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ÉCHOS D'ORIENT
ÉCHOS D'ORIENT
Revue bimestrielle
DE THÉOLOGIE, DE DROIT CANONIQUE,
DE LITURGIE, D'ARCHÉOLOGIE, D'HISTOIRE
ET DE GÉOGRAPHIE ORIENTALES
Tome XIV — Année 1911
PARIS
5, RUE BAYARD, 5
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Toronto
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LETTRE DE S. S. PIE X
AUX DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES EN ORIENT
VENERABILIBUS FRATRIBUS ARCHIEPISCOPIS
DELEGATIS APOSTOLICIS BYZANTIf, IN
GR/tCIA, IN y^GYPTO, IN MESOPOTAMIA,
IN PERSIA, IN SYRIA ET IN INDUS ORIEN-
TALIBUS CONSIDENTIBUS
Plus PP. X
VENERABILES FRATRES,
SALUTEM ET APOSTOLICAM BENEDICTIONEM
Ex quo, nono labente saeculo, Orientis
gentes ab unitate Ecclesire catholicae cœ-
perunt avelli, vix dici potest quantum a
viris sanctis adiaboratum sit, ut dissi-
dentes fratres ad ejus gremium revoca-
rentur. Prae ceteris vero Summi Pontifices,
Decessores Nostri. proeo quo fungebantur
munere, fidem et unitatem ecclesiasticam
tuendi, ni! intentatum reliquerunt, ut
qua paternis adhortationibus, qua publicis
legationibus, qua solemnibus consiliis,
funestissimum dissidium tolieretur, quod
Occidenti quidem in mœrorem cessit,
Orienti vero grave intulit dampum. Hujus
sollicitudinis testes sunt, ut paucos tan-
tum recenseamus, Gregorius IX, Innocen-
tius IV, Clemens IV, Gregorius X, Euge-
nius IV, Gregorius XIII et Benedic-
tus XIV (i). Sed neminem latet, quanto
animi sui studio nuperrimo tempore De-
cessor Noster felicis recordationis Léo XIII
Orientis gentes invitaverit ut Ecclesiae
Romanae iterum consociarentur. « Nos
quidem certe (inquit) (2), pervetusta
Orientis gloria, et in omne genus homi-
(i) Const. Xuper ad nos 16 Mart. 1743, aliamlidei
professionem Orientalibus praescribit.
(21 AUocutio Si fuit in re, i3 déc. 1880, ad
S. i<. E. Gard., in ,-Ed. Vat.; Act., vol. II, p. 179;
cf. etiam Ep. Ap. Prceclara gratulationis, 20 Jun.
1894; Act., vol. XIV, p. 195.
Echos d'Orient, 14' année. — N' 86.
A NOS VENERABLES FRÈRES LES ARCHE-
VÊQUES DÉLÉGUÉS APOSTOLIQUES, RÉ-
SIDANT A CONSTANTINOPLE, EN GRÈCE,
EN EGYPTE, EN MÉSOPOTAMIE, EN PERSE^
EN SYRIE ET AUX INDES ORIENTALES
PIE X. PAPE
VÉNÉRABLES FRÈRES,
SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE
Depuis le jour où, au déclin du ix^ siècle,
les nations de POrient ont commencé à
être arrachées à l'unité de l'Eglise catho-
lique, il est difficile de dire la quantité
d'efforts qui ont été faits par de saints per-
sonnages en vue de ramener dans le sein
de cette Eglise les frères dissidents. En
tète de tous les autres, les Souverains Pon-
tifes, Nos Prédécesseurs, en vertu de la
charge qu'ils remplissaient de défendre la
foi et Punité ecclésiastique, n'ont omis
aucune tentative pour mettre fin, soit par
de paternelles exhortations, soit par des
délégations officielles, soit par des conciles
solennels, au très funeste schisme qui a
été pour l'Occident un grand chagrin et a
causé à l'Orient un grave dommage. IIs-
sont témoins de cette sollicitude, pour n'ea
citer que quelques-uns, les Grégoire IX,^
les Innocent I\', les Clément IV, les Gré-
goire X, les Eugène IV, les Grégoire XIII
et les Benoit XIV {i). Mais personne
n'ignore avec quel généreux empressement,
en ces derniers temps. Notre Prédécesseur,
d'heureuse mémoire. Léon XIII, a invité
les nations de l'Orient à s'unir de nouveau
à l'Eglise romaine. « Pour Nous, dit-il (2),
c'est un fait certain que le souvenir même
(i) La Constitution Nuper ad nos du 16 mars 174?
prescrit une profession de foi spéciale aux Orientaux.
(2) Allocution Si fuit in re , i3 déc. 1880, aux
cardinaux; Acta, t. II, p. 179. Voir aussi les Lettres
apostoliques Prceclara gratulationis du 20 juin
1894; Acta, t. XIV, p. 195.
Janvier rgii.
ECHOS D ORIENT
num fama meritorum ipsa recordatione
delectat. Ibi enim salutis humani generis
incunabula, et christianae sapientiae pri-
mordia ; illinc omnium beneficiorum ,
quœ una cum sacre Evangelio accepimus,
velut abundantissimus amnis in Occiden-
tem influxit Atque haec Nobiscum in
anime considérantes, niliil tam cupimus
atque optamus, quam dare operam, ut
Oriente toto majorum virtus et magni-
tude reviviscat. Eoque magis, quod illic
humanorum eventuum is volvitur cursus,
ut indicia identidem appareant, quaespem
portendant, Orientis populos, ab Ecclesias
Remanie sinu tam diuturno tempère dis-
sociâtes, cum eadem aliquando in gra-
tiam, aspirante Deo, redituros. »
Nec mineri sane desiderie Nos ipsî,
Ven. Fratres, quod probe nostis, tene-
mur ut cite dies lllucescat, tôt anxiis
sancterum virorum vêtis exoptatus, que
penitus a fundamentis subvertatur murus
ille, qui dues jamdiu dividit populos,
atque bis une fidei et caritatis amplexu
permixtis, pax invocata tandem aliquando
refloreat, fiatque unutn ovile et tinus pas-
tor{\).
Nobis tamen base anime revolventibus,
gravis mœroris occasionem nuperrime
prîebuit scriptum aliquod, in recens cen-
dito diarie « Roma e l'Oriente » evulga-
tum, cui titulus « Pensées sur la question
de l'union des Eglises ». Enimvere lot
iisque tam gravibus erroribus, non modo
theologicis, verum etiam histericis, scrip-
tum illud scatet, ut vix possit major cu-
mulus paucioribus paginis centineri.
Nimirum, ibi non minus temere quam
falso huic opinioni fit aditus dogma de
processiene Spiritus Sancti a Filio haud-
quaquam ex ipsis Evangelii verbis pro-
fluere, aut antiquorum Patrum fide com-
probari; — pariter imprudentissime in
dubium revocatur, utrum sacra de Pur-
gatorio ac de Immaculata Beatas Mariae
Conceptione dogmata a sanctis viris prie-
rum saeculorum agnita fuerint; — cum
(i) Joan. X, i6.
de la très antique gloire de l'Orient et la
renommée des services rendus par lui à
l'humanité nous est un charme. Là, en
effet, est le berceau du salut du genre
humain; là sent les origines de la sagesse
chrétienne ; c'est de là que, comme un
fleuve très abondant, s'est déversé sur
l'Occident le flot de tous les bienfaits que
nous avons reçus avec le saint Evangile
» En livrant Notre esprit à ces considéra-
tions, Nous ne désirons et ne souhaitons
rien tant que de donner Nos seins à ce que
par tout l'Orient revive la vertu et la gran-
deur des ancêtres. Et cela, d'autant plus
que le cours des événements humains y
laisse apparaître de temps en temps des
indices de nature à faire espérer que les
peuples de l'Orient, séparés pendant long-
temps du sein de l'Eglise romaine, se
réconcilieront un jour, s'il plaît à Dieu,
avec elle. »
Il n'est, certes, pas moindre, vous le
savez bien, Vénérables Frères, Notre désir
qui Nous fait souhaiter de voir bientôt luire
le jour, objet des vœux anxieux de tant de
saints personnages, où tombera tout à fait
définitivement le mur qui, depuis long-
temps, sépare les deux peuples, où, enlacés
dans l'unique embrassement de la foi et de
la charité, ils verront enfin refleurir la paix
tant implorée, et où il n'y aura plus qu'un
seul bercail et un seul pasteur (i).
Nous étions sous l'impression de ces sen-
timents lorsque naguère, dans une revue
de fondation récente, Roma e l'Oriente.
parut un article qui Nous causa un grand
chagrin. Il avait pour titre : « Pensées sur
la question de l'union des Eglises. » Cet
écrit fourmille de tant et de si graves erreurs
théolegiques, et même historiques, qu'il
était difficile d'en accumuler davantage en
moins de pages.
On y admet, avec autant de témérité que
de fausseté, l'opinion que le dogme de la
procession du Saint-Esprit a Filio ne
découle nullement des paroles mêmes de
l'Evangile et n'a pas d'appui dans la foi des
anciens Pères; c'est de même avec une
très grande imprudence qu'on met en doute
la question de savoir si les dogmes sacrés
du Purgatoire et de l'Immaculée Concep-
tion ont été reconnus par les saints des
siècles antérieurs. Venant à parler de la
(i) Joan. X, 16.
LETTRE DE S. 3. PIE X AUX DÉLÉGUÉS APOSTOLIdUES EN ORIENT
vero de Ecclesiae constitutione incidit
sermo, primo renovatur error a Decessore
Nostro Innocentio X (i) jamdiu damna-
tus, quo suadetur S. Paulum haberi tam-
quam fratrem omnino parem S. Petro, —
deinde non minori falsitate injicitur per-
suasio, Ecclesiam catholicam non fuisse
primis sasculis principatum unius, iioc est
monarchiam ; aut primatum Ecclesiae Ro-
manas nuliis validis argumentis inniti. —
Sed nec ibidem intacta relinquitur catiio-
lica doctrina de Sanctissimo Eucharistise
Sacramento, cum praefracte docetur, sen-
tentiam suscipi posse, qiiae tenet apud
Graecos verba consecratoria effectum non
sortiri, nisi jam prolata oratione i!!a quam
« epiclesim » vocant, cum tamen com-
pertum sit Ecclesiae minime competere
jus circa ipsam sacramentorum substan-
tiam quidpiam innovandi ; — cui haud-
minus absonum est, validam habendam
esse Confirmationem a quovis presbytero
collatam (2.)
Vel ex hoc errorum summario, quibus
refertum est illud scriptum, facile intelli-
gitis, Venerabiles Fratres, gravissimum
offendiculum omnibus ipsum perlegen-
tibus allatum fuisse, et Nos ipsos magno-
pere obstupuisse, catholicam doctrinam,
non obtectis verbis adeo procaciter per-
verti, pluraque ad historiam spectantia,
de causis orientalis schismatis, a vero
audacter nimis detorqueri. Ac primum
quidem falso in crimen vocantur sanctis-
simi Pontifices Nicolaus 1 et Léo IX, quasi
magna dissensionis pars illius debeatur
superbiae et ambitioni, hujus vero acribus
objurgationibus; perinde ac si prioris
vigor apostolicus in sacrosanctis juribus
tuendis superbiae sit tribuendus: alterius
autem sedulitas in coercendis improbis
vocari velit crudelitas. Historiae quoque
jura conculcantur cum sacrae illae expedi-
tiones, quas cruciatas vocant tamquam
■il Décret. Congr. gen. S. R. et L'. Inquis.,
24 Jan. 1647.
(21 Cf. Btned. XIV, Const tut. Etsi pastomlis,
pro Ita'ogrœcis, 16 Maii 1742, ubi dicit irritara
nunc fore confirmationem a ^implici presbytero
iaino ex so'a episcopi delegatione collatam.
constitution de l'Eglise . on renouvelle
d'abord une erreur condamnée depuis
longtemps par Notre prédécesseur Inno-
cent X{i), à savoir que saint Paul aurait été
considéré comme un frère absolument égal
à saint Pierre; puis, non moins fausse-
ment, on invite à croire que l'Eglise primi-
tive ne connaissait pas la primauté d'un
seul chef, la monarchie; que la suprématie
de l'Eglise romaine ne se fonde pas sur des
arguments valables. On n'y laisse pas
même intacte la doctrine catholique sur
l'Eucharistie, quand on enseigne péremp-
toirement qu'on peut adopter l'opinion
que, chez les Grecs, les paroles consécra-
toires n'ont d'effet qu'après la prière appe-
lée épiclèse, alors qu'on sait bien que
l'Eglise n'a le droit de rien innover pour
ce qui touche à la substance des sacre-
ments, et il ne lui répugne pas moins de
déclarer valide la Confirmation adminis-
trée par n'importe quel prêtre (2).
Par ce simple résumé des erreurs dont
cet écrit est rempli , vous comprendrez
facilement, Vénérables Frères, qu'il ait été
pour tous ceux qui l'ont lu un très grave
scandale, et que Xous-même ayons été
extrêmement surpris d'y voir la doctrine
catholique si nettement et si impertinem-
ment dénaturée, en même temps que
divers points relatifs à l'histoire du schisme
oriental si hardiment faussés.
C'est une erreur que d'accuser les très
saints pontifes Nicolas I*- et Léon IX
d'avoir pour une grande part provoqué la
dissension, le premier par son orgueil et
son ambition, le second par la violence
de ses récriminations, comme s'il fallait
attribuer à l'orgueil la vigueur apostolique
du premier dans la défense de droits sacro-
saints, et appeler cruauté le zèle du second
à réprimer le mal. C'est également fouler
aux pieds les droits de l'histoire que de
traiter comme des brigandages ces saintes
expéditions qu'on appelle les croisades, 00
encore, ce qui est plus grave, dimputer au
( I ) Décret de la Congrégation généra'e du Saint-
Office, 24 janvier 1647.
(2) Cf. Benoit XIV, Constitution Etsi pastoralis,
pour les Italo-Grecs, 26 mai 1742, où il déclare in-
valide la confirmation conférée par un simp e prêtre
latin en vertu de la seule délégation de l'évéque.
ECHOS DORIENT
4atrocinia traducuntur; aut cum, quod
etiam gravius est, Romani Pontifices
incusantur, quasi studium, quo conati
-sunt Orientis gentes ad conjunctionem
cum Ecclesia Romana vocare, dominandi
cupiditati sit adscribendum, non aposto-
licae sollicitudini pascendi Christi gregis.
Nec stuporem addidit levem quod in
€odem scripto adseritur, Grœcos Florentiae
a Latinis coactos fuisse ut unitati subscri-
berent, aut eosdem argumentis falsis
inductos, ut dogma de processione Spi-
TitusSancti etiam aFiliosusciperent. Quin
etiam eo usque proceditur, ut iiistoriae
juribus conculcatis, in dubium revocetur,
utrum Generalia Concilia, quae post Grae-
■corum dissensionem celebrata sunt, hoc
est ab octavo usque ad Vaticanum, tam-
quam œcumenica vere sinthabenda; unde
hybridae cujusdam unitatis ratio propo-
nitur, id solum ab utraque Ecclesia dein-
ceps agnoscendum tamquam legitimum,
quod commune patrimonium fuerit ante
^jiscessionem, ceteris, tamquam superva-
caneis et forte spuriis additamentis, alto
silentio pressis.
Haec vobis, Venerabiles Fratres, signifi-
canda duximus, non solum ut sciatis
memoratas propositiones atque sententias
falsas, temerarias, a fide catholica aliénas
a Nobis reprobari, sed etiam ut quantum
in vobis est, a populis vigilantiae vestrae
commissis tam diram luem propulsare
conemini, omnes adhortando, ut in ac-
cepta doctrina permaneant, neve alteri
unquam consentiant, licet angélus de
/:œlo evangeli^et (i). Simul tamen enixe
oramus, ut eos persuasos faciatis, nihil
J^obis antiquius esse, quam ut omnes
bonae voluntatis homines vires indefesse
■exerant, quo concupita unitas citius obti-
«eatur, ut in una fidei catholicae profes-
sione, sub uno pastore summo adunentur,
quas discordia dispersas retinet oves.
Quod facilius quidem continget, si ad
Spiritum Sanctum Paraclitum, qui « non
est dissensionis Deus, sed pacis » (2),
(i) Gai. I, 8.
(2) / Cor. XIV, 33.
désir de domination plutôt qu'à la préoccu-
pation apostolique de nourrir le troupeau
du Christ, le zèle et les efforts des Pontifes
romains pour la réunion des Eglises.
Nous n'avons pas été, non plus, légère-
ment stupéfait de lire dans ce même écrit
l'assertion que les Grecs à Florence ont été
contraints par les Latins de souscrire à
l'unité, ou qu'ils ont été amenés par de
faux arguments à accepter le dogme de la
procession du Saint-Esprit. On va même,
dans ce mépris des lois de l'histoire, jus-
qu'à émettre des doutes sur le caractère
œcuménique des conciles généraux qui ont
été tenus depuis le schisme grec, c'est-à-
dire du VIII« concile œcuménique jusqu'à
celui du Vatican. Tout cela pour conclure
à un projet d'unité hybride, d'après lequel
ne serait désormais reconnu légitime par
les deux Eglises que ce qui était leur patri-
moine commun avant le schisme. Pour le
reste, on le tiendrait dans un silence pro-
fond, comme des additions peut-être illé-
gitimes, en tout cas superflues.
Nous avons cru devoir, Vénérables
Frères, porter ce qui précède à votre con-
naissance, non seulement pour que vous
sachiez que les propositions précitées. Nous
les réprouvons comme fausses, téméraires,
étrangères à la foi catholique, mais aussi
afin que, autant qu'il est en votre pouvoir,
vous vous efforciez d'écarter des peuples
qui sont confiés à votre vigilance un fléau
si pernicieux, en exhortant tous les catho-
liques à demeurer fermes dans la doctrine
reçue et à n'adhérer à aucune autre, « fût-
elle annoncée par un ange du ciel » (i). En
même temps, Nous vous conjurons avec
instance de les bien persuader que Nous
n'avons rien tant à cœur que de voir tous
les hommes de bonne volonté travailler
inlassablement à obtenir au plus tôt l'unité
si désirée, afin que les brebis dispersées
par la dissension se réunissent dans une
même profession de foi catholique, sous
un seul Pasteur suprême. Ce résultat, nous
l'obtiendrons plus facilement si nous mul-
tiplions les prières à l'Esprit-Saint qui
« est un Dieu de paix et non pas de dis-
corde (2) ». Ainsi se réalisera le vœu que le
(i) Gai. I, 8.
(2) / Cor. XIV, 33.
LETTRE DE S. S. PIE X AUX DELEGUES APOSTOLIQUES EN ORIENT
fervidae ingeminentur preces; inde enim
fiet ut Christi votum impleatur, quod
ante subeundos extremos cruciatus cum
gemitibus expressit (i): « Ut omnes
unum sint, sicut tu, Pater, in me, et ego
in te ; ut et ipsi in nobis unum sint. »
Denique hoc omnes in animum indu-
cant suum, incassum omnino in hoc
opère adlaborari, nisi imprimis recta et
intégra fides cathoiica retineatur, qualis
in Sacra Scriptura, Patrum traditione,
Ecclesiae consensu, Conciliis Generalibus,
ac Summorum Pontiticum decretis est tra-
dita et consecrata. Pergant igitur quot-
quot contendunt causam tueri unitatis :
pergant fldei galea induti, anchoram spei
tenentes, caritatis igné succensi, sedulam
in hoc divinissimo negotio navare ope-
ram; et pacis auctor atque amator Deus.
cujus in potestate posita sunt tempora et
momenta (2), diem accelerabit, quo
Orientis gentes ad catholicam unitatem
exultantes sint rediturae, atque huic Apo-
stolicae Sedi conjunctae, depulsiserroribus,
salutis aeternae portum ingressurae.
Has Nostras litteras, Venerabiies Fra-
tres, in linguam vernaculam regionis
unicuique vestrum concreditcie diiigenter
translatas evulgare curabitis, Dum porro
vos certiores facere gaudemus, dilectum
auctorem scripîi inconsiderate, sed bona
fide ab ipso elucubrati, sincère et ex
corde coram Nobis adhaesisse doctrinis
in hac epistola expositis, et cuncta quae
Sancta Sedes Apostolica docet, rejicit et
condemnat, et ipsum, Deo adjuvante,
usque ad ultimum vitas fmem docere,
rejicere et condemnare esse paratum,
divinorum auspicem munerum, Nostrœ-
que benevolentiae testem Apostolicam
Benedictionem Vobis peramanter in Do-
mino impertimus.
Datum Romae, apud S. Petrum, die
XXVI Decembris, anno MCMX, Pontifi-
catus Nostri octavo.
Plus PP. X.
(i) Joan. XVII, 21.
(2) Act. I, 7.
Christ exprimait avec des gémissements
avant de subir les derniers tourments (i) :
« Qu'ils soient un, mon Père, comme vous
êtes en moi et moi en vous; qu'ils soient,
eux aussi, un en nous. »
Entin, que tous se pénètrent bien de
cette idée qu'on ferait œuvre absolument
vaine si d'abord on ne maintenait fidèle et
entière la foi catholique, telle qu'elle a été
transmise et consacrée dans la Sainte Ecri-
ture, la tradition des Pères, le consente-
ment de l'Eglise, les conciles généraux et
les décrets des Souverains Pontifes. Cou-
rage donc à tous ceux qui ont à cœur de
défendre la cause de l'unité; revêtus du
casque de la foi, tenant fermement l'ancre
de l'espérance, embrasés du feu de la cha-
rité, qu'ils travaillent de tout leur zèle
à cette tâche toute divine. Et Dieu, père et
ami de la paix, maître des temps et des
heures (2), hâtera le jour où les peuples
d'Orient doivent revenir triomphants à
l'unité catholique, et, unis au Siège apo-
stolique, purifiés de toute erreur, entrer au
port du salut éternel.
Vous prendrez soin. Vénérables Frères,
de faire traduire soigneusement cette lettre
dans la langue de la région qui vous est
confiée et de la répandre. En vous annon-
çant avec joie que le cher auteur de cet
écrit, rédigé avec légèreté mais avec bonne
foi, a adhéré sincèrement et de tout cœur
en Notre présence aux doctrines exposées
dans cette lettre, et s'est déclaré prêt à en-
seigner, rejeter et condamner jusqu'à la fin
de sa vie tout ce que le Saint-Siège aposto-
lique enseigne, rejette et condamne, comme
gage des divines faveurs, Nous vous accor-
dons affectueusement dans le Seigneur la
bénédiction apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le
26 décembre 1910, en la VIII^ année de
Notre Pontificat.
PIE X. PAPE
( i) Joan. XVII, 21.
(2) .4c/. I, 7.
CONSÉCRATION ET ÉPICLÊSE
D'APRÈS CHOSROV LE GRAND
Les Arméniens grégoriens partagent
aujourd'hui communément l'erreur des
Grecs orthodoxes consistant à attribuer
la consécration eucharistique, non aux
paroles du Sauveur : Ceci est mon corps,
ceci est mon sang, mais à l'épiclèse ou
invocation du Saint-Esprit, qui suit, dans
la liturgie, le récit de la Cène. Les pages
ci-après se proposent de montrer qu'une
telle croyance non seulement n'a aucune
racine dans la tradition ecclésiastique
arménienne, mais encore est en contra-
diction avec elle, La littérature arménienne
étant encore fort peu connue, notre étude
ne pourra pas être de tous points com-
plète; elle nous permettra du moins de
poser des jalons suffisamment indicateurs.
Le premier auteur qui se présente à
notre examen est Chosrov le Grand,
appelé aussi Chosrov Antzévatsi, du nom
de la ville dont il fut évêque (i) (t 972).
Ce personnage, qui, avant d'entrer dans
les Ordres, avait vécu dans le mariage et
qui est le père de saint Grégoire de Narek,
« le Pindare des Arméniens » (2), fut
lui-même un écrivain remarquable. II a
laissé de très intéressants Commentaires
du bréviaire et de la messe, qui ont été
édités à Constantinople en 1730. L'expli-
cation de la messe a été traduite en latin
il y a une trentaine d'années par le
Dr P. Vetter (3).
Ce dernier éditeur, énumérant dans la
préface de son travail les points où la
(i) Antzévatsiq.dans laprovince duVasbouragan.
Cf. Indjidji, L'Arménie ancienne, 1822, p. 196, cité
par '^t\z, L'Arménie chrétienne et sa littérature.
Louvain, 1886, p. 257; Tournebize, Histoire poli-
tique et religieuse de l'Arménie, Paris, 1910, p. 117.
(2) L. Petit, art. Arménie dans le Dictionnaire
de théologie catholique de Vacant-Mangenot,
t. 1", col. 1939.
(3) P. Vetter, Chosroœ magni, episcopi mono-
physitici, Explicatio precum missœ e lingua arme-
niaca in latinam versa. Fribourg-en-Brisgau, 1880,
in-S", xi-64 pages.
doctrine de Chosrov se trouve erronée,
signale, entre autres, l'attribution de la
consécration eucharistique à l'épiclèse (i).
Mais après une lecture attentive des pas-
sages concernant cette question, je crois
qu'il faut ici faire bénéficier notre auteur
de la très juste remarque formulée par
Vetter à propos de certaines expressions
semblant indiquer la théorie de l'impa-
nation. Sed omnia hœc non sunt nisi incom-
mode et incmidite dicta, neque licet verha
premere (2).
On ne doit pas chercher dans ce com-
mentaire liturgique d'un écrivain mono-
physite, moins encore que dans les autres
traités analogues, même rédigés par des
auteurs catholiques, une précision théo-
logique rigoureuse et continue. Etant
donné le double fait liturgique de la répé-
tition des paroles du Sauveur par le
prêtre et de l'oraison d'épiclèse, y a-t-il
lieu de tant s'étonner qu'un évêque du
x*' siècle parle de la consécration eucha-
ristique à propos de l'un et de l'autre de
ces deux faits? Et dès là que, dans la
liturgie, la commémoraison de la Cène
précède l'invocation au Saint-Esprit, l'at-
tribution formelle de la conversion eucha-
ristique aux paroles du Christ faite par
Chosrov à plusieurs reprises ne doit-elle
pas être prise en considération, sous pré-
texte que deux ou trois expressions con-
cernant l'épiclèse paraissent moins pré-
cises ? Celles-ci seront tout simplement à
expliquer, et la teneur de la formule épi-
clétique y suffirait presque; mais ii serait
illogique de les mettre en contradiction
(i) Errât deinde Chosroes putans non ad verba
Christi prolata, sed ad epiclesin, quœ dicitur,
pronunciatam panem consecrari et vinum ac
transsubstantiari. Quo errore plurimos eccle-
siarum orientalium theologos captos esse constat.
(Vetter, op. cit., p. x.)
(2) Ibid.
CONSÉCRATION ET EPICLESE D APRES CHOSROV LE GRAND
I I
avec l'efficacité consécratoire des mots
divins: Ceci est mon corps, ceci est le
calice de mon sang.
Pour montrer au lecteur le bien fondé
de ce jugement, nous allons passer en
revue, dans l'ouvrage de Chosrov, les
textes en question.
Au cours de l'explication de la longue
action de grâces qui va du Sanctus au
récit de la Cène, notre commentateur,
trouvant dans la liturgie mention des
sacrifices de la loi ancienne, dit que ces
sacrifices figuraient le Christ sacrificateur.
Omnes entm antiquorum temporum obla-
tiones — sive peccaiorum causa fuerunt
sive redemptionis sive laudationis —
Christ um sacrijicantem prœfigurarunt ( i ) .
Cette idée du Christ sacrificateur dans le
mystère eucharistique, souvent exprimée
d'ailleurs dans la teneur même des ana-
phores, suggère déjà la croyance à l'effi-
cacité consécratoire des paroles du Sau-
veur. Or, cette idée, Chosrov ne se lasse
pas de la répéter au fur et à mesure que
les formules liturgiques lui en fournissent
l'occasion. Voici comment il s'exprime
quelques lignes seulement après celles
que nous venons de citer :
Non solum ut debitorem et débita, inquit
{s.-e. sacerdos) unigenitum tuum dedisti,
sed ut victimam et unctutn, quia loco pon-
tificum unctorwn hune dedisti, « ut sit
nobis unctus et pontifex », victima et agnus
sacrificii et panis propositionis {2).
Le Christ, au sacrifice de l'autel, est
donc à la fois pontife et victime. Le com-
mentateur arménien paraphrase briève-
ment cette pensée, puis passe à une
autre, assez connexe à la précédente et
fournie, elle aussi, par le texte même du
canon. Le Fils de Dieu, lit-on dans celui-
ci, est à l'autel tout ensemble le distribu-
teur et la chose distribuée. Là-dessus,
notre auteur d'insister encore, rappelant
que cette affirmation du sacerdoce du
Christ est fréquente chez saint Paul. Et il
continue ainsi :
(1) Vetter, op. cit., p. 2Ô.
(2) Id., p. 27.
A cette table, le Christ est le dispensa-
teur, et c'est lui aussi qui est distribué. De
même, en effet, qu'au Cénacle c'était lui
qui distribuait aux apôtres et était lui-même
distribué, de même, depuis ce jour jus-
qu'aujourd'hui, c'est lui qui distribue et
est distribué, sans se consommer, à tous
les fidèles, dans toutes les églises (i).
Cette assimilation de l'acte accompli
par Notre-Seigneur au Cénacle avec celui
qu'il accomplit dans toutes nos églises,
assimilation familière aux anciens docteurs
et spécialement à saint Jean Chrysostome,
ne contient-elle pas déjà implicitement la
doctrine de la consécration par les paroles
prononcées sur le pain et le vin au swr
du Jeudi-Saint et répétées maintenant par
le prêtre au nom de Jésus?
Aussi bien, Chosrov le proclame un
peu plus loin avec l'anaphore qu'il com-
mente, et surtout avec saint Jean Chry-
sostome qu'il cite expressément, les prêtres
ne sont que des ministres, des représen-
tants; c'est le Christ qui opère vraiment
le sacrement.
Perficere sacramentum nostrum non est,
sed nos, ut beatus dicit Joannes, minis-
trorum ordinem habemus: ille aulem —
de Christo loquitur — sanctijicat et rénovât.
Nos enim offerimus ad altare et ministerii
causa adsumus, gratias pro beneficiis Dei
agentes. « Sed unire secum panem et salu-
tarem eum Jacere, Christi opus est. » (2)
Il n'est pas douteux que le beatus
Joannes auquel se réfère ici le liturgiste
arménien ne soit saint Jean Chrysostome.
Le passage directement visé est emprunté
à la LXXX1I« homélie du grand docteur
sur l'Evangile de saint Matthieu.
Les offrandes eucharistiques, disait le
prédicateur d'Antioche, ne sont pas œuvre
d'une vertu humaine. Celui qui a accompli
ce miracle jadis à la Cène, c'est encore lui
qui l'opère maintenant. Nous, nous tenons
rang de ministres; mais celui qui sanctifie
ces offrandes et qui les transforme, c'est
lui (3 ».
(i) Vetter, Op. cit., p. 28.
(2) Vetter, op. cit., p. 35.
(3) Saint Jean Chrysostome, In Matth. hom.
LXXXII, 5; MiGNE, P. G., t. LVII-LVIII, col. 744 :
12
ECHOS D ORIENT
Pas n'est besoin d'insister sur l'impor-
tance spéciale qu'une telle citation com-
munique à ces quelques lignes de Chosrov.
On sait avec quelle précision saint Jean
Chrysostome affirme à plusieurs reprises
la doctrine de la consécration par les
paroles du Sauveur: « Le prêtre est là,
dit-il ailleurs en un passage dont le paral-
lélisme absolu avec celui qui précède est
évident, le prêtre est là, qui représente
le Christ et prononce ces paroles; mais
■c'est la puissance et la grâce de Dieu qui
opère. Ceci est mon corps, dit-il. Cette
parole transforme les oblats. » (i) Le fait
que l'évêque d'Antzévatsiq connaît saint
Jean Chrysostome et qu'il le cite nommé-
ment, est pour nous un précieux secours
pour nous aider à préciser le sens de son
témoignage. 11 nous permet d'affirmer,
on peut dire avec certitude, que, malgré
des expressions un peu moins nettes, sa
pensée au sujet de la forme de l'Eucha-
ristie va rejoindre pleinement, en réalité,
celle du grand docteur auquel il se
réfère.
La dernière proposition du passage de
Chosrov que nous venons de transcrire
renferme des expressions qui sont de
celles dont Vetter signale à bon droit
l'inexactitude théologique, tout en décla-
rant qu'elles constituent des entorses à la
précision du langage plutôt qu'à l'ortho-
doxie de la foi (2). A vouloir pousser trop
dans le détail l'analogie générale entre
l'Eucharistie et l'Incarnation, Chosrov en
arrive, comme d'ailleurs maints autres
écrivains monophysites, à parler d'union
du Christ avec le pain : unire secum
panem. Que cependant il n'ait point par
Oùx ï(TTiv àvôpwTti'vTi; ôyvâ(X£wç k'pya ta Ttpoxeîjiîva. '()
T(5Te TaCra Ttotrjaaç èv èxsfvw tw Se^Ttvw, ou-o; xal
■vvv aÙTO âpyôt^eTat* r^]}.tX(, ûiryjpcTwv Tâ|tv iiziyo^iî't , o
o\ aYtâÇwv ayrà xal [xeTacrxeyâÇwv aÙTdi;. Le lecteur
a pu noter de lui-même la citation particulièrement
littéralede la proposition ainsirendue par Chosrov :
Nos ministrorum ordinem habemiis.
(i) Id., Hom. I de Proditione Judœ, n" 6; Mtcne,
P. G., t. LXII, col. 612. Cf. Echos d'Orient, t. XI,
1908, p. 102, et t. XIII, 1910, p. 321.
(2) Vetter, op. cit., p. xi. Suspecta' illœ seti-
ientiœ Chosroœ imputandœ sunt ut menda non
Jjdei, sed locutionis. Cf. p. 18, 29, 35, 36, 46.
là professé la théorie protestante de l'im-
panation, d'autres passages le prouvent,
où il exprime équivalemment la transsub-
stantiation. Ainsi, à plusieurs reprises,
il oppose, comme choses contraires, le
pain et le vin au corps et au sang du
Sauveur : après la consécration, ce n'est
plus du pain et du vin, c'est le corps et
le sang du Christ (i). Nous n'avons pas
à insister ici sur ces imprécisions de for-
mules. 11 nous suffit de constater, dans la
petite phrase en question, l'énoncé très
net de cette proposition : la consécration
est une opération du Christ lui-même,
dont les prêtres ne sont que les représen-
tants. Or, une telle affirmation est la
majeure d'où se déduit logiquement la
croyance catholique touchant la forme de
l'Eucharistie.
Encore que cette dernière conséquence
n'ait pas été énoncée par notre auteur du
x* siècle aussi explicitement que nous le
faisons aujourd'hui, il n'en demeure pas
moins que les principes posés par lui la
postulent nécessairement. Au surplus,
outre la majeure qui vient d'être signalée,
il n'est pas impossible de découvrir équi-
valemment, sinon en propres termes,
dans la paraphrase liturgique de Chosrov,
la mineure et la conclusion du syllogisme
très simple formulé par la théologie
catholique.
De fait, au cours de son commentaire
quelque peu diffus des paroles pronon-
cées par Jésus sur le calice, le docteur
arménien écrit ces mots : « Le Christ a
voulu nous apprendre comment doit être
accompli le mystère. »
La phrase, il est vrai, se termine ensuite
par une explication que les partisans de
1 épiclèse consécratoire ne manqueraient
pas de nous opposer tout de suite comme
une objection. Le commentateur ajoute,
en effet: « 11 nous l'a appris, dis-je, par
la bénédiction et l'action de grâces. » (2)
Mais l'objection est-elle vraiment sérieuse,
([) Id., p. 16, 18, 29, 33, 36, 5o.
(2) Vetter, op. cit., p. 3i. Edocere voltiit nos
mysterium guomodo perjîci debeat : cum benedic-
tione, dico, et gratiarum actione docuit.
CONSÉCRATION ET ÉPICLÈSE D'aPRÈS CHOSROV LE GRAND
»3
étant donné les enseignements ci-dessus
indiqués sur le sacerdoce du Christ à
l'autel, étant donné aussi la place occupée
par cette phrase au milieu d'une explica-
tion de la formulé divine : « Ceci est mon
sang »? N'est-il pas naturel de croire que
la bénédiction et l'action de grâces visées
ici ne sont pas autre chose que la béné-
diction et l'action de grâces mentionnées
par le récit évangélique comme accompa-
gnant renonciation des paroles sacrées?
Aussi bien, quatre lignes après celles que
nous venons de citer, Chosrov, rappelant
ces paroles sacrées, les rattache à ce qui
précède, d'une manière qui semble bien
ne laisser aucun doute sur sa pensée :
Donnant donc le calice aux disciples, il
dit : « Ceci est mon sang, 'le sang] du
Nouveau Testament, qui est répandu pour
vous et pour un grand nombre en rémission
des péchés. » (i)
Est-il si téméraire, dès lors, de trans-
poser ces expressions anciennes en celles-
ci plus modernes, mais de même sens :
Le Christ, à l'autel, est le vrai sacrifica-
teur dont les prêtres ne font que tenir la
place. Or, il nous a enseigné lui-même
que, pour tenir sa place et opérer le mys-
tère en son nom, il faut répéter sur le
pain et le vin sa formule divine et son
geste auguste.
Nous voilà en possession d'une majeure
et d'une mineure suffisamment explicites,
croyons-nous. Devrons-nous renoncer à
trouver chez notre auteur l'énoncé de la
conclusion désormais évidente? Point du
tout. Et même — détail piquant pour
£eux-là surtout qui se laissent volontiers
impressionner et convaincre par certaines
affirmations patristiques de la vertu con-
sécratrice du Saint-Esprit, prises isolé-
m.ent et détachées de leur contexte —
nous rencontrons cet énoncé précisément
au beau milieu du commentaire de l'épi-
clèse. Notre liturgiste, poursuivant tou-
jours la comparaison, qui lui est chère,
r» Dans « igitur * calicem discipulis ait:
Hic est sanguis meus novi testamenti, qui pro
vobis et multis effunditur in remissionem pecca-
torum. »
de l'Eucharistie avec l'Incarnation, y
attribue, il est vrai, les deux miracles au
Saint-Esprit; et cela n'a pas de quoi
nous surprendre. Mais il ajoute aussitôt
que, si le changement eucharistique se
produit ainsi par l'opération de la troi-
sième personne divine, c'est que « la
parole du Christ est infaillible, qui â
ordonné de renouveler en souvenir de
lui jusqu'à son avènement ce qu'il a fait
lui-même le premier ». (i)
Le lecteur fera-t-il maintenant difficulté
de reconnaître, dans les passages allégués
de Chosrov le Grand, des témoignages
nettement favorables à l'enseignement
catholique touchant la forme de l'Eucha-
ristie?
Si telle est bien la doctrine à dégager
des textes que nous avons rapprochés,
comment expliquer que Vetter et quelques
autres après lui aient pu affirmer que le
célèbre liturgiste arménien attribuait la
consécration à l'épiclèse et non aux
paroles du Sauveur? (2) Je viens d'en
signaler incidemment la raison tout à
l'heure. C'est que l'on s'est laissé trop
impressionner par plusieurs autres textes,
où l'opération eucharistique du Saint-
Esprit est nettement mise en relief, mais
que l'on a eu tort de considérer isolément,
sans projeter sur eux la lumière jaillie des
affirmations étudiées ci-dessus. Mainte-
nant que nous connaissons d'une ma-
nière suffisamment précise la pensée de
Chosrov au sujet de la vertu consécratrice
du Christ et de ses paroles, nous pouvons
lui demander sa pensée au sujet de la
vertu consécratrice du Saint-Esprit et de
la formule d'invocation. Nous ne nous
étonnerons pas outre mesure de trouver
ici encore le commentateur très afïîrmatif.
m) Vetter, op. cit., p. 36. Idem hoc videmus
credimusque fieri, quia infallibile est verbum
Christi, qui quod ipse primus fecit, id usque ad
adventum suum in sui memoriam fieri Jussit.
{2\ Vetter. op. cit., p. x. Cf. L. Petit, art.
« Arménie », toc. cit., col. igSô; Tolrnebize, His-
toire politique et religieuse de l'Arménie, Paris,
1910, p. 584.
14
ECHOS D ORIENT
Mais la constatation préalablement faite
de sa doctrine sur le sacerdoce eucharis-
tique du Christ nous obligera, en dépit
peut-être d'une certaine imprécision de
l'auteur, à concilier entre elles ces doubles
données en apparence contradictoires.
Que la confection des sacrements, et
spécialement de l'Eucharistie, soit attri-
buée à l'Esprit-Saint, cela n'a rien que de
naturel, puisqu'il est le Sanctificateur et
le Vivificateur. Aussi Ghosrov peut-il
écrire :
Le prêtre appelle Vivificateur et Libéra-
teur l'Esprit-Saint, parce que, par lui, le
baptême nous a régénérés pour nous faire
enfants de Dieu, nous délivrer des péchés
et nous vivifier pour la vie immortelle. Ce
même Esprit-Saint accomplit aussi ce divin
sacrement (de l'Eucharistie), vivifiant et
libérateur (i).
Mais l'action de la troisième personne
divine exclut si peu celle de la seconde,
que le Kturgiste arménien ïes conctïie
l'une et l'autre au début de sa paraphrase
du récit de la Cène. Ici encore, ses expres-
sions se ressentent de rîmprécision ou
de l'inexactitude de ses doctrines christo-
îogiques; du moins, sous le bénéfice de
cette observation, nous pouvons être
assurés de son enseignement eucharis-
tique. Voici comment il s'exprime:
Jésus prit du pain et le bénit. Bénir, c'est
introduire le Saint-Esprit. Celui-ci, envoyé
à Marie, accomplit en elle l'inefïable incar-
nation et unit avec le Verbe divin la chair
qui fut tirée de la Vierge; c'est pareillement
lui qui fera le miracle du pain uni au Fils
de Dieu (2).
De la phrase qu'on vient de lire, il suit
logiquement que l'opération eucharistique
du Saint-Esprit coïncide, en réalité, avec
l'opération eucharistique du Fils. Et qu'on
n'aille pas épiloguer sur le futur employé
(i) Yetter, op. cit., p. 17.
(2) Ibid., p. 29. Accepit panent et benedixit. Et
« benedicere » e*^ : Spiritum Sanctum introducere.
Qui ad Mariant missus ineffabilem in ea perfecit
incarnationem et cuni Verbo divino univit carnem,
quœ ex Virgine fuit, is pariter pa?iis cum Filio
Dei uniti faciet miraculum.
par notre auteur dans la proposition
finale : « C'est pareillement lui qui fera
le miracle du pain uni au Fils de Dieu »,
pour donner à entendre que cette action
de la troisième personne divine est à
reporter à l'instant ultérieur de l'épiclèse.
Non, le sens naturel de ce futur ne sau-
rait, d'après le contexte, dépasser le
moment où vont être prononcées les
paroles du Sauveur, par lesquelles le Christ
consécrateur opérera cette bénédiction
effective qui consiste, dit Chosrov, à
« introduire l'Esprit-Saint ».
De fait, voyons comment le liturgiste
d'Antzévatsiq paraphrase la formule d'épi-
clèse. La teneur de cette oraison étant,
on le sait, ce qu'il y a de plus fort en
faveur de l'efficacité consécratrice du
Saint-Esprit, il est intéressant de terminer
par là notre consultation. Or, après avoir
transcrit le texte même de la prière (i),
voici quel commentaire Chosrov nous en
donne (le lecteur remarquera de lui-même
les inexactitudes déjà signalées au sujet
de l'Incarnation) :
Nous t'adoronSj te prions et te supplions,
Seîgneur, Créateur et Père, qui nous as
donné ton Fils unique pour Rédempteur,
qui le places sur l'autel et nous le donnes
pour nourriture. Pleins de confiance en ta
bienfaisance infinie, nous te prions d'en-
voyer l'Esprit-SaLnt sur nous et sur le sacri-
fice, afin que le Saint-Esprit nous sanctifie,
nous aussi Le Rédempteur, en effet,
s'est incarné de la Vierge Marie : l'Esprit-
Saint, eavoyépar le Père, a pris de la chair
du sein de Marie, l'a mêlée et unie au
(i) Le lecteur aimera sans doute à lire la formule
d'épié lèse que Chosrov avait sous les yeux. La
voki : Adoramus et precamur et rogamus te,
Domine, niitte super nos et oblata hœc dona
coœternuni tuum et consubstantialem Sanctum
Spiritum, qui pani isti benedicat et père euni
faciat corpus Domini nostri et Redemptoris Jesu
Christi;et caLici isti benedicat et vere eum faciat
sanguinem Domini nostri et Redemptoris Jesu
Christi, ut sit a-ccedentibus liberationi a condem-
natione, expiationi, peccatonini remissioni. Vet-
TER, Op. cit., p. 35, 36. On le voit, c'est ce qu'il y
a de plus formel en apparence; et pourtant, nous
connaissons déjà la pensée de Chosrov touchant
l'efficacité des paroles du Sauveur, et nous allons
la voir renforcée par son commentaire même de
ce texte liturgique.
CONSÉCRATION ET ÉPICLÈSE D APRES CHOSROV LE GRAND
Verbe divin C'est encore la même opé-
ration qu'accomplit à l'église et au saint
autel l'Esprit divin. Le pain qui a été pris,
il l'unit au Fils de Dieu; il en fait autant
pour le calice, et l'un et l'autre deviennent
véritablement le corps et le sang du Christ.
Cela, nous le voyons s'accomplir et nous
le croyons, car elle est infaillible la parole
du Christ qui a ordonné de renouveler en
souvenir de lui jusqu'à son avènement ce
qu'il a lui-même fait le premier. Comme
le Père était, est et est toujours, et qu'il n'y
a eu aucun temps où il n'ait été, ainsi
l'Esprit-Saint a toujours été avec le Père et
avec le Fils, et il est éternel et consubstan-
tiel. C'est lui aussi qui a opéré ce miracle
étrange, de changer le simple pain et le
vin en l'incorruptibilité du corps et du sang
d'un Dieu Après avoir prié avec foi pour
que le Saint-Esprit descende sur l'auguste
sacrifice, nous professons, selon la parole
divine, [la présence du' corps et du sang,
et nous nous mettons à prier d'un cœur
où n'entre aucune hésitation. Notre àme
sait, sans aucun doute ni hésitation pos-
sible, que le Fils de Dieu est sur l'autel
sacré, renouvelant sous nos yeux la mort
qu'il a endurée pour nous. C'est, en effet,
depuis lors, le même corps qui fut sur la
croix et dans le tombeau (iX
La part une fois faite aux inexactitudes
théologiques déjà rappelées, il reste que
cette paraphrase de l'épiclèse, loin dêtre
opposée à la croyance catholique sur la
forme de l'Eucharistie, en constitue au
contraire, si je ne me trompe, une écla-
tante confirmation. Rien n'y insinue que
l'opération consécratrice du Saint-Esprit
s'effectue au moment précis où cette
oraison est prononcée: bien plutôt en
ressort-il que cette opération a déjà eu
lieu à l'instant où était dite sur le pain et
le vin la parole infaillible du Christ. Ce
qui s'en dégage aussi avec une évidente
netteté, c'est l'idée de la coopération
eucharistique des trois personnes divines,
idée qui, par sa fréquente répétition, se
trouve être un véritable lieu commun dans
la théologie patristique et spécialement
dans la littérature spéciale formée par les
0) Vettef, op. cit., p. 36-37.
commentaires de la liturgie. Or, le relief
saisissant donné à cette idée va directe
ment à ruiner la signification exclusive
de consécration que d'aucuns voudraient
donner aux formules d'épiclèse. Pour ma
part, plus j'étudie ces anciens auteurs,
théologiens et liturgistes, plus je les com
pare entre eux, plus il m'apparaît que la
véritable expHcation de l'épiclèse est là.
La pensée de Chosrov, ici encore, me
semble suffisamment claire. Nous lavons
entendu nous déclarer, en substance,
que le Christ accomplit la consécration
en prononçant les mêmes paroles qu'au
Cénacle : Ceci est mon corps, ceci est
mon sang. Maintenant il note d'une façon
très précise qu'à cette action du Fils coo-
pèrent, tout naturellement, le Père et le
Saint-Esprit. La coopération de ce dernier
est particulièrement soulignée, à raison
surtout de l'analogie entre l'Eucharistie et
l'Incarnation, analogie poussée jusqu'à
l'exagération par notre liturgiste. Mais,
en dépit de cette insistance spéciale, tout
me paraît indiquer que Chosrov rapporte
réellement cette coopération du Saint-
Esprit à l'instant antérieur où étaient
proférées les paroles du Sauveur. N'a-t-
on pas remarqué, entre autres choses,
que, au cours de cette explication d'une
formule qui, à première vue, semblerait
faire difficulté, il emploie, pour désigner
l'efficacité consécratrice du Saint-Esprit,
un verbe au temps passé? « C'est lui
aussi, dit-il, qui a accompli ce miracle
étrange de changer le simple pain et le
vin en l'incorruptibilité du corps et du
sang d'un Dieu. » (i)
(i) Vetter, op. et lac. cit. Qui etiam egregium
taie miraculum *.fecit » : merum panem et vinum
in incorruptibilitatem corporis ac sanguini* Dei
transmutons. On rencontre ici, pour le noter en
passant, un assez frappant correctif à apporter aux
expressions de Chosrov, qui, au premier abord,
sembleraient désigner une sorte d'impanation. 11
s'en trouve d'autres de ce genre dans l'explication
de la messe : ce qui montre une fois de plus que
les anciens auteurs veulent être étudiés dans leur
ensemble et qu'il ne faudrait pas prendre au pied
de la lettre certaines de leurs formules isolées du
contexte général que forme le recueil de leurs
écrits.
i6
ECHOS D ORIENT
II nous est donc permis, pensons-nous,
de conclure avec assurance que les Armé-
niens grégoriens et ceux qui, comme
eux, seraient partisans de la consécration
par l'épiclèse, ne peuvent du moins pas
se prévaloir du témoignage de Chosrov
le Grand. Celui-ci, je crois l'avoir dé-
montré, est au contraire nettement favo-
rable à la croyance catholique de la con-
sécration par les paroles du Sauveur.
Quant à l'épiclèse, sa paraphrase nous la
donne à considérer comme une expres-
sion post factum de la coopération du
Saint-Esprit à l'action eucharistique des
deux autres personnes divines. L'analogie
avec l'Incarnation, beaucoup plus que
l'idée générale de sanctification, paraît
bien être, au jugement de notre auteur,
la raison de l'insistance spéciale de la
liturgie sur cette coopération du Saint-
Esprit. Sévérien Salaville.
Constantinople.
LE PROTÉVANGILE DE JACQUES
ET L'IMMACULÉE CONCEPTION
Les Evangiles canoniques ne nous ap-
prennent que fort peu de chose sur la
Vierge Marie. Ils se contentent de mettre
en lumière sa maternité virginale et se
taisent à peu près complètement sur le
reste de sa vie. Ils ne disent rien en par-
ticulier de sa naissance et de son enfance.
De très bonne heure, la piété des fidèles
se préoccupa de combler cette lacune, au
risque de nous fournir, au lieu d'une his-
toire proprement dite, de pieuses légendes,
qui, sans être dépourvues de tout fonde-
ment réel, feraient la part belle à la fan-
taisie. La première de ces productions de
la piété populaire qui soit parvenue jus-
qu'à nous est le Protévangile de Jacques.
Ecrit en grec par un catholique, vers le
milieu du ii« siècle, au moins pour la
partie qui regarde la vie de la Vierge
avant la naissance de Jésus (i), cet apo-
cryphe mérite d'attirer toute notre atten-
tion, tant à cause de son contenu que de
l'influence qu'il a exercée sur la liturgie
et la théologie mariales de l'Eglise grecque.
C'est en réfléchissant sur les données qu'il
(i) Telles sont les conclusions auxquelles s'ar-
rête le récent éditeur du Protévangile de Jacques,
M. E. Aman, et qui nous paraissent tout à fait
justifiées. Emile Aman, le Protévangile de Jacques
et ses remaniements latins. Paris, 1910, p. 99-100.
fournit, et qui ont été de bonne heure
universellement acceptées, que les ora-
teurs byzantins ont été amenés à dire de
si belles choses sur l'Immaculée.
L'idée de la conception immaculée perce-
t-elle dans l'ouvrage lui-même? On l'y
trouve au moins à l'état implicite. L'au-
teur a pour but de glorifier Marie, Vierge
et Mère, et de la venger de certaines ca-
lomnies répandues par les Juifs. Il prend-
un soin spécial d'écarter d'elle, dès sa
plus tendre enfance, tout ce qui, de près
ou de loin, pourrait ternir sa virginale
pureté. Aucune souillure en la future
Mère du Sauveur : telle est la thèse qu'il
ne cesse d'inculquer.
Il est vrai qu'il s'agit surtout de souil-
lure physique et légale. Mais l'argument
a fortiori est ici de mise. S'il fallait que
Marie fût absolument pure dans sa chair
pour être digne de devenir la Mère de
Jésus, à plus forte raison devait-elle être
immaculée dans son âme. On peut dire
que, dès cette époque reculée, le dogme
de la conception immaculée esta l'horizon
de la conscience chrétienne. Celle-ci n'aper-
çoit la Mère de Dieu que nimbée d'une
auréole d'idéale pureté. La tache originelle,
comme toute autre souillure, est tacite-
ment exclue; si on ne le dit point exprès-
LE PROTÉVANGILE DE JACQUES ET L'IMMACULÉE CONCEPTION
17
sèment, c'est sans doute parce que la chose
va de soi.
Dans les milieux chrétiens où fut com-
posé le Protévangile, écrit M. Aman, in-
stinctivement la piété populaire faisait le
raisonnement qui revient à chaque page
des traités modernes de mariologie : il faut
admettre que la Vierge Marie, non seule-
ment a reçu les mêmes faveurs que les saints
les plus éminents, mais qu'elle les a eues
d'une manière plus excellente. Et comme
l'on ne savait point discuter alors sur la
grâce ou le péché originel, comme l'on ne
pouvait point dire si Jérémie ou Jean-Bap-
tiste avaient été sanctihés dès le sein de
leur mère (i), l'on ne pouvait pas affirmer
non plus que la Vierge avait été conçue
sans la souillure originelle, mais l'on pou-
vait assurer que sa naissance avait surpassé
en sainteté et en miracle celle des plus
saints personnages (2).
Au lieu de parler d'impossibilité, il est
sans doute plus sage de dire que, si l'on
n'affirmait point alors expressément que
Marie a été conçue sans péché, c'est parce
que la question n'avait pas été posée
directement. Si quelqu'un l'avait soulevée,
et nous croyons qu'elle aurait pu l'être au
second siècle, nul doute que la conscience
chrétienne n'eût répondu comme elle
répondra plus tard.
Mais n'y a-t-il rien dans le texte du
Protévangile qui indique positivement que
la conception de Marie n'a pas ressemblé
en tout à celle des autres hommes? L'au-
teur affirme qu'elle a été au moins aussi
miraculeuse que celle du Précurseur. Les
parents de la Vierge sont frappés de sté-
rilité. Par leurs prières, ils obtiennent que
Dieu fasse cesser leur opprobre. Un ange
annonce séparément àjoachim et à Anne
l'heureuse nouvelle qu'ils auront une pos-
térité. Marie nous est ainsi présentée
comme Fille de la promesse, comme un
don de Dieu et un fruit, non de la passion,
mais de la prière.
Cela sans doute ne suffit pas en soi
pour faire jaillir l'idée de la conception
(i)Je ne vois pas pourquoi on n'aurait pas pu
le dire.
(2) Aman, op. cit., p. i5-i6.
immaculée, mais cela a suffi en fait, nous
le verrons, aux docteurs postérieurs pour
s'élever jusqu'à cette idée. Sans trop ré-
fléchir que leur raisonnement pouvait
s'appliquer à d'autres qu'à Marie, de ce
que celle-ci était un don de Dieu, ils ont
conclu que ce don ne pouvait qu'être abso-
lument pur et immaculé; ou plutôt, dans
leur esprit, au miracle accordant la fécon-
dité à des parents stériles se sont associées
les exigences spéciales de la maternité
divine. L"intervention de Dieu en faveur
de sa Mère a été, comme il convenait,
plus parfaite et plus intime que dans les
autres naissances miraculeuses, et lui
a valu un privilège unique.
L'auteur du Protévangile s'est-il contenté
d'attribuer à Marie une conception rappe-
lant celle de certains personnages bibliques
illustres, et en particulier celle de Jean-
Baptiste? Ne lui est-il pas venu à l'idée de
faire sur ce point la Mère semblable au
Fils?
La question, dit M. Aman, mérite d'être
posée. Une des raisons pour lesquelles la
théologie s'est opposée longtemps au privi-
lège de l'Immaculée Conception de la Vierge,
c'est que, conçue à la manière de tous les
autres hommes, fille de la concupiscence
charnelle, Marie avait dû contracter la souil-
lure que transmet depuis Adam la généra-
tion humaine. Si l'auteur a cru à la con-
ception virginale de sainte Anne; si, en la
rapportant, il s'est fait sur ce point l'écho
de la tradition et de la piété populaire, il
faut le ranger parmi les tout premiers défen-
seurs de l'Immaculée Conception; il faut
reconnaître, de plus, que cette idée a dans la
tradition catholique des racines beaucoup
plus profondes qu'on ne le suppose ordi-
nairement.
La question est une question de texte et
de grammaire. On lit, c. iv,v., 2 : «Joachim,
Joachim, le Seigneur Dieu a exaucé ta prière ;
descends d'ici, car voici que ta femme Anne
concevra dans son sein (èv Ya<rrs: Kr^-lz-xv. »
Telle est du moins la leçon adoptée par
Tischendorf comme texte reçu : c'est celle
que donnent, en effet, tous les manuscrits
grecs consultés par lui, sauf un seul, mais
très ancien, qui porte : « Anne, ta femme,
, a conçu siX-zj^e). » Fidèle à lui-même, ce
ECHOS D ORIENT
manuscrit donne une leçon correspondante
au verset 4. — Anne exprime sa joie de
revoir son mari : « J'étais veuve et je ne le
suis plus, j'étais sans enfant et voici que je
concevrai » (X7)'}o[jLat, d'après le texte reçu);
« voici que j'ai conçu » (stXTj^a, d'après le
manuscrit désigné plus haut) (i).
La leçon eChr/^t au verset 4 est encore
donnée par deux autres manuscrits, dont
l'un, qui ne date que du xvi^ siècle, porte
à la fois 3-JÂÀr,6oiji.a'. xal eO.r/fa (2). Si la
leçon £'j.r,çaest la leçon primitive, le Pro-
iévangile paraît enseigner la conception
virginale de Marie, et, du coup, écarte
d'elle toute idée de péché originel. Mais
est-ce là le texte original? D'après le con-
texte, il semble que non. L'auteur insinue
discrètement que Joachim a été le père de
Marie, lorsqu'aprèsavoir racontél'entrevue
des deux époux, il écrit :
Et Joachim, ce premier jour,alla se reposer
dans sa maison. Le lendemain, il apportait
ses offrandes, se disant en lui-même : « Si
le Seigneur Dieu m'est propice, c'est ce
que me manifestera la lame d'or du grand
prêtre (3).
Ce n'est peut-être là cependant qu'une
interprétation subjective. Peut-être l'au-
teur a-t-il simplement voulu dire que Joa-
chim était allé remercier le Seigneur sans
retard, dès le lendemain même de son
retour, et aussi s'assurer que la promesse
de l'ange s'accomplirait. Ce qui est cer-
tain, c'est que la leçon tCkr/fo. est très
ancienne. Nous savons par saint Epiphane
qu'elle était déjà fort répandue à la fin du
iv« siècle. Réfutant la secte des Collyri-
diens, qui rendaient à Marie un culte exa-
géré et allaient jusqu'à lui offrir des sacri-
fices, l'évêque de Salamine écrit:
S'il n'est pas permis d'adorer les anges,
combien moins encore celle qui est née
d'Anne, celle qui a été donnée à Anne du
fait de Joachim, celle qui a été obtenue par
les prières et les supplications enfin exau-
cées de son père et de sa mère. Elle n'est
(i) Aman, op. cit., p. 17-18.
(2) Ibid., p. 194.
(3) Kat àvcTtaûaaro 'I(i)axîi(i tt,v Ttpwrrjv r,[X£pav si;
Tov O'.xov aùxoy. Trj Bï êTraOptov TrpotrlcpEpe rà Scôpa
aÙToC. (Protévangiïe, iv, 4; v, i. Aman^ p. igS-igô.)
point née en dehors des règles ordinaires
de la nature, mais, comme toute créature
humaine, delà semence d'un homme et du
sein d'une femme. Si, en effet, l'histoire
de Marie et les traditions portent qu'il a été
dit à son père Joachim dans le désert : ta
femme a conçu, cela ne signifie pas que la
chose est arrivée sans le commerce habituel
ni sans la semence de l'homme. Mais l'ange
envoyé vers lui lui a prédit ce qui devait
arriver, afin qu'il n'y eût pas d'incertitude
sur le compte de celle qui était déjà pro-
duite en toute vérité, étant déjà prévue par
Dieu et déjà née pour cet homme juste (i).
Ainsi, à l'époque d'Epiphane, on lisait
dans l'histoire de Marie, c'est-à-dire dans
le Protévangiïe de Jacques, le même texte
dont témoigne le manuscrit B. Et ce n'était
pas une leçon extraordinaire. L'évêque de
Salamine, préoccupé de réfuter des opi-
nions qu'il juge indéfendables et qui s'ap-
puient sur ce texte, ne propose pas une
leçon différente. Il s'ingénie à montrer quece
parfait peut être interprété comme un futur ;
il cherche dans l'Ecriture des exemples de
parfaits prophétiques : ta femme a conçu,
cela veut dire concevra; il ne lui vient pas
à la pensée d'invoquer une autre leçon plus
facile à interpréter. Le texte dont témoigne
Epiphane et l'interprétation que plusieurs
en avaient donnée ont du circuler long-
temps dans l'Eglise byzantine. Au vni* siècle,
André de Crète, dans le canon pour la fête
de la conception d'Anne (9 déc), signale
comme une erreur l'idée que Marie a pu
naître d'une manière aussi miraculeuse [2]',
au X'' siècle, le Ménologe exécuté par les
soins de l'empereur Basile II combat encore
l'idée que Marie a été engendrée sans l'in-
tervention de l'homme, //ooi; avopô; (3).
Les versions et les remaniements du Prot-
évangiïe permettent aussi de conclure que
la leçon ta femme a conçu a été d'assez
bonne heure répandue en des régions très
(i) Et yàp r| Tr,; Maptaç îdTopta xal TrapaSdffst;
ïyov(Tr/ ÔTt èppriÔY) tw Ttarpl aÙTf,ç 'Iwxxelu. âv rf,
Èpvififf), OTt ri f-Qyri (7oy (>uv2tXr,çv»Ï3t, oùx ôft avîV) a'j^y-
jioLi Toij'îo âyévîTO, o'jhï OTt avîu <T7t£p|xaTo; àv5pô;,
àX),à -b [xl),).ov £0-£<T9ai TipoEOéaTCis^v ô ayi'£),o; àTio-
(T-oLltk. Hœres. lxxix, 5. P. G., t. XLII, col. 748 B.
(2) P. G., t. XCVII, col. i3i3 A.
(3) P. G., t. CXVII, col. 196 C. Le Ménologe
reproduit, en l'abrégeant, le texte de saint André
de Crète. Il ne faudrait point, dès lors, trop insister
sur ce témoignage pour établir qu'encore au
x" siècle, il y avait dans l'Eglise byzantine des
partisans de la conception virginale de Marie.
LE PROTÉVANGILE DE JACaUES ET L'IMMACULÉE CONCEPTION
»9
différentes. Le texte syriaque (qui remonte
au ye ou au vi^ sièclei suit, sur les deux
points signalés plus haut, la leçon du ma-
nuscrit B. Le texte éthiopien lit comme le
texte syriaque ta femme a conçu L'évan-
gile latin de Pseudo-Matthieu a une leçon
curieuse et qui témoigne qu'il a lu, lui
aussi, la leçon la plus difficile : quam scias
ex semine iuo concepisse jiliam. C'est la
leçon de quatre manuscrits; et ils ajoutent,
quelques lignes plus loin : excitavit enim
Deiis semeîi in ea, unde gratias referas
Deo, et semen ejus erit benedictum Je
ne vois guère qu'une explication qui rende
compte de la leçon étrange ex semine tuo
concepisse, surtout si l'on remarque que
dans le remaniement latin l'absence de
Joachim dure beaucoup plus longtemps que
dans le Protévangile (cinq mois au lieu de
quarante jours). L'auteur a dû lire dans le
texte grec une leçon analogue à celle du
manuscrit B. Il l'a comprise comme les
Collyridiens d'Epiphane, mais elle l'a
choqué, et il a pensé la corriger en insé-
rant fort maladroitement ex semine tuo.
Il a cru expliquer cette incohérence même
en ajoutant : excitavit enim Deus semen
in ea: mais cet essai d'explication est immé-
diatement compromis par les mots qui
suivent : et semen ejus erit benedictum (i\
Il y a là un jeu de mots sur lequel il con-
vient de ne pas insister, mais qui ne con-
tribue pas à la clarté du texte. Enfin, pour
ce qui concerne la rencontre d'Anne et de
Joachim. le texte latin attesté par quatre
manuscrits donne la leçon : Vidua eram
et ecce jam non sum, s ter i lis eram et ecce
jam concepi. II est évident, d'après cette
discussion, que c'est la leçon du manuscrit
B qui a donné naissance à celle de Pseudo-
Matthieu. Si cet écrit remonte à la fin du
v^ siècle ou au commencement du vi«,
nous avons là une nouvelle preuve de la
diffusion de la leçon dAr,z>x (2).
Tous ces témoignages tendraient à nous
persuader que le texte original devait
porter le parfait, et que le futur Xr/^sTa'.,
Àr.'iojxa-., est une correction postérieure. H
faut remarquer, en effet, que lesjplusanciens
II) Un manuscrit porte la leçon suivante : Des-
cende de montibus et revertere ad con;ugem
tuam, et inpenies eam habentem in utero de Spi-
ritu Sancto. (Aman, p. 288.)
t2) Ibid., p. 19-2 1.
manuscrits du Protévangile ne remontent
pas au delà du x« siècle (i). Il est vrai
que, absolument parlant, ce parfait n'im-
plique pas nécessairement la conception
virginale et qu'on pourrait l'interpréter à
la manière de saint Epiphane. Mais, la
plupart des lecteurs devaient l'entendre
au sens obvie, comme les Collyridiens.
L'idée qu'on avait, dès cette époque re-
culée, de la parfaite pureté de la Mère de
Jésus ne pouvait que contribuer à accré-
diter cette manière de voir, que les doc-
teurs devront redresser, sans que d'ail-
leurs la sainteté initiale de la Vierge ait
à en souffrir.
Avons-nous tiré du Protévangile de
Jacques tout ce qu'il peut fournir à notre
sujet? Il importe de signaler encore un
passage du cantique que l'auteur met
dans la bouche d'Anne, après la naissance
de Marie.
Je chanterai un cantique au Seigneur
mon Dieu, parce qu'il m'a visitée et a enlevé
de moi l'opprobre de mes ennemis. Et le
Seigneur m'a donné un fruit de {sat Jus-
tice, fruit unique en son genre, riche (en
effets bienfaisants) devant lui (2).
A la leçon ; un fruit de sa Justice main-
tenue par Tischendorf, M. Aman préfère
la leçon : un fruit de justice, attestée par
plusieurs manuscrits et la version syriaque.
Pour lui, ce fruit de justice désigne le
repos et la sécurité que le Seigneur a
accordés à Anne. On lit, en effet, dans
Isaïe, c. XXXII, v. 17 : « La droiture habi-
tera dans le désert, et la justice s'établira
dans le verger; le produit de la droiture
sera la paix, le fruit de la Justice sera le
repos et la sécurité pour jamais. »
Le rapprochement est ingénieux, mais
est-ce bien là le fruit de justice dont parle
Anne dans son cantique? Ce fruit de jus-
tice que le Seigneur lui a donné ne dé-
signe-t-il point Marie? En maintenant la
leçon : un fruit de sa justice, Tischendori
(i) Ibid., p. 64.
(2) "Aaw à)OT,v x"jp:ti) tw ôew (lou, ors itzzT/.vbxtô
jie x*l àçci/.STO àit'IîAoy tô ôvecSo; twv £y_6s«5v jiou,
xai e8»xév jioi x'jpioc %a^iùi'* £ixaio<rJvr,; [aCiroû],
[tovooûfftov, ■sîoXyitXà(r'.ov àvwiriov s*jto'3. {Protévan-
gile, VI, 3. AMAN, p. 202-203.)
20
ECHOS D ORIENT
l'a sans doute pensé. C'est l'interprétation
qui nous paraît de beaucoup la meilleure.
Marie est appelée un fruit de justice, c'est-
à-dire un fruit de sainteté, digne de celui
qui l'a accordé. C'est un fruit unique en
son genre, [jiovooLia-i.ov, qui renferme en lui
toutes sortes de propriétés, TroXu7îXàa-wv(i).
Dire que la Vierge est un fruit de sain-
teté, un fruit donné par la sainteté de
Dieu, n'est-ce point affirmer équivalemment
qu'elle n'a pas contracté la faute origi-
nelle? Ce n'est point du texte d'isaie qu'il
faut rapprocher notre passage, mais plu-
tôt de ces paroles de l'ange Gabriel au
sujet de Jésus : Quod nascetur ex te sanc-
tum. (Luc, I, 35.) Toute proportion gardée
et avec les réticences qui s'imposent,
Marie est sainte à l'aurore de son exis-
tence comme Jésus est saint.
M. JUGIE.
Constantinople.
STATUTS DE L'EXARCHAT BULGARE
(Suite.) w
CHAPITRE V
ÉLECTION DES MEMBRES DU CONSEIL d'ÉPARCHIE
Art. 48. — Les membres du Conseil de
l'éparchie sont nommés pour quatre ans
et renouvelables par moitié tous les deux
ans. La première fois, ce sont les moins
anciensparrangd'ordination qui se retirent.
Art. 4g. — Les candidats au Conseil
devront satisfaire aux conditions suivantes :
i" Avoir une paroisse dans l'éparchie où
siège le Conseil ;
2° Avoir au moins trente ans d'âge;
3° Avoir un certificat constatant qu'ils
ont terminé leurs études dans un Sémi-
naire ou dans une école secondaire.
Remarque. — Cette condition ne sera
exigée que peu à peu, autant que cela sera
possible.
4° Se distinguer par une vie exemplaire
et pleine d'équité;
5° Etre connu pour son expérience et
pour l'accomplissement fidèle de ses devoirs
sacerdotaux ;
6° N'avoir pas encouru de condamnation
devant les tribunaux ecclésiastiques ou
civils ;
7° Ne pas être apparentés entre eux jus-
qu'au quatrième degré inclusivement, ou
jusqu'au troisième inclusivement, s'il s'agit
de parenté spirituelle;
(i) Aman traduit : fruit simple, (mais) de mul-
tiple aspect devant lui.
(2) Voir Echos d'Orient, nov. 1910, p. 35 1 -355.
Remarque. — Si plusieurs parents aux
degrés prohibés étaient élus, on choisirait
celui qui a réuni le plus de voix; s'ils en
avaient le même nombre, on tirerait au
sort.
Art. 5o. — Tous les deux ans, le métro-
polite ou son remplaçant invite par lettre
circulaire les électeurs ecclésiastiques à se
rendre à sa résidence le deuxième dimanche
après la réception de la circulaire, afin de
procéder aux élections.
Art. 5i. — Le dimanche indiqué, après
la messe, les électeurs se réunissent au pa-
lais épiscopal, sous la présidence du métro-
polite ou de son remplaçant. Si les trois
quarts au moins des électeurs sont présents,
le président déclare la séance ouverte; si ce
nombre n'est pas atteint, il ajourne l'élec-
tion au dimanche suivant, et alors, quel
que soit le nombre des électeurs, il ouvre
la session après une dévote prière.
Art. 52. — Avant de procéder à l'élec-
tion, on dresse une liste de candidats ou
bien chacun propose le nom d'un prêtre.
Les membres du Conseil sont élus d'après
cette liste, au scrutin secret, et à la majorité
absolue. En procédant à cette élection, on
aura soin de remplacer les élus dans leur
charge pastorale.
Art. 53. — Le procès-verbal de l'élection
doit être transcrit au registre du protocole
et signé par tous les électeurs. On en fait
deux copies signées par tous, approuvées
par l'évêque ou par son remplaçant, et des-
STATUTS DE L EXARCHAT BULGARE
21
tinées l'une au saint synode et l'autre au
ministre des Cultes.
Art. 54. — L'élection faite, le saint sy-
node l'examine; s'il la trouve conformeaux
règlements il l'approuve, et en informe l'au-
torité diocésaine ainsi que le ministre des
Cultes. Celui-ci soumet l'élection à l'appro-
bation du prince. Dans le cas contraire,
elle est annulée, et l'on mentionne sur le
registre du protocole le motif de cette annu-
lation. Après quoi l'on écrit à qui de droit
pour faire procéder à de nouvelles élections.
Art. 55. — Le membre élu n'a pas le
droit de donner sa démission, sauf en cas
de maladie, d'extrême vieillesse, ou pour
toute autre raison très grave.
Art. 56. — Si, dès le commencement ou
par la suite, un membre élu donne sa dé-
mission pour quelqu'une de ces raisons, le
saint synode demande au ministre des
Cultes d'approuver la nomination de celui
qui, aux élections, aurait obtenu le plus de
voix après le démissionnaire. Le membre
ainsi nommé rempliraitces fonctions jusqu'à
la fin de la période de son prédécesseur.
Remarque. — S' il est prouvé qu'un prêtre
intrigue pour être élu membre du Conseil,
il perd ses droits à l'élection.
CHAPITRE VI
VICAIRES ÉPISCOPAUX
Art. 57. — Les vicaires épiscopaux sont
choisis par l'évéque du diocèse et confirmés
par le gouvernement. On informe le saint
synode de cette nomination.
Art. 58. — Les conditions prévues par
l'article 49 pour les membres du Conseil
diocésain sont en vigueur également pour
les vicaires épiscopaux.
CHAPITRE VII
ÉLECTEURS DIOCÉSAINS
Art. 59. — Chaque diocèse a six électeurs
laïques et ecclésiastiques choisis dans chaque
vicariat et dans le canton où se trouve le
chef-lieu du diocèse. Trois de ces électeurs
doivent être curés et trois laïques. Ils restent
en charge pendant quatre ans. Représen-
tants légitimes du clergé et du peuple, ils
nomment les délégués diocésains pour l'élec-
tion de l'exarque (art. 22), des évêques
(art. 41 j et des membres du Conseil diocé-
sain (art. 52).
Art. 60. — Un curé ne peut être nommé
électeur diocésain que s'il remplit les con-
ditions prévues par l'article 49 pour les
membres du Conseil diocésain. Un laïque
n'est éligible que s'il est sujet bulgare et
chrétien orthodoxe, et s'il sait lire et écrire;
il doit être âgé de trente ans, appartenir à
une paroisse du diocèse, et se faire remar-
quer par l'honnêteté et la piété de sa vie; il
doit répondre, en outre, aux conditions de
l'article 88.
Art. 61. — Trois mois avant l'expiration
des pouvoirs, le saint synode, d'accord avec
le gouvernement, invite les autorités diocé-
saines à procéder au choix des électeurs dio-
césains ecclésiastiques et laïques.
Art. 62. — Au reçu de l'avis synodal,
l'évéque ou son remplaçant charge un des
membres du Conseil, de concert avec deux
curés de la ville ou des environs, de dresser
une liste des personnes éligibles dans le
chef-lieu du diocèse. De leur côté et sur
l'ordre de l'autorité diocésaine, les vicaires
épiscopaux, aidés par deux curés de la ville
ou des paroisses voisines, dressent des listes
analogues. Ces listes doivent contenir les
noms des prêtres de la ville ou du canton
qui réunissent les qualités requises par l'ar-
ticle 49, et les noms de un à trois laïques de
chaque paroisse ayant aussi les qualités
énumérées à l'article 60.
Art. 63. — Quand les listes sont dressées,
l'autorité diocésaine invite les Conseils de
Fabrique des paroisses qui dépendent direc-
tement de la métropole à choisir chacun un
représentant. Ainsi désignés, les électeurs,
munis de leurs lettres de créance, signées
par les marguilliers et scellées du sceau de
l'église, se rendront à la ville métropoli-
taine le deuxième dimanche après la publi-
cation de l'avis.
Art. 64. — Au jour fixé, le vicaire général
désigné par l'évéque et les deux prêtres
mentionnés à l'article précédent procèdent
à la vérification des pouvoirs, puis ils in-
vitent les représentants à choisir comme
électeurs diocésains, pour le canton où se
trouve le siège du métropolitain, trois prêtres
et trois laïques parm i ceux dont les noms sont
inscrits sur la liste qui leur est présentée.
Cette élection a lieu au scrutin secret et à la
majorité absolue.
Art. 65. — On dresse le procès-verbal de
l'élection. Tous les électeurs présents, le
président et les deux prêtres assistants le
22
ECHOS D ORIENT
signent, puis on l'envoie au métropolitain
en y joignant, dans une lettre spéciale, la
liste des candidats.
Art. 66. — Pour le choix des électeurs
diocésains dans les vicariats, les vicaires
épiscopaux invitent les Conseils de Fabrique
à nommer des représentants qui se réu-
nissent au chef-lieu du vicariat, et le vicaire
épiscopal, aidé par ses deux prêtres auxi-
liaires, procède à l'élection suivant le pro-
cédé indiqué par les articles 62 et 63.
Remarque. — On fait deux exemplaires
du procès-verbal de cette élection, égale-
ment signés par tous les assistants et scellés
du sceau du vicariat. Un exemplaire accom-
pagné de la liste des candidats est envoyé
à l'autorité diocésaine, l'autre reste aux
archives du vicariat.
Art. 67. — Au reçu de ce procès-verbal,
l'évéque ou son remplaçant l'examine en
son Conseil; s'il le trouve régulier, il en
prend acte, et proclame électeurs diocésains
les personnes désignées dont les noms sont
communiqués au saint synode et au minis-
tère des Cultes. Ensuite, l'autorité diocé-
saine délivre aux élus un certificat avec
lequel ils se présentent à l'assemblée élective
chaque fois qu'ils y sont convoqués, à la
métropole, durant la période de quatre ans.
Art. 68. — Si dans cet intervalle de
quatre ans un électeur vient à mourir ou
change de diocèse, le curé en informe l'au-
torité diocésaine qui, de concert avec le
Conseil, désigne un de ceux qui ont obtenu
le plus de voix. Le nouvel électeur tiendra la
place de l'ancien jusqu'à la fin de la période.
Remarque. — Pour toutes ces élections,
en cas de ballottage, la voix du président
l'emporte.
CHAPITRE VIII
PAROISSES ET PRETRES
Art. 69. — Les paroisses se divisent en
paroisses des villes et paroisses des villages.
Les paroisses des villes compi-ennent au
moins 200 et au plus 3oo maisons; celles
des villages, au moins i5o et au plus
25o maisons.
Remarque. — En cas de nécessité, on
peut, avec l'autorisation préalable du saint
synode, avoir des paroisses comprenant
moins de i5o maisons, spécialement dans
les villages.
Art. 70. — Nul ne peut être ordonné
prêtre s'il n'est pourvu d'une paroisse.
Remarque. — Exception est faite pour
ceux qui doivent exercer quelque fonction
dans une administration ecclésiastique ou
dans les monastères.
Art. 71. — Le candidat à l'ordination
doit réunir les qualités suivantes:
1° Appartenir à l'Eglise bulgare;
2" Avoir au moins vingt-cinq ans;
3'' Etre Bulgare de naissance, si la paroisse
est exclusivement bulgare; si la paroisse se
compose de Bulgares et de non Bulgares,
le prêtre doit posséder parfaitement la langue
bulgare et celle des non Bulgares;
4° Etre muni d'un certificat attestant qu'il
a fait ses études dans un Séminaire.
Remarque. — Provisoirement onadmettra
à l'ordination les personnes qui, n'ayant
pas terminé leurs études au Séminaire,
peuvent présenter un certificat de troisième
classe de quelque école laïque, et subir un
examen sur les matières du prograinme
dressé par le saint synode.
b'' Avoir des notions exactes sur la foi
orthodoxe;
6° Fournir un certificat de son pays de
naissance et de tous les endroits où il a vécu
attestant qu'il est honnête, qu'il se conduit
bien et jouit de l'estime générale;
7° Présenter un certificat de son Père spi-
rituel attestant qu'il s'est confessé et qu'il
n'a point d'empêchements lui interdisant
le sacerdoce;
8° N'avoir point de casier judiciaire;
9° Faire la preuve qu'il n'a pas eu de
maladie mentale ou contagieuse.
Art. 72. — Celui qui désire entrer dans
l'Ordre sacerdotal devra présenter à l'auto-
rité diocésaine, suivant la forme habituelle,
une demande accompagnée des documents
indiqués ci-dessus. Si le candidat est d'un
autre diocèse, l'évéque informera son Ordi-
naire et lui demandera des renseignements
sur sa vie et sur sa conduite.
Art. 73. — A la réception de cette de-
mande, l'autorité diocésaine examine les
documents et constate si le candidat répond
aux conditions prévues par l'article 71;
puis elle envoie ces documents au saint
synode en lui faisant connaître si le candidat
est destiné à une paroisse, à une fonction
de l'administration ecclésiastique ou à
quelque monastère. S'il est destiné à une
paroisse, on doit préciser si la paroisse est
vacante et combien elle a de maisons.
Art. 74. — Quand le saint synode a donné
STATUTS DE L EXARCHAT BULGARE
23
l'autorisation nécessaire, et si le candidat
est destiné à une paroisse, l'autorité diocé-
saine charge le vicaire général ou quelque
autre prêtre de faire voter la paroisse va-
cante au sujet du candidat.
Art. 75. — Au jour fixé, le délégué de
l'évêque convoque dans la cour de l'église
ou à l'école tous les prêtres de l'église dont
fait partie la paroisse vacante ainsi que les
paroissiens de marque, instruits ou recom-
mandabies par leur bonne conduite et leur
piété, et l'on procède sous sa présidence
à l'élection au scrutin secret.
Art. 76. — On dresse le procès-verbal de
l'élection et on le consigne dans le registre.
Un exemplaire signé par tous les assistants
et par le président et scellé du sceau de
l'église doit être envoyé à l'évêque du diocèse.
Art. 77. — L'évêque présente ce rapport
au Conseil. Si l'élection a été faite suivant
les règles et s'il n'arrive aucune réclamation
contre le candidat ou contre l'élection,
l'évêque procède à l'ordination conformé-
ment aux prescriptions de l'Eglise ortho-
doxe.
Art. 78. — Si l'on recevait contre le
candidat une réclamation, signée par des
chrétiens orthodoxes recommandables par
leur honnêteté, l'ordination serait différée
et l'on instruirait l'affaire. Si les accusations
sont trouvées sans fondement, on procède
à l'ordination. Au cas contraire, on prend
les dispositions nécessaires pour le choix
d'un autre candidat à la paroisse vacante.
CHAPITRE IX
AUMÔNIERS MILITAIRES
Art. 79. — Pour faciliter l'accomplis-
sement des devoirs religieux à l'armée, le
gouvernement, après entente préalable et
avec l'approbation de l'Ordinaire, nomme
des prêtres qui portent le nom de « prêtres
de garnisons ».
Art. 80. — On ne peut nommer à cette
charge que des prêtres ayant terminé les
études du Séminaire, ou des prêtres qui,
dans la carrière ecclésiastique, se sont mon-
trés d'une conduite irréprochable et qui
ont prouvé leur aptitude à accomplir digne-
ment ce devoir.
Art. 81. — Les aumôniers militaires
n'ont le droit d'accomplir les cérémonies
religieuses que pour les militaires et par-
tout où logent ceux-ci, soit en commun,
soit en particulier. Les cérémonies pour les
familles des militaires seront accomplies par
les curés de l'endroit.
Art. 82. — Avant de célébrer la messe ou
quelque autre cérémonie dans une église,
les aumôniers doivent en demander l'auto-
risation aux autorités ecclésiastiques de
l'endroit.
CHAPITRE X
CONSEILS DE FABRIQUE
Art. 83. — Chaque église a un Conseil
de Fabrique composé de trois à cinq laïques.
Dans les villages où il n'y a pas d'église, il
y a quand même un Conseil de Fabrique
composé du même nombre de membres,
et ce Conseil, de concert avec le curé, s'oc-
cupera d'élever une église ou une chapelle
dans le village. Le curé est de droit prési-
dent du Conseil de Fabrique; dans les
églises où il y a plusieurs prêtres, l'Ordi-
naire désignera l'un d'eux.
Art. 84. — Pour être élu membre du
Conseil de Fabrique, il faut être sujet bul-
gare orthodoxe, âgé de trente ans, appar-
tenir à la paroisse et, d'une façon générale,
mener une vie honnête et chrétienne.
Art. 85. — L'élection des Conseils de
Fabrique se fait toujours durant le mois de
janvier par les paroissiens qui ont le droit
de voter; leurs pouvoirs durent deux ans.
Art. 86. — Le jour de l'élection du Con-
seil de Fabrique, les paroissiens élisent
encore une Commission de trois à cinq
membres. Bulgares orthodoxes, habitant la
même paroisse. Cette Commission, après
avoir confirmé dans leur charge les nou-
veaux fabriciens, examine avec eux les
comptes, recettes et dépenses de l'église pen-
dant l'année écoulée.
Art. 87. — Un mois avant l'expiration
des pouvoirs, le saint synode, après entente
préalable avec le ministère des Cultes,
invite les autorités diocésaines à prendre les
dispositions nécessaires pour que, un jour
de fête à leur choix, l'on procède aux élec-
tions. Dans le cas où les élections n'auraient
pas lieu au jour indiqué, l'autorité diocé-
saine fixerait elle-même un autre jour de
fête. Si, pour différents motifs, les élections
ne se faisaient pas encore, alors l'autorité
diocésaine nommerait une Commission de
trois à cinq membres, choisis parmi les
paroissiens et ayant les qualités prévues
24
ECHOS D ORIENT
par l'article 84, et la chargerait de remplir
jusqu'à la fin de l'année les fonctions du
Conseil de Fabrique.
Art. 88. — Ne peuvent être électeurs :
1° Ceux qui sont actuellement sous les
drapeaux ;
2° Ceux qui ont perdu leurs droits civils
et politiques;
3° Ceux qui ont fait une faillite fraudu-
leuse;
40 Ceux qui sont en tutelle pour cause de
folie;
5° Les condamnés à trois mois au moins
de prison pour vol, escroquerie, abus de
confiance, fraude sur la qualité et la quan-
tité dans le commerce, pour détournement
des fonds publics, pour falsification de
pièces, pour concussion, corruption ou vio-
lence, pour parjure ou faux témoignage ;
6" Ceux qui tiennent des maisons de pro-
stitution et ceux qui vivent en concubinage.
Remarque. — Toutes les Jois qu'il se
■présente des élections aux Conseils de Fa-
brique, un mois auparavant l'autorité dio-
césaine prend les dispositions nécessaires
pour recueillir des informations, afin de
connaître ceux des paroissiens qui auraient
encouru une condamnation les privant de
leur droit d'électeur, ou encore ceux qui
seraient en tutelle pour cause de Jolie.
Art. 89. — Au jour fixé par l'autorité
diocésaine, les assemblées électorales s'ou-
vrent après la messe et durent jusqu'à
I heuredel'après-midi. Elles sontsurveillées
et dirigées par un Bureau composé de quatre
paroissiens élus au scrutin public et pré-
sidées par le curé delà paroisse. S'il y avait
plusieurs curés pour une église, le prési-
dent serait désigné par l'autorité ecclésias-
tique du lieu.
Art. 90. — Après l'élection, on dresse le
procès-verbal qui, signé par les membres
du Bureau et revêtu du cachet de l'église,
ou bien, là où il n'y pas d'église, du cachet
du prêtre président, est soumis dans la
forme ordinaire à l'approbation de l'autorité
diocésaine.
CHAPITRE XI
LES MONASTÈRES
Art. 91 . — On appelle monastère un lieu
sacré comprenant une église et d'autres
bâtiments destinés au logement des moines
qui se sont consacrés à une vie solitaire et
sanctifiée. Les monastères se fondent sui-
vant les règles de l'Eglise avec l'autorisation
préalable de l'Ordinaire.
Art. 92. — Les monastères se divisent :
I" en stavropégiaques qui relèvent du saint
synode et 2° en monastères diocésains qui
dépendent de l'Ordinaire. Les monastères
de Rila et de Troyan appartiennent à la
première catégorie et tous les autres à la
seconde.
Art. 93. — Les monastères stavropé-
giaques ou diocésains qui ont plus de cinq
Frères sont dirigés par le Conseil du monas-
tère; celui-ci fonctionne sous la direction
d'un supérieur.
Art. 94. — Font de droit partie du Con-
seil du monastère tous les Frères recom-
mandables par une vie monastique exem-
plaire, par leur expérience et par leurs
mérites signalés, qui ont été reçus, soit par
le saint synode, dan^ les monastères sta-
vropégiaques, soit par l'Ordinaire, dans les
monastères diocésains.
Art. 95. — Pour que quelqu'un soit élu
supérieur, il doit être religieux, membre de
la communauté ou d'un autre monastère
et en outre posséder les qualités religieuses,
morales et intellectuelles nécessaires à cette
charge.
Art. 96. — Le supérieur est élu à vie par
toute la communauté, et s'il possède les
qualités énumérées par l'article 95, il est
approuvé par le saint synode, dans les mo-
nastères stavropégiaques, et par l'Ordinaire,
dans les monastères diocésains.
Si, pour cause de maladie et de vieillesse,
ou pour infidélité à ses devoirs, le supérieur
nuit aux intérêts du monastère, l'autorité
spirituelle compétente pourvoit à l'élection
d'un nouveau supérieur.
Art. 97. — Si, à deux reprises consécu-
tives, la communauté choisit et présente
à l'approbation un religieux indigne et inca-
pable de remplir la charge de supérieur,
l'autorité compétente désigne un supérieur
qui gouverne le monastère jusqu'à ce que
la communauté soit disposée à élire un
candidat digne de cette charge.
Art. 98. — Les monastères de moins de
cinq religieux sont gouvernés par des supé-
rieurs que nomme l'Ordinaire.
Art. 99. — Quand un monastère, faute
de religieux, ne peut plus continuer son
existence indépendante, le saint synode,
sur l'avis de l'autorité diocésaine, le rattache
à un autre. . (A suivre.)
CHRYSOBULLE DE L'IMPÉRATRICE THÉODORA
(1283)
Le II décembre 1282, au début d'une
campagne contre Jean Ducas, Michel Paléo-
logue mourait dans son camp près
d'Hexamilion. Son fils Andronic, après
de hâtives funérailles faites de nuit,
revint aussitôt à Constantinople. Le jeune
prince, d'esprit faible, superstitieux, de
vues bornées en politique, ne partageait
nullement les idées de son père sur l'Union
des Eglises; son hésitation, s'il en eut
vraiment, fut courte : endoctriné par sa
tante Eulogia, il se livra tout entier aux
mains des antiunionistes, de Théodore
Mouzalon et d'un ramassis de moines
fanatiques (i). Quelques mois lui suffirent
pour anéantir le pacte signé au concile
de Lyon.
Tout d'abord il força le patriarche Jean
Veccos à se retirer au monastère de la
Panachrantos, et dès le 31 décembre le
vieux Joseph, infirme, presque mourant,
était rapporté en triomphe au palais pa-
triarcal. Contre les catholiques, son parti
se réconcilia un instant avec celui de l'an-
cien patriarche Arsène. Sainte-Sophie fut
purifiée à l'eau bénite de la souillure
acquise au contact des latinophrones
(5 janv. 1283). Des peines sévères vinrent
frapper laïques et clercs unionistes. Veccos
comparut devant un synode présidé, à
défaut de Joseph, impotent, par Athanase,
patriarche d'Alexandrie, et se laissa arra-
cher sa démission, ce qui ne l'empêcha
pas d'être exilé à Brousse. Ses amis, Con-
stantin Méliténiote et Georges Métochite,
avaient déjà été déposés, comme cou-
pables d'avoir, à Rome, assisté à la messe
du Pape (2).
y 1 1 A leur tète étaient les moines galésiotes Ga-
laction et Méléce, dont le premier avait perdu la
vue et le second avait eu la langue coupée par
ordre de Michel.
(2) Sur ces événements, voir Pachymère, De An-
dron. Palœol., i, 1-12.P. G., t. CXLIV, col. i5-43.
Joseph mourut au commencement du
mois de mars. De sa propre autorité,
Andronic lui donna pour successeur un
humble fonctionnaire de Sainte-Sophie,
le protoapostolarios Georges, originaire de
Chypre. Cet individu avait été unioniste
fervent; comme tant d'autres, il se tour-
nait du côté du soleil levant. En une
journée, il reçut l'habit monastique, avec
le nom de Grégoire, le lectorat et le dia-
conat ; le dimanche des Rameaux, 1 1 avril,
il fut sacré à Sainte-Sophie.
Le Mercredi-Saint fut levé l'interdit
pesant sur le clergé, qui dut implorer
publiquement son pardon : malgré cela,
le lendemain on lui distribua, au lieu de
la communion, du pain ordinaire acheté
au marché. Il n'en avait pas fini avec les
humiliations (i).
En effet, quelques jours après Pâques,
Andronic donnait l'ordre de réunir un
nouveau synode dans l'église des Bla-
quernes. Le patriarche Grégoire ne pré-
sida l'assemblée que pour la forme. Son
chef véritable était Andronic, ancien mé-
tropolite de Sardes, qui avait quitté son
diocèse pour devenir moine et dont
l'empereur venait de faire son confesseur.
Michel Strategopoulos assistait au concile
avec des soldats, non pour maintenir
l'ordre, mais comme exécuteur des basses
œuvres de juges indignes.
Le synode condamna comme contu-
maces Théodore de Cyzique et d'autres
évêques qui refusèrent de comparaître ;
Athanase d'Alexandrie fut rayé des dip-
tyques sacrés; de nombreux prélats
furent déposés et livrés aux insultes de
la populace (2).
En outre, nous apprend Pachymère (3),
le concile réclama de l'impératrice Théo-
(i) Pachymère, op. cit., i, 12-16, ibid., col. 43-57.
(2) Pachymère, op. cit., i, 17, ibid., col. 58^S3.
(3) Pachymère, op. cit., i, 19, ibid., col. 63.
26
ÉCHOS d'orient
dora, veuve de Michel Paléologue, « une
profession de foi; la répudiation par écrit
de ce qui s'était fait (c'est-à-dire de l'union
avec Rome); la promesse qu'elle ne de-
manderait jamais pour son mari la sépul-
ture ecclésiastique (èv 'lyX'j.oiO'.y.i:;) : à ces
conditions, on ferait mémoire d'elle à
l'église comme de son fils, ainsi qu'il est
d'usage pour les empereurs ». L'impé-
ratrice obéit, bien que Pachymère se taise
à ce sujet.
Jean Eugenikos, exhortant Constantin
Dragasèsà rompre l'Union de Florence (i),
lui cite en exemple la très pieuse Théo-
dora et son fils le très pieux Andronic,
et lui rappelle « comment ils avaient fait
disparaître l'innovation qu'on avait osée
et obéi en tout aux saints conciles œcu-
méniques; comment ils avaient extirpé à
fond la racine amère de cette zizanie qu'est
le latinisme; comment, pour Dieu et la
vérité, ils avaient méprisé toutes lescraintes
humaines ; commentilsavaientpromis
à l'Eglise du Christ de ne jamais l'obliger
à faire mémoire de leur époux et père ;
comment ils avaient déposé en synode
l'impie et vain Veccos, qui avait à plu-
sieurs reprises apostasie l'Eglise du Christ
sans s'être jamais sincèrement et vérita-
blement repenti, et comment ils avaient
retranché ses partisans de la société des
chrétiens orthodoxes (2). »
Pour attribuer ce rôle actif à Théodora,
le fougueux nomophylax a sollicité les
textes. Pachymère nous est garant de
l'affection de l'impératrice pour son
mari, qui ne s'en était pas toujours montré
digne. Lorsque Eulogia insultait à la
mémoire de son frère Michel, descendu
dans la tombe depuis quelques jours à
peine, et soutenait à Théodora qu'il était
irrévocablement damné, la pauvre veuve
souffrait cruellement. Elle cherchait des
consolations dans les entretiens de Veccos
et aussi, il est vrai, de Joseph (3). On
(i) Lettre inédite dans le cod. Paris. 2075,
fol. 288 seq.
(2) Ibid., fol. 291 v°.
(3) Pachymère, op. cit., i, 3, P. G., t. CXLIV,
col. 20.
peut conclure de ces détails que Théodora
avait accepté l'Union; au cas contraire,
l'historien ne manquerait pas de nous en
avertir comme il le fait pour Eulogia.
D'ailleurs, si cette adhésion n'eût pas été
bien établie aux yeux du public au moment
du synode des Blaquernes, on n'eût pas
exigé de Théodora une rétractation solen-
nelle, pas plus qu'on n'en exigea de sa
belle-sœur.
La religion de l'impératrice n'était sans
doute pas très éclairée ou même, si on
veut, manquait de sincérité; mais les
documents ne permettent pas de la re-
garder comme une adversaire farouche de
l'Union. Jean Eugenikos est d'autant plus
coupable qu'il a pris la peine de copier
desa main, probablement dans les archives
de Sainte-Sophie, la profession de foi de
Théodora: on peut la lire au fol. 244 du
cod. Paris. 2075; il n'y a rien de pareil à
ce qu'il avance.
L'intérêt que présente cette pièce,
restée jusqu'ici inédite, nous engage à la
publier dans notre revue, avec une tra-
duction française. Il en existe d'autres
copies que nous n'avons pu consulter,
par exemple dans le cod. Athous 716, du
xive siècle (i), et dans le cod. 11, du
xvie siècle, de la Société historique et
ethnologique d'Athènes, p. 130 (2).
Remarquons, pour finir, qu'on n'a
signalé à notre connaissance aucun autre
chrysobulle d'impératrice.
Cod. Paris. 2075, ^o^- 244.
t To Îtov xr^q oijio)vOYias t^ç xpaïaiâç xal
àyîaç r.jjicôv xupCaç xal ^tTizoïY/iç etiI 'colç
£xx);r,(Tt.aaTi.xol!ç TcoàvuaTtv, ottsp 8'.à O'.xî'.o-
ys'lpo'j o-Ta'jpO'j à-Tz' oipyf^q eTriorwo-aTO xal
xaTto ô'.à TYJ; olxsiaç (j':rj)a\i ev yp'JT'.yr^
êo'j).AYi cpcpojjiévriç xal àTtr.toprijjLévriÇ §•.' oçeia;
It.S'zkqr.q.
t 0£OÔcbpa £V Xp!,(TT(0 TW Qeô) TC'.OTT,
a'jyo'Jara xal auTOxpaTÔp'.o'O'a 'Pwpiaiwv Aoû-
xa'-va Ko^v7,VTi t, naXawÀoyiva.
(i) S. Lambros, Catalogue of the Greek manu-
scripts on mount Athos, t. I", p. 61.
(2) S. La.mbros, Néo; 'EXXr)voiivr|(jiwv, t. VI (1909),
p. 239.
CHRYSOBULLE DE l'IMPÉRATRICE THÉODORA (1283)
27
t Oùy woTrep £irl twv aXXtov xaTopôtouà-
Twv, oo-a Ti? èul T(j>r/;pta ia'JTOÛ xaTOc^wo-a'.
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xal TzavràTras"'. Tr.oeXv ioa^/r, iva 6 êAs-j^wv èv
Tw xou'TTrâ) 0 oOsàvioç TTaTf.p xal Ôeô^ à7:o5'.-
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ajTw. xav ar, to os'.vôv, otcotov y.v. sqr.-'l-
(TTaTO- xal £v TÔ) 7:ap6'/T'. Se ttoX'J jjiâXXov
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ÈTT'.voia; oOx àya^ôv aTzavT-r.Tav to tÉXo;;,
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xal tÔv Bixxov S '.à Ta 6XàTCT,aa ayTOÛ
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Meto'/Itt.v toc ô'JLO'joovac ayToù t. toû ^eoG
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Tto^ auToùs T.vslTa'. T, êaT'.Xs'la uou, ixo'.vw-
v/;to'j^ xal à— o^.t.to'Js ttj 4'''^^*? '^'i^ rxxXr,-
7'la.; è^axoXo'j^ÙTa. 'EttsI os tt, auTr, ayia
TO'j Hto'j sxxXrjCT'la sooçs xal Tsv suôv aùOrrrr.v
xal êaT'-Xsa xal ouô^'jvov TsXs'JTr'o-a'/ra u.vr-
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a'.T'lav T7^^ ot.OsItt,^ 0— o^tew^ xal rr,? è/Tsû-
Osv 5-j-'yjT£to?, T, êaTiXsla aoj tÔv toO QsoG
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TT, TO'J ^z.firj èxxXTjTCaT, êaT'.Xs'la jxou êotiX^Ta'.
TT.v lo'lay Trâ'/Ttoç svts'jBsv (TWTY.oîav O'.xoyo-
txO'JTa xal Tr,v £'JTsê£'.av éoL'j~7,^ Yvtopl^E'.v
TOÏç Tiâa-t xal çavspoGv èOsXouTa, t,v àvwQsv
èx TzaTsowv TaoaXa^o'Jaa xal 'j.iyz'. Toû
Il i /.i
Ttasô'/Toc '/oôvo'j a-JvYTaTa csuXàHs'. xal £a);
i Al • ' i "
téXo'j; tt, toÛ à7W)[ ](Ta'/TOç a!>TT,v xal
àvaO£l^a^/TOç olxT'ldaovoç OsoO Gu).à7T£'.v à£l
OJvà|Jl£'. (?).
La fin du texte est très difficile à lire à
cause de l'usure du papier; les deux der
niers mots sont peut-être yàp'.T'. ôuv/.TSTa'..
Traduction. — + Copie de la confes-
sion de notre puissante et sainte dame et
impératrice au sujet des affaires ecclé-
siastiques, certifiée par elle au commen-
cement d'une croix tracée de sa main et
à la fin de son effigie gravée sur une
bulle d'or et suspendue par un cordon de
soie pourpre.
t Théodora, dans le Christ Dieu fidèle
Augusta et impératrice des Romains,
Ducaena, Comnena, Palasologina.
+ Ce qui convient à toutes les autres
bonnes œuvres que l'homme peut accom-
plir en vue de son salut ne me paraît
pas s'appliquer à la piété elle-même.
Celles-là, en effet, il est bon de les garder
complètement invisibles et cachées, afin
28
ECHOS D ORIENT
que Dieu, notre Père céleste, qui voit
dans le secret, nous le rende en public.
Mais la piété, qui est la source, le prin-
cipe et la mère de toute vertu, il est salu-
taire, non de la cacher, mais de la publier
et de la manifester à tous, et c'est là, me
semble-t-il, notre lumière, cette lumière
qui, d'après l'ordre donné par les saints
évangiles, doit briller devant les hommes.
C'est pourquoi je n'ai jamais hésité
autrefois à montrer ma piété envers Dieu,
et je n'hésite point maintenant; au con-
traire, je l'expose clairement et j'affirme
avec énergie croire en tout comme l'Eglise
de Dieu nous enseigne à croire et à con-
fesser. Dieu le sait, lui qui scrute le fond
de nos cœurs. Mais que tous les hommes
connaissent aussi que je n'ai pas d'autre
opinion que la véritable opinion de
l'Eglise catholique et apostolique. Puisque
donc par la grâce de Dieu, tels sont mes
sentiments et mes préoccupations, il est
bien évident que cette funeste affaire et
cet acte, qui ont eu malheureusement lieu
dans l'Eglise en ces derniers temps et y
ont jeté une confusion complète, je les
rejette du fond de l'âme, je les hais, je
les ai en horreur, qu'on les appelle faus-
sement paix, condescendance ou de toute
autre dénomination semblable. Quant à
ceux qui, encore maintenant, continuent
à les louer et à y adhérer, je les regarde
comme des ennemis de l'Eglise de Dieu,
des adversaires de leur propre salut, un
fléau pour leurs propres partisans, et je
les rejette comme des causes de perdition
pour les âmes. Car si tout ce que cette
affaire contenait de nuisible aux âmes
m'échappait alors, je le connais aujourd'hui,
instruite par les choses elles-mêmes et
avec les choses par des discours pleins
de vérité et de certitude. Même alors, je
veux dire au début de l'affaire, par la
grâce de Dieu, je supportais la chose avec
la plus vive peine à cause de sa nou-
veauté et je m'en indignais, bien que ne
connaissant pas toute la grandeur du
mal : combien plus vive est mon indi-
gnation, maintenant que je vois claire-
ment le mauvais résultat d'une invention
mauvaise.
Cela étant ainsi, puisque Veccos, pour
ses dogmes blasphématoires, en outre
Méliténiote et Métochite comme ses par-
tisans, ont été condamnés par l'Eglise de
Dieu, rejetés par elle et séparés de sa
communion, je les regarde comme tels,
excommuniés et rejetés, m'en rapportant
au jugement de l'Eglise.
Puisqu'il a aussi paru bon à la même
sainte Eglise de Dieu de ne pas honorer
après sa mort des services canoniques
mon seigneur, empereur et époux, à cause
de ladite affaire et des troubles amenés
par elle, préférant la crainte de Dieu et
l'obéissance à sa sainte Eglise, je consens
à ce qui lui a paru bon sur ce point, et
je l'accepte et je ne l'obligerai jamais à
faire un service pour mon dit seigneur,
empereur et époux ni autre chose que ce
qu'elle a ordonné. Car je veux en tout
suivre ladite Eglise de Dieu et m'en tenir
à elle pour procurer par là mon propre
salut, et je veux faire connaître et mani-
fester à tous ma piété : j'ai reçu celle-ci
du ciel par les Pères, je l'ai gardée en
l'augmentant jusqu'au temps présent et
la garderai jusqu'à la fin, avec l'aide du
Dieu de miséricorde qui me l'a [ ]
et m'a montré à la conserver toujours.
S. PÉTRIDÈS.
ANNEXION DE L'ILLYRICUM
AU PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE
Dans les premières années du v« siècle,
au temps de la Notifia dignitattim, il y
avait deux lllyricum dans l'empire romain :
4'lllyricum occidental qui relevait au point
de vue civil du prœfectus pr . Italice,
Africœ et Illyrici, et l'Illyricum oriental,
qui avait un préfet spécial, le prœfectus
pr. Illyrici. La préfecture de l'Illyricum
oriental, comprenant les deux diocèses de
Dacie et de Macédoine, fut cédée en 379
par l'empereur Gratien à son collègue
Théodose comme cadeau de joyeux avè-
iiement; quant à l'Illyricum occidental,
fort entamé déjà par les barbares, il fut
rattaché à l'empire d'Orient entre les an-
nées 424 et 437, sans qu'on puisse exac-
tement préciser la date.
Ces deux cessions bénévoles furent le
point de départ d'un grave conflit reli-
gieux entre les papes et les évêques de
Byzance. Tant que cette vaste région, de
langue grecque en majorité, avait fait
partie de l'empire occidental, les Byzan-
tins avaient trouvé fort naturel que ses
métropolitains et ses évêques se sou-
•missent à la juridiction du patriarche
romain, mais du jour où Constantinople
exerça sur eux la suprématie politique,
elle réclama également la suprématie reli-
gieuse. C'était, bien avant l'emploi du
terme, la revendication de l'œcuménicité,
<:'est-à-dire de la haute juridiction ecclé-
siastique sur toutes les provinces et sur
toutes les villes qui civilement étaient
soumises à la capitale de l'Orient. Et
•comme, pour des raisons faciles à conce-
voir, les empereurs grecs appuyaient de
toute leur autorité les tendances centrali-
satrices des évêques de leur capitale,
ceux-ci ne devaient pas tarder à entrer
sur ce point en lutte plus ou moins ou-
verte avec le Saint-Siège.
11 semble que l'institution par Rome
d'un vicaire apostolique à Thessalonique,
chargé de la représenter en ces régions
lointaines, ait coïncidé avec la cession de
l'Illyricum oriental à l'empire grec. Du
moins, l'honneur en est attribué au pape
saint Damase, qui mourut le 1 1 décembre
384, et le premier titulaire en fut saint
Ascholius, mort lui-même, selon toute
probalité, au début de l'année 383. Saint
Damase, qui avait, peu avant la réunion
du Ih Concile œcuménique, écrit deux
lettres à Ascholius pour le mettre en
garde contre l'élection de Maxime le Cy-
nique (1), l'établit vers le même temps
son représentant en Illyrie, ainsi que
l'assurent d'une manière très explicite une
lettre du pape Innocent I^', de l'année 402,
à Anysius de Thessalonique (2), et une
autre lettre de ce même Pape, de l'année
407 ou 408, à Rufus, successeur d'Any-
sius (3). Le pape Sirice (384-399), succes-
seur de Damase, confirma Anysius dans
sa charge (4), de même que le pape
Anastase I" (nov. 399, déc. 401), ainsi
que nous l'apprend une lettre d'Innocent l»'
à Anysius (5). Le pape Innocent I«'", à son
tour, conféra les mêmes pouvoirs à Any-
sius et à Rufus (6), et c'est dans sa lettre
que nous trouvons l'énumération des
provinces soumises à la juridiction de ce
vicariat apostolique : Achaïe, Thessalie,
Vieille et Nouvelle Epire, Crète, Dacie
méditerranéenne, Dacie ripuaire, Mésie,
Dardanie et Prévalitane.
Le vicaire apostolique de Thessalonique
avait le droit d'informer sur les affaires
(i)Mansi, Conciliorum co//ec;jo,t. VIII,p. 749sq.
(2) Mavsi, op. cit., t. VIII, p. 751.
(3) Mansi, op. et loc. cit.
{4) Mansi, op. cit., t. VIII, p. 750 sq. Litteras
dederamusut nulla licentia essetsine consensu tua
in Illyrico episcopos ordinare prœsumere.
<5) Mansi, op. cit., t. VIII, p. jbi A.
(6) Mansi, op. cit., t. VIII, p. 761.
30
ÉCHOS d'orient
ecclésiastiques de l'Iliyricum et d'en déci-
der, en lieu et place du Pape. A ce titre,
il présidait les Conciles régionaux des
diverses provinces de l'Iliyricum, jugeant
et tranchant les différends, sauf à remettre
au Pape la décision à porter sur les
affaires d'un caractère plus grave, ou bien
quand les intéressés en appelaient eux-
mêmes au suprême tribunal romain. 11
confirmait de plus l'élection des métropo-
litains et des simples évêques, et accor-
dait l'autorisation de procéder au sacre.
Dans les premiers temps, les Papes lui
avaient réservé l'ordination, non seule-
ment des métropolitains, mais encore de
tous les évêques; mais, dès le v« siècle,
sur la plainte des métropolitains, Rome
concéda à ceux-ci la consécration de leurs
suffragants. Enfin, le vicaire apostolique
de Thessalonique siégeait à une place pri-
vilégiée dans les Conciles œcuméniques
et il en souscrivait les décisions immédia-
tement après les patriarches. Bref, il
jouissait des prérogatives d'un exarque,
d'un patriarche même pourrait-on dire,
soumis il est vrai à un autre patriarche,
celui de Rome.
La première tentative que l'on surprend
d'une usurpation de pouvoir, de la part
de Byzance, sur le vicariat apostolique de
Thessalonique se rapporte au commence-
ment du pontificat de saint Boniface
(déc. 418-sept. 422). La série de pièces
relatives au procès de Périgène en fournit
la meilleure attestation (i). Celui-ci, dési-
gné par le métropolitain de Corinthe pour
occuper le siège de Patras, n'avait pas été
accepté des fidèles de cette ville; il dut
revenir à Corinthe, son pays natal, sem-
ble-t-il, où, grâce à l'intervention du pape
Boniface, il remplaça le métropolitain,
quand celui-ci vint à mourir (419). Les
circonstances de la promotion de Périgène
sont également mentionnées par un con-
temporain, l'historien Socrate (2); on
peut donc tenir le fait pour incontesté.
(i) Mansi, op. cit., t. VIII, p. 752-759.
(2) Bist. eccles.y \. VII, c. xxxvi, Migne, P. G.,
t. LXVII, col. 820.
Ce transfert de Périgène d'un siège (non
occupé, il est vrai) à un autre, sans doute
aussi des compétitions personnelles don-
nèrent à cette nomination une gravité
inattendue. Des évêques d'illyrie s'en plai-
gnirent à Rufus, vicaire apostolique de
Thessalonique, puis au pape saint Boni-
face, et n'en obtenant aucune satisfaction,
ils recoururent à l'évêque de Constanti-
nople, Atticus. Sur sa demande, ils déci-
dèrent la convocation d'un Concile à
Corinthe pour régler le différend, décision
qui fut immédiatement annulée par Rome,
qui ne pouvait, sous peine de disparaître,
tolérer que l'on revisât une sentence cano-
nique portée par son vicaire apostolique
et confirmée par elle-même. Alors Atticus.
dont nous soupçonnons les agissements
tortueux dans cette affaire, s'adressa au
pouvoir civil, et, le 14 juillet 421, parais-
sait une loi de Théodose 11, qui rattachait
les provinces de l'Iliyricum oriental à
l'Eglise de Constantinople (1), en interdi-
sant à quiconque de décider les affaires
importantes de l'IIlyrie sans l'autorisation
de l'évêque de la nouvelle Rome, qui a
hérité des prérogatives de l'ancienneRome.
Cette loi ne trouva pas ou trouva peu
d'application. En effet, peu après sa pro-
mulgation, l'empereur d'Occident, Hono-
rius, transmettait à son impérial neveu,
Théodose H, les réclamations du pape
saint Boniface, « contre certains rescrits
obtenus par subreption et qui violaient
les droits acquis du Saint-Siège en Illy-
rie » (2). Cette intervention d'Honorius
décida Théodose II à lui répondre qu'il
faisait droit à la requête pontificale et qu'il
allait informer le préfet du prétoire de
l'IIlyrie de tenir la loi de 421 pour non
avenue; en même temps, il rejetait la
faute, non sur Atticus qu'il ne mention-
nait pas, mais sur le compte des évêques
d'illyrie (3).
La constitution impériale de Théodose II,
qui aurait rétracté celle du 14 juillet 421,
(1} Cod. Justin., Cod. I, tit. II, 6, dans Corpus
juris civilis, édit. Beck. Leipzig, 1837, p. 9.
(2) Mansi, op. cit., t. VIII. col. 759.
(3) Mansi, op. et loc. cit.
ANNEXION DE L ILLYRICUM AU PATRIARCAT ŒCUMENIQUE
31
n'a pas été retrouvée, et rien ne prouve
même qu'elle ait jamais existé; des ins-
tructions adressées au préfet du prétoire
ont pu suffire à retarder les effets de la
première loi. Quoi qu'il en soit de ce point
particulier, il est certain que rillyricum
continua à être soumis directement au
Pape pour les questions religieuses. Nous
avons, en effet, une lettre du pape saint
Célestin, datée de l'année 424, adressée
à neuf métropolitains d'illyricum et qui
mentionne, de plus, les deux métropoli-
tains de Thessalonique et de Dyrra-
chium (i); elle leur enjoint d'obéir à Ru-
fus de Thessalonique, le vicaire du pon-
tife romain. D'autre part, en 435, le pape
Sixte III envoie deux lettres relatives aux
droits du métropolitain Anastase de Thes-
salonique. Dans la seconde, qui est du
8 juillet. Sixte III rappelle au synode de la
ville que les privilèges accordés par lui
à leur évêque ne diffèrent pas de ceux
que Rome avait précédemment accordés
aux prédécesseurs d'Anastase (2). Et ces
privilèges indiqués d'une manière expli-
cite ne peuvent que se rapporter au vica-
riat apostolique. Deux autres lettres
du même Sixte 111, en date du 18 dé-
cembre 437 et adressées, l'une à Proclus,
évêque de Constantinople, la seconde à
tout l'épiscopat illyrien (3), ne laissent
pas le moindre doute sur les rapports
réels de cet épiscopat avec le métropoli-
tain de Thessalonique. Celui-ci est con-
firmé par le Pape dans tous ses droits
antérieurs, et avec une insistance qui
(1) Ep. m, MiGNE, p. L., t. L, col. 428: Nec
nova hœc sedi apostolicœ cura de vobis est : sta-
tutum, nostis, sœpius experimentum hoc quod nos
agimus, Thessalonicensi ecclesiœ semper esse
commissum, ut vobis vigilanter intendat.
(2) Ep. VII et VV//,.MiG>E, P. L., t. L, col. 610-
612 : Habeant honorem suum metropolitani sin-
gularum (provinciarum), salvo hujus privilégia
quem honorare debeant amplius honorati. In pro-
vincia sua jus habeant ordinandi; sed hoc, inscio
vel invito quem de omnibus volumus ordinatio-
nibus consuli, nullus audeat ordinare. Ad Thessa-
lonicensem majores causœ re/erantur antistitem.
(3) Ep. IX et X, MiGKE, P. L., t. L, col. 612-618.
Qu'on remarque ce passage, col. 617 B : Illyricanœ
omnes ecclesiœ, ut a decessoribus nostris accepi-
mus, et nos quoque fecimus, ad curam nunc per-
tinent Thessalonicensis antistitis.
montre bien que, çà et là, des métropo-
litains d'illyrie s'efforçaient, avec l'appui
de l'évêque de la capitale, de se sous-
traire à l'autorité de Rome.
En l'année 439, malgré que la loi du
14 juillet 421 eût été abrogée, elle fut
insérée dans le Code Théodosien : ma-
nœuvre habile de l'évêque byzantin, qui
posait là, à n'en pas douter, la pierre
d'attente de sa future autorité sur cette
région. Comme l'a si bien dit Ms'- Du-
chesne : « En ce qui regarde les affaires
religieuses d'illyricum, l'influence de
Rome et de Ravenne ne pouvait s'exercer
que par intermittences, par lettres et dé-
putations: celle du patriarcat de Constan-
tinople était sans cesse présente, sans
cesse agissante. Quel miracle qu'elle ait
prévalu à certains moments.'* » (i). Elle
ne prévalut pourtant pas jusqu'à faire
abandonner par le Pape ses droits de sou-
veraineté. Après comme avant l'insertion
dans le Code de la loi de 42 1 , l'organisa-
tion ecclésiastique de l'illyricum resta ce
qu'elle était, et jusqu'au schisme d'Acace,
en 484, la juridiction pontificale con-
tinua à s'y exercer. Par deux fois, il est
vrai, Constantinople essaya de contester
cette suprématie de Rome, d'abord en
faisant promulguer la loi du 14 juillet
421, ensuite en la faisant insérer dans le
Code théodosien, en 439, mais ces deux
tentatives des patriarches byzantins et de
la cour impériale demeurèrent vaines.
Nous avons vu les papes Boniface, Cé-
lestin et Sixte ne tenir aucun compte de
la loi de 421 ; nous allons voir après 439
le pape saint Léon agir dans l'illyricum
comme si cette loi n'avait pas été inscrite
dans le Code. Dès l'année 444, il recom-
mande aux métropolitains de l'IIlyrie
l'obéissance à son légat, l'évêque de Thes-
salonique, mais en spécifiant quels sont
les droits dont celui-ci jouit, comme ses
lointains prédécesseurs au temps de saint
Sirice (2). Mêmes recommandations dans
(i) DucHESNE, Eglises séparées. Paris, i8g6,
p. 278.
(2) Epist. V, MiGNE, P, L., t. LIV, col. 614-616.
32
ECHOS D ORIENT
la lettre que saint Léon adresse le même
jour à Anastase de Thessalonique : le
métropolitain peut élire et ordonner les
évêques de sa province, suivant les règles
canoniques, mais il doit au préalable en
obtenir l'autorisation d' Anastase; par
contre, c'est ce dernier qui ordonne les
métropolitains et qui convoque évêques
suffragants et métropolitains aux Con-
ciles régionaux, où tous sont tenus, sauf
pour des raisons majeures, de comparaître.
Comme précédemment, les causes d'un
intérêt supérieur sont réservées au juge-
ment direct de Rome, sans passer par la
médiation de Thessalonique (i). Somme
toute, la législation arrêtée dès le début
par les papes Damase et Sirice ne s'est
presque pas modifiée.
Les mêmes avis sont donnés et les
mêmes privilèges confirmés dans les deux
réponses de saint Léon (446) à six métro-
politains de rillyrie et au titulaire de
Thessalonique (2). Toutefois, les procédés
par trop cavaliers d'Anastase vis-à-vis de
ses subordonnés, surtout à l'égard d'Atti-
cus, métropolitain de Nicopolis d'Epire,
qu'il avait contraint par la force à assister
au concile, y reçoivent un blâme des plus
significatifs, en même temps qu'une cer-
taine restriction est apportée à l'exercice
de ses prérogatives. Les excès même que
commit, en la circonstance, le vicaire
apostolique fournissent la meilleure preuve
que l'on pourrait invoquer à l'appui de
cette organisation ecclésiastique, car Ana-
stase fit enlever Atticus par les soldats
romains, sur ordre formel du préfet du
prétoire, et le força ainsi à venir par-
devant lui se soumettre à sa juridiction.
Acte d'autorité inouï dont le préfet n'au-
rait jamais pris la responsabilité, si les
provinces d'illyrie eussent vraiment re-
connu la suprématie religieuse de Cons-
tantinople. Dans une lettre de saint Léon
à son successeur, Euxitheus, de l'année
457, les privilèges du vicariat apostolique
(i) Epist. VI, MiGNE, P. L., t. LIV, col. 616-620.
(2) Epist. XIII et XIV, MiGNE, P. L., t. LIV,
col. 663-677; voir aussi col. 1220.
de Thessalonique sont encore confir-
més (i), et il serait loisible d'en trouver
d'autres attestations dans le reste de la
correspondance de ce Souverain Pontife.
Le schisme à propos d'Acace (484-519)
troubla gravement cette situation. Les
évêques de Thessalonique observèrent la
même attitude que l'ensemblede l'épiscopat
byzantin et perdirent, pour cette raison, la
communion du Pape. Dès lors, il ne pou-
vait être question de leur conférer les pou-
voirs de vicaire apostolique. On ne voit pas
que, dans cette période, les patriarches de
Constantinople aient repris leurs tentatives
d'annexion. L'Illyricum fut abandonné à
lui-même ; les Papes faisaient ce qu'ils pou-
vaient pour maintenir dans leur commu-
nion et dans leur obédience certains groupes
épiscopaux sur lesquels ils se trouvaient
avoir plus d'action. C'est ainsi que Gélase
renoua des relations avec les évêques de la
Dardanie et des provinces voisines, pays
latins, plus accessibles que d'autres aux
conseils de Rome (2). Ces relations se
maintinrent; nous avons encore (3) une
lettre du pape Symmaque adressée aux
évêques de ce pays. Anastase 11 échangea
des lettres avec l'évêque de Lychnide
(Achrida), dans l'Epire nouvelle (4). Dès
avant la mort de l'empereur Anastase,
l'Epire ancienne était rentrée dans la com-
munion romaine, par l'intermédiaire de
son métropolitain, Alcyson de Nicopolis.
Ces démarches n'étaient pas sans danger.
L'empereur Anastase, irrité, manda à Con-
stantinople les évêques de Nicopolis, de
Lychnide, de Sardique, de Naïssus et de
Pautalia; deux d'entre eux y moururent,
dont le métropolitain Alcyson (5).
C'est dans ces circonstances que se pro-
duisit une manifestation assez imposante
de l'épiscopat d'Illyricum . Quarante évêques
de ces régions, indignés de ce que le métro-
politain de Thessalonique fût entré en
communion avec Tithothée, patriarche
intrus de Constantinople, se réunirent et
rédigèrent une pièce par laquelle ils décla-
(i) Epist. CL, MiGNE, P. L., t. LIV, col. 1120.
(2) Jaffé Regesta, 628, 624, 635, 638, 639, 664^
Thiel, Epistolœ romanorum pontificum, t. I,
p. 348.
(3) Jaffé, Regesta, 663.
(4) Jaffé, Regesta, 746.
(5) Chron. Marcellini corn., anno 5 16.
ANNEXION DE L'ILLYRICUM AU PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE
33
raient rompre avec lui et rentrer dans la
communion de Rome. En rapportant ce
fait. Théodore le Lecteur donne à l'évêque
de Thessalonique le titre de patriarche, ce
qui étonne très fort Théophane, auquel
nous devons ce fragment de Théodore
Ce qui est sur, c'est que l'autorité exercée
par les évéques de Thessalonique sur les
métropolitains et autres prélats d'Illyricum
ressemblait beaucoup à la juridiction
patriarcale. Il n'y avait qu'une différence,
c'est que la juridiction patriarcale était
ordinaire, inhérente à un siège déterminé,
tandis que la juridiction de Thessalonique
n'était que déléguée; c'était la juridiction
patriarcale du Pape, exercée par commis-
sion spéciale.
Une fois l'union rompue (484), les pou-
voirs délégués avaient cessé par le fait. Les
évéques de Thessalonique firent de grands
efîoits pour échapper aux conséquences qui
découlaientde là. Dès le temps de Félix III,
André, qui occupait alors ce siège, s'efforça
à diverses reprises de renouer avec Rome,
sans se mettre mal avec le gouverne-
ment ( I ). L'entreprise était malaisée, il y
échoua. Dorothée, son successeur, sembla
d'abord être dans les mêmes dispositions;
mais le clergé de Thessalonique était alors
soumis à des influences théologiques peu
favorables à l'union. Quand l'empire eut
changé d'attitude et donné satisfaction au
pape Hormisdas (5 19), la résistance se pro-
longea quelque temps à Thessalonique; on
se porta même à des violences sur la per-
sonne des légats romains envoyés pour
célébrer la réconciliation. Dorothée était
responsable de ces désordres; mais le
principal instigateur avait été un prêtre,
Aristide, contre lequel le pape Hormisdas
se montra très irrité. Hormisdas aurait
voulu que Dorothée fût déposé, auquel cas
il demandait qu'on ne le remplaçât pas par
Aristide. Ce conflit, sur la suite duquel
nous ne sommes pas renseignés, finit
cependant par s'apaiser. Dorothée resta
évêque, et même il eut Aristide pour suc-
cesseur.
Ce n'est évidemment pas à de tels prélats
que les Papes auraient songé pour les repré-
senter ; aussi est-il inutile de chercher
une trace quelconque de délégation de pou-
(i) Jaffé, Regesta, 617, 638, 746; Thiel, Epi-
stolœ romanorum pontificum, t. I, p. 63o.
voirs, de vicariat apostolique, au temps de
Dorothée et d'Aristide. A ce point de vue,
la situation demeura depuis Siq ce qu'elle
avait été auparavant, au temps du schisme.
Les rapports de communion furent rétablis
tant bien que mal; ce fut le seul change-
ment ( i).
Si le vicariat apostolique de Thessalonique
ne fut pas rétabli après l'union des deux
Eglises orientale et occidentale, en 5 19, les
Papes recouvrèrent, du moins, leur an-
cienne juridiction sur tout riliyricum. L'af-
faire d'Etienne, métropolitain de Larissa,
déposé en 531 par le patriarche byzantin
Epiphane, au mépris de tout droit, et rétabli
par le pape Agapit, ne laisse aucune prise
au doute sur ce point (2). Le métropolitain,
aussi bien que trois de ses suffragants,
Elpidios de Thèbes, Timothée de Diocé-
sarée et Etienne de Lamia, dénoncent les
empiétements de Byzance et affirment
qu'il appartient au Pape de sauvegarder
les lois dans toutes les Eglises, « surtout
dans son lllyricum » (3).
La question de Justiniana prima en est
une nouvelle confirmation. Le 14 avril
535 paraissait la Novelle XI de Justinien,
adressée à Catellianus, archevêque de
Justiniana prima, ancien village natal de
l'empereur, et par laquelle il était déclaré
que le titulaire de ce siège, jusque-là
simple métropolitain de la province de
Dardanie, serait désormais archevêque de
plusieurs provinces, non solum metropoli'
tanus sed et archiepiscopiis. Ces provinces
sont la Dacie méditerranéenne, la Dacie
ripuaire, la Mésie II, la Dardanie, la Pré-
valitane, la Macédoine II, et ce qui restait
encore à l'empire byzantin de la Pan-
nonie H, en somme tout l'ancien diocèse de
Dacie (4). Dans les Novelles impériales,
les évéques de ces provinces sont affran-
chis à l'avenir de tout lien avec Thessa-
lonique, ce qui suppose évidemment
1 1 ) DucHESNE, Eglises séparées, p . 260-265, passim»
(2) Sur cette affaire, voir Duchesne, op. cit.,
p. 244-260.
(3) Mansi, Concil. collectio, t. VIII, col. 739-772.
(4) Elles sont énumérées dans la Novelle XI et
la Novelle CXXXI, c. m.
34
ECHOS D ORIENT
qu'ils dépendaient de cette métropole
auparavant. Par suite de ce remaniement
impérial, l'ancienne préfecture d'IIlyrie,
qui avait eu son siège tantôt à Thessaio-
nique et tantôt à Sirmium, se trouvait
reportée à Justiniana prima; et il était
juste, ajoutait l'empereur, que les hon-
neurs ecclésiastiques suivissent les hon-
neurs civils et que l'évêque de cette ville
acquît une prééminence spéciale en deve-
nant une sorte d'exarque pour les pro-
vinces de l'ancien diocèse de Dacie.
Si la législation des codes théodosien
et justinien — la loi de 421 venait d'être
insérée dans ce dernier — avait été
appliquée, l'assentiment du patriarche
byzantin aurait dû être requis pour cette
réorganisation ecclésiastique, puisque c'est
à lui que Théodose II avait confié la haute
juridiction sur ces provinces. Or, ce n'est
pas avec l'évêque de sa capitale, mais
avec celui de Rome que justinien négocie
quand des protestations s'élèvent contre
sa loi. Le pape Agapit, informé du chan-
gement survenu en Illyrie par une ambas-
sadeimpérialedeConstantinople, remet (i)
l'examen de l'affaire à ses légats (15 oc-
tobre 535.) La décision ne fut pas prise
tout de suite malgré le voyage d'Agapit
à Byzance, et ce fut avec l'un de ses suc-
cesseurs, le pape Vigile, que l'on conclut
un arrangement définitif après des pour-
parlers assez longs. D'accord avec Vigile,
l'empereur dédouble (2), le 18 mars 545,
la juridiction supérieure de l'illyricum,
et crée, au profit de son pays natal, un
nouveau diocèse ou exarchat. Le titulaire
àt Justiniana prima aura sous son autorité
et il ordonnera les évêques des sept pro-
vinces indiquées, lui-même sera ordonné
par son propre concile et sera, dans les
provinces de sa circonscription, « le
représentant {locum tenens) du Siège
apostolique de Rome, selon ce qui a été
défini par le saint pape Vigile », ajoute la
Novelle.
La forme sous laquelle s'exerça cette
(i) Mansi. op. cit., t. VIII, col. 853 A.
(2) Novelle CXXXI, c. m.
nouvelle primatie fut celle d'un vicariat
apostolique, analogue à celui des évêques
d'Arles et à celui qui avait fonctionné, au
siècle précédent, entre les mains de l'évêque
de Thessalonique. Nous sommes peu ren-
seignés sur ce nouveau vicariat. Dans la
correspondance de saint Grégoire, il est
souvent question de l'autorité du Pape en
niyricum, très rarement de celle de ses
vicaires. Cependant, on y trouve (1) les
pièces relatives aux pouvoirs conférés à
Jean de Justiniana prima; ces pouvoirs
sont encore mentionnés dans deux lettres
adressées aux métropolitains de Sardique
et de Scodra (2) subordonnés au vicaire,
enfin dans une lettre fort dure, adressée au
vicaire lui-même, coupable de prévarica-
tion dans un jugement (3). Après saint
Grégoire, aucun évêque de ce siège n'est
connu (4).
L'évêque de Thessalonique conservait
pourtant son titre de vicaire pontifical
avec la juridiction supérieure sur les
autres provinces de l'illyricum oriental, à
savoir la Macédoine l^^, la Thessalie,
l'Achaïe, la Crète, la Vieille et la Nouvelle
Epire. Cela ressort d'une lettre de saint
Grégoire le Grand (5), où le métropolitain
de Nicopolis est qualifié de minor relative-
ment à celui de Thessalonique. Cela res-
sort aussi d'une autre lettre du pape saint
Martin l^r (649-653), qui reproche vive-
ment à l'un d'eux de lui avoir écrit sans
se qualifier ainsi (6). Au Vl^ Concile
œcuménique de 681, Jean de Thessalo-
nique signe encore comme vicaire ponti-
fical (7).
Quant à la juridiction pontificale, elle
s'exerçait indifféremment sur l'un ou
l'autre vicariat, celui de Justiniana prima
comme celui de Thessalonique. Saint
Grégoire le Grand n'écrivit pas moins de
21 lettres durant son pontificat (590-604)
relatives à l'illyricum et qui, toutes,
démontrent que le Pape était le vrai
(1) Jaffé, Regesta, 1164, ii65.
(2) Jaffé, Regesta, i325, 1860, 186
(3) Jaffé, Regesta, 1210.
(4) DucHESNE, op. cit., p. 271.
(5) Jaffé, Regesta, 192 1.
(6) Jaffé, Regesta, 2071.
(7) Mansi, op. cit., t. XI, col. 669.
ANNEXION DE l'ILLYRICUM AU PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE
35
patriarche de ces provinces. Au cours du
VII® siècle, nous rencontrons plusieurs
exemples de haute juridiction métropoli-
taine que les évêques de Rome exercent
sur ces contrées. Ainsi, en décembre
623, le pape Honorius écrit à plusieurs
éveques d' pire pour suspendre la confir-
mation d'Hypace, nouveau métropolitain
d'Epire, et lui enjoindre de venir s'expli-
quer à Rome (i). En novembre 649, le
pape saint Martin dépose Paul, archevêque
monothélite de Thessalonique, et sa lettre
marque expressément que ce prélat dépend
du Saint-Siège (2). En décembre 667, le
pape Vitalien intervient dans les affaires
de Crète et casse la sentence de déposi-
tion prononcée dans un concile provincial
contre l'évêque Jean de Lampe par l'ar-
chevêque Paul et par ses suffragants (3).
Vers l'année 633, afin de contenir les
Avares au delà des frontières de l'empire,
Héraclius demande le concours des
Croates et des Serbes qu'il installe dans
la partie septentrionale de l'illyricum. Et
comme le Siège de Rome exerce sur ces
provinces de l'empire grec les droits
patriarcaux, l'empereur prie le Pape d'y
envoyer un archevêque, des évêques, des
prêtres et des diacres qui réussissent peu
après à faire pénétrer le christianisme
parmi eux, conversion qui, malheureuse-
ment, est de fort courte durée (4), du
moins chez les Serbes. Aux conciles de
Constantinople de 681 et de 692, les
évêques de Tlllyricum se rattachent nette-
ment au patriarcat romain, aussi bien que
les évêques italiens délégués par le Pape.
Enfin, dans VEctbesis du pseudo-Epiphane,
tableau de la hiérarchie ecclésiastique du
patriarcat byzantin vers le milieu du
vil» siècle, ne figure aucune métropole ou
évêché des dix ou onze provinces de l'illy-
ricum, comprises soit dans le vicariat
11) Mansi, op. cit., t. X, col. 58i.
(21 Mansi, op. cit., t. X, col. 833-849, surtout
f<37 C.
(3) Mansi, op. cit., t. XI, col. 16-19.
(4) Constantin Porphyrogénète, De adminis-
trando imperio, c. xixi, Migne, P. G., t. CXIII,
col. 284-292, et G. Markovitch, Gli Slavi ed i
Papi. Agram, 1897, t. I, p. 32-38.
de Thessalonique, soit dans celui de Jus^
tiniana prima.
On peut donc conclure que, au moins
jusqu'au vni« siècle, les provinces ecclé-
siastiques de tout rillyricum ont été con-
sidérées comme faisant partie du pa-
triarcat romain. L'empereur Léon l'isau-
rien, le premier, semble avoir dérogé à
cette tradition lorsque, vers l'année 732,
après l'excommunication lancée contre lui
par le Pape, il éleva le chiffre du tribut de
la Calabre et de la Sicile, confisqua les
patrimoines de l'Eglise romaine dans cette
région et atteignit l'autorité du Pape en
lui arrachant l'obédience des évêchés de
rUlyrie et de l'Italie méridionale qui furent
dorénavant rattachés au patriarcat de
Constantinople. Telle est, du moins, l'in-
terprétation que l'on a cru pouvoir donner
d'un texte assez obscur de Théophane ( i ).
Elle est confirmée par la réflexion étrange
du clerc Basile, qui, au ix« siècle, men-
tionne qu'un certain nombre de métropoles
d'Italie ou d'IUyrie ont été soumises à la
juridiction de Constantinople, parce que
« le Pape de l'ancienne Rome était entre
les mains des barbares » (2).
Le fait que, au moment du Vll^ concile
œcuménique (787), des négociations s'en-
gagent entre Rome et Byzance pour que
les provinces enlevées au Pape lui fassent
retour, tandis qu'en 681, lors du Vl« Con-
cile, elles dépendaient encore de lui, vient
encore à l'appui de cette assertion. Entre
ces deux dates, en effet, nous ne voyons
que j'affaire iconoclaste (726-787), qui,,
en modifiant la nature des rapports reli-
gieux des deux Eglises, a dû conséquem-
ment amener des changements dans leur
juridiction réciproque. C'est ce que déclare
expressément le pape Adrien \^^, dans une
lettre adressée à Charlemagne après le
concile de 787 (3). Ce Pape fit des dé-
marches successives auprès de la cour
byzantine et auprès du patriarche saint
(i) Chronographia, A. M. 6224, Migne, P. G.,
t. CVIII, col. 828.
(2) Gelzer, Georgii Cyprii descriptio orbis
romani, p. 27
(3) Mansi, op. cit., t. XIII, col. 808 sq.
36
ÉCHOS d'orient
Taraise (784-806) pour recouvrer son
ancienne juridiction; mais ses deux
lettres, avant d'être lues devant les
membres du VII^ concile, furent allégées
de tout ce qui avait trait à la juridiction
de Rome sur l'Italie méridionale et sur
rillyrie, ainsi que le dit Athanase le
Bibliothécaire (i), et ainsi qu'en té-
moignent les actes mêmes du concile, où
les deux lettres peuvent se lire, mais con-
sidérablement abrégées (2). Les réclama-
tions de Rome étaient donc demeurées
infructueuses.
Pendant les règnes troublés de Con-
stantin VI (790-797), d'Irène (797-802),
de Nicéphore (802-811) et de Michel
Rhangabé (81 1-813), les Papes ne purent
récupérer leurs privilèges patriarcaux.
Sous les empereurs de la deuxième
période iconoclaste, Léon l'Arménien
{813-820), Michel le Bègue (820-829) ^^
Théophile (829-842), ils avaient beaucoup
plus à soutenir les catholiques persécutés
qu'à se préoccuper de leur juridiction sur
J'illyricum. Lorsque, l'iconoclasme enfin
vaincu, la question put être reprise, un
nouvel élément de discorde avait surgi, le
peuple bulgare, qui, installé depuis deux
siècles sur une bonne partie des terri-
toires contestés, venait d'être converti
par les missionnaires romains et byzan-
tins et qui, par suite, ne savait trop à
qui entendre. Nous verrons une autre
fois comment se termina ce conflit, à la
défaveur des deux prétendants et au seul
bénéfice de la nation bulgare. Ceci, bien
entendu, pour les provinces occupées par
ce peuple turco-slave; quant aux pro-
vinces du Sud-Ouest de l'Illyrie, celles
qui faisaient encore partie de l'empire
byzantin, elles restèrent comme aupara-
vant, malgré toutes les protestations des
Papes, sous l'autorité du patriarche de
Constantinople, et, dans les premières
années du x^ siècle, l'empereur Léon VI,
d'accord avec le patriarche Nicolas, les
incorporait définitivement à l'Eglise de la
capitale.
SiMÉON Vailhé.
Constantinople.
LA DOCTRINE DE L-AnAeEiA
D'APRÈS SAINT MAXIME
Une doctrine ascétique, intéressante à
■étudier parce qu'elle est originale, est
celle qui a pour objet l'analyse d'un état
d'âme spécial désigné par les mystiques
byzantins sous le nom grec d'àT:àQ£t,a.
Aussi, dans cet article, nous nous propo-
sons d'étudier cette doctrine dans les
•écrits d'un théologien du vu» siècle qui
l'a caractérisée avec netteté : saint Maxime
le Confesseur (580-662).
Cet auteur définit l'â-àQeia : Un état de
calme mental dans lequel l'âme est diffici-
(i) Mansi, op. cit., t. XII, col. 1073.
(2) Mansi, op. cit., t. XII, col. 1056-1072, et
t. XIII, col. 527 sq. ; t. XII, col. 1077-1084, et t. XIII,
.col. 536 sq.
lement portée au vice (i). Ainsi, à s'en
tenir strictement aux termes de cette
définition, l'àTîàOs'-a n'implique ni la des-
truction radicale des passions — comme
semblerait l'indiquer l'étymologie du mot
oL-rAhziT. — puisque l'âme peut encore
parfois être portée au vice — ni la lutte
(i) Saint Maxime, dans P. G., t. XC, col. 967,
Capitum de caritaie centuria I, n. 399 : « 'A7rà8etâ
è(TTcv elprivixr, xaTacrTaaii; 4'">'X''i»j ^taÔ'v SuffXîvvjTo;
YtveTai TTpô; -/.axtav. » Le mot 6uffxtvr|To;, qui signifie
difficile à mouvoir, lent, paresseux, pesant,
(Cf. Henri E&tieh^e, Thésaurus grœcœ linguœ,
t. II', col. 1762), est le terme essentiel de la défini-
tion : il exprime une sorte d'insensibilité relative
de l'âme vis-à-vis des mouvements de la concu-
piscence.
LA DOCTRINE DE l'AIIABEIA, D' APRÈS SAINT MAXIME
37
habituelle quoique victorieuse de l'âme
contre les violents assauts de la concu-
piscence, puisque l'aiguillon de la passion
se fait difficilement sentir : mais elle sup-
pose simplement dans l'âme un état de
calme habituel et un affranchissement
partiel des sollicitations vicieuses (i).
Mais cette tranquillité de l'àme et cette
délivrance partielle des tyrannies de la
concupiscence sont plus ou moins par-
faites, selon qu'une seule faculté de
l'homme les éprouve ou que toutes en
ressentent les bienfaits. Bref, l'à-àOsia
comporte plusieurs degrés. Saint Maxime
en distingue quatre que nous allons suc-
cessivement analyser.
I. Abstention
DE TOUT ACTE CORPOREL VICIEUX.
A son premier degré, V'XTzâ^e'.x exclut
tout acte vicieux dont l'accomplissement
réclame le concours du corps (2). En
effet, dit saint Maxime, une partie des
pensées de l'homme proviennent de l'état
de son corps; si donc celui-ci est le
théâtre des jouissances voluptueuses, les
penséesanimalesquien résultenttroublent
!a sérénité de l'esprit (3). Or, ce trouble
peut provenir aussi bien des paroles que
des actions. Par suite, de même que les
actions honteuses, les paroles lascives
sont incompatibles avec cet état (4).
D'autre part, la volupté exige des
sommes d'argent qu'elle amasse par
l'avarice; dès lors, la parfaite continence
implique le renoncement à ce vice (5).
D'un autre côté, la luxure trouve son
aliment dans la gourmandise. Donc
(i) Nous disons : affranchissement partiel; car,
si l'àme est difficilement portée au vice, il en ré-
sulte que, sans effort, elle peut réprimer les
moindres mouvements de la concupiscence ; ce
n'est plus une tyrannie; c'est donc un affranchis-
sement, mais partiel, puisque tout réveil de la
passion n'est pas conjuré.
(2) Op. et t. cit., Capitum quinquies centenorum.
centuria III, col. 1282, n. Syo.
(3) Op. cit., cent. I, col. 973, n. 402.
(4) Op. cit., cent. IV, col. 1067, n. 449; col. 1425,
n. 654.
(5) Cent. I, col. 973, n. 402.
l'àTîàOc'.a qui suppose l'habitude de la
continence entraîne avec elle la sobriété
et la tempérance (i).
Aussi, notre auteur, pour expliquer sa
pensée, se sert-il à bon droit d'une gra-
cieuse comparaison. Cet état, dit-il, est
la terre promise des ascètes. Mais, de
même que les Israélites n'ont pénétré
dans la terre promise ni à leur retour
d'Egypte, ni après le passage de la mer
Rouge, mais après un long séjour dans
le désert, ainsi l'ascète n'est kr.xHr,;, ni
immédiatement au sortir de l'état de
péché, ni même après sa victoire passa-
gère sur ses passions, mais il ne le de-
vient qu'après s'être livré à de longues
mortifications (2).
Mais, au-dessus du corps de l'homme,
vient son esprit. Donc, après avoir
étudié rà-àOî'.a à son premier degré dans
la pureté corporelle, étudions-la à son
second degré dans la pureté de l'esprit.
11. Pureté de l'esprit.
Si, à ce premier degré, l'àTcàOs'.a exclut
les actes libidineux mauvais, les pensées
impures qui enflamment la concupis-
cence peuvent encore subsister dans l'in-
telligence. Au second degré, toutes ces
pensées qui sont le prélude des actes vi-
cieux sont absolument bannies de l'es-
prit : Vk-TzkHt'jx devient la pureté intellec-
tuelle.
Evidemment, il y a autant de sortes de
puretés de l'esprit qu'il y a de sortes
d'impuretés de l'esprit. Or, saint Maxime
distingue quatre formes de ces dernières :
il reconnaît donc implicitement les quatre
formes de pureté intellectuelle qui leur
sont opposées.
Ainsi, pour lui, la première forme de
l'impureté de l'esprit consiste dans les
connaissances erronées, -•"/(Ôt'.v 'Ivj^jt, :
donc la première sorte de pureté intellec-
tuelle est l'absence de toute erreur dans
(i) Alla ex Vatic. capita, col. 1428, n. 1^4; Liber
asceticus, col. 936, n. 393.
[2) Alia ex Vatic. capit., col. 1428, n. 654.
38
ÉCHOS d'orient
l'esprit. De même, la deuxième forme
d'impureté étant l'ignorance partielle de
quelque science, la seconde forme de pu-
reté d'esprit est la science universelle ;
la troisième forme d'impureté intellec-
tuelle étant la simple présence dans l'in-
telligence de pensées en étroite connexion
avec le vice, la troisième espèce de pureté
d'esprit est l'absence de ces mauvaises
pensées dans l'intelligence. Enfin, la qua-
trième sorte d'impureté d'esprit est le
consentement à ces pensées peccami-
neuses : donc la pureté intellectuelle
opposée sera l'absence dans l'âme de con-
sentement à ces pensées mauvaises (i).
Or, saint Maxime n'entend désigner,
par le mot à-àOsia, ni la première espèce
de pureté intellectuelle — qui est simple-
ment l'inerrance de l'esprit sans carac-
tère moral déterminé, — ni la seconde
forme de pureté — la science universelle
qui est l'apanage exclusif de Dieu, — ni
la quatrième espèce — qui est simplement
le refus de consentir au péché, — mais il
désigne par ce mot la troisième forme de
pureté de l'esprit qui exclut dans l'intel-
ligence la présence même des représen-
tations impures (2).
Mais les raisonnements inspirés par la
passion viennent des mauvaises impres-
sions produites dans l'imagination par la
représentation des choses extérieures.
Partant, ce calme mental exclut les ima-
ginations impures (3).
Or, ces représentations proviennent de
la vue des objets extérieurs : on recon-
naîtra donc que l'ascète a atteint ce degré
d'à-à8ï'.a, non pas quand, loin de tout
objet provocateur, il n'a aucune mauvaise
pensée, mais lorsque, en présence même
de l'objet dangereux, il est délivré de ces
images malsaines (4).
D'autre part, les données sur lesquelles
travaille l'imagination, sont fournies par
(i) Capitum de caritate centuria III, col. 1028,
n. 432-433.
(2) Capitum de caritate centuria III, col. 1028,
n. 432-433.
(3) Centuria I, col. 973, n. 402.
(4) Centuria IV, col. 1060, n. 451.
la mémoire. Par conséquent, une imagi-
nation absolument affranchie de toute
image sensuelle suppose une mémoire
également libérée de tout souvenir libi-
dineux. Par suite, ce second degré de
l'àuàOsia exclut aussi tout rappel par la
mémoire des souvenirs dangereux (i).
Telle est donc la doctrine de saint
Maxime sur l'à-àOsia à son second de-
gré (2). Entendu dans ce sens de calme
de l'esprit résultant de la parfaite pureté
intellectuelle, le mot à-àOît-a reçoit sous
la plume de notre auteur une acception
légèrement semblable à celle que lui ont
donnée des classiques comme Cicéron
et Plutarque (3). Mais, tandis que ces
auteurs ne comprennent sous ce mot^
synonyme pour eux d'aTapaçU, que l'im-
passibilité stoïcienne, c'est-à-dire l'absence
de tout trouble mental quelconque pro-
venant des passions, Maxime précise le
caractère moral de ces troubles dont la
disparition constitue le second degré de
rà— àBs'.a.
111. Pureté du cœur.
De la pureté de l'esprit, passons à
celle du cœur : c'est le troisième degré de
l'àTîàOcLa.
Saint Maxime la caractérise en ces
termes : chez celui qui est parvenu à
cet état, la faculté appétitive n'est plus
portée au vice, c'est-à-dire que les affec-
tions n'ont plus de caractère volup-
tueux (4). C'est la pureté du cœur en-
tendue, non dans le sens de droiture
d'intention, mais uniquement dans le
sens de pureté des affections (5).
(i) Ibid.
(2) On peut le remarquer, saint Maxime prend
surtout le mot passion dans le sens de passion
mauvaise, de concupiscence vicieuse. Mais, indi-
rectement, il rattache à cette tendance puissante
les passions qui lui servent d'auxiliaires : la
colère, l'avarice, etc.
(3) Cicéron ( 106-43 av. J.-C), édition Millier, 1879,
Academ., p. 2, 42; Plutarque (5o ap. J.-C), édit.
F. Diibner (1846-1855), û/on, p. 32; Mora/., p. lobj.
(4) Cent. III, col. 1282, n. 570.
(5) Ces deux sens se trouvent fréquemment
réunis et même confondus dans les auteurs mys-
tiques. Ils sont pourtant distincts. Car, si la pureté
LA DOCTRINE DE L"AnA0EIA, D'aPRÈS SAINT MAXIME
39
Or, le cœur, dégagé de toute attache
au plaisir mondain, ne peut cependant
se passer d'amour : à l'amour du plaisir
il faut donc substituer une affection puis-
sante : l'amour de Dieu. Partant, la cha-
rité devient la gardienne de la pureté du
cœur, comme la continence est la gar-
dienne de celle du corps (i).
Mais celui qui s'attache à Dieu par la
charité enveloppe dans son amour tout
ce qu'aime Dieu, et, par conséquent, le
prochain. On reconnaîtra donc que l'as-
cète a atteint ce degré de l'i-àSs-.a, si,
dans ses affections surnaturelles, il n'éta-
blit aucune différence « entre le bien
propre et le bien d'autrui, entre le servi-
teur et le fils de famille, etc. » (2).
Toutefois, si, au regard de la foi, l'as-
cète à-aOrî; aime tous les hommes d'un
égal amour, ce nivellement des affections
dans l'ordre surnaturel laisse subsister
l'amitié naturelle. Mais, dans ce cas,
rà-ràÇlEta implique la constance et la dis-
crétion : la constance, car, puisque l'as-
cète aime le prochain comme lui-même,
il doit l'aimer toujours comme il s'aime
toujours lui-même ; la discrétion, car
l'ami fidèle et délicat doit avoir soin de
cacher les défauts du prochain quand il
est inutile de les révéler. Si donc l'ascète,
à l'heure de la tentation, ne sait pas
garder cette réserve à l'égard de son ami,
c'est une preuve qu'il n'a pas atteint ce
degré d'i-à^s'.a (3).
De plus, le sincère amour exclut le
désir de la vengeance dans le cas d'une
injure reçue et, par suite, la colère. C'est
pourquoi l'ascète offensé par une insulte
ne nourrit aucun ressentiment contre
l'offenseur (4).
Mais si l'amour de Dieu et celui du
prochain ont pris dans le cœur la place
des atfections suppose, à un degré élevé, la droi-
ture d'intention, celle-ci, à un degré inférieur,
peut exister sans la pureté des affections.
fi) Cent. I, col. 964, n. 397; cent. III, col. i 028,
n. 433.
(2) Cent. /, col. 993, n. 414; Cf. Saint Paul,
Gai., m, 28.
(3) Cent. IV, col. i 070, n. 457.
(4) Cent. IV, col. i oSj, n. 449.
de l'amour passionné du monde, ces deux
affections doivent subsister dans l'ascète
durant toute sa vie consciente. D'autre
part, les phénomènes inconscients qui se
déroulent pendant le sommeil, rêves,
cauchemars, etc., sont, d'ordinaire, la
répercussion de ceux qui se produisent
pendant la vie consciente de l'état de
veille. Donc l'ascète, parvenu à l'affran-
chissement de toute affection mauvaise,
n'aura, pendant le sommeil, ni songes
lascifs provenant des passions de l'appétit
concupiscible indomptées, ni rêves tristes
causés par les passions de l'appétit iras-
cible insuffisamment mortifiées (i).
On le voit donc, le troisième degré de
l'krMf.oL, constitué essentiellement par la
pureté de cœur, suppose un grand amour
de Dieu et du prochain, l'oubli des injures,
la discrétion, la constance et le calme de
l'esprit durant l'état de veille et durant
le sommeil.
Compris dans ce sens d'absence d'affec-
tion, le mot k-ÔLhv.y. a été employé par
les classiques grecs comme Platon (2),
Aristote (3) et Plutarque (4). Mais le
moraliste chrétien, à rencontre des phi-
losophes païens, qui ont laissé l'âme vide
de tout amour, a substitué aux affections
mauvaises détruites le pur amour de
Dieu et du prochain.
IV. L'esprit est délivré
DES PENSÉES INUTILES OU INDIFFÉRENTES.
Pure de tout acte corporel libidineux,
affranchie de toute pensée impure, dégagée
(i) Cent. I, col. 981, n^ 407; cent. II, col. i 006,
n* 420. Cette corrélation établie par saint Maxime
entre les sentiments que l'on a durant l'état de
veille et ceux que l'on éprouve durant le sommeil
est admise aujourd'hui par la plupart des mora-
listes et des psychologues. On peut admettre aussi,
mais avec moins de certitude, que les songes las-
cifs ou tristes correspondent à peu prés toujours
aux passions immortifiées de l'appétit concupis-
cible ou irascible.
(2) Platon (édit. Schanz, 1875-1887), Defini-
tiones, p. 413.
(3) Aristote (édit. Acad. roy. de Prusse i83i-
1870), Analytica posteriora, p. 2, i3, 18; De
anima, p. 2; Ethic. ad Nie, p. 2.
(4) Plutarque, De superstitione, p. 167.
40
ÉCHOS d'orient
de toute affection mauvaise, l'âme pou-
vait encore, dans les trois premiers de-
grés d'à-àGsia, abriter des pensées qui,
sans caractère peccamineux nettement
tranché, étaient simplement le résultat
des impressions faites sur les sens par
les objets extérieurs.
Le quatrième degré d'àTzà6£!.a bannit de
l'esprit cette catégorie de pensées, qu'on
peut qualifier d'inutiles.
Pour bien comprendre la nature de ces
pensées et, partant, pour saisir avec pré-
cision les caractères de cet état mental,
distinguons avec saint Maxime trois sortes
de pensées : i° la pensée qui est jointe à
une affection libidineuse, qui, par suite,
« éloigne de Dieu », 6 s^TraQr,; lov'.a-jji.oç;
2° la pensée qui n'est accompagnée
d'aucun sentiment, « pensée simple,
nue », 6 'lô.bç Àovi,3-|j.o;; y la pensée
« informée par la charité » qui dégage
l'âme des préoccupations purement hu-
maines, r, vvcôcn<; Tj 7:aQoGa-a rr.v àvà7rr,v(i).
Or, nous l'avons vu, le deuxième degré
de VoltMzkx exclut toute pensée jointe à
une affection peccamineuse, 6 èa-aOyiç
loyio-ijLÔç. D'autre part, il ne s'agit pas ici
de bannir de l'esprit la pensée accompa-
gnée de sentiments d'amour de Dieu,
puisqu'elle est sainte. Il est donc unique-
ment question de la deuxième espèce de
pensée, 6 •lû.oq Àovitijloç qui, sans être
mauvaise, n'affranchit pas l'esprit des
préoccupations purement humaines, et,
dès lors, n'est pas positivement bonne,
mais est indifférente.
Voici pourquoi cette sorte de pensée
est incompatible avec ràTràôet-a. Elle est
produite dans l'âme par les impressions
que font sur nos sens les objets exté-
rieurs (2). 11 en résulte que ces représen-
(i) Cent. IV, col. i 077, n. 460.
(2) Cent. III, col. 1037, n. 434; col. 1281, n. 570.
L'adjectif •hù'oz est employé par les auteurs clas-
siques dans les multiples sens de pur, simple, nu,
dépouillé, léger. Cf. Henri Estienne, Thésaurus
grœcœ linguœ, t. VIII, col. 1910; H, Vincent,
Revue de Philologie, t. II, p. 37. Dans le cas qui
nous occupe, il est facile de prouver que l'expres-
sion 4"'ô; ).oyi(7[jl6î signifie : pensée dégagée de
toute affection. En effet, saint Maxime identifie
tations diverses provenant des impres-
sions sensibles produisent dans l'imagi-
nation un flot d'images qui distraient
l'âme dans la prière (i). Or, celle-ci, dans
l'état de parfaite charité que requiert cet
état, doit être « le pur et brillant miroir
de Dieu » (2). 11 faut donc que, par la
contemplation, l'âme s'attache habituel-
lement aux pensées saintes inspirées par
la charité et rejette les considérations
d'ordre inférieur ayant trait aux choses
sensibles (3).
En second lieu, l'âme à-aôr^ç doit jouir
d'un calme habituel et, dès lors, éloigner
d'elle les pensées terrestres qui, sans être
peccamineuses, troubleraient sa sérénité.
Enfin, cette catégorie de pensées inu-
tiles, bien que sans caractère moral posi-
tif, donc vraiment indifférentes au début,
peuvent peu à peu réveiller les sentiments
mauvais assoupis, déjà exclus par le troi-
sième degré d'à-àÔs'.a (4).
Donc, pour ces trois raisons, l'ascète
bannit de son esprit toutes les représen-
tations Imaginatives, réflexions ou raison-
nements qui lui sont suggérés par la vue
des objets sensibles.
Dès lors, uni à Dieu par la charité et la
contemplation, l'ascète à-aÔY^; participe
en quelque sorte à la liberté de Dieu,
puisqu'il est habituellement affranchi de
la tyrannie de ses passions; à l'impassi-
bilité divine, puisque le calme dont il
jouit n'est pas même troublé par des pen-
sées inutiles; enfin, à l'immutabilité de
Dieu, puisque, délivré de la fluctuation des
affections purement humaines, il est
arrivé à un certain état de fixité mentale.
Toutefois, cette liberté n'est pas com-
plète, puisque les tentations restent pos-
sibles (3); cette impassibilité n'est que
ô "LiXô; ),oyi(7[idç à ô à7r).oy<; XoyeffjKSi;. Or, il définit
l'ô à7r),o-jç ^oyco-iiôç par ô St'jra iriOouç ),oyi(T(x,6; :
pensée sans passion. Donc l'à'\i0.oç loy:<T\).6i signi-
fie aussi : pensée sans passion : Cf. Cent. I, col.
1077, n. 460.
(i) Cent. IV, col. 1057, n. 449.
(2) Cent. III, col. 1082, n. 570.
(3) Cent. III, col. io32, n. 434.
(4) Cent III, col, 1281, n. 571.
J5) Epistola ad Constantinum, t. XCI, col. 421,.
n. 236.
LA DOCTRINE DE L"AnABEIA, d'aPRÈS SAINT MAXIME
41
relative, car c'est seulement après la mort
que l'âme, « à l'abri des flots de la mer
tourmentée de cette vie », peut pleine-
ment en jouir (i); enfin, cette immutabi-
lité n'est pas absolue, puisque, au sens
strict du mot, l'iâncàOe'-a n'appartient qu'à
Dieu, « qui est la fin des êtres et la per-
fection même » (2).
V. — Conclusion.
Nous pouvons maintenant, dans une
courte synthèse, établir deux points :
1° les deux éléments essentiels de la défi-
nition de rà-àOs'.a, telle que l'a formulée
saint Maxime, et telle que nous l'avons
donnée nous-même au début de cette
étude, se retrouvent dans les quatre
■degrés analysés; 2» il y a entre ces
quatre degrés une étroite connexion.
1° L'à-àOs'.a implique dans l'âme le
calme habituel et une certaine difficulté
à être sollicitée au vice. Or, cette tranquil-
lité se trouve dans le premier degré,
puisque la volonté, qui serait troublée par
des chutes honteuses, ne consent plus
aux actes libidineux; elle apparaît dans le
second degré, puisque l'agitation produite
d'ordinaire par les représentations im-
pures y a cessé; elle se retrouve dans le
troisième, car la rupture de l'équilibre
mental, toujours possible quand il y a
conflit de sentiments, y est conjurée par
ce fait que les affections désordonnées
n'ont plus de place dans le cœur; enfin,
elle est surtout réalisée dans le quatrième,
puisque l'esprit se ferme jusqu'aux pen-
sées indifférentes de nature à troubler sa
sérénité.
D'un autre côté, l'aiguillon de la con-
cupiscence cesse, ordinairement, de pro-
duire des actes corporels mauvais dans
le premier degré de l'à-àOs'.a, des pensées
licencieuses dans le second, des affections
impures dans le troisième, et il n'est plus
réveillé, dans le quatrième, par les pen-
(i) Mystagogia, t. cit., col. 717, n. 527.
u) Epistola ad Dominum Georgium, t. cit.,
•col. 364, n. 201 ; t. cit. Ambiguorum liber, col. 1073,
n. 121.
sées simplement indifférentes, puisque,
habituellement, l'esprit les écarte. C'est
donc un affranchissement partiel des
sollicitations vicieuses, qui, à peine visible
dans le premier degré, très marqué dans
le second et le troisième, presque complet
dans le quatrième, est réel dans tous les
degrés.
Ainsi, quoique d'une façon diverse, les
deux éléments constitutifs de V%~7ht'.% se
retrouvent dans ces quatre degrés.
20 On remarque entre ces quatre degrés
de l'à-àOs'.a une étroite connexion. En
effet, le processus logique de la passion
est de suivre les étapes suivantes : s'allu-
mer à l'occasion d'une pensée moralement
indifférente à son début, puis s'enflam-
mer dans les mauvais désirs, ensuite
devenir l'objet exclusif de toutes les pen-
sées, et enfin faire explosion dans l'acte
corporel peccamineux. Donc, si l'on sui-
vait strictement l'ordre logique, il faudrat,
dans rà-à9£'.a, s'affranchir successivement
des pensées indifférentes, occasion des
mauvais désirs, puis des affections mau-
vaises, origine des pensées impures, enfin
des pensées lascives, sources des actes
peccamineux . Mais la nature suit l'ordre in-
verse, parce qu'elle va du plus facile au plus
difficile. Saint Maxime a fait de même dans
sa classification des degrés de \'x-xHt\t.
C'est pourquoi il élimine, dans le deuxième
degré, les mauvaises pensées qui provo-
queraient les actions coupables déjà
exclues par le premier: dans le troi-
sième, les affections qui causeraient les
mauvaises pensées condamnées par le
second; enfin, dans le quatrième, les
pensées oiseuses, occasions indirectes des
affections mauvaises bannies de l'esprit
par le troisième degré. Ordre inverse du
premier, moins logique apparemment,
mais plus conforme à la réalité (i).
E. Montmasson.
Constantinople.
(i) T. XC, col. 128 1. Saint Maxime a pris soin
lui-même de faire remarquer cet enchaînement
des idées, base de sa classification.
LE MONACHISME ORIENTAL
Les lignes qui suivent n'ont nullement
la prétention d'étudier le monachisme dans
son ensemble. Ce sujet trop vaste dépas-
serait les limites de notre compétence,
et d'ailleurs nous croyons que, malgré
les travaux érudits des RR. PP. Vailhé,
Dom Butler, Dom Besse, de M. Ladeuze,
Dom Leclercq et d'autres (i), il est tou-
jours vrai de dire, même aujourd'hui,
que : « l'heure n'est pas encore venue de
songer à un ouvrage de cette nature, car
la critique est loin d'avoir terminé son
œuvre de « préparation » (2). Notre but
plus simple consistera à présenter au lec-
teur une courte étude sur le Terme idéal
de l 'évolution de la vie religieuse en Orient
et en Occident, les Etapes de l'initiation
monastique du religieux oriental, la Nature
du vœu monastique du microschème et du
mégaloschème, la Dispense du vœu motias-
tique en Orient.
1. Le terme idéal de l'évolution
DE LA VIE religieuse
EN Orient et en Occident.
Précédée de la vie pauvre et austère
des premiers chrétiens de Jérusalem, la
vie religieuse préluda de bonne heure par
(i) Vailhé, Echos d'Orient, articles divers, 1897-
igoS. Revue de VOrient chrétien, diverses études,
1898-1900, 1904. Articles sur Saint Euthyme le
Grand, 1907-1909. Tirage à part de cette dernière
étude, 1909. L'Eglise de Constantinople, dans le
Dictionnaire de théologie catholique, t. III,
col. 1495- i5oo. Dom Butler, The lausiac history
of Palladius. Cambridge, 1898. Ladeuze, Etude
sur le cénobitisme pakhomien pendant le iv' siècle
et la première moitié du v*. Louvain, 1898. A
côté de ces travaux, nous devons une mention
spéciale à l'étude que M. Evetts a publiée sur
le Rite copte de la prise d'habit et de la profes-
sion religieuse, dans la. Revue de l'Orient chrétien,
1906, p. 60-73, i3o-i48, et à celle de Dom Ville-
court, sur le Rite copte de la profession mona-
cale pour les religieuses, dans le Bessarione, 1909
et 1910. Voir aussi l'article Cénobitisme, dans le
Dictionnaire d archéologie chrétienne et de li-
turgie, fasc. XXII.
(2) DoM Besse, Les Moines d'Orient. Paris, 1900,
p. V.
la vie chaste et souvent très pauvre des
ascètes, et débuta vers le milieu du
ni« siècle par l'anachorétisme rigide de
saint Paul de Thèhes et d'autres solitaires.
Leur vie complètement isolée était la
forme de vie religieuse la plus stricte-
ment idiorythmique (i).
Malgré la perfection de ce genre de
vie, une élite d'anachorètes (2) eut vite
acquis l'expérience qu'il valait mieux se
grouper pour échapper aux inconvénients
multiples d'une vie trop monastique,
c'est-à-dire trop solitaire et trop re-
tirée (3). Cette deuxième étape de la vie
religieuse inaugura le monéfthisme des
ermitages ou laures (4).
Mais là ne devait pas s'arrêter le déve-
loppement de la vie religieuse et la ten-
dance des serviteurs de Dieu à se réunir
en une Société de plus en plus cénobi-
tique et monarchique. Le cénobitisme qui
prit naissance avec saint Pakhômeet saint
Basile (5) garda une idiorytbmie assez pro-
noncée jusqu'à la réforme de saint Théo-
dore Studite, dont le cénobitisme, malgré
(i) Au mot idiorythmique, qui signifie régime
de vie religieuse plus ou moins particulariste, par
opposition au régime cénobitique, nous préfére-
rions le mot idiobitique. Ce terme correspondrait
mieux à celui de cénobitique et, par suite, serait
plus vite compris des profanes.
(2) DoM Besse, op. cit., p. 28-32; Vailhé, Saint
Euthyme le Grand, p. 9.
(3) Ainsi pensaient saint Antoine le Grand, les
deux Macaire d'Alexandrie, saint Macaire l'Egyp-
tien, fondateurs, les deux premiers de la laure de
Nitrie et le troisième de celle de Scété; saint
Hilarion, saint Chariton. Dom Besse, op. cit.,
p. 78-79 ; Vailhé, op. cit., p. 9-i3. L^ne élite, disons-
nous à dessein, car l'anachorétisme original et
même parfois bizarre décrit par Dom Besse,
op. cit., p. 36-56, le R. P. Vailhé, op. cit., p. 14-
i5, le R. P. Pargoire, l'Eglise byzantine de 527
à 84J, subsista très longtemps, sinon toujours,
dans l'empire byzantin.
(4) De Aocjpac, grandes rues, viens, quartiers,
colonies.
(5) Pargoire, Saint Basile, dans le Dictionnaire
d'archéologie chrétienne et de liturgie, fasc. XIII,
col. 5o5; B. Laurès, les Monastères idiorythmes
de l'Athos, dans Echos d'Orient, t. IV, p. 293;
DoM Villecourt, op. cit., p. 39.
LE MONACHISME ORIENTAL
43
l'idiorythmie du pécule (i), différait peu
de celui des moines d'Occident et était
le terme idéal de l'évolution de la vie
religieuse en Orient (2). Ce terme est
celui d'un cénobitisme isolé et spora-
dique conservant et tenant à conserver,
à l'égard de l'ensemble des monastères,
une idiorythtnie ou indépendance absolue.
Ce terme ne devait pas être celui de
l'évolution de la vie religieuse en Occi-
dent. Celui-ci, avec son esprit d'organi-
sation et de centralisation, devait aboutir,
non plus seulement au cénobitisme entiè-
rement monarchique de chaque maison
religieuse, mais encore au cénobitisme
et à l'organisation monarchique de toutes
les maisons religieuses observant la
même règle ou manière de vivre. Nous
ne parlons, bien entendu, que de la ten-
dance générale, car saint Pakhôme a, dès
le ive siècle, réalisé le même idéal que
es Occidentaux.
Jusqu'au cénobitisme de saint Benoît de
Nursie, l'Occident monastique formé à
l'école de l'Orient parcourut, en les abré-
geant, les mêmes phases dans l'évolution
de sa vie religieuse. Une évolution pos-
térieure au cénobitisme isolé des moines
orientaux et des premiers moines occi-
dentaux fut la fédération ou alliance sous
une règle commune (3) et une autorité
centrale relative, soit de monastères, sur-
tout à partir de la réforme d'Aniane et de
Cluny, soit de couvents (4) de chanoines
réguliers.
(1) Pargoire, l'Eglise byzantine, p. 3i5.
(2) La régie du Stoudion servit de modèle aux
monastères orthodoxes des âges postérieurs, spé-
cialement à ceux de Russie et à celui de Khi-
landar à YAthos, mais, au dire des voyageurs qui
ont visité ces monastères, on ne voit pas en quoi
ils se distinguent des autres monastères orientaux
même cénobitiques, dont le cénobitisme est plus
ou moins mêlé d'idiorythmie.
(3) Règle commune spéciale que les Grecs appel-
leraient typikon et à laquelle les Latins donne-
raient le nom de constitutions. Cette régie, spé-
ciale chez les Bénédictins, n'était que le complé-
ment de celle de saint Benoît, et chez les Chanoines
réguliers, le complément de la règle de saint
Augustin.
(4) Nous rappelons au lecteur, qu'au point de
vue canonique latin, le mot monastère désigne
l'habitation locale d'une communauté de moines.
A cette fédération qui n'était encore
qu'une communauté imparfaite de monas-
tères et que les diverses Congrégations
ou fédérations de Bénédictins noirs (i)
ont conservée et même généralisée sous
Léon Xlll, qui les a invitées à établir la
fédération de tous leurs monastères sous
la présidence de l'abbé Primat de l'abbaye
de Saint-Anselme de Rome, devait suc-
céder au xnie siècle et durant les deux
siècles suivants le cénobitisme pleine-
ment monarchique des quatre Ordres
mendiants (Franciscains, Dominicains,
Carmes, Augustins) et des autres Ordres
qui imitèrent leur genre de vie. Aux
mendiants s'ajoutèrent, au xvi® siècle, les
clercs réguliers (Jésuites, Barnabites, Théa-
tins, etc.): aux xvii®, xviif et surtout au
xix« siècles, les Congrégations et Instituts
ecclésiastiques, dont le nombre est trop
considérable pour en tenter ici l'énuméra-
tion (2). A ces deux dernières sortes de
sociétés religieuses, l'Eglise n'a pas cru
devoir accorder ou imposer les vœux que
le droit occidental appelle vœux solennels
et dont nous serons amenés à parler
plus bas.
Quelle que soit l'opinion de nos lec-
teurs sur la perfection des diverses
formes de la vie religieuse, il nous paraît
difficile qu'ils songent à contester que la
vie commune ou l'absence d'idiorythmie
exigée par le cénobitisme n'a été pleine-
ment réalisée que par l'union monar-
et que celui de couvent est plutôt réservé à la
demeure des autres religieux. En Orient, le terme
de u.ovaffTT,p'.ov ou aovr, s'applique depuis long-
temps à toutes les maisons religieuses, cénobi-
tiques ou non, distinctes des ■t.ùXix et des xa>.-jpa;,
dont la dénomination serait plutôt celle des petits
monastères ou demeures monastiques. Dans les
premiers temps, le mot liovaaTTiP'.ov servait à
dénommer l'habitation des moines idiorythmes
par opposition à celle des cénobites appelée
xo;v6ê'.ov.
(i) On donne ce nom aux Bénédictins vêtus de
noir. Les Bénédictins habillés de blanc et appar-
tenant à des réformes ou variétés de l'Ordre de
Saint-Benoit portent le nom générique de Béné-
dictins blancs. Les Bénédictins bleus ou Sylves-
trins sont la troisième catégorie des fils de saint
Benoît.
(2) La liste des diverses Sociétés religieuses a
été dressée par M" Battandieb, dans son Annuaire
pontifical catholique. Paris, 1899, p. 269-323.
44
ÉCHOS d'orient
chique des maisons religieuses, telle que
l'a accomplie l'Occident, surtout à partir
du xiue siècle (i).
II. Etapes de l'initiation monasticlue
DU RELIGIEUX ORIENTAL.
Selon la législation du droit ecclésias-
tique oriental fixée dans ses grandes
lignes depuis Justinien ou, en tout cas,
depuis le Concile in Trullo et le synode
tenu à Constantinople en 86i, l'initiation
monastique comporte quatre étapes : le
postulat plus ou moins long (2), la pre-
mière prise d'habit et première tonsure
ou noviciat (3), la deuxième prise d'habit
et seconde tonsure ou profession du petit
habit, enfin, la troisième vêture (4) et
troisième tonsure ou prise du grand
habit, de l'habit angélique. Le nom tradi-
tionnel des novices est celui de rasophores
ou d'àpyàpiot.. Les premiers profès sont
appelés sfavrophores (5), microschèmes ,
avancés ou parfaits, xsÀsioi, et les seconds,
mégaloschèmes ou profès de l'habit angé-
lique (6).
(i) Et dont la forme la moins idiorythmique
est celle de la Société de Jésus.
(2) A une époque dont il n'est guère possible
d'assigner la date initiale, le postulat durait à
peine quelques jours. De nos jours, la durée en
est plus longue, mais ii ne dépasse pas deux à
trois mois. Dom Placide de Meester, Voyage de
deux Bénédictins aux monastères du Mont Athos.
Paris, 1908, p. i63-i65.
(3) La Novelle 5, c. 11, de Justinien (535) fixe à
trois ans la durée de la 8oy.t^.aata. La loi établie
par cette novelle nous explique pourquoi la pro-
fession religieuse des Grecs a reçu et a gardé le
nom de vêture et de tonsure. La raison en est que
l'aspirant, pendant le noviciat, devait conserver
la chevelure et l'habit laïque.
(4) La distinction de petit et grand habit est
signalée par le patriarche Jean le Jeûneur (582-595)
dans sa S -.8 «a-/. a). c'a [xova^o'jdcôv. Pitra, Juris eccle-
siastici Grœcoriim historia et monumenta. Rome,
1864-1869, t. II, p. 234, n° XXXI. Selon M. Evetts,
la division des profès du petit et du grand habit
doit être antérieure à 451. Selon cet écrivain,
après 451, les Coptes devenus hétérodoxes n'au-
raient pas accepté ou conservé, pour le cérémonial
de la profession monacale, un texte semblable à
celui des Grecs. Or, cette similitude est presque
absolue, op. cit., p. 65.
(5) A cause de la croix qu'ils reçoivent à la pro-
fession.
(6) GoAR, Rituale Grœcorum. Paris, 1740, p. 468,
Aujourd'hui, la dénomination de raso-
phore a un peu varié. Selon les lieux et
les monastères, les rasophores font ou ne
font pas les vœux monastiques, sont ou
ne sont pas libres de quitter la vie reli-
gieuse. D'après Vering, la division an-
cienne serait encore générale aujour-
d'hui (i). Le P. Dom de Meester l'affirme
aussi pour les monastères idiorythmes du
mont Athos (2). En Grèce, les rasophores
sont considérés comme de vrais religieux
et forment la première catégorie de profès
dont la profession implicite est, au dire
de M. Sakellaropoulos, essentiellement la
même que celle des microschèmes et des
mégaloschèmes (3). Si l'on en croit Dom
Placide de Meester, les rasophores du
monastère athonite de Rossihon ne sont
ni novices ni profès et sont libres de se
retirer. Mg»' Milasch leur refuse ce droit,
bien qu'il ne les range pas parmi les
profès (4).
Antérieurement à la législation actuelle,
c'est-à-dire pendant le premier âge du
monachisme, la vie religieuse ne connais-
sait que deux étapes, celle des postulants
et celle des profès. Encore ces deux
étapes ne consistaient-elles guère que
dans la demande et l'acceptation du can-
didat (5). Ces deux étapes de l'initiation
monastique sont décrites d'une manière
sobre, mais intéressante, par M. Ladeuze :
Quelqu'un se présentait-il à la porte du
monastère pour se faire religieux, on por-
tait la nouvelle au supérieur du monas-
tère. Le postulant devait rester quelques
488; Vering, Kirchenrecht. Fribourg-en-Brisgau,
1893, p. 975-976; de Meester, op. cit., p. 163-167.
La dénomination de profès de l'habit angélique
est due au genre de vie plus parfaite à laquelle
doivent s'astreindre les mégaloschèmes. D'après
une légende, le nom d'habit angélique aurait été
imposé par un ange durant une vision dont fut
favorisé saint Antoine ou saint Pakhôme. (Evetts,
op. cit., p. 64: GoAR, op. cit., p. 517.)
(i) Op. cit., p. 976.
(2) Op. cit., p. 166.
(3) Sakellaropoulos, 'Exy.).r,o-;a<TTt5tbv St'xasov,.
p. 325, n. 4.
(4) Das Kirchenrecht der Morgenlaendischen
Kirche. Zara, 1897, p. 657.
(5) Il en était encore ainsi à l'époque de saint
Basile, Migne, P. G., t. XXXI, col. gSS.
LE MONACHISME ORIENTAL
45
jours au dehors, près de la porte du cou-
vent (i). Là, on lui apprenait quelques
prières ; puis on le soumettait à l'examen
d'admission. Le trouvait-on bien disposé,
on lui enseignait la règle cénobitique. Les
moines de la maison des portiers étaient
chargés de ces premières instructions. Au
bout de quelques jours, le postulant quit-
tait ses habits séculiers, pour revêtir le
costume monastique, et était amené par
le portier au milieu des Frères réunis pour
la prière. On le faisait asseoir à un endroit
dont il ne s'éloignait pas avant que le
prévôt de la famille à laquelle on l'asso-
ciait ne lui eût marqué sa place définitive.
C'est ainsi que la règle de saint Jérôme
(1,139) décrit la réception des nouveaux
moines. (2)
L'absence d'un noviciat (3), regrettable
sans doute, était toutefois corrigée, dans
le cénobitisme primitif, par l'épreuve pré-
liminaire à l'admission, par le pouvoir que
gardait le supérieur de renvoyer facilement
les religieux dont la conduite n'était pas
édifiante, et surtout par la surveillance
spéciale et les exercices extraordinaires
auxquels (saint Pakhôme) soumettait ceux
de la vertu desquels il avait des raisons de
se défier. Ce dernier point pourrait être
regardé comme une tentative de noviciat,
mais le fait qu'il fallait ainsi établir une
épreuve spéciale pour des individus parti-
culiers montre que le noviciat n'exis-
tait pas parmi les cénobites pakhômiens
à l'état d'institution régulière et géné-
rale (4).
La vie de sainte Eupraxie, dit à son tour
Dom Villecourt, nous offre un exemple de
véture (5) des anciens temps Le
voici dans sa charmante simplicité : Eu-
praxie n'est encore qu'un enfant, bien au-
in Cassien tlnst., iv, 3) dit que, durant les dix
jours que le postulant demeurait en dehors du
couvent, il devait se jeter aux pieds de tous les
Frères qui passaient, et que ceux-ci le rebutaient
avec beaucoup de rudesse, pour éprouver la sin-
cérité de son désir et sa patience. (Note de
M. Ladeuze.»
(2) Ladeuze, op. cit., p. 280.
(3) Et de profession explicite. On allègue parfois
la formule des vœux des moines d'Atripé, mais
cette formule ne nous semble pas une formule
proprement dite de vœu religieux.
(4) Op. cit., p. 282.
(5i Ou profession religieuse.
dessous de l'âge requis par saint Basile (i),
quand elle demande son admission au
monastère, car elle n'a pas sept ans. L'en-
fant est résolue à tout, et sa mère ne peut
l'arracher du monastère. Dès le lendemain,
l'abbesse l'introduit au secretarium, et,
après avoir prié sur elle, lui donne l'habit
monastique, puis, étendant les mains sur
elle, fait cette prière : « Roi des siècles,
achève dans la paix la bonne œuvre que
tu as commencée en elle; accorde à cette
petite enfant de marcher selon ton nom et
de pouvoir toujours se reposer dans une
parfaite confiance en toi. » Alors sa mère :
« Ma fille, es-tu contente d'être revêtue de
cet habit? » Eupraxie de répondre : « Oui,
ma mère, parce que, comme je l'ai appris
de l'abbesse et que les Sœurs l'ont dit, il est
le gage que Notre-Seigneur Jésus-Christ
donne à ceux qui l'aiment. » La mère:
« Que ton fiancé te rende digne de son lit
nuptial. » Et, tout en priant pour sa fille,
elle dit adieu à l'abbesse et aux Sœurs; elle
embrasse sa fille et s'en va (2).
L'épreuve dont parle M. Ladeuze « n'était
pas toujours nécessaire, ou du moins
pouvait, quand on était renseigné d'ail-
leurs, se faire très rapidement » (3).
Comme nous l'avons dit plus haut, saint
Basile ne connaît, lui aussi, que deux
étapes dans l'initiation monastique. Saint
Jérôme lui-même, comme sa règle (4) en
fait foi, n'en connut pas d'autres.
Cependant, vers le même temps, c'est-
à-dire l'époque de Sozomène, presque
contemporain du solitaire de Bethléem,
et un peu plus tard, à l'époque de Denys
le Petit, on pouvait lire dans un texte
interpolé de la règle de saint Pakhôme
l'obligation d'un noviciat de trois ans.
C'est donc que déjà les étapes canoniques
de cette initiation étaient, en partie du
moins, celles que connut Jean le Jeûneur,
à. la fm du vi« siècle.
(i) Seize ou dix-sept ans. Can. 18, Migne, P. G.,
t. XXXII, col. 718-719.
(2) Op. cit., p. 47.
(3) Ladeuze, op. cit., p. 280-281, n. 4.
(4) Textes épars réunis en un double corps de
règles, au xv* siècle, par l'Espagnol Lupus de
Olmedo, sous le titre de Régula monachorum^
dans Migne, P. L., t. XXX, col. 329-398 et 407-438.
46
ÉCHOS d'orient
III. Nature du vœu MONASTiauE
CHEZ LE MICROSCHÈME ET LE MÉGALOSCHÈME,
La profession religieuse de ces deux
catégories de moines est parfois comparée
à celle du vœu simple et du vœu solennel
des religieux latins. Cette comparaison
est vraie au point de vue du rituel, qui
est généralement plus simple dans la
première profession et revêt plus de solen-
nité dans l'émission des seconds vœux
de pauvreté, chasteté et obéissance (i).
Mais la similitude s'arrête là et n'atteint
pas le fond même du vœu simple ou
solennel qu'émettent les religieux occiden-
taux. Le vœu simple de ces derniers leur
interdit de sortir de leur communauté
sans l'autorisation du Saint-Siège, mais
ils ne sont pas encore agrégés définitive-
ment à leur Société, si on y émet des
vœux solennels (2). Cette agrégation dé-
finitive n'a lieu que par le vœu solennel,
dont la stabilité est telle (et c'est la raison
même de sa dénomination) que l'Eglise
n'en dispense presque jamais (3).
(i) On pourrait être tenté d'assimiler les micro-
schèmes aux réguliers latins ordinaires et les tnégo-
loschèmes aux pères jubilés de l'Occident. Cette
assimilation est impossible, puisque le titre de
pères jubilés équivaut à celui de pères maîtres ou
docteurs de l'Ordre.
(2) Dans lequel cas, laSociété religieuse est appelée
Ordre tout court ou Congrégation d'un Ordre
^groupement de provinces}, et ses membres
reçoivent le ti're canonique de réguliers. Les So-
ciétés à vœux simples ne portent que le nom de
Congrégations ou Instituts ecclésiastiques et leurs
membres n'ont canoniquement droit qu'au nom
de religieux.
(3) Le religieux latin à vœux solennels (moine,
chanoine régulier, mendiant, clerc régulier) peut
être sécularisé, autrement dit être admis à vivre
dans le siècle et en dehors de sa communauté,
mais il demeure religieux à vœux solennels et n'a
pas de noviciat à refaire s'il reprend la vie com-
mune. Telle n'est pas la situation du religieux des
Congrégations et Instituts ecclésiastiques à qui le
Saint-Siège accorde assez souvent la dispense des
trois vœux, s'il est convers ou laïque, et s'il est
prêtre, celle des vœux de pauvreté et d'obéissance.
Il va sans dire, toutefois, que la sécularisation simple
peut lui être accordée comme aux réguliers. En cer-
tains cas spéciaux, très rares, Rome accorde au
régulier convers la dispense de ses trois vœux, sous
certaines conditions visant surtout le vœu de chas-
teté, conditions imposées aussiau religieux laïque à
vœux simples. D'aucuns disent même qu'à l'époque
Or, à ce point de vue, le vœu de sia-
vrophore ou microschème est identique à
celui du mégaloschème ou profès de l'habit
angélique (i). Le texte même des prières
de la deuxième profession nous avertit
que le religieux qui en est l'objet est ou
est censé (2) parvenu à un degré de
perfection assez élevé, pour s'obliger
à une plus grande austérité (3), mais on
ne voit nulle part qu'il s'attache par un
nouveau lien au monastère dont il fait
partie (4). Somme toute, la profession par
laquelle le mégaloschème s'oblige à une
perfection religieuse pour ainsi dire
angélique est analogue à la cérémonie
par laquelle certains religieux occiden-
taux (^) célèbrent le jubilé de leur vie
religieuse et promettent à Dieu de consa-
crer leurs derniers jours à une vie plus
sainte et plus détachée des choses de la
terre.
IV. La DISPENSE DU VŒU MONASTIQUE
EN Orient.
Nous venons de voir qu'au sujet de la
dispense des vœux religieux l'Eglise ro- gi
maine fait une grande différence entre ^
le vœu simple des Congrégations et 1ns-
de la Révolution française et en d'autres circon-
stances la dispense du vœu de chasteté aurait été
octrovée aux réguliers prêtres. La chose n'est pas •
plus impossible en principe pour eux que pour les
prêtres séculiers ou les prêtres religieux à vœux
simples. Notre avis, cependant, est que le cas
récemment éclairci de Talleyrand, à qui la dispense
du célibatn'anullementété accordée, contrairement
au dire de certains historiens mal informés, doit
nous rendre défiants même au sujet de la dis-
pense du célibat des simples prêtres.
(i) Sakellaropoulos, op. cit., p. 325.
(2) De nos jours, le grand habit a beaucoup
perdu de son importance, puisqu'il s'est souvent
conféré à des microschèmes dont la perfection
monastique est encore ordinaire.
(3) GoAR, op. cit., p. 5o6; Evetts, op. cit.,
p. 147-148.
(4) Notre manière de voir était celle de saint
ThédoreStudite, qui, ne voyant pas de différence
entre les profès du petit et du grand habit, s'est
efforcé de supprimer la profession du grand habit
dans les monastères qui suivaient le typikon du
Stoudion. (Goar, op. cit., p. 517; Pargoi^e, l'Eglise
by^^antine, p. 3 12).
(5) Tels les Capucins.
LE MONACHISME ORIENTAL
47
tituts ecclésiastiques et le vœu solennel
des grands Ordres ou Ordres proprement
dits. A. Ballerini (i) et d'autres affirment
même que le régulier dispensé du vœu
de chasteté ne l'est que provisoirement et
demeure toujours religieux.
Jusqu'au xix^ siècle, aucune Eglise
orientale n'avait songé à discuter la ques-
tion de la dispense du vœu monastique.
C'est l'Eglise russe qui l'agita la première
fois en 1823, à propos du cas de l'archi-
mandrite Joasaph Lebedinski. Après une
assez longue hésitation, elle lui accorda la
dispense. D'autres cas analogues s'étant
présentés dans la suite, le statut consis-
torial des évêchés fut définitivement ré-
formé, et la faculté de dispenser du vœu
monastique fut accordée aux évêques
diocésains.
La procédure à suivre est celle-ci (2):
L'higoumène s'efforce de détourner le
moine de son idée de quitter le monas-
tère. S'il n'y réussit pas, un ecclésiastique
nommé par l'évêque s'y emploie à son
tour, et si la démarche de ce dernier reste
sans résultat, le Consistoire épiscopal s'y
emploie également pendant six mois,
après lesquels il accorde la dispense des
vœux et même de l'état ecclésiastique,
d'où il suit que l'ancien moine peut
contracter mariage (3). M?' Milasch
raconte qu'il a consulté sur ce point les
plus compétents parmi les canonistes
russes, et que de son enquête il résulte
qu'aucune raison solide ne milite en fa-
1 1 1 Opus theologicum morale. Prati, 1893,
p. 20-21.
(21 Art. 36 du statut consistorial (i883), art. 349
du tome IX du Code civil (éd. 1886).
(3) Milasch, op. cit., p. 668. Le saint synode se
réserve d'user envers l'ancien moine des sanctions
dont il dispose, en le privant, par exemple, de son
titre académique de docteur et en lui faisant interdire
tout enseignement; punition qui peut le réduire
à la misère, comme cela est arrivé à l'ancien ar-
chimandrite Bucharev if 1871); voir Palmieri,
dans le Bessarione, 1907, p. 119, n. 4.
veur de la coutume de leur Eglise (i).
Jusqu'ici, ni l'autorité ni les canonistes
des autres Eglises orientales ndnt ap-
prouvé la législation de l'Eglise russe
concernant la dispense du vœu monas-
tique. Quelle Eglise a tort? Tout bien
pesé, le tort parait être du côté des
Eglises réfractaires au droit ecclésiastique
russe. Et de fait, au point de vue ortho-
doxe et même catholique, à moins de
dire, comme certains scolastiques, que
l'Eglise ne peut pas plus dispenser du vœu
solennel qu'elle ne peut enlever à un
prêtre son caractère sacerdotal, rien ne
prouve que la faculté de dispenser du
vœu monastique ne fasse pas partie des
attributions du pouvoir épiscopal, tant
que l'autorité centrale, le concile œcumé-
nique selon les uns, le pontife suprême
selon les autres, ne s'est pas réservé cette
faculté. Or, aucun concile œcuménique
ne s'étant réservé ce droit et ne s'étant
prononcé sur cette grave question, il
semble logique, au point de vue ortho-
doxe, de conclure que l'Eglise russe n'a
pas tort de croire qu'elle peut octroyer à
ses évêques le pouvoir d'accorder aux
moines la dispense de leurs vœux de
religion (2).
A. Catoire.
Constantinople.
(i) Op. cit., p. 668, n. 3. En tout cas, une consta-
tation s'impose, c'est qu'en accordant aux évêques
la faculté de dispenser les moines de leurs vœux
et de l'état ecclésiastique pour des motifs ordi-
naires, l'Eglise russe se montre moins sévère que
l'Eglise catholique romaine, qui pour les mêmes
motifs n'accorde la dispense des vœux de religion
qu'aux religieux à vœux simples et ne concède en
certains cas très rares la dispense de l'état ecclé-
siastique qu'aux sous-diacres et aux diacres.
(2) On peut se demander pourquoi les théolo-
giens grecs (Christodoulou, Eutaxias et d'autres»
qui rejettent la doctrine de l'indélébilité du carac-
tère sacerdotal n'admettraient pas que l'Eglise
peut dénouer le lien qui unit le moine à Dieu par
la profession religieuse.
POUR L'UNION DES ÉGLISES
A l'occasion de l'article du prince Max
de Saxe, paru dans Roma e l'Oriente et
dont on trouvera, en tête de ce fascicule,
la condamnation par S. S. le pape Pie X,
M&r Gérasime , métropolite gréco-arabe
orthodoxe de Beyrouth, a adressé, avec
le consentement de son chef hiérarchique,
S. B. Mgr Grégoire, patriarche d'Antioche,
une lettre pastorale à tous les chrétiens
orthodoxes. Nous sommes heureux de
publier la traduction française de ce docu-
ment, faite sur l'arabe, examinée et auto-
risée par l'auteur, en adressant à Sa
Grandeur nos plus sincères remercie-
ments pour le ton vraiment digne avec
lequel il a parlé d'une aussi grave ques-
tion, ton qui contraste si heureusement
avec celui qu'employèrent, en octobre
1895, le patriarche Anthime Vil et le saint
synode grec de Constantinople dans leur
réponse à l'Encyclique si paternelle de
Léon XIll. Est-ce pour ce motif que les
feuilles grecques de Constantinople, tout
en annonçant la lettre, se sont bien
gardées de la publier et même de la ré-
sumer?
Nous constatons, de plus, avec plaisir
que Sa Grandeur établit dès le principe la
distinction qui s'impose entre les diver-
gences d'ordre dogmatique et celles
d'ordre disciplinaire, et que même, pour
les premières, elle parle de divergences
substantielles et de malentendus. C'est
ainsi que nous ne voyons pas figurer dans
sa lettre les reproches si vifs que l'on peut
lire dans la réponse d'Anthime VII et qui
sont adressés aux Latins pour se servir
de pain azyme au lieu de pain levé, du
taptême par infusion au lieu du baptême
par immersion, pour ne donner aux laïques
îa communion que sous une seule espèce.
Nous sommes indemnes aussi du reproche
de nouveauté en croyant à l'immaculée
conception de la Sainte Vierge, en attri-
buant aux paroles de l'institution et non
à l'épiclèse la transformation du pain et
du vin au corps et au sang deJésus-Christ.
Si l'addition du Filioque au symbole latin
est rappelée, ce n'est que pour introduire
la divergence doctrinale des deux Eglises
au sujet de la procession du Saint-Esprit.
Restent donc, avec cette difficulté sur
laquelle il serait aisé de s'entendre, la
question de la primauté et de l'infaillibilité
du Pape, celle du purgatoire, enfin celle
du bonheur ou du malheur éternel des
justes et des réprouvés que Sa Grandeur
renvoie après le jugement dernier, tandis
que l'Eglise catholique les fait suivre
immédiatement le jugement particulier.
Sauf les deux derniers points sur les-
quels Mgr le métropolite de Beyrouth
s'arrête avec quelque insistance, nous
avons moins un exposé doctrinal que la
fixation d'un terrain de discussion. Ter-
rain fort circonscrit, du reste, puisqu'il ne
comporte guère que quatre difficultés, et
dont les deux dernières peuvent se ramener
aisément à une seule. Nous n'avons
aujourd'hui ni le temps ni la place néces-
saires pour résumer sur ces quatre points
la doctrine, bien connue du reste, de
l'Eglise catholique. Qu'il nous suffise
d'avoir attiré l'attention de nos lecteurs
sur ce grave document. Si les difficultés
touchant à une question aussi importante
et aussi complexe que celle de l'union des
Eglises étaient toujours examinées avec le
sérieux, la dignité, la charité vraiment
chrétienne qui animent la lettre de
Mëi" Gérasime, nous aurions bientôt le
rapprochement des cœurs qui amènerait
à bref délai celui des esprits, en attendant
l'union de tous les disciples du Christ
sous le Chef visible qu'il a daigné, en
remontant vers son Père, léguer à la sainte
Eglise.
Voici le document :
Les Eglises de Dieu doivent être unies
dans la même foi et la même charité,
selon le vœu suprême de Notre-Seigneur
Jésus-Christ qui, la veille de sa Passion et
POUR L UNION DES ÉGLISES
49
immédialement après l'institution du
grand sacrement de son amour et de
l'unité, a prié son Père de faire que tous
ceux qui croient en son Nom soient un
comme Lui et son Père sont un, et qui est
mort, dit Tévangéliste saint Jean, afin de
faire l'unité des enfants de Dieu.
Les Eglises de Dieu en Orient et en Occi-
dent ont vécu dans cette divine unité
durant plusieurs siècles. Les monuments
les plus authentiques et les plus augustes
de l'unité de toutes les Eglises de Dieu
sont ces vénérables conciles œcuméniques
où tous les évêques, successeurs des apôtres,
siégeaient autour des patriarches des
quatre sièges apostoliques d'Orient, sous la
présidence du Pape de Rome, qui est le
premier des patriarches.
Nous proclamons devant le monde
chrétien que notre vœu le plus ardent est
le rétablissement de cette antique unité
sur les bases solides et durables de l'ensei-
gnement et des traditions apostoliques,
tels qu'ils sont consignés dans les écrits
des Pères et dans les actes authentiques
des conciles œcuméniques.
Quant aux points qui constituent une
différence dogmatique entre les Eglises
apostoliques d'Orient et l'Eglise apostolique
de Rome, nous déclarons formellement
que, quoique quelques-uns de ces points
constituent une divergence substantielle
entre ces Eglises , cependant plusieurs
points reposent indubitablement sur un
simple malentendu entre les deux parties,
et personne ne nie la possibilité de lever
ce malentendu sur les uns et de rétablir la
concorde sur les autres en se basant sur
l'Ecriture Sainte et les saintes doctrines :
il est incontestable que sur une telle base
l'union désirée des Eglises s'opérera infail-
liblement.
Nous croyons et confessons que Jésus-
Christ, lui-même, a constitué dans son
Eglise un Collège apostolique pour le
gouvernement du peuple chrétien et que
saint Pierre était l'un des « Notables» dans
ce Collège.
Nous reconnaissons avec saint Grégoire
le Grand, pape de Rome, que saint Pierre
a fondé dans l'Eglise trois sièges principaux
appelés pour cela sièges apostoliques,
c'est-à-dire le siège d'Antioche. le siège
d'Alexandrie et le siège de Rome, et que
ces trois sièges sont une seule et même
chose (i). Quant à l'Eglise de Jérusalem,
elle doit son rang et son honneur à ce
que c'est dans la Ville Sainte que le Sei-
gneur a vécu et qu'il est mort; que le
Saint-Esprit y est descendu sur les apôtres ;
(i) Nous ne nous permettrons que d'ajouter cette
note au texte de M^' Gérasime, parce que le résumé
qu'il donne d'une lettre de saint Grégoire risque
d'induire les lecteurs en erreur. Bien que Sa Gran-
deur se soit abstenue de toute référence, elle a eu
certainement en vue la lettre XL du livre VII,
adressée à Euloge, patriarche d'.\lexandrie, Migne,
P. L., t. LXXVII, col. 899. Voici le passage en
question : « Itaque cum multi sint apostoli, pro
ipso tamen principatu sola apostolorum principis
sedes in auctoritate convaluit, quae in tribus locis
unius est. Ipse enim sublimavit sedem, in qua
etiam quiescere et praesentem vitam finire digna-
tus est. Ipse decoravit sedem, in qua evangelistam
discipulum misit. Ipse firmavit sedem, in qua
septem annis, quamvis discessurus, sedit. Cum
ergo unius atque una sit sedes, cui ex auctoritate
divina très nunc episcopi praesident, quidquid ego
de vobis boni audio, hoc mihi imputo; si quid de
me boni creditis, hoc vestris meritis imputate. »
En faisant dire à saint Grégoire que les trois sièges
de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche — pour
observer l'ordre même reconnu par le Pape à la
suite de la tradition chrétienne — sont une seule
et même chose, on pourrait conclure que le siège
de Rome n'a pas la primauté, puisque les deux
autres sont égaux. Tout autre est la pensée du
Pape. Saint Grégoire dit ici, ce qu'il ne cesse de
répéter ailleurs, qu'un seul apôtre, saint Pierre, a
fondé les trois sièges de Rome, d'Antioche et
d'Alexandrie: deux directement par lui-même, le troi-
sième par son disciple saint Marc; par conséquent,
ajoute-t-il, ces trois sièges n'en font (pour ainsi
dire) qu'un, parce qu'ils sont d'un seul, c'est-à-dire
parce qu'ils ont été fondés par un seul, cum ergo
unius atque una sit sedes. Et poursuivant sa
pensée, amenée là surtout pour un échange de
compliments et de politesses, le Pape ajoute :
Quidquid ego de vobis boni audio, hoc mihi
imputo: si quid de me boni creditis, hoc vestris
meritis imputate.
Ce témoignage n'est pas isolé. Dans la lettre LX
du livre VI, adressée au même patriarche Euloge,
Migne, P. L., t. LXXVII, col. i<^, saint Grégoire
dit. encore : « Sicut omnibus liquet quod beatus
evangelista Marcus a sancto Petro apostolo magis-
tro suo Alexandriam sit transmissus, sic hujus
nos magistri et discipuli unitate constringimur,
ut et ego sedi discipuli praesidere videar propter
magistrum, et vos sedi magistri propter disci-
pulum. » Va-t-on en conclure que saint Euloge
était pape de Rome et saint Grégoire patriarche
d'Alexandrie? Ailleurs encore au même Euloge:
« Sit ergo illi laus, sit in excelsis gloria, cujus
dono adhuc in sede Pétri clamât vox Marci. »
(Migne, t. cit., col. i 092}. Ailleurs encore au même
Euloge : * Nam veritatis minister. Pétri sequax et
sanctae Ecclesiae praedicator, scio quia illa loqui
potuisti, quae de sede Pétri apostoli. per os doc-
toris sonare debuerunt. » (Migse, t. cit., co\. i 096.)
La même pensée se retrouve dans la correspon-
so
ECHOS DORIENT
et que d'elle est née 1' « Eglise chrétienne.
Nous croyons et confessons également
que le Seigneur, parlant de l'autorité su-
prême dans son Eglise, a dit : « Les rois
des nations aiment à dominer sur elles et
à les traiter avec empire : mais parmi vous,
il n'en est pas ainsi ; vous êtes des frères, et
le premier d'entre vous est le serviteur de
tous. » Par ces paroles, le Seigneur a tracé
aux chefs de l'Eglise la règle essentielle
dan s l'exercice de leur autorité et l'exécution
de leurs ordres.
Pour ce qui est de l'addition du Filioque
au symbole de la foi, il eût été préférable
que les Occidentaux n'aient pas fait cette
insertion au symbole de la foi qui est
commune aux deux Eglises d'Orient et
d'Occident sans consulter l'Eglise d'Orient
et sans l'autorité d'un concile œcuménique
représentant les deux Eglises. Aussi plu-
sieurs Papes eux-mêmes, parmi lesquels
Jean VIII et Léon III, se sont élevés autant
que les Orientaux contre cette addition faite
sans l'autorité d'un concile œcuménique.
Cette addition a été occasion d'un schisme
dans le corps de l'Eglise et a provoqué une
querelle dogmatique sur la procession
du Saint-Esprit, querelle dont l'Eglise
n'avait pas besoin.
Pour ce qui est du purgatoire, l'Eglise
occidentale l'admet, mais l'Eglise orientale
le nie. Cette divergence provient de la
diversité de comprendre les pénitences
canoniques qui sont imposées aux fidèles
dance de ce Pape avec Anastasc, patriarche d'An-
tioche : « De sancto Ignatio vestra béatitude
cognoscat, quia non solum vester est, sed etiam
noster. Sicut enim magistrum ejus apostolorum
principem habemus communem, ita quoque ejus-
dem principis discipulum nullus nostrum habeat
privatum. * (Migne, t. cit., col. 765.) Ailleurs
encore : « Perpendat cujus sedem teneat. Numquid
non illius cui voce Veritatis dictum est : Cum
senueris, aliiis te cingeî et ducet quo tu non vis. *
(MiGSE, t. cit., col. 9o5.) Nous arrêtons là ces cita-
tions, qui sont du reste suffisantes. Toute une étude
serait à faire sur les rapports étroits des trois
sièges de Rome, d'Alexandrie et d'Antioche, au
temps du pape saint Grégoire, sans que l'on pût
découvrir quoi que ce soit qtii portât atteinte à la
primauté du siège de Rome, primauté qui est du
reste affirmée à plusieurs reprises dans les lettres
de ce même Pape. Comme conclusion, ne déta-
chons jamais une phrase, à plus forte raison un
membre de phrase de son contexte, pas plus dans
les ouvrages des Pères grecs que dans ceux des
Pères latins; sinon, nous nous exposerions presque
toujours, et malgré nous, bien entendu, à trahir
leur pensée.
se confessant de leurs péchés ; les Occi-
dentaux considèrent ces pénitences cano-
niques comme des satisfactions expia-
toires, qui doivent être intégralement
remplies même après la mort; les Orien-
taux les considèrent comme des pénitences
ayant pour but de détourner les pécheurs
du retour au péché. Si les deux Eglises se
rapprochent avec un esprit de conciliation
et examinent ce point par une discussion
impartiale, basée sur- la crainte de Dieu et
l'amour sincère de l'union, il est hors de
doute qu'elles parviendront à se com-
prendre et à trancher ce point à la satisfac-
tion des deux parties en éclaircissant la
vérité qui est enseignée par la parole de
Dieu et par la doctrine des anciens Pères.
Nous disons la même chose de la ques-
tion du bonheur des justes et des peines
des damnés. La divergence de croyance en
ce point ne sera pas difficile à dissiper.
Il est notoire que notre sainte Eglise croit
ce qu'ont dit les anciens Pères, à savoir
que les âmes des justes jouissent de la
félicité dont les âmes sont capables. Ce
qui veut dire que l'état des âmes dans l'es-
pace de temps qui va de la mort au juge-
ment (c/ern/er) est l'état d'individus réserv'és
au jugement d'un juge juste; l'innocent
d'entre eux est bienheureux par la con-
science de son innocence, et le coupable
est malheureux par la conscience de sa
culpabilité. L'Eglise a un vaste champ
d'intercession tant 'que la sentence défini-
tive du Juge n'a pas été rendue, ce qui ne
peut avoir lieu dans la croyance qui admet
la sentence du souverain Juge condamnant
l'âme après la mort à tel nombre d'années
dans le purgatoire. Notre Eglise, on le
sait, n'admet pas que l'Eglise puisse aucu-
nement faire révoquer à Dieu une sentence
rendue ou lui faire diminuer une peine
établie par l'arrêt de sa justice.
Après cet exposé, nous reconnaissons
que la foi de l'Eglise occidentale et de
l'Eglise orientale a été anciennement la
même et qu'elle a varié dans la suite.
Mais nous désirons vivement que toutes
les divergences, tant substantielles qu'ap-
parentes, soient supprimées, et que l'Orient \
et l'Occident reviennent à l'ancienne unité '
dans la même foi et la même charité, se
pardonnant mutuellement ce qui a pu
blesser les uns et les autres dans les temps
passés et se, souvenant du précepte du
LA CRISE RELIGfEUSB EN ROUMANIE
5»
Maitre commun : « Cest à ce signe que
l'on reconnaîtra que vous êtes mes disciples
si vous vous aimez les uns les autres. »
Il va sans dire que la reconstitution de
l'unité desdites Eglises de Dieu aura pour
base le maintien intact de tous les pri-
vilèges et de tous les droits des Eglises.
Chaque Eglise gardera ses droits et son
autonomie comme dans Tantiquité. c'est-à-
dire ainsi qu'il a été arrêté dans les con-
ciles œcuméniques, et notamment dans le
concile de Xicée.
Nous faisons cette déclaration solennelle
à la face du monde chrétien, espérant
trouver dans le cœur de tous un écho de
nos sincères dispositions, et si, ce qu'à
Dieu ne plaise, notre attente était illusoire
et l'union tant désirée ne se réalisait point,
nous aurons du moins accompli un devoir
fraternel et rejeté de nos épaules la respon-
sabilité de la division et du schisme aux
yeux de notre Dieu qui est te Dieu de paix.
S. Vailhé.
LA CRISE RELIGIEUSE EN ROUMANIE
(«)
Au mois de juillet dernier, nous avons
montré dans quelle situation fâcheuse
s'étaient mis le saint synode et surtout le
primat de Roumanie.
11 fallait à tout prix essayer d'en sortir.
Le ministre des Cultes, par amour-propre
de politicien sectaire, le saint synode et le
primat, par crainte, n'ont pas voulu avoir
recours au remède honnête et sûr que les
canons et le bon sens indiquaient.
Que restait-il à faire, puisque enfin il
fallait faire quelque chose? Essayer encore
et sans cesse de dénaturer les faits : farder
outrageusement la vérité, a!ors même
que tout le monde la connaît ; commettre
des dénis de justice avec une audace stu-
péfiante.
On fit tout cela.
Mais suivons le cours des événements.
Au mois de mai, le saint synode a donc
lancé une Encyclique au peuple roumain.
Le Moniteur officiel et les journaux l'ont
publiée, et nous n'hésiterions pas à la
mettre sous les yeux de nos lecteurs si
ce document présentait le moindre intérêt.
Le but de l'Encyclique est évidemment
de défendre le primat contre les accusa-
tions très nettes et très précises — plagiat,
immoralité et hérésie — de l'évêque de
Roman et des trois prêtres.
i) Voir Échos d'Orient, igio, p. 48-50, i83 sq-,
Dans tout procès canonique — est-il dit
dans l'Encyclique, — le premier chef d'ac-
cusation se trouvant être non fondé, l'ac-
cusé estacquitté sans que l'accusateur puisse
prouver les autres chefs d'accusation. Le
saint synode ayant jugé l'accusation d'hé-
résie et l'ayant trouvée non fondée, les deux
autres chefs d'accusation tombent d'eux-
mêmes, et le primat est déclaré innocent.
Il y a, dans ces quelques lignes, autant
d'erreurs voulues que de mots. Voici
pourquoi :
Le saint synode ne pouvait en aucun
cas déclarer faux le premier chef d'accu-
sation, puisqu'il n'avait fait l'objet d'aucun
débat. Mais, en admettant même qu'il y
aurait eu procès, la sentence rendue serait
parfaitement mulle.
