo-xuv/j- 
uia^a  xal  8c^a  -apsxx/.r^T-.a.  imprimé  à  Jéru- 
salem en  1893,  par  ordre  du  patriarche 
Gérasime  h'',  il  compte  120  pages  in-S"; 
il  est  orné  de  36  naïves  gravures.  C'est 
la  cinquième  édition  de  l'ouvrage  que  j'ai 
sous  les  yeux  (i). 

Les  pèlerins  baisent  le  Saint-Sépulcre; 
un  sacristain  distribue  des  cierges  à  cha- 
cun; les  chœurs,  rangés  devant  l'édicule, 
chantent  quatorze  tropaires  et  le  prêtre 
qui  préside  la  cérémonie,  assisté  d'un 
diacre,  lit  une  explication  appropriée  en 
grec  moderne.  De  là,  on  se  rend,  le  prêtre 
et  le  diacre  en  tête,  au  lieu  du  Noli  metan- 
gere,  au  chant  d'un  tropaire  appartenant 
à  la  catégorie  des  megalynaria,  et  du  hui- 
tième èça-oo-Tsùàpiov;  nouvelle  lecture  par 
le  prêtre. 

La  procession  visite  ensuite  les  chapelles 
de  la  Flagellation,  de  laPrison(2),  deSaint- 
Longin,  de  la  Division  des  vêtements,  des 
Saints-Constantin  et  Hélène  (avec  la  grotte 
de  l'Invention  de  la  croix)  et  du  Couron- 
nement d'épines.  Durant  le  trajet  d'une 
station  à  l'autre,  on  chante  quatre  tro- 
paires :  les  vingt-quatre  tropaires  réunis 
forment  un  poème  à  acrostiche  alphabé- 
tique. Au  lieu  même  de  la  station,  le  prêtre 
encense;  le  diacre  dit  une  collecte  (3)  où 
sont  commémorés  les  pèlerins;  le  prêtre, 
une  oraison  sur  les  assistants,  qui  inclinent 
la  tête,  puis  une  lecture  explicative.  A  la 
chapelle  du  Couronnement  d'épines,  avant 
la  collecte,  le  diacre  lit  un  évangile,  Matth. 
xxvii,  27-32. 

De  cette  chapelle,  la  procession  monte 
au  Calvaire  au  chant  d'un  autre  poème 


(i|  Il  existe  une  édition  plus  récente,  de  1895. 

(2)  En  grec,  twv  x/anàiv  xal  rf,;  6îotôxo"j. 

(3)  J'appelle  collecte  ces  invitations  à  prier  à 
telle  et  telle  intention  que  le  diacre  adresse  si  fré- 
quemment au  peuple  et  auxquelles  on  répond  : 
Kyrie  eleison.  V 


à  acrostiche  alphabétique,  plus  un  tro- 
paire final  de  même  rythme.  Encensement 
par  le  prêtre.  Le  diacre  lit  un  évangile, 
Matth.  xxvii,  33-54,  et  la  collecte;  le  prêtre 
dit  une  oraison  et  fait  une  lecture,  et  les 
pèlerins  vénèrent  le  lieu  de  la  Crucifixion 
au  chant  de  trois  tropaires  exécutés  «  len- 
tement et  avec  mélodie  ». 

On  redescend  en  chantant  le  poème 
dialogué  à  acrostiche  alphabétique  que  j'ai 
signalé  déjà  dans  la  brochure  précédente. 
Au  lieu  de  la  Descente  de  croix,  le  diacre 
lit  un  évangile,  yoa«.  xix,  38-42,  et  la  col- 
lecte. Le  prêtre  récite  une  oraison  et  lit 
une  explication,  suivie,  sans  autres  chants, 
de  trois  autres  se  rapportant  au  lieu  du 
Crâne,  au  lieu  des  Myrophores  ou  saintes 
femmes,  aux  tombeaux  de  Joseph  et  Nico- 
dème. 

Le  cortège  revient  au  Saint-Sépulcre  et 
fait  trois  fois  le  tour  de  l'édicule,  tandis 
que  les  chœurs  chantent  un  autre  poème 
à  acrostiche  alphabétique.  Le  prêtre,  non 
plus  le  diacre,  lit  un  évangile,  Matth. 
xxvn,  62-66;  xxviiF,  1-20.  Collecte  par  le 
diacre  et  oraison  par  le  prêtre. 

Enfin  on  rentre  dans  le  catholicon  au 
chant  de  deux  tropaires  tirés  de  l'office 
de  la  consécration  des  églises  et  la  céré- 
monie se  termine  par  une  formule  spéciale 
à'apolysis,  ou  renvoi  des  fidèles. 

La  brochure  contient  encore,  p.  63-120, 
comme  une  espèce  de  supplément  : 

1°  Un  hymne  sur  le  Saint-Sépulcre,  avec 
un  xov-ràxiov  ou  prélude,  et  vingt-quatre 
olxo».  ou  strophes  à  acrostiche  alphabé- 
tique, sur  le  rythme  de  Vhymtie  acatUste. 

2°  Une  7rapàxXr,T',;  au  Saint-Sépulcre, 
dont  la  pièce  principale  est,  comme  d'or- 
dinaire,un^fl«owdudeuxièmetonplagal(i). 

30  Une  prière  au  Saint-Sépulcre. 


La  troisième  brochure  qui  nous  reste 
à  examiner  est  intitulée  :  'AxoÀo-jO'la  Upà 


(i)  Une  des  dévotions  les  plus  répandues  chez 
les  Grecs  est  de  faire  célébrer  par  un  prêtre,  moyen- 
nant honoraires,  un  office  appelé  TrapàxXriai;,  d'or- 
dinaire en  l'honneur  de  la  Sainte  Vierge  ou  de 
quelque  saint. 


LE   PROPRE    GREC    DE  JÉRUSALEM 


275 


T,u.(j>v  OîotÔzo'j  xal  iî'.TrasOsvo'j  Mao'laç.  Elle 
a  été  imprimée  par  ordre  du  patriarche 
Nicodème  l^r,  en  1885,  à  Jérusalem,  à  l'im- 
primerie patriarcale  du  Saint-Sépulcre,  et 
compte  6  -r  3  -+-  41  pages  in-S». 

Les  six  premières  pages,  non  chiffrées, 
comprennent,  outre  le  titre,  une  courte 
préface.  On  y  signale  une  deuxième  édi- 
tion, parue  sous  le  patriarche  Cyrille  II,  et 
une  première,  imprimée  à  Venise  chez 
François  Andreola  en  1836,  44  pages 
in-8''  (i).  On  nous  donne,  e.i  outre,  les 
renseignements  suivants. 

D'après  une  ancienne  coutume  (2),  la 
veille  de  la  Dormition  de  la  Mère  de  Dieu, 
a  lieu  à  Jérusalem  une  cérémonie  particu- 
lière: le  clergé  entourant  le  tombeau  de 
la  Vierge,  on  chante  des  ÈY/.iô;j.'.a  ou 
louanges  à  l'Assomption,  comme  la  nuit 
du  Samedi-Saint  au  tombeau  du  Sauveur. 
Divers  chants  ont  été  composés  sur  ce 
sujet  par  plusieurs  savants;  le  plus  célèbre 
était  dû  au  Grand  Rhéteur  Manuel  ;  pendant 
longtemps  c'est  lui  qui  était  exécuté  dans 
l'église  de  la  Dormition  à  Gethsémani  (^). 
En  178;,  le  patriarche  Abramios  confia 
le  soin  de  retoucher  l'œuvre  de  Manuel 
au  biérodidascale  Procope,  originaire  du 
Péloponèse,  professeur  à  l'école  patriar- 
cale, qui  crut  préférable  de  fournir  une 
œuvre  nouvelle  de  son  crû.  C'est  l'office 
actuel,  resté  assez  longtemps  manuscrit, 
puis  imprimé,  comme  on  l'a  dit,  à  Venise 
en  1836,  puis  à  Jérusalem  sous  Cyrille  II, 
avec   des    corrections  exécutées   par  un 

(li  Notre  bibliothèque  possède  un  exemplaire 
de  cette  première  édition,  avec  le  timbre  armorié 
du  métropolite  Chrysanthe  de  Corfou,  qui  avait 
souscrit  pour  le  chiffre  considérable  de  5o  exem- 
plaires, comme  en  témoigne  la  liste  des  souscrip- 
teurs insérée  à  la  an  du  volume. 

f2)  De  l'aveu  même  de  l'auteur,  elle  remonterait 
au  plus  au  xvr  siècle.  Notons  ici  que  la  pratique 
de  Jérusalem  a  failli  s'étendre  dans  le  patriarcal 
de  Constantinople,  mais  qu'elle  a  été  rejetée  offi- 
ciellement comme  une  nouveauté. 

(3)  11  s'agit  de  huit  canons  à  la  Sainte  Vierge 
par  Manuel,  sur  lesquels  on  peut  voir  .•\.  P.  Kera- 
MEus,  dans  Jlxo-ixviiz.  'Eirîrr.pî;,  t.  VI.  Athènes, 
IQ02,  p.  87,  ou  peut-être  de  ses  Megalynaria  sur 
l'Assomption,  imprimés  à  Venise  en  1626.  Voir 
E.  Legrand,  Bibliographie  hellénique,  xvii*  siècle, 
t.  I",  p.  202. 


autre  Péloponésien,  Samuel,  cathégou- 
mène  de  Gethsémani,  enfin,  encore  à  Jéru- 
salem en  1885,  avec  de  nouvelles  correc- 
tions  

L'acolouthie  à  laquelle  nous  avons  af- 
faire n'est  pas  destinée  à  remplacer  celle 
de  la  Dormition  que  nous  trouvons  dans 
es  livres  liturgiques  de  l'Eglise  grecque  : 
là  l'origine,  elle  s'intercale  seulement  dans 
Voffkede  l'aurore;  plus  tard,  celui-ci  a  été 
considérablement  abrégé. 

Si  on  consulte  une  édition  du  Triô- 
dion  (i),  on  observe  à  l'office  de  l'aurore 
du  Samedi-Saint  l'addition  de  sticbères  (2) 
au  «  psautier  »  du  Jour.  Ce  jour-là,  comme 
les  autres  samedis  d'ailleurs,  les  trois 
divisions  du  psautier  sont  formées  par  les 
trois  divisions  de  l'unique  psaume  cxvm. 
Les  sticbères  comprennent  eux  aussi  trois 
divisions,  marquées  par  la  différence  du 
rythme.  Soit  les  manuscrits,  soit  les  livres 
imprimés  leur  donnent  le  nom  d's-'.Tà-^'.o; 
OsT.vo;,  lamentation  funèbre,  ou  d'£-'x(ô;j.!,a, 
éloges  (3). 

C'est  cette  particularité  de  l'ofïice  du 
Samedi-Saint  qui  a  été  imitée  à  Jérusalem 
pour  la  Dormition.  On  n'a  pas  songé  que 
le  psaume  cxviii  est  réservé  au  samedi, 
ou  encore  on  n'a  plus  songé  qu'à  ceci, 
qu'il  est  partie  intégrante  de  l'office  des 
funérailles,  et  on  lui  a  composé  des  sti- 
cbères sur  le  rythme  de  ceux  du  Samedi- 
Saint,  sticbères  auxquels  le  sous-titre  de  la 
première  édition  garde  le  nom  d'i'.'xtôu.'.i. 

En  outre,  l'office  de  l'aurore  comporte 
le  samedi  une  série  de  tropaires  consacrés 
au  souvenir  des  défunts,  le  dimanche  une 


(i)  Livre  contenant  le  propre  du  temps  prépa- 
ratoire à  la  fête  de  Pâques,  depuis  le  dimanche 
du  Publicain  et  du  Pharisien  «dimanche  avant 
notre  Septuagésime»  jusqu'au  Samedi-Saint  inclu- 
sivement. 

(2>  On  nomme  stichères  les  tropaires  qui  sont 
intercalés  par  les  chantres  entre  les  versets  scrip- 
tural res. 

(3)  Les  plus  anciens  manuscrits  du  Triôdion 
que  j'ai  pu  consulter  ne  renferment  pas  ces  sti- 
chères; j'ignore  à  quelle  époque  ils  remontent  et 
quel  en  est  l'auteur.  A  ce  propos,  je  signale  aux 
chercheurs  l'œuvre  de  Michel  Philès  dans  le  cod. 
graec.  7  de  la  Bibliothèque  angélique,  à  Rome, 
fol.  3  V  et  25 1  V,  dont  le  texte  est  malheureuse- 
ment en  mauvais  état. 


276 


ÉCHOS    d'orient 


autre  séiie  consacrée  à  là  résurrection; 
ce  sont  les  £Ù).oyrjTàp!.a  vsxptÔT'.aa  et  les 
s'jÂ0Yr,Tàpt.a  àvaTTào-!,u7..  Par  une  exception 
unique,  le  Samedi-Saint,  ces  tropaires 
résurrectionnels  remplacent  les  tropaires 
des  morts.  A  Jérusalem  aussi  on  a  voulu 
avoir  quelque  chose  de  pareil,  et  l'on  a 
fabriqué  des  £'j).oyyiTàp'.a  à  la  louange  de 
la  Théotocos. 

Le  Samedi-Saint,  à  la  fin  de  l'office  de 
l'aurore,  a  lieu  une  procession  très  solen- 
nelle où  l'on  porte  Vir.i-zàoioç,  linge  riche- 
ment brodé  représentant  l'ensevelisse- 
ment du  Christ.  Ce  rite  encore  a  été  intro- 
duit à  Jérusalem 

Notre  brochure,  à  la  suite  de  la  pré- 
face, en  trois  pages  chiffrées  a'-;'  donne 
de  la  cérémonie  cette  description,  que  je 
traduis  à  peu  près  mot  à  mot. 

La  veille  de  la  Dormition,  le  14  août  (  i  ), 
Sa  Béatitude  le  patriarche,  avec  les  autres 
évêques  et  tout  le  clergé,  descend  dès  le 
matin  à  Gethsémani  (2  ),  et  y  reste  sous  des 
tentes  dressées  à  cet  effet  (3).  Lorsque  tout 
est  prêt,  le  cathégoumène  de  Gethsémani 
avertit  le  patriarche,  ou  en  son  absence 
ses  épitropes  et  les  autres,  et  le  cortège  se 
dirige  vers  l'église.  Au  sommet  des  degrés 
de  l'escalier  se  tiennent  les  prêtres  en  or- 
nements sacrés,  portant  l'évangéliaire  et 
l'image  de  la  Dormition,  Jes  diacres  avec 
les  encensoirs,  et  l'hégoumène  avec  l'encens 
et  l'eau  de  rose.  Celui-ci  avance  à  la  ren- 
contre du  patriarche  qui,  ayant  revêtu  le 
mandyas  (4)  et  pris  la  crosse,  vénère  et  baise 
l'évangéliaire  et  l'image,  puis,  la  croix  à  la 
main,  descend  l'escalier  en  bénissant  le 
peuple.  Les  diacres  l'encensent,  il  est  pré- 


(r)  La  première  édition  dit  le  i5  ou  le  24  aoiit; 
ce  dernier  jour  est  celui  où  se  termine  la  fête. 

(2)  C'est-à-dire  à  l'église  du  Tombeau  de  la 
Sainte-Vierge,  dont  il  ne  reste  que  la  crypte  où 
l'on  descend  par  un  escalier  de  quarante-huit 
marches. 

(3)  Une  foule  de  pèlerins  viennent  aussi  camper 
là  en  plein  air,  sous  la  tente  ou  sous  des  abris  de 
feuillage.  Outre  les  orthodoxes  arabes,  grecs,  russes 
il  y  a  un  grand  nombre  d'Arméniens  et  d'Arabes 
musulmans.  Le  coup  d'oeil  est  très  pittoresque, 
mais  il  y  a  des  scènes  fort  peu  édifiantes. 

(4)  Grand  manteau  que  les  évêques  grecs  revêtent 
pour  une  cérémonie  à  laquelle  ils  doivent  être 
plutôt  assistants  qu'officiants. 


cédé  par  les  prêtres  et  les  psaltes  qui  chantent 
Vapolytikion  de  la  fête,  et  suivi  des  évêques 
et  du  clergé.  Arrivé  au  milieu  de  l'église, 
il  bénit  comme  d'habitude,  et  les  psaltes 
chantent  :  £•.;  TioÀXà  E-rr,,  oécrroTa  (=  Ad 
multos  annos,  dojnine);  puis  il  monte  au 
trône,  l'hégoumène  lui  baise  la  main,  et 
les  psaltes  chantent  son  polychronis- 
mos  (i).  Les  prêtres  revêtent  alors  leurs 
ornements,  et  les  évêques  prennent  l'éiole 
et  Vomophorion  (2);  le  patriarche,  au  chant 
du  tropaire  :  àvfoOsv  o\  7rûO'.pT,Ta'.,  entre  dans 
le  caiholicon,  revêt  tous  ses  ornements 
pontificaux  et  encense,  en  en  faisant  le 
tour,  le  ///  funèbre  de  la  Mère  de  Dieu, 
placé  au  milieu.  Puis  il  dit  I'eùXovyjto;,  et, 
tandis  que  les  psaltes  continuent  le  trisa- 
gion  et  les  autres  formules  initiales  de  tout 
office,  les  prêtres  soulèvent  le //7  et  le  trans- 
portent sous  le  lustre  au  milieu  de  l'église, 
en  face  du  koubouklion  (3).  Le  clergé  se 
range  tout  autour.  Le  patriarche  entre  dans 
le  tombeau  de  la  Mère  de  Dieu,  encense  et 
commence  la  première  division  des  encomîa; 
puis  il  sort,  encense  le  lit  en  forme  de  croix, 
le  clergé  et  le  peuple  ;  à  la  fin  de  la  première 
division,  petite  collecte.  Au  début  des  deux 
autres  divisions,  c'est  un  évêque  qui  fait 
les  encensements;  petite  collecte  à  la  fin 
de  chacune.  Après  les  encomia,  on  chante 
les  E'jX&yTjTàp'.a,  r£;azo(7Ti'.Ààç'.ov,  les  laudes 
et  la  grande  doxologie,  pendant  laquelle  le 
clergé  baise  l'image  de  la  Vierge  placée  sur 
le  lit.  Lorsque  commence  le  trisagion.  les 
prêtres  prennent  de  nouveau  le  lit  et  on 
monte  jusqu'au  sommet  de  l'escalier  où  a 
lieu  une  collecte  avec  mémoire  des  Pères 
et  de  tous  les  pèlerins.  Le  patriarche  bénit 
le  peuple  au  chant  de:  tU  t.oIax  "étt,,  oÉsTrora. 
On  redescend  au  chant  de  trois  tropaires 
indiqués  dans  la  brochure.  Le  lit  est  replacé 
dans  le  caiholicon:  le  patriarche  dit  Vapo- 
lysis,  et  le  clergé  retourne  sous  les  tentes 
pour  s'y  reposer.  Le  ///  de  la  Mère  de  Dieu 
reste  au  même  endroit  jusqu'au  dernier 
jour  de  la  fête,  c'est-à-dire  jusqu'au  24  août. 
Tous  les  jours,  les  fidèles  viennent  le  baiser 


(i)  Formule  liturgique  de  souhaits  de  longue  \ie. 

(2)  Ornement  analogue  au  pallium  romain,  mais 
porté  par  tous  les  évêques  grecs. 

(3)  On  appelle  koubouklion  l'édicuJe  du  Saint- 
Sépulcre  et  par  extension  un  monument  dressé 
dans  les  églises  le  Samedi-Saint  pour  représenter 
le  tombeau  divin.  Ici  le  mot  s'applique  au  tombeau 
de  la  Sainte  Vierge. 


LES    PHILOPONES    D  OXYRHYNQUE    AU    IV*    SIECLE 


277 


et  passent  au-dessous  par  dévotion  (i);  la 
brochure  contient  deux  tropaires  chantés 
à  la  fin  de  la  messe  pendant  cette  opération. 
Le  24  août,  à  la  fin  de  la  messe,  l'image 
de  la  Sainte  Vierge,  accompagnée  de  cierges 
et  d'encensoirs,  est  transportée  solennelle- 
ment au  metochion  1 2  )  de  Gethsémani,  qui 
est  situé  en  face  du  Saint-Sépulcre. 

Ceux  de  nos  lecteurs  qui  sont  familia- 
risés avec  la  structure  àtV office  de  V aurore 
au  rite  byzantin,  l'auront  reconnu  dans  la 


description  précédente,  avec  les  additions 
imitées,  comme  nous  l'avons  dit,  de  l'of- 
fice du  Samedi-Saint,  et  la  suppression  de 
tout  le  début  ordinaire  de  l'office  du  matin . 
Cette  suppression,  due  à  un  désir  d'abréger 
des  cérémonies  bien  longues,  est  d'ailleurs 
récente,  puisqu'elle  n'est  pas  indiquée 
dans  l'édition  de  1836. 

t   SOPHRONE    PÉTRIDÈS. 
Constantinople. 


LES  PHILOPONES  D'OXYRHYNQUE  AU  IV'  SIÈCLE 


On  se  rappelle  sans  doute  les  deux 
articles  consacrés  ici  même  par  notre  re- 
gretté confrère,  le  P.  Pétridès,  aux  spoudœi 
et  aux  philopones  (3).  Dès  le  début  de 
sa  seconde  étude,  il  résumait  ainsi  les 
résultats  auxquels  de  nombreux  docu- 
ments lui  avaient  permis  d'aboutir. 

Dans  un  précédent  article,  j'ai  démontré 
l'existence  à  Constantinople  et  à  Jérusalem 
d'une  sorte  de  confrérie  composée  de  chré- 
tiens plus  zélés,  vivant  au  milieu  du  monde, 
mais  y  pratiquant  une  vertu  plus  austère 
que  le  commun  des  fidèles.  De  nouvelles 
recherches  me  permettent  aujourd'hui  de 
confirmer  sur  les  points  essentiels  les  résul- 
tats acquis,  de  préciser  certains  détails,  et 
de  dire  que  les  associations  de  spoudœi, 
ailleurs  appelés  philopones,  compagnons, 
d'autres  noms  peut-être,  ont  couvert  l'Orient 
grec  du  iv'  au  vu*  siècle.  C'est,  je  crois,  la 
première  fois  qu'on  met  en  évidence  ce  fait, 
qui  ne  manque  pas  d'un  certain  intérêt 
pour  l'histoire  de  l'Eglise  (4). 

Ces  confréries  religieuses  de  pieux 
laïques,    le   P.    Pétridès   les    retrouvait   à 


(Il  Cette  coutume  populaire  est  observée  aussi 
pour  le  koubouklion  du  Samedi-Saint. 

(21  Le  metochion  est  une  espèce  de  procure  que 
les  monastères  possèdent  en  ville. 

(3)  Le  monastère  des  Spoudœi  à  Jérusalem  et 
les  Spoudœi  à  Constantinople,  dans  Echos  d'Orient 
(1901),  t.  IV,  p.  225-23 1,  et  Spoudœi  et  Philopones, 
op.  cit.  (1904),  t.  VU,  p.  341-348. 

(4)  Echos  d'Orient,  t.  VII,  p.  341. 


Constantinople,  dans  l'ile  de  Chypre,  à 
Jérusalem,  à  Beyrouth,  à  Antioche,  sur 
divers  points  de  l'Egypte,  et  cela  depuis 
la  fin  du  iv«  siècle  jusque  vers  le  milieu 
du  vu*'.  Le  plus  ancien  témoignage  cité 
par  lui  paraît  être  la  «  lettre  de  l'évêque 
Ammon  sur  la  vie  de  saint  Pachôme  et 
de  saint  Théodore,  écrite  vers  400  »,  mais 
parlant,  à  propos  de  l'exil  de  saint  Atha- 
nase  sous  Constance,  en  340  ou  3^6,  des 
souffrances  endurées  par  les  moines,  les 
vierges  et  les  laïques  spoudaei  (i). 

Le  hasard  d'une  lecture  m'a  fait  décou- 
vrir un  document,  édité  du  reste,  bien 
plus  ancien  que  tous  ceux  qui  étaient 
cités  jusqu'ici  et  qui  atteste  l'existence 
d'une  confrérie  de  ce  genre  à  l'aurore 
même  du  iv«  siècle.  Il  s'agit  d'une  lettre  de 
Pierre  le  Martyr,  patriarche  d'Alexandrie, 
que  son  éditeur  a  datée  de  l'année  3 1 2  (2). 
Pierre  y  raconte  la  visite  qu'il  fit  à  la  com- 
munauté chrétienne  d'Oxyrhynque,  au- 
jourd'hui Behnésé,  alors  métropole  de  la 
province  de  l'Heptanomos  en  Egypte,  et 
l'accueil  cordial  qu'il  y  reçut. 

Vous  savez  que,  en  fuyant  pendant  de 
longs  jours  d'un  lieu  dans  un  autre  par 

(i)  Echos  d'Orient,  t.  VU,  p.  343. 

(2)  ScH.viiDT,  Fragmente  einer  Schri/t  des  Maer- 
ty^rbischofs  Petrus  von  Alexandrien  dans  les 
Texte  und  Untersuchungen  de  Harnack,  N.  F. 
t.  V,  fasc.  IV  (Leipzig,  igoi). 


278 


ÉCHOS   d'orient 


crainte  de  Dioclétieii  et  de  sa  persécutioji 
qui  est  encore  dirigée  contre  nous,  j'allai 
dans  le  sud  de  l'Egypte  jusqu'à  ce  que  j'ar- 
rivasse à  Oxyrhynque.  Là,  je  fus  reçu  avec 
joie  et  avec  une  grande  jubilation  par  les 
clercs,  par  les  philopones  et  par  le  peuple 
croyant  (i). 

L'énumération  est  claire,  les  philopones 
occupent  une  place  intermédiaire  entre 
le  clergé  d'une  part,  et  les  simples  chré- 
tiens d'autre  part.  Ce  ne  sont  pas  des 
moines,  comme  le  laisse  entendre  l'éditeur 
de  notre  document  (2);  le  P.  Pétridès  a 
réuni  trop  de  témoignages  précisant  la 
signification  de  ce  mot,  pour  que  nous 


hésitions  encore,  A  Oxyrhynque  comme 
ailleurs,  nous  sommes  en  présence  d'une 
pieuse  confrérie  de  laïques  zélés  pour  la 
religion  et  en  particulier  pour  l'exercice 
du  culte.  La  lettre  du  patriarche  Pierre 
atteste  que  l'institution  est  beaucoup  plus 
ancienne  qu'on  ne  pouvait  se  l'imaginer, 
puisqu'elle  en  constate  l'état  florissant 
dans  une  ville  d'Egypte  dès  le  début  du 
ive  siècle,  entre  les  années  303  et  305 
selon  toute  vraisemblance.  A  quand  re- 
monte cette  sorte  de  confrérie  et  qui  l'a 
établie  le  premier,  c'est  ce  que  «nous  igno- 
rons encore  (1).  Siméon  Vailhé, 

Constantinople. 


UN   MANUSCRIT   CHRÉTIEN    EN    DIALECTE    TURC 
LE   «  CODEX   CUMANICUS   » 


La  bibliothèque  de  Saint-Marc,  à  Venise, 
possède  un  manuscrit  connu  sous  le  nom 
de  Codex  Cumanicus.  Daté  de  l'an  1303, 
il  est  écrit  dans  le  dialecte  parlé  alors  par 
un  peuple  de  race  turque  établi  en  Hon- 
grie et  en  Russie  méridionale,  les  Comans. 
On  l'appelle  aussi  quelquefois  Codex  de 
Pétrarque,  du  nom  du  célèbre  poète  ita- 
lien qui  en  fit  l'acquisition  peu  d'années 
après  sa  rédaction.  On  sait  que  Pétrarque, 
né  en  1304,  est  mort  en  1374.  Le  Codex 
Cumanicus  était  compris  dans  la  série 
d'ouvrages  que  l'illustre  écrivain  légua  à 
la  République  de  Venise  (4).  Avant  de 
tomber  entre  les  mains  de  Pétrarque,  le 
manuscrit  avait  d'abord  appartenu  à  un 
certain  Antoine  de  Finale  (5),  qui,  s'il  ne 


(i)  ScHMiDT,  op.  cit.,  p.  7  sq.,  col.  1. 

(2)  ScHMiDT,  op.  cit.,  p.  35,  n.  3. 

(3)  Je  tiens  à  prévenir  le  lecteur  que  ces  pages 
ne  veulent  être  qu'une  courte  introduction  à  une 
monographie  historique  du  peuple  turc  connu  au 
moyen  âge  sous  le  nom  de  Comans. 

(4}  ToMASiM,  Petrarcha  redirivus.  Padoue,  i65o, 
p.  71-73. 

(5)  Cette  indication  est  fournie  à  la  page  i56  du 
Codex  ■  Iste  liber  est  di  Ant.  de  Filiale 


l'avait  pas  apporté  lui-même  du  pays  des 
Comans,  devait  le  tenir  soit  de  mission- 
naires, soit  de  marchands  vénitiens  ou 
génois. 

C'est  un  in-4ode  164  pages.  11  est  divisé 
en  deux  parties  :  l'une  a  dû  être  écrite  par 
des  Italiens,  à  en  juger  par  la  transcrip- 
tion et  le  contenu;  l'autre  par  des  Alle- 
mands, toutes  deux  probablement  par  des 
missionnaires  franciscains  qui  évangéli- 
saient,  au  xiif  et  au  xiv^  siècles,  les  di- 
verses tribus  établies  sur  les  bords  de  la 
mer  Caspienne  et  de  la  mer  Noire,  ainsi 
que  dans  certains  districts  de  Hongrie. 

L'ouvrage  débute  par  la-  date  où  il  fut 
rédigé:  MCCCIII,  die  XI  Julii;  puis  par 
une  invocation  du  Christ,  de  la  Vierge  et 
de  tous  les  saints  :  In  nomine  Domini 
Nostrijesu  Christi  et  Beatœ  yirginis  Mariœ 
Matris  ejus  et  omnium  sanctorum  et  sancta- 
rum  Dei.  Amen.  Cette  première  formule 


(i)  La  Revue  des  Etudes  grecques  (1906),  t.  XIX, 
p.  297,  n°  217,  a  publié  également  l'épitaphe  de  Luc, 
Philopone  d'Aphrodisias-Stauropolis,  aujourd'hui 
Ghéré,  ancienne  métropole  religieuse  de  la  Carie; 
par  malheur,  elle  n'est  pas  datée. 


UN    MANUSCRIT   CHRÉTIEN    EN    DIALECTE    TURC  :    LE  CODEX   CUMANICUS 


279 


est  suivie  de  cette  autre  ;  Âd  bonorem  Dei 
et  beati  Johaimis  Evangelistœ. 

La  première  partie  est  un  vocabulaire 
latin-persan-coman.  On  y  voit  d'abord  un 
lexique  alphabétique,  avec  cette  suscrip- 
tion  :  In  boc  libro  conthientur  persicum  et 
comanicum  per  alpbabetiim.  L'ordre  alpha- 
bétique est  celui  des  mots  latins,  dont 
l'équivalent  persan  et  coman  est  donné 
sur  deux  colonnes  parallèles.  Chaque  lettre 
est  annoncée  par  la  formule  :  Hœc  sunt 
verba  de  littera  A,  B,  etc.  Mais  l'ordre 
alphabétique  est  bien  loin  d'être  rigoureux 
et  complet.  La  lettre  A  commence  par  le 
verbe  aiidio,  conjugué  aux  divers  modes, 
temps  et  personnes;  vient  ensuite  le  verbe 
amo,  dont  on  nous  donne  seulement  deux 
temps  de  l'indicatif  et  un  de  l'impératif; 
suivent  les  mots  :  amie  lis,  anior,  accipio,  etc. , 
sans  que  la  succession  des  lettres  de  l'al- 
phabet soit  autrement  respectée.  Après 
ce  dictionnaire  alphabétique  incomplet,  le 
Codex  foucnit  une  liste  d'adverbes,  prépo- 
sitions et  conjonctions;  puis  des  noms  et 
pronoms,  avec  leurs  déclinaisons;  enfin, 
quarante  listes  de  mots  groupés  par  séries 
sousdestitres  généraux  dont  voici  quelques 
exemples  :    Nomina  reriim  qiiœ  pertinent 

Deo  et  ad  serviendum  ei,    Qualitates 

feniponim,  Qiialitates  renim,  No- 
mina berbarum,  bestiarum,  etc. 

On  a  cru  longtemps  que  ces  divers 
lexiques  avaient  pour  auteurs  des  mar- 
chands italiens,  qui  les  auraient  compilés 
dans  un  but  pratique  et  commercial.  Un 
savant  professeur  de  l'Université  de  Lou- 
vain,  M.  W.  Bang,  vient  de  s'inscrire  en 
faux  contre  cette  opinion.  Pourquoi,  dit-il 
en  substance,  Génoisou  Vénitiens  auraient- 
ils  pris  la  peine  de  recueillir  dans  une  caté- 
gorie distincte  les  termes  relatifs  au  culte 
divin,  nomina  rerum  quœ pertinent  Deo  et  ad 
serviendum  ei,  par  exemple,  des  mots  tels 
que  pœnitentia,  confessio,  sanctificatio,  ou 
encore  des  listes  intitulées  :  Complementa 
bominum,  Defecta  bominum,  et  comportant 
des  concepts  purement  abstraits,  sans 
aucun  rapport  avec  les  opérations  mer- 
cantiles? Rien  ne  dénote,  d'ailleurs,  dans 
le  lexique,  les  spécialités  de  denrées  com- 


merciales propres  aux  pays  des  Comans, 
et  que  des  marchands  n'auraient  certaine- 
ment pas  omises.  C'est  ainsi  que,  dans 
ces  listes  de  mots,  on  ne  rencontre  pas  de 
paragraphe  spécial  sur  l'exportation  de  la 
soie  ou  des  fourrures,  sur  le  commerce 
des  poissons  secs,  des  esturgeons,  du 
caviar  et  de  la  colle  de  poisson  qui  avait, 
paraît-il,  une  assez  grande  importance  dans 
la  Comanie  méotique,  c'est-à-dire  sur  les 
bords  de  la  mer  d'Azov,  appelée  autrefois 
Palus  Méotis.  La  variété  du  contenu  con- 
vient bien  plutôt  à  un  missionnaire  qu'à 
un  marchand,  (i)  Aussi  bien,  cette  partie 
du  Codex  est-elle  entreprise  ad  bonorem 
Dei  et  beati  Jobannis  Evangelistœ;  ce  qui 
suppose,  semble-t-il,  un  Ordre  ou  une 
confrérie  religieuse  vénérant  l'apôtre  saint 
Jean  comme  un  de  ses  patrons  (2). 

La  seconde  partie  du  manuscrit,  à  partir 
de  la  page  1 1 1 ,  contient  aussi  des  indica- 
tions lexicales  :  locutions  comanes  avec 
traduction  allemande,  série  de  cinquante 
énigmes  comanes,  etc.,  mais  surtout  des 
textes  religieux,  dont  quelques-uns  assez 
étendus;  des  hymnes  et  des  prières  chré- 
tiennes dont  nous  aurons  à  faire  le  détait 
un  peu  plus  bas,  des  sermons  ou  frag- 
ments d'instructions  sur  certaines  fêtes 
liturgiques  et  sur  d'autres  sujets. 

Au  total,  on  a  calculé  que  le  lexique  du 
Codex  Cumanicus  comprenait  2  500  mots. 
11  n'est  pas  jusqu'aux  formes  latines  qu'il 
présente  qui  ne  puissent  avoir  leur  intérêt 
pour  la  science  philologique.  C'était,  dès 
1828,  l'avis  d'un  excellent  orientaliste,  Kla 
proth,  qui  fut,  nous  allons  le  voir,  le  pre- 
mier éditeur  du  manuscrit  vénitien,  et  qui 
écrivait  : 

Le  latin  même  de  cet  ouvrage  est  curieux, 
et  on  y  trouve  plusieurs  mots  peu  connus. 


(11  w.  Basg,  Beitraege  i{ur  Kritik  des  Codex 
Cumanicus  (Extrait  des  Bulletins  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  classe  des  lettres,  etc.,  jan- 
vier 1911),  p.  34-35.  Cependant  un  paragraphe  spé- 
cial est  réservé  à  la  catégorie  des  noms  désignant 
les  épiées  et  aux  termes  se  rapportant  au  com- 
merce en  général  :  Hœc  continent  de  spetiario  et 
spetiaria,  ...Mercimonia  quœ  pertinent  ad  mer- 
catorem. 

(2)  Ibid. 


28o 


ECHOS    D  ORIENT 


qui  pourraient  former  un  petit  supplément 
à  Du  Gange,  et  qu'on  parvient  à  expliquer 
àl'aidedu  persan  et  du  coman  qui  se  trouvent 
à  côté  (i). 

L'existence  du  précieux  Codex  de  Venise 
n'a  pas  entièrement  échappé  aux  savants 
du  xviie  et  du  xviiie  siècle.  Leibnitz  (1646- 
17 16)  connaissait  le  catalogue  des  livres 
légués  par  Pétrarque  à  la  bibliothèque  de 
Saint-Marc,  mais  ses  efforts  pour  décou- 
vrir le  manuscrit  coman  qui  y  était  signalé 
demeurèrent  sans  résultat  : 

Vidi  catalogujn  librorum  Petrarchœ, 
ubi  inter  altos  libros  conspiciebatur  Dic- 
tionarium  linguœ  Cumanœ:  sed  in  hoc 
indagando  frustra  laboravi  (2). 

11  faut  croire  que  des  raisons  spéciales 
avaient  amené  ce  grand  esprit  à  recher- 
cher les  traces  de  la  langue  comane,  car 
cette  pensée  le  préoccupait,  comme  en 
témoigne  encore  cet  autre  passage  de  ses 
écrits  : 

Semper  mihi  suspicio  fuit,  posse  in  ali' 
quibus  Daciœ  angulis  aliquas  superesse 
reliquias  linguae  Cumanœ  (3). 

Après  Leibnitz,  le  Hongrois  Cornides 
rappela  aussi  aux  savants  l'existence  du 
Codex  Cumanicus.  Plus  heureux  que  le 
philosophe  allemand,  il  put  voir  de  ses 
yeux  et  feuilleter  de  ses  mains  le  précieux 
manuscrit,  en  1770.  11  prit  copie  d'une 
partie  du  vocabulaire  coman,  ainsi  que  de 
quelques  paradigmes  des  déclinaisons  et 
des  conjugaisons,  et  n'eut  pas  de  peine  à 
se  rendre  compte  que  la  langue  du  Codex 
était  un  dialecte  turc  complètement  diffé- 
rent du  hongrois.  11  faut  regretter  que  la 
dissertation  de  cet  érudit  sur  les  Comans, 
Commentatiuncula  historico-critica  de  Cii- 
manis,  soit  demeurée  inédite.  Voici  du 
moins  ce  qu'il  écrivait  de  Vienne,  le  14  fé- 
vrier 1773.,  à  Georges  de  Pray  : 

Quœ  de  lingua  Cumanorum  hungarica 
disputas,  elegantia  sunt,  miroque  excogi- 

(i)  Klaproth,  Mémoires  relatifs  à  l'Asie,  t.  III. 
Paris,  1828,  p.  121. 

(2)  Leibnitz,  Opéra  omnia,  Genève,  1768,  t.  VI, 
p.  II,  p.  188. 

(3)  Ibid.,  t.  V,  p.  224. 


tata  ingenio;  mihi  tamen  non  satisfaciunt. 
Diversum  enim  Gumanorum  fuisse  ser- 
monem  ahungarico,  prêter  Rogerium,  alia 
quoque  ejus  œtatis  monumenta  loquuntur. 
Possem  omnino  nubem  testium  proferre, 
qui  uno  ore  Cumanos  perhibent  Tartaros 
Kipzacos  fuisse,  linguamque  cumanicam 
tartaricœ  dialectum;  certiori  tamen  utar 
argumento,  planequetaliquod  vim  afferat. 
Triennio  abhinc  incidi  Venetiis  in  biblio- 
theca  S.  Marci  in  Godicem  Ms.  in-4°, 
anno  i3oi,  si  bene  memini  (i),  exaratum, 
atque  linguai  cumanicae  vocabularium  vo- 
cumque  cumanicarum  declinationes  con- 
jugationesque  tradentem.  Ex  indultu  Gl. 
Antonii  Zanetti,  bibliothecae  praefecti,  ex- 
scripsi  ex  eo  codice  vocabula  bene  multa, 
et  aliqua  declinationum  conjugationumque 
paradigmata,  comperique  linguam  cuma- 
nicam a  hungarica,  slavonica,  germanica 
cœterisque  linguis  europaeis  toto  cœlo  dif- 
ferre  (2). 

Edité  une  première  fois,  en  1828,  à 
Paris,  parKlaproth,  mais  seulement  d'après 
une  copie  incomplète  et  fautive  ne  con- 
tenant que  la  première  partie  de  tout  le 
manuscrit  (3),  le  Codex  Cumanicus  a  été 
publié  de  nouveau,  et  intégralement,  à 
Budapest,  en  1880,  par  le  comte  Géza 
Kuun  (4).  Avant  ces  publications,  quelques 
auteurs  comme  Pray,  Ottrokocsi,  Horvath, 
Fejér,  avaient  pu  supposer  une  certaine 
parenté  entre  la  langue  comane  et  le 
magyar  ou  hongrois  (5).  Depuis,  le  texte 
du  Codex,  désormais  bien  connu,  a  mis 
tout  à  fait  hors  de  doute  le  caractère  turc 


(i)  Légère  erreur  :  la  date  est  i3o3. 

(2)  Cornides,  Lettre  inédite  à  Georges  de  Pray, 
citée  par  Kuun,  Codex  C«wfln2C«5.  Budapest,  1880, 

p.   XII. 

(3)  H.  J.  VON  Klaproth,  Mémoires  relatifs  à 
l'Asie,  contenant  des  recherches  historiques  et 
philologiques  sur  les  peuples  de  l'Orient.  Paris, 
1824-1828,  t.  III,  p.  II 1-256. 

(4)  Geza  Kuun,  Codex  Cumanicus  bibliothecœ 
ad  templutn  divi  Marci  Venetiarum,  primum  ex 
integro  edidit,  prolegomenis  notis  et  complu- 
ribus  glossariis  instruxit  cornes  Ge^a  Kuun.  Buda- 
pest, 1880. 

(5)  Voir  Horvath,  Commentatio  de  initiis  ac 
majoribus  Ja^ygum  et  Cumanorum  eorumque 
constitutionibus.  Pest.  1801,  c.  vi  ;  Lingua  Cuma- 
norum ac  Jasi{onum  ab  origine  hungarica  fuisse 
declaratur,  p.  105-119.  Cf.  Kuun,  op.  cit.,  p.^  xxv. 


UN    MANUSCRIT   CHRETIEN    EN    DIALECTE   TURC  !    LE   CODEX    CUMANICUS 


281 


de  cette  langue  (i).  Il  est  établi  maintenant 
que  les  Comans  doivent  être  rangés  à 
côté  des  Petchénègues  et  des  anciens  Bul- 
gares, parmi  les  peuples  de  race  turque 
venus  dans  l'Europe  orientale  au  moyen 
âge  et  qui  ont  été  plus  tard  inexactement 
confondus  avec  les  Tartares. 

N'était-ce  pas,^  d'ailleurs,  ce  qu'affir- 
mait déjà  Anne  Comnène  en  signalant  les 
Comans  comme  frères  de  langue  des  Pet- 
chénègues? Un  des  chefs  de  ces  derniers, 
raconte-t-elle  dans  un  épisode  de  son 
Alexiade,  s'avance  vers  les  Comans  comme 
vers  des  frères  de  langue,  pour  parle- 
menter avec  eux  :  -pôo-s'.Tt.  tov;  Kouàvo-.; 
(0.;  6|jLoyX(ÔTTO!,;  (2).  D'autre  part,  le  géo- 
graphe arabe  Edrisi  atteste,  au  xii^  siècle, 
la  différence  absolue  qui  existe  entre  le 
parler  des  Petchénègues  et  celui  des  Hon- 
grois (3).  Ce  témoignage  vaut  aussi  pour 
le  coman,  puisque  la  langue  des  Petché- 
nègues et  celle  des  Comans  sont  iden- 
tiques. 

Aussi  bien,  la  part  une  fois  faite  aux 
éléments  étrangers,  slaves,  magyars,  alle- 
mands, arabes  et  persans  introduits  par 
le  contact  des  populations  voisines  et  par 
les  invasions,  le  vocabulaire  coman  du 
Codex  vénitien  présente,  sur  un  total  de 
2  500,  plus  de  2  000  mots  d'aspect  très 
nettement  turc,  tant  au  point  de  vue  du 
lexique  qu'au  point  de  vue  de  la  gram- 
maire. S'il  faut  en  croire  Blau,  un  des  orien- 
talistes qui  ont  le  plus  étudié  cette  langue, 
le  coman  se  rapproche  beaucoup  du  turc 
bosniaque,  et  surtout  du  dialecte  principal 
des  kanats,  qui  s'est  développé  principale- 
ment dans  le  Khiva,  région  du  Turkestan 


m)  Voir,  par  exemple,  Max  Mueller,  The  Lan- 
guages  in  tfie  seat  of  war,  i855,  p.  96;  R.  Roesleb, 
Romœnische  Studien,  Leipzig,  1871,  p.  338  et  suiv.; 
Blal,  i'eberVolksthum  und  Sprache  der Kumanen, 
dans  Zeitschrift  der  deutschen  morgenlœndischen 
Gesellschaft,  t.  XXIX,  1875,  p.  556-587  ;  W.  Radloff, 
Das  tûrkische  Sprachmaterial  des  Codex  Cuma- 
nicus,  dans  Mémoires  de  l'Académie  impériale 
des  sciences  de  Saint-Pétersbourg,  t.  XXXV,  n*  6. 
Saint-Pétersbourg,  1887;  et  d'autres  auteurs  men- 
tionnés par  KuLN,  op.  cit.,  p.  xxiv-xxv. 

(2)  Anne  Comnène,  Alexiade,  1.  Vlll,  P.  G., 
t.  CXXXl,  col.  625  C. 

(3)  Klun,  op.  cit.,  p.  xLii. 


occidental  aujourd'hui  soumise  à  l'empire 
russe.  La  parenté  est  même  telle,  au  dire 
de  ce  savant,  qu'avec  le  lexique  du  ma- 
nuscrit de  Pétrarque  on  pourrait  se  faire 
comprendre  dans  le  Khiva  sans  avoir 
aucunement  l'air  d'être  un  revenant  du 
xiiF  ou  du  xiv«  siècle  (i). 


C'est,  en  effet,  du  Turkestan  que  les 
Comans  sont  originaires.  Ils  peuvent  se 
glorifier,  comme  peuple,  d'une  belle  anti- 
quité, si  ce  sont  eux,  comme  il  semble 
bien,  qui  sont  désignés  sous  le  nom  de 
Koumani  par  une  inscription  assyrienne 
de  Téglatphalasar  le»"  (ii  18-1093  environ 
avant  J.-C),  à  laquelle  nous  consacrerons 
un  prochain  article  (2). 

Ce  premier  document,  d'une  impor- 
tance exceptionnelle,  et  d'ailleurs  connu 
depuis  peu,  demeure  longtemps  isolé  dans 
l'histoire  des  Comans.  A  part  leur  men- 
tion rapide  dans  les  listes  des  grands  géo- 
graphes anciens,  on  les  perd  de  vue  jusque 
vers  la  fin  du  ix"  siècle  de  notre  ère. 
A  partir  de  cette  époque,  et  surtout  depuis 
le  milieu  du  xi«  siècle,  on  les  voit  s'avancer 
peu  à  peu  vers  l'Occident,  sur  les  fron- 
tières de  l'Europe,  à  la  suite  de  leurs  frères 
de  race  et  de  langue,  les  Petchénègues, 
et  se  répandre  entre  le  Don  et  le  Danube. 
Un  bon  nombre  d'entre  eux  étaient  déjà 
établis  dans  la  Hongrie,  la  Moldavie  et  la 
Valachie  au  moment  de  l'invasion  mon- 
gole. Celle-ci  en  amena  un  tlot  nouveau 
dans  ces  pays  et  dans  les  pays  voisins.  Il 
serait  intéressant  de  suivre  à  travers  l'his- 
toire ce  peuple  migrateur  et  aventurier. 
Ce  sera  la  tâche  d'une  série  d'articles  ulté- 
rieurs. 

Le  récit  des  faits  et  gestes  des  Comans 
se  mêle  intimement  aux  annales  des  Hon- 
grois et  des  Russes  durant  le  moyen 
âge.  Ces  derniers  les  appelaient  Polovtses, 
nom  qui  signifie  probablement  habitants 
de  la  plaine  ou  du  steppe,  c'est-à-dire  du 

(i)  Blau,  op.  cit.,  p.  575. 

(2|  Qu'il  me  suflSse  aujourd'hui  de  renvoyer  le 
lecteur  à  Maspéro,  Histoire  ancienne  des  peuples 
de  l'Orient,  t.  Il,  p.  655-656. 


282 


ÉCHOS   d'orient 


littoral  de  la  mer  Noire  et  de  la  mer  Cas- 
pienne, qui  fut  longtemps  leur  principal 
séjour.  La  dénomination  de  Grande  et 
Petite  Comanie  est  restée  attachée  à  deux 
districts  de  Hongrie,  l'un  en  deçà  de  la 
Theiss,  l'autre  en  deçà  du  Danube. 

Les  Comans  ont  aussi  une  large  part 
dans  l'histoire  des  origines  de  la  Rou- 
manie et  de  la  Bulgarie.  Ils  y  ont  jadis 
exercé  leur  puissance  ;  il  y  a  eu  des  voi- 
vodes  comans  de  Moldavie  et  Valachie; 
et  pendant  trois  siècles,  la  dynastie  co- 
mane  des  Tertérides  a  occupé  le  trône 
de  Tirnovo.  Aujourd'hui  encore,  dans  ces 
divers  pays,  maintes  désignations  de  fa- 
milles, d'hommes  ou  de  lieu  rappellent 
toujours  leur  souvenir.  Koman,  Komanest, 
Komanovo,  Cumanii,  Comarna,  Comar- 
nicul,  etc.,  sont  des  noms  assez  fréquents 
sur  les  cartes  détaillées  de  Transylvanie, 
de  Roumanie  et  de  Bulgarie  (i).  Dans 
cette  dernière  contrée,  un  savant  ethno- 
graphe, M.  Jirecek,  croit  avoir  reconnu, 
dans  les  tribus  des  Gagaouzes  et  des 
Sourgouches,  la  survivance  des  anciens 
Comans  (2). 

Pour  compléter  le  sommaire  des  cha- 
pitres qui  doivent  entrer  dans  une  mono- 
graphie des  Comans,  mentionnons  au 
moins  leurs  incursions  assez  fréquentes 
en  territoire  byzantin,  d'un  côté,  et  de 
l'autre  jusqu'en  Pologne  et  en  Moravie. 
Enfin,  n'oublions  pas  de  signaler  leurs 
rapports  commerciaux  avec  les  marchands 
génois  ou  vénitiens,  ainsi  que  leurs  rela- 
tions, pas  toujours  amicales,  avec  les 
Francs  des  Croisades  (3). 


(i)  Kuun,  op.  cit.,  p.  Lxxxiii;  Roesler,  op.  cit., 
p.  334;  XÉNOPOL,  Histoire  des  Roumains  de  la 
Dacie  trajane  depuis  les  origines  jusqu'à  l'union 
des  principautés  en  1 85g,  t.  I".  Pans,  1893,  p.  162; 
Jirecek,  Das  Furstenthutn  Bulgarien.  Prague,  iHgr, 
p.  64,  144  et  suiv. 

(2)  Jirecek,  op.  et  loc.  cit.  Voir  aussi  un  autre 
ouvrage  du  même  auteur  :  Geschichte  der  Bul- 
garen.  Prague,  1876,  p.  SyS;  et  surtout  sa  disserta- 
tion spéciale  :  Einige  Bemerkungen  iiber  die  IJeber- 
reste  der  Petschenegen  und  Kumanen,  sowie  iiber 
die  Vœlkerschaften  der  sogenannten  Gagau^i  und 
Surguci  im  heutigen  Bulgarien,  dans  Sit^^ungsber. 
der  kgl.  bœhm.  Gesellschaft  der  Wiss.,  1889. 

(3)  Le  lecteur  voudra  bien  me  faire  provisoire- 
ment crédit  des  références  documentaires  suppo- 


Au  surplus,  outre  l'histoire  ethnogra- 
phique et  politique  des  Comans,  il  y  a  l'his 
toire  de  leur  évangélisation  et  des  progrès 
du  christianisme  parmi  eux.  Si  le  Codex 
de  Venise  témoigne  avec  certitude  qu'ils 
sont  de  langue  turque,  il  témoigne  égale- 
ment qu'au  début  du  xiv^  siècle  une  chré- 
tienté comane  existait,  assez  nombreuse, 
assez  ferme,  assez  établie  pour  avoir,  en 
son  idiome  propre,  des  prières,  des  hymnes, 
des  sermons  ou  instructions  catéchis- 
tiques.  On  y  trouve,  par  exemple,  l'Oraison 
dominicale,  la  Salutation  angélique,  le 
Symbole,  le  Confiteor ;  des  instructions 
sur  les  fêtes  de  Noël,  de  saint  Etienne, 
de  l'Epiphanie,  sur  la  Passion  de  Jésus- 
Christ,  sur  le  péché,  sur  la  pénitence,  etc.; 
destraductionsd'hymnescomme  le  Vexilla 
Régis  en  l'honneur  de  la  croix,  les  strophes 
de  Prudence:  A  solis  ortus  cardine,  etc., 
insérées  par  l'Eglise  dans  l'office  de  Noël  ; 
un  poème  assez  long  à  la  Sainte  Vierge, 
le  Psalterium  Mariœ;  l'hymne  Reminiscens 
heati  sanguinis  au  Saint  Sacrement,  etc. 
Pour  cette  dernière,  M.  W.  Bang  a  pu- 
blié récemment  une  courte  notice  cri- 
tique, accompagnée  d'une  photographie 
de  la  page  du  manuscrit  renfermant  cette 
pièce.  On  y  voit  le  texte  coman,  écrit  en 
caractères  latins,  avec  la  notation  en  plain- 
chant  très  clairement  marquée  (i). 

Le  contenu  religieux  du  Codex  Cuina- 
nicus  suppose  donc  une  chrétienté  de  rite 
latin  organisée,  ayant  ses  offices,  ses  réu- 
nions, ses  fêtes,  ses  missionnaires.  La 
mention  de  saint  François  dans  la  formule 
du   Confiteor   permet  de   croire  que   ces 


sées  par  l'énoncé  que  je  viens  de  faire  des  diffé- 
rents peuples  avec  lesquels  les  Comans  ont  été 
en  rapport.  Au  cours  de  mes  recherches,  les  docu- 
ments se  sont  offerts  à  moi  en  telle  abondance, 
que  leur  mise  en  valeur  a  tout  naturellement  donné 
les  proportions  d'un  travail  assez  étendu  à  ce  que 
je  croyais  d'abord  ne  devoir  être  qu'une  simple 
note  occasionnelle.  Les  chapitres  successifs,  dont 
les  titres  sont  donnés,  en  somme,  par  l'énuméra- 
tion  ci-dessus,  fourniront  au  fur  et  à  mesure  toutes 
les  références  utiles. 

(i)  W.  Bang,  Ueber  einen  komanischen  Kommii- 
nionhymnus  (Extrait  des  Bulletins  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  classe  des  lettres,  etc.,  n"  5, 
mai  1910).  Bruxelles,  Hayez,  1910,  11  pages  et 
2  phototypies. 


UN    MANUSCRIT    CHRÉTIEN    EN    DIALECTE   TURC:    LE   CODEX   CUMANICUS 


283 


missionnaires  étaient  des  religieux  Fran- 
ciscains, Ce  détail  porte  à  penser  que  la 
mission  d'où  est  venu  ce  recueil  se  trou- 
vait aux  bords  de  la  mer  Noire,  et  non 
point  en  Hongrie.  Nous  savons  en  effet,  par 
ailleurs,  que  l'évangélisation  des  Comans 
de  Hongrie  avait  été,  en  1227,  confiée 
aux  Dominicains  par  Robert,  archevêque 
de  Gran,  et  par  le  pape  Grégoire  IX,  au 
moment  où  i  s  000  de  ces  barbares  s'étaient 
fait  baptiser  avec  leur  chef;  un  moine  de 
cet  Ordre,  Théodoric,  avait  été  alors  créé 
évêque  des  Comans  (i). 

11  devait  y  avoir  eu  des  conversions  dès 
avant  cette  date,  puisque,  en  1 2 1 7  et  1 2 1 8, 
plusieurs  lettres  du  pape  Honorius  III  si- 
gnalent l'existence  d'un  évêque  des  Co- 
mans, voire  même  d'un  Chapitre  de  cha- 
noines (2). 

Sans  doute,  quelques  Frères  Mineurs 
pouvaient  travailler  à  côté  des  Frères  Prê- 
cheurs dans  la  Comanie  hongroise,  et  les 
recueils  de  lois  ecclésiastiques  du  royaume 
de  Hongrie  enjoignaient  aux  moines  de 
ces  deux  Ordres  d'apprendre  la  langue 
des  Comans  pour  les  convertir  au  christia- 
nisme (3).  Mais  les  Franciscains  qui  ont 
écrit  le  Codex  Ciimanicus  doivent  plutôt, 
croyons-nous,  avoir  été  les  successeurs 
de  ceux  qui,  en  1245,  étaient  allés  évan- 
géliser,  entre  autres  pays,  la  Russie  et  la 
Tartarie.  L'existence  de  nombreux  comp- 
toirs génois  ou  vénitiens  sur  les  côtes  de 
la  mer  Noire  expliquerait  d'ailleurs  assez 
facilement  comment  le  recueil  put  être 
apporté  de  ces  régions  jusqu'à  Venise  (4). 

Aussi  bien,  la  langue  comane  était  alors 
parlée  dans  toute  l'Asie  centrale.  Tout  le 
pays  qui  s'étend  au  nord  et  au  nord-est 
de  la  mer  Noire,  jusqu'au  Kharizm,  parle 
coman  ;  c'est  ce  que  nous  apprend,  en 
1338,  trente  ans  après  la  rédaction  de 
notre  Codex,  le  Franciscain  espagnol 
Pascal  de  Victoria  : 


(i)    A.    PoTTHAST,    Regesta    Pontijicum    Rottia- 
norum.  Berlin,  1874,  t-  '.  n"  7984,  8154,  8i55. 

121  PoTTHAST,  op.  cit.,  Il"  SSgS,  5863,  5864. 
3»  KuuN,  op.  cit.,  p.  XLi. 

14)  Cf.  Bang,  Beitraege  ^ur  Kritik  des  Codex 
Cumanicus,  p.  36-38. 


Prias  volui  linguam  terrae  illius  ad- 

discere,  et  per  Dei  gratiam  addidici  linguam 
Chamanicam  et  litteram  Uiguricam,  qua 
quidem  lingua  et  littera  utuntur  commu- 
niter,  per  omnia  ista  régna  seu  imperia 
Tartarorum,  Persarum,  Chaldœorum.  .Me- 
dorum  et  Cathay  (i  ). 

Au  témoignage  du  Frère  Pascal  de  Vic- 
toria, le  coman  était  donc  la  langue  com- 
mune à  toutes  ces  vastes  contrées.  Quant 
à  ce  que  le  missionnaire  appelle  littera 
Uigiirica,  il  faut  entendre  par  là  l'alphabet 
oigour,  c'est-à-dire  l'alphabet  syriaque  ap- 
porté, dès  le  ve  siècle,  aux  Turcs  orien- 
taux par  les  missionnaires  nestoriens  et 
transformé  par  la  puissante  tribu  des 
Oigours. 

En  moins  de  trois  siècles,  il  a  remplacé 
la  vieille  écriture  scythique,  et  les  Turcs 
christianisés  l'ont  assez  répandu  parmi  leurs 
compatriotes  pour  que  les  musulmans  eux- 
mêmes  l'aient  adopté  plutôt  que  l'alphabet 
arabe  que  leur  apportaient  les  apôtres  de 
l'Islam Il  fallut  quatre  siècles  de  propa- 
gande pour  détruire  parmi  les  musulmans 
turcs  orientaux  l'alphabet  chrétien,  et  le 
remplacer  par  l'arabe;  mais  les  Mongols 
bouddhistes,  qui  l'ont  reçu  des  Oïgours  et 
transmis  aux  Mandchous,  l'ont  fidèlement 
conservé  (2). 

Près  d'un  siècle  avant  Pascal  de  Vic- 
toria, en  1246,  un  autre  Franciscain,  Jean 
de  Pian  Carpino,  envoyé  comme  légat 
aux  Tartares  par  le  pape  Innocent  IV, 
pénétrait  dans  le  Turkestan  et  constatait 
que  les  habitants  y  parlaient  la  langue 
comane. 

De  terra  Cangitarum  intravimus  terram 
Biserminorum.  Isti  homines  linguam  co- 
manicam  loquebantur  et  adhuc  loquuntur, 
sed  legem  Sarracenorum  tenent iZ^ 

(i)  Wadding,  Annales  Minorant,  2'  édition, 
Rome,  1733,  t.  VII,  p.  256.  Cathay  désigne  la  Chine. 

\2)  L.  Cahln,  Introduction  à  l'histoire  de  l'Asie, 
Turcs  et  Mongols,  des  origines  à  i^oS.  Paris, 
1896,  p.  184-185.  Cf.  E.  Drolin,  Mémoire  sur  les 
Huns  Ephthalites  dans  leurs  rapports  avec  les 
rois  perses  sassanides,  dans  le  Muséon.  Louvain, 
t.  XIV  (1895),  p.  160. 

(3)  Johannis  de  Piano  Carpini,  Antivariensis 
episcopi.  Historia  Mongalorum  quos  nos  Tar- 
taros    appellamus,  cap.  ult.    |   i,   n*   16,   édition 


284 


ÉCHOS    d'orient 


Le  domaine  de  ce  dialecte  turc  débor- 
dait donc,  d'une  manière  fort  considérable, 
le  territoire  des  Comans  proprement  dits. 
Celui-ci,  au  dire  du  voyageur  Franciscain 
que  nous  venons  de  citer,  comprenait 
seulement,  à  cette  époque,  le  bassin  infé- 
rieur des  quatre  grands  fleuves  de  la  Russie 
méridionale  :  le  Dnieper,  le  Don,  le  Volga 
et  le  Jaik  ou  l'Oural  (i). 


Les  lecteurs  nous  sauront  gré  de  donner 
ici,  d'après  le  Codex  de  Venise,  quelques 
spécimens  de  cette  langue  comane.  Les 
turcisants  n'auront  point  de  peine  à  recon- 
naître, sous  la  légère  déformation  de  la 
transcription  en  caractères  latins,  un  dia- 
lecte essentiellement  turc,  bien  qu'assez 
notablement  différent  du  turc  osmanli  parlé 
aujourd'hui   dans  l'empire   ottoman  (2). 

Voici  d'abord  le  Pater  en  coman,  tel 
que  le  fournit  notre  Codex. 

Atamîs  kim  kœkté  sén.  Algi^le  bulsun 
sening  hanlechin.  Bulsun  sening  tilémé- 
gin  ne^ikkim  kœklé  alley  ierda.  Kundégi 
œtinackimisni  bisga  bougun  bergil.  Dage 
ia^uclarmisme  bisgœ  bo^^atkil.  Netsik  bis 
boi^atirbis  bisgœ  iaman  etchenlergœ.  Dage 
iéknik  sinamakina  bisni  kuiirmagil,  bassa 
bartseiamandan  bisni kuihargil.  Amen  (3). 

Outre  ce  texte  du  Pater  coman,  con- 
tenu dans  le  Codex  de  la  Marcienne,  il  en 
existe  un  autre  assez  différent.  La  manière 
dont  ce  second  texte  a  été  connu  mérite 
d'être  signalée.  C'était  en  1744.  Les  Co- 
mans de  Hongrie  se  trouvaient  depuis 
longtemps  fondus  dans  l'ensemble  de  la 
population  magyare,  et,  dans  cette  fusion, 
avaient  perdu  leur  parler  turc.  Une  délé- 
gation de  leurs  représentants  vint  de  la 
Petite  Comanie  à  Vienne  auprès  de  l'im- 
pératrice Marie-Thérèse,  pour  obtenir  cer- 

d'Avezac,  dans  Recueil  de  voyages  et  de  métnoires 
publié  par  la  Société  de  Géographie,  t.  IV.  Paris, 
1839,  p.  749. 

(i)  Ibid.,  p.  742-743. 

(2|  Pour  la  transcription,  je  suis  en  général  la 
graphie  du  Codex  telle  qu'elle  est  notée  dans  les 
travaux  de  Klaproth,  Kuun,  Radloff,  Bang. 

(3)  Codex,  p.  126;  KuuN,  op.  cit.,  p.  171; 
Radloff,  op.  cit.,  p.  91. 


tains  privilèges.  L'un  des  délégués,  Etienne 
Varro,  sur  l'invitation  du  savant  orien- 
taliste Adam  Kollar,  récita  l'Oraison  domi- 
nicale en  coman,  pour  donner  un  spé- 
cimen de  leur  ancienne  langue.  Cette 
prière,  avec  quelques  autres,  et  un  cer- 
tain nombre  de  courtes  formules,  étaient 
alors  les  uniques  vestiges  de  l'idiome  dis- 
paru, et  encore  ne  servaient-elles  qu'à 
exercer,  dans  les  écoles,  la  mémoire  des 
élèves  comans.  Le  texte  de  cette  leçon 
d'écolier,  transmis  par  tradition  et  dont 
on  possède  en  Hongrie  quelques  copies, 
a  été  publié  par  Vambéry  (i).  Bornons- 
nous  ici,  pour  le  distinguer  du  précédent, 
à  en  indiquer  le  début  : 

Bi^im  atami^  kim  sen  kœkte  sentléssen 
adïn (2) 

Pour  donner  maintenant  une  idée  du 
rythme  des  hymnes  traduites  en  coman, 
transcrivons  la  strophe  la  plus  connue  du 
Vexilla  Régis,  celle  qui  commence  par  ce 
vers:  O  crtix  ave,  spes  wiica. 

E  khats  éïnek  oumountsimis 
Téïsin  sana  iuguntsimis 
Bon  koutlou  kin  tsaklarinde 
Boschov  iéïisn  iagli  kœ^ghé  (3). 

Le  manuscrit  porte  en  surcharge,  au- 
dessus  du  premier  vers,  les  mots  sola  spes 
nostra;  au-dessus  du  dernier  mot  du  troi- 
sième vers,  /;/  temporibtis.  Ces  indications, 
et  d'autres  analogues  qui  se  présentent 
assez  fréquemment  dans  le  Ci;^^:v, ont  leur 
utilité  pour  révéler  le  vrai  caractère  de  ce 
manuscrit.  On  y  devine  la  main  d'un 
missionnaire  notant  la  traduction  exacte 
et  littérale  du  texte  coman  qu'il  a  sous  les 
yeux,  aux  endroits  où  elle  ne  correspond 
pas  parfaitement  au  latin  authentique  de 
l'hymne. 

Aussi  bien,  le  Codex  Cuma-îicus  ne 
pourrait-il  pas  avoir  été  une  sorte  de 
manuel  pratique  du  missionnaire,  spécia- 


{\\  Vambéry,  Nyelvtudonianyi  Kœ^lemenyek , 
t.  IX,  fasc.  III,  p.  215-219. 

(2)  Voir  KuuN,  op.  cit.,  p.  xlv. 

(3)  Codex,  p.  147;  Kl'un,  op.  cit.,  p.  209-210: 
Radloff,  op.  cit.,  p.  107-108;  Bang,  Zur  Kritik  des 
Codex  Cumanicus.  Louvain,  1910,  p.  11. 


UN    MANUSCRIT   CHRÉTIEN    EN    DIALECTE    TURC  :    LE    CODEX    CUMANICUS 


28  = 


lement  adapté  aux  besoins  de  son  minis- 
tère en  pays  coman,  et  une  sorte  de  «  mé- 
thode »  pour  se  familiariser  peu  à  peu 
avec  la  langue  des  populations  à  évan- 
géliser? 


Les  traces  de  l'existence  de  l'islamisme 
chez  les  Comans,  que  trahit  en  quelques 
rares  endroits  le  Codex,  ne  sont  pas  une 
objection  à  l'hypothèse  que  nous  venons 
d'énoncer.  Ces  traces  se  réduisent,  d'ail- 
leurs, à  un  certain  nombre  de  termes  dé- 
signant surtout  les  jours  de  la  semaine, 
les  mois  et  les  saisons  de  l'année,  et  qui 
ont  pu  fort  bien  subsister  après  la  péné- 
tration et  la  diffusion  du  christianisme. 
On  sait  que,  depuis  le  x*  siècle,  l'islam 
avait  fait  sur  le  sol  touranien  des  progrès 
conquérants.  De  même  que  les  Bulgares, 
prédécesseurs  et  voisins  des  Comans,  ap- 
portèrent les  usages  mahométans  du  haut 
Volga  au  Danube,  de  même  les  Comans 
les  apportèrent  en  Russie  méridionale  et 
en  Hongrie  (i).  Le  christianisme  extirpa 
ceux  de  ces  usages  auxquels  s'attachait 
une  signification  religieuse  exclusivement 
musulmane,  les  autres  se  con.servèrent 
comme  coutumes  nationales. 

Voici,  à  titre  de  curiosité,  les  dénomi- 
nations des  jours  de  la  semaine  et  des 
mois  de  l'année,  telles  que  les  indique  le 
manuscrit  de  Venise.  On  verra  qu'elles 
nont  rien  d'incompatible  ni  avec  le  chris- 
tianisme, dont  le  Codex  atteste  avec  cer- 
titude l'existence  chez  les  Comans,  ni 
avec  l'hypothèse  qui  attribue  ce  Codex  à 
des  missionnaires  franciscains. 

La  semaine  est  désignée  en  coman  par 
les  termes  gafta  ou  jeti,  deux  mots,  l'un 
persan  et  l'autre  turc,  qui  signifient  sept. 
Quant  aux  jours  qui  la  composent,  leurs 
noms  sont  empruntés  au  persan.  C'est  le 
samedi,  sambe,  qui  sert  de  point  central; 
en  faisant  précéder  ce  terme  des  chiffres  i 
à  3,  on  obtient  les  noms  des  autres  jours 
de  la  semaine,  sauf  le  vendredi,  qui  a  une 
désignation  à  part  :  je-samhe  =  dimanche, 

tu  Voir  Blau,  op.  cit.,  p.  574. 


tu-sambe  =  lundi,  se-sambe=  mardi,  tsaar- 
sambe  =  mercredi,  pans-sambe  =  jeudi. 
Malgré  la  formation  de  tous  ces  noms  sur 
le  mot  persan  sambe,  le  lexique  coman  a, 
pour  désigner  le  samedi,  une  autre  expres- 
sion qui  paraît  bien  être  d'origine  chré- 
tienne: sabat  cun,  c'est-à-dire  «jour  du 
sabbat  ».  Quant  au  vendredi,  les  Comans 
l'appellent  ayna  ou  ayda,  ce  qui  doit  signi- 
fier «  fête  »,  d'après  l'arabe  et  le  persan; 
le  vendredi  constituant,  on  le  sait,  la 
«  fête  »  hebdomadaire  des  musulmans,  ce 
nom  serait  le  seul  à  représenter,  parmi 
les  désignations  des  jours  de  la  semaine, 
un  vestige  islamique.  Mais  la  plupart  des 
termes  dont  nous  nous  servons  nous- 
mêmes  pour  spécifier  les  jours  et  les  mois 
n'ont-ils  pas  une  origine  païenne,  et  plu- 
sieurs ne  rappellent-ils  pas  les  divinités 
antiques  auxquelles  ils  étaient  consacrés.^ 

Aussi  n'y  a-t-il  point  lieu  de  s'étonner 
que  le  Codex  Cumanicus,  tout  chrétien 
qu'il  soit  d'inspiration,  de  facture  et  de 
contenu,  nous  ait  conservé  les  dénomina- 
tions que  nous  venons  d'énumérer.  Elles 
ont,  du  reste,  l'avantage  de  confirmer  ce 
que  nous  savons,  par  ailleurs,  de  l'origine 
des  Comans,  de  leur  long  séjour  dans 
l'Asie  centrale,  de  leur  contact  avec  les 
Perses  et  avec  les  Arabes. 

A  ce  titre  encore,  le  lecteur  sera  curieux 
de  connaître  quels  noms  les  Comans  don- 
naient aux  douze  mois  de  l'année.  «  Les 
mois  comans  sont  surtout  touraniens  et 
se  groupent  trois  par  trois,  d'après  les 
saisons.  »  (i)  L'année  s'ouvre  avec  le 
printemps,  et,  par  conséquent,  le  premier 
mois  est  celui  qui  correspond  à  notre 
mois  de  mars;  le  Codex  l'appelle  v/iV/s  a v, 
c'est-à-dire  «  mois  du  début  du  prin- 
temps». Avril  est  le  «mois  du  printemps» 
dans  son  entier  épanouissement,  tob  ay, 
tandis  que  mai  en  est  regardé  comme  le 
terme,  songusax  ay,  «  mois  de  fin  du  prin- 
temps ».  De  même,  juin  est  le  «  mois 
d'été  »,  eus  ay  ;  juillet  le  «  mois  de  mi- 
été  »,  orta  eux  ay:  août  le  «  mois  de  fin 
de  l'été  »,  soncbitx  ay.  De  même  encore, 

(u  Blau,  op.  cit.,  p.  573. 


286 


ÉCHOS    d'orient 


septembre  est  le  «  mois  d'automne  », 
cbes  ay;  octobre  le  «  mois  de  mi-automne  » 
orta  ches  ^^  (i).  Mais  à  partir  de  novembre, 
nous  rencontrons  des  appellations  de  for- 
mation différente,  dont  la  première  au 
moins  est  d'origine  islamique:  courban 
bairam  ay,  mois  du  Courban-Baïram,  c'est- 
à-dire  de  la  fête  des  sacrifices.  Décembre 
est  appelé  asuc  ay,  nom  que  Kuun  traduit 
par  «  mois  des  victuailles  »,  en  ce  sens 
que  les  récoltes  et  les  provisions  doivent 
avoir  été  faites  pour  ce  temps  de  la  dure 
saison  (2).  Enfin,  janvier  est  le  «  mois  du 
zéro  »,  safar  ay,  tandis  que  février  cou- 
ronne le  cycle  avec  le  titre  de  «  mois 
final  »   ou  mois    de  fin  d'année,  souni 

C'est  aussi  sous  la  forme  touranienne 
Tengri,  et  non  sous  la  forme  arabe  Allah 
sacrée  pour  lislam,  que  le  manuscrit 
coman  nous  présente  le  nom  de  Dieu.  11 
est  vrai  que  cette  forme  touranienne  est 


également  commune  aux  mahométans  de 
Bosnie  et  aux  Kirghiz,  comme  elle  l'était 
aux  anciens  Bulgares,  et  partant  ne  prouve 
rien  ni  pour  ni  contre  l'influence  islamique. 

Celle-ci,  on  le  voit,  se  réduit  à  fort  peu 
de  chose  pour  qui  examine  attentivement 
le  vocabulaire  du  Codex.  Tout  y  montre, 
au  contraire,  un  christianisme  bien  authen- 
tique. 

Quoi  qu'il  en  soit  des  origines  précises 
de  ce  manuscrit,  qu'on  n'a  pu  encore 
complètement  tirer  au  clair,  il  était  néces- 
saire d'en  avoir  quelque  notion  avant 
d'aborder  de  front  une  étude  historique 
du  peuple  coman.  On  voit  sans  peine 
l'intérêt  spécial  que  cette  étude  doit  retirer 
de  l'existence  d'un  tel  recueil,  qui  suppose 
de  toute  évidence  une  chrétienté  impor- 
tante de  rite  latin  et  de  langue  turque, 
bien  établie  au  début  du  xive  siècle. 


Sévérien  Salaville. 


Constantînople. 


NOTE    BIBLIOGRAPHIQ.UE 
DEUX   DATES   POUR   UNE   MÊME   ÉDITION 


Le  Jésuite  Robert  Saulger,  né  à  Paris  en 
juillet  1637,  mourut  à  Naxos  le  14  sep- 
tembre 1709,  après  une  belle  et  féconde 
carrière  apostolique  à  Constantinople  et 
dans  les  îles  de  la  Grèce.  11  était  parti  pour 
les  missions  en  1663.  Le  P.  Saulger  était 
un  chercheur;  dans  ses  loisirs  d'apôtre, 
il  a  su  recueillir  de  précieux  documents, 
surtout  dans  les  archives  de  l'île  de  Naxos, 
«  où  presque  toute  la  Noblesse  du  pais, 
Latine  et  Grecque,  s'est  rassemblée  après 
l'invasion  des  Turcs  ».  Il  a  publié  un  ou- 
vrage intitulé  :  Histoire  nouvelle  des  aticiens 
ducs  et  autres  souverains  de  l'Archipel,  avec 


(i)  Des  dénominations  analogues  se  retrouvent 
en  mongol  et  en  thibétain.  Kuun,  op.  cit.,  p.  cxvi. 

(21  Kuun,  op.  cit.,  p.  cxvn. 

(3)  Kuun,  op.  cit.,  p.  cxvi-cxvii,  et  80-81  ;  Blau, 
op.  et  loc.  cit. 


la  description  des  principales  Isles  et  des 
choses  les  plus  remarquables  qui  s'y  voyent 
encore  aujourd'huy. 

L'ouvrage  est  anonyme.  La  dédicace  à 
M.  le  comte  de  Maurepas,  secrétaire  d'Etat, 
est  signée  R***.  Dans  l'extrait  du  privi- 
lège, il  est  défendu «  de  débiter  ledit 

livre  sans  le  consentement  dudit  R***,  à 
peine  de  i  500  livres  d'amende  ». 

Calvary,  libraire  à  Berlin,  dans  un  de 
ses  catalogues,  cote  ce  volume  à  50  marks 
et  le  qualifie  «  d'excessivement  rare  ;  saut 
notre  exemplaire,  on  n'en  connaît  que 
deux  autres  dans  les  bibliothèques  de 
Berlin  et  d'Athènes  ».  Nous  dirons  avec 
le  P.  Sommervogel  «  qu'il  y  a  légère  exagé- 
ration ».  Sans  être  «  excessivement  rare  », 
le  livre  n'est  pas  commun. 

Un  curieux  problème  s'est  posé  à  propos 


NOTE    BIBLIOGRAPHIQ.UE    —   DEUX    DATES    POUR    UNE    MÊME   EDITION 


287 


de  cet  ouvrage.  11  est  certain  qu'il  n'y  a 
qu'une  seule  édition:  tous  les  exemplaires 
portent  à  la  fin  :  «  Achevé  d'imprimer 
pour  la  première  fois  le  i«'"  mars  1698.  » 
Mais  quelle  est  la  date?  Laissons  de  côté 
1678,  qu'aurait  vu  Quérard  dans  l'exem- 
plaire de  la  Bibliothèque  du  roi.  11  est  dif- 
ficile d'admettre  même  une  faute  d'im- 
pression, la  date  étant  en  chiffres  romains. 
Les  uns  admettent  la  date  1698,  les  autres 
1699.  Tous  ont  raison  ;  mais  il  faut  ajouter 
que  la  même  édition  se  présente  avec  deux 


HISTOIRE 

NOUVELLE 

DES 

ANCIENS  DUCS^ 

t  T 

AUTRES  SOUVERAINS 
DEL'ARCHIPEL^ 

Avec  li  Defcription  des  principales 
Ifles,  &:  des  chofcs  les  plus  reiiur- 
quiblcs  qui  s'y  Yoyent  cacore  au- 
jourd'huy 

A    PARIS, 

Chez  Etienne    Michallit,  ptemiei 

ImpruDeui  du  Ro»,  rue  Siim  Jacques  > 

à  rimi^e  Sunt  fiui. 

M.  DC.  XCVIII. 
AvtC  PnviUgt  du  Xéy. 


en  notre  possession  deux  exemplaires  de 
cette  histoire. 

11  resterait  à  savoir  pourquoi  il  y  a  eu 
cette  succession.  Dans  l'extrait  du  privi- 
lège, le  concessionnaire  est  marqué  de 
trois  XXX;  nulle  autre  indication. 

La  solution  complète  de  ce  petit  pro- 
blème bibliographique  relève  de  l'histoire 
de  rimprimerie. 

Signalons  encore,  comme  curiosité,  que 


HISTOIRE 
NOUVELLE 

DES 

ANCIENS   DUCS 

E  T 

AUTRES    SOUVERAINS 

DE    L'ARCHIPEL: 

^  rEc 

U  Dcfcrifùon  dts  friticifaUs  Iles    << 
f  /  cB^fis  Us  plus  umérquuhks  'oui 

SI  *Vû\^Kt  ^-nr^^ /./  * 


*J  vojtnt  encere  aujourd'huy. 
_.  A    PARIS, 

M.  D  C-  X  C  I  X. 


frontispices  différents,  non  seulement  par 
la  disposition  matérielle,  mais  par  les  noms 
des  libraires.  Les  volumes  qui  portent  la 
date  M. DC. XCVIII,  sont  vendus  chez 
Etienne  Michallet,  premier  imprimeur  du 
roi;  les  volumes,  au  contraire,  qui  ont  la 
date  M.DC.XCIX,  sont  vendus  chez  Jean 
Anisson,  directeur  de  l'Imprimerie  Royale. 
Nous  accompagnons  ces  lignes  de  la  pho- 
tographie de  ces  deux  frontispices,  ayant 


le  titre  de  l'ouvrage  qui  se  trouve  dans 
l'extrait  du  privilège  n'est  pas  le  même 
que  celui  du  frontispice.  On  lit  dans  l'ex- 
trait :  «  Histoire  de  l'Archipel  et  des  Sei- 
gneurs qui  l'ont  possédé  en  qualité  de 
Souverains  sous  le  titre  de  duché  avec  la 
description...  » 


F.  Larrivaz,  s.  J. 


Mont  Roland. 


