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Full text of "Echos d'orient"

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LIBRARY 


Toronto 


ÉCHOS   D'ORIENT 


ÉCHOS  D'ORIENT 

Revue    bimestrielle 

DE  THÉOLOGIE,  DE  DROIT  CANONIQUE, 

DE  LITURGIE,   D'ARCHÉOLOGIE,   D'HISTOIRE 

ET  DE  GÉOGRAPHIE  ORIENTALES 


Tome   XV   —  Année   19 12 


PARIS 

Ç,      RUE     BAVARD,      Ç 


/y  s/zf/^ 


A  NOS    LECTEURS 


Parvenus  à  leur  quin:^ième  année  d'existence,  les  Echos  d'Orient  ont 
vu  s'étendre  de  plus  en  plus  le  cercle  de  leurs  lecteurs.  Aux  sympathies 
nombreuses  qu'ils  sont  fiers  d'avoir  su  se  concilier,  ils  voudraient  répondre 
par  une  amélioration. 

On  nous  a  souvent  exprimé  le  désir  d'un  format  plus  commode  que  rin-4^ 
â  deux  colonnes  dans  lequel  notre  revue  est  née  et  a  grandi.  Les  lecteurs 
de  la  présente  livraison  constateront  que  c'est  désormais  chose  faite.  Le  fas- 
cicule bimestriel  sera  dorénavant  un  in-8^  de  96  pages  —  soit  une  augmen- 
tation de  )2  pages,  —  et  les  six  livraisons  annuelles  formeront  un  fort 
volume  de  ^j6  pages,  soit  une  augmentation  de  192  pages  par  an. 

Un  auteur  fort  au  courant  des  choses  concernant  les  Eglises  orientales 
a  écrit  et  imprimé  récemment,  en  190c,  cette  phrase  trop  élogieuse  :  «  Les 
Echos  d'Orient  forment,  à  l'heure  présente,  le  recueil  le  plus  intéressant, 
le  mieux  informé  et  contenant  le  plus' de  travaux  inédits  sur  [l'ensemble  des 
chrétientés  qui  suivent  le  rite  de  Constantinople.  »  On  nous  pardonnera 
de  citer  cet  éloge  —  assurément  excessif,  —  afin  d'en  prendre  occasion 
pour  affirmer  notre  désir  de  continuer  à  tendre  à  le  mériter. 

Une  appréciation  si  flatteuse,  en  même  temps  qu'elle  nous  encourage  à 
poursuivre  nos  travaux,  nous  a  suggéré  une  idée  que  nous  proposons  volon- 
tiers à  nos  lecteurs  en  ce  début  de  série  et  d'année.  C'est  celle  de  faciliter, 
à  tous  ceux  qu'intéresse  l étude  de  l'Orient  chrétien,  l'utilisation  des  volumes 
de  notre  revue  parus  jusqu'ici,  par  une  Table  des  matières  générale.  Ce 
n'est  qu'un  projet  encore,  car  l'exécution  exige  du  temps.  Mais  nous  croyons 
que  beaucoup  seront  heureux  de  saluer  dès  maintenant  cette  espérance. 

Sauf  la  modification  extérieure  du  format,  les  Echos  d'Orient  demeurent 
fidèles  à  leur  programme,  à  leur  esprit,  à  leurs  traditions,  à  leur  passé  de 
quatorze  années. 

La  Rhdaction. 

Echos  d'Orient.  —  i5'  année.  —  N°  92.  Janvier  i()'2. 


LETTRE  DE  S.  S.  PIE  X 

AUX  ARMÉNIENS  CATHOLIQUES 

APRÈS  LEUR  CONCILE  DE  ROME 


ARMENIE     CATHOLICIS 

Plus  PAPA  X 

DiLECTI   FiLlI,   SALUTEM  ET  APOSTOLICAM   BENEDICTIONEM. 

Quanta  animi  Nostri  laetitia,  quantoque  gaudio  plerosque  ex  Venerabi- 
libus  Fratribus  Armeniis  Antistitibus  una  cum  suo  et  vestro  Patriarcha, 
cujus  multae  virtutes  et  sincerissimus  fidei  amor  Nobis  perspecta  sunt, 
ad  plenariam  synodum  in  hac  aima  Urbe  Nostra,  sub  immediata  Apo- 
stolicae  Sedis  protectione  et  tutela  celebrandam  convenientes  complexi 
simus,  non  est  cur  dicamus.  Eos  enim  complectentes  visi  sumus  Nobis 
non  solum  Venerabiles  Fratres  Nostros  in  sinum  Nostrum  amanter 
excipere,  sed  vos  quoque  omnes  filios  carissimos,  catholicam  scilicet 
Armeniam  universam.  Hanc  nobilissimam  nationem  et  gentem  semper 
cordi  habuisse  Decessores  Nostros  multis  monumentis  testatur  historia. 
Sufficiat,  omissis  antiquioribus  Pontificibus,  qui  praesidium  fuere  et 
fulcimen  illustri  gentis  vestrae  Apostolo  Gregorio  Sancto  cui  Illumina- 
toris  cognomen  merito  fuit  datum,  in  memoriam  revocasse  Grego- 
rium  XIII,  Urbanum  VIII,  Benedictum  XVI,  Leonem  XII,  Pium  VIII, 
Pium  IX,  Leonem  XIII,  qui  omnes  de  vestra  gente  et  natione  adeo  bene 
sunt  meriti.  Eam  et  Nos  majorem  in  modum  diligimus  et  cordi  pre- 
mimus,  memores  praesertim  malorum  quae  recenter  tulistis.  Quare 
animo  gestientes  zelum  et  laborem,  quem  in  Dei  gloriam  et  in  vestram 
utilitatem  synodales  Patres  suscepere,  vidimus  et  probavimus.  Verum 
ut  tôt  labores  in  cassum  non  cadant,  necesse  profecto  est  ut  docilitas 
filiorum  patrum  industriis  respondeat.  Hinc  postquam  Patriarchas  et 
Antistitibus  vestris  gratias  egimus  de  suscepto  in  vestram  utilitatem 
labore,  ad  vos  ipsos,  filii  carissimi,  verba  dirigere  duximus  neces- 
sarium. 

Et  in  primis  hortari  vos  volumus  ad  magnum  fidei  amorem.  Fides 


LETTRE  DE  S.  S.  PIE  X 

AUX  ARMÉNIENS  CATHOLIQUES 

APRÈS  LEUR  CONCILE  DE  ROME 


AUX    ARMENIENS    CATHOLIQUES 

PIE  X,  PAPE 

Chers  Fils,  salut  et  bénédiction  apostolique. 

Il  serait  superflu  de  vous  dire  avec  quelle  joie  et  quelle  allégresse  Nous 
avons  accueilli  Nos  Vénérables  Frères  les  évéques  d'Arménie,  réunis  pour 
la  plupart  avec  leur  patriarche  et  le  vôtre,  ce  prélat  dont  les  vertus  nom- 
breuses et  l'amour  très  sincère  pour  la  foi  Nous  sont  bien  connus,  afin  de 
tenir  un  synode  plénier,  dans  la  Ville  Eternelle,  sous  la  protection  et  la 
tutelle  immédiate  du  Siège  apostolique.  En  les  accueillant,  il  Nous  a 
semblé  recevoir  avec  amour,  dans  Notre  sein,  non  seulement  Nos  Véné- 
rables Frères,  mais  aussi  vous  tous,  très  chers  fils,  c'est-à-dire  l'Arménie 
catholique  tout  entière.  L'histoire  fournit  de  nombreuses  preuves  de 
l'amour  spécial  que  Nos  prédécesseurs  ont  porté  à  votre  peuple  et  à  votre 
noble  nation.  Pour  ne  point  parler  des  Pontifes  plus  anciens  qui  ont  été 
les  protecteurs  et  les  soutiens  de  votre  illustre  apôtre,  saint  Grégoire,  sur- 
nommé avec  raison  l'Illuminateur,  qu'il  Nous  suffise  de  rappeler  à  votre 
souvenir  Grégoire  XIII,  Urbain  VIII,  Benoît  XIV,  Léon  XII,  Pie  VIII, 
Pie  IX,  Léon  XIII,  qui  ont  tous  si  bien  mérité  de  votre  patrie.  C'est  avec 
le  même  amour  et  un  plus  grand  encore  que  Nous  chérissons  et  pressons 
sur  Notre  cœur  votre  peuple,  en  Nous  rappelant  surtout  les  malheurs  que 
vous  avez  essuyés  dans  ces  derniers  temps.  Aussi  est-ce  avec  un  tressail- 
lement de  cœur  que  Nous  avons  considéré  et  approuvé  le  zèle  des  Pères 
du  synode,  ainsi  que  les  travaux  entrepris  par  eux  pour  la  gloire  de  Dieu 
et  votre  propre  utilité. 

Cependant,  afin  que  toutes  ces  fatigues  ne  soient  pas  inutiles,  il  est 
absolument  nécessaire  que  la  docilité  des  fiLs  corresponde  à  la  sollicitude 
de  leurs  pères.  C'est  pour  cette  raison  qu'après  avoir  remercié  le  patriarche 
et  vos  évêques  de  la  tâche  pénible  qu'ils  ont  assumée  pour  votre  bien- 
Nous  croyons  indispensable.  Nos  très  chers  fils,  de  vous  adresser  à  vous, 
mêmes  quelques  paroles. 

Tout  d'abord,  Notre  volonté  est  de  vous  'exhorter  à  un  grand  amour 


8  ÉCHOS  d'orient 


quippe  est  qua  Deo  adhaeremus  eique  maximum  prasbemus  debitae 
submissionis  obsequium;  fide  caritate  formata  Deo  conjungimur 
ejusque  vivimus  vita.  Fidem  igitur,  quam  tôt  devictis  periculis,  tôt 
exantlatis  laboribus,  Patriarchae  et  majores  vestri  pretiosissimam  ad  vos 
hœreditatem  transmiserunt,  tamquam  maximum  pignus  salutis  ut 
animo  semper  retineatis,  operibus  profiteamini,  in  deliciis  habeatis  hor- 
tamur.  Fide  hac  vera,  quae  una  est,  sicut  una  est  Ecclesia,  Christo  ad- 
haerebitis  ejusque  Sponsae,  quam  Ipse  sibi  gloriosam  exhibet  non 
habentem  maculam  neque  rugam,  sed  sanctam  et  immaculatam. 

Fidem  custodientes,  obedientiam  pariter  colitote,  ut  intégras  simul 
servetis  unitatem  fidei  et  unitatem  regiminis,  quibus  Christus  unam 
effecit  Ecciesiam  suam.  Obedite  igitur  in  primis  iiuic  Apostolicae  Sedi, 
quam  Dominus  statuit  fundamentum  et  petram  suae  Ecclesiae,  numquam 
obliti  verba  Leonis  Xlli  Decessoris  Nostri  qui  ad  vos  ipsos  scribens 
dicebat  :  «  Testatur  historia  inter  sacros  Armenias  Antistites  eos  pras- 
fulsisse  cœteris,  uti  splendida  sidéra,  qui  Romanae  Ecclesiae  adhœse- 
runt  arctius,  maximamque  fuisse  iis  saeculis  nationis  gloriam,  quibus 
in  ea  catholica  religio  latissime  floruit.  »  Obedite  prœterea  praspositis 
vestris  et  subjacete  eis.  Ipsi  enim  pervigilant  quasi  rationem  pro  ani- 
mabus  vestris  reddituri,  ut  cum  gaudio  iioc  faciant  et  non  gementes  : 
hoc  enim  non  expedit  vobis  {Hebr.  xiii,  17).  Eos  igitur,  quum  mox  ad 
vos  redierint,  sicut  angelos  excipite,  qui  postquam  hic  ad  fontem  ipsum 
veritatem  hauserint,  veniunt  ad  vos,  animos  vestros  verbis  salutis  et 
sanctis  operibus  ad  Christum  ducturi.  «  ^quum  enim  est,  ut  jam 
S.  Clemens  Corinthios  alioquebatur,  cervicem  supponere  et  obedientias 
locum  implentes  inclinari  illis,  qui  sunt  duces  animarum  nostrarum,  ut 
quiescentes  a  vana  seditione,  ad  scopum  nobis  in  veritate  propositum 
sine  ulla  vituperatione  perveniamus.  »  Et  vere,  quemadmodum  ignatius 
martyr  ad  Philadeiphienses  scribebat  :  «  Quotquot  Dei  et  Jesu  Christi 

sunt,  ii  sunt  cum  Episcopo Ne  erretis,  fratres  mei,  si  quis  schisma 

facientem  sectatur,  regni  divini  haereditatem  non  consequitur.  » 

Patriam  vestram  et  nationales  avitas  glorias  diligite,  nihil   enim  in 

ndum  Deum  amate, 

patriam  diligit,  qui 

rias  negligit  ac  pes- 


ita  ut  omnes  una- 


LETTRE    DE    S.    S.    PIE    X    AUX    ARMENIENS    CATHOLIQUES  9 

pour  la  foi.  C'est  par  la  foi,  en  effet,  que  nous  adhérons  à  Dieu  et  que 
nous  lui  rendons  le  plus  grand  témoignage  de  la  soumission  qui  lui  est 
due;  c'est  la  foi  animée  par  la  charité  qui  nous  unit  à  Dieu  et  nous  fait 
vivre  de  sa  vie.  Nous  vous  exhortons  donc  à  la  conserver  toujours  dans 
votre  âme  comme  le  gage  le  plus  certain  de  votre  salut,  à  la  professer  par 
vos  œuvres,  à  chérir  tendrement  cette  foi,  qu'au  prix  de  tant  de  périls  et 
de  souffrances  vos  patriarches  et  vos  ancêtres  vous  ont  transmise  comme 
l'héritage  le  plus  précieux.  Par  cette  foi  vraie  qui  est  une  comme  l'Eglise 
est  une,  vous  vous  attacherez  au  Christ  et  à  son  Epouse,  qu'il  a  fait  paraître 
devant  lui  pleine  de  gloire,  n'ayant  ni  tache  ni  ride,  mais  sainte  et  irré- 
préhensible. 

A  la  conservation  de  la  foi,  vous  devez  ajouter  la  pratique  de  l'obéis- 
sance pour  garder  dans  leur  intégrité  l'unité  de  foi  en  même  temps  que 
l'unité  de  discipline  sur  lesquelles  Jésus-Christ  a  établi  l'unité  de  son 
Eglise.  Obéissez  donc  avant  tout  à  ce  Siège  apostolique  que  le  Seigneur 
a  posé  comme  la  pierre  fondamentale  de  son  Eglise,  et  n'oubliez  pas  les 
paroles  que  vous  adressait  Léon  XIII,  Notre  prédécesseur  :  «  L'histoire 
nous  atteste  que,  parmi  les  évoques  d'Arménie,  ceux-là  ont  surtout  brillé 
parmi  les  autres  comme  des  astres  lumineux,  qui  ont  été  plus  étroitement 
unis  à  l'Eglise  romaine,  et  que  les  gloires  de  votre  nation  ont  jeté  leur 
plus  grand  éclat  alors  que  la  religion  catholique  s'épanouissait  plus  floris- 
sante parmi  vous.  »  De  plus,  obéissez  à  vos  supérieurs  et  soyez-leur  soumis, 
car  ils  veillent  pour  vos  âmes  comme  devant  en  rendre  compte,  afin  qu'ils 
s'acquittent  de  ce  devoir  avec  joie  et  non  en  gémissant,  ce  qui  ne  vous 
serait  pas  avantageux  {Hebr.  xiii,  17).  Recevez-les,  à  leur  retour  prochain 
dans  votre  pays,  comme  des  anges  qui,  après  avoir  puisé  la  vérité,  ici, 
à  sa  source  même,  se  rendent  parmi  vous  pour  conduire  vos  âmes  au 
Christ  par  leurs  paroles  de  salut  et  leurs  actions  saintes.  «  II  est  juste,  en 
effet,  comme  le  disait  jadis  saint  Clément  aux  Corinthiens,  de  courber  la 
tète,  et,  en  pratiquant  l'obéissance,  de  s'incliner  devant  ceux  qui  sont 
les  conducteurs  de  nos  âmes,  de  sorte  que,  mettant  fin  à  tome  vaine 
sédition,  nous  puissions  parvenir  sans  reproche  à  notre  but:  la  vérité.  » 
Et  de  fait,  ainsi  qu'écrivait  le  martyr  saint  Ignace  aux  Philadelphiens  : 
«  Tous  ceux  qui  sont  avec  Dieu  et  avec  Jésus-Christ  sont  aussi  avec  leur 

évéque Ne  vous  faites  pas  illusion,  mes  frères,  celui  qui  marche  à  la 

suite  d'un  fauteur  de  schisme  n'obtiendra  pas  l'héritage  du  royaume  de 
Dieu.  » 

Aimez  votre  patrie  et  vos  vieilles  gloires  nationales.  Sur  la  terre,  rien 
de  plus  noble  que  la  patrie.  Mais  aimez  la  patrie  selon  Dieu,  car  Dieu  doit 
être  aimé  avant  tout.  Il  n'aime  pas  véritablement  sa  patrie,  celui  qui 
n'aime  pas  Dieu  et  qui  néglige  et  foule  aux  pieds  les  gloires  de  son  pays 
les  plus  pures  et  les  plus  vraies. 

Ayez  en  outre  une  charité  mutuelle  les  uns  pour  les  autres,  en  sorte 


10  ÉCHOS    D  ORIENT 


nimes,  compatientes,  fraternitatis  amatores,  miséricordes,  modesti, 
humiles  sitis,  non  reddentes  malum  pro  malo,  nec  maiedictum  pro 
maledicto,  sed  e  contrario  benedicentes,  quia  in  hoc  vocati  estis  ut 
benedictionem  hœreditate  possideatis  (/  Peir.  m,  9).  Ab  hac  caritatis 
universalitate  ne  excludatis  eos  quos  a  Nobis  et  a  cœtu  vestro  error 
sejungit;  quin  imo  conversationem  vestram  inter  eos  habentes  bonam 
(/  Petr.  II,  12),  et  exemplo  allicite  et  precibus  juvate,  ut  errore  détecte 
ad  catiiolicam  redeant  unitatem. 

Haec  peragentibus  vobis,  confidimus  utopus  a  Patriarcha  et  Antistitibus 
vestris  susceptum  suos  producat  lastissimos  et  uberes  fructus,  inter  quos 
illud  maxime  optandum,  ut  nobiiissimae  Ecclesias  vestrai  novum  accrescat 
decus,  gloria  splendidior.  Hoc  autem  majorem  in  modum  optamus  ad 
illustris  nationis  et  gentis  vestram  nobilitatem  et  bonum,  quam  potis- 
simum  S.  Gregorii  Illuminatoris  labores  olim  sanctificarunt  et  fœcun- 
darunt  martyrum  sanguis  et  praeclarae  sanctorum  virtutes. 

Haec  porro,  quae  generatim  fidelibus  commendamus,  ad  vos,  dilecti 
sacerdotes,  speciali  modo  pertinere  dignoscuntur,  propter  majorem  ves- 
trum  cum  Praelatis  in  sacra  liierarchia  conjunctionem,  propter  pra^ci- 
puum  consequens  obsequium  a  vobis  illis  debitum,  et  munus  tandem 
gravissimum  caeteris  fidelibus  in  cunctis  virtutibus  praslucendi,  ut  ves- 
tris non  verbis  modo,  sed  et  operibus  et  exemplis  efficacius  fidèles  exci- 
tentur.  Cum  enim  soleant  homines  in  eos  qui  in  elatiori  loco  sunt  con- 
stituti  oculorum  aciem  convertere,  ut  ad  ipsorum  normam  ducendae 
vitae  rationem  componant,  neminem  latet  eosdem  per  sacerdotum  sanc- 
tissima  exempla  ad  virtutem  accendi  atque  inflammari, 

Id   autem    quo  succédât   felicius,   cumulatissimam    a   Deo   gratiam 
opemque  maternam  sanctissimae  Virginis,  quam  gens  vestra  singulari 
semper  amore  est  prosecuta,  ex  corde  imploramus,  Nostrae  benevolentiae    | 
testem  Apostolicam  Benedictionem   vobis   omnibus,  dilecti    filii.  per- 
amanter  impertimus. 

Ex  Sedibus  Vaticanis,  die  22  decembris  191 1. 

Plus  PP.  X. 


LETTRE    DE    S.    S.    PIE    X   AUX    ARMENIENS   CATHOLIQUES  I  I 

qu'il  y  ait  entre  vous  tous  une  parfaite  union  de  sentiments,  une  bonté 
compatissante,  une  amitié  de  frères,  une  charité  indulgente,  accompagnée 
de  douceur  et  d'humilité,  ne  rendant  pas  mal  pour  mal,  outrage  pour 
outrage,  mais  au  contraire  répondant  par  des  bénédictions,  sachant  que 
c'est  à  cela  que  vous  avez  été  appelés,  afin  de  recevoir  l'héritage  de  la 
bénédiction  de  Dieu  (/  Petr.  m,  9).  N'excluez  pas  de  cette  charité  univer- 
selle ceux  que  l'erreur  sépare  de  Nous  et  de  votre  communauté;  bien 
plus,  ayez  une  conduite  irréprochable  parmi  eux  {I  Petr.  11,  12);  attirez-les 
par  votre  exemple  et  aidez-les  par  vos  prières,  afin  que,  reconnaissant  leur 
erreur,  ils  reviennent  à  l'unité  catholique. 

Si  telle  est  votre  conduite,  Nous  avions  la  ferme  confiance  que  l'œuvre 
entreprise  par  votre  patriarche  et  vos  évêques  produira  des  fruits  heureux 
et  abondants,  parmi  lesquels  Nous  désirons  surtout  voir  celui  d'un  pres- 
tige croissant  et  d'une  gloire  plus  éclatante  pour  votre  illustre  Eglise. 
■L'objet  principal  de  Nos  désirs  est  la  gloire  et  le  bien  de  votre  peuple  et 
de  votre  noble  nation,  que  les  travaux  de  saint  Grégoire  l'Illuminateur 
ont  sanctifiée  jadis,  et  que  le  sang  des  martyrs  et  les  vertus  éclatantes  des 
saints  ont  fécondée. 

Ce  que  Nous  recommandons  en  général  aux  fidèles  vous  concerne 
d'une  manière  spéciale,  vous  autres.  Nos  chers  fils,  les  prêtres,  à  cause  de 
votre  union  plus  étroite  dans  la  hiérarchie  sacrée  avec  vos  chefs  ecclésias- 
tiques, à  cause  du  respect  profond  que  vous  leur  devez  par  là  même,  et 
enfin  à  cause  de  l'obligation  très  grave  que  vous  avez  de  briller  parmi  le 
reste  des  fidèles  par  la  pratique  de  toutes  les  vertus,  afin  que  ceux-ci  soient 
excités  efficacement  au  bien  non  seulement  par  vos  paroles,  mais  aussi 
par  vos  actions  et  vos  exemples.  Les  hommes  ont  l'habitude  de  porter 
leurs  regards  vers  ceux  qui  sont  plus  haut  placés  pour  régler  la  conduite 
de  leur  vie  sur  les  exemples  de  leurs  chefs.  D'où  il  est  manifeste  pour  tous 
que  c'est  par  les  saints  exemples  des  prêtres  que  les  fidèles  sont  excités  et 
portés  à  la  vertu. 