En effet: a) on ne conçoit pas un débat
contradictoire, une seule partie étant pré-
sente, tandis que l'autre n'a même pas
été citée.
b) Les canons prévoient, en effet, l'ac-
quittement de l'accusé lorsque le premier
chef d'accusation — mais premier dans
l'ordre indiqué par l'accusateur — se
trouve être non fondé : or, 1 accusation
d'hérésie contre le primat était le troiaème
chef d'accusation.
( Le saint synode ayant commencé par
juger la troisième, il était tenu de juger les
deux autres accusations parce qu'il n'avait
S2
ÉCHOS d'orient
pas suivi l'ordre des accusations et qu'il
n'a pas le droit d'intervertir cet ordre.
La vérité est que le saint synode a évité
soigneusement tout procès, car, une fois
engagé dans cette voie, la chute du primat
eût été certaine.
L'Encyclique ajoute que les accusations
de l'évêque de Roman n'ont aucune
valeur parce que l'évêque lui-même est
coupable de manquements graves. On
ne saurait être plus imprudent! M»"" Safirin
adresse aussitôt une lettre au président
du saint synode, proteste contre cette
affirmation qu'il déclare calomnieuse et
demande à être jugé par le saint synode
convoqué d'urgence. Et l'évêque de Roman
profite de cette occasion pour accuser le
saint synode d'avoir voulu induire le
peuple en erreur, et pour.renouveler contre
le primat les accusations de plagiat, d'im-
moralité et d'hérésie.
Entre-temps, le primat avait obtenu que
les prêtres accusateurs, MM. Paunesco et
Draghici, fussent déposés par l'officialité
diocésaine pour avoir calomnié le primat.
Les prêtres déposés en ont appelé de ce
jugement au saint synode. En effet, une
accusation précise ne peut être déclarée
calomnieuse sans avoir été jugée. C'est
l'évidence même. Mais une nouvelle diffi-
culté surgissait par suite de la nouvelle
loi de réforme religieuse qui donne le
droit de juger les appels et au Consistoire
supérieur et au saint synode.
Pour tourner la difficulté, le Consistoire
supérieur décida que le saint synode fai-
sant les fonctions d'une espèce de Cour de
cassation ecclésiastique jugerait les appels
au point de vue des vices de forme seule-
ment, et, si la sentence est cassée, elle
serait envoyée au Consistoire supérieur qui
jugerait le fond.
En sorte que le Consistoire supérieur
décide ce que doit faire le saint synode —
la plus haute assemblée ecclésiastique —
et lui impose ses décisions. Cette déci-
sion prise, la session du Consistoire supé-
rieur est déclarée close.
Conformément à la nouvelle loi, la ses-
sion du saint synode est ouverte aussitôt
que celle du Consistoire supérieur a pris
fin. Le lendemain de l'ouverture, le
primat, président du saint synode, reçut
de Mgr Safirin, évêque de Roman, la lettre
suivante :
A Sa Sainteté le président
du saint synode de la sainte Eglise
autocéphale orthodoxe roujnaine.
Monseigneur,
Sans tenir compte de mon état de santé
— j'ai été et suis encore souffrant, — j'au-
rais préféré attendre à Roman, ma résidence
épiscopale, le résultat de la plainte que j'ai
déposée sur le bureau du saint synode, le
14 mai 1910, contre S. S. le métropolitain
primat, M»' Athanase Mironesco, et ne
venir à Bucarest que pour être jugé par le
saint synode — ainsi que je l'ai demandé
(acte n° 906) le 18 juin 1910 — pour les
accusations que le saint synode et l'Ency-
clique synodale du 24 mai i9ioontapportées
contre moi.
J'aurais préféré aussi attendre à Roman
les mesures qui seraient prises et leur appli-
cation pour rendre la paix nécessaire à
notre sainte Eglise et pour tranquilliser la
conscience des croyants.
Mais, tandis que j'attendais le résultat de
l'accusation adressée au saint synode contre
S. S. le primat M«' Athanase Mironesco
et mon procès — ce pourquoi j'avais
demandé la convocation urgente du saint
synode, — je suis simplement invité à
prendre part aux séances du saint synode.
Je me suis cependant rendu à Bucarest
pour être à la disposition du saint synode.
Mais ma santé ne me permettant pas de
prendre part à la séance d'aujourd'hui, je
suis obligé d'envoyer par écrit ce que je
comptais dire de vive voix, à savoir :
1° Je ne puis prendre part aux séances
du saint synode tant que cette sainte
assemblée sera présidée par S. S. le métro-
politain Athanase Mironesco, qui est accusé
de plagiat, d'immoralité et d'hérésie. Il
n'est pas tolérable que le président du
saint synode soit sous le coup d'accusations
de cette sorte; le fait étant de nature à
atteindre gravement non seulement les
intérêts de l'Eglise, mais ceux du pays. La
lumière doit donc être faite.
2" Je ne puis prendre part aux séances
LA CRISE RELIGIEUSE EN ROUMANIE
53
du saint synode parce que, dernièrement,
on a formulé des accusations contre moi.
Il est donc naturel que je ne prenne pas
part aux travaux du saint synode avant
d'avoir été jugé, car je ne saurais rester
sous le coup d'accusations non prouvées
et qui sont de nature à diminuer le prestige
d'un évêque et de notre sainte Eglise.
Je tiens encore à faire la déclaration sui-
vante. Toute décision qui sera prise par
le saint synode sous la présidence de
S. S. M?"" Athanase Mironesco, mis sous
accusations selon toutes les formes cano-
niques, sera considérée par moi comme
nulle et non avenue et comme ayant été
prise à l'encontre des prescriptions cano-
niques.
(ss) Gerasime,
évêque de Roman.
L'évêque d'Argesch demanda aussitôt
le renvoi de toute discussion jusqu'au
complet rétablissement de l'évêque de
Roman. La proposition est immédiatement
admise. On sentait le désir de tous les
membres du saint synode et surtout du
ministre des Cultes d'éviter toute discus-
sion qui pouvait devenir dangereuse et
de réduire au minimum la durée de la
session.
Personne n'avait la conscience tran-
quille. Malgré tout, le primat a présidé la
séance, où on a juge et rejeté les appels
des prêtres déposés, sans que ceux-ci aient
même été cités et entendus!!
Après cet acte de justice et de haute
charité chrétienne, le primat a demandé
au ministre des Cultes de clore le lende-
main la session ordinaire du saint synode.
Au commencement de la dernière séance,
le président du saint synode a reçu de
l'évêque de Roman la protestation sui-
vante :
A Sa Sainteté le président
du saint synode de la sainte Eglise
autocéphale orthodoxe roumaine.
Monseigneur,
A la suite de la décision que le saint
synode a prise hier sous la présidence de
S. S. le métropolitain primat, M^"" Atha-
nase Mironesco, au sujet de ma plainte
n° I 56o du 25 octobre 1910, dans laquelle
il est aussi question du procès canonique
entre Sa Sainteté et moi, je tiens à protester
contre cette décision prise sous la présidence
de l'accusé et à l'encontre des dispositions
canoniques pour les procès devant le saint
synode, et à vous communiquer que, quoique
mieux portant, je ne puis prendre part à la
séance d'aujourd'hui, parce qu'elle est pré-
sidée par celui qui est accusé de plagiat,
d'immoralité et d'hérésie.
En conséquence, je déclare nuls et non
avenus les votes d'hier, ainsi que tous ceux
auxquels on procéderait sous la présidence
de S. S. M^"" Athanase Mironesco tant que
le procès canonique n'aura pas eu lieu.
(ss) Gerasime,
évêque de Roman.
Mais cette protestation n'a même pas
été lue dans la dernière séance du saint
synode. Quelques jours après la fermeture
du saint synode, l'un des trois prêtres
déposés, M. Paunesco, a envoyé au pré-
sident du saint synode la protestation
suivante :
A Sa Sainteté le président
du saint synode de la sainte Eglise
autocéphale orthodoxe roumaine.
Monseigneur,
Le saint synode ayant repoussé mon
appel contre la sentence n» 14/ 19 10 de l'Of-
ficialité diocésaine comme ne contenant
pas de vices de forme :
1° Attendu que le saint synode est obligé
par les canons — « le prêtre condamné par
son évêque a le droit de s'adresser au saint
synode, qui, après l'avoir entendu, jugera
son cas » (xi^ canon de Carthage) — de
juger le fond et non pas seulement la
forme ;
2° Attendu que, alors même que, par une
interprétation erronée des canons, on recon-
naîtrait au saint synode le droit de 'juger
seulement la forme, encore aurait-il dû
juger le fond de mon procès, car, dans l'es-
pèce, il n'est pas question d'une déposition
que peut juger en première instance l'évêque
par l'Officialité diocésaine, mais d'un procès
entre moi et mon évêque, procès qui ne
peut être jugé dans le fond que par le saint
synode ;
54
ÉCHOS d'orient
Attendu que, alors même que la décision
de rOtficialité diocésaine n'eût contenu
aucun vice de forme — et il est facile de se
rendre compte qu'elle en contient, — elle
serait nulle, car l'évéque ne peut juger lui-
même sa propre cause;
3'^ Attendu que la décision du 29 octobre
1910 est nulle, parce qu'elle est rendue sous
la présidence de mon adversaire qui avait
intérêt à me condamner, avec l'espoir de
se sauver lui-même ; adversaire accusé
non seulement par moi, mais aussi par
S. S. l'évéque de Roman, qui a déclaré
nulles et non avenues toutes les décisions
que le saint synode rendra sous la prési-
dence de M?' Athanase Mironesco;
4° Attendu que la décision du 29 octobre
est nulle, parce que je n'ai pas été cité pour
soutenir mon appel, comme j'en ai le droit,
car on ne peut être jugé ni par le saint
synode ni par la Commission du jugement
sans avoir été cité;
5'' Attendu que la décision du 29 octobre
est nulle, parce que la majorité des membres
de la Commission était récusable;
6° Attendu que les accusations contre
M?"" Athanase Mironesco et celles de l'évéque
de Roman sont les mêmes, et que le saint
synode n'a pas osé juger la cause et punir
l'évéque de Roman comme calomniateur,'
ma déposition n'est pas une condamnation,
mais un abus de pouvoir qui ne saurait
m'atteindre, étant nul et non avenu, comme
l'a fort bien déclaré l'évéque de Roman.
Pour ces motifs, je proteste contre la déci-
sion du saint synode, je demande que le
saint synode soit convoqué d'urgence, que
l'on admette ma contestation, que l'on
revienne sur la décision du 29 octobre, que
l'on admette mon appel, que le saint synode
juge le fond de mon procès et que je sois
déposé au cas où je ne pourrais pas prouver
les accusations de plagiat, d'immoralité
et d'hérésie, que j'ai apportées contre
S. S. Ms' Athanase Mironesco.
Mais jusqu'alors je considère la décision
du saint synode du 29 octobre 1910 comme
nulle et non avenue, et je l'attaquerais
devant toutes les instances ecclésiastiques,
civiles ou militaires, où elle me serait
opposée.
Je suis de Votre Sainteté le très humble
serviteur.
(ss) St. Paunesco.
La crise reste toujours ouverte, la situa-
tion toujours mauvaise. Le gouvernement
libéral devra se retirer très prochaine-
ment. C'est une question de jours. Au
moment où cet article paraîtra, le chan-
gement de gouvernement sera un fait
accompli.
Il a semblé au gouvernement libéral,
sans doute, plus agréable de ne donner
aucune solution à la question religieuse,
et il a préféré laisser cette grave tâche au
prochain gouvernement. Or, un gouver-
nement conservateur pur (i) ne sera ni
assez fort pour tenter de redresser éner-
giquement les choses ni d'assez longue
durée pour arriver à un résultat quelconque
s'il en voulait faire la tentative.
Comme nous le disions au mois de
juillet dernier, cette crise très grave n'est
que le résultat de l'introduction de la
politique dans l'Eglise.
Bannir toute politique de l'Eglise, voilà
la grande réforme qu'un gouvernement
fort et conscient devra entreprendre si
l'on veut éviter que l'Eglise ne se trouve
prochainement dans une situation qui rap-
pellera les plus tristes époques de l'his-
toire des Eglises orthodoxes.
Jean-Marie.
P.-S. — Le patriarche grec de Constan-
tinople, Joachim III, n'a encore donné
aucune suite à l'appel très canonique que
les trois prêtres accusateurs du primat lui
ont adressé.
(i) A la suite d'une scission survenue il y a trois
ans dans le parti conservateur, la Roumanie compte
aujourd'hui deux partis conservateurs.
BIBLIOGRAPHIE
Gabriel Millet, Monuments byzantins de
Mistra. Matériaux pour l'étude de l'archi-
tecture et de la peinture en Grèce, aux
xiv« et xv« siècles. Paris, E. Leroux,
igio. Album de i52 planches, plus
36 pages de tables. iFait partie des
Monuments de l'art byzantin.) Prix:
60 francs.
M. Gabriel Millet est, à l'heure actuelle,
avec M. Diehl. l'homme de France le mieux
informé de tout ce qui a trait à l'art byzan-
tin. Son volume sur le monastère de
Daphni, le premier de la collection, l'avait
mis particulièrement en vue; ses études
subséquentes, son cours à l'Ecole des Hautes
Etudes, sa riche collection de photographies,
de plans et de dessins, n'ont fait depuis que
confirmer sa renommée naissante; enfin,
l'ouvrage capital que nous présentons
aujourd'hui, fruit de tant de labeurs, de
tant de peines morales et physiques, fait
de lui un maître incontesté, en même temps
qu'un guide à toute épreuve.
L'album est incomparable. Grâce à lui,
Mistra, ce petit coin du Péloponèse, situé
à une lieue de l'antique Sparte, remarqué
par Guillaume de Villehardouin et où
s'abrita des siècles durant la civilisation
byzantine avec tous ses raffinements,
devient un lieu unique, étudié artistique-
ment comme aucun autre lieu de l'Orient
chrétien n'a été encore étudié. Bien que le
texte qui doive accompagner et interpréter
ces planches n'ait pas été encore publié,
la table explicative qui les précède suffit
pour le moment à nous en donner un
aperçu. Trois grandes divisions dans cet
Album, consacré à l'architecture depuis la
planche i jusqu'à la planche 44, à la sculp-
ture depuis la planche 46 jusqu'à la
planche 63, aux peintures depuis la planche
64 jusqu'à la planche i52. Sous chacune de
ces rubriques générales figurent, en dehors
du plan de Mistra et de divers édifices, en
dehors des vues de Mistra, de son château
et de ses principaux monuments, la métro-
pole, l'église des Saints-Théodores, l'église
et le monastère du Brontochion, la chapelle
de Saint-Jean, l'église et le monastèr de la
Péribleptos, Sainte-Sophie, l'église de
l'EvanghHistria, enfin l'église de la Panta-
nassa.
« Les dates ne sont point indiquées, dit
M. Millet lui-même dans son avertis-
sement, parce que le plus souvent elles
offrent matière à discussion. Il est certain
que le couvent des Saints-Théodores et
celui du Brontochion furent fondés par le
protosyncelle Pachôme, l'un avant 1296.
l'autre avant i3 1 1 ; que l'église de la Métro-
pole fut édifiée par le métropolite Nicéphore
MoschopDulos en i3io; celle de Sainte-
Sophie par le despote Manuel Cantacu-
zène vers i35o; enfin, celle de la Pantanassa
par le protostrator Jean Phrangopoulos,
peut-être en 1428, en tout cas avant 1445.
Mais ces monuments mêmes ne nous sont
pas toujours parvenus sous leur aspect pri-
mitif: la Métropole, par exemple, a été
transformée par le métropolite Mathieu,
d'époque inconnue, et les autres restent
sans date. »
Le volume de texte ayant pour titre M/5-
tra. Recherches sur l'art byzantin au temps
des Paléologues nous renseignera plus com-
plètement là-dessus, en même temps qu'il
comparera ces divers monuments avec ceux
d'époques et de régions différentes, mais
appartenant tous à l'art byzantin. Dès
aujourd'hui, qu'il nous suffise d'avoir pré-
senté cet Album de i52 planches, qui fait
le plus grand honneur à son auteur et à ses
auxiliaires qu'il a voulu tous associer à son
nom, ainsi qu'à la science française. Des-
sins, plans, photographies, tables elles-
mêmes si précises et si minutieuses, tout
est irréprochable.
S. Vailhé.
R. HuBER, Empire ottoman. Carte statis-
tique des cultes chrétiens. Le Caire, Baa-
der et Gross (19 10). Prix : 10 marcs.
Le major Huber commence à publier sa
grande carte statistique des cultes chrétiens
de l'empire ottoman, dont il circulait déjà
quelques copies faites à la main par l'auteur
lui-même. Ces cartes, qui sont au nombre
de 4 pour la Turquie d'Europe — les seules
parues jusqu'à présent — sont au g^^^.
Elles donnent par vilayet, par sandjak et
56
ECHOS D ORIENT
par caza, et de plus pour les confessions
suivantes : Catholiques, Arméniens grégo-
riens. Grecs orthodoxe-;. Bulgares schisma-
tiques, Roumains et Serbes orthodoxes, Pro-
testants, divers signes spéciaux qui retracent
la vie intérieure de chacune de ces confes-
sions religieuses. Ces signes indiquent le
siège du métropolite ou de l'archevêque;
celui de l'évéque et celui de l'abbaye; la
cathédrale, l'église ou la chapelle; le cou-
vent ou le monastère; le Séminaire théolo-
gique, le gymnase ou le lycée, les écoles
secondaires pour les garçons ou pour les
filles; les écoles primaires; l'orphelinat;
l'église fréquentée par les Grecs orthodoxes
et les Bulgares patriarchistes, ou par les
Bulgares exarchistes, ou par les Serbes
patriarchistes, ou par les Roumains patriar-
chistes; enfin, les écoles normales grecques.
De plus, le bas des cartons n° i et n'^ 2 con-
tient les satistiques des écoles par vilayet
et parcaza, et aussi parconfession religieuse;
tableau des plus instructifs, bien qu'on ne
puisse évidemment prendre comme parole
d'évangile ces renseignements fournis par
les intéressés eux-mêmes et, à ce titre, légiti-
mement suspects.
Le major Huber ne nous en voudra pas
de cette réserve, en dépit de la peine et du
temps qu'il a employés à recueillir ces ren-
seignements ; il sait trop comme nous que,
dans cette Turquie d'Europe où sévit si âpre
et si cruelle la lutte des nationalités, chacun
a intérêt à exagérer sa position pour pouvoir
dans l'avenir grossir ses revendications.
Les Juifs et les musulmans ne figurent pas
dans les cartes, pour ne pas trop les empâter,
mais les musulmans seront signalés dans
les cartes qui paraîtront plus tard pour les
vilayets de l'Asie ottomane. Nous avons là
un travail de grand mérite, parce qu'il est
le fruit de beaucoup de temps et de nom-
breuses recherches, et nous lui souhaitons
de tout cœur le plus grand succès auprès
de nos lecteurs.
S. Vailhé.
Conférences de Saint-Etienne à Jérusalem
(1909-1910). Paris, J. Gabalda, 1910, in-12
de X-32I pages. Prix : 3 fr. 5o.
Voici la série des conférences qui figurent
dans ce volume de la collection Etudes
palestiniennes et orientales, sous la direc-
tion du R. P. Lagrange. Les origines baby-
loniennes, par le R. P. Dhorme, O. P.;
A travers les papyrus grecs, par le
R. P. Lagrange, O. P. ; Mesures de capacité
des Hébreux au temps de l'Evangile, par le
R. P. Germer-Durand, des Augustins de
l'Assomption ; Au bord du lac de Tibériade,
par l'abbé Biever;Mamère, parle R. P. Abel,
O. P. ; Marc diacre et sa biographie de
saint Porphyre, évêque de Ga^a, par le
R. P. Abel, O. P.; Un Arabe patriarche
de Jérusalem, saint Elie, par le R. P. Gé-
nier, O. P.
Les sujets sont aussi variésque les auteurs,
bien que ceux-ci appartiennent en grande
majorité à l'Ordre de Saint-Dominique et
à l'Ecole pratique d'études bibliques; je
me hâte de dire qu'ils sont tous instructifs
et intéressants. En donner une analyse,
même sommaire, dépasserait assurément
le peu de place dont je puis disposer; nos
lecteurs qui s'occupent plus particuliè-
rement d'études orientales ou bibliques
verront avec plaisir que toutes ces confé-
rences rentrent dans le cadre de leurs tra-
vaux ou de leurs préoccupations. Par ail-
leurs, le nom des conférenciers et l'Ecole
biblique qui les a patronnés sont le meilleur
garant de leur compétence. Dans Tavant-
propos, malicieux et délicat comme tout ce
qu'il écrit, le R. P. Lagrange s'excuse de
présenter ces conférences au public instruit,
à peu près telles qu'elles furent prononcées
devant l'auditoire de Jérusalem ; bien des
lecteurs, au nombre desquels je me range,
n'auront qu'un regret, c'est qu'on n'ait pas
commencé plus tôt et que certaines confé-
rences des années précédentes n'aient pas
été recueillies.
P. 291 : Je ne crois pas que les Spoudaei
soient des religieux au vrai sens du mot;
plusieurs étaient mariés; c'étaient des
membres laïques de pieuses confréries dans
le genre des Pénitents, P. 3o5 : Flavius pour
Elavien. Ce qui regarde le concile de Sidon
et la conduite du patriarche Elie aurait
besoin d'être modifié avec les résultats des
recherches de M. Lebon.
S. Vailhé.
C. Beccari, s. J., I. Notij(ia e Saggi di
opère e documenti inediti riguardanti la
storia di Etiopia durante i secoli xvi,
XVII e xviii. Rome, Casa Editrice Italiana,
1903, grand in-S", x-5i9 pages, avec fac-
similés et cartes.
BIBLIOGRAPHIE
57
— II. // Tigré descrittoda un missionario
gesuita del secolo xvii. Rome, Tipografia
deirUnioneeditrice,i90Q,in-8'^', i i4pages.
Postulaleur général des causes de béati-
fication pour la Compagnie de Jésus, le
R. P. Camille Beccari a été amené par ses
fonctions à étudier de très près les do-
cuments concernant huit Jésuites marty-
risés vers i63o en Ethiopie et dont la cause
se heurte à certaines difficultés suscitées
jadis par la passion ou l'ignorance. Afin
donc de rendre plus décisive la réponse
à l'avocat du diable, l'éminent religieux
a entrepris une véritable exploration des
sources se rapportant à l'histoire moderne
de l'Abyssinie: archives de la Compagnie
de Jésus et de la Propagande, manuscrits
du British Muséum, archives et biblio-
thèque nationales de Lisbonne, etc. Sans
oublier le motif spécial qui a servi d'occa-
sion à ses recherches, l'auteur n'a eu garde,
chemin faisant, de négliger l'énorme quan-
tité de pièces inédites que ses patientes in-
vestigations lui ont permis de découvrir. Il
en a dressé un inventaire méthodique,
avec résumés, notices ou extraits, et c'est
ce beau travail qu'il nous a offert sous ce
titre: Notifia e Saggi Notice et spé-
cimens d'ouvrages et de documents inédits
concernant l histoire d'Ethiopie durant
les xvi% xvii^ et xviii^ siècles. On devine
sans peine qu'un tel ouvrage dépasse de
beaucoup la portée d'un simple travail oc-
casionnel; qu'il a un intérêt général très
grand, qui en fait une œuvre de toute pre-
mière valeur et désormais indispensable
aux historiens de l'Abyssinie.
Le R. P. Beccari divise son livre en trois
parties. La première (p. 3-74) contient
i'énumération des ouvrages et écrits, inédits
pour la plupart et souvent même inconnus
des chercheurs les plus compétents, mais
que lui-même a pu découvrir et parcourir :
importants travaux {d'histoire éthiopienne
des PP. Paez, Almeida, Mendezet quelques
anonymes; 270 relations et lettres des
missionnaires Jésuites, de l'an i 56o à l'an
1713; 541 pièces des personnages les plus
divers, rois d'Ethiopie ou de Portugal, re-
présentants des cours européennes, pa-
triarches, évêques, préfets apostoliques, ex-
plorateurs, missionnaires, etc. La seconde
partie (p. 75-226» donne une brève mais très
complète analyse des principales pièces ma-
nuscrites — il y en a 68, — puis un im-
portant abrégé, fait d'une manière très
précise d'après les Actes de la Propagande,
de l'histoire des missions éthiopiennes
depuis 1634, date de l'expulsion des Jésuites,
jusqu'à l'année 1800. Enfin, la troisième
partie (p. 226-4991 est intitulée: Saggi di
documenti et nous présente, précédés de
courtes introductions, trente-deux spé-
cimens des documents signalés, choisis na-
turellement parmi les plus intéressants.
Sauf quatre lettres du roi Seltàn Sagad
V1607-1632), qui sont en éthiopien, ces
textes furent rédigés en portugais, en espa-
gnol, en italien, en latin ou en français.
Ils sont, d'ailleurs, quand celaest nécessaire,
accompagnés d'une traduction italienne.
Les quatre lettres éthiopiennes bénéficient
même d'une double traduction, une latine,
due aux missionnaires contemporains;
l'autre, italienne, faite par le savant profes-
seur qu'est Guidi. A ces précieux spécimens
et extraits, le P. Beccari a ajouté un certain
nombre de fac-similés, au sujet desquels je
lui reprocherai seulement de ne leur avoir
point consacré un index spécial permettant
de les retrouver facilement.
Nous ne pouvons entrer dans le détail de
ces documents. Il en est qui font peu d'hon-
neur à leurs auteurs, quels qu'ils soient.
Mais il faut remercier et féliciter l'érudit
Jésuite d'avoir publié tels quels ces textes.
Ses illustres confrères, les missionnaires
d'Ethiopie, ne perdent rien de leur gloire à
cette publication, qui est par ailleurs d'une
utilité capitale pour la science historique.
IL — Dans la préface du bel ouvrage dont
nous venons de donner une rapide analyse,
le R. P. Beccari appelait modestement un
« petit travail », questo piccolo lavoro. ce
respectable volume de 53o pages. C'est que
déjà il songeait à quelque chose de beaucoup
plus considérable, c'est-à-dire à éditer les
œuvres des anciens missionnaires d'Abys-
sinie, parmi lesquelles plusieurs sont assez
étendues en même temps que très impor-
tantes pour l'histoire ecclésiastique et pro-
fane de l'Ethiopie. Ce projet a été bril-
lamment mis à exécution, et l'année 1910
a vu paraître le tome X des Rerum yEthio-
picarum Scriptores occidentales inediti a
sœculo XVI ad xix i^Rome, Casa Editrice
Italiana), collection remarquable à laquelle
le volume Notifia e Saggi sert de magis-
trale introduction. Le tome IV renferme les
58
ÉCHOS d'orient
trois traités hislorico-géograpiiiques du
P. Emmanuel Barradas (1572- 1646) sur
l'Ethiopie. Ce sont les principaux chapitres
du plus important de ces traités, celui qui
concerne le royaume de Tigré, que l'infa-
tigable éditeur nous présente « in veste ita-
liana», pour employer son expression, dans
une brochure publiée sous les auspices de
l'Institut colonial italien. On ne peut qu'être
reconnaissant au R. P. Beccari d'avoir ainsi
fait connaître au grand public, par cet im-
portant extrait des œuvres du célèbre Jésuite
portugais, un intéressant spécimen des ren-
seignements de toutes sortes contenus dans
les écrits des anciens missionnaires. On sait
que le Tigré est une province de l'empire
d'Ethiopie, qui a constitué à différentes
époques un royaume distinct ayant pour
capitale Axoum, puis Adoua. Barradas
nous en donne une description fort détaillée
à tous les points de vue : géographie, flore,
faune, mœurs et coutumes, législation, reli-
gion. C'est ce dernier chapitre qui est le plus
développé (p. yS-ioS), comme il convient
de la part d'un missionnaire. On saura gré
au savant éditeur des nombreuses annota-
tions explicatives ou correctives qu'il a pris
la peine de mettre au bas des pages. On
regrettera qu'à défaut d'un index des noms
propres, il n'ait pas tout au moins inséré à
la fin de l'ouvrage une table des matières.
S. Salaville.
Mélanges de la Faculté orientale dt l'Uni-
versité Saint-Joseph, à Beyrouth (Syrie),
t. III, 1908-1909, in-4ode8i6 + 121 pages,
avec nombreuses planches photogra-
phiques hors texte. Beyrouth, impri-
merie catholique, 1908-1909.
Les Echos d Orient ont déjà salué avec
joie (t. X, p. i82-i83; t. XI, p. 126-128)
les deux premiers volumes des Mélanges
de la Faculté orientale de l'Université
Saint-Joseph. Le présent volume ne le cède
en rien aux précédents pour la variété et
l'inédit. Les Orientalistes ont certainement
su gré aux savants rédacteurs de l'avoir
divisé en deux fascicules, ce qui a permis
aux lecteurs d'attendre plus patiemment
les études non encore complètement prêtes,
et aux auteurs de « se hâter lentement »
dans leur préparation. De l'un et de l'autre
nous ne pouvons que donner un rapide
sommaire, mais on sait que la réputation
de ces travaux consciencieux est faite, et
Ion pourra toujours y recourir de confiance.
I. — Kitâb an-Na'am, texte lexico-
graphique arabe, édité et annoté par le
P. M. Bouyges.
II. — Etudes sur le règne du Calife
Omaiyade Mo'âwia I" (3« série : la jeu-
nesse du Calife Yazîd I"), par le P. H. Lam-
mens. Nous n'avons plus à faire l'éloge
ni de l'étude ni de l'auteur, qui est certai-
nement un des plus doctes islamisants
contemporains.
III. — Ailius Statut us, gouverneur de
Phénicie (vers 298-304). Le P. Jalabert a
retrouvé dans deux inscriptions grecques
de Syrie le nom de ce personnage, jusqu'ici
totalement inconnu, qui aurait été prceses
de Phénicie sous la tétrarchie.
IV. — Notes de lexicographie hébraïque,
par le P. Joûon.
V. — Kehrverspsalmen. Contrairement
à l'opinion de E. Baumann, le P. H. Wies-
mann soutient l'existence du refrain {Kehr-
vers) dans les psaumes, et il cite comme
psaumes à refrain les psaumes cvii, lxxx,
XLII, XLIII, xcix.
VI. — Ausflûge in der Arabia Petrœa.
Le D' B. Moritz, directeur de la Biblio-
thèque khédiviale du Caire, communique
d'intéressantes notes scientifiques sur les
excursions entreprises par lui dans l'Arabie
Pétrée, le long de la voie ferrée du Hedjaz,
en 1905 et 1906. Signalons spécialement la
revision soigneuse qu'il fait de la topono-
mastique de l'Arabie Pétrée et de l'Arabie
Heureuse, d'après Ptoléméeetles géographes
arabes.
VII. — Inscriptions d'Asie Mineure
(Pont, Cappadoce, Cilicie), par le P. G. de
Jerphanion et le P. Jalabert. Ces inscrip-
tions comprennent : quelques textes histo-
riques (une dédicace à Julia Domna, une
autreàCaracalla et Julia Domna); des mil-
liaires qui permettent de préciser le tracé
des voies romaines d'Amasée à Néocé-
sarée, et de Tavium à Euagina et Sebasto-
polis; une inscription en l'honneur d'un
Ménandre de province, qui brilla dans la
Comédie Nouvelle ; de nombreuses épi-
taphes, païennes et chrétiennes, renfer-
mant quelques formules intéressantes.
VIII. — Inscriptions arabes du Mont
Thabor, par le P. Lammens.
IX. — L'Epître à Constantin (= le basi-
leus Constantin VIII, 976-1025), écrit reli-
BIBLIOGRAPHIE
59
gieux druse auquel le mystère de cette race
et de cette religion donne un vif intérêt.
Cette curieuse lettre est publiée, avec tra-
duction française et annotations, par les
PP. J. Rhalil et L. Ronzevalle.
IX. — Notes épigraphiques, par le
R. P. Mouterde. Voici les sous-titres, sui-
vant lesquels se succèdent ces notes : mil-
liaires et épitaphes de Beyrouth; ex-voto de
Deir el-Qal'a; sceau de Maéès; inscription
cachée de Gebeil-Byblos; pierres gravées
de Gebeil et de Damas; nouvelles inscrip-
tions rupestres en l'honneur d'Hadrien ;
un nouveau dékaprote àGérasa ; les Hamii
de l'Antiliban.
X. — La Hatnâsa (Anthologie poétique)
de Buhturi, poète arabe (821-897), éditée
par le P. L. Cheikho.
XI. — Deux missions archéologiques
américaines en Syrie ( 1899- 1900 et 1904-
1905). Le savant épigraphiste qu'est le
P. Jalabert consacre aux résultats de ces
missions 40 pages d'utile lecture. Relevons-y
de fines notes jetées en passant au sujet du
caractère scripturaire ou liturgique d'un
bon nombre d'inscriptions.
XII. — Notes et études d'archéologie
orientale. Le P. S. Ronzevalle a réuni sous
ce titre divers articles ou fragments inédits
concernant : le « trône d'Astarté »; un
fragment de stèle funéraire araméenne à
Nîrab, des tablettes égyptiennes, la stèle
de Adloùn, une stèle hittite des environs
deRestan, les monuments hittites d'Arslân-
Tépé, les inscriptions phéniciennes de
Paphos et de Chyiroi. Le tout est illustré
de vues photographiques, qui parlent aux
yeux en même temps qu'à l'esprit.
XIII. — Saint Barlaam du MontCasius,
par le P. Paul Peeters. On lira avec plaisir,
malgré les citations arabes dont elle est çà
et là hérissée, cette fine dissertation du
distingué bollandiste sur un saint dont la
légende, à en juger par le synaxaire arabe
melkite et par une vie et un office géor-
giens, offre plus d'un point de contact avec
le roman du Barlaam hindou et avec la
passion grecque du martyr saint Barlaam
d'Antioche. A propos des phrases ou expres-
sions arabes insérées sans traduction dans
son article, le R. P. Peeters ne m'en vou-
dra pas de lui soumettre l'observation sui-
vante : c'est que les lecteurs peu ou point
arabisants lui auraient su gré de leur épar-
gner l'humiliation qu'ils éprouvent à ne
pouvoir suivre aussi complètement qu'ils
le désireraient ses intéressantes remarques
critiques.
Enfin, le volume se termine par une con-
sidérable bibliographie, qui n'embrasse pas
moins de 1 2 1 pages avec pagination spéciale.
La plupartdeces recensions, jusque parmi les
plus courtes, sont elles-mêmes de remar-
quables notes critiques qu'on aura grand
profit à consulter. Pourquoi, afin de faciliter
cette consultation, les rédacteurs n'ont-ils
pas dressé une table détaillée des ouvrages
analysés?
Il est également regrettable qu'à l'exacti-
tude presque impeccable qui a présidé à la
rédaction et à l'impression de ces précieux
travaux, exactitude dont témoignent encore
les listes d'errata et d addenda insérées aux
pages 478-479 et 8 14-8 16, on n'ait pas ajouté
le soin de dresser des indices plus com-
plets que le trop bref sommaire placé en
tête des deux fascicules. Plusieurs de ces
travaux étant des études de longue haleine,
il serait important de pouvoir s'y orienter
rapidement à l'aide de quelques points de
repère. Des titres courants au sommet des
pages seraient aussi d'un grand secours. Les
savants professeurs de l'Université Saint-
Joseph, qui, mieux que personne, savent
par expériencel'utilitépratiquedeces bonnes
recettesdu métier, voudront, nous n'en dou-
tons pas, en faire bénéficier désormais les
Mélanges de la Faculté orientale. Ceux-ci
gagneront à ces améliorations accessoires,
non pas plus de valeur scientifique — car
à cet égard leur supériorité est établie, —
mais l'appréciable avantage d'être pour les
travailleurs d'une plus grande utilité.
S. Salaville.
Mélanges de la Faculté orientale de l'Uni-
versité Saint-Joseph à Beyrouth (Syrie 1,
t. IV. in-4° de 5o8 4- lx pages. Beyrouth,
imprimerie catholique, 1910.
L'Université de Beyrouth vient de publier
le IV^ volume de ses Mélanges. C'est
un fort volume in -4' de 5o8-lx pages.
On y lit des « notes de lexicographie hé-
braïque » du P. Paul JoCion; un mémoire
du P. L. Cheikho sur quelques légendes
islamiques apocrj'phes ; des travaux du
P. H. Lammens sur l'hisiroire de l'Islam
aux premiers temps de l'hégire; des notes
d'archéologie orientale du P. S. Ronze-
^
6o
ÉCHOS d'orient
valle; des notes d'épigraphie syrienne des
PP. L. Jalabert et R. Mouterde, etc.
Ces travaux, marqués au coin de la
science vraie, sont d'ordre si divers qu'il
serait difficile de les analyser ici. Signa-
lons le vif intérêt que présente l'étude du
P. Lammens intitulée :/e Triumvirat Ahou-
Bakr, 'Omar et Abou-'Obaida. On y voit
comment ces trois personnages formèrent
autour de Mahomet une sorte de conspira-
tion pour confisquer à leur profit le mouve-
ment de l'Islam, en écartant les parents et
les héritiers légitimes du prétendu prophète.
Dans un autre mémoire, le même auteur,
à propos du monument énigmatique de
Mchatta,émetunehypothèsequi ne manque
pas de vraisemblance, attribuant au règne
de Jazid II l'entreprise de cet ouvrage resté
inachevé.
L'ensemble du volume contient seize
planches hors texte et 28 figures dans le
texte. J. Germer-Durand.
A. Rabbath, s. 1., Documents inédits pour
servir à l'histoire du christianisme en
Or;en^(xvi<'-xix^siècle\t. II, I" fascicule.
Paris, Picard et fils, 1910, in-8° de
208 pages.
Les Echos d'Orient (1906, 49-5 1, 58;
1908, 1 23) ont déjà rendu compte du premier
volume de ces documents. Le premier fas-
cicule du tome II renferme le diaire des mis-
sionnaires Carmes d'Alep de 1669a i8i9;la
relation des missions carmes d'Alep en i ôSy ;
les documents relatifs au protectorat des
Eglises maronites d'Alep et de Chypre de
1686 à 1687; ceux qui ont trait à l'histoire
des missions franciscaines et carmes en
Palestine et à leurs difficultés avec les Druses
en 1825; ceux qui se rapportent aux chré-
tiens de Damas et du Hauran de i835 à 1845;
ceux qui dépeignent la vie chrétienne en
Orient au xvii« siècle d'après les relations
des missionnaires; enfin, une relation des
missions jésuites en i653.
Malgré les raisons alléguées par l'auteur
dans sa préface pour justifier sa manière de
grouper les documents, j'estime qu'il aurait
mieux fait de suivre l'ordre chronologique
dans la publication de ces pièces. En efTet,
un ouvrage de ce genre est avant tout, non
pas un livre qu'on lit d'un bout à l'autre
pour s'intéresser, mais un livre que l'on
consulte pour se documenter. II importe
donc assez peu qu'il y ait de la variété dans
la mise en ordre de ces documents; mais il
est essentiel qu'il y ait le plus possible de
points de repère pour trouver les textes cher-
chés, et, dans ce but, à mon avis, rien ne
vaut l'ordre chronologique. Néanmoins,
quelle que soit la manière dont ils sont
groupés, nul n'ignore l'importance de la
publication de ces documents pour l'histoire
du christianisme en Orient; d'ailleurs,
d'excellentes tables viendront certainement,
à la fin de ce tome, comme pour le tome I",
remédier à ce petit défaut.
E. MONTMASSON.
Actes de S. S. Pie X. Encycliques, Motu
proprio. Brefs, Allocutions, etc. Texte
latin avec traduction française en regard,
précédés d'une notice bibliographique,
suivis d'une table générale alphabétique.
4 vol. in-8° écu de 340 pages environ.
Paris, Maison de la Bonne Presse. Prix :
I franc le volume.
Fidèle à ses traditions, la Maison de la
Bonne Presse a publié les Actes de Pie X,
comme elle avait déjà publié les Actes de
Léon XIII. Ces quatre volumes contiennent
toutes les lettres ou discours du Pape, depuis
l'Encyclique E supremi apostolatus, la pre-
mière de son pontificat, promulguée le
4 octobre 1903, jusqu'aux plus récents docu-
ments de 1907, y compris les discours pro-
noncés aux réceptions de personnages offi-
ciels, les allocutions aux pèlerinages, etc.
Une seconde partie dans chaque volume
contient les actes et décrets des Congréga-
tions romaines.
La part faite aux nations et aux Eglises
d'Orient est importante dans les documents
publiés aujourd'hui. Le Saint-Siège ne s'est
jamais désintéressé de l'Orient. La réunion
en volumes de ses actes diplomatiques ou
religieux en est la meilleure preuve.
C'est d'abord 22 juillet 1907 la magni--
fique lettre de Pie X au cardinal Vannu-
telli, président du Comité des fêtes pour le
XV^ centenaire de saint Jean Chrysostome.
Le Pape y montre bien quel intérêt, à
l'exemple de Léon XIII, il porte à l'Eglise
d'Orient, dont saint Jean Chrysostome est
la plus pure gloire.
La langue slave a motivé un décret de la
S. Cong. des Rites (18 déc. 1906, t. IV,
p. 3oo), réglant définitivement son emploi
BIBLIOGRAPHIE
6i
dans les églises des provinces de Goritz, de
Zara et d'Agram, afin d'empêcher que
l'usage arbitraire du slave ou du latin ne
trouble la piété des fidèles.
Les Polonais furent aussi l'objet de plu-
sieurs documents pontificaux, soit au sujet
d'un accord intervenu entre le Saint-Siège
et la Russie, concernant l'étude de la langue,
de l'histoire et de la littérature russes dans
les Séminaires ( 22 juillet 1907, t. IV, p. 349^,
soit pour autoriser, suivantlescirconstances,
l'emploi du russe et du polonais dans les
cérémonies religieuses, comme langues
extra-liturgiques (i3 octobre 1906, t. IV,
p. 345), soit encore au sujet de la soumis-
sion simulée, puis de la condamnation défi-
nitive des Mariavites (5 avril 1906, t. II,
p. 178; 5 décembre 1906, t. IV, p. 250).
Les actes pontificaux, par rapport à
l'Orient, contiennent encore les discours
prononcés à la réception, par le Pape, du
P. Marie-Bernard, envoyé du négus Mé-
nélik (21 mars 1907, t. III, p. 210); à la
réception de S. Exe. Méchescha, ambassa-
deur extraordinaire du négus (7 oct. 1907,
t. III, p. 214), et de l'ambassadeur du shah
de Perse (24 juin 1907, t. III, p. 2i3).
Signalons aussi les réponses de la S. Gong,
du Goncile, permettant, après le Décret
Recenti, d'envoyer des honoraires de messes
aux prélats ayant juridiction épiscopale en
Orient (9 sept. 1907, 18 mars 1908, t. IV,
p. 269 et 271).
On le voit, la part faite à l'Orient dans
les documents pontificaux est assez impor-
tante. A signaler encore au tome II les
règles spéciales édictées par la S. Gong, de
la Visite apostolique, document qui peut
servir pour l'organisation matérielle des
édifices religieux. Ges volumes ont leur
place marquée, non seulement dans les
bibliothèques ecclésiastiques, mais encore
dans celles des hommes d'études, qui s'in-
téressent au mouvement des Eglises et du
catholicisme en Orient.
A. Trannoy.
P. Franchi de' Cavalieri et J. Lietzmann,
Specimina codicorum grœcorum Vati-
canorum. Bonn, A. iMarcus et E. Weber,
1910, xvr pages, 5o planches. Prix :
7 fr. 5o.
Grâce à l'obligeance avec laquelle la
plupart des grandes bibliothèques per-
mettent la reproduction photographique
de leurs manuscrits, grâce aussi aux per-
fectionnements apporté à la photographie
en blanc sur noir, tous les savants ont
aujourd'hui le moyen de remonter aux
sources originales. Par suite, laconnaissance
de la paléographie pratique leur est deve-
nue indispensable. Le volume que nous
annonçons leur sera pour cela d'un précieux
secours.
Avec l'autorisation du R.P. Ehrle, préfet
de la Vaticane, et le concours de M. Mer-
cati, MM. Franchi de' Gavalieri et Lietz-
mann ont pu choisir parmi les trésors de
la bibliothèque pontificale cinquante ma-
nuscrits datés du iv« au xvi« siècle. Ils
reproduisent une page de chacun d'eux en
5o planches héliographiques de o'^jiS sur
0^,24, et nous avons trouvé ces reproduc-
tions excellentes. La page, prise parmi
celles qui présentent des formes caractéris-
tiques, est assez souvent en grandeur natu-
relle, au moins assez peu réduite pour per-
mettre facilement la lecture.
La provenance des manuscrits choisis est
très variée : Rome, Gonstantinople, Mo-
nembasie, Malvito en Galabre, Gapoue,
Athos, Sicile, Grète. Otrante, île de Halki,
Russie, G io, Ghypre.
Une introduction en latin donnequelques
indications sur chaque manuscrit, sa date,
son lieu d'origine, les éditions qui l'ont
utilisé, etc. On y a joint la transcription de
quelques passages dont le déchiffrement
pourrait embarrasser des commençants.
Le prix modique auquel se vend l'ou-
vrage, relié, le met à la portée de tous.
Ajoutons qu'il a été tiré à l'usage des biblio-
philes cent exemplaires numérotés sur
carton, reliés en cuir plein, au prix de
i5 francs.
En félicitant les auteurs et en les remer-
ciant du service rendu par eux à tant de
travailleurs, nous osons leur exprimer un
regret. Pourquoi s'être arrêtés au xvi* siècle?
Le dernier codex reproduit est de i565.
L'apprenti paléographe peut se trouver,
même en Occident, en face de manuscrits
plus tardifs, et qui, j'en parle par expé-
rience, n'en sont pour cela pas plus aisés
à déchiffrer.
Le cod. Palat. 44 est donné avec un point
d'interrogation comme écrit à Monembasie.
Je ne crois pas qu'il y ait de doute à avoir :
Movoêadi'a ne saurait étonner quand on voit
62
ÉCHOS d'orient
les cacographies dont s'est rendu coupable
le copiste du manuscrit.
Quant au cod. Palat. 269,11 n'a sûrement
pas été écrit in regione Gordyena Armenio-
rum, comme le proposent dubitativement
les éditeurs : il est probable que son copiste
n'avait même jamais entendu parler de la
Gordyène. Je crois qu'il s'agit d'un village
(toS x^ptou, dit le manuscrit, non tt,; /tôpaç)
dont le nom commençait par Gord
R. Bousquet.
G. LaMBAKIS, 01 ÉTirà àfTTepeç xr^q aTîoxaXû-
'|iew;. Athènes, 1909. Th. Tzavellas,
8-476 pages in-8°, nombreuses illustra-
tions. Prix: 7 fr. 5o.
Les Echos d Orient ont parlé déjà plu-
sieurs fois à leurs lecteurs de M. G. Lam-
bakis, professeur d'archéologie chrétienne
à l'Université et de liturgie à l'Odéon d'A-
thènes, fondateur et directeur du musée
chrétien de cette ville, membre de nom-
breuses Sociétés savantes. Le nouveau livre
de lui que nous annonçons est excessi-
vement curieux.
Les sept étoiles de l'Apocalypse, ce sont,
nul ne l'ignore, les sept Eglises d'Asie aux-
quelles le voyant de Patmos envoie ses
lettres. M. Lambakis a visité une ou plu-
sieurs fois l'île qui garde encore vivante la
mémoire de Jean, puis Ephèse, Smyrne,
Pergame, Thyatire, Sardes, Philadelphie et
Laodicée, sans compter Colosses et Hiera-
polis. Le livre où il nous raconte ses voyag-es
ne ressemble nullement à ceux d'Arundell
et de Ms"" Le Camus sur le même sujet.
M. Lambakis est orthodoxe pieux, Grec
patriote, archéologue de profession. Son
livre, dédié à la mémoire de sa mère, nous
décrit longuement ses impressions de chré-
tien à la vue des lieux sanctifiés par le séjour
de l'apôtre bien-aimé et de tant d'autres
saints; il pleure sur les ruines accumulées
en trop d'endroits; il s'attendrit avec une
émotion naïvedevantunfragmentdemarbre
qui porte quelques traces de sculpture chré-
tienne.
Dans ce livre, ce qui touche à l'histoire
chrétienne des sites n'est pas nouveau pour
nous, au moins quand il s'agit des premiers
siècles. Mais l'auteur, autant qu'il le peut,
continue cette histoire jusqu'à nos jours.
Il nous décrit dans le plus minutieux détail
toutes les ruines encore debout, toutes les
églises, chapelles et fontaines sacrées, ne
nous faisant grâce ni d'une icône, ni d'un
chapiteau, ni d'un débris quelconque. De
très nombreuses photographies et de plus
nombreux dessins nous font connaître le
moindre monument, le paysage, les habi-
tants, les morceaux de pierre travaillés. Les
photographies sont seulement assez mal
venues sur le papier trop mince de l'éditeur.
Bien entendu, M. Lambakis a copié toutes
les inscriptions qu'il rencontrait, même
les plus modernes, même les plus insigni-
fiantes.
Pèlerin de l'orthodoxie, il communie
dévotement dans la grotte de Patmos et
prêche avec onction dans de nombreuses
églises, rappelant aux indigènes les grands
souvenirs de la contrée qu'ils habitent; il
leur apprend à donner à leurs enfants les
noms des martyrs locaux et veut être le
parrain des nouveaux baptisés. Pèlerin de
l'hellénisme, il prononce des discours, ré-
pond à ceux que lui adressent lesép/iories,
fait des conférences dans les écoles, s'in-
forme des statistiques et les note pour nous.
En somme, son ouvrage ne peut qu'être
utile aux nombreux souscripteurs d'Asie
Mineure qui ont tenu à se le procurer. Il
rendra également service à maint érudit,
malgré quelques légers défauts. Nous avons
relevé çà et là de disgracieuses fautes d'im-
pression, trop de références de seconde
main (Tite-Live, p. 417, est cité d'après
Spon!), quelques inexactitudes: la plus
grave est celle qui consiste, après les tra-
vaux de Duchesne et de Ramsay, à con-
fondre Hiérapolis et Hiéropolis. Enfin je
me suis étonné de voir traduire p. 428 le
français rasée, en parlant d'une ville dé-
truite, par s;'Ji'.ff(i,£V-ri.
R. Bousquet.
S. PÉTRiDÈs, A. A., Jean Apokaukos,
lettres et autres documents inédits,
Sofia, 1909, 32 pages in-4°. Extrait des
Investi; de l'Institut archéologique russe
de Constantinople.
Jean Apokaukos est ce métropolite de
Naupacte, instruit, intelligent et ambitieux,
qui joua un certain rôle dans les affaires de
l'EgHse grecque dans le premier quart du
xni« siècle. On avait déjà publié de lui de
nombreuses lettres, des épigrammes, des
réponses canoniques. Le P. Pétridès apporte
BIBLIOGRAPHIE
63
une nouvelle contribution à l'histoire du
personnageen éditant les 33pièces contenues
dans le cod. Baroccianus i3i : 21 lettres,
I acte, II solutions canoniques. Plusieurs
des lettres sont intéressantes pour l'histoire
politique de cette époque troublée; d'autres
nous fournissent les nomsd'évêques incon-
nus, et une nous apprend l'existence d'un
siège épiscopal à Dragomestos. Quatre des
pièces delà collection ayant été déjà éditées
d'après d'autres manuscrits, le P. Pétridès
secontentededonnerlesvariantesdu manus-
crit d'Oxford, qui permet en outre de com-
pléter l'une d'elles.
L. Babdou.
F. M. Abel, O. P. Une a'Oîsière autour de
la mer Morte. Paris. V. Lecoffre, 1911,
in-8°, 11-184 pages, 12 planches. Prix:
7 fr. 5o.
Dans un style alerte, parfois trop imagé,
toujours intéressant, l'auteur de ce volume
décrit les bords de la mer Morte qu'il a
explorés, rappelle les traditions relatives
aux diverses localités visitées, passe en
revue les légendes qui se sont accréditées
dans cette région, et, tour à tour botaniste,
géologue, topographe, historien en même
temps que « secrétaire de navigation », unit
la précision de la dissertation scientifique
au pittoresque du récit de voyage. Les douze
planches et les quarante-six gravures très
réussies qui illustrent ces pages en rendent
la lecture plus attrayante encore.
Je formulerai cependant quelques regrets.
P. 82 : l'auteur, qui fait souvent de la topo-
graphie au cours de ce récit, se contente
de localiser Sodome et Zoara et de citer,
sans la discuter, l'opinion de Clermonl-
Ganneau sur l'emplacement de Gomorrhe;
il ne dit rien de la localisation d'Adama et
de Séboïm. Or, dans un livre destiné à faire
connaître du nouveau, tout en rapportant
ce qui est déjà connu, on aimerait à trouver,
à défaut de certitudes, l'exposé de simples
hypothèses que d'autres pourront vérifier
plus tard. P. 86 : il n'est pas exact d'aflfirmer
que le soufre est Vêlement essentiel de l'as-
phalte. Substance complexe, l'asphalte est
avant tout composée de carbures d'hydro-
gène, d"oxyde de pétroléine et de matières
oxygénées variables ; mais le soufre ne peut
V entrer que comme élément accessoire.
Si j'ajoute que, à la page 170, certaines
expressions, telles que se payer la tête
de , bluff, fiasco sont triviales, que la
description d'un coucher de soleil et d'un
lever de lune sur la mer Morte n*a rien de
remarquable, et, partant, est inutile, p. 12,
et que, enfin, à la page 5o, il eût été préfé-
rable de mettre sous la figure 10 un titre
français au lieu du titre latin que ne com-
prendront pas certains lecteurs, j'aurai
signalé à peu près toutes les petites taches
qui sont trop peu visibles pour déparer un
travail sérieux sous bien des rapports.
E. MONTMASSON.
J. DE Kergorlay, Sites délaissés d'Orient.
Du Sinaï à Jérusalem. Paris, Hachette,
1911, in-i2 de xx-i88 pages, avec
32 planches et une carte hors texte.
Prix : 4 francs-
Ce n'est pas un voyage banal qu'avait
entrepris M. le comte Jean de Kergorlay, et
la manière dont il le raconte est encore
moins banale. Sans s'attarder aux mille
petits incidents de route qui trop souvent
encombrent les notes des voyageurs, sans
se perdre dans la description des couleurs
féeriques qui parent les lieux visités, en
cinq petits chapitres, écrits dans un style
imagé et en même temps d'une pureté clas-
sique, il fait revivre sous nos yeux les ruines
de Magharahet de Serabitel-K.hadi m, l'oasis
de Feiran, le site grandiose du Sinaï avec
le monastère de Sainte-Catherine, la divine
et inoubliable Pétra, enfin les châteaux de
nos pères les Croisés dans la terre d'oultre-
Jourdain. Je ne connais que par la lecture
les lieux décrits dans les trois premiers
chapitres, mais les souvenirs précis que j'ai
conservés de nos excursions à Pétra et à
travers les hauts plateaux de xMoab et que je
retrouve ici exprimés avec une fidélité, un
entrain et une grâce incomparables, sont
le meilleur garant qu'il en est de la première
comme de la seconde partie et que la vérité
la plus absolue préside au récit de tout le
^•oyage.
Quelques petites taches ont été relevées
au cours de la lecture, ainsi p. 58 ; le codex
syrsin (?\ p. 62, expression curieuse qui
figure déjà dans un Guide; Gardthauson,
p. 64; saint Jean Climaque qui vivait au
vi^ siècle, p. 67. Les proportions du Khazneh
données p. I23 sont trop faibles ; il n'a pas
20, mais 32 mètres de haut d'après une de
64
ÉCHOS d'orient
nosphotographies. Vétille, du reste, qui n'at-
teint pas la description si esthétique et pour-
tant si vraie de ce monument unique. Les
gravures bien choisies sont d'une exécution
irréprochable et font grand honneur aux
photographes comme à la maison Hachette.
S. Vailhé.
D. Placide de Meester, O. S. B. Le
collège pontifical grec de Rome, extrait
de la Semaine de Rome. Rome, collège
grec, 19 10, in-8° de 70 pages.
L'opuscule de Dom de Meester contient
deux parties. L'une retrace brièvement
l'histoire interne du collège et l'autre
signale les personnages célèbres du collège
et son influence à l'extérieur. Chacune de
ces parties est précédée d'une photographie
très réussie représentant, la première, la
façade du collège et de l'église Saint-Atha-
nase, et la seconde, le personnel actuel :
supérieurs, directeurs et élèves.
Erigé en iSyy par Grégoire XIII et confié
successivement à un Croisier, à un prêtre
séculier, à un religieux di San Biagio di
Monte Citorio, à un gentilhomme chy-
priote, à des prêtres séculiers, aux Jésuites,
aux Somasques, aux Dominicains, de nou-
veau aux Jésuites, puis aux séculiers, une
troisième fois aux Jésuites et enfin aux
Bénédictins, le collège grec « devint désor-
mais fameux pour les vicissitudes qu'il eut
à traverser ». A propos de la liturgie et des
pénitences de l'Eglise orientale, le Révérend
Père regrette que dans le passé les divers
supérieurs du collège n'aient pas décidé
l'observation pure et simple du rite grec,
excepté en ce qui touche l'ordination, pour
laquelle on résolut d'assez bonne heure de
se conformer au typikon de ce rite.
« A peine inauguré (et grâce à la largeur
de vues qui avait présidé à son institution),
le collège pontifical grec de Saint-Athanase
donne au monde civilisé le spectacle d'une
pépinière d'hommes illustres », médecins,
moines et religieux, professeurs et autres
grands hommes d'Italie, de Rome et d'ail-
leurs. Les plus célèbres sont : le théologien
Pierre Arcudius, de Corfou (i562 ou i563-
i633); Léon AUatius, philosophe, théolo-
gien, médecin, archéologue (i 580-1669);
le fameux métropolite Vélamin Rutski
(i 573-1637); Jérôme Barbarigo, évêque de
Paronaxos, en Grèce, et confesseur de la
foi (1725); Pierre Rodotà, historien du rite
grec en Italie (xviii'* siècle). Parmi les nom-
breux élèves formés à Saint-Athanase,
l'histoire nous dit qu'il y eut peu de déser-
teurs, une dizaine à peine en tout. Les
principaux furent Païsios Ligaridès (t 1678)
et Jérôme Cigalas (1622- 1687. J'avoue
cependant que la lecture de la Bibliogra-
phie hellénique d'Emile Legrand produit
une autre impression et qu'on en conclu-
rait aisément à des désertions plus nom-
breuses.
L'opuscule de dom de Meester se ter-
mine par un extrait d'un rapport de Cerri,
secrétaire de la Propagande, intitulé : Etat
présent de l'Eglise romaine dans toutes
les parties du monde (Amsterdam, 1716),
et destiné à Innocent XI. Le jugement
porté sur le collège grec de Rome et les
Jésuites qui en étaient les supérieurs et
directeurs à cette époque est pessimiste et
malveillant. Le docte Bénédictin, dont nous
partageons l'avis modéré, n'a pas de peine
à démontrer que l'appréciation de Cerri est
d'allure trop pamphlétaire pour n'être pas
partiale et injuste.
A. Catoire.
1667-10. — Imp. P. Feron-Vrau, 3 et b, rue Bayard, Paris, VIII'. -^ Le^gérant : E. Petithesby.
NESTORIUS
JUGÉ D'APRÈS LE « LIVRE D'HÉRACLIDE »
On parlait depuis quelques années entre
savants d'un ouvrage de Nestorius re-
trouvé en traduction syriaque dans un
manuscrit de la bibliothèque du patriarche
nestorien, à Kotchanès, dans le Kurdistan
turc, et portant le titre bizarre de Baiar
d'Héraclide. Les rares initiés qui avaient
pu en prendre connaissance en parlaient
comme dune découverte inappréciable
pour l'histoire de la controverse nesto-
rienne, et plusieurs, donnant raison aux
'^ historiens et aux théologiens qui, à travers
les siècles, ont avancé que cette contro-
verse avait été une pure logomachie, con-
cluaient, après l'avoir parcouru, que Nes-
torius n'avait pas été nestorien. Parmi
ces derniers, il faut nommer M. Béthune
Baker, qui fit paraître en 1908 un livre
dédié à Nestorius et à l'Eglise nesto-
rienne, dans lequel le condamné du con-
cile d'Ephèse recevait un brevet d'ortho-
doxie (1). Le public, qui, n'ayant pas
à sa disposition la principale pièce du
procès, ne pouvait contrôler tous les dires
de M. Baker, fit en général bon accueil
à ses affirmations.
La légende (car c'en était une) de l'or-
thodoxie de Nestorius commençait à se
répandre quand, en 19 10, M. P. Bedjan,
Lazariste, a fait paraître le texte syriaque
de l'ouvrage de Nestorius sous le titre :
le Livre d'Héradidede Damas{2). M. l'abbé
F. Nau en a publié, presque en même
ùi Nestorius and his Teaching a fresh exami-
nation of the évidence with spécial référence ta
the newlr recovered Apology of Nestorius 1 The
Ba\ar of Heraclides). Cambridge, 1908, in-12,
xviii-232 pages. Voir Echos d'Orient, t. XIII (1910),
p. 121.
(2) Nestobils, le Livre d'Héraclide de Damas.
Paris, 1910. In-8 , 684 pages. M. F. Nau, Note sur
le titre « Tegourtà Heraclidis » {Revue de l'Orient
chrétien, t. XIV, 1909), a fait remarquer que le
mot syriaque Tegourtà, équivalent du grec :rpavu.a-
T£ia, devait se traduire par traité ou livre et non
par bazar, p. 208-2C9.
Echos d'Orient, 14' année.
temps, une bonne traduction française ( 1 ).
L'un et l'autre, dans leurs introductions,
ne sont pas de l'avis de M. Baker. Us
trouvent que Nestorius a professé une
doctrine hérétique, touchant le mode
d'union de la nature divine et de la nature
humaine en Jésus-Christ. C'est une con-
viction semblable que nous a laissée la
lecture du Livre d'Héraclide traduit par
M. Nau. Faire connaître au lecteur les
motifs de cette conviction, après lui avoir
donné quelques indications sur l'ouvrage
de Nestorius, tel est le but du présent
article.
* *
Le Livre d'Héraclide de Damas, un des
ouvrages les plus ennuyeux qui soient
sortis de la main des hommes (2), fut com-
posé par Nestorius dans sa vieillesse et
terminé en 431, presque à la veille de sa
mort, arrivée entre la convocation et l'ou-
verture du concile de Chalcédoine. Pour-
quoi ce titre de Livre d'Héraclide? Parce
que les écrits portant le nom de Nestorius
étaient condamnés au feu et que l'auteur,
dit le traducteur syrien, « craignait que
son propre nom. abhorré de beaucoup
(1) Nestorils, le Livre d'Héraclide de Damas,
traduit en français par F. Nau, avec le concours
du R. P. Bedjan et de M. Briére, suivi du texte grec
des trois homélies de Nestorius sur les tentations
de Notre-Seigneur et de trois appendices : Lettre
à Cosme. Présents envoyés d'Alexandrie aux
chambellans de la cour impériale. Lettre de Nes-
torius aux habitants de Constantinople. Paris.
Letouzey et Ané, 1910. in-8\ xxviii-404 pages. Prix :
10 francs. La traduction de M. Nau ne mérite que
des éloges. Elle est bien française et aussi claire
qu'elle peut l'être. On v remirque quelques fautes
d'impression, spécialementdans la numérotation des
références. Ce qui est dit dans l'introduction sous
la rubrique : les Doctrines, p. xii-xvi, ne nous
paraît pas tout à fait au point. Les traducteurs
latins ont moins faussé que ne pense M. Nau la
vraie pensée de saint Cyrille.
(2) Il faut beaucoup de courage pour le lire jus-
qu'au bout. Que n'a-t-il pas fallu d'héroïsme pour
le traduire?
Mars igii.
66
ÉCHOS d'orient
de gens, ne les empêchât de le lire » (i).
L'ouvrage porte toutes les marques d'au-
thenticité qu'on peut souhaiter. On n'y
surprend qu'une interpolation évidente :
la prophétie sur saint Léon « qui devra
remettre les vases sacrés aux mains des
barbares » (2). La version syriaque est
assez obscure par endroits; elle présente
peu de lacunes, mais on y soupçonne
quelques interversions. Quant au carac-
tère et au contenu du livre, voici ce qu'en
dit M, Nau :
C'est un ouvrage de controverse philoso-
phique et théologique, où l'histoire ne joue
qu'un rôle secondaire; Nestorius a reçu les
Actes du concile d'Ephèse et il se propose
de les commenter à son point de vue, en
réfutant les accusations, en mettant en relief
les fautes de procédure et en précisant l'objet
du litige et ses accusations contre Cyrille
(p. 88-290). Il ajoute une introduction phi-
losophico-théologique sur les diverses héré-
sies (p. 5-88) et un appendice sur les consé-
quences que sa condamnation a entraînées
(p. 290-331).
Dans le corps de l'ouvrage (88-290), il
suit l'ordre des Actes : d'abord (^88-1 16), les
préliminaires du concile et la question de
forme : origine de la controverse au sujet
de la locution « Mère de Dieu » (91-92),
mobiles de Cyrille (92-95 ), lettres de Cyrille
et de Nestorius, tenuede la première session,
sans attendre les Orientaux ni les légats du
Pape, sous la présidence de Cyrille, qui
était l'un des accusés ; protestation des autres
évéques, du comte Candidianus et de l'em-
pereur (95-116); puis viennent, prises dans
les Actes, les paroles de Pierre, prêtre
d'Alexandrie, de Memnon, de Cyrille, de
Juvénal, de Théodote et d'Acace (i i6-i25);
à l'occasion du symbole de Nicée, qui a été
lu ensuite au concile, Nestorius oppose sa
manière de le comprendre à celle de Cyrille
et continue la comparaison de leurs lettres
(i 26-1 63); il cite ensuite et commente l'un
après l'autre les fragments qu'on lui a
attribués à Ephèse (i63-235); il raconte à sa
manière comment on a forcé la main
à l'empereur pour lui faire accepter le fait
(i) Le livre d'Héraclide, trad. Nau, p. 3.
(2) P. 33i. Allusion au pillage de Rome par Gen-
séric, en 455.
accompli (235-259); il examine cnlin la
lettre de Cyrille à Acace et, à son occasion,
l'accord avec les Orientaux (259-290).
Dans l'appendice, qui est fort intéressant,
Nestorius commente la campagne contre
Théodore et Diodore, le concile de Flavien.
la lettre de saint Léon, le conciliabule
d'Ephèse ( i).
A y regarder de près, cet ouvrage
n'apprend rien de nouveau, au point de
vue historique, sauf quelques détails et
quelques interprétations des faits, qui
seront toujours sujets à caution tant
qu'on ne pourra les contrôler par ailleurs,
parce que l'auteur fait sa propre apologie
et que le ton de sa polémique est loin
de respirer la sérénité. On n'y trouve
aucune pièce nouvelle qu'on ne connût
déjà. Nestorius nous y apparaît tel que
nous le dépeignent les documents con-
temporains : violent, entêté, incapable de
saisir une pensée contraire à la sienne,
vaniteux, bavard intarissable ressassant
toujours les mêmes choses. Au demeu-
rant, il ne laisse pas d'inspirer quelque
sympathie, soit parce que ses adversaires
ne paraissent pas avoir été toujours irré-
prochables dans leurs procédés à son
égard, soit parce qu'on sent que, chez
lui, c'est moins le cœur que l'esprit qui
est en défaut.
Au point de vue théologique, le Livre
d'Héraclide, sans nous livrer de secret
proprement dit, a une réelle importance,
parce qu'il nous fait connaître dans son
fond la doctrine christologique de son
auteur. Cette doctrine n'était point un
mystère pour qui avait lu les écrits polé-
miques de saint Cyrille, les Actes du
concile d'Ephèse et surtout les homélies, j
les lettres et les fragments divers qui nous 1
restaient de Nestorius et qu'avait re-
cueillis récemment M. F. Loofs (2). Il
était clair, d'après tous ces documents, que
Nestorius avait véritablement enseigné,
non pas toujours en paroles, mais en
(1) P. XVIII-XIX.
(2) F. Loofs, Nestoriana, Die Fragmente des Nes-
torius gesammelt, untersucht und herausgegeben.
Halle, igo5.
NESTORIUS JUGE PAR LE « LIVRE D HERACLIDE »
67
réalité, tout ce qu'on entend habituelle-
ment sous le nom de nestorianisme: néga-
tion dje la maternité divine de Marie,
affirmation de deux personnes, de deux
fils en Jésus-Christ, union extrinsèque et
morale, non physique et substantielle, de
la nature divine et de la nature humaine
dans l'Homme-Dieu.
Cependant, comme en certains pas-
sages, l'hérésiarque s'exprimait d'une
manière correcte et irréprochable, qu'il
défendait, par exemple, de dire deux Fils,
deux Christs, deux Seigneurs, qu'il ne
rejetait pas absolument le mot Tbeoiocos
et qu'il proclamait hautement la divinité
du Christ, qu'en un mot il avait souvent
l'apparence de l'orthodoxie, sans en avoir
la réalité, certains esprits plus indulgents
que perspicaces pouvaient se permettre
d'absoudre Nestorius d'hérésie, prétendre
qu'il était orthodoxe tout autant, sinon
plus, que saint Cyrille, et avancer que
toute la controverse nestorienne ne repo-
sait que sur une divergence de termino-
logie. Pareilles affirmations ne pourront
désormais en imposer à personne, devant
les explications trop claires et trop sou-
vent répétées que l'on trouve dans le
Livre d'Héradide. La théorie de l'union
des deux natures, exposée par Nestorius
dans cet ouvrage, peut se résumer dans
les points suivants :
r^ Comme il n'y a pas de nature com-
plète sans personnalité (i)et que le Verbe
s'est uni à une nature humaine complète,
il s'ensuit qu'en Jésus-Christ la nature
humaine conserve sa personnalité et
qu'elle subsiste en elle-même et non dans
le Verbe.
2° L'union de la personne du Verbe et
de la personne humaine est volontaire^
c'est-à-dire se fait par la volonté, par
compénétration amoureuse des deux, de
telle manière qu'il n'y a plus qu'une seule
volonté morale. 11 y a don mutuel de
chaque personne l'une à l'autre, et
comme un prêt et un échange des per-
sonnalités (prosôpons). Cet échange per-
II) Nestorius dit: sans prosôpon naturel.
met d'affirmer que les deux personnalités
naturelles aboutissent à une personnalité
morale unique, que Nestorius appelle le
prosôpon d'union : « La divinité (ou le
Verbe) se sert du prosôpon de l'humanité, et
l'humanité (ou l'homme) de celui de la
divinité; de cette manière, nous disons un
seul prosôpon pour les deux (i).
30 Cette personnalité artificielle et pu-
rement dénominative, ce prosôpon écono-
mique, ce masque unique jeté sur la face
de Dieu le Verbe et de l'homme Jésus, est
désigné par les termes de Fils, de Christ,
de Seigneur. C'est pourquoi Nestorius
affirme souvent qu'il n'y a qu'un seul
Christ, qu'un seul Fils, qu'un seul Sei-
gneur; mais chacun de ces mots éveille
dans la pensée nestorienne l'idée de deux
personnes, la divine et l'humaine, qui
demeurent distinctes et sans confusion.
4^' Du moment que la personne du
Verbe d'une part, et la p>ersonne de
l'homme, d'autre part, restent parfaite-
ment distinctes et continuent à subsister
chacune en elle-même, que leur union
n'est que morale, et non physique et
substantielle, du moment qu'il y a deux
sujets d'attribution, deux moi, il s'ensuit
qu'on ne peut attribuer à Dieu le Verbe
les propriétés et les actions de la personne
humaine et vice versa. On ne pourra pas
dire de Dieu le Verbe qu'il est né de la
Vierge Marie, qu'il a souffert, qu'il est
mort. On ne pourra pas appeler Marie
^soTÔzo;, au sens propre du mot et sans
faire des réserves. En un mot, ce que les
théologiens appellent la communication des
idiomes n'est pas permise par rapport
à Dieu le Verbe.
50 Cette communication des propriétés
peut cependant se faire par rapport aux
termes qui désignent le prosôpon d'union,
c'est-à-dire par rapport aux mots Christ,
Fils, Seigneur. Dès lors, on pourra très
bien dire que Marie est mère du Christ,
Xp'.TTOTÔxo;, parce que ce nom de Christ
fait songer à la fois aux deux personnes
qui sont unies, à la personne divine et
it Le Livre d'Héradide, p. 212-213.
68
ECHOS D ORIENT
à la personne humaine, et, tout naturel-
lement, l'esprit attribuera, dans ce cas, la
naissance à la personne humaine. On
affirmera aussi que la Vierge a enfanté
le Fils, le Seigneur, que le Christ, le Fils,
le Seigneur est Dieu et aussi qu'il est
homme, parce que chacun de ces termes
désigne à la fois les deux natures com-
plètes, les deux personnes qui se font
don mutuellement de certains titres les
dénommant toutes les deux à cause de
leur intime union.
6° Nestorius n'ayant pas la notion d'une
nature abstraite, mais entendant toujours
par ce mot une nature individuelle con-
crète et douée de personnalité, on com-
prend pourquoi il mêle constamment
dans son langage les termes concrets et
les termes abstraits, qui sont pour lui
équivalents : ce qui le fait parler parfois
d'une manière orthodoxe; mais il ne faut
point s'y laisser prendre : c'est une ortho-
doxie purement verbale.
Justifions par quelques citations em-
pruntées au Livre d'Héradide les divers
points de cette petite synthèse.
1. Le Verbe s'est uni
A une personne humaine.
Que Nestorius ait suivi ou non les
leçons de Théodore de Mopsueste, une
chose est certaine : c'est qu'il mérite vrai-
ment d'être appelé son disciple en chris-
tologie. C'est, chez l'un et chez l'autre, la
même conception de l'union des deux na-
tures, et tous deux partent, pour l'établir,
du même principe philosophique. Ce
principe est celui-ci : toute nature com-
plète est une personne.
Lorsque nous distinguons les natures
(en Jésus-Christ), dit Théodore, nous
disons que la nature de Dieu le Verbe est
complète, et complète aussi la personne,
car on ne saurait avancer qu'une hypo-
stase {ou nature) est impersonnelle; de
même, nous disons que la nature de
l'homme est complète, elle aussi, et com-
plète la personne. Cependant, quand nous
considérons l'union, -rr.v duvâ-^eiav, nous
disons alors qu'il n'y a qu'une personne,
rrpdffojTTOv (l).
Nestorius dit dans le même sens:
Toute nature complète n'a pas besoin
d'une autre nature pour être et pour vivre;
car elle possède en elle et elle a reçu tout ce
qu'il faut pour être Comment donc des
deux natures complètes dis-tu une seule
nature, puisque l'humanité est complète
et n'a pas besoin de l'union de la divinité
pour être homme? (2)
Sous le prosôpon naturel il y a une
nature (3).
La divinité subsiste unie à l'humanité,
et l'humanité subsiste en nature unie à la
divinité (4).
Ce n'est pas pour cela que tu me répri-
mandes (il s'agit de Cyrille), mais c'est
parce que je sépare les propriétés de l'union
à chacune des natures, de sorte que cha-
cune de celles-ci subsiste dans son hypo-
stase. Je ne dis pas qu'elles remontent à
Dieu le Verbe, comme s'il était les deux
par essence Tu l'appelles homme
comme chose superflue, par le nom et en
paroles seulement, puisque tu n'acceptes
pas de reconnaître l'essence et l'opération
de l'homme, et l'existence de deux natures
dans leurs propriétés, dan<i l'hyposiase et
dans l'essence de chacune d elles (5).
L'humanité utilise le prosôpon delà divi-
nité et la divinité le prosôpon de l'huma-
nité (6).
Je dis deux natures, et autre est celui qui
revêt et autre celui qui est revêtu; et il y a
deux prosôpons : de celui qui revêt et de
celui qui est revêtu (7).
De ces passages et autres semblables,
qui abondent dans le Livre d'Héradide, il
ressort clairement que, d'après Nestorius,
la nature humaine en Jésus-Christ est
(i) "Otocv |X£v yàp Taç ç-j(7£t; Staxpt'vwjxev, T£>,£îav
Tr|V ç'jffiv ToO 0cO-3 Aôyou çajtèv xai T£>.£tov tô Ttpo-
(TWTTOV oySÈ yàp àTipôffWTtdv àffTtv ûitdo-faff'.v £l7r£Ïv.
xE/.îîav 5È xat ttiV toC àvÔpojTtoy yùdiv, xai tÔ 7:p<5-
(TtoTTOv ôixot'w;- "0-:av (aÉvto; £7tt rr.v duvàçEtav àTiî-
8w[jL£v, £v TipôffwTtov TÔTî ?a(i£v. Fragmenta dogma-
tica, P. G., t. LXVI, col. 981.
(2) Le Livre d'Héradide, p. 268.
(3) P. 274.
U) P- •73-
(5) P. 184-185.
(6) P. i83.
(7) P- '93.
NESTORIUS JUGÉ PAR LE « LIVRE D'HÉRACLIDE »
69
une vraie personne, subsistant en elle-
même, se possédant elle-même et sujet
d'attribution d'actions qui lui sont propres,
d l'exclusion de Dieu le Verbe. On voit
aussi que pour lui les mots : essence,
oÙT'la, nature, 'fus-.,;, hypostase, j-ôa-raT-.;,
personne, -rpôo-w-ov naturel ont une signi-
fication identique. Ils désignent la nature
concrète, individuelle et douée de per-
sonnalité: aucun ne signifie l'essence
spécifique ou abstraite par opposition à
l'individu et à la personne, Nestorius
n'a aucune notion de l'essence abstraite
ou d'une nature individuelle qui ne serait
pas en même temps une personne. C'est
ce qu'il faut avoir toujours présent à
l'esprit quand on le lit, sous peine de
mal interpréter sa pensée.
II. Le prosôpon d'union.
Nous venons de dire qu'en termino-
logie nestorienne les mots : essence,
nature, hypostase, personne, sont syno-
nymes, du moins quand il s'agit de la
christologie. Mais le terme qui désigne
la personne, le mot prosôpon, a une exten-
sion plus grande que les autres. 11 y a
plusieurs sortes de prosôpons. Toute na-
ture, toute hypostase a son prosôpon, le
prosôpofi naturel, mais tout prosôpon n'est
pas nécessairement une hypostase, une
nature, une essence unique.
Bien que le prosôpon n'existe pas sans
essence, cependant l'essence et le prosôpon
ne sont pas la même chose 1 1).
En effet, en dehors du prosôpon naturel,
inséparable de chaque nature, on peut
distinguer un prosôpon artificiel, moral,
dénominatif. Tenir la place de quelqu'un
se dit : tenir le prosôpon de ce quel-
qu'un (2). En ce sens, on peut commu-
niquer son prosôpon à autrui. Un roi com-
munique son prosôpon à l'ambassadeur
qui le représente et en qui il est présent
moralem.ent.
(1) P. i5o.
(2) p. 25, 118. Nestorius dit aussi: ils font ligure
{prosôpon) d'orthodoxes, p. 3o. II parle du prosô-
pon des Romains, p. 327.
11 en est de même d'un roi et seigneur
qui a pris le prosôpon du serviteur comme
son prosôpon, a donné son prosôpon au
serviteur et a fait connaître que lui-même
est celui-là et que celui-là est lui-même :
c'est dans le prosôpon du serviteur qu'il
supporte les opprobres, et c'est dans le
prosôpon du Seigneur que le serviteur est
honoré (i).
C'est par cette dernière comparaison
que Nestorius cherche à expliquer l'union
des deux natures-persomies en Jésus-Christ.
Le Verbe et l'homme ont échangé mu-
tuellement leurs prosôpons, et le résultat
de cet échange, de ce prêt réciproque,
est un prosôpon unique pour les deux :
La divinité se sert du prosôpon de l'hu-
manité, et l'humanité de celui de la divi-
nité; de cette manière nous disons un seul
prosôpon pour les deux (2).
L'union des prosôpons a lieu en pro-
sôpon, et non en essence ni en nature. On
ne doit pas concevoir une essence sans
hypostase, comme si l'union (des essences ")
avait eu lieu en une essence et qu'il y eût
un prosôpon d'une seule essence. Mais les
natures subsistent dans leurs prosôpons
et dans leur nature et dans le prosôpon
d'union. Quant au prosôpon naturel de
l'une, l'autre se sert du même en vertu de
r union: ainsi, il ny a qu'un prosôpon
pour les deux natures. Le prosôpon d'une
essence se sert du prosôpon même de
l'autre. Mais quelle essence vas-tu faire
sans prosôpon? Celle de la divinité ou
celle de l'humanité? Alors tu ne diras
plus que Dieu le Verbe est chair et aussi
que la chair est Fils.
Si tu attribues à Dieu le Verbe deux
natures : Dieu et l'homme, et que l'homme
ne soit rien, on ne peut penser de toi rien
autre (que ce qui suit 1 : ou bien tu dis seu-
lement le nom et l'apparence de l'homme
sans nature qui aurait servi à désigner le
Verbe; ou tu fais comme si l'humanité a
été inutile en nature au prosôpon de l'éco-
nomie pour nous (de l'Incarnation), ou
pour que Dieu le Verbe pût apparaître et
souffrir contre sa volonté les souffrances
humaines (h).
\l) P. 52.
(2) P. 212-213.
(3) P. 193-1^.
7©
ÉCHOS d'orient
Parmi les innombrables passages dans
lesquels Nestorius répète sa théorie, au
point dagacer les nerfs du lecteur, celui
qu'on vient de lire mérite particulièrement
d'attirer l'attention. On y saisit bien ce
qu'il faut entendre par prosôpon de l'union
ou de l'économie et la différence radicale
qu'il y a entre ce prosôpon unique, artifi-
ciel, ce masque trompeur, cette fiction,
cette personne purement nominale, et
l'unique personne réelle, vivante du
Verbe incarné qui supprime le moi hu-
main et en qui subsiste la nature humaine,
selon l'enseignement de saint Cyrille et la
doctrine de l'Eglise.
Cette union en un prosôpon unique ne
peut être que morale. Nestorius dit : vo-
lontaire et amoureuse.
Les natures qui sont unies volontaire-
ment reçoivent l'union, non en une seule
nature, mais pour produire l'union volon-
taire du prosôpon de l'économie (i).
Les deux natures sont séparées dans l'es-
sence, mais sont unies par l'amour et dans
le mém& prosôpon (2).
Par les actions, le Christ s'est fait une
image, afin de vouloir ce que Dieu voulait,
pour qu'il n'y eût dans les deux qu'une
seule et même volonté et un seul prosôpon
sans division ; celui-ci est celui-là et celui-là
est celui-ci, tandis que l'un et l'autre sub-
sistent (3).
Pour expliquer le prosôpon d'union,
Nestorius aime à s'appuyer sur le fameux
texte de l'épître aux Philippiens (ii, 7-8) :
Formam servi accipiens, in siniilitudinem
bomimmi factus et habitû inventus ut
homo :
Il prit la forme du serviteur; ce n'est
pas l'essence de l'homme qui était la forme
du serviteur; mais celui qui la prit en fit
son image et son prosôpon Celui qui
fut pris avait l'essence et la nature de
l'homme; mais celui qui prit fut trouvé
homme par son aspect sans avoir la nature
(1) P. 35.
(2) P. 5o.
(3} P. 63. A force d'insister sur l'unité de volonté,
les nestoriens ont fini par tomber dans le monothé-
lisme (Nat, p. xii).
de l'homme. Car il ne prit pas la nature,
mais la forme, la Jorme- et l'apparence de
l'homme, dans tout ce que le prosôpon
comporte 1 1 ).
L'Apôtre dit d'abord « la forme de
Dieu » gui est la similitude de Dieu, et
ensuite : « il prit la forme du serviteur ».
ni pour l'essence, ni pour la nature, mais
pour la similitude et le prosôpon, pour par-
ticiper à la forme du serviteur et pour que
la forme du serviteur participât aussi à la
forme de Dieu, afin qu'il y eût nécessaire-
ment un seul prosôpon avec les deux
natures. Car la forme est le prosôpon (21.
Ce passage achève de nous montrer le
côté fictif et artificiel du prosôpon d'union.
L'union des deux natures est une union
par imputation, affirmation et déclaration.
Le Verbe considère comme sienne la per-
sonne humaine; il se l'approprie par
bienveillance, par affection; à son tour, la
personne humaine considère comme
sienne la personne du Verbe et lui est
étroitement unie par l'amour. C'est un
don mutuel comme celui qui se fait par
l'amitié : le mien est le tien et le tien est
le mien.
Les comparaisons auxquelles Nestorius
a recours pour faire comprendre sa théo-
rie suggèrent l'idée d'une union morale
et extrinsèque. Nous avons déjà signalé
la comparaison du roi qui veut qu'on
considère son serviteur comme fui-méme.
En voici d'autres :
Que le corps ait été le temple de la divi-
nité de Dieu le Verbe, et que le temple ait
été uni par une adhésion supérieure
[n'jviov.x) de la divinité, au point de s'attri-
buer ce qui lui est propre par la liaison de
la nature de la divinité, c'est beau à con-
fesser et conforme à la tradition des Evan-
giles; mais non qu'il le prit pour son
essence (3).
Comment dites- vous de moi que je
divise l'union comme par un éloignement.
local parce que j'ai dit: à cause de celui
qui est revêtu j'adore le vêtement? Car le
(n P.- 145.
(21 P. 147.
(3j Pour son essence, c'est-à-dire pour le faire
subsister dans l'unité de sa personne, p. iSg.
NESTORIUS JUGÉ PAR LE « LIVRE D'HÉRACLIDE »
7»
vêtement n'est pas en dehors de celui qui
le revêt, ni celui qui est revêtu en dehors
du vêtement, mais il est conçu de la même
manière. En conséquence, on ne peut
pas adorer celui qui est revêtu en dehors
du costume qu'il a avec lui, et sous lequel
il siège avec le Père (il.
Dieu le Verbe et l'homme se servent des
prosôpons naturels de l'une et de l'autre
nature dans ce qui leur est propre; comme
le feu était dans le buisson et le buisson
était feu, et le feu était buisson, et chacun
d'eux était buisson et feu, et il n'y avait
pas deux buissons ni deux feux. Car tous
deux étaient dans le feu et tous deux dans
le buisson, non comme séparés, mais
comme unis. Des deux natures proviennent
des prosôpons naturels {2).
Cette dernière comparaison exprime
une union plus intime; certains Pères
orthodoxes en ont employé d'appro-
chantes ; mais il faut se souvenir que
Nestorius maintient deux personnes dis-
tinctes. Le buisson reste buisson et le feu
reste feu, bien qu'ils soient unis.
m. Le Christ, le Fils, le Seigneur.
De l'union des deux personnes divine
et humaine résulte, dit Nestorius, une
personnalité supérieure unique ou proso-
pon d'union. Cette personnalité supérieure
n'est pas Dieu le Verbe, car Dieu le Verbe
est un des composants et ne dénomme
que la nature divine :
Le prosôpon ne se trouve pas dans l'es-
sence; il n'est pas i par exemple) dans
l'essence de Dieu le Verbe qui n'est pas le
prosôpon d'union des natures qui se sont
unies, de manière à unir les essences dans
un prosôpon de Dieu le Verbe, car il n'est
pas les deux par essence (3).
Il faut cependant donner un nom à ce
prosôpon unique commun aux deux per-
sonnes unies :
Autre, en effet, est le nom qui indique
deux natures et autre celui qui en indique
une (4).
'K p. 159.
-^ P. 141.
-^i P. 146.
■4' P. i85.
Le nom qui indique les deux natures
unies est celui de Christ. C'est aussi celui
de Fils et celui de Seigneur. C'est pour-
quoi on doit dire un seul Christ, un seul
Fils, un seul Seigneur.
Le nom de Christ indique les deux
natures (i).
Le prosôpon commun des deux natures,
c'est le Christ (2).
L'union est dans un seul prosôpon du
Christ (3).
Le nom de Christ, ou de Fils, ou de
Seigneur, qui est attribué au Fils unique
par les Livres divins, est l'indice de deux
natures : tantôt il indique la divinité, tan-
tôt l'humanité et tantôt les deux 141.
C'est au Christ qu'appartiennent les deux
natures et non à Dieu le Verbe (5).
Il en est du nom de Dieu comme du
nom de Fils; l'un indique les natures et
l'autre le prosôpon du Fils. Le même est
Dieu et Fils, et il n'y a qu'un prosôpon
pour les deux natures et non pour une
essence; c'est pourquoi les deux natures
forment un seul tils et elles sont en un
fils (6).
Il n'y a pas un autre et un autre, parce
que le Christ n'est pas sans Dieu le Verbe,
ni Dieu le Verbe sans le Christ, mais on
reconnaît un autre et un autre, parce que
le Christ est formé dans l'union à l'aide
de Dieu le Verbe et de l'humanité (7).
Cette différence de signification entre
le mot « Dieu le Verbe » et les mots Fils,
Seigneur, Christ ou Sauveur (8), Nesto-
rius cherche à l'appuyer sur l'usage de
l'Ecriture et aussi sur le symbole de Nicée,
qui dit : « Je crois en un seul Seigneur
Jésus-Christ, le Fils de Dieu qui est
né, qui a souffert, etc. ». 11 reproche vi-
vement à Cyrille d'avoir commencé le
symbole en substituant le mot « Verbe »
au mot « Seigneur Jésus-Christ » (9).
Il) Ibid.
<2) P. 281.
(3) P. 127.
14) P. 228-229.
(5) P. i5o.
(61 P. 191.
ij) P. 186.
(8) D'un autre et d'un autre résulte notre Sau-
veur, p. 186.
(9) P. .79.
72
ECHOS D ORIENT
IV. La COMMUN' ication des idiomes.
On devine tout de suite par ce qui
précède comment Nestorius va envisager
la communication réciproque des pro-
priétés des deux natures. Cette commu-
nication ne pourra se faire que sur le
prosôpon d'union et sur les noms qui le
désignent. Au Christ, au Fils, au Seigneur
on pourra attribuer tous les attributs
divins et humains. Le Christ est Dieu
parfait et homme parfait, le Fils aussi,
le Seigneur aussi. Le Christ est à la fois
passible et impassible, Fils de Dieu et
Fils de Marie. Mais la communication des
propriétés est interdite par rapport à
Dieu le Verbe et par rapport à la per-
sonne humaine considérée comme telle :
Celui qui apparaissait par essence, j'ai
dit qu'il était d'entre les Juifs et qu'il
n'était pas Dieu le Verbe; car je confesse
que l'homme en essence et en nature est
d'entre les Juifs et n'est pas Dieu le Verbe
en nature. Je dis que l'homme en nature
est en dehors de la nature de Dieu le Verbe,
mais il est Dieu par cette union qui a lieu
dans le prosôpon (i ).
Si tu lis tout le Nouveau Testament, tu
n'y trouveras pas que la mort soit attribuée
à Dieu le Verbe, mais au Christ, ou au
Seigneur, ou au Fils (2).
Cyrille a dit que tout ce que les livres
divins attribuent au Christ doit être attri-
bué à Dieu le Verbe : la naissance d'une
femme, la croix, la mort, l'ensevelissement,
la résurrection, l'ascension, la seconde
venue, lorsqu'il viendra de nouveau. Ce
n'est pas là ce que les Pères (de Nicée) ont
commencé à dire (3).
La naissance d'une femme ne peut donc
être attribuée à Dieu le Verbe. Voilà
pourquoi Nestorius en veut au mot
ôeoTÔxoç. Qu'on dise tant qu'on voudra
que Marie est mère du Christ, du Fils, du
Seigneur; qu'on se garde de dire qu'elle
n'est que mère d'un homme, à cause de
l'union des natures; mais qu'on n'en fasse
(i)P. 179.
{2) P. 228-2?o. Cf. p. 321, 323, etc.
(3) P. 148.
pas une déesse; qu'on ne dise pas que
Dieu le Verbe est né d'elle :
Montre-moi que Dieu le Verbe est né,
selon la chair d'une femme; explique en-
suite comment tu entends qu'il est né
Commence par nous montrer que les
Pères l'appellent Mère de Dieu ou que
Dieu le Verbe naquit dans la chair, ou
même qu'il naquit de quelque manière (1).
Ils proclament le nom de Mère de Dieu
pour qu'ils puissent dire que Dieu est
mort. Quant aux Pères qui ont résisté jus-
qu'à la mort aux hérétiques, qui auraient
dit Mère de Dieu, en réalité, ils n'em-
ploient ces mots en aucun endroit, et ils
ne les ont pas insérés dans les écrits du
concile (2).
La Vierge est par nature mère de
l'homme, mais par la manifestation Mère
de Dieu. Si tu dis qu'il est né d'elle par
manifestation et non par nature, il sortit
donc uni à celui qui naquit d'elle dans la
chair (3).
On voit par cette dernière citation que
Nestorius n'est pas l'adversaire irréduc-
tible du mot Théotocos. 11 le rejette habi-
tuellement à cause du sens hérétique
dont il est susceptible, mais sa théorie
lui permet de l'accepter, car Marie est
Mère de Dieu en tant qu'elle est Mère du
Christ, c'est-à-dire Mère de l'homme au-
quel Dieu le Verbe est uni (4).
Le nom de Dieu peut s'appliquer à la
personne humaine dans le Christ, à cause
de son union à la personne divine. Nes-
torius nous l'a déjà dit:
Je dis que l'homme en nature est en
dehors de la nature de Dieu le Verbe, mais
il est Dieu par cette union qui a eu lieu
dans \q prosôpon (5).
Pour la même raison et dans la même
mesure, l'homme en Jésus-Christ pourra
participer à l'adoration de Dieu le Verbe :
(1) P. i3i, i32.
(2) P. i63.
(3) P. 173.
(41 Dans- les Nestoriana publiés par Loofs, on
trouve plusieurs passages où Nestorius dit ne pas
proscrire absolument le Osotoxoç. Cf. Nestoriana,
p. 167, 181, 184. i85, 191, 272, 273, 3oi, 3o2, 3oq,
3l2.
(5) Le Livre d'Héraclide, p. 179.
NESTORIUS JUGE PAR LE « LIVRE D'HÉRACLIDE »
73
L'homme est adoré avec Dieu, et il n'y a
pas deux adorations, mais une; car, par
cette unique adoration de cette unique es-
sence, l'autre est aussi adorée. Car il n'est
pas adoré par une adoration propre, celui
qui est adoré avec l'autre, mais tous les
deux le sont ensemble Il n'est pas
adoré dans son prosôpon, mais dans le
prosôpon qui lui est uni et qui est commun
à cause de l'union ( i ).
V. Le mélange des termes concrets
ET DES TERMES ABSTRAITS
Ce qui déroute le plus au premier
abord, quand on lit Nestorius, c'est le
mélange continuel qu'il fait des termes
concrets et des termes abstraits. Ce
mélange s'explique chez lui tout naturel-
lement, par le fait qu'il n'a pas la concep-
tion d'une nature qui ne soit pas en
même temps une personne. Nature
humaine et humanité signifie un homme,
une personne humaine. De même, divi-
nité, nature divine, désigne, quand il
parle de l'Incarnation, la personne du
Verbe et vice versa. C'est pourquoi le
mot OsoTÔxo? éveille tout de suite chez lui
l'idée que la Vierge a engendré la nature
divine. De même, dire que Dieu le Verbe
est m.ort équivaudrait à affirmer que la
nature divine est passible et mortelle.
Affirmer qu'il y a deux natures en Jésus-
Christ est reconnaître, par le fait même,
qu'il y a deux suppôts, deux personnes,
un autre et un autre, celui-ci et celui-là :
Celui qui dit que la divinité et l'huma-
nité ne sont pas la même chose définit, par
une distinction de nature, que celui-ci
n'est pas celui-là et que celui-là n'est pas
celui-ci... J'ai dit que l'union de l'ensemble
des natures, de la divinité et de l'humanité
est sans séparation : « que Dieu n'est pas
séparé de celui qui est visible » (2).
Deux natures, donc deux personnes :
Nestorius se montre incapable de saisir
les choses autrement. Aussi se trompe-
t-il lourdement lorsqu'il proclame son
P. 211.
P. 276.
accord avec les Orientaux qui ont signé le
symbole d'union de 433 (i), avec Flavien
deConstantinople(2)etavecsaintLéon(3),
parce que tous ceux-là affirment deux
natures distinctes et sans confusion dans
l'unique personne de Jésus-Christ. 11 ne
s'aperçoit pas que ses deux natures à lui
ne correspondent pas aux deux natures
des autres, ni que l'unique personne de
saint Léon n'est pas l'unique prosôpon
d'union inventé par Théodore de Mop-
sueste. C'est avec ce dernier seul que
Nestorius est d'accord, et il a raison de
le reconnaître (4).
VL Nestorius et saint Cyrille.
Saint Cyrille est vivement pris à partie
dans tout le Livre d'Héraclide. Il serait
trop long d'examiner un à un les divers
griefs qu'élève contre lui Nestorius et
d'en peser la valeur. Qu'il nous suffise
de dire que l'évêque d'Alexandrie a bien
compris l'hérésiarque et n'a point faussé
sa pensée. Le petit aperçu qu'on vient de
lire le prouve surabondamment. Nestorius
a beau répéter qu'il ne nie pas la divinité
du Christ, qu'il ne dit pas deux Fils, qu'il
ne sépare pas l'humanité de Dieu le
Verbe : ce ne sont là que des mots re-
couvrant une pensée hétérodoxe. Comme
le dit très bien Dom H. Leclercq,
Théodore et Nestorius ont le goût de ces
habiletés de langage qui respectent l'ex-
pression et altèrent les idées et le sens. Ils
affirment qu'il n'y a en Jésus-Christ qu'un
seul Fils, un seul Seigneur, une seule per-
sonne, autant de mots à double sens qui
forment un des premiers et non des moins
curieux chapitres de la doctrine des restric-
tions mentales. Derrière ce paravent ortho-
doxe, on retrouve intactes les idées favo-
rites, à savoir l'indépendance physique du
Fils de Dieu et du Fils de Marie. Toute
nature complète est une personne; voilà
(i) P. 88, 256-263.
(2) p. 3 10, 326, 371, 374.
(3) P. 298, 3o2, 33o.
(4) P. 291-293. Us étaient obligés de les chasser
(Diodore et Théodore) avec moi parce qu'ils pen
j saient les mêmes choses et non d'autres, p. 293.
74
ÉCHOS d'orient
le principe. Par un curieux revirement, le
souci de combattre l'apoUinarisme a jeté
dans une autre erreur (i).
L'hérésie nestorienne était d'autant
plus dangereuse qu'elle s'enveloppait
d'une terminologie équivoque et pouvait
tromper les croyants non avertis. Elle a
dérouté à travers les siècles plus d'un
historien et plus d'un théologien. Des
exemples récents prouvent qu'elle peut
encore faire des dupes. On ne peut qu'ad-
mirer la perspicacité de l'évêque d'Alexan-
drie, qui a su si bien enlever à l'erreur le
masque d'orthodoxie sous lequel elle
cherchait à se dissimuler et dévoiler
les petites habiletés par lesquelles elle
essayait de donner le change. Loin de lui
reprocher, comme on le fait parfois, sa
fameuse formule : Une seule nature du
Verhe incarné, aià cp-jo-t,; -roù BsoG Aovo-j
o-£3-apx(0|jL£vr, (2), il faut lui savoir gré de
l'avoir employée, car elle était merveilleu-
sement apte à réfuter l'hérésie.
11 est prouvé, en effet, que saint Cyrille,
se plaçant complètement sur le terrain de
l'adversaire, a adopté sa terminologie.
Pour lui comme pour Nestorius, les mots
nature, hypostase, personne, -fjo-iç,
uTrôoTao-tç, TtpÔTwrov (naturel) sont syno-
nymes dans la théologie de l'Incarnation.
Ils désignent la nature concrète, indivi-
duelle et personnelle (3). C'est pourquoi
il devait nécessairement dire, pour
exprimer le dogme catholique en style
nestorien : une seule nature-personne {'^-'j'yi^)
du Verhe încûrné. C'est pourquoi aussi
il n'applique jamais à la nature humaine
du Christ le mot cpû^u, excepté lorsqu'il
se place au point de vue des Antio-
chiens orthodoxes; et dans ce cas, il a
bien soin de faire remarquer en quel sens
on peut dire que la nature humaine du
(i) Héfélé-Leclercq, Histoire des conciles, l. 11,
1" partie, p. 804, en note.
(2) Cette formule, saint Cyrille l'a empruntée au
pseudo-Athanase, auteur de la profession de foi
Ttepi -fj; (7apy.w(T£w; xoû 0eoO Aôyou.
(3) C'est ce que démontre très bien M. J. Lebon
dans sa belle étude : le Monophysisme sévérien
Louvain, 1909, p. 242-333, spécialement p. 25o-252,
29I~'»92.
Christ est une tpj7'„;( i). Cette terminologie
n'était sans doute pas sans danger. Elle
avait le tort de ne pas concorder avec
celle des Orientaux orthodoxes, ni sur-
tout avec celle de l'Occident catholique.
Elle donnait aux mots un sens différent
suivant qu'on parlait du dogme trinitaire
ou de l'Incarnation; mais on ne contestera
pas sa valeur apologétique. A la formule
nestorienne: deux natures-personnes ne
formant qu'une personne morale com-
mune, il était de bonne guerre d'opposer
celle-ci : une seule nature-personne, celle
de Dieu le Verbe, unie substantiellement
à une humanité, complète, sans doute,
mais supportée par la personne divine un
peu comme une qualité naturelle est sup-
portée par le sujet en qui elle se trouve (2).
Saint Cyrille recourt aussi fréquemment
à la comparaison de l'âme et du corps
unis de manière à ne former qu'une
personne humaine. 11 va sans dire que ce
n'est qu'une comparaison qui ne rend
point d'une manière parfaitement adéquate
l'idée catholique de l'union des deux
natures enJésus-Christ. Nestorius triomphe
quand, prenant au pied de la lettre cette
comparaison, il fait de Cyrille un apolli-
nariste ou un arien. Il ne comprend pas
que l'évêque d'Alexandiie veut seulement
faire entendre que l'humanité en Jésus-
Christ n'est point une personne, mais
subsiste dans la personne du Verbe.
Saint Cyrille répète assez que le Verbe
reste impassible, malgré l'intimité de
(i) Quand saint Cyrille dit deux natures dans le
Christ, 8-Jo ç-Jo-s:;, il ajoute les mots èv Sîojpia : par
la considération intellectuelle : habituellement, il
désigne l'élément humain dans le Christ par les
mots o-ipl, î6ta ffioH, (Tw(ia, àvôpwirÔTrj;, tô x^^Çéôi-
TTivov, To y.aô'ritiâ;, etc. Lebon. Ibid., p. 25i. Les
traducteurs latins n'ont pas trahi saint Cyrille
quand ils ont rendu ces termes par natiira
hiimana: ils traduisaient exactement en termino-
logie occidentale la pensée de l'évêque d'Alexandrie.
(21 Saint Cyrille rend l'idée d'une nature consi-
dérée d'une manière abstraite comme séparée du
suppôt par les expressions TtoiÔTr,; cp-j<7:xTÎ et t'o
Tteô; etvat. Lebon, Ibid., p. 43 1, en note. Il dit, par
exemple, « que la divinité et l'humanité ne sont
pas une même chose en qualité naturelle », âv 7to'.(î-
zr,z'. ç-jfftxT,. Lettre à Acace de Mélitène, P. G.,
t. LXXVH; col. 193.
aUELQUES SUPERSTITIONS LITURGICIUBS CHEZ LES GRECS
75
l'union, pour qu'on ne se méprenne pas
sur sa véritable pensée.
Cette union intime de la divinité et de
l'humanité en Jésus-Christ reste pour Ja
raison une énigme. Nestorius ne peut ar-
river à la saisir, et il n'y a à cela rien d'éton-
nant. On ne comprend pas le mystère.
Sa théorie à lui est sans doute plus acces-
sible à la faiblesse de notre esprit: elle est
séduisante, mais c'est une explication en
contradiction avec ies données révélées et
la foi de l'Eglise. Comme la plupart des
hérésies, ce n'est qu'une tentative de la
raison pour mettre le dogme à sa portée
en faisant évanouir le mystère, il serait
facile de montrer que le Christ nesto-
rien n'est pas sensiblement difterent du
Jésus de M. Harnack ou du Christ de tel
moderniste de renom. Tant il est vrai
qu'il est difficile d'être original en matière
d'hérésie comme en beaucoup d'autres
choses. Tout est dit, et J'en vient trop
tard, depuis dix-neuf siècles que l'esprit
humain scrute les profondeurs de la
parole de Dieu.
M. JUGIE.
Constantinople.
QUELQUES SUPERSTITIONS LITURGIQUES
CHEZ LES GRECS
Par ces mots, J'entends non les supers-
titions analogues à celles qu'on rencontre
partout, comme celle du mardi, jour néfaste
de toute antiquité, surtout depuis la prise
de Constantinople par les Turcs, ou du sel
jeté dans le feu, ou celle de retourner
contre le mur les glaces de la chambre
ou est exposé un cadavre, ou encore celle
de toucher le pied du mort avant l'enseve-
lissement afin d'être délivré de son sou-
venir: mais des croyances ou des pratiques
liées, on ne sait le plus souvent pour quel
motif, au culte des saints, ou accompagnées
de prières non approuvées par l'Eglise
orthodoxe ou de formules de style litur-
gique. J'en signalerai quelques-unes tout
en regrettant de ne pouvoir donner en grec
ces rituels et ces formules quasi mysté-
rieuses où la langue éloquente et imagée
de la période patristique se mêle au parler
populaire des paysans illettrés.
1. Le GATEAU DE SAINT PhaNOURIOS.
Le culte de saint Phanourios, martyr,
aurait été absolument inconnu dans l'Eglise
grecque au moyen âge, s'il fallait s'en rap-
porter au Syitaxaire de Constantinople,
publié par les Bollandistes(Bruxeiles, 1902).
Son nom n'y figure pas. 11 est probable
que le saint ne jouissait alors que d'un
culte local. Les anciens Bollandistes ont en
effet publié ( i ) des miracula à lui attribués :
les faits se sont passés en Crète au viiF siècle .
et le culte du martyr aurait été introduit
dans cette île par des prêtres venus de
Rhodes.
Le Synaxariste de Nicodème l'hagio-
rite(2)acette mention au 27 août : « Aujour-
d'hui, mémoire du saint martyr Phanourios,
qui réapparut en l'année 1300. »
Cette « réapparition » a valu au saint
une place considérable dans les dévotions
populaires. On lui a composé un office
propre avec un synaxaire ou légende (^).
La brochure à o fr. 05 est une de celles
que les petits colporteurs de Grèce ont tou-
(II Acta Sanctorum, mai, t. VI, p. 685 sq.
121 Nicodème, Sv;at5apKrrTjS, édit; Athènes, 1868,
t. II, p. 346.
(3* On peut lire cet office dans Doukakès, Mifa;
•7-jvatxp:'7-:T,;, août. .Athènes, 1894, p. 387 sq.
76
ÉCHOS d'orient
jours dans leur éventaire. Les catholiques
eux-mêmes connaissent bien le saint; sans
savoir pourquoi, ils l'ont identifié à saint
Expédit!
Voici en quelques mots ce que raconte
le synaxaire. De Phanourios tout est in-
connu, origine, pays, époque, famille, date
et lieu du martyre. Mais dans l'île de
Rhodes, sous la domination turque, un
barbare, c'est-à-dire un Turc, creusant la
terre, rencontra sous sa pioche les fonda-
tions d'une église détruite et oubliée depuis
des siècles. Beaucoup d'icônes gisaient
par terre brisées ou effacées; parmi elles,
une seule, brillante, fraîche et comme
peinte du jour même. L'archevêque du
pays, un savant, Nil, y lut ces mots :
'0 ayiOs ^avo'jpwç. Phanourios était repré-
senté en soldat, très jeune, tenant de la
main droite une croix. Au-dessus de la
croix était une lampe allumée. Tout autour,
douze petits cadres racontaient son mar-
tyre. Ce sont les scènes de supplices que
l'on voit représentées sur tant d'icônes
dans les églises de rite byzantin. Dans
l'une, le martyr tenait à la main des char-
bons allumés.
L'archevêque Nil obtint la permission de
reconstruire l'église, et les miracles se mul-
tiplièrent. Trois diacres crétois venus à
Rhodes pour être ordonnés prêtres répan-
dirent à leur retour dans leur île la dévo-
tion au nouveau saint (i).
De Crète, elle passe dans le Péloponèse,
puis à Athènes où une petite église a été
placée sous son vocable. Sa vogue, je l'ai
déjà dit, est très grande. 11 est représenté,
d'après la légende, en soldat, mais il tient
de la main droite une croix et de la main
gauche un cierge allumé. On rencontre
son icône parfois surchargée d'ex-voto
de métal blanc dans beaucoup d'églises
et de chapelles en Attique. On l'a même,
ainsi que sainte Maure, associé à sainte
Barbe dans la curieuse église à trois autels
du Nouveau Daphni entre Athènes et
Eleusis (2).
(i) Remarquer ce détail, emprunté aux miracula
publiés par les Bollandistes.
(2) A l'église Sainte-Barbe du Nouveau Daphni,
Comme à saint Expédit. les dévots ont
recours à lui dans les cas urgents, lorsque
la grâce sollicitée doit être obtenue de
suite. On l'invoque surtout à cause de son
nom pour retrouver des objets perdus
(grec moderne cpavspôvto = indiquer);
mais on le fait de singulière façon. C'est
le gâteau de saint Phanourios.
On prend de la pâte qu'on mélange
d'huile, d'épices, de sucre, de mastic (1)
et d'encens. De chaque côté du pétrin, on
allume trois cierges de cire liés de manière
à n'obtenir qu'une flamme. Le gâteau cuit,
sans l'avoir fait bénir par un prêtre, on le
partage en quarante morceaux que l'on
envoie à autant de personnes, ou au besoin
qu'on distribue aux passants ou aux
pauvres, en disant: « C'est le gâteau de
saint Phanourios.» Les quarante personnes
aussitôt doivent répondre : « Que le bon
Dieu pardonne les péchés de la mère de
Phanourios. »
Car le peuple croit que la mère de Pha-
nourios, femme de mauvaise vie, n'est
pas encore entrée au paradis, et que le
saint ne refuse rien à ceux qui font prier
pour elle.
II. La Messe de Saint-Jean-Baptiste.
Saint Jean-Baptiste, que les Grecs dé-
signent ordinairement sous le nom de
Prodromos, le Précurseur, est très vénéré
par eux; son icône, on le sait, est dans
toutes les églises. L'Eglise grecque célèbre
sa conception le 23 septembre; sa nais-
sance le 24 juin; sa décollation le 28 août;
en outre, le 7 janvier, c'est-à-dire le lende-
main de la Théophanie, sa rencontre avec
Notre-Seigneur.
Son culte parmi le populaire est parfois
accompagné de pratiques superstitieuses.
La plus étrange est peut-être la messe dite
de Saint-Jean, offerte pour délivrer un
malade d'une fièvre persistante.
où il a cinq ou six icônes dont une magnifique
de 1° X o°5o, il est représenté une fois tenant le
cierge de la main droite, une autre fois le cierge
est remplacé par un réchaud d'où jaillissent des
flammes.
(1) Résine d'une espèce de lentisque.
QUELQUES SUPERSTITIONS LITURGIQ.UES CHEZ LES GRECS
77
On s'adresse à un prêtre du nom de
Jean, c'est-à-dire qui ait reçu ce nom au
baptême. La messe, célébrée dans une
église placée sous le vocable de saint Jean,
doit être commencée avant le lever du
soleil, de manière à finir le soleil étant
déjà levé. La personne qui chercheà obtenir
pour une autre la grâce de guérison aura
jeûné la veille. Elle entrera à l'église du
pied gauche, baisera d'abord l'icône de
Notre-Seigneur, puis, après une simple
inclinaison de tête devant celle de la
Panaghia, elle ira saluer et baiser celle de
saint Jean. Cela fait, elle allumera un cierge
qui doit être tenu avec les trois premiers
doigts de la main gauche. Ce cierge, elle
le portera de la même main devant l'icône
du saint. La messe terminée, elle sortira
de l'église sans parler à personne avant
d'avoir embrassé le malade. Et si toutes
ces minutieuses recommandations ont été
suivies, la fièvre disparaîtra bientôt.
C'est à l'église Saint-Jean, près du vieux
théâtre, qu'Athéniens et Athéniennes font
célébrer cette messe. Une dame de la
haute société m'a affirmé avoir obtenu de
cette manière la guérison de son fils. Est-il
besoin d'ajouter que le prêtre qui célèbre
offre simplement le Saint-Sacrifice pour la
guérison d'un malade, sans se soucier de
ces pratiques superstitieuses?
m. La guérison de la jaunisse.
Ni le gâteau de saint Phanourios ni la
messe de saint Jean ne sont des panacées
universelles. Pour la jaunisse, par exemple,
il y a un rite spécial.
Quand un malade est atteint de la jau-
nisse, on fait appeler une guérisseuse.
Ce sont le plus souvent de très vieilles
femmes qui exercent le métier de chasser
les maladies par des conjurations. Après
avoir offert de l'encens et allumé deux
cierges de cire jaune, elle récite sur le
malade cette oraison de si étrange allure :
Comme la Panaghia, Mère de Dieu, des-
cendait de la montagne des Oliviers avec
des myriades d'anges et d'archanges, elle
rencontra la jaunisse. S'étant arrêtée, elle
lui demanda par deux fois : « Jaunisse, com-
pagne de la Mort, sœur de Charon, où vas-
tu? » Celle-ci répondit : « Les montagnes
m'ont vue et se sont effondrées; la mer
m'a vue et s'est enfuie; les astres m'ont vue
et sont devenus jaunes, et tu me demandes
où je vais? Je vais monter sur la tête de
N..., et pénétrer en lui, dans le foie, et le
faire souffrir; et qu'il souffre bien. Et si je
trouve en lui de la négligence, je lui pren-
drai son âme. » Alors les saints apôtres du
haut du ciel firent entendre des gémis-
sements, et Notre-Dame, Mère de Dieu, en-
voya l'archange Michel avec des statuettes.
EîowÀa, et un cachet en or pour chasser la
jaunisse, par exorcisme, sur les montagnes
les plus hautes, où l'herbe ne pousse point,
où ne sonne aucune cloche. Donc qu'elle
s'en aille d'ici ; qu'elle parte loin du serv'iteur
de Dieu N..., qui a été baptisé et oint du
Saint Chrême !
Cette prière n'est pas imprimée. Elle
se transmet par tradition orale, et les
initiés en gardent soigneusement le secret,
car ce serait donner à un profane la pos-
sibilité d'opérer des guérisons. La plupart
des guérisseuses en viennent à se prendre
elles-mêmes à leurs supercheries, et croient
vraiment qu'une prière connue perd en
partie son efficacité.
Avant même que la cérémonie fût
commencée, on avait préparé un verre
rempli de vin rouge. Dans le verre, l'opé-
rateur laisse tomber un cotistantinato, c'est-
à-dire une pièce d'or à l'effigie de Con-
stantin, ou à défaut une pièce d'or quel-
conque. Ce verre, l'opérateur parti, est
exposé durant la nuit dans un lieu éclairé
par les étoiles. On le laisse ainsi à l'air
durant trois nuits ; mais pendant la journée
on le conserve dans la chambre du malade.
Après !a troisième nuit, le malade boit en
trois fois le contenu du verre, et la jau-
nisse s'en va, en même temps qu'une
légère couleur rouge commence à ranimer
le teint du convalescent.
M. V...,de Syra, qui tient cette formule
d'un pappas grec très acharné à détruire
ces coutumes superstitieuses, a été guéri
d'autre façon. 11 avait huit ans. Une spé-
cialiste fut appelée. Elle lui enroula autour
78
ECHOS D ORIENT
du COU un cordon formé de trois fils jaune,
vert et blanc, en récitant la prière : « La
Panaghia, Mère de Dieu, descendait »
Le cordon fut laissé en place pendant trois
jours, et le troisième au soir on le jeta dans
la mer.
Que la jaunisse soit guérie par de tels
procédés, on le croira malaisément. Pour-
tant des patients affirment avoir été sou-
lagés. Il se peut que les guérisseuses
mélangent au vin un remède secret.
Comme aussi bien il est possible qu'elles
attendent pour agir la dernière période
de la maladie qui dure de quinze jours à
trois semaines, le malade alors guérirait
de lui-même.
Quant au mélange de vin rouge et
d'une pièce d'or, il faut y voir un simple
rite de magie imitative (i). La pièce d'or
(en grec populaire, jaunisse se dit y pus-r,)
disparaît dans la couleur rouge. Ce rite,
mélange des deux couleurs, doit remonter
à une très haute antiquité. Pline appelle la
jaunisse morbus regius, et parmi d'absurdes
remèdes qu'il conseille d'employer pour
la combattre, il signale du vin dans lequel
on a lavé les pattes d'une poule qui ait
les pattes jaunes (2).
IV. La MALADIE d'yeux DANS L'ILE DE SyRA.
Les maladies d'yeux, chassie, taie,
ophtalmie purulente, ne sont pas rares
en pays grec. Au dire des médecins, on
doit les attribuer à1;rois causes principales,
atavisme, manque de propreté et passage
brusque d'intérieurs insuffisamment éclai-
rés à ila lumière éblouissante du soleil.
De juste il y avait là place pour une
formule de guérison. A Syra, m'a raconté
le P. B. R., des Augustins de l'Assomption,
quand un malade est atteint de la chassie
(en grec populaire To-vxTjÀa), ses amis le
promènent autour de la ville ou même du
quartier, en répétant à grands xnis une
prière : « Que Dieu ait pitié de luietenlève
(i) Voir Bros, la Religion des peuples non civi-
lisés. Paris, 1907, p. 71.
(2) ¥*LiNE, Hist. natur., xxx, 28.
la tsimbla » ; cette procession bruyante a
lieu pendant la nuit, parfois au grand
dam des gens pressés de dormir. Après
trois tours, le patient est ramené ;à sa
maison, et si les conducteurs ont vrai rraeint
observé da formule, :à l'aurore ses yeux
seront redevenus sains. Car les guérisseurs
ont toujours un motif pour ajourner la
guérison. Ils le trouvent le plus siouvent
dans le manque de confiance du malade
ou la négligence de son entourage.
V. LE MAUVAIS (ŒIL.
■La crainte de l'ensorceliement par le
mauvais cdl est répandtue partomt en
Grèce, à ice poiat que même les moins
crédules me peuveTit se soustraire tout
à fait il son influence. Tel qui rit et se
moque des guérisons obtenues par un
procédé magique, dès qu'on il'interroge
sur le pouvoir du mauvais œil, la ^aTxavb.,
devient tout d'un coup sérieux.
La croyance au mauvais œil est au-ssi
vieille que la magie. Dans les rituels
védiques, on indiquait déjà le moyen de se
préserver de ses redoutables atteintes ( 1 ),
et Pline l'Ancien, qui a pour ainsi dire
codifié les pratiques superstitieuses du
monde grec et romain, a un paragraphe
sur ce sujet (2). D'après lui, des peuplades
africaines jouiraient de ce singulier privi-
lège, et Cicéron, qu'il cite, assure que les
femmes dont la pupille est double ont le
mauvais mL Les Grecs modernes voient
dans des sourcils noirs très arqués et se
rejoignant au-dessus du nez une marque
assurée du mauvais œil.
L'Eglise orthodoxe a une prière pour
délivrer les malades ensorcelés par la bas-
cania. Elle n'a pas été, comme Texorcisme
de Tryphon (3), conservée dans le grand
euchologe olifidel ; on la trouve cependant
( I ) Roussel, la Religion védique. Paris, 1 909, p. 24^ .
« Regarde-moi avec l'œil de Mitra » est une for-
mule de bienvenue ou d'adieu. De même en Grèce :
« va p-r, ^ao-xaôr,;. »
(2) Pline, op. cit., vu, 2.
(3) Voir mon article : l'Exorcisme de Tryphon i
le martyr, dans Echos d'Orient, t. XII (1909), !
p. 201.
CyJELaUES SUPERSTITIONS LITURGIQUES CHEZ LES GRECS
7?
dans quelques rituels de poche, analogues
à nos vade-mecum liturgiques. Elle est
curieuse, et je la donnerai plus tard avec
quelques autres du même genre, car dans
le présent article je ne m'occupe que de
ce qui a un caractère nettement supersti-
tieux.
Voici trois manières de délivrer de
l'ensorcellement par le mauvais œil.
Dans un village de Macédoine, un garçon,
une jeune tille ou même une personne
âgée dépérissent sans que l'on en connaisse
la cause. Les paysans macédoniens ne
sont guère pathologues. La famille, avant
même d'aller au médecin, considéré tou-
jours comme un porte-malheur, s'adresse
à une spécialiste, qui naturellement déclare
que la maladie est la conséquence d'un
sort jeté par le mauvais œil. Elle commence
la conjuration. Elle prend trois grains de
sel," et. les tenant entre les doigts, elle
fait le signe de la croix sur le patient en
disant : « Au nom du Père et du Fils et du
Saint-Esprit, que celui qui t'a ensorcelé
crève (sic. va T-xà^rj. » Puis elle jette un
grain de sel dans le feu et un autre dans
l'eau; le malade mange le troisième, et le
sort est conjuré.
Au Pirée, une vieille femme, réputée
pour ses guérisons récite cette presque
incompréhensible formule :
Au nom du Christ et de la Panaghia. Le
Christ est vainqueur ici et aussi la grande
Panaghia qui chasse les maux et délivre
des embûches. Le 25 décembre, le Christ
est né: que cette heure-ci soit bénie comme
celle-là!
Dans l'île de Spetsai, le rituel magique
est plus compliqué. La guérisseuse prend
trois clous de girofle et une aiguille pour
les percer, puis un verre d'eau et un cierge
de cire. Elle perce avec l'aiguille un pre-
mier clou, et, le tenantàla main, récite en
faisant trois fois le signe de la croix la
prière suivante :
Dieu saint. Dieu fort, Dieu puissant, aie
pitié de nous ! Notre Père qui êtes aux
cieux etc. Jésus-Christ est vainqueur
et chasse tous les maux.
Au moment de terminer la prière elle
fait encore trois fois le signe de la croix
sur le malade avec l'aiguille enfilée. Puis
elle brûle le clou à la flamme du cierge
et en jette le charbon dans l'eau. Elle
recommence la même opération avec les
deux autres clous de girofle, mais sans
répéter la prière. Cela fait, le malade boit
en trois fois un peu de cette eau mélangée
de cendre. La guérisseuse enfin, ayant
fait une dernière onction sur le front du
malade avec le pouce trempé dans l'eau,
prend le verre et en jette le contenu dans
la rue. Le malade guérira (i).
L'action du mauvais œil peut s'exercer
même sur des objets inanimés. Un San-
toriniote m'a raconté souvent qu'une dame
avait fait se dessécher dans la cour de sa
maison paternelle un magnifique laurier-
rose: en vingt-quatre heures l'arbre avait
péri.
« Dieu te préserve du mauvais œil ! »
c'est un souhait qu'on entend volontiers.
Plusieurs même ont le mauvais œil sans
qu'ils s'en doutent, les pappasoulesprêtres
étrangers rencontrés à certaines heures.
Le moyen facile de conjurer le sort en
semblable occurrence est de faire un nœud
à son mouchoir pour lier le maléfice, ou
de cracher par terre, ou sur soi-même,
comme le faisait, sur la recommandation
de la vieille Cotytaris, le cyciope de Théo-
crite (2).
Dans une campagne de l'île de Naxos,
un prêtre, au cours d'une promenade, dé-
signait du doigt «à son compagnon les
(i) La conjuration par le moyen d'un objet livré
au feu était déjà pratiquée à Babylone. On brûlait
un oignon, une datte, une fleur, etc. Le patient
prenait la parole lui-même. « Comme cet oignon
est pelé et jeté dans le feu , ainsi la malédic-
tion qui est dans mon corps, qu'elle soit pelée
comms cet oignon. Que le brûlant Girru la con-
sume. »(Lagrange, Etudes sur les religions sémi-
tiques. Paris, 1905, p. 227).
(2) IdylL, VI, 5g, édit. Ahrens. Polyphéme, ou
plutôt Damœtas, emploie l'expression encore en
usage : 'Q; 51.7} ^adxavôtô. 11 crache pour se protéger
contre la jalousie de la nymphe Gailathée. (Cf. éga-
lement Anthologia palatina, xii, 229.) Les forge-
rons d'Athènes avaient coutume, pour conjurer la
bascania,à& pendre devant leur forge une enseigne
ridicule (Aristoph., fragm. 5!0).
8o
ECHOS D ORIENT
plus grasses brebis d'un troupeau. Sur-
pris de voir l'agitation du berger, à la pre-
mière occasion il en demanda la cause,
et apprit non sans une joie maligne que
le paysan avait reconnu en lui le don du
mauvais oeil et que les brebis marquées
du doigt mourraient dans l'année.
VI. Autres superstitions.
Les pratiques superstitieuses sont en
nombre considérable. Chaque centre de
population, chaque village même a les
siennes. C'est peut-être dans l'île de
Corfou qu'on les rencontre les plus nom-
breuses, les Corfiotes ayant à leurs pra-
tiques traditionnelles ajouté celles intro-
duites au cours des siècles par les Génois
et les Vénitiens. Mais les plus curieuses
se rencontrent dans les villages purement
grecs du Péloponèse. Voici trois ou quatre
exemples en rapport avec le titre du pré-
sent article.
Dans les villages de Stymphali, le jour de
la Tsiknopempti (jeudi-gras), tous doivent
manger du macaroni au beurre. S'abstenir
serait courir le risque de perdre dans le
courant de l'année une partie de son bétail.
Ailleurs, lesménagères,pournepasavoir
de boutons aux mains, éviteront de tra-
vailler le jour de sainte Maure. (Maure, en
grec, signifie noire.) Le jour de la fête de
saint Syméon, les femmes enceintes se
gardent soigneusement de toucher un
objet rouge; car leur enfant, à sa nais-
sance, pourrait avoir des marques de la
même couleur.
Dans le Péloponèse, une jeune fille, pour
ne pas avoir le teint noirci par le soleil,
passe le i«'' mars à un des doigts de la
main gauche une bague tressée de fils
blancs et rouges( i ). Le jour de Pâques, celte
bague sera jetée dans un puits, ou accro-
chée à l'agneau que la famille fait rôtir
le matin de la fête. Ainsi le soleil, de juin
à septembre, sera impuissant contre la
fraîcheur de son teint.
* »
L'origine de ces usages est le plus
souvent malaisée à découvrir. 11 convient
alors d'imiter la sagesse du bon Pline.
Quand je débarquai à Naples pour la pre-
mière fois, je m'étonnai de voir suspendue
au cou de presque tous les bambins, à
côté de la croix ou d'une médaille dé la
Sainte Vierge, une petite branche de
corail. C'est, paraît-il, un préservatif contre
le mauvais œil. Arrivé à Rome quelques
jours plus tard, j'eus la curiosité de savoir
si VHistoria naturalis connaissait cette
coutume et quelle raison elle en donnait.
La réponse est topique. « Une branche de
corail suspendue au cou d'un enfant passe
pour le mettre en sûreté. » Les paysans
grecs répondent le plus souvent, à la façon
de Pline : « è'-a-i. », c'est comme çà.
Louis Arnaud.
Athènes.
FORMATION DE L'ÉGLISE BULGARE
L'Eglise bulgare occupe actuellement
la partie de la péninsule balkanique que
l'on désignait autrefois sous les noms
de Mésie, Dacie, Thrace et Macédoine.
Divisée en deux tronçons principaux,
puisqu'elle est comprise à la fois dans le
royaume de Bulgarie et dans les provinces
de la Turquie d'Europe, elle a, de tout
tempSj suivi les variations politiques de
son peuple, agrandi ou restreint ses fron
tières, selon la bonne ou la mauvaise
fortune de l'Etat bulgare, prospéré ou
(i) A Babylone, un texte publié par Zimmern met
en scène la déesse Ichtar donnant une quenouille à
une femme pour filer une corde à double fil, noir
et blanc. Cette corde protège contre la malédiction
des dieux et rompt les charmes (Lagrange, op.
cit., p. 224). On pourrait faire beaucoup d'autres
rapprochements apssi intéressants.
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
8l
même cessé d'exister, suivant que les
Bulgares développaient leur empire ou
perdaient leur indépendance. Sous le nom
que nous lui donnons aujourd'hui, l'Eglise
bulgare naquit en même temps que le
tsar Boris sortait des fonts baptismaux,
c'est-à-dire vers l'année 865, bien qu'elle
remonte au moins jusqu'au v« siècle par
les peuplades slaves qui forment la majo-
rité de sa population, et que, par les tribus
thraco-illyriennes, produit autochtone du
vieux sol, elle se rattache aisément aux
premières conquêtes du christianisme.
Aussi, sans raconter les missions de saint
Paul et de ses disciples, ni entrer dans des
considérations par trop étrangères à notre
sujet, convient-il, néanmoins, d'exposer
en deux mots la situation politique et
religieuse de cette contrée durant les huit
premiers siècles de notre ère, afin de bien
comprendre les rivalités et les luttes d'in-
tluence qui s'établirent entre Rome et
Constantinople, au sujet de la juridiction
ecclésiastique à exercer dès le berceau
même de l'Eglise bulgare.
Les Tbraco-Illyriens, les plus anciens
habitants connus de toute cette région,
constituaient deux branches de la même
souche, dont lune, orientale, se compo-
sait surtout de Macédoniens et de Thraces,
et l'autre, occidentale, comprenait les
llyriens ou Albanais et les Epirotes. Après
avoir conquis une bonne partie de l'Asie
avec Alexandre le Grand, après avoir dis-
puté avec Pyrrhus la possession de l'Italie
et de l'empire du monde à la République
romaine, ces peuples frères furent défini-
tivement vaincus par les armes de Rome.
Dès le ne siècle avant Jésus-Christ, la
Macédoine était une province romaine,
la Mésie en l'an 6 de notre ère, la Thrace
en l'an 46, la Dacie transdanubienne en
l'an 108.
Romanisées de bonne heure, c'est-à-
dire latinisées dans le Nord et hellénisées
dans le Sud et sur le littoral, converties
presque immédiatement au christianisme
— la dernière tribu, celle des Besses,
embrassa la religion du Christ vers l'an
400. — ces populations se virent aussi de
bonne heure forcées d'admettre sur leur
territoire un peuple qui leur était étranger
par sa langue et par ses mœurs et qui
devait rapidement leur enlever la prépon-
dérance. Dès les conquêtes de Trajan en
Dacie — la Transylvanie et la Moldova-
lachie actuelles, — les Slaves semblent
établis dans cette province. Vers la fin du
n« siècle, ils se rapprochèrent du Danube.
Plus tard, à la suite de victoires rem-
portées sur eux par les empereurs Aurélien,
Probus, Carus, Dioclétien et Galère, une
de leurs tribus, les Carpes, qui a donné
son nom aux Carpathes, fut transplantée
tout entière sur la rive droite du fleuve, en
Mésie, dans la Dacia ripensiset en Thrace.
et vint ainsi consolider les petits noyaux
slaves qui isolément s'étaient déjà formés
sur le territoire romain. C'est là le pre-
mier jalon sérieux de la colonisation slave ,
dans la péninsule balkanique.
Au début du v« siècle, nous trouvons
bon nombre de Slaves parmi les hauts
dignitairesderempiregrec,et, auviesiècle,
deux Slaves originaires de Vederiana, dans
la Haute-Macédoine, Justin et Justinien,
assis sur le trône de Byzance. Mais l'émi-
gration décisive se produisit à la fin du
v« siècle, ayant son point de départ dans
les anciennes provinces de la Dacie trans-
danubienne. Deux peuples slaves en sor-
tirent, les Antes, qui disparurent bientôt,
et les Slovènes, dont le nom s'appliqua
depuis à l'ensemble de la race. A partir de
ce moment, les invasions slaves ne ces-
sèrent plus, jusqu'à ce que toute la pénin-
sule balkanique, depuis l'istrie et les
bouches du Danube jusqu'à la chaîne du
Taygète, fût en leur possession.
En l'année 493, le général romain Julien
succombe dans une bataille qu'il leur
avait livrée en Thrace; en 513, les Slaves
ravagent la Macédoine, l'Epire et la Thes-
salie jusqu'aux Thermopyles. Dans les
premières années du règne de Justinien,
Antes et Slovènes violent à qui mieux
mieux les frontières de l'empire oriental;
leur incursion de 540 les pousse jusqu'à
l'isthme de Corinthe, celle de 339 jus-
qu'aux portes de Constantinople, et cela
82
ECHOS D ORIENT
SOUS le règne de l'empereur qui avait
reconquis l'Afrique et l'Italie et presque
réalisé sur son nom l'ancienne unité
romaine. Vers l'année s8o, les Avares,
suivis de leurs esclaves slaves, descendent
ravager les alentours de Thessalonique et
même le Péloponèse. Maîtres en 583 de
Singidunum (Belgrade), de Viminacium
et des places environnantes, de Ratiaria
(Arcar sur le Danube), de Dorostolon
(Silistrie), de Marcianopolis (Deven près
de Varna) et des autres villes mésiennes
en 787, ils poursuivent avec des alterna-
tives de succès et de revers leurs guerres
contre les Byzantins sous Maurice, Phocas
et Héraclius. Le règne de celui-ci faillit
être le dernier de l'empire. En 623, pen-
dant que les Avares assiégeaient Byzance,
de concert avec les armées de Chosroès qui
, occupaient le littoral asiatique, les Slaves
exerçaient leurs pirateries sur la mer Egée
et tentaient une expédition contre l'île de
Crète, Le 26 juillet 626, ces trois peuples
réunis manquèrent prendre Constanti-
nople. Héraclius ne les arrêta plus tard
qu'en s'alliant avec le roi des Bulgares et
avec les Serbo-Croates qu'il installa, à titre
d'amis, dans la partie septentrionale de
rniyricum. Bref, depuis quarante ans,
à la suite d'invasions heureuses ou par
le. fait d'une lente pénétration, les Slaves
s'étaient glissés partout dans l'empire : ils
constituaient la majorité de la population
en Mésie et en Macédoine; dans l'Achaïe
et même au Péloponèse, ils se sentaient
assez forts pour en imposer.
Que faire de ces envahisseurs? Ne pou-
vant ni les exterminer ni les rejeter hors
de ses frontières, impuissant à se les assi-
miler, l'empire jugea bon de se les attacher
comme sujets ou comme amis. C'était
peut-être là une résolution que lui impo-
saient les circonstances, mais qui n'en fut
pas moins une faute et un danger nouveau.
Les tribus slaves des provinces byzantines
profitèrent de leur situation privilégiée
pour mettre au pillage les terres ou les
villes de leurs voisins; de 67s à 681, en
six ans, elles assiégèrent quatre fois Thes-
salonique; leurs corsaires continuèrent ]
à écumer les mers et à dévaster l'Archipel
pendant dix années consécutives. Que
d'expéditions, que de luttes n'eurent pas
à engager Constantin Pogonat et son fils
Justinien II contre ces maraudeurs, presque
toujours insaisissables ! Le dernier empe-
reur en força 30000 qu'il avait faits pri-
sonniers à servir désormais l'empire dans
le thème de Serrés; vers 688, il en trans-
portait 30000 autres en Asie-Mineure,
dans le thème de l'Opsikion.
Lorsque la peste eut dépeuplé en 747
l'Achaïe et le Péloponèse, les Slaves se
multiplièrent à tel point dans ces deux
provinces que l'empereur Constantin Por-
phyrogénètealâché cet aveu effrayant pour
la pureté originelle de la race grecque :
« Tout le pays devint slave. » Même en
tenant compte de l'exagération manifeste
qu'a commise la plume impériale, plu-
sieurs historiens modernes, se basant sur-
tout sur le récit des miracles de saint
Demetrius, admettent qu'en Grèce comme
en Macédoine c'est l'élément slave qui
a dominé depuis le règne de Justinien II
jusqu'à celui de Léon IV le Khazar, c'est-
à-dire des années 685 à 780. Peu après
la victoire remportée par les Byzantins
à Anchialos (17 juin 762), des Slaves, au
nombre de 208 000, demandent à passer
en Asie, pour y former sous l'autorité des
empereurs des colonies militaires; la plu-
part, restés au pays, s'employaient au
brigandage avec la canaille byzantine et
bulgare, et il fallut une nouvelle cam-
pagne en 764 pour réprimer ces bandits.
J'arrête là cette énumération monotone
de sièges et de batailles, de victoires et de
défaites qui se poursuivirent des siècles
durant entre les populations slaves et by-
zantines. Toutefois, malgré leurs invasions
successives, en dépit de leur supériorité
numérique sur leurs voisins thraces, grecs
et latins — il y avait aussi des Latins, et les
Valaques de Macédoine sont aujourd'hui
leurs descendants, — les Slaves n'avaient
pas encore réussi à constituer une nation
bien déterminée. Emiettés en tribus mul-
tiples, soumis au régime féodal, ils se
seraient déchirés dans les guerres civiles
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
83
et auraient succombé dans les luttes avec
rétranger, si un peuple, étranger au leur
par sa race, sa langue et sa religion, le
peuple bulgare, n'était venu réunir en un
seul faisceau toutes ces forces éparses et
former un seul corps politique définitif.
« *
Dès les premiers siècles de l'ère chré-
tienne, une puissante tribu, d'origine tar-
tare ou turque selon toute vraisemblance,
occupait le pays compris entre le Don et
le Volga. Elle y était campée depuis bien
longtemps, si l'on doit croire les historiens
arméniens, en particulier Moïse de Khoren
qui en parle sur la foi de témoignages
antérieurs à lui. Les membres de cette
tribu s'appelaient Boulgares, c'est-à-dire,
selon l'étymoiogie reçue, hommes du
Volga, car ils avaient fait un séjour assez
long sur les terres situées le long du
cours inférieur de ce tleuve. Peu à peu,
sous la poussée d'autres peuples de race
turque, ou par instinct de la rapine et du
pillage, instinct qui les guida longtemps,
ils s'étaient rapprochés du Danube et des
limites de l'empire grec. C'est l'empereur
Zenon qui, le premier, semble leur avoir
facilité l'accès des terres romaines, en
recourant à leurs services contre les Goths
de Théodoric, dont la tutelle devenait de
plus en plus gênante pour la cour de
Constantinople. L'empire n'eut pas d'ail-
leurs à se louer de ces auxiliaires. Bien
qu'ils eussent la réputation d'être invin-
cibles, les Bulgares n'attendirent pas le
choc des troupes gothiques qui les pour-
suivirent, finirent par les atteindre et leur
infliger une sanglante défaite sur les bords
du Borysthène ou Dnieper. Leur khan ou
général, Libertem, fut blessé et faillit être
pris par Théodoric. Ceci se passait entre
les années 482 et 487.
Dans les premières années du vi« siècle,
les Bulgares revenaient en Thrace, cette
fois-ci pour leur propre compte, et triom-
phaient des Grecs près de la rivière Zourta.
Cette incursion fructueuse fut dès lors
renouvelée souvent, les Bulgares ayant
pris l'habitude de razzier moissons, bes-
tiaux et habitants sur les terres de l'empire
pour ne laisser après leur passage que
ruines et désolation. Un historien de cette
époque, Jornandès, a bien décrit en
quelques mots discrets la profonde terreur
que ces barbares avaient su inspirer à ses
contemporains : « Au-dessus de la mer
Pontique, dit cet auteur, se développent
les demeures des Bulgares, devenus cé-
lèbres par les désastres que nous ont
attirés nos malheurs, (i) » A leur tour,
des Romains de vieille souche, devenus
ministre ou ami du souverain des Goths,
Cassiodore et l'évêque Ennodius de Pavie,
n'en parlent qu'avec le plus vif émoi.
11 ne faudrait pas s'imaginer pourtant
que tout tremblait devant eux et que,
s'ils avaient dès lors voulu exercer une
action énergique et continue, c'en était fait
de l'empire byzantin. En effet, les Bulgares
n'agissent presque jamais en leur nom
personnel. Jusqu'au milieu du vii« siècle,
jusqu'au règne de Kourt, ils sont plutôt,
ainsi que les Slaves, les auxiliaires et les
mercenaires des Avares que leurs propres
maîtres. C'est le khagan des Avares qui di-
rige l'ensemble des tribus slaves et turques,
et c'est lui qui préside à la fédération.
Fédération de pillards, du reste, peu fixés
au sol et préférant venir à des dates régu-
lières prendre par la violence le fruit des
travaux des autres, que de cultiver les
champs péniblement eux-mêmes. Si les
maîtres de Constantinople n'avaient dû,
dans ce désarroi universel, exercer une
vigilance attentive sur trois parties du
monde, en surveillant à la fois les fron-
tières d'Europe, d'Afrique et d'Asie, les
hordes bulgares n'auraient jamais quitté
les marais insalubres qui leur servaient
de résidence.
Voyant l'empire affaibli par des dé-
penses insensées et par des guerres sans
cesse renaissantes, le sentant attaqué, har-
celé pour ainsi dire par les bandes avares
et slaves, les Bulgares passèrent et repas-
sèrent le Danube plusieurs fois au cours
du vie siècle, ramenant d'habitude chez
(I) De origine actugue Getarum, c. n, p. i83.
Paris, édit. Savagner.
84
ECHOS D ORIENT
eux après chaque incursion un riche bu-
tin et de longues colonnes de prisonniers.
Parfois aussi, les Byzantins se tenaient
sur leurs gardes, et c'étaient les Bulgares
vaincus et captifs qui s'en allaient, comme
en y^S, coloniser l'Arménie romaine et la
Lazie. En 635, une alliance était conclue
entre les deux peuples ennemis, au détri-
ment des Avares, dont les Bulgares, jus-
que-là vassaux, venaient de secouer le
joug : le khan Kourt ou Kouvrat qu'Hé-
raclius avait jadis tenu sur les fonts bap-
tismaux à Constantinople (i), mettait ses
troupes à la disposition du basileus et opé-
rait une diversion en sa faveur dans les
cantonnementsde Pannonie. Ce faitmarque
une date importante dans l'histoire des
Bulgares, qui peuvent, à partir de ce mo-
ment, être considérés comme une nation
vraiment indépendante.
A la mort deKourt, d'après les données
des chroniqueurs byzantins du ix«= siècle,
saint Théophane et Nicéphore le pa-
triarche, la nation bulgare se serait frac-
tionnée en cinq groupes principaux, dont
chacun se trouvait sous le commandement
d'un des fils du défunt. Deux de ces hordes
restèrent dans leur pays d'origine, l'une
au delà du Volga, l'autre en deçà du Don,
pour constituer, sous la direction des fils
aînés Batbaïas et Kotragos, des Etats indé-
pendants. L'un et l'autre royaume dut
accepter plus tard la suzeraineté des Kha-
zars, pour embrasser l'islamisme versl'an-
née 922, être détruit par les Tartares au
xiiF siècle et se fondre finalement dans les
possessions de la Russie. Deux autres tri-
bus, commandées par les plus jeunes fils
(i) Le patriarche Nicéphore, Breviarium histori-
cum, MiGNE, P. G., t. C, col. 893, rapporte que,
vers l'année 618 ou 619, le prince des Huns vint
à Byzance, avec les principaux chefs de son peuple
et leurs femmes, et que là ils reçurent tous le bap-
tême. Or, ce chroniqueur identifie toujours dans
la suite les Huns avec les Ounogoundoures et avec
les Bulgares, de même le chroniqueur Théophane
et Constantin Porphyrogénète. En faut-il davan-
tage pour conclure que ce prince anonvme des
Huns est le souverain des Bulgares, Kourt, qui
régnait à ce moment, était l'ami et l'allié d'Héra-
clius et est toujours appelé chef des Ounogoun-
doures par les chroniqueurs byzantins?
de Kourt, s'établirent, l'une dans la Pan-
nonie où elle renforça la puissance des
Avares, l'autre dans l'Italie du Nord, aux
environs de Ravenne. La cinquième, enfin,
sous les ordres d'Asparoukh ou Esperikh,
franchit le Dnieper et le Dniester et se
cantonna tout d'abord entre ce dernier
fleuve, la mer Noire et le Danube, c'est-
à-dire qu'elle occupa les terrains ûingeux
de la Bessarabie, pour, de là, tenter des
incursions en Mésie et en Thrace,
Si, à rencontre de ce que racontent les
deux chroniqueurs byzantins, toutes ces
migrations ne se sont pas accomplies en
même temps, si Nicéphore et Théophane
ont eu tort de bloquer sous le règne
d'un seul empereur byzantin des événe-
ments qui se sont peut-être déroulés au
cours de plusieurs siècles, il n'en est pas
moins vrai que la fondation du nouvel Etat
bulgare par Asparoukh, sur les terres de
la Bessarabie moderne, est généralement
attribuée par les historiens à cette époque.
Le fait aurait eu lieu, d'après les chroni-
queurs byzantins, sous le règne de Con-
stantin Pogonat, entre les années 668 et
685 ; en réalité, il s'est passé un peu plus
tôt, si nous ajoutons foi aux calculs chrono-
logiquesquevient d'établir M. Bury d'après
une ancienne inscription bulgare (i),
connue depuis quelques années, et qui
daterait le règne d'Asparoukh des années
640 à 660. Le passage du Danube a pro-
bablement eu lieu en 659.
Quoi qu'il en soit de ce point particu-
lier, un fait est certain, c'est que l'établis-
sement des Bulgares en Bessarabie a pré-
cédé l'avènement de Constantin Pogonat,
mais que, par contre, c'est sous le règne
de cet empereur que les razzias des Bul-
gares devenant par trop fréquentes, les
Byzantins entrèrent en lutte ouverte avec
eux. Une double expédition terrestre et
maritime fut dirigée par Constantin IV en
personne contre ces maraudeurs, et dans
leur pays; malheureusement, pour des
causes restées mystérieuses, les succès du
1 1 1 The Chronological Cycle of the Btilgarians,
dans la By^antinische Zeitschrift, Munich (!9ioK
t. XIX, p. 126-144.
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
débutfurent suivis de revers assez prompts:
la panique se mit dans les troupes byzan-
tines, qui repassèrent le Danube en toute
hâte, talonnées par les Bulgares, qui mas-
sacrèrent bon nombre de soldats et occu-
pèrent le pays entre ce fleuve et la chaîne
des Balkans. Sans rien abandonner de
leurs anciennes possessions, ils fondèrent
ainsi un Etat assez considérable, dont les
centres principaux furent Varna et Sllistrie.
Les tribus slaves des territoires occupés,
dont les sept plus importantes formaient
une confédération, se rallièrent sans dif-
ficulté aux vainqueurs qui, par suite de
cet accroissement de population, deve-
naient un danger des plus sérieux pour
l'empire. Ce n'était pas, à vrai dire,
nous l'avons déjà vu, la première fois que
les Bulgares avaient franchi le Danube,
mais leur séjour permanent dans les pro-
vinces romaines de Scythie (Dobroudja)
et de Mésie est désormais un fait accom-
pli. Maîtres de cette partie du sol romain,
ils ne l'ont plus quittée. La défaite de Con-
stantin Pogonat remonte à l'année 679.
Pour conserver la Thrace et leurs pos-
sessions de Macédoine, les Grecs con-
clurent un traité avec les nouveaux venus,
et, moyennant un tributannuel assez élevé,
ils vécurent tout d'abord en bons termes
avec leurs voisins. Mais comme ceux-ci
étaient et sont encore éminemment posi-
tifs, dès que le remboursement de l'im-
pôt se faisait par trop attendre, les hos-
tilités recommençaient. C'est ainsi que
tout le viiie siècle et les vingt premières
années du ix« furent remplies de luttes
sanglantes, tantôt au profit des Bulgares
et tantôt à leur défaveur, mais qui se ter-
minaient généralement par la défaite et
l'humiliation des Byzantins.
Dès l'année 688, les adversaires se
trouvaient auxprises etsortaientégalement
meurtris de la lutte. En 705, les Bulgares
renversaient l'usurpateur Tibère III et
rétablissaient sur le trône Justinien II
Rhinotmète, qui s'était réfugié à la cour
de leur khan ( i); trois ans après, ils anéan-
(i) A cette occasion, Justinien H donna au sou-
tissaient dans la plaine d'Anchialos une
puissante armée de ce même Justinien qui
s'était retourné contre eux; en 71 1, à la
nouvelle de l'assassinat de cet empereur,
ils venaient, sous les ordres de Tervel,
ravager les faubourgs de Constantinople
et ne se retiraient que chargés de butin
et da prisonniers. Après de longues
années de paix, les Bulgares reprirent en
755 la guerre contre les Byzantins et la
poursuivirent pendant dix années. Au
cours de ces longues hostilités, sous les
khans Kormisoch, Telets, Baian, etc..
marquées par de fréquentes révolutions
politiques et par des dissensions intestines
en Bulgarie, les Grecs eurent souvent
l'occasion d'intervenir dans les affaires
intérieures de ce pays. Un khan bulgare,
Vinekh, chrétien sans doute, et que les
chroniqueurs désignent sous le nom
romain de Sabinus, vivait alors à la cour
de Constantin Copronyme et, de là, gou-
vernait la partie de ses Etats qui lui était
restée fidèle. Son intervention et son
appui ne contribuèrent pas peu à assurer
la victoire des Byzantins à Anchialos
(17 juin 762) et la défaite définitive des
Bulgares. En 777, un autre khan, Tzérig
ou Télérig, détrôné comme Vinekh et
réfugié à Byzance. y reçut le baptême
avec le titre de patrice ei ne tarda pas à
épouser une princesse byzantine.
La guerre recommence en 791 et se
poursuit presque sans discontinuité; par
malheur, les Grecs essuient défaites sur
défaites. Parmi les principales, signalons
celles de 792 et de 81 1. En 792 périt le
fameux Lakhanodracon, l'ancien ami de
Copronyme, le meilleur général et le plus
grand malfaiteur de l'empire. Le 26 juil-
let 811, le basileus Nicéphore est vaincu
et tué par Kroum ; son crâne évidé, en-
verain bulgare Tervel le titre honorifique de césar
qui était parfois accordé à des membres de la
famille impériale et désignait dans ce cas le futur
héritier. Les historiens bulgares en ont conclu que
les Byzantins avaient accordé alors aux Khans de
leur tribu la dignité d'empereur ou de tsar; mais
césar n'a jamais signifié empereur chez les Byzan-
tins; c'est le mot basileus ou celui d'autocrator
qui a ce sens.
86
ECHOS D ORIENT
châsse en argent, sert désormais de coupe
royale aux orgies de son adversaire. Les
vainqueurs profitent de leurs succès
pour ravager la Macédoine et la Thrace.
Le 22 juillet 813, devant Andrinople,
Michel ler Rhangabé est battu par Kroum,
qui s'avance jusque sous les murs de
Constantinople, et là, en face de la porte
Dorée, au grand scandale des dévots
byzantins, immole à ses dieux des ani-
maux et des victimes humaines. Blessé
par ordre de Léon l'Arménien, successeur
de Michel l^r, et chassé de la capitale, le
roi bulgare se venge de cette trahison en
mettant tout à feu et à sang dans la Thrace
et une partie de la Macédoine, détruisant
les villes, saccageant les récoltes, égor-
geant les habitants ou les traînant prison-
niers à sa suite. Andrinople fut, après
un long siège, contrainte de se rendre et
1 2 000 habitants, sans compter les femmes
et les enfants, furent transportés sur les
rives du Danube. L'année suivante, après
la prise d'Arcadiopolis, 50000 autres pre-
naient le chemin de la Bulgarie. La mort
violente du souverain barbare, survenue
le 13 avril 815, permit tout d'abord aux
Byzantins de respirer; la victoire de Mé-
sembria, remportée en 817, les poussa à
infliger aux Bulgares des désastres ana-
logues à ceux qu'ils avaient subis de leur
part. Enfin, l'avènement d'Omortag ou
Mortagon en 819, suivi d'une trêve de
trente ans, amena entre les deux Etats
un rapprochement durable qui fut même
suivi de rapports assez intimes.
Ainsi, par leurs victoires sur les Grecs
et grâce à leur esprit de prosélytisme, les
Bulgares, dont le nombre était plutôt res-
treint lors de la traversée du Danube,
avaient attiré à eux et réuni sous leur
domination toutes les tribus slaves établies
sur leur territoire et qui firent dorénavant
cause commune avec eux. En 811, les
grands de la nation slave, les boyards
buvaient, à la suite de Kroum, dans le
crâne de Nicéphore : ainsi encore, dès cette
époque, le souverain bulgare s'intitule
prince des Slaves et des Bulgares.
11 se produisit donc alors, dans la pénin-
sule balkanique, le même phénomène que
l'on avait constaté en Gaule aux v« et
vi« siècles. Les Bulgares d'Asparoukh et
de ses successeurs y jouèrent le même
rôle que les Francs de Clovis et de ses
héritiers dans notre pays. Au contact des
vaincus supérieurs en nombre et en civi-
lisation, les vainqueurs perdirent leur
nationalité, leur idiome et leur religion,
mais, en retour, ils donnèrent leur nom
— et pour toujours — à l'amalgame ethno-
graphique. A mesure que la fusion se fit
entre les deux principaux éléments, à
mesure que le nouvel Etat, de bulgare
devint de plus en plus slave, il acquit une
plus grande force. Tous les Slaves qui
avaient pénétré depuis des siècles dans
l'empire byzantin, conservant envers et
contre tous leurs usages et leur langue,
portèrent leurs regards au delà des fron-
tières, souhaitant, hâtant de leur mieux
leur union avec les nouveaux venus qui
étaient pour eux des frères. Désormais,
tout Slave, sujet de Byzance, est son
ennemi caché ou déclaré, autant qu'il est
l'allié des Bulgares.
Fixer d'une manière précise les limites
territoriales des Bulgares, alors qu'ils
guerroyaient sans cesse, tantôt sur un
point, tantôt sur un autre, n'est pas chose
bien aisée. Pour ne pas remonter trop
haut et sans tenir compte des annexions
passagères, il semble qu'avant le règne
de Kroum, dans les premières années du
ixe siècle, le nouvel Etat comprenait la
Bulgarie dite danubienne et la Valachie,
c'est-à-dire qu'il s'étendait de la chaîne
des Balkans aux Carpathes de la Transyl-
vanie.
Kroum conquit, pour sa part, une
bonne portion de la Hongrie orientale et
devint ainsi voisin des Moraves qui
devaient bientôt embrasser le christia-
nisme, voisin des Francs qui venaient
d'anéantir le royaume des Avares, voisin
des Byzantins et des Serbes. En 809, les
Bulgares apparurent dans le bassin du
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
87
Slrymon et ils s'emparèrent de Sardique
ou Sofia, ville restée jusque-là au pouvoir
des Grecs : en 812, ils prenaient les ports
de Mésembria et Débeltos, sur la mer
Noire, puis Andrinople, etc. Toutes ces
places, à l'exception de Sofia et de la
région adjacente, furent d'ailleurs rendues
aux Byzantins lors du traité de 820 con-
clu entre eux et Omortag. Ce dernier,
libre de ses mouvements du côté de
Constantinople, dirigea tous ses efforts
vers l'Ouest, et, à la suite de plusieurs
campagnes payées parfois d'insuccès, il
réussit à garder la boucle du Sirmium
entre l'embouchure de la Save et celle de
la Drave. C'est Rasa ou Novi-Bazar qui
constituait la principale place forte des
Bulgares près de la frontière serbe.
L'unité politique de la partie septen-
trionale de la péninsule balkanique s'était
donc faite sous le drapeau bulgare, elle
allait être consacrée par l'unité religieuse.
Avant la conversion et le baptême de
Boris, que l'on peut comparer au baptême
de Clovis à Reims, nous n'avons que
peu de renseignements sur la diffusion du
christianisme chez les Bulgares. Il est
probable toutefois, malgré le silence de
l'histoire, que le voisinage des Grecs et
des Francs, tous chrétiens, ne fut pas
sans exercer une salutaire influence sur
l'esprit grossier de ces barbares. Du reste,
le pays qu'ils avaient conquis en deçà
du Danube était chrétien depuis plusieurs
siècles. Dans la Scythie, la Mésie inférieure
et l'Hémimont, on ne comptait, lors de
leur arrivée, pas moins de huit diocèses
grecs, une métropole avec cinq évêchés
suffragants et deux archevêchés autocé-
phales. Si nous nous tournons vers la fron-
tière occidentale, vers la région annexée
parKroum, Omortag et leurs successeurs,
nous rencontrons les provinces ecclésias-
tiques de Dacie, Dardanie, Prévalitane et
Macédoine, soumises à la juridiction pa-
triarcale de Rome, et qui, à elles toutes,
renfermaient bon nombre de sièges épi-
scopaux, comme Sofia, Nich, Uskub, etc.
Toute cette population chrétienne,
même submergée par le flot des invasions
slaves, n'avait pas entièrement disparu,
lorsque Asparoukh et ses bandes traver-
sèrent le Danube afin de la subjuguer:
loin de là, elle formait de beaucoup la
majorité. Le chroniqueur Théophane l'a
fait remarquer avec raison (i), les Bul-
gares s'installèrent sur une terre chré-
tienne, ils rencontrèrent partout des
églises et des prêtres, grecs ou slaves. Si
je n'avais craint d'abuser de la patience
du lecteur, il aurait été facile, en m'ap-
puyant surtout sur le récit des miracles
de saint Démétrius, de prouver que les
Slaves établis sur le territoire byzantin
avaient, pour la plupart, renoncé au paga-
nisme dès le vue et le viif siècles.
Un autre motif contribua puissamment
à la rapide diffusion du christianisme. Les
campagnes heureuses de Kroum et de ses
prédécesseurs étaient d'ordinaire suivies
de transplantations de captifs qui ame-
naient dans le royaume une foule de chré-
tiens, évêques, prêtres et simples fidèles,
tous ardents propagateurs de l'Evangile.
Le fait même que, vers l'an 818, le khan
Omortag, pour parer au danger qui mena-
çait le culte national, mettait à mort
l'évêqued' Andrinople avec trois autres pré-
lats et 374 personnes, démontre que leurs
prédications et leurs exemples portaient
des fruits et que la religion du Christ s'in-
filtrait insensiblement parmi la race con-
quérante.
Cequi l'atteste mieux encore, c'est la pro-
fession de christianisme mise au compte de
plusieurs membres de la famille régnante.
Au dire de Théophylacte d'Achrida, l'un
des fils d'Omortag, Nravota, avait été
converti par un Grec prisonnier en Bul-
garie, et il fut, pour ce fait, assassiné par
son frère Malomir qui s'empara du trône,
tout en étant le plus jeune héritier. Nous
avons déjà vu le khan Télérig s'enfuir
à Byzance et y recevoir le baptême en
777; peu d'années auparavant, Vinekh ou
Sabinus avait agi de même. Bien plus,
Kourt, le véritable fondateur de l'Etat bul-
(I) Anno miindi 6 i-^i, Migne, P. G., t. CVIII,
col. 72H.
88
ECHOS D ORIENT
gare, le véritable organisateur de la nation
bulgare, était venu à Constantinople se
faire baptiser, en l'an 6i8 ou 619, ainsi
que les principaux membres de sa tribu,
et l'empereur Héraclius lui avait servi de
parrain.
Croit-on que de pareils exemples soient
restés sans influence sur la mentalité des
grands de la nation et même du menu
peuple? Et ne pourrait-on pas expliquer
les rivalités funestes qui divisèrent la
famille royale au vni« siècle et pendant la
première moitié du ix^, par les deux ten-
dances chrétienne et païenne qui s'y
dessinaient depuis longtemps et armaient
trop souventune moitié du royaume contre
l'autre? Ne comprendrait-on pas alors
pourquoi Sabinus, chrétien et réfugié à la
cour de Byzance, continua pourtant à gou-
verner une partie de ses Etats? Dans l'igno-
rance à peu près complète où nous
sommes de la politique intérieure de la
Bulgarie et des mobiles qui la dirigeaient,
cette hypothèse devient l'explication plau-
sible de faits certains, mais dont sans elle
les causes nous échappent. Le baptême de
Boris ne serait pas ainsi la première étape
des Bulgares vers le christianisme, mais le
dernier pas d'une marche qui durait depuis
plus de deux cents ans ; sa conversion serait
la revanche de la fuite de Sabinus et de
Télérig à Byzance, ainsi que du meurtre
de Nravota. Victoire achetée au prix de
grands sacrifices, il est vrai, car Boris dut
noyer toute opposition dans le sang des
boyards païens.
En effet, si glorieuses que fussent les
conquêtes du christianisme, elles n'auraient
probablement pas réussi à déterminer la
nation, si un prince valeureux et résolu
n'avait lui-même donné l'exemple en
entraînant à sa suite les adorateurs des
faux dieux. A vrai dire, nous sommes
encore assez mal fixés sur les motifs qui
poussèrent le khan Boris à une démarche
aussi hardie. On a parlé d'une sœur de
Boris prisonnière à Byzance et qui, de
retour chez les siens, leur aurait inculqué
les premières notions de la religion
révélée ; ce fait ne paraît avoir que la portée
d'une simple légende. On a même cité le
nom d'un moine. Méthode, peintre habile,
dont un tableau du jugement dernier
aurait décidé la conversion du roi, et l'on
a voulu voir dans ce personnage le frère
de saint Cyrille; mais, d'après Syméon
Métaphraste, qui, le premier, rapporte ce
récit, ceci n'eut lieu qu'après le baptême
de Boris, et le susdit Méthode n'était pas
moine, mais peintre de profession. 11 est
d'ailleurs prouvé aujourd'hui que les deux
frères Cyrille et Méthode ne sont pour rien
dans la conversion des Bulgares et qu'on
doitattribuer à l'influence deleurspremiers
disciples la juste popularité dont ces deux
apôtres des Moraves ont joui et jouissent
toujours en Bulgarie.
Sans rejeter la part de la grâce qui fut
sans doute considérable mais qui échappe
à nos investigations; sans méconnaître le
zèle des missionnaires grecs qui s'exerça
de longs mois, peut-être même de longues
années sur la personne du khan bulgare,
on peut toutefois avouer que la conversion
de Boris est due en partie à des raisons
politiques. Les Byzantins formaient un
grand empire chrétien à l'Orient; vers
l'Ouest s'étendaient et s'appuyaient toute
une série de royaumes francs. Etats chré-
tiens et germano-latins; situés entre ces
deux grands groupements, les Slaves se
tournaient de plus en plus vers l'Evangile,
et un œil exercé devait fatalement découvrir
qu'ils appartiendraient à la dynastie chré-
tienne qui saurait les gagner. Or, le sou-
verain morave venait, peu auparavant,
d'embrasser la religion chrétienne; en
s'obstinant à rester fidèle aux dieux des
steppes asiatiques, Boris risquait de voir
ses sujets slaves se tourner vers la Moravie
et constituer sous l'autorité de Rastiz la
première monarchie slave chrétienne. Tous
les efforts de ses ancêtres auraient été
ainsi frappés d'un seul coup de stérilité.
11 ne le voulut point, et à la monarchie
chrétienne morave qui groupait les Slaves
de l'Europe centrale, il sut opposer la
monarchie chrétienne bulgare autour de
laquelle s'étaient déjà rangés les Slaves
méridionaux.
LA CÉRÉMONIE DU LAVEMENT DES PIEDS A JÉRUSALEM
89
Quant aux circonstances qui accompa-
gnèrent l'entrée de Boris dans la religion
chrétienne, nous les ignorons absolument.
Sa démarche ne fut pas secrète, comme
on le répète à plaisir, puisqu'elle était
connue, et par l'empereur d'Allemagne,
et par le Pape, et par Hincmar de Reims,
près d'un an avant qu'elle fût accomplie.
Une chose est sûre, c'est qu'il reçut le
baptême par l'intermédiaire de prêtres
grecs, preuve évidente que ceux-ci s'étaient
déjà chargés de son instruction religieuse;
une chose non moins incontestable, c'est
qu'on l'appela alors Michel, à cause du
nom du basiîeus, remarque le continuateur
de Théophane, On en a conclu, je crois
avec raison, que le roi bulgare eut pour
parrain Michel III l'Ivrogne — singulier
parrain pour une jeune Eglise! Confor-
mément aux usages du temps, une fois
qu'il eut reçu le baptême, le souverain
contraignit ses sujets à partager ses nou-
velles croyances; mais ce brusque chan-
gement ne fut pas goûté de tout le
monde, surtout des boyards, les chefs de
la nation. Une violente insurrection éclata
pour renverser Boris du trône et lui sub-
stituer un païen; elle fut arrêtée par la
mort violente des principaux meneurs.
La date de cet événement capital pour
l'avenir de la péninsule balkanique doit
se placer à la fin de 864, ou mieux dans
dans les premiers mois de 865. En effet,
d'après une lettre écrite au mois de mai
864 par le pape saint Nicolas à Salomon,
évêque de Constance, on sait que Louis le
Germanique espérait alors la conversion
du souverain des Bulgares et que nombre
des sujets de ce dernier s'étaient déjà faits
chrétiens (i). De même, Hincmar rap-
porte dans ses Antiales (2) , à la date de 864,
que Boris avait promis de se convertir au
christianisme. Enfin, dans sa fameuse
encyclique de 867, Photius déclare qu'il
ne s'est pas écoulé tout à fait deux ans
entre l'arrivée en Bulgarie des mission-
naires latins, fin de l'année 866, et la con-
version des Bulgares opérée par les prêtres
grecs (3). Ceci nous reporte bien au début
de l'année 86î.
{A suivre.)
Constantinople.
SiMÉON VaILHÉ,
LA CÉRÉMONIE DU LAVEMENT DES PIEDS
A JÉRUSALEM
A la fin d'une étude consacrée au rite
du lavement des pieds le Jeudi-Saint dans
l'Eglise grecque, après avoir prévenu le
lecteur que Jérusalem est un des rares
endroits où les orthodoxes aient conservé
cette touchante cérémonie, je la décrivais
telle qu'elle y avait lieu au xii^ siècle (i).
On sera sans doute bien aise de savoir
comment elle s'exécute aujourd'hui.
Nous en trouvons le texte et les ru-
briques dans une brochure d'accès peu
fi) s. Pétridès, le Lavement des pieds le Jeudi-
Saint dans l'Eglise grecque, dans Echos d'Orient,
t. III, 1899- içoo, p. 321-326.
commode, intitulée : H U:a ^/.o/ojO'la
aY'.wTarr, ; IuovIt'.ooç r/.x/,r,7'!a;. Cette bro-
chure, de 14 pages petit in-folio, a été
imprimée en 1895, par ordre du pa-
triarche Gérasime I<^r, à l'imprimerie de la
communauté du Saint-Sépulcre. Page 3,
un avis nous apprend l'existence d'une
(11 Jaffé, n' 2 708 : Quia vero dicis, quod rex
speret, quod ipse rex Vulgarorum ad fidem velit
converti, et jam multi ex ipsis christiani facti
sint, gratias agimus Deo.
\2) Edit. Pertz, t. I", p. 473.
(3) MiGNE, P. G., t. Cil, co!. 724.
90
ECHOS D ORIENT
première édition en 1883. L'indication
des sources est très vague : le rite s'ac-
complit, nous dit-on, selon la tradition
ancienne et les typica manuscrits (i).
Voici la traduction intégrale de l'of-
fice (2); j'y ajoute seulement quelques
notes explicatives.
Cet office (3) est célébré le Jeudi-Saint
par Sa Béatitude le patriarche sur le
parvis (4). ou, si la pluie 71e le permettait
pas, dans l'église même de l'Anastasis (5).
La veille, on prépare, au milieu du parvis
et en face de la porte du monastère Saint-
Abraham, une estrade ainsi disposée.
Sur le côté occidental, au milieu, est
placé le trône patriarcal ; de chaque côté
de ce trône, sont rangés dou^e fauteuils
destinés aux prêtres qui représentent les
disciples. Au centre de l'estrade est une
cuvette avec une aiguière et deux linges.
Ces préparatifs ainsi faits, à la fin de
la messe célébrée dans l'église de saint
Jacques, frère du Seigneur et premier
évêque de Jérusalem, les prêtres représen-
tant les disciples, choisis parmi les archi-
mandrites et protosyncelles de la commu-
nauté et parmi les prêtres de la Ville
Sainte, revêtus de leurs ornements, se
placent deux à deux de chaque côté de
la Belle Porte (6). Sa Béatitude le pa-
triarche prend sur l'autel l'évangéliaire (j)
et le remet à celui qui est chargé de lire les
évangiles du v[-TY,p. Aussitôt, pendant que
les chœurs chantent alternativement les
versets du psaume L, le cortège se rend
par la chapelle des Myrophores (8) au
(i) La brochure nous a été procurée par notre
confrère le P. A. Chappet, à qui nous offrons nos
plus vîfs remerciements.
(2) Cette traduction est due à notre confrère le
P. M. Voutsinos.
(3) En grec, vittti^p : ce raot désignait primitive-
ment le bassin qui sert au lavement des pieds,
mais la dénomination s'est étendue à toute la
cérémonie.
(4) Les Grecs appellent la basilique église de
l'Anastasis ou Résurrection, et le parvis qui la
précède àyia a-JÀ-rj.
(5) En grec, dans le catholicon : c'est la partie
appelée communément en français le chœur des
Grecs. '
(6) La porte centrale de l'iconostase dans les
églises de rite byzantin.
(7) Ce livre reste en effet à demeure sur l'autel.
(8) Nom des « saintes femmes » dans la liturgie
grecque.
parvis et se tient devant la porte de l'Ana-
stasis. L'<f.évangéliste»{ I ) monteà l'ambon,
et celui qui porte « la cruche d'eau » se
place pj-ès de l'estrade (2).
A la fin du psaume L, l'évangéliste à
l'ambon commence le chant du premier
évangile.
L'ÉVANGÉLISTE. — Et pouf être rendus
dignes d'entendre la lecture du saint Evan-
gile, supplions le Seigneur notre Dieu (3).
Sagesse! Debout! Ecoutons le saint Evan-
gile.
Le patriarche. — Paix à tous (4).
L'ÉVANGÉLISTE. — Lccturc du saint Evan-
gile selon Matthieu. Soyons attentifs (5).
En ce temps-là, Jésus ayant appelé ses
douze disciples leur dit :
Le PATRIARCHE. — Vous savcz que la
pâque a lieu après deux jours, et le Fils de
l'homme sera livré pour être crucifié.
L'ÉVANGÉLISTE. — La fête des azymes
arriva, où il fallait immoler la pâque, et il
envoya Pierre et Jean, disant :
Le PATRIARCHE. — Allez, préparez-nous
la pâque, afin que nous la mangions.
L'ÉVANGÉLISTE. — Ils lui dirent :
Pierre et Jean. — Seigneur, où voulez-
vous que nous vous préparions ce qu'il
faut pour manger la pâque?
L'ÉVANGÉLISTE. — II leur dit :
Le patriarche. — Allez à la ville et vous
rencontrerez un homme portant une
cruche d'eau; suivez-le, et, quelque part
qu'il «ntre, dites au propriétaire de la
maison : Le Maître dit : Où est le lieu où
je pourrai manger la pâque avec mes dis-
ciples? Et là, préparez-nous ce qu'il faut.
Les deux disciples vont vers l'estrade et
disent à celui qui porte la cruche :
Pierre et Jean. — Le Maître dit : Où
est le lieu où je pourrai manger la pâque
avec mes disciples?
Celui qui porte la cruche. — C'est ici.
Et aussitôt ils reviennent vers le pa-
triarche disant :
(1) C'est-à-dire le diacre (?) chargé de lire les
évangiles.
(2) On remarquera que les rubriques n'ont rien
dit de ce personnage, pas plus du reste que de
l'ambon ou chaire portative qu'on a dû préparer
avec le reste.
(3) Le chœur répond trois fois : Kyrie, eleison.
(4) Le chœur répond : Et à votre esprit.
(5) Le chœur répond : Gloire à vous, Seigneur,
gloire à vous.
LA CÉRÉMONIE DU LAVEMENT DES PIEDS A JÉRUSALEM
91
Pierre et Jean. — Seigneur, tout est prêt.
Après cela, le cortège se dirige vers l'es-
trade dans l'ordre suivant : les porteurs
de la croix patriarcale et des hexapte-
ryga (i) marchent les premiers, puis
viennent ceux qui forment les chœurs en
chantant la cinquième ode du « canon » (21
du Jeudi-Saint :
ODE V. QUATRIÈME TON PLAGAL
Hirmus (3). — Unis par le lien de la
charité, les apôtres se confiaient au Christ,
souverain de l'univers, qui lavait les beaux
pieds de ces évangélistes de la paix.
Tropaires. — La Sagesse divine, qui
tient dans l'éther les formidables eaux
supérieures, qui met un frein aux abîmes,
qui arrête la fureur des mers, met de l'eau
dans un bassin et le Maître lave les pieds
de ses serviteurs.
Le Seigneur donne à ses disciples
l'exemple de l'humilité; celui qui vêt le
ciel de nuées se ceint d'un linge; celui qui
tient dans sa main la vie de tout être
vivant plie le genou pour laver les pieds
de ses serviteurs.
Les chantres sont suivis des diacres
qui portent le « dicerium » et le « trice-
rium »(4), et dont deux encensent Sa Béa-
titude le patriarche qui bénit le peuple et
s'avance vers l'estrade à travers la double
rangée de ceux qui figurent les disciples.
Lorsqu'il en approche, ceux qui portent
les « hexapteryga » et la croix patriarcale
se tiennent des deux côtés de l'escalier en
bas, les chœurs montent et se tiennent en
haut de l'escalier, Sa Béatitude le pa-
in Eventails métalliques dont l'écran est formé
d'une tête de chérubin entourée de six ailes; on
les porte aux processions des deux côtés de la
croix.
{2) Le canon est une poésie rythmique, composée
de neuf odes correspondant aux neuf odes ou
cantiques scripturaires de l'office de l'aurore; la
deuxième ode manque ordinairement. On trou-
vera le canon du Jeudi-Saint dans le TptfôS'ov,
édit. Rome, 187g, p. 653.
(3| L'ode est divisée en plusieurs strophes ryth-
miques nommées tropaires: Vhirmus est le tro-
paire tvpe, que les autres imitent pour le nombre
des syllabes et des accents toniques, par suite
pour le chant.
(4) Ce sont deux candébbres unis par un ruban,
l'un à deux branches en forme de croix de Saint-
André, l'autre à trois branches; l'évêque grec s'en
sert à certains moments pour bénir.
triarche monte sur le premier degré de
l'escalier et l'évangéliste chante :
L'ÉvANGÉLisTE. — Et lorsquc l'heure fut
venue, il se mit à table, et les douze
avec lui.
Le patriarche monte et s'assied au trône:
après lui les disciples montent deux à
deux, lui font la petite u.£Tâvoia (i) et
occupent leurs fauteuils: pendant ce temps,
l'évangéliste a terminé sa phrase et con-
tinue :
L'ÉVANGÉLISTE. — Et Jésus Icuf dit :
Le PATRIARCHE. — J'ai désiré vivement
manger cette pàque avec vous avant de souf-
frir; car je vous le dis, je n'en mangerai
plus jusqu'à ce qu'elle soit accomplie dans
le royaume de Dieu.
Leschantres commencent les idiomèles{2)
du lavement des pieds :
Premier ton. — Christ notre Dieu, qui
te ceignis d'un linge et lavas les pieds de
tes disciples, purifie notre àme de ses
souillures et ceins-nous d'un lien spirituel,
pour que nous observions tes commande-
ments et que nous célébrions ta bonté.
Deuxième ton. — Fidèles, qui allons
jouir d'un immense bienfait, accourons
pieusement vers le vénérable bassin, non
pour laver les taches du corps, mais pour
sanctifier mystiquement notre àme. Le
Christ notre Sauveur, qui regarde la terre
et la fait trembler, s'incline et touche des
pieds d'argile, accordant la victoire cer-
taine contre toute puissance ennemie.
Disons-lui en action de grâces : Toi qui
nous as montré la meilleure voie de l'élé-
vation, l'humilité, sauve-nous. Dieu bon
et ami des hommes!
Même ton. — Pierre n'osait pas laisser
laver ses pieds par ces mains immaculées
qui avaient créé Adam. Mais, entendant
ces mots : Si je ne te lave, tu n'auras pas
de part avec moi, saisi de terreur, il te
cria, Seigneur : Ne lave pas seulement mes
pieds, mais encore mes mains et ma tète.
O grandeur des dons du .Maître! Il rend
ses disciples participants de la grâce et leur
promet qu'il aura part avec eux dans la
gloire ineffable, comme il leur dit aussi du
(i| Inclination profonde, suivie ordinairement
d'un signe de croix.
(2) Tropaires qui ont chacun leur mélodie spé-
ciale. On trouvera ceux-ci dans l'office du lave-
ment des pieds, EJyo>.ô-j-.ov tô pÀ-n. édit. Rome,
1873, p. 376.
92
ECHOS D ORIENT
calice mystique qu'il le boirait de nouveau
avec eux dans le royaume des cieux. Ce
royaume, rends-nous en dignes aussi, dans
ta bonté et ta miséricorde.
Quatrième ton plagal. — Aujourd'hui,
l'inaccessible par essence entreprend un
travail d'esclave; il se ceint d'un linge,
celui qui enveloppe le ciel de nuages; il
verse de l'eau dans un bassin, celui qui a
divisé les flots de la mer Rouge; et pliant
les genoux, il commence à laver les pieds
de ses disciples et à les essuyer du linge
dont il était ceint. Quand donc il eut lavé
les pieds des disciples, il leur dit : Vous
êtes purs, mais non pas tous; voulant dire
qu'un le trahissait.
Même ton. — 11 eût mieux valu pour toi.
Judas, de n'être pas conçu dans le sein de
ta mère; il eût mieux valu pour toi de
n'être pas né, traître qui t'es détourné du
Fils de Dieu. A cause de toi, le collège des
disciples du Christ a été dispersé et le
larron crucifié vendange la Vigne véritable.
A cause de toi, la barrière a été brisée et les
impies détruisent le Temple que n'a pas
bâti la main de l'homme. Tu regrettais à
cause de son prix le parfum de la péche-
resse : comment n'as-tu pas tremblé en
livrant le sang du Juste aux mains des
impies! Il eût mieux valu pour toi de
n'être pas né, traître qui t'es détourné du
Fils de Dieu.
Même ton. — Saisi d'un sommeil diabo-
lique. Judas s'est endormi pour la mort.
C'est l'heure de veiller, l'heure de faire
pénitence; que le cœur soupire, que les
paupières versent des larmes, que le psaume
reste vigilant, car grande est la puissance
de la croix. Le Christ est à notre porte, la
Pâque immolée arrive. Gloire à toi, Sei-
neur, gloire à toi !
Ensuite^ collecte par le diacre (i) ;
En paix, prions le Seigneur.
Pour la paix d'en haut et le salut de nos
âmes, prions le Seigneur.
Pour la paix du monde entier, l'aff'er-
missement des saintes Eglises de Dieu et
l'union de tous, prions le Seigneur.
Pour cette maison sainte et pour ceux
qui y entrent avec foi, piété et crainte de
Dieu, prions le Seigneur.
(i) EùyoXÔY^ov To (isya, édit. citée, p. 377. A
chaque lormule de la collecte (ff-jvaTzrr,) diaconale,
les chœurs répondent : Kyrie, eleison.
Pour les chrétiens pieux et orthodoxes,
prions le Seigneur.
Pour notre père et patriarche, l'ordre
vénérable des prêtres, le diaconat dans le
Christ, tout le clergé et le peuple, prions
le Seigneur.
Pource saint monastère, cetteVille Sainte,
toute ville et pays, prions le Seigneur.
Pour la salubrité de l'air, l'abondance
des fruits de la terre et des temps pacifiques,
prions le Seigneur.
Pour les navigateurs, les voyageurs, les
malades, les gens qui souff'rent, les prison-
niers et leur salut, prions le Seigneur.
Pour que ce bassin soit béni et sanctifié
par la vertu, l'énergie et la venue du Saint-
Esprit, prions le Seigneur.
Pour qu'il soit un moyen de purification
des souillures de nos péchés, prions le Sei
gneur.
Pour être délivrés de toute affliction, co-
lère, danger et nécessité, prions le Seigneur.
Secours-nous, sauve-nous, aie pitié de
nous et garde-nous, ô Dieu, par ta grâce.
Faisant mémoire de la toute sainte,
immaculée, bénie par-dessus tout, notre
glorieuse Dame la Mère de Dieu et toujours
Vierge, Marie, et de tous les saints, recom-
mandons-nous nous-mêmes et les uns les
autres et toute notre vie au Christ Dieu (i).
Le patriarche (2) ;
Parce que tu es la purification de nos
âmes et à toi nous rendons gloire, ainsi
qu'à ton Père éternel et qu'à ton très saint
et bon et vivifiant Esprit, maintenant et
toujours et dans les siècles des siècles.
Amen (3).
Le diacre :
Prions le Seigneur (4).
Le patriarche se lève et dit celte oraison :
Seigneur et Dieu très bon, inaccessible
dans votre divinité, vous qui dans la forme
de l'esclave avez pris le vêtement des ser-
viteurs et, en modèle d'humilité salutaire,
avez lavé de vos mains immaculées et
essuyé d'un linge les pieds de vos disciples,
jetez aussi maintenant un regard sur nous.
(1) Les chœurs répondent : A toi, Seigneur.
(2) La rubrique ajoute : èx^tôvwç; ce mot indique
non une simple lecture à voix haute, mais un véri-
table chant.
(3} Bien que la rubrique n'en dise rien, ce sont
sans doute les chœurs qui, comme d'ordinaire
répondent : amen; de même à la fin des oraisons»
(4) Les chœurs répondent : Kyrie, eleison.
LA CÉRÉMONIE DU LAVEMENT DES PIEDS A JÉRUSALEM
93
vos serviteurs, qui imitons le glorieux
exemple de votre condescendance ; accordez-
nous d'être purifiés des souillures de la
chair et des taches de l'àme par le contact
de cette eau ; accordez-nous la grâce de la
descente invisible de votre Esprit-Saint;
protégez nos âmes et nos corps du serpent
rusé qui guette notre talon, afin que, de-
venus purs, nous vous rendions un culte
agréable, foulant aux pieds les serpents, les
scorpions et toute puissance de l'ennemi.
// conclut en chantant (i) :
Parce qu'à vous convient toute gloire,
honneur et adoration, ainsi qu'à votre Père
éternel et à votre Esprit très saint, mainte-
nant et toujours et dans les siècles des
siècles. Amen.
Paix à tous [2).
Le diacre :
Inclinons nos têtes devant le Seigneuries).
Prions le Seigneur !4).
Le patriarche dit cette oraison :
Seigneur notre Dieu, qui nous avez
montré la mesure de l'humilité dans votre
haute condescendance et avez déclaré que
le dernier en place est le premier, accordez-
nous votre grâce dans le service du pro-
chain, élevez-nous par la divine humilité,
gardez-nous de toute souillure, nous lavant
dans nos larmes et nous purifiant par la
splendeur de votre grâce purificatrice, afin
que toujours prosternés sincèrement devant
vous nous obtenions pitié et miséricorde à
votre redoutable tribunal.
// conclut en chantant :
Parce que vous êtes un Dieu miséricor-
dieux et ami des hommes, et à vous nous
rendons gloire, au Père et au Fils et au
Saint-Esprit, maintenant et toujours et
dans les siècles des siècles. Amen.
Le patriarche et les disciples s'asseyent
et l'évangéliste commence le deux^me
évangile.
L'ÉVANGÉLISTE. — Et pouf être rendus
dignes d'entendre la lecture du saint Evan-
gile, supplions le Seigneur notre Dieu (3i.
Sagesse! Debout! Ecoutons le saint Evan-
gile.
(Il Un oubli a fait omettre cette rubrique.
(2) Les chœurs répondent : Et à votre esprit.
i3| Les chœurs répondent : Devant vous, Sei-
neur.
(4) Les chœurs répondent : Kyrie, eleison.
t5| Les chœurs répondent trois fois : Kyrie,
eleison.
Le patriarche. — Paix à tous • i).
L'ÉVANGÉLISTE. — Lecturc du saint Evan-
gile selon Jean. Soyons attentifs 12).
En ce temps-là, Jésus, sachant que le
Père a tout remis entre ses mains, et qu'il
est sorti de Dieu et qu'il va à Dieu, se leva
de table, ôta ses vêtements et, ayant pris
un linge, il se ceignit; ensuite, il mit de
l'eau dans le bassin et commença à laver
les pieds de ses disciples et à les essuyer
avec le linge dont il était ceint.
Lorsque l'évangéliste dit : « // se leva de
table », Sa Béatitude le patriarche se
lève et descend de son trône: les diacres
l'aident à déposer la mitre, les « encol-
pia » (3 ), r n omophorion » (4), le « sac-
cos » (5), et r « epigonation » (6)e/, à leur
place, à se ceindre de linges; puis, deux
diacres portant le bassin. Sa Béatitude le
patriarche prend l'aiguière de la main
droite, s'avance vers le dernier des dis-
ciples, s'agenouille, verse de l'eau dans le
bassin, lui lave les pieds, les essuie avec le
linge et les baise; il fait de même succes-
sivement à tous les disciples, jusqu'à ce
qu'il vienne à Pierre. Et tout le temps que
Sa Béatitude le patriarche lave les pieds
des autres, l'évangéliste répète : « Ensuite
il mit de l'eau dans le bassin et commença
à laver les pieds de ses disciples et à les
essuyer avec le linge dont il était ceint. »
Lorsque Sa Béatitude le patriarche arrive
à Pierre, l'évangéliste continue :
L'ÉVANGÉLISTE. — Il vint donc à Simon
Pierre et celui-ci lui dit :
Pierre 171. — Seigneur, vous me lavez
les pieds !
(1) Les chœurs répondent : Et à votre esprit.
(21 Les chœurs répondent : Gloire à vous. Sei-
gneur, gloire à l'ous.
{'5) L'encolpion est un médaillon orné d'une
sainte image et que l'évéque porte suspendu au
cou : les patriarches portent deux encolpia.
•4) Bande d'étoffe en soie, brodée et ornée de
croix, qui se porte autour du cou, et dont les
extrémités retombent l'une par derrière sur les
épaules, l'autre par devant jusqu'aux genoux :
c'est le pallium du rite romain.
(5) Tunique de soie brodée àdeini-manches, qui
remplace la chasuble pour les évéques.
(6) Ornement en forme de lf^<i3nge, portant une
croix ou une image brodée ; il se porte à la hau-
teur du genou droit à l'aide d'un ruban passé sur
l'épaule gauche ou attaché à la ceinture; il est
réservé aux dignitaires ecclésiastiques.
(7) L'apôtre se lève pour parler, comme il appert
de la rubrique finale.
94
ECHOS D ORIENT
L'ÉvANGÉLiSTE. — Jésus répondit ct lui dit :
Le patriarche. — Ce que je fais, tu ne
le sais pas maintenant,' mais tu le sauras
plus tard.
L'ÉVANGÉLISTE. — Pierre lui dit :
Pierre. — Jamais vous ne me laverez
les pieds.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus lui dit :
Le PATRIARCHE. — Si je ne te lave, tu
n'auras pas de part avec moi.
L'ÉVANGÉLISTE. — Pierre lui dit :
Pierre. — Seigneur, non seulement mes
pieds, mais les mains aussi et la tête.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus lui dit :
Le patriarche. — Celui qui a été lavé
n'a besoin que de laver les pieds, et il est
pur tout entier; et vous aussi vous êtes
purs, mais pas tous.
L'ÉVANGÉLISTE. — Car il savait quel était
celui qui le trahirait; c'est pourquoi il dit :
Vous n'êtes pas tous purs.
Cela dit, Pierre s'assied, et Sa Béatitude
le patriarche s'agenouille et lui lave les
pieds comme aux autres disciples.
L'évangéliste comjjience le troisième
évangile :
L'ÉVANGÉLISTE. — Leçou du saint évan-
gile selon Jean. Soyons attentifs (i).
En ce temps-là, lorsque Jésus eut lavé les
pieds de ses disciples'et qu'il eut repris ses
vêtements, s'étant remis à table il leur dit:
Pendant ce temps les diacres enlèvent les
linges à Sa Béatitude le patriarche et le
revêtent des ornements pontificaux : Jus-
qu'à la fin de cette opération, l'évangéliste
répète les mots : et qu'il eut repris ses vête-
ments; après quoi. Sa Béatitude le
patriarche s'étant assis sur son trône,
l'évangéliste continue : s'étant remis à
table il leur dit :
Le patriarche. — Savez-vous ce que je
vous ai fait? Vous m'appelez le Maître et
le Seigneur, et vous dites bien, car je le
suis. Si donc j'ai lavé vos pieds, moi le
Seigneur et le Maître, vous devez aussi
vous laver les pieds les uns aux autres. Car
je vous ai donné l'exemple, afin que,
comme j'ai fait pour vous, vous fassiez,
vous aussi. En vérité, en vérité, je vous le
dis, le serviteur n'est pas plus grand que
son maître, ni l'apôtre plus grand que celui
qui l'a envoyé. Si vous savez ces choses,
(i) Les chœurs répondent: Gloire à vous. Sei-
gneur, gloire à vous.
bien heureux serez- vous si vous les pratiquez.
Je ne dis pas ceci de vous tous, je connais
ceux que j'ai choisis; mais afin que l'Ecri-
ture s'accomplisse : Celui qui mange le
pain avec moi a levé le pied contre moi.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus ayant dit ces
choses fut troublé en son esprit et il attesta
et dit :
Le patriarche. — En vérité, en vérité,
je vous dis qu'un de vous me trahira.
L'ÉVANGÉLISTE. — Lcs disciples donc se
regardaient l'un l'autre, incertains de qui
il parlait. Or, un des disciples était couché
contre le sein de Jésus, celui que Jésus
aimait. Simon Pierre lui fit donc signe de
demander quel était celui dont il parlait.
Et celui-là, Jean, s'étant appuyé sur la poi-
trine de Jésus, lui dit :
Jean. — Seigneur, quel est celui qui vous
trahira?
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus lui répondit :
Le patriarche. — Celui qui met la main
avec moi dans le plat. Le Fils de l'homme
s'en va, comme il est écrit à son sujet;
mais malheur à cet homme par qui le Fils
de l'homme est trahi.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus douc Icur dit
encore :
Le patriarche. — Mes petits enfants, je
suis encore un peu de temps avec vous.
Vous me chercherez, et, comme j'ai dit aux
Juifs : Où je vais, vous ne pouvez venir, je
le dis à vous aussi maintenant. Je vous
donne un commandement nouveau, que
vous vous aimiez les uns les autres, et que
vous vous aimiez les uns les autres comme
je vous ai aimés. C'est à cela que tous con-
naîtront que vous êtes mes disciples, si
vous avez de l'amour les uns pour les
autres.
L'ÉVANGÉLISTE. — SimoH Pierre lui dit :
Pierre. — Seigneur, où allez-vous?
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus lui répondit :
Le patriarche. — Où je vais tu ne peux
me suivre maintenant, mais tu me suivras
plus tard.
L'évangéliste. — Pierre lui dit :
Pierre. — Seigneur, pourquoi nepuis-je
pas vous suivre maintenant? Je donnerai
ma vie pour vous.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus luî répondît :
Le patriarche. — Tu donneras ta vie
pour moi? En vérité, je te le dis, le coq ne
chantera pas avant que tu m'aies renié
trois fois.
LA CÉRÉMONIE DU LAVEMENT DES PIEDS A JÉRUSALEM
95
L'ÉVANGÉLisTE. — Jésus doiic Icar dit
.ncore :
Le patpi arche. — Que votre cœur ne se
trouble pas et ne craigne pas. Croyez en
Dieu et croyez en moi. Dans la maison de
mon Père il y a beaucoup de demeures; si
cela n'était, je vous l'aurais dit. car je vais
vous préparer une place. Et lorsque je m'en
serai allé et vous aurai préparé une place,
je reviendrai et vous prendrai avec moi,
afin que là où je suis, vous soyez aussi. Et
vous savez où je vais et vous savez le che-
min.
Lévangéliste. — Thomas lui dit:
Tho.mas. — Seigneur, nous ne savons où
vous allez, comment pouvons-nous savoir
le chemin?
L'ÉVANGÉLisTE. — Jésus lui dit :
Le PATRIARCHE. — Je suis la voie, la
vérité et la vie. Personne ne vient au Père,
sinon par moi. Si vous m'aviez connu,
ous auriez connu aussi mon Père, et
bientôt vous leconnaîtrez. et vous l'avez vu.
. L'ÉVANGÉLiSTE. — Philippe lui dit :
Philippe. — Seigneur, montrez-nous le
Père et cela nous suffit.
LÉVANGÉLISTE. — Jésus lui dit :
Le PATRIARCHE. — Dcpuis si longtemps
je suis avec vous et tu ne m'as pas connu,
Philippe? Celui qui me voit voit le Père.
Comment dis-tu : .Montrez-nous le Père?
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus donc leur dit
encore :
Le PATRIARCHE. — Si vous m'aimez,
bservez mes commandements. Encore un
peu de temps et le monde ne me verra
plus; mais vous, vous me verrez, parce
que je vis et que vous vivrez aussi. Celui
-^ui a mes commandements et les garde
est celui qui m'aime, et celui qui m'aime
sera aimé par mon Père, et je l'aimerai
aussi, et je me manifesterai à lui.
L'ÉVANGÉLISTE. — Judas, non pas l'Isca-
riote, lui dit :
Judas. — Seigneur, d'où vient que vous
DUS manifesterez à nous et non au monde?
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus répondit et lui
dit:
Le PATRIARCHE. — Si quelqu'un m'aime,
il gardera ma parole, et mon Père l'aimera,
et nous viendrons à lui, et nous ferons en
lui notre demeure. Celui qui ne m'aime
pas ne garde pas mes paroles.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésus dit donc encore
à ses disciples :
Le PATRIARCHE. — Vous scTcz tous scau-
dalisés à mon sujet, celte nuit; car il est
écrit : Je frapperai le berger et les brebis du
troupeau seront dispersées. In peu de temps
et vous ne me verrez plus; et encore un
peu de temps et vous me verrez, parce que
je vais vers le Père.
L'ÉVANGÉLISTE. — iMatthicu répondit et
dit au.x autres disciples:
Matthieu. — Qu'est-ce qu'il nous dit :
L"n peu de temps et vous ne me verrez plus;
et encore un peu de temps et vous me
verrez, parce que je vais vers le Père?
L'ÉVANGÉLISTE. — AloTS, Barthélemv
dit:
Barthélémy. — Qu'est-ce qu'il nous dit:
Un peu de temps?
L'ÉVANGÉLISTE. — Simon de Cana leur
dit:
Simon. — Nous ne savons ce dont il
parle.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jésusconnutdoncqu'ils
voulaient l'interroger et leur dit :
Le patriarche. — Vous cherchez entre
vous pourquoi j'ai dit: Un peu de temps et
vous ne me verrez plus, et encore un peu
de temps et vous me verrez. En vérité, en
vérité, je vous dis que vous pleurerez, vous,
et gémirez; le monde se réjouira et vous
serez contristés : mais votre tristesse sera
changée en joie. La femme, lorsqu'elle
enfante, est dans la tristesse parce que son
heure est venue; mais lorsqu'elle a enfanté
un fils, elle ne se souvient plus de sa dou-
leur, à cause de sa joie de ce qu'un homme
est né dans le monde. Vous avez donc aussi
de la tristesse maintenant; mais je vous
reverrai et votre cœur se réjouira, et personne
ne vous enlèvera votre joie, et en ce jour-
là vous ne m'interrogerez plus sur rien. Je
vous ai dit ces choses en paraboles, mais
l'heure vient où je ne vous parlerai plus
en paraboles, mais je vous parlerai ouver-
tement du Père.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jacqucs, fils d'Alphée,
lui dit :
Jacques, fils d'Alphée. — Voilà que main-
tenant vous parlez ouvertement et vous ne
dites aucune parabole.
L'ÉVANGÉLISTE. — Jacques. fils dcZébédée.
lui dit :
Jacques, fils de Zébédée. — Nous savons
maintenant que vous savez tout et que vous
n'avez pas besoin qu'on vous interroge.
L'ÉVANGÉLISTE. — André lui dit
96
ÉCHOS d'orient
André. — En cela nous croyons et nous
savons véritablement que vous êtes sorti
de Dieu.
L'ÉvANGÉLisTE. — Jésus lui dit :
Le patriarche. — Vous croyez mainte-
nant? Voici que l'heure vient, et déjà elle
est venue, où vous serez dispersés chacun
de son côté et me laisserez seul ; et je ne
suis pas seul, parce que mon Père est avec
moi. Je vous ai dit ces choses afin que vous
ayez la paix en moi. Dans le monde, vous
serez opprimés, mais ayez confiance, j'ai
vaincu le monde.
L'ÉVANGÉLISTE. — Ainsi parla Jésus et il
leva les yeux au ciel et il dit :
Le patriarche. — Père, l'heure est venue ;
glorifiez votre Fils pour que votre Fils vous
glorifie. Je vous ai glorifié sur la terre. J'ai
consommé l'œuvre que vous m'aviez
donnée à faire. Et maintenant, glorifiez-
moi, vous. Père, en vous-même, de la
gloire que j'avais en vous avant que le
monde fût. J'ai manifesté votre nom aux
hommes que vous m'avez donnés du milieu
du monde. Ils étaient à vous, et vous me
les avez donnés, et ils ont gardé votre
parole. Père saint, conservez dans votre
nom ceux que vous m'avez donnés, afin
qu'ils soient un comme nous. Lorsque
j'étais avec eux dans le monde, je les con-
servais en votre nom. J'ai gardé ceux que
vous m'avez donnés, et aucun d'eux n'a
péri, hors le fils de perdition, pour que
l'Ecriture fût accomplie. Je ne prie pas seule-
ment pour eux, mais encore pour ceux qui
croiront en moi par leur parole. Père, ceux
que vous m'avez donnés, je veux que là où
je suis, ils soient avec moi, afin qu'ils
voient ma gloire que vous m'avez donnée,
car vous m'avez aimé avant la constitution
du monde. Père juste, le monde ne vous
a pas connu, mais moi je vous ai connu,
et ceux-ci ont connu que vous m'avez
envoyé. Je leur ai fait connaître votre nom
et je le leur ferai connaître, afin que l'amour
dont vous m'avez aimé soit en eux et que
je sois en eux.
L'ÉVANGÉLISTE. — Lorsque Jésus eut dit
ces choses, il s'en alla avec ses disciples au
delà du torrent de Cédron, là où il y avait un
jardin, dans lequel il entra lui et ses dis-
ciples (i).
(i) Les chœurs répondent : Gloire à vous, Sei-
gneur, gloire à vous.
Aussitôt après, l'évangéliste commence
le quatrième évangile.
L'ÉVANGÉLISTE. — Lccturc du saint évan-
gile selon Matthieu. Soyons attentifs (i).
En ce temps-là, Jésus prend avec lui ses
disciples dans un village appelé Gethsé-
mani et il dit à ses disciples :
Le patriarche. — Asseyez-vous ici
tandis que j'irai là et prierai.
L'ÉVANGÉLISTE. — ¥a ayant pris avec lui
Pierre et les deux fils de Zébédée, il com-
mença à être contristé et affligé. Jésus leur
dit alors :
Dès que l'évangéliste a prononcé les
mots : Et ayant pris avec lui Pierre, Sa
Béatitude le patriarche se lève du trône,
invite les trois premiers disciples , et, accofn-
pagné par eux, descend de l'estrade; et,
descendu, tandis qu'ils se tiennent sur les
degrés de l'échelle, il leur dit :
Le patriarche. — Mon âme est triste
jusqu'à la mort; restez ici et veillezavec moi.
Ayant dit cela, il va vers le lieu de la
prière, préparé près de l'estrade, et prie
ainsi.
L'ÉVANGÉLISTE. — Et, s'étant éloigné un
peu, il se prosterna sur la face, priant et
disant :
Le patriarche. — Mon Père, si c'est
possible, que ce calice s'éloigne de moi ;
cependant, non pas comme je veux, mais
comme vous voulez.
L'ÉVANGÉLISTE. — Et Un angc du ciel lui
apparut le fortifiant, et étant tombé en
agonie il priait plus longuement, et sa
sueur devint comme des gouttes de sang
découlant jusqu'à terre. Et s'étant levé
après sa prière, il vint vers ses disciples et
les trouva endormis et dit à Pierre :
Le patriarche. — Ainsi vous n'avez pu
veiller une heure avec moi? Veillez et
priez afin que vous n'entriez pas en tenta-
tion; l'esprit est prompt, mais la chair est
faible.
L'ÉVANGÉLISTE. — S'en étant allé encore
une fois, il pria, disant :
Le patriarche. — Mon Père, si ce calice
ne peut passer loin de moi sans que je le-
boive, que votre volonté se fasse.
L'ÉVANGÉLISTE. — Et étant revenu il les
trouva encore endormis, car leurs yeux
étaient appesantis, et, les ayant laissés, il
(i) Les chœurs répondent: Gloire à vous. Sei-
gneur, gloire à vous.
LA CÉRÉMONIE DU LAVEMENT DBS PIEDS A JÉRUSALEM
97
s'en alla encore et pria une troisième fois |
disant les mêmes paroles :
Le PATRIARCHE. — Mon Père, si ce calice
ne peut passer loin de moi sans que je le
boive, que votre volonté se fasse.
L'ÉVANGÉLisiE. — Alors il vint vers ses
disciples et leur dit :
Le patriarche. — Dormez maintenant
et reposez- vous. Voici que l'heure approche
et le Fils de l'homme sera livré aux mains
des pécheurs. Levez-vous, allons, voici
qu'approche celui qui me livrera (i).
A la fin de la prière et après les mots :
Voici qu'approche celui qui me livrera. Sa
Béatitude le patriarche remonte sur l'es-
trade et lit à haute voix l'oraison suivante.
L'évangéliste descend de Vambon, oit monte
le prédicateur, après avoir demandé la
bénédiction de Sa Béatitude le patriarche.
Le diacre. — Prions le Seigneur (2).
Le PATRIARCHE. — Scigneur notre Dieu,
qui dans votre infinie miséricorde vous
êtes anéanti et avez pris la forme de l'es-
clave; qui, au temps de votre salutaire et
vivifiante et volontaire Passion, avez daigné
souper avec vos saints disciples et apôtres,
et après cela, vous étant ceint d'un linge,
avez lavé les pieds de vos saints disciples,
leur donnant l'exemple de l'humilité et
de l'amour réciproque, ayant dit : Comme
je vous ai fait, vous aussi faites de même
les uns aux autres; vous, Seigneur, venant
au milieu de vos indignes serviteurs qui
ont suivi votre exemple, effacez toute
tache et souillure de nos âmes, afin que,
lavés de la poussière qui s'est attachée à
nous à la suite de nos fautes et essuyés par
le linge de la charité, nous puissions vous
être agréables tous les jours de notre vie et
trouver grâce devant vous.
// chante la conclusion (3) ;
Parce que vous êtes celui qui bénit et
sanctifie toutes choses. Christ notre Dieu,
et à vous nous rendons gloire, comme à
votre Père éternel et à votre très saint et
bon et vivifiant Esprit, maintenant et tou-
jours et dans les siècles des siècles. Amen.
A la fin de cette oraison, le prédicateur,
du haut de l'ainbon, prononce une courte
instruction, après laquelle les chœurs
(0 Les chœurs répondent : Gloire à vous, Sei-
gneur, gloire à vous.
[2) Les chœurs répondent : Kyrie, eleison.
(3) Dans le texte, simplement : èx^wvwç.
chantent : Et; TroÀXi Stt,, linr.oix. Sa Béati-
tude le patriarche se lève, bénit le peuple
avec le tricerium, descend de l'estrade,
précédé de tous ceux qui forment le cor-
tège comme il a été indiqué, et, sanctifiant
le peuple à l'aide d'un bouquet de fleurs et
de Veau du bassin (i), // monte au pa-
triarcat, les chœurs chantant le long de la
route les àva?a6t;Lo"i du 4" ton (2), jusqu'à
la grande salle, où a lieu l'apolysis (3).
On voit que l'office du lavement des
pieds à Jérusalem comprend treize par-
ties, à savoir :
1 . Le psaume l:
2. Evangile selon saint Matthieu ;
3. Ode 5 du canon du Jeudi-Saint;
4. Idiomèles ;
5. Collecte diaconale;
6. Oraison ;
7. Oraison;
8. Evangile selon saint Jean;
9. Evangile selon saint Jean;
10. Evangile selon saint Matthieu;
1 1. Oraison ;
12. 'Avaêa^'jLO'l;
13. Apolysis.
Le plan de l'office est exactement celui
de l'office contenu dans l'euchologe
imprimé (4); mais les numéros 2, 9 et 10
ne se trouvent pas dans celui-ci. L'addition
de ces trois leçons de l'Evangile est la
caractéristique de l'office hiérosolymitain.
Il offre une autre divergence, mais sans
importance aucune : à la fin de l'office,
le chant des àvaêa^aol à la place du chant
de deux tropaires (5).
Ce qui le distingue essentiellement de
(i) Dans le texte : iy^^^wv tÔv ),abv St'âvOoSÉafiri;.
âitô To-3 v.7rTf,po;. Sauf dans quelques églises de
Grèce et en Russie, on ne se sert pas avec l'eau
bénite d'un goupillon, mais d'un bouquet de ver-
dure, ordinairement de basilic.
(21 Sur les àvaoaôfjLot, voir l'article du R. P. L. Petit
dans le Dictionnaire d'archéologie chrétienne et
de liturgie, t. I", col. 1860.
(3) Sur l'apolysis ou conclusion des offices litur-
giques dans le rite byzantin, voir mon article dans
le même Dictionnaire, t. I", col. 2601.
(4) E-JyoÀôvtov To [i^Y*> édit. citée, p. 375-38o.
(5) Cf.' ibid., p. 38o.
98
ÉCHOS d'orient
l'autre office, c'est son caractère drama-
tique: il constitue un drame liturgique
véritable, tout à fait pareil à ces drames
d'église qu'on trouve à l'origine du
théâtre français. Les éléments sont les
mêmes : mise en scène, sinon dans
l'église, au moins tout à côté ; rôles tenus
par les membres du clergé en ornements
liturgiques; dialogues formés de phrases
de l'évangile. On a sans doute remarqué
l'introduction de quelques mots qui ne
sont pas dans le texte évangélique et les
modifications que celui-ci a subies çà et
là pour se prêter au dialogue.
L'existence de drames liturgiques dans
le moyen âge byzantin est prouvée par
ailleurs. Luitprand raconte qu'on érigeait
fréquemment un vrai théâtre dans Sainte-
Sophie. Un de ces drames est connu,
celui des Trois enfants dans la fournaise.
Le lavement des pieds, tel qu'il est pra-
tiqué à Jérusalem, me paraît se rattacher
étroitement à ce genre d'enseignement
pieux.
11 n'est pas hors de propos d'ajouter ici
une brève description du lavement des
pieds tel qu'il est pratiqué dans l'île de
Patmos : je résume un article d'E. Alexakis,
originaire de cette île, en regrettant que
l'auteur n'ait pas apporté plus de préci-
sion dans certains détails (i).
L'estrade est dressée, l'après-midi du
Mercredi-Saint, sur une des deux places
du chef-lieu de l'île, à tour de rôle. C'est
un plancher peu élevé, reposant sur des
tréteaux de bois. Tout autour sont
plantés des mâts, reliés par des guir-
landes de myrte et de nard sauvage, et
portant alternativement une croix et un
fanal. Un pupitre servira au chant des
évangiles. Douze sièges sont disposés en
(i) E. Alexakis, dans 'EffTÎa, t. XXVII, p. 336-
338. Athènes,' 1889. Je n'ai pu consulter la descrip-
tion de Kbumbacher, Griechische Reise, p. 3/6.
Berlin, 1886. Le regretté savant. Geschichte der
byzantin. Litteratur, 2' édit., p. 645, ne manque
pas de signaler la cérémonie de Patmos à propos
du drame liturgique byzantin.
deux rangs; au milieu, celui du célébrant,
flanqué de deux hexapieryga. Dans un
coin, le lieu de la prière duChrist, marqué
par une image du Sauveur couronné
d'épines.
La cérémonie a lieu vers 1 1 heures,
après la messe du Jeudi-Saint. Elle est
présidée par l'higoumène du célèbre
monastère de Saint-Jean, qui est en même
temps le plus haut dignitaire ecclésiastique
de l'île, ou parfois par quelque évêque
pèlerin. Au son des cloches il quitte le
monastère, accompagné de onze prêtres
et de quatre diacres qui encensent. Les
prêtres portent des ornements semblables
en velours rouge (1), mais n'ont pas
l'aube; les diacres sont en aube rouge (2).
Je ne parviens pas à comprendre si les
prêtres sortent du couvent revêtus des
ornements ou s'ils ne les prennent que
sur la place.
Onze prêtres seulement jouent le rôle
d'apôtres. C'est que Judas n'est pas
représenté par un prêtre, mais par quelque
pauvre à qui les moines payent pour cet
office ingrat une paire de souliers neufs
et la somme de trente piastres.
Les cloches des églises saluent la pro-
cession au passage. Les meilleurs chantres
du monastère, rangés autour du pupitre,
exécutent six fois lentement un solennel
alléluia, puis entonnent Vapolyiikion (3)
du jour. Le cortège arrive, Pierre et Judas
en dernier lieu, devant l'higoumène :
c'est Judas qui porte le bassin, un bassin
d'argent.
La cérémonie commence par l'accla-
mation ordinaire (4), puis l'higoumène
(i| Dans le rite byzantin, le rouge est la couleur
des jours de jeune : comme tant d'autres régies
liturgiques, celle-ci n'est plus que bien rarement
observée.
(2) Dès le moyen âge, le sticherarion, primitive-
ment blanc, est souvent de la même couleur que
le reste des ornements. Celui du diacre, par sa
décoration plus soignée, rappelle moins l'aube
que la dalmatique latine.
(3) Sur ce tropaire principal de l'office grec, voir
mon article dans le Dictionnaire d'archéologie
chrétienne et de liturgie, t. 1 '. col. 2602.
■ (4J En voici la traduction : Béni soit notre Dieu,
toujours, maintenant et à jamais et da7is les
siècles des siècles. Amen.
DÉCRETS DES CHAPITRES GÉNÉRAUX DES BASILJENS CHOUÉRITES DE I73O A 1 79O 99
bénit leau du bassin et on chante les
idiomèles déjà connus (ou un seul?).
Ensuite commencent les évangiles. C'est
ici surtout que l'exactitude fait défaut
au texte que j'analyse. D'après l'auteur,
il n'y aurait que trois leçons : une de
saint Matthieu, une de saint Jean et une
de saint Marc. Mais il me paraît sûr
qu'il se trompe et il y a sans doute
quatre leçons comme à Jérusalem (à moins
que la première et la deuxième ne soient
réunies en une seule?). Autre différence:
la dernière leçon, celle qui raconte la
prière de Jésus à Gethsémani, serait tirée
de saint Marc à Patmos, tandis qu'à Jéru-
salem elle est de saint Matthieu. Quoi
qu'il en soit, les lectures évangéliques
ont lieu à Patmos avec le même appareil
que nous avons vu dans la Ville Sainte
et avec la même forme dialoguée. A la
fin, l'officiant bénit l'assistance avec l'eau
qui reste dans le bassin, on chante le
fameux idîomèle du Mercredi-Saint :
KÛg'-£, r. sv7:oÀAal^à;j.xp-:'lav;, de Cassia ( i),
et le tout se termine par X'apolysis
comme à l'ordinaire.