LES  QUATRE  NÉO-MARTYRS   D'AGRINION 


Les  lecteurs  des  Echos  d'Orient  con- 
naissent déjà  quelques-uns  de  ceux  que 
les  Grecs  appellent  néo-martyrs.  On  dé- 
signe, en  pays  grec,  sous  ce  nom  les 
fidèles  mis  à  mort  par  les  Turcs  en  haine 
de  l'orthodoxie.  L'Eglise  officielle  ne  les 
reconnaît  pas  (i),  mais  le  populaire  a 
grande  vénération  pour  eux,  d'autant  que 
leur  culte  se  mélange  de  préoccupations 
patriotiques.  On  rencontre  souvent  dans 
les  églises  leurs  icônes,  parfois  historiées, 
comme  celles  des  martyrs  des  premiers 
siècles,  d'affreuses  scènes  de  supplices 
ou  de  fantaisistes  légendes  miraculeuses. 
Dans  la  petite  église  du  prophète  Elle,  par 
exemple,  construite  sur  1-  sommet  de  la 
colline  qui  domine  le  port  du  Pirée,  j'en 
ai  remarqué  trois,  celle  de  Georges  de 
lanina,  celle  de  Gédéon  de  Tirnovo,  offerte 
par  le  syllogue  (association)  des  mar- 
chands de  vin,  et  une  troisième,  magni- 
fique tableau  de  i'n,30  de  hauteur  offert 
par  le  syllogue  crétois  le  Progrès  à  ses  pro- 
tecteurs les  néo-martyrs  Georges,  Ag- 
gelis,  Emmanuel  et  Nicolas,  martyrisés 
par  les  Turcs  à  Rétymno  de  Crète,  le 
^.8  octobre  1826. 

Le  regretté  P.  Pétridès,  sous  la  signa- 
ture de  M:  Bousquet,  a  publié  à  plusieurs 
reprises  de  courtes  notices  sur  plusieurs 
d'entre  eux  (2).  11  avait  recueilli  depuis 
une  quinzaine  d'années  des  notes  sur  un 
grand  nombre  :  Grecs,  Russes,  Serbes  ou 
Bulgares.  Il  m'en  a  souvent  parlé.  Mais 
le  manque  de  lo'sir  et  surtout  l'extrême 


(i)  Encore  n'est-ce  pas  tout  à  fait  exact,  puisque 
les  noms  de  ces  néo-martyrs  sont  inscrits  au 
même  titre  que  ceux  des  plus  anciens  dans  les 
martyrologes  officiels,  le  SuvaSaptaTr,?  de  Nicodéme 
l'Hagiorite,  par  exemple.  De  même,  le  saint  le 
plus  populaire  à  Hydra  est  Constantin,  qui  fut 
pendu  à  Rhodes  en  1800.  Sa  fête  est  célébrée  en 
grande  pompe  dans  l'île  et  au  Pirée,  où  l'on  expose 
ses  reliques.  Sa  passio  et  son  acolouthia  ont  été 
composées  par  Nicodéme.  Cf.  Nsov  Asttiwvipiov, 
au  14  novembre. 

(2)  Cf.  Echos  d'Orient,  igoS,  p.  35o;  1906,  p.  288; 
1907,  p.  i5i. 


difficulté  d'obtenir  sur  la  plupart  de  ces 
personnages,  même  les  plus  honorés, 
des  renseignements  précis,  l'avaient  dé- 
couragé. 

En  effet,  s'il  est  relativement  aisé,  quand 
on  est  demeuré  quelques  mois  à  Athènes, 
d'avoir  des  renseignements  sur  Constantin 
d'Hydra,  Zacharie  de  Corinthe  ou  les  trois 
néo-martyrs  de  l'île  de  Spetsai,  qui  tous 
jouissent  d'un  culte  local,  il  n'en  va  pas 
de  même  d'autres  plus  nombreux  dont  le 
nom  s'est  perdu  dans  la  mémoire  des 
paysans  et  du  clergé  campagnard,  ou 
s'est  déformé  au  point  d'être  méconnais- 
sable, ou  enfin,  c'est  le  cas  d'un  certain 
PauL  du  Péloponèse,  s'est  identifié  avec 
celui  d'un  homonyme  préexistant.  Ceux-là 
seraient  tout  à  fait  oubliés  si  leurs  pas- 
siones  n'avaient  été  recueillies  dans  les 
Leimonaria  ou  des  recueils  que  le  grand 
synaxaire  de  Doukakès  a  réimprimés  (i). 

Les  quatre  néo-martyrs  de  Brakhori 
(Agiinion)  sont  dans  ce  cas.  L'un  d'eux, 
le  Turc  Jean,  est  parmi  les  plus  intéres- 
sants. La  passio  des  trois  autres,  sans  doute 
parce  que  Doukakès  ne  savait  à  quel  jour 
l'insérer,  n'a  pas  été  reproduite  dans  les 
douze  volumes  du  grand  synaxaire,  ou  du 
moins  je  n'ai  pas  su  l'y  trouver  (2). 

LE   GROUPE    DES   TROIS    INCONNUS 

«  La  passio  des  trois  néo-martyrs  sans 
nom,  àvtovùixfov,  martyrisés  pour  le  Christ 
en  Etoile,  dans  la  ville  appelée  vulgairement 
Brakhori  »,  a  été  publiée  dans  le  Néon  Lei- 
nionarion  sans  date  de  mois  ni  indication 
de  jour,  presque  en  appendice  (3).  Elle 

(  OMéfaç  Suva?api(TTri;.Un  volume  par  mois  publié 
à  Athènes  à  partir  de  1889.  Cette  énorme  compi- 
lation est  la  plus  complète  qui  existe  en  langue 
grecque.  Les  Bollandistes  y  renvoient  souvent. 
Cf.  Bibliotheca  hagiographica  grœca.  Bruxelles, 
1909,  p.  xii. 

(2)  Doukakès  leur  a  pourtant  consacré  neuf  lignes 
dans  son  Nsov  n,apTupo).éYiov.  Athènes,  1897,  p.  48. 

(3)  Néov  Astîitovâptov,   i"  édition.  Venise,   1819. 


LES   QUATRE   NEO-MARTYRS    D  AGRINION 


289 


tiendrait  en  deux  pages  de  format  in-8». 
Elle  est  écrite  en  langue  populaire,  dans 
un  grec  presque  barbare,  souvent  mélangé 
de  motsturcs.  L'auteurdu  récit  est  inconnu, 
mais  il  écrivait  dans  le  pays  même. 

Ces  trois  inconnus  habitaient  pour  leur 
commerce  dans  les  environs  de  lanina. 
Là,  ils  apprirent  à  parler  la  langue  alba- 
naise. Un  jour,  en  1780,  ils  revenaient 
tous  trois  dans  leur  patrie,  la  Morée.  Ar- 
rivés sur  le  territoire  de  Brakhori,  comme 
ils  étaient  sur  le  point  d'entrer  dans  la 
ville,  pour  échapper  aux  collecteurs  d'im- 
pôts et  en  même  temps  se  moquer  deux, 
ils  se  firent  passer  pour  mahométans  (i). 
Ainsi  ils  entrèrent  sans  bourse  délier.  Or, 
il  arriva  que  des  Turcs,  curieux  de  savoir 
ce  qu'il  y  avait  de  nouveau  à  lanina,  dépê- 
chèrent un  CCS  leurs  à  l'auberge  où  les 
trois  Péloponésiens  étaient  descendus.  Par 
malheur  pour  eux,  l'envoyé  surprit  leur 
conversation.  Les  voyageurs  se  félicitaient 
avec  des  moqueries  à  l'adresse  des  Turcs 
d'avoir,  par  un  salamalec,  échappé  à  la 
rapacité  du  fisc. 

On  devine  la  suite.  Les  Turcs,  avertis, 
s'emparent  des  trois  inconnus  et  les  con- 
duisent devant  le  juge.  Mais  ceux-ci  se 
sont  déjà  ressaisis.  Placés  dans  l'alterna- 
tive ou  d'embrasser  la  loi  du  prophète 
qu'ils  ont  feint  de  pratiquer  ou  d'être  punis, 
ils  répondent  avec  courage  :  «Nous  avons 
feint  d'être  Turcs  pour  garder  notre  argent. 
Mais  devenir  vraiment  apostats  et  renier 
la  foi  du  Christ,  cela  nous  est  impos- 
sible. » 

Le  juge  les  fit  fouetter  et  mettre  en 
prison.  Là  ils  s'encouragent  mutuellement 
à  mourir  en  chrétiens.  L'un  des  trois  était 
assez  instruit.  C'est  lui  surtout  qui,  par 
ses  discours,  soutint  le  courage  de  ses 
compagnons. 

Je  me  sers  de  la  deuxième,  publiée  par  Rousso- 
poulos.  Athènes,  iSyS,  in-4*,  xv-566  pages.  La  passio 
est  à  la  page  491. 

(n  Brakhori,  officiellement  Agrinion  et  identifié 
à  tort  avec  l'antique  ville  d' Agrinion,  est  le  chef- 
lieu  du  dème  d'Agrinion.  La  ville,  située  sur  la 
bordure  d'une  plaine  très  fertile,  est  reliée  avec 
Missolonghi  par  une  large  route  et  un  chemin  de 
fer.  6700  habiunts.  Elle  a  beaucoup  souffert 
durant  la  guerre  de  l'Indépendance. 


On  les  laissa  ainsi  quelques  jours  en 
prison.  Puis  ils  compai  urent  une  deuxième 
fois  devant  le  juge,  se  montrèrent  aussi 
fermes  et  furent  condamnés  à  mort  par 
le  cadi  et  le  muzelin,  qui  était  de  Constan- 
tinople.  Ils  furent  pendus  tous  trois,  l'un 
à  un  platane  près  de  l'Agora,  un  autre 
près  de  l'église  de  Saint-Démétrius,  le 
troisième  à  l'entrée  de  la  ville,  sur  la  route. 

Tel  est  le  résumé  de  ce  récit  court, 
précis,  très  vivant,  mais  aussi  peu  litté- 
raire que  possible.  Voici,  pour  les  curieux 
de  ;a  langue  néo-grecque,  deux  courtes 
phrases  qui  feront  juger  de  l'ensemble. 
L'un  des  trois  savait  lire,  ô  si;  xrzb  to-j^ 
~ot~.:;  Y.TOv  xal  ''zoL'j.'XJ.-'.Tj.i'JOç:  —  l'un  fut 
pendu  près  de  l'Agora,  èxsi;jLa7av  tôv  i'va 
elç  £va  TtÀàTO'/ov  ottoÙ  âïva».  îrAT,o-'lov  si;  to 
T^apT'l.  Tsarsi  est  un  mot  turc  que  les 
paysans  du  Magne  emploient  encore  pour 
désigner  une  place  publique,  un  marché 
couvert. 

lANNl    LE   TURC  NÉOMARTYR 

La  vie  et  la  passio  du  néo-martyr  Jean 
de  Konitza  a  été  écrite  en  langue  popu- 
laire, mais  dans  une  forme  plus  élégante 
que' celle  de  \2l  passio  des  trois  inconnus 
par  Georges  Anagnostès  latridès  de  Kar- 
pennision.  Jean  mourut  en  1814.  S3  passio 
remplirait  cinq  à  six  pages  de  format  in-8». 
1  Elle  fut  écrite  avant  1819,  et  Doukakès 
Ta  réimprimée  à  la  date  du  2}  septembre, 
comme  le  Néon-Leimonarion  (i). 

Il  était  de  Konitza,  en  Epire  turque  (2), 
«  siège  épiscopal  de  l'évêque  de  Vella,  qui 
dépend  du  métropolitain  de  lanina  ».  Ses 
parents  étaient  musulmans;  sa  mère,  de 
race  sarrasine,  et  son  père  derviche  et  cheik 


(nMÉfa;II-jva?aa;<r:r,;,  tome'deseptembre,  p.  290- 
3oo.  Il  réimprime  telle  quelle  la  passio  en  corri- 
geant un  peu  la  langue.  Le  EvvaEap:Vrr,;  de  Nico- 
déme  l'Hagiorite  mentionne  Jean  au  23  septembre 
(édition  Nicolaïdès  Philadelphe.  Athènes,  1868, 
t.  I*',  p.  63).  Dans  le  Nsov  Aîîjiwvipiov,  la  passio 
est  à  la  page  33 1. 

(2)  Konitza,  en  Epire  turque,  est  habitée  par 
six  cents  familles,  la  plupart  musulmanes.  Elle 
est  encore  le  siège  d'un  gouvernement  subalterne 
et  d'un  évêché.  Les  passages  entre  guillemets  sont 
traduits  textuellement  de  la  passio. 


290 


ECHOS   D  ORIENT 


honoré.  Quant  il  eut  atteint  sa  vingtième 
année,  il  alla  à  lanina  et  se  fit  enrôler  dans 
la  confrérie  des  derviches.  Quelque  temps 
après  il  partit,  passa  par  Arta  et  vint  à 
Brakhori,  où  il  prit  demeure  au  Sérail. 

Isouf  l'Arabe,  «  qui  mourut  à  Belgrade 
d'Albanie,  il  y  a  peu  de  temps  »,  com- 
mandait à  cette  époque  l'Acarnanie  et 
l'Etolie  (i);  comme  il  était  très  lié  avec 
son  père,  il  reçut  le  jeune  homme  avec 
honneur  et  le  nomma  son  propre  der- 
viche. Jean  le  servit  avec  dévouement;  il 
l'accompagna  à  la  guerre  et  prit  part  à  la 
bataille  de  Tekiès.  Deux  années  plus  tard, 
Isouf  l'Arabe  fut  appelé  au  gouvernement 
de  lanina.  Solyman  Bey,  surnomméBrionis, 
lui  succéda  (2). 

Le  jeune  derviche  était  déjà  chrétien  de 
désir  et  de  cœur.  11  se  mêlait  aux  ortho- 
doxes de  famille  noble,  ceux  qu'on  appe- 
lait les  capitans.  Mais  il  n'osait  encore  se 
déclarer,  etd'ailleurs,  par  crainte  desTurcs, 
on  refusait  de  le  recevoir.  Un  jour,  il  partit 
en  secret  pour  l'île  d'Ithaque,  et  s'y  fit 
baptiser  sous  le  nom  de  Jean.  Puis  il  revint 
dans  le  pays  montagneux  de  Xiroméros, 
au  village  de  Machalas  (3).  11  y  demeura 
en  qualité  de  domestique  chez  un  certain 
Panos  Galanis,  et  s'y  maria  avec  une  fille 
du  pays.  11  était  occupé  à  la  garde  des 
champs  et  se  montrait  peu. 

En  1813,  le  cheik  apprit  avec  douleur 
la  conversion  de  son  fils.  11  dépêcha  auprès 
de  lui  deux  derviches  que  Jean  refusa 
même  d'écouter.  Ceux-ci  s'en  retournèrent 
piqués  au  vif  et  humiliés.  On  persuada 
(les  derviches  peut-être),  à  l'aga  de  Ma- 


li) Isouf  l'Arabe,  un  des  principaux  lieutenants 
du  terrible  Alî  Pacha.  C'est  lui  qui,  après  le  car- 
nage de  Zalongos,  extermina  les  Souliotes  à  Ré- 
gniassa. 

(2)  Qui  est  ce  Solyman  Bey?  Deux  Brionis  ont 
joué  un  grand  rôle  dans  la  guerre  de  l'Indépen- 
dance, le  célèbre  Omer  Brionis,  qui  assiégea  Mis- 
solonghi,  et  son  neveu  Achmet  Brionis,  à  qui  les 
Souliotes,  oubliant  l'héroïsme  de  leurs  femmes, 
livrèrent  Régniassa  pour  40000  piastres  turques. 

(3)  Le  pays  de  Xiroméros  est  la  partie  du  terri- 
toire montagneux  désigné  sur  les  modernes  atlas 
grecs  par  l'appellation  de  monts  Acarnaniens,  entre 
l'Achélous  (aspropotamos)  et  la  mer.  Le  village  de 
Machalas  est  situé  au  sud  du  lac  d'Ambracie, 
ancien  Grand  Ozéros. 


chalas  d'envoyer  au  muzelin  de  Brakhori 
ce  transfuge,  fils  d'un  cheik  et  derviche 
lui-même.  Le  muzelin  était  alors  l'aga 
Bonos  de  Tépélékis.  Furieux  de  la  résis- 
tance du  jeune  homme,  il  en  appela  au 
cadi  et  au  mufti. 

Des  soldats  sont  envoyés  et  s'emparent 
de  Jean. 

Le  muzelin  l'interroge  sur  sa  famille, 
son  pays,  son  nom,  sa  religion.  Il  répond 
seulement  :  «  Je  suis  chrétien  et  je  me 
nomme  Jean.  —  N'es-tu  pas  le  fils  du  cheik 
de  Konitza?  —  Oui,  mais  à  cette  heure  je 
suis  chrétien  et  je  dois  mourir  en  chrétien. 
—  Tu  as  été  séduit  par  une  femme  (i)  et 
tu  as  renié  ta  foi.  Mais  reviens  à  toi  et  con- 
fesse ton  ancienne  croyance  et  tu  verras 
de  quels  honneurs  je  te  comblerai.  —  Ne 
vas  pas  supposer,  aga,  que  je  sois  assez 
aveugle  et  insensé  pour  abandonner  la 
sainte  religion  des  chrétiens  et  revenir  au 
bourbier  du  mahométisme.  Puisse  un  tel 
malheur  ne  jamais  m'arriver!  » 

Le  muzelin  et  ses  assistants  ne  voulurent 
pas  en  entendre  davantage.  Le  jeune 
homme  jeté  en  prison,  une  lourde  chaîne 
au  cou  et  les  pieds  entravés,  y  subit  d'in- 
dignestraitements  et  d'horribles  supplices. 
Mais  il  les  endura  avec  courage,  sans  se 
plaindre,  opposant  à  toutes  les  insultes 
ces  simples  paroles:  «Dieu,  aide-moi!  » 
Sans  même  l'interroger  une  deuxième 
fois,  le  muzelin,  ayant  réuni  son  Conseil, 
le  condamna  à  avoir  la  tête  tranchée. 

Conduit  au  lieu  du  supplice,  sous  le 
platane  qui  est  au  milieu  de  l'avenue, 
Àsco'^ôpo;,  Jean  pria  ses  bourreaux  de  des- 
serrer un  peu  ses  liens  pour  lui  permettre 
de  faire  le  signe  de  la  croix.  Ils  refusèrent. 
Alors  «  il  inclina  la  tête  et  reçut  la  mort 
par  le  glaive  le  23  du  mois  de  septembre , 
un  mercredi,  en  l'année  18 14  de  la  nais- 
sance du  Christ  ». 

Aucun  des  chrétiens  n'osait  s'approcher 
du  cadavre,  quand  l'ordre  fut  donné  de 
l'abandonner  sans  sépulture  à  la  voracité 
des  chiens.  Les  bourreaux  le  prirent  donc 
et  le  jetèrent  avec  la  tête  dans  un  torrent, 

([)  Allusion  à  son  mariage  avec  une  chrétienne. 


LES   QUATRE    NEO-MARTYRS    D  AGRINION 


291 


non  loin  de  l'église  de  Saint-Démétrius. 
Pourtant,  quelques  pieux  fidèles  réussirent 
à  obtenir  du  muzelin  ces  précieux  restes 
et  à  leur  donner  une  sépulture.  Mais  le 
muzelin  avait  stipulé  qu'il  serait  enterré 
dans  un  lieu  quelconque,  car  il  n'était, 
disait-il,  ni  Turc  ni  chrétien.  Il  fut  ense- 
veli avec  piété,  tête  et  corps,  dans  un 
champ  que  les  habitants  de  Brakhori 
désignent  sous  le  nom  de  «  Lieu  où  a  été 
déposée  la  relique  du  martyr  ». 

Que  cet  attachant  récit  ait  été  écrit  dans 
le  pays  même  par  un  témoin  ou  sur  des 
indications  fournies  par  des  témoins,  il 
est  à  peine  besoin  de  le  faire  remarquer. 
Des  détails  très  précis  sur  la  topographie 
de  la  province,  le  nom  de  l'évêque  de 
Vella,  celui  du  fermier  de  Machalas,  Panos 
Galanis,  et  celui  de  l'aga  Bonos,  quelques 
autres  encore  suffisent  à  le  démontrer. 
Qu'on  remarque  aussi  la  sobriété  de 
l'exposition.  Pas  de  phrases  ni  de  hors- 
d'œuvre,  comme  on  en  rencontre  trop 
souvent  dans  les  Acta  des  néo-martyrs.  La 
scène  de  comparution  devant  le  tribunal 
du  muzelin  est  digne  des  plus  antiques 
passiones.  De  même  aussi  les  quelques 
lignes  dans  lesquelles  latridès  raconte  la 
dernière  journée  de  Jean. 

OBSERVATIONS 

Le  premier  récit  appelle  peu  d'obser- 
vations. La  ruse  essayée  par  les  trois  Pé- 
loponésiens  pour  échapper  à  la  rapacité 
du  fisc  turc,  qui  taxait  parfois  d'impôts 
onéreux  et  sans  contrôle  les  Grecs  de 
passage  dans  une  ville,  ne  peut  être  ap- 
prouvée. Mais  les  Grecs  durent  recourir 
bien  souvent  à  de  tels  procédés.  11  s'agis- 
sait, pour  ces  paysans  ignorants  de  leur 
religion,  d'être  habiles  et  de  sauver  leur 
porte-monnaie  :  le  mensonge  ou  l'apo- 
stasie apparente  n'engageait  en  rien  leur 
conscience.  Par  malheur,  ils  furent  dé- 
couverts. Par  bonheur  devrait-on  dire, 
puisque,  ce  mensonge  racheté,  ils  eurent 
la  gloire  de  mourir  pour  leur  foi. 

Le  néo-martyr  Jean  de  Konitza  est  plus 
intéressant  à  tout  point  de  vue.  Turc,  fils 


de  derviche  et  derviche  lui-même,  par 
quel  enchaînement  de  circonstances  ar- 
riva-t-il  à  aimer  et  à  désirer  la  foi  chré- 
tienne, son  biographe  ne  le  dit  pas. 

Peut-être  les  cruautés  de  ses  coreli- 
gionnaires à  l'égard  des  Grecs,  surtout 
à  cette  époque  des  premières  révoltes  qui 
allaient  bientôt  aboutir  à  la  proclamation 
de  l'indépendance  hellénique?  Peut-être 
aussi  le  courage  des  chrétiens  à  supporter 
les  pires  supplices? 

Pouqueville,  après  avoir  raconté  la  mort 
admirable  du  caloyer  valaque  Démétrius 
de  San-Marina,  qui  fut  tourmenté  pour 
la  foi,  brûlé  et  emmuré  à  lanina  en  1806, 
ajoute  : 

Ce  triomphe  du  chrétien  étonna  l'Epire. 
Un  mahométan  de  Castoria,  témoin  de 
ses  souffrances,  demanda  le  baptême,  qui 
lui  mérita  quelque  temps  après  la  palme 
du  martyre  (11. 

Et  tout  de  suite  il  écrit  en  note  : 

Suivant  une  loi  mahométane,  tout  Turc 
qui  embrasse  une  religion  étrangère  est 
puni  de  mort.  Hassan,  de  Castoria,  régé- 
néré par  le  baptême,  vivait  oublié  au  fond 
de  l'Acarnania  sous  le  nom  de  Georges, 
cultivantun  terrain  qu'il  avaitloué.  Comme 
il  était  remarquable  par  sa  piété  et  par  la 
pureté  de  ses  mœurs,  il  ne  tarda  pas  à  être 
découvert  par  Metché  Bono,  'mousselim 
d'Ali  Pacha,  qui  le  fit  périr  dans  des  sup- 
plices tels  que  je  ne  peux  qu'en  citer  une 
particularité,  qui  fut  de  lui  introduire  dans 
les  entrailles  une  sonde  de  fer  rougie  à 
blanc;  je  ne  saurais  consigner  les  autres 
détails. 

Personne  ne  manque  plus  de  précision 
que  Pouqueville  pour  les  faits  dont  il  n'a 
pas  été  témoin.  Quoi  qu'il  en  soit  du 
mahométan  de  Castoria,  qui  demanda  le 
baptême  à  l'occasion  du  martyre  de  Démé- 
trius, je  ne  puis  me  défendre  contre  cette 
idée  que  Hassan  et  Jean  de  Konitza  sont  un 
même  personnage.  Comme  Hassan,  Jean 
demeura  à  lanina  vers  1 806,  se  fit  baptiser, 
vécut  «au  fond  de  l'Acarnanie  »  et  souffrit 


(i)   PoLQLEviLLE,   Histotre   de    la   régénération 
de  la  Grèce.  Paris,  1824,  t.  I",  p.  296. 


292 


ECHOS   D  ORIENT 


le  martyre  de  l'autorité  du  muzelin  Bonos. 
Mais  il  est  impossible  d'établir  le  bien 
fondé  de  cette  opinion,  comme  aussi  bien 
de  recueillir  à  Agrinion  la  moindre  donnée 
précise  sur  ce  Jean  de  Konitza. 

Même  chose  pour  les  trois  Péloponé- 
siens.  A  Agrinion,  personne,  même  parmi 
les  prêtres,  ne  connaît  la  passio  dont  j'ai 
résumé  le  texte.  Des  vieillards  interrogés 
répondent  qu'ils  ne  savent  plus.  Les  Turcs, 
disaient  leurs  pères,  en  ont  tant  tué!  Au 
vrai,  les  affreux  exploits  des  Albanais 
d'Ali  Pacha  et  la  guerre  de  l'Indépendance 
ont  tellement  bouleversé  ce  pays,  que  des 
faits  qui  n'ont  pas  cent  ans  de  date,  qu'on 
a  même  pris  soin  de  consigner  par  écrit, 
y  sont  déjà  oubliés. 

Cependant  l'église  de  Saint-Démétrius, 
près  de  laquelle  fut  pendu  un  des  trois 
inconnus  péloponésiens,  existe  toujours. 
Elle  est  située  à  l'extrémité  de  la  ville  et 
on  y  célèbre  encore  les  cérémonies  du 
culte.  Une  tradition  dit  qu'elle  fut  bâtie 
en  1763  sur  les  ruines  d'un  petit  monas- 
tère ou  d'une  chapelle  qui  dépendait  du 
patriarche  de  Constantinople.  Cette  dépen- 
dance est  attestée  du  moins  par  une  in- 
scription sur  marbre  enchâssée  dans  le 
massif  de  l'autel.  Tout  à  côté  de  l'autel 
est  un  énorme  platane,  qui  a  peut-être  cent 
cinquante  ans  d'âge,  et  dont  les  branches 
ont  dû  servir  de  gibet  au  néo-martyr. 

Le  cadavre  de  Jean  le  Turc,  d'après  la 
passio,  fut  jeté  dans  un  torrent  non  loin 
de  l'église  de  Saint-Démétrius.  11  existe, 
en  etfet,  à  600  ou  700  mètres  à  l'est  de 
l'église  un  torrent,  le  Katroulis,  qui,  tra- 
versant Agrinion  du  Nord  au  Sud,  se  jette 
dans  le  lac  Lysimakia,  peu  éloigné  de  la 
ville. 

On  ne  parle  pas  de  la  sépulture  des 
Péloponésiens.  Les  Turcs  d'ordinaire  défen- 


daient aux  chrétiens  d'ensevelir  leurs  vic- 
times. Les  cadavres  étaient  abandonnés 
aux  chiens  et  les  ossements  dispersés. 
Pour  Jean,  là  passio  parle  d'un  champ  que 
l'on  appelle  du  nom  du  martyr.  Mais 
depuis  longtemps,  sans  doute,  on  ne  sait 
plus  où  il  se  trouve.  Doukakès  embarrassé 
a  changé  le  texte  très  clair  en  une  phrase 
vague  et  indécise  :  «  Un  champ  que  depuis 
les  Brakhorites  vénèrent.  » 


Voilà  ce  qu'avec  beaucoup  de  patience 
j'ai  pu  recueillir  sur  ces  quatre  témoins 
de  la  foi  orthodoxe.  Jusqu'à  quel  point  le 
titre  de  martyr  peut-il  leur  être  appliqué, 
je  ne  l'examinerai  pas  (i).  Pour  nous,  en 
effet,  ne  peuvent  être  appelés  en  toute  cer- 
titude martyrs  que  ceux  dont  le  culte  est 
reconnu  par  l'Eglise  catholique. 

D'autre  part,  ces  trois  inconnus  et  Jean 
le  Turc  sont  morts  pour  leur  foi.  Est-il 
téméraire  de  penser  que,  l'union  des  deux 
Eglises  une  fois  proclamée  et  le  désir  de 
neuf  siècles  enfin  réalisé,  Rome  n'hésitera 
pas,  après  enquête,  à  inscrire  dans  son 
catalogue  des  saints,  à  côté  de  tant  d'autres 
martyrs  grecs,  ces  obscurs  champions, 
qui,  en  face  de  l'insolence  et  de  la  bruta- 
lité turques,  auront,  dans  les  pays  ortho- 
doxes, assuré  le  triomphe  du  christia- 
nisme? 

Louis  Arnaud. 

Athènes. 


(i|  La  question  s'est  souvent  posée,  même  parmi 
les  Grecs,  de  cette  reconnaissance  officielle  des 
néo-martyrs.  Nicodéme  l'Hagiorite,  la  plus  grande 
autorité  dans  la  matière,  n'hésite  pas  à  leur  accorder 
ce  titre,  quand  vraiment  ils  sont  morts  pour  la 
foi.  Cf.  Préface  au  Néov  >,ci[xwvàpiov,  édition  Rous- 
sopoulos. 


LE    PREMIER    SYNODE    SYRIEN    DE   CHARFÉ 
1"  DÉCEMBRE  1853-14  JANVIER  1854 


Les  premières  années  du  xviii«  siècle 
furent  des  plus  fécondes  pour  l'Eglise 
catholique  orientale.  Outre  les  Grecs  mel- 
kites  que  nous  avons  vu  renouer,  les 
premiers,  leurs  relations  avec  l'Eglise  ro- 
maine et  rentrer  définitivement  dans  son 
giron,  l'histoire  nous  apprend  que  toutes 
les  autres  communautés  orientales  furent 
poussées,  les  unes  après  les  autres,  à 
suivre  la  même  voie.  Avec  le  patriarche 
Denis-Michel  Jaroué,  précédemment  arche- 
vêque d'Alep,  toute  l'Eglise  syrienne  re- 
niait à  jamais  l'erreur  des  Jacobites  et  le 
monothélisme,  pour  embrasser  la  vérité 
catholique.  L'Eglise  arménienne  suivit  la 
même  conduite  sous  la  direction  de  son 
patriarche,  Abraham  Arzévian.  Vint  enfin 
l'Eglise  chaldéenne,  et  le  catholicisme  re- 
fleurit en  Orient  avec  un  tel  accroisse- 
ment, que  les  persécutions  ne  man- 
quèrent pas  de  surgir  de  toutes  parts. 
Elles  eurent  pour  résultat  d'augmenter 
encore  le  nombre  des  nouveaux  catho- 
liques et  d'atïermir  leur  foi.  Tous  ces 
retours  étaient  sans  doute  principalement 
l'œuvre  des  missionnaires  latins  en  Orient, 
mais  nous  devons  aussi  faire  une  large 
part  aux  prédications  et  aux  ouvrages 
d'éminents  ecclésiastiques  orientaux,  qui, 
après  avoir  eu  le  bonheur  de  puiser  à  Rome 
même  la  science  catholique,  s'efforcèrent 
ensuite  de  la  répandre  parmi  leurs  frères 
d'Orient. 

Ces  Eglises,  qui  venaient  de  se  reformer, 
se  préoccupaient  avant  tout  de  se  donner 
un  code  disciplinaire  qui  leur  servît  de 
règle  pour  leur  nouvel  avenir.  Elles  avaient 
à  se  séparer  définitivement  des  commu- 
nautés schismatiques,  à  expurger  leurs 
livres  liturgiques  et  doctrinaux  de  toute 
erreur  condamnée  par  l'Eglise  romaine, 
et  à  tracer  à  leurs  adhérents  des  règles 
conformes  à  la  saine  doctrine  catholique. 
Telle  était,  en   effet,   l'œuvre   principale 


que  désirait  accomplir,  à  cette  époque, 
l'Eglise  syrienne,  la  seule  dont  nous  vou- 
lons nous  occuper  ici.  Malheureusement, 
les  nombreuses  persécutions  dont  elle  fut 
l'objet  durant  plus  d'un  siècle  ne  lui  lais- 
sèrent pas  le  loisir  d'entreprendre  des 
réformes  salutaires.  11  fallut  attendre  des 
temps  plus  favorables. 

Vers  le  milieu  du  xix^  siècle,  plusieurs 
coryphées  du  schisme  se  rallièrent  à 
l'Eglise  catholique  ;  citons  M^''  Antoine 
Samhiri,  M?r  Grégoire  'Issa,  Mg""  Jacques 
Hiliani,  Mg'  Matthieu  Naqqar.  A  la  mort 
du  patriarche  Pierre  Jaroué,  survenue  à 
Alep  en  1851,  M?"^  pianchet,  délégué  apo- 
stolique en  Mésopotamie,  résolut  de  réunir 
tous  les  évêques  syriens  à  Charfé  pour 
l'élection  de  son  successeur.  Par  suite  des 
persécutions  des  hérétiques,  cette  réunion 
ne  put  avoir  lieu  que  vers  la  fin  de  185^. 
Après  avoir  choisi  le  nouveau  patriarche 
en  la  personne  de  Ms'  Antoine  Samhiri, 
les  évêques  présents  procédèrent  à  la 
tenue  du  premier  concile  catholique  de 
leur  Eglise,  sous  la  présidence  du  délégué 
apostolique,  M^^  Benoît  Planchet. 

Grâce  à  la  bienveillance  d'un  ami  au- 
quel nous  nous  empressons  d'offrir  nos 
meilleurs  remerciements,  nous  avons  eu 
la  bonne  fortune  d'avoir  entre  les  mains 
le  texte  intégral  des  actes  de  ce  synode. 
C'est  un  manuscrit  de  144  pages,  en 
arabe,  peut-être  l'original  lui-même,  qui 
fut  envoyé  à  Rome  pour  l'examen.  En 
effet,  nous  y  rencontrons  çà  et  là  des  rec- 
tifications qui  accuseraient  plutôt  une 
main  étrangère.  Malheureusement,  notre 
manuscrit  ne  contient  point  les  signatures 
des  évêques  qui  ont  pris  part  au  concile. 
11  y  a  tout  lieu  de  croire  qu'il  est  incom- 
plet de  la  fin,  car  la  dernière  page  qui 
nous  en  donne  la  conclusion  relate  en 
dessous  le  mot  «  écrit  »,  qui  se  rapporte 
à  la  page  suivante,  où  devait  se  trouver 


294 


ECHOS    D  ORIENT 


la  date  du  synode,  à  la  suite  de  laquelle 
venaient  sans  doute  les  signatures. 

Quoi  qu'il  en  soit,  notre  manuscrit  ren-- 
ferme  toutes  les  lois  disciplinaires  émises 
dans  cette  assemblée  plénière.  Il  est  sur- 
tout intéressant  par  la  longue  introduction 
placée  en  tête  de  ces  travaux  conciliaires, 
et  qui  nous  donne,  en  abrégé,  toute  l'his- 
toire de  l'Eglise  syrienne.  Vient  ensuite 
une  exhortation  du  patriarche  à  l'adresse 
des  nouveaux  convertis  syriens;  puis  le 
manuscrit  met  sous  nos  yeux  toute  la 
teneur  du  synode.  Il  est  regrettable  qu'on 
n'ait  pas  pris  la  peine  de  le  faire  examiner 
et  approuver  par  le  Saint-Siège,  car  il  ren- 
ferme des  règlements  fort  sages  et  des 
enseignements  très  orthodoxes.  Nous 
croyons  faire  plaisir  aux  lecteurs  des  Echos 
d'Orient,  et  principalement  à  nos  frères 
les  Syriens  catholiques,  en  publiant  la 
table  des  matières  débattues  dans  cette 
assemblée  solennelle.  Nous  traduirons 
ensuite  presque  in  extenso  la  longue  intro- 
duction du  début,  ainsi  que  l'exhortation 
du  patriarche,  et  enfin  la  courte  conclu- 
sion qui  termine  le  concile. 

I.  Table  des  matières  traitées  au  concile. 


Au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit,  un  seul  Dieu.  Ainsi  soit-il. 

Livre  du  Synode  de  Notre-Dame  de 
Charfé,  embrassant  une  introduction,  cinq 
parties  et  une  conclusion. 

Introduction  :  De  l'histoire  de  notre  na- 
tion syrienne  en  général,  suivie  d'un  dis- 
cours de  S.  B.  M^r  le  Patriarche  et  des  très 
vénérés  évêques. 

Première  partie:  De  la  Foi,  p.  25-3 1. 

Deuxième  partie  :  Des  saints  Sacrements. 
Cette  partie  renferme  huit  chapitres  : 

a)  Ch.  I".  Des  sacrements  en  général, 
p.  3i-33. 

b)  Ch.  II.  Du  sacrement  de  Baptême, 
p.  33-36. 

c)  Ch.  III.  Du  sacrement  de  Confirma- 
tion, p.  36-37. 

d)  Ch.  IV.  Du  sacrement  de  Pénitence, 
p.  37-52. 

e)  Ch.  V.  Du  sacrement  de  l'Eucharistie, 
p.  52-64. 


f)  Ch.  VI.  Du  sacrement  de  l'Extrême- 
Onction,  p.  64-67. 

g)  Ch.  VII.  Du  sacrement  de  l'Ordre, 
p.  67-73. 

h)  Ch.  VIII.  Du  sacrement  de  Mariage, 
p.  74-79. 

Troisième  partie  :  Delà  Hiérarchie  ecclé- 
siastique. Cette  partie  renferme  trois  cha- 
pitres : 

a)  Ch.  I".  De  S.  B.  M^^  le  Patriarche, 
p.  79-89. 

b)Ch.\\.  Des  Métropolites  et  des  Evêques, 
p.  90-100. 

c)  Ch.  III.  Des  Prêtres  et  du  Clergé, 
p.  loo-i 10. 

Quatrième  partie  :  Des  Eglises  et  des 
Rites  qui  y  sont  en  usage.  Des  Jeûnes  et  des 
Fêtes.  Cette  partie  renferme  trois  cha- 
pitres : 

a)  Ch.  1".  Des  Eglises  et  de  leurs  reve- 
nus, p.  I lo-i  14. 

b)  Ch.  II.  Des  Rites  ou  Cérémonies  ecclé- 
siastiques, p.  II 4- 116. 

c)  Ch.  III.  Des  Jeûnes  et  des  Fêtes  ecclé- 
siastiques, p.  1 16-134. 

Cinquième  partie:  Des  Moines  réguliers, 
du  Séminaire  commun  et  des  Ecoles  par- 
ticulières. Cette  partie  renferme  trois  cha- 
pitres : 

a)  Ch.  I".  De  la  Congrégation  régu- 
lière (i),  p.  i34-i35. 


(i)  Voici  ce  que  nous  lisons  à  ce  sujet  dans  le 
synode  lui-même  :  «  Notre  nation  syrienne  possé- 
dait anciennement  une  Congrégation  régulière; 
mais  avec  le  temps  elle  fut  abandonnée  par  suite 
des  persécutions,  des  guerres  et  d'autres  calamités 
nombreuses.  A  présent,  nous  nous  sommes  décidés, 
avec  la  grâce  de  Dieu,  à  renouveler  cette  Congré- 
gation régulière  au  sein  de  notre  nation.  Et  puisque 
l'ancienne  Congrégation  était  dirigée  par  la  Règle 
de  saint  Antoine,  nous  ordonnons  que  celle  que 
nous  nous  proposons  de  fonder  suive  la  même 
Règle  précitée.  Ainsi  sera  procuré  plus  facilement 
le  salut  des  âmes,  et  ceux  qui  désireront  quitter 
le  monde  pour  suivre  Jésus-Christ  s'efforceront 
avec  plus  d'ardeur  d'acquérir  la  perfection  par  la 
pratique  des  vœux  ordinaires.  » 

De  nos  jours  encore,  l'Eglise  syrienne  catholique 
n'a  point  de  Congrégation  religieuse;  les  prêtres 
employés  dans  le  saint  ministère  sont  tous  séculiers 
et  dépendent  soit  de  leurs  évêques  respectifs,  soit 
du  patriarche  lui-même.  La  plupart  d'entre  eux 
ont  été  formés  au  Séminaire  de  Charfé  ;  quelques- 
uns  seulement  ont  fait  de  bonnes  études  soit  à 
Rome,  soit  à  l'Université  des  PP.  Jésuites  à  Bey- 
routh. Les  Bénédictins  français  de  la  Pierre-qui- 
Vire  ont  fondé  et  dirigent  depuis  quelques  années, 
à  Jérusalem,  un  Séminaire  pour  les  Syriens  catho- 
liques. 


LE    PREMIER   SYNODE    SYRIEN    DE   CHARFÉ    :    ler   DEC.     1853-I4  JANV.     1854 


295 


b)  Ch.  II.  Du  Séminaire  commun  de  la 
nation  <  i),  p.  iSS-iSg. 

c)  Ch.  III.  Des  Ecoles  diocésaines  parti- 
culières et  des  Confréries  pieuses,  p.  i3g- 
141.  Un  petit  chapitre  de  quatre  pages,  in- 
tercalé à  la  fin  de  la  IV*  partie,  donne  des 
règles  prudentes  et  très  instructives  lou- 
chant la  sépulture  des  morts.  Conclusion 
du  synode  de  Notre-Dame  de  Charfé,  p.  144. 

II.  Introduction  historique  : 
Les  vicissitudes  de  l'Eglise  syrienne. 

Voici  maintenant  l'intéressante  intro- 
duction placée  en  tête  de  ce  synode.  C'est, 
à  grands  traits,  l'histoire  de  l'Eglise  sy- 
rienne, de  ses  hérésies,  de  ses  schismes 
et  de  ses  retours  au  centre  de  l'unité. 

Histoire  de  notre  nation  syrienne  en 
général.  —  Aux  débuts  de  l'Eglise,  notre 
nation  était  unie  avec  tous  les  chrétiens 
de  l'Orient.  Comme  eux,  elle  était  soumise 
à  l'autorité  d'un  seul  patriarche;  chaque 
diocèse  était,  de  même,  sous  la  direction 
d'un  évêque  unique.  A  cette  époque,  les 
patriarches  ainsi  que  les  évèques  étaient 
choisis  tantôt  parmi  les  Syriens,  tantôt 
parmi  d'autres  groupements  ethniques. 
Quant  au  rite,  il  n'était  pas  uniforme  en 
tous  lieux,  mais  il  se  diversifiait  suivant  le 
dialecte,  les  coutumes  et  les  pays.  En  outre, 
ces  divergences  qui  s'implantaient  dans  les 
différentes  Eglises  orientales  étaient  aussi 
occasionnées  par  les  hérésies  de  toutes 
sortes  qui  y  prenaient  naissance.  En  effet, 
les  peuples  qui  se  séparaient  de  l'Eglise 
catholique  en  embrassant  une  hérésie  quel- 
conque, se  créaient  une  nation  particulière 

(i)  C'est  Je  Séminaire  de  Notre-Dame  de  Charfé, 
fondé  par  le  patriarche  Denis-Michel  Jaroué.  Des- 
tiné exclusivement  à  la  formation  du  clergé  syrien, 
il  relève  directement  du  patriarche  et  chaque 
évêque  a  droit  à  y  envoyer  des  élèves  capables, 
soit  en  son  nom  propre,  soit  même  au  nom  du 
patriarche.  On  y  étudie  les  langues  syrienne,  arabe, 
latine  et  italienne.  Avant  d'être  présentés  aux  saints 
Ordres,  les  élèves  doivent  faire  le  vœu  d'obéissance 
au  patriarche  ou  à  leurs  évêques  respectifs,  s'en- 
gageant  à  se  rendre  en  mission  partout  où  leurs 
supérieurs  les  ouverront.  Le  Séminaire  est  dirigé 
par  trois  ou  quatre  prêtres  séculiers  svriens,  choisis 
par  le  patriarche.  Ils  y  instruisent  une  vingtaine 
de  séminaristes.  Le  Séminaire  est  situé  sur  une 
éminence  au-dessus  de  la  charmante  baie  de  Jou- 
nieh  et  domine  majestueusement  la  mer.  Le  climat 
y  est  excellent  et  très  favorable  aux  éludes. 


pour  laquelle  ils  se  choisissaient  des  pa- 
triarches et  des  évêques  spéciaux. 

Ainsi  commencèrent  les  Eglises  nesto- 
rienne,  jacobite  et  arménienne  aux  pays 
de  Syrie,  de  Mésopotamie  et  d'Arménie, 
l'Eglise  copte  en  Egypte.  Or,  le  patriarche 
nestorien  se  réserva  pour  lui  seul  le  titre 
de  «  patriarche  de  Babylone  »  ;  le  patriarche 
jacobite  prit  le  nom  de  «  patriarche  d'An- 
tioche  »;  le  patriarche  arménien  se  fit  pro- 
clamer «  patriarche  de  Cilicie  »;  enfin,  le 
patriarche  copte  prit  le  nom  de«  patriarche 
d'Alexandrie  ».  Quant  aux  «  Grecs  Ro- 
méens  »,  qui  étaient  répandus  dans  tout 
l'Orient,  ils  se  réservèrent,  après  leur  sé- 
paration de  l'Eglise  romaine,  les  quatre 
sièges  patriarcaux  suivants  :  Constanti- 
nople,  Alexandrie,  Antioche  et  Jérusalem. 
Enfin,  lorsque  plusieurs  de  ces  hérétiques 
et  schismatiques  eurent  embrassé  la  foi 
catholique,  ils  formèrent  des  Eglises  parti- 
culières pour  lesquelles  ils  se  choisirent 
des  patriarches  spéciaux,  approuvés  et  con- 
firmés parle  Siège  apostolique.  Ainsi  furent 
restaurés  le  patriarcat  catholique  de  Baby- 
lone pour  les  Chaldéens,  le  patriarcat  d'An- 
tioche  pour  les  Grecs  Roméens  et  les  Sy- 
riens, le  patriarcat  de  Cilicie  pour  les  Armé- 
niens. Quant  aux  Coptes  catholiques  de 
l'Egypte,  ils  sont  administrés  par  un  évêque 
des  leurs,  qui  est  vicaire  apostolique  du 
Saint-Siège. 

Vlntroditction  aux  actes  du  synode  rap- 
pelle ici  comment  la  nation  syrienne  se 
rallia  tour  à  tour  à  l'hérésie  monophysite 
et  au  monothélisme.  Cette  dernière  doc- 
trine ne  dura  pas  longtemps,  tandis  que 
le  monophysismê  persista  chez  les  Jaco- 
bites,  ainsi  nommés  de  Jacques  Barad'i, 
métropolite  d'Edesse  au  vF  siècle.  Théo- 
dose, patriarche  jacobite  du  ix^  siècle,  en- 
seigna une  nouvelle  erreur  que  le  synode 
résume  ainsi  :  «  Il  y  a  en  Jésus-Christ  deux 
personnes,  de  même  qu'il  y  a  en  lui  deux 
natures.  Or,  puisque  de  ces  deux  natures 
il  en  résulte  une  seule,  ainsi  des  deux 
personnes  il  résulte  une  seule  personne.  » 
Après  cet  exposé  des  diverses  hérésies 
adoptées  par  les  Syriens,  Y  Introduction 
continue  en  ces  termes  : 

Cependant,  à  partir  du  vi«  siècle,  à 
l'époque  de  Jacques  Barad'i,  la  nation  sy- 


296 


ÉCHOS  d'orient 


Tienne  se  sépara  complètement  de  l'Eglise 
catholique,  et  dès  lors  elle  commença  à 
se  donner  des  patriarches  spéciaux  dont  le 
premier  fut  Sévère,  qui  avait  fait  chasser  le 
patriarche  Flavien  de  son  siège  d'Antioche. 
Outre  leur  hérésie  touchant  l'Incarnation 
de  Jésus-Christ,  les  Syriens  jacobites  em- 
brassèrent encore  d'autres  erreurs;  ainsi  ils 
nièrent  la  procession  du  Saint-Esprit  ex 
Filio,  l'existence  du  purgatoire,  la  béati- 
tude des  saints  et  la  primauté  du  Pontife 
romain.  Ils  admettaient  cependant  les  sept 
sacrements,  suivant  l'enseignement  de 
l'Eglise  catholique. 

Vient  alors  l'exposé  des  diverses  tenta- 
tives de  réunion  à  l'Eglise  romaine. 

A  certaines  époques,  les  Jacobites  ten- 
tèrent de  se  réunir  à  l'Eglise  romaine.  En 
effet,  Ignace  Jacques  XIV,  de  Damas,  l'un 
de  leurs  patriarches  au  xvi«  siècle,  envoya 
Moïse  Madano  au  pape  Jules  III,  pour  lui 
présenter^ la  formule  de  sa  foi  orthodoxe; 
mais  il  ne  persévéra  point  dans  ces  bonnes 
dispositions. 

Son  successeur,  Ignace  David,  envoya 
de  même  la  formule  de  sa  foi  catholique 
au  Souverain  Pontife  Grégoire  XIII  ;  cette 
formule  est  conservée  à  la  bibliothèque 
Vaticane.  Ce  patriarche  ne  persévéra  pas 
non  plus  dans  ces  bonnes  dispositions. 
Mais,  vers  le  milieu  du  xvii"  siècle,  Ignace 
Siméon,  patriarche  jacobite,  embrassa  la 
foi  catholique,  et  son  exemple  fut  suivi  par 
plusieurs  jacobites,  qui  rentrèrent  dans  le 
giron  de  la  sainte  Eglise.  Il  mourut  en  1662. 

Ignace-André  Akhi-Jan  lui  succéda  sur 
le  siège  patriarcal.  Il  avait  été  élève  du  col- 
lège syro-maronite,  à  Rome.  Il  fut  confirmé 
par  le  Souverain  Pontife  Alexandre  VII. 
Il  consacra  quelques  évêques  et  il  mourut 
à  Alep  en  1672.  • 

Vint  ensuite  Ignace-Pierre,  qui,  par  suite 
des  agissements  d'un  nommé  Georges,  fut 
exilé  à  Adana  et  y  mourut  dans  la  forte- 
resse de  cette  ville,  en  1701 .  Alors  ce  même 
Georges,  qui  était  jacobite,  s'empara  du 
siège  patriarcal  par  la  force  armée,  et  la 
nation  des  Syriens  catholiques  demeura 
sans  patriarche  jusqu'à  l'année  1783.  Ce- 
pendant, la  succession  des  évêques  ne  fut 
point  interrompue  chez  eux  durant  toute 
cette  période. 

En  1782,  le  patriarche  Georges  III,  de 
Mossoul,  qui,  peu  de  temps  auparavant. 


avait  envoyé  à  Rome  la  formule  de  sa  foi 
catholique,  et  demandé  à  rentrer  dans  le 
giron  de  la  sainte  Eglise,  se  trouva  près  de 
mourir.  Le  peuple  le  supplia  de  choisir 
le  patriarche  qui  devait  lui  succéder,  afin 
de  dissiper  ainsi  toutes  les  dissensions  qui 
pourraient  surgir  après  sa  mort.  Il  choisit 
Denis-Michel  Jaroué,  archevêque  d'Alep, 
qui,  peu  de  temps  auparavant,  avait  em- 
brassé la  foi  catholique.  < 

Un  certain  nombre  d'évêques  et  la  grande 
majorité  du  peuple  agréèrent  cette  élection 
et  se  décidèrent  même  à  suivre  le  nouveau 
patriarche  dans  sa  foi  catholique.  Aussi, 
après  la  mort  de  Georges  III,  l'archevêque 
Jaroué  se  hâta-t-il  de  se  présenter  au  mo- 
nastère de  Za'faran  (i),  par  ordre  du  Saint- 
Siège,  et  de  s'y  faire  proclamer  patriarche. 
Mais,  peu  de  temps  après,  il  dut  quitter  ce 
monastère,  par  suite  des  agissements  du 
métropolite  Matthieu,  qui,  avec  l'appui  de 
la  Sublime  Porte,  s'empara  du  siège  pa- 
triarcal et  fit  exiler  le  nouveau  patriarche 
à  Bagdad. 

Enfin,  pour  échapper  à  ces  persécutions, 
M^f  Jaroué  se  réfugia  au  Mont-Liban,  au 
couvent  de  Charfé,  qu'il  acheta  de  ses 
propres  deniers.  Par  ordre  du  Siège  aposto- 
lique, ce  même  couvent  devint  le  siège 
patriarcal  pour  les  Syriens  catholiques,  en 
remplacement  du  monastère  de  Za'faran. 

M^'"Denis-Michel  Jaroué  mourut  en  1800. 
Son  successeur  fut  le  P.  Michel  Daher 
l'Alépin,  qui,  en  1804,  résignale  patriarcat 
avec  pleine  liberté.  On  élut  à  sa  place 
Siméon  Hindi,  religieux  de  Mossoul,  qui 
se  démit  de  même  peu  de  temps  après. 
Enfin,  en  1820,  Pierre  Jaroué,  archevêque 
de  Jérusalem,  fut  proclamé  patriarche.  Il 
fut  revêtu  du  pallium  à  Rome  en  1827;  de 
retour  en  Orient,  il  vint  à  Alep,  où  il  éta- 
blit sa  résidence  habituelle  avec  l'autorisa- 
tion du  Siège  apostolique. 

Nous  voici  arrivés,  avec  le  milieu  du 
xix'^ siècle,  auxévénementsqui  préparèrent 
la  tenue  du  concile. 

A  cette  époque,  une  floraison  nouvelle 
se  fit,  au  sein  de  la  nation  syrienne,  par  la 
conversion  de  quelques  évêques  à  la  vraie  foi 
catholique.  Ce  sont  :  M^  Antoine  Samhiri. 

(1)  Ce  monastère,  situé  non  loin  de  Mardin,  en 
Mésopotamie,  servait,  de  temps  immémorial,  de 
résidence  patriarcale  pour  les  Syriens. 


LE    PREMIER   SYNODE    SYRIEN    DE   CHARFÉ    :     r'    DEC.     l83:?-14  JANV.     1854  297 


AU'-  Grégoire  'Issa,  AU''  Jacques  Hiliani  et 
M?'  Matthieu  Naqqar.  Quelque  tempsaprès, 
à  Jabal-el-Tour,  M?'  Grégoire  Zéitoun  em- 
brassait la  foi  catholique  avec  quelques 
familles  de  Meddiatt  (i). 

De  tous  ces  bons  résultats  obtenus,  nous 
pouvons  prévoir  qu'avec  le  secours  de  la 
grâce  divine,  sous  peu  aura  lieu  la  conver- 
sion d'un  grand  nombre  d'hérétiques  à  la 
foi  catholique  et  une  consolation  extraor- 
dinaire sera  procurée  à  l'Eglise,  longtemps 
attristée  par  la  séparation  de  ses  enfants. 

Après  la  mort  du  patriarche  Pierre  Jaroué, 
survenue  à  Alep  en  i85i,  les  évéques  réso- 
lurent de  se  réunir  pour  l'élection  de  son 
successeur;  mais  par  suite  de  certains  obs- 
tacles, ils  ne  purent  le  faire  que  vers  la  fin 
de  l'année  i853.  Leur  réunion  eut  lieu  au 
Mont-Liban,  au  couvent  de  Notre-Dame  de 
la  Délivrance.  Se  trouvaient  à  ce  synode: 
AU' Antoine  Samhiri,  archevêque  de  Âlardîn 
et  vicaire  patriarcal  par  ordre  du  Saint- 
Siège;  M?"'  Jacques  Hiliani,  archevêque  de 
Damas;  M^  Matthieu  Naqqar,  métropolite 
de  Nabk;  M?"-  Joseph  Hayek,  métropolite 
de  Beyrouth.  Quant  à  M?"-  Grégoire  'Issa, 
métropolite  de  Mossoul,  et  à  M?'  Grégoire 
Zéitoun,  métropolite  de  Meddiatt,  ils  en- 
voyèrent leur  vote  par  écrit,  car  ils  ne  pou- 
vaient s'y  présenter  en  personne.  Enfin, 
arriva  M?'  Benoit  Planchet,  délégué  aposto- 
lique en  xMésopotamie,  chargé  par  le  Saint- 
Siège  de  surveiller  l'élection  patriarcale  et 
de  présider,  au  nom  du  Souverain  Pontife, 
le  synode  que  les  évéques  s'apprêtaient  à 
tenir  immédiatement  après  l'élection. 

Le  I"  décembre  i853,  fut  élu  patriarche,  à 
l'unanimité  des  voix.  M?'' Antoine  Samhiri, 
qui  prit  le  nom  d'Ignace.  Sur-le-champ, 
on  réunit  le  synode  qui  ne  prit  fin  que  le 
14  janvier  1854.  On  en  envoya  une  copie  à 
Rome  pour  y  être  soumise  à  l'examen  et  à 
la  confirmation  du  Siège  apostolique. 

111.  Exhortation  du  patriarche 
au  clergé  et  au  peuple. 

Après  avoir  terminé  les  travaux  con- 
ciliaires, les  évéques,  en  union  avec  le 
patriarche,  les  présentèrent  au  clergé  et 
au  peuple  pour  les  exhorter  à  en  faciliter 
et  favoriser  la  réalisation  pratique.  A  cette 

(i  I  Meddiatt,  non  loin  de  Mossoul,  en  Mésopota- 
mie, ville  autrefois  très  importante  et  très  populeuse. 


occasion,   Me^  Ignace  Samhiri   publia  la 
petite  encyclique  suivante  : 

Nos  bien-aîmés  fils,  prêtres,  notables  et 
laïques  de  notre  nation  syrienne. 

Il  importe  que  vous  compreniez  bien 
comment  notre  nation,  restaurée  par  son 
retour  à  la  religion  catholique,  a\^ait  aussi 
grandement  besoin  de  revenir  à  la  pratique 
des  saints  canons,  de  s'organiser  et  de  se 
discipliner.  En  effet,  elle  est  demeurée  bien 
longtemps  dans  les  ténèbres  de  l'hérésie  et 
du  désordre,  privée  des  exhortations  de 
celui  qui  ne  donne  sa  lumière  qu'aux  en- 
fants de  la  vraie  foi.  C'est  pourquoi,  après 
l'élection  patriarcale,  nous  nous  sommes 
immédiatement  réunis  en  synode,  en  pré- 
sence de  notre  frère.  M?''  Benoît  Planchet, 
délégué  apostolique  en  Mésopotamie,  et 
chargé  par  le  Pontife  romain  de  le  présider 
en  son  nom. 

En  vous  présentant  notre  synode  pour 
vous  exhorter  à  en  observer  les  ordonnances 
et  les  prescriptions,  nous  prions  avant  tout 
votre  piété  de  remercier  avec  nous  la  misé- 
ricorde divine,  qui  nous  a  pris  en  pitié,  a 
mis  entre  nous  la  concorde  la  plus  absolue, 
et  a  enflammé  nos  cœurs  d'un  zèle  ardent 
pour  nous  servir  de  tous  les  moyens  ca- 
pables de  procurer  votre  bien  spirituel  et 
le  salut  éternel  de  vos  âmes.  Cette  concorde, 
en  effet,  est  nécessaire  pour  l'édification  de 
tous  ;  «  car,  dit  le  Sauveur,  toute  maison 
qui  se  divise  contre  elle-même  tombera  en 
ruines  ».  C'est  pourquoi  nous  espérons  que, 
par  la  force  de  cette  union.  Dieu  bénira 
nos  travaux,  et  notre  nation  s'organisera, 
s  affermira  et  s'accroîtra  par  le  retour  de 
nos  frères  séparés  au  bercail  du  Bon  Pas- 
teur, notre  Rédempteur,  Jésus-Christ. 

Nous  vous  exhortons  donc,  bien-aimés 
fils,  à  vous  unir  à  nous  pour  implorer  la 
divine  miséricorde  et  supplier  la  Vierge 
Marie,  Notre-Dame  de  la  Délivrance,  dans 
le  monastère  et  sous  la  protection  de  la- 
quelle nous  nous  sommes  réunis,  de  con- 
server parmi  nous  cette  concorde  salutaire 
qui  se  perfectionne  par  l'union  de  la  charité 
et  la  soumission  des  subordonnés  à  leurs 
supérieurs  légitimes. 

Que  si  vous  désirez  ardemment  procurer 
de  grandes  consolations  à  notre  mère  la 
sainte  Eglise,  par  la  conversion  de  ses 
enfants  séparés,  il  importe  que  vous  don- 
niez à  tous  les  bons  exemples  d'une  vie 


298 


ECHOS   D  ORIENT 


sainte  et  de  la  "pratique  des  vertus  exigées 
des  vrais  disciples  de  Jésus-Christ.  Dans 
ce  but,  nous  exhortons  vivement  votre 
piété  à  vous  renouveler  dans  l'ardeur  de  la 
foi,  à  observer  ponctuellement  les  divins 
commandements  et  les  prescriptions  ecclé- 
siastiques, et  à  fréquenter  les  saints  sacre- 
ments, qui  sont  les  sources  des  grâces  di- 
vines, les  grands  moyens  de  notre  sancti- 
fication et  du  salut  de  nos  âmes. 

Vous  savez  que  notre  Sauveur,  Jésus- 
Christ,  n'a  fondé  qu'une  seule  Eglise,  en 
dehors  de  laquelle  il  ne  peut  y  avoir  de 
salut  pour  personne.  Il  est  lui-même  l'arbre 
qui  donne  la  vie  et  la  force,  et  toute  branche 
qui  en  sera  séparée  sera  flétrie  et  périra. 
Attachez-vous  donc  fermement  à  votre  foi, 
qui  est  la  vraie;  évitez  avec  soin  les  maîtres 
de  l'erreur,  qui  vous  arriveront  avec  des 
doctrines  nouvelles  et  une  religion  fausse 
qui  n'est  certes  pas  celle  de  Jésus-Christ  et 
de  sa  sainte  Eglise;  remerciez  la  bonté 
divine,  qui  vous  a  gratifiés  de  la  foi  ortho- 
doxe, qui  est  la  foi  des  sainf^,  la  foi  des 
martyrs,  la  foi  des  élus  au  royaume  céleste, 
la  seule  foi  véritable;  enfin,  décidez-vous 
à  vivre  selon  les  enseignements  de  cette 
foi  et  à  mourir  en  elle. 

Cette  même  foi  nous  apprend  nos  obli- 
gations chrétiennes;  elles  nous  pressent, 
avant  tout,  d'aimer  Dieu  qui  nous  a  créés 
et  nous  conserve  toujours,  d'aimer  notre 
prochain,  quel  qu'il  soit,  d'un  amour  vrai 
selon  le  commandement  du  Seigneur  qui, 
par  amour  pour  tous,  s'est  livré  à  la  mort 
sur  le  bois  de  la  croix;  enfin,  de  supporter 
avec  patience  les  adversités  de  cette  vie, 
qui  nous  font  comprendre  que  nous  n'avons 
point  de  demeure  permanente  sur  cette 
terre,  et  nous  font  mettre  en  pratique  la 
parole  de  notre  Sauveur,  Jésus-Christ  : 
«  Celui  qui  persévérera  jusqu'à  la  fin  sera 
sauvé  »  et  obtiendra  le  repos  éternel  dans 
la  Jérusalem  céleste,  l'Eglise  des  élus. 

En  vue  d'obtenir  cette  foi,  bien  chers 
fils,  nous  vous  commandons  la  soumission 
absolue  au  Siège  apostolique  où  règne  le 
Pontite  romain,  successeur  de  saint  Pierre, 
Vicaire  de  Jésus -Christ  sur  la  terre  et 
Chef  visible  de  l'Eglise.  Car  la  soumission 
au  Siège  romain  de  Pierre  et  à  ses  ordres 
est  la  marque  distinctive  des  vrais  enfants 
de  l'Eglise.  Unissez  donc  vos  prières  à 
celles  que  nous  ofl'rons  aujourd'hui  au  Très- 
Haut  pour  l'exaltation  de  sa  sainte  Eglise, 


l'extension  de  sa  foi  dans  tout  l'univers, 
afin  qu'il  découvre  à  tous  la  douceur  et  la 
majesté  de  sa  loi.  Ainsi  tous  sauront  que 
son  saint  Nom  est  connu  et  glorifié  parmi 
tous  les  peuples,  et  qu'ils  ont  un  Sauveur 
dans  les  cieux.  Ils  accepteront  la  foi  qu'il 
avait  prêchée  sur  la  terre,  et  ainsi  il  y  aura 
un  seul  troupeau  soumis  à  un  seul  pasteur. 

CONCLUSION  DES  ACTES  DU  SYNODE 

Après  cette  exhortation  si  touchante, 
le  synode  se  termine  par  la  courte  con- 
clusion suivante. 

Nous,  soussignés,  nous  sommes  réunis 
dans  le  Seigneur,  au  couvent  de  Notre- 
Dame  de  la  Délivrance,  situé  au  district  de 
Kesraouan,  au  Mont-Liban,  et  connu  sous 
le  nom  de  Charfé-Dar'oun,  dans  le  but  de 
tenir  un  synode  pour  organiser  notre  nation 
syrienne  catholique.  Cette  réunion  s'est 
accomplie  sous  la  présidence  de  M^""  Benoît 
'Planchet,  délégué  apostolique  en  Mésopo- 
tamie et  muni  de  pouvoirs  spéciaux  du 
Pontife  romain.  Ce  synode  a  commencé 
le  I"  décembre  i853  et  a  pris  fin  le  14  jan- 
vier 1854.  Nous  proclamons  que  ce  synode 
s'est  poursuivi  dans  un  accord  parfait  de 
nous  tous.  C'est  pourquoi  nous  déclarons 
accepter  toutes  les  ordonnances,  prescrip- 
tions et  disciplines  qui  y  sont  relatées.  De 
plus,  suivant  les  ordres  de  l'Eglise  catho- 
lique, nous  présentons  notre  présent  synode 
au  pontife  romain  Pie  IX,  glorieusement  ré- 
gnant, suppliant  Sa  Sainteté  d'en  ordonner 
l'examen  et  de  daigner  le  confirmer,  si  Elle 
le  juge  à  propos.  Enfants  de  la  sainte  Eglise, 
nous  nous  soumettons  humblement  à  tout 
ce  qui  y  sera  ordonné,  disposé  et  corrigé 
par  le  Siège  apostolique. 

On  a  vu,  au  début  de  ces  pages,  que  cette 
confirmation  du  synode  syrien  de  Charfé 
par  Rome  n'a  pas  eu  lieu.  Nous  avons  tenu 
I  cependant  à  présenter  cette  courte  notice 
à  nos  frères  les  Syriens  catholiques  du  pa- 
triarcat d'Antioche,  heureux  si  nous  pou- 
vions faire  naître,  chez  l'un  ou  l'autre  des 
éminents  ecclésiastiques  que  compte  ce 
patriarcat,  le  désir  et  le  projet  de  nous 
donner  un  jour  l'histoire  complète,  exacte 
et  documentée  de  leur  Eglise. 

Paul  Bacel, 

prêtre  du  rite  grec. 
Syrie. 


LES   «  ORIENTALIA    >^ 
DE   LA  BIBLIOTHÈQUE   JOHN   RYLANDS 


Trois  volumes,  in-40  monumental,  pour 
un  catalogue  de  papyrus  démotiques;  un 
volume  tout  aussi  monumental  et  splen- 
didement édité  pour  un  catalogue  de  pa- 
pyrus grecs  —  et  ce  n'est  que  le  premier  ; 
—  un  volume  semblable  pour  un  cata- 
logue de  manuscrits  coptes!  Et  ces  cata- 
logues signés  respectivement  Griffith, 
Hunt,  Crum!  Le  tout  publié  luxueusement 
par  une  bibliothèque  qui  tient  en  réserve 
et  nous  promet  bien  d'autres  richesses 
encore.  Et  cette  bibliothèque  n'a  pas  douze 
ans  d'existence!  Où  sommes-nous  donc? 
Nous  sommes  à  Manchester,  et  je  devine 
l'étonnement  de  plusieurs  à  la  révélation 
d'un  Manchester  à  ce  point  curieux  de 
trésors  littéraires  et  de  papyrus,  à  côté  de 
ses  balles  de  coton.  —  Eh  bien!  il  faut 
savoir  qu'il  n'y  a  peut-être  pas  au  monde, 
à  l'heure  qu'il  est,  Londres  mis  à  part,  de 
cité  industrielle  et  commerciale  intellec- 
tuellement mieux  dotée.  Bibliothèques, 
écoles,  Université,  rien  n'y  manque,  ou 
plutôt  tout  y  abonde.  Du  reste,  ce  n'est 
pas  tout  à  fait  d'aujourd'hui  que  les  affaires 
y  «marchent  de  front  avec  l'activité  d'une 
culture  libérale.  Les  spéculations  de  la 
fortune  et  celles  de  la  pensée  n'y  sont  donc 
pas  jugées  incompatibles.  Bref,  comme 
jadis  à  Venise,  les  sciences  et  les  arts 
trouvent  à  Manchester  de  magnifiques  et 
paisibles  retraites  —  j'allais  dire  des  boîtes 
à  coton  —  que  n'ont  pas  l'air  de  troubler 
le  moins  du  monde  les  agitations  d'un 
immense  commerce. 

La  «  John  Rylands  Library  »,  l'une  des 
plus  récentes,  mais  non  la  moins  impor- 

(i)  The  John  Rylands  Library,  Manchester. 
Catalogue  of  an  Exhibition  of  Manuscript  and 
Printed  Copies  of  the  Scriptures,  illustrating 
the  History  of  the  Transmission  of  the  Bible, 
shown  in  the  Main  Library  from  March  to  De- 
cember,  191 1.  9  1/2  X  6,  laS  pages.  Manchester, 
Universitv  Press. 


tante  des  institutions  littéraires  de  Man- 
chester, fut  ouverte  au  public  le  6  octobre 
1899.  Elle  doit  son  établissement  à  la 
munificence  de  Mrs  Rylands,  qui  l'érigea, 
la  pourvut  et  dota  princièrement,  pour 
perpétuer  à  Manchester  la  mémoire  du 
grand  citoyen  que  fut  son  mari,  John 
Rylands,  et  dans  le  but  de  favoriser  les 
hautes  études.  Mrs  Rylands  est  morte  le 
4  février  1908.  Je  ne  puis  mieux  faire  que 
de  renvoyer,  pour  plus  de  détails  sur  la 
fondatrice  et  sa  fondation  grandiose,  au 

Bulletin  of  the  John  Rylands  Library , 

volume  I,  numéro  6,  october  1908  (car 
la  bibliothèque  a  son  bulletin  périodique), 
et  à  une  brochure  publiée  en  1907  sous  le 
titre  :  The  John  Rylatids  Library.  A  brief 
bistorical  description  of  the  Library  and  ils 
contents.  Les  photographies  qu'on  y  a 
insérées  donneront  en  même  temps  une 
idée  des  splendeurs  de  l'installation. 

L'érection  du  monument  commençait 
en  1 890,  deux  ans  après  la  mort  de  M.  Ry- 
lands. En  1892,  sa  veuve  faisait  l'acqui- 
sition de  «  la  plus  belle  et  la  plus  riche 
bibliothèque  d'Europe  »  —  au  dire  de 
Renouard,  —  VAltborp  Library,  collection 
de  40000  volumes  réunis  par  Lord  Spencer 
(1790),  riche  en  incunables  et  en  éditions 
princeps  de  toutes  sortes .  Ce  premier  fonds 
s'est  rapidement  augmenté.  La  Rylands 
Library  compte  aujourd'hui  130  000  vo- 
lume et  constitue,  suivant  le  désir  de  la 
fondatrice,  un  véritable  lieu  de  pèlerinages 
pour  les  amateurs  de  livres  rares,  en  même 
temps  qu'un  magasin  d'abondance  pour 
les  études  philosophiques,  théologiques, 
historiques,  aussi  bien  que  philologiques, 
littéraires  et  bibliographiques. 

Au  mois  d'août  1901,  Mrs  Rylands, 
renchérissant  sur  la  magnificence  de  ses 
libéralités  antérieures,  acquit  pour  cette 
bibliothèque  la  collection  entière  des  pa- 


300 


ÉCHOS    d'orient 


pyrus  et  des  manuscrits  de  lord  Crawford. 
Ce  fut  une  acquisition  sensationnelle.  La 
Bibliotheca  Linâesiatia  n'était  qu'un  de  ses 
éléments,  et  pourtant,  à  elle  seule,  elle 
passait  pour  être,  comme  cabinet  de  ma- 
nuscrits, au  moinslependant  de  cequ'était, 
pour  les  incunables  et  les  livres  rares, 
l'Âlthorp  Library.  11  serait  difficile  d'exa- 
gérer l'importance  de  cette  nouvelle  acqui- 
sition de  Mrs  Rylands.  En  entrant  dans  la 
nouvelle  fondation,  c'est  une  collection 
inappréciable  de  6  ooo  articles,  connus 
jusque-là  seulement  de  quelques  savants 
spécialistes  privilégiés,  qui,  désormais,  al- 
lait s'ouvrir  libéralement  à  tous  les  travail- 
leurs, archéologues,  etc. ,  auxartistesaussi. 
Rien  que  pour  la  richesse  de  certaines 
reliures,  ornées  de  métaux,  d'ivoires,  etc., 
chefs-d'œuvre  de  joaillerie  des  xif  et 
xiiie  siècles,  elle  prend  rang  immédiate- 
ment après  la  Bibliothèque  Nationale  de 
Paris  et  la  Bibliothèque  Royale  de  Munich. 
Mais  surtout,  à  côté  de  manuscrits  armé- 
niens, thibétains,  siamois,  chinois,  japo- 
nais, malais,  persans,  arabes,  turcs,  pa- 
pyrus coptes  et  manuscrits  des  v^  et 
vie  siècles,  de  papyrus  grecs,  de  manu- 
scrits samaritains,  de  rouleaux  et  codices 
hébraïques,  on  y  trouve  la  plus  belle  réu- 
nion de  papyrus  démotiques  connue  jus- 
qu'à ce  jour.  Inutile  d'ajouter  que  Mrs  Ry- 
lands a  sacrifié  pour  cette  acquisition  des 
sommes  énormes.  Et  ce  n'était  pas  son 
dernier  mot.  Par  testament,  elle  léguait 
encore  à  sa  bibliothèque,  outre  des  mil- 
liers de  livres,  manuscrits  et  estampes, 
qu'elle  conservait  dans  sa  résidence  de 
Longford  Hall,  un  capital  de  200000  livres 
(5  millions  de  francs),  assurant  un  revenu 
de  325  000  francs,  grâce  auquel  les  trustées 
et  governors  de  l'institution  remplissent, 
à  la  satisfaction  —  je  devrais  dire  à  l'ad- 
miration —  générale,  le  vœu  de  la  fon- 
datrice. 

On  s'est  tout  de  suite  mis  aux  catalogues, 
et  c'est  aux  savants  spécialistes  les  plus 
éminents  dans  chaque  branche  qu'en 
est  confiée  la  publication  :  le  professeur 
Hogg  pour  les  manuscrits  arabes,  les 
Drs  Grenfell   et  Hunt  pour   les   papyrus 


grecs,  M.  F.  Ll.  Griffith  pour  les  papyrus 
démotiques,  M.  Crum  pour  les  coptes,  le 
Df  M.  Rhodes  James  pour  les  orientaux, 
M.  Cowley  pour  les  samaritains,  M.  Ni- 
cholson,  de  Cambridge,  pour  les  manu- 
scrits persans,  le  professeur  Margoliouth 
pour  les  papyrus  arabes. 

L'œuvre  est  en  pleine  activité.  Le  bul- 
letin d'octobre  1908  —  je  n'ai  que  celui-là 
sous  les  yeux  —  parle  de  conférences  très 
suivies  qu'on  y  a  données  pendant  l'hiver 
de  1907-1908.  Des  réunions  spéciales  y 
mettent  les  plus  humbles  travailleurs  au 
courant  des  ressources  variées  que  peut 
leur  offrir  la  bibliothèque.  Outre  les  con- 
férences, on  multiplie  les  expositions  des- 
tinées à  mobiliser  méthodiquement  sur 
un  point  donné  toutes  ces  ressources.  La 
publication  dont  je  donne  le  titre  au  com- 
mencement de  cet  article  en  fournit  un 
exemple.  Voici  encore  le  Catalogue  of  an 
exhibition  of  illuminated  manuscripts  prin- 
cipally  biblical  and  liturgical  exhibited  on 
the  occasion  of  the  meeting  of  the  Cburch 
Congress  in  october  1908;  le  Catalogue  of 
the  Exhibition  of  early  greek  and  latin  clas- 
sics,  etc. 

Je  me  reprocherais  de  ne  pas  prononcer 
ici  le  nom  du  bibliothécaire  en  chef, 
M.  Gruppy.  On  connaît  le  type  du  biblio- 
thécaire avare  et  jaloux.  M.  Gruppy, 
comme  les  Delisle  et  les  Omont,  à  l'école 
desquels  il  a  pris  langue  pendant  un  cer- 
tain temps,  est  tout  l'opposé  de  ce  type-là. 
C'est  une  constante  préoccupation  chez 
lui,  c'est  un  bonheur  de  sa  vie  de  faire 
rendre  aux  livres  tous  les  services  pos- 
sibles. L'organisation  des  conférences  et 
des  expositions  dont  je  viens  de  parler 
suppose  une  initiative  intelligente  et  tou- 
jours en  éveil,  toujours  en  quête  des 
moyens  d'attirer  l'attention  des  travailleurs 
sur  les  richesses  littéraires  qu'on  ne  de- 
mande qu'à  mettre  à  leur  portée.  C'est 
l'âme  de  M.  Gruppy  qu'on  devine  partout. 
Naturellement  il  ne  se  contente  pas  de 
susciter  et  d'alimenter  les  activités  litté- 
raires ;  il  paye,  par  surcroît,  de  sa  personne. 
Mais  partout  il  apporte,  si  j'ose  ainsi  dire, 
le  même  prosélytisme  bibliographique.  Je 


LES    «    ORIENTAL! A    »    DE    LA    BIBLIOTHÈQUE   JOHN    RYLANDS 


301 


n'en  veux  pour  preuve  que  les  sujets  de 
conférence  qu'il  affectionne  :  The  Books  of 
the  Middle  Ages  and  their  viahers,  tel  est  le 
titre  de  celle  qu'il  donnait,  au  milieu  de 
ses  livres,  le  7  mars  1908,  à  la  Nortb-Wes- 
tern  Coopérative  Educational  Commitiees' 
Association.  Il  vient  également  d'entre- 
prendre une  série  de  reproductions  of  unique 
or  rare  books  in  tbe  possession  of  the  John 
Rylands  Library  sous  ce  titre  :  The  John 
Rylands  Facsiîniles.  Les  vues  généreuses 
de  la  fondatrice  ne  pouvaient  trouver  un 
interprète  et  un  exécuteur  testamentaire 
plus  fidèle,  plus  diligent,  plus  hospitalier. 
C'est  un  hommage  et  une  justice  qu'aiment 
à  lui  rendre  de  loin  comme  de  près  tous 
ceux  qui  ont  mis  à  contribution  son  obli- 
geance inépuisable. 

J'en  ai  dit  assez  pour  montrer  que  la 
John  Rylands  Library  n'est  pas  seulement 
un  numéro  de  Great  attraction  pour  les 
programmes  d'admiration  conventionnelle 
et  fugitive  de  l'agence  Cook,  et  qu'elle 
n'est  pas  davantage  un  de  ces  dépôts 
oubliés  dont  on  ne  secoue  jamais  l'inuti- 
lité poudreuse.  C'est  véritablement  un 
organe  scientifique  vivant  et  agissant.  Le 
comité  des  Trustées,  Governors  and  Prin- 
cipal officers,  auxquels  Mrs  Rylands  en  a 
confié  le  développenient  intérieur  et  la 
mise  en  valeur  pratique,  continue  collec- 
tivement d'en  être  le  Mécène,  et  de  favo- 
riser, de  susciter  même,  je  le  répète,  les 
activités  littéraires,  par  les  facilités  qui 
leur  sont  offertes  dans  des  conditions 
idéales  de  largeur,  d'intelligence  et  d'ini- 
tiation. Dès  maintenant,  en  particulier,  la 
bibliothèque  John  Rylands  ne  saurait  être 
négligée  dans  aucun  des  domaines  de 
l'orientalisme  savant. 


C'est,  en  même  temps  qu'un  catalogue, 
une  publication  monumentale  de  papyrus 
démotiques  que  nous  offrent  les  trois 
volumes  de  M.  F.  Ll.  Griffith  (i).  11  s'agit 

(i)  Catalogue  of  the  Demotic  Papy  ri  in  the 
John  Rylands  Library  Manchester.  Wilh  Facsi- 
miles  and  complète  translations  by  F.  Ll.  Grif- 
fith, M.  A.  Reader  in  Egyptology  in  the  L'ni- 


de  la  collection  formée  par  lord  Craw- 
ford  au  cours  d'un  voyage  en  Egypte 
durant  l'hiver  de  1898-1899,  mais  dont  il 
n'était  resté  possesseur  que  jusqu'en  1901. 
Mrs  John  Rylands,  à  cette  date,  en  faisait 
l'acquisition,  et  la  déposait  avec  tous  les 
manuscrits  de  Haigh  Hall,  sa  résidence, 
à  la  bibliothèque  fondée  par  elle  sous  le 
nom  de  son  mari. 