Afin  d'obtenir  cet  heureux  résultat,  Nous  implorons  de  tout  cœur  une 
grâce  abondante  de  Dieu,  le  secours  maternel  de  la  Très  Sainte  Vierge, 
que  votre  peuple  a  toujours  entourée  d'un  amour  spécial,  et,  en  témoignage 
de  Notre  bienveillance,  Nous  vous  accordons  très  affectueusement,  à  vous 
tous,  chers  fils,  la  Bénédiction  apostolique. 

De  Notre  palais  du  Vatican,  le  22  décembre  191 1. 

PIE  X,  PAPE. 


LA   TERMINOLOGIE    CHRISTOLOGIQUE 
DE  SAINT  CYRILLE  D'ALEXANDRIE 


Plus  on  étudie  de  près  les  controverses  théologiques  du  iv^  et  du 
v«  siècle,  plus  on  s'aperçoit  combien  fréquents,  combien  déplorables 
et  parfois  combien  durables  furent  les  malentendus  sur  la  terminologie 
entre  docteurs  également  orthodoxes  par  la  pensée.  A  la  fin  du 
iv«  siècle,  on  était  arrivé  à  peu  près  à  s'entendre  —  on  sait  après  quels 
tâtonnements  et  au  prix  de  quelles  luttes  —  sur  la  manière  de  formuler 
le  dogme  trinitaire.  On  disait  en  Occident  :  iina  natura  vel  siibstantia, 
très  personœ;  on  disait  en  Orient:  aia  '-pjT-..;  y,  oj^ia,  tosI;  'jr.oi-y.zt'.; 
y,  Toia  -pôc-co-a.  11  semble  qu'après  avoir  ainsi  fixé  la  signification  des 
termes  exprimant  la  nature  et  la  personne,  on  aurait  dû  transporter 
cette  terminologie  dans  la  théologie  de  l'Incarnation.  C'est  ce  que  firent 
en  général  les  Occidentaux.  Les  mots  natttra  et  persona  ont  habituelle- 
ment (i)  chez  eux  un  sens  identique  en  théologie  proprement  dite  (2) 
et  en  christologie.  En  Jésus-Christ,  il  y  a  deux  natures,  la  divine  et 
l'humaine,  et  une  seule  personne,  celle  du  Fils  unique  de  Dieu,  du 
Verbe  éternel. 

En  Orient,  on  ne  procéda  pas  si  simplement  ni  si  uniformément. 
L'esprit  grec,  toujours  curieux,  toujours  préoccupé  d'harmoniser  le 
dogme  avec  la  raison,  trouvait  une  difficulté  spéciale  à  concilier  dans 
le  Christ  l'unité  de  la  personne  avec  la  dualité  des  natures.  L'une  de  ces 
natures,  en  effet,  était  la  nature  humaine  complète,  en  tout  semblable 
à  la  nôtre,  hormis  le  péché.  Comment  concevoir  que  cette  nature  indi- 
viduelle du  Christ  ne  fût  pas  une  véritable  personne  humaine?  Mais, 
cela  admis,  que  devenait  l'unité  du  sujet  et  de  la  personne,  réclamée 
par  la  foi?  On  sait  comment  Apollinaire  de  Laodicée  résolut  le  pro- 
blème. 11  supprima  à  la  nature  humaine  du  Christ  ce  sans  quoi  il  ne 
saurait  y  avoir  de  véritable  personnalité  :  l'intelligence  et  la  liberté.  Cer- 
tains docteurs  de  l'école  d'Antioche,  comme  Diodore  de  Tarse  et  Théo- 
dore de  Mopsueste,  partant,  ainsi  qu'Apollinaire,  du  principe  qu'une 


(i)  Nous  disons  «  habituellement  »,  parce  qu'il  y  a  quelques  exceptions.  Marius 
Mercator,  par  exemple,  parle  d'une  seule  natura  du  Verbe  incarné.  11  a  sans  doute 
été  influencé  par  la  terminologie  cyriilienne. 

{2)  A  l'époque  patristique,  le  mot  «  théologie  •»  s'entend  spécialement  de  la  doctrine 
sur  Dieu  et  la  Trinité. 


LA  TERMINOLOGIE  CHRISTOLOGIQUE  DE  SAINT  CYRILLE  D  ALEXANDRIE       1} 

nature  humaine  individuelle  et  complète  est  nécessairement  une  per- 
sonne, affirmèrent  hardiment  qu'il  y  avait  en  Jésus-Christ  deux  natures- 
personnes,  et,  pour  se  maintenir  dans  l'orthodoxie  traditionnelle,  qui 
réclamait  l'unité  personnelle  de  l'Homme-Dieu,  ils  imaginèrent  une 
sorte  de  personnalité  supérieure,  résultat  de  la  compénétration  amou- 
reuse des  deux  natures-personnes  que  Nestorius,  leur  fidèle  disciple, 
appelle  le  prosopon  d'union  (i). 

Il  est  clair  que,  pour  Apollinaire  aussi  bien  que  pour  Théodore,  les 
termes  de  œ-jT-.;  et  de  OTOoraT'.;  sont  synonymes  en  christologie.  La 
synonymie  s'étend  aussi  en  partie  au  mot  -pÔTWTcov,  en  tant  que  ce  mot 
désigne  la  personnalité  naturelle,  le  sujet  individuel,  par  opposition  au 
prosopon  de  l'union,  tel  que  l'expliquent  Théodore  et  Nestorius.  La  ter- 
minologie de  l'Incarnation  ne  cadre  plus  dès  lors  avec  celle  de  la  théo- 
logie (2). 

Cependant  Apollinaire,  Diodore,  Théodore  et  Nestorius  ne  repré- 
sentaient pas  tout  l'Orient.  Ceux  qu'on  désigna  au  concile  d'Ephèse 
sous  le  nom  d'Orientaux,  la  plupart  d'entre  eux  du  moins,  étaient 
d'accord  avec  l'Occident,  non  seulement  sur  le  fond  de  la  doctrine, 
mais  encore  sur  les  formules.  Ils  disaient  comme  les  Occidentaux  : 
«  Deux  natures,  ouo  cpûo-siç,  et  une  seule  personne,  iv  rpôo-w-rrov.  »  Quant 
au  terme  j-rÔTTaTi;,  les  uns,  comme  André  de  Samosate,  en  font  un 
synonyme  de  -pÔTto-rrov,  et  rejettent  expressément  la  formule  :  «  oyo 
•j-oG-Tào-ît,;  »  après  l'union  (3);  les  autres,  comme  Théodoret,  identifient 
0-ÔTTaT'.;  avec  cpij7'.;  (4). 

Il  faut  remarquer,  du  reste,  qu'il  existait  une  différence  entre  les 
Occidentaux  et  les  Orientaux  dans  la  manière  d'envisager  les  deux 
natures.  Les  premiers  prenaient  le  mot  «  nature  »  dans  le  sens  abstrait 
de  chose  possédée  par  l'unique  personne.  Les  seconds  visaient  la 
nature  concrète  et  individuelle,  ce  qui  faisait  qu'ils  se  rapprochaient 
tant  dans  leur  terminologie  de  Théodore  et  de  Nestorius. 

Chez  les  Alexandrins,  antérieurement  à  la  controverse  nestorienne, 
les  formules  étaient  assez  imprécises.  Certains   docteurs,  à   la  suite 


(il  Sur  le  système  nestorien,  voir  Echos  d'Orient,  t.  XIV  (1911),  p. 65-75:  Nestorius, 
jugé  d'après  le  Livre  d'Héraclide. 

(2)  G.  Voisin,  lApollinarisme,  Louvain,  1901,  p.  278,  reconnaît  l'identité  de  termi- 
nologie entre  apollinaristes  et  antiochiens:  «  Sans  doute,  écrit  cet  auteur,  les  antio- 
chiens  affirmaient  avec  l'Eglise  l'unité  de  personne;  mais,  en  fait,  leur  doctrine  était 
en  contradiction  flagrante  avec  cette  affirmation,  et  c'est  à  bon  droit  que  l'évéque  de 
Laodicée  leur  reprochait  d'enseigner  qu'il  y  a  deux  fils  de  Dieu,  que  le  Christ  est  un 
homme  saint  en  qui  le  Verbe  habite.  » 

(3)  Cyrilli  apologeticus  adversus  Orientales.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  333  A,  348  C. 

(4)  Cyrilli  apologeticus  contra  Théodore ttim.  P.  G-,  ibid.,  col.  404  B. 


14  ECHOS    D  ORIENT 


d'Origène,  parlaient  de  la  nature  humaine  ,et  de  la  nature  divine  du 
Christ,  ds'la  xal  àvQpojTTflvr,  cauTi;  (i).  D'autres,  préoccupés  de  mettre  en 
relief  l'unité  de  sujet  dans  l'Homme-Dieu,  paraissent  avoir  évité  à  des- 
sein de  dire  deux  natures,  ouo  '^'jtî'.ç,  et  avoir  adopté  la  terminologie 
apollinariste  (2).  Pierre  le  Martyr  reconnaissait  une  seule  hypostase  et 
un  seul  prosôpon  dans  le  Christ  (3). 

Bien  des  malentendus  pouvaient  naître  de  cette  imprécision  du  lan- 
gage christologique.  On  le  vit  bien  quand  éclata  la  controverse  nesto- 
rienne,  bientôt  suivie  de  la  querelle  monophysite.  A  ces  deux  querelles, 
le  nom  de  saint  Cyrille  d'Alexandrie  est  intimement  mêlé.  Si  les  nesto- 
riens  le  honnirent  toujours,  les  catholiques  et  les  monophysites  se  pré- 
valurent également  de  son  patronage.  A  ce  curieux  phénomène  il  ne 
faut  pas  chercher  d'autre  explication  que  le  manque  d'uniformité  des 
formules  employées  par  l'évêque  d'Alexandrie  dans  ses  écrits  christo- 
logiques.  Les  pages  qui  vont  suivre  montreront  la  justesse  de  cette 
assertion. 


Deux  causes  empêchèrent  l'évêque  d'Alexandrie  d'avoir  une  termi- 
nologie christologique  tout  à  fait  arrêtée  :  tout  d'abord,  la  tradition  de 
son  école,  qui,  nous  l'avons  vu,  n'en  possédait  point  de  fixe;  ensuite, 
les  nécessités  de  la  polémique  antinestorienne,  au  cours  de  laquelle 
Cyrille  eut  à  la  fois  à  attaquer  l'orthodoxie  de  Nestorius  et  à  défendre 
la  sienne  contre  les  Orientaux  orthodoxes.  Nestoriens  hérétiques  et 
antiochiens  orthodoxes  paraissaient  s'entendre  sur  le  fond  de  la  doc- 
trine, parce  qu'ils  se  servaient  des  mêmes  formules.  Saint  Cyrille  eut  à 
dissiper  cette  dangereuse  équivoque,  et,  pour  y  mieux  réussir,  il  fut 
amené  à  donner  à  certains  termes  un  sens  différent,  suivant  qu'il  eut 
affaire  aux  uns  ou  aux  autres. 

Que  la  terminologie  christologique  de  l'évêque  d'Alexandrie  ait 
manqué  d'uniformité,  c'est  ce  que  reconnaissent  généralement  les 
modernes  historiens  du  dogme,  à  la  suite  des  anciens  (4).  Le  P.  Petau, 


(1)  Origène,  De  principiis,  I,  2.  P.  G.,  t.  XI,  col.  i3o  A.  Contra  Celsum,  III,  2,s. 
P.  G.,  ibid.,  col.  956D.  Isidore  de  Péluse,  Epist.  CDV,  lib.  I;  P.  G.,  t.  LXXVIIl, 
col.  409  A. 

(2)  Par  exemple  Didyme  l'Aveugle..  Cf.  Bardy,  Didyme  l'Aveugle.  Paris,  1910.  p.  126. 

(3)  [it'av  ÛTtôo-Taatv  xal  irpôawTrov  £v.  Bardy,  ibid.,  p.  65. 

(4)  Le  Père  spirituel  de  Cyrille,  saint  Isidore  de  Péluse,  trouvait  déjà  certaines  con- 
tradictions apparentes  dans  ses  écrits,  et  lui  en  faisait  des  remontrances  sévères,  qui 

nous  semblent  fortement  exagérées:  Xp^    ae,    6av)[ià(7t£,  arpsTtTov    (xéveiv    àel o-j'te 

o-eauTO)  èvavTÎov  9atv($(A£vov.  Et  y«P  fà  vûv  yeTpaiJ-tAÉva  <Tot  xoXç  uporépoiç  àvxeEsTaffEia;,  r, 
xoXaxetaç  yav7i<TYi  -jîtevevvoç,  r,  v^yzatiixq.  Stâxovoi;.  Epist.,  1.  1;  Epist.  CCCXXIV,  P.  G.. 
t.  LXXVllI,  col.  369  G. 


LA  TERMINOLOGIE  CHRISTOLOGIQUE  DE  SAINT  CYRILLE  D  ALEXANDRIE        I  5 


qui  a  écrit  un  livre  entier  de  son  De  Incarnatione,  pour  défendre  saint 
Cyrille  contre  les  attaques  du  calviniste  Bruguier,  trouve  que  le  docteur 
alexandrin  a  e  mployé  les  mots  cpyo-i;  et  O-ÔTTaT'.;  en  des  sens  assez 
divergents.  On  peut  résumer  ainsi  ses  conclusions  : 

10  a'jT',;ei  'jTrôa-rao-^  sont  parfois  synonymes  de  ttogo-wtov  et  désignent 
l'individu  subsistant  en  lui-même. 

2°  cp'jo-'.;  et  j-nÔTTaT'.;  ont  souvent  une  signification  distincte  de 
rpÔToj-ov  ;  ils  indiquent  la  nature  concrète  considérée  comme  chose 
existante,  comme  réalité,  abstraction  faite  du  mode  de  subsistance. 

3"  'fjT'.;  n'a  pas  toujours  le  sens  de  'j-Q7-<y.7<.<;.  11  est  quelquefois 
synonyme  de  ojTÎa,  essence  spécifique  (1). 

M.  Loofs  est  aussi  d'avis  que,  chez  saint  Cyrille,  les  mots  'fJT'.;  et 
uTïôoraTi;  ne  se  prennent  pas  toujours  l'un  pour  l'autre.  Cela  n'arrive 
que  lorsque  ce  Père  parle  d'une  -ijo-'.^  ucpîo-rwTa  par  opposition  avec  les 
Siio  ç;u7î!,;  des  antiochiens,  ou  de  la  nature  du  Verbe.  La  nature  humaine 
n'est  pas  une  hyposlase;  elle  est  anhypostatiqiie,  àvjTrcro-TaTo;,  bien  qu'elle 
reçoive  le  nom  de  'fÛT'.;,  et  désigne  la  nature  humaine  en  général  sans 
individualisation  (2). 

M.  Rehrmann,  à  qui  l'on  doit  une  longue  étude  sur  la  christologle 
de  saint  Cyrille,  déclare  que  ce  docteur  joint  au  mot  uTrÔTTao-i,;  l'idée 
de  nature,  et  ne  maintient  pas  toujours  la  différence  déjà  reçue  de 
son  temps  entre  '^ût'.;  et  •j-io-rao-!,;  (3), 

CLuant  à  Mg''  Duchesne,  qui  paraît  avoir  pris  saint  Cyrille  en  grippe, 
il  accentue  très  fort  la  dualité  de  terminologie  qu'il  a  découverte  dans 
«  l'Egyptien  »  : 

Il  y  avait  deux  Cyrilles,  le  Cyrille  intime,  naturel,  celui  de  l'unique 
nature,  et  c'est  celui  dont  Eutychès  se  réclamait,  tout  en  le  dépassant;  et 
le  Cyrille  diplomate,  celui  des  précautions  et  des  concessions  forcées,  et 
c'est  celui  que  retenait  Flavien.  Le  premier  était  représenté  par  les  ana- 
thématismes,  ainsi  que  par  les  lettres  à  Acace  de  Mélitène  et  à  Successus; 
l'autre  par  la  lettre  dogmatique  à  Nestorius  (Kara^XuapCffi),  et  par  celle 
où  il  accepte  le  symbole  d'union  (4).  Il  faut  insister  sur  cette  distinction. 
A  Rome  aussi  on  la  faisait;  pendant  près  de  cent  ans  elle  y  régla  l'opinion 


[i)  De  Incarnatione,  1.  VI,  c.  1,  11,  viii,  et  tout  le  livre  VI. 

(2)  Looks,  Leontius  von  Byx.an^.,  dans  Texte  iind  Intersuchungen,  t.  III,  1887, 
p.  43,  46,  48.  Cf.  l'article  Christologie  du  même  auteur,  dans  Realencyclopœdie  fur 
proteslantische  Théologie,  t.  IV,  p.  5o. 

(3)  Die  Christologie  des  hl.  Cyril  lus  von  Atexandrien  systeinalisch  dargestellt. 
Hildesheim,  1902,  p.  289,  3i8  sq. 

(4)  On  ne  peut  s'empêcher  a  priori  de  voir  un  peu  de  fantaisie  dans  ce  partage 
entre  le  Cyrille  naturel  et  le  Cyrille  diplomate.  Il  se  trouve,  en  efl'et,  que  le  Cyrille 
diplomate  se  manifeste  avant  le  Cyrille  naturel.  Pourquoi  Cyrille  faisait-il  de  la  diplo- 


i6  ÉCHOS  d'orient 


sur  la  doctrine  du  célèbre  évêque  d'Alexandrie  et  sur  l'usage  à  faire  de 
ses  écrits  (i). 

A  {'encontre  des  auteurs  que  nous  venons  de  nommer,  M.  J.  Lebon 
a  soutenu  récemment,  dans  son  savant  ouvrage  sur  le  Monophysisnw 
sévérien{2),  que  le  langage  christologique  de  l'évêque  d'Alexandrie  était 
absolument  constant,  que  ce  Pèie  «  n'attribue  qu'une  seule  et  invariable 
signification  aux  trois  termes  'fJT-,?,  u-ÔT-aTt,;  et  -oôtio-ov.  Ils  marquent 
tous  trois  le  concret,  l'existant,  l'individuel,  et  n'ont  jamais  la  valeur 
de  ojT'la,  réservé  pour  signifier  l'essence  spécifique  »  (3).  Celle-ci  est 
encore  indiquée  en  langage  cyrillien,  d'après  le  même  auteur,  par  les 
formules  :  0  Àôyoç  toù  ttw;  slvai  et  ttowtyic;  'jjT'.xrj  (4).  Saint  Cyrille  ne 
donne  jamais  à  l'humanité  du  Christ  le  nom  d'hypostase;  il  ne  l'appelle 
jamais  non  plus  une  nature,  une  nature  humaine  {^). 

Les  affirmations  réitérées  de  M.  Lebon  sur  la  fixité  de  la  terminologie 
cyrillienne  n'ont  pas  porté  la  conviction  dans  notre  esprit.  Nous  per- 
sistons à  croire  avec  les  anciens  et  les  modernes  que  cette  fixité  n'existe 
pas.  La  lecture  des  écrits  christologiques  nous  a  suggéré  des  conclu- 
sions à  peu  près  identiques  à  celles  du  P.  Petau.  Nous  avons  remarqué 
tout  d'abord  que  l'évêque  d'Alexandrie  n'avait  varié  en  aucune  manière 
sur  le  fond  de  la  doctrine,  depuis  le  commencement  de  la  controverse 
nestorienne  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie;  que  cette  doctrine  était  très  nette 
et  très  claire,  et  qu'elle  consistait  à  affirmer  et  à  établir  par  l'Ecriture, 
la  Tradition  et  la  comparaison  tirée  de  l'union  de  l'âme  et  du  corps 
l'unité  de  sujet,  d'individu,  dans  le  Christ,  contre  les  négations  de 
Nestorius,  sans  préjudice  de  la  distinction  et  de  la  non-confusion  de  la 
divinité  et  de  l'humanité,  après  comme  avant  l'union. 


matie  en  écrivant  sa  seconde  lettre  à  Nestorius  (KaTaçXuapoO<7t),  et  pourquoi  n'en  fai- 
sait-il pas  dans  la  troisième  au  même,  ou  lettre  des  anathématismes?  Qui  empêchait 
l'Alexandrin  de  se  montrer  au  naturel,  alors  que  la  controverse  était  à  ses  débuts, 
que  Rome  n'était  pas  encore  intervenue?  S'il  avait  voulu  une  rupture  pour  le  plaisir 
de  l'avoir,  devait-il  commencer  par  lui  faire  des  concessions  sur  la  terminologie? 
M''^  Duchesne  a-t-il  remarqué,  d'ailleurs,  que  la  fameuse  expression  «  ivoxn;  xaô'-JTré- 
ffTa(7t'v  »,  qui  souleva  tant  de  tempêtes,  se  trouve  aussi  bien  dans  la  première  lettre 
que  dans  la  seconde,  et  que  Rome  n'y  trouva  rien  à  redire? 

(•i)  Histoire  ancienne  de  l'Eglise,  t.  111,  p.  403. 

(2)  J.  Lebon,  le  Monophysisme  sévérien.  Louvain,  1909. 

(3|  Ibid.,  p.  356.  Des  affirmations  semblables  se  lisent  aux  pages  25o-25i,  252-253, 
278-279,  280,  292,  3S2-383,  400,  409,  411.  Tout  récemment,  dans  la  Revue  d'histoire 
ecclésiastique,  t.  XII  (1911),  p.  52 1,  M.  Lebon  écrivait  encore  :  «  C'est  une  erreur 
évidente,  à  mon  avis,  de  considérer  la  terminologie  christologique  employée  par 
saint  Cyrille  comme  obscure  et  flottante.  » 

(4)  Ibid.,  p.  411. 

(51  M.  Lebon  entend  cependant  .excepter  les  cas  d'emploi  des  formules  SJo  çJtec;  àv 
Ôitopta  ou  iv.  ô-Jo  9-J(T£wv,  qui  constituent  des  concessions  faites  aux  Orientaux. 


LA  TERMINOLOGIE  CHRISTOLOGIQUE  DE  SAINT  CYRILLE  D  ALEXANDRIE       I7 

Ecarter  toute  idée  d'existence  séparée  et  indépendante  pour  la  nature 
humaine  du  Christ,  voilà  la  grande  préoccupation  de  l'évêque  d'Alexan- 
drie, celle  que  l'on  retrouve  dans  tous  ses  écrits  antinestoriens  et  qui 
en  est  l'âme,  la  seule  qui  lui  a  fait  inventer  quelques  expressions  et  for- 
mules nouvelles  pour  mieux  réfuter  l'hérésie.  11  a  déclaré  à  plusieurs 
reprises  que  la  pointe  de  ses  fameux  chapitres  ou  anathématismes  n'était 
dirigée  que  contre  Nestorius  (i).  Qu'on  lui  accorde  que  l'humanité 
du  Christ  n'a  pas  une  existence  séparée  de  l'hypostase  ou  personne 
du  Verbe,  que  le  Verbe  incarné  est  le  sujet  aussi  bien  des  attributs 
humains  que  des  attributs  divins,  et  on  le  trouvera  fort  accommodant 
pour  toutes  les  formules,  pourvu  que  celles-ci  ne  cachent  aucun  piège 
nestorien. 