S. PÉTRIDÈS.
DÉCRETS DES CHAPITRES GENERAUX
DES BASILIENS CHOUÉRITES
DE 1750 A 1790
Le récit des démêlés regrettables entre
Ignace Sarrouf, métropolite de Beyrouth,
et les Chouérites nous amène naturelle-
ment à parler d'un autre désaccord, né
de ceux-ci et qui n'eut pas moins de
retentissement que les précédents. Il
s'agit des vingt nouveaux règlements
imposés aux Chouérites par ce même
Ignace Sarrouf, mais, cette fois, sous le
couvert du patriarche Athanase V Jauhar
et de son concile national plénier de
Saint-Sauveur, en l'année 1790. Mais
avant d'engager le lecteur dans toutes ces
intrigues, nous avons mieux aimé le
laisser reposer un instant en lui présen-
tant quelques-unes de ces ordonnances
monastiques que les Chouérites ont, de
tout temps, qualifiées d'encre sur du
papier.
A l'époque de leur fondation, en 1697,
les Chouérites n'ayant pas encore de
Constitutions régulières, prirent l'habi-
tude de s'en faire quelques-unes à chaque
Chapitre général de la Congrégation. Ces
règlements, émis en assemblée plénière
de tous les membres de la nouvelle
famille religieuse et avec l'agrément de
tous, étaient destinés à faire partie des
Constitutions proprement dites qui dirige-
raient la Congrégation et pour lesquelles
on solliciterait l'approbation pontificale.
Ainsi, ils étaient élaborés suivant les
circonstances et les besoins des temps,
et avaient force de loi dans la Congréga-
tion naissante. Au premier Chapitre géné-
ral, en 1720, les règlements "qui furent
portés étaient au nombre de dix-huit;
plus tard, quinze nouvelles prescriptions
leur furent ajoutées, puis trois autres,
puis huit, enfin une vingtaine. Et ce sont
ces premières Constitutions religieuses
que les Chouérites présentèrent lors dt
(i) Sur cet idiomèle, son histoire ou sa légende,
et la vogue dont il jouit chez les Grecs, voir mon
article Cassia, dans Revue de l'Orient chrétien,
t. Vil 11902), p, 237 sq.
lOO
ÉCHOS D ORIENT
sa première visite à Mar-Hanna, à l'appro-
bation d'Athanase IV Dabbas, qui les
confirma compiaisamment à Fourzol, en
1723.
Tous ces règlements ainsi élaborés
trouvèrent place dans le livre des Consti-
tutiones sancii Basilii magni que nous
avons longuement analysé ici même et
qui eut pour auteur le P. Nicolas Saiegh,
de vénérée mémoire. Présenté en 1750 à
l'approbation pontificale, il ne fut définiti-
vement confirmé qu'en 1757 par le Bref
Ecclesiœ catholicœ regimini meritis, que
Benoît XIV adressa au P. Ignace Jarbouh,
successeur du P. Saiegh. A ces règles
autorisées, sages et composées pour les
Chouérites eux-mêmes, ceux-ci ne prê-
tèrent pas une attention sérieuse, et,
au lieu de s'astreindre à les faire passer
dans leur vie religieuse, ils se conten-
tèrent de s'autoriser de la confirmation
accordée par Rome en vue des difficultés
qui ne manquaient pas de surgir.
Cependant, ils prescrivirent d'en lire
un ou deux chapitres, le dimanche, au
réfectoire, et ils continuèrent à émettre,
à la fin de chaque Chapitre général, des
règlements auxquels on s'est plu à donner
le titre de A'mal ul Majma' el 'Am,
Actes du Chapitre général. Tout en étant
présentés sous une forme nouvelle, ces
Actes se trouvent en toutes lettres dans le
livre des Constitutions; mais l'on n'y
prend pas garde, et les nouveaux digni-
taires chouérites élus au Chapitre géné-
ral sont persuadés de la nullité de leur
assemblée solennelle, toutes les fois
qu'elle n'émet point de ces A'mal ul
Majma' el [Am. Au lieu de mettre sous
clé les sages règlements confirmés et
approuvés par Rome, il semble que le
premier et le plus urgent devoir du Cha-
pitre général serait d'en faciliter et d'en
presser la pratique, sans se mettre en
peine d'en émettre d'autres qui ne s'ac-
cordent pas toujours avec les premiers.
De là vient le peu d'importance que
trop souvent les subordonnés y attachent.
Au dernier Chapitre général, tenu en
IQ07, Alépins et Chj ii4gf itf^-^ -ifMJirè nés
firent imprimer à Beyrouth leurs A'mal
ul Majma' el 'Am. Si l'on s'est gardé
d'en distribuer un exemplaire à chaque
religieux, on en a tout de même envoyé
un ou deux dans chaque monastère, et
bien que ce ne soit là qu'une demi-me-
sure, on ne saurait trop s'en réjouir.
Ce ne sont pas de ces règlements con-
temporains que je voudrais entretenir le
lecteur, je me propose plutôt de lui
mettre sous les yeux les Décrets des Cha-
pitres chouérites élaborés entre les années
1750 et 1790. Ayant eu la bonne fortune
de les retrouver réunis dans une seule et
même copie qui ne manque pas d'intérêt,
je donnerai tout d'abord la traduction des
décrets élaborés de 1750 à 1790, puis celle
des décrets du Chapitre général de 1790.
1. DÉCRETS DES CHAPITRES GÉNÉRAUX
DES Chouérites de 1750 a 1790.
Liste de ce qui a été prescrit et décrété
dans plusieurs Chapitres généraux et par-
ticuliers, depuis l'année ij5o jusqu'au
Chapitre général qui eut lieu à Saint-
Michel en
7 go.
1° Aucun d'entre nous ne fera de fian-
çailles et de mariages, à moins qu'il ne soit
chargé par l'évéque d'exercer le saint mis-
nistère (i).
2" Les femmes n'auront point accès dans
nos couvents, sauf à l'église et pour un
motif spirituel. S'il est urgent cependant
d'avoir affaire à elles, que ce soit dans un ■
endroit isolé du monastère; que l'on ne
conclue avec elles ni ventes ni achats (2).
3" On n'admettra point les adolescents
dans les monastères, sauf pour un motif
d'instruction spirituelle. Dans ce cas, il
faut les recevoir dans un endroit isolé du
(;) Cette régie a été modifiée depuis, et aujour-
d'hui le métropolite de Beyrouth autorise le supé-
rieur du monastère à permettre l'exercice du saint
ministère dans tes alentours du couvent, à n'im-
porte quel prêtre du monastère. Les mariages et
les fiançailles sont toujours faits, cependant, par
le supérieur du monastère, accompagné d'un
prêtre désigné par lui.
(2) Malgré cette prescription et la clôture rigou-
reusement établie dans touslescouventschouérites,
les femmes ont encore accès dans les monastères.
Ce sont elles qui s'occupent de laver et de coudre
les effets des religieux.
DÉCRETS DES CHAPITRES GÉNÉRAUX DES BASILIENS CHOUÉRITES DE 17=.0 A 1 79O lOI
monastère, en dehors des cellules, et ne
point leur permettre d'y coucher. On n'ad-
mettra pas non plus dans les couvents de
cuisinier laïque qui n'aurait pas dépassé
vingt ans [j).
4° Le Père Général n'ouvrira point les
lettres des Pères assistants qui porteraient
la note « sous réserve ». De même, les
supérieurs n'ouvriront point les lettres du
Père Général et des assistants envoyées aux
Pères et aux Frères ou reçues d'eux. Le
signe servant à distinguer ces lettres est
connu (2). En dehors de ces missives
adressées aux Pères et aux Frères, il faut
que le Père supérieur ouvre les lettres en-
vovées ou reçues, qu'il les fasse parvenir
ensuite à leurs destinataires ou qu'il les
expédie. Celui qui contrevient à cette pres-
cription sera puni (3).
5" Le religieux qui se transporterait d'un
couvent à un autre, sans être muni d'un
billet de son supérieur, n'y sera point
admis, à moins qu'il n'ait un motif légi-
time évident.
6*^ Le Frère cellérier ne prêtera et n'em-
pruntera les choses qui concernent sa fonc-
tion qu'avec l'autorisation du supérieur. 11
n'ira pas non plus chez les voisins à moins
d'y être autorisé.
7" Celui qui aurait été convaincu d'avoir
écouté aux portes des cellules sera puni
très sévèrement, car son acte devrait être
considéré comme un péché grave.
8^' Les Pères et les Frères ne pourront
quitter l'église qu'à la fin des uLaxapiçao-
dont la récitation doit avoir lieu à la
grand'messe. Au lieu des aaxaoïTjAO': on
dira quelquefois les antiphones. Celui qui
serait obligé de quitter l'église avant ces
prières, devrait y être autorisé par le supé-
rieur (4).
111 Les Frères convers cliouérites ne se sont
jamais astreints à faire la cuisine au monastère,
car bien souvent ils n'embrassaient la vie reli-
gieuse que pour aspirer plus facilement au sacer-
doce.
(2) Ce signe consiste dans les initiales des deux
mots arabes qui signifient « Père Général ».
(3i Aujourd'hui le supérieur du monastère
n'ouvre que les lettres adressées aux simples
novices et celles qu'ils expédient. 11 ne saurait,
sans soulever de tempête et bien que les Constitu-
tions soient formelles sur ce point, toucher aux
lettres des Frères profès ou à celles des Pères.
(4» Cette règle a sa raison d'être, en ce sens que
les u.a/.ap'.(Tij.o; qui font partie de l'office divin
étaient récités à la grand'messe ou plutôt à la
9' Le silence le plus rigoureux sera
observé, notamment : aj à l'église ; b/ au
réfectoire; c) depuis la prière des Petites
Complies jusqu'après la prière des Laudes
du lendemain. S'il est urgent de rompre le
silence, que ce soit à voix basse; celui qui
y contreviendra sera puni. Cependant, à
la cuisine et dans les corridors, que la con-
versation soit faite avec calme et res-
pect (i).
10' Un Frère qui entrerait dans la cellule
d'un autre devrait en laisser la porte ou-
verte jusqu'au moment de son départ, alors
même que ce serait pour un motif de con-
fession ou de direction. Celui qui y contre-
viendra sera puni.
H" On observera le jeune monastique
habituel ; on ne mangera point de fruits en
cachette, en dehors du réfectoire, et l'on
ne s'autorisera point à boire de l'eau-de-vie
ou autres boissons, si ce n'est avec l'avis
du Père spirituel, et s'il est présent (2).
12' Les dimanches et les jours de fêtes,
les Frères ne communieront qu'à la grand'-
messe. Aucun d'eux n'est autorisé à S2 dis-
penser de la messe solennelle. Les diacres
y concélébreront, et, s'il y a un motif qui
les en empêche, il appartient au supérieur
d'en décider.
i3° C'est le supérieur, avec deux Frères,
qui dépouilleront le scrutin. Ils en déclare-
ront ainsi le ré>ultat : admis ou refusé. Ils
ne déclareront point le nombre des voix
pour, mais ils garderont là-dessus un secret
absolu. De même, il ne sera point permis aux
Frères électeurs de révéler ce qu'ils auraient
accompli. La même discipline sera obser-
vée dans le scrutin des ordinands (3).
mess3 de communauté, et non point après sexte.
Or, les religieux, qui sont tous t^nus à l'office du
chœur, n'y satisfaisaient point en quittant l'église
au début de la messe, et on les obligeait à réciter
ces prières en leur particulier.
Il) Depuis longtemps cette règle est complète-
ment tombée en désuétude.
(2) Cette régie aurait grand besoin d'être renou-
velée.
(3) Voici le mode usité pour les scrutins monas-
tiques. Ils ont lieu ordinairement au réfectoire, à la
fin du repas, en présence de tous les Frères. Ceux-ci
étant debout, le supérieur leur adresse une petite
exhortation, leur déclare que tel Frère novice a ter-
miné ses années de probation et que le Père général
désire qu'il fasse sa profession religieuse; enfin, il les
invite à demander les lumières du Saint-Esprit,
pour que, dans le scrutin auquel ils vont procéder,
il n'y ait rien d'humain qui les empêche d'agir
conforméîrièrit à leur conscience. Là-dessus, chacun
102
ECHOS D ORIENT
14" On observera avec ponctualité la dis-
cipline et le respect monastiques, selon que
nous le recommande notre Père saint
Basile. Personne ne quittera sa cellule sans
être complètement habillé; il ne placera
point son manteau sur les épaules en lais-
sant pendre les manches. On ne dira point
d'injures, de plaisanteries, de moqueries
et de paroles insolentes, même avec les
laïques. On ne portera la main sur per-
sonne, même par manière de plaisanterie.
On ne couchera qu'avec le compa\ ( i ), la
ceinture et la -aiafAsvT-r, (2 ).
- i5" On ne se promènera pas dans le
monastère aux heures de silence ; les Frères
resteront dans leurs cellules. On ne fré-
quentera pas les laïques auxquels nous ne
permettons point d'habiter avec les reli-
gieux (dans les monastères).
16" Le Père spirituel, le Frère tailleur et
un Père assistant — s'il en est de présent —
feront une fois l'an, au mois de septembre,
la visite des cellules des Frères. On en reti-
rera ce qui ne s'y trouverait pas en confor-
mité avec la pauvreté monastique, et l'on
prendra note de ce qui manquerait. Il
appartient au Père général seul de faire la
visite des cellules des assistants et des supé-
rieurs (3).
récite en particulier un Pater, un Ave et un Gloria,
puis !e Frère cellérier arrive, portant un petit pla-
teau sur lequel est une petite boîte en bois avec
quelques grains de blé et d'orge, suivant le nombre
des religieux réunis. Il passe au-devant de tous en
commençant par le Père supérieur ; chacun prend
en main un grain de blé et un grain d'orge. Ceci
fait, le Frère cellérier passe une seconde fois, et alors,
chaque Frère jette dans la boîte, bien secrètement,
soit Un grain de blé, soit un grain d'orge, selon
que le novice lui paraît digne ou non de prononcer
ses vœux. Les grains de bléysont favorables, les
grains d'orge défavorables. Enfin, on porte le
résultat de ce scrutin devant le supérieur. Celui-ci
invite deux prêtres, et enseinble ils comptent les
grains de blé et d'orge après les avoir bénis d'un
signe de croix. Finalement, il rappelle le novice,
qui, durant tout le scrutin, doit se tenir en dehors,
à la porte du réfectoire; il lui signifie le résultat
du scrutin et lui adresse quelques paroles d'exhor-
tation, suivant les circonstances.
( 1 1 Le compas est le vêtement principal du reli-
gieux, ouvert par devant, et qui lui couvre tout
le corps.
(2) La TtapaijLïvTr, n'est autre que Veskim religieux
dont nous avons déjà parlé. (Voir Echos d'Orient,
t. VI [igoSi, p. i74ri83.)
j3) Cette visite ne se fait plus de nos jours, et
chaque religieux est libre de garder dans sa cellule
les objets ou meubles qu'il souhaite. De là des dif-
férences considérables dans l'ameublement et la
17' On observera avec exactitude les
règles de la prière mentale, les conférences
spirituelles les dimanches, les retraites
annuelles au temps fixé. On punira très
sévèrement celui qui les négligera, et l'on
n'admettra aucun motif, pour s'en dispen-
ser, quelque valable qu'il soit ( i).
18" Les dimanches et les jours de fêtes,
on ne permettra plus désormais de faire
des comptes 1 2 1, ou encore de faire voyager
les moukres et les courriers spéciaux.
19° Au commencement de chaque mois,
l'hebdomadier procédera à la petite béné-
diction de l'eau, et il en aspergera le cou-
vent.
20° Les Frères ne demanderont qu'à leur
supérieur respectif tout ce dont ils auront be-
soin,commeboîtes, canifs, mouchoirs, etc. ;
décoration des cellules, dont certaines renferment
des tapis précieux, des tables d'un travail rare.
des tableaux, des portraits richement encadrés,
tandis que d'autres n'ont qu'une pauvre natte et
quelques vieux livres où les religieux apprennent
à lire l'office divin.
(i| Les conférences spirituelles sont depuis long-
temps inconnues dans les couvents chouérites, par
suite du manque d'instruction sérieuse. Quant aux
retraites annuelles, elles se font encore, mais elles
ne sont ni prêchées ni méditées ; on se contente
de lire, pendant trois ou quatre jours, la Perfec-
tion chrétienne, de Rodriguez; la Balance du
Temps, VEchelle des Vertus, la Retraite de saint
Ignace de Loyola et la Préparation à la mort de
saint Alphonse de Liguori. A la fin de la retraite,
chaque religieux fait une confession générale. Tout
cela est fort bien et serait mieux encore, si le
silence et le recueillement étaient plus observés.
C'est un dicton chez les Chouérites que l'on entre
à la retraite aiguille à coudre et que l'on en sort
aiguille à matelas ; il y a là sans doute quelque
exagération due au génie syrien.
Voici la manière dont se pratique l'oraison men-
tale. Après les Petites Compiles, les religieux font
un examen de conscience, d'après une formule
récitée par l'hebdomadier. Puis tous quittent leurs
stalles et se dispersent dans l'église, en criant en
arabe : « Par les prières de nos saints Pères, etc. »
Ils choisissent d'ordinaire l'endroit le plus sombre
de l'église pour s'y accroupir, la tête entre les
mains. PenJant ce temps, un novice s'est mis à
genoux au milieu du chœur, tenant à la main la
Préparation à la mort de saint Liguori. Après une
formule préparatoire à l'oraison, il lit rapidement
une partie de la méditation du jour et la termine
en exhortant ses confrères à prendre les résolu-
tions appropriées.
(2) Ces comptes avaient lieu, soit avec les fer-
miers, soit avec les ouvriers que le couvent enga-
geait à la journée. Ils se font encore de nos jours
les dimanches et les jours de fêtes, parce qu'on
est plus libre ces jours-là, et que les ouvriers ne
sauraient sacrifier un jour de travail pour venir au
monastère.
DÉCRETS DES CHAPITRES GÉNÉRAUX DES BASILIENS CHOUÉRITES DE I7$0 A I79O i03
car c'est à lui qu'il incombe de subvenir
aux besoins de chacun.
21 Personne n'est autorisé à pénétrer
dans la cellule d'un Frère ou à en prendre
quoi que ce soit qu'après en avoir obtenu
la permission. Celui qui y contreviendra
sera cité au réfectoire par le Père supérieur
qui lui infligera la punition méritée par ce
£;rave délit. Que si, dans le cas d'une
nécessité urgente, le supérieur du monas-
tère doit pénétrer dans la cellule d'un
Frère et en prendre quelque chose, il
devrait en avertir le propriétaire pour
couper court au scandale.
22 Aucun Père ou Frère, pas même les
supérieurs, n'exercera la médecine et tout
ce qui s'en rapproche, à moins qu'il ne
possède un certificat délivré par un habile
médecin et avec l'autorisation écrite du
supérieur général. Celui qui exercera ce
métier devra se conformer en tous points
au chapitre des Constitutions qui le con-
cerne. Le Père général, cependant, dési-
gnera quelqu'un pour prendre soin de la
santé des Frères.
23° Tous les Pères de la Congrégation
célébreront chacun cinq messes pour le
repos de l'àme d'un Frère décédé et 2 messes
pour l'âme d'une religieuse défunte. En
outre, on offrira 40 messes avec les services
habituels, dans le monastère auquel appar-
tenait le Père ou le Frère décédé ( i\
24^' On ne permettra plus désormais les
bains de mer, encore moins les bains chauds
(des villes). En cas de nécessité urgente,
on doit avoir l'autorisation du supérieur
général. De même, on ne permettra plus
de dresser des tentes particulières (2 1.
Quant aux tentes communes on en accor-
dera rarement l'autorisation suivant que le
Père général le jugera opportun et capable
de procurer la gloire de Dieu.
(i) Cette régie a toujours été modifiée suivant
Je plus ou moins grand nombre de religieux. Au-
jourd'hui les Chouérites offrent 10 messes pour
l'àme d'un Père, d'un Frère ou d'une Sœur défunts.
Les Frères convers offrent 10 communions et
récitent 10 chapelets. Par malheur, ces 10 messes,
qui devraient être dites par les religieux eux-mêmes,
sont trop souvent cédées à des prêtres maronites.
(2) Ces tentes de toiles étaient dressées, pour les
moines, dans le jardin de Saint-Michel de Zouq-
-Mikail, où les chaleurs sont excessives durant l'été.
Comme les religieux n'étaient plus soumis à la
clôture monastique, il y eut parfois des désordres
qui forcèrent les supérieurs à abolir cet usage.
25"' Le Frère qui aurait été convaincu
d'avoir menacé le novice de ne point voter
pour lui (au temps de sa profession reli-
gieuse! sera privé de la voix active idans
les délibérations monacales 1. Celui qui,
sans motif plausible ou urgent, refuserait
de prendre part au scrutin serait puni. Que
si, au premier et au deuxième votes, le
scrutin ne donne pas de résultat, le novice
sera refusé, conformément aux Constitu-
tions. Ne prendra part au scrutin que celui
qui aura passé trois mois entiers dans le
monastère.
26" On ne permettra plus le port d'habits
en laine, des gilets à boutons et d'autres
vêtements incompatibles avec l'état monas-
tique ( i).
27" Les Frères banniront de leur milieu
toute partialité, soit en parole, soit en
action, car nous sommes tous un dans le
Christ et enfants d'une seule Congrégation.
C'est pourquoi il ne sera point permis aux
supérieurs majeurs de garder le silence
lorsqu'ils se rendront compte de l'existence
de cet esprit opposé à l'esprit de charité,
d'union et d'égalité qui doit régner parmi
les Frères qui nous viennent de diverses
contrées.
28" On bannira les réunions particulières
où l'on calomnie le prochain, où l'on médit
de lui, où on le tourne en ridicule, notam-
ment en présence des laïques. Le supérieur
punira très sévèrement celui qui sera
reconnu coupable, ou bien il le dénoncera
au supérieur général.
29" Les supérieurs veilleront à ce que les
religieux soient toujours à l'intérieur du
monastère. Ils ne permettront à personne
d'en sortir, à moins d'une nécessité urgente
et accompagné d'un socius à sa conve-
nance, suivant la teneur des Constitutions
particulières et générales; ils ne se sépare-
ront l'un de l'autre qu'à la rentrée au mo-
nastère. Cette règle sera observée avec
exactitude, notamment aux couvents de
Saint-Michel et de Zahlé. Enfin, on ban-
nira, dans les monastères, les visites des
(i) Dans les premiers temps, tous les religieux,
Pères et Frères, portaient des habits en coton blanc
qu'ils faisaient teindre en bleu, et. aux pieds, de
simples sandales noires. Or, à cette époque, il
parait que certains supérieurs majeurs se crurent
le droit de changer le costume monastique; c'est
pourquoi le Chapitre générai s'élève contre ces
abus.
104
ÉCHOS d'orient
Frères entre eux et celles qu'ils pourraient
recevoir du dehors.
3o' Nous recommandons à tout supérieur
de monastère de surveiller les corridors et
les cellules, après la prière des Petites
Complies, soit par lui-même, soit par l'in-
termédiaire d'un prêtre désigné à cet effet.
Nous lui faisons un devoir de prohiber, à
cette heure, toute conversation et toute
réunion des Frères dans les cellules. Il
punira sévèrement le délinquant, notam-
ment celui qu'il verra dans la cellule d'un
autre et qui en tiendrait la porte fermée,
chose contraire à nos Constitutions.
3i° Lorsque le Père général réclame quoi
que ce soit de la part des supérieurs de
monastère, ceux-ci le lui remettront le plus
tôt possible; si, cependant, ils ont des mo-
tifs légitimes à faire valoir, ils les lui pré-
senteront avec respect et soumission, don-
nant ainsi à leurs subordonnés l'exemple
de l'obéissance religieuse.
32° Les supérieurs auront soin de bien
organiser leurs monastères respectifs. Ils
subviendront à tous les besoins de leurs
religieux. Nous leurs recommandons in-
stamment de donner leur sollicitude spé-
cialement aux malades, conformément à la
teneur de nos Constitutions, de pourvoir à
leurs besoins et de ne leur donner aucune
occasion de murmure qui les mette dans
la nécessité de transgresser le vœu de pau-
vreté en réclamant à autrui ce dont ils
auraient besoin. Nous rendons leur con-
science gravement responsable de toutes
ces transgressions. De même, nous recom-
mandons aux infirmes de se comporter
avec patience; dans chaque monastère, on
leur préposera un Frère infirmier qui soit
vertueux, patient, plein de charité pour le
prochain (1).
33'' Nous ne permettons point aux reli-
gieux de réclamer quoi que ce soit à leurs
parents ou à d'autres, sinon après en avoir
obtenu l'autorisation de leur supérieur res-
pectif; et celui qui recevrait quoi que ce
soit ne devrait l'accepter qu'avec la même
autorisation.
34" Les supérieurs s'eff"orceront d'être
utiles aux Frères en leur procurant une
certaine instruction (2); ils les exhorteront
(i) La règle concernant les soins à donner aux
malades n'a pas été toujours bien observée dans
les couvents chouérites.
(2) L'instruction consistait surtout à savoir lire
à la lecture spirituelle et à la pratique de la
direction, même en dehors de la confes-
sion.
35'^ Il est prohibé de faire des ventes et
des achats dans les monastères pour un
motif de gain temporel. On n'y conclura
point non plus de marché concernant la
soie des couvents; que si le Père général ou
l'un des supérieurs entreprend de conclure
un marché de ce genre, que ce soit alors
par l'intermédiaire d'un laïque. Dans tous
les cas, on ne devrait agir qu'avec l'avis et
le consentement du Père général ( i).
36" Il n'est point permis aux simples
prêtres d'user à leur guise des honoraires
de messes; ils doivent les remettre sur-le-
champ à leur supérieur. De plus, ils n'of-
friront des messes pour l'âme de leurs
parents défunts ou pour d'autres, qu'avec
l'autorisation du supérieur (2).
37'' Les religieux ne se livreront plus
désormais à des jeux mondains, tels que
le jeu d'échecs, le jeu de dames et le jeu
le psautier, considéré alors comme le premier livre
de lecture dans les plus humbles écoles. Toutefois,
il y avait et il y a encore des exceptions, et cer-
tains prêtres ordonnés sans avoir fait d'études
préalables se contentent de savoir lire l'évangile.
Pour remédier à ces abus, provenant surtout, chez
les Chouérites alépins, des longs généralats du
P. Thomas Qabbach et du P. Gabriel Basile,
Rome a nommé directement, l'année dernière, le
R. P. Jean Khaouam supérieur général de cette
Congrégation.
(i)Ces marchés avaient toujours lieu au monas-
té'e à la fin de la récolte des vers à soie. Comme
c'est la principale ressource des monastères en
Svrie, les supérieurs apportaient tous leurs soins à
faire un marché profitable à la Congrégation. Ces
longs pourparlers causaient et causent encore du
trouble dans le monastère en nuisant considéra-
blement aux offices religieux.
(2) Cette règle n'est plus en usage aujourd'hui;
cependant, les prêtres qui vivent dans les monas-
tères sont obligés d'offrir annuellement 200 messes
aux intentions du Père général, tant pour payer
les dépenses que fait pour eux la Congrégation,
que pour diminuer le nombre des messes de fon-
dation que la Congrégation s'oblige à acquitter
annuellement. Les Alépins chouérites auraient
actuellement plus de i5 000 messes de fondation
à acquitter chaque année ; les Chouérites indigènes
doivent certainement en avoir autant, car au mo-
ment de leur séparation, en 1829, les charges furent
également réparties des deux côtés. Les Baladites,
eux, prescrivent 5o messes par an à chaque prêtre
vivant dans les monastères; les supérieurs majeurs
et les curés de paroisses en sont dispensés. Comme
les religieux prêtres de ces Congrégations ne suf-
fisent pas à acquitter ces messes de fondation,
celles qui restent sont cédées à des moines maro-
nites libanais.
DÉCRETS DES CHAPITRES GÉNÉRAUX DES BASILIENS CHOUÉRITES DE I75O A 1 79O IO5
du Tâb-oua-Dik (i); celui qui y contre-
viendra sera puni très sévèrement.
38" Aucun supérieur ou subordonné
n'aura la liberté de descendre à Beyrouth,
à moins qu'il ne soit muni de l'autorisa-
tion écrite du Père général; le supérieur
de la procure n'y admettra point celui qui
contreviendra à cette règle.
39" On ne se confessera aux prêtres
étrangers à notre Congrégation qu'en cas
de nécessité et avec l'autorisation du Père
général.
40° Le religieux qui souhaiterait être
élevé aux saints Ordres et qui le réclame-
rait, soit par lui-même, soit par l'intermé-
diaire d'un autre, de quelque façon que ce
soit, saura qu'il transgresse ses vœux; il
ne nous sera point non plus loisible de le
présenter aux ordinations, car, dit le pro-
verbe vulgaire, « qui recherche l'Ordre, le
perd ».
41 " Nous ne permettons point aux supé-
rieurs, encore moins aux subordonnés, de
s'offrir comme caution ou de prêter de
l'argent aux fermiers ou à d'autres, en
engageant la récolte des vers à soie ou
autres objets précieux. Cette conduite serait
opposée à la teneur de nos Constitutions
approuvées et de nos vœux religieux.
42" Nous ordonnons qu'aucun religieux
de chœur ou Frère convers ne couche en
dehors de son monastère, soit à Beyrouth,
soit à Zouq-Mikaïl, à Zahlé ou en d'autres
endroits ou villages avoisinant les monas-
tères, à moins de nécessité, par exemple
pour veiller un moribond. Le délinquant
sera puni très sévèrement par son supérieur.
43° Nous défendons à tout supérieur et à
tout subordonné de raconter aux laïques
ce qui se passe dans les monastères, de les
entretenir des défauts ou querelles des
moines et des supérieurs. Celui qui en
aura été convaincu sera puni sévère-
ment (2).
(i) Le Tàb-oua-Dik est un jeu de hasard très
usité à Alep ; il consiste en une petite planche de
bois sur laquelle figurent quatre rangées de 21 pe-
tits trous chacune. Sur les deux premières rangées,
de chaque côté des joueurs, on place 21 pions
blancs et noirs. On y joue au moyen de quatre
petits roseaux aplatis, dont une face est noire et
l'autre blanche, qu'on lance contre une bouteille.
Le pion qui pjrvicnt à pénétrer parmi ceux du
voisin est appelé Tàb, tandis que la planche porte
le nom de Dik.
(21 II n'y a jamais eu de secret pour les laTques
dans les monastères chouérites.
44^ Nous ordonnons que, désormais, les
femmes n'habitent plus dans les monas-
tères ou à côté d'eux, alors même qu'elles
seraient les meilleures protectrices de la
Congrégation; on ne les enterrera point
non plus dans les cimetières des religieux.
^b" Usage de l'eau-de-vie et du vin. A
celui dont la santé réclamerait l'usage de
l'eau-de-vie, nous ne permettons d"en
prendre qu'une petite tasse chaque fois;
quant à celui qui aurait besoin d'user de
vin, qu'il en prenne chaque rois deux petits
verres contenant chacun environ les trois
quarts d'une once. Nous exhortons le
supérieur à donner tous ses soins à l'obser-
vation de cette règle, et nous ordonnons
au Frère cellérier de ne point faciliter da-
vantage l'usage de ces boissons, et de dé-
noncer au supérieur celui qui chercherait
à transgresser cette ordonnance 1 1).
46^' Conformément à la petite brochure
ordonnée par le P. Nicolas iSaïegh\ on
jeûnera tous les jours pendant lesquels il
faut réciter les acTois-a, et il n'appartient
point au supérieur d'en dispenser (2).
47 " Aucun de nos religieux n'est autorisé
à accepter chez lui un dépôt quelconque.
En cas de nécessité, le supérieur seul pour-
rait le faire, mais il est requis que ce soit
en présence de deux autres Pères, pour en
témoigner. Celui qui y contreviendrait
serait puni très sévèrement.
48*» Suivant la coutume reçue, le supé-
rieur du monastère fera la visite des effets
de tout religieux qui se transporterait à un
autre couvent; cette visite devrait être faite
avec discernement. Que si le religieux
dérobe quoi que ce soit aux recherches du
supérieur, il appartient au Père général de
le punir.
49° Nous ordonnons à tous de veiller à
ne point transgresser le vœu de pauvreté
en ce qui concerne les choses nécessaires
au culte, notamment les ornements sacrés
et autres choses semblables. C'est pour-
quoi tout prêtre, même supérieur de mo-
(U Les Chouérites, pas plus que les autres
religieux de Syrie, n'ont jamais usé de vin à table,
à rencontre des communautés européennes. L'eau,
du reste, est excellente.
(2) Nous n'avons jamais pu retrouver cette bro-
chure où le P. Saïgh organise les aîcrwpia dans
un ordre qui différait quelque peu de celui que
nous voyons dans r'oJpoÀôviov. Aujourd'hui, même
dans les monastères, les asatôpta s^nt tombés en
désuétud.'.
io6
ECHOS D ORIENT
nastère, qui aurait confectionné pour lui
ou pour un autre un ornement nouveau,
sans l'autorisation du Père général, sera
puni. Dans le cas où il l'aurait reçu en
présent, de la part d'un bienfaiteur, il n'en
userait point avant d'en avoir obtenu l'au-
torisation du Père général. Nous ne dis-
pensons de cette règle que les Pères qui
vivent en dehors des monastères dans des
paroisses lointaines (i).
II. DÉCRETS DU Chapitre général
DES ChOUÉRITES en I79O.
i" Désormais, dans tous les monastères,
on fera usage de la viande, deux fois la
semaine, tant pour les malades que pour
les bien portants. De plus, si le supérieur
le permet et que ce soit possible, on pourra
en faire usage trois fois. Par suite, il n'ap-
partient point aux Pères ou aux Frères d'y
faire la moindre opposition, encore moins
de murmurer ou de faire paraître du mé-
contentement (2).
2" Les religieux dont la santé est faible,
ceux qui sont avancés en âge ou qui sont
atteints de certaines infirmités, feront
usage de café une fois le jour, le matin
(après le déjeuner). On n'en permettra
point l'usage aux autres, et, s'il faut outre-
passer cette règle, on doit avoir l'autori-
sation du supérieur (3 ).
3" Aucun religieux ne fera usage de tabac,
à moins qu'il n'ait un certificat octroyé par
le P. Clément Tabib et l'autorisation écrite
du Père général. Celui qui aurait rempli
ces conditions ne fumera qu'à l'intérieur
de sa cellule seulement; et, s'il est con-
(i) C'.is prescriptions, qui ont pour but de sau-
vegarder le vœu de pauvreté, lurent occasionnées
par l'habitude des supérieurs majeurs de garder
de l'argent sur eux. Plus tard, le mal gagn i les
supérieurs de monastère, les simples prêtres et
enfin les Frères convers. Aujourd'hui, chaque reli-
gieux vivant dans un couvent a droit, à la tin de
l'année, à 25 francs que la Congrégition lui donne
pour s'acheter un habit; il lui est. par contre, loi-
sible de chercher à acquérir autant d'argent qu'il
désire. Ne sefait-il pas plus conforme au vœu de
pauvreté de fournir à chaque religieux tout ce
dont il pourrait avoir besoin?
(2) L'usage de manger de la viande leur avait
été définitivement accordé par le patriarche Tliéo-
dose VI Dahan, en 1787.
(3) Aujourd'hui, une petite tasse de café est
distribuée aux Frères, dans tous les monastères
chouérites, le matin après le déjeuner, et à midi,
après le diner.
vaincu d'avoir fumé sur les chemins, dans
les maisons ou dans tout autre endroit en
dehors de sa cellule, il en sera privé une
année entière, sans miséricorde; s'il con-
trevient à cette défense, on le citera au
chapitre des assistants. Désormais, on
n'admettra point un novice à faire sa pro-
fession religieuse, à moins de lui faire pro-
mettre qu'il ne fera jamais usage de tabac ;
de même, on ne présentera un religieux à
l'Ordre du diaconat que sous la même con-
dition (I ).
4" Chaque supérieur de monastère devra
choisir, en présence des Frères assemblés,
un procureur, puis un directeur spirituel
auquel les Frères auront recours dans leurs
besoins (2).
5" Au nom du Seigneur, nous recom-
mandons aux Pères et aux Frères de ne
retenir chez eux quoi que ce soit en fait de
monnaie, pour quelque motif que ce soit,
tant par eux-mêmes que par le moyen
d'autrui, avec une intention bonne ou
mauvaise, ou même dans un but d'éco-
nomie qui devrait tourner au profit de la
Congrégation. Quant aux supérieurs qui
remplissent certaines charges dans la Con-
grégation, nous leur ordonnons, au nom
de l'obéissance : a), de dire la vérité au
Père général lorsqu'il cherchera à connaître
ce qu'ils pourraient détenir, et il n'y a pas
de mal à ce qu'ils lui disent plus ou moins,
lorsqu'ils ne sont pas sûrs de la réalité ; — b)
lorsqu'ils sont appelés dans d'autres mo-
nastères, de ne rien garder de ce qui appar-
tient aux couvents où ils auraient exercé la
charge de supérieur. Nous ne saurions être
plus indulgents à ce sujet, et nous jugeons
que celui qui contrevient à cette règle se
rend coupable d'un péché grave et trans-
gresse son vœu; — c) de tenir bien exac-
tement les comptes des recettes et des
dépenses, sans rien ajouter ni retrancher.
Quant aux curés des villages, nous leur
ordonnons de remettre au Père général,
deux fois par an, tout ce qu'ils pourront
avoir. Nous exceptons, cependant, les curés
de Zahlé auxquels nous prescrivons de
garder dix piastres seulement pour eux et
de remettre le reste au Père général toutes
(i) De nos jours, l'usage du tabac est général
chez lés Chouérites, depuis le supérieur jusqu'au
dernier des inférieurs.
(2) Cet article n'est plus observé, au moins
pour ce qui regarde le directeur spirituel.
l'église SAINTE-EUPHÉMIE et RUFINIANES A CHALCÉDOINE
107
les fois qu'il leur en fera la demande.
Cependant, les Frères cellérier, intendant,
jardinier, ou tout autre religieux qui aurait
à remplir une charge réclamant le port de
monnaie sur soi, ne sont pas autorisés à
garder de l'argent sur eux le jour du
dimanche. Mais, le samedi soir, ils remet-
tront à leur supérieur respectif tout l'argent
qu'ils pourront avoir sur eux, à moins
qu'ils ne jouissent d'une autorisation con-
traire. Enfin, les Pères qui se seraient
absentés pour un temps devront, à leur
retour, déclarer au Père général en toute
vérité tout ce qu'ils pourront avoir d'argent
sur eux, ou bien en dépôt, de quelque
façon que ce soit.
La transgression de ces prescriptions en
une matière qui dépasserait le tiers d'une
piastre, avec pleine connaissance et liberté,
serait jugée un péché grave, contraire au
vœu de pauvreté et dont l'absolution est
réservée. Si le délinquant meurt dans cet
état, il sera privé des bienfaits spirituels
que la Congrégation a coutume d'offrir
pour ses enfants qui meurent dans le
Seigneur.
6" Nous ordonnons à tout supérieur
d'avoir chez lui une copie de ces prescrip-
tions, afin d'en faire faire la lecture publique
au commencement de chaque mois. 11
adressera, en même temps, de fortes admo-
nitions aux délinquants, afin que ces règles
soient observées avec exactitude, que la
perfection religieuse règne en maîtresse
parmi nous et que chacun reconnaisse ses
obligations. Les supérieurs qui transgres-
seront ces ordonnances seront sévèrement
repris par le Père général, et. s'ils n'en
tiennent aucun compte et qu'ils continuent
à se relâcher en cette matière, ils seront
cités au Chapitre des assistants qui aura
tout droit de les destituer et de les faire
remplacer par d'autres.
m. Cas réservés au supérieur général.
i" Sortir du monastère, la nuit, secrè-
tement et sans aucune autorisation.
2° Injurier son supérieur ou un Père
assistant, en public ou en particulier.
3° S'approprier de l'argent à partir d'un
tiers de piastre et au-dessus, à l'insu du
supérieur, contrairement au voeu de pau-
vreté.
4' Tout acte impur, de nature grave,
commis entre deux personnes — ce qu'à
Dieu ne plaise! — alors même que seule-
mentl'uned'elles serait consacrée à Dieu(i).
Paul Bacel,
prêtre du rite grec.
Svrie.
L'ÉGLISE SAINTE-EUPHÉMIE ET RUFINIANES
A CHALCÉDOINE <'*
On mecommunique à l'instant, soigneu-
sement découpé, un article de Topogra-
phie hy:{a7itine que M. J. Miliopculos a fait
( 1 ) Sous le titre de Topographie byzantine, l'étude
suivante du regretté P. Pargoire a paru dans un
journal français de Constantinople, aujourd'hui
disparu, \q Servet du 11 juillet 1900. Nous l'avons
recueillie, parce qu'elle intéresse deux des prin-
cipaux sanctuaires de Chalcédoine. l'église Sainte-
Euphémie, où fut tenu en 461 le IV* concile œcumé-
nique, l'église Saint-Pierre de Rutînianes, au fau-
bourg du Chêne, où fut condamné saint Jean
Chrysostome en 403. Depuis lors, le P. Pargoire
a établi (Echos d'Orient, t. VI, 3i5-3i7) que très
probablement le couvent et l'église Sainte-Bassa
paraître dans les numéros des 6 et 7 juin
de votre S^rr(?/ français. L'auteur y affirme
dès le second paragraphe :
i" Que Rufinianes s'élevait entre la sta-
tion actuelle du chemin de fer de Haïdar-
Pacha et la caserne Sélimié ;
s'élevaient prés de l'ancienne gare de Hardar-Pacha,
et le P. Vailhé [Echos d'Orient, t. XI, p. 227) est
venu encore confirmer sa savante hypothèse. (Note
DE LA RÉDACTION.)
(i) D'ordinaire, k supérieur général permet aux
assistants, et aux supérieurs de monastère d'ab-
soudre de ces cas réservés.
io8
ÉCHOS d'orient
2" Que les ruines de l'église de Sainte-
Euphémie se trouvent sous la station de
Haïdar-Pacha.
Ces deux assertions, émises tout d'abord
en allemand dans la Byiantinische Zeits-
chrift, n'en sont pas plus exactes pour
cela. Me permettez-vous, Monsieur le
directeur, de montrer en quelques mots
par où elles pèchent? Ce sera du même
coup montrer par un exemple comment
le dogmatisme topographique de M.J.Mi-
liopoulos s'expose facilement à tromper
ceux de vos nombreux lecteurs qui, sé-
journant à Kadi-Keui ou aux environs,
voudraient connaître au juste le passé
byzantin de leur ville et de ses faubourgs.
Je commence par l'église Sainte-Euphé-
mie. « L'emplacement de cette église est
occupé actuellement par la gare du che-
min de fer de Haïdar-Pacha. » Ainsi parlait
déjà M. J. Miliopoulos, le 28 juillet 1899,
dans un travail où il avait soin d'écrire,
en guise de préface, que toutes ses con-
clusions topographiques étaient basées
d'une manière absolue « sur lesindications
des historiens». Serait-il indiscret, aujour-
d'hui qu'il renouvelle son affirmation, de
lui demander quels sont, dans l'espèce,
les historiens qui permettent d'identifier
le temple euphémien de Chalcédoine avec
la gare actuelle de Haïdar-Pacha? Le seul,
à ma connaissance, qui s'étende avec
détails sur la situation de la basilique où
se tint le IV^ concile œcuménique, c'est
Evagre. Or, ou je me trompe fort, ou
les indications d'Evagre ont tout ce qu'il
faut pour saper à la base les dires de
M. J. Miliopoulos. Qu'on en juge :
p Evagre place l'église à quelque chose
comme deux stades du rivage, c'est-à-dire
environ à 260 mètres. La gare de Haïdar-
Pacha se trouve-t-elle à cette distance? Je
ne la visite point tous les jours; il me
semble pourtant qu'elle est un peu plus
voisine de la mer.
2° Evagre place l'église sur une hauteur,
sur une hauteur médiocre, si l'on veut, et
aux pentes douces, mais sur une hauteur
qu'il faut tout de même gravir. La gare de
Haïdar-Pacha couronne-t-elle une élévation
quelconque? Elle me paraît plutôt située
dans un trou : du moins, si je ne m'abuse,
en quittant le bateau on y accède pour
ainsi dire de plain-pied.
30 Evagre place l'église en un point
d'où les spectateurs peuvent promener
leurs regards sur les champs couchés
tout autour à leurs pieds, sur l'herbe des
prairies, sur les moissons ondoyantes,
sur les arbres aux essences variées. La
gare de Haïdar-Pacha règne-t-elle sur un
si beau point de vue? Elle ne domine
guère, ce me semble, que la plaine liquide,
où, comme on sait, l'herbe, les moissons
et les arbres n'abondent pas.
Voilà quelles sont exactement les indi-
cations d'un historien sur la basilique
Sainte-Euphémie. Ceux qui préféreraient
le lire dans le texte original n'ont qu'à
ouvrir l'Histoire ecclésiastique d'Evagre,
c. Il, 1. 111. Après en avoir parcouru
les premières lignes, ils concluront sans
doute, comme les autres, que l'église du
IVe concile général était debout, non pas à
la gare de Haïdar-Pacha, mais bien sur
la petite colline aujourd'hui couverte de
maisons qui s'élève entre la voie ferrée
et Kadi-Keuï.
Si M. J. Miliopoulos m'objecte que l'on
a remué des ruines chrétiennes en jetant
les fondements de la gare, je lui répon-
drai que, dans ces environs de Constan-
tinople, où l'on a tant bâti et tant détruit,
où les édifices profanes eux-mêmes et les
habitations particulières portaient cou-
ramment des ornementations d'ordre reli-
gieux, où les matériaux de construction
ont vu changer vingt fois leur place et
leur destination première, la seule pré-
sence de ruines chrétiennes, indéterminées
et anonymes, ne suffit pas à localiser un
monument. Ceci est particulièrement vrai
dans les cas où la situation des ruines
est en contradiction formelle avec les don-
nées de l'histoire, et ce cas-là est le nôtre.
*
* *
Parlons maintenant, si vous me le per-
mettez, de Rufinianes.
A la suite de topographes quelque peu
démodés, M. J. Miliopoulos s'obstine à
l'église SAINTE-EUPHÉMIE ET RUFINIANES A CHALCÉDOINE
109
mettre ce faubourg chalcédonien au nord
de Kadi-Keuï, entre la gare de Haidar-
Pacha et la caserne de Sélimié. Les indi-
cations des historiens l'y autorisent-elles?
Je laisse le soin de répondre à ceux des
lecteurs qui se rappellent encore les
deux ou trois pauvres textes allégués par
M. Miliopoulos dans la dernière partie de
son article, et j'apporte tout de suite deux
témoignages autrement péremptoires, au-
trement probants.
1° La Chronographie de Théophane
mentionne quelque part (i) les trois
localités maritimes de Satyre, de Bryas,
de Kartalimen. Le livre des Cérémonies de
Constantin Porphyrogénète énumère de
son côté (2) les quatre petits ports de
Satyre, de Polyatikon, de Rufinianes et de
Hiéria. Réunis, ces deux textes prouvent
que Hiéria, Rufinianes, Polyatikon, Satyre,
Bryas et Kartalimen se trouvaient éche-
lonnés à la file sur une même côte.
Mais sur quelle côte? La réponse n'est
point difficile. Comme, de l'aveu de tous
et de l'aveu de M. J. Miliopoulos lui-même,
Hiéria correspond au moderne Phéner-
Baghtché, et Kartalimen au moderne
Cartal, il est bien évident que les quatre
échelles situées entre ces deux points
extrêmes doivent être placées de toute
nécessité sur la rive qui regarde les îles
des Princes; Rufinianes, la première de
ces échelles à l'est de Hiéria ou de Phéner-
Baghtché, ne peut être cherchée ailleurs
qu'aux environs actuels de Djadé-Bostan.
Comment M.J. Miliopoulos échappera-
t-il à cette conclusion? Il dira que le pas-
sage du Porphyrogénète est fautif, il y
supposera une transposition de copiste,
il y reléguera le nom de Rufinianes après
celui de Hiéria. Mais de quel droit? Depuis
quand, je vous prie, est-il permis en bonne
critique de porter la main sur un texte qui
ne blesse ni l'histoire, ni la géographie, ni
la grammaire, ni le bon sens? Existe-t-il,
dites-moi, des témoignages décisifs qui
rendent la retouche obligatoire et le chan-
(i) Edition de Boor, t. I", p. 397, ligne 5.
(2) MiGNE, P. G., t. CXH, col. 937.
gement nécessaire? Le seul témoignage
décisif qui existe est celui de Callinique:
loin d'infirmer la phrase du Porphyrogé-
nète, il la confirme pleinement.
2° Callinique est un moine de Rufi-
nianes qui a écrit à Rufinianes et pour
les moines de Rufinianes l'histoire de
saint Hypace. higoumène de Rufinianes.
Cela donne à penser qu'il parle de Rufi-
nianes en connaissance de cause et que
ses indications ne doivent pas nous laisser
indifférents. Or, que dit-il? Exactement
ceci : que son héros passant de Thrace en
Bithynie vint débarquer à Chalcédoine et
qu'il rencontra Rufinianes à trois milles de
cette ville, en faisant route vers l'Est. Les
amateurs de grec demanderont le texte
original à la Vie de saint Hypace, soit à la
première édition donnée par les Bollan-
distes dans leurs Actes des Saints, t. IV,
de juin, p. 233, soit à la seconde, parue
à Leipzig en 1892, p. 18. En quelque
langue d'ailleurs qu'elle soit rapportée,
l'indication de l'hagiographe n'en est ni
moins nette ni moins précise : Rufinianes,
cette localité maritime si fréquemment
mentionnée par les auteurs byzantins,
s'élevait à trois milles romains de Chal-
cédoine, du côté de l'est. C'est donc en
face des îles des Princes, à quelques
minutes au delà du débarcadère actuel de
Djadé-Bostan, qu'il faut la placer. Djadé-
Bostan, les environs immédiats de Djadé-
Bostan, voilà, qu'on le veuille ou non,
son emplacement à moins de changer
les quatre points cardinaux et la valeur
des distances; à moins de prouver que
l'espace compris entre la gare de Haïdar-
Pacha et la caserne Sélimié se trouve à
l'est de Chalcédoine et à trois milles de ses
murs.
Dans les questions de topographie, je
me permettrai cette remarque générale
en terminant, il est toujours permis de
se tromper, et c'est là une permission
dont, pour ma part, j'avoue avoir usé
plus dune fois. Ce qui n'est point du
tout permis, au contraire, c'est de fermer
les yeux à l'évidence et de vouloir faire
triompher sa manière de voir par tous les
1 lO
ÉCHOS d'orient
moyens. J'ai traité, l'an dernier, la question
de Rufinianes en m'appuyant sur le texte
deCallinique, et mon travail, pour modeste
qu'il fût, n'a pas laissé, je le sais et j'en
ai la preuve, que d'attirer l'attention de
M. j. Miliopoulos. Pourquoi donc M. j. Mi-
liopoulos feint-il encore d'ignorer ce texte
de Callinique, si capital et si péremptoire?
Est-ce parce que le témoignage de Calli-
nique réduit à néant ses plus chères idées
qu'il lui est loisible de confisquer ce témoi-
gnage et de le tenir soigneusement caché
à ses lecteurs? Un lecteur, quel qu'il
soit, a toujours le droit de connaître la
vérité, et un écrivain digne de ce nom a
toujours le devoir de la donner entière,
dût-il rétracter pour cela les opinions qu'il
a précédemment lancées dans le public.
Ah! de grâce, défendons nos vues
tant qu'elles sont défendables, mais ne
manquons jamais d'apporter dans nos
recherches et nos discussions, à défaut
de science profonde, un peu de loyauté
sincère et de bonne foi.
Si je ne tenais, Monsieur le directeur.
à ne pas abuser de la bienveillante hospi-
talité que vous m'offrez dans vos colonnes,
il me serait encore facile de relever chez
M.J, Miliopoulos nombre d'autres erreurs.
Mais à quoi bon? Je désirais surtout mettre
en garde, par un exemple, contre les
affirmations tranchantes d'une topogra-
phie fortement risquée, et ce qui précède
suffit. Aussi bien vos lecteurs concluront
d'eux-mêmes que plusieurs des autres
identifications proposées par l'auteur au
cours de son article ne peuvent qu'être
ruineuses : déduites de la place indûment
assignée à Rufinianes^ elles s'écroulent
par le fait même que s'écroule la malen-
contreuse identification qui leur sert de
base.
Recevez, Monsieur le directeur, avec
mes remerciements pour l'aimable accueil
fait à ces lignes déjà trop longues, l'hom-
mage de mon profond respect.
+ J. Pargoire.
Kadi-Keui', le 5 juillet igoo.
ORGANISATION DE L'ÉGLISE GRECQUE ORTHODOXE
DE CONSTANTINOPLE
On a souvent parlé du clergé grec
orthodoxe, raconté les faits principaux
de sa vie extérieure, et signalé les vices
de sa constitution hiérarchique, à l'occa-
sion de conflits survenus entre supérieurs
et inférieurs. Mais il est intéressant de se
rendre compte, à la lumière des docu-
ments officiels, des lois qui régissent les
diverses parties de cet organisme com-
pliqué. C'est ce que nous nous proposons
de faire brièvement en étudiant tour à
tour le patriarche, le saint synode, le Con-
seil mixte, les métropolites, les Commis-
sions, le clergé paroissial et les monas-
tères actuels : quelques statistiques sou-
ligneront la différence qui existe entre
l'idéal et la réalité (i).
I. Le patriarche.
Appelé à gouverner la Grande Eglise,
à porter le glorieux titre d'oecuménique,
à être au point de vue civil le trait d'union
entre la nation grecque et le gouverne-
(i) Sous le titre de Règlements généraux de
l'Eglise orthodoxe en Turquie, le R. P. Petit,
directeur de cette Revue, a traduit dans la Revue
de l'Orient chrétien, t. 111, p. 393-424, et t. IV,
p. 227-246, les principaux des documents officiels;
nous nous sommes avant tout inspirés de son
travail.
ORGANISATION DE L EGLISE GRECQUE ORTHODOXE DE CONSTANTINOPLE
( I I
ment turc, le futur patriarche doit avoir
administré une métropole pendant sept
ans, s'être signalé par l'intégrité de sa
vie, son respect des saints canons et des
traditions et avoir conquis l'estime uni-
verselle avant d'aspirer à ce suprême
honneur.
Le trône œcuménique vacant, le saint
~ synode, d'accord avec le Conseil mixte,
nomme un locum tenens, choisi parmi les
métropolites en résidence à Constanti-
nople, fait un rapport à la Sublime Porte
sur la vacance du siège et sur la per-
sonne du remplaçant provisoire, prépare,
selon les indications du gouvernement
turc, la prochaine élection, écrit à tous
les métropolites soumis au Phanar d'en-
voyer à Constantinople, en l'espace de
quarante et un jours, sur un bulletin
signé, le nom de leur candidat et signifie
aux habitants des éparchies de se choisir
des représentants laïques pour la future
réunion électorale.
Cinq jours avant que celle-ci soit tenue,
les synodiques et les métropolites présents
dans la capitale réunissent leurs bulletins
de vote à ceux des autres évêques, le
locum tenens fixe la date des élections et
convoque tous ceux qui doivent participer
à la réunion.
Le jour venu, en présence de tous les
électeurs, le secrétaire du saint synode
dépouille les bulletins: on réunit les
noms de tous ceux qui ont reçu quelques
voix aux noms proposés par les membres
laïques et agréés par l'assemblée sur un
registre spécial portant les sceaux du
locum tenens, du saint synode et du Con-
seil mixte, et on communique ces résultats
à la Sublime Porte.
Le sultan raye les noms désagréables
et renvoie le dossier dans les vingt-quatre
heures. Alors ecclésiastiques et laïques
choisissent trois candidats parmi les noms
qui restent: le vote est secret, tous les
membres, laïques ou ecclésiastiques, ont
droit à une voix. Puis, les synodiques se
réunissent à l'église, la messe commence,
le Saint-Esprit est invoqué, on vote en
présence des électeurs laïques, et, s'il y a
égalité de suffrages, la voix du locum
tefiens est prépondérante.
Aussitôt élu, le patriarche se fait recon-
naître par la Sublime Porte.
Proclamé au terme d'un vote à trois
degrés, le sujet n'est pas dans la même
mesure l'élu de la nation grecque. L'élec-
tion a été surtout l'œuvre des ecclésias-
tiques au premier et au troisième vote: si
les laïques ont choisi des représentants,
ces derniers n'ont pris part qu'aux deux
premiers scrutins: le troisième n'a reçu
que les suffrages des ecclésiastiques. De
plus, à la réunion électorale, ce n'est
qu'une élite du monde laïque qui est
convoquée: trois des employés les plus
considérés du patriarcat, dont le grand
logothète; les huit membres laïques du
Conseil mixte; huit fonctionnaires civils
ou militaires: le gouverneur de Samos ou
son représentant: quatre membres des
plus connus parmi les savants; cinq
négociants, un banquier, dix notables des
corporations, deux délégués des paroisses
de la ville et du Bosphore, vingt-huit
représentants des diocèses de Césarée,
Ephèse, Héraclée, Cyzique, Nicomédie,
Nicée, Chalcédoine, Dercos, Thessalo-
nique, Andrinople, Amasée, Janina,
Brousse, Monastir, Bosna, Rhodes, Crète,
Trébizonde, Philippopoli, Serrés, Smyrne,
Mitylène, Varna, Chio, Uskub, Pisidie et
Néocésarée (i).
Ajoutons que l'honneur de remettre la
crosse au patriarche est réservé au métro-
polite d'Héraclée.
Chef spirituel de l'orthodoxie, l'élu,
avant de prendre des décisions, doit con-
sulter son Conseil, le saint synode, re-
cruté lui aussi d'après un système spécial
que nous allons étudier.
II. Le SAINT SYNODE.
Composée de douze membres, présidée
par le patriarche, cette assemblée régit
(ij C'est la liste des diocèses qui envoient réel-
lement aujourd'hui leurs délégués; la liste officielle
et imprimée dirtére quelque peu car on v trouve
les diocèses de Tirnovo, Larissa, \'iddin et Sofia
qui appartiennent, soit à l'Eglise bulgare, soit à
celle de la Grèce.
I 12
ÉCHOS d'orient
J'orthodoxie, veille à l'observation des
saints canons, nomme les évêques et les
métropolites, surveille les monastères,
pourvoit aux besoins de l'école théolo-
gique de Halki, prémunit les fidèles
contre les propagandes étrangères, dé-
signe les prédicateurs, surveille l'impres-
sion des nouveaux livres et tranche les
difficultés rencontrées par les métropo-
lites dans leurs diocèses, sans que ceux-ci
se mêlent de ce qui est l'attribution du
saint synode.
Tous les métropolites ont le droit de
faire partie, pendant deux ans, de ce
•Conseil patriarcal, dont le personnel se
renouvelle tous les ans par moitié : le
patriarche envoie à la Sublime Porte le
registre des évêques en permanence dans
la capitale et la liste de ceux qui en
sortent.
Mais, avant de remplir ce rôle de con-
seillers, les titulaires des métropoles nou-
vellement ordonnés doivent rester cinq
ans dans leur diocèse et, s'il survient un
■déplacement, trois ans dans le nouveau
diocèse qui leur est assigné. Convoqués
par le patriarche à se rendre au saint
synode, ils n'ont le droit de refuser d'obéir
à l'appel que s'ils sont avancés en âge.
Et comme leur séjour. à Constantinople
nécessite des dépenses plus élevées que
leur vie au sein de leurs ouailles, ceux qui,
dans leurs diocèses, recevaient moins de
yo Goo piastres (soit près de i o ooo francs)
d'appointements recevront un supplément
représentant leurs frais exceptionnels.
Par suite, les fonctions de synodiques
sont convoitées. Pour mettre un frein à
cette cupidité et permettre à tous les
métropolites, leur tour venu, de participer
au gouvernement de l'Eglise, on les a
divisés en trois séries; trois mois avant
la fin de chaque année, le patriarche, d'ac-
cord avec le saint synode, en appelle deux
de chaque série, le premier et le dernier
de la liste, pour remplacer les anciens
qui doivent, sans délai, rejoindre leur
troupeau. En cas de décès de l'un des
synodiques avant la fin de son mandat,
si la mort survient la première année,
celui qui le suit immédiatement sur la
liste doit le remplacer aussitôt et achever
les deux ans; si la mort arrive la se-
conde année, les quelques mois qui
restent sont réunis aux deux ans de stage
du métropolite qui suit.
Toute décision prise à linsu et en
l'absence du patriarche est sans valeur ;
mais cedernier est tenu d'accepter tous les
projets qui ont réuni la majorité des voix
du synode en séance plénière.
Le stage au Conseil patriarcal fini, les
métropolites, pour demeurer dans la
capitale, doivent présenter des raisons
très graves, solliciter la permission du
patriarche et des synodiques, l'avis con-
forme de la Sublime Porte, et, dans ce
cas, ils n'ont plus le droit, à moins d'une
permission spéciale, de représenter le
saint synode en présidant les cérémonies
liturgiques (i).
Aux termes des règlements officiels,
les devoirs des conseillers du patriarche
sont nombreux. Comme synodiques, ils
sont tenus de se réunir trois fois la
semaine et, après chaque séance, de trans-
mettre à la Sublime Porte le compte
rendu de leurs délibérations souscrit par
eux et marqué du sceau à six pièces, dont
la garde est confiée aux six membres non
sortants, la clé restant aux mains du
patriarche. Assisté de son Conseil, ce
dernier doit prendre l'initiative de sou-
tenir convenablement les patriarches dé-
posés, les métropolites démissionnaires
et les évêques titulaires. Quant aux mé-
tropolites qui donnent spontanément leur
démission, ils ont le choix du lieu de
leur retraite, au su du patriarche et des
synodiques, mais hors du diocèse qu'ils
avaient gouverné auparavant. Toutefois,
si leur destitution est motivée, le lieu de
leur résidence est déterminé par le chef
de la Grande Eglise et ses conseillers
(i) D'ordinaire, les métropolites ne peuvent
rester à Constantinople plus de deux inois après
leur sortie du saint synode. Si, avec une autori-
sation spéciale, ils prolongent leur séjour dans la
capitale, c'est à la condition qu'ils ne troubleront
pas l'Eglise par des agissements secrets.
ORGANISATION DE L'ÉGLISE GRECQUE ORTHODOXE DE CONSTANTINOPLE I I }
dans le cas où le motif de la déposition
serait canonique, et par le patriarche et la
Sublime Porte dans le cas où la raison
serait politique.
Chargés de désigner les ecclésiastiques
qui doivent faire partie de la Commission
ecclésiastique dont nous parlerons tout à
l'heure, le patriarche et ses conseillers
doivent également . veiller à ce qu'une
pareille Commission soit instituée dans
chaque diocèse, à ce que les clercs
appelés aux Ordres reçoivent une éduca-
tion soignée à l'école théologique, à ce
que chaque métropolite ait dans son dio-
cèse un prédicateur qui annonce la parole
de Dieu sans se faire payer par les fidèles,
à ce que les diocèses les plus considé-
rables possèdent une école dite hiératique^
destinée à la formation première des
futurs prêtres, surtout des fils de popes,
entretenus aux frais des fidèles sous la
surveillance de l'évêque et des notables
du diocèse. A ce sujet, de temps en
temps, des circulaires sont envoyées par
le patriarche à tous les métropolites,
pour qu'ils signalent au saint synode les
élèves les mieux doués de ces établisse-
ments préparatoires etpourqu'ils songent,
de concert avec les riches de leurs dio-
cèses qui devront subvenir aux frais de
leur éducation, à les envoyer à l'école
théologique de Halki (i).
Tels sont les devoirs réciproques des
synodiques vis-à-vis des métropolites et
de ces derniers vis-à-vis des synodiques
et du patriarche. Dans cette organisation
très complexe de la hiérarchie, nous
avons déjà remarqué le rôle qui est as-
signé à l'élément laïque. C'est que, en effet,
au-dessous du saint synode, il existe une
assemblée dite Conseil mixte national per-
manent, à la fois laïque et ecclésiastique,
dont nous allons préciser les attributions.
111. Le Conseil mixte.
Composé de douze membres, dont
quatre évêques, qui sont en même temps
(i) En fait, ces écoles hiératiques n'existent pas,
sauf deux ou trois exceptions.
membres du saint synode, et huit laïques,
présidé par le patriarche quand il y a de
graves décisions à prendre et par le mé-
tropolite le plus ancien en temps ordi-
naire, comprenant deux secrétaires qui
traduisent les actes de l'assemblée en
grec, en turc, en bulgare et en français,
le Conseil mixte, dont la durée de service
est de deux ans, est renouvelé par moitié
tous les ans.
Voici comment se fait l'élection de ses
membres. Pour le choix des laïques, au
jour fixé, le patriarche avertit les habi-
tants des 42 paroisses de Constantinople
et du Bosphore d'élire, selon leur impor-
tance, 26 délégués en tout; tous ces
délégués, hommes honorables, se réu-
nissent au Phanar et, de concert avec les
synodiques et les membres du Conseil
mixte, désignent les noms des candidats;
à la suite d'un vote secret dans lequel
tous les électeurs ont voix égale ; on pro-
clame les quatre élus, on transcrit le procès-
verbal de l'acte sur les registres réguliers
du protocole et la validation est pro-
noncée après notification des résultats à
la Sublime Porte.
Pour les membres ecclésiastiques, le
choix est plus simple à opérer : le saint
synode désigne parmi ses membres ceux
qui le représenteront au Conseil mixte, et
le mandat de ces derniers dans cette
assemblée a la même durée que leur
mandat au saint synode.
Agés de plus de trente ans, experts
dans les affaires, bien vus du gouverne-
ment ottoman et de la communauté
grecque, les conseillers, une fois leur
nomination acceptée, ne doivent démis-
sionner avant l'expiration des deux ans
que pour une très grave raison: dans ce
cas, la place vacante est occupée par un
autre, choisi par le patriarche, le saint
synode, le Conseil mixte et agréé du
sultan ; cet appel prématuré ne préjudicie
nullement à l'éligibilité du sujet pour la
période suivante.
Les membres laïques, travaillant gra-
tuitement, ne reçoivent aucune rétribu-
tion. Nul ne peut obtenir la permission
114
ÉCHOS d'orient
de s'absenter des séances régfuJières plus
de deux mois, aucun ne peut le faire
plus d'un mois sans l'autorisation du
président; en cas d'infraction à ce règle-
ment, le délinquant est remplacé par un
autre sans l'avis préalable de la Sublime
Porte. Accusé, le membre laïque est jugé
par le gouvernement turc d'après le Code
pénal, le membre ecclésiastique par le
saint synode d'après les saints caftons.
Réuni deux fois la semaine au Phanar
sous la présidence d'un ecclésiastique, le
Conseil examine toutes les questions dans
l'ordre de leur inscription sur les re-
gistres, donnant cependant la priorité
aux questions urgentes, et fait consigner
au fur et à mesure par un secrétaire les
décisions prises.
Veiller sur la marche des écoles, sur la
tenue des hôpitaux, des hospices et des
autres établissements de bienfaisance, sur
les recettes et les dépenses des églises
de Constantinople, sur les revenus des
monastères soumis au Phanar ; régler les
contestations qui surviennent à l'occa-
sion des testaments et des mariages et
toutes les questions non ecclésiastiques
que la Sublime Porte renvoie au patriarcat,
à l'exception des litiges pour la possession
des différents immeubles, procès relevant
directement des tribunaux turcs: nommer
les épitropes et les éphores chargés de la
direction des écoles et des autres établis-
sements grecs ; examiner et approuver
chaque année les comptes des épitropes
avant de les faire consigner dans un
registre spécial: à la fin de chaque année,
reviser les comptes généraux devant les
nouveaux membres réunis en séance,
puis les garder dans les archives, tels
sont les principaux devoirs des conseillers.
Le trésorier et le secrétaire de l'assem-
blée ont des attributions délimitées par
le Conseil après discussion. Toute séance
où il y a les deux tiers des membres est
considérée comme plénière. Si l'impor-
tance de la question débattue l'exige, on
vote, et, en cas d'égalité des suffrages
exprimés, la voix du président est pré-
pondérante. Toutes les décisions écrites,
souscrites par tous les membres, sont
marquées du sceau à trois pièces au Con-
seil mixte, dont un morceau reste aux
mains des ecclésiastiques, tandis que les
deux autres sont détenus par les conseil-
lers laïques.
Chargés de donner le caractère officiel
à tous les écrits épiscopaux relatifs aux
questions économiques, de recueillir l'ar-
gent versé préalablement à l'examen des
procès, de surveiller la manière dont le
patriarche gère les biens de la commu-
nauté grecque, d'accord avec les métro-
polites et les chefs spirituels des diverses
Eglises, les conseillers, avertis par hasard
des désordres du saint clergé orthodoxe,
doivent en aviser le patriarche et le saint
synode pour que ces derniers y apportent
un prompt remède (i).
IV. Les métropolites.
Sujets turcs, d'une conduite jugée irré-
prochable en tout temps et attestée par
des témoignages écrits provenant des
lieux où ils ont séjourné avant d'entrer
au service du patriarche ou des évêques,
connus de l'Eglise orthodoxe par les cinq
ans de ministère qu'ils ont passés au
Phanar ou dans une métropole ^ arrivés
à l'âge prescrit par les canons, connais-
sant les langues grecque, turque et slave
selon réparchie à laquelle ils désirent être
attachés, d'une science théologiqueattestée
par le diplôme que leur a décerné l'Ecole
théologique de Halki ou, s'ils sont sortis
d'une école étrangère, le certificat d'apti-
tudes que leur délivre TEcole de Halki après
un long examen, d'une intégrité et d'une
vertu éprouvées, les candidats à l'épi-
scopat sont choisis par le saint synode,
d'accord avec le patriarche, à la majorité
des suffrages, quand certaines métropoles
ont été déclarées vacantes.
En réalité, ce vote, où, comme de cou-
(i) Cette surveillance n'est pas, au reste, la sp
cialité des conseillers; car, aux termes des règle-
ments, tout chrétien orthodoxe est tenu de dénoncer
à l'autorité ecclésiastique les écarts de conduite du
clergé grec.
ORGANISATION DE l'ÉGLISE GRECQUE ORTHODOXE DE CONSTANTINOPLE I I S
tume, Ja voix du patriarche est prépon-
dérante en cas d'égalité, est double : au
premier scrutin, le chef de la Grande
Eglise et les synodiques choisissent trois
candidats parmi la multitude de ceux qui
attendent cet ihonneur ; au second scrutin,
pendant une cérémonie liturgique, les
électeurs désignent défmitiviement le titu-
laire de la métropole vacante. D'ordinaire,
une élection est le point de départ d'une
longue série de promotions et de substi-
tutions (i).
Désireux d'arriver à ce poste, les clercs
pourraient répandre de fausses nouvelles
sur le décès des métropolites. Pour
éviter de tomber dans ce piège, le saint
synode, d'après les règlements, ne doit
procéder au remplacement des évéques
qu'après avoir reçu la nouvelle officielle
de leur mort dans une lettre signée du
clergé et du peuple de leurs éparchies.
Obligés de séjourner dans leurs dio-
cèses, de les visiter, de ne pas faire gérer
leurs affaires par les évêques titulaires,
sauf dans le cas de maladie, de vieillesse
extrême ou d'absence motivée à Constan-
tinople, inamovibles comme le patriarche,
les métropolites ne doivent être déplacés
que dans le cas de notoire inexpérience
ou pour des causes purement canoniques.
D'autre part, à l'effet de remplacer un
indigne ou un incapable, le saint synode
n'a pas le droit de contraindre un autre
évêque à éctïanger son diocèse pour un
autre, dont l'administration lui répugne.
En cas de grave accusation, le saint
synode fait le procès du métropolite
incriminé, après avoir essavé de tout
arranger à l'amiable. Si les griefs sont
d'ordre canonique, l'inculpé est cité au
Phanar et jugé par le saint synode seul :
si les chefs d'accusation sont politiques.
(i) Voici le procédé généralement suivi : Un mé-
tropolite négligent ou de mœurs suspeaesprovoque
les plaiotes de ses ouailles; aussitôt, deux ou trois
autres évéques, dont les postes sont moins rému-
nérateurs, font valoir les griefs des pieux ortho-
doxes ; le saint synode destitue ou plos générale-
ment se contente de déplacer le n>étFQpDlite
inculpé ; son successeur est rem,placé par un autre,
lequel est remplacé à son tour, etc., etc.
une Commission composée de quatre
métropolites et de quatre membres d^
Conseil mixte étudie le dossier, fait un
rapport à la Sublime Porte, et l'accusé,
condamné à subir des peines canoniques,
est privé de son titre si son crime est
notoire.
Mais, si de minutieuses ordonnances
réglementent la vie du métropolite,
d'autres non moins détaillées déterminent
les formalités à remplir après sa mont.
Les titulaires des diocèses n'ont pas le
droit, par testaments, de disposer de
leurs biens propres : à leur décès, leur
fortune servira d'abord à payer les frais
de sépulture et de services funèbres; le
reste, biens meubles ou immeubles, sera
divisé en trois parts égales.
La première servira à doter la métro-
pole d'une somme pouvant suffire à
l'achat des biens immeubles dont les
revenus seront perçus jusqu'à concur-
rence des émoluments que la métropole
fournissait à l'évêque. A cette date, le
tiers des revenus servira aux établisse-
ments publics du diocèse.
La deuxième partie revient aux héritiers
du défunt.
Du troisième lot, une moitié sera donnée
aux établissements nationaux de bienfai-
sance de Constantinople ; la deuxième
moitié servira à l'achat de biens immeubles
pour le patriarcat œcuménique; les re-
venus seront perçus par le Phanar jus-
qu'à concurrence de la somme que le
métropolite défunt devait au patriarcat:
le recouvrement effectué, les revenus
continueront à être versés aux établisse-
ments nationaux de bienfaisance.
Tel est, dans les cas ordinaires, le pro-
cédé suivi. Mais si le défunt avait une
fortune qui lui était échue par voie d'hé-
ritage, la casuistique phanariote fait une
distinction. S'il y a un testament qui
règle l'emploi de ces biens pour l'avenir,
le patriarcat le respecte et les biens seront
affectés aux héritiers désignés; mais, s'il
n'y a pas de testament, cette fortune sera
répartie comme îl vient d'être dit dans k
cas précédent : règlement qui s'appHqoe
ii6
ÉCHOS d'orient
également aux patriarches et à tous les
évêques; mais, pour éviter un conflit juri-
dique avec les lois turques, on se con-
forme aux dispositions de ces dernières,
relatives aux immeubles et aux terrains
vakoufs.
Dès lors, pour que la mort d'un chef
hiérarchique ne puisse pas exciter cer-
taines convoitises, aussitôt que le métro-
polite a cessé de vivre, quatre laïques
des plus honorables du diocèse et quatre
ecclésiastiques font l'inventaire de la for-
tune laissée par le défunt, la gardent sous
scellés, avertissent le patriarcat et s'oc-
cupent des frais de sépulture et des hono-
raires de messes pour le mort.
La vie des évêques grecs examinée
depuis leur sacre jusqu'à leur décès, des-
cendons un degré de la hiérarchie pour
étudier les relations entre les chefs spiri-
tuels de la Grande Eglise et la population
des monastères.
{A suivre.)
Constantinople.
E. MONTMASSON.
RAPPROCHEMENT
ENTRE LE PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE
ET L'EXARCHAT BULGARE
Depuis bientôt quatre mois, on parle
beaucoup, dans les milieux grecs et bul-
gares, d'un rapprochement prochain entre
la Grande Eglise et l'Exarchat bulgare,
c'est-à-dire de la cessation d'un schisme
qui divise ces deux Eglises orthodoxes
depuis environ quarante ans. Nous allons,
à notre tour, nous en occuper dans cette
Chronique en parlant successivement des
premiers pourparlers relatifs à cet accord
futur, puis du mode de solution du litige
proposé par l'exarque bulgare, ensuite
du mode de solution imaginé par le
patriarche œcuménique, et enfin de cer-
taines difficultés imprévues qui retardent
la conclusion de cet accord.
I. — Les premiers pourparlers.
Le 7 novembre dernier, l'ambassadeur
de Russie à Constantinople, M. Tcharikof,
accompagné de son premier secrétaire,
fait une visite au patriarche œcuménique,
au cours de laquelle, après lui avoir parlé
du très vif intérêt qu'il prend aux affaires
du Phanar et des autres patriarcats, il lui
conseille instamment de régler d'une
façon ou d'une autre le différend qui
a causé le schisme entre les deux Eglises
orthodoxes, grecque et bulgare.
Huit jours après, le 15 novembre, au
saint synode grec, le patriarche Joachim 111
parle des efforts faits en vue d'un rappro-
chement entre Grecs et Bulgares par une
grande nation orthodoxe. D'un autre côté,
constatant des efforts semblables faits
dans le |même but par les Bulgares, il
conclut que le temps est venu de combler
le fossé qui sépare ces deux Eglises et
d'unir tous les peuples orthodoxes
d'Orient.
Les synodiques souscrivent à cette pro-
position. Mais, très logiquement, ils con-
cluent que, pour que cette entente soit
possible . sur le terrain ecclésiastique, il
faut au préalable, comme conditioti essen-
tielle, supprimer les causes qui ont amené
le schisme.
Cette décision du saint synode est très
commentée dans les milieux phanariotes.
RAPPROCHEMENT ENTRE LE PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE ET L'EXARCHAT BULGARE II 7
m
m
On cherche quelles sont précisément les
conditions qu'on va poser à l'Exarchat
bulgare avant d'accepter un rapproche-
ment quelconque avec lui. Certains
pensent qu'on lui demandera simplement
un exposé écrit de ses desiderata et de
ses propositions.
En tout cas, le principe du rapproche-
ment est accepté au Phanar. C'est le pre-
mier pas vers l'union de la part des
Grecs.
Du reste, pour arriver au but, ils n'ont
qu'à faire mi-chemin. Voici, en effet, que
les Bulgares viennent à eux. Mais de
même qu'au Phanar la première idée de
l'entente a été émise par un laïque, l'am-
bassadeur de Russie, de même, avant
de causer directement avec le Phanar,
l'exarque bulgare se fait représenter par
un laïque.
En effet, le i8 novembre, le député
bulgare de Monastir au Parlement otto-
man, M. Pantché Doreff, accompagné de
ses collègues, les députés grecs Bousios,
Honaios, Ch. Bambacas et D. Dingas,
visite le patriarche œcuménique, s'entre-
tient longuement avec lui de l'union pro-
jetée, affirme à Sa Toute Sainteté Joa-
chim III qu'en Bulgarie et à l'Exarchat
bulgare des négociations sont entamées
dans ce but et déclare habilement que les
Bulgares de Macédoine et le peuple bul-
gare tout entier partagent ses propres
sentiments, considèrent la Grande Eglise
comme l'Eglise-mère et qu'ils rêvent la
fin du schisme.
Emu sans doute par ces déclarations,
le patriarche œcuménique répond que la
Grande Eglise a toujours désiré mettre
n au schisme. Mais, en homme avisé, il
(demande à l'Eglise bulgare, c'est-à-dire
à l'Exarchat, de lui adresser par écrit ses
desiderata et ses propositions en vue de
l'extinction du schisme.
Le délégué laïque convient de la néces-
sité de cet exposé écrit, et, au moment
où il prend congé de Joachim 111, il entend
de la bouche de ce dernier ces réconfor-
tantes paroles :
Dans notre entrevue, je vois les arrhes
de la prochaine union du patriarcat œcu-
ménique avec l'Eglise bulgare.
Le lendemain, dans certaines conversa-
tions entre ecclésiastiques phanariotes,
l'importance de cette entrevue est souli-
gnée. Seuls, les synodiques, toujours
défiants, persistent à poser des condi-
tions. Deux surtout sont précisées :
1° l'entente entre les deux Eglises n'est
possible que si l'on supprime les causes
qui ont produit le schisme ; 2» il faut faire
de l'Exarchat bulgare le prolongement
du Phanar.
En réalité, les conditions sur lesquelles
il s'agit de s'entendre avant de signer un
accord sont plus complexes que ne
semblent le dire les synodiques du Pha-
nar. Pour nous en faire une idée exacte,
demandons d'abord à l'exarque bulgare
comment il envisage la solution du diffé-
rend.
II. — Mode de solution du litige proposé
PAR l'exarque bulgare.
Ces questions à poser à l'exarque bul-
gare, un rédacteur du journal grec, la
Proodos, les lui a faites le 19 novembre.
Nous n'avons donc, pour nous renseigner
à ce sujet, qu'à rapporter les réponses
données au journaliste par ce haut digni-
taire ecclésiastique.
La conversation, avant de porter sur
des points précis, a d'abord trait à l'idée
même du rapprochement :
— Comment, Béatitude, dit le journa-
liste, envisagez-vous aujourd'hui l'accord
entre le patriarcat et l'exarchat?
— Cette entente, pour laquelle je n'ai
jamais cessé de nourrir des espérances, est
désirée de tous et certainement elle rem-
plira de joie tous ceux qui travaillent aux
intérêts des deux nations. La nouvelle
situation politique nous impose aussi ce
rapprochement pour notre propre progrès
et pour celui de la Jeune-Turquie, qui,
débarrassée des entraves de l'absolutisme,
attend de ses enfants la concorde et l'union.
C'est pourquoi j'ai entendu prononcer le
mot d'accord avec joie et je poursuivrai
iï8
ECHOS D ORIENT
toute démarche qui tendra à cette union
désirable entre le patriarcat et nous.
L'entretien une fois engagé, le journa-
liste, précisant ses questions, demande :
— Comment comprenez-vous l'entente?
— La question est assez délicate et
appelle quelques réserves parce que certains
pourraient exploiter mes réponses en vue
de leurs desseins particuliers; cependant,
je n'hésite pas à répondre que je conçois
l'accord dans le domaine de la juridiction
des deux Eglises, c'est-à-dire sur le terrain
purement ecclésiastique. Il y a entre nous
un différend ecclésiastique et il s'agit de le
trancher.
— Que pensez-vous de la réception faite
hier à M. Doreff ,par Sa Toute Sainteté?
— J'en ai lu aujourd'hui le compte rendu
dans la Prooû?05, et j'avoue ne pouvoir rien
désirer de mieux.
Puis l'exarque explique finement que
celte entrevue n'a pas eu seulement le
caractère d'une visite de politesse à Joa-
chim III, car M. Doreff étant membre du
Conseil national de l'Exarchat, sa démarche
constitue, de la part de cet Exarchat, le
premier pas vers la réconciliation. Au
reste, comme les députés bulgares et
grecs ont parlé entre eux de cette ques-
tion à la Chambre des députés ottomane,
de ce fait, des efforts en vue du rappro-
chement se font sur le terrain politique
en même temps que dans le domaine
religieux.
Enfin, supplié une seconde fois d'expri-
mer sa pensée au sujet des conditions
dans lesquelles se fera l'accord, l'exarque
fait ces déclarations :
La condition la plus importante et la plus
sérieuse de ce rapprochement, c'est la bonne
volonté. Si celle-là existe, tout va bien. Je
veux croire que cette bonne volonté existe
aussi bien de votre côté que du nôtre, et
que, dès lors, on trouvera le modus vivendi
cherché.
— Avant-hier, au saint synode patriarcal,
on a parlé de cette question, et les vénérables
synodiques ont déclaré que, pour mettre
fin au schisme conformément aux saints
canons de l'Eglise, il fallait au préalable
que l'exarchat exprimât ses regrets au
patriarcat.
— Lorsque la bonne volonté existe, tout
s'aplanit. Si nous voulons mettre en avant
des théories juridiques ou dogmatiques,
jamais nous n'aboutirons à un résultat. Il
faut nous persuader que la sincérité et la
bonne volonté, — j'insiste, vous le voyez,
sur ce mot — existent, et que, dès lors, tout
ira bien. Quant aux saints canons, je ferai
seulement observer qu'ils constituent les
lois administratives d'après lesquelles on
gouverne l'Eglise. Puisque ces lois visaient
d'autres époques passées et qu'elles s'adres-
saient à la société de ces temps-là, leur appli-
cation serait aujourd'hui quelque peu dif-
ficile.
Sur cette question, j'estime que le pa-
triarcat ou plutôt l'Eglise doit modifier sa
politique et sa manière de voir.
Là-dessus, le journaliste perspicace fait
une objection à l'exarque.
Vous allez, lui dit-il, réunir deux natio-
nalités dans la même organisation ecclé-
siastique. Mais, inévitablement, de part et
d'autre, le chauvinisme éclatera et il en
résultera des divergences nées de l'esprit
de parti. Du reste, les saints canons ne
condamnent-ils pas ces divergences de
nationalité?
L'exarque repren<i :
— Sans doute les saints canons pou-
vaient renfermer de pareilles défenses, car,
à l'époque où ils furent rédigés, le chauvi-
nisme ne divisait pas les Qrthodoxes. Au-
jourd'hui,les conditions sont autres. Chaque
nation et chaque race pourra prier dans sa
langue et avoir son église. En refusant d'ad-
mettre cette vérité, nous ne servirions pas
nos intérêts. Je veux donc un accord basé
sur le fait de notre existence comme nation.
— Alors, qu'arrivera-t-il aux métropolites
grecs et bulgares qui ont leur siège dans
les mêmes villes?
— Une fois l'accord des deux Eglises
survenu, notre autorité spirituelle la plus
élevée sera le patriarcat. Dans ce cas, l'exar-
chat cessera d'être l'autorité spirituelle la
plus élevée des Bulgares, il constituera une
simple section du patriarcat et s'occupera
uniquement des affaires intéressant les Bul-
gares orthodoxes. L'exarque demeurera à
Constantinople, non plus indépendant
RAPPROCHEMENT ENTRE LE PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE ET L'EXARCHAT BULGARE 1 I9
comme aujourd'hui, mais, comme je l'ai
dit, sous la suzeraineté du patriarcat. Dans
les villes où il y a deux métropolites ortho-
doxes, celui-là restera qui a sous sa juri-
diction la plus grande partie de la popula-
tion. Pour la partie la plus faible, il y aura
un archimandrite qui reconnaîtra le métro-
polite pour supérieur. Ce dernier, toutefois,
ne se mêlera pas des affaires intérieures de
cette petite communauté. Une semblable
organisation se voit déjà à Uskub, où il y
a une communauté grecque indépendante
et ne reconnaissant pour supérieur, selon
les conventions, que le métropolite serbe.
En résumé, l'entente se fera sur la base
d'un firman (i i que le patriarcat a reconnu
en partie et dans lequel on introduira quel-
ques modifications. Rien de plus simple
que cela quand la bonne volonté existe.
Quant à la population (de 5o ooo Bulgares
patriarcaux et de 5o 000 Serbes ) au sujet de
laquelle il y a contestation entre le patriar-
cat et l'exarchat, elle sera convoquée pour
déclarer librement de quel chef hiérarchique
elle désire relever, et conformément à ces
déclarations de la population, les métro-
poles seront déclarées grecques ou bulgares.
Ces nombreux renseignements reçus,
le journaliste pouvait s'estimer suffisam-
ment renseigné sur les conditions dans
lesquelles l'exarque comptait accepter le
rapprochement et se retirer pouraller inter-
roger à son tour le patriarche Joachim sur
le même sujet. Nous aussi, après l'avoir
suivi à l'exarchat, nous le suivrons au Pha-
nar, afin de comparer les deux sons de
cloche.
111. — Mode de solution du litige
PROPOSÉ PAR le PATRIARCHE ŒCUMÉNIQUE.
Voici les déclarations que, le 24 no-
vembre dernier, le patriarche Joachim III
a faites au rédacteur de la Proodos :
Durant ces derniers jours, on a beaucoup
parlé des efforts faits à la fois par la nation
grecque et par la nation bulgare en vue de
quelque réconciliation et de quelque rap-
prochement.
(1) C'est le firman constitutif de l'exarchat bul-
gare du 22 mars 1870, que les Echos d'Orient, nov.
1910, p. 356, ont reproduit.
Ce qu'on a rapporté, commenté, et ce
que beaucoup ont écrit au sujet de l'entente
amicale des deux nations, qui reposerait,
d'après les uns, sur la cessation du schisme,
et, d'après d'autres, sur d'autres bases, est
de part et d'autre inexact. La vérité, qui
n'aura pas besoin de démenti, est que ces
deux nations qui se sont heurtées en Tur-
quie d'Europe, il y a près de cinquante ans,
ont senti la nécessité, non de se faire la
guerre, mais de s'entendre sur un nouveau
terrain politique, depuis qiie, par la grâce
de Dieu, le gouvernement constitutionnel
s'est élevé sur les ruines de la tyrannie, et
de travailler de concert, avec tous leurs
compatriotes, à la consolidation de l'égalité
politique, de l'égalité devant la loi et de la
justice.
Un tel rapprochement et une telle en-
tente entre les deux nations doivent être
désirés par le gouvernement impérial lui-
même. Cette union une fois accomplie
n'exclut pas le rapprochement de l'Eglise
de Constantinople et de l'Eglise bulgare
sur le terrain des saints canons ecclé-
siastiques en vue de la cessation du
schisme.
Du reste, tout chrétien, à quelque Eglise
qu'il appartienne, doit désirer cette récon-
ciliation de tous les orthodoxes basée sur
ce qui a été fixé par les traditions historiques,
ecclésiastiques et sacrées.
Comme confirmation de ce que j'ai dit,
je vous rapporte que, dans l'entrevue que
j'ai eue récemment avec le grand vizir,
quand il a été question de trancher le diffé-
rend survenu au sujet de la possession des
églises. Son Altesse, me parlant avec une
franchise vraiment amicale, a exprimé le
vœu que le patriarcat consente à satisfaire
quelques-uns des désirs des autres nations
chrétiennes en désaccord avec lui. Sans
s'immiscer dans les attributions du patriar-
cat, le gouvernement considérera cette
conduite comme très utile aux intérêts de
l'Etat.
Le patriarcat œcuménique, prêtant une
oreille bienveillante à ces conseils en vue
de l'entente, ne peut pas néanmoins fermer
les yeux sur sa situation canonique qui date
de tant de siècles : il doit sans doute satis-
faire les désirs sincères et dégagés de toute
préoccupation terrestre des chrétiens, ses
fidèles ; mais il doit également garder intact
le dépôt sacré dont Dieu la établi gardien.
120
ECHOS D ORIENT
A ces déclarations du patriarche œcu-
ménique, il faut, pour se faire une idée
nette de son mode de solution jusqu'ici
assez imprécis, joindre les explications
qu'il a données le 26 novembre à M. Naou-
mof, correspondant du Préporeti de
Sofia, dans une audience qu'il lui a
accordée.
Après avoir résumé à grands traits les
origines historiques du schisme, Sa Toute
Sainteté déclare :
La faute a été que le différend (qui aurait
dû rester exclusivement politique) a été
porté sur le terrain ecclésiastique. Dans ce
conflit, les Bulgares avaient l'appui de la
Russie. Alors est née chez les Grecs la per-
suasion que le slavisme menaçait l'exis-
tence de l'hellénisme, et chez les Bulgares
la conviction que nous les persécutions et
les trahissions.
— Les prétextes de ce conflit, Toute Sain-
teté, reposaient sur ce fait qu'on ne per-
mettait pas aux Bulgares de prier dans leur
langue et que, sous les noms de patriarcat
et d'exarchat, les Eglises étaient purement
nationales.
— Cela est vrai. Le patriarcat ne voulait
pas deux nationalités dans sa hiérarchie et
refusait d'agréer la constitution d'un synode
et d'un Conseil mixte composé, à nombre
égal, de Grecs et de Bulgares. Cependant,
dans le clergé patriarcal, il y eut toujours
des métropolites bulgares, et même un pa-
triarche, comme Raphaël.
— Mais toujours des métropolites et un
patriarche hellénisés
— Oui, ils étaient toujours hellénisés,
mais il n'est pas vrai que le patriarcat
tyrannisait les Bulgares. Le patriarcat
n'avait pas deux administrations, l'une
pour les Grecs et l'autre pour les Bulgares.
L'administration était toujours la même
pour tous. La bonne ou la mauvaise admi-
nistration dans les éparchies dépendait du
métropolite. S'il était bon, comme à Sofia,
les hommes l'aimaient et les aff'aires allaient
à souhait. Quand il était mauvais, comme
à Tirnovo, les aff'aires allaient mal. Jamais
la mauvaise administration n'a été le fait
du patriarcat. Mais il y a encore une autre
explication de ce fait. Dans les éparchies
grecques, les métropolites ne pouvaient pas
se livrer à des actes arbitraires, parce que
la population, plus éveillée et mieux édu-
quée, s'y opposait; tandis que les Bulgares,
plus simples et plus timides, n'osaient pas
refréner l'arbitraire du métropolite.
— Que faut-il , Toute Sainteté, pour
rétablir dans l'avenir les relations ami-
cales?
— Il faut que les influences étrangères
nous laissent tranquilles. Il nous faut vivre
dans la charité et dans la concorde, de ma-
nière à profiter de la liberté constitutionnelle
pour nous développer dans la paix. Il y a ici
deux autorités spirituelles, le patriarcat et
l'exarchat. Il faut que, des deux côtés, on
donne des conseils par l'organe de quelques
particuliers en vue d'une entente et d'un
accord consentis de part et d'autre. Les
Bulgares désirent rester Bulgares. Ils ont
leurs églises et leurs écoles. Personne ne
peut les leur enlever. Ce sont leurs droits,
de même que les Grecs ont les leurs. Il
n'existe pas (là) de sujet de dissension.
Avant tout, il faut faire régler la question
des églises par la population. Cette solution
de la question aura une grande importance
pour le rapprochement qui suivra. Sur cette
question, j'ai consulté des Européens, cano-
nistes distingués, qui m'ont assuré que,
sans prendre en considération la question du
schisme, nous pouvions résoudre laquestion
à l'amiable par un compromis accepté de
part et d'autre.
— Comment pensez-vous. Toute Sain-
teté, faire résoudre la question par la popu-
lation?
— Je n'ai pas encore réfléchi sur le côté
pratique de la question, mais je vous dirai
ceci : il faut que dans les villages helléno-
manes — comme vous les appelez — la
population, libre de toute influence exté-
rieure, se réunisse pour dire, selon sa con-
science, sous la juridiction de qui elle entend
demeurer, du patriarcat ou de l'exarchat.
Puisqu'une Commission mixte, composée
de Grecs et de Bulgares, prenant en consi-
dération le nombre d'adhérents de chaque
parti, décide auquel desdeux revientl'église.
Le parti le moins nombreux sollicitera du
gouvernement un secours pécunaire pour
la construction d'une nouvelle église Il
y a aussi un autre mode de solution
— Le système de roulement? (la célé-
bration de la messe à tour de rôle).
— Non. Cela s'est produit dans certains
villages, mais il faut y renoncer, parce
RAPPROCHEMENT ENTRE LE PATRIARCAT ŒCUMÉNIQUE ET L EXARCHAT BULGARE 121
que cela rappelle le schisme, il faut savoir
que j'étais opposé à la proclamation du
schisme.
— Il existe un autre procédé, mais il me
paraît plus difficile à pratiquer. Dans les
églises, on célébrerait la messe dans les
deux langues et. dans les écoles, on ensei-
gnerait également les deux langues concur-
remment avec le turc. Toutefois, ce n'est
là que mon opinion personnelle, ce n'est
pas celle du patriarcat. Si la question est
discutée au synode, peut-être trouvera-t-on
une autre solution.
— Mais, permettez-moi. Toute Sainteté,
de vous demander si cette population hel-
lénomane est affranchie de toute crainte,
et peut se jeter ainsi dans le sein de
l'Exarchat.
— Certainement. Je pense qu'il y a encore
à craindre du côté de la Bulgarie. Et de
nouveau je redis : la solution de cette ques-
tion par une commune entente sera d'un
grand poids pour la réconciliation qui
suivra.
Telle est ma solution de la question de
la réconciliation, solution que j'appellerai
politique, parce qu'elle a trait aux relations
politiques des deux nations qui ont à dé-
fendre les mêmes droits.
Quant à l'autre aspect de la question, le
point de vue canofiique. c'est-à-dire les
relations entre le patriarcat et l'exarchat,
la situation des Grecs en Bulgarie, etc., je
le considère comme un peu plus difficile
à trancher pour le moment, mais, avec de
la bonne volonté, le premier rapprochement
opéré sur le terrain politique facilitera la
solution de cette question.
Ainsi parla le patriarche œcuménique.
Entre ses explications et celles données
par l'exarque bulgare, notons trois points
de ressemblance : i» tous les deux font
passer la solution de la question politique
avant la solution de la question canonique:
2'^ tous les deux estiment que la première
solution facilitera singulièrement la se-
conde: 3" tous les deux comptent avant
tout sur la bonne volonté de la part des
Grecs et de la part des Bulgares.
^ Malgré cette bonne volonté, quelques
difficultés ont surgi, qu'il nous reste à
exposer.
IV. — Difficultés imprévues
QUI RETARDENT LA CONCLUSION DE l' ACCORD.
En effet, tandis que, à l'exarchat bulgare,
on décide, le 29 novembre, de faciliter
l'entente politique en évitant de mettre sur
le tapis la question canonique et d'en-
joindre aux métropolites bulgares de Macé-
doine de ne pgs accepter les églises et les
écoles contestées que leur ont accordées
les autorités turques avant de s'être enten-
dues sur cette question avec la population
grecque de ces diocèses, voici que les
Serbes troublent les préparatifs de l'en-
tente cordiale.
Ces orthodoxes, Slaves il est vrai, mais
reconnaissant en Turquie le Phanar comme
suprême autorité religieuse, ont peur que,
par cette union avec l'exarchat bulgare, le
patriarche grec sacrifie leurs intérêts à ceux
des Bulgares. Ceux-ci, à leur tour, sont
inquiets, car ils sont jaloux des quelques
concessions faites par le Phanar aux Serbes,
et ils voudraient bien occuper eux-mêmes,
au nom des Slaves, les deux métropoles
d'Uskub et de Prizrend, détenues jusqu'ici
par deux titulaires serbes, ainsi que la
métropole de Dibra où Tannée dernière un
autre Serbe, M^'f" Barnabe, fut donné comme
auxiliaire au métropolite grec. On attend
donc que les Serbes et les Bulgares signent
de concert un compromis à ce sujet, avant
de poursuivre les négociations relatives
à l'entente. Le compromis n'est pas près
d'être conclu, et le 30 novembre/ 13 dé-
cembre 19 10, fête de la Saint-André, con-
sidéré comme le fondateur de l'Eglise de
Byzance, on remarqua pour la première
fois l'absence de l'ambassadeur serbe à
cette cérémonie.
A ce premier obstacle joignons-en un
autre, la légèreté imprudente avec laquelle
les chefs hiérarchiques des Eglises grecque
et bulgare, en multipliant leurs déclara-
tions aux journalistes de la capitale, ont
ressuscité de vieilles querelles. C'est pour-
quoi, si l'on en croit la Proodos du
14 décembre, qui, elle-même, se fonde sur
les télégrammes d'un journal bulgare, les
membres du Conseil mixte du Phanar et
122
ECHOS D ORIENT
les députés grecs et bulgares delà Chambre
ottomane donnent aux chefs hiérarchiques
des deux Eglises le conseil de s'abstenir
pendant qtielqiie temps de faire des déclara-
tions aux journalistes de Consiantinople.
Ils en donnent les raisons suivantes :
I» Ces déclarations rappellent à la popu-
lation qu'il y a des divergences canoniques,
causes du schisme entre les deux Eglises.
2° M en résulte des discussions qui dégé-
nèrent en querelles et peuvent compro-
mettre l'accord sur le terrain politique,
prélude de l'accord sur le terrain cano-
nique.
y II est donc opportun de laisser de
côté pour le moment les questions qui
ont simplement trait au droit canonique.
Ces raisons ne manquent pas de jus-
tesse. L'heure est critique, en effet, car les
Serbes ne s'opposent pas seuls à l'alliance
gréco-bulgare. Voici que les jeunes-Turcs
leur tendent la main, opposant coalition à
coalition et manifestant leur sympathie aux
Serbes par la protection spéciale qu'ils
leur accordent en Macédoine.
D'où leur vient cette attitude? Sim-
plement de ce fait que, en hommes clair-
voyants, ils voient la Grèce se dresser
derrière les Grecs ottomans, la Bulgarie
derrière les Bulgares de Turquie, et
l'alliance politique des deux royaumes
grec et bulgare se nouer contre eux avec
l'appui des Grecs et des Bulgares de Tur-
quie. Comme ils ne manquent pas de
perspicacité, les Jeunes-Turcs entrevoient
aussi dans les coulisses du théâtre le grand
acteur russe, découvert maladroitement
dès le premier jour par le patriarche
Joachim III.
Cependant, les pourparlers entre Bul-
gares et Grecs se poursuivent activement :
laïques et ecclésiastiques, remplis du
même zèle, travaillent à la fois et arrivent
à une entente provisoire: les laïques, sur
la question de la collaboration des députés
grecs et bulgares dans les négociations;
les ecclésiastiques, sur la question des
rapports entre le Phanar et l'exarchat, d'une
part, et la Sublime Porte, de l'autre.
Cette dernière question, en effet, mé-
rite d'être discutée avec le gouvernement
ottoman, car elle se présente sous les deux
formes distinctes suivantes :
1° Comment le ministère de la Guerre
entend-il, désorm.ais, solutionner les négo-
ciations entamées entre lui et les Eglises
orthodoxes à propos de certaines réclama-
tions relatives au service militaire obliga-
toire pour tous les sujets ottomans?
2° Comment le ministère de l'Instruc-
tion publique accueillera-t-il les nom-
breuses observations qui lui ont été adres-
sées par le Phanar au sujet des matières
à enseigner dans toutes les écoles chré-
tiennes, soumises au gouvernement otto-
man?
C'est en vue d'obtenir une réponse fa-
vorable à ces diverses requêtes que le
Kapoukéhahia de l'exarchat bulgare visite
le patriarcat grec, que le Kapoukéhahia du
Phanar rend la visite à l'exarchat bulgare;
que de part et d'autre on cause avec les
ministres turcs de la Guerre et de l'In-
struction publique, tandis que, gravement,
dans la solennité de ses réunions syno-
dales, le haut Conseil ecclésiastique de Sa
Toute Sainteté Joachim 111 envisage au
point de vue canonique la possibilité de
l'union projetée entre les deux Eglises.
Le succès de ces négociations n'est pas
impossible, les amères déceptions ne le
sont pas non plus. Attendons, pour nous
prononcer, que le lent travail de la diplo-
matie à la fois politique et ecclésiastique
présente à notre examen critique des ré-
sultats précis. G. Bartas.
BIBLIOGRAPHIE
A Camerlynck, Cotnmentarius in Episto-
las catholicas. Bruges. Ch. Beyaert,
5« édition. in-S" de 279 pages. Prix :
3 fr. 5o.
Ce commentaire latin sur les « Epitres
catholiques » publié par M. Camerlynck,
professeur au Grand Séminaire de Bruges,
-st une refonte de l'œuvre de M. Van Steen-
:iste. La clarté dans l'exposé des opinions
jt la richesse de la documentation sont les
qualités qui, dans cet ouvrage, frappent en
.^remier lieu le lecteur. Pour ma part, je
ilicite particulièrement l'auteur de la har-
diesse de bon aloi avec laquelle il prend
riarti pour une opinion, quand plusieurs
>ont probables, et de l'heureuse idée qu'il
a eue de mettre à côté des mots latins et
grecs les mots correspondants flamands,
français et anglais qui en facilitent l'intel-
ligence.
Mais, si certaines questions discutées sont
bien résolues, on regrette que, sur certains
autres points, l'auteur n'ait fait que repro-
duire la pensée de ses devanciers. Ainsi,
p. 21, 2(j, après avoir bien établi que les
Frères du Seigneur ne sont pas des frères
utérins de Jésus, ce qui est le côté négatif
Je la thèse, il ne fait, pour la question des
degrés de parenté de ces Frères du Sei-
j;neur, côté positif de la thèse, que se ranger
aux conclusions probables du P. Durand
[Revue biblique, 1908, p. 84 s. . Ailleurs,
les conclusions tirées dépassent la portée
des prémisses. Ainsi, p. 90, de ce que la
F Pétri fait allusion à une violente persé-
cution, il ne résulte pas nécessairement
qu'elle ait été composée entre les années 63
et 65; car, si cette persécution, commencée
en 63-64. "^ firiit qu'en 67, l'Epître a pu
être composée en 66, aussi bien qu'en 65 ou
en 63-64. ^^ même, p. 221, du texte de la
/* Joannis, III, 8 : In hoc apparuii Filius
Dei, ut dissolvat opéra diaboli, il est exa-
^^éré de conclure avec saint Augustin et
saint Thomas: sans le péché d'Adam, le
Christ ne se serait pas incarné. En effet, le
texte ne saurait infirmer l'opinion contraire
de Scot, car il ne porte pas : el; toSto jtôvov
ifxv£;tô6r, =/n hoc tantum apparuii, mais
simplement : t'A touto èiavîiwOy, ^= In hoc
apparuit; d'où l'on doit conclure: i" en
fait, c'est bien à cause du péché d'Adam
qu'a eu lieu l'Incarnation ; 2" mais, en droit,
il n'est pas prouvé qu'elle ne se fût pas pro-
duite, sans l'existence de ce péché, uni-
quement pour la perfection de l'univers.
A ces observations sur les conclusions de
l'auteur, j'ajoute que les formes verbales
contemplât, contemplavit (p. 44 1 ne sont pas
latines, par suite, doivent être remplacées
par contemplatur, contemplatus est, et que
le mot impudicitœ est sans doute pour
impudicitiœ (p. 266': fautes d'impression
ou d'inattention que corrigera sans doute
la sixième édition de cet ouvrage.
E. MONTMASSON.
A. Camerlynck, Commentarius in Actus
Apostolorum. Bruges, Ch. Beyaert. 1910,
6^ édition, in-S" de 448 pages. Prix :
5 francs.
Refonte complète du Commentaire de
M . Van Steenkiste sur les A ctes des apôtres,
cet ouvrage de M. A. Camerlynck, écrit tout
entier en latin, se distingue à la fois par la
clarté et l'élégance de l'exposition, par la
critique sérieuse des opinions relatives à
l'origine des Actes, et, généralement aussi,
par l'exactitude dans l'explication détaillée
du texte grec et latin. On peut, notamment,
présenter comme des modèles du genre la_
démonstration de l'authenticité du livre
et l'exposé de la situation politico-religieuse
des Juifs à l'époque des apôtres i p. 25, 67-83 ).
Avant de faire à l'auteur quelques obser-
vations sur le fond, je lui signalerai quel-
ques fautes typographiques d'accentuation
grecque et une faute de latin que la septième
édition du livre pourra corriger. P. 216: à
la place de TaTrs-.vw'j:;. il taut zxT.tivioc.^ .
p. 3oi : Ir^-rr^aiç est pOUr ^f,T-/,it;: p. 35 1 :
ês^ioiz doit être corrigé par soYaorta ; p. 425 :
Tw àv£{jt.(.> est mis pour zw àvéaw; enfin
p. 442 : testimonio amitiœ est mis pour tes-
timonio amicitiœ.
Passant maintenant à la discussion des
opinions émises, je demanderai à l'auteur
pourquoi, à la page 200, il se montre si ré-
124
ECHOS D ORIENT
serve quand il s'agit de choisir entre les
diversesopinions tendant à concilier Actes,
VII, 55, et Gen. xxxiii, 19, et xxiii,8, 19. La
question débattue est celle-ci : comment
saint Etienne, rempli du Saint-P2sprit, a-
t-il pu dire dans son discours devant le San-
hédrin: « Nos pères ont été déposés dans
le sépulcre acheté par Abraham, à prix
d'argent, aux fils d'Hémor, fils de Sichem »,
alors que, d'après la Genèse, c'est Jacob et
non Abraham qui a acheté ce tombeau?
N'est-il pas aisé de répondre : l'essentiel
du discours de saint Etienne n'est pas de
rapporter ce détail sans importance, et, par
suite, quand le Saint-Esprit inspire saint
Luc dans la citation de ce fait, c'est sim-
plement pour attester que ce détail, vrai ou
faux, a été fidèlement rapporté par l'auteur
sacré? Ainsi ce qui est inspiré, c'est l'inser-
tion, non le fait. 11 faut, de toute nécessité,
se ranger à cette opinion si l'on ne veut
pas se heurter à bien d'autres difficultés de
ce genre. Du reste, l'auteur de cet ouvrage
en convient timidement, p. 207, suivant
en cela les principes d'interprétation for-
mulés par le R. P. Pesch.
En second lieu , M . Camerlynck est-il bien
sûr de ce qu'il écrit, quand (p. 333) il affirme
que ceux qui écoutèrent sérieusement saint
Paul à Athènes étaient des stoïciens et que
ceux qui s'en moquèrent étaient des épicu-
riens? Ce sont là de simples conjectures
qui ne reposent nullement sur le texte
sacré.
De même, l'auteur ne peut pas être sûr de
ce qu'il avance, p. 426, quand il explique
longuement l'expression : accingentes na-
veni, du chapitre xxvii, 17, en se servant des
termes mêmes employés par les marins mo-
dernes, parce qu'il ignore dans quelle
mesure les bateaux du temps de saint Luc
ressemblaient aux nôtres.
Si j'attire l'attention de l'auteur sur ces
minuties, ce n'est pas pour en exagérer
l'importance. Mais j'estime qu'il est bon,
en exégèse, quand on donne une explication
dont le caractère est hypothétique, de tou-
jours présenter cette explication comme
telle. C'est, du reste, la règle à laquelle se
conforme d'ordinaire M. Camerlynck, et
c'est pourquoi ce volume a une réelle
valeur scientifique, sans cesser cependant
d'être un manuel de vulgarisation à l'usage
des Grands Séminaires.
E. MONTMASSON.
R. Pary, La fin du monde est proche,
démonstration de cette vérité par des
témoignages tirés de la Sainte Ecri-
ture, etc. Saint-Brieuc, R. Prud'homme,
in-8°, 297 pages. Prix : 3 fr. 5o.
Démontrer que la fin du monde est proche
est une tâche difficile devant laquelle bon
nombre de théologiens et d'exégètes au-
raient reculé. M. Pary a eu le courage d'es-
sayer, en s'appuyant sur des témoignages
tirés de la Sainte Ecriture, des Pères de
l'Eglise, des docteurs du moyen âge, de la
vie des saints, de la liturgie, des apparitions
de la Sainte Vierge, des actes des Souverains
Pontifes, des autorités contemporaines et de
diverses observations sur les temps présents.
Nous ne pensons pas qu'il ait réussi.
Nous ferons d'abord à l'auteur quelques
observations de détail avant de lui dire
notre opinion sur l'essentiel de sa thèse.
i" Il est arbitraire d'appliquer à l'histoire
de l'humanité morte, puis régénérée, le
miracle de la résurrection de Lazare après
un séjour de quatre jours dans le tombeau
(p. 53, 54); 2" la croyance à la durée du
monde de six mille ans repose sur une
hypothèse qui, bien que basée sur une tra-
dition juive ancienne, n'a été jusqu'ici ni
vérifiéeni vérifiable(p. 53,54); 3" l'insertion
dans le bréviaire par l'Eglise d'un passage
des homélies de saint Léon le Grand et de
saint Grégoire le Grand relatif à la fin des
temps ne prouve pas plus l'approche de
cette fin que l'insertion dans le bréviaire
d'une foule de légendes de saints ne prouve
la certitude historique des faits racontés
(p. 65); 4" de ce que, à la Salette, la Sainte
Vierge a fait connaître à deux enfants une
grande nouvelle qu'ils doivent publier
dans le monde entier, et du fait « qu'elle
ne peut pas retenir le bras de son Fils », il
résulte bien qu'un grand châtiment va punir
le monde coupable, mais il ne s'ensuit pas
nécessairement que ce malheur soit l'un de
ceux qui précéderont la fin du monde
( p. 1 22) ; 5° de ce que la première apparition
de la Sainte Vierge à Lourdes survint« après
une période de douze fois douze jours dans
la douzième année qui suivit l'apparition
de la Salette », et du fait que cette appari-
tion eut lieu « le soir», il ne résulte pas que
les événements annoncés soient ceux qui
précéderont la fin du monde. Le prétendre,
c'est donner à l'exégèse rabbinique basée sur
BIBLIOGRAPHIE
125
les nombres une importance qu'elle n'a pas
p. 127).
Passons à l'essentiel de la thèse. L'auteur
a raisonné ainsi. Dire que la fin du monde
est proche, c'est parler d'une proximité
relative à la durée totale du monde (p. 14).
Or, le monde, d'après une tradition rab-
binique admise, du reste, par quelques
Pères, doit durer six mille ans, dont quatre
mille ans avant le Christ et deux mille ans
après. Du reste, les calamités physiques et
morales qui affligent maintenant l'huma-
nité sont d'une nature telle que. à n'en
pas douter, elles ont les caractères des
grands malheurs, prodromes de la fin des
temps. Nous voilà donc très près de cette
fin! Conclusion exagérée d'un argument
doublement fautif que l'on peut ainsi rétor-
quer : I' l'opinion rabbinique, d'après la-
quelle le monde doit durer six mille ans,
est une simple hypothèse, d'ailleurs con-
traire à l'histoire pour la période antérieure
à Jésus-Christ ; donc il est peu probable que
nous soyons arrivés à la fin des temps; 2" il
n'est pas démontré que les fléaux qui boule-
versent le monde à l'heure actuelle soient
plus grands que ceux qui ont provoqué les
terreurs de l'humanité à d'autres époques.
M. Pary n'a qu'à lire les Pères de l'Eglise,
à commencer par les Pères apostoliques, et
surtout les chroniqueurs byzantins, pour
s'en rendre compte.
Si ces pages n'ont pas prouvé la thèse de
l'auteur, du moins elles ont le mérite de
présenter l'historique de la question à tra-
vers les âges; c'est surtout à ce point de
vue qu'elles sont intétessantes.
E. MONT.MASSON.
J. Ebersolt : Le grand palais de Constan-
tinople et le Livre des Cérémonies. Paris,
E. Leroux, 1910, in-8° de xv-237 pages,
avec un plan hors texte dressé par
M. Thiers.
Dans l'avant-propos qu'il a rédigé pour
ce volume. M, Diehl a loué avec raison la
méthode employée par xM. Ebersolt et qui
Jistingue son travail de ceux de Labarte,
Paspatès, Bjeljaev et von Reber. « En
entreprenant, dit-il, de restituer la demeure
des empereurs de Constantinople, il a mis
à la base de son travail un principe: le
principe chronologique. Grâce à cette
méthode ingénieuse et nouvelle, il a étudié
et classé, selon l'ordre historique où ils se
succédèrent, les divers groupes d'édifices
dont s'accrut au cours des siècles le Palais-
Sacré, et, dans la confusion et l'obscurité
des textes, il a pu, grâce à ce fil d'Ariane,
se reconnaître et suivre une voie nette et
fermement tracée. -» M . Strzygowski a
déjà fait remarquer, 5)-;^. Zez?5c/[r(/if( 19 10),
p. 65o, que la méthode n'était pas nouvelle
et qu'elle avait été inaugurée par Unger
dans son grand travail sur l'art chrétien et
byzantin, enfoui dans l'Encyclopédie de
Ersch et Gruber. Le mérite de M. Ebersolt
— et il n'est pas mince, — c'est, puisqu'il
ignorait l'étude d'Unger, d'avoir relu tous
les textes, de les avoir confrontés, groupés
et critiqués, bref d'avoir refait en grande
partie un travail déjà fait. Il y a ajouté
l'étude sur place, menée de concert avec
un architecte, ce qui lui a permis de dresser
un plan et de localiser bon nombred'annexes
du Palais-Sacré tout autrement que Labarte
et ses imitateurs.
On n'attend pas de moi que je discute
ici, point par point, toutes les conclusions
de l'auteur et que j'indique en quoi elles
concordent avec celles de ses devanciers,
en quoi aussi elles en diffèrent. Pareille
énumération et surtout pareille critique
seraient mal à l'aise dans l'espace réservé
à un simple compte rendu. Voici tout de
même la liste complète des sujets traités.
Rien n'est plus capable de faire deviner la
somme des recherches consacrées à la res-
titution aussi exacte que possible de ce
fameux palais qui, de Constantin aux
Comnènes, semblait vraiment le cœur et
la tête de l'empire, l. Les abords du
palais. — 11. La Chalcé. Les Noumera,
— III. Les quartiers des scholaires, des
excubiteurs et des candidats. — IV. L'église
du Seigneur, le Consistoire et l'Onopo-
dion. — V. Le palais de Daphné. — VI.
Le Triclinos et le tribunal des Dix-neufs
lits. Le Delphax. — VIL La iMagnaure et
ses abords. — VI 11. Le Chrysotriclinos et
ses dépendances. — IX. Le Lausiacos, le
Justinianos et les Skyla. — X. Les phiales
des deux factions. — XL L'église de la
Vierge-du-Phare. — XII. Le Triconque et
ses dépendances. — XIII. La situation du
Triconque. L'Abside. Les passages du
Seigneur et des Quarante-Saints. — XIV.
Les constructions de Basile I". — XV.
L'église de Saint-Démétrius. — XVI. Le
126
ECHOS D ORIENT
port et le palais du Boucoléon. La Porphvra.
Le Mouchroutas. XVII. — Les entrées et
les limites du palais. La Thermastra. —
XVIII. Les aspects du palais. — XIX. Le
palais et le L ivre des Cérémonies . Deux excel-
lents index, l'un français, l'autre grec, per-
mettent au chercheur de retrouver tout de
suite les nombreux monuments profanes ou
ecclésiastiques dont il est traité dans cet
ouvrage, tandis qu'une liste numérotée des
monuments sert de clé au plan qui accom-
pagne le volume.
Livre qui ne laisse pas grand'chose à
désirer, comme on le voit, au point de vue
de l'ordre, de la clarté, des recherches
méthodiques. Les ouvrages dépouillés, sur-
tout les textes originaux, sont innombrables
et figurent tous au bas des pages, à l'appui
de ce qui est avancé dans le texte. Ce que
j'ai goûté par-dessus tout, c'est l'introduc-
tion et le chapitre XIX dans lesquels M. Eber-
solt indique avec une précision inimitable
les parties datées par d'autres que lui du
Livre des Cérémonies et celles fort nom-
breuses assurément, que sa méthode histo-
rique lui a permis de dater. Quelques petites
remarques pour terminer. On dit plutôt
monothélite que monothélète, p. i5. Théo-
phile voulant punir les meurtriers de son
père, p. 72, note 4; de qui s'agit-il, le père
de cet empereur n'ayant pas été tué ? Ce n'est
pas au Lausiacos, p. 98, mais au Chryso-
triclinos que Théophile eut sa discussion
avec les deux frères Grapti et qu'il les fit
battre de verges, ainsi que l'a raconté une
des deux victimes, saint Théodore, dans
une lettre conservée (Migne, P. G., t. CXVI,
col. 672). Ce document, consulté, aurait
pu fournir d'autres renseignements utiles
sur le palais.
S. Vailhé.
J. Ebersolt : Sainte-Sophie de Constanti-
nople. Etude de topographie d'après les
cérémonies. Paris, E. Leroux, 1910, in-8"
de iv-38 pages avec un plan . Prix : 4 francs.
L'auteur, qui est resté une année entière
à Constantinople pour étudier sur place les
principaux monuments byzantins, a eu
l'excellente idée de résumer les résultats de
sa brochure, très nourrie de textes et d'ob-
servations topographiques et, par suite, un
peu difficile à suivre. Je les reproduis textuel-
lement.
« 1" L'horologion était situé à l'angle
Sud-Ouest de l'église;
» 2" Parmi les portiques qui entouraient
l'atrium, l'un, le portique méridional, avait
un passage, l'Athyr, donnant accès à la
cour qui précédait l'église;
» 3" Les quatre piliers de la façade Ouest
ne sont pas primitifs. Au milieu de cette
façade se trouvait la Belle Porte, qui était
le grand portail d'entrée de l'église;
» 4'' Le patriarcat attenant à Sainte-Sophie
était situé sur le côté méridional ;
» S" L'empereur accédait aux tribunes
par un escalier en bois qui conduisait aux
galeries méridionales, par un escalier en
colimaçon situé derrière l'abside et par un
autre escalier en colimaçon situé près du
puits sacré et donnant accès à l'extrémité
orientale de la galerie méridionale. Il exis-
tait, en outre, un escalier près du minaret
Sud-Ouest ;
» 6" Sur les trois façades Nord, Sud et Est,
des portiques bordaient l'édifice;
» 7" Une église consacrée à saint Nicolas
s'élevait à l'est de Sainte-Sophie;
» 8" Près du skevophylakion se trouvait
une autre église sous le vocable de saint
Pierre ;
» 9" Outre le baptistère qui subsiste à
l'angle Sud-Ouest, il existait sur le côté Nord
un grand baptistère. Cet édifice ne semble
pas pouvoir être identifié avec la rotonde
qui se dresse à l'angle Nord-Est. Cette
rotonde serait plutôt l'ancien skevophyla-
kion. »
Toutes ces conclusions ne sont pas
neuves, et celles qui n'étaient pas encore
connues ne sont peut-être pas toutes à l'abri
de reproches. Néanmoins M. Ebersolt a eu
le grand avantage d'avoir vu les lieux et,
textes en main, de les avoir étudiés lon-
guement, ensuite d'avoir bâti un système,
cohérent. Si mince que soit la brochure,
elle abonde en textes byzantins au bas des
pages, ce qui permet toujours de contrôler
les dires de l'auteur et, s'il y a lieu, de les
rectifier. Le reproche que je lui fais, c'est
d'avoir commencé trop ex abrupto et,
sans nous avoir parlé du monument lui-
même, de discuter immédiatement sur la
place de tel ou tel édifice secondaire attenant
à la célèbre basilique. N'eût-il pas été plus
simple de réunir les textes — du moins les
principaux — antérieurs au Livre des Céré-
monies et, avec leur aide, de classer chro-
BIBLIOGRAPHIE
127
nologiquement les divers éditices rattachés
à Sainte-Sophie qui appartiennent au
vi^ siècle ou qui doivent se placer entre les
règnes de Justinien et de Constantin Por-
phyrogénète? De plus, n'a-t-il pas fait appel
parfois à des textes postérieurs au x* siècle
pour localiser des annexes de la basilique
qui n'existaient peut-être pas alors? Mais
je sais trop aussi que, quand on s'occupe
Je topographie, il est bien difficile de ne
pas déborder l'époque que l'on étudie.
Autre remarque : les laïques byzantinistes
ont la fâcheuse habitude d'employer des
termes qui jurent par trop avec la théo-
logie; ainsi, p. 10, on fait adorer à l'empe-
reur un des battants de la porte, alors qu'il
'allait dire vénérer les croix qui se trouvaient
sur l'un des battants de la porte; de même,
p. 10, note 3, « l'empereur allait adorer les
saints bois», pour l'empereur allait adorer
ia croix, etc.
Au demeurant, cette brochure sur Sainte-
Sophie sera fort bien accueillie et par les
amateurs d'art byzantin et par les voyageurs
qui peuvent y trouver un excellent guide
et, à l'aide du plan, se reconnaître faci-
lement dans la célèbre basilique. Quel
dommage que le prix en soit si élevé!
S. Va lhé.
A. Baudrillart — A. Vogt — U. Rou-
zihs, Dictionnaires d'histoire et de géo-
graphie ecclésiastiques, fascicule 11 :
Achot-Adulis, col. 321-640. Paris, Letou-
zey et x\né, 1910, Prix: 5 francs.
Les Echos d'Orient ont déjà dit, en
iiinonçant le premier fascicule, la bonne
tenue scientifique de ce nouveau diction-
naire. Le fascicule II est venu confirmer
cette e.xcellente impression, et les noms des
directeurs nous sont un garant des belles
promesses suggérées par ces débuts. Dans
le grand nombre d'articles que contiennent
ces colonnes, une large part est faite aux
hommes et aux chosesd'Orient. Signalons-y
notamment des notices de géographie
ecclésiastique sur les évêchés d'Achrida,
Achyraus, Acmonia, Acoura, Acrasus,
Acre, Acroenus. Adana, Adherbaidjan,
Adraa, Adramythum, Adrassus, Adulis,
et sur la province ecclésiastique d'Adia-
bène. L'hagiographie et l'histoire orien-
tales ne sont pas moins bien représentées.
Outre qu'une foule de saints y ont leur
notice (voir, par exemple, la liste des
Adrien), on y trouvera de précieuses études
sous ces titres : Actes des martyrs et des
saints arméniens, par le R. P. Tourne-
bize; Actes coptes, éthiopiens, syriaques,
par F. Nau; Actes des martyrs grecs et
latins, par A. Dufourcq. Mentionnons
enfin quelques articles consacrés à des per-
sonnages orientaux ou intéressant l'his-
toire d'Orient : Acyndinus, Açoghig (his-
torien arménien), Acropolite (^Constantin
et Georges), Adam (Germanos), Adaman-
tius, Adimantus, Adolios, Adhémar de
Monteil, les Papes du nom d'Adrien, etc.
Cette énumération, très incomplète encore,
dit assez la souveraine utilité d'un pareil
recueil, qui fait grand honneur à la science
catholique française. Sans être trop surpris
qu'un monument de ce genre, qu'il faut
construire pierre par pierre, mette quelques
lenteurs à poser ses premières assises, nous
souhaitons volontiers le voir cependant
grandir assez vite, pour le plus grand pro-
fit de tous les ouvriers du labeur intellec-
tuel. Il y aura sans doute çà et là des
pierres à changer ou à ajouter, de petites
brèches à réparer, des lacunes à combler.
Mais malgré les imperfections insépa-
rables de toute œuvre humaine, le Diction-
naire d'histoire et de géographie ecclésias-
tique rendra, dans les divers domaines du
travail scientifique, d'inappréciables ser-
vices. S. Salaville.
Ch. Diehl, Manuel d'art bys^antin. Paris,
A. Picard, 19 10, in-8°, xi-SSy pages.
Prix : i5 francs.
Ce livre, déclare l'auteur lui-même dans
sa préface, est moins un manuel qu'une
histoire de l'art byzantin; c'est-à-dire que
les renseignements pratiques qu'on est en
droit de lui demander y sont groupés plu-
tôt selon l'ordre historique que selon l'ordre
systématique. Quatre livres correspondent
aux quatre époques principales qu'il est
aisé de distinguer dans cette histoire de l'art
byzantin ; voici le sommaire de chaque
livre :
Livre 1. — Origines et formation de l'art
byzantin. L'évolution de Tart chrétien au
iv« siècle. Caractère et origine de l'art nou-
veau. Les origines syriennes. Les origines
égyptiennes. Les origines anatoliennes. La
diffusion des inikiences orientales. Rôle de
128
ECHOS D ORIENT
Constantinople dans la formation de l'art
byzantin.
Livre II. — Le premier âge d'or de l'art
byzantin. Sainte-Sophie. L'art de bâtir
chez les Byzantins. Les monuments de
l'architecture au vi« siècle. Les monuments
de la peinture. Fresques, mosaïques et
icônes. L'illustration des manuscrits. Les
tissus. La sculpture. L'orfèvrerie et les
arts du métal. La formation de l'iconogra-
phie. L'art byzantin de Justinien aux ico-
noclastes. La querelle des images.
Livre III. — Le second âge d'or de l'art
byzantin. L'époque des empereurs macé-
doniens et des Comnènes. La renaissance
macédonienne. Caractères générau.x de l'art
nouveau. L'art profane à Byzance. Les
monuments de l'architecture civile. Le
Palais-Sacré. L'habitation byzantine. Les
monuments de l'architecture religieuse. Le
système de la décoration et le développe-
ment de l'iconographie. Les monuments
de la peinture. Les mosaïques. L'illustra-
tion des manuscrits. Les fresques et les
icônes. Les tissus. Les monuments de la
sculpture. L'orfèvrerie et les arts de l'émail.
Les influences byzantines en Occident.
Livre IV. — La dernière évolution de
l'art byzantin (du milieu duxiii« au milieu
du xvi'= siècle). La renaissance du xiv« siècle.
L'architecture du milieu du xiii<= au milieu
du xvi^ siècle. Les monuments de la pein-
ture, mosaïques et fresques. Icônes et mi-
niatures. Les étoffes. La sculpture et l'or-
fèvrerie. Conclusion.
Nous joignons notre voix à celles de
critiques plus autorisés pour affirmer à
M. Diehl qu'il a parfaitement rempli son
but en mettant au point ce que nous savons
exactement à cette heure sur les difficiles
problèmes que soulève à chaque pas l'his-
toire de l'art byzantin. Il ne se flatte nul-
lement de les avoir tous résolus, et il sait
que sur bien des points les solutions ac-
tuelles ne sont que provisoires. Mais il
nous expose sans parti pris les théories,
parfois hasardeuses, mises en avant par
d'autres, et il nous les expose avec une
rare clarté. Son livre n'a nullement l'as-
pect rébarbatif qu'on pourrait craindre en
pareil sujet. L'érudition profonde de l'au-
teur n'a rien perdu à rester cachée sous les
charmes du style.
Dans la question des origines de l'art
byzantin, M. Diehl adopte nettement une
thèse modérée, ce dont nous ne pouvons
que le féliciter. D'autres chapitres sont par-
ticulièrement nouveaux, comme ceux sur
les fresques des églises rupesiresde laCap-
padoce et les églises russes, et surtout l'étude
de l'époque des Paléologues.
L'illustration du volume mérite tous nos
éloges : il contient 420 gravures, dont bon
nombre reproduisent des documents iné-
dits.
Nous ne voyons guère que deux points
où des réserves paraissent s'imposer.
D'abord à propos des basiliques de Bin-Bir-
Kilissé, où nous ne saurions admettre les
conclusions de Strzygowski et où M. Diehl
ne tient peut-être pas assez compte des
découvertes de Ramsay et miss Bell. En-
suite, au sujet des iconoclastes. En dehors
de toute préoccupation confessionnelle,
nous aimerions plus de vigueur à stigma-
tiser, comme il le mérite, le vandalisme
stupide qui anéantit de riches trésors artis-
tiques en Orient. Ajoutons pour le regretter
que M. Diehl croit encore que les ortho-
doxes adoraient les images : toute une
classe d'érudits semble s'obstiner à prendre
ce verbe français dans un sens qu'il n'a
jamais eu; nous ne cesserons pas de pro-
tester contre cette injure au lexique.
En finissant, quelques menues observa-
tions dont il sera facile de tenir compte
pour une nouvelle édition. P. 418, 420,
423, lire Boudroum-djami, non Boudroun.
P. 782, lire Roukouzelis, non Koukom^el.
P. 676, lire Saint-Jean de Côle, non Saint-
Jean de la Côte. Pourquoi l'orthographe
allemande Wiranscheir, au lieu de Viran
Chéhir, et surtout Fétijé-djami, au lieu de
Fétiyé-djami? Cette dernière suggérera à
tel lecteur français une prononciation
erronée, d'autant plus que djami est trans-
crit à la française, non plus à l'allemande.
P. 336, le concile iconoclaste de Hiéria est
daté de 754; à la page suivante, il l'est de
753 : c'est cette dernière date qui est la
bonne. P. 356, accentuer cptXàpyjoo;.
R. Bousquet.
i49-n. — Imp. P. Feron-Vrau, 3 et 5, rue Bayard, Paris, VIII'. — Le gérant : E. Petithenrt.
LE R. P. SOPHRONE RABOIS-BOUSQUET
Pour nous conformer à un désir que le
défunt avait souvent exprimé pendant sa
vie, c'est pour la
première et la der-
nière fois que son
vrai nom de Rabois-
Bousquet paraît
danscetterevueoùil
écrivit si souvent et
presque dès le début
sous le nom de
Pétridès. Pourquoi
ce pseudonyme?
Certes, ce n'est pas
qu'il rougît du nom
du vénérable vieil-
lard qu'il entourait
d'une tendresse si
profonde et si déli-
cate et que la dispa-
rition imprévue de
son dernier enfant
a laissé inconso-
lable! Mais ayant,
sur l'appel divin, dit
adieu à son pays et
à sa famille pour se
consacrer entière-
ment à un pays et
à un peuple nou-
veaux, il lui plut,
comme jadis au pa-
triarche de Chaldée,
d'attester cette con-
sécration en renon-
çant à ce qui lui res-
tait encore de plus
cher, à son propre
nom. Toutefois, il
sut, même alors, à
l'amour delà nation
qui avait captivé son
cœur unir le culte
et les souvenirs du
foyer natal, et, par le nom de Pétridès,
associer son père à ses travaux apostoliques
Echos d'Orient, 14.* année. — N' 88.
et scientifiques auprès du peuple grec.
Le R. P. Rabois-Bousquet, dont la
LE p. p. SOPHRONE BABOIS-BOUSQUET
rédaction des Echos d'Orient pleure et
pleurera longtemps la perte, naquit à
Mai iQii.
130
ECHOS D ORIENT
Saint-Léon-d'Issigeac, commune du dépar-
tement de la Dordogne, le 24 juin 1864.
Il reçut au baptême le prénom de Jean-
Bap:iste avec celui de Léon qu'il portait
plus ordinairement. C'est dans sa famille,
de condition aisée, qu'il fit ses premières
études jusqu'en 1873, où il entra au Petit
Séminaire de Bergerac, pour en sortir en
1879, ^ J''*»g^ <^^ quinze ans. 11 se rendit
alors au Grand Séminaire de Périgueux,
où il resta jusqu'en 1883, A dix-neuf" ans,
il avait donc terminé ses études philoso-
phiques et théologiques. Que faire, si
jeune encore, quand l'Eglise catholique
n'autorise pas l'accès aux Ordres majeurs
avant l'âge de vingt et un ans révolus?
Passionné pour les études littéraires, mais
en même temps fort épris de liberté, le
jeune homme résolut de s'adonner à l'en-
seignement, et c'est ainsi que, de 1883 à
1887, nous le rencontrons dans diverses
institutions ecclésiastiques : à Saint-Joseph
de Sarlat, à Saint-Sauveur de Redon, à
Saint-Thomas d'Aquin dOullins, ailleurs
encore.
Entre-temps, son humeur voyageuse
savait découvrir des excursions pieuses ou
instructives pour les vacances. Tantôt, il
passait la Manche pour se perfectionner
dsns l'étude de la langue anglaise qu'il
parlait couramment et à laquelle il con-
sacra (Sarlat, 1 884) une plaquette intitulée :
Tableau synoptique de la conjugaison des
verbes anglais; tantôt, avec onze compa-
gnons de route, il allait à pied, comme les
anciens pèlerins, de son village natal au
sanctuaire de Lourdes {Un pèlerinage à
pied à Notre-Dame de Lourdes, Redon); le
plus souvent, il s'aventurait çà et là dans
son département d'origine à la recherche
des stations préhistoriques et des curio-
sités archéologiques qu'elles pouvaient
contenir. Dès ce moment, tout ce qui tou-
chait à la vie, aux mœurs et aux usages
de l'homme primitif lui tenait tellement à
cœur qu'il en venait parfois à perdre réel-
lement de vue le temps, les lieux et aussi-
les convenances sociales; après des jours
et des jours de recherches ou de fouilles,
il rentrait à la maison paternelle dans un
état lamentable, couvert de poussière et
de sueur, les habits en lambeaux, mais
l'œil satisfait et le sourire aux lèvres.
Pensez donc ! 11 rapportait dans ses poches,
dans ses mouchoirs, dans tout ce qu'il
avait sur lui, de quoi compléter sa collec-
tion de silex taillés ou les ustensiles ména-
gers de l'homme préhistorique.
A ce goût de la campagne et des recher-
ches archéologiques dont sa santé ne pou-
vait que bénéficier, il joignit de bonne
heure celui des langues romanes. Méri-
dional ardent, régîonaliste convaincu, il
demanda son agrégation à la Société litté-
raire du Félibrige. Nous avons encore la
lettre de Frédéric Mistral, en date du
15 février 1884, qui lui accordait cette
faveur.
Les excellents vers publiés par vous dans
le Feu follet, lui écrivait le célèbre poète
provençal, votre demande chaleureuse,
votre jeunesse et votre enthousiasme vous
ouvrent à deux battants les portes du Féli-
brige. Comme vous appartiendrez à la
maintenance de l'Aquitaine, il est néces-
saire que vous adressiez votre demande à
M. le comte de Toulouse-Lautrec, syndic
de cette section félibréenne.
La demande fut faite et agréée: le
diplôme de félibre, signé par le comte de
Toulouse-Lautrec et confirmé p^vle capoulie
Mistral, lui fut délivré le 4 mai 1884. A ce
titre, il collabora à diverses revues de pro-
vince, notamment à la Revue félibj éenne
de r-*aul Mariéton, avec lequel il avait lié
connaissance à Lyon et qui resta assez
longtemps en relations avec lui. Même
après qu'il se fut établi définitivement en
Orient, le P. Rabois-Bousquet n'oublia
jamais le doux parler de la terre natale, et
lui qui se désespérait parfois de manquer
de mémoire récitait souvent des poésies
entières de Jasmin et les strophes enso-
leillées de Mireille. S'il ne portait pas,
comme Philadelphe de Gerbe, la belle
poétesse de Bigorre, le deuil éternel et
•symbolique de la patrie méridionale, du
moins il partageait à l'égard de Simon de
Montfort les rancunes tenaces d'Auguste
Fourès et de tout bon félibre; il ne par-
LE R. P. SOPHRONE RABOIS-BOUSaUET
131
donna jamais à un directeur d'institution,
Français du Nord, trop chauvin ou trop
ignorant, de lui avoir confisqué et brûlé
Toloîa, la grandiose épopée de Félix Gras.
11 avait ainsi atteint l'âge de vingt-
trois ans, quand il résolut de fixer sa vie
jusque-là quelque peu errante et entra au
Noviciat des Augustins de l'Assomption,
à Tabbave de Livry, la gracieuse retraite
immortalisée par M«>" de Sévigné. Deux
ans après, à Nîmes, près du tombeau du
fondateur, il se consacrait à Dieu dans la
vie religieuse. Diverses résidences de
France le retinrent tour à tour jusqu'à
l'année 1894, où il put enfin réaliser ses
vœux et se rendre en Orient.
Jeune encore, il avait en effet rencontré
un modeste ecclésiastique, professeur de
grec à Bergerac et qui lui avait, comme
tant d'autres prêtres français l'ont déjà fait
et le feront encore, inspiré un vif amour
pour la langue grecque. De la langue,
l'affection remonte très aisément à l'Eglise
qui l'emploie et au peuple qui la parle;
le P. Rabois-Bousquet ne sépara pas
les unes des autres ces diverses affections,
et, si l'on veut bien nous pardonner
ce souvenir, il devint alors plus fanatique
que les Hellènes. Aussi, quand le grand
pape Léon XIII chargea les Augustins de
l'Assomption d'organiser des Séminaires
destinés à former un clergé grec-catho-
lique et des paroisses pour les fidèles de
rite byzantin unis à Rome, ne faut-il pas
s'étonner que notre cher défunt fut un
des premiers religieux qui demanda à
embrasser usque ad mortem le rite grec.
N'ayant pu, malgré ses vives instances,
être ordonné prêtre dans ce rite, du moins
quatre mois après il lui était donné de ne
plus être prêtre latin, et, dès le mois de
janvier 1897, il célébrait sa première messe
en grec; dès lors aussi, le P. Front Rabois-
Bousquet devint le P. Sophrone Pétridès.
Ceux-là seuls s'étonneront des renonce-
ments qu'imposent de pareils sacrifices
qui sont toujours prêts à échanger leur
nationalité contre celle qui leur promet
plus de pain ou plus de considération et
qui, fermés à toute idée de dévouement,
soupçonnent dans les actes inspirés par
le pur esprit de l'Evangile une arrière-
pensée de duplicité et de tromperie ou des
sentiments plus vils encore.
Après avoir résidé trois ans à notre
maison de Koum-Kapou, dans Stamboul,
où on l'employa comme professeur auprès
des jeunes séminaristes, il fit partie, au
mois de septembre 1899, ^^ '^ rédaction
des Echos d'Orient, à Kadi-Keuï. La revue
paraissait depuis deux ans et elle avait
déjà le caractère qu'elle possède encore.
Pendant près de douze ans, jusqu'à sa
dernière maladie, il associa dans la mesure
du possible cette charge de rédacteur à la
revue et de byzantiniste avec celle de pro-
fesseur au Grand Séminaire; pour varier
ses occupations, il dirigeait les offices de
l'Eglise grecque catholique. N'oublions
pas de mentionner les Missions des Au-
gustins de l'Assomption, bulletin d'oeuvre
mensuel, dont il fut le zélé secrétaire
pendant le même laps de temps.
Nous n'avons pas la prétention d'énu-
mérer ici tous les travaux qu'il publia au
cours de ces douze années dans les Echos
d'Orient. Ceux qui possèdent la collection
complète de la revue et qui voudront
bien jeter un regard sur les tables de ma-
tières s'apercevront vite que le contenu
de ses articles est des plus variés. Epigra-
phie, archéologie sous ses diverses formes,
topographie, liturgie, histoire littéraire et
en particulier poésie byzantine, ce sont là
habituellement les sujets qu'il se plaisait
le plus à traiter: on remarquera qu'ils
répondent à ses premières études —
l'objet seul en est différent, — tant il est
vrai que notre esprit comme notre corps
ne peut échapper au premier pli donné et
que, bon gré, mal gré, il revient aux pre-
mières tendances ou, si l'on veut, aux
premiers goûts de notre jeunesse. En ces
derniers temps seulement, le P. Rabois-
Bousquet s'était adonné à des études de
géographie byzantine, pour lesquelles il
avait montré tout d'abord assez de répu-
gnance, et à des éditions de textes grecs
vers lesquelles le portaient ses goûts
philologiques.
132
ÉCHOS d'orient
Ce qui, même en dehors des recensions
nombreuses signées de son nom, est
encore plus difficile à indiquer, c'est le
menu travail ordinaire, presque quotidien,
de revision des manuscrits, de correction
des épreuves, etc., que connaissent seuls
ceux qui ont pénétré dans l'intimité de la
rédaction d'un journal ou d'une revue. A
ce labeur ingrat il apportait un dévoue-
ment inlassable, et lui qui, dans le com-
merce de la vie, ne manifestait pas toujours
une humeur bien facile, savait, pour la cir-
constance, surmonter les aspérités de son
caractère et consacrer au service qu'on lui
demandait tout son zèle et toute son appli-
cation. De même, dès qu'il tenait la
plume, il oubliait les paradoxes dont il
était volontiers prodigue en conversation;
le Gascon disparaissait pour ne laisser
place qu'à l'homme de bon sens et de bon
jugement qu'il était au fond jusqu'à la
moelle des os.
Et maintenant, le voilà perdu sans
retour pour la revue qui lui était si chère,
pour les études byzantines auxquelles il
s'était donné tout entier, pour l'Eglise
grecque catholique à laquelle il était atta-
ché de tout son cœur! Quinze jours
encore avant sa mort, rien ne faisait pré-
voir ni sa maladie ni surtout sa mort
inopinée. Sans doute, depuis deux ans,
les accès de fièvre paludéenne qu'il avait
rapportée des bords du lac de Nicée
avaient affaibli son organisme; sans doute,
le dernier hiver si long et si rigoureux lui
avait apporté un contingent de rhumes
plus qu'ordinaire; mais qui aurait pu
soupçonner que sur lun d'eux la pneu-
monie viendrait se greffer en tapinois et
l'enlever traîtreusement, presque avant
qu'il ait eu le temps de se reconnaître?
C'est pendant la nuit du 17 au 18 avril
dernier, à l'âge de quarante-sept ans, que
notre ami nous a quittés définitivement.
Puisse Dieu lui avoir fait miséricorde et
l'avoir récompensé du zèle et du dévoue-
ment qu'il avait consacrés à son service!
Pour nous, qui l'avons connu intime-
ment, sa mémoire nous restera toujours
chère. Nous avions su, en effet, pénétrer
au fond de lui-même et, sous des dehors
quelque peu rébarbatifs, sous un langage
parfois peu engageant et qui décelait tou-
jours un grand original, découvrir un
esprit lucide, une intelligence très ouverte
et bien avertie, un cœur aimant et dévoué.
S'il nous est impossible d'énumérer
tous les articles que le P. Rabois-Bous-
quet a publiés durant douze ans dans les
£■^^05 d'Orient, nous devons du moins
donner la nomenclature de ses travaux
parus ailleurs. En même temps qu'ils
témoigneront de son activité scientifique,
ils pourront à l'occasion rendre service aux
travailleurs et faciliter leurs recherches.
i» Poésies inédites de Dimitri Pépanos
{Bessarione, t. VII, 1900, p. 518-549).
20 Ojfice inédit de saint Romain le Mé-
lode (Byiantinische Zeitschrift, t. XI, 1902,
p. 358-369); yers inédits de Jean T^etiès
(Ibid., t. XII, 1903, p. 568-570); Office
inédit de saint Clément l'Hymnographe
{Ibid., t. XII, 1903, p. 571-581); Notes
d'hymnographie byzantine (Ibid., t. XIII,
1904, p. 421-428); À propos d'encensoirs
by:{autins de Sicile {Ibid., t. XIII, 1904,
p. 480-482); Hpitapbe de Théodore Kama-
teros {Ibid., t. XIX, 19 10, p. 7-10).
30 Jean Apokauhos, lettres et autres
documents inédits {Bulletin de l'Institut
archéologique russe à Constantinopîe, t. XIV,
1909, p. 69-100).
40 Deux Canons inédits de Georges Sky-
lit:{ès{yiiantiiskii yretnennihA- X, 1903,
p. 460-494).
50 Le Vénérable Jean-André Car^a, évêque
latin de Syra {Revue de l'Orient chrétien,
t. V, 1900, p. 407-422; Une formule ma-
gique byzantine {Ibid., t. V, 1900, p. 597-
604); les Deux mélodes du nom d'Anasiase
{Ibid., t. VI, 1901, p. 444-452); Cassia
{Ibid., t. Vil, 1902, p. 218-244); S^i^i
Jean le Paléolaurite, en collaboration avec le
R. P. Vailhé {Ibid., t. IX, 1904, p. 333-
358, 491-511), étude publiée ensuite à
part dans la Bibliothèque hagiographique
oriental editU.. Clugnet, fascicule Vil ; Trai-
tés liturgiques de saint Maxime et de saint
Germain traduits par Anastase le Biblio-
thécaire {Ibid., t. X, 1905, p. 289-313,
SENTENCE SYNODIQUE CONTRE LE CLERGÉ UNIONISTE (1283)
Ï33
350-364); le Cbrysohulle de Manuel Corn-
nène sur les biens d'Eglise (Ibid., t. XIV,
1909, p. 203-208); le Synaxaire de Marc
d'Epbèse {Ibid,, t. XV, 1910, p. 97-107).
6» Dans le Dictionnaire de tbéologie
catholique de Vacant-Mangenot, quelques
notices s. v. Antimension, Damilas,
Damodos, Daphnopatès, Davianos, Demi-
sianos, Diamantès Rhysios, Dishypatos.
70 Dans le Dictionnaire d'archéologie
chrétienne et de liturgie de Dom Cabrol,
quelques notices s. v. Ablutions, Absoute,
Acrotéleutique, Agneau pascal, Ainoi
dans la liturgie grecque, Anapausimos,
Anastasimos, Anatolika, Antimension,
Apodeipnon, Apodosis, Apolysis, Apoly-
tikion, Astérisque.
8° Dans le Dictionnaire d'histoire et de
géographie ecclésiastiques de M^"^ Baudril-
lart, des notices s. v. Aburgius, Abydus,
Acalissus, Acanda, Acembès, Achelous,
Achyraus, Acmonia, Acrasus, Acrœnus,
Adada, Adramyttium et nombre d'autres
qui paraîtront dans les fascicules suivants.
90 Dans The catholic Encyclopedia de
New-York (Robert Appleton Company),
un grand nombre de notices sur diverses
questions géographiques; ces notices sont
même trop nombreuses pour que nous en
puissions citer ici la liste complète.
Et maintenant, sur sa tombe à peine
fermée, en présence du travail accompli et
de celui qui reste à ses amis et collabora-
teurs, il est bien permis de dire : Messis
quidem multa, operarii auiem pauci. Ne se
présentera-t-il pas des ouvriers pour
prendre la place — sinon pour les rem-
placer — de ceux qui sont tombés si pré-
maturément sur le champ de la science et
de l'apostolat? La Rédaction.
SENTENCE SYNODIQUE
CONTRE LE CLERGÉ UNIONISTE (1283)
J'ai eu récemment l'occasion de résumer
rapidement dans cette revue les événe-
ments qui se déroulèrent à Constantinople
après la mort de Michel VllI Paléologue et
qui marquèrent la rupture, dès les pre-
miers jours du règne d'Andronic II, de
l'Union des Eglises conclue au concile de
Lyon en 1274: je publiais en même temps
le texte d'un chrysobulle où, sur l'injonc-
tion du synode des Blaquernes (avril
1283), l'impératrice Théodora, veuve de
Michel Vlll. rétractait publiquement sa
conduite antérieure (i).
Voici une autre pièce inédite se rappor-
tant à la même époque. C'est la sentence
4u synode patriarcal au sujet des évéques,
(i| s. PÉTRiDÈs, Chrysobulle de l'impératrice
Théodora {i283}, dans Echos d'Orient, t. XIV
(1911) p. 25-28.
prêtres et diacres qui avaient adhéré
à l'Union. Il y manque malheureusement
les signatures des membres du synode et
la date exacte. Mais comme Andronic II
et le patriarche Grégoire, dès sa nomina-
tion, montrèrent la plus grande hâte à
régler la situation religieuse, on peut
croire, sans crainte de se tromper de
beaucoup, que le synode dont nous avons
l'acte se tint à la fin d'avril ou au début
de mai 1283.
Ce nouveau texte, comme le premier,
est tiré du cod. 2075 du fonds grec de la
Bibliothèque nationale, à Paris, autographe
du nomophylax Jean Eugenikos; je n'en
connais pas d'autre copie. Il n'est pas
signalé dans l'inventaire sommaire de
M. H. Omont, ce qui explique qu'il ait
échappé jusqu'ici à l'attention.
134
ECHOS D ORIENT
Cod. Paris. 2073, fol. 47 v.
'ATcôcpaT!.^ TUvoo'.xYj ToG piaxap'.ojTaTOu
ToG Kurpîou.
t 'H |/.£Tpvotr,ç r,{jLO)v (Tuvàjjia t^, ttsoI
ajTYjV UpiOTàTV| Twv àpyiepétov ouYiyûpe!.
xal xO!,v^ Tri twv àyuov iraTp!.apywv rÂ,ç
avaTOÀf,; vvwjjiï; oy.Aov arao-i o'.à xoG Tcaoôv-
TOs xaOixrf,!T!. Ypà|jLjjiaToç, ôxt. èîTia-xciTrou;,
Upsi; TE xal Siaxévo'jç 'O'^? sv tw xaip^ t-?^^
exxATiTtaTT'.XY,; exeiv/jç Ttjyyûo-swi; ôiwxTa;
6[ji.0À0Y0U[Ji£V(oç àvacpavévTa<; Tj t^ aùroùç
Tipiwp'laç x£ypf|crQat. xaxà twv eijasêslv alpou-
{jiivwv xal TT,? tÔt£ êXàê/iÇ àcpiT^aaévwv r,
Tw T:apaoi.o6vat. toIç T!.uLtoooÙTi xal TiooTav-
Y£).X£iv (j^uyfiç xaxor|0£t:x xal yyô)ii.r,ç Tropa-
rpoirr, xal o^awr^^Ti,, toÙ^ towÛto'j; xaOr,p7,-
jjlÉvoj; r,v£lTat, xal àva^ious '^oG £7:'.;7xo7:i.xoG
xal Upa-rixoG xal oiaxovuoG àçt.tib!jLaTO<;, xaTa-
XuTa^ opQoSo^la? t6 yE xaB'iayToGç àvacsa-
yh-zaq xal ttÎ? twv ypio-Tiavcov £xxArjT'la«;
EyCipoGi;. Kal yoGv, £'^ Ti^ àiiô ve arî|jL£pov eIç
TO £^7,ç to'.oGtoç Y£y£vf,a-9ai ky.pt.ëi'ri [xapTU-
pwt,s àvaS£i.y6£ÎY|, toGtov k^zo^z^T:a.v7^a^. 7:av-
T£)v(ô; TYiÇ Upâç XEiTOupyiaç TzapaxîÀE'JOtjLîBa.
'Qç av Si T[,V£Ç tJI.7) àv£^£A£yXTlOÇ TT^V
xaxao'lxrjV TaûxTiv 0£y6[A£V0'. àowa Trào-yEiv
•j-ola!ji.êàv(OTî, xal toç àOÉa-jjiou xa'jTr,; xaTa-
êowvTa;. ty,; -i/r/i/ou, 5i.op!.v6uL£8aTO'jç toioGtÔv
Ti. Spâs-ai £Yxa)vO'j|ji.£vo'j; xal 6—0 xaTY^yoplav
Èjj.TZ'l-TOV-açSuoyiji.oG, TÉtOs [j.£v àpyoùç jjiivs'.v
TcàoY,; UpwTUvrj; xal toG ÈTC'.o-xÔTroL» extoç
St.aTp'l^£t,v [jiôv/jV ot.aTpO!pr,v È'yovTaç exeIOev,
av èir'la-xoTzot, -rGywo-.v ol T:,ooa-avv£AAÔu.£vo!.*
ETiàv 0£ àpy !.£p£Ùi; yy-f^^io^xr^i; sirapy iaç£X£'lvr,i;
irapà Tov t6w)v à'^urixat,, ôuou èvôî,aTpiê(ov
6 xaTr,YopoG[jL£vo; AlyEtai xôv &t.wy[ji.ov £V£p-
yfiO'aî,, TYjVixaGTa £ç£-:àT£(o<; Y£vop.£vr,ç xal
aTcooE'l^Eojç J^Y,TY,6£icrr,^ xal à^'.07tiT7(ov ett'.t-
xâvTtov {jLapxGpcov, 7tavT£Af. 3a Tr,v TT,ç S'.axpi-
!7£(.)ç /^ xaxaxp'la-£(jL)ç £;£Vîy8-V''a', aTrô'jao-iv,
xaGto; ôr.AaSy, al 7:pà^£!.ç ajxal -epl xoG
£yxa)vOupi.£VO'j ^//-plJ^EaQa!, Scotouo-'.. Kal xaGxa
iA£v ùTi 7:ap' Y,aû>v etûItwv Svwxxwv xa9oA',xà)ç
£^£V7jV£XTar 7:£pl 0£ TWV Ô'îTOI. TOG ETTÎ.TXOr'.XoG
£Xuyûvà^!.ti)|jLaxoç evtw ElpYj^Évco TÂ^s auyyû-
TEtoç xaipw ToG BÉxou xov Traxptapyixôv 9p6-
vov È'yovTO^, 0 xr, tuvôSw xowwç eooçe, toGto
OTi xal TT£py 9ri!7£xa'/ eooçe oè Tzàvxa? àpy/^o-at,
xal xwv àpyt£paxt.xwv àiuOTT/îva'. Ôpôvwv xal
a-TTOOT/iXCOTav aTcavTE;, -/.y,v £'. [j.y, T'//a y,
tGvooo; 7:£0!.£7ro()Y',aaTO xal o-uj^iiraOeia^ Y,çicoo-£
OUTtOTCY/jîlTaToG; 7:pOY,yY,!jajJL£VOUÇ 'JTtÈp Vj7Z-
êE'la; ajToG àyiôvà; X£ xal x'-voGvoui;. 'A)«.Aà
ypY, xal TtEpl xwv UpÉojv à7:).w; xal oiaxôviov
eItteIv, ojç av tGttov toutovI tôv Aôyov ol t?,^
EjTEêoGç £xx)/ir,<Tiaç ulol xal xavov-a UT:oXajj>-
êaVOVTS; TIEpl ToGxtov [JlY,o' OT'.oGv o'.a',p£po>v-
xai. Kal Tolvuv UpEÎç xal ot.ax6vciu»;, oto'. oy,
UpaTEUEiv Tipo Tr,; xoG BÉXOU 7:aTp!.apy£iaç
ÈO.ayov, à/x).à xal o'to'. xax' ajxov exsIvov tov
xaipov eiq ôiaxâvou; f, UpÉa.; T^poi^Y^Tav, [xr,
jjiEVTO!. Gtto twv ÈxeLvou ytipîï)'/ {Ji.r,o' £v a'JT?,
TY, êaTÙioi Twv ttÔaîojv, EVEpyoG; £wa^ xô
àîco xoGoE xal o-acpw^ A£î.xoupyoù? Oîou Tiapa-
X£).£yô{ji.ECla, av |jly^ xt. É'xspov Tipoo-t.a-xàjxEVOv
à7:oxa>)>UY) xoGùe xoG y.EixoupyY^tJLaxoç- xal
vàp Tràvxa^ xoGxouç ETi'.xljjL'.a xà TzpoTY^xovxa
xadaplTavxa xal TxÀYjpaywyîa àvE-niAYjTtXWs
xal aGÔiç [ji,£xt,£va'. x-À,v lEpwo-GvYjV etto'Iy^itev.
"OOev sl'xtç oÉôo'.xî Oeov xal xy,; ÉauxoG o-coxy,-
plaç £7ri,Qujj.Y,xt,x(o; £/£!,, ojx o'^eOvE!. ajxoùs
aTiavalvEa-Gai ojoà xa6' oAO'j xoG )>ootoG oia-
xp[v£TOa'., 7îAY,pocpopia ùï jjiàXLTxa xr, iiào-ri
-ooTUvai ajxolçxal xols Oîîo'.; vaolç 'i;aAAÔv-
xcov ajxwv à7cpoxp!.}ji.ax'l3-xt>)ç -pOTxpÉy£t,v xal
EUAoytav xal EÙyYjV xo|Jil!^Ea-8at Ttap' auxwv
xal xoG Oe'Iou xal àypàvxo'J a£xa)vauêâv£V/
!7(Ô!j.axô; XE xal aïjUaxoç, co? 8é;j.'.s yp'.o-x'-a-
voGç Tiapà xwv yvr,aC(oç AE'.xo'jpyoGvxojv OecJ),
ijLY, àa'^'.êaAXovxa; (J-y.Se eIç ovaxplTS'.; 0',a)vO-
yt.T[JiâiV £[jL7T'l7xxovxa>;, piY,7roi; TTÉpav xoG
ôi.xaiou àxp'.êo'jfjLEvwv x'.vwv àvxl xoG ix!.o-6ov
xal yâp'.v GeoOev xojjii^ETOa', xaxaoixYjV xal
àravàxxY,(Tt.v 0-uu.êfi xal xoa'lo-ao-fla'.- xà yàp
otxEla |j.£xpa ExaTXOV ElôÉva». xaAÔv xal iay,
ylvEaBai xov êo'JAÔut.£vov lEpcoo-JVY.s xpix-À^v
JJlY,ô' £XXAY.«T!.aTX!.XCÔV TrpayiJlàxtOV EÇEXaTXY/,/.
'E-eI oj Tiào-iv à-nAwç xà xoiaGxa xpîvE'.v
EcsEixai., u-ovoiç 5e xol? UpEGo-'.v, oG^ Eirl
xoGxo xal Y; àvtoOEv TipOEyEipio-axo yâpi;, olç
xal TZE'.He7hc(.i Ejo-sêoGo-'. xal x-r,v «xpiêEiav
xtôv ÔeIcjv ôovuàxcov '^'jAàxxoua-iv aira^ ''tpbz
S!,ax£)vEG£xa!. vôjJio;, w xal G7:axoG£'.v Trào-a
àvàvxYj, ETTE'.OYi xal 'l^'jyoj'^EAÈç xoGxo jj.àA!.Txa
xal a-(dXY^p!.ov xô Se y,pi/v.-/ xoG; xp'.xà^; xal
xoiç vO|j.o9£xa'.ç vojj-oQexeIv xal -o!,p.alv£!,v
xoGç TTOiuÉvaç xà Tupôêaxa oW-rcEp x'. xcôv
«xoTWxÉptov xal xov XY,; Ejxa;la^ -apa-
)/jÔvXtOV ClETpLÔv OjOeIç E'^àvY, £7:a!.v£<yas OjôÉ-
SENTENCE SYNODIQJJE CONTRE LE CLERGÉ UNIONISTE («283)
•^5
TOT^ WptO'U.SVO!.^ TO'JTO'.^ ÈlJLlxivîlV TO TWV
— '.TTtôv a— av TÛTTY,|jLa xal Toù^ Upia^ a.\ùt~.v-
^aÎTî xal T!.u.âv oj^ 'jTrr.piTa; xal Aî'.TOjpyo'j^
fjîoCi xal T.ixwv Ttpô^ ajTov â'.aA/.axTà^ xal
|jLîTÎTaî xal ètj.|jLivovTa; rr,^ àvwÔîv SjÀov^îf?
àç'.O'jTOa». xal y àp'.TO^, t,^ xal aTravTî^ àç'.olaOî
xal 7:pox6~TO'.Tî i-' èp*''^'*^ àvaflo^, OTa rr.v
èxclôîv 7Tpo;5vojT'. jjiaxap'.ÔTr.Ta, ■nipcTêsîa'.^
■zr.ç \jT:-o6L*r/o'j Htcxr'zocoz xal TcâvTwv twv
a"iwv. Aurv.
Traduction. — Sentence synodique du
très bienheureux patriarche de Constanti-
nople Grégoire de Chypre (i).
+ Notre Médiocrité (2), d'accord avec la
très sainte assemblée des évêques réunis
auprès d'elle et de l'avis commun des
saints patriarches d'Orient, fait connaître
à tous par la présente lettre que les
évêques, prêtres et diacres qui, au temps
de la confusion dans l'Eglise (3), se sont
montrés évidemment persécuteurs, soit
en usant de châtiment contre ceux qui
préféraient la piété et se tenaient éloi-
gnés du fléau d'alors, soit en les livrant
à qui les châtierait et en les accusant par
méchanceté d'âme, égarement de l'esprit
et grossièreté : ceux-là, elle les regarde
comme déposés et indignes de la charge
épiscopale, sacerdotale et diaconale, pour
s'être montrés destructeurs de l'ortho-
doxie et ennemis de l'Eglise chrétienne.
Et donc si dorénavant, à partir d'aujour-
d'hui, des témoignages sûrs prouvent que
quelqu'un s'est conduit de la sorte, nous
ordonnons qu'il cesse absolument les
fonctions sacrées.
Si certains, n'admettant pas cette con-
damnation sans contrôle, objectent qu'ils
souffrent injustement et réclament contre
cette décision comme inique, nous ordon-
nons que ceux à qui on reproche de telles
choses et qu'on accuse de persécution
(1) C'est pour me conformer à l'usage français
que j'emploie cette expression qui prête à l'amphi-
bologie; les Grecs disent «le Chypriote», Grégoire
« de Chypre » signifierait pour eux que Grégoire
était archevêque de Chypre.
(2) Formule d'humilité habituelle à la chancel-
lerie patriarcale.
(3) Euphémisme de l'époque pour désigner l'Union.
restent suspens de tout sacerdoce et
vivent hors de leur diocèse, n'en retirant
que leur subsistance, si les accusés sont
des évêques. Et lorsqu'un évêque légi-
time de cette éparchie arrivera au lieu où
on dit que l'accusé a commis la persécu-
tion durant son séjour, alors aura lieu
une enquête, on cherchera des preuves
et on produira des témoins dignes de
foi, puis on portera la sentence d'acquit-
tement ou de condamnation, c'est-à-dire
selon que les actes mêmes permettront
déjuger au sujet de l'accusé.
Telles sont les peines prononcées par
nous au sujet des persécuteurs en général.
Quant à ceux qui ont acquis la dignité
épiscopale au dit temps de la confusion,
lorsque Veccos occupait le trône patriar-
cal, l'avis unanime du synode sera exé-
cuté, et cet avis est que tous soient sus-
pens et quittent leurs sièges épiscopaux.
Donc que tous les quittent, à moins que
le synode n'ait du regret à propos de
quelqu'un et ne le juge digne de compas-
sion, ému par ses combats antérieurs et
les dangers courus par lui en faveur de la
piété.
11 nous faut aussi parler des simples
prêtres et des diacres, de sorte que les fils
de la sainte Eglise, acceptant ces paroles
comme une règle et une loi, n'aient aucun
désaccord. Donc, les prêtres et diacres q,ui
ont été ordonnés avant le patriarcat de
Veccos, et même ceux qui, pendant cette
époque, ont été promus diacres ou prêtres
saufdeses mains et dans cette reine descités,
nous ordonnons qu'ils soient désormais
en activité et ministres de Dieu, si quelque
autre empêchement ne les écarte pas de
ce ministère : car ils ont tous été purifiés
par les peines et la discipline convenables
qui les ont rendus irréprochables et de
nouveau participants du sacerdoce. C'est
pourquoi quiconque craint Dieu et a le
désir de son propre salut ne doit pas les
refuser ni avoir désormais la moindre
hésitation, mais au contraire venir à eux
en toute confiance, se rendre aux saintes
églises quand ils y chantent, accepter
d'eux l'eulogie et la bénédiction et en
136
ECHOS D ORIENT
recevoir le Corps et le Sang divins et
purs, comme des chrétiens le doivent des
légitimes ministres de Dieu, sans se
laisser aller à des pensées de doute et
d'hésitation, de peur qu'eh montrant trop
de rigueur sur le droit, au lieu de recueillir
la récompense et la grâce de Dieu, il
n'arrive qu'on en recueille son indigna-
tion et sa condamnation : car il est bon
que chacun connaisse sa propre mesure
et que le premier venu ne devienne pas juge
du sacerdoce et examinateur des affaires
ecclésiastiques : il n'a pas été donné à tous
en général de juger de ces choses, mais
aux prêtres seuls, que la grâce d'en haut
a désignés pour cela; s'ils observent la
piété et gardent exactement les dogmes
divins, toutes les lois sacrées ordonnent
de leur obéir, et il faut absolument se
soumettre à ces lois, parce que cela est
très utile à l'âme et très salutaire :
mais juger les juges, légiférer pour les
législateurs, ou que les brebis paissent
les pasteurs, c'est une chose des plus
absurdes et un obstacle à la loi du bon
ordre, que nul n'a jamais osé louer,
11 est donc juste que sans aucune hésita-
tion la foule tout entière des tldèles obéisse
à ce que nous avons établi, respecte et
honore les prêtres comme les serviteurs
et les ministres de Dieu, comme nos mé-
diateurs et nos arbitres auprès de lui; par
cette obéissance, ils se rendront dignes
de la bénédiction et de la grâce d'en haut.
Nous vous les souhaitons à tous et
d'avancer en bonnes œuvres, toutes celles
qui procurent la béatitude céleste, par
l'intercession de la très pure Mère de Dieu;
et de tous les saints. Amen.
+ S. PÉTRIDÈS.
Constantinople.
LA PRIMAUTÉ ROMAINE
AU CONCILE D'ÉPHÈSE
U La déclaration du légat Philippe.
C'était le 1 1 juillet 431, à Ephèse. Plus
de deux cents évêques, venus de tous
les points de l'empire romain, et spé-
cialement des pays d'Orient, étaient as-
semblés dans la grande salle de l'évêché,
sous la présidence de saint Cyrille
d'Alexandrie et des trois légats romains,
les évêques Arcadius et Projectus et le
prêtre Philippe, qui tenaient la place de
l'évêque de Rome, saint Célestin. Par
ordre des empereurs Théodore 11 et Va-
lentinien III et avec le consentement du
Pape, tous ces prélats avaient été convo-
qués en concile général pour délibérer
sur l'affaire de Nestorius, évêque de Con-
stantinople, accusé d'hérésie. On en
était à la troisième session. La deuxième
s'était tenue la veille, en l'honneur des
trois légats pontificaux arrivés tout ré-
cemment. Ceux-ci, obéissant à une in-
struction du pape Célestin, avaient de-
mandé communication des actes de lai
première session, dans laquelle Nestorius
avait été excommunié et déposé comme
hérétique. Ils devaient, disaient-ils, con-
firmer ce qui avait été fait en leur
absence (i). Le concile s'était docilement
soumis à cette exigence sans élever au-
cune protestation; il avait remis intégra-
lement aux légats les pièces du procès
qui s'était déroulé, le 22 juin, dans
l'église Sainte-Marie d'Ephèse.
(i) "Iva xaxà x^ Yvw[j.r,v toù (/.axaptou TratTra vjti'jiv..,
— xat Yifxeïi; ô{iotwç t?, a-jTwv xataôcffei pEêatwaojfjiev.
Mansi, Amplissima Collectio Conciliorum, t. IV,
col. 128g.
LA PRIMAUTÉ ROMAINE AU CONCILE D EPHESE
137
Les représentants de Célestin s'étaient
-empressés de parcourir ces documents,
et, dès le lendemain, 11 juillet, au début
de la troisième session, ils pouvaient dé-
clarer qu'ils n'y avaient rien trouvé qui
ne fût conforme à la discipline ecclésias-
;tique. Cependant, avant de donner leur
approbation, ils devaient encore réclamer
-l'accomplissement d'une autre formalité,
prescrite elle aussi par celui qui les avait
-envoyés. On devait relire en leur pré-
sence, et devant tout le concile assemblé,
les actes de cette première session.
Le concile allait-il perdre patience?
N'allait-il pas voir dans cette nouvelle
exigence une atteinte portée à son auto-
rité et à sa dignité? N'y avait-il donc que
l'évêque de Rome qui fût quelque chose
dans l'Eglise, et fallait-il tout recommen-
cer, parce qu'on avait commencé sans ses
représentants? (i) Je ne sais, mais, ce qui
•est certain, c'est que, cette fois encore,
on n'entendit point de protestation. Res-
pectueux et soumis, les Pères du concile
assistèrent comme à une représentation
de leur première session. Quand tout fut
fmi, le prêtre Philippe, légat du Siège
apostolique (2), prit le premier la parole
pour approuver la condamnation de Nes-
torius. Il débuta par cette solennelle dé-
claration :
Il n'est douteux pour personne, ou plu-
tôt, c'est un fait connu de tous les siècles,
(i) A plusieurs reprises, et notamment à la pre-
.miére session il est dit dans les actes du concile
que saint Cyrille tenait la place du pape Célestin,
<Kypî),).oy SsÉ^ovTo; xal tôv tottov to-j ÈTrtov.oTto'j tt,;
""Ptojjiatwv 'Exy.Arjff'ac. Mansi, IV, col. Ii23. 1279,
i3o5, 1841 . Le Pape avait en effet délégué saint
-Cyrille pour exécuter la sentence portée contre
Nestorius par le concile romain de 480, avant qu'il
lût question du concile général. Cette délégation
a persévéré tacitement, tant que l'affaire de Nes-
torius n'a pas été réglée; mais pour des raisons
à lui connues, Célestin a envoyé à Ephése d'autres
légats, à qui il a donné des instructions très pré-
cises, notamment celle de se faire rendre compte
de tout ce qui aurait été fait en leur absence, s'ils
arrivaient en retard. Mansi, Ibid., col. 556. Le Pape
approuvait la foi de l'évêque d'Alexandrie, mais il
semble qu'il le jugeait moins apte, à cause de son
■caractère personnel et de ses relations avec Nesto-
rius et l'empereur, à représenter le Siège aposto-
lique avec la sérénité et l'impartialité voulues.
(2) Massi, Ibid., col. i 296.
que le saint et bienheureux Pierre, le prince
et le chef des apôtres, la colonne de la foi,
le fondement de l'Eglise catholique, a reçu
de Notre-Seigneur Jésus-Christ, le Sauveur
et Rédempteur du genre humain, les clés
du royaume, et qu'à lui a été donné pou-
voir de lier et de délier des péchés; c'est
lui qui, jusqu'à maintenant et pour tou-
jours, \'it et juge dans ses successeurs.
C'est son successeur et remplaçant régulier,
notre saint et bienheureux pape Célestin,
évêque, qui nous a envoyés à ce concile
pour suppléer sa présence (i ).
On devine le motif qui inspira au légat
pontifical ce magnifique commentaire du
Tu es Petrus. Il voulait attirer l'attention
des membres du concile sur l'autorité
souveraine dont il était investi comme
représentant et suppléant de l'évêque de
Rome. Il était difficile de dire mieux et
d'exprimer tant de choses en si peu de
mots. On trouve dans ce petit morceau la
marque du génie romain. C'est vraiment
du style lapidaire. Examinons sa portée
théologique.
Philippe proclame comme une chose qui
n'est douteuse pour personne dans le pré-
sent, comme un fait connu de tous les siècles
chrétiens dans le passé, l'institution divine
de la primauté de juridiction de l'apôtre
Pierre sur les autres apôtres et sur l'Eglise
universelle, la transmission de droit divin
de cette primauté à ses successeurs, les
évêques de Rome, et la perpétuité de
cette primauté en ces derniers.
1° Le légat parle d'abord de la primauté
de Pierre, et les termes qu'il emploie
signifient, non une simple primauté d'hon-
neur, mais une véritable primauté de
juridiction. Par rapport aux apôtres,
Pierre est le prince, le guide (pritweps,
6 sçapyo^ I2T) qui préside et conduit; le
chef, la tête (caput, y,vçoù:f,) qui com-
mande et donne l'impulsion.
Par rapport à l'Eglise universelle, tt.^
xafloA'.x7,; £/.xÀT,T'laç, si celle-ci est un édi-
fice, Pierre en est le fondement, 6 ^sas-
A'.o;; si elle est un royaume, une cité, il
(1) Ibid.
(2) Ce titre de ïlapyoç tùv âTîocTTÔÂtov est donné
fréquemment à Pierre dans la liturgie grecque.
138
ÉCHOS D'ORIENT
en a reçu les clés, tàs kAsIç tî^^ ^ao-iAsia^
PAqy.'o, et personne ne peut faire partie
de ce royaume, de cette cité, sans son
intermédiaire ou contre son gré; si elle
est une société religieuse destinée à ache-
miner les âmes dans la voie du salut et à
les délivrer du péché, c'est lui qui possède
le pouvoir souverain de lier et de délier
les consciences, xa\ aÙTw SsSoTat. e^ouo-ia
TO'ji ôîTaîvy xal K'JV.-/ à'^aoT'la.;.
Par rapport à la doctrine révélée, Pierre
est la colonne inébranlable de la foi,
6 xuov TT^; t'Ittso);. Déjà contenue impli-
citement dans les expressions précédentes,
l'idée de l'infaillibilité doctrinale apparaît
ici plus clairement.
Tous ces privilèges, Pierre les tient
directement de Jésus-Christ, à-ô toû xup'lou
Y.jjLwv l7,7où Xp'.TTO'ji. L'alluslon au texte de
saint Matthieu, xvi, 18-19 : Tu ^^ Petrus
et super hanc peiram œdificaho Ecclesiain
meam, etc., est transparente. L'institution
divine de la primauté est donc directement
affirmée.
2« Le légat n'est pas moins heureux
dans la manière dont il exprime la pri-
mauté du Pontife romain, successeur de
Pierre. C'est Pierre qui vit en lui, èv to^;
ajToû o'.aooyo'.»; 'C.r^, et qui lui passe tous
ses pouvoirs, xal o'.xàs^i. L'évêque de
Rome continue la persofirre de Pierre à
travers les siècles et jusqu'à la fin des
temps, £(o; Toj vjv xal %tL Pierre ne
meurt pas. Impossible de mieux dire que
la primauté romaine est de droit divin et
qu'elle doit durer autant que l'Eglise mi-
litante.
Déjà, à la fin de la deuxième session, le
même prêtre Philippe avait exprimé d'une
manière non moins énergique la primauté
de juridiction de l'évêque de Rome par
ces mots adressés aux Pères du concile :
En applaudissant aux lettres de notre
bienheureux pape, membres saints, vous
vous êtes unis à la tête sainte: car Votre
Béatitude n'ignore pas que le bienheureux
apôtre Pierre est la tête de toute la société
des croyants, et des apôtres eux-mêmes (i).
(l) Ta àyia (J.È>.r„ Taï; àysan Cfiwv çwvaïç, t?, iyta
Entre l'évêque de Rome et les autres
évêques de la catholicité, il existe les
mêmes relations qu'entre la tête et les
membres dans le corps, et la raison de
cela est que l'apôtre Pierre, qui se survit
dans les évêques de Rome, ses succes-
seurs, a été chef des apôtres et de toute la
société des croyants.
Dans les déclarations du légat, nous
trouvons la substance des définitions
solennelles que, quatorze siècles plus
tard, prononcera le concile du Vatican:
Si quelqu'un dit que le bienheureux
apôtre Pierre n'a pas été établi par le Christ
prince de tous les apôtres et chef visible de
toute. l'Eglise militante, ou que le même
n'a reçLi directement et immédiatement du
même Jésus-Christ Notre-Seigneur qu'une
primauté d'honneur, et non une primauté
de juridiction proprement dite et véritable,^
que celui-là soit anathème (i).
Anathème à qui dit que ce n'est pas en
vertu de l'institution de Jésus-Christ lui-
même, c'est-à-dire de droit divin, que le
bienheureux Pierre a des successeurs perpé-
tuels dans sa primauté sur l'Eglise univer-
selle ou à qui affirme que le Pontife romain
n'est pas le successeur du bienheureux
Pierre dans cette même primauté (2).
Le concile du Vatican lui-même a fait
siennes les paroles du légat d'Ephèse, en
les insérant dans la trame du chapitre 11
de la Constitution Pastor œiernus (3). On
conviendra qu'elles méritaient cet hon-
neur.
Quelle fut l'attitude du concile, en en-
tendant cette solennelle proclamation des
privilèges de Pierre et de ses successeurs?
Ce fut celle du silence approbatif. Personne
dans l'assemblée ne se leva pour donner
un démenti à l'orateur, qui avait dit : //
n'est douteux pour personne; il est connu
de tous les siècles. Et cependant, des pro-
y.Eïa)./, brr{\i6y^x~z' O'J yip à"S"vo£Ï vpLoiv r, aay.a-
piÔT-r,;, OTt r, xe5a),r, oÀr,; "rf^ iriarew;, r, xal toiv àïro-
fftôXwv, 6 (laxapio; Ilérpoî, ô à7r<Î!TTo),o;. Mansi,
t. IV, col. I 289.
(i) Denzinger-Banwart, Enchiridion symbolo-
rum et definitionum. Fribourg, 1908, n" 1828.
(2) Ibid., n° 1825.
(3) Ibid., n° 1824.
LA PRIMAUTE ROMAINE AU COMCILE D EPHESE
«39
testations s'imposaient, si les déclarations
du légat n'avaient pas été l'expression de
la croyance commune ; car il s'agissait
d'affirmations audacieuses et presque em-
phatiques touchant une doctrine présen-
tée comme révélée, dont la répercussion
dans le domaine pratique de la vie de
l'Eglise devait nécessairement se faire
sentir. Les Pères d'Ephèse ne pouvaient
l'ignorer, eux qui venaient de se soumettre
docilement aux exigences, un peu humi-
liantes pour eux, des légats romains.
Le concile œcuménique pris dans son
ensemble a donc reconnu tacitement la
primauté de juridiction de droit divin que
possède l'évêque de Rome comme suc-
cesseur de saint Pierre. S'il n'y a pas eu
de définition sur ce point, si ce qu'on
appelle le magistère solennel de l'Eglise
n'est pas entré en jeu, il y a eu du moins
intervention du magistère ordinaire. 11 y
a eu consentement moralement unanime,
quoique tacite, des évêques catholiques
sur un point relatif à la foi.
D'ailleurs, on peut montrer que ce con-
sentement s'est manifesté d'une manière
positive par certains actes et certaines
paroles, qui constituent un vivant com-
mentaire des déclarations du légat ponti-
fical. Ces actes, ces paroles appartiennent,
soit au pape Célestin, président du con-
cile par ses représentants, soit au concile
en corps, soit à ses principaux membres,
soit même au groupe des Orientaux schis-
matiques, qui, sous la conduite de Jean
d'Antioche, avait refusé de se joindre au
concile et s'étaient formés en conciliabule.
II. La CONDUITE DU PAPE CÉLESTIN.
Qu'on remarque tout d'abord combien
est vif chez le pape Célestin le sentiment
de son pouvoir primatial et avec quelle
assurance et quelle maîtrise il l'exerce à
la face de l'Eglise universelle. A peine a-t-il
entendu parler de la nouvelle controverse
qui commence à agiter l'Orient, ce gar-
dien vigilant de la foi demande des ren-
seignements à l'évêque d'Alexandrie.
Quand il les a reçus, il convoque sans
retard un concile à Rome, tranche décisi-
vementlaquestion dogmatique et prononce
contre Nestorius une sentence de déposi-
tion si, dans le délai de dix jours, l'héré-
siarque ne s'est pas rétracté. Il considère
sa sentence comme étant celle même de
Jésus-Christ :
Nous avons écrit les mêmes choses à Nos
saints frères et collègues dans l'épiscopat :
Jean, Rufus, Juvénal et Flavien, atîn que
Notre sentence, ou plutôt la sentence divine
du Christ Notre-Seigneur à son sujet (de
Nestorius\ soit connue de plusieurs (iL
C'est Cyrille, l'évêque du premier siège
de l'Orient, qui est chargé d'exécuter cette
décision dans le délai fixé, et qui pour
cela est investi des pleins pouvoirs du
Pape :
L'autorité de Notre Siège vous est com-
muniquée, et vous en userez à Notre place
pour exécuter rigoureusement Notre Dé-
cret 12).
Célestin a réglé l'affaire en juge souve-
rain: il n'a pas eu besoin de l'intervention
d'un concile œcuménique, et il n'en
voyait nullement la nécessité. Cependant,
quand l'empereur, sollicité à la fois par
Nestorius et par quelques moines ortho-
doxes, victimes de la brutalité de l'évêque
hérétique, convoque à Ephèse un concile
général, le Pape y consent et trouve même
que cette assemblée pourra rendre d'utiles
services à la chrétienté (3); mais il veille
à ce que l'autorité du Siège apostolique
n'en soit point diminuée. Le concile n'aura
point à reprendre un procès déjà terminé;
son rôle sera de se conformer à la sentence
(!) Eadem hœc ad sanctos quoque fratres et
coepiscopos perscripsimtts, quo nostra, imo
yero divina Christi Domini nostri sententia plu-
ribus de eo sit manifesta. Epistola ad Cyrillum.
Mansi, t. IV, col. 1022.
<2) Noslrœ Sedis auctoritate adscita, nostraque
t'ice et loco, cum potestate usus, ejusmodi non
absque exquisita severitate sententiam exsequeris.
Ibid., col. 1019.
(3) Non est inefficax in divinis maxime causis
cura regalis, quœ pertinet ad Deum. Epistola ad
Cyrillum. Mansf, t. IV, col. 1292. Voir aussi,
col. 1291, la lettre à l'empereur.
I40
ECHOS D ORIENT
romaine et de l'exécuter. 11 écrit aux Pères
du concile :
Dans Notre sollicitude, Nous vous avons
envoyé Nos saints frères dans le sacerdoce,
les évéques Arcadius et Projectus et le
prêtre Philippe, pour assister aux débats
et exécuter ce qui a déjà été réglé par Nous.
Nous ne doutons point que Votre Sainteté
n'y donne son assentiment (i).
Les légats reçoivent des instructions
brèves, mais très précises, sur la conduite
qu'ils devront tenir à l'assemblée pour
ne pas compromettre la dignité du Siège
apostolique :
Il faut que l'autorité du Siège apostolique
soit sauvegardée; Nous l'ordonnons
S'il y a quelque dispute, ce sera à vous à
juger des opinions des autres, sans vous
mêler à la controverse (2).
S'ils arrivent en retard, ils devront
s'informer de la manière dont les choses
se sont passées avant leur arrivée (3).
Nous avons vu que les légats avaient
fidèlement obéi à cette recommandation.
Voici donc que le Pape a tracé au con-
cile le programme qu'il devra suivre et a
fait de lui l'exécuteur de ses volontés.
Cependant, ce programme va être dépassé.
Les disputes et les divisions que Célestin
prévoyait vaguement se sont produites.
Froissés de ce qu'on avait ouvert l'assem-
blée avant leur arrivée, un certain nombre
d'Orientaux, ayant à leur tête Jean d'An-
tioche, se sont constitués en concile
séparé. De part et d'autre, on s'est lancé
des anathèmes. L'empereur, après de
longues et pénibles négociations, s'est
rangé du parti de l'orthodoxie, mais a
refusé de sanctionner les condamnations
portées contre les Antiochiens. Que va
(i) Direximus pro nostra sollicitudine sanctos
fratres et consacerdotes nostros qui iis quœ
aguntur intersint, et quœ a nobis antea statuta
sunt exequantur. Quitus prœstandum a vestra
sanctitate non dubitamus assensum. Epistola ad
synodum. Mansi, t. IV, col. 1287.
(2) Et auctoritatem Sedis apostolicœ custodiri
debere mandamus Ad disceptationem si fuerit
ventum, vos de eorutn sententiis judicare debeatis,
non subire certamen. Mansi, Ibid., col. 556.
(3) Ibid.
faire le Pape? 11 se trouve en présence de
décisions prises par un concile œcumé-
nique avec la participation de ses légats.
Va-t-il se sentir l'autorité nécessaire pour
faire un choix dans ces décisions, pour
confirmer les unes et rejeter les autres,
proclamant ainsi sa suprématie sur le con-
cile général? Parfaitement. A peine a-l-il
reçu les Actes d'Ephèse, qu'il adresse aux
membres du concile une lettre datée du
ly mars 432, que certains historiens ne
paraissent pas avoir suffisamment remar-
quée. Il reconnaît que l'assemblée a fidèle-
ment exécuté ses volontés en ce qui
regarde Nestorius, mais il n'approuve pas
la sentence qui a été portée contre Jean
d'Antioche et les siens :
Quant à ceux qui paraissent avoir par-
tagé l'impiété de Nestorius et ont participé
à ses crimes, bien que la sentence que vous-
avez portée contre eux se lise (dans les
Actes), cependant, Nous décidons de Notre
côté ce qui nous paraît (le mieux). Il y a
dans les affaires de ce genre bien des choses
à considérer, dont le Siège apostolique a
toujours tenu compte (i).
Et le Pape continue en disant qu'il ne
faut condamner que les hérétiques obs-
tinés. Les Orientaux ne paraissent pas
être dans ce cas. 11 faut dès lors user de
longanimitéàleurégardet imiter l'exemple
que Célestin lui-même a donné dans
l'affaire des pélagiens, c'est-à-dire leur
laisser ouvert le chemin du retour. Qu'on
écrive à Jean d'Antioche pour le ramener
et lui faire condamner l'hérésie (2).
Cette décision était la sagesse même.
Elle réparait en partie le mal causé par le
schisme qui s'était produit à Ephèse entre
les évêques. Saint Cyrille et les siens,
malgré les sacrifices d'amour-propre que
(i) De his autem qui cttm Nestorio videntur
pari impietate sensisse, atque se socios ejus sce-
leribus addiderunt, quamquam legatur in eos
vestra sententia, tamen nos quoque decernimus
quod videtur. Multa perspicienda sunt in talibus^
causis , quœ apostolica sedes semper aspexit^
Mansi, t. V, col. 269.
(2) Antiochenum vero ,si habet spem correctionis ,
epistolis a vestra fraternitate volumus conveniri^
Mansi, Ibid.
LA PRIMAUTÉ ROMAINE AU CONCILE D EPHESE
141
cela dut leur coûter, s'y conformèrent en
toute sincérité. Après de longs pourpar-
lers, Orientaux et Cyrilliens se réconci-
lièrent et souscrivirent un symboiedunion,
en 4^3.
Dans plusieurs de ses lettres, écrites à
l'occasion du concile d'Ephèse, Célestin
parle de sa sollicitude pour le bien et la
p.ux de l'Eglise universelle. On sent, en
le lisant, qu'il considère comme un devoir
d'étot de s'occuper de tout ce qui intéresse
la chrétienté. A saint Cyrille, il écrit, avant
le concile, qu'il sera présent à l'assemblée
par la pensée, parce qu'on doit y traiter
d'une atfaire qui intéresse tout le monde
et qu'il n'a rien tant à cœur que la tran-
quillité de l'Eglise catholique (i). Dans sa
lettre du is mars 432, adressée au con-
cile, on lit ce passage :
Il est vrai que Nous sommes très éloi-
gne de vous, mais Notre sollicitude Nous
rend tout présent. Personne n'est absent
des pi éoccupaticns du bienheureux apôtre
Pierre (2).
Bien touchantes aussi sont ces paroles
adressées au clergé et au peuple de Con-
stantinople :
Quels n'étaient pas Nos soucis et Notre
sollicitude pour vous durant cette guerre
intestine? Les nuits se passaient pour Nous
commeles jours, car, en ces sortes d'affaires,
le temps ne dure pas Un impie a vai-
nement essayé de mordre de troupeau");
car la houlette du pas eur (qui est le Christ)
vous consolait, celte houlette à laquelle il
d nna ion troupeau à paître, au moment
de monter au ciel (3).
On voit dans cette dernière phrase une
allusion aux paroles de Jésus à Pierre : Pais
{ 1 1 Studeo quieti catholicœ. Mansi, t. IV, col. 1292.
(2) Per sollicitudinem totum propius intuemur.
Omnes habet beati Pétri apostoli cura prœsentes.
Mansi, l. V, 268.
(3i Quœ nos de vobis in bello intest ino positis
cura atque solliciludo tune habuitr In tnodum
dierum duximus noctes, quia talibus causis omne
tempus angustum est Inani tamen semper elusus
est morsu,quando ejusdem pastorisvirgavos con-
solabatur et baculus, cui gregem suum etiam
pascendum tradidit ilurus ad coslum. Mansi, Ibid.,
col. 274.
mes agneaux, pais mes brebis. Célestin se sait
le successeur de Pierre, le gardien de tout
le troupeau du Christ. C'est pourquoi il
s'est efforcé d'en remplir l'office.
III. Témoignages collectifs
DES Pères du concile.
Nous avons dit plus haut avec quelle
docilité le concile s'était plié aux exigences
des légats romains. Ce n'était point là
une vaine obséquiosité. Les Pères d'Ephèse
étaient intimement persuadés que l'évêque
de Rome était leur chef et qu'il avait le
droit de leur commander. Aussi accep-
tèrent-ils sans récrimination le rôle d'exé-
cuteurs des volontés papales. Nous le
voyons d'abord par les termes mêmes de
la sentence portée contre Nestorius, qui
fut la décision capitale du concile :
Forcés, disent les Pères, par les canons
et par la lettre de notre très saint Père et
collègue, Célestin, évêque de Rome, nous
avons dû, avec larmes, en venir à cette
triste sentence : Le Seigneur Jésus-Christ,
qu'il a blasphémé, décide par ce saint con-
cile que Nesto ius est privé de la digniti
cpisccpale et de la communion sacerdo-
tale (i).
Qu'on remarque que cette sentence fut
prononcée à la première session, avant
l'arrivée des légats. Ce ne fut donc point
sous 1 influence de ces derniers que les
Pères se dirent forcés, àva^Tcaîw^ y.%-:t-v.-
yhi/-t;. par la lettre du pape Célestin,
tout aussi bien que par les canons, de
déposer Nestorius.
Après qu'ils eurent entendu la lecture
de la lettre du Pape au concile, par laquelle
il demandait qu'on exécutât ce qu'il avait
décidé auparavant dans le synode romain
de 430, les Pères, loin d'être froissés de
ce langage, l'approuvèrent par des accla-
mations unanimes: C'est là le juste juge-
ment; au nouveau Paul, Célestin A
(i) 'Avatfxatwç xaTeiîeix9£>'£; i^tô f' xavovwv xai
i% TT,; littOTOÀf,; to-3 âYtiotitoy Ila-rpô; f.ficov xai <tw>.-
).£:T0-jpftj-3 KâîiîffTtvou Toû inKixÔTto-j rr,; 'Pwfiai'wv
èxxXr.ff'aî, £axpCffavT£; TtoUix:;, ira tt,^ <Txi<6pw5rr,v
xa-r' a-J-ro-j èxwpr,<rïjt£v ijîdçaffiv. Mansi, t. IV, I2U.
142
ÉCHOS d'orient
Célestin, gardien de la foi; A Célestin,
d'accord avec le concile, tout le concile rend
grâces (i). Firmus de Césarée ajouta au
nom de tous :
Le Saint-Siège apostolique du très saint
évêque Célestin avait déjà porté sur
cette affaire une sentence et prescrit une
règle que nous n'avons fait que suivre
quand nous sommes arrivés à Ephèse (2).
Dans ses lettres aux empereurs, le Con-
cile répète que le pape Célestin avait con-
damné auparavant l'hérésie de Nestorius
et avait porté contre lui une sentence
dont l'exécution avait été confiée à saint
Cyrille :
Nous avons canoniquement déposé Nes-
torius et nous avons loué le très saint
évêque de Rome, Célestin, qui, avant notre
sentence, avait condamné les doctrines
impies de Nestorius, pour la plus grande
sécurité des Eglises et de la foi que nous
ont transmise les saints apôtres et évangé-
listes et les saints Pères (3).
A la fin de la cinquième session, les
Pères rédigent deux rapports sur l'histoire
du concile : l'un est pour l'empereur,
l'autre pour l'évêque de Rome, qui, par
cette attention spéciale, est ainsi distingué
du reste des évêques de la chrétienté. Le
rapport qui lui est adressé débute par ces
mots:
Le zèle de Votre Sainteté pour la religion
et sa sollicitude agréable à Dieu pour la
pureté de la foi sont devenus dignes de
toute admiration; car à vous, qui êtes si
grand, il est d'habitude de briller en tout
et de mettre tous vos soins à affermir les
Eglises. Et puisqu'il fallait que tout fût
porté à la connaissance de Votre Sain-
teté, nous avons dû nécessairement vous
écrire (4).
(i) Hoc justutn judicium, novo Paulo Cœlestino
Cœlestino, custodi Jidei, Cœlestino, cum synodo
concordi, Cœlestino universa synodus gratias
agit. Mansi, t. IV, 1287.
(2) Ibid., col. 1288-1289.
(3) Ibid., col. 1240. Cf. col. i3oi.
(4) "Eôoç yàp û[iïv TO?î o-jTto (j.£yâ),0'.; £C;6oy,:|i£rv eIç
aTravta Ep£i(7[i.!i te twv 'Exx),r,(ntôv xa.c éot-jTwv 7T0i£?(j6a
ôdioTTiToç àv£v£j(6r|Vai rà 7rapxxo).ou9T,ffavTa ypà9op.£v
àvaVxafwç. Ibid., col. 1329.
11 y a dans ces phrases autre chose
que de banales formules de politesse. Le
concile reconnaît ici, une fois de plus, la
suprématie de l'évêque de Rome et rend
hommage à son rôle de gardien de la foi
de l'Eglise universelle.
IV. Témoignages particuliers
DES PRINCIPAUX MEMBRES DU CONCILE.
A côté des témoignages collectifs que
nous venons de signaler, il faut placer les
attestations particulières des principaux
membres du concile. La belle lettre que
saint Cyrille d'Alexandrie écrivit au pape
Célestin pour lui dénoncer l'hérésie de
Nestorius vient ici en première ligne. En
voici quelques passages :
Si, dans des affaires aussi sérieuses et
aussi importantes que celles où il y va de
la pureté de la foi, que certains esprits
tentent de corrompre, il eût été permis de
se taire et qu'on eût pu, sans mériter de
reproche et sans passer pour un esprit cha-
grin, cacher à Votre Sainteté les agitations
dont nous souffrons, je me serais dit à
moi-même: ce silence est une bonne chose
et on ne court aucun risque à le garder;
mieux vaut se tenir tranquille que de s'en-
gager dans le tumulte. Mais, parce que
Dieu veut que, dans ces occasions, nous
agissions avec prudence et que l'usage
antique des Eglises nous invite à consulter
Votre Sainteté (^i), je ne puis me dispenser
de lui en écrire pour l'informer que Satan,
maintenant encore, met le trouble partout,
se déchaîne contre les Eglises de Dieu et
s'efforce de pervertir les fidèles du monde
entier qui marchent dans la vraie foi
Quoique les choses en soient à ce point,
nous n'avons pas osé renoncer à la com-
munion de Nestorius avant d'en avoir
référé à Votre Piété. C'est pourquoi daignez
nous faire connaître ce que vous en pensez
et nous dire si nous devons encore commu-
niquer avec lui, ou, au contraire, déclarer
qu'on ne devra plus désormais être en
communion avec un homme qui croit et
enseigne une pareille hérésie. Que Votre
(i) Kal rèt (Aaxpà rtSv £XX>,rj(T'.(wv e9t) TîEÎÔouatv àva-
, ; xotvouffôat Tf, (T/; ôfftÔTriTi.
LA PRIMAUTÉ ROMAINE AU CONCILE D EPHESE
14'
Piété fasse connaître clairement ses inten-
tions par lettres à nos frères, les évéques
de Macédoine et à ceux de tout l'Orienti i).
C'était comnie un axiome reçu dans
l'ancienne Eglise qu'il fallait consulter
l'évêque de Rome dans toute affaire im-
portante intéressant la foi ou la disci-
pline. Saint Cyrille le rappelle dans sa
lettre. 11 déclare en même temps très
clairement, lui, le premier prélat del'Orient,
que le Pape est le centre de la communion
ecclésiastique et que c'est à lui de décider
en dernier ressort avec qui l'on doit rester
en communion, avec qui il faut rompre.
Quand Célestin l'eut délégué pour exé-
cuter la sentence contre Nestorius, l'évêque
d'Alexandrie se montra toujours très
honoré du rôle de représentant du Siège
apostolique, comme on le voit par ses
lettres et par les Actes du concile (2).
Loin de se dresser en face de l'évêque de
Rome comme un égal, il reconnaît l'auto-
rité suprême de celui en qui Pierre con-
tinue de vivre et de gouverner.
Après Cyrille, voici l'évêque de Jéru>
salem, Juvénal, qui, à la quatrième ses-
sion, déclare que Jean d'Antioche aurait
dû rendre honneur et obéissance au Siège
apostolique de la grande Rome par lequel
l'usage et la tradition apostolique veulent
que le siège d'Antioche lui-même soit dirigé
etjugé{}).
Les paroles prononcées par Théodote
d'Ancyre, à la seconde session, méritent
aussi d'être signalées :
Dieu, dit-il, a montré que la sentence du
saint concile était juste par les lettres du
très pieux évêque Célestin (^'l.
li) Mansi. t. IV, col. 1012, loiô.
(2) Massi, Ibid., col. ioo3, 1070, ii23, 1279,
1294, i3oô.
(3) llap'w {jià^.'.aTa eôoç a-^Tov tmv 'AvT'.oyiw'
60ÔV0;, ïX àîiooToÀtr-T,; àxo).oy6îa; xal TcxpaSôtTsu);
îéiveTÔxt xai îrap'a-Jrw û'.zâ^^sff^ai. Mansi, Ibid.,
col. 1 3 12. Il y a quelque obscurité dans les Actes
à cet endroit. Juvénal, toujouri préoccupé de
grandir son siège, nomme en même temps le siège
de Rome et celui de Jérusalem. Il en résulte une
équivoque contre laquelle nous prévient une noe
marginale du texte original qui fait remarquer que
ïcap'w uLa>.'.<rTa, etc., ne peut se rapporter qu'au
siège de Rome.
(4) Massi, Ibid., col. i 289.
L'approbation du Pape équivaut ici,
d'après Théodote, à l'approbation même
de Dieu. Célestin, lui aussi, a dit que sa
sentence était celle de Jésus-Christ.
V. TÉxMOIgnage des Orientaux. L'appel.
d'Euthérius de Tyane et d'Helladius
de Tarse.
Quand on parcourt les Actes du con-
ciliabule des Orientaux à Ephèse, on est
frappé du silence gardé sur la conduite du
pape Célestin dans l'affaire de Nestorius.
Jamais il n'est mis en cause; jamais son
autorité n'est contestée, bien que son ac-
tion ait été prépondérante. C'est toujours
« l'Egyptien », Cyrille, qui est attaqué,
soit dans ses actes, soit dans sa doctrine.
Comment expliquer cette attitude, sinon
en supposant chez les Orientaux la foi à
la primauté romaine de droit divin, que
nous avons vue si bien affirmée par saint
Cyrille et ses partisans. Nous n'en sommes,
du reste, pas réduits aux pures supposi-
tions. Les principaux d'entre les Orien-
taux nous ont laissé des témoignages non
équivoques de leur croyance aux privi-
lèges du Siège apostolique.
Et tout d'abord, leur chef, Jean d'An-
tioche, fut un des premiers à reconnaître
la légitimité de la sentence portée à
Rome, en 430, contre son ami Nestorius.
Averti de cette sentence par une lettre
du pape Célestin, il écrivit aussitôt à
l'hérésiarque pour lui conseiller une sou-
mission sans délai :
Bien que mon Seigneur (O, le très pieux
évêque Célestin, vous ait fixé par sa lettre
le très court délai de dix jours pour
répondre, vous pouvez cependant le faire
en moins de temps; un jour, quelques
heures même suffisent pour cela Ar-
rêtez, par votre obéissance, les effets de
cette lettre, semblable à une violente tem-
pête. Si nous cédons, elle ne causera ni
agitation ni trouble; si nous résistons,
nous aurons lieu de nous en repentir (2).
(i| L'expression 6 xOpiô; sjlo-j est un simple titre
honorifique qui ne prouve rien pour la primauté de
Célestin. Dans la même lettre, Jean donne le même
titre à l'évêque Archelaûs. Mansi, t. IV, col. 1068
(2) Mansi, t. IV, col. 1064, 1068.
144
ÉCHOS d'orient
Nestorius ne voulut point écouter ces
sages conseils. Mais cela ne prouve pas
qu'il ait lui-même mis en doute l'autorité
suprême du Siège de Rome. Autant qu'on
peut en juger par les écrits qui nous
restent de lui, il a vu en Célestin un Pape
mal informé, peu capable de saisir les
subtilités de sa théorie christologique et
prévenu contre lui par « l'Egyptien ».
L'Egyptien, dit-il, s'est adressé à Célestin
de Rome, homme trop simple pour péné-
trer la subtilité des opinions théologiques.
Lui-même, comme les autres, s'est laissé
prendre aux sophismes de Cyrille (i).
La. Lettre à Cosme d'Antioche, qui raconte
en résumé l'histoire de Nestorius, pré-
sente aussi Célestin comme un homme
peu instruit (2). C'est toujours la tactique
des hérétiques de supposer le Pape mal
informé ou pas assez intelligent pour les
comprendre. Nestorius est tombé dans
ce travers. Dans le Livre d'Héraclide, il
donne de grands éloges à saint Léon
parce qu'il se figure que ce Pape est de
son avis (3). Parlant du brigandage
d'Ephèse de 449, il écrit :
On n'y trouvait point l'évéque de Rome,
ni le Siège de saint Pierre, ni l'honneur
apostolique, ni le chef aimé des Romains;
mais c'est celui d'Alexandrie qui siégeait
avec autorité et il fît siéger aussi avec lui
celui d'Ephèse, et il demandait à celui de
Rome — nous voulons dire à Julien, qui
représentait le saint évêque de Rome —
s'il adhérait au saint concile et s'il voulait
lire dans les Actes ce qui avait été fait à
Constantinople (4).
L'évéque d'Alexandrie interrogeait donc
comme celui qui a le pouvoir, et il parlait
comme s'il portait des décisions tnême
(i) Ad Romanum Ccelestinum convertitur,
quippe ad simpliciorem quam qui posset vim
dogmatum subtilius penetrare Seductionibus
ejus niox tam alii quam etiam Cœlestinus
abreptus est. F. Looks, Nestoriana. Halle, igoS,
p. 204.
(2) Cette lettre a été publiée en traduction fran-
çaise par F. Nau, à la fin de la traduction du
Livre d'Héraclide de Damas. Paris, 1910, p. 364.
(3) Le Livre d'Héraclide, trad. Nau, p. 298.
(4) Il s'agit du concile de Constantinople de 448,
qui condamna Eutychès.
contre eux (les Romains). Si ceux-ci lui
donnaient l'adhésion de leur pensée, ce
n'est pas pour accepter ce qu'ils voulaient,
ni pour leur donner la prééminence; mais
c'est qu'il recevrait l'évéque de Rome en
surplus, à son côté, dans le cas où il adhé-
rerait à lui; sinon, s'il trouvait en lui un
adversaire, on le chasserait comme s'il
n'avait poupoir en rien
Tu connaissais (ô Dioscore), tu connais-
sais exactement ce que Léon avait mandé
au sujet de sa lettre à l'empereur, à l'impé-
ratrice et à Flavien lui-même, et tu as pris
au contraire la route gui conduit vers
l'empereur pour la suivre en laissant celle
gui conduit à Dieu, sans t'en soucier beau-
coup. Je ne dis pas asse!{ : tu ne l'as comptée
pour rien et tu as méprisé Dieu (i).
A lire attentivement ce passage, on
voit que Nestorius ne faisait point excep-
tion parmi ses contemporains, que pour
lui, comme pour eux, le Siège de Rome
était le Siège de Pierre, que ce Siège avait
la prééminence, que lui obéir était obéir
à Dieu et suivre le chemin qui conduit
à lui. Nestorius a seulement eu le tort
d'être inconséquent, de faire ce qu'il
reproche à Dioscore; car lui aussi suivit la
route qui conduisait à l'empereur et aban-
donna la route qui conduisait à Dieu, la
route de l'obéissance au Pape, lorsqu'au
lieu de se soumettre promptement à la
décision de Célestin, il se tourna vers l'em-
pereur pour demander un concile général.
Dans le groupe des Orientaux adver-
saires de Cyrille, on remarquait deux
évêques fort intelligents, mais de caractère
intraitable, Euthérius de Tyane et Helladius
de Tarse. Ces prélats furent de ceux qui
refusèrent obstinément de souscrire à
l'union conclue, en 433, entre saint Cyrille
et Jean d'Antioche. Ils étaient tellement
persuadés de la bonté de leur cause que,
du fond de l'Asie Mineure, ils se tour-
nèrent vers le Pape Sixte 111 comme vers
leur Sauveur et lui écrivirent une belle
lettre, qui est un témoignage irréfragable
de leur croyance à la primauté romaine (2) :
(i) Le livre d'Héraclide, p. 3o2-3o3.
(2) Cet appel au Pape a échappé au R. P. Bernar-
dakis dans son travail sur les appels des Orientaux
LA PRIMAUTE ROMAINE AU CONCILE D^EPHESE
145
Dans sa perpétuelle sollicitude pour le
genre humain, le Christ Notre-Seigneur
a préparé à chaque époque des flambeaux
éclatants pour guider les hommes de bonne
volonté, confondre leurs ennemis, détruire
le mensonge et confirmer la vérité. C'est
ainsi que sous le cruel Pharaon il fit surgir
le bienheureux Moïse contre Jamnès et
Mambré, qu'à Simon le Magicien il opposa
Pierre le Victorieux ; et c'est ainsi que contre
les ennemis de nos jours il a fait lever
Votre Sainteté, qui. nous en avons la ferme
espérance, délivrera l'univers de l'erreur
égyptienne (i). Nouveau Moïse, vous frap-
perez tout Egyptien hérétique et vous sau-
verez tout Israélite orthodoxe.
Devant les innombrables attentats com-
miscontrelavérité, envoyant la perleétince-
lante de l'orthodoxie en butte à des attaques,
inouïes jusqu'ici, de la part de ceux qui ont
inventé ces nouveautés contre la foi aposto-
lique de nos pères, il est de notredevoir, à nous
qui sommes assaillis par les plus violentes
tempêtes et sommes presque entre les mains
des pirates, de crier vers celui que Dieu
nous a donné comme pilote, et, par amour
pour la vérité, de le renseigner autant que
possible. Dans votre sagesse, vous ne nous
répondrez point par le mépris; vous ne pas-
serez point à la légère sur une si grave
affaire, mais vous lui donnerez tous vos
soins et vous imposerez le châtiment et la
réforme avec toute la fermeté et toute
l'assurance qui conviennent, et qui ne
peuvent qu'être agréables à Dieu (2).
A plusieurs reprises déjà dans le passé,
votre Siège apostolique a suffi à réfuter le
mensonge, à réprimer l'impiété, à réformer
ce qui en avait besoin, et à protéger l'uni-
vers pour la plus grande joie du Christ (3),
tant sous le bienheureux et saint évêque
au Saint-Siège {Echos d'Orient, t. VI). Il n'est pas
non plus signalé par Dora Leclercq dans la note
ajoutée au tome II (II' partie, p. 1238-1259) de sa
traduction de l'Histoire des conciles de Hételé.
il) 11 s'agit de la doctrine de saint Cyrille.
(2) Nostrum quidem est ad eiim clamare qui
a Deo productus est gubernator eumque pro
amore veritatis, quantum possibile est edocere;
tuœ autem gratiœ sapientiœque est imponere
emendationem cum tota constantia et Deo dilecta
fiducia.
(3) Et olim siquidem suffecit vestra apo-
stolica sedes ad mendacium convincendum,
impietatemque reprimendam et corrigenda quœ
necessarium fuit muniendumque orbem terrarum
ad gloriam Christi.
Damase que sous plusieurs autres pontifes
célèbres et dignes d'admiration. C'est pour-
quoi nous osons, nous aussi, vous adresser
nos demandes pressantes, afin que vous
veniez au secours de l'univers et dans la
partie qui est dans l'erreur, et dans celle
qui subit une tyrannique persécution, parce
qu'elle refuse de donner son assentiment
à des doctrines inacceptables
Nous prosternant aux pieds de Votre
Piété, nous vous supplions de nous tendre
une main secourable, d'empêcher le nau-
frage de la chrétienté, d'ordonner une
enquête sur tout ce qui s'est passé et de
corriger ces abus (i). Que les saints pas-
teurs qu'on a injustement éloignés de leurs
ouailles soient rappelés, et que la tranquil-
lité et l'ancienne concorde soient rendues
aux troupeaux
Nous aurions depuis longtemps accouru
auprès de Votre Sainteté, nous qui sommes
de divers pays, c'est-à-dire des régions de
l'Euphrate, des deux Cilicies, de la Cappa-
doce seconde, de la Bithynie, de la Thes-
salie et de la Mésie (2), pour répandre des
torrents de larmes et pleurer publiquement
les maux inouïs qui ont fondu sur nous,
mais nous avons été retenus par la crainte
des loups, prompts adresser des embûches
aux troupeaux, à les ravir, à les induire en
erreur et en toute sorte de maux. Nous
avons donc été obligés de vous envoyer
à notre place des clercs et des moines pour
nous représenter. Nous vous en supplions
donc, levez-vous sans retard, et, dans votre
zèle ardent, dressez un grand trophée contre
les ennemis, ayant devant les yeux la dili-
gence du bon Pasteur et son amour pour la
brebis égarée
Imitez ce grand héraut de la foi, Paul,
l'œil du monde, en qui nous croyons pos-
séder le gage de notre union intime avec
Votre Sainteté. Car il est notre compa-
triote (i), celui qui, après avoir détruit
l'erreur par tout l'univers, est devenu l'or-
nement de Votre Siège apostolique. A lui
le bienheureux Pierre tendit une main amie
(i) Rogamus et sanctis tuœ religiositatis provol-
vimur pedibus ut manum porrigas salutarem et
auferas mundi naufragiutn omniumque horum
inquisitionem jubeas fieri.