Ce  fonds  démotique  est  extraordinaire- 
ment  riche  en  textes  de  l'époque  prépto- 
lémaique,  et,  sous  ce  rapport,  le  catalogue 
fait  plus  que  doubler  la  somme  de  ce  que 
les  diverses  publications  spéciales  nous 
avaient  fait  connaître  jusqu'ici.  Ce  n'est 
rien  dire  encore.  Car  l'une  de  ces  pièces, 
le  n"  IX,  est  unique  en  son  genre  et  nous 
ouvre  des  horizons  tout  nouveaux  sur 
l'époque  de  Psammétique.  On  y  saisit,  en 
quelque  sorte  sur  le  vif,  le  jeu  des  lois 
et  des  institutions  de  l'Egypte  au  vif  siècle 
avant  l'ère  chrétienne.  Aux  yeux  des 
égyptologues,  la  Pétition  de  Peteesi  — 
c'est  le  nom  désormais  célèbre  de  cette 
pièce  —  dépasse,  sans  comparaison  pos- 
sible, en  valeur  et  en  intérêt,  tous  les 
monuments  connus  de  l'ancien  démotique. 

Lord  Crawford,  considérant  l'impor- 
tance scientifique  d'un  pareil  trésor  de 
papyrus,  en  avait  projeté  la  publication 
complète  dans  un  catalogue  dont  il  avait 
confié  la  rédaction  à  M.  F.  Ll.  Griffith. 
L'illustre  savant  continua  son  travail  après 
le  transfert  des  papyrus  à  la  bibliothèque 
Rylands,  et  celle-ci  prit  même  à  sa  charge 
tous  les  frais  d'une  publication  fort  oné- 
reuse, sans  doute,  mais  aussi  dont  elle 
peut  être  très  fière.  Ce  n'en  est  pas  moins 
à  M.  F.  Ll.  Griffith  qu'on  est  redevable 
avant  tout  d'une  œuvre  à  laquelle  il  n'a 
pas  consacré  moins  de  dix  ans,  transcri- 
vant diplomatiquement  les  papyrus  les 
plus  anciens,  indépendamment  des  repro- 
ductions photographiques  (encore  insuflfi- 

versity  of  Oxford.  Volume  I.  Atlas  of  Fac- 
similés.  Manchester,  University  Press,  1909 
iLXXXV  planches).  Volume  11.  Hand-copies  of 
the  earlier  documents  (n"  i-ix).  Manchester,  igog 
(XLll  planches!.  Volume  III.  Key-List,  Transla- 
tions, Commentaries  and  Indices.  Manchester, 
1909  ixn-468  pages). 


302 


ÉCHOS    d'orient 


santés  à  son  gré,  sans  cette  précaution) 
qu'en  donne  le  premier  volume,  aussi 
bien  que  de  tous  les  autres,  les  tradui- 
sant en  hiéroglyphes,  même  en  copte,  les 
transposant  en  caractères  latins,  les  tra- 
duisant en  anglais,  les  annotant,  etc., 
bref,  les  présentant  et  les  étudiant  sous 
toutes  les  formes,  au  moyen  d'indices,  de 
monographies  et  de  glossaires  où  l'on 
passe  en  revue  méthodiquement  les  mots 
démotiques,  les  noms  de  lieux  et  de  per- 
sonnes, des  dignités  et  professions,  sans 
parler  d'un  nombre  infini  de  renseigne- 
ments géographiques,  historiques,  poli- 
tiques, religieux,  paléographiques,  philo- 
logiques, etc.  Sous  la  plume  de  M.  Grit- 
fith,  rien  que  la  présentation  des  lieux  au 
lecteur  devient  une  description  très  inté- 
ressante, très  fouillée. 

L'auteur  divise  les  papyrus  de  Man- 
chester en  quatre  groupes,  suivant  leur 
âge  et  leur  provenance.  Neuf  ont  été 
trouvés  sur  la  rive  droite  du  Nil,  dans  les 
ruines  du  temple  de  El  Hibeh,  le  seul 
peut-être  qui  subsiste  encore  de  tous  les 
temples  de  la  moyenne  Egypte.  Les  no»  1 
et  11  de  ce  groupe  datent  du  règne  de 
Psammétique  I^i";  les  no»  111  à  VllI  du  règne 
d'Amasis,  et  le  n»  IX  (la  Pétition  de  Peteesi) 
du  règne  de  Darius  l^"".  Toujours  en  sui- 
vant l'ordre  chronologique,  nous  trou- 
vons les  papyrus  ptolémaïques  au  nombre 
de  vingt-six,  cinq  provenant  de  Thèbes. 
Ils  embrassent  une  période  d'environ  qua- 
rante ans,  d'Alexandre  IV  à  Ptolémée  Phi- 
ladelphe,  en  passant  par  Ptolémée  I«r.  Dix- 


huit  proviennent  de  Gebelih.  au  sud  de 
Thèbes,  s'échelonnant  de  Ptolémée  VI 
Philométor  à  Ptolémée  Eupator,  Ptolémée 
Evergète  II,  Cléopâtre,  Alexandre  et  Béré- 
nice. Il  reste  trois  autres  papyrus  ptolé- 
maïques dont  M.  Griffith  ne  peut  déter- 
miner la  provenance.  Enfin,  les  n»'*  XLIV 
(règne  de  Tibère)  et  XLV(règne  de  Claude) 
ont  été  rencontrés  à  Dune,  dans  le  Fayoum. 
Il  est  impossible  de  donner  la  moindre 
idée  de  l'immense  et  consciencieux  travail 
dont  témoignent  ces  trois  volumes.  Il 
faudrait  avoir  sous  les  yeux,  par  exemple, 
les  vingt-cinq  planches(trois  sont  doubles) 
reproduisant  les  transcriptions  de  ces  do- 
cuments, faites  à  la  main  par  l'éditeur, 
dans  le  deuxième  volume,  puis  les  trente- 
cinq  pages  de  leur  transfert  en  hiéroglyphes 
et  en  caractères  «  européens  »  et  coptes, 
avec  annotation  courante  extrêmement 
riche;  enfin,  les  cinquante-deux  pages  où 
l'auteur  étudie  méthodiquement  la  pièce 
—  traduite  cette  fois  en  anglais,  —  et  ce 
ne  serait  pourtant  sur  ce  point,  de  beau- 
coup le  plus  important,  il  est  vrai,  qu'une 
moitié  des  résultats,  puisque  la  Part.  IL 
Philological,  l'armature  des  glossaires  et 
de  ce  qui  porte  le  titre  d'Indices,  où  sont 
fondues  toutes  leurs  données  avec  celles 
des  ajjtres  pièces,  *en  représente  encore 
un  élément  considérable.  L'œuvre,  en  un 
mot,  fait  le  plus  grand  honneur  à  la  science 
anglaise  et  à  l'intelligente  générosité  de 
ses  Mécènes. 

Germanos  Gallophylax. 

Ryde. 


ORGANISATION  DE  LA  COMMUNAUTÉ 

GRECQUE  ORTHODOXE  DE  KADI-KEUI 


Dans  deux  articles  publiés  récemment, 
ici  même  (i),  nous  avons  fait  connaître 
l'organisation  générale  de  l'Eglise  grecque 

(i)  Cf.  Echos  d'Orient,  mars  igii,  p.  110-116; 
mai  191 1,  p.  160-166. 


orthodoxe.  Déjà,  à  la  lecture  de  cet  exposé 
d'ensemble,  tout  homme  avisé  aura  re- 
connu combien  est  intime  la  compéné- 
tration  de  l'élément  ecclésiastique  et  de 
l'élément  laïque  dans  le  gouvernement  de 


ORGANISATION    DE   LA  COMMUNAUTE   GRECQUE   ORTHODOXE   DE   KADI-KEUI 


303 


cette  Eglise.  Mais,  pour  saisir  de  plus  près 
les  inconvénients  ou  les  avantages  qui 
résultent  de  cette  situation,  il  est  à  propos 
d'étudier,  non  plus  seulement  l'Eglise 
orthodoxe  ou  un  diocèse  en  général,  mais 
aussi  une  communauté  orthodoxe  en  par- 
ticulier, soit  dans  ses  rapports  avec  ses 
chefs  hiérarchiques,  soit  dans  les  mul- 
tiples détails  de  sa  vie  paroissiale. 

C'est  pourquoi,  dans  cet  article,  nous 
nous  proposons  de  faire  connaître,  en 
nous  fondant  sur  des  documents  officiels, 
le  règlement  de  la  Communauté  grecque 
orthodoxe  de  Kadi-Keuï  (i).  A  cet  effet, 
après  avoir  indiqué  quelle  est  l'organisa- 
tion générale  de  cette  Communauté,  nous 
considérerons  tour  à  tour  dans  cette 
grande  famille  les  droits  et  les  devoirs 
respectifs  du  clergé  et  des  autres  membres 
de  la  Communauté. 

1.  Organisation  générale 
DE  LA  Communauté. 

Association  de  tous  les  Grecs  ortho- 
doxes de  la  ville  de  Kadi-Keuï  qui  sont 
sous  la  juridiction  spirituelle  du  métropo- 
lite dit  de  Chalcédoine.  Cette  Commu- 
nauté possède  quatre  églises,  trois  écoles, 
deux  cimetières,  un  théâtre  et  un  hagbiasma 
ou  fontaine  sacrée.  Elle  est  administrée 
par  une  éphorie  centrale  (2),  par  les  Com- 
missions des  églises  et  des  cimetières,  par 
les  éphories  particulières  des  écoles  et  par 
une  Commission  dite  de  contrôle  (3). 

Les  cinq  membres  de  Véphorie  centrale 
sont  élus  au  scrutin  secret  parmi  les 
notables  de  la  Communauté  et  remplacés 
par  d'autres  tous  les  deux  ou  trois  ans. 
C'est  d'eux  que  dépendent  le  secrétariat 


(1)  La  ville  actuelle  de  K.adi-K.euï,  située  sur  la 
rive  asiatique  de  la  Marmara,  à  l'entrée  du  Bos- 
Iphore,  en  face  de  Constantinople,  est  bâtie  sur 
'e  mplscement  de  l'ancienne  ville  de  Chalcédoine 
où  se  tint,  en  45i,  le  IV*  Concile  œcuménique.  Sa 
population  est  actuellement  de  3o  000  âmes,  dont 
i5  000  Grecs,  5  000  Arméniens,  2  ooo  Latins, 
6000  musulmans,  2000  Juifs  et  200  protestants. 
Les  Grecs  orthodoxes  y  sont  donc  en  majorité. 

(2)  KavovKTiiô;  tt,;  êv  Xa).xT)CÔv;  ÉX).T,v'.xf,ç  ôpOoS^çoy 
/.o:-/ÔTr,Toç,  Kadi-KeuT,  K.oromila,  1910,  p.  i-8. 

?i  P.  19-20. 


général  de  la  Communauté,  le  bureau  de 
comptabilité  générale,  le  bureau  des 
registres  de  l'état  civil,  la  trésorerie  cen- 
trale et,  en  général,  l'administration  des 
biens  de  la  Communauté.  A  Véphorie 
revient  aussi  le  droit  de  choisir  son  prési- 
dent, son  secrétaire  et  son  trésorier,  d'ad- 
ministrer les  biens  des  églises  et  des 
écoles,  de  surveiller  le  travail  des  autres 
Commissions  ou  éphories,  de  souscrire  les 
emprunts  à  contracter,  de  faire  le  bilan 
annuel  de  la  Communauté  et  d'en  établir 
le  budget  pour  le  soumettre  à  l'approba- 
tion d'une  assemblée  générale  et  de  faire 
connaître  dans  les  assemblées  générales 
régulières  la  situation  administrative  de  la 
Communauté.  Aux  réunions  régulières  de 
Véphorie  q\i\  se  tiennent  une  fois  par  mois, 
la  présence  de  trois  membres  est  requise 
pour  que  l'on  ait  le  quorum  voulu;  la 
signature  de  trois  éphores  est  également 
indispensable  sur  les  écrits  qui  intéressent 
la  Communauté  tout  entière  ;  les  décisions 
de  l'assemblée  sont  toujours  prises  à  la 
majorité  absolue  des  voix,  et,  en  cas  d'éga- 
lité des  suffrages  exprimés,  la  voix  du  pré- 
sident est  prépondérante  (i). 

Au-dessous  de  Véphorie  centrale  chargée, 
on  le  voit,  de  la  direction  générale  de  la 
Communauté,  il  faut  placer,  par  ordre 
d'importance,  la  Commission  des  églises  et 
des  cimetières  dont  les  membres  sont  élus 
à  la  réunion  générale  annuelle  de  tous  les 
membres  de  la  Communauté  et  remplacés 
par  d'autres  tous  les  trois  ans.  Cette  Com- 
mission se  choisit  elle-même  un  prési- 
dent, un  secrétaire  et  un  caissier,  veille 
à  l'entretien  des  églises  et  des  cimetières 
et  nomme  les  ministres  inférieurs  pré- 
posés au  service  des  églises.  Elle  se  garde 
de  faire  des  dépenses  qui  n'ont  pas  été 
prévues  en  général  dans  le  budget 
annuel  de  la  Communauté.  Pas  plus  que 
les  membres  de  Véphorie  centrale,  les  trois 
membres  de  cette  Commission  n'ont  droit 
à  une  rétribution  quelconque  (2). 

Voici  maintenant  les  éphories  des  écoles 


(i)  Op.  cit.,  p. 'lO-iS. 
(2)  P.  i3-i6. 


b 


304 


ECHOS    D  ORIENT 


qui,  comme  Yéphorie  centrale,  se  choi- 
sissent leur  président,  leur  secrétaire  et 
leur  caissier.  A  elles  revient  le  soin  d'ad- 
ministrer les  écoles  sous  la  surveillance 
de  Yéphorie  centrale  et  de  répartir  les  fonds 
affectés  par  Yéphorie  centrale  aux  dépenses 
scolaires;  mais  il  leur  est  défendu  de 
souscrire  des  emprunts  et  de  prélever  des 
sommes  pour  des  dépenses  extraordi- 
naires sans  l'autorisation  de  Yéphorie  cen- 
trale. Enfin,  c'est  à  ces  éphories  que  la 
Communauté  grecque  orthodoxe  confie 
le  soin  d'examiner  les  enfants  nés  de 
parents  hétérodoxes  qui  sollicitent  leur 
admission  dans  les  écoles  grecques  ortho- 
doxes de  Kadi-Keuï  (i). 

Le  travail  des  Commissions  précédentes 
est  complété  par  la  Commission  dite  de 
contrôle.  Cette  dernière,  composée  de  trois 
membres,  est  accessible  à  tous  les  no- 
tables de  la  Communauté  qui  ne  font  pas 
déjà  partie  des  autres  Commissions  ou 
éphories.  Elle  est  chargée  de  vérifier  annuel- 
lement tous  les  livres  de  comptes  des 
autres  Commissions  et  d'exiger  de  chaque 
membre  de  ces  Commissions  les  éclair- 
cissements nécessaires.  Ces  renseigne- 
ments servent  de  base  au  rapport  final 
que  signent  les  trois  membres  contrô- 
leurs et  qui  relate,  avec  les  excédents  ou 
les  déficits  budgétaires,  les  infractions  au 
règlement  de  la  Communauté  dont  se 
sont  rendus  coupables  les  divers  membres 
des  Commissions  durant  l'exercice  qui 
vient  de  s'écouler  (2). 

Les  membres  de  l'une  ou  l'autre  de 
ces  éphories  et  de  ces  Commissions  sont 
élus  dans  des  assemblées  générales  de  la 
Communauté.  Sont  déclarés  électeurs 
tous  les  orthodoxes  qui  ont  fixé  leur 
domicile  à  Kadi-Keuï  et  qui  versent  annuel- 
lement une  redevance  de  30  piastres 
(6  fr.  30)  à  la  caisse  générale  de  la  Com- 
munauté; sont  déclarés  de  plus  éligibles 
tous  ceux  qui  versent  par  an  à  la  même 
caisse  la  somme  de  100  piastres  (21  francs). 
Mais,  pour  être  électeurs  et  éligibles,  les 
orthodoxes     ne     doivent    jamais    avoir 

(i)  p.  17-18 
(2)  p.  19-20. 


encouru  de  condamnation  judiciaire  infa- 
mante, doivent  être  mariés  légalement  et 
n'être  ni  salariés  par  la  Communauté,  ni 
membres  du  clergé,  ni  indigents,  ni  pères 
d'enfants  reçus  gratuitement  dans  les 
écoles  de  la  Communauté. 

Affichés  tous  les  ans,  du  i^r  au  16  Jan- 
vier, dans  le  narthex  des  églises,  les  noms 
des  électeurs  et  des  éligibles  sont  ensuite 
répartis  sur  les  listes  particulières  des 
représentants  de  Kadi-Keuï,  soit  à  l'élec- 
tion du  patriarche,  soit  au  Conseil  mixte 
du  Phanar,  soit  à  l'élection  des  deux 
mouktars  (i)  de  la  -Communauté,  soit 
enfin  à  l'élection  des  députés  de  Cons- 
tantinople  à  la  Chambre  turque. 

Convoquée  par  le  président  de  Yéphorie 
centrale,  l'assemblée  générale  des  élec- 
teurs est  régulière  si  elle  se  réunit  une 
fois  par  an  en  février,  extraordinaire,  si, 
à  la  demande  d'au  moins  cinquante  élec- 
teurs, elle  tient  ses  séances  en  dehors  du 
temps  fixé;  les  votes  y  sontpublics,  à  main 
levée  ou  par  appel  nominal,  selon  le 
désir  du  président  —  le  métropolite  de 
Chalcédoine  ou  un  clerc  délégué  à  cet 
effet,  —  mais  toujours  secrets,  s'il  s'agit 
de  trancher  une  question  personnelle,  et 
les  décisions,  prises  autant  que  possible  à 
la  majorité  absolue  des  voix,  sont  consi- 
gnées dans  un  registre  spécial  par  le 
secrétaire  de  l'assemblée. 

Observons  à  ce  sujet  qu'il  n'est  pas 
permis  au  père  et  à  son  fils,  au  beau-père 
et  à  son  gendre  et  à  deux  frères  d'être 
en  même  temps  membres,  l'un  de 
Yéphorie  centrale,  l'autre  d'une  Commis- 
sion ou  d'une  ^^jbcn>  quelconque  :  mesure 
de  sagesse  qui  a  pour  but  de  conjurer  le 
péril,  si  commun  dans  ces  associations, 
du  favoritisme  familial. 

Enfin,  si  l'un  des  membres  de  ces 
éphories  ou  Commissions  n'accepte  pas 
son  élection,  s'il  donne  sa  démission,  s'il 
meurt  ou  s'il  manque  gravement  à  l'un 
de  ses  devoirs,  on  lui  nomme  d'office  un 
remplaçant  (2). 


(i)  p.'  20-32  sq.  —  Nous  précisons  plus  loin  les 
fonctions  de  ces  mouktars. 
(2)  P.  32-33. 


ORGANISATION    DE    LA   COMMUNAUTÉ    GRECQ.UE   ORTHODOXE    DE    KADI-KEUÏ  305 


Telle  est  donc,  dans  ses  grandes  lignes, 
l'organisation  de  la  Communauté  de 
Kadi-Keuï.  Jusqu'ici,  nous  n'avons  guère 
parlé  du  rôle  du  clergé.  En  effet,  les 
ecclésiastiques  n'étant  ni  électeurs  ni  éii- 
gibles,  sauf  quand  il  est  question  de 
choisir  un  nouveau  patriarche,  nous 
n'avions  pas  dans  le  gouvernement  géné- 
ral de  la  Communauté  d'influence  ecclé- 
siastique à  signaler  (ii.  Cependant,  le 
clergé  occupe  une  large  place  dans  la 
Communauté.  D'abord,  c'est  le  métropo- 
lite de  Chalcédoine  qui  ratifie  les  élections 
dont  nous  avons  parlé.  En  second  lieu, 
les  ecclésiastiques  remplissent  dans  la 
Communauté  les  importantes  fonctions 
que  nous  allons  indiquer. 

II.  Le  clergé. 

Nous  parlerons  successivement  de  son 
organisation  en  général,  de  ses  devoirs 
et  des  subventions  régulières  ou  extraor- 
dinaires auxquelles  il  a  droit. 

Un  métropolite,  chef  hiérarchique,  cinq 
prêtres  et  trois  diacres  composent  le 
clergé  attaché  aux  quatre  églises  de  la 
Communauté.  De  ces  clercs,  «  qui  tous 
doivent  être  d'une  conduite  irrépro- 
chable »,  deux  au  moins  sortent  de 
l'Ecole  théologique  de  Halki  et  prêchent 
autant  que  possible  les  dimanches  et  les 
jours  de  fête;  trois  prêtres,  les  plus  âgés, 
remplissent  les  fonctions  de  confesseur, 
enfin,  tous  ont  été  élus  par  Véphorie  cen- 
trale, d'accord  sur  ce  point  avec  la  Com- 
mission des  églises  et  approuvés  par  le 
métropolite  (2). 

Nombreux  sont  leurs  devoirs:  au  curé 
ou  prêtre  principal  de  la  Communauté 
(  6 'îtco''iT-:â|jL2vo;)  incombe  le  soin  de  prêcher 
dans  les  églises  de  la  Communauté,  de 
veiller  sur  la  conduite  des  prêtres  et  des 
autres  clercs,  ses  subordonnés,  de  les 
punir  au  besoin  après  en  avoir  référé  au 
métropolite  et  à  lV^jbc>r/>^^«/r^/^,  de  répartir 
équitablement  les  charges  du   ministère 


li)  p.  21. 

(2|  P.  35-36. 


entre  ses  inférieurs,  de  veiller  à  ce  que  les 
saints  offices  soient  célébrés  avec  conve- 
nance, d'avertir  Véphorie  centrale  des  sujets 
de  plainte  qu'il  peut  avoir  à  formuler 
contre  son  clergé  et  de  tous  les  perfec- 
tionnements qu'il  se  propose  d'apporter 
au  service  des  églises  (i). 

Après  le  curé,  les  prêtres  et  les  diacres 
de  la  paroisse  auxquels  on  prescrit 
d'habiter  seuls  dans  des  cellules  contiguës 
aux  églises,  de  ne  jamais  abandonner  leur 
ministère,  le  jour  ou  la  nuit,  sans  l'auto- 
risation du  curé,  de  se  conformer,  au 
point  de  vue  administratif,  aux  décisions 
de  la  Commission  locale,  d'obéir  en  tout 
à  leur  curé  dans  le  domaine  canonique, 
de  prêcher,  s'ils  sont  théologiens,  confor- 
mément aux  décisions  de  leur  curé,  d'ac- 
cord sur  ce  point  avec  Véphorie  centrale, 
de  remplir  leurs  devoirs  de  pasteurs  à 
toute  heure  du  jour  ou  de  la  nuit,  d'être, 
en  tout  temps,  vêtus  décemment  et  recom- 
mandables  par  leurs  bonnes  mœurs,  de 
ne  pas  voyager  sans  une  autorisation 
écrite  de  Véphorie  centrale,  sous  peine  de 
punition;  enfin,  s'ils  sont  mariés,  de 
passer  la  nuit  dans  leurs  maisons,  mais 
de  se  tenir  prêts  à  remplir  leurs  devoirs 
au  premier  appel  du  curé  et,  à  tour  de 
rôle,  de  veiller  la  nuit  dans  une  église  (2). 

Tels  sont  les  devoirs  généraux  du 
clergé  grec  de  Kadi-Keuï.  Comme  les 
droits  sont  corrélatifs  des  devoirs,  les 
clercs  de  cette  Communauté  ont  égale- 
ment droit  à  certaines  subventions  qui 
leur  permettent  de  vivre.  Mais  il  y  a  lieu 
de  distinguer,  sous  ce  rapport,  les  subven- 
tions accordées  au  métropolite  des  sub- 
ventions concédées  aux  autres  membres 
du  clergé. 

Le  métropolite,  comme  chef  hiérar- 
chique du  diocèse  de  Chalcédoine,  reçoit 
une  subvention  de  72  700  piastres  par 
an,  soit  exactement  15267  francs.  Mais 
la  Communauté  de  Kadi-Keuï,  qui  n'est 
qu'une  fraction  de  son  troupeau  spirituel, 
n'est  pas  condamnée,  on  le  conçoit,  à  lui 


(i)  p.  36-37. 

(2)  P.  37-38. 


3o6 


ÉCHOS   d'orient 


payer  à  elle  seule  cette  subvention.  Elle 
lui  donne,  par  an,  8000  piastres  argent, 
c'est-à-dire  exactement  i  680  francs, 
payables  en  deux  acomptes  versés  suc- 
cessivement le  lei'  janvier  et  le  i^»  juillet 
de  chaque  année.  Toute  augmentation  de 
cette  redevance  ne  peut  se  faire  sans 
l'entente  préalable  de  la  Communauté  de 
Kadi-Keuï  avec  les  autres  communautés 
du  diocèse. 

Mais,  en  dehors  de  cette  subvention 
régulière,   le  métropolite  reçoit  encore  : 

a)  10  piastres,  c'est-à-dire  2  fr.  10,  pour 
chaque  autorisation  de  mariage  qu'il 
accorde  ;  b)  50  piastres  au  moins  (  i  o  fr.  50) 
chaque  fois  qu'il  préside  une  cérémonie 
sacrée;  c)  10  piastres  (2  fr.  10)  par  an 
comme  redevance  de  chaque  prêtre  chargé 
d'une  paroisse;  d)  enfin,  les  sommes 
recueillies  à  l'occasion  de  la  bénédiction 
annuelle  des  maisons  ou  pbotismos  qui 
a  lieu  à  la  fête  de  l'Epiphanie  (appelée 
chez  les  Grecs  0co:pàyt.a  ou  Ioot/-  twv 
cpwTtov  ou  encore  ta  cpû-ra).  En  dehors  de 
ces  revenus  ordinaires  ou  extraordinaires, 
révêque  n'a  le  droit  de  réclamer  aucune 
redevance  particulière  de  la  Commu- 
nauté (i). 

Aussi  bien  que  l'évêque,  tout  clerc  est 
salarié  par  la  Communauté.  Mais,  en 
dehors  de  ce  traitement  régulier,  les  clercs 
ont  encore  droit  à  des  subsides  pour 
l'éclairage  de  leurs  maisons  (non  des 
magasins  qu'ils  pourraient  avoir  et  qui  ne 
leur  serviraient  pas  de  résidence  ordi- 
naire), à  une  partie  au  moins  des  sommes 
recueillies  à  l'occasion  du  pbotismos  de 
l'Epiphanie,  aux  offrandes  faites  à  l'occa- 
sion de  certaines  prières,  telles  que  la 
cérémonie  des  relevailles  et  le  chant  du 
Trisagion  (triple  Sanctus  en  l'honneur  des 
défunts)  dans  les  cimetières.  De  plus,  le 
prêtre  principal  prend  pour  lui  les  frais 
occasionnés  par  les  dispenses  d'empêche- 
ments de  mariage,  frais  qui  peuvent 
s'élever  jusqu'à  10  piastres,  soit  2  fr.  10. 

En  retour  de  ces  traitements  fournis 
aux  clercs,   la  Communauté  garde  pour 

(i)  p.  38-39. 


elle  les  revenus  des  baptêmes,  des  ma- 
riages, des  enterrements,  des  messes  de 
morts,  des  bagbiasmata  et  des  confessions. 
Elle  interdit  absolument  aux  membres  du 
clergé  d'exercer  d'autres  fonctions  que 
celles  du  ministère  sacré,  permettant  seu- 
lement aux  théologiens  de  donner  des 
leçons  de  catéchisme,  moyennant  une 
petite  rétribution,  dans  les  écoles  de  la 
Communauté  (i). 

Les  devoirs  et  les  droits  du  clergé  étant 
ainsi  considérés,  passons  à  ceux  des 
ministres  inférieurs  et  des  simples  fidèles. 

111.  Les  employés  inférieurs 
et  les  simples  fidèles. 

Parlant  de  cette  catégorie  d'orthodoxes, 
nous  dirons  quelques  mots  des  personnes 
et  nous  indiquerons  quels  sont  les  revenus 
de  la  Communauté  qui  leur  permettent 
de  vivre. 

En  quittant  les  ministres  du  culte,  les 
premiers  fonctionnaires  de  la  Commu- 
nauté que  nous  rencontrons  sont  les 
employés  inférieurs  des  églises,  tous 
nommés  par  la  Commission  des  Eglises. 
Ils  sont  tenus  de  remplir  leur  office  dans 
l'église  désignée,  et,  en  cas  d'empêche- 
ment, d'avertir  la  Commission  dont  ils 
relèvent,  et  être  vêtus  convenablement 
dans  l'exercice  de  leurs  fonctions;  d'obéir 
au  curé  et  à  la  Commission;  s'ils  sont 
sacristains,  d'habiter  seuls  dans  des  cel- 
lules contiguës  aux  églises  et  de  ne  pas 
s'absenter  sans  avertir  la  Commission  des 
églises. 

Ces  employés  sont  dans  l'église  de  la 
Sainte-Trinité,  par  exemple,  deuxchantres. 
deux  domestikol,  deux  canonarques  (2), 
deux  sacristains  et  un  épistate  ou  surveil- 
lant; on  trouve  à  peu  près  les  mêmes 
employés  dans  les  trois  autres  églises; 
mentionnons  aussi  le  gardien  du  nouveau 
cimetière,  le  gardien  du  vieux  cimetière, 
qui   remplit  également   les  fonctions  de 


(i)  P.  38-41. 

(2)  Chantres  quientonnent  à  l'église  les  antiennes 
de  l'office  et  tiennent  la  note  fondamentale  du 
chant. 


ORGANISATION    DE    LA   COMMUNAUTÉ   GRECQUE   ORTHODOXE   DE    KADI-KEUÏ         307 


fossoyeur;  le  gardien  du  théâtre  et  un 
certain  nombre  de  pompiers  affectés  à  la 
garde  et  à  l'utilisation  des  trois  pompes 
de  la  Communauté. 

Nommons  également,  parmi  les  mi- 
nistres inférieurs  de  la  Communauté,  le 
secrétaire  de  Véphorie  centrale j  à  la  fois 
secrétaire,  comptable  et  bibliothécaire  de 
la  Communauté,  et  le  secrétaire-adjoint 
qu'on  lui  donne  quelquefois. 

Enfin,  il  faut  faire  une  mention  spéciale 
des  deux  motiktars  qui  sont  attachés  au 
personnel  de  Y éphorie  centrale  :  sujets  otto- 
mans, remarquables  par  leurs  capacités 
et  leur  honorabilité,  élus  d'après  le  pro- 
cédé que  nous  avons  indiqué  auparavant; 
ils  délivrent  des  certificats  d'identité, 
d'incapacité  ou  d'indigence  aux  parois- 
siens qui  les  sollicitent,  tiennent  des 
registres  de  l'état  civil,  et,  dans  les  cas 
de  procès  intentés  aux  orthodoxes,  ils 
représentent  la  Communauté  et  Véphorie 
centrale  devant  les  autorités  turques;  le 
premier  mouktar,  sans  traitement  fixe, 
peut  cependant  exiger  une  subvention  de 
10  à  50  piastres  (2  fr.  10  à  10  fr.  50) 
chaque  fois  qu'il  remplit  les  fonctions  qui 
lui  sont  propres;  le  second  est  salarié 
régulièrement  par  Véphorie  centrale  qui  a 
sur  lui  le  droit  de  contrôle  et  qui  peut  le 
destituer  s'il  remplit  mal  ses  devoirs. 

Si,  des  ministres  de  la  Communauté, 
nous  passons  aux  simples  sujets,  nous 
ferons  une  mention  spéciale  des  enfants, 
des  indigents  et  des  trépassés. 

Les  enfants  sont  élevés  dans  cinq  écoles  : 
trois  sont  situées  à  Riza-Pacha  :  une  école 
de  garçons,  une  école  de  filles  et  une 
école  maternelle;  une  école  de  garçons  et 
une  école  de  filles  se  trouvent  à  Ghel- 
Dermé;  enfin  il  existe  une  école  com- 
munale de  garçons  et  de  filles  à  Kalamich. 
Sous  la  dépendance  de  Véphorie  des  écoles, 
ces  établissements,  pour  tout  ce  qui  a 
trait  aux  programmes  des  matières  d'en- 
seignement et  auxtraitementsdes  maîtres, 
sont  soumis  au  règlement  général  des 
écoles  grecques  de  la  ville  de  Constanti- 
nople  :  instruction  religieuse,  langue 
grecque,  langue  turque,  langue  française, 


éléments  d'arithmétique  et  de  géométrie, 
histoire  grecque,  géographie  générale  et 
géographie  spéciale  de  la  Grèce  et  de  la 
Turquie,  leçons  de  choses,  notions  de 
tenue  des  livres,  calligraphie,  dessin, 
musique  religieuse  et  musique  profane, 
gymnastique,  couture  pour  les  filles; 
telles  sont  les  matières  enseignées  (i). 

Mais,  si  elle  s'occupe  de  ses  enfants, 
la  Communauté  ne  néglige  pas  non  plus 
ses  pauvres.  Par  l'entremise  de  Véphorie 
centrale,  qui  prélève  annuellement  une 
certaine  somme  sur  le  budget  général  de 
la  Communauté  pour  le  soulagement  des 
nécessiteux;  par  l'intermédiaire  aussi  de 
la  Fraternité  de  Saint-Nicolas  et  de  V Asso- 
ciation des  Dames  de  Kadi-Keuï,  elle  veille 
à  l'entretien  de  ses  indigents. 

Préoccupée  de  ses  enfants  et  de  ses 
pauvres,  elle  songe  aussi  à  ses  morts. 
Comme  partout  ailleurs,  les  enterrements 
sont  plus  ou  moins  coûteux  selon  la  for- 
tune et  la  position  sociale  des  défunts  et 
des  parents  survivants.  Répartis  en  huit 
classes  distinctes,  selon  que  tout  le  clergé 
local  ou  qu'une  partie  de  ce  clergé  y  as- 
siste, les  obsèques  coûtent  de  50  livres 
turques  à  une  demi-livre  (de  1137  fr.  50 
à  II  fr.  35),  et  les  messes  de  morts,  de 
25  livres  turques  à  une  demi-livre  (de 
568  fr.  75  à  II  fr.  35). 

Remarquons-le  :  cet  argent  revient  non 
pas  au  clergé,  qui  n'a  pas  le  droit  d'exi- 
ger quoi  que  ce  soit  pour  lui,  mais  à 
Vépiorie  centrale.  C'est  dans  le  trésor  de 
cette  éphorie  qu'est  le  réservoir  général 
de  la  Communauté,  et  cela  nous  amène 
à  préciser  quelles  sont  les  sources  aux- 
quelles s'alimente  ce  trésor  central. 

Ces  sources  de  revenus  sont,  indépen- 
damment des  honoraires  perçus  pour  les 
enterrements,  pour  les  messes  de  morts, 
pour  les  baptêmes  (de  15  livres  à  une 
demi-livre  ==  341  fr.  25  à  11  fr.  35), 
pour  les  mariages  (de  20  livres  à  une 
livre   =   455    francs    à    22  fr.   75),    les 

(I)  Ctr.  AïOio-itiXo'j  a-jvéx6r,yLo;,  r,  oori^d;  xal  iva- 
X-jT'.xôv  TroéYpaiifia  ttôv  àffTtittôv  <r/oiM'i  Tf,î  àp^^u-tij- 
■/.OTT?,;  KtiJvo-TavTivoyTîôXïw;.  Constantinople,  Seita- 
nidès,  1905-1906. 


3o8 


ÉCHOS   d'orient 


redevances  annuelles  des  paroissiens,  les 
revenus  de  la  distribution  du  pain  d'église, 
de  l'achat  des  images,  des  fleurs,  des 
rameaux,  le  prix  des  stalles  d'église;  le 
produit  des  quêtes  et  des  offrandes  dé- 
posées dans  le  tronc  des  églises;  le  coût 
des  papiers  délivrés  par  Véphorie  centrale 
et  du  sceau  apposé  par  le  premier  mouk- 
tar;  les  revenus  des  écoles,  des  cime- 
tières, du  théâtre  et  du  legs  fait  à  la 
Communauté  de  Kadi-Keuï  par  l'évergète 
Zaphiri:  le  revenu  annuel  d'un  don  fait 
en  1694  par  les  tsars  Jean  et  Pierre  Alexie- 
vitch  de  Russie;  les  produits  annuels  des 
travaux  manuels  des  écoles  de  filles,  toutes 
les  offrandes,  de  quelque  nature  qu'elles 
soient,  faites  à  la  Communauté  par  de 
généreux  bienfaiteurs,  et,  enfin,  le  pro- 
duit des  amendes  imposées  par  Véphorie 
centrale  à  tous  les  membres  de  la  Com- 
munauté qui  ont  gravement  manqué  à 
leurs  devoirs  (i). 

Telle  est,  dans  son  ensemble,  l'organi- 
sation de  la  Communauté  grecque  ortho- 
doxe de  Kadi-Keui. 

On  le  voit,  dans  cette  grande  famille 
qu'est    la   Communauté  considérée,    on 


n'a  rien  laissé  au  hasard  de  ce  qui  peut 
contribuer  à  la  prospérité  de  l'ensemble; 
tout  est  réglé,  prévu,  contrôlé,  et  la  cha- 
rité elle-même  est  organisée.  Enfin, 
comme,  tous  les  ans,  le  31  novembre,  à 
l'issue  d'une  assemblée  générale,  le  bilan 
général  de  la  Communauté  est  publié, 
chaque  membre  de  cette  grande  asso- 
ciation est  à  même  de  contrôler  les  résul- 
tats atteints  (i). 

Mais  —  on  l'a  remarqué,  —  les  membres 
du  clergé  ne  sont  ni  plus  ni  moins  dans 
la  Communauté  que  des  fonctionnaires 
soumis,  comme  les  autres,  au  contrôle  de 
Véphorie  centrale^  salariés  par  elle,  blâmés 
et  punis  par  elle  en  cas  de  délit,  se  dis- 
tinguant seulement  des  autres  orthodoxes 
dans  les  assemblées  générales  par  ce 
fait  étrange  que,  sauf  dans  le  cas  où  il 
s'agit  d'élire  un  patriarche,  ils  ne  jouissent 
pas,  comme  les  autres,  du  droit  dévote: 
sujétion  qui  rabaisse  singulièrement  le 
rôle  social  des  ministres  du  culte  et  qui 
enchaîne  forcément  leur  liberté. 


E.    MONTMASSON. 


Kadi-Keui'. 


LE  TROISIÈME  CONGRÈS  DE  VÈLEHRAD 


Le  petit  village  qui  a  gardé  le  nom  de 
l'ancienne  capitale  des  Moraves,  Vélehrad 
ou  Vélégrad,  n'est  pas  inconnu  aux  lec- 
teurs des  Echos  d'Orient.  Il  en  a  été  parlé 
à  propos  du  second  Congrès  théologique 
qui  se  tint  dans  cette  localité  au  commen- 
cement d'août  1909  (2).  Cette  année,  du 
27  au  29  juillet  s'est  réuni  le  troisième 
Congrès. 

11  s'est  ouvert  sous  la  présidence  de 
Mgf  Stojan,  prévôt  de  Kremsier,  député 
au  Parlement  de  Vienne.  S.  Exe.  M^^Bauer, 
prince  archevêque  d'Olmùltz,  patron  du 


(i)  KavoviffjAÔi; ,  p.  47-49. 

(2)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  xii,   1909,  p.  362-364. 


Congrès,  a  bien  voulu  honorer  de  sa  pré- 
sence les  premières  séances  de  l'assem- 
blée. Dans  un  bref  discours  d'ouverture, 
il  a  aimablement  salué  les  congressistes 
et  leur  a  souhaité  l'assistance  du  Saint- 
Esprit  et  la  protection  de  la  Vierge  et  des 
saints  Cyrille  et  Méthode.  Deux  présidents 
d'honneur  ont  été  élus  :  Mg^  Cheptitski, 
métropolite  ruthènè  de  Lemberg,  que  la 
maladie  a  empêché  d'assister  au  Congrès, 
et  Mg"-  Epiphane  Chanof,  vicaire  aposto- 
lique de  Macédoine  pour  les  Bulgares 
unis.  Celui-ci  a  lu  une  déclaration  fort 
applaudie,  dans  laquelle  il  a  montré  com- 

(i)  p.  78-79. 


LE    TROISIEME    CONGRES    DE    VELEHRAD 


309 


ment  l'Eglise  catholique,  toujours  sou- 
cieuse de  sauvegarder  les  droits  impres- 
criptibles de  la  vérité,  sait  user  de  con- 
descendance dans  les  choses  discipli- 
naires et  emploie  tous  les  procédés  que 
lui  suggère  une  charité  éclairée  pour 
ramener  à  elle  les  enfants  que  le  schisme 
lui  a  enlevés.  Cet  amour  de  la  vérité  ca- 
tholique intégrale  uni  à  une  véritable 
charité  pour  les  frères  séparés,  le  Congrès 
l'a  manifesté  par  ses  actes  et  a  montré 
qu'il  était  en  parfaite  communion  d'idée 
et  de  sentiment  avec  son  président  d'hon- 
neur. Mgr  Stojan  s'est  fait  également  l'in- 
terprète de  tous,  en  réprouvant  hautement, 
à  l'ouverture  des  délibérations,  toute 
préoccupation  politique  et  toute  tendance 
libérale  sentant  de  loin  ou  de  près  le  mo- 
dernisme. 

Le  nombre  des  congressistes  s'est  élevé 
:i  140  environ,  sans  compter  les  nom- 
breux séminaristes  tchèques  et  ruthènes 
venus  pour  écouter  les  délibérations  et 
s'initier  ainsi  aux  graves  questions  qui 
intéressent  l'œuvre  de  l'union.  On  n'y  a 
vu  aucun  théologien  schismatique,  et  il 
ne  semble  pas  qu'il  faille  le  regretter.  Un 
Congrès  mixte  qui  formerait  comme 
une  sorte  de  petit  concile  où  le  nombre 
des  théologiens  schismatiques  égalerait 
celui  des  théologiens  catholiques  restera 
longtemps,  sinon  toujours,  une  utopie, 
vu  la  situation  politique  et  religieuse  des 
pays  où  règne  le  schisme.  D'ailleurs,  si 
une  telle  assemblée  était  possible,  il  fau- 
drait que  ses  membres  fussent  soigneuse- 
ment choisis  par  l'autorité  ecclésiastique 
compétente  pour  éviter  de  sérieux  incon- 
vénients et  de  graves  périls  qu'il  est  facile 
de  deviner.  Les  questions  théologiques, 
en  effet,  ne  peuvent  se  décider  par  la  voie 
parlementaire  à  la  pluralité  des  suffrages. 
C'est  le  cas  de  rappeler  l'adage  :  Nan 
mimeranUir  sed  poiiderantur .  Ces  considé- 
rations et  d'autres  qu'on  pourrait  déve- 
lopper nous  font  vivement  souhaiter  que 
les  Congrès  de  Vélehrad  soient  désor- 
mais exclusivement  composés  de  théolo- 
giens catholiques  compétents  et  de  laïques 
instruits    capables  de    travailler   efficace- 


ment, par  leur  action  et  leur  influence,  à 
l'œuvre  toute  religieuse  et  toute  surnatu- 
relle du  retour  à  l'unité  catholique  des 
chrétiens  orientaux.  Cette  manière  de 
concevoir  ces  assemblées  diffère  sans  doute 
sensiblement  de  l'idée  qu'ont  eue  certains 
initiateurs  de  la  première  heure,  mais  elle 
nous  paraît  être  la  seule  vraiment  pratique 
et  vraiment  apte  à  produire  des  fruits  de 
bon  aloi. 

Bien  qu'aucun  théologien  de  l'Eglise 
orientale  n'ait  assisté  au  Congrès,  on  a  lu 
cependant  en  séance  plénière  un  rapport 
envoyé  par  un  membre  de  l'Eglise  russe, 
M.  Basile  Gœken,  chapelain  adjoint  de 
l'ambassade  russe  à  Berlin.  M.  Gœken 
avait  assisté  au  second  Congrès  de  Vé- 
lehrad, où  il  s'était  fait  remarquer  par 
son  silence  discret.  Cette  fois,  il  a  em- 
prunté la  voix  d'un  jeune  Russe  converti 
au  catholicisme  et  récemment  ordonné 
prêtre  par  Mg''  Mirof,  archevêque  bulgare 
catholique  de  Constantinople,  M.  l'abbé 
Fédorof,  pour  dire  ce  qu'il  pensait  des 
controverses  théologiques  qui  divisent 
l'Orient  et  l'Occident.  Le  titre  du  rapport 
était  suggestif:  L'union  entre  V Eglise  ro- 
maine-catboliqiie  et  l'Eglise  orientale  est-elle 
possible?  Passant  en  revue  les  principales 
divergences  dogmatiques  entre  les  deux 
Eglises,  M.  Gœken  n'y  voit  que  des  ma- 
lentendus et  des  logomachies  et  les  ex- 
plique dans  un  sens  nettement  catholique. 
11  interprète  le  Filioqiie  et  le  Per  Filiiim 
à  la  manière  du  concile  de  Florence.  Sur 
l'Immaculée  Conception,  il  en  appelle  au 
témoignage  des  nombreux  théologiens 
orientaux,  et  en  particulier  du  saint  russe, 
Dimitri  de  Rostov,  qui  ont  nettement 
enseigné  le  dogme  catholique.  Sur  un  seul 
point,  qui  est  capital,  la  pensée  de  M.  Gœ- 
ken, telle  qu'elle  s'exprime  dans  son  rap- 
port, reste  imprécise  et  incomplète  :  il 
reconnaît  que  la  primauté  de  saint  Pierre 
et  du  Pape  de  Rome,  son  successeur,  est 
enseignée  par  l'Ecriture  et  la  Tradition  de 
l'ancienne  Eglise,  mais  il  croit  pouvoir 
affirmer  que  l'Eglise  d'Orient,  durant  les 
huit  premiers  siècles,  n'a  voulu  recon- 
naître à  l'évêque   de   Rome   qu'une  pri- 


3IO 


ÉCHOS  d'orient 


mauté  d'honneur.  11  ne  dit  pas,  du  reste, 
si  l'Eglise  d'Orient  a  eu  raison  de  prendre 
cette  attitude  à  l'égard  du  successeur  de 
Pierre.  11  dit  encore  moins  ce  qu'il  pense 
lui-même  du  dogme  de  la  primauté  et  de 
l'infaillibilité,  tel  que  l'a  défini  le  concile 
du  Vatican.  11  est  clair  que  M.  Gœken  n'a 
pas  voulu  manifester  sa  pensée  intime 
sur  cette  question  fondamentale.  Nous  ne 
serions  pas  étonné  si,  d'ici  peu,  il  faisait 
sienne  la  magnifique  profession  de  foi  à 
la  primauté  et  à  l'infaillibilité  du  Pape  qui 
termine  l'introduction  de  l'ouvrage  de 
Vladimir  Solovief  :  la  Russie  et  l'Eglise 
universelle. 

Parmi  les  autres  rapports  qui  ont  été 
lus,  signalons  celui  du  R.  P.  Claeys 
Bouaert,  Jésuitede  Bruxelles,  sur  la  manière 
de  traiter  les  questions  controversées  en 
vue  d'arriver  à  l'union;  celui  de  M.  l'abbé 
Chimrak,  prêtre  de  rite  slave,  apparte- 
nant au  diocèse  uniate  de  Kreutz,  en 
Croatie,  sur  les  obstacles  à  l'union  dans  le 
royaume  de  Croatie  et  de  Slavonie  ;  celui 
du  R.  P.  Méthode  Oustitchkof,  Assomp- 
tioniste  bulgare  du  rite  slave,  sur  la 
méthode  à  employer  pour  ramener  les 
Bulgares  au  catholicisme  ;  celui  du 
R.  P.  Christoff,  missionnaire  Assomp- 
tioniste  du  rite  slave,  sur  la  vie  du 
moine  bulgare  Pantaleïmon,  apôtre  fer- 
vent de  la  communion  quotidienne;  celui 
du  docteur  Jules  Hadzsega,  prêtre  hon- 
grois, sur  la  primauté  de  saint  Pierre 
d'après  saint  Jean  Chrysostome  et  sur  la 
manière  différente  dont  les  théologiens 
catholiques  et  les  théologiens  orientaux 
interprètent  la  doctrine  du  saint  Docteur. 
Celui  qui  écrit  ces  lignes  a  présenté 
quelques  considérations  sur  la  nécessité 
et  les  motifs  de  prier  pour  obtenir  le 
retour  à  l'unité  catholique  des  chrétiens 
orientaux. 

En  dehors  de  ces  rapports,  lus  en 
séance  plénière,  il  y  a  eu  des  délibérations 
intéressantes  dans  les  deux  sections  par- 
ticulières :  la  section  théorique  et  la  section 
pratique.  Dans  les  réunions  de  la  section 
théorique,  on  a  principalement  discuté 
sur  l'infiltration  des  méthodes  et  des  doc- 


trines protestantes  dans  la  théologie  russe 
et  sur  les  saints  russes.  Ces  questions, 
soulevées  par  M.  l'abbé  Fédorof,  ne  pou- 
vaient être  traitées  àl'improviste  dans  une 
courte  réunion.  On  a  simplement  voulu 
les  signaler  à  l'attention  studieuse  des 
théologiens.  Dans  la  section  pratique, 
on  a  discuté  les  statuts  de  l'Académie  de 
Vélehrad,  rédigés  par  MM.  les  abbés 
F.  Grivec,  de  Laybach  et  A.  Jachek,  de 
Kremsier.  Cette  académie,  qui  n'est  pas 
encore  complètement  organisée,  a  pour 
but  de  promouvoir  l'étude  des  questions 
théologiques  et  liturgiques  relatives  à 
l'Orient  chrétien.  Conçue  dans  un  esprit 
très  large,  elle  cherchera  à  grouper  et  à 
aider  de  toute  manière  les  savants  de  tout 
pays  qui  s'occupent  de  la  théologie,  de  la 
discipline,  de  la  liturgie  et  de  l'histoire  de 
l'Eglise  gréco-russe.  Dans  la  même  sec- 
tion pratique,  le  Congrès  a  adopté  plu- 
sieurs vœux  relatifs  à  la  prière  pour  le 
retour  des  Eglises  dissidentes  à  l'unité  ca- 
tholique. Voici  quelques-uns  de  ces  vœux  : 

10  Que  la  dévotion  qui  consiste  à  prier 
pour  l'unité  de  l'Eglise  et  la  cessation  du 
schisme  oriental  soit  recommandée  à  tous 
les  fidèles,  clercs  et  laïques,  aux  membres 
des  Instituts  religieux,  et  en  particulier 
aux  Ordres  contemplatifs. 

2°  Que  dans  le  but  de  propager  cette 
dévotion,  on  compose  en  diverses  langues 
des  livres  de  piété  qui  en  montreront  la 
beauté  surnaturelle  et  exciteront  les  fidèles 
à  s'enrôler  dans  les  pieuses  associafions 
établies  par  l'Eglise,  et  enrichies  par  elle 
de  nombreuses  indulgences,  comme  l'Ar- 
chiconfrérie  de  Notre-Dame  de  l'Assomp- 
tion et  l'Apostolat  des  saints  Cyrille  et 
Méthode. 

30  Que  cette  dévotion  soit  spécialement 
recommandée  à  tous  les  associés  des  nom- 
breuses Confréries  consacrées  au  culte  du 
Sacré-Cœur  de  Jésus,  dont  le  désir  le  plus 
ardent  est  que  tous  les  chrétiens  ne  fassent 
qu'un  dans  la  vérité  et  la  charité. 

40  Qu'on  demande  au  Souverain  Pontife 
d'insérer  dans  les  litanies  de  Notre-Dame 
de  Lorette  l'invocation  suivante  :  Mater 
e  cclesiasticœ  unitatis,  or  a  pro  nobis. 


BIBLIOGRAPHIE 


311 


y  Que  les  fidèles  de  l'Eglise  orientale 
qui  désirent  sincèrement  l'union  soient 
invités  à  prier  de  leur  côté  pour  la  cessa- 
tion du  schisme. 

M.  l'abbé  Grivec  a  fait  adopter  le  vœu 
suivant  :  «  Que  les  saints  Cyrille  et 
Méthode  soient  déclarés  patrons  de  toutes 
les  œuvres  ayant  pour  but  de  procurer 
l'unité  de  l'Eglise.  » 

Le  Congrès  s'estterminé  dans  la  matinée 
du  29  juillet.  La  plupart  des  congressistes 
étaient  des  Slaves  venus  de  tous  les  points 
de  l'Autriche-Hongrie  :  Tchèques,  Polo- 
nais, Ruthènes,  Slovaques,  Slovènes, 
Croates.  Mais  d'autres  nationalités  étaient 
aussi  représentées.  On  y  comptait  quatre 
Français,  dont  trois  Assomptionistes  et 
un  Jésuite,  le  R.  P.  d'Herbigny,  un  des 
hommesqui,  àl'heureactuelle ,  connaissent 
le  mieux  la  Russie  religieuse,  et  qui  vient 
d'écrire  une  belle  vie  de  Vladimir  Solovief. 

L'Italie  était  représentée  par  le  révéren- 
dissime   abbé  de  Grotta-Ferrata,   Arsène 


Pellegrini,  par  M>n-  Graeco,  maître  des 
cérémonies  de  l'église  Saint-Pierre  de 
Rome,  par  le  R.  P.  Aurelio  Palmieri,  des 
Grands-Augustins,  et  par  M.  Alloatti, 
Lazariste  du  rite  slave,  attaché  à  la  mis- 
sion de  Salonique. 

La  fin  du  Congrès  a  coïncidé  avec  le 
pèlerinage  des  associés  de  l'Apostolat  des 
saints  Cyrille  et  Méthode.  Ces  associés  se 
rendent  chaque  année  à  Vélehrad,  de 
diverses  localités  de  la  Moravie,  pour 
honorer  le  souvenir  des  apôtres  des  Slaves. 
Une  messe  pontificale  de  rite  slave  a  été 
chantée  en  plein  air,  le  dimanche  30  juillet, 
par  Mgr  Epiphane  Chanof,  assisté  de  dix 
prêtres  concélébrants.  La  cérémonie  a  été 
grandiose.  Elle  a  rappelé  à  tous  les  assis- 
tants que  l'Eglise  catholique  romaine  sait 
parler  à  Dieu  en  toutes  les  langues, 
qu'elle  est  respectueuse  de  tous  les  anciens 
rites  et  qu'elle  n'est  intransigeante  que 
lorsque  la  vérité  révélée  est  en  jeu. 

M.  JUGIE. 


BIBLIOGRAPHIE 


M.  Chaîne,  S.  J.  Un  monastère  éthiopien  à 
Rome  au  xv«  et  au  xvi«  siècle,  San  Ste- 
fano  dei  Mori.  Extrait  du  tome  V  des 
Mélanges  de  la  Faculté  orientale  do.  Bey- 
routh, 1910,  p.  1-36. 

Le  R.  P.  Marius  Chaîne  consacre  une 
intéressante  notice,  documentée  avec  beau- 
coup de  précision,  au  monastère  éthiopien 
connu  sous  le  nom  de  San  Stefano  dei 
Mori,  qui  était  situé  non  loin  de  la  basi- 
lique de  Saint-Pierre.  Cet  établissement,  qui 
était  à  la  fois  couvent  et  hospice  pour  les 
Ethiopiens,  fut  fondé  à  la  fin  du  xv«  siècle, 
sous  le  pontificat  de  Sixte  IV.  Le  R.  P.  Chaîne 
a  réuni  avec  grand  soin  tout  ce  qui  a  trait 
à  son  histoire  jusqu'à  la  fin  du  xvn«  siècle, 
où  il  fut  abandonné  par  la  communauté 
éthiopienne.  Il  en  édite  ensuite  la  règle, 
texte  et  traduction,  et  termine  par  quelques 
inscriptions  funéraires  et  par  l'indication 
de  compositions  diverses.  Nous  ne  saurio  ns 


mieux  faire  que  de  nous  rallier  au  jugement 
de  l'auteur,  p.  19  :  «  Le  souvenir  que  toutes 
ces  choses  rappellent  rend  pour  tous  ces 
documents  précieux.  »  Précieux,  en  eff^et, 
tout  ce  qui  concerne  l'histoire  des  commu- 
nautés catholiques  de  rite  oriental  qui  ont 
existé  ou  existent  encore  dans  la  ville  des 
Papes.  S.  Salaville. 

N.  Giron,  Notes  épigrapkiques  {Damas, 
Alep,  Or  fa).  Extrait  du  tome  V  des  Mé- 
langes de  la  Faculté  orientale  de  Bey- 
routh. Beyrouth,  19 10,  p.  71-78. 

M.  Noël  Giron,  gérant  du  vice-consulat 
de  France  à  Mersine,  publie,  dans  ces 
quelques  pages,  les  documents  suivants  : 
1"  une  nouvelle  inscription  relative  au  droit 
d'asile  ecclésiastique  en  Syrie,  droit  conféré, 
sous  Constantin,  aux  églises  et  à  leurs 
porches,  puis  étendu  et  réglementé,  en  48 1 , 
par  Théodose  et  Valentinien;  la  colonne 


312 


ÉCHOS    d'orient 


qui  porte  ce  texte  aurait  probablement  été 
érigée  lors  de  la  transformation  du  grand 
temple  de  Jupiter  Damasquin  en  église  par 
Théodose  II;  2"  deux  cachets  hébraïques 
provenant  de  Sait  et  d'Alep  ;  3°  un  bas-relief 
funéraire  païen  d'Orfa,  avec  inscription 
syriaque  en  caractère  estranghélos,  monu- 
ment qu'on  peut  placer  approximativement 
entre  l'an  i5o  et  25o. 

La  science  archéologique  et  épigraphique 
n'a  qu'à  se  féliciter  de  trouver,  parmi  les 
représentants  de  la  France  en  Orient,  des 
amis  et  des  ouvriers  tels  que  M.  Giron  et 
M.  Pognon,  consul  général,  dont  l'impor- 
tant recueil  d'inscriptions  sémitiques  est 
plusieurs  fois  cité  au  cours  de  ces  notes 
savantes. 

S.  Salaville. 

F.  Cabrol,  h.  Leclercq,  Dictionnaire 
d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie; 
fascicule  XXIV  :  Chalcédoine-Chapelle, 
Paris, Letouzey  et  Ané,  191  i.Prix:5francs. 

Depuis  le  fascicule  XXIII,  qui  a  inau- 
guré le  tome  III  de  l'ouvrage,  le  Diction- 
naire d'archéologie  chrétienne  et  de  li- 
turgie porte,  sur  sa  couverture,  le  nom  de 
Dom  Leclercq,  associé  à  celui  de  Dom 
Cabrol.  C'est  un  hommage  mérité  que  rend 
ainsi  l'éminent  abbé  de  Farnborough  à 
l'étonnante  activité  de  son  infatigable  col- 
laborateur. Dom  Leclercq  a  vraiment,  dans 
la  répartition  des  articles  de  ce  répertoire, 
la  part  du  lion.  S'il  fallait  une  nouvelle 
preuve  de  ce  fait,  on  l'aurait  dans  le  pré- 
sent fascicule;  sur  trente-et-un  articles  qu'il 
contient,  vingt-quatre  sont  signés  unique- 
ment de  son  nom  ;  et  pour  deux  autres  il 
s'est  associé  un  collaborateur  (Dom  Mom- 
bert  pour  le  mot  Chape,  M.  l'abbé  Villien 
pour  le  mot  Chapelain).  Il  ne  reste  que 
trois  notices  au  bas  desquelles  son  nom  ne 
paraît  pas  :  Chant  grégorien  du  ix^  au 
xix^  siècle,  par  A.  Gatard  ;  Chantiers  dans 
l'architecture  chrétienne  d'Afrique,  par 
S.  Gsell;  Chapelet,  par  H.  Thurston,  S.  J. 

Et  dans  ce  bloc  de  vingt-quatre  ou  vingt- 
six  articles  rédigés  par  Dom  Leclercq,  il  y 
a  de  tout  :  de  la  topographie,  de  l'archéo- 
logie juridique,  canonique,  historique,  mu- 
sicale, monumentale,  liturgique,  de  l'ar- 
chéologie d'art.  Malgré  toute  mon  admira- 
tion pour  une  érudition  si  encyclopédique, 
je  crains,  à  dire  vrai,  que  ce  surmenage 


d'un  seul  homme,  qui  d'ailleurs  mène  de 
front  plusieurs  œuvres  considérables,  ne 
nuise  à  l'ensemble  du  Dictionnaire. 

Cette  réflexion  faite,  je  n'ai  point  de  peine 
à  reconnaître  la  très  riche  documentation 
que  présentent  toutes  ces  notices.  Dans  celle 
qui  est  consacrée  au  chant  romain  et  gré- 
gorien, le  paragraphe  sur  Vhymnodie  en 
Orient,  col.  277-280,  eût  sans  doute  été 
plus  nuancé,  si  les  belles  études  hymnogra- 
phiques  de  Krumbacher  et  de  Maas  avaient 
été  utilisées  de  plus  près.  Les  xavov.xo;  dont 
parle  à  plusieurs  reprises  saint  Basile  ne 
devraient  pas  être  désignés  en  français  par 
le  mot  chanoines,  puisqu'on  constate  avec 
raison  qu'il  s'agit  là  de  moines  cénobites, 
col.  233.  Signalons,  à  l'article  CAa/7e,  col.  365 
et  suiv.,  d'utiles  indications  concernant 
le  phelonion  ou  chasuble  des  Orientaux. 
L'étude  du  R.  P.  Thurston,  S.  J.,  sur  les 
origines  du  chapelet,  col.  399-406,  sera 
vivement  appréciée  de  tous. 

S.  Salaville. 

J.  TiXERONT,  Histoire  des  dogmes:  de  saint 
Athanase  à  saint  Augustin  (3 18-430). 
Paris,  V.  Lecoff"re,  1909,  in-12  de  iv> 
5 12  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

Continuant  son  Histoire  des  dogmes, 
M.  Tixeront  étudie  dans  ce  volume,  chez 
les  Grecs  et  chez  les  Latins,  le  développe- 
ment des  dogmes  et  la  filiation  des  héré- 
sies :  l'arianisme,  le  macédonianisme,rapoI- 
linarisme,  le  donatisme,  le  priscillianisme 
et  le  pélagianisme. 

Dans  ce  travail,  qui  exigeait  de  la  préci- 
sion et  un  grand  esprit  de  synthèse,  l'au- 
teur ne  s'est  pas  montré  inférieur  à  la  tâche 
qui.  lui  incombait.  Il  faut  le  féliciter  parti- 
culièrement, et  d'avoir  en  général  bien  saisi 
le  point  essentiel  à  mettre  en  lumière  à 
l'origine  de  chaque  hérésie,  et  d'avoir  rendu, 
avec  sa  physionomie  propre  et  ses  expres- 
sions mêmes,  la  théologie  de  chacun  des 
Pères  grecs. 

Cependant,  la  question  de  la  pénitence 
dans  l'Eglise  orientale  ne  me  semble  pas 
avoir  été  traitée  avec  assez  de  netteté.  Il  y  a 
là,  on  le  sait,  certaines  difficultés  à  résoudre. 
A  l'objection  d'ordre  historique  tirée  de  la 
conduite  du  patriarche  Nectaire  vis-à-vis 
d'un  diacre,  vers  391  ,  l'auteur  répond 
comme  la  plupart  de  ses  devanciers,  en 
alléguant  la  conduite  de  saint  Jean  Chry- 


BIBLIOGRAPHIE 


3^3 


sostome  à  Antioche,  puis  à  Constantinople, 
conduite  variable  qui  ne  permet  pas  de 
tirer  une  conclusion  ferme.  Je  reconnais 
volontiers  l'embarras  d'un  auteur  en  pré- 
sence de  cette  situation,  et  je  ne  lui  en  fais 
pas  précisément  un  grief.  Seulement  je 
constate  que  sur  ce  point  délicat,  son  livre, 
qui  aurait  pu  projeter  quelque  lumière,  n'a 
apporté  aucun  éclaircissement  nouveau. 
Enfin,  à  propos  de  la  même  question, 
l'auteur  écrit,  p.  i86  :  «  Cet  aveu,  qui,  en 
certaines  circonstances  du  moins,  est  cer- 
tainement secret,  se  fait  à  l'évêque  seul 
peut-être  (tsssr)  »;  M.  Tixeront  a  raison  de 
douter,  car  si  àp/tsps'jç  signifie  évéque  dans 
la  langue  ecclésiastique,  isiôj;  ne  signifie 
jamais  que  prêtre. 

De  même,  la  genèse  de  la  pensée  de  saint 
Augustin,  très  bien  exposée  sur  certains 
points,  ne  me  semble  pas  assez  analysée 
au  sujet  du  péché  originel  et  de  la  grâce. 
Tous  les  auteurs  qui  ont  étudié  l'illustre 
docteur  se  sont  heurtés  à  de  semblables 
difficultés  quand  il  a  été  question  de  con- 
cilier bon  nombre  de  textes  de  l'évêque 
d'Hippone,  ceux-ci  semblant  exclure  toute 
coopération  méritoire  de  l'homme  dans  le 
travail  de  la  grâce,  ceux-là  relevant,  au  con- 
traire, les  droits  imprescriptibles  de  notre 
liberté.  A  mon  humble  avis,  pour  concilier 
cette  double  série  de  textes,  M.  Tixeront 
aurait  dû  rattacher  la  doctrine  d'Augustin 
converti  aux  croyances  d'Augustin  mani- 
chéen, et  faire  ressortir  davantage  la  néces- 
sité dans  laquelle  se  trouvait  le  saint  doc- 
teur d'exagérer  en  quelque  sorte  la  part  faite 
à  Dieu  dans  le  travail  de  la  grâce  pour 
réagir  contre  les  Pélagiens,  qui  faisaient 
trop  grande  la  part  de  l'homme.  Ancien 
manichéen,  Augustin  était  porté  à  insister 
sur  le  côté  défectueux  de  notre  nature  cor- 
rompue dans  sa  théorie  du  péché  originel 
et  de  la  grâce;  adversaire  des  Pélagiens,  il 
réduit  la  part  de  la  liberté  humaine;  doc- 
teur catholique,  il  enseigne  pourtant  la 
coopération  de  l'homme  :  d'où  la  double 
série  des  textes  favorables  ou  défavorables 
à  la  liberté  humaine.       E.  Montmasson. 

A.  Lémann,  Histoire  complète  de  l'idée 
messianique  chei  le  peuple  d'Israël.  Paris, 
E.  Vitte,  1909,  in-8°,  467  pages. 

Sous  ce  titre  :  Histoire  complète  de  l'idée 
messianique  che!{  le  peuple  d'Israël,  on 


pouvait,  ce  semble,  publier  un  livre  à  la 
fois  très  suggestif  et  très  critique,  dans 
lequel  on  aurait  suivi  les  développements 
de  l'idée  messianique,  depuis  sa  naissance 
jusqu'à  sa  parfaite  réalisation  dans  le  Christ, 
en  signalant,  à  l'occasion,  les  altérations 
de  cette  conception.  D'un  autre  côté,  M.  le 
chanoine  A.  Lémann,  professeur  d'Ecriture 
Sainte  et  d'hébreu  aux  Facultés  catholiques 
de  Lyon,  était  tout  désigné  pour  mener  à 
bien  cette  tâche  délicate. 

Nous  avons  pourtant  le  regret  de  faire 
part  à  nos  lecteurs  d'une  certaine  déception 
à  la  lecture  très  attentive  de  cet  ouvrage. 
Sans  doute,  les  documents  à  l'appui  de  la 
thèse  ne  font  pas  défaut,  l'auteur  étant  par- 
faitement au  courant  de  la  littérature  rab- 
binique.  Par  ailleurs,  l'exposé  ne  manque 
pas  de  clarté,  malgré  les  inutiles  dévelop- 
pements oratoires  et  les  considérations 
mystiques  dont  il  est  çà  et  là  parsemé,  et 
qui  n'ajoutent  rien  à  sa  valeur  démonstra- 
tive. Mais  il  y  a  façon  et  façon  de  présenter 
des  preuves  et  de  tirer  les  légitimes  con- 
clusions qui  ressortent  de  leur  confron- 
tation. 

Donnonsquelquesexemples:  Pages  49-71  : 
l'auteur  rapporte  fidèlement  tous  les  pas- 
sages des  prophètes  qui  sont  apparemment 
relatifs  au  Messie.  Mais  nulle  part  il  ne 
prouve,  par  la  comparaison  des  textes,  que 
les  passages  en  question  se  rapportent  et 
ne  peuvent  se  rapporter  qu'au  xMessie;  ce 
sont  pourtant  là  deux  points  qui  ne  sont 
pas  évidents  a  priori,  et  qui,  dès  lors, 
avaient  besoin  d'être  établis  par  une  solide 
démonstration. 

Page  77  :  M .  Lémann  rappelle  que  Jérémie 
est  allé  cacher  sa  ceinture  près  de  l'Euphrate. 
Or,  une  explication  critique  était  ici  néces- 
saire; car,  si  l'on  ne  s'entend  pas  pour 
aflfirmer  que  Jérémie  est  allé  à  Ain-Phara, 
assez  près  de  Jérusalem,  on  est  à  peu  près 
d'accord  pour  dire  que  ce  ne  fut  pas  vers 
le  fleuve  Euphrate,  beaucoup  trop  éloigné. 

Page  87  :  Que  beaucoup  de  personnages 
de  l'Ancien  Testament  aient  été  des  types 
du  Christ,  nul  catholique  ne  le  nie;  mais, 
dans  cette  catégorie,  il  est  fantaisiste  de 
ranger  la  plupart  des  hommes  saints  qui 
ont  souff"ert,  car,  à  ce  compte-là,  les  hommes 
qui  ont  été  particulièrement  éprouvés  dans 
les  autres  pays  pourraient  tout  aussi  bien 
que  ceux-ci  représenter  l'Homme  de  dou- 
leur. 


314 


ECHOS   D  ORIENT 


Page  loi  :  Quel  rapport  y  a-t-il  entre  le 
ruban  écarlate  suspendu  à  la  maison  de 
Rahab  (la  prostituée!)  et  la  croix  rédemp- 
trice ?  S'il  y  en  a  un,  il  fallait  le  mettre  en 
relief  avec  précision. 

Pages  217,  402,  408  :  Comment  la  fausse 
exégèse  rabbin ique  est-elle  le  fruit  de  l'ins- 
piration de  Satan?  Le  fait  que  le  démon 
fait  de  la  mauvaise  exégèse  en  parlant  à 
Jésus  dans  la  tentation  au  désert  ne  prouve 
pas  que  la  mauvaise  exégèse  des  rabbins 
soit  fille  de  celle  de  Satan.  Si  on  le  préten- 
dait, il  faudrait  logiquement  en  conclure 
que  tous  les  exégètes  qui,  actuellement  en- 
core, font  fausse  route  dans  l'interprétation 
de  l'Ecriture,  ont  cherché  leur  inspiration 
chez  Satan Que  de  critiques  proteste- 
raient!  

Bref,  beaucoup  d'affirmations,  pas  assez 
de  critique,  telle  est  donc  la  principale  la- 
cune de  ce  livre.  Si,  maintenant,  nous 
passons  du  fond  à  la  forme,  nous  pouvons 
affirmer  que  le  style  est  tour  à  tour  trop 
poétique;  par  exemple,  p.  41,  42,  43,  44, 
i5o,  i5i,  434,  et  trop  trivial,  par  exemple, 
p.  403,  dans  l'expression  :  «  Il  ne  sait 
que  ça  ». 

Quelques  fautes  typographiques  sont  éga- 
lement à  relever.  P.  97  :  formam  crucis 
exhibabant,  au  lieu  de  :  formam  crucis  exhi- 
bebant;  p.  374  :  qui  se  trouvait  dressait 
pour  :  qui  se  trouvait  dressé;  p.  377  :  h  iyto; 
Tou  Oeoîi,  pour:  6  àyioç  xou  Osou;  p.  470: 
Senhédrin  pour  Sanhédrin.  Somme  toute, 
il  y  a  dans  cette  étude  des  détails  très  utiles 
à  connaître  sur  les  usages  rabbiniques  et, 
assez  bien  rassemblés,  les  éléments  d'un 
beau  livre  sur  le  développement  historique 
de  l'idée  messianique;  mais  ce  double  mo- 
nument de  critique  textuelle  et  de  synthèse 
doctrinale,  à  peine  ébauché,  est  encore  à 
construire. 

E.  MONTMASSON. 

W.  Bang,  I.  Beitrœge  \ur  Erklœrung 
des  komanischen  Marienhymnus.  Gœt- 
tingue,  1910,  in-S",  19  pages. —  2.  Ueber 
einen  komanischenKommunions  hymnus. 
Bruxelles,  Hayez,  1910,  in-8'%  11  pages, 
2  phototypies.  —  "h.Zur  Kritik  des  Codex 
Cumanicus.  Louvain,  librairie  universi- 
taire, 1910,  in-8°,  16  pages,  i  phototypie. 
—  4.  Beitrœge  !(ur  Kritik  des  Codex 
Cumanicus.  Bruxelles,  Hayez,  i9ii,in-8°, 
27  pages.  —  5.  Turkologische  Epikri- 


sen.  Heidelberg,  C.  Winter,  1910,  in-8», 
3i  pages.  —  6.  Altaische  Streijlichter. 
Louvain,  librairie  universitaire,  1910, 
in-8'\  16  pages. 

Le  lecteur  a  déjà  pu  voir  signalé  plus 
haut,  dans  l'article  consacré  au  Codex  Cu- 
manicus, le  nom  de  M.  W.  Bang,  profes- 
seur de  langues  germaniques  à  l'Université 
de  Louvain.  Nous  réunissons  ici  la  men- 
tion d'une  série  de  tirés  à  part,  extraits  du 
bulletin  de  la  Société  des  sciences  de  Gœt- 
tingue  ou  des  Bulletins  de  l'Académie 
royale  de  Belgique,  qui  pourraient  être  re- 
cueillis ensemble  sous  le  titre  général  de 
Cumanica  ou  Turcica.  Dans  l'énuméra- 
tion  ci-dessus,  le  premier  de  ces  deux  termes 
s'appliquerait  spécialement  aux  quatre  pre- 
mières plaquettes,  tandis  que  le  second, 
bien  que  pouvant  convenir  à  toutes,  serait 
particulièrement  réservé  pour  les  deux 
dernières. 

Les  Cumanica  de  M.  Bang  forment  déjà 
une  excellente  contribution  à  la  critique 
du  Codex  Cumanicus.  11  a  notamment 
étudié,  parmi  les  pièces  de  cet  intéressant 
recueil:  l'hymne  à  Marie,  en  s'aidant  delà 
collabo  ation  compétente  d'un  autre  spé- 
cialiste, M.  F.  C.  Andréas,  de  Gœttingue; 
puis  l'hymne  au  Saint  Sacrement,  la  tra- 
duction du  Vexilla  Régis,  etc.  11  apporte 
nombre  de  corrections  importantes  aux 
éditions  de  Klaproth,  Kuun  et  Radloff".  Il 
faut  même  souhaiter  que  le  savant  profes- 
seur de  Louvain  trouve  le  loisir  de  reprendre 
ainsi  par  le  détail  toutes  les  parties  du 
Codex,  pour  en  donner  un  jour  une  édition 
définitive.  Son  information  philologique 
et  historique  le  met  à  même  de  la  donner 
parfaite.  Notons,  dans  la  brochure  n°  3, 
p.  33,  un  léger  lapsus  qui  fait  de  l'évêque 
des  Comans,  Théodoric,  un  Frère  Mineur, 
tandis  qu'il  était  Dominicain. 

S.  Salaville, 

L.  BoNELLi,  S.  Iasigian,  //  turco  parlato 
(lingua  usuale  di  Costantinopoli):  Cenni 
grammaticali ,  dialoghi  e  vocabolario 
italiano-turco  Milan,  U.  Hœpli,  1910, 
in-i6,  v(i-345  pages.  Prix  :  4  francs. 

Nous  avons  reçu  de  l'éditeur  Hoepli,  de 
Milan,  un  excellent  guide  de  conversation 
italien-turc.  Il  comprend  des  éléments  de 
grammaire,  des  dialogues  et  un   vocabu- 


BIBLIOGRAPHIE 


3«5 


laire.  Le  nom  des  auteurs,  qui  sont  tous 
deux  professeurs  à  l'Institut  oriental  de 
Naples,  recommande  particulièrement  ce 
manuel.  Nous  le  signalons  volontiers  à 
nos  lecteurs  de  langue  italienne. 

S.  Sala  VILLE. 

J.-B.  Séverac,  Vladimir  Soloviev,  intro- 
duction et  choix  de  textes  traduits  pour 
la  première  fois.  Paris,  L.  Michaud, 
in-i8  de  218  pages,  11  gravures  dans  le 
texte.  Prix  :  2  francs. 

L'ouvrage  de  M.  Séverac  fait  partie  de 
la  collection  soigneusement  illustrée  les 
Grands  Philosophes  français  et  étrangers. 
Outre  l'intérêt  qu'offrent  aux  lecteurs  plus 
avides  de  documents  que  de  dissertations 
plus  ou  moins  subjectives  les  textes  les 
plus  importants  des  auteurs,  cette  collec- 
tion est  remarquable  par  la  modicité  de 
ses  prix. 

Les  textes  de  Soloviev  extraits  par  M.  Sé- 
verac du  Recueil  des  œuvres  de  Vladimir 
Serguiévitch  Soloviev,  publié  à  Saint- 
Pétersbourg  par  la  maison  d'édition  l'Uti- 
lité sociale,  ont  pour  objet  :  \.  La  philoso- 
phie et  la  théosophie.  II.  L'Incarnation 
du  Verbe.  Les  tentations  dans  le  désert. 
Le  rôle  de  l'Occident  et  de  l'Orient  dans  la 
divinisation  de  l'homme.  III.  Le  christia- 
nisme et  la  révélation.  IV.  La  nature  et  la 
mort.  Le  péché,  la  loi  et  la  grâce.  V.  Le 
Christ  et  la  conscience.  VI.  L'ascétisme  et 
la  moralité.  VII.  Les  vertus  théologales. 
VIII.  L'individu,  la  famille  et  l'Etat. 
Antigone  et  Créon.  IX.  Nationalisme  et 
cosfnopolitisme.  X.  La  peine  de  mort.  XL 
L'Antéchrist.  XII.  L'idée  de  sur-homme. 
XIII.  Le  mystère  du  progrès.  XIV.  Poème. 

Le  premier,  le  neuvième  et  le  onzième 
extraits  nous  ont  paru  les  plus  intéressants 
parce  qu'ils  retracent  fidèlement  le  portrait 
philosophique  du  grand  philosophe  russe 
méconnu  des  siens  de  son  vivant  et  de 
plus  en  plus  admiré  et  réhabilité  par 
eux  depuis  quelques  années  (Introduction, 
p.  29-30). 

I  et  IX.  Doué  d'un  esprit  droit  et  équi- 
libré, Soloviev  se  montra  de  bonne  heure 
l'adversaire  résolu  de  l'empirisme  positi- 
viste ou  autre  et  du  rationalisme  kantien 
et  hégélien  déjà  fort  en  vogue  en  Russie  à 
son  époque.  Le  mysticisme  ou  théosophie 
libre,  qu'il  appelait  aussi  la  science  inté- 


grale, était  en  somme  et  dans  les  grandes 
lignes  la  Philosophia  perennis  des  grands 
scolastiques  anciens  et  modernes.  Il  s'en 
séparait  cependant  par  l'intuitionisme 
qu'il  professait  au  sujet  de  l'existence  du 
noumène  et  de  Dieu. 

En  philosophie  morale,  il  émit  dès  ses 
premiers  travaux  scientifiques  l'idée  que, 
au  point  de  vue  de  son  perfectionnement 
moral  ou  sanctification  à  laquelle  il  donnait 
le  nom  hardi  de  divinisation,  l'homme  est 
solidaire  de  la  famille,  de  la  nation,  de 
l'humanité  entière.  Cette  idée  explique,  en 
dehors  de  toute  autre  considération,  pour- 
quoi il  fut  dès  le  début  de  sa  vie  intellec- 
tuelle antipathique  à  l'individualisme  pro- 
testant, à  tout  chauvinisme  politique  et 
spécialement  au  nationalisme  excessif  des 
Orientaux  au  point  de  vue  religieux.  La 
religion  naturelle  et  à  plus  forte  raison  le 
christianisme,  disait  en  substance  Soloviev, 
sont  essentiellement  catholiques,  c'est-à- 
dire  universels  et  œcuméniques.  Aussi 
devint-il  peu  à  peu  un  défenseur  convaincu 
de  la  primauté  de  l'Eglise  romaine,  et,  par 
suite,  un  partisan  fervent  de  l'union  des 
Eglises. 