Cyrille,  en  effet,  ne  tient  qu'aux  idées  et  nullement  aux  mots.  Sous 
ce  rapport,  sa  conduite  est  toute  différente  de  celle  des  monophysites 
sévériens.  Les  questions  de  terminologie  n'occupent  guère  son  atten- 
tion. Les  deux  natures,  oùo  'jjtî!,;,  proclamées  par  les  Orientaux  ne 
l'effarouchent  nullement,  et  lui-même  a  reconnu  deux  natures  après 
l'union,  avant  d'entrer  en  controverse  avec  eux.  Avec  beaucoup  de 
souplesse  et  de  finesse  d'esprit,  il  sait  se  mettre  au  point  de  vue  de 
ceux  à  qui  il  a  affaire  et  adopter  leur  langage.  Trouve-t-il  dans  un  écrit 
qu'il  croit  être  de  saint  Athanase  (2)  l'expression  ;ji.ia  -^ùt-.;  toCÎ  Bîoj 
;  Aôvoj  aî!Tapxaj[j.£w,,  il  sait  l'expliquer  d'une  manière  orthodoxe,  et  l'ac- 
j  cepte  d'autant  plus  facilement  qu'elle  contredit  directement  Nestorius, 
pour  qui  cpticriç  est  synonyme  d'être  concret,  subsistant  en  lui-même 
d'une  existence  indépendante.  Est-il  en  présence  de  Théodoret,  qui 
identifie  '^-jt'.;;  et  'jtJjt-zol^'.^,  et  désigne  par  ces  mots  la  divinité  et  l'hu- 
manité considérées  comme  natures  concrètes  individuelles,  comme 
réalités,  il  ne  fait  pas  difficulté  de  dire  avec  lui  : 

Nous  n'affirmons  pas  que  la  forme  de  Dieu  et  celle  de  l'esclave  ont  été 
unies  sans  les  hypostases  (3). 


(i)  Capitulorum  vero  virtus  contra  sola  Nestorii  dogmata  scripta  est.  Qucc  enim  ille 
non  recte  dixit  ac  scripsit  ipsa  rejiciunt.  Qui  vero  anatliematizant  atque  negant  ejus 
vesaniam,  cessabunt  hœc  quœ  a  nobis  scripta  sunt  increpare.  Videbunt  enim  capitu- 
lorum sensa  solis  illius  contraire  blasphemiis.  Epist.  XXXII  ad  Acaciiim  Ber.  P.  G., 
t.  LXXVII,  col.  157  A.  Même  déclaration  dans  VApologeticus  contra  Theodoretum 
pro  Xll  capitibus.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  400-401. 

(2)  La  formule  est  d'Apollinaire.  On  la  trouve  dans  le  Iliol  tt,ç  (xapx-jffew;  ■zoZ  (-)âoù 
Aiiyou,  composé  sous  forme  de  lettre  à  l'empereur  Jovien  et  mis  sous  le  nom  de  saint 
Athanase.  Voisin,  op.  cit.,  p.  182. 

(3)  O-Jxo-Jv  O'JTE  ôtya  Toiv  •J7to<TTà<T£(i)v  ôouXo'j  -t  /.al  0ÎOÙ  {lopçyiv  rjvwaôaf  çaïASv.  Contra 
Theodoretum.  P.  G.,  lac.  cit.,  col.  401  A. 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  2 


ÉCHOS    d'ORŒNT 


Il  reconnaît  comme  parfaitement  orthodoxe  la  phrase  suivante  de  son 
adversaire,  qui  parle  cependant  d'une  nature  humaine  après  l'union  : 

L'Enfant  né  [de  la  Vierge]  est  appelé  Emmanuel:  Dieu,  il  n'est  pas 
séparé  de  la  nature  humaine,  àvôptoTrs-Iaç  ©ùcrsojç  xe/cooto-aévo;;  homme,  il 
n'est  pas  dépouillé  de  la  divinité  (i). 

Du  moment  qu'on  ne  sépare  pas  les  deux  natures  dans  leur  existence 
physique  et  qu'on  maintient  une  unité  réelle  du  sujet,  Cyrille  est  satis- 
fait. Aussi  a-t-il  signé  le  symbole  d'union  de  433,  parce  que  ce  docu- 
ment écarte  suffisamment  la  division  nestorienne.  S'il  ne  veut  pas  de 
la  formule  :  Buo  oûo-ct,;  uwso-uwTa!,  àSt.a!,p£Ttoç,  c'est  parce  qu'elle  est  équi- 
voque et  pourrait  abriter  la  pensée  nestorienne  (2). 

Cyrille  a  poussé  très  loin  la  condescendance  sur  la  terminologie.  Se 
plaçant  au  point  de  vue  de  Nestorius,  il  a  fait  un  véritable  tour  de 
prestidigitation  intellectuelle,  en  admettant  une  division,  S'.a'lpsTt.;,  des 
natures  après  l'union.  On  pourra  dire  en  style  nestorien  :  «  o'jo  cpjo-c'.; 
après  l'union  »,  pourvu  qu'on  restreigne  au  seul  ordre  logique  et  idéal 
la  division  que,  dans  le  cas,  la  formule  suppose.  Dans  cette  hypothèse 
irréelle,  l'esprit  fait  pour  un  moment  abstraction  de  l'union,  svcoo-iç,  et 
considère  l'humanité  et  la  divinité  comme  natures  séparées,  c'est-à-dire 
comme  personnes  subsistantes.  Par  le  même  procédé,  on  pourra  dire 
aussi  :  «  oûo  cpûo-siç  avant  l'union  »,  d'où  la  formule  :  sx  S-jo  cpûo-îwv,  bieu 
qu'à  aucun  moment  réel  la  nature  humaine  n'ait  été  une  cpûs--.,;,  au  sens 
nestorien. 

C'est  dire  que  la  thèse  de  M.  Lebon,  affirmant  une  fixité  absolue  de 
sens  et  la  synonymie  des  trois  termes  :  '^ i>t!.ç,  uTiÔTTacnç,  Tcpoo-to-ov  dans 
la  christologie  cyrillienne,  nous  paraît  tout  à  fait  fausse  et  contredite  par 
des  textes  très  probants.  Trop  préoccupé  de  montrer  que  les  mono- 
physites  sévériens  ont  été  les  disciples  fidèles  de  saint  Cyrille,  M.  Lebon 
n'a  pas  aperçu  suffisamment  que  l'évêque  d'Alexandrie  se  désintéres- 
sait au  fond  de  la  terminologie,  pour  ne  s'attacher  qu'aux  idées.  Si  les 
premiers  monophysites  avaient  eu  un  peu  de  la  condescendance  de 
celui  qu'ils  réclamaient  pour  maître,  ils  n'auraient  pas  refusé  d'être  | 
dyophysites  avec  lui. 

11  n'y  a  qu'un  Cyrille,  le  Cyrille  naturel,  l'adversaire  de  Nestorius 
partout  et  toujours,  mais  ce  Cyrille  n'aime  point  les  logomachies. 
Qu'on  lui  exprime  bien  clairement  qu'on  n'est  pas  nestorien,  il  vous 


(i>  Contra  Theodoretum.  P.  G.,  loc.  cit.,  col.  SgS  C,  897  D. 

(2)  Voir  la  deuxième  lettre  à  Succensus.  P.  G.,  t.  LXXVII,  col.  245. 


LA  TERMINOLOGIE  CHRISTOLOGIQUE  DE  SAINT  CYRILLE  d' ALEXANDRIE       I9 

recevra  à  sa  communion  avec  n'importe  quelle  formule  et  se  chargera 
même  de  montrer  l'usage  orthodoxe  qu'on  peut  faire  de  chacune  avec 
une  dextérité  digne  du  scolastique  le  plus  délié. 

Quelques  textes  bien  précis  montreront  la  valeur  de  nos  affirmations. 
Examinons  d'abord  le  terme  cpjT-,;. 

1.    Le   terme    '^Ja-i;    APPLIQUÉ    A    LA    NATURE    HUMAINE    DU  ChRIST. 

M.  Lebon  prétend  que  saint  Cyrille  ne  dit  jamais  :  nature  humaine, 
^Û3-'.^  ivOpo>Tt'lv7, ,  en  parlant  de  l'humanité  du  Christ,  excepté  lorsqu'il 
rapporte  les  formules  de  ses  adversaires.  Or,  voici  ce  qu'on  lit  dans  la 
Lettre  aux  Impératrices  : 

Voici  que  maintenant  le  Verbe  apparaît  à  la  face  de  Dieu  dans  un  état 
nouveau.  Il  n'est  plus  simplement  Verbe  et  incorporel,  comme  il  était  au 
commencement,  mais  il  est  dans  la  forme  et  la  nature  qui  est  la  nôtre, 
àÀÀ'  £v  ^aoscpy,  t£  xal  '^ùav.  ty,  xaO ''/][ji.a<;.  Nous  affirmons,  en  effet,  que  c'est 
dans  cet  état  qu'il  se  montre  maintenant,  et  qu'il  amène  sous  les  regards 
de  Dieu  le  Père  la  nature  de  l'homme,  xou  àvOpcjTro-j  ^ûiriv,  qui  cependant 
était  détournée  de  lui  à  cause  de  la  transgression  en  Adam  (i). 

Le  Verbe  fait  chair  apparaît  donc  maintenant  à  la  face  de  son  Père 
avec  la  nature  qui  est  la  nôtre.  11  amène  sous  les  yeux  du  Père  la  nature 
de  l'homme.  Dans  ce  passage,  Cyrille  ne  s'exprime-t-il  pas  comme  nous, 
actuellement,  quand  nous  disons  que  le  Verbe  a  pris  la  nature  humaine? 
Voici  d'ailleurs  d'autres  exemples  : 

Comme  la  nature  de  l'homme  était  incapable  de  détruire  la  mort,  le 
Verbe  de  Dieu,  source  de  vie,  s'est  revêtu  de  la  nature  soumise  à  la  mort, 
c'est-à-dire  de  notre  nature,  de  la  nature  humaine,  tyjv  ôavirw  y.iTo/o^ 

71p.7rÉ7/£TC/   Ci'JiT'.V,    TO'JTEaT'.  TY,V   Xa6 'T,[i.5.Ç,    f^^fOU'^  t}(^    àvOpCOTTtVTjV  (2). 

Celui  qui  s'est  anéanti  attend  l'appel  du  Père  qui  l'investit  du  sacerdoce, 
dignité  qui  ne  convient  pas  à  sa  nature,  mais  bien  à  la  nôtre,  c'est-à-dire 
à  la  nature  humaine,  to'jtétt;  tt,  àvOooj7r'>/|,  dont  il  est  devenu  parti- 
cipant (3). 

Ta  Perfection  a  parlé  de  la  passion  du  Sauveur  avec  beaucoup  de  jus- 
tesse et  d'intelligence,  lorsqu'elle  a  affirmé  que  le  F'ils  unique  de  Dieu 
n'a  pas  souffert  dans  sa  propre  nature,  en  tant  que  Dieu,  les  douleurs  du 


di  De  recta  fide  ad  Augustas,  46.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  1400  B  G. 

(2)  Ibid.,  col.  1376  A  B.  Un  peu  plus  bas,  col.  1409  B,  Cyrille   écrit  :   sTrîtSTi  5È  tm 

(3)  Ibid.,  col.    i388  A.  Cf.  aussi  col.  i36oC:  ttî;  évwÔîi'ar,;  a-JTf;>  ç-jfxîw;.  SriXov  ô-r-.  xyïc 


20  ÉCHOS    D  ORIENT 


corps,  mais  qu'il  les  a  endurées  par  sa  nature  terrestre,  ir^  yoixr^  ©ûcsi  (i). 

Il  a  subi  la  mort  selon  la  loi  de  la  chair  et  dans  noire  nature,  oj^ô-.  t7, 
zaO''/i[;.aç  tîOvvjxoj;  (2). 

Puisque  l'Ecriture  inspirée  déclare  que  le  Christ  a  souffert  par  la  chair, 
il  vaut  mieux  que  nous  nous  en  tenions  à  ce  langage,  que  de  dire  qu'il  a 
souffert  par  la  nature  de  l'humanité,  tT|  cpùdst  ttjç  àvOpo)7roTr,TOî.  Cette  façon 
de  parler  toutefois  serait  inoffensive,  si  certains  n'en  travestissaient  pas  la 
signification  (3). 

Le  mot  cp'JT'-;  dans  la  christologie  cyrillienne  est  donc  appliqué  assez 
souvent  à  la  nature  humaine  du  Christ.  11  est  alors  synonyme  de  ojs-la. 
Les  expressions  :  6  ).6yo;  toù  ttôjç  slvat  et  -oiôty,?  '^'jtw/,  ne  sont  pas 
les  seules  employées  par  l'évêque  d'Alexandrie  pour  désigner  l'essence 
spécifique.  Le  mot  cpùo-i;  a  fréquemment  la  même  signification.  Cyrille 
dit  aussi  bien  et  plus  souvent  :  htpoly.  xa-rà  Tvy  cpjs-'.v  Htôrr,;  -z  xal 
o-ào;  (4),  que  :  sTcoa  xa-rà  tov  toO  tw;  îlvat.  ÀÔyov  (5),  ou  :  sv  -o'.ôty,t'. 
'iU3-t.xr,.  11  dit  aussi  :   pir,  cpùo-t.;  y,   a'JTYi  o-apxô;  tî  xal  OîÔty.to?  (6). 

11  n'est  pas  étonnant  dès  lors  que  le  saint  docteur  ait  proclamé  «  deux 
natures  après  l'union  »,  dans  le  sens  chalcédonien,  aussi  bien  avant 
qu'après  sa  controverse  avec  les  Orientaux.  Les  passages  abondent. 
11  y  a  d'abord  celui  de  la  seconde  lettre  à  Nestorius  : 

Les  natures  qui  se  sont  rapprochées  pour  former  une  unité  véritable 
sont,  il  est  vrai,  différentes;  mais  des  deux  résulte  un  seul  Fils  et  Christ, 
non  que  la  différence  des  natures  ait  été  supprimée  par  suite  de  l'union, 
mais  parce  que  la  divinité  et  l'humanité,  unies  d'une  manière  ineffable, 
constituent  l'unique  Fils  et  Seigneur  Jésus-Christ  (7). 

Si  la  différence  des  natures  persiste,  il  est  évident  que  les  natures 
■persistent  aussi;  mais  celles-ci  ne  sont  pas  dans  le  Christ  à  l'état  séparé, 
subsistant  chacune  à  part.  Cyrille  ne  défend  pas  de  distinguer  deux 
natures  après  l'union,  et  de  leur  donner  ce  nom  de  nature;  il  interdit 
seulement  de  les  séparer  l'une  de  l'autre,  de  manière  à  en  faire  deux 
sujets  (8). 


(i)  Epist.  Il  ad  Succensum.  P.  G.,  t.  LXXVII,  col.  244  B. 

(2)  De  recta  Jide  ad  Theodosium,  43.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  1200  A. 

(3)  Epist.  II  ad  Succensum,  col.  245. 

(4)  Adversus  Nestorium,  1.  II,  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  64  A. 

(5)  Ibid.,  col.  85  A.  Cyrille  dit  aussi,  col.  89  B  :  xarà  -rov  ttï;  ç-juew;  Xoyov. 

(6)  De  recta  Jide  ad  Theodosium.  P.  G.,  ibid.,  col.  1141  B.  Cf.  Apologeticus  contra 
Orientales.  P.  G.,  ibid.,  col.  32g  D:  étépa  xaTà  cpJT'.v  tôi'av  ■/]  aa.pl  ....  'é-spoç  -/.axà  rôv 
Tïjî  ISt'aç  cpyaswî  16yo^  ô  Movoycvr,;. 

(7)  P.  G.,  t.  LXXVII,  col.  45  C.  Cyrille  dit  bien  ici  deux  natures  après  l'union. 
Rien  ne  prouve  qu'il  fait  dans  le  cas  présent  le  tour  de  gymnastique  intellectuelle 
dont  il  a  été  parlé  plus  haut. 

(8)  C'est  ce  qu'il  dit  lui-même  dans  le  deuxième  livre  contre  Nestorius.  Après  avoir 


LA  TERMINOLOGIE  CHRISTOLOGIQUE  DE  SAINT  CYRILLE  D  ALEXANDRIE       2  I 

Voici  un  passage  encore  plus  explicite  tiré  des  Scholies  sur  l'Incarna- 
tion : 

Il  ne  faut  donc  pas  diviser  l'unique  Jésus-Christ  en  homme  à  part  et 
en  Dieu  à  part,  tout  en  sachant  la  différence  des  natures  et  en  les  mainte- 
nant l'une  et  l'autre  sans  confusion  (i). 

Quand  il  écrivait  ces  lignes,  Cyrille  n'était  pas  encore  engagé  dans 
la  controverse  avec  les  Orientaux.  En  maintenant  deux  natures  sans 
confusion  après  l'union,  il  n'était  poussé  par  aucun  souci  de  diplomatie; 
il  parlait  son  langage  naturel,  qui  commençait  à  être  le  langage  d'un 
peu  tout  le  monde.  S'il  en  a  pris  un  autre  —  sans  du  reste  abandonner 
le  premier,  —  c'est  la  nécessité  de  combattre  une  erreur  subtile  qui  l'y 
a  contraint. 

II.    Le  mot    J-ÔTTaT'.;   APPLIQUÉ    A    LA    NATURE    HUMAINE    DU    ChRIST. 

L'expression  «  svtoT!.;  xaO'jTwôo-TaT'.v  ». 

On  se  tromperait  d'ailleurs,  si  l'on  croyait  avec  M.  Loofs  que,  d'après 
le  docteur  alexandrin,  le  Verbe  ne  s'est  uni  que  la  nature  humaine  en 
général  et  non  une  nature  concrète  et  bien  individualisée.  La  'x.Û7t.s  que 
le  Verbe  a  prise  n'est  pas  une  forme  abstraite,  sans  consistance;  c'est 
une  nature  bien  réelle,  bien  concrète,  une  hypostase,  j-ôo-TaT^.  Le  sens 
de  ce  dernier  mot  dans  saint  Cyrille  est  loin,  en  effet,  d'être  toujours 
identique  à  celui  de  rcpÔTto-ov.  Comme  l'a  très  bien  remarqué  Petau,  il 
signifie  directement  une  réalité,  une  chose  existante,  par  opposition  à  de 
pures  abstractions  ou  à  des  apparences,  mais  sans  déterminer  le  mode 
d'existence.  «  Ce  qui  n'a  pas  d'hypostase,  dit  Cyrille,  équivant  au  néant, 
n'est  absolument  rien.  »  (2)  Aussi  la  nature  humaine  du  Christ  est-elle 
une  hypostase  avant  comme  après  l'union. 

Théodoret  disait  indifféremment  deux  natures  ou  deux  hypostases, 
•^jTS'.ç  Vi'O'jv  'jT.fj7':ÔL'Tt\^,  pour  désigner  les  deux  natures  du  Christ,  car 


affirmé  que  l'humanité  et  la  divinité  sont  autres  en  essence,  xaTa  tôv  toû  tcw;  eïvas 
).(5yov,  il  ajoute  :  0  ty,?  £vw(Tcf.);).(5Yo;  oJ/.  àyvoït  [lîv  tT|V  Siaçopàv,  i^iu-r^ai  oï  ttjv  Sia!p£<Ttv, 
ryj  <7UYX£wv  r,  àvay.ipvwv  rà;  çCdît;.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  85  B.  Dans  la  lettre  à  Euloge 
de  Constantinople,  il  déclare  que  Nestorius  est  blâmé  non  pour  avoir  dit  c^eux  natures, 
mais  pour  les  avoir  séparées  de  manière  à  détruire  la  véritable  ëvwd;;.  P.  G.,  t.  LXXVII, 

col.  225  A. 

(i)  Oy  ô'.opiUTeov  à'pa  tôv  ïvol  'Irjdoijv  Xp'.dxbv  £Î;  Î5t/,à);  àvOpwTiov  y.al  £c;  ôîbv  tS'.y.w;, 
Tr,v  '<•>''  ç'Jffîwv  £t56T£;  ôtapooàv  xai  àiTUY/-JTou;  àXXr,).aiî  -TipoûvTs;  a-JTâ;.  P-  G.,  t.  LXXV, 
col.  i385  G.  ■ 

(2)  Tb  jXTj  yç£(TTw;,  èv  l'ato  tw  [i.r)8£vt,  (xâXXov  5k  7ravT£),w;  ojôév.  De  recta  Jtde  ad  Theo- 
dosium,  i3.  P.  G.,  t.  LXXV'l,  col.  ii53  B.  Ce  passage  est  capital  pour  saisir  le  sens 
de  ÛTiôff-aa:;  dans  la  christolosie  cvrilli<;nne. 


ECHOS    D  ORIENT 


l'une  et  l'autre  sont  des  réalités  concrètes  (i).  En  défendant  contre  lui 
ses  anathématismes,  l'évêque  d'Alexandrie  adopte  cette  terminologie. 
C'est  ainsi  qu'il  déclare,  comme  nous  l'avons  vu,  que  la  forme  de  Dieu 
et  celle  du  serviteur  n'ont  pas  été  unies  sans  les  hyposiases  (2),  c'est- 
à-dire  sans  ce  qui  en  constitue  la  réalité.  Il  interpelle  Théodoret  en  ces 
termes  : 

Puisqu'il  affirme  que  la  forme  de  l'esclave  a  été  prise  par  la  forme  de 
Dieu,  qu'il  vienne  nous  dire  si  ce  sont  les  formes  seules  considérées  en 
elles-mêmes  qui  se  sont  unies  sans  les  hypostases.  Mais,  à  mon  avis,  il 
va  se  combattre  ici  lui-même.  Ce  ne  sont  pas,  en  effet,  de  simples  simu- 
lacres sans  consistance,  àvuTrôffraxot  6[xotÔTY,T£;  (de  pures  idées),  des  formes 
qui  se  sont  rencontrées  pour  former  l'union  de  l'Incarnation,  xaO'svoffiv 
otxovo{X'.xY,v,  mais  il  y  a  eu  concours  de  réalités,  c'est-à-dire  d' hypostases^ 
àÀXà  xpaYjxàxcov  r^youv  ûTrocxàffscov  yiyoze  gûvoùoç,  comme  l'exige  la  foi  en  la 
réalité  de  l'Incarnation  (3). 