(2) On voit qu'Euthérius et Helladius parlent pour
tous ceux qui n'ont pas voulu accepter le symbole
d'union de 433.
(3) Se rappeler que saint Paul est né à Tarse,
146
ÉCHOS d'orient
et se l'associa, pour qu'il fût clair qu'à
tous deux était confiée la sauvegarde de
l'orthodoxie (i). Nous vous en prions
encore une fois, ne nous méprisez point,
nous que tant de maux accablent. Nous ne
luttons ni pour des richesses, ni pour la
gloire, ni pour tout autre intérêt temporel,
mais pour la possession de la vraie religion,
pour le trésor de la foi reçu de nos pères,
pour l'espérance commune des fidèles (2).
Cette lettre se passe de commentaire.
Euthérius et Helladius y affirment claire-
ment la primauté de juridiction de l'évêque
de Rome sur l'Eglise universelle. Cette
primauté est de droit divin, car l'évêque
de Rome, successeur de Pierre, est le
pilote placé par Dieu au gouvernail de
l'Eglise. Il a le pouvoir et le devoir de
s'occuper des intérêts de toute la chré-
tienté. A lui de veiller à la pureté de la
foi en condamnant les hérétiques; à lui
de corriger les abus, de casser les sen-
tences injustes, d'imposer sa volonté à
tous, de recevoir des appels de tous les
points de l'univers.
Le meilleur théologien du groupe des
Orientaux était certainement Théodoret,
évêque de Cyr. Lui aussi résista longtemps
au concile d'Ephèse, mais il n'en admet-
tait pas moins la primauté du siège de
Rome, comme il le prouva, quelques
années plus tard, lorsque, déposé de son
siège, au brigandage d'Ephèse, en 449, il
en appela au pape Léon :
Nous recourons à votre Siège aposto-
lique, lui écrit-il, pour recevoir de vous les
remèdes aux blessures des Eglises. C'est à
vous, en effet, qu'il convient d'avoir la pri-
mauté en tout {i).
Il dit dans une autre lettre que le siège
de Renie a la direction, y.ystjiovtav, des
Eglises qui soni par tout l'univers (2).
Après avoir rapporté tous ces témoi-
gnages irrécusables de la foi de l'Eglise
universelleàlaprimauté romaine, à l'époque
du concile d'Ephèse, nous croyons inutile
de nous arrêter à discuter les arguties
par lesquelles les Gallicans essayaient d'en
détruire ou d'en atténuer la portée. Ces
arguties disparaissent devant le faisceau
de lumière projeté par l'ensemble de ces
preuves, comme disparaît l'ombre devant
le soleil. Le prêtre Philippe avait bien
raison de le dire : il n'était douteux pour
personne, dans l'Eglise, en 431, que le
bienheureux Pierre, le prince et le chef
des apôtres, la colonne de la foi, le fon-
dement de l'Eglise catholique, le porte-
clés du royaume, continue de vivre et de
gouverner dans la personne de ses suc-
cesseurs, les évêques de Rome.
Constantinople.
M. JUGIE.
PRIÈRES SUPERSTITIEUSHS
DES GRECS DE CHIMARA
Il est très difficile en Grèce de se pro-
curer d'authentiques prières supersti-
tieuses. Les gestes des sorcières et leurs
(i) lUius apostolicœ sedisfactus est ornamentum
et a beato Petro dexteram societalis accepit, ut
appareret ab utrisque œquam subtilitatem dogma-
tum custodiri.
(2) Cette lettre est tirée du Synodicon cassi-
nense. Mansi, t. V, col. 893-897.
simagrées varient plus ou moins selon le
malade et l'argent qu'elles escomptent
de la guérison. Mais les formules leur
sont pour ainsi dire sacrées. C'est le
côté le plus curieux de ces pratiques
quasi païennes. Un prêtre catholique du
(i) Epist. CXIII. P. G., t. LXXXIII. col. i3i6.
(2) Epist. ex VI. Ibid., col. 1324.
PRIERES SUPERSTITIEUSES DES GRECS DE CHIMARA
147
diocèse d'Athènesme racontait récemment
que, au cours d'une attaque de jaunisse, il
avait reçu la visite de trois guérisseuses,
dont la plus jeune lui parut avoir au
moins soixante-dix ans. Malgré ses ins-
tances, aucune ne consentit à lui confier
le secret de la formule déprécatoire usitée
pour la maladie dont il souffrait.
Celles qui suivent ont été recueillies chez
les Albano-Grecs orthodoxes du nord
de l'Epire et de Chimara, près de Haghii-
Saranda, le port de l'Epire turque (i).
Ayant eu l'occasion de rendre service à
une Grecque chimariote, je lui demandai
en retour quelques prières ou formules
authentiques employées par les guéris-
seuses de son pays. Elle m'en envoya
cinq ou six seulement.
— Cherchez ailleurs, ajoutait-elle; les
vieilles ne me confient plus rien. Elles
craignent de perdre leur gagne-pain, et sur-
tout de se voir enlever le pouvoir de guérir,
car une formule connue n'est plus efficace.
I. ApOSTÈME, abcès ou FURONCLE.
Quelqu'un souflfre-t-U d'un abcès ou
d'un furoncle.? Le guérisseur vient, muni
d'une hache, et trace avec le tranchant
des signes de croix un peu partout, sur
le linteau de la porte, sur le seuil et au
coin de làtre. Un compère interroge:
— Que fais-tu donc?
Le guérisseur continue ses signes de
croix. Soudain, il se redresse et frappe
violemment d'un coup de hache en di-
sant :
— je coupe l'abcès.
Il répète ce geste trois fois sur le lin-
teau et sur le foyer; et l'abcès n'enfle
plus, mais commence à suppurer.
C'est un rite de magie imitative, auquel
(i) Le territoire de Chimara ( 10 000 habitants) est
constitué par une agglomération de sept villages
albano-grecs des monts acrocérauni^ns, vers le
nord de l'Epire turque. Chimara, le chef-lieu
(2 200 habitants), qu'on voit très bien de la mer,
un peu avant d'arriver à Santi-Quaranta (Ha^ii-
Sarandat, le port turc situé en face de l'ile de Cor-
fou, est bâtie sur une colline, entourée elle-même
d'un demi-cercle de montagnes inaccessibles finis-
sant à la mer. Les villages sont sur la montagne.
on a ajouté l'emploi superstitieux du
signe de la croix.
II. Une PAILLE DANS l'œil.
Un grain de sable, une escarbille de
charbon ou un fétu de paille est entré
dans l'œil d'un berger et refuse de sortir.
Vite, sur la promesse de deux ou trois
sous, une vieille accourt, saisit les cils du
patient et les fait mouvoir en forme de
croix. Ce faisant, elle répète de façon
inintelligible ces paroles :
— Grain dans l'œil ( ;jL7:à;jL7::aAov en
albanais), poisson dans la poêle; le vent
le fait entrer, le Christ le fait sortir.
En Charolais et en Languedoc, les enfants
qui ont le hoquet, pour avoir trop ri ou
mangé sans mesure, s'essayent à répéter
sept fois sans respirer : « J'ai le hoquet,
Dieu me l'a fait; petit Jésus, je ne lai
plus. » Dans les deux cas, le procédé est
le même. La sorcière, en faisant mouvoir
en tous sens les paupières du paysan
crédule, fait sortir le grain de sable ou
l'escarbille. De même, les paroles pronon-
cées par l'enfant règlent sa respiration et
arrêtent le hoquet. Mais le gamin autant
que le guérisseur chimariote est persuadé
que seule la formule agit.
m. La bascania ou mauvais œil.
Le traitement de la bascania est la
grande spécialité de ces guérisseuses. Il
n'en est pas de plus lucrative. La sorcière
amenée examine longuement le malade.
S'il se met à bâiller, c'est qu'il est vrai-
ment victime de la bascania. Mais il
importe d'abord de savoir qui l'a ensor-
celé, car la formule varie selon le sexe du
jettatore. Ce qui nous parait si difficile
n'est qu'un jeu pour la sorcière. Elle
compte les bâillements. Le prétendu ma-
lade, ahuri par cette folle consultation,
bâille-t-il quatre fois, par exemple, c'est
par une femme qu'est venue la bascania.
Bàille-t-il cinq fois, c'est parunhomme(i).
Et l'exorcisme commence.
U ) Le bàiUemeat chez les Cafres est le signe
148
ÉCHOS d'orient
On fait sur le malade un signe de croix
de la main droite et l'on récite cette
prière :
— Saint Anargyros, thaumaturge, qui as
guéri de nombreux malades, guéris encore
ce serviteur de Dieu qui a été baptisé, con-
firmé et consacré à Dieu. Bascania, basca-
nia, sors de sa tête et de ses entrailles. Va
sur les collines et dans les montagnes, là
où le cheval ne hennit pas, où l'on ne cuit
pas de gâteaux pour les enfants. Si la bas-
cania provient d'un homme (ou si elle pro-
vient d'une femme), que son œil crève, que
son cœur crève! (i) — Au nom du Père et
Fils.... (trois fois).
L'ensorcelé boit un verre d'eau, et le
sort est conjuré.
Un jeune Chimariote de mes amis,
souffrant de la fièvre depuis huit jours,
refusait nettement de se livrer à de si en-
fantines pratiques. On le fit exorciser
pendant qu'il dormait, et au réveil, sans
même l'avertir, on lui donna à boire le
verre d'eau préparé par la guérisseuse.
— Pour comble de malchance, ajou-
tait-il en riant, ce même jour la fièvre
disparut, et toute ma famille demeura
persuadée que l'exorcisme m'avait guéri.
IV. L'ÉRYSIPÈLE.
En casd'érysipèle, la formuleàemployer
est simple, bien qu'on ne comprenne pas
pour quel motif un texte du quatrième
Evangile a été choisi.
Au commencement était le Verbe, et le
Verbe était Dieu. Erysipèle, érysipèle, éry-
sipèle, va-t-en. Ne touche pas un seul nerf.
Qu'il ne souff're rien. Amen.
La vieille femme tenant à la main un
morceau d'argent ou une pièce de mon-
naie répète par trois fois cet exorcisme.
Puis elle souffle à trois reprises sur le
patient.
de l'appel d'un bon esprit. A. Bros, la Religion
des peuples non civilisés, p. 41.
(1) Le terme est fort, mais c'est la seule traduc-
tion possible, va (7/.d(ffT,. Les Grecs, d'ailleurs, se le
disent couramment dans le sens de : tu m'embêtes,
tais-toi, le diable t'emporte ! M'è'ffy.acrei;, (T/.i(Ts..
V. La tsica.
Dans le patois albano-grec, on désigne
sous le nom de -vT'lxa toute inflammation'
de l'œil suivie de suppuration.
La guérisseuse arrive avec une branche
d'olivier, de l'herbe aux scorpions, de
l'herbe de prairie et un couteau à manche
noir. Elle attache le tout ensemble et
trace un signe de croix sur l'œil malade
en disant cette prière :
— Au nom du Père et du Fils (trois
fois). Saint Anargyros, thaumaturge, toi
qui as guéri de nombreux malades, guéris
encore ton serviteur N... Il y avait deux
frères qui s'aimaient bien. Ils taillaient
un jour le linteau et l'appui d'une fenêtre
de marbre. La pierre éclata et un fragment
frappa l'un des serviteurs de Dieu dans
l'œil. Lors il grinça des dents et poussa de
grands cris, et son cri troubla la mer. Et il
ne put supporter son mal, pas même un
jour, pas même un quart d'heure. Or. la
Panaghia venait d'Orient, se dirigeant vers
l'Ouest. Elle demanda : « Qu'a donc le ser-
viteur de Dieu à l'œil? » Quelqu'un répon-
dit : « Il y avait deux frères qui s'aimaient
bien. Ils taillaient le linteau et l'appui
d'une fenêtre de marbre, et un éclat frappa-
le serviteur de Dieu dans l'œil. Et il grince
des dents, et il crie, et son cri trouble la
mer, et il ne peut supporter son mal, pas
même un jour, pas même un quart d'heure.»
Et la Panaghia dit : « Prenez sur le
mur de l'herbe aux scorpions, puis de
l'herbe de prairie et un couteau à manche
noir, et dispersez la maladie. Oui, qu'elle
aille sur les collines et dans les montagnes,
où le coq ne lance pas son cocorico, où l'on
ne cuit pas de gâteaux pour les enfants, où
la lampe du Sauveur ne brûle pas. Comme
les rayons du soleil, les rouges et les verts,
s'évanouissent, qu'ainsi s'évanouisse la
tsica! » Au nom du Père et du Fils
Elle souffle trois fois sur l'œil, et l'in-
flammation commence à diminuer.
Quelques remarques sur cette extraor-
dinaire invocation. Le saint invoqué n'est
pas un personnage réel. Anargyros, celui
qui ne reçoit pas d'argent, est un titre
donné à plusieurs saints du calendrier
grec. Les plus connus sont les médecins
PRIÈRES SUPERSTITIEUSES DES GRECS DE CHIMARA
149
martyrs Corne et Damien, qui, dit-on,
donnaient gratuitement des consultations
aux chrétiens pauvres. Dix anargyres sont
nommés par groupes de deux dans la
curieuse prière dite des sept dormants (1),
que l'on récite sur les malades pour les
faire dormir. Le dernier de la série est le
martyr Tryphon, qui joue un grand rôle
dans les exorcismes extra-liturgiques. 11
va de pair avec saint Thalelaios.
Suit la relation très réaliste du miracle
opéré par la Panaghia. On se demande
pourquoi c'est la Panaghia qui agit et non
Vanargyros. Il y a sans doute juxtaposi-
tion de deux prières, l'une plus ancienne
et de style vraiment liturgique analogue
à la première partie de celle employée
contre la hascania; une autre d'allure et
de langue populaire dans laquelle seule
la Panaghia est en scène. Mais les magi-
ciens ne se posent guère de telles ques-
tions. 11 leur importe seulement d'avoir
une recette pour guérir, et certes la
Sainte Vierge a donné la meilleure. Son
bref discours abonde en expressions pit-
toresques et en images empruntées à la
vie des paysans. Même dans les maisons
les plus pauvres, à Chimara, une veilleuse
brûle jour et nuit devant l'icône du Sau-
veur ou du saint protecteur de la famille;
les gâteaux dont il est parlé, les coulouria,
sont les gimbelettes dont sont friands
tous les Orientaux. Comment veilleuse,
gimbelelte, ou le coq qui par son chant
Joyeux met la maison en gaieté, pour-
raient-ils se trouver dans les montagnes
pierreuses qui s'étagent le long des côtes
de la mer loniennne?
Il est toujours périlleux d'indiquer le
pays d'origine de telles compositions,
d'autant que les mêmes motifs se re-
trouvent dans tout le monde orthodoxe.
Je connais sept ou huit exorcismes em-
ployés ailleurs qu'en Epire, et à quelques
détails près tout à fait dans le genre de
la prière contre la tsica. Ici pourtant la
mention de la mer qu'on aperçoit de Chi-
li) GoAR, ECyoÀôv'.ov sive Rituale Grœcorum.
Paris, 1647, P- 7o3.
mara, l'allusion au coucher du soleil si
magnifique en ces montagnes, et ce nom
même de tsica donné par les paysans
albanais au plus haut sommet des monts
acrocérauniens, presque toujours couvert
de neige, sont un indice de la provenance.
Des Albanais ou des Epirotes riverains
de la mer Ionienne n'auraient pas conçu
cette prière autrement. Enfin, l'emploi de
l'herbe aux scorpions comme remède est
j encore un indice, car cette petite plante
} grimpante, de la famille des scorpiures,
qu'on appelle aussi chenille ou chenil-
lette, est propre à la région méditerra-
néenne.
Il existe une formule et un rite spécial
pour faire disparaître l'irritation causée
à l'œil par l'orgelet. C'est un simple jeu
de mots. Le paysan affecté de ce léger
ennui se lève avec « la première étoile »
et prend un grain d'orge. Orgelet se dit
en grec populaire xo'M qui signifie éga-
lement orge. Puis il dit : « Orge, prends
l'orge », et en prononçant ces paroles il
jette le grain derrière ses épaules. Il
recommence trois fois, ajoute la recette,
et l'orgelet disparaît.
VI. Présages et protection
DES animaux par LA MAGIE.
M. Albert Dumont, qui fut directeur
de l'Ecole française d'Athènes, rapportant
quelques croyances populaires des Alba-
nais, écrit : « Les chefs ont l'art de con-
sulter les auspices, surtout en regardant
les os et les entrailles des bêtes qu'ils
tuent ». (i) Les Chimariotes orthodoxes
agissent de même. Au milieu d'un ban-
quet, quand l'agneau rôti à la pallikare a.
été découpé et partagé, l'ancien de la
famille prend l'omoplate et examine à
contre-jour la fosse où s'attache le muscle.
Et d'après la disposition des rides de l'os
il prédit l'avenir. C'est un privilège des
vieillards ou des chefs. Aussi n'est-ii pas
étonnant que l'un d'eux, au printemps
( u A. Dumont, le Balkan et l'Adriatique. Paris,
1874, p. 3 II.
i^o
ECHOS D ORIENT
dernier, ait annoncé l'arrivée à Chimara
des troupes turques, qui d'ailleurs, est-il
juste d'ajouter, occupaient le pays depuis
plusieurs semaines.
Ces paysans, la plupart bergers, pour
qui la vie est toujours peineuse, et qui
se croient trop souvent le jouet de puis-
sances malignes, cherchent par instinct
à se rendre le sort favorable. Le moindre
geste, le plus futile incident est inter-
prété par eux en bien ou en mal. Si dans
la maison un petit enfant s'amuse à
marcher à quatre pattes, c'est qu'un ami
ou un parent viendra rendre visite. Si un
taon de mulet se pose sur la main d'un
agoyate, de suite on en conclut que
celui-ci recevra une heureuse nouvelle.
Un mari et sa femme se promènent.
Aperçoivent-ils deux serpents réunis,
c'est de bon augure. Mais si à leur
approche les serpents s'enfuient chacun
de leur côté, le divorce séparera bientôt
les deux conjoints.
Le serpent est en général redouté et
pour cause. Mais ce qui de prime abord
surprend, c'est que cette crainte du mal-
faisant reptile est surtout fondée sur des
raisons superstitieuses. Un paysan de
Drymadès, en Epire turque, à qui je disais,
pour connaître son sentiment, que le
mardi était un jour néfaste depuis la prise
de Constantinople, me répondit : « Non,
ce n'est pas le véritable motif. Mais le
serpent trompa notre mère Eve un mardi,
et depuis ce fatal jour nous sommes tous
malheureux. »
Le loup est encore plus exécré, pour
des motifs de même valeur. De tous temps,
chez les Grecs, ce terrible animal a été
l'objet de croyances superstitieuses. Après
avoir raconté la fantastique histoire d'An-
thus l'Arcadien métamorphosé en loup,
Pline ajoute : « On est stupéfait de l'excès
de la crédulité grecque. » Le naïf écrivain
n'était pourtant guère exigeant (i).
(i) Pline, Hist. nat., VIII, 34. La croyance aax
loups-garous, si répandue dans les campagnes de
France, a existé de tout temps chez les Grecs. De
même l'expression avoir vu le loup pour rester
muet est d'origine grecque. Théocrite, xiv, 22.
Les paysans d'aujourd'hui sont aussi
crédules que leurs ancêtres. Ils croient
pouvoir protéger un agneau contre la dent
du loup aussi facilement qu'ils guérissent
un abcès. Mais il est permis plus encore
de douter de l'efficacité d'un exorcisme
quand il s'adresse à un animal affamé.
Voici la formule :
On prend trois clous et un peu de laine
de mouton et l'on fixe celte laine avec les
trois clous sur un arbre ou sur un tronc
desséché. II faut être deux. Pendant que le
premier enfonce les clous, son compère lui
demande : « Que fais-tu? » L'autre répond :
Je cloue le loup pour qu'il n'ose pas manger
les moutons. » Et il cloue solidement.
On rencontre fréquemment ces clous
dans les endroits fréquentés par les ber-
gers. Les passants se feraient scrupule
d'y toucher : ce sont des £;opx',a.
Le procédé est un de ceux employés
par les primitifs pour se rendre la chasse
favorable, à moins qu'on ne veuille y
voir un rite d'envoûtement, l'animal visé
ressentant les effets du clou, ou même
une innocente ruse destinée à faire croire
au loup que les brebis vivantes sont pro-
tégées de même façon que la touffe de
laine exposée à l'air. Les sorciers meneurs
de loups du Limousin ont pour encîa-
-veler l'animal des formules encore plus
absurdes.
11 existe heureusement des animaux
moins redoutables que la vipère ou le
loup. Encore est-il nécessaire de se pro-
téger contre leurs attaques. Ainsi la
mouche charbonneuse, les guêpes ou
certaines mouches venimeuses. Quand
une de ces bestioles a piqué un mouton,
un mulet ou une chèvre, le conducteur
ou le berger doit se hâter de dire :
Autant de temps dure la grêle au soleil,
autant de temps reste le ver dans l'endroit
où il est.
Puis il prendra trois petites pierres
Dans l'hypothèse totémiste, l'Apollon lycien adoré
à Corinthe était primitivement un dieu loup.
Habert, la religion de la Grèce antique, p. 41.
Paris, 1910.
PRIÈRES SUPERSTITIEUSES DES GRECS DE CHIMARA
151
avec une touffe de la toison ou des poils
de l'animal, et il ira les placer sous la
racine d'un poirier, de manière que la
laine ou le poil soit caché par les pierres.
Pendanttrois jours il recommencerachaque
matin et chaque soir au lever et au cou-
cher du soleil. Pour un homme, le rituel
est le même. On cache sous les pierres
une mèche de cheveux. Que peut bien
valoir un traitement de ce genre en cas
d'infection charbonneuse, par exemple?
Ces pratiques superstitieuses prises
entre cent autres dans un même village
ne seraient pas à relever, si elles ne nous
apprenaient à mieux connaître la menta-
lité religieuse du paysan grec. H a ceci de
particulier qu'étant attaché jusqu'au fana-
tisme au credo orthodoxe, il s'attache
presque avec une égale ardeur, malgré les
efforts du haut clergé et ceux des Hellènes
instruits, à ces pratiques mi-païennes, mi-
chrétiennes, qui le surchargent de vaines
observances et l'entretiennent dans une
crainte servile de l'inconnu (i). Toutes,
en définitive, sous une forme ou sous une
autre, remontent à une très haute antiquité,
et il a fallu des siècles de christianisme
pour en débarrasser nos imaginations.
A la tribune de la Chambre des députés,
M. Maurice Barrés constatait récemment
qu'en France, à mesure que la foi éclairée
diminue dans les campagnes, les absur-
dités de la magie ou les panacées de la
sorcellerie la remplacent. Et il disait con-
naître un village du Midi « où l'on pose
dans la bière les souliers du mort et de
l'argent; les souliers pour qu'il puisse
aller au bout de son voyage, l'argent pour
qu'il puisse satisfaire à la divinité infer-
nale » (2). Or, à Nébégler, au Sud de
(i) Par contre, le clergé des campagnes, peu i n-
struitet peu influent, ne s'oppose guère à la super-
stition. Le pourrait-il d'ailleurs? puisque lui-
même favorise certaines pratiques dans lesquelles
la crédulité la plus condamnable se mêle à l'en-
seignement chrétien, messe de saint Jean, crovance
au mauvais œil, exorcisme de saint Tryphon, etc.
(2) Séance du 17 janvier igii. Cf. le Bulletin de
la semaine, 25 janv. 191 1.
Larissa, le même rite se retrouve sous un
aspect un peu différent. Les parents, après
avoir terminé la toilette du mort, glissent
quelque menue monnaie dans sa poche.
C'est une survivance curieuse de la
croyance antique au Styx et à la barque
de Charon (1).
Mais il faut bien prendre garde d'inter-
préter de même manière ces deux pra-
tiques. Car les paysans français qui se
livrent à ces folies macabres sont libérés,
ou se croient tels: ils n'ont plus de foi
positive. Ceux de Nébégler sont de braves
gens qui ont l'intention de satisfaire à
toutes les obligations des funérailles chré-
tiennes, et qui, seulement par habitude,
par tradition et par ignorance, conser/ent
un rite dont ils ne connaissent pas la
signification précise. Des deux groupes
de paysans les plus à plaindre et les plus
éloignés de l'esprit chrétien, les moins
libérés ne sont pas ceux de Nébégler.
C'est d'après les mêmes principes qu'il
convient de juger les Albano-Grecs. Ils
demeurent dans leur ignorance très atta-
chés à leur religion et dociles aux instruc-
tions de leurs pappas. Mais ils ont le passé
contre eux. Ils sont à la fois héritiers des
anciens Hellènes, qui durant l'antiquité
furent en leur qualité de médecins comme
les colporteurs des pratiques magiques,
et des Byzantins adonnés de tout temps,
malgré l'orthodoxie, aux plus vulgaires
superstitions. A Byzance même, à l'époque
de saint Théodore le Studite, une des
puissances de la cité était la sorcière (2).
Louis Arnaud.
Athènes.
(i) Tout le monde connaît les raisons fournies
par les écrivains classiques pour justifier cette
coutume. De fait, Lucien s'en est moqué. Dans
le y.ariTtXo'Jî Micyllos injurie Charon qui refuse
de le prendre dans sa barque. Le vrai motif de sa
déconvenue c'est qu'il n'a pas d'argent pour payer
le passage. Lucien, xaTâ-itÀo-j;, xviii. Cf. Maury,
Histoire des religions de la Grèce antique. Paris,
1857, t. II, p. i53.
(2) J. Pargoire, l'Eglise byzantine de 5i-j a 84-,
Paris, 1905, p. 320.
FORMATION DE L'ÉGLISE BULGARE
(Fin "1.)
Au lendemain de son baptême, Boris
demandait à Photius, alors patriarche de
Constantinople, un archevêque, des
évêques et le cortège obligé d'une hié-
rarchie régulière. Soit qu'il méconnût la
réalité de la situation, soit qu'il trouvât
les Bulgares par trop dénués de culture
chrétienne pour leur accorder l'autonomie
ecclésiastique, le patriarche byzantin se
contenta d'adresser au khan des mission-
naires avec une fort jolie lettre (2). Ce
n'était pas ce que voulait Boris. Aussi,
moins de deux ans après, envoyait-il une
ambassade solennelle à Rome et une autre
au roi de Germanie, pour en obtenir ce
que lui avait refusé Constantinople. Le
but intéressé du souverain bulgare appa-
raît manifestement dans cette double
ambassade. Au fond, il se souciait mé-
diocrement d'une suprématie religieuse
universelle, d'où qu'elle vînt, de Byzance,
de Rome ou d'Allemagne; mais il voyait
un empereur d'Orient couronné par le
patriarche de Constantinople, un empe-
reur d'Occident couronné par l'évêque de
Rome, et son flair de barbare lui suggé-
rait qu'il ne serait basileus ou tsar que
lorsqu'il aurait son patriarche.
L'habileté avec laquelle le pape saint
Nicolas sut entrer dans les vues de Boris
rendit vains pour le moment tous ses
calculs politiques. C'est au mois d'août 866
qu'il avait reçu l'ambassade et les présents
du khan bulgare, c'est le 13 novembre
de la même année qu'une mission offi-
cielle partit de Rome pour la Bulgarie.
Elle avait deux évêques à sa tête, Formose
de Porto et Paul de Populania, et arriva
à destination vers la fin de 866. Ces deux
évêques devaient gouverner l'Eglise bul-
gare à titre provisoire, en attendant qu'on
(i) Voir Echos d'Orient, mars iqii, p. 8089.
(2) M IGNE, P. G., t. Cil, coL 627-696.
leur donnât des successeurs définitifs sous
la haute direction d'un archevêque, dont
l'investiture par le pallium appartiendrait
au Saint-Siège. Saint Nicolas résolvait en-
suite, dans ses 106 réponses aux consul-
tations des Bulgares (i), une série de
questions dogmatiques, morales et disci-
plinaires, posées par le souverain bulgare.
A défaut d'autre mérite — et ce n'est pas
le seul qu'on leur reconnaît — elles ont
au moins celui d'être claires, précises,
pratiques; avantage qu'on ne saurait ac-
corder aux hautes spéculations de méta-
physique byzantine que contenait la ré-
ponse de Photius.
Boris s'éprit d'une véritable affection
pour Formose, le chef de la mission ro-
maine ; il lui laissa libre carrière pour or-
ganiser la chrétienté naissante et renvoyer
dans leurs foyers les missionnaires qui
lui déplairaient. Formose ne se fit pas
faute d'user de la permission. A peine la
mission allemande qui était dirigée par
Ermenrich, évêque de Passau, eut-elle mis
le pied en Bulgarie, qu'elle fut priée, très
poliment du reste, de reprendre le chemin
qu'elle venait de parcourir. Quant aux
missionnaires grecs, coupables, au sur-
plus, de repousser la communion ro-
maine, on usa de moins de ménage-
ments à leur égard. Partout le rite latin
fut substitué au rite grec, les églises dé-
saffectées, les chrétiens reconfirmés, à ce
qu'assure du moins Photius, qui, en 867,
dénonce le fait à toute la chrétienté (2).
En rien de temps, Formose avait établi
la foi chrétienne sur les ruines du paga-
nisme. A force de le voir à l'œuvre, le
khan bulgare le demanda au Pape comme
archevêque; saint Nicolas refusa, allé-
guant le Canon ecclésiastique qui prohi-
(i) MiGNE, P. L., t. CXIX, col. 978 sq.
(2) MiGNE, p. G., t. Cil, coL 724-734.
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
153
bait le transfert d'un évêque d'un siège
à un autre, et, avant de mourir (13 no-
vembre 867), il mit fin à la mission du
légat (i).
La nouvelle mission, destinée à rem-
placer celle de Formose, comprenait des
prêtres pour l'instruction du peuple et
deux évêques, Dominique de Trivento
dans le Samnium etGrimoald de Bomarzo.
Parmi les prêtres, Boris avait toute lati-
tude de choisir celui qui lui agréerait et
de le signaler à l'attention du Saint-Siège,
qui lui donnerait, avec la consécration
épiscopale, l'investiture canonique. La
mission n'était pas encore partie à l'avè-
nement d'Adrien II, qui se contenta d'ap-
prouver les mesures prises par son pré-
décesseur et de modifier l'en-tête des
lettres de saint Nicolas en substituant
partout son propre nom (2).
Une violente colère saisit le souverain
bulgare, à la nouvelle que son candidat
était repoussé. Formose lui-même n'alla-
t-il pas jusqu'à manifester un peu trop
haut son mécontentement de ce rappel
précipité? On l'en accusa plus tard, même
à la Cour romaine, en assurant que
« de solennels engagements avaient été
échangés entre Boris et lui : Boris jurant
qu'il n'accepterait jamais d'autre arche-
vêque que Formose, Formose jurant qu'il
reviendrait vers Boris le plus prompte-
ment possible »; mais la mémoire de ce
Pape a été si calomniée qu'on est en droit
de ne pas croire sur parole ses ennemis
personnels.
Formose parti, le souverain bulgare
réclama, par son ambassadeur Pierre, le
diacre Marin qu'il avait eu l'occasion de
connaître de près, ou bien un autre des
cardinaux romains; cette fois encore, il se
heurta contre un refus. Dans la lettre
qu'il lui adresse pendant l'été de 869,
Adrien II répond que le diacre Marin est
déjà désigné pour le représenter au con-
cile de Constantinople: à sa place, il dé-
lègue le sous-diacre Silvestre (3). Boris
(i) Jaffé. 0*2887.
(2) Jaffé, n* 2889.
(3) Jaffé, n* 2916.
n'y tint plus et, sur-le-champ (magna sub
velocitate), il renvoya en Italie le sous-
diacre Silvestre, ainsi que les évêques
Léopard d'Ancône et Dominique de Tri-
vento. Toute relation n'était pourtant pas
rompue, car, en même temps, il récla-
mait du Pape un archevêque ou bien For-
mose de Porto. Adrien 11 n'envoya ni l'un
ni l'autre, mais il promit de sacrer arche-
vêque le prêtre que Boris désignerait
nommément (i).
On s'obstinait ainsi de part et d'autre
à ne rien modifier des exigences pre-
mières. Le refus de Rome était d'autant
plus inopportun que de graves change^
ments politiques et religieux venaient de
se produire sur la scène si agitée de
Byzance, où l'empereur Basile avait rem-
placé Michel 111, et le patriarche Ignace
son rival Photius. L'un et l'autre avaient
tout de suite porté leur attention sur la
situation intérieure de la Bulgarie, et le
khan bulgare semble bien avoir, dès lors,
prêté l'oreille aux avances qui lui venaient
de Constantinople. C'est, du moins, ce
que permettent de conclure les vives re-
montrances, faites en juin 869, par le
Pape au patriarche Ignace, lorsqu'il lui
enjoint de s'abstenir de toute immixtion
dans les affaires de Bulgarie et de n'en-
voyer aucun prêtre grec dans ce pays (2).
La lecture attentive de l'appendice des
actes du V11I« concile œcuménique con-
firme cette supposition, en mettant sous
les yeux la réalisation du plan certaine-
ment combiné d'avance entre les deux
cours de Byzance et de Péreiaslavets.
Le VIII« synode, réuni à Constantinople
cette année-là, en 869, avait pour but de
condamner solennellement l'intrusion de
Photius et de rétablir la paix religieuse,
gravement compromise par cette usurpa-
tion : double fin qui fut atteinte sans trop
de difficultés. Or, trois jours après la
clôture du concile, le 3 mars 870, fut
tenue une réunion extraconciliaire en
présence de l'empereur Basile I«^ des
légats du Pape, du patriarche Ignace et
(i) Jaffé, n' 2925.
(2) Jaffé, n* agiS.
154
ECHOS D ORIENT
des représentants des trois patriarches
orientaux. Etaient présents aussi les
membres d'une ambassade bulgare, que
Boris avait députée au concile.
Le chef de l'ambassade, Pierre, celui-là
même qui avait visité Rome à plusieurs
reprises et cherché à obtenir du Pape
Formose ou Marin comme archevêque,
prit le premier la parole, demandant que
l'on décidât définitivement si l'Eglise bul-
gare relèverait à l'avenir de Rome ou de
Constantinople. Malgré l'opposition des
légats romains, les Grecs arrêtèrent que
la direction ecclésiastique de la Bulgarie
appartiendrait dorénavant au patriarche
byzantin. Les motifs invoqués furent que
la Bulgarie avait jadis formé des pro-
vinces de l'empire et que, lors de la con-
quête, les Bulgares y avaient trouvé un
clergé grec. Les envoyés du Pape objec-
taient avec raison que l'administration de
l'Eglise ne doit pas être subordonnée à
des considérations politiques, que des
prêtres grecs pouvaient parfaitement dé-
pendre du patriarche de Rome et que, de
fait, le pays des Bulgares constituait jadis
une partie de l'illyricum oriental, c'est-à-
dire du patriarcat romain; mais les trois
délégués des patriarches d'Orient, d'ac-
cord avec l'empereur et le patriarche
Ignace, lequel ne souffla mot en dépit de
toutes les adjurations des légats, répli-
quèrent finalement qu'il n'appartenait pas
à des transfuges de l'empire grec, comme
l'étaient les Romains, d'exercer la moindre
juridiction sur les terres du basileus.
Curieuse remarque de la part de trois
sujets d'un calife arabe, mais qui prouve
mieux que toutes les démonstrations
qu'en Orient la politique domine toujours
les questions religieuses et que celles-ci
ne sont réglées que conformément aux
intérêts de celle-là.
En dépit des protestations réitérées
des légats pontificaux, et bien qu'ils
eussent remis, séance tenante, à Ignace
une lettre du Pape relative à la Bulgarie
— lettre que le patriarche refusa d'ailleurs
de lire en ce moment — de par la déci-
sion des trois délégués orientaux, qui
n'étaient ni qualifiés ni acceptés comme
arbitres, la juridiction religieuse sur la
Bulgarie fut adjugée à l'Eglise byzan-
tine (i). L'ambassade bulgare, complice
plutôt que trompée, revint apporter à son
souverain cette décision. Dans le courant
de cette même année 870, les mission-
naires latins, expulsés par Boris, se re-
pliaient vers l'Italie sous la conduite de
Grimoald de Bomarzo, pendant qu'un ar-
chevêque et des évêques grecs prenaient
officiellement, au nom d'Ignace, posses-
sion de l'Eglise bulgare (2).
Vainement Adrien II protesta-t-il contre
cet escamotage indigne et adressa-t-il des
menaces à l'empereur grec et à Ignace.
Basile répondit presque par des insultes;
quant à Ignace, il répliqua au Pape que,
récemment, les Latins n'avaient pas mieux
agi envers les prêtres grecs de Bulgarie.
Tout en contenant une bonne part de vérité,
adressée à son supérieur, au chef de
l'Eglise qui, depuis dix ans, remuait ciel
et terre pour le rétablir sur son trône pa-
triarcal, la réponse d'Ignace n'en consti-
tuait pas moins une forte insolence. Elle
fut relevée, quoique en termes modérés,
par le Pape, dans sa lettre du 10 no-
vembre 871, dont il ne s'est conservé
qu'un fragment (3). Et la mort surprit le
doux Pontife, avant qu'il eût pu mener
l'affaire à bonne fin.
(i) Il est bon de signaler que le territoire, alors
occupé par les Bulgares, n'était pas jadis, dans
toutes ses parties, compris dans les limites du
patriarcat romain. Ainsi, les deux archevêchés
autocéphales d'Odyssos et de Tomi, la métropole
de Marcianopolis avec ses cinq suffragants sont
inscrits, dès le milieu du vu' siècle, dans VEcthesis
du pseudo-Epiphane, Gelzer, Ungednickte... Texte
der Notitiœ episcopatuum, p. 535 et 542, c'est-à-
dire dans le patriarcat de Byzance. Peut-être même
que la capitale des Bulgares, Péreiaslavets, en fai-
sait partie. Il n'en est pas moins vrai que, dans
son ensemble, l'Eglise bulgare appartenait à l'an-
cien Illyricum et, par conséquent, au patriarcat
romain.
(2) L'envoi d'un archevêque et de plusieurs
évêques est attesté par une lettre d'Adrien II à
l'empereur Basile, Migne, P. L., t. CXXII,
col. i3io; par une lettre du pape Jean VIII à
Domagoi, de l'année 873, Jaffé, n* 2964; enfin par
Constantin Porphyrogénéte, Vita Basilii, Migne,
P. G., t. CIX, col. 357, n» 96.
(3) Migne, P. L., t. CXXII, col. [3if.
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
155
Le successeur d'Adrien II, le pape
Jean VIH, continua en Bulgarie la politique
religieuse de ses deux prédécesseurs : il
paraît même l'avoir accentuée au point
d'en faire dépendre ses rapports avec
l'Eglise grecque. Elu pape le 14 décembre
872, il adressait à Boris, dès les premiers
mois de l'année suivante, une lettre fort
sévère, dans laquelle il demandait l'ex-
pulsion de Bulgarie de la mission grecque,
sous peine, en cas de refus, de déposer
Ignace et tous les clercs qui le soutien-
draient, sous peine même d'excommunier
ceux-ci, ainsi que la nation bulgare et son
souverain (i). D'autres lettres suivirent,
sur un ton tout aussi menaçant, notam-
ment pendant les années 875 et 878 (2).
Le souverain bulgare n'était pas seul à
recevoir de pareilles admonestations, i'em-
pereur grec n'était pas mieux traité (3);
ni l'un ni l'autre ne parut tout d'abord
y prêter la moindre attention.
Puis, mécontent de voir Basile l»"" aussi
bien que Boris faire la sourde oreille à ses
avis les plus pressants, Jean VIII s'imagina
que Formose les soutenait sous main
dans leur résistance au Saint-Siège; aussi
réunit-il, le 30 juin 876, un concile qui
déposa et excommunia l'évêque récalci-
trant (4). Celui-ci avait déjà pris la fuite.
Quant à Ignace, il reçut trois ordres suc-
cessifs, conçus dans les termes les plus
formels, d'avoir à rappeler les évêques et
les prêtres grecs qui le représentaient en
Bulgarie. La troisième lettre, datée du
16 avril 878, portait que si, dans le délai
de trente jours après sa réception, Ignace
n'avait pas obéi aux injonctions du Pape,
il serait immédiatement déposé (5).
Quand les deux légats du Pape arri-
vèrent à Constantinople, le patriarche était
mort depuis le 23 octobre 877, et Pho-
tius, avec son consentement, semble-t-il,
l'avait remplacé. Jean V\l\ le reconnut et,
au concile de 879, le nouveau patriarche
1 1) Jaffé, n" 2932.
(2) Jaffé, n" 2996. 3i3o-3i32.
(3) Jaffé, n° 2999. 3ii8,
(4* jAFFt, n* 3042.
(5) Jaffé, n' 3i33,
promit de s'entendre avec l'empereur
pour le règlement définitif de la question
bulgare. La. promesse fut tenue, puisque,
le 13 août 880, le Pape écrivait à Basile 1*^ :
«Je vous rends de nombreuses actions de
grâces de ce que, par amour pour nous
et comme le demandait la justice, vous
nous avez permis de posséder le diocèse
des Bulgares (i). De fait, ni dans la
Notitia episcopahium de Léon le Sage, ré-
digée au début du x*^ siècle, ni dans celle
de Constantin Porphyrogénète qui lui est
postérieure d'une cinquantaine d'années,
ne figure l'Eglise bulgare ou Je moindre
diocèse situé sur son territoire, alors que
Kiev, métropole de l'Eglise russe, mais
soumise à Constantinople, apparaît dans
tous les documents analogues jusqu'à
l'obtention de son autonomie.
Dans les idées de Photius. comme dans
celles de la plupart des Byzantins de ce
temps, la juridiction ecclésiastique se liant
d'ordinaire sur l'étendue et les limites de
l'Etat, ce n'était pas diminuer sérieusement
le patrimoine du patriarcat de Constanti-
nople que d'abandonner à Rome un pays
placé, pour longtemps sans doute, en
dehors de l'empire. Il n'en demeure pas
moins vrai que la renonciation fut faite (2).
Cependant, si toute difficulté était levée
du côté de Constantinople, il n'en était
pas de même du côté de la Bulgarie.
Boris ne comprit pas ou feignit de ne pas
comprendre le nouvel accord survenu
entre Rome et Constantinople, et il garda
le clergé grec jusqu'à plus ample infor-
mation. Les avis et les ordres du Pape
glissèrent sur son crâne épais, comme
avaient jadis glissé les spéculations méta-
physiques de Photius.
Vers la même époque, le royaume voi-
sin de Moravie vit se terminer une lutte
engagée depuis une vingtaine d'années
entre les Allemands et les Slaves, lutte
qui devait exercer une intluence décisive
sur l'avenir religieux de la Bulgarie. On
(i) MiGNE, P. L., t. CXXVI, col. 909.
(i) LK9Ôrfi3c., l'Europe et ie Saint-Siège à répoque
carolingienne. Paris, 1895, p. 70.
156
ECHOS D ORIENT
sait, sans doute, que les deux frères
Cyrille et Méthode avaient introduit en
Moravie, avec la foi en Jésus-Christ,
l'alphabet slave et la liturgie slavonne.
Approuvées par le pape Adrien II en 867,
ces innovations liturgiques des deux
frères recevaient en 873, de la part de
Jean VllI, un blâme officiel. Méthode était
prié, sous menace des peines canoniques,
de célébrer la messe en grec ou en
latin (i). Comme le missionnaire byzan-
tin ne semble pas avoir utilisé cet avertis-
sement, le Pape réitéra sa défense en
879, lui enjoignant, en outre, de se
rendre à Rome (2). Méthode obéit, et
Jean VllI fut si satisfait des explications
données de vive voix qu'il autorisa, non
seulement « la prédication ou certaines
prières en langue slave, mais encore tous
les offices, les heures, les leçons, la
messe, les formes les plus intimes et les
plus sacrées de la liturgie chrétienne » (3).
Or, moins de six années après cette
lettre de Jean Vlll à Swatopluk, prince de
Moravie, le pape Etienne V prenait des
décisions diamétralement opposées, pros-
crivait la liturgie slavonne et ramenait
les Moraves à un latinisme rigoureux (4).
Pour ce faire, il s'appuyait sur la lettre de
Jean Vlll à Sv/atopluk, dont nous avons
cité la principale prescription, et qui fixe
précisément le contraire. Comment expli-
quer cette anomalie? C'est que l'évêque
allemand Wiching, l'associé de Méthode,
avait, durant cet intervalle, tronqué et
falsifié la lettre de Jean Vlll, trompé ainsi
son successeur Etienne V et servi les
intérêts de sa patrie et de sa liturgie
latine, sans négliger les siens propres (5).
Swatopluk, abusé, reconnut en 886
Wiching comme le successeur de saint
Méthode, mort l'année précédente, pen-
dant que les vrais disciples du Saint, sous
la conduite de Gorazd, Nahum, Clément,
(i) Jaffê, n° 2978.
(2) MiGNE, P. L., t. CXXVI, col. 85o.
(3) MiGNE, P. L., t. CXXVI, col. 906.
(4) Jaffé, n. 3407 et 3408.
(5) J'ai résumé la savante dissertation du P. La-
pôtre, l'Europe et le Saint-Siège à l'époque caro-
lingienne, p. 91-170.
Sabas et Angelar, quittaient la terre
inhospitalière de Moravie pour se réfugier
en Bulgarie. Le roi Boris les y reçut à
bras ouverts. De 870 à 886, son royaume
avait été évangélisé par des missionnaires
grecs; le souverain bulgare profita de
l'occasion pour confier son peuple, en
majorité slave, à un clergé slave. II donna
le titre d'archevêque à Gorazd, le chef de
la mission ; quant à Clément, il reçut
l'un des sept évêchés que Boris avait
établis dans son royaume, celui de la
province de Koutmetsivtsa (i). A la mort
de Gorazd, ce fut Clément que l'on recon-
nut comme chef de l'Eglise bulgare, avec
le titre épiscopal de Vélitsa (2).
Peu à peu, grâce à la politique sage et
prudente de Boris et de son fils Syméon,
grâce surtout à l'esprit de prosélytisme
des missionnaires, les nombreux dis-
ciples des saints Cyrille et Méthode avaient
propagé par toute la Bulgarie l'œuvre et
les traditions de leurs maîtres; ils y
avaient surtout acclimaté la liturgie sla-
vonne, qui, de là, allait se répandre chez
tous les peuples slaves. Par malheur,
Boris était en même temps parvenu à ses
idées de la première heure, il avait cons-
titué une Eglise nationale. Sans tenir
compte ni de la Papauté ni du patriarcat
œcuménique, nous le voyons modifier
les évêchés de ses Etats, en créer de nou-
veaux, mettre à leur tête qui bon lui
semble, bref, se conduire en tout comme
s'il était le maître de l'Eglise aussi bien
que du royaume (3). Le mal byzantin,
comme on l'a appelé, a pénétré chez les
Bulgares dès leur baptême; désormais, il
ne saurait plus être question d'indépen-
dance de l'Eglise.
Syméon (893-927), le premier qui s'ap-
pela basileus des Bulgares, nous dit Théo-
phylacte d'Achrida (4), continua la poli-
tique religieusede son père, Boris, et si, par
deux fois, il prit Andrinople, si, par cinq
(i) Vita démentis, dans Miam, p. G., t. CXXVI,
n. 17, col. 1224.
(2) Op. cit., n. 20, col. 1228.
(3) Op. cit., n. 17, col 1224; n°* 20, 23, col. 1228 sq.
(4) Vita démentis, n' 19, col, i 225.
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
157
fois, il ravagea la plaine de Thrace, assié-
gea Constantinople et força même l'empe-
reur Romain Lécapène à se présenter en
suppliant devant lui (924), ce fut moins
pour se donner la vaine complaisance
d'humilier les Grecs, que pour les forcer
à reconnaître à lui le titre de tsar ou de
basileus qu'il avait pris sans leur autori-
sation, et à son Eglise bulgare le titre de
patriarcat, c'est-à-dire l'autonomie ecclé-
siastique.
En 913, il ne possédait pas encore la
dignité de tsar et cherchait à l'obtenir par
la force des armes, d'après ce récit des
chroniqueurs byzantins qu'a admirable-
ment résumés le P. Lapôtre :
Pour la première fois, Syméon s'était
avancé jusque sous les murs de Constanti-
nople avec une armée innombrable; et,
depuis le palais des Blachernes jusqu'à la
Porte d'Or, étincelait au soleil l'immense
forêt des lances bulgares. Il avait bien
fallu se résigner à faire quelque chose. On
flatta d'abord l'amour-propre de l'archôn
bulgare, en invitant ses deux fils à venir
s'asseoir à la table impériale, en compa-
gnie du jeune basileus. Puis, à l'issue du
festin, le patriarche Nicolas se rendait à
l'Hebdomon, hors les murs, où Syméon
était resté. Alors, racontent avec ensemble
les chroniqueurs byzantins, le roi bulgare
s'étant incliné humblement, le patriarche
récita sur lui des prières. Et ce qui prouve
qu'il ne s'agissait pas d'une bénédiction
ordinaire, mais que l'on voulait donner à
Syméon l'illusion d'un vrai sacre, c'est que
les mêmes chroniqueurs ajoutent qu'aussi-
tôt après avoir récité les prières le patriarche
byzantin prit sa propre coiff"ure, son épir-
rhiptarion, et la posa sur la tête de Syméon ,
en guise de couronne. Dans le fait, il n'y
eut là qu'une vaine comédie, dont Nicolas,
tout le premier, ne tint aucun compte;
mais cette comédie met en pleine évidence
l'erreur de ceux qui s'imaginent qu'à pa-
reille date Syméon avait reçu des pontifes
romains la couronne et la dignité impé-
riales. Sacré par le Pape et déjà basileus,
Syméon n'aurait pas mendié ainsi la béné-
diction du patriarche byzantin. Ce n'est
qu'en 924 qu'on le voit tout d'un coup
cesser cette sorte de mendicité à main
armée et retourner ses sollicitations du
côté de l'Occident. Alors seulement son
espoir s'évanouit de pouvoir obtenir la
dignité impériale de la même source et au
même titre que le basileus byzantin (i).
Il semble cependant que Syméon ait eu
le temps, avant de mourir, de négocier avec
Rome un pacte qui assurait à sa famille
quelque chose comme un sacre royal, avec
l'envoi d'une couronne et la bénédiction
pontificale. Néanmoins, j'inclinerais à
croire que la concession n'arriva en Bul-
garie qu'après la mort de Syméon, et
qu'elle ne profita qu'à son fils Pierre (2).
Nous n'avons, en effet, que deux témoi-
gnages, et fort tardifs, d'où l'on peut
conclure au couronnement du tsar Syméon
par le Pape. Un manuscrit slave, du
xve siècle, qui donne la liste des tsars,
des tsarines, des patriarches et des
évêques de Bulgarie, cite les noms de
quatre patriarches de Pereiaslavets ou
Preslav, au temps des tsars Syméon et
Pierre (3). Or, comme suivant les idées
politiques et théologiques alors en cours
à Byzance et en Bulgarie il ne pouvait
y avoir de vrais basileus sans la bénédic-
tion d'un patriarche, et qu'il n'y avait pas
non plus de patriarche sans basileus, on
en a déduit que Syméon avait déjà le titre
de tsar. La déduction vaut ce qu'elle
vaut, d'autant qu'elle s'appuie sur un
document de médiocre valeur.
En second lieu, le tsar bulgare loanitza
ou Caloïan, désireux d'obtenir semblable
faveur pour lui, cite au pape Innocent III,
en 1202, les exemples de « Pierre et
Samuel et de ceux qui les ont précédés,
comme nous le trouvons écrit dans nos
livres » (4). A vrai dire, le nom de
Syméon ne figure pas dans cette énumé-
ration, mais il est légitime de le supposer
inclus dans les souverains chrétiens qui
ont précédé Samuel et Pierre et qui sont
(i) Lapôtre, op. cit., p. 86; Theophanes contU
nuatus, dans Migne, P. G., t. CIX, col. 402; Geor-
gius monachus coniinuatus, dans Migne, t. cit.,
col. 940.
(2) Lapôtre, op. cit., p. 88.
(3) JiRECEK, Geschichte der Bulgaren. Prague,
1876, p. 168.
(4) HuRMuzAKi, Documente privîtore la Istori-'
Românilor. Bucarest, 1887, t. I, p. 2.
158
ÉCHOS d'orient
trois en tout, Syméon, Vladimir et Boris.
Un peu plus tard, dans une lettre de
1204, Caloïan désigne nommément Sy-
méon, avec Pierre et Samuel, comme
ayant reçu la couronne et la bénédiction
de l'évêque de Rome (i). Bien que ces
exemples soient cités à Innocent 111 dans
un but intéressé, pour obtenir de lui le
titre impérial et, pour l'archevêque de
Tirnovo, la dignité patriarcale, double
honneur qu'avait refusé au souverain bul-
gare la cour byzantine, les historiens sont
d'avis pourtant d'admettre ce témoignage.
On sait, en effet, par ailleurs, que le
légat pontifical Madalbert présida en
928 le concile de Spalato, une fois de
retour de Bulgarie, où il avait amené la
paix entre les Bulgares et les Croates (2).
Syméon était mort au mois de mai
de l'année précédente, et il est à peu
près certain que le légat pontifical lui
avait apporté de Rome la couronne tant
désirée ou, s'il était déjà mort, qu'il l'a
remise à son fils Pierre. D'une manière
comme de l'autre, c'est en cette année
927 qu'il convient de placer la reconnais-
sance de l'empire et du patriarcat bulgares.
La chancellerie byzantine ne modifia
pas sa manière d'agir, et, après comme
avant la reconnaissance de Rome, elle ne
vit dans Pierre qu'un khan ou un archôn,
s'obstinant à ne pas le traiter en basileus.
Malgré le mariage en 928 du souverain
bulgare avec une princesse byzantine et les
relations plus étroites qui s'établirent entre
les deux cours, Constantinople lui refusa
ce titre jusqu'en 943. A ce moment, pour
des motifs restés encore mystérieux, la
cour de Byzance reconnut Pierre pour
tsar et Damien, l'archevêque de son église,
pour patriarche (3). Cette reconnaissance,
qui tenait tant au cœur des Bulgares,
entraîna-t-elle la rupture des rapports
qu'ils avaient noués avec Rome et avec
l'Eglise d'Occident? Nous ne le pensons
pas, surtout si l'on veut bien tenir compte
(1) HuRiHUZAKi, op. cit., p. 3o.
(2) Farlati, Illyi-icum sacrum, t. III, p. 102-104.
(3) Rambaud, l'Empire grec au x' siècle. Paris.
1869, p. 340-345.
de ce fait que, depuis la chute définitive
de Photius, en 887, jusqu'à la révolte de
Michel Cérulaire, en 1054, sans être tou-
jours bien chaudes, les marques de sym
pathie et les attestations de parfaite ortho-
doxie religieuse ne cessèrent presque pas
d'exister entre l'Eglise de Rome et celle
de Constantinople.
L'âge d'or du royaume et de l'Eglise
bulgares, atteint sous le tsar Syméon, fut
suivi d'une prompte décadence sous son
fils, le tsar Pierre (927-969), prince reli-
gieux mais faible, inféodé à la politique
byzantine. Muni d'un traité de paix à
longue échéance avec les Grecs, Pierre
négligea d'entretenir son armée, oubliant
qu'une nation jeune et entreprenante
comme la sienne avait besoin, pour ne
pas dépérir, d'être tenue sans cesse en
éveil. Aussi, qu'arriva-t-il? C'est que les
boyards, incapables de repos, fomentèrent
de constantes révoltes et que les forces
vives de l'empire s'épuisèrent en querelles
intestines. Bien plus, le boyard Chich-
man de Tirnovo réussit, en 963, à con-
quérir son indépendance et à détacher, à
son profit, toute la Bulgarie occidentale,
comprise entre le Rhodope et l'Adria-
tique, pour en former un second empire
bulgare. Ce que voyant, les Byzantins,
qui, jusque-là, payaient tribut à Pierre,
refusèrent dorénavant de le faire. La
guerre s'ensuivit : Pierre fut battu par les
basileus Nicéphore Phocas et par les
Russes de Sviatoslav qui envahirent ses
Etats (1).
Après sa mort, 969, les Russes s'em-
parèrent de Preslav, sa capitale, et firent
son fils, Boris 11, prisonnier (970). Celui-
ci appela à son secours l'empereur grec
Jean Tzimiscès, qui accourut, en effet,
reprit Preslav, délivra le tsar Boris et,
traître à sa parole, l'amena à Constanti-
nople (972), pour le faire renoncer à la
(1) ScHLUM BERGER, Un empereur byzantin au
X' siècle, Nicévhore Phocas. Paris, 1890, p. 339-
343, 548-576, 735-742.
FORMATION DE L EGLISE BULGARE
1^9
couronne et devenir patrice byzantin. Par
le fait de ces victoires et de cette trahison
de Tzimiscès, la dynastie bulgare était à
tout jamais exclue du trône, et la Bul-
garie orientale incorporée purement et
simplement à l'empire grec (i).
Restait la Bulgarie occidentale ou achri-
déenne, séparée de la Bulgarie danubienne
depuis 963 par la révolte de Chichman, et
qui avait réussi à garder son indépen-
dance. Entre elle et Tempire byzantin
s'engagea un duel à mort, qui dura près
de cinquante ans et se termina par la
ruine définitive de l'un de ces Etats.
Devenus les seuls maîtres du parti national
bulgare, lors de la déposition du tsar
Boris II par Jean Tzimiscès, les fils de
Chichman, David d'abord (968-977), puis
Samuel (977-1014), luttèrent sans relâche
contre les Byzantins. Pendant cinq cam-
pagnes successives, le basileus Basile II,
surnommé le biilgaroctone ou tueur des
Bulgares, tourna toutes les forces de son
empire contre les tsars de Bulgarie. Battu
en 986. il reprit en 991 les hostilités qui
durèrent jusqu'en 995 (2): durant la
seconde campagne (996-999), il remporta
de nombreux succès et s'empara de
Durazzo (3); durant la troisième (looi-
1005), il emporta d'assaut les villes de
Verria, Servia, Mogléna, Scopia et autres
places de la haute et de la basse Macédoine
ainsi que de l'Albanie (4); durant la qua-
trième (1006-101 5), presque toute la Bul-
garie fut conquise, et le terrible adver-
saire de Basile 11, le tsar Samuel, expira de
douleur, 24 octobre 1014, à la vue de
15000 prisonniers bulgares que le basi-
leus vainqueur lui renvoyait après leur
avoir crevé les yeux (5): enfin la cinquième
campagne se termina par la mort violente
du tsar Gabriel Romain, fils de Samuel
(1016-1018), puis de Jean Vladistlav, son
neveu (1016-1018), et par l'annexion de
(1) ScHLLMBERGER, l'Epopéc byzantine à la fin
du X' siècle. Paris, «896, t. I", p. 585-673, 751-755.
(2) SCHLL'MBERGER, Op. cU., t. II, p. 42-58.
(3) SCHLUMBERGER, Op. Cit., t. II, p. l3l-l5o.
(4) SCHLUMBERGER, Op. Cit., t. II, p. 211-232.
(5) ScHLUMBEBGEB, op. cU., t. II, p. 333-366.
toute la Bulgarie à l'empire byzantin (i).
Au milieu de ces rivalités et de ces luttes
d'extermination, que devenait le chef de
l'Eglise bulgare? Il changeait de siège,
aussi souvent que les tsars changeaient de
résidence, se fixait d'abord à Preslav, capi-
tale des Bulgares fondée par Omortag en
822 et retrouvée naguère près de Choumia,
puis à Dristra, la Silistrie moderne, puis
à Sraditza ou Sofia, puis à Viddin, puis à
Mogléna, puis à Prespa, et enfin à
Achrida (2). On voit donc combien est
erronée l'opinion de ceux qui fixent le
siège du premier patriarcat bulgare soit à
Preslav, soit à Achrida. Preslav et Achrida
ne sont que le premier et le dernier séjour
de ce patriarcat nomade, ambulant, qui
compte jusqu'à sept sièges différents, et
encore en oubliant que saint Gorazd
dirigea l'Eglise bulgare, sans avoir de siège
fixe, et saint Clément comme évèque de
Vélitza.
Les noms des archevêques ou des
patriarches placés à la tête de cette Eglise
ne sont pas tous également connus et
surtout également sûrs. Le premier, qui
fut envoyé par Ignace en 870 est cité sous
cinq ou six noms différents; d'après un
document bulgare fort ancien, il paraît
s'être appelé Joseph (3). Après lui vien-
draient Georges, cité dans une lettre du
pape Jean VIII à Boris (4), datée du 16 avril
878, et Agathon qui assiste au concile
photien de 878 (Ç). Cependant Georges et
Agathon ne portent que le titre d'évêque,
et rien ne nous assure que le premier
(1) SCHLUMBERGER, Op. Cit., t. II, p. 375-397.
(2) Nous tenons ces renseignements d'une Notitia
episcopatuum, publiée par Du Cange, Familùff
augustœ byzantinœ, citée par Le Quien, Oriens
christianus, t. II, coi. 289-292, et rééditée par
H. Geizer, Der Patriarchat von Achrida. Geschi-
chte und L'rkunden. Leipzig, 1902, p. 6sq; nous
les tenons surtout d'une novelle de Basile II,
celui-là même qui mit fin à ce patriarcat, novelle
datée de mars 1020, et publiée par Geizer dans la
By^antinische Zeitschrift. Leipzig, t. II (1893),
p. 44 sq.
(3) GoLouBiNSKF, Précis d'histoire des Eglises
orthodoxes (en russe}. Moscou, 1871, p. 34, 256.
(4) MiGNE, P. L., t. CXXVI, col. 758; Jaffé,
n" 3i3o.
(5) GoLOUBiNSKi, op. cit., p. 35.
i6o
ÉCHOS d'orient
archevêque fût déjà mort à ce moment.
Nous trouvons ensuite Léonce, Démétrius,
Serge, Grégoire, dont les noms figurent
dans un synodicon bulgare et qui sont
placés à cette époque, mais d'une manière
dubitative, par Goioubinski ( i ), N'oublions
pas saint Gorazd et saint Clément, mort
le 27 juillet 916, qui, tous les deux,
exercèrent le pouvoir d'archevêque de
Bulgarie sans en porter le titre. Enfin,
nous abordons un terrain plus solide avec
Damien, qui fut reconnu comme pa-
triarche par Rome d'abord, ensuite par
Constantinople. Chassé de Dristra, siège
de son patriarcat, et déposé par l'empe-
reur Tzimiscès en 972, lors de la prise de
cette ville et de la conquête de la Bulgarie
orientale, Damien se réfugia auprès de
David, tsar de la Bulgarie achridéenne, et
fut accueilli comme le chef véritable de
l'Eglise bulgare. Ses successeurs furent
Germain ou Gabriel, qui résida à Viddin
et à Prespa; Philippe qui, le premier, se
fixa à Achrida; David, qui dut assister à la
ruine de sa patrie ; Jean, enfin, qui, après
la suppression du royaume bulgare occi-
dental, fut confirmé dans sa charge par le
basileus Basile II, mais avec le simple titre
d'archevêque de Bulgarie (2).
Quant à l'étendue de la juridiction de
ces archevêques et de ces patriarches,
quant au nombre des sièges épiscopaux
qui leur étaient soumis, nous les connais-
sonssuffisamment, depuisqu'on a retrouvé
dans un chrysobulle de Michel VIII Paléo-
logue, daté de 1272, trois novelles jadis
envoyées à Jean d' Achrida par Basile II, en
vue de réorganiser l'Eglise bulgare et de
lui assigner des limites précises (3). On y
{i) Op. cit., p. 36.
(2) ScHLUMBERGER, l'Epopéc byzantine à la fin
du x* siècle, t. II, p. 418-432; Zachariœ von Lin-
genthal, Beitraege ^ur Geschichte der bulgaris-
chen Kirche, dans les Mémoires de l'Académie
impériale des sciences de Saint-Pétersbourg.
t. VIII (1864), p. 9-1 1, 14-16.
(3) Un fragment de ce chrysobulle fut d'abord
édité par Rhallis et Potlis, S-JvTayiJLa twv xavdvwv,
t. V, p. 266 sq., et reproduit par Zachariae von
Lingenthal dans son Jus grœco-romanum , t. III,
p. 319. Porphyre Ouspenskij retrouva au Sinaï le
texte complet qui fut édité, d'après sa copie, par
voit tout d'abord que, tout en le mainte-
nant sur son siège d'Achrida, Basile II
accordait à Jean la juridiction que lui et
ses prédécesseurs avaient possédée sous
le tsar bulgare Samuel (977-1014). Par
suite de ce premier règlement, il recon-
naissait à son archevêché seize évêchés
suffragants, à savoir : Castoria, Glavinitza,
Mogléna, Bitolia ou Monastir, Stroumnitza,
Morovisd, Vélévouzda ou Kustendil, Sra-
ditza ou Sofia, Nich, Vranitza, Belgrade,
Thromos, Scopia ou Uskub, Prizdriana ou
Prizrend, Lipainion ou Lipljan, enfin
Servia (i). Cette première novelle est datée
de 1018.
Le métropolitain Jean ne trouva pas le
nombre de ces évêchés suffisant et il se
mit à réclamer tous les diocèses qui avaient
appartenu à ses prédécesseurs, au temps
de la plus grande extension de l'empire
bulgare, sous le tsar Pierre (927-968).
L'empereur grec crut devoir condescendre
à ses désirs et, par une seconde Novelle
datée de mars 1020, il décréta que « le
très saint archevêché de Bulgarie serait
constitué dorénavant, comme aux jours
du tsar Pierre, avec tous les évêchés suf-
fragants qu'il comptait à cette époque ».
En conséquence, aux seize évêchés déjà
concédés, il en adjoignit douze autres,
ceux de Dristra ou Silistrie, Viddin, Rhasos
ouRosaprèsdeNovi-Bazar,Oraia,Tzernik,
La Chimère, Driynopolis, peut-être Vella,
Bothrotos, Janina, Cozila et Pétra, avec
la juridiction sur les Valaques de Bulgarie
et sur les Turcs du Vardar (2). Enfin la
troisième ordonnance de Basile II, publiée
un peu plus tard, concédait à l'archevêque
d'Achrida l'évêché de Servia, déjà donné,
mais que le métropolitain de Thessalo-
nique se refusait à abandonner, et les
évêchés de Stagoi et de Verria (3).
Cette série de pièces extrêmement inté-
E. Goioubinski, op. cit., p. 259-263, et réédité d'une
manière vraiment critique par H. Gelzer dans la
Bysiantinische Zeitschrift, t. Il (1893), p. 42-46.
(i) By^antinische Zeitschrift, t. Il, p. 42 sq.,
48-55.
(2) Byi^antinische Zeitschrift, t. II, p. 44-46,
55 sq.
(3) By^antinische Zeitschrift, t. II, p. 46.
ORGANISATION DE l'ÉGLISE GRECQ^UE ORTHODOXE DE CONSTANTINOPLE l6l
Fessantes nous offre donc le tableau le plus
complet que nous connaissions du pre-
mier patriarcat bulgare. Lors de sa recon-
stitution par Basile II sous forme d'arche-
vêché autonome, vers l'année 1020, il
comptait trente diocèses soumis au siège
d'Achrida: il en comptait vingt-huit sous
le tsar Pierre (927-969), seize sous le tsar
Samuel (977-1014), et nous savons déjà
par la yita S. Cleimntis (i)que, sous le
khan Boris (864-889), il en avait sept
seulement.
SiMÉON Vailhé.
Constantinople.
ORGANISATION DE L'ÉGLISE GRECQUE
ORTHODOXE DE CONSTANTINOPLE
{Fin ^'\)
V. Les MONASTÈRES.
Patriarcaux ou épiscopaux (2), tous les
monastères sans exception sont sous la
surveillance de révêque le plus rapproché.
Les couvents étant absolument séparés
du monde, les moines qui, auparavant,
exerçaient un ministère quelconque dans
les villages voisins doivent abandonner
ces relations ; les chrétiens orthodoxes de
ces localités seront fondus dans le bercail
commun de l'évêché et dépendront de
lui aussi directement que les fidèles des
autres paroisses.
Divisés en trois classes, les monastères
du premier groupe comprennent plus de
vingt moines qui mènent la vie commune
et chantent tous les jours la messe; ceux
du deuxième comprennent plus de dix
religieux qui gardent la vie commune
et doivent, en dehors des offices, chanter
la messe trois fois par semaine: enfin,
ceux de la troisième classe renferment plus
de cinq moines qui, soumis à la vie com-
mune, ne chantent la messe que les
samedis et les dimanches.
Quant aux couvents qui ne rentrent
(n Voir Echos d'Orient, mars 1911,9. iioà 116.
(2) Les higouménes ou supérieurs des couvents
sont nommés directement par le patriarche dans
les premiers, par l'évêque ou le métropolite dans
les seconds.
dans aucune de ces catégories, l'évêque
du lieu peut les soumettre au règlement
qui lui plaît, mais non au règlement des
monastères paroissiaux qui n'ont qu'un
higoumène.
A la tête des couvents abandonnés
depuis plusieurs années, ni le patriarche
ni l'ordinaire ne peuvent nommer d'hi-
goumènes, ce serait un prétexte pour
s'en approprier les revenus; mais, sur
l'avis conforme du saint synode et du
Conseil mixte, l'évêque du lieu ou du voi-
sinage nommera une Commission qui
répartira les revenus entre les établisse-
ments nationaux qui se trouvent dans la
gêne. Dans le même but, le Phanar s'effor-
cera de retirer annuellement lo % des
recettes perçues par les monastères pos-
sesseurs de vastes propriétés, comme
ceux de Moldavie et de Valachie.
Les couvents du mont Athos, qui
forment une catégorie à part et sont auto-
despotes, ne peuvent rien changer à leur
organisation générale et à leurs relations
avec le Phanar. Affranchis de toutes les
redevances particulières, ils fourniront
annuellement au trésor patriarcal la somme
de 4 oooflorins autrichiens, soit9 800 francs
de notre monnaie.
Par des règlements spéciaux, les moines
(i) MiGNE, p. G., t. CXXVI, n* 23, col. 1229.
l62
ECHOS D ORIENT
fixent l'emploi de leur temps, le procédé
à suivre pour l'élection et le remplacement
des higoumènes, l'emploi des ressources
et la vérification des comptes de ces divers
établissements.
VI. Le clergé paroissial.
Laissant maintenant de côté les métro-
polites et les moines, il est intéressant de
rechercher quelle est la situation qui est
faite aux prêtres des paroisses.
Arrivé à l'âge prescrit par les règles
canoniques, muni d'un certificat de bonne
conduite signé des notables de son village,
pourvu d'un diplôme de fin d'études qui
lui est délivré à sa sortie d'une école ecclé-
siastique ou d'une école secondaire dite
hellénique, à défaut de ce témoignage,
pouvant subir des examens sur les sciences
sacrées devant une Commission désignée
à cet effet par le patriarche, le candidat à
l'ordination, avant d'être promu aux
ordres, doit attendre la vacance d'une
paroisse et sa désignation à ce poste pro-
posée par les notables et acceptée par le
chef spirituel de la Grande Eglise.
Assez sommaire pour les candidats aux
ordres inférieurs, l'examen que subissent
les clercs avant leur ordination porte sur
un programme plus étendu quand ils
aspirent à la prêtrise et quand ils doivent
encore exercer les fonctions délicates de
confesseur. Ceci figure dans le pro-
gramme; en réalité, sauf exception pour
quelques prêtres des villes, le clergé parois-
sial marié — et c'est la presque totalité —
est d'une ignorance navrante.
Pour assurer des revenus au clergé
paroissial, le patriarche Joachim 111 a
fondé une Caisse centrale dite hiératique,
mise sous la garde constante de la Com-
mission dite ecclésiastique.
Son but immédiat est de soutenir les
prêtres et les diacres da ns la nécessité ; mais,
indirectement, elle a pour but aussi d'amé-
liorer la situation matérielle et morale du
clergé en réunissant les fonds requis
pour l'achat des livres pieux, la constitu-
tion des bibliothèques paroissiales, etc.
Il s'agit maintenant d'alimenter ce trésor
central. Les rtssoMxc&s régulières destinées
à l'approvisionner sont : a) les dépôts
mensuels des prêtres et des diacres dans
l'exercice de leurs fonctions, fixés d'après
le rang de la paroisse dans les cadres
patriarcaux; b) un droit perçu sur tout
clerc nouvellement ordonné à son entrée
dans une paroisse ou sur tout prêtre à son
transfert dans une autre paroisse; c) les
biens des prêtres et diacres de l'arche-
vêché mourant sans héritiers; d) tous les
apports supplémentaires que la Commis-
sion ecclésiastique et le patriarcat peuvent
imaginer.
Les ressourcesextraordinairessont: pies
peines pécuniaires infligées aux prêtres et
aux diacres coupables d'une faute quel-
conque; 2° les amendes que peut exiger
le protosyncelle (grand vicaire) pour les
patènes ou les objets sacrés du patriarcat
que l'on emporte sans permission; 3° les
cotisations extraordinaires des clercs et
les dons des fidèles.
Voici quelles sont les redevances men-
suelles du clergé paroissial au patriarcat.
Les paroisses du Phanar et de Péra donnent
2 % de leurs revenus, soit, en général, le
3 % de la solde mensuelle des diacres.
Les autres paroisses, à ce point de vue,
sont divisées en trois classes : celles de pre-
mière classe donnent 10 piastres par
mois (i) pour les curés et 6 piastres par
mois pour les confesseurs et les hebdo-
madiers; dans celles de deuxième classe,
les curés donnent 6 piastres, les autres
ecclésiastiques 4; dans celles de troisième
classe, les chefs donnent 4 piastres, les
confesseurs et les hebdomadiers 2.
Ces redevances sont obligatoires dans
l'archevêché, et aucun ecclésiastique n'a le
droit de s'en affranchir, sous peine d'être
dénoncé par la Commission financière à
la Commission ecclésiastique chargée de
le poursuivre.
La Caisse centrale qui reçoit tous ces
revenus a deux clés : la première est aux
(i) On sait que la piastre turque vaut un peu
plus de o fr. 20 de notre monnaie.
ORGANISATION DE L'ÉGLISE GRECQ.UE ORTHODOXE DE CONSTANTINOPLE 165
mains du proiosyncelîe (grand vicaire) ; la
seconde aux mains du trésorier perpétuel.
VII. La Commission financière.
Présidée par le protosyncelle, composée
d'un vice-président, du grand archidiacre,
de trois autres ecclésiastiques, dont un
diacre à la fois secrétaire et comptable, et
de trois autres membres laïques choisis
parmi les notables de la nation, cette Com-
mission élit son personnel dans la pre-
mière semaine de septembre et s'occupe
de la perception des ressources de la Caisse
centrale. Quand elle prête dans les graves
nécessités, elle ne livre jamais plus de la
moitié des revenus mensuels encaissés.
Avec l'autre moitié et avec les rapports
irréguliers, elle constitue peu à peu un
capital de réserve: chaque fois que l'en-
caisse dépasse lo livres turques (environ
230 francs de notre monnaie), on la verse
dans une caisse spéciale destinée à rece-
voir tous les dépôts similaires.
11 appartient à cette Commission de
faire un rapport annuel sur les clercs qui
ont besoin de secours pécuniaires, d'aug-
menter les revenus du trésor, de tenir à
jour les livres de compte, de réunir ses
membres deux fois la semaine ou plus
souvent, si c'est nécessaire, chez le pro-
tosyncelle, pour prendre des décisions à
la pluralité des voix, et de soumettre tous
ses projets, pour les faire valider, à la
Commission ecclésiastique. A la fin de
chaque année, en août, elle remettra tous
les comptes de l'année à cette dernière
Commission qui en consignera les résul-
tats dans un registre spécial.
VIII. La Commission ecclésiastique.
Composée d'ecclésiastiques, cette as-
semblée veille à l'observation des règles
liturgiques, à la bonne tenue des églises et
des chapelles, à la propreté des vases et
des linges sacrés ; elle surveille la con-
duite des clercs et inflige aux délinquants
des peines spirituelles et des amendes en
argent, examine les différends survenus
entre ecclésiastiques, choisit pour les
attacher au patriarcat 1« plus vertueux et
les plus instruits des prêtres et des moines,
nomme, dépose et transfère les diacres,
les hebdomadiers et les confesseurs.
C'est à elle qu'il appartient de faire
passer des examens aux candidats à l'or-
dination et, quand les prêtres viennent
d'un autre diocèse, d'examiner leurs pa-
piers d'ordination et de leur délivrer un
certificat, de faire passer tous les six mois
un examen aux futurs confesseurs, de
surveiller les prédicateurs et de faire un
rapport au patriarche sur la conduite des
prêtres ou des moines venus à Constan-
tinople pour n'importe quelle raison des
autres diocèses.
A elle aussi d'accueillir et d'examiner
les néophytes convertis à l'orthodoxie,
de revoir les livres de liturgie et de
piété (i), d'accepter ou de rejeter les ma-
nuscrits d'auteurs soumis à lexamen du
Phanar, et dans le cas où les ouvragés
sont agréés, d'exiger de l'auteur un
exemplaire du livre imprimé à ses frais
et portant le sceau de la Commission à
toutes les pages, de prévenir les fidèles
des erreurs contenues dans les livres
imprimés sans sa permission et enfin de
distribuer, selon la volonté des éditeurs,
les ouvrages envoyés au patriarcat.
Du reste, l'auteur d'un livre examiné
a des obligations vis-à-vis de la Commis-
sion; il doit en céder un exemplaire à
chacun de ses membres, un exemplaire
au bibliothécaire de l'Ecole théologique
de Halki, un exemplaire au bibliothécaire
de la grande école de la nation et un autre
à celui de la bibliothèque patriarcale.
IX. — Statistique et conclusions.
La statistique suivante, faite à la fin de
l'année 1906, met en regard, avec l'indi-
cation du siège du diocèse, le nombre
d'églises, de monastères, de sanctuaires
et de prêtres qui se trouvent dans les dio-
cèses relevant du patriarcat œcuménique
de Constantinople.
(i) Les livres de théologie proprement dite sont
examinés par une Commission spéciale.
i64
ÉCHOS d'orient
MÉTROPOLES
RÉSIDENCES
ÉGLISES
MONASTÈRES
SANCTUAIKES
(UagliiaMiiata.
PRÊTRES
1. Constanlinople.
2. Césarée.
Césarée.
60
2
4
45
3. Éphèse.
Manissa.
—
—
4. Héraclée.
Rodosto.
—
—
—
5. Cyzique.
Artaki.
—
—
—
—
6. Nicomédie.
Ismidt.
76
—
27
73
7. Nicée.
Ghemlek.
25
2
20
40
8. Chalcédoine.
K.adi-Keuï.
—
—
—
9, Dercos.
Thérapia.
44
—
60
46
10. Thessalonique.
Salonique.
—
2
—
—
, II. Andrinople,
Andrinople.
68
—
—
ICI
12. Amasée.
Samsoun.
25o
—
5
280 à 3oo
i3. Janina.
Janina.
228
I
—
142
14. Brousse.
Brousse.
25
2
29
i5. Monasiir.
Monastir.
80
—
5
93
16. Néocésarée.
Ordou.
—
—
17. Iconium.
Nigdé.
—
—
18. Berrhœa.
Véria.
46
I
47
19. Pisidie.
Isbarta.
i3
I
I
8
• 20. Crète.
Candie.
—
i5
21. Trébizonde.
Trébizonde.
78
3
i3
102
22. Nicopolis.
Prévésa.
100
—
100
23. Philippopoli.
Plovdif.
27
—
63
24. Rhodes.
Métropolis.
7
I
—
1 12
25. Serrés.
Serrés
70
I
8
80
26. Drama.
Drama.
—
I
27. Smyrne.
Smyrne.
—
—
28. Mytilène.
Metelin.
—
—
—
29. Didymoteikhos.
Dimotika.
55
—
4
96
3o. Ancyre.
Angora.
7
—
—
. 10
3i. Philadelphie.
Alachéhir.
17
—
—
19
32. Melénik.
Melnik.
—
_
—
33. Ainos.
Dédé-Agatch.
19
2
I
21
34. Méthymna.
Achironi.
36
I
2
41
35. Korytza.
Korytza.
184
—
102
36. Mesembria.
Missivri.
—
I
—
37. Samos.
Vathy.
76
7
—
119
38. Bizya.
Vizia.
25
21
43
39. Anchialos.
Anchialos.
—
I
—
40. Varna.
Varna.
1 1
—
—
i3
41. Maronia.
Ghumuldjina.
—
—
—
42. Seiybria.
Silivri.
—
—
—
43. Sozoagathopolis.
Sozopolis.
9
—
—
10
44. Xanthé.
Iskidjé.
—
—
—
—
45. Ganos et Chora.
Chora.
—
—
46. Chio.
Castro.
—
3
—
47. Lemnos.
Lemnos.
—
—
48. Imbros.
Castro.
8
—
i5
49. Dyrrachium.
Durazzo.
—
—
—
—
5o. Scopia.
Uskub.
—
—
—
5i. Castoria.
Castoria.
482
—
__
192
52. Rascoprisrena.
Prizrend.
90
—
5
141
53. Bodéna.
Vodéna.
65
—
12
72
54. Belgrade.
Béralun.
io3
—
—
55. Strumnitza.
Stroumitza.
18
—
I
'7
56. Grévena.
Grévéna.
109
I
—
98
57. Sisanios.
Siatista.
—
—
—
ORGANISATION DE l'ÉGLISE GRECQ.UE ORTHODOXE DE CONSTANTINOPLE 165
MÉTROPOLES
RÉSIDENCES
ÉGLISES
MOXlSfEUS
SAKCTlilRES
(Ragbiasmata.)
PRÊTRES
58. Mogléna.
Florina.
26
32
3o
59. Presba.
Ochrida.
46
10
8
45
60. Debra.
Dibrai.
—
—
—
61. Cassandria.
Polygyro.
l32
—
i8
74
62. Chaldia.
Gumuch-Hané.
—
I
—
—
63. Elasson.
Elasson.
66
2
2
82
64. Proconèse.
Marmara.
22
—
21
28
65. Dryïnoupolis.
Argyrocastro.
170
4
—
i56
66. Cos.
Istan-Keuï.
16
—
—
20
67. Lilitza.
Orta-K.euï.
20
—
—
24
68. Carpathos.
Carpathos.
—
I
—
69. Serbia.
Servia.
84
I
2
66
70. Névrokop.
Névrokop.
5
—
—
5
71. Léros et Calymnos.
Léros.
70
—
—
39
72. Colonia.
K.ara-Hissar-Charki .
—
I
—
1
73. Eleuihéropolis.
Pravichla.
—
—
—
—
74. Paramythia.
Paramythia.
58o
2
—
102
75. Bella.
Vella.
—
2
—
—
76. Hélioupolis.
Aïdin.
41
—
—
55
77. Callioupolis.
Gallipoli.
3o
—
10
40
78. Rhodopolis.
Livéria.
—
—
—
—
79. Kréné.
Tchesmé.
41
—
—
70
80. Quarante-Églises.
Kir-Kilissé.
—
—
81. Tyroloé.
Tchorlou.
—
—
—
- =
Au total, cela nous fait, pour les dio-
cèses dont nous possédons les statis-
tiques complètes, 72 monastères patriar-
caux (i) dont les higoumènes sont
nommés directement par le patriarche,
^ 807 églises, 282 hagbiasmata ou fon-
taines sacrées (2) et une population de
3 107 prêtres. Les éléments de la statis-
tique précédente nous permettent d'éta-
blir les quatre points suivants :
10 // n'y a pas proportion entre l'im-
portance des diocèses et Je nombre des mo-
nastères patriarcaux qui y sont entretenus.
Ainsi, on compte 15 monastères dans
l'île de Crète, 7 dans celle de Samos,
(i) On les appelle stavropégiaques, parce que le
patriarche œcuménique en prend en quelque
sorte possession en enfonçant une croix dans le
sol à la pose de la première pierre (<TTaypôv
-TtTiYvjfjLi = j'enfonce une croix); les autres sont
Ivopiaxal =■ paroissiaux.
(2) L'haghiasma (to i^fa^fia) est une fontaine très
fréquentée, dont l'eau est censée avoir des vertus
curatives et prés de laquelle la piété populaire
entretient une veilleuse bien abritée.
6 dans les îles des Princes, 4 dans le dio-
cèse de Dryinoupolis, alors qu'on n'en
trouve que 2 dans celui de Césarée,
I dans celui de Janina, i dans celui de
Drama et i dans celui d'Anchialos.
Notons aussi que, sur 81 diocèses, 27 seu-
lement ont des monastères patriarcaux
et qu'à ce nombre il faut ajouter les trois
qui se trouvent dans l'évêché de Kitros
et celui de l'île de Patmos.
2° // n'y a pas toujours proportion entre
le nombre des églises des divers diocèses et
le nombre des prêtres qui les desservent.
En effet, le nombre minimum des églises
est dans les diocèses de Névrocop, d'Im-
bros, de Sozoagathopolis, de Rhodes et
de Léros et Calymnos, respectivement de
5, 8, q, 7 et 7; d'autre part, le nombre
maximum des églises est, dans les dio-
cèses d'Amasée, de Janina, de Castoria,
de Paramythia et de Koritza, respective-
ment de 250, 228, 482, 580 et 184. Or,
si, à Névrocop et à Sozoagathopolis, au
minimum de 5 et de 9 églises correspond
i66
ÉCHOS d'orient
le minimum de 5 et de 10 prêtres, par
contre, à Léros et à Calymnos, il y a
39 prêtres pour 7 églises. De même, si,
au maximum de 250 églises, correspond
àAmaséelechiffre;;m:vî/;mwde28oprêtres,
par contre, il y a dans les diocèses de
Castoria et de Paramythia respectivement
192 et 102 prêtres pour 482 et 580 églises.
Ces exemples qu'on pourrait multiplier
accusent une réelle disproportion.
30 // n'y a pas toujours proportion entre
le chiffre des émoluments des divers métro-
polites et le nombre des églises et des prêtres
des diocèses (i).
Ainsi les titulaires d'Amasée, de
Janina, de Castoria, de Rhodes, de Dercos
reçoivent respectivement: 83 000, 89 500,
52000, 52500 et 82500 piastres. En
divisant successivement chacun de ces
nombres par le nombre des églises et
le nombre des prêtres de l'éparchie, nous
avons les rapports suivants: Amasée a
83 000 piastres pour 280 églises et
300 prêtres, Janina 89 500 piastres pour
228 églises et 142 prêtres, Castoria
52000 piastres pour 482 églises et
192 prêtres, Rhodes 52 500 piastres pour
7 églises et 112 prêtres, Dercos 82500
piastres pour 44 églises et 46 prêtres.
Qui ne voit l'anomalie? Dans l'ordre
décroissant du nombre des églises, nous
avons Castoria, Amasée, Janina, Dercos,
Rhodes; dans l'ordre décroissant du
nombre des prêtres, nous obtenons :
Amasée, Castoria, Janina, Rhodes, Der-
cos; enfin, dans l'ordre décroissant du
montant des rétributions des évêques,
nous avons : Janina, Amasée, Dercos,
(i) On sait que les églises des diocèses et, con-
séquemment, les fidèles sont chargés de fournir
aux évêques des appointements suffisants. D'où
cette relation toute naturelle : plus le diocèse a
d'églises et de prêtres, plus les émoluments du
métropolite peuvent être développés.
Rhodes, Castoria. Le métropolite de Dercos,
plus rapproché du Phanar, semble plus
favorisé au point de vue financier.
4° Les haghiasmata sont très diversement
répartis : des métropoles peu importantes,
commeGallipoli, Vodénaet Proconèse, en
ont jusqu'à 10, 12 et 21, tandis que
d'autres, de plus d'étendue, comme
celles de Césarée et de Monastir, n'en
ont que 4 et 5, et que celles d'Andri-
nople et de Janina n'en ont aucun.
A ces anomalies que font ressortir les
rapprochements des chiffres, qu'on ajoute
une série d'irrégularités: le patriarche
maintenant au saint synode les conseil-
lers qui, leur stage fini, devraient rentrer
dans leurs diocèses (1); le saint synode
s'arrogeant un jour le pouvoir de dépla-
cer sans raison un métropolite malgré la
volonté de ce dernier; les conseillers de
la Corne d'Or réclamant l'héritage inté-
gral d'un ancien moine de Chio, expulsé
de son monastère, qui, d'ailleurs, laisse
des héritiers naturels; les membres du
Conseil mixte souvent en conflit avec les
synodiques pour les limites de leurs attri-
butions respectives, très fréquemment,
des métropolites sans mission intriguant
dans la capitale auprès du Phanar : autant
de dérogations aux prescriptions cano-
niques qui montrent, par leur retour
périodique, que tout n'est pas harmonieu-
sement concerté dans cette Eglise sans
hiérarchie sérieusement constituée, corps
d'une puissante ossature, mais qui, en
réalité, n'a pas de tête.
E. MONTMASSON.
(i) Par exemple, les métropolites de Cyzique et
de Nicomédie, grands soutiens de Joachim 111,
devaient rentrer dans leurs diocèses en 1909;
le patriarche les a gardés au Phanar malgré les
protestations.
LE DIVORCE D'APRÈS L'ÉGLISE CATHOLIQUE
ET L'ÉGLISE ORTHODOXE
Nous étonnerions plus d'un lecteur
d'Occident ou d'Orient si nous lui disions
que la plupart des manuels ou diction-
naires de théologie ou de droit ecclésias-
tique qu'il a sous la main ne donnent
pas un exposé assez exact de cette fameuse
question, l'une des plus importantes
parmi celles qui divisent les deux Grandes
Eglises. Les auteurs se contentent ordi-
nairement d'affirmer, d'une part, que
l'Eglise orthodoxe admet le divorce à viu-
ciilo et que l'Eglise catholique le condamne ;
de l'autre, que le nœud du litige entre
orthodoxes et catholiques au sujet du
divorce consiste à savoir si, d'après
l'Evangile et la tradition, l'adultère est ou
n'est pas un motif légitime de divorce (i).
Or, que cet exposé ne soit pas assez
exact, c'est ce que nous nous proposons
de montrer rapidement dans le présent
travailque nous diviserons en deux parties.
Dans la première, nous signalerons l'ac-
cord et la divergence entre les deux Eglises
touchant la doctrine du divorce à vincido
et les motifs qui la justifient; dans la
seconde, nous rappellerons ce que l'Eglise
orthodoxe enseigne au sujet de ce
divorce (2).
(1) Les auteurs orthodoxes eux-mêmes favorisent
cette manière inexacte de parler. Tels, par exemple,
MÉTROPHANE Critopollos dans sa Confession de
foi, p. 149 (KiMMEL, Librisymbolici ecclesiœ orien-
taiis, léna 1848; Gass, Symbolik des griechischen
Kirche, Berlin, 1872, p. 290-291); Androutsos, Aoy-
(laTf/.T, ôp6o6ô?oy àvaTO/.;y.f,; £/.x).r,(T;aç, Athènes,
1907, p. 400; Aoy.';[x;ov o-y[x,6oXtxr,;, Athènes, 1901,
p. 333; Sakellaropoulos, 'ExxXr.fftadTi/.bv Sîxa-.ov,
Athènes, 1898, p. 540. Dans sa SyiiêoXsxr,, M. An-
droutsos, après avoir dit sans restriction que
l'Eglise d'Occident n'admet pas le divorce à vin-
culo, ajoute qu'elle autorise le divorce temporaire
à thoro et mensa et ne prononce le divorce à vin-
culo qu'au cas de nullité, surtout en faveur des
têtes couronnées. Ces méprises regrettables
dénotent chez l'auteur une connaissance insuffi-
sante du droit occidental concernant le mariage.
(2) Nous ne dirons rien du divorce à thoro et
habitatione {vel mensa). Ce divorce est temporaire
I. Accord et divergence entre les deux
Eglises touchant la doctrine du divorce
a vinculo.
Bien que l'Eglise romaine ne pense pas
pouvoir accorder le divorce à vinculo, s'il
s'agit du mariage consommé des chré-
tiens, elle se croit pourtant autorisée, en
raison d'une épikie légitime que la tradi-
tion ne contredit pas, à considérer (i)
comme dissous à vinculo, en vertu du
droit divin positif, implicite, le mariage
non encore consommé des époux qui
émettent la profession solennelle de reli-
gion (2). C'est encore en raison de la
même épikie, et cette fois en vertu du
droit simplement ecclésiastique, qu'elle
estime avoir reçu du Christ le privilège
d'octroyer pour une raison grave et
juste (2) la dispense du mariage conclu et
non consommé.
Jusqu'ici les deux Eglises sont d'ac-
cord (3); elles s'accordent aussi, en partie
du moins, pour accepter les clauses du
droit romain qui autorisait le divorce à
vinculo par consentement mutuel ou tout
autre motif grave (4). Chose curieuse et
chez les orthodoxes (trois, six, neuf mois ou plus),
et n'est que le prélude du divorce à vinculo.
TheotOKas, NojjioXoYÎa "oC oîxoup.e'vtxoCraTp'.apyît'o-j,
Constantinople, 1897, p. 284 en note; Milasch, Dos
Kirchenrecht der morgenlaendischen Kirche,
p. 640, note 2; Sakellaropoulos, op. cit., p. 55o.
(i) L'Eglise, en ce cas, n'accorde pas, mais cons-
tate la dispense accordée par le droit divin.
(2) Le mariage même consommé des païens
convertis qui, servatis servandis, usent du privi-
lège de la foi promulgué par saint Paul, est assi-
milé au mariage ratum et non consummatum des
fidèles nés de parents chrétiens ou mariés après
leur baptême.
(3) Nous allons voir en effet que pour les ortho-
doxes le motif du divorce à vinculo du mariage
consommé ou seulement conclu est toute raison
grave et juste.
(4) La première clause n'est conservée par les deux
Eglises que pour l'entrée en religion. Quant à la
seconde, l'Orient et l'Occident chrétiens s'entendent
pour la maintenir en ce qui concerne le mariage
i68
ÉCHOS d'orient
digne de remarque, c'est qu'au sujet de la
seconde clause du droit romain, les motifs
du divorce à vinculo du mariage non con-
sommé sont en droit et en fait, dans l'en-
semble, les mêmes dans le droit catho-
lique que les motifs signalés par le droit
orthodoxe pour le divorce consommé ou
non ( I ), L'accord peut aller même plus loin ,
car l'une et l'autre Eglise sont autorisées
à concéder le divorce à vinculo du mariage
consommé, lorsque les conjoints l'ont
consommé dans l'infidélité. Des auteurs
appelés magni nominis par Benoît XIV
conclu et non consommé et peuvent s'entendre
également s'il s'agit du divorce à vinculo du
mariage consommé dans l'infidélité.
(i) Dés là, en effet, que, sans tenir compte des
enfants dans l'appréciation des motifs, le motif
général de la raison grave et Juste justifiant le
divorce à vinculo du mariage quel qu'il soit, con-
sommé ou non, est admis, ce qui est le cas pour
l'Eglise séparée, comme la seconde partie de notre
article l'établira en peu de mots, les motifs parti-
culiers de l'Eglise orthodoxe pour les deux divorces
à vinculo seront les mêmes que ceux de l'Eglise
catholique concernant le divorce à vinculo du
mariage ratum et non consummatum, sauf le cas
d'appréciation pratique parfois différent. En fait,
ni les documents officiels ni les ouvrages cano-
niques de l'Eglise grecque ne traitent expressément
la question spéciale des motifs du divorce à vin-
culo du mariage non consommé, très probablement
parce que la chose est jugée inutile ou que sans
doute, si l'on excepte le cas d'impuissance probable,
pareils cas doivent être excessivement rares, sinon
inexistants dans l'Eglise orientale. Mais si la ques-
tion était posée, vu que l'appréciation des motifs
de l'un et l'autre divorce est la même, la réponse
assimilerait sûrement l'ensemble des motifs des
deux divorces.
Notre droit ecclésiastique ne détermine en
détail ni la nature ni le nombre des motifs légi-
times du divorce à vinculo qu'il autorise, ce qui
explique le dissentiment des théologiens et des
canonistes, quand ils donnent des exemples de ce
divorce. Toutefois, l'énumération de plusieurs de
ces cas suffit à convaincre de l'identité générale
des motifs du divorce à vinculo dans les deux
droits. Ainsi les motifs les plus communément
allégués par nos auteurs sont : l'impuissance
sérieusement probable, le scandale, la stérilité
très probable, la différence de condition, une
maladie contagieuse, des froissements persistants,
une haine irréductible, un danger grave pour la
vie de l'un des conjoints, l'adultère, l'apostasie,
l'hérésie, etc. Lehmkuhl, Theologia moralis, t. II,
n° 703, fait observer que les Acta sanctœ Sedis et
le traité De impedimentis matrimonii de Feije
contiennent de nombreux cas {permulta exempta)
de divorce du mariage non consommé concédé
sous les pontificats de Pie IX et de Léon XIII, pour
l'un ou l'autre de ces motifs ou un motif analogue.
attribuent ce droit à l'Eglise. L'opinion de
ces docteurs, qui a pour elle l'autorité de
Grégoire Xlll et d'Urbain Vlll et qui cadre
fort bien avec la loi canonique de l'Eglise
orthodoxe concernant le motif général du
divorce à vinculo, est assez sérieuse pour
constituer un principe sûr de jurispru-
dence ecclésiastique (i).
Les deux concessions à la doctrine du
divorce à vinculo que nous venons de
signaler sont cependant les seules que
l'Eglise catholique ne juge pas incompa-
tibles avec l'enseignement du Christ. La
première ne lui est pas opposée, puisque
le contrat du mariage n'étant encore que
le jus ad rem, c'est-à-dire à l'union des
corps par l'acte de la génération, sa rési-
liation ne nuit pas au bien essentiel et
primordial de l'institution matrimoniale.
Quant au divorce du mariage consommé
dans l'infidélité, il a pour objet un ma-
riage achevé en dehors de la loi nouvelle
et pouvant dès lors bénéficier de la tolé-
rance accordée aux époux sous la loi
ancienne. En allant plus avant dans la
voie de la concession, l'Eglise grecque et
les autres Eglises orientales, loin de
réformer la législation romaine, comme
le prétend M&' Milasch (2), ont, au con-
traire, fait une entorse à la loi évangélique
en faveur de cette législation.
Quoi qu'il en soit, les lignes qui pré-
cèdent nous donnent le droit de dire que,,
s'il y a désaccord entre orthodoxes et
catholiques au sujet de la concession du
divorce à vinculo, il existe néanmoins entre
eux, sur plusieurs points importants, un.
accord frappant sur lequel théologiens
et canonistes n'attirent généralement pas:
l'attention.
IL Ce Q.UE l'Église grecque enseigne
AU sujet des motifs du divorce a VINCULO.
La lecture des ouvrages canoniques ou^
théologiques des Latins et des Grecs
(i) Ballerini-Palmieri, Opus theologicum mo-
rale, Prati, 1892-1894, t. VI, p. 336-347.
(2) C'est-à-dire en admettant qu'une raison
grave et juste peut légitimer aussi bien le divorce
LE DIVORCE D APRES L EGLISE CATHOLIQ.UE ET L EGLISE ORTHODOXE
169
laisse ordinairement l'impression que,
aux yeux de l'Eglise séparée, l'adultère
est le motif unique ou fondamental du di-
vorce à vincido du mariage consommé (ou
non) des chrétiens. Que l'adultère ait été
le motif occasionnel et comme le point de
départ de la concession du divorce en
question, nousl'accordons volontiers. Mais
une fois ce motif reconnu comme légi-
time, les empereurs ( i ) et l'Eglise d'Orient
eurent vite fait d'interpréter l'Evangile et
de déclarer que, par analogie, tout acte
aussi grave que l'adultère est un motif
suffisant de divorce, d'où il résulte que,
dans le texte de saint Matthieu (2),
l'adultère est allégué, non comme motif
exclusif, mais comme exemple, et que, au
fond, le principe sur lequel l'Eglise
grecque s'appuie pour prononcer le divorce
est ce principe mis en avant par l'Eglise
romaine pour dissoudre le mariage sim-
plement conclu : Le lien du mariage peut
être rompu pour toute raison grave et
juste (3). Ce principe est formellement
admis par les canonistes grecs depuis
Justinien (4).
du mariage consommé que celui du mariage
ratum et non consommatum.
(i) Principalement: Justinien, novelle 117, Cor-
pus juris civilis, édit. Lud. Beck. Leipzig, iSSj,
t. II, cap. VIII, IX, X, XI, XII, p. 232-235; Basile I",
Basilicorum libri LX, t. III, I. XXVIII, n° i, m, iv.
Leipzig, 1843; LÉON le Sage, novelle 20. (Harme-
NOPOLLos, Hexabiblos, éd. Heimbach, Leipzig,
i85i, p. 577-580.)
(2) XIX, 9 et V, 32.
(3) Ka-rà aù-ix'i £-j).o"'ov. Cette expression est celle
du droit et des canonistes grecs.
(4) Zhishman, Bas Eherecht der orientalischen
Kirche. Vienne, 1864, p. 119. Pour s'en assurer, il
suffit de consulter, outre les nomocanons qui
répètent les lois impériales, Balsamon, Rhalli et
PoTLi, dans SyvTàyîia twv ôsî'Ôv xal îcpôiv
y. avôvwv, Athènes, 1854, t. II, p. 8; t. IV, p. i23;
Zonaras, ibid., t. II, p. 5o6; Blastarès, ibid.,
t. VI. p. 175-179; Theotokas, op. cit., p. 249-290,
passim; Milasch, op. cit., p. 5o6; Sakellaropou-
LOS, op. cit., p. 539-540; ChRISTODOULOU, AoX![1.;OV
èy.x>.r,(Tta<r Tfxoû Scxaiov». Constantinople, 1896,
p. 444, etc.
A noter ici que, sans doute, il est tenu compte
du sort à faire aux enfants après le divorce, mais
on ne voit nulle part que celte préoccupation
entre en ligne de compte chez les canonistes ou
les théologiens grecs dans leur appréciation des
motifs du divorce du mariage consommé. Cette
observation a son importance : il ne pourrait être
Selon ce principe, des motifs plus ou
moins nombreux peuvent être proposés
à titre d'exemples, mais aucune liste de
ces motifs n'est exhaustive, aucun prin-
cipe n'étant épuisé par les applications, si
nombreuses soient-elles, que l'on en
déduit (i).
11 n'est donc nullement surprenant que
les auteurs orthodoxes ou autres qui
traitent la question ne s'accordent pas au
sujet de l'énumération des causes légi-
times de divorce à vinculo (2). L'énumé-
ration la plus complète que l'on puisse
en donner comprend les cas que voici :
i» L'adultère; 2'' l'attentat à la vie du con-
joint; 30 l'avortement volontaire; 4° la
sodomie; 5° l'accusation fausse d'adul-
tère; 6" l'apostasie; 7° l'hérésie; 8» le
question en effet de voir une différence entre les
motifs du divorce de l'un et de l'autre mariage
que si cette préoccupation existait en fait.
(i) A l'exemple de Justinien et de Basile I", Bal-
samon, Zonaras, Aristène, les nomocanons grecs
et la Kormtchaïa slave affirment que le mariage
ne peut être dissous que pour les motifs suivants :
1° Un crime qui mérite la mort; 2* un fait équi-
valent à la mort naturelle; 3* l'adultère ou le
soupçon d'adultère; 4* le défaut d'une condition
essentielle du mariage; 5° l'entrée en religion;
6* l'attentat à la vie du conjoint; 7' la tentation
d'adultère provenant du mari; 8' l'accusation
fausse d'adultère; 9* l'impuissance; 10° la captivité.
Mais ces canonistes supposent et les canonistes
modernes admettent formellement, à la suite de
Léon le Sage, Harmenopoulos, op. cit., ibid., que
d'autres motifs sont assimilables à l'un ou à
l'autre des motifs indiqués. Milasch, op. cit.,
p. 629, réduit même tous les motifs à la mort
(naturelle, morale, religieuse), ce qui revient en
somme à légitimer le principe énoncé plus haut
que tout motif grave permet à l'Eglise de pro-
noncer la dissolution du lien matrimonial.
(2) Pour Sakellaropoulos, op. cit., p. 540-548,
les motifs de divorce sont au nombre de neuf.
Vering, Lehrbuch des katholischen, orientalischen
und protestantischen Kirchenrechts, p. 940-942,
en énumère quatorze. Christodoulou, op. cit.,
p. 444-446, en compte douze. Selon Zhishman, op.
cit., p. 119, ces motifs atteignent le même nombre.
Enfin, Theotokas, op. cit., p. 249-280, dresse une
liste de quinze motifs de divorce. Les codes reli-
gieux ou statuts nomocanoniques des divers Etats
orthodoxes ne s'entendent pas davantage sur le
nombre des causes du divorce à vinculo. Ainsi
le code hellénique en admet neuf et le code russe
n'en reconnaît actuellement que six. (Voir pour la
Grèce l'ouvrage de Sakellaropoulos, ibid., et pour
la Russie dans la Revue Augustinienne, l'article
intitulé : La vie chrétienne en Russie. Mariage
mixte et divorce, d'E. Evrard, t. VI, p. 379-383.)
17©
ECHOS D ORIENT
schisme de l'un des époux, s'il prête à
scandale; 9» l'acte de tenir son enfant
sur les fonts baptismaux; io« l'accepta-
tion de l'épiscopat; ii» l'entrée en reli-
gion; i2<» le crime de haute trahison;
130 la disparition moralement certaine de
l'un des conjoints; 14'' le délaissement
coupable d'un époux par l'autre; ly l'im-
puissance; 160 la folie; 17" la lèpre ou
toute autre maladie contagieuse; 18» la
captivité; 190 la condamnation à la pri-
son perpétuelle ou de longue durée ;
200 la condamnation à une peine infa-
mante; 21» l'antipathie irréductible (i);
22» la défloration de la femme antérieure
au mariage.
Cette courte étude nous suggère natu-
rellement la réflexion qu'avant d'entre-
prendre la critique ou même simplement
l'énoncé de la doctrine d'une Eglise,
grande ou petite, les écrivains feraient
bien, pour éviter les méprises, de con-
sulter et d'étudier mûrement les auteurs
compétents qui ont exposé cette doc-
trine. A, Catoire,
Constantinople.
STATUTS DE UEXARCHAT BULGARE
SECONDE PARTIE
JURIDICTION ADMINISTRATIVE ET JUDI-
CIAIRE DES AUTORITÉS ECCLÉSIAS-
TiaUES
CHAPITRE PREMIER
juridiction du saint synode
Art. 100. — En sa qualité d'autorité spi-
rituelle souveraine dans le territoire de
l'exarchat, le saint synode veille aux points
suivants :
lo Que la doctrine de la sainte Eglise
orthodoxe conserve sa pureté et son inté-
grité;
2° Que les rubriques de la sainte Eglise
orthodoxe touchant la célébration de l'of-
fice divin soient suivies exactement;
3° Que les évéques et tous les ministres
de l'Eglise s'acquittent fidèlement de leurs
obligations;
4" Que l'on prêche au peuple la parole de
Dieu sans récriminer contre l'organisation
et les lois de l'Etat;
(1) Voir Echos d'Orient, nov. 1910, p. 35i-355,
janv. 191 1, p. 2024.
5° Que tous les clercs montrent la sou-
mission et la docilité voulues envers leur
supérieur, et que celui-ci les traite avec
bienveillance;
6^ Que l'on fasse les efforts nécessaires
pour construire des églises et des chapelles
là où il en est besoin;
7° Que l'on observe la décence dans les
églises et que l'on y garde le bon ordre;
8° Que dans toutes les églises et tous les
monastères les ornements sacerdotaux
aient une coupe uniforme;
9° Il doit veiller à la prospérité matérielle
et spirituelle des monastères et donner dans
ce but les ordres qu'il juge nécessaires;
10" Il a le droit d'imprimer les livres
liturgiques en profitant, au besoin, de l'al-
(i) MiLASCH, op. cit., p. 638, n. 19, et Uner-
windliche Abneigung als Ehetrennungsgrund.
Vienne, 1905, passim, proteste contre le code
austro-hongrois qui impose le divorce aux ortho-
doxes pour ce motif. Il avoue toutefois qu'une
décision synodale du patriarcat de Constantinople
(i3i5) et l'usage actuel du patriarcat de Carlowitz
peuvent servir de prétexte à cette jurisprudence.
Il aurait pu ajouter que de nos jours encore le
patriarcat de Constantinople accepte ce motif,
bien que, d'après Théotokas, op. cit., p. 256, en
note, le nomocanon ne contienne pas de principe
explicite qui justifie l'acceptation de cette cause de
divorce.
STATUTS DE L EXARCHAT BULGARE
171
location accordée par le ministère des
Cultes;
1 1" D'examiner préalablement et d'ap-
prouver les ouvrages d'instruction reli-
gieuse et, en général, les ouvrages de théo-
logie en usage dans les écoles orthodoxes;
la*' De recevoir des biens meubles et im-
meubles laissés à l'Eglise, soit par don,
soit par testament;
i3" De demander au clergé et aux moines
des subsides pour pouvoir faire imprimer
et répandre parmi le clergé et les fidèles
des publications et des livres d'instruction
religieuse et morale, pour soutenir des
boursiers dans les Séminaires, pour contri-
buer au développement et au perfectionne-
ment de la musique religieuse;
14- 11 prendra les mesures nécessaires
pour faire échouer les efforts des propagan-
distes hétérodoxes contre l'Eglise ortho-
doxe; en cas de nécessité, il demandera au
pouvoir civil la cessation du mal.
iS» 11 nommera les candidats à l'épis-
copat et les protosyncelles auprès des
métropolites ;
16° Il distribuera aux prêtres qui le
méritent les offices et les distinctions ecclé-
siastiques, soit directement, soit sur la
recommandation de l'autorité diocésaine
compétente;
17" Il prendra des dispositions pour que
le clergé, soit séculier, soit régulier, soit vêtu
d'une manière uniforme, modeste et digne;
iS-^ Il prendra soin que les prêtres et les
moines n'errent pas sans travail et qu'ils
ne se livrent pas à des métiers interdits par
les canons ecclésiastiques;
190 II a le devoir de susciter de lui-même
ou par les autorités diocésaines des pour-
suites contre les coupables devant les tri-
bunaux ecclésiastiques;
20° Il examine et tranche en dernier res-
sort les plaintes qu'on lui adresse directe-
ment ou par voie d'appel dans les procès
d'ordre spirituel et s'il s'agit de divorce;
Remarque. — Quand le saint synode
trouve qu'un acte d'appel n'est pas sujfi-
samment instruit, il demande les rensei-
gnements complémentaires au Conseil du
diocèse compétent qui, en pareil cas, se
borne à fournir les renseignements de-
mandés sans se mêler désormais de donner
une solution au procès.
210 II nomme et renvoie les employés
et les domestiques de sa chancellerie.
Art. 10 1. — Les Séminaires du pays se
trouvent sous la direction du saint synode;
chacun possède un pensionnat. Leur
nombre ainsi que celui des pensionnaires
et le lieu où s'ouvriront ces Séminaires
seront fixés d'accord avec le ministère des
Cultes et par un règlement spécial.
Le saint synode arrête le programme et
le règlement de ces Séminaires; il nomme
et renvoie les recteurs, les professeurs et
les surveillants.
L'entretien des Séminaires et de leurs
pensionnats est fait au moyen de sommes
délivrées par le ministère des Cultes quand
elles sont réclamées et justifiées par qui de
droit.
Art. 102. — Les professeurs d'instruc-
tion religieuse sont nommés dans toutes
les autres institutions par le ministère de
l'Instruction publique, d'accord avec le
saint synode.
Art. io3. — Le saint synode a le droit
d'exécuter tout ce qui a été prévu pour lui
dans le présent règlement et. en outre,
dans diverses nécessités et occasions, de
prendre et d'appliquer des décisions ana-
logues en matière d'administration ecclé-
siastique.
Art. 104. — Pour tous les points énu-
mérés dans le chapitre précédent, l'exarque
ou son remplaçant ne peut rien décider et
rien appliquer sans l'avis des membres du
saint synode, et vice versa ces derniers ne
peuvent rien sans l'avis de l'exarque ou de
son remplaçant. Sous ces conditions, le
pouvoir exécutif appartient toujours à
l'exarque ou à son remplaçant.
CHAPITRE II
SÉANCES DU SAINT SYNODE
Art. io5. — Les séances du saint synode
sont régulières quand elles ont lieu sous la
présidence de l'exarque ou de son repré-
sentant, en présence au moins de deux
membres.
Art. 106. — Les décisions du saint
synode sont prises à l'unanimité ou à la
pluralité des voix. Au cas où les votes se
balanceraient, l'avis pour lequel le prési-
dent a donné sa voix prédomine.
Art. 107. — Dans les séances du saint
synode, les membres se placent par rang
d'ancienneté ; celle-ci se compte à partir du
172
ECHOS D ORIENT
jour OÙ les synodiques ont été élevés à la
dignité métropolitaine.
Remarque. — Ofi garde le même ordre à
l'église; pour les e'vêgues, l'ancienneté est
déterminée parladate de leur consécration.
Art. io8. — Le président du saint sy-
node ouvre et ferme les séances; il les
dirige poliment et sans partialité et veille à
ce que l'on garde sa dignité pendant les
délibérations.
Art. 109. — Les membres du saint
synode doivent se comporter avec respect
à l'égard du président ainsi qu'entre eux;
ils ne doivent pas non plus oublier leurs
obligations en tant que synodiques.
Art. iio. — Quand un synodique en
vient, dans une séance, à manquer aux
convenances ou que, sans motif plausible,
il se détourne de ses obligations, le prési-
dent lui adresse des observations en parti-
culier et, si c'est insuffisant, il propose lui-
même au saint synode de lui infliger une
pénitence.
Art. III. — Si l'exarque, en tant que
président du saint synode, viole les articles
104 et 108 ou les statuts en général, les
membres du saint synode, après quelques
remarques respectueuses, prient le ministre
des Cultes d'user de son influence pour
l'amener à résipiscence; en cas d'insuccès,
ils prennent, d'accord avec le ministre
des Cultes, des mesures pour le destituer.
Dans le cas où le remplaçant de
l'exarque tiendrait la même conduite, les
synodiques lui feraient les observations
nécessaires; s'il n'en profitait pas, ils en
référeraient à l'exarque qui les lui renou-
vellerait; si alors il ne se corrigeait pas,
on procéderait à son changement.
Art. 112. — Pour chaque séance on
rédige un procès-verbal, lequel, une fois
approuvé, est inscrit dans le registre des
procès-verbaux et doit porter la signature
du président et celle de tous les membres
qui ont pris part à la séance.
Les copies des actes synodaux sont léga-
lisées par la signature du secrétaire du
synode et par l'imposition du sceau sy-
nodal.
CHAPITRE III
entretien du saint synode
Art. i 1 3 — Les dépenses du saint synode
sont les suivantes :
1° Traitement annuel des membres du
saint synode;
2° Frais de chancellerie ;
3° Traitement des employés et des domes-
tiques de la chancellerie ;
4° Chauffage et éclairage ;
50 Achat de livres pour la bibliothèque;
6° Dépenses extraordinaires.
Art. 1 14. — Toutes ces dépenses sont
couvertes par les sommes que verse le
gouvernement à la caisse de l'exarchat
pour tous les mariages de la principauté
contractés pendant l'année (art. 192).
CHAPITRE IV
JURIDICTION DES ÉVÊQUES
Art. I i5. — Les évéques ont les droits et
les devoirs suivants :
1° En raison de la charge épiscopale, ils
doivent être par leurs paroles et par leurs
actes les maîtres et les guides du clergé et
du peuple, se comportant envers tous avec
la dignité convenable et avec un amour
paternel ;
2° Ils doivent garder et défendre la foi-
de leur troupeau ;
3° Veiller à ce que les cérémonies se fassent
suivant les rubriques et à ce que, dans les
églises et les monastères, régnent la décence
et la pompe voulues;
4" Veiller à ce que, dans les églises, on
suive la règle prescrite pour les offices de
chaque jour et à ce que la messe soit
célébrée les dimanches et les jours de fête;
5" Qu'ils instruisent et prêchent souvent
dans les églises le clergé et les fidèles de
leurs diocèses, afin que la paix et la charité
régnent entre eux et qu'ils avancent dans
la piété et la pureté des mœurs;
6° Qu'ils conseillent la bienfaisance aux
fidèles et qu'ils les y encouragent, les
exhortant à faciliter par des souscriptions
l'ouverture d'orphelinats, d'hospices et
d'hôpitaux, ainsi qu'à soutenir les Sociétés
qui ont pour but de venir en aide aux
malades et aux pauvres ;
7° Ils ne doivent pas punir les clercs
avant la décision du Conseil diocésain,,
sauf dans des circonstances extraordinaires
où l'évêque peut infliger au délinquant
une suspense de quinze jours;
8° Ils doivent visiter, au moins une fois
par an, les principales villes de leurs dio-
STATUTS DE l'EXARCHAT BULGARE
173
cèses; quant aux villages, ils les visiteront
lorsqu'ils le pourront. L'exarque et les
membres du saint synode satisferont à ce
devoir de la visite pastorale par l'intermé-
diaire des évêques qui seront nommés leurs
remplaçants;
9' Tous les deux ans, ils présenteront au
saint synode un rapport sur l'état des
églises, la situation morale des fidèles et
la conduite du clergé de leurs diocèses;
10" Ils veilleront à faire construire des
églises et des chapelles là où elles sont
nécessaires ; leur autorisation est néces-
saire pour les bâtir;
I r' lis consacreront les nouvelles églises;
12" Soit dans le clergé séculier, soit dans
le clergé régulier, qu'ils n'ordonnent prêtres
que des sujets pieux et recommandables;
i3" Ils veilleront à ce que les églises
soient fournies des livres et des ornements
nécessaires, et à ce qu'on en prenne soin;
i4'^' Au besoin, ils formeront un tribunal
ecclésiastique pour la poursuite des clercs
coupables, qu'ils suspendront de leurs
fonctions jusqu'à ce que le Conseil diocé-
sain se soit prononcé;
i5" Ils nommeront leurs remplaçants et
les higoumènes (art. 98), ainsi que les
aum.ôniers des hôpitaux et des prisons;
16'' Ils prendront des hommes expéri-
mentés, soit dans leur Conseil, soit ailleurs
et les enverront avec mission d'instruire
diverses affaires dans leurs diocèses et de
voir dans quel état se trouvent les églises,
les chapelles et les monastères;
17° Quand ils le jugeront à propos, ils
convoqueront les prêtres pour examiner
avec eux diverses questions concernant le
progrès moral du clergé et l'éducation reli-
gieuse des fidèles et pour se concerter sur les
mesures à prendre contre l'extension et le
développement de certaines doctrines con-
traires à l'Eglise orthodoxe;
18'^ Chaque année, au plus tard à la fin
du mois d'août, ils enverront au saint
synode la liste des paroisses et des prêtres;
19° Ils lui enverront aussi un relevé des
divorces survenus au cours de l'année.
20" Ils peuvent recevoir des biens,
meubles et immeubles laissés, soit par don,
soit par testament, et ils les emploieront
conformément à la volonté des donateurs
ou des testateurs.
21" Qu'ils accomplissent toutes les pres-
criptions de cette présente loi ecclésiastique,
ainsi que les dispositions prises par le saint
synode.
Art. 116. — Sans une autorisation préa-
lable du saint synode les évêques ne
peuvent aller à la capitale ni rendre une
visite aux fonctionnaires supérieurs; pen-
dant les vacances synodales, la permission
est demandée au métropolitain.
Les évêques ne peuvent sans l'autorisa-
tion de l'ordinaire se rendre dans un dio-
cèse voisin; s'ils le font, ils encourent
d'après les lois canoniques une grave res-
ponsabilité.
Art. 117. — Les évêques qui désirent
passer la frontière de la principauté doivent
en demander l'autorisation au ministre des
Cultes par le canal du saint synode.
Art. 118. — Auprès de chaque métropo-
lite se trouve un protosyncelle approuvé
par le saint synode et confirmé par le-
ministre des Cultes; il aide l'évêque à gou-
verner son diocèse, le remplace au besoin
et dépend directement de lui ; son traite-
ment est pris sur la mense épiscopale.
On choisit comme protosyncelles des
ecclésiastiques se trouvant déjà sur la liste
des candidats à l'épiscopat.
CHAPITRE V
juridiction du conseil DIOCÉSAIN
Art. 119. — Le Conseil diocésain a dans
son ressort :
1° Les différends entre ecclésiastiques;
2" Les plaintes réciproques des séculiers
et des clercs au sujet de l'exercice du culte ;
3° Les questions de parenté pour le
mariage ;
4° Les questions concernant les mariages
illégitimes;
5" Les questions concernant la rupture
des fiançailles et le divorce;
6" Les pénitences imposées par l'Eglise
aux divers coupables;
7° La collecte régulière et la distribution
des revenus ;
8° Le soin de veiller à ce que les Conseils
de Fabrique dressent le budget annuel et le
portent à leur connaissance et à leur appro-
bation ;
9" La revision des comptes des Conseils
de Fabrique, déjà vus par les Commissions ;
10" Il doit insister pour que les Conseils
de Fabrique ouvrent et entretiennent des
174
ÉCHOS d'orient
maisons, qui fourniront des cierges en cire
d'abeille pour les cérémonies religieuses
faites dans l'église ou hors de l'église;
II" Il poursuit devant les tribunaux
civils les Conseils de Fabrique ou quiconque
aurait abusé des revenus et des biens ecclé-
siastiques;
12'^ Il peut destituer les Conseils de
Fabrique qui ne remplissent pas leur charge
avec soin et avec conscience;
i3"^ En cas de nécessité, il permet aux
Conseils de Fabrique de dépenser des
sommes non prévues par leur budget;
14" Il veille à ce qu'aucun Conseil de
Fabrique ne commande ou n'achète des
images ou des ornements sans sa permis-
sion ou sans celle du vicaire épiscopal;
i5'^ 11 doit avoir la liste détaillée des
prêtres, paroisses, églises, chapelles et
monastères diocésains, de leurs biens
meubles et immeubles;
16" Il fera l'inventaire des biens meubles
et immeubles de la métropole ;
17" Il aidera l'évéque en tout, sauf en ce
qui lui est spécialement réservé par la pré-
sente loi et par les canons ecclésiastiques;
18" Il est chargé d'exécuter tous les
articles de cette loi.
Art. 120. — Le Conseil diocésain n'a pas
le droit d'instruire des procès qui sont déjà
présentés à la chancellerie des cantons
soumis à la juridiction des vicaires épisco-
paux, avant que ces procès n'aient été exa-
minés par ces derniers, sauf toutefois le cas
où il s'agirait de plaintes dirigées contre les
vicaires épiscopaux eux-mêmes.
Art. 121. — Pour tous ces points, l'évéque
ou son vicaire général n'a pas le droit de
décider et de faire quelque chose sans l'avis
du Conseil diocésain, et celui-ci sans l'as-
sentiment de l'évéque.
A ces conditions le pouvoir exécutif
appartient toujours à l'évéque ou à son
vicaire général.
CHAPITRE VI
SÉANCES ET CHANCELLERIE
DU CONSEIL DIOCÉSAIN
Art. 122. — Le Conseil diocésain tient
séance dans le palais métropolitain.
Art. 123. — L'ordre en est le même que
celui qui est établi dans les articles io5 à
1 12 pour les séances du saint synode.
Art. 124. — Le métropolite qui préside
doit se comporter avec politesse et sans
parti pris envers les autres membres; s'il
oublie ce qui est fixé à l'article 121, après
quelques observations respectueuses, on en
référera au saint synode.
Si c'est, au contraire, son remplaçant
qui vient à s'oublier, on lui adresse poli-
ment des observations, et, dans le cas où il
n'en tiendrait pas compte, on en réfère au
métropolite.
Art. 125. — Le Conseil a une caisse
placée sous la responsabilité d'un caissier
choisi parmi les membres; celui-ci est tenu
de présenter un garant. Le ministre des
Cultes fait vérifier par un reviseur les
comptes du Conseil.
Art. 126. — Chaque Conseil a sa chan-
cellerie, laquelle sert en même temps de
chancellerie à l'Ordinaire. Elle est com-
posée :
i" D'un premier secrétaire nommé par
l'évéque et approuvé par le saint synode;
2" D'un second secrétaire et d'un copiste,
lesquels doivent, autant que possible, être
diacres et servir aux cérémonies pontifi-
cales;
3° D'un ou de deux domestiques.
Remarque. — Le second secrétaire, le
copiste, le ou les domestiques sont nommés
par l'évéque.
Art. 127. — Toutes les lettres, pétitions
ou autres affaires qui sont du ressort du
Conseil sont adressées à l'évéque qui les
fait suivre.
Art. 128. — La chancellerie épiscopale
est ouverte chaque fois qu'il y a séance et
à des heures déterminées.
Art. 129. — Le premier secrétaire, avec
l'aide du second secrétaire et du copiste,
s'occupe des écritures et est responsable
des irrégularités et des vices de forme que
l'on pourrait découvrir dans les pièces.
Art. i3o. — Les citations et les avis au
sujet d'affaires qui doivent être examinées
par le Conseil se font au moyen d'imprimés
revêtus de la signature du premier secré-
taire.
CHAPITRE VII
POUVOIRS DES VICAIRES ÉPISCOPAUX
Art. i3i. — Les vicaires épiscopaux
doivent :
r Veiller à ce que la messe et les céré-
STATUTS DE L EXARCHAT BULGARE
Ï75
monies liturgiques soient célébrées dans
leurs districts suivant le cérémonial de
l'Eglise orthodoxe;
2<^ A ce que les prêtres s'acquittent con-
sciencieusement de leurs fonctions et se
conduisent comme l'exige leur état;
3'' A ce qu'ils suivent exactement les
ordres de l'autorité diocésaine;
40 Ils avertiront l'autorité diocésaine des
mouvements religieux qui risqueraient de
troubler la paix de l'Eglise dans les dis-
tricts;
5' Ils visiteront, au moins une fois par
an, les paroisses du vicariat pour se
rendre compte de plus près de la situation
des églises et de leurs prêtres, des Conseils
de Fabrique et des chrétiens; après quoi ils
feront leur rapport à l'autorité diocésaine;
6' Ils s'emploieront à remplacer provi-
soirement les prêtres malades ou décédés
jusqu'à nouvelle disposition de l'Ordinaire;
7- Ils réclameront les budgets des Con-
seils de Fabrique et les présenteront à
l'examen et à la ratification de l'Ordinaire;
8° Ils vérifieront chaque année les
comptes des Conseils de Fabrique et signa-
leront à l'Ordinaire toutes les irrégularités;
9'^ Ils régleront, de concert avec des
assesseurs, les pétitions soumises à l'auto-
rité ecclésiastique et mettront leurs soins
à la réconciliation des deux parties. En
cas d'insuccès, ils les enverront à l'Ordi-
naire; ils ne se mêleront pas des questions
concernant les mariages illégitimes, pas
plus que des querelles survenues entre des
prêtres et leurs fidèles au sujet des cérémo-
nies liturgiques;
10° Ils distribueront les actes de bap-
tême, les permis de mariage qu'ils rece-
vront de l'autorité diocésaine, au prix fixé
dans l'article 134;
ir' Chaque mois, ils présenteront à l'au-
torité les comptes des recettes et des dé-
penses de leur vicariat;
12'^ Ils feront l'inventaire des objets du
vicariat et ils en enverront une copie à
l'évêque.
CHAPITRE VIII
SÉANCES
ET CHANCELLERIE DES VICARIATS ÉPISCOPAUX
Art. i32. — Quand il y a dans le vica-
riat des affaires à régler (art. i3i, n" 9), le
vicaire convoque au moins deux prêtres
de la ville ou des villages comme asses-
seurs. Pour chaque séance, on rédige un
procès-verbal signé par tous les membres.
Art. i33. — Dans tous les vicariats, il y
a une chancellerie, composée d'un secré-
taire et d'un employé nommés par le
métropolite sur la présentation du vicaire
épiscopal.
CHAPITRE IX
RECETTES
ET DÉPENSES DES CONSEILS DIOCÉSAINS
Art. 134. — Les recettes sont:
1° Permis de mariage, 12 francs;
2'^ Extrait de baptême, o fr. 20 ;
3*^ Certificat de permis de mariage,
0 fr. 20 ;
4° Acte de mariage pour les deux con-
joints, o fr. 5o chacun;
5** Lettre de divorce, de 10 à 100 francs;
6» Copie d'extraits de baptême pour les
personnes qui ne sont pas munies d'un
extrait imprimé, o fr. 20;
7° Copie d'un acte de baptême ou de ma-
riage, o fr. 20;
8" Copie d'un acte de divorce, 2 francs;
9° Frais de timbre pour chaque copie,
1 franc;
lo'' Amendes ecclésiastiques (déterminées
par le Conseil);
11° Taxes imposées aux copies des
procès- verbaux, décisions, etc.. suivant ce
que les tribunaux départementaux auront
établi.
Art. i35. — Les permis de mariage, les
certificats des permis de mariage et ceux de
baptême portant le cachet de l'exarchat
sont envoyés aux métropolites par le mi-
nistère des Cultes.
Les souches de tous ces documents sont
recueillies à la fin de l'année pour être con-
servées dans les archives des Conseils dio-
césains.
Art. i36. — Les dépenses annuelles des
Conseils diocésains sont:
i- Protosyncelle, de 2 400 à 4200 francs;
2 Quatre membres du Conseil, 3oo francs
chacun;
3^ Caissier, 3oo francs ;
4^ Premier secrétaire, de i 980 à 3 000
francs ;
5° Second secrétaire, de 960 à i 680 francs ;
6" Copiste, de 600 à i 200 francs;
7" Domestiques, environ i 080 francs;
176
ECHOS D ORIENT
8° Frais de chancellerie, 800 à 1 200
francs ;
9° Bibliothèque, 100 francs;
10° Frais extraordinaires, 200 francs;
11° Voyages des électeurs diocésains,
0 fr. 20 par kilomètre;
i2« Archiprêtres ou curés de canton, 36o
à 600 francs ;
i3» Dépenses de l'archiprêtré, 200 francs
par localité ;
14° Secrétaire de l'archiprêtré, de 720 à
1 200 francs ;
1 5° Domestique de ce dernier, 3oo francs;
16" Chancellerie du même archiprétre,
200 francs.
Art. 137. — Deux mois avant la fin de
l'année, chaque Conseil diocésain présente
au saint synode le projet de budget pour
l'année suivante, et celui-ci, après l'avoir
approuvé, l'envoie au ministre des Cultes.
Art. i38. — Chaque année, au mois
d'avril au plus tard, le caissier présente au
Conseil diocésain le rapport du budget
écoulé au sujet duquel le Conseil prend
une décision. Le rapport est signé par le
caissier, la décision par le Conseil; triple
copie en est faite dont l'une est conservée
dans le dossier du caissier, la seconde est
adressée au saint synode, et la troisième
au ministère des Cultes.
Art. 139. — Les vicaires épiscopaux
doivent présenter chaque mois, au Conseil
diocésain, les recettes des livres de comptes,
après avoir payé les employés de la chan-
cellerie et les frais que celle-ci entraîne.
Art. 140. — L'excédent annuel des
Caisses diocésaines est employé à couvrir
les dépenses des Conseils diocésains qui
sont en déficit ou à constituer des fonds
pour les pensions et les secours à servir
aux prêtres.
Art. 141. — Les appartements loués par
le métropolite ou les vicaires épiscopaux
sont payés par le gouvernement; de même
sont à la charge de l'Etat la construction
et les réparations des métropoles et des
habitations des vicaires épiscopaux.
(A suivre.)
SCEAUX BYZANTINS
Voici la description de quatre sceaux
byzantins en plomb, qui sont entrés au
musée de Notre-Dame de France, à Jéru-
salem.
I. — Le premier n'est pas inédit, il
figure dans le grand ouvrage de M. Schlum-
berger (i), mais il n'est pas inutile d'en
signaler une réplique trouvée au mont
des Oliviers, bien loin probablement du
premier exemplaire, qui figure au musée
d'Athènes.
////AY
SAP
A«AI
rvpo
ÂK
n^
(Sceau) de Paul diacre et banquier.
njaÛAO'j 0',àx(ovou) xal àpyup07rp(àT0u).
Sur les deux faces, l'inscription est en-
(i) ScHLUMBERGER, Sigillographie de l'Empire
by^aritin, Paris, 1884, p. 388.
tourée d'une petite couronne de feuillage.
La première lettre manque; tout le
reste est conforme au type publié par
M. Schlumberger.
M. Schlumberger exprime son étonne-
ment de voir associer sur la même tête
deux fonctions qui paraîtraient devoir
s'exclure. Mais, en pratique, on les voit
trop souvent réunies en Orient.
Les autres sceaux appartiennent à la
série des monogrammes cruciformes,
vrais casse-tête, sans grande utilité pour
l'histoire, à moins qu'ils ne signalent
des personnages importants, ce qui se
vérifie pour deux d'entre eux.
II. — Celui-ci est un sceau impérial,
trouvé récemment dans les fouilles de
Saint-Pierre, sur le mont Sion. Le droit
représente la Vierge debout, tenant l'En-
fant Jésus dans ses bras. L'image est
placée entre deux croix, comme l'indice
SCEAUX BYZANTINS
177
M sur les monnaies du même temps.
Le monogramme du revers contient
les éléments du nom de Justin.
N-
S
T
'lo'jTTv/o'j- {Sceau) de Justin.
11 s'agit probablement de Justin 1er,
518-527.
111. — Le troisième est le sceau d'un
patriarche.
n
T
H
Fcrvocio-j —aTO'.ào'/o'J-
(Sceau) de Grégoire, patriarche.
11 a été trouvé à Jérusalem. Le nom de
Grégoire ne figure pas dans la liste des
patriarches de la Ville Sainte, mais on
le trouve sur la liste des patriarches
d'Antioche de 569 à 593.
Les deux lettres A et X forment mono-
gramme. L'a est formé par un chevron
qui réunit les deux lignes du X.
IV. — Le numéro 4 représente au droit
une figure en buste coiffée d'une toque,
quelque chose comme un kamilafka. Le
plomb étant un peu usé, on ne peut être
très affirmatif.
Au revers, c'est le monogramme du
■nom de Jean, dont les exemples sous
cette forme ne sont pas rares.
'Iwàvvo-j- {Sceau) de Jean.
Les deux lettres CO et A forment un
monogramme.
AUTRES MONOGRAMMES
A ces sceaux de plomb on peut joindre
deux autres monogrammes, estampés
sur des anses d'amphores, indiquant le
nom du potier.
Le premier est au musée de Notre-Dame
de France.
H
CO
La forme 4>tôr^.; pour <ï>tô-:'.o; était cou-
rante à l'époque byzantine. On lit dans
les inscriptions également Mr.Ltop'-.v pour
ar.uos'.ov et xyp'.v pour /.jp'.ov.
La forme <ï>w-:'.; est encore usitée en
Palestine dans le langage commun. Le
D"- Photios, nom inscrit sur sa porte, est
appelé couramment le D^ Photi.
Le second fait partie de la collection du
baron von Ustinov.
n
N
'lojA'-avoù-
On trouve encore des monogrammes
sur les pierres fines qui servaient de chaton
à des bagues.
Le suivant est gravé sur une gemme
de la collection de M. H. Clarck.
O
A
V
"n
Po'J-nùJ.ù-j •
Tout ce qu'on peut dire de ce nom,
c'est qu'il figure dans l'Index du Corpus
des inscriptions grecques.
J. Germer-Durand.
Jérusalem.
A TRAVERS L'ORIENT CHRÉTIEN
I. Projet d'union des Eglises orthodoxes
ET DE l'Eglise arménienne.
Depuis près de quatre mois, à l'exemple
de l'Eglise bulgare, qui a tenté de conclure
avec l'Eglise phanariote une entente cor-
diale, l'Eglise arménienne envisage, elle
aussi, la possibilité d'un rapprochement,
non seulement avec l'Eglise grecque or-
thodoxe, mais encore avec toutes les
Eglises orthodoxes.
Ce projet, pour aboutir, a besoin d'être
débattu entre Grecs et Arméniens; et parce
que, de part et d'autre, les laïques jouent
un rôle assez considérable dans le gou-
vernement de l'Eglise, la haute hiérarchie
ecclésiastique doit aussi, de part et
d'autre, obtenir en cette matière, comme
en tant d'autres similaires, l'assentiment
préalable des notabilités laïques.
C'est là que l'on rencontre une première
difficulté. Car, le 19 décembre/ i^r janvier
dernier, le rédacteur en chef de I3. Proodos,
se faisant l'écho des milieux phanariotes,
considérait l'union projetée entre les
Grecs et les Arméniens comme difficile à
réaliser pour trois raisons: 1° l'Eglise ar-
ménienne n'est 'pas autonome depuis
longtemps; autrefois, son chef hiérar-
chique recevait l'ordination et la juridic-
tion du métropolitain grec de Césarée de
Cappadoce et, par conséquent, relevait
réellement de lui; de plus, les prédicateurs
du christianisme en Arménie au iv^ siècle
étant venus de Césarée, l'Eglise d'Armé-
nie dépend de celle de Césarée par son
origine (i); 2^ on craint que la reconnais-
sance officielle de l'Eglise arménienne
comme autocéphale ne nuise à l'Eglise
grecque, à cause du conflit des deux natio-
nalités grecque et arménienne qui en sera
(i) Les Arméniens pourraient demander aux
Byzantins de qui relevait leur Eglise à eux avant
le concile de Constantinople en 38i, et surtout
avant le 28* canon du concile de Chalcédoine en
451.
le résultat fatal; y les Grecs considèrent
les Arméniens comme hérétiques : pour-
ront-ils donc se résigner à traiter avec
eux comme avec des égaux?
Cependant, on essaye de part et d'autre :
des pourparlers s'engagent à cet effet
entre les chefs hiérarchiques des deux
Eglises : dans une visite au Phanar du
27 décembre 9 janvier, le représentant
des Arméniens, diis grégoriens, cause
longuement avec le patriarche grec joa-
chim 111 des différentes questions qui
intéressent à la fois les deux Eglises et,
notamment, de leur projet d'union.
Le lendemain, dans les cercles officiels,
les personnages influents apprécient
favorablement les résultats de l'entrevue.
En même temps, dans les journaux ar-
méniens, on réfute toutes les objections
faites précédemment par les Grecs à la
possibilité de l'entente projetée. D'abord,
dit l'un d'eux, le christianisme a été
prêché en Arménie, non pas au iv« sièc'e,
mais au i*''' siècle, vers l'an 35 après
Jésus-Christ; par conséquent, l'Eglise
arménienne est apostolique et a des droits
à l'autocéphalie. De même, elle s'est con-
servée elle-même autocéphale pendant
trois siècles sans recevoir de pouvoirs de
Césarée, car le premier évêque arménien
ordonné par l'évêque grec de Césarée est
Grégoire l'illuminateur (302 ap. J.-C). En
second lieu, ce fait s'explique et ne
prouve rien contre l'autocéphalie de
l'Eglise arménienne, car Grégoire l'illu-
minateur ayant fait ses études et vécu
longtemps à Césarée, il n'y avait rien
d'étonnant à ce qu'il fût ordonné à
Césarée même (i).
Enfin, l'Eglise autocéphale orthodoxe
(i) Inutile de prouver que la thèse de l'évangéli-
sation de l'Arménie au i" siècle est indémontrable,
aussi bien que celle des Grecs qui fait introduire
le christianisme en cette région uniquement par
Césarée; c'est Edesse et d'autres Eglises de Syrie
qui ont fourni les premiers apôtres.
A TRAVERS L ORIENT CHRETIEN
179
peut très bien admettre dans son sein la
nationalité arménienne dans les limites
restreintes assignées par les saints canons
aux Eglises autocéphales, de même que
les Russes, les Serbes, les Grecs et les
Roumains ont gardé leur nationalité au
sein de l'orthodoxie.
La valeur de ces motifs n'est pas incon-
testable. Cependant, Grecs et Arméniens
en sont sutfisamment persuadés pour
s'entendre déjà le 2/15 janvier 191 1 sur
le point suivant:
A l'avenir, quand il sera question d'af-
faires intéressant l'orthodoxie tout entière,
les centres ecclésiastiques soumettront
ensemble leurs demandes au gouverne-
ment qui leur répondra par un takrir
unique que signeront leurs chefs hiérar-
chiques respectifs.
De plus, il est entendu que, désormais,
quand il s'agira de ces mêmes questions
intéressant les deux communautés grecque
et arménienne, les deux patriarcats travail-
leront de concert à les élucider.
Mais en quoi consistera précisément
cette collaboration? Ce point n'est pas
encore clairement établi, et c'est pourquoi,
en vue de le fixer, lè chancelier du
patriarcat grec se rend le s/f8 janvier au
patriarcat arménien.
Nous ne connaissons pas encore les
décisions prises dans cette entrevue,
mais un fait certain, c'est qu'elles ont
provoqué la mauvaise humeur des jour-
nalistes turcs. Ces derniers, dont quelques-
uns sont clairvoyants, n'ignorent pas que
ce projet d'union entre Arméniens et
Grecs sur le terrain ecclésiastique est
plutôt un projet de coalition gréco-armé-
nienne contre les Turcs, sur le terrain
politique. En conséquence, un rédacteur
du Tanine essaye, dans le numéro de ce
journal du 7/20 janvier, d'en amoindrir
la portée, A son avis, l'agitation que l'on
fait autour de ce projet n'est pas fondée,
car de deux choses l'une : ou bien ce
projet est politique et dirigé contre la
patrie ottomane, ou bien il est purement
religieux. Dans le premier cas, à cause
des divisions intestines entre chrétiens, il
y aura nécessairement mésintelligence, et,
par suite, le projet ne réussira pas; dans
le second cas, il n'aura pas plus de
succès, car, en Orient, les questions poli-
tiques sont le fondement des questions
religieuses : étant purement religieux, ce
projet sera donc sans base sérieuse.
D'après un autre journal ottoman, le
Jeune-Turc, voici quelle aurait été l'origine
de ce rapprochement entre Grecs et Ar-
méniens. Le jour où, à Koum-Kapou, la
communauté arménienne a célébré un
service funèbre en l'honneur du catbolicos
d'Etchmiadzine, récemment décédé, le
représentant du patriarcat arménien a
fait une visite au Phanar. Sans doute, ces
pourparlers ont dû aboutir à des décisions
prises en commun, car, le lendemain, dans
la ProoJos, journal grec entièrement aux
ordres du patriarche œcuménique, on
lisait sous la plume d'un prêtre grec, Joa-
chim Apostolidès, un éloge dithyrambique
de l'Eglise arménienne. Aussitôt toute la
presse grecque a répété ce refrain d'admi-
ration fort tendancieux . Insensible et
sceptique, la presse arménienne a fait
d'abord la sourde oreille, puis elle a posi-
tivement protesté. A ce moment, les
Grecs, indignés de voir leurs avances
repoussées, ont jugé bon de faire volte-
face et ont envoyé le Néologos, journal
grec fort hostile au Phanar, dire aux Armé-
niens que l'heure du rapprochement
n'avait pas encore sonné.
Cet exposé de la situation fait par un
Turc est sans doute légèrement travesti,
car les Arméniens, quelque peu sceptiques
au début, ont réellement répondu à ces
appels touchants de leurs confrères en
christianisme. Nous avons de cette entente
au moins partielle les trois preuves sui-
vantes :
D'abord, le 10 23 janvier, le métropo-
lite grec d'Hélioupolis, M?»" Panarète, s'est
rendu à Baidéra pour célébrer l'anniver-
saire de la fondation d'un hôpital grec.
La communauté arménienne de l'endroit,
à la tête de laquelle se trouve l'évêque
Khatsadour, est allée à la rencontre du
prélat grec : les élèves des écoles de cette
i8o
ÉCHOS d'orient
localité, garçons et filles, l'ont chanté ;
puis le métropolite grec est entré dans
une église arménienne, où un éphore l'a
complimenté dans un discours qui a
montré les liens séculaires existant entre
les deux nations. A son tour, l'évêque
arménien a parlé en grec sur le même
sujet. Enfin, en réponse à ces deux dis-
cours, le métropolite grec a fait une
prière pour la nation arménienne.
En second lieu, un journal arménien du
19 mars i^"" avril louait dans le patriarche
grecjoachim 111 « un caractère magnanime
et un amour pour les Arméniens égal à
celui qu'il a pour son propre troupeau ».
Enfin le même journal rapporte que le
patriarche grec et le représentant du pa-
triarcat arménien ont échangé leurs vues
sur deux points : à) sur la situation des
soldats chrétiens, grecs ou arméniens,
dans l'armée turque; h) sur la question
des écoles. Sur ces deux points, le
Phanar et le patriarcat arménien se sont
unis pour exposer leurs réclamations à la
Sublime Porte.
Depuis ce jour, un revirement s'est
produit. De part et d'autre, on a passé de
la confiance mutuelle à la défiance, de la
défiance au scepticisme et du scepticisme
à la négation à peu près complète.
Comment s'est produite cette volte-face?
C'est encore la Proodos, journal grec, qui
nous le dit, en se basant elle-même sur les
tristes aveux faits par un journal armé-
nien, le Zajnanac, en date du 10 2} avril.
Pour éviter des longueurs inutiles, nous
résumons, au lieu de traduire textuelle-
ment.
D'abord, les Grecs ont montré une
admirable bonne volonté : ils ont préco-
nisé l'union simultanée des deux Eglises
grecque et arménienne sur le double ter-
rain politique et ecclésiastique, pour deux
raisons : i" il n'y a que de légères diver-
gences entre les doctrines enseignées par
les deux Eglises; 2«> auprès du gouverne-
nement turc les deux nations orthodoxes(?)
ont les mêmes intérêts à défendre. A ce
sujet, le patriarche joachim 111 a commu-
niqué d'excellentes idées à la presse; à
son tour, le métropolite de Colonia a fait
ressortir dans une brochure que, malgré
les quelques divergences doctrinales qui
séparent les deux Eglises, il leur était
facile de s'entendre par un compromis.
Mais on n'avait pas encore compté avec
le saint synode phanariote : dans ce haut
Conseil ecclésiastique, l'idée du rappro-
chement projeté s'est heurtée à l'inflexi-
bilité des saints cations. Que disent en
effet les saints canons? Que jamais on ne
peut cimenter d'union entre une Eglise
orthodoxe et une Eglise scbisma tique. Or,
on sait que l'Eglise arménienne grégo-
rienne est traitée de schismatique par les
Grecs phanariotes. Voilà donc le mur
infranchissable qui sépare les deux Eglises.
Aussi, très logiquement, le saint synode
déclare-t-il que les démarches faites récem-
ment par quelques personnalitésen vue du
rapprochement projeté sont dénuées de
fondement et que le saint synode ne peut
consentir à ce rapprochement, parce que
l'Eglise arménienne est certainement schis-
matique. En conséquence, les conseillers
du patriarche œcuménique décrètent que
là où il n'existe pas d'église arménienne
à leur disposition, les soldats arméniens
n'ont pas le droit de communier dans les
églises grecques orthodoxes.
Ainsi le veut le saint synode. Cepen-
dant le patriarche joachim 111, plus souple,^
a laissé entendre à l'évêque arménien de
Balata que, malgré cette décision des
synodiques, on pouvait donner la Com-
munion aux soldats arméniens en cas
d'urgente nécessité.
Sur cette question, une grande discus-
sion s'élève au Phanar entre le patriarche
œcuménique et ses conseillers. Ceux-ci,,
toujours appuyés sur les saints canons,
ont résolu de garder leurs positions.
C'est en vain que deux métropolites,
avisés reviennent à la charge pour tenter
quelque conciliation; au nom des saints^
canons, les « saints Pères» (sic) ne quittent
pas le terrain sur lequel ils se sont
placés.
En conséquence, à l'effet de triompher
des saints canons, un évêque arménien^^
A TRAVERS L ORIENT CHRETIEN
i8:
Msr Ohannessian, se plaint au patriarcat
grec des graves inconvénients de cette
situation. On lui répond au Phanar que
les Arméniens n'ont pas encore fat la
démarche officielle nécessaire. C'est donc
une simple question de formalité à rem-
plir.
Désireux du succès, les Arméniens s'y
soumettent : le protosyncelle Tourian
(grand vicaire arménien), personnage
vraiment officiel, visite doncjoachim III à
ce sujet. De cet échange de vues résultent
de belles promesses. Mais l'accord n'est
pas encore survenu. Dès lors, force nous
est d'arrêter là l'exposé de cette question.
Nous la reprendrons le jour où les syno-
diques, faisant fléchir l'inflexibilité des
saints canons, abandonneront leurs posi-
tions.
11. Traduction de l'Écriture Sainte
en néo-grec.
On sait avec quelle passion on discute
dans les milieux grecs la « question de la
langue ». Cette question est celle-ci : des
deux formes du grec actuellement écrites
et parlées, le grec dit éptiré et le néo-grec
dit vulgaire ou malliariste, quelle est
celle qu'il faut garder?
Nous n'avons pas dans cette Chronique
à nous occuper directement de cette ques-
tion de grammaire. Toutefois, nous devons
indirectement en parler à l'occasion d'un
débat d'ordre ecclésiastique qui a été sou-
levé récemment à Athènes et à Constan-
tinople, et dont voici le bref exposé (i).
Vers la fin du mois de février, sur la
proposition d'un député, la Chambre
hellénique d'Athènes a voté que la langue
dite épurée était la langue officielle du
royaume de Grèce et a fait insérer cette
(I) Un de nos collaborateurs, le R. P. T. Xan-
thopoulos, a consacré deux articles fort érudits à
celte question: Traduction de l'Ecriture Sainte
en néo-grec avant le xix' siècle, et Les dernières
traductions de l'Ecriture Sainte en néo-grec, dans
les Echos d'Orient, t. V (1902), p. 321-332; t. VI
(1903), p. 230-240. Au dire d'un bon juge, le regretté
Krumbacher, c'est la meilleure étude qui existe
sur ce sujet.
décision comme un article de la Constitu-
tion qu'elle est en train de reviser. Aus-
sitôt, des députés, poussés par le profes-
seur Mistriotis qui avait provoqué dans
ce but une grande agitation, soit parmi la
population, soit parmi les étudiants de
l'Université; poussés par le patriarche
œcuménique. Joachim III, qui s'était lancé
par une lettre ouvertement dans le con-
flit, et par le saint synode d'Athènes, pro-
posèrent d'y ajouter un article spécial
relatif à la traduction de l'Ecriture Sainte.
Au premier abord, le premier ministre,
M. Vénizélos, repoussa cette proposition-
comme inutile. Puis, devant les pressantes
réclamations du saint synode et surtout
devant l'agitation de la rue, il voulut bien
faire insérer dans la Constitution un
article d'après lequel il est décidé que le
texte de la Sainte Ecriture sera conservé
immuable et que l'édition de ce texte, sans
la permission de la Grande Eglise, est abso-
lument défendue.
Satisfait sur l'objet essentiel de sa.
requête, le saint synode d'Athènes a été
pourtant très mécontent de la dernière
clause de l'article ajouté à la Constitution.
On se l'explique aisément. Pourquoi l'au-
torisation de la Grande Eglise de Cons-
tantinople est-elle la condition essentielle
de tout changement dans le texte de la
Bible? Exiger cette autorisation préalable,
n'est-ce pas mettre l'Eglise autonome et
autocéphale de Grèce sous la dépendance
de celle de Constantinople? C'est pour-
quoi le saint synode d'Athènes proteste
avec indignation contre cette addition dans
la Constitution hellénique : il ne veut à
aucun prix — et avec raison, car la Con-
stitution reconnaît par ailleurs son auto-
nomie — que l'autorisation de faire des
traductions de la Bible en langue moderne
doive être demandée à la Grande Eglise
du Phanar. Il considère cette ordonnance
comme devant léser l'autocéphalie de
l'Eglise de Grèce, et, pour cette raison,
espère que la Chambre retirera cette addi-
tion.
Ce refus obstiné de l'Eglise de Grèce
de recevoir les directions de la Grande
l82
ÉCHOS d'orient
Eglise provoque, on ne sait vraiment
pourquoi, l'indignation de cette dernière.
C'est pourquoi un rédacteur de la Proodos
de Constanlinople gourmande lourdement
l'Eglise hellénique, au nom dejoachim 111,
en ces termes :
Qu'il nous soit permis d'exprimer notre
profonde douleur au sujet de la mauvaise
humeur du synode de l'Eglise de Grèce,
relativement à la proposition faite par
M. Vénizélos à l'Assemblée nationale de
soumettre au jugement de la Grande Eglise
la traduction dans une autre langue du
texte de la Sainte Ecriture Cette oppo-
sition insensée, inexplicable, et d'ailleurs
anticanonique, nous ne nous étions jamais
imaginé qu'il fût possible de la faire.
Cependant, malgré les protestations du
saint synode hellénique, M. Vénizélos n'a
pas encore retiré sa confiance au patriarche
œcuménique, dans lequel il salue « le
représentant de la plus grande autorité
ecclésiastique ». En conséquence, fort de
cette confiance du premier ministre de
Grèce, le Phanar se met à l'œuvre. Comme
on a besoin de critiquer une mauvaise
traduction de la Bible, pour flétrir en
général toute traduction en néo-grec, des
métropolites présentent un rapport sur la
traduction des Evangiles, déjà ancienne,
de M. Pallis, et qui amena, voilà dix ans,
une véritable insurrection. A leur avis,
cette version est écrite « dans une langue
détestable », et elle est pleine d'inexac-
titudes. Indigné, le patriarche œcumé-
nique publie une Encyclique — ce n'est
pas la première — qui attire l'attention
des métropolites sur les traductions de la
Bible en langue vulgaire et sur les profes-
seurs qui s'expriment en néo-grec dans
les divers diocèses. Soumise au jugement
du saint synode et du Conseil mixte, cette
Encyclique recommande l'enseignement
de la langue grecque dans sa pureté et la
mise à l'écart des professeurs qui s'ex-
priment en grec non épuré, dits profes-
seurs malliaristes. En même temps, une
Commission composée du métropolite de
Philadelphie et de deux membres du Con-
seil mixte est chargée de rechercher s'il
y a dans les écoles des éphores, des pro-
fesseurs et des élèves favorisant la diffu-
sion de la langue vulgaire.
Moins encore que M. 'Vénizélos en
Grèce, Joachim 111 jouit de l'autorité voulue
pour trancher le différend grammatical,
et c'est la grande erreur commise par
l'Eglise de Grèce, aussi bien que par celle
de Constantinople, de mêler deux ques-
tions parfaitement distinctes et de con-
fondre un débat religieux avec un débat
linguistique. L'Eglise orthodoxe, tout
autant que l'Eglise catholique, a le droit
d'approuver ou de condamner toute tra-
duction de la Bible qu'elle juge nuisible
aux fidèles, c'est incontestable; l'Eglise
de Constantinople a également le droit
d'imposer dans ses écoles comme langue
d'enseignement le grec qui lui agrée le
mieux. Mais qu'elle n'aille pas ensuite
mêler à plaisir ces deux questions et
traiter d'hérétiques, d'athées {sic), des
professeurs qui emploient la langue usitée
de tout le monde, au lieu d'une langue
factice, œuvre de quelques pédants. Nous
sortons ici du terrain religieux pour entrer
sur le terrain grammatical et linguistique:
c'est donc avec des arguments philolo-
giques, et non avec des raisons théolo-
giques, que la discussion doit se mener.
Quant à l'incursion faite sur le domaine
de l'Eglise grecque, c'est un abus de
pouvoir du patriarcat œcuménique. 11 a
fallu des politiciens aussi ignorants de la
religion et des principes qui régissent les
Eglises orthodoxes tels que le sont les
députés d'Athènes pour le tolérer, bien
plus, pour l'insérer dans la Constitution.
Le saint synode du royaume hellénique a
protesté avec raison contre cet abus: la
presse d'Athènes s'est élevée avec non
moins de raison contre cette immixtion
du Phanar dans les affaires de leur Eglise.
Le patriarche œcuménique n'est pas le
Pape; si celui-ci est le chef incontesté de
tous les catholiques, lui ne l'est pas de
tous les orthodoxes. Il est le chef — et
encore! le saint synode l'est plus que lui
— de l'Eglise de Constantinople; pour les
autres Eglises, s'il juge que telle circon-
A TRAVERS L ORIENT CHRETIEN
183
stance critique exige de sa part l'envoi de
bons conseils, il adresse ces bons conseils,
quitte, à ces Eglises, d'en tenir compte
ou de les décliner poliment.
111. Les Valaq.ues
ET LES Albanais orthodoxes.
Les Valaques orthodoxes ou Roumains
de Macédoine, soumis à l'autorité reli-
gieuse du patriarcat œcuménique, veulent
continuer à entretenir avec la Grande
Eglise d'excellentes relations, à condition
pourtant de ne pas être entièrement
sacrifiés à l'élément grec. A cet effet, ils
ont récemment nommé une Commission
qui a exposé au patriarcat du Phanar les
revendications suivantes :
Les Koutso-Valaques de Macédoine eî
d'Epire resteront fidèles à la Grande
Eglise :
a) Si la Grande Eglise reconnaît les com-
munautés roumaines qui existent en
Macédoine et en Epire et qui sont recon-
nues par le gouvernement turc ;
b) Si elle lève les interdits et les peines
canoniques qui ont été portés par elle
contre les prêtres valaques;
c) Si le patriarcat adresse aux métropo-
lites une encyclique dans laquelle il les
avertira qu'il reconnaît les communautés
roumaines, qu'il lève les interdits et les
peines canoniques qui pèsent sur les
prêtres koutso-valaques, et qu'il permet à
ces derniers de bâtir et de bénir de nou-
velles églises dans l'avenir;
^)S'il demande aux métropolites de con-
célébrer avec les prêtres koutso-valaques;
e) Si le patriarcat promet qu'à l'avenir
il nommera des évêques ou des métropo-
lites connaissant parfaitement la langue
roumaine pour les destiner aux régions
habitées par une population compacte de
Koutso-Valaques.
/) Enfin, on demande que des élèves
koutso-valaques soient admis à l'Ecole
théologique de Halki au même titre que
les élèves grecs.
Ces réclamations des Koutso-Valaques,
bien que non souscrites par toutes les
communautés roumaines de Macédoine,
ont été présentées au patriarche Joa-
chim 111 par M. Bassaria, sénateur ottoman ;
jusqu'ici, le saint synode ne s'est pas pro-
noncé à leur sujet. Même s'il ne donne
pas satisfaction complète aux plaignants,
il sera tenu de ne pas repousser en bloc
toutes leurs revendications, sous peine de
voir ces derniers, poussés à bout, se séparer
du Phanar et constituer une autocéphalie
distincte. Certes, ce n'est pas le gouver-
nement turc, lequel tente par tous les
moyens d'amoindrir l'influence de l'élé-
ment grec en Macédoine, qui y mettrait
obstacle.
Le même mouvement commence à se
dessiner parmi les Albanais orthodoxes,
dépendant eux aussi du patriarcat œcumé-
nique. Un journal hebdomadaire qui se
publie à Stamboul en albanais et en grec
depuis les premiers jours d'avril et qui est
intitulé «E ^érieta, la Vérité », paraît être
leur organe. Les membres de ce groupe
vont même plus loin que les Roumains
de Macédoine et menacent le patriarcat de
reconnaître, tout en gardant le rite
byzantin avec la langue grecque, l'auto-
rité de Rome. Ce serait là, assurent-ils, le
meilleur moyen de rétablir la concorde
entre les frères séparés de la même race,
les Albanais du Nord, catholiques latins,
et les Albanais du Sud, orthodoxes. La
presse grecque n'y a prêté jusqu'ici pas
grande attention; elle se contente à l'oc-
casion de parler des Grecs albanopbones,
c'est-à-dire parlant albanais.
L'épithète est une vraie trouvaille dont
se sert couramment le Phanar pour dési-
gner les Albanais orthodoxes, comme
celles d'arabophones, biilgaropbones, via-
chopbones, etc., désignent les Syriens, les
Bulgares et les Roumains orthodoxes, etc.
C'est à peu près comme si le Pape et ses
représentants, pour désigner les catho-
liques, disaient : •« ce sont des Italiens gal-
lophones, germanophones, anglophones,
hispanophones, arabophones et même
japonophones ». Quand l'esprit national
se mêle à tout, il ne tarde pas à devenir
ridicule.
i84
ECHOS D ORIENT
IV. Question de l'exarchat bulgare.
Nous avons vu précédemment (i) que
des pourparlers avaient été engagés sérieu-
sement entre l'exarchat bulgare et le
patriarcat du Phanar en vue d'un rappro-
chement, peut-être même d'une entente
cordiale. Tout enchantant le premier cou-
plet de cette idylle à peine ébauchée,
l'Eglise bulgare n'entend pas cependant
être complètement assujettie au Phanar ;
elle rêve même de l'autonomie complète,
et la question précise qu'elle se pose à ce
sujet est celle-ci : que deviendra l'exar-
chat bulgare? Sera-t-il absorbé par le
patriarcat grec, sera-t-il élevé lui-même
au rang de Patriarcat, ou bien adoptera-t-
on toute autre combinaison?
Les divers aspects de la question ont été
envisagés par le métropolite bulgare de
Varna, Ms'' Syméon, un Grec d'origine.
Au jugement de ce prélat, il n'est pas
nécessaire à l'Eglise bulgare pour devenir
autonome d'avoir à sa tête un patriarche,
puisque certaines Eglises très orthodoxes,
comme l'Eglise russe, l'Eglise serbe,
l'Eglise roumaine et l'Eglise hellénique en
sont privées, sans cesser pourtant d'être
autonomes. Donc, à l'exemple de ces
diverses Eglises nationales, l'Eglise bul-
gare peut acquérir son autocéphalie en
suivant la même méthode.
Le procédé canonique consiste simple-
ment pour l'Eglise bulgare à se faire
reconnaître par celle de Constantinople,
parce que celle-ci est en quelque sorte (?)
la mère des autres Eglises orthodoxes;
après quoi, elle sera reconnue par les
autres. 11 faut donc causer avec le Phanar,
la Grande Eglise accordera un titre officiel
au chef hiérarchique de l'Eglise bulgare,
et la transformation sera accomplie.
Méthode simple à la vérité, si on l'en-
visage théoriquement, mais plus compli-
quée si on létudie dans son utilisation
pratique. Ces complications, le même
métropolite ne les ignore pas; c'est pour-
quoi il fit part, le 24 mars / 6 avril, de ses
(i) Echos d'Orient, mars 1911, p. 116-122.
vues à ce sujet au rédacteur d'un journal.
Cette fois, en fin casuiste, le métropo-
lite distingue deux cas possibles dans la
solution de la question :
a) Ou bien, dit-il, on élèvera le chef
hiérarchique bulgare au rangde patriarche.
Le sultan le reconnaîtra en lui conférant
le bérat et toute difficulté sera levée.
Mais, on l'a vu, notre évêque a déclaré
auparavant que cette transformation de
l'exarque en patriarche n'était pas néces-
saire. Cette solution lui paraît donc inu-
tile et il expose ainsi la deuxième alter-
native.
b) Ou bien, sans demander l'avis du
Phanar, nous proclamerons l'exarque pa-
triarche. Rien ne s'y oppose : puisque,
en effet, sans l'avis de la Turquie, la prin-
cipauté de Bulgarie a été érigée en royaume
et son prince en roi; puisque, d'autre
part, nous avons dans le passé proclamé
l'Eglise bulgare autocéphale sous le ne\
même {sic) du patriarche œcuménique,
pourquoi ne pourrions-nous pas mainte-
nant élever l'exarque au rangde patriarche?
Seulement — et le métropolite ne se le
dissimule pas — il y a une réelle diffé-
rence entre la situation politique et la si-
tuation religieuse : car, pour opérer le
changement politique dont on vient de
parler, on possédait les deux facteurs né-
cessaires : la bonne volonté et \argent\
tandis que, pour effectuer la transforma-
tion ecclésiastique en question, « on a
bien la bonne volonté, mais il manque
X argent ».
En définitive, le métropolite bulgare de
Varna déclare que la solution de cette
question canonique n'est pas d'ordre ca-
nonique, mais plutôt d'ordre financier...
Ce langage détonne singulièrement sur
les lèvres d'un haut ecclésiastique. Aussi
l'exarque bulgare croit-il devoir protester
contre ces déclarations quand il fait écrire
le 28 mars 10 avril dans le Navden Glas.
journal bulgare :
J'ai été désagréablement surpris des ar-
ticles dans lesquels le métropolite Syméon
fait des efforts pour me faire élire patriarche
des Bulgares. Pareille idée ne m'est jamais
A TRAVERS L ORIENT CHRETIEN
185
venue à l'esprit; je ne l'ai pas non plus
reçue du dehors, ni de la part du gouver-
nement bulgare, ni de la part des cercles
officiels Mon programme s'est toujours
borné à servir comme ecclésiastique les in-
térêts de la nation bulgare. C'est en cela
que je place le but de mon activité : je n'ai
jamais eu d'autre ambition.
Cette réponse, dont il faut louer la mo-
destie, renferme pourtant un détail signi-
ficatif: l'exarque se déclare un ecclésias-
tique au service de l'Etat bulgare. C'est
pour confirmer la même idée que ce pré-
lat ajoute dans le même journal et à la
même date :
Il faut que l'exarque reste à Constanti-
nople pour obtenir du gouvernement turc
Vexequatur des firmans. C'est pourquoi
l'Eglise de Bulgarie doit être une section
de l'exarchat; il convient qu'elle soit gou-
vernée par un Synode et par un représen-
tant de l'exarque, mais toujours en union
avec l'exarchat.
Nous voilà loin des projets chimériques
du métropolite de Varna. Beaucoup plus
positif que ce dernier prélat, l'exarque jus-
tifie sa manière de voir par la raison sui-
vante :
Notre entente avec le patriarcat a pour
fondement la conservation de nos privi-
lèges; son résultat sera l'amélioration des
relations entre les Grecs et les Bulgares de
Turquie.
Bref, l'exarque est partisan du maintien
de l'exarchat à Constantinople. Cette op-
position entre l'opinion de l'exarque et
celle du métropolitain Syméon et d'autres
évèques bulgares est l'objet des railleries
du journal ottoman le Jeune Turc dans
lequel nous lisons, le 2 15 mars:
Dans ces derniers temps, une émouvante
discussion était engagée dans la presse bul-
gare sur l'opportunité du transfert de l'exar-
chat bulgare de Constantinople à Sophia.
On mentionnait également à l'occasion des
bruits sur un rapprochement gréco-bul-
gare; on disait que le patriarcat grec pren-
drait en mains l'administration des Eglises
bulgares de Macédoine et que l'exarchat
bulgare serait supprimé.
Toute cette polémique de presse, à ce
qu'il paraît, ne correspondait pas à la réa-
lité : car cette même presse, en discutant
aujourd'hui la même question, soutient
une toute autre thèse et préconise même le
maintien de l'exarchat à Constantinople.
Ainsi le journal Dnevnik de Sophia^
traitant dans son article de fond la question
de l'exarchat et de l'unification de l'Eglise
bulgare, dit que personne ne peut contester
le rôle civilisateur que joue l'exarchat à
l'égard de l'élément bulgare de l'empire
ottoman.
Le seul fait que tous nos ennemis, dit le
Dnevnik, considèrent notre exarchat de
Constantinople comme une pierre d'achop-
pement et travaillent depuis dix ans à le
faire disparaître de là, suffit pour nous dé-
montrer d'une façon ostensible que l'exis-
tence de l'exarchat à Constantinople est
une chose nécessaire pour l'unification et
le développement de l'élément bulgare.
Un coup d'oeil rétrospectif sur l'histoire
des événements de Turquie nous fera voir
que l'exarchat bulgare remplit avec grand
succès son rôle, quoiqu'il ait eu à lutter
contre de très grandes difficultés de toute
espèce.
C'est pourquoi nous ne pouvons pas
comprendre la tendance de ceux qui re-
commandent l'unification de l'Eglise bul-
gare, ce qui amènerait la suppression de
l'exarchat à Constantinople.
Telle est la situation. Les Bulgares
n'ont évidemment aucun intérêt politique
à diviser leur Eglise en deux; d'une part,
l'Eglise du royaume de Bulgarie qui aurait
un patriarche ou un saint synode à sa
tête ; d'autre part, l'Eglise bulgare de l'em-
pire ottoman qui conserverait l'exarque
ou adopterait toute autre constitution or-
ganique. Tout les pousse au contraire à
maintenir le statu quo actuel et à n'avoir
qu'un seul chef pour les Bulgares de Bul-
garie, comme pour les Bulgares de Tur-
quie, l'exarque qui réside à Constanti-
nople. Par là, en effet, est maintenue
l'union entre les deux groupes de la
même race, et ceux que les intérêts poli-
tiques ont divisés momentanément en
octobre 1908 se trouvent toujours aussi
étroitement unis par le lien religieux.
Georges Bartas.
BIBLIOGRAPHIE
N. N. Gloubokovskii, Bogoslovskaia entsi-
clopediia {Encyclopédie ihéologique),
t. XI. Saint-Pétersbourg, 1910, in-8*'.
470 colonnes.
Le tome XI de YEncyclopédie théolo-
gique russe est de beaucoup le plus court
de tous ceux qui ont paru. Il ne compte que
235 pages ou 470 colonnes et reste dans la
lettre K {Klavda-Kinname). La plupart
des articles sont des notices biographiques.
Il y a la série des Claudiens, des Claudius
et des Cléments. Les quatorze Papes du
nom de Clément sont assez bien traités.
On n'y remarque point trop d'animosité
contre la Papauté. A Clément d'Alexandrie
sont consacrées 35 colonnes; on donne sur
chacun de ses ouvrages un petit aperçu
érudit. Les apocryphes clémentins (24 col.)
sont aussi sérieusement étudiés.
Signalons deux articles fort intéressants
pour l'histoire intérieure de l'Eglise russe :
Les cimetières raskolniks ; les Serments
ou anathèmes des conciles de Moscou de
i656 et de i66y. Ces anathèmes (Kliatvy)
furent prononcés contre les vieux ritua-
listes, qui ne voulurent point accepter les
réformes liturgiques du patriarche Nicon.
Ils embarrassent un peu les théologiens
orthodoxes, depuis que le saint synode,
dans le but de favoriser le retour des Sta-
rovières dans le giron de l'Eglise officielle,
a levé ces anathèmes pour ceux d'entre eux
qui font leur soumission à la hiérarchie
niconienne tout en gardant les vieux rites.
On sait, en effet, que l'Eglise russe a ses
Uniates, auxquels elle permet, entre autres
choses, de remplacer, dans le Symbole, le
mot « Seigneur » par l'adjectif « vrai »
dans Et in Spiritum Sanctum Dominum.
Les théologiens russes qui attaquent encore
l'addition du Filioque ne songent sans
doute pas à l'addition du verum acceptée
par le saint synode chez les Edinovertsy.
L'archéologie est représentée par un
article de M. Rybinskii sur l'écriture cunéi-
forme, la théologie morale par l'article de
M. Bronzov sur le serment, l'exégèse par
plusieurs articles sur les apocryphes de
l'Ancien et du Nouveau Testament, Un
exégète de profession, M. A. lounguérov,
revient sur la question des deutérocano-
niques de l'Ancien Testament, déjà tou-
chée à l'article Canon des Ecritures. Il nie
formellement l'inspiration et la canonicité
de ces livres, qu'il désigne par le terme de
non canoniques. Il parait ignorer l'histoire
des variations des théologiens orthodoxes
sur la question et se trompe complètement
lorsqu'il affirme que le concile de Jérusalem
en 1672 a déclaré que les deutérocanoniques
ne font pas partie du canon. Ce concile
« considère au contraire ces livres comme
des parties authentiques de l'Ecriture au
même titre que les autres livres cane-
niques, parce qu'une ancienne tradition,
ou plutôt parce que l'Eglise catholique,
qui nous a donné pour authentiques les
saints Evangiles et les autres livres de
l'Ecriture, nous affirme aussi manifeste-
tnent que ceux-ci appartiennent à la Sain!e
Ecriture {Confession de Dosithée, 3« ques-
tion). Il est vrai qu'en publiant une tra-
duction russe de la confession de Dosithée,
en i838, le saint synode a supprimé tout
ce passage. Cette suppression n'a peut-
être pas été remarquée par M. lounguérov.
Un article dont le besoin ne se faisait
guère sentir dans une encyclopédie théolo-
gique, même orthodoxe, est l'article : Clé-
rical, Cléricalisme, Partis cléricaux. On
y apprend, entre autres choses, que la Rome
papale a marché sur les traces de la Rome
païenne en établissant, entre les clercs et
les laïques, une distinction semblable à
celle qui existait entre les patriciens et les
plébéiens. Quand on fait partie d'un pays
qui souffre, depuis des siècles, du césaro-
papisme, on pourrait peut-être se taire
sur le cléricalisme ou, du moins, en parler
sans déclamer contre l'autocratie papale.
M. JUGIE.
H. Saladin et G. Migeon, Manuel d'art
musulman, en deux volumes. Paris.
A. Picard et fils, 1907. In-8% xxiri-585 et
Lxxxiii-464 pages. Prix: i5 francs le vo-
lume.
Ce manuel est la première étude d'en-
BIBLIOGRAPHIE
187
semble qui ait paru sur l'art musulman,
du moins dans notre langue.
Dans le premier volume, M. Saladin
étudie l'architecture II la considère d'abord
en elle-même dans ses éléments essentiels,
puis dans les différentes écoles où ses ca-
ractères généraux se sont diversifiés :
récolesyro-égyptienne. inspiratrice des mo-
numents de l'Egypte, de la Svrie et de
l'Arabie; l'école du Moghreb. embrassant
dans son vaste domaine la Tunisie, l'Al-
gérie, le Maroc, l'Espagne et la Sicile;
l'école persane, créatrice des chefs-d'œuvre
de 'a Perse, de la Mésopotamie et du Tur-
kestan; l'école ottomane di Turquie d'Eu-
rope et dAsie Mineure; enfin l'école in-
doue avec ses floraisons variées qui s'épa-
nouirent dans l'Inde, la Chine et l'Extrême-
Orient.
L'auteur, qui est architecte et membre de
la Commission archéologique de l'Afrique
du Nord, constate avec raison que la civi-
lisation musulmane est avant tout une
civilisation arabe qui s'est inspirée des
modèles grecs, persans, syriens, égyptiens,
espagnols et indous. Il est également dans
le vrai lorsqu'il admet, en principe géné-
ral, « que les arts exercés par les musul-
mans peuvent être considérés à l'origine
comme une variation spéciale de l'art local
à l'usage des musulmans » (p. 16). C'est
là, en effet, une loi générale applicable à
toutes ks formes de la civilisation, car dès
qu'un peuple est transplanté dans un pays
étranger, il subit l'influence de ce dernier,
tout en lui imposant la sienne, et, par
suite, la combinaison de ces deux influences
s: reflétera naturellementdans l'art, expres-
sion synthétique de la civilisation de ce
peuple.
Mais est-il bien vrai, comme le prétend
cet auteur, que « le contraste soit extraor-
dinaire entre la splendeur des premiers
siècles du mahométisme et la barbarie du
monde chrétien jusqu'aux Croisades »?
p. 91 Peu exacte sous le rapport purement
artistique, cette antithèse est encore moins
accusée si on l'envisage sous les autres
points de vue : car la supériorité intellec-
tuelle des Arabes de cette époque ne peut
pas. sans quelque exagération, être étendue
au reste du monde musulman, et, de plus,
il faudrait démontrer qu'elle n'est pas elle-
même un héritage de la civilisation byzan-
tine.
Par contre, en reconnaissant que « l'art
byzantin fut une déformation (transforma-
tion serait mieuxi asiatique de l'art gréco-
romain », M. Saladin a raison contre
M. Strzygoswski qui, dans Orient oder
Rom, p. 8, exclut totalement l'influence
romaine dans la genèse de l'art byzantin.
Sous ce rapport, il donne la main à
M. Diehl, aux yeux duquel « l'art byzan-
tin vient non seulement de Rome, mais de
l'Orient hellénistique ». i C. Diehl, Etudes
byzantines, p. 35 1-352.)
D'ailleurs, M. Saladin a très bien défini
les vestiges byzantins qui se retrouvent dans
l'architecture musulmane : prépondérance
des voûtes et des coupoles, emploi des
tirants en bois, des abaques élevés, des
charpentes décorées, de la mosaïque sous
toutes ses formes, des placages de marbre
sur les murs, etc., p. 36; très visible, on le
voit, dans l'architecture des mosquées,
cette influence n'apparaît pas moins dans
la structure des caravansérails et des forti-
fications byzantines (^p. Sy), et dans la
décoration intérieure de ces divers monu-
ments (p. 38).
Au surplus, cette pénétration de l'art de
Byzance dans l'art musulman se remarque
aussi, mais avec moins de relief dans les
arts plastiques et industriels que dans
l'architecture. C'est ce que met en lumière
M. G. Migeon, professeur à l'Ecole du
Louvre, dans le second volume de ce ma-
nuel.
Précédé d'un précis historique des civili-
sations musulmanes, cet exposé des objets
d'art musulman est une galerie charmante
où le génie artistique de cette race s'est
complu autant dans les délicatesses minu-
tieuses de la miniature, de la bijouterie,
des monnaies, des verres émaillés, des
cristaux de roche, des tissus et des tapis
que dans les raffinements de la peinture,
de la sculpture, des ivoires, des cuivres
incrustés, des bronzes, des armes et de la
céramique.
Dans ce travail délicat d'analyse, l'au-
teur, soucieux de ne pas dépasser les limites
d'un simple manuel, a dû forcément réduire
ses développements à l'essentiel ; parfois
même on regrette qu'il ait, pour ce motif,
glissé trop rapidement sur certaines ques-
tions particulièrement intéressantes. Ainsi,
par exemple, les tapis turcs, assurément
inférieurs dans l'ensemble aux tapis per-
ÉCHOS d'orient
sans sur lesquels l'auteur s'étend avec
complaisance, méritaient mieux pourtant
qu'une mention de quelques lignes, p. 458.
De plus, s'il est vrai de dire que « le grand
■centre de fabrication des tapis en Asie Mi-
neure estOuschak », pour la quantité four-
nie, d'autres villes comme Césarée, Sivas
et Koniah en produisent de meilleure
qualité : c'est ce qu'a démontré un examen
comparatif fait à une exposition de ces
divers tapis à Koniah en 1904.
Au reste, M. Migeon ne prétend pas
avoir dit le dernier mot sur ces questions
fort délicates. Bon nombre, en effet, de
bois sculptés, de faïences à décors divers
«t de verres émaillés restent à classer, que
les chercheurs de l'avenir réussiront sans
doute à faire rentrer dans une catégorie
connue.
En attendant, tous les spécialistes que
passionnent les questions d'art trouveront
condensées dans ces deux volumes les ré-
ponses aux divers problèmes que l'on peut
se poser au sujet de l'art musulman. D'ail-
leurs, les 420 figures du premier volume
et les 376 du second, toutes très soignées,
contribuent en même temps que la nou-
veauté du sujet et la largeur de vues dans
laquelle a été conçu le manuel, à en rendre
la lecture très attrayante.
E. MONTMASSON.
L. Jalabert, s. ]., Epigraphie. Extrait du
Dictionnaire apologétique de la foi ca-
tholique de M. d'Alès (Paris, Beau-
chesne), t. I, col. 1404-1457.
Je viens de lire, et très attentivement,
l'étude que le R. P. Jalabert a consacrée à
l'épigraphie chrétienne, et je ne puis
rendre la sensation du plaisir littéraire
qu'elle m'a procuré. Ce serait le cas de
redire, en parodiant un mot célèbre, que
si les belles-lettres sont bannies de France
par nos modernes barbares, elles trouve-
ronttoujoursun refuge au sein d'une célèbre
Compagnie. Mais le R. P. Jalabert m'en
voudrait certainement si je me contentais
d'apprécier la belle tenue littéraire d'une
étude qui ne s'y prêtait guère; aussi bien
n'est-ce là que le moindre mérite de son
travail. Erudition immense et impeccable,
clarté d'exposition, divisions et subdivi-
sions bien ordonnées, bien classées, rien
n'y manque.
L'étude comprend deux grandes divi-
sions : 1° Les inscriptions chrétiennes;
2° l'apologétique des inscriptions par rap-
port au Nouveau Testament et à l'Eglise.
Dans la première partie, on traite successi-
vement de la comparaison des inscriptions
chrétiennes et des inscriptions païennes,
de l'ancienneté des inscriptions chrétiennes
et des textes crypto-chrétiens, de la diffu-
sion des inscriptions chrétiennes, comment
sont datées les inscriptions chrétiennes, le
formulaire de l'épigraphie chrétienne, les
premiers essais d'utilisation des inscriptions
dans un but apologétique. Dans la partie
relatant les rapports des inscriptions chré-
tiennes avec le Nouveau Testament, on
étudie les citations bibliques, le vocabu-
laire et la syntaxe du grec néo-testamen-
taire, puis le recensement de Quirinius,
Lysanias, tétrarque d'Abilène, divers traits
relatifs au voyage de saint Paul. Dans la
partie intitulée: les inscriptions et l'Eglise,
on étudie successivement la vie extérieure
de l'Eglise, c'est-à-dire son milieu, sa dif-
fusion, son unité, ses luttes et ses divisions,
ainsi que la vie intérieure de l'Eglise, c'est-
à-dire le Credo, les sacrements, le culte
chrétien, les institutions ecclésiastiques.
Suit une excellente bibliographie.
Quelques remarques pour terminer : col.
1409 sq., la date tardive des inscriptions ^
de Syrie et d'Egypte ne tiendrait-elle pas à ;
ce que la généralité des premiers chrétiens >
de ces deux provinces parlaient d'autres
langues que le grec ou le latin; col. 1410,
s'arrêter à Justinien pour l'épigraphie
chrétienne en Orient, c'est fort restreindre
le sujet. Dès lors, il n'est pas étonnant que
les inscriptions soient si peu nombreuses.
Pourquoi ne pas s'arrêter au milieu du
VII* siècle, à 641, par exemple, date de la
mort d'Héraclius? Ace moment, le monde
gréco-romain a bien pris fin. En Occident,
les barbares se sont installés définitivement
sur les terres de l'empire, même sur celles ;
qu'avait reprises Justinien ; en Orient, l'in-
vasion arabe a conquis la moitié de l'em-
pire. Nous avons là une date qui marque
une période décisive et qui ouvre l'ère du
byzantinisme; tout le monde pourrait
l'accepter. Sinon, remontons à Constantin.
S. Vailhé.
Mgr J. BoRGOMANERO, Qucstiones practicœ
theologiœ moralis ad usum missiona-
BIBLIOGRAPHIE
189
riorum prœsertim orientalium regio-
num. Rome, F. Pustet, 19 10, in-8'' de
vii-233 pages. Prix : 3 francs.
Les questions pratiques étudiées par le
docte prélat sont exposées sous forme de
cas de conscience rédigés par lui et résolus
par les curés de Constantinople sous sa
présidence, durant ses années de vicariat
général. Ces cas de conscience ont pour
objet : I. Le Baptême et la Pénitence. II. Le
Mariage. IIL L'Eucharistie et la messe.
IV. La foi, la coopération, la communica-
tion in divinis. V. L'obligation du rite
propre. VI. Les commandements de
l'Eglise et les usages de l'Orient.
Suivent sept appendices contenant:
1. La formule abrégée de l'abjuration. II.
Un résumé et un commentaire du Décret
Ne temere. III. Les prescriptions de la
Lettre apostolique Orientalium dignitas.
IV. Un tableau synoptique des rites orien-
taux catholiques. V. Règles concernant les
Ruthènes de l'Amérique du Nord. VI.
Règles à observer au sujet des enfants
catholiques qui assistent aux cérémonies
des non-catholiques. VII. Statuts des con-
férences théologiques instituées à Constan-
tinople par Me" Vincent Sardi.
La table des matières est précédée d'une
table alphabétique des sujets importants
traités dans l'ouvrage.
Le livre de M»"" Borgomanero se recom-
mande par la brièveté, la simplicité du
style et la largeur des idées unies à l'ortho-
doxie de la doctrine. La table alphabétique
en rend la consultation facile et rapide.
Plus d'un lecteur, cependant, regrettera
que cette table ne donne pas l'analyse som-
maire des solutions. Au IV^ appendice,
l'auteur appelle Epislola apostolica la
Bulle Orientalium dignitas. Nous pensons
que cette dénomination, pour désigner
une Bulle pontificale, est moins régulière
ou, en tout cas, moins employée que celle
de Litterœ apostolicœ qui est, du reste,
l'appellation du présent document dans les
Leonis XIII P. M. acta.
Ces petites chicanes n'atteignent en rien
le fond même du travail de M»»" Borgoma-
nero, auquel nous souhaitons le succès de
propagande que lui mérite sa valeur intrin-
sèque.
A. Catoire.
P. Kaer, San Doimo vescovo e martire
di Salona neliarcheologia e nell'agio-
grafia. Sebenico, Fosco, 1908, in-8\
280 pages.
Membre correspondant de la Commis-
sion centrale d'archéologie et d'histoire à
Vienne et dans plusieurs autres villes de
l'Europe, M. Kaer, appelé à parler de saint
Doimo ou Domnijs, évêque et martyr de
Salone, examine cette question au point
de vue archéologique et au point de vue
hagiographique.
Dans sa thèse, on peut distinguer deux
parties qui veulent être destructive et con-
structive. Dans la première, il cherche à
réfuter les conclusions de ses devanciers,
notamment celles de Bulic, Zélic et Zeiller
sur les résultats des fouilles de Salone.
Dans la seconde, en s'appuyant sur la tra-
dition, sur le Liber Pontificalis, sur les
renseignements pris au musée du Latran,
et sur les preuves historiques que l'on
trouve du IX.« au XII* siècle, il s'efforce de
prouver que saint Doimo ou Domnius,
évêque de Salone, a été martyrisé sous
Trajan, et que ses reliques sont conservées
dans la cathédrale de Spalato. En somme,
sa thèse se fonde sur la décision toute né-
gative de la S. Cong. des Rites en date du
22 avril 1902: Ex hactenus deductis non
infirmari sententiam, quœ tenet S. Dom-
nionem seu Domnium episcopum salonita-
num passum fuisse sub Trajano, ejusque
reliquia in cathedrali Spalatensiasservari.
Et l'archéologue de s'écrier : Roma locuia
est. causa finita. Or, c'est là une conclu-
sion exagérée. Que dit, en effet, la décision
précitée? Ex hactenus deductis non infir-
mari sententiam; elle constate seulement
l'insuffisance des preuves apportées contre
la thèse traditionnelle, sans avancer qu'à
l'avenir une découverte nouvelle ne diri-
mera pas la question dans le sens contraire.
Un certain nombre de fautes typogra-
phiques déparent cette étude: les mots
français et latins sont rarement bien
écrits." Voici des exemples: p. 218, nous
lisons fnartytibus pour martyribus, et
p. 219, martiribus pour martyribus:
p. 232, Mignè pour Migne; p, 238, euisdem
pour ejusdem; p. 263, traslatione pour
translatione {iexte latinl; p. 278, diverses
relation pour relationes.
Mais il est un autre point sur lequel j'at-
190
ECHOS D ORIENT
tirerai rattention de l'auteur. Son étude
veut être une démonstration scientifique.
Donc ce n'est pas un pamphlet, ce n'est
pas une diatribe ni une causerie littéraire
sur les idées d'autrui. Par suite, elles sont
inutiles et déplacées, les boutades amères
que l'auteur croit devoir adresser à M. Loisy,
p. 2o5, et aux hypercritiques en général,
p. 205; inutiles aussi les traits satiriques
dont il accable les partisans de l'opinion
contraire à la sienne, p. 21 5, 97, 102, etc.
Persuadé que, lorsqu'il s'agit des preuves
positives, les démonstrations sont rarement
apodictiques parce qu'elles constituent des
inductions trop incomplètes, l'auteur au-
rait gagné à se montrer indulgent vis-à-vis
des opinions des autres et légèrement
sceptique vis-à-vis de la sienne. Le lecteur
aurait ainsi trouvé, avec des conclusions
plus modérées et plus justes, plus de clarté
et plus de sérénité d'esprit.
E. MONTMASSON.
H. Grégoire, Notes épigraphiques. 1909,
Bruxelles, 17 pages in-8". Extrait de la
Revue de l'instruction publique en Bel-
gique, t. LUI.
Ces nouvelles notes de M. Grégoire sont
au nombre de quatre. La première se rap-
porte à l'épithète Diasoritès donnée parfois
à saint Georges; elle est sans doute dérivée
d'un nom de lieu, Diasoron, peut-être Dios
oros. La deuxième rectifie les lectures
acceptées par A. P. Kerameus et d'autres
dans une inscription d'Héraclée du Pont,
relative à la construction d'une tour, de
1206 à 12 II, par David, frère d'Alexis Com-
nène. La troisième s'attaque à une autre
inscription jusqu'ici illisible, et y retrouve
l'épitaphe d'Artémidore, cubiculaire de
Zenon, mort à Ancyre en 484: toutes mes
félicitations pour cette restitution qui paraît
sûre. Enfin, dans l'épitaphe de Michel
Comnène, trouvée à Iconium, M. Grégoire
croit devoir traduire les mots àixY,paç
APANHS par émir d'Arane; Arane serait
l'îlot Aretias ou Areionesos, près de Cerasus,
appelé par les Turcs Kerasound adassi,
mais par les Grecs Aranitis.
S. Pétridès.
P. AraBANTINOS, 'HTretpioTixbv yXcoffaàorov.
Athènes, P. A. Pétrakès, 1909, 102 pages,
petit in-8°. Prix : 2 fr. 5o.
Panayote Arabantinos composa en 1861
un glossaire du dialecte épirote : c'est cet
ouvrage qu'a édité récemment un de ses
fils. Cet acte de piété nous permet de rendre
un nouvel hommage au zèle du conscien-
cieux historien de l'Epire, dont les livre<î,
bien que vieillis, peuvent encore rendre des
services. M. Constantin Arabantinos a
élagué du catalogue dressé par son père
les mots panhelléniques ou appartenant
à d'autres dialectes, et qui encombraient le
travail primitif; il maintient seulement
ceux qui sont employés en Epire avec une
signification difi^érente. En outre, il a ajouté
bon nombre de mots nouveaux. Les phi-
lologues regretteront que, guidé par un
préjugé fanatique trop commun encore
chez les Grecs, il ait éliminé les mots d'ori-
gine étrangère. 11 aurait dû nous débar-
rasser, par contre, des « dorismes » que son
père croyait voir dans la langue moderne
et de l'orthographe barbare £Xr,i, for^i, >,
(article féminin pluriel).
R. Bousquet.
S. EUSTRATIADÈS. riavBsxTYi N'.xoXào'j Ka-
pa-r^a. Alexandria, Imprimerie patriar-
cale, 1910, extrait de la revue 'ExxÀY.i'.a-
ffTtxbç çpàpo;, t. VI, p. 8r-iil.
Ms'- Sophrone Eustratiadès, métropolite
de Leontopolis, mais qui réside à Zagazig
et non, bien entendu, aux ruines de Tell
Mokdam, possède un manuscrit autographe
où Nicolas Karatzas, grand logothète de la
Grande Eglise, a copié de nombreux docu-
ments intéressant le droit canonique. Dans
cet article, il nous donne la description
détaillée du recueil et en publie quelques
textes; ce n'est d'ailleurs pas la première
fois qu'il y puise. Pourquoi n'avoir pas fait
précéder son analyse d'une notice sur
Nicolas? Le mot que l'éditeur a cru lire
ria/Jvtxoi», fol. 342, ne serait-il pas ttottsa-
vixou ou Tra/apTrtvot»?
R. BO SQUET.
J.-H.-M. Clément. La représentation de la
madone à travers les âges. Bloud et C'%
Paris, 1909, in-i6, 71 pages. Collection
Science et religion, n° 547. Prix : o fr. 60.
Le sujet que M. l'abbé Clément s'est pro-
posé est bien vaste pour se laisser traiter
en une soixantaine de petites pages. L'au-
BIBLIOGRAPHIE
191
teur a dû se borner à une esquisse, et celle-
ci est excellente. On approuvera ses juge-
ments sévères sur l'œuvre des peintres et
sculpteurs modernes, même ceux de la
Renaissance: l'artiste « religieux » doit être
avant tout un croyant. Je m'étonne que
M. Clément ait fait l'honneur d'une repro-
duction à un dessin qu'il qualifie lui-même
comme il le mérite. J'aurais voulu aussi
un chapitre sur l'art byzantin : celui-ci
n'est représenté que par une icône russe
moderne et quelques bulles de plomb, en
dehors d'une Vierge « dite de saint Luc ».
— P. 2g, note, un sermon de saint Bernard
est cité avec cette référence : « S.rmons de
la Pathologie (sic) de M igné. »
L. Bardou.
L. Petit, A. A., et W. Regel, Actes de
l'Athos. III. Actes d'Esphigménou. Pé-
tersbourg, 1906. XXXIV-122 pages in-S^'.
Extraitde Vi^antiiskii Vremennik,i.XU.
Le monastère d'Esphigménou, comme
la plupart des couvents du mont Athos,
revendique une origine bien ancienne : il
remonterait, dit la tradition locale, à l'impé-
ratrice Pulchérie, sœur de Théodose le
Jeune. C'est moins que vraisemblable.
Peut-être s'agit-il de Pulchérie, sœur de
Romain Argyre, 1028-1034. Du moins,
c'est à cette époque que l'existence du mo-
nastère se laisse saisir pour la première
fois, avec celle d'un higoumène connu
en io3o. Dans la préface, le R. P. L. Petit
esquisse son histoire à partir de cette date,
en s'aidant surtout de 44 pièces publiées
à la suite, la première de 1034, la dernière
de 1848. Plusieurs de ces pièces sont en
slave; M. Regel en a établi le texte, de
même qu'il a fourni en partie le texte des
autres documents. R. Bousquet.
W. Regel, E. Kurtz et B. Korablev.
Actes de l'Athos. IV. Actes d:i Zogra-
phou. Pétersbourg, 1907, 2i3 pages in-8\
Extrait de Vi^antiiskii Vremennik,
t. XllI.
Ce quatrième fascicule des Actes de
l'Athos contient 80 pièces intéressant l'his-
toire du monastère de Zographou, pièces
s'échelonnant de 980 à 1748. De ces docu-
ments, 67 sont grecs et i3 slaves; les pre-
miers sont publiés par M. Kurtz, les autres
par M. Korablev. Un petit nombre avaient
été déjà édités avec plus ou moins de soins
par divers savants. M. Regel a collationné
ou copié lui-même au Mont Athos cette
importante collection, qui reste encore
malheureusement incomplète. Les noms
des éditeurs nous sont de sûrs garants que
leur publication est impeccable au point
de vue philologique. On regrettera, cepen-
dant, qu'ils n'aient pas cru devoir donner
un résumé français des actes.
R. Bousquet.
C. Michel et P. Peeters, S. J., Évangiles
apocryphes. Paris, A. Picard et fils,
191 1, in-8°, Lx-245 pages. Prix: 3 francs.
Dans la collection des Textes et docu-
ments pour l'étude historique du christia-
nisme publiés sous la direction de H. Hem-
meretP. Lejay, C. Michel et le R. P. P. Pee-
ters publient, en les annotant et en les
traduisant, le premier, le Protévangile de
Jacques, le Pseudo-Matthieu et V Evangile
de Thomas, et le second, l'Histoire de
Joseph le charpentier.
Une introduction critique, qui sert de
prélude à la publication des textes traduits,
refait en abrégé l'historique des éditions et
des textes manuscri.s de ces Evangiles
apocryphes. De ces notes détaillées, rele-
vons simplement les points suivants :
i" Le Protévangile de Jacques, édité
pour la première fois par Théodore Biblian-
der, à Bàle, en i552, l'a été dernièrement,
d'abord par Tischendorf, qui a utilisé à cet
effet dix-sept manuscrits, puis par M. l'abbé
E. Aman dans un ouvrage dont les Echos
d'Orient ont rendu compte. Le titre varie
selon les manuscrits : donc, celui que l'au-
teur a adopté à a. suite des Tischendorf:
ùôço-j ;j.Y-:o,- I-r,«Toy Xçtcrrou, n'cst pas Certain.
Il n'est pas davantage possible d'indiquer
Tivec certitude la date de la composition
de cet apocryphe. Toutefois, à la suite de
M. Harnack, M. Michel croit pouvoir en
faire remonter la première partie à la fin
du II* siècle et la seconde un peu avant le
VI* sièc'e. Enfin, l'auteur, qui n'est pas un
Judéo-chrétien, n'est pas Jacques le Mineur,
mai ' un certain Jacques 'Kxwooî t-.; sur
lequel on ne possède pas de renseignements
précis.
2" La première partie du Pseudo-Mat-
192
ÉCHOS d'orient
thieu fut publiée pour la première fois à
Halle, par Thilo, en 1 869 ; la seconde l'a été
récemment, par Tischendorf, d'après un
certain nombre de manuscrits découverts
en Italie. Cet apocryphe tient lieu en Occi-
dent d'une traduction latine du Protévan-
gile de Jacques. Il ne semble pas avoir été
composé avant la fin du iv« siècle ni après
le vi« siècle.
3° L'Evangile de Thomas a paru en
quatre rédactions distinctes : deux grecques,
une latine et une syriaque. La première a
été éditée pour la première fois à Venise
par Mingarelli, en 1764; la seconde et la
troisième l'ont été par Tischendorf, et la
quatrième par Wright, à Londres, en i865.
L'auteur ne paraît pas devoir être identifié
avec Thomas l'apôtre.
4° L'Histoire de Joseph le charpentier,
qui est plutôt le récit de la mort de saint
Joseph, a paru en trois rédaction^ dis-
tinctes : la recension copte dite bohaïrique,
la version saïdique et la version arabe. Ces
versionsdiffèrent et pourtant se complètent,
ce qui semble attester leur commune pro-
venance d'un original plus détaillé. La
date de la composition, incertaine comme
les autres, ne paraît pas devoir être reculée
au delà du iv« siècle. Enfin, les récits bohaï-
rique et saïdique ont été publiés à Paris,
par Revillout, en 1876; le récit arabe, par
G. Wallin, à Leipzig, en 1722.
Corrects dans l'ensemble, les textes
publiés dans cet ouvrage présentent pour-
tant quelques formes douteuses : p. 102 :
temptare virginem tuam? pour dubitare
de virgine tua; p. 180: la forme verbale
un peu barbare des manuscrits éTreTrj/susv
remplacée par sTrsTrjSeusv avec le sens de :
s'occuper longuement de. Cette substitu-
tion, imaginée par Thilo et Tischendorf,
est ingénieuse mais incertaine. Le texte
latin qui porte: docebat illum paraît avoir
exactement rendu l'idée : il s'agit en effet
de questions faites par le maître de Jésus à
son divin élève. Et puisqu'on fait remar-
quer que Je'sus n'y répondait pas, il faut
que le verbe précédent, don t le mot o-.SàaxaXoç
est sujet, exprime ou l'idée de questionner
ou l'idée d'enseigner. Du reste, beaucoup
d'autres corrections sont aussi arbitraires,
mais il faut s'en contenter provisoirement
pour donner aux phrases du récit un
sens acceptable. E. Montmasson.
D. Bassi — E. Martini, Disegno storico
délia vita e cultura greca. Milan, U. Hoe-
pli, 1910, in-i6, xvi-7gi pages. Prix:
7 fr. 5o.
On connaît le succès de la bibliothèque
de vulgarisation entreprise, sous le titre de
« Manuels Hœpli », par l'éditeur Hœpli,
de Milan. Deux savantsdistinguésviennent
d'ajouter à la collection un intéressant
précis intitulé « Esquisse historique de la
vie et de la culture grecques ». L'ouvrage
est divisé en quatre livres: I. Mythologie
et religion. — IL La Grèce depuis les
temps les plus anciens jusqu'au vi^ siècle
avant notre ère. — III. Grandeur et déca-
dence de la Grèce : de Marathon à Ché-
ronée. — IV. LaGrèce du règne d'A lexandre
à celui de Justinien. Ce dernier livre, seul,
rentre directement dans le cadre de nos
études. Et je dois avouer que j'ai trouvé
un peu maigre la part faite à cette pé-
riode de la vie et de la civilisation hellé-
niques. Il n'y est presque rien dit de l'in-
fluence réciproque qu'exercèrent l'un sur
l'autre le judaïsme et l'hellénisme, de la
part prise par ce dernier dans la propaga-
tion de la religion chrétienne et dans
la littérature ecclésiastique des premiers
siècles. On se contente d'énumérer les
principaux représentants de cette littéra-
ture en y joignant, en traduction italienne,
deux extraits des œuvres de saint Basile et
de saint Jean Chrysostome. Je sais bien
que les auteurs, selon l'avertissement mis
en tête de la préface, s'en sont tenus aux
programmes officiels. Mais il dépend pré-
cisément des savants de faire, au besoin,
modifier ces programmes ; et l'intérêt crois-
sant que le public instruit attache à l'his-
toire des origines chrétiennes suffirait
à exiger une modification dans le sens que
nous venons d'indiquer. Le titre même de
ce livre IV me suggère une autre remarque :
pourquoi confondre « la Grèce » avec
« l'hellénisme »?
Pour l'histoire profane de la vie et de la
culture grecques, ce manuel, d'impression
très nette, sera certainement fort goûté et
rendra grand service. Nous souhaitons
aux prochaines éditions d'accentuer un-
peu plus la note chrétienne exigée par la
dernière période de cette histoire.
S. Salaville.
44C-II. — Imp. P. Feron-Vrau, b et 5, rue Bayard, Paris, VIU». — Le gérant : E. Petithenrt.
SÉVÉRIEN DE GABALA
ET LE SYMBOLE ATHANASIEN
Malgré de nombreuses et très érudites
recherches, l'origine du symbole Qui-
cumque, dit de saint Athanase. reste encore
un problème. 11 ne se passe guère d'années
sans que quelque critique ne propose une
solution nouvelle, qui ne se trouve jamais
être pleinement satisfaisante. Dans une
savante étude publiée récemment, Dom
Morin a résumé ainsi l'état actuel de la
question (i) :
Relaiivement à l'origine du Quicumque
ou symbole d'Athanase, trois données sont
désormais acquises, sur lesquelles tous les
critiques sont d'accord :
En premier lieu, la pièce n'est point de
saint Athanase, bien qu'elle porte son nom
dans de nombreux manuscrits, comme
dans l'usage officiel.
Secondement, elle a été rédigée non en
grec, mais en latin.
Troisièmement enfin, elle est pour sûr
antérieure à l'époque carolingienne. Swain-
son, de nos jours, a émis une théorie d'après
laquelle le Quicumque n'aurait été con-
stitué qu'au cours du ix« siècle, au moyen
de deux parties distinctes qu'on aurait alors
soudées l'une à l'autre. Cette théorie est
de tout point insoutenable; un seul fait
suffit à le prouver; nous possédons plu-
sieurs copies du texte complet du Qui-
cumque remontant au vnr siècle; l'une
d'elles peut même être datée de l'an 700
environ, plutôt avant qu'après (2).
En dehors de ces trois points, c'est l'in-
certitude la plus déconcertante, une diver-
gence d'opinions tout à fait extraordinaire.
(i) L'origine du symbole d'Athanase dans The
Journal of Theological Studies, janvier 191 1,
p. 161-190. Cet article doit être suivi d'un autre
d'égale longueur, dont l'auteur nous a très obli-
geamment communiqué les épreuves. Qu'il reçoive
ici tous nos remerciements. Le travail entier est
divisé en quatre parties qui ne sont autres que
les conlércnces ou Lectures données par Dom
Morin à l'Université d'Oxford, en octobre 1910.
(2)Celle du ms.de Bobbio, Ambrosian. O212 sup.
Echos d'Orient, 14* année. — .V 8g.
Par exemple, pour ce qui est du pays d'ori-
gine, les meilleurs juges, en Angleterre
surtout, ont opiné pour la Gaule méridio-
nale, la vallée du Rhône et la Provence,
en tout cas, pour la sphère d'influence de
l'école de Lérins: c'est même là, on peut
le dire, le sentiment qui tend à prévaloir
de plus en plus à notre époque. Cepen-
dant, des érudits très compétents ont sou-
tenu la possibilité d'une provenance espa-
gnole ou africaine; tout dernièrement même,
une voix s'est élevée en faveur de Milan.
Encore moins est-on près de s'entendre
au sujet de la date. Le jésuite Brewer (i)
croit pouvoir la fixer entre l'automne de
382 et l'hiver de l'année suivante. Kùnstle
est également d'avis qu'elle peut remonter
jusqu'au déclin du iv* siècle (2); Katten-
busch (3), au second décennium du v*.
Waterland, Ommaney, Burn, placent la
composition du symbole à des dates qui
vont s'échelonnant entre 427 et 450, tandis
que Caspari et Kraus n'ont pas hésité à
l'abaisser jusqu'au vi« siècle. Moi-même,
il y a neuf ans, j'essayais de montrer que,
si véritablement le Quicumque est origi-
naire du sud de la Gaule, rien n'empêche
de descendre jusqu'à la première moitié
du vi'^ siècle, plusieurs motifs semblent
même y inviter; mais il n'est guère pos-
sible de dépasser cette date, sans quoi l'on
tombe en pleine décadence et barbarie (4).
C'est à cette solution que s'est rallié, pro-
visoirement du moins, l'un des hommes
d'Oxford qui contribuent le plus, présen-
tement, au renom de cette Université,
M. Turner (5). Le D"" Loofs, au con-
traire, examen fait des différentes hypc-
(1) Das sogen. Athanasianische Glaubensbe,
kenntnis ein Werk des hl. Ambrosius. Paderborn-
1909, p. 89 sq.
(2) Antipriscilliana, Fribourg-en-B., igoS, p. 241.
(3) Theolog. Literatur^eitung, année XXII
(1897), col. 144.
(4) Revue bénédictine, t. XVIII (1901), p. 33/ sq.
(5) The Uistory and Use of Creeds and Ana-
thenias in the Early Centuries of the church
(1906), p. 75.
Juillet igi i .
194
ECHOS D ORIENT
thèses émises jusqu'à ce jour, persiste à
prétendre que le Quicumque est le résultat
d'un long travail d'élucubration et d'accré-
tions successives qui ont pu se produire
de 45o à l'an 600 (i).
Ainsi désaccord completentreles savants;
les uns voient dans le Quicumque un pro-
duit de l'âge d'or de la patristique d'une
époque où « l'originalité de la pensée était
encore un don commun des théologiens (2) ;
les autres y reconnaissent plutôt l'œuvre
d'un compilateur — d'un compilateur de
premier ordre évidemment — plus voisin,
toutefois, des Césaire et des Isidore que
des Augustin et des Ambroise » (3).
Après avoir écrit ces lignes, l'érudit
Bénédictin examine les causes de ces diver-
gences, bien faites pour inspirer quelque
scepticisme à l'endroit de la critique in-
terne, car c'est la critique interne qui a
enfanté presque toutes ces hypothèses. Les
témoignages externes font presque com-
plètement défaut. La pièce est de facture
tout à fait impersonnelle. Ce qui a surtout
égaré les savants, d'après Dom Morin, c'est
qu'ils ont cherché à découvrir dans le Qiii-
cutnque telle ou telle tendance doctrinale,
alors que le symbole n'est pas tant carac-
térisé par son fond que par la manière
plutôt rare et nouvelle dont la doctrine est
formulée. Cette manière donne « l'impres-
sion que la pièce ne doit guère remonter
beaucoup plus haut que le vi^ siècle ».
Quant au pays d'origine, impossible de
le déterminer autrement que par les té-
moignages externes. Se basant sur ce fait
que l'existence du Quicumque est attestée
pour la première fois au concile de Tolède
de 633 et sur l'invraisemblance d'une ori-
gine gallicane, une fois passé l'an 550,
Dom Morin se prononce pour la prove-
nance espagnole dans la seconde moitié
du VF siècle. Il se hasarde même à pro-
noncer un nom, celui de Martin de Braga,
(i) Article « Athanasianum », dans la Realency-
clopœdie fur protest. Théologie, 3* édit., t. II,
p. 177 sq.
(2) BcRN, An Introduction to the Creeds. Londres,
1899, p. 182.
(3) The Journal of theological Studies, loc. cit.,
p. 161-162.
l'homme le plus érudit de son temps, à
qui l'Orient et l'Occident étaient également
connus, qui, après des voyages en Orient,
vint aborder, on ne sait trop pourquoi, au
pays de Galice. Parmi les écrits de ce per-
sonnage, qui sont considérés comme per-
dus, saint Isidore de Séville mentionne une
Règ e de foi, régula fidei. Ne serait-ce point
là notre Quicumque? C'est sur ce point
d'interrogation que Dom Morin termine
son travail. Avec une loyauté scientifique
qui l'honore, il combat résolument l'hypo-
thèse qu'il avait émise, il y a neuf ans,
sur l'origine gallicane du symbole, et sa
composition probable par saint Césaire
d'Arles (i). II. ne nie pas cependant que
l'influence de l'école de Lérins ait été sen-
sible dans la rédaction de la pièce, car les
écrits des Lériniens étaient fort en honneur
en Espagne au vi*^ siècle.
Telles sont les conclusions auxquelles
s'arrête le savant Bénédictin. Comme lui,
nous sommes pleinement convaincu qu'en
la matière la critique interne pure est in-
capable de fournir autre chose que des pro-
babilités. Or, le nombre des probabilités
est incalculable. Je ne crois pas qu'il y ait
un seul Père latin, voire même un seul
Père grec, à partir du iv^ siècle, auquel on
ne puisse faire honneur du Quicumque, en
employant les procédés du P. Brewer rela-
tivement à saint Ambroise, c'est-à-dire en
allant quêter çà et là dans les divers écrits
d'un même Père des phrases et des bouts
de phrases susceptibles d'être rapprochés
des versets du symbole.
Quant aux rares témoignages externes
dont on dispose, ils ne peuvent pas non
plus fournir une solution certaine du pro-
b ème. Certes, la manière dont Dom Morin
les utilise au profit de ses conclusions est
ingénieuse, mais elle n'est pas à l'abri de
toute discussion. Du fait que le concile
espagnol de 633 a fait des emprunts au
Quicumque, il ne s'ensuit pas nécessaire-
ment que celui-ci ait été composé par un
Espagnol. Les Pères de Tolède ont pu le
trouver dans quelque théologien de la Gaule
[i) Revue bénédictine, t. XVIII, p. 340,
SEVERFEN DE GABALA ET LE SYMBOLE ATHANASIEN
195
méridionale, puisqu'on nous dit que les
ouvrages des Lériniens étaient fort goûtés
en Espagne au vi^ siècle. Dira-t-on que,
passé l'an 530, la Gaule était incapable de
produire un pareil chef-d'œuvre? Mais,
outre qu'il est dangereux d'affirmer de pa-
reilles impossibilités, qui empêche de sup-
poser que le Lérinien, auteur présumé du
symbole, a vécu avant l'an s 50, et peut-
être dans la première moitié du v« siècle?