XL  Cette  idée  de  la  soumission  pure  et 
simple  des  Eglises  à  l'Eglise  romaine  est 
exprimée  d'une  manière  dramatique  dans 
un  écrit  intitulé  :  Trois  conversations  ou 
dialogues  (sur  l'Antéchrist).  Un  franc- 
maçon  de  génie  se  proclame  envoyé  d'en 
haut  pour  succéder  au  Christ  et  établir 
enfin  la  paix  entre  tous  les  hommes.  Il  est 
nommé  par  le  Comité  maçonnique  central 
et  permanent  de  Berlin  président  à  vie  des 
Etats-Unis  d'Europe  libérée  après  cinquante 
ans  du  joug  mongol.  En  ce  temps-là  régnait 
partout  l'incrédulité.  La  première  idée  du 
président  fut  de  réconcilier  entre  eux  les 
chrétiens  et  de  les  soumettre  à  l'autorité 
unique  d'un  pape,  son  premier  ministre 
religieux  pour  les  chrétiens.  Il  les  con- 
voqua donc  tous  au  Concile  œcuménique 
de  Jérusalem  où  il  avait  transféré  la  capi- 
tale du  nouvel  empire  romain.  Les  cardi- 
naux et  la  plupart  des  autres  chefs  hiérar- 
chiques catholiques  et  orthodoxes  et  les 
chrétiens  protestants  acceptèrent  avec 
enthousiasme  cette  invitation.  Seuls  le 
pape  Pierre  II  et  une  minorité  de  simples 
évêques  catholiques  et  orthodoxes  auxquels 
s'adjoignit  un  groupe  de  laïques  des 
diverses  confessions  osa  braver  la  colère 


3.6 


ÉCHOS    d'orient 


de  l'autocrate  qui  se  contenta  d'appeler  le 
feu  du  ciel  sur  le  Pape  et  le  moine  Jean, 
chef  des  orthodoxes.  Retirés  à  Jéricho,  les 
chrétiens  restés  fidèles  au  Christ  firent  la 
paix  et  reconnurent  l'autorité  de  Pierre  II 
glorieusement  ressuscité. 

Le  triomphe  de  l'empereur  antéchrist 
tut  de  courte  durée.  A  la  suite  d'une  révolte 
de  Juifs  palestiniens,  il  leva  une  grande 
armée  de  païens,  mais,  au  moment  où  il 
s'apprêtait  à  marcher  contre  les  révoltés, 
un  cratère  subitement  ouvert  l'engloutit 
lui  et  ses  soldats.  Aussitôt,  au-dessus  de 
Jérusalem,  apparut  le  Christ  revêtu  du 
manteau  royal.  Les  chrétiens  fidèles  se 
dirigèrent  vers  lui  solennellement  sous  la 
direction  dû  Pape.  Le  règne  de  mille  ans 
allait  commencer  et  succéder  aux  temps 
historiques  terminés  pour  toujours. 

Les  Trois  dialogues,  que  noussimpliûons 
et  abrégeons  beaucoup,  est  le  dernier  et  le 
plus  curieux  des  écrits  de  Soloviev.  L'idée 
de  l'union  des  Eglises  s'y  affirme  prudem- 
ment mais  nettement  comme  un  corollaire 
des  écrits  précédents.  Cette  idée  était  allée 
se  développant  graduellement  dans  l'esprit 
du  philosophe,  si  bien  que  dans  la  Russie 
et  l'Eglise  universelle  et  dans  sa  corres- 
pondance, Soloviev  proclame  sans  réti- 
cence aucune  le  dogme  de  l'infaillibilité 
pontificale. 

Conformément  à  son  but  de  ne  publier 
que  des  extraits,  inédits  en  français,  M.  Sé- 
verac  ne  donne  des  extraits  ni  de  la  Russie  . 
et  l'Eglise  universelle,  ni  de  l'Idée  russe. 
Il  n'en  donne  pas  davantage  de  sa  volumi- 
neuse correspondance.  Nous  le  regrettons 
vivement,  car  ces  écrits  auraient  montré 
aux  lecteurs  le  principe  de  solidarité 
humaine  si  cher  à  Soloviev  parvenant  à 
son  plein  développement  dans  l'idée  de 
l'union  sous  le  sceptre  spirituel  et  infail- 
lible du  patriarche  de  Rome.  A  ce  propos, 
nous  nous  permettons  de  dire  ici^  sous 
forme  de  digression,  que  Soloviev  s'exa- 
gérait cette  idée  de  solidarité  au  point 
d'avoir  cru  longtemps  qu'il  pécherait  par 
excès  d'individualisme  s'il  quittait  seul 
l'Eglise  orthodoxe  dans  laquelle  il  était  né. 

Le  regret  que  nous  venons  d'exprimer 
est  la  seule  critique  sérieuse  que  nous  ait 
suggérée  le  travail  vraiment  intéressant  de 
M.  Séverac  dont  nous  conseillons  la  lec- 
ture à  nos  lecteurs  orientaux  non  catho- 
liques. Peut-être  cette  lecture  leur  inspire- 


rait-elle de  dire  comme  le  faisait  derniè- 
rement M.  Mentchikof  dans  la  Novoïe 
Vremia,  que  si  l'on  croit  encore  à  l'avenir 
du  christianisme,  il  faut  a  priori  propager 
la  croyance  à  la  primauté  du  Pape. 

En  terminant,  nous  rappelons  à  iM.  Sé- 
verac que  l'Ordre  mendiant  auquel  appar- 
tenait le  pape  Pierre  II  dont  il  est  question 
dans  les  Trois  dialogues  ou  conversations 
ne  doit  pas  être  appelé  l'Ordre  des  Carmé- 
lites, mais  bien  l'Ordre  des  Carmes,  les 
Carmélites  ne  formant  que  le  second  Ordre, 
c'est-à-dire  l'Ordre  féminin  du  Carme! . 

A.  Catoire. 

M.  d'HERBiGNY,  Un  Newman  russe,  Vla- 
dimir Soloviev  {i853-igoo).  Paris,  191 1 . 
G.  Beauchesne,  in-i6,  xvi-336  pages. 

L'ouvrage  que  nous  analysons  fait  partie 
de  la  bibliothèque  slave  de  Bruxelles,  qui 
comprend  des  études  (série  A)  et  des  docu- 
ments (série  B)  relatifs  à  la  Russie. 

Le  travail  du  R.  P.  d'Herbigny  complète 
heureusement  le  livre  de  M.  Séverac  au 
point  de  vue  biographique  et  psycholo- 
gique. Ce  n'est  pas  sans  un  sentiment  pro- 
fond d'admiration  et  de  sympathie  que 
l'on  assiste,  en  lisant  cette  étude,  à  l'ascen- 
sion graduelle  et  ardue  de  l'homme  d'élite 
et  même  de  génie  qu'était  Soloviev  vers 
le  sommet  lumineux  de  la  vérité  et  de  la 
sainteté. 

I.  Séduit  un  instant  par  le  sophisme 
kantien,  Soloviev  se  ressaisit  promptement, 
et  après  avoir  fait,  à  vingt  et  un  ans,  en 
1874,  profession  de  foi  antikantienne  et 
antipositiviste  dans  sa  thèse  de  maître  en 
philosophie  {Crise  de  la  philosophie  occi- 
dentale), il  expose  son  système  de  Vinté- 
gralisme  ou  science  intégrale  dans  la  thèse 
de  doctorat  philosophique  qu'il  soutient  à 
vingt-sept  ans,  en  1880  {Critiques  des  prin- 
cipes exclusifs). 

Pen  après,  dans  la  justification  du  Bien, 
il  inaugure  sa  vie  d'apologiste  du  christia- 
nisme en  essayant  de  guérir  ou  de  préser- 
ver ses  concitoyens  déjà  atteints  ou  mena- 
cés dès  cette  époque  du  virus  de  l'irréligion. 
Contre  les  athées,  il  démontre  que  l'homme 
sent  en  lui  un  instinct  qui  l'oblige  à  s'éle- 
ver au-dessus  de  la  bête  et  à  observer  la  loi 
du  bien  moral  dont  l'origine,  contrairement 
à  l'assertion  de  Kant,  remonte  à  Dieu,  le 
bien  et  le  législateur  suprêmes. 


BIBLIOGRAPHIE 


,-*•/ 


C'est  dans  le  même  livre  que  Soloviev 
forma  le  principe  que,  dans  la  pratique  du 
bien,  l'homme  est  solidaire  de  la  famille, 
de  la  nation,  de  l'humanité  entière;  d'où 
il  conclut,  en  résumé,  que  l'homme  hon- 
nête est  nécessairement  universaliste  et 
catholique.  C'est  à  ce  principe  fondamen- 
tal, qui  lui  est  plus  cher  que  tout  autre, 
qu'il  fera  plus  ou  moins  consciemment 
appel  dans  le  Grand  Débat  (i883)  et  l'His- 
toire et  l'avenir  de  la  théocratie  (1887), 
dans  l'Idée  russe  (1888),  la  Russie  et 
l'Eglise  universelle  <  1 889  ),  et  les  Trois  Dia- 
logues ou  conversations  (1900),  pour  prou- 
ver aux  protestants  et  aux  orthodoxes  que 
l'observation  des  lois  morales  et  les  efforts 
qu'il  fait  pour  tendre  vers  la  sainteté  et  la 
divinisation  ou  théandrisme  imposant  au 
chrétien  le  devoir  d'être  catholique  et  sou- 
mis à  l'autorité  centrale,  qui,  d'après  l'his- 
toire et  l'expérience,  est  la  prérogative  exclu- 
sive du  patriarcat  romain. 

Grâce  à  une  étude  patiente  et  impartiale, 
les  derniers  préjugés  du  Newman  russe 
s'étaient  dissipés  bien  avant  sa  mort,  et  sa 
foi  était  devenue  pleinement  catholique. 
Ce  fait  important  ressort  d'une  manière 
absolument  manifestede  sa  correspondance 
avec  Kireev  et  M--  Strossmayer. 

Ses  relations  avec  l'évêque  de  Croatie 
débutèrent  en  1886  par  une  lettre  conte- 
nant, sous  forme  de  Quelques  considéra- 
tions sur  la  réunion  des  Eglises,  la  réponse 
de  Soloviev  aux  neuf  questions  adressées 
par  lui  à  la  hiérarchie  russe.  Des  textes 
décisifs  extraits  des  lettres  écrites  à  ces 
deux  personnages  établissent,  sans  l'ombre 
d'un  doute,  que  le  philosophe  et  théolo- 
gien russe  croyait  au  Filioque,  à  l'Imma- 
culée Conception  et  à  l'infaillibilité  pon- 
tificale. 

Si,  malgré  sa  foi  catholique  intégrale,  il 
différa  son  entrée  canonique  et  officielle 
dans  l'Eglise  romaine,  ce  ne  fut  que  par 
mesure  de  prudence  et  de  tactique.  Cette 
entrée  cependant  eut  lieu  enfin  le  18  février 
1896.  Elle  se  fit,  non  par  l'abjuration,  jugée 
inutile,  mais  par  la  simple  profession  de 
foi  émise  entre  les  mains  de  l'archimandrite 
Tols\6iàa.nsYég\\SQNotre-Damede  Lourdes 
de  Moscou.  Sans  doute,  au  moment  de  sa 
mort,  survenue  brusquement  en  voyage, 
Soloviev  accepta  les  derniers  sacrements 
du  pope  orthodoxe,  mais  il  ne  renia  rien 
de  sa  foi  et  fit,  en  cette  occasion,  ce  que  le 


catholique  a  le  droit  de  faire  pour  assurer 
son  salut  éternel. 

II.  Tel  fut  le  Newman  russe  au  point  de  vue 
intellectuel.  La  sainteté  de  sa  vie  se  main- 
tint toujours  au  niveau  de  ses  principes. 
Après  quelques  tentatives,  il  résolut  de  gar- 
der le  célibat.  Malgré  son  état  de  santé 
plus  que  médiocre,  il  fut  fidèle  aux  lois  de 
son  rite  et  à  celles  d'un  travail  inlassable. 
Sa  vertu  dominante  était  la  charité.  Bien 
qu'il  fût  sensible  aux  injures  etaux  manques 
d'égards,  jamais,  dans  ses  paroles  ou  ses 
écrits,  il  ne  se  départit  du  respect  le  plus 
absolu  envers  les  personnes.  Sa  délicatesse 
sur  ce  point  était  extrême.  Une  autre  ma- 
nifestation de  sa  charité  était  l'aumône.  Il 
la  pratiquait  si  libéralement  que  ses  amis 
l'en  reprirent  plus  d'une  fois  sans  parvenir 
à  l'en  corriger.  Un  témoin  de  sa  bienfai- 
sance nous  raconte  que  l'on  voyait  parfois 
ce  saint  homme,  affligé  d'une  myopie  très 
avancée,  traverser  [la  rue,  au  risque  de  se 
faire  écraser,  pour  aller  déposer  une  mon- 
naie d'or  ou  d'argent  dans  la  main  du 
pauvre  qui  implorait  sa  pitié. 

Espérons  que  la  science,  les  mérites  et  les 
prières  de  cet  homme  de  Dieu  obtiendront 
de  la  part  de  l'élitedu  peuple  russe,  non  seu- 
lement laréhabilitationdeplus  en  pluscom- 
plète  de  sa  mémoire,  mais  encore  une  ap- 
préciation plus  exacte  de  la  doctrine  et  de 
la  conduite  de  l'Eg'.ise  catholique. 

Les  quelques  critiques  que  nous  pour- 
rions faire  au  sujet  du  livre  du  R.  P.  d'Her- 
bignv  sont  d'importance  par  trop  secon- 
daire pour  que  nous  croyions  utile  de  les 
exprimer.  Nous  nojs  contentons  donc 
d'émettre  le  souhait  que  le  Révérend  Père 
continue  à  nous  donner,  dans  la  série  A  ou 
B  de  la  bibliothèque  slave,  des  travaux 
aussi  intéressants  que  son  étude  sur  Solo- 
■viev.         \  '\ 

^  A.  Catoire. 

R.  Netzammer,  Der  Bau  der  Rumœnisch- 
unierten  Kirche  in  Bukarest.  Cologne, 
Benziger,  19 10,  in-S-',  19  pages. 

Dans  ces  quelques  pages,  le  docte  arche- 
vêque de  Bukarest,  dont  les  Echos  d'Orient 
ont  déjà  souvent  fait  connaître  l'activité 
littéraire,  nous  donne  d'intéressants  détails 
sur  l'église  des  Roumains  unis  récemment 
construite  dans  la  capitale  de  la  Roumanie. 
Destinée  au  rite  oriental,  cette  église  est 


?i8 


ECHOS   D  ORIENT 


un  monument  d'architecture  byzantine  ( 
qui,  considéré  dans  son  plan  général,  dans 
sa  façade  et  dans  sa  coupe,  produit  le  plus 
bel  effet.  Puissent  les  Roumains  unis  se 
réunir  de  plus  en  plus  nombreux  dans  son 
enceinte! 

E.  MONTMASSON. 

C.  Charon,  Histoire  des  patriarcats 
melkites  {Alexandrie,  Antioche,  Jérusa- 
lem), depuis  le  schisme  fnonophysite  du 
\i^ siècle  jusquànos  jours,  t.  III,  fasc.  II. 
Paris,  Picard,  191 1,  in-8°,  p.  SoS-yôo. 

Les  Echos  d'Orient  ont  déjà  annoncé 
(t.  XIII,  1910,  p.  i85-i86)  cet  important 
ouvrage  de  notre  actif  collaborateur,  le 
R.  P.  Cyrille  Charon,  et  indiqué  les  condi- 
tions de  sa  publication.  Ils  ont,  en  outre, 
spécialement  apprécié  le  début  du  tome  III, 
c'est-à-dire  les  chapitres  consacrés  au  rite 
byzantin  dans  les  patriarcats  melkites 
(t., XII,  1909,  p.  184-18^').  Le  fascicule  que 
nous  annonçons  aujourd'hui  termine  ce 
volume.  Il  complète  les  indications  statis- 
tiques précédemment  données,  puis  étudie 
les  sources  du  droit  canonique  melkite  ca- 
tholique et  l'organisation  actuelle  de  cette 
Eglise.  Nos  lecteurs,  à  qui  plusieurs  de  ces 
sujets  sont  familiers  pour  avoir  été  traités 
ici  même,  formeront  avec  nous  le  vœu  de 
voir  bientôt  sortir  des  presses  les  fascicules 
de  cet  ouvrage  qui  restent  encore  àparaître. 
Ce  n'est  qu'alors  qu'on  pourra  dir .  toute  la 
valeur  de  ce  consciencieux  travail. 

S.  Salaville. 

Abel  Fabre,  Pages  d'art  chrétien,  2«  série. 
Paris,  Maison  de  la  Bonne  Presse,  191 1. 
In-4°,  128  pages,  89  illustrations.  Prix  : 
1  franc. 

Nous  avons  salué  avec  joie  la  première 
série  des  Pages  d'art  chrétien  {Echos 
d'Orient,  t.  III,  19 10,  p.  3o5).  Le  succès  de 
cepremiervolumenousavalaunedeuxième 
série  de  ces  études  suggestives.  Elle  com- 
prend sept  études,  dont  voici  les  titres  :  De 
Giotto  à  Raphaël  ;  les  Madones  de  Raphaël  ; 
Michel-Ange,  peintre  de  la  Sixtine;  la 
Légende  de  sainte  Ursule  par  Memling  et 
Carpaccio;  les  Rois  Mages  d'après  les  ar- 
tistes ;  les  Portails  imagés  ;  le  Rêve  de  l'ima- 
gier. L'histoire  de  l'art  byzantin  est  spé- 
cialement mise  à  contribution  dans  l'étude 


concernant  les  Rois  Mages;  mais,  tout  le 
long  de  ce  charmant  volume,  on  sent  que 
l'auteur  connaît  fort  bien  cette  histoire,  qui 
lui  sug;ère  çà  et  là  des  rapprochements 
pleins  d'intérêt.  De  belles  reproductions 
mettent  sous  les  yeux  du  lecteur  une  ma- 
gnifique galerie  de  tableaux.  Signalons  à 
l'auteur  un  chapiteau  du  musée  de  Tou- 
louse, où  l'on  voit  la  scène  de  l'Adoration 
des  Mages. 

S.  Salaville. 

C.  VON  Orelli,  Allgemeine  Religionsges- 
chichte,  2«  édition.  Bonn,  A.  Marcus  et 
E.  Weber,  191 1,  in-8°,  3  livraisons  de 
96  pages  chacune.  Prix  :  2  marks  par 
livraison. 

Le  manuel  d'Histoire  générale  des  reli- 
gions du  D""  Conrad  von  Orelli,  profes- 
seur de  théologie  à  Bâle,  est  un  des  meil- 
leurs qu'ait  fournis  la  critique  protestante 
contemporaine.  L'auteur  a  spécialement 
en  vue  les  étudiants  et  les  pasteurs.  Comme 
Chantepie  de  la  Saussaye,  il  passe  sous 
silence  le  christianisme,  ce  qui  est  une 
marque  de  respect  et  une  preuve  de  la  fer- 
meté de  ses  convictions  :  il  estime  à  bon 
droit  que  la  vraie  religion,  la  religion  du 
Christ,  n'a  pas  à  entrer  en  ligne  de  compte 
avec  les  religions  fausses. 

Cette  seconde  édition  se  publie  par  livrai- 
sons et  comprendra  deux  volumes.  Les  trois 
premières  livraisons  renferment  l'introduc- 
tion, puis,successivement,  l'histoiredesreli- 
gions  des  peuples  touraniens,  celle  des  Cha- 
mites  et  celle  des  Sémites.  Outre  les  belles 
études  des  RR.  PP.  Lagrange  et  Vincent, 
qui  sDnt  citées  en  bonus  place,  comme  de 
juste,  d'autres  ouvrages  récents  de  savants 
catholiques  mériteraient  une  mention  :  tels 
le  Choix  de  textes  religieux  assyro-baby- 
loniens,  du  P.  Dhorme,  et  le  recueil  de  ses 
conférences  sur  la  religion  assyro-baby- 
Ionienne:  tels  encore  tous  les  volumes  parus 
dans  les  Etudes  sur  V histoire  des  religions, 
entreprises  depuis  quelques  années  par  la 
maison  Beauchesne,  à  Paris.  La  mode  de 
publication  par  livraisons  peut  avoir  ses 
avantages;  mais,  à  défaut  de  table  des  ma- 
tières, on  désirerait  dès  le  début  une  vue 
d'ensemble  assez  détaillée  des  divisions 
adoptées  et  des  chapitres  principaux.  Il  est 
regrettable  qu'on  ne  nous  l'ait  point  donnée. 
Ajoutons  qu'un  choix  sobre  et  judicieux 


BIBLIOGRAPHIE 


319 


d'illustrations  documentaires  n'aurait  pas 
été  déplacé  dans  un  ouvrage  de  ce  genre. 
S.  Salaville. 

G.  ScHUBART,  Papyri grœcœ  Berolinenses. 
Bonn,  A.  Marcus  et  E.  Weber,  191 1, 
in-4°,  XXXIV  pages,  5o  planches.  Prix  : 
6  marks. 

Cet  ouvrage  est  le  second  d'une  collec- 
tion intitulée  Tabulœ  in  usum  scholarum 
editœ  sub  cura  Johannis  Ltei:^mann,  et 
inaugurée  naguère  par  les  Specimina  codi- 
cum  grœcorum  Valicanorum  précédem- 
ment annoncées  dans  notre  Revue  (janvier 
1 91 1 .  p.  61-62 1.  Le  présent  recueil  renferme 
un  choix  de  documents  et  de  papyrus  grecs 
du  musée  de  Berlin  :  épîtres,  fragments 
littéraires,  liturgiques,  magiques,  adminis- 
tratifs, etc.,  dont  les  dates  s'échelonnent 
entre  le  iv«  siècle  avant  Jésus-Christ  et  le 
VI II*  de  notre  ère.  Ces  documents  sont 
reproduits  en  d'excellentes  planches  hélio- 
graphiques soigneusement  numérotées.  La 
notice  imprimée,  qui  estconsacrée  à  chacune 
d'elles,  donne  toutes  les  indications  néces- 
saires sur  la  provenance,  l'époque,  l'éiat  du 
papyrus,  les  éditions;  copie  est  fournie  d'un 
bon  nombre  de  ces  textes,  en  sorte  que  les 
étudiants  pourront  commodément,  à  l'aide 
de  cet  élégant  volume,  se  livrer  à  des  exer- 
cices de  paléographie  grecque. 

S.  Salaville. 

N.  Marin I,  Le  Macchie  apparent i  nel 
grande  Luminare  délia  Chiesa  greca, 
S.  Giovanni  Crisostomo.  Rome,  Sal- 
viucci,  19 10.  In-S",  70  pages. 

M?'"  Marini  ramène  à  cinq  les  taches 
apparentes  que  les  hérétiques  et  les  hyper- 
critiques  ont  cru  découvrir  dans  ce  grand 
astre  de  l'Eglise  grecque  qui  s'appelîe  saint 
Jean  Chrysostome.  On  a  accusé  ce  Docteur 
d'avoir  erré  sur  le  dogme  du  péché  originel, 
sur  le  dogme  de  l'Incarnation,  sur  l'Eucha- 
ristie, sur  la  sainteté  parfaite  de  la  Vierge 
-Marie,  sur  la  malice  du  mensonge.  L'au- 
teur ne  prend  pas  la  peine,  et  il  a  raison, 
ie  disculper  saint  Jean  Chr\-sostome  sur 
^Incarnation  et  l'Eucharistie,  sa  doctrine 
sur  ces  deux  points  étant  suffisamment 
claire.  Il  n'examine  que  les  trois  autres 
chefs  d'accusation. 

L'enseignement  de  la  Bouche  d'or  sur  le 


péché  originel  a  été  souvent  mis  en  discus- 
sion, depuis  saint  Augustin  jusqu'à  nos 
jours.  M*""  Marini  n'a  pas  de  peine  à  mon- 
trer, à  la  suite  de  l'évéque  d'Hippone,  de 
Bellarmin  et  de  Bossuet,  que  Chr}-sostome 
n'a  pas  nié  le  dogme  catholique,  bien  qu'il 
ne  se  soit  pas  exprimé  avec  la  clarté  et  la 
précision  des  docteurs  qui  eurent  à  com- 
battre Pelage.  Sur  la  sainteté  de  la  Vierge, 
Chrj'sostome  a  des  idées  un  peu  défec- 
tueuses; il  lui  attribue,  sinon  des  péchés 
véniels,  au  moins  des  imperfections.  Les 
interprétations  que  M^  Marini  donne  des 
textes  qui  font  difficulté  sont  peut-être  un 
peu  compliquées.  Il  faut  reconnaître  fran- 
chement que  certains  Pères  du  iv^  siècle 
avaient  de  la  sainteté  de  la  Mère  de  Dieu 
une  notion  imparfaite,  et  que,  sur  ce  point, 
il  y  a  eu  progrès  dans  la  connaissance.  Il 
nous  est  impossible  de  voir  un  témoignage 
en  faveur  de  l'Immaculée  Conception  dans 
le  passage  cité  de  l'homélie  xvii  sur  la 
Genèse.  Dans  son  traité  du  Sacerdoce, 
Chrysostome  semble  dire  qu'il  est  permis 
de  mentir  ad  bonum  finem.  Mais,  en  réa- 
lité, il  ne  s'agit  pas  chez  lui  de  mensonge 
proprement  dit,  mais  de  ruse  innocente, 
de  pieux  stratagème. 

On  se  tromperait  si  l'on  croyait  que  c'est 
seulement  sur  les  trois  points  examinés 
par  M^  Marini  que  la  doctrine  de  saint 
Jean  Chrysostome  fait  difficulté.  La  lecture 
des  œuvres  de  ce  Docteur  soulève  bien 
d'autres  problèmes  relatifs  à  la  confession, 
à  la  prédestination,  à  la  grâce,  à  la  récom- 
pense immédiate  des  justes  avant  le  juge- 
ment dernier,  etc.  Il  faudrait  un  gros  vo- 
lume pour  examiner  toutes  les  taches 
apparentes  —  et  quelques-unes  sont  peut- 
être  réelles  —  du  grand  soleil  de  l'Eglise 
orientale.  L'opuscule  de  M^'  Marini  con- 
stitue cependant  un  essai  utile.  Il  est 
regrettable  que  les  fautes  d'impression 
abondent  dans  la  transcription  des  textes 
grecs.  Richard  Simon  nous  est  présenté 
comme  un  janséniste  du  xvi^  siècle  i^p.  q), 
et  le  semi-pélagianisme  comme  une  espèce 
de  jansénisme  du  iv*  siècle  {p.  10)!  Ce  sont 
là,  évidemment,  des  distractions. 

M.  JUGIE. 

N.  N.  Gloubokovskii,  Istoritcheskoé  polo- 
géniéi ina  ichénié litchnosti  Theodorita, 
épiscopa  Kirrskago  {Situation  histo- 
rique et  importance  de  la  personnalité 


320 


ÉCHOS    d'orient 


de  Théodoret,  évêque  de  Cyr).  Péters- 
bourg,  191 1.  In-S"  de  3o  pages.  Prix: 
50  kopeks. 

M.  N.  Gloubokovskii,  l'historien  bien 
connu  de  Théodoret  de  Cyr,  présente  au 
public  le  discours  qu'il  prononça  à  l'Aca- 
démie de  Moscou,  le  5  mai  1891,  lors  de 
la  soutenance  de  sa  thèse  de  maître.  Après 
avoir  rappelé  combien  fut  important  le 
rôle  joué  par  Théodoret  dans  les  contro- 
verses nestoriennes  et  monophysites,  il 
expose  les  difficultés  que  présentait  un  tra- 
vail d'ensemble  sur  l'évéque  de  Cyr,  diffi- 
cultés qu'il  a  essayé  de  surmonter.  Il  accuse 
les  catholiques  d'être  avares  de  louanges 
pour  les  anciens  Pères  et  Docteurs  de 
l'Eglise  d'Orient,  de  mal  interpréter  l'appel 
de  Théodoret  au  Pape  et  de  manifester,  à 
l'égard  de  l'évéque  de  Cyr,  une  certaine 
antipathie  à  cause  de  sa  doctrine  sur  la 
procession  du  Saint-Esprit.  11  serait  facile 
de  répondre  à  ces  accusations.  Tout 
d'abord,  cette  avarice  des  catholiques  pour 
les  Pères  grecs  est-elle  réelle?  Il  me  semble 
que  les  Pères  grecs  sont  bien  plus  en  hon- 
neur dans  l'Eglise  catholique  que  les  Pères 
latins  dans  l'Eglise  orientale.  L'appel  de 
Théodoret  au  Pape  constitue  bien  une 
preuve  irréfragable  de  la  croyance  de  l'an- 
cienne Eglise  à  la  primauté  romaine.  Cette 
preuve,  d'ailleurs,  n'est  pas  isolée,  comme 
je  l'ai  montré  récemment  dans  un  article 
sur  la  primauté  romaine  au  concile 
d'Ephèse.  Quant  à  la  doctrine  de  l'évéque 
de  Cyr  sur  la  procession  du  Saint-Esprit, 
je  m'étonne  que  M.  Gloubokovskii  ne  se 
soit  pas  encore  aperçu  que  Théodoret,  en 
disant  que  le  Saint-Esprit  ne  tient  pas  son 
existence  du  Fils  ou  par  le  Fils,  vise  la 
thèse  de  l'hérétique  Macédonius. 

M.  Gloubokovskii  a  joint  à  son  discours 
de  précieux  renseignements  bibliogra- 
phiques relatifs  à  Théodoret.  Ils  consti- 
tuent un  heureux  complément  de  son  ou- 
vrage, dont  les  recensions  dans  les  diverses 
revues  de  l'Europe  sont  aussi  signalées. 

M.    JUGIE. 

JOANNES  DE  Casamichela,  De  Primaîu  Ro- 
tnanœ  sedis  necnon  de  perpetuitate  ej'us- 


dem  primatus  in  romanis  pontijicibus. 
Extrait  de  la  revue  Rotna  e  l'Oriente, 
numéro  du  i5  avril  191 1,  p.  329-341. 

Article  de  vulgarisation  sur  la  primauté 
romaine,  où  l'on  trouve  quelques  citations 
de  Pères  orientaux  qui  ne  sont  pas  toujours 
bien  choisies. 

M.  JUGIE. 

Th.  Pègues,  O.  P.,  Commentaire  français 
littéral  de  la  Somme  théologique  de 
saint  Thomas  d'Aquin,  t.  IV  {Traité  de 
l'homme)  et  t.  V  {Traité  du  gouverne- 
ment divin).  Toulouse,  E.  Privât,  1909 
et  1910.  2  vol.  in-8°  de  806  et  682  pages. 
Prix  :  10  francs  le  volume. 

Nous  sommes  heureux  de  signaler  à  nos 
lecteurs  ces  deux  nouveaux  volumes  du 
Commentaire  Jrançais  littéral  de  la 
So7nme  théologique  de  saint  Thomas. 
Nous  avons  déjà  dit,  à  deux  reprises,  tout 
le  bien  que  nous  pensions  de  cette  belle 
entreprise.  Avec  ces  deux  volumes,  le 
R.  P.  Pègues  arrive  à  la  fin  de  la  première 
partie  de  la  So7nme.  Toujours  fidèle  à  la 
méthode  qu'il  s'est  tracée,  il  s'efforce  de 
nous  faire  connaître,  aussi  exactement  et 
aussi  clairement  que  possible,  la  pensée 
totale  du  Docteur  angélique,  en  y  joignant 
de  temps  en  temps  quelques  réflexions 
personnelles,  qui  sont  en  général  excel- 
lentes. D'aucuns  trouveront  cependant 
qu'il  a  des  idées  un  peu  étroites  sur  la  ma- 
nière d'interpréter  le  récit  genésiaque  de 
l'œuvre  des  six  jours,  et  n'accepteront  pas 
le  jugement  qu'il  porte  sur  l'évolution- 
nisme  mitigé.  Bien  que  saint  Thomas  soit 
major  omni  laude,  le  R.  P.  Pègues  lui 
prodigue  peut-être  trop  souvent  les  épi- 
thètes  laudatives.  Je  sais  tel  lecteur  qui  est 
agacé  par  la  répétition  fréquente  de  phrases 
comme  celle-ci:  Vad  primum  est  admi- 
rable. —  Vadsecundum  est  fort  important. 
—  Vad  tertium  est  très  intéressant,  etc. 
La  suppression  de  ces  épithètes  n'enlève- 
rait rien  à  l'admiration  que  tout  lecteur 
sérieux  éprouve  pour  le  génie  de  l'Ange  de 
l'école. 

M.  JUGIE. 


I  i3ç)  n.  —  Imp.  P   Feron-Vrau,  i  ei  5,  rue  Bayard,  Paris,  VIII'.  '— Le  gérant  :  E.  Petithenhy. 


LETTRE  DE  S.  S.  PIE  X 

POUR  LA  CONVOCATION 

D'UN  CONCILE  ARMÉNIEN  A  ROME 


VENERABILI  FRATRI  NOSTRO  PATRIARCH.€  ET 
DILECTIS  FI  LUS  ARCHIEPISCOPIS  ET  EPISCOPIS 
CATHOLICIS  NATIONIS  ARMENT 


Plus  PAPA  X 

VENERABILES    FRATRES, 
SALUTEM  ET  APOSTOLICAM  BENEDICTIONEM 

Vobis  plane  compertum  est,  Venera- 
biles  Fratres,  quanta  benevolentia  Romani 
Pontifices  inclytam  Armenorum  Nationem 
prosecuti  fuerint.  Praster  ea  quas  neminem 
latent  de  mutuo  arctissimoque  aflfectu  inter 
Sylvestrum  Papam  etGregorium  Armeniae 
Archiepiscopum,  illustris  exstat  memoria 
Florentin!  Concilii  in  quo  Eugenius  IV 
maxime  adlaboravit  ut  Armenos  cum  Ro- 
mana  Ecclesia  conciliaret.  Insuper  Ur- 
banus  VIII,  admissis  Armenorum  alumnis 
in  Collegium  Urbanum  christiano  nomini 
propagande  :  Benedictus  XIV  restituta 
Patriarcatus  Ciliciensis  dignitate  :  Grego- 
rius  XVI  ordinata  re  diœceseos  Constanti- 
nopolitanae  collataque  liberaliter  opéra  in 
hiospitalem  domum  urbanam  peregrinis 
ex  Armenia  recipiundis,  benevoientiam 
suam  reipsa  testati  sunt.  Insigne  praeterea 
fuit  Pii  VIII  beneficium  cui  potissimum 
debetur  impetrata  ab  Armenis  catholicis 
libertas  contra  civilem  schismaticorum 
antistitum  jurisdictionem.  Neque  praeter- 
eunda  est  religiosa  Pii  IX  sollicitudo  in 
iis  decernendis  et  procurandis  quae  in 
bonum  Ecclesiae  Armenae  vergere  existi- 
mavit.  Item  ad  componendum  dissidium 
recenti  aetate  exortum,  Apostolica  Sedes 
mirum  quantum  adlaboravit  ut  funestam 
illam  schismatis  flammam  extingueret. 
Praeclara  etiam  exstitit  Leonis  XIII  solertia 
et  munificentia,  qui  in  hac  principe  orbis 

Echos  d'Orient,   14'  année.  —  A''*  9/. 


A  NOTRE  VENERABLE  FRERE  LE  PATRIARCHE 
ET  A  NOS  BIEN-ALMÉS  FILS  LES  ARCHEVEQUES 
ET  ÉVÈQUES  CATHOLIQ.UES  DE  LA  NATION 
ARMÉNIENNE 

PIE  X,  PAPE 

VÉNÉRABLES  FRERES, 
SALUT  ET  BÉNÉDICTION  APOSTOLIQUE 

Vousconnaissez  parfaitement,  vénérables 
Frères,  la  grande  bienveillance  que  les  Pon- 
tifes Romains  ont  témoignée  à  l'illustre 
nation  arménienne.  Outre  le  fait,  connu 
de  tous,  de  l'amitié  très  étroite  qui  unissait 
le  pape  Sylvestre  et  l'archevêque  d'Arménie, 
Grégoire,  on  se  rappelle  ce  célèbre  concile 
de  Florence  où  Eugène  IV  travailla  tant 
à  la  réconciliation  des  Arméniens  avec 
l'Eglise  romaine.  Urbain  VIII  aussi  attesta 
sa  bienveillance  par  l'admission  d'élèves 
arméniens  au  collège  urbain  de  la  Propa- 
gande, Benoît  XIV  par  le  rétablissement 
du  patriarcat  de  Cilicie,  Grégoire  XVI  par 
l'organisation  du  diocèse  de  Constantinople 
et  par  l'érection,  à  Rome,  d'un  hospice 
pour  les  pèlerins  arméniens.  Un  autre 
bienfait  insigne  obtenu  par  les  Arméniens 
catholiques,  grâce  surtout  à  P.e  VIII,  fut 
l'affranchissement  de  la  juridiction  civile 
des  évéques  schismatiques.  Il  ne  faut  pas 
non  plus  passer  sous  silence  la  religieuse 
sollicitude  avec  laquelle  Pie  IX  décréta  et 
accorda  tout  ce  qui  lui  parut  utile  au  bien 
de  l'Eglise  arménienne.  De  même,  pour 
mettre  tin  à  des  dissensions  récentes,  le 
Saint-Siège  travailla  avec  un  s  in  admi- 
rable à  éteindre  les  flammes  d'un  schisme 
funeste.  Léon  XIII,  lui  aussi,  avec  une 
munificence  et  une  habileté  supérieures, 
s'occupa  d'élever  en  cette  cité,  reine  du 
monde  chrétien,  un  collège  où  de  jeunes 
arméniens,  appelés  au  service  de  Dieu,  re- 
çoivent une  éducation  convenable. 

Et  Nous-même,  Nous  n'avons  certes  rien 

Novembre    igii. 


J22 


ÉCHOS    d'orient 


christiani  civitate  erigendum  curavit  Col- 
legium  ubi  adolescentes  armeni  in  sortem 
Domini  vocati  liberaliter  erudiuntur. 

Ad  Nos  quod  attinet,  nihil  profecto 
eorum  praetermisimus  quae  nationis  vestrae 
spiritual!  emolumento  conducere  vide- 
bantur.  Nunc  vero,  attentis  peculiaribus 
temporum  adjunctis,  et  inspecta  prœsenti 
Ecclesise  armen£e  conditione,  ad  dissen- 
sionum  germina  pênes  Vos  evellenda,  ad 
jurium  concertationes  praecavendas,  ad 
disciplinam  ecclesiasticam  roborandam, 
ad  légitimas  traditiones  et  consuetudines 
vestras  firmandas,  ad  clericorum  et  lai- 
corum  officia  declaranda,  maxime  vali- 
turam  esse  confidimus  Synodi  nationalis 
celebrationem. 

Quocirca    per    prœsentem     Epistolam 
mandamus  ut  hujusmodi  Concilium,  cui 
Rmus  D.  Patriarcha  praesit,  quantocius  ab 
ipso  convocetur  et  opportunitatis  gratia 
Romas  celebretur .  In  hac  synodo  de  juribus 
Patriarchae  et  Episcoporum,  de  recta  fide- 
lium  administratione,  de  cleri  disciplina, 
de  Monachorum  Institutis,  de  missionum 
necessitatibus,    de   cultus   divini    décore, 
de   S.    Liturgia,    de    cognatisque    agatur 
rébus   quas    cautissime    defïniendae    sunt 
ad  majorem  Dei  gloriam  procurandam  et 
Ecclesise  armenae  splendorem  augendum, 
Uti  pênes  alias  orientales  Ecclesias,  sy- 
nodi   nationalis    celebratio    magno    fuit 
emolumento   pro    negotiis    componendis 
et  ecclesiastica  disciplina  instauranda,  ita 
Vestras  Ecclesise  et  legum  scriptarum  elu- 
cubrationeet  promulgatione,  saluberrimo^ 
fructus  profuturos  Nobis  jure  merito  pol- 
licemur.  Intérim  ex  intimo  cordis  Nostri 
Deum  oramus  et  obsecramus  ut  cœlestium 
charismatum  copiam  Vobis  propitius  lar- 
giatur.  Ac  divini  hujus  praesidii  auspiçem 
et  flagrantissimas  illius  qua  Vos  in  Domino 
amplectimur    charitatis  testem,    Aposto- 
licam  benedictionem    Vobis,  Venerabiles 
Fratres,  cunctisque  clericis,  laicisque  fide- 
libus  armenis  peramanter  impertimus. 

Datum  Romse,  apud  S.  Petrum,  die 
30  Sextilis,  anno  191 1,  Pontificatus  Nos- 
tri IX. 

Plus  PP.  X. 


négligé  de  ce  qui  Nous  paraissait  favorable 
au  bien  spirituel  de  votre  nation.  Aujour- 
d'hui même,  attentif  aux  caractères  parti- 
culiers des  temps  que  Nous  traversons  et 
bien  instruit  de  la  situation  présente  de 
l'Eglise  arménienne,  Nous  sommes  assuré 
que,  pour  extirper  les  germes  de  division 
qui  sont  parmi  vous,  prévenir  les  rivalités 
concernant  les  droits,  fortifier  la  discipline 
ecclésiastique,  affermir  vos  traditions  et 
coutumes  légitimes,  proclamer  les  devoirs 
des  clercs  et  des  laïques,  la  célébration 
d'un  concile  national  sera  souverainement 
efficace. 

Aussi  par  la  présente  lettre  chargeons- 
Nous  Sa  Révérence  M^""  le  Patriarche  de 
convoquer  au  plus  tôt  ce  concile,  qu'il  pré- 
sidera lui-même,  et  qui  se  tiendra  à  Rome 
pour  plus  de  commodité.  Ce  synode  trai- 
tera des  droits  du  patriarche  et  des  évêques, 
de  la  bonne  direction  des  fidèles,  de  la 
discipline  du  clergé,  des  règles  monas- 
tiques, des  besoins  des  missions,  de  l'hon- 
neur du  culte  divin,  de  la  sainte  liturgie, 
et  d'autres  sujets  de  même  genre  qui  sont 
à  préciser  avec  une  extrême  prudence,  afin 
de  procurer  à  Dieu  une  plus  grande  gloire 
et  de  rehausser  la  splendeur  de  l'Eglise 
arménienne. 

Chez  d'autres  Eglises  d'Orient  la  célébra- 
tion d'un  concile  national  a  été  d'un  puis- 
sant secours  pour  dissiper  les  difficultés  et 
restaurer  la  discipline  ecclésiastique;  aussi 
sommes-Nous  en  droit  de  Nous  promettre 
que  l'élaboration  et  la  promulgation  de 
lois  écrites  procureront  de  même  à  votre 
Eglise  les  fruits  les  plus  salutaires.  Pour  le 
moment,  Nous  prions  et  supplions  Dieu 
du  fond  de  Notre  cœur  qu'il  daigne  Vous 
accorder  en  abondance  ses  dons  célestes. 
Comme  gage  de  ce  divin  secours  et  en 
témoignage  de  l'ardente  charité  que  Nous 
vous  portons  dans  le  Seigneur,  Nous  vous 
accordons  très  affectueusement  à  vous,  vé- 
nérables Frères,  ainsi  qu'à  tous  les  clercs 
et  fidèles  laïques  arméniens,  la  Bénédiction 
apostolique. 

Donné  à  Rome,  près  de  Saint-Pierre,  le 
3o  août  191 1,  en  la  IX«  année  de  Notre 
Pontificat. 

PIE  X,  PAPE. 


THÉOLOGIE  «  ORTHODOXE  » 

ET   THÉOLOGIE    CATHOLIQUE 
A  PROPOS  D'UN  LIVRE  RÉCENT 


A  une  époque  où  l'on  explore  avec  une 
ardente  curiosité  toutes  les  régions  du 
savoir,  la  théologie  dogmatique  «  ortho- 
doxe »,  province  généralement  négligée 
jusqu'ici  en  Occident,  a  fini  par  trouver 
quelques  fidèles. 

Parmi  ceux-ci,  le  R.  P.  A.  Palmieri  vient 
en  toute  première  ligne.  Après  une  série 
d'articles  et  d'opuscules  sur  la  matière, 
publiés  çà  et  là  depuis  une  dizaine  d'an- 
nées, il  vient  d'entreprendre  une  œuvre 
de  longue  haleine  dont  les  Prolégomènes 
ne  comprennent  pas  moins  de  815  pages 
compactes  d'un  grand  in-octavo  (i).  Et 
encore  ces  Prolégomènes  sont  incomplets 
de  quatre  chapitres  qui  seront  donnés 
dans  un  prochain  volume  et  qui  traiteront  : 
\°  du  nombre  des  divergences  théolo- 
giques qui  séparent  les  Eglises  orthodoxes 
de  l'Eglise  catholique;  2°  de  la  théologie 
polémique  spéciale  chez  les  «  orthodoxes  »: 
y  de  la  théologie  morale  et  pastorale 
dans  les  Eglises  «  orthodoxes  »;  40  des 
obstacles  qui  empêchent  l'union  des 
Eglises  (2).  Après  avoir  élevé  un  si  vaste 
portique,  l'auteur  se  propose  d'édifier  le 
temple  de  la  théologie  «  orthodoxe  », 
temple  à  cinq  nefs  où  le  lecteur  apprendra 
ce  qui  s'enseigne  dans  les  Eglises  auto- 
céphales,  et  spécialement  dans  l'Eglise 
russe,  touchant  la  Tradition,  l'Ecriture 
Sainte,  l'Eglise,  le  Pontife  romain  et  le 
Saint-Esprit. 

A  en  juger  par  la  méthode  suivie  dans 
le  premier  volume  des  Prolégomènes,   le 


(i)  A.  Palmieri,  Theologia  dogmatica  orthodoxa 
Ecclesiœ  grœco-russicœi  ad  lumen  catholicœ  doc- 
trinœ  examinata  et  discussa,  t.  I,  Prolegomena, 
in-8  dexxv-8i5  pages.  Florence,  igii,  Libreria  édi- 
trice fiorentina,  via  del  Corso,  3.  Prix  :  20  francs. 
(21  P.  XIV. 


R.  P.  Palmieri  ne  se  contentera  pas  d'ex- 
poser la  doctrine  des  théologiens  «  ortho- 
doxes »  sur  les  points  indiqués;  il  la  réfu- 
tera—  mais  d'une  manière  irénique — (i) 
et  lui  opposera  les  meilleurs  arguments 
qu'il  pourra  trouver  dans  les  sources  catho- 
liques. Son  dessein  est,  je  crois,  de  com- 
poser une  sorte  de  Somme  théologique 
où  les  catholiques  pourront  entendre  les 
«  orthodoxes  »  et  où  les  «  orthodoxes  » 
pourront  puiser  la  connaissance  de  la  doc- 
trine catholique,  qu'ils  demandent  trop 
souvent  aux  sources  troubles  du  protes- 
tantisme allemand.  L'ouvrage  sera  donc 
comme  une  sorte  de  médiateur  intellec- 
tuel entre  l'Orient  et  l'Occident.  Ecrit  en 
latin,  il  sera  assez  facilement  accessible 
aux  théologiens  orientaux,  grecs  et  slaves. 
Tous  ceux  qui  ont  à  cœur  le  retour  de 
l'Orient  «  orthodoxe  »  à  l'unité  catholique 
ne  peuvent  qu'applaudir  à  cette  grandiose 
entreprise.  De  nos  jours  comme  autrefois, 
le  schisme  trouve  dans  l'ignorance  un  pré- 
cieux auxiliaire  pour  se  maintenir.  On  a 
souvent  dit  que  les  divergences  dogma- 
tiques et  autres  entre  les  deux  Eglises 
n'avaient  été  inventées  par  les  auteurs  du 
schisme  que  pour  colorer  de  beaux  pré- 
textes l'œuvre  de  désunion  qu'ils  pour- 
suivaient. Cela  fut  sans  doute  vrai  au 
début,  mais  on  se  tromperait  si  l'on  croyait 
que  de  nos  jours  la  situation  est  la  même. 
Dans  l'œuvre  de  l'union,  les  théologiens 
ont  un  rôle  capital  à  rerriplir  :  celui  de 
dissiper  les  préjugés  d'ordre  doctrinal  ac- 
cumulés au  cours  des  siècles  par  l'igno- 
rance ou  la  mauvaise  foi.  A  supposer 
même  que  l'on  fût  toujours  en  présence 
de  purs  prétextes,  ne  serait-ce  point  tra- 

(I)   P.  XX. 


à 


324 


ÉCHOS   d'orient 


vailler  utilement  à  la  réconciliation  lente 
et  progressive  que  de  donner  à  nos  frères 
séparés  cette  marque  de  sympathie  qui 
consiste  à  s'intéresser  à  ce  qu'ils  écrivent 
dans  le  domaine  des  sciences  sacrées?  Par 
ailleurs,  bien  que  l'Orient  ne  soit  point 
à  l'heure  actuelle  le  pays  des  lumières 
théologiques,  qu'il  possède  peu  de  soleils 
et  beaucoup  trop  de  planètes,  serait-il  té- 
méraire d'avancer  que  le  théologien  occi- 
dental peut  retirer  quelque  profit  de  cer- 
tains ouvrages  écrits  par  des  Russes  ou 
des  Grecs?  Je  ne  le  pense  pas,  et  la  lecture 
des  Prolégomènes  du  P.  Palmieri  me  con- 
firme dans  cette  idée. 

De  ces  Prolégomènes  je  voudrais  donner 
au  lecteur  une  courte  analyse,  chapitre 
par  chapitre,  en  y  joignant  les  réflexions 
et  les  remarques  que  m'a  suggérées  une 
lecture  attentive  de  l'ouvrage,  et  que  l'au- 
teur voudra  bien  prendre  en  bonne  part, 
même  lorsqu'elles  ne  seront  pas  des  éloges, 
parce  qu'elles  partiront  d'un  cœur  bien- 
veillant, uniquement  préoccupé  de  rendre 
service  en  disant  ce  qui  lui  paraît  être  la 
vérité. 


Commençons  par  la  préface.  Elle  compte 
vingt-cinq  pages,  ce  qui  n'a  rien  d'exagéré, 
vu  l'ampleur  du  volume.  Elle  est  écrite  en 
un  latin  élégant  au  vocabulaire  un  peu 
recherché.  J'avoue  candidement  avoir  été 
obligé  de  recourir  plusieurs  fois  au  dic- 
tionnaire pour  avoir  le  sens  de  certains 
mots  qui  se  rencontrent  rarement  dans 
les  ouvrages  de  théologie,  et  même  dans 
les  autres.  Ces  mots  sont  surtout  des 
termes  injurieux  ou  méprisants,  que  l'au- 
teur décoche  aux  demi-savants  qui  aboient 
sans  cesse  contre  les  savants  tout  court, 
et  croient  faire  du  zèle  en  voyant  partout 
du  modernisme. 

Ces  demi-savants,  ce  sont  principale- 
ment ceux  qui  ont  formulé  contre  la  per- 
sonne et  les  précédents  ouvrages  du 
P.  Palmieri  des  attaques  injustifiées,  et 
tout  particulièrement  un  petit  groupe  de 
Polonais,  que  l'auteur  appelle  Mohlia- 
nistes,  du  nom  du  principal  d'entre  eux. 


M.  Mohl,  qui  s'est  distingué  par  ses  in- 
vectives contre  la  Chiésa  rnssa  (i).  Quand 
je  tombai  pour  la  première  fois  sur  ce 
nom,  je  crus  à  la  naissance  de  quelque 
nouvelle  secte  russe  ou  à  quelque  fraction 
du  mariavitisme.  11  n'en  était  rien.  Mohlia- 
nisme  est  tout  simplement,  d'après  l'au- 
teur, synonyme  de  panpolonisme ,  une  hé- 
résie qui  ne  doit  pas  être  de  fraîche  date  (2). 

On  se  demande  cependant  pourquoi 
le  P.  Palmieri  a  voulu  rendre  célèbre 
M.  Mohl.  Le  silence  devant  certaines  at- 
taques paraît  être  la  meilleure  réponse. 
A  se  défendre  on  perd  la  sérénité  d'es- 
prit nécessaire  au  travailleur,  et  l'on  s'ex- 
pose, en  employant  des  mots  trop  forts 
dans  la  riposte,  à  s'abaisser  au  niveau 
de  l'adversaire  outrecuidant,  ou,  ce  qui 
est  plus  fâcheux,  à  se  mettre  en  contra- 
diction avec  ses  principes.  C'est  ainsi  que 
l'on  est  un  peu  choqué  de  trouver  à  un 
ouvrage  qui  veut  être  irénique  une  pré- 
face qui  l'est  si  peu.  Les  sorties  contre 
les  Mohlianistes,  qui,  après  tout,  ne 
doivent  être  que  des  hérétiques  matériels 
faisant  partie  de  l'Eglise  catholique,  se 
renouvellent  avec  insistance  dans  le  cha- 
pitre IX,  où  l'auteur  recommande  juste- 
ment la  douceur  et  la  charité  dans  la 
polémique. 

Mais  passons  et  fermons  les  yeux  sur 
ce  petit  accès  d'impatience,  bien  excu- 
sable chez  un  travailleur  consciencieux 
qui  se  voit  aux  prises  avec  la  contradic- 
tion, rançon  nécessaire  de  la  vraie  gloire. 
Le  solitaire  de  Bethléem  avait  des  repar- 
ties encore  bien  plus  vives  contre  ses 
calomniateurs.  La  préface  ne  nous  apprend 
pas  seulement  ce  que  sont  les  Mohlianistes. 
Elle  nous  renseigne  encore  sur  le  but,  le 
caractère,  la  division  de  l'ouvrage,  les  dif- 
ficultés que  l'auteur  a  dû  surmonter  pour 
l'écrire,    la  bénédiction   anticipée  que   le 


(i)  Ouvrage  du  R.  P.  Palmieri,  paru  en  1908. 
Cf.  Echos  d'Orient,  t.  XIII  (1910),  p.  58. 

(2)  L'auteur  a  fait  paraître  récemment  une  bro- 
chure qui  renseigne  amplement  sur  le  Mohlia- 
nisme  :  Mohlianismus  et  Panpolonismus  horumque 
methodus  polemica  et  consectaria.  Rome,  igio. 
Un  ouvrage  en  français  est  annoncé  sur  la  même 
question. 


THEOLOGIE   «   ORTHODOXE   »   ET   THEOLOGIE  CATHOLIQ.LE 


}2y 


pape  Léon  XIII  lui  avait  accordée,  quelques- 
unes  des  fautes  de  latin  qui  s'y  sont  glis- 
sées. Car  l'élégance  de  la  préface  se  fait 
un  peu  désirer  dans  l'ensemble  du  volume; 
mais  ce  n'est  pas  impunément  qu'on  écrit, 
à  notre  époque,  800  pages  de  latin.  J'en 
connais  beaucoup  qui  s'en  seraient  tirés 
avec  moins  d'honneur. 


Les  chapitres  i  et  11  traitent  respective- 
ment de  la  définition  de  la  théologie,  de 
la  notion,  de  la  définition  et  de  la  division 
des  dogmes  dans  la  théologie  «  ortho- 
doxe ».  Les  théologiens  «  orthodoxes  » 
n'ont  rien  de  bien  particulier  sur  ces  ques- 
tions, et  l'auteur  aurait  pu  en  parler  moins 
longuement,  d'autant  plus  que  les  manuels 
en  usage  dans  les  Eglises  autocéphales 
sont  tributaires  des  nôtres  dans  une  large 
mesure.  Qui  ne  sait,  par  exemple,  que 
Macaire  a  pillé  notre  Perrone?  Au  milieu 
de  ces  lieux  communs,  dont  je  veux  me 
garder  de  dire  qu'ils  sont  sans  utilité,  vu 
le  but  que  s'est  proposé  le  P.  Palmieri,  îl 
y  a  quelques  citations  intéressantes  de 
théologiens  russes.  C'est  ainsi  qu'on  ap- 
prend avec  plaisir  que  l'épithète  d'ortho- 
doxe, donnée  à  l'Eglise  et  à  la  théologie 
russes,  est  judicieusement  critiquée  par 
plusieurs  théologiens  orientaux  presque 
dans  les  mêmes  termes  qu'emploie  Joseph 
de  Maistre.  Certains  ne  font  pas  difficulté 
de  reconnaître  qu'il  y  a  plusieurs  ortho- 
âoxies  dans  l'Eglise  orientale,  qu'il  y  en  a 
presque  autant  que  de  théologiens,  chacun 
croyant  posséder  l'esprit  orthodoxe  et  en- 
tendant «  l'orthodoxie  »  dans  le  sens  de 
la  doxie  à  moi.  Cela  est  inévitable,  en  l'ab- 
sence d'un  magistère  infaillible  vivant  et 
permanent  (i). 

L'auteur  est  bien  inspiré  lorsqu'il  cri- 
tique un  autre  des  nombreux  noms  de 
l'Eglise  orientale,  celui  d'Eglise  des  sept 
conciles  œcuméniques.  Ce  titre  ne  serait 
exact  et  caractéristique  que  si  les  théolo- 
giens «  orthodoxes  »  enseignaient  que 
l'ère  des  conciles  œcuméniques  fut  fermée 

(I)  P.  5-10. 


à  tout  jamais  après  la  clôture  du  second 
concile  de  Nicée,  en  787:  mais  personne 
jusqu'ici  n'a  soutenu  sérieusement  cette 
absurdité,  bien  qu'il  soit  reconnu  que  de 
nos  jours  un  nouveau  concile  œcuménique 
est  matériellement  impossible  pour  les 
Orientaux. 

A  la  page  2,  le  P.  Palmieri  décerne  à 
Eugène  Bulgaris  le  prix  d'excellence  parmi 
les  théologiens  «  orthodoxes  ».  Je  me 
demande  sur  quoi  est  basé  ce  pompeux 
éloge.  Serait-ce  sur  le  Qîo).oyixôv,  mauvais 
et  incomplet  résumé  de  scolastique  occi- 
dentale, entremêlé  de  quelques  diatribes 
sans  saveur  contre  les  Latins?  II  y  a  cer- 
tainement mieux  que  cela  dans  «  l'ortho- 
doxie ». 

Nous  trouvons  dans  le  long  chapitre  m  : 
Du  progrès  dogmatique  d'après  les  théolo- 
giens catholiques  et  les  théologiens  ortho- 
doxes, un  résumé  de  ce  que  l'auteur  a  dit 
de  meilleur  dans  son  récent  ouvrage  :  // 
progressa  dommatico  (i).  Après  une  expo- 
sition un  peu  diffuse  de  la  notion  catho- 
lique du  progrès  dogmatique,  on  nous 
renseigne  sur  l'attitude  prise  par  les  théo- 
logiens «  orthodoxes  »  sur  cette  question. 
Cette  attitude  est  embarrassée  et  contra- 
dictoire. En  théorie,  le  théologien  oriental 
fait  généralement  sienne  la  doctrine  ca- 
tholique du  développement;  mais  on 
s'aperçoit  vite  que  c'est  pour  lui  une  no- 
tion étrangère  qu'il  ne  s'est  pas  véritable- 
ment assimilée.  Il  ne  fait  pas  grand  effort 
du  reste  pour  arriver  à  saisir  ce  que  nous 
appelons  le  révélé  implicite  ou  le  révélé 
virtuel,  car  il  tient  à  pouvoir  accuser 
l'Eglise  catholique  d'inventer  de  nouveaux 
dogmes.  Puissent  les  bonnes  explications 
du  P.  Palmieri  convaincre  les  Orientaux 
que  c'est  là  une  pure  calomnie! 

Ce  qui  montre  bien  que  les  théologiens 
«  orthodoxes  »  ne  comprennent  pas  ou 
ne  veulent  pas  comprendre  la  vraie  notion 
de  l'évolution  dogmatique,  c'est  leur  ma- 
nière d'interpréter  le  fameux  canon  de 
saint  Vincent  de  Lérins  :  Id  teneamus  quod 
itbique,  quod  semper,  quod  ab  omnibus  cre- 

(II  Voir  Echos  d'Orient,  t.  XIII,  p.  358. 


326 


ÉCHOS   d'orient 


diium  est.  Ils  l'entendent  au  sens  négatif 
et  exclusif.  Adieu,  dès  lors,  à  tout  passage 
de  l'implicite  à  l'explicite  dans  la  connais- 
sance de  la  vérité  révélée.  Avec  cette  exé- 
gèse, le  concile  de  Trente  est  pris  en 
flagrant  délit  de  fabriquer  beaucoup  de 
nouveaux  dogmes.  Le  P.  Palmieri  fait  re- 
marquer avec  beaucoup  de  justesse  que 
le  canon  de  Vincent  de  Lérins,  «  cette 
règle  d'or  de  l'orthodoxie  »,  a  été  décou- 
vert, il  n'y  a  pas  bien  longtemps,  par  les 
théologiens  orientaux.  Mais  ils  en  vivaient 
avant  de  la  connaître.  C'est  pour  cela 
qu'ils  découvraient  au  moyen  âge  tant  de 
kainotomies  chez  la  sœur  ennemie  d'Occi- 
dent. 

Préoccupé  de  faciliter  aux  vieux-catho- 
liques l'accès  à  «  l'orthodoxie  »,  le  Russe 
Bolotov  montre  une  certaine  tolérance  à 
l'égard  de  quelques  dogmes  nouveaux 
définis  en  Occident  depuis  la  séparation. 
Sans  leur  reconnaître  une  valeur  obliga- 
toire et  vraiment  dogmatique  pour  l'Eglise 
universelle,  il  permet  qu'ils  soient  ensei- 
gnés dans  une  Eglise  particulière. 

Ces  théologoumènes  —  c'est  ainsi  qu'il 
les  appelle  —  ne  sauraient  être  un  obs- 
tacle sérieux  à  l'union  des  Eglises.  Ils 
tiennent  le  milieu  entre  le  dogme  propre- 
ment dit  et  les  opinions  particulières  des 
théologiens,  et  peuvent  en  général  se  ré- 
clamer de  l'autorité  de  plusieurs  anciens 
Pères.  La  procession  du  Saint-Esprit  a 
Pâtre  et  Filio  est  résolument  cataloguée 
par  Bolotov  parmi  les  théologoumènes.  Quel 
dommage  que  Photius  n'ait  pas  connu  le 
théologoiimène !  II  aurait  épargné  à  l'Eglise 
bien  des  calamités.  Je  n'ai  encore  rencontré 
aucun  théologien  grec  qui  traitât  avec  cette 
désinvolture  le  dogme  photien. 


De  la  nécessité,  de  la  méthode  et  de  la 
division  de  la  théologie  che:^  les  écrivains 
orthodoxes,  tel  est  le  titre  du  chapitre  iv. 
L'auteur  commence  par  réfuter  les  adog- 
matistes  russes,  Tolstoï,  Rozanov,  Merej- 
i  kovsky  et  consorts.  Pour  ces  gens-là,  qui 
sont  de  vrais  incrédules,  la  théologie  est 
une  science  bien  inutile  et  le  dogme  un 


esclavage  intellectuel  dont  il  faut  rompre 
les  chaînes.  Mais  était-il  bien  nécessaire, 
dans  des  Prolégomènes,  de  démontrer  lon- 
guement à  Tolstoï  et  à  ses  disciples  que 
les  mystères  chrétiens  ne  répugnent  ni 
à  la  raison,  ni  à  la  volonté,  ni  au  cœur  de 
l'homme,  et  sont  au  contraire  bienfaisants 
pour  ces  trois  facultés?  N'est-ce  pas  vou- 
loir allonger  le  volume  à  plaisir? 

Ce  qui  est  dit  de  la  méthode  de  la  théo- 
logie d'après  les  théologiens  «  orthodoxes  » 
est  un  peu  confus.  Le  P.  Palmieri  parle 
de  conceptions  différentes  chez  des  au- 
teurs qui  s'entendent  parfaitement.  Com- 
ment, d'ailleurs,  ne  pas  être  d'accord  sur 
ces  généralités?  Celles-ci  sont  suivies  d'un 
aperçu  historique  très  incomplet  sur  les 
écoles  théologiques  chez  les  Grecs,  les 
Russeset  les  Roumains.  On  nous  renseigne 
aussi  sur  la  controverse  qui  agite  en  ce 
moment  les  esprits  en  Russie  relativement 
à  l'utilité  des  Facultés  de  théologie  an- 
nexées aux  Universités  d'Etat. 

Le  chapitre  v  traite  des  manuels  de 
théologie  dans  l'Eglise  orientale  gréco- 
russe,  depuis  la  Foi  orthodoxe  de  saint  Jean 
Damascène  jusqu'à  nos  jours.  Il  emprunte 
beaucoup  au  travail  que  l'auteur  fit  pa- 
raître en  1901,  dans  la  Revue  de  l'Orient 
chrétien,  sous  le  titre  :  Ancienne  et  nouvelle 
théologie  russe.  C'est,  à  grands  traits,  l'his- 
toire de  la  théologie  dogmatique  dans 
l'Eglise  orientale  depuis  la  séparation  des 
Eglises.  On  y  trouve  des  renseignements 
fort  utiles.  On  remarquera  surtout  ce  qui 
est  dit  de  l'influence  de  la  scolastique  oc- 
cidentale sur  les  théologiens  de  la  Petite 
Russie,  aux  xvip  et  xviip  siècles,  et  l'aperçu 
sur  la  doctrine  de  Théophane  Prokopo- 
vitch. 

Les  théologiens  de  Kiev  furent  les  dé- 
fenseurs de  la  doctrine  de  l'Immaculée 
Conception  de  la  Sainte  Vierge.  A  ceux 
que  cite  le  P.  Palmieri,  et  qui  sont  à  peu 
près  tous  du  xvm^  siècle,  il  faut  joindre 
plusieurs  autres  noms  plus  célèbres  ap- 
partenant au  xviF  siècle.  Le  travail  que 
j'ai  publié  dans  les  Echos  d'Orient  sur  l'Im- 
maculée Conception  chez  les  Russes  au 
xviF  siècle  paraît  avoir  échappé  à  l'auteur. 


THÉOLOGIE  «  ORTHODOXE  »  ET  THEOLOGIE  CATHOLIQUE 


327 


La  liste  des  catéchismes  russes  et  grecs, 
qui  termine  le  chapitre,  est  incomplète; 
mais  le  dommage  n'est  pas  grand,  rien 
ne  ressemblant  autant  à  un  catéchisme 
qu'un  autre  catéchisme. 

Dans  les  80  pages  du  chapitre  vi,  le 
P.  Palmieri  a  écrit  une  apologie  en  règle 
de  la  théologie  scolastique  contre  les  at- 
taques sans  fondement  dont  elle  est  l'objet 
de  la  part  de  certains  théologiens  ortho- 
doxes. A  l'aide  de  citations  bien  choisies 
d'auteurs  anciens  et  modernes,  il  montre 
les  services  inappréciables  rendus  à  la 
théologie  par  la  philosophie,  sa  servante. 

Quand  ils  disent  du  mal  de  la  scolas- 
tique, les  «  orthodoxes  »  ne  font  en  gé- 
néral que  transcrire  les  diatribes  de  cer- 
tains auteurs  protestants.  Leurs  traits 
n'atteignent  que  la  scolastique  de  la  déca- 
dence. C'est  ce  que  leur  montre  bien  le 
P.  Palmieri.  Ce  qui  déroute  les  Orientaux, 
ce  sont  les  controverses  qui  mettent  aux 
prises  les  théologiens  catholiques  sur  cer- 
taines questions.  Ces  querelles  les  scan- 
dalisent. Ils  ne  s'aperçoivent  pas  qu'elles 
sont  une  manifestation  de  la  vitalité  de  la 
pensée  théologique  et  qu'elles  contribuent 
efficacement  au  progrès  dogmatique,  té- 
moin la  controverse  sur  llmmaculée  Con- 
ception. Si,  du  reste,  ils  voulaient  s'exa- 
miner eux-mêmes,  ils  trouveraient  sans 
doute  que  tout  n'est  pas  concert  harmo- 
nieux dans  le  temple  de  la  théologie 
«  orthodoxe  ».  Si  divisés  qu'ils  soient 
sur  certains  points  secondaires,  les  théo- 
logiens catholiques  sont  unanimes  sur 
tous  les  points  fondamentaux.  Au  con- 
traire, les  théologiens  «  orthodoxes  »  ne 
s'entendent  pas  sur  des  questions  de  pre- 
mière importance,  par  exemple  sur  le 
nombre  des  Livres  Saints,  sur  la  validité 
du  baptême  des  hétérodoxes,  sur  la  valeur 
doctrinale  des  livres  dits  symboliques. 

Tous  les  théologiens  orientaux,  d'ail- 
leurs, ne  sont  pas  les  ennemis  de  la  sco- 
lastique. Plusieurs  savent  l'apprécier,  se 
montrant  ainsi  les  vrais  disciples  des  Pères 
grecs,  particulièrement  de  saint  Jean  Da- 
mascène.  Ce  ne  sont  pas,  en  effet,  les  Latins 
du  moyen  âge  qui  ont  inventé  la  méthode 


scolastique.  Celle-ci  est  d'origine  grecque. 
Dès  les  premiers  siècles,  on  proclamait  au 
didascaléion  d'Alexandrie  que  la  philoso- 
phie est  la  servante  de  la  théologie,  et  la 
raison  s'essayait  déjà  à  regarder  à  travers 
les  voiles  du  mystère. 


Avec  le  chapitre  vu,  qui  ne  compte  pas 
moins  de  167  pages,  commence  l'impor- 
tante étude  des  documents  symboliques 
des  Eglises  orientales.  Après  avoir  longue- 
ment expliqué  ce  qu'est  la  théologie  sym- 
bolique et  avoir  signalé  les  principales 
collections  de  la  symbolique  «  orthodoxe  », 
l'auteur  traite  de  l'origine  et  de  la  valeur 
dogmatique  des  trois  principaux  symboles 
que  nous  a  légués  l'ancienne  Eglise  :  le 
symbole  des  apôtres,  le  nicéno-constanti- 
nopolitain  et  l'athanasien.  Tout  le  monde, 
je  crois,  reconnaîtra  que  le  P.  Palmieri  a 
abusé,  dans  ce  chapitre,  de  sa  facilité  de 
plume  et  de  son  amour  des  citations.  Ce 
qu'il  nous  (dit  en  cent  pages  aurait  pu 
certainement  tenir  en  quinze.  Il  suffisait 
de  donner  au  lecteur  les  conclusions  de 
la  critique  contemporaine  sur  l'origine  des 
symboles,  et  d'indiquer  brièvement  ce 
qu'en  pensent  les  théologiens  d'Orient, 
si  toutefois  ils  en  pensent  quelque  chose 
d'original. 

Des  trois  symboles  en  question,  seul  le 
nicéno-constantinopolitain  est  unanime- 
ment accepté  dans  les  Eglises  autocéphales 
comme  expression  officielle  de  la  foi.  Sur 
la  valeur  des  deux  autres,  les  théologiens 
«  orthodoxes  »  émettent  des  avis  diffé- 
rents. Le  P.  Palmieri  avance,  après  d'autres, 
que  le  concile  in  Trullo,  dans  son  premier 
canon,  fait  allusion  à  notre  symbole  des 
apôtres.  Est-ce  bien  sûr?  Le  concile  parle 
d'une  manière  générale  de  la  foi,  -is-civ, 
qui  nous  a  été  transmise  par  les  apôtres. 
Vouloir  traduire  dans  le  cas  -Ctt'.v  par 
«  formule  de  foi  »  dénote  une  préoccupa- 
tion subjective  qui  laisse  sceptiques  ceux 
qui  ne  l'ont  pas. 

L'auteur  défend  l'opinion  traditionnelle 
sur  l'origine  du  nicéno-constantinopolitain 
considéré  comme  l'œuvre  des  Pères  du 


328 


ÉCHOS   d'orient 


concile  de  381.  A  beaucoup  cette  défense 
paraîtra  très  faible.  Le  concile  de  381,  qui 
fut  longtemps  considéré  comme  un  simple 
concile  particulier,  et  qui  ne  devint  œcu- 
ménique que  lorsque  Rome  voulut  bien 
le  considérer  comme  tel,  au  début  du 
vp  siècle,  ne  semble  pas  avoir  composé 
ce  symbole.  On  le  trouve,  en  effet,  à  peu 
près  mot  pour  mot  dans  VAncoratus  de 
saint  Epiphane,  ouvrage  écrit  antérieure- 
ment au  concile.  Ce  qui  est  vraisem- 
blable, c'est  qu'un  des  Pères  du  concile, 
peut-être  saint  Cyrille  de  Jérusalem,  le  pré- 
senta comme  sa  profession  de  foi  person- 
nelle à  l'assemblée,  qui  n'y  trouva  rien 
à  reprendre. 

Bien  qu'il  doive  nous  entretenir  longue- 
ment dans  un  prochain  volume  de  l'addi- 
tion du  Filioque  au  symbole,  le  P.  Palmieri 
consacre  cependant  une  quinzaine  de 
pages  à  cette  question  dans  ses  Prolégo- 
mènes. Son  exégèse  du  décret  d'Ephèse, 
invoqué  par  les  «  orthodoxes  »  pour  com- 
battre toute  addition  au  symbole,  manque 
de  précision,  et  il  ne  sait  pas  retourner  la 
décision  conciliaire  contre  les  adversaires 
eux-mêmes.  Il  eût  mieux  valu  ne  pas  en- 
treprendre la  question  que  de  la  traiter 
d'une  manière  si  incomplète. 

Le  symbole  athanasien  n'a  pas  les  fa- 
veurs des  théologiens  «  orthodoxes  »  à 
cause  de  sa  doctrine  sur  la  procession  du 
Saint-Esprit.  Bien  qu'ils  accusent  généra- 
lement les  latins  d'avoir  ajouté  le  Filioque 
à  ce  symbole,  ils  ne  paraissent  pas  com- 
plètement convaincus  de  la  vérité  de  leur 
assertion.  Le  P.  Palmieri  aurait  pu  leur 
faire  remarquer  qu'on  trouve  l'athanasien 
avec  le  Filioque  dans  des  manuscrits  du 
viiie  siècle.  11  aurait  pu  aussi  faire  moins 
d'honneur  aux  attaques  de  l'archimandrite 
Technopoulos  contre  ce  symbole  en  les 
réfutant  vingt  pages  durant. 

Qui  croirait  que  des  théologiens  de 
l'Eglise  des  sept  conciles  œcuméniques 
aient  jamais  pu  attaquer  l'autorité  de  ces 
conciles?  11  en  a  cependant  été  ainsi  au 
xviiie  et  au  xixe  siècle,  d'après  le  P.  Pal- 
mieri, qui  établit  longuement  l'infaillibilité 
des  conciles  œcuméniques  contre  Théo- 


phane  Prokopovitch.  Mais  celui-ci  a-t-il 
réellement  nié  cette  infaillibilité?  On  est 
porté  à  admettre  le  contraire,  d'après  les 
citations  mêmes  que  donne  le  P.  Palmieri 
du  théologien  russe.  L'erreur  de  Prokopo- 
vitch et  de  ses  disciples,  tels  que  Irénée 
Falkovsky  et  Sylvestre  Lébédinsky,  a  con- 
sisté non  à  nier  l'infaillibilité  des  conciles 
œcuméniques,  mais  à  rejeter  la  tradition 
comme  source  de  la  vérité  révélée  distincte 
et  indépendante  de  l'Ecriture  Sainte.  Pour 
ces  théologiens,  les  définitions  conciliaires 
sont  infaillibles,  parce  qu'elles  ne  sont 
que  des  explications  de  l'Ecriture.  Si  on 
voulait  les  réfuter,  il  fallait  donc  leur  dé- 
montrer qu'il  existe  une  source  de  la  révé- 
lation distincte  de  l'Ecriture,  non  leur 
prouver  que  les  conciles  œcuméniques 
sont  infaillibles,  ce  qu'ils  n'ont  jamais  nié. 


Après  nous  avoir  fait  connaître  la  pensée 
des  théologiens  orientaux  sur  les  anciens 
symboles  et  sur  l'autorité  des  conciles 
œcuméniques,  le  P.  Palmieri  aborde  la 
délicate  étude  des  documents  symboliques 
élaborés  au  sein  des  Eglises  «  orthodoxes  » 
depuis  la  consommation  du  schisme.  A 
cette  étude,  il  ne  consacre  pas  moins  de 
2}"^  pages,  c'est-à-dire  tout  le  chapitre  viii, 
le  plus  long  de  l'ouvrage.  La  Confession 
de  foi  du  patriarche  Gennade,  les  Réponses 
de  Jérémie  11  aux  théologiens  luthériens, 
la  Confession  de  foi  de  Cyrille  Lucar  et  les 
décisions  des  conciles  qui  s'en  occupèrent, 
la  Confession  de  foi  de  Dosithée,  celle  de 
Pierre  Moghila  et  celle  de  Métrophane  Cri- 
topoulos,  les  conciles  particuliers  de  l'an- 
cienne Eglise,  ceux  de  l'Eglise  grecque, 
depuis  la  prise  de  Constantinople  et  ceux 
de  l'Eglise  russe  depuis  les  origines,  les 
Lettres  encycliques  des  patriarches  de  Con- 
stantinople, enfin  le  Catéchisme  de  Phila- 
rète,  métropolite  de  Moscou,  sont  succes- 
sivement examinés  au  point  de  vue  histo- 
rique et  théologique.  Suit  une  conclusion 
générale  qui  se  réduit  à  peu  près  à  ceci  : 
Les  Eglises  «  orthodoxes  »  ne  possèdent 
pas  de  documentssymboliques  proprement 
dits  en  dehors  de  ceux  qu'elles  tiennent 


THEOLOGIE   «   ORTHODOXE    »   ET   THEOLOGIE   CATHOLIQUE 


329 


de  l'Eglise  des  huit  premiers  siècles.  Cela 
vient  de  l'absence  chez  elles  d'un  magis- 
tère infaillible  capable  d'imposer  ses  déci- 
sions et  de  dirimer  les  controverses. 

Je  remarque  tout  d'abord  dans  ce  cha- 
pitre un  certain  désordre  dans  la  suite  des 
questions  traitées.  Celles-ci  ne  sont  liées 
entre  elles  ni  par  l'ordre  chronologique 
ni  par  aucun  enchaînement  logique.  L'au- 
teur débute  par  un  long  préambule  sur 
la  nécessité  des  livres  symboliques.  On 
se  demande  ce  que  vient  faire  cette  disser- 
tation, après  qu'on  nous  a  déjà  fait  lon- 
guement dans  le  chapitre  précédent  la 
théorie  de  la  théologie  symbolique,  et 
qu'on  nous  a  parlé  des  documents  symbo- 
liques de  lancienne  Eglise.  Ensuite,  pour- 
quoi traiter  des  conciles  particuliers  anté- 
rieurs au  schisme  tout  de  suite  après 
l'article  sur  la  Confession  de  foi  de  Métro- 
phane  Critopoulos?  Les  30  pages  consa- 
crées à  la  discussion  de  l'authenticité  de 
la  Confession  de  Cyrille  Lucar  sont  certai- 
nement un  hors-d'œuvre  et  ne  sont  pas 
d'ailleurs  à  leur  place  naturelle,  c'est- 
à-dire  à  l'endroit  où  l'auteur  parle  de  cette 
Confession  elle-même  comme  document 
symbolique.  Je  n'ai  pas  saisi  non  plus  la 
raison  pour  laquelle  l'examen  de  la  Con- 
fession de  Dosithée  précède  celui  de  la 
Confession  de  Moghila,  bien  que  cette  der- 
nière soit  chronologiquement  antérieure 
au  concile  de  Bethléem  de  1672,  où  fut 
promulguée  l'œuvre  de  Dosithée. 

Un  reproche  plus  grave  regarde  le  fond 
théologique  de  cette  étude.  L'auteur  émet 
çà  et  là,  noyées  au  milieu  des  détails  his- 
toriques, des  assertions  contradictoires, 
ou  du  moins  peu  cohérentes  sur  la  valeur 
symbolique  de  certains  documents.  Rele- 
vons-en quelques-unes. 

A  la  page  4S3  et  458  (i),  les  fameuses 
Réponses  du  patriarche  Jérémie  II  aux  théo- 
logiens luthériens  nous  sont  présentées 
comme  de  véritables  documents  symbo- 
liques de  l'Eglise  orthodoxe,  bien  qu'en 
réalité   ces    écrits    n'aient    revêtu    aucun 

(i)  Sincerian    exhibent  characterem    documen- 

torum     quœ    symbolica   audiunt Inter  libres 

symbolicos  eas  <  responsiones)  enumerandas  censeo . 


caractère  officiel  et  que  le  public  ne  les 
ait  connus  que  par  l'indiscrétion  d'un 
archimandrite  et  d'un  prêtre  polonais. 

Une  centaine  de  pages  plus  loin,  on 
dénie  toute  valeur  symbolique  aux  Lettres 
encycliques  officielles  des  patriarches  orien- 
taux, telles  que  la  Confession  de  foi  dite 
de  Chrysanthe,  composée  en  1727,  et  la 
Réponse  des  patriarches  orientaux  à  l'En- 
cyclique du  pape  Pie  IX  en  1848  (i).  Com- 
ment concilier  ces  deux  affirmations?  Com- 
II  ent  accorder  à  des  écrits  privés  du  pa- 
triarche Jérémie  une  autorité  qu'on  refuse 
aux  enseignements  officiels  des  patriarches 
de  Constantinople  en  général,  et  même 
aux  encycliques  signées  par  les  quatre 
patriarches  orientaux  et  adressées  à  tous 
les  fidèles  orthodoxes? 

Qte  le  P.  Palmieri  me  permette  de  lui 
faire  remarquer,  à  propos  des  patriarches 
orientaux,  que,  d'après  le  catéchisme  de 
Philarète,  dont  on  sait  l'autorité  non  seu- 
lement en  Russie,  mais  aussi  en  pays 
grec,  «  la  foi  orthodoxe,  catholique,  uni- 
verselle se  conserve  immuablement  dans 
•sa  pureté  primitive  dans  les  anciennes 
Eglises  de  l'Orient  et  dans  celles  qui  leur 
sont  unies  par  les  mêmes  croyances, 
comme  est  l'Eglise  de  toutes  les  Rus- 
sies  »  (2). 