11  est  évident  que,  dans  ce  passage,  •jiroo-Taa-t.ç  ne  saurait  avoir  le  sens 
de  TTpôo-toTïov.  Cyrille  ne  pouvait  pas  dire  :  «  Tzpoo-coTzcov  y^y^vî  t-jvooo;  » 
comme  il  dit  :  «  OTroaxàa-sojv  y,  cpûo-swv  o-ûvoSo?  »,  lui  qui  reproche  à  Nes- 
torius  Vunion  des  prosôpons,  svwo-!.?  TrpoTwiiojv  (4).  Le  terme  j-oT-raT',; 
signifie  donc  ici  une  réalité,  comme  l'indique  du  reste  le  mot  ~py.-"j.y.-(<rj 
donné  comme  synonyme  de  •jitoTrào-sojv. 

On  constate  ainsi  que  l'évêque  d'Alexandrie  a  appliqué  à  la  nature 
humaine  du  Christ,  non  seulement  le  terme  de  'f  ùtiç,  mais  encore  celui 
de  'jTTÔo-Tacrtç.  M.  Loofs  fait  donc  erreur  lorsqu'il  attribue  à  saint  Cyrille 
l'idée  d'une  nature  humaine  anhypostatique,  cpuo-i;  àvu-îiÔT-raTo;  (5).  Le 
saint  docteur  rejette  expressément  cette  hypothèse  : 

Je  voudrais  bien  savoir,  dit-il,  si  Théodoret  enseigne  une  union  véri- 
table du  Verbe  avec  l'humanité ou  si  lui  aussi  partage  l'opinion  de 

certains  autres,  qui  parlent  d'adhésion  par  relation  d'une  forme  d'esclave 
anhypostatique  à  une  forme  divine  enhypostatique  (6). 

Une  nature  anhypostatique,  au  sens  où  Cyrille  entend  ce  mot  dans  le 
cas  présent,  serait  une  nature  irréelle,  inexistante,  une  pure  abstraction. 


(i)  A'jo  5à  Ta;  ÉvwOetffaî  inzoaxiatii  eïtouv  çyoreiç,  Xéyîiv  o'jx  àxoTiov,  àX).K  xaTr'alxtav  i.v.6- 
Xoueov.  p.  G.,  t.  LXXVI,  col.  404  B. 

(2)  Ibid.,  col.,  401  A. 

(3)  Ibid.,  col.  396  C. 

(4)  Voir,  par  exemple,  P.  G.,  t.  LXXVII,  col.  48  C,  65  B. 

(5)  On  dira  plus  tard  chez  les  Grecs  que  la  nature  humaine  du  Christ  est  vrjTzoa-y.Ti^ 
c'est-à-dire  qu'elle  existe  dans  l'hypostase  ou  personne  du  Verbe. 

(6)  xatà  «Tuvxçeiav  aytzi-Ar^-i  8ou>>07tp£ïtoûç  xal  àvuTtoffxâTO-j  p.opsf,;  Ttpoç  îvjTrécnraTOv  y.%1 
eeîav  [xopçv.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  397  BC. 


LA  TERMINOLOGIE  CHRISTOLOGIQUE  DE  SAINT  CYRILLE  d' ALEXANDRIE      2} 

Ce  ne  serait  point  une  nature  individuelle  privée  de  subsistance  propre 
et  de  personnalité.  Si  l'on  donnait  cette  dernière  signification  à  l'adjectif 
àvÛTcoTTa-ro^.  l'évêque  d'Alexandrie  reconnaîtrait  que  la  nature  humaine 
du  Christ  est  àvj-ÔT-:a-:o;  et  s'appuie  pour  subsister  sur  l'unique  hypos- 
tase  ou  personne  du  Verbe,  qu'elle  existe  dans  le  Verbe  et  non  en  elle- 
même  et  à  part. 

C'est  le  moment  de  parler  de  la  fameuse  expression  union  selon  l'hy- 
postase,  svcoo-'.;  xaO'j-ÔTTaT'.v,  que  saint  Cyrille  avoue  avoir  forgée  exprès 
pour  réfuter  Nestorius  (i).  D'après  les  explications  que  lui-même  en  a 
données,  union  hypostatique  est  synonyme  d'union  vraie,  véritable, 
réelle,  consistante  (2).  On  devine  dès  lors  que  le  terme  j-ÔT-rao-'.;  est 
pris  ici  encore  non  dans  le  sens  de  personne,  -pÔTOi-ov,  mais  dans  le 
sens  de  réalité,  7rpàY;ji.a.  'Iv/to-n;  xa9'67:ôa-:5cTt.v  est  donc  pour  l'évêque 
d'Alexandrie  l'union  selon  la  réalité,  selon  la  vérité,  y.y.'zb.  à^vr^Os'.av,  comme 
il  dit  souvent.  La  formule  ne  signifie  pas  directement  union  hypostatique, 
au  sens  où  on  l'a  entendu  depuis,  c'est-à-dire  union  personnelle  ou  dans 
la  personne.  Ce  n'est  qu'indirectement  qu'on  la  ramène  à  cette  signifi- 
cation, l'union  véritable  étant  en  fait  l'union  de  la  divinité  et  de  l'huma- 
nité réalisée  dans  la  personne  du  Verbe. 

Pourquoi  cette  épithète  de  véritable,  consistante,  employée  pour  carac- 
tériser rîv(-)7!.;?  Cyrille  nous  l'apprend.  L'svtoT!,;  xaO'j-ÔTTaa-î.v  s'oppose 
à  l'svtoT'.;  ou  ivÔTT,;  Tïpoo-wraov,  dont  parle  Nestorius.  Cyrille  unifie  le 
Christ  dans  l'ordre  de  l'existence  concrète,  physique,  individuelle.  Nes- 
torius opère  l'unification  dans  l'ordre  des  relations  morales  entre  per- 
sonnes, 2v<.)T'.;  TcpoTtÔTTwv  (3).  11  aboutlt  alusl  à  un  prosôpon  unique,  mais 
ce  prosôpon  n'est  qu'un  masque;  cette  unité  n'est  que  factice,  apparente; 
c'est  une  ombre  sans  consistance.  A  ce  fantôme,  Cyrille  oppose  l'évcoa-iç 
véritable,  réelle,  qui  fait  vraiment  du  Christ,  du  Verbe  incarné  un 
sujet  unique  à  la  fois  Dieu  et  homme,  une  seule  véritable  personne, 
un  seul  individu.  On  comprend  dès  lors  toute  la  portée  de  la  formule. 
Par  elle-même,  elle  constitue  un  acte  d'accusation  contre  la  farce  théo- 
logique qu'est  l'unique  prosôpon  nestorien.  Aussi  l'évêque  d'Alexandrie 
la  répète  à  satiété.  11  veut  que  l'on  sache  bien  que  l'unité  du  Christ, 
telle  que  l'établit  Nestorius,  est  fictive,  n'est  pas  véritable,  et  que  la 
foi  n'y  peut  trouver  son  compte. 


(i)  Ibid.,  col.  400-401. 

(2I  Voir,  par  exemple:  Apologelicus  contra  Orientales.  P.  G.,  ibid.,  col.  332  B; 
Contra  Theodoretum,  coL  401. 

(3)  Le  terme  grec  îvtoort;  n'est  qu'imparfaitement  rendu  par  le  mot  français  «  union  ». 
Il  éveille  l'idée  de  réduction  à  l'unité,  d'unification. 


24  ÉCHOS    D  ORIENT 


Faisons  remarquer  à  ce  propos  que  certains  anciens  théologiens  ont 
qualifié  d'union  personnelle,  svwt^  TrpoTWTrixrî ,  l'unité  de  prosôpon  admise 
par  Nestorius  et  l'ont  opposée  à  l'union  hypostalique,  i'vwT-.; 'j-oTTaTurj. 
L'une  et  l'autre  de  ces  unions  peut  être  dite  personnelle,  mais  la  pre- 
mière, rsvwa!,?  TTpoTWTTix-/^ ,  signlfic  i  uuîon  de  deux  personnes  en  une 
seule,  qui  ne  peut  être  qu'une  personnalité  morale;  la  seconde,  l'union 
hypotastique,  s'entend  d'une  union  dans  la  personne  du  Verbe,  qui 
est  vraiment  unique.  On  peut  dire  que  l'union  nestorienne  est  trop 
personnelle  et  pas  assez  pour  satisfaire  aux  exigences  du  dogme  :  trop, 
parce  qu'elle  suppose  deux  personnes;  pas  assez,  parce  que  sa  personne 
unique  est  factice. 

11  eût  été  maladroit  de  la  part  de  saint  Cyrille  de  parler  directement 
d'union  personnelle,  parce  que  ce  terme  eût  été  équivoque,  la  o-jvicps-.a 
nestorienne  n'étant  que  trop  personnelle.  11  fallait  se  placer  sur  le  ter- 
rain de  la  réalité,  et  dénoncer  l'artifice  de  l'unique  prosôpon. 

111.    <J>'JTf.;   ET    yTcôo-Tao-!,-;   SYNONYMES   DE   TupôcrwTrov. 

La  formule  :  une  seule  nature  incarnée  de  Dieu  le  Verbe. 

En  plus  des  significations  que  nous  venons  d'indiquer,  les  termes 
cp'j(T!,ç  et  OTTOT-racri,;  en  ont  une  autre  dans  la  christologie  cyrillienne.  Ils 
sont  parfois  synonymes  de  TrpÔTcoTiov,  et  désignent  l'être  doué  d'une 
existence  propre  et  indépendante,  l'individu,  la  personne.  Toute  cp'jT-.;, 
toute  jTOCTTaa-'.;  devient  une  personne,  par  le  fait  qu'elle  existe  d'une 
existence  propre  et  séparée.  C'est  pour  cela  que  les  deux  natures  ou 
hypostases  du  système  nestorien  sont  deux  personnes.  Du  moment  que 
Dieu  le  Verbe,  d'un  côté,  et  l'homme  Jésus,  de  l'autre,  constituent 
deux  sujets  distincts,  et  qu'on  ne  peut  attribuer  à  celui-ci  les  propriétés 
de  celui-là,  il  s'ensuit  que  la  oûtiç  humaine  du  Christ  est  un  individu 
à  part,  une  vraie  personne.  Cyrille  a  la  vision  nette  de  cette  conséquence. 
Dans  tous  les  passages  où,  faisant  allusion  à  la  christologie  de  l'héré- 
siarque, il  parle  de  natures  ou  hypostases  séparées,  les  termes  -fÛT',;  et 
jTTOG-TSfiT'.ç  sont  synonymes  de  Tipoo-io-ov. 

De  même,  dit-il,  que  deux  dignitaires  de  rang  égal  ne  sont  pas  consi- 
dérés comme  un  seul  individu,  mais  qu'ils  sont  deux  en  toute  vérité,  de 
même  celui  qui  est  uni  à  un  autre  selon  la  dignité,  les  natures  ou  hypo- 
stases demeurant  séparées,  oiy,pYi[j.£vcov  twv  ^ùasojv  v/ouv  ÙTroaTâ'îewv,  ne  sau- 
rait constituer  un  seul  être  [avec  l'autre;  ils  sont  nécessairement  deux(i). 

(I)  De  recta  Jïde  ad  Auguslas,  45.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  xZbj  D. 


A  TERMINOLOGIE  CHRISTOLOGIQUE  DE  SAINT  CYRILLE  D  ALEXANDRIE       25 

Que  ceux  qui  divisent  l'unique  Ciirist  et  Vus  en  deux  fils,  et  déclarent 
que  l'homme  a  adhéré  à  Dieu  selon  la  seule  égalité  de  dignité  et  de  pou- 
voir, les  natures  restant  séparées,  que  ceux-là  nous  disent  en  la  mort  de 
qui  ils  ont  été  baptisés  (i). 

Comme  le  Christ  est  un  seul  sujet,  un  seul  individu,  il  ne  peut  y 
avoir  en  lui  qu'une  seule  'fJT'.«;,  une  seule  j-ÔTraTiç  existant  d'une 
manière  indépendante.  Cette  unique  nature  ou  hypostase  est  évidem- 
ment celle  de  Dieu  le  Verbe,  puisqu'elle  a  toujours  existé  et  qu'elle  est 
immuable  en  elle-même.  Dès  qu'on  dit  :  nature  ou  hypostase  du  Verbe, 
on  dit  nécessairement  une  nature  indépendante,  subsistant  en  elle-même, 
donc  une  nature-personne.  La  formule  [JLÎa  oiio-iç  (ou  uTcôo-Tao-t;)  toG  0îo'j 
Ao-'oj  désigne  donc  la  nature  concrète,  l'hypostase  indépendante,  la 
personne  du  Verbe,  c'est-à-dire,  comme  l'explique  Cyrille  (2),  le  Verbe 
lui-même.  Dans  le  Christ,  pas  d'autre  personne  que  celle  de  Dieu  le 
Verbe.  Aussi,  quand  il  s'agit  du  Verbe,  les  trois  termes  csût'.;,  Ottô- 
TTaT'.;,  TtoÔTio-ov  se  trouvent  être  synonymes,  comme  on  le  voit  par  de 
nombreux  passages  (3). 

Cette  synonymie,  du  reste,  n'a  rien  qui  doive  surprendre.  Elle  est 
basée  sur  la  nature  même  des  choses.  N'est-il  pas  vrai  que,  dans  la  réa- 
lité, tout  être  individuel,  qu'il  soit  simple  ou  composé,  est  à  la  fois  nature 
ou  essence,  hypostase  ou  réalité,  suppôt  ou  personne  (4).  Un  ange,  un 
homme,  est  à  la  fois  une  nature,  une  hypostase,  une  personne.  Le  cas 
de  la  nature  humaine  du  Christ  est  tout  à  fait  spécial.  C'est  bien  une 
essence,  cpÛT'.,;,  une  réalité,  •jTïoo-Taa-i;,  mais  ce  n'est  pas  une  nature- 
personne,  une  cp'j7i.s-7^p6TW7rov,  parce  qu'elle  ne  s'appartient  pas  et  qu'elle 
a  été,  dès  son  origine,  la  propriété  de  Dieu  le  Verbe. 

C'est  pourquoi,  quand  il  se  place  au  point  de  vue  de  Nestorius  et 
aussi  du  pseudo-Athanase,  l'évêque  d'Alexandrie  déclare  qu'il  n'y  a 
dans  le  Christ  qu'une  seule  '^ù<n?  (une  cpûo-iç-TtpÔTioTrov),  celle  de  Dieu  le 
Verbe;  mais,  pour  marquer  que  cette  nature  s'est  approprié  l'huma- 
nité, il  ajoute  l'épithète  T33-apx{0[j.£VY,  :  une  seule  nature  incarnée  de  Dieu 
le  Verbe,  un  seul  individu,  l'individu  divin  possédant  une  nature  humaine 


m  Ibid.,  52,  col.  1408-1409. 

12)  :TAr,v  OTt  [xovov  -f,  loû  Aôyoy  ?û<7t;,  f,Yoyv  r,  iiixô'jzxai^,  ci  èdTiv  aCtb;  ô  Aôyo;.  Contra 
Theodoretum.  P.  G.,  ibid.,  col.  401  A. 

(3)  'itlvl  TOi^apouv  7rpoao')7io)  Taç  àv  TOt;  sùaYYc  Àfo'.  ;  iràffa;  àvaôc-rÉov  çwvi;"  xiTtoa^iis 
[L'.y.,  zr,  ToC  Ad^ou  dscrapy.ojiiÉvr,.  Epist.  XVH  ad  Nestorium.  P.  G.,  t.  LXXVH,  col.  1 16  C 
Cf.  Contra  Orientales.  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  840  C. 

(4)  On  peut  voir  dans  VApologie  contre  les  Orientaux,  P.  G.,  t.  LXXVI,  col.  352, 
353,  un  long  passage  d'où  il  résulte  que  tout  individu  est  à  la  lois  ç-Jut;,  •JnôffTaut- 
îr&ô(T(i)irov. 


26  ÉCHOS    d'orient 


qu'il  n'avait  pas  avant  l'incarnation.  Faire  de  cette  nature  humaine  un 
sujet  distinct  et  indépendant  de  certaines  propriétés,  à  l'exclusion  de 
Dieu  le  Verbe,  serait  la  soustraire  à  la  possession  parfaite  de  celui-ci  et 
la  séparer  de  son  individualité,  en  faire  une  vraie  personne.  C'est  cette 
séparation  qu'opère  Nestorius.  L'esprit,  sans  doute,  en  contemplant  le 
composé  théandrique,  distingue  le  Verbe  considéré  comme  Dieu,  de 
l'humanité  considérée  dans  son  essence;  mais  distinguer  n'est  pas 
séparer.  Ici  vient  la  comparaison  tirée  du  composé  humain.  L'esprit 
aperçoit  nettement  la  différence  qu'il  y  a  entre  la  nature  de  l'âme  et 
celle  du  corps;  mais,  dans  la  réalité,  l'âme  et  le  corps  sont  étroitement 
unis  et  ne  constituent  qu'un  seul  être  concret,  un  seul  individu,  une 
seule  nature  indépendante.  De  même.  Dieu  le  Verbe  et  l'humanité  ne 
forment  qu'un  sujet  unique,  une  seule  '-py^i.;,  non  que  celte  cpûs-.;  soit  la 
résultante  des  deux  par  changement,  mélange  ou  confusion,  mais  parce 
qu'il  y  a  eu  accession  de  l'humanité  à  la  nature,  hypostase  et  personne 
de  Dieu  le  Verbe,  dont  le  domaine  individuel  a  été  étendu  et  élargi  (i). 

On  peut  toutefois,  par  la  pensée  pure,  èv  l^-yval^  Bcwpia-.;,  svvoia'.;, 
supposer  un  moment  irréel  où  la  nature  humaine  sera  aperçue  comme 
existant  à  part  et  venant  à  la  rencontre  de  l'hypostase  du  Verbe.  De 
ce  point  de  vue,  on  pourra  dire  :  deux  natures  (çp'JT£',s-~po7(o7:a)  avant 
l'union;  une  seule  nature  après;  ou  encore  :  Le  Christ  est  de  deux  natures, 
èx  oûo  cpûo-cwv,  aboutissant  à  une  seule. 

C'est  parce  que  la  nature  humaine  du  Christ  n'est  pas  une  'jût-.;  au  j 
sens  nestorien,  une  nature  indépendante,  une  vraie  personne,  que 
saint  Cyrille  la  désigne  le  plus  souvent  par  les  mots  :  xàp;,  lob.  a-àpi,; 
(Twpia,  àv9pw7î6Tr,ç,  to  àvOpw7ït.vov,  tô  xaO'y^aà^.  11  évite  avec  soin  toute 
expression  qui  pourrait  suggérer  que  l'humanité  du  Christ  est  un  sujet 
distinct  de  Dieu  le  Verbe.  Sa  délicatesse  sur  ce  point  est  extrême. 
Toute  expression  qui  peut  receler  le  nestorianisme  le  trouve  impitoyable, 
et  il  eût  sans  doute  été  choqué  par  certaines  manières  de  parler  de 
Jésus  homme,  qui  sont  de  nos  jours  d'un  usage  courant. 

Au  demeurant  il  est,  nous  venons  de  le  voir,  fort  accommodant 
Sur  la  signification  à  donner  aux  termes  cp-jo-t,;  et  'j^oa-rao-!.;.  11  parle  aussi 
bien  le  langage  dyophysite  que  le  langage  monophysite,  mais  il  prend 
toutes  les  précautions  nécessaires  pour  ne  laisser  planer  aucune  obscu- 
rité sur  sa  pensée,  qui  est  toujours  d'une  irréprochable  orthodoxie. 
Si,  par  exemple,  il  attribue  au  mot  uTrÔT-raTi;  le  sens  de  personne,  il  le 


(i)  Voir,  par  exemple,  la  lettre  à  Euloge  de  Constantinople,  P.  G.,  t.  LXXVII,j 
col.  225,  les  deux  lettres  à  Succensus,  ibid.,  col.  232-233,  241;  la  lettre  à  Valérien  ' 
d'Iconium,  ibid.,  col.  257-260. 


La  terminologie  CHRISTOLOGIQUE  de  saint  CYRILLE  d' ALEXANDRIE       27 

joint  habituellement  au  mot  -pocroi-ov  (1).  S'il  lui  donne  la  signification 
de  chose  réelle,  il  la  fait  suivre  du  terme  Toà-'x-a.  Si  le  mot  '.pyT'.;  est 
pris  par  lui  comme  synonyme  de  oùo-ia,  le  contexte  indique  suffisam- 
■nent  cette  synonymie.  Il  ne  semble  pas,  dès  lors,  qu'on  soit  autorisé 
à  lui  faire  un  grief  de  ce  manque  de  fixité  dans  la  terminologie;  encore 
moins  est-il  permis  de  faire  intervenir  la  diplomatie  en  cette  question. 
On  doit,  au  contraire,  lui  savoir  gré  de  son  esprit  de  conciliation,  et 
admirer  la  dextérité  avec  laquelle  il  a  su  manier  toutes  les  formules 
pour  les  plier  aux  exigences  du  dogme.  Si,  après  sa  mort,  ses  écrits 
ont  donné  naissance  à  d'interminables  logomachies,  il  ne  saurait  en 
être  rendu  responsable.  11  faut  en  accuser  l'esprit  de  parti,  excité  et 
entretenu  par  certaines  circonstances  malheureuses. 

M.   JUGIE. 
Constantinople. 


(1)  C'est  le  cas  du  IV'  anathématisme  :  Eï  t;;  TtpoawTro'.c  Sudlv  vfo-jv  ÛTroaTâffSff:,  etc. 
Dans  la  lettre  à  Valérien,  évêque  d'Iconium,  Cyrille  emploie  le  mot  vT.àazxTi^  dans  le 
sens  de  Ttpdo-wTrov  sans  aucune  détermination,  mais  cela  vient  de  ce  qu'il  rapporte  le 
langage  de  certains  nestoriens,  pour  qui  ûnôdTadtç  désignait  toujours  un  individu. 
P.  G.,  t.  LXXVIl,  col.  257  C  D. 


L'ÉGLISE  MARONITE 

ET  LE  SAlNT-SIÉGE  (1213-1911) 


Nous  empruntons  le  sujet  et  les  sources  principales  de  cette  étude 
au  Bullarium  Maronitarum,  publié  récemment  par  le  Révérendissime 
Tobie  Anaissi,  supérieur  du  Séminaire  maronite  de  Rome  (i). 

S'en  tenant  au  sens  strict  du  mot  bullarium,  l'auteur  publie  peu  de 
documents  émanant  de  la  Propagande.  Nous  le  regrettons  :  car,  à  notre 
avis,  les  archives  de  cette  Congrégation  auraient  permis  au  Révérendis- 
sime abbé  de  livrer  au  public  savant  un  ensemble  de  documents  très  ; 
instructifs.  Tel  qu'il  est  cependant,  et  en  attendant  qu'on  nous  livre 
la  série  complète  des  pièces  concernant  l'Eglise  maronite,  le  Bullarium 
Maronitarum  rendra  service  à  ceux  qui  s'intéressent  à  l'histoire  de  la 
noble  nation  libanaise  (2). 