Car on ne voit aucune nécessité à ce que
le Quicumqiie ait dû attirer l'attention gé-
nérale aussitôt après son apparition. On
sait combien sont fréquentes les professions
de foi composées par de simples particuliers
dans l'ancienne Eglise, et beaucoup, et de
très belles, sont restées inaperçues.
La nouvelle thèse de Dom Morin n'est
donc qu'une hypothèse de plus, ajoutée à
tant d'autres; mais toutes les hypothèses
ne sont pas à mettre sur le même rang.
Nous reconnaissons volontiers que cette
dernière vient l'une des premières pour le
degré de vraisemblance. Ce qui va suivre
n'est pas d'ailleurs de nature à l'ébranler
directement, car nous n'avons pas décou-
vert l'auteur du Quicuinque, nous croyons
seulement avoir trouvé la source (ou l'une
des sources) de la partie trinitaire de ce
symbole.
Cette source est grecque. C'est la pre-
mière des homélies de Sévérien de Gabala,
que le méchitariste Jean-Baptiste Aucher
traduisit en latin d'une ancienne version
arménienne, etqu'iléditaà Venise, en 1837,
sous le titre : Severiani sive Seberiani
Gahalorum episœpi Emesensis bomilicR nunc
primum editœ ex antiqua versione armena
in latimim sermonem trattslatce (i). Sévé-
rien, évêque de Gabala, l'infidèle ami de
saint Jean Chrysostome, est un nom bien
(1) Ces homélies sont au nombre de quinze. Leur
authenticité n'est pas douteuse. Plusieurs d'entre
elles sont citées par les auteurs anciens. Aucher
a publié le texte arménien avec la traduction latine
en regard. L'épithète Emensensis, donnée par le
texte arménien à Sévérien, signifie vraisemblable-
ment, comme le pense Aucher, p. xvi, que l'évéque
de Gabala était natif d'Emèse.
connu dans la littérature patristique, et il
est inutile d'esquisser ici sa notice biogra-
phique. Quanta l'homélie en question, elle
fut prononcée à Jérusalem un dimanche
qui se trouvait être la fête de l'Epiphanie,
\2l fête des Lumières {\). Si l'on fait atten-
tion : i'^ que Sévérien de Gabala est mort
vers l'an 408; a» que la fête de l'Epiphanie
se célébrait le 6 janvier (2): 3» qu'entre les
années 382-408, le 6 janvier est tombé un
dimanche en 390, 396, 401 et 407; 4" que
l'année 401 doit être exclue, parce que
Sévérien se trouvait alors vraisemblable-
ment à Constantinople, et que la date 407
paraît peu probable, il reste que notre ho-
mélie a dû être prêchée le 6 janvier 390,
ou le 6 janvier 396.
Son authenticité est hors de doute. Au
point de vue interne, c'est bien le style
alerte, nerveux, de fer, selon l'expression
de Saville, sentencieux, ami de l'antithèse,
que l'on connaît à l'évéque de Gabala, qui
dit de lui-même : J'aime toujours à dire
beaucoup de choses en peu de mots (3). Par
ailleurs, la version arménienne remonte
au ve siècle, c'est-à-dire à làge d'or de la
littérature arménienne, comme nous l'ap-
prend Aucher dans son introduction (4).
11 est difficile de supposer qu'un traducteur
presque contemporain de Sévérien lui ait
attribué des écrits qui ne lui appartenaient
pas. Enfin, il est peut-être permis d'iden-
tifier notre homélie avec celle dont parle
Gennade de Marseille dans son Liber de
scriptoribus ecclesiasticis : Legi ej'us (Seve-
{i) Le titre de l'homélie est le suivant: In magna
die luminum {-3. âyta 2w-al, Jerosolymis prolata.
De fide, deque generatione Filii ex Pâtre. L'ora-
teur dit en débutant: Hortatur locus dominicus de
Domino loci agere atque dies dominica super-
veniens.
I21 A cette époque, la fête du 25 décembre n'était
pas encore introduite dans le diocèse de Jérusalem.
La fête du 6 janvier correspondait à la fois à notre
Noël et à notre Epiphanie. C'est sous l'épiscopat
de Juvénal (424-458), comme l'a prouvé le P. S. Vaiihé,
{^Echos d'Orient, U VIII, 1905, p. 212-218), que la
fête occidentale du 25 décembre fat adoptée dans
la Ville Sainte.
(3) Semper compendiose agere me delectat, et
plura paucis comprehendere. Homil. IX. Aucher,
p. 337.
(4) Aucher, p. xvni.
196
ÉCHOS d'orient
riani) de Baptismo et Epîphaniœ solemnitale
Hbellum gratissimum (i). Si nous enten-
dons bien le prêtre marseillais, il veut dire
qu'il a lu un petit livre contenant deux
homélies de Sévérien de Gabala; l'une sur
le baptême, que nous possédons encore, et
qui est la dixième du recueil d'Aucher(2);
l'autre sur l'Epiphanie, qui est peut-être
celle dont nous parlons (3). La lecture de
ces deux pièces enthousiasma Gennade, et
il écrit de leur auteur qu'il est in homiliis
declamator admirabilis. Cet éloge est par-
faitement mérité, surtout pour ce qui re-
garde la longue homélie sur le baptême.
L'homélie sur l'Epiphanie, quoique assez
courte (elle tient en sept pages), est aussi
d'une grande beauté et d'un riche contenu
dogmatique. C'est, peut-on dire, un résumé
en phrases lapidaires de la théologie de
Dieu un et trine. L'orateur commence par
nous parler du Dieu unique, principe sans
principe, source de tout être, possédant
toutes les perfections, dégagé de toute
imperfection (p. 5-9). 11 passe ensuite au
dogme trinitaire et il insiste spécialement
sur la génération éternelle du Verbe
(p. 9-1 1 ). il termine par l'admirable exposé
que voici du mystère de Dieu en trois per-
sonnes (4) :
Erat Pater ingenitus, et Filius genitus,
Ens ab illo Ente substantiali, vita e vita.
Sicut, ait, Pater habet vitam in seipso, iia
et Filio dédit habere vitam. Non quasi prius
genuerit, et postmodum dederit ei vitam,
sed Vivens viventem vitam genuit, et
Creator creatorem, judicemque. Non enim
improprie velut adscitiam habet Patris vir-
(i) Liber de scriptoribus ecclesiasticis, c. xxi.
P. L., t. LVIII, col. 1075.
(2) P. 371-401. Le texte grec de cette homélie se
trouve parmi les œuvres de saint Basile. P. G.,
t. XXX!, col. 423-444.
(3| L'identification cependant n'est pas absolu-
ment sûre, car Matthaei a édité dans ses Lectiones
Mosquenses une homélie In Dei appariiionem
sous le nom de Sévérien de Gabala. Cette homélie
est reproduite dans Migne, P. G., t. LXV, col. i5-26.
Elle est d'une remarquable banalité. Par ailleurs,
le libellus dont parle Gennade peut ne désigner
qu'un seul discours, puisque le souvenir du bap-
tême du Christ est attaché à la fête dé l'Epiphanie.
(4) Nous reproduisons la traduction latine d'Au-
cher, n'ayant pu découvrir le texte original.
tutem, sed ex natura aequalis ei fuit, juxta
illud quod in Evangelio exponitur, quod :
Omne quod Patris est, illud meum est. —
Et : Ego et Pater meus unum sumus. —
Fa : Qui vidit me vidit Pat rem.
Omnia quœcumque Patris sunt, eadem
et Filii, nisi solum quod non est Pater; et
omne quicquid Filius est, idem et Pater,
nisi solummodo quod non est Filius, nec
carnem sumpsit; atque omne quidquid
Pater est et Filius, idem et Spiritus sanctus,
praeter quod non est Pater et Filius, neque
homo factus est, sicut Filius. Vivit Pater:
Vivo ego, inquit, Dominus virtutum. Vivit
et Filius : Ego sutn, ait, vita et lux et veritas .
Vivit et Spiritus sanctus : Caro nihiljuvat,
sed Spiritus est qui vivijicat.
Unus est etiam Dominus, et unus Deus,
et unus Rex ; non Dominos, nec Deos,
neque Reges profitemur sanctam Trini-
tatem, secjndum quod Seraphim clama-
hdinùnXQm^Xo: Sanctus, Sanctus, Sanctus ;
ter Sanctus et semel Dominus. Siquidem
unus est Dominatus Patris et Filii et Spi-
ritus sancti. Unus Dominus et Deus, Pater;
non est enim alius Deus Pater. Et unus
Dominus et Deus, Filius; non est enim
alius Filius. Et unus Dominus et Deus,
Spiritus sanctus; non est enim alius Spi-
ritus Deus, nisi Dei Spiritus. Unus est
Deus Pater, ex quo omnia. Unus Dominus
Jésus Christus, per quem omnia; et unus
Spiritus sanctissimus, qui omnia rénovât
et sanctificat. Unum baptismum et unam
Ecclesiam Paulus prasdicat, non ipse, sed
ille de quo dicebat : Si experimentum ali-
quod quœritis Christi, qui per me vobis-
cum loquitur.
Genuit Pater Filium, non tamen in Ge-
nitum suum mutatus fuit; sed est Pater,
Pater; et Filius, Filius; et Spiritus sanctus,
Spiritus Dei. Genitus est Filius, nec tamen
in Patrem mutatus est; non enim in oppro-
brium vel in explosionem est Patris Filius,
sedexscientia(i) Ingeniti Genitus. Nediffi-
damus de divina gène atione. Ne contem-
namus et ipsius carnalem nativitatem. Ne
pessumdemusetvoluntariam paupertatem.
Dignitas angelorum, honor coram standi
est; dignitas Unigeniti sedere a dextra Pa-
tris. Angeli vel nomen ipsum ministerii
est, et archangeli principatus ministerii.
(i) Au lieu de ex scientia, il faut peut-être tra-
duire ex essentia.
SEVERIEN DE GABALA ET LE SYMBOLE ATHANASIEN
197
Deum autem apud Deum dici, nomen Dei
est. Deum, inquam apud Deum, non Dii.
Non enim duos Ingenitos neque duos Ge-
nitos confitemur, sed unum Ingenitum et
unum Genitum, et unum Spiritum veri-
tatis ex Pâtre procedentem.
Très et unus, unus et très, quia unam
essentiam sanctœ Trinitatis profitemur, in
tribus hypostasibus perfectarum persona-
rum. Non enim persona Patris est persona
Filii, neque persona Filii aut Spiritus sancti
est persona Patris, quamquam jam inde ex
una ipsa essentia Patris est Filius et Spi-
ritus sanctus. Quoniam Unigenitus Filius,
qui ante sgecula est et ex Pâtre et apud
Patrem, Deus apud Deum, et idem homo
cum hominibus, non decidens a divinitate,
etsi incarnatus comperitur, non deturbatus
a prima sua nativitate, etsi per carnalem
nativitatem ex Virgine apparuit in carne
natus. Imo etiam dum in utero Virginis
erat, non erant ab ipso vacui cœli et terra
universaque creatura.
1. Quicumque vult salvus esse, ante
omnia opus est ut teneat catholicam
fidem,
2. Quam nisi quisque integram inviola-
tamque servaverit : absque dubio in aeter-
num peribit.
3. Fides autem catholica haec est ut unum
Deum in Trinitate et Trinitatem in uni-
tate veneremur.
4. Neque confundentes personas, neque
substantiam séparantes.
5. Alia est enim persona Patris, alia
Filii, alia Spiritus sancti.
6. Sed Patris et Filii et Spiritus sancti
una est divinitas, aequalis gloria, coaeterna
majestas.
7. Qualis Pater, talis Filius, talis Spi-
ritus sanctus.
Ingenito Dec Patri, et Genito ab ipso
Filio unigenito et Spiritui sancto procedenti
ex illorum essentia, tribus in unasubstantia
omnis gloria, nunc et semper, et in sascula
saeculorum. Amen (i).
Ces quelques lignes renferment non
seulement tout le fond doctrinal de la
partie trinitaire du Quicumque, mais encore
la plupart des expressions et des tournures,
plusieurs phrases entières qu'on retrouve
presque mot pour mot dans le texte du
symbole. La concordance est telle, qu'il
paraît vraiment difficile de l'attribuer à un
pur hasard. Pour la rendre plus sensible,
nous allons reproduire les versets du Qui-
cumque, en mettant en regard les passages
correspondants de l'homélie. Nous ajou-
tons entre crochets quelques phrases
d'autres homélies du même auteur, sus-
ceptibles d'être rapprochées du texte du
svmbole.
8. Increatus Pater, increatus Filius, in-
creatus Spiritus sanctus.
3. Très et unus, unus et très, quia unam
essentiam sanctœ Trinitatis profitemur,
in tribus hypostasibus perfectarum per-
sonarum;
5. Non enim persona Patris est persona
Filii, neque persona Filii aut Spiritus
sancti est persona Patris.
6. Quamquam Jam inde ex una ipsa es-
sentia Patris et est Filius Spiritus sanctus
(p. i5).
7. Omne quidqutd Pater est, et Filius,
idem et Spiritus sanctus (p. i3).
Erat Pater, Pater verus; et Filius,
Filius vere, et Sanctissimus Spiritus,
certus Spiritus Dei (p. 1 1).
Vipit Pater, vivit et Filius, vivit et Spi-
ritus sanctus {p. i3).
Est Pater, Pater; et Filius, Filius, et
Spiritus sanctus, Spiritus Dei (p. i5).
(l) AUCHER, p. l3-I7.
I9S
ÉCHOS d'orient
g. Immensus Pater, immensus Filius,
immensus Spiritus sanctus.
10. ^ternus Pater, aeternus Filius, aeter-
nus Spiritus sanctus.
11. Et tamen non très aeterni, sed unus
aeternus.
12. Sicot non très increati nec très im-
mensi, sed unus increatus et unus im-
mensus.
i3. Similiter omnipotens Pater, omni-
potens Filius, omnipotens Spiritus sanctus.
14. Et tamen non très omnipotentes, sed
unus omnipotens.
i5. Ita Deus Pater, Deus Filius, Deus
Spiritus sanctus.
16. Et tamen non très Dii, sed unus est
Deus.
17. Ita Dominus Pater, Dominus Filius,
Dominus Spiritus sanctus.
18. Et tamen non très Domini, sed unus
est Dominus.
19. Quia sicut singillatim unamquamque
personam Deum ac Dominum confiteri
christiana veritate compellimur, ita très
Deos aut Dominos dicere catholica reli-
gione prohibemur.
9. [Magnus quippe est Genitor, magnus
et Genitus Magnus est Pater, et magna
virtus ejus, Spiritus sanctus. Homil. VII,
p. 289I.
[Si Pater libérât, et Filius libérât, et Spi-
ritus libérât. Ibid., p. »g3.]
[Inter fidèles Pater, inter fidèles Filius,
inter fidèles Spiritus quoque sanctus ...
In medio itaque Pater, in medio Filius, in
medio etiam Spiritus sanctus. Homil. V,
p. 20I-203.]
10. Ante sœcula est Genitor, ante sœcula
temporaque et Genitus (p. 9). Unigenitus
semper erat et sempiternus apud Geni-
torem est (p. i3).
[Ante saecula Pater, ante saecula Filius,
ante seecula Spiritus sanctus. Homilia de
Serpente, 7. P. G., t. LVI, col. 5 10.;
13-14. [Quemadmodum cum dixerim
Deus, et Deus, et Deus, non très deos dico,
sed unum; similiter quum dicam Omni-
potens, et Omnipotens, et Omnipotens, non
très dico omnipotentes, sed unum. Ho-
mil. IV, p. 173.]
[Ecclesia non très omnipotentes novit,
sed unam virtutem quae omnia potenter
tenet. Veraciter omnipotentia in Pâtre et
Filio et Spiritu sancto agnoscitur. Ibid.,
p. 159.]
iS-ig. Unus est etiam Dominus, et unus
Deus et unus Rex, non Dominos, nec Deos,
neque Reges profitemur sanciam Trini-
tatem : secundum quod Seraphim clama-
bant in templo : Sanctus, Sanctus, Sanctus:
ter sanctus et semel Dominus. Siquidem
unus est dominatus Patris et Filii et Spi-
ritus sancti. Unus Dominus et Deus Pater;
non est enim alius Deus Pater. Et unus
Dominus et Deus Filius; non est enim
alius Filius. Et unus Dominus et Deus,
Spiritus sanctus; non est enim alius Spi-
ritus Deus nisi Dei Spiritus (p. i3).
[CLHotnil. IV, p. i63 : Dominus et Deus
est Pater; Dominus et Deus est Filius.
[Qui dixerit très Deos seorsum ab invicem
anathema sit. Homil. IV, p. iSg.]
[Régnât Pater; régnât Filius, régnât Spi-
ritus sanctus Dominus Pater, Dominus
Filius, Dominus Spiritus sanctus. Homilia
de Serpente, y, P. G., t. LVI, col. 5io, 5i i .]
SÉVÉRFEN DE GABALA ET LE SYMBOLE ATHANASIEN
199
20. Pater a nullo est factus, nec creatus,
nec genitus.
21. Filius a Pâtre solo est, non factus,
nec creatus, sed genitus.
22. Spiritus sanctus a Pâtre et Filio, non
factus, nec creatus, nec genitus, sed pro-
cedens.
23. Unus ergo Pater, non très Patres,
unus Filius, non très Filii, unus Spiritus
sanctus, non très Spiritus sancti.
24. Et in hac Trinitate nihil prius aut
posterius, nihil majus aut minus, sed totae
très personae coaeternce sibi sunt, et coas-
quales.
25. Ita ut per omnia, sicut jam supra
dictum est, et unitas in Trinitate, et Tri-
nitas in unitate venerenda sit.
26. Qui vult ergo salvus esse, ita de Tri-
nitate sentiat.
20. Principium omnium Deus est, ipse
vero a nullo unquam principio factus
ip. 5). Erat Pater ingeniius (p. i3).
21. Generavit Ingenitus Genitum suum
(p. 9). Erat Filius genitus, ens ab illo ente
substantiali 1 p. i3).
20-22. Ingenito Deo Patri, et Genito
ab ipso Filio Unigenito, et Spiritui sancto
procedenti ex illorum essentia, tribus in
una substantia, omnis gloria (p. 17).
2'i.Etquemadmodum non estalius Pater
prœter unum solum, similiter nec alius
est Filius prœter unicum, neque alius
Spiritus coœqualis prœter Spiritum Dei
(P- 9)-
Non duos Ingenitos, neque duos Genitos
coniitemur, sed unum Ingeniium, et unum
Genitum, et unum Spiritum veritatis ex
Pâtre procedentem {p. i5).
Unus est Deus Pater, ex quo omnia,
Unus Dominus Jésus Christus, per quem
omnia, et unus Spiritus sanctissimuSy qui
omnia rénovât et sanctificat (p. iS).
Non quasi prius genuerit ex natura
œqualis ei fuit (p. i31.
24. [iVon est ordo in immortali natura,
talis ordo ut unus alterum superet. Quivis
dicatur prius, ejusdem honoris est et se-
cundus, et non diminuitur aut despicitur
quodammodo tertius. Homil. VII, p. 261,
2r33.1
Ce parallèle nous paraît impression-
nant. Voici les conclusions qu'il nous
suggère :
i'3 Si le rédacteur du Qtnaimqiie n'a
pas utilisé l'homélie de Sévérien de Gabala
pour la partie trinitaire, nous sommes en
présence d'un phénomène littéraire vrai-
ment curieux, qui ne peut qu'augmenter
notre scepticisme à l'endroit de la critique
interne pure. Il y a lieu de se demander
quand on pourra affirmer avec certitude
la dépendance d'un texte donné à l'égard
d'un autre, hormis le cas d'une transcrip-
tion servile et à peu près complète. Qu'on
remarque, en effet, que sur vingt-six ver-
sets du symbole, nous en avons retrouvé
plus de la moitié, et plusieurs presque
mot pour mot, dans deux pages de l'ho-
mélie de révêque de Gabala. Nous sommes
loin ici du procédé qui consiste à par-
courir tous les ouvrages d'un auteur pour
glaner çà et là des phrases, des débris de
phrases rappelant, pour le fond ou la forme,
le texte du symbole.
Ce procédé, le P. Brewer n'est pas le
seul à l'avoir employé. D'autres que lui
l'ont appliqué à Vincent de Lérins, à saint
Augustin (1), etc. Ceux qui lui trouvent
quelque valeur reconnaîtront sans doute
que, de toutes les concordances relevées
jusqu'ici entre le Quiatmqite et n'importe
quel écrivain ecclésiastique, il n'en est
(i) Cf. TixERONT, article « Athanase (Symbole de
saint) », dans le Dictionnaire de théologie catho-
lique Vacant-Mangenot, t. I'% col. 2184-2186.
200
ECHOS D ORIENT
point de comparables à celles que nous
signalons entre la partie trinitaire du sym-
bole et l'homélie de Sévérien, puisqu'elles
sont très nombreuses, sont tirées d'une
même pièce et viennent les unes à la suite
des autres dans un contexte de deux
pages.
On peut aller plus loin et avancer que,
si la dépendance n'existe point dans le
cas présent, il paraît difficile de l'admettre
pour la profession de foi du IV^ concile
de Tolède (décembre 633). Cependant, la
grande majorité des critiques n'hésite point
à reconnaître que le concile espagnol a
fait des emprunts au Quicumque (1). Voici
deux passages de la profession de foi de
Tolède, que Dom Morin donne comme
preuve certaine de l'utilisation du sym-
bole par les évêques espagnols :
In penonarum diversitatetrinitatem cre-
dentes, in divinitate unitatem praedicantes
nec personas confundimus,nec substantiam
separamus. Patrem a nullo factum vel
geniium dicimus : Filium a Pat?'e non fac-
tum sed genitum asserimus : Spiritum vero
sanctum nec creatum, nec genitum sed pro-
cedentem ex Paire et Filio profîtemur.
Ipsum autem Dotninum nosirum Jesum
Christum Dei Filium et creatorem omnium
exsubstantia Patrisantesœculagenitum...
^qualis Patri secundum divinitatem,
minor Pâtre secundum humanitatem
Deus et homo, non autem duo Filii et Dei
duo praeferens passionem et mortem
pro salute nostra descendit ad infe-
ros Hœc est catholicœ ecc\esis£ fîdes
quam quisquis firmissime custodierit, p2r-
petuam salutem habebit (2).
Certes, il y a là plus d'une coïncidence
verbale digne d'attirer l'attention, mais
celles que nous avons trouvées dans l'ho-
mélie de l'évêque de Gabala nous paraissent
tout aussi frappantes.
20 II est clair que Sévérien de Gabala
était de force à composer le Quicumque.
La chose ne paraît pas contestable pour la
partie trinitaire. Une des particularités les
(i) Cf. Dom Morin, art. cit., p. 174-175. Le D' Loofs
ne reconnaît point le Quicumque dans la profes-
sion de Tolède. Realencyclopœdie, loc. cit., p. 191.
(2) DoM Morin, loc. cit., p. 174-175.
plus remarquables du symbole consiste à
appliquer successivement à chaque per-
sonne divine un même attribut. Or, nos
citations, qu'il serait facile de multiplier,
montrent que Sévérien affectionne ce pro-
cédé, dont le but est de mettre en relief
l'égalité parfaite des personnes divines
entre elles.
La doctrine de la procession du Saint-
Esprit a Pâtre et Filio n'est pas ignorée de
l'orateur syrien. S'il dit simplement à un
endroit : Qui a Paire procedit, il écrit
quelques lignes plus loin : procedens ex
illorum esseniia, formule équivalente à
celle du symbole : A Paire et Filio. La doc-
trine du Filioqiie est d'ailleurs contenue
implicitement dans cet autre passsage de
notre homélie ; Omnia quœcumque Patris
sunt, eadem et Filii, nisi solum quod non
est Pater; et omne quicquid Filius est, idem
et Pater, nisi solummodo quod non est Filius,
nec carnem sumpsit (i). A en juger par la
manière dont ils s'expriment, certains cri-
tiques paraissent ignorer que la formule
ab utroque est employée assez couramment
par plusieurs Pères grecs, notamment par
Didyme l'Aveugle, saint Epiphane, saint
Cyrille d'Alexandrie. On la trouve aussi
chez les Syriens et chez les Arméniens,
quelquefois sous la forme donnée par Sé-
vérien de Gabala: ab utriusque essentia{2).
Si l'on n'avait à faire valoir contre l'origine
grecque du Quicumque que l'emploi de la
formule a Paire et Filio, nous croyons que
l'argument n'aurait pas grande portée.
L'évêque de Gabala aurait-il pu être
l'auteur de la partie christologique du sym-
bole? Je crois qu'on peut répondre affir-
mativement. Si l'on s'amusait à chercher
dans ses homélies des passages équiva-
lents pour le sens ou identiques dans la
forme aux versets de la dernière partie
(1) AUCHER, p. l3.
(2) Cf. pour les Syriens, l'article du P. S. Sala-
ville : Doctrina de Spiritus sancti ex Filio pro-
cessione in quibusdam syriacis epicleseos for-
mulis aliisque documentis ipsas illustrantibus,
dans les Slaporum Litterœ Theologicœ, t. V (1909),,
p. 165-172; et pour les Arméniens, Avedichian,
Dissertasiione sullaprocessione dello Spirito Santo
dal Padre e dal Figliuolo. Venise, 1824.
SÉVÉRIEN DE GABALA ET LE SYMBOLE ATHANASIEN
201
du Qiticumque, on arriverait sans doute
à des résultats assez satisfaisants. Voici,
par exemple, un extrait d'une homélie
pour la fête de Noël qui appartient sûre-
ment à Sévérien :
Tum quidem secundum naturatn anie
sœcula genitus est ex Pâtre, prout novit
ille qui genuit : hodie veto rursus ex Virgine
praeter naturam natus est, prout Spiritus
sancti novit gratia. Et superna ejus gene-
ratio vera est, et inferior ejus generatio
minime falsa : et vere Deus ex Deo genitus
est, et vere homo idem ex Virgine natus
est. Sursum solus ex solo Unigenitus, deor-
sum solus ex sola Virgine idem Unige-
nitus (il.
Mais notre intention n'est pas de sou-
tenir un paradoxe. Nous reconnaissons
volontiers que Sévérien de Gabala n'a ré-
digé ni la partie trinitaire ni la partie chris-
tologique du QiUcumqtie, que ce symbole
a été composé en latin et par un Latin,
qu'il ne s'est pas formé par accrétions suc-
cessives, comme le veulent certains cri-
tiques, qu'il n'y a même pas à distinguer
deux rédacteurs, l'un pour la partie trini-
taire, l'autre pour la partie christologique.
A partir de la controverse nestorienne,
rien n'est plus fréquent que les professions
de foi où le dogme trinitaire est nettement
séparé du dogme christologique (2).
y Le fait que Gennade de Marseille a
très probablement connu l'homélie de Sé-
vérien pourra suggérer à certains qu'il est
peut-être le rédacteur du Quicumqiie. Les
nombreux érudits qui ont assigné pour
patrie au Qinciimqtie la Gaule méridionale,
ne manqueront sans doute pas de faire
ressortir la vraisemblance de cette hypo-
thèse. A la fin de son Liber de scripiorihiis
ecclesiasticis, Gennade déclare qu'il a en-
voyé son ouvrage au pape Gélase avec une
[i)In natalem Christi diem.P. G., t.LVI.coLSSy.
(2) Signalons parmi ces symboles celui de Théo-
dore de Mopsueste, qui fut dénoncé comme entaché
d'hérésie par le prêtre Charisius, à la sixième ses-
sion du concile d'Ephése. Mansi, Amplissima Coll.
concil., t. IV, col. 1347-1352; la confession de foi
d'Acace de Bérée, donnée par le Synodicon Cas-
sinense, Ma.nsi, t. Y, col. 1012-1014; celle de Théo-
doret, dans une lettre au peuple de Constantinople,
Mansi, Ibid., col. 817-818.
lettre contenant sa profession de foi, epi-
stolam de fide mea ( 1 ). Certains ont identifié
cette profession de foi avec le Liber de
ecclesiasticis dogmatibiis du même auteur.
Mais rien n'est plus contestable que cette
identification. Des critiques comme Cas-
pari voient dans cet opuscule un débris
des huit livres contre toutes les hérésies du
prêtre marseillais, ou plus précisément
la conclusion positive de cet ouvrage
perdu (2). Y aurait-il témérité à supposer
que cette profession de foi envoyée au
pape Gélase était notre Quicumque? On
pourra faire à cette hypothèse une grave
objection. Le Quicumque est une formule
tout à fait impersonnelle. Or, Gennade
parle de sa foi personnelle, de fide mea.
Quoi qu'il en soit, faisons remarquer qu'il
y a quelque intérêt à comparer le texte du
symbole avec les deux premiers chapitres
du Liber de ecclesiasticis dogmatibus. En
voici des extraits :
Credimus unum esse Deum Patrem, et
Filium et Spiritum sanctum : Patrem eo
quod filium habeat; Filium eo quod patrem
habeat; Spiritum sanctum eo quod sit ex
Pâtre et Filio procedens, Pairi et Fi io
coaeternus. Pater ergo principium deitatis,
qui sicut nunquam fuit non Deus, ita nun-
quam fuit non Pater, a quo Filius natus,
a quo Spiritus sanctus non natus quia non
est Filius, neque ingenitus, quia non est
Pater, neque factus, quia non est ex nihilo,
sed ex Deo Pâtre et Deo Filio Deus proce-
dens. Pater œternus, eo quod aeternum
habeat Filium, cujus aeternus sit Pater.
F«72M5cF^ernM5, eo quod sit Patricoaet.rnus.
Spiritus sanctus œternus, eo quod sit Patri
et Filio coaeternus. Non confusa in una
persona Trinitas, ut Sabelli js dicit; neque
separata aut divisa in natura divinitas,
ut Arius blasphémât; sed alter in persona
Pater, alter in persona Filius, alter in
persona Spiritus sanctus. Unus natura in
sancta Trinitate Deus Pater, et Filius, et
Spiritus sanctus.
Non Pater carnem assumpsit, neque Spi-
ritus sanctus, sed Filius tantum, ut qui
(i) De Scriptoribus ecclesiasticis, c. c. P. L.,
t. LVIII, col. H20.
(2) Bardenhewer, les Pères de l'Eglise, t. III
(éd. franc.), p. 1 16-1 17.
202
ECHOS D ORIENT
erat in divinitate Dei Patris Filius, ipse
fieret in homine hominis matris Filius
Natus secundum veritatem naturae ex Deo
Dei Filius ut esset perus Deus et verus
homo unus Filius. Non ergo duos Christos,
neque duos filios fatemur, sed Deum et
hominem unum Filium Deus ergo ho-
minem assumpsit. homo in Deum transivit,
non naturae versibilitate sed Deidigna-
tione (i).
Mais Gennade n'est vraisemblablement
pas le seul des théologiens de la Gaule
méridionale à avoir lu les homélies de
Sévérien de Gabala, que sans doute Cas-
sien avait apportées de Constantinople, en
quittant saint Jean Chrysostome condamné
à l'exil. Nous croyons que Fauste de Riez
a dû les connaître aussi, et qu'il a peut-
être plus de titres que Gennade à la pater-
nité du Qidcumque, s'il est vrai que le
Liher de Spiritu sancto, mis sous le nom
du diacre Paschase (2), et le Breviariiim
fidei adversus Arianos (3), « celui de tous
- les écrits antiariens, dit Dom Morin, qui
paraît offrir le plus de points de ressem-
blance avec le symbole d'Athanase »,sont
vraiment de lui, ce qui ne nous semble
guère contestable. Dans le Liher de Spi-
ritu sancto, on peut relever plusieurs pas-
sages qui rappellent le Quicumque. L'au-
teur parle à plusieurs reprises de la catholica
fides (4). Il emploie presque toujours le
mot suhstantia au lieu du mot natura.
Voici quelques phrases intéressantes :
Pater est ingenitus, Filius unigenitus,
Spiritus sanctus ab utroque procedit (5).
In proprietate personœ alter est Pater,
alter est Filius, alter est Spiritus sanc-
tus (6).
(1) P. L., t. LVIII, col. 979-981.
(2) Dans MiGNE, P. L., t. LXII, col. 9 sq. Gennade
signale cet ouvrage de Fauste dans son livre De
Scriptoj-ibus ecclesiasticis, c. lxxxv. P. L., t. LVIII,
col. 1109.
(3) P. L., t. XIII, col. 653-672. Plusieurs savants
identifient ce Breviarium fidei avec le parvus
libellus adversus arianos et macedonianos signalé
par Gennade, loc. cit.
(4) Cf. P. L., t. LXII, col. 9, 27.
(5) Ibid., col. 17.
(6) Ibid., col. 29.
Sicut unus Pater et unus Filius, ita et
unus Spiritus sanctus (i).
Unitatem singularitate, trinitatem plu-
ralitate commendat (2).
Quant au Breviarium fidei adversus
Arianos, les expressions identiques à celles
du symbole abondent. On y remarque en
particulier l'attribution d'une même pro-
priété à chaque personne divine, les for-
mules : Trinitas in unitate, unitas in Tri-
nitate. — Nihil ibi majus nihilque minus.
Jésus-Christ est dit minor Pâtre propter
humanitatem assumptam, cequalis propter
deitatem perpetuam (3).
Si l'on fait attention que Fauste a été
catéchiste (4), qu'il a écrit contre les ariens
et les macédoniens, et qu'il s'est occupé
de réfuter la doctrine nestorienne (5), on
verra là autant de motifs nouveaux de lui
attribuer le Qiiicumqite.
Faisons, en terminant, une dernière
remarque. Dom Morin, à la suite de
M. Turner, fait observer que « le Qui-
cumque, au premier aspect, se distingue
nettement de tous les autres symboles
connus, orthodoxes ou non». Tandis que
ceux-ci débutent par le simple énoncé
Credo, Confiieor, Profiteor, généralement
au singulier, parfois au pluriel, celui-ci se
présente à la façon d'un vrai constitutum,
d'une ordonnance dogmatique à laquelle
doit se soumettre quiconque veut être
sauvé. De là ces termes énergiques des-
tinés à urger l'obligation de la loi : « Qiii-
cumque vult salvus esse, ante omnia opus est
ut teneat catholicam fidem christiana
verïtSite compellimur catholica religione
(i) Ibid., col. 37.
(2) CoL 14.
(3) P. L., t. XIII, col. 656, 659, 665-670.
(4) Ex traditione symboli occasione accepta,
cotnposuit librum de Spiritu sancto. Gennade,
De script, eccles., c. lxxxv, col. 1109. Il a pu lui
venir aussi à l'idée de composer un symbole de foi.
(5} Fauste a écrit une lettre dogmatique au diacre
Gratus, qui était devenu nestorien. On trouve
dans cette lettre la comparaison de l'union de
l'âme et du corps pour expliquer le mystère de
l'Incarnation : Sicut anima et corpus hominem
facit, ita divinitas et humanitas unus est Christus.
P. L., t. LVIII, col. 855. Nouvelle concordanc
avec le Quicumque.
SÉVÉRIEN DE GABALA ET LE SYMBOLE ATHANASIEN
203
prohibemur necessarium ^5/ ad a'ternam
salutem »: de là ces sortes d'anathèmes
contre lesquels, de nos jours, s'est tant
émue l'opinion, surtout en Angleterre :
« Quam nisi quisque integram inviola-
tamque servaverit, absqiiedubioin œternum
peribit quam nisi quisque fideliter
fîrmiterque crediderit, salvus esse tion po-
terit. »
Or, il existe un autre symbole qui res-
semble, à ce point de vue, au Qiiicumque.
C'est celui que l'Africain Marius Mercator
attribue à Théodore de Mopsueste, et que
des prêtres partisans de Nestorius impo-
saient aux hérétiques convertis en Lydie
à l'époque du concile d'Ephèse. Le prêtre
Charisius de Philadelphie dénonça ce sym-
bole aux Pères d'Ephèse comme entaché
de l'hérésie nestorienne. Le concile re-
connut que l'accusation était fondée, et il
en prit occasion pour porter sa fameuse
défense « de présenter, d'écrire ou de com-
poser une formule de foi différente de
celle de Nicée » (i). Le symbole de Théo-
dore de Mopsueste est rédigé sous forme
de constitution dogmatique obligatoire.
Il débute presque comme le Qtiicutnque :
Qui nunc primum in ecclesiasticorum
dogmatumdisciplinaaccurateinstituuntur,
vel ab haeretico quopiam errore ad veri-
tatem transite volunt, eosdoceri Qtconfiteri
oportet in unum nos Deum, Patrem sempi-
ternum credere (2)
Après avoir exposé le dogme trini-
taire (3), Théodore passe au dogme de
l'Incarnation :
Quin de dispensatione quoque, quam
salutis nostrae causa in Christi Domini
incarnatione Dominus Deus perfecit, nosse
Oj?or/ef Dominum Deum Verbum hominem
secundum naturam perfectum, ex humana
I Mansi, t. IV, col. i36i-i364.
-I Ibid., coL 1347. -Mansi donne le texte original.
Nous prêterons mettre sous les yeux du lecteur la
traduction latine.
'3) On a cru découvrir dans ce symbole une
négation de la doctrine du Filioque; mais, en réa-
lité, en affirmant que le Saint-Esprit n'a pas reçu
son existence par le Fils, Théodore ne vise que
rhérésie de Macédonius.
carne et anima rationali consistentem ex
.\brahae et David semine assumpsisse (i).
Enfin vient Tanathème final :
Hœc est ecclesiasticorum dogmatum doc-
trina, et omnis qui diversa ab his sentit,
anathema sit (2).
Ne dirait-on pas que le rédacteur du
Quicumque avait en vue de réfuter le sym-
bole de Théodore? Evidemment, c'est en-
core là une simple hypothèse. Mais il ne
faut pas oublier que les théologiens de la
Gaule méridionale se sont beaucoup oc-
cupés de l'hérésie nestorienne, depuis Jean
Cassien, qui, dès le début de la contro-
verse, composa, à la demande du futur
pape saint Léon, sept livres De Incarna-
tione Christi contra Nestorium (3), jusqu'à
Gennade, qui nous apprend lui-même qu'il
écrivit six livres contre Nestorius (4). Le
symbole de l'évêque de Mopsueste se trou-
vait dans les Actes d'Ephèse, et il a pu
venir à l'idée de quelque Lérinien de lui
opposer une profession de foi orthodoxe.
Marius Mercator nous a laissé une courte
réfutation de la formule de Théodore, où
l'on trouve la substance de la partie chris-
tologique du Qiiicumque (5). Certaines
expressions sont assez voisines de celles
du symbole, pour qu'on ait pu songer à
attribuer celui-ci à Mercator (6). Mais cette
hypothèse nous paraît peu vraisemblable.
(i) Mansi, ibid., col. i35o.
(2) Ibid., col. i35i.
(3) P. L., t. L, col. 9-272. Nous avons trouvé
dans ce traité la phrase suivante : Fides ergo
hœc tantvm catholica, hœc tantum ver a est;
Dominum Jesum Christum sicut Deum ita et
hominem, et sicut hominem ita et Deum credere,
col. 125 C. Cassien connaît le Libellus emenda-
tionis de Leporius, Mansi, t. IV, col. 519-527, qui
renferme toutes les idées de la partie christologique
du Quicumque, et presque dans le même ordre,
moins la comparaison tirée de l'union de l'àme et
du corps. On y rencontre en particulier l'article
ad inferna descendit. Par ailleurs, Cassien a vrai-
semblablement eu entre les mains les homélies de
Sévérien de Gabala. Tout cela nous avait d'abord
fait songer à lui attribuer le symbole athaoasien.
(4) P. L.. t. LVIII, col. 1120.
(5) P. L., t, XLVIII, col. i045-io5o.
(6| Mercator développe en particulier la compa-
raison tirée de l'union de l'âme et du corps : Homo
ergo cum est et enuntiatur homo, una natura
est, atque una substantia, unaque persona, col. 1048.
204
ÉCHOS d'orient
Nous ignorons l'accueil que le public
savant réserve aux observations qui pré-
cèdent. Peut-être auront-elles pour effet
d'augmenter la légitime défiance que
d'excellents esprits éprouvent en face des
affirmations de la critique interne. Peut-
être aussi, et c'est notre souhait, sont-elles
de nature à mettre quelque érudit sur uni
heureuse piste qui lui fera trouver, s'il es
trouvable, le nom du mystérieux auteu
du symbole athanasien.
Martin Jugie.
Constantinople.
DOCUMENTS
SUR LA RUPTURE DE L'UNION DE FLORENCE
En examinant le codex 1295 du fonds
grec de la Bibliothèque nationale de Paris,
j'ai remarqué trois documents intéressant
l'histoire, encore mal connue dans le dé-
tail, des faits qui suivirent à Constanti-
nople l'union de Florence.
La première de ces pièces est V Apologie
et rapport à l'empereur, des évêques et autres
clercs, au sujet du concile de Florence; elle
a été publiée par Dosithée de Jérusalem
à la fin de l"Av:ippT,3-!.ç de Nectaire, lassi,
1682, p. 233-236. Les variantes fournies
par notre manuscrit, où elle occupe les
fol. 139 VO-140 v, étant d'importance
minime, je m'abstiens de les relever. Mais
le livre de Nectaire étant d'une insigne
rareté (i), on me permettra de dire en
quelques mots ce qu'est cette Apologie du
clergé à l'empereur Jean Vlll Paléologue.
La veille, les signataires ont donné leurs
réponses, écrites de leur propre main,
aux officiers de l'empereur, pour lui être
remises; mais l'empereur leur ayant fait
donner l'ordre d'ajouter à ces réponses
leurs signatures, ils se sont réunis pour
délibérer plus mûrement et à loisir, et ont
rédigé le présent rapport, qu'ils ont signé.
Dès le début, le ton est aigre et frise l'im-
pertinence.
L'empereur veut savoir ce qui les scan-
(i) Sur cet ouvrage, voir E. Legrand, Bibliogra-
phie hellénique du xviT siècle, t. II, p. 401-408;
1. BiA>u et N. HoDO^, Bibliograjia românéscâ
yeche, t. 1, p. 25i-258.
dalise dans le décret d'union; ils le dironi
une autre fois en détail, s'il y a lieu.
Pour aujourd'hui, ils ne traiteront qu'ur
seul point. Ce serait bien mal connaîtra
ces Byzantins, que de croire qu'ils voni
tenir leur promesse. De fait, ils parleni
de l'addition du Filioque, puis de la doc-
trine elle-même de la procession du Saint-
Esprit du Père et du Fils ou par le Fils,
et, à les lire, on peut se convaincre toul
de suite que les arguments catholiques
longuement développés à Florence onl
glissé sur leurs esprits comm.e l'eau sur
une toile cirée. Mais ils ajoutent bien
d'autres considérations. Quelques-unes
sont curieuses; s'il en est parmi eux qui
aient signé l'union, c'est qu'ils ont été
entraînés; ils ne disent pourtant pas,
comme l'ont affirmé d'autres, et comme
le répètent si volontiers les Grecs mo-
dernes, qu'on leur ait fait violence.
Ils terminent enfin leur Apologie en
demandant à Constantinople la réunion
d'un nouveau concile, auquel prendraient
part les patriarches orientaux, et qui
serait véritablement œcuménique. Les
bons apôtres ajoutent que rien n'est plus
facile que cette réunion, si les Latins y
consentent!
La pièce porte d'abord la signature de
cinq métropolites : Macaire de Nicomédie,
Ignace de Tirnovo, Damien de Moldova-|
lachie, Théognoste de Perg'e et Attalia,
Acace de Dercos. Les trois premiers avaient
DOCUMENTS SUR LA RUPTURE DE L UNION DE FLORENCE
20-
souscrit lacté d'union (i ); Théognosteme
semble inconnu d'ailleurs; Acace est évi-
demment le métropolite de ce nom qui
signe vers la même époque la lettre du
clergé byzantin aux Bohèmes, et dont le
siège n'est pas indiqué (2).
Outre ces prélats, ont encore signé les
personnages suivants : Balsamon, grand
chartophylax et archidiacre ; Sylvestre
Syropoulos, grand ecclésiarque, diacre:
Théodote, hégoumène de Stoudion, hiéro-
moine; Isidore, hiéromoine et confesseur;
Néophyte, hiéromoine et confesseur; Jo-
seph, hiéromoine et hégoumène de Cos-
midion ; Gerontios, hiéromoine, hégou-
mène du Pantocrator; Cyrille, hiéromoine,
hégoumène de la Périblepte ; Germain,
hiéromoine de Saint-Basile ; Théodore Agal-
lianos, hiéromnémon, diacre.
Je traduis les noms et les titres tels que
les donne l'édition de Dosithée. Observons
que le chartophylax Michel Balsamon,
l'ecclésiarque Silvestre Syropoulos, Geron-
tios et Germain, avaient accepté l'union à
Florence (3). Gerontios avait alors signé
comme ancien hégoumène du Pantocrator,
et Germain comme ancien hégoumène de
Saint-Basile. Pour ce dernier, le cod. Paris.
1295, comme l'édition de Dosithée, le qua-
lifie seulement de hiéromoine. Théodote
doit être ajouté à la liste des hégoumènes
de Stoudion, dressée par l'abbé Marin (4).
Notre manuscrit indique le nom de famille
du hiéromoine Isidore, il l'appelle Zxyho-
-oJMov (5). Il supprime la signature de
(i) Voir Le Qlien, Oriens christianus, t. I,
coL 596, 1235, 1 252; en outre, sur Damien.C.AusEP,
la Moldovalachie au concile de Florence, dans
Echos d'Orient, t. VllI (igoS), p. 8 sq.; notre dis-
tingué collaborateur n'a pas connu l'Apologie
signée par Damien.
(2) Il y a pour cosignataires, comme ici, Macaire
jt Ignace ; il figure au quatrième rang, après Joseph
Je Philippopolis. Voir Allatius, De eccles. occi-
dent, et orient, perpet. consensione. Cologne, 1648,
col. 94g. Ajouter son nom à la liste des évèques
ie Delcus (Dercos), dressée par le R. P. L. Petit,
Jans The catholic encyclopœdia, t. IV, p. 6g6.
(3) Mx^si, Amplissima coll. concil., édit. Welter,
•-. XXXI B, col. 1701.
(4) Marin, De Studio. Paris, 1897, p. 117.
|5) J'ignorais ce détail quand j'ai parlé du per-
sonnage dans mon article Œuvres de Jean Euge-
nikos, dans Echos d'Orient, t. XIII (1910), p. 279.
Théodore Agallianos, mais après celle de
Germain ajoute : xal àXÀo-. t-.vs; (i).
V Apologie n'est pas datée. On peut sup-
poser seulement qu'elle est antérieure à
l'élection du patriarche Métrophane II.
c'est-à-dire au 4 mai 1440. II n'est fait
aucune allusion à la présence d'un titu-
laire sur le trône, absolument comme dans,
la lettre aux Bohèmes, qui, signée en partie
par les mêmes personnages, doit être de
la même époque.
Le document que nous venons d'étudier
est suivi immédiatement dans le manu-
scrit de Paris par un extrait, trop court à
notre gré, d'un discours du saint synode
(c'est-à-dire de son président, sans doute
Macaire de Nicomédie), adressé à l'empe-
reur. Voici ce morceau, que le copiste
nous a probablement conservé à cause de
l'importance que devait avoir à ses yeux
l'argument tiré du pape Honorius.
Cod. Paris. 1295, fol. 141.
t A-ô TOJ -pOT'iojvr.T'-xo'j Àôyo-J ta,; àv-laç
TJvôoo'J ~oô^ TGV êaT'.'/.ia.
Tàç ôè xaivàç xîvosjtovia^* xal Toù^ to'jtojv
î'^c'jpîTa^ tJjCiZm —O'j twv sxxAriO-'.aTT'.xtôv
-îO'.êoXwv £x§àAAO'i.îv xal Ttô hn.Hi\xy-\
■\ « ' ' '
o'.xaiw^ xaflj-oêaAXoacV 'ja-j-Èv ùr, Hîôow-
t II '
pov TÔv Tf,? fpappâv, ^i'^^y.vi ~i xal riajÀov,
ll'jppov i'xx xal IIÉTGOv toj; KojvTTavT'-voj-
TzôÀcOj^ — poîopîûa-avraç, e-c». ôè xal KGpov tov
TY..; A).î;avopéojv UpaTî'JTavTa xal tjv
a-jTol.; Ovwp'.ov tov rr,? Pcôur,; yôvo'xîvov
—pôîopov. E'. 0£ 'Ovtôp'.o^ Pwar,^ stcvtxo—o^
STT'.v, ETT'. ôè xal alpcT'.xo;^, ô-jvaTOV apa
tÔv Tcàrav twv opQwv èx— îtîIv ôo-'uàTtov.
O'jx apa £x).îiT:ovTO;-^ aÙToG Tr,v -«Itt'.v 0 to-j
x'jploj ô'.a-STrrwxî AÔyo^, ôv Trspl tyJ^ exxXr.-
T'iaç z\ory,z, TT'jÀa^ ^ttO'j >j.r^ o'JYft^r^^JT.'. -zxj-
TT.; r.tz'.-^'z'À'yhv.v Itz'. yàp £v toI^ Io'.-itoI;
È-'.Txô-o'.; xal |j.iÀarr,v îOo-iêî'.av o-w^îT^la'/.
<I>av£pôv Se £X -rouTtov u.7,8è ttî tâc 'Ptôa/c
^ ^ I i • i' " i ' -
£xxA7,a-'la -oo'r/xî'.v tÔ £t:1 TauTr, r7, TSToa
T/-,v ôxxAr.Tiav wxoôo'JL-r^o-^a'.. ToGto *'ào xal
'-popT'.xôv xal O'J 7:ôppo3 t/^; ••O'jSa'ixf,^ Ta-;-.-
(i) Notons encore que Sylvestre Syropoulos et
Théodore Agallianos sont signataires de la lettre
aux Bohèmes, avec Gennade, moine, xaOoÀjxb;
Z:fAT/.x>jj^, à la suite des métropolites que j'ai
indiqués plus haut.
206
ÉCHOS d'orient
'AA)."(oxoSô{j.yj<T£ |jLèv Tr.v èxxA/,(TÎav 6 XptT-
-:0s, <j)xoôôjjLT,(T£ ôè auTTiv £irl T^ SeoAoyîa
TOy IlsTpo'j xal ettI Tcâaiv o». rf,? TO'.aûxir,^
6uoAo*'iac tsÛAaxîc STOvra».^.
^xatvoîptovia; COd. — -éost'.xô;. — 'sxXittov-
To;. — *(jcoÇ£ff6£. — '"A la suite : ïczz (1. earai)
o£ TtXéov 6 Xôyoç, et à la suite jusque dans la
marge ': b Bl xaipbç (?) év^yslç (?).
TRADUCTION. — Extrait de l'allocu-
tion du saint synode à l'empereur.
Les nouveautés, les mots vides de sens,
nous les rejetons loin de l'enceinte de
l'Eglise, et nous les frappons justement
de l'anathème; avec leurs inventeurs, nous
voulons dire Cyrus, patriarche d'Alexan-
drie; Théodore de Pharan, Sergius et Paul,
Pyrrhus et Pierre, patriarches de Constan-
tinople, et avec eux Honorius, patriarche
de Rome. Si Honorius est évêque de Rome,
et s'il est en même temps hérétique, il est
donc possible que le Pape tombe dans
l'erreur dogmatique; et, s'il abandonne
la vraie foi, cela n'infirme pas la parole
prononcée par le Seigneur au sujet de
l'Eglise, que les portes de l'enfer ne pré-
vaudront pas contre elle, car les autres
évêques restent pour sauver l'orthodoxie.
Il est clair aussi que les mots : Et sur cette
pierre je bâtirai mmi Eglise, ne s'appliquent
pas à l'Eglise de Rome; circonscrire
l'Eglise à Rome est une insolence voisine
de l'humilité judaïque. Le Christ a bâti
son Eglise, mais il l'a bâtie sur la con-
fession de Pierre et sur tous ceux qui
seront les gardiens de cette confession.
Le troisième document contenu dans le
manuscrit de Paris est une lettre du hié-
romnémoii à Pachôme, évêque d'Amasée.
L'auteur de cette lettre est évidemment
Théodore Agallianos, signataire, comme
on a vu, de la lettre aux Bohèmes et de
V Apologie adressée à l'empereur. Du diacre
Théodore Agallianos, qualifié dans les
manuscrits du titre de dikaiophylax, de
chartophylax et de hiéromnémon, nous
avons encore : Collection de textes patris-
tiques contre les Latins, avec des notes ( i ) ,
Réfutation de Jean Argyropoulos (2); Dia-
logue avec un moine contre les Latins (3);
une lettre au moine Ignace et une au hié-
romoine Joseph (4).
Quant au destinataire de la lettre, son
nom est nouveau. Il ne s'agit pourtant
pas d'un personnage totalement inconnu.
En avril 1443, les patriarches Philothée
d'Alexandrie, Dorothée d'Antioche et Joa-
chim de Jérusalem, réunis dans cette der-
nière ville, condamnaient, à la requête
d'Arsène, métropolite de Césarée de Cap-
padoce, l'union de Florence, ses adhérents,
et en particulier Métrophane, patriarche
de Constantinople, que, par un aimable
jeu de mots, ils appellent Mr.Tpôcpovoç. Or,
entre autres reproches q\i'ils adressent à
ce fidèle de l'union, se trouve celui d'avoir
sacré quatre faux métropolites ou faux
évêques , uLr,TpOT:o)viot,a xal s-'.TxoTT'lo'.a,
disent-ils spirituellement, pour les dio-
cèses d'Amasée, Néocésarée, Tyane et
Mocessus, ajoutant que ces quatre prélats
pensent et agissent comme des Latins,
trompent et corrompent leur troupeau,
suscitent des scandales à l'Eglise « ortho-
doxe » (3). Pachôme, le correspondant
de Théodore Agallianos, et dont on va
voir les idées catholiques, ne peut être
que le métropolite sacré pour Amasée
par Métrophane.
Cod. Paris. 1295, fol. 155 v».
t'Ert-oToX-ri toG UpojJLVi^fxovoç Tcpôç Ilayw-
miov Èti'Itxotzov 'Ajxaa-eiaç*-
Ttç r, TOTaÛTY, [Aï,vt,ç TOÙ TcàvTa xa).où xal
arîêaa-fxiou TzaTpo; toG Ajxao-sîaç, co; ]x'rfi
a'JT0C5Qa)>p.^o-a', êoû)^£TOat. Trpoç T,|jLâ; ^'r'^
ouopooio'J^ xàv ~pOs êpayù xaTaoiçaT'îa',
(i) Edité par Dosithée, Téixoç xaTaXÀayTî;. lassi,
1692, p. 432-439.
(2) Edité par Dosithée, TéfAo; àYotirr,;. lassi, 1698,
p. 333-367; reproduit par Migne, P. G., t. CLVIIl,
col. I0II-I052.
(3) Edité par Dosithée, Tôfio; y.apâç. lassi, 1705,
p. 6IO-633.
(4) Dans cod. Bodl. Canon. 49, fol. i53 et i55 \'.
(5) La sentence des patriarches a été publiée,
avec leur lettre à l'empereur, par Allatius, op.
cit., col. 939 sq. Elle se trouve aussi, sans la lettre,
parmi les pièces ajoutées à la fin de l'Avrippr^T;-.
de Nectaire. lassi, 1682, «p. 236.
INSCRIPTION BYZANTINE DE SCYTHOPOLIS
207
T£, îiàTîo 3'3:oa7'jLUÔTa":£* où vào ttsôc to6— oy
TOJTO Tov; AÔyo-J OeparreuTav; xal AÔ"'0'-ç àu.',/.-
/.coaivo'.^ xal xo(r:o:q Ta ooxoùvTa tcj'Io-'.
-£'.p(0|jLsvot.? T'jv'.Tràv O'JTwç àrrôvoto^ ^7^?~
ajToù^ ry.Éyyovraç x/o^sv, îo' ol; àv ooxâ>7'.
|jLr, vo£~.v opflw^ 1^00^ «locotj 3è •o.àAÀov roù^
ùÀ^'yo^nv.^ rr '%-%-/, wç tô^ tocsô SoAOu.à>VT'.
OOXÎ'.^' £'. O ào!.xîaC XaTi*'"/ti)C TÔiv TUcTÉOtOV
t'/.hr^toy xal «.t, xay.ùj^ îlpfiT^av TO'. oox=^ Ta
itcol Twv "oacsixôiv Ixî'lvwv ^TjTy, uaTwv y:;'
•r;u.wv î'.pr, usva, r/,î"t^ov. £— •.TÎu.y.a-ov, Ila'jAOç
0 hîTrzéy'M^ 70'. ô'.ax£A£'j£Ta'/. Toùc vào usTa
-appr.T'la^ s/ir'yoj^ £'.pr,v07T0».îIv rzzo:; toj
/ô''0'j uLcaàÔY.xa^- Àô^'Oi^ to'Ivjv to'j;; ao^'O'j;
à'/T£).îv;ov xal ur ar.vîo». êaos'la, sC—so ar
-x'rzr, Toù AÔvov <TauTÔv à-ncTyoîv.Ta^.
(Fol. 156) 'AaA'.^oÛ oro', xal TÔ ê'.êÀ'lov
'AvaTTag-'lo'j to'j ^sîou TriTrouca' ojx sx-rio-
oî-jTU'.T,v •j-apç'-v voàccov TO 7r;£yaa to a*'t,ov,
a>^ tÔ —aoà to'1, aAA* sx—oOcUTÔv, Ôttso
> ' ' '
opOÔTSSov xalxaTa a6*'0v TtaTaiç 'Lr,cjO'.;5ox£V
xal x'j-oy/tôibi^, toç opâç, èît'.TTsXAto to'. tÔ
-îpl toÛto'j, tvoi jjLT, xal Taoî 70: '/ôOa oôçr,
Ta ^'oâuLuaTa toc xal Ta ttsÔ ajTwv. Foâ'iov
, > ' ' *
TO'lvjv xal ajTOC Ta tî oôqavTa 70\ ;jlt, ooOto^
£'.p-?ia^a'. ô'.op^tôv xal (yauTOv a'.T'laç àsislç, ï,v
ÏOAO|JLà)VTOV; U.'.TO'J<T'.TOÙ.;£À£*'yO'JÇ£77)r;>'aV£8.
I 'Auiaffia; codex, et de même plus bas.
2 TÔ cod. — 3 Cf. Prov. IX,8. —4 II Tit. IV,2.
— 5. -ÉuLxooa cod. — 6 Cf. Prov. IX, 7, 8.
TRADUCTION. — Lettre du hiérom-
némon à Pachôme, évêque d'Amasée.
Quel vif ressentiment chez le très bon
et vénérable Père d'Amasée, pour qu'il
ne veuille pas jeter un regard sur nous et |
ne daigne pas nous admettre même pour
un instant sous le même toit que lui !
Je n'aurais pas cru à des dispositions sem-
blables de votre part, très vénérable Père.
Car il ne convient pas aux ministres du
Verbe, même luttant par des raisonne-
ments, même essayant d'établir leurs opi-
nions, de témoigner à leurs familiers une
aussi implacable inimitié, s'il arrive à ceux-
ci de les blâmer sur des points où ils leur
paraissent ne pas juger avec rectitude ; il
est plutôt d'un sage d'aimer qui le blâme,
comme le pense Salomon. Si vous accusez
nos reproches d'injustice, et si vous pensez
que j'ai eu tort de dire ce que j'ai dit à
propos de ces questions de textes, blâmez-
moi, faites-moi des reproches, saint Paul
vous le prescrit, car la raison vous a appris
que des reproches faits avec franchise
amènent la paix. Réfutez donc les raisons
par des raisons et non par une profonde
colère, si vous n'avez pas complètement
abandonné les voies de la raison. En outre,
je vous ai envoyé le livre du divin Ana-
stase. II ne nomme pas le Saint-Esprit
îxropîuT'.xr. jrap;'.;. comme a votre exem-
plaire, mais £x-op£VTÔv, ce qui paraît plus
juste et absolument conforme à la raison.
Je vous envoie à la hâte, comme vous
voyez, ce qui en est de ce sujet, pour que
vous ne croyiez pas cet écrit altéré, comme
vous l'avez cru des précédents. Vous aussi,
écrivez-moi, corrigeant ce qui vous semble
inexact dans mes affirmations, et vous
libérant de l'accusation portée par Salomon
contre qui hait les remontrances.
t SOPHRONE PÉTRIDÈS.
Constantinople.
INSCRIPTION BYZANTINE DE SCYTHOPOLIS
Les Ecbos d'Orient ont publié en dé-
cembre 1901 (i) une inscription grecque
byzantine de Beisan, l'ancienne Scytho-
n)T. V, p. 75.
polis, dont l'interprétation présentait des
difficultés à cause des abréviations qu'elle
contient. La lecture provisoire que j'en
proposai alors ne satisfit pas de tout point
les épigraphistes; elle était, en effet, fau-
208
ÉCHOS d'orient
tive. J'ai, depuis lors, reconnu que l'abré-
viation XI* ne devait pas se traduire par
Xpio-rco, mais par Xpôvo) (i).
Cette difficulté n'était pas la seule, et,
comme la Revue biblique vient de repu-
blier le même texte (2), avec une lecture
différente sur plusieurs points, et sans
t6kTHCA04Êl
■^lACMAOTÏ"
AITHCIH^A^^
TOY6HAonoiT(fP
donner la lecture de la dernière ligne, je
crois utile de reproduire notre estampage
avec la nouvelle interprétation que je
propose.
'Ex r^iç ooOsio-y,; 0(s)iaç ç'.AOT'.u-la;, x(aTà)
aÏTriO-w <I>Â(aot>îou) 'Apo-evlou to-j £vooç(oTà-
TOi»), TÔ ':îap(ôv) epy(ov) toù T(î)îy(ojs;) àv3-
VctôOr, £v Xp(ôvto) ^{y.'sCkihiq) ^h(^xo\j''.oj)
'AvaTTao-îou, fj.(y,vàç) apy(ovTo;) £v(aTOj),
lVô(!,XTt,WVO<;) V, £(to'j;) 3-.
Grâce à la libéralité impériale, sur la
demande de l'illustrissime Flavius Arsène,
l'ouvrage de ce mur a été renouvelé, au
temps du basileus Flavius Anastase, au com-
mencement du neuvième mois, indiction }^,
Van 200
11 n'y a rien à remarquer sur les trois
premières lignes.
Les difficultés commencent à la qua-
(i) Echos d'Orient, sept. 1908, t. X, p. 3o6.
(2) Reinie biblique, avril 191 1, p. 289.
trième. Le texte ne porte pas: -zoi, mais
un monogramme contenant les lettres
-ap, qu'il est légitime de lire irapôv, puis
l'abréviation ^ç-^fÇ, qui se complète natu-
rellement : £p/ov.
A la sixième ligne, l'abréviation XP est
suivie d'un H accosté d'un petit 0 que je
prendrais volontiers, en admettant une
erreur de lapicide, pour un sigma de forme
lunaire, abréviation du mot ê(aT'.)i(.));.
La dernière ligne surtout est épineuse.
Elle contient la mention du mois et de
l'année.
L'expression [-«.rivôç apyovToç n'est pas
sans exeniple en grec, et le nom du mois
È'vaxo'j, neuvième, était usité dans l'Orient
byzantin. L'indiction troisième s'est ren-
contrée deux fois sous le règne d'Ana-
stase, en 495 et en 510. Quant à l'année
relatée plus loin, c'est peut-être 200, mais
il y a à la suite un signe indistinct qui
pourrait modifier ce chiffre. Et puis, nous
ne savons pas quelle ère était usitée à
Scythopolis au temps d'Anastase.
L'indiction, d'ailleurs, nous place aux
environs de l'an 500, c'est déjà quelque
chose.
Je propose ces interprétations avec la
réserve qui convient, tout prêt à recon-
naître l'erreur, si d'autres plus experts
trouvent mieux.
P.-S. — La reproduction de l'estampage
aura encore une autre utilité.
J'ai attribué à la même époque ane courte
inscription trouvée dans nos fouilles de
Saint-Pierre au mont Sion, gravée à la
pointe sur un plat de terre cuite (i). Cer-
taines particularités de l'écriture se re-
trouvent, en effet, sur les deux documents,
et la comparaison n'est pas sans intérêt.
J. Germer-Durand.
Jérusalem.
(i) Echos d'Orient, 1909. t. Xll, p. j5, 3o8.
A PROPOS DE LA CUILLER LITURGIQUE
CHEZ LES GRECS
On dirait que se manifeste, surtout de-
puis quelques annéesdans l'Eglise grecque,
une tendance à abandonner certaines habi-
tudes ou à modifier des rites qui, à cause
de leur antiquité même, semblent être
devenus sacrés. Ainsi le rite de la com-
munion eucharistique par le moyen de la
labis.
La labis, dit très clairement M. Clugnet.
est une petite cuiller d'or, d'argent ou de
vermeil dont le prêtre se sert pour distri-
buer l'Eucharistie. Avec elle il retire du
calice une sainte parcelle, as:;;, détrempée
dans le précieux sang, et l'introduit dans
la bouche du fidèle qui se tient debout
devant lui (il
Les malades et les mourants sont com-
munies de même. Le prêtre emporte dans
un petit ciboire une parcelle et l'administre
au malade.
A plusieurs reprises déjà, des fidèles, à
Athènes, sous prétexte d'hygiène et de
précautions à prendre, ont essayé, tout en
protestant de leur entière soumission aux
règles ecclésiastiques, d'intéresser le pu-
blic à leurs scrupules. A leur avis, le rite
doit être modifié. La polémique entre pro-
testants sur le sujet analogue du rituel de
la Cène les y encourageait. En Roumanie
également, ces dernières années, la ques-
tion a été agitée. Mais on peut dire que
l'immense majorité des orthodoxes ne con-
sentirait pas à changer un rite qui, pour
eux, se confond avec le christianisme
même.
Il sera intéressant, je crois, de présenter
à ceux de nos lecteurs qui s'occupent de
liturgie byzantine un court résumé d'une
récente controverse sur ce sujet. Je me
ferai simple rapporteur, je résumerai cinq
il) Dictionnaire grec-français des noms litur-
giques, p. 88.
ou six articles de journaux (en Grèce, c'est
surtout dans les journaux qu'on agite ces
graves questions), dont le premier eut pour
prétexte l'idée mise en avant par une maî-
tresse d'institution de jeunes filles, de
passer par la flamme la labis, afin de la
purifier tout à fait (i).
« M'ne A. Th..., écrit M. P. N..., après
beaucoup d'autres, s'occupe du rite de la
communion. C'est un sujet délicat. A le
traiter il semble qu'on attaque la religion,
et il est très malaisé de le discuter de sang-
froid.
» Une première question se pose. La
communion distribuée avec une cuiller
qui passe de bouche en bouche (sans
être essuyée) olTre-t-elle un danger de
contamination? La réponse ne peut faire
de doute. On a beau être croyant, on a
beau croire à la transsubstantiation, on
n'en est pas moins homme, et on ne peut
oublier qu'il existe des microbes, et que
ces microbes, jusqu'à preuve du contraire,
peuvent aussi bien se trouver sur un
objet sacré qu'ailleurs. Mais de suite une
deuxième question. Est-il permis de douter
à ce point de la justice et de la bonté
divine, et se peut-il que, dans l'accom-
plissement d'un devoir impérieux, celui
de la communion au corps et au sang de
Jésus-Christ, nous soyons abandonnés
ainsi à l'action de microbes malfaisants?
Là encore, conclut M. P. N..., la réponse
n'est pas douteuse.
« Je souffre beaucoup d'un tel état de
choses, lui disait un père de famille, car
(i) Voir 'EffTia du 1 1 et du 19 février 191 1; N^ov
"AffT'j du jô février; et Sxpiîvîîdu 17 février. A des-
sein je ne dôme pas de noms propres.
2IO
ÉCHOS d'orient
j'ai des enfants et je veux qu'ils com-
munient. D'autre part, je ne puis per-
mettre qu'on leur administre le sacrement
avec une cuiller qui sort peut-être de la
bouche d'un mourant ou d'un enfant à
moitié étouffé par la diphtérie. Je les con-
duis donc une fois par année dans une
église de village de mon pays, à un prêtre
que je connais, et là nous communions
tous. »
« Mni^ A. Th... a trouvé mieux. Elle
propose que sur l'autel brûle une lampe
à alcool. Le prêtre, avant de communier
un fidèle, ou après avoir administré un
malade, passerait la cuiller à travers la
flamme. Ainsi serait évité tout péril de
contamination. »
Cet article paraissait dans VEstia du
1 1 février dernier. Or, fait digne de re-
marque, le même journal, en deuxième
page, s'appliquait à le réfuter, en rappelant
que l'année précédente la même question
s'étant posée, le métropolite d'Athènes,
T, xscpaAYi T95s 'ExxX-AjO-'laç, y avait répondu
non sans humour. « Pour moi, avait-il
déclaré à un reporter de VEstia, j'ai une
inébranlable confiance dans la bonté
divine. Malgré cela, je dois reconnaître
que beaucoup de fidèles partagent vos
appréhensions. Mais, à mon tour, laissez-
moi vous interroger. Y a-t-il péril seu-
lement dans la communion? Oubliez-
vous donc les bakals et leurs verres
jamais lavés, et les bords brisés et en-
crassés des tasses de café, et dans les
restaurants les assiettes à peine passées
à l'eau, et encore plus les fourchettes et
les couteaux essuyés le plus souvent
avec des torchons sales? Et aurez-vous
la prétention de faire croire au monde
qu'il y a plus de danger à communier
qu'à se servir à l'hôtel d'une cuiller sale
que, pour manger votre soupe, vous
mettrez cent fois dans la bouche? De
même, quand, dans une pâtisserie, vos
enfants, garçonnets et fillettes, prennent
un gliko, croyez-vous que les cuillers
qui sont sur le plateau soient toujours
propres? »
Comme de juste, la presse s'empara
de l'incident. Deux rédacteurs des Kairi et
du Néon Asty s'accordèrent pour réfuter
l'argumentation de M. P. N..., et donner
raison au métropolite. Le fait est que,
pour le peuple orthodoxe, la question
n'existe pas. Le rédacteur des Kairi ajoute
un raisonnement curieux. Tu crois, dit-il
à son lecteur, ou tu ne crois pas. Si tu ne
crois pas, tu ne communies pas, et il n'y
a pas de danger de contamination. Mais
si tu crois, communie sans crainte, car,
même si des microbes contagieux existent
sur la cuiller. Dieu ne permettra pas que
tu en souffres. En d'autres termes, la foi
mettra le croyant à l'abri de la contagion.
On croyait la discussion terminée quand,
le 19 février, un nouvel article de VEstia
montra que les adversaires de la labis
n'étaient pas seulement des laïques. En
effet, M. P. N... publiait une longue lettre
du moine Germanos Papamoschou, archi-
diacre et prohigoumène du monastère de
Xénia.
Voici le résumé de sa lettre. « Jusqu'à
l'époque de saint Basile, les chrétiens ne
communiaient pas seulement quatre fois
l'année comme aujourd'hui, mais quatre
fois la semaine. Or, il n'y avait de célébra-
tion de la messe que le dimanche. Com-
ment le pouvaient-ils? Ils emportaient dans
leur maison le pain consacré, et s'admi-
nistraient eux-mêmes l'Eucharistie, selon
leur dévotion. Ne pourrait- on pas en
revenir partiellement à cette discipline?
Sans aller jusqu'à permettre au fidèle de
se communier lui-même, l'Eglise ne pour-
rait-elle pas l'autoriser à conserver chez
lui, dans un vase précieux et en lieu con-
venable, le pain et le vin consacrés, de
sorte que, sur son désir, un prêtre pour-
rait lui administrer, à lui et à sa famille,
la sainte Eucharistie. »
Il se demande ensuite: « Est-il permis
au simple fidèle de prendre dans ses mains
le corps du Seigneur? — Sans doute,
répond-il, puisqu'il a eu ce droit jusqu'au
Vll^ concile œcuménique. Les fidèles des
deux sexes recevaient le pain consacré
A PROPOS DE LA CUILLER LITURGIQUE CHEZ LES GRECS
21 I
dans \\ main. Dans l'Eglise d'Occident,
les femmes le recevaient sur un voile.
Qui plus est, les fidèles, non contents
d'emporter chez eux l'Eucharistie, s'en
munissaient encore durant leurs absences
ou leurs voyages. C'était un viatique
sacré (i).
» Mais l'Eglise fiit obligée de condamner
cette coutume par suite des abus qui,
avec la diminution de la foi et l'ignorance
croissante des fidèles, s'étaient peu à peu
introduits. Des hérétiques et des chré-
tiens superstitieux emportaient le pain
consacré chez eux, et, au lieu de le manger,
le souillaient à dessein, le cachaient ou
l'employaient à des recettes magiques.
Des vieilles femmes, adoratrices ignorantes
dicones, mélangeaient au pain consacré
la crasse ou la poussière du bois. On
commença à imposer l'emploi de la cuiller
vers le viii« ou ix^ siècle.
» Ainsi, conclut le prohigoumène Ger-
manos, rien ne peut faire supposer qu'il
y ait là une question dogmatique. C'est
par nécessité, pour la décence et la véri-
table piété, que l'Eglise a imposé ce rituel.
Elle pourrait tout aussi bien le modifier en
partie, supprimer la cuiller et ordonner
d'autre manière l'administration du sacre-
ment. »
Comme on le pense, M. P. N...
triomphe avec cette lettre. En vérité,
ajoute -t- il, répondant au métropolite
d'Athènes, hôtels, pâtisseries, bakals et
restaurants peuvent devenir des foyers
d'infection. Mais ceux qui les fréquentent
ne sont pas en général des agonisants ou
des malades dangereux. Encore là prend-
on des précautions. « Mais si le très
saint métropolite suivait la longue agonie
d'une innocente créature étouffée par la
(i) I! y a des inexactitudes et des imprécisions
dans la thèse telle qu'elle est présentée par le prohi-
goumène Germanos. Ceux qui voudront rectifier
liront avec profit l'Eglise byzantine du regretté
P. Pargoire, surtout p. 228 et 340.
diphtérie ou la laryngite membraneuse,
il comprendrait lui aussi que le plus
grand des péchés est de communier une
heure après un enfant bien portant avec
cette même cuiller qu'ont souillée les
lèvres du malade. »
Deux jours avant, dans le Scripp,
l'évêque de Gortyne et de Mégalopolis
avait protesté en termes énergiques contre
l'idée émise par M^^ Th... Pour lui, le
simple fait de craindre une contagion pos-
sible est impie et blasphématoire. Le plus
en danger, dit-il, est le prêtre qui, au cas
où le malade ne pourrait prendre tout le
pain et le vin consacrés, doit le consommer
lui-même tout de suite, ou bien le jour
suivant, s'il n'est pas à jeun.
« En i86s, j'ai reçu l'ordination sacer-
dotale. Pendant dix années, j*ai été curé,
È^r.uLsp'.oç, de Stemnitsi, et pendant vingt
années chargé de l'église des Saints-
Théodore à Athènes. Or, durant cette
période, j'ai administré l'Eucharistie à
six malades atteints de phtisie galopante,
quatre hommes et deux femmes: à sept
enfants de sept à huit ans qui se mou-
raient de la diphtérie: à onze malades
atteints de la petite vérole; et chaque
fois, sans trembler mais avec foi, j'ai,
après la communion, léché la petite
cuiller, to aoj-oCaÔlk'. èxsv^o eXîiçaasv. »
Avec cette lettre, la polémique paraît
close. Mais pour combien de temps .^
Simple rapporteur, comme je l'ai dit, je
n'ajouterai aucune réflexion personnelle.
Il me semble pourtant que rien ne justifie
mieux l'Eglise romaine d'avoir adopté
pour elle, sans l'imposer aux Orientaux,
le rite de la communion sous la seule
espèce du pain.
L. Arnaud.
Athènes.
STATUTS DE L'EXARCHAT BULGARE
{Fin "^)
CHAPITRE X
DROITS ET DEVOIRS DES CURES
Art. 142. — Les curés ont les droits et
les devoirs suivants :
i*" Ils réciteront régulièrement l'office
quotidien et célébreront avec piété la sainte
messe aux jours indiqués par Vordo et aux
fêtes nationales;
2° Ils prêcheront la parole de Dieu ou
liront des sermons approuvés par l'autorité
spirituelle;
Remarque. — Les laïques ne peuvent
pas prêcher sans la permission de l'auto-
rité spirituelle. Si quelqu'un se le permet,
le prêtre l'adjure au nom de la loi de cesser;
en cas d'obstination de sa part, le service
divin se poursuit, mais on appelle les
autorités civiles pour chasser le perturba-
teur. On dresse alors le procès-verbal des
faits que l'on enverra à l'autorité compé-
tente, pour qu'elle cite le coupable devant
les tribunaux.
3° Dès qu'ils sont priés d'accomplir une
cérémonie, ils doivent accéder à cette
demande;
4° Ils veilleront à la propreté et à l'orne-
mentation des églises, à la bonne tenue
des ornements, livres et autres objets ecclé-
siastiques;
5" Qu'ils poussent leurs paroissiens à
faire l'aumône et à secourir volontiers les
pauvres et les indigents;
6° Qu'ils n'aillent pas comme le peuple
dans les cafés, les cabarets et les débits de
boissons;
y" Qu'ils ne se rendent pas dans un autre
diocèse sans l'autorisation écrite de leur
ordinaire;
Remarque. — Les diacres, les clercs et
les moines sont également soumis à ces
décisions.
8° Un prêtre, un diacre ou un religieux
qui vont dans une ville où réside soit le
{i)Voir Echos d'Orient, 1910, p.35i-355;janv. 191 p
p. 2C-24; mai igii, p. 170-176.
métropolite, soit son vicaire épiscopal,
doivent se présenter devant l'autorité spi-
rituelle avec la lettre d'obédience néces-
saire, et cela toutes les fois qu'ils se rendent
dans leurs diocèses;
9° Qu'ils conservent et relisent les dif-
férents ordres et dispositions émanés de
l'autorité spirituelle. De même, ils doivent
conserver les permis de mariage et les
copies de lettres de tout leur temps de ser-
vice ecclésiastique;
10° Qu'ils tiennent en règle les registres
des baptêmes, mariages et sépultures.
Art. 143. — Les prêtres qui se sont dis-
tingués, soit par un long service dans le
gouvernement des églises, soit par une in-
struction remarquable, seront récmpensés
parles dignités ecclésiastiques ou par toute
autre marque de distinction (n" 16 de
l'art. 100).
Art. 144. — Les curés s'entretiennent
avec le Iraitement donné par le gouverne-
ment et avec les recettes acquises en accom-
plissant leurs fonctions sacrées.
Art. 145. — Les traitements sont de
480 francs par an pour les curés de vil-
lages, de 600 francs pour les curés de chefs-
lieux d'arrondissements, de 720 francs
pour les curés de chefs-lieux des départe-
ments.
Remarque. — Le traitement des prêtres
qui ont fait leurs études dans les Sémi-
naires est de y 20 francs pour les villages,
de g6o francs pour les chefs-lieux d'ar-
rondissements, de I 080 francs pour les
chefs-lieux de départements.
Art. 146. — Les recettes occasionnelles
provenant des diverses cérémonies sont
fixées par le tarif suivant : a) baptême,
I franc; b) mariage, 12 francs; c) grand
service funèbre, 6 francs; d) enterrement
de pe; sonnes n'ayant pas encore quinze
ans, 3 francs; e) Extrême-Onction, -i franc
à chaque prêtre; J) bénédiction de l'eau
faite après invitation, o fr. 5o; g) messe,
3 francs; h) cérémonie pour un mort (ab-
soute), o fr. 40; i) relevailles, o fr. 40;;) eau
bonite, o fr. 5o.
STATUTS DE L EXARCHAT BULGARE
213
Art. 147. — Si quelqu'un invite d'autres
prêtres à participer à la cérémonie qu'ac-
complit le curé de la paroisse, il doit aussi
les payer.
CHAPITRE XI
POUVOIRS DES CONSEILS DE FABRIQUES
Art, 148. — L'action de ces Conseils de
Fabriques s'étend aux points suivants :
i'' En entrant en fonction, le Conseil de
Fabrique fait le catalogue de toutes les
propriétés de l'église, des biens meubles
et immeubles et de tous les documents et
titres de propriété. Cet inventaire, signé
par les membres du nouveau Conseil de
Fabrique, est tait en double; une copie est
déposée dans les archives de la paroisse,
l'autre envoyée à l'autorité diocésaine. Les
Conseils de Fabrique soumis aux vicaires
épiscopaux leur envoient également une
troisième copie;
2° Le nouveau Conseil examine avec la
commission (art. 86) les comptes des deux
années précédentes de l'ancien Conseil, et
on inscrit le résultat dans le registre des
procès-verbaux, où signent tous les membres
présents de l'ancien et du nouveau Conseil
de Fabrique, ainsi que les membres de la
Commission; on envoie un exemplaire de
ce procès-verbal, signé par toute ^ les per-
sonnes présentes, à l'évêque et au vicaire
épiscopal. Si l'ancien Conseil de Fabrique
avait injustement dépensé les sommes pré-
vues dans le budget ou qu'il eût abusé des
biens ecclésiastiques, l'autorité diocésaine
le citera en justice;
3° Il s'occupe, avec la permission de
l'évêque, de fournir aux églises les images
et tout ce qui est nécessaire aux offices;
4° Il s'occupe de faire construire des
églises ou des chapelles là où il n'y en a pas ;
5° Il fera construire une chapelle et une
chambre mortuaire dans le cimetière; de
même, il fera entourer de murs le cimetière
et veillera à sa propreté ;
6° Il priera les autorités civiles de ne
pas permettre que des cabarets ou des mai-
sons de réjouissance viennent s'établir près
de l'église, à moins de 200 mètres ;
7" Il engagera pour l'église un sacristain
et des chantres, dont le traitement annuel
est prévu dans le budget;
8-^ Les Conseils de Fabrique des villes
doivent entretenir un diacre dans leurs
églises;
9" Il louera aux enchères les immeubles
de l'église et en inscrira le revenu dans le
livre des recettes;
10^ Il peut recevoir en cadeau ou comme
legs testamentaire des biens, meubles et
immeubles au profit de l'église;
1 1" Pendant le mois d'octobre, il établira
le budget des recettes et des dépenses de
l'église, et il l'enverra à l'approbation du
Conseil diocésain;
12'^ En dehors des dépenses prévues dans
le budget, le Conseil de Fabrique ne peut
rien dépenser qu'après en avoir demandé
la permission à l'autorité diocésaine;
i3° Il veillera à l'emploi régulier des
recettes de l'église, conformément aux dis-
positions du budget;!
14° Il inscrira dans un livre spécial por-
tant le sceau du Conseil diocésain ou du
vicaire épiscopal toutes les recettes et toutes
les dépenses, avec leurs dates respectives.
Art. 149. — Les décisions des Conseils
de Fabrique doivent, pour avoir force de
loi, avoir été prises en séance et à la majo-
rité des voix. Pour acheter, vendre, modi-
fier les biens ecclésiastiques, pour construire
ou réparer les murs de l'église, les Conseils
doivent en informer l'autorité diocésaine
et faire approuver leur démarche.
Art. i5o. — Les recettes de l'église pro-
viennent :
1° Des biens ecclésiastiques;
2" Des sommes léguées à l'église par tes-
tament;
3'^ De la location des stalles;
4'^ De deux quêtes, dont l'une au profit
des pauvres;
5'^ De la vente des cierges;
ô'' Des extraits de naissance;
7° De la sonnerie des cloches lors de
diverses cérémonies, des illuminations de
l'église, du baptême donné à la maison
sans nécessité, du mariage célébré à la
maison, du corbillard, le tout d'après une
taxe fixée par le Conseil de Fabrique et
approuvée par l'autorité diocésaine.
Art. i5i. — Il est défendu aux particu-
liers de vendre ou de confectionner des
cierges. Dans les villes où siègent soit le
métropolite, soit les vicaires épiscopaux, les
Conseils de Fabrique établissent et dirigent
une fabrique de cierges en cire. Sont tenus
d'acheter les cierges à cette maison les
214
ÉCHOS d'orient
Conseils de Fabrique de toutes les églises
comprises dans les limites de la métropole
ou des vicariats épiscopaux. Les cierges qui
sont fabriqués dans cette maison doivent
éire de cire pure et porter la marque du
saint synode.
Art. i52. — Les Conseils de Fabrique
qui dirigent cette maison sont aussi chargés
de la vente des images à l'usage des fa-
milles.
Art. i53. — Les Conseils de fabrique
emploient leurs recettes aux usages sui-
vants :
r Achat de cire, huile, vin, hosties,
encens, ornements, livres, registres, etc.;
2° Entretien et réparation de l'ég'ise et
de ses biens;
3° Ornementation d- l'église;
4° Traitement d'un diacre dans les villes,
des chantres et autres ministres;
5° Aumônes et œuvres de charité.
Art. 154. — L'excédent des recettes est
divisé en trois parties : la première est
transmise au ministère des cultes par le
métropolite, pour être versée dans la caisse
qui sert à fournir des pensions aux prêtres ;
laseconde est employée à soutenir les Sémi-
naires; la troisième, qui doit servir à con-
stituer un capital, est versée dans les caisses
rurales agricoles placées sous la surveil-
lance des Conseils de Fabrique.
Art. i55. — Chaque église a un registre
où l'on inscrit toutes les décisions des
Conseils de Fabrique ainsi que les comptes
(art- 148, n° 2).
Outre ce registre, il y a encore un cahier
relié où se trouvent les noms des bienfai-
teurs de l'église ainsi que les noms des
marguilliers qui se sont acquittés avec zèle
et sans reproche de leur charge; tous ces
noms sont proclamés à l'église le dimanche
de l'orthodoxie.
CHAPITRE XII
juridiction des autorités monastiques
Art. i56. — La juridiction monastique
s'étend aux points suivants :
1° L'autorité monasiique veille à ce que
les religieux se conforment aux anciennes
règles de la vie religieuse et à ce que les
règles de l'Eglise, le règlement du couvent
et les dispositions de l'autorité spirituelle
soient exactement ob ervés;
2" Elle emploie les religieux selon leurs
capacités et leurs forces ;
3° EUedonnel'habitreligieux aux novices,
après en avoir demandé préalablement la
permission à l'autorité spirituelle;
4° Elle fait tous ses efforts pour conserver
en bon état le monastère, l'église, les mé-
tokhia et les biens des monastères;
5° Elle procure au monastère les vivres
nécessaires;
6° Elle met aux enchères la location des
biens de; monastères, quand elle le juge
nécessaire ou avantageux;
7° Elle perçoit en temps voulu les revenus
des monastères, et, après avoir demandé
la permission à 1 autorité spirituelle com-
pétente, elle place l'excédent dans les éta-
blissements de crédit;
8'- Deux mois avant l'expiration de l'an-
née, elle dresse le budget des recettes et des
dépenses et l'envoie à l'approbation de l'au-
torité spirituelle compétente;
9'^ En dehors des dépenses prévues dans
h budget, on ne pourra rien dépenser sans
la permission du supérieur;
10° A la fin de chaque année, elle arrête
ses comptes et en donne une copie à l'au-
torité supérieure;
11° Elle tient l'inventaire de tous les
biens, immeubles et meubles;
12° Elle ne peut, sans l'autorisation du
saint synode, vendre, modifier ou donner
les biens des monastères;
i3° Elle peut recevoir par testament ou
par donation des meubles ou des im-
meubles au profit du monastère;
14° Elle recueille pour le monastère
comme un héritage légitime et confor-
mément aux règles de l'Eglise les biens
meubles ou immeubles que les Frères
laissent en mourant.
Remarque. — Ceux gui désirent embras-
ser la vie religieuse dans un couvent,
doivent, avant de prendre l'habit, disposer
à leur gré et conformément à la loi, de
leurs biens: par conséquent, tout ce qu'ils
laissent en mourant revient au monastère.
Art. 157. — Aucune mesure ne sera exé-
cutée avant q .elle ait été prise en réunion,
de sorte que les anciens qui sont capitu-
laires n • puissent rien faire sans le con-
sentement de l'higoumène, et celui-ci sans
l'avis de ces anciens.
Art. 1 58. — Sur décision du saint synode,
une portion des revenus du monastère est
STATUTS DB L EXARCHAT BULGARE
21$
consacrée à entretenir des bourses dans
les Séminaires et à payer l'apprentissage
d'artistes en peinture, dessin, etc., au profit
de l'église.
Art. iSg. — Ces décisions sont aussi
applicables aux monastères de femme^.
TROISIEME PARTIE
JUGEMENT
ET PUNITION DES ECCLÉSIASTiaUES
Art. i6o. — Les ecclésiastiques sont
jugés par les tribunaux ordinaires pour les
délits criminels ou pour les délits de droit
civil.
Art. i6i. — Les autorités judiciaires et
civiles doivent avertir l'autorité diocésaine
toutes les fois qu'un ecclésiastique est cité
devant le tribunal.
Art. 162. — Les tribunaux civils, avant
d'exécuter leur arrêt contre un ecclésias-
tique coupable, communiquent à ses supé-
rieurs diocésains les circonstances du procès
et la sentence prononcée; après quoi, l'au-
torité diocésaine prend, s'il en est besoin,
les dispositio' s nécessaires conformément
aux lois ecclésiastiques.
Art. i63. — Les clercs font la prison
préventive là où l'autorité religieuse en
décide; dans ce cas, les subsistances leur
sont fournies par le gouvernement.
Art. 164. — Si des fautes ou des crimes
sont commis contre les canons de l'église,
contre le présent règlement et ses obliga-
tions, ou contre les ordres de l'autorité,
les évêques sont jugés en premier et der-
nier ressort par le saint synode, les autres
clercs en première instance par le métro-
polite, en appel et sans pourvoi par le saint
synode.
Pour engager des procès semblables, il
faut que les accusateurs et Ls témoirs
appartiennent à la confession orthodoxe
et se recommandent par une conduite irré-
prochable.
Akt. i65. — Les punitions imposées
par les autorités religieuses sont :
1° Observation;
2" Réprimande;
3^ Amende;
4' Excommunication (avec privation de
casuel dans les proportions détermi; ées
par le Conseil diocésain^;
D*' Réclusion dans un monast.re;
6" Privation d'emploi ;
7° Destitution ;
8° Mise en interdit;
go Payement au do .bk de l'argent qui a
été perçu en plus de la taxe fixée pour les
cérémonies ecclésiastiques.
Remarque. — La moitié de la somme
revient à la personne qui a subi la concus-
sion, l'autre moitié reste dans la caisse
diocésaine.
Art. 166. — En dehors des cas prévus
par les canon>, la privation d'emploi avec
ou sans destitution est infligée aux clercs
pour les fautes suivantes :
1° S'ils ont enfreint en quo' que ce soit
les lois f.ndamentales de l'Etat ou de
l'Egl se bulgare;
2" Si leur mauvaise conduite envers les
canons de l'Eglise ou les lois civiles a été
un scandale et a provr*qué le blâme et la
dé- approbation générale.
Remarque. — La décision prise par le
Conseil diocésain de destituer un clerc ne
sera jamais mise à exécution avant d'être
examinée et confirmée par le saint synode.
Art. 167. — Aux peines signalées dans
l'art. 166 sont soumis les clercs qui exercent
une fonction dans l'Etat, avec cette ditfé-
lence que, s'ils sont frappés d'excommu-
nication, ils perdent leur traitement dans
la proportion que fixe l'autorité spirituelle.
Art. 168. — Les clercs qui se sont rendus
coupables dans l'exercice de leurs fonctions
sont cités devant l'autorité spirituelle com-
pétente; si leur faute mérite une punition
de la part des lois civiles, ils sont cités
devant les tribunaux civils.
Art. 169. — Dès qu'un clerc commence
à se mal conduire, son supérieur ecclésias-
tique l'avertit paternellement pour qu'il se
convertisse et rentre dans le devoir; s'il
vient à s'obstiner, on procédera à son égard
conformément à l'art. 166, n" 2.
Art. 170. — Sont passibles de peines
pour crime les clercs contre qui des parti-
culiers ont déposé des plaintes.
Art. 171 . — Un clerc frappé de suspense
par le Conseil diocésain cesse de remplir
seN fonctions dès qu'on lui a communiqué
la sentence, bien qu'il rroteste qu'il pré-
sentera au saint synode une requête en
appels. Si le temps fixé pour sa mise en dis-
2l6
ÉCHOS d'orient
ponibilité est écoulé avant que le saint
synode se soit prononcé sur sa requête, il
reprend de droit ses fonctions.
Art. 172. — Les condamnations à quinze
jours de suspense n'admettent pas d'appel.
QUATRIÈME PARTIE
SCEAUX
DES AUTORITÉS ECCLÉSIASTiaUES
Art. 173. — Chaque église de la princi-
pauté a son cachet particulier, de forme
ronde, avec le chiftre au milieu et la légende
autour.
I" Saint synode : au milieu, une église
à trois coupoles; autour, l'inscription sui-
vante : saint synode de l'Eglise bulgare;
2" Métropolites: au milieu, une mitre,
une crosse et une croix; autour, métropole
deN...;
3° Conseils diocésains: au milieu, une
croix; autour. Conseil diocésain de N...,
de Sophia, par exemple;
4° Archiprétres de canton: su milieu,
une croix; autour, archiprêtre de N..., de
Tren, par exemple;
5° Curés: au milieu, une croix; autour,
curé de N...;
6° Eglises: au milieu, l'image du saint
patron; autour, le nom de la ville ou du
village (église de Saint-Nicolas, Sophia);
7° Monastères : au milieu, l'image du
patron ; autour, le nom du monastère
(monastère de Troïan).
CINQ.UIÈME PARTIE
DISPOSITIONS GÉNÉRALES
Art. 174. — Pour l'entretien de lexarque
et du saint synode, le gouvernement de la
principauté verse chaque année dans la
caisse de l'exarchat une somme propor-
tionnée au nombre de mariages célébrés
dans les diocèses de la principauté, en pre-
nant o fr. 40 par mariage.
Art. 175. — Deux mois avant l'expira-
tion de l'année, le saint synode examine le
budget de l'exarchat ainsi que ses comptes.
Art. 176. — Les métropolites et leurs
évéques auxiliaires (art. 47) reçoivent du
gouvernement un traitement annuel fixé
par le budget.
Art. 177. — Les membres du saint
synode reço vent de la caisse de l'exarchat
une rétribution annuelle.
Art. 178. — Quand on a besoin du pou-
voir civil, celui-ci, sur une demande de
l'autorité ecclésiastique, se met à sa dispo-
sition pour faire exécuter les arrêts de la
présente loi.
Art. 179. — Aucun ecclésiastique ne
peut passer au service de l'Etat sans une
décision préalable de son supérieur direct.
Art. 180. — Aucune modification, aucun
changement de ces statuts, aucune autre
mesure contraire à ces statuts et concer-
nant le gouvernement de l'Eglise ne pourra
se faire sans l'autorisation préalable du
saint synode et du ministre des cultes.
Art. 181. — Les élèves sortant des Sé-
minaires de la principauté et ceux qui,
connaissant la théologie, se proposent d'em-
brasser la carrière ecclésiastique, sont li-
bérés du service militaire s'ils ont reçu les
ordres à l'âge de vingt-sept ans.
Art. 182. — Les employés des chance' -
leries, civils ou ecclésiastiques, ont tous
les droits et toutes les obligations prévues
pour les employés civils.
Art. i83. — Les dispositions prises par
le saint synode, dans sa séance du 4 jan-
vier 1891, protocole n° 69, restent en vi-
gueur.
Art. 184. — Les statuts de l'exarchat,
adaptés à la principauté et approuvés par
un ukase du 4 février i883, n« 82, la loi
sur le changement de quelques articles des
statuts confirmée par l'ukase du i5 dé-
cembre 1890, n° 90, et la loi pour le chan-
gement des articles 3, 6 et 8 de ces statuts
approuvée par un ukase de 1891, n° 98, et
toutes les autres lois, mesures et dispo-
sitions contraires à ces présents statuts ces-
seront dès que ces présents statuts entre-
ront en vigueur.
L'IMAGE DE LA VIERGE DE PÉRAMOS
Les Echos d'Orient ont déjà parlé à leurs
lecteurs de Péramos, de son monastère
et d'une antique image de la Sainte Vierge
qui y est en grande vénération (i). Cette
note a pour but de compléter les rensei-
gnements donnés alors, en particulier
d'attirer l'attention sur un texte capital
pour l'histoire de ladite image.
Rappelons d'abord que Péramos, en
turc Pérama, est un bourg d'environ
3 Goo habitants dans la partie orientale de
la presqu'île de Cyzique, sur la côte qui
fait face à Panderma, l'ancienne Panor-
mos . La population, exclusivement
grecque, se dit d'origine crétoise. En
dehors d'un groupe qui se proclame
catholique de cœur malgré la sauvage
persécution dont il est l'objet (2), les
Péramiotes dépendent, au point de vue
religieux, de l'éparchie de Cyzique. Mais
on sait que Cyzique étant, depuis de
longs siècles, un amas de ruines, le
métropolite qui en porte le titre réside
à Erdek, en grec 'ApTàxr,, petite ville
située de l'autre côté de l'isthme (3).
A trois heures au nord de Péramos est
le monastère de IaTheotokos<ï>av£p(0'j.ivr,.
C'est un vaste quadrilatère avec cour inté-
rieure, avec une centaine de cellules.
L'église occupe un des angles de la cour.
De moines, il n'y en a pas plus là que
dans la plupart des couvents grecs, en
dehors de l'Athos. Un hégoumène, qui
n'est même pas toujours prêtre, gère les
revenus du monastère, encaisse les
offrandes des fidèles et rend compte de
sa gestion au patriarcat: depuis 1903, en
(1) R. Bousquet, l'Affaire de Péramos, dans
Echos d'Orient, t. VI (igoS), p. 401-408.
(2) Outre l'article ci-dessus, voir Echos d'Orient,
t. XIII (igio), p. 120.
(3) Sur Péramos, voir la très complète monogra-
phie du commandant Reynaud, extraite de la
Revue du musée social. Paris, 1910.
effet, le monastère, de diocésain, èvootatxôv,
est devenu stavropégiaque, T-ra-jsoTTir.v'.a-
xôv, c'est-à-dire dépend exclusivement du
Phanar.
Tout le long de l'année, il héberge des
pèlerins et des malades, surtout des alié-
nés. Rien n'est fixé pour les frais de
séjour, chacun donne ce qui lui plaît.
C'est pendant l'octave de l'Assomption,
ou plutôt du 1 5 août à la fin du mois,
qu'a lieu le panayiri, le pèlerinage pro-
prement dit. Constantinople, la Turquie
d'Europe, les îles de l'Archipel, l'Asie
Mineure, déversent durant cette période,
au port de Péramos, une foule de 8 à
loooo personnes.
Des boutiques, faites de branches et de
feuillages, s'installent aux abords du
monastère, garnies de toutes sortes de
comestibles. Des orgues de Barbarie y ont
été transportés à dos de mulet : aux
accents de l'harmonieux instrument, on
danse entre les deux offices. Après deux
ou trois nuits passées à la belle étoile,
chacun redescend : comme il n'y a pas
d'hôtels à Péramos, toutes les maisons,
les deux églises, les nombreuses cha-
pelles du bourg et des environs immé-
diats, sont mises à contribution pour
héberger les étrangers, qui s'éloignent
peu à peu les semaines suivantes.
Pendant toutes ces fêtes, l'image de la
Phaneromeni est exposée à la vénération
des pèlerins dans l'église du monastère.
Malades et bien portants se font « lire »,
c'est-à-dire qu'un des prêtres venus de
Péramos ou des villages voisins récite
sur eux quelqu'une des prières de l'eu-
chologe. Le fidèle s'assied par terre sur
un petit tapis, tenant sur ses genoux
l'icpne contre laquelle il appuie le front.
Le prêtre, debout devant lui, commence
la prière qui se termine souvent sans le
moindre incident. Mais il est des cas, et
il sont assez fréquents, où la cérémonie
prend un tout autre caractère. Il arrive
2l8
ECHOS D ORIENT
en effet que, sitôt la prière commencée,
l'icône s'agite dans les mains qui la
tiennent, frappe à coups redoublés le
front du patient, pèse sur lui comme un
grand poids qu'il ne peut soutenir, et
finalement le renverse à terre, pendant
qu'il s'écrie : « Panagia, aie pitié de moi!
Panagia, pardonne-moi! »
On a vu, dit-on, des aliénés, des phti-
siques, des aveugles, de pauvres gens
affligés de plaies purulentes, se relever
guéris. Voilà, à coup sûr, une singulière
façon d'opérer des guérisons ! Bien en-
tendu, aucun contrôle n'existe de ces faits
plus ou moins extraordinaires : les nier
dans le pays, ce serait d'ailleurs s'expo-
ser à se faire lapider par les dévotes. J'ai
ouï parler d'un catholique latin qui, par
reconnaissance pour sa guérison, aurait
passé à l'orthodoxie. Un prêtre catholique
et un ingénieur français, qui ont pu assis-
ter à l'étrange cérémonie, m'ont certifié
que l'icône frappe réellement, même
frappe très fort, et qu'ils n'avaient pu
constater aucune supercherie (i). Une
jeune fille, aujourd'hui catholique, m'a
aussi raconté qu'elle se souvient avoir
été renversée par l'image qu'elle tenait
sur ses genoux, et cela malgré tous ses
efforts pour lutter contre la puissance qui
la terrassait. Avait-elle une maladie? Je
l'ignore. Mais les bien portants eux-
mêmes sont parfois frappés. On dit alors
que la personne « a un démon ».
L'icône de la Phaneromeni n'est pas
thaumaturge seulement dans son monas-
tère. On la promène fort loin, par exemple
jusqu'à Smyrne. Devant une épidémie,
une sécheresse ou tout autre fléau, la
localité éprouvée se hâte de l'appeler à
son aide.
La Vierge qui frappe pour guérir, les
Péramiotes l'appellent « notre Panaghia »
et l'invoquent en toutes circonstances :
« Toute Sainte Manifestée, aide-nous !
(i) Il y a quelques années, les journaux grecs de
Constantinople ont mené grand bruit au sujet
d'une icône frappeuse qui attirait les foules dans
l'église d'Hexi Marmara, à Stamboul : ce n'était
qu'une indécente supercherie.
Toute Sainte aux grands yeux, '^v/oCao-
[xaTa, bénis-nous! » 11 est une prière qui
lui est consacrée, que l'on récite tous les
soirs en famille, que l'on chante à l'église,
en voici la traduction :
O Toute Sainte, notre Reine, nous tous
vos serviteurs, nous nous réfugions sous
votre protection et nous vous prions,
quoique indignes. Préservez les chrétiens,
vos serviteurs, qui vivent en ce pays, de
toute mauvaise rencontre, de la mort subite
et de tout malheur. Nous savons que vous
pouvez tout. Reine du monde, notre sou-
veraine, ô Manifestée, écoutez notre prière.
Si vous interrogez un paysan de Péra-
mos sur l'histoire du monastère et de son
image, il vous racontera ceci :
Sur la côte qui fait face à Péramos,
près de Kourchounlou, s'élevait jadis le
monastère du Grand Champ, où l'on
vénérait une image de la Theotol<:os peinte
sur bois de noyer. Lorsque ce monastère
fut saccagé et détruit par les croisés, la
sainte image s'enfuit sur l'autre rive et
vint se reposer au milieu des forêts qui
dominent Péramos, au pied du mont
Tchavli. 11 y avait là les ruines d'un
temple dédié à Cybèle. Un berger, en
faisant paître son troupeau, trouva l'icône
et la porta à Péramos. Mais la même
nuit elle disparut, et on la retrouva au
même endroit dans les bois. C'était une
indication. Avec les matériaux de l'ancien
temple, on construisit église et monastère,
et la Vierge fut désormais honorée là
sous le titre de <ï>av£pwjx£VT,, Manifestée.
Telle est la tradition locale, la tradition
commune : inutile de s'arrêter aux affir-
mations ingénues de quelques rares
savants du crû, d'après lesquels l'icône
serait due au pinceau de saint Luc, et le
monastère remonterait au règne de Con-
stantin.
Et cette tradition locale une fois dégagée
de sa chronologie fantaisiste, hâtons-nous
de dire qu'elle a pour elle toutes les vrai-
semblances. Si elle fait venir l'image du
à
L IMAGE DE LA VIERGE DE PERAMOS
219
Grand Champ, c'est, faut-il croire, qu'elle
en est réellement venue : on ne s'explique
pas autrement l'introduction dans le récit
populaire du nom de ce monastère dès
longtemps disparu de l'histoire et qui
n'eut jamais une célébrité exceptionnelle...
Le document le plus ancien conservé
dans les archives du monastère de Péran.os
est un firman du sultan Moustafa II, daté
du mois de zilhidjé 11 11 de l'hégire 'ou
1700 de notre ère. Ce firman donnait l'au-
torisation de réparer les bâtiments qui
tombaient en ruines (î). En outre, M. Th.
Wiegand prouve l'existence du monastère
au moyen âge par celle d'un grand cha-
piteau corinthien en marbre utilisé dans
les constructions modernes (2); on ne
peut guère supposer que ce chapiteau ait
é;é apporté d'ailleurs par les sentiers
escarpés de la montagne.
Mais si nous n'avons pas de renseigne-
ments positifs sur le couvent, il n'en est
pas de même de l'image de la Phanero-
meni. En 1328, nous raconte l'empereur
Jean Cantacuzène, Andronic III vint de
Constantinople à Cyzique « pour vénérer
l'image de la Mère de Dieu, image non
faite de main d'homme et conservée dans
l'église d'Hyrtakion, pour visiter aussi le
pays qu'il n'avait pas encore vu » : tt.v
r?iç OsourÎTOpoç àyî!.poî:o'lr,Tov e'.xovx, f, — oôç
tÔv £v 'Yz~7.y.<M vaôv t.v, rrooTX'JVT^o-wv (3).
Hyrtakion est une déformation connue du
nom d"ApTàxY;. A s'en tenir strictement
à la phrase de Jean Cantacuzène, l'image
miraculeuse en 1328 aurait donc été
placée dans une église de la ville d'Artaki,
non dans le monastère voisin de Péramos.
Je ne crois pas qu'il faille prendre le texte
à la lettre. Artaki a supplanté Cyzique
détruite; elle a été au moyen âge et de-
meure aujourd'hui le principal centre
habité dans la presqu'île; elle est, comme
je le disais en commençant, la résidence
(i) Ce firrmn et quelques pièces postérieures ont
été publiés dans la brochure Twôiivritia xotvÔTTjtoç
nepàfjLoy. Constantinople, 1901, 32 pages in-8*.
(2) Th. Wiegand, Reisen in Mysien, dans
Athen. Mitteilungen, 1894, p. 294.
(3) Cantacuz., Histor., II, 5 [P. G., t. CLIII,
col. 440; édit. Bonn, t. I", p. 339).
du métropolite. Comment supposer, si
elle a jamais possédé l'icône dans une
de ses églises, qu'elle se soit privée d'un
tel trésor au profit d'un monastère quel-
conque ? Il faut donc entendre, à mon avis,
que l'église où Andronic III vint en pèle-
rinage n'était pas située dans les murs
même d'Artaki, mais sur le territoire
dépendant de cette ville, et rien ne s'op-
pose à ce que nous l'identifiions avec le
sanctuaire du mont Tchavli (i).
Dès le xive siècle, au moins, notre
icône était regardée comme miraculeuse.
M. E. von Dobschùtz n'a pas manqué de
relever le texte de Jean Cantacuzène dans
son catalogue des images de la Vierge
« non faites de main d'homme » men-
tionnées par les historiens byzantins (2);
mais il ne s'est pas douté que l'image
existe encore.
* «
D'après la tradition populaire, ai-je dit,
l'image de Péramos vient du monastère
du Grand Champ, ruiné par les croisés
après leur conquête de Constantinople,
soit de 1204 à 1261 (3). Comme l'a
démontré le P. J. Pargoire, le Grand Champ
existait encore entre 1289 et 1293; à
cette époque, en effet, le patriarche de
Constantinople, Athanase, s'en empara au
détriment de son collègue homonyme
d'Alexandrie, qui l'avait reçu en prébende
(i) L'article était déjà composé et notre collabo-
rateur était absent, quand j'ai pris connaissance
d'un article de M. Gédéon dans l"E-xxXri(7ta(7T!xr,
'A).rj6c;a du 21 mai/3 juin 191 1, p. i53 sq. II en
ressort que l'on vénère toujours à Artaki une vieille
image de la Sainte Vierge, appelée Leventistra,
du nom d'un ancien couvent de l'endroit. Cette
image répond-elle à celle qu'alla vénérera Artaki,
en i328, l'empereur Andronic III? M. Gédéon n'ose
se prononcer. Encore moins ose-t-il conclure que
ce soit la même image que l'on vénérait à Artaki
en 610 et dont le métropolite de Cyzique, Etienne,
offrit la couronne à l'empereur Héraclius, Theo-
phanis Chronographia, A. M. 6102, P. G., t.
CVIII, col. 628. Théophane, en effet, ne parle pas
d'image de la Vierge, mais seulement d'une cou-
ronne prise dans l'église de la Sainte Vierge à
Artaki. Quoi qu'il en soit, la question mériterait
d'être reprise. (Note du P. Vailhé.)
(2) E. VON DoBscHUETz, ChristusbUder. Leipzig,
1899, p. 84, i5o*.
(3) Voir aussi Nicodemos, 'Ay.o/.ou6fa -zQ-Ziviylon
Ttarpô; r^^iw'i Ai(i.;).'xvo{î. Constantinople, p. ).(tt'.
220
ECHOS D ORIENT
de l'empereur Michel Vlll Paléologue. 11
fut probablement détruit dans les premiers
mois de 1303, soit par les Turcs, soit, si
l'on veut, par les mercenaires catalans de
Roger de Flor (i), qui ravagèrent alors
tout le territoire de Cyzique.
C'est donc entre 1303 et 1328 que
l'image de la Vierge aurait été transférée
de la côte Sud-Est de la Marmara dans la
presqu'île de Cyzique. Bien entendu, rien
n'empêche qu'elle soit beaucoup plus
ancienne. La vénération dont elle est
entourée dès son apparition dans l'his-
toire suggère l'hypothèse que c'est une
précieuse épave du temps de saint Théo-
phane le Chronographe, échappée à la
brutalité des iconoclastes.
* *
Mais ceci reste une hypothèse. 11 fau-
drait pouvoir examiner à loisir l'image ;
seule l'autoritJ supérieure grecque obtien-
drait licence de procéder à cet examen;
qu'on ne compte pas la voir s'y livrer de
si tôt, elle a de bien autres préoccupations.
11 m'a même été impossible de trouver
une photographie; celle-ci n'existe pas.
Tout ce que je puis dire, c'est que la pein-
ture mesure à peu près o'»,9o sur o'n,65 ;
la planche, fendue en plusieurs endroits,
est entourée d'un cadre de fer. L'expres-
sion de la figure de la Vierge est ravis-
sante; elle a la tête inclinée vers son Fils
et l'indique de la main; près de sa tête
trois étoiles, deux d'un côté, une de
l'autre. Le Christ, vêtu de rouge, bénit
d'une main et de l'autre tient un rouleau.
Tous les deux portent une couronne en
argent doré.
Th. Xanthopoulos.
BULLETIN DE LITURGIE
ET D'ARCHÉOLOGIE CHRÉTIENNES
ORIGINES LITURGIQUES — UN HYMNAIRE DES
PREMIERS SIÈCLES — LITURGIE BAPTIS-
MALE ET EUCHARISTIQUE — HISTOIRE DES
FÊTES ET DU BRÉVIAIRE — HYMNOGRAPHIE
ET LITURGIE BYZANTINES — ARCHÉOLOGIE
CHRÉTIENNE EN GÉNÉRAL — ARCHÉOLOGIE
BYZANTINE
Parmi les questions que pose l'étude
des origines liturgiques, se présente en
première ligne celle des influences ju-
daïques et païennes sur le culte chré-
tien. Un savant allemand, M. Gerhard
Loeschcke, vient de consacrer à ce sujet
une plaquette de vulgarisation scientifique
(i) J. Pargoire, saint Théophane le chrono-
graphe et ses rapports avec saint Théodore
Studite, dans Vi^antiiskii premennik, t. IX (1902).
p. 94. On trouvera dans cette étude l'histoire com-
plète du Grand Champ, célèbre surtout par le supé-
riorat de saint Théophane.
destinée surtout, semble-t-il, à orienter les
étudiants (i). Elle pourra servir comme
programme de questions à approfondir
et comme indication générale d'utiles ré-
férences, bien que celles-ci soient incom-
plètes. Mais, pour la solution donnée à
l'ensemble de ces problèmes, il nous est
impossible de nous rallier à M. Loeschcke;
il fait la part beaucoup trop belle à la syna-
gogue et au paganisme, tandis qu'il mini-
mise par trop celle de Jésus et des apôtres,
ainsi que le travail spontané du christia-
nisme sur lui-même. Ici, comme en tout
ce qui touche aux origines chrétiennes,
les principes de certaines écoles protes-
tantes ou rationalistes portent souvent,
quoi qu'on en dise, de réels préjudices à
la science véritable.
(1) G. Loeschcke, Jûdisches und Heidnisches
im christlichen Kult. Bonn, A. Marcus et E. Weber,
1910, in-i6, 36 pages. Prix : o mk. 80.
BULLETIN DE LITURGIE ET D'ARCHEOLOGIE CHRETIENNES
221
Aussi doit-on se réjouir de l'essor nou-
veau que les études liturgiques ont pris,
depuis quelques années, parmi les érudits
catholiques. A documentation et à com-
pétence égale, d'ailleurs, l'avantage doit
rester à ces derniers. Pour ce qui concerne
le sujet spécial traité par Loeschcke, on
pourra faire la comparaison avec l'article
Culte chrétien, que Do m Cabrol a donné
récemment au Dictiofwaire apologétique
de la foi catholique (i). Là aussi l'on trou-
vera une orientation très sûre, avec, en
plus, des principes beaucoup plus solides
et des procédés plus objectifs.
En proclamant, avec l'éminent abbé de
Farnborough, l'originalité et l'indépen-
dance du culte chrétien, nous n'avons pas
la pensée — cela va sans dire — de refuser
tout intérêt, par exemple, à ce qui a trait
à la liturgie judaïque. Celle-ci sera jugée
avec d'autant plus d'exactitude et de vé-
rité qu'elle sera mieux connue. C'est pour
la faire connaître que M. le professeur
W. Staerk a réuni dans deux petites bro-
chures à l'usage des étudiants les princi-
paux textes hébreux concernant le culte
juif: prières liturgiques du judaïsme an-
cien (2) et traité « Berakhoth » de la
Michna (3).
« «
La collection à laquelle appartiennent
ces deux brochures vient de publier, tou-
jours dans le but de fournir des textes
pour les cours d'histoire des dogmes ou
de philologie, une traduction nouvelle des
Odes de Salomon, avec des notes critiques,
par A. Uiignad et W. Staerk (4). Décou-
(i) A. d'Alès, Dictionnaire apologétique de la
foi catholique, fasc. III. Paris, Beauchesne, 1910,
col. 832-851.
(2) W. Staerk, Alljiidische liturgische Gebete
ausgewaehlt und mit einleitungen herausgegeben
(collection Kleine Texte fur theologische und
philologische Vorlesungen und Ubungen, heraus-
gegeben von Hans Liet^mann, n' 58). Bonn, Marcus
et Weber, 1910, in-i6, 32 pages. Prix : i mark.
ii) Staerk, Der Mischnatraktat Berakhoth in vo-
halisiertem Text, mit sprachlichen und sachlichen
Bemerkungen (même collection, n" 59, même
librairie). Bonn, 1910, in-i6, 18 pages. Prix:omk:.6o.
(4) A. Ungnad et W. ^itaerk. Die Oden Salomos
aus dem syrischen ûbersetzt, mit Anmerkungen
vertes tout récemment par M. Rendel
Harris dans un lot de papiers syriaques
provenant de la région du Tigre, et pu-
bliées par lui (1), ces Odes ont attiré
aussitôt l'attention des savants. Elles pos-
sèdent déjà toute une littérature, qui se
grossit sans cesse de nouvelles disserta-
tions. Rappelons seulement qu'elles ont
été, peu après leur publication, traduites
en allemand par J. Flemming et commen-
tées par A. Harnack (2), tandis que la
Revue biblique en a donné une traduction
française due à M. J. Labourt, avec une
introduction et un commentaire rédigés
par Mgr Batiffol (3).
Ce sont quarante-deux petites pièces
dont la nature exacte n'est pas encore
nettement déterminée et que, pour le
moment, l'on ne saurait mieux définir
qu'en les qualifiant d'hymnes analogues
aux psaumes hébraïques. Leur existence
était connue par le signalement qu'en
fournissent la stichométrie du patriarche
Nicéphore, au ix^ siècle, et la Synopsis
sanctœ Scripturœ du pseudo-Athanase, au
vie siècle; par une brève citation qu'en
fait Lactance, au iv» siècle; enfin par cinq
citations plus importantes qu'en fait l'au-
teur de la Pistis Sophia. œuvre gnostique
de la seconde moitié du iii^ siècle qui a
été conservée en copte (4),
Les deux premières odes manquent
dans le manuscrit syriaque de M. Rendel
Harris, ainsi que le début de la troisième.
Mais la première se retrouve, au moins
en partie, au chapitre lix de la Pistis
Sophia. La seconde est donc la seule à
fjire complètement défaut.
(même colleciio.i, n'64). Bonn, 1910, in-16,40 pages.
Prix : o mk. 80.
(i) J. Rendel Harris, The Odes and Psalms 0/
Salomon, now first published from the syriac
version, Cambridge, University Press, 1909, in-8*,
154 4- 54 pages. Prix : 12 schellings.
(2) A. Harnack et J. Flemming, Ein jildisch —
christlichesPsalmbuchausdemerstenJahrhundert
(collection Texte und Untersuchungen, xxxv, 4).
Leipzig, Hinrichs, 1910, in-8*, 134 pages.
(3) M" Batiffol, M. J. Labourt, les Odes de
Salomon, dans Revue biblique, octobre 1910, jan-
vier et avril 191 1.
(4) Voir, pour les références, Harnack, op. cit.,
p. 2-9; Batiffol, op. cit., janvier 191 1, p. 22-25.
222
ECHOS D ORIENT
La langue originale des Odes était-elle
le grec ou l'araméen? Les critiques ne
s'entendent pas sur ce point. Ils ne s'en-
tendent pas davantage sur la question de
savoir si ces pièces sont d'origine juive
ou chrétienne.
M. Rendel Harris voit dans ce recueil
un hymnaire chrétion. C'est le titre qu'il
a donné à une édition populaire qu'il en
a publiée peu après l'apparition de son
grand ouvrage. Un hymnaire chrétien dti
premier siècle, c'est ainsi qu'il l'appelle ( i ).
M. Harnack, au contraire, l'intitule psau-
tier judéo-chrétien et veut y reconnaître
une œuvre juive antérieure à Jésus, à saint
Jean et à saint Paul, mais interpolée d'une
manière notable par une main chrétienne.
L'une et l'autre de ces deux opinions ont
leurs partisans, sans parler des nuances
que chacun prétend donner à la sienne.
Harnack base son jugement sur le con-
tenu des hymnes, qu'il découpe en mor-
ceaux plus ou moins étendus, suivant
ce qu'il croit être idées juives ou idées
chrétiennes. M. G. Diettrich, pasteur de
Berlin, qui vient de publier à son tour
une traduction et un commentaire des
Odes (2), se rallie à ce système, mais en
l'appuyant, en outre, sur la métrique de
ces poèmes. Il partage chacun d'eux en
un certain nombre de strophes, et s'efforce
de discerner par ce moyen ce qui est texte
primitif et ce qui est addition postérieure.
Je n'ai pas qualité pour juger du résultat
de tant de labeurs, mais je crains bien
que toute cette dépense d'érudition ne
soit motivée par un désir trop vif de
trouver, à l'occasion de la récente décou-
verte, du paulinisme avant saint Paul, du
johannisme avant saint Jean, du christia-
nisme avant le Christ.
Aussi bien, les raisons ne manquent
pas aux partisans de l'opinion opposée,
(i) Rendel Harris, An early Christian Psalter.
Londres, Nisbet, 1909, in-8°, 78 pages.
(2) G. Diettrich, Die Oden Salomos unter
Beriicksichtigung der iiberlieferien Stichenglie-
derung, aus dem Syrischen ins Deutsche iiber-
set^t und mit einen Kommentar versehen. Berlin,
Trowitz, 191 1, in-8% xxiii-i36 pages. Prix : 5 marks.
parmi lesquels il faut ranger, entre autres,
M. Th. von Zahn, M. H. Gunkel et
M?»" Batiffol. Ce dernier reconnaît dans les
Odesdestracesde la christologie docète( i ),
M. Gunkel pense à la gnose, probable-
ment égyptienne (2). M. Th. von Zahn (3)
explique de la manière suivante le carac-
tère complexe de ces hymnes: l'auteur
est un chrétien qui s'est placé dans le
rôle de Salomon le poète-prophète; il lui
a attribué ces chants, avec les prophéties
ex eventu qu'ils renferment. L'origine des
Odes n'est donc pas juive; elle n'est
même pas judéo-chrétienne, car l'on ne
saurait songer aux Nazaréens ou aux
Ebionites. Elle est entièrement chrétienne.
Ces hymnes, ajoute le même critique,
paraissent avoir servi dans les réunions
liturgiques; un soliste les chantait, et la
communauté répondait par l'acclamation
Alléluia.
On devine que l'accord est loin d'exister
sur la date de ces poèmes. Bornons-nous
à signaler que M&r Batiffol les croit com-
posés avant l'an 150 de notre ère, et
M. Th. von Zahn probablement dans la
période 120-150.
En ce qui concerne l'hypothèse d'un
usage liturgique des Odes de Salomon,
il est intéressant de noter que le Testament
du Seigneur, décrivant la psalmodie de
l'office du matin, dit : « On y chantera
des psaumes et quatre cantiques : celui
de Moïse, les autres de Salomon et des pro-
phètes » (4). Ces cantiques de Salomon,
ainsi assignés à la psalmodie matinale, ont
été placés par les canonistes byzantins au
nombre de ces psaumes privés (iowotuoI
'J;a).!jLO'l) dont le Concile de Laodicée, au
iv** siècle, prohiba l'emploi dans les céré-
monies officielles du culte . Ajoutons qu'un
savant anglais, M. J. H. Bernard, s'est
(i) Revue biblique, janvier 1911, p. 52-59; avril
191 1, p. 176 et suiv.
(2) Zeitschrift fur die neutestamentliche Wis-
senschaft und die Kunde des Urchristentums,
1910, t. XI, fasc. IV, p. 291 et suiv.
(3) Neue kirchliche Zeitschrift, 1910, t. XXI,
p. 667 et suiv., 747 et suiv.
(4) Rahmani, Tesiamentum Domini nostri Jesu
Christ i. May en ce, 1899, p. 55.
BULLETIN DE LITURGIE ET D'aRCHÉOLOGIE CHRETIENNES
223
appliqué à montrer que les Odes de Sa-
lomon sont « un recueil d'hymnes où
abondent les allusions au baptême, et
comparables à l'hymne de saint Ephrem
sur l'Epiphanie » (i).
Je prends au hasard une des Odes les
plus courtes, la XXXVIh, pour la citer
comme spécimen.
J'ai étendu mes mains vers le Seigneur,
et vers le Très-Haut j'ai élevé ma voix. J'ai
parlé par les lèvres de mon cœur, et il m'a
entendu, ma voix atteignant jusqu'à lui.
Sa parole est venue vers moi, qui me donna
les fruits de mes travaux et me donna le
repos par la grâce du Seigneur. Alléluia f (2)
Quoi qu'il en soit des nombreux points
d'interrogation qui demeurent et demeu-
reront peut-être longtemps encore posés,
les Odes de Salomon méritent d'être lues
et étudiées de tous ceux qui s'intéressent
aux origines chrétiennes.
M.HansLietzmann aconsacré.en 1909,
un des premiers fascicules de la collection
deBonn, qu'il dirige, aux textes liturgiques
concernant l'histoire du baptême et de la
messe en Orient au m* et au iv* siècle (3).
Cette brochure contient le texte de Pline
sur les réunions des chrétiens, les passages
de la Didaché, de saint Justin, des Consti-
tutions apostoliques, de saint Cyrille de
Jérusalem. Une livraison plus récente
fournit le texte de la liturgie clémentine,
avec l'anaphore de Sérapion de Thmuis,
des extraits des canons apostoliques et
de la Constitution ecclésiastique égyp-
tienne (4). Les notes renferment des ren-
vois qui seront fort appréciés.
(i) J. H. Bernard, Thi Odes of Salomon, dans
The Journal of theological Studies, octobre 1910,
p. 1-3 1.
(2) Traduction de M. J. Labourl, dans Revue
biblique, janvier 191 1, p. 16.
(3) Hans Lietzmans, Liturgische Texte ^ur Ges-
chichte der orientalischen Taufe und Messe im II
und IV Jahrhundert (collection Kleine Texte, etc.,
n'5). Bonn, Marcus et Weber, 1909, in-i6, 16 pages.
Prix : o mk. 3o.
(4) L1ETZ.MANN, Liturgische Texte, VI: Die kle-
mentinische Liturgie aus den Constitutiones Apo-
stolorum VIII, nebst Anhaengen (même collection.
Sur la catéchèse et le catéchuménat, on
consultera avec profit les articles récents
du Dictionnaire d'archéologie cbrétienne et
de liturgie (i). Dom P. de Puniet, qui avait
déjà traité, dans le même recueil, le sujet
du baptême, y a rédigé une monographie
très documentée des rites du catéchuménat
dans les diverses parties de la chrétienté.
C'est un des travaux les plus soignés de
ce très utile répertoire.
On sait l'importance qu'avait le sym-
bole ou formulaire de la foi au cours des
cérémonies de l'initiation chrétienne. Aussi
l'étude du symbole se rattache-t-elle direc-
tement à l'étude du catéchuménat et du
baptême. Un ouvrage, un peu oublié
peut-être, a été précisément consacré, il
y a quelques années, par un savant catho-
lique, M. B. Doerholt. à l'historique des
discussions concernant le symbole bap-
tismal (2). Après un rapide résumé de la
tradition ancienne et quelques intéres-
santes indications au sujet de la légende
des douze apôtres, l'auteur prend l'histo-
rique des discussions au moment où,
vers la fin du moyen âge, l'on commence,
de-ci de-là, à douter de l'attribution apo-
stolique. Il le poursuit jusqu'à nos jours,
en relatant avec grand soin toutes les
études importantes provoquées par ces
débats.
Le livre de M. l'abbé G. Rauschen sur
l'Eucharistie et la Pénitence dans les six
premiers siècles de l'Eglise relève à la fois
de la théologie et de la liturgie. Je signale
ici la seconde édition, corrigée et aug-
mentée, qui a paru l'année dernière. Cet
ouvrage a obtenu partout un succès qu'il
méritait. Les Echos d'Orient ont déjà dit sa
valeur lors de la première édition alle-
mande, ainsi qu'à l'occasion des éditions
n° 61). Bonn, Marcus et Weber, 1910, in-i6, 32 pages.
Prix : o mk. 80.
(i) Cabrol, Dictionnaire d'archéologie chré-
tienne et de liturgie, fasc. XX et XXI. Paris,
Letouzey et Ané, 1910. Prix : 5 francs le fascicule.
(2) B. Doerholt, Das Taufsymbolum der alten
Kirche nach Ursprung und Entwicklung. I Teil :
Geschichte der Symbol forschung. Paderborn,
F. Schoening, 1898, in-8°, viii-iôi pages. Prix:
4 marks. Ce tome 1" n'a pas eu de suite, à notre
connaissance du moins.
224
ÉCHOS d'orient
française et italienne (i). Dans le rema-
niement qu'il a fait subir à son œuvre,
l'auteur a surtout tenu compte des obser-
vations que lui avaient soumises les cri-
tiques de langue allemande. Pour ma
part, j'ai relevé dans le récent volume les
mêmes omissions importantes de certains
travaux français sur le canon de la messe,
que j'avais constatées dans le précédent.
Le nom de Dom Cabrol, et le nom seu-
lement avec l'indication d'un article de
revue, a été glissé en note, manifeste-
ment après que tout le travail a été fait
sans recourir à lui. D'autres liturgistes
auraient droit à être au moins signalés.
Une revue allemande , la Theologische
Revue, de Munster, a même pris soin de
signaler à M. Rauschen certains articles
des Echos d'Orient qui auraient pu ne point
être inutiles (2).
La liturgie orientale et l'ancienne li-
turgie gallicane ne sont pas sans avoir,
on le sait, d'intéressantesanalogies, comme
on peut s'en rendre compte en parcourant
le chapitre que M&r Duchesne consacre à
la messe gallicane dans ses Origines du
culte chrétien (3). Pour ne rappeler qu'un
exemple typique, signalons la procession
de l'oblation, commune aux deux usages.
Plusieurs savants ont même prétendu que
la liturgie gallicane était d'origine direc-
tement orientale. Quoi qu'il en soit, les
particularités de cette liturgie méritent
d''être étudiées. Le volume que M. l'abbé
A. Netzer vient de publier : Introduction
de la messe romaine en France sous les Caro-
lingiens (4), est une excellente contribu-
tion à cette étude. Nous y notons que,
d'après les sacramentaires du ix« siècle,
en France, le Gloria in excelsis et le Credo
se disaient et se chantaient en grec (5).
Dans le sacramentaire de Saint-Amand,
(i) Voir Echos d'Orient, t. XII, 1909, p. 120-121;
t. XIII, 1910, p. 189.
(2) A. Struckmann, dans Theologische Revue,
18 janvier 1911, col. 12.
(3) Duchesne, Origines du culte chrétien, c. vu.
(4) A. Netzer, Introduction de la messe romaine
en France sous les Carolingiens. Paris, A. Picard,
1910, in-8% vi-366 pages. Prix: 5 francs.
(5) Netzer, op. cit., p. 214-216, 228.
c'est le texte grec qui est noté. De plus^
la transcription de ce texte grec en carac-
tères latins témoigne de la prononciation
d'alors. Voici la première ligne du Gloria,
à titre de spécimen : Doxa en ypsistis theo
ke ypigis yrini en enthropis eudohya (i).
La liturgie, plus encore peut-être que
toute autre section des études ecclésias-
tiques, doit employer, selon un mot très
usité aujourd'hui, la méthode comparative.
A ce titre, l'article de Dom Gougaud sur
les liturgies celtiques (2) mérite d'être
particulièrement signalé. Le savant Béné-
dictin y traite des sources et des origines
de ces liturgies, du cadre et du personnel
liturgiques, de la messe, de l'année litur-
gique, de l'office divin, etc.; c'est une
monographie complète.
Nous avons maintenant à présenter
quelques ouvrages dont les sujets se
placent sous ces deux dernières rubriques :
année liturgique et office divin. Un érudit
de grande valeur, M. A. Baumstark, qui
a présidé à la fondation de la revue Oriens
christianus, s'est proposé de résumer l'his-
toire du bréviaire des fêtes et de l'année
ecclésiastique des Jacobites syriens (3).
Dans la première partie de son ouvrage,
l'auteur nous montre, par l'étude des an-
ciens écrivains et des manuscrits, le déve-
loppement de l'office depuis le iv» siècle.
Un chapitre spécial est consacré à l'étude
de la formation et de la structure des
diverses heures canoniques. La seconde
partie du livre, consacrée à l'année ecclé-
siastique, renferme l'histoire des fêtes
principales et l'énumération des fêtes des
saints. C'est un travail comme il en faut
souhaiter beaucoup, si l'on désire voir
(1) Ibid., p. 2i5.
(2) L. Gougaud, art. « Liturgies celtiques » dans
le Dict. d'archéol. chrét. et de liturgie, fasc. XXII,
col. 2969-3032. Cf. le récent ouvrage du même
auteur: les Chrétientés celtiques. Paris, Gabaida
1911, in-i2, xxxv-410 pages, 3 cartes. Prix: 3 fr. bo.
(3) A. Baumstark, Festbrepier und Kirchenjahr
der syrischen Jakobiten (collection Studien ;{ur
Geschichte und Culttir des Alterthums, III, 3-5).
Paderborn, F. Schoeningh, 1910, in-i°, xii-3o8 pages.
Prix: 8 marks.
BULLETIN DE LITURGIE ET D ARCHEOLOGIE CHRETIENNES
225
mieux explorer de jour en jour le vaste
champ des liturgies orientales. Les trois
excellentes tables de la fin trahissent
l'homme de patient labeur et de conscien-
cieuse érudition : table des manuscrits,
table des noms propres, table des choses
liturgiques.
C'est un ouvrage moins spécial, et, au
contraire, de portée générale, que celui
où M. Kellner, professeur à l'Université
de Bonn, a réuni les principaux résultats
acquis sur l'année ecclésiastique et les
fêtes des saints (1). La première édition
allemande a paru en 1900; une seconde
paraissait en 1906, en même temps qu'une
traduction italienne due à M^f Mercati;
une troisième, revue et augmentée, vient
de paraître, un an après l'édition française
qu'en a donnée le R. P. Bund. Entre
temps, l'ouvrage était aussi présenté aux
lecteurs anglais. C'est un succès mérité.
Ce manuel s'impose à toutes les biblio-
thèques ecclésiastiques. Je me permets de
signaler à M. Kellner et à ses lecteurs cer-
tains articles des Echos d'Orient de nature
à compléter ou rectifier çà et là quelques
indications sur la fête de la Présentation de
Marie, l'introduction de ]a fête de Noël à
Jérusalem, les origines de la fête de l'An-
nonciation, le Carême et l'Ascension (2).
De même, la troisième partie de l'o jvrage,
intitulée : Sources et manière de s'en servir,
d'ailleurs destinée à être très utile, ne
pourra que gagner encore en précision à
utiliser d'excellentes études consacrées
par les Boliandistes aux Ménologes, aux
Synaxaires, aux Typica (3). Le public de
langue française saura gré au R. P. Bund
(1) K. A. H. Kellner, l'Année ecclésiastique et
les fêtes des saints dans leur évolution historique
[EOPTOAOriA], traduit de l'allemand par le
R. P. J. Bund, de la Congrégation des Sacrés-
Cœurs de Picpus. Paris, Lethielleux (1910), in-8%
xix-556 pages. Prix : 4 francs.
(2) Voir Echos d'Orient, t. V, 1902, p. 221;
t. VIII, 1905, p. 212; t. IX, 1906, p. i38; t. XIII,
1910, p. 65.
(3) Voir ces mots à la table des vingt premiers
volumes des Analecta Bollandiana. Bruxelles,
1904. Je dois avertir le lecteur que je fais abstrac-
tion, dans ces observations, de la troisième édition
allemande que je n'ai pas sous la main.
de sa traduction. 11 s'y est glissé çà et là
quelques inexactitudes; une réédition,
que nous souhaitons prochaine, les répa-
rera (i).
L'archimandriteJ. Archatzikakis a donné
à la revue jérosolymitaine Nea Sien une
série d'articles sur les principales fêtes
dans l'ancienne Eglise orientale, réunis
ensuite en volume (2). Il s'y occupe de la
célébration du sabbat, du dimanche, du
mercredi et du vendredi, de la Pâque et
du Carême, de l'Ascension, de la Pente-
côte, de Noël et de l'Epiphanie. Bien qu'il
soit incomplet sous bien des rapports,
ce travail rendra service aux lecteurs de
langue grecque. L'auteur, qui a étudié en
Europe, cite couramment le latin, le fran-
çais, l'anglais et l'allemand. C'est dire que
la littérature du sujet lui est suffisamment
connue. Pour la partie proprement orien-
tale, on trouvera peut-être chez lui, à
l'occasion, quelques renseignements de
plus qu'ailleurs. Je n'y ai pas rencontré
mention de l'article du P. Vailhé sur
l'introduction de la fête de Noël à Jéru-
salem, qui aurait pu fournir quelque pré-
cision à M. Archatzikakis sur le décret du
basileus Justin, rendant cette fête univer-
selle dans l'empire (3).
Puisqu'il s'agit d'héortologie, mention-
nons, au passage, la notice de Dom Cabrol
sur la fête de la Chaire de saint Pierre,
dans le Dictimmaire qu'il dirige avec une
si remarquable compétence.
L'Histoire du Bréviaire romain, par
W^ Batiffol, dont la première édition re-
monte à l'année 1893, demeurera un des
(i) Signalons entre autres: p. i5, note 4, des
fautes de grec: p. 28, la graphie éortologique,
sans h; p. 29, en note: Mauri pour Mansi; p. 29,
au bas de la page, légère incorrection ; p. 88, réfé-
rence Matiscon, II, 3, qu'on prendrait pour un
auteur, alors qu'il s'agit du concile de Mâcon;
p. 95, 3' ligne, Amularius, sans dou'e pour Ama-
laire; p. 25i, dernière ligne: Kypiaxr, Scyrépa bis
5exdtTr) TSTxpTr, toû MaTÔacov, où le traducteur a dû
oublier que bis n'était pas l'adverbe latin signi-
fiant deux fois, mais la conjonction allemande
qu'il aurait fallu remplacer en français par /«s^u'à.
(2) J, Archatzikakis, Ai x-jpsw-répac éopral èv r/,
àpxa'a; àvaxoXiîcr; 'Ex-/.Ar,ff!'a. Jérusalem, imprimerie
du Saint-Sépulcre, 19 10, in-8*, 223 pages.
(3) Echos d'Orient, t. VIII, 1905, p. 218.
226
ECHOS D ORIENT
meilleurs monuments du renouveau des
études de liturgie historique à notre
époque. Une « troisième édition refondue »
vient de paraître, qui atteste le succès de
ce petit livre et lui apporte d'utiles perfec-
tionnements (i). De ces derniers bénéficie
spécialement le chapitre i^r sur la genèse
des heures. L'auteur y a précisé certains
points, dont quelques-uns assez impor-
tants, en utilisant des recherches récentes,
telles que les articles du P. Pargoire sur
l'origine de Prime et de Compiles, les tra-
vaux de Dom Cabrol, Dom Leclercq, etc.
On aurait pu, croyons-nous, glaner aussi
plus d'une heureuse indication dans les
études du P. Louis Petit sur l'antiphonie (2)
et du P. Pétridès sur les confréries de
spoudaei et de philopones, répandues en
Orient depuis le iv^ siècle (3). Au sujet
de l'hymne du lucernaire, Ow; lAapôv,
M&r Batiffol écrit, p. 10, en note: «Je ne
vois pas que du texte de saint Basile (4)
on soit en droit de conclure que ce petit
psaume soit l'hymne d'Athénogène. »
C'est trop peu dire, puisque le docteur
cappadocien atteste formellement qu'on
ne connaît pas l'auteur de cette pièce.
Msr Batiffol sera le premier à relever
lui-même, à l'occasion, d'autres légères
imperfections de son ouvrage. Quelques
lignes de sa préface expriment bien sa
pensée à cet égard, et sont peut-être la
meilleure recommandation de son livre :
Je devais aux lecteurs qui ont aimé cette
Histoire du Bréviaire romain et qui lui
ont pardonné ce qu'elle avait de prématuré,
de la reviser avec un soin extrême. J'ad-
mire, sans en être, hélas! les gens qui n'ont
pas à se corriger, et qui ne font jamais que
du définitif. Pour nous, historiens, si la
(i) P. Batiffol, Histoire du Bréviaire romain,
3* édition refondue. Paris, Picard et Gabalda, 191 1,
in-i2, x-449 pages. Prix: 3 fr. 5o.
(2) L. Petit, art. « Antiphone dans la liturgie
grecque », dans le Dictionnaire d'archéologie
chrétienne et de liturgie, t. I", col. 2467-2488.
(3) S. Pétridès, Spoudœi et Philopones, dans
Echos d'Orient, t. IV, 1901, p. 225 et suiv; t. VII,
1904, p. 341-348.
(4) De Spiritu Sancto, xxix, 73 ; MiGne, P. G.,
t. XXXII, col. 2o5 A. M*' BatifFol se contente de
la référence inexacte : De Spiritu Sancto, 73.
courbe des grandes lignes est aisée à tracer,
les détails sont toujours à vérifier, et les
détails sont infinis (i).
On trouvera, à l'article Cénohitisme, de
Dom Leclercq (2), un grand nombre de
références et de renseignements sur la
liturgie monastique, les origines et le
développement de l'office.
La liturgiie proprement byzantine est,
à elle seule, un vaste champ de travail,
où tout est loin d'être défriché. Voici
quelques publications récentes qui res-
sortissent de ce domaine.
M. A. Baumstark a fourni à la collection
des Textes liturgiques de Bonn la messe
constantînopolitaine d'avant le ix« siècle,
c'est-à-dire dans son état antérieur à celui
où nous la présentent les premiers manu-
scrits complets (3). Sous son apparence
modeste, cette petite brochure est un tra-
vail critique de grande valeur, qui sera
fort utile pour les recherches liturgiques
sur ce terrain spécial.
Non moins utile est le recueil, donné
par M. Paul Maas à la même collection,
d'hymnes appartenant aux tout premiers
débuts de la poésie ecclésiastique byzan-
tine (ve et vje s.) (4). Ce sont plusieurs
pièces anonymes, déjà éditées et étudiées
par le docte critique dans la Byiantinische
Zeitschrift (5), plus une prière de saint
Romanos, le prince des mélodes, à la
Sainte Vierge, et quelques très intéres-
sants spécimens de kontakia. Ltkontakion,
auquel M. P. Maas a consacré récemment
(i) Op. cit., p. IX. J'ai noté, p. 252, en note, et à
la table, p. 438, Jeanne de Mont-Cornillon, sans
doute pour désigner la bienheureuse Julienne de
Mont-Cornillon.
(2)Dict. d'archéol. chrét. et de liturgie, fasc. XXII,
col. 3047 et suiv.
(3) A. Baumstark, Liturgische Texte : III. Die
Konstantinopolitanische Messliturgie vor dem
IX Jahrhundert. Uebersichtliche Zusammenstel-
lung des wichtigsten Quellentnaterials. Bonn,
Marcuset Weber, 1909, in-i6, 16 pages. Prix : o mk.40.
(4) P. Maas, Fruhbyxjantinische Kirchenpoesie.
I. Anonyme Hymnen des V-VIJahrhunderts. Bonn,
Marcuset Weber, 1910, in-i6, 32 pages. Prix :omk. 80-
(5) Voir Echos d'Orient, t. XllI, 1910, p. 307.
BULLETIN DE LITURGIE ET D ARCHEOLOGIE CHRETIENNES
227
un savant article (i), se compose d'un
préambule et d'un nombre variable de
strophes; les initiales de chaque strophe
forment un acrostiche. Ces compositions
rappellent la poésie syrienne, de laquelle
est sortie l'hymnographie byzantine. Bril-
lant disciple du regretté Krumbacher,
M. Maas est l'homme le mieux préparé à
nous donner une édition des œuvres de
Romanos. Puissions-nous l'avoir bientôt!
Dans la nouvelle revue Roma e V Oriente,
un autre spécialiste en hymnographie
byzantine, Dom Gassisi, Basilien de Grot-
taferrata, a publié un kontakioii inédit se
rapportant à la dédicace de Sainte-Sophie,
qui eut lieu le 23 ou 24 décembre 562,
L'auteur est probablement l'anonyme qui
avait composé pour les fêtes du Natale de
Constantinople, célébrées le 1 1 mai, un
autre kontahion dont on possède des frag-
ments (2).
Un érudit russe, M. Karabinov, profes-
seur d'archéologie chrétienne et de liturgie,
consacre tout un volume aux hymnes du
Triodion quadragésimal {^). Les Byzantins,
on le sait, ont donné le nom de Triodion
à un des livres liturgiques affectés au
propre du temps, renfermant l'office des
dix semaines qui précèdent Pâques. De
ce livre, l'auteur étudie le plan, la com-
position, la rédaction et les traductions
slaves qui en ont été faites. 11 partage
l'histoire de la formation du Triodion
actuel en trois périodes : ve-vni« siècle,
ix« siècle, x«-xve siècle. L'œuvre de la pre-
mière période est celle des hymnographes
jérosolymitains, le reste appartient à ceux
de Constantinople. Notons que M. Kara-
binov s'inscrit en faux contre l'attribution
traditionnelle de l'ensemble du Triodion
à saint Théodore Studite et à son frère,
saint Joseph de Thessalonique. La pre-
(i) p. Maas, Das Kontakion, dans Byj^antinische
Zeitschrift, t. XIX, 1910, p. 285-3o6.
(2) Un antichissimo « kontakion » inedito,Saggio
di testi liturgici, dans Roma e l'Oriente, n° 3, jan-
vier igii, p. 165-187.
(3) J. Karabinov, Postnata Triod, istoj-itcheskiy
ob\or éia plana, sostapa, redaktsiy i slavianskikh
perevodov. Saint-Pétersbourg, B. D.Smirnov, 1910,
in-8°, ix-294 pages.
mière traduction slave de ce recueil date
des x«-xi« siècles.
Il faut souhaiter que chaque livre litur-
gique obtienne sa monographie, analogue
à celle que nous venons de signaler (i).
M. Karabinov nous donnera bientôt, espé-
rons-le, celle du Pentekostarion comme la
suite naturelle d'un travail si bien com-
mencé. Parmi les inexactitudes à redresser,
nous lui soumettrons seulement quelques
dates fautives, entre autres (p. 107 et 112)
celles de la mort de saint Jean Damascène
et de saint Cosmas de Maiouma, placées
toutes deux vers 787, alors que le premier
mourut en 749 (2) et le second vers 753.
La célèbre hymne acatbiste fait partie du
Triodion. Aussi a-t-elie sa place dans le
livre de M. Karabinov (3). On sait que la
composition de cette pièce remarquable est
un problème littéraire non encore résolu.
Les Ecbos d'Orient en ont parlé à plusieurs
reprises (4). Signalons seulement, pour
cette fois, que M. Papadopoulos-Kerameus
a de nouveau, naguère encore, traité le
sujet sous la forme d'un article intitulé :
L'état de la question concernant l'hymne
acatbiste {<y). L'auteur, maintenant ses posi-
tions déjà anciennes, persiste à attribuer
cette hymne au patriarche Photius et à la
dater de l'an 860. Il a déjà trouvé et trou-
vera encore beaucoup de contradicteurs(6).
A signaler aussi, sous la rubrique des
liturgies byzantines, le numéro Xll de l'ar-
ticle Caucase, par Dom Leclercq, dans le
Dictionnaire d'archéologie chrétienne. Je ne
veux pas, d'ailleurs, terminer cette énu-
(1) Signalons un article très documenté de
M. B. Pantchenko, secrétaire de l'Institut archéo-
logique russe à Constantinople, le Synaxaire de
Sirmond, où a-t-il été rédigé? dans le Bulletin
de l'Institut archéologique russe, t. XIV, 1909,
p. 154-164.
{2] Voir Echos d'Orient, t. IX, 1906, p. 28-3o,
où cette date a été établie par le P. Vailhé.
(3) P. 39 et suiv.
(4) M. Théarvic, Photius et l'Acathiste, dans
Echos d'Orient, t. VII, 1904, p. 293-3oo; Autovr
de l'Acathiste, t. VIII, 1905, p. i63-i66.
(5) A. Papadapoulos-Kerameus, 'H (Tr,!Jicpivr, ôéeri;
TO'3 Trepl 'Axaôi'ff^ov "Tixvoy 'rin-fiaToc, dans Vii^an-
tiiskiy Vremennik, t. XV. Saint-Pétersbourg, 1910,
p. 357-383.
(6) M. Maas, Byt^antinische Zeitschrift, 1910,
p. 304 et 6o5, a déjà exprimé des réserves formelles.
228
ÉCHOS d'orient
mération sans mentionner des études
d'ordre plus général, mais importantes et
utiles, commes celles de Dom Cabrol,
dans le même recueil, aux mots Cendres,
Cenionisations , etc. Les articles Catéchu-
ménat et Baptême, de Dom P. de Puniet,
font déjà la part très large au rite byzantin
et aux autres rites orientaux.
L'archéologie chrétienne et laliturgie ont
entre elles de nombreux points de contact.
Aussi bien se trouvent-elles heureusement
réunies dans le beau monument scienti-
fique que dirige Dom Cabrol. Elles se
trouvent réunies de même dans l'excellent
ouvrage publié par le R. P. Sixte Scaglia,
Cistercien^ sous ce titre qui en révèle déjà
tout l'intérêt : Notions d'archéologie chré-
tienne adaptées aux sciences théologiques et
liturgiques (i). L'auteur est un Trappiste
des catacombes de Saint-Calixte, qui a
étudié longuement et avec amour son
sujet. Un premier volume donne les no-
tions générales qui seront indispensables
au lecteur pour la suite de l'ouvrage :
documents antiques, persécutions, sépul-
tures chrétiennes, etc. La première partie
du tome II, intitulée Epigraphia, est un
bon traité d'épigraphie chrétienne. Le
R. P. Scaglia y étudie les inscriptions se
rapportant aux dogmes : à Dieu, au Christ,
à la Trinité, aux anges, à l'âme humaine,
à la béatitude des saints, au jugement
général et au second avènement du Sau-
veur, au péché originel, au Baptême, à la
Confirmation, à l'Eucharistie; puis celles
qui ont trait à la hiérarchie ecclésiastique;
celles qui concernent les relations de pa-
renté et de famille ; les inscriptions sacrées,
c'est-à-dire votives ou dédicatoires; les
inscriptions damasiennes, les graffites, et
enfin les sceaux et monogrammes des
catacombes. La seconde partie de ce même
tome 11 porte en sous-titre : Symhola et
(i) SixTus ScKGLiK, Notiones archœologiœ chris-
tianœ disciplinis theotogicis et liturgicis coordi-
natœ. Rome, Desclée, 1908-1910, 3 volumes in-8°
d'environ 400 pages chacun (ouvrage encore ina-
chevé). Prix : 6 francs le volume.
picturœ cœmeteriales. Pour les symboles,
l'auteur y examine successivement ceux
qui représentent l'âme et la béatitude éter-
nelle, le Christ et la croix, les sacrements.
Pour les peintures, il suit à peu près le
même ordre; mais ici la matière est plus
abondante et les renseignements plus
nombreux.
L'ouvrage est écrit en latin, ce qui sera
considéré par les uns comme un incon-
vénient, par les autres comme un avan-
tage. Les illustrations phototypiques sont
multipliées, comme de juste, avec un goût
parfait, pour compléter la documentation.
La liste des consuls, des Papes et des
Césars, insérée à la fin de l'étude sur les
inscriptions, est un utile appendice. On
pourrait désirer peut-être que les tables
de ce genre fussent plus nombreuses. On
ne s'étonnera pas outre mesure que le
travail du docte Cistercien porte presque
uniquement sur l'archéologie chrétienne
de Rome, et l'on en sera quitte seulement
pour chercher ailleurs des renseignements
analogues au sujet des autres Eglises
anciennes.
On trouvera quelques-uns de ces ren-
seignements dans le manuel d'épigraphie
chrétienne que M. Marucchi vient de
donner à la collection de volumes vulga-
risateurs publiés par l'éditeur Hœpli, de
Milan (1). L'éminent professeur de l'Uni-
versité de Rome traite son sujet sur un
plan à peu près semblable à celui du
R. P. Scaglia. Les deux ouvrages sont à
compléter l'un par l'autre, et tous deux
peuvent l'être à leur tour sur certains
points, par l'excellent article Epigraphie,
écrit par le R. P. Jalabert, S. J., dans le
Dictionnaire apologétique de la foi catho-
lique (2).
C'est un chapitre spécial de son ouvrage
(1) O. Marucchi, Epigrafia christiana, Trattato
elementare con una silloge di antiche iscri!{ioni
cristiani principalmentediRoma.^\.i\a.n,{J.Hoepll,
1910, in-16. viii-453 pages et 3o planches. Prix : 7 fr. 5o.
(2) Voir Echos d'Orient, mai 191 1, p. 188. Voir
aussi l'article Epigraphie chrétienne, par M. l'abbé
S. Bour, dans le fascicule XXXIV du Dictionnaire
de théologie catholique qui vient de paraître, col.
300-358.
BULLETIN DE LITURGIE ET D ARCHEOLOGIE CHRETIENNES
229
que M. Marucchi présente aux lecteurs
français dans une brochure de la nouvelle
collection Science et foi. 11 y étudie le dogme
de l'Eucharistie dans les monuments des
premiers siècles (i). Çà et là quelques
expressions peu usitées dans notre langue,
telles que « loi du mystère, règlement du
mystère », pour loi de l'arcane ou du
secret, et quelques légères incorrections
faciles à corriger.
Plusieurs pages de la brochure de
M. Marucchi sont consacrées à parler du
poisson symbolique qui, dans les cata-
combes, représente le Christ. Un érudit
allemand, M. Fr. J. Doelger, consacre au
même sujet un gros ouvrage dont le pre-
mier volume a paru : Le symbolisme du
poisson dans les premiers siècles chrétiens,
t. l^r; Recherches d'histoire des religions et
d'épigraphie, contribution à l'histoire de la
christologie primitive et de la doctrine sa-
cramentaire (2). Ces 500 pages, d'une
documentation impeccable, attestent la
maîtrise de l'auteur en ces matières. Après
une première partie de notions générales
sur le symbolisme chrétien du poisson,
comparé avec les éléments analogues
fournis par l'histoire des religions, le sa-
vant archéologue traite du mot IX0YC
comme abréviation.. A ce titre, il le consi-
dère tour à tour comme inscription funé-
raire ou basilicale, comme phylactère,
comme amulette, etc. Une troisième partie
est intitulée : Le poisson dans les religions
sémitiques de l'Orient. Ce simple énoncé
de chapitres dit assez l'intérêt et la valeur
de cette très érudite monographie. Des
tables alphabétiques très complètes ter-
minent ce volume et achèvent d'attester
que l'auteur est un professionnel rompu
(i) Marucchi, le Dogme de l'Eucharistie dans
les monuments des premiers siècles. Bruxelles,
Action catholique, et Paris, J. Gabalda, 1910, in-i6,
3o pages. Prix : o fr. 5o.
(2) Fr. j. Doelger, IX0YC, Das Fischsymbol in
fruhchristlicher Zeit., I : Religionsgeschichtliche
und epigraphiscfie L'ntersuchungen, ^ugleich ein
Beitrjg "{ur aeltesten Christologie und Sakramen-
tenlehre. Rome, 1910 (dépôt chez Herder, à Fri-
bourg-en-Brisgau), in-8', xx-473 pages, avec illus-
trations et planches phototypiques. Prix : 16 marks.
depuis longtem.ps à tous les secrets du
métier. Quand le tome II aura paru, on
pourra sans témérité regarder le sujet
comme épuisé.
Les lecteurs désireux de s'orienter rapi-
dement dnns l'étude des anciens monu-
ments du christianisme pourront recourir
aux articles que l'infatigable Dom Leclercq
insère coup sur coup dans le Dictionnaire
d'archéologie chrétienne et de liturgie. Signa-
lons nomm.ément, dans les fascicules les
plus récents, les articles Catacombes, Cavea,
Cella, Cercueil, etc.
Une mention spéciale est due, dans
cette revue, à la notice du même auteur
sur Chalcédoine. Après quelques mots sur
les origines de cette ville, on y étudie : la
basilique de Sainte-Euphémie, les églises
de Suint-Christophe et de Sainte-Bassa,
le mont Saint-Auxence et ses environs :
Hiéria, Rufinianes, Polyaticon et le monas-
tère de Satyre, la liste épiscopale, l'épi-
graphie chalcédonienne. Tous les sous-
titres, à une exception près, sont, par
eux-mêmes, des références aux remar-
quables travaux topographiques du re-
gretté P. Pargoire. Aussi sommes-nous
heureux de transcrire ici une note de Dom
Leclercq, laquelle permettra, du reste,
d'apprécier à sa juste valeur la compi-
lation du docte Bénédictin. Il écrit donc:
Si la mort n'avait pas été plus pro.Tipte
que nous et n'avait enlevé le P. J. Pargoire,
cet e étude sur Chalcédoine lui appartenait
de droit. Etabli sur cette terre même de
l'ancienne ville bithynienne, il en avait à
p usieurs reprises exposé la topographie
dans divers travaux un peu dispersés et
dont certains sont peu accessibles. C'est
pour cette raison, d'abord, que je les ai
cités as^ez longuement, mais plus encore
dans une pensée d'hommage à l'égard de
leur auteur et d'utilité pour la science ar-
chéologique (i).
11 n'en faut pas moins à Dom Leclercq
une prodigieuse faculté d'assimilation pour
garder son assurance dans des compila-
(i) H. Leclerq, art. « Chalcédoine» dans le Die
tionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie,
fasc. XXIII, II* partie, col. 89, n. 2.
230
ÉCHOS d'orient
tions de ce genre, pour faire de la topo-
graphie byzantine à Farnborougli, sans
connaître autrement que par les livres les
lieux dont il est question. Il est inévitable
cependant qu'il ne lui échappe parfois cer-
taines inexactitudes. 11 y aura lieu peut-être
d'y revenir plus en détail pour d'autres
travaux. Bornons-nous à en relever aujour-
d'hui deux ou trois. Col. 90, il faut ajouter
que Chalcédoine fut d'abord une fondation
phénicienne, comme le prouvent son nom
(qui est l'équivalent de Carthagé) et les
ruines de Moda Bournou. Voir à ce sujet
une étude de Mordtmann dans le Bos-
porus{i). Col. 95, note 2, on lit: « Haidar-
Pacha, petit village situé à environ un ki-
lomètre au nord-est de Kadi-Keui. » C'est
un quartier de cette ville. L'église Saint-
Christophe n'était pas à Chalcédoine,
mais à une quinzaine de kilomètres de là ;
il y aurait eu d'autres églises et d'autres
monastères de ce diocèse à signaler, no-
tamment une liste de quarante couvents
dont les supérieurs signèrent à un con-
cile de 536 ; il est vrai que ceux-ci n'avaient
pas encore été étudiés par le P. Pargoire
ou par ses confrères.
Ce qu'il vient de faire pour Chalcédoine,
Dom Leclercq l'avait déjà fait pour Byzance
et pour l'art byzantin. Sur ce dernier sujet,
un livre existe désormais, qui restera fon-
damental; c'est le Manuel d'art by:{antin,
de M. Charles Diehl, déjà analysé dans
nos colonnes (2). Le savant professeur de
la Sorbonne, dont on sait la compétence
en matière d'histoire et d'archéologie
byzantines, a communiqué récemment à
l'Académie des inscriptions et belles-lettres
son appréciation sur les mosaïques de
Saint-Démétrius de Salonique (3). Voici
la conclusion de cette notice :
(i) A. D. Mordtmann, Historische Bilder vom
Bosporiis, II : Die Phœnikier am Bosporus, dans
Bosporus, Mitteilungen des deutschen Ausflugs-
vereins G. Albert. Constantinople, 1907, p. 84 et
suiv.
(2) Voir Echos d'Orient, mars 191 1, p. 127-128.
(3) Ch. Diehl, les Mosaïques de Saint-Démétrius
de Salonique, dans Académie des inscriptions et
Dans l'histoire architecturale de Saint-
Démétrius de Salonique, bien des points
restent obscurs encore. L'étude des mo-
saïques pourtant permet de fixer quelques
faits importants. La décoration du mur
du collatéral peut être, dans son ensemble,
datée avec certitude du vi« siècle, et tout
au plus fut-elle restaurée après l'incendie,
et modifiée un peu par l'addition des trois
médaillons qui se réclament des « temps
de Léon », Les panneaux des piliers de
l'abside sont de date postérieure; mis en
place après la construction du transept,
ils ne sont point antérieurs au premier
quart du vii« siècle, et l'un d'eux même
appartient au x« ou au xi«. Mais c'est jus-
tement là le fait intéressant qu'apprend
l'étude de ces très remarquables mosaïques,
qu'après le grand effort de l'époque de Jus-
tinien, l'art byzantin ne tomba point en
décadence, et que, dans la première moitié
au moins du vn^ siècle, il était capable
encore d'œuvres tout à fait éminentes.
On trouvera, dans le Bulletin de l'In-
stitut archéologique russe à Constanti-
nople (i), un très intéressant mémoire de
M. Th. Ouspensky, directeur de l'Institut,
au sujet de ces mosaïques (2), et quelques
pages d'une précision professionnelle sur
la technique de ces œuvres d'art, par
M. N. Klougué (3). Vingt planches pho-
totypiques permettent de suivre avec in-
térêt et profit ces remarquables études. II
nous est agréable de terminer ces lignes
par un hommage à la très méritante acti-
vité de l'Institut archéologique russe à
Constantinople.
Sévérien Salaville.
Constantinople.
belles-lettres, comptes rendus des séances, janvier
191 I, p. 25-32.
(i) I^piéstiya rousskago archeologitcheskago
Institouta v'Konstantinopolié, t. XIV, 1909, fasc. I.
(2) Th. Ouspensky, Des mosaïques récemment
découvertes dans l'église Saint-Démétrius de Salo-
nique (en russe), dans le recueil cité, p. 1-61.
(3) N. Klougué, Technique des mosaïques de
l'église Saint-Démétrius de Salonique, ibid., p. 62-67.
UNE INSCRIPTION BYZANTINE DE JÉRICHO
Le R. P. Abel, O. P., a publié récem-
ment dans la Revue biblique (i) une in-
scription byzantine fort intéressante qui
est contenue dans une mosaïque apparte-
nant à l'hospice russe de Jéricho. La lecture
de l'inscription ne laisse rien à désirer,
sa traduction non plus, et son interpré-
tation pas davantage. 11 s'agit bien de
Cyriaque, prêtre et higoumène, qui a bâti
une chapelle en l'honneur de saint Georges,
a été le bienfaiteur de l'église Sainte-Marie
la Neuve, à Jérusalem, et qui est mort le
1 1 décembre 566, sous le règne de Justin H.
Sur ce point-là — et c'est le principal —
nul doute ne saurait s'élever contre la lec-
ture et la chronologie données.
Qui est ce Cyriaque.^ Ici peut-être l'hy-
pothèse mise en avant par le R. P. Abe^
pourrait être suivie de plusieurs autres.
J'ai dit hypothèse, parce qu'il convient, en
effet, de bien remarquer que l'identifica-
tion du Cyriaque de l'inscription avec le
Cyriaque de la laure de Calamon, dont parle
Jean Mosch (2). n'a été présentée qu'avec
les plus expresses reserves. Je me permets
de les renouveler en attirant l'attention
sur un autre personnage qui a vécu à peu
près à la même époque. 11 y a, en effet,
deux difficultés à l'identification proposée.
Tout d'abord, Jean Mosch peut n'avoir
rencontré Cyriaque de Calamon que lors
de son dernier séjour en Palestine, après
l'année 600, ainsi que le R. P. Abel a eu
soin de le noter, et, dès lors, on ne saurait
songer à lui. En second lieu, et pour moi
c'est la principale objection, l'inscription
parle de Cyriaque, prêtre et higoumène,
alors que le Pré spirituel fait seulement de
Cyriaque un prêtre de Calamon. Pour nous
en tenir à un exemple pris dans Jean Mosch,
au chapitre vu, les prêtres de la laure des
Tours sont parfaitement distincts de l'hi-
(i) Avril 191 1, p. 286-289.
(2) Pratum spirituale, c. xlvi et xxvi.
goumène de cette même laure. Par lui
seul, le mot de prêtre ne saurait donc être
l'équivalent d'higoumène, pas plus que le
mot d'higoumène ne saurait être l'équiva-
lent de prêtre, car on rencontre au vi« siècle
des supérieurs de couvents qui ne sont pas
prêtres et qui ne savent même pas lire.
Ceci dit, je propose, à titre d'hypothèse
bien entendu, d'identifier le Cyriaque de
l'inscription avec Cyriaque, prêtre et higou-
mène de la laure des Tours dans la vallée
de Jéricho. Celui-ci représenta son couvent
au concile de Constantinople qui fut tenu
sous Menas en l'année 536: par cinq fois,
dans les Actes du concile, il est dit prêtre
et higoumène (i); par deux fois, prêtre et
archimandrite {2), ce qui revient au même.
Je sais bien que nous ne trouvons ce
Cyriaque qu'en 536, et que, de là à 566,
c'est-à-dire pendant l'espace de trente ans,
il a eu grand temps de mourir; peut-être
aussi a-t-iJ eu l'occasion de vivre jusque-là!
La laure des Tours, dont il est ici ques-
tion, est mentionnée à plusieurs reprises
dans Jean Mosch (3); elle avait été fondée
par Jacques, disciple de saint Sabas, au
commencement du vi^ siècle (4). Dans un
récit de Jean Mosch (5), cette laure est
mise en rapport avec Jéricho, car nous
voyons un de ses religieux, qui a été soigné
et qui est mort à l'hôpital de la ville, être
transporté ensuite au cimetière de la laure.
( i) Mansi, Conciliorum Co//ertio,t.VIlI, col. 883 A
911 A, gSi A, 942 A, 954 C.
(2) Op. cit., t. VIII, col. 991 D, I 018 D; Trajan,
prêtre de la laure des Tours, assistait ainsi que
Cyriaque à ce concile, op. et loc. cit.
(3) Pratum spirituale, c. v à x, xc, c. Cette laure
se trouvait prés du Jourdîiin; du chapitre ix de
Jean Mosch, il ressort que chaque moine habitait
une cellule isolée, bâtie en forme de tour. Dès lors,
je ne sais si son emplacement a été retrouvé aux
ruines du ccenobium, prés de Aïn-Hagla, dont
parle le R. P. Féderlin dans la Terre Sainte,
i5 juin 1903, p. 182.
<4) Vita S. Sabœ, n* 16, dduis Cotelier, Ecclesitt
grœcœ monumenta, t. III, p. 240.
(5) Pratum spirituale, c. yu
232
ECHOS D ORIENT
Sans vouloir exagérer cette coïncidence,
on se l'explique plus aisément si la laure
des Tours avait des propriétés dans Jéricho,
et si l'un de ses supérieurs, Cyriaque, y
avait bâti un sanctuaire en l'honneur de
saint Georges. Je dois ajouter toutefois, en
terminant, que mon hypothèse n'est pas
plus garantie que celle du R. P. Abel, et
peut-être en présentera~t-on d'autres qui
ne le seront pas davantage.
SiMÉON Vailhé.
Constantinople.
VESTIGES BYZANTINS
DANS L'ART MUSULMAN
Dans les deux volumes où MM. H.Saladin
et G. Migeon ont exposé la genèse et
l'histoire de l'art musulman, il n'est pas
sans intérêt de relever ici, très brièvement
du reste, les formes diverses sous les-
quelles s'est trahie l'influence de l'art
byzantin (i).
Cette influence s'explique aisément, si
l'on considère d'abord que, dans les pre-
miers siècles de l'hégire, les Arabes
empruntèrent aux Byzantins leurs archi-
tectes, puis que, après la conquête turque,
le rôle des grandes églises byzantines, de
Sainte-Sophie notamment, marqua singu-
lièrement dans le plan des monuments
musulmans, et enfin que les relations
diverses, mais surtout commerciales, entre
Byzantins et Arabes ne furent pas sans
réagir sur les arts de ces derniers (2).
L'origine de cette mutuelle compéné-
tration des deux arts étant donc une fois
signalée, étudions-en les différentes ma-
nifestations, d'abord dans l'architecture,
ensuite dans les arts plastiques et indus-
triels.
1. Dans l'architecture.
Jaloux du faste des empereurs byzantins
et désireux de les surpasser, les califes
ont naturellement commencé par imiter
(i) H. Saladin et G. Migeon, Manuel dart
musulman en deux volumes, in-8°, xxiii-585, lxxxiii-
464 pages.
(2) H. Saladin, op. cit., t. I", p. 19-34.
le caractère somptueux des édifices de
Byzance.
Or, l'art byzantin — M. Ch. Diehl l'a
prouvé contre M. Strzygowski(i) — n'est
pas seulement une déformation de l'art
hellénique, c'est aussi une transformation
de l'art romain, ou plutôt c'est la fusion
de ces deux arts hellénique et romain dans
un art original où la voûte et les coupoles
tiennent une place prépondérante.
Par suite, il est naturel de retrouver
dans les premiers édifices musulmans tous
les procédés en honneur à Byzance pour
la construction des voûtes et des arcades
sur colonnes, l'élévation des abaques, la
décoration des charpentes, l'emploi de la
mosaïque sous toutes ses formes, les pla-
cages de marbre sur les murs et de bronze
sur les boiseries, et la construction des
fenêtres en dalles de marbre repercées à
jour. Aux Byzantins encore les architectes
musulmans empruntèrent la coupole sur
pendentifs en trompe conique, en trompe
en quart de sphère ou en triangles sphé-
riques, la coupole sur tambours cylin-
driques ou octogonaux et la coupole
côtelée (2).
De fait, en dehors de la mosquée de
Sainte-Sophie, qui a gardé presque intacte
sa forme architecturale d'église byzantine,
on peut constater cette influence dans la
forme intérieure de la mosquée Koubbet-
(i) Ch. Diehl, Etudes byzantines, p. 35i-352;
M. Strzygowsk.1, Orient oder Rom, p. 8.
(2) Saladin, op. et t. cit., p. 36.
VESTIGES BYZANTINS DANS L ART MUSULMAN
233
er-Sakra (mosquée d'Omar) à Jérusalem,
et de la mosquée Abou Rezzit au Caire ( i );
de même, la grande mosquée de Damas
rappelle, par les arcades des portiques de
sa cour et par la façade de son transept,
une ancienne église chrétienne consacrée
à saint Jean-Baptiste et construite par
Théodose en 379 ; on reconnaît aussi dans
la mosquée d'ibn Touloun, au Caire, des
colonnettes intérieures de style byzantin
à reliefs très méplats (2).
Si maintenant de l'Egypte nous passons
en Tunisie, en Algérie et en Espagne,
nous retrouvons les traces du même ^rt
dans les colonnades de la djama Zitouna
de Tunis (732 J.-C.), dans la mosquée de
Sidi-Okba à Kairouan (670 J.-C), dont les
colonnes de porphyre proviennent d'un
édifice byzantin — l'église des Roûm, —
d'où elles furent tirées par Hassan-ben-
en-Noman; enfin, dans l'ornementation
byzantine du mihrab de la grande mos-
quée de Cordoue (785 J.-C). (3)
C'est également à l'art néo-hellénique
qu'il faut rattacher certains détails de con-
struction que l'on rencontre dans l'art
ottoman seldjoukide: par exemple, dans le
porche du Tach-Médresséà Ak-Chéhir(4),
dans la grande mosquée de Koniah, dont
les fragments ont été empruntés à une
ancienne église byzantine d'Iconium (5);
dans le plan et la décoration polychrome
de la mosquée du sultan Mourad à Brousse ;
dans la cour ou haram de la mosquée du
sultan Bayézid à Constantinople, qui rap-
pelle l'atrium des églises byzantines avec
la fontaine 'f-iAT,, qui en occupait le mi-
lieu; enfin, dans les petites coupoles alter-
nant avec les berceaux du turbé du sultan
Sélim II, à Constantinople (6).
Très visible, on le voit, dans la structure
générale des mosquées, cette compéné-
tration mutuelle des deux arts, byzantin
et musulman, apparaît aussi dans l'archi-
(i) Saladin, op. et t. cit., p. 38.
(2) P. 84.
{3) P. 2i5, 221, 224, 23o, 23i.
(4) P- 438-440.
(5) P. 448.
(6) P. 486.
tecture des caravansérails. A vrai dire, ces
auberges primitives que l'on rencontre si
souvent en Asie Mineure et en Syrie étaient
de tradition byzantine. Construits de cin-
quante en cinquante milles sur les routes
de l'empire, ils apparurent comme néces-
saires aux musulmans, surtout aux musul-
mans arabes, à la fois commerçants et
voyageurs (i).
Puis, ce furent les fortifications byzan-
tines qui influèrent sur les fortifications
musulmanes (2). En effet, les transfuges
des armées impériales passant au service
des califes, utilisèrent en leur faveur leurs
connaissances techniques de la défense et
de l'attaque des places fortes, leur ap-
prirent à employer des fûts de colonnes
pour relier les parements intérieurs et
extérieurs des murailles, à ne pas liai-
sonner les tours avec les courtines, afin
de ne pas leur donner de solidarité entre
elles, et à conjurer la chute simultanée
des tours et des courtines en les soutenant
par de gros éperons reliés par des arcs
au-dessus desquels ils firent passer le
chemin de ronde (3). Ainsi l'architecture
moghrebine militaire est d'origine à peu
près exclusivement byzantine, parce que
les Grecs de Constantinople, au cours de
leurs expéditions militaires en Mauritanie,
avaient laissé des ouvrages fortifiés très
nombreux — dont plusieurs subsistent
encore, — et qui, plus tard, se sont im-
posés comme modèles aux vainqueurs
musulmans (4).
De l'architecture militaire, passons à la
décoration des édifices musulmans. Là
aussi, les artistes byzantins, qui faisaient
alterner la brique et la pierre, ont appris
aux architectes arabes à faire alterner les
voussoirs rouges, les voussoirs jaunes et
les voussoirs noirs dans leurs mosquées
les plus anciennes, telle la mosquée
Zitouna de Tunis; de même, à l'exemple
des Byzantins, les architectes musulmans
(1) P. 37.
(2) Ibid.
(3) P. 37.
(4) P- '97-
2}4
ECHOS D ORIENT
ont affectionné l'emploi des tirants en
bois dans la construction des voûtes; on
remarque notamment ce fait à la mosquée
d'Omar, à la mosquée El-Aksa à Jéru-
salem, à celle d'Abou-Rezzik au Caire, et
à celle de Sidi-Okba de Kairouan (i).
A son tour, la mosaïque byzantine passa
dans l'art musulman en même temps que
la céramique mésopotamienne ou per-
sane. Ainsi, la mosquée de Damas, celles
d'Omar et d'El-Aksa à Jérusalem sont
ornées du même genre de mosaïque que
la basilique chrétienne de la Nativité du
Christ à Bethléem (2). De même, les
musulmans d'Espagne ont fait décorer
avec des mosaïques de verre, par des ar-
tistes byzantins, la grande mosquée de
Cordoue, avant d'établir en Espagne des
fabriques de ces mosaïques (3). Enfin,
l'autre type de ces mosaïques, appelé Vapus
sectile par les Romains,, et exécuté avec des
fragments polygonaux que l'on admire à
Sainte-Sophie et à la cathédrale de Parenzo,
servit de modèle à l'ornementation en
marbre du Caire, de Damas, et à la déco-
ration en faïence découpée de Tlemcen,
du Maroc et de l'Espagne (4). A Cordoue,
par exemple, le palais somptueux de
Médinat-az-Zahra, que le calife Abd-el-
Kaman fit construire en 926, renferme
de magnifiques mosaïques dans le même
style que celles de Byzance.
Enfin, les citernes byzantines, réser-
voirs à ciel ouvert ou citernes couvertes,
ont servi de modèles aux musulmans de
de Syrie et d'Afrique (5),
Telles furent, sommairement esquis-
sées, les formes diverses sous lesquelles
l'architecture byzantine pénétra dans l'art
arabe et turc. Nous allons voir mainte-
nant que ce dernier donna encore accès
à l'importation des arts plastiques et indus-
triels de Byzance.
(i) P. 38.
(2) Clermont-Ganneau, Recueil d'archéologie
orientale, t. II, p. 323.
(3) Makkari, trad. de Pascal de Gayangos, 1. 1",
p. 93, 496, 498.
(4) Saladin, p. 39.
(5) H. Saladin, t. I", p. 38.
II. Dans les arts plastiques
ET industriels.
Dans ce domaine, en effet, nous retrou-
vons d'abord la mosaïque néo-hellénique
sous une forme spéciale appelée Vopus
alexandrinum, dans la grande mosquée
de Cordoue, dont nous avons déjà parlé;
constituée par une combinaison de petits
fragments de marbre ou de porphyre,
cette mosaïque revêt la disposition du
dessin géométrique cher aux Arabes (1).
De même, certains ivoires chrétiens pré-
sentent à peu près complètement le style
des travaux musulmans, telle la châsse
que le roi d'Espagne Dom Sanche fit con-
struire en 1033 pour y déposer les restes
de saint Millan (2); telle aussi la croix de
San-Fernando, conservée au musée archéo-
logique de Madrid; elle porte l'inscription :
IHE NAZARENUS, REX JUDEORUM.
A sa partie supérieure rayonne la figure
du Christ ressuscité; au bas se voit la
figure d'Adam, figure du Christ. Au revers
de la croix se dessine l'Agneau, symbole
du Christ immolé, et, sur les bras, les
symboles des évangélistes. Voilà des mo-
tifs purement chrétiens.
Voici maintenant des traits caractéris-
tiques de l'art arabe : des feuillages cou-
rant en tous sens, des cercles entrelacés,
des figures d'hommes et d'animaux qui
combattent, comme on en voit souvent
dans la décoration mauresque.
On peut aussi ranger parmi les ivoires
d'origine chrétienne une croix dont il ne
reste que deux bras. Décorée d'animaux
divers : aigles, bouquetins, cette croix a
passé de la collection de M. Maillet du
Boullay dans celle de M. Doistan, qui
l'offrit au musée du Louvre (3).
Constatée ainsi dans les ivoires, cette
influence byzantine apparaît également
dans les monnaies (4). Par exemple, le
sultan Soliman II adopta au revers de ses
(i) G. MiGEON, op. cit., T. II, p. 79; Marçais, les
Monuments arabes de Tlemcen. Paris, igoS, p.ySsq.
(2) MiGEON, t. II, p. 141.
(3) G. MiGEON, op. cit., t. II, p. 144.
(4) G. MiGEON, op. cit., t. II, p. i6:-i62.
STATISTIQUES MONASTIQUES DES ÉGLISES ORTHODOXES AUTOCÉPHALES 2} y
pièces d'argent un cavalier brandissant
une arme, la tête nimbée, ou bien un
cavalier pointant une lance, reproduction
au moins probable du saint Georges ou
du saint Eugène des Byzantins (i ). D'ail-
leurs, sur les monnaies des Orthokides, on
voit assez souvent des représentations du
Christ ou de la Vierge qui dénotent chez
leurs possesseurs ou bien un emprunt
byzantin, ou bien le désir de posséder des
monnaies comprises des chrétiens avec
lesquelles ils entretenaient des relations
commerciales (2).
Disons un mot des émaux. A cause de
la multiplicité et de la variété des verres
émaillés que nous révèle l'art arabe, on
conjecture, sans pouvoir l'établir avec pré-
cision, que remaillage des lampes et des
verres a dû être l'une des traditions artis-
tiques transmises par les Byzantins (3).
Si maintenant des émaux nous passons
aux tissus, nous remarquons que les
Arabes ont emprunté aux Byzantins l'or-
donnance générale du décor, la disposi-
tion des roues tangentes ou isolées, les
lignes horizontales de la disposition lo-
sangée. Dans la bande circulaire, on trouve
souvent une belle inscription arabe qui
rappelle les inscriptions grecques à la
louange de celui auquel le tissu était des-
tiné. Ailleurs apparaît la figure humaine
se dessinant assez nettement et les roues
tangentes à larges bordures circulaires
portant des léopards ailés et afrontés (4).
Au centre de chacune d'elles apparaît un
homme à épaisse chevelure, qui cherche
à étrangler deux bêtes ressemblant à des
tigres. Tel est le dessin que l'on conserve
au musée épiscopal de Vich (Catalogne).
Sans doute aussi il faut voir l'influence
del'art néo-hellénique chrétienauxin«siècle
dans ces étoffes siciliennes, dont les mo-
tifs décoratifs recèlent quelques symboles
chrétiens, des croix notamment, et dont
M. G. Migeon hésite à préciser les carac-
tères (i).
11 faudrait peut-être en dire autant de
ces tapis dits polonais, qu'on a fait re-
monter à l'époque de Sobieski, roi de
Pologne (1625.- 1696), et dans lesquels on
ne retrouve aucune influence persane.
Au reste, M. Migeon le reconnaît, dans
ce domaine encore à peu près inexploré,
bien d'autres objets d'art restent à classer.
Qu'il nous suffise d'avoir précisé dans ces
quelques lignes quelle a été la zone d'in-
fluence de l'art byzantin dans l'immense
domaine de l'art musulman. Si, d'autre
part, l'on remarque que l'art byzantin,
qui a passé presque tout entier dans l'art
russe (2), a laissé aussi des traces durables
dans l'art de la Géorgie (3), on ne doit
pas s'étonner d'en rencontrer également
quelques vestiges dans les motifs décora-
tifs des arts turc, persan et arabe (4).
EZÉCHIEL MONTMASSON.
Constanlinople.
STATISTIQUES MONASTIQ.UES
DES ÉGLISES ORTHODOXES AUTOCÉPHALES
La vie religieuse n'est guère florissante,
à l'heure qu'il est, dans les Eglises ortho-
doxes autocéphales. De l'aveu de la presse
ecclésiastique et des autorités officielles.
(1) P. i63.
(2) Jbid.
(3| p. 342.
(4) P. 382. 393, 398.
le monachisme aurait besoin d'une réforme
radicale. Nos lecteurs n'ont pas oublié le
(i) P. 415-416.
(2) VioLLET LE Duc. l'Art russe, p. 24 sq.
(3) J. MouRiER, l'A rtau Caucase, Par. s, igoj.p. 1&-22.
(4) Bayet, Précis de l'histoire de l'art, p. 124-125;
Ch. DiEHL, Manuel d'art bysiantin, Paris, 1910.
p. 441-448.
236
ÉCHOS d'orient
programme réformiste que M?'' Nicon,
évêque de Vologda, présenta au Congrès
monastique de Moscou, en juillet 1909,
et qui reçut un accueil si froid de la part
des intéressés (i). Ce programme dévoilait
bien des lacunes et bien des misères, dont
les monastères des autres Eglises autocé-
phales ne sont pas exempts. S'il prenait
envie à un apologiste catholique de mon-
trer la supériorité du catholicisme sur
l'orthodoxie orientale sous le rapport de
la pratique des conseils évangéliques, il
aurait certainement beau jeu. Notre inten-
tion n'est pas d'entreprendre ici un paral-
lèle qui exigerait de longs développe-
ments. Nous voulons simplement produire
quelques statistiques sur le nombre des
moines et des monastères des différentes
autocéphalies. Nous empruntons les don-
nées qui vont suivre soit à différents ar-
ticles parus dans les Echos d'Orient, soit à
l'Histoire de l'Eglise chrétienne au \\x^ siècle
publiée en 1901 par A. P. Lopoukhine,
avec la collaboration de plusieurs profes-
seurs ecclésiastiques appartenant à di-
verses Eglises orthodoxes (2).
En Russie, on compte environ 80000 re-
ligieux et religieuses, y compris les novices
ou convers, et les tchernit:{e, espèce de
béguines habillées en noir. Les statistiques
que nous avons consultées ne concordent
pas complètement. L'ouvrage de Lopou-
khine donne 800 monastères, dont 500
d'hommes et 300 de femmes, abritant
53000 âmes. Sur ce nombre, 8000 njoines
et 9000 moniales seulement sont signalés
comme ayant fait profession. Les autres,
c'est-à-dire 7 ooohommeset 29 000 femmes,
sont placés dans la catégorie des novices
ou convers (3). Une statistique de 1898,
reproduite par les Echos d'Orient {4), porte
730 monastères, dont 481 d'hommes,
avec I 5 072 moines et 7 000 novices, et
249 de femmes, avec 8020 moniales et
(i) J. B, Chronique religieuse de Russie, dans
Echos d'Orient, juillet 1910, t. XIII, p. 239-240.
(2) Istoriia Khrinstianskoï tserki. Saint-Péters-
bourg, 1901, t. II.
(3) Lopoukhine, op. cit., p. 726.
(4) Echos d'Orient, t. VI, p. 397.
29000 novices; en plus, elle signale
17300 religieux ou religieuses ne vivant
pas en communauté. C'est dans cette der-
nière catégorie que rentrent les tchernitze.
Cela fait un total d'environ 76 000. Une
statistique de 1904 porte ce chiffre à 84389.
On remarquera le petit nombre des
profès et des professes, et le grand nombre
des novices, surtout parmi les femmes.
Ce phénomène s'explique en partie par la
législation russe, qui fixe l'âge de la pro-
fession à trente ans pour les hommes,
et à quarante ans pour les femmes. Les
novices restent libres de renoncer à la vie
monastique, si bon leur semble. D'après
la statistique de Lopoukhine, il n'y aurait
que 17000 profès et professes; d'après
celle des Echos d'Orient, le nombre en
serait de 23000; ce n'est pas le tiers du
chiffre total.
Après la Russie, le principal centre du
Tiomch'isme orthodoxe est le Mont Athos,
dit la Sainte Montagne. Là vivent environ
7 000 religieux, profès ou novices : Russes,
Grecs, Bulgares, Roumains, Géorgiens ou
Serbes, répartis dans vingt monastères et
leurs dépendances (i).
Le royaume de Grèce vient ensuite,
avec I 300 moines et 200 moniales. D'après
la statistique de 1908, le nombre des mo-
nastères est de 167, dont 10 de femmes.
Au moment de la guerre de l'Indépen-
dance, on comptait en Grèce 544 monas-
tères d'hommes et 18 de femmes, avec
une population de 3 000 âmes ; 1 20 de ces
monastères étaient complètement vides,
et 200 avaient moins de 5 moines. Le
gouvernement hellénique a confisqué les
propriétés d'un grand nombre de ces
couvents (2).
La Roumanie est aussi riche en monas-
tères que pauvre en moines. Les princi-
paux de ces monastères étaient possédés,
jusqu'à leur confiscation par le prince
Couza, en 1864, par les patriarches orien-
taux, la communauté du Sinai et les habi-
(i) Voir Vailhé, art. Constantinople (Eglise de),
dans le Dictionnaire de théologie catholique,
t. m, col. 1493-1495.
(2) Lopoukhine, op. cit., p. 3io et suiv.
A TRAVERS L ORTHODOXIE
237
tants de l'Athos. On les appelait « cou-
vents dédiés », parce que les propriétaires
les avaient jadis consacrés aux saints lieux
du monde orthodoxe, c'est-à-dire aux
monastères de Palestine, de l'Athos et
d'ailleurs. En 1864, le nombre des cou-
vents dédiés se montait à 71, avec
25 skites ou couvents dépendants. Ce
n'étaient pas précisément des foyers de
vie monastique, mais des fermes ayant à
leur tête un ou plusieurs moines. Les
autres couvents roumains sont très peu
peuplés et renferment tout au plus quelques
centaines de religieux (1).
Le patriarcat de Carlovitz possédait, en
1900, 27 monastères avec 636 habitants.
Une statistique religieuse de la Bulgarie
dressée en 1909 porte 75 monastères
d'hommes et 16 monastères de femmes,
avec une population de 169 moines et
260 religieuses.
En Serbie, il y avait, en 1903, 53 mo-
nastères et 113 moines.
En Bukovine, on trouve 3 monastères
etunecinquantainede moines; depuis 1908
cette autocéphalie possède en plus un cou-
vent de religieuses hospitalières.
Le personnel monastique est insigni-
fiant dans le patriarcat d'Alexandrie, en
Bosnie-Herzégovine et en Dalmatie.
Le Monténégro possède d'anciens mo-
nastères, qui sont tous vides.
Le patriarcat de Jérusalem compte un
nombre relativement considérable de mo-
nastères. Il y en a 20 à Jérusalem même
et aux environs ; mais la grande majorité
n'est habitée que par un fermier, moine
ou laïque. Le nombre total des moines
ne dépasse pas 200.
On trouve dans le patriarcat d'Antioche
17 monastères, dont le plus peuplé compte
50 moines; les trois quarts n'ont que de
2 à 5 religieux.
L'autocéphaliedeChypre possède 37 mo-
nastères; en multipliant ce chiffre par 6
ou 7, on aura le nombre approximatif des
religieux.
Si le patriarche œcuménique n'exerçait
pas sa juridiction sur l'Athos, il aurait
sans doute encore un assez grand nombre
de monastères, mais un nombre infime
de moines, attendu que la plupart ne sont
habités que par un, deux ou trois moines
fermiers.
Tout compte fait, le personnel monas-
tique des Eglises autocéphales s'élève à
90000 membres environ, y compris les
béguines et les novices, dont le nombre
l'emporte sur celui des profès. Ce n'est
guère plus de la moitié du nombre des
religieux et des religieuses que possédait
la France catholique en 1900.
M. JUGIE.
A TRAVERS L'ORTHODOXIE
1. Dans l'Eglise d'Alexandrie.
Les prêtres de cette Eglise, qui souvent
déploient un zèle apostolique louaMe,
ont parfois à lutter contre le fanatisme
musulman qui tendrait à les arrêter dans
l'exercice de leurs fonctions. Ainsi, durant
(i) Nous n'avons pu nous procurer une statis-
tique exacte.
le mois de février de cette année, le mé-
tropolite de Tripoli, Théophane, a dû
protester auprès du gouverneur turc de
cette ville contre des faits déplorables plu-
sieurs fois répétés : au cours d'un enter-
rement et de plusieurs autres proces-
sions, par exemple, quelques-uns des
prêtres qui relèvent de sa juridiction ont
été obligés d'affronter, en pleine rue, de
grossières injures, une grêle de pierres
238
ÉCHOS d'orient
habilement dirigée sur eux par les soins
de quelques jeunes gens musulmans.
Malgré ces difficultés et d'autres sem-
blables, le patriarche d'Alexandrie n'imite
pas l'indolence de certains évêques ortho-
doxes des autres patriarcats. Ainsi, après
avoir — comme nous l'avons dit précé-
demment— envoyé un évêque au Soudan,
il s'est occupé, en mars 191 1, de faire
construire à Cadaref, dans le Soudan,
l'église convenable que les orthodoxes de
cette localité appelaient de tous leurs
vœux. Puis, en avril, c'est à Djibouti,
dans l'éparchie d'Axoum, qu'une grande
église s'est élevée, construite aux frais de
généreux bienfaiteurs.
Toutefois, le zèle des évêques ortho-
doxes se heurte à une difficulté connue
depuis longtemps et qui, à Alexandrie,
semble présenter une particulière gra-
vité : la conversion à l'Islam d'un certain
nombre de « pieux » orthodoxes. Ainsi,
au mois d'avril dernier, deux Grecs de
Bara, dans le Soudan, se sont faits mu-
sulmans : fait assez surprenant, car, d'or-
dinaire, ce sont les jeunes filles grecques,
brutalement enlevées à leurs familles,
qui sont obligées de renoncer à leur reli-
gion pour obéir aux caprices de leurs
ravisseurs.
D'autres points noirs sont aperçus à
l'horizon par les plus clairvoyants des
' orthodoxes alexandrins. Deux surtout
semblent les effrayer : a) d'abord, la cons-
truction au Caire d'un grand médressé mu-
sulman, affecté spécialement à la formation
théologique des imams qui seront ensuite
envoyés dans toutes les régions où règne
le christianisme, pour y prêcher le Coran ;
b) ensuite, la propagande catholique dont
l'inlassable activité semble un non-sens
aux docteurs de l'orthodoxie, pour les-
quels la vraie religion semble être un tré-
sor que ses possesseurs doivent, en
avares, conserver pour eux seuls.
II. Dans l'Eglise d'Antioche.
Le 3/16 mars dernier, le saint synode
de l'Eglise de Constantinople a été invité
à s'occuper encore de l'Eglise d'Antioche,
par une lettre de S. B. le patriarche
d'Antioche, Grégoire, ayant trait à cer-
taines irrégularités canoniques remar-
quées dans le diocèse de Tarse-Adana.
Dans le même document, on rapportait
le vote émis par les habitants de cette
éparchie dans le but de faire nommer
comme métropolite l'un des candidats
proposés par eux. Ce document avait été
apporté au Phanar par une Commission
spécialement choisie à cet effet. Cette as-
semblée de délégués déclara au patriarche
œcuménique que, du fait de la reconnais-
sance par le Phanar de M&' Grégoire
comme patriarche d'Antioche canoni-
quement élu, il résultait nécessairement
— car c'était la condition posée préala-
blement à cette reconnaissance — que,
dans les diocèses du patriarcat d'An-
tioche où dominait la population grecque,
les métropolites choisis devaient être
grecs.
A cette proposition déjà faite à l'exarque
du Phanar, en ce diocèse, le métropolite
de Tyr et Sidon, M?*" Elias Dib, avait
répondu négativement, déclarant que le
choix d'un métropolite grec n'avait pas
été la condition essentielle de la recon-
naissance en question, mais devait être
considéré comme l'expression d'un simple
désir, non d'une condition sine qua non,
et que, par suite, l'Eglise d'Antioche res-
tait libre de fixer son choix sur le sujet
qu'elle voudrait.
Cette façon d'envisager la question
déplut assez au Phanar: car, sans plus
d'explications, le saint synode phanariote
conclut que la « très sainte Eglise d'An-
tioche » devait s'appliquer à satisfaire les
désirs légitimes et les justes revendica-
tions de ce diocèse.
' III. Dans l'Eglise de Jérusalem.
Moins calme encore que le patriarcat
d'Antioche, le patriarcat de Jérusalem n'a
jamais goûté les joies du vrai repos depuis
l'insurrection des Arabophones contre la
Confrérie du Saint-Sépulcre survenue il
A TRAVERS L ORTHODOXIE
239
y a deux ans. 11 continue en 191 1 à cueil-
lir les fruits amers qui mûrissent peu à
peu sur cet arbre de discorde.
Par exemple, à la suite de l'entente sur-
venue entre les deux partis dissidents,
les monastères volés par les Arabophones
aux hagiotaphites devaient être rendus à
leurs propriétaires. Les Arabophones y
consentent bien, mais font, dans cette
restitution, des distinctions très subtiles.
Ainsi le monastère de Jaffa, devant être
rendu à la « sainte communauté du Saint-
Sépulcre », le représentant de cette com-
munauté se présente à la porte de ce cou-
vent. On l'accueille très poliment, mais
on lui déclare qu'on ne rendra au Saint-
Sépulcre que l'auberge du monastère,
car l'église et les autres parties du cou-
vent sont considérées comme des biens
de communauté.
Aux couvents de Lydda et de Ramleh,
le délégué du Saint-Sépulcre entend des
déclarations semblables. A Ramleh, on
consent bien à lui livrer les appartements
de l'higoumène, mais non l'église du
monastère. A Lydda, au contraire, on lui
signifie de se retirer simplement, parce
qu'il ne serait nullement reçu. Devant
cette résistance désespérée, le représen-
tant doit se retirer, non sans avoir mani-
festé aux moines, par une bordée d'in-
jures, toute la profondeur de son mécon-
tentement.
Ces faits se passaient en février 191 1.
Deux mois plus tard, en avril 191 1, un
autre représentant de la communauté
hagiotaphite, Vépitrope du Saint-Sèpulcre
au métochion de Constantinople était,
lui aussi, suspecté par la population ortho-
doxe du Phanar. En effet, à cette date. Sa
Toute Sainteté Joachim 111 recevait d'une
Commission, représentant les paroisses
du Phanar, un long rapport couvert des
signatures des « pieux orthodoxes du
Phanar les plus considérés » le suppliant
d'éloigner du métochion hagiotaphite Vépi-
trope Dosithée, à cause de sa conduite
scandaleuse. En conséquence, le saint
synode, auquel ce rapport fut soumis,
décida de demander au patriarche de Jéru-
salem le rappel de Vépitrope en question.
Cette demande a été agréée (i).
IV. Dans l'Eglise de Chypre.
Travaillée plus encore que sa grande
sœur de Jérusalem par les divisions intes-
tines dont nous avons rapporté les causes
en 1908 et en 1909, l'Eglise de Chypre
a-t-elle enfin conquis la paix au terme de
ses longs combats? Oui et non : car si
les partisans du métropolite de Kyrénia
ont fini par se résigner à reconnaître le
métropolite Cyrille de Kition pour arche-
vêque de l'ile, tout n'en est pas moins à
réorganiser dans cette île longtemps
divisée.
Pourtant, sur l'invitation de l'arche-
vêque, dont la résidence est, comme par
le passé, à Nicosie, le saint synode de
l'île s'est misa l'œuvre. Présidée par l'arche-
vêque lui-même, assisté des métropolites
de Kyrénia, de Paphos et de Kition, la
haute assemblée s'est appliquée dès la
reprise de ses travaux, en février 1911, à
élaborer un règlement d'après lequel
toutes les questions d'ordre administratif
et économique seront, à l'avenir, canoni-
quement discutées. A cet effet, une Com-
mission a été nommée pour arrêter dans
ses lignes essentielles le pian de ce règle-
ment.
Puis les synodiques ont examiné les
graves (!) questions suivantes:
1° D'abord, la question du monastère
de Cbryssoriatissa, qui reste depuis long-
temps sans higoumène. Au mois d'août
19 10, le métropolite de Paphos, au cours
de sa visite, faite le jour de l'Assomption,
constata cette triste situation et entendit
les moines le supplier de leur choisir un
higoumène. Ce choix, ne pouvaient-ils
pas le faire eux-mêmes et n'avaient-ils
pas pour cela un règlement tracé depuis
longtemps? Sans doute : mais deux biéro-
moines (moines-prêtres), Théophile et
Mélèce, ont cru devoir déchirer les
feuilles du livre qui contenaient l'ordre
(n riav-aivô;, 5 avril 191 1, n' 14, p. 187.
240
ÉCHOS d'orient
à suivre dans l'élection de l'higoumène.
On s'explique aisément la colère du
métropolite de Paphos en apprenant le
sans-gêne avec lequel deux moines se
sont débarrassés d'une partie de leurs
saintes règles Fort de l'autorité que
lui confèrent les saints canons, il les a
frappés de la peine canonique la plus
humiliante pour eux : la suspense a divinis.
Il a été bien mal inspiré: car, sans
tenir aucun compte de cette décision
épiscopale, les deux coupables ont pris
place dans l'église comme à l'ordinaire
pour chanter l'office, et, durant la céré-
monie, ont crié à tue-tête qu'ils ne recon-
naissaient pas lajuridiction du métropolite
de Paphos : leur persévérance dans ce
genre d'exercice a été couronnée d'un tel
succès, qu'ils ont obligé l'évêque récalci-
trant à sortir de la maison de Dieu, à tra-
vers une assistance compacte, ahurie de ce
spectacle. Le lendemain, ils ont recom-
mencé les mêmes scènes de désordre et
se sont adjoint un troisième biéromoine,
nommé Gérasime, qui avait eu maille à
partir avec le métropolite au cours d'une
visite pastorale de ce dernier.
Devant cette obstination des révoltés,
le métropolite les a dénoncés au saint
synode. La judicieuse assemblée, après
avoir reconnu que le délit des moines-
prêtres Théophile et Mélèce entraînait la
peine canonique de la dégradation, admit
pourtant la circonstance atténuante du
repentir qu'ils manifestèrent alors de leur
faute, et condamna Théophile et Mélèce à
être suspens a divinis pendant cinq ans,
Gérasime à la même peine pendant un an,
tous les trois enfin à être privés de tout
emploi et de tout droit dans l'administra-
tion du couvent, soit comme électeurs,
soit comme sujets éligibles.
2° La situation anticanoniqiie d'un mo-
nastère. D'après un rapport du métropo-
lite de Kition, au monastère chypriote de
Saint-Georges, certains moines abritent
dans leur monastère leurs mères et leurs
soeurs, sans avoir obtenu pour cela une
autorisation quelconque du métropolite
et sans prendre en considération qu'une
pratique de ce genre ne peut jamais
avoir un caractère canonique.
Visiblement surpris que des faits pareils
soient tolérés, le saint synode a cité les
chefs hiérarchiques de ce couvent, le
biéromoine Niphon et le moine Cyrille, à
présenter leur défense le i6 29 mars. A
cette date, le saint synode a frappé le
premier de la suspense a divinis pendant
cinq ans, et les a condamnés tous deux
à quarante jours de pénitence.
y La loi organique. Comprenons sous
ce titre le règlement général d'après
lequel le saint synode doit réorganiser
l'Eglise de Chypre, La Commission qui
l'a élaboré vient de le soumettre à ce
haut Conseil ecclésiastique, après avoir
ajouté en marge de chaque page les points
sur lesquels ses divers membres ne sont
pas d'accord. Cet exposé porte les signa-
tures du métropolite de Kition, président
du métropolite de Kyrénia, et de MM. Théo-
dote Constantinidès et Oiconomidès,
membres de la Commission. Le saint sy-
node se propose d'étudier un à un tous
les articles de ce règlement. Mais les
discussions seront longues : ne le sont-
elles pas toujours dans l'île de Chypre?
40 La situation économique du couvent
de Cbryssoriatissa. L'attention du saint
synode a été attirée sur cette question
par l'higoumène de ce couvent, M. Cyrille,
qui, dans un rapport très documenté, a
représenté ce monastère comme grevé de
dettes et a sollicité en conséquence le
secours de cette assemblée pour sauver
le couvent. Le saint synode, qui ne se
croit pas chargé de payer toutes les dettes
des couvents besogneux, a répondu qu'il
ferait des avances d'argent au monastère
dans le cas seulement où les créanciers
exigeraient sa vente aux enchères .pour
se rembourser (i).
A la solution de ces quelques questions
d'intérêt assez particulier, l'assemblée
générale des représentants de l'Eglise de
Chypre joindra prochainement la solution
(i) 'Ey.y.>.r,«Tia(TTty.bç xr,(>uE, n" 5, 3i mars 191 1,
p. i52-i55.
A TRAVERS L ORTHODOXIE
241
de bon nombre de problèmes agités. Le
2 mai dernier, elle s'est réunie à l'arche-
vêché de Nicosie au grand complet : com-
posée des évêques de l'Ile, des higoumènes
des monastères, des députés grecs et des
membres de la Commission dite « de ré-
daction », sous la présidence de l'arche-
vêque, elle a écouté d"abord une allocution
de son président rapportant en quelques
traits l'historique de la question : puis
chaque membre a pris part aux discus-
sions qui se sont ouvertes et dont le
monde hellénique attend les éclaircisse-
ments nécessaires sur la question de
Chypre (i).
En attendant plus ample information,
tournons nos regards vers l'Eglise de
Grèce.
V. Dans l'Eglise de Grèce.
Là, non plus, le calme des esprits n'est
pas fait. Les différends religieux naissent
des querelles politiques, et souvent une
question en apparence d'ordre général
n'est l'affaire que d'un parti ou même d'un
personnage ambitieux.
Parmi les revendications du clergé grec,
nous remarquons, en premier lieu, en date
du mois de mars 191 1, une requête col-
lective d'un certain nombre de prêtres
grecs demandant à la Chambre hellénique
le droit politique d'être électeurs et éli-
gibles.
En soi, cette demande n'a rien que de
juste. On ne voit pas, en effet, comment
le prêtre orthodoxe, par le fait même qu'il
est homme d'Eglise, cesserait d'être
patriote, par suite cesserait de prendre
part, dans la mesure qui est accordée aux
autres citoyens, au gouvernement de son
pays. Ce qui est au contraire étonnant, à
mon humble avis, c'est que, dans un pays
épris de liberté comme la Grèce et au sein
d'un clergé confondant souvent dans sa
pensée les intérêts politiques et les intérêts
religieux, cette idée de la participation
effective du prêtre au gouvernement de
(i) 'Ex-/.>.r,(T:aTtT,/.ô; xr,p-j;|, n* 6, p 3o3.
son pays ait mis si longtemps à se faire
jour. Il ne semble pas, pourtant, que le
gouvernement grec ait l'intention de faire
droit pour le moment, à cette légitime
revendication.
Mais le clergé grec se réjouit à bon
droit de deux autres projets des ministres
relatifs à l'enseignement. Le ministre de
l'instruction publique, A. Alexandris, en
est l'auteur et les a développés à la Chambre
hellénique le 21 mars-3 avril 191 1. Le
premier de ces projets a trait à la réorga-
nisation de l'Université nationale, qui ne
comprendra plus que deux sections, celle
de médecine et celle de physique ; le second
se rapporte à l'Université dite de Capo
d'Istria, qui, en outre du Prytanée et de
l'Académie proprement dite, comprendra
les sept chaires de théologie que voici :
à) La chaire d'introduction biblique et
d'exégèse de l'Ancien Testament, langue
grecque et archéologie.
b) La chaire d'introduction biblique et
d'exégèse du Nouveau Testament, histoire
de la Bible et encyclopédie de la théologie.
c) La chaire d'histoire ecclésiastique, de
l'antiquité, du moyen âge et des temps
modernes.
d) La chaire de p^ologie et d'archéo-
logie chrétienne. *
^) La chaire de théologie dogmatique et
morale.
/) La chaire de théologie pratique et
symbolique.
g) La chaire de droit canonique.
Ajoutons que cesdeux Universités seront
indépendantes sous tous les rapports et
qu'elles auront aussi une administration,
des diplômes et des locaux distincts.
A la bonne heure I Le clergé grec qui
va tous les ans mendier aux Universités
allemandes un complément de théologie
plus ou moins frelatée ne pourra que
gagner à trouver dans ces propres Univer-
sités la science dont il a besoin, pourvu
toutefois que l'accès de ces facultés dites
nationales ne lui soit pas, de fait, fermé
par quelque loi friponne du gouvernement
hellénique ou rendu impossible par des
exigences pécuniaires exorbitantes.
242
ECHOS D ORIENT
Du reste, l'Eglise orthodoxe de Grèce
a conscience du danger que courent ses
prêtres dans leur contact avec les doctrines
des étrangers. Elle a donc raison, elle
aussi, de condamner comme hérétiques
tous ceux de ses tils qui, par les nou-
veautés de leur enseignement théolo-
gique, contribueraient à la dépravation des
« pieux » orthodoxes. Mais un point sur
lequel cette même Eglise se contredit, c'est
que, tandis qu'elle réprouve officiellement
comme des excès de pouvoir et des
attentats à la liberté de pensée les mul-
tiples condamnations portées par l'Eglise
romaine contre les hérétiques en général
et, récemment, contre les modernistes,
elle anathématise à son tour les « pieux
orthodoxes » qui, suspects d'hérésie, font
entendre des nouveautés dogmatiques
aux oreilles des fidèles non avertis. Ainsi,
par exemple, en avril et en mai 191 1, le
saint synode a condamné les nommés
Zaphiropoulos, Mataranga, Giannatos, Pa-
pajordanos, Prionas et Ballianos à trois
mois de prison sur la dénonciation du
prédicateur Sotiropoulos, pour avoir fait
du prosélytisme et raillé les croyances de
l'orthodoxie. Voilà, certes, qui n'est guère
tolérant. Je m'étonne aussi que, dans le
droit pénal moderne, la prison soit une
peine canonique employée par la sainte
Eglise de Dieu En tout cas, de deux
choses l'une : ou bien l'Eglise catholique,
tout comme l'Eglise orthodoxe, a le droit
de condamner les hérétiques comme tels,
ou bien elle n'a pas ce droit qui consti-
tuerait un soi-disant attentat à la liberté
de conscience. Si l'Eglise catholique a le
droit de poursuivre les hérétiques consi-
dérés comme tels, l'Eglise orthodoxe le
possède aussi, et je la félicite de son zèle
à défendre sa foi; si, au contraire, l'Eglise
catholique n'a pas ce droit — comme le
disent les revues grecques, — comment
l'Eglise orthodoxe le posséderait-elle? Elle
est donc absolument illogique en orga-
nisant des poursuites contre les héré-
tiques (i).
(i) IlavTaiv($;, il mai 191 1, n" 19, p. 3oo.
VI. Dans les Eglises de la dispersion.
De l'Eglise de Grèce, passons aux grou-
pements grecs qui relèvent de sa juridic-
tion. On ne l'ignore pas, il y a les Grecs
de la dispersion, comme il y avait aux
temps évangéliques les Juifs de la disper-
sion : réunis en communautés plus ou
moins homogènes autour de l'archiman-
drite qui représente auprès des orthodoxes
exilés l'Eglise de Grèce, ces pieux ortho-
doxes ont aussi leur histoire faite de déve-
loppements inespérés, comme aussi, par-
fois, de prodigieux reculs. Voici, à ce
sujet, les renseignements les plus inté-
ressants que nous ayons pu recueillir.
Ici, c'est un troupeau sans pasteur qui
demande un prêtre. Ainsi, en février 191 1,
la communauté grecque des Etats-Unis
à fait connaître sa pénurie de prêtres par
la voie des journaux. Aussitôt, l'Eglise de
Grèce lui a fait savoir que ce n'était pas
par la voie des journaux ou des revues,
mais bien par la voie hiérarchique —
c'est-à-dire par des suppliques adressées
au saint synode — que les demandes de
cette nature devaient lui être adressées.
En attendant, le troupeau reste, sans pas-
teurs suffisants, exposé à la dent des
loups protestants.
Là — dans certaines villes d'Amérique
notamment, — c'est contre le prosély-
tisme protestant que l'orthodoxie grecque
doit lutter. Certains orthodoxes, en effet,
ont cru devoir renier la foi de leur mère,
l'Eglise de Grèce, pour embrasser la reli-
gion de Luther ou de Calvin, et, une fois
protestants, « dévorés par le zèle de la
maison de Dieu », ils battent en brèche
le vieil édifice de l'orthodoxie. Les ortho-
doxes restés fidèles ont d'autant plus à
redouter ce genre de propagande que,
non contents de s'appuyer comme les
catholiques sur la seule force du raison-
nement, les prédicateurs évangéliques de
l'Amérique du Nord font souvent appel
à la séduction de l'or.
Dans d'autres régions de l'Amérique,
les orthodoxes goûtent quelques conso-
lations. A Lyn, par exemple, la commu-
A TRAVERS L ORTHODOXIE
243
nauté orthodoxe a acheté en février 191 1
une église située sur la plus belle place
de la ville pour la somme de 20000 dol-
lars.
Mais — toujours en Amérique — les
orthodoxes, par la voie — peu canonique
— de leur journal publié à New-York,
VAtlantis, sentent le besoin de demander
un évêque à leur Eglise-mère. Les prin-
cipales raisons alléguées pour cette récla-
mation sont les suivantes : a) Que dans les
quatre-vingts communautés grecques de
TAmérique, dont la population s'élève à
40000oGrecs,lezèle religieux se refroidit de
jour en jour; b) que les pieux orthodoxes
sont condamnés à être les victimes de plus
habiles et de plus pervers qu'eux; c) que
beaucoup de communautés grecques de-
viennent le théâtre de luttes fraticides et
de conflits sans cesse renaissants entre
partis cherchant la prépondérance : d) que.
dans beaucoup de communautés, les
prêtres, impuissants à satisfaire les ambi-
tions des notables de leurs fidèles, de-
viennent l'objectif commun de leurs
attaques et, partant, les victimes ordi-
naires de leurs prétentions: e) que beau-
coup de prêtres, ne parvenant pas par
leurs qualités personnelles à gagner l'af-
fection de leurs fidèles, prêtent le flanc
par leur conduite à ces discordes pour
des motifs futiles; /) que du fait de ces
dissensions, beaucoup de communautés
sont en pleine décadence ou du moins
croupissent dans le marasme moral.