Pour  les  Russes,  le  critère  de  l'ortho- 
doxie fut  toujours,  en  théorie  du  moins, 
l'accord  avec  les  patriarches  d'Orient.  Le 
P.  Palmieri  me  paraît  ne  pas  y  faire  assez 
d'attention  dans  le  jugement  qu'il  porte 
sur  l'autorité  dogmatique  des  patriarches 
de  Constantinople,  qui  est  corroborée  très 
souvent  dans  les  Encycliques  doctrinales 
par  lasignature  des  trois  autres  patriarches. 

Le  lecteur  a  aussi  quelque  peine  à  con- 
cilier ce  qui  est  dit  dans  la  conclusion,  à 
savoir  qu'aucune  des  Confessions  de  foi 
postérieures  au  schisme,  y  compris  celle 
de  Pierre  Moghila  et  celle  de  Dosithée, 
ne  possède  une  véritable  valeur  symbo- 


(i)  Mea  ut  fert  opinio,  hitncce  honorem  haud 
nièrent ^prœcitatce  litterœ,  p.  643. 

|2)  Catéchisme  de  Philarète,  V  partie,  sur  le 
IX'  article  du  symbole.  17'  édition.  Moscou,  1900 
P-  49- 


330 


ECHOS    D  ORIENT 


lique(i),  avec  des  assertions  dans  le  genre 
de  celles-ci  : 

«  A  mon  avis,  la  Confession  de  Moghila 
réalise  les  conditions  regardées  comme 
nécessaires  pour  qu'on  puisse  attribuer  à 
un  livre  quelconque  le  caractère  de  docu- 
ment symbolique.  »  (2) 

«  D'après  moi,  toute  la  valeur  symbo- 
lique du  synode  susdit  (il  s'agit  du  synode 
de  Jérusalem  de  1672)  gît  dans  la  Confes- 
sion de  Dosithée,  dont  l'importance  dans 
la  théologie  orthodoxe  est  à  bon  droit  re- 
gardée comme  souveraine.  »  (3) 

«  La  Confession  de  Dosithée,  à  cause  de 
la  pureté  plus  parfaite  de  sa  doctrine, 
mérite  le  premier  rang  parmi  les  docu- 
ments symboliques  de  l'Eglise  grecque 
moderne.  »  (4) 

C'est  l'enseignement  courant  des  ma- 
nuels de  théologie  «  orthodoxe  »,  que 
l'Eglise  enseignante  peut  exercer  son  ma- 
gistère infaillible  de  deux  manières  :  «  ou 
par  la  voix  des  chefs  des  Eglises  particu- 
lières rassemblés  à  cet  effet  en  concile 
œcuménique,  ou  bien  par  ces  mêmes 
chefs  non  réunis  en  concile,  mais  confé-. 
rant  entre  eux  sans  se  déplacer,  dans  la 
situation  ordinaire  de  l'Eglise  »  (5).  Cela 
correspond  à  peu  près  à  ce  que  nous  appe- 
lons le  magistère  solennel  et  le  magistère 
ordinaire,  ou,  si  l'on  veut,  au  magistère 
solennel  et  à  la  consultation  de  l'épiscopat 
catholique  comme  celle  qui  fut  faite  sous 
Pie  IX  avant  la  définition  de  l'Immaculée 
Conception. 

S'il  est  universellement  reconnu  que  le 
concile  œcuménique  n'a  jamais  fonctionné 
dans  l'Eglise  «  orthodoxe  »  prise  comme 
telle,  depuis  la  séparation,  est-il  bien  sûr, 
comme  l'affirme  le  P.  Palmieri  à  plusieurs 
reprises  (6),  que  l'Eglise  «  orthodoxe  » 

(1)  Calumnias  agere  mihi  non  videor,  charac- 
terem  symbolicum  prœcitatis  confessionibus  or- 
thodoxis  prorsus  denegando,  p.  65o. 

(2)  P.  563. 

(3)  P.  489. 

(4)  P.  5o5.  Ailleurs,  p.  562,  la  primauté  est  accordée 
à  la  Confession  de  Moghila. 

(5)  Macaire,  Introduction  à  la  théologie  ortho- 
doxe traduite  par  un  Russe.  Paris,  1857,  p.  55o. 

(6)  Quœ  asserimus  historia  confirmantur  cujus 
testimonio  comperimus  nunquam  ac  ntillibi,post 


n'ait  jamais  exercé  son  magistère  de  l'autre 
manière,  c'est-à-dire  par  voie  de  consul- 
tation amenant  une  entente  unanime  ex- 
plicite ou  tacite?  11  me  semble  que  cette 
entente  expresse  et  unanime  a  existé  à 
un  moment  donné,  relativement  à  la  va- 
leur symbolique  absolue  de  la  Confession 
de  foi  de  Pierre  Moghila,  appelée  pour 
cela  r'OpOôôoio;  ô^xrjXo-'l'y.  par  excellence. 
Si  de  nos  jours  des  théologiens  apparte- 
nant à  l'orthodoxie  large  battent  en  brèche 
son  autorité,  cela  prouve  tout  simplement 
que  l'Eglise  «  orthodoxe  »  prise  dans  son 
ensemble  n'est  pas  douée  du  privilège  de 
l'immutabilité  doctrinale;  mais  cela  ne 
détruit  pas  l'accord  unanime,  historique- 
ment constaté  au  xvii^  siècle,  des  repré- 
sentants des  Eglises  autocéphales. 

Cet  accord  est  plus  difficile  à  établir 
pour  la  Confession  de  Dosithée  telle  qu'elle 
fut  promulguée  au  concile  de  Jérusalem, 
en  1672.  En  1838,  le  saint  synode  russe 
fit  paraître  de  ce  document  une  traduction 
tronquée,  due  à  la  plume  du  métropolite 
Philarète.  Mais  antérieurement  à  1838,  et 
depuis  1723,  époque  où  les  patriarches 
orientaux  envoyèrent  la  Confession  au  saint 
synode  comme  l'expression  authentique 
et  immuable  de  la  doctrine  de  l'Eglise 
orientale  «  à  laquelle  il  ne  faut  rien  ajouter 
ni  retrancher  »  (i).  il  semble  bien  que 
l'Eglise  russe  ait  accepté  au  moins  tacite- 
ment la  valeur  symbolique  de  cette  con- 
fession. Certains  faits  que  rapporte  le 
P.  Palmieri  tendent  à  le  prouver.  D'ail- 
leurs, ils  ne  sont  pas  rares,  de  nos  jours 
encore,  les  théologiens  «  orthodoxes  » 
qui  accordent  aux  deux  Confessions  de 
Moghila  et  de  Dosithée  une  valeur  équi- 
valente à  celle  des  décisions  des  conciles 
œcuméniques.  Qu'il  me  suffise  de  nommer 
Mésoloras,  Zikos  Rosis,  Milasch,  Macaire, 

lugendum  schisma,  Ecclesias  orientales,  etiam 
gravibus  impellentibus  causis,  ve.l  uno,  vel  altéra 
modo,  dogmaticas  dejinitiones  proposuisse,  p.  16. 
Cf.  p.  68,  627.  Je  crois  que  l'auteur  aurait  été 
moins  affirmatif  s'il  avait  fait  attention  non  seule- 
ment à  l'histoire  des  Eglises  orthodoxes  depuis 
1453,  mais  aussi  et  surtout  à  l'histoire  antérieure 
de  l'Eglise  byzantine. 

(1)  Mansi-Petit,  Amplissima  Collectio  concil., 
t.  XXXVIl,  col.  537-540,  541-543. 


THEOLOGIE    «    ORTHODOXE    »    ET    THEOLOGIE   CATHOLIQ.UE 


33^ 


A.  Lebedev,  Goussev,  J.  Sokolov,  qui 
brillent  dans  l'orthodoxie  d'un  éclat  aussi 
pur  que  Diomède  Kyriakos,  Chrysostome 
Papadopoulos,  Androutsos,  Balanos,  Am- 
vrasis,  adversaires  de  l'autorité  œcumé- 
nique de  ces  confessions. 

A  propos  du  sentiment  de  Macaire, 
l'auteur  me  permettra  de  lui  signaler  que 
le  théologien  russe  ne  range  pas  la  Con- 
fession de  Dosithée  parmi  les  confessions 
de  foi  privées,  comme  on  l'affirme  à  la 
page  504,  mais  bien  parmi  les  expo- 
sitions générales  communes  à  tous  les 
«  orthodoxes  ».  Cette  Confession  est  même 
appelée  une  des  pierres  de  touche  de 
«  l'orthodoxie  »  (i). 

Par  la  manière  dont  il  s'exprime  çà  et 
là,  le  P.  Palmieri  paraît  ignorer  que  ce 
qu'on  appelle  en  Russie  la  Lettre  des  pa- 
triarches d'Orient  n'est  pas  autre  chose 
que  la  Confession  de  Dosithée  envoyée  au 
saint  synode  russe  par  les  patriarches 
orientaux,  en  1723,  à  l'occasion  des  ten- 
tatives d'union  avec  la  secte  des  Non- 
Jureiirs  (2). 

L'auteur  aurait  gagné  à  lire  le  travail 
du  P.  Pargoire  sur  Mélèce  Syrigos  pour 
l'histoire  de  la  Confession  de  Moghila.  Il 
y  aurait  appris  entre  autres  choses  sur 
quoi  portèrent  les  corrections  que  Syrigos 
fit  subir  au  catéchisme  des  Kiéviens,  les 
disputes  qu'elles  occasionnèrent  et  la  rai- 
son pour  laquelle  Pierre  Moghila  négligea 
de  publier  son  œuvre  ainsi  remaniée. 

L'histoire  des  conciles  particuliers  des 
Eglises  «  orthodoxes  »  est  à  peine  ébau- 
chée. On  ne  dit  rien  en  particulier  des 
conciles  byzantins  antérieurs  à  1453.  On 
se  demande  si  l'auteur  n'aurait  pas  mieux 
fait  de  se  taire  sur  une  question  qui  deman- 


{\)  Macaire,  op.  cit.,  p.  604,  609. 

(2)  Comparer  entre  elles  les  données  des  p.  489, 
5o4-5o5,  63 1  et  643.  La  nouvelle  traduction  de  la 
Lettre  des  patriarches  parue  dans  la  revue  Viera 
i  Tserhov,  en  1907,  n'est  pas  autre  chose  qu'une 
traduction  de  la  Confession  de  Dosithée,  dite 
Lettre  des  patriarches.  La  lettre  aux  Xon-Jiireurs, 
qui  précède  ]a.  Confession  dans  les  éditions  russes 
et  qui  n'a  pas  grande  importance  doctrinale,  a  été 
conservée  à  peu  prés  intacte  par  Philarète.  C'est 
la  Confession  elle-même  qu'il  a  gravement  mutilée 
en  plusieurs  endroits. 


derait  un  long  ouvrage  pour  être  conve- 
nablement traitée. 

Le  P.  L.  Petit  a  prouvé  que  la  définition 
ou  opo;;  du  patriarche  Cyrille  V  relative 
à  la  rebaptisation  des  latins  fut  portée  en 
juillet  17^5  et  non  en  1756.  Le  P.  Palmieri 
l'a  oublié  à  la  page  624. 

Voilà  bien  des  critiques  sur  ce  long  cha- 
pitre des  Confessions  de  foi  orthodoxes.  Si 
je  m'y  suis  attardé,  c'est  que  le  sujet  me 
paraît  d'une  importance  capitale.  Peut-être 
trop  développée  au  point  de  vue  historique 
et  pleine  de  hors-d'œuvre,  l'étude  du 
P.  Palmieri  est  en  déficit  au  point  de  vue 
théologique.  L'auteur  ne  s'est  pas  fait  une 
idée  nette  et  ferme  de  la  valeur  doctrinale 
des  documents  dits  symboliques.  De  là 
les  incohérences  que  nous  avons  signa- 
lées. Cela  ne  veut  point  dire  que  ce  cha- 
pitre ne  soit  très  précieux  au  point  de  vue 
documentaire. 


Il  nous  reste  à  dire  un  mot,  pour  ter- 
miner, des  trois  derniers  chapitres  qui 
traitent  respectivement  :  de  la  nature  et  de 
la  définition  de  la  théologie  polémique  et  des 
défauts  que  les  polémistes  catljoliques  doivent 
éviter;  des  sciences  nécessaires  à  celui  qui 
veut  polémiquer  avec  les  «  orthodoxes  »;  de 
la  théologie  polémique  générale  che:(^  les  Grecs 
et  les  Russes. 

La  définition  que  l'auteur  donne  de  la 
théologie  polémique  me  paraît  fondée  en 
raison,  mais  tout  le  monde  ne  l'entend 
pas  de  cette  façon.  Bien  des  gens  n'éta- 
blissent pas  entre  l'apologétique  et  la  polé- 
mique la  cloison  étanche  qu'élève  l'auteur 
entre  les  deux,  et  pratiquement,  c'est  bien 
difficile.  Les  conseils  donnés  aux  polé- 
mistes catholiques  dans  leurs  discussions 
avec  les  «  orthodoxes  »  sont  de  tout  point 
excellents  et  marqués  au  coin  du  bon  sens 
et  de  la  charité  chrétienne.  Il  est  malheu- 
reusement plus  facile  de  prêcher  que  de 
pratiquer:  l'auteur  l'a  montré  par  son 
exemple.  La  question  de  savoir  si  Ton 
peut,  dans  les  livres  de  controverses,  ap- 
pliquer aux  «  orthodoxes  »  l'épithète  de 
schismatiques,   me   paraît  assez  oiseuse. 


332 


ÉCHOS   d'orient 


On  peut,  sans  manquer  à  la  charité  et  sans 
donner  aux  Orientaux  de  motif  raison- 
nable de  se  froisser,  les  appeler  schisma- 
tiques  ou  même  hérétiques  (i),  lorsqu'on 
réfute  leurs  erreurs  et  qu'on  se  place  au 
point  de  vue  objectif,  pourvu  d'ailleurs 
qu'on  s'abstienne  de  tout  terme  injurieux 
visant  non  la  doctrine  mais  uniquement 
les  personnes.  Il  faut  qu'un  catholique 
puisse  appeler  les  choses  par  leur  nom. 
Il  est  évident,  du  reste,  que  dans  les  rela- 
tions personnelles  et  privées  avec  les  hété- 
rodoxes on  évitera  avec  soin  de  dire  à  son 
interlocuteur  ou  à  son  correspondant  russe 
ou  grec:  «  Vous  êtes  un  schismatique; 
vous  êtes  un  hérétique.  »  Les  lois  de  la 
bienséance  et  plus  encore  celles  de  la  cha- 
rité chrétienne  savent  faire  trouver  dans 
ce  cas  les  formules  appropriées,  et  pas 
n'est  besoin  pour  cela  de  code  spécial. 

Le  P.  Palmieri  réclame  du  polémiste 
une  somme  énorme  de  connaissances.  La 
philosophie,  la  théologie  dogmatique,  les 
langues  orientales,  toute  la  patristique,  la 
littérature  byzantine,  l'histoire  de  l'Orient 
ancien  et  moderne,  la  science  du  droit 
canon  oriental  doivent  lui-  être  familières. 
Ce  programme  n'a  rien  d'exagéré,  et  il 
faut  à  peu  près  l'avoir  parcouru  si  l'on 
veut  ne  pas  se  contenter  de  ressasser  de 
vieux  arguments  qui  ne  portent  plus. 
L'auteur  a  raison  d'insister  en  particulier 
sur  l'utilité  qu'il  y  a  pour  le  théologien 
de  connaître  le  droit  canon  oriental  et  son 
histoire.  La  liturgie  aussi  a  de  tout  temps 
fourni  des  armes  redoutables  contre  le 
schisme,  et  je  suis  étonné  que  le  P.  Pal- 
mieri n'en  parle  pas. 

La  théologie  polémique  orientale  est 
divisée  par  l'auteur  en  générale  et  en  spé- 
ciale. La  première  embrasse  à  la  fois  toutes 


(i)  Il  vaut  mieux,  en  général,  appliquer  ces 
termes  à  l'Eglise  qu'aux  individus.  Ceux-ci  ne  sont, 
la  plupart  du  temps,  que  des  schismatiques  et  des 
hérétiques  matériels.  L'auteur  catholique  emploie 
ces  termes  sans  aucune  intention  de  blesser  les 
personnes,  qu'il  faut  toujours  respecter  et  chérir. 


les  divergences  entre  les  deux  Eglises.  La 
seconde  s'attache  à  une  divergence  en 
particulier.  L'aperçu  donné  sur  la  polé- 
mique générale  des  Grecs  et  des  Russes 
contre  les  Latins  est  fort  incomplet.  C'est 
encore  un  de  ces  sujets  qui  réclameraient 
des  volumes  entiers  et  qu'on  regrette  de 
voir  traiter  si  maigrement.  Au  lieu  d'es- 
sayer une  histoire  forcément  tronquée  des 
controverses  antilatines,  il  aurait  mieux 
valu  donner  les  caractères  généraux  de 
la  polémique  schismatique  avec  quelques 
exemples  frappants. 

Le  défaut  de  synthèse  est  le  péché  mi- 
gnon du  P.  Palmieri.  Il  excelle  à  citer,  à 
compiler,  mais  il  lui  manque  la  netteté 
du  dessein;  il  écrit  un  peu  à  l'aventure. 
De  là  des  répétitions,  des  longueurs,  des 
hors-d'œuvre,  des  incohérences  allant 
jusqu'à  la  contradiction.  Je  n'hésite  pas  à 
dire  que,  diminués  de  moitié,  les  Prolé- 
gomènes eussent  doublé  de  prix. 

Ce  par  quoi  ces  Prolégomènes  brillent, 
c'est  par  l'érudition.  L'auteur  y  a  ramassé 
une  extraordinaire  quantité  de  renseigne- 
ments d'ordre  théologique,  historique  et 
bibliographique  qui  rendront  les  plus 
grands  services  à  tous  ceux  qui  s'inté- 
ressent aux  études  orientales  et  feront  de 
son  ouvrage  un  précieux  instrument  de 
travail.  Les  nombreuses  bibliographies 
surtout,  semées  au  bas  des  pages  tout  le 
long  du  volume,  seront  appréciées  et  ou- 
vriront des  horizons  à  ceux  qui  n'ont  pas 
encore  découvert  la  Russie  intellectuelle. 
Lestravailleurs  reconnaissants  diront  merci 
tout  bas  à  celui  qui  s'est  imposé  de  rudes 
labeurs  pour  leur  faciliter  la  tâche  et  de- 
manderont à  la  Vierge,  «  Mère  de  l'unité 
chrétienne  et  destructrice  de  tous  les 
schismes  »,  d'exaucer  la  belle  prière  que 
l'auteur  lui  adresse  à  la  fin  de  ce  premier 
volume  en  vue  d'obtenir  les  forces  néces- 
saires pour  mener  à  bon  terme  l'œuvre 
commencée. 

M.  JUGIE. 
Constantinople. 


LE    NÉO-MARTYR    MICHEL    MAUROEIDES 
ET    SON    OFFICE 


Le  cod.  1295  du  fonds  grec  de  la  Biblio- 
thèque nationale  à  Paris  contient,  fol.  314- 
319  v»,  un  office  d'un  néo-martyr  appelé 
Michel  Mauroeidès  :  ur/A  'sz'jpou%o<M  'Xr, 
àxoAO'jO'.a  £',^  tÔv  a-".ov  M-z/ar,).  tÔv  £v  'Aoo'.a- 
vo'JTcôÀc'.  tÔv  vÉov  uàoT'jsa  tÔv  xaAoûuîvov 
Maupo£'.OY,v  (sîV). 

Pour  vêpres,  nous  avons  trois  stichères 
et  leur  doxastikon,  trois  aposticha  et  leur 
doxastikon  avec  le  theotokion  de  celui-ci, 
enfin  l'apolytikion  (i). 

A  l'office  de  l'aurore,  nous  trouvons  un 
canon  du  i^r  ton  sur  l'acrostiche:  -rôv 
Hy.-j'j.y.Tzhy  M'.yar.X  'IcoàvvY.s  V^p^t'lss'.;  cet 
acrostiche  ne  comprend  pas  les  quatre 
premiers  theotokia.  Viennent  enfin  trois 
stichères  pour  les  laudes  et  leur  doxa- 
stikon. Après  la  3«  ode  du  canon  est  inséré 
un  kathisma;  après  la  6«,  un  kontakion 
et  l'olxo;,  puis  le  synaxaire  ou  notice  his- 
torique sur  le  martyr,  qui  occupe  les 
fol.  316-317  v  du  manuscrit. 

Michel  Mauroeidès  était  un  des  princi- 
paux orthodoxes  d'Andrinople,  riche,  ver- 
tueux, estimé  des  Turcs  du  plus  haut  rang. 
Des  fanatiques  le  dénoncèrent  au  cadi 
comme  ayant  prononcé  à  plusieurs  re- 
prises la  formule  de  profession  de  foi 
musulmane  et  amenèrent  de  faux  témoins 
pour  confirmer  leur  accusation.  Michel 
nia  énergiquement,  et  le  juge  comprit  vite 
qu'il  avait  affaire  à  des  calomniateurs. 
Mais  parce  que  ceux-ci  le  menaçaient  de  le 
dénoncer  lui-même  au  sultan  comme  cou- 
pable de  faiblesse  dans  l'application  de  la 
loi,  il  fit  jeter  Michel  en  prison  en  atten- 
dant que  le  procès  fût  examiné  au  palais. 

Les  ennemis  de  Michel,  augmentés 
d'autres  individus  au  courant  de  l'in- 
trigue, se  rendirent  au  palais  et  obtinrent 

(i)  Sur  les  termes  liturgiques  employés  ici,  on 
peut  consulter  l'excellent  ouvrage  de  L.  Clcgnet, 
Dictionnaire  grec-français  des  noms  liturgiques. 
Paris,  1895. 


du  sultan  Une  condamnation  à  mort,  au 
cas  où  Michel  refuserait  d'embrasser  l'is- 
lamisme. 

Par  des  promesses  de  dons  et  d'hon- 
neurs pour  lui  et  les  siens,  par  la  crainte 
du  dernier  supplice,  ils  essayèrent  de  faire 
apostasier  le  chrétien.  Mais  il  resta  iné- 
branlable. 11  fut  alors  décapité  et  son  corps 
brûlé. 


Tel  est  le  récit,  très  simple,  du  synaxaire. 
Je  ne  connais  aucun  autre  document  con- 
cernant notre  néo-martyr  ;  il  ne  faut  pas 
le  confondre  avec  Michel  Mauroudès,  qui 
mourut  à  Salonique  le  10  mars  1544. 

Quel  est  le  Jean  auteur  de  l'office?  Une 
note  finale,  fol.  319,  nous  l'apprend  : 
a'jTT,  Y,   àxoAO'jQia  zTzoïffir,'^  (sic)  uapà  Toû 

(T0',5O)TàT0'J    Xal  AOY'-WTaTOU    xÙp   'IwàvVO'J    TO'J 

Mooyo'j  o'.xoùvTOs  £v  -rr^  v/tw  K'jpxûpaç  (sic), 

yÎT'.Ç    TTpOJTîpOV    (sic)    0£axlç     (sic)    EXaXc^TO, 

Ta  v'jv  Zï  Tïaoà  toI;  ytto-zipoiq  Kop'J'fai. 
L'hymnographe  est  donc  Jean  Moschos, 
«  habitant  l'île  de  Corfou  ». 

De  Jean  Moschos,  nous  savions  qu'il 
était  originaire  de  Lacédémone.  Ce  fut  un 
professeur  habile;  il  eut,  entre  autres, 
pour  élève  pendant  cinq  ans  Marc-Antoine 
Antimaque  et  mourut  au  moment  où  il 
se  préparait  à  partir  pour  Salonique,  dont 
les  habitants  l'avaient  demandé  pour  leur 
école.  Comme  Marc-Antoine  Antimaque 
naquit  en  1473,  on  peut  conclure  que  Jean 
Moschos  mourut  vers  1494.  On  possède 
de  lui  une  oraison  funèbre  du  grand  duc 
Luc  Notaras,  qui  se  trouve  dans  le  cod. 
Escorial.  y,  3,  18  (338)  et  le  cod.  Paris. 
2731  (i),  et  un  traité  théologique   dans 

(n  Allatius,  De  eccles.  occident,  atque  orient, 
perpet.  consens.,  col.  957,  a  publié  un  fragment  de 
cette  oraison  funèbre.  Notons  que  M.  H.  Omont, 
Inventaire  sommaire  des  man.  grecs  de  la  Bibl. 
nat.,  t.    IV   (table   alphabétique),   a  Tair  de  con- 


334 


ECHOS    D  ORIENT 


le  même  cod.  Escorial.  Nous  apprenons 
aujourd'hui  qu'il  faut  encore  le  mettre  au 
nombre  des  hymnographes  et  qu'il  habita 
Corfou,  Sans  doute  comme  professeur, 
charge  dans  laquelle  un  de  ses  deux  fils, 
Georges,  dut  lui  succéder  (i), 

La  date  exacte  du  martyre  de  Michel 
Mauroeidès  reste  indéterminée.  Jean  Mos- 
chos,  vers  la  fin  de  son  synaxaire,  dit  seu- 
lement qu'il  eut  lieu  tout  récemment  de 
son  temps  ;  èv  ■^ol^  xaQ'  /,u.â^  TravjTTàxo'.ç 


La  note  concernant  Jean  Moschos  dans 
le  manuscrit  de  Paris  est  suivie  de  celle-ci  : 

stspov  xà8iTu.a  èv  Tf,  -''^i  woyI  7:oir,Gèv  Tzapà 


loyTT'.vo'j  Asxaotou  (sic)  |jLaQr|Toû  toj  a-JToy 
o'.oao-xàAou'  xal  zo  à7zo).U":ixi.ov  Y.yo;  TSTao- 
To;  ToCi  aÙToC»  -nro'lr.p.a.  Immédiatement 
après,  fol.  319  v»,  vient  le  texte  du  ka- 
thisma,  dû  à  la  plume  de  Justin  Decadyos. 
Quant  à  l'apolytikion,  c'est  celui  dont  j'ai 
signalé  l'existence  à  la  fin  de  l'office  des 
vêpres. 

Cette  note  nous  fournit  un  précieux 
renseignement  inédit  sur  la  jeunesse  de 
Justin  Decadyos;  c'est  qu'il  fut  à  Corfou, 
sa  patrie,  l'élève  de  Jean  Moschos.  Elle 
nous  fait  connaître  aussi  deux  tropaires 
de  sa  composition;  on  le  savait  déjà 
hymnographe  distingué  (i). 

t  S.   PÉTRIDÈS. 


L'HOMME    CRÉÉ   A    L'IMAGÉ    DE    DIEU 

D'APRÈS  THÉODORET  DE  CYR  ET  PROCOPE  DE  GAZA 


L'homme  et  la  femme  ont  été  créés  à 
l'image  de  Dieu.  Trois  textes  de  la  Genèse 
nous  le  disent  expressément  : 

10  Dieu  dit:  «  Faisons  l'homme  à 

notre  image,  selon  notre  ressemblance.»  (2) 

2°  «  Et  Dieu  créa  l'homme  à  son  image; 
il  le  créa  à  l'image  de  Dieu;  il  les  créa 
mâle  et  femelle.  »  (3) 

30  «  Il  n'est  pas  bon  que  l'homme  soit 
seul;  je  vais  lui  faire  une  aide  semblable 
à  lui.  »  (4) 


fondre  notre  Jean  Moschos  avec  l'auteur  du  Pré 
spirituel. 

(i)  Sur  Jean  Moschos,  voir  Moustoxtdès  'E),>.t;vo- 
[tv^^piMv,  p.  385  sq.;  C.  Sathas,  NEOcW.ïivtxr,  où.o- 
Aoyi'a,  p.  gô;  E.  Legrand,  Bibliogr.  hellén.,  x\'  et 
XVI'  siècles,  t.  l'%  p.  lxxxviii. 

(2)  Gen.  I,  26. 

(3)  I,  27. 

(4)  II,  18;  II,  21,  22,  23.  Ces  versets  sont  corréla- 
tifs; en  effet,  au  verset  18,  Jéhovah  se  propose  de 
créer  la  compagne  de  l'homme  semblable  à  lui; 
au  verset  21,  Adam  n'a  pas  trouvé  d'être  semblable 
à  lui  parmi  les  animaux  ;  c'est  pourquoi,  au  verset23. 
Dieu  crée  la  femme  nettement  désignée  par  son 
nom.  Donc,  cette  femme  du  verset  23  est  l'être 
semblable  à  Adam  du  verset  18. 


On  peut  se  demandera  ce  sujet,  d'abord 
si  c'est  directement  à  l'image  du  Créateur 
ou  bien  à  l'image  d'une  créature  inter- 
médiaire que  l'homme  a  été  créé;  ensuite 
si  la  femme,  dans  la  même  mesure  que 
l'homme,  reproduitles  traits  de  cette  divine 
ressemblance  ;  enfin ,  si  c'est  par  l'àme  seule 
ou  à  la  fois  par  l'âme  et  par  le  corps  que 
l'homme  et  la  femme  ressemblent  à  Dieu; 
c'est  sur  ces  trois  questions  que  nous 
allons  rapporter,  pour  les  comparer  et  en 
discuter  la  valeur,  les  opinions  de  deux 
exégètes  orientaux  :  Théodoret  de  Cyr  (386- 
428)  et  Procope  de  Gaza  (518-365). 

I.  Est-ce  directement 
A  l'image  DE  Dieu  ciue  l'homme  a  été  créé? 

Nos  deux  auteurs  prouvent  que  ce  n'est 
ni    à    l'image  des    mauvais    anges,   ni  à 


.11)  Sur  Jean  Decadyos,  voir  Molstoxydès,  op.  cit., 
p.  196  sq.;  C.  Sathas,  op.  cit.,  p.  ici  ;  E.  Legrand, 
op.  cit.,  p.  en  sq.  Aux  œuvres  signalées  par  ces 
auteurs,  ajoutons  huit  canons  à  la  Sainte  Vierge 


L  HOMME   CRÉÉ   A    L  IMAGE    DE    DIEU 


33' 


l'image  des  bons  anges,  ni  à  celle  d'au- 
cune créature  intermédiaire,  mais  à  celle 
de  la  Sainte  Trinité  elle-même  que  le  pre- 
mier homme  a  été  créé. 

D'abord,  ce  n'est  pas  à  limage  des 
mauvais  anges,  car,  dit  Théodoret,  «  ce 
serait  de  la  dernière  folie  d'affirmer  qu'il 
y  a  identité  entre  l'image  des  démons 
pervers  et  celle  de  linfmie  bonté  »  (i). 

En  second  lieu,  ce  ne  peut  être  à  l'image 
d'un  ange  quelconque  bon  ou  mauvais, 
car,  remarque  Procope,  Dieu  dit  :  «  Fai- 
sons l'homme  à  tiotre  image  ».  Evidem- 
ment, l'expression  tiotre  image  désigne 
l'image  du  sujet  de  la  phrase,  qui  est 
Dieu,  parlant  à  la  première  personne  du 
pluriel.  Rien  nindique  qu'il  soit  question 
d'autres  personnages.  Donc,  dans  l'hypo- 
thèse où  il  aurait  été  question  de  limage 
des  anges,  le  texte  sacré  l'aurait  sûre- 
ment précisé  par  un  complément  déter- 
minatif  (2).  Il  ne  l'a  pas  fait. 

En  troisième  lieu,  ce  ne  peut  être  à 
l'image  d'aucune  créature  intermédiaire, 
«  car,  dit  Procope,  c'est  l'être  essentielle- 
ment bon  en  lui-même  et  existant  par 
lui-même  qui  tire  les  êtres  du  néant  ». 
D'où  il  suit  que  si  c'est  le  Créateur  lui- 
même  qui  a  communiqué  sg  ressemblance 
au  premier  homme,  cette  image  ne  peut 
être  que  celle  de  Dieu  (3). 

Enfin,  il  faut  admettre  que  cette  image 
est  celle  de  la  Trinité  elle-même,  pour 
deux  raisons  exégétiques  :  i»  Si  on  ne 
l'entend  pas  ainsi,  dit  Théodoret,  on  ne 
peut  expliquer  le  pluriel  :  Faisons  l'homme 
à  notre  itnage,  en  se  contentant  de  voir 
dans  cette  expression  un  pluriel  de  ma- 
jesté (4).  Si,  en  effet,  il  en  était  ainsi. 
Dieu,  à  l'exemple  des  magistats  romains, 
devrait,  d'ordinaire,  parler  à  la  première 
personne  du  pluriel.  Or,  nous  voyons 
le  contraire  dans  la  Bible  en  maints  en- 


contenus  dans  le  cod.  3oy  de  la  bibliothèque  du 
saint  synode  à  Moscou. 

(i)  Théodoret   de  Cyr,  P.  G.,  t.  LXXX,   Quœs- 
tiones  in  Genesim,  col.  99,  iod,  101. 

(2)  Procope  de  Gaza,  P.  G.,  t.  LXXXVIl,  Com- 
mentarii  in  Genesim,  col.  112-114. 

(3)  Procope,  op.  et  t.  cit.,  col.  107,  fo8. 

(4)  Théodoret,  op.  et  t.  cit.,  col.  102. 


droits  (i);  a«  si,  au  contraire,  on  l'entend 
de  cette  manière,  on  explique  à  la  fois 
l'emploi  au  singulier  du  mot  image,  en 
disant  que  c'est  l'image  commune  des 
trois  personnes  qui  ont  la  nature  divine, 
et  la  première  personne  du  pluriel  :  Fai- 
sons, en  attribuant  cette  opération  à 
chaque  personne  de  l'indivisible  Trinité, 
conclusion  sur  laquelle  nous  aurons  plus 
loin  à  faire  des  réserves. 

Donc,  le  premier  homme,  d'après  nos 
deux  auteurs,  a  été  créé  directement  à 
l'image  de  la  Sainte  Trinité.  Mais  la  repro- 
duction dans  leur  âme  de  cette  image 
divine  est-elle  l'apanage  exclusif  d'Adam 
et  de  ses  descendants  màîés,  ou  bien 
a-t-elle  été  communiquée  indistinctement 
et  dans  la  même  mesure  aux  deux  sexes 
qui  constituent  le  genre  humain?  Telle 
est  la  deuxième  question,  question  bizarre 
en  apparence,  intéressante  pourtant,  que, 
à  l'école  de  ces  deux  exégètes,  nous 
allons  maintenant  résoudre. 

11.    La   femme   est-elle   l'image    de   Dieu 
AU  même  degré  que  l'homme? 

Au  premier  abord,  la  réponse  affirmative 
semble  s'imposer,  et  Procope  de  Gaza  ne 
s'est  posé  cette  singulière  question  que 
pour  répondre  à  certaines  objections  que 
l'on  peut  y  faire  en  se  basant  sur  quelques 
textes  de  saint  Paul. 

En  elîet,  dans  le  texte  sacré  précité,  il 
s'agit  également  de  l'homme  et  de  la 
femme.  Car,  après  avoir  dit  :  «  Dieu  créa 

l'homme  à  son  image »,  Moïse  ajoute  : 

«  Il  le  créa  à  l'image  de  Dieu;  il  les  créa 
mâle  et  femelle  »  (2).  Dans  ce  verset,  re- 
marquons trois  membres  de  phrases  pa- 
rallèlement disposés  : 

i'^  Dieu  créa  l'homme  à  son  image; 

2°  Dieu  le  créa  à  l'image  de  Dieu; 

3»  H  les  créa  mâle  et  femelle. 

Or,  dans  les  deux  premiers  membres, 
il  est  clair  que  le  mot  homme,  complément 


(i)  Gen.  I,  27. 

(2)  Cf.  Gen.  VI,  i3;  Gen.  y\,  7;  Ex.  xx,  3;    Is 

XLI,    18;   ILIII,    ig. 


}}(> 


ECHOS   D  ORIENT 


singulier  du  verbe  créa,  désigne  l'image 
de  Dieu;  donc,  dans  le  troisième  membre, 
le  complément  pronominal  les  (=  mâle 
et  femelle)  du  même  verbe  créa  désigne 
également  l'image  de  Dieu.  Et  puisque  ce 
pronom  les  désigne  à  la  fois  les  deux  sexes, 
concluons  que  la  femme  comme  l'homme 
est  l'image  de  Dieu. 

Du  reste,  ajoute  Procope,  la  femme  est 
tirée  de  l'homme.  En  effet,  l'auteur  de  la 
Genèse  écrit  : 

«  De  la  côte  qu'il  avait  prise  de  l'homme, 

Jéhovah  forma  une  femme et  il  l'amena 

à  Adam,  et  Adam  dit  :  Celle-ci,  cette  fois, 
est  os  de  mes  os  et  chair  de  ma  chair! 
Celle-ci  sera  appelée  femme,  parce  qu'elle 
a  été  prise  de  l'homme.  »  (i) 

De  même  l'auteur  de  ce  livre  avait  écrit 
précédemment  : 

«  Jéhovah  dit  :  Il  n'est  pas  bon  que 
l'homme  soit  seul  ;  je  vais  lui  faire  une  aide 
semblable  à  lui.  »  (2) 

Sans  doute,  ces  deux  textes  comparés 
ne  montrent  avec  une  absolue  évidence 
que  la  ressemblance  corporelle  entre 
l'homme  et  la  femme.  Mais  comme  Pro- 
cope nous  montrera  plus  loin  que,  même 
•^ar  le  corps,  l'homme  peut  être  dit,  sous 
un  certain  rapport,  l'image  de  Dieu, 
comme,  d'autre  part,  la  ressemblance  des 
âmes  dans  l'homme  et  dans  la  femme  est 
au  moins  insinuée,  sinon  prouvée  par 
l'expression  :  une  aide  semblable  à  lui ,  notre 
exégète  peut  conclure  de  ces  textes  de  la 
Genèse:  «  La  femme,  venue  de  l'homme, 
lui  a  emprunté  l'image  divine.  »  (3) 


Image  de  Dieu  comme  l'homme,  la 
femme  l'est-elle  au  même  degré  que  lui? 

Non,  répondent  Théodoret  et  Procope, 
et  ils  se  basent,  pour  nous  le  prouver. 


(1)  Gen.  Il,  22,  23. 

(2)  Op.  cit.,  II,  18;  Procope,  col.  117-118. 

(3)  On  ne  saurait  admettre,  sur  la  foi  des  textes 
précités,  que  la  femme  n'est  semblable  à  l'homme 
que  sous  le  rapport  corporel;  car,  faite  pour  être 
sa  compagne,  elle  doit  avoir  avec  lui  les  ressem- 
blances de  l'esprit  plus  élevées  que  celles  du  corps 
et  nécessaires  dans  la  société  familiale. 


sur  un  verset  de  la  Genèse  et  sur  quelques 
versets  de  saint  Paul 

Voici,  d'abord,  ce  que  nous  enseigne 
à  ce  sujet  la  Genèse. 

Après  avoir  écrit  :  «  Dieu  dit  :  Faisons 
l'homme  à  notre  image,  etc.  »,  l'auteur 
sacré  ajoute  : 

«  Et  qu'il  domine  sur  les  poissons  de 
la  mer,  sur  les  oiseaux  du  ciel,  sur  les 
animaux  domestiques  et  sur  toute  la  terre, 
et  sur  les  reptiles  qui  rampent  sur  la 
terre.  »  (i) 

Or,  dit  Procope,  c'est  à  l'homme  sur- 
tout qu'il  appartient  de  commander  aux 
autres  créatures,  puisque,  d'après  le  texte 
sacré,  la  femme  aussi  lui  est  soumise  : 
«  Ton  désir  se  portera  vers  ton  mari  et  il 
dominera  sur  toi.  »  (2) 

De  même,  avait  déjà  dit  Théodoret, 
c'est  le  propre  de  l'homme  de  juger.  En 
cela,  il  ressemble  à  Dieu  et  il  en  diffère. 
Car,  tandis  que  Dieu  juge  sans  témoin^ 
comme,  par  exemple,  lorsqu'il  condamne 
Cain,  l'homme,  ignorant  les  méfaits  in- 
criminés, a  besoin  de  témoins.  C'est  en 
raison  de  cette  supériorité  de  juge  que 
l'homme  ne  se  voile  pas  la  tête,  tandis 
que  la  femme,  qui  n'a  pas  la  même  auto- 
rité pour  jugar,  reste  voilée  (3).  Saint 
Paul  dit  en  effet  : 

«  L'homme  ne  doit  pas  se  voiler  la  tête, 
puisqu'il  est  l'image  et  la  gloire  de  Dieu, 
tandis  que  la  femme  est  la  gloire  de 
l'homme. 

»  Car  l'homme  n'a  pas  été  tiré  de  la 
femme,  mais  la  femme  de  l'homme. 

»  C'est  pourquoi  la  femme  doit,  à  cause 
des  an^ges,  avoir  sur  la  tête  un  signe  de 
sujétion  (4). 

(1)  Gen.  I,  26. 

(2)  Gen.  III,  16. 

(3)  Théodoret,  col.  loS-ioy.  La  y,â).u7iTpa  (voile), 
était,  chez  les  Grecs  —  auxquels  s'adressait  saint 
Paul  —  l'ornement  de  tête  particulier  aux  femmes. 
Cf.  RoBiNSON,  Antiquités  grecques,  t.  Il,  p.  357. 
Remarquons  que  le  but  de  ce  voile  était  générale- 
ment de  dérober  la  beauté  aux  regards  profanes 
en  même  temps  que  de  signifier  la  sujétion  à 
l'homme.  A  Sparte  seulement,  ce  dernier  but 
semble  avoir  été  exclusif.  Cf.  Aristote,  De  Repiibl. 
1.  II,  C.  IX. 

(4)  Les  anges  dont  il  est  ici  question  ne  sont, 
vraisemblablement,  ni  les  démons  (Cf.  Tertullien, 


L  HOMME    CRÉÉ    A    L  IMAGE    DE    DIEU 


^37 


»  Toutefois,  ni  la  femme  n'est  sans 
l'homme  ni  l'homme  sans  la  femme  dans 
le  Seigneur. 

»  Car,  si  la  femme  a  été  tirée  de 
l'homme,  l'homme  aussi  naît  de  la  femme 
et  tout  vient  de  Dieu.  »  (i) 

De  ces  versets  comparés,  la  conciliation 
entre  l'enseignement  de  la  Genèse  et  la 
doctrine  paulinienne  sur  cette  question 
est  facile  à  déduire  ;  elle  se  ramène  aux 
deux  conclusions  suivantes:  i°  Image  de 
Dieu  comme  lui,  la  femme  a  la  même 
nature  que  l'homme:  2°  dépendante  d'une 
créature,  l'homme,  tandis  que  l'homme 
ne  dépend  d'aucune  créature,  comme  Dieu 
ne  relève  d'aucun  être,  la  femme  est 
l'image  de  Dieu  à  un  degré  moindre  que 
l'homme  sous  le  rapport  de  l'indépen- 
dance. 

111.  Est-ce  par  l'ame  seule  ou  a  la  fois 

PAR   l'ame  et  par  le  CORPS  Q.UE  l'HOMME 
ET  LA  FEMME  SONT  L'IMAGE   DE  DiEU  ? 

Cette  troisième  question  paraît  d'abord 
aussi  singulière  que  la  précédente.  En  effet, 
si  l'homme  est  l'image  de  Dieu,  un  pur 
esprit,  c'est  évidemment  par  l'âme  qu'il 
lui  ressemble.  Mais  comment  un  être  cor- 
porel peut-il  aussi  par  son  corps  repré- 
senter l'image  incorporelle  de  Dieu  ?  Cela 
semble  sortir  des  limites  de  la  vraisem- 
blance, et  c'est  pourtant  une  question  à 
laquelle  Procope  de  Gaza  peut  répondre 
affirmativement  en  envisageant  l'idée 
d'image  à  un  point  de  vue  spécial  qui  ré- 
pond suffisamment  à  la  réalité. 

Mais  distinguons  les  deux  parties  de 
cette  question,  et  demandons  en  premier 
lieu  à  ces  deux  exégètes  sous  quels  rap- 
ports l'âme  humaine  est  l'image  de  Dieu. 
* 

Tous  les  deux  nous  répondent  que 
l'homme,   considéré  dans  son  âme,  res- 


Cont.  Marc,  v,  8:  De  Virg.  veland.,  7),  ni  les  fidèles 
ni  les  prêtres  officiants,  comme  le  veulent  Clément 
d'Alexandrie  et  l'Ambrosiaster,  mais  les  bons  anges. 
(Cf.  /  Cor,  IV,  9;  Toussaint,  Ep.  de  S.  Paul,  t.  I", 
p.  282.) 
(i)  /  Cor.  M,  7-12;  Procope,  col.  106. 


semble  à  Dieu  par  la  place  qu'il  occupe 
parmi  les  êtres  créés;  par  son  rôle  de 
maître,  relativement  libre  et  indépendant; 
par  son  intelligence,  par  l'unité  de  son 
esprit  dans  la  diversité  de  ses  facultés 
mentales,  par  le  pouvoir  en  quelque 
sorte  créateur  qu'il  possède  et  par  la 
sainteté  à  laquelle  naturellement  il  doit 
tendre. 

1°  L'homme  ressemble  à  Dieu  par  la  place 
qu'il  occupe  parmi  les  êtres.  «  En  effet,  dit 
Théodoret,  après  avoir  créé  les  cr.  atures 
sensibles  et  les  créatures  purement  intel- 
lectuelles (les  anges).  Dieu  forma  l'homme 
en  dernier  lieu,  comme  sa  propre  image, 
en  le  plaçant  à  égale  distance  des  êtres 
animés  et  des  êtres  inanimés,  des  êtres 
sensibles  et  des  êtres  intelligents;  par  là, 
il  montrait  que  les  créatures  animées  et 
lescréaturesinaniméesdevaienten  quelque 
sorte  lui  payer  le  tribut,  et  que  les  créa- 
tures intelligentes  (les  purs  esprits  ange- 
liques)  —  comme  l'enseigne  l'auteur  de 
l'Epître  aux  Hébreux  (i)  —  étaient  mises 
au  service  de  l'homme »  (2) 

Intermédiaire,  par  conséquent,  entre 
les  êtres  sans  raison  et  les  purs  esprits, 
l'homme,  d'après  Procope  de  Gaza,  est 
de  plus,  sous  un  certain  rapport,  la  syn- 
thèse de  tous  les  autres  êtres,  car  il  a  «  la 
puissance  végétative  des  plantes,  la  puis- 
sance sensitive  des  animaux  et  la  puis- 
sance intellectuelle  des  purs  esprits  et  de 
Dieu  même  »  (3). 

«  Résumé  du  monde  créé,  continue 
Procope,  l'homme  en  est  aussi  le  centre 
et  le  roi.  C'est  pourquoi  Dieu  semble  dé- 
libérer avant  de  le  créer;  c'est  pour  ce 
motif  aussi  qu'il  paraît  le  dernier  sur  le 
théâtre  de  la  création,  spectateur  du  ciel, 
du  soleil,  de  la  lumière  —  vaste  décor 
créé  avant  lui  et  pour  lui,  —  et  roi  magni- 
fique appelé  à  présider  le  festin  où  l'ont 
précédé  les  autres  convives.  »  (4) 

Voici  donc,  ramenée  à  quelques  propo- 
sitions claires,  la  pensée  de  nos  deux  au- 


(1)  Hebr.  i,  14. 

(2)  Théodoret,  op.  cit.,  col.  io5-io6. 

(3)  Procope,  op.  cit.,  col.  117. 

(4)  Procope,  op.  cit.,  col.  116. 


338 


ECHOS   D  ORIENT 


leurs  sur  ce  premier  trait  de  ressemblance 
entre  l'homme  et  Dieu  : 

a)  Puisque  l'homme  est  un  intermé- 
diaire entre  les  êtres  sans  raison  et  les 
purs  esprits  qui  sont  à  son  service,  de 
même  que  tous  les  êtres  —  l'homme  y 
compris  —  sont  au  service  de  Dieu,  ainsi 
toutes  les  créatures  autres  que  l'homme 
sont  au  service  de  l'homme; 

b)  Puisque,  en  second  lieu,  l'homme 
est  en  quelque  sorte  la  synthèse  du  monde 
créé,  de  même  que  tout  ce  qu'il  y  a  d'être 
au  monde  se  trouve  en  Dieu  —  source 
foncière  de  l'être,  non,  il  est  vrai,  dans  le 
sens  où  les  panthéistes  émanatistes  en- 
tendent cette  expression,  mais  dans  le 
sens  catholique  qu'on  peut  lui  donner,  — 
de  même  quelque  chose  de  ce  qui  se 
trouve  dans  tous  les  êtres  créés  se  re- 
trouve dans  rhomme  créé; 

c)  Puisque,  enfin,  l'homme  est  en 
quelque  façon  le  roi  et  le  centre  de  la 
création,  de  même  que  tous  les  êtres  — 
l'homme  y  compris  —  sont  soumis  à 
Dieu,  ainsi  toutes  les  autres  créatures 
sont,  à  un  certain  point  de  vue,  assujetties 
à  l'homme. 

Sous  ce  premier  rapport,  il  est  donc 
évident  que  l'homme  est  réellement 
l'image  de  Dieu. 

2'>  L'homme  est  l'image  de  Dieu  par  sa 
liberté  et  par  son  indépendance  vis-à-vis  des 
autres  créatures  terrestres.  Ce  second  point 
est  d'abord  la  conséquence  du  premier. 
En  effet,  si  l'homme  est  le  roi  de  la  créa- 
tion, il  s'ensuit  immédiatement  qu'il  est 
libre  et  indépendant  de  ses  sujets,  les 
autres  créatures  terrestres. 

Mais  de  plus,  à  la  suite  de  nos  deux 
commentateurs,  il  est  facile  de  déduire 
cette  seconde  proposition  du  texte  même 
de  la  Genèse. 

Car,  après  avoir  écrit  :  «  Dieu  dit  :  Faisons 
l'homme  à  notre  image,  selon  notre  ressem- 
blance •>>,  l'auteur  sacré  ajoute  immédiate- 
ment :  Et  qu'il  domine  sur  les  poissons  de 
la  mer ,  etc.  (i)  De  même,  deux  ver- 
sets plus  loin,  après  avoir  dit  :  Et  Dieu 

(i)  Gen.  I,  26. 


créa  l'homme  à  son  image ,  Moïse  ajoute 

les  paroles  suivantes  adressées  par  le  Créa- 
teur à  sa  créature  : 

Remplisse^  la  terre,  soumettei-la  et 

domine^  sur  les  poissons  de  la  mer,  sur  les 
oiseaux  du  ciel  et  sur  tout  animal  qui  se 
meut  sur  la  terre  (i). 

Donc,  il  y  a  une  corrélation  deux  fois 
exprimée  dans  les  versets  précités  entre 
ces  deux  idées  :  la  création  à  l'image  de 
Dieu  et  la  domination  de  l'homme  sur  les 
créatures  inférieures  à  lui.  Par  conséquent, 
Théodoret  peut  dire,  en  se  fondant  du 
reste  sur  l'opinion  d'exégètes  antérieurs, 
que  c'est  précisément  par  ce  pouvoir  de 
commander  aux  autres  créatures  terrestres 
que  l'homme  est  l'image  de  Dieu;  «  car. 
dit-il,  de  même  que  Dieu  est  le  maître  de 
tous  les  êtres,  de  même  l'homme  tient  de 
Dieu  le  pouvoir  de  commander  à  tous  les 
animaux  sans  raison  »  (2). 

A  son  tour,  se  fondant  sur  le  même 
texte,  Procope  peut  ajouter,  avec  quelque 
exagération  il  est  vrai  :  «  Sous  ce  rapport, 
c'est  l'homme  et -non  la  femme  qui  est 
l'image  de  Dieu;  c'est  à  l'homme  seul, 
en  effet,  qu'il  appartient  de  commander, 
puisque  la  femme,  elle  aussi,  relève  de 
l'homme.  »  (3)  L'auteur  sacré  dit  en  effet, 


(i)  Gen.  I,  27,  28. 

<2)  Théodoret,  /.  cit.,  col.  io5. 

(3)  Dans  ce  passage,  Procope  dit  vrai,  mais  exa- 
gère. Il  dit  vrai  en  affirmant  que  l'homme  a  été 
constitué  par  Dieu  souverain  de  toutes  les  créa- 
tures terrestres.  Mais  il  exagère  en  prétendant, 
sur  la  foi  du  texte  sacré,  que  c'est  à  l'homme  seul, 
non  à  la  femme,  qu'il  appartient  de  commander 
aux  autres  créatures  terrestres.  On  peut  en  donner 
deux  raisons  :  i°  d'abord  le  texte  de  la  Genèse  : 
Ton  désir  se  portera  vers  ton  mari,  et  il  domi- 
nera sur  toi  {Gen.  m,  i6),  prouve  bien  que  la 
femme,  même  dans  l'hypothèse  où  elle  n'aurait 
pas  péché,  doit  naturellement  obéir  à  son  mari, 
mais  il  ne  prouve  pas  qu'elle  ne  puisse  commander 
aux  créatures  inférieures;  2°  de  même  que  l'expres- 
sion :  Dieu  créa  l'homme  à  son  image  {Gen.  i,  27', 
correspond  à  celle-ci  du  même  verset  :  //  les  créa 
mâle  et  femelle  (i,  27''),  d'où  l'on  conclut  que  la 
femme  comme  l'homme  est  l'image  de  Dieu;  de 
même,  l'expression  :  //  les  créa  mâle  et  femelle 
(1,  27")  correspond  à  celle-ci  du  verset  suivant: 
Domine^  sur  les  poissons,  etc.  (i,  28^),  d'où  l'on 
peut  logiquement  inférer  que  la  femme,  comme 
l'homme,  a  le  droit  de  commander  aux  animaux. 
Son  pouvoir  est  donc  réel,  mais  moins  grand  que 
celui  de  l'hoinme,  dont  elle  dépend. 


L  HOMME    CREE    A    L  IMAGE    DE    DIEU 


339 


en  rapportant  les  paroles  adressées  par 
Dieu  à  la  première  femme  après  son  péché  : 
Ton  désir  se  portera  vers  ton  niari  et  il 
dominera  sur  toi.  Voici  donc,  d'après  Pro- 
cope,  comment  l'homme,  sous  ce  rapport, 
est  l'image  de  Dieu  :  «  De  même  que  Dieu 
est  le  souverain  de  tous  les  êtres,  de  même 
l'homme  est  le  maître  de  toutes  les  créa- 
tures terrestres.  »  (i) 

3°  L'homme  est  l'image  de  Dieti  par  son 
intelligence.  Cette  domination  de  l'homme 
sur  les  autres  créatures,  qui  constitue  son 
second  trait  de  ressemblance  avec  Dieu, 
en  suppose  nécessairement  un  troisième  : 
la  faculté  de  comprendre  comme  Dieu,  du 
moins  jusqu'à  un  certain  point,  l'usage 
qu'il  doit  faire  des  créatures  :  l'intelli- 
gence. 

Comment  cela?  Par  l'universalité  des 
sujets  dont  s'occupe  son  esprit,  «  car,  dit 
Théodoret,  c'est  le  propre  de  Dieu,  créa- 
teur de  tous  les  êtres,  d'être  sans  limites; 
mais,  sous  ce  rapport,  l'esprit  humain 
l'imite  d'une  certaine  manière,  quand  en 
un  instant  il  parcourt  l'Orient  et  l'Occi- 
dent, le  Nord  et  le  Sud,  le  ciel  et  la 
terre,  non  pas  sans  doute  en  réalité, 
mais  par  le  seul  mouvement  de  sa  pen- 
sée y>  (2). 

Procope  reproduit  la  même  idée,  mais 
il  la  complète  en  montrant  que  l'homme, 
considéré  dans  son  esprit  ef  dans  sa  rai- 
son, est  l'image  de  Dieu  par  l'intermé- 
diaire du  Christ.  D'abord,  le  Christ  est  la 
raison  de  Dieu,  raison  élevée  à  la  dignité 
de  personne,  comme  le  dit  saint  Jean  : 
An   commencement   était   le  Verbe  (Aôyo; 


(i)  Procope,  col.  ii5-ii6. 
(2)  Théodoret,  col.  107,  108. 


=  raison  personnifiée)  (i).  En  second 
lieu,  par  l'esprit,  nous  ressemblons  au 
Christ,  selon  la  pensée  de  l'Apôtre  :  Poiar 
nous,  nous  avons  V esprit  du  Christ  (2). 
Donc,  comme  le  Christ  est  lintelUgence 
de  Dieu,  en  ressemblant  au  Christ  nous 
sommes  les  images  de  Dieu,  et  voici  com- 
ment :  «  La  Divinité  considère  et  pénètre 
tout  d'un  regard  intuitif.  A  nous  aussi 
elle  a  donné  la  faculté  de  percevoir  et  de 
comprendre,  mais  à  la  faveur  de  longues 
recherches.  »  (3) 

Sur  ce  point,  on  le  voit,  Procope  pré- 
cise et  complète  la  pensée  de  Théodoret. 
Comme  Dieu,  nous  dit  Théodoret,  l'homme 
applique  son  esprit  aux  sujets  les  plus  di- 
vers. 11  lui  ressemble  donc  par  la  variété 
des  concepts  qui  peuvent  occuper  son  in- 
telligence. Mais,  à  ce  trait  de  ressemblance, 
Procopeajoute  l'élément  différentiel:  tandis 
que  Dieu  a  une  intelligence  parfaite  et  irr- 
tuitive,  l'esprit  humain  est  imparfait  et 
discursif. 

Pour  le  moment,  arrêtons  là  cette  ana- 
lyse. Nous  la  reprendrons  dans  un  prochain 
article  où,  après  avoir  montré  que  l'homme 
ressemble  encore  à  Dieu  par  l'unité  de  son 
esprit  dans  la  diversité  de  ses  facultés,  par 
le  pouvoir  jusqu'à  un  certain  point  créa- 
teur qu'il  possède  et  par  la  sainteté  à  la- 
quelle il  aspire,  nous  ferons  quelques 
réserves  sur  les  opinions  diverses  émises 
par  ces  deux  auteurs. 

EZÉCHIEL   MONTMASSON. 


(1)  JOAN,  I,    I. 

(2)  /  Cor.  ri,  16. 

(3)  Procope,  col.  117,  ri8.  L'expression  greccpae 
'riTTiXtxTjv  TictçiisfVi  5iâvoiav  signifie  :  il  a  donné  une 
intelligence  qui  saisit  le  vrai  par  le  raisonnement 
discursif. 


UNE    PÉRIODE   TROUBLÉE 
DE  L'HISTOIRE  DE  L'ÉGLISE  MELKITE  (i759-i794) 


I.    L'ÉLECTION    ANTICANONiaUE 

d'Athanase  V  Jauhar  (1759). 

Nous  voudrions  essayer  de  retracer  ici 
l'histoire,  passablement  obscure,  d'une 
période  de  trente-cinq  ans,  qui  fut  parti- 
culièrement troublée  pour  l'Eglise  melkite. 
Le  R.  P.  Cyrille  Charon  a  bien  essayé  de 
résumer  un  ou  deux  épisodes  de  cette 
histoire  (2),  mais  il  n'a  pu  qu'effleurer  la 
question.  Il  ne  dit  rien,  par  exemple,  de 
M&r  Germanos  Adam,  ou  plutôt  du  P.  Mi- 
chel Adam  —  car  il  n'était  alors  que  simple 
prêtre  exerçant  le  saint  ministère  à  Alep, 
—  qui  fut  sans  contredit  l'âme  de  l'oppo- 
sition alépine  dans  l'intrusion  dejauhar(3). 
La  plupart  des  pièces  relatives  à  cette  his- 
toire sont  précieusement  séquestrées  dans 
les  bibliothèques  monacalesouépiscopales, 
pour  diverses  raisons  que  nous  n'avons 
pas  à  exposer  ici  ;  l'accès  en  est  très  diffi- 
cile. Aussi  un  grand  nombre  d'entre  elles 
avaient-elles  échappé  au  R.  P.  Charon,  et 
ce  n'est  qu'à  grand'peine  que  nous  avons 
pu  réussir  à  nous  les  procurer. 

(i)  Pour  traiier  exactement  de  cette  période  de 
trente-cinq  ans,  nous  avons  consulté,  outre  les 
Annales  chouérites,  la  longue  relation  que  nous 
en  a  laissée  le  P.  Michel  Adam,  ses  deux  longues 
réfutations  des  erreurs  schismatiques  du  parti  de 
Jauhar,  ses  premiers  ouvrages  doctrinaux,  qui  res- 
pirent l'orthodoxie  à  toutes  leurs  pages;  les  Dmer- 
tations  historiques  des  PP.  Joseph  Babila  et  Simaân 
Sabbâgh,  une  autre  relation  anonyme  sur  l'intru- 
sion de  Jauhar;  les  lettres  authentiques  des  évêques 
partisans  de  l'intrus;  les  lettres  échangées  entre 
Jauhar,  devenu  Athanase  'V,  et  M''  Germanos  Adam, 
archevê  !ue  d'Alep;  enfin  le  Ristrelto  romain  du 
cardinal  Valens  Gonzaga,  en  date  du  26  août  1798. 
Nous  renverrons  le  lecteur  à  toutes  ces  sources 
historiques  au  furet  à  mesure  que  nous  les  ren- 
contrerons. 

(2)  G.  Charon,  L'Eglise  grecque  melkite  catho- 
lique, dans  les  Echos  d'Orient,  t.  V,  1 901-1902, 
p.  86  sq. 

(3)  Nouvellement  arrivé  de  Rome,  cù  il  avait 
fait  ses  études  ecclésiasîiques,  le  P.  Michel  Adam 
était  sans  contredit  l'oracle  des  Alépins.  M*'  Maxime 
Hakim  »  n  avait  fait  son  secrétaire  et  conseiller 
particulier. 


On  sait  dans  quelles  circonstances  ex- 
ceptionnelles Me''Gérasimos,  l'un  des  deux 
fondateurs  de  Chouéir,  promu  à  l'arche- 
vêché d'Alep  en  1721  par  Athanase  IV 
Dabbas,  puis  exilé  au  Mont  Athos  par  Syl- 
vestre le  Chypriote  en  1725,  et  ramené 
à  Alep,  après  huit  ans  d'incarcération, 
dut  résigner  son  siège  en  faveur  de 
Mg""  Maxime  Hakim,  en  1733  (i).  Alep 
était,  à  cette  époque,  considérée  comme 
la  seconde  ville  de  l'empire  ottoman; 
cette  importance  lui  était  acquise  par  le 
nombre  considérable  de  ses  habitants,  par 
son  commerce  extraordinaire,  qui  s'éten- 
dait non  seulement  à  toute  la  Syrie,  mais 
encore  à  toute  l'Asie  Mineure,  et  enfin 
par  le  grand  nombre  des  Melkites  catho- 
liques qui  s'y  trouvaient.  Le  P.  Michel 
Adam  nous  dit  qu'à  cette  époque  les  ca- 
tholiques alépins  étaient  «  infiniment  plus 
nombreux  que  tous  les  Melkites  catho- 
liques du  patriarcat  d'Antioche  »  (2). 
Nous  savons,  par  ailleurs,  qu'il  y  avait 
alors  à  Alep  vingt-quatre  prêtres  en  charge 
avec  deux  diacres,  sous  l'administration 
de  l'archevêque,  M^r  Maxime  Hakim.  Le 
long  Mémoire  des  Alépins  adressé  à  la 
Propagande,  en  1740,  sur  la  fameuse  af- 
faire des  'Abidatt  ou  religieuses  chouérites, 
en  porte  les  diverses  signatures  (3). 

Tous  ces  motifs  étaient  de  nature  à 
exciter  l'ambition  du  patriarche  orthodoxe 
de  Constantinople,  à  cette  époque  où 
l'argent  avait  plus  de  raisons  persuasives 
que  la  justice  et  le  droit.  Aussi,  moyen- 
nant finances,  le  patriarche  constantino- 
politain  obtint-il  de  la  Porte  que  la  ville 
d'Alep  entrât  sous  sa  juridiction  immé- 
diate, et  il  lui  envoya  le  premier  arche- 


(i)  "Voir  Echos  d'Orient,  t.  V,  p.  19  sq. 

(2)  Cf.  la  longue  Relation  du  P.  Michel  Adam, 
p.  25. 

(3)  Nous  le  possédons  en  arabe  et  en  italien  ;  nous 
nous  proposons  de  le  publier  un  jour  in  extenso. 


UNE   PÉRIODE   TROUBLÉE    DE    l'hISTOIRE    DE    LÉGLISE    MELKITE 


341 


vêque  orthodoxe  en  1693  (i).  On  connaît 
tous  les  troubles  des  Alépins  à  cette  occa- 
sion, toutes  les  persécutions  dont  ils 
furent  l'objet  et  leurs  héroïques  résis- 
tances (2).  Quarante  ans  d'un  pareil  des- 
potisme avaient  ruiné  la  ville,  dont  la 
plupart  des  habitants  s'étaient  expatriés. 
Enfin,  à  bout  de  forces,  les  Alépins  sup- 
plièrent Athanase  IV  Dabbas  de  leur  don- 
ner un  évêque  syrien  arabophone,  qui  fût 
à  même  de  leur  lire  l'Evangile  en  leur 
langue  propre.  Athanase  y  consentit; 
mais,  craignant  d'autre  part  les  blâmes  de 
Constantinople,  il  fit  signer  aux  Alépins 
une  requête  en  bonne  et  due  forme,  por- 
tant que  Sylvestre  le  Chypriote  serait  élu 
patriarche  à  la  mort  d'Athanase.  Ce  qui 
eut  lieu,  en  effet,  en  1724. 

Or,  en  1733,  à  l'époque  de  la  délivrance 
de  Gérasimos,  le  grand  vizir  persuada  aux 
Alépins  d'avoir  tout  d'abord  à  soustraire 
leur  ville  à  la  juridiction  de  Constantinople. 
Ensuite,  s'ils  tenaient  à  être  tranquilles, 
ils  devaient  se  trouver  un  évêque  autre 
que  Gérasimos,  et  qui  ne  fût  pas,  comme 
lui,  entaché  de  la  note  malsonnante  de 
frengi.  Là-dessus,  ils  élurent  Maxime 
Hakim,  et,  le  23  mai  1733,  Alep  rentra 
sous  la  juridiction  du  patriarche  catholique 
d'Antioche. 


Le  nouveau  métropolite  se  hâta  de  pa- 
cifier son  diocèse.  Plein  de  prévenances 
pour  tous,  il  était  adoré  de  son  clergé  et 
de  son  peuple.  Suivant  une  coutume  im- 
mémoriale dans  le  diocèse  d'Alep,  il  s'était 
fait  entourer  de  quelques  jeunes  enfants 
en  qui  il  avait  remarqué  des  signes  de 
vocation,  et  il  s'appliquait  à  les  former 
aux  vertus  et  à  la  science  apostoliques. 
Ce  fut,  d'ailleurs,  son  occupation  principale 
€t  celle  à  laquelle  il  se  livrait  avec  le  plus 
d'amour.  Parmi  ces  jeunes  clercs,  il  avait 
distingué  un  enfant  d'un  rare  talent,  et 
qui  faisait  déjà  preuve  d'une  grande  intel- 


(0  Cf.  Archives  du  Vatican,  nota  al.  |  7,  p.  409  : 
Greci  Melchiti. 
12)  Echos  d'Orient,  loc.  cit. 


ligence.  C'était  le  petit  Michel  Adam,  alors 
âgé  d'une  douzaine  d'années.  Il  se  hâta 
de  l'envoyer  à  Rome,  au  collège  grec  de 
Saint-Athanase  (i).  C'était,  croyons-nous, 
en  1736.  Le  jeune  Adam  passa  une  quin- 
zained'annéesàRome;  nous  n'avons  aucun 
document  qui  nous  apprenne  quelque 
chose  sur  ces  années  laborieuses  de  celui 
qui  devait  être  le  propagateur  des  doctrines 
du  gallicanisme  et  du  jansénisme  à  Alep. 
Toujours  est-il  qu'il  y  fit  preuve  de  rares 
qualités  intellectuelles  dont  témoignent 
d'ailleurs  ses  nombreux  ouvrages  polé- 
miques et  doctrinaux.  Nous  ne  saurions 
affirmer  non  plus,  si,  durant  ce  séjour 
dans  la  Ville  Eternelle,  ou  après  son  élé- 
vation à  l'épiscopat,  il  a  pu  avoir  des  rela- 
tions épisto'aires  ou  même  des  entretiens 
mystérieux  avec  les  gallicans  et  les  jansé- 
nistes de  France.  Nous  pensons  cependant 
que  ces  relations  malheureuses  n'ont  pu 
avoir  lieu  qu'après  1774,  époque  de  son 
élévation  au  siège  épiscopal  de  Saint-Jean- 
d'Acre.  En  effet,  les  ouvrages  qu'il  com- 
posa durant  sa  période  sacerdotale  sont 
parfaitement  orthodoxes,  notamment  en 
ce  qui  touche  la  primauté  du  Pontife 
romain,  dogme  sur  lequel  il  mérita  plus 
tard  des  blâmes  sérieux,  à  tel  point  que 
Rome  dut  mettre  ses  ouvrages  à  l'Index. 
Le  P.  Michel  Adam  reçut  le  sacerdoce 
à  Rome.  Après  son  retour  à  Alep  en  1751, 
Me"*  Maxime  Hokim  lui  confia  la  direction 
de  la  «  Congrégation  pour  la  Défense  de 
la  foi  »,  qui  avait  été  fondée  en  1725  par 
un  saint  et  courageux  prêtre  melkite,  le 
P.  Paul  Abd-ul-Messih,  dans  le  but  de 
s'opposer  aux  persécutions  de  Sylvestre. 
Les  laïques  alépins  les  plus  notables  te- 
naient à  en  faire  partie  et  à  lui  prodiguer 
les  secours  de  toute  nature,  de  sorte 
que  cette  pieuse  association  était  devenue 
comme  un  bouclier  formidable  contre 
toutes  les  attaques  des  orthodoxes.  Le 
P.  Michel  Adam,  alors  jeune  et  rempli  de 
cette  science  catholique  qu'il  venait  de 
puisera  sa  source,  se  dévoua  sans  compter 

(i)  Relation  anonvme  de  l'intrusion  de  Jaubar, 
p.  3.«.  -  ■ 


342 


ECHQ8   D  ORIENT 


à  l'instruction  çt  à  la  formation  chrétienne 
de  ces  ânjes.  En  même  temps,  il  exerçait 
Iç  saint  ministère  dans  la  ville.  Un  pas- 
sage (i)  de  sa  longue  réfutation  des  pré- 
tentions de  Jauhar  et  de  son  parti  nous 
donne  à  entendre  qu'il  était  en  relations 
épistolaires  avec  les  PP.  Joseph  Babila  et 
Jean  'Ajéinii,  tous  deux  anciens  élèves  de 
Romç;  cependant,  il  n'a  jamais  partagé  les 
opinions  schismatiques  du  P.  J.  'Ajéimi. 
Celui-ci  soutenait  Jauhar  dans  son  intru- 
sion, à  tel  point  qu'il  s'attira  l'excommu- 
nication majeure  lancée  contre  lui  par  la 
Propagande  le  27  mars  1762.  Le  P.  Michel 
Adam  se  livrait  à  ses  occupations  pasto- 
rales avec  le  plus  grand  calme,  lorsque 
les  événements  de  1759  l'enlevèrent  à  cette 
retraite  et  lui  fournirent  l'occasion  de  dé- 
fendre la  vérité  catholique  outragée. 


Le  siège  patriarcal  d'Antioche  était  tou- 
jours occupé  par  Cyrille  VI  Tânas,  le  pre- 
mier patriarche  melkite  qui  avait  renoué 
définitivement  les  relations  avec  Rome.  11 
comptait  déjà  trente-'Cinq  ans  de  patriarcat; 
l'âge  et  les  maladies  avaient  affaibli  son 
corps  débile;  il  se  sentait  mourir  et  il 
cherchait  à  $e  faire  remplacer  de  son  vi- 
vant, non  par  un  procureur  patriarcal, 
mais  par  un  patriarche  légitime  que  lui- 
même  imposerait  à  tout  le  corps  épi- 
scopal.  Il  avait  jeté  les  yeux  sur  le  P.  Ignace 
Jauhar,  jeune  prêtre  de  vingt-sept  ans 
seulement,  religieux  de  Déir  el  Moukhallès, 
qui  était  son  petit-neveu.  La  chose  était 
tenue  sous  le  plus  grand  secret,  lorsqu'un 
beau  jour  elle  transpire,  on  ne  sait  com- 
ment, et  parvientà  tout  répiscopat  melkite. 

Or,  au  mois  de  mars  1759,  Cyrille  VI 
tombe  gravement  malade.  Më^  Athanase 
Dahan,  métropolite  de  Beyrouth,  se  rend 
auprès  de  lui  en  compagnie  du  P.  Ignace 
Jarbou',  Supérieur  général  desChouérites. 
Tout  d'abord  ils  ne  prêtèrent  pas  une  at- 
tention sérieuse  à  ces  bruits,  qu'ils  esti- 
maient mensongers,  ne  pouvant  s'ima- 
giner que  le  patriarche  en  arriverait  à  ces 

(i)  Réfutation,  p.  6.  .         » 


extrémités,  lui  qui  connaissait  parfaite- 
ment les  saints  canons  et  les  lois  de 
l'Eglise.  Cependant,  pour  agir  avec  plus 
de  prudence,  ils  se  consultèrent  avec  le 
P.  Michel  'Arraj,  Supérieur  général  de 
Saint-Sauveur,  et  avec  le  P.  Augustin 
Maqsoud,  son  premier  assistant.  Tous 
furent  d'avis  qu'on  avertirait  doucement 
le  patriarche  d'avoir  à  mettre  ordre  à  ses 
affaires  temporelles  au  moyen  d'un  testa- 
ment en  bonne  et  due  forme,  pour  éviter 
les  désordres  qui  pourraient  surgir  après 
sa  mort.  Afin  de  lui  faciliter  la  besogne, 
ils  dressèrent  une  formule  testamentaire 
à  la  fin  de  laquelle  se  trouvaient  ces  pa- 
roles significatives  :  «  Nous  voulons  et 
nous  ordonnons  que  le  patriarche  qui  nous 
succédera  soit  élu  par  tous  les  évêques  de 
notre  patriarcat,  sans  en  excepter  un  seul. 
Personne  n'est  autorisé  à  modifier  notre 
ordonnance,  de  quelque  façon  que  ce 
soit.  »  (i) 

Le  P.  Michel  'Arraj  fut  chargé  de  faire 
signer  ce  billet  par  Cyrille  aux  heures  de 
lucidité;  et  après  quatre  jours  passés  à 
Déir  el  Moukhallès,  les  deux  visiteurs  ren- 
trèrent dans  leurs  résidences  respectives. 
Eux  partis,  le  P.  'Arraj  se  mit  en  devoir 
de  remplir  sa  mission.  Or,  aussitôt  que 
Cyrille  eut  jeté  les  yeux  sur  ce  billet,  il 
entra  en  colère,  le  retira  violemment  des 
mains  du  religieux  et  le  mit  sous  séquestre. 
Dès  lors,  il  considéra  le  P.  'Arraj  comme 
son  plus  mortel  ennemi,  bien  que,  par  le 
passé,  il  l'eût  tenu  en  très  grande  estime  (2). 

Cependant  les  bruits  inquiétants  aug- 
mentaient de  jour  en  jour.  Les  laïques 
n'avaient  entre  eux  que  ce  sujet  de  con- 
versation; certains  religieux  de  Déir  el 
Moukhallès  le  relataient  dans  leurs  lettres 
aux  évêques  ainsi  qu'au  P.  Ignace  Jarbou'. 
Le  P.  Jean  'Ajéimi  l'écrivit  aussi  aux  évêques 
en  leur  montrant  toutes  les  suites  fâcheuses 
qu'aurait  cette  affaire,  et  en  les  exhortant 
vivement  à  y  porter  remède.  «  Toutes  ces 


(i)  Relation  du  P.  Michel  Adam,  p.  8-4;  Annales, 
t.  I",  cahier  XXVI,  p.  404;  Relation  anonyme, 
p.  8. 

(2)  Relation  du  P.  Michel  Adam,  p.  4;  Relation 
anonyme,  p.  10. 


UNE    PERIODE   TROUBLÉE    DE    L  HISTOIRE    DE    L  EGLISE    MELKITE 


343 


lettres,  ajoute  le  P.  Michel  Adam,  qui 
nous  donne  cette  longue  relation  avec  une 
précision  merveilleuse,  sont  encore  con- 
servées chez  nous;  nous  les  avons  toutes 
consultées:  elles  renferment  encore  beau- 
coup plus  de  détails  que  nous  n'en  rela- 
tons ici.  »  (i) 

Les  évêques  demeurèrent  perplexes.  Ils 
recoururent  à  la  prière,  nous  rapporte  le 
P.  Adam,  et  l'un  d'eux,  M?""  Athanase 
Dahan,  fut  certainement  inspiré  de  Dieu  en 
adoptant  la  ligne  de  conduite  suivante.  11 
dressa  une  formule  de  protestation  contre 
cet  abus  de  pouvoir  patriarcal,  affirmantque 
le  successeur  de  Cyrille  VI  devrait  être  élu 
par  tout  le  corps  épiscopaL  sous  peine 
dêtre  flétri  de  la  note  honteuse  d'intrus. 
Un  prêtre  fut  chargé  de  la  porter  à  tous 
ks  évêques  pour  la  leur  faire  signer  (2). 

Deux  évêques  seulement  ne  signèrent 
pas  cette  pièce  :  Me*"  Ignace,  archevêque 
de  Homs,  qui  se  trouvait  alors  à  Alep  et 
qui,  pour  ce  motif,  pouvait  difficilement 
être  atteint  par  les  autres  prélats,  et 
M&r  Euthyme,  évêque  de  Fourzol,  qui  fit 
la  réponse  suivante  :  «  Tant  que  je  serai 
en  bons  termes  avec  Sa  Béatitude,  je  suis 
assuré  de  pouvoir  le  ramener  à  de  meil- 
leurs sentiments  en  l'empêchant  de  com- 
mettre des  désordres.  »  C'était  bien  peu 
sincère  et  très  équivoque  de  la  part  de  ce 
prélat,  comme  nous  allons  le  voir.  Quant 
aux  autres  évêques,  après  avoir  pleine- 
ment acquiescé  à  cette  entente  générale 
et  canonique,  ils  écrivirent  des  lettres 
pleines  de  chaleureux  remerciements  à 
Mgi-  Athanase  Dahan.  Le  P.  Adam  nous 
en  a  rapporté  quelques  extraits,  tout  en 
conservant  précieusement  les  originaux. 

11  ne  nous  est  pas  permis  de  nous  con- 
duire autrement Nous  remercions  Dieu 

et  ceux  qui  ont  eu  l'inspiration  et  le  cou- 
rage d'entreprendre  ce  projet Nous  con- 
formerons notre  conduite  à  tout  ce  qui  v  est 
relaté,  dussions-nous  répandre  jusqu'à  la 
dernière  goutte  de  notre  sang,  etc.  (3). 


(1)  Ibid.,  p.  4  et  p.  II. 

(2)  Relation  du  P.  Michel  Adam,  p.  5. 

(3)  Relation  du  P.  Michel  Adam,  p.  7-8. 


Le  P.  Jean  'Ajéiml  lui-même  fut  énien* 
veillé  de  l'entreprise,  et  il  fit  si  bien, 
ajoute  le  P.  Adam,  qu'il  amena  son  Su- 
périeur général,  le  P.  Miche!  'Arraj,  à  si- 
gner cette  pièce,  bien  qu'il  fîit  alors  en 
retraite. 

Ce  document  authentique  n'ayant  ja- 
mais vu  le  jour,  nous  nous  faisons  un  de- 
voir de  le  mettre  sous  les  yeux  du  lecteur. 

Formule  de  l'accord  que  les  évêques  ont 
signé. 