Nous  grouperons  les  renseignements  les  plus  curieux  contenus  dans 
les  cent  treize  documents  du  bullaire  maronite  en  trois  périodes 
principales:  le  moyen  âge  (1213-1500),  les  temps  modernes  (1500-1800), 
l'époque  contemporaine  (i  800-191 1)  (3). 

1.  Le  moyen  AGE  (12 13-1500). 

Cette  partie  du  bullaire,  que  nous  aurions  préféré  voir  débuter  en 
1182,  et  nous  donner  quelques  documents  relatifs  à  la  première  con- 
version des  Maronites  et  aux  agissements  du  patriarche  Luc  (t  1209), 


(i)  Bullarium  Maronitarum  complectens  bullas,  brevia,  epistolas,  constitutiones, 
aliaque  documenta  à  romanis  pontificibus  ad  patriarchas  antiochenos  syro-maroni- 
tarum  missa.  Ex  tabulario  secreto  S.  Sedis,  bibliotheca  vaticana,  bullariis  variis,elc. 
excerpta  et  jiixta  temporis  seriem  disposita.  Cura  et  studio  Tobi^  Anaissi,  5.  T.  D. 
Hospitii-collegii  congregationis aleppino-libanensis syro-maronitarum  abbatis.  Roma, 
-Max  Bretschneider,  1911,  in-8°,  578  pages.  Prix  :  i5  francs. 

(2)  Le  R.  P.  Louis  Petit,  un  savant  bien  connu  des  lecteurs  de  cette  revue,  a  réuni, 
pour  la  continuation  de  la  Conciliorum  collectio  de  Mansi,  les  pièces  officielles  con- 
cernant l'Eglise  maronite.  Ce  recueil  sera  publié  dans  un  des  prochains  volumes  de 
la  collection.  On  peut  voir,  en  attendant,  la  liste  de  ces  documents  dans  la  table  des 
matières  contenae  au  tome  XXXVI  A,  Paris,  1911,  spécialement  col.  337-338. 

(3)  Nous  ne  relèverons  pas  les  quelques  fautes  d'impression  ou  de  latin  échappées  à 
l'attention  de  Dom  Anaissi.  Elles  sont  peu  nombreuses,  et  n'ont  le  plus  souvent  pas 
d'importance.  Çà  et  là,  les  sommaires  qui  précèdent  les  actes  pontificaux  ne  ren- 
seignent qu'imparfaitement  sur  le  contenu  suggestif  de  ces  pièces.  Au  sujet  du  classe- 
ment des  documents,  nous  ferons   observer  au   docte  moine  Antonin  que   nous  ne 


l'église    maronite   et   le    SAINT-SIÈGE   (1213-I9I1)  29 

m  début  du  xiiF  siècle,  contient  peu  de  documents,  mais,  par  contre,  ils 
sont  d'un  intérêt  capital. 

Le  premier  en  date  est  la  fameuse  bulle  d'Innocent  111  (121 3),  dans 
laquelle  l'illustre  Pontife  rappelle  d'abord  au  patriarche  Jérémie  la  léga- 
tion du  cardinal  Pierre  d'Amalfi  et  la  nouvelle  conversion  de  la  nation 
libanaise,  puis  ajoute  ce  qui  suit  : 

<^)uia  vero dictus  cardinalis 1 1  )  in quibusdam  intelkxit  vos  pati defecîum, 
illum  in  vobis  apostolicœ  auctoritatis  plenitudijie  supplere  curauit. 
injungens  ut  amodo  secundùm  quod  Romana  tenet  Ecclesia  sine  dubila- 
'ione  credatis  quod  Spiritus  Sanctus  procedit  à  Filio,  sicui  procedit  à 
Pâtre,  cùm  sit  Spiritus  utriusque  quemadmodum  et  sacris  auctoritatibus 
et  certis  rationibus  comprobatiir ;  et  ut  hanc  formam  bapti^ando  servetis, 
quod  in  trina  immersione  unica  tantumjiat  invocatio  Trinitatis;  ut  etiam 
Confirmationis  utamini  sacramento  à  solis  episcopis  conferendo.  Et  ne 
in  confectione  chrismatis  aliquam  speciem,  nisi  balsamum  et  oleum  appo- 
natis  :  et  ut  quilibet  vestrum  saltem  semel  in  anno  sua  conjiteatur  pec- 
cata  proprio  sacerdoti,  et  ter  ad  minus  in  anno  devotè  suscipiatis  Eucha- 
risties sacramentum ;  ut  duas  in  Christo  confiteamini  voluntates,  divinam 
sciiicetet  humanam  ;  et  in  altaris  sacrijicio  non  vitreis,  lignis  aut  œreis, 
sed  stagneis,  argenteis,  vel  aureis  vasis  utamini:  habentes  campanas  ad 
distinguendas  horas,  et  populum  ad  ecclesiam  convocandum  (2). 

Plus  loin,  le  même  Pape  dit  encore  : 

Volentes  autem  tibi,  frater  patriarcha,  qui  ob  multam  devotionem 
matrem  tuani  sanctam  Romanam  Ecclesiam  personaliter  visitans  ad 
sacrum  générale  concilium  accessisti,  et  populo  tuo  «  noviter  »  (3)  ad 
obedientiam  Ecclesiœ  romance  reverso  gratiam  facere  specialem,  aucto- 
ritate  tibi  apostolica  indulgemus,  ut  Maronitas  qui  prœdicta  sententia 
fuerint  innodati  temerarias  manus  mittendo  in  clericos,  eadem  auctori- 
tate  potestatem  habeas  absolvendi  (4). 

La  nouvelle  conversion  signalée  par  Innocent  111  a  dû  avoir  lieu  avant 
le  IVe  concile  de  Latran.  En  tout  cas,  elle  ne  semble  pas  s'être  bornée 


voyons  pas  pourquoi,  ayant  adopté  l'ordre  chronologique,  il  place  une  lettre  de 
Paul  H,  datée  de  1469,  après  les  actes  de  Sixte  IV,  qui,  dans  le  bullaire,  s'arrêtent  à 
1475.  Nous  ne  saisissons  pas  davantage  la  raison  pour  laquelle  une  Bulle  de  Léon  X, 
adressée  au  gouverneur  du  Liban  et  datée  du  i3  des  calendes  de  septembre  i5i5,  est 
classée  avant  une  autre  Bulle  de  ce  Pape,  écrite  le  i5  août  de  la  même  année, 
(i)  Le  cardinal  Pierre  d'Amalfi. 

(2)  Bullarium  Maronitarum,  p.  3.  Nous  citons  ce  texte  et  le  suivant  malgré  leur  lon- 
gueur, parce  que  les  Papes  feront  souvent  allusion  dans  la  suite  aut  réformes  accom- 
plies chez  les  Maronites  par  le  cardinal  Pierre  d'Amalfi  sous  le  pape  Innocent  III. 

(3)  C'est  nous  qui  soulignons  ce  mot. 
14)  Op.  cit.,  p.  4. 


^O  ÉCHOS    d'orient 


à  une  partie  seulement  de  la  nation  :  car  Innocent  III  parle  d'une  manière 
générale,  et,  en  1237,  le  Dominicain  Philippe  écrit  au  Souverain  Pon- 
tife sans  restriction  aucune: 

Maronitœ  qui  habitant  in  Libano,  jam  diù  est  quod  ad  Ecclesiarn 
redierunt  (i). 

Une  autre  pièce  intéressante  est  la  Bulle  d'Alexandre  IV  (1256) 
adressée  au  patriarche  Siméon.  Ce  Pape  parle  lui  aussi  sans  restriction, 
de  la  conversion  des  Maronites  accomplie  sous  Innocent  III,  et  renouvelle  ^ 
les  prescriptions  de  son  prédécesseur  touchant  les  réformes  doctrinales 
et  disciplinaires  imposées  par  le  cardinal  Pierre  d'Amalfi.  Ces  réformes 
sont  spécifiées  dans  le  premier  texte  cité  plus  haut.  Le  Pape  prie  ensuite 
le  patriarche  de  se  souvenir  que  toujours,  selon  les  prescriptions  d'In- 
nocent III,  il  a  l'obligation  d'user  des  mêmes  habits  pontificaux  que 
les  Romains,  dont  il  observera  les  coutumes  conciliables  avec  le  main- 
tien de  son  rite. 

Le  troisième  renseignement  important  du  BiUlarium  maronitarum 
durant  la  première  période,  est  une  lettre  du  pape  Eugène  IV  ayant 
trait  à  la  conversion  des  Maronites  de  Chypre  en  1445.  Le  document 
pontifical  n'oublie  pas  de  faire  constater  d'une  manière  spéciale  que, 
dans  sa  profession  de  foi,  en  tout  semblable  à  celle  des  Chaldéens,  le 
délégué  envoyé  à  Rome  par  l'évêque  maronite  a  réprouvé  l'erreur  du 
monothélisme  : 

Deinde  similem  per  omnia  professionem,  dilectus  in  Christo  Isaac 
nuncius  venerabilis  fratris  nostri  Eliœ  Episcopi  Maronitarum,  ipsius 
vice  et  nomine,  reprobando  Macarii  de  unica  voluntate  in  Christo  hœ- 
resim,  cum  mulla  veneratione  emisit  (2). 

Le  dernier  acte  pontifical  de  cette  première  période  est  de  1469. 
Dans  le  sommaire  qui  précède  la  lettre  de  Paul  II  au  patriarche  Pierre, 
le  lecteur  est  averti  que  celui-ci  avait  demandé  au  Pape  de  l'instruire 
sur  l'unité  de  l'essence  divine,  la  Trinité  de  personnes  et  l'unité  de 
nature  en  Dieu,  l'unité  de  personne  et  la  dualité  de  natures  dans  le 
Christ.  Dom  Anaissi  juge  inutile  de  mentionner  dans  le  sommaire  la 
croyance  à  la  dualité  de  volontés  et  d'opérations.  Et  pourtant,  l'ensei- 
gnement de  Paul  II  sur  ce  point  forme  plus  de  la  moitié  du  petit  résumé  | 
doctrinal  composé  à  l'intention  des  Maronites . 

Similiter  in  ipso  D.  N.  J.  C.  sunt  duœ  voluntates  quantum  ad  proprie' 


(i)  Op.  cit.,  p.  8. 
(2)  Op.  cit.,  p.  16. 


l'église    maronite    et   le    SAINT-SIÈGE   (1213-I9I1)  3I 

tates  naturales,  id  est  proprietaies  duarum,  scilicet  divina  et  humana 
unitœ  in  uno  supposito  divino,  concordes  in  unam,  sive  simùl  indivisœ, 
inconvertibiles,  inseparabiles,  inconfusœ,  non  autem  separatœ,  neque 
contraria:  sicut  impii  hœretici  dixerunt.  El  similiter  dicendum  est  de 
operationibus  Christi,  agit  enim  utraque  forma  secundutn  divinorum 
prœdicatore7nLeonemcumalteriusco7nmunione,quodpropriam  est  Verbo 
scilicet  opérante  quod  Verbi  est;  et  carne  exequente  quod  carnis  est  (i). 

Suivent  un  texte  de  saint  Athanase  et  un  autre  de  saint  Cyrille 
d'Alexandrie,  confirmant  l'exposé  catéchétique  (2). 

11.  Les  temps  modernes  (1500- 1800). 

En  IS15,  Léon  X,  écrivant  au  patriarche  Pierre,  croit  devoir  lui 
déclarer  avec  une  certaine  sévérité  que,  dans  sa  profession  de  foi,  il 
a  eu  tort  de  ne  pas  parler  de  la  procession  du  Saint-Esprit,  et  que,  pour 
la  confection  du  Saint  Chrême,  les  patriarches  maronites  n'ont  pas  per- 
sévéré dans  l'obéissance  promise  au  Saint-Siège.  Peu  après,  cependant, 
il  avoue  au  gouverneur  du  Liban.  Ximès,  que  la  nation  maronite  est 
toujours  demeurée  fidèle  à  l'Eglise  romaine  depuis  Innocent  III  (3).  Le 
Pape  dit  avoir  été  informé  de  l'état  de  l'Eglise  maronite  par  le-  célèbre 
Frà  Suriano,  collègue,  comme  visiteur,  de  Frà  Francesco  dà  Poienia. 
Au  P.  Marc  de  Florence,  gardien  des  Observantins  à  Beyrouth,  il 
demande  des  renseignements  au  sujet  de  l'élection  des  patriarches,  du 
lieu  de  leur  résidence,  de  leurs  ornements  liturgiques,  de  leur  ordon- 
nateur, etc. 

En  1326,  Clément  VII  exhorte  les  Maronites  à  conserver  intacte 
l'union  faite  avec  Rome  sous  Innocent  III  et  Eugène  IV. 

Vers  la  fm  du  concile  de  Trente,  en  1362,  saint  Pie  V  écrit  au 
patriarche  des  Maronites  qu'il  est  parfaitement  inutile  de  professer  la 


1 1 1  Op.  cit.,  p.  24. 

(2)  Nous  regrettons  que  le  Révérendissime  abbé  Antonin  ne  signale  aucune  pièce 
concernant  les  travaux  du  Fr.  Gryphon,  le  célèbre  missionnaire  franciscain.  Celui-ci 
*  séjourna  longtemps  au  Liban,  y  bâtit  de  nombreuses  églises,  revisa  les  livres  litur- 
giques des  Maronites,  et,  s'il  faut  en  croire  la  plupart  des  historiens  franciscains,  le 
PV.  Gryphon  serait  même  devenu  patriarche  des  Maronites  ».  Cf.  Van  Steen  deJehay, 
De  ta  situation  légale  des  sujets  ottomans  non  musulmans,  Bruxelles,  1906,  p.  3o2. 
Le  nom  de  ce  religieux  si  méritant  est  simplement  indiqué  une  première  fois  à  la 
page  19  du  bullaire,  à  propos  d'un  visiteur  franciscain  qui  lui  succéda  dans  la  même 
charge  auprès  des  Libanais.  Une  deuxième  fois,  son  nom  et  ses  travaux  sont  rappelés 
d'une  manière  générale  et  indéterminée  dans  une  Bulle  de  Léon  X  au  patriarche  des 
•Maronites.  C'est  plutôt  maigre  comme  renseignement. 

(3l  11  s'agit  évidemment  ici  de  l'obéissance  à  l'Eglise  romaine.  Aucun  Pontife  romain 
ne  fera  difficulté  d'avouer  la  perpétuelle  lidélité  des  Maronites  entendue  en  ce  sens. 


ECHOS    D  ORIENT 


foi  catholique,  si  on  ne  la  met  en  pratique  ni  au  point  de  vue  de  la 
croyance  ni  spécialement  au  point  de  vue  de  l'administration  conve- 
nable des  sacrements  : 

Frustra  enim  ipsam  Ecclesiam  Romanam  colerçt  et  observaret  ejusque 
principatum  agnosceret,  quisquis  ab  ejus  fide,  doctrina  et  Sacramen- 
torum  ritu  quod  ad  eorum  materiam  et  formam  pertinet ,  discreparet  (  i  ). 

Après  cette  déclaration,  le  vénérable  Pontife  attire  l'attention  du 
patriarche  sur  les  instructions  d'Eugène  IV  et  de  Léon  X,  à  propos  de 
la  procession  du  Saint-Esprit,  des  deux  natures,  des  deux  volontés  et 
opérations,  de  l'unité  de  personnalité  dans  le  Christ,  du  lieu  du  purga- 
toire et  des  sept  sacrements.  Il  veut  enfin  que  les  patriarches  formulent 
nettement  leur  foi  lorsqu'ils  supplient  le  Saint-Siège  de  confirmer 
leur  élection. 

Vingt  ans  auparavant,  Paul  III,  tout  en  félicitant  le  peuple  maronite 
de  son  obéissance  au  Siège  romain,  lui  avait  envoyé  six  visiteurs  fran- 
ciscains (2).  En  attendant,  il  exhortait  le  patriarche  à  faire  en  sorte  que 
la  nation  maronite  se  montrât  pleinement  catholique  au  point  de  vue  de 
la  foi,  des  sacrements,  du  jeûne,  de  la  célébration  de  la  messe  avant 
midi.  Entre  autres  choses,  le  patriarche  devait  éviter  de  tolérer  que 
l'administration  des  sacrements  fût  confiée  à  des  prêtres  ignorants,  et, 
ce  qui  est  pis  encore,  à  des  laïques  ou  à  des  hérétiques  (3). 

En  1577,  Grégoire  XIII  ordonne  au  chef  de  l'Eglise  du  Liban  de  sup- 
primer au  trisagion  de  la  messe  l'invocation  hérétique  :  Qui  crucifixus 
es  pro  nobis,  qui  surrexisti  et  ascendisti  in  cœlum  pro  nobis,  miserere 
nobis.  Pour  remédier  à  cet  abus  et  à  d'autres,  le  même  Pontife  confie 
la  visite  des  Maronites  à  deux  Pères  Jésuites  (1578),  et  bientôt  après 
(1^80),  envoie  au  patriarche  des  tracts  catéchétiques  destinés  à  l'in- 
struction du  peuple  (4). 

Une  autre  marque  de  la  sollicitude  de  ce  Pape  envers  les  Syriens 
du  Liban  fut  la  transformation  de  leur  hospice  attenant  à  Saint-André 
délie  Fratte  (1584)  en  Séminaire  de  leur  nation. 

Sous  Clément  VIII,  un  Jésuite  est  de  nouveau  envoyé  chez  les  Maro- 
nites comme  visiteur  canonique  (1599),  et,  à  propos  des  empêchements 


{i)  Op.  cit.,  p.  67. 

(2)  C'était  au  moins  la  septième  ou  hiuitième  fois  que  Rome  envoyait  des  fils  de  saint 
François  faire  la  visite  canonique  de  l'Eglise  maronite, 

(3)  Ici  encore  le  sommaire  placé  en  tête  du  document  ne  renseigne  qu'imparfaite- 
ment sur  son  contenu. 

(4)  Un  synode  maronite  se  tint  au  monastère  de  Sainte-Marie  de  Kanobin,  en  i58o. 
Les  actes  en  seront  prochainement  publiés  par  le  R.  P.  Louis  Petit  dans  la  collection 
Mansi.  Voir  la  table  au  tome  XXXVI  A,  col.  33/. 


I 


l'église  maronite  et  le  saint-siège  (1213-1911)  }^ 


de  parenté  charnelle  ou  spirituelle,  d'affinité,  d'honnêteté  publique  et 
de  la  copula  illicita,  un  Bref  papal  insiste  sur  la  règle  du  droit  occi- 
dental, promulguée  d'ailleurs  au  Liban  sous  Innocent  111  (i). 

A  la  fin  du  xvi®  siècle  (1599),  Paul  V  exige  que  le  patriarche  et  les 
autres  évêques  maronites  reviennent  à  l'ancienne  coutume,  qui  les 
obligeait  à  l'abstinence  perpétuelle.  Il  prescrit  de  même  que,  durant  le 
grand  Carême,  les  fidèles  s'abstiennent  de  vin  et  de  poisson;  que  le 
jeûne  de  l'Avent  soit  de  quarante  jours,  et  ne  puisse  être  rompu  avant 
midi.  De  plus,  pour  le  Carême  des  apôtres,  la  tradition  doit  être  main- 
tenue. Rome  n'approuve  pas  davantage  qu'on  use  de  viande  pendant 
la  semaine  qui  précède  le  Carême  de. Pâques.  Enfin,  le  patriarche  s'ef- 
forcera de  ramener  les  fidèles  au  respect  dû  aux  clercs  séculiers  ou 
réguliers,  que  les  premiers  ne  craignent  pas  d'insulter,  de  frapper  et 
d'accabler  d'impôts,  au  mépris  de  leur  immunité  canonique. 

Rien  à  signaler  sous  le  pontificat  d'Urbain  VIll,  sauf  l'envoi,  en  1630, 
de  Capucins  français  en  Syrie  et  en  Palestine  (2). 

En  1648,  Innocent  IX  autorise  la  fondation  d'un  Séminaire  maronite 
à  Ravenne,  mais  ce  Séminaire  ne  tardera  pas  à  être  supprimé  par 
Alexandre  Vil  (1665). 

Le  même  pape  impose  au  patriarche  Georges  la  prestation  de  verbo  ad 
verbum  (sic)  et  la  signature  d'un  serment  en  vertu  duquel  il  s'engagera 
à  défendre  les  droits  du  Souverain  Pontife,  à  traiter  honorablement 
pt  à  entretenir  d'une  manière  convenable  les  envoyés  du  Saint-Siège  ; 
à  ne  jamais  favoriser  les  ennemis  de  l'Eglise  romaine,  etc.  (1659). 

Clément  X  fait  remettre  au  patriarche  Pierre-Georges  une  profession 
ie  foi  en  vingt-huit  articles  relatifs  à  toutes  les  erreurs  des  Orientaux 
séparés  (1672).  L'article  8  condamne  le  monothélisme. 

La  même  profession  de  foi  est  prescrite  en  1706  au  patriarche  Jacques- 
Pierre  par  Clément  XI,  qui  exige  en  outre  de  lui  le  serment  ordonné 
3ar. Alexandre  Vil  au  patriarche  Georges. 

Sous  le  même  Pontife,  un  religieux  Franciscain  est  délégué  comme 
/isiteur  au  sujet  de  la  déposition  du  patriarche  Jacques-Pierre  (171 1), 
jît,  après  un  mûr  examen  de  l'affaire,  le  Pape  casse  la  sentence  de 
[déposition. 

Quelques  années  plus  tard  (17 18),  Clément  XI  accorde  aux  Antonins 


(i)  Op.  cit.,  p.  112.  Un  synode  provincial  maronite  se  tint  au  Mont  Liban  en  iSgô, 
luquel  le  Jésuite  Jérôme  Dandini  assista  en  qualité  de  nonce  de  Clément  VIII.  Cf. 
VIansi,  Concil.  t.  XXXV  B,  col.  1021-1028. 

(2)  En  1664,  eut  lieu  un  synode  maronite  au  couvent  de  Saint-Jean  de  Herach.  Voir 
a  table  des  matières  de  Mansi,  t.  XXXVI  A,  col.  338. 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  3 


34  ÉCHOS  d'orient 


maronites  l'église  des  Saints-Pierre  et  Marcellin,  voisine  de  leur  hos- 
pice. En  1721,  l'un  de  ces  moines  est  désigné  comme  visiteur  pour 
rétablir  la  paix  chez  ses  compatriotes. 

Clément  XII  montre  sa  sollicitude  envers  la  nation  libanaise  par  trois 
actes  principaux.  En  1732,  il  approuve  la  règle  des  Antonins  et  le 
règlement  de  leur  monastère  et  scolasticat  des  Saints-Pierre  et  Marcellin. 
En  1736,  il  députe  le  gardien  de  la  bibliothèque  vaticane,  l'illustre 
Joseph  Assemani,  pour  présider  un  important  synode  maronite  (i). 
Quatre  ans  après,  préoccupé  des  irrégularités  commises  dans  une 
double  élection  patriarcale,  il  annule  ces  deux  élections  anticanoniques 
et  nomme  patriarche  le  métropolite  Evode. 