On le voit, l'exposé de ces motifs en
dit long sur la vie intérieure des com-
munautés grecques du Nouveau Monde( i ).
A ces causes de malaise, un orthodoxe
judicieux ajoute l'absence d'écoles pure-
ment grecques dans un bon nombre de
villes habitées par les communautés
grecques. Ainsi, par exemple, ce n'est
qu'en mai 191 1 que la communauté hel-
lénique, établie depuis longtemps à New-
York, a pu réunir les fonds nécessaires à
la construction dune école grecque. Jus-
qu'alors, les orthodoxes séjournant dans
(i) llavTa;vô;, 3i mars 191 1, n* i3, p. 202-2o3.
la plus grande ville des Etats-Unis avaient
donc dû , comme leurs compatriotes
des autres communautés encore privées
d'écoles à leur usage, apprendre, avec la
langue du pays, les idées protestantes et
recevoir, de ce fait, une éducation très peu
« orthodoxe » (i).
Nous arrêtons là cette chronique en fai-
sant remarquer aux lecteurs de cette revue
que nous n'avons rapporté ici que des
faits avoués par les revues et journaux
orthodoxes et que, par suite, ce rapide
coup d'œil à travers l'orthodoxie reproduit
dans ses grandes lignes — et sauf les
appréciations personnelles que nous avons
çà et là exprimées — la pensée même des
Grecs sur les Eglises grecques ortho-
doxes (2).
Georges Bartas.
P.-S. — Nous tenons à remercier publi-
quement, dans cette revue où il a tant
écrit, les personnes qui ont bien voulu
nous témoigner leur sympathie, soit par
des lettres privées, soit dans des pério-
diques scientifiques, à l'occasion de la mort
de notre confrère, le P. Rabois-Bousquet.
Une exception vaut cependant d'être notée.
Dans le fascicule 22, du 2 i5 juin 191 1, du
Pantainos qui se publie à Alexandrie sous
la direct onde Gr. Papamikhaïl, on résume
(p. 35o) la notice nécrologique consacrée
par les Echos d'Orient en mai dernier.
L'entrefilet veut être méchant, il n'est
qu'injurieux et erroné. L'auteur, qui n'en
est pas à sa première, commence tout
d'abord par écrire le mot catholique comme
un goujat. C'est là son habitude et nous
n'insisterons pas, car il y a des gens qui
tiennent absolument à passer pour mal
élevés. Après quoi, il confond volontaire-
ment séminaire grec et séminaire latin,
direction et rédaction, et, par cinq fois, il
fait diriger par le P. Rabois-Bousquet les
Echos d'Orient depuis l'année 1899. jus-
fil IIavTa:vô;, 2 juin IQII, n' 22, p. 35o-35i.
(2) ClV, pour tous les renseignements donnés
dans cette chronique, le IlavTatvôç, 191 1, n" 9-22;
rEvtx>.r,<ria<rT:xTi *At,9cj«, 1911, n'siJ-24; \'^/,t.\r^a:aa-
7'./.ô; vr,?-;, 1911, n" 2-8. Cette dernière revue,
publiée à Larmaka, dans l'île de Chypre, est parti-
culièrement bien renseignée sur tout ce qui a trait
à la vie intérieure de l'Eglise de Chypre.
244
ÉCHOS d'orient
qu'à l'année 191 1. Ce serait là, certes, un
honneur pour la revue, mais ce n'est pas
vrai; le défunt n'en était qu'un rédacteur
ordinaire, et Papamikhaïl le sait parfaite-
ment. Allez ensuite vous fier à ces Mes-
sieurs, citant ou commentant des textes
rares ou anciens, quand ils dénaturent
ainsi sous vos yeux des documents con-
temporains qui sont à la portée de tout le
monde! Papamikhaïl en sera pour son fiel,
qu'il n'est pas d'usage de répandre sur une
tombe.
Dans le fascicule de 191 1, p. 48-51, les
Echos d'Orient ont reproduit, sous le titre
de Pour l'union des Eglises, une lettre de
M^"" Gérasime Msarrat, métropolite ortho-
doxe de Beyrouth, laquelle avait déjà été
publiée par la grande majorité de la presse
ottomane. Depuis, il est arrivé au siège
de la rédaction deux lettres de Syrie qui
donnent des explications à ce sujet. L'une
et l'autre s'accordent à dire que M^"" Géra-
sime n'a jamais professé les idées qui sont
exprimées dans cette lettre et qu'il s'est
toujours, notamment dans ses ouvrages
antérieurs, montré fort hostile au catho-
licisme et à l'union des Eglises. Et pour-
tant le document ciié par notre revue n'est
pas faux, il a été bel et bien signé par le
métropolite en question. Comment expli-
quer cette anomalie? Il paraîtrait qu'une
dame, d'origine russe mais mariée à un
Allemand, aurait rédigé la lettre, et que, de
gré ou par persuasion, elle l'aurait fait
signer par Ms'" Gérasime, alors malade à
Aley, dans le Liban, et qui était loin de
s'imaginer que pareil document serait
jamais publié. Si le fait est vrai, — tt nos
correspondants méritent toute considéra-
tion, — il ne laisse pas qui de jeter certain
jour sur l'orthodoxie. Nous a v.ons déjà dans
le monde grec une dame qui s'était illustrée
par des lettres de ce genre et que la presse
grecque ne cite jamais qu'avec les titres de la
« célèbre Galate »; à présent, voici une
Russo-Allemande qui entre en scène à son
tour, mais sous le couvert d'un métropo-
lite. Est-ce que, maintenant que leurs
évêques et leurs prêtres négligent tant les
études théologiques, les Eglises orthodoxes
songeraient réellement à éditer une mat?'o-
logie? G. B.
BIBLIOGRAPHIE
C. KiRCH, Enchiridion fontium historiœ
ecclesiasticœ ajiiiguœ in usum schola-
rum. Fribourg-en-Brisgau, Herder. 1910,
in 8°, xxx-636 pages. Prix : 8 marks.
Voici, sur le modèle de Y Enchiridion
dogmatique de Denzinger-Banwart (voir
Echos d'Orient, t. XII, 1909, p. 378), un
recueil de documents pour l'histoire an-
cienne de l'Eglise, à l'usage des Séminaires
et des Universités. L'idée est louable; et
bien que ^ampleur de la matière soit ici
de nature à donner toujours lieu à des
desiderata, le nouvel ouvrage rendra cer-
tainement de grands services non seule-
ment aux élèves, mais encore aux profes-
seurs et à tous les travailleurs, heureux
d'avoir sous la main cette « bibliothèque »
portative.
Le volume s'ouvre sur les chapitres de
la Didaché relatifs au Baptême et à l'Eu-
charistie; il se ferme sur une page de Paul
Diacre (écrite vers ySo) racontant l'entrevue
de saint Léon avec Attila. C'est donc sur
un espace de huit siècles que se répartissent
les documents, insérés par ordre chronolo-
gique. On comprendra sans peine que le
collecteur ait dû se borner à faire un choix,
sauf à sacrifier des textes dont plus d'un
lecteur regrettera sans doute, à tel moment,
l'absence. Tout en concevant parfaitement
l'impossibilité de satisfaire à cet égard tous
les désirs, je crois devoir signaler certaines
pièces qui, vu leur importance, capitale
pour quelq les-unes, réclament d'être insé-
rées dans une prochaine édition. Ainsi le
présent recueil ne renferme rien de la Di-
dascalie, rien de l'Euchologe de Sérapion
de Thmuis, rien du De mysteriis ni du De
sacramentis. Les fragments liturgiques ré-
cemment découverts à Deir Balyzeh méri-
teraient aussi d'y trouver place. Quelques
BIBLIOGRAPHIE
245
extraits des Odes de Salomon, de toute
fraîche découverte encore, auront sans
doute à figurer dans une seconde édition.
L'index chronologique des documents,
placé au début du volume, serait plus utile
si, sans se contenter d indiquer le sujet
général du morceau, on y avait ajouté L-s
références précises de l'ouvrage dont il est
tiré. L'index alphabétique de la fin sera,
comme de juste, vivement apprécié.
Quelques notes critiques, sobres et précises,
dans le genre de celles de VEnchiridion
Denzinger-Banwart, ajouteraient un nou-
vel avantage à un livre qui en a tant.
Nous ne pouvons que rendre hommage,
et nous le faisons de tout cœur, à l'esprit
pleinement catholique qui a inspiré et di-
rigé le R. P. Kirch dans le choix des textes.
Puisqu'il a visiblement tenu à mettre en
particulière évidence les documents attes-
tant la primauté romaine, il nous permet-
tra de lui signaler, dans les Echos d'Orient,
t. VI, 1903, p. 3o, 118, 249, l'étude du
R. P. Bernardakis : Les appels au Pape
dans VEglise grecque jusqu'à Photius. Il
y trouverait peut-être plus d'une référence
à utiliser dans sa « Chrestomathie patris-
tique », pour me servir du nom que, dans
la préface, il donne lui-même à son recueil.
Tel qu'il est, avec ses nombreuses pièces
datées, numérotées, publiées en texte
grec et latin d'après les meilleures éditions
existantes, le nouvel Enchiridion est des-
tiné, comme celui de Denzinger, à beau-
coup de succès et à beaucoup d'utilité.
S. Salaville.
Saint Grégoire de Naregh, Discorso pa-
negirico alla Beatissima Vergine Maria,
tradotto in lingua italiana dai Padri
délia CongregazioneMechitarista. Venise,
Saint-Lazare, 1904, in-4°, 56 pages. Prix :
I franc.
Saint Grégoire de Naregh, fils de Chos-
rov le Grand, fut une des grandes figures
de l'Eglise arménienne au x^ siècle. Il a
laissé de nombreux ouvrages, parmi les-
quels il faut signaler un Commentaire du
Cantique des cantiques, une série de quatre-
vingt-quinze discours désignés sous le titre
<ï Elégies sacrées et plusieurs panégyriques.
C'est l'un de ces panégyriques, consacré à
la louange de la Mère de Dieu, que les
Mékitaristes de Venise eurent l'heureuse
inspiration de traduire en italien, en 1904,
à l'occasion du cinquantenaire de la défi-
nition de l'Immaculée Conception. L'édi-
tion, dédiée au pape Pie X, porte la tra-
duction italienne avec le texte arménien
e.i regard et quelques notes explicatives
renvoyées à la fin. Elle est très soignée et
fait honneur à la typographie de Saint-
Lazare de Venise.
Le panégyrique de Grégoire de Naregh
rappelle par le fond et la forme les meil-
leures homélies mariales des Byzantins.
C'est la même éloquence abondante, errant
à l'aventure sans plan arrêté, comme un
fleuve au cours sinueux: la même richesse
de comparaisons enveloppant des idées
identiques. Parmi ces idées, celle de l'Im-
maculée Conception apparaît à plusieurs
endroits : Marie est la Heur de Jessé qui
a produit le fruit de notre vie, et qui, bien
que faite du mélange des quatre éléments,
est restée cependant exempte de ce à quoi
nous avons tous participé, nous, les ter-
restres. Elle n'a point porté en elle nos
passions naturelles et innées, mais a vécu
comme un chérubin enflammé et resplen-
dissant {jç>. 26).
Ce discours du grand écrivain arménien
fait souhaiter la traduction en langue acces-
sible aux Européens de ses autres ouvrages.
Puissent les Mékitaristes de Venise rendre
ce service à la science sacrée!
M. JUGIE.
E. G. ZOLOTAS, Bpa/sTat l-avoi6oj<;e'.ç xal
■Tsoa6-?,xa'. si; rà; àv tw TraoôvT'. tôjjico Xtaxàç
iTîtvpa^àç xat vsat t'.vèî ir^'.'(zx^X'.. Dans
'A6T,va, t. XX. Athènes, 1908, p. 309-
532.
Nous avons annoncé. Echos d'Orient,
t. XIII (1910), p. 186, la publication par
M"* Emilie Zolotas des inscriptions iné-
dites, grecques ou latines, de l'île de Chio,
inscriptions recueillies par son père. M'"Zo-
lotas, dans un supplément à ce travail, rec-
tifie un certain nombre de lectures, ajoute
des explications et fait connaître plusieurs
textes nouveaux. Nous ne pouvons que lui
renouveler nos félicitations et nos remer-
ciements pour l'acribie scientifique dont
témoignent ses recherches et le service
rendu par elle aux historiens futurs de
Chio.
R. Bousquet.
246
ECHOS D ORIENT
E. G. ZOLOTAS, Bu^avTiaxb; BaxTÛÀto; èv Xt'w.
Dans 'AOTjva, t. XXII, Athènes, 1910,
p. 147-186.
Cet article est consacré à un anneau d'or
portant le nom de Michel Dromokatès en
caractères du xw siècle et des armoiries.
M"« E. Zolotas identifie le possesseur de
cet anneau avec Michel Dromokatès Chry-
soloras, un des Grecs réfugiés en Italie
après la prise de Constantinople par les
Turcs. Nous possédons deux lettres de
François Filelfo concernant ce personnage.
Dans la première, en grec, datée de Milan,
4 juin 1454, il le recommande à son fils
Marins, qui résidait alors à Turin, comme
un honnête homme et comme son parent :
Filelfo était en effet marié à Théodora,
fille de Jean Chrysoloras. La seconde, en
latin, est une recommandation au marquis
de Mantoue;elle est datée de Milan, i3 oc-
tobre 1455. On peut lire ces deux lettres
dans E. Legrand, Cent dix lettres grecques
de François Filelfo. Paris, 1892, p. 69.
M"^ Zolotas n'a pas connu la première et
ne cite de la seconde qu'une phrase très
incorrectement transcrite, où le nom même
de Dromokatès est mal orthographié. Elle
fait l'histoire, jusqu'au xix^ siècle, des deux
familles chiotes des Chrysoloras et des
Dromokaïtès, identifiant ce dernier nom
avec celui des Dermokaïtès et des Dromo-
katès. Il y a là une très importante contri-
bution à l'histoire de Chio.
S. PÉTRIDÈS.
D. Russo, Studii si critice. Bucarest, Ra-
sidescu, 1910, i.-i23 pages in-8«. Prix :
3 francs.
Recueil d'articles parus dans les Convor-
biri literare. D'abord une recension de la
thèse de M. S. Romansky sur le voïvode va-
laque Neagœ, puis une réplique à des con-
tradicteurs à propos d'un livre précédent
de M. Russo. iyo'w Echos d'0rie7it, t. X,
p. 317.) Vient ensuite une excellente étude
sur la Xpr,<rToyi6£'.a de Byzantios, livre qui a
joui d'une vogue immense dans les milieux
grecs, ses sources, ses imitations. Enfin,
à propos du catalogue des manuscrits grecs
de la bibliothèque de l'Académie roumaine
publié en 1909, par M. C. Litzica, M. Rus-
so nous expose ce que doit être un bon
catalogue moderne de manuscrits et prouve
par de trop nombreux exemples que celui
de M. C. Litzica est loin de répondre à
l'idéal.
L. Bardou.
M&'" A. Battandier, Annuaire pontifical
catholique, i^^ année, 191 1 . Paris, Maison
de la Bonne Presse, in-8'', 791 pages.
Prix : 5 francs.
Les Echos d'Orient ont déjà dit, t. XIII,
1910, p. 3i5, le mérite, la valeur et l'utilité
de \ Annuaire pontifical. Le XI V^^ volume
ne le cède en rien à aucun de ses prédéces-
seurs. Les renseignements les plus instruc-
tifs et les plus précis s'y pressent en très
grand nombre, sous les titres suivants :
Calendrier, le Souverain Pontife, les car-
dinaux, l'épiscopat catholique. Ordres reli-
gieux et missions, notes de statistique,
variétés ecclésiastiques, la famille pontifi-
cale, la chapelle pontificale, administrations
palatines, dicastères pontificaux, corps di-
plomatique, Ordres pontificaux, diocèse de
Rome, nécrologe, tables. Toutes ces ru-
briques renferment de précieuses mines
d'information pour quiconque s'intéresse
à la vie de l'Eglise à travers l'histoire et
à travers le monde. Signalons spécialement
une Chronologie liturgique depuis le
I" siècle jusqu'à nos jours, p. i5-32; un
résumé très précis des documents ponti-
ficaux depuis 1904, p. 46-76 ; un intéressant
article sur les Papes du iii^ siècle, p. 81-102 ;
des notices sur la visite ad limina, le dio-
cèse de Périgueux, l'évêchéde Bethléem, le
catholicisme en Crète, l'Eglise melkite
en 1907, p. 380-461. A propos de ce dernier
article, dû à la plume de notre distingué
collaborateur, le R. P. Charon, nous nous
permettrons le vœu que soit imitée désor-
mais, dans VAnnuaire, l'exactitude des
dénominations concernant les Eglises orien-
tales, dont témoigne le très utile tableau
des pages 460-46 1 . Relevons encore des notes
de statistique sur l'Allemagne, l'Espagne, la
Hollande, la Suisse, les États-Unis, l'Aus-
tralie, les Conférences de Saint-Vincent de
Paul, les protestants, les juifs, les musul-
mans. Rappelons la grande utilité et l'ex-
trême précision des listes concernant les car-
dinaux, les évêques, les patriarcats latins et
orientaux, les archevêchés et évêchés, rési-
dentiels et titulaires, les délégations, les
vicariats, les préfectures apostoliques, etc.
BIBLIOGRAPHIE
247
Ajoutons enfin que des tables fort soignées
et fort complètes donnent d'exactes réfé-
rences non seulement au présent volume,
mais encore à tous ceux de la collection. Et
nos lecteurs n'auront pas de peine à conclure
que YAnnuaire pontifical, avec ses trésors
d'information et ses agréments d'illustra-
tion, se recommande de lui-même à leur
intérêt. S. S al a ville.
V. Lazar, Die Sudrumaenen der Turkei
und der angren^enden Laender. Buca-
rest, G. Tonescu, 1910, in-8<^, 334 pages.
Divisé en dix sections précédées d'une
introduction, cet ouvrage traite successive-
ment des divers noms donnés à la Rou-
manie du Sud, de son étendue géogra-
phique, de sa population, de l'histoire
abrégée des Roumains du Sud ou Valaques,
de leurs traits caractéristiques, de leur loge-
ment, de leur alimentation, de leur habille-
ment, de leur vie économique en général,
de leur langue, de leurs mœurs, traditions
et superstitions, de leurs églises, de leurs
écoles et de leur littérature à l'époque con-
temporaine.
On doit signaler surtout, comme particu-
lièrement intéressante, l'étude du caractère
spécial des Roumains du Sud, remar-
quables notamment par la vivacité de leur
esprit et par leurs aptitudes commerciales.
De même, on lira avec plaisir les considé-
rations philologiques sur la langue valaque,
dans ses rapports avec la langue roumaine
proprement dite et avec la langue grecque
liturgique.
En ce qui se rapporte proprement aux
mœurs sociales de la population valaque,
il faut louer l'auteur, qui est bibliothécaire
de l'Académie roumaine, des nombreuses
remarques qu'il nous suggère à propos de
la première éducation de l'enfant, du ma-
riage plutôt prématuré des jeunes gens et
des jeunes filles, des usages relatifs à la
sépulture des morts, qui semblent une sur-
vivance de certaines coutumes païennes, et
enfin de quelques croyances superstitieuses,
telles que la croyance à l'influence néfaste
du mauvais œil et des fées perfides. Nous
regrettons — et c'est là une lacune du livre
— que l'auteur ne nous ait pas renseignés
sur l'origine historique de ces superstitions.
Enfin, nous n'avons qu'à louer M. Lazar
de la précision, en même temps que de la
sobriété avec laquelle il fait l'histoire de
l'Eglise des Valaques et de ses démêlés avec
la Sublime Porte, des deux sortes d'écoles,
grecques et roumaines, qui se partagent le
pays et enfin de la petite anthologie dans
laquelle il met sous nos yeux les principaux
chefs-d'œuvre de la littérature valaque
à l'heure actuelle.
Toutefois, son ouvrage aurait gagné en
valeur historique s'il avait pris soin de
constamment indiquer les sources où il
a puisé les renseignements qu'il nous
fournit. Tel qu'il est, cependant, ce livre
est fort instructif, car il constitue un digne
pendant à la magistrale histoire de la Rou-
manie de M. Jorga, dont les Echos d'Orient
ont récemment rendu compte.
E. MONTMASSON.
A. Camerlynck, Compendium Inirodtic-
tionis generalis in Sacram Scripiuram,
pars prior: ^ocwwien/a. Bruges, C. Beyaert,
1911, in-S", xir-127 pages.
Cet opuscule n'est que la première partie
àtVIntroductio Generalis in Sacram Scrip-
iuram, ouvrage en préparation, qui aura
près de 450 pages in-8° et dans laquelle le
chanoine A. Camerlynck complète sur
cette question l'œuvre de ses devanciers.
Dans cette première partie, l'auteur a
réuni tous les documents relatifs à l'étude
et à l'interprétation des Saintes Ecritures.
11 les a groupés dans sept chapitres, daprès
un certain nombre d'idées directrices qui
répondent aux questions de méthode en
exégèse, d'inspiration et d'inerrance bi-
blique, de canonicité et d'historicité des
sources scripturaires et d'herméneutique
sacrée.
Pour être forcément aride et peu varié,
ce répertoire de documents n'en est pas
moins précieux, car il renferme, non seu-
lement tous les anciens canons ecclésias-
tiques relatifs à l'enseignement des Ecri-
tures, mais encore tous les récents décrets
de S. S. Pie X et de la Commission biblique.
Ainsi, élèves et maîtres trouveront dans ce
guide toutes les directions à suivre, avec
d'autant plus de facilité que l'auteur a résumé
en quelques mots, en marge de chaque
alinéa, le contenu du paragraphe.
Quant au texte même de ces décrets
publiés, il est correct. Je n'ai remarqué que
deux fautes typographiques. P. 22 : il faut
24»
ECHOS D ORIENT
lire disciplinas, au lieu de diplinas; p. 33 :
lire causa au lieu de caussa.
E. MONTMASSON.
R. P. Paul-V. Charland, O. P., Madame
saincie Anne et son culte au moyen
â^e. Paris, A. Picard, 191 1, t. I«'", in-8°,
348 pages. Prix : 8 francs.
S'il y a dans ce gros volume de nom-
breuses pages qui sont consacrées à sainte
Anne et à son culte, il en est peut-être
encore davantage qui ne le sont pas; mais
ces dernières respirent un tel amour, par-
fois même un tel enthousiasme pour l'his-
toire religieuse de Byzanceet pour sa poésie
liturgique, que l'on n'ose point trop en faire
un reproche à l'auteur. Comme il semble
avoir vou'u avant tout porter à la connais-
sance de ses compatriotes franco-canadiens
les trésors de piété et de dévotion que ren-
ferme la poésie des mélodes, en même
temps qu'il les initiait aux recherches et
aux résultats des modernes byzantinistes,
notre revue, qui est plus spécialement vouée
à ces études et que le R. P. Charland cite
du reste trop souvent et avec trop déloges,
serait mal venue à s'en plaindre et à prendre
parti contre lui. Il est trop vrai que sainte
Anne et son culte paraissent quelquefois
perdus de vue dans ce livre, où les digres-
sions abondent; il est trop vrai aussi que
ce que le Révérend Père en a dit se trouve
parfois noyé dans des considérations assez
étrangères au sujet, mais, pour n'être pas
absolument indispensables, les digressions
sont toutes intéressantes, l'érudition de
l'auteur est vaste et dans l'ensemble bien
avertie; son style alerte, bien que trop
oratoire, ne manque pas de charmes. Si le
R. P. Charland avait commencé par les
renseig ementsgénéraux qu'il jugeait utiles
à son étude, s'il les avait exposés plus to-
breme it, si, en abordant et l'histoire et le
culte de sainte Anne, il s'en était tenu là
une fois pour toutes sans revenir sur ce
qui était déjà dit et bien dit, s'il avait enfin
mieux condensé les résultats déjà acquis
et ceux que lui-même avait obtenus, il
aurait donné un ouvrage, moins volumi-
neux sans dou e, mais de tous points excel-
lent. Tel qu'il est, le livre est bon et con-
tribuera à mieux faire connaître et sa nte
Anne, et les poètes byzantins qui l'ont si
bien chantée.
Je signale en passant quelques distrac-
tions de style ou de mémoire. P. 14: « jus-
qu'à ce qu'il en vienne »; p. 70: « tombent
sur semaine » sont sans doute des cana-
dismes. Les notes ne répondent pas tou-
jours à celles qu'exigerait le texte; je ne
cite pas d'exemples, parce qu'il y en aurait
trop à donner. P. 1 25 : « Eusèbe Emissène »,
on dit plutôt d'Emèse; p. i32 : lire VI au
lieu de V; p. 190, etc. : lire Gelzer au lieu
de Gelser; p. 193 : lire choréphores au lieu
de choéphores; p. 84, en note : lire Mamas
au lieu de Monos; p. i5 : M.^' Duchesne
n'a jamais dit qu'il n'y avait pas de fête de
la Sainte Vierge avant le vii^ siècle. P. iSy :
je trouve bien sévères les appréciations sur
Hippolytos von Theben de M. Diekamp et
sur les auteurs grecs du x<= au xv^ siècle ",
qui ont écrit de nombreux sermons sur la
Sainte Vierge et sur sainte Anne, les-
quels valent bien ceux de leurs devanciers.
P. 193 sq. : la traduction française de
l'hymne de s^int Romano^ laisse à désirer
comme exactiiude; le texte n'est guère serré
de près, et j'en dis autant de la traduction
qui accompagne les divers offices grecs à
la fin du volume. P. 198: je doute fort
que le mélode Anatole soit 'e patriarche
de ce nom au v* siècle, lequel du reste
n'était pas de Byzance, mais égyptien; de
même, le poète Anthimj n'est certainement
pas le patriarche de ce nom. P. 199 : saint
Sophrone n'est pas mort en 63o, mais en
638 au plus tôt. P. 2o3 sq. : il existe réelle-
ment deux saints André de Crète qui sont
à peu près contemporains, mais un seul
est connu comme poète byzantin. P. 208 :
« Théophane, que l'Orient a surnommé le
YpauTÔç, sans doute parce qu'il a reconnu
en lui un maître écrivain »; à lire cette
phrase, et s'il ne citait mon étude sur ce
poète, on ne croirait pas que le R. P. Char-
land l'ait utilisée.
Le tome I" de cet ouvrage comprend
les chapitres suivants : La fête liturgique
de sainte Anne, Madame saincte Anne
et son culte en Orient, Monuments lit-
téraires. Fêtes et liturgie; le tome II
compiendra, pour l'Orient : Ancienneté
de ces fêtes et liturgie de saint Jean Chry-
sostome, Religiosa loca ou sanctuaires
de sainte Anne, Iconographie ancienne,
puis Le culte de sainte Anne en Occident
au moyen âge, avec les mêmes divisions
que pour la première partie. Nous sommes
BIBLIOGRAPHIE
249
heureux d'en enregistrer la prochaine ap-
parition.
S. Vailhé.
J. CoMPERNASS, Deukmaeler der grîechis-
chen Volk^prache fiir sprachwissen-
schaftliche Uebungen und Vorlesungen.
Strasbourg Dumon' Schauberg, 1911,
in-8" de iv-69 pages. Heft I.
Le docte maître de conférences à l'Uni-
versité de Zurich, qui a déjà fait beaucoup
pour la philologie byzantine, entreprend,
à l'usage des étudiants, l'édition ou la réé-
dition d'une série de textes qui leur per-
mettront de se familiariser peu à peu avec
la langue byzantine populaire, et, par suite,
avec le néo-grec, si honni des pédants et
des maîtres d'école. La brochure comprend
six textes en tout, dont un qui est inédit,
et, à la fin, un petit lexique des mots avec
la traduction allemande correspondante.
Ce sont: i" une missive adressée à l'émir
de Damas sur l'instigation du basileus
Romain, pièce éditée pour la première fois;
i"" une lettre du sultan d'Egypte au basileus
Jean Cantacuzène, en 1349; 3'' un récit de
Jean Cananos sur le siège de Constanti-
nople par les Turcs au mois d'août 1422;
4° et 5" deux discours de Syméon le nou-
veau théologien du xi« siècle, sur la foi et
sur la prière, et traduits en langue popu-
laire; 6" le récit fait par Hiérothée Abbatios
du tremblement de terre survenu le 3d sep-
tembre 1648 à Céphalonie.
Inutile de faire remarquer avec quel soin
scrupuleux tous ces documents ont été
édités. M. Compernass nous promet pour
bientôt d'autres séries de textes, dont
quelques-uns en vers: nous en prenons
acte, et d'avance nous nous en félicitons.
Le présent livre est dédié : Memoriœ So-
phronii Petridis S. Assumptionis presby-
teri grœci sacrum. Que M. Compernass
me permette de lai dire ici publiquement
combien la rédaction des Echos d'Orient
a été sensible à cette délicate attention.
S. Vailhé.
J. Gottwald, Les faits principaux de V his-
toire byzantine par ordre chronologique.
Constantinople, Otto Keil, 191 1, in-12
de 63 pages.
Tout le monde n'a pas à sa disposition
les deux volumes dans lesquels Murait a
résumé la chronologie de l'empire byzantin
depuis 395 jusqu'à 1453; l'ouvrage est rare,
il est cher, et, de plus, si nourri de faits,
qu'on ne le consulte pas souvent. Au sur-
plus, les erreurs n'y manquent pas, et l'on
sait qu'en ces dernières années un groupe
de savants s'était constitué pour le refondre
complètement ; chacun aurait pris un siècle
à son compte, mais pour des raisons mul-
tiples, le projet a été abandonné. C'est
regrettable, car l'idée était bonne et aurait
été réalisée supérieurement, puisque les
sources consultées sont citées par Murait
à l'appui de ce qu'il avance; il aurait
donc suffi de les revoir, de les corriger au
besoin, et surtout d'ajouter tous les do-
cuments que le savant Suisse n'avait pu
dépouiller.
Ce n'est pas un dessein aussi grandiose
que notre collaborateur, M. Gottwald, a
voulu mettre à exécution; et le temps et
les livres nécessaires lui auraient fait défaut.
Mais, épris de tout ce qui touche à l'histoire
de l'empire byzantin, et sachant par expé-
rience combien il est difficile de se recon-
naître à travers ce dédale d'événements, il
a mis à la portée du public les principaux
faits de cette histoire, avec, à côté, l'indica-
tion de l'année. Bien entendu, les dates ne
s'appuient sur aucun document; on doit se
contenter de l'affirmation de l'auteur, qui
a raison dans la plupart des cas. A ce titre,
nous le recommandons bien volontiers à
nos lecteurs, qui sont parfois fort embar-
rassés pour trouver la date de tel ou tel
événement ; les faits cités vont de 595 à 1453.
Il y a quelques graphies malencontreuses :
ainsi, p. 8: Amidus et Amida; p. 20: la
province de Cibyrie pour le thème des
Cibyréotes; p. 34, année 957: Sicilie pour
Sicile; p. 44, année 1094: Anchialon pour
Anchialos,etGodefroipourGodefroy;p. 17:
c'est en 638, non en 637, que Jérusalem a
été prise par les Arabes; p. 28: en 832,
non en 836, que Jean Lécanomante devint
patriarche, mais c'est bien en 836 que la
persécution commença; p. 54 sq. : on dit
Grégoire plutôt que Georges de Chypre, et
p. 56 : Anne, plutôt que Jeanne de Savoie;
p. 56: c'est en i3ii, non en i3i2, que
Niphon devint patriarche de Constanti-
nople.
S. Vailhé.
250
ECHOS D ORIENT
S. LaMPROS, 'ApyupoTrouXeTa" 'Iwàvvou 'Aiyu-
poTTOuXou Xôyoi, TrpayjJLaTei'at, ÈTctcTToXai, 7rpo<r-
cpwv/jjjLaTa, àiravTTf^ffstç xal ÈTrtdToXai ■Jrpb;
aÙTov xal Tov uibv 'Idactxiov, ÈTriÇToXat xat
aTTociâffstç 7:ept aùrcov. Athènes, P. D. Sakel-
larios, 19 10, in-S", oxe' (= CXXV) et
352 pages, avec plusieurs portraits et fac-
similés.
L'infatigable érudit qu'est M. Spyridon
Lampros vient de consacrer un bel ouvrage
à la famille grecque des Argyropoulos, dont
le représentant le plus connu dans l'his-
toire est Jean Argyropoulos. Ce dernier,
philosophe et humaniste du xv^ siècle, fut
un partisan actif de l'union avec Rome. Il
avait assisté comme diacre au concile de
P'iorence. Après la prise deConstantinople,
il se retira d'abord à Florence, puis à Rome,
où il mourut en i486. Dans une savante
introduction, l'auteur a recueilli tous les
éléments d'une biographie détaillée de ce
personnage, en y ajoutant une étude icono-
graphique des nombreux portraits qui nous
sont restés de lui, et que l'on trouvera ici
fort bien reproduits en de belles gravures
et planches hors texte. Jean Argyropoulos
était marié. Son fils Isaac, habile musicien,
exerça les fonctions de diacre grec dans
les cérémonies papales solennelles, de 1481
à i5o5. La famille des Argyropoulos re-
monterait, d'après M. Lampros, jusqu'au
milieu du ix« siècle, époque où vivait un
nommé Léon Argyros. On sait que la dési-
nence poulos a le sens de fils.
Voilà, en résumé, de quoi traite l'Intro-
duction. Quant aux 'Aoy^p&TcouXeïa propre-
ment dits, c'est un recueil des œuvres de
Jean Argyropoulos, inédites ou éditées avec
trop peu de soin critique, de lettres et
d'autres documents concernant cet érudit
byzantin ou son fils Isaac. Ce recueil pré-
sente un triple intérêt littéraire, historique
et théologique. Signalons, à ce dernier
point de vue, le traité de Jean Argyropoulos
sur la procession du Saint-Esprit et le con-
cile de Florence, déjà édité par Allatius,
d'après un manuscrit qui nous est inconnu
{Grœcia orthodoxa, Rome i652, t. I*',
p. 400-418; Migne, P. G., t. CLVIII,
col. 992-1008), et que M. Lampros réédite
(p. 107-128) en utilisant les manuscrits
suivants: Paris, 1191, 949; Madrid, ii5;
Ambr. M., 41 sup.; Q., 84 sup. Mention-
nons aussi deux traités polémiques dirigés
contre Argyropoulos et publiés ici : l'un
sur les anges, par Georges Gennadios
(cer ains manuscrits l'attribuent à Marc
d'Ephèse) ; l'autre, de Théodore Agallianos,
intitulé : « Réfutation du livre de Jean
Argyropoulos en faveur de la doctrine des
Latins. » Pourquoi avoir placé le premier
aux dernières pages de l'Introduction, tan-
dis que le second se trouve après les œuvres
personnelles d' Argyropoulos?
Le lecteur de cet excellent ouvrage fera
bien de ne pas dédaigner les quelques pages
finales (343-348) de Corr/g-ew^a et Addenda,
dont plus d'une pourra lui être utile. Outre
les fautes d'impression indiquées aux Cor-
rigenda, on en rencontre çà et là quelques
autres, surtout dans les textes latins. On
regrettera vivement que M. Lamp os n'ait
pas ajouté à son beau travail de fouilleur
d'archives et d'éditeur de textes la rédac-
tion d'un index alphabétique des noms
propres, quun volume de ce genre récla-
merait plus que tout autre. Les 119 pages
très denses qui forment l'Introduction exi-
geraient tout au moins une table des ma-
tières spéciale. L'absence d^ pareils réper-
toires est une faute que de bons travailleurs
comme M. Lampros ne devraient jamais
se permettre.
S. Salaville.
E. Grapin, Eusèbe : Histoire ecclésias-
tique, livres V-VIII, texte grec et traduc-
tion française (Collection des Textes et
documents pour l'étude historique du
christianis7ne). Paris, A. Picard, in-12,
56 1 pages. Prix : 5 francs.
Les Echos d'Orient (t. XIll, 1910, p. 268)
ont déjà annoncé le premier volume de
cette excellente édition de Y Histoire ecclé-
siastique d'Eusèbe. Le volume que nous
signalons aujourd'hui s'ouvre par la tou-
chante relation concernant les martyrs de
Lyou et de Vienne, se continue par le récit
des dissentiments au sujet de la Pâque,
par de précieuses notices sur les grands
docteurs : Irénée, Clément d'Alexandrie,
Origène, etc. les grandsévêques, les schismes
et les hérésies, les persécutions de Dèce et
de Valérien. Afin de rester fidèle au sys-
tème adopté pour le tome I", on a relégué
les notes toutes ensemble, dans un appen-
dice final. C'est regrettable, car de la sorte
beaucoup échapperont à nombre de lec-
BIBLIOGRAPHIE
2ÎI
teurs et pourront moins facilement être
utilisées. Le tome III contiendra une intro-
duction et un index.
J'ai relevé dans la traduction quelques
légères imperfections cà et là. P. 15, livre V.
I, 10, M. l'abbé Grapin écrit: « Il prenait
avec bonheur la défense de ses frères et y
mettait son àme. » II faut traduire : « Il
acceptait volontiers, pour la défense de ses
frères, de donner même sa vie. » C'est le
sens du texte : £ÙooxT,<raç ûitèp -nfiç tSv àosXoàiv
àicoXoyt'a; xat t/jv ÏolutoZ ôsTvat 'liuyr^y. P. l53,
1. VI, II, 2, on lit: « En ce qui concerr.e
Origène, même les langes de son berceau,
pour ainsi dire, me paraissent dignes de
mémoire. » C'est forcer un peu trop l'hyper-
bole d'Eusèbe : rà I; aÙTÔv w; stTiîTv crapY^vcov
àçtoavr,aôv£UTa P-49 : communiquait, où
il faudrait communiquaient. P. 56 : « de
quelle genre »; p. yS : « le texte hébreux »;
p. 187 : « il est venu seulement que », pour
« il n'est venu que »; p. 235 : la dernière
phrase du chapitre xxix {}. VI), a été
victime d'une distraction du traducteur:
« A Alexandrie, après Démétrius, Héraclas
ayant recueilli la charge pontificale, et
Denys occupe isic) sa place dans l'école de
la catéchèse de ce pays ; celui-ci était encore
un des élèves d'Origène. »
Ce sont là vétilles sans grande impor-
tance. L'ensemble du volume est littérale-
ment de lecture passionnante pour qui-
conque s'intéresse tant soit peu à l'antiquité
chrétienne. Puisse-t-il gagner au père de
l'histoire ecclésiastique un grand nombre
de lecteurs!
S. Salaville.
H. A. Krose. s. J., La statistique des
missions catholiques (trad. de l'alle-
mand), Bruxelles, A. Dewit, 191 1, in-8%
214 pages. Prix : 4 francs.
Dans cet ouvrage, le R. P. Krose prend
le mot mission non pas dans le sens cano-
nique, en tant que s'appliquant à tout ter-
ritoire soumis à la Congrégation delà Pro-
pagande, mais dans le sens usuel, en tant
que désignant l'activité du prosélytisme
catholique en pays non chrétiens. Une inté-
ressante introduction indique les sources
principales de la statistique des missions
catholiques et ce qu'elle a produit jusqu'ici.
Puis une série de chapitres traitent les
questions suivantes : Qu'est-ce que la sta-
tistique des missions? Quel est son objet?
Statistique des recettes et des dépenses des
missions; utilité de la statistique des mis-
sions ; principes pour l'estimation des succès
d'une mission. Enfin, la partie la plus con-
sidérable du volume (p. 83-2 11 ) est consa-
crée à l'état présent des missions catholiques
en Asie, en Australie et Océanie, en Afrique
et en Amérique. On trouvera dans ces pages
des données très précises qui complètent
et corrigent au besoin les Missiones catho-
licœ éditées par la Propagande. Les tableaux
de comparaison avec les missions protes-
tantes seront aussi vivement appréciés.
L'auteur propose à tous les missionnaires
quelques moyens pour arriver à une statis-
tique générale uniforme. Ses observations
à ce sujet nous ont paru très pratiques et
très utiles. Nous n'avons pas de critique
importante à lui soumettre, et nous souhai-
tons volontiers que la traduction française
de son ouvrage contribue au succès des
idées qui l'ont inspiré. PuisqueleR. P. Krose
fait rentrer dans le cadre de son livre l'Asie
antérieure, on se demande pourquoi il en
exclut la partie asiatique du vicariat apos-
tolique de Constantinople, alors qu'il men-
tionne Smyrne, Rhodes, Jérusalem, Mos-
soul . Alep, etc. A signaler quelques graphies
déiectueuses : Aleppo, p. i25. 128; Aleppe
et Mossul, p. 126.
S. Salaville.
R. P. R. SouARN, ex augustinianis ab
i\seumptione , Praxis missionarii in
Oriente servata. Paris, J. Gabalda, 1911,
in- 16 de vi-274 pages. Prix : 2 fr. 5o.
Les questions traitées par le R. P. Souam
ont trait, comme l'indique le sous-titre de
l'ouvrage, aux sacrements, aux rites, à la
communicatio in sacris. Suivent divers
appendices ayant pour objet: r' l'admis-
sion des enfants non catholiques aux écoles
catholiques ; 2° sept décisions récentes ou
anciennes du Saint-Siè.e relatives aux
honoraires de messes envoyés aux clergés
orientaux, à l'obligation de la messe Pro
POPULO pour les curés des Eglises orien-
tales, aux treize articles de la Constitution
Orientalium digmtas, aux pouvoirs ac-
cordés sur mer aux prêtres voyageurs,
aux éclaircissements des S. C. du Concile
et des Sacrements sur le décret Ne temere,
aux mariages mixtes en Hongrie, aux
2^2
ÉCHOS d'orient
écoles d'Orient, catholiques ou non. Ces
décisions sont précédées d'un court proœ-
mium.
Comme le Mémento de théologie morale
à l'usage des missionnaires du même au-
teur, la Praxis i-e termine par une table
analytico - alphabétique . Nous avens le
plaisir de constater qu'un nouveau titre
plus heureux a été substitué à l'ancien.
Toutefois, les quelques autres desiderata
signalés en 1907 {Echos d'Orient, t. X,
p. 192) pourraient être renouvelés au sujet
de la Praxis. Complétant l'observation
que nous soumettions alors à l'auteur tou-
chant les deux décrets mentionnés par
Benoît XIV, dont l'un édicté par saint
Nicolas P' déclare invalide la confirmation
administrée par les popes de Bulgarie et le
second promulgué par Innocent IV pro-
nonce la même sentence d'invalidité con-
cernant la confirmation conférée par les
papas de l'île de Chypre, nous nous per-
mettons de dire à notre confrère qu'un
supplément d'enquête aurait pu le con-
vaincre de l'abrogation implicite de ces
décrets, car celui de saint Nicolas I" a été
publié antérieurement aux accords inter-
venus peu après la mort du pontife entre
Rome et le patriarcat de Constantinople,
dont l'Eglise bulgare fut déclarée partie
intégrante; plus tard, au xiii® siècle, entre
le patriarcat de Tirnovo et le Saint-Siège,
puis de nouveau entre Rome et l'Orient
aux conciles de Lyon et de Florence. Quant
au décret d'Innocent IV, il a également
été révoqué, d'une manière implicite, au
concile de Florence.
A propos des rites orientaux, notre con-
frère croit pouvoir affirmer que, selon l'es-
prit de l'Eglise, ces rites ont le pas sur le
rite latin, quand il s'agit de décider à quel
rite appartiendra un enfant né d'un père
schismatique et d'une mère latine. Solli-
citée dernièrement de donner sur ce point
une réponse générale, la Piopagande a pré-
féré garder le silence. Elle ne partage donc
pas l'avis émis dans la Praxis.
Nous ne voyons pas bien pourquoi le
proœtnium placé en tête des documenta et
décréta n'a pas été uni à l'avant-propos
qui précède le livre.
Nous regrettons, en outre, que l'auteur
n'ait pu se procurer ni la formule abrégée
de l'abjuration des hérétiques et des schis-
matiques, ni les dispositions de la Consti-
tution Eâ semper réglant la question du
rite des parents et enfants ruthènes domi-
ciliés aux Etats-Unis de l'Amérique. Un
autre regret est que la Praxis missionarii
reproduise le long exposé dogmatique du
Mémento concernant 1 indissolubilité du
mariage, exposé d'ailleurs qui ne nous
satisfait pas complètement. Un dernier
regret est que la correction définitive des
épreuves, faites soigneusement par l'au-
teur, ne soit pas arrivée à temps, et que,
par suite de ce contr temps fâcheux, il ait
été mis dans l'impossibilité de prévenir
certaines fautes regret ables dues, les unes,
à l'inadvertance, les autres, opposées aux
règles de la grammaire ou du style. Nous
n'insistons pas sur ces fautes, que le lecteur
corrigera facilement de lui-même.
Il nous tarde maintenant d'affirmer que
ces quelques remarques n'atteignent en
rien le fond même du livre du R. P. Souarn.
Au point de vue de la stàreté des principes,
de l'exposé et du développement des ques-
tions et de l'esprit pratique, la Praxis mis-
sionarii est appelée à rendre de réels ser-
vices dans les pays de mission. Aussi, soit
à cause des documents nombreux com-
mentés dans le cours de l'ouvrage ou ajoutés
en appendice, soit à cause des qualités
signalées et que ne déparent guère quelques
défauts secondaires, nous souhaitons que
cet ouvrage soit bientôt dans la biblio-
thèque des missionnaires et des professeurs
de théologie morale et de droit canon, dont
les recherches seront grandement facilitées
grâce à la table analytique, revue et mise
au point.
A. Catoire
E. Jacquier, Le Nouveau Testament dans
l'Eglise chrétienne, Paris, Gabalda, 191 1,
in-i2 de 448 pages. Prix : 3 fr. 5o.
Après avoir passé en revue les divers tra-
vaux qui ont paru relativement à l'histoire
du Nouveau Testament depu s les premiers
siècles du christianisme jusqu'à nos jours,
l'auteur de cet ouvrage fait remarquer la
manière dont les anciens écrivains citaient
l'Ecriture, précise le sens des mots cano-
nique et apocryphe, et recherche ce qu'ont
de commun les Evangiles et les écrits de
la période post-apostolique.
En ce qui concerne les ressemblances
entre la Didaché et les Epîtres de saint
BIBLIOGRAPHIE
253
Paul, l'auteur, très réservé, l'est peut-être
trop, en n'osant pas conclure à une certaine
dépendance du premier livre à l'égard de
l'autre. Si, en effet, certaines ressemblances
sont vagues, comme il le dit, d'autres —
assez nombreuses — sont merveilleuses de
précision (p. 70). Cette concordance ne
peut donc bien s'expliquer sans une cer-
taine dépendance.
D'une façon générale, il faut louer M. Jac-
quier de sa constante préoccupation de ne
pas outrepasser dans ses conclusions les
limites des preuves fournies. Qu'il s'agisse,
en effet, de la préparation, de la formation,
de la promulgaiion ou de la définition du
canon du Nouveau Testament par le con-
cile de Trente, l'auteur expose les données
positives relatives à chacune de ces ques-
tions avec une très grande exactitude, en
s'efforçant de le aire très brièvement, trop
brièvement parfois, de façon à présenter
son ouvrage comme un recueil de témoi-
gnages plutôt que comme une discussion
complète des passages douteux des livies
cités.
J'attirerai cependant son attention sur
deux points: i^ Parlant du fragment de
Muratori, l'auteur affirme incidemment
que la Sagesse peut très bien être l'oeuvre
de Philon (p. 206). Il y a cependant de
! rès grandes différences entre la conception
de la Sagesse d'après Philon, et la concep-
tion de la Sagesse d'après l'auteur de ce
livre. Ces divergences, l'auteur ne les dis-
cute pas; il est donc mal fondé à présenter
son affirmation sous la forme trop peu
p^dubitative qu'elle revêt.
2° De même, il est exagéré de dire (p. 42 1 ) :
"« De nos jours, presque tous les critiques
catholiques et quelques critiques protes-
ttan.s ont cru quel epître aux Hébreux était
[de saint Paul, les uns immédiatement, les
[autres médiatement, suivant la conclusion
[d'Origène. » En réalité, c'est là l'opinion
td'un certain nombre de critiques catho-
lliques, non de presque tous. D'un autre
[côté, les arguments philologiques sur les-
[quels on se fonde pour étayer l'opinion
contraire sont trop forts pour que l'on n'en
[tienne pas compte dans un précis historique
[de la question tel que celui que renferme
[ce livre. ^
Ces quelques remarques faites, nous
idevons louer l'auteur d'un travail critique
tsi consciencieux. Cet ouvrage complète
très heureusement son étude déjà si docu-
mentée des Evangiles, et sera suivi prochai-
nement d'une étude relative à l'authenticité
des écrits néo-testamentaires qui sera, nous
l'espérons, le digne couronnement des pré-
cédentes.
En attendant, nous tenons à faire remar-
quer dans cet e revue toute consacrée aux
questions orientales que, d'après ce critique
— comm • d'après tant d'autres qui ont
suivi en cela 5sicéphore Calliste, — « le
canon du Nouveau Test ment dans l'Eglise
d'Orient est le même que celui que nous
avons déjà trouvé dans l'Eglise d'Occi-
dent »; constatation très importante à faire
pour ceux qu'intéresse l'étude de l'exégèse
en Orient.
E. MONTMASSON.
E. Mangenot, La Résurrection de Jésus,
suivie de deux appendices sur la Cruci-
fixion et l'Ascension. Paris, G. Beau-
chesne et C'*, 19 10. In- 12, 402 pages.
Prix : 3 fr. 5o.
En se plaçant sur le double terrain de
la critique exégétique et de l'apologétique,
mais surtout de l'apologétique, M. Man-
genot examine le fait de la résurrection de
Jésus; il l'étudié en suivant l'ordre chro-
nologique, d'abord dans saint Paul, puis
dans les récits évangéliques. Enfin, deux
longs appendices sur la Crucifixion et l'As-
cension de Jésus sont, le premier, un pré-
liminaire, et le second un corollaire de la
Résurrection .
L'auteur, qui a déjà publié les éléments
de cet ouvrage dans la Revue pratique
d'apologétique au cours des années 1908
et 1909, y expose généralement avec beau-
coup de fidélité les opinions des adversaires.
C'est là, pour un critique, un mérite de
premier ordre, et nous tenons d'abord à
le relever. De plus, en exégète subtil, il dis-
cute le texte sacré en serrant de près les
expressions caractéristiques de l'idée prin-
cipale qu'il veut mettre en relief. Toutefois,
il ne prétend pas être complet ni au point
de vue historique ni au point de vue exé-
gétique. Rien d'étonnant à cela, il ne s'est
pas proposé de l'être. Aussi bien, nous ne
lui ferons pas un reproche d'avoir, par
exemple, omis de signaler avec plus de
détails la théorie de M. Le Roy sur la con-
ception générale de la matière, base de la
2=)4
ECHOS D ORIENT
théorie de cet auteur sur la Résurrection.
Bien au contraire, nous pensons que. étant
donné son but surtout apologétique ip. 6),
l'auteur a été très suffisamment complet.
Mais c'est précisément dans le cadre res-
treint où il s'est renfermé que nous sui-
vrons l'auteur pour lui faire les quelques
observations suivantes :
i-^ P. 36-3-: Pour prouver que le verbe
sTàisr, désigne une sépulture honorable,
dans la langue du Nouveau Testament, il
ne suffit pas de rappeler que c'est le verbe
qui a été employé pour désigner l'enseve-
lissement de David et du riche dans la
parabole de Lazare; il faudrait, de plus,
montrer que, pour désigner l'ensevelisse-
ment dans la fosse commune, un autre
verbe est ordinairement employé. Or, ce
supplément de preuve, M, Mangenot ne
le fournit pas.
2" P. 81-82 : L'auteur affirme, mais sans
le prouver nettement, que l'indication chro-
nologique de / Cor. XV, 4 : xa-rà ràç Ypaciâî,
ne se rapporte pas à tçitv, t->, r^aspa, mais
à àv£ffTT,. Pourquoi donc, placée immédia-
tement après àv£<7TTi TOiTY, TT, T^uÉpa, cctte
expression ne se rapporterait-elle pas à la
fois à àvsffTr, et à to-'ty, ty, 7;a£07.?
3° p. 84: Sans l'affirmer positivement
— et tout en excluant avec soin cette idée
de la pensée de saint Paul — M. Mangenot
laisse entendre que le texte d'Isaïe, xr, 10:
Et erit sepulcrum ejus gloriosum, son
séjour sera glorieux, a quelque valeur
pour signifier la résurrection de Jésus. Or,
qui ne voit que le mot séjour peut désigner
ici la Palestine entière, et que la gloire dont
il est question peut avoir été antérieure ou
bien postérieure à la Résurrection, c'est-
à-dire avoir pu éclater par exemple dans
les triomphes ultérieurs de l'Eglise? Ce
texte est donc trop vague pour prouver la
résurrection de Jésus et la critique de M. Le
Roy sur ce point est, croyons-nous, suffi-
samment justifiée. (Cf. Le Roy, Dogme et
Critique, p. 174.)
-h" p. i65: Nous pensons, avec M?'' La-
deuze, que l'expression c^a/r et sang^da^ns
II Cor. XV, 5o, signifie nature viciée plutôt
que organisme physique et principe de
vie, pour deux raisons : a) c'est le sens qu'a
d'ordinairecetteexpression dans saint Paul ;
b) le contexte ne s'y oppose pas, car bien
que l'idée générale du passage soit simple-
ment l'opposition établie par saint Paul
entre le corps mortel actuel et le corps
immortel futur, l'Apôtre indique claire-
ment la cause de cette mortalité et, partant,
caractérise la nature de ce corps quand il
dit au verset 56 : l'aiguillon de la mort,
c'est le péché.
5*^ P. 327 : Il est exagéré d'affirmer que
la résurrection des corps est clairement
mentionnée dans Job (xix, 23-27 '• Certes, il
est bien plus probable, nous en convenons,
que l'auteur de ce livre parle de la résur-
rection de la chair que de la guérison de
Job. Pourtant, ce n'est pas certain ; car
pour que cette opinion devînt une certi-
tude, il faudrait : a) connaître avec préci-
sion l'auteur du livre, et, partant, la date
approximative de sa composition : connais-
sances précises que l'on n'a pas; b) prouver
que, à cette date, cet auteur, non seulement
pouvait connaître la doctrine de la résur-
rection de la chair, mais que, de fait, il la
connaissait : preuve qui fait défaut.
De plus, sur cette question, un doute
grave peut encore subsister, car Job exhale
son désespoir au sujet de son avenir quand
il dit (xiv, 7, 8, 10, 12) : Un arbre a de l es-
pérance: coupé, il peut verdir encore; dès
qu'il sent l'eau, il reverdit Mais l' homme
meurt, et il reste étendu // ne se réveil-
lera pas tant que subsistera le ciel, il ne
sortira pas de son sommeil. On avouera
sans peine que la comparaison avec l'arbre
coupé ne laisse aucun doute ici sur la vraie
pensée de Job (xiv, 7, 8, 10), et crée, au
contraire, un doute sérieux sur le sens de
Job (XIX, 26-27).
Ces quelques remarques faites, je ne
m'attarderai ni à signaler à l'auteur une
forme verbale plutôt extraordinaire : sous-
traya (p. 392), ni à lui faire remarquer les
lacunes d'ordre plutôt psychologique que
la sse subsister sa méthode purement exé-
gétique et critique dans l'examen des théo-
ries relatives aux visions de saint Paul.
Lui-même, sans doute, les a pressenties,
et c'est peut-être pour cette raison que,
contrairement à cette méthode, parfois il
s'oublie, notamment dans l'étude des corps
ressuscites, à faire de la philosophie
sans le savoir!
E. MONTMASSON.
H. Leroy, S. J., Jésus-Christ, sa vie, son
temps (XVe volume des Leçons d'Ecri-
ture Sainte, année 1909), Paris, G. Beau-
BIBLIOGRAPHIE
235
chesne, 1910, in-i8 jésus, de 402 pages.
Prix : 3 francs.
Nous ne saurions dire tout le bien que
nous pensons de ces dix leçons d'Ecriture
Sainte, où la science exégétique et théolo-
gique, l'esprit de piété, une forme à la fois
sobre et élégante s'harmonisent si bien.
L'auteur commente ce qu'il y a de plus
beau et de plus divin dans l'Evangile; les
discours de Jésus avant et après la Cène.
Le texte évangélique l'amène à parler de
l'Eucharistie, de la grâce, de la primauté
de Pierre, surtout du mystère de la Trinité.
Sur tous ces hauts sujets, il résume admi-
rablement, en un style très clair et très
précis, la doctrine catholique.
Les pensées profondes, qui s'imposent
à la méditation, abondent dans l'ouvrage.
Je n'en rapporterai qu'une seule, qui m'a
particulièrement frappé. L'auteur déclare
que la prospérité de l'Eglise et son exten-
sion dans le monde sont en étroite dépen-
dance avec la perfection plus ou moins
grande avec laquelle les chrétiens, pasteurs
et fidèles, observent le grand précepte de
la charité et de l'union fraternelle. Faisant
l'application de ce principe à l'histoire de
l'Eglise orientale, il écrit :
« L'Eglise d'Orient, par sa position géo-
graphique, paraît bien avoir eu pour mi -
sion de convertir le continent asiatique.
Elle aurait ainsi épargné au monde civilisé
le fanatisme, la barbarie et la profond ;
immoralitéde l'Islamisme ; enlevé pour une
bonne part leur caractère sanguinaire et
persécuteur aux invasions des Tartares. des
Mongols, des Turcs et des autres peuples
de l'Asie centrale. L'entrée de la Chine
dans l'Eglise catholique n'aurait peut-être
pas supprimé le danger que l'on est con-
venu d'appeler le péril jaune, mais elle en
eût du moins singulièrement atténué la
gravité, par cela seul qu'il ne serait pas
une menace contre la religion et la civili-
sation chrétiennes. Il est probable que le
catholicisme n'aurait pas tardé à franchir
les îles océaniennes du sud-est de l'Asie, et
l'on peut croire que les Eglises de l'Afrique
du Nord, tranquilles et prospères, eussent
fait pénétrer la lumière de l'Evangile jus-
qu'au cœur de la grande péninsule.
» Mais à peine la victoire de Cons-
tantin a-t-elle fermé l'ère des persécutions,
qu'éclatent les rivalités entre les patriarches
de Constantinople, de Jérusalem, d'An-
tioche, d'Alexandrie et les divisions des
différentes Eglises prenant fait et cause
pour leur métrtjpolitain ; l'ambition des
patriarches de Constantinople et feur ja-
lousie à l'égard des pontifes romains; l'im-
mixtion des empereurs de Byzance dans
les affaires ecclésiastiques et les troubles
qui en résultent; les querelles'théologiques
poussées par l'esprit d'orgueil et de parti
jusqu'aux dernières limites de l'argutie, de
la haine, de l'entêtement et de la mauvaise
foi, et engendrant à jet continu les schismes
et les hérésies. Les siècles passent et les
conflits succèdent aux conflits, les divisions
aux divisions, préparant la grande apostasie
commencée par le patriarche Photius au
ix« siècle, et consommée au xi^ par Michel
Cérulaire. »
Il serait difficile de dire mieux et si briè-
vement tant les causes des schismes orien-
taux que leurs funestes effets pour l'Eglise
de Dieu. L'auteur a trouvé dans l'Evangile
un principe lumineux pour faire la philo-
sophie de l'histoire de l'Eglise.
M. JUGIE.
K. A. H. Kellner, Heortologie oder die
geschichtliche Entwicklung des Kirchen-
jahres und der Heiligenfeste von den
œltesten Zeiten bis ^ur Gegenwart. Dritte,
verbesserteAuflage.Fribourg-en-Brisgau,
Herder, 1911, in-S-', xv-3i8 pages. Prix:
7 marks.
Nous avons dit plus haut (p. 225) la grande
valeur de cet ouvrage, en annonçant la tra-
duction française publiée par le R. P. Bund.
Ayant reçu depuis la troisième édition
allemande, nous nous empressons de la
signaler à nos lecteurs. Ils y trouveront
quelques additions concernant par exemple
les fêtes qui forment couronne autour de
Noël, les dévotions mariales, les fêtes
d'apôtres. A signaler aussi, p. 3o5-3o8, un
Excursus intitulé : La légende de sainte
Ursule et les livres liturgiques. Ce qui est
dit, p. 6, de Compiles au temps aposto-
lique (?) est à rectifier, au même titre que
le passage correspondant de la traduction
française, p. 12. L'avant-propos nous ap-
prend l'existence d'une nouvelle traduction
en espagnol de cet excellent ouvrage, dont
le succès est des plus mérités.
S. Sala VILLE.
256
ÉCHOS D ORIENT
G. Rauschen, Eucharistie und Buss sakra-
ment in den ersten sechs Jahrhunderten
der Kirche, 2" édition, corrigée et aug-
mentée. Fribourg-en-Brisgau, Herder,
1910, in-8°, viii-252 pages. Prix : 4 marks.
Notre bulletin de liturgie a signalé ci-
dessus, p. 223-224, cette seconde édition
d'un ouvrage estimé. Nous ne voulons que
réparer un oubli en indiquant ici le titre,
l'adresse et le prix de cet excellent volume
de la librairie Herder. S. S.
A. Baudrillart, a. Vogt, U. Rouziès,
Dictionnaire d'histoire et de ge'ographi?
ecclésiastiques, fasc. III et IV : Adulphe-
Aix-la-Chapelle. Paris, Letouzey et Ané,
191 1. Prix : 5 francs le fascicule
La longue liste des collaborateurs de ces
deux fascicules dit assez le soin des direc-
teurs à répartir le travail suivant les com-
pétences. Dans ce grand nombre de notices
biographiques, historiques, géographiques,
l'Orient occupe une large place. Les articles
qui le concernent sont signés : Ermoni,
Froidevaux, Jugie, Karalevsky (C. Charon),
Montmasson, Nau, Palmieri, Petit, Pé-
tridès, Salaville, Tournebize, Vailhé, au-
tant de noms qui ne sont pas inconnus
aux lecteurs des Echos d'Orient. Les articles
sont généralement courts, comme il con-
vient à un répertoire de ce genre. Signa-
lons cependant l'importante monographie
consacrée, col. yoS-Sôi, au mot Afrique,
par M. AudoUent, professeur à l'Université
de Clermont, spécialiste éminent à qui la
direction ne peut que se féliciter d'avoir
confié les notices sur les personnes et les
choses de l'histoire africaine. Pour des tra-
vaux de cette étendue, il est regrettable
que, dans ce Dictionnaire pas plus que dans
les autres qui l'ont précédé, les éditeurs ne
se préoccupent pas de faire ressortir davan-
tage les subdivisions et les sous-titres des-
tinés à servir de points de repère aux yeux
et à l'esprit. Pour donner une idée de la
quantité de renseignements à chercher le
long de ces colonnes très denses, voici l'in-
dication des sujets traités au mol Afrique :
Introduction du christianisme, les pre-
miers martyrs, Tertullien, le montanisme,
l'époque de saint Cyprien, le donatisme,
saint Augustin, les hérésies, les Vandales,
la période byzantine, la conquête arabe,
organisation del'épiscopat. M. Froidevaux,
proiesseur à l'Institut catholique de Paris,
prenant l'histoire d'Afrique au point où l'a
laissée M. AudoUent, nous donne ensuite,
col. 861-871, un aperçu sur l'histo re du
christianisme africain au moyen âge et aux
époques moderne et contemporaine. De
bonnes cartes permettent de suivre sans
peine ces intéressantes données. Belles
études, mais où l'on aimerait que quelques
titres bien en saillie viennent par intervalles
orienter les recherches.
Après avoir exprimé encore un desi-
deratum concernant l'uniformité dans la
transcription française des noms grecs ou
latins (on trouve, par exemple, col. 921-922,
Agathope et Agathopus pour deux person-
nages appelés l'un et l'autre, en grec, 'Aya-
0Ô7rou;\ il ne nous restera qu'à affirmer une
fois de plus que ce Dictionnaire a sa place
obligée dans toute bibliothèque où l'on
tient à mettre à la disposition des chercheurs
tous les bons instruments de travail. En
matière d'histoire et de géographie ecclé-
siastiques, celui-ci est désormais indispen-
sable. S. Salaville.
H. CoNNELLY, .4 Homily of Mâr Jacob of
Serûgh on the mémorial of the departed
and on the eucharistie loaf. Entrait de
Downside Review, décembre 19 10, in-S",
1 1 pages.
Dom Conneliy publie, en traduction
anglaise, une homélie métrique de Jacques
de Saroug (451-521) sur la mémoire des
défunts et le pain eucharistique. Le texte
syriaque a été édité par le R. P. Paul Bedjan,
Homiliœ selectœ Mar Jacobi Sarugensis,
t. I, Paris, 1905, p. 535-550, et Acta mar-
tyrum et sanctorum, t. V, 1895, p. 615-627.
C'est une très intéressante exhortation à
garder fidèlement l'usage de l'offrande pour
les défunts, en vue d'obtenir que Dieu leur
applique les fruits du Saint Sacrifice. On
notera, p. 9, l'idée de la coopération eucha-
ristique des trois personnes divines asso-
ciée à celle de l'épiclèse. Liturgistes et théo-
logiens ne peuvent qu'être reconnaissants
au savant Bénédictin anglais de les faire
bénéficier des richesses de la littérature
ecclésiastique syriaque.
S. Salaville.
83i
II. — Inip. P. Feron-Vrau, 3 et b, rue Bayard, Paris, VIII*. — Le gérant : E. Petithenrt.
L'ÉPISCOPAT DE NESTORIUS
1. La chasse aux hérétiques.
L'évêque de Constantinople, Sisinnius,
était mort à la fin de l'année 427. Sa suc-
cession était fort convoitée par le clergé de
la capitale, qui parait avoir désiré de tout
temps cette bonne chose qu'est l'épis-
copat. Le nombre des candidats fut si
nombreux, les intrigues si compliquées,
que Thédose II ne vit d'autre moyen de
pourvoir le siège vacant que de chercher
un sujet en dehors du clergé constantino-
politain. Nestorius raconte lui-même, dans
le Livre d'Héraclide, comment l'empereur
fut amené à faire choix de sa personne.
Voici une partie du discours qu'il lui fait
tenir à l'archimandrite Dalmace, venu
avec ses moines pour demander la con-
firmation de la sentence portée à Ephèse :
J'attendais que vous choisissiez paisible-
ment, de crainte que la hâte ne vous égarât
au sujet de l'élu. Mais vous avez choisi,
direz-vous, et je n'ai pas accepté votre choix!
Veux-tu que je te dise quelque chose sur
vous autres? Dirai-je l'empressement, les
courses, les présents, les promesses, les ser-
ments de ceux qui voulaient trafiquer de
l'épiscopat? Parmi ceux-là, lequel vouliez-
vousqui fùtévéque 1^ iMais je passe là-dessus;
quel choix ratifier : le tien, ou celui-ci, ou
celui-là ? Car les candidats étaient nombreux
et non choisis parmi les meilleurs. Chacun
portait aux nues son candidat et dénigrait
celui des autres. Vous n'avez jamais pu
vous entendre sur un seul nom. L'élu du
I peuple ne vous agréait point. J'ai lu devant
vous le verdict du peuple sur chacun de
ceux qui avaient été choisis. Que devais-je
donc faire que je n'aie pas faii? Vous,
moines, vous n'étiez pas d'accord avec le
clergé; le clergé, d'ailleurs, n'était pas una-
nime; les évêques étaient divisés; le peuple
l'était aussi Même alors, je ne me suis
oas arrogé le pouvoir de faire moi-même le
-hoix, mais je vous l'ai laissé.
(i) Cette étude est tirée d'un ouvrage sur Nesto-
lus qui paraîtra prochainement.
Echos d'Orient, 14' année. — N' go.
Comme vous n'arriviez à rien, vous êtes
tous venus et vous m'avez laissé libre de
choisir celui que je voudrais. Après m'être
laissé vaincre avec peine par vos instances,
j'ai pensé qu'il ne convenait pas de choisir
quelqu'un d'ici, de crainte qu'il ne soulevât
contre lui des inimitiés et des haines; car
vous vous haïssiez tous les uns les autres,
comme si vous aviez tous été intéressés à
cette aff"aire. Je me mis à chercher un
homme étranger, inconnu de ceux d'ici et
qui ne les connaissait pas, un homme
illustre par sa parole et par ses œuvres. On
me fit savoir qu'il y en avait un de ce genre
à Antioche; c'était Nestorius. Je l'envoyai
chercher, au grand regret de toute cette ville.
Néanmoins, je le fis venir pour votre propre
avantage, qui m'était pluscherque le leur(i).
On conviendra que celui qui met sur
les lèvres de Théodose 11 ce piquant récit
n'était pas atteint de fausse humilité.
D'après la légende syriaque, le nouvel
élu, en se rendant à Constantinople, s'ar-
rêta deux jours à Mopsueste, chez son
ancien maître Théodore. Celui-ci lui fit de
sages recommandations, et le prémunit
en particulier contre les dangers d'un zèle
indiscret.
« Je te connais, ô mon fils, lui dit-il ; il
n'y a pas de femme qui ait enfanté un
homme aussi zélé que toi; c'est pourquoi
je te recommande de modérer ton zèle
pour combattre les opinions des autres;
car, de même que l'homme qui possède
une fille vierge et fort belle, d'une part se
réjouit de sa beauté, et, d'autre part, craint
qu'elle ne tombe entre les mains d'hommes
vains et qu'elle ne soit déshonorée à cause
même de sa beauté ; de même, je me réjouis
de ton zèle, et cependant je crains que tu
ne périsses par le fait d'hom mes méchants. »
Nestorius lui répondit : « Maître, qu'est-ce
que tu me dis ? Si tu avais vécu du temps
de Notre-Seigneur, il t'aurait été dit : Est-ce
que vous aussi vous voulez vous en aller?
La venue de Notre-Seigneur a donné de la
II) Le Livre d'Héraclide, traduct. Nau, p. 243 244.
Septembre igii.
238
ECHOS D ORIENT
viande à manger; l'estomac qui la prend
se nourrit et celui qui ne la prend pas
s'épuise. » Après avoir reçu beaucoup de
recommandations, il se remit en route (i).
Ce récit ressemble trop à une prophétie
pour qu'on n'éprouve pas quelque doute
sur sa véracité. L'indiscrétion dans le zèle,
tel fut, en effet, le défaut que Nestorius
afficha dès le début de son épiscopat. Il
fut consacré le 10 avril 428 (2). Ce jour-là
même, il prononça son premier discours
au peuple, et, interpellant l'empereur, il
s'écria :
« Donne-moi, ô empereur, un pays purgé
d'hérétiques, et je te donnerai le ciel en
échange; extermine les hérétiques avec moi,
et moi j'exterminerai les Perses avec toi. »(3)
Si quelques-uns des assistants, dit Socrate,
qui rapporte ce propos, accueillirent ces
paroles avec plaisir, à cause de leur hostilité
pour les hérétiques, il n'en fut pas de même
de ceux qui savaient discerner le caractère
d'un homme d'après ses paroles; il ne leur
échappa point qu'ils avaient affaire à un
homme irréfléchi, violent et vaniteux.
Avant même qu'il eût eu le temps, comme
dit le proverbe, de goûter l'eau de la cité,
il se déclarait persécuteur acharné (4).
Les ariens furent les premières victimes
de son zèle. Le cinquième jour après son
ordination, il voulut détruire l'oratoire
dans lequel ces hérétiques avaient l'habi-
tude de se réunir pour prier en secret.
Poussés à bout par le désespoir, les ariens
y mirent eux-mêmes le feu, qui s'étendit
à quelques maisons environnantes et
faillit causer de grands dégâts. Les Con-
stantinopolitains en furent quittes pour la
peur, mais le surnom d'incendiaire s'at-
tacha dès lors au fougueux évêque qui
(i ) M. Brière, la Légende syriaque de Nestorius,
dans la Revue de l'Orient chrétien, t. XV, p. 19.
(2) C'est la date donnée par Socrate. Libératus,
dans son Breviarium, c. iv, indique k i" avril,
et certains historiens lui donnent raison, parce que
les évêques de Constantinople étaient habituelle-
ment consacrés un dimanche. Or, le i" avril 428
tombait un dimanche, tandis que le 10 avril était
un mardi. La raison n'est pas apodictique.
(3) Socrate, Hist. ecclés., 1. VII, c. xxix. P. G.,
t. LXVII, col. 804 B.
(4) Ibid.
avait occasionné par sa faute ce commen-
cement d'incendie (i).
Il voulut aussi, dit Socrate, tourmenter
les novatiens, jaloux de la réputation de
piété dont jouissait Paul, un de leurs
évêques, mais les remontrances des princes
arrêtèrentson impétuosité. Quantaux maux
nombreux dont il affligea les Quartodéci-
mans dans l'Asie, la Lydie et la Carie, et
au grand nombre de ceux qui trouvèrent
la mort à cause de lui dans la sédition qui
eut lieu à Milet et à Sardes, je veux le
passer sous silence (2).
Des troubles semblables éclatèrent dans
l'Hellespont, où un certain Antoine,
évêque de Germa, imitant l'exemple de
Nestorius et prétextant ses ordres, paya
de sa vie les persécutions qu'il flt subir
aux Macédoniens. Pour les punir de ce
meurtre, Nestorius obtint des empereurs
que les églises que ces hérétiques possé-
daient à Constantinople, à Cyzique et
dans l'Hellespont leur fussent enlevées (3).
Bientôt, du reste, tous les hérétiques de
l'empire, à l'exceptiondespélagiens, furent
atteints par les peines sévères que Théo
dose 11 porta contre eux par la loi du
30 mai 428, due à l'influence de Nesto-
rius (4).
Le terrible prélat déploya, contre tout
ce qui lui parut un dérèglement, aussi
bien dans les mœurs publiques que dans
la conduite des clercs, la même ardeur
indiscrète qui l'animait à l'égard des héré-
tiques.
Il supprima, dit la légende syriaque, les
jeux, les théâtres, les chants, les concerts,
(1) Socrate, col. 804 C.
(2) Ibid., col. 8o5 A.
(3) Ibid., col. 808.
(4) C'est bien à Nestorius qu'il faut attribuer
l'initiative de cette loi. 11 le déclare lui-même dans
un passage d'une de ses œuvres, la Tragédie,
conservé dans le Synodicon Cassinense : Ad hœc
inveniens [Cyrillus] viri illius simplicitatem {Cœ-
lestini) circumfert pueriliter aures ejus illusio-
nibus litterarum, olim guident nostra conscripta
transjnittetis, quasi ad demonstrationem convic-
tionum quibus contradici non posset, tamquam ego
Christum purum hominem dejinirem qui certe
legem inter ipsa meœ ordinationis initia contra
eos qui Christum purum hominem dicunt et contra
reliquas hœreses innovavi. Loofs, Nestoriana,
p. 204-205.
l'épiscopat de nestorius
259
les danses et tous les amusements dont
s'occupaient les Romains; et, à cause de
cela, la ville conçut contre lui une haine
profonde, de telle sorte qu'ils en vinrent
même jusqu'à prendre leurs meubles et à les
jeter dans la mer, en disant: « C'est à cause
de Nestorius que nous agissons ainsi. » Bien
que la ville l'eût ainsi en haine, l'empereur
cependant l'honorait et l'aimait d'une façon
particulière (i).
Il s'attaqua aussi, s'il faut en croire la
Lettre à Cosme et l'historien nestorien
Mari, aux vices du clergé et des moines (2),
et il s'aliéna l'impératrice Pulchérie.
Elleavaitrhabitudededîner,le dimanche,
au palais épiscopal, après avoir reçu la com-
munion. Nestorius ne l'admit pas, et il en
résulta un grand bruit contre lui de la part
des clercs et de toute la cour. De plus, il
fit effacer l'image de l'impératrice, qui était
peinte au-dessus de l'autel ; cela le fit presque
chasser de l'église. Il fit enlever l'étole de
Pulchérie, qui était tantôt étendue sur
l'autel, tantôt portée par elle.
En la grande fête de Pâques, l'empereur
avait coutume de recevoir la communion
dans le Saint des saints; Pulchérie désira
le même privilège et l'obtint de l'évêque
Sisinnius. Mais Nestorius n'admit pas cela ;
un jour qu'elle se dirigeait, selon sa cou-
tume, vers le Saint des saints, il la vit et
demanda ce que cela signifiait; l'archidiacre
Pierre lui exposa la chose. Nestorius courut;
il la rencontra à la porte du Saint des saints
et l'arrêta et ne lui permit pas d'entrer.
L'impératrice fut irritée contre lui et lui
dit : « Laisse-moi entrer selon ma coutume. »
Mais il lui dit : « Ce lieu ne doit être foulé
que par les prêtres. » Elle lui dit : « Est-ce
parce que je n'ai pas enfanté Dieu? » Il lui
dit : « Toi, tu as enfanté Satan », et il la
chassa de la porte du Saint des saints (3).
II est difficile de dire dans quelle mesure
ces anecdotes sont exactes. Ce qui est
certain, c'est que Pulchérie se montra,
(il M. Brière, loc. cit., p. 19.
(2) Lettre à Cosme, dans le Lii^-e d'Héraclide,
édit. Nau, p. 363.
(3) Lettre à Cosme, p. 363-364. Plusieurs de ces
anecdotes sont rapportées par Mari. La légende
syriaque mentionne celle qui a trait au portrait
de Pulchérie.
dès le début de la controverse sur le
tbéotocos, l'adversaire de Nestorius. Celui-ci
fait allusion, dans le Livre d'Héraclide, à
certains démêlés qu'il a eus avec elle, et
lance contre elle de graves accusations.
Vous aviez avec vous contre moi une
femme belliqueuse, une reine, jeune fille
vierge, qui combattait contre moi, parce
que je ne voulais pas accueillir sa demande
de comparer à l'épouse du Christ une per-
sonne corrompue par les hommes. Je l'ai
fait, parce que j'avais pitié de son âme et
pour ne pas faire des victimes de ceux
qu'elle choisissait criminellement. Je ne
fais qu'indiquer ceci, car elle m'aimait;
aussi je passe sous silence le reste de sa fai-
blesse d'esprit de jeune fille et je le tais.
C'est pour cela qu'elle a lutté contre moi ( i).
Il défendit d'accepter des dons à l'occa-
sion du sacerdoce, et mécontenta par là
plusieurs évêques. D'après ce qu'il raconte
lui-même, il s'attira l'inimitié de saint
Cyrille, en ne lui envoyant pas les eulo-
gies d'usage après sa consécration épisco-
pale (2). Il présente ce fait comme ayant
été la cause déterminante des accusations
d'hérésie que l'évêque d'Alexandrie porta
contre lui. Mais c'est là, comme on va le
voir, une interprétation mesquine et tout
à fait insuffisante de la conduite de Cyrille.
II. Les débuts de la controverse
SUR LE « THÉOTOCOS »
Qui aurait dit que celui qui poursui-
vait l'hérésie avec tant de rigueur allait
(i) Le Livre d'Héraclide, p. 89. Les auteurs jaco-
bites accusent aussi Pulchérie de fautes contre les
mœurs, mais leur témoignage est plus que suspect.
Celui de Nestorius appelle aussi des réserves. Il
ne faut pas oublier que le Livre d'Héraclide est
une apologie personnelle sans sérénité, où les
événements sont parfois travestis et où abondent
les jugements téméraires.
(2j « Déjà, auparavant, il avait été blessé par moi
et il ne cherchait qu'un prétexte, parce qu'il n'avait
pas reçu de ce qu'on appelle eulogies. Il était
aussi froissé de ce que je n'aidais pas ses clercs. »
{Ibid., p. 92.1 Dans une lettre à Jean d'Antioche,
saint Cyrille déclare que Nestorius a considéré ses
démarches auprès de lui comme inspirées par la
malveillance : à),).' ïxtï iasv wt;ot, -zx-Z-x vpiçovr*
8-j<TtjL£vf.. Epist. XH, P. G., t." LXXVll, col. 96 A.
2b0
ECHOS D ORIENT
être bientôt lui-même rangé au nombre
des hérétiques? C'est que, sans s'en dou-
ter, ce fidèle disciple de Théodore de
Mopsueste portait en lui une pensée hété-
rodoxe. Aussi son étonnement fut grand
quand il se vit accusé d'hérésie; il nous
l'apprend lui-même dans une lettre à Jean
d'Antioche :
Je croyais que les hommes auraient pu
lancer plus facilement contre moi toute
autre calomnie que celle d'avoir des senti-
ments contraires à l'orthodoxie, moi qui
mène jusqu'à ce jour la lutte contre tous
les hérétiques et me réjouis des nombreuses
inimitiés que je m'attire par cette con-
duite (i).
Nestorius avait emmené à Constanti-
nople un de ses amis d'Antioche, le prêtre
Anastase, dont il fit son conseiller intime.
Un jour, c'était vers la fin de 428, ce per-
sonnage, prêchant dans l'église en pré-
sence de l'évêque, s'écria : « Que personne
n'appelle Marie mère de Dieu, Osotôxoç,
car Marie appartenait à la race humaine;
or, il est impossible que d'une créature
humaine puisse naître un Dieu. » (2).
Ces paroles causèrent un grand émoi
dans l'assistance, tant parmi les clercs
que parmi les laïques; des protestations
énergiques se firent entendre. On croyait
que Nestorius allait désapprouver le pré-
dicateur. Mais il n'en fit rien; tout au
contraire, il prit lui-même la défense
d'Anastase et confirma ce qu'il venait de
dire.
Que Marie ne fût pas, à proprement
parler, mère de Dieu, Théodore de Mop-
sueste l'avait dit à plusieurs reprises
dans ses ouvrages. « C'est une folie,
avait-il écrit, de dire que Dieu est né de
la Vierge »(3); et encore: «Celui qui est
né de la Vierge est celui qui est de la sub-
stance de la Vierge, mais Dieu le Verbe
(1) Epistola ad Joan. Antiochenum. Loofs, op.
cit., p. i83.
(2) SocRATE, VII, 32, col. 8o8.
(3) Est dementia Deum ex Virgine natum esse
dicere. Fragmenta dogmatica. P. G., t. LXVl,
col. 993 C.
n'est pas né de Marie. » (i) Le docteur
antiochien avait concédé cependant que
la Vierge pouvait être appelée Théotocos
en un certain sens:
Si l'on me demande: Marie est-elle mère
de l'homme ou mère de Dieu, anthropo-
tocos ou théotocos? je répondrai que j'ad-
mets les deux termes. La Vierge est anthro-
potocos par la nature même de son enfan-
tement; elle est théotocos en vertu d'une
relation. Elle est anthropotocos par nature,
puisque celui qui était dans son sein et en
sortit était un homme; elle est théotocos.
puisque Dieu était dans l'homme enfanté,
sans être circonscrit par lui (2).
C'est en réfutant le monophysisme
apoUinariste que les docteurs d'Antioche
avaient été amenés à contester à la Vierge
Marie le titre de Osotôxo?. Profondément
pénétré de leur doctrine, Nestorius résolut
de la faire prévaloir à Constantinople, et
d'instruire un peuple « fort dévot à la
vérité, mais peu éclairé, à qui ses docteurs
antérieurs n'avaient pas pris le temps, à
l'en croire, de donner une connaissance
exacte des dogmes chrétiens (3) ».
Déjà, à Antioche, il avait eu l'occasion
de combattre les apollinaristes et de rejeter
le BsoTÔxo; sans avoir soulevé de protes-
tation.
Pourquoi m'appelles-tu « inventeur de
nouveautés », écrit-il dans le Livre d'Hé-
raclide, en s'adressant à Cyrille, moi qui
n'ai jamais lancé une telle question, mais
qui l'ai trouvée à Antioche? Dans cette
ville, j'ai enseigné et parlé sur ces matières,
et personne ne m'a blâmé; je pensais que
ce dogme était déjà rejeté (4).
Le scandale provoqué à Constantinople
par le discours du prêtre Anastase et l'at-
titude de Nestorius ne fut pas petit. Bientôt
la ville fut divisée en deux camps. Les
uns, dociles à l'enseignement traditionnel
qu'ils avaient reçu, soutenaient énergi-
(1) Natus est ex Virgine qui ex substantia Vir-
ginis constat, non Deus Verbum ex Maria natus
est. Ibid., coi. 994 B.
(2) Ibid., col. 992 BC.
J3) LooFS, p. 283. On voit l'euphémisme auquel
recourt Nestorius pour accuser ses prédécesseurs.
(4) Le Livre d'Héraclide, p. 91.
L EPISCOPAT DE NESTORIUS
261
quement que Marie était mère de Dieu et
traitaient de photinien quiconque n'était
pas de leur avis. Les autres, convaincus
par les raisons spécieuses d'Anastase, se
prononçaient contre le ^cotôxo^ et accu-
saient leurs adversaires de manichéisme.
Les deux partis allèrent trouver Nestorius
dans son palais épiscopal, pour lui de-
mander la solution de leur querelle.
Lorsque je les interrogeai, dit-il, les pre-
miers ne niaient pas l'humanité ni les se-
conds la divinité; ils confessaient ces deux
points de la même manière, et n'étaient
divisés que par les mots. Les partisans
d'Apollinaire acceptaient « Mère de Dieu »
et ceux de Photin « Mère de l'homme »;
mais lorsque j'ai su qu'ils ne se disputaient
pas selon le sens des hérétiques , je les
ai ramenés de cette controverse en disant :
« On peut accepter ce qui est dit par les
uns et les autres, pourvu qu'on maintienne
l'union de la divinité et de l'humanité sans
supprimer ni l'une ni l'autre. Du reste, il
vaut mieux se servir de l'expression la plus
sûre. L'Evangile dit : « Le Christ est né »
Si vous appelez Marie « mère du Christ »
(/c'.a-:or'ixoî\ vous désignezcelui-ci et celui-là
dans la filiation. Servez-vous de ce qui
n'est pas condamné par l'Evangile, et ban-
nissez cette controverse d'entre vous en
vousservantdetermesqui puissent recueillir
l'unanimité. » Quand ils entendirent ces
paroles ils dirent : « Notre question a été
résolue devant Dieu. » (i)
Mère du Christ, '/p'.ttotôxoç, tel était le
mot enchanteur que Nestorius croyait avoir
découvert pour apaiser toutes les discordes.
Dans une série de sermons, il chercha à
en montrer la légitimité, combattant à la
fois les expressions « Mère de Dieu » et
« Mère de l'homme ». Mais les gens avisés
ne tardèrent pas à s'apercevoir que sa
théorie sur le mode d'union des deux
natures dans le Christ recelait une hérésie.
Le disciple de Théodore dédoublait le
Christ en deux sujets, en deux hypostases
et personnes: d'un côté, le Verbe; de
(1) Ibid., p. 91-92. Nestorius dit la même chose
dans une lettre à Jean d*.A.ntioche (Loofs, p. i85)
et dans sa première lettre au pape Céiestin. Ibid.,
p. 166.
l'autre, l'homme, le Fils de Marie, sujet
des propriétés humaines. Aussi des accu-
sations d'hérésie commencèrent à circuler
sur le compte de l'adversaire du tbéotocos.
La tolérance relative qu'il manifestait à
l'égard de cette expression ne fut pas
imitée par l'un de ses amis, Dorothée,
évêque de Marcianopolis, qui dit dans un
sermon prêché en sa présence : « Que
celui qui appelle Marie tbéotocos soit ana-
thème. » (i) Loin de protester, Nestorius
admit aussitôt après Dorothée à la com-
munion.
La grande majorité des clercs et des
laïques de la capitale prit dès lors parti
contre l'évêque novateur. Un jour, un
laïque courageux, l'avocat Eusèbe, qui de-
vint plus tard évêque de Dorylée, osa l'in-
terrompre au moment où il disait que
Dieu le Verbe n'était pas né deux fois, et
affirma la double génération du Fils de
Dieu, aux applaudissements de la majo-
rité des assistants (2). Nestorius s'échappa
en invectives contre l'interrupteur, qui,
quelques jours après, fit placarder sur les
murs de l'église une affiche où la doctrine
de Nestorius était mise en parallèle avec
celle de Paul de Samosate (3).
De nombreux clercs se séparèrent de
la communion de l'évêque et tinrent des
assemblées à part. Ils demandèrent à
Proclus, évêque nommé de Cyzique, de
prendre la défense de la maternité divine
de Marie, ce qu'il fit dans un beau dis-
cours qui nous a été conservé, et que Nes-
torius entreprit vainement de réfuter (4).
(1) Cvrilli epist. XI, P. G., t.'LXXVlI, col. 81 B;
Epist.'VIII, col. 60; Epist. XIV, col. 97. Saint
Cyrille semble présenter le discours de Dorothée
comme ayant marqué le début de la controverse,
tandis que Socrate nous parle du discours d'Ana-
stase ; mais il est à peu près sûr que Cyrille a passé
sous silence l'incident provoqué par Anastase et
n'a retenu que le propos de Dorothée, à cause de
sa gravité. C'est ce qui paraît ressortir de la lettre
à Acace de Bérée, Epist. XIV, col. 97 A.
(2) Marius Mercator, Impii Xestorii sermo III,
P. L., t. XLVIII, col. 709-770.
(3) Voir cette pièce dans Massi; Concil. ampl.
collectio, t. IV, col. 1008-1011. Eusèbe n'avait pas
tout à fait tort de comparer la doctrine de Nes-
torius à celle de Paul de Samosate.
(4) Ma>sj, ibid., col. 577-588.
262
ECHOS D ORIENT
Ce dernier se mit bientôt à sévir avec
violence contre ses contradicteurs. Plu-
sieurs clercs furent excommuniés et dé-
posés de leurs fonctions (i). Des manifes-
tants qui avaient essayé de protester contre
ces mesures arbitraires et n'avaient pas
craint de crier : « Nous avons un empe-
reur; nous n'avons pas d'évêque », furent
molestés par la police, conduits au tri-
bunal et flagellés (2).
Les moines ne furent pas les moins
zélés à prendre la défense de la maternité
divine de la Vierge, L'un d'eux eut la sim-
plicité de vouloir arrêter Nestorius au
moment où celui-ci se rendait à l'autel
pour célébrer le Saint Sacrifice. 11 reçut
quelques soufflets de la main épiscopale
et fut livré aux magistrats, qui le condam-
nèrent à l'exil, après lui avoir fait subir
une cruelle flagellation (3). L'archiman-
drite Basile se présenta avec quelques-uns
de ses moines au palais épiscopal pour
demander à Nestorius des explications sur
sa doctrine. Après les avoir longtemps fait
attendre, ce dernier les fit saisir par la
police. On les conduisit au tribunal, où
ils furent brutalisés d'une manière révol-
tante; puis on les emprisonna. Ils ne
furent relâchés qu'après avoir reçu plu-
sieurs soufflets de leur évêque pour toute
explication (4).
m. Nestorius et saint Cyrille.
L'opposition que sa doctrine rencontrait
à Constantinople, loin de faire réfléchir
Nestorius et de lui inspirer des doutes sur
sa propre orthodoxie, ne fit qu'exalter sa
présomption. Faire accepter le ypt-TTOToxoç
par l'Eglise universelle, tel paraît avoir été
son but. Il fit multiplier les copies de ses
discours et les envoya partout où il put.
Les premières qui parvinrent à Rome pa-
(i) Parmi ceux-là, il faut nommer le prêtre Phi-
lippe, qui avait été l'un des candidats à la succes-
sion de Sisinnius. Cyrilli epist. XI ad Cœlestinum.
P. G., t. LXXVII, col. 88-89.
{2) Basilii diaconi supplicatio ad imperatores.
Mansi, ibid., col. 1104.
(3) Ibid.
(4) Ibid., col. 1104-1105.
naissent n'avoir pas porté de signature.
C'est ce qui ressort d'un passage de la
première lettre de saint Cyrille à Nesto-
rius, où il est dit que le pape Célestin et
les évêques qui sont avec lui ont demandé
à révêque d'Alexandrie de les informer
si les cahiers qui ont été apportés à Rome,
on ne sait comment, sont, oui ou non,
de révêque de Constantinople (i).
Celui-ci eut bientôt une occasion d'en-
trer en correspondance avec le Pape. Plu-
sieurs des évêques pélagiens qui avaient
été expulsés d'Italie pour n'avoir pas voulu
souscrire l'Epistola tractaioria du pape
Zozime s'étaient réfugiés àConstantinople,
se plaignant d'avoir été condamnés injus-
tement, protestant de leur orthodoxie et
réclamant la protection de Théodose II
et de Nestorius (2). Ils réussirent à per-
suader de leur innocence plusieurs per-
sonnes. Hésitant sur leur compte, Nesto-
rius écrivit au pape Célestin une première
lettre pour lui demander des renseigne-
ments sur ces personnages. En même
temps, il l'informait delà nouvelle contro-
verse qui venait de s'élever à Constanti-
nople, et il lui faisait connaître la solution
qu'il avait adoptée. D'autres lettres, dont
deux nous sont parvenues, suivirent la
première, parce que le Pape ne se pressait
pas de répondre (3). Toutes traitaient de
la question de la maternité divine et résu-
maient assez bien la doctrine de leur
auteur. A ces lettres, d'ailleurs, Nestorius
joignit quelques cahiers contenant ses
homélies et les lettres qu'il avait écrites
à révêque d'Alexandrie (4). Rome pouvait,
dès lors, le juger en connaissance de
cause.
Les cahiers nestoriens parvinrent aussi
de bonne heure en Egypte, et circulèrent
(i)Cyrilliepist.IIadNestorium.P.G.,t.LXW'll,
col. 41 A B.
(2) Nestorii epist. ad Cœlestinum I. Loofs,
p. i65-i66.
(3) Le retard du Pape venait, comme il le dit
lui-même dans sa lettre à Nestorius, Mansi, t. IV,
col. 1026), de ce qu'il avait fallu traduire en latin
les lettres de Nestorius.
(4) Cœlestini epist. ad Nestor. Mansi, t. IV.
col. 1027 A. N^estor. epist. ad Cœlest. III. Loofs,
p. 182.
L EPISCOPAT DE NESTORIUS
263
jusque parmi les moines du désert. L'évêque
d'Alexandrie avait à Constantinople des
représentants qui le tenaient très exac-
tement au courant de tout ce qui s'y pas-
sait, et suivait avec attention la controverse
sur le théotocos. La lecture des homélies
de Nestorius l'eut vite convaincu que son
confrère de Constantinople enseignait une
hérésie. Dans l'homélie pascale de 429, il
crut nécessaire de prémunir les fidèles
contre la nouvelle erreur qui commençait
à se répandre, il affirma l'unité person-
nelle du Christ et revendiqua pour Marie
le titre de mère de Dieu (i). Mais tout
cela était dit avec beaucoup de discrétion
et sans nommer personne.
Une lettre aux moines d'Egypte suivit
de près l'homélie pascale. Les discours de
Nestorius commençaient à troubler les
habitants du désert, peu rompus aux sub-
tilités théologiques; ils discutaient chau-
dement sur le mystère de l'Incarnation, et
il était à craindre que l'erreur ne se ré-
pandît parmi eux d'autant plus facile-
ment qu'ils étaient moins instruits. C'est
pour faire cesser ces querelles et réfuter
les sophismes des adversaires du ^sotôxo,;
que saint Cyrille écrivit aux moines. Cette
fois encore, Nestorius n'était pas nommé,
mais il était clairement visé; plusieurs de
ses expressions étaient citées et réfutées,
par exemple celle-ci : « Marie n'a pas
enfanté Dieu, mais un homme, instrument
de la divinité (2). » Avec une admirable
lucidité, Cyrille exposait la théologie de
l'Incarnation du Verbe. Contre Nestorius,
il affirmait l'unité de sujet et de personne
en Jésus-Christ. Dieu le Verbe est vérita-
blement né de la Vierge selon son huma-
nité, de même, il a vraiment souffert et
est mort selon cette même humanité qui
lui appartient, bien qu'il soit resté impas-
sible selon la divinité.
La lettre aux moines ne tarde pas à par-
II) Homilia pasckalis XVII. P. G., t. LXXVII.
col. 768-790. Le mot Ocotoxo; n'est pas employé
dans cette homélie, mais on y trouve son équiva-
lent f, ULT.TT.p ^tO'J, COJ. 777 C.
(2)Epist. Iadmonachos.€gypti.P. G., t. LXXVII,
col. 9-40.
venir à Constantinople. Elle piqua au vit
Nestorius, qui s'échappa en injures contre
« l'Egyptien ». Deux de ses amis s'es-
sayèrent à réfuter l'évêque d'Alexandrie
en dénaturant perfidement son enseigne-
ment (i). Trois clercs alexandrins, qui
avaient été condamnés par Cyrille pour
des fautes graves contre la morale (2),
crurent le moment favorable d'intéresser
Nestorius à leur cause et de solliciter son
appui contre leur supérieur hiérarchique
dans le procès qu'ils voulaient lui intenter.
Nestorius n'hésita pas à accueillir favora
blement ces plaintes. N'était-il pas l'évêque
de la capitale, et à ce titre n'avait-il pas le
droit de juger en appel des causes ecclé-
siastiques de tout l'Orient? (3) C'était,
d'ailleurs, une belle occasion de mettre
« l'Egyptien » à la raison et d'arrêter ses
accusations importunes.
.On devine que Cyrille trouva le procédé
peu délicat. 11 crut le moment venu de
s'adresser directement à Nestorius pour
attirer son attention sur l'hétérodoxie de
ses formules et l'inviter à faire cesser, par
une rétractation publique, un scandale qui
était devenu universel (4). 11 suffisait pour
cela de l'acceptation franche et loyale du
mot ^îOTÔxo^. Cette première lettre reçut
une réponse dédaigneuse de quelques
lignes (3). Saint Cyrille en écrivit une
seconde au début de février 430, où, après
avoir fait allusion aux plaintes portées
contre lui par les trois clercs qu'il avait
déposés, il pria de nouveau l'évêque de
Constantinople de mettre fin aux scandales
de sa prédication et lui exposa brièvement,
(1) Cyrilli epist. X. Ibid., col. 64-65; Xestorii
epist. ad Cœlestin. III. Loofs, p. 181.
(2) Le premier s'était rendu coupable d'injustices
contre les aveugles et des pauvres ; le second avait
tiré l'épée contre sa propre mère; le troisième
avait commis un vol avec la complicité d'une ser-
vante. Cyrilli epist. IV ad Xestorium. P. G., t. cit.,
col. 44: Epist. X ad clericus suos, col. 68.
(3) Le synode permanent, c-j-jqoo^ ivCT,ao-3<>2,
fonctionnait déjà à Constantinople, bien que sa
juridiction ne fût pas encore universellement re-
connue.
(4) îva Ka-i<rr, «rxivSaiov olxoyjievsxôv. P. G., loc.
cit., col. 41 B."
(5) Voir cette lettre dans Loors, p. 168-169.
204
ECHOS D ORIENT
mais avec une précision admirable, le
mode d'union des deux natures :
Le Verbe, dit-il, s'est uni hypostatique-
ment, xaO 'uTzocxxax-i, une chair animée d'une
âme raisonnable, et il est ainsi devenu
homme d'une manière incompréhensible
et ineffable Les natures qui ont été
réunies pour former une unité véritable
étaient différentes, mais des deux est résulté
un seul Christ et un seul Fils. Ce n'est pas
que l'union ait détruit la différence des
natures, mais la divinité et l'humanité,
unies d'une manière ineffable, ne consti-
tuent qu'un seul Seigneur Jésus-Christ et
un seul Fils (i).
Cette fois, Nestorius répondit plus lon-
guement. A la doctrine de Cyrille sur
l'union hypostatique, il opposa sa propre
théorie ; il ne cacha pas à l'évêque d'Alexan-
drie qu'il ne comprenait pas l'union hypo-
statique et qu'il découvrait des contradic-
tions dans sa lettre. 11 termina en disant
à son correspondant à peu près ceci :
Je rends grâce au zèle officieux,
Qui sur tous nos périls vous fait ouvrir les yeux;
mais quittez ce souci; vos clercs vous ont
trompé sur la situation de notre Eglise;
tout va bien par ici et tout est en progrès.
Voilà nos paroles de frère. Que si quelqu'un
aime à contester, qu'il sache que nous
n'avons pas cette habitude, non plus que
les Eglises de Dieu. Salut à toute la frater-
nité (2).
Ce n'était point là la rétractation qu'at-
tendait Cyrille. Il vit qu'il perdait son
temps à vouloir amener à ses idées quel-
qu'un qui se moquait de ses avertisse-
ments et qui manifestait l'intention de
l'appeler à son tribunal au sujet des plaintes
(i) Cette seconde lettre de Cyrille à Nestorius
est la plus importante de toutes au point de vue
dogmatique. Le pape Célestin l'approuva, et le
concile d'Ephèse la canonisa solennellement dans
sa première session. On remarquera qu'on y trouve
déjà l'expression « evcoo-k; xaO'ÛTtoa-raatv », mais
non la formule : « [ii'a ç-jcrti; toû ©eoG Arfyou aecrap-
xwiJiÉvv) •*. La manière dont s'exprime Cyrille laisse
entendre qu'il admet deux natures, non seulement
avant l'union, mais après l'union. Quoi d'étonnant,
dès lors, qu'il ait accepté de dire « deux natures »
avec les Orientaux dans le symbole d'union de 41^3 ?
(2) LooFs, p. 173-180.
portées par les clercs alexandrins déposés.
11 écrivit à ses représentants à Constanti-
nople pour leur signifier qu'il n'accepte-
rait jamais Nestorius comme juge. 11 leur
annonçait en même temps qu'il se prépa-
rait à écrire à qui de droit, si Nestorius
persévérait dans ses opinions hérétiques
et dans son attitude hostile à son égard ( i).
Les lettres annoncées furent bientôt
expédiées : l'une était pour l'empereur,
deux autres pour les princesses de la fa-
mille impériale, une quatrième pour le
pape Célestin. Le diacre Possidonius fut
chargé de porter cetre dernière à destina-
tion. Cyrille lui remit en plus des traduc-
tions de toutes les lettres qu'il avait écrites
jusque-là dans l'affaire de Nestorius, un
mémoire ou commonitorium, dans lequel
il opposait en quelques brèves proposi-
tions les erreurs de Nestorius à la doc-
trine orthodoxe, et un recueil de textes
patristiques et d'extraits des écrits de
l'hérésiarque (2). On était au printemps
de 430.
IV. Nestorius condamné a Rome.
Les documents envoyés par saint Cyrille
furent les bienvenus à Rome. Le pape
Célestin se demandait avec anxiété la con-
duite qu'il allait tenir à l'égard de l'évêque
de Constantinople, sur la doctrine duquel
il était déjà suffisamment renseigné tant
par les lettres qu'il avait reçues de lui
que par les cahiers que lui avait remis
son délégué Antiochus (3). Sa joie fut
grande de constater que l'évêque d'Alexan-
drie était en parfait accord de sentiment
(i) Epist. X ad clericos suos. P. G., t. LXXVII,
col. 65-8o. Dans le Livre d'Héraclide, p. 92-95,
Nestorius interprète à sa façon les recommanda-
tions de Cyrille à ses clercs. Pour ne pas dénaturer
leur portée, il faut se rappeler dans quelles cir-
constances elles furent données.
(2) Cyril, epist. XI ad Cœlest. P. G., t. cit.,
col. 79-90. Cyrille semble dire, col. 80, qu'il a déjà
envoyé précédemment au Pape les homélies de
Nestorius.
(3) Legimus ergo epistolarum tenorem et eos
libros quos, illustri viro filio meo Anliocho red-
dente, suscepimus. Cœlesti?ii epistola ad Nesto-
riutn. Mansi, t. IV, col. 1027 A.
l'épiscopat de nestorius
265
avec lui, et qu'il avait si bien pris la défense
de l'orthodoxie (i). Il songea aussitôt à
réunir à Rome un concile des évêques
d'Italie, qui serait chargé d'examiner l'af-
faire de Nestorius.
Ce concile se tint au début du mois
d'août 430. On y lut le dossier envoyé
par saint Cyrille et celui que Nestorius avait
fait lui-même parvenir au Pape. Ce ne fut
donc pas seulement sur le Commonitorium
de saint Cyrille et sur les extraits des dis-
cours de Nestorius qu'il avait réunis, que
le concile romain basa son jugement; ce
fut aussi, ce fut surtout sur les lettres et
les nombreuses homélies (2) envoyées par
le novateur, antérieurement à l'arrivée à
Rome de l'Alexandrin Possidonius. C'est
dire qu'à Rome on était bien renseigné.
Si l'évêque d'Alexandrie avait été le seul
à fournir des documents, Nestorius aurait
eu quelque raison de se plaindre et d'ac-
cuser « l'Egyptien » d'avoir travesti sa
doctrine (3): mais cette excuse ne lui deve-
nait plus permise, du moment qu'il avait
lui-même pris les devants pour faire con-
naître au Pape sa théorie de l'union des
deux natures.
Les Actes du concile romain ne nous
sont pas parvenus, sauf un fragment de
discours de saint Célestin, où le titre de
OsoTÔxo;; donné à Marie est légitimé par les
témoignages de plusieurs Pères latins (4),
mais nous trouvons la substance de ses
décisions dans quatre lettres du Pape
adressées, à la date du 1 1 août 430, à Nes-
torius, au clergé et au peuple de Con-
stantinople, à Cyrille et à Jean d'Antioche.
La lettre à Nestorius est particulièrem.ent
intéressante. Le Pape lui parle sur un ton
(1) Voir le début de la lettre de Célestin à
Cyrille. Mansi, ibid., col. 10 18.
(2) IlÉ7:o[J.Ç£ oà ■/.%>. £;T,Yr,(j£t; 7ïoa/.x;,£Ç*wv i).r,/.îYy.Tas
ypovwv ta o:E(TTpot}j.[jL£/a. Cyrilli epist. XVI ad Juve-
nalem. P. G., ibid., col. 104 C. Cf. Epist. XIII,
ad Joannem Antioc/ien., col. 96 A B.
(3) Dans un passage de la Tragédie, ouvrage de
Nestorius, celui-ci accuse « l'Egyptien » d'avoir
séduit par ses sophismes le pape Célestin, « homme
trop simple pour pénétrer la subtilité des opinions
théologiques ». (Loofs, p. 204.) 11 est évident que
Nestorius se fait illusion.
(4) Mansi, t. IV, col. 55o552.
sévère, il fait allusion à sa grande répu-
tation, qui lui avait valu le siège de Con-
stantinople et qui est maintenant si com-
promise. Si on n'a pas répondu plus tôt
à ses lettres, c'est qu'il a fallu prendre le
temps de les traduire en latin. Ces lettres,
ainsi que les homélies que lui a remises
Antiochus, renferment un blasphème évi-
dent (i):
Nous t'avons suivi à la piste, lui dit le
Pape, nous t'avons surpris, nous t'avons
pris, et c'est en vain que tu as cherché à
envelopper la vérité dans les obscurités de
ton bavardage; ton langage est plein de
confusions; tu confesses ce que tu as nié
une fois et tu t'efforces de nouveau de nier
ce que lu as déjà confessé. Aussi, dans tes
lettres, c'est moins contre notre foi que
contre toi-même que tu as prononcé, en
voulant parler de Dieu le Verbe d'une ma-
nière opposée à la foi de tous Aucun
doute n'est possible au sujet de ces lettres,
puisque c'est toi-même qui les as envoyées,
et plût au ciel qu'elles ne fussent point
tombées entre nos mains, car nous n'au-
rions pas été obligés d'examiner un si grand
crime (2).
Puis Célestin casse toutes les sentences
portées par Nestorius contre ceux qui se
sont opposés à sa doctrine, et il le menace
d'excommunication et de déposition si,
dans l'espace de dix jours, à dater de la
notification qui lui sera faite par Cyrille
des décisions du Siège apostolique, il ne
rétracte ses erreurs. Cyrille, en effet, dont
Célestin a approuvé et approuve la foi (3),
sera chargé de l'exécution de la sentence
papale.
Dans la lettre au clergé et au peuple de
Constantinople, le Pape déclarait que Nes-
(i) Considérantes nunc interpretatas tandem
epistolas tuas apertam blasphemiam continentes.
Mansi, ibid., coi. 1026 E.
<2) In his quidem nobis vestigatus, deprehensus
et tentas, quodam multiloquio labebaris, dum pera
involvis obscuris : rursus utraque confundens, vel
confiteris negata, vel niteris negare confessa.
Sed in epistolis tuis non tant de fide nostra quant
de te tulisti sententiam, volens de Deo Verbo
aliter quant Jides habeat omnium disputare. Mansi,
ibid., col. 1027 A.
(3) Alexandrinœ ecclesiœ sacerdotis fidem et
probavimus et probamus, col. 1034 C-
266
ÉCHOS d'orient
torius enseignait une doctrine détestable
touchant l'enfantement virginal et la divi-
nité du Sauveur, comme en faisaient foi
les écrits signés de sa propre main, qu'il
avait lui-même envoyés, et le rapport de
saint Cyrille (i). Ecrivant à Cyrille, il fai-
sait le plus grand éloge de sa vigilance
et de sa science théologique; il le félicitait
d'avoir découvert tous les pièges d'une
prédication artificieuse (2) et l'instituait
son représentant en ces termes :
L'autorité de notre Siège vous est com-
muniquée, et vous en userez à notre place
pour exrcuter rigoureusement notre dé-
cret (3).
Ce ne fut point par saint Cyrille que
Nestorius apprit tout d'abord la sentence
que le concile romain avait portée contre
lui. Son ami Jean d'Antioche fut le premier
à l'en avertir. 11 lui communiqua une copie
de la lettre que Célestin lui avait adres-
sée ainsi que d'autres lettres de l'évêque
d'Alexandrie et le supplia instamment
de prendre au sérieux les graves avertis-
sements que ces pièces contenaient à son
adresse. Le diable, lui disait-il, a coutume
de grossir outre mesure par l'orgueil les
incidents fâcheux et d'engager dans des
impasses ceux qui l'écoutent. Le délai de
dix jours est sans doute court, mais la
chose dont il s'agit peut être accomplie
en moins de temps que cela : un jour,
une heure y peut suffire.
Car il n'y a rien de plus facile que d'em-
ployer un terme parfaitement en harmonie
avec l'Incarnation du Christ, qui a été fami-
lier à plusieurs Pères, et qui est très propre
à désigner le salutaire enfantement de la
(i) Nestorius episcopus de virgineo partu et de
divinitate Christi Dei salvatoris nostri, veliit ejus
rcverentice et communis omnium salutis oblitus,
nefanda prœdicat, sicut et ejus scripta ad nos ab
ipso cum propria subscriptione transmissa, sicut
etiam relatio sancti fratris et coepiscopi mei
Cyrilli ad me missa patefecit. Ibid., IV,
io35 D C.
(2) Omnes tendiculas prœdicationis callidœ de-
texisti. P. G., t. LXXVII, col. 91 B. Célestin a
bien saisi le caractère de l'hérésie nestorienne,
habile à se dissimuler sous des formules équi-
voques et tenant parfois le langage de l'orthodoxie.
(3) Ibid., col. 93 A.
Vierge (i). Ta sainteté ne doit pas craindre
de s'en servir, même pour éviter de se con-
tredire elle-même. S'il est vrai,' en effet,
comme nous l'avons appris de la bouche
de nos amis communs, que ta doctrine
s'accorde avec celle des Pères et des docteurs
de l'Eglise, qu'y a-t-il de pénible à mani-
fester une pensée orthodoxe avec le terme
qui convient?
Jean continue en invitant son ami à réflé-
chir sur la gravité des troubles que ses
attaques contre le mot ôeo-ôxo; ont sou-
levés dans l'Eglise universelle; il l'exhorte
à imiter le bel exemple que donna Théo-
dore de Mopsueste à Antioche. Ce vaillant
homme ne craignit pas de rétracter publi-
quement une opinion risquée qu'il avait
émise en chaire, lorsqu'il vit que ses pa-
roles pouvaient engendrer des querelles
et compromettre la paix de l'Eglise.
Je t'en supplie donc, ne rougis point
d'exprimer à haute voix ta pensée, que
nous savons être orthodoxe, en employant
le mot qui convient, et dont beaucoup de
Pères se sont servis dans leurs écrits et leurs
discours Ce mot de théotocos, jamais
'aucun docteur de l'Eglise ne l'a rejeté.
Ceux qui l'ont employé sont nombreux et
comptent parmi les plus célèbres, et ceux
qui ne l'ont pas employé n'ont pas attaqué
ceux qui en ont fait usage.
En repoussant ce terme pour écarter la
fausse signification que lui donnent les
hérétiques, nous en arrivons à mépriser la
conscience de nos frères et aies scandaliser
inutilement. Pourquoi éviter un mot qui
exprime une idée que nous acceptons? Et
si nous n'acceptons pas cette idée, il est
clair que nous tombons dans une grave
erreur et que nous risquons de nier l'In-
carnation ineffable du Fils unique de Dieu.
Une fois ce mot écarté, l'idée qu'il exprime
disparaîtra aussi; d'où il suivra que celui
qui s'est incarné pour nous d'une manière
ineffable n'est pas Dieu, que Dieu le Verbe
ne s'est pas anéanti en prenant la forme
du serviteur pour nous témoigner son im-
(i) Tb Y^o yùr^rsa.a^a.'. Trpoo-çôpo) C)VÔ|iaT; Iv Tf; xa-rà
tbv 7ra[Apaff;).éa Xpio-TÔv ÙTïèp r|U.wv O'.xovo(i,{a, rcTp'.a-
IJLîvw jiév TioX/.ot; 'wv Tta-répwv, âitaÀT|6£yovTi ôà y.aù
xr, ffwTripîw £X TïaoÔévo'J Y£vvr,(rct, to'jto pâô'.ov. Mansi,
t.' IV, col. 1064 À B.
i
l'épiscopat de nestorius
267
mense amour. Or, les Saintes Ecritures
attestent cette grande bonté de Dieu à notre
égard, lorsqu'elles racontent que le Fils
unique de Dieu, éternel comme son Père,
s'est abaissé jusqu'à naître virginalement
de la Vierge, selon ces paroles du divin
Apôtre : Dieu a envoyé son Fils né d'une
femme. Ces mots signifient bien que le Fils
unique est né de la Vierge (i).
Nous avons tenu à mettre ce passage
sous les yeux du lecteur, parce que, s'il
montre que Jean d'Antioche se faisait illu-
sion sur la véritable pensée de son ami,
il établit aussi d'une manière suffisam-
ment claire que lui-même était d'une
orthodoxie irréprochable. Et Jean ne par-
lait pas seulement en son nom personnel.
Il nous apprend que sa lettre a reçu l'ap-
probation de plusieurs évêques qui se trou-
vaient présents à Antioche au moment où
il l'écrivait ; il donne le nom de ces évêques :
Archelaùs, Apringius, Théodoret, Héliade,
Mélèce et Macaire, nommé récemment à
l'évêché de Laodicée. Le nom de Théodoret
mérite particulièrement de fixer l'atten-
tion. 11 ressort de là que ceux qu'on va ap-
peler les « Orientaux » au concile d'Ephèse,
du moins la plupart et les principaux
d'entre eux, ne partageaient pas l'erreur
de Nestorius touchant le mode d'union
des deux natures, tout en employant sou-
vent une terminologie très voisine de la
sienne.
Ainsi les trois principaux sièges de la
chrétienté, Rome, Alexandrie et Antioche,
s'étaient déclarés en faveur du tbéotocos et
de la doctrine que ce mot suppose, c'est-
à-dire l'unité réelle de sujet, de personne
dans le Christ. Rome surtout avait parlé
net et ferme, après mûr examen. La cause
était jugée, terminée. Une telle unanimité
aurait dû ouvrir enfin les yeux à Nestorius
et le déterminer à suivre les conseils fra-
ternels de Jean, Que de luttes stériles, que
de scandales, que de déchirements et de
maux de tout genre auraient été épargnés
à la chrétienté, si l'évêque de Constanti-
nople avait eu assez de vertu pour faire
le geste que son maître Théodore avait
{\) Ibid., col. I065CD.
fait à Antioche, pour monter en chaire et
proclamer franchement et loyalement que
Marie était mère de Dieu; que Dieu le
Verbe, le Fils unique, né du Père avant
tous les siècles, était né une seconde fois
selon la chair de la Vierge.
Mais on ne pouvait guère attendre une
pareille déclaration de la part de quelqu'un
qui avait une confiance illimitée en ses
propres lumières et qui menait campagne
depuis deux ans contre le tbéotocos, avec
l'intime persuasion qu'il combattait p>our
l'orthodoxie.
Nous possédons la réponse de Nestorius
à la lettre de Jean d'Antioche. Le ton en
est fort courtois. Après avoir remercié son
ami de sa bienveillance à son égard et de
sa sollicitude pour la paix de l'Eglise uni-
verselle, Nestorius déclare qu'il n'est pas
l'adversaire irréductible du Osotôxoç. mais
que ce mot a besoin d'être expliqué et
qu'on peut facilement lui donner un sens
arien ou apollinariste. Voilà pourquoi il a
proposé le terme yp'.TroTÔxo^, pour mettre
d'accord ceux qui se disputaient à Con-
stantinople sur le Osotôxo^ et l'àvOcw-oTÔxo^.
Il accepte le brevet d'orthodoxie que lui
a délivré Jean dans sa lettre, mais il laisse
entendre que des explications ne seront
pas inutiles dans le futur concile qui se
prépare.
Je vous en prie, dit-il, cessez de vous
préoccuper de cette affaire; sachez seule-
ment que, par la grâce de Dieu, nous avons
toujours partagé vos sentiments et que nous
les partageons encore pour ce qui touche
à la foi. Priez pour que le Seigneur Christ
nous vienne en aide et que nous puissions
nous entretenir ensemble. Il est clair, en
effet, que si ce concile que nous espérons
nous fournit l'occasion de nous voir, nous
arrangerons sans scandale et en toute con-
corde cette affaire et les autres qui inté-
ressent le bien général. Tout ce qui aura
été décidé d'un commun accord s'imposera
à la foi de tous, et personne n'aura de raison
de faire de l'opposition. Il ne faut point
que la présomption coutumière des Egyp-
tiens étonne votre Piété; vous n'ignorez
pas le passé (O.
(i) LooFS, p. i85-i86.
268
ÉCHOS d'orient
II ajoute en post-scriptum qu'après la
réception de la lettre de Jean il a gagné
à sa doctrine le clergé, le peuple et la
cour. Quelques applaudissements venus
d'un auditoire déjà sympathique — les
opposants ne venaient plus l'entendre —
avaient donné à Nestorius l'illusion d'un
triomphe complet.
Cette lettre, qui parle déjà d'un con-
cile général (i), fut probablement écrite
quelques jours avant l'arrivée à Constan-
tinople, le 6 décembre 430, des délégués
alexandrins chargés de remettre à Nesto-
rius les pièces venues de Rome (2). Saint
Cyrille ne s'était pas pressé de les faire
parvenir à destination. Fort de l'approba-
tion que le Pape avait donnée à sa doc-
trine, il voulut la condenser dans un docu-
ment que Nestorius aurait à signer s'il
voulait rester en communion avec l'Eglise
romaine et le reste de la chrétienté. En
agissant de la sorte, l'évêque d'Alexandrie
n'outrepassait pasie mandat de Célestin(3).
On peut seulement regretter qu'il n'ait
pas mis plus de forme et de courtoisie
dans le libellé de son ultimatum (i).
Celui-ci fut rédigé sous forme d'une
lettre que Cyrille fit approuver par un
concile réuni par lui à Alexandrie, et qui
fut expédiée à Nestorius à la date du 3 no-
vembre 430. C'est un exposé magistral
de la doctrine orthodoxe sur le mystère
de l'Incarnation. Cyrille y met vivement
en relief l'unité de sujet individuel dans le
Christ, et fait ressortir avec éclat l'oppo-
sition qui existe entre sa doctrine et la
conception nestorienne. La lettre se ter-
mine par douze anathématismes qui en
résument brièvement tout le contenu doc-
trinal et réfutent directement les erreurs
de Nestorius (2). Ce sont ces anathéma-
tismes que celui-ci devait souscrire pour
échapper à la condamnation qui le mena-
çait.
Martin Jugie.
Constantinople.
UNE INNOVATION LITURGIQUE
A ALEXANDRIE EN 1702
M. Manuel Gédéon a inséré dans son
recueil d'actes patriarcaux deux textes dif-
férents d'une lettre adressée, en 1702,
par le patriarche grec de Constantinople
(i) Nestorius parle aussi du concile généraldans
sa troisième lettre au pape Célestin, écrite entre
le 19 novembre et le 6 décembre 430. Loofs, p. 182.
(2) D'après Loofs, p. 98, la lettre à Jean d'An-
tioche aurait été écrite après l'arrivée des Alexan-
drins. Avec Héfélé nous la croyons antérieure à
cette date, car on n'y trouve pas d'allusion aux
anathématismes de Cyrille.
(3) Célestin avait écrit à Nestorius : Alexandrinœ
Ecclesiœ sacerdotis Jidem et probavimus et pro-
bamus. Et tu, admonitus per eum rursiis senti
nobiscum. Cui fratri si a te prœbetur assensus,
damnatis omnibus quœ hucusque sensisti, statim
hœc volumus praedices quae ipsum videas praedi-
care. Mansi, t. IV, col. 1084. Cf. Cœlestini epist.
ad Cyril tum, col. 1022.
à son collègue d'Alexandrie, Gérasime 11
Palladas (3).
Le savant chartophylax du Phanar s'était
d'abord contenté de reproduire le texte
qui avait été déjà édité en 1804, dans
V Epistolarion de l'imprimerie patriarcale,
et, en 1879, paimi les Lettres d'Alexajidre
Mavrocordatos publiées à Trieste (4). 11
attribuait alors l'épître à Callinique II. Ce
(i) On peut dire, à la décharge de saint Cyrille,
que le Pape parlait aussi vertement que lui. La
période des admonitions en style académique était
passée.
(2) Mansi, t. IV, col. un sq.
(3) Manuel Gédéon, Kavovtxal 8taTà?£t;, t. I. Con-
stantinople, 1888, p. 89-92; t. II. 1889, p. 406-409.
(4) Th. Livada, 'AXe^âvSpoy Ma-jpoy.opSiTou 'Etîi-
(jToXal P'. Trieste, 1879, p. ii2-ii5.
UNE INNOVATION LITURGIQUE A ALEXANDRIE EN I702
269
prélat, qui avait déjà occupé le . trône
patriarcal en 1688, puis de 1689 à 1693,
l'occupa une troisième fois de juillet 1694
au 8 août 1702, date de sa mort (i).
Mais le codex n° 1 1 de la bibliothèque
du Syllogue littéraire grec, à Constanti-
nople, contient un autre texte de cette
même lettre. Elle y est attribuée au
patriarche Gabriel 111, qui gouverna la
«Grande Eglise » du 30 septembre 1702
jusqu'en novembre 1707 où il mourut (2).
La date de 1 702 se lit au bas du document.
La fin de l'année 1702 ayant vu s'achever
le patriarcat de Callinique II et s'ouvrir
celui de Gabriel 111, il se pourrait que la
lettre eût été préparée par le premier et
rédigée dans sa forme définitive par le
second. Au reste, toute la différence con-
siste uniquement en des variantes litté-
raires : le texte du manuscrit du Syllogue
emploie certaines formes de la langue
parlée, tandis, que celui de V Epistolarion
et des Lettres de Mavrocordatos s'en tient
uniformément aux expressions de ce qu'on
est convenu d'appeler la langue relevée.
Ce dernier, de plus, commence très brus-
quement et aborde sans préambule le sujet
qui avait donné occasion à la lettre. Celle-ci,
dans le manuscrit du Syllogue, débute
par un prologue général qui est beaucoup
plus conforme au style ordinaire de ces
sortes de pièces.
Quoi qu'il en soit de ces deux textes
et des différences qu'ils présentent, voici
quel est l'objet de la lettre.
Le patriarche du Phanar blâme son col-
lègue alexandrin d'avoir introduit, au sein
de son Eglise, une innovation grave dans
la célébration de la messe, au moment le
plus solennel du sacrifice, c'est-à-dire à
la Consécration. Gérasime et ses prêtres
ne prononcent plus à haute voix les paroles
de l'institution eucharistique : « Prenez et
mangez, ceci est mon corps Prenez et
(i) Voir M. GédéON, IIsTpcapy:'-»- Hiva/.s; Con-
stantinople, p. 607-614; et S. Vailhé, art. Constan-
tinople dans le Dictionnaire de théologie catho-
lique, t. III, col, i3i2 et 1432.
(2) GÉDÉON, naTpiapy./.ol Ilivaxî;, p. 614-617;
[ S. Vailhé, op. et lac. cit.
buvez, ceci est le calice de mon sang » :
et il a, au contraire, introduit la pratique
de dire à haute voix l'épiclèse ou invoca-
tion du Saint-Esprit qui suit le récit de la
Cène (i).
Le patriarche d'Alexandrie avait été
amené à cette double mesure, en opposi-
tion avec les usages traditionnels, par son
désir de protester et de prémunir les fidèles,
disait-il, contre la croyance des Latins attri-
buant l'efficacité consécratoire aux paroles
de Jésus-Christ et non point à l'épiclèse (2).
Cette nouvelle, apportée d'Alexandrie
à Constantinople, y avait produit, dans les
milieux ecclésiastiques, une vive émotion.
Le métropolite de Libye, se trouvant de
passage dans la capitale, fut interrogé à
ce sujet et confirma le fait (3). C'est alors
que le patriarche œcuménique adressa à
Gérasime II de sévères remontrances.
Une telle innovation dans le rite eucha-
ristique, déclare-t-il, est tout à fait déplacée.
Il faut la faire cesser désormais et ordonner
à tous les prêtres, vos subordonnés, de
célébrer selon l'ordre antique et traditionnel
de l'Eglise, en prononçant à voix basse
l'épiclèse du Saint-Esprit et à haute voix
les paroles du Christ (4).
Cela n'empêche pas de croire à la vertu
consécratoire de l'épiclèse, ajoute en sub-
stance Gabriel III; mais il faut garder un
respect sacré à la pratique traditionnelle,
qui remonte d'ailleurs aux apôtres et au
Sauveur lui-même. Jésus aurait d'abord
consacré par une bénédiction silencieuse
et n'aurait prononcé qu'ensuite les paroles
rapportées par les évangélistes. C'est sur
cette argumentation que le patriarche du
Phanar base l'usage traditionnel de réciter
à haute voix les paroles de l'institution et
à voix basse l'épiclèse (3).
Ce n'est point ici le lieu de faire la cri-
tique d'une pareille opinion. L'objet de
cette note est simplement de résumer le
(i) GÉDÉON, Kavovixai oixxxU';, t. I, p. 90; t. II,
p. 4:6.
(2) Ibid., p. gi, 407.
(3) Ibid., p. 89, 407.
(4) Ibid., t. II, p. 407-408. Cf. t. I, p. 91.
(3) Ibid., t. II, p. 408-409. Cf. t. I, p. 90.
270
ECHOS D ORIENT
document historique qui nous signale
l'innovation alexandrine et l'accueil qu'elle
reçut.
Conscient de posséder sur ses collègues
une autorité réelle que ses successeurs
ont bien perdue depuis, Gabriel 111 termine
sa lettre sur un ton de sévérité et presque
de menace.
Il faut que Votre Béatitude conserve iné-
branlable la tradition ancienne et fasse
cesser l'innovation introduite. Si elle la
laissait se maintenir, alors le siège œcumé-
nique poursuivrait l'accomplissement de
son devoir, lui qui a reçu, en plus des
autres, le privilège de gouverner et de diriger
toute la multitude chrétienne dans la droite
voie des dogmes de l'Eglise, de ses ordon-
nances, des antiques traditions, et de sur-
veiller sévèrement ceux qui s'en écartent ( i ),
Il serait intéressant de connaître la ré-
ponse du patriarche d'Alexandrie ainsi
admonesté par Gabriel 111. Peut-être les
documents nous la livreront-ils un jour.
En attendant, il nous a paru utile de si-
gnaler cette intervention du Phanar dans
une affaire de l'Eglise d'Alexandrie, aux
premières années du xviiie siècle.
S. Salaville.
Constantinople.
UNE INSCRIPTION LATINE A GALATA DE 1418
(i)
On se rappelle Its protestations nourries
de tous les amis de l'ancienne Byzance,
à l'annonce du projet de démolition des
vieux murs de Stamboul. Depuis, il a été
dit que ces vénérables remparts, témoins
de tant de faits glorieux, seraient con-
servés à la postérité. Et le silence s'est
fait autour d'eux. Pourtant, une démolition
partielle a commencé et continue, tout
tranquillement, pour ainsi dire en cachette,
par petits tronçons, sans que personne
s'en aperçoive, — témoin la carrière ou-
verte depuis quelque temps dans le mur
devant le Tekfour-Séraï, pour l'extraction
de pierres destinées au pavage des rues
de Balata. Mais passons
Personne n'ignore que l'ancienne Galata,
la célèbre colonie génoise que gouvernaient
autrefois, en presque complète indépen-
dance des empereurs de Byzance, les
« podestà » envoyés par la Sérénissime
république de Gênes, était également en-
(i) Notre ami et collaborateur, M. Gottwald,
veut bien nous autoriser à reproduire l'étude
ci-dessus qui a paru dans le journal français de
Constantinople, le Stamboul, du 9 décembre 1910;
nous lui en offrons, ainsi qu'à la direction du
journal, nos plus vifs remerciements.
tourée de murs, flanqués de tours et pro-
tégés par un fossé. Ici la destruction,
inaugurée en 1864 par la municipalité
nouvellement fondée alors, a presque en-
tièrement accompli son œuvre; quelques
pans de muraille seulement près de Saint-
Pierre, à Azap-Capou et à Kurdji-Capou,
ont échappé à la pioche des démolisseurs.
Tout dernièrement encore, on a rasé,
sans que cela fût motivé par des néces-
sités de circulation, une grande tour carrée
qui se dressait à l'angle de Bit-Bazar. La
disparition du « mur murant » Galata a
laissé à la voie publique un espace libre
de plus de 9000 mètres, soit à peu près
la quarantième partie de la cité génoise.
Jusqu'à cette époque, les « inscriptions
(i) Gédéon, Kavovtxal StaTaleti;, t. II, p. 409,
Une telle déclaration d'un patriarche de Con-
stantinople vaut d'être citée dans son texte ori-
ginal : Et 8s y.ai àç-^aet {-'i] \)\xs.-céçia fiaxocpidr-r,!;) Tr,v
■/iatvoT0[J.Y)6ei(Tav Tcap' a-JTr,î 7rapa),Xa-,'-r,v va àve-
pYTjTat a-JTd6c, tôte ÔéXet âxo).ou9-r,(7£i TriX-v Tzapx toO
OÎXOUlJLevlXoij TObTOU ôpÔVOU XO 7T0tV)T£0V, oaTiç ~poç
Toï; aXXoi; 7rpovd[jLiov xéxrriTat S'.euOsteïv xal pv^[i.i'^tiy
TO àizx\-(xy^ov 5(pt<TTtavtxàv 7:XripM(xa eiç Trà op6à tïjç
'ExxXTjdta; B6yii.a,xi re xal SiaTaYfAara xal tàç à| ipyrtç
irapaôdffEiç, xal im^y.énf.v 5pi(x-.iT£pov èirl tov»; TrapexTps-
7io;i.évouç T(Sv àxxXr|(7ta<TTtxôiv StaxâEetov te xal Trapa^
oôcTEMv. Cf. t. I, p. go, 92, où la même idée se
trouve, mais exprimée en termes moins énergiques.
UNE INSCRIPTION LATINE A GALATA DE I418
271
latines » que les chefs de l'ancienne ville
avaient fait placer sur les murailles à l'oc-
casion de leur construction progressive
ou de leurs réparations, et qui commé-
moraient les noms des podestà, ceux des
doges de Gênes, avec leurs armoiries,
ainsi que les dates, se trouvaient à leur
emplacement primitif. Ces pierres furent
enlevées lors du démantèlement des murs.
Grâce aux démarches de quelques per-
sonnes influentes, elles furent placées tout
d'abord dans l'enclos d'un cimetière turc,
aux Petits-Champs, puis dans la partie
inférieure de la tour de Galata et finalement
au musée de Stamboul, où elles se trouvent
encore, dans l'entresol, presque oubliées.
La dernière inscription murale que nous
avons encore vue à sa place se trouvait
sur la grande tour carrée, démolie il y a
une quinzaine d'années, qui se dressait à
l'entrée supérieure de la rue Yuksek-Cal-
dirim Une belle plaque commémora-
tive existe encore au-dessus de la porte
Yanek-Capou (la dernière porte génoise
encore debout), dans les parages du Vieux-
Pont, aux armes de Gênes et des familles
De Merude et Doria, mais sans aucune
inscription.
II était donc du plus haut intérêt de
découvrir à Galata une inscription murale
/;/ situ, fort probablement la toute dernière.
A la suite de la démolition de quelques
vieilles maisons dans la ruelle qui, der-
rière la mosquée de Karakeuy, mène di-
rectement à la porte d'un han nouvellement
construit, une partie de l'ancien rempart
génois, contre lequel est adossée toute la
rangée gauche des maisons de cette rue,
tandis que de l'autre côté s'y appuie le
Haviar han, a revu le jour il y a quelques
mois. Je profitai de cette circonstance
pour relever la direction du mur de Galata
à cet endroit: mon attention fut éveillée
par une pierre rectangulaire encastrée
dans ce mur, sur laquelle apparaissaient
des traces d'ornementation. Après avoir
fait enlever l'épaisse couche de crépi qui
la recouvrait, je pus constater qu'il s'agis-
sait d'une « inscription latine » du Galata
génois, que je crois inédite, puisqu'elle
ne figure pas parmi celles publiées par
M. Delaunay dans V Univers, revue orien-
tale (cahiers de novembre 1874 à mars
1875), ni parmi celles reproduites par
Belgrano, dans les Documetiti.
Le marbre a une longueur de in^.^o sur
une largeur de 0"^,^^ et forme l'architrave
d'une porte murée. Sur la bordure infé-
rieure apparaît en une seule ligne l'in-
scription, en caractères gothiques assez
beaux, hauts de o^^jO^ , précédés et terminés
par une croix. En voici le texte simple et
laconique :
Y HIC. MURUS. CONSTRUCT. FUIT.
MCCCCXVIII. TEMPOR. POTESTACIE.
/////////// MI (?) DNl. TH (?) A (?) DISII.
D.AURIA t
{Hic murus constructus fuit i4i8 tem-
pore potesiacie . . . Domini TbaMsii (?)
D'Aiiria.)
Ce mur fut construit en 1418, du temps
de la magistrature du... seigneur Tbadi-
sius (.?) Doria.
L'inscription ne présente que peu de
difficultés. Outre les abréviations dans les
constriictus, tempore, Domini, indiquées
par des entrelacements dans les dernières
et avant-dernières lettres, il y aurait à
relever l'expression potestacie dérivée de
« podestà » (/)o/^s/as = pouvoir). Ce terme
est employé ici à caractériser d'une ma-
nière précise la magistrature particulière
du « podestà », qui, par ce mot, aura
voulu faire ressortir sa complète indépen-
dance envers ses suzerains de l'autre rive,
les empereurs de Byzance.
Ce n'est pas sous le règne de ces der-
niers, mais sous la magistrature, sous le
gouvernement — on dirait en turc sous
le podestalik — de Doria que ce mur a été
construit. Le mot suivant a complètement
disparu sous une brisure de la pierre, mais
la lacune est facile à combler par un des
qualificatifs egregii, spectabilis, illustris-
simi ou nobilissimi, qui se rencontrent
sur les autres inscriptions de Galata.
Le prénom « Thedisii » ou « Thadisîi »
paraît étrange. Par contre, le nom de
famille d' « Auria », qui s'écrit ordinaire-
ment Doria, est un des plus illustres de
272
ECHOS D ORIENT
la république génoise et appartient à la
noble famille ghibelline des Doria, qui a
joué un rôle important dans l'histoire de
Gênes. Déjà en 1387 on rencontre le nom
d'un Rafaël d'Auria (Doria), podestà de
Galata, sur une pierre commémorative
qui se trouvait sur la première tour après
celle du Christ, dans la rue Hendek. Mal-
heureusement, l'histoire ne nous dit rien
au sujet de ces Doria, « podestas » de
Galata.
Trois écussons, séparés par des orne-
mentations en feuillage assez bien exécu-
tées, surmontent l'inscription. Celui du
milieu, à la place d'honneur, est l'écusson
de Gênes, une simple croix. Nous ne pou-
vons blasonner d'une manière plus pré-
cise l'écusson de dextre, les émaux n'étant
pas indiqués sur les pierres de Galata.
Comme nous voyons figurer à cette place
sur les autres inscriptions les armoiries
des doges de Gênes, nous devons attri-
buer ce blason à Campofregoso, alors
doge dans la métropole ligurienne. Celui
de senestre appartient aux Doria, qui por-
taient « coupé d'or sur argent, à l'aigle
de sable couronnée du même, becquée,
membrée et languée de gueule brochant
sur le tout ».
Nous espérons que cette belle pierre
trouvera bientôt ou a déjà trouvé sa place
au musée impérial, pour y compléter la
série si intéressante des inscriptions gé-
noises de Galata, derniers vestiges d'une
grandeur à tout jamais disparue.
J. GOTTWALD,
Mersine.
LE PROPRE GREC DE JÉRUSALEM
Nos lecteurs ont eu cette année-ci, avec
quelques notes utiles, la traduction de la
brochure contenant l'office du lavement
des pieds en usage dans l'Eglise grecque
de Jérusalem (1). Je voudrais leur faire
connaître aujourd'hui trois autres bro-
chures, qui compléteront ce que nous
appellerions le propre de cette Eglise (2).
Plus d'un sera peut-être étonné de l'exis-
tence de ces recueils; il y a beaucoup à
découvrir encore chez les Grecs actuels,
presque autant que chez ceux du moyen
âge.
Voici d'abord une plaquette de quinze
petites pages, avec un titre assez obscur
au premier aspect : "Tuvoi •Icû.'kôixtvoi xaxà
Taç AiTavciaç xal Ta; Tipoli-avr/ÎTSt,; twv
(i) Voir Echos d'Orient, t. XIV (1911), p- 89-99.
(2) En y ajoutant le texte de la messe de saint
Jacques, célébré une fois par an, le jour de la fête
de l'apôtre.
■7taopT,ai.{ôv £v Tw Txavupw vaw tT^ç 'Avaarà-
Tccoç. Jérusalem, imprimerie de la com-
munauté du Saint-Sépulcre, 1901 (i).
Expliquons ce titre.
Les hymnes dont il s'agit ici n'ont rien
de commun, bien entendu, avecleshymnes
de la liturgie romaine; rien de commun
non plus avec les poèmes du genre de
ceux de saint Romain ; le mot désigne
vaguement des chants religieux, tropaires
isolés ou réunis en groupe de la manière
que nous verrons.
Ces chants sont exécutés dans l'église
de la Résurrection aux processions et à la
réception solennelle du patriarche.
Le premier dimanche du grand Carême,
fête de l'Orthodoxie, c'est-à-dire du réta-
blissement du culte des saintes images
(i) Il existe une édition parue en 1910 sous ce
titre: 'T(jLvoi XtTavciwv xat à èuiTaçioî 6pfjV0ç; je
dois cette indication, comme plusieurs autres uti-
lisées au cours de cet article, au P. Anthime
Chappet, à qui j'offre mes remerciements.
LE PROPRE GREC DE JÉRUSALEM
273
en 843; le troisième dimanclie du même
Carême, fête de l'adoration de la croix,
et le 14 septembre, fête de son exaltation;
le dimanche des Rameaux, le dimanche
après Pâques, où l'Eglise grecque com-
mémore l'apparition de Notre-Seigneur à
l'apôtre saint Thomas; le dimanche de la
Pentecôte, le jour de l'Epiphanie, le jour
de saint Nicolas (i) et celui de saint Da-
mien (2) ont lieu deux cérémonies parti-
culières.
La veille au soir avant les vêpres, le
patriarche fait son entrée dans la basilique,
accompagné des membres du saint synode
et des hégoumènes de la Ville Sainte. Ar-
rivé à la pierre de l'onction, au lieu que les
Grecs appellent à-oxaOr^AojT-.;, il trouve
les deux chœurs des chantres qui chantent
une, deux ou trois fois Vapolytikion (3) de
la fête. Par exception, le dimanche de l'Or-
thodoxie, ils chantent les quatre tropaires
à la Sainte Trinité, qui font partie du noc-
turne dominical ordinaire (4).
Or, ce sont ces entrées du patriarche
qu'on appelle rapoT^T'ia-. (5), et ces venues
des chantres à sa rencontre qu'on nomme
TTpoj-avTY^TS'.^. Notre brochure contient,
p. i2-It, les tropaires chantés dans ces
occasions, qu'on trouverait aussi bien,
d'ailleurs, dans les livres liturgiques.
Quant aux À'-avs^a-. de notre titre, aux
processions, elles ont lieu ainsi. Le jour
même des neuf fêtes énumérées ci-dessus,
après la messe, le patriarche, accompagné
de tout le clergé encore revêtu des orne-
ments sacrés, se dirige vers l'édicule du
Saint -Sépulcre, le xo'joo-jxa'.ov. comme
disent les Grecs; le cortège en fait trois
m L'édition de 1901 ne parle pas de cette fête,
qui a sans doute été ajoutée récemment à la liste
traditionnelle, on devine pour quelle raison.
(21 Patron du patriarche actuel; le jour changera,
bien entendu, avec son successeur.
(3) Un des principaux tropaires de l'office; voir
S. Pétridès, Apulytikion, dans le Dictionnaire
d'archéologie chrétienne et de liturgie de Dom
Cabrol, t. I", col. 2602.
(4) Par exception encore, aux létes de saint
Nicolas et de saint Damien, le patriarche entre
dans l'édicule du Saint-Sépulcre, et les chantres
exécutent leurs tropaires devant le monument.
(5) Je ne connais pas d'autre exemple de ce mot
pris avec cette signification.
fois le tour, puis se dirige successivement
vers le lieu de la Descente de la croix,
vers les chapelles de la Couronne d'épines,
de l'Invention de la croix, de la Division
des vêtements, de Saint-Longin, vers le
lieu du Noli me tangere, et on rentre dans
le catholicoti, que nous appelons le chœur
des Grecs.
Autour du Saint-Sépulcre, les chœurs
chantent un très curieux poème de vingt-
quatre tropaires avec acrostiche alphabé-
tique. Ce poème est dialogué, c'est-à-dire
que chaque tropaire est mis dans la bouche
d'un ou plusieurs des personnages évan-
géliques : Marie, mère de Jésus, Marie,
mère de Cléophas, Marie-Madeleine, Sa-
lomé, saint Jean, Joseph, Nicodème; le
dernier est une prière des assistants. A la
suite du poème, trois autres tropaires.
A la Descente de la croix, on chante
trois tropaires; devant chacune des quatre
chapelles, un tropaire. Au Noli me tan-
gere, le 8" sca-oTTî'.Aàp'.ov de l'empereur
Constantin Porphyrogénète (1); à la ren-
trée dans le catholicon, un fragment du
psaume lxxvi (lxxvii), versets 14-15 (2).
Tous les textes dont il vient d'être ques-
tion sont contenus dans la brochure,
p. 3-1 1 : il aurait été, semble-t-il, plus lo-
gique de les placer après les chants fixés
pour la réception du patriarche.
Notons que chaque dimanche matin un
évêque, quelquefois même le patriarche,
fait avec quelques hégoumènes ou archi-
mandrites une entrée plus ou moins solen-
nelle. Mais il n'y a pas de chants exécutés,
pas plus qu'à la fin de la messe pour sa
sortie.
* *
Le second recueil dont nous avons à
parler a été, m'a-t-on dit, composé vers
le milieu du siècle dernier, par les profes-
seurs de l'Ecole théologique de Sainte-
Croix; il est en usage pour la réception
(n Cet empereur est l'auteur de onze tropaires
portant ce nom et chantés à tour de rôle chaque
dimanche vers la fin de l'office de l'aurore.
(2) Ces versets constituent le (lÉya irpo-/.£i(A£vov
chanté aux secondes Vêpres des fêtes de Notre-
Seigneur.
274
ÉCHOS d'orient
officielle au Saint-Sépulcre des groupes
de pèlerins un peu importants, d'une
vingtaine de personnes au moins.
Son titre est : '^'.or/'.-zr^ç •jjj.vwoôç'tI jxeXcj)-
ijievo'. xal ÀiTavîyovTS^ £'.? Ta svtôs toG Tzaviipou
vaoO r/iç 'Avaorràffstoç 7tav3"£êao":a Tupoo-xuv/j-
uia^a xal 8c^a -apsxx/.r^T-.a. imprimé à Jéru-
salem en 1893, par ordre du patriarche
Gérasime h'', il compte 120 pages in-S";
il est orné de 36 naïves gravures. C'est
la cinquième édition de l'ouvrage que j'ai
sous les yeux (i).
Les pèlerins baisent le Saint-Sépulcre;
un sacristain distribue des cierges à cha-
cun; les chœurs, rangés devant l'édicule,
chantent quatorze tropaires et le prêtre
qui préside la cérémonie, assisté d'un
diacre, lit une explication appropriée en
grec moderne. De là, on se rend, le prêtre
et le diacre en tête, au lieu du Noli metan-
gere, au chant d'un tropaire appartenant
à la catégorie des megalynaria, et du hui-
tième èça-oo-Tsùàpiov; nouvelle lecture par
le prêtre.
La procession visite ensuite les chapelles
de la Flagellation, de laPrison(2), deSaint-
Longin, de la Division des vêtements, des
Saints-Constantin et Hélène (avec la grotte
de l'Invention de la croix) et du Couron-
nement d'épines. Durant le trajet d'une
station à l'autre, on chante quatre tro-
paires : les vingt-quatre tropaires réunis
forment un poème à acrostiche alphabé-
tique. Au lieu même de la station, le prêtre
encense; le diacre dit une collecte (3) où
sont commémorés les pèlerins; le prêtre,
une oraison sur les assistants, qui inclinent
la tête, puis une lecture explicative. A la
chapelle du Couronnement d'épines, avant
la collecte, le diacre lit un évangile, Matth.
xxvii, 27-32.
De cette chapelle, la procession monte
au Calvaire au chant d'un autre poème
(i| Il existe une édition plus récente, de 1895.
(2) En grec, twv x/anàiv xal rf,; 6îotôxo"j.
(3) J'appelle collecte ces invitations à prier à
telle et telle intention que le diacre adresse si fré-
quemment au peuple et auxquelles on répond :
Kyrie eleison. V
à acrostiche alphabétique, plus un tro-
paire final de même rythme. Encensement
par le prêtre. Le diacre lit un évangile,
Matth. xxvii, 33-54, et la collecte; le prêtre
dit une oraison et fait une lecture, et les
pèlerins vénèrent le lieu de la Crucifixion
au chant de trois tropaires exécutés « len-
tement et avec mélodie ».
On redescend en chantant le poème
dialogué à acrostiche alphabétique que j'ai
signalé déjà dans la brochure précédente.
Au lieu de la Descente de croix, le diacre
lit un évangile, yoa«. xix, 38-42, et la col-
lecte. Le prêtre récite une oraison et lit
une explication, suivie, sans autres chants,
de trois autres se rapportant au lieu du
Crâne, au lieu des Myrophores ou saintes
femmes, aux tombeaux de Joseph et Nico-
dème.
Le cortège revient au Saint-Sépulcre et
fait trois fois le tour de l'édicule, tandis
que les chœurs chantent un autre poème
à acrostiche alphabétique. Le prêtre, non
plus le diacre, lit un évangile, Matth.
xxvn, 62-66; xxviiF, 1-20. Collecte par le
diacre et oraison par le prêtre.
Enfin on rentre dans le catholicon au
chant de deux tropaires tirés de l'office
de la consécration des églises et la céré-
monie se termine par une formule spéciale
à'apolysis, ou renvoi des fidèles.
La brochure contient encore, p. 63-120,
comme une espèce de supplément :
1° Un hymne sur le Saint-Sépulcre, avec
un xov-ràxiov ou prélude, et vingt-quatre
olxo». ou strophes à acrostiche alphabé-
tique, sur le rythme de Vhymtie acatUste.
2° Une 7rapàxXr,T',; au Saint-Sépulcre,
dont la pièce principale est, comme d'or-
dinaire,un^fl«owdudeuxièmetonplagal(i).
30 Une prière au Saint-Sépulcre.
La troisième brochure qui nous reste
à examiner est intitulée : 'AxoÀo-jO'la Upà
(i) Une des dévotions les plus répandues chez
les Grecs est de faire célébrer par un prêtre, moyen-
nant honoraires, un office appelé TrapàxXriai;, d'or-
dinaire en l'honneur de la Sainte Vierge ou de
quelque saint.
LE PROPRE GREC DE JÉRUSALEM
275
T,u.(j>v OîotÔzo'j xal iî'.TrasOsvo'j Mao'laç. Elle
a été imprimée par ordre du patriarche
Nicodème l^r, en 1885, à Jérusalem, à l'im-
primerie patriarcale du Saint-Sépulcre, et
compte 6 -r 3 -+- 41 pages in-S».
Les six premières pages, non chiffrées,
comprennent, outre le titre, une courte
préface. On y signale une deuxième édi-
tion, parue sous le patriarche Cyrille II, et
une première, imprimée à Venise chez
François Andreola en 1836, 44 pages
in-8'' (i). On nous donne, e.i outre, les
renseignements suivants.
D'après une ancienne coutume (2), la
veille de la Dormition de la Mère de Dieu,
a lieu à Jérusalem une cérémonie particu-
lière: le clergé entourant le tombeau de
la Vierge, on chante des ÈY/.iô;j.'.a ou
louanges à l'Assomption, comme la nuit
du Samedi-Saint au tombeau du Sauveur.
Divers chants ont été composés sur ce
sujet par plusieurs savants; le plus célèbre
était dû au Grand Rhéteur Manuel ; pendant
longtemps c'est lui qui était exécuté dans
l'église de la Dormition à Gethsémani (^).
En 178;, le patriarche Abramios confia
le soin de retoucher l'œuvre de Manuel
au biérodidascale Procope, originaire du
Péloponèse, professeur à l'école patriar-
cale, qui crut préférable de fournir une
œuvre nouvelle de son crû. C'est l'office
actuel, resté assez longtemps manuscrit,
puis imprimé, comme on l'a dit, à Venise
en 1836, puis à Jérusalem sous Cyrille II,
avec des corrections exécutées par un
(li Notre bibliothèque possède un exemplaire
de cette première édition, avec le timbre armorié
du métropolite Chrysanthe de Corfou, qui avait
souscrit pour le chiffre considérable de 5o exem-
plaires, comme en témoigne la liste des souscrip-
teurs insérée à la an du volume.
f2) De l'aveu même de l'auteur, elle remonterait
au plus au xvr siècle. Notons ici que la pratique
de Jérusalem a failli s'étendre dans le patriarcal
de Constantinople, mais qu'elle a été rejetée offi-
ciellement comme une nouveauté.
(3) 11 s'agit de huit canons à la Sainte Vierge
par Manuel, sur lesquels on peut voir .•\. P. Kera-
MEus, dans Jlxo-ixviiz. 'Eirîrr.pî;, t. VI. Athènes,
IQ02, p. 87, ou peut-être de ses Megalynaria sur
l'Assomption, imprimés à Venise en 1626. Voir
E. Legrand, Bibliographie hellénique, xvii* siècle,
t. I", p. 202.
autre Péloponésien, Samuel, cathégou-
mène de Gethsémani, enfin, encore à Jéru-
salem en 1885, avec de nouvelles correc-
tions
L'acolouthie à laquelle nous avons af-
faire n'est pas destinée à remplacer celle
de la Dormition que nous trouvons dans
es livres liturgiques de l'Eglise grecque :
là l'origine, elle s'intercale seulement dans
Voffkede l'aurore; plus tard, celui-ci a été
considérablement abrégé.
Si on consulte une édition du Triô-
dion (i), on observe à l'office de l'aurore
du Samedi-Saint l'addition de sticbères (2)
au « psautier » du Jour. Ce jour-là, comme
les autres samedis d'ailleurs, les trois
divisions du psautier sont formées par les
trois divisions de l'unique psaume cxvm.
Les sticbères comprennent eux aussi trois
divisions, marquées par la différence du
rythme. Soit les manuscrits, soit les livres
imprimés leur donnent le nom d's-'.Tà-^'.o;
OsT.vo;, lamentation funèbre, ou d'£-'x(ô;j.!,a,
éloges (3).
C'est cette particularité de l'ofïice du
Samedi-Saint qui a été imitée à Jérusalem
pour la Dormition. On n'a pas songé que
le psaume cxviii est réservé au samedi,
ou encore on n'a plus songé qu'à ceci,
qu'il est partie intégrante de l'office des
funérailles, et on lui a composé des sti-
cbères sur le rythme de ceux du Samedi-
Saint, sticbères auxquels le sous-titre de la
première édition garde le nom d'i'.'xtôu.'.i.
En outre, l'office de l'aurore comporte
le samedi une série de tropaires consacrés
au souvenir des défunts, le dimanche une
(i) Livre contenant le propre du temps prépa-
ratoire à la fête de Pâques, depuis le dimanche
du Publicain et du Pharisien «dimanche avant
notre Septuagésime» jusqu'au Samedi-Saint inclu-
sivement.
(2> On nomme stichères les tropaires qui sont
intercalés par les chantres entre les versets scrip-
tural res.
(3) Les plus anciens manuscrits du Triôdion
que j'ai pu consulter ne renferment pas ces sti-
chères; j'ignore à quelle époque ils remontent et
quel en est l'auteur. A ce propos, je signale aux
chercheurs l'œuvre de Michel Philès dans le cod.
graec. 7 de la Bibliothèque angélique, à Rome,
fol. 3 V et 25 1 V, dont le texte est malheureuse-
ment en mauvais état.
276
ÉCHOS d'orient
autre séiie consacrée à là résurrection;
ce sont les £Ù).oyrjTàp!.a vsxptÔT'.aa et les
s'jÂ0Yr,Tàpt.a àvaTTào-!,u7.. Par une exception
unique, le Samedi-Saint, ces tropaires
résurrectionnels remplacent les tropaires
des morts. A Jérusalem aussi on a voulu
avoir quelque chose de pareil, et l'on a
fabriqué des £'j).oyyiTàp'.a à la louange de
la Théotocos.
Le Samedi-Saint, à la fin de l'office de
l'aurore, a lieu une procession très solen-
nelle où l'on porte Vir.i-zàoioç, linge riche-
ment brodé représentant l'ensevelisse-
ment du Christ. Ce rite encore a été intro-
duit à Jérusalem
Notre brochure, à la suite de la pré-
face, en trois pages chiffrées a'-;' donne
de la cérémonie cette description, que je
traduis à peu près mot à mot.
La veille de la Dormition, le 14 août ( i ),
Sa Béatitude le patriarche, avec les autres
évêques et tout le clergé, descend dès le
matin à Gethsémani (2 ), et y reste sous des
tentes dressées à cet effet (3). Lorsque tout
est prêt, le cathégoumène de Gethsémani
avertit le patriarche, ou en son absence
ses épitropes et les autres, et le cortège se
dirige vers l'église. Au sommet des degrés
de l'escalier se tiennent les prêtres en or-
nements sacrés, portant l'évangéliaire et
l'image de la Dormition, Jes diacres avec
les encensoirs, et l'hégoumène avec l'encens
et l'eau de rose. Celui-ci avance à la ren-
contre du patriarche qui, ayant revêtu le
mandyas (4) et pris la crosse, vénère et baise
l'évangéliaire et l'image, puis, la croix à la
main, descend l'escalier en bénissant le
peuple. Les diacres l'encensent, il est pré-
(r) La première édition dit le i5 ou le 24 aoiit;
ce dernier jour est celui où se termine la fête.
(2) C'est-à-dire à l'église du Tombeau de la
Sainte-Vierge, dont il ne reste que la crypte où
l'on descend par un escalier de quarante-huit
marches.
(3) Une foule de pèlerins viennent aussi camper
là en plein air, sous la tente ou sous des abris de
feuillage. Outre les orthodoxes arabes, grecs, russes
il y a un grand nombre d'Arméniens et d'Arabes
musulmans. Le coup d'oeil est très pittoresque,
mais il y a des scènes fort peu édifiantes.
(4) Grand manteau que les évêques grecs revêtent
pour une cérémonie à laquelle ils doivent être
plutôt assistants qu'officiants.
cédé par les prêtres et les psaltes qui chantent
Vapolytikion de la fête, et suivi des évêques
et du clergé. Arrivé au milieu de l'église,
il bénit comme d'habitude, et les psaltes
chantent : £•.; TioÀXà E-rr,, oécrroTa (= Ad
multos annos, dojnine); puis il monte au
trône, l'hégoumène lui baise la main, et
les psaltes chantent son polychronis-
mos (i). Les prêtres revêtent alors leurs
ornements, et les évêques prennent l'éiole
et Vomophorion (2); le patriarche, au chant
du tropaire : àvfoOsv o\ 7rûO'.pT,Ta'., entre dans
le caiholicon, revêt tous ses ornements
pontificaux et encense, en en faisant le
tour, le /// funèbre de la Mère de Dieu,
placé au milieu. Puis il dit I'eùXovyjto;, et,
tandis que les psaltes continuent le trisa-
gion et les autres formules initiales de tout
office, les prêtres soulèvent le //7 et le trans-
portent sous le lustre au milieu de l'église,
en face du koubouklion (3). Le clergé se
range tout autour. Le patriarche entre dans
le tombeau de la Mère de Dieu, encense et
commence la première division des encomîa;
puis il sort, encense le lit en forme de croix,
le clergé et le peuple ; à la fin de la première
division, petite collecte. Au début des deux
autres divisions, c'est un évêque qui fait
les encensements; petite collecte à la fin
de chacune. Après les encomia, on chante
les E'jX&yTjTàp'.a, r£;azo(7Ti'.Ààç'.ov, les laudes
et la grande doxologie, pendant laquelle le
clergé baise l'image de la Vierge placée sur
le lit. Lorsque commence le trisagion. les
prêtres prennent de nouveau le lit et on
monte jusqu'au sommet de l'escalier où a
lieu une collecte avec mémoire des Pères
et de tous les pèlerins. Le patriarche bénit
le peuple au chant de: tU t.oIax "étt,, oÉsTrora.
On redescend au chant de trois tropaires
indiqués dans la brochure. Le lit est replacé
dans le caiholicon: le patriarche dit Vapo-
lysis, et le clergé retourne sous les tentes
pour s'y reposer. Le /// de la Mère de Dieu
reste au même endroit jusqu'au dernier
jour de la fête, c'est-à-dire jusqu'au 24 août.
Tous les jours, les fidèles viennent le baiser
(i) Formule liturgique de souhaits de longue \ie.
(2) Ornement analogue au pallium romain, mais
porté par tous les évêques grecs.
(3) On appelle koubouklion l'édicuJe du Saint-
Sépulcre et par extension un monument dressé
dans les églises le Samedi-Saint pour représenter
le tombeau divin. Ici le mot s'applique au tombeau
de la Sainte Vierge.
LES PHILOPONES D OXYRHYNQUE AU IV* SIECLE
277
et passent au-dessous par dévotion (i); la
brochure contient deux tropaires chantés
à la fin de la messe pendant cette opération.
Le 24 août, à la fin de la messe, l'image
de la Sainte Vierge, accompagnée de cierges
et d'encensoirs, est transportée solennelle-
ment au metochion 1 2 ) de Gethsémani, qui
est situé en face du Saint-Sépulcre.
Ceux de nos lecteurs qui sont familia-
risés avec la structure àtV office de V aurore
au rite byzantin, l'auront reconnu dans la
description précédente, avec les additions
imitées, comme nous l'avons dit, de l'of-
fice du Samedi-Saint, et la suppression de
tout le début ordinaire de l'office du matin .
Cette suppression, due à un désir d'abréger
des cérémonies bien longues, est d'ailleurs
récente, puisqu'elle n'est pas indiquée
dans l'édition de 1836.
t SOPHRONE PÉTRIDÈS.
Constantinople.
LES PHILOPONES D'OXYRHYNQUE AU IV' SIÈCLE
On se rappelle sans doute les deux
articles consacrés ici même par notre re-
gretté confrère, le P. Pétridès, aux spoudœi
et aux philopones (3). Dès le début de
sa seconde étude, il résumait ainsi les
résultats auxquels de nombreux docu-
ments lui avaient permis d'aboutir.
Dans un précédent article, j'ai démontré
l'existence à Constantinople et à Jérusalem
d'une sorte de confrérie composée de chré-
tiens plus zélés, vivant au milieu du monde,
mais y pratiquant une vertu plus austère
que le commun des fidèles. De nouvelles
recherches me permettent aujourd'hui de
confirmer sur les points essentiels les résul-
tats acquis, de préciser certains détails, et
de dire que les associations de spoudœi,
ailleurs appelés philopones, compagnons,
d'autres noms peut-être, ont couvert l'Orient
grec du iv' au vu* siècle. C'est, je crois, la
première fois qu'on met en évidence ce fait,
qui ne manque pas d'un certain intérêt
pour l'histoire de l'Eglise (4).
Ces confréries religieuses de pieux
laïques, le P. Pétridès les retrouvait à
(Il Cette coutume populaire est observée aussi
pour le koubouklion du Samedi-Saint.
(21 Le metochion est une espèce de procure que
les monastères possèdent en ville.
(3) Le monastère des Spoudœi à Jérusalem et
les Spoudœi à Constantinople, dans Echos d'Orient
(1901), t. IV, p. 225-23 1, et Spoudœi et Philopones,
op. cit. (1904), t. VU, p. 341-348.
(4) Echos d'Orient, t. VII, p. 341.
Constantinople, dans l'ile de Chypre, à
Jérusalem, à Beyrouth, à Antioche, sur
divers points de l'Egypte, et cela depuis
la fin du iv« siècle jusque vers le milieu
du vu*'. Le plus ancien témoignage cité
par lui paraît être la « lettre de l'évêque
Ammon sur la vie de saint Pachôme et
de saint Théodore, écrite vers 400 », mais
parlant, à propos de l'exil de saint Atha-
nase sous Constance, en 340 ou 3^6, des
souffrances endurées par les moines, les
vierges et les laïques spoudaei (i).
Le hasard d'une lecture m'a fait décou-
vrir un document, édité du reste, bien
plus ancien que tous ceux qui étaient
cités jusqu'ici et qui atteste l'existence
d'une confrérie de ce genre à l'aurore
même du iv« siècle. Il s'agit d'une lettre de
Pierre le Martyr, patriarche d'Alexandrie,
que son éditeur a datée de l'année 3 1 2 (2).
Pierre y raconte la visite qu'il fit à la com-
munauté chrétienne d'Oxyrhynque, au-
jourd'hui Behnésé, alors métropole de la
province de l'Heptanomos en Egypte, et
l'accueil cordial qu'il y reçut.
Vous savez que, en fuyant pendant de
longs jours d'un lieu dans un autre par
(i) Echos d'Orient, t. VU, p. 343.
(2) ScH.viiDT, Fragmente einer Schri/t des Maer-
ty^rbischofs Petrus von Alexandrien dans les
Texte und Untersuchungen de Harnack, N. F.
t. V, fasc. IV (Leipzig, igoi).
278
ÉCHOS d'orient
crainte de Dioclétieii et de sa persécutioji
qui est encore dirigée contre nous, j'allai
dans le sud de l'Egypte jusqu'à ce que j'ar-
rivasse à Oxyrhynque. Là, je fus reçu avec
joie et avec une grande jubilation par les
clercs, par les philopones et par le peuple
croyant (i).
L'énumération est claire, les philopones
occupent une place intermédiaire entre
le clergé d'une part, et les simples chré-
tiens d'autre part. Ce ne sont pas des
moines, comme le laisse entendre l'éditeur
de notre document (2); le P. Pétridès a
réuni trop de témoignages précisant la
signification de ce mot, pour que nous
hésitions encore, A Oxyrhynque comme
ailleurs, nous sommes en présence d'une
pieuse confrérie de laïques zélés pour la
religion et en particulier pour l'exercice
du culte. La lettre du patriarche Pierre
atteste que l'institution est beaucoup plus
ancienne qu'on ne pouvait se l'imaginer,
puisqu'elle en constate l'état florissant
dans une ville d'Egypte dès le début du
ive siècle, entre les années 303 et 305
selon toute vraisemblance. A quand re-
monte cette sorte de confrérie et qui l'a
établie le premier, c'est ce que «nous igno-
rons encore (1). Siméon Vailhé,
Constantinople.
UN MANUSCRIT CHRÉTIEN EN DIALECTE TURC
LE « CODEX CUMANICUS »
La bibliothèque de Saint-Marc, à Venise,
possède un manuscrit connu sous le nom
de Codex Cumanicus. Daté de l'an 1303,
il est écrit dans le dialecte parlé alors par
un peuple de race turque établi en Hon-
grie et en Russie méridionale, les Comans.
On l'appelle aussi quelquefois Codex de
Pétrarque, du nom du célèbre poète ita-
lien qui en fit l'acquisition peu d'années
après sa rédaction. On sait que Pétrarque,
né en 1304, est mort en 1374. Le Codex
Cumanicus était compris dans la série
d'ouvrages que l'illustre écrivain légua à
la République de Venise (4). Avant de
tomber entre les mains de Pétrarque, le
manuscrit avait d'abord appartenu à un
certain Antoine de Finale (5), qui, s'il ne
(i) ScHMiDT, op. cit., p. 7 sq., col. 1.
(2) ScHMiDT, op. cit., p. 35, n. 3.
(3) Je tiens à prévenir le lecteur que ces pages
ne veulent être qu'une courte introduction à une
monographie historique du peuple turc connu au
moyen âge sous le nom de Comans.
(4} ToMASiM, Petrarcha redirivus. Padoue, i65o,
p. 71-73.
(5) Cette indication est fournie à la page i56 du
Codex ■ Iste liber est di Ant. de Filiale
l'avait pas apporté lui-même du pays des
Comans, devait le tenir soit de mission-
naires, soit de marchands vénitiens ou
génois.
C'est un in-4ode 164 pages. 11 est divisé
en deux parties : l'une a dû être écrite par
des Italiens, à en juger par la transcrip-
tion et le contenu; l'autre par des Alle-
mands, toutes deux probablement par des
missionnaires franciscains qui évangéli-
saient, au xiif et au xiv^ siècles, les di-
verses tribus établies sur les bords de la
mer Caspienne et de la mer Noire, ainsi
que dans certains districts de Hongrie.
L'ouvrage débute par la- date où il fut
rédigé: MCCCIII, die XI Julii; puis par
une invocation du Christ, de la Vierge et
de tous les saints : In nomine Domini
Nostrijesu Christi et Beatœ yirginis Mariœ
Matris ejus et omnium sanctorum et sancta-
rum Dei. Amen. Cette première formule
(i) La Revue des Etudes grecques (1906), t. XIX,
p. 297, n° 217, a publié également l'épitaphe de Luc,
Philopone d'Aphrodisias-Stauropolis, aujourd'hui
Ghéré, ancienne métropole religieuse de la Carie;
par malheur, elle n'est pas datée.
UN MANUSCRIT CHRÉTIEN EN DIALECTE TURC : LE CODEX CUMANICUS
279
est suivie de cette autre ; Âd bonorem Dei
et beati Johaimis Evangelistœ.
La première partie est un vocabulaire
latin-persan-coman. On y voit d'abord un
lexique alphabétique, avec cette suscrip-
tion : In boc libro conthientur persicum et
comanicum per alpbabetiim. L'ordre alpha-
bétique est celui des mots latins, dont
l'équivalent persan et coman est donné
sur deux colonnes parallèles. Chaque lettre
est annoncée par la formule : Hœc sunt
verba de littera A, B, etc. Mais l'ordre
alphabétique est bien loin d'être rigoureux
et complet. La lettre A commence par le
verbe aiidio, conjugué aux divers modes,
temps et personnes; vient ensuite le verbe
amo, dont on nous donne seulement deux
temps de l'indicatif et un de l'impératif;
suivent les mots : amie lis, anior, accipio, etc. ,
sans que la succession des lettres de l'al-
phabet soit autrement respectée. Après
ce dictionnaire alphabétique incomplet, le
Codex foucnit une liste d'adverbes, prépo-
sitions et conjonctions; puis des noms et
pronoms, avec leurs déclinaisons; enfin,
quarante listes de mots groupés par séries
sousdestitres généraux dont voici quelques
exemples : Nomina reriim qiiœ pertinent
Deo et ad serviendum ei, Qualitates
feniponim, Qiialitates renim, No-
mina berbarum, bestiarum, etc.
On a cru longtemps que ces divers
lexiques avaient pour auteurs des mar-
chands italiens, qui les auraient compilés
dans un but pratique et commercial. Un
savant professeur de l'Université de Lou-
vain, M. W. Bang, vient de s'inscrire en
faux contre cette opinion. Pourquoi, dit-il
en substance, Génoisou Vénitiens auraient-
ils pris la peine de recueillir dans une caté-
gorie distincte les termes relatifs au culte
divin, nomina rerum quœ pertinent Deo et ad
serviendum ei, par exemple, des mots tels
que pœnitentia, confessio, sanctificatio, ou
encore des listes intitulées : Complementa
bominum, Defecta bominum, et comportant
des concepts purement abstraits, sans
aucun rapport avec les opérations mer-
cantiles? Rien ne dénote, d'ailleurs, dans
le lexique, les spécialités de denrées com-
merciales propres aux pays des Comans,
et que des marchands n'auraient certaine-
ment pas omises. C'est ainsi que, dans
ces listes de mots, on ne rencontre pas de
paragraphe spécial sur l'exportation de la
soie ou des fourrures, sur le commerce
des poissons secs, des esturgeons, du
caviar et de la colle de poisson qui avait,
paraît-il, une assez grande importance dans
la Comanie méotique, c'est-à-dire sur les
bords de la mer d'Azov, appelée autrefois
Palus Méotis. La variété du contenu con-
vient bien plutôt à un missionnaire qu'à
un marchand, (i) Aussi bien, cette partie
du Codex est-elle entreprise ad bonorem
Dei et beati Jobannis Evangelistœ; ce qui
suppose, semble-t-il, un Ordre ou une
confrérie religieuse vénérant l'apôtre saint
Jean comme un de ses patrons (2).
La seconde partie du manuscrit, à partir
de la page 1 1 1 , contient aussi des indica-
tions lexicales : locutions comanes avec
traduction allemande, série de cinquante
énigmes comanes, etc., mais surtout des
textes religieux, dont quelques-uns assez
étendus; des hymnes et des prières chré-
tiennes dont nous aurons à faire le détait
un peu plus bas, des sermons ou frag-
ments d'instructions sur certaines fêtes
liturgiques et sur d'autres sujets.
Au total, on a calculé que le lexique du
Codex Cumanicus comprenait 2 500 mots.
11 n'est pas jusqu'aux formes latines qu'il
présente qui ne puissent avoir leur intérêt
pour la science philologique. C'était, dès
1828, l'avis d'un excellent orientaliste, Kla
proth, qui fut, nous allons le voir, le pre-
mier éditeur du manuscrit vénitien, et qui
écrivait :
Le latin même de cet ouvrage est curieux,
et on y trouve plusieurs mots peu connus.
(11 w. Basg, Beitraege i{ur Kritik des Codex
Cumanicus (Extrait des Bulletins de l'Académie
royale de Belgique, classe des lettres, etc., jan-
vier 1911), p. 34-35. Cependant un paragraphe spé-
cial est réservé à la catégorie des noms désignant
les épiées et aux termes se rapportant au com-
merce en général : Hœc continent de spetiario et
spetiaria, ...Mercimonia quœ pertinent ad mer-
catorem.
(2) Ibid.
28o
ECHOS D ORIENT
qui pourraient former un petit supplément
à Du Gange, et qu'on parvient à expliquer
àl'aidedu persan et du coman qui se trouvent
à côté (i).
L'existence du précieux Codex de Venise
n'a pas entièrement échappé aux savants
du xviie et du xviiie siècle. Leibnitz (1646-
17 16) connaissait le catalogue des livres
légués par Pétrarque à la bibliothèque de
Saint-Marc, mais ses efforts pour décou-
vrir le manuscrit coman qui y était signalé
demeurèrent sans résultat :
Vidi catalogujn librorum Petrarchœ,
ubi inter altos libros conspiciebatur Dic-
tionarium linguœ Cumanœ: sed in hoc
indagando frustra laboravi (2).
11 faut croire que des raisons spéciales
avaient amené ce grand esprit à recher-
cher les traces de la langue comane, car
cette pensée le préoccupait, comme en
témoigne encore cet autre passage de ses
écrits :
Semper mihi suspicio fuit, posse in ali'
quibus Daciœ angulis aliquas superesse
reliquias linguae Cumanœ (3).
Après Leibnitz, le Hongrois Cornides
rappela aussi aux savants l'existence du
Codex Cumanicus. Plus heureux que le
philosophe allemand, il put voir de ses
yeux et feuilleter de ses mains le précieux
manuscrit, en 1770. 11 prit copie d'une
partie du vocabulaire coman, ainsi que de
quelques paradigmes des déclinaisons et
des conjugaisons, et n'eut pas de peine à
se rendre compte que la langue du Codex
était un dialecte turc complètement diffé-
rent du hongrois. 11 faut regretter que la
dissertation de cet érudit sur les Comans,
Commentatiuncula historico-critica de Cii-
manis, soit demeurée inédite. Voici du
moins ce qu'il écrivait de Vienne, le 14 fé-
vrier 1773., à Georges de Pray :
Quœ de lingua Cumanorum hungarica
disputas, elegantia sunt, miroque excogi-
(i) Klaproth, Mémoires relatifs à l'Asie, t. III.
Paris, 1828, p. 121.
(2) Leibnitz, Opéra omnia, Genève, 1768, t. VI,
p. II, p. 188.
(3) Ibid., t. V, p. 224.
tata ingenio; mihi tamen non satisfaciunt.
Diversum enim Gumanorum fuisse ser-
monem ahungarico, prêter Rogerium, alia
quoque ejus œtatis monumenta loquuntur.
Possem omnino nubem testium proferre,
qui uno ore Cumanos perhibent Tartaros
Kipzacos fuisse, linguamque cumanicam
tartaricœ dialectum; certiori tamen utar
argumento, planequetaliquod vim afferat.
Triennio abhinc incidi Venetiis in biblio-
theca S. Marci in Godicem Ms. in-4°,
anno i3oi, si bene memini (i), exaratum,
atque linguai cumanicae vocabularium vo-
cumque cumanicarum declinationes con-
jugationesque tradentem. Ex indultu Gl.
Antonii Zanetti, bibliothecae praefecti, ex-
scripsi ex eo codice vocabula bene multa,
et aliqua declinationum conjugationumque
paradigmata, comperique linguam cuma-
nicam a hungarica, slavonica, germanica
cœterisque linguis europaeis toto cœlo dif-
ferre (2).
Edité une première fois, en 1828, à
Paris, parKlaproth, mais seulement d'après
une copie incomplète et fautive ne con-
tenant que la première partie de tout le
manuscrit (3), le Codex Cumanicus a été
publié de nouveau, et intégralement, à
Budapest, en 1880, par le comte Géza
Kuun (4). Avant ces publications, quelques
auteurs comme Pray, Ottrokocsi, Horvath,
Fejér, avaient pu supposer une certaine
parenté entre la langue comane et le
magyar ou hongrois (5). Depuis, le texte
du Codex, désormais bien connu, a mis
tout à fait hors de doute le caractère turc
(i) Légère erreur : la date est i3o3.
(2) Cornides, Lettre inédite à Georges de Pray,
citée par Kuun, Codex C«wfln2C«5. Budapest, 1880,
p. XII.
(3) H. J. VON Klaproth, Mémoires relatifs à
l'Asie, contenant des recherches historiques et
philologiques sur les peuples de l'Orient. Paris,
1824-1828, t. III, p. II 1-256.
(4) Geza Kuun, Codex Cumanicus bibliothecœ
ad templutn divi Marci Venetiarum, primum ex
integro edidit, prolegomenis notis et complu-
ribus glossariis instruxit cornes Ge^a Kuun. Buda-
pest, 1880.
(5) Voir Horvath, Commentatio de initiis ac
majoribus Ja^ygum et Cumanorum eorumque
constitutionibus. Pest. 1801, c. vi ; Lingua Cuma-
norum ac Jasi{onum ab origine hungarica fuisse
declaratur, p. 105-119. Cf. Kuun, op. cit., p.^ xxv.
UN MANUSCRIT CHRETIEN EN DIALECTE TURC ! LE CODEX CUMANICUS
281
de cette langue (i). Il est établi maintenant
que les Comans doivent être rangés à
côté des Petchénègues et des anciens Bul-
gares, parmi les peuples de race turque
venus dans l'Europe orientale au moyen
âge et qui ont été plus tard inexactement
confondus avec les Tartares.
N'était-ce pas,^ d'ailleurs, ce qu'affir-
mait déjà Anne Comnène en signalant les
Comans comme frères de langue des Pet-
chénègues? Un des chefs de ces derniers,
raconte-t-elle dans un épisode de son
Alexiade, s'avance vers les Comans comme
vers des frères de langue, pour parle-
menter avec eux : -pôo-s'.Tt. tov; Kouàvo-.;
(0.; 6|jLoyX(ÔTTO!,; (2). D'autre part, le géo-
graphe arabe Edrisi atteste, au xii^ siècle,
la différence absolue qui existe entre le
parler des Petchénègues et celui des Hon-
grois (3). Ce témoignage vaut aussi pour
le coman, puisque la langue des Petché-
nègues et celle des Comans sont iden-
tiques.
Aussi bien, la part une fois faite aux
éléments étrangers, slaves, magyars, alle-
mands, arabes et persans introduits par
le contact des populations voisines et par
les invasions, le vocabulaire coman du
Codex vénitien présente, sur un total de
2 500, plus de 2 000 mots d'aspect très
nettement turc, tant au point de vue du
lexique qu'au point de vue de la gram-
maire. S'il faut en croire Blau, un des orien-
talistes qui ont le plus étudié cette langue,
le coman se rapproche beaucoup du turc
bosniaque, et surtout du dialecte principal
des kanats, qui s'est développé principale-
ment dans le Khiva, région du Turkestan
m) Voir, par exemple, Max Mueller, The Lan-
guages in tfie seat of war, i855, p. 96; R. Roesleb,
Romœnische Studien, Leipzig, 1871, p. 338 et suiv.;
Blal, i'eberVolksthum und Sprache der Kumanen,
dans Zeitschrift der deutschen morgenlœndischen
Gesellschaft, t. XXIX, 1875, p. 556-587 ; W. Radloff,
Das tûrkische Sprachmaterial des Codex Cuma-
nicus, dans Mémoires de l'Académie impériale
des sciences de Saint-Pétersbourg, t. XXXV, n* 6.
Saint-Pétersbourg, 1887; et d'autres auteurs men-
tionnés par KuLN, op. cit., p. xxiv-xxv.
(2) Anne Comnène, Alexiade, 1. Vlll, P. G.,
t. CXXXl, col. 625 C.
(3) Klun, op. cit., p. xLii.
occidental aujourd'hui soumise à l'empire
russe. La parenté est même telle, au dire
de ce savant, qu'avec le lexique du ma-
nuscrit de Pétrarque on pourrait se faire
comprendre dans le Khiva sans avoir
aucunement l'air d'être un revenant du
xiiF ou du xiv« siècle (i).
C'est, en effet, du Turkestan que les
Comans sont originaires. Ils peuvent se
glorifier, comme peuple, d'une belle anti-
quité, si ce sont eux, comme il semble
bien, qui sont désignés sous le nom de
Koumani par une inscription assyrienne
de Téglatphalasar le»" (ii 18-1093 environ
avant J.-C), à laquelle nous consacrerons
un prochain article (2).
Ce premier document, d'une impor-
tance exceptionnelle, et d'ailleurs connu
depuis peu, demeure longtemps isolé dans
l'histoire des Comans. A part leur men-
tion rapide dans les listes des grands géo-
graphes anciens, on les perd de vue jusque
vers la fin du ix" siècle de notre ère.
A partir de cette époque, et surtout depuis
le milieu du xi« siècle, on les voit s'avancer
peu à peu vers l'Occident, sur les fron-
tières de l'Europe, à la suite de leurs frères
de race et de langue, les Petchénègues,
et se répandre entre le Don et le Danube.
Un bon nombre d'entre eux étaient déjà
établis dans la Hongrie, la Moldavie et la
Valachie au moment de l'invasion mon-
gole. Celle-ci en amena un tlot nouveau
dans ces pays et dans les pays voisins. Il
serait intéressant de suivre à travers l'his-
toire ce peuple migrateur et aventurier.
Ce sera la tâche d'une série d'articles ulté-
rieurs.
Le récit des faits et gestes des Comans
se mêle intimement aux annales des Hon-
grois et des Russes durant le moyen
âge. Ces derniers les appelaient Polovtses,
nom qui signifie probablement habitants
de la plaine ou du steppe, c'est-à-dire du
(i) Blau, op. cit., p. 575.
(2| Qu'il me suflSse aujourd'hui de renvoyer le
lecteur à Maspéro, Histoire ancienne des peuples
de l'Orient, t. Il, p. 655-656.
282
ÉCHOS d'orient
littoral de la mer Noire et de la mer Cas-
pienne, qui fut longtemps leur principal
séjour. La dénomination de Grande et
Petite Comanie est restée attachée à deux
districts de Hongrie, l'un en deçà de la
Theiss, l'autre en deçà du Danube.
Les Comans ont aussi une large part
dans l'histoire des origines de la Rou-
manie et de la Bulgarie. Ils y ont jadis
exercé leur puissance ; il y a eu des voi-
vodes comans de Moldavie et Valachie;
et pendant trois siècles, la dynastie co-
mane des Tertérides a occupé le trône
de Tirnovo. Aujourd'hui encore, dans ces
divers pays, maintes désignations de fa-
milles, d'hommes ou de lieu rappellent
toujours leur souvenir. Koman, Komanest,
Komanovo, Cumanii, Comarna, Comar-
nicul, etc., sont des noms assez fréquents
sur les cartes détaillées de Transylvanie,
de Roumanie et de Bulgarie (i). Dans
cette dernière contrée, un savant ethno-
graphe, M. Jirecek, croit avoir reconnu,
dans les tribus des Gagaouzes et des
Sourgouches, la survivance des anciens
Comans (2).
Pour compléter le sommaire des cha-
pitres qui doivent entrer dans une mono-
graphie des Comans, mentionnons au
moins leurs incursions assez fréquentes
en territoire byzantin, d'un côté, et de
l'autre jusqu'en Pologne et en Moravie.
Enfin, n'oublions pas de signaler leurs
rapports commerciaux avec les marchands
génois ou vénitiens, ainsi que leurs rela-
tions, pas toujours amicales, avec les
Francs des Croisades (3).
(i) Kuun, op. cit., p. Lxxxiii; Roesler, op. cit.,
p. 334; XÉNOPOL, Histoire des Roumains de la
Dacie trajane depuis les origines jusqu'à l'union
des principautés en 1 85g, t. I". Pans, 1893, p. 162;
Jirecek, Das Furstenthutn Bulgarien. Prague, iHgr,
p. 64, 144 et suiv.
(2) Jirecek, op. et loc. cit. Voir aussi un autre
ouvrage du même auteur : Geschichte der Bul-
garen. Prague, 1876, p. SyS; et surtout sa disserta-
tion spéciale : Einige Bemerkungen iiber die IJeber-
reste der Petschenegen und Kumanen, sowie iiber
die Vœlkerschaften der sogenannten Gagau^i und
Surguci im heutigen Bulgarien, dans Sit^^ungsber.
der kgl. bœhm. Gesellschaft der Wiss., 1889.
(3) Le lecteur voudra bien me faire provisoire-
ment crédit des références documentaires suppo-
Au surplus, outre l'histoire ethnogra-
phique et politique des Comans, il y a l'his
toire de leur évangélisation et des progrès
du christianisme parmi eux. Si le Codex
de Venise témoigne avec certitude qu'ils
sont de langue turque, il témoigne égale-
ment qu'au début du xiv^ siècle une chré-
tienté comane existait, assez nombreuse,
assez ferme, assez établie pour avoir, en
son idiome propre, des prières, des hymnes,
des sermons ou instructions catéchis-
tiques. On y trouve, par exemple, l'Oraison
dominicale, la Salutation angélique, le
Symbole, le Confiteor ; des instructions
sur les fêtes de Noël, de saint Etienne,
de l'Epiphanie, sur la Passion de Jésus-
Christ, sur le péché, sur la pénitence, etc.;
destraductionsd'hymnescomme le Vexilla
Régis en l'honneur de la croix, les strophes
de Prudence: A solis ortus cardine, etc.,
insérées par l'Eglise dans l'office de Noël ;
un poème assez long à la Sainte Vierge,
le Psalterium Mariœ; l'hymne Reminiscens
heati sanguinis au Saint Sacrement, etc.
Pour cette dernière, M. W. Bang a pu-
blié récemment une courte notice cri-
tique, accompagnée d'une photographie
de la page du manuscrit renfermant cette
pièce. On y voit le texte coman, écrit en
caractères latins, avec la notation en plain-
chant très clairement marquée (i).
Le contenu religieux du Codex Cuina-
nicus suppose donc une chrétienté de rite
latin organisée, ayant ses offices, ses réu-
nions, ses fêtes, ses missionnaires. La
mention de saint François dans la formule
du Confiteor permet de croire que ces
sées par l'énoncé que je viens de faire des diffé-
rents peuples avec lesquels les Comans ont été
en rapport. Au cours de mes recherches, les docu-
ments se sont offerts à moi en telle abondance,
que leur mise en valeur a tout naturellement donné
les proportions d'un travail assez étendu à ce que
je croyais d'abord ne devoir être qu'une simple
note occasionnelle. Les chapitres successifs, dont
les titres sont donnés, en somme, par l'énuméra-
tion ci-dessus, fourniront au fur et à mesure toutes
les références utiles.
(i) W. Bang, Ueber einen komanischen Kommii-
nionhymnus (Extrait des Bulletins de l'Académie
royale de Belgique, classe des lettres, etc., n" 5,
mai 1910). Bruxelles, Hayez, 1910, 11 pages et
2 phototypies.
UN MANUSCRIT CHRÉTIEN EN DIALECTE TURC: LE CODEX CUMANICUS
283
missionnaires étaient des religieux Fran-
ciscains, Ce détail porte à penser que la
mission d'où est venu ce recueil se trou-
vait aux bords de la mer Noire, et non
point en Hongrie. Nous savons en effet, par
ailleurs, que l'évangélisation des Comans
de Hongrie avait été, en 1227, confiée
aux Dominicains par Robert, archevêque
de Gran, et par le pape Grégoire IX, au
moment où i s 000 de ces barbares s'étaient
fait baptiser avec leur chef; un moine de
cet Ordre, Théodoric, avait été alors créé
évêque des Comans (i).
11 devait y avoir eu des conversions dès
avant cette date, puisque, en 1 2 1 7 et 1 2 1 8,
plusieurs lettres du pape Honorius III si-
gnalent l'existence d'un évêque des Co-
mans, voire même d'un Chapitre de cha-
noines (2).
Sans doute, quelques Frères Mineurs
pouvaient travailler à côté des Frères Prê-
cheurs dans la Comanie hongroise, et les
recueils de lois ecclésiastiques du royaume
de Hongrie enjoignaient aux moines de
ces deux Ordres d'apprendre la langue
des Comans pour les convertir au christia-
nisme (3). Mais les Franciscains qui ont
écrit le Codex Ciimanicus doivent plutôt,
croyons-nous, avoir été les successeurs
de ceux qui, en 1245, étaient allés évan-
géliser, entre autres pays, la Russie et la
Tartarie. L'existence de nombreux comp-
toirs génois ou vénitiens sur les côtes de
la mer Noire expliquerait d'ailleurs assez
facilement comment le recueil put être
apporté de ces régions jusqu'à Venise (4).
Aussi bien, la langue comane était alors
parlée dans toute l'Asie centrale. Tout le
pays qui s'étend au nord et au nord-est
de la mer Noire, jusqu'au Kharizm, parle
coman ; c'est ce que nous apprend, en
1338, trente ans après la rédaction de
notre Codex, le Franciscain espagnol
Pascal de Victoria :
(i) A. PoTTHAST, Regesta Pontijicum Rottia-
norum. Berlin, 1874, t- '. n" 7984, 8154, 8i55.
121 PoTTHAST, op. cit., Il" SSgS, 5863, 5864.
3» KuuN, op. cit., p. XLi.
14) Cf. Bang, Beitraege ^ur Kritik des Codex
Cumanicus, p. 36-38.
Prias volui linguam terrae illius ad-
discere, et per Dei gratiam addidici linguam
Chamanicam et litteram Uiguricam, qua
quidem lingua et littera utuntur commu-
niter, per omnia ista régna seu imperia
Tartarorum, Persarum, Chaldœorum. .Me-
dorum et Cathay (i ).
Au témoignage du Frère Pascal de Vic-
toria, le coman était donc la langue com-
mune à toutes ces vastes contrées. Quant
à ce que le missionnaire appelle littera
Uigiirica, il faut entendre par là l'alphabet
oigour, c'est-à-dire l'alphabet syriaque ap-
porté, dès le ve siècle, aux Turcs orien-
taux par les missionnaires nestoriens et
transformé par la puissante tribu des
Oigours.
En moins de trois siècles, il a remplacé
la vieille écriture scythique, et les Turcs
christianisés l'ont assez répandu parmi leurs
compatriotes pour que les musulmans eux-
mêmes l'aient adopté plutôt que l'alphabet
arabe que leur apportaient les apôtres de
l'Islam Il fallut quatre siècles de propa-
gande pour détruire parmi les musulmans
turcs orientaux l'alphabet chrétien, et le
remplacer par l'arabe; mais les Mongols
bouddhistes, qui l'ont reçu des Oïgours et
transmis aux Mandchous, l'ont fidèlement
conservé (2).
Près d'un siècle avant Pascal de Vic-
toria, en 1246, un autre Franciscain, Jean
de Pian Carpino, envoyé comme légat
aux Tartares par le pape Innocent IV,
pénétrait dans le Turkestan et constatait
que les habitants y parlaient la langue
comane.
De terra Cangitarum intravimus terram
Biserminorum. Isti homines linguam co-
manicam loquebantur et adhuc loquuntur,
sed legem Sarracenorum tenent iZ^
(i) Wadding, Annales Minorant, 2' édition,
Rome, 1733, t. VII, p. 256. Cathay désigne la Chine.
\2) L. Cahln, Introduction à l'histoire de l'Asie,
Turcs et Mongols, des origines à i^oS. Paris,
1896, p. 184-185. Cf. E. Drolin, Mémoire sur les
Huns Ephthalites dans leurs rapports avec les
rois perses sassanides, dans le Muséon. Louvain,
t. XIV (1895), p. 160.
(3) Johannis de Piano Carpini, Antivariensis
episcopi. Historia Mongalorum quos nos Tar-
taros appellamus, cap. ult. | i, n* 16, édition
284
ÉCHOS d'orient
Le domaine de ce dialecte turc débor-
dait donc, d'une manière fort considérable,
le territoire des Comans proprement dits.
Celui-ci, au dire du voyageur Franciscain
que nous venons de citer, comprenait
seulement, à cette époque, le bassin infé-
rieur des quatre grands fleuves de la Russie
méridionale : le Dnieper, le Don, le Volga
et le Jaik ou l'Oural (i).
Les lecteurs nous sauront gré de donner
ici, d'après le Codex de Venise, quelques
spécimens de cette langue comane. Les
turcisants n'auront point de peine à recon-
naître, sous la légère déformation de la
transcription en caractères latins, un dia-
lecte essentiellement turc, bien qu'assez
notablement différent du turc osmanli parlé
aujourd'hui dans l'empire ottoman (2).
Voici d'abord le Pater en coman, tel
que le fournit notre Codex.
Atamîs kim kœkté sén. Algi^le bulsun
sening hanlechin. Bulsun sening tilémé-
gin ne^ikkim kœklé alley ierda. Kundégi
œtinackimisni bisga bougun bergil. Dage
ia^uclarmisme bisgœ bo^^atkil. Netsik bis
boi^atirbis bisgœ iaman etchenlergœ. Dage
iéknik sinamakina bisni kuiirmagil, bassa
bartseiamandan bisni kuihargil. Amen (3).
Outre ce texte du Pater coman, con-
tenu dans le Codex de la Marcienne, il en
existe un autre assez différent. La manière
dont ce second texte a été connu mérite
d'être signalée. C'était en 1744. Les Co-
mans de Hongrie se trouvaient depuis
longtemps fondus dans l'ensemble de la
population magyare, et, dans cette fusion,
avaient perdu leur parler turc. Une délé-
gation de leurs représentants vint de la
Petite Comanie à Vienne auprès de l'im-
pératrice Marie-Thérèse, pour obtenir cer-
d'Avezac, dans Recueil de voyages et de métnoires
publié par la Société de Géographie, t. IV. Paris,
1839, p. 749.
(i) Ibid., p. 742-743.
(2| Pour la transcription, je suis en général la
graphie du Codex telle qu'elle est notée dans les
travaux de Klaproth, Kuun, Radloff, Bang.
(3) Codex, p. 126; KuuN, op. cit., p. 171;
Radloff, op. cit., p. 91.
tains privilèges. L'un des délégués, Etienne
Varro, sur l'invitation du savant orien-
taliste Adam Kollar, récita l'Oraison domi-
nicale en coman, pour donner un spé-
cimen de leur ancienne langue. Cette
prière, avec quelques autres, et un cer-
tain nombre de courtes formules, étaient
alors les uniques vestiges de l'idiome dis-
paru, et encore ne servaient-elles qu'à
exercer, dans les écoles, la mémoire des
élèves comans. Le texte de cette leçon
d'écolier, transmis par tradition et dont
on possède en Hongrie quelques copies,
a été publié par Vambéry (i). Bornons-
nous ici, pour le distinguer du précédent,
à en indiquer le début :
Bi^im atami^ kim sen kœkte sentléssen
adïn (2)
Pour donner maintenant une idée du
rythme des hymnes traduites en coman,
transcrivons la strophe la plus connue du
Vexilla Régis, celle qui commence par ce
vers: O crtix ave, spes wiica.
E khats éïnek oumountsimis
Téïsin sana iuguntsimis
Bon koutlou kin tsaklarinde
Boschov iéïisn iagli kœ^ghé (3).
Le manuscrit porte en surcharge, au-
dessus du premier vers, les mots sola spes
nostra; au-dessus du dernier mot du troi-
sième vers, /;/ temporibtis. Ces indications,
et d'autres analogues qui se présentent
assez fréquemment dans le Ci;^^:v, ont leur
utilité pour révéler le vrai caractère de ce
manuscrit. On y devine la main d'un
missionnaire notant la traduction exacte
et littérale du texte coman qu'il a sous les
yeux, aux endroits où elle ne correspond
pas parfaitement au latin authentique de
l'hymne.
Aussi bien, le Codex Cuma-îicus ne
pourrait-il pas avoir été une sorte de
manuel pratique du missionnaire, spécia-
{\\ Vambéry, Nyelvtudonianyi Kœ^lemenyek ,
t. IX, fasc. III, p. 215-219.
(2) Voir KuuN, op. cit., p. xlv.
(3) Codex, p. 147; Kl'un, op. cit., p. 209-210:
Radloff, op. cit., p. 107-108; Bang, Zur Kritik des
Codex Cumanicus. Louvain, 1910, p. 11.
UN MANUSCRIT CHRÉTIEN EN DIALECTE TURC : LE CODEX CUMANICUS
28 =
lement adapté aux besoins de son minis-
tère en pays coman, et une sorte de « mé-
thode » pour se familiariser peu à peu
avec la langue des populations à évan-
géliser?
Les traces de l'existence de l'islamisme
chez les Comans, que trahit en quelques
rares endroits le Codex, ne sont pas une
objection à l'hypothèse que nous venons
d'énoncer. Ces traces se réduisent, d'ail-
leurs, à un certain nombre de termes dé-
signant surtout les jours de la semaine,
les mois et les saisons de l'année, et qui
ont pu fort bien subsister après la péné-
tration et la diffusion du christianisme.
On sait que, depuis le x* siècle, l'islam
avait fait sur le sol touranien des progrès
conquérants. De même que les Bulgares,
prédécesseurs et voisins des Comans, ap-
portèrent les usages mahométans du haut
Volga au Danube, de même les Comans
les apportèrent en Russie méridionale et
en Hongrie (i). Le christianisme extirpa
ceux de ces usages auxquels s'attachait
une signification religieuse exclusivement
musulmane, les autres se con.servèrent
comme coutumes nationales.
Voici, à titre de curiosité, les dénomi-
nations des jours de la semaine et des
mois de l'année, telles que les indique le
manuscrit de Venise. On verra qu'elles
nont rien d'incompatible ni avec le chris-
tianisme, dont le Codex atteste avec cer-
titude l'existence chez les Comans, ni
avec l'hypothèse qui attribue ce Codex à
des missionnaires franciscains.
La semaine est désignée en coman par
les termes gafta ou jeti, deux mots, l'un
persan et l'autre turc, qui signifient sept.
Quant aux jours qui la composent, leurs
noms sont empruntés au persan. C'est le
samedi, sambe, qui sert de point central;
en faisant précéder ce terme des chiffres i
à 3, on obtient les noms des autres jours
de la semaine, sauf le vendredi, qui a une
désignation à part : je-samhe = dimanche,
tu Voir Blau, op. cit., p. 574.
tu-sambe = lundi, se-sambe= mardi, tsaar-
sambe = mercredi, pans-sambe = jeudi.
Malgré la formation de tous ces noms sur
le mot persan sambe, le lexique coman a,
pour désigner le samedi, une autre expres-
sion qui paraît bien être d'origine chré-
tienne: sabat cun, c'est-à-dire «jour du
sabbat ». Quant au vendredi, les Comans
l'appellent ayna ou ayda, ce qui doit signi-
fier « fête », d'après l'arabe et le persan;
le vendredi constituant, on le sait, la
« fête » hebdomadaire des musulmans, ce
nom serait le seul à représenter, parmi
les désignations des jours de la semaine,
un vestige islamique. Mais la plupart des
termes dont nous nous servons nous-
mêmes pour spécifier les jours et les mois
n'ont-ils pas une origine païenne, et plu-
sieurs ne rappellent-ils pas les divinités
antiques auxquelles ils étaient consacrés.^
Aussi n'y a-t-il point lieu de s'étonner
que le Codex Cumanicus, tout chrétien
qu'il soit d'inspiration, de facture et de
contenu, nous ait conservé les dénomina-
tions que nous venons d'énumérer. Elles
ont, du reste, l'avantage de confirmer ce
que nous savons, par ailleurs, de l'origine
des Comans, de leur long séjour dans
l'Asie centrale, de leur contact avec les
Perses et avec les Arabes.
A ce titre encore, le lecteur sera curieux
de connaître quels noms les Comans don-
naient aux douze mois de l'année. « Les
mois comans sont surtout touraniens et
se groupent trois par trois, d'après les
saisons. » (i) L'année s'ouvre avec le
printemps, et, par conséquent, le premier
mois est celui qui correspond à notre
mois de mars; le Codex l'appelle v/iV/s a v,
c'est-à-dire « mois du début du prin-
temps». Avril est le «mois du printemps»
dans son entier épanouissement, tob ay,
tandis que mai en est regardé comme le
terme, songusax ay, « mois de fin du prin-
temps ». De même, juin est le « mois
d'été », eus ay ; juillet le « mois de mi-
été », orta eux ay: août le « mois de fin
de l'été », soncbitx ay. De même encore,
(u Blau, op. cit., p. 573.
286
ÉCHOS d'orient
septembre est le « mois d'automne »,
cbes ay; octobre le « mois de mi-automne »
orta ches ^^ (i). Mais à partir de novembre,
nous rencontrons des appellations de for-
mation différente, dont la première au
moins est d'origine islamique: courban
bairam ay, mois du Courban-Baïram, c'est-
à-dire de la fête des sacrifices. Décembre
est appelé asuc ay, nom que Kuun traduit
par « mois des victuailles », en ce sens
que les récoltes et les provisions doivent
avoir été faites pour ce temps de la dure
saison (2). Enfin, janvier est le « mois du
zéro », safar ay, tandis que février cou-
ronne le cycle avec le titre de « mois
final » ou mois de fin d'année, souni
C'est aussi sous la forme touranienne
Tengri, et non sous la forme arabe Allah
sacrée pour lislam, que le manuscrit
coman nous présente le nom de Dieu. 11
est vrai que cette forme touranienne est
également commune aux mahométans de
Bosnie et aux Kirghiz, comme elle l'était
aux anciens Bulgares, et partant ne prouve
rien ni pour ni contre l'influence islamique.
Celle-ci, on le voit, se réduit à fort peu
de chose pour qui examine attentivement
le vocabulaire du Codex. Tout y montre,
au contraire, un christianisme bien authen-
tique.
Quoi qu'il en soit des origines précises
de ce manuscrit, qu'on n'a pu encore
complètement tirer au clair, il était néces-
saire d'en avoir quelque notion avant
d'aborder de front une étude historique
du peuple coman. On voit sans peine
l'intérêt spécial que cette étude doit retirer
de l'existence d'un tel recueil, qui suppose
de toute évidence une chrétienté impor-
tante de rite latin et de langue turque,
bien établie au début du xive siècle.
Sévérien Salaville.
Constantînople.
NOTE BIBLIOGRAPHIQ.UE
DEUX DATES POUR UNE MÊME ÉDITION
Le Jésuite Robert Saulger, né à Paris en
juillet 1637, mourut à Naxos le 14 sep-
tembre 1709, après une belle et féconde
carrière apostolique à Constantinople et
dans les îles de la Grèce. 11 était parti pour
les missions en 1663. Le P. Saulger était
un chercheur; dans ses loisirs d'apôtre,
il a su recueillir de précieux documents,
surtout dans les archives de l'île de Naxos,
« où presque toute la Noblesse du pais,
Latine et Grecque, s'est rassemblée après
l'invasion des Turcs ». Il a publié un ou-
vrage intitulé : Histoire nouvelle des aticiens
ducs et autres souverains de l'Archipel, avec
(i) Des dénominations analogues se retrouvent
en mongol et en thibétain. Kuun, op. cit., p. cxvi.
(21 Kuun, op. cit., p. cxvn.
(3) Kuun, op. cit., p. cxvi-cxvii, et 80-81 ; Blau,
op. et loc. cit.
la description des principales Isles et des
choses les plus remarquables qui s'y voyent
encore aujourd'huy.
L'ouvrage est anonyme. La dédicace à
M. le comte de Maurepas, secrétaire d'Etat,
est signée R***. Dans l'extrait du privi-
lège, il est défendu « de débiter ledit
livre sans le consentement dudit R***, à
peine de i 500 livres d'amende ».
Calvary, libraire à Berlin, dans un de
ses catalogues, cote ce volume à 50 marks
et le qualifie « d'excessivement rare ; saut
notre exemplaire, on n'en connaît que
deux autres dans les bibliothèques de
Berlin et d'Athènes ». Nous dirons avec
le P. Sommervogel « qu'il y a légère exagé-
ration ». Sans être « excessivement rare »,
le livre n'est pas commun.
Un curieux problème s'est posé à propos
NOTE BIBLIOGRAPHIQ.UE — DEUX DATES POUR UNE MÊME EDITION
287
de cet ouvrage. 11 est certain qu'il n'y a
qu'une seule édition: tous les exemplaires
portent à la fin : « Achevé d'imprimer
pour la première fois le i«'" mars 1698. »
Mais quelle est la date? Laissons de côté
1678, qu'aurait vu Quérard dans l'exem-
plaire de la Bibliothèque du roi. 11 est dif-
ficile d'admettre même une faute d'im-
pression, la date étant en chiffres romains.
Les uns admettent la date 1698, les autres
1699. Tous ont raison ; mais il faut ajouter
que la même édition se présente avec deux
HISTOIRE
NOUVELLE
DES
ANCIENS DUCS^
t T
AUTRES SOUVERAINS
DEL'ARCHIPEL^
Avec li Defcription des principales
Ifles, &: des chofcs les plus reiiur-
quiblcs qui s'y Yoyent cacore au-
jourd'huy
A PARIS,
Chez Etienne Michallit, ptemiei
ImpruDeui du Ro», rue Siim Jacques >
à rimi^e Sunt fiui.
M. DC. XCVIII.
AvtC PnviUgt du Xéy.
en notre possession deux exemplaires de
cette histoire.
11 resterait à savoir pourquoi il y a eu
cette succession. Dans l'extrait du privi-
lège, le concessionnaire est marqué de
trois XXX; nulle autre indication.
La solution complète de ce petit pro-
blème bibliographique relève de l'histoire
de rimprimerie.
Signalons encore, comme curiosité, que
HISTOIRE
NOUVELLE
DES
ANCIENS DUCS
E T
AUTRES SOUVERAINS
DE L'ARCHIPEL:
^ rEc
U Dcfcrifùon dts friticifaUs Iles <<
f / cB^fis Us plus umérquuhks 'oui
SI *Vû\^Kt ^-nr^^ /./ *
*J vojtnt encere aujourd'huy.
_. A PARIS,
M. D C- X C I X.
frontispices différents, non seulement par
la disposition matérielle, mais par les noms
des libraires. Les volumes qui portent la
date M. DC. XCVIII, sont vendus chez
Etienne Michallet, premier imprimeur du
roi; les volumes, au contraire, qui ont la
date M.DC.XCIX, sont vendus chez Jean
Anisson, directeur de l'Imprimerie Royale.
Nous accompagnons ces lignes de la pho-
tographie de ces deux frontispices, ayant
le titre de l'ouvrage qui se trouve dans
l'extrait du privilège n'est pas le même
que celui du frontispice. On lit dans l'ex-
trait : « Histoire de l'Archipel et des Sei-
gneurs qui l'ont possédé en qualité de
Souverains sous le titre de duché avec la
description... »
F. Larrivaz, s. J.
Mont Roland.
LES QUATRE NÉO-MARTYRS D'AGRINION
Les lecteurs des Echos d'Orient con-
naissent déjà quelques-uns de ceux que
les Grecs appellent néo-martyrs. On dé-
signe, en pays grec, sous ce nom les
fidèles mis à mort par les Turcs en haine
de l'orthodoxie. L'Eglise officielle ne les
reconnaît pas (i), mais le populaire a
grande vénération pour eux, d'autant que
leur culte se mélange de préoccupations
patriotiques. On rencontre souvent dans
les églises leurs icônes, parfois historiées,
comme celles des martyrs des premiers
siècles, d'affreuses scènes de supplices
ou de fantaisistes légendes miraculeuses.
Dans la petite église du prophète Elle, par
exemple, construite sur 1- sommet de la
colline qui domine le port du Pirée, j'en
ai remarqué trois, celle de Georges de
lanina, celle de Gédéon de Tirnovo, offerte
par le syllogue (association) des mar-
chands de vin, et une troisième, magni-
fique tableau de i'n,30 de hauteur offert
par le syllogue crétois le Progrès à ses pro-
tecteurs les néo-martyrs Georges, Ag-
gelis, Emmanuel et Nicolas, martyrisés
par les Turcs à Rétymno de Crète, le
^.8 octobre 1826.
Le regretté P. Pétridès, sous la signa-
ture de M: Bousquet, a publié à plusieurs
reprises de courtes notices sur plusieurs
d'entre eux (2). 11 avait recueilli depuis
une quinzaine d'années des notes sur un
grand nombre : Grecs, Russes, Serbes ou
Bulgares. Il m'en a souvent parlé. Mais
le manque de lo'sir et surtout l'extrême
(i) Encore n'est-ce pas tout à fait exact, puisque
les noms de ces néo-martyrs sont inscrits au
même titre que ceux des plus anciens dans les
martyrologes officiels, le SuvaSaptaTr,? de Nicodéme
l'Hagiorite, par exemple. De même, le saint le
plus populaire à Hydra est Constantin, qui fut
pendu à Rhodes en 1800. Sa fête est célébrée en
grande pompe dans l'île et au Pirée, où l'on expose
ses reliques. Sa passio et son acolouthia ont été
composées par Nicodéme. Cf. Nsov Asttiwvipiov,
au 14 novembre.
(2) Cf. Echos d'Orient, igoS, p. 35o; 1906, p. 288;
1907, p. i5i.
difficulté d'obtenir sur la plupart de ces
personnages, même les plus honorés,
des renseignements précis, l'avaient dé-
couragé.
En effet, s'il est relativement aisé, quand
on est demeuré quelques mois à Athènes,
d'avoir des renseignements sur Constantin
d'Hydra, Zacharie de Corinthe ou les trois
néo-martyrs de l'île de Spetsai, qui tous
jouissent d'un culte local, il n'en va pas
de même d'autres plus nombreux dont le
nom s'est perdu dans la mémoire des
paysans et du clergé campagnard, ou
s'est déformé au point d'être méconnais-
sable, ou enfin, c'est le cas d'un certain
PauL du Péloponèse, s'est identifié avec
celui d'un homonyme préexistant. Ceux-là
seraient tout à fait oubliés si leurs pas-
siones n'avaient été recueillies dans les
Leimonaria ou des recueils que le grand
synaxaire de Doukakès a réimprimés (i).
Les quatre néo-martyrs de Brakhori
(Agiinion) sont dans ce cas. L'un d'eux,
le Turc Jean, est parmi les plus intéres-
sants. La passio des trois autres, sans doute
parce que Doukakès ne savait à quel jour
l'insérer, n'a pas été reproduite dans les
douze volumes du grand synaxaire, ou du
moins je n'ai pas su l'y trouver (2).
LE GROUPE DES TROIS INCONNUS
« La passio des trois néo-martyrs sans
nom, àvtovùixfov, martyrisés pour le Christ
en Etoile, dans la ville appelée vulgairement
Brakhori », a été publiée dans le Néon Lei-
nionarion sans date de mois ni indication
de jour, presque en appendice (3). Elle
( OMéfaç Suva?api(TTri;.Un volume par mois publié
à Athènes à partir de 1889. Cette énorme compi-
lation est la plus complète qui existe en langue
grecque. Les Bollandistes y renvoient souvent.
Cf. Bibliotheca hagiographica grœca. Bruxelles,
1909, p. xii.
(2) Doukakès leur a pourtant consacré neuf lignes
dans son Nsov n,apTupo).éYiov. Athènes, 1897, p. 48.
(3) Néov Astîitovâptov, i" édition. Venise, 1819.
LES QUATRE NEO-MARTYRS D AGRINION
289
tiendrait en deux pages de format in-8».
Elle est écrite en langue populaire, dans
un grec presque barbare, souvent mélangé
de motsturcs. L'auteurdu récit est inconnu,
mais il écrivait dans le pays même.
Ces trois inconnus habitaient pour leur
commerce dans les environs de lanina.
Là, ils apprirent à parler la langue alba-
naise. Un jour, en 1780, ils revenaient
tous trois dans leur patrie, la Morée. Ar-
rivés sur le territoire de Brakhori, comme
ils étaient sur le point d'entrer dans la
ville, pour échapper aux collecteurs d'im-
pôts et en même temps se moquer deux,
ils se firent passer pour mahométans (i).