Le  motif  qui  nous  a  poussés  à  être  una- 
nimes sur  cet  accord  légitime  est  le  sui- 
vant :  Nous,  soussignés,  les  humblesévèques 
et  archevêques  catholiques  du  patriarcat 
d'Antioche,  disons  :  Attendu  que  nous  ne 
pouvons  rien  faire  de  mieux  que  d'entre- 
tenir l'unité  et  la  concorde  dans  la  sainte 
Eglise  de  Dieu  où  l'Esprit- Saint  nous  a 
institués  évêques  pour  prendre  soin  de  son 
tronpeau,  en  vue  de  sa  gloire  et  du  bien 
des  âmes;  attendu  que  nous  nous  sommes 
rendu  bien  compte  des  troubles  et  des  dis- 
cordes que  l'ennemi  infernal  a  coutume 
de  fomenter  dans  la  bergerie  du  Christ, 
notamment  à  l'époque  de  la  mort  de  ses 
pasteurs;  il  nous  a  paru  bon,  après  le 
recours  à  l'Esprit-Saint,  de  nous  hâter, 
par  une  sainte  prudence,  de  fermer  la  porte 
à  ce  loup  ravisseur  et  infernal,  pour  nous 
unir  dans  un  même  esprit  et  un  même 
cœur,  pour  prendre  les  mesures  nécessaires 
en  vue  de  procurer  la  gloire  de  notre  Sau- 
veur et  la  paix  de  nos  ouailles,  suivant  les 
prescriptions  et  les  canons  des  Pères,  en 
tout  ce  qui  touche  à  l'élection  du  nouveau 
patriarche  catholique  d'Antioche  qui  suc- 
cédera à  Sa  Béatitude,  lorsqu'il  plaira  à 
Dieu  de  rappeler  à  lui  son  serviteur.  Cette 
élection  devra  se  faire  dans  les  conditions 
suivantes  : 

i"'  Aussitôt  après  la  monde  Sa  Béatitude, 
notre  Frère,  l'évêque  qui  aura  reçu  sôû 
dernier  soupir,  enverra  des  lettres  de  faire- 
part,  signées  de  sa  propre  main,  à  tous  les 
évêques  catholiques  du  patriarcat  d'An- 
tioche, en  les  priant  de  se  présenter  à  Déir 
el  Moukhallès  sans  aucun  délai.  Celui  qui 
en  serait  empêché  par  un  motif  légitiitte 
devra  y  envoyer  un  procureur  muni  d'un 
sakkon  régulier  et  qui  tiendrait  sa  place 
dans  l'élection  du  nouveau  patriarche; 
2"  Après  la  réunion  de  tous  les  évêques 


344 


ÉCHOS  d'orient 


électeurs  et  des  procureurs,  on  implorera  [ 
en  commun  les  lumières  de  l'Esprit-Saint; 
puis,  sans  perdre  de  temps,  on  procédera 
au  scrutin  avec  piété  et  esprit  de  foi.  Les 
Pères  électeurs  choisiront  un  prêtre  digne 
pour  recueillir  les  votes  et  les  enregistrer 
suivant  la  volonté  des  électeurs  Avant  de 
se  livrer  à  cette  besogne,  il  devra  prêter 
serment  sur  les  saints  Evangiles,  s'enga- 
geant  à  ne  révéler  jamais  quoi  que  ce  soit, 
jusqu'à  la  mort,  tant  aux  électeurs  qu'à 
des  personnes  étrangères;  et  s'il  vient  à 
violer  son  serment,  il  encourra  l'excom- 
munication ipso  facto; 

'i"  Le  scrutin  se  fera  de  la  manière  sui- 
vante :  le  premier  des  évêques  s'approchera 
du  secrétaire  et  fera  enregistrer  son  vote 
sous  cette  forme:  «  Je  choisis  N,..,  pa- 
triarche pour  le  siège  d'Antioche.  »  Après 
lui  viendra  le  second,  puis  le  troisième,  et 
ainsi  de  suite  jusqu'au  dernier; 

4'^  A  la  fin  du  scrutin,  on  en  publiera 
le  résultat  à  haute  voix,  en  présence  de 
tous  les  Pères  électeurs.  Celui  qui  aura  la 
moitié  des  voix  plus  une  sera  considéré 
comme  l'élu  du  Saint-Esprit.  Et  le  jour 
suivant,  sans  aucun  retard,  on  procédera 
à  son  intronisation,  conformément  au  rite 
du  saint  Eù/oXôytov. 

Telle  est  la  mesure  qu'il  nous  a  paru 
nécessaire  et  indispensable  de  prendre  pour 
sauver  notre  conscience. 

Nous  sommes  tous  tombés  d'accord  à  ce 
sujet.  Nous  promettons  à  Dieu  d'y  être 
fidèles.  Nous  voulons  et  nous  ordonnons 
que,  si  l'élection  du  futur  patriarche  s'ac- 
complit d'une  manière  différente,  elle  soit 
tenue  pour  invalide.  Personne  ne  serait  tenu 
de  l'accepter;  au  contraire,  celui  qui  serait 
élu  différemment  serait  regardé  comme  un 
intrus,  un  larron  et  un  corrupteur  de  la 
bergerie  du  Christ.  Son  élection  serait  d'ail- 
leurs en  opposition  directe  avec  la  tradition 
apostolique,  les  canons  des  Pères  et  les 
prescriptions  de  l'Eglise. 

Que  si  l'un  d'entre  nous  se  montre  infi- 
dèle à  cette  promesse  —  ce  qu'à  Dieu  ne 
plaise!  —  il  sera  considéré  comme  perfide, 
sacrilège  et  menteur  à  l'Esprit-Saint.  Et 
malheur  à  celui  qui  s'attirerait  cette  in- 
famie! 

Ecrit  le  quatorzième  jour  du  mois  de 
mars  de  l'année  lySg. 

L'humble  Maximine  (Hakim  ),  métropolite 
dAlep; 


L'humble  Athanase(Dahan),  métropolite 
de  Beyrouth; 

L'humble  Basile  (Jelghaf),  évêque  de 
Saïda  et  du  Chouf; 

L'humble  Basile  (Chami),  évêque  de 
Baâlbeck; 

L'humble  Andbé  (Fakhouri),  archevêque 
de  Tyr; 

L'humble  Macaire  ('Ajéimi),  évêque  de 
Saint- Jean  d'Acre; 

L'humble  Clément  (Safadi),  évêque  de 
Bélad-Sâfâd  ; 

Le  P.  Michel  'Abraj,  Supérieur  général 
des  religieux  de  Saint-Sauveur  {i). 


Quelques  jours  après,  Cyrille  VI  eut 
vent  de  cet  accord  unanime  de  tout  l'épi- 
scopat.  Au  lieu  d'être  pleinement  satisfait 
de  ces  mesures  sages  et  prudentes,  dit  le 
P.  Michel  Adam,  il  fit  preuve  d'un  mé- 
contentement et  d'un  courroux  extraor- 
dinaires. Dès  lors,  nous  voyons  le  pa- 
triarche entrer  résolument  et  ouvertement 
en  lutte  avec  les  évêques.  Comme  il  ve- 
nait de  se  relever  de  sa  maladie,  il  reprit 
lui-même  la  direction  des  affaires  ecclé- 
siastiques et  écrivit  au  métropolite  de 
Beyrouth  (2)  une  lettre  où  transpiraient  la 
colère  et  l'indignation.  Elle  se  terminait 
ainsi  : 

Je  suis  parfaitement  rétabli.  Tenez-vous 
donc  bien  tranquilles,  vous  et  d'autres,  et 
occupez-vous  de  vos  ouailles;  je  saurai  gou- 
verner les  miennes  et  je  n'ai  nul  besoin 
de  vos  services  (3). 

Athanase  Dahan  n'y  fit  aucune  réponse. 
Peu  de  jours  après,  il  recevait  une  seconde 
lettre  de  Cyrille  VI,  qui  lui  disait  : 

Je  vous  ordonne,  en  vertu  de  mon  auto- 
rité apostolique  et  au  nom  de  la  sainte 
obéissance,  de  m'envoyer  l'original  même 


(i)  Cette  pièce  nous  est  fournie  in  extenso  dans 
la  Relation  du  P.  Michel  Adam,  p.  6-7,  et  dans  la 
Relation  anonyme,  p.  i2-i3. 

(2)  M''  Athanase  Dahan,  de  Beyrouth,  avait  été 
expressément  chargé  par  Cyrille  VI  d'administrer 
le  patriarcat  d'Antioche  durant  la  maladie  du 
patriarche.  Cf.  Relation  du  P.  Michel  Adam,  p.  9, 
et  la  Lettre  de  Cyrille  VI  à  M"  Dahan,  lySg. 

(3)  Cité  par  le  P.  Michel  Adam,  Relation,  p.  9.. 


LNE    PÉRIODE   TROUBLÉE    DE    L'HISTOIRE    DE    L'ÉGLISE    MELKITE 


345 


de  l'accord  unanime  des  évêques  dont  vous 
^tes  le  dé;  ositaire. 

Cette  fois,  Athanase  Dahan  fit  une  ré- 
ponse des  plus  respectueusesau  patriarche, 
sans  êire  iniimidé  le  moins  du  monde  par 
ses  menaces: 

Je  n'ai  aucun  pouvoir  à  exercer  sur  la 
formule  de  rac>.ord  unanime  de  nos  frères 
les  évêques,  dont  je  ne  suis  que  le  déposi- 
taire. Que  si  eux-mêmes  voulaient  me  la 
réclamer,  je  ne  saurais  les  en  empêcher; 
mais  pour  Votre  Béatitude,  ;e  ne  puis  vous 
en  envoyer  qu'une  copie.  Vous  la  trouverez 
ci-jointe  (i). 

Cette  réponse  ne  fut  pas  du  goût  du 
patriarche,  qui  souhaitait  vivement,  rap- 
porte le  P.  Adam,  avoir  en  mains  le  docu- 
ment original  pour  le  mettre  en  pièces, 
persuadé  que  de  la  sorte  il  arriverait  à  di- 
viser les  évêques  et  à  avoir  raison  de 
leurs  résistances. 

Trompé  dans  cet  espoir,  Cyrille  VI  es- 
saya donc  de  recourir  à  un  autre  strata- 
gème. 11  se  mit  en  devoir  de  faire  la  réfu- 
tation du  document  et  de  forcer  les  évêques 
à  la  signer  sans  autre  forme  de  procès. 
Mais,  devinant  la  résistance  opiniâtre  de 
plusieurs,  il  n'osa  pas  aller  jusqu'au  bout 
de  ce  projet.  Nous  le  savons  par  le  P.  Jean 
'Ajéimi  lui-même,  qui,  cette  fois,  nous 
dit  malicieusement  le  P.  Michel  Adam, 
«  regardait  à  l'équité  avec  son  œil  droit  ». 
En  effet,  il  écrivit  à  ce  sujet  une  lettre  des 
plus  sensées  à  l'adresse  de  son  oncle  ma- 
ternel, M*'''"  Macaire  'Ajéimi,  de  Saint-Jean- 
d'Acre.  Il  lui  disait  : 

Sa  Béatitude  le  patriarche  vient  de  dresser 
une  seconde  formule  d'accord,  contraire  à 
celle  de  l'épiscopat.  Son  intention  arrêtée 
est  de  la  taire  signer  par  tous  les  évêques. 
Tenez-vous  donc  bien  sur  vos  gardes  et  ne 
la  signez  point,  car  elle  est  en  opposition 
directe  avec  votre  accord  unanime  et  légi- 
time (2). 

Mgr  Macaire  donna  lecture  publique  de 
cette  lettre  devant  plusieurs  personnages 


(i)  Relation  du  P.  Michel  Adam,  loc.  cit. 
(2)  Cité  par  le  P.   M  chel  Adam,  Relation,  p.  10, 
«t  par  la  Relation  anonyme,  p.  14. 


de  Saint-Jean -d'Acre.  Il  se  répandait  en 
blâmes  amers,  à  toute  occasion,  au  sujet 
de  cette  conduite  patriarcale,  protestant 
hautement  de  sa  fidélité  aux  saints  ca- 
nons et  déclarant  ouvertement  :  «  Quand 
tous  les  évêques  seraient  infidèles  à  leur 

promesse,  moi  je  ne  le  serais  point 

Notre  sacerdoce  ne  se  transmet  pas  par 
voie  d'héritage.  »  (1)  Nous  verrons  tout 
à  l'heufi  qu'il  fut  le  premier  à  défaillir, 
malgré  toutes  ses  bonnes  promesses. 

Enfin,  à  bout  de  ressources,  le  patriarche 
eut  recours  aux  laïques.  11  envoya  Ignace 
Jauhar  à  Damas  pour  y  recueillir  les  adhé- 
sions des  séculiers  à  ce  qu'il  se  proposait 
d'accomplir  à  Saint-Sauveur.  Le  clergé  de 
la  ville  et  certains  notables  affirmèrent 
plus  tard  que  Jauhar  s'était  efforcé,  à 
Damas,  d'amener  le  peuple  à  luj  remettre 
une  pièce  authentique  et  signée  par  cer- 
tains notables,  attestant  leur  entière  adhé- 
sion à  l'élection  du  nouveau  patriarche 
que  Cyrille  VI  jugerait  convenable  et  op- 
portun de  leur  donner  (2).  Mais  personne 
n'y  consentit,  ajoutent-ils,  à  part  quelques- 
uns  du  bas  peuple  et  qui  n'ont  rien  à  voir 
dans  cette  affaire.  Cependant,  une  lettre 
postérieure  de  Cyrille  VI  aux  évêques  fait 
allusion  à  ces  personnages,  tous  parents 
de  Jauhar,  qui  ont  livré  leurs  signatures 
dans  le  plus  grand  mystère  (3).  Cette  con- 
duite du  patriarche  était  gravement  répré- 
hensibleet  ouvrait  la  porte  à  des  désordres 
d'un  genre  singulier.  L'épiscopat  en  fut 
très  alarmé,  comme  nous  allons  le  voir. 

Malgré  tout,  Cyrille  VI  crut  un  moment 
triompher  des  évêques.  Fort  de  certaines 
adhésions  laïques  insignifiantes,  il  invita 
tout  l'épiscopat  à  se  présenter  à  Déir  el 
Moukhallès  : 

Nous  avons  résolu  d'élire  un  nouveau 
patriarche  pour  prendre  soin  des  intérêts 
de    nos   ouailles,    puisque    nous   sommes 


(1)  Ibid. 

(2]  Lettres  diverses  de  deux  prêtres  damasquins 
et  de  quelques  laïques  notables,  citées  dans  la  Rela- 
tion du  P.  Michel  Adam,  p.  11. 

(3)  Nous  le  savons  par  la  Relation  du  P.  Adam, 
p.  1 1  ;  psr  sa  longue  Réfutation,  p.  20,  et  par  la 
Relation  anonyme,  p.  i5. 


346 


ECHOS    D  ORIENT 


devenu  impuissant  à  porter  ce  fardeau. 
D'autre  part,  nous  avons  reçu  à  ce  sujet  le 
consentemeat  unanime  des  fidèles  de  notre 
siège  auxquels  incombe  cette  élection,  et 
qui  ont  remis  leurs  droits  entre  nos  mains. 
Nous  sommes  dans  l'attente  de  votre  pré- 
sence (i). 

Les  évêques  ne  se  méprirent  guère  sur 
ks  intentions  de  Cyrille  VI,  mais  ils  se 
rendirent  à  Saint-Sauveur  pour  assister  au 
dénouement  de  cette  malheureuse  affaire. 
Trois  d'entre  eux,  cependant,  manquèrent 
à  l'appel  :  Maxime  Hakim,  d'Alep  ;  Atha- 
nase  Dahan,  de  Beyrouth,  et  Basile,  de 
Baâlbeck.  Ils  adressèrent  toutefois  au  pa- 
triarche des  lettres  pleines  de  respect,  et 
qui  exprimaient  le  dévouement  le  plus  filial. 
Ils  y  disaient  en  substance  :  «  Tant  que 
Votre  Béatitude  sera  en  vie,  nous  n'accep- 
tons et  ne  reconnaissons  d'autre  patriarche 
que  vous.  Que  si  vous  êtes  impuissant 
à  remplir  les  devoirs  de  la  charge  patriar- 
cale, vous  avez  tout  loisir  de  vous  donner 
un  procureur.  »  M?'"  Basile,  de  Baâlbeck, 
accentuait  encore  davantage  ses  exhorta- 
tions :  «  Il  est  hors  de  doute,  Monsei- 
gneur, que  Rome  n'arrive  à  connaître  ces 
désordres,  que  nous  le  voulions  ou  non. 
C'est  pourquoi  nous  le  notons  clairement, 
et  nous  le  disons  hautement,  nous  ne 
voudrions  nullement  élire  un  autre  pa- 
triarche tant  que  Votre  Béatitude  sera  en 
vie,  et  nous  rejetterons  de  même  celui 
qui  chercherait  à  usurper  votre  dignité  (2). 

Mg''  Maxime  Hakim,  qui,  lui,  avait  en- 
voyé un  procureur  à  Saint-Sauveur  en  la 
personne  du  P.  Ignace  Jarbou',  voulut 
tenter  encore  un  dernier  effort.  «  Nous 
devons,  avait-il  coutum^e  de  répéter  sou- 
vent, non  seulement  refuser  notre  consen- 
tement au  mal,  mais  encore  .exhorter  le 


(i)  Cité  parle  P.  Adam  (Relation,  p.  12),  qui  ne 
n.OHSi  fait  pas  davantage  connaître  les  noms  de  ces 
«  fidèles  de  notre  siège  auxquels  incombe  cette 
élection  patriarcale  ».  Mais  il  est  clair  qu'il  s'agit 
des  Damasquins  qui,  seuls,  avaient  élu  Cyrille  VI 
en  1724.  Pour  les  gagner  de  nouveau  à  ses  vues, 
le  vie«x,  patriarche  leur  attribuait  ce  privilège  in- 
signe sans  autre  forme  de  procès.  Mais  les  temps 
étaient  cliangés,  et  l'élection  du  patriarche  reve- 
nait de  droit  aux  évêques  et  non  aux  laïques. 

(2)  Cité  par  le  P.  Adam,  Relation,  p.  12. 


coupable  pour  l'empêcher  de  le  commettre. 
Et  si  nous,  évêques,  nous  nous  taisons 
lorsqu'il  importe  de  parler  et  de  défendre 
la  vérité,  qui  donc  le  fera?  Les  commer- 
çants qui  sont  absorbés  dans  leurs  affaires 
temporelles,  ou  bien  les  paysans  écrasés 
sous  le  poids  de  leurs  pénibles  travaux  ?  (  i  ) 
«  Là-dessus,  nous  rapporte  le  P.  Michel 
Adam,  il  adressa  au  patriarche  une  lettre 
qui  mériterait  d'être  mise  au  rang  de  celles 
des  Pères  des  premiers  conciles  œcumé- 
niques. » 

L'amour  et  le  dévouement  que  je  porte 
à  Votre  Béatitude  m'ont  poussé  à  vous 
écrire  ces  lignes.  Nous  sommes  tous  soli- 
daires dans  l'administration  de  l'Eglise  du 
Christ,  où  le  Saint-Esprit  nous  a  établis 
pasieurs.  Par  suite,  iî  importe  que  nous 
soyons  un  même  esprit  et  un  même  cœur 
sous  votre  direction  expérimentée,  vous 
qui  êtes  notre  chef  et  la  perle  de  notre 
couronne. 

Puis  il  prouve  avec  douceur  à  Cyrille  VI 
que  l'élection  d'un  nouveau  patriarche 
incombe  aux  évêques  et  non  aux  laïques. 
11  lui  cite  les  passages  péremptoires  du 
IVe  concile  de  Latran  aux  chapitres  xxiv  et 
xxv,  du  concile  d'Antioche  au  canon  XXIII, 
de  celui  de  Laodicée  au  canon  XHI,  enfin 
du  premier  canon  des  apôtres.  En  même 
temps,  il  lui  donne  à  entendre  qu'il  ne  lui 
est  guère  loisible  de  se  démettre  en  faveur 
de  son  petit-neveU,  car  le  sacerdoce  du 
Christ  ne  se  transmet  point  par  voie  d'héri- 
tage. H  lui  représente  longuement  tous  les 
désordres  qui  naîtraient  d'une  pareille  con- 
duite, tant  parmi  les  évêques  et  les  fidèles 
que  dans  tous  les  milieux  européens  où 
pénétrera  cette  malheureuse  nouvelle,  et 
il  suppfie  humblement  le  patriarche  de  ne 
pas  donner  suite  à  une  décision  blâmable 
et  peu  canonique  (2). 

Cyrille  VI  fit  une  réponse  ironique, 
presque  insultante,  aux  bonnes  paroles 
de  l'archevêque  d'Alep  ; 

J'ai  reçu  votre  longue  lettre,  qui  m'a 
paru  pour  le  moins  insignifiante.  Je  pen- 

(i)  Ibid.,  p.  i3. 

(i)  Cité  in  extenso  par  le  P.  Adam,  Relation, 
p.  13-19. 


UNE    PERIODE    TROUBLEE    DE    L  HISTOIRE    DE    L  EGLISE    MELKITE 


341 


sais  que  tous  m'envoyiez  la  dîme  de  votre 
diocèse,  je  n'y  ai  rien  trouvé,  etc.  (i). 

Enfin,  Mgi"  Athanase  Dahan  imagina  un 
dernier  moyen  de  salut.  Les  exhortations 
épiistolaires  étant  impuissantes  à  agir  sur 
le  vieux  patriarche,  il  eut  recours  aux 
conseils  personnels.  11  écrivit  longuement 
à  ce  sujet  aux  trois  supérieurs  des  mis- 
sionnaires latins  en  résidence  à  Saida,  Ca- 
pucins, Franciscains  etjésuites,  et  les  invita 
à  se  rendre  à  Déir  el  Moukhallès  afin  de 
dissuader  le  patriarche  et  de  le  convaincre 
au  moins  de  recourir  à  Rome  en  pareille 
circonstance,  pour  en  obtenir  une  direction 
autorisée.  Les  missionnaires  n'eurent  pas 
de  peine  à  montrer  à  Cyrille  VI  tout  lodieux 
de  sa  conduite,  et  ils  le  persuadèrent  d'en 
référer  immédiatement  à  Rome,  ce  que  le 
patriarche  leur  promit  avec  force  compli- 
ments pour  leur  zèle  et  leur  charité.  Séance 
tenante  ils  lui  dressèrent  une  formule  de 
requête  destinée  à  la  Proj)agande,  et  ils 
rentrèrent  à  Saïda.  Mais  Cyrille  VI  se  garda 
bien  d'informer  Rome,  et  l'affaire  continua 
d'aller  de  mal  en  pis  (2). 


Revenons  maintenant  aux  évêques  qui 
avaient  répondu  à  l'appel  patriarcal.  A 
Déir  el  Moukhallès,  le  synode  électoral 
s'ouvrit  au  mois  d'août  1759.  Le  patriarche 
se  montra  tout  d'abord  plein  de  sollicitude 
pour  les  prélats  et  leurs  diocèses;  il  s'in- 
téressa beaucoup  aux  nouvelles  qu'ils  lui 
en  donnèrent;  puis  il  leur  déclara  bien 
simplement  son  impuissance  à  adminis- 
trer davantage  le  patriarcat  d'Antioche, 
vu  son  âge  avancé  et  les  maladies  nom- 
breuses qui  l'accablaient.  Enfin,  il  leur 
présenta  le  P.  Ignace  Jauhar  comme  devant 
lui  succéder  sur  le  siège  patriarcal.  En 
même  temps,  Cyrille  déclara  aux  évêques 
qu'il  se  démettait  en  sa  faveur,  et  il  les 
pria  de  le  sacrer  de  son  vivant,  en  le  re- 
connaissant patriarche  légitime  d'Antioche. 

A  cette  déclaration,  tous  les  évêques  se 

0)  Relation  du  P.  Adam,  p.  20;  Relation  ano- 
nyme, p.  16. 

{z)  Relation  du  P.  Adai»,  p.  20-21;  Réfutation, 
p.  12. 


récrièrent.  Ils  essayèrent  en  vain  de  faire 
entendre  raison  au  patriarche.  On  dut 
lever  la  séance,  non  sans  force  propos  peu 
courtois  de  part  et  d'autre,  et  les  évêques 
Fentrèrent  dans  leurs  diocèses  respectifs, 
à  l'exception  de  deux  prélats  qui  avaient 
absolument  besoin  du  patriarche  pour  ne 
pas  mourir  de  faim  :  M?f  Euthyme  Ma'- 
louli,  évèque  de  Fourzol,  et  }As'-  Clément 
Sàfàdi,  évêque  de  Saidania  et  Bélad-Sâfâd» 
Ces  deux  prélats,  qui  n'avaient  pas  de  ré- 
sidence fixe,  et  dont  les  diocèses  étaient 
dans  un  état  de  pauvreté  extrême,  se  te- 
naient sans  cesse  aux  côtés  de  Cyrille 
pour  lui  mendier  quelque  village  plus 
populeux  et  plus  prospère,  capable  de 
subvenir  à  leurs  besoins  les  plus  indis- 
pensables. Cyrille  les  tenait  ainsi  sous  sa 
main,  et,  suivant  ses  caprices,  tantôt  il  les 
gratifiait  de  certains  diocèses  qui  relevaient 
directement  de  lui,  tantôt  il  les  leur  reti- 
rait, sans  autre  forme  de  procès-.  Ces  deux 
pauvres  prélats  étaient  donc  pris  ainsi  par 
la  famine.  Le  patriarche  se  rendit  vite 
compte  qu'il  pouvait  fout  obtenir  de  leur 
faiblesse;  il  gratifia  le  premier  du  titre 
pompeux  de  «  vicaire  général  patriarcal 
d'Antioclie  et  de  tout  l'Orient  »;  il  donna 
au  second  certains  villages  plus  populeux, 
et  qui  pouvaient  améliorer  sa  situation  pé- 
cuniaire (i). 

André  Fakhoury,  archevêque  de  Tyr, 
qui  faisait  partie  de  l'opposition  épisco- 
pale,  eut,  au  contraire,  un  bien  mauvais 
sort.  Le  patriarche  lui  interdit  de  porter 
la  mitre  aux  messes  pontificales  célébrées 
dans  son  diocèse  même.  Voici  le  singu- 
lier motif  qu'il  alléguait  : 

L'archevêque  de  Tyr  n'était  honoré  de 
la  mitre  qu'aux  anciens  jours  de  prospérité 
durant  lesquels  cette  ville  dominait  tofutes 
celles  des  alentours,  et.  par  suite,  était 
tenue  en  grande  considération.  Mais  au- 
jourd'hui elle  est  un  amas  de  ruines  et  si 
peu  peuplée,  qu'un  simple  prêtre  suffit  à 
administrer  les  tidèles  qui  y  vivent.  C'est 
pourquoi  elle  a  été  longtemps  rattachée  au 


(i)  Relation   du    P.   Adam,   p.   22;  Réfuiâtion, 
p.  14. 


348 


ÉCHOS    D  ORIENT 


diocèse  de  Saïda,  et  elle  relevait  de  l'évêque 
de  cette  cité.  Il  n'est  donc  plus  permis  à 
son  archevêque  de  porter  la  mitre  à  la  sainte 
messe  (i). 

En  même  temps  que  cette  lettre  adressée 
à  ce  pauvre  archevêque,  Cyrille  VI  en  en- 
voyait une  autre  à  un  notable  laïque  de 
Saint-Jean-d'Acre  : 

Nous  avons  ordonné,  y  disait-il,  à  notre 
frère  Macaire  de  ne  plus  se  rendre  à  Saint- 
Jean-d'Acre,  nous  basant  sur  ce  décret  des 
canons  apostoliques  :  Tout  évêque  qui  aban- 
donnerait son  troupeau,'  ses  oeuvres  spiri- 
tuelles, son  diocèse  et  tout  ce  qui  a  trait  à 
l'administration  de  son  Eglise,  même  en 
cas  de  nécessité  urgente,  sera  rejeté.  D'autre 
part,  il  a  pris  possession  du  diocèse  de 
Saint-Jean-d'Acre  à  notre  insu  et  sans  notre 
consentement.  Or,  à  cause  de  cette  conduite 
insolente,  nous  ordonnons,  par  la  force  de 
la  parole  divine,  que  le  dit  prélat  n'exerce 
plus  aucune  juridiction  dans  le  diocèse  de 
Saint-Jean-d'Acre  (2). 

Comme  on  le  voit,  Cyrille  VI  agissait 
par  esprit  de  vengeance,  et  nullement 
par  esprit  apostolique.  Les  diverses  lettres 
délivrées  par  les  évêques  de  Saïda  et  de 
Tyr,  et  par  le  P.  Michel  'Arraj  lui-même, 
en  faveur  de  l'évêque  de  Saint-Jean-d'Acre, 
le  déclarent  d'ailleurs  assez  hautement  (3). 
Ces  deux  prélats,  ainsi  persécutés  par 
leur  patriarche  lui-même,  ne  tinrent  aucun 
compte  de  ces  moments  d'humeur.  Cy- 
rille n'en  devint  que  plus  irrité.  En  somme, 
il  ne  rencontrait  qu'opposition  et  que  ré- 
sistance partout  où  il  s'adressait.  Les 
évêques  d'un  côté,  les  missionnaires  la- 
tins de  l'autre;  à  ceux-ci  se  joignaient  les 
membres  du  clergé  les  plus  instruits,  tels 
que  le  P.  Joseph  Babils,  le  P.  Michel 
Adam  lui-même;  son  cousin,  le  P.  Pierre 
Adam,  et  d'autres  encore;  les  notables 
damasquins  et  plusieurs  religieux  de  Saint- 
Sauveur  rangés  sous  les  ordres  de  leurs 
supérieurs  majeurs.  Enfin,  à  bout  de  res- 
sources, le  patriarche  vint  frapper  à  une 
dernière   porte   qui,   cette   fois,   s'ouvrit 


(i)  Cité  parlé  P.  Adam,  Relation,  p.  22 

(2)  Ibid. 

(i)  Relation  du  P.  Adam,  p.  22-23. 


toute  grande  devant  lui.  Ecoutons  le  récit 
ironique  du  P.  Michel  Adam  : 

M»'  le  patriarche  ne  vit  le  moyen  de 
vaincre  toutes  ces  résistances  qu'en  recou- 
rant aux  lumières  du  très  vénéré  P.  Jean 
'Ajéimi Or,  ce  Père  vénéré,  qui  com- 
battait naguère  les  prétentions  patriarcales, 
devint  maintenant  le  plus  acharné  à  les 
xiéfendre  et  à  les  faire  mettre  en  action.  Il 
était  déjà  directeur  spirituel  du  P.  Ignace 
Jauhar;  le  patriarche  l'investit  des  pouvoirs 
les  plui  étendus,  lui  enjoignant  de  mener 
à  bonne  fin  cette  malheureuse  affaire  en 
faisant  usage  de  tous  les  moyens  qu'il 
jugerait  opportuns.  Et  le  P.  'Ajéimi,  jeune, 
plein  de  fougue,  téméraire  à  l'excès,  ne 
craignit  pas  de  prêter  le  dos  à  ce  pesant 
fardeau (i) 

Le  premier  méfait  du  P.  Jean  'Ajéimi 
fut  d'amener  le  patriarche  à  sacrer  de  nou- 
veaux évêques  avec  des  titulatures  vieillies 
et  qui  n'existaient  plus.  Comme  tous  les 
prélats,  deux  seulement  exceptés,  formaient 
un  parti  puissant  contre  les  prétentions 
du  patriarche,  celui-ci  devait  songer  à  con- 
solider le  sien  pour  lutter  contre  eux  avec 
des  forces  égales.  Tel  fut  le  premier  argu- 
ment ou  plutôt  le  premier  conseil  de  ce 
mentor  expérimenté.  Dans  un  pauvre  vil- 
lage, non  loin  de  Saint-Jean-d'Acre,  vivait 
alors  un  prêtre  indigent  nommé  le  P.  Marc 
El-'lkki,  veuf,  père  de  famille  et  criblé 
de  dettes  (2).  Sans  perdre  de  temps,  le 
P.  'Ajéimi  se  présente  à  Saint-Jean-d'Acre, 
met  ordre  aux  affaires  de  ce  pauvre  prêtre 
et  lui  offre  l'épiscopat,  mais  à  la  condition 
qu'il  se  déclare  pleinement  soumis  aux 
directions  patriarcales  touchant  l'élection 
du  P.  Ignace  Jauhar.  «  Je  ne  demande  pas 
mieux,  répondit  ce  malheureux,  pourvu 
que  le  patriarche  veuille  s'engager  à  me 
fournir  de  quoi  subvenir  à  ma  subsistance 
et  à  payer  toutes  mes  dettes.  » 

Aussitôt  dit,  aussitôt  fait.  Tous  deux 
rentrent  à  Déir  ei  Moukhallès,  et  le  len- 
demain même  Cyrille  VI,  avec  l'assistance 
du  seul  évêque  de  Fourzol,  sacre  le  P.  Marc 


(i)  Relation,  p.  28. 

(2)  Le  P.  Marc  El-'Ikki  était  originaire  de  Sain'. 
Jean-d'Acre.  Son  vrai  nom  était  Marc  Sallal. 


UNE   PÉRIODE    TROUBLEE   D2   L  HISTOIRE   DE    L  EGLISE   MELKITE 


349 


El-'Ikki  évêque  de  Panéas  (i).  Le  nouveau 
prélat  prit  le  nom  de  Maxime  et  demeura 
aux  cotés  du  patriarche  à  Saint-Sauveur. 
Avec  lui,  les  évêques  dévoués  à  Cyrille 
furent  au  nombre  de  trois.  On  offrit  l'épi- 
scopat  à  d'autres  prêtres  de  cette  trempe, 
mais  ceux-ci  opposèrent  un  refus  formel. 

Le  P.  J.  'Ajéimi  résolut  alors  de  diviser 
les  évêques  unis,  pour  en  être  le  maître. 

Il  s'adressa  tout  dabord  à  son  oncle, 
Mgr  Macaire.  Celui-ci  venait  d'être  évincé 
de  son  siège  de  Saint-Jean-d'Acre  par 
Cyrille  lui-même.  Le  P.  'Ajéimi  n'eut  pas 
de  peine  à  le  réconcilier  avec  le  patriarche; 
il  lui  persuada  même  de  se  démettre  du 
siège  de  Damas,  dont  il  était  L-  titulaire, 
en  faveur  de  Cyrille,  et  il  lui  obtint  de  ce 
dernier  l'autorisation  de  résider  à  Saint- 
Jean-d'Acre  et  d'administrer  définitivement 
ce  diocèse.  Le  pauvre  prélat  était  ainsi  au 
comble  de  ses  vœux,  mais  cela  lui  avait 
coûté  cher,  car  il  ne  l'obtenait  qu'après 
avoir  vendu  sa  conscience  au  patriarche. 

Moyennant  les  mêmes  conditions,  le 
P.  'Ajéimi  avait  aussi  triomphé  de  la  ré- 
sistance de  l'archevêque  de  Ty r  :  il  le  récon- 
cilia avec  Cyrille  et  lui  obtint  l'autorisation 
de  porter  la  mitre  dans  son  diocèse,  comme 
par  le  passé  (2). 

Sur  ces  entrefaites,  Mê''  Ignace,  arche- 
vêque de  Homs,  arriva  tout  à  coup  à  Déir 
el  Moukhallès.  Il  était  toujours  opposé 
aux  empiétements  du  patriarche;  mais  la 
faim  et  une  pauvreté  extrême  eurent,  cette 
fois,  raison  de  ses  résistances.  11  y  venait 
pour  demander  à  Cyrille  un  TTà-r-z/ov  ré- 
gulier, signé  et  scellé  par  lui,  l'autorisant 
à  faire  des  quêtes  en  faveur  de  son  dio- 
cèse. Le  patriarche  vit  là  une  bonne  au- 
baine; il  le  lui  promit  avec  force  paroles 
doucereuses,  mais  sous  les  conditions  que 

(i,  Relation  du  P.  Adam,  p.  23.  A  ce  propos,  le 
P.  Adam  fait  un  jeu  de  mots  ironique  à  l'adresse 
de  Cyrille  VI  :  «  Il  le  sacra  évêque  de  Panéas,  ville 
Qii  il  n'y  a  pas  de  monde.  Rasamahou  moutran  'ala 
Banias  allati  hi  madinat  bila  nass.  » 

(2)  Relation  du  P.  Adam,  p.  23-24;  Relation  ano- 
nyme, p.  19;  Lettre  de  Cyrille  VI,  mars  1759; 
Lettres  diverses  de  Macaire  'Ajéimi,  de  André 
Fakkoury,  de  Tyr,  et  de  Maxime  Sallal,  toutes  citées 
par  le  P.  Adam,  qui  en  possédait,  dit-il,  les  origi- 
naux. 


l'on  devine.  Craintif  et  ignorant,  l'arche- 
vêque de  Homs  eut  recours  aux  lumières 
d'un  saint  religieux  de  Saint-Sauveur,  qui 
lui  déclara  ouvertement  que  ce  qu'il  allait 
faire  là  était  un  acte  de  simonie  des  plus 
blâmables.  Mg^"  Ignace  résolut  dès  lors  de 
s'esquiver,  après  avoir  obtenu  son  TTâT'.x.ov, 
en  se  donnant  un  procureur  auquel  il 
confierait  des  instructions  secrètes  con- 
traires aux  volontés  patriarcales.  Mais  la 
vigilance  excessive  que  le  P.  'Ajéimi 
exerçait  sur  les  évêques  à  Déir  el  Mou- 
khallès ne  lui  permit  guère  de  mettre  à 
exécution  ses  projets  mystérieux,  et  il  dut 
céder  comme  tous  les  autres  (i). 

Ainsi  le  camp  patriarcal  comptait  six 
opposants  contre  quatre  prélats  seulement 
qui  demeuraient  fidèles  à  leur  entente 
primitive.  Cyrille  jubilait.  Fort  de  ce 
nombre,  il  se  hâta  de  convoquer  un  se- 
cond synode  électoral  à  Saint-Sauveur. 
Cette  fois,  tous  les  évêques  du  patriarcat 
étaient  tenus  de  s'y  présenter  «  au  nom 
de  la  sainte  obéissance  et  par  la  force  de 
notre  autorité  apostolique  »,  disait  le  pa- 
triarche. En  même  temps,  Cyrille  décla- 
rait sauvegarder  toute  la  liberté  des  pré- 
lats touchant  les  délibérations  du  synode. 

Dans  l'intention  de  se  rendre  à  la  voix 
de  la  sainte  obéissance,  pour  se  procurer 
aussi  le  loisir  d'exhorter  de  près  Sa  Béati- 
tude, et  enfin  pour  ne  point  paraître  sacri- 
fier leurs  droits  à  l'élection,  en  cas  d'une 
absence  intéressée,  les  évêques  fidèles  se 
présentèrent  cette  fois  à  Saint-Sauveur, 
à  l'exception  du  vieil  archevêque  d'Alep, 
qui,  accablé  par  la  maladie,  dut  y  envoyer 
encore  le  P.  Ignace  Jarbou'  en  qualité  de 
procureur. 

On  était  au  mois  de  septembre  1739. 
A  l'ouverture  du  synode,  Mg""  Athanase 
Dahan  exhorta  vivement  le  patriarche  à 
ne  pas  donner  suite  à  ses  prétentions 
anticanoniques;  les  évêques  fidèles  se 
joignirent  à  lui,  mais  en  vain.  Tous  leurs 
conseils,  ajoute  le  P.  Adam,  faisaient  sur 
le  patriarche  l'effet  d'un  souffle  qui  passe 
et  auquel  personne   ne   prête  attention. 

(1)  Relation  du  P.  Adam,  p.  24-25. 


350 


ÉCHOS    d'orient 


Cependant,  on  ne  fut  pas  peu  surpris 
de  voir  que  les  deux  évêques  de  Tyr  et  de 
Saint-Jean-d'Acre  s'étaient  abstenus  d'as- 
sister au  synode,  infidèles  à  leurs  pro- 
messes, ils  avaient  sacrifié  l'honneur  de 
leurconscience  à  de  viles  faveurs  iiunnaines; 
et,  honteux  de  paraître  en  présence  de 
leurs  collègues  fidèles,  ils  s'étaient  adroi- 
tement esquivés  en  ayant  soin  de  se  faire 
remplacer  par  deux  procureurs  qui  furent 
malheureusement  à  la  dévotion  du  P.  Jean 
'Ajéimi  (i). 

Lesprélats  fidèles  pressèrent  le  patriarche 
d'informer  le  Saint-Siège  de  toutes  ces 
mesures,  qu'il  voulait  mettre  à  exécution. 
«  Ayant  été  confirmé  par  le  Souverain 
Pontife,  leur  dirent-ils,  vous  ne  sauriez 
vous  démettre  du  patriarcat  qu'avec  l'as- 
sentiment exprès  du  Vicaire  de  Jésus- 
Christ.  »  C'était  parfaitement  conforme 
aux  saints  canons  j  M?»"  Basile  Jelghaf,  le 
P.  Joseph  Babila,  le  P.  Victor,  Capucin, 
de  Saida,  le  P.  Siméon  Sabbâgh,  et  même 
le  P.  Michel  Adam,  avaient  pleinement 
mis  en  lumière  cette  saine  doctrine  dans 
de  longues  et  doctes  dissertations.  Huit 
autres  missionnaires  latins  de  Saïda  avaient 
composé  sur  ce  sujet  des  écrits  solides  et 
remplis  de  citations  patristiques  (2). 

Le  P.  Jean  'Ajéimi,  battu  et  forcé  de  se 
rendre,  ne  trouva  rien  de  mieux  que  d'op- 
poser à  tous  ces  enseignements  de  la 
sainte  Eglise  une  formelle  négafion  gra- 
tuite. Le  lendemain,  il  présentait  aux  Pères 
une  pileuse  dissertation,  qu'il  venait  d'éla- 
borer la  nuit  précédente,  relatant  des  faits 
soi-disant  historiques  —  mais  en  réalité 
absolument  faux  —  d'après  lesquels,  di- 
sait-il, des  évêques  ont  changé  de  siège 
avant  même  qu'on  ait  informé  le  Souve- 
rain Pontife.  Ce  qui  —  abstraction  faite 
d'autres  absurdités  historiques  —  était 
complètement  différent  du  cas  en  litige 
où  un  patriarche  soumis  à  Rome,  et  con- 
firmé par  le  Saint-Siège,  voulait  abdiquer 
le  patriarcat  en  faveur  de  son  petit-neveu. 
Aussi,  le  P.  Joseph  Babila,   présent  à  la 


(i)  Relation  du  P.  Adam,  p.  25. 
(2)  Ibid.,  p.  25-26. 


séance,  fit-il  bonne  justice  de  toutes  ces 
erreurs  le  jour  même,  et  en  présence  du 
patriarche.  11  réfuta  une  seconde  fois  ces 
mêmes  absurdités  dans  son  ouvrage  inti- 
tulé :  Réfutation  des  prétentions  absurdes 
du  P.  Jean  'Ajéimi,  par  lesquelles  il  essaye 
de  prouver  la  licéité  des  événements  qui  se 
sont  passés  touchant  l'élection  de  l'Intrus,  et 
de  justifier  celle-ci  de  tout  défaut.  L'ou- 
vrage est  présenté  sous  une  forme  épi- 
stolaire,  et  il  procède  par  questions  et 
réponses.  Nous  n'avons  pas  eu  la  bonne 
fortune  de  l'avoir  entre  les  mains,  nous 
nous  rendons  d'ailleurs  au  jugement  au- 
torisé qu'en  porte  le  P.  Michel  Adam, 
qui,  lui,  en  a  fait  une  étude  approfondie. 
11  nous  affirme  que  l'exposition  en  est 
claire,  les  preuves  péremptoires  et  en 
harmonie  parfaite  avec  les  données  de 
l'histoire  ecclésiastique  (i). 

Finalement,  le  triomphe  allait  être  pour 
les  évêques  fidèles,  lorsqu'un  furieux 
s'écria  en  pleine  assemblée  :  «  Voulez- 
vous  donc  laisser  traîner  les  choses  en 
longueur?  »  C'était  le  malheureux  évêque 
de  Panéas,  qui,  par  une  audace  incroyable, 
faisait  preuve  de  dévouement  au  patriarche 
et  tenait  à  presser  enfin  le  scrutin. 
Mg""  Athanase  Dahan  lui  fit  observer  en 
toute  douceur  que  des  mesures  si  graves 
requièrent  de  longues  délibérations,  car 
elles  doivent  être  minutieusement  exami- 
nées autribunal  du  Saint-Siège  apostolique: 
«  Sans  ces  précautions,  nous  paraîtrions 
tous  ignorer  les  saints  canons  et  les  lois 
qui  président  aux  élections.  »  Cette  ré- 
ponse lui  attira  les  injures  d'un  second 
furieux  qui  lui  cria  :  «  Taisez-vous,  taisez- 
vous!  quel  est  celui  d'entre  vous  qui  se 
pique  d'avoir  été  élu  d'une  manière  cano- 
nique et  régulière,  pour  que  vous  l'exigiez 
à  cette  heure?  »  En  vérité,  cette  riposte 
était  bien  peu  courtoise  à  l'adresse  des  pré- 
lats et  du  patriarche  lui-même.  Mg»"  Ignace, 
archevêque  de  Homs,  qui  la  proférait,  ne 
faisait  pas  preuve  d'une  grande  charité  à 
l'endroit  de  ses  vénérés  collègues,  tout  en 
se  dévouant,  corps  et  âme,  à  la  cause  de 

(i)  Relation  du  P.  Adam,  p.  28. 


UNE    PÉRIODE    TROUBLÉE    DE    l'hISTOIRE    DE    L'ÉGLISE    MELKITE 


35' 


Cyrille  Thanas.  On  se  rappelle  cependant 
qu'il  avait  résisté,  trois  jours  durant,  aux 
prétentions  de  ce  dernier,  et  que  la  faim 
seule  avait  pu  triompher  de  ses  résistances. 

Le  synode  électoral  allait  prendre  une 
tournure  aiguë.  Les  six  évêques  dévoués 
au  patriarche  étaient  décidés  à  tout  entre- 
prendre pour  le  triomphe  de  leur  cause; 
les  quatre  évêques  fidèles  demeuraient 
toujours  foncièrement  unis  dans  leur  op- 
position. Après  avoir  épuisé  toutes  les 
ressources  dont  ils  étaient  capables,  ils 
protestèrent  en  interjetant  appel  à  Rome. 
Met-  Athanase  Dahan  se  leva  en  pleine 
assemblée  et  fit  la  déclaration  suivante  : 
«  Puisque  vous  ne  tenez  nullement  à  ré- 
férer toutes  ces  affaires  au  Saint-Siège 
apostolique  pour  lui  demander  une  direc- 
tion sûre  et  autorisée,  mais  que  vous  dé- 
sirez tout  exécuter  suivant  vos  caprices, 
nous  souhaitons,  nous  autres,  porter  ce 
litige  à  son  tribunal  suprême  et  en  at- 
tendre les  ordres.  Dès  cette  heure,  nous 
faisons  appel  à  Rome  et  nous  vous  en  re- 
mettons de  suite  un  acte  canonique.  Telle 
est  la  ligne  de  conduite  que  nous  avons 
adoptée.  Au  revoir!  »  (i) 

Là-dessus  on  leva  la  séance^  et  les 
quatre  évêques  fidèles  se  hâtèrent  de  re- 
gagner leurs  diocèses.  Chemin  faisant,  ils 
reçurent  une  lettre  de  Saint-Sauveur  por- 
tant les  signatures  du  patriarche  et  des 
six  prélats  qui  les  priaient  de  revenir.  Mais 
ils  continuèrent  leur  route  sans  y  prêter 
la  moindre  attention  (2). 

*  « 

A  Déir  el  Moukhallès  cependant,  cette 
conduite  excessivement  prudente  donna 
à  réfléchir.  Cyrille  VI  demeura  stupéfait; 
il  savait  bien  qu'un  appel  de  ce  genre  lui 
liait  les  bras  et  que  tout  acte  postérieur 
était  par  le   fait  même  frappé  de  nullité. 

Mais  qui  arrêterait  le  P.  'Ajéimi  dans 


(i)  Relation  du  P.  Adam,  p.  3o. 

{2)  Lettres  des  Salvatoriens  aux  évêques  fidèles, 
septembre  ijSg;  longue  Dissertation  schismatique 
des  Salvatori.ns,  magistralement  réfutée  par  le 
P.  Michel  Adam,  p.  18;  Lettre  de  M*"  Dahan,  de 
Beyrouth,  septembre  1769;  Lettres  de  M«'  Maxime 
Saiial  et  de  M"  Ignace  de  Homs  aux  évêques  fidèles, 
en  176O. 


ses  débordements?  Deux  jours  seulement 

après  le  départ  des  prélats  fidèles,  il  réunit 
les  six  évêques  du  parti  de  Jauhar  dans  la 
grande  chapelle  de  Saint-Sauveur,  sous  la 
présidence  du  patriarche;  il  les  harangue 
avec  chaleur  et  les  fait  procéder  à  un 
scrutin  soi-disant  canonique, 

Cyrille  VI,  qui  avait  abdiqué  le  patriarcat 
et,  par  suite,  ne  pouvait  prétendre  à  au- 
cune voix  active  ou  passive,  résolut  cepen- 
dant de  prendre  part  à  cette  élection. 
Dans  la  crainte  de  quelque  défection  de 
la  part  des  six  prélats  qui  lui  étaient  dé- 
voués, il  tint  à  émettre  un  double  vote 
en  faveur  de  son  petit-neveu.  De  cette 
façon,  le  scrutin  recueillit  huit  voix,  toutes 
sans  exception  pour  le  P.  Ignace  jauhar, 
qui  fut  immédiatement  proda.mé patriarcbe 
d'Antiocbe  et  de  tout  l'Orient.  Le  lende- 
main, au  début  d'une  messe  pontificale 
solennelle,  Cyrille  Thanas,  assisté  de 
M&r  Ignace  de  Homs  et  de  Mgi  Euthyme 
de  Fourzol,  conférait  l'épiscopat  à  l'intrus 
et  lui  remettait  la  crosse  patriarcale  en 
présence  des  religieux  de  Saint-Sauveur 
et  d'une  afiliuence  considérable  (1). 

On  était  dans  les  premiers  jours  d'oc- 
tobre 1739.  Les  quatre  évêques  fidèles  se 
hâtèrent  de  dresser  un  long  procès-verbal 
de  tous  ces  événements  et  de  l'envoyer 
à  Rome  par  l'entremise  du  P.  Simaân  Sab- 
bâgh.  Les  communications  avec  l'étranger 
n'étaient  pas  alors  aussi  faciles  que  de 
nos  jours.  Le  P.  Sabbâgh  dut  passer  trois 
longs  mois  en  chemin  avant  d'arriver  à 
la  Ville  éternelle.  Le  vieux  patriarche  Cy- 
rille VI  était  mort  le  \^^  janvier  1760;  les 
Annales  de  Chouéir  (2)  nous  disent  laco- 
niquement qu'il  fit  une  bonne  mort  â  Déir 
el  Moukhallès.  Plaise  à  Dieu  que  cette  in- 
dication soit  vraie  après  les  tristes  événe- 
ments que  nous  venons  de  raconter! 

Paul  Bacel, 

prêtre  de  rite  grec. 
Syrie. 

(1)  Tous  ces  détails  nous  sont  très  exactement 
fournis  par  la  Relation  du  P.  Michel  Adam,  ainsi 
que  par  \qs  Lettres  de  Maxime  Sali  il  et  du  P.  Ar- 
sène Caramé  au  patriarche  Maxime  II  Hakim, 
lettres  dont  le  P.  Adam  possédait  les  originaux. 

(2)  Annales,  t.  I",  cahier  XXVI,  p.  408. 


LES  RAPPORTS  DE    L'ÉGLISE    ET    DE   L'ÉTAT 
D'APRÈS    UN    CANONISTE    ORTHODOXE 


A  propos  d'une  courte  étude  sur  le 
divorce  dans  l'Eglise  orthodoxe,  nous 
émettions  le  vœu  qu'avant  d'apprécier  la 
doctrine  d'une  Eglise  petite  ou  grande, 
les  écrivains  se  renseignent  tout  d'abord 
d'une  manière  exacte  et  complète  sur  cette 
doctrine,  sous  peine  de  s'exposer  à  plus 
d'une  méprise  désagréable.  C'est  pour 
n'avoir  pas  été  assez  fidèle  à  cette  loi 
fondamentale  que  Mgr  Milasch  porte  sur 
la  doctrine  de  l'Eglise  romaine,  concer- 
nant la  fameuse  question  des  rapports  de 
l'Eglise  et  de  l'Etat,  un  jugement  inexact 
et  incomplet,  et  induit  ainsi  en  erreur,  à 
ce  sujet,  ses  nombreux  lecteurs  slaves, 
allemands  et  grecs  (i).  Nous  croyons  faire 
œuvre  utile  en  résumant  sommairement 
les  idées  du  prélat  et  en  les  rectifiant  et 
complétant  en  des  points  importants, 
d'après  les  principes  du  droit  occidental. 

1.  Comment  Mgr  Milasch  comprend 

LES    RAPPORTS    DE     l'EgLFSE    ET    DE    l'EtaT. 

Le  docte  prélat  consacre  à  cette  ques- 
tion capitale  trois  petits  articles  de  son 
manuel.  Le  premier  a  pour  objet  un 
aperçu  historique  de  ces  rapports  ;  le  second 
établit  les  droits  respectifs  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat,  et  le  troisième  traite  des  conditions 
modernes  dés  rapports  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat. 

I .  Aperçu  historique.  —  L'évêque  de 
Zara  pose  comme  principe  à  la  lumière 
duquel  il  apprécie  l'histoire  des  rapports 
de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  que  l'Eglise  orien- 
tale ne  prétend  revendiquer  à  i'égard  de 
l'Etat,  quelle  que  soit  la  forme  de  son  gou- 
vernement, qu'une  puissance  purement 
spirituelle.  Aussi,  ajoute-t-il,   quand,   en 


(i)  Le  manuel  de  W'  Milasch  a  été  traduit  du 
dalmate  en  allemand  et  en  grec,  et  sert  de  manuel 
de  droit  canonique  à  l'école  théo'ogique  de  Halki. 


vertu  de  sa  mission  de  salut,  elle  a  usé 
envers  le  chrétien  (sujet  ou  souverain) 
des  armes  spirituelles  dont  elle  dispose, 
il  ne  lui  reste  plus  qu'à  attendre  avec 
patience  les  résultats  de  son  intervention 
pacifique. 

Depuis  la  séparation  des  Eglises,  ajoute 
encore  le  prélat,  l'Eglise  romaine  professe 
une  doctrine  contraire  à  laquelle  sont  dus 
ses  divers  démêlés  avec  les  souverains 
d'Occident  (i).  Une  réaction  sérieuse  se 
produisit  dans  les  derniers  temps,  surtout 
sous  les  règnes  de  Louis  XIV,  Marie-Thé- 
rèse, Joseph  II,  et  donna  naissance  ^ugalli- 
canisme,  âufébronianisrne  et  SiUjosépbisme. 
Au  xvi*  siècle,  cette  réaction,  occasionnée 
par  le  protestantisme,  était  allée  jusqu'à 
reconnaître  la  légitimité  du  principe  émis 
par  les  réformés  allemands  :  cujus  regio, 
hujus  religio. 

C'est  vraisemblablement  pour  mettre  fin 
aux  luttes  très  vives  suscitées  par  les  par- 
tisans du  système  ultramontain  et  anti- 
ultramontain,  que  Cavour  proclama  (2)  le 
principe  moderne  de  l'Eglise  libre  dans 
l'Etat  libre. 

Vu  la  doctrine  adoptée  par  l'Eglise 
orientale  touchant  les  relations  de  l'Eglise 
et  de  l'Etat,  la  réaction  dont  nous  venons 
de  parler  et  la  maxime  erronée  de  Cavour 
sont  impossibles. 

Les  conflits  entre  l'Eglise  et  l'Etat  furent 
donc  rares  en  Orient,  et,  quand  ils  eurent 
lieu,  l'empiétement  provint  toujours  du 
côté  de  l'Etat  qui  exigeait  de  l'Eglise  une 


(1)  Nos  lecteurs  se  souviennent  que  ces  princi- 
paux démêlés  eurent  lieu  entre  Henri  IV  et  saint 
Gr('goire  VII,  entre  Piiilippele  Bel  et  Boniface  VIIF, 
Louis  V  de  Bavière  et  Jean  XXII,  Charles  VII  et 
Eugène  IV,  Louis  XIV  et  les  papes  Innocent  XI 
et  Innocent  XII,  enfin  Jos  ph  II  et  Pie  VI. 

(2)  Ou  plutôt  divulgua  et  propagea  :  car  l'auteur 
de  cette  formule  est  le  comte  D'  Montalembert,qui 
la  fit  graver  dans  sa  chapelle  de  Laroche-en-Breril, 
vers  1860. 


LES    RAPPORTS    DE    l'ÉGLISE    ET    DE    l'ÉTAT,    D'aFRÈS    LN    CANONISTE    ORTHODOXE       333 


chose  contraire  au  droit  ecclésiastique  ou 
opposée  à  la  constitution  même  de  l'Eglise, 
tels  le  (juatrième  mariage  de  Léon  VI  et 
l'union  avec  Rome  proclamée  par  Michel 
Paléologue.  MaUré  ces  quelques  conflits, 
l'Orient,  dans  son  ensemble,  n'en  vint 
jamais  à  la  négation  de  la  doctrine  tradi- 
tionnelle de  l'ancienne  Eglise,  spécialement 
en  ce  qui  a  trait  à  l'union  nécessaire  de 
l'Eglise  et  de  l'Etat.  A  ce  point  de  vue,  il  n'y 
eut  jamais  subordination  d'une  puissance 
àrautre,et  l'on  ne  sentit  nullement,  comme 
en  Occident,  le  besoin  de  concordats. 

2.  Droits  respectifs  de  l'Eglise  et  de  l'Etat. 
—  A.  Droits  exclusifs  de  l'Eglise.  Du  res- 
sort exclusif  de  l'Eglise  sont  :  a)  la  croyance 
et  la  morale  chrétienne;  b)  le  culte;  c)  les 
sacrements  au  point  de  vue  de  leur  carac- 
tère purement  ecclésiastique;  d)  l'admi- 
nistration intérieure  de  l'Eglise  ;  e)  l'admis- 
sion des  incroyants  ou  des  hétérodoxes 
dans  l'Eglise;  f)  l'admission  des  fidèles 
dans  le  clergé;  g)  l'admission  dans  le  mo- 
nachisme  et  l'inspection  des  monastères; 
h)  l'administration  des  biens  ecclésias- 
tiques; /)  la  justice  ecclésiastique:/)  enfin 
la  législation  interne  de  l'Eglise. 

B.  Droits  exclusifs  de  l'Etat.  De  la  com- 
pétence exclusive  de  l'Etat  sont  au  con- 
traire :  a)  les  causes  civiles  des  laïques  ou 
des  clercs;  b^  toutes  les  affaires  d'intérêt 
privé;  c)  la  violation  d'une  loi  civile;  d)  le 
jugement  des  actes  de  l'Eglise  s'ils  ont  des 
conséquences  civiles  et  politiques;  e)  le 
culte,  et  en  particulier  l'administration 
des  sacrements,  s'il  arrive  pareillement 
qu'ils  aient  des  conséquences  sociales  et 
politiques. 

C.  Droits  mixtes.  Aux  deux  autorités 
ressortissent  :  d)  la  délimitation  des  terri- 
toires ecclésiastiques  ;  b)  l'érection  des  évê- 
chés,  des  paroisses,  etc.  ;  c)  l'institution 
des  fêtes  chômées;  d)  la  construction  des 
églises,  cloîtres,  cimetières  et  établisse- 
ments ecclésiastiques,  quels  qu'ils  soient; 
e)  l'approbation  du  plan  de  ces  établisse- 
ments et  leur  conformité  aux  règles  de 
l'hygiène;  /)  les  écoles  confessionnelles 
au  point  de  vue  des  diplômes;  g)  la  pro- 
priété des  évêchés,  paroisses  et  églises; 


b)   la    tenue    des    registres    paroissiaux. 

L'influence  extraordinaire  que  l'Etat  or- 
thodoxe a  prise  sur  l'Eglise  en  des  ma- 
tières qui  ne  seraient  pas  en  rigueur  de 
sa  compétence  provient  d'une  concession 
bénévole  ou  d'une  tolérance  de  l'Eglise. 
Cette  concession  ou  tolérance  n'a  pas 
d'inconvénient  quand  elle  concerne  des 
gouvernements  pénétrés  de  l'esprit  chré- 
tien, comme  l'ont  toujours  ou  presque 
toujours  été  les  gouvernements  ortho- 
doxes, et  que  les  lois  ecclésiastiques  sont 
des  lois  de  l'Etat  au  même  titre  que  les 
lois  civiles. 

3.  Conditions  modernes  des  rapports  de 
l'Eglise  et  de  l'Etat.  —  L'Eglise  orthodoxe, 
dit  Mgr  Milasch,  continue  de  nos  jours  à 
professer  les  principes  exposés  ci-dessus 
et  à  s'y  conformer  dans  les  Etats  ortho- 
doxes. En  cela,  elle  continue  par  suite  à 
se  séparer  de  l'Eglise  catholique  romaine 
qui  tend  à  accorder  une  prépondérance 
excessive  à  l'Eglise  à  l'égard  de  l'Etat. 

S'il  s'agit  des  Etats  non  orthodoxes, 
les  rapports  de  l'Eglise  orientale  et  de 
l'Etat  sont  maintenus,  mais  réglés  en 
Turquie  par  les  divers  règlements  géné- 
raux de  l'Eglise  orthodoxe  élaborés  après 
la  Hatti-Humayoun  de  1856,  en  Autriche- 
Hongrie  et  ailleurs,  par  le  principe  de  la 
liberté  de  conscience  (i). 

11.  Rectifications  et  compléments. 

Ainsi  parle  l'auteur  du  Das  Kircbenrecht 
der  niorgenlaendiscben  Kircbe.  De  ^et  ex- 
posé, il  résulte  clairement  que  l'ingérence 
abusive  des  gouvernements  orthodoxes 
en  matière  ecclésiastique  est  toujours  ex- 
plicable en  droit  ou  en  fait.  En  outre,  le 
tort  de  l'auteur,  à  propos  de  la  fixation 
des  droits  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  est 
d'être  trop  imprécis  et  de  ne  pas  nous 
dire  s'il  admet  la  distinction  de  la  tbèse  et 
de  Vbypotbèse  si  nettement  formulée  dans 
le  droit  occidental. 

En  tbèse  ou  principe,   les  droits   qu'il 


(i)    Das  Kirchenrecht  der    morgenlaendischen 
Kirche,  Mostar,  igoS,  p.  696-717. 


354 


ÉCHOS    d'orient 


attribue  à  l'Etat  sont  opposés  à  l'autonomie 
et  à  la  perfection  de  l'Eglise  comme  so- 
ciété. Sur  ce  point,  comme  sur  beaucoup 
d'autres,  il  prend  le  contre-pied  du  cano- 
niste  Vering  dont  il  adopte  ici,  comme 
presque  partout  ailleurs,  le  programme 
et  même  la  méthode  didactique.  Ainsi, 
un  autre  droit  qu'il  reconnaît  à  l'Etat  et 
que  le  docteur  allemand  ne  lui  reconnaît 
pas  en  vertu  de  ses  principes,  est  celui 
de  fixer  à  chaque  religion  sa  position  et 
ses  droits  sociaux  (  i  ). 

Le  lecteur  a  pu  remarquer  ensuite  que 
M?'"  Milasch  ne  donne  pas  à  la  dénomi- 
nation de  questions  mixtes  le  même  sens 
que  les  canonistes  d'Occident  (2).  C'est 
à  propos  de  cette  doctrine  célèbre  que 
nous  voulons  rectifier  et  compléter  briè- 
vement l'enseignement  du  canoniste  dal- 
mate. 

Les  desiderata  que  nous  signalons  au 
sujet  de  cet  enseignement  proviennent 
de  ce  que  Mgr  Milasch  connaît  imparfai- 
tement la  doctrine  de  l'Eglise  qu'il  com- 
bat (3).  Cette  dernière  n'admet  pas  une 
dépendance  directe  et  totale  (4)  des  sou- 
verains à  l'égard  du  Pape,  à  tel  point  qu'ils 
en  seraient  de  simples  vassaux.  Leur  si- 
tuation vis-à-vis  du  Souverain  Pontife  est 
celle  de  tous  les  chrétiens  et  procède  du 
principe  énoncé  par  les  canonistes  et  théo- 
logiens orthodoxes  eux-mêmes  (3),  à  sa- 
voir que  le  pécheur,  quelle  que  soit  sa 
position  sociale,  est  soumis  au  pouvoir 
pénitentiel  de  l'Eglise  .en  cas  d'infraction 
à  la  loi  divine  ou  ecclésiastique,  en  sorte 
que  (6),   si   le   bien   de   ce  chrétien   (ou 


(i)  Op.  cit.,  p.  721. 

(2)  Il  n'emploie  pas  l'expression  de  questions 
mixtes,  mais  les  termes  de  droits  coynmuns,  de 
compétence  commune  sont  une  dénomination 
équivalente. 

(3)  Avec  courtoisie  toutefois.  Nous  rendons  d'au- 
tant plus  volontiers  hommage  à  cette  attitude 
digne  et  respectueuse,  qu'elle  est  plutôt  rare  chez 
les  écrivains  dissidents  d'Orient. 

(4)  In  jede  be^iehung  «  sous  tous  les  rapports  ». 
{Op.  cit.,  p.  699). 

(5)  M*' Milasch,  op.  cit.,  p.  702. 

(6)  L'auteur  du  Das  Kirchenrecht  der  morgen- 
laendischen  Kirche,  pas  plus  que  les  autres  cano- 
nistes orthodoxes,  ne  tirent  cette  conclusion  du 
principe  posé,  mais  elle  en  découle  très  logique- 


celui  de  la  communauté)  l'exige,  il  peut, 
tant  au  for  externe  qu'au  for  interne,  être 
obligé  de  sacrifier  sa  position  et  par  le 
fait  même  voir  les  fidèles  dégagés  de 
toute  sujétion  à  son  égard  s'il  était  leur 
supérieur. 

D'ailleurs,  ce  pouvoir  indirect  et  excep- 
tionnel ne  découle-t-il  pas  du  pouvoir 
d'excommunication?  Un  pécheur  soumis 
à  rà'^op'.(7;jLoç  li-éya;  et  mis  par  suite  au 
ban  de  la  société  chrétienne,  pourra-t-il  se 
maintenir  dans  sa  profession  d'avocat,  de 
médecin,  de  souverain,^  etc.? 

Le  pouvoir  dont  nous  parlons  est  ap- 
pelé indirect,  et  l'objet  qu'il  con^:erne  est 
dénommé  question  mixte,  parce  que,  d'une 
part,  la  juridiction  ecclésiastique  atteint 
une  matière  temporelle  d'une  manière 
indirecte,  c'est-à-dire  en  vertu  d'une  occa- 
sion prochaine  de  mal  moral  et  spirituel; 
de  l'autre,  parce  que  l'objet  de  cette  juri- 
diction est  à  la  fois  temporel  et  spirituel, 
et  dépend  de  deux  autorités,  mais  à  des 
points  de  vue  différents. 

Tel  est  le  principe  ou  la  thèse  de  l'Eglise 
romaine.  En  fait,  il  importe  de  se  sou- 
venir que,  jusque  vers  la  fin  du  moyen 
âge,  l'empire  romain  s'était  reconstitué 
en  Occident  sous  forme  d'ethnarchie  féo- 
dale présidée  par  le  Pape  et  le  chef  du 
saint  empire  d'Allemagne,  et  qu'ainsi 
toutes  les  nations  de  l'Europe  (i)  étaient 
plus  ou  moins  vassales  du  Saint-Siège  et 
de  l'empereur.  Cette  dépendance  directe 
des  nations  et  des  souverains  envers  le 
Souverain  Pontife  est,  aux  yeux  des  théo- 
logiens et  canonistes  romains,  un  cas  par- 
ticulier de  l'hypothèse  et  nullement  l'appli- 
cation de  la  thèse  considérée  en  elle- 
même  (2).  Mg'  Milasch  commet  donc  une 
méprise  en  voyant  dans  ce  cas  particulier, 

ment.  C'est  à  ce  principe  que  faisait  appel  le  pape 
Boniface  VIII  dans  sa  célèbre  bulle  Unam  sanctam. 

(i)  Y  compris  la  France  elle-même,  au  dire  de 
Boniface  VIII  (Bulle  Juxta  verbum,  i3o3).  Beau- 
coup d'historiens  mettent  en  doute  l'universalité 
de  cette  vassalité. 

(2)  On  pourrait  citer  en  faveur  de  la  doctrine 
contraire  des  textes  de  Grégoire  IX,  d'Innocent  IV, 
et  d'autres  auteurs  du  moyen  âge,  mais  ces  textes 
énoncent  une  opinion  privée  de  cette  époque  et 
non  l'enseignemcBt  officiel  du  catholicisme. 


TESSARACOSTE   :    CAREME   OU    ASCENSION 


355 


propre  au  moyen  âge,  l'application  pure 
et  simple  de  la  thèse  ou  doctrine  du  droit 
occidental.  * 

Un  autre  tort  que  nous  reprochons 
au  savant  évêque  de  Zara  est  d'oublier,  à 
propos  des  ingérences  abusives  des  sou- 
verains orthodoxes  en  matière  spirituelle, 
que  depuis  Justinien,  l'Eglise  d'Orient  s'est 
si  bien  mise  d'accord  avec  l'Etat,  qu'elle  a 


par  trop  méconnu,  du  moins  en  pratique, 
que  l'Eglise  du  Christ  est  une  société  par- 
faite, en  d'autres  termes,  une  société  plei- 
nement autonome  dans  son  gouvernement 
au  triple  point  de  vue  de  la  doctrine,  de 
la  morale  et  des  biens  même  temporels 
qu'elle  possède  (i). 

A.  Catoire. 

Constantinople. 


TESSARACOSTE  :  CARÊME  OU  ASCENSION? 


Dans  un  article  publié  ici  même,  en 
mars  19 lo,  j'ai  proposé  de  voir,  dans  la 
TcTTapa/.oTT/^  mentionnée  par  le  V«  canon 
du  premier  concile  de  Nicée,  non  point 
le  Carême,  mais  bien  le  quarantième  jour 
après  Pâques,  c'est-à-dire  la  fête  de  l'As- 
cension (i). 

11  m'est  tombé  sous  les  yeux  depuis, 
au  cours  d'autres  études,  quelques  pas- 
sages d'anciens  auteurs  affirmant  comme 
moi  que  le  nom  de  Tesi>araco  te  ou  Tetra- 
coste  avait  été  donné  jadis  en  Orient  à  l'As- 
cension, comme  le  terme  équivalent  Qiia- 
Jragésime  l'avait  désignée  en  Occident. 
La  présente  note  n'a  d'autre  but  que  de 
soumettre  ces  passages  aux  lecteurs  à  titre 
de  confirmât iir. 

Adrien  Baillet  (t  1703),  dans  l'Histoire 
des  fêtes  mobiles  insérée  dans  son  ouvrage 
les  yies  des  Saints,  écrivait,  au  chapitre 
de  l'Ascension  : 

L'accord  où  l'on  était,  touchant  le 

jour  qu'on  devait  destiner  à  la  fête  de  l'As- 
cension, était  si  général  par  toute  l'Eglise, 
que  les  Latins  ne  faisaient  point  difficulté 
de  lui  en  faire  porterie  nom  et  de  l'appeler 
la  fête  du  Quarantième,  comme  nous  le 
;.  Yoyonsen  saint  Augustin  (Serm.  CCLXVII, 
:  c.  ni).  Les  Grecs  et  les  Orientaux  en  ont 
usé  de  même  en  beaucoup  de  lieux,  où  l'on 
voit  que  cette  fête  se  nommait  Tessaracosfe 


(i)S.  Salaville, /a  Teo-aapaxoff-r,  rfu  V' canon 
de  Nicée  {325),  dans  les  Echos  d'Orient,  t.  XIU, 
1910,  p.  65-72. 


OU  Te'traœste  (Ap.  Scalig.,  etc.  ),  qui  veut 
dire  le  quarantième  jour  d'après  Pâques, 
de  même  que  celui  de  Pentecôte  veut  dire 
le  cinquantième,  pour  marquer  celui  de  la 
descente  du  Saint-Esprit  (2). 

La  référence  de  Baillet  à  saint  Augustin 
est  très  précise.  L'évêque  d'Hippone,  par- 
lant aux  fidèles  en  la  solennité  de  la  Pen- 
tecôte, leur  rappelle  que,  dix  jours  aupa- 
ravant, cest-à-dire  en  célébrant  l'Ascen- 
sion, il  leur  a  expliqué  la  promesse  faite 
par  le  Christ  d'envoyer  le  Saint-Esprit  à 
son  Eglise.  Or,  voici  comment  s'exprime 
le  saint  docteur  : 

Lorsque  nous  avons  célébré  le  quaran- 
tième [lour  après  la  Résurrection],  rap- 
pelez-vous que  nous  avons  dit  que  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ  avait  recommandé 
son  Eglise  avant  de  monter  au  ciel. 

Quando  celebravimus  Quadragesimam, 
recolite  quia  commendavimus  vobis  Domi- 
num  Jesum  Christum  Ecclesiam  suam 
commendasse  tt  ascendisse  {1). 

Quadragesima  est  évidemment  ici  un 
terme  compris  de  tous,  pour  désigner 
l'Ascension,  non  moins  que  celui  de  Pen- 
tecôte pour  désigner  l'anniversaire  de  la 

(  1 1  Voir  Echos  d'Orient,  j  uillei  1910,  A.  Catoire  : 
Deux  anomalies  du  droit  d  appel  dans  l'Eglise 
orthodoxe,  p.  219-224. 

(2)  A.  Baillet,  les  Vies  des  Saints  ii"  édition. 
Paris,  i7o3(,  2*  édition.  Paris,  1789,  t.  IX^  Histoire 
des  fêtes  mobiles,  p.  107. 

(3)  S-  Augustin,  Serm.  CCLXVII,  c.  m,  dans 
MiGNE,  P.  t.,  t.  XXXVIII,  col.  i25o. 


356 


ÉCHOS   d'orient 


descente    du    Saint-Esprit    au    Cénacle. 

Quant  à  la  référence  fournie  par  Baillet 
au  sujet  des  Grecs  et  des  Orientaux  {Àp. 
Scalig.,  etc.),  les  bibliothèques  de  Con- 
stantinople  ne  me  permettent  p.is  de  l'uti- 
liser, et  je  serai  reconnaissant  à  ceux  qui 
sont  mieux  outillés  que  moi  de  toutes  les 
précisions  qu'ils  pourraient  apporter  à 
cette  vague  indication. 

Benoît  XIV  répète  les  données  de  Baillet, 
auquel  il  renvoie  d'ailleurs  explicitement  : 

Augustinus,  serm.  CCLXVII,  c.  ni,  So- 
lemnitatem  /îancQuADRAGEsiMAM  pocat,  quod 
post  dies  a  Resurrectione  quadraginta  ce- 
lebretur:  ei  lib.  Constitutionum  Apostoli- 
carum,  c.  xix,  huic  Festo  Feria  quinta 
destinatur  quintœ  post  Resurrectionem 
hebdomadœ.  Orientales  Tessaracosten  seu 
Tetracosten  appellant,  quod  quadragesi- 
tnum  post  Pascha  diem  signijicat,  ut  notât 
Bailletus  loco  citato  (i). 

Alban  Butler  et  son  éditeur  français, 
J.  Godescard,  transcrivent  mot  pour  mot 
le  passage  de  BajUet  (2). 

L'abbé  J.-B.-E.  Pascal,  rédacteur  du  vo- 
lume consacré  à  la  liturgie  dans  l'Ency- 
clopédie théologique  de  Migne,  s'exprime 
d'une  manière  un  peu  plus  vague,  mais 
souscrit  lui  aussi  à  l'appellation  de  Qua- 
dragésime  ou  Tessaracoste  donnée  jadis  à 
la  solennité  de  l'Ascension. 

Depuis  les  temps  apostoliques,  cette  fête 
est  célébrée  le  jeudi,  quarantième  jour 
après  Pâques,  et  suit  la  mobilité  de  celle-ci  ; 
aussi  la  trouve-t-on  fréquemment  désignée 
dans  les  anciens  Pères  sous  le  nom  de  so- 
lennité du  Quarantième Chez  les  Grecs, 

la  fête  de  l'Ascension,  qu'on  appelle  Tessa- 
racoste ou  Quat^antième,  a  un  rang  infé- 
rieur aux  solennités  de  premier  ordre  (3). 

(i)  Benoit  XIV,  De  festis  Domini  nostri  Jesu 
Christi  et  B.  Maria:  Virginis  libri  duo  (Padoue, 
1756),  dans  Migne,  Theologiœ  Cursus  completus. 
Paris,  1842,  t.  XXVI,  col.  449. 

(2)J.  Godescard,  Traité  d:s fêtes  mobiles,  jeûnes 
et  autres  observ.inces  de  l'Eglise,  d'après  l'ouvrage 
posthume  d' Alban  Butler.  Paris,  i835,  p.  338  (t.  XIII 
de  la  collection  des  mêmes  auteurs  :  Vie  des  Pères, 
martyrs  et saints). 

(3)  J.-B.-E.  Pascal,  Origines  et  raison  de  la 
liturgie  catholique  en  forme  de  dictionnaire 
(=  Migne,  Encyclopédie  théologique,  t.  VIII  :  Li- 
turgie). Paris,  1844,  col.  82-83. 


Je  ne  puis  me  faire  illusion  sur  la  valeur 
probante  de  ces  citations.  Pour  en  juger 
exactement,  il  faudrait  retrouver  les  textes 
orientaux  auxquels  ces  divers  auteurs, 
Baillet  surtout,  font  allusion.  Il  m'a  paru 
cependant  utile  de  mettre  ces  quelques 
passages  sous  les  yeux  des  critiques,  afin 
de  provoquer  précisément  la  recherche 
des  textes  en  question. 

Amené  à  douter  qu'il  s'agisse  du  Ca- 
rême dans  le  V^  canon  de  Nicée  concer- 
nant l'époque  des  deux  conciles  provin- 
ciaux annuels,  je  me  suis  cru  autorisé  à 
voir  dans  cette  Tsa-o-aoaxoTTf,  l'équivalent 
de  la  Qiiadragesima  de  saint  Augustin  et 
de  quelques  autres  textes  occidentaux.  Un 
critique  m'a  répondu  que  Tea-o-apaxbaxY^, 
employé  dans  le  sens  de  fête  du  quaran- 
tième jour  après  Pâques,  «  serait  un  cas 
unique  dans  la  langue  grecque  »  (i).  Le 
même  critique  ajoutait  :  «  Et  dans  les 
textes  latins  où  Quadragesima  le  signifie- 
rait {signifierait  Ascension),  cela  n'est  que 
grâce  aux  mots  qui  l'entourent  :  Die  au- 
tem  quadragesimarum  post  Pascha;  festivi- 
tate  quadragesimœ  Ascensionis.  Par  contre, 
Ascensio  est  utilisé  couramment  par  les 
latins.  »  (Cf.  les  nombreux  sermons  de 
saint  Augustin  sur  cette  fête,  P.  L., 
t.  XXXVIl.)  (2) 

Je  ne  conteste  pas  l'emploi  du  mot  As- 
censio; mais  le  terme  Qitadragesima,  même 
isolé,  désigne  aussi  pour  saint  Augustin, 
n'en  déplaise  à  M.  J.  Deconinck,  la  fête 
de  l'Ascension;  la  preuve  en  est  dans  le 
texte  cité  plus  haut. 

Quant  à  l'emploi  analogue  du  grec 
TSTo-apaxos-TT^,  il  aurait  tout  autant  sa  rai- 
son d'être  que  le  terme  correspondant  de 
Pentecôte.  Plusieurs  auteurs  sérieux,  qui 
ne  songeaient  aucunement  à  expliquer  en 
cela  la  ditficulté  du  V^"  canon  de  Nicée, 
affirment  qu'il  a  été,  de  fait,  utilisé  en  ce 
sens  par  des  Pères  orientaux.  Cette  indi- 
cation m'a  paru  valoir  la  peine  d'être  si- 
gnalée. 


(i)  J.   Deconinck,  dans   la  Revue  biblique,  1910, 
p.  433,  n.  2. 
(2)  Ibid. 


LES    «   ORIENTALIA    »    DE    LA    BIBLIOTHEQUE   JOHN    RYLANDS 


357 


En  attendant  qu'on  retrouve  dans  la  lit- 
térature ecclésiastique  orientale  les  textes 
visés  par  Baillet  et  Benoît  XIV,  signalons, 
pour  terminer  cette  note,  que  le  calen- 
drier copte  de  Calcasendi,  énumérant  les 
fêtes  égyptiennes  du  viii*"  siècle,  mentionne 
l'Ascension  dans  les  termes  suivants  : 
Feria  quinta  Quadraginia,  id  est  festiim 
Ascensio7iis  (  i).  Cette  manière  de  désigner 
la  fête  me  semble  suggestive  :  la  K«  férié 


des  quarante  jours,  le  jeudi  des  quarante 
jours,  autrement  dit  le  quarantième  jour 
(=  TcTTapxxoTTYÎ);  le  nom  d'Ascension  ne 
vient  ensuite  que  par  manière  explicative. 
L'identification  entre  les  deux  termes  que 
j'ai  proposée  pour  le  V«  canon  de  Nicée 
ne  se  trouve-t-elle  pas  ici  explicitement 
établie  par  un  document  oriental? 

S.  Salaville. 

Kadi-Keuï. 


LES  «  ORIENTALIA  » 
DE   LA   BIBLIOTHÈQUE   JOHN   RYLANDS 

{Fin  ''\) 


Habent  sua  fata  libclli.  L'aphorisme  s'ap- 
plique parfois  à  des  bibliothèques  entières, 
aussi  bien  qu'à  la  destinée  littéraire  d'un 
livre  quelconque.  On  sait  par  quelle  série 
d'aventures  les  manuscrits  de  Fleury-sur- 
Loire  passèrent  aux  mains  de  Petau,  de 
l'Electeur  palatin,  de  la  reine  de  Suède, 
et  finirent  par  se  stabiliser  à  la  Biblio- 
thèque vaticane.  La  collection  copte  étu- 
diée par  M.  Crum  a  passé  par  une  série 
d'aventures  assez  analogues  (3).  Immé- 
diatement avant  son  entrée  dans  la  Biblio- 
thèque John  Rylands,  ce  fonds  appartenait 
tout  entier,  sauf  le  numéro  43,  à  lord  Craw- 
ford.  Lord  Crawford,  à  son  tour,  l'avait 
formé  de  deux  éléments.  Un  premier  lot 
lui  venait  de  la  bibliothèque  bien  connue 
de  lord  Lindsay.  La  Bibliotheca  Lindesiana 
s'était  elle-même  enrichie  des  dépouilles 
de  Tattam,  à   la  vente  qui  fut  faite,  en 


(i)  Seldemus,  De  synedriis.  Amsterdam,  1679, 
c.  i5,  204.  Cf.  Kellner,  Heortologie,  3'  édition. 
Fribourg-en-Brisgau,  1911,9.  19. 