Le  successeur  de  Clément  XII  (t  1740)  est  certainement  l'un  des  Papes 
qui  ont  le  plus  aimé  les  chrétientés  orientales  et  se  sont  le  plus 
souciés  du  bon  renom  de  l'Eglise  catholique  dans  les  pays  schisma- 
tiques.  Ainsi,  presque  dès  le  début  de  son  pontificat  (1741),  Benoît  XIV 
se  hâte  de  reviser  les  actes  du  synode  célébré  au  Liban  en  1736  et 
d'en  confirmer  les  articles  importants.  Les  décisions  de  ce  concile  ont 
pour  objet  principal  la  suppression  des  monastères  doubles,  la  cessation 
de  la  vénalité  dans  l'administration  des  sacrements,  la  nomination  d'un 
nombre  déterminé  d'évêques  diocésains,  et  la  réduction  à  huit  du 
nombre  des  diocèses,  à  savoir  :  les  métropoles  d'Alep,  Damas,  Bey- 
routh, Tripoli,  Baalbek,  Sour  et  Saida,  Chypre  et  l'évêché  de  Byblos  (2). 

En  1743,  Benoît  XIV  se  voit  obligé  de  casser  deux  élections  patriar- 
cales, et  nomme  d'office  patriarche  le  métropolite  de  Damas.  Il  confie 
l'exécution  de  ses  ordres  au  Franciscain  Jacques  de  Lucques,  visiteur 
du  Saint-Sépulcre,  règle  la  question  des  sommes  d'argent  abusivement 
dépensées  dans  les  deux  élections  irrégulières,  et  fixe  la  pénitence  à 
imposer  aux  moines  sacrés  évêques  à  cette  occasion. 

L'épiscopat  maronite  se  soumit  aussitôt  et  écrivit  une  lettre  collective 
au  Souverain  Pontife.  Cette  lettre  fut  lue  et  traduite  en  Consistoire.  Le 
Pape  en  manifesta  sa  joie  devant  les  cardinaux,  et,  à  ce  propos,  s'efforça 
de  les  intéresser  à  la  petite  nation  syrienne,   dont  les  usages  litur-  ■ 

(i)  Voir  les  actes  de  ce  synode  édités  par  le  R.  P.  Louis  Petit  dans  Mansi,  ConciL, 
Paris,  1907,  t.  XXXVIII,  coi.  i-334,  avec  un  supplément  de  pièces  orientales  antérieures  4 
ou  posérieures,  ibid.,  col.  335-432.  '. 

(2)  L'évêché  d'Eden  fut  fondé  plus  tard.  En  1906,  S.  S.  Pie  X  a  divisé  Sour  et  Sai'da  J 
en  deux  diocèses.  Peu  auparavant,  M."  Hoyek  avait  créé  le  vicariat  épiscopal  du  Caire. 
Le  titre  et  le  territoire  propres  du  patriarche  sont  ceux  d'Antioche.  Le  li'eu  de  rési- 
dence serait  en  droit,  depuis  le  xiv'  siècle,  le  monastère  de  Sainte-Marie  de  Kanobin. 
En  fait,  cependant,  la  coutume  veut,  paraît-il,  qu'il  réside  en  hiver  au  monastère  de 
Bkercheh,  et  en  été  à  Diman.  Il  a,  croyons-nous,  autorité  sur  les  régions  plus  ou  moins 
voisines  de  ces  localités.  Quatre  évêques  titulaires  l'aident  dans  le  gouvernement  de 
l'Eglise  libanaise. 


l'église  maronite  et  le  saint-siège  (1213-1911)  35 

giques,  qu'il  énumère  complaisamment,  se  rapprochaient  de  plus  en 
plus  des  usages  romains,  tels  :  l'usage  du  pain  azyme,  les  ornements 
sacerdotaux,  la  célébration  quotidienne  de  plusieurs  messes  privées  sur 
le  même  autel,  l'usage  de  l'eau  froide  au  Saint-Sacrifice,  l'administration 
du  sacrement  de  Confirmation  réservée  à  l'évêque,  et  l'acceptation  du 
calendrier  grégorien  (i). 

Toutefois,  et  nous  l'avons  déjà  constaté  plus  haut,  la  sympathie  qu'il 
éprouvait  envers  les  catholiques  du  Liban  ne  fit  pas  oublier  au  Pontife 
de  corriger  les  abus  qui  lui  étaient  signalés.  C'est  ainsi  qu'il  s'occupa 
de  réformer  la  règle  des  Antonins,  qui  habitaient  le  monastère  des 
Saints-Pierre  et  Marcellin,  de  réconcilier  entre  eux  le  patriarche  et  cer- 
tains évêques  par  l'intermédiaire  du  P.  Désiré,  religieux  Observantin  de 
Jérusalem;  de  supprimer  la  Congrégation  de  femmes  instituée  sous  le 
vocable  du  Sacré-Cœur  par  la  Sœur  Anne  Agémi  (1752).  Entre  temps 
(1753),  ^^  approuva  la  translation  à  la  villa  Paganica  du  monastère  des 
Saints-Pierre  et  Marcellin. 

En  1754,  il  pressa  auprès  du  patriarche  Evode  la  mise  à  exécution 
des  décisions  du  synode  de  1736,  surtout  en  ce  qui  concerne  la  fixation 
du  lieu  de  résidence  du  patriarche  et  des  évêques,  la  délimitation  des 
diocèses,  la  distribution  gratuite  des  saintes  huiles,  la  recommandation 
d'éviter  les  ordinations  inutiles,  de  ne  pas  employer  les  biens  ecclésias- 
tiques à  des  usages  personnels  ou  familiaux  (2). 

Trois  ans  plus  tard  (1757),  une  année  avant  sa  mort,  Benoît  XIV 
tentera,  mais  en  vain ,  d'éviter  la  division  des  Antonins  en  deux  branches  : 
la  Congrégation  alépine  et  la  Congrégation  libanaise. 

Durant  le  pontificat  de  Clément  XllI,  le  Saint-Siège  félicite  le  patriarche 
Joseph-Pierre  de  veiller  à  l'exécution  des  décrets  du  synode  maronite 
dont  nous  venons  de  parler  (1767)  (3). 

/   Son  successeur,   Clément  XIV,  approuve   les  deux   Congrégations 
antonines  d'Alep  et  du  Liban. 

Quelques  années  après  son  élévation  au  souverain  pontificat  (1779), 
Pie  VI  eut  à  résoudre  la  question  difficile  de  la  sœur  Anne  Agémi,  fon- 
datrice des  religieuses  maronites  du  Sacré-Cœur.  Celle-ci,  que  le  clergé 
accusait  de  n'être  qu'une  visionnaire  et  de  n'avoir  que  les  dehors  de 
la  sainteté,  avait  affirmé  l'existence  de  moines  francs-maçons  dans  le 
monastère  de  Bkercheh.  Une  ordonnance  papale  la  condamna  à  rétracter 


(i)  Un   concile  ^e   tint  sous  le   patriarche  Seman-Aouad.  Voir  Mansi,  à  la  table, 
t.  XXVI  A,  col.  338. 

(2)  En  1755  et  1756,  nouveaux  conciles  au  mont  Liban^  signalés   par  la   table  de 
Mansi,  loc.  cit. 

(3)  En  1768,  1780,  1786,  1790,  autres  synodes  maronites.  Ibid. 


36  ÉCH05   d'orient 


cette  accusation,  et,  pour  avoir  favorisé  cette  religieuse,  le  patriarche 
Joseph-Pierre  lut  destitué  et  ne  conserva  que  l'exercice  du  sacerdoce 
simple.  En  raison  de  ces  événements,  l'évêque  Pierre  de  Moretta  fut 
chargé  de  la  visite  apostolique  au  mont  Liban  (1783).  L'année  suivante, 
Rome  consentit  à  absoudre  et  à  rétablir  dans  sa  dignité  première  le 
patriarche  repentant. 

En  1787,  un  autre  visiteur  est  délégué  auprès  des  Maronites.  Pie  VI 
confie  cette  mission  à  l'évêque  melkite  d'Alep,  Germain  Adam,  qui 
devra  présider  à  la  nomination  de  nouveaux  évêques. 

111.    L'ÉPOQUE   CONTEMPORAINE   (180O-I9II). 

Au  début  du  xix^  siècle,  il  s'était  fondé  en  Syrie  et  ailleurs  en  Orient 
une  Société  antiromaine,  qui  recruta  en  peu  de  temps  un  nombre  con- 
sidérable d'adeptes.  Tristement  émue  des  agissements  de  la  secte,  la 
Propagande  adressa,  en  1803,  aux  patriarches  et  évêques  orientaux,  une 
circulaire  en  vertu  de  laquelle  elle  imposa  aux  prêtres  chargés  d'un 
ministère  quelconque  et  aux  candidats  aux  ordres  majeurs  la  profession 
de  foi  d'Urbain  VIII,  à  laquelle  était  ajoutée  en  appendice  la  formule 
du  pape  Hormisdas.  Cette  double  profession  de  foi  devait  être  souscrite 
par  les  clercs  précités. 

Benoît  XIV  et  Clément  XIII  avaient  rappelé  aux  patriarches  maro- 
nites l'exécution  des  décrets  du  synode  libanais  de  1736.  Pie  Vllrenou- 
velle  cette  instance  concernant  les  monastères  doubles.  Il  s'afflige,  à 
ce  sujet,  de  voir  l'inutilité  d'ordonnances  nombreuses  du  Saint-Siège 
et  de  huit  visites  apostoliques  accomplies  depuis  1838. 

11  blâme  l'absentéisme  des  évêques  et  le  défaut  de  fixité  du  lieu  de 
leur  résidence.  Par  contre,  en  1819,  il  se  dit  heureux  d'approuver  le 
synode  patriarcal  qui  décide  l'abolition  des  fameux  monastères  doubles. 
Il  résout  en  même  temps  la  question  de  la  résidence  du  patriarche  et 
des  autres  évêques. 

Rien  de  bien  marquant  à  signaler  dans  le  bullaire  sous  les  pontificats 
des  trois  premiers  successeurs  de  Pie  VII.  En  1856,  le  pape  Pie  IX  loue  ; 
le  patriarche  et  les  évêques  de  la  célébration  d'un  synode  destiné  à 
promouvoir  la  foi  et  la  discipline  chez  les  Libanais. 

En  1860,  il  assure  l'archevêque  maronite  d'Alep  qu'il  ne  permettra 
pas  le  passage  des  Orientaux  au  rite  latin. 

Léon  XllI  s'attira  la  reconnaissance  des  Maronites  en  rétablissant  leur  i 
Séminaire,  supprimé  depuis  la  Révolution.  _ 

Le  bullaire  se  termine  par  la  profession  de  foi  des  Orientaux  et  des|[ 


l'église  maronite  et  le  saint-siège  (1213-19/1)         37 

Latins.  II  y  manque  l'addition  faite  par  S.  S.  Pie  X  contre  les  modernistes. 

Suit  la  liste  des  patriarches  d'Antioche  depuis  les  origines.  Nous 
laissons  aux  spécialistes  le  soin  de  contrôler  la  valeur  critique  de  cette 
liste,  particulièrement  en  ce  qui  concerne  le  patriarcat  de  Jean  Maron, 
dont  le  Révérendissime  Anaissi  place  l'élection  en  685. 

En  finissant  cette  analyse  très  sommaire  du  BuUarhim  Maronitarum , 
nous  avons  le  regret  de  dire  qu'elle  ne  permet  pas  de  conclure  à  la 
perpétuité  absolue  de  l'orthodoxie  maronite.  Dom  Anaissi  semble  se  pré 
valoir  (i)  des  paroles  pontificales  relatées  dans  les  divers  documents 
contre  les  tenants  de  l'opinion  contraire.  Le  contexte  de  ces  paroles 
démontre  que  les  Souverains  Pontifes  n'entendaient  pas  cette  perpétuité 
dans  le  sens  rigoureux.  En  serait-il  ainsi  d'ailleurs,  que  nous  repro- 
cherions au  Révérendissime  Abbé  d'engager  imprudemment  l'autorité 
de  l'Eglise  en  semblable  matière.  Lorsqu'elle  approuve  certaines  tradi- 
tions, l'Eglise  n'a  nullement  l'intention  de  canoniser  leur  authenticité. 
Si  le  docte  moine  Antonin  est  persuadé  du  contraire,  nous  ne  pouvons 
mieux  faire  que  de  Tinviter  à  lire  le  Résumé  de  fin  d'année:  idées  sur 
l'histoire  en  191 1 ,  dû  à  la  plume  de  M.  Saltet,  et  inséré  en  novembre  191 1 
dans  le  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  p.  435-449,  de  l'Institut 
catholique  de  Toulouse,  et  la  conférence  intéressante  que  le  R.  P.  Savio 
a  donnée  dernièrement  au  palais  de  la  Chancellerie,  à  Rome,  sur  les  Papes 
et  les  traditions  populaires.  La  traduction  de  cette  conférence  a  également 
paru  en   191 1  dans  la  même  revue  (fascicule  d'octobre,  p.  353-364). 

Malgré  cette  conclusion  suggérée  par  la  lecture  du  Bullarium  maro- 
nitarum, nous  sommes  heureux  d'affirmer  qu'en  publiant  cet  ouvrage, 
Dom  Anaissi  rend  un  grand  service  non  seulement  aux  savants,  mais 
encore  aux  amis  de  l'Eglise  maronite,  en  leur  permettant  de  constater, 
d'une  part,  la  sollicitude  perpétuelle  du  Saint-Siège  envers  cette  chré- 
tienté, et  de  l'autre  l'attachement  inébranlable  que,  nonobstant  ses 
défaillances  et  son  catholicisme  que  d'aucuns  pourraient  être  tentés 
de  trouver  un  peu  trop  théorique,  cette  dernière  a  toujours  voué  au 
Saint-Siège  depuis  le  xiii^  siècle,  époque  de  son  retour  définitif  au  catho- 
licisme romain  (2).  A.  Catoire. 

Constantinople. 

(i)  Slatuunt  atque  demonstrant  prœterea  documenta  hœc  rem  historicam  magni 
momenti,  perperam  ab  adpersariis,  parùm  veritatis  amicis,  negatam  :  id  est  perpe- 
tuus  atque  constans  animus  (sic)  majorum  nostrorum  in  fide  catholica  projitenda 
atque  tuenda,  «  veluti  rosa  inter  spinas  »,  tôt  sœculorum  intervallo  atque  finiti- 
marum  gentium  conatibus.  Anaissi,  op.  cit.,  p.  7. 

(2)  Le  R.  P.  Vailhé  avait  raison  d'écrire  en  1902  {Echos  d'Orient,  t.  IV,  p.  161)  :  «  Il 
serait  intéressant  de  rechercher,  dans  les  lettres  subséquentes  des  Papes  aux  patriarches 
libanais,  s'il  n'y  a  pas  d'autre  mention  explicite  de  cette  vieille  hérésie  (monothélite)  ». 


ÉPIGRAPHIE  DE  JÉRUSALEM 


En  faisant  des  nivellements  autour  des  restes  de  Véglise  Saint-Pierre 
en  Gallicante,  on  a  mis  à  jour  une  mosaïque  de  facture  ordinaire  et 
très  délabrée.  Elle  est  faite  de  cubes  blancs  et  rouges  avec  une  orne- 
mentation très  simple,  et  couvrait  une  surface  d'environ  5  mètres  de 
côté.  Le  milieu  portait  une  inscription  circulaire  qui  n'est  pas  complète, 
mais  ce  qui  reste  permet  de  suppléer  ce  qui  manque  ;  elle  se  compo- 
sait de  trois  mots  seulement. 


/ 


YnEPCCOTE PIAC 

On  peut  compléter  sans  hésiter  : 

L'orthographe  fautive  o-toxspUç 
pour  (TWTTipiaç  n'est  pas  un  exemple 
isolé.  La  même  faute  se  rencontre 
sur  un  fragment  de  pluteus  trouvé 
à  la  chapelle  de  Sainte-Véronique 
à  Jérusalem. 

La  substitution  de  l'e  à  l'ri  semblerait  indiquer  que  la  prononciation 
du  temps  rapprochait  ces  deux  lettres,  et  que  l'itacisme  ne  dominait 
pas  encore. 

Les  formules  votives  de  ce  genre  se  rencontrent  souvent,  soit  dans 
les  pavages,  soit  dans  le  mobilier  des  églises  byzantines. 

La  même  se  retrouve  sur  une  plaque  de  marbre  signalée  par  M.  de 
Vogué  dans  son  bel  ouvrage  sur  le  Temple  de  Jérusalem  (i). 

Les  bienfaiteurs  qui  faisaient  les  frais  des  constructions  ou  des  amé- 
nagements étaient  signalés  ainsi  à  la  reconnaissance  et  recommandés 
aux  prières  des  pèlerins. 

La  variété  de  ces  formules  indique  bien  cette  intention.  Quand  l'of- 
frande était  faite  au  nom  des  défunts,  on  écrivait  : 

TTîèp  pi.V7Î[JLriç  xal  àvaTraûo-stoç 

S'il  s'agissait  d'un  vivant,  on  disait,  comme  dans  le  cas  présent  : 
'TTrèp  (Ttor/]p[aç. 

Quand  l'intention  était  double,  les  deux  formules  se  suivaient  : 
Tuèp  (T(OTr,piaç  xoù  Selivoç  xal  àvaTtaùo-etoç  toû  oelivoç. 


(i)  M.  DE  Vogué,  le  Temple  de  Jérusalem,  Paris,  1864,  PI.  XXXVII, 


ÉPIGRAPHIE    DE   JÉRUSALEM 


39. 


Et  lorsque  la  modestie  des  bienfaiteurs  préférait  l'anonyme,  on  se 
contentait  de  dire  :  wv  Kûpioç  vwwTxst.  Ta  ovôpiaTa,  comme  on  peut  le 
lire  sur  le  baptistère  de  la  basilique  de  Bethléem. 

La  présence  de  cette  mosaïque  et  de  son  inscription  votive  dans  les 
dépendances  de  l'ancienne  église  Saint-Pierre  n'est  pas  sans  intérêt. 
C'est  un  document  nouveau  qui  vient  s'ajouter  aux  autres  documents 
épigraphiques  déjà  signalés  : 

Passage  du  psaume  cxx,  inscrit  sur  la  mosaïque  du  vestibule  de  la 
crypte; 

Sépulture  byzantine  d'un  nommé  Etienne,  à  quelques  pas  au  nord 
de  l'église; 

Polycandilon  avec  dédicace  à  saint  Théodose,  trouvé  dans  une  citerne 
contiguë  à  l'église,  sans  parler  des  fragments  de  sculpture,  chapiteaux 
et  bases  de  colonnes. 

L'inscription  du  polycandilon,  signalée  dans  les  Echos  d'Orient  en 
1909(1),  prend  une  importance  considérable  dans  la  question,  par  suite 
du  texte  suivant  des  Menées  au  1 1  janvier,  fête  du  Saint  : 

OTÔXoU   nÉTpOU. 

Sa  fête  est  célébrée  dans  le  sanctuaire  apostolique  de  l'apôtre  saint  Pierre. 

Ce  texte,  qui  fait  partie  des  éditions  modernes  des  Menées,  figure 
également  dans  deux  manuscrits  du  patriarcat  grec  de  Jérusalem,  et 
comme  saint  Théodose  le  Céno- 
biarque  est  un  saint  de  Jérusalem, 
il  semble  évident  que  l'Apostolium 
de  saint  Pierre  dont  on  parle  ici  est 
bien  l'église  près  de  laquelle  le  po- 
lycandilon a  été  trouvé. 

Ajoutons  encore  un    petit  docu- 
ment, trouvé  aussi  dans  les  fouilles, 
qui  ne  manque  pas  d'intérêt.  C'est 
une  bague  en  bronze  dont  le  chaton   représente  un  coq.  La  photo- 
graphie la  reproduit  en  double  grandeur. 


J.  Germer-Durand. 


Jérusalem. 


(i)  «  Un  polycandilon  byzantin  »,  dans  les  Echos  d'Orient,  t.  Xll,  1909.  p.  yS  sq; 
«  A  propos  d'un  polycandilon  byzantin  »,  ibid.y  p.  3o8  sq.  . 


LE  MOINE  JOB 


Le  codex  71  des  Nanti,  du  xv^  siècle,  contient,  p.  245-255,  un  office 
annoncé  sous  le  titre  suivant  :  'Axo)vou9[a  el;  ttiv  oariav  [XTiTepa  yiulwv 
0£o8topav  TTiv  GaupiaTOupyôv  x^  èv  t^  àpT.  {sic)  uovTiQs'ïo-a  Tiap'  epioij  'Iwê 
{jiovay_oG.  Cet  office  comprend  une  vie  de  Théodora,  incomplète,  le  ^ 
manuscrit  étant  mutilé  de  la  fin.  Mingarelli  en  a  publié  (i)  ce  qui  reste, 
c'est-à-dire  la  plus  grande  partie. 

Allatius  place  un  Jobius  dans  sa  liste  de  mélodes,  sans  aucun  rensei- 
gnement. Le  cardinal   Pitra  (2)  signale  l'office  de  Théodora,  d'après  1 
Mingarelli,  sans  savoir  qu'il  a  été  imprimé  depuis  longtemps  (^).  il 
est  étrange  de  ne  pas  rencontrer  Job  parmi  les  hymnographes  dans  les 

Su|Jiêo*Àal  eiç  t/jv  lo-xopiav t^ç  è/x/rjo-iao-Tufiç  p-ouo-wriÇ  de  M.  G.  Papa- 

dopoulos  ou  dans  l'Histoire  de  la  littérature  byzantine  de  M.  Krumbacher. 

Quant  à  la  basilissa  thaumaturge,  Théodora,  dont  le  moine  Job  a 
composé  la  vie  et  l'office,  je  ne  la  trouve  ni  dans  les  Menées,  ni  dans 
le  Synaxariste  de  Nicodème,  ni  dans  le  recueil  de  l'archimandrite  Serge. 

11  ne  sera  donc  pas  sans  intérêt  pour  nos  lecteurs  de  retracer  l'his- 
toire de  cette  princesse  peu  connue,  en  complétant  autant  que  possible 
les  renseignements  fournis  par  la  notice  de  Job  à  l'aide  des  chroni- 
queurs; puis  de  chercher  à  identifier  ce  moine  Job  lui-même,  d'étudier 
le  personnage,  et  de  voir  si  on  n'a  pas  d'autres  œuvres  littéraires  à  lui 
attribuer. 

1.  L'office  et  la  vie  de  sainte  Théodora. 

Examinons  d'abord  l'office  lui-même.  C'est  une  àxoAouO-la  à  peu  près 
complète.  En  voici  la  description.  v 

Pour  vêpres  :  'i 

Quatre   stichères  Tipoo-otAoïa   du  4^  ton,    et  doxasticon   du    2^    ton   ■ 
plagal;  trois  àu6oTi-)(^a  du  i«''ton  plagal,  et  double  doxasticon  du  2^  ton 
plagal. 