Ainsi ils entrèrent sans bourse délier. Or,
il arriva que des Turcs, curieux de savoir
ce qu'il y avait de nouveau à lanina, dépê-
chèrent un CCS leurs à l'auberge où les
trois Péloponésiens étaient descendus. Par
malheur pour eux, l'envoyé surprit leur
conversation. Les voyageurs se félicitaient
avec des moqueries à l'adresse des Turcs
d'avoir, par un salamalec, échappé à la
rapacité du fisc.
On devine la suite. Les Turcs, avertis,
s'emparent des trois inconnus et les con-
duisent devant le juge. Mais ceux-ci se
sont déjà ressaisis. Placés dans l'alterna-
tive ou d'embrasser la loi du prophète
qu'ils ont feint de pratiquer ou d'être punis,
ils répondent avec courage : «Nous avons
feint d'être Turcs pour garder notre argent.
Mais devenir vraiment apostats et renier
la foi du Christ, cela nous est impos-
sible. »
Le juge les fit fouetter et mettre en
prison. Là ils s'encouragent mutuellement
à mourir en chrétiens. L'un des trois était
assez instruit. C'est lui surtout qui, par
ses discours, soutint le courage de ses
compagnons.
Je me sers de la deuxième, publiée par Rousso-
poulos. Athènes, iSyS, in-4*, xv-566 pages. La passio
est à la page 491.
(n Brakhori, officiellement Agrinion et identifié
à tort avec l'antique ville d' Agrinion, est le chef-
lieu du dème d'Agrinion. La ville, située sur la
bordure d'une plaine très fertile, est reliée avec
Missolonghi par une large route et un chemin de
fer. 6700 habiunts. Elle a beaucoup souffert
durant la guerre de l'Indépendance.
On les laissa ainsi quelques jours en
prison. Puis ils compai urent une deuxième
fois devant le juge, se montrèrent aussi
fermes et furent condamnés à mort par
le cadi et le muzelin, qui était de Constan-
tinople. Ils furent pendus tous trois, l'un
à un platane près de l'Agora, un autre
près de l'église de Saint-Démétrius, le
troisième à l'entrée de la ville, sur la route.
Tel est le résumé de ce récit court,
précis, très vivant, mais aussi peu litté-
raire que possible. Voici, pour les curieux
de ;a langue néo-grecque, deux courtes
phrases qui feront juger de l'ensemble.
L'un des trois savait lire, ô si; xrzb to-j^
~ot~.:; Y.TOv xal ''zoL'j.'XJ.-'.Tj.i'JOç: — l'un fut
pendu près de l'Agora, èxsi;jLa7av tôv i'va
elç £va TtÀàTO'/ov ottoÙ âïva». îrAT,o-'lov si; to
T^apT'l. Tsarsi est un mot turc que les
paysans du Magne emploient encore pour
désigner une place publique, un marché
couvert.
lANNl LE TURC NÉOMARTYR
La vie et la passio du néo-martyr Jean
de Konitza a été écrite en langue popu-
laire, mais dans une forme plus élégante
que' celle de \2l passio des trois inconnus
par Georges Anagnostès latridès de Kar-
pennision. Jean mourut en 1814. S3 passio
remplirait cinq à six pages de format in-8».
1 Elle fut écrite avant 1819, et Doukakès
Ta réimprimée à la date du 2} septembre,
comme le Néon-Leimonarion (i).
Il était de Konitza, en Epire turque (2),
« siège épiscopal de l'évêque de Vella, qui
dépend du métropolitain de lanina ». Ses
parents étaient musulmans; sa mère, de
race sarrasine, et son père derviche et cheik
(nMÉfa;II-jva?aa;<r:r,;, tome'deseptembre, p. 290-
3oo. Il réimprime telle quelle la passio en corri-
geant un peu la langue. Le EvvaEap:Vrr,; de Nico-
déme l'Hagiorite mentionne Jean au 23 septembre
(édition Nicolaïdès Philadelphe. Athènes, 1868,
t. I*', p. 63). Dans le Nsov Aîîjiwvipiov, la passio
est à la page 33 1.
(2) Konitza, en Epire turque, est habitée par
six cents familles, la plupart musulmanes. Elle
est encore le siège d'un gouvernement subalterne
et d'un évêché. Les passages entre guillemets sont
traduits textuellement de la passio.
290
ECHOS D ORIENT
honoré. Quant il eut atteint sa vingtième
année, il alla à lanina et se fit enrôler dans
la confrérie des derviches. Quelque temps
après il partit, passa par Arta et vint à
Brakhori, où il prit demeure au Sérail.
Isouf l'Arabe, « qui mourut à Belgrade
d'Albanie, il y a peu de temps », com-
mandait à cette époque l'Acarnanie et
l'Etolie (i); comme il était très lié avec
son père, il reçut le jeune homme avec
honneur et le nomma son propre der-
viche. Jean le servit avec dévouement; il
l'accompagna à la guerre et prit part à la
bataille de Tekiès. Deux années plus tard,
Isouf l'Arabe fut appelé au gouvernement
de lanina. Solyman Bey, surnomméBrionis,
lui succéda (2).
Le jeune derviche était déjà chrétien de
désir et de cœur. 11 se mêlait aux ortho-
doxes de famille noble, ceux qu'on appe-
lait les capitans. Mais il n'osait encore se
déclarer, etd'ailleurs, par crainte desTurcs,
on refusait de le recevoir. Un jour, il partit
en secret pour l'île d'Ithaque, et s'y fit
baptiser sous le nom de Jean. Puis il revint
dans le pays montagneux de Xiroméros,
au village de Machalas (3). 11 y demeura
en qualité de domestique chez un certain
Panos Galanis, et s'y maria avec une fille
du pays. 11 était occupé à la garde des
champs et se montrait peu.
En 1813, le cheik apprit avec douleur
la conversion de son fils. 11 dépêcha auprès
de lui deux derviches que Jean refusa
même d'écouter. Ceux-ci s'en retournèrent
piqués au vif et humiliés. On persuada
(les derviches peut-être), à l'aga de Ma-
li) Isouf l'Arabe, un des principaux lieutenants
du terrible Alî Pacha. C'est lui qui, après le car-
nage de Zalongos, extermina les Souliotes à Ré-
gniassa.
(2) Qui est ce Solyman Bey? Deux Brionis ont
joué un grand rôle dans la guerre de l'Indépen-
dance, le célèbre Omer Brionis, qui assiégea Mis-
solonghi, et son neveu Achmet Brionis, à qui les
Souliotes, oubliant l'héroïsme de leurs femmes,
livrèrent Régniassa pour 40000 piastres turques.
(3) Le pays de Xiroméros est la partie du terri-
toire montagneux désigné sur les modernes atlas
grecs par l'appellation de monts Acarnaniens, entre
l'Achélous (aspropotamos) et la mer. Le village de
Machalas est situé au sud du lac d'Ambracie,
ancien Grand Ozéros.
chalas d'envoyer au muzelin de Brakhori
ce transfuge, fils d'un cheik et derviche
lui-même. Le muzelin était alors l'aga
Bonos de Tépélékis. Furieux de la résis-
tance du jeune homme, il en appela au
cadi et au mufti.
Des soldats sont envoyés et s'emparent
de Jean.
Le muzelin l'interroge sur sa famille,
son pays, son nom, sa religion. Il répond
seulement : « Je suis chrétien et je me
nomme Jean. — N'es-tu pas le fils du cheik
de Konitza? — Oui, mais à cette heure je
suis chrétien et je dois mourir en chrétien.
— Tu as été séduit par une femme (i) et
tu as renié ta foi. Mais reviens à toi et con-
fesse ton ancienne croyance et tu verras
de quels honneurs je te comblerai. — Ne
vas pas supposer, aga, que je sois assez
aveugle et insensé pour abandonner la
sainte religion des chrétiens et revenir au
bourbier du mahométisme. Puisse un tel
malheur ne jamais m'arriver! »
Le muzelin et ses assistants ne voulurent
pas en entendre davantage. Le jeune
homme jeté en prison, une lourde chaîne
au cou et les pieds entravés, y subit d'in-
dignestraitements et d'horribles supplices.
Mais il les endura avec courage, sans se
plaindre, opposant à toutes les insultes
ces simples paroles: «Dieu, aide-moi! »
Sans même l'interroger une deuxième
fois, le muzelin, ayant réuni son Conseil,
le condamna à avoir la tête tranchée.
Conduit au lieu du supplice, sous le
platane qui est au milieu de l'avenue,
Àsco'^ôpo;, Jean pria ses bourreaux de des-
serrer un peu ses liens pour lui permettre
de faire le signe de la croix. Ils refusèrent.
Alors « il inclina la tête et reçut la mort
par le glaive le 23 du mois de septembre ,
un mercredi, en l'année 18 14 de la nais-
sance du Christ ».
Aucun des chrétiens n'osait s'approcher
du cadavre, quand l'ordre fut donné de
l'abandonner sans sépulture à la voracité
des chiens. Les bourreaux le prirent donc
et le jetèrent avec la tête dans un torrent,
([) Allusion à son mariage avec une chrétienne.
LES QUATRE NEO-MARTYRS D AGRINION
291
non loin de l'église de Saint-Démétrius.
Pourtant, quelques pieux fidèles réussirent
à obtenir du muzelin ces précieux restes
et à leur donner une sépulture. Mais le
muzelin avait stipulé qu'il serait enterré
dans un lieu quelconque, car il n'était,
disait-il, ni Turc ni chrétien. Il fut ense-
veli avec piété, tête et corps, dans un
champ que les habitants de Brakhori
désignent sous le nom de « Lieu où a été
déposée la relique du martyr ».
Que cet attachant récit ait été écrit dans
le pays même par un témoin ou sur des
indications fournies par des témoins, il
est à peine besoin de le faire remarquer.
Des détails très précis sur la topographie
de la province, le nom de l'évêque de
Vella, celui du fermier de Machalas, Panos
Galanis, et celui de l'aga Bonos, quelques
autres encore suffisent à le démontrer.
Qu'on remarque aussi la sobriété de
l'exposition. Pas de phrases ni de hors-
d'œuvre, comme on en rencontre trop
souvent dans les Acta des néo-martyrs. La
scène de comparution devant le tribunal
du muzelin est digne des plus antiques
passiones. De même aussi les quelques
lignes dans lesquelles latridès raconte la
dernière journée de Jean.
OBSERVATIONS
Le premier récit appelle peu d'obser-
vations. La ruse essayée par les trois Pé-
loponésiens pour échapper à la rapacité
du fisc turc, qui taxait parfois d'impôts
onéreux et sans contrôle les Grecs de
passage dans une ville, ne peut être ap-
prouvée. Mais les Grecs durent recourir
bien souvent à de tels procédés. 11 s'agis-
sait, pour ces paysans ignorants de leur
religion, d'être habiles et de sauver leur
porte-monnaie : le mensonge ou l'apo-
stasie apparente n'engageait en rien leur
conscience. Par malheur, ils furent dé-
couverts. Par bonheur devrait-on dire,
puisque, ce mensonge racheté, ils eurent
la gloire de mourir pour leur foi.
Le néo-martyr Jean de Konitza est plus
intéressant à tout point de vue. Turc, fils
de derviche et derviche lui-même, par
quel enchaînement de circonstances ar-
riva-t-il à aimer et à désirer la foi chré-
tienne, son biographe ne le dit pas.
Peut-être les cruautés de ses coreli-
gionnaires à l'égard des Grecs, surtout
à cette époque des premières révoltes qui
allaient bientôt aboutir à la proclamation
de l'indépendance hellénique? Peut-être
aussi le courage des chrétiens à supporter
les pires supplices?
Pouqueville, après avoir raconté la mort
admirable du caloyer valaque Démétrius
de San-Marina, qui fut tourmenté pour
la foi, brûlé et emmuré à lanina en 1806,
ajoute :
Ce triomphe du chrétien étonna l'Epire.
Un mahométan de Castoria, témoin de
ses souffrances, demanda le baptême, qui
lui mérita quelque temps après la palme
du martyre (11.
Et tout de suite il écrit en note :
Suivant une loi mahométane, tout Turc
qui embrasse une religion étrangère est
puni de mort. Hassan, de Castoria, régé-
néré par le baptême, vivait oublié au fond
de l'Acarnania sous le nom de Georges,
cultivantun terrain qu'il avaitloué. Comme
il était remarquable par sa piété et par la
pureté de ses mœurs, il ne tarda pas à être
découvert par Metché Bono, 'mousselim
d'Ali Pacha, qui le fit périr dans des sup-
plices tels que je ne peux qu'en citer une
particularité, qui fut de lui introduire dans
les entrailles une sonde de fer rougie à
blanc; je ne saurais consigner les autres
détails.
Personne ne manque plus de précision
que Pouqueville pour les faits dont il n'a
pas été témoin. Quoi qu'il en soit du
mahométan de Castoria, qui demanda le
baptême à l'occasion du martyre de Démé-
trius, je ne puis me défendre contre cette
idée que Hassan et Jean de Konitza sont un
même personnage. Comme Hassan, Jean
demeura à lanina vers 1 806, se fit baptiser,
vécut «au fond de l'Acarnanie » et souffrit
(i) PoLQLEviLLE, Histotre de la régénération
de la Grèce. Paris, 1824, t. I", p. 296.
292
ECHOS D ORIENT
le martyre de l'autorité du muzelin Bonos.
Mais il est impossible d'établir le bien
fondé de cette opinion, comme aussi bien
de recueillir à Agrinion la moindre donnée
précise sur ce Jean de Konitza.
Même chose pour les trois Péloponé-
siens. A Agrinion, personne, même parmi
les prêtres, ne connaît la passio dont j'ai
résumé le texte. Des vieillards interrogés
répondent qu'ils ne savent plus. Les Turcs,
disaient leurs pères, en ont tant tué! Au
vrai, les affreux exploits des Albanais
d'Ali Pacha et la guerre de l'Indépendance
ont tellement bouleversé ce pays, que des
faits qui n'ont pas cent ans de date, qu'on
a même pris soin de consigner par écrit,
y sont déjà oubliés.
Cependant l'église de Saint-Démétrius,
près de laquelle fut pendu un des trois
inconnus péloponésiens, existe toujours.
Elle est située à l'extrémité de la ville et
on y célèbre encore les cérémonies du
culte. Une tradition dit qu'elle fut bâtie
en 1763 sur les ruines d'un petit monas-
tère ou d'une chapelle qui dépendait du
patriarche de Constantinople. Cette dépen-
dance est attestée du moins par une in-
scription sur marbre enchâssée dans le
massif de l'autel. Tout à côté de l'autel
est un énorme platane, qui a peut-être cent
cinquante ans d'âge, et dont les branches
ont dû servir de gibet au néo-martyr.
Le cadavre de Jean le Turc, d'après la
passio, fut jeté dans un torrent non loin
de l'église de Saint-Démétrius. 11 existe,
en etfet, à 600 ou 700 mètres à l'est de
l'église un torrent, le Katroulis, qui, tra-
versant Agrinion du Nord au Sud, se jette
dans le lac Lysimakia, peu éloigné de la
ville.
On ne parle pas de la sépulture des
Péloponésiens. Les Turcs d'ordinaire défen-
daient aux chrétiens d'ensevelir leurs vic-
times. Les cadavres étaient abandonnés
aux chiens et les ossements dispersés.
Pour Jean, là passio parle d'un champ que
l'on appelle du nom du martyr. Mais
depuis longtemps, sans doute, on ne sait
plus où il se trouve. Doukakès embarrassé
a changé le texte très clair en une phrase
vague et indécise : « Un champ que depuis
les Brakhorites vénèrent. »
Voilà ce qu'avec beaucoup de patience
j'ai pu recueillir sur ces quatre témoins
de la foi orthodoxe. Jusqu'à quel point le
titre de martyr peut-il leur être appliqué,
je ne l'examinerai pas (i). Pour nous, en
effet, ne peuvent être appelés en toute cer-
titude martyrs que ceux dont le culte est
reconnu par l'Eglise catholique.
D'autre part, ces trois inconnus et Jean
le Turc sont morts pour leur foi. Est-il
téméraire de penser que, l'union des deux
Eglises une fois proclamée et le désir de
neuf siècles enfin réalisé, Rome n'hésitera
pas, après enquête, à inscrire dans son
catalogue des saints, à côté de tant d'autres
martyrs grecs, ces obscurs champions,
qui, en face de l'insolence et de la bruta-
lité turques, auront, dans les pays ortho-
doxes, assuré le triomphe du christia-
nisme?
Louis Arnaud.
Athènes.
(i| La question s'est souvent posée, même parmi
les Grecs, de cette reconnaissance officielle des
néo-martyrs. Nicodéme l'Hagiorite, la plus grande
autorité dans la matière, n'hésite pas à leur accorder
ce titre, quand vraiment ils sont morts pour la
foi. Cf. Préface au Néov >,ci[xwvàpiov, édition Rous-
sopoulos.
LE PREMIER SYNODE SYRIEN DE CHARFÉ
1" DÉCEMBRE 1853-14 JANVIER 1854
Les premières années du xviii« siècle
furent des plus fécondes pour l'Eglise
catholique orientale. Outre les Grecs mel-
kites que nous avons vu renouer, les
premiers, leurs relations avec l'Eglise ro-
maine et rentrer définitivement dans son
giron, l'histoire nous apprend que toutes
les autres communautés orientales furent
poussées, les unes après les autres, à
suivre la même voie. Avec le patriarche
Denis-Michel Jaroué, précédemment arche-
vêque d'Alep, toute l'Eglise syrienne re-
niait à jamais l'erreur des Jacobites et le
monothélisme, pour embrasser la vérité
catholique. L'Eglise arménienne suivit la
même conduite sous la direction de son
patriarche, Abraham Arzévian. Vint enfin
l'Eglise chaldéenne, et le catholicisme re-
fleurit en Orient avec un tel accroisse-
ment, que les persécutions ne man-
quèrent pas de surgir de toutes parts.
Elles eurent pour résultat d'augmenter
encore le nombre des nouveaux catho-
liques et d'atïermir leur foi. Tous ces
retours étaient sans doute principalement
l'œuvre des missionnaires latins en Orient,
mais nous devons aussi faire une large
part aux prédications et aux ouvrages
d'éminents ecclésiastiques orientaux, qui,
après avoir eu le bonheur de puiser à Rome
même la science catholique, s'efforcèrent
ensuite de la répandre parmi leurs frères
d'Orient.
Ces Eglises, qui venaient de se reformer,
se préoccupaient avant tout de se donner
un code disciplinaire qui leur servît de
règle pour leur nouvel avenir. Elles avaient
à se séparer définitivement des commu-
nautés schismatiques, à expurger leurs
livres liturgiques et doctrinaux de toute
erreur condamnée par l'Eglise romaine,
et à tracer à leurs adhérents des règles
conformes à la saine doctrine catholique.
Telle était, en effet, l'œuvre principale
que désirait accomplir, à cette époque,
l'Eglise syrienne, la seule dont nous vou-
lons nous occuper ici. Malheureusement,
les nombreuses persécutions dont elle fut
l'objet durant plus d'un siècle ne lui lais-
sèrent pas le loisir d'entreprendre des
réformes salutaires. 11 fallut attendre des
temps plus favorables.
Vers le milieu du xix^ siècle, plusieurs
coryphées du schisme se rallièrent à
l'Eglise catholique ; citons M^'' Antoine
Samhiri, M?r Grégoire 'Issa, Mg"" Jacques
Hiliani, Mg' Matthieu Naqqar. A la mort
du patriarche Pierre Jaroué, survenue à
Alep en 1851, M?"^ pianchet, délégué apo-
stolique en Mésopotamie, résolut de réunir
tous les évêques syriens à Charfé pour
l'élection de son successeur. Par suite des
persécutions des hérétiques, cette réunion
ne put avoir lieu que vers la fin de 185^.
Après avoir choisi le nouveau patriarche
en la personne de Ms' Antoine Samhiri,
les évêques présents procédèrent à la
tenue du premier concile catholique de
leur Eglise, sous la présidence du délégué
apostolique, M^^ Benoît Planchet.
Grâce à la bienveillance d'un ami au-
quel nous nous empressons d'offrir nos
meilleurs remerciements, nous avons eu
la bonne fortune d'avoir entre les mains
le texte intégral des actes de ce synode.
C'est un manuscrit de 144 pages, en
arabe, peut-être l'original lui-même, qui
fut envoyé à Rome pour l'examen. En
effet, nous y rencontrons çà et là des rec-
tifications qui accuseraient plutôt une
main étrangère. Malheureusement, notre
manuscrit ne contient point les signatures
des évêques qui ont pris part au concile.
11 y a tout lieu de croire qu'il est incom-
plet de la fin, car la dernière page qui
nous en donne la conclusion relate en
dessous le mot « écrit », qui se rapporte
à la page suivante, où devait se trouver
294
ECHOS D ORIENT
la date du synode, à la suite de laquelle
venaient sans doute les signatures.
Quoi qu'il en soit, notre manuscrit ren--
ferme toutes les lois disciplinaires émises
dans cette assemblée plénière. Il est sur-
tout intéressant par la longue introduction
placée en tête de ces travaux conciliaires,
et qui nous donne, en abrégé, toute l'his-
toire de l'Eglise syrienne. Vient ensuite
une exhortation du patriarche à l'adresse
des nouveaux convertis syriens; puis le
manuscrit met sous nos yeux toute la
teneur du synode. Il est regrettable qu'on
n'ait pas pris la peine de le faire examiner
et approuver par le Saint-Siège, car il ren-
ferme des règlements fort sages et des
enseignements très orthodoxes. Nous
croyons faire plaisir aux lecteurs des Echos
d'Orient, et principalement à nos frères
les Syriens catholiques, en publiant la
table des matières débattues dans cette
assemblée solennelle. Nous traduirons
ensuite presque in extenso la longue intro-
duction du début, ainsi que l'exhortation
du patriarche, et enfin la courte conclu-
sion qui termine le concile.
I. Table des matières traitées au concile.
Au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit, un seul Dieu. Ainsi soit-il.
Livre du Synode de Notre-Dame de
Charfé, embrassant une introduction, cinq
parties et une conclusion.
Introduction : De l'histoire de notre na-
tion syrienne en général, suivie d'un dis-
cours de S. B. M^r le Patriarche et des très
vénérés évêques.
Première partie: De la Foi, p. 25-3 1.
Deuxième partie : Des saints Sacrements.
Cette partie renferme huit chapitres :
a) Ch. I". Des sacrements en général,
p. 3i-33.
b) Ch. II. Du sacrement de Baptême,
p. 33-36.
c) Ch. III. Du sacrement de Confirma-
tion, p. 36-37.
d) Ch. IV. Du sacrement de Pénitence,
p. 37-52.
e) Ch. V. Du sacrement de l'Eucharistie,
p. 52-64.
f) Ch. VI. Du sacrement de l'Extrême-
Onction, p. 64-67.
g) Ch. VII. Du sacrement de l'Ordre,
p. 67-73.
h) Ch. VIII. Du sacrement de Mariage,
p. 74-79.
Troisième partie : Delà Hiérarchie ecclé-
siastique. Cette partie renferme trois cha-
pitres :
a) Ch. I". De S. B. M^^ le Patriarche,
p. 79-89.
b)Ch.\\. Des Métropolites et des Evêques,
p. 90-100.
c) Ch. III. Des Prêtres et du Clergé,
p. loo-i 10.
Quatrième partie : Des Eglises et des
Rites qui y sont en usage. Des Jeûnes et des
Fêtes. Cette partie renferme trois cha-
pitres :
a) Ch. 1". Des Eglises et de leurs reve-
nus, p. I lo-i 14.
b) Ch. II. Des Rites ou Cérémonies ecclé-
siastiques, p. II 4- 116.
c) Ch. III. Des Jeûnes et des Fêtes ecclé-
siastiques, p. 1 16-134.
Cinquième partie: Des Moines réguliers,
du Séminaire commun et des Ecoles par-
ticulières. Cette partie renferme trois cha-
pitres :
a) Ch. I". De la Congrégation régu-
lière (i), p. i34-i35.
(i) Voici ce que nous lisons à ce sujet dans le
synode lui-même : « Notre nation syrienne possé-
dait anciennement une Congrégation régulière;
mais avec le temps elle fut abandonnée par suite
des persécutions, des guerres et d'autres calamités
nombreuses. A présent, nous nous sommes décidés,
avec la grâce de Dieu, à renouveler cette Congré-
gation régulière au sein de notre nation. Et puisque
l'ancienne Congrégation était dirigée par la Règle
de saint Antoine, nous ordonnons que celle que
nous nous proposons de fonder suive la même
Règle précitée. Ainsi sera procuré plus facilement
le salut des âmes, et ceux qui désireront quitter
le monde pour suivre Jésus-Christ s'efforceront
avec plus d'ardeur d'acquérir la perfection par la
pratique des vœux ordinaires. »
De nos jours encore, l'Eglise syrienne catholique
n'a point de Congrégation religieuse; les prêtres
employés dans le saint ministère sont tous séculiers
et dépendent soit de leurs évêques respectifs, soit
du patriarche lui-même. La plupart d'entre eux
ont été formés au Séminaire de Charfé ; quelques-
uns seulement ont fait de bonnes études soit à
Rome, soit à l'Université des PP. Jésuites à Bey-
routh. Les Bénédictins français de la Pierre-qui-
Vire ont fondé et dirigent depuis quelques années,
à Jérusalem, un Séminaire pour les Syriens catho-
liques.
LE PREMIER SYNODE SYRIEN DE CHARFÉ : ler DEC. 1853-I4 JANV. 1854
295
b) Ch. II. Du Séminaire commun de la
nation < i), p. iSS-iSg.
c) Ch. III. Des Ecoles diocésaines parti-
culières et des Confréries pieuses, p. i3g-
141. Un petit chapitre de quatre pages, in-
tercalé à la fin de la IV* partie, donne des
règles prudentes et très instructives lou-
chant la sépulture des morts. Conclusion
du synode de Notre-Dame de Charfé, p. 144.
II. Introduction historique :
Les vicissitudes de l'Eglise syrienne.
Voici maintenant l'intéressante intro-
duction placée en tête de ce synode. C'est,
à grands traits, l'histoire de l'Eglise sy-
rienne, de ses hérésies, de ses schismes
et de ses retours au centre de l'unité.
Histoire de notre nation syrienne en
général. — Aux débuts de l'Eglise, notre
nation était unie avec tous les chrétiens
de l'Orient. Comme eux, elle était soumise
à l'autorité d'un seul patriarche; chaque
diocèse était, de même, sous la direction
d'un évêque unique. A cette époque, les
patriarches ainsi que les évèques étaient
choisis tantôt parmi les Syriens, tantôt
parmi d'autres groupements ethniques.
Quant au rite, il n'était pas uniforme en
tous lieux, mais il se diversifiait suivant le
dialecte, les coutumes et les pays. En outre,
ces divergences qui s'implantaient dans les
différentes Eglises orientales étaient aussi
occasionnées par les hérésies de toutes
sortes qui y prenaient naissance. En effet,
les peuples qui se séparaient de l'Eglise
catholique en embrassant une hérésie quel-
conque, se créaient une nation particulière
(i) C'est Je Séminaire de Notre-Dame de Charfé,
fondé par le patriarche Denis-Michel Jaroué. Des-
tiné exclusivement à la formation du clergé syrien,
il relève directement du patriarche et chaque
évêque a droit à y envoyer des élèves capables,
soit en son nom propre, soit même au nom du
patriarche. On y étudie les langues syrienne, arabe,
latine et italienne. Avant d'être présentés aux saints
Ordres, les élèves doivent faire le vœu d'obéissance
au patriarche ou à leurs évêques respectifs, s'en-
gageant à se rendre en mission partout où leurs
supérieurs les ouverront. Le Séminaire est dirigé
par trois ou quatre prêtres séculiers svriens, choisis
par le patriarche. Ils y instruisent une vingtaine
de séminaristes. Le Séminaire est situé sur une
éminence au-dessus de la charmante baie de Jou-
nieh et domine majestueusement la mer. Le climat
y est excellent et très favorable aux éludes.
pour laquelle ils se choisissaient des pa-
triarches et des évêques spéciaux.
Ainsi commencèrent les Eglises nesto-
rienne, jacobite et arménienne aux pays
de Syrie, de Mésopotamie et d'Arménie,
l'Eglise copte en Egypte. Or, le patriarche
nestorien se réserva pour lui seul le titre
de « patriarche de Babylone » ; le patriarche
jacobite prit le nom de « patriarche d'An-
tioche »; le patriarche arménien se fit pro-
clamer « patriarche de Cilicie »; enfin, le
patriarche copte prit le nom de« patriarche
d'Alexandrie ». Quant aux « Grecs Ro-
méens », qui étaient répandus dans tout
l'Orient, ils se réservèrent, après leur sé-
paration de l'Eglise romaine, les quatre
sièges patriarcaux suivants : Constanti-
nople, Alexandrie, Antioche et Jérusalem.
Enfin, lorsque plusieurs de ces hérétiques
et schismatiques eurent embrassé la foi
catholique, ils formèrent des Eglises parti-
culières pour lesquelles ils se choisirent
des patriarches spéciaux, approuvés et con-
firmés parle Siège apostolique. Ainsi furent
restaurés le patriarcat catholique de Baby-
lone pour les Chaldéens, le patriarcat d'An-
tioche pour les Grecs Roméens et les Sy-
riens, le patriarcat de Cilicie pour les Armé-
niens. Quant aux Coptes catholiques de
l'Egypte, ils sont administrés par un évêque
des leurs, qui est vicaire apostolique du
Saint-Siège.
Vlntroditction aux actes du synode rap-
pelle ici comment la nation syrienne se
rallia tour à tour à l'hérésie monophysite
et au monothélisme. Cette dernière doc-
trine ne dura pas longtemps, tandis que
le monophysismê persista chez les Jaco-
bites, ainsi nommés de Jacques Barad'i,
métropolite d'Edesse au vF siècle. Théo-
dose, patriarche jacobite du ix^ siècle, en-
seigna une nouvelle erreur que le synode
résume ainsi : « Il y a en Jésus-Christ deux
personnes, de même qu'il y a en lui deux
natures. Or, puisque de ces deux natures
il en résulte une seule, ainsi des deux
personnes il résulte une seule personne. »
Après cet exposé des diverses hérésies
adoptées par les Syriens, Y Introduction
continue en ces termes :
Cependant, à partir du vi« siècle, à
l'époque de Jacques Barad'i, la nation sy-
296
ÉCHOS d'orient
Tienne se sépara complètement de l'Eglise
catholique, et dès lors elle commença à
se donner des patriarches spéciaux dont le
premier fut Sévère, qui avait fait chasser le
patriarche Flavien de son siège d'Antioche.
Outre leur hérésie touchant l'Incarnation
de Jésus-Christ, les Syriens jacobites em-
brassèrent encore d'autres erreurs; ainsi ils
nièrent la procession du Saint-Esprit ex
Filio, l'existence du purgatoire, la béati-
tude des saints et la primauté du Pontife
romain. Ils admettaient cependant les sept
sacrements, suivant l'enseignement de
l'Eglise catholique.
Vient alors l'exposé des diverses tenta-
tives de réunion à l'Eglise romaine.
A certaines époques, les Jacobites ten-
tèrent de se réunir à l'Eglise romaine. En
effet, Ignace Jacques XIV, de Damas, l'un
de leurs patriarches au xvi« siècle, envoya
Moïse Madano au pape Jules III, pour lui
présenter^ la formule de sa foi orthodoxe;
mais il ne persévéra point dans ces bonnes
dispositions.
Son successeur, Ignace David, envoya
de même la formule de sa foi catholique
au Souverain Pontife Grégoire XIII ; cette
formule est conservée à la bibliothèque
Vaticane. Ce patriarche ne persévéra pas
non plus dans ces bonnes dispositions.
Mais, vers le milieu du xvii" siècle, Ignace
Siméon, patriarche jacobite, embrassa la
foi catholique, et son exemple fut suivi par
plusieurs jacobites, qui rentrèrent dans le
giron de la sainte Eglise. Il mourut en 1662.
Ignace-André Akhi-Jan lui succéda sur
le siège patriarcal. Il avait été élève du col-
lège syro-maronite, à Rome. Il fut confirmé
par le Souverain Pontife Alexandre VII.
Il consacra quelques évêques et il mourut
à Alep en 1672. •
Vint ensuite Ignace-Pierre, qui, par suite
des agissements d'un nommé Georges, fut
exilé à Adana et y mourut dans la forte-
resse de cette ville, en 1701 . Alors ce même
Georges, qui était jacobite, s'empara du
siège patriarcal par la force armée, et la
nation des Syriens catholiques demeura
sans patriarche jusqu'à l'année 1783. Ce-
pendant, la succession des évêques ne fut
point interrompue chez eux durant toute
cette période.
En 1782, le patriarche Georges III, de
Mossoul, qui, peu de temps auparavant.
avait envoyé à Rome la formule de sa foi
catholique, et demandé à rentrer dans le
giron de la sainte Eglise, se trouva près de
mourir. Le peuple le supplia de choisir
le patriarche qui devait lui succéder, afin
de dissiper ainsi toutes les dissensions qui
pourraient surgir après sa mort. Il choisit
Denis-Michel Jaroué, archevêque d'Alep,
qui, peu de temps auparavant, avait em-
brassé la foi catholique. <
Un certain nombre d'évêques et la grande
majorité du peuple agréèrent cette élection
et se décidèrent même à suivre le nouveau
patriarche dans sa foi catholique. Aussi,
après la mort de Georges III, l'archevêque
Jaroué se hâta-t-il de se présenter au mo-
nastère de Za'faran (i), par ordre du Saint-
Siège, et de s'y faire proclamer patriarche.
Mais, peu de temps après, il dut quitter ce
monastère, par suite des agissements du
métropolite Matthieu, qui, avec l'appui de
la Sublime Porte, s'empara du siège pa-
triarcal et fit exiler le nouveau patriarche
à Bagdad.
Enfin, pour échapper à ces persécutions,
M^f Jaroué se réfugia au Mont-Liban, au
couvent de Charfé, qu'il acheta de ses
propres deniers. Par ordre du Siège aposto-
lique, ce même couvent devint le siège
patriarcal pour les Syriens catholiques, en
remplacement du monastère de Za'faran.
M^'"Denis-Michel Jaroué mourut en 1800.
Son successeur fut le P. Michel Daher
l'Alépin, qui, en 1804, résignale patriarcat
avec pleine liberté. On élut à sa place
Siméon Hindi, religieux de Mossoul, qui
se démit de même peu de temps après.
Enfin, en 1820, Pierre Jaroué, archevêque
de Jérusalem, fut proclamé patriarche. Il
fut revêtu du pallium à Rome en 1827; de
retour en Orient, il vint à Alep, où il éta-
blit sa résidence habituelle avec l'autorisa-
tion du Siège apostolique.
Nous voici arrivés, avec le milieu du
xix'^ siècle, auxévénementsqui préparèrent
la tenue du concile.
A cette époque, une floraison nouvelle
se fit, au sein de la nation syrienne, par la
conversion de quelques évêques à la vraie foi
catholique. Ce sont : M^ Antoine Samhiri.
(1) Ce monastère, situé non loin de Mardin, en
Mésopotamie, servait, de temps immémorial, de
résidence patriarcale pour les Syriens.
LE PREMIER SYNODE SYRIEN DE CHARFÉ : r' DEC. l83:?-14 JANV. 1854 297
AU'- Grégoire 'Issa, AU'' Jacques Hiliani et
M?' Matthieu Naqqar. Quelque tempsaprès,
à Jabal-el-Tour, M?' Grégoire Zéitoun em-
brassait la foi catholique avec quelques
familles de Meddiatt (i).
De tous ces bons résultats obtenus, nous
pouvons prévoir qu'avec le secours de la
grâce divine, sous peu aura lieu la conver-
sion d'un grand nombre d'hérétiques à la
foi catholique et une consolation extraor-
dinaire sera procurée à l'Eglise, longtemps
attristée par la séparation de ses enfants.
Après la mort du patriarche Pierre Jaroué,
survenue à Alep en i85i, les évéques réso-
lurent de se réunir pour l'élection de son
successeur; mais par suite de certains obs-
tacles, ils ne purent le faire que vers la fin
de l'année i853. Leur réunion eut lieu au
Mont-Liban, au couvent de Notre-Dame de
la Délivrance. Se trouvaient à ce synode:
AU' Antoine Samhiri, archevêque de Âlardîn
et vicaire patriarcal par ordre du Saint-
Siège; M?"' Jacques Hiliani, archevêque de
Damas; M^ Matthieu Naqqar, métropolite
de Nabk; M?"- Joseph Hayek, métropolite
de Beyrouth. Quant à M?"- Grégoire 'Issa,
métropolite de Mossoul, et à M?' Grégoire
Zéitoun, métropolite de Meddiatt, ils en-
voyèrent leur vote par écrit, car ils ne pou-
vaient s'y présenter en personne. Enfin,
arriva M?' Benoit Planchet, délégué aposto-
lique en xMésopotamie, chargé par le Saint-
Siège de surveiller l'élection patriarcale et
de présider, au nom du Souverain Pontife,
le synode que les évéques s'apprêtaient à
tenir immédiatement après l'élection.
Le I" décembre i853, fut élu patriarche, à
l'unanimité des voix. M?'' Antoine Samhiri,
qui prit le nom d'Ignace. Sur-le-champ,
on réunit le synode qui ne prit fin que le
14 janvier 1854. On en envoya une copie à
Rome pour y être soumise à l'examen et à
la confirmation du Siège apostolique.
111. Exhortation du patriarche
au clergé et au peuple.
Après avoir terminé les travaux con-
ciliaires, les évéques, en union avec le
patriarche, les présentèrent au clergé et
au peuple pour les exhorter à en faciliter
et favoriser la réalisation pratique. A cette
(i I Meddiatt, non loin de Mossoul, en Mésopota-
mie, ville autrefois très importante et très populeuse.
occasion, Me^ Ignace Samhiri publia la
petite encyclique suivante :
Nos bien-aîmés fils, prêtres, notables et
laïques de notre nation syrienne.
Il importe que vous compreniez bien
comment notre nation, restaurée par son
retour à la religion catholique, a\^ait aussi
grandement besoin de revenir à la pratique
des saints canons, de s'organiser et de se
discipliner. En effet, elle est demeurée bien
longtemps dans les ténèbres de l'hérésie et
du désordre, privée des exhortations de
celui qui ne donne sa lumière qu'aux en-
fants de la vraie foi. C'est pourquoi, après
l'élection patriarcale, nous nous sommes
immédiatement réunis en synode, en pré-
sence de notre frère. M?'' Benoît Planchet,
délégué apostolique en Mésopotamie, et
chargé par le Pontife romain de le présider
en son nom.
En vous présentant notre synode pour
vous exhorter à en observer les ordonnances
et les prescriptions, nous prions avant tout
votre piété de remercier avec nous la misé-
ricorde divine, qui nous a pris en pitié, a
mis entre nous la concorde la plus absolue,
et a enflammé nos cœurs d'un zèle ardent
pour nous servir de tous les moyens ca-
pables de procurer votre bien spirituel et
le salut éternel de vos âmes. Cette concorde,
en effet, est nécessaire pour l'édification de
tous ; « car, dit le Sauveur, toute maison
qui se divise contre elle-même tombera en
ruines ». C'est pourquoi nous espérons que,
par la force de cette union. Dieu bénira
nos travaux, et notre nation s'organisera,
s affermira et s'accroîtra par le retour de
nos frères séparés au bercail du Bon Pas-
teur, notre Rédempteur, Jésus-Christ.
Nous vous exhortons donc, bien-aimés
fils, à vous unir à nous pour implorer la
divine miséricorde et supplier la Vierge
Marie, Notre-Dame de la Délivrance, dans
le monastère et sous la protection de la-
quelle nous nous sommes réunis, de con-
server parmi nous cette concorde salutaire
qui se perfectionne par l'union de la charité
et la soumission des subordonnés à leurs
supérieurs légitimes.
Que si vous désirez ardemment procurer
de grandes consolations à notre mère la
sainte Eglise, par la conversion de ses
enfants séparés, il importe que vous don-
niez à tous les bons exemples d'une vie
298
ECHOS D ORIENT
sainte et de la "pratique des vertus exigées
des vrais disciples de Jésus-Christ. Dans
ce but, nous exhortons vivement votre
piété à vous renouveler dans l'ardeur de la
foi, à observer ponctuellement les divins
commandements et les prescriptions ecclé-
siastiques, et à fréquenter les saints sacre-
ments, qui sont les sources des grâces di-
vines, les grands moyens de notre sancti-
fication et du salut de nos âmes.
Vous savez que notre Sauveur, Jésus-
Christ, n'a fondé qu'une seule Eglise, en
dehors de laquelle il ne peut y avoir de
salut pour personne. Il est lui-même l'arbre
qui donne la vie et la force, et toute branche
qui en sera séparée sera flétrie et périra.
Attachez-vous donc fermement à votre foi,
qui est la vraie; évitez avec soin les maîtres
de l'erreur, qui vous arriveront avec des
doctrines nouvelles et une religion fausse
qui n'est certes pas celle de Jésus-Christ et
de sa sainte Eglise; remerciez la bonté
divine, qui vous a gratifiés de la foi ortho-
doxe, qui est la foi des sainf^, la foi des
martyrs, la foi des élus au royaume céleste,
la seule foi véritable; enfin, décidez-vous
à vivre selon les enseignements de cette
foi et à mourir en elle.
Cette même foi nous apprend nos obli-
gations chrétiennes; elles nous pressent,
avant tout, d'aimer Dieu qui nous a créés
et nous conserve toujours, d'aimer notre
prochain, quel qu'il soit, d'un amour vrai
selon le commandement du Seigneur qui,
par amour pour tous, s'est livré à la mort
sur le bois de la croix; enfin, de supporter
avec patience les adversités de cette vie,
qui nous font comprendre que nous n'avons
point de demeure permanente sur cette
terre, et nous font mettre en pratique la
parole de notre Sauveur, Jésus-Christ :
« Celui qui persévérera jusqu'à la fin sera
sauvé » et obtiendra le repos éternel dans
la Jérusalem céleste, l'Eglise des élus.
En vue d'obtenir cette foi, bien chers
fils, nous vous commandons la soumission
absolue au Siège apostolique où règne le
Pontite romain, successeur de saint Pierre,
Vicaire de Jésus -Christ sur la terre et
Chef visible de l'Eglise. Car la soumission
au Siège romain de Pierre et à ses ordres
est la marque distinctive des vrais enfants
de l'Eglise. Unissez donc vos prières à
celles que nous ofl'rons aujourd'hui au Très-
Haut pour l'exaltation de sa sainte Eglise,
l'extension de sa foi dans tout l'univers,
afin qu'il découvre à tous la douceur et la
majesté de sa loi. Ainsi tous sauront que
son saint Nom est connu et glorifié parmi
tous les peuples, et qu'ils ont un Sauveur
dans les cieux. Ils accepteront la foi qu'il
avait prêchée sur la terre, et ainsi il y aura
un seul troupeau soumis à un seul pasteur.
CONCLUSION DES ACTES DU SYNODE
Après cette exhortation si touchante,
le synode se termine par la courte con-
clusion suivante.
Nous, soussignés, nous sommes réunis
dans le Seigneur, au couvent de Notre-
Dame de la Délivrance, situé au district de
Kesraouan, au Mont-Liban, et connu sous
le nom de Charfé-Dar'oun, dans le but de
tenir un synode pour organiser notre nation
syrienne catholique. Cette réunion s'est
accomplie sous la présidence de M^"" Benoît
'Planchet, délégué apostolique en Mésopo-
tamie et muni de pouvoirs spéciaux du
Pontife romain. Ce synode a commencé
le I" décembre i853 et a pris fin le 14 jan-
vier 1854. Nous proclamons que ce synode
s'est poursuivi dans un accord parfait de
nous tous. C'est pourquoi nous déclarons
accepter toutes les ordonnances, prescrip-
tions et disciplines qui y sont relatées. De
plus, suivant les ordres de l'Eglise catho-
lique, nous présentons notre présent synode
au pontife romain Pie IX, glorieusement ré-
gnant, suppliant Sa Sainteté d'en ordonner
l'examen et de daigner le confirmer, si Elle
le juge à propos. Enfants de la sainte Eglise,
nous nous soumettons humblement à tout
ce qui y sera ordonné, disposé et corrigé
par le Siège apostolique.
On a vu, au début de ces pages, que cette
confirmation du synode syrien de Charfé
par Rome n'a pas eu lieu. Nous avons tenu
I cependant à présenter cette courte notice
à nos frères les Syriens catholiques du pa-
triarcat d'Antioche, heureux si nous pou-
vions faire naître, chez l'un ou l'autre des
éminents ecclésiastiques que compte ce
patriarcat, le désir et le projet de nous
donner un jour l'histoire complète, exacte
et documentée de leur Eglise.
Paul Bacel,
prêtre du rite grec.
Syrie.
LES « ORIENTALIA >^
DE LA BIBLIOTHÈQUE JOHN RYLANDS
Trois volumes, in-40 monumental, pour
un catalogue de papyrus démotiques; un
volume tout aussi monumental et splen-
didement édité pour un catalogue de pa-
pyrus grecs — et ce n'est que le premier ;
— un volume semblable pour un cata-
logue de manuscrits coptes! Et ces cata-
logues signés respectivement Griffith,
Hunt, Crum! Le tout publié luxueusement
par une bibliothèque qui tient en réserve
et nous promet bien d'autres richesses
encore. Et cette bibliothèque n'a pas douze
ans d'existence! Où sommes-nous donc?
Nous sommes à Manchester, et je devine
l'étonnement de plusieurs à la révélation
d'un Manchester à ce point curieux de
trésors littéraires et de papyrus, à côté de
ses balles de coton. — Eh bien! il faut
savoir qu'il n'y a peut-être pas au monde,
à l'heure qu'il est, Londres mis à part, de
cité industrielle et commerciale intellec-
tuellement mieux dotée. Bibliothèques,
écoles, Université, rien n'y manque, ou
plutôt tout y abonde. Du reste, ce n'est
pas tout à fait d'aujourd'hui que les affaires
y «marchent de front avec l'activité d'une
culture libérale. Les spéculations de la
fortune et celles de la pensée n'y sont donc
pas jugées incompatibles. Bref, comme
jadis à Venise, les sciences et les arts
trouvent à Manchester de magnifiques et
paisibles retraites — j'allais dire des boîtes
à coton — que n'ont pas l'air de troubler
le moins du monde les agitations d'un
immense commerce.
La « John Rylands Library », l'une des
plus récentes, mais non la moins impor-
(i) The John Rylands Library, Manchester.
Catalogue of an Exhibition of Manuscript and
Printed Copies of the Scriptures, illustrating
the History of the Transmission of the Bible,
shown in the Main Library from March to De-
cember, 191 1. 9 1/2 X 6, laS pages. Manchester,
Universitv Press.
tante des institutions littéraires de Man-
chester, fut ouverte au public le 6 octobre
1899. Elle doit son établissement à la
munificence de Mrs Rylands, qui l'érigea,
la pourvut et dota princièrement, pour
perpétuer à Manchester la mémoire du
grand citoyen que fut son mari, John
Rylands, et dans le but de favoriser les
hautes études. Mrs Rylands est morte le
4 février 1908. Je ne puis mieux faire que
de renvoyer, pour plus de détails sur la
fondatrice et sa fondation grandiose, au
Bulletin of the John Rylands Library ,
volume I, numéro 6, october 1908 (car
la bibliothèque a son bulletin périodique),
et à une brochure publiée en 1907 sous le
titre : The John Rylatids Library. A brief
bistorical description of the Library and ils
contents. Les photographies qu'on y a
insérées donneront en même temps une
idée des splendeurs de l'installation.
L'érection du monument commençait
en 1 890, deux ans après la mort de M. Ry-
lands. En 1892, sa veuve faisait l'acqui-
sition de « la plus belle et la plus riche
bibliothèque d'Europe » — au dire de
Renouard, — VAltborp Library, collection
de 40000 volumes réunis par Lord Spencer
(1790), riche en incunables et en éditions
princeps de toutes sortes . Ce premier fonds
s'est rapidement augmenté. La Rylands
Library compte aujourd'hui 130 000 vo-
lume et constitue, suivant le désir de la
fondatrice, un véritable lieu de pèlerinages
pour les amateurs de livres rares, en même
temps qu'un magasin d'abondance pour
les études philosophiques, théologiques,
historiques, aussi bien que philologiques,
littéraires et bibliographiques.
Au mois d'août 1901, Mrs Rylands,
renchérissant sur la magnificence de ses
libéralités antérieures, acquit pour cette
bibliothèque la collection entière des pa-
300
ÉCHOS d'orient
pyrus et des manuscrits de lord Crawford.
Ce fut une acquisition sensationnelle. La
Bibliotheca Linâesiatia n'était qu'un de ses
éléments, et pourtant, à elle seule, elle
passait pour être, comme cabinet de ma-
nuscrits, au moinslependant de cequ'était,
pour les incunables et les livres rares,
l'Âlthorp Library. 11 serait difficile d'exa-
gérer l'importance de cette nouvelle acqui-
sition de Mrs Rylands. En entrant dans la
nouvelle fondation, c'est une collection
inappréciable de 6 ooo articles, connus
jusque-là seulement de quelques savants
spécialistes privilégiés, qui, désormais, al-
lait s'ouvrir libéralement à tous les travail-
leurs, archéologues, etc. , auxartistesaussi.
Rien que pour la richesse de certaines
reliures, ornées de métaux, d'ivoires, etc.,
chefs-d'œuvre de joaillerie des xif et
xiiie siècles, elle prend rang immédiate-
ment après la Bibliothèque Nationale de
Paris et la Bibliothèque Royale de Munich.
Mais surtout, à côté de manuscrits armé-
niens, thibétains, siamois, chinois, japo-
nais, malais, persans, arabes, turcs, pa-
pyrus coptes et manuscrits des v^ et
vie siècles, de papyrus grecs, de manu-
scrits samaritains, de rouleaux et codices
hébraïques, on y trouve la plus belle réu-
nion de papyrus démotiques connue jus-
qu'à ce jour. Inutile d'ajouter que Mrs Ry-
lands a sacrifié pour cette acquisition des
sommes énormes. Et ce n'était pas son
dernier mot. Par testament, elle léguait
encore à sa bibliothèque, outre des mil-
liers de livres, manuscrits et estampes,
qu'elle conservait dans sa résidence de
Longford Hall, un capital de 200000 livres
(5 millions de francs), assurant un revenu
de 325 000 francs, grâce auquel les trustées
et governors de l'institution remplissent,
à la satisfaction — je devrais dire à l'ad-
miration — générale, le vœu de la fon-
datrice.
On s'est tout de suite mis aux catalogues,
et c'est aux savants spécialistes les plus
éminents dans chaque branche qu'en
est confiée la publication : le professeur
Hogg pour les manuscrits arabes, les
Drs Grenfell et Hunt pour les papyrus
grecs, M. F. Ll. Griffith pour les papyrus
démotiques, M. Crum pour les coptes, le
Df M. Rhodes James pour les orientaux,
M. Cowley pour les samaritains, M. Ni-
cholson, de Cambridge, pour les manu-
scrits persans, le professeur Margoliouth
pour les papyrus arabes.
L'œuvre est en pleine activité. Le bul-
letin d'octobre 1908 — je n'ai que celui-là
sous les yeux — parle de conférences très
suivies qu'on y a données pendant l'hiver
de 1907-1908. Des réunions spéciales y
mettent les plus humbles travailleurs au
courant des ressources variées que peut
leur offrir la bibliothèque. Outre les con-
férences, on multiplie les expositions des-
tinées à mobiliser méthodiquement sur
un point donné toutes ces ressources. La
publication dont je donne le titre au com-
mencement de cet article en fournit un
exemple. Voici encore le Catalogue of an
exhibition of illuminated manuscripts prin-
cipally biblical and liturgical exhibited on
the occasion of the meeting of the Cburch
Congress in october 1908; le Catalogue of
the Exhibition of early greek and latin clas-
sics, etc.
Je me reprocherais de ne pas prononcer
ici le nom du bibliothécaire en chef,
M. Gruppy. On connaît le type du biblio-
thécaire avare et jaloux. M. Gruppy,
comme les Delisle et les Omont, à l'école
desquels il a pris langue pendant un cer-
tain temps, est tout l'opposé de ce type-là.
C'est une constante préoccupation chez
lui, c'est un bonheur de sa vie de faire
rendre aux livres tous les services pos-
sibles. L'organisation des conférences et
des expositions dont je viens de parler
suppose une initiative intelligente et tou-
jours en éveil, toujours en quête des
moyens d'attirer l'attention des travailleurs
sur les richesses littéraires qu'on ne de-
mande qu'à mettre à leur portée. C'est
l'âme de M. Gruppy qu'on devine partout.
Naturellement il ne se contente pas de
susciter et d'alimenter les activités litté-
raires ; il paye, par surcroît, de sa personne.
Mais partout il apporte, si j'ose ainsi dire,
le même prosélytisme bibliographique. Je
LES « ORIENTAL! A » DE LA BIBLIOTHÈQUE JOHN RYLANDS
301
n'en veux pour preuve que les sujets de
conférence qu'il affectionne : The Books of
the Middle Ages and their viahers, tel est le
titre de celle qu'il donnait, au milieu de
ses livres, le 7 mars 1908, à la Nortb-Wes-
tern Coopérative Educational Commitiees'
Association. Il vient également d'entre-
prendre une série de reproductions of unique
or rare books in tbe possession of the John
Rylands Library sous ce titre : The John
Rylands Facsiîniles. Les vues généreuses
de la fondatrice ne pouvaient trouver un
interprète et un exécuteur testamentaire
plus fidèle, plus diligent, plus hospitalier.
C'est un hommage et une justice qu'aiment
à lui rendre de loin comme de près tous
ceux qui ont mis à contribution son obli-
geance inépuisable.
J'en ai dit assez pour montrer que la
John Rylands Library n'est pas seulement
un numéro de Great attraction pour les
programmes d'admiration conventionnelle
et fugitive de l'agence Cook, et qu'elle
n'est pas davantage un de ces dépôts
oubliés dont on ne secoue jamais l'inuti-
lité poudreuse. C'est véritablement un
organe scientifique vivant et agissant. Le
comité des Trustées, Governors and Prin-
cipal officers, auxquels Mrs Rylands en a
confié le développenient intérieur et la
mise en valeur pratique, continue collec-
tivement d'en être le Mécène, et de favo-
riser, de susciter même, je le répète, les
activités littéraires, par les facilités qui
leur sont offertes dans des conditions
idéales de largeur, d'intelligence et d'ini-
tiation. Dès maintenant, en particulier, la
bibliothèque John Rylands ne saurait être
négligée dans aucun des domaines de
l'orientalisme savant.
C'est, en même temps qu'un catalogue,
une publication monumentale de papyrus
démotiques que nous offrent les trois
volumes de M. F. Ll. Griffith (i). 11 s'agit
(i) Catalogue of the Demotic Papy ri in the
John Rylands Library Manchester. Wilh Facsi-
miles and complète translations by F. Ll. Grif-
fith, M. A. Reader in Egyptology in the L'ni-
de la collection formée par lord Craw-
ford au cours d'un voyage en Egypte
durant l'hiver de 1898-1899, mais dont il
n'était resté possesseur que jusqu'en 1901.
Mrs John Rylands, à cette date, en faisait
l'acquisition, et la déposait avec tous les
manuscrits de Haigh Hall, sa résidence,
à la bibliothèque fondée par elle sous le
nom de son mari.
Ce fonds démotique est extraordinaire-
ment riche en textes de l'époque prépto-
lémaique, et, sous ce rapport, le catalogue
fait plus que doubler la somme de ce que
les diverses publications spéciales nous
avaient fait connaître jusqu'ici. Ce n'est
rien dire encore. Car l'une de ces pièces,
le n" IX, est unique en son genre et nous
ouvre des horizons tout nouveaux sur
l'époque de Psammétique. On y saisit, en
quelque sorte sur le vif, le jeu des lois
et des institutions de l'Egypte au vif siècle
avant l'ère chrétienne. Aux yeux des
égyptologues, la Pétition de Peteesi —
c'est le nom désormais célèbre de cette
pièce — dépasse, sans comparaison pos-
sible, en valeur et en intérêt, tous les
monuments connus de l'ancien démotique.
Lord Crawford, considérant l'impor-
tance scientifique d'un pareil trésor de
papyrus, en avait projeté la publication
complète dans un catalogue dont il avait
confié la rédaction à M. F. Ll. Griffith.
L'illustre savant continua son travail après
le transfert des papyrus à la bibliothèque
Rylands, et celle-ci prit même à sa charge
tous les frais d'une publication fort oné-
reuse, sans doute, mais aussi dont elle
peut être très fière. Ce n'en est pas moins
à M. F. Ll. Griffith qu'on est redevable
avant tout d'une œuvre à laquelle il n'a
pas consacré moins de dix ans, transcri-
vant diplomatiquement les papyrus les
plus anciens, indépendamment des repro-
ductions photographiques (encore insuflfi-
versity of Oxford. Volume I. Atlas of Fac-
similés. Manchester, University Press, 1909
iLXXXV planches). Volume 11. Hand-copies of
the earlier documents (n" i-ix). Manchester, igog
(XLll planches!. Volume III. Key-List, Transla-
tions, Commentaries and Indices. Manchester,
1909 ixn-468 pages).
302
ÉCHOS d'orient
santés à son gré, sans cette précaution)
qu'en donne le premier volume, aussi
bien que de tous les autres, les tradui-
sant en hiéroglyphes, même en copte, les
transposant en caractères latins, les tra-
duisant en anglais, les annotant, etc.,
bref, les présentant et les étudiant sous
toutes les formes, au moyen d'indices, de
monographies et de glossaires où l'on
passe en revue méthodiquement les mots
démotiques, les noms de lieux et de per-
sonnes, des dignités et professions, sans
parler d'un nombre infini de renseigne-
ments géographiques, historiques, poli-
tiques, religieux, paléographiques, philo-
logiques, etc. Sous la plume de M. Grit-
fith, rien que la présentation des lieux au
lecteur devient une description très inté-
ressante, très fouillée.
L'auteur divise les papyrus de Man-
chester en quatre groupes, suivant leur
âge et leur provenance. Neuf ont été
trouvés sur la rive droite du Nil, dans les
ruines du temple de El Hibeh, le seul
peut-être qui subsiste encore de tous les
temples de la moyenne Egypte. Les no» 1
et 11 de ce groupe datent du règne de
Psammétique I^i"; les no» 111 à VllI du règne
d'Amasis, et le n» IX (la Pétition de Peteesi)
du règne de Darius l^"". Toujours en sui-
vant l'ordre chronologique, nous trou-
vons les papyrus ptolémaïques au nombre
de vingt-six, cinq provenant de Thèbes.
Ils embrassent une période d'environ qua-
rante ans, d'Alexandre IV à Ptolémée Phi-
ladelphe, en passant par Ptolémée I«r. Dix-
huit proviennent de Gebelih. au sud de
Thèbes, s'échelonnant de Ptolémée VI
Philométor à Ptolémée Eupator, Ptolémée
Evergète II, Cléopâtre, Alexandre et Béré-
nice. Il reste trois autres papyrus ptolé-
maïques dont M. Griffith ne peut déter-
miner la provenance. Enfin, les n»'* XLIV
(règne de Tibère) et XLV(règne de Claude)
ont été rencontrés à Dune, dans le Fayoum.
Il est impossible de donner la moindre
idée de l'immense et consciencieux travail
dont témoignent ces trois volumes. Il
faudrait avoir sous les yeux, par exemple,
les vingt-cinq planches(trois sont doubles)
reproduisant les transcriptions de ces do-
cuments, faites à la main par l'éditeur,
dans le deuxième volume, puis les trente-
cinq pages de leur transfert en hiéroglyphes
et en caractères « européens » et coptes,
avec annotation courante extrêmement
riche; enfin, les cinquante-deux pages où
l'auteur étudie méthodiquement la pièce
— traduite cette fois en anglais, — et ce
ne serait pourtant sur ce point, de beau-
coup le plus important, il est vrai, qu'une
moitié des résultats, puisque la Part. IL
Philological, l'armature des glossaires et
de ce qui porte le titre d'Indices, où sont
fondues toutes leurs données avec celles
des ajjtres pièces, *en représente encore
un élément considérable. L'œuvre, en un
mot, fait le plus grand honneur à la science
anglaise et à l'intelligente générosité de
ses Mécènes.
Germanos Gallophylax.
Ryde.
ORGANISATION DE LA COMMUNAUTÉ
GRECQUE ORTHODOXE DE KADI-KEUI
Dans deux articles publiés récemment,
ici même (i), nous avons fait connaître
l'organisation générale de l'Eglise grecque
(i) Cf. Echos d'Orient, mars igii, p. 110-116;
mai 191 1, p. 160-166.
orthodoxe. Déjà, à la lecture de cet exposé
d'ensemble, tout homme avisé aura re-
connu combien est intime la compéné-
tration de l'élément ecclésiastique et de
l'élément laïque dans le gouvernement de
ORGANISATION DE LA COMMUNAUTE GRECQUE ORTHODOXE DE KADI-KEUI
303
cette Eglise. Mais, pour saisir de plus près
les inconvénients ou les avantages qui
résultent de cette situation, il est à propos
d'étudier, non plus seulement l'Eglise
orthodoxe ou un diocèse en général, mais
aussi une communauté orthodoxe en par-
ticulier, soit dans ses rapports avec ses
chefs hiérarchiques, soit dans les mul-
tiples détails de sa vie paroissiale.
C'est pourquoi, dans cet article, nous
nous proposons de faire connaître, en
nous fondant sur des documents officiels,
le règlement de la Communauté grecque
orthodoxe de Kadi-Keuï (i). A cet effet,
après avoir indiqué quelle est l'organisa-
tion générale de cette Communauté, nous
considérerons tour à tour dans cette
grande famille les droits et les devoirs
respectifs du clergé et des autres membres
de la Communauté.
1. Organisation générale
DE LA Communauté.
Association de tous les Grecs ortho-
doxes de la ville de Kadi-Keuï qui sont
sous la juridiction spirituelle du métropo-
lite dit de Chalcédoine. Cette Commu-
nauté possède quatre églises, trois écoles,
deux cimetières, un théâtre et un hagbiasma
ou fontaine sacrée. Elle est administrée
par une éphorie centrale (2), par les Com-
missions des églises et des cimetières, par
les éphories particulières des écoles et par
une Commission dite de contrôle (3).
Les cinq membres de Véphorie centrale
sont élus au scrutin secret parmi les
notables de la Communauté et remplacés
par d'autres tous les deux ou trois ans.
C'est d'eux que dépendent le secrétariat
(1) La ville actuelle de K.adi-K.euï, située sur la
rive asiatique de la Marmara, à l'entrée du Bos-
Iphore, en face de Constantinople, est bâtie sur
'e mplscement de l'ancienne ville de Chalcédoine
où se tint, en 45i, le IV* Concile œcuménique. Sa
population est actuellement de 3o 000 âmes, dont
i5 000 Grecs, 5 000 Arméniens, 2 ooo Latins,
6000 musulmans, 2000 Juifs et 200 protestants.
Les Grecs orthodoxes y sont donc en majorité.
(2) KavovKTiiô; tt,; êv Xa).xT)CÔv; ÉX).T,v'.xf,ç ôpOoS^çoy
/.o:-/ÔTr,Toç, Kadi-KeuT, K.oromila, 1910, p. i-8.
?i P. 19-20.
général de la Communauté, le bureau de
comptabilité générale, le bureau des
registres de l'état civil, la trésorerie cen-
trale et, en général, l'administration des
biens de la Communauté. A Véphorie
revient aussi le droit de choisir son prési-
dent, son secrétaire et son trésorier, d'ad-
ministrer les biens des églises et des
écoles, de surveiller le travail des autres
Commissions ou éphories, de souscrire les
emprunts à contracter, de faire le bilan
annuel de la Communauté et d'en établir
le budget pour le soumettre à l'approba-
tion d'une assemblée générale et de faire
connaître dans les assemblées générales
régulières la situation administrative de la
Communauté. Aux réunions régulières de
Véphorie q\i\ se tiennent une fois par mois,
la présence de trois membres est requise
pour que l'on ait le quorum voulu; la
signature de trois éphores est également
indispensable sur les écrits qui intéressent
la Communauté tout entière ; les décisions
de l'assemblée sont toujours prises à la
majorité absolue des voix, et, en cas d'éga-
lité des suffrages exprimés, la voix du pré-
sident est prépondérante (i).
Au-dessous de Véphorie centrale chargée,
on le voit, de la direction générale de la
Communauté, il faut placer, par ordre
d'importance, la Commission des églises et
des cimetières dont les membres sont élus
à la réunion générale annuelle de tous les
membres de la Communauté et remplacés
par d'autres tous les trois ans. Cette Com-
mission se choisit elle-même un prési-
dent, un secrétaire et un caissier, veille
à l'entretien des églises et des cimetières
et nomme les ministres inférieurs pré-
posés au service des églises. Elle se garde
de faire des dépenses qui n'ont pas été
prévues en général dans le budget
annuel de la Communauté. Pas plus que
les membres de Véphorie centrale, les trois
membres de cette Commission n'ont droit
à une rétribution quelconque (2).
Voici maintenant les éphories des écoles
(i) Op. cit., p. 'lO-iS.
(2) P. i3-i6.
b
304
ECHOS D ORIENT
qui, comme Yéphorie centrale, se choi-
sissent leur président, leur secrétaire et
leur caissier. A elles revient le soin d'ad-
ministrer les écoles sous la surveillance
de Yéphorie centrale et de répartir les fonds
affectés par Yéphorie centrale aux dépenses
scolaires; mais il leur est défendu de
souscrire des emprunts et de prélever des
sommes pour des dépenses extraordi-
naires sans l'autorisation de Yéphorie cen-
trale. Enfin, c'est à ces éphories que la
Communauté grecque orthodoxe confie
le soin d'examiner les enfants nés de
parents hétérodoxes qui sollicitent leur
admission dans les écoles grecques ortho-
doxes de Kadi-Keuï (i).
Le travail des Commissions précédentes
est complété par la Commission dite de
contrôle. Cette dernière, composée de trois
membres, est accessible à tous les no-
tables de la Communauté qui ne font pas
déjà partie des autres Commissions ou
éphories. Elle est chargée de vérifier annuel-
lement tous les livres de comptes des
autres Commissions et d'exiger de chaque
membre de ces Commissions les éclair-
cissements nécessaires. Ces renseigne-
ments servent de base au rapport final
que signent les trois membres contrô-
leurs et qui relate, avec les excédents ou
les déficits budgétaires, les infractions au
règlement de la Communauté dont se
sont rendus coupables les divers membres
des Commissions durant l'exercice qui
vient de s'écouler (2).
Les membres de l'une ou l'autre de
ces éphories et de ces Commissions sont
élus dans des assemblées générales de la
Communauté. Sont déclarés électeurs
tous les orthodoxes qui ont fixé leur
domicile à Kadi-Keuï et qui versent annuel-
lement une redevance de 30 piastres
(6 fr. 30) à la caisse générale de la Com-
munauté; sont déclarés de plus éligibles
tous ceux qui versent par an à la même
caisse la somme de 100 piastres (21 francs).
Mais, pour être électeurs et éligibles, les
orthodoxes ne doivent jamais avoir
(i) p. 17-18
(2) p. 19-20.
encouru de condamnation judiciaire infa-
mante, doivent être mariés légalement et
n'être ni salariés par la Communauté, ni
membres du clergé, ni indigents, ni pères
d'enfants reçus gratuitement dans les
écoles de la Communauté.
Affichés tous les ans, du i^r au 16 Jan-
vier, dans le narthex des églises, les noms
des électeurs et des éligibles sont ensuite
répartis sur les listes particulières des
représentants de Kadi-Keuï, soit à l'élec-
tion du patriarche, soit au Conseil mixte
du Phanar, soit à l'élection des deux
mouktars (i) de la -Communauté, soit
enfin à l'élection des députés de Cons-
tantinople à la Chambre turque.
Convoquée par le président de Yéphorie
centrale, l'assemblée générale des élec-
teurs est régulière si elle se réunit une
fois par an en février, extraordinaire, si,
à la demande d'au moins cinquante élec-
teurs, elle tient ses séances en dehors du
temps fixé; les votes y sontpublics, à main
levée ou par appel nominal, selon le
désir du président — le métropolite de
Chalcédoine ou un clerc délégué à cet
effet, — mais toujours secrets, s'il s'agit
de trancher une question personnelle, et
les décisions, prises autant que possible à
la majorité absolue des voix, sont consi-
gnées dans un registre spécial par le
secrétaire de l'assemblée.
Observons à ce sujet qu'il n'est pas
permis au père et à son fils, au beau-père
et à son gendre et à deux frères d'être
en même temps membres, l'un de
Yéphorie centrale, l'autre d'une Commis-
sion ou d'une ^^jbcn> quelconque : mesure
de sagesse qui a pour but de conjurer le
péril, si commun dans ces associations,
du favoritisme familial.
Enfin, si l'un des membres de ces
éphories ou Commissions n'accepte pas
son élection, s'il donne sa démission, s'il
meurt ou s'il manque gravement à l'un
de ses devoirs, on lui nomme d'office un
remplaçant (2).
(i) p.' 20-32 sq. — Nous précisons plus loin les
fonctions de ces mouktars.
(2) P. 32-33.
ORGANISATION DE LA COMMUNAUTÉ GRECQ.UE ORTHODOXE DE KADI-KEUÏ 305
Telle est donc, dans ses grandes lignes,
l'organisation de la Communauté de
Kadi-Keuï. Jusqu'ici, nous n'avons guère
parlé du rôle du clergé. En effet, les
ecclésiastiques n'étant ni électeurs ni éii-
gibles, sauf quand il est question de
choisir un nouveau patriarche, nous
n'avions pas dans le gouvernement géné-
ral de la Communauté d'influence ecclé-
siastique à signaler (ii. Cependant, le
clergé occupe une large place dans la
Communauté. D'abord, c'est le métropo-
lite de Chalcédoine qui ratifie les élections
dont nous avons parlé. En second lieu,
les ecclésiastiques remplissent dans la
Communauté les importantes fonctions
que nous allons indiquer.
II. Le clergé.
Nous parlerons successivement de son
organisation en général, de ses devoirs
et des subventions régulières ou extraor-
dinaires auxquelles il a droit.
Un métropolite, chef hiérarchique, cinq
prêtres et trois diacres composent le
clergé attaché aux quatre églises de la
Communauté. De ces clercs, « qui tous
doivent être d'une conduite irrépro-
chable », deux au moins sortent de
l'Ecole théologique de Halki et prêchent
autant que possible les dimanches et les
jours de fête; trois prêtres, les plus âgés,
remplissent les fonctions de confesseur,
enfin, tous ont été élus par Véphorie cen-
trale, d'accord sur ce point avec la Com-
mission des églises et approuvés par le
métropolite (2).
Nombreux sont leurs devoirs: au curé
ou prêtre principal de la Communauté
( 6 'îtco''iT-:â|jL2vo;) incombe le soin de prêcher
dans les églises de la Communauté, de
veiller sur la conduite des prêtres et des
autres clercs, ses subordonnés, de les
punir au besoin après en avoir référé au
métropolite et à lV^jbc>r/>^^«/r^/^, de répartir
équitablement les charges du ministère
li) p. 21.
(2| P. 35-36.
entre ses inférieurs, de veiller à ce que les
saints offices soient célébrés avec conve-
nance, d'avertir Véphorie centrale des sujets
de plainte qu'il peut avoir à formuler
contre son clergé et de tous les perfec-
tionnements qu'il se propose d'apporter
au service des églises (i).
Après le curé, les prêtres et les diacres
de la paroisse auxquels on prescrit
d'habiter seuls dans des cellules contiguës
aux églises, de ne jamais abandonner leur
ministère, le jour ou la nuit, sans l'auto-
risation du curé, de se conformer, au
point de vue administratif, aux décisions
de la Commission locale, d'obéir en tout
à leur curé dans le domaine canonique,
de prêcher, s'ils sont théologiens, confor-
mément aux décisions de leur curé, d'ac-
cord sur ce point avec Véphorie centrale,
de remplir leurs devoirs de pasteurs à
toute heure du jour ou de la nuit, d'être,
en tout temps, vêtus décemment et recom-
mandables par leurs bonnes mœurs, de
ne pas voyager sans une autorisation
écrite de Véphorie centrale, sous peine de
punition; enfin, s'ils sont mariés, de
passer la nuit dans leurs maisons, mais
de se tenir prêts à remplir leurs devoirs
au premier appel du curé et, à tour de
rôle, de veiller la nuit dans une église (2).
Tels sont les devoirs généraux du
clergé grec de Kadi-Keuï. Comme les
droits sont corrélatifs des devoirs, les
clercs de cette Communauté ont égale-
ment droit à certaines subventions qui
leur permettent de vivre. Mais il y a lieu
de distinguer, sous ce rapport, les subven-
tions accordées au métropolite des sub-
ventions concédées aux autres membres
du clergé.
Le métropolite, comme chef hiérar-
chique du diocèse de Chalcédoine, reçoit
une subvention de 72 700 piastres par
an, soit exactement 15267 francs. Mais
la Communauté de Kadi-Keuï, qui n'est
qu'une fraction de son troupeau spirituel,
n'est pas condamnée, on le conçoit, à lui
(i) p. 36-37.
(2) P. 37-38.
3o6
ÉCHOS d'orient
payer à elle seule cette subvention. Elle
lui donne, par an, 8000 piastres argent,
c'est-à-dire exactement i 680 francs,
payables en deux acomptes versés suc-
cessivement le lei' janvier et le i^» juillet
de chaque année. Toute augmentation de
cette redevance ne peut se faire sans
l'entente préalable de la Communauté de
Kadi-Keuï avec les autres communautés
du diocèse.
Mais, en dehors de cette subvention
régulière, le métropolite reçoit encore :
a) 10 piastres, c'est-à-dire 2 fr. 10, pour
chaque autorisation de mariage qu'il
accorde ; b) 50 piastres au moins ( i o fr. 50)
chaque fois qu'il préside une cérémonie
sacrée; c) 10 piastres (2 fr. 10) par an
comme redevance de chaque prêtre chargé
d'une paroisse; d) enfin, les sommes
recueillies à l'occasion de la bénédiction
annuelle des maisons ou pbotismos qui
a lieu à la fête de l'Epiphanie (appelée
chez les Grecs 0co:pàyt.a ou Ioot/- twv
cpwTtov ou encore ta cpû-ra). En dehors de
ces revenus ordinaires ou extraordinaires,
révêque n'a le droit de réclamer aucune
redevance particulière de la Commu-
nauté (i).
Aussi bien que l'évêque, tout clerc est
salarié par la Communauté. Mais, en
dehors de ce traitement régulier, les clercs
ont encore droit à des subsides pour
l'éclairage de leurs maisons (non des
magasins qu'ils pourraient avoir et qui ne
leur serviraient pas de résidence ordi-
naire), à une partie au moins des sommes
recueillies à l'occasion du pbotismos de
l'Epiphanie, aux offrandes faites à l'occa-
sion de certaines prières, telles que la
cérémonie des relevailles et le chant du
Trisagion (triple Sanctus en l'honneur des
défunts) dans les cimetières. De plus, le
prêtre principal prend pour lui les frais
occasionnés par les dispenses d'empêche-
ments de mariage, frais qui peuvent
s'élever jusqu'à 10 piastres, soit 2 fr. 10.
En retour de ces traitements fournis
aux clercs, la Communauté garde pour
(i) p. 38-39.
elle les revenus des baptêmes, des ma-
riages, des enterrements, des messes de
morts, des bagbiasmata et des confessions.
Elle interdit absolument aux membres du
clergé d'exercer d'autres fonctions que
celles du ministère sacré, permettant seu-
lement aux théologiens de donner des
leçons de catéchisme, moyennant une
petite rétribution, dans les écoles de la
Communauté (i).
Les devoirs et les droits du clergé étant
ainsi considérés, passons à ceux des
ministres inférieurs et des simples fidèles.
111. Les employés inférieurs
et les simples fidèles.
Parlant de cette catégorie d'orthodoxes,
nous dirons quelques mots des personnes
et nous indiquerons quels sont les revenus
de la Communauté qui leur permettent
de vivre.
En quittant les ministres du culte, les
premiers fonctionnaires de la Commu-
nauté que nous rencontrons sont les
employés inférieurs des églises, tous
nommés par la Commission des Eglises.
Ils sont tenus de remplir leur office dans
l'église désignée, et, en cas d'empêche-
ment, d'avertir la Commission dont ils
relèvent, et être vêtus convenablement
dans l'exercice de leurs fonctions; d'obéir
au curé et à la Commission; s'ils sont
sacristains, d'habiter seuls dans des cel-
lules contiguës aux églises et de ne pas
s'absenter sans avertir la Commission des
églises.
Ces employés sont dans l'église de la
Sainte-Trinité, par exemple, deuxchantres.
deux domestikol, deux canonarques (2),
deux sacristains et un épistate ou surveil-
lant; on trouve à peu près les mêmes
employés dans les trois autres églises;
mentionnons aussi le gardien du nouveau
cimetière, le gardien du vieux cimetière,
qui remplit également les fonctions de
(i) P. 38-41.
(2) Chantres quientonnent à l'église les antiennes
de l'office et tiennent la note fondamentale du
chant.
ORGANISATION DE LA COMMUNAUTÉ GRECQUE ORTHODOXE DE KADI-KEUÏ 307
fossoyeur; le gardien du théâtre et un
certain nombre de pompiers affectés à la
garde et à l'utilisation des trois pompes
de la Communauté.
Nommons également, parmi les mi-
nistres inférieurs de la Communauté, le
secrétaire de Véphorie centrale j à la fois
secrétaire, comptable et bibliothécaire de
la Communauté, et le secrétaire-adjoint
qu'on lui donne quelquefois.
Enfin, il faut faire une mention spéciale
des deux motiktars qui sont attachés au
personnel de Y éphorie centrale : sujets otto-
mans, remarquables par leurs capacités
et leur honorabilité, élus d'après le pro-
cédé que nous avons indiqué auparavant;
ils délivrent des certificats d'identité,
d'incapacité ou d'indigence aux parois-
siens qui les sollicitent, tiennent des
registres de l'état civil, et, dans les cas
de procès intentés aux orthodoxes, ils
représentent la Communauté et Véphorie
centrale devant les autorités turques; le
premier mouktar, sans traitement fixe,
peut cependant exiger une subvention de
10 à 50 piastres (2 fr. 10 à 10 fr. 50)
chaque fois qu'il remplit les fonctions qui
lui sont propres; le second est salarié
régulièrement par Véphorie centrale qui a
sur lui le droit de contrôle et qui peut le
destituer s'il remplit mal ses devoirs.
Si, des ministres de la Communauté,
nous passons aux simples sujets, nous
ferons une mention spéciale des enfants,
des indigents et des trépassés.
Les enfants sont élevés dans cinq écoles :
trois sont situées à Riza-Pacha : une école
de garçons, une école de filles et une
école maternelle; une école de garçons et
une école de filles se trouvent à Ghel-
Dermé; enfin il existe une école com-
munale de garçons et de filles à Kalamich.
Sous la dépendance de Véphorie des écoles,
ces établissements, pour tout ce qui a
trait aux programmes des matières d'en-
seignement et auxtraitementsdes maîtres,
sont soumis au règlement général des
écoles grecques de la ville de Constanti-
nople : instruction religieuse, langue
grecque, langue turque, langue française,
éléments d'arithmétique et de géométrie,
histoire grecque, géographie générale et
géographie spéciale de la Grèce et de la
Turquie, leçons de choses, notions de
tenue des livres, calligraphie, dessin,
musique religieuse et musique profane,
gymnastique, couture pour les filles;
telles sont les matières enseignées (i).
Mais, si elle s'occupe de ses enfants,
la Communauté ne néglige pas non plus
ses pauvres. Par l'entremise de Véphorie
centrale, qui prélève annuellement une
certaine somme sur le budget général de
la Communauté pour le soulagement des
nécessiteux; par l'intermédiaire aussi de
la Fraternité de Saint-Nicolas et de V Asso-
ciation des Dames de Kadi-Keuï, elle veille
à l'entretien de ses indigents.
Préoccupée de ses enfants et de ses
pauvres, elle songe aussi à ses morts.
Comme partout ailleurs, les enterrements
sont plus ou moins coûteux selon la for-
tune et la position sociale des défunts et
des parents survivants. Répartis en huit
classes distinctes, selon que tout le clergé
local ou qu'une partie de ce clergé y as-
siste, les obsèques coûtent de 50 livres
turques à une demi-livre (de 1137 fr. 50
à II fr. 35), et les messes de morts, de
25 livres turques à une demi-livre (de
568 fr. 75 à II fr. 35).
Remarquons-le : cet argent revient non
pas au clergé, qui n'a pas le droit d'exi-
ger quoi que ce soit pour lui, mais à
Vépiorie centrale. C'est dans le trésor de
cette éphorie qu'est le réservoir général
de la Communauté, et cela nous amène
à préciser quelles sont les sources aux-
quelles s'alimente ce trésor central.
Ces sources de revenus sont, indépen-
damment des honoraires perçus pour les
enterrements, pour les messes de morts,
pour les baptêmes (de 15 livres à une
demi-livre == 341 fr. 25 à 11 fr. 35),
pour les mariages (de 20 livres à une
livre = 455 francs à 22 fr. 75), les
(I) Ctr. AïOio-itiXo'j a-jvéx6r,yLo;, r, oori^d; xal iva-
X-jT'.xôv TroéYpaiifia ttôv àffTtittôv <r/oiM'i Tf,î àp^^u-tij-
■/.OTT?,; KtiJvo-TavTivoyTîôXïw;. Constantinople, Seita-
nidès, 1905-1906.
3o8
ÉCHOS d'orient
redevances annuelles des paroissiens, les
revenus de la distribution du pain d'église,
de l'achat des images, des fleurs, des
rameaux, le prix des stalles d'église; le
produit des quêtes et des offrandes dé-
posées dans le tronc des églises; le coût
des papiers délivrés par Véphorie centrale
et du sceau apposé par le premier mouk-
tar; les revenus des écoles, des cime-
tières, du théâtre et du legs fait à la
Communauté de Kadi-Keuï par l'évergète
Zaphiri: le revenu annuel d'un don fait
en 1694 par les tsars Jean et Pierre Alexie-
vitch de Russie; les produits annuels des
travaux manuels des écoles de filles, toutes
les offrandes, de quelque nature qu'elles
soient, faites à la Communauté par de
généreux bienfaiteurs, et, enfin, le pro-
duit des amendes imposées par Véphorie
centrale à tous les membres de la Com-
munauté qui ont gravement manqué à
leurs devoirs (i).
Telle est, dans son ensemble, l'organi-
sation de la Communauté grecque ortho-
doxe de Kadi-Keui.
On le voit, dans cette grande famille
qu'est la Communauté considérée, on
n'a rien laissé au hasard de ce qui peut
contribuer à la prospérité de l'ensemble;
tout est réglé, prévu, contrôlé, et la cha-
rité elle-même est organisée. Enfin,
comme, tous les ans, le 31 novembre, à
l'issue d'une assemblée générale, le bilan
général de la Communauté est publié,
chaque membre de cette grande asso-
ciation est à même de contrôler les résul-
tats atteints (i).
Mais — on l'a remarqué, — les membres
du clergé ne sont ni plus ni moins dans
la Communauté que des fonctionnaires
soumis, comme les autres, au contrôle de
Véphorie centrale^ salariés par elle, blâmés
et punis par elle en cas de délit, se dis-
tinguant seulement des autres orthodoxes
dans les assemblées générales par ce
fait étrange que, sauf dans le cas où il
s'agit d'élire un patriarche, ils ne jouissent
pas, comme les autres, du droit dévote:
sujétion qui rabaisse singulièrement le
rôle social des ministres du culte et qui
enchaîne forcément leur liberté.
E. MONTMASSON.
Kadi-Keui'.
LE TROISIÈME CONGRÈS DE VÈLEHRAD
Le petit village qui a gardé le nom de
l'ancienne capitale des Moraves, Vélehrad
ou Vélégrad, n'est pas inconnu aux lec-
teurs des Echos d'Orient. Il en a été parlé
à propos du second Congrès théologique
qui se tint dans cette localité au commen-
cement d'août 1909 (2). Cette année, du
27 au 29 juillet s'est réuni le troisième
Congrès.
11 s'est ouvert sous la présidence de
Mgf Stojan, prévôt de Kremsier, député
au Parlement de Vienne. S. Exe. M^^Bauer,
prince archevêque d'Olmùltz, patron du
(i) KavoviffjAÔi; , p. 47-49.
(2) Voir Echos d'Orient, t. xii, 1909, p. 362-364.
Congrès, a bien voulu honorer de sa pré-
sence les premières séances de l'assem-
blée. Dans un bref discours d'ouverture,
il a aimablement salué les congressistes
et leur a souhaité l'assistance du Saint-
Esprit et la protection de la Vierge et des
saints Cyrille et Méthode. Deux présidents
d'honneur ont été élus : Mg^ Cheptitski,
métropolite ruthènè de Lemberg, que la
maladie a empêché d'assister au Congrès,
et Mg"- Epiphane Chanof, vicaire aposto-
lique de Macédoine pour les Bulgares
unis. Celui-ci a lu une déclaration fort
applaudie, dans laquelle il a montré com-
(i) p. 78-79.
LE TROISIEME CONGRES DE VELEHRAD
309
ment l'Eglise catholique, toujours sou-
cieuse de sauvegarder les droits impres-
criptibles de la vérité, sait user de con-
descendance dans les choses discipli-
naires et emploie tous les procédés que
lui suggère une charité éclairée pour
ramener à elle les enfants que le schisme
lui a enlevés. Cet amour de la vérité ca-
tholique intégrale uni à une véritable
charité pour les frères séparés, le Congrès
l'a manifesté par ses actes et a montré
qu'il était en parfaite communion d'idée
et de sentiment avec son président d'hon-
neur. Mgr Stojan s'est fait également l'in-
terprète de tous, en réprouvant hautement,
à l'ouverture des délibérations, toute
préoccupation politique et toute tendance
libérale sentant de loin ou de près le mo-
dernisme.
Le nombre des congressistes s'est élevé
:i 140 environ, sans compter les nom-
breux séminaristes tchèques et ruthènes
venus pour écouter les délibérations et
s'initier ainsi aux graves questions qui
intéressent l'œuvre de l'union. On n'y a
vu aucun théologien schismatique, et il
ne semble pas qu'il faille le regretter. Un
Congrès mixte qui formerait comme
une sorte de petit concile où le nombre
des théologiens schismatiques égalerait
celui des théologiens catholiques restera
longtemps, sinon toujours, une utopie,
vu la situation politique et religieuse des
pays où règne le schisme. D'ailleurs, si
une telle assemblée était possible, il fau-
drait que ses membres fussent soigneuse-
ment choisis par l'autorité ecclésiastique
compétente pour éviter de sérieux incon-
vénients et de graves périls qu'il est facile
de deviner. Les questions théologiques,
en effet, ne peuvent se décider par la voie
parlementaire à la pluralité des suffrages.
C'est le cas de rappeler l'adage : Nan
mimeranUir sed poiiderantur . Ces considé-
rations et d'autres qu'on pourrait déve-
lopper nous font vivement souhaiter que
les Congrès de Vélehrad soient désor-
mais exclusivement composés de théolo-
giens catholiques compétents et de laïques
instruits capables de travailler efficace-
ment, par leur action et leur influence, à
l'œuvre toute religieuse et toute surnatu-
relle du retour à l'unité catholique des
chrétiens orientaux. Cette manière de
concevoir ces assemblées diffère sans doute
sensiblement de l'idée qu'ont eue certains
initiateurs de la première heure, mais elle
nous paraît être la seule vraiment pratique
et vraiment apte à produire des fruits de
bon aloi.
Bien qu'aucun théologien de l'Eglise
orientale n'ait assisté au Congrès, on a lu
cependant en séance plénière un rapport
envoyé par un membre de l'Eglise russe,
M. Basile Gœken, chapelain adjoint de
l'ambassade russe à Berlin. M. Gœken
avait assisté au second Congrès de Vé-
lehrad, où il s'était fait remarquer par
son silence discret. Cette fois, il a em-
prunté la voix d'un jeune Russe converti
au catholicisme et récemment ordonné
prêtre par Mg'' Mirof, archevêque bulgare
catholique de Constantinople, M. l'abbé
Fédorof, pour dire ce qu'il pensait des
controverses théologiques qui divisent
l'Orient et l'Occident. Le titre du rapport
était suggestif: L'union entre V Eglise ro-
maine-catboliqiie et l'Eglise orientale est-elle
possible? Passant en revue les principales
divergences dogmatiques entre les deux
Eglises, M. Gœken n'y voit que des ma-
lentendus et des logomachies et les ex-
plique dans un sens nettement catholique.
11 interprète le Filioqiie et le Per Filiiim
à la manière du concile de Florence. Sur
l'Immaculée Conception, il en appelle au
témoignage des nombreux théologiens
orientaux, et en particulier du saint russe,
Dimitri de Rostov, qui ont nettement
enseigné le dogme catholique. Sur un seul
point, qui est capital, la pensée de M. Gœ-
ken, telle qu'elle s'exprime dans son rap-
port, reste imprécise et incomplète : il
reconnaît que la primauté de saint Pierre
et du Pape de Rome, son successeur, est
enseignée par l'Ecriture et la Tradition de
l'ancienne Eglise, mais il croit pouvoir
affirmer que l'Eglise d'Orient, durant les
huit premiers siècles, n'a voulu recon-
naître à l'évêque de Rome qu'une pri-
3IO
ÉCHOS d'orient
mauté d'honneur. 11 ne dit pas, du reste,
si l'Eglise d'Orient a eu raison de prendre
cette attitude à l'égard du successeur de
Pierre. 11 dit encore moins ce qu'il pense
lui-même du dogme de la primauté et de
l'infaillibilité, tel que l'a défini le concile
du Vatican. 11 est clair que M. Gœken n'a
pas voulu manifester sa pensée intime
sur cette question fondamentale. Nous ne
serions pas étonné si, d'ici peu, il faisait
sienne la magnifique profession de foi à
la primauté et à l'infaillibilité du Pape qui
termine l'introduction de l'ouvrage de
Vladimir Solovief : la Russie et l'Eglise
universelle.
Parmi les autres rapports qui ont été
lus, signalons celui du R. P. Claeys
Bouaert, Jésuitede Bruxelles, sur la manière
de traiter les questions controversées en
vue d'arriver à l'union; celui de M. l'abbé
Chimrak, prêtre de rite slave, apparte-
nant au diocèse uniate de Kreutz, en
Croatie, sur les obstacles à l'union dans le
royaume de Croatie et de Slavonie ; celui
du R. P. Méthode Oustitchkof, Assomp-
tioniste bulgare du rite slave, sur la
méthode à employer pour ramener les
Bulgares au catholicisme ; celui du
R. P. Christoff, missionnaire Assomp-
tioniste du rite slave, sur la vie du
moine bulgare Pantaleïmon, apôtre fer-
vent de la communion quotidienne; celui
du docteur Jules Hadzsega, prêtre hon-
grois, sur la primauté de saint Pierre
d'après saint Jean Chrysostome et sur la
manière différente dont les théologiens
catholiques et les théologiens orientaux
interprètent la doctrine du saint Docteur.
Celui qui écrit ces lignes a présenté
quelques considérations sur la nécessité
et les motifs de prier pour obtenir le
retour à l'unité catholique des chrétiens
orientaux.
En dehors de ces rapports, lus en
séance plénière, il y a eu des délibérations
intéressantes dans les deux sections par-
ticulières : la section théorique et la section
pratique. Dans les réunions de la section
théorique, on a principalement discuté
sur l'infiltration des méthodes et des doc-
trines protestantes dans la théologie russe
et sur les saints russes. Ces questions,
soulevées par M. l'abbé Fédorof, ne pou-
vaient être traitées àl'improviste dans une
courte réunion. On a simplement voulu
les signaler à l'attention studieuse des
théologiens. Dans la section pratique,
on a discuté les statuts de l'Académie de
Vélehrad, rédigés par MM. les abbés
F. Grivec, de Laybach et A. Jachek, de
Kremsier. Cette académie, qui n'est pas
encore complètement organisée, a pour
but de promouvoir l'étude des questions
théologiques et liturgiques relatives à
l'Orient chrétien. Conçue dans un esprit
très large, elle cherchera à grouper et à
aider de toute manière les savants de tout
pays qui s'occupent de la théologie, de la
discipline, de la liturgie et de l'histoire de
l'Eglise gréco-russe. Dans la même sec-
tion pratique, le Congrès a adopté plu-
sieurs vœux relatifs à la prière pour le
retour des Eglises dissidentes à l'unité ca-
tholique. Voici quelques-uns de ces vœux :
10 Que la dévotion qui consiste à prier
pour l'unité de l'Eglise et la cessation du
schisme oriental soit recommandée à tous
les fidèles, clercs et laïques, aux membres
des Instituts religieux, et en particulier
aux Ordres contemplatifs.
2° Que dans le but de propager cette
dévotion, on compose en diverses langues
des livres de piété qui en montreront la
beauté surnaturelle et exciteront les fidèles
à s'enrôler dans les pieuses associafions
établies par l'Eglise, et enrichies par elle
de nombreuses indulgences, comme l'Ar-
chiconfrérie de Notre-Dame de l'Assomp-
tion et l'Apostolat des saints Cyrille et
Méthode.
30 Que cette dévotion soit spécialement
recommandée à tous les associés des nom-
breuses Confréries consacrées au culte du
Sacré-Cœur de Jésus, dont le désir le plus
ardent est que tous les chrétiens ne fassent
qu'un dans la vérité et la charité.
40 Qu'on demande au Souverain Pontife
d'insérer dans les litanies de Notre-Dame
de Lorette l'invocation suivante : Mater
e cclesiasticœ unitatis, or a pro nobis.
BIBLIOGRAPHIE
311
y Que les fidèles de l'Eglise orientale
qui désirent sincèrement l'union soient
invités à prier de leur côté pour la cessa-
tion du schisme.
M. l'abbé Grivec a fait adopter le vœu
suivant : « Que les saints Cyrille et
Méthode soient déclarés patrons de toutes
les œuvres ayant pour but de procurer
l'unité de l'Eglise. »
Le Congrès s'estterminé dans la matinée
du 29 juillet. La plupart des congressistes
étaient des Slaves venus de tous les points
de l'Autriche-Hongrie : Tchèques, Polo-
nais, Ruthènes, Slovaques, Slovènes,
Croates. Mais d'autres nationalités étaient
aussi représentées. On y comptait quatre
Français, dont trois Assomptionistes et
un Jésuite, le R. P. d'Herbigny, un des
hommesqui, àl'heureactuelle , connaissent
le mieux la Russie religieuse, et qui vient
d'écrire une belle vie de Vladimir Solovief.
L'Italie était représentée par le révéren-
dissime abbé de Grotta-Ferrata, Arsène
Pellegrini, par M>n- Graeco, maître des
cérémonies de l'église Saint-Pierre de
Rome, par le R. P. Aurelio Palmieri, des
Grands-Augustins, et par M. Alloatti,
Lazariste du rite slave, attaché à la mis-
sion de Salonique.
La fin du Congrès a coïncidé avec le
pèlerinage des associés de l'Apostolat des
saints Cyrille et Méthode. Ces associés se
rendent chaque année à Vélehrad, de
diverses localités de la Moravie, pour
honorer le souvenir des apôtres des Slaves.
Une messe pontificale de rite slave a été
chantée en plein air, le dimanche 30 juillet,
par Mgr Epiphane Chanof, assisté de dix
prêtres concélébrants. La cérémonie a été
grandiose. Elle a rappelé à tous les assis-
tants que l'Eglise catholique romaine sait
parler à Dieu en toutes les langues,
qu'elle est respectueuse de tous les anciens
rites et qu'elle n'est intransigeante que
lorsque la vérité révélée est en jeu.
M. JUGIE.
BIBLIOGRAPHIE
M. Chaîne, S. J. Un monastère éthiopien à
Rome au xv« et au xvi« siècle, San Ste-
fano dei Mori. Extrait du tome V des
Mélanges de la Faculté orientale do. Bey-
routh, 1910, p. 1-36.
Le R. P. Marius Chaîne consacre une
intéressante notice, documentée avec beau-
coup de précision, au monastère éthiopien
connu sous le nom de San Stefano dei
Mori, qui était situé non loin de la basi-
lique de Saint-Pierre. Cet établissement, qui
était à la fois couvent et hospice pour les
Ethiopiens, fut fondé à la fin du xv« siècle,
sous le pontificat de Sixte IV. Le R. P. Chaîne
a réuni avec grand soin tout ce qui a trait
à son histoire jusqu'à la fin du xvn« siècle,
où il fut abandonné par la communauté
éthiopienne. Il en édite ensuite la règle,
texte et traduction, et termine par quelques
inscriptions funéraires et par l'indication
de compositions diverses. Nous ne saurio ns
mieux faire que de nous rallier au jugement
de l'auteur, p. 19 : « Le souvenir que toutes
ces choses rappellent rend pour tous ces
documents précieux. » Précieux, en eff^et,
tout ce qui concerne l'histoire des commu-
nautés catholiques de rite oriental qui ont
existé ou existent encore dans la ville des
Papes. S. Salaville.
N. Giron, Notes épigrapkiques {Damas,
Alep, Or fa). Extrait du tome V des Mé-
langes de la Faculté orientale de Bey-
routh. Beyrouth, 19 10, p. 71-78.
M. Noël Giron, gérant du vice-consulat
de France à Mersine, publie, dans ces
quelques pages, les documents suivants :
1" une nouvelle inscription relative au droit
d'asile ecclésiastique en Syrie, droit conféré,
sous Constantin, aux églises et à leurs
porches, puis étendu et réglementé, en 48 1 ,
par Théodose et Valentinien; la colonne
312
ÉCHOS d'orient
qui porte ce texte aurait probablement été
érigée lors de la transformation du grand
temple de Jupiter Damasquin en église par
Théodose II; 2" deux cachets hébraïques
provenant de Sait et d'Alep ; 3° un bas-relief
funéraire païen d'Orfa, avec inscription
syriaque en caractère estranghélos, monu-
ment qu'on peut placer approximativement
entre l'an i5o et 25o.
La science archéologique et épigraphique
n'a qu'à se féliciter de trouver, parmi les
représentants de la France en Orient, des
amis et des ouvriers tels que M. Giron et
M. Pognon, consul général, dont l'impor-
tant recueil d'inscriptions sémitiques est
plusieurs fois cité au cours de ces notes
savantes.
S. Salaville.
F. Cabrol, h. Leclercq, Dictionnaire
d'archéologie chrétienne et de liturgie;
fascicule XXIV : Chalcédoine-Chapelle,
Paris, Letouzey et Ané, 191 i.Prix:5francs.
Depuis le fascicule XXIII, qui a inau-
guré le tome III de l'ouvrage, le Diction-
naire d'archéologie chrétienne et de li-
turgie porte, sur sa couverture, le nom de
Dom Leclercq, associé à celui de Dom
Cabrol. C'est un hommage mérité que rend
ainsi l'éminent abbé de Farnborough à
l'étonnante activité de son infatigable col-
laborateur. Dom Leclercq a vraiment, dans
la répartition des articles de ce répertoire,
la part du lion. S'il fallait une nouvelle
preuve de ce fait, on l'aurait dans le pré-
sent fascicule; sur trente-et-un articles qu'il
contient, vingt-quatre sont signés unique-
ment de son nom ; et pour deux autres il
s'est associé un collaborateur (Dom Mom-
bert pour le mot Chape, M. l'abbé Villien
pour le mot Chapelain). Il ne reste que
trois notices au bas desquelles son nom ne
paraît pas : Chant grégorien du ix^ au
xix^ siècle, par A. Gatard ; Chantiers dans
l'architecture chrétienne d'Afrique, par
S. Gsell; Chapelet, par H. Thurston, S. J.
Et dans ce bloc de vingt-quatre ou vingt-
six articles rédigés par Dom Leclercq, il y
a de tout : de la topographie, de l'archéo-
logie juridique, canonique, historique, mu-
sicale, monumentale, liturgique, de l'ar-
chéologie d'art. Malgré toute mon admira-
tion pour une érudition si encyclopédique,
je crains, à dire vrai, que ce surmenage
d'un seul homme, qui d'ailleurs mène de
front plusieurs œuvres considérables, ne
nuise à l'ensemble du Dictionnaire.
Cette réflexion faite, je n'ai point de peine
à reconnaître la très riche documentation
que présentent toutes ces notices. Dans celle
qui est consacrée au chant romain et gré-
gorien, le paragraphe sur Vhymnodie en
Orient, col. 277-280, eût sans doute été
plus nuancé, si les belles études hymnogra-
phiques de Krumbacher et de Maas avaient
été utilisées de plus près. Les xavov.xo; dont
parle à plusieurs reprises saint Basile ne
devraient pas être désignés en français par
le mot chanoines, puisqu'on constate avec
raison qu'il s'agit là de moines cénobites,
col. 233. Signalons, à l'article CAa/7e, col. 365
et suiv., d'utiles indications concernant
le phelonion ou chasuble des Orientaux.
L'étude du R. P. Thurston, S. J., sur les
origines du chapelet, col. 399-406, sera
vivement appréciée de tous.
S. Salaville.
J. TiXERONT, Histoire des dogmes: de saint
Athanase à saint Augustin (3 18-430).
Paris, V. Lecoff"re, 1909, in-12 de iv>
5 12 pages. Prix : 3 fr. 5o.
Continuant son Histoire des dogmes,
M. Tixeront étudie dans ce volume, chez
les Grecs et chez les Latins, le développe-
ment des dogmes et la filiation des héré-
sies : l'arianisme, le macédonianisme,rapoI-
linarisme, le donatisme, le priscillianisme
et le pélagianisme.
Dans ce travail, qui exigeait de la préci-
sion et un grand esprit de synthèse, l'au-
teur ne s'est pas montré inférieur à la tâche
qui. lui incombait. Il faut le féliciter parti-
culièrement, et d'avoir en général bien saisi
le point essentiel à mettre en lumière à
l'origine de chaque hérésie, et d'avoir rendu,
avec sa physionomie propre et ses expres-
sions mêmes, la théologie de chacun des
Pères grecs.
Cependant, la question de la pénitence
dans l'Eglise orientale ne me semble pas
avoir été traitée avec assez de netteté. Il y a
là, on le sait, certaines difficultés à résoudre.
A l'objection d'ordre historique tirée de la
conduite du patriarche Nectaire vis-à-vis
d'un diacre, vers 391 , l'auteur répond
comme la plupart de ses devanciers, en
alléguant la conduite de saint Jean Chry-
BIBLIOGRAPHIE
3^3
sostome à Antioche, puis à Constantinople,
conduite variable qui ne permet pas de
tirer une conclusion ferme. Je reconnais
volontiers l'embarras d'un auteur en pré-
sence de cette situation, et je ne lui en fais
pas précisément un grief. Seulement je
constate que sur ce point délicat, son livre,
qui aurait pu projeter quelque lumière, n'a
apporté aucun éclaircissement nouveau.
Enfin, à propos de la même question,
l'auteur écrit, p. i86 : « Cet aveu, qui, en
certaines circonstances du moins, est cer-
tainement secret, se fait à l'évêque seul
peut-être (tsssr) »; M. Tixeront a raison de
douter, car si àp/tsps'jç signifie évéque dans
la langue ecclésiastique, isiôj; ne signifie
jamais que prêtre.
De même, la genèse de la pensée de saint
Augustin, très bien exposée sur certains
points, ne me semble pas assez analysée
au sujet du péché originel et de la grâce.
Tous les auteurs qui ont étudié l'illustre
docteur se sont heurtés à de semblables
difficultés quand il a été question de con-
cilier bon nombre de textes de l'évêque
d'Hippone, ceux-ci semblant exclure toute
coopération méritoire de l'homme dans le
travail de la grâce, ceux-là relevant, au con-
traire, les droits imprescriptibles de notre
liberté. A mon humble avis, pour concilier
cette double série de textes, M. Tixeront
aurait dû rattacher la doctrine d'Augustin
converti aux croyances d'Augustin mani-
chéen, et faire ressortir davantage la néces-
sité dans laquelle se trouvait le saint doc-
teur d'exagérer en quelque sorte la part faite
à Dieu dans le travail de la grâce pour
réagir contre les Pélagiens, qui faisaient
trop grande la part de l'homme. Ancien
manichéen, Augustin était porté à insister
sur le côté défectueux de notre nature cor-
rompue dans sa théorie du péché originel
et de la grâce; adversaire des Pélagiens, il
réduit la part de la liberté humaine; doc-
teur catholique, il enseigne pourtant la
coopération de l'homme : d'où la double
série des textes favorables ou défavorables
à la liberté humaine. E. Montmasson.
A. Lémann, Histoire complète de l'idée
messianique chei le peuple d'Israël. Paris,
E. Vitte, 1909, in-8°, 467 pages.
Sous ce titre : Histoire complète de l'idée
messianique che!{ le peuple d'Israël, on
pouvait, ce semble, publier un livre à la
fois très suggestif et très critique, dans
lequel on aurait suivi les développements
de l'idée messianique, depuis sa naissance
jusqu'à sa parfaite réalisation dans le Christ,
en signalant, à l'occasion, les altérations
de cette conception. D'un autre côté, M. le
chanoine A. Lémann, professeur d'Ecriture
Sainte et d'hébreu aux Facultés catholiques
de Lyon, était tout désigné pour mener à
bien cette tâche délicate.
Nous avons pourtant le regret de faire
part à nos lecteurs d'une certaine déception
à la lecture très attentive de cet ouvrage.
Sans doute, les documents à l'appui de la
thèse ne font pas défaut, l'auteur étant par-
faitement au courant de la littérature rab-
binique. Par ailleurs, l'exposé ne manque
pas de clarté, malgré les inutiles dévelop-
pements oratoires et les considérations
mystiques dont il est çà et là parsemé, et
qui n'ajoutent rien à sa valeur démonstra-
tive. Mais il y a façon et façon de présenter
des preuves et de tirer les légitimes con-
clusions qui ressortent de leur confron-
tation.
Donnonsquelquesexemples: Pages 49-71 :
l'auteur rapporte fidèlement tous les pas-
sages des prophètes qui sont apparemment
relatifs au Messie. Mais nulle part il ne
prouve, par la comparaison des textes, que
les passages en question se rapportent et
ne peuvent se rapporter qu'au xMessie; ce
sont pourtant là deux points qui ne sont
pas évidents a priori, et qui, dès lors,
avaient besoin d'être établis par une solide
démonstration.
Page 77 : M . Lémann rappelle que Jérémie
est allé cacher sa ceinture près de l'Euphrate.
Or, une explication critique était ici néces-
saire; car, si l'on ne s'entend pas pour
aflfirmer que Jérémie est allé à Ain-Phara,
assez près de Jérusalem, on est à peu près
d'accord pour dire que ce ne fut pas vers
le fleuve Euphrate, beaucoup trop éloigné.
Page 87 : Que beaucoup de personnages
de l'Ancien Testament aient été des types
du Christ, nul catholique ne le nie; mais,
dans cette catégorie, il est fantaisiste de
ranger la plupart des hommes saints qui
ont souff"ert, car, à ce compte-là, les hommes
qui ont été particulièrement éprouvés dans
les autres pays pourraient tout aussi bien
que ceux-ci représenter l'Homme de dou-
leur.
314
ECHOS D ORIENT
Page loi : Quel rapport y a-t-il entre le
ruban écarlate suspendu à la maison de
Rahab (la prostituée!) et la croix rédemp-
trice ? S'il y en a un, il fallait le mettre en
relief avec précision.
Pages 217, 402, 408 : Comment la fausse
exégèse rabbin ique est-elle le fruit de l'ins-
piration de Satan? Le fait que le démon
fait de la mauvaise exégèse en parlant à
Jésus dans la tentation au désert ne prouve
pas que la mauvaise exégèse des rabbins
soit fille de celle de Satan. Si on le préten-
dait, il faudrait logiquement en conclure
que tous les exégètes qui, actuellement en-
core, font fausse route dans l'interprétation
de l'Ecriture, ont cherché leur inspiration
chez Satan Que de critiques proteste-
raient!
Bref, beaucoup d'affirmations, pas assez
de critique, telle est donc la principale la-
cune de ce livre. Si, maintenant, nous
passons du fond à la forme, nous pouvons
affirmer que le style est tour à tour trop
poétique; par exemple, p. 41, 42, 43, 44,
i5o, i5i, 434, et trop trivial, par exemple,
p. 403, dans l'expression : « Il ne sait
que ça ».
Quelques fautes typographiques sont éga-
lement à relever. P. 97 : formam crucis
exhibabant, au lieu de : formam crucis exhi-
bebant; p. 374 : qui se trouvait dressait
pour : qui se trouvait dressé; p. 377 : h iyto;
Tou Oeoîi, pour: 6 àyioç xou Osou; p. 470:
Senhédrin pour Sanhédrin. Somme toute,
il y a dans cette étude des détails très utiles
à connaître sur les usages rabbiniques et,
assez bien rassemblés, les éléments d'un
beau livre sur le développement historique
de l'idée messianique; mais ce double mo-
nument de critique textuelle et de synthèse
doctrinale, à peine ébauché, est encore à
construire.
E. MONTMASSON.
W. Bang, I. Beitrœge \ur Erklœrung
des komanischen Marienhymnus. Gœt-
tingue, 1910, in-S", 19 pages. — 2. Ueber
einen komanischenKommunions hymnus.
Bruxelles, Hayez, 1910, in-8'% 11 pages,
2 phototypies. — "h.Zur Kritik des Codex
Cumanicus. Louvain, librairie universi-
taire, 1910, in-8°, 16 pages, i phototypie.
— 4. Beitrœge !(ur Kritik des Codex
Cumanicus. Bruxelles, Hayez, i9ii,in-8°,
27 pages. — 5. Turkologische Epikri-
sen. Heidelberg, C. Winter, 1910, in-8»,
3i pages. — 6. Altaische Streijlichter.
Louvain, librairie universitaire, 1910,
in-8'\ 16 pages.
Le lecteur a déjà pu voir signalé plus
haut, dans l'article consacré au Codex Cu-
manicus, le nom de M. W. Bang, profes-
seur de langues germaniques à l'Université
de Louvain. Nous réunissons ici la men-
tion d'une série de tirés à part, extraits du
bulletin de la Société des sciences de Gœt-
tingue ou des Bulletins de l'Académie
royale de Belgique, qui pourraient être re-
cueillis ensemble sous le titre général de
Cumanica ou Turcica. Dans l'énuméra-
tion ci-dessus, le premier de ces deux termes
s'appliquerait spécialement aux quatre pre-
mières plaquettes, tandis que le second,
bien que pouvant convenir à toutes, serait
particulièrement réservé pour les deux
dernières.
Les Cumanica de M. Bang forment déjà
une excellente contribution à la critique
du Codex Cumanicus. 11 a notamment
étudié, parmi les pièces de cet intéressant
recueil: l'hymne à Marie, en s'aidant delà
collabo ation compétente d'un autre spé-
cialiste, M. F. C. Andréas, de Gœttingue;
puis l'hymne au Saint Sacrement, la tra-
duction du Vexilla Régis, etc. 11 apporte
nombre de corrections importantes aux
éditions de Klaproth, Kuun et Radloff". Il
faut même souhaiter que le savant profes-
seur de Louvain trouve le loisir de reprendre
ainsi par le détail toutes les parties du
Codex, pour en donner un jour une édition
définitive. Son information philologique
et historique le met à même de la donner
parfaite. Notons, dans la brochure n° 3,
p. 33, un léger lapsus qui fait de l'évêque
des Comans, Théodoric, un Frère Mineur,
tandis qu'il était Dominicain.
S. Salaville,
L. BoNELLi, S. Iasigian, // turco parlato
(lingua usuale di Costantinopoli): Cenni
grammaticali , dialoghi e vocabolario
italiano-turco Milan, U. Hœpli, 1910,
in-i6, v(i-345 pages. Prix : 4 francs.
Nous avons reçu de l'éditeur Hoepli, de
Milan, un excellent guide de conversation
italien-turc. Il comprend des éléments de
grammaire, des dialogues et un vocabu-
BIBLIOGRAPHIE
3«5
laire. Le nom des auteurs, qui sont tous
deux professeurs à l'Institut oriental de
Naples, recommande particulièrement ce
manuel. Nous le signalons volontiers à
nos lecteurs de langue italienne.
S. Sala VILLE.
J.-B. Séverac, Vladimir Soloviev, intro-
duction et choix de textes traduits pour
la première fois. Paris, L. Michaud,
in-i8 de 218 pages, 11 gravures dans le
texte. Prix : 2 francs.
L'ouvrage de M. Séverac fait partie de
la collection soigneusement illustrée les
Grands Philosophes français et étrangers.
Outre l'intérêt qu'offrent aux lecteurs plus
avides de documents que de dissertations
plus ou moins subjectives les textes les
plus importants des auteurs, cette collec-
tion est remarquable par la modicité de
ses prix.
Les textes de Soloviev extraits par M. Sé-
verac du Recueil des œuvres de Vladimir
Serguiévitch Soloviev, publié à Saint-
Pétersbourg par la maison d'édition l'Uti-
lité sociale, ont pour objet : \. La philoso-
phie et la théosophie. II. L'Incarnation
du Verbe. Les tentations dans le désert.
Le rôle de l'Occident et de l'Orient dans la
divinisation de l'homme. III. Le christia-
nisme et la révélation. IV. La nature et la
mort. Le péché, la loi et la grâce. V. Le
Christ et la conscience. VI. L'ascétisme et
la moralité. VII. Les vertus théologales.
VIII. L'individu, la famille et l'Etat.
Antigone et Créon. IX. Nationalisme et
cosfnopolitisme. X. La peine de mort. XL
L'Antéchrist. XII. L'idée de sur-homme.
XIII. Le mystère du progrès. XIV. Poème.
Le premier, le neuvième et le onzième
extraits nous ont paru les plus intéressants
parce qu'ils retracent fidèlement le portrait
philosophique du grand philosophe russe
méconnu des siens de son vivant et de
plus en plus admiré et réhabilité par
eux depuis quelques années (Introduction,
p. 29-30).
I et IX. Doué d'un esprit droit et équi-
libré, Soloviev se montra de bonne heure
l'adversaire résolu de l'empirisme positi-
viste ou autre et du rationalisme kantien
et hégélien déjà fort en vogue en Russie à
son époque. Le mysticisme ou théosophie
libre, qu'il appelait aussi la science inté-
grale, était en somme et dans les grandes
lignes la Philosophia perennis des grands
scolastiques anciens et modernes. Il s'en
séparait cependant par l'intuitionisme
qu'il professait au sujet de l'existence du
noumène et de Dieu.
En philosophie morale, il émit dès ses
premiers travaux scientifiques l'idée que,
au point de vue de son perfectionnement
moral ou sanctification à laquelle il donnait
le nom hardi de divinisation, l'homme est
solidaire de la famille, de la nation, de
l'humanité entière. Cette idée explique, en
dehors de toute autre considération, pour-
quoi il fut dès le début de sa vie intellec-
tuelle antipathique à l'individualisme pro-
testant, à tout chauvinisme politique et
spécialement au nationalisme excessif des
Orientaux au point de vue religieux. La
religion naturelle et à plus forte raison le
christianisme, disait en substance Soloviev,
sont essentiellement catholiques, c'est-à-
dire universels et œcuméniques. Aussi
devint-il peu à peu un défenseur convaincu
de la primauté de l'Eglise romaine, et, par
suite, un partisan fervent de l'union des
Eglises.
XL Cette idée de la soumission pure et
simple des Eglises à l'Eglise romaine est
exprimée d'une manière dramatique dans
un écrit intitulé : Trois conversations ou
dialogues (sur l'Antéchrist). Un franc-
maçon de génie se proclame envoyé d'en
haut pour succéder au Christ et établir
enfin la paix entre tous les hommes. Il est
nommé par le Comité maçonnique central
et permanent de Berlin président à vie des
Etats-Unis d'Europe libérée après cinquante
ans du joug mongol. En ce temps-là régnait
partout l'incrédulité. La première idée du
président fut de réconcilier entre eux les
chrétiens et de les soumettre à l'autorité
unique d'un pape, son premier ministre
religieux pour les chrétiens. Il les con-
voqua donc tous au Concile œcuménique
de Jérusalem où il avait transféré la capi-
tale du nouvel empire romain. Les cardi-
naux et la plupart des autres chefs hiérar-
chiques catholiques et orthodoxes et les
chrétiens protestants acceptèrent avec
enthousiasme cette invitation. Seuls le
pape Pierre II et une minorité de simples
évêques catholiques et orthodoxes auxquels
s'adjoignit un groupe de laïques des
diverses confessions osa braver la colère
3.6
ÉCHOS d'orient
de l'autocrate qui se contenta d'appeler le
feu du ciel sur le Pape et le moine Jean,
chef des orthodoxes. Retirés à Jéricho, les
chrétiens restés fidèles au Christ firent la
paix et reconnurent l'autorité de Pierre II
glorieusement ressuscité.
Le triomphe de l'empereur antéchrist
tut de courte durée. A la suite d'une révolte
de Juifs palestiniens, il leva une grande
armée de païens, mais, au moment où il
s'apprêtait à marcher contre les révoltés,
un cratère subitement ouvert l'engloutit
lui et ses soldats. Aussitôt, au-dessus de
Jérusalem, apparut le Christ revêtu du
manteau royal. Les chrétiens fidèles se
dirigèrent vers lui solennellement sous la
direction dû Pape. Le règne de mille ans
allait commencer et succéder aux temps
historiques terminés pour toujours.
Les Trois dialogues, que noussimpliûons
et abrégeons beaucoup, est le dernier et le
plus curieux des écrits de Soloviev. L'idée
de l'union des Eglises s'y affirme prudem-
ment mais nettement comme un corollaire
des écrits précédents. Cette idée était allée
se développant graduellement dans l'esprit
du philosophe, si bien que dans la Russie
et l'Eglise universelle et dans sa corres-
pondance, Soloviev proclame sans réti-
cence aucune le dogme de l'infaillibilité
pontificale.
Conformément à son but de ne publier
que des extraits, inédits en français, M. Sé-
verac ne donne des extraits ni de la Russie .
et l'Eglise universelle, ni de l'Idée russe.
Il n'en donne pas davantage de sa volumi-
neuse correspondance. Nous le regrettons
vivement, car ces écrits auraient montré
aux lecteurs le principe de solidarité
humaine si cher à Soloviev parvenant à
son plein développement dans l'idée de
l'union sous le sceptre spirituel et infail-
lible du patriarche de Rome. A ce propos,
nous nous permettons de dire ici^ sous
forme de digression, que Soloviev s'exa-
gérait cette idée de solidarité au point
d'avoir cru longtemps qu'il pécherait par
excès d'individualisme s'il quittait seul
l'Eglise orthodoxe dans laquelle il était né.
Le regret que nous venons d'exprimer
est la seule critique sérieuse que nous ait
suggérée le travail vraiment intéressant de
M. Séverac dont nous conseillons la lec-
ture à nos lecteurs orientaux non catho-
liques. Peut-être cette lecture leur inspire-
rait-elle de dire comme le faisait derniè-
rement M. Mentchikof dans la Novoïe
Vremia, que si l'on croit encore à l'avenir
du christianisme, il faut a priori propager
la croyance à la primauté du Pape.
En terminant, nous rappelons à iM. Sé-
verac que l'Ordre mendiant auquel appar-
tenait le pape Pierre II dont il est question
dans les Trois dialogues ou conversations
ne doit pas être appelé l'Ordre des Carmé-
lites, mais bien l'Ordre des Carmes, les
Carmélites ne formant que le second Ordre,
c'est-à-dire l'Ordre féminin du Carme! .
A. Catoire.
M. d'HERBiGNY, Un Newman russe, Vla-
dimir Soloviev {i853-igoo). Paris, 191 1 .
G. Beauchesne, in-i6, xvi-336 pages.
L'ouvrage que nous analysons fait partie
de la bibliothèque slave de Bruxelles, qui
comprend des études (série A) et des docu-
ments (série B) relatifs à la Russie.
Le travail du R. P. d'Herbigny complète
heureusement le livre de M. Séverac au
point de vue biographique et psycholo-
gique. Ce n'est pas sans un sentiment pro-
fond d'admiration et de sympathie que
l'on assiste, en lisant cette étude, à l'ascen-
sion graduelle et ardue de l'homme d'élite
et même de génie qu'était Soloviev vers
le sommet lumineux de la vérité et de la
sainteté.
I. Séduit un instant par le sophisme
kantien, Soloviev se ressaisit promptement,
et après avoir fait, à vingt et un ans, en
1874, profession de foi antikantienne et
antipositiviste dans sa thèse de maître en
philosophie {Crise de la philosophie occi-
dentale), il expose son système de Vinté-
gralisme ou science intégrale dans la thèse
de doctorat philosophique qu'il soutient à
vingt-sept ans, en 1880 {Critiques des prin-
cipes exclusifs).
Pen après, dans la justification du Bien,
il inaugure sa vie d'apologiste du christia-
nisme en essayant de guérir ou de préser-
ver ses concitoyens déjà atteints ou mena-
cés dès cette époque du virus de l'irréligion.
Contre les athées, il démontre que l'homme
sent en lui un instinct qui l'oblige à s'éle-
ver au-dessus de la bête et à observer la loi
du bien moral dont l'origine, contrairement
à l'assertion de Kant, remonte à Dieu, le
bien et le législateur suprêmes.
BIBLIOGRAPHIE
,-*•/
C'est dans le même livre que Soloviev
forma le principe que, dans la pratique du
bien, l'homme est solidaire de la famille,
de la nation, de l'humanité entière; d'où
il conclut, en résumé, que l'homme hon-
nête est nécessairement universaliste et
catholique. C'est à ce principe fondamen-
tal, qui lui est plus cher que tout autre,
qu'il fera plus ou moins consciemment
appel dans le Grand Débat (i883) et l'His-
toire et l'avenir de la théocratie (1887),
dans l'Idée russe (1888), la Russie et
l'Eglise universelle < 1 889 ), et les Trois Dia-
logues ou conversations (1900), pour prou-
ver aux protestants et aux orthodoxes que
l'observation des lois morales et les efforts
qu'il fait pour tendre vers la sainteté et la
divinisation ou théandrisme imposant au
chrétien le devoir d'être catholique et sou-
mis à l'autorité centrale, qui, d'après l'his-
toire et l'expérience, est la prérogative exclu-
sive du patriarcat romain.
Grâce à une étude patiente et impartiale,
les derniers préjugés du Newman russe
s'étaient dissipés bien avant sa mort, et sa
foi était devenue pleinement catholique.
Ce fait important ressort d'une manière
absolument manifestede sa correspondance
avec Kireev et M-- Strossmayer.
Ses relations avec l'évêque de Croatie
débutèrent en 1886 par une lettre conte-
nant, sous forme de Quelques considéra-
tions sur la réunion des Eglises, la réponse
de Soloviev aux neuf questions adressées
par lui à la hiérarchie russe. Des textes
décisifs extraits des lettres écrites à ces
deux personnages établissent, sans l'ombre
d'un doute, que le philosophe et théolo-
gien russe croyait au Filioque, à l'Imma-
culée Conception et à l'infaillibilité pon-
tificale.
Si, malgré sa foi catholique intégrale, il
différa son entrée canonique et officielle
dans l'Eglise romaine, ce ne fut que par
mesure de prudence et de tactique. Cette
entrée cependant eut lieu enfin le 18 février
1896. Elle se fit, non par l'abjuration, jugée
inutile, mais par la simple profession de
foi émise entre les mains de l'archimandrite
Tols\6iàa.nsYég\\SQNotre-Damede Lourdes
de Moscou. Sans doute, au moment de sa
mort, survenue brusquement en voyage,
Soloviev accepta les derniers sacrements
du pope orthodoxe, mais il ne renia rien
de sa foi et fit, en cette occasion, ce que le
catholique a le droit de faire pour assurer
son salut éternel.
II. Tel fut le Newman russe au point de vue
intellectuel. La sainteté de sa vie se main-
tint toujours au niveau de ses principes.
Après quelques tentatives, il résolut de gar-
der le célibat. Malgré son état de santé
plus que médiocre, il fut fidèle aux lois de
son rite et à celles d'un travail inlassable.
Sa vertu dominante était la charité. Bien
qu'il fût sensible aux injures etaux manques
d'égards, jamais, dans ses paroles ou ses
écrits, il ne se départit du respect le plus
absolu envers les personnes. Sa délicatesse
sur ce point était extrême. Une autre ma-
nifestation de sa charité était l'aumône. Il
la pratiquait si libéralement que ses amis
l'en reprirent plus d'une fois sans parvenir
à l'en corriger. Un témoin de sa bienfai-
sance nous raconte que l'on voyait parfois
ce saint homme, affligé d'une myopie très
avancée, traverser [la rue, au risque de se
faire écraser, pour aller déposer une mon-
naie d'or ou d'argent dans la main du
pauvre qui implorait sa pitié.
Espérons que la science, les mérites et les
prières de cet homme de Dieu obtiendront
de la part de l'élitedu peuple russe, non seu-
lement laréhabilitationdeplus en pluscom-
plète de sa mémoire, mais encore une ap-
préciation plus exacte de la doctrine et de
la conduite de l'Eg'.ise catholique.
Les quelques critiques que nous pour-
rions faire au sujet du livre du R. P. d'Her-
bignv sont d'importance par trop secon-
daire pour que nous croyions utile de les
exprimer. Nous nojs contentons donc
d'émettre le souhait que le Révérend Père
continue à nous donner, dans la série A ou
B de la bibliothèque slave, des travaux
aussi intéressants que son étude sur Solo-
■viev. \ '\
^ A. Catoire.
R. Netzammer, Der Bau der Rumœnisch-
unierten Kirche in Bukarest. Cologne,
Benziger, 19 10, in-S-', 19 pages.
Dans ces quelques pages, le docte arche-
vêque de Bukarest, dont les Echos d'Orient
ont déjà souvent fait connaître l'activité
littéraire, nous donne d'intéressants détails
sur l'église des Roumains unis récemment
construite dans la capitale de la Roumanie.
Destinée au rite oriental, cette église est
?i8
ECHOS D ORIENT
un monument d'architecture byzantine (
qui, considéré dans son plan général, dans
sa façade et dans sa coupe, produit le plus
bel effet. Puissent les Roumains unis se
réunir de plus en plus nombreux dans son
enceinte!
E. MONTMASSON.
C. Charon, Histoire des patriarcats
melkites {Alexandrie, Antioche, Jérusa-
lem), depuis le schisme fnonophysite du
\i^ siècle jusquànos jours, t. III, fasc. II.
Paris, Picard, 191 1, in-8°, p. SoS-yôo.
Les Echos d'Orient ont déjà annoncé
(t. XIII, 1910, p. i85-i86) cet important
ouvrage de notre actif collaborateur, le
R. P. Cyrille Charon, et indiqué les condi-
tions de sa publication. Ils ont, en outre,
spécialement apprécié le début du tome III,
c'est-à-dire les chapitres consacrés au rite
byzantin dans les patriarcats melkites
(t., XII, 1909, p. 184-18^'). Le fascicule que
nous annonçons aujourd'hui termine ce
volume. Il complète les indications statis-
tiques précédemment données, puis étudie
les sources du droit canonique melkite ca-
tholique et l'organisation actuelle de cette
Eglise. Nos lecteurs, à qui plusieurs de ces
sujets sont familiers pour avoir été traités
ici même, formeront avec nous le vœu de
voir bientôt sortir des presses les fascicules
de cet ouvrage qui restent encore àparaître.
Ce n'est qu'alors qu'on pourra dir . toute la
valeur de ce consciencieux travail.
S. Salaville.
Abel Fabre, Pages d'art chrétien, 2« série.
Paris, Maison de la Bonne Presse, 191 1.
In-4°, 128 pages, 89 illustrations. Prix :
1 franc.
Nous avons salué avec joie la première
série des Pages d'art chrétien {Echos
d'Orient, t. III, 19 10, p. 3o5). Le succès de
cepremiervolumenousavalaunedeuxième
série de ces études suggestives. Elle com-
prend sept études, dont voici les titres : De
Giotto à Raphaël ; les Madones de Raphaël ;
Michel-Ange, peintre de la Sixtine; la
Légende de sainte Ursule par Memling et
Carpaccio; les Rois Mages d'après les ar-
tistes ; les Portails imagés ; le Rêve de l'ima-
gier. L'histoire de l'art byzantin est spé-
cialement mise à contribution dans l'étude
concernant les Rois Mages; mais, tout le
long de ce charmant volume, on sent que
l'auteur connaît fort bien cette histoire, qui
lui sug;ère çà et là des rapprochements
pleins d'intérêt. De belles reproductions
mettent sous les yeux du lecteur une ma-
gnifique galerie de tableaux. Signalons à
l'auteur un chapiteau du musée de Tou-
louse, où l'on voit la scène de l'Adoration
des Mages.
S. Salaville.
C. VON Orelli, Allgemeine Religionsges-
chichte, 2« édition. Bonn, A. Marcus et
E. Weber, 191 1, in-8°, 3 livraisons de
96 pages chacune. Prix : 2 marks par
livraison.
Le manuel d'Histoire générale des reli-
gions du D"" Conrad von Orelli, profes-
seur de théologie à Bâle, est un des meil-
leurs qu'ait fournis la critique protestante
contemporaine. L'auteur a spécialement
en vue les étudiants et les pasteurs. Comme
Chantepie de la Saussaye, il passe sous
silence le christianisme, ce qui est une
marque de respect et une preuve de la fer-
meté de ses convictions : il estime à bon
droit que la vraie religion, la religion du
Christ, n'a pas à entrer en ligne de compte
avec les religions fausses.
Cette seconde édition se publie par livrai-
sons et comprendra deux volumes. Les trois
premières livraisons renferment l'introduc-
tion, puis,successivement, l'histoiredesreli-
gions des peuples touraniens, celle des Cha-
mites et celle des Sémites. Outre les belles
études des RR. PP. Lagrange et Vincent,
qui sDnt citées en bonus place, comme de
juste, d'autres ouvrages récents de savants
catholiques mériteraient une mention : tels
le Choix de textes religieux assyro-baby-
loniens, du P. Dhorme, et le recueil de ses
conférences sur la religion assyro-baby-
Ionienne: tels encore tous les volumes parus
dans les Etudes sur V histoire des religions,
entreprises depuis quelques années par la
maison Beauchesne, à Paris. La mode de
publication par livraisons peut avoir ses
avantages; mais, à défaut de table des ma-
tières, on désirerait dès le début une vue
d'ensemble assez détaillée des divisions
adoptées et des chapitres principaux. Il est
regrettable qu'on ne nous l'ait point donnée.
Ajoutons qu'un choix sobre et judicieux
BIBLIOGRAPHIE
319
d'illustrations documentaires n'aurait pas
été déplacé dans un ouvrage de ce genre.
S. Salaville.
G. ScHUBART, Papyri grœcœ Berolinenses.
Bonn, A. Marcus et E. Weber, 191 1,
in-4°, XXXIV pages, 5o planches. Prix :
6 marks.
Cet ouvrage est le second d'une collec-
tion intitulée Tabulœ in usum scholarum
editœ sub cura Johannis Ltei:^mann, et
inaugurée naguère par les Specimina codi-
cum grœcorum Valicanorum précédem-
ment annoncées dans notre Revue (janvier
1 91 1 . p. 61-62 1. Le présent recueil renferme
un choix de documents et de papyrus grecs
du musée de Berlin : épîtres, fragments
littéraires, liturgiques, magiques, adminis-
tratifs, etc., dont les dates s'échelonnent
entre le iv« siècle avant Jésus-Christ et le
VI II* de notre ère. Ces documents sont
reproduits en d'excellentes planches hélio-
graphiques soigneusement numérotées. La
notice imprimée, qui estconsacrée à chacune
d'elles, donne toutes les indications néces-
saires sur la provenance, l'époque, l'éiat du
papyrus, les éditions; copie est fournie d'un
bon nombre de ces textes, en sorte que les
étudiants pourront commodément, à l'aide
de cet élégant volume, se livrer à des exer-
cices de paléographie grecque.
S. Salaville.
N. Marin I, Le Macchie apparent i nel
grande Luminare délia Chiesa greca,
S. Giovanni Crisostomo. Rome, Sal-
viucci, 19 10. In-S", 70 pages.
M?'" Marini ramène à cinq les taches
apparentes que les hérétiques et les hyper-
critiques ont cru découvrir dans ce grand
astre de l'Eglise grecque qui s'appelîe saint
Jean Chrysostome. On a accusé ce Docteur
d'avoir erré sur le dogme du péché originel,
sur le dogme de l'Incarnation, sur l'Eucha-
ristie, sur la sainteté parfaite de la Vierge
-Marie, sur la malice du mensonge. L'au-
teur ne prend pas la peine, et il a raison,
ie disculper saint Jean Chr\-sostome sur
^Incarnation et l'Eucharistie, sa doctrine
sur ces deux points étant suffisamment
claire. Il n'examine que les trois autres
chefs d'accusation.
L'enseignement de la Bouche d'or sur le
péché originel a été souvent mis en discus-
sion, depuis saint Augustin jusqu'à nos
jours. M*"" Marini n'a pas de peine à mon-
trer, à la suite de l'évéque d'Hippone, de
Bellarmin et de Bossuet, que Chr}-sostome
n'a pas nié le dogme catholique, bien qu'il
ne se soit pas exprimé avec la clarté et la
précision des docteurs qui eurent à com-
battre Pelage. Sur la sainteté de la Vierge,
Chrj'sostome a des idées un peu défec-
tueuses; il lui attribue, sinon des péchés
véniels, au moins des imperfections. Les
interprétations que M^ Marini donne des
textes qui font difficulté sont peut-être un
peu compliquées. Il faut reconnaître fran-
chement que certains Pères du iv^ siècle
avaient de la sainteté de la Mère de Dieu
une notion imparfaite, et que, sur ce point,
il y a eu progrès dans la connaissance. Il
nous est impossible de voir un témoignage
en faveur de l'Immaculée Conception dans
le passage cité de l'homélie xvii sur la
Genèse. Dans son traité du Sacerdoce,
Chrysostome semble dire qu'il est permis
de mentir ad bonum finem. Mais, en réa-
lité, il ne s'agit pas chez lui de mensonge
proprement dit, mais de ruse innocente,
de pieux stratagème.
On se tromperait si l'on croyait que c'est
seulement sur les trois points examinés
par M^ Marini que la doctrine de saint
Jean Chrysostome fait difficulté. La lecture
des œuvres de ce Docteur soulève bien
d'autres problèmes relatifs à la confession,
à la prédestination, à la grâce, à la récom-
pense immédiate des justes avant le juge-
ment dernier, etc. Il faudrait un gros vo-
lume pour examiner toutes les taches
apparentes — et quelques-unes sont peut-
être réelles — du grand soleil de l'Eglise
orientale. L'opuscule de M^' Marini con-
stitue cependant un essai utile. Il est
regrettable que les fautes d'impression
abondent dans la transcription des textes
grecs. Richard Simon nous est présenté
comme un janséniste du xvi^ siècle i^p. q),
et le semi-pélagianisme comme une espèce
de jansénisme du iv* siècle {p. 10)! Ce sont
là, évidemment, des distractions.
M. JUGIE.
N. N. Gloubokovskii, Istoritcheskoé polo-
géniéi ina ichénié litchnosti Theodorita,
épiscopa Kirrskago {Situation histo-
rique et importance de la personnalité
320
ÉCHOS d'orient
de Théodoret, évêque de Cyr). Péters-
bourg, 191 1. In-S" de 3o pages. Prix:
50 kopeks.
M. N. Gloubokovskii, l'historien bien
connu de Théodoret de Cyr, présente au
public le discours qu'il prononça à l'Aca-
démie de Moscou, le 5 mai 1891, lors de
la soutenance de sa thèse de maître. Après
avoir rappelé combien fut important le
rôle joué par Théodoret dans les contro-
verses nestoriennes et monophysites, il
expose les difficultés que présentait un tra-
vail d'ensemble sur l'évéque de Cyr, diffi-
cultés qu'il a essayé de surmonter. Il accuse
les catholiques d'être avares de louanges
pour les anciens Pères et Docteurs de
l'Eglise d'Orient, de mal interpréter l'appel
de Théodoret au Pape et de manifester, à
l'égard de l'évéque de Cyr, une certaine
antipathie à cause de sa doctrine sur la
procession du Saint-Esprit. 11 serait facile
de répondre à ces accusations. Tout
d'abord, cette avarice des catholiques pour
les Pères grecs est-elle réelle? Il me semble
que les Pères grecs sont bien plus en hon-
neur dans l'Eglise catholique que les Pères
latins dans l'Eglise orientale. L'appel de
Théodoret au Pape constitue bien une
preuve irréfragable de la croyance de l'an-
cienne Eglise à la primauté romaine. Cette
preuve, d'ailleurs, n'est pas isolée, comme
je l'ai montré récemment dans un article
sur la primauté romaine au concile
d'Ephèse. Quant à la doctrine de l'évéque
de Cyr sur la procession du Saint-Esprit,
je m'étonne que M. Gloubokovskii ne se
soit pas encore aperçu que Théodoret, en
disant que le Saint-Esprit ne tient pas son
existence du Fils ou par le Fils, vise la
thèse de l'hérétique Macédonius.
M. Gloubokovskii a joint à son discours
de précieux renseignements bibliogra-
phiques relatifs à Théodoret. Ils consti-
tuent un heureux complément de son ou-
vrage, dont les recensions dans les diverses
revues de l'Europe sont aussi signalées.
M. JUGIE.
JOANNES DE Casamichela, De Primaîu Ro-
tnanœ sedis necnon de perpetuitate ej'us-
dem primatus in romanis pontijicibus.
Extrait de la revue Rotna e l'Oriente,
numéro du i5 avril 191 1, p. 329-341.
Article de vulgarisation sur la primauté
romaine, où l'on trouve quelques citations
de Pères orientaux qui ne sont pas toujours
bien choisies.
M. JUGIE.
Th. Pègues, O. P., Commentaire français
littéral de la Somme théologique de
saint Thomas d'Aquin, t. IV {Traité de
l'homme) et t. V {Traité du gouverne-
ment divin). Toulouse, E. Privât, 1909
et 1910. 2 vol. in-8° de 806 et 682 pages.
Prix : 10 francs le volume.
Nous sommes heureux de signaler à nos
lecteurs ces deux nouveaux volumes du
Commentaire Jrançais littéral de la
So7nme théologique de saint Thomas.
Nous avons déjà dit, à deux reprises, tout
le bien que nous pensions de cette belle
entreprise. Avec ces deux volumes, le
R. P. Pègues arrive à la fin de la première
partie de la So7nme. Toujours fidèle à la
méthode qu'il s'est tracée, il s'efforce de
nous faire connaître, aussi exactement et
aussi clairement que possible, la pensée
totale du Docteur angélique, en y joignant
de temps en temps quelques réflexions
personnelles, qui sont en général excel-
lentes. D'aucuns trouveront cependant
qu'il a des idées un peu étroites sur la ma-
nière d'interpréter le récit genésiaque de
l'œuvre des six jours, et n'accepteront pas
le jugement qu'il porte sur l'évolution-
nisme mitigé. Bien que saint Thomas soit
major omni laude, le R. P. Pègues lui
prodigue peut-être trop souvent les épi-
thètes laudatives. Je sais tel lecteur qui est
agacé par la répétition fréquente de phrases
comme celle-ci: Vad primum est admi-
rable. — Vadsecundum est fort important.
— Vad tertium est très intéressant, etc.
La suppression de ces épithètes n'enlève-
rait rien à l'admiration que tout lecteur
sérieux éprouve pour le génie de l'Ange de
l'école.
M. JUGIE.
I i3ç) n. — Imp. P Feron-Vrau, i ei 5, rue Bayard, Paris, VIII'. '— Le gérant : E. Petithenhy.
LETTRE DE S. S. PIE X
POUR LA CONVOCATION
D'UN CONCILE ARMÉNIEN A ROME
VENERABILI FRATRI NOSTRO PATRIARCH.€ ET
DILECTIS FI LUS ARCHIEPISCOPIS ET EPISCOPIS
CATHOLICIS NATIONIS ARMENT
Plus PAPA X
VENERABILES FRATRES,
SALUTEM ET APOSTOLICAM BENEDICTIONEM
Vobis plane compertum est, Venera-
biles Fratres, quanta benevolentia Romani
Pontifices inclytam Armenorum Nationem
prosecuti fuerint. Praster ea quas neminem
latent de mutuo arctissimoque aflfectu inter
Sylvestrum Papam etGregorium Armeniae
Archiepiscopum, illustris exstat memoria
Florentin! Concilii in quo Eugenius IV
maxime adlaboravit ut Armenos cum Ro-
mana Ecclesia conciliaret. Insuper Ur-
banus VIII, admissis Armenorum alumnis
in Collegium Urbanum christiano nomini
propagande : Benedictus XIV restituta
Patriarcatus Ciliciensis dignitate : Grego-
rius XVI ordinata re diœceseos Constanti-
nopolitanae collataque liberaliter opéra in
hiospitalem domum urbanam peregrinis
ex Armenia recipiundis, benevoientiam
suam reipsa testati sunt. Insigne praeterea
fuit Pii VIII beneficium cui potissimum
debetur impetrata ab Armenis catholicis
libertas contra civilem schismaticorum
antistitum jurisdictionem. Neque praeter-
eunda est religiosa Pii IX sollicitudo in
iis decernendis et procurandis quae in
bonum Ecclesiae Armenae vergere existi-
mavit. Item ad componendum dissidium
recenti aetate exortum, Apostolica Sedes
mirum quantum adlaboravit ut funestam
illam schismatis flammam extingueret.
Praeclara etiam exstitit Leonis XIII solertia
et munificentia, qui in hac principe orbis
Echos d'Orient, 14' année. — A''* 9/.
A NOTRE VENERABLE FRERE LE PATRIARCHE
ET A NOS BIEN-ALMÉS FILS LES ARCHEVEQUES
ET ÉVÈQUES CATHOLIQ.UES DE LA NATION
ARMÉNIENNE
PIE X, PAPE
VÉNÉRABLES FRERES,
SALUT ET BÉNÉDICTION APOSTOLIQUE
Vousconnaissez parfaitement, vénérables
Frères, la grande bienveillance que les Pon-
tifes Romains ont témoignée à l'illustre
nation arménienne. Outre le fait, connu
de tous, de l'amitié très étroite qui unissait
le pape Sylvestre et l'archevêque d'Arménie,
Grégoire, on se rappelle ce célèbre concile
de Florence où Eugène IV travailla tant
à la réconciliation des Arméniens avec
l'Eglise romaine. Urbain VIII aussi attesta
sa bienveillance par l'admission d'élèves
arméniens au collège urbain de la Propa-
gande, Benoît XIV par le rétablissement
du patriarcat de Cilicie, Grégoire XVI par
l'organisation du diocèse de Constantinople
et par l'érection, à Rome, d'un hospice
pour les pèlerins arméniens. Un autre
bienfait insigne obtenu par les Arméniens
catholiques, grâce surtout à P.e VIII, fut
l'affranchissement de la juridiction civile
des évéques schismatiques. Il ne faut pas
non plus passer sous silence la religieuse
sollicitude avec laquelle Pie IX décréta et
accorda tout ce qui lui parut utile au bien
de l'Eglise arménienne. De même, pour
mettre tin à des dissensions récentes, le
Saint-Siège travailla avec un s in admi-
rable à éteindre les flammes d'un schisme
funeste. Léon XIII, lui aussi, avec une
munificence et une habileté supérieures,
s'occupa d'élever en cette cité, reine du
monde chrétien, un collège où de jeunes
arméniens, appelés au service de Dieu, re-
çoivent une éducation convenable.
Et Nous-même, Nous n'avons certes rien
Novembre igii.
J22
ÉCHOS d'orient
christiani civitate erigendum curavit Col-
legium ubi adolescentes armeni in sortem
Domini vocati liberaliter erudiuntur.
Ad Nos quod attinet, nihil profecto
eorum praetermisimus quae nationis vestrae
spiritual! emolumento conducere vide-
bantur. Nunc vero, attentis peculiaribus
temporum adjunctis, et inspecta prœsenti
Ecclesise armen£e conditione, ad dissen-
sionum germina pênes Vos evellenda, ad
jurium concertationes praecavendas, ad
disciplinam ecclesiasticam roborandam,
ad légitimas traditiones et consuetudines
vestras firmandas, ad clericorum et lai-
corum officia declaranda, maxime vali-
turam esse confidimus Synodi nationalis
celebrationem.
Quocirca per prœsentem Epistolam
mandamus ut hujusmodi Concilium, cui
Rmus D. Patriarcha praesit, quantocius ab
ipso convocetur et opportunitatis gratia
Romas celebretur . In hac synodo de juribus
Patriarchae et Episcoporum, de recta fide-
lium administratione, de cleri disciplina,
de Monachorum Institutis, de missionum
necessitatibus, de cultus divini décore,
de S. Liturgia, de cognatisque agatur
rébus quas cautissime defïniendae sunt
ad majorem Dei gloriam procurandam et
Ecclesise armenae splendorem augendum,
Uti pênes alias orientales Ecclesias, sy-
nodi nationalis celebratio magno fuit
emolumento pro negotiis componendis
et ecclesiastica disciplina instauranda, ita
Vestras Ecclesise et legum scriptarum elu-
cubrationeet promulgatione, saluberrimo^
fructus profuturos Nobis jure merito pol-
licemur. Intérim ex intimo cordis Nostri
Deum oramus et obsecramus ut cœlestium
charismatum copiam Vobis propitius lar-
giatur. Ac divini hujus praesidii auspiçem
et flagrantissimas illius qua Vos in Domino
amplectimur charitatis testem, Aposto-
licam benedictionem Vobis, Venerabiles
Fratres, cunctisque clericis, laicisque fide-
libus armenis peramanter impertimus.
Datum Romse, apud S. Petrum, die
30 Sextilis, anno 191 1, Pontificatus Nos-
tri IX.
Plus PP. X.
négligé de ce qui Nous paraissait favorable
au bien spirituel de votre nation. Aujour-
d'hui même, attentif aux caractères parti-
culiers des temps que Nous traversons et
bien instruit de la situation présente de
l'Eglise arménienne, Nous sommes assuré
que, pour extirper les germes de division
qui sont parmi vous, prévenir les rivalités
concernant les droits, fortifier la discipline
ecclésiastique, affermir vos traditions et
coutumes légitimes, proclamer les devoirs
des clercs et des laïques, la célébration
d'un concile national sera souverainement
efficace.
Aussi par la présente lettre chargeons-
Nous Sa Révérence M^"" le Patriarche de
convoquer au plus tôt ce concile, qu'il pré-
sidera lui-même, et qui se tiendra à Rome
pour plus de commodité. Ce synode trai-
tera des droits du patriarche et des évêques,
de la bonne direction des fidèles, de la
discipline du clergé, des règles monas-
tiques, des besoins des missions, de l'hon-
neur du culte divin, de la sainte liturgie,
et d'autres sujets de même genre qui sont
à préciser avec une extrême prudence, afin
de procurer à Dieu une plus grande gloire
et de rehausser la splendeur de l'Eglise
arménienne.
Chez d'autres Eglises d'Orient la célébra-
tion d'un concile national a été d'un puis-
sant secours pour dissiper les difficultés et
restaurer la discipline ecclésiastique; aussi
sommes-Nous en droit de Nous promettre
que l'élaboration et la promulgation de
lois écrites procureront de même à votre
Eglise les fruits les plus salutaires. Pour le
moment, Nous prions et supplions Dieu
du fond de Notre cœur qu'il daigne Vous
accorder en abondance ses dons célestes.
Comme gage de ce divin secours et en
témoignage de l'ardente charité que Nous
vous portons dans le Seigneur, Nous vous
accordons très affectueusement à vous, vé-
nérables Frères, ainsi qu'à tous les clercs
et fidèles laïques arméniens, la Bénédiction
apostolique.
Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le
3o août 191 1, en la IX« année de Notre
Pontificat.
PIE X, PAPE.
THÉOLOGIE « ORTHODOXE »
ET THÉOLOGIE CATHOLIQUE
A PROPOS D'UN LIVRE RÉCENT
A une époque où l'on explore avec une
ardente curiosité toutes les régions du
savoir, la théologie dogmatique « ortho-
doxe », province généralement négligée
jusqu'ici en Occident, a fini par trouver
quelques fidèles.
Parmi ceux-ci, le R. P. A. Palmieri vient
en toute première ligne. Après une série
d'articles et d'opuscules sur la matière,
publiés çà et là depuis une dizaine d'an-
nées, il vient d'entreprendre une œuvre
de longue haleine dont les Prolégomènes
ne comprennent pas moins de 815 pages
compactes d'un grand in-octavo (i). Et
encore ces Prolégomènes sont incomplets
de quatre chapitres qui seront donnés
dans un prochain volume et qui traiteront :
\° du nombre des divergences théolo-
giques qui séparent les Eglises orthodoxes
de l'Eglise catholique; 2° de la théologie
polémique spéciale chez les « orthodoxes »:
y de la théologie morale et pastorale
dans les Eglises « orthodoxes »; 40 des
obstacles qui empêchent l'union des
Eglises (2). Après avoir élevé un si vaste
portique, l'auteur se propose d'édifier le
temple de la théologie « orthodoxe »,
temple à cinq nefs où le lecteur apprendra
ce qui s'enseigne dans les Eglises auto-
céphales, et spécialement dans l'Eglise
russe, touchant la Tradition, l'Ecriture
Sainte, l'Eglise, le Pontife romain et le
Saint-Esprit.
A en juger par la méthode suivie dans
le premier volume des Prolégomènes, le
(i) A. Palmieri, Theologia dogmatica orthodoxa
Ecclesiœ grœco-russicœi ad lumen catholicœ doc-
trinœ examinata et discussa, t. I, Prolegomena,
in-8 dexxv-8i5 pages. Florence, igii, Libreria édi-
trice fiorentina, via del Corso, 3. Prix : 20 francs.
(21 P. XIV.
R. P. Palmieri ne se contentera pas d'ex-
poser la doctrine des théologiens « ortho-
doxes » sur les points indiqués; il la réfu-
tera— mais d'une manière irénique — (i)
et lui opposera les meilleurs arguments
qu'il pourra trouver dans les sources catho-
liques. Son dessein est, je crois, de com-
poser une sorte de Somme théologique
où les catholiques pourront entendre les
« orthodoxes » et où les « orthodoxes »
pourront puiser la connaissance de la doc-
trine catholique, qu'ils demandent trop
souvent aux sources troubles du protes-
tantisme allemand. L'ouvrage sera donc
comme une sorte de médiateur intellec-
tuel entre l'Orient et l'Occident. Ecrit en
latin, il sera assez facilement accessible
aux théologiens orientaux, grecs et slaves.
Tous ceux qui ont à cœur le retour de
l'Orient « orthodoxe » à l'unité catholique
ne peuvent qu'applaudir à cette grandiose
entreprise. De nos jours comme autrefois,
le schisme trouve dans l'ignorance un pré-
cieux auxiliaire pour se maintenir. On a
souvent dit que les divergences dogma-
tiques et autres entre les deux Eglises
n'avaient été inventées par les auteurs du
schisme que pour colorer de beaux pré-
textes l'œuvre de désunion qu'ils pour-
suivaient. Cela fut sans doute vrai au
début, mais on se tromperait si l'on croyait
que de nos jours la situation est la même.
Dans l'œuvre de l'union, les théologiens
ont un rôle capital à rerriplir : celui de
dissiper les préjugés d'ordre doctrinal ac-
cumulés au cours des siècles par l'igno-
rance ou la mauvaise foi. A supposer
même que l'on fût toujours en présence
de purs prétextes, ne serait-ce point tra-
(I) P. XX.
à
324
ÉCHOS d'orient
vailler utilement à la réconciliation lente
et progressive que de donner à nos frères
séparés cette marque de sympathie qui
consiste à s'intéresser à ce qu'ils écrivent
dans le domaine des sciences sacrées? Par
ailleurs, bien que l'Orient ne soit point
à l'heure actuelle le pays des lumières
théologiques, qu'il possède peu de soleils
et beaucoup trop de planètes, serait-il té-
méraire d'avancer que le théologien occi-
dental peut retirer quelque profit de cer-
tains ouvrages écrits par des Russes ou
des Grecs? Je ne le pense pas, et la lecture
des Prolégomènes du P. Palmieri me con-
firme dans cette idée.
De ces Prolégomènes je voudrais donner
au lecteur une courte analyse, chapitre
par chapitre, en y joignant les réflexions
et les remarques que m'a suggérées une
lecture attentive de l'ouvrage, et que l'au-
teur voudra bien prendre en bonne part,
même lorsqu'elles ne seront pas des éloges,
parce qu'elles partiront d'un cœur bien-
veillant, uniquement préoccupé de rendre
service en disant ce qui lui paraît être la
vérité.
Commençons par la préface. Elle compte
vingt-cinq pages, ce qui n'a rien d'exagéré,
vu l'ampleur du volume. Elle est écrite en
un latin élégant au vocabulaire un peu
recherché. J'avoue candidement avoir été
obligé de recourir plusieurs fois au dic-
tionnaire pour avoir le sens de certains
mots qui se rencontrent rarement dans
les ouvrages de théologie, et même dans
les autres. Ces mots sont surtout des
termes injurieux ou méprisants, que l'au-
teur décoche aux demi-savants qui aboient
sans cesse contre les savants tout court,
et croient faire du zèle en voyant partout
du modernisme.
Ces demi-savants, ce sont principale-
ment ceux qui ont formulé contre la per-
sonne et les précédents ouvrages du
P. Palmieri des attaques injustifiées, et
tout particulièrement un petit groupe de
Polonais, que l'auteur appelle Mohlia-
nistes, du nom du principal d'entre eux.
M. Mohl, qui s'est distingué par ses in-
vectives contre la Chiésa rnssa (i). Quand
je tombai pour la première fois sur ce
nom, je crus à la naissance de quelque
nouvelle secte russe ou à quelque fraction
du mariavitisme. 11 n'en était rien. Mohlia-
nisme est tout simplement, d'après l'au-
teur, synonyme de panpolonisme , une hé-
résie qui ne doit pas être de fraîche date (2).
On se demande cependant pourquoi
le P. Palmieri a voulu rendre célèbre
M. Mohl. Le silence devant certaines at-
taques paraît être la meilleure réponse.
A se défendre on perd la sérénité d'es-
prit nécessaire au travailleur, et l'on s'ex-
pose, en employant des mots trop forts
dans la riposte, à s'abaisser au niveau
de l'adversaire outrecuidant, ou, ce qui
est plus fâcheux, à se mettre en contra-
diction avec ses principes. C'est ainsi que
l'on est un peu choqué de trouver à un
ouvrage qui veut être irénique une pré-
face qui l'est si peu. Les sorties contre
les Mohlianistes, qui, après tout, ne
doivent être que des hérétiques matériels
faisant partie de l'Eglise catholique, se
renouvellent avec insistance dans le cha-
pitre IX, où l'auteur recommande juste-
ment la douceur et la charité dans la
polémique.
Mais passons et fermons les yeux sur
ce petit accès d'impatience, bien excu-
sable chez un travailleur consciencieux
qui se voit aux prises avec la contradic-
tion, rançon nécessaire de la vraie gloire.
Le solitaire de Bethléem avait des repar-
ties encore bien plus vives contre ses
calomniateurs. La préface ne nous apprend
pas seulement ce que sont les Mohlianistes.
Elle nous renseigne encore sur le but, le
caractère, la division de l'ouvrage, les dif-
ficultés que l'auteur a dû surmonter pour
l'écrire, la bénédiction anticipée que le
(i) Ouvrage du R. P. Palmieri, paru en 1908.
Cf. Echos d'Orient, t. XIII (1910), p. 58.
(2) L'auteur a fait paraître récemment une bro-
chure qui renseigne amplement sur le Mohlia-
nisme : Mohlianismus et Panpolonismus horumque
methodus polemica et consectaria. Rome, igio.
Un ouvrage en français est annoncé sur la même
question.
THEOLOGIE « ORTHODOXE » ET THEOLOGIE CATHOLIQ.LE
}2y
pape Léon XIII lui avait accordée, quelques-
unes des fautes de latin qui s'y sont glis-
sées. Car l'élégance de la préface se fait
un peu désirer dans l'ensemble du volume;
mais ce n'est pas impunément qu'on écrit,
à notre époque, 800 pages de latin. J'en
connais beaucoup qui s'en seraient tirés
avec moins d'honneur.
Les chapitres i et 11 traitent respective-
ment de la définition de la théologie, de
la notion, de la définition et de la division
des dogmes dans la théologie « ortho-
doxe ». Les théologiens « orthodoxes »
n'ont rien de bien particulier sur ces ques-
tions, et l'auteur aurait pu en parler moins
longuement, d'autant plus que les manuels
en usage dans les Eglises autocéphales
sont tributaires des nôtres dans une large
mesure. Qui ne sait, par exemple, que
Macaire a pillé notre Perrone? Au milieu
de ces lieux communs, dont je veux me
garder de dire qu'ils sont sans utilité, vu
le but que s'est proposé le P. Palmieri, îl
y a quelques citations intéressantes de
théologiens russes. C'est ainsi qu'on ap-
prend avec plaisir que l'épithète d'ortho-
doxe, donnée à l'Eglise et à la théologie
russes, est judicieusement critiquée par
plusieurs théologiens orientaux presque
dans les mêmes termes qu'emploie Joseph
de Maistre. Certains ne font pas difficulté
de reconnaître qu'il y a plusieurs ortho-
âoxies dans l'Eglise orientale, qu'il y en a
presque autant que de théologiens, chacun
croyant posséder l'esprit orthodoxe et en-
tendant « l'orthodoxie » dans le sens de
la doxie à moi. Cela est inévitable, en l'ab-
sence d'un magistère infaillible vivant et
permanent (i).
L'auteur est bien inspiré lorsqu'il cri-
tique un autre des nombreux noms de
l'Eglise orientale, celui d'Eglise des sept
conciles œcuméniques. Ce titre ne serait
exact et caractéristique que si les théolo-
giens « orthodoxes » enseignaient que
l'ère des conciles œcuméniques fut fermée
(I) P. 5-10.
à tout jamais après la clôture du second
concile de Nicée, en 787: mais personne
jusqu'ici n'a soutenu sérieusement cette
absurdité, bien qu'il soit reconnu que de
nos jours un nouveau concile œcuménique
est matériellement impossible pour les
Orientaux.
A la page 2, le P. Palmieri décerne à
Eugène Bulgaris le prix d'excellence parmi
les théologiens « orthodoxes ». Je me
demande sur quoi est basé ce pompeux
éloge. Serait-ce sur le Qîo).oyixôv, mauvais
et incomplet résumé de scolastique occi-
dentale, entremêlé de quelques diatribes
sans saveur contre les Latins? II y a cer-
tainement mieux que cela dans « l'ortho-
doxie ».
Nous trouvons dans le long chapitre m :
Du progrès dogmatique d'après les théolo-
giens catholiques et les théologiens ortho-
doxes, un résumé de ce que l'auteur a dit
de meilleur dans son récent ouvrage : //
progressa dommatico (i). Après une expo-
sition un peu diffuse de la notion catho-
lique du progrès dogmatique, on nous
renseigne sur l'attitude prise par les théo-
logiens « orthodoxes » sur cette question.
Cette attitude est embarrassée et contra-
dictoire. En théorie, le théologien oriental
fait généralement sienne la doctrine ca-
tholique du développement; mais on
s'aperçoit vite que c'est pour lui une no-
tion étrangère qu'il ne s'est pas véritable-
ment assimilée. Il ne fait pas grand effort
du reste pour arriver à saisir ce que nous
appelons le révélé implicite ou le révélé
virtuel, car il tient à pouvoir accuser
l'Eglise catholique d'inventer de nouveaux
dogmes. Puissent les bonnes explications
du P. Palmieri convaincre les Orientaux
que c'est là une pure calomnie!
Ce qui montre bien que les théologiens
« orthodoxes » ne comprennent pas ou
ne veulent pas comprendre la vraie notion
de l'évolution dogmatique, c'est leur ma-
nière d'interpréter le fameux canon de
saint Vincent de Lérins : Id teneamus quod
itbique, quod semper, quod ab omnibus cre-
(II Voir Echos d'Orient, t. XIII, p. 358.
326
ÉCHOS d'orient
diium est. Ils l'entendent au sens négatif
et exclusif. Adieu, dès lors, à tout passage
de l'implicite à l'explicite dans la connais-
sance de la vérité révélée. Avec cette exé-
gèse, le concile de Trente est pris en
flagrant délit de fabriquer beaucoup de
nouveaux dogmes. Le P. Palmieri fait re-
marquer avec beaucoup de justesse que
le canon de Vincent de Lérins, « cette
règle d'or de l'orthodoxie », a été décou-
vert, il n'y a pas bien longtemps, par les
théologiens orientaux. Mais ils en vivaient
avant de la connaître. C'est pour cela
qu'ils découvraient au moyen âge tant de
kainotomies chez la sœur ennemie d'Occi-
dent.
Préoccupé de faciliter aux vieux-catho-
liques l'accès à « l'orthodoxie », le Russe
Bolotov montre une certaine tolérance à
l'égard de quelques dogmes nouveaux
définis en Occident depuis la séparation.
Sans leur reconnaître une valeur obliga-
toire et vraiment dogmatique pour l'Eglise
universelle, il permet qu'ils soient ensei-
gnés dans une Eglise particulière.
Ces théologoumènes — c'est ainsi qu'il
les appelle — ne sauraient être un obs-
tacle sérieux à l'union des Eglises. Ils
tiennent le milieu entre le dogme propre-
ment dit et les opinions particulières des
théologiens, et peuvent en général se ré-
clamer de l'autorité de plusieurs anciens
Pères. La procession du Saint-Esprit a
Pâtre et Filio est résolument cataloguée
par Bolotov parmi les théologoumènes. Quel
dommage que Photius n'ait pas connu le
théologoiimène ! II aurait épargné à l'Eglise
bien des calamités. Je n'ai encore rencontré
aucun théologien grec qui traitât avec cette
désinvolture le dogme photien.
De la nécessité, de la méthode et de la
division de la théologie che:^ les écrivains
orthodoxes, tel est le titre du chapitre iv.
L'auteur commence par réfuter les adog-
matistes russes, Tolstoï, Rozanov, Merej-
i kovsky et consorts. Pour ces gens-là, qui
sont de vrais incrédules, la théologie est
une science bien inutile et le dogme un
esclavage intellectuel dont il faut rompre
les chaînes. Mais était-il bien nécessaire,
dans des Prolégomènes, de démontrer lon-
guement à Tolstoï et à ses disciples que
les mystères chrétiens ne répugnent ni
à la raison, ni à la volonté, ni au cœur de
l'homme, et sont au contraire bienfaisants
pour ces trois facultés? N'est-ce pas vou-
loir allonger le volume à plaisir?
Ce qui est dit de la méthode de la théo-
logie d'après les théologiens « orthodoxes »
est un peu confus. Le P. Palmieri parle
de conceptions différentes chez des au-
teurs qui s'entendent parfaitement. Com-
ment, d'ailleurs, ne pas être d'accord sur
ces généralités? Celles-ci sont suivies d'un
aperçu historique très incomplet sur les
écoles théologiques chez les Grecs, les
Russeset les Roumains. On nous renseigne
aussi sur la controverse qui agite en ce
moment les esprits en Russie relativement
à l'utilité des Facultés de théologie an-
nexées aux Universités d'Etat.
Le chapitre v traite des manuels de
théologie dans l'Eglise orientale gréco-
russe, depuis la Foi orthodoxe de saint Jean
Damascène jusqu'à nos jours. Il emprunte
beaucoup au travail que l'auteur fit pa-
raître en 1901, dans la Revue de l'Orient
chrétien, sous le titre : Ancienne et nouvelle
théologie russe. C'est, à grands traits, l'his-
toire de la théologie dogmatique dans
l'Eglise orientale depuis la séparation des
Eglises. On y trouve des renseignements
fort utiles. On remarquera surtout ce qui
est dit de l'influence de la scolastique oc-
cidentale sur les théologiens de la Petite
Russie, aux xvip et xviip siècles, et l'aperçu
sur la doctrine de Théophane Prokopo-
vitch.
Les théologiens de Kiev furent les dé-
fenseurs de la doctrine de l'Immaculée
Conception de la Sainte Vierge. A ceux
que cite le P. Palmieri, et qui sont à peu
près tous du xvm^ siècle, il faut joindre
plusieurs autres noms plus célèbres ap-
partenant au xviF siècle. Le travail que
j'ai publié dans les Echos d'Orient sur l'Im-
maculée Conception chez les Russes au
xviF siècle paraît avoir échappé à l'auteur.
THÉOLOGIE « ORTHODOXE » ET THEOLOGIE CATHOLIQUE
327
La liste des catéchismes russes et grecs,
qui termine le chapitre, est incomplète;
mais le dommage n'est pas grand, rien
ne ressemblant autant à un catéchisme
qu'un autre catéchisme.
Dans les 80 pages du chapitre vi, le
P. Palmieri a écrit une apologie en règle
de la théologie scolastique contre les at-
taques sans fondement dont elle est l'objet
de la part de certains théologiens ortho-
doxes. A l'aide de citations bien choisies
d'auteurs anciens et modernes, il montre
les services inappréciables rendus à la
théologie par la philosophie, sa servante.
Quand ils disent du mal de la scolas-
tique, les « orthodoxes » ne font en gé-
néral que transcrire les diatribes de cer-
tains auteurs protestants. Leurs traits
n'atteignent que la scolastique de la déca-
dence. C'est ce que leur montre bien le
P. Palmieri. Ce qui déroute les Orientaux,
ce sont les controverses qui mettent aux
prises les théologiens catholiques sur cer-
taines questions. Ces querelles les scan-
dalisent. Ils ne s'aperçoivent pas qu'elles
sont une manifestation de la vitalité de la
pensée théologique et qu'elles contribuent
efficacement au progrès dogmatique, té-
moin la controverse sur llmmaculée Con-
ception. Si, du reste, ils voulaient s'exa-
miner eux-mêmes, ils trouveraient sans
doute que tout n'est pas concert harmo-
nieux dans le temple de la théologie
« orthodoxe ». Si divisés qu'ils soient
sur certains points secondaires, les théo-
logiens catholiques sont unanimes sur
tous les points fondamentaux. Au con-
traire, les théologiens « orthodoxes » ne
s'entendent pas sur des questions de pre-
mière importance, par exemple sur le
nombre des Livres Saints, sur la validité
du baptême des hétérodoxes, sur la valeur
doctrinale des livres dits symboliques.
Tous les théologiens orientaux, d'ail-
leurs, ne sont pas les ennemis de la sco-
lastique. Plusieurs savent l'apprécier, se
montrant ainsi les vrais disciples des Pères
grecs, particulièrement de saint Jean Da-
mascène. Ce ne sont pas, en effet, les Latins
du moyen âge qui ont inventé la méthode
scolastique. Celle-ci est d'origine grecque.
Dès les premiers siècles, on proclamait au
didascaléion d'Alexandrie que la philoso-
phie est la servante de la théologie, et la
raison s'essayait déjà à regarder à travers
les voiles du mystère.
Avec le chapitre vu, qui ne compte pas
moins de 167 pages, commence l'impor-
tante étude des documents symboliques
des Eglises orientales. Après avoir longue-
ment expliqué ce qu'est la théologie sym-
bolique et avoir signalé les principales
collections de la symbolique « orthodoxe »,
l'auteur traite de l'origine et de la valeur
dogmatique des trois principaux symboles
que nous a légués l'ancienne Eglise : le
symbole des apôtres, le nicéno-constanti-
nopolitain et l'athanasien. Tout le monde,
je crois, reconnaîtra que le P. Palmieri a
abusé, dans ce chapitre, de sa facilité de
plume et de son amour des citations. Ce
qu'il nous (dit en cent pages aurait pu
certainement tenir en quinze. Il suffisait
de donner au lecteur les conclusions de
la critique contemporaine sur l'origine des
symboles, et d'indiquer brièvement ce
qu'en pensent les théologiens d'Orient,
si toutefois ils en pensent quelque chose
d'original.
Des trois symboles en question, seul le
nicéno-constantinopolitain est unanime-
ment accepté dans les Eglises autocéphales
comme expression officielle de la foi. Sur
la valeur des deux autres, les théologiens
« orthodoxes » émettent des avis diffé-
rents. Le P. Palmieri avance, après d'autres,
que le concile in Trullo, dans son premier
canon, fait allusion à notre symbole des
apôtres. Est-ce bien sûr? Le concile parle
d'une manière générale de la foi, -is-civ,
qui nous a été transmise par les apôtres.
Vouloir traduire dans le cas -Ctt'.v par
« formule de foi » dénote une préoccupa-
tion subjective qui laisse sceptiques ceux
qui ne l'ont pas.
L'auteur défend l'opinion traditionnelle
sur l'origine du nicéno-constantinopolitain
considéré comme l'œuvre des Pères du
328
ÉCHOS d'orient
concile de 381. A beaucoup cette défense
paraîtra très faible. Le concile de 381, qui
fut longtemps considéré comme un simple
concile particulier, et qui ne devint œcu-
ménique que lorsque Rome voulut bien
le considérer comme tel, au début du
vp siècle, ne semble pas avoir composé
ce symbole. On le trouve, en effet, à peu
près mot pour mot dans VAncoratus de
saint Epiphane, ouvrage écrit antérieure-
ment au concile. Ce qui est vraisem-
blable, c'est qu'un des Pères du concile,
peut-être saint Cyrille de Jérusalem, le pré-
senta comme sa profession de foi person-
nelle à l'assemblée, qui n'y trouva rien
à reprendre.
Bien qu'il doive nous entretenir longue-
ment dans un prochain volume de l'addi-
tion du Filioque au symbole, le P. Palmieri
consacre cependant une quinzaine de
pages à cette question dans ses Prolégo-
mènes. Son exégèse du décret d'Ephèse,
invoqué par les « orthodoxes » pour com-
battre toute addition au symbole, manque
de précision, et il ne sait pas retourner la
décision conciliaire contre les adversaires
eux-mêmes. Il eût mieux valu ne pas en-
treprendre la question que de la traiter
d'une manière si incomplète.
Le symbole athanasien n'a pas les fa-
veurs des théologiens « orthodoxes » à
cause de sa doctrine sur la procession du
Saint-Esprit. Bien qu'ils accusent généra-
lement les latins d'avoir ajouté le Filioque
à ce symbole, ils ne paraissent pas com-
plètement convaincus de la vérité de leur
assertion. Le P. Palmieri aurait pu leur
faire remarquer qu'on trouve l'athanasien
avec le Filioque dans des manuscrits du
viiie siècle. 11 aurait pu aussi faire moins
d'honneur aux attaques de l'archimandrite
Technopoulos contre ce symbole en les
réfutant vingt pages durant.
Qui croirait que des théologiens de
l'Eglise des sept conciles œcuméniques
aient jamais pu attaquer l'autorité de ces
conciles? 11 en a cependant été ainsi au
xviiie et au xixe siècle, d'après le P. Pal-
mieri, qui établit longuement l'infaillibilité
des conciles œcuméniques contre Théo-
phane Prokopovitch. Mais celui-ci a-t-il
réellement nié cette infaillibilité? On est
porté à admettre le contraire, d'après les
citations mêmes que donne le P. Palmieri
du théologien russe. L'erreur de Prokopo-
vitch et de ses disciples, tels que Irénée
Falkovsky et Sylvestre Lébédinsky, a con-
sisté non à nier l'infaillibilité des conciles
œcuméniques, mais à rejeter la tradition
comme source de la vérité révélée distincte
et indépendante de l'Ecriture Sainte. Pour
ces théologiens, les définitions conciliaires
sont infaillibles, parce qu'elles ne sont
que des explications de l'Ecriture. Si on
voulait les réfuter, il fallait donc leur dé-
montrer qu'il existe une source de la révé-
lation distincte de l'Ecriture, non leur
prouver que les conciles œcuméniques
sont infaillibles, ce qu'ils n'ont jamais nié.
Après nous avoir fait connaître la pensée
des théologiens orientaux sur les anciens
symboles et sur l'autorité des conciles
œcuméniques, le P. Palmieri aborde la
délicate étude des documents symboliques
élaborés au sein des Eglises « orthodoxes »
depuis la consommation du schisme. A
cette étude, il ne consacre pas moins de
2}"^ pages, c'est-à-dire tout le chapitre viii,
le plus long de l'ouvrage. La Confession
de foi du patriarche Gennade, les Réponses
de Jérémie 11 aux théologiens luthériens,
la Confession de foi de Cyrille Lucar et les
décisions des conciles qui s'en occupèrent,
la Confession de foi de Dosithée, celle de
Pierre Moghila et celle de Métrophane Cri-
topoulos, les conciles particuliers de l'an-
cienne Eglise, ceux de l'Eglise grecque,
depuis la prise de Constantinople et ceux
de l'Eglise russe depuis les origines, les
Lettres encycliques des patriarches de Con-
stantinople, enfin le Catéchisme de Phila-
rète, métropolite de Moscou, sont succes-
sivement examinés au point de vue histo-
rique et théologique. Suit une conclusion
générale qui se réduit à peu près à ceci :
Les Eglises « orthodoxes » ne possèdent
pas de documentssymboliques proprement
dits en dehors de ceux qu'elles tiennent
THEOLOGIE « ORTHODOXE » ET THEOLOGIE CATHOLIQUE
329
de l'Eglise des huit premiers siècles. Cela
vient de l'absence chez elles d'un magis-
tère infaillible capable d'imposer ses déci-
sions et de dirimer les controverses.
Je remarque tout d'abord dans ce cha-
pitre un certain désordre dans la suite des
questions traitées. Celles-ci ne sont liées
entre elles ni par l'ordre chronologique
ni par aucun enchaînement logique. L'au-
teur débute par un long préambule sur
la nécessité des livres symboliques. On
se demande ce que vient faire cette disser-
tation, après qu'on nous a déjà fait lon-
guement dans le chapitre précédent la
théorie de la théologie symbolique, et
qu'on nous a parlé des documents symbo-
liques de lancienne Eglise. Ensuite, pour-
quoi traiter des conciles particuliers anté-
rieurs au schisme tout de suite après
l'article sur la Confession de foi de Métro-
phane Critopoulos? Les 30 pages consa-
crées à la discussion de l'authenticité de
la Confession de Cyrille Lucar sont certai-
nement un hors-d'œuvre et ne sont pas
d'ailleurs à leur place naturelle, c'est-
à-dire à l'endroit où l'auteur parle de cette
Confession elle-même comme document
symbolique. Je n'ai pas saisi non plus la
raison pour laquelle l'examen de la Con-
fession de Dosithée précède celui de la
Confession de Moghila, bien que cette der-
nière soit chronologiquement antérieure
au concile de Bethléem de 1672, où fut
promulguée l'œuvre de Dosithée.
Un reproche plus grave regarde le fond
théologique de cette étude. L'auteur émet
çà et là, noyées au milieu des détails his-
toriques, des assertions contradictoires,
ou du moins peu cohérentes sur la valeur
symbolique de certains documents. Rele-
vons-en quelques-unes.
A la page 4S3 et 458 (i), les fameuses
Réponses du patriarche Jérémie II aux théo-
logiens luthériens nous sont présentées
comme de véritables documents symbo-
liques de l'Eglise orthodoxe, bien qu'en
réalité ces écrits n'aient revêtu aucun
(i) Sincerian exhibent characterem documen-
torum quœ symbolica audiunt Inter libres
symbolicos eas < responsiones) enumerandas censeo .
caractère officiel et que le public ne les
ait connus que par l'indiscrétion d'un
archimandrite et d'un prêtre polonais.
Une centaine de pages plus loin, on
dénie toute valeur symbolique aux Lettres
encycliques officielles des patriarches orien-
taux, telles que la Confession de foi dite
de Chrysanthe, composée en 1727, et la
Réponse des patriarches orientaux à l'En-
cyclique du pape Pie IX en 1848 (i). Com-
ment concilier ces deux affirmations? Com-
II ent accorder à des écrits privés du pa-
triarche Jérémie une autorité qu'on refuse
aux enseignements officiels des patriarches
de Constantinople en général, et même
aux encycliques signées par les quatre
patriarches orientaux et adressées à tous
les fidèles orthodoxes?
Qte le P. Palmieri me permette de lui
faire remarquer, à propos des patriarches
orientaux, que, d'après le catéchisme de
Philarète, dont on sait l'autorité non seu-
lement en Russie, mais aussi en pays
grec, « la foi orthodoxe, catholique, uni-
verselle se conserve immuablement dans
•sa pureté primitive dans les anciennes
Eglises de l'Orient et dans celles qui leur
sont unies par les mêmes croyances,
comme est l'Eglise de toutes les Rus-
sies » (2).
Pour les Russes, le critère de l'ortho-
doxie fut toujours, en théorie du moins,
l'accord avec les patriarches d'Orient. Le
P. Palmieri me paraît ne pas y faire assez
d'attention dans le jugement qu'il porte
sur l'autorité dogmatique des patriarches
de Constantinople, qui est corroborée très
souvent dans les Encycliques doctrinales
par lasignature des trois autres patriarches.
Le lecteur a aussi quelque peine à con-
cilier ce qui est dit dans la conclusion, à
savoir qu'aucune des Confessions de foi
postérieures au schisme, y compris celle
de Pierre Moghila et celle de Dosithée,
ne possède une véritable valeur symbo-
(i) Mea ut fert opinio, hitncce honorem haud
nièrent ^prœcitatce litterœ, p. 643.
|2) Catéchisme de Philarète, V partie, sur le
IX' article du symbole. 17' édition. Moscou, 1900
P- 49-
330
ECHOS D ORIENT
lique(i), avec des assertions dans le genre
de celles-ci :
« A mon avis, la Confession de Moghila
réalise les conditions regardées comme
nécessaires pour qu'on puisse attribuer à
un livre quelconque le caractère de docu-
ment symbolique. » (2)
« D'après moi, toute la valeur symbo-
lique du synode susdit (il s'agit du synode
de Jérusalem de 1672) gît dans la Confes-
sion de Dosithée, dont l'importance dans
la théologie orthodoxe est à bon droit re-
gardée comme souveraine. » (3)
« La Confession de Dosithée, à cause de
la pureté plus parfaite de sa doctrine,
mérite le premier rang parmi les docu-
ments symboliques de l'Eglise grecque
moderne. » (4)
C'est l'enseignement courant des ma-
nuels de théologie « orthodoxe », que
l'Eglise enseignante peut exercer son ma-
gistère infaillible de deux manières : « ou
par la voix des chefs des Eglises particu-
lières rassemblés à cet effet en concile
œcuménique, ou bien par ces mêmes
chefs non réunis en concile, mais confé-.
rant entre eux sans se déplacer, dans la
situation ordinaire de l'Eglise » (5). Cela
correspond à peu près à ce que nous appe-
lons le magistère solennel et le magistère
ordinaire, ou, si l'on veut, au magistère
solennel et à la consultation de l'épiscopat
catholique comme celle qui fut faite sous
Pie IX avant la définition de l'Immaculée
Conception.
S'il est universellement reconnu que le
concile œcuménique n'a jamais fonctionné
dans l'Eglise « orthodoxe » prise comme
telle, depuis la séparation, est-il bien sûr,
comme l'affirme le P. Palmieri à plusieurs
reprises (6), que l'Eglise « orthodoxe »
(1) Calumnias agere mihi non videor, charac-
terem symbolicum prœcitatis confessionibus or-
thodoxis prorsus denegando, p. 65o.
(2) P. 563.
(3) P. 489.
(4) P. 5o5. Ailleurs, p. 562, la primauté est accordée
à la Confession de Moghila.
(5) Macaire, Introduction à la théologie ortho-
doxe traduite par un Russe. Paris, 1857, p. 55o.
(6) Quœ asserimus historia confirmantur cujus
testimonio comperimus nunquam ac ntillibi,post
n'ait jamais exercé son magistère de l'autre
manière, c'est-à-dire par voie de consul-
tation amenant une entente unanime ex-
plicite ou tacite? 11 me semble que cette
entente expresse et unanime a existé à
un moment donné, relativement à la va-
leur symbolique absolue de la Confession
de foi de Pierre Moghila, appelée pour
cela r'OpOôôoio; ô^xrjXo-'l'y. par excellence.
Si de nos jours des théologiens apparte-
nant à l'orthodoxie large battent en brèche
son autorité, cela prouve tout simplement
que l'Eglise « orthodoxe » prise dans son
ensemble n'est pas douée du privilège de
l'immutabilité doctrinale; mais cela ne
détruit pas l'accord unanime, historique-
ment constaté au xvii^ siècle, des repré-
sentants des Eglises autocéphales.
Cet accord est plus difficile à établir
pour la Confession de Dosithée telle qu'elle
fut promulguée au concile de Jérusalem,
en 1672. En 1838, le saint synode russe
fit paraître de ce document une traduction
tronquée, due à la plume du métropolite
Philarète. Mais antérieurement à 1838, et
depuis 1723, époque où les patriarches
orientaux envoyèrent la Confession au saint
synode comme l'expression authentique
et immuable de la doctrine de l'Eglise
orientale « à laquelle il ne faut rien ajouter
ni retrancher » (i). il semble bien que
l'Eglise russe ait accepté au moins tacite-
ment la valeur symbolique de cette con-
fession. Certains faits que rapporte le
P. Palmieri tendent à le prouver. D'ail-
leurs, ils ne sont pas rares, de nos jours
encore, les théologiens « orthodoxes »
qui accordent aux deux Confessions de
Moghila et de Dosithée une valeur équi-
valente à celle des décisions des conciles
œcuméniques. Qu'il me suffise de nommer
Mésoloras, Zikos Rosis, Milasch, Macaire,
lugendum schisma, Ecclesias orientales, etiam
gravibus impellentibus causis, ve.l uno, vel altéra
modo, dogmaticas dejinitiones proposuisse, p. 16.
Cf. p. 68, 627. Je crois que l'auteur aurait été
moins affirmatif s'il avait fait attention non seule-
ment à l'histoire des Eglises orthodoxes depuis
1453, mais aussi et surtout à l'histoire antérieure
de l'Eglise byzantine.
(1) Mansi-Petit, Amplissima Collectio concil.,
t. XXXVIl, col. 537-540, 541-543.
THEOLOGIE « ORTHODOXE » ET THEOLOGIE CATHOLIQ.UE
33^
A. Lebedev, Goussev, J. Sokolov, qui
brillent dans l'orthodoxie d'un éclat aussi
pur que Diomède Kyriakos, Chrysostome
Papadopoulos, Androutsos, Balanos, Am-
vrasis, adversaires de l'autorité œcumé-
nique de ces confessions.
A propos du sentiment de Macaire,
l'auteur me permettra de lui signaler que
le théologien russe ne range pas la Con-
fession de Dosithée parmi les confessions
de foi privées, comme on l'affirme à la
page 504, mais bien parmi les expo-
sitions générales communes à tous les
« orthodoxes ». Cette Confession est même
appelée une des pierres de touche de
« l'orthodoxie » (i).
Par la manière dont il s'exprime çà et
là, le P. Palmieri paraît ignorer que ce
qu'on appelle en Russie la Lettre des pa-
triarches d'Orient n'est pas autre chose
que la Confession de Dosithée envoyée au
saint synode russe par les patriarches
orientaux, en 1723, à l'occasion des ten-
tatives d'union avec la secte des Non-
Jureiirs (2).
L'auteur aurait gagné à lire le travail
du P. Pargoire sur Mélèce Syrigos pour
l'histoire de la Confession de Moghila. Il
y aurait appris entre autres choses sur
quoi portèrent les corrections que Syrigos
fit subir au catéchisme des Kiéviens, les
disputes qu'elles occasionnèrent et la rai-
son pour laquelle Pierre Moghila négligea
de publier son œuvre ainsi remaniée.
L'histoire des conciles particuliers des
Eglises « orthodoxes » est à peine ébau-
chée. On ne dit rien en particulier des
conciles byzantins antérieurs à 1453. On
se demande si l'auteur n'aurait pas mieux
fait de se taire sur une question qui deman-
{\) Macaire, op. cit., p. 604, 609.
(2) Comparer entre elles les données des p. 489,
5o4-5o5, 63 1 et 643. La nouvelle traduction de la
Lettre des patriarches parue dans la revue Viera
i Tserhov, en 1907, n'est pas autre chose qu'une
traduction de la Confession de Dosithée, dite
Lettre des patriarches. La lettre aux Xon-Jiireurs,
qui précède ]a. Confession dans les éditions russes
et qui n'a pas grande importance doctrinale, a été
conservée à peu prés intacte par Philarète. C'est
la Confession elle-même qu'il a gravement mutilée
en plusieurs endroits.
derait un long ouvrage pour être conve-
nablement traitée.
Le P. L. Petit a prouvé que la définition
ou opo;; du patriarche Cyrille V relative
à la rebaptisation des latins fut portée en
juillet 17^5 et non en 1756. Le P. Palmieri
l'a oublié à la page 624.
Voilà bien des critiques sur ce long cha-
pitre des Confessions de foi orthodoxes. Si
je m'y suis attardé, c'est que le sujet me
paraît d'une importance capitale. Peut-être
trop développée au point de vue historique
et pleine de hors-d'œuvre, l'étude du
P. Palmieri est en déficit au point de vue
théologique. L'auteur ne s'est pas fait une
idée nette et ferme de la valeur doctrinale
des documents dits symboliques. De là
les incohérences que nous avons signa-
lées. Cela ne veut point dire que ce cha-
pitre ne soit très précieux au point de vue
documentaire.
Il nous reste à dire un mot, pour ter-
miner, des trois derniers chapitres qui
traitent respectivement : de la nature et de
la définition de la théologie polémique et des
défauts que les polémistes catljoliques doivent
éviter; des sciences nécessaires à celui qui
veut polémiquer avec les « orthodoxes »; de
la théologie polémique générale che:(^ les Grecs
et les Russes.
La définition que l'auteur donne de la
théologie polémique me paraît fondée en
raison, mais tout le monde ne l'entend
pas de cette façon. Bien des gens n'éta-
blissent pas entre l'apologétique et la polé-
mique la cloison étanche qu'élève l'auteur
entre les deux, et pratiquement, c'est bien
difficile. Les conseils donnés aux polé-
mistes catholiques dans leurs discussions
avec les « orthodoxes » sont de tout point
excellents et marqués au coin du bon sens
et de la charité chrétienne. Il est malheu-
reusement plus facile de prêcher que de
pratiquer: l'auteur l'a montré par son
exemple. La question de savoir si Ton
peut, dans les livres de controverses, ap-
pliquer aux « orthodoxes » l'épithète de
schismatiques, me paraît assez oiseuse.
332
ÉCHOS d'orient
On peut, sans manquer à la charité et sans
donner aux Orientaux de motif raison-
nable de se froisser, les appeler schisma-
tiques ou même hérétiques (i), lorsqu'on
réfute leurs erreurs et qu'on se place au
point de vue objectif, pourvu d'ailleurs
qu'on s'abstienne de tout terme injurieux
visant non la doctrine mais uniquement
les personnes. Il faut qu'un catholique
puisse appeler les choses par leur nom.
Il est évident, du reste, que dans les rela-
tions personnelles et privées avec les hété-
rodoxes on évitera avec soin de dire à son
interlocuteur ou à son correspondant russe
ou grec: « Vous êtes un schismatique;
vous êtes un hérétique. » Les lois de la
bienséance et plus encore celles de la cha-
rité chrétienne savent faire trouver dans
ce cas les formules appropriées, et pas
n'est besoin pour cela de code spécial.
Le P. Palmieri réclame du polémiste
une somme énorme de connaissances. La
philosophie, la théologie dogmatique, les
langues orientales, toute la patristique, la
littérature byzantine, l'histoire de l'Orient
ancien et moderne, la science du droit
canon oriental doivent lui- être familières.
Ce programme n'a rien d'exagéré, et il
faut à peu près l'avoir parcouru si l'on
veut ne pas se contenter de ressasser de
vieux arguments qui ne portent plus.
L'auteur a raison d'insister en particulier
sur l'utilité qu'il y a pour le théologien
de connaître le droit canon oriental et son
histoire. La liturgie aussi a de tout temps
fourni des armes redoutables contre le
schisme, et je suis étonné que le P. Pal-
mieri n'en parle pas.
La théologie polémique orientale est
divisée par l'auteur en générale et en spé-
ciale. La première embrasse à la fois toutes
(i) Il vaut mieux, en général, appliquer ces
termes à l'Eglise qu'aux individus. Ceux-ci ne sont,
la plupart du temps, que des schismatiques et des
hérétiques matériels. L'auteur catholique emploie
ces termes sans aucune intention de blesser les
personnes, qu'il faut toujours respecter et chérir.
les divergences entre les deux Eglises. La
seconde s'attache à une divergence en
particulier. L'aperçu donné sur la polé-
mique générale des Grecs et des Russes
contre les Latins est fort incomplet. C'est
encore un de ces sujets qui réclameraient
des volumes entiers et qu'on regrette de
voir traiter si maigrement. Au lieu d'es-
sayer une histoire forcément tronquée des
controverses antilatines, il aurait mieux
valu donner les caractères généraux de
la polémique schismatique avec quelques
exemples frappants.
Le défaut de synthèse est le péché mi-
gnon du P. Palmieri. Il excelle à citer, à
compiler, mais il lui manque la netteté
du dessein; il écrit un peu à l'aventure.
De là des répétitions, des longueurs, des
hors-d'œuvre, des incohérences allant
jusqu'à la contradiction. Je n'hésite pas à
dire que, diminués de moitié, les Prolé-
gomènes eussent doublé de prix.
Ce par quoi ces Prolégomènes brillent,
c'est par l'érudition. L'auteur y a ramassé
une extraordinaire quantité de renseigne-
ments d'ordre théologique, historique et
bibliographique qui rendront les plus
grands services à tous ceux qui s'inté-
ressent aux études orientales et feront de
son ouvrage un précieux instrument de
travail. Les nombreuses bibliographies
surtout, semées au bas des pages tout le
long du volume, seront appréciées et ou-
vriront des horizons à ceux qui n'ont pas
encore découvert la Russie intellectuelle.
Lestravailleurs reconnaissants diront merci
tout bas à celui qui s'est imposé de rudes
labeurs pour leur faciliter la tâche et de-
manderont à la Vierge, « Mère de l'unité
chrétienne et destructrice de tous les
schismes », d'exaucer la belle prière que
l'auteur lui adresse à la fin de ce premier
volume en vue d'obtenir les forces néces-
saires pour mener à bon terme l'œuvre
commencée.
M. JUGIE.
Constantinople.
LE NÉO-MARTYR MICHEL MAUROEIDES
ET SON OFFICE
Le cod. 1295 du fonds grec de la Biblio-
thèque nationale à Paris contient, fol. 314-
319 v», un office d'un néo-martyr appelé
Michel Mauroeidès : ur/A 'sz'jpou%o<M 'Xr,
àxoAO'jO'.a £',^ tÔv a-".ov M-z/ar,). tÔv £v 'Aoo'.a-
vo'JTcôÀc'. tÔv vÉov uàoT'jsa tÔv xaAoûuîvov
Maupo£'.OY,v (sîV).
Pour vêpres, nous avons trois stichères
et leur doxastikon, trois aposticha et leur
doxastikon avec le theotokion de celui-ci,
enfin l'apolytikion (i).
A l'office de l'aurore, nous trouvons un
canon du i^r ton sur l'acrostiche: -rôv
Hy.-j'j.y.Tzhy M'.yar.X 'IcoàvvY.s V^p^t'lss'.; cet
acrostiche ne comprend pas les quatre
premiers theotokia. Viennent enfin trois
stichères pour les laudes et leur doxa-
stikon. Après la 3« ode du canon est inséré
un kathisma; après la 6«, un kontakion
et l'olxo;, puis le synaxaire ou notice his-
torique sur le martyr, qui occupe les
fol. 316-317 v du manuscrit.
Michel Mauroeidès était un des princi-
paux orthodoxes d'Andrinople, riche, ver-
tueux, estimé des Turcs du plus haut rang.
Des fanatiques le dénoncèrent au cadi
comme ayant prononcé à plusieurs re-
prises la formule de profession de foi
musulmane et amenèrent de faux témoins
pour confirmer leur accusation. Michel
nia énergiquement, et le juge comprit vite
qu'il avait affaire à des calomniateurs.
Mais parce que ceux-ci le menaçaient de le
dénoncer lui-même au sultan comme cou-
pable de faiblesse dans l'application de la
loi, il fit jeter Michel en prison en atten-
dant que le procès fût examiné au palais.
Les ennemis de Michel, augmentés
d'autres individus au courant de l'in-
trigue, se rendirent au palais et obtinrent
(i) Sur les termes liturgiques employés ici, on
peut consulter l'excellent ouvrage de L. Clcgnet,
Dictionnaire grec-français des noms liturgiques.
Paris, 1895.
du sultan Une condamnation à mort, au
cas où Michel refuserait d'embrasser l'is-
lamisme.
Par des promesses de dons et d'hon-
neurs pour lui et les siens, par la crainte
du dernier supplice, ils essayèrent de faire
apostasier le chrétien. Mais il resta iné-
branlable. 11 fut alors décapité et son corps
brûlé.
Tel est le récit, très simple, du synaxaire.
Je ne connais aucun autre document con-
cernant notre néo-martyr ; il ne faut pas
le confondre avec Michel Mauroudès, qui
mourut à Salonique le 10 mars 1544.
Quel est le Jean auteur de l'office? Une
note finale, fol. 319, nous l'apprend :
a'jTT, Y, àxoAO'jQia zTzoïffir,'^ (sic) uapà Toû
(T0',5O)TàT0'J Xal AOY'-WTaTOU xÙp 'IwàvVO'J TO'J
Mooyo'j o'.xoùvTOs £v -rr^ v/tw K'jpxûpaç (sic),
yÎT'.Ç TTpOJTîpOV (sic) 0£axlç (sic) EXaXc^TO,
Ta v'jv Zï Tïaoà toI; ytto-zipoiq Kop'J'fai.
L'hymnographe est donc Jean Moschos,
« habitant l'île de Corfou ».
De Jean Moschos, nous savions qu'il
était originaire de Lacédémone. Ce fut un
professeur habile; il eut, entre autres,
pour élève pendant cinq ans Marc-Antoine
Antimaque et mourut au moment où il
se préparait à partir pour Salonique, dont
les habitants l'avaient demandé pour leur
école. Comme Marc-Antoine Antimaque
naquit en 1473, on peut conclure que Jean
Moschos mourut vers 1494. On possède
de lui une oraison funèbre du grand duc
Luc Notaras, qui se trouve dans le cod.
Escorial. y, 3, 18 (338) et le cod. Paris.
2731 (i), et un traité théologique dans
(n Allatius, De eccles. occident, atque orient,
perpet. consens., col. 957, a publié un fragment de
cette oraison funèbre. Notons que M. H. Omont,
Inventaire sommaire des man. grecs de la Bibl.
nat., t. IV (table alphabétique), a Tair de con-
334
ECHOS D ORIENT
le même cod. Escorial. Nous apprenons
aujourd'hui qu'il faut encore le mettre au
nombre des hymnographes et qu'il habita
Corfou, Sans doute comme professeur,
charge dans laquelle un de ses deux fils,
Georges, dut lui succéder (i),
La date exacte du martyre de Michel
Mauroeidès reste indéterminée. Jean Mos-
chos, vers la fin de son synaxaire, dit seu-
lement qu'il eut lieu tout récemment de
son temps ; èv ■^ol^ xaQ' /,u.â^ TravjTTàxo'.ç
La note concernant Jean Moschos dans
le manuscrit de Paris est suivie de celle-ci :
stspov xà8iTu.a èv Tf, -''^i woyI 7:oir,Gèv Tzapà
loyTT'.vo'j Asxaotou (sic) |jLaQr|Toû toj a-JToy
o'.oao-xàAou' xal zo à7zo).U":ixi.ov Y.yo; TSTao-
To; ToCi aÙToC» -nro'lr.p.a. Immédiatement
après, fol. 319 v», vient le texte du ka-
thisma, dû à la plume de Justin Decadyos.
Quant à l'apolytikion, c'est celui dont j'ai
signalé l'existence à la fin de l'office des
vêpres.
Cette note nous fournit un précieux
renseignement inédit sur la jeunesse de
Justin Decadyos; c'est qu'il fut à Corfou,
sa patrie, l'élève de Jean Moschos. Elle
nous fait connaître aussi deux tropaires
de sa composition; on le savait déjà
hymnographe distingué (i).
t S. PÉTRIDÈS.
L'HOMME CRÉÉ A L'IMAGÉ DE DIEU
D'APRÈS THÉODORET DE CYR ET PROCOPE DE GAZA
L'homme et la femme ont été créés à
l'image de Dieu. Trois textes de la Genèse
nous le disent expressément :
10 Dieu dit: « Faisons l'homme à
notre image, selon notre ressemblance.» (2)
2° « Et Dieu créa l'homme à son image;
il le créa à l'image de Dieu; il les créa
mâle et femelle. » (3)
30 « Il n'est pas bon que l'homme soit
seul; je vais lui faire une aide semblable
à lui. » (4)
fondre notre Jean Moschos avec l'auteur du Pré
spirituel.
(i) Sur Jean Moschos, voir Moustoxtdès 'E),>.t;vo-
[tv^^piMv, p. 385 sq.; C. Sathas, NEOcW.ïivtxr, où.o-
Aoyi'a, p. gô; E. Legrand, Bibliogr. hellén., x\' et
XVI' siècles, t. l'% p. lxxxviii.
(2) Gen. I, 26.
(3) I, 27.
(4) II, 18; II, 21, 22, 23. Ces versets sont corréla-
tifs; en effet, au verset 18, Jéhovah se propose de
créer la compagne de l'homme semblable à lui;
au verset 21, Adam n'a pas trouvé d'être semblable
à lui parmi les animaux ; c'est pourquoi, au verset23.
Dieu crée la femme nettement désignée par son
nom. Donc, cette femme du verset 23 est l'être
semblable à Adam du verset 18.
On peut se demandera ce sujet, d'abord
si c'est directement à l'image du Créateur
ou bien à l'image d'une créature inter-
médiaire que l'homme a été créé; ensuite
si la femme, dans la même mesure que
l'homme, reproduitles traits de cette divine
ressemblance ; enfin , si c'est par l'àme seule
ou à la fois par l'âme et par le corps que
l'homme et la femme ressemblent à Dieu;
c'est sur ces trois questions que nous
allons rapporter, pour les comparer et en
discuter la valeur, les opinions de deux
exégètes orientaux : Théodoret de Cyr (386-
428) et Procope de Gaza (518-365).
I. Est-ce directement
A l'image DE Dieu ciue l'homme a été créé?
Nos deux auteurs prouvent que ce n'est
ni à l'image des mauvais anges, ni à
.11) Sur Jean Decadyos, voir Molstoxydès, op. cit.,
p. 196 sq.; C. Sathas, op. cit., p. ici ; E. Legrand,
op. cit., p. en sq. Aux œuvres signalées par ces
auteurs, ajoutons huit canons à la Sainte Vierge
L HOMME CRÉÉ A L IMAGE DE DIEU
33'
l'image des bons anges, ni à celle d'au-
cune créature intermédiaire, mais à celle
de la Sainte Trinité elle-même que le pre-
mier homme a été créé.
D'abord, ce n'est pas à limage des
mauvais anges, car, dit Théodoret, « ce
serait de la dernière folie d'affirmer qu'il
y a identité entre l'image des démons
pervers et celle de linfmie bonté » (i).
En second lieu, ce ne peut être à l'image
d'un ange quelconque bon ou mauvais,
car, remarque Procope, Dieu dit : « Fai-
sons l'homme à tiotre image ». Evidem-
ment, l'expression tiotre image désigne
l'image du sujet de la phrase, qui est
Dieu, parlant à la première personne du
pluriel. Rien nindique qu'il soit question
d'autres personnages. Donc, dans l'hypo-
thèse où il aurait été question de limage
des anges, le texte sacré l'aurait sûre-
ment précisé par un complément déter-
minatif (2). Il ne l'a pas fait.
En troisième lieu, ce ne peut être à
l'image d'aucune créature intermédiaire,
« car, dit Procope, c'est l'être essentielle-
ment bon en lui-même et existant par
lui-même qui tire les êtres du néant ».
D'où il suit que si c'est le Créateur lui-
même qui a communiqué sg ressemblance
au premier homme, cette image ne peut
être que celle de Dieu (3).
Enfin, il faut admettre que cette image
est celle de la Trinité elle-même, pour
deux raisons exégétiques : i» Si on ne
l'entend pas ainsi, dit Théodoret, on ne
peut expliquer le pluriel : Faisons l'homme
à notre itnage, en se contentant de voir
dans cette expression un pluriel de ma-
jesté (4). Si, en effet, il en était ainsi.
Dieu, à l'exemple des magistats romains,
devrait, d'ordinaire, parler à la première
personne du pluriel. Or, nous voyons
le contraire dans la Bible en maints en-
contenus dans le cod. 3oy de la bibliothèque du
saint synode à Moscou.
(i) Théodoret de Cyr, P. G., t. LXXX, Quœs-
tiones in Genesim, col. 99, iod, 101.
(2) Procope de Gaza, P. G., t. LXXXVIl, Com-
mentarii in Genesim, col. 112-114.
(3) Procope, op. et t. cit., col. 107, fo8.
(4) Théodoret, op. et t. cit., col. 102.
droits (i); a« si, au contraire, on l'entend
de cette manière, on explique à la fois
l'emploi au singulier du mot image, en
disant que c'est l'image commune des
trois personnes qui ont la nature divine,
et la première personne du pluriel : Fai-
sons, en attribuant cette opération à
chaque personne de l'indivisible Trinité,
conclusion sur laquelle nous aurons plus
loin à faire des réserves.
Donc, le premier homme, d'après nos
deux auteurs, a été créé directement à
l'image de la Sainte Trinité. Mais la repro-
duction dans leur âme de cette image
divine est-elle l'apanage exclusif d'Adam
et de ses descendants màîés, ou bien
a-t-elle été communiquée indistinctement
et dans la même mesure aux deux sexes
qui constituent le genre humain? Telle
est la deuxième question, question bizarre
en apparence, intéressante pourtant, que,
à l'école de ces deux exégètes, nous
allons maintenant résoudre.
11. La femme est-elle l'image de Dieu
AU même degré que l'homme?
Au premier abord, la réponse affirmative
semble s'imposer, et Procope de Gaza ne
s'est posé cette singulière question que
pour répondre à certaines objections que
l'on peut y faire en se basant sur quelques
textes de saint Paul.
En elîet, dans le texte sacré précité, il
s'agit également de l'homme et de la
femme. Car, après avoir dit : « Dieu créa
l'homme à son image », Moïse ajoute :
« Il le créa à l'image de Dieu; il les créa
mâle et femelle » (2). Dans ce verset, re-
marquons trois membres de phrases pa-
rallèlement disposés :
i'^ Dieu créa l'homme à son image;
2° Dieu le créa à l'image de Dieu;
3» H les créa mâle et femelle.
Or, dans les deux premiers membres,
il est clair que le mot homme, complément
(i) Gen. I, 27.
(2) Cf. Gen. VI, i3; Gen. y\, 7; Ex. xx, 3; Is
XLI, 18; ILIII, ig.
}}(>
ECHOS D ORIENT
singulier du verbe créa, désigne l'image
de Dieu; donc, dans le troisième membre,
le complément pronominal les (= mâle
et femelle) du même verbe créa désigne
également l'image de Dieu. Et puisque ce
pronom les désigne à la fois les deux sexes,
concluons que la femme comme l'homme
est l'image de Dieu.
Du reste, ajoute Procope, la femme est
tirée de l'homme. En effet, l'auteur de la
Genèse écrit :
« De la côte qu'il avait prise de l'homme,
Jéhovah forma une femme et il l'amena
à Adam, et Adam dit : Celle-ci, cette fois,
est os de mes os et chair de ma chair!
Celle-ci sera appelée femme, parce qu'elle
a été prise de l'homme. » (i)
De même l'auteur de ce livre avait écrit
précédemment :
« Jéhovah dit : Il n'est pas bon que
l'homme soit seul ; je vais lui faire une aide
semblable à lui. » (2)
Sans doute, ces deux textes comparés
ne montrent avec une absolue évidence
que la ressemblance corporelle entre
l'homme et la femme. Mais comme Pro-
cope nous montrera plus loin que, même
•^ar le corps, l'homme peut être dit, sous
un certain rapport, l'image de Dieu,
comme, d'autre part, la ressemblance des
âmes dans l'homme et dans la femme est
au moins insinuée, sinon prouvée par
l'expression : une aide semblable à lui , notre
exégète peut conclure de ces textes de la
Genèse: « La femme, venue de l'homme,
lui a emprunté l'image divine. » (3)
Image de Dieu comme l'homme, la
femme l'est-elle au même degré que lui?
Non, répondent Théodoret et Procope,
et ils se basent, pour nous le prouver.
(1) Gen. Il, 22, 23.
(2) Op. cit., II, 18; Procope, col. 117-118.
(3) On ne saurait admettre, sur la foi des textes
précités, que la femme n'est semblable à l'homme
que sous le rapport corporel; car, faite pour être
sa compagne, elle doit avoir avec lui les ressem-
blances de l'esprit plus élevées que celles du corps
et nécessaires dans la société familiale.
sur un verset de la Genèse et sur quelques
versets de saint Paul
Voici, d'abord, ce que nous enseigne
à ce sujet la Genèse.
Après avoir écrit : « Dieu dit : Faisons
l'homme à notre image, etc. », l'auteur
sacré ajoute :
« Et qu'il domine sur les poissons de
la mer, sur les oiseaux du ciel, sur les
animaux domestiques et sur toute la terre,
et sur les reptiles qui rampent sur la
terre. » (i)
Or, dit Procope, c'est à l'homme sur-
tout qu'il appartient de commander aux
autres créatures, puisque, d'après le texte
sacré, la femme aussi lui est soumise :
« Ton désir se portera vers ton mari et il
dominera sur toi. » (2)
De même, avait déjà dit Théodoret,
c'est le propre de l'homme de juger. En
cela, il ressemble à Dieu et il en diffère.
Car, tandis que Dieu juge sans témoin^
comme, par exemple, lorsqu'il condamne
Cain, l'homme, ignorant les méfaits in-
criminés, a besoin de témoins. C'est en
raison de cette supériorité de juge que
l'homme ne se voile pas la tête, tandis
que la femme, qui n'a pas la même auto-
rité pour jugar, reste voilée (3). Saint
Paul dit en effet :
« L'homme ne doit pas se voiler la tête,
puisqu'il est l'image et la gloire de Dieu,
tandis que la femme est la gloire de
l'homme.
» Car l'homme n'a pas été tiré de la
femme, mais la femme de l'homme.
» C'est pourquoi la femme doit, à cause
des an^ges, avoir sur la tête un signe de
sujétion (4).
(1) Gen. I, 26.
(2) Gen. III, 16.
(3) Théodoret, col. loS-ioy. La y,â).u7iTpa (voile),
était, chez les Grecs — auxquels s'adressait saint
Paul — l'ornement de tête particulier aux femmes.
Cf. RoBiNSON, Antiquités grecques, t. Il, p. 357.
Remarquons que le but de ce voile était générale-
ment de dérober la beauté aux regards profanes
en même temps que de signifier la sujétion à
l'homme. A Sparte seulement, ce dernier but
semble avoir été exclusif. Cf. Aristote, De Repiibl.
1. II, C. IX.
(4) Les anges dont il est ici question ne sont,
vraisemblablement, ni les démons (Cf. Tertullien,
L HOMME CRÉÉ A L IMAGE DE DIEU
^37
» Toutefois, ni la femme n'est sans
l'homme ni l'homme sans la femme dans
le Seigneur.
» Car, si la femme a été tirée de
l'homme, l'homme aussi naît de la femme
et tout vient de Dieu. » (i)
De ces versets comparés, la conciliation
entre l'enseignement de la Genèse et la
doctrine paulinienne sur cette question
est facile à déduire ; elle se ramène aux
deux conclusions suivantes: i° Image de
Dieu comme lui, la femme a la même
nature que l'homme: 2° dépendante d'une
créature, l'homme, tandis que l'homme
ne dépend d'aucune créature, comme Dieu
ne relève d'aucun être, la femme est
l'image de Dieu à un degré moindre que
l'homme sous le rapport de l'indépen-
dance.
111. Est-ce par l'ame seule ou a la fois
PAR l'ame et par le CORPS Q.UE l'HOMME
ET LA FEMME SONT L'IMAGE DE DiEU ?
Cette troisième question paraît d'abord
aussi singulière que la précédente. En effet,
si l'homme est l'image de Dieu, un pur
esprit, c'est évidemment par l'âme qu'il
lui ressemble. Mais comment un être cor-
porel peut-il aussi par son corps repré-
senter l'image incorporelle de Dieu ? Cela
semble sortir des limites de la vraisem-
blance, et c'est pourtant une question à
laquelle Procope de Gaza peut répondre
affirmativement en envisageant l'idée
d'image à un point de vue spécial qui ré-
pond suffisamment à la réalité.
Mais distinguons les deux parties de
cette question, et demandons en premier
lieu à ces deux exégètes sous quels rap-
ports l'âme humaine est l'image de Dieu.
*
Tous les deux nous répondent que
l'homme, considéré dans son âme, res-
Cont. Marc, v, 8: De Virg. veland., 7), ni les fidèles
ni les prêtres officiants, comme le veulent Clément
d'Alexandrie et l'Ambrosiaster, mais les bons anges.
(Cf. / Cor, IV, 9; Toussaint, Ep. de S. Paul, t. I",
p. 282.)
(i) / Cor. M, 7-12; Procope, col. 106.
semble à Dieu par la place qu'il occupe
parmi les êtres créés; par son rôle de
maître, relativement libre et indépendant;
par son intelligence, par l'unité de son
esprit dans la diversité de ses facultés
mentales, par le pouvoir en quelque
sorte créateur qu'il possède et par la
sainteté à laquelle naturellement il doit
tendre.
1° L'homme ressemble à Dieu par la place
qu'il occupe parmi les êtres. « En effet, dit
Théodoret, après avoir créé les cr. atures
sensibles et les créatures purement intel-
lectuelles (les anges). Dieu forma l'homme
en dernier lieu, comme sa propre image,
en le plaçant à égale distance des êtres
animés et des êtres inanimés, des êtres
sensibles et des êtres intelligents; par là,
il montrait que les créatures animées et
lescréaturesinaniméesdevaienten quelque
sorte lui payer le tribut, et que les créa-
tures intelligentes (les purs esprits ange-
liques) — comme l'enseigne l'auteur de
l'Epître aux Hébreux (i) — étaient mises
au service de l'homme » (2)
Intermédiaire, par conséquent, entre
les êtres sans raison et les purs esprits,
l'homme, d'après Procope de Gaza, est
de plus, sous un certain rapport, la syn-
thèse de tous les autres êtres, car il a « la
puissance végétative des plantes, la puis-
sance sensitive des animaux et la puis-
sance intellectuelle des purs esprits et de
Dieu même » (3).