{î)Vo\T  Echos  d'Orient,  septembre  191 1,  p.  299  sq. 

(3)  Catalogue  of  the  Coptic  Manuscripts  in  the 
Collection  of  the  John  Rylands  Library  Man- 
chester by  W.  E.  Crum.  Manchester,  University 
Press,  1909,  xii-273  pages,  et  XII planches  (iSy  nu- 
méros). 


juin  1860,  par  Sotheby,  des  manuscrits 
bohaïriques  et  sahidiques  de  l'illustre  sa- 
vant. Bon  nombre  de  ces  manuscrits 
bohaïriques  figurent  ici,  que  M.  Crum  a 
pris  la  peine  d'identifier,  ainsi  que  qua- 
torze sahidiques  de  même  provenance.  Les 
autres  avaient  d'abord  fait  partie  de  la  Col- 
lection J.  Lee  (t  1 866),  sauf  quelques  feuil- 
lets sahidiques  donnés  à  lord  Crawford 
par  le  Rév.  R.  Lieder. 

Un  second  fonds  avait  été  directement 
acheté  pac  le  comte  Crawford,  en  1898, 
de  deux  marchands  bien  connus  de  Gizeh. 
L'on  n'y  trouve,  à  l'exception  du  nu- 
méro 421,  aucun  manuscrit  bohairique. 
C'est  à  ce  fonds  qu'appartiennent  tous  les 
paryrus,  ainsi  qu'un  assez  grand  nombre 
de  parchemins  et  même  de  manuscrits  sur 
papier.  Or,  il  y  a  dans  tout  cela  quantité 
de  portions  frustes.  II  fallait  un  Crum,  le 
Crum  des  Ostraca,  pour  les  utiliser.  Lui 
seul  a  le  secret  des  trésors  de  patience  et 
de  sagacité  qu'exige  la  toilette  sous  laquelle 
ils  deviennent,  une  fois  restaurés  et  ras- 
semblés des  quatre  points  de  l'horizon, 
comme  il  excelle  à  le  faire,  si  intéressants. 

L'impossibilité  de  spécifier  ici  quoi  que 
ce  soit  sans  faire  intervenir  les  documents 


3^8 


ÉCHOS   d'orient 


eux-mêmes  m'interdit,  on  le  comprend, 
d'entrer  dans  aucun  détail,  il  sera  plus 
utile  de  donner  une  idée  générale  des  ma- 
tières et  de  la  façon  dont  elles  sont  grou- 
pées.  On  pouvait  adopter  plusieurs  sys- 
tèmes de  classement;  d'abord  celui  que 
suggère  la  distinction  des  matières  pre- 
mières :  papyrus,  vélin,  papier:  cet  ordre 
aurait  pu  réclamer  la  préférence  s'il  cor- 
respondait en  même  temps,  dans  l'espèce, 
à  certaines  données  différentielles  de  dates 
ou  de  provenance.  11  n'en  est  rien.  Dans 
un  autre  ordre  d'idées,  il  y  avait  le  grou- 
pement par  objets  traités;  il  y  avait  l'ordre 
chronologique,  ou  bien  encore  la  distinc- 
tion des  provenances  premières,  comme 
dans  le  Catalogue  démotique,  ou  celle  des 
fonds.  M.  Crum  a  préféré  la  distinction 
linguistique,  les  dates  ou  les  provenances 
n'ofïrant  pas  toujours  une  base  assez 
ferme.  11  a  bien  fait. 

Mais  une  fois  cette  distinction  établie 
entre  les  trois  grands  groupes  sahidiques, 
memphitiques  et  bohairiques,  nous  re- 
trouvons dans  chaque  catégorie  les  classe- 
ments d'usage. 

I .  Voici  comment  se  répartissent  les 
manuscrits  sahidiques  : 

BiBLiCAL  :  1 8  articles,  dont  3  seulement 
sont  des  papyrus  du  vi^  au  viii^  siècle. 
Les  15  autres  sont  des  parchemins  du 
VF  au  XF  siècle,  à  l'exception  des  nu- 
méros 6  et  16,  qui  sont  du  iv^-v'^  siècle 
{Ps.  Lxxxviii  et  Hebr.  iv,  v). 

LiTURGiCAL  :  4}  numéros,  dont  2  pa- 
pyrus seulement,  l'un  d'une  date  impos- 
sible à  déterminer,  l'autre  (une  formule 
d'ordination),  du  v^-vi^  siècle;  18  par- 
chemins du  x«-xi«  siècle,  sauf  le  numéro 
22,  qui  est  palimpseste  (vi«-viF  s.);  22  ma- 
nuscrits sur  papier  du  x«-xf  siècle.  Cinq 
d'entre  eux  peuvent  intéresser  les  musi- 
cologues. Je  remarque  également  un  Tri- 
sagion  farci,  des  fragments  d"Axà8'-a-Toç, 
de  tropaires  pour  saint  Claude  d'Antioche, 
le  martyr  Philothée,  Dioscore  d'Alexan- 
drie, etc.,  rien  de  bien  saillant. 

HoMiLiES,  Epistles,  etc.  Papyrus  :  8  (du 
vi«-xie  s.);  parchemins  :  13  (du  x«-xf«  s.); 
papier  i  (du  xix*'  s.). 


On  ne  voit  pas  très  bien,  par  exemple, 
pourquoi  les  homiliaires  et  les  épistolaires, 
généralement  considérés  comme  étant  des 
livres  liturgiques,  et  c'est  bien,  en  effet, 
ce  qu'ils  sont,  forment  une  catégorie  spé- 
ciale. 

Narratives,  Acts,  Martyrdoms.  Pa- 
pyrus :  2  (du  viie-viiF  et  du  ix^-xfs.);  par- 
chemins: 14,  presque  tous  du  x^-xi^  siècle, 
sauf  un  fragment  de  l'Apocalypse  d'Adam, 
sous  le  numéro  84,  que  Crum  propose  de 
dater  du  vi«-vii'^  siècle. 

Magic,  Medicine.  Papyrus:  31  (du  vi% 
vF-vii"  et  viiF,  viiF-ixe  s.);  parchemins  :  41 
(vF-viF,  viie-viiie,xies.);  papier:  s(duxies.). 

Miscellaneous.  Parchemins:  2,  dont  un 
fragment  de  vocabulaire  grec-copte  (xF- 
xije  s.);  papier  :  i  (xiif-xw^  s.). 

Légal  and  Financial  texts.  Ici  tout  est 
papyrus,  et  c'est  certainement,  avec  les 
manuscrits  des  deux  classes  qui  vont 
suivre,  et  ceux  de  l'avant-dernière  classe, 
la  plus  importante  contribution  historique 
qu'offreaux  égyptologuesie  fondsRylands. 
Il  suffit  de  remarquer  les  dates  iv^,  v'-', 
VF,  VIF,  viiF  siècles,  où  se  tiennent  la 
plupart  des  numéros  (107)  d'e  cette  caté- 
gorie. Nous  allons  ainsi  jusqu'aux  pre- 
miers temps  de  la  conquête  arabe,  depuis 
le  commencement  du  déclin  de  la  domi- 
nation grecque.  Crum  répartit  les  papyrus 
administratifs  et  financiers  de  la  manière 
suivante.  Je  me  borne  à  mentionner  au 
passage  le  nombre  de  numéros  que  com- 
prend chaque  subdivision  :  Impôts  (15), 
hypothèques  (11),  contrats  (  19),  baux (2 1  ), 
récépissés  de  rentes  (4),  partages  (2), 
ventes  (6),  reconnaissances  (2),  incer- 
tains (4). 

Listes  diverses,  inventaires,  etc.  Pa- 
pyrus :  39  (le  plus  grand  nombre  du  viF- 
vriF  siècle,  un  du  v^-vF,  et  deux  du  VF- 
viF,  les  autres  du  ix«-x«);  parchemins  :  2 
(du  xe-xF  et  xF-xiF  S.);  papier  :  3  (xF  s.). 
Le  papyrus  n»  238  (du  viif  s.)  mérite  une 
mention  à  part.  C'est  l'inventaire  du  mo- 
bilier de  l'église  Saint-Théodore.  Malheu- 
reusement, l'identification  de  plusieurs 
obj^ets  n'est  pas  toujours  aisée.  Sur  quoi 
n'ont  pas   écrit    les    Coptes?  J'ai   tout  à 


LES    «    ORIENTALIA    »    DE    LA   BIBLIOTHÈQUE  JOHN    RYLANDS 


3^9 


l'heure  oublié  de  mentionner,  parmi  les 
«  manuscrits  »  liturgiques,  un  fragment 
de  tropaire,  du  vii"  siècle  peut-être,  sur 
nir.  Ici  nous  trouvons  sur  une  étoffe  rose 
^n'*  231)  récriture  d'une  miiin  du  vii«  ou 
viiie  siècle. 

Lettres.  Papier:  12  numéros;  parche- 
min :  I  ;  papyrus  :  1 3 1 ,  parmi  lesquels  Crum 
n'en  assigne  pas  moins  de  1 4  au  iv«'-vesiècle, 
2}  au  vi«  siècle,  28  au  vii^  siècle.  Bref,  le 
plus  récent,  dont  la  date  est  même  précise, 
ne  descend  pas  plus  bas  que  93  i .  C'est  dire 
combien  est  précieuse  cette  collection  de 
lettres,  dont  un  bon  nombre,  par  exemple, 
nous  font  entrer  dans  certains  détails  iné- 
dits de  la  vie  des  moines  égyptiens  du 
ive  au  vme  siècle. 

2.  Les  manuscrits  memphitiques  sont 
les  moins  nombreux.  Us  ne  figurent  au 
Catalogue  que  pour  cinq  numéros,  dont 
un  sur  papier  (du  x^-xie  s.);  les  autres 
sont  des  papyrus  du  vi^-x*  siècle.  II  n'y  a 
pas  lieu  de  nous  y  arrêter.  Mais  pourquoi 
ne  pas  donner  résolument  aux  manuscrits 
de  cette  classe  le  nom  si  commode  et  si 
adéquat  de  memphitiques,  puisque  les  ma- 
nuscrits de  la  Basse-Egypte,  qu'on  avait 
ainsi  désignés  précédemment,  ne  le  sont 
plus  désormais  que  sous  celui  de  bohai- 
riques? 

3.  C'est  donc  sous  ce  nom  de  bohai- 
riques  que  M.  Crum  comprend  les  manu- 
scrits de  ce  dialecte  que  lui  offrait  la  Col- 
lection Rylands.  Il  les  groupe  sous  les  ru- 
briques que  voici  :  Biblical;  Lectionaries; 
Litnr^kal;.  Homilies;  Narratives,  Acts, 
Martyrdoms  ;  PUlological  Wo-rks;  Letters. 
On  peut  faire  à  cette  division  la  même 
critique  que  ci-dessus  :  les  lectionnaires  et 
les  homiliaires  sont  des  livres  liturgiques. 
Nous  n'avons  ici  que  deux  papyrus,  l'un 
appartenant  à  la  v  division  {Biblical),  du 
ixe-x^  siècle;  l'autre  à  la  dernière.  Le  reste, 
à  part  dix  numéros  de  la  5«  division  {Nar- 
ratives, etc.),  parchemins  du  ix«-xe  siècle, 
et  les  deux  numéros  de  la  4«  division  {Hu- 
milies), même  date,  auxquels  on  peut  ad- 
joindre quelques  manuscrits  du  xiv®  siècle, 
ne  comprend  plus  qu'une  vingtaine  de 
manuscrits  sur  papier,  dont  huit  appar- 


tiennent au  xixe  siècle,  onze  au  xvin«  et  un 

au   XV!!*". 

Inutile  d'ajouter  que  M.  Crum,  non  con- 
tent des  restitutions  patientes,  des  iden- 
tifications et  annotations  de  toute  sorte 
dont  il  enrichit  sa  publication,  ne  s'est 
point  encore  estimé  quitte  envers  le  public, 
s'il  ne  lui  donnait,  par  surcroît,  un  copieux 
index  des  noms  de  personnes,  un  autre 
des  noms  de  lieux,  un  troisième  des  mots 
grecs  et  des  mots  étrangers,  un  quatrième 
des  mots  coptes,  un  cinquième  des  mots 
arabes,  un  sixième  des  matières,  et  l'on 
peut  croire  qu'il  aurait  fait  encore  plus 
si  le  souci  de  la  discrétion,  dans  l'occur- 
rence, ne  l'avait  emporté  sur  celui  de  la 
complet  ness. 

Inutile  d'ajouter  enfin  que  les  trustées 
de  la  Bibliothèque  John  Rylands  ont  main- 
tenu pour  cette  publication  les  conditions 
de  magnificence,  y  compris  l'appeijdice 
des  planches,  qui  mettent  hors  de  pair  le 
Catalogue  de  leurs  manuscrits  démotiques. 


C'est  encore  le  nom  d'une  sommité 
spécialiste,  le  titulaire  de  la  chaire  de 
papyrologie  d'Oxford,  qu'on  lit  en  tète 
du  Catalogue  des  papyrus  grecs  de  la  Bi- 
bliothèque John  Rylands  (i).  C'est  d'ail- 
leurs le  D''  Arthur  S.  Hunt  lui-même 
qui  avait  acquis  pour  lord  Crawford  et 
Mrs  Rylands  la  collection  qu'il  entreprend 
de  décrire.  Je  dis  qu'il  entreprend,  parc£ 
que  nous  n'avons  ici  qu'un  premier  vo- 
lume. M.  Hunt  divise  en  deux  sections 
les  documents  à  faire  connaître  au  public. 
Ce  premier  volume  ne  comprend  que 
ceux  de  la  section  littéraire.  Deux  autres 
volumes,  au  moins,  embrasseront  ceux 
qui  ne  le  sont  pas.  Dans  cette  seconde 
section,  l'auteur  observera  l'ordre  chro- 
nologique.   Ainsi  le    premier   volume   à 


(I)  Catalogue  of  the  Greek  Papyri  in  the  John 
Rylands  Library:  Vol.  I,  Literary  Texts,  N"  r-6i 
edited  by  Arthur  S.  Hunt,  D-  Lit.  bon.  pk-  d. 
K.œnigsberg;  bon.  Lilt.  D.  Dttblitii  bon.  jui. 
D.  Graz;  Lecturer  in  papyrology  in  tbe  University 
of  Oxford,  etc.  With  leo  plates.  Manchester,  Unt- 
versity  Press,  igti.  Grand  in^°,  XI6-202  pages. 


360 


ÉCHOS    d'orient 


paraître,  espère-t-on,  l'année  prochaine, 
comprendra  les  documents  grecs  «  non 
littéraires  »  des  époques  ptolémaïque  et 
romaine.  Les  papyrus  de  la  période  byzan- 
tine viendront  ultérieurement.  Mais  nous 
pouvons  attendre,  et  nous  serions  bien 
difficiles  si  nous  n'étions  pas  satisfaits  de 
ce  qu'on  nous  donne  aujourd'hui.  Je  veux 
bien  que  les  200  pages  in-40  monumental 
du  Catalogue  ne  nous  fassent  connaître 
que  61  articles,  mais  aussi  quels  articles! 
Rien  que  leurs  dates  ont  une  singulière 
éloquence. 

Du  reste,  à  quoi  ne  peut-on  s'attendre, 
sous  ce  rapport,  depuis  les  prodigieuses 
trouvailles  d'Oxyrhinque  (Behnesa).  Or, 
c'est  de  Behnesa,  précisément,  c'est  du 
Fayoum,  du  mont  Harît,  d'Hibeh,  d'Es- 
mûnên  que  viennent  nos  manuscrits. 
Leurs  dates  s'échelonnent  du  iii«  siècle 
avant  l'ère  chrétienne  au  vu®  siècle  après, 
tout  au  plus.  En  voici  la  répartition  : 

me  siècle  avant  Notre-Seigneur  :  16 
(Comedy),  39,  49  (Homer,  Iliad,  xvi). 

11°  siècle  avant  Notre-Seigneur  :  18  (His- 
iorical  Fragment),  33. 

i^r  siècle  avant  Notre-Seigneur  :  20  {Po- 
litical  Treatisé),  21  Treatise  of  Physiology, 
30,  }i,  }2,  44 (Homer,  Iliad,  1),  5 1  (Homer, 
Iliad;  xxiv),  54(Hesiod.  Theogonia). 

i^i"  siècle  après  Notre-Seigneur  :  22  My- 
thological  Fragment,  24  (Scholia  on  Homer, 
Iliad,  iv),  26  Apion,  D.Ùia-a-a'.  'OtjL-/ip'.xa*l, 
34,  46  {Iliad,  iv). 

ne  siècle  après  Notre-Seigneur  :  -13  {Epie 
Fragment),  15  {Lament  for  a  Lover),  16 
{Comedy),  19  {Epitome  of  Theopompus, 
Philippica  xlvii),  23  {Epitome  of  the  Odys- 
sey),  25  {Lexicon  to  Homer,  Iliad,  xviii), 
29''i  29^^  {Médical  receipts). 

iiMiie  siècle  après  Notre-Seigneur  :  14 
{Lyric  Fragment),  35,  52  (Homer,  Odyssey 
xi),  37  (Demosthenes,  De  Corona). 

m®  siècle  après  Notre-Seigneur  :  5  {Epistle 
to  Titus,  1, 11),  \  2  {Certificat  of  Pagan  Sacri- 
fice, A.  D.  250),  27  {Astronomical  Treatise), 
29  {Médical  Receipts),  36,  38,  43  (Homer, 
Iliad,  i),  48  (Homer,  Iliad,  v),  50  (Homer, 
Iliad,  xviii),  59  {Writing  Exercise  :  Demos- 
thenes, De  Corona). 


iiie-iv^"  siècle  après  Notre-Seigneur:  53 
(Homer,  Odyssey,  xii-xv,  xvm-xxiv). 

iv«  siècle  après  Notre-Seigneur  :  1  {Deu- 
teronomy,  ii-iii),  17  {Epitbalamium),  28 
{Utp\  TiaAawv  uavT'.xrj),  42  {Latin  Frag- 
ment). 

v«  siècle  après  Notre-Seigneur  :  8{Litur- 
gical  Fragment),  61  (Cicero,  In  Catiii- 
nam  11). 

ve-vi^  siècle  après  Notre-Seigneur  :  3 
{Ps.  xc),  9  {Liturgical  Fragment),  1 1 
{Christian  Fragment),  58  (Demosthenes, 
De  Corona. 

vié  siècle  après  Notre-Seigneur  :  6  {Ni- 
cene  Creed),  7  {Hymi  ),  10  {Hagiographical 
Fragment)^  41. 

vie-vii«  siècle  après  Notre-Seigneur  :  2 
(Job.  1,  V,   vi),  4  {Epistle  to  Romans,  xii). 

En  somme,  ce  que  nous  trouvons  dans 
ce  volume,  en  dehors  des  fragments  scrip- 
turaires  (cinq  numéros,  de  i  à  5)  et  litur- 
giques (nos  5  ^^  11),  ce  sont  surtout  des 
auteurs  classiques,  paraissant  en  partie 
pour  la  première  fois  (n^s  13  a  26),  en 
partie  déjà  connus  (n^^  43  à  61);  je  né- 
glige les  Miscellanecus  minor  fragments 
(nos  ^o  à  41).  Comme  on  le  voit,  c'est 
VIliade  et  \  Odyssée  qui  dominent  l'en- 
semble, c'est-à-dire  les  pr,  2^,  4e,  s«,  i6e, 
i8e,  24e  chants  de  VIliade,  les  ii^,  12"  à 
15e,  i8«à  24«  chants  de  VOdys'iée,  un  £/)/- 
/owé?  de  celle-ci,  un  lexique  et  des  scholies 
pour  celle-là,  des  rXcôo-cra'.  'OjrA,puai.  Mais, 
à  part  peut-être  le  numéro  49  {Iliade,  xvi), 
qui  est  du  me  siècle  avant  Notre-Seigneur, 
l'époque  à  laquelle  appartiennent  tous  ces 
articles  homériques  demeure  en  deçà  des 
travaux  des  éditeurs  alexandrins,  et  la 
question  de  savoir  ce  qu'étaient  les  poèmes 
d'Homère  avant  ces  travaux  n'avancera 
pas  du  fait  de  la  Collection  Rylands. 

«    LIBELLI    »    d'apostats 

Au  moment  où  le  D''  Hunt  publiait  son 
travail,  on  ne  connaissait  encore  que  quatre 
libelli  d'apostats.  Ils  provenaient,  sauf  un, 
du  Fayoum.  Celui  de  Manchester,  qui  a 
la  même  provenance,  était  donc  le  cin- 
quième. Cependant,  à  la  dernière  heure. 


LES    «    ORIENTALIA    »    DE    LA    BIBLIOTHÈQUE  JOHN    RYLANDS 


361 


une  note  de  M,  Hunt  annonçait  l'édition, 
préparée  par  le  D*"  Meyer,  du  groupe  qu'en 
possède  la  Bibliothèque  de  Hambourg,  un 
groupe  de  vingt  nouveaux  exemplaires. 
Les  Abbandlimgen  de  l'Académie  de  Berlin 
qui  les  contiennent  paraissent  au  moment 
même  où  j'écris  ces  lignes.  Tous  con- 
firment les  données  précédemment  ac- 
quises par  les  premières  découvertes. 
Comme  il  s'agit  d'un  document  historique 
du  plus  haut  intérêt,  et  dont  la  teneur 
était  demeurée  parfaitement  inconnue  jus- 
qu'en 1893,  date  à  laquelle  Krebs  en  pré- 
sentait à  l'Académie  de  Berlin  la  première 
révélation,  je  pense  qu'on  ne  lira  pas  sans 
intérêt  celui  de  Manchester. 

Tou  £7:1  TÔJV  Ojt'.wv  r.oraévo'.^  — apà 
AjprjXîa^  Ar.awTo;  aTcà-opoç  ar.Tpo^  'K)Àv'r^^ 
vjvr  AOor.A'loj  E'.orvaiou.  Kal  àîl  9'Jo'JTa 
Tols  ^trj~.ç  oiîTSÂîTa  '/,%'.  vjv  £7:1  TzapoOcT'.  OiaIv 
x.a-à  Ta  TtooTTSTavaiva  xal  bH'jtt.  xal  ETrio-a 
x.xl  Twv  '.îpciwv  èY£'j7â|jLT,v  xal  à;',ù  •Jja.âç 
J-0'rr^>J.t•M7a.7hx^.  U.0'..  Au'JT'jyelTa'..  Aupr.Ava 
Ar uLcocâTT'.^iowxa.  AOo'/).',o^Eî.or,va~.o^ svoa-lia 
j7:£0  y.u~7,c  àvcaaaàTO'J.  A'jjy'/.'.oc  Sa.jî'.voç 

-OJTaV'-Ç   £l§6v   0-£    O'JO'JTaV 

£T0!J^  a'  AÙTOxoàTOoo?  Ka'l^apo;  Faio'j  M£t- 
7'lou  Ku'lvTO'j  ToaiavoG  Aîx'lov  IvjtîSo'j; 
EjT"jyctJ^  ScIjaoTOJ  ïla-jv.  x. 

/^è  îtfio  dtsce  omnes.  L'identité  de  la  te- 
neur des  quatre  //è^/// de  Berlin,  de  Vienne, 
d'Alexandrie  et  dOxyrhinque,  publiés  en 
1893,  1894  et  1907,  le  faisait  déjà  pres- 
sentir; c'est  d'après  un  modèle  uniforme 
qu'on  établissait  les  certificats  de  sacri- 
fice. Les  vingt  exemplaires  de  Hambourg 
ne  laissent  plus  à  ce  sujet  aucun  doute. 
Maintenant,  d'où  venait  cette  uniformité.'' 
S'étendait-elle  à  tout  l'empire?  Les  termes 
dans  lesquels  Eusèbe  {De  mart.  Palœst., 
IX,  2)  rapporte  l'édit  de  Maximin  :  Sùtu 
xal  TTÂyOz.'.'/. ....  aTzovô'jîo-fja'.  Outuov.  font 
entrevoir  en  Syrie  des  formules  semblables 
à  celles  d'Egypte.  Serait-il  téméraire  d'en 
conclure  que  la  formule  elle-même  était 
officielle,  annexée  peut-être  à  l'édit  impé- 
rial et  rendue  obligatoire  par  tout  l'em- 
pire? 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  les  éléments 
dont  chacune  des  vingt-cinq  formules  que 


nous  connaissons  à  présent  se  compose 
invariablement.  Il  n'y  a  que  les  noms 
propres  à  changer.  Nous  avons  donc  pre- 
mièrement la  désignation  générique  des 
personnages  préposés  aux  sacrifices  :  ToU 
£7îl  Twv  Hjy.ùy  r.py.uivo'.^,  à  laquelle  deux 
ou  trois  documents  ajoutent  le  nom  de 
l'endroit  où  ils  exerçaient  leur  fonction. 
Puis  venait  le  nom  du  libellaticus,  suivi 
de  son  adresse  et  quelquefois  de  son  état 
civil  :  Tzapà  AùpT.À'laç  Ay.uwto^  àTzaTOpo; 
{XTjTpoî  'E)ivr,ç  yu^/7|  AûpT,Â'lou  Elpy.va'lov 
%Tzh  àu'iôoo'j  'E).).Y,v£'lou.  Aurélia  Démos 
est  seule  en  cause.  Ni  son  mari  ni  sa  fille, 
car  ledit  exigeait  la  participation  des  en- 
fants à  la  mamelle,  ne  figurent  i  i  comme 
soumis  à  la  déclaration  (i).  Ils  sont  païens. 
Aurelius  Ireaneus  ne  fait  que  signer  pour 
sa  femme  illettrée  (àypa!ji|AàTO'j).  Dans  le 
Ubelliis  de  l'archiduc  Rénier,  toute  la  fa- 
mille y  passe  :  7:apà  Aùpr.A'ltov  'Lù^o'j  xal 
na'73£'-0'J    "OJ    àosA'iO'j    xal   Ar.arTO'lac   xal 


(  1  )  J'insiste  sur  ce  détail.  Ce  n'était  donc  pas  à  tous 
les  citoyens  de  l'empire  indistinctement  que  s'éten- 
dait l'obligation  de  produire  un  certificat  de  sacri- 
fice, puisque  voici  une  famille  de  trois  membres 
dont  un  seul  y  est  soumis.  Le  rairi  de  la  femme 
qui  vient  de  sacrifier  est  là  pourta  it,  mais  ce  n'est 
pas  lui  qui  est  en  cause.  S'il  signe  pour  sa  femme, 
c'est  qu'elle  ne  sait  pas  écrire,  mais  il  a  soin  de 
faire  précéder  sa  signature,  ou  du  moins  ce  qu'il 
écrit,  de  l'affirmation  que  c'est  elle  qui  présente 
le  libellus  :  A-jpT|).t'a  At,[iw;  èitiôéSwxa.  comme  on  le 
verra  plus  loin.  Ni  lui  ni  sa  fille  n'y  sont  pour 
rien.  Le  libellus  d'Alexandrie,  dans  lequel  on  voit 
une  femme  ajouter  à  la  déclaration  rétrospective 
de  paganisme  pratiquant,  commune  à  tous  les 
libelli,  celle  de  prétresse  de  Petesuchos  d  ms  le 
quartier  Moeris  d'Arsinoé,  n'est  pis  une  preuve 
pour  la  thèse  de  l'universalité  de  l'obligation. 
Outre  que  cette  preuve  est  détruite  par  l'exemple 
contraire  que  je  viens  de  relever,  rien  n'empêche 
qu'ayant  été  prêtresse  avant  sa  conversion  au 
christianisme,  cette  libellatique  n'ait  pu  naturelle- 
ment renforcer  la  formule  générale  l'àîl  [ikv  6-jwv 
xol  (iitôvSwv  -cotî  8îo?;  l:t-:i\z<joi,  du  rappel  de  sa 
qualité  de  prêtresse,  qualité  qu'elle  reprenait  peut- 
être,  après  tjut,  en  apostasiant.  Ce  n'éiait  plus  dés 
lors  qu'une  question  de  plus  ou  de  moins.  Vo.r  ce- 
pendant Paul  M.  Meyer,  Die  libelli  aus  der  decia- 
nischen  Christenverfol Jung,  dans  les  Abhand- 
lungen  d.  Konigl.  Preiiss,  Akad.  d.  Wiss.  1910. 
Phil.-hist.  Classe  Anhang,  p.  19  sq.  Le  D'  Meyer 
ne  paraît  d'ailleurs  avoir  eu  que  sommairement 
co  inaissince  de  la  formule  de  Manchester.  Son 
mémoire  était  présenté  le  24  novembre  1910.  Le 
Catalogue  de  M.  Hunt  ne  devait  paraître  que  cette 
année  1911. 


']  " — \ ,   ,  .   , 7" 

r.  \&\  Autre  point  intéressant.  Quand  on  ne 

/  Il         connaissait  encore  que  les  quatre  premiers 


ÉCHOS  d'orient 


f 


/ 


libelli  mis  au  jour,  on  était  déjà  frappé  de 
rvoir  tout  ce  monde  s'appeler  Aurelius, 
Aurelii,  Aurélia.  Avec  le  libellus  de  Man- 
chester, qui  fournit  un  nouvel  Aurelius 
et  une  nouvelle  Aurélia,  mais  surtout  avec 
la  persistance  invariable  de  ce  prénom 
dans  les  libelli  de  Hambourg,  il  n'y  a  plus 
moyen  de  se  dérober  à  l'explication  que 
provoque  et  qu'impose  cette  particularité. 
Aurelius  était  le  prénom  deCaracalla,  dont 
quarante  ans  auparavant  la  fameuse  loi 
Antonina  donnait  à  tous  les  habitants  de 
l'empire  la  qualité  de  citoyen  romain.  Or, 
c'était  l'usage,  on  le  sait,  que  les  bénéfi- 
ciaires étrangers  de  cette  faveur  prissent 
le  nom  du  personnage  qui  la  leur  avait 
octroyée. 

Poursuivons.  La  formule  impériale,  non 
contente  de  ramener  les  chrétiens  au  pa- 
ganisme, veut  annuler,  réduire  à  néant, 
autant  qu'il  est  en  elle,  la  profession  anté- 
rieure du  christianisme.  Il  faut  (xaTa  Ta 
TîpOTTîtavaéva,  aliàs  7:poc7TayOr/ra,  aliàs 
xelvjyUvry.)  protester  d'abord,  pour  le 
passé,  qu'on  n'avait  jamais  cessé  de  sacri- 
fier aux  dieux  :  xal  àsl  Hùo'jrry.  [aliàs  0.  xal 
2Ùa-s,3o'Jo-a,  on  bien  0.  xal  o-Tiévôtov)  toi; 
^£01;  oiâTsÀso-a;  et  le  chef  de  famille  le 
déclarait  pour  tous  les  siens,  s'il  y  avait 
lieu,  comme  dans  le  deuxième  libellus  de 
Hambourg  :  xal  àel  asv  Oûo-js-a  xal  vjzt- 
jjovTa  Tol;  Qsolç  T'jv  ToI;  -rixvo'-?  Aùpr,Àwt,; 
AtSupiO'j  xal  Nouœio'J  xal  TaaTO.;  ôiaTSTsAs- 
xa[j.£v,  après  quoi  venait  la  déclaration, 
l'acte  précis  imposé  par  l'édit  impérial  :  xal 
vûv  £t;1  7:apoûa-i,  'Jijilv  xatà  Ta  — poTTSTayaiva 
xal  sQus-a  xal  so-TCiTa  xal  twv  leosUoV  h^z'j- 
<Tà|jiy,v,  c'est-à-dire  le  sacrifice,  la  libation, 
la  communion  à  la  victime.  Cela  fait,  on 
demandait  aux  magistrats  de  légaliser 
cette  déclaration,  xal  àHiw  'jjjlôc;  uT.oTr^^^ziùi- 
o-aTÔai  uo'.,  puis  l'on  saluait  :  A'.surjytlTa'. 

(pu   Au'JT'J'/sItî). 

Dans  le  cas  présent,  la  libellatique  du 
papyrus  de  Manchester  étant  illettrée, 
c'est  Aurelius  Irenaeus,  son  mari,  qui  par- 
lait en  son  nom,  comme  il  a  soin  de  le 


dire  lui-même  :  Aùpr^Aioç  ElpT,vato<î  eypa-ia 
'jrèp  a-jT-À;?  à^'potfjLjjiàTou.  Cependant,  il  est 
à  noter  que,  jusque-là,  la  transcription 
de  la  formule  est  d'une  autre  main  que  la 
sienne.  "Eypa-j^a  s'applique  donc  exclusi- 
vement à  ce  qu'il  vient  de  dire  et  aux 
trois  mots  qui  précèdent  :  AùprjACa  AyjIxw; 
STriosSoixa. 

Cet  ÈTriôsoioxa  ne  paraît  jusqu'à  présent 
figurer  que  dans  les  libelli  des  illettrés. 
Du  moins,  je  ne  le  retrouve  avec  certi- 
tude (car  la  lecture  du  papyrus  de  Krebs 
me  laisse  des  doutes)  que  dans  le  libellus 
de  l'archiduc  Rénier,  bien  entendu,  comme 
ici,  d'une  autre  écriture  que  celle  du  corps 
de  la  déclaration  :  Aùpr;  aio;  Si>poç  xal  ITaf- 
3f,ç  £— losotôxaucv.  'lî'lotoooc  È'voa'i/a  'j~ïz 
a'jTwv  àypauuàTwv.  Enfin,  l'on  retrouve  la 
première  main  tout  en  bas  du  libellus. 
C'est  elle  qui  écrit  la  date,  en  l'exprimant 
invariablement  sous  la  forme  mixte  qu'on 
a  vue  plus  haut:  l'année  de  l'empereur 
Dèce,  et  le  jour  du  mois  égyptien. 

Détail  à  noter  :  tous  nos  libelli,  sauf  un, 
se  renferment  entre  le  12  et  le  26  juin  de 
la  première  année  de  Dèce.  Encore  faut-il 
ajouter  que  celui  qui  s'écarte  de  ces  limites 
ne  le  fait  pas  au  delà  du  14  juillet.  J'ajoute 
qu'entre  cette  date  et  le  corps  de  la  décla- 
ration, le  greffier  rédacteur  de  la  formule 
avait  laissé  libre  sur  le  papyrus  un  assez 
large  espace  réservé  à  l'attestation  du  ma- 
gistrat impérial.  C'est  l'objet  d'une  nou- 
velle formule,  et  cette  formule,  étant  de 
protocole,  ne  varie  d'un  libellus  à  l'autre 
que  par  le  nom  du  magistrat  qui  est  in- 
tervenu :  Aùpr,A!,04  SaSslvoç  itp'jTav'.?  tXoô-i 
■71  OûouTav. 

Les  libelli  de  Hambourg  sont  tous  homo- 
logués par  les  deux  Aurelii  Serenus  et 
Hermas,  celui  de  Krebs  ne  l'est  que  par 
un  seul,  Aurelius  Syrus.  Celui  de  Man- 
chester ne  l'est  non  plus,  on  le  voit,  que 
par  un  seul,  mais  il  ajoute  au  nom  d'Au- 
relius  Sabinus,  ce  que  nous  ne  lisons  nulle 
part  ailleurs,  son  titre  de  membre  du 
prytanée. 

11  est  probable  qu'une  observation  plus 
attentive  de  nos  papyrus  nous  ferait  pé- 
nétrer plus  avant  dans  leurs  secrets.  Mais 


LES    «   ORIENTALIA  »    DE    LA    BIBLIOTHÈQUE  JOHN    RYLANDS 


363 


déjà  que  de  choses  intéressantes  n'appre- 
nons-nous pas,  rien  qu'à  la  lecture  com- 
parée des  quinze  à  vingt  lignes  dont  se 
compose  ce  misérable  certificat? 

L'analyse  matérielle  et  paléographique 
elle-même  contribuerait  à  nous  représenter 
la  légalité  romaine  en  exercice.  Ainsi  la 
formule  était  établie  sur  d'étroites  bandes 
de  papyrus  beaucoup  plus  longues  que 
larges,  et  dont  il  semble  qu'on  ait  déter- 
miné jusqu'au  format,  en  vue  du  classe- 
ment dans  les  archives,  sans  doute.  Des 
scribes  —  ils  n'ont  jamais  fait  défaut  en 
Egypte  —  au  service  des  commissaires 
se  partagaient  la  besogne  de  transcription 
du  modèle  impérial.  Le  D^  Meyer,  ayant 
eu  la  bonne  fortune  d'un  lot  de  même 
provenance  qui  le  mettait  à  même  d'en 
établir  la  statistique  comparée,  peut  ré- 
(•  partir  entre  quatre  vo;j.oYpi'fO'.  de  Theadel- 
j  phia  ses  vingt  libelli.  D'autres  fonction- 
'  naires,  une  fois  l'apostasie  consommée, 
revêtaient  l'acte  du  visa  officiel  dans  la 
partie  du  papyrus  demeurée  libre  pour  ce 
motif.  Le  D^  Meyer  en  trouve  quatre  pour 
ses  vingt  libelli,  ce  qui  nous  fait  con- 
naître, soit  par  leur  nom,  soit  par  leur 
écriture,  une  dizaine  d'agents  officiels, 
mis  en  mouvement,  rien  qu'à Theadelphia, 
dans  l'espace  d'un  mois  à  peine,  pour 
légaliser  vingt  déclarations  d'apostasie. 

Les  papyrus  de  Hambourg  offrent  en- 
core, parfois,  une  particularité  qu'on  ne 
s'explique  pas  très  bien.  Je  veux  parler 
d'une  signature  proprement  dite,  celle 
d'Hermas,  l'un  des  deux  membres  de  la 
Commission  de  Theadelphia.  Cet  Hermas, 
non  content  de  la  formule  qui  lui  fait  dire 
avec  son   collègue  :    \-jz-r'K:o:    l-yr^yj;  -/.al 


'Epai.;  do%^h  7t  (ou  Ouâ;)  f)j7'.<x^0'/^7.  (ou 
OuT'.à^ovTa.;),  reprenant  les  termes  de  la 
déclaration  (iç'.w  Oaâ^  O-OTr.iJiîcÔTas-Oa'.) 
ajoute  aussitôt,  en  très  grosse  écriture 
onciale  (tout  le  reste  est  en  cursive)  et  en 
abrégeant  diversement  soit  son  nom,  soit 
le  verbe  protocolaire  :  ePM  CECHM(  E:;j.aç 

TcTT.'JLîÛoaa'-i. 
'l  l        / 

Bref,  il  se  dégage  de  toute  cette  mise 
en  scène,  de  toute  cette  variété  de  person- 
nages dont  les  diverses  écritures  trahissent 
l'intervention,  je  ne  sais  quoi  de  révéla- 
teur, je  ne  sais  quelle  évocation  soudaine 
de  quelques  épisodes  dune  persécution 
désespérée.  Nous  devenons,  en  quelque 
sorte,  les  témoins  de  l'histoire  doulou- 
reuse que  devait  être  celle  des  lapsi.  Mais 
aussi  quel  intéressant  formalisme  centra- 
lisateur, et  quel  respect  de  la  consigne  pa- 
perassière de  l'administration  impériale  1 
On  voitque  tout  était  uniformément  prévu . 
même  matériellement,  pour /assurer  ne 
varietur  à  Ledit  furieux  de  Vautocrator 
l'obéissance  la  plus  ponctuelle.  Aujour- 
d'hui même,  avec  nos  modèles  imprimés, 
notre  nivellement,  nos  préfets,  nos  huis- 
siers et  nos  gendarmes,  nous  ne  ferions 
ni  mieux  ni  pire. 

On  me  pardonnera,  j'espère,  en  raison 
de  la  nouveauté  de  ce  genre  de  documents, 
la  complaisance  avec  laquelle  je  me  suis 
étendu  sur  le  libellusde  Manchester,  auquel 
en  ce  moment  même  viennent  s'ajouter 
si  à  propos  les  papyrus  analogues  de  Ham- 
bourg, en  attendant  d'autres  découvertes 
qui  ne  peuvent  manquer. 


Germanos  Gallophyllax. 


Rvde. 


LA   CRISE   ARMÉNIENNE   CATHOLIQUE 


Voici  bientôt  un  demi-srècle  que  l'Eglise 
arménienne  catholique  est  en  proie  à  un 
mal  intérieur  qui  la  ronge  et  la  débilite. 
Le  schisme  antihassouniste,  qui  dura  dix 
ans,  de  1869  ^  ^^19>  "'^  P^s  cessé  de 
faire  sentir  ses  effets.  Une  opposition 
sourde  contre  le  haut  clergé  se  manifes- 
tait de  temps  en  temps  chez  certains  laïques  ; 
mais,  sous  la  férule  d'Abdul-Hamid,  ils 
n'osaient  trop  remuer,  dans  la  crainte  très 
justifiée  de  passer  pour  des  révolution- 
naires. La  proclamation  de  la  Constitution, 
en  juillet  1908,  leur  permit  de  manifester 
publiquement  leur  mécontentement.  Au 
mois  d'août  suivant,  il  se  produisit  dans 
l'église  patriarcale  de  Saint-Jean  Chrysos- 
tome,  à  Péra,  des  scènes  scandaleuses;  le 
patriarche,  un  vieillard  infirme,  Me""  Sab- 
baghian,  fut  injurié  et  sommé  de  donner 
sa  démission.  C'est  ce  qu'il  fit  quelques 
mois  plus  tard,  pour  le  bien  de  la  paix. 
On  choisit  pour  lui  succéder  Ms""  Terzian, 
évêque  d'Adana,  qui  avait  hautement  pris 
la  défense  de  ses  compatriotes  lors  des 
massacres  d'Arménie.  Cette  élection,  dé- 
sirée depuis  longtemps  par  les  catholiques 
arméniens,  se  fit  à  l'unanimité  des  suf- 
frages. Or,  moins  de  dix-huit  mois  après, 
la  lutte  reprenait  de  plus  belle.  Que 
s'était-il  donc  passé? 

Pour  le  comprendre,  il  est  bon  de  se 
rappeler  la  situation  faite  en  Turquie  aux 
chrétiens  indigènes.  Chez  eux,  les  chefs 
religieux  sont  en  même  temps  chefs  civils, 
€t,  à  ce  titre,  reçoivent  de  la  Porte  le 
^<?ra/ (i)  d'investiture.  Leur  autorité  civile 
s'étend  à  tout  ce  qui  concerne  le  statut 
personnel  des  membres  de  leurs  commu- 
nautés :  succession,  séparations  de  biens, 
tutelle,  curatelle,  adoption,  administration 
des  écoles,  des  hôpitaux,  etc.  De  plus, 
l'élection  du  patriarche  se  fait  ordinaire- 


(i)  Bérat,  diplôme  d'investiture  par  lequel  le 
gouvernement  turc  reconnaît  un  chef  religieux  et 
lui  confère  les  pouvoirs  civils  attachés  à  sa  dignité. 


ment  —  et  il  en  est  ainsi  pour  les  Armé- 
niens catholiques  —  avec  le  concours  des 
laïques.  En  effet,  l'assemblée  nationale, 
composée  en  majeure  partie  de  laïques, 
propose  une  liste  de  trois  candidats  au 
synode  ou  réunion  des  évêques,  qui  doit 
choisir  parmi  eux  le  chef  suprême  de 
l'Eglise. 

Cette  participation  relative  de  l'élément 
laïque  au  gouvernement  de  l'Eglise,  qu'on 
retrouve  dans  toutes  les  Eglises  orientales, 
ne  pouvait  manquer  d'accroître  ses  pré- 
tentions. Presque  aussitôt  après  la  révolu- 
tion de  juillet  1908,  se  réunit  au  patriarcat 
arménien  catholique  le  Conseil  adminis- 
tratif, sorte  de  parlement  national,  que 
ses  promoteurs  prétendaient  légitime 
parce  qu'il  était  conforme  au  règlement 
de  1887.  Malheureusement,  ce  règlement 
provisoire,  ou  plutôt  ce  projet  de  règle- 
ment, n'a  jamais  reçu  de  Rome  l'appro- 
bation qui  lui  était  nécessaire.  Par  esprit 
de  conciliation,  Mg""  Terzian  entra  en  rela- 
tion avec  le  Conseil  administratif.  L'ac- 
cord ne  fut  pas  long.  Le  patriarche  se  vit 
présenter  un  nouveau  règlement  encore 
plus  opposé  au  droit  canon  que  celui  de 
1887.  Les  laïques  exigeaient  que  leur  con- 
trôle portât  :  i"  sur  le  mode  de  gestion 
des  biens  de  la  nation  ;  2^  sur  la  nécessité, 
pour  le  patriarche  et  les  évêques,  de  rendre 
compte  du  produit  des  quêtes  et  des  dons  ; 
30  sur  l'emploi  des  fonds. 

Que  les  laïques  arméniens  demandent 
à  contrôler  la  manière  dont  les  biens  na- 
tionaux sont  administrés,  rien  de  plus 
juste,  s'il  s'agit  des  biens  donnés  par  les 
Arméniens  catholiques.  Il  paraît,  d'ail- 
leurs, que  le  contrôle  serait  des  plus  fa- 
ciles, car  la  communauté,  en  général  assez 
peu  fortunée,  ne  passe  point  pour  être 
très  libérale  envers  le  clergé  et  les  églises; 
elle  préfère  compter  sur  les  dons  qui  lui 
viennent  de  Rome  et  des  catholiques  oc- 
cidentaux. Mais  quel  droit  de  contrôle 
existe-t-il  pour  les  laïques  sur  les  aumônes 


LA   CRISE    ARMÉNIENNE    CATHOLIQUE 


365 


recueillies  en  Europe  par  les  évêques?  Ces 
dons  s'adressent-ils  à  l'Eglise  ou  à  la  na- 
tion arménienne  catholique?  Il  ne  viendra 
à  la  pensée  de  personne  qu'ils  sont  des- 
tinés, dans  l'intention  des  donateurs,  à 
servir  les  intérêts  de  la  nation  considérée 
comme  telle.  C'est  là  un  bien  purement 
ecclésiastique  sur  lequel  l'élément  laïque 
n'a  aucun  droit  de  contrôle. 

Pour  légitimer  ses  revendications,  le 
Conseil  administratif  prétend  que  les 
évêques  emploient  pour  leurs  besoins  per- 
sonnels une  bonne  partie  des  subsides 
recueillis  dans  le  monde  entier.  De  plus, 
ils  auraient  acheté  en  leur  nom  —  soi- 
disant  pour  la  communauté  —  des  biens 
vakoufs  (i),  qui,  à  leur  mort,  reviennent 
à  l'Etat,  ou  des  biens  ordinaires,  qui, 
étant  inscrits  en  leur  nom,  vont  à  leurs 
héritiers  naturels. 

Le  nouveau  règlement  proposé  pour 
mettre  un  terme  à  ces  abus,  vrais  ou  faux, 
donne  aux  laïques  un  contrôle  absolu  sur 
tous  les  biens  ecclésiastiques,  quelle  qu'en 
soit  l'origine.  Mg""  Teizian,  ne  pouvant 
accepter  ces  conditions,  rompit  avec  le 
Conseil  administratif.  11  quitta  alors  Cons- 
tantinople,  alla  assister  au  Congrès  eucha- 
ristique de  Madrid,  puis  se  rendit  à  Rome 
pour  la  préparation  d'un  concile  national. 

Pendant  ce  temps,  l'assemblée  laïque 
ne  cessait  de  légiférer,  de  se  répandre  en 
invectives  contre  le  patriarche  et  quelques 
évêques.  Pour  arrêter  ces  désordres, 
Mgr  Terzian  envoya  une  lettre  énergique, 
déclarant  dissoute  l'assemblée  et  mettant 
les  fidèles  en  garde  contre  les  menées 
schismatiques  du  parti  d'opposition.  Au 
lieu  de  se  soumettre,  celui-ci  causa  du 
scandale,  interdit  la  lecture  de  la  lettre 
patriarcale  dans  les  églises;  il  la  fit  même 
brûler  dans  la  cour  de  l'église  de  Saint- 
Jean  Chrysostome,  à  Péra.  On  se  serait 
cru  au  plus  beau  temps  du  schisme  anti- 
hassouniste.  Par  ordre  du  parti,  des  jeunes 


(i)  On  appelle  vakoufs  les  biens  destinés  par 
leur  proprié'aire  à  en'retenir  une  fondation  piense. 
Ils  ne  peuvent  être  transmis  qu'aux  héritiers  di- 
rects; à  défaut  de  ceux-ci,  ils  deviennent  propriété 
publique. 


gens  se  présentèrent  dans  les  différentes 
églises  de  la  ville  et  des  faubourgs  pour 
empêcher  la  lecture  de  la  lettre  patriarcale. 

I  fallut  l'intervention  d'un  policier  ou 
d'une  personne  indignée  (i)pour  mettre 
à  la  raison  ces  prétendus  défenseurs  de 
l'Eglise. 

Chose  curieuse,  en  effet,  que  l'on  re- 
trouve au  début  de  tous  les  schismes,  le 
parti  de  l'opposition  s'érige  en  champion 
de  l'Eglise  catholique,  pendant  qu'il  couvre 
d'injures  et  de  calomnies  le  patriarche  et 
les  évêques.  11  jure  fidélité  au  Pape,  trompé, 
dit-il,  par  les  prélats  ar/néniens,  et  prétend 
qu'on  veut  romaniser  l'Eglise  arménienne. 

II  insinue  même  que  Pie  X  se  montrerait 
bien  moins  favorablement  disposé  pour 
les  Eglises  orientales  que  Léon  Xlll.  Pure 
calomnie,  mais  qui  indique  chez  ses  au- 
teurs une  fâcheuse  tendance  au  schisme 
dont  ils  menacent  d'ailleurs  Rome  et  le 
haut  clergé  arménien  catholique.  «  Si  l'on 
veut  véritablement  entreprendre  à  notre 
égard  une  politique  de  romatiisation  (?), 
il  est  à  craindre  que  la  majorité  des  Ar- 
méniens catholiques,  pour  sauver  leur 
langue  et  leur  tradition,  ne  se  jettent  dans 
les  bras  de  l'Eglise  grégorienne,  et  alors 
le  schisme,  qu'on  paraît  craindre,  aura  été 
provoqué  par  ceux-là  mêmes  qui  nous 
accusent  aujourd'hui.  »  (2) 

Cette  campagne  de  presse  n'émut  point 
Mg»"  Terzian.  De  Rome  il  convoqua,  dans 
les  premiers  jours  de  septembre  (3),  tous 
les  évêques  arméniens  catholiques  à  un 
concile  qui  devait  se  tenir  dans  la  Ville 
Eternelle.  Ce  fut  une  nouvelle  explosion 
de  colère.  Le  parti  de  l'opposition  prétendit 
que  cette  mesure  était  illégale  et  absolu- 
ment contraire  aux  lois  organiques  de 
l'Eglise  nationale,  d'après  lesquelles,  à 
l'entendre,  le  concile  doit  se  tenir  à  Con- 


(i)  A  l'église  patriarcale  de  Saint-Jean  Chrysos- 
tome, à  Péra,  un  des  auteurs  du  trouble  fut  vi- 
goureusement souffleté  par  une  dame  italienne, 
outrée  du  peu  de  respect  qu'on  manifestait  pour 
le  lieu  saint  et  pour  le  patriarche. 

(2)  Journal  la  Turquie,  23  septembre  191 1.  Dé- 
claration de  Eram  Effendi,  sénateur. 

(3)  La  lettre  pontiticale  de  convocation  est  datée 
du  3o  août.  Voir  le  texte  ci-dessus,  p.  821  sq. 


366 


ECHOS   D  ORIENT 


stantinople.  Leurs  intrigues  auprès  de  la 
Porte  obtinrent  un  résultat  :  il  fut  interdit 
aux  évêques  de  quitter  le  territoire  ottoman 
sans  la  permission  du  gouvernement. 
Malheureusement  pour  les  opposants,  cette 
mesure  arrivait  un  peu  tard ,  la  plupart 
des  évêques  se  trouvaient  déjà  à  Rome. 

Pour  frapper  un  grand  coup,  on  réunit, 
toujours  d'après  le  règlement  de  1887,  l'as- 
semblée nationale  universelle.  Cette  assem- 
blée comprend  quarante-deux  membres 
de  la  capitale,  dont  huit  ecclésiastiques, 
et  les  délégués  des  provinces.  Les  ecclé- 
siastiques s'abstinrent  de  paraître.  Privée 
de  son  président,  qui  est  toujours  le  pa- 
triarche, l'assemblée  ne  se  réunit  pas 
moins  le  19  septembre,  et  prit  des  déci- 
sions très  graves.  Tout  d'abord  elle  vota 
à  l'unanimité  une  motion  affirmant  éner- 
giquement  que  M*^''  Terzian  ne  pouvait 
être  maintenu  plus  longtemps  sur  le  trône 
patriarcal.  Puis  on  envisagea  les  moyens 
propres  à  amener  son  départ.  Trois  déci- 
sions furent  prises  (i)  : 

1»  Aussitôt  après  les  fêtes  du  Bairam, 
on  transmettra  à  la  Sublime  Porte  un 
ma{bata  (2)  exposant  les  causes  de  la  mo- 
tion votée  par  l'assemblée  et  priant  le 
gouvernement  de  faire  le  nécessaire,  c'est- 
à-dire  d'exercer  une  pression  énergique 
sur  Mg'"  Terzian  pour  l'amener  à  donner 
sa  démission,  ou  de  lui  retirer  son  bérat. 

2»  Envoyer  au  Saint-Siège  un  mémo- 
randum pour  exposer  la  question  au  point 
de  vue  laïque. 

30  Signifier  à  Ms^'  Terzian  la  motion 
votée  à  l'unanimité  par  l'assemblée  natio- 
nale, lui  adresser  une  copie  du  ma:{bata 
envoyé  à  la  Sublime  Porte  et  faire  appel 
à  ses-  sentiments  patriotiques  pour  qu'il 
donne  sa  démission. 

Le  ma:{bata  transmis  au  gouvernement 
turc  se  base  sur  ce  qui  est  dit  dans  le 
bérai  d'investiture  :  «  Les  pouvoirs  du  pa- 
triarche lui  sont  conférés  à  vie  tant  qu'il 
n'agit  pas  contre  les  intérêts  de  l'empire 


{i)  La  Turquie,  23  septembre  191 1. 
(2)  Le  ma!{bata  est  un  rapport  adressé  à  la  Su- 
blime Porte. 


et  de  la  communauté.  »  Reste  à  savoir  si 
le  gouvernement  voudra  considérer  les 
actes  de  Më^r  Terzian  comme  une  atteinte 
quelconque  aux  intérêts  de  l'empire  et  de 
la  communauté.  Il  commence  à  voir  clair 
dans  ces  querelles  intérieures,  puisqu'il 
vient  de  permettre  à  deux  évêques  de  se 
rendre  à  Rome  pour  le  concile.  Il  a  d'ail- 
leurs trop  de  soucis  pour  prendre  parti 
dans  cette  querelle. 

Pour  ce  qui  est  de  la  seconde  décision, 
l'assemblée  nationale  a  en  effet  envoyé  au 
Pape,  le  12  octobre,  un  mémoire  de  plus 
de  cinquante  pages,  exposant  les  causes 
de  la  crise  actuelle  que  traverse  l'Eglise 
arménienne  catholique  et  les  raisons  pour 
lesquelles  s'impose  la  revision  du  statut 
organique.  L'opposition  fait  valoir  les 
griefs  cités  plus  haut  contre  l'épiscopat  et 
proteste  contre  les  intentions  de  schisme 
qu'on  lui  prête  (i). 

l^endant  que  tout  cela  se  passait  à  Cons- 
tantinople,  le  concile  arménien  catholique 
se  réunissait  à  Rorrte,  le  15  octobre,  dans 
l'église  nationale  de  Saint-Nicolas  de  To- 
lentino,  avec  seize  évêques  venus  de 
Turquie,  d'Autriche  et  d'Italie.  Quelques 
jours  plus  tard  avait  lieu  la  consécration 
de  neuf  évêques  nommés  directement  par 
le  Pape,  dont  trois  titulaires. 

Tout  cela  n'est  pas  pour  plaire  à  l'as- 
semblée nationale.  La  lutte  devient  de  jour 
en  jour  plus  vive  contre  le  locum  tenens 
et  le  kapou-héhaya  (2)  nommés  par  le  pa- 
triarche. On  menace  de  supprimer  la 
prière  publique  qui  se  fait  à  la  grand'- 
messe  pour  le  patriarche.  Afin  d'éviter  de 
plus  grands  désordres,  le  clergé  a  dû  sup- 
primer la  messe  solennelle  dans  toutes  les 
églises  pour  n'avoir  pas  à  prononcer  à 
haute  voix  le  nom  du  patriarche. 

Que  résultera-t-il  de  cette  crise?  Le 
concile  qui  se  tient  à  Rome  sous  les  yeux 
du  Pape,  et  qui  est  seul  qualifié  pour  cela, 
va  sans  doute  élaborer  un  nouveau  règle- 
ment plus  conforme   au  droit  écclésias- 

(i)  Journal  le  Moniteur  oriental,  i3  octobre. 

(2)  Le  kapou-héhaya  est  le  représentant  d'une 
communauté  chrétienne  auprès  du  gouvernement 
turc  pour  les  affaires  civiles. 


BIBLIOGRAPHIE 


367 


tique  et  trancher  une  fois  pour  toutes  les 
questions  irritantes  qui  divisent  l'Eglise 
arménienne  catholique  depuis  plus  de 
quarante  ans.  Quel  accueil  feront  aux  dé- 
cisions conciliaires  les  partisans  de  l'op- 
position? 11  est  difficile  de  le  prévoir. 
Peut-être  verrons-nous  se  reproduire  les 
incidents    malheureux    qui    ont    marqué 


en  1869  ''^  promulgation  de  la  Bulle 
Reversitnis.  Ceux  qui,  mal  éclairés,  ont 
cependant  conservé  la  foi  catholique,  se 
soumettront  aux  décisions  de  Rome;  les 
autres  se  sépareront,  et  ce  sera  tant  mieux 
pour  l'Eglise  arménienne  catholique. 

R.  Janin. 


-**-^î8C~«»- 


BIBLIOGRAPHIE 


F.  Nau,  Nestorius  d'après  les  sources 
orientales.  Paris,  Bloud,  igii.  i  vol. 
in-i2  de  60  pages.  Prix  :  o  fr.  60. 

M.  Nau,  qui  a  rendu  au  monde  savant 
le  signalé  service  de  traduire  en  fran- 
çais le  Livre  d'Héraclide,  donne,  dans  la 
présente  brochure,  un  court  aperçu  sur  la 
vie  de  Nestorius  et  l'histoire  de  la  contro- 
verse nestorienne,  en  utilisant  les  sources 
orientales,  et  principalement  le  Livre 
d'Héraclide  lui-même.  Ces  sources  orien- 
tales sont  fort  sujettes  à  caution;  M.  Nau 
nous  en  avertit.  Aussi  faut-il  se  garder 
d'apprécier  la  controverse  nestorienne 
d'après  cette  courte  esquisse,  où  des  faits 
importants  et  bien  attestés  sont  passés 
sous  silence  et  où  l'on  entend  Nestorius 
faire  sa  propre  apologie. 

Pour  porter  un  jugement  équitable  sur 
saint  Cyrille  et  sur  le  concile  d'Ephèse,  il 
faut  faire  grande  attention  aux  prélimi- 
naires de  ce  concile  et  ne  pas  oublier  que 
le  cas  de  Nestorius  avait  été  préalablement 
examiné  et  tranché  à  Rome,  non  d'après 
les  seuls  rapports  de  saint  Cyrille,  mais 
d'après  les  écrits  que  Nestorius  lui-même 
avait  envoyés  au  Pape.  M.  Nau  semble 
l'oublier,  quand  il  écrit  :  «  Parce  que 
saint  Cyrille,  après  avoir  envoyé  à  Rome 
une  traduction  latine  de  fragments  de  Nes- 
torius, avait  obtenu  un  blanc-seing  du 
pape  Céiestin,  toute  l'Eglise,  sans  excep- 
tion, a  reçu  le  premier  concile  d'Ephèse  » 
(P.  36).  Le  petit  aperçu  historique  donné 
dans  le  chapitre  III  sur  ce  concile  est  vrai- 
ment trop  rapide. 

M.  JUGIE. 


A.  Tanquerey,  Synopsis  theologiœ  dog- 
maticœfundamentalis  (i3*'  édition  entiè- 
rement refondue).  Rome,  1910,  in-8'', 
xxxni-748  pages. 

M.  Tanquerey  vient  de  faire  subir  à  son 
manuel  bien  connu  de  Théologie  fonda- 
mentale d'importantes  retouches,  qui  en 
font  presque  un  livre  nouveau.  Il  y  a  des 
additions  opportunes,  d'heureuses  suppres- 
sions et  un  remaniement  presque  complet 
dans  le  plan.  L'auteur  a  su  profiter  en 
général  des  travaux  les  plus  récents  sur 
les  diverses  questions  qu'il  étudie.  Dans 
le  traité  de  l'Eglise,  il  bataille  surtout 
contre  les  protestants  et  ne  s'occupe  pas 
beaucoup  des  orthodoxes  orientaux,  bien 
qu'il  ait  mis  à  profit  le  court  aperçu  de 
M.  l'abbé  Charon,  dans  son  ouvrage  sur 
le  Quinzième  centenaire  de  saint  Jean 
Chrysostome  et  certains  articles  du  Dic- 
tionnaire de  théologie  Vacant-Mangenot, 
dus  à  la  plume  des  rédacteurs  des  Echos 
d'Orient.  La  lecture  directe  de  notre  revue 
eût  sans  doute  fourni  à  M.  Tanquerey  des 
arguments  plus  nombreux  et  plus  probants 
que  les  courtes  indications  qu'il  donne 
pour  établir  que  l'Eglise  schismatique  n'est 
pas  la  véritable  Eglise. 

Ces  indications,  d'ailleurs,  ne  sont  pas 
toujours  exactes.  On  lit  à  la  page  504  : 
«  Autrefois,  le  divorce  n'était  permis,  dans 
l'Eglise  grecque,  qu'en  cas  d'adultère.  Or, 
d'après  un  récent  décret  du  saint  synode 
de  Russie,  le  divorce  est  permis  à  cause  de 
la  maladie  incurable  de  l'un  des  conjoints 
ou  pour  incompatibilité  d'humeur,  etc.  » 
Le  décret  du  saint  synode  dont  il  est  parlé 


368 


ÉCHOS   d'orient 


ici  n'a  jamais  existé.  Il  y  a  eu  tout  au  plus 
des  projets  qui  n'ont  pas  encore  été  sanc- 
tionnés. On  sait  d'ailleurs  que  l'Eglise  russe 
reconnaît  trois  cas  de  divorce  :  l'adultère, 
l'absence  prolongée  et  la  perte  de  tous  les 
droits  civils  Pour  ce  qui  regarde  1  Eglise 
grecque,  je  crois  que  1'  «  autrefois  »  de 
M.  Tanquerey  est  fort  ancien,  l'Eglise 
byzantine  ayant  de  très  bonne  heure  toléré 
puis  accepté  les  cas  de  divorce  indiqués 
dans  les  lois  civ  les.  Dans  une  récente 
étude  sur  les  cas  de  divorce  dans  l'Eglise 
byzantine  du  ix*  au  xv*  siècle,  parue  dans 
la  revue  russe  :  la  Lecture  chrétienne, 
M.  I.  Sokolofen  a  compté  une  vingtaine. 
Les  autocéphalies  grecques  de  nos  jours 
en  pratiquent  tout  autant.  L'Eglise  bul- 
gare en  admet  une  dizaine. 

A  la  même  page  504,  on  reproche  aux 
Russes  «  de  reconsacrer  les  métropolites 
qui  sont  élevés  au  patriarcat  ».  Ce  rensei- 
gnement, ue  l'auteur  a  dû  emprunter  au 
P.  Tondini  ou  à  quelqu'un  qui  l'a  copié, 
n'a  pas  grande  actualité,  vu  qu'il  y  a  1  >ng- 
temps  qu'il  n'y  a  plus  de  patriarches  russes. 
Il  est  d'ailleurs  dénué  de  toute  valeur  apo- 
logétique, le  cas  en  question  s'étant  produit 
peut-être  une  ou  deux  fois  dans  une  Eglise 
particulière,  célèbre  alors  par  son  igno- 
rance. De  nos  jours,  il  n'est  pas  un  thiolo- 
gien  orthodoxe  qui  soutienne  que  la  con- 
sécration patriarcale  est  une  répétition  de 
l'ordination  épiscopale. 

Signalons  encore  un  argument  sans  va- 
leur qui  court  les  manuels  occidentaux  et 
qui  a  trouvé  place  dans  la  Synopsis  de 
M.  Tanquerey  à  la  page  5 12.  Cet  argu- 
ment consiste  à  faire  appel  à  l'existence 
des  nombreuses  sectts  russes  pour  établir 
que  l'Eglise  orientale  manque  de  la  no;e 
d'unité.  Ces  sectes  russes  étant  excommu- 
niées et  anathématisées  par  l'Eglise  ofii- 
cielle,  leur  existence  ne  prouve  pas  plus 
contre  l'unité  de  cette  Eglise  que  l'exis- 
tence des  nombreuses  sectes  protestantes 
nées  au  sein  du  christianisme  occidental 
ne  détruit  l'unité  de  l'Eglise  romaine  ca- 
tholique. Il  faut  donc  renoncer  à  cet  argu- 
ment sans  portée  et  en  chercher  d'autres 
—  il  en  existe  beaucoup  —  pour  montrer 
l'absence  d'unité  dans  l'Eglise  orthodoxe 
d'Orient. 

M.  Tanquerey  paraît  ignorer,  p.  637,  le 
délicat  problème  que  souiève  l'origine  du 
symbole   nicénoconstantinopolitain.    Il   a 


paru  cependant  là-dessus  en  ces  dernièri^s 
années  de  savantes  études  qui  établissent 
que  ce  symbole  ne  fut  pas  composé,  mais 
tout  au  plus  approuve  par  le  concile  de  38i . 
Le  symbole  existait,  en  eflfet,  avant  38i. 
Contrairement  à  ce  qu'affirme  l'auteur,  le 
concile  d'Ephèse  ignore  complètement  le 
nicéno-co.istantinopolitain. 

M.  JUGIE. 

L.  Fendt,  Die  Christologie  des  Nestorius. 
Kempten,  19 10,  in-8",  viii-120  pages. 

Cette  monographie  comprend  cinq  cha- 
pitres. Dans  le  premier,  l'auteur  donne 
un  bon  aperçu  sur  le  développement  de 
la  christologie  dans  l'école  d'Antioche  et 
dans  l'école  d'Alexandrie.  Dans  le  second, 
il  examine  la  doctrine  de  Nestorius  d'après 
Ls  écrits  qui  nous  restent  de  lui,  et  il  con- 
clut qu'à  y  regirder  de  près,  le  condamné 
d'Ephèse  n'a  pas  enseigné  d'hérésie  et  n'a 
admis  dans  le  Christ  qu'une  seule  personne, 
la  personne  de  Dieu  le  Verbe  (p.  33).  Les 
troisième  et  quatrième  chapitres  nous  ren- 
seignent sur  la  doctrine  christologique  des 
ennemis  et  des  amis  de  Nestorius,  et  nous 
font  connaître  les  jugements  que  ses  enne- 
mis ont  portés  sur  sa  christologie.  Le  cha- 
pitre final  est  intitulé  :  La  doctrine  de 
Nestorius  considérée  comme  hérésie.  Ce 
qui  y  est  dit  est  assez  surprenant.  D'un 
côté,  Nestorius  est  proclamé  orthodoxe; 
de  l'autre,  saint  Cyrille  est  salui  comme 
le  sauveur  de  l'orthodoxie,  qui  ne  s'est  pas 
battu  contre  une  ombre.  Comment  conci- 
lier ces  affirmations  qui  paraissent  contra- 
dictoires? M.  Fendt  s'en  tire  en  faisant 
remarquer  que  les  formules  nestorieanes 
étaient  très  dangereuses  pour  la  toi,  et 
«  pouvaient,  le  cas  échéant,  étouffer  la 
totalité  des  principes  orthodoxes  ». 

Dire  que  Nestorius  était  orthodoxe  tan- 
dis que  ses  formules  ne  l'étaient  point  est 
une  thèse  difficile  à  prouver,  car  comment 
connaît-on  la  pensée  intime  de  .\estorius  si 
ce  n'est  par  les  formules  qu  il  a  employées? 
M.  Fendt,  qui  a  écrit  avant  la  publication 
du  Livre  d'Héraclide,  a  eu  le  tort  d'ac- 
corder une  pleine  confiance  à  l'exégèse  de 
M.  Béthune-Baker.  C'est  seulement  par 
l'étude  tendancieuse  de  celui-ci  qu'il  a 
connu  le  Livre  d'Hérac'ide.  Il  y  a  lieu  de 
s'étonner  qu'il  ait  accepté  la  conclusion  du 
savant  anglican  sur  l'orthodoxie  de  Nesto- 


BIBLIOGRAPHIE 


369 


rius;  il  reconnaît,  en  effet,  que  Nestorius 
était  disciple  de  Théodore  de  Mopsueste, 
et  que  celui-ci  a  enseigné  le  dualisme 
hypostatique  dans  le  Christ.  Le  témoi- 
gnage de  toute  l'antiquité  chrétienne  aurait 
dû  l'emporter  dans  son  esprit  sur  les  affir- 
mations d'un  avocat  tard  venu  du  con- 
damné d'Ephèse. 

M.   JUGIE. 

JACQUIER  ET  BouRCHANY,  La  Résurrectioïi 
de  Jésus-Christ  et  les  miracles  évangé- 
liques.  Conférences  apologétiques  don- 
nées aux  Facultés  catholiques  de  Lyon. 
Paris, Gabalda,  191 1,  in-i2,xxi-3io  pages. 
Prix  :  3  fr.  5o. 

Comme  l'indique  le  titre,  MM.  Jacquier 
et  Bourchany  ont  réuni  dans  cet  ouvrage 
les  huit  conférences  qu'ils  ont  données  aux 
Facultés  catholiques  de  Lyon  sur  la  résur- 
rection de  Jésus-Christ  et  sur  les  autres 
miracles  du  Maître.  Au  fond,  les  deux 
auteurs  ont,  en  effet,  traité  le  même  sujet, 
à  savoir  :  les  preuves  scientifiques  qui 
nous  obligent  à  croire  à  la  réalité  des 
miracles  du  divin  Maître.  Et  comme  le 
plus  grand  de  ces  miracles  est  sans  con- 
tredit la  Résurrection  du  Christ,  M.  Jac- 
quier s'est  attaché,  dans  les  quatre  pre- 
mières conférences,  à  établir  les  preuves 
historiques  de  ce  premier  miracle,  prou- 
vant d'abord  le  fait  de  la  mort,  de  l'ense- 
velissement et  de  la  Résurrection  de  Jésus, 
puis  examinant  le  caractère  de  la  foi  des 
apôtres  à  cette  Résurrection,  et  enfin  dis- 
cutant longuement  les  systèmes  rationa- 
listes relatifs  à  cette  même  Résurrection. 

Cette  première  question  élucidée,  il  res- 
tait à  discuter  le  caractère  historique  des 
autres  miracles  du  Christ.  Avec  plus  d'élo- 
quence peut-être,  mais  aussi,  semble-t-il, 
avec  moins  de  précision,  M.  Bourchany 
a  résolu  cette  seconde  partie  du  problème, 
établissant  tour  à  tour  la  réalité  historique 
des  faits  miraculeux  rapportés  par  les  Evan- 
giles, leur  caractère  surnaturel,  leur  valeur 
démonstrative  en  faveur  de  l'affirmation 
personnelle  de  messianité  et  de  filiation 
divine  émise  par  Jésus,  et  enfin  le  carac- 
tère miraculeux  de  la  sainteté  incompa- 
rable du  Sauveur. 

Dans  l'ensemble,  les  preuves  apportées 
par  M.  Bourchany  constituent  certaine- 
ment une  démonstration   au  moins  pro- 


bante. Parfois,  cependant,  la  conclusion 
tirée  semble  dépasser  la  portée  des  pré- 
misses posées.  Ainsi,  à  la  page  214,  du  fait 
que,  dans  le  récit  évangélique  de  plusieurs 
guérisons,  on  ne  dit  pas  que  Notre-Seigneur 
exige  la  foi  des  malades  qu'il  guérit,  l'au- 
teur conclut  que  le  divin  Maître  ne  la 
demande  jamais  d'ordinaire.  Pour  que  cette 
déduction  fût  certaine,  il  faudrait  que,  d'or- 
dinaire aussi,  l'Evangile  rapporte  intégra- 
lement toutes  les  circonstances  des  faits 
mentionnés.  Or,  on  sait  que  les  récits 
évangéliques  renferment  un  bon  nombre 
de  lacunes.  Par  suite,  il  n'est  pas  impos- 
sible que  l'omission  des  questions  de  Xotre- 
Seigneur  relativement  à  la  foi  des  malades 
soit  précisément  une  de  ces  lacunes  ;  et,  dès 
lors,  la  conclusion  de  notre  auteur  perd  de 
sa  certitude. 

En  somme,  quand  on  a  lu  les  ouvrages 
publiés  précédemment  par  MM.  Jacquier 
et  Mangenot  sur  des  questions  connexes 
de  celle-ci,  on  apprend  peu,  très  peu  à  la 
lecture  de  ce  livre.  Toutefois,  la  forme  bien 
littéraire  de  l'exposition  plaira  aux  lecteurs 
qui  ont  horreur  des  argumentations  trop 
techniques  et  qui.  en  revanche,  goûtent  plus 
volontiers  cette  sorte  d'exégèse  débarrassée 
du  fatras  de  l'érudition  qu'on  pourrait 
appeler  :  l'exégèse  pour  tout  le  monde. 

E.    MONTMASSON. 

G.  Larigaldie,  Le  vénérable  Justin  de 
Jacobis,  prêtre  de  la  Mission,  premier 
vicaire  apostolique  de  l\\by'ssinie{i8oo- 
1860),  d'après  des  documents  inédits. 
Paris,  Lethielleux  1910',  in- 12,  xxv- 
348  pages.  Prix  :  2  fr.  5o. 

C'est  une  belle  figure  de  saint  et  de  mis- 
sionnaire que  celle  du  vénérable  Justin  de 
Jacobis.  Cet  apôtre  de  l'Abyssinie  mérite 
bien  le  titre  de  héraut  du  Christ,  dont 
M.  Larigaldie  fait  précéder  la  biographie 
qu'il  nous  en  présente.  Nos  lecteurs  ne 
pourront  être  que  vivement  intéressés  à  la 
lecture  de  ces  pages  racontant  l'apostolat 
d'Abouna  Jacob  i^c'est  le  nom  que  don- 
naient les  indigènes  au  vaillant  Lazariste) 
parmi  les  Abyssins.  Ils  y  verront  le  dé- 
vouement du  missionnaire  catholique 
pour  se  faire  tout  à  tous,  en  dépit  des 
préjugés  et  des  superstitions  de  son  peuple, 
ses  efforts  pour  la  formation  d'un  clergé 
indigène  et  pour  la  renaissance  de  l'Eglise 


370 


ECHOS    D  ORIENT 


d'Abyssinie.  L'introduction,  mise  en  tête 
du  volume  par  M.  Coulbeaux,  ancien  mis- 
sionnaire dans  le  même  pays  lui  aussi,  est 
une  garantie  d'exactitude  qui  sera  fort 
appréciée.  Nous  eussions  souhaité  plus 
d'originalité  et  de  relief  dans  l'utilisation 
et  la  mise  en  valeur  des  documents. 

Hormis  ce  défaut,  de  portée  générale, 
concernant  la  composition  et  le  style, 
je  n'ai  à  relever,  dans  cet  ouvrage,  que 
des  veilles  typographiques,  assez  nom- 
breuses cependant  pour  mériterd'attirer  l'at- 
tention de>  éditeurs.  A  maintes  et  maintes 
reprises,  une  phrase  affirmative,  mais  com- 
mençant par  la  conjonction  aussi  ou 
quelque  autre  analogue,  se  trouve  terminée 
par  un  point  d'interrogation  qui  n'a  abso- 
lument rien  à  faire  là.  Voir  aux  pages  xiv, 
52,  66,  86,  io8,  109,  117,  121,  i32,  i33,  etc. 
De  plus,  les  italiques  sont  multipliés  à 
l'excès  et  sans  raison  suffisante.  La  note 
placée  par  erreur  à  la  page  Sg  doit  être 
reportée  à  la  page  58.  Enfin,  p.  98,  au  lieu 
de  inculque,  c'est  inculpe  qu'il  faut  lire. 

S.  Salaville. 

J.  Labourt,  p.  Batiffol,  Les  Odes  de 
Salomon,  une  œuvre  chrétienne  des  en- 
virons de  l'an  100-120,  traduction  fran- 
çaise et  introduction  historique.  Paris, 
Gabalda,  191 1,  in-8°,  viii-122  pages. 
Prix  :  4  francs. 

Nous  avons  déjà  eu  occasion  de  signaler 
(Echos  d'Orient,  juillet  191 1,  p.  221  sq.) 
l'important  travail  sur  les  Odes  de  Salo7non 
fourni  à  la  Revue  biblique  par  deux  colla- 
borateurs éminents,  M.  l'abbé  Labourt  et 
M^^""  Batiffol.  Le  premier  s'est  chargé  de 
traduire  le  texte  syriaque;  le  second,  de  le 
commenter.  La  réunion  de  ces  pages,  fort 
savantes  assurément,  mais  de  science  bien 
catholique  et  de  clarté  bien  française,  vaut 
la  peine  d'être  saluée  avec  une  joie  spéciale 
au  milieu  de  la  confusion  créée  jusqu'à  pré- 
sent par  toute  la  littérature  anglo-allemande 
de  ce  sujet  neuf.  Théologiens,  exégètes  et 
historiens  de  l'antiquité  chrétienne  devront 
désormais  avoir  lu  ce  petit  ouvrage,  auquel 
le  R.  P.  Lagrange  se  félicite,  à  bon  droit, 
d'avoir  donné  occasion.  Indiquons  seule- 
ment ici  la  conclusion  de  M^""  Batiffol,  qui 
voit  dans  le  christianisme  des  Odes  «  un 
mysticisme  en  marge  de  la  grande  Eglise, 
vraisemblablement  le  même  que  combat 


Ignace  d'Antioche  ».  On  peut  le  localiser 
en  Syrie,  peut-être  dans  la  province  d'Asie, 
et  le  dater  de  la  période  100-120.  Un  bon 
Index  eût  été  fort  apprécié  des  travailleurs. 
S.  Salaville. 

P.  Batiffol,  L'Eglise  naissante  et  le  catho- 
licisme, 5'=  édition,  Paris,  Gabalda,  1911, 
in-i2  xxviii-520  pages.  Prix  :  4  francs. 

h^s  Echos  d'Orient  {x.Wl,  1909,  p.  i85) 
ont  annoncé  et  recommandé  en  son  temps 
la  première  édition  de  ce  bel  ouvrage,  qui 
restera  capital.  Il  a  eu  partout  le  succès 
qu'il  méritait.  Traduit  en  allemand  et  en 
anglais,  près  de  l'être  aussi  en  italien  et  en 
espagnol,  ce  livre  a  provoqué  de  la  part  de 
M.  Harnack  les  aveux  les  plus  sugge^ifs. 
Aussi  devons- nous  féliciter  à  nouveau 
M-""  Batiff'ol,  à  l'occasion  de  cette  cinquième 
édition,  qui  diffère  des  précédentes  par 
des  corrections  apportées  à  bon  nombre  de 
notes  indiquées  à  la  page  xxvii  de  l'intro- 
duction, et  par  l'addition  d'un  très  utile 
Index  anafytique  (p.  497-513).  On  aurait 
souhaité  que  cette  nouvelle  édition  eût  at- 
ténué l'aspérité  de  style  de  certains  pas- 
sages de  lecture  un  peu  pénible.  C'eût  été 
ajouter  un  avantage  extérieur  de  plus  à  ce 
bon  et  beau  livre,  qui  réalise  pleinement 
la  dédicace  qu'en  fait  l'auteur  à  la  sainte 
Eglise  :  Matri  Ecclesiœ. 

S.  Salaville. 

Conférences  de  Saint-Etienne  (Ecole  pra- 
tique d'études  bibliques),  1910-1911. 
Paris,  Gabalda,  1911,  in-12,  3o8  pages. 
Prix  :  3  fr.  5o. 

Ce  second  volume  des  Conférences  de 
l'Ecole  biblique  traite  les  sujets  suivants  : 
A  la  recherche  des  sites  bibliques,  par  le 
R  P.  Lagrange;  les  Aryens  avant  Cyrus, 
par  le  R.  P.  Dhorme;  la  Prise  de  Jéru- 
salem par  les  Arabes  [638),  par  leR.  P.  Abel; 
Bonaparte  en  Syrie,  par  le  R.  P.  Génier; 
le  Vicomte  Eugène-Melchior  de  Vogué, 
par  le  R.  P.  Créchet;  la  Sculpture  franque 
en  Palestine,  par  le  R.  P.  Germer-Durand; 
Au  bord  du  lac  de  Tibériade,  par  M.  l'abbé 
Biever,  missionnaire  du  patriarcat  latin. 
Cette  énumération  de  titres  et  d'auteurs 
suffit  à  convaincre  que  ce  second  recueil 
de  conférences  unit,  non  moins  que  son 


BIBLIOGRAPHIE 


371 


prédécesseur,  la  valeur  scientifique  à  l'in- 
térêt et  à  la  variété. 