Pour  l'orthros: 

Un  kathisma  et  son  doxastikon,  du  3^  ton; 


(i)  Grceci  codices  manuscripti  apud  Nanios asservati,  p.  i36  sq. 

(2)  Analecta  sacra,  t.  I",  p.  425,  note. 

(3)  G.  S.  Mostra;  Venise,  1812,  réimprimé  dans  le  Méya;  Suva^pta-TY);  de  G.  H.  Dou- 
KAKis.  Athènes,  1891  (mois  de  mars,  p.  181-208;  la  Vie  est  en  grec  vulgaire). 


LE   MOINE   JOB  4I 


Un  idiomèle  du  2^  ton  plagal; 

Deux  canons  :  le  premier  du  2» ton,  avec  l'acrostiche:  Aéyou  tov  ujxvov 
X  tl^uyf,;  Gewv  86|jLa;  le  second,  du  4«  ton,  avec  l'acrostiche  :  Tyiv  êail- 
iTo-av  alvÉo-o)  ©eoowpav.  'Itoê  Mo[vayo<;  6  MéÀr,ç],  ainsi  indiquée  dans  le 
nanuscrit,  mais  dont  onze  lettres,  comme  on  voit,  restent  en  dehors 
les  tropaires.  Notons  aussi  que,  dans  le  premier  canon,  les  theotokia 
le  rentrent  pas  dans  l'acrostiche. 

Après  la  3«  ode,  un  kathisma  et  son  doxastikon.du  4^  ton;  après  la 6«, 
in  xovxàxiov  et  un  owoç,  du  4^  ton  plagal,  sur  le  rythme  de  T^  uTOpuàyw 
t  "AyYs^^oÇ  TrpwTOo-TàxYiç. 

Au  synaxaire,  trois  vers  iambiques,  puis  Bio;  xal  -KO^xitLct  de  la  sainte. 

'E^aTvOo-TeO.àpiov  et  son  theotokion. 

Aux  alvot,  trois  àTcôo-xiya  du  i«r  ton,  et  doxasticon  du  2^  ton  plagal. 

11  n'y  a  pas  d'apolytikion  indiqué;  on  renvoie  à  celui  de  sainte  Théo- 
iora  d'Alexandrie,  qui  est,  au  reste,  commun  à  toutes  les  saintes 
"emmes. 

Enfin,  au  doxastikon  des  stichères  7T:poT6[j.ot.a  de  vêpres  et  à  celui 
les  oLTzÔT-zi'/oL  des  alvoi  à  l'orthros,  on  indique  pour  theotokia  les  deux 
;ropaires  'ATrea-TàÀr,  è^  oùpavoG  ry.6pir{k,  et  EùayyeA'lî^ETa!,  6  Ta.6^i.r{k,  qui 
ont  partie  de  l'office  de  l'Annonciation  (1);  il  semblerait  par  là  que  la 
ete  de  sainte  Théodora  se  célébrait  d'abord  non  le  1 1  mars,  mais  le 
26,  jour  où  la  fête  de  l'Annonciation  se  continue  par  la  synaxe  de 
'archange  Gabriel. 

Théodora  naquit  vers  1210,  probablement  à  Didymoteichos  (2),  où 
nabitait  ordinairement  son  père,  Jean  Pétraleiphès.  Celui-ci,  d'origine 
française,  avait  épousé  Hélène,  d'une  des  principales  familles  de  Con- 
stantinople,  par  les  soins  de  l'empereur  Alexis  111  Comnène,  qui  l'avait 
nommé  sébastocrator  et  lui  avait  confié  le  gouvernement  de  la  Macé- 
doine et  de  la  Thessalie.  Il  eut  au  moins  six  enfants  :  quatre  garçons, 
dont  l'aîné  s'appelait  Théodore,  et  deux  filles,  Marie  et  Théodora. 

Après  la  mort  de  son  père,  la  jeune  Théodora  fut  demandée  en 
mariage  par  Michel  11  Doucas,  despote  de  l'ancienne  Epire  (3).  Ce 
prince,  l'ayant  aperçue  à  Serbion  dans  une  expédition  contre  les 
Valaques,  fut  frappé  de  sa  beauté;  le  mariage  eut  lieu  en  grande 
pompe  à  Acarnania  ou  Arta. 


(i)  Mr,vaïa,  édit.  Venisç,  iSgS,  mars,  p.  98,  99. 

(2)  Démotika. 

(3)  Fils  de  Michel  I",  il  ne  le  remplaça  en  Epire  qu'après  la  défaite  de  son  oncle 
Théodore  par  Asén,  tsar  des  Bulgares;  Théodore  avait  évincé  Michel  encore  enfant; 
on  l'accuse  même  d'avoir  fait  assassiner  Michel  1",  son  frère. 


42  ÉCHOS   d'orient 


Cette  union  fut  d'abord  heureuse;  Michel  était  déjà  père  d'un  fils 
lorsqu'il  s'éprit  d'une  passion  coupable  pour  une  femme  de  la  noblesse, 
nommée  Gangrené.  Il  alla  jusqu'à  expulser  de  son  palais  son  épouse, 
qui  fut  recueillie  avec  son  petit  enfant  par  un  prêtre  de  Prénista  (i). 

L'exil. dura  cinq  ans.  Sur  les  représentations  des  seigneurs  de  la 
cour  d'Arta,  Michel  reconnut  ses  torts  et  se  réconcilia  avec  Théodora. 
Rien  ne  devait  plus  troubler  la  paix  entre  les  deux  époux;  notre  héroïne 
ne  saurait  pourtant  avoir  été  bien  heureuse  avec  un  homme  du  carac- 
tère de  Michel. 

Ils  eurent  au  moins  six  enfants  :  Nicéphore,  Jean,  Dimitri,  Anne,  qui 
épousa  Guillaume  de  Villehardouin,  prince  de  Morée  et  d'Achaïe;  Hélène, 
qui  devint  femme  de  Manfred,  roi  de  Sicile,  et  une  troisième  fille  dont 
nous  ignorons  le  nom. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  raconter  en  détail  la  vie  de  Michel  II  (2). 
Il  me  suffira  de  dire  qu'à  la  mort  de  ses  oncles  Manuel  et  Constantin, 
il  devint  maître  de  la  Nouvelle-Epire,  puis  de  la  plus  grande  partie  de  la 
Thessalie  et  même  d'un  coin  de  la  Macédoine.  L'empereur  de  Nicée,  Théo- 
dore 11  (1255-1259),  lui  confirma  le  titre  de  despote  d'Epire  ainsi  qu'à 
son  fils  Nicéphore;  il  se  fit  couronner  à  Thessalonique  par  l'archevêque 
d'Ochrida. 

Théodora,  nous  apprennent  les  chroniqueurs,  joua  un  rôle  actif  dans 
le  mariage  de  son  fils  Nicéphore  avec  la  princesse  Marie,  fille  de  l'em- 
pereur Théodore  I^r.  Elle  se  rendit  à  Nicée  en  i2  5o(?)  avec  Nicéphore; 
on  célébra  seulement  les  fiançailles,  sans  doute  à  cause  du  jeune  âge 
des  fiancés.  Le  mariage  n'eut  lieu  qu'en  1256  à  Thessalonique,  où  se 
trouvait  alors  Théodore  II.  Ici  encore,  Théodora  était  seule  avec  Nicé- 
phore. L'empereur  en  profita  pour  faire  promettre  à  Théodora  que  son  ; 
mari  lui  céderait  Durazzo  et  Serbia.  Manuel,  craignant  pour  la  vie  ou 
du  moins  pour  la  liberté  de  sa  femme  et  de  son  fils,  fut  obligé  d'y 
consentir.  Ajoutons  que  certains  documents  accusent  Nicéphore  d'avoir  i 
abrégé  les  jours  de  Marie  par  ses  mauvais  traitements.  I 

Michel  II  mourut  en  1267.  Théodora  se  retira  dans  le  monastère  de  | 
Saint-Georges,  fondé  par  elle,  et  y  prit  l'habit  religieux.  Elle  avait  bâti  | 
un  autre  monastère  d'hommes,  sous  le  vocable  de  la  Vierge  nav-àvay^a.  ; 


(i)  Les  habitants  du  village  de  Prénista  montrent  encore  l'endroit  où  Théodoraj 
cachait  et  une  grande  pierre  qui  lui  aurait  servi  de  siège.  Séraphin,  métropolite  d'Ar 

Aoxfjxtov   to-ToptUY)!;  Ttvoç    TreptXTJ^J/ewi;  Tf,ç "Apfrjç  xal  ir^i; IIpEêé^ri;.   Athènes,   i^ 

P-  17- 

(2)  Cf.  les  références  dans  Du  Cange,  Familiœ  Augustœ  by^antinœ,  édit.  Paris,"" 
p.  208-210;  édit.  Venise,  p.  170,  171.  Consulter  aussi  Arabantinos,  XpovoYpacpta  tyj; 
'Hnzipov.  Athènes,  1896,  t.  I",  p.  66  sq. 


LE   MOINE   JOB  4} 


3'après  Arabantinos  (i),  l'église  de  la  Ilavxàvao-aa  serait  l'église  encore 
jubsistante  de  l'Annonciation,  appelée  aujourd'hui  t/",?  nap7]yopyiÔ£i(rr,(;, 
napTjyopTiTlTOTiÇ  ou  IIap7iYopiT^r,<;  ;  mais  cette  dernière,  nous  fait-il 
observer  lui-même,  remonte  à  796,  au  témoignage  d'une  inscription 
gravée  sur  la  porte  du  Nord.  Séraphin,  métropolite  d'Arta  (2),  prétend, 
sans  indiquer  de  sources,  que  l'église  de  l'Annonciation  était  celle  d'un 
monastère;  au  xin^  siècle,  lorsque  Arta  devint  la  capitale  de  l'Epire, 
les  moines  la  cédèrent  pour  en  faire  la  cathédrale,  et,  sur  leur  demande, 
Théodora  leur  bâtit  un  autre  couvent  à  une  demi-heure  de  là,  au  lieu 
dh  Chemin  de  la  Source.  Ce  couvent  existe  encore;  on  l'appelle  KaTw- 
Tîavay'a;  on  y  conserve,  entre  autres  reliques,  un  fragment  de  mâchoire 
et  une  dent  de  Théodora  (3). 

Quant  au  monastère  de  Saint-Georges,  on  en  voit  encore  l'église 
dans  le  quartier  de  Loukena  ou  Karapanos;  mais  l'ancien  vocable  a 
disparu,  remplacé  par  celui  de  la  fondatrice  (4). 

Théodora  donna  quelques  années  à  ses  compagnes  l'exemple  des  vertus 
religieuses,  du  travail  et  de  la  mortification.  A  sa  mort,  elle  fut  ensevelie 
dans  l'église  de  Saint-Georges  qu'elle  venait  d'achever,  et  ses  reliques, 
nous  dit  Job,  y  opérèrent  de  nombreux  miracles. 

Le  métropolite  Séraphin  affirme  que  les  miracles  continuent.  Le  tom- 
beau de  la  pieuse  basilissa  se  voit  toujours  à  droite  du  narthex,  mais 
tes  reliques  en  ont  été  extraites  le  20  mars  1873,  P^ur  être  plus  solen- 
nellement exposées  à  la  dévotion  des  fidèles  (5). 

11.  —  Le  moine  Job  et  ses  œuvres. 

D'après  Sathas  (6),  Job  le  moine  ou  Job  Mélès,  l'auteur  de  l'office  et 
de  la  biographie  de  Théodora,  serait  un  moine  épirote  du  xvif  siècle; 
le  savant  Grec  n'indique  pas  la  source  où  il  aurait  puisé  cette  informa- 
tion, qu'on  trouve  reproduite  dans  le  Lexique  d'histoire  et  de  géographie, 
publié  sous  la  direction  de  M.  Voutyras  (7). 

Que  Job  eût  l'Epire  pour  patrie,  son  œuvre  ne  nous  le  dit  pas.  Sans 


i)  Op.  cit.,  p.  91,  note.  L'auteur  en  attribue  la  restauration  à  Michel  II,  fondateur 
également,  d'après  lui,  de  la  Ka-rwTravayi'a.  La  vie  de  Théodora  semble,  en  effet,  parler 
de  deux  églises  distinctes. 

(2)  Op.  cit.,  p.  145  sq. 

(3)  Ibid.,  p.  i5o,  i52. 

(4)  Ibid.,  p.  149. 

(5)  Ibid.,  p.  139. 

(6)  NeoeXXyivtxY)  çtXoXoYÎa,  p.  414. 

(7)  AeÇtxbv  icrzopiaç  xal  Yewypaîîta;,  t.  II,  p.  1713. 


44 


ECHOS    D  ORIENT 


doute,  il  nous  donne  des  détails  fort  précis  sur  l'histoire  de  cette  pro- 
vince, de  1220  à  1230,  période  sur  laquelle  nous  ne  saurions  rien  sans 
lui;  mais,  pour  être  ainsi  renseigné,  il  lui  suffit  d'avoir  vécu  en  un 
temps  plus  rapproché  que  le  xvii«  siècle  des  événements  qu'il  raconte. 

Que  notre  mélode  appartienne  au  xvii^  siècle,  c'est  impossible,  puisque 
son  œuvre  est  contenue  dans  un  manuscrit  du  xv^. 

Théodora  étant  morte  peu  après  1267,  c'est  à  la  fin  du  xiif  siècle  ou 
pendant  le  xiv^  que  nous  devons  nécessairement  placer  son  hymno- 
graphe. 

Or,  vers  1270,  vivait  à  Constantinople  un  personnage  fameux,  prêtre, 
moine,  théologien,  écrivain,  connu  sous  le  nom  de  Job  le  lasite  ;  il 
semble  tout  naturel  de  l'identifier  avec  le  moine  Job  Mélès. 

Job  le  lasite  nous  apparaît  comme  un  des  principaux  champions  de 
V orthodoxie  byzantine  sous  le  règne  de  Michel  VIII  Paléologue,  et 
comme  un  des  plus  fougueux  adversaires  de  l'Union  des  Eglises  que 
voulut  réaliser  cet  empereur.  On  sait  que  l'impératrice  Théodora  ne 
partageait  pas  du  tout  sur  ce  sujet  les  vues  de  Michel,  et  qu'elle  prit 
une  part  active  à  la  résistance  organisée  par  un  groupe  de  fanatiques 
irréductibles.  Or,  Théodora  était  l'arrière-petite-fille  d'une  sœur  de  Pétra- 
leiphès  (i);  sa  fille  Anne  épousa  elle-même  Michel,  appelé  aussi  Dimitri, 
le  troisième  fils  du  despote  Michel  II  et  de  sainte  Théodora  (2). 

La  canonisation  des  fondateurs  de  monastères  n'a  jamais  traîné  chez 
les  Grecs,  surtout  quand  il  s'agit  de  personnages  impériaux.  Lorsqu'il 
fallut  composer  un  office  propre  en  l'honneur  de  la  belle-mère  de  sa 
fille,  l'impératrice  dut  s'adresser  à  l'écrivain  ordinaire  de  son  parti;  à 
son  défaut,  Anne  y  aurait  songé,  elle  qui  assistait  à  la  lecture  en  petit 
comité  des  élucubrations  de  Job  contre  les  dissertations  favorables  à 
l'Union. 

Jusqu'ici,  nous  n'avons  que  des  hypothèses.  Mais  l'identification  du 
mélode  Job  Mélès  avec  le  lasite  Job  ou  Job  le  lasite,  devient  absolument 
Certaine,  si  l'on  fait  attention  que  Georges  Pachymère,  après  avoir  parlé 
de  Job  le  lasite  ou  du  lasite  Job,  parle  un  peu  plus  loin  du  lasite  Mélias 
qui  est  sûrement  le  même  personnage  (3).  Job  Mélias  serait-il  distinct 
de  notre  Job  Mélès.?  Evidemment  nous  avons  affaire  ici  à  une  simple 
variante  des  manuscrits  ou  à  une  abréviation  mal  résolue. 

Que  savons-nous  de  Job  le  lasite?  Lui-même  se  donne,  comme  on  le 


(i)  Du  Gange,  Familiœ  Augustœ  By^ant.,  édit.  Paris,  p.  234;  édit.  Venise,  p.  iqi 
182,  170.  " 

(2)  Ibid.,  édit.  Paris,  p.  234;  édit.  Venise,  p.  192. 

(3)  De  Mich.  PalœoL,  V,  14;  P.  G.,  t.  CXLIII,  col.  833  sq. 


LE   MOINE  JOB  45 


;erra  plus  loin,  le  titre  de  lepofjLovayoç,  c'est-à-dire  de  prêtre  et  de  moine, 
;t  celui  de  disciple  du  patriarche  Joseph. 

L'épithète  'lao-'lTTiç,  à  en  croire  l'archimandrite  A.  K.  Démétraco- 
oulos  (i),  indiquerait  le  monastère  auquel  appartenait  Job,  le  monas- 
ire  TO'j  'laTtTou  à  Constantinople;  c'est  ainsi  qu'on  dit  Izouùlrr^ç  pour 
ésigner  un  moine  du  Stoudion,  etc.  Ce  monastère  toû  'IoltItou,  était 
loisin  du  couvent  de  femmes  appelé  tÂi;  'Apt-ox/ivf.i;,  et  du  monastère 
e  Saint-Mamas,  dans  le  quartier  de  Psamatia.  M.  Gédéon  l'identifierait 
olontiers  avec  la  mosquée  de  Yesa-Kapou  (2). 

Mais  le  monastère  en  question  portant  déjà  le  nom  de  toù  'lao-itou, 
n  ne  voit  pas  bien  comment  'laa-ÎTV]?  pourrait  être  l'adjectif  indiquant 
n  habitant  de  ce  monastère. 

Le  nom  des  moines  est  aussi  souvent  suivi  du  nom  de  leur  patrie 
ue  de  celui  de  leur  couvent.  On  pourrait  croire  que  l'épithète  de  'lao-irr,; 
ésigne  Job  Mélias  comme  originaire  de  'lào-oç,  aujourd'hui  Jassy  en 
.oumanie,  ou  de  la  petite  île  d'Iao-oç,  sur  la  côte  de  Carie.  Le  nom  de 
lélias  est  connu  par  ailleurs,  il  est  porté  au  x^  siècle  par  Georges 
lélias,  aventurier  d'origine  arménienne,  dont  M.  Schlumberger  a  recon- 
titué  la  curieuse  histoire  (3). 

Il  existe  dans  un  codex  de  Leyde  quatre  lettres  inédites  de  Georges 
te  Chypre  au  moine  lasite,  c'est-à-dire  à  Job  (4);  je  n'ai  malheureusement 
>as  pu  les  consulter,  et  j'ai  dû  me  contenter  des  renseignements  fournis 
►ar  Pachymère. 

Michel  Paléologue  venait  d'adresser  au  patriarche  Joseph  un  mémoire 
:n  faveur  des  latins.  Le  groupe  des  opposants,  dans  une  réunion  à 
aquelle  assistait  l'impératrice,  chargea  le  moine  Job  de  la  réplique;  on 
Ui  donna,  au  reste,  des  auxiliaires  pour  ce  travail,  auxiliaires  parmi 
lesquels  Pachymère  revendique  la  première  place  pour  lui-même.  Le 
\omos  terminé  fut  lu  dans  une  nouvelle  réunion  du  parti,  retouché  et 
nvoyé  à  l'empereur,  qui  ne  daigna  même  pas  le  lire  (5). 

Mais  il  me  paraît  plus  vraisemblable  encore  de  regarder  'lao-'lTr,? 
omme  le  nom  de  famille  de  Job,  et  'Iwê  comme  son  nom  de  religion  ; 
3n  remarquera  que,  selon  un  usage  fort  commun,  les  deux  noms  com- 
mencent par  la  même  lettre.  Mélès  ou  Mélias  serait  un  simple  surnom 
destiné  à  distinguer  Job  des  autres  membres  de  la  famille. 


(1)  'Op868oÇoç  'EXXi;,  p.  Sy.  Leipzig,  1872. 

(2)  Bu^avTtvôv  'EopToXôytov,  p.  164,  i65. 

(3)  Sigillographie  byzantine,  p.  272  sq. 

(4)  De  RuBErs,  Georgii  seu   Gregorii  Cyprii  patriarchœ   Cp.  vita.  Venise,    1753, 
P.  27,  28;  P.  G.,  t.  CXLIl,  coL  45,  46. 

(5)  De  Mich.  Palœol.,  V,  14;  P,  G.,  t.  CXLIII,  col.  833. 


46  ÉCHOS    d'orient 


De  cette  famille,  nous  connaissons  plusieurs  autres  personnages, 
dont  l'un  aura  sans  doute  été  le  fondateur  du  monastère  toG  'lao-bo-j. 

Théophylacte  de  Bulgarie  se  plaint  dans  une  lettre  (i)  des  vexations 
que  lui  fait  subir  un  'lacrixT^ç  employé  du  fisc,  au  sujet  d'une  terre 
possédée  par  son  Eglise  sur  les  bords  du  Vardar. 

Anne  Comnène  mentionne  «  des  lasitès  »  parmi  les  auditeurs  de 
Jean  l'Italien,  le  célèbre  prince  des  philosophes  (2). 

Un  lasitès  est  catépan  d'Ibérie  en  1038  (3).  Constantin  lasitès,  sans 
doute  fils  du  précédent,  épousa  Eudocie,  troisième  fille  d'Alexis  l^f 
Comnène  t  1118  (4).  Jean  Mélès,  6  MsXtiç,  vend  au  monastère  twv 
>.£fjL[3tov,  dit  de  Planus,  un  champ  et  des  oliviers  en  janvier  1263  (5). 

Le  tomos  de  Job,  encore  inédit,  se  trouve  dans  le  cod.  68  de  la  biblio- 
thèque de  Munich,  et  dans  le  cod.  281  de  la  bibliothèque  impériale  de 
Vienne  (Théologie).  Il  est  précédé  d'un  long  titre,  dont  voici  les  pre- 
mières lignes  :  «  'ÂTroAoyia  toù  TcavayiWTàTOu  xal  olxoupievuoù  naTpiàpyou 
K'jpiou  'I(OTr]:p  ettI  toi?  TipoêXTiôelo-iv  UTièp  twv  AaTwwv  lui  twv  T,u£pô5v  toG 
Qsojji.eYaXoouvàTOU   xal  àyiou  Bao-iAécoç  Mi'^aYiA  xal  ©eoSwpaç,  èxTuovTiQelo-a 

T^  'Iepo|ji.ovày(î)  'Iwê  Tw  p.a9r,'î^  toutou »  L'archimandrite  Démétrako^- 

poulos  en  a  publié  un  court  fragment  (6).  Incipit:  «  EpàTLore,  Osottetits, 
ôsoxuêépVYiTS,  Oeooo^aTTS,  ayis  Asa-TroTa  p.ou  xal  Bao-t-XeCi.  » 

Lorsque  Veccos,  le  futur  patriarche,  se  fut  prononcé  en  faveur  de 
l'Union,  Job  craignit  de  voir  Joseph  céder  à  son  tour,  et  lui  conseilla 
d'envoyer  une  lettre  à  ses  fidèles  pour  les  affermir  et  leur  faire  pro- 
mettre par  serment  de  maintenir  l'Orthodoxie.  Joseph  chargea  encore 
son  mauvais  génie  de  rédiger  cette  encyclique,  qui  fut,  en  effet,  publiée 
après  avoir  été  lue  et  approuvée  par  les  prélats  antiunionistes  (7).  Nous 
n'en  connaissons  pas  le  texte. 