« Résumé du monde créé, continue
Procope, l'homme en est aussi le centre
et le roi. C'est pourquoi Dieu semble dé-
libérer avant de le créer; c'est pour ce
motif aussi qu'il paraît le dernier sur le
théâtre de la création, spectateur du ciel,
du soleil, de la lumière — vaste décor
créé avant lui et pour lui, — et roi magni-
fique appelé à présider le festin où l'ont
précédé les autres convives. » (4)
Voici donc, ramenée à quelques propo-
sitions claires, la pensée de nos deux au-
(1) Hebr. i, 14.
(2) Théodoret, op. cit., col. io5-io6.
(3) Procope, op. cit., col. 117.
(4) Procope, op. cit., col. 116.
338
ECHOS D ORIENT
leurs sur ce premier trait de ressemblance
entre l'homme et Dieu :
a) Puisque l'homme est un intermé-
diaire entre les êtres sans raison et les
purs esprits qui sont à son service, de
même que tous les êtres — l'homme y
compris — sont au service de Dieu, ainsi
toutes les créatures autres que l'homme
sont au service de l'homme;
b) Puisque, en second lieu, l'homme
est en quelque sorte la synthèse du monde
créé, de même que tout ce qu'il y a d'être
au monde se trouve en Dieu — source
foncière de l'être, non, il est vrai, dans le
sens où les panthéistes émanatistes en-
tendent cette expression, mais dans le
sens catholique qu'on peut lui donner, —
de même quelque chose de ce qui se
trouve dans tous les êtres créés se re-
trouve dans rhomme créé;
c) Puisque, enfin, l'homme est en
quelque façon le roi et le centre de la
création, de même que tous les êtres —
l'homme y compris — sont soumis à
Dieu, ainsi toutes les autres créatures
sont, à un certain point de vue, assujetties
à l'homme.
Sous ce premier rapport, il est donc
évident que l'homme est réellement
l'image de Dieu.
2'> L'homme est l'image de Dieu par sa
liberté et par son indépendance vis-à-vis des
autres créatures terrestres. Ce second point
est d'abord la conséquence du premier.
En effet, si l'homme est le roi de la créa-
tion, il s'ensuit immédiatement qu'il est
libre et indépendant de ses sujets, les
autres créatures terrestres.
Mais de plus, à la suite de nos deux
commentateurs, il est facile de déduire
cette seconde proposition du texte même
de la Genèse.
Car, après avoir écrit : « Dieu dit : Faisons
l'homme à notre image, selon notre ressem-
blance •>>, l'auteur sacré ajoute immédiate-
ment : Et qu'il domine sur les poissons de
la mer , etc. (i) De même, deux ver-
sets plus loin, après avoir dit : Et Dieu
(i) Gen. I, 26.
créa l'homme à son image , Moïse ajoute
les paroles suivantes adressées par le Créa-
teur à sa créature :
Remplisse^ la terre, soumettei-la et
domine^ sur les poissons de la mer, sur les
oiseaux du ciel et sur tout animal qui se
meut sur la terre (i).
Donc, il y a une corrélation deux fois
exprimée dans les versets précités entre
ces deux idées : la création à l'image de
Dieu et la domination de l'homme sur les
créatures inférieures à lui. Par conséquent,
Théodoret peut dire, en se fondant du
reste sur l'opinion d'exégètes antérieurs,
que c'est précisément par ce pouvoir de
commander aux autres créatures terrestres
que l'homme est l'image de Dieu; « car.
dit-il, de même que Dieu est le maître de
tous les êtres, de même l'homme tient de
Dieu le pouvoir de commander à tous les
animaux sans raison » (2).
A son tour, se fondant sur le même
texte, Procope peut ajouter, avec quelque
exagération il est vrai : « Sous ce rapport,
c'est l'homme et -non la femme qui est
l'image de Dieu; c'est à l'homme seul,
en effet, qu'il appartient de commander,
puisque la femme, elle aussi, relève de
l'homme. » (3) L'auteur sacré dit en effet,
(i) Gen. I, 27, 28.
<2) Théodoret, /. cit., col. io5.
(3) Dans ce passage, Procope dit vrai, mais exa-
gère. Il dit vrai en affirmant que l'homme a été
constitué par Dieu souverain de toutes les créa-
tures terrestres. Mais il exagère en prétendant,
sur la foi du texte sacré, que c'est à l'homme seul,
non à la femme, qu'il appartient de commander
aux autres créatures terrestres. On peut en donner
deux raisons : i° d'abord le texte de la Genèse :
Ton désir se portera vers ton mari, et il domi-
nera sur toi {Gen. m, i6), prouve bien que la
femme, même dans l'hypothèse où elle n'aurait
pas péché, doit naturellement obéir à son mari,
mais il ne prouve pas qu'elle ne puisse commander
aux créatures inférieures; 2° de même que l'expres-
sion : Dieu créa l'homme à son image {Gen. i, 27',
correspond à celle-ci du même verset : // les créa
mâle et femelle (i, 27''), d'où l'on conclut que la
femme comme l'homme est l'image de Dieu; de
même, l'expression : // les créa mâle et femelle
(1, 27") correspond à celle-ci du verset suivant:
Domine^ sur les poissons, etc. (i, 28^), d'où l'on
peut logiquement inférer que la femme, comme
l'homme, a le droit de commander aux animaux.
Son pouvoir est donc réel, mais moins grand que
celui de l'hoinme, dont elle dépend.
L HOMME CREE A L IMAGE DE DIEU
339
en rapportant les paroles adressées par
Dieu à la première femme après son péché :
Ton désir se portera vers ton niari et il
dominera sur toi. Voici donc, d'après Pro-
cope, comment l'homme, sous ce rapport,
est l'image de Dieu : « De même que Dieu
est le souverain de tous les êtres, de même
l'homme est le maître de toutes les créa-
tures terrestres. » (i)
3° L'homme est l'image de Dieti par son
intelligence. Cette domination de l'homme
sur les autres créatures, qui constitue son
second trait de ressemblance avec Dieu,
en suppose nécessairement un troisième :
la faculté de comprendre comme Dieu, du
moins jusqu'à un certain point, l'usage
qu'il doit faire des créatures : l'intelli-
gence.
Comment cela? Par l'universalité des
sujets dont s'occupe son esprit, « car, dit
Théodoret, c'est le propre de Dieu, créa-
teur de tous les êtres, d'être sans limites;
mais, sous ce rapport, l'esprit humain
l'imite d'une certaine manière, quand en
un instant il parcourt l'Orient et l'Occi-
dent, le Nord et le Sud, le ciel et la
terre, non pas sans doute en réalité,
mais par le seul mouvement de sa pen-
sée y> (2).
Procope reproduit la même idée, mais
il la complète en montrant que l'homme,
considéré dans son esprit ef dans sa rai-
son, est l'image de Dieu par l'intermé-
diaire du Christ. D'abord, le Christ est la
raison de Dieu, raison élevée à la dignité
de personne, comme le dit saint Jean :
An commencement était le Verbe (Aôyo;
(i) Procope, col. ii5-ii6.
(2) Théodoret, col. 107, 108.
= raison personnifiée) (i). En second
lieu, par l'esprit, nous ressemblons au
Christ, selon la pensée de l'Apôtre : Poiar
nous, nous avons V esprit du Christ (2).
Donc, comme le Christ est lintelUgence
de Dieu, en ressemblant au Christ nous
sommes les images de Dieu, et voici com-
ment : « La Divinité considère et pénètre
tout d'un regard intuitif. A nous aussi
elle a donné la faculté de percevoir et de
comprendre, mais à la faveur de longues
recherches. » (3)
Sur ce point, on le voit, Procope pré-
cise et complète la pensée de Théodoret.
Comme Dieu, nous dit Théodoret, l'homme
applique son esprit aux sujets les plus di-
vers. 11 lui ressemble donc par la variété
des concepts qui peuvent occuper son in-
telligence. Mais, à ce trait de ressemblance,
Procopeajoute l'élément différentiel: tandis
que Dieu a une intelligence parfaite et irr-
tuitive, l'esprit humain est imparfait et
discursif.
Pour le moment, arrêtons là cette ana-
lyse. Nous la reprendrons dans un prochain
article où, après avoir montré que l'homme
ressemble encore à Dieu par l'unité de son
esprit dans la diversité de ses facultés, par
le pouvoir jusqu'à un certain point créa-
teur qu'il possède et par la sainteté à la-
quelle il aspire, nous ferons quelques
réserves sur les opinions diverses émises
par ces deux auteurs.
EZÉCHIEL MONTMASSON.
(1) JOAN, I, I.
(2) / Cor. ri, 16.
(3) Procope, col. 117, ri8. L'expression greccpae
'riTTiXtxTjv TictçiisfVi 5iâvoiav signifie : il a donné une
intelligence qui saisit le vrai par le raisonnement
discursif.
UNE PÉRIODE TROUBLÉE
DE L'HISTOIRE DE L'ÉGLISE MELKITE (i759-i794)
I. L'ÉLECTION ANTICANONiaUE
d'Athanase V Jauhar (1759).
Nous voudrions essayer de retracer ici
l'histoire, passablement obscure, d'une
période de trente-cinq ans, qui fut parti-
culièrement troublée pour l'Eglise melkite.
Le R. P. Cyrille Charon a bien essayé de
résumer un ou deux épisodes de cette
histoire (2), mais il n'a pu qu'effleurer la
question. Il ne dit rien, par exemple, de
M&r Germanos Adam, ou plutôt du P. Mi-
chel Adam — car il n'était alors que simple
prêtre exerçant le saint ministère à Alep,
— qui fut sans contredit l'âme de l'oppo-
sition alépine dans l'intrusion dejauhar(3).
La plupart des pièces relatives à cette his-
toire sont précieusement séquestrées dans
les bibliothèques monacalesouépiscopales,
pour diverses raisons que nous n'avons
pas à exposer ici ; l'accès en est très diffi-
cile. Aussi un grand nombre d'entre elles
avaient-elles échappé au R. P. Charon, et
ce n'est qu'à grand'peine que nous avons
pu réussir à nous les procurer.
(i) Pour traiier exactement de cette période de
trente-cinq ans, nous avons consulté, outre les
Annales chouérites, la longue relation que nous
en a laissée le P. Michel Adam, ses deux longues
réfutations des erreurs schismatiques du parti de
Jauhar, ses premiers ouvrages doctrinaux, qui res-
pirent l'orthodoxie à toutes leurs pages; les Dmer-
tations historiques des PP. Joseph Babila et Simaân
Sabbâgh, une autre relation anonyme sur l'intru-
sion de Jauhar; les lettres authentiques des évêques
partisans de l'intrus; les lettres échangées entre
Jauhar, devenu Athanase 'V, et M'' Germanos Adam,
archevê !ue d'Alep; enfin le Ristrelto romain du
cardinal Valens Gonzaga, en date du 26 août 1798.
Nous renverrons le lecteur à toutes ces sources
historiques au furet à mesure que nous les ren-
contrerons.
(2) G. Charon, L'Eglise grecque melkite catho-
lique, dans les Echos d'Orient, t. V, 1 901-1902,
p. 86 sq.
(3) Nouvellement arrivé de Rome, cù il avait
fait ses études ecclésiasîiques, le P. Michel Adam
était sans contredit l'oracle des Alépins. M*' Maxime
Hakim » n avait fait son secrétaire et conseiller
particulier.
On sait dans quelles circonstances ex-
ceptionnelles Me''Gérasimos, l'un des deux
fondateurs de Chouéir, promu à l'arche-
vêché d'Alep en 1721 par Athanase IV
Dabbas, puis exilé au Mont Athos par Syl-
vestre le Chypriote en 1725, et ramené
à Alep, après huit ans d'incarcération,
dut résigner son siège en faveur de
Mg"" Maxime Hakim, en 1733 (i). Alep
était, à cette époque, considérée comme
la seconde ville de l'empire ottoman;
cette importance lui était acquise par le
nombre considérable de ses habitants, par
son commerce extraordinaire, qui s'éten-
dait non seulement à toute la Syrie, mais
encore à toute l'Asie Mineure, et enfin
par le grand nombre des Melkites catho-
liques qui s'y trouvaient. Le P. Michel
Adam nous dit qu'à cette époque les ca-
tholiques alépins étaient « infiniment plus
nombreux que tous les Melkites catho-
liques du patriarcat d'Antioche » (2).
Nous savons, par ailleurs, qu'il y avait
alors à Alep vingt-quatre prêtres en charge
avec deux diacres, sous l'administration
de l'archevêque, M^r Maxime Hakim. Le
long Mémoire des Alépins adressé à la
Propagande, en 1740, sur la fameuse af-
faire des 'Abidatt ou religieuses chouérites,
en porte les diverses signatures (3).
Tous ces motifs étaient de nature à
exciter l'ambition du patriarche orthodoxe
de Constantinople, à cette époque où
l'argent avait plus de raisons persuasives
que la justice et le droit. Aussi, moyen-
nant finances, le patriarche constantino-
politain obtint-il de la Porte que la ville
d'Alep entrât sous sa juridiction immé-
diate, et il lui envoya le premier arche-
(i) "Voir Echos d'Orient, t. V, p. 19 sq.
(2) Cf. la longue Relation du P. Michel Adam,
p. 25.
(3) Nous le possédons en arabe et en italien ; nous
nous proposons de le publier un jour in extenso.
UNE PÉRIODE TROUBLÉE DE l'hISTOIRE DE LÉGLISE MELKITE
341
vêque orthodoxe en 1693 (i). On connaît
tous les troubles des Alépins à cette occa-
sion, toutes les persécutions dont ils
furent l'objet et leurs héroïques résis-
tances (2). Quarante ans d'un pareil des-
potisme avaient ruiné la ville, dont la
plupart des habitants s'étaient expatriés.
Enfin, à bout de forces, les Alépins sup-
plièrent Athanase IV Dabbas de leur don-
ner un évêque syrien arabophone, qui fût
à même de leur lire l'Evangile en leur
langue propre. Athanase y consentit;
mais, craignant d'autre part les blâmes de
Constantinople, il fit signer aux Alépins
une requête en bonne et due forme, por-
tant que Sylvestre le Chypriote serait élu
patriarche à la mort d'Athanase. Ce qui
eut lieu, en effet, en 1724.
Or, en 1733, à l'époque de la délivrance
de Gérasimos, le grand vizir persuada aux
Alépins d'avoir tout d'abord à soustraire
leur ville à la juridiction de Constantinople.
Ensuite, s'ils tenaient à être tranquilles,
ils devaient se trouver un évêque autre
que Gérasimos, et qui ne fût pas, comme
lui, entaché de la note malsonnante de
frengi. Là-dessus, ils élurent Maxime
Hakim, et, le 23 mai 1733, Alep rentra
sous la juridiction du patriarche catholique
d'Antioche.
Le nouveau métropolite se hâta de pa-
cifier son diocèse. Plein de prévenances
pour tous, il était adoré de son clergé et
de son peuple. Suivant une coutume im-
mémoriale dans le diocèse d'Alep, il s'était
fait entourer de quelques jeunes enfants
en qui il avait remarqué des signes de
vocation, et il s'appliquait à les former
aux vertus et à la science apostoliques.
Ce fut, d'ailleurs, son occupation principale
€t celle à laquelle il se livrait avec le plus
d'amour. Parmi ces jeunes clercs, il avait
distingué un enfant d'un rare talent, et
qui faisait déjà preuve d'une grande intel-
(0 Cf. Archives du Vatican, nota al. | 7, p. 409 :
Greci Melchiti.
12) Echos d'Orient, loc. cit.
ligence. C'était le petit Michel Adam, alors
âgé d'une douzaine d'années. Il se hâta
de l'envoyer à Rome, au collège grec de
Saint-Athanase (i). C'était, croyons-nous,
en 1736. Le jeune Adam passa une quin-
zained'annéesàRome; nous n'avons aucun
document qui nous apprenne quelque
chose sur ces années laborieuses de celui
qui devait être le propagateur des doctrines
du gallicanisme et du jansénisme à Alep.
Toujours est-il qu'il y fit preuve de rares
qualités intellectuelles dont témoignent
d'ailleurs ses nombreux ouvrages polé-
miques et doctrinaux. Nous ne saurions
affirmer non plus, si, durant ce séjour
dans la Ville Eternelle, ou après son élé-
vation à l'épiscopat, il a pu avoir des rela-
tions épisto'aires ou même des entretiens
mystérieux avec les gallicans et les jansé-
nistes de France. Nous pensons cependant
que ces relations malheureuses n'ont pu
avoir lieu qu'après 1774, époque de son
élévation au siège épiscopal de Saint-Jean-
d'Acre. En effet, les ouvrages qu'il com-
posa durant sa période sacerdotale sont
parfaitement orthodoxes, notamment en
ce qui touche la primauté du Pontife
romain, dogme sur lequel il mérita plus
tard des blâmes sérieux, à tel point que
Rome dut mettre ses ouvrages à l'Index.
Le P. Michel Adam reçut le sacerdoce
à Rome. Après son retour à Alep en 1751,
Me"* Maxime Hokim lui confia la direction
de la « Congrégation pour la Défense de
la foi », qui avait été fondée en 1725 par
un saint et courageux prêtre melkite, le
P. Paul Abd-ul-Messih, dans le but de
s'opposer aux persécutions de Sylvestre.
Les laïques alépins les plus notables te-
naient à en faire partie et à lui prodiguer
les secours de toute nature, de sorte
que cette pieuse association était devenue
comme un bouclier formidable contre
toutes les attaques des orthodoxes. Le
P. Michel Adam, alors jeune et rempli de
cette science catholique qu'il venait de
puisera sa source, se dévoua sans compter
(i) Relation anonvme de l'intrusion de Jaubar,
p. 3.«. - ■
342
ECHQ8 D ORIENT
à l'instruction çt à la formation chrétienne
de ces ânjes. En même temps, il exerçait
Iç saint ministère dans la ville. Un pas-
sage (i) de sa longue réfutation des pré-
tentions de Jauhar et de son parti nous
donne à entendre qu'il était en relations
épistolaires avec les PP. Joseph Babila et
Jean 'Ajéinii, tous deux anciens élèves de
Romç; cependant, il n'a jamais partagé les
opinions schismatiques du P. J. 'Ajéimi.
Celui-ci soutenait Jauhar dans son intru-
sion, à tel point qu'il s'attira l'excommu-
nication majeure lancée contre lui par la
Propagande le 27 mars 1762. Le P. Michel
Adam se livrait à ses occupations pasto-
rales avec le plus grand calme, lorsque
les événements de 1759 l'enlevèrent à cette
retraite et lui fournirent l'occasion de dé-
fendre la vérité catholique outragée.
Le siège patriarcal d'Antioche était tou-
jours occupé par Cyrille VI Tânas, le pre-
mier patriarche melkite qui avait renoué
définitivement les relations avec Rome. 11
comptait déjà trente-'Cinq ans de patriarcat;
l'âge et les maladies avaient affaibli son
corps débile; il se sentait mourir et il
cherchait à $e faire remplacer de son vi-
vant, non par un procureur patriarcal,
mais par un patriarche légitime que lui-
même imposerait à tout le corps épi-
scopal. Il avait jeté les yeux sur le P. Ignace
Jauhar, jeune prêtre de vingt-sept ans
seulement, religieux de Déir el Moukhallès,
qui était son petit-neveu. La chose était
tenue sous le plus grand secret, lorsqu'un
beau jour elle transpire, on ne sait com-
ment, et parvientà tout répiscopat melkite.
Or, au mois de mars 1759, Cyrille VI
tombe gravement malade. Më^ Athanase
Dahan, métropolite de Beyrouth, se rend
auprès de lui en compagnie du P. Ignace
Jarbou', Supérieur général desChouérites.
Tout d'abord ils ne prêtèrent pas une at-
tention sérieuse à ces bruits, qu'ils esti-
maient mensongers, ne pouvant s'ima-
giner que le patriarche en arriverait à ces
(i) Réfutation, p. 6. . »
extrémités, lui qui connaissait parfaite-
ment les saints canons et les lois de
l'Eglise. Cependant, pour agir avec plus
de prudence, ils se consultèrent avec le
P. Michel 'Arraj, Supérieur général de
Saint-Sauveur, et avec le P. Augustin
Maqsoud, son premier assistant. Tous
furent d'avis qu'on avertirait doucement
le patriarche d'avoir à mettre ordre à ses
affaires temporelles au moyen d'un testa-
ment en bonne et due forme, pour éviter
les désordres qui pourraient surgir après
sa mort. Afin de lui faciliter la besogne,
ils dressèrent une formule testamentaire
à la fin de laquelle se trouvaient ces pa-
roles significatives : « Nous voulons et
nous ordonnons que le patriarche qui nous
succédera soit élu par tous les évêques de
notre patriarcat, sans en excepter un seul.
Personne n'est autorisé à modifier notre
ordonnance, de quelque façon que ce
soit. » (i)
Le P. Michel 'Arraj fut chargé de faire
signer ce billet par Cyrille aux heures de
lucidité; et après quatre jours passés à
Déir el Moukhallès, les deux visiteurs ren-
trèrent dans leurs résidences respectives.
Eux partis, le P. 'Arraj se mit en devoir
de remplir sa mission. Or, aussitôt que
Cyrille eut jeté les yeux sur ce billet, il
entra en colère, le retira violemment des
mains du religieux et le mit sous séquestre.
Dès lors, il considéra le P. 'Arraj comme
son plus mortel ennemi, bien que, par le
passé, il l'eût tenu en très grande estime (2).
Cependant les bruits inquiétants aug-
mentaient de jour en jour. Les laïques
n'avaient entre eux que ce sujet de con-
versation; certains religieux de Déir el
Moukhallès le relataient dans leurs lettres
aux évêques ainsi qu'au P. Ignace Jarbou'.
Le P. Jean 'Ajéimi l'écrivit aussi aux évêques
en leur montrant toutes les suites fâcheuses
qu'aurait cette affaire, et en les exhortant
vivement à y porter remède. « Toutes ces
(i) Relation du P. Michel Adam, p. 8-4; Annales,
t. I", cahier XXVI, p. 404; Relation anonyme,
p. 8.
(2) Relation du P. Michel Adam, p. 4; Relation
anonyme, p. 10.
UNE PERIODE TROUBLÉE DE L HISTOIRE DE L EGLISE MELKITE
343
lettres, ajoute le P. Michel Adam, qui
nous donne cette longue relation avec une
précision merveilleuse, sont encore con-
servées chez nous; nous les avons toutes
consultées: elles renferment encore beau-
coup plus de détails que nous n'en rela-
tons ici. » (i)
Les évêques demeurèrent perplexes. Ils
recoururent à la prière, nous rapporte le
P. Adam, et l'un d'eux, M?"" Athanase
Dahan, fut certainement inspiré de Dieu en
adoptant la ligne de conduite suivante. 11
dressa une formule de protestation contre
cet abus de pouvoir patriarcal, affirmantque
le successeur de Cyrille VI devrait être élu
par tout le corps épiscopaL sous peine
dêtre flétri de la note honteuse d'intrus.
Un prêtre fut chargé de la porter à tous
ks évêques pour la leur faire signer (2).
Deux évêques seulement ne signèrent
pas cette pièce : Me*" Ignace, archevêque
de Homs, qui se trouvait alors à Alep et
qui, pour ce motif, pouvait difficilement
être atteint par les autres prélats, et
M&r Euthyme, évêque de Fourzol, qui fit
la réponse suivante : « Tant que je serai
en bons termes avec Sa Béatitude, je suis
assuré de pouvoir le ramener à de meil-
leurs sentiments en l'empêchant de com-
mettre des désordres. » C'était bien peu
sincère et très équivoque de la part de ce
prélat, comme nous allons le voir. Quant
aux autres évêques, après avoir pleine-
ment acquiescé à cette entente générale
et canonique, ils écrivirent des lettres
pleines de chaleureux remerciements à
Mgi- Athanase Dahan. Le P. Adam nous
en a rapporté quelques extraits, tout en
conservant précieusement les originaux.
11 ne nous est pas permis de nous con-
duire autrement Nous remercions Dieu
et ceux qui ont eu l'inspiration et le cou-
rage d'entreprendre ce projet Nous con-
formerons notre conduite à tout ce qui v est
relaté, dussions-nous répandre jusqu'à la
dernière goutte de notre sang, etc. (3).
(1) Ibid., p. 4 et p. II.
(2) Relation du P. Michel Adam, p. 5.
(3) Relation du P. Michel Adam, p. 7-8.
Le P. Jean 'Ajéiml lui-même fut énien*
veillé de l'entreprise, et il fit si bien,
ajoute le P. Adam, qu'il amena son Su-
périeur général, le P. Miche! 'Arraj, à si-
gner cette pièce, bien qu'il fîit alors en
retraite.
Ce document authentique n'ayant ja-
mais vu le jour, nous nous faisons un de-
voir de le mettre sous les yeux du lecteur.
Formule de l'accord que les évêques ont
signé.
Le motif qui nous a poussés à être una-
nimes sur cet accord légitime est le sui-
vant : Nous, soussignés, les humblesévèques
et archevêques catholiques du patriarcat
d'Antioche, disons : Attendu que nous ne
pouvons rien faire de mieux que d'entre-
tenir l'unité et la concorde dans la sainte
Eglise de Dieu où l'Esprit- Saint nous a
institués évêques pour prendre soin de son
tronpeau, en vue de sa gloire et du bien
des âmes; attendu que nous nous sommes
rendu bien compte des troubles et des dis-
cordes que l'ennemi infernal a coutume
de fomenter dans la bergerie du Christ,
notamment à l'époque de la mort de ses
pasteurs; il nous a paru bon, après le
recours à l'Esprit-Saint, de nous hâter,
par une sainte prudence, de fermer la porte
à ce loup ravisseur et infernal, pour nous
unir dans un même esprit et un même
cœur, pour prendre les mesures nécessaires
en vue de procurer la gloire de notre Sau-
veur et la paix de nos ouailles, suivant les
prescriptions et les canons des Pères, en
tout ce qui touche à l'élection du nouveau
patriarche catholique d'Antioche qui suc-
cédera à Sa Béatitude, lorsqu'il plaira à
Dieu de rappeler à lui son serviteur. Cette
élection devra se faire dans les conditions
suivantes :
i"' Aussitôt après la monde Sa Béatitude,
notre Frère, l'évêque qui aura reçu sôû
dernier soupir, enverra des lettres de faire-
part, signées de sa propre main, à tous les
évêques catholiques du patriarcat d'An-
tioche, en les priant de se présenter à Déir
el Moukhallès sans aucun délai. Celui qui
en serait empêché par un motif légitiitte
devra y envoyer un procureur muni d'un
sakkon régulier et qui tiendrait sa place
dans l'élection du nouveau patriarche;
2" Après la réunion de tous les évêques
344
ÉCHOS d'orient
électeurs et des procureurs, on implorera [
en commun les lumières de l'Esprit-Saint;
puis, sans perdre de temps, on procédera
au scrutin avec piété et esprit de foi. Les
Pères électeurs choisiront un prêtre digne
pour recueillir les votes et les enregistrer
suivant la volonté des électeurs Avant de
se livrer à cette besogne, il devra prêter
serment sur les saints Evangiles, s'enga-
geant à ne révéler jamais quoi que ce soit,
jusqu'à la mort, tant aux électeurs qu'à
des personnes étrangères; et s'il vient à
violer son serment, il encourra l'excom-
munication ipso facto;
'i" Le scrutin se fera de la manière sui-
vante : le premier des évêques s'approchera
du secrétaire et fera enregistrer son vote
sous cette forme: « Je choisis N,.., pa-
triarche pour le siège d'Antioche. » Après
lui viendra le second, puis le troisième, et
ainsi de suite jusqu'au dernier;
4'^ A la fin du scrutin, on en publiera
le résultat à haute voix, en présence de
tous les Pères électeurs. Celui qui aura la
moitié des voix plus une sera considéré
comme l'élu du Saint-Esprit. Et le jour
suivant, sans aucun retard, on procédera
à son intronisation, conformément au rite
du saint Eù/oXôytov.
Telle est la mesure qu'il nous a paru
nécessaire et indispensable de prendre pour
sauver notre conscience.
Nous sommes tous tombés d'accord à ce
sujet. Nous promettons à Dieu d'y être
fidèles. Nous voulons et nous ordonnons
que, si l'élection du futur patriarche s'ac-
complit d'une manière différente, elle soit
tenue pour invalide. Personne ne serait tenu
de l'accepter; au contraire, celui qui serait
élu différemment serait regardé comme un
intrus, un larron et un corrupteur de la
bergerie du Christ. Son élection serait d'ail-
leurs en opposition directe avec la tradition
apostolique, les canons des Pères et les
prescriptions de l'Eglise.
Que si l'un d'entre nous se montre infi-
dèle à cette promesse — ce qu'à Dieu ne
plaise! — il sera considéré comme perfide,
sacrilège et menteur à l'Esprit-Saint. Et
malheur à celui qui s'attirerait cette in-
famie!
Ecrit le quatorzième jour du mois de
mars de l'année lySg.
L'humble Maximine (Hakim ), métropolite
dAlep;
L'humble Athanase(Dahan), métropolite
de Beyrouth;
L'humble Basile (Jelghaf), évêque de
Saïda et du Chouf;
L'humble Basile (Chami), évêque de
Baâlbeck;
L'humble Andbé (Fakhouri), archevêque
de Tyr;
L'humble Macaire ('Ajéimi), évêque de
Saint- Jean d'Acre;
L'humble Clément (Safadi), évêque de
Bélad-Sâfâd ;
Le P. Michel 'Abraj, Supérieur général
des religieux de Saint-Sauveur {i).
Quelques jours après, Cyrille VI eut
vent de cet accord unanime de tout l'épi-
scopat. Au lieu d'être pleinement satisfait
de ces mesures sages et prudentes, dit le
P. Michel Adam, il fit preuve d'un mé-
contentement et d'un courroux extraor-
dinaires. Dès lors, nous voyons le pa-
triarche entrer résolument et ouvertement
en lutte avec les évêques. Comme il ve-
nait de se relever de sa maladie, il reprit
lui-même la direction des affaires ecclé-
siastiques et écrivit au métropolite de
Beyrouth (2) une lettre où transpiraient la
colère et l'indignation. Elle se terminait
ainsi :
Je suis parfaitement rétabli. Tenez-vous
donc bien tranquilles, vous et d'autres, et
occupez-vous de vos ouailles; je saurai gou-
verner les miennes et je n'ai nul besoin
de vos services (3).
Athanase Dahan n'y fit aucune réponse.
Peu de jours après, il recevait une seconde
lettre de Cyrille VI, qui lui disait :
Je vous ordonne, en vertu de mon auto-
rité apostolique et au nom de la sainte
obéissance, de m'envoyer l'original même
(i) Cette pièce nous est fournie in extenso dans
la Relation du P. Michel Adam, p. 6-7, et dans la
Relation anonyme, p. i2-i3.
(2) M'' Athanase Dahan, de Beyrouth, avait été
expressément chargé par Cyrille VI d'administrer
le patriarcat d'Antioche durant la maladie du
patriarche. Cf. Relation du P. Michel Adam, p. 9,
et la Lettre de Cyrille VI à M" Dahan, lySg.
(3) Cité par le P. Michel Adam, Relation, p. 9..
LNE PÉRIODE TROUBLÉE DE L'HISTOIRE DE L'ÉGLISE MELKITE
345
de l'accord unanime des évêques dont vous
^tes le dé; ositaire.
Cette fois, Athanase Dahan fit une ré-
ponse des plus respectueusesau patriarche,
sans êire iniimidé le moins du monde par
ses menaces:
Je n'ai aucun pouvoir à exercer sur la
formule de rac>.ord unanime de nos frères
les évêques, dont je ne suis que le déposi-
taire. Que si eux-mêmes voulaient me la
réclamer, je ne saurais les en empêcher;
mais pour Votre Béatitude, ;e ne puis vous
en envoyer qu'une copie. Vous la trouverez
ci-jointe (i).
Cette réponse ne fut pas du goût du
patriarche, qui souhaitait vivement, rap-
porte le P. Adam, avoir en mains le docu-
ment original pour le mettre en pièces,
persuadé que de la sorte il arriverait à di-
viser les évêques et à avoir raison de
leurs résistances.
Trompé dans cet espoir, Cyrille VI es-
saya donc de recourir à un autre strata-
gème. 11 se mit en devoir de faire la réfu-
tation du document et de forcer les évêques
à la signer sans autre forme de procès.
Mais, devinant la résistance opiniâtre de
plusieurs, il n'osa pas aller jusqu'au bout
de ce projet. Nous le savons par le P. Jean
'Ajéimi lui-même, qui, cette fois, nous
dit malicieusement le P. Michel Adam,
« regardait à l'équité avec son œil droit ».
En effet, il écrivit à ce sujet une lettre des
plus sensées à l'adresse de son oncle ma-
ternel, M*'''" Macaire 'Ajéimi, de Saint-Jean-
d'Acre. Il lui disait :
Sa Béatitude le patriarche vient de dresser
une seconde formule d'accord, contraire à
celle de l'épiscopat. Son intention arrêtée
est de la taire signer par tous les évêques.
Tenez-vous donc bien sur vos gardes et ne
la signez point, car elle est en opposition
directe avec votre accord unanime et légi-
time (2).
Mgr Macaire donna lecture publique de
cette lettre devant plusieurs personnages
(i) Relation du P. Michel Adam, loc. cit.
(2) Cité par le P. M chel Adam, Relation, p. 10,
«t par la Relation anonyme, p. 14.
de Saint-Jean -d'Acre. Il se répandait en
blâmes amers, à toute occasion, au sujet
de cette conduite patriarcale, protestant
hautement de sa fidélité aux saints ca-
nons et déclarant ouvertement : « Quand
tous les évêques seraient infidèles à leur
promesse, moi je ne le serais point
Notre sacerdoce ne se transmet pas par
voie d'héritage. » (1) Nous verrons tout
à l'heufi qu'il fut le premier à défaillir,
malgré toutes ses bonnes promesses.
Enfin, à bout de ressources, le patriarche
eut recours aux laïques. 11 envoya Ignace
Jauhar à Damas pour y recueillir les adhé-
sions des séculiers à ce qu'il se proposait
d'accomplir à Saint-Sauveur. Le clergé de
la ville et certains notables affirmèrent
plus tard que Jauhar s'était efforcé, à
Damas, d'amener le peuple à luj remettre
une pièce authentique et signée par cer-
tains notables, attestant leur entière adhé-
sion à l'élection du nouveau patriarche
que Cyrille VI jugerait convenable et op-
portun de leur donner (2). Mais personne
n'y consentit, ajoutent-ils, à part quelques-
uns du bas peuple et qui n'ont rien à voir
dans cette affaire. Cependant, une lettre
postérieure de Cyrille VI aux évêques fait
allusion à ces personnages, tous parents
de Jauhar, qui ont livré leurs signatures
dans le plus grand mystère (3). Cette con-
duite du patriarche était gravement répré-
hensibleet ouvrait la porte à des désordres
d'un genre singulier. L'épiscopat en fut
très alarmé, comme nous allons le voir.
Malgré tout, Cyrille VI crut un moment
triompher des évêques. Fort de certaines
adhésions laïques insignifiantes, il invita
tout l'épiscopat à se présenter à Déir el
Moukhallès :
Nous avons résolu d'élire un nouveau
patriarche pour prendre soin des intérêts
de nos ouailles, puisque nous sommes
(1) Ibid.
(2] Lettres diverses de deux prêtres damasquins
et de quelques laïques notables, citées dans la Rela-
tion du P. Michel Adam, p. 11.
(3) Nous le savons par la Relation du P. Adam,
p. 1 1 ; psr sa longue Réfutation, p. 20, et par la
Relation anonyme, p. i5.
346
ECHOS D ORIENT
devenu impuissant à porter ce fardeau.
D'autre part, nous avons reçu à ce sujet le
consentemeat unanime des fidèles de notre
siège auxquels incombe cette élection, et
qui ont remis leurs droits entre nos mains.
Nous sommes dans l'attente de votre pré-
sence (i).
Les évêques ne se méprirent guère sur
ks intentions de Cyrille VI, mais ils se
rendirent à Saint-Sauveur pour assister au
dénouement de cette malheureuse affaire.
Trois d'entre eux, cependant, manquèrent
à l'appel : Maxime Hakim, d'Alep ; Atha-
nase Dahan, de Beyrouth, et Basile, de
Baâlbeck. Ils adressèrent toutefois au pa-
triarche des lettres pleines de respect, et
qui exprimaient le dévouement le plus filial.
Ils y disaient en substance : « Tant que
Votre Béatitude sera en vie, nous n'accep-
tons et ne reconnaissons d'autre patriarche
que vous. Que si vous êtes impuissant
à remplir les devoirs de la charge patriar-
cale, vous avez tout loisir de vous donner
un procureur. » M?'" Basile, de Baâlbeck,
accentuait encore davantage ses exhorta-
tions : « Il est hors de doute, Monsei-
gneur, que Rome n'arrive à connaître ces
désordres, que nous le voulions ou non.
C'est pourquoi nous le notons clairement,
et nous le disons hautement, nous ne
voudrions nullement élire un autre pa-
triarche tant que Votre Béatitude sera en
vie, et nous rejetterons de même celui
qui chercherait à usurper votre dignité (2).
Mg'' Maxime Hakim, qui, lui, avait en-
voyé un procureur à Saint-Sauveur en la
personne du P. Ignace Jarbou', voulut
tenter encore un dernier effort. « Nous
devons, avait-il coutum^e de répéter sou-
vent, non seulement refuser notre consen-
tement au mal, mais encore .exhorter le
(i) Cité parle P. Adam (Relation, p. 12), qui ne
n.OHSi fait pas davantage connaître les noms de ces
« fidèles de notre siège auxquels incombe cette
élection patriarcale ». Mais il est clair qu'il s'agit
des Damasquins qui, seuls, avaient élu Cyrille VI
en 1724. Pour les gagner de nouveau à ses vues,
le vie«x, patriarche leur attribuait ce privilège in-
signe sans autre forme de procès. Mais les temps
étaient cliangés, et l'élection du patriarche reve-
nait de droit aux évêques et non aux laïques.
(2) Cité par le P. Adam, Relation, p. 12.
coupable pour l'empêcher de le commettre.
Et si nous, évêques, nous nous taisons
lorsqu'il importe de parler et de défendre
la vérité, qui donc le fera? Les commer-
çants qui sont absorbés dans leurs affaires
temporelles, ou bien les paysans écrasés
sous le poids de leurs pénibles travaux ? ( i )
« Là-dessus, nous rapporte le P. Michel
Adam, il adressa au patriarche une lettre
qui mériterait d'être mise au rang de celles
des Pères des premiers conciles œcumé-
niques. »
L'amour et le dévouement que je porte
à Votre Béatitude m'ont poussé à vous
écrire ces lignes. Nous sommes tous soli-
daires dans l'administration de l'Eglise du
Christ, où le Saint-Esprit nous a établis
pasieurs. Par suite, iî importe que nous
soyons un même esprit et un même cœur
sous votre direction expérimentée, vous
qui êtes notre chef et la perle de notre
couronne.
Puis il prouve avec douceur à Cyrille VI
que l'élection d'un nouveau patriarche
incombe aux évêques et non aux laïques.
11 lui cite les passages péremptoires du
IVe concile de Latran aux chapitres xxiv et
xxv, du concile d'Antioche au canon XXIII,
de celui de Laodicée au canon XHI, enfin
du premier canon des apôtres. En même
temps, il lui donne à entendre qu'il ne lui
est guère loisible de se démettre en faveur
de son petit-neveU, car le sacerdoce du
Christ ne se transmet point par voie d'héri-
tage. H lui représente longuement tous les
désordres qui naîtraient d'une pareille con-
duite, tant parmi les évêques et les fidèles
que dans tous les milieux européens où
pénétrera cette malheureuse nouvelle, et
il suppfie humblement le patriarche de ne
pas donner suite à une décision blâmable
et peu canonique (2).
Cyrille VI fit une réponse ironique,
presque insultante, aux bonnes paroles
de l'archevêque d'Alep ;
J'ai reçu votre longue lettre, qui m'a
paru pour le moins insignifiante. Je pen-
(i) Ibid., p. i3.
(i) Cité in extenso par le P. Adam, Relation,
p. 13-19.
UNE PERIODE TROUBLEE DE L HISTOIRE DE L EGLISE MELKITE
341
sais que tous m'envoyiez la dîme de votre
diocèse, je n'y ai rien trouvé, etc. (i).
Enfin, Mgi" Athanase Dahan imagina un
dernier moyen de salut. Les exhortations
épiistolaires étant impuissantes à agir sur
le vieux patriarche, il eut recours aux
conseils personnels. 11 écrivit longuement
à ce sujet aux trois supérieurs des mis-
sionnaires latins en résidence à Saida, Ca-
pucins, Franciscains etjésuites, et les invita
à se rendre à Déir el Moukhallès afin de
dissuader le patriarche et de le convaincre
au moins de recourir à Rome en pareille
circonstance, pour en obtenir une direction
autorisée. Les missionnaires n'eurent pas
de peine à montrer à Cyrille VI tout lodieux
de sa conduite, et ils le persuadèrent d'en
référer immédiatement à Rome, ce que le
patriarche leur promit avec force compli-
ments pour leur zèle et leur charité. Séance
tenante ils lui dressèrent une formule de
requête destinée à la Proj)agande, et ils
rentrèrent à Saïda. Mais Cyrille VI se garda
bien d'informer Rome, et l'affaire continua
d'aller de mal en pis (2).
Revenons maintenant aux évêques qui
avaient répondu à l'appel patriarcal. A
Déir el Moukhallès, le synode électoral
s'ouvrit au mois d'août 1759. Le patriarche
se montra tout d'abord plein de sollicitude
pour les prélats et leurs diocèses; il s'in-
téressa beaucoup aux nouvelles qu'ils lui
en donnèrent; puis il leur déclara bien
simplement son impuissance à adminis-
trer davantage le patriarcat d'Antioche,
vu son âge avancé et les maladies nom-
breuses qui l'accablaient. Enfin, il leur
présenta le P. Ignace Jauhar comme devant
lui succéder sur le siège patriarcal. En
même temps, Cyrille déclara aux évêques
qu'il se démettait en sa faveur, et il les
pria de le sacrer de son vivant, en le re-
connaissant patriarche légitime d'Antioche.
A cette déclaration, tous les évêques se
0) Relation du P. Adam, p. 20; Relation ano-
nyme, p. 16.
{z) Relation du P. Adai», p. 20-21; Réfutation,
p. 12.
récrièrent. Ils essayèrent en vain de faire
entendre raison au patriarche. On dut
lever la séance, non sans force propos peu
courtois de part et d'autre, et les évêques
Fentrèrent dans leurs diocèses respectifs,
à l'exception de deux prélats qui avaient
absolument besoin du patriarche pour ne
pas mourir de faim : M?f Euthyme Ma'-
louli, évèque de Fourzol, et }As'- Clément
Sàfàdi, évêque de Saidania et Bélad-Sâfâd»
Ces deux prélats, qui n'avaient pas de ré-
sidence fixe, et dont les diocèses étaient
dans un état de pauvreté extrême, se te-
naient sans cesse aux côtés de Cyrille
pour lui mendier quelque village plus
populeux et plus prospère, capable de
subvenir à leurs besoins les plus indis-
pensables. Cyrille les tenait ainsi sous sa
main, et, suivant ses caprices, tantôt il les
gratifiait de certains diocèses qui relevaient
directement de lui, tantôt il les leur reti-
rait, sans autre forme de procès-. Ces deux
pauvres prélats étaient donc pris ainsi par
la famine. Le patriarche se rendit vite
compte qu'il pouvait fout obtenir de leur
faiblesse; il gratifia le premier du titre
pompeux de « vicaire général patriarcal
d'Antioclie et de tout l'Orient »; il donna
au second certains villages plus populeux,
et qui pouvaient améliorer sa situation pé-
cuniaire (i).
André Fakhoury, archevêque de Tyr,
qui faisait partie de l'opposition épisco-
pale, eut, au contraire, un bien mauvais
sort. Le patriarche lui interdit de porter
la mitre aux messes pontificales célébrées
dans son diocèse même. Voici le singu-
lier motif qu'il alléguait :
L'archevêque de Tyr n'était honoré de
la mitre qu'aux anciens jours de prospérité
durant lesquels cette ville dominait tofutes
celles des alentours, et. par suite, était
tenue en grande considération. Mais au-
jourd'hui elle est un amas de ruines et si
peu peuplée, qu'un simple prêtre suffit à
administrer les tidèles qui y vivent. C'est
pourquoi elle a été longtemps rattachée au
(i) Relation du P. Adam, p. 22; Réfuiâtion,
p. 14.
348
ÉCHOS D ORIENT
diocèse de Saïda, et elle relevait de l'évêque
de cette cité. Il n'est donc plus permis à
son archevêque de porter la mitre à la sainte
messe (i).
En même temps que cette lettre adressée
à ce pauvre archevêque, Cyrille VI en en-
voyait une autre à un notable laïque de
Saint-Jean-d'Acre :
Nous avons ordonné, y disait-il, à notre
frère Macaire de ne plus se rendre à Saint-
Jean-d'Acre, nous basant sur ce décret des
canons apostoliques : Tout évêque qui aban-
donnerait son troupeau,' ses oeuvres spiri-
tuelles, son diocèse et tout ce qui a trait à
l'administration de son Eglise, même en
cas de nécessité urgente, sera rejeté. D'autre
part, il a pris possession du diocèse de
Saint-Jean-d'Acre à notre insu et sans notre
consentement. Or, à cause de cette conduite
insolente, nous ordonnons, par la force de
la parole divine, que le dit prélat n'exerce
plus aucune juridiction dans le diocèse de
Saint-Jean-d'Acre (2).
Comme on le voit, Cyrille VI agissait
par esprit de vengeance, et nullement
par esprit apostolique. Les diverses lettres
délivrées par les évêques de Saïda et de
Tyr, et par le P. Michel 'Arraj lui-même,
en faveur de l'évêque de Saint-Jean-d'Acre,
le déclarent d'ailleurs assez hautement (3).
Ces deux prélats, ainsi persécutés par
leur patriarche lui-même, ne tinrent aucun
compte de ces moments d'humeur. Cy-
rille n'en devint que plus irrité. En somme,
il ne rencontrait qu'opposition et que ré-
sistance partout où il s'adressait. Les
évêques d'un côté, les missionnaires la-
tins de l'autre; à ceux-ci se joignaient les
membres du clergé les plus instruits, tels
que le P. Joseph Babils, le P. Michel
Adam lui-même; son cousin, le P. Pierre
Adam, et d'autres encore; les notables
damasquins et plusieurs religieux de Saint-
Sauveur rangés sous les ordres de leurs
supérieurs majeurs. Enfin, à bout de res-
sources, le patriarche vint frapper à une
dernière porte qui, cette fois, s'ouvrit
(i) Cité parlé P. Adam, Relation, p. 22
(2) Ibid.
(i) Relation du P. Adam, p. 22-23.
toute grande devant lui. Ecoutons le récit
ironique du P. Michel Adam :
M»' le patriarche ne vit le moyen de
vaincre toutes ces résistances qu'en recou-
rant aux lumières du très vénéré P. Jean
'Ajéimi Or, ce Père vénéré, qui com-
battait naguère les prétentions patriarcales,
devint maintenant le plus acharné à les
xiéfendre et à les faire mettre en action. Il
était déjà directeur spirituel du P. Ignace
Jauhar; le patriarche l'investit des pouvoirs
les plui étendus, lui enjoignant de mener
à bonne fin cette malheureuse affaire en
faisant usage de tous les moyens qu'il
jugerait opportuns. Et le P. 'Ajéimi, jeune,
plein de fougue, téméraire à l'excès, ne
craignit pas de prêter le dos à ce pesant
fardeau (i)
Le premier méfait du P. Jean 'Ajéimi
fut d'amener le patriarche à sacrer de nou-
veaux évêques avec des titulatures vieillies
et qui n'existaient plus. Comme tous les
prélats, deux seulement exceptés, formaient
un parti puissant contre les prétentions
du patriarche, celui-ci devait songer à con-
solider le sien pour lutter contre eux avec
des forces égales. Tel fut le premier argu-
ment ou plutôt le premier conseil de ce
mentor expérimenté. Dans un pauvre vil-
lage, non loin de Saint-Jean-d'Acre, vivait
alors un prêtre indigent nommé le P. Marc
El-'lkki, veuf, père de famille et criblé
de dettes (2). Sans perdre de temps, le
P. 'Ajéimi se présente à Saint-Jean-d'Acre,
met ordre aux affaires de ce pauvre prêtre
et lui offre l'épiscopat, mais à la condition
qu'il se déclare pleinement soumis aux
directions patriarcales touchant l'élection
du P. Ignace Jauhar. « Je ne demande pas
mieux, répondit ce malheureux, pourvu
que le patriarche veuille s'engager à me
fournir de quoi subvenir à ma subsistance
et à payer toutes mes dettes. »
Aussitôt dit, aussitôt fait. Tous deux
rentrent à Déir ei Moukhallès, et le len-
demain même Cyrille VI, avec l'assistance
du seul évêque de Fourzol, sacre le P. Marc
(i) Relation, p. 28.
(2) Le P. Marc El-'Ikki était originaire de Sain'.
Jean-d'Acre. Son vrai nom était Marc Sallal.
UNE PÉRIODE TROUBLEE D2 L HISTOIRE DE L EGLISE MELKITE
349
El-'Ikki évêque de Panéas (i). Le nouveau
prélat prit le nom de Maxime et demeura
aux cotés du patriarche à Saint-Sauveur.
Avec lui, les évêques dévoués à Cyrille
furent au nombre de trois. On offrit l'épi-
scopat à d'autres prêtres de cette trempe,
mais ceux-ci opposèrent un refus formel.
Le P. J. 'Ajéimi résolut alors de diviser
les évêques unis, pour en être le maître.
Il s'adressa tout dabord à son oncle,
Mgr Macaire. Celui-ci venait d'être évincé
de son siège de Saint-Jean-d'Acre par
Cyrille lui-même. Le P. 'Ajéimi n'eut pas
de peine à le réconcilier avec le patriarche;
il lui persuada même de se démettre du
siège de Damas, dont il était L- titulaire,
en faveur de Cyrille, et il lui obtint de ce
dernier l'autorisation de résider à Saint-
Jean-d'Acre et d'administrer définitivement
ce diocèse. Le pauvre prélat était ainsi au
comble de ses vœux, mais cela lui avait
coûté cher, car il ne l'obtenait qu'après
avoir vendu sa conscience au patriarche.
Moyennant les mêmes conditions, le
P. 'Ajéimi avait aussi triomphé de la ré-
sistance de l'archevêque de Ty r : il le récon-
cilia avec Cyrille et lui obtint l'autorisation
de porter la mitre dans son diocèse, comme
par le passé (2).
Sur ces entrefaites, Mê'' Ignace, arche-
vêque de Homs, arriva tout à coup à Déir
el Moukhallès. Il était toujours opposé
aux empiétements du patriarche; mais la
faim et une pauvreté extrême eurent, cette
fois, raison de ses résistances. 11 y venait
pour demander à Cyrille un TTà-r-z/ov ré-
gulier, signé et scellé par lui, l'autorisant
à faire des quêtes en faveur de son dio-
cèse. Le patriarche vit là une bonne au-
baine; il le lui promit avec force paroles
doucereuses, mais sous les conditions que
(i, Relation du P. Adam, p. 23. A ce propos, le
P. Adam fait un jeu de mots ironique à l'adresse
de Cyrille VI : « Il le sacra évêque de Panéas, ville
Qii il n'y a pas de monde. Rasamahou moutran 'ala
Banias allati hi madinat bila nass. »
(2) Relation du P. Adam, p. 23-24; Relation ano-
nyme, p. 19; Lettre de Cyrille VI, mars 1759;
Lettres diverses de Macaire 'Ajéimi, de André
Fakkoury, de Tyr, et de Maxime Sallal, toutes citées
par le P. Adam, qui en possédait, dit-il, les origi-
naux.
l'on devine. Craintif et ignorant, l'arche-
vêque de Homs eut recours aux lumières
d'un saint religieux de Saint-Sauveur, qui
lui déclara ouvertement que ce qu'il allait
faire là était un acte de simonie des plus
blâmables. Mg^" Ignace résolut dès lors de
s'esquiver, après avoir obtenu son TTâT'.x.ov,
en se donnant un procureur auquel il
confierait des instructions secrètes con-
traires aux volontés patriarcales. Mais la
vigilance excessive que le P. 'Ajéimi
exerçait sur les évêques à Déir el Mou-
khallès ne lui permit guère de mettre à
exécution ses projets mystérieux, et il dut
céder comme tous les autres (i).
Ainsi le camp patriarcal comptait six
opposants contre quatre prélats seulement
qui demeuraient fidèles à leur entente
primitive. Cyrille jubilait. Fort de ce
nombre, il se hâta de convoquer un se-
cond synode électoral à Saint-Sauveur.
Cette fois, tous les évêques du patriarcat
étaient tenus de s'y présenter « au nom
de la sainte obéissance et par la force de
notre autorité apostolique », disait le pa-
triarche. En même temps, Cyrille décla-
rait sauvegarder toute la liberté des pré-
lats touchant les délibérations du synode.
Dans l'intention de se rendre à la voix
de la sainte obéissance, pour se procurer
aussi le loisir d'exhorter de près Sa Béati-
tude, et enfin pour ne point paraître sacri-
fier leurs droits à l'élection, en cas d'une
absence intéressée, les évêques fidèles se
présentèrent cette fois à Saint-Sauveur,
à l'exception du vieil archevêque d'Alep,
qui, accablé par la maladie, dut y envoyer
encore le P. Ignace Jarbou' en qualité de
procureur.
On était au mois de septembre 1739.
A l'ouverture du synode, Mg"" Athanase
Dahan exhorta vivement le patriarche à
ne pas donner suite à ses prétentions
anticanoniques; les évêques fidèles se
joignirent à lui, mais en vain. Tous leurs
conseils, ajoute le P. Adam, faisaient sur
le patriarche l'effet d'un souffle qui passe
et auquel personne ne prête attention.
(1) Relation du P. Adam, p. 24-25.
350
ÉCHOS d'orient
Cependant, on ne fut pas peu surpris
de voir que les deux évêques de Tyr et de
Saint-Jean-d'Acre s'étaient abstenus d'as-
sister au synode, infidèles à leurs pro-
messes, ils avaient sacrifié l'honneur de
leurconscience à de viles faveurs iiunnaines;
et, honteux de paraître en présence de
leurs collègues fidèles, ils s'étaient adroi-
tement esquivés en ayant soin de se faire
remplacer par deux procureurs qui furent
malheureusement à la dévotion du P. Jean
'Ajéimi (i).
Lesprélats fidèles pressèrent le patriarche
d'informer le Saint-Siège de toutes ces
mesures, qu'il voulait mettre à exécution.
« Ayant été confirmé par le Souverain
Pontife, leur dirent-ils, vous ne sauriez
vous démettre du patriarcat qu'avec l'as-
sentiment exprès du Vicaire de Jésus-
Christ. » C'était parfaitement conforme
aux saints canons j M?»" Basile Jelghaf, le
P. Joseph Babila, le P. Victor, Capucin,
de Saida, le P. Siméon Sabbâgh, et même
le P. Michel Adam, avaient pleinement
mis en lumière cette saine doctrine dans
de longues et doctes dissertations. Huit
autres missionnaires latins de Saïda avaient
composé sur ce sujet des écrits solides et
remplis de citations patristiques (2).
Le P. Jean 'Ajéimi, battu et forcé de se
rendre, ne trouva rien de mieux que d'op-
poser à tous ces enseignements de la
sainte Eglise une formelle négafion gra-
tuite. Le lendemain, il présentait aux Pères
une pileuse dissertation, qu'il venait d'éla-
borer la nuit précédente, relatant des faits
soi-disant historiques — mais en réalité
absolument faux — d'après lesquels, di-
sait-il, des évêques ont changé de siège
avant même qu'on ait informé le Souve-
rain Pontife. Ce qui — abstraction faite
d'autres absurdités historiques — était
complètement différent du cas en litige
où un patriarche soumis à Rome, et con-
firmé par le Saint-Siège, voulait abdiquer
le patriarcat en faveur de son petit-neveu.
Aussi, le P. Joseph Babila, présent à la
(i) Relation du P. Adam, p. 25.
(2) Ibid., p. 25-26.
séance, fit-il bonne justice de toutes ces
erreurs le jour même, et en présence du
patriarche. 11 réfuta une seconde fois ces
mêmes absurdités dans son ouvrage inti-
tulé : Réfutation des prétentions absurdes
du P. Jean 'Ajéimi, par lesquelles il essaye
de prouver la licéité des événements qui se
sont passés touchant l'élection de l'Intrus, et
de justifier celle-ci de tout défaut. L'ou-
vrage est présenté sous une forme épi-
stolaire, et il procède par questions et
réponses. Nous n'avons pas eu la bonne
fortune de l'avoir entre les mains, nous
nous rendons d'ailleurs au jugement au-
torisé qu'en porte le P. Michel Adam,
qui, lui, en a fait une étude approfondie.
11 nous affirme que l'exposition en est
claire, les preuves péremptoires et en
harmonie parfaite avec les données de
l'histoire ecclésiastique (i).
Finalement, le triomphe allait être pour
les évêques fidèles, lorsqu'un furieux
s'écria en pleine assemblée : « Voulez-
vous donc laisser traîner les choses en
longueur? » C'était le malheureux évêque
de Panéas, qui, par une audace incroyable,
faisait preuve de dévouement au patriarche
et tenait à presser enfin le scrutin.
Mg"" Athanase Dahan lui fit observer en
toute douceur que des mesures si graves
requièrent de longues délibérations, car
elles doivent être minutieusement exami-
nées autribunal du Saint-Siège apostolique:
« Sans ces précautions, nous paraîtrions
tous ignorer les saints canons et les lois
qui président aux élections. » Cette ré-
ponse lui attira les injures d'un second
furieux qui lui cria : « Taisez-vous, taisez-
vous! quel est celui d'entre vous qui se
pique d'avoir été élu d'une manière cano-
nique et régulière, pour que vous l'exigiez
à cette heure? » En vérité, cette riposte
était bien peu courtoise à l'adresse des pré-
lats et du patriarche lui-même. Mg»" Ignace,
archevêque de Homs, qui la proférait, ne
faisait pas preuve d'une grande charité à
l'endroit de ses vénérés collègues, tout en
se dévouant, corps et âme, à la cause de
(i) Relation du P. Adam, p. 28.
UNE PÉRIODE TROUBLÉE DE l'hISTOIRE DE L'ÉGLISE MELKITE
35'
Cyrille Thanas. On se rappelle cependant
qu'il avait résisté, trois jours durant, aux
prétentions de ce dernier, et que la faim
seule avait pu triompher de ses résistances.
Le synode électoral allait prendre une
tournure aiguë. Les six évêques dévoués
au patriarche étaient décidés à tout entre-
prendre pour le triomphe de leur cause;
les quatre évêques fidèles demeuraient
toujours foncièrement unis dans leur op-
position. Après avoir épuisé toutes les
ressources dont ils étaient capables, ils
protestèrent en interjetant appel à Rome.
Met- Athanase Dahan se leva en pleine
assemblée et fit la déclaration suivante :
« Puisque vous ne tenez nullement à ré-
férer toutes ces affaires au Saint-Siège
apostolique pour lui demander une direc-
tion sûre et autorisée, mais que vous dé-
sirez tout exécuter suivant vos caprices,
nous souhaitons, nous autres, porter ce
litige à son tribunal suprême et en at-
tendre les ordres. Dès cette heure, nous
faisons appel à Rome et nous vous en re-
mettons de suite un acte canonique. Telle
est la ligne de conduite que nous avons
adoptée. Au revoir! » (i)
Là-dessus on leva la séance^ et les
quatre évêques fidèles se hâtèrent de re-
gagner leurs diocèses. Chemin faisant, ils
reçurent une lettre de Saint-Sauveur por-
tant les signatures du patriarche et des
six prélats qui les priaient de revenir. Mais
ils continuèrent leur route sans y prêter
la moindre attention (2).
* «
A Déir el Moukhallès cependant, cette
conduite excessivement prudente donna
à réfléchir. Cyrille VI demeura stupéfait;
il savait bien qu'un appel de ce genre lui
liait les bras et que tout acte postérieur
était par le fait même frappé de nullité.
Mais qui arrêterait le P. 'Ajéimi dans
(i) Relation du P. Adam, p. 3o.
{2) Lettres des Salvatoriens aux évêques fidèles,
septembre ijSg; longue Dissertation schismatique
des Salvatori.ns, magistralement réfutée par le
P. Michel Adam, p. 18; Lettre de M*" Dahan, de
Beyrouth, septembre 1769; Lettres de M«' Maxime
Saiial et de M" Ignace de Homs aux évêques fidèles,
en 176O.
ses débordements? Deux jours seulement
après le départ des prélats fidèles, il réunit
les six évêques du parti de Jauhar dans la
grande chapelle de Saint-Sauveur, sous la
présidence du patriarche; il les harangue
avec chaleur et les fait procéder à un
scrutin soi-disant canonique,
Cyrille VI, qui avait abdiqué le patriarcat
et, par suite, ne pouvait prétendre à au-
cune voix active ou passive, résolut cepen-
dant de prendre part à cette élection.
Dans la crainte de quelque défection de
la part des six prélats qui lui étaient dé-
voués, il tint à émettre un double vote
en faveur de son petit-neveu. De cette
façon, le scrutin recueillit huit voix, toutes
sans exception pour le P. Ignace jauhar,
qui fut immédiatement proda.mé patriarcbe
d'Antiocbe et de tout l'Orient. Le lende-
main, au début d'une messe pontificale
solennelle, Cyrille Thanas, assisté de
M&r Ignace de Homs et de Mgi Euthyme
de Fourzol, conférait l'épiscopat à l'intrus
et lui remettait la crosse patriarcale en
présence des religieux de Saint-Sauveur
et d'une afiliuence considérable (1).
On était dans les premiers jours d'oc-
tobre 1739. Les quatre évêques fidèles se
hâtèrent de dresser un long procès-verbal
de tous ces événements et de l'envoyer
à Rome par l'entremise du P. Simaân Sab-
bâgh. Les communications avec l'étranger
n'étaient pas alors aussi faciles que de
nos jours. Le P. Sabbâgh dut passer trois
longs mois en chemin avant d'arriver à
la Ville éternelle. Le vieux patriarche Cy-
rille VI était mort le \^^ janvier 1760; les
Annales de Chouéir (2) nous disent laco-
niquement qu'il fit une bonne mort â Déir
el Moukhallès. Plaise à Dieu que cette in-
dication soit vraie après les tristes événe-
ments que nous venons de raconter!
Paul Bacel,
prêtre de rite grec.
Syrie.
(1) Tous ces détails nous sont très exactement
fournis par la Relation du P. Michel Adam, ainsi
que par \qs Lettres de Maxime Sali il et du P. Ar-
sène Caramé au patriarche Maxime II Hakim,
lettres dont le P. Adam possédait les originaux.
(2) Annales, t. I", cahier XXVI, p. 408.
LES RAPPORTS DE L'ÉGLISE ET DE L'ÉTAT
D'APRÈS UN CANONISTE ORTHODOXE
A propos d'une courte étude sur le
divorce dans l'Eglise orthodoxe, nous
émettions le vœu qu'avant d'apprécier la
doctrine d'une Eglise petite ou grande,
les écrivains se renseignent tout d'abord
d'une manière exacte et complète sur cette
doctrine, sous peine de s'exposer à plus
d'une méprise désagréable. C'est pour
n'avoir pas été assez fidèle à cette loi
fondamentale que Mgr Milasch porte sur
la doctrine de l'Eglise romaine, concer-
nant la fameuse question des rapports de
l'Eglise et de l'Etat, un jugement inexact
et incomplet, et induit ainsi en erreur, à
ce sujet, ses nombreux lecteurs slaves,
allemands et grecs (i). Nous croyons faire
œuvre utile en résumant sommairement
les idées du prélat et en les rectifiant et
complétant en des points importants,
d'après les principes du droit occidental.
1. Comment Mgr Milasch comprend
LES RAPPORTS DE l'EgLFSE ET DE l'EtaT.
Le docte prélat consacre à cette ques-
tion capitale trois petits articles de son
manuel. Le premier a pour objet un
aperçu historique de ces rapports ; le second
établit les droits respectifs de l'Eglise et de
l'Etat, et le troisième traite des conditions
modernes dés rapports de l'Eglise et de
l'Etat.
I . Aperçu historique. — L'évêque de
Zara pose comme principe à la lumière
duquel il apprécie l'histoire des rapports
de l'Eglise et de l'Etat, que l'Eglise orien-
tale ne prétend revendiquer à i'égard de
l'Etat, quelle que soit la forme de son gou-
vernement, qu'une puissance purement
spirituelle. Aussi, ajoute-t-il, quand, en
(i) Le manuel de W' Milasch a été traduit du
dalmate en allemand et en grec, et sert de manuel
de droit canonique à l'école théo'ogique de Halki.
vertu de sa mission de salut, elle a usé
envers le chrétien (sujet ou souverain)
des armes spirituelles dont elle dispose,
il ne lui reste plus qu'à attendre avec
patience les résultats de son intervention
pacifique.
Depuis la séparation des Eglises, ajoute
encore le prélat, l'Eglise romaine professe
une doctrine contraire à laquelle sont dus
ses divers démêlés avec les souverains
d'Occident (i). Une réaction sérieuse se
produisit dans les derniers temps, surtout
sous les règnes de Louis XIV, Marie-Thé-
rèse, Joseph II, et donna naissance ^ugalli-
canisme, âufébronianisrne et SiUjosépbisme.
Au xvi* siècle, cette réaction, occasionnée
par le protestantisme, était allée jusqu'à
reconnaître la légitimité du principe émis
par les réformés allemands : cujus regio,
hujus religio.
C'est vraisemblablement pour mettre fin
aux luttes très vives suscitées par les par-
tisans du système ultramontain et anti-
ultramontain, que Cavour proclama (2) le
principe moderne de l'Eglise libre dans
l'Etat libre.
Vu la doctrine adoptée par l'Eglise
orientale touchant les relations de l'Eglise
et de l'Etat, la réaction dont nous venons
de parler et la maxime erronée de Cavour
sont impossibles.
Les conflits entre l'Eglise et l'Etat furent
donc rares en Orient, et, quand ils eurent
lieu, l'empiétement provint toujours du
côté de l'Etat qui exigeait de l'Eglise une
(1) Nos lecteurs se souviennent que ces princi-
paux démêlés eurent lieu entre Henri IV et saint
Gr('goire VII, entre Piiilippele Bel et Boniface VIIF,
Louis V de Bavière et Jean XXII, Charles VII et
Eugène IV, Louis XIV et les papes Innocent XI
et Innocent XII, enfin Jos ph II et Pie VI.
(2) Ou plutôt divulgua et propagea : car l'auteur
de cette formule est le comte D' Montalembert,qui
la fit graver dans sa chapelle de Laroche-en-Breril,
vers 1860.
LES RAPPORTS DE l'ÉGLISE ET DE l'ÉTAT, D'aFRÈS LN CANONISTE ORTHODOXE 333
chose contraire au droit ecclésiastique ou
opposée à la constitution même de l'Eglise,
tels le (juatrième mariage de Léon VI et
l'union avec Rome proclamée par Michel
Paléologue. MaUré ces quelques conflits,
l'Orient, dans son ensemble, n'en vint
jamais à la négation de la doctrine tradi-
tionnelle de l'ancienne Eglise, spécialement
en ce qui a trait à l'union nécessaire de
l'Eglise et de l'Etat. A ce point de vue, il n'y
eut jamais subordination d'une puissance
àrautre,et l'on ne sentit nullement, comme
en Occident, le besoin de concordats.
2. Droits respectifs de l'Eglise et de l'Etat.
— A. Droits exclusifs de l'Eglise. Du res-
sort exclusif de l'Eglise sont : a) la croyance
et la morale chrétienne; b) le culte; c) les
sacrements au point de vue de leur carac-
tère purement ecclésiastique; d) l'admi-
nistration intérieure de l'Eglise ; e) l'admis-
sion des incroyants ou des hétérodoxes
dans l'Eglise; f) l'admission des fidèles
dans le clergé; g) l'admission dans le mo-
nachisme et l'inspection des monastères;
h) l'administration des biens ecclésias-
tiques; /) la justice ecclésiastique:/) enfin
la législation interne de l'Eglise.
B. Droits exclusifs de l'Etat. De la com-
pétence exclusive de l'Etat sont au con-
traire : a) les causes civiles des laïques ou
des clercs; b^ toutes les affaires d'intérêt
privé; c) la violation d'une loi civile; d) le
jugement des actes de l'Eglise s'ils ont des
conséquences civiles et politiques; e) le
culte, et en particulier l'administration
des sacrements, s'il arrive pareillement
qu'ils aient des conséquences sociales et
politiques.
C. Droits mixtes. Aux deux autorités
ressortissent : d) la délimitation des terri-
toires ecclésiastiques ; b) l'érection des évê-
chés, des paroisses, etc. ; c) l'institution
des fêtes chômées; d) la construction des
églises, cloîtres, cimetières et établisse-
ments ecclésiastiques, quels qu'ils soient;
e) l'approbation du plan de ces établisse-
ments et leur conformité aux règles de
l'hygiène; /) les écoles confessionnelles
au point de vue des diplômes; g) la pro-
priété des évêchés, paroisses et églises;
b) la tenue des registres paroissiaux.
L'influence extraordinaire que l'Etat or-
thodoxe a prise sur l'Eglise en des ma-
tières qui ne seraient pas en rigueur de
sa compétence provient d'une concession
bénévole ou d'une tolérance de l'Eglise.
Cette concession ou tolérance n'a pas
d'inconvénient quand elle concerne des
gouvernements pénétrés de l'esprit chré-
tien, comme l'ont toujours ou presque
toujours été les gouvernements ortho-
doxes, et que les lois ecclésiastiques sont
des lois de l'Etat au même titre que les
lois civiles.
3. Conditions modernes des rapports de
l'Eglise et de l'Etat. — L'Eglise orthodoxe,
dit Mgr Milasch, continue de nos jours à
professer les principes exposés ci-dessus
et à s'y conformer dans les Etats ortho-
doxes. En cela, elle continue par suite à
se séparer de l'Eglise catholique romaine
qui tend à accorder une prépondérance
excessive à l'Eglise à l'égard de l'Etat.
S'il s'agit des Etats non orthodoxes,
les rapports de l'Eglise orientale et de
l'Etat sont maintenus, mais réglés en
Turquie par les divers règlements géné-
raux de l'Eglise orthodoxe élaborés après
la Hatti-Humayoun de 1856, en Autriche-
Hongrie et ailleurs, par le principe de la
liberté de conscience (i).
11. Rectifications et compléments.
Ainsi parle l'auteur du Das Kircbenrecht
der niorgenlaendiscben Kircbe. De ^et ex-
posé, il résulte clairement que l'ingérence
abusive des gouvernements orthodoxes
en matière ecclésiastique est toujours ex-
plicable en droit ou en fait. En outre, le
tort de l'auteur, à propos de la fixation
des droits de l'Eglise et de l'Etat, est
d'être trop imprécis et de ne pas nous
dire s'il admet la distinction de la tbèse et
de Vbypotbèse si nettement formulée dans
le droit occidental.
En tbèse ou principe, les droits qu'il
(i) Das Kirchenrecht der morgenlaendischen
Kirche, Mostar, igoS, p. 696-717.
354
ÉCHOS d'orient
attribue à l'Etat sont opposés à l'autonomie
et à la perfection de l'Eglise comme so-
ciété. Sur ce point, comme sur beaucoup
d'autres, il prend le contre-pied du cano-
niste Vering dont il adopte ici, comme
presque partout ailleurs, le programme
et même la méthode didactique. Ainsi,
un autre droit qu'il reconnaît à l'Etat et
que le docteur allemand ne lui reconnaît
pas en vertu de ses principes, est celui
de fixer à chaque religion sa position et
ses droits sociaux ( i ).
Le lecteur a pu remarquer ensuite que
M?'" Milasch ne donne pas à la dénomi-
nation de questions mixtes le même sens
que les canonistes d'Occident (2). C'est
à propos de cette doctrine célèbre que
nous voulons rectifier et compléter briè-
vement l'enseignement du canoniste dal-
mate.
Les desiderata que nous signalons au
sujet de cet enseignement proviennent
de ce que Mgr Milasch connaît imparfai-
tement la doctrine de l'Eglise qu'il com-
bat (3). Cette dernière n'admet pas une
dépendance directe et totale (4) des sou-
verains à l'égard du Pape, à tel point qu'ils
en seraient de simples vassaux. Leur si-
tuation vis-à-vis du Souverain Pontife est
celle de tous les chrétiens et procède du
principe énoncé par les canonistes et théo-
logiens orthodoxes eux-mêmes (3), à sa-
voir que le pécheur, quelle que soit sa
position sociale, est soumis au pouvoir
pénitentiel de l'Eglise .en cas d'infraction
à la loi divine ou ecclésiastique, en sorte
que (6), si le bien de ce chrétien (ou
(i) Op. cit., p. 721.
(2) Il n'emploie pas l'expression de questions
mixtes, mais les termes de droits coynmuns, de
compétence commune sont une dénomination
équivalente.
(3) Avec courtoisie toutefois. Nous rendons d'au-
tant plus volontiers hommage à cette attitude
digne et respectueuse, qu'elle est plutôt rare chez
les écrivains dissidents d'Orient.
(4) In jede be^iehung « sous tous les rapports ».
{Op. cit., p. 699).
(5) M*' Milasch, op. cit., p. 702.
(6) L'auteur du Das Kirchenrecht der morgen-
laendischen Kirche, pas plus que les autres cano-
nistes orthodoxes, ne tirent cette conclusion du
principe posé, mais elle en découle très logique-
celui de la communauté) l'exige, il peut,
tant au for externe qu'au for interne, être
obligé de sacrifier sa position et par le
fait même voir les fidèles dégagés de
toute sujétion à son égard s'il était leur
supérieur.
D'ailleurs, ce pouvoir indirect et excep-
tionnel ne découle-t-il pas du pouvoir
d'excommunication? Un pécheur soumis
à rà'^op'.(7;jLoç li-éya; et mis par suite au
ban de la société chrétienne, pourra-t-il se
maintenir dans sa profession d'avocat, de
médecin, de souverain,^ etc.?
Le pouvoir dont nous parlons est ap-
pelé indirect, et l'objet qu'il con^:erne est
dénommé question mixte, parce que, d'une
part, la juridiction ecclésiastique atteint
une matière temporelle d'une manière
indirecte, c'est-à-dire en vertu d'une occa-
sion prochaine de mal moral et spirituel;
de l'autre, parce que l'objet de cette juri-
diction est à la fois temporel et spirituel,
et dépend de deux autorités, mais à des
points de vue différents.
Tel est le principe ou la thèse de l'Eglise
romaine. En fait, il importe de se sou-
venir que, jusque vers la fin du moyen
âge, l'empire romain s'était reconstitué
en Occident sous forme d'ethnarchie féo-
dale présidée par le Pape et le chef du
saint empire d'Allemagne, et qu'ainsi
toutes les nations de l'Europe (i) étaient
plus ou moins vassales du Saint-Siège et
de l'empereur. Cette dépendance directe
des nations et des souverains envers le
Souverain Pontife est, aux yeux des théo-
logiens et canonistes romains, un cas par-
ticulier de l'hypothèse et nullement l'appli-
cation de la thèse considérée en elle-
même (2). Mg' Milasch commet donc une
méprise en voyant dans ce cas particulier,
ment. C'est à ce principe que faisait appel le pape
Boniface VIII dans sa célèbre bulle Unam sanctam.
(i) Y compris la France elle-même, au dire de
Boniface VIII (Bulle Juxta verbum, i3o3). Beau-
coup d'historiens mettent en doute l'universalité
de cette vassalité.
(2) On pourrait citer en faveur de la doctrine
contraire des textes de Grégoire IX, d'Innocent IV,
et d'autres auteurs du moyen âge, mais ces textes
énoncent une opinion privée de cette époque et
non l'enseignemcBt officiel du catholicisme.
TESSARACOSTE : CAREME OU ASCENSION
355
propre au moyen âge, l'application pure
et simple de la thèse ou doctrine du droit
occidental. *
Un autre tort que nous reprochons
au savant évêque de Zara est d'oublier, à
propos des ingérences abusives des sou-
verains orthodoxes en matière spirituelle,
que depuis Justinien, l'Eglise d'Orient s'est
si bien mise d'accord avec l'Etat, qu'elle a
par trop méconnu, du moins en pratique,
que l'Eglise du Christ est une société par-
faite, en d'autres termes, une société plei-
nement autonome dans son gouvernement
au triple point de vue de la doctrine, de
la morale et des biens même temporels
qu'elle possède (i).
A. Catoire.
Constantinople.
TESSARACOSTE : CARÊME OU ASCENSION?
Dans un article publié ici même, en
mars 19 lo, j'ai proposé de voir, dans la
TcTTapa/.oTT/^ mentionnée par le V« canon
du premier concile de Nicée, non point
le Carême, mais bien le quarantième jour
après Pâques, c'est-à-dire la fête de l'As-
cension (i).
11 m'est tombé sous les yeux depuis,
au cours d'autres études, quelques pas-
sages d'anciens auteurs affirmant comme
moi que le nom de Tesi>araco te ou Tetra-
coste avait été donné jadis en Orient à l'As-
cension, comme le terme équivalent Qiia-
Jragésime l'avait désignée en Occident.
La présente note n'a d'autre but que de
soumettre ces passages aux lecteurs à titre
de confirmât iir.
Adrien Baillet (t 1703), dans l'Histoire
des fêtes mobiles insérée dans son ouvrage
les yies des Saints, écrivait, au chapitre
de l'Ascension :
L'accord où l'on était, touchant le
jour qu'on devait destiner à la fête de l'As-
cension, était si général par toute l'Eglise,
que les Latins ne faisaient point difficulté
de lui en faire porterie nom et de l'appeler
la fête du Quarantième, comme nous le
;. Yoyonsen saint Augustin (Serm. CCLXVII,
: c. ni). Les Grecs et les Orientaux en ont
usé de même en beaucoup de lieux, où l'on
voit que cette fête se nommait Tessaracosfe
(i)S. Salaville, /a Teo-aapaxoff-r, rfu V' canon
de Nicée {325), dans les Echos d'Orient, t. XIU,
1910, p. 65-72.
OU Te'traœste (Ap. Scalig., etc. ), qui veut
dire le quarantième jour d'après Pâques,
de même que celui de Pentecôte veut dire
le cinquantième, pour marquer celui de la
descente du Saint-Esprit (2).
La référence de Baillet à saint Augustin
est très précise. L'évêque d'Hippone, par-
lant aux fidèles en la solennité de la Pen-
tecôte, leur rappelle que, dix jours aupa-
ravant, cest-à-dire en célébrant l'Ascen-
sion, il leur a expliqué la promesse faite
par le Christ d'envoyer le Saint-Esprit à
son Eglise. Or, voici comment s'exprime
le saint docteur :
Lorsque nous avons célébré le quaran-
tième [lour après la Résurrection], rap-
pelez-vous que nous avons dit que Notre-
Seigneur Jésus-Christ avait recommandé
son Eglise avant de monter au ciel.
Quando celebravimus Quadragesimam,
recolite quia commendavimus vobis Domi-
num Jesum Christum Ecclesiam suam
commendasse tt ascendisse {1).
Quadragesima est évidemment ici un
terme compris de tous, pour désigner
l'Ascension, non moins que celui de Pen-
tecôte pour désigner l'anniversaire de la
( 1 1 Voir Echos d'Orient, j uillei 1910, A. Catoire :
Deux anomalies du droit d appel dans l'Eglise
orthodoxe, p. 219-224.
(2) A. Baillet, les Vies des Saints ii" édition.
Paris, i7o3(, 2* édition. Paris, 1789, t. IX^ Histoire
des fêtes mobiles, p. 107.
(3) S- Augustin, Serm. CCLXVII, c. m, dans
MiGNE, P. t., t. XXXVIII, col. i25o.
356
ÉCHOS d'orient
descente du Saint-Esprit au Cénacle.
Quant à la référence fournie par Baillet
au sujet des Grecs et des Orientaux {Àp.
Scalig., etc.), les bibliothèques de Con-
stantinople ne me permettent p.is de l'uti-
liser, et je serai reconnaissant à ceux qui
sont mieux outillés que moi de toutes les
précisions qu'ils pourraient apporter à
cette vague indication.
Benoît XIV répète les données de Baillet,
auquel il renvoie d'ailleurs explicitement :
Augustinus, serm. CCLXVII, c. ni, So-
lemnitatem /îancQuADRAGEsiMAM pocat, quod
post dies a Resurrectione quadraginta ce-
lebretur: ei lib. Constitutionum Apostoli-
carum, c. xix, huic Festo Feria quinta
destinatur quintœ post Resurrectionem
hebdomadœ. Orientales Tessaracosten seu
Tetracosten appellant, quod quadragesi-
tnum post Pascha diem signijicat, ut notât
Bailletus loco citato (i).
Alban Butler et son éditeur français,
J. Godescard, transcrivent mot pour mot
le passage de BajUet (2).
L'abbé J.-B.-E. Pascal, rédacteur du vo-
lume consacré à la liturgie dans l'Ency-
clopédie théologique de Migne, s'exprime
d'une manière un peu plus vague, mais
souscrit lui aussi à l'appellation de Qua-
dragésime ou Tessaracoste donnée jadis à
la solennité de l'Ascension.
Depuis les temps apostoliques, cette fête
est célébrée le jeudi, quarantième jour
après Pâques, et suit la mobilité de celle-ci ;
aussi la trouve-t-on fréquemment désignée
dans les anciens Pères sous le nom de so-
lennité du Quarantième Chez les Grecs,
la fête de l'Ascension, qu'on appelle Tessa-
racoste ou Quat^antième, a un rang infé-
rieur aux solennités de premier ordre (3).
(i) Benoit XIV, De festis Domini nostri Jesu
Christi et B. Maria: Virginis libri duo (Padoue,
1756), dans Migne, Theologiœ Cursus completus.
Paris, 1842, t. XXVI, col. 449.
(2)J. Godescard, Traité d:s fêtes mobiles, jeûnes
et autres observ.inces de l'Eglise, d'après l'ouvrage
posthume d' Alban Butler. Paris, i835, p. 338 (t. XIII
de la collection des mêmes auteurs : Vie des Pères,
martyrs et saints).
(3) J.-B.-E. Pascal, Origines et raison de la
liturgie catholique en forme de dictionnaire
(= Migne, Encyclopédie théologique, t. VIII : Li-
turgie). Paris, 1844, col. 82-83.
Je ne puis me faire illusion sur la valeur
probante de ces citations. Pour en juger
exactement, il faudrait retrouver les textes
orientaux auxquels ces divers auteurs,
Baillet surtout, font allusion. Il m'a paru
cependant utile de mettre ces quelques
passages sous les yeux des critiques, afin
de provoquer précisément la recherche
des textes en question.
Amené à douter qu'il s'agisse du Ca-
rême dans le V^ canon de Nicée concer-
nant l'époque des deux conciles provin-
ciaux annuels, je me suis cru autorisé à
voir dans cette Tsa-o-aoaxoTTf, l'équivalent
de la Qiiadragesima de saint Augustin et
de quelques autres textes occidentaux. Un
critique m'a répondu que Tea-o-apaxbaxY^,
employé dans le sens de fête du quaran-
tième jour après Pâques, « serait un cas
unique dans la langue grecque » (i). Le
même critique ajoutait : « Et dans les
textes latins où Quadragesima le signifie-
rait {signifierait Ascension), cela n'est que
grâce aux mots qui l'entourent : Die au-
tem quadragesimarum post Pascha; festivi-
tate quadragesimœ Ascensionis. Par contre,
Ascensio est utilisé couramment par les
latins. » (Cf. les nombreux sermons de
saint Augustin sur cette fête, P. L.,
t. XXXVIl.) (2)
Je ne conteste pas l'emploi du mot As-
censio; mais le terme Qitadragesima, même
isolé, désigne aussi pour saint Augustin,
n'en déplaise à M. J. Deconinck, la fête
de l'Ascension; la preuve en est dans le
texte cité plus haut.
Quant à l'emploi analogue du grec
TSTo-apaxos-TT^, il aurait tout autant sa rai-
son d'être que le terme correspondant de
Pentecôte. Plusieurs auteurs sérieux, qui
ne songeaient aucunement à expliquer en
cela la ditficulté du V^" canon de Nicée,
affirment qu'il a été, de fait, utilisé en ce
sens par des Pères orientaux. Cette indi-
cation m'a paru valoir la peine d'être si-
gnalée.
(i) J. Deconinck, dans la Revue biblique, 1910,
p. 433, n. 2.
(2) Ibid.
LES « ORIENTALIA » DE LA BIBLIOTHEQUE JOHN RYLANDS
357
En attendant qu'on retrouve dans la lit-
térature ecclésiastique orientale les textes
visés par Baillet et Benoît XIV, signalons,
pour terminer cette note, que le calen-
drier copte de Calcasendi, énumérant les
fêtes égyptiennes du viii*" siècle, mentionne
l'Ascension dans les termes suivants :
Feria quinta Quadraginia, id est festiim
Ascensio7iis ( i). Cette manière de désigner
la fête me semble suggestive : la K« férié
des quarante jours, le jeudi des quarante
jours, autrement dit le quarantième jour
(= TcTTapxxoTTYÎ); le nom d'Ascension ne
vient ensuite que par manière explicative.
L'identification entre les deux termes que
j'ai proposée pour le V« canon de Nicée
ne se trouve-t-elle pas ici explicitement
établie par un document oriental?
S. Salaville.
Kadi-Keuï.
LES « ORIENTALIA »
DE LA BIBLIOTHÈQUE JOHN RYLANDS
{Fin ''\)
Habent sua fata libclli. L'aphorisme s'ap-
plique parfois à des bibliothèques entières,
aussi bien qu'à la destinée littéraire d'un
livre quelconque. On sait par quelle série
d'aventures les manuscrits de Fleury-sur-
Loire passèrent aux mains de Petau, de
l'Electeur palatin, de la reine de Suède,
et finirent par se stabiliser à la Biblio-
thèque vaticane. La collection copte étu-
diée par M. Crum a passé par une série
d'aventures assez analogues (3). Immé-
diatement avant son entrée dans la Biblio-
thèque John Rylands, ce fonds appartenait
tout entier, sauf le numéro 43, à lord Craw-
ford. Lord Crawford, à son tour, l'avait
formé de deux éléments. Un premier lot
lui venait de la bibliothèque bien connue
de lord Lindsay. La Bibliotheca Lindesiana
s'était elle-même enrichie des dépouilles
de Tattam, à la vente qui fut faite, en
(i) Seldemus, De synedriis. Amsterdam, 1679,
c. i5, 204. Cf. Kellner, Heortologie, 3' édition.
Fribourg-en-Brisgau, 1911,9. 19.
{î)Vo\T Echos d'Orient, septembre 191 1, p. 299 sq.
(3) Catalogue of the Coptic Manuscripts in the
Collection of the John Rylands Library Man-
chester by W. E. Crum. Manchester, University
Press, 1909, xii-273 pages, et XII planches (iSy nu-
méros).
juin 1860, par Sotheby, des manuscrits
bohaïriques et sahidiques de l'illustre sa-
vant. Bon nombre de ces manuscrits
bohaïriques figurent ici, que M. Crum a
pris la peine d'identifier, ainsi que qua-
torze sahidiques de même provenance. Les
autres avaient d'abord fait partie de la Col-
lection J. Lee (t 1 866), sauf quelques feuil-
lets sahidiques donnés à lord Crawford
par le Rév. R. Lieder.
Un second fonds avait été directement
acheté pac le comte Crawford, en 1898,
de deux marchands bien connus de Gizeh.
L'on n'y trouve, à l'exception du nu-
méro 421, aucun manuscrit bohairique.
C'est à ce fonds qu'appartiennent tous les
paryrus, ainsi qu'un assez grand nombre
de parchemins et même de manuscrits sur
papier. Or, il y a dans tout cela quantité
de portions frustes. II fallait un Crum, le
Crum des Ostraca, pour les utiliser. Lui
seul a le secret des trésors de patience et
de sagacité qu'exige la toilette sous laquelle
ils deviennent, une fois restaurés et ras-
semblés des quatre points de l'horizon,
comme il excelle à le faire, si intéressants.
L'impossibilité de spécifier ici quoi que
ce soit sans faire intervenir les documents
3^8
ÉCHOS d'orient
eux-mêmes m'interdit, on le comprend,
d'entrer dans aucun détail, il sera plus
utile de donner une idée générale des ma-
tières et de la façon dont elles sont grou-
pées. On pouvait adopter plusieurs sys-
tèmes de classement; d'abord celui que
suggère la distinction des matières pre-
mières : papyrus, vélin, papier: cet ordre
aurait pu réclamer la préférence s'il cor-
respondait en même temps, dans l'espèce,
à certaines données différentielles de dates
ou de provenance. 11 n'en est rien. Dans
un autre ordre d'idées, il y avait le grou-
pement par objets traités; il y avait l'ordre
chronologique, ou bien encore la distinc-
tion des provenances premières, comme
dans le Catalogue démotique, ou celle des
fonds. M. Crum a préféré la distinction
linguistique, les dates ou les provenances
n'ofïrant pas toujours une base assez
ferme. 11 a bien fait.
Mais une fois cette distinction établie
entre les trois grands groupes sahidiques,
memphitiques et bohairiques, nous re-
trouvons dans chaque catégorie les classe-
ments d'usage.
I . Voici comment se répartissent les
manuscrits sahidiques :
BiBLiCAL : 1 8 articles, dont 3 seulement
sont des papyrus du vi^ au viii^ siècle.
Les 15 autres sont des parchemins du
VF au XF siècle, à l'exception des nu-
méros 6 et 16, qui sont du iv^-v'^ siècle
{Ps. Lxxxviii et Hebr. iv, v).
LiTURGiCAL : 4} numéros, dont 2 pa-
pyrus seulement, l'un d'une date impos-
sible à déterminer, l'autre (une formule
d'ordination), du v^-vi^ siècle; 18 par-
chemins du x«-xi« siècle, sauf le numéro
22, qui est palimpseste (vi«-viF s.); 22 ma-
nuscrits sur papier du x«-xf siècle. Cinq
d'entre eux peuvent intéresser les musi-
cologues. Je remarque également un Tri-
sagion farci, des fragments d"Axà8'-a-Toç,
de tropaires pour saint Claude d'Antioche,
le martyr Philothée, Dioscore d'Alexan-
drie, etc., rien de bien saillant.
HoMiLiES, Epistles, etc. Papyrus : 8 (du
vi«-xie s.); parchemins : 13 (du x«-xf« s.);
papier i (du xix*' s.).
On ne voit pas très bien, par exemple,
pourquoi les homiliaires et les épistolaires,
généralement considérés comme étant des
livres liturgiques, et c'est bien, en effet,
ce qu'ils sont, forment une catégorie spé-
ciale.
Narratives, Acts, Martyrdoms. Pa-
pyrus : 2 (du viie-viiF et du ix^-xfs.); par-
chemins: 14, presque tous du x^-xi^ siècle,
sauf un fragment de l'Apocalypse d'Adam,
sous le numéro 84, que Crum propose de
dater du vi«-vii'^ siècle.
Magic, Medicine. Papyrus: 31 (du vi%
vF-vii" et viiF, viiF-ixe s.); parchemins : 41
(vF-viF, viie-viiie,xies.); papier: s(duxies.).
Miscellaneous. Parchemins: 2, dont un
fragment de vocabulaire grec-copte (xF-
xije s.); papier : i (xiif-xw^ s.).
Légal and Financial texts. Ici tout est
papyrus, et c'est certainement, avec les
manuscrits des deux classes qui vont
suivre, et ceux de l'avant-dernière classe,
la plus importante contribution historique
qu'offreaux égyptologuesie fondsRylands.
Il suffit de remarquer les dates iv^, v'-',
VF, VIF, viiF siècles, où se tiennent la
plupart des numéros (107) d'e cette caté-
gorie. Nous allons ainsi jusqu'aux pre-
miers temps de la conquête arabe, depuis
le commencement du déclin de la domi-
nation grecque. Crum répartit les papyrus
administratifs et financiers de la manière
suivante. Je me borne à mentionner au
passage le nombre de numéros que com-
prend chaque subdivision : Impôts (15),
hypothèques (11), contrats ( 19), baux (2 1 ),
récépissés de rentes (4), partages (2),
ventes (6), reconnaissances (2), incer-
tains (4).
Listes diverses, inventaires, etc. Pa-
pyrus : 39 (le plus grand nombre du viF-
vriF siècle, un du v^-vF, et deux du VF-
viF, les autres du ix«-x«); parchemins : 2
(du xe-xF et xF-xiF S.); papier : 3 (xF s.).
Le papyrus n» 238 (du viif s.) mérite une
mention à part. C'est l'inventaire du mo-
bilier de l'église Saint-Théodore. Malheu-
reusement, l'identification de plusieurs
obj^ets n'est pas toujours aisée. Sur quoi
n'ont pas écrit les Coptes? J'ai tout à
LES « ORIENTALIA » DE LA BIBLIOTHÈQUE JOHN RYLANDS
3^9
l'heure oublié de mentionner, parmi les
« manuscrits » liturgiques, un fragment
de tropaire, du vii" siècle peut-être, sur
nir. Ici nous trouvons sur une étoffe rose
^n'* 231) récriture d'une miiin du vii« ou
viiie siècle.
Lettres. Papier: 12 numéros; parche-
min : I ; papyrus : 1 3 1 , parmi lesquels Crum
n'en assigne pas moins de 1 4 au iv«'-vesiècle,
2} au vi« siècle, 28 au vii^ siècle. Bref, le
plus récent, dont la date est même précise,
ne descend pas plus bas que 93 i . C'est dire
combien est précieuse cette collection de
lettres, dont un bon nombre, par exemple,
nous font entrer dans certains détails iné-
dits de la vie des moines égyptiens du
ive au vme siècle.
2. Les manuscrits memphitiques sont
les moins nombreux. Us ne figurent au
Catalogue que pour cinq numéros, dont
un sur papier (du x^-xie s.); les autres
sont des papyrus du vi^-x* siècle. II n'y a
pas lieu de nous y arrêter. Mais pourquoi
ne pas donner résolument aux manuscrits
de cette classe le nom si commode et si
adéquat de memphitiques, puisque les ma-
nuscrits de la Basse-Egypte, qu'on avait
ainsi désignés précédemment, ne le sont
plus désormais que sous celui de bohai-
riques?
3. C'est donc sous ce nom de bohai-
riques que M. Crum comprend les manu-
scrits de ce dialecte que lui offrait la Col-
lection Rylands. Il les groupe sous les ru-
briques que voici : Biblical; Lectionaries;
Litnr^kal;. Homilies; Narratives, Acts,
Martyrdoms ; PUlological Wo-rks; Letters.
On peut faire à cette division la même
critique que ci-dessus : les lectionnaires et
les homiliaires sont des livres liturgiques.
Nous n'avons ici que deux papyrus, l'un
appartenant à la v division {Biblical), du
ixe-x^ siècle; l'autre à la dernière. Le reste,
à part dix numéros de la 5« division {Nar-
ratives, etc.), parchemins du ix«-xe siècle,
et les deux numéros de la 4« division {Hu-
milies), même date, auxquels on peut ad-
joindre quelques manuscrits du xiv® siècle,
ne comprend plus qu'une vingtaine de
manuscrits sur papier, dont huit appar-
tiennent au xixe siècle, onze au xvin« et un
au XV!!*".
Inutile d'ajouter que M. Crum, non con-
tent des restitutions patientes, des iden-
tifications et annotations de toute sorte
dont il enrichit sa publication, ne s'est
point encore estimé quitte envers le public,
s'il ne lui donnait, par surcroît, un copieux
index des noms de personnes, un autre
des noms de lieux, un troisième des mots
grecs et des mots étrangers, un quatrième
des mots coptes, un cinquième des mots
arabes, un sixième des matières, et l'on
peut croire qu'il aurait fait encore plus
si le souci de la discrétion, dans l'occur-
rence, ne l'avait emporté sur celui de la
complet ness.
Inutile d'ajouter enfin que les trustées
de la Bibliothèque John Rylands ont main-
tenu pour cette publication les conditions
de magnificence, y compris l'appeijdice
des planches, qui mettent hors de pair le
Catalogue de leurs manuscrits démotiques.
C'est encore le nom d'une sommité
spécialiste, le titulaire de la chaire de
papyrologie d'Oxford, qu'on lit en tète
du Catalogue des papyrus grecs de la Bi-
bliothèque John Rylands (i). C'est d'ail-
leurs le D'' Arthur S. Hunt lui-même
qui avait acquis pour lord Crawford et
Mrs Rylands la collection qu'il entreprend
de décrire. Je dis qu'il entreprend, parc£
que nous n'avons ici qu'un premier vo-
lume. M. Hunt divise en deux sections
les documents à faire connaître au public.
Ce premier volume ne comprend que
ceux de la section littéraire. Deux autres
volumes, au moins, embrasseront ceux
qui ne le sont pas. Dans cette seconde
section, l'auteur observera l'ordre chro-
nologique. Ainsi le premier volume à
(I) Catalogue of the Greek Papyri in the John
Rylands Library: Vol. I, Literary Texts, N" r-6i
edited by Arthur S. Hunt, D- Lit. bon. pk- d.
K.œnigsberg; bon. Lilt. D. Dttblitii bon. jui.
D. Graz; Lecturer in papyrology in tbe University
of Oxford, etc. With leo plates. Manchester, Unt-
versity Press, igti. Grand in^°, XI6-202 pages.
360
ÉCHOS d'orient
paraître, espère-t-on, l'année prochaine,
comprendra les documents grecs « non
littéraires » des époques ptolémaïque et
romaine. Les papyrus de la période byzan-
tine viendront ultérieurement. Mais nous
pouvons attendre, et nous serions bien
difficiles si nous n'étions pas satisfaits de
ce qu'on nous donne aujourd'hui. Je veux
bien que les 200 pages in-40 monumental
du Catalogue ne nous fassent connaître
que 61 articles, mais aussi quels articles!
Rien que leurs dates ont une singulière
éloquence.
Du reste, à quoi ne peut-on s'attendre,
sous ce rapport, depuis les prodigieuses
trouvailles d'Oxyrhinque (Behnesa). Or,
c'est de Behnesa, précisément, c'est du
Fayoum, du mont Harît, d'Hibeh, d'Es-
mûnên que viennent nos manuscrits.
Leurs dates s'échelonnent du iii« siècle
avant l'ère chrétienne au vu® siècle après,
tout au plus. En voici la répartition :
me siècle avant Notre-Seigneur : 16
(Comedy), 39, 49 (Homer, Iliad, xvi).
11° siècle avant Notre-Seigneur : 18 (His-
iorical Fragment), 33.
i^r siècle avant Notre-Seigneur : 20 {Po-
litical Treatisé), 21 Treatise of Physiology,
30, }i, }2, 44 (Homer, Iliad, 1), 5 1 (Homer,
Iliad; xxiv), 54(Hesiod. Theogonia).
i^i" siècle après Notre-Seigneur : 22 My-
thological Fragment, 24 (Scholia on Homer,
Iliad, iv), 26 Apion, D.Ùia-a-a'. 'OtjL-/ip'.xa*l,
34, 46 {Iliad, iv).
ne siècle après Notre-Seigneur : -13 {Epie
Fragment), 15 {Lament for a Lover), 16
{Comedy), 19 {Epitome of Theopompus,
Philippica xlvii), 23 {Epitome of the Odys-
sey), 25 {Lexicon to Homer, Iliad, xviii),
29''i 29^^ {Médical receipts).
iiMiie siècle après Notre-Seigneur : 14
{Lyric Fragment), 35, 52 (Homer, Odyssey
xi), 37 (Demosthenes, De Corona).
m® siècle après Notre-Seigneur : 5 {Epistle
to Titus, 1, 11), \ 2 {Certificat of Pagan Sacri-
fice, A. D. 250), 27 {Astronomical Treatise),
29 {Médical Receipts), 36, 38, 43 (Homer,
Iliad, i), 48 (Homer, Iliad, v), 50 (Homer,
Iliad, xviii), 59 {Writing Exercise : Demos-
thenes, De Corona).
iiie-iv^" siècle après Notre-Seigneur: 53
(Homer, Odyssey, xii-xv, xvm-xxiv).
iv« siècle après Notre-Seigneur : 1 {Deu-
teronomy, ii-iii), 17 {Epitbalamium), 28
{Utp\ TiaAawv uavT'.xrj), 42 {Latin Frag-
ment).
v« siècle après Notre-Seigneur : 8{Litur-
gical Fragment), 61 (Cicero, In Catiii-
nam 11).
ve-vi^ siècle après Notre-Seigneur : 3
{Ps. xc), 9 {Liturgical Fragment), 1 1
{Christian Fragment), 58 (Demosthenes,
De Corona.
vié siècle après Notre-Seigneur : 6 {Ni-
cene Creed), 7 {Hymi ), 10 {Hagiographical
Fragment)^ 41.
vie-vii« siècle après Notre-Seigneur : 2
(Job. 1, V, vi), 4 {Epistle to Romans, xii).
En somme, ce que nous trouvons dans
ce volume, en dehors des fragments scrip-
turaires (cinq numéros, de i à 5) et litur-
giques (nos 5 ^^ 11), ce sont surtout des
auteurs classiques, paraissant en partie
pour la première fois (n^s 13 a 26), en
partie déjà connus (n^^ 43 à 61); je né-
glige les Miscellanecus minor fragments
(nos ^o à 41). Comme on le voit, c'est
VIliade et \ Odyssée qui dominent l'en-
semble, c'est-à-dire les pr, 2^, 4e, s«, i6e,
i8e, 24e chants de VIliade, les ii^, 12" à
15e, i8«à 24« chants de VOdys'iée, un £/)/-
/owé? de celle-ci, un lexique et des scholies
pour celle-là, des rXcôo-cra'. 'OjrA,puai. Mais,
à part peut-être le numéro 49 {Iliade, xvi),
qui est du me siècle avant Notre-Seigneur,
l'époque à laquelle appartiennent tous ces
articles homériques demeure en deçà des
travaux des éditeurs alexandrins, et la
question de savoir ce qu'étaient les poèmes
d'Homère avant ces travaux n'avancera
pas du fait de la Collection Rylands.
« LIBELLI » d'apostats
Au moment où le D'' Hunt publiait son
travail, on ne connaissait encore que quatre
libelli d'apostats. Ils provenaient, sauf un,
du Fayoum. Celui de Manchester, qui a
la même provenance, était donc le cin-
quième. Cependant, à la dernière heure.
LES « ORIENTALIA » DE LA BIBLIOTHÈQUE JOHN RYLANDS
361
une note de M, Hunt annonçait l'édition,
préparée par le D*" Meyer, du groupe qu'en
possède la Bibliothèque de Hambourg, un
groupe de vingt nouveaux exemplaires.
Les Abbandlimgen de l'Académie de Berlin
qui les contiennent paraissent au moment
même où j'écris ces lignes. Tous con-
firment les données précédemment ac-
quises par les premières découvertes.
Comme il s'agit d'un document historique
du plus haut intérêt, et dont la teneur
était demeurée parfaitement inconnue jus-
qu'en 1893, date à laquelle Krebs en pré-
sentait à l'Académie de Berlin la première
révélation, je pense qu'on ne lira pas sans
intérêt celui de Manchester.
Tou £7:1 TÔJV Ojt'.wv r.oraévo'.^ — apà
AjprjXîa^ Ar.awTo; aTcà-opoç ar.Tpo^ 'K)Àv'r^^
vjvr AOor.A'loj E'.orvaiou. Kal àîl 9'Jo'JTa
Tols ^trj~.ç oiîTSÂîTa '/,%'. vjv £7:1 TzapoOcT'. OiaIv
x.a-à Ta TtooTTSTavaiva xal bH'jtt. xal ETrio-a
x.xl Twv '.îpciwv èY£'j7â|jLT,v xal à;',ù •Jja.âç
J-0'rr^>J.t•M7a.7hx^. U.0'.. Au'JT'jyelTa'.. Aupr.Ava
Ar uLcocâTT'.^iowxa. AOo'/).',o^Eî.or,va~.o^ svoa-lia
j7:£0 y.u~7,c àvcaaaàTO'J. A'jjy'/.'.oc Sa.jî'.voç
-OJTaV'-Ç £l§6v 0-£ O'JO'JTaV
£T0!J^ a' AÙTOxoàTOoo? Ka'l^apo; Faio'j M£t-
7'lou Ku'lvTO'j ToaiavoG Aîx'lov IvjtîSo'j;
EjT"jyctJ^ ScIjaoTOJ ïla-jv. x.
/^è îtfio dtsce omnes. L'identité de la te-
neur des quatre //è^/// de Berlin, de Vienne,
d'Alexandrie et dOxyrhinque, publiés en
1893, 1894 et 1907, le faisait déjà pres-
sentir; c'est d'après un modèle uniforme
qu'on établissait les certificats de sacri-
fice. Les vingt exemplaires de Hambourg
ne laissent plus à ce sujet aucun doute.
Maintenant, d'où venait cette uniformité.''
S'étendait-elle à tout l'empire? Les termes
dans lesquels Eusèbe {De mart. Palœst.,
IX, 2) rapporte l'édit de Maximin : Sùtu
xal TTÂyOz.'.'/. .... aTzovô'jîo-fja'. Outuov. font
entrevoir en Syrie des formules semblables
à celles d'Egypte. Serait-il téméraire d'en
conclure que la formule elle-même était
officielle, annexée peut-être à l'édit impé-
rial et rendue obligatoire par tout l'em-
pire?
Quoi qu'il en soit, voici les éléments
dont chacune des vingt-cinq formules que
nous connaissons à présent se compose
invariablement. Il n'y a que les noms
propres à changer. Nous avons donc pre-
mièrement la désignation générique des
personnages préposés aux sacrifices : ToU
£7îl Twv Hjy.ùy r.py.uivo'.^, à laquelle deux
ou trois documents ajoutent le nom de
l'endroit où ils exerçaient leur fonction.
Puis venait le nom du libellaticus, suivi
de son adresse et quelquefois de son état
civil : Tzapà AùpT.À'laç Ay.uwto^ àTzaTOpo;
{XTjTpoî 'E)ivr,ç yu^/7| AûpT,Â'lou Elpy.va'lov
%Tzh àu'iôoo'j 'E).).Y,v£'lou. Aurélia Démos
est seule en cause. Ni son mari ni sa fille,
car ledit exigeait la participation des en-
fants à la mamelle, ne figurent i i comme
soumis à la déclaration (i). Ils sont païens.
Aurelius Ireaneus ne fait que signer pour
sa femme illettrée (àypa!ji|AàTO'j). Dans le
Ubelliis de l'archiduc Rénier, toute la fa-
mille y passe : 7:apà Aùpr.A'ltov 'Lù^o'j xal
na'73£'-0'J "OJ àosA'iO'j xal Ar.arTO'lac xal
( 1 ) J'insiste sur ce détail. Ce n'était donc pas à tous
les citoyens de l'empire indistinctement que s'éten-
dait l'obligation de produire un certificat de sacri-
fice, puisque voici une famille de trois membres
dont un seul y est soumis. Le rairi de la femme
qui vient de sacrifier est là pourta it, mais ce n'est
pas lui qui est en cause. S'il signe pour sa femme,
c'est qu'elle ne sait pas écrire, mais il a soin de
faire précéder sa signature, ou du moins ce qu'il
écrit, de l'affirmation que c'est elle qui présente
le libellus : A-jpT|).t'a At,[iw; èitiôéSwxa. comme on le
verra plus loin. Ni lui ni sa fille n'y sont pour
rien. Le libellus d'Alexandrie, dans lequel on voit
une femme ajouter à la déclaration rétrospective
de paganisme pratiquant, commune à tous les
libelli, celle de prétresse de Petesuchos d ms le
quartier Moeris d'Arsinoé, n'est pis une preuve
pour la thèse de l'universalité de l'obligation.
Outre que cette preuve est détruite par l'exemple
contraire que je viens de relever, rien n'empêche
qu'ayant été prêtresse avant sa conversion au
christianisme, cette libellatique n'ait pu naturelle-
ment renforcer la formule générale l'àîl [ikv 6-jwv
xol (iitôvSwv -cotî 8îo?; l:t-:i\z<joi, du rappel de sa
qualité de prêtresse, qualité qu'elle reprenait peut-
être, après tjut, en apostasiant. Ce n'éiait plus dés
lors qu'une question de plus ou de moins. Vo.r ce-
pendant Paul M. Meyer, Die libelli aus der decia-
nischen Christenverfol Jung, dans les Abhand-
lungen d. Konigl. Preiiss, Akad. d. Wiss. 1910.
Phil.-hist. Classe Anhang, p. 19 sq. Le D' Meyer
ne paraît d'ailleurs avoir eu que sommairement
co inaissince de la formule de Manchester. Son
mémoire était présenté le 24 novembre 1910. Le
Catalogue de M. Hunt ne devait paraître que cette
année 1911.
'] " — \ , , . , 7"
r. \&\ Autre point intéressant. Quand on ne
/ Il connaissait encore que les quatre premiers
ÉCHOS d'orient
f
/
libelli mis au jour, on était déjà frappé de
rvoir tout ce monde s'appeler Aurelius,
Aurelii, Aurélia. Avec le libellus de Man-
chester, qui fournit un nouvel Aurelius
et une nouvelle Aurélia, mais surtout avec
la persistance invariable de ce prénom
dans les libelli de Hambourg, il n'y a plus
moyen de se dérober à l'explication que
provoque et qu'impose cette particularité.
Aurelius était le prénom deCaracalla, dont
quarante ans auparavant la fameuse loi
Antonina donnait à tous les habitants de
l'empire la qualité de citoyen romain. Or,
c'était l'usage, on le sait, que les bénéfi-
ciaires étrangers de cette faveur prissent
le nom du personnage qui la leur avait
octroyée.
Poursuivons. La formule impériale, non
contente de ramener les chrétiens au pa-
ganisme, veut annuler, réduire à néant,
autant qu'il est en elle, la profession anté-
rieure du christianisme. Il faut (xaTa Ta
TîpOTTîtavaéva, aliàs 7:poc7TayOr/ra, aliàs
xelvjyUvry.) protester d'abord, pour le
passé, qu'on n'avait jamais cessé de sacri-
fier aux dieux : xal àsl Hùo'jrry. [aliàs 0. xal
2Ùa-s,3o'Jo-a, on bien 0. xal o-Tiévôtov) toi;
^£01; oiâTsÀso-a; et le chef de famille le
déclarait pour tous les siens, s'il y avait
lieu, comme dans le deuxième libellus de
Hambourg : xal àel asv Oûo-js-a xal vjzt-
jjovTa Tol; Qsolç T'jv ToI; -rixvo'-? Aùpr,Àwt,;
AtSupiO'j xal Nouœio'J xal TaaTO.; ôiaTSTsAs-
xa[j.£v, après quoi venait la déclaration,
l'acte précis imposé par l'édit impérial : xal
vûv £t;1 7:apoûa-i, 'Jijilv xatà Ta — poTTSTayaiva
xal sQus-a xal so-TCiTa xal twv leosUoV h^z'j-
<Tà|jiy,v, c'est-à-dire le sacrifice, la libation,
la communion à la victime. Cela fait, on
demandait aux magistrats de légaliser
cette déclaration, xal àHiw 'jjjlôc; uT.oTr^^^ziùi-
o-aTÔai uo'., puis l'on saluait : A'.surjytlTa'.
(pu Au'JT'J'/sItî).
Dans le cas présent, la libellatique du
papyrus de Manchester étant illettrée,
c'est Aurelius Irenaeus, son mari, qui par-
lait en son nom, comme il a soin de le
dire lui-même : Aùpr^Aioç ElpT,vato<î eypa-ia
'jrèp a-jT-À;? à^'potfjLjjiàTou. Cependant, il est
à noter que, jusque-là, la transcription
de la formule est d'une autre main que la
sienne. "Eypa-j^a s'applique donc exclusi-
vement à ce qu'il vient de dire et aux
trois mots qui précèdent : AùprjACa AyjIxw;
STriosSoixa.
Cet ÈTriôsoioxa ne paraît jusqu'à présent
figurer que dans les libelli des illettrés.
Du moins, je ne le retrouve avec certi-
tude (car la lecture du papyrus de Krebs
me laisse des doutes) que dans le libellus
de l'archiduc Rénier, bien entendu, comme
ici, d'une autre écriture que celle du corps
de la déclaration : Aùpr; aio; Si>poç xal ITaf-
3f,ç £— losotôxaucv. 'lî'lotoooc È'voa'i/a 'j~ïz
a'jTwv àypauuàTwv. Enfin, l'on retrouve la
première main tout en bas du libellus.
C'est elle qui écrit la date, en l'exprimant
invariablement sous la forme mixte qu'on
a vue plus haut: l'année de l'empereur
Dèce, et le jour du mois égyptien.
Détail à noter : tous nos libelli, sauf un,
se renferment entre le 12 et le 26 juin de
la première année de Dèce. Encore faut-il
ajouter que celui qui s'écarte de ces limites
ne le fait pas au delà du 14 juillet. J'ajoute
qu'entre cette date et le corps de la décla-
ration, le greffier rédacteur de la formule
avait laissé libre sur le papyrus un assez
large espace réservé à l'attestation du ma-
gistrat impérial. C'est l'objet d'une nou-
velle formule, et cette formule, étant de
protocole, ne varie d'un libellus à l'autre
que par le nom du magistrat qui est in-
tervenu : Aùpr,A!,04 SaSslvoç itp'jTav'.? tXoô-i
■71 OûouTav.
Les libelli de Hambourg sont tous homo-
logués par les deux Aurelii Serenus et
Hermas, celui de Krebs ne l'est que par
un seul, Aurelius Syrus. Celui de Man-
chester ne l'est non plus, on le voit, que
par un seul, mais il ajoute au nom d'Au-
relius Sabinus, ce que nous ne lisons nulle
part ailleurs, son titre de membre du
prytanée.
11 est probable qu'une observation plus
attentive de nos papyrus nous ferait pé-
nétrer plus avant dans leurs secrets. Mais
LES « ORIENTALIA » DE LA BIBLIOTHÈQUE JOHN RYLANDS
363
déjà que de choses intéressantes n'appre-
nons-nous pas, rien qu'à la lecture com-
parée des quinze à vingt lignes dont se
compose ce misérable certificat?
L'analyse matérielle et paléographique
elle-même contribuerait à nous représenter
la légalité romaine en exercice. Ainsi la
formule était établie sur d'étroites bandes
de papyrus beaucoup plus longues que
larges, et dont il semble qu'on ait déter-
miné jusqu'au format, en vue du classe-
ment dans les archives, sans doute. Des
scribes — ils n'ont jamais fait défaut en
Egypte — au service des commissaires
se partagaient la besogne de transcription
du modèle impérial. Le D^ Meyer, ayant
eu la bonne fortune d'un lot de même
provenance qui le mettait à même d'en
établir la statistique comparée, peut ré-
(• partir entre quatre vo;j.oYpi'fO'. de Theadel-
j phia ses vingt libelli. D'autres fonction-
' naires, une fois l'apostasie consommée,
revêtaient l'acte du visa officiel dans la
partie du papyrus demeurée libre pour ce
motif. Le D^ Meyer en trouve quatre pour
ses vingt libelli, ce qui nous fait con-
naître, soit par leur nom, soit par leur
écriture, une dizaine d'agents officiels,
mis en mouvement, rien qu'à Theadelphia,
dans l'espace d'un mois à peine, pour
légaliser vingt déclarations d'apostasie.
Les papyrus de Hambourg offrent en-
core, parfois, une particularité qu'on ne
s'explique pas très bien. Je veux parler
d'une signature proprement dite, celle
d'Hermas, l'un des deux membres de la
Commission de Theadelphia. Cet Hermas,
non content de la formule qui lui fait dire
avec son collègue : \-jz-r'K:o: l-yr^yj; -/.al
'Epai.; do%^h 7t (ou Ouâ;) f)j7'.<x^0'/^7. (ou
OuT'.à^ovTa.;), reprenant les termes de la
déclaration (iç'.w Oaâ^ O-OTr.iJiîcÔTas-Oa'.)
ajoute aussitôt, en très grosse écriture
onciale (tout le reste est en cursive) et en
abrégeant diversement soit son nom, soit
le verbe protocolaire : ePM CECHM( E:;j.aç
TcTT.'JLîÛoaa'-i.
'l l /
Bref, il se dégage de toute cette mise
en scène, de toute cette variété de person-
nages dont les diverses écritures trahissent
l'intervention, je ne sais quoi de révéla-
teur, je ne sais quelle évocation soudaine
de quelques épisodes dune persécution
désespérée. Nous devenons, en quelque
sorte, les témoins de l'histoire doulou-
reuse que devait être celle des lapsi. Mais
aussi quel intéressant formalisme centra-
lisateur, et quel respect de la consigne pa-
perassière de l'administration impériale 1
On voitque tout était uniformément prévu .
même matériellement, pour /assurer ne
varietur à Ledit furieux de Vautocrator
l'obéissance la plus ponctuelle. Aujour-
d'hui même, avec nos modèles imprimés,
notre nivellement, nos préfets, nos huis-
siers et nos gendarmes, nous ne ferions
ni mieux ni pire.
On me pardonnera, j'espère, en raison
de la nouveauté de ce genre de documents,
la complaisance avec laquelle je me suis
étendu sur le libellusde Manchester, auquel
en ce moment même viennent s'ajouter
si à propos les papyrus analogues de Ham-
bourg, en attendant d'autres découvertes
qui ne peuvent manquer.
Germanos Gallophyllax.
Rvde.
LA CRISE ARMÉNIENNE CATHOLIQUE
Voici bientôt un demi-srècle que l'Eglise
arménienne catholique est en proie à un
mal intérieur qui la ronge et la débilite.
Le schisme antihassouniste, qui dura dix
ans, de 1869 ^ ^^19> "'^ P^s cessé de
faire sentir ses effets. Une opposition
sourde contre le haut clergé se manifes-
tait de temps en temps chez certains laïques ;
mais, sous la férule d'Abdul-Hamid, ils
n'osaient trop remuer, dans la crainte très
justifiée de passer pour des révolution-
naires. La proclamation de la Constitution,
en juillet 1908, leur permit de manifester
publiquement leur mécontentement. Au
mois d'août suivant, il se produisit dans
l'église patriarcale de Saint-Jean Chrysos-
tome, à Péra, des scènes scandaleuses; le
patriarche, un vieillard infirme, Me"" Sab-
baghian, fut injurié et sommé de donner
sa démission. C'est ce qu'il fit quelques
mois plus tard, pour le bien de la paix.
On choisit pour lui succéder Ms"" Terzian,
évêque d'Adana, qui avait hautement pris
la défense de ses compatriotes lors des
massacres d'Arménie. Cette élection, dé-
sirée depuis longtemps par les catholiques
arméniens, se fit à l'unanimité des suf-
frages. Or, moins de dix-huit mois après,
la lutte reprenait de plus belle. Que
s'était-il donc passé?
Pour le comprendre, il est bon de se
rappeler la situation faite en Turquie aux
chrétiens indigènes. Chez eux, les chefs
religieux sont en même temps chefs civils,
€t, à ce titre, reçoivent de la Porte le
^<?ra/ (i) d'investiture. Leur autorité civile
s'étend à tout ce qui concerne le statut
personnel des membres de leurs commu-
nautés : succession, séparations de biens,
tutelle, curatelle, adoption, administration
des écoles, des hôpitaux, etc. De plus,
l'élection du patriarche se fait ordinaire-
(i) Bérat, diplôme d'investiture par lequel le
gouvernement turc reconnaît un chef religieux et
lui confère les pouvoirs civils attachés à sa dignité.
ment — et il en est ainsi pour les Armé-
niens catholiques — avec le concours des
laïques. En effet, l'assemblée nationale,
composée en majeure partie de laïques,
propose une liste de trois candidats au
synode ou réunion des évêques, qui doit
choisir parmi eux le chef suprême de
l'Eglise.
Cette participation relative de l'élément
laïque au gouvernement de l'Eglise, qu'on
retrouve dans toutes les Eglises orientales,
ne pouvait manquer d'accroître ses pré-
tentions. Presque aussitôt après la révolu-
tion de juillet 1908, se réunit au patriarcat
arménien catholique le Conseil adminis-
tratif, sorte de parlement national, que
ses promoteurs prétendaient légitime
parce qu'il était conforme au règlement
de 1887. Malheureusement, ce règlement
provisoire, ou plutôt ce projet de règle-
ment, n'a jamais reçu de Rome l'appro-
bation qui lui était nécessaire. Par esprit
de conciliation, Mg"" Terzian entra en rela-
tion avec le Conseil administratif. L'ac-
cord ne fut pas long. Le patriarche se vit
présenter un nouveau règlement encore
plus opposé au droit canon que celui de
1887. Les laïques exigeaient que leur con-
trôle portât : i" sur le mode de gestion
des biens de la nation ; 2^ sur la nécessité,
pour le patriarche et les évêques, de rendre
compte du produit des quêtes et des dons ;
30 sur l'emploi des fonds.
Que les laïques arméniens demandent
à contrôler la manière dont les biens na-
tionaux sont administrés, rien de plus
juste, s'il s'agit des biens donnés par les
Arméniens catholiques. Il paraît, d'ail-
leurs, que le contrôle serait des plus fa-
ciles, car la communauté, en général assez
peu fortunée, ne passe point pour être
très libérale envers le clergé et les églises;
elle préfère compter sur les dons qui lui
viennent de Rome et des catholiques oc-
cidentaux. Mais quel droit de contrôle
existe-t-il pour les laïques sur les aumônes
LA CRISE ARMÉNIENNE CATHOLIQUE
365
recueillies en Europe par les évêques? Ces
dons s'adressent-ils à l'Eglise ou à la na-
tion arménienne catholique? Il ne viendra
à la pensée de personne qu'ils sont des-
tinés, dans l'intention des donateurs, à
servir les intérêts de la nation considérée
comme telle. C'est là un bien purement
ecclésiastique sur lequel l'élément laïque
n'a aucun droit de contrôle.
Pour légitimer ses revendications, le
Conseil administratif prétend que les
évêques emploient pour leurs besoins per-
sonnels une bonne partie des subsides
recueillis dans le monde entier. De plus,
ils auraient acheté en leur nom — soi-
disant pour la communauté — des biens
vakoufs (i), qui, à leur mort, reviennent
à l'Etat, ou des biens ordinaires, qui,
étant inscrits en leur nom, vont à leurs
héritiers naturels.
Le nouveau règlement proposé pour
mettre un terme à ces abus, vrais ou faux,
donne aux laïques un contrôle absolu sur
tous les biens ecclésiastiques, quelle qu'en
soit l'origine. Mg"" Teizian, ne pouvant
accepter ces conditions, rompit avec le
Conseil administratif. 11 quitta alors Cons-
tantinople, alla assister au Congrès eucha-
ristique de Madrid, puis se rendit à Rome
pour la préparation d'un concile national.
Pendant ce temps, l'assemblée laïque
ne cessait de légiférer, de se répandre en
invectives contre le patriarche et quelques
évêques. Pour arrêter ces désordres,
Mgr Terzian envoya une lettre énergique,
déclarant dissoute l'assemblée et mettant
les fidèles en garde contre les menées
schismatiques du parti d'opposition. Au
lieu de se soumettre, celui-ci causa du
scandale, interdit la lecture de la lettre
patriarcale dans les églises; il la fit même
brûler dans la cour de l'église de Saint-
Jean Chrysostome, à Péra. On se serait
cru au plus beau temps du schisme anti-
hassouniste. Par ordre du parti, des jeunes
(i) On appelle vakoufs les biens destinés par
leur proprié'aire à en'retenir une fondation piense.
Ils ne peuvent être transmis qu'aux héritiers di-
rects; à défaut de ceux-ci, ils deviennent propriété
publique.
gens se présentèrent dans les différentes
églises de la ville et des faubourgs pour
empêcher la lecture de la lettre patriarcale.
I fallut l'intervention d'un policier ou
d'une personne indignée (i)pour mettre
à la raison ces prétendus défenseurs de
l'Eglise.
Chose curieuse, en effet, que l'on re-
trouve au début de tous les schismes, le
parti de l'opposition s'érige en champion
de l'Eglise catholique, pendant qu'il couvre
d'injures et de calomnies le patriarche et
les évêques. 11 jure fidélité au Pape, trompé,
dit-il, par les prélats ar/néniens, et prétend
qu'on veut romaniser l'Eglise arménienne.
II insinue même que Pie X se montrerait
bien moins favorablement disposé pour
les Eglises orientales que Léon Xlll. Pure
calomnie, mais qui indique chez ses au-
teurs une fâcheuse tendance au schisme
dont ils menacent d'ailleurs Rome et le
haut clergé arménien catholique. « Si l'on
veut véritablement entreprendre à notre
égard une politique de romatiisation (?),
il est à craindre que la majorité des Ar-
méniens catholiques, pour sauver leur
langue et leur tradition, ne se jettent dans
les bras de l'Eglise grégorienne, et alors
le schisme, qu'on paraît craindre, aura été
provoqué par ceux-là mêmes qui nous
accusent aujourd'hui. » (2)
Cette campagne de presse n'émut point
Mg»" Terzian. De Rome il convoqua, dans
les premiers jours de septembre (3), tous
les évêques arméniens catholiques à un
concile qui devait se tenir dans la Ville
Eternelle. Ce fut une nouvelle explosion
de colère. Le parti de l'opposition prétendit
que cette mesure était illégale et absolu-
ment contraire aux lois organiques de
l'Eglise nationale, d'après lesquelles, à
l'entendre, le concile doit se tenir à Con-
(i) A l'église patriarcale de Saint-Jean Chrysos-
tome, à Péra, un des auteurs du trouble fut vi-
goureusement souffleté par une dame italienne,
outrée du peu de respect qu'on manifestait pour
le lieu saint et pour le patriarche.
(2) Journal la Turquie, 23 septembre 191 1. Dé-
claration de Eram Effendi, sénateur.
(3) La lettre pontiticale de convocation est datée
du 3o août. Voir le texte ci-dessus, p. 821 sq.
366
ECHOS D ORIENT
stantinople. Leurs intrigues auprès de la
Porte obtinrent un résultat : il fut interdit
aux évêques de quitter le territoire ottoman
sans la permission du gouvernement.
Malheureusement pour les opposants, cette
mesure arrivait un peu tard , la plupart
des évêques se trouvaient déjà à Rome.
Pour frapper un grand coup, on réunit,
toujours d'après le règlement de 1887, l'as-
semblée nationale universelle. Cette assem-
blée comprend quarante-deux membres
de la capitale, dont huit ecclésiastiques,
et les délégués des provinces. Les ecclé-
siastiques s'abstinrent de paraître. Privée
de son président, qui est toujours le pa-
triarche, l'assemblée ne se réunit pas
moins le 19 septembre, et prit des déci-
sions très graves. Tout d'abord elle vota
à l'unanimité une motion affirmant éner-
giquement que M*^'' Terzian ne pouvait
être maintenu plus longtemps sur le trône
patriarcal. Puis on envisagea les moyens
propres à amener son départ. Trois déci-
sions furent prises (i) :
1» Aussitôt après les fêtes du Bairam,
on transmettra à la Sublime Porte un
ma{bata (2) exposant les causes de la mo-
tion votée par l'assemblée et priant le
gouvernement de faire le nécessaire, c'est-
à-dire d'exercer une pression énergique
sur Mg'" Terzian pour l'amener à donner
sa démission, ou de lui retirer son bérat.
2» Envoyer au Saint-Siège un mémo-
randum pour exposer la question au point
de vue laïque.
30 Signifier à Ms^' Terzian la motion
votée à l'unanimité par l'assemblée natio-
nale, lui adresser une copie du ma:{bata
envoyé à la Sublime Porte et faire appel
à ses- sentiments patriotiques pour qu'il
donne sa démission.
Le ma:{bata transmis au gouvernement
turc se base sur ce qui est dit dans le
bérai d'investiture : « Les pouvoirs du pa-
triarche lui sont conférés à vie tant qu'il
n'agit pas contre les intérêts de l'empire
{i) La Turquie, 23 septembre 191 1.
(2) Le ma!{bata est un rapport adressé à la Su-
blime Porte.
et de la communauté. » Reste à savoir si
le gouvernement voudra considérer les
actes de Më^r Terzian comme une atteinte
quelconque aux intérêts de l'empire et de
la communauté. Il commence à voir clair
dans ces querelles intérieures, puisqu'il
vient de permettre à deux évêques de se
rendre à Rome pour le concile. Il a d'ail-
leurs trop de soucis pour prendre parti
dans cette querelle.
Pour ce qui est de la seconde décision,
l'assemblée nationale a en effet envoyé au
Pape, le 12 octobre, un mémoire de plus
de cinquante pages, exposant les causes
de la crise actuelle que traverse l'Eglise
arménienne catholique et les raisons pour
lesquelles s'impose la revision du statut
organique. L'opposition fait valoir les
griefs cités plus haut contre l'épiscopat et
proteste contre les intentions de schisme
qu'on lui prête (i).
l^endant que tout cela se passait à Cons-
tantinople, le concile arménien catholique
se réunissait à Rorrte, le 15 octobre, dans
l'église nationale de Saint-Nicolas de To-
lentino, avec seize évêques venus de
Turquie, d'Autriche et d'Italie. Quelques
jours plus tard avait lieu la consécration
de neuf évêques nommés directement par
le Pape, dont trois titulaires.
Tout cela n'est pas pour plaire à l'as-
semblée nationale. La lutte devient de jour
en jour plus vive contre le locum tenens
et le kapou-héhaya (2) nommés par le pa-
triarche. On menace de supprimer la
prière publique qui se fait à la grand'-
messe pour le patriarche. Afin d'éviter de
plus grands désordres, le clergé a dû sup-
primer la messe solennelle dans toutes les
églises pour n'avoir pas à prononcer à
haute voix le nom du patriarche.
Que résultera-t-il de cette crise? Le
concile qui se tient à Rome sous les yeux
du Pape, et qui est seul qualifié pour cela,
va sans doute élaborer un nouveau règle-
ment plus conforme au droit écclésias-
(i) Journal le Moniteur oriental, i3 octobre.
(2) Le kapou-héhaya est le représentant d'une
communauté chrétienne auprès du gouvernement
turc pour les affaires civiles.
BIBLIOGRAPHIE
367
tique et trancher une fois pour toutes les
questions irritantes qui divisent l'Eglise
arménienne catholique depuis plus de
quarante ans. Quel accueil feront aux dé-
cisions conciliaires les partisans de l'op-
position? 11 est difficile de le prévoir.
Peut-être verrons-nous se reproduire les
incidents malheureux qui ont marqué
en 1869 ''^ promulgation de la Bulle
Reversitnis. Ceux qui, mal éclairés, ont
cependant conservé la foi catholique, se
soumettront aux décisions de Rome; les
autres se sépareront, et ce sera tant mieux
pour l'Eglise arménienne catholique.
R. Janin.
-**-^î8C~«»-
BIBLIOGRAPHIE
F. Nau, Nestorius d'après les sources
orientales. Paris, Bloud, igii. i vol.
in-i2 de 60 pages. Prix : o fr. 60.
M. Nau, qui a rendu au monde savant
le signalé service de traduire en fran-
çais le Livre d'Héraclide, donne, dans la
présente brochure, un court aperçu sur la
vie de Nestorius et l'histoire de la contro-
verse nestorienne, en utilisant les sources
orientales, et principalement le Livre
d'Héraclide lui-même. Ces sources orien-
tales sont fort sujettes à caution; M. Nau
nous en avertit. Aussi faut-il se garder
d'apprécier la controverse nestorienne
d'après cette courte esquisse, où des faits
importants et bien attestés sont passés
sous silence et où l'on entend Nestorius
faire sa propre apologie.
Pour porter un jugement équitable sur
saint Cyrille et sur le concile d'Ephèse, il
faut faire grande attention aux prélimi-
naires de ce concile et ne pas oublier que
le cas de Nestorius avait été préalablement
examiné et tranché à Rome, non d'après
les seuls rapports de saint Cyrille, mais
d'après les écrits que Nestorius lui-même
avait envoyés au Pape. M. Nau semble
l'oublier, quand il écrit : « Parce que
saint Cyrille, après avoir envoyé à Rome
une traduction latine de fragments de Nes-
torius, avait obtenu un blanc-seing du
pape Céiestin, toute l'Eglise, sans excep-
tion, a reçu le premier concile d'Ephèse »
(P. 36). Le petit aperçu historique donné
dans le chapitre III sur ce concile est vrai-
ment trop rapide.
M. JUGIE.
A. Tanquerey, Synopsis theologiœ dog-
maticœfundamentalis (i3*' édition entiè-
rement refondue). Rome, 1910, in-8'',
xxxni-748 pages.
M. Tanquerey vient de faire subir à son
manuel bien connu de Théologie fonda-
mentale d'importantes retouches, qui en
font presque un livre nouveau. Il y a des
additions opportunes, d'heureuses suppres-
sions et un remaniement presque complet
dans le plan. L'auteur a su profiter en
général des travaux les plus récents sur
les diverses questions qu'il étudie. Dans
le traité de l'Eglise, il bataille surtout
contre les protestants et ne s'occupe pas
beaucoup des orthodoxes orientaux, bien
qu'il ait mis à profit le court aperçu de
M. l'abbé Charon, dans son ouvrage sur
le Quinzième centenaire de saint Jean
Chrysostome et certains articles du Dic-
tionnaire de théologie Vacant-Mangenot,
dus à la plume des rédacteurs des Echos
d'Orient. La lecture directe de notre revue
eût sans doute fourni à M. Tanquerey des
arguments plus nombreux et plus probants
que les courtes indications qu'il donne
pour établir que l'Eglise schismatique n'est
pas la véritable Eglise.
Ces indications, d'ailleurs, ne sont pas
toujours exactes. On lit à la page 504 :
« Autrefois, le divorce n'était permis, dans
l'Eglise grecque, qu'en cas d'adultère. Or,
d'après un récent décret du saint synode
de Russie, le divorce est permis à cause de
la maladie incurable de l'un des conjoints
ou pour incompatibilité d'humeur, etc. »
Le décret du saint synode dont il est parlé
368
ÉCHOS d'orient
ici n'a jamais existé. Il y a eu tout au plus
des projets qui n'ont pas encore été sanc-
tionnés. On sait d'ailleurs que l'Eglise russe
reconnaît trois cas de divorce : l'adultère,
l'absence prolongée et la perte de tous les
droits civils Pour ce qui regarde 1 Eglise
grecque, je crois que 1' « autrefois » de
M. Tanquerey est fort ancien, l'Eglise
byzantine ayant de très bonne heure toléré
puis accepté les cas de divorce indiqués
dans les lois civ les. Dans une récente
étude sur les cas de divorce dans l'Eglise
byzantine du ix* au xv* siècle, parue dans
la revue russe : la Lecture chrétienne,
M. I. Sokolofen a compté une vingtaine.
Les autocéphalies grecques de nos jours
en pratiquent tout autant. L'Eglise bul-
gare en admet une dizaine.
A la même page 504, on reproche aux
Russes « de reconsacrer les métropolites
qui sont élevés au patriarcat ». Ce rensei-
gnement, ue l'auteur a dû emprunter au
P. Tondini ou à quelqu'un qui l'a copié,
n'a pas grande actualité, vu qu'il y a 1 >ng-
temps qu'il n'y a plus de patriarches russes.
Il est d'ailleurs dénué de toute valeur apo-
logétique, le cas en question s'étant produit
peut-être une ou deux fois dans une Eglise
particulière, célèbre alors par son igno-
rance. De nos jours, il n'est pas un thiolo-
gien orthodoxe qui soutienne que la con-
sécration patriarcale est une répétition de
l'ordination épiscopale.
Signalons encore un argument sans va-
leur qui court les manuels occidentaux et
qui a trouvé place dans la Synopsis de
M. Tanquerey à la page 5 12. Cet argu-
ment consiste à faire appel à l'existence
des nombreuses sectts russes pour établir
que l'Eglise orientale manque de la no;e
d'unité. Ces sectes russes étant excommu-
niées et anathématisées par l'Eglise ofii-
cielle, leur existence ne prouve pas plus
contre l'unité de cette Eglise que l'exis-
tence des nombreuses sectes protestantes
nées au sein du christianisme occidental
ne détruit l'unité de l'Eglise romaine ca-
tholique. Il faut donc renoncer à cet argu-
ment sans portée et en chercher d'autres
— il en existe beaucoup — pour montrer
l'absence d'unité dans l'Eglise orthodoxe
d'Orient.
M. Tanquerey paraît ignorer, p. 637, le
délicat problème que souiève l'origine du
symbole nicénoconstantinopolitain. Il a
paru cependant là-dessus en ces dernièri^s
années de savantes études qui établissent
que ce symbole ne fut pas composé, mais
tout au plus approuve par le concile de 38i .
Le symbole existait, en eflfet, avant 38i.
Contrairement à ce qu'affirme l'auteur, le
concile d'Ephèse ignore complètement le
nicéno-co.istantinopolitain.
M. JUGIE.
L. Fendt, Die Christologie des Nestorius.
Kempten, 19 10, in-8", viii-120 pages.
Cette monographie comprend cinq cha-
pitres. Dans le premier, l'auteur donne
un bon aperçu sur le développement de
la christologie dans l'école d'Antioche et
dans l'école d'Alexandrie. Dans le second,
il examine la doctrine de Nestorius d'après
Ls écrits qui nous restent de lui, et il con-
clut qu'à y regirder de près, le condamné
d'Ephèse n'a pas enseigné d'hérésie et n'a
admis dans le Christ qu'une seule personne,
la personne de Dieu le Verbe (p. 33). Les
troisième et quatrième chapitres nous ren-
seignent sur la doctrine christologique des
ennemis et des amis de Nestorius, et nous
font connaître les jugements que ses enne-
mis ont portés sur sa christologie. Le cha-
pitre final est intitulé : La doctrine de
Nestorius considérée comme hérésie. Ce
qui y est dit est assez surprenant. D'un
côté, Nestorius est proclamé orthodoxe;
de l'autre, saint Cyrille est salui comme
le sauveur de l'orthodoxie, qui ne s'est pas
battu contre une ombre. Comment conci-
lier ces affirmations qui paraissent contra-
dictoires? M. Fendt s'en tire en faisant
remarquer que les formules nestorieanes
étaient très dangereuses pour la toi, et
« pouvaient, le cas échéant, étouffer la
totalité des principes orthodoxes ».
Dire que Nestorius était orthodoxe tan-
dis que ses formules ne l'étaient point est
une thèse difficile à prouver, car comment
connaît-on la pensée intime de .\estorius si
ce n'est par les formules qu il a employées?
M. Fendt, qui a écrit avant la publication
du Livre d'Héraclide, a eu le tort d'ac-
corder une pleine confiance à l'exégèse de
M. Béthune-Baker. C'est seulement par
l'étude tendancieuse de celui-ci qu'il a
connu le Livre d'Hérac'ide. Il y a lieu de
s'étonner qu'il ait accepté la conclusion du
savant anglican sur l'orthodoxie de Nesto-
BIBLIOGRAPHIE
369
rius; il reconnaît, en effet, que Nestorius
était disciple de Théodore de Mopsueste,
et que celui-ci a enseigné le dualisme
hypostatique dans le Christ. Le témoi-
gnage de toute l'antiquité chrétienne aurait
dû l'emporter dans son esprit sur les affir-
mations d'un avocat tard venu du con-
damné d'Ephèse.
M. JUGIE.
JACQUIER ET BouRCHANY, La Résurrectioïi
de Jésus-Christ et les miracles évangé-
liques. Conférences apologétiques don-
nées aux Facultés catholiques de Lyon.
Paris, Gabalda, 191 1, in-i2,xxi-3io pages.
Prix : 3 fr. 5o.
Comme l'indique le titre, MM. Jacquier
et Bourchany ont réuni dans cet ouvrage
les huit conférences qu'ils ont données aux
Facultés catholiques de Lyon sur la résur-
rection de Jésus-Christ et sur les autres
miracles du Maître. Au fond, les deux
auteurs ont, en effet, traité le même sujet,
à savoir : les preuves scientifiques qui
nous obligent à croire à la réalité des
miracles du divin Maître. Et comme le
plus grand de ces miracles est sans con-
tredit la Résurrection du Christ, M. Jac-
quier s'est attaché, dans les quatre pre-
mières conférences, à établir les preuves
historiques de ce premier miracle, prou-
vant d'abord le fait de la mort, de l'ense-
velissement et de la Résurrection de Jésus,
puis examinant le caractère de la foi des
apôtres à cette Résurrection, et enfin dis-
cutant longuement les systèmes rationa-
listes relatifs à cette même Résurrection.
Cette première question élucidée, il res-
tait à discuter le caractère historique des
autres miracles du Christ. Avec plus d'élo-
quence peut-être, mais aussi, semble-t-il,
avec moins de précision, M. Bourchany
a résolu cette seconde partie du problème,
établissant tour à tour la réalité historique
des faits miraculeux rapportés par les Evan-
giles, leur caractère surnaturel, leur valeur
démonstrative en faveur de l'affirmation
personnelle de messianité et de filiation
divine émise par Jésus, et enfin le carac-
tère miraculeux de la sainteté incompa-
rable du Sauveur.
Dans l'ensemble, les preuves apportées
par M. Bourchany constituent certaine-
ment une démonstration au moins pro-
bante. Parfois, cependant, la conclusion
tirée semble dépasser la portée des pré-
misses posées. Ainsi, à la page 214, du fait
que, dans le récit évangélique de plusieurs
guérisons, on ne dit pas que Notre-Seigneur
exige la foi des malades qu'il guérit, l'au-
teur conclut que le divin Maître ne la
demande jamais d'ordinaire. Pour que cette
déduction fût certaine, il faudrait que, d'or-
dinaire aussi, l'Evangile rapporte intégra-
lement toutes les circonstances des faits
mentionnés. Or, on sait que les récits
évangéliques renferment un bon nombre
de lacunes. Par suite, il n'est pas impos-
sible que l'omission des questions de Xotre-
Seigneur relativement à la foi des malades
soit précisément une de ces lacunes ; et, dès
lors, la conclusion de notre auteur perd de
sa certitude.
En somme, quand on a lu les ouvrages
publiés précédemment par MM. Jacquier
et Mangenot sur des questions connexes
de celle-ci, on apprend peu, très peu à la
lecture de ce livre. Toutefois, la forme bien
littéraire de l'exposition plaira aux lecteurs
qui ont horreur des argumentations trop
techniques et qui. en revanche, goûtent plus
volontiers cette sorte d'exégèse débarrassée
du fatras de l'érudition qu'on pourrait
appeler : l'exégèse pour tout le monde.
E. MONTMASSON.
G. Larigaldie, Le vénérable Justin de
Jacobis, prêtre de la Mission, premier
vicaire apostolique de l\\by'ssinie{i8oo-
1860), d'après des documents inédits.
Paris, Lethielleux 1910', in- 12, xxv-
348 pages. Prix : 2 fr. 5o.
C'est une belle figure de saint et de mis-
sionnaire que celle du vénérable Justin de
Jacobis. Cet apôtre de l'Abyssinie mérite
bien le titre de héraut du Christ, dont
M. Larigaldie fait précéder la biographie
qu'il nous en présente. Nos lecteurs ne
pourront être que vivement intéressés à la
lecture de ces pages racontant l'apostolat
d'Abouna Jacob i^c'est le nom que don-
naient les indigènes au vaillant Lazariste)
parmi les Abyssins. Ils y verront le dé-
vouement du missionnaire catholique
pour se faire tout à tous, en dépit des
préjugés et des superstitions de son peuple,
ses efforts pour la formation d'un clergé
indigène et pour la renaissance de l'Eglise
370
ECHOS D ORIENT
d'Abyssinie. L'introduction, mise en tête
du volume par M. Coulbeaux, ancien mis-
sionnaire dans le même pays lui aussi, est
une garantie d'exactitude qui sera fort
appréciée. Nous eussions souhaité plus
d'originalité et de relief dans l'utilisation
et la mise en valeur des documents.
Hormis ce défaut, de portée générale,
concernant la composition et le style,
je n'ai à relever, dans cet ouvrage, que
des veilles typographiques, assez nom-
breuses cependant pour mériterd'attirer l'at-
tention de> éditeurs. A maintes et maintes
reprises, une phrase affirmative, mais com-
mençant par la conjonction aussi ou
quelque autre analogue, se trouve terminée
par un point d'interrogation qui n'a abso-
lument rien à faire là. Voir aux pages xiv,
52, 66, 86, io8, 109, 117, 121, i32, i33, etc.
De plus, les italiques sont multipliés à
l'excès et sans raison suffisante. La note
placée par erreur à la page Sg doit être
reportée à la page 58. Enfin, p. 98, au lieu
de inculque, c'est inculpe qu'il faut lire.
S. Salaville.
J. Labourt, p. Batiffol, Les Odes de
Salomon, une œuvre chrétienne des en-
virons de l'an 100-120, traduction fran-
çaise et introduction historique. Paris,
Gabalda, 191 1, in-8°, viii-122 pages.
Prix : 4 francs.
Nous avons déjà eu occasion de signaler
(Echos d'Orient, juillet 191 1, p. 221 sq.)
l'important travail sur les Odes de Salo7non
fourni à la Revue biblique par deux colla-
borateurs éminents, M. l'abbé Labourt et
M^^"" Batiffol. Le premier s'est chargé de
traduire le texte syriaque; le second, de le
commenter. La réunion de ces pages, fort
savantes assurément, mais de science bien
catholique et de clarté bien française, vaut
la peine d'être saluée avec une joie spéciale
au milieu de la confusion créée jusqu'à pré-
sent par toute la littérature anglo-allemande
de ce sujet neuf. Théologiens, exégètes et
historiens de l'antiquité chrétienne devront
désormais avoir lu ce petit ouvrage, auquel
le R. P. Lagrange se félicite, à bon droit,
d'avoir donné occasion. Indiquons seule-
ment ici la conclusion de M^"" Batiffol, qui
voit dans le christianisme des Odes « un
mysticisme en marge de la grande Eglise,
vraisemblablement le même que combat
Ignace d'Antioche ». On peut le localiser
en Syrie, peut-être dans la province d'Asie,
et le dater de la période 100-120. Un bon
Index eût été fort apprécié des travailleurs.
S. Salaville.
P. Batiffol, L'Eglise naissante et le catho-
licisme, 5'= édition, Paris, Gabalda, 1911,
in-i2 xxviii-520 pages. Prix : 4 francs.
h^s Echos d'Orient {x.Wl, 1909, p. i85)
ont annoncé et recommandé en son temps
la première édition de ce bel ouvrage, qui
restera capital. Il a eu partout le succès
qu'il méritait. Traduit en allemand et en
anglais, près de l'être aussi en italien et en
espagnol, ce livre a provoqué de la part de
M. Harnack les aveux les plus sugge^ifs.
Aussi devons- nous féliciter à nouveau
M-"" Batiff'ol, à l'occasion de cette cinquième
édition, qui diffère des précédentes par
des corrections apportées à bon nombre de
notes indiquées à la page xxvii de l'intro-
duction, et par l'addition d'un très utile
Index anafytique (p. 497-513). On aurait
souhaité que cette nouvelle édition eût at-
ténué l'aspérité de style de certains pas-
sages de lecture un peu pénible. C'eût été
ajouter un avantage extérieur de plus à ce
bon et beau livre, qui réalise pleinement
la dédicace qu'en fait l'auteur à la sainte
Eglise : Matri Ecclesiœ.
S. Salaville.
Conférences de Saint-Etienne (Ecole pra-
tique d'études bibliques), 1910-1911.
Paris, Gabalda, 1911, in-12, 3o8 pages.
Prix : 3 fr. 5o.
Ce second volume des Conférences de
l'Ecole biblique traite les sujets suivants :
A la recherche des sites bibliques, par le
R P. Lagrange; les Aryens avant Cyrus,
par le R. P. Dhorme; la Prise de Jéru-
salem par les Arabes [638), par leR. P. Abel;
Bonaparte en Syrie, par le R. P. Génier;
le Vicomte Eugène-Melchior de Vogué,
par le R. P. Créchet; la Sculpture franque
en Palestine, par le R. P. Germer-Durand;
Au bord du lac de Tibériade, par M. l'abbé
Biever, missionnaire du patriarcat latin.
Cette énumération de titres et d'auteurs
suffit à convaincre que ce second recueil
de conférences unit, non moins que son
BIBLIOGRAPHIE
371
prédécesseur, la valeur scientifique à l'in-
térêt et à la variété.
S. Salaville.
A. Baumstark. Die christlichen Litera-
turen des Orients. I. Das christ lie h-ara-
maïsche und das koptische Schriftum.
IL Das chrisilich-arabische und das
œihiopische Schriftum; Das christliche
Schriftum der Armenier undGeorgier.
(Collection Gœschen.) Leipzig, G. J. Gœs-
chen, i9ii,2vol.in-i6,dei54et iiôpages.
Prix : o mark 80 chaque volume relié.
Ces deux élégantes plaquettes renferment
un excellent abrégé de l'histoire des littéra-
tures chrétiennes orientales non grecques;
c'est, à savoir : la syriaque et la copte,
l'arabe et l'éthiopienne, l'arménienne et
la géorgienne. L'auteur, le D'' A. Baums-
tark, est un des orientalistes les plus dis-
tingués, auteur d'ouvrages remarquables et
directeur de la revue Oriefis christianus.
C'est dire que ces courtes notices sont rédi-
gées avec soin et compétence. Un excellent
index sert de répertoire pour chacun des
deux volumes.
S. Salaville.
X. M. Le Bachelet, S. J., Bellarmin avant
son cardinalat (i542-i5g8i. Correspon-
dance et documents. Paris, G. Beauchesne,
191 1. I vol. in-8' de xxxiv-56o pages.
Prix : 12 francs.
Parmi les théologiens catholiques des
derniers siècles qui ont exercé en Orient
une influence heureuse, Bellarmin vient
certainement un des premiers. Ses Contro-
verses furent l'arsenal où plus d'un théolo-
gien orthodoxe alla puiser pour combattre
les doctrines protestantes. On ne sera donc
pas étonné que nous signalions ici l'im-
portant travail du R. P. Le Bachelet sur
Bellarmin avant son cardinalat. C'est un
recueil bien ordonné de lettres et de docu-
ments inédits dus à la plume du grand
théologien ou se rapportant à lui. Sur
256 lettres et pièces annexes, 107 sont de
Bellarmin. Les autres lui sont adressées
ou le concernent de quelque manière. Les
théologiens liront avec grand intérêt la
correspondance échangée entre Lessius et
Bellarmin à propos de la prédestination
et de la grâce, et les appendices relatifs à
la composition du Ratio studiorum de la
Compagnie de Jésus,
Toutes les pièces sont données dans la
langue où elles ont été composées, en latin
ou en italien. Un résumé succinct en fran-
çais, placé en tète de chaque document, en
fait connaître le contenu. Le R, P. Le Ba-
chelet nous avertit dans sa préface qu'il a
omis certaines lettres de caractère confi-
dentiel et d'ordre absolument privé. Ceux
qui voudraier^t tout savoir regretteront ces
o'missions, mais d'autres n'auront pas de
peine à comprendre cette discrétion, le but
de l'auteur n'étant pas préc sèment de faire
connaître la vie intérieure de la Compagnie
de Jésus durant la vie de Bellarmin.
M. JUGIE
Adhêmakd'Alès, La discipline pe'nitentielle
d'après le Pasteur d'Hermas (Extrait
des Recherches de science religieuse,
n"* 2 et 3, 191 1, p. io5-i39, 240-265).
L'écrit mystérieux appelé le Pasteur
d'Hermas a été diversement interprété par
les critiques pour ce qui regarde la disci-
pline pénitentielle de la primitive Eglise.
Les uns y ont découvert un rigorisme exa-
géré proscrivant toute réconciliation ecclé-
siastique après le baptême. D'autres, au
contraire, y ont vu une tendance à l'indul-
gence et un manifeste contre le monta-
nisme naissant. M. d'Alès n'admet aucune
de ces positions. Pour lui, le Pasteur est
un document privé de la première moitié
du II* siècle, ne trahissant aucune préoccu-
pation dogmatique ou polémique, mais
avant un caractère ascétique et parénétique.
Ce caractère suffit à expliquer les contra-
dictions apparentes que l'on remarque dans
cet écrit. Le Pasteur est un prédicateur
qui sait user d'économie, voire même de
restriction mentale, et qui varie son lan-
gage suivant les auditeurs qu'il a en vue.
Aux catéchumènes et aux chrétiens fer-
vents, il semble dire qu'il n'y a pas de
pardon à espérer après le baptême. Aux
baptisés tombés, quels qu'ils soient, même
aux homicides, aux adultères et aux apo-
stats, il ouvre les portes de la pénitence tt
de la réconciliation ecclésiastique, mais
pour une fois seulement. Quant aux relaps,
« on ne voit pas bien ce que l'Eglise offrait,
mais, sans aucun doute, elle ne les déses-
pérait pas ».
372
ÉCHOS d'orient
Ces conclusions du savant professeur
de l'Institut catholique de Paris nous pa-
raissent parfaitement justifiées. On sent
qu'elles sont le fruit d'une étude très per-
sonnelle du texte du Pasteur. Si certains
critiques catholiques ont donné une inter-
prétation différente, il semble bien que
c'est parce qu'ils ont subi l'influence des
auteurs protestants, qu'on est trop habitué
à considérer comme des oracles quand il
s'agit des origines chrétiennes.
M. JUGIE.
A. d'Alès, Dictionnaire apologétique de la
foi catholique, fascicules V et VI (Eglise,
— Fin du monde) Paris, G. Beauchesne,
1910 et 191 1. Prix: 5 francs le fascicule.
Les fascicules V et VI du Dictionnaire
^Zf>o/oge7/^we renferment vingt-huit articles,
dont voici les titres : Eglise, — Egypte,
— Elections épiscopales dans l'ancienne
France, — Energie, — Enjance {Crimi-
nalité de l'), — Enfer, — Enterrements
civils, — Epigraphie, — Esclavage, —
Etat, — Etat (Culte d'), — Eucharistie,
— Eucharistique (Epiclèse), — Evangiles
canoniques, — Evéques, — Evolution créa-
trice, — Evolution [Doctrine morale de 1 1,
— Exégèse, — Exemption des Réguliers,
— Expérience religieuse, — Extase, —
Extrême-Onction, — Famille, — Femmes
{Ame des), — Ferrer (Affairé), — Féti-
chisme, — Féticide thérapeutique, — Fin
du monde {Prophétie du Christ sur la).
Il serait trop long d'apprécier une à une
toutes ces études. Disons qu'en général
elles sont excellentes. Nous n'avons trouvé
qu'un article un peu faible, celui qui est
consacré à l'Extrême-Onction; et un article
obscur, celui qui traite de l'évolution créa-
trice. Le système de l'évolution créatrice
de M. Bergson n'est pas la limpidité même.
L'auteur de l'article ne paraît pas avoir
réussi à le rendre compréhensible aux pro-
fanes, qui se demandent ce que c'est que
l'intuition immédiate de la vie dépassant
les frontières de l'intelligence.
M. Y. de La Brière donne sur les notes
de l'Eglise une étude vraiment originale,
qui ne manquera pas d'attirer l'attention
des apologistes»et des théologiens. Ses défi-
nitions diffèrent sensiblement de celles
qu'on trouve dans les manuels. La démons-
tration qu'il en tire nous paraît convain-
cante et capable d'impressionner les hété-
rodoxes. Sur certains détails cependant,
nous ne serions pas de son avis. Nous ne
croyons pas, par exemple, « que l'unité de
foi, manifestée par la profession publique
des mêmes croyances », soit chose impos-
sible à vérifier pour chaque doctrine et
dans toute l'Eglise. L'auteur n'entend la
note de catholicité que dans le sens de la
diffusion géographique. Le R. P. Poulpi-
quet a montré récemment que c'était là
une conception incomplète et superficielle
de la catholicité, même comme note de
l'Eglise. La catholicité qualitative, l'esprit
catholique, n'est pas une pure abstraction
qui échappe à toute constatation. Elle se
manifeste au dehors, non seulement par
l'extension géographique, mais encore par
un ensemble de faits percevables à tous les
regards. L'auteur décl-ire, col. 1290, « que
les Eglises orientales conservent la sainteté
des principes par la doctrine et les institu-
tions qu'elles possèdent ». Ce n'est pas
tout à fait exact. Qu'il nous suffise de rap-
pe'er les nombreux cas de divorce auto-
risés de tout temps par l'Eglise grecque, et
plusieurs de ces institutions qu'on appelle
saints synodes, qui consacrent en fait les
empiétements du césaropapisme dans les
choses purement religieuses.
Le R. P. A. Mallon, dans l'article Egypte
142 colonnes), traite successivement de
l'Egypte dans ses rapports avec la Bible,
de la chronologie égyptienne et de la reli-
gion égyptienne. Cette étude est de tout
point excellente. L'auteur maintient réso-
lument le caractère surnaturel de certains
faits bibliques contre le interprétations
fantaisistes des rationalistes, que des catho-
liques acceptent parfois à la légère. L'ar-
ticle Epigraphie (52 col.), que l'auteur, le
R. P. Jalabert, a fait tirer à part, a déjà
été signalé dans cette revue. M. Paul Allard
n'a pas consacré moins de 64 colonnes à
l'article Esclavage. C'est une monographie
très complète sur la question. M. J. Le-
breton condense en 28 colonnes une belle
défense du dogme eucharistique contre ses
adversaires les plus récents, et le R. P. S. Sa-
laville donne en i3 colonnes la fleur de ses
recherches sur la question de l'épiclèse.
L'article Evangiles canoniques, dû à la
plume de M. Lepin, compte i53 colonnes.
C'est une étude magistrale, très facile à
consulter, grâce à ses 325 paragraphes, por-
BIBLIOGRAPHIE
373
tant chacun son titre et son numéro. L'ar-
ticle Evèques (36 col.) étudie les origines
de l'épiscopat. Les zrÂ'iY.o-ry.-T.ztc^ûxz'-.ry. du
Nouveau Testament doivent être consi-
dérés, d'après l'auteur, M. le chanoine
Michiels, comme des prêtres, non comme
des évèques. La doctrine morale de l'évo-
lution (i8 col.) est très clairement exposée
et finement réfutée par M. l'abbé Brune-
teau. Le R. P. A. Durand donne, dans l'ar-
ticle Exégèse (3o col.), d'excellents aperçus
sur 1 histoire de l'exégèse et ses relations
avec le dogme, la tradition et l'Eglise.
Signalons enfin comme particulièrement
dignes d'attention les articles Expérience
religieuse (19 col.) et tamille (25 col.).
M. JuGIE.
J. Bricout, Oii en est l'histoire des reli-
gions ? Tome I" : les Religions non chré-
tiennes, Paris, Letouzey et Ané, 191 1,
in-4", 450 pages. Prix : 7 francs.
Avec la collaboration de MM. Bros, Ca-
part, Dhorme, Labourt, De la Vallée Pous-
sin, Cordier, Habert, And. Baudrillart,
Carra de Vaux, Touzard, Venard, P. Batif-
fol, Bousquet Vacandard, Hemmer, >L Bri-
cout a entrepris de réfuter VOrpheus de
M. S. Reinach en refaisant peu à peu l'his-
toire des religions.
Dans l'introduction au premier volume
de cette étude, le directeur de la Repue du
clergé français indique la méthode à suivre
dans ces recherches. La science des reli-
gions comprendra trois parties: la première
sera un simple exposé des phénomènes
religieux yhiérographie ou histoire reli-
gieuse); la seconde, une étude des carac-
tères permanents qui se retrouvent dans
tous ces phénomènes (hiérologie ou phé-
noménologie religieuse) ; la troisième enfin,
une synthèse méthaphysique de ce qui fait
le fond des religions (^A/ero5o/>/i/e ou philo-
sophie des religions). Malgré les inévitables
répétitions que nécessitera cette triple étude,
la méthode est excellente, car le travail du
métaphysicien et du psychologue complé-
tera ainsi celui de l'historien qui, pour être
plus précis et plus sûr, est nécessairement,
plus superficiel, les simples historiens étant
souvent, comme on sait, de très médiocres
philosophes.
Ce premier volume ne s'occupe que de
l'histoire des religions non chrétiennes :
religions des primitifs, des Egyptiens, des
Sémites, des Iraniens, des Perses, des In-
diens, des Chinois, des Grecs, d^s Romains,
des Celtes, des Germains, des Slaves et
enfin des musulmans.
Les principes de la méthode historique
magistralement exposés par M. Bricout
(p. 23 sq.) ont été généralement suivis par
tous ses collaborateurs, bien que, en maints
endroits, l'ouvrage manque quelque peu
d'homogénéité, ce défaut étant la consé-
quence presque nécessaire de la multipli-
cité des auteurs. Mais, çà et là, puisqu'il
s'agit avant tout d'histoire, on aurait désiré
trouver plus de cohésion dans l'exposé des
faits, plus de précision et aussi moins de
philosophie dans ce volume, puisque pour
le moment on ne se propose pas de faire
la synthèse logique des religions. Ainsi, à
propos delà religion égyptienne, M. J. Ca-
part, qui parle du Livre des Morts, aurait
dû indiquer, sinon exactement, au moins
à peu près la date de la composition de ce
livre, cette question étant de première im-
portance quand il s'agit de prouver l'anti-
quité de la croyance des Sémites à la résur-
re.tion des morts. De même, je deman-
derai à M. De la Vallée-Poussin pourquoi
le chapitre relatif aux religions de l'Inde
est si surchargé de mots nouveaux inexpli-
qués, tels queyo^at p. 2b-j),érotisme{p.2-/i 1,
dynastes (p. 272), que bon nombre de lec-
teurs ne pourront comprendre sans une
étude grammaticale préalable. Enfin, dans
le chapitre consacré à l'islam, M. Carra
de Vaux observe très judicieusement que,
à s'en tenir aux données théologiques du
Coran, on ne peut pas affirmer positive-
ment que les musulmans soient fatalistes.
Mais, s'ils le sont pratiquement, comme
le remarque très justement aussi cet auteur,
il faut bien que cette idée leur ait été ins-
pirée ou par tel passage du Coran ou par
des interprètes fatalistes de la doctrine du
prophète, sinon d'où proviendrait ce fata-
lisme pratique? Il y a là un problème que
M. Carra de Vaux a posé sans le résoudre
(p. 448). Comme la solution de cette ques-
tion n'est pas du domaine de l'nistoire, il
eût mieux valu ne pas s'en occuper ici. Du
reste, le titre de l'ouvrage Où en est l'his-
toire des religions? nous oblige, par sa
forme m' deste, à ne pas être trop exigeant
et à fermer les yeux sur certaines lacunes.
Au fond, en effet, ce livre n'est qu'un essai
374
ECHOS D ORIENT
sur l'histoire des religions, essai qui a eu
des précédents plus ou moins fantaisistes,
essai d'ailleurs très heureux et très sug-
gestif, qui constituera la meilleure des
apologétiques pour la religion chrétienne,
car cette religion n'a rien à perdre, et, au
contraire, a tout à gagner à être mise en
parallèle r.vec les autres.
En finissant, je signale à l'éditeur deux
fautes typographiques. Page 5 : histoii'e im-
partial pour histoire iinpartiale ; page 449:
le religion au lieu de la religion.
E. MONTMASSON.
G. Constant, Rapport sur une mission
scientifique aux archives d' Autriche et
d'Espagne: Etude et catalogue, critiques
de documents sur le concile de Trente.
(Collection des Nouvelles Archives des
missions scientifiques et littéraires,
t.XVlII, fasc. 5/) Paris, Imprimerie Na-
tionale, 19 10, in-80, 364 pages.
M. G. Constant, ancien membre de
l'Ecole française de Rome, publie les résul-
tats de sa mission scientifique aux archives
d'Autriche et d'Espagne. Cette mission
avait pour but de rechercher les documents
concernant l'histoire diplomatique du con-
cile de Trente sous Pie IV, et plus spécia-
lement ses rapports avec la France. On
comprend dès lors l'importance et l'intérêt
de cette publication pour une histoire cri-
tique de la célèbre assemblée. Aussi nous
a-t-il paru utile de signaler à nos lecteurs
ce très consciencieux travail.
S. Salaville.
L. PoiNSSOT, Nouvelles inscriptions de
Dougga. (Collection des Nouvelles Ar-
chives des missions scientifiques et litté-
raires,X. XVIII, fasc. IV). Paris, Impri-
merie Nationale, 1910, in-8'^', 92 pages.
Tous ceux qui s'intéressent à l'épigra-
phie trouveront profit à lire ce nouveau
recueil d'inscriptions trouvées à Dougga,
ancienne cité romaine de la Tunisie du
Nord, non loin de Teboursouk, dont les
ruines ont gardé plusieurs vestiges byzan-
tins. Pourquoi ne pas conserver à ce nom
la forme romaine Thugga, que M. Louis
Poinssot lui avait d'ailleurs laissée dans
des publications antérieures ?
S. Salaville.
Ugo Mioni, La sacra Liturgia, sue ori-
gini, suo sviluppo, suo sigmficato, suo
statto attuale. Studio storico-critico.
Turin, P. Marietti, 191 1, 2 vol. in-12,
481 et 423 pages. Prix : 5 francs.
Cet ouvrage, sans être complet, est un
bon manuel de science liturgique à l'usage
des Séminaires d'Italie. Comme l'indiqu-e
le titre, c'est une étude historico-critique
de la liturgie, dont on examine les origines,
le développement, la signification et l'état
actuel. Voici les divisions adoptées : lieux
sacrés, ornements, vases et objets sacrés,
messe, sacrements et sacramentaux, année
ecclésiastique. L'exposé historique pour-
rait être plus fouillé, mais il faut recon-
naître que les indications et références don-
nées sont en général bonnes et précises.
Un excellent index alphabétique termine
l'ouvrage.
L'auteur est souvent amené à parler des
choses liturgiques grecques, et l'on ne sera
pas trop étonné qu'il lui manque d'être
un peu plus familiarisé avec elles. Voici
quelques errata à relever: t. I", p. 17, on
lit Tipovàov pour TTOovaoç: p. 121, kxySkr^fS<.% au
lieu de £xxÀ7](7ta; t. II, p. 48, note i, cœoaYÔ;
au lieu de o-yûay-;; p. 109, note I, àxôÀou-o;
au lieu de ■j.y.6\o^jbo<;. Fautes vénielles, somme
toute, et qui n'empêchent pas ce manuel
de trancher, par son esprit scientifique et
critique, sur beaucoup de ses confrères.
S. Salaville.
E. Mangenot, Dictionnaire de théologie
catholique, (diScicules xxxn, xxxiii, xxxiv
i^Du?is Scot, — Epoux). Paris, Letouzey
et Ané, 1910 et 191 1. Prix : 5 francs le
fascicule.
Les trois derniers fascicules parus du
Dictionnaire de théologie catholique con-
tiennent, comme les précédents, les articles
les plus variés sur les diverses branches
de la science théologique. Avec le. fasci-
cule XXXIII {Election — Emser) se termine
le quatrième volume du DictioJinaire :
2 5oo colonnes.
Parmi les principaux articles directement
dogmatiques, signalons les a^tûcles: Eglise,
ii5 col.; — Elus {^Nombre des), 27 col.;
— Eîninence {Méthode d'), 10 col.; — En-
durcissement, 9 col. ; — Enfer, 92 col. ; —
Epiclèse eucharistique, 106 col. — L'étuds
BIBLIOGRAPHIE
375
du R. P. Dublanchy sur l'Eglise est une
excellente monographie où les données
historiques et scolastiqu.s sont harmo-
nieusement combinées. L'auteur, col. 2170,
enseigne catégoriquement que les prêtres
schismatiques sont privés de toute juridic-
tion pour absoudre au tribunal de la péni-
tence, excepté à l'article de la mort. C'est
là une opinion un peu rigoriste, qui est
loin d'être partagée par tout le monde. Le
R. P. Romuald Souarn, dans sa Praxis
jnissionarii in Oriente servata, p. 120-
124, donne une solution contraire et l'ap-
puie sur de bonnes raisons. L'article de
M. Michel sur le Xombre des Elus paraît
épuiser la question. On trouvera difficile-
ment quelque chose de plus complet. L'ar-
ticle Enjer, par le R. P. Richard, ne mérite
aussi que des éloges. Quant à l'article Epi-
clèse eucharistique, dû à la plume d'un
rédacteur de cette revue, le R. P. Salaville,
il sera lu avec le plus grand profit par les
théologiens orientaux qui ont sur la ques-
tion une doctrine différente de celle de
l'Eglise catholique. L'auteur y a réuni les
plus amples renseignements sur les tradi-
tions orientale et occidentale, qui lui per-
mettent de concilier heureusement les textes
en apparence contradictoires et de donner
du fait liturgique de l'épiclèse une explica-
tion très satisfaisante et toute favorable à
la doctrine catholique.
La théologie morale est représentée par
plusieurs articles: Egoïsme, 4 col., court
mais plein de choses; — Empêchements de
nariage, 60 col.: — Envie, — Epoux
Devoirs des), etc.
Au droit canon appartiennent deux
longues études très documentées sur Ve'lec-
iion des évéques, 25 col., et ï élection des
Papes, 39 col.; à l'exégèse, les monogra-
phies sur VEcclesiaste, 28 col. ; V Ecclésias-
tique, 26 coi. ; la prophétie de t Emmanuel,
II col.; VEpitre aux Ephésiens, 26 col.;
à la liturgie, les articles Eau bénite et Elé-
vation; à l'histoire, le savant article sur
VEpigraphie chrétienne, 58 col.; les ar-
ticles Ebionites, Elcésaïtes, Encratites,
Concile dElvire, 20 col. ; Concile d'Ephèse,
26 col., et un grand nombre de notices sur
des Pères, des théologiens, des person-»
nages ecclésiastiques. Citons seulement les
articles Dupanloup, Duperron, Durand
de Saint-Pourçain, Ebed Jésus, Elie de
Crète, Eckart, 23 col. ; Elipand de Tolède,
Ephrem, Epiphane. Les articles Durand
de Saint-Pourçain et Epiphane sont infé-
rieurs au point de vue théologique. L'évêque
de Salamine méritait certainement plus de
deux colonnes, et il eût été d'un grand
intérêt d'avoir des détails sur les opinions
originales de Durand.
M. JUGIE.
J. Martin, TAowassini 1619-1695 ), de la col-
lection Science et Religion 1 Les grands
théologiens). Paris, Bloud. 191 1. i vol.
in-i2 de 128 pages. Prix: i fr. 20.
C'est un grand service que M. l'abbé
J. Martin rend aux travailleurs en résu-
mant les œuvres des grands théologiens
français du xvii« siècle. Après nous avoir
fait connaître Pétau, il nous pré'^ente son
émule, Thomassin, et analyse fort claire-
ment les deux principaux ouvrages du cé-
lèbre Oratorien : les Dogmata theologica et
l'A ncienne et nouvelle discipline de l'Eglise.
Comme historien du dogme, Thomassin
n'a pas l'envergure de Pétau. La claire
notion du développement dogmatique lui
échappe. Aussi son interprétation des textes
patristiques est-elle parfois sujette à cau-
tion. Il s'est en général attaché à mettre en
lumière les questions que Pétau avait lais-
sées dans l'ombre. Telle qu'elle est, son
oeuvre est d'une grande utilité, à cause des
recueils de textes patristiques qu'elle ren-
ferme. Comme historien de ia discipline
de l'Eglise, Thomassin ne mérite que des
éloges. U Ancienne et nouville discipline
de l'Eglise reste son chef-d'œuvre. Cet
ouvrage a contribué à dissiper le préjugé
naïf qui dominait les esprits au xvii» s ècle
sur l'immutabilité de la discipline et sur
l'absolue perfection des premiers siècles.
Dans son examen de la théologie de
Thomassin, M. l'abbé J. Martin n'insiste
pas assez, à notre avis, sur ies considéra-
tions originales et profondes de caractère
proprement théologique qui constituent
un des principaux mérites des Dogmata
theologica. L'analyse du traité de l'Incar-
nation en particulier paraît un peu maigre.
L'auteur s'est laissé guider un peu trop
exclusivement par le point de vue positif.
Il est vrai qu'il est difficile de tout dire
dans un résumé.
M. JUGFE.
376
ECHOS D ORIENT
J. N. W. B. ROBERTSON, The divine and
sacred Liturgies of our Fathers among
the Saints John Chrysostom and Basil
iheGreat, edited with an english Trans-
lation. London, David Nutt, 1886, petit
in-8° de viii-223 pages.
M. Robertson est le premier écrivain
qui ait entrepris de traduire en langue
anglaise nos saintes liturgies byzantines.
Le nombre considérable des émigrés ortho-
doxes, meî kites et hellènes dans les grandes
villes d'Angleterre fut à ses yeux un motif
urgent pour combler une lacune dans
l'Eglise anglicane. Ces émigrés, en effet,
avaient totalement oublié leur langue ma-
ternelle et ils n'entendaient plus que la
langue anglaise. Dans son Introductory
Notice, M. Robertson, p. vu, nous avertit
que « ce manuel est spécialement destiné
à l'usage des communautés grecques de
Londres, de Liverpool et de Manchester.
Il pourrait tout aussi bien servir aux voya-
geurs parlant la langue anglaise et à ceux
qui assisteraient à la divine Liturgie dans
les églises du rite gre: en Orient ».
Peut-être aussi l'auteur a-t-il entrepris ce
travail sur la requête d'un certain archi-
mandrite hellène du nom de Hiéronymos
Myriantheus, alors très influent à Londres,
et à qui il dédie son livre.
M. Robertson nousdonne,dansunecourte
Introduction, la division de son travail :
I. La Liturgie de saint Jean Chrysostome,
avec l'office complet de la Prothèse et toutes
les particularités de la Messe célébrée avec
le ministère du diacre, p. i-i52. II. La Li-
turgie de saint Basile le Grand, p. 152-198.
Enfin, un Appendice, p. 198-228, renferme
les tropaires et antiphones du commun et
des principales lêtes. Parmi les formules
finales dites 'ArrôXud'.;, celle de la Pentecôte
se trouve omise. A la page 214, une longue
prière intitulée Eù/Yj ïtzX Mctavoo'JvTwv n'est
autre chose qu'une formule d'absolution
collective et déprécative, tirée du grand
Eucholcge et en usage dans l'Eglise ortho-
doxe.
P. 216-220. sous le titre d"AxoÀo'jO''a tou
ToKjay'ou, nous lisons le petit service fu-
nèbre que le prêtre récite à la maison du
défunt avant la levée du corps. Enfin,
p. 220-223, M. Robertson nous cite les
hymnes que l'on chante en Grèce, à la
Messe même, pour la famille royale.
Notons que dans toutes les parties de ce
livre l'auteur nous donne exactement le
texte grec, et en regard la traduction an-
glaise. Celle-ci est élégante par endroits et
presque servile à certains moments. L'au-
teur ne semble pas être bien familiarisé
avec le génie de la langue grecque. Ainsi
il nous traduit toujours Toj èv àytoiç irariô;
Yjjxwv par of our Father among the
Saints, au lieu de of our holy Father, etc.
OsoTÔxo; est toujours rendu simplement par
Theotokos ; ôu<Tta<7Trjf.'.ov, par Altar au lieu
de Sanctuary, etc., etc. Il serait trop long
de dresser la liste complète de ces inexacti-
tudes. Par ailleurs, la typographie, tant
grecque qu'anglaise, est remarquable, l'im-
pression est soignée et le cérémonial adopté
est irréprochable. On voit que l'auteur
a beaucoup utilisé le Hiératicon, bien
qu'il nous avertisse, dans l'introduction,
qu'il a pris son texte grec dans l'Eucho-
loge.
Ce livre est devenu très rare, et peut-être
est-il complètement épuisé à l'heure ac-
tuelle. Durant nos voyages apostoliques
dans l'Amérique du Nord, nous en avons
découvert un vieil exemplaire possédé par
un Syrien originaire de Zahlé et habitant
Vancouver (British Columbia), dans le
Sud-Ouest canadien. Cette traduction an-
glaise de nos saintes Liturgies a échappé
au R. P. Cyrille Charon dans son excellent
travail sur le Rite byzantin, Rome, 1909.
Bientôt nous espérons donner une nouvelle
traduction anglaise des trois liturgies by-
zantines, pour l'usage des émigrés syriens
de l'Amérique septentrionale, dont la plu-
part n'entendent que l'anglais.
Paul Bacel.
Revue franco-bulgare, publiée par la So-
ciété des anciens élèves du collège fran-
çais de Philippopoli. Rédaction et admi-
nistration : Collège français, Philippo-
poli (Bulgarie). Trimestrielle : Bulgarie,
5 francs par an ; Union postale, 6 francs.
Premièreannée: octobre 1910-juillet 191 1,
in-8°, 216 pages.
Les Echos d'Orient se doivent de signaler
• à leurs lecteurs la fondation de cette revue,
dont le titre même est un programme. Les
directeurs du collège français Saint-Au-
gustin, de Philippopoli, ont eu une heu-
reuse idée en ajoutant l'enseignement écrit
BIBLIOGRAPHIE
377
de ce bulletin trimestriel à leur enseigne-
ment oral si dévoué et si apprécié. Outre
d'intéressants articles littéraires, histo-
riques, économiques concernant la Bul-
garie et la France, on trouve dans ce pre-
mier volume des notes fort précises de géo-
graphie, d'ethnographie, d'archéologie, de
statistique. Signalons-y notamment : les
pages bien documentées sur l'antique Phi-
lippopoli, période thrace, macédonienne
et romaine, signées Gospodinof; le Coup
d'œil ethnographique sur les Bulgares,
par N. Matéef : la Liste des premiers sou-
verains bulgares, par G. Savoie; le très
intéressant article Au sein d'une « Mo-
ghila •», Impressions d'un violateur de sé-
pultures, par un archéologue de profession,
M. Georges Seure, ancien élève de l'Ecole
française d'Athènes; la note très précise
de M. Ch. Adam, recteur de l'Université
de Nancy, sur les étudiants slaves à cette
Université: la conférence du R. P. Privât
Bélard sur les Français à \ arna en 1854,
dont le titre suffit à dire le vif intérêt; la
notice sur la Banque agricole de Bulgarie,
par G. d'Hont, directeur de l'Institut com-
mercial franco-bulgare; celle de M. Ivanof
sur l'Académie bulgare iceWedeM. L.Santi,
consul de France, sur le Commerce d'im-
portation en Bulgarie; les Actualités, si-
gnées Miranbel, Ivanof ou d'autres noms
encore.
Bien que nous n'ayons pas l'habitude
de signaler, dans cette revue, les produc-
tions poétiques concernant l'Orient, nous
croyons utile cependant, pour permettre
aux lecteurs de se faire une idée complète
de la Revue franco-bulgare, de men-
tionner les alertes et fines poésies signées :
F. Guérin, P. de Chèvremont, G. Chas-
sagne, S. Michaïlovsky, A, Lhaint.
Est-il besoin de dire, après cette énu-
mération de titres et d'auteurs, que les
Echos d'Orient offrent à la Revue franco-
bulgare les plus fraternels souhaits de
succès pour l'extension de la belle œuvre
du collège Saint-Augustin?
Un desideratum : puisque la Revue
franco-bulgare est destinée à former d'in-
téressants volumes que l'on aimera à garder
et à consulter, la Rédaction voudra bien
ne pas oublier désormais d'insérer une
table des matières à la dernière livraison
de l'année.
S. Salaville.
ChRYSOSTOME PAPAtX)POULOS, 'IdTOSta tt.;
' E X X À Y, T ■' a ; ' I e ç 0 ç 0 À -j t w / , Alexandrie.
Imprimerie patriarcale, 1910, in-S" xxxii-
812 pages.
M. Chrysostome Papadopoulos, l'érudit
professeur d'histoire ecclésiastique à l'an-
cienne école théologique de Sainte-Croix,
nous décrit, dans ce "nouvel ouvrage, les
luttes et les gloires de l'Eglise de Jérusalem,
des origines à nos jours.
Dans une préface assez étendue, il donne
le plan de son travail et met rapidement le
lecteur au courant des études qui ont été
faites jusqu'ici sur Jérusalem et la Pales-
tine en général ; nous sommes heureux de
constater qu'il ne passe point sous silence
les savants catholiques, laïques ou religieux
qui s'en sont occupés. Il les a d'ailleurs
largement mis à contribution ici et là, et
nous ne pouvons que l'en féliciter.
Ce volumineux travail de 812 pages est
divisé en trois parties principales.
Dans la première, nous voyons d'abord
l'Eglise de Jérusalem depuis sa fondation
jusqu'à Constantin; puis son âge d'or, de
326 à 45 1 ; et, finalement, le développement
de la vie monastique dans son sein, de 461
à 638. C'est la période de beaucoup la plus
intéressante, et l'auteur y écrit en historien
assez impartial.
Avec la deuxième partie, nous assistons
aux deuils successifs de l'Eglise subissant
les contre-coups des invasions arabes. Elle
décrit aussi la prétendue oppression que
les croisés auraient exercée sur les chré-
tiens indigènes, et en particulier sur le
clergé grec du Saint-Sépulcre. M. Papado-
poulos fait, durant quelques pages, abs-
traction de sa qualité d'historien impartial
qu'il devrait être jusqu'au bout, pour sacri-
fier aux préjugés de sa race.
Il est si dur aux descendants des vieux Hel-
lènes, indépendants et fiers, de se courber
sous un joug autre que celui du Turc! Et
pourtant, les documents du temps nous
disent assez combien doucement s'exerçait
la domination franque. Cette section est
close par un chapitre sur les malheurs que
l'Eglise eut à subir de la part des Mame-
luks d'Egypte aux xiv« et xv^ siècles.
Enfin, la troisième partie, qui va de iSiy
à nos jours, a surtout trait aux Lieux Saints
et aux luttes quasi homériques que le haut
clergé grec a dû soutenir contre les hétéro-
378
ÉCHOS d'orient
doxes (Franciscains, Arméniens, Coptes,
Abyssins, Géorgiens, et même Jésuites),
pour en conserver la jouissance.
. Il paraît ressortir des différents actes
émanés de la Sublime Porte pendant les
quatre derniers siècles que les orthodoxes
arabophones n'ont aucun droit sur les sanc-
tuaires palestiniens. 'Mais nous ne trouvons
pas exposés ici les moyens plus ou moins
loyaux par lesquels les Hellènes obtinrent
ces nombreux firmans en leur faveur. Quant
aux tentatives des latins pour recouvrer les
Lieux Saints, d'où leurs adversaires les
avaient traîtreusement expulsés, il semble
les taxer d'injustice flagrante et sacrilège.
Or, quel est le plus injuste, celui qui ré-
clame un trésor dont un voisin l'a dépouillé
ou celui qui a pris le bien d'autrui et qui
arrache au souverain, à prix d'argent, la
sanction de son usurpation?
Un chapitre précieux entre tous, et qui
termine le livre, c'est celui qui nous parle
de la confrérie grecque-orthodoxe du Saint-
Sépulcre. On a peu écrit sur cette Société
d'un genre tout à part; ce court abrégé de
ses Constitutions fait désirer la publication
de leur texte intégral.
En résumé, l'auteur a essayé de nous
prouver la sainteté prééminente et le glo-
rieux prestige de son Eglise sur les autres,
et il nous a affirmé un peu gratuitement
qu'elle a toujours eu un haut clergé de race
et de langue grecques. Mais ce qui ressort
plus que tout le reste, c'est le fanatisme
anticatholique de ses prêtres, surtout depuis
la chute du royaume franc. De plus, les
erreurs historiques de détail, qui ne sont
point rares dans ce livre, ont été plutôt
voulues, car notre historien a puisé à de
bonnes sources, et il lui était aisé de recourir
à de meilleures encore, tant on a déjà tra-
vaillé cette partie de l'histoire byzantine.
A. Chappet.
Manuel Gédéon, a-, oàorctç tou Tias ' 7i[i.îv èxxXt,-
c7'.a(7T'.xou ^^iTTjfxaToç. Constantinople, Im-
primerie patriarcale, 1910, in-8^\9i pages.
Le titre de cet ouvrage, « les phases du
débat ecclésiastique agité parmi nous »,
devient très clair pour qui veut seulement
examiner la date de sa composition : igio,
c'est-à-dire en plein régime « jeune-turc »,
et se rappeler que les nouveaux venus au
pouvoir en Turquie ont décidé la suppres-
sion de tous les privilèges civils accordés
aux Eglises, en particulier à la plus influente
d'entre elles, l'Eglise grecque orthodoxe.
On espère donc. trouver ici un exposé mé-
thodique des phases diverses par lesquelles
ont passé ces privilèges depuis 1453.
Le nom de l'auteur, grand archiviste et
annaliste de « la Grande Eglise », semble
promettre des détails précis, basés sur des
documents anciens ou même inédits.
Mais la déception n'en est que plus grande.
Je ne sais pourquoi, peut-être par ce qu'il
s'adresse surtout au peuple, M. Gédéon a
cru utile à la cause qu'il défend de sortir
du domaine des faits et de s'élever vers les
hauteurs sereines de la théologie, de la phi-
losophie, du droit canon, etc. Il se propose
de montrer comment, dans l'Eglise ortho-
doxe d'Orient, le pouvoir spirituel a tou-
jours, depuis le premier siècle jusqu'au
xx^, résisté aux envahissements successifs
du pouvoir temporel.
Par malheur, cette thèse, fût-elle vraie,
ne prouverait rien dans la question pré-
sente. La Jeune-Turquie n'a pas parlé en-
core de s'immiscer dans le domaine spiri-
tuel de l'Eglise; elle veut seulement mettre
fin à une condition civile privilégiée.
C'est seulement au dernier tiers de son
travail que l'auteur aborde enfin le vrai
sujet du livre. Pourquoi faut-il qu'ici encore
la même confusion du spirituel et du tem-
porel entraîne l'auteur en des périodes d'un
pathétique émouvant sans doute, mais qui
l'empêchent de nous donner un exposé pré-
cis des privilèges civils concédés à l'Eglise
orthodoxe et des phases par lesquelles ils
ont passé ?
Ces réflexions générales suffiront à faire
apprécier la brochure de M. Gédéon et me
dispenseront de relever des erreurs de dé-
tail, comme par exemple la date 347 assi-
gnée au concile de Milan, tenu en 355.
' F. Cayré.
TABLE DES MATIÈRES
QUATORZIÈME ANNÉE 1911
I. — Sommaire des livraisons.
I. Janvier.
A'" 86.
I. Lettre de S. S. Pie X aux délé-
gués apostoliques d'Orient 5
II. Consécration et épiclèse, d'après
Chosrov le Grand, S. Salaville. io
III. Le protévangile de Jacques et l'Im-
maculée Conception, M. Jugie. i6
IV. Statuts de l'exarchat bulgare{suite). 20
V. Chrysobulle de l'impératrice Théo-
dora (i283), S. Pétbidès 23
VI. Annexion de l'Illvricum au pa-
triarcat oecuménique, S. Vailhé. 29
VII. Doctrine de r'AT:â6c:a d'après saint
iMaxime, E. Montmasson 36
VIII. Le monachisme oriental, A. Ca-
TOiRE 42
IX. Pour l'union des Eglises, S. Vailhé. 48
X. La crise religieuse en Roumanie,
Jean-Marie 5i
XI. Bibliographie 55
II. Mars.
A- 87.
I.
U.
III.
IV.
V.
VI.
VII.
VIII.
IX.
Nestorius jugé d'après le « Livre
d'Héraclide », M. Jugie 65
Quelques superstitions liturgiques
chez les Grecs, L. Arnaud jb
Formation de l'EgUse bulgare,
S . Vailhé 81
La cérémonie du lavement des
pieds à Jérusalem, S. Pétridès.. 89
Décrets des Chapitres généraux des
Basiliens chouérites, de ijbo à
1790, P. Bacel 98
L'église Sainte-Euphémie et Rufi-
nianes, à Chalcédoine, t J. Par-
goire 107
Organisation de l'Eglise grecque
orthodoxe de Constantinople,
E. Montmasson 1 10
Rapprochement entre le patriarcat
oecuménique et l'exarchat bul-
gare, G. Bartas 116
Bibliographie 1 23
III. Afai. — N° 88.
I. Le R. P. Sophrone Rabois-Bous-
quet, La Rédaction i 2q
II. Sentence synodique contre le
clergé unioniste (i283), t S. Pé-
tridès ! 33
III. La primauté romaine au concile
d'Ephèse, M. Jugie 1 36
IV. Prières superstitieuses des Grecs
de Chimara, L. Arnaud 146
V. Formation de l'Eglise bulgare (fin),
S. Vailhé 1 52
VI. Organisation de l'Eglise grecque-
orthodoxe de Constantinople
(fin), E. Montmasson 161
VII. Le divorce, d'après l'Eglise catho-
lique et l'Eglise orthodoxe, A. Ca-
toire 167
VIII. Statuts de l'exarchat bulgare (suite). 170
IX. Sceaux byzantins, J. Germer-Du-
rand 1 76
X. A travers l'Orient chrétien, G. Bar-
tas 178
XI. Bibliographie 186
IV. Juillet. — .V 89.
I. Sévérien de Gabala et le symbole
athanasien, M. Jugie iqS
II. Documents sur la rupture de
l'union de Florence, t S. Pétri-
dès 2o5
III. Inscription byzantine de Scytho-
polis, J. Germer-Durand 207
IV. A propos de la cuiller liturgique
chez les Grecs, L. Arnaud 209
V. Statuts de l'exarchat bulgare (fin). 212
VI. L'image de la Vierge de Péramos,
Th. Xanthopoulos 2 : -
Vil. Bulletin de liturgie et d'archéologie
chrétienne, S. Salaville 220
VIII. Une inscription byzantine de Jéri-
cho, S. Vailhé 211
IX. Vestiges byzantins dans l'art mu-
sulman, E. Montmasson 232
380
TABLE DES MATIERES
X. Statistiques monastiques des
Eglises orthodoxe es autoqé|5Tia[ks,
M. JUGIE f... .^i . . 235
XI. A travers l'orthodoxie,' p. Bardas. 237
XII. Bibliographie \ .'". 244
y. Septembn:. — .V" yo.
I. Jj'épiscopât de Nestorius, M. Jugie. 2bj
II. LJne innovation nturgique à
.Alexandriêen 1702, S. Sala VILLE. 268
III. Un« inscription latine à Galaia de
I418, J. GOTTWALD 270
IV. Le psopre grec de Jérusalem,
t S Pétridès 272
V. Les philopones d'Oxyrhynque au
iv*^ siècle, S. Vailhé 277
VI. Un. manuscrit chrétien en dialecte
turc : le Codex cumanicus, S. Sa-
LAviLLE 278
VIL Note bibliographique: deux dates
pour une même édition, F. Lar-
RIVAZ 286
VIII. Les quatre néo-martyrs d'Agri-
nion, L. Arnaud 289
IX. Le premier synode syrien deCharfé
(ler décembre i853-i4 janvier
1854), P. Bacel 293
X. Les Orientalia de la bibliothèque
John Rylands, G. Gallophylax. 299
XL Organisation de la communauté
grecque-orthodoxe de Kadi-Keuï,
E. MONTMASSON 302
XII. Le 3* Congrès de Vélehrad,
M. Jugie 3o8
XIII. Bibliographie 3ii
VI. Novembre. — N" gi.
I. Lettre de S. S. Pie X pour la con-
vocation d'un concile arménien
à Rome 32!
IL Théologie orthodoxe et théologie
catholique. A propos d'un livre
récent, M. Jugie 323
III. Le néo-martyr Michel Mauroeidès
et son office, t S. Putrides 333
IV. L'homme créé à l'image de Dieu,
d'après Théodoret de CyretPro-
cope de Gaza, E. Montmasson.. 334
V. Une période troublée de l'histoire
de l'Eglise melkite (1759-1794).
L L'élection anticanonique
d'Athanase V Jauhar (1759),
P. Bacel 340
V . Les rapports de l'Eglise et de
l'Etat d'après un canoniste ortho-
doxe, A. Catoi«e 352
VIL Tessar'acoste : Carême ou Ascen-
sion? S. Salaville 355
VIII. Les Orientalia de la bibliothèque
John Rylands (fin), G. Gallo-
PHYLAx 357
IX. La crise arménienne-catholique,
R. Jamn ... 364
X. Bibliographie 367
XL Table des matières 37c
II.
Liste alphabétique des auteurs.
Arnaud (L.). — Quelques superstitions li-
turgiqueschez lesGrecs. 75
— Prières superstitieuses des
Grecs de Chimara 146
— A propos de la cuiller li-
turgique chez les Grecs. 209
— Les quatre néo- martyrs
d'Agrinion 289
Bacel (P.). — Décrets des Chapitres gé-
néraux des Basiliens
chouérites de 1750 à
1790 98
— Le premier synode syrien
de Charfé (i'^'' décembre
1853-14 janvier 1854).. . 292
— Une période troublée de
l'histoire de l'Eglise
melk:ite(i 759-1 794). I.L'é-
leciion anticanonique
d'Athanase V Jauhar
(1759) 340
Bartas (G.). — Rapprochement entre le
patriarcat œcuménique
et l'exarchat bulgare. . . 116
— A travers l'Orient chrétien. 178
— A travers l'orthodoxie... 237
Bibliographie. . . 55, i23, 186, 244, 3ii, 367
Catoire(A.). — Le monachismeoriental. 42
— Le divorce, d'après l'Eglise
catholique et l'Eglise
orthodoxe 167
— Les rapports de l'Eglise
et de l'Etat d'après un
canoniste orthodoxe.. . 352
Gallophylax (G.). — Les Orientalia de
la bibliothèque John
Rylands 29 ), 357
Germer-Durand (J.) — Sceaux byzantins. 176
— Inscription byzantine de
Scythopolis 207
Gottwald (J.). — Une inscription latine
à Galata de 1418 270
TABLE DES MATIERES
381
J.vNiN (R.). — La crise arménienne-catho-
lique 364
Jean-Marie. — La crise religieuse en
Roumanie 5i
JrGiE(M.). — Le protévangile de Jacques
et l'Immaculée Concep-
tion 16
— Nestorius jugé d'après le
« Livre d'Héraclide ». . 63
— La primauté romaine au
concile d'Ephèse i36
— Sévérien de Gabala et le
syrnbole athanasien.. . . 194
— Statistiques monastiques
des églises orthodoxes
autocéphales 233
— L'épiscopat de Nestorius. 257
— Le 3« Congrès de Vélehr ad. 3o8
— Théologie orthodoxe et
théologie catholique. A
propos d'un livre récent. 323
Larrivaz (F.j. — Note bibliographique :
Deux dates pour une
même édition 286
MûNTMAssoNi E.».— Doctrineder'A-i^î'.a,
d'après saint Maxime... 36
— Organisation de l'Eglise
grecque orthodoxe de
Constantinople ... 1 10, 161
— Vestiges byzantins dans
l'art musulman 232
— Organisation de la com-
mun auté grecque orth o-
doxe de K.adi-K.euï. . . . 3o2
— L'homme créé à l'image
de Dieu, d'après Théo-
doret de Cyr et Procope
de Gaza 334
t Pargoire (J.). — L'Eglise Sainte-Euphé-
mie et Rufinianes à
Chalcédoine 107
t Pétridès (S.). — Chrysobulle de l'impé-
ratrice Théodora ( 1 283). 25
t Pétridès (S.). — La cérémonie du la-
vement des pieds à Jé-
rusalem 89
— Semence synodique contre
'leclergé-unioniste(i283). i63
— Documents sur la rupture
'. de l'union de Florence.
— Le propre grec de. Jéru-
salem.» -. ....'i.. 272
— Lendo-m^rtycAlicfielMaU-
roeidès et son office».. 333
Pie X (S. S. le Pape). — Lettre de S. S.
Pie X aux délégués apo-
stoliques d'Orient .- -
— Lettre pour la convocation^ " •
d'un concile arménien à
Rome .'.. 32 i
Rédaction (La). — Le R. P. Sophrone
Rabois-Bousquet .. 120
Salaville (S.). — Consécration et épi-
clèse, d'après Chosrov le
Grand 10
— Bulletin de liturgie et d'ar-
chéologie chrétienne.. . 220
— Une innovation liturgique
à Alexandrie, en 1702. 268
— Un manuscrit chrétien en
dialecte turc : le Codex
cumaniciis 278
— Tessaracoste : Carême ou
Ascension? 355
Vailhé [S.). — Annexion de rillyricum
au patriarcat œcumé-
nique 29
— Pour l'union des Eglises. 48
— Formation de l'Eglise
bulgare 81, i32
— Une inscription byzantine
de Jéricho 211
— Les philopones d'Oxy-
rhynque au iv"' siècle. . . 277
Xanthopollos (Th.). — L'image de la
Vierge de Péramos..., 217
in. — BlBLIOGRAPHfE.
Abel (F. M.), — Une croisière autour
de la mer Morte 63
Alès (Adhémar d'). La discipline péni-
tentielle d'après le Pasteur d'Hermas. Z-ji
— Dictionnaire apologétique de la foi
catholique (fasc V et VI) 372
-RABANTINOs(P.). 'Hîis-.pw-rtxôvYXwoffiiiov. 190
Archatzik_AKIS (J.), — Ai xyptOTépas ioptal
cv TY) àvaToXixr, 'Exx).r,<rt'a 225
Bachelet (X. h\. Le). — Bellarmin avant
son cardinalat {i 542-1 5g8) 371
Bang (W.). — Beitrœge ^ur Erklœrung
des komanischen marienhymnus, —
L'eber einen komanischen Kommu-
nionshymnus. — Zur Kritik des Codex
Cumanicus. — Beitraege ^ur Kritik des
Codex Cumanicus. — Turkologische
Epikrisen. — .Xltaische Streijlichter.
Bassi (D.)., E. Martini (D.). — Disegno
storico délia ri ta e cultura greca
Batiffol (P.). — Histoire du bréviaire
romain
3i4
IQ2
22t>
382
TABLE DES MATIERES
Batiffol (P.). — Odes de Salomon, une
œuvre chrétienne des environs de l'an
100-120, traduction française et in-
troduction historique Syo
— L' Eglise naissante et le catholicisme . Syo
Battandier (A.). — Annuaire pontifical
catholique, 14*^ année 246
Baudrillart, a. Vogt, U. Rouziès. —
Dictionnaire d'histoire et de géogra-
phie ecclésiastiques (fasc. II-IV). 127, 266
Baumstark (A.). — Festbrevier und
Kirchenjahr der syrischen Jakobiten. 224
— Die Konstpol. Messliturgie vor
dem IX Jahrh 226
— Die christlichen Lileraturen des
Orients Syi
Beccari (C-). — Notif^ia eSaggi di opère
e documenti inediti riguardanti lasto-
ria diEtiopia durante isecolixvi, xvii,
e xvHi 56
— // Tigré descritto da un )nissio7ia-
rio gesuita del secolo xvii 5/
Bonl:lli (L.), Iasigian (S.). — // turco
parlato [lingua usuale di Costantino
poli) : Cenni grammaticali, dialoghi
e vocabolario italiano-turco 314
ho^GOTA.KH'EKO {i.). — Quœstionespracticœ
theologiœ moralis ad usum missiona-
riorum prœsertim orientalium regio-
nuni 188
Bourchany, voir Jacquier 869
Bricout (J.). — Où en est l'histoire des
religions? T. F'': les Religions non
chrétiennes SyS
Cabrol (F.), H. Leclercq. — Diction-
naire d'archéologie chrétienne et de
liturgie (fasc. XX-XXIV) 223-229, 3i2
Camerlynck (A.). — Commentarius in
Actus Apostolorum 128
— Comtnentarius in Epistolas catho-
licas 123
— Compendium introductionis gène- .
ralis in Sacram Scripturam 247
Casamichela(J. de), — De Primatu Roma-
nce Sedis necnon de perpetuitate ejus-
defnprimatus in romanis pontificibus. 820
Chaîne (M.). — Un monastère éthiopien
à Rome au xv^ et au xvi^ siècle, San
Stefano dei Mori , 3i i
Charland (P.-V.). — Madame Saincte
Anne et son culte au moyen âge 248
Charon (C). — Histoire des patriarcats
melkites {Alexandrie, Antioche, Jéru-
salem) depuis le schistne monophysite
du VI*' siècle jusqu'à nos jours 3i8
Clément (J. -H. -M.). — La représentation
de la Madone à travers les âges 190
CoMPERNASs(J.). — Deukmaeler der gries-
chischen Volksprache fur sprachii>is-
senschaftliche Uebungen und Vor-
lesungen 249
Conférences de l'Ecole biblique 56, Syo
CoNNOLLY (U.)- — A Homily of Mar
Jacob ofSerùgh on thememorial ofthe
departed and on the eucharistie loaf. 256
Constant (G.). — Rapport sur une mis-
sion scientifique aux archives d'Au-
triche et d'Espagne : Etude et cata-
logue, critiques de documents sur le
concile de Trente 874
DiEHL (Ch.)- — Manuel d'art byzantin. 127
DiETTRiCH (G.). — Die Oden Salomos
iinter Berïicksichtigung der ûberlie-
ferten Stichengliederung, aus de^n
Syrischetn ins Deutsche ûberset^t und
mit einen Kommentar versehen. ..... 222
DoELGER (Fr. J.). — 'ly.ô'-^î- ^^^ Fisch-
symbol in friïhchristlicher Zeit., i... 229
Ebersolt (J.). — Le grand palais de
Constantinople et le Livre des céré-
monies 125
■ — Sainte-Sophie de Constantinople.. 126
Ecole biblique de Saitit-Etienne.
— Conférences de 1909-1910 56
— Conférences 1910-igi i 870
Eustratiades (S.). — IlavSéxTV) N'.xoXâou
Kapax^a 190
Fabre (A.). — Pages d'art chrétien. ... 3i8
Fendt (L.). — Die christologie des Nes-
torius 868
Franchi de' Cavalieri et J. Lietzmann.
Specimina codicorum grœcorum Va-
ticanorum 61
GÉDÉON (M.). — A£ çia-Eiç Toû irap'rKJLtv
£y.7.).r|0-iaffTty.où ^TjiririfJLaTOç 878
Giron (N.). — Notes épigraphiques.
{Damas, Alep, Orfa) 3i i
Gloubokovskii (N. N.). — Bogoslovskaia
entsiclopediia 186
— Istoritcheskoé pologénié i ^na-
tchénié litchnosti Théodorita, épi-
scopa Kirrskago 3 19
Gottwald (J.). — Les faits principaux
de l'histoire byzantine par ordre
chronologique 249
GouGAUD (L.). — Les chrétientés cel-
tiques 224
Grapin (E.). — Eusèbe : Histoire ecclé-
siastique (1. V-VIII) 25o
Grégoire (H.). — Notes épigraphiques. 190
Grégoire de Naregh (Saint). — Discorso
panegirico alla Beatissima Vergine
Maria 245
Herbigny (M. d'). — Un Neivman russe,
Vladimir Soloviev 3 16
Huber (R.). — Empire ottoman. Carte
statistique des cultes chrétiens 55
Iasigian (S.), L. Bonelli. — // turco
parlato {lingua usuale di Constanti-
nopoli) 314
Jacquier (E.). — Le Nouveau Testament
dans l'Eglise chrétienne 252
TABLE DES MATIERES
383
Jacqcier et BouRCHANY. — La Résurrec-
tion de Jésus-Christ et les miracles
éva ngéliques 369
' vLABERT (L-)- — Epigraphie 188
AER (P.). — San Doimo vescovo e mar-
tire di Salona neW archeologia e neW
agiographia 1 89
NARABiNOv (J.), — Postnaia Triod, isto-
ritcheskiy ob\or eia plana, scstai'a,
redaktsiy i slavianskikh perevodov . . 227
K.ELLNER (R. A. H.). — Heortologie
oder die geschichtliche Entwicklung
des Kirchenjahres und der Heiligen-
feste von den œltesten Zeïten bis i{iir
Gegenwart 255
— L'année ecclésiastique et les fêtes
des Saints dans leur évolution histo-
rique 225
kERGORLAY (J. DE). — Sites délaissés
d'Orient : Du Sinaï à Jérusalem 63
K-iRCH (C). — Enchiridion fontium his-
toriée ecclesiasticœ antiquœ in usum
scholarum 244
K.ORABLEV. — Voir Regel 19 1
K.POSE (H.-A.). — La statistique des mis-
sions catholiques 25i
!s.UBTZ. — Voir Regel 191
Labourt (J.). — Les Odes de Salomon.. 370
Lambakis (G.). — Oï iisxa. iariçm rf,; xt.o-
•/.a>.-j'!/£w; 02
Lamppos (S.). — 'ApY'joo7ro-j).£Ïa 25o
Larigaldie (g.). — Le vénérable Justin
de Jacobis, prêtre de la Mission, pre-
mier vicaire apostolique de l'Abys-
sinie {i 800-1 860), d'après des docu-
ments inédits 369
Lazar (V.). — Die Sudrumaenen der
Turkei und der angren^enden Laen-
der 247
Leclebcq (H.). — Voir Cabrol. .223-229 3i2
Leroy (H.). — Jésus-Christ, sa vie, son
temps 254
LiETZM.\NN (J.). — Voir P. Franchi de'
Cavalieri 61
LiETZMANN (H.). — Liturgische Texte ^ur
Geschichte der orientalischen Taufe
und Mess im i und iv Jahrhundert. . 223
— Liturgische Texte, vi : Die klemen-
tinische liturgie ans den Constitu-
tiones Apostolorum VIII, nebst An-
haengen 223
Lémann (A.). — Histoire complète de
l'idée messianique che^ le peuple d'Is-
raël 3i3
LoESCHCKE (G.). — Jûdisches und Heid-
nisches im chistlichen Kult 220
Maas (P.). — Frùhby^antinische Kir-
chenpoesie. L Anonyme Hymnen des
V-\ I Jahrhunderts 226
Mangenot (E.). — La Résurrection de
Jésus 253
Mangenot (E.). — Dictionnaire de théo-
logie catholique (fasc. XXXII, XXXIII,
XXXIV) 374
Marini (N.). — Le Macchie apparent i
nel grande Luminare délia Chiesa
greca, S. Giovanni Crisostomo 3 19
Martin (J.). — Thomassin {i 6 ig-i6g5). 3j5
Martini (E.) et D. Bassi. — Disegno
storico délia vita e cultura greca. ... 92
Marucchi (O.). Epigrafia cristiana,
Trattato elementare con una silloge
di antiche iscri^ioni cristiani princi-
palmente di Roma 228
Meester (P. DE). — Le Collège ponti-
fical grec de Rome 64
— Mélanges de la Faculté orientale, de
l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. 58
Michel (C.). — Evangiles apocryphes. . . 191
Migeon(G.). — Manuel d'art musulman. 186
Millet (G.). — Monuments bys^antins
de Mistra 55
MiONi (U.). — La sacra Liturgia, sue
origini, suo sviluppo, suo significato,
suo statto attuale. Studio storico-cri-
tico 374
Netzammer (R.). — Der Bau der Rumœ-
nischunierten Kirche in Bukarest.. . . 3i7
Netzer(A.). — Introduction de la messe
romaine en France, sous les Caro-
lingiens 224
Nau (F.). — Nestorius d'après les sources
orientales 3Ô7
Orelli (C. VON). — Allgemeine Reli-
gions geschichte 3 18
Pal.mieri (A.). — Theologia dogmatica
orthodoxa {Ecclesiœ grœco-russicœ)
ad lumen catholicœ doctrinœ exami-
nata et discussa. T. I. Prolegomena. 323
PapaDOPOULOS (C). — IffTopta Tf,c 'ExxIt,-
(jîa; 'IcpofjoÀvuLojv 377
Pary (R.). — La fin du monde est proche,
démonstration de cette vérité par des
témoignages tirés de la Sainte Ecri-
ture 1 24
Pègles (Th.). — Commentaire français
littéral de la Somme théologique de
saint Thomas d'Aquin, t. IV et V 320
Peeters (P.) et Michel (C). — Evan-
giles apocryphes. I. Protévangile de
Jacques^ Pseudo-Matthieu, Evangile
de Thomas, Histoire de Joseph le
charpentier (collection Textes et do-
cuments pour l'étude historique du
christianisme) 191
Petit (L.) et W. Regel. — Actes de
l'Athos. III. Actes d'Esphigménou ... 191
Pétridès (S.). — Jean Apokaukos, lettres
et autres documents inédits 62
Pie X. — Actes de S. S. Pie X 60
Poinssot (L.). — Nouvelles inscriptions
de Dougga 374
oi'i
TABLE DES MATIERES
Rabbath (A.). — Documents inédits pour
servir à l'histoire du christianisme en
Orient, t. II, fasc. I 60
Rauschen (G,). — Eucharistie und Buss-
sakrament in den ersten sechs Jahr-
hunderten der Kirche 256
Regel (W.), E. K.urtz et B. Korablev.
— Actes de l'Athos, IV. — Actes de
Zographon. Actes d'Esphigménou ... 191
Revue franco-bulgare 376
RoBERTSON (J. N. \V, B.). — The divine
and sacred Liturgies of our Fathers
among the Saints John Chrysostom
an Basil the Great, edited with an
englisch Translation 370
RouziÈs (U.). — Voir Baudrillart. . 127 256
Russo (D.). — Studii si critice 240
Saladin (H.), G. MiGEON. — Manuel
d'art musulman i86
Staerk.(W.). — Altjûdische liturgische
Gebete ausgewaehlt und mit Einlei-
tungen herausgegeben 221
— Der Mischnatraktat Berakhoth in
vokalisiertem Text, mit sprachlichen
und sachlichen Bemerkungen 221
ScAGLiA (SixTus). — Notiones archœlo-
giœ christianœ disciplinis theologicis
et liturgicis coordinatœ 2-j>
Schubart (G.). — Papyri grœcœ Bero-
linenses 3i()
Sévérac (J.-B.). — Vladimir Soloviev . . 3i5
SouARN (R.). — Praxis missionarii in
Oriente servata 25 1
Tanquerey (A.). — Synopsis theologiœ
dogmaticœ fundamentalis, 1 3* édition. 367
TixERONT (J.). — Histoire des dogmes:
de saint Athanase à saint Augustin
{3i8'43o) 3i2
U.NG.NAD (A.) et Staerk (W.). — Die
Oden Salotnos aus dem Syrischen
uberset;t, mit Anmerkungen 221
VoGT (A.). — Voir Baudrillart 127 256
ZOLOTAS (E. G.). BpaxEïai èitavopôoj-
ffE'. ; y.at Ttpoo-Of, xa-, et; Taç âv tw
TiapovTt t6[ji<i) Xtaxà; èircYpotçàî y. al
V £ a '. T : V £ ; en t y p a ç a l 245
— BvïavTiaxô; Say.xv A'. 0 ; èv Xt w . . 24*1
1 462-11. — Imp. P Feron-Vrau, 3 et b, rue Bayard, Paris, VIII*. — Le gérant : E. Pktithenrt.
icA
-3 V <^ >
EchoB d'Orient.
▼.lU (1911)