S.  Salaville. 

A.  Baumstark.  Die  christlichen  Litera- 
turen  des  Orients.  I.  Das  christ  lie  h-ara- 
maïsche  und  das  koptische  Schriftum. 
IL  Das  chrisilich-arabische  und  das 
œihiopische  Schriftum;  Das  christliche 
Schriftum  der  Armenier  undGeorgier. 
(Collection  Gœschen.) Leipzig, G.  J.  Gœs- 
chen,  i9ii,2vol.in-i6,dei54et  iiôpages. 
Prix  :  o  mark  80  chaque  volume  relié. 

Ces  deux  élégantes  plaquettes  renferment 
un  excellent  abrégé  de  l'histoire  des  littéra- 
tures chrétiennes  orientales  non  grecques; 
c'est,  à  savoir  :  la  syriaque  et  la  copte, 
l'arabe  et  l'éthiopienne,  l'arménienne  et 
la  géorgienne.  L'auteur,  le  D''  A.  Baums- 
tark,  est  un  des  orientalistes  les  plus  dis- 
tingués, auteur  d'ouvrages  remarquables  et 
directeur  de  la  revue  Oriefis  christianus. 
C'est  dire  que  ces  courtes  notices  sont  rédi- 
gées avec  soin  et  compétence.  Un  excellent 
index  sert  de  répertoire  pour  chacun  des 
deux  volumes. 

S.  Salaville. 

X.  M.  Le  Bachelet,  S.  J.,  Bellarmin  avant 
son  cardinalat  (i542-i5g8i.  Correspon- 
dance et  documents.  Paris,  G.  Beauchesne, 
191 1.  I  vol.  in-8'  de  xxxiv-56o  pages. 
Prix  :  12  francs. 

Parmi  les  théologiens  catholiques  des 
derniers  siècles  qui  ont  exercé  en  Orient 
une  influence  heureuse,  Bellarmin  vient 
certainement  un  des  premiers.  Ses  Contro- 
verses furent  l'arsenal  où  plus  d'un  théolo- 
gien orthodoxe  alla  puiser  pour  combattre 
les  doctrines  protestantes.  On  ne  sera  donc 
pas  étonné  que  nous  signalions  ici  l'im- 
portant travail  du  R.  P.  Le  Bachelet  sur 
Bellarmin  avant  son  cardinalat.  C'est  un 
recueil  bien  ordonné  de  lettres  et  de  docu- 
ments inédits  dus  à  la  plume  du  grand 
théologien  ou  se  rapportant  à  lui.  Sur 
256  lettres  et  pièces  annexes,  107  sont  de 
Bellarmin.  Les  autres  lui  sont  adressées 
ou  le  concernent  de  quelque  manière.  Les 
théologiens  liront  avec  grand  intérêt  la 
correspondance  échangée  entre  Lessius  et 
Bellarmin  à  propos  de  la  prédestination 
et  de  la  grâce,  et  les  appendices  relatifs  à 


la  composition  du  Ratio  studiorum  de  la 
Compagnie  de  Jésus, 

Toutes  les  pièces  sont  données  dans  la 
langue  où  elles  ont  été  composées,  en  latin 
ou  en  italien.  Un  résumé  succinct  en  fran- 
çais, placé  en  tète  de  chaque  document,  en 
fait  connaître  le  contenu.  Le  R,  P.  Le  Ba- 
chelet nous  avertit  dans  sa  préface  qu'il  a 
omis  certaines  lettres  de  caractère  confi- 
dentiel et  d'ordre  absolument  privé.  Ceux 
qui  voudraier^t  tout  savoir  regretteront  ces 
o'missions,  mais  d'autres  n'auront  pas  de 
peine  à  comprendre  cette  discrétion,  le  but 
de  l'auteur  n'étant  pas  préc  sèment  de  faire 
connaître  la  vie  intérieure  de  la  Compagnie 
de  Jésus  durant  la  vie  de  Bellarmin. 

M.  JUGIE 

Adhêmakd'Alès,  La  discipline pe'nitentielle 
d'après  le  Pasteur  d'Hermas  (Extrait 
des   Recherches  de  science    religieuse, 

n"*  2  et  3,  191 1,  p.  io5-i39,  240-265). 

L'écrit  mystérieux  appelé  le  Pasteur 
d'Hermas  a  été  diversement  interprété  par 
les  critiques  pour  ce  qui  regarde  la  disci- 
pline pénitentielle  de  la  primitive  Eglise. 
Les  uns  y  ont  découvert  un  rigorisme  exa- 
géré proscrivant  toute  réconciliation  ecclé- 
siastique après  le  baptême.  D'autres,  au 
contraire,  y  ont  vu  une  tendance  à  l'indul- 
gence et  un  manifeste  contre  le  monta- 
nisme  naissant.  M.  d'Alès  n'admet  aucune 
de  ces  positions.  Pour  lui,  le  Pasteur  est 
un  document  privé  de  la  première  moitié 
du  II*  siècle,  ne  trahissant  aucune  préoccu- 
pation dogmatique  ou  polémique,  mais 
avant  un  caractère  ascétique  et  parénétique. 
Ce  caractère  suffit  à  expliquer  les  contra- 
dictions apparentes  que  l'on  remarque  dans 
cet  écrit.  Le  Pasteur  est  un  prédicateur 
qui  sait  user  d'économie,  voire  même  de 
restriction  mentale,  et  qui  varie  son  lan- 
gage suivant  les  auditeurs  qu'il  a  en  vue. 
Aux  catéchumènes  et  aux  chrétiens  fer- 
vents, il  semble  dire  qu'il  n'y  a  pas  de 
pardon  à  espérer  après  le  baptême.  Aux 
baptisés  tombés,  quels  qu'ils  soient,  même 
aux  homicides,  aux  adultères  et  aux  apo- 
stats, il  ouvre  les  portes  de  la  pénitence  tt 
de  la  réconciliation  ecclésiastique,  mais 
pour  une  fois  seulement.  Quant  aux  relaps, 
«  on  ne  voit  pas  bien  ce  que  l'Eglise  offrait, 
mais,  sans  aucun  doute,  elle  ne  les  déses- 
pérait pas  ». 


372 


ÉCHOS   d'orient 


Ces  conclusions  du  savant  professeur 
de  l'Institut  catholique  de  Paris  nous  pa- 
raissent parfaitement  justifiées.  On  sent 
qu'elles  sont  le  fruit  d'une  étude  très  per- 
sonnelle du  texte  du  Pasteur.  Si  certains 
critiques  catholiques  ont  donné  une  inter- 
prétation différente,  il  semble  bien  que 
c'est  parce  qu'ils  ont  subi  l'influence  des 
auteurs  protestants,  qu'on  est  trop  habitué 
à  considérer  comme  des  oracles  quand  il 
s'agit  des  origines  chrétiennes. 

M.  JUGIE. 

A.  d'Alès,  Dictionnaire  apologétique  de  la 
foi  catholique,  fascicules  V  et  VI  (Eglise, 
—  Fin  du  monde)  Paris,  G.  Beauchesne, 
1910  et  191 1.  Prix:  5  francs  le  fascicule. 

Les  fascicules  V  et  VI  du  Dictionnaire 
^Zf>o/oge7/^we  renferment  vingt-huit  articles, 
dont  voici   les  titres  :  Eglise,  —  Egypte, 

—  Elections  épiscopales  dans  l'ancienne 
France,  —  Energie,  —  Enjance  {Crimi- 
nalité de  l'),  —  Enfer,  —  Enterrements 
civils,  —  Epigraphie,  —  Esclavage,  — 
Etat,  —  Etat  (Culte  d'),  —  Eucharistie, 

—  Eucharistique  (Epiclèse),  —  Evangiles 
canoniques,  —  Evéques,  —  Evolution  créa- 
trice, —  Evolution  [Doctrine  morale  de  1 1, 

—  Exégèse,  —  Exemption  des  Réguliers, 

—  Expérience  religieuse,  —  Extase,  — 
Extrême-Onction,  —  Famille,  —  Femmes 
{Ame  des),  —  Ferrer  (Affairé),  —  Féti- 
chisme, —  Féticide  thérapeutique,  —  Fin 
du  monde  {Prophétie  du  Christ  sur  la). 
Il  serait  trop  long  d'apprécier  une  à  une 
toutes  ces  études.  Disons  qu'en  général 
elles  sont  excellentes.  Nous  n'avons  trouvé 
qu'un  article  un  peu  faible,  celui  qui  est 
consacré  à  l'Extrême-Onction;  et  un  article 
obscur,  celui  qui  traite  de  l'évolution  créa- 
trice. Le  système  de  l'évolution  créatrice 
de  M.  Bergson  n'est  pas  la  limpidité  même. 
L'auteur  de  l'article  ne  paraît  pas  avoir 
réussi  à  le  rendre  compréhensible  aux  pro- 
fanes, qui  se  demandent  ce  que  c'est  que 
l'intuition  immédiate  de  la  vie  dépassant 
les  frontières  de  l'intelligence. 

M.  Y.  de  La  Brière  donne  sur  les  notes 
de  l'Eglise  une  étude  vraiment  originale, 
qui  ne  manquera  pas  d'attirer  l'attention 
des  apologistes»et  des  théologiens.  Ses  défi- 
nitions diffèrent  sensiblement  de  celles 
qu'on  trouve  dans  les  manuels.  La  démons- 
tration qu'il  en  tire  nous  paraît  convain- 


cante et  capable  d'impressionner  les  hété- 
rodoxes. Sur  certains  détails  cependant, 
nous  ne  serions  pas  de  son  avis.  Nous  ne 
croyons  pas,  par  exemple,  «  que  l'unité  de 
foi,  manifestée  par  la  profession  publique 
des  mêmes  croyances  »,  soit  chose  impos- 
sible à  vérifier  pour  chaque  doctrine  et 
dans  toute  l'Eglise.  L'auteur  n'entend  la 
note  de  catholicité  que  dans  le  sens  de  la 
diffusion  géographique.  Le  R.  P.  Poulpi- 
quet  a  montré  récemment  que  c'était  là 
une  conception  incomplète  et  superficielle 
de  la  catholicité,  même  comme  note  de 
l'Eglise.  La  catholicité  qualitative,  l'esprit 
catholique,  n'est  pas  une  pure  abstraction 
qui  échappe  à  toute  constatation.  Elle  se 
manifeste  au  dehors,  non  seulement  par 
l'extension  géographique,  mais  encore  par 
un  ensemble  de  faits  percevables  à  tous  les 
regards.  L'auteur  décl-ire,  col.  1290,  «  que 
les  Eglises  orientales  conservent  la  sainteté 
des  principes  par  la  doctrine  et  les  institu- 
tions qu'elles  possèdent  ».  Ce  n'est  pas 
tout  à  fait  exact.  Qu'il  nous  suffise  de  rap- 
pe'er  les  nombreux  cas  de  divorce  auto- 
risés de  tout  temps  par  l'Eglise  grecque,  et 
plusieurs  de  ces  institutions  qu'on  appelle 
saints  synodes,  qui  consacrent  en  fait  les 
empiétements  du  césaropapisme  dans  les 
choses  purement  religieuses. 

Le  R.  P.  A.  Mallon,  dans  l'article  Egypte 
142  colonnes),  traite  successivement  de 
l'Egypte  dans  ses  rapports  avec  la  Bible, 
de  la  chronologie  égyptienne  et  de  la  reli- 
gion égyptienne.  Cette  étude  est  de  tout 
point  excellente.  L'auteur  maintient  réso- 
lument le  caractère  surnaturel  de  certains 
faits  bibliques  contre  le  interprétations 
fantaisistes  des  rationalistes,  que  des  catho- 
liques acceptent  parfois  à  la  légère.  L'ar- 
ticle Epigraphie  (52  col.),  que  l'auteur,  le 
R.  P.  Jalabert,  a  fait  tirer  à  part,  a  déjà 
été  signalé  dans  cette  revue.  M.  Paul  Allard 
n'a  pas  consacré  moins  de  64  colonnes  à 
l'article  Esclavage.  C'est  une  monographie 
très  complète  sur  la  question.  M.  J.  Le- 
breton  condense  en  28  colonnes  une  belle 
défense  du  dogme  eucharistique  contre  ses 
adversaires  les  plus  récents,  et  le  R.  P.  S.  Sa- 
laville  donne  en  i3  colonnes  la  fleur  de  ses 
recherches  sur  la  question  de  l'épiclèse. 

L'article  Evangiles  canoniques,  dû  à  la 
plume  de  M.  Lepin,  compte  i53  colonnes. 
C'est  une  étude  magistrale,  très  facile  à 
consulter,  grâce  à  ses  325  paragraphes,  por- 


BIBLIOGRAPHIE 


373 


tant  chacun  son  titre  et  son  numéro.  L'ar- 
ticle Evèques  (36  col.)  étudie  les  origines 
de  l'épiscopat.  Les  zrÂ'iY.o-ry.-T.ztc^ûxz'-.ry.  du 
Nouveau  Testament  doivent  être  consi- 
dérés, d'après  l'auteur,  M.  le  chanoine 
Michiels,  comme  des  prêtres,  non  comme 
des  évèques.  La  doctrine  morale  de  l'évo- 
lution (i8  col.)  est  très  clairement  exposée 
et  finement  réfutée  par  M.  l'abbé  Brune- 
teau.  Le  R.  P.  A.  Durand  donne,  dans  l'ar- 
ticle Exégèse  (3o  col.),  d'excellents  aperçus 
sur  1  histoire  de  l'exégèse  et  ses  relations 
avec  le  dogme,  la  tradition  et  l'Eglise. 
Signalons  enfin  comme  particulièrement 
dignes  d'attention  les  articles  Expérience 
religieuse  (19  col.)  et  tamille  (25  col.). 

M.  JuGIE. 

J.  Bricout,  Oii  en  est  l'histoire  des  reli- 
gions ?  Tome  I"  :  les  Religions  non  chré- 
tiennes, Paris,  Letouzey  et  Ané,  191 1, 
in-4",  450  pages.  Prix  :  7  francs. 

Avec  la  collaboration  de  MM.  Bros,  Ca- 
part,  Dhorme,  Labourt,  De  la  Vallée  Pous- 
sin, Cordier,  Habert,  And.  Baudrillart, 
Carra  de  Vaux,  Touzard,  Venard,  P.  Batif- 
fol, Bousquet  Vacandard,  Hemmer,  >L  Bri- 
cout a  entrepris  de  réfuter  VOrpheus  de 
M.  S.  Reinach  en  refaisant  peu  à  peu  l'his- 
toire des  religions. 

Dans  l'introduction  au  premier  volume 
de  cette  étude,  le  directeur  de  la  Repue  du 
clergé  français  indique  la  méthode  à  suivre 
dans  ces  recherches.  La  science  des  reli- 
gions comprendra  trois  parties:  la  première 
sera  un  simple  exposé  des  phénomènes 
religieux  yhiérographie  ou  histoire  reli- 
gieuse); la  seconde,  une  étude  des  carac- 
tères permanents  qui  se  retrouvent  dans 
tous  ces  phénomènes  (hiérologie  ou  phé- 
noménologie religieuse)  ;  la  troisième  enfin, 
une  synthèse  méthaphysique  de  ce  qui  fait 
le  fond  des  religions  (^A/ero5o/>/i/e  ou  philo- 
sophie des  religions).  Malgré  les  inévitables 
répétitions  que  nécessitera  cette  triple  étude, 
la  méthode  est  excellente,  car  le  travail  du 
métaphysicien  et  du  psychologue  complé- 
tera ainsi  celui  de  l'historien  qui,  pour  être 
plus  précis  et  plus  sûr,  est  nécessairement, 
plus  superficiel,  les  simples  historiens  étant 
souvent,  comme  on  sait,  de  très  médiocres 
philosophes. 

Ce  premier  volume  ne  s'occupe  que  de 
l'histoire  des  religions  non  chrétiennes  : 


religions  des  primitifs,  des  Egyptiens,  des 
Sémites,  des  Iraniens,  des  Perses,  des  In- 
diens, des  Chinois,  des  Grecs,  d^s  Romains, 
des  Celtes,  des  Germains,  des  Slaves  et 
enfin  des  musulmans. 

Les  principes  de  la  méthode  historique 
magistralement  exposés  par  M.  Bricout 
(p.  23  sq.)  ont  été  généralement  suivis  par 
tous  ses  collaborateurs,  bien  que,  en  maints 
endroits,  l'ouvrage  manque  quelque  peu 
d'homogénéité,  ce  défaut  étant  la  consé- 
quence presque  nécessaire  de  la  multipli- 
cité des  auteurs.  Mais,  çà  et  là,  puisqu'il 
s'agit  avant  tout  d'histoire,  on  aurait  désiré 
trouver  plus  de  cohésion  dans  l'exposé  des 
faits,  plus  de  précision  et  aussi  moins  de 
philosophie  dans  ce  volume,  puisque  pour 
le  moment  on  ne  se  propose  pas  de  faire 
la  synthèse  logique  des  religions.  Ainsi,  à 
propos  delà  religion  égyptienne,  M.  J.  Ca- 
part,  qui  parle  du  Livre  des  Morts,  aurait 
dû  indiquer,  sinon  exactement,  au  moins 
à  peu  près  la  date  de  la  composition  de  ce 
livre,  cette  question  étant  de  première  im- 
portance quand  il  s'agit  de  prouver  l'anti- 
quité de  la  croyance  des  Sémites  à  la  résur- 
re.tion  des  morts.  De  même,  je  deman- 
derai à  M.  De  la  Vallée-Poussin  pourquoi 
le  chapitre  relatif  aux  religions  de  l'Inde 
est  si  surchargé  de  mots  nouveaux  inexpli- 
qués, tels  queyo^at  p.  2b-j),érotisme{p.2-/i  1, 
dynastes  (p.  272),  que  bon  nombre  de  lec- 
teurs ne  pourront  comprendre  sans  une 
étude  grammaticale  préalable.  Enfin,  dans 
le  chapitre  consacré  à  l'islam,  M.  Carra 
de  Vaux  observe  très  judicieusement  que, 
à  s'en  tenir  aux  données  théologiques  du 
Coran,  on  ne  peut  pas  affirmer  positive- 
ment que  les  musulmans  soient  fatalistes. 
Mais,  s'ils  le  sont  pratiquement,  comme 
le  remarque  très  justement  aussi  cet  auteur, 
il  faut  bien  que  cette  idée  leur  ait  été  ins- 
pirée ou  par  tel  passage  du  Coran  ou  par 
des  interprètes  fatalistes  de  la  doctrine  du 
prophète,  sinon  d'où  proviendrait  ce  fata- 
lisme pratique?  Il  y  a  là  un  problème  que 
M.  Carra  de  Vaux  a  posé  sans  le  résoudre 
(p.  448).  Comme  la  solution  de  cette  ques- 
tion n'est  pas  du  domaine  de  l'nistoire,  il 
eût  mieux  valu  ne  pas  s'en  occuper  ici.  Du 
reste,  le  titre  de  l'ouvrage  Où  en  est  l'his- 
toire des  religions?  nous  oblige,  par  sa 
forme  m'  deste,  à  ne  pas  être  trop  exigeant 
et  à  fermer  les  yeux  sur  certaines  lacunes. 
Au  fond,  en  effet,  ce  livre  n'est  qu'un  essai 


374 


ECHOS    D  ORIENT 


sur  l'histoire  des  religions,  essai  qui  a  eu 
des  précédents  plus  ou  moins  fantaisistes, 
essai  d'ailleurs  très  heureux  et  très  sug- 
gestif, qui  constituera  la  meilleure  des 
apologétiques  pour  la  religion  chrétienne, 
car  cette  religion  n'a  rien  à  perdre,  et,  au 
contraire,  a  tout  à  gagner  à  être  mise  en 
parallèle  r.vec  les  autres. 

En  finissant,  je  signale  à  l'éditeur  deux 
fautes  typographiques.  Page  5  :  histoii'e  im- 
partial pour  histoire  iinpartiale  ;  page  449: 
le  religion  au  lieu  de  la  religion. 

E.    MONTMASSON. 

G.  Constant,  Rapport  sur  une  mission 
scientifique  aux  archives  d' Autriche  et 
d'Espagne:  Etude  et  catalogue,  critiques 
de  documents  sur  le  concile  de  Trente. 
(Collection  des  Nouvelles  Archives  des 
missions  scientifiques  et  littéraires, 
t.XVlII,  fasc.  5/)  Paris,  Imprimerie  Na- 
tionale, 19 10,  in-80,  364  pages. 

M.  G.  Constant,  ancien  membre  de 
l'Ecole  française  de  Rome,  publie  les  résul- 
tats de  sa  mission  scientifique  aux  archives 
d'Autriche  et  d'Espagne.  Cette  mission 
avait  pour  but  de  rechercher  les  documents 
concernant  l'histoire  diplomatique  du  con- 
cile de  Trente  sous  Pie  IV,  et  plus  spécia- 
lement ses  rapports  avec  la  France.  On 
comprend  dès  lors  l'importance  et  l'intérêt 
de  cette  publication  pour  une  histoire  cri- 
tique de  la  célèbre  assemblée.  Aussi  nous 
a-t-il  paru  utile  de  signaler  à  nos  lecteurs 
ce  très  consciencieux  travail. 

S.  Salaville. 

L.  PoiNSSOT,  Nouvelles  inscriptions  de 
Dougga.  (Collection  des  Nouvelles  Ar- 
chives des  missions  scientifiques  et  litté- 
raires,X.  XVIII,  fasc.  IV).  Paris,  Impri- 
merie Nationale,  1910,  in-8'^',  92  pages. 

Tous  ceux  qui  s'intéressent  à  l'épigra- 
phie  trouveront  profit  à  lire  ce  nouveau 
recueil  d'inscriptions  trouvées  à  Dougga, 
ancienne  cité  romaine  de  la  Tunisie  du 
Nord,  non  loin  de  Teboursouk,  dont  les 
ruines  ont  gardé  plusieurs  vestiges  byzan- 
tins. Pourquoi  ne  pas  conserver  à  ce  nom 
la  forme  romaine  Thugga,  que  M.  Louis 
Poinssot  lui  avait  d'ailleurs  laissée  dans 
des  publications  antérieures  ? 

S.  Salaville. 


Ugo  Mioni,  La  sacra  Liturgia,  sue  ori- 
gini,  suo  sviluppo,  suo  sigmficato,  suo 
statto  attuale.  Studio  storico-critico. 
Turin,  P.  Marietti,  191 1,  2  vol.  in-12, 
481  et  423  pages.  Prix  :  5  francs. 

Cet  ouvrage,  sans  être  complet,  est  un 
bon  manuel  de  science  liturgique  à  l'usage 
des  Séminaires  d'Italie.  Comme  l'indiqu-e 
le  titre,  c'est  une  étude  historico-critique 
de  la  liturgie,  dont  on  examine  les  origines, 
le  développement,  la  signification  et  l'état 
actuel.  Voici  les  divisions  adoptées  :  lieux 
sacrés,  ornements,  vases  et  objets  sacrés, 
messe,  sacrements  et  sacramentaux,  année 
ecclésiastique.  L'exposé  historique  pour- 
rait être  plus  fouillé,  mais  il  faut  recon- 
naître que  les  indications  et  références  don- 
nées sont  en  général  bonnes  et  précises. 
Un  excellent  index  alphabétique  termine 
l'ouvrage. 

L'auteur  est  souvent  amené  à  parler  des 
choses  liturgiques  grecques,  et  l'on  ne  sera 
pas  trop  étonné  qu'il  lui  manque  d'être 
un  peu  plus  familiarisé  avec  elles.  Voici 
quelques  errata  à  relever:  t.  I",  p.  17,  on 
lit  Tipovàov  pour  TTOovaoç:  p.  121,  kxySkr^fS<.%  au 
lieu  de  £xxÀ7](7ta;  t.  II,  p.  48,  note  i,  cœoaYÔ; 
au  lieu  de  o-yûay-;;  p.  109,  note   I,  àxôÀou-o; 

au  lieu  de  ■j.y.6\o^jbo<;.  Fautes  vénielles,  somme 
toute,  et  qui  n'empêchent  pas  ce  manuel 
de  trancher,  par  son  esprit  scientifique  et 
critique,  sur  beaucoup  de  ses  confrères. 
S.  Salaville. 

E.  Mangenot,  Dictionnaire  de  théologie 
catholique,  (diScicules  xxxn,  xxxiii,  xxxiv 
i^Du?is  Scot,  —  Epoux).  Paris,  Letouzey 
et  Ané,  1910  et  191 1.  Prix  :  5  francs  le 
fascicule. 

Les  trois  derniers  fascicules  parus  du 
Dictionnaire  de  théologie  catholique  con- 
tiennent, comme  les  précédents,  les  articles 
les  plus  variés  sur  les  diverses  branches 
de  la  science  théologique.  Avec  le.  fasci- 
cule XXXIII  {Election  —  Emser)  se  termine 
le  quatrième  volume  du  DictioJinaire  : 
2  5oo  colonnes. 

Parmi  les  principaux  articles  directement 
dogmatiques,  signalons  les  a^tûcles:  Eglise, 
ii5  col.;  —  Elus  {^Nombre  des),  27  col.; 
—  Eîninence  {Méthode  d'),  10  col.;  —  En- 
durcissement, 9  col.  ;  —  Enfer,  92  col.  ;  — 
Epiclèse  eucharistique,  106  col.  —  L'étuds 


BIBLIOGRAPHIE 


375 


du  R.  P.  Dublanchy  sur  l'Eglise  est  une 
excellente  monographie  où  les  données 
historiques  et  scolastiqu.s  sont  harmo- 
nieusement combinées.  L'auteur,  col.  2170, 
enseigne  catégoriquement  que  les  prêtres 
schismatiques  sont  privés  de  toute  juridic- 
tion pour  absoudre  au  tribunal  de  la  péni- 
tence, excepté  à  l'article  de  la  mort.  C'est 
là  une  opinion  un  peu  rigoriste,  qui  est 
loin  d'être  partagée  par  tout  le  monde.  Le 
R.  P.  Romuald  Souarn,  dans  sa  Praxis 
jnissionarii  in  Oriente  servata,  p.  120- 
124,  donne  une  solution  contraire  et  l'ap- 
puie sur  de  bonnes  raisons.  L'article  de 
M.  Michel  sur  le  Xombre  des  Elus  paraît 
épuiser  la  question.  On  trouvera  difficile- 
ment quelque  chose  de  plus  complet.  L'ar- 
ticle Enjer,  par  le  R.  P.  Richard,  ne  mérite 
aussi  que  des  éloges.  Quant  à  l'article  Epi- 
clèse  eucharistique,  dû  à  la  plume  d'un 
rédacteur  de  cette  revue,  le  R.  P.  Salaville, 
il  sera  lu  avec  le  plus  grand  profit  par  les 
théologiens  orientaux  qui  ont  sur  la  ques- 
tion une  doctrine  différente  de  celle  de 
l'Eglise  catholique.  L'auteur  y  a  réuni  les 
plus  amples  renseignements  sur  les  tradi- 
tions orientale  et  occidentale,  qui  lui  per- 
mettent de  concilier  heureusement  les  textes 
en  apparence  contradictoires  et  de  donner 
du  fait  liturgique  de  l'épiclèse  une  explica- 
tion très  satisfaisante  et  toute  favorable  à 
la  doctrine  catholique. 

La  théologie  morale  est  représentée  par 

plusieurs  articles:  Egoïsme,  4  col.,  court 

mais  plein  de  choses;  —  Empêchements  de 

nariage,    60   col.:    —   Envie,    —   Epoux 

Devoirs  des),  etc. 

Au  droit  canon  appartiennent  deux 
longues  études  très  documentées  sur  Ve'lec- 
iion  des  évéques,  25  col.,  et  ï élection  des 
Papes,  39  col.;  à  l'exégèse,  les  monogra- 
phies sur  VEcclesiaste,  28  col.  ;  V Ecclésias- 
tique, 26  coi.  ;  la  prophétie  de  t  Emmanuel, 
II  col.;  VEpitre  aux  Ephésiens,  26  col.; 
à  la  liturgie,  les  articles  Eau  bénite  et  Elé- 
vation; à  l'histoire,  le  savant  article  sur 
VEpigraphie  chrétienne,  58  col.;  les  ar- 
ticles Ebionites,  Elcésaïtes,  Encratites, 
Concile dElvire,  20  col.  ;  Concile  d'Ephèse, 
26  col.,  et  un  grand  nombre  de  notices  sur 
des  Pères,  des  théologiens,  des  person-» 
nages  ecclésiastiques.  Citons  seulement  les 
articles  Dupanloup,  Duperron,  Durand 
de  Saint-Pourçain,  Ebed  Jésus,  Elie  de 
Crète,  Eckart,  23  col.  ;  Elipand  de  Tolède, 


Ephrem,  Epiphane.  Les  articles  Durand 
de  Saint-Pourçain  et  Epiphane  sont  infé- 
rieurs au  point  de  vue  théologique.  L'évêque 
de  Salamine  méritait  certainement  plus  de 
deux  colonnes,  et  il  eût  été  d'un  grand 
intérêt  d'avoir  des  détails  sur  les  opinions 


originales  de  Durand. 


M.    JUGIE. 


J.  Martin,  TAowassini  1619-1695  ),  de  la  col- 
lection Science  et  Religion  1  Les  grands 
théologiens).  Paris,  Bloud.  191 1.  i  vol. 
in-i2  de  128  pages.  Prix:  i  fr.  20. 

C'est  un  grand  service  que  M.  l'abbé 
J.  Martin  rend  aux  travailleurs  en  résu- 
mant les  œuvres  des  grands  théologiens 
français  du  xvii«  siècle.  Après  nous  avoir 
fait  connaître  Pétau,  il  nous  pré'^ente  son 
émule,  Thomassin,  et  analyse  fort  claire- 
ment les  deux  principaux  ouvrages  du  cé- 
lèbre Oratorien  :  les  Dogmata  theologica  et 
l'A  ncienne  et  nouvelle  discipline  de  l'Eglise. 
Comme  historien  du  dogme,  Thomassin 
n'a  pas  l'envergure  de  Pétau.  La  claire 
notion  du  développement  dogmatique  lui 
échappe.  Aussi  son  interprétation  des  textes 
patristiques  est-elle  parfois  sujette  à  cau- 
tion. Il  s'est  en  général  attaché  à  mettre  en 
lumière  les  questions  que  Pétau  avait  lais- 
sées dans  l'ombre.  Telle  qu'elle  est,  son 
oeuvre  est  d'une  grande  utilité,  à  cause  des 
recueils  de  textes  patristiques  qu'elle  ren- 
ferme. Comme  historien  de  ia  discipline 
de  l'Eglise,  Thomassin  ne  mérite  que  des 
éloges.  U Ancienne  et  nouville  discipline 
de  l'Eglise  reste  son  chef-d'œuvre.  Cet 
ouvrage  a  contribué  à  dissiper  le  préjugé 
naïf  qui  dominait  les  esprits  au  xvii»  s  ècle 
sur  l'immutabilité  de  la  discipline  et  sur 
l'absolue  perfection  des  premiers  siècles. 

Dans  son  examen  de  la  théologie  de 
Thomassin,  M.  l'abbé  J.  Martin  n'insiste 
pas  assez,  à  notre  avis,  sur  ies  considéra- 
tions originales  et  profondes  de  caractère 
proprement  théologique  qui  constituent 
un  des  principaux  mérites  des  Dogmata 
theologica.  L'analyse  du  traité  de  l'Incar- 
nation en  particulier  paraît  un  peu  maigre. 
L'auteur  s'est  laissé  guider  un  peu  trop 
exclusivement  par  le  point  de  vue  positif. 
Il  est  vrai  qu'il  est  difficile  de  tout  dire 
dans  un  résumé. 

M.   JUGFE. 


376 


ECHOS    D  ORIENT 


J.  N.  W.  B.  ROBERTSON,  The  divine  and 
sacred  Liturgies  of  our  Fathers  among 
the  Saints  John  Chrysostom  and  Basil 
iheGreat,  edited  with  an  english  Trans- 
lation. London,  David  Nutt,  1886,  petit 
in-8°  de  viii-223  pages. 

M.  Robertson  est  le  premier  écrivain 
qui  ait  entrepris  de  traduire  en  langue 
anglaise  nos  saintes  liturgies  byzantines. 
Le  nombre  considérable  des  émigrés  ortho- 
doxes, meî  kites  et  hellènes  dans  les  grandes 
villes  d'Angleterre  fut  à  ses  yeux  un  motif 
urgent  pour  combler  une  lacune  dans 
l'Eglise  anglicane.  Ces  émigrés,  en  effet, 
avaient  totalement  oublié  leur  langue  ma- 
ternelle et  ils  n'entendaient  plus  que  la 
langue  anglaise.  Dans  son  Introductory 
Notice,  M.  Robertson,  p.  vu,  nous  avertit 
que  «  ce  manuel  est  spécialement  destiné 
à  l'usage  des  communautés  grecques  de 
Londres,  de  Liverpool  et  de  Manchester. 
Il  pourrait  tout  aussi  bien  servir  aux  voya- 
geurs parlant  la  langue  anglaise  et  à  ceux 
qui  assisteraient  à  la  divine  Liturgie  dans 
les  églises  du  rite  gre:  en  Orient  ». 

Peut-être  aussi  l'auteur  a-t-il  entrepris  ce 
travail  sur  la  requête  d'un  certain  archi- 
mandrite hellène  du  nom  de  Hiéronymos 
Myriantheus,  alors  très  influent  à  Londres, 
et  à  qui  il  dédie  son  livre. 

M.  Robertson  nousdonne,dansunecourte 
Introduction,  la  division  de  son  travail  : 
I.  La  Liturgie  de  saint  Jean  Chrysostome, 
avec  l'office  complet  de  la  Prothèse  et  toutes 
les  particularités  de  la  Messe  célébrée  avec 
le  ministère  du  diacre,  p.  i-i52.  II.  La  Li- 
turgie de  saint  Basile  le  Grand,  p.  152-198. 
Enfin,  un  Appendice,  p.  198-228,  renferme 
les  tropaires  et  antiphones  du  commun  et 
des  principales  lêtes.  Parmi  les  formules 
finales  dites  'ArrôXud'.;,  celle  de  la  Pentecôte 
se  trouve  omise.  A  la  page  214,  une  longue 
prière  intitulée  Eù/Yj  ïtzX  Mctavoo'JvTwv  n'est 
autre  chose  qu'une  formule  d'absolution 
collective  et  déprécative,  tirée  du  grand 
Eucholcge  et  en  usage  dans  l'Eglise  ortho- 
doxe. 

P.  216-220.  sous  le  titre  d"AxoÀo'jO''a  tou 
ToKjay'ou,  nous  lisons  le  petit  service  fu- 
nèbre que  le  prêtre  récite  à  la  maison  du 
défunt  avant  la  levée  du  corps.  Enfin, 
p.  220-223,  M.  Robertson  nous  cite  les 
hymnes  que  l'on  chante  en  Grèce,  à  la 
Messe  même,  pour  la  famille  royale. 


Notons  que  dans  toutes  les  parties  de  ce 
livre  l'auteur  nous  donne  exactement  le 
texte  grec,  et  en  regard  la  traduction  an- 
glaise. Celle-ci  est  élégante  par  endroits  et 
presque  servile  à  certains  moments.  L'au- 
teur ne  semble  pas  être  bien  familiarisé 
avec  le  génie  de  la  langue  grecque.  Ainsi 

il  nous  traduit  toujours  Toj  èv  àytoiç  irariô; 

Yjjxwv par  of  our  Father   among   the 

Saints,  au  lieu  de  of  our  holy  Father,  etc. 
OsoTÔxo;  est  toujours  rendu  simplement  par 
Theotokos  ;  ôu<Tta<7Trjf.'.ov,  par  Altar  au  lieu 
de  Sanctuary,  etc.,  etc.  Il  serait  trop  long 
de  dresser  la  liste  complète  de  ces  inexacti- 
tudes. Par  ailleurs,  la  typographie,  tant 
grecque  qu'anglaise,  est  remarquable,  l'im- 
pression est  soignée  et  le  cérémonial  adopté 
est  irréprochable.  On  voit  que  l'auteur 
a  beaucoup  utilisé  le  Hiératicon,  bien 
qu'il  nous  avertisse,  dans  l'introduction, 
qu'il  a  pris  son  texte  grec  dans  l'Eucho- 
loge. 

Ce  livre  est  devenu  très  rare,  et  peut-être 
est-il  complètement  épuisé  à  l'heure  ac- 
tuelle. Durant  nos  voyages  apostoliques 
dans  l'Amérique  du  Nord,  nous  en  avons 
découvert  un  vieil  exemplaire  possédé  par 
un  Syrien  originaire  de  Zahlé  et  habitant 
Vancouver  (British  Columbia),  dans  le 
Sud-Ouest  canadien.  Cette  traduction  an- 
glaise de  nos  saintes  Liturgies  a  échappé 
au  R.  P.  Cyrille  Charon  dans  son  excellent 
travail  sur  le  Rite  byzantin,  Rome,  1909. 
Bientôt  nous  espérons  donner  une  nouvelle 
traduction  anglaise  des  trois  liturgies  by- 
zantines, pour  l'usage  des  émigrés  syriens 
de  l'Amérique  septentrionale,  dont  la  plu- 
part n'entendent  que  l'anglais. 

Paul  Bacel. 

Revue  franco-bulgare,  publiée  par  la  So- 
ciété des  anciens  élèves  du  collège  fran- 
çais de  Philippopoli.  Rédaction  et  admi- 
nistration :  Collège  français,  Philippo- 
poli (Bulgarie).  Trimestrielle  :  Bulgarie, 
5  francs  par  an  ;  Union  postale,  6  francs. 
Premièreannée:  octobre  1910-juillet  191 1, 
in-8°,  216  pages. 

Les  Echos  d'Orient  se  doivent  de  signaler 
•  à  leurs  lecteurs  la  fondation  de  cette  revue, 
dont  le  titre  même  est  un  programme.  Les 
directeurs  du  collège  français  Saint-Au- 
gustin, de  Philippopoli,  ont  eu  une  heu- 
reuse idée  en  ajoutant  l'enseignement  écrit 


BIBLIOGRAPHIE 


377 


de  ce  bulletin  trimestriel  à  leur  enseigne- 
ment oral  si  dévoué  et  si  apprécié.  Outre 
d'intéressants  articles  littéraires,  histo- 
riques, économiques  concernant  la  Bul- 
garie et  la  France,  on  trouve  dans  ce  pre- 
mier volume  des  notes  fort  précises  de  géo- 
graphie, d'ethnographie,  d'archéologie,  de 
statistique.  Signalons-y  notamment  :  les 
pages  bien  documentées  sur  l'antique  Phi- 
lippopoli,  période  thrace,  macédonienne 
et  romaine,  signées  Gospodinof;  le  Coup 
d'œil  ethnographique  sur  les  Bulgares, 
par  N.  Matéef  :  la  Liste  des  premiers  sou- 
verains bulgares,  par  G.  Savoie;  le  très 
intéressant  article  Au  sein  d'une  «  Mo- 
ghila  •»,  Impressions  d'un  violateur  de  sé- 
pultures, par  un  archéologue  de  profession, 
M.  Georges  Seure,  ancien  élève  de  l'Ecole 
française  d'Athènes;  la  note  très  précise 
de  M.  Ch.  Adam,  recteur  de  l'Université 
de  Nancy,  sur  les  étudiants  slaves  à  cette 
Université:  la  conférence  du  R.  P.  Privât 
Bélard  sur  les  Français  à  \  arna  en  1854, 
dont  le  titre  suffit  à  dire  le  vif  intérêt;  la 
notice  sur  la  Banque  agricole  de  Bulgarie, 
par  G.  d'Hont,  directeur  de  l'Institut  com- 
mercial franco-bulgare;  celle  de  M.  Ivanof 
sur  l'Académie  bulgare  iceWedeM.  L.Santi, 
consul  de  France,  sur  le  Commerce  d'im- 
portation en  Bulgarie;  les  Actualités,  si- 
gnées Miranbel,  Ivanof  ou  d'autres  noms 
encore. 

Bien  que  nous  n'ayons  pas  l'habitude 
de  signaler,  dans  cette  revue,  les  produc- 
tions poétiques  concernant  l'Orient,  nous 
croyons  utile  cependant,  pour  permettre 
aux  lecteurs  de  se  faire  une  idée  complète 
de  la  Revue  franco-bulgare,  de  men- 
tionner les  alertes  et  fines  poésies  signées  : 
F.  Guérin,  P.  de  Chèvremont,  G.  Chas- 
sagne,  S.  Michaïlovsky,  A,  Lhaint. 

Est-il  besoin  de  dire,  après  cette  énu- 
mération  de  titres  et  d'auteurs,  que  les 
Echos  d'Orient  offrent  à  la  Revue  franco- 
bulgare  les  plus  fraternels  souhaits  de 
succès  pour  l'extension  de  la  belle  œuvre 
du  collège  Saint-Augustin? 

Un  desideratum  :  puisque  la  Revue 
franco-bulgare  est  destinée  à  former  d'in- 
téressants volumes  que  l'on  aimera  à  garder 
et  à  consulter,  la  Rédaction  voudra  bien 
ne  pas  oublier  désormais  d'insérer  une 
table  des  matières  à  la  dernière  livraison 
de  l'année. 

S.  Salaville. 


ChRYSOSTOME  PAPAtX)POULOS,  'IdTOSta  tt.; 
'  E  X  X  À  Y,  T  ■'  a  ;  '  I  e  ç  0  ç  0  À  -j  t  w  / ,  Alexandrie. 
Imprimerie  patriarcale,  1910,  in-S"  xxxii- 
812  pages. 

M.  Chrysostome  Papadopoulos,  l'érudit 
professeur  d'histoire  ecclésiastique  à  l'an- 
cienne école  théologique  de  Sainte-Croix, 
nous  décrit,  dans  ce  "nouvel  ouvrage,  les 
luttes  et  les  gloires  de  l'Eglise  de  Jérusalem, 
des  origines  à  nos  jours. 

Dans  une  préface  assez  étendue,  il  donne 
le  plan  de  son  travail  et  met  rapidement  le 
lecteur  au  courant  des  études  qui  ont  été 
faites  jusqu'ici  sur  Jérusalem  et  la  Pales- 
tine en  général  ;  nous  sommes  heureux  de 
constater  qu'il  ne  passe  point  sous  silence 
les  savants  catholiques,  laïques  ou  religieux 
qui  s'en  sont  occupés.  Il  les  a  d'ailleurs 
largement  mis  à  contribution  ici  et  là,  et 
nous  ne  pouvons  que  l'en  féliciter. 

Ce  volumineux  travail  de  812  pages  est 
divisé  en  trois  parties  principales. 

Dans  la  première,  nous  voyons  d'abord 
l'Eglise  de  Jérusalem  depuis  sa  fondation 
jusqu'à  Constantin;  puis  son  âge  d'or,  de 
326  à  45 1  ;  et,  finalement,  le  développement 
de  la  vie  monastique  dans  son  sein,  de  461 
à  638.  C'est  la  période  de  beaucoup  la  plus 
intéressante,  et  l'auteur  y  écrit  en  historien 
assez  impartial. 

Avec  la  deuxième  partie,  nous  assistons 
aux  deuils  successifs  de  l'Eglise  subissant 
les  contre-coups  des  invasions  arabes.  Elle 
décrit  aussi  la  prétendue  oppression  que 
les  croisés  auraient  exercée  sur  les  chré- 
tiens indigènes,  et  en  particulier  sur  le 
clergé  grec  du  Saint-Sépulcre.  M.  Papado- 
poulos fait,  durant  quelques  pages,  abs- 
traction de  sa  qualité  d'historien  impartial 
qu'il  devrait  être  jusqu'au  bout,  pour  sacri- 
fier aux  préjugés  de  sa  race. 

Il  est  si  dur  aux  descendants  des  vieux  Hel- 
lènes, indépendants  et  fiers,  de  se  courber 
sous  un  joug  autre  que  celui  du  Turc!  Et 
pourtant,  les  documents  du  temps  nous 
disent  assez  combien  doucement  s'exerçait 
la  domination  franque.  Cette  section  est 
close  par  un  chapitre  sur  les  malheurs  que 
l'Eglise  eut  à  subir  de  la  part  des  Mame- 
luks d'Egypte  aux  xiv«  et  xv^  siècles. 

Enfin,  la  troisième  partie,  qui  va  de  iSiy 
à  nos  jours,  a  surtout  trait  aux  Lieux  Saints 
et  aux  luttes  quasi  homériques  que  le  haut 
clergé  grec  a  dû  soutenir  contre  les  hétéro- 


378 


ÉCHOS  d'orient 


doxes  (Franciscains,  Arméniens,  Coptes, 
Abyssins,  Géorgiens,  et  même  Jésuites), 
pour  en  conserver  la  jouissance. 
.  Il  paraît  ressortir  des  différents  actes 
émanés  de  la  Sublime  Porte  pendant  les 
quatre  derniers  siècles  que  les  orthodoxes 
arabophones  n'ont  aucun  droit  sur  les  sanc- 
tuaires palestiniens.  'Mais  nous  ne  trouvons 
pas  exposés  ici  les  moyens  plus  ou  moins 
loyaux  par  lesquels  les  Hellènes  obtinrent 
ces  nombreux  firmans  en  leur  faveur.  Quant 
aux  tentatives  des  latins  pour  recouvrer  les 
Lieux  Saints,  d'où  leurs  adversaires  les 
avaient  traîtreusement  expulsés,  il  semble 
les  taxer  d'injustice  flagrante  et  sacrilège. 
Or,  quel  est  le  plus  injuste,  celui  qui  ré- 
clame un  trésor  dont  un  voisin  l'a  dépouillé 
ou  celui  qui  a  pris  le  bien  d'autrui  et  qui 
arrache  au  souverain,  à  prix  d'argent,  la 
sanction  de  son  usurpation? 

Un  chapitre  précieux  entre  tous,  et  qui 
termine  le  livre,  c'est  celui  qui  nous  parle 
de  la  confrérie  grecque-orthodoxe  du  Saint- 
Sépulcre.  On  a  peu  écrit  sur  cette  Société 
d'un  genre  tout  à  part;  ce  court  abrégé  de 
ses  Constitutions  fait  désirer  la  publication 
de  leur  texte  intégral. 

En  résumé,  l'auteur  a  essayé  de  nous 
prouver  la  sainteté  prééminente  et  le  glo- 
rieux prestige  de  son  Eglise  sur  les  autres, 
et  il  nous  a  affirmé  un  peu  gratuitement 
qu'elle  a  toujours  eu  un  haut  clergé  de  race 
et  de  langue  grecques.  Mais  ce  qui  ressort 
plus  que  tout  le  reste,  c'est  le  fanatisme 
anticatholique  de  ses  prêtres,  surtout  depuis 
la  chute  du  royaume  franc.  De  plus,  les 
erreurs  historiques  de  détail,  qui  ne  sont 
point  rares  dans  ce  livre,  ont  été  plutôt 
voulues,  car  notre  historien  a  puisé  à  de 
bonnes  sources,  et  il  lui  était  aisé  de  recourir 
à  de  meilleures  encore,  tant  on  a  déjà  tra- 
vaillé cette  partie  de  l'histoire  byzantine. 

A.  Chappet. 

Manuel  Gédéon,  a-,  oàorctç  tou  Tias  '  7i[i.îv  èxxXt,- 
c7'.a(7T'.xou  ^^iTTjfxaToç.  Constantinople,  Im- 
primerie patriarcale,  1910,  in-8^\9i  pages. 

Le  titre  de  cet  ouvrage,  «  les  phases  du 
débat   ecclésiastique  agité  parmi  nous  », 


devient  très  clair  pour  qui  veut  seulement 
examiner  la  date  de  sa  composition  :  igio, 
c'est-à-dire  en  plein  régime  «  jeune-turc  », 
et  se  rappeler  que  les  nouveaux  venus  au 
pouvoir  en  Turquie  ont  décidé  la  suppres- 
sion de  tous  les  privilèges  civils  accordés 
aux  Eglises,  en  particulier  à  la  plus  influente 
d'entre  elles,  l'Eglise  grecque  orthodoxe. 
On  espère  donc. trouver  ici  un  exposé  mé- 
thodique des  phases  diverses  par  lesquelles 
ont  passé  ces  privilèges  depuis  1453. 

Le  nom  de  l'auteur,  grand  archiviste  et 
annaliste  de  «  la  Grande  Eglise  »,  semble 
promettre  des  détails  précis,  basés  sur  des 
documents  anciens  ou  même  inédits. 

Mais  la  déception  n'en  est  que  plus  grande. 
Je  ne  sais  pourquoi,  peut-être  par  ce  qu'il 
s'adresse  surtout  au  peuple,  M.  Gédéon  a 
cru  utile  à  la  cause  qu'il  défend  de  sortir 
du  domaine  des  faits  et  de  s'élever  vers  les 
hauteurs  sereines  de  la  théologie,  de  la  phi- 
losophie, du  droit  canon,  etc.  Il  se  propose 
de  montrer  comment,  dans  l'Eglise  ortho- 
doxe d'Orient,  le  pouvoir  spirituel  a  tou- 
jours, depuis  le  premier  siècle  jusqu'au 
xx^,  résisté  aux  envahissements  successifs 
du  pouvoir  temporel. 

Par  malheur,  cette  thèse,  fût-elle  vraie, 
ne  prouverait  rien  dans  la  question  pré- 
sente. La  Jeune-Turquie  n'a  pas  parlé  en- 
core de  s'immiscer  dans  le  domaine  spiri- 
tuel de  l'Eglise;  elle  veut  seulement  mettre 
fin  à  une  condition  civile  privilégiée. 

C'est  seulement  au  dernier  tiers  de  son 
travail  que  l'auteur  aborde  enfin  le  vrai 
sujet  du  livre.  Pourquoi  faut-il  qu'ici  encore 
la  même  confusion  du  spirituel  et  du  tem- 
porel entraîne  l'auteur  en  des  périodes  d'un 
pathétique  émouvant  sans  doute,  mais  qui 
l'empêchent  de  nous  donner  un  exposé  pré- 
cis des  privilèges  civils  concédés  à  l'Eglise 
orthodoxe  et  des  phases  par  lesquelles  ils 
ont  passé  ? 

Ces  réflexions  générales  suffiront  à  faire 
apprécier  la  brochure  de  M.  Gédéon  et  me 
dispenseront  de  relever  des  erreurs  de  dé- 
tail, comme  par  exemple  la  date  347  assi- 
gnée au  concile  de  Milan,  tenu  en  355. 

'  F.  Cayré. 


TABLE   DES   MATIÈRES 


QUATORZIÈME    ANNÉE    1911 


I.  —  Sommaire  des  livraisons. 


I.  Janvier. 


A'"  86. 


I.  Lettre  de  S.  S.  Pie  X   aux   délé- 
gués apostoliques  d'Orient 5 

II.  Consécration  et  épiclèse,  d'après 

Chosrov  le  Grand,  S.  Salaville.         io 

III.  Le  protévangile  de  Jacques  et  l'Im- 

maculée Conception,  M.  Jugie.         i6 

IV.  Statuts  de  l'exarchat bulgare{suite).         20 
V.  Chrysobulle  de  l'impératrice  Théo- 

dora  (i283),  S.  Pétbidès 23 

VI.  Annexion    de    l'Illvricum    au   pa- 
triarcat oecuménique,  S.  Vailhé.         29 
VII.   Doctrine  de  r'AT:â6c:a  d'après  saint 

iMaxime,  E.  Montmasson 36 

VIII.  Le  monachisme  oriental,  A.  Ca- 

TOiRE 42 

IX.  Pour  l'union  des  Eglises,  S. Vailhé.         48 
X.  La  crise  religieuse  en  Roumanie, 

Jean-Marie 5i 

XI.  Bibliographie 55 


II.  Mars. 


A-  87. 


I. 

U. 
III. 
IV. 

V. 

VI. 

VII. 

VIII. 

IX. 


Nestorius  jugé  d'après  le  «  Livre 
d'Héraclide  »,  M.  Jugie 65 

Quelques  superstitions  liturgiques 
chez  les  Grecs,  L.  Arnaud jb 

Formation  de  l'EgUse  bulgare, 
S .  Vailhé 81 

La  cérémonie  du  lavement  des 
pieds  à  Jérusalem,  S.  Pétridès..         89 

Décrets  des  Chapitres  généraux  des 
Basiliens  chouérites,  de  ijbo  à 
1790,  P.  Bacel 98 

L'église  Sainte-Euphémie  et  Rufi- 
nianes,  à  Chalcédoine,  t  J.  Par- 
goire 107 

Organisation  de  l'Eglise  grecque 
orthodoxe  de  Constantinople, 
E.  Montmasson 1 10 

Rapprochement  entre  le  patriarcat 
oecuménique  et  l'exarchat  bul- 
gare, G.  Bartas 116 

Bibliographie 1 23 


III.  Afai.  —  N°  88. 

I.  Le  R.  P.  Sophrone  Rabois-Bous- 

quet,  La  Rédaction i  2q 

II.  Sentence  synodique  contre  le 
clergé  unioniste  (i283),  t  S.  Pé- 
tridès         !  33 

III.  La   primauté   romaine  au  concile 

d'Ephèse,  M.  Jugie 1 36 

IV.  Prières    superstitieuses  des   Grecs 

de  Chimara,  L.  Arnaud 146 

V.  Formation  de  l'Eglise  bulgare  (fin), 

S.  Vailhé 1 52 

VI.  Organisation  de  l'Eglise  grecque- 
orthodoxe     de    Constantinople 

(fin),  E.  Montmasson 161 

VII.  Le  divorce,  d'après  l'Eglise  catho- 
lique et  l'Eglise  orthodoxe,  A.  Ca- 

toire 167 

VIII.  Statuts  de  l'exarchat  bulgare  (suite).       170 
IX.  Sceaux  byzantins,  J.   Germer-Du- 
rand         1 76 

X.  A  travers  l'Orient  chrétien,  G.  Bar- 
tas 178 

XI.  Bibliographie 186 

IV.  Juillet.  —  .V    89. 

I.  Sévérien  de  Gabala  et  le  symbole 

athanasien,  M.  Jugie iqS 

II.  Documents  sur  la  rupture  de 
l'union  de  Florence,  t  S.  Pétri- 
dès         2o5 

III.  Inscription   byzantine  de  Scytho- 

polis,  J.  Germer-Durand 207 

IV.  A  propos  de   la   cuiller  liturgique 

chez  les  Grecs,  L.  Arnaud 209 

V.  Statuts  de  l'exarchat  bulgare  (fin).       212 

VI.  L'image  de  la  Vierge  de  Péramos, 

Th.  Xanthopoulos 2  :  - 

Vil.  Bulletin  de  liturgie  et  d'archéologie 

chrétienne,  S.  Salaville 220 

VIII.  Une  inscription  byzantine  de  Jéri- 
cho, S.  Vailhé 211 

IX.  Vestiges  byzantins  dans  l'art  mu- 
sulman, E.  Montmasson 232 


380 


TABLE   DES   MATIERES 


X.  Statistiques     monastiques     des 
Eglises  orthodoxe  es  autoqé|5Tia[ks, 

M.  JUGIE f...  .^i . .       235 

XI.  A  travers  l'orthodoxie,' p.  Bardas.      237 
XII.  Bibliographie \  .'". 244 

y.  Septembn:.  —  .V"  yo. 

I.  Jj'épiscopât  de  Nestorius,  M.  Jugie.      2bj 
II.  LJne     innovation    nturgique    à 

.Alexandriêen  1702,  S.  Sala  VILLE.      268 

III.  Un«  inscription  latine  à  Galaia  de 

I418,  J.    GOTTWALD 270 

IV.  Le    psopre    grec    de    Jérusalem, 

t  S   Pétridès 272 

V.  Les  philopones  d'Oxyrhynque  au 

iv*^  siècle,  S.  Vailhé 277 

VI.  Un.  manuscrit  chrétien  en  dialecte 
turc  :  le  Codex  cumanicus,  S.  Sa- 

LAviLLE 278 

VIL  Note  bibliographique:  deux  dates 
pour  une  même  édition,  F.  Lar- 

RIVAZ 286 

VIII.  Les    quatre    néo-martyrs   d'Agri- 

nion,  L.  Arnaud 289 

IX.  Le  premier  synode  syrien  deCharfé 
(ler   décembre    i853-i4   janvier 

1854),  P.  Bacel 293 

X.  Les  Orientalia  de  la  bibliothèque 

John  Rylands,  G.  Gallophylax.       299 
XL  Organisation    de   la  communauté 
grecque-orthodoxe  de  Kadi-Keuï, 

E.    MONTMASSON 302 


XII.  Le    3*    Congrès    de    Vélehrad, 

M.  Jugie 3o8 

XIII.  Bibliographie 3ii 

VI.  Novembre.  —  N"  gi. 

I.  Lettre  de  S.  S.  Pie  X  pour  la  con- 
vocation d'un  concile  arménien 

à  Rome 32! 

IL  Théologie  orthodoxe  et  théologie 
catholique.  A  propos  d'un  livre 
récent,  M.  Jugie 323 

III.  Le  néo-martyr  Michel  Mauroeidès 

et  son  office,  t  S.  Putrides 333 

IV.  L'homme  créé  à  l'image  de  Dieu, 

d'après  Théodoret  de  CyretPro- 
cope  de  Gaza,  E.  Montmasson..  334 
V.  Une  période  troublée  de  l'histoire 
de  l'Eglise  melkite  (1759-1794). 
L  L'élection  anticanonique 
d'Athanase    V    Jauhar    (1759), 

P.  Bacel 340 

V  .  Les  rapports  de  l'Eglise  et  de 
l'Etat  d'après  un  canoniste  ortho- 
doxe, A.  Catoi«e 352 

VIL   Tessar'acoste  :  Carême  ou  Ascen- 
sion? S.  Salaville 355 

VIII.  Les  Orientalia  de  la  bibliothèque 
John  Rylands   (fin),   G.  Gallo- 

PHYLAx 357 

IX.  La   crise    arménienne-catholique, 

R.  Jamn ...       364 

X.  Bibliographie 367 

XL  Table  des  matières 37c 


II. 


Liste  alphabétique  des  auteurs. 


Arnaud  (L.).  —  Quelques  superstitions  li- 

turgiqueschez  lesGrecs.        75 

—  Prières  superstitieuses  des 

Grecs  de  Chimara 146 

—  A  propos  de  la  cuiller  li- 

turgique chez  les  Grecs.       209 

—  Les    quatre    néo- martyrs 

d'Agrinion 289 

Bacel  (P.).  —  Décrets  des  Chapitres  gé- 
néraux des  Basiliens 
chouérites  de  1750  à 
1790 98 

—  Le  premier  synode  syrien 

de  Charfé  (i'^''  décembre 
1853-14  janvier  1854).. .       292 

—  Une  période  troublée   de 

l'histoire  de  l'Eglise 
melk:ite(i  759-1 794). I.L'é- 
leciion  anticanonique 
d'Athanase  V  Jauhar 
(1759) 340 


Bartas  (G.).  —  Rapprochement  entre  le 
patriarcat  œcuménique 
et  l'exarchat  bulgare. . .       116 

—  A  travers  l'Orient  chrétien.       178 

—  A  travers  l'orthodoxie...  237 
Bibliographie. . .  55,  i23,  186,  244,  3ii,  367 
Catoire(A.).  —  Le  monachismeoriental.        42 

—  Le  divorce, d'après  l'Eglise 

catholique  et  l'Eglise 
orthodoxe 167 

—  Les  rapports   de  l'Eglise 

et  de  l'Etat  d'après  un 
canoniste  orthodoxe.. .       352 

Gallophylax  (G.).  —  Les  Orientalia  de 
la  bibliothèque  John 
Rylands 29  ),       357 

Germer-Durand  (J.)  —  Sceaux  byzantins.       176 

—  Inscription   byzantine   de 

Scythopolis 207 

Gottwald  (J.).  —  Une  inscription  latine 

à  Galata  de  1418 270 


TABLE   DES   MATIERES 


381 


J.vNiN  (R.).  —  La  crise  arménienne-catho- 
lique        364 

Jean-Marie.   —    La  crise  religieuse  en 

Roumanie 5i 

JrGiE(M.).  —  Le  protévangile  de  Jacques 
et  l'Immaculée  Concep- 
tion          16 

—  Nestorius  jugé  d'après  le 

«  Livre  d'Héraclide  ». .         63 

—  La  primauté  romaine  au 

concile  d'Ephèse i36 

—  Sévérien  de  Gabala  et   le 

syrnbole  athanasien.. . .        194 

—  Statistiques    monastiques 

des  églises  orthodoxes 
autocéphales 233 

—  L'épiscopat  de  Nestorius.       257 

—  Le  3«  Congrès  de  Vélehr ad.       3o8 

—  Théologie    orthodoxe    et 

théologie  catholique.  A 
propos  d'un  livre  récent.       323 

Larrivaz  (F.j.  —  Note  bibliographique  : 
Deux  dates  pour  une 
même  édition 286 

MûNTMAssoNi  E.».— Doctrineder'A-i^î'.a, 

d'après  saint  Maxime...        36 

—  Organisation    de   l'Eglise 

grecque  orthodoxe  de 
Constantinople  ...  1 10,       161 

—  Vestiges    byzantins    dans 

l'art  musulman 232 

—  Organisation  de  la  com- 

mun auté  grecque  orth  o- 
doxe  de  K.adi-K.euï. . . .       3o2 

—  L'homme  créé  à   l'image 

de  Dieu,  d'après  Théo- 
doret  de  Cyr  et  Procope 
de  Gaza 334 

t  Pargoire  (J.).  —  L'Eglise  Sainte-Euphé- 
mie  et  Rufinianes  à 
Chalcédoine 107 

t  Pétridès  (S.).  —  Chrysobulle  de  l'impé- 
ratrice Théodora  (  1 283).        25 


t  Pétridès  (S.).  —  La  cérémonie  du  la- 
vement des  pieds  à  Jé- 
rusalem         89 

—  Semence  synodique  contre 

'leclergé-unioniste(i283).       i63 

—  Documents  sur  la  rupture 
'.  de  l'union  de  Florence. 

—  Le  propre  grec  de.  Jéru- 

salem.»  -.  ....'i..       272 

—  Lendo-m^rtycAlicfielMaU- 

roeidès  et  son  office»..       333 
Pie  X  (S.  S.  le  Pape).  —  Lettre  de  S.  S. 
Pie  X  aux  délégués  apo- 
stoliques d'Orient .-        - 

—  Lettre  pour  la  convocation^  "  • 

d'un  concile  arménien  à 

Rome .'..       32  i 

Rédaction  (La).  —  Le  R.  P.   Sophrone 

Rabois-Bousquet ..       120 

Salaville  (S.).  —  Consécration  et  épi- 
clèse,  d'après  Chosrov  le 
Grand 10 

—  Bulletin  de  liturgie  et  d'ar- 

chéologie chrétienne.. .       220 

—  Une  innovation  liturgique 

à  Alexandrie,  en  1702.       268 

—  Un  manuscrit  chrétien  en 

dialecte  turc  :  le  Codex 
cumaniciis 278 

—  Tessaracoste  :  Carême  ou 

Ascension? 355 

Vailhé  [S.).  —  Annexion  de  rillyricum 
au  patriarcat  œcumé- 
nique          29 

—  Pour  l'union  des  Eglises.        48 

—  Formation    de    l'Eglise 

bulgare 81,       i32 

—  Une  inscription  byzantine 

de  Jéricho 211 

—  Les     philopones     d'Oxy- 

rhynque  au  iv"'  siècle. . .       277 
Xanthopollos  (Th.).  —  L'image  de  la 

Vierge  de  Péramos...,       217 


in.    —    BlBLIOGRAPHfE. 


Abel  (F.  M.),  —  Une  croisière  autour 
de  la  mer  Morte 63 

Alès  (Adhémar  d').  La  discipline  péni- 
tentielle  d'après  le  Pasteur  d'Hermas.      Z-ji 
—  Dictionnaire  apologétique  de  la  foi 

catholique  (fasc  V  et  VI) 372 

-RABANTINOs(P.).  'Hîis-.pw-rtxôvYXwoffiiiov.        190 

Archatzik_AKIS  (J.),  —  Ai  xyptOTépas  ioptal 

cv  TY)  àvaToXixr,  'Exx).r,<rt'a 225 

Bachelet  (X.  h\.  Le).  —  Bellarmin  avant 
son  cardinalat  {i 542-1 5g8) 371 


Bang  (W.).  —  Beitrœge  ^ur  Erklœrung 
des  komanischen  marienhymnus,  — 
L'eber  einen  komanischen  Kommu- 
nionshymnus. — Zur  Kritik  des  Codex 
Cumanicus.  —  Beitraege  ^ur  Kritik  des 
Codex  Cumanicus.  —  Turkologische 
Epikrisen.  —  .Xltaische  Streijlichter. 

Bassi  (D.).,  E.  Martini  (D.).  —  Disegno 
storico  délia  ri  ta  e  cultura  greca 

Batiffol  (P.).  —  Histoire  du  bréviaire 
romain 


3i4 


IQ2 


22t> 


382 


TABLE  DES    MATIERES 


Batiffol  (P.).  —  Odes  de  Salomon,  une 
œuvre  chrétienne  des  environs  de  l'an 
100-120,  traduction  française  et  in- 
troduction historique Syo 

—  L' Eglise  naissante  et  le  catholicisme .       Syo 
Battandier  (A.).  —  Annuaire  pontifical 

catholique,  14*^  année 246 

Baudrillart,  a.  Vogt,  U.  Rouziès.  — 
Dictionnaire  d'histoire  et  de  géogra- 
phie ecclésiastiques  (fasc.  II-IV).  127,       266 
Baumstark    (A.).    —    Festbrevier    und 
Kirchenjahr  der  syrischen  Jakobiten.       224 

—  Die   Konstpol.    Messliturgie    vor 

dem  IX  Jahrh 226 

—  Die   christlichen    Lileraturen    des 
Orients Syi 

Beccari  (C-).  —  Notif^ia  eSaggi  di  opère 
e  documenti  inediti  riguardanti  lasto- 
ria  diEtiopia  durante  isecolixvi,  xvii, 
e  xvHi 56 

—  //  Tigré  descritto  da  un  )nissio7ia- 

rio  gesuita  del  secolo  xvii 5/ 

Bonl:lli  (L.),  Iasigian  (S.).  —  //  turco 
parlato  [lingua  usuale  di  Costantino 
poli)  :  Cenni  grammaticali,  dialoghi 

e  vocabolario  italiano-turco 314 

ho^GOTA.KH'EKO  {i.).  —  Quœstionespracticœ 
theologiœ  moralis  ad  usum  missiona- 
riorum  prœsertim  orientalium  regio- 

nuni 188 

Bourchany,  voir  Jacquier 869 

Bricout  (J.).  —  Où  en  est  l'histoire  des 
religions?  T.   F'':  les  Religions  non 

chrétiennes SyS 

Cabrol  (F.),  H.  Leclercq.  —  Diction- 
naire d'archéologie  chrétienne  et  de 

liturgie  (fasc.  XX-XXIV) 223-229,       3i2 

Camerlynck  (A.).  —  Commentarius  in 
Actus  Apostolorum 128 

—  Comtnentarius  in  Epistolas  catho- 
licas 123 

—  Compendium  introductionis  gène-  . 
ralis  in  Sacram  Scripturam 247 

Casamichela(J.  de),  —  De Primatu  Roma- 
nce Sedis  necnon  de  perpetuitate  ejus- 
defnprimatus  in  romanis pontificibus.       820 

Chaîne  (M.). —  Un  monastère  éthiopien 
à  Rome  au  xv^  et  au  xvi^  siècle,  San 
Stefano  dei  Mori ,       3i  i 

Charland  (P.-V.).  —  Madame  Saincte 

Anne  et  son  culte  au  moyen  âge 248 

Charon  (C).  — Histoire  des  patriarcats 
melkites  {Alexandrie,  Antioche,  Jéru- 
salem) depuis  le  schistne  monophysite 
du  VI*'  siècle  jusqu'à  nos  jours 3i8 

Clément  (J. -H. -M.).  — La  représentation 
de  la  Madone  à  travers  les  âges 190 

CoMPERNASs(J.). — Deukmaeler  der  gries- 
chischen  Volksprache  fur  sprachii>is- 
senschaftliche  Uebungen  und  Vor- 
lesungen 249 


Conférences  de  l'Ecole  biblique 56,       Syo 

CoNNOLLY  (U.)-  —  A  Homily  of  Mar 
Jacob  ofSerùgh  on  thememorial  ofthe 
departed  and  on  the  eucharistie  loaf.       256 

Constant  (G.).  —  Rapport  sur  une  mis- 
sion scientifique  aux  archives  d'Au- 
triche et  d'Espagne  :  Etude  et  cata- 
logue, critiques  de  documents  sur  le 
concile  de  Trente 874 

DiEHL  (Ch.)-  —  Manuel  d'art  byzantin.       127 

DiETTRiCH  (G.).  —  Die  Oden  Salomos 
iinter  Berïicksichtigung  der  ûberlie- 
ferten  Stichengliederung,  aus  de^n 
Syrischetn  ins  Deutsche  ûberset^t  und 
mit  einen  Kommentar  versehen. .....       222 

DoELGER  (Fr.  J.).  —  'ly.ô'-^î-  ^^^  Fisch- 
symbol  in  friïhchristlicher  Zeit.,  i...       229 

Ebersolt  (J.).  —  Le  grand  palais  de 
Constantinople  et  le  Livre  des  céré- 
monies   125 

■ —  Sainte-Sophie  de  Constantinople..       126 
Ecole  biblique  de  Saitit-Etienne. 

—  Conférences  de  1909-1910 56 

—  Conférences  1910-igi  i 870 

Eustratiades  (S.).   —  IlavSéxTV)  N'.xoXâou 

Kapax^a 190 

Fabre  (A.).  —  Pages  d'art  chrétien. ...  3i8 
Fendt  (L.).  —  Die  christologie  des  Nes- 

torius 868 

Franchi  de'  Cavalieri  et  J.  Lietzmann. 

Specimina  codicorum  grœcorum    Va- 

ticanorum 61 

GÉDÉON    (M.).    —   A£    çia-Eiç    Toû    irap'rKJLtv 

£y.7.).r|0-iaffTty.où   ^TjiririfJLaTOç 878 

Giron    (N.).    —   Notes    épigraphiques. 

{Damas,  Alep,  Orfa) 3i  i 

Gloubokovskii  (N.  N.).  —  Bogoslovskaia 

entsiclopediia 186 

—  Istoritcheskoé  pologénié  i  ^na- 
tchénié  litchnosti  Théodorita,  épi- 
scopa  Kirrskago 3 19 

Gottwald  (J.).  —  Les  faits  principaux 
de  l'histoire  byzantine  par  ordre 
chronologique 249 

GouGAUD  (L.).  —  Les  chrétientés  cel- 
tiques        224 

Grapin  (E.).  —  Eusèbe  :  Histoire  ecclé- 
siastique (1.  V-VIII) 25o 

Grégoire  (H.).  —  Notes  épigraphiques.       190 

Grégoire  de  Naregh  (Saint).  —  Discorso 
panegirico  alla  Beatissima  Vergine 
Maria 245 

Herbigny  (M.  d').  —  Un  Neivman  russe, 

Vladimir  Soloviev 3 16 

Huber  (R.).  —  Empire  ottoman.  Carte 
statistique  des  cultes  chrétiens 55 

Iasigian  (S.),  L.  Bonelli.  —  //  turco 
parlato  {lingua  usuale  di  Constanti- 
nopoli) 314 

Jacquier  (E.).  —  Le  Nouveau  Testament 

dans  l'Eglise  chrétienne 252 


TABLE  DES   MATIERES 


383 


Jacqcier  et  BouRCHANY.  —  La  Résurrec- 
tion de  Jésus-Christ  et  les  miracles 
éva  ngéliques 369 

'  vLABERT  (L-)-  —  Epigraphie 188 

AER  (P.).  — San  Doimo  vescovo  e  mar- 
tire  di  Salona  neW  archeologia  e  neW 
agiographia 1 89 

NARABiNOv  (J.),  —  Postnaia  Triod,  isto- 
ritcheskiy  ob\or  eia  plana,  scstai'a, 
redaktsiy  i  slavianskikh  perevodov . .       227 

K.ELLNER  (R.  A.  H.).  —  Heortologie 
oder  die  geschichtliche  Entwicklung 
des  Kirchenjahres  und  der  Heiligen- 
feste  von  den  œltesten  Zeïten  bis  i{iir 
Gegenwart 255 

—  L'année  ecclésiastique  et  les  fêtes 
des  Saints  dans  leur  évolution  histo- 
rique          225 

kERGORLAY    (J.    DE).    —   Sites  délaissés 

d'Orient  :  Du  Sinaï  à  Jérusalem 63 

K-iRCH  (C).  —  Enchiridion  fontium  his- 
toriée ecclesiasticœ  antiquœ  in   usum 

scholarum 244 

K.ORABLEV.  —  Voir  Regel 19 1 

K.POSE  (H.-A.).  —  La  statistique  des  mis- 
sions catholiques 25i 

!s.UBTZ.  —  Voir  Regel 191 

Labourt  (J.).  —  Les  Odes  de  Salomon..       370 
Lambakis  (G.).  —  Oï  iisxa.  iariçm  rf,;   xt.o- 

•/.a>.-j'!/£w; 02 

Lamppos  (S.).  —  'ApY'joo7ro-j).£Ïa 25o 

Larigaldie  (g.).  —  Le  vénérable  Justin 
de  Jacobis,  prêtre  de  la  Mission,  pre- 
mier vicaire  apostolique  de  l'Abys- 
sinie  {i 800-1 860),  d'après  des  docu- 
ments inédits 369 

Lazar  (V.).  —  Die  Sudrumaenen  der 
Turkei  und  der  angren^enden  Laen- 
der 247 

Leclebcq  (H.).  —  Voir  Cabrol.  .223-229       3i2 

Leroy  (H.).  —  Jésus-Christ,  sa  vie,  son 

temps 254 

LiETZM.\NN  (J.).  —  Voir  P.  Franchi  de' 
Cavalieri 61 

LiETZMANN  (H.).  — Liturgische  Texte ^ur 
Geschichte  der  orientalischen  Taufe 
und  Mess  im    i  und  iv  Jahrhundert. .       223 

—  Liturgische  Texte,  vi  :  Die  klemen- 
tinische  liturgie  ans  den  Constitu- 
tiones  Apostolorum  VIII,  nebst  An- 
haengen 223 

Lémann  (A.).  —  Histoire  complète  de 
l'idée  messianique  che^  le  peuple  d'Is- 
raël        3i3 

LoESCHCKE  (G.).  —  Jûdisches  und  Heid- 
nisches  im  chistlichen  Kult 220 

Maas  (P.).  —  Frùhby^antinische  Kir- 
chenpoesie.  L  Anonyme  Hymnen  des 
V-\  I  Jahrhunderts 226 

Mangenot  (E.).  —  La  Résurrection  de 
Jésus 253 


Mangenot  (E.).  —  Dictionnaire  de  théo- 
logie catholique  (fasc.  XXXII,  XXXIII, 
XXXIV) 374 

Marini  (N.).  —  Le  Macchie  apparent i 
nel  grande  Luminare  délia  Chiesa 
greca,  S.  Giovanni  Crisostomo 3 19 

Martin  (J.).  —  Thomassin  {i 6 ig-i6g5).       3j5 

Martini  (E.)  et  D.  Bassi.  —  Disegno 
storico  délia  vita  e  cultura  greca. ...         92 

Marucchi  (O.).  Epigrafia  cristiana, 
Trattato  elementare  con  una  silloge 
di  antiche  iscri^ioni  cristiani  princi- 
palmente  di  Roma 228 

Meester  (P.  DE).  —  Le  Collège  ponti- 
fical grec  de  Rome 64 

—  Mélanges  de  la  Faculté  orientale,  de 
l'Université  Saint-Joseph  de  Beyrouth.         58 

Michel  (C.). — Evangiles  apocryphes. .  .       191 

Migeon(G.). — Manuel  d'art  musulman.       186 

Millet  (G.).  —  Monuments  bys^antins 
de  Mistra 55 

MiONi  (U.).  —  La  sacra  Liturgia,  sue 
origini,  suo  sviluppo,  suo  significato, 
suo  statto  attuale.  Studio  storico-cri- 
tico 374 

Netzammer  (R.).  —  Der  Bau  der  Rumœ- 

nischunierten  Kirche  in  Bukarest.. . .       3i7 

Netzer(A.).  —  Introduction  de  la  messe 
romaine  en  France,  sous  les  Caro- 
lingiens        224 

Nau  (F.).  —  Nestorius  d'après  les  sources 

orientales 3Ô7 

Orelli  (C.  VON).  —  Allgemeine  Reli- 
gions geschichte 3 18 

Pal.mieri  (A.).  —  Theologia  dogmatica 
orthodoxa  {Ecclesiœ  grœco-russicœ) 
ad  lumen  catholicœ  doctrinœ  exami- 
nata  et  discussa.  T.  I.  Prolegomena.       323 

PapaDOPOULOS  (C).  —  IffTopta  Tf,c  'ExxIt,- 

(jîa;   'IcpofjoÀvuLojv 377 

Pary  (R.).  —  La  fin  du  monde  est  proche, 
démonstration  de  cette  vérité  par  des 
témoignages  tirés  de  la  Sainte  Ecri- 
ture          1 24 

Pègles  (Th.).  —  Commentaire  français 
littéral  de  la  Somme  théologique  de 
saint  Thomas  d'Aquin,  t.  IV  et  V 320 

Peeters  (P.)  et  Michel  (C).  —  Evan- 
giles apocryphes.  I.  Protévangile  de 
Jacques^  Pseudo-Matthieu,  Evangile 
de  Thomas,  Histoire  de  Joseph  le 
charpentier  (collection  Textes  et  do- 
cuments pour  l'étude  historique  du 
christianisme) 191 

Petit  (L.)  et  W.   Regel.   —  Actes   de 

l'Athos.  III.  Actes  d'Esphigménou  ...        191 

Pétridès  (S.).  —  Jean  Apokaukos,  lettres 

et  autres  documents  inédits 62 

Pie  X.  —  Actes  de  S.  S.  Pie  X 60 

Poinssot  (L.).  —  Nouvelles  inscriptions 

de  Dougga 374 


oi'i 


TABLE  DES   MATIERES 


Rabbath  (A.).  —  Documents  inédits  pour 
servir  à  l'histoire  du  christianisme  en 
Orient,  t.  II,  fasc.  I 60 

Rauschen  (G,).  —  Eucharistie  und  Buss- 
sakrament  in  den  ersten  sechs  Jahr- 
hunderten  der  Kirche 256 

Regel  (W.),  E.  K.urtz  et  B.  Korablev. 

—  Actes  de  l'Athos,  IV.  —  Actes  de 
Zographon.  Actes  d'Esphigménou  ...       191 

Revue  franco-bulgare 376 

RoBERTSON  (J.  N.  \V,  B.).  —  The  divine 
and  sacred  Liturgies  of  our  Fathers 
among  the  Saints  John  Chrysostom 
an   Basil   the   Great,  edited  with  an 

englisch  Translation 370 

RouziÈs  (U.).  —  Voir  Baudrillart.  .  127      256 

Russo  (D.).  —  Studii  si  critice 240 

Saladin  (H.),   G.    MiGEON.   —  Manuel 

d'art  musulman i86 

Staerk.(W.).  —  Altjûdische  liturgische 
Gebete  ausgewaehlt  und  mit  Einlei- 
tungen  herausgegeben 221 

—  Der  Mischnatraktat  Berakhoth  in 


vokalisiertem  Text,  mit  sprachlichen 

und  sachlichen  Bemerkungen 221 

ScAGLiA  (SixTus).  —  Notiones  archœlo- 
giœ  christianœ  disciplinis  theologicis 
et  liturgicis  coordinatœ 2-j> 

Schubart  (G.).  —  Papyri  grœcœ  Bero- 
linenses 3i() 

Sévérac  (J.-B.).  —  Vladimir  Soloviev . .       3i5 

SouARN  (R.).  —  Praxis  missionarii  in 
Oriente  servata 25 1 

Tanquerey  (A.).  —  Synopsis  theologiœ 
dogmaticœ fundamentalis,  1 3* édition.       367 

TixERONT  (J.).  —  Histoire  des  dogmes: 
de  saint  Athanase  à  saint  Augustin 
{3i8'43o) 3i2 

U.NG.NAD  (A.)  et  Staerk  (W.).  —  Die 
Oden  Salotnos  aus  dem  Syrischen 
uberset;t,  mit  Anmerkungen 221 

VoGT  (A.).  —  Voir  Baudrillart 127      256 

ZOLOTAS  (E.  G.).  BpaxEïai  èitavopôoj- 
ffE'. ;  y.at  Ttpoo-Of, xa-,  et;  Taç  âv  tw 
TiapovTt  t6[ji<i)   Xtaxà;  èircYpotçàî  y. al 

V  £  a  '.  T  :  V  £  ;  en  t  y  p  a  ç  a  l 245 

—  BvïavTiaxô;  Say.xv A'. 0 ;  èv  Xt w  .  .        24*1 


1 462-11.  —  Imp.  P   Feron-Vrau,  3  et  b,  rue  Bayard,  Paris,  VIII*.  —  Le  gérant  :  E.  Pktithenrt. 


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EchoB  d'Orient. 


▼.lU  (1911)