Le  6  octobre  1272,  Job  eut  sa  part  dans  le  bizarre  châtiment  infligé 
par  Manuel  Comnène  au  rhéteur  Holobolos,  avec  neuf  autres  amis  de 
Joseph  et  la  nièce  d'Holobolos.  On  traîna  les  onze  malheureux  à  travers 
toute  la  ville;  Holobolos  avait  été  fouetté   préalablement;  Job  et  lui 


(i)  P.  G.,  t.  CXXVI,  col.  432. 

(2)  P.  G.,  t.  CXXXI,  col.  436. 

(3)  Cedrenus,  p.  g.,  t.  CXXII,  col.  252.  Il  est  appelé  Michel  par  Jean  Skylitzès,  édi^ 
Paris,  p.  766.  ^ 

(4)  ZoNARAS,  p.  G.,  t.  CXXXV,  col.  3oi.  Du  Gange,  dans  ses  notes  sur  r'AXeltà;,  édit. 
Paris,  p.  3o5,  édit.  Yen.,  p.  59,  cite  un  lasitès  d'après  Jean  Utzatzès,  XiXtâSeç,  V,  \j; 
je  n*ai  pas  cet  auteur  sous  la  main. 

(5)  MiKLOSiscH  et  MuLLER,  Acta  et  diplomata  grœc,  t.  IV,  p.  124. 

(6)  Op.  cit.,  p.  59;  cf.  Lambecius,  Comment.  1.  V,  p.  227;  Nessel,  Catalogus,  t.  I", 

p.    252. 

(7)  G.  Pachymère,  op.  cit.,  V,  16;  P.  G.,  t.  GXLII I,  col.  835,  836. 


LE  MOINE   JOB  47 


marchaient  tout  chargés  de  boyaux  de  moutons  non  vidés  de  leurs 
excréments,  et  les  exécuteurs  frappaient  continuellement  Holobolos 
au  visage  avec  les  foies  de  ces  animaux  (i). 

Ce  traitement  ignominieux  ne  corrigea  pas  le  fanatique  ennemi  de 
l'Union;  en  Ï275,  après  s'être  débarrassé  de  l'ex-patriarche  Joseph, 
Michel  Paléologue  expédia  son  ami  Job  à  Kabaia,  forteresse  située  sur 
les  bords  du  Sangaris  (2).  A  partir  de  cette  date,  l'histoire  est  muette 
sur  le  compte  du  moine  turbulent. 

Il  me  paraît  fort  plausible  d'attribuer  à  Job  le  lasite  deux  ouvrages 
théologiques,  dont  les  manuscrits  font  honneur  à  un  Job  pécheur.  Ce 
sont  : 

1°  Ttôv  Itzxol  [jLixTTrjpiwv  Trjç  'ExxXyio-iaç  èÇriyTr) {xarixT)  Qetopta  xal  Siaa-à- 
oY.Tiç  Trpôç  <ï>(oxa£iç.  Ce  traité  des  Sacrements  se  trouve  à  la  Vaticane, 
codex  Ottobon.  418,  des  xv®  et  xvi^  siècles,  fol.  194-212  (3);  à  la  Biblio- 
thèque Nationale  de  Paris,  codex  64  du  supplément  grec  des  xv^  et 
xvii'^  siècles,  fol.  239-254  (4),  et  au  Mont  Athos,  au  monastère  ToG 
'E7'.p'.Y|j(.évou,  codex  95,  du  xvin«  siècle  (5).  Il  a  été  souvent  cité  par 
Arcudius  (6),  une  fois  par  Du  Cange  (7).  Chrysanthe  de  Jérusalem  le 
publia  dans  son  Sy^/rayiJLàT'.ov,  mais  en  le  modifiant  par  endroits  (8). 

2°  'HO'.xYi  ôswpia  eiç  ràç  àylaç  cpwvàç  TOÛ  7cpocpy]Tou  Aaê'lS.  A  la  biblio- 
thèque de  Turin,  cod.  CLXXVIIl,  b,  II,  32  (xvi«  siècle).  C'est  le  commen- 
taire des  quinze  premiers  psaumes.  La  préface  seule  est  publiée  (9). 
Inédit. 

N.  Comnène  Papadopoulos  cite  (10)  d'un  moine  Job  des  scholies  sur 
les  canons  du  concile  de  Césarée,  dont  je  ne  sais  rien  autre  chose. 

Le  cardinal  Pitra  a  publié  (11)  une  série  de  stichères  (o-uvTojjia)  où 
l'acrostiche  lui  a  révélé  le  nom  du  mélode  Job,  'Iwê,  répétée  onze 
fois  (12).  Ces  tropaires  sont  mêlés  à  d'autres  où  Pitra  croit  reconnaître 
le  nom  de  Nicolas  le  Studite. 


(i)  Ibid.,  V,  20;  P.  G.,  t.  CXLIII,  col.  848,  849. 

(2)  Ibid.,  V,  3o;  P.  G.,  t.  CXLIII,  col.  875. 

(3)  Feron  et  Battaglini,  Codices  manuscripti  Grœci  Ottoboniani,  p.  280. 

(4)  Omont,  Inventaire  sommaire  des  manuscrits  grecs  de  la  Biblioth. Nation.,  3' partie, 
p.  210,  21 1. 

(5)  Lambbos,  Catalogue  of  the  Greek  man.  on  Mount  Athos,  t.  I",  p.  182. 

(6)  De  Concord.  eccles.  occident,  et  orient.  Paris,  1672,  p.  6,  7,  47,  -jj,  etc. 

(7)  Glossar.  med.  et  inf.  grœcitatis.  Index  auctorum,  col.  53. 

(8)  SuvxayndtTtov.  Tergovist,  1715,  p.  pxy'  sq. 

(9I   Pasinus,  Codices  manuscripti  biblioth.  regiœ   Taurin.  Atlienœi,  t.  I",  p.  365, 
266;  P.  G.,  t.  CLVIII,  col.  io56. 

(10)  Prœnotationes  mystagogicœ,  p.  398. 

(11)  Analecta  Sacra,  t.  I",  p.  425  sq. 

(12)  II  manque  le  troisième  tropaire  du  3'  et  du  5*  triolets,  ce  qui  donne  un  total  de 


48  ÉCHOS  d'orient 


Il  s'est  demandé  quel  est  le  Job  auquel  il  avait  affaire  ici.  La  beauté  • 
des  stichères,  l'âge  du  cod.  Barberîni,  où  il  les  avait  cueillis,  le  portaient 
à  les  croire  plus  anciens  que  le  xni«  siècle,  et,  refusant  d'en  faire  hon- 
neur à  Job  le  lasite,  il  songeait  immédiatement  à  cet  autre  Job,  qui 
écrivit  au  vi« siècle  contre  les  monophysites  (i).  C'est,  je  crois,  remonter! 
bien  haut;  on  pourrait,  avec  plus  de  vraisemblance,  attribuer  nos  sti- 
chères au  moine  Job,  des  Spoudaei  de  Jérusalem,  venu  à  Constantinople 
en  8n,  avec  saint  Michel  le  Syncelle  et  les  deux  frères  saint  Théodore 
et  saint  Théophane  Grapti  (2).  Ceci  n'est  qu'une  hypothèse,  mais,  en 
tout  cas,  je  doute  fort  que  les  mélodes  du  vi^  siècle  aient  composé  des 
(TuvTO|jLa  sur  l'Hypapante,  avec  leurs  noms  à  l'acrostiche  !  Au  ix^  siècle,  ^ 
au  contraire,  on  trouve  des  poèmes  de  ce  genre  édités  par  Pitra  lui-  ■ 
même  (3),  dus  à  Cosmas,  Joseph,  Théophane,  Cyprien  et  Nicolas. 


En  résumé.  Job  Mélès  ou  Mélias,  moine  toû  'lao-ÎTOu  à  Constantinople, 
dans  la  seconde  moitié  du  xni«  siècle,  et  adversaire  fanatique  de  l'Union 
des  Eglises,  a  écrit  :  1°  un  tomos  inédit  contre  les  latins;  2°  une  lettre 
(perdue)  au  nom  du  patriarche  Joseph;  3"  l'office  et  la  vie  de  sainte 
Théodora  d'Arta,  plusieurs  fois  imprimés.  On  peut  lui  attribuer  un  traité 
sur  les  sacrements  et  un  commentaire  sur  les  quinze  premiers  psaumes, 
et  même  des  stichères  sur  la  fête  de  l'Hypapante  (Purification);  si  ceux-ci 
ne  sont  pas  de  lui,  ils  ont  pour  auteur  Job,  moine  de  Jérusalem  au 
ixe  siècle,  plutôt  que  Job,  controversiste  du  vi^. 

t  S.  Pétridès. 

Constantinople. 


3i   tropaires  seulement  portant  le  nom  de  Job.  Parmi  les  tropaires  intercalés  entre 
ceux-là,  quelques-uns  doivent  être  du  même  hymnographe. 

(i)  Contre  Sévère  (perdu);  OlxovotiixTi  TrpaytiaTeîa,  fragments  dans  Photius,  5î6/zoM., 
cod.  222.  Autres  fragments  dans  Mai,  Classici  auctores,  t.  X,  p,  601-604,  et  Spicileg. 
Rom.,  t.  X,  p.  i32  (P.  G.,  t.  LVXXVI»,  col.  33i3-332o). 

(2)  Cf.  mon  article  sur  le  Monastère  des  Spoudœi  à  Jérusalem  et  les  Spoudcei  de 
Constantinople,  dans  les  Echos  d'Orient,  t.  IV  (1901),  p,  226. 

(3)  Pitra,  op.  cit.,  p.  400  sq. 


ÉGLISE    MELKITE    AU    XVlir   SIÈCLE 

II.  L'INTRUSION  DE  JAUHAR 


I.  Les  premiers  actes  de  l'intrus. 

L'Eglise  melkite  se  voyait  imposer,  malgré  ses  protestations,  un  jeune 
triarche  du  vivant  même  de  Cyrille  Thanas  (i). 
Au  rapport  du  P.  Michel  Adam,  «  tout  le  peuple  uni  à  son  clergé 
fusait  de  se  soumettre  à  cet  intrus  :  a)  Le  clergé  de  la  ville  de  Damas 
tous  les  notables  étaient  opposés  à  cette  élection  ;  nous  avons  en  main 
irs  lettres  d'appel  à  Rome  pour  l'attester;  ^)  le  clergé  de  Saint-Jean 
\cre  et  les  notables  de  la  ville  déclarèrent  leur  refus  en  défendant 
eur  évêque  d'en  faire  mention  à  la  sainte  messe.  Et  comme  M»'"  Macaire 
jéimi  ne  voulait  pas  leur  obéir,  ils  le  chassèrent  de  Saint-Jean  d'Acre. 

malheureux  prélat  se  réfugia  à  Deir  el  Moukhallès,  auprès  de  l'in- 
js,  et  n'en  devint  que  plus  acharné  à  combattre  les  évêques  fidèles; 
le  clergé  et  les  notables  de  Saida  et  du  Chouf,  sous  la  direction  de 
ir  Ordinaire,  M&r  Basile  Jelghaf,  qui  faisait  partie  des  prélats  fidèles; 

le  diocèse  de  Baalbek  tout  entier,  sous  la  direction  de  son  évêque, 
?r  Basile;  e)  le  diocèse  de  Beyrouth  et  Gébaïl,  suivant  la  voix  de  son 
steur,  Mgr  Athanase  Dahan;/)la  ville  d'Alep,  qui,  à  elle  seule,  ren- 
"me  autant  et  plus  de  Melkites  catholiques  que  tous  les  diocèses 
unis  du  patriarcat;  g)  enfin,  les  Congrégations  de  Saint-Sauveur  et 

Saint-Jean  de  Chouéir;  tous,  d'un  accord  unanime,  rejetaient  cette 
trusion  et  ne  voulaient  pas  reconnaître  pour  patriarche  Ignace  Jauhar, 
li  avait  pris  le  nom  d'Athanase  V.  »  (2) 

Malgré  ces  résistances  communes  de  tout  le  patriarcat  melkite, 
jhar  tint  à  affirmer  son  intrusion  par  des  mesures  rigoureuses 
ntre  les  opposants.  Sous  l'impulsion  du  P.  Jean  'Ajéimi,  il  lança 
rce  excommunications  contre  tous  les  évêques  fidèles  qui  refusaient 

le  reconnaître  patriarche  légitime  d'Antioche;  il  répandit  partout 
s  lettres  envenimées  qui  les  traitaient  de  menteurs,  d'hallucinés, 
orgueilleux,  qui,  lorsqu'ils  se  sont  aperçus  que  la  dignité  patriarcale 


i)  Voir  £"0/205  d'Orient,  t.  XIV,  191 1,  p.  340-35i  :  «  Une  période  troublée  de  l'histoire 
l'Eglise  melkite  (1759-1794).  » 
2)  Relation  du  P.  Adam,  p.  25-26. 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  4 


50 


ÉCHOS    d'orient 


était  perdue  pour  eux,  s'étaient  déclarés  ses  ennemis  acharnés.  Tou- 
jours inspiré  par  le  P.  'Ajéimi,  il  dirigeait  ses  coups  spécialement  sur 
le  P.  Ignace  Jarbou',  Supérieur  général  de  Chouéir,  qui,  disait-il,  avait 
occasionné  tous  ces  troubles.  Enfin,  l'intrus  alla  jusqu'à  exciter  par  ses 
ordonnances  le  peuple  contre  les  évêques  fidèles,  pour  les  faire  chasser 
de  leurs  diocèses  respectifs  (i).  A  l'exemple  du  P.  Joseph  Babila,  le 
P.  Michel  Adam  s'arrête  à  réfuter  toutes  ces  prétentions,  non  sans  y 
mêler  quelques  traits  bien  aiguisés  à  l'adresse  de  Jauhar  et  de  son  parti 
notamment  au  P.  Jean  'Ajéimi. 

Le  chouérite  Arsène  Homsy,  infidèle  à  ses  engagements  solennels, 
vint  se  réfugier  auprès  de  Jauhar.  Ce  dernier  le  reçut,  le  délia  de  ses 
vœux  religieux  et  en  fit  son  secrétaire  attitré.  M^"-  Basile  Jelghaf,  qui 
nourrissait  toujours  quelque  espoir  de  ramener  Jauhar  à  de  meilleurs 
sentiments,  offrit  ses  services  à  l'intrus,  essaya  de  parler  à  son  cœur, 
de  l'exhorter  paternellement.  Il  eut  la  douleur  de  voir  Jauhar  se  déclarer 
ouvertement  contre  lui.  En  effet,  ce  dernier  se  prit  à  exciter  certain? 
notables  de  Saida  contre  leur  bon  évêque;  puis,  moyennant  finances, 
il  obtint  des  gouverneurs  musulmans  du  pays  que  ce  prélat  fût  chassé 
de  son  diocèse.  M&r  Jelghaf  se  réfugia  donc  à  Saint-Sauveur,  où  les 
troubles  recommencèrent  de  plus  belle.  Vingt-cinq  religieux,  des  plus 
relâchés,  furent  gagnés  au  parti  de  Jauhar,  grâce  au  sacerdoce  et  à 
d'autres  dignités  eccclésiastiques  que  l'intrus  prodiguait  sans  mesure 
à  tous  ses  amis.  Les  autres  religieux,  sous  la  direction  de  leur  Supé- 
rieur général,  le  P.  Michel  'Arraj,  demeurèrent  fidèles  à  leur  premier 
engagement.  Ils  répondirent  franchement  aux  injonctions  de  l'in- 
trus :  «  Nous  sommes  de  pauvres  moines  incompétents.  Laissez-nous 
en  paix,  nous  n'avons  rien  à  voir  dans  vos  affaires.  »  Furieux,  Jauhar 
s'entendit  secrètement  avec  l'émir  du  pays,  propriétaire  de  Saint-Sau- 
veur, qui  reprit  son  monastère  et  en  chassa  Les  moines  fidèles.  «  Puisque 
vous  ne  désirez  pas  vous  soumettre  au  patriarche  nouvellement  élu, 
sortez  vite  de  mon  monastère,  vous  et  tous  ceux  qui  vous  suivent.  » 
Là-dessus,  le  P.  Michel  'Arraj  quitta  Saint-Sauveur  en  compagnie  de 
ses  religieux  fidèles,  et  il  se  réfugia  au  monastère  de  Saint-Elie,  à 
Richmaija,  qui  était  alors  dans  le  dénuement  le  plus  complet.  Eux 
partis,  Jauhar  convoqua  en  Chapitre  gén&al  les  vingt-cinq  religieux 
révoltés  et  il  leur  ordonna  de  se  choisir  un  Supérieur  général  avec  quatre 
assistants,  que  lui-même  se  hâta  de  confirmer  solennellement.  Les  vingt 
autres  qui  restaient  furent  honorés  du  sacerdoce  ou  d'autres  dignité! 


(i)  Relation  du  P.  Adam,  p.  27-29. 


l'église  melkite  au  xviii°  siècle  51 


icclésiastiques.  Dès  lors,  ces  pauvres  religieux  et  les  six  évêques  infidèles 
brmèrent  le  parti  de  l'intrus,  sous  la  direction  du  P.Jean  'Ajéimi(i). 

II.  Le  patriarche  Maxime  Hakim. 

A  Rome,  le  P.  Simaân  Sabbâgh  avait  présenté  à  la  S.  Gong,  de  la 
'ropagande  tout  le  procès-verbal  de  cette  intrusion  dès  le  mois  de 
anvier  1760.  De  nombreuses  lettres  des  évêques  fidèles  furent  de  même 
soumises  au  jugement  des  éminents  cardinaux.  De  son  côté,Jauhar  avait 
lussi  envoyé  un  procureur  à  Rome  pour  y  soutenir  sa  cause.  C'était 
e  P.  Arsène  Homsy,  religieux  transfuge  de  Chouéir,  qui  était  porteur 
ie  documents  innombrables  pour  justifier  l'intrus.  Le  Saint-Siège  exa-, 
Tiina  minutieusement  tout  ce  long  dossier,  et,  sept  mois  après,  le 
ler  août  1760,  le  pape  Clément  Xlll  prononçait  la  nullité  de  l'élection 
fie  Jauhar  pour  les  motifs  suivants.  Tout  d'abord,  l'abdication  de 
yrille  VI  était  de  nulle  valeur,  parce  qu'elle  n'avait  pas  été  sanctionnée 
jar  le  Saint-Siège,  qui  avait  primitivement  confirmé  ce  patriarche  et 
ui  avait  envoyé  le  palUum.  Par  suite,  Cyrille  VI  mort,  l'élection  de  son 
successeur  était,  par  le  fait  même,  dévolue  aux  ordres  du  Souverain 
'ontife,  qui  a  pleine  autorité  pour  la  permettre  et  la  surveiller.  En 
econd  lieu,  l'élection  du  P.  Ignace  Jauhar  avait  été  faite  après  l'appel 

Rome  de  quatre  prélats  de  la  nation  melkite,  appel  après  lequel  tout 
icte  officiel  était,  par  le  fait  même,  frappé  de  nullité.  Enfin,  l'intrus 
Tianquait  de  l'âge  canonique  requis  pour  l'épiscopat,  à  plus  forte  raison 
jour  le  patriarcat.  «  En  conséquence,  ajoute  le  Pape,  Nous  déclarons 
)ar  la  force  de  Notre  autorité  suprême  et  de  Notre  propre  mouvement, 
^ue  ledit  P.  Ignace  Jauhar  n'a  acquis  aucun  droit,  aucun  pouvoir,  par 
ion  élection  irrégulière.  Si,  à  l'avenir,  il  ose  s'immiscer  dans  les  affaires 
du  patriarcat,  il  tombera  ipso  facto  sous  le  coup  des  peines  ecclésias- 
tiques, et  il  encourra  Notre  colère.  Enfin,  Nous  décrétons  que,  dans  ces 
:irconstances  exceptionnelles,  il  appartient  à  Nous  et  au  siège  aposto- 
lique de  donner  un  pasteur  à  l'Eglise  d'Antioche,  cette  fois  seulement, 
par  un  droit  dévolutif.  »  (2) 

Clément  Xlll  nommait  ensuite  M^»-  Maxime  Hakim  patriarche  d'An- 
tioche et  de  tout  l'Orient,  lui  enjoignait  de  faire  la  profession  de  foi 
catholique  ordinaire  imposée  aux  Orientaux  par  Urbain  VllI  et  de  prêter 
le  serment  d'obéissance  entre  les  mains  d'un  évêque  catholique  en  union 


(i)  Relation  du  P.  Adam,  p.  ag-So. 

(2)  Encyclique  Injunctum  nobis  du  1"  août  1760. 


52  ÉCHOS    d'orient 


avec  le  Saint-Siège,  enfin  de  signer  et  de  cacheter  ces  deux  actes  offi- 
ciels et  de  les  envoyer  à  Rome  par  l'entremise  d'un  délégué  auquel 
serait  remis  le  pallium  patriarcal.  L'Encyclique  est  excessivement  élo- 
gieuse  pour  le  saint  archevêque  d'Alep.  Mg»"  Hakim  avait  toujours  fui 
les  honneurs  et  les  dignités  ecclésiastiques;  nous  l'avons  vu,  lors  de 
son  élection  au  généralat  de  Chouéir  et  au  siège  d'Alep.  Le  Souverain 
Pontife  le  savait  parfaitement.  Aussi  lui  ordonna-t-il,  «  au  nom  de  la 
sainte  obéissance,  et  sous  peine  d'encourir  sa  colère  et  d'autres  peines 
encore  dont  il  le  frapperait  en  cas  de  refus  »,  de  se  soumettre  entière- 
ment en  acceptant  la  charge  patriarcale. 

Les  ordonnances  pontificales  furent  confiées  à  un  délégué  apostolique, 
le  P.  Dominique  Lança  ou  de  Lanceis,  qui  n'arriva  en  Syrie  qu'aux  der- 
niers jours  du  mois  d'août,  en  compagnie  du  P.  Simaân  Sabbâgh.  Son 
premier  soin  fut  de  se  présenter  à  Deir  el  Moukhallès  pour  exhorter 
l'intrus  à  abdiquer  sans  délai  en  face  des  ordonnances  romaines.  Ce 
qui,  en  effet,  eût  été  infiniment  plus  honorable  pour  jauhar.  Celui-ci  se 
mit  en  devoir  de  faire  une  réception  triomphale  au  délégué  du  Saint- 
Siège.  Tous  les  religieux  de  Saint-Sauveur,  en  habits  sacerdotaux,  suivis 
des  six  évêques  dévoués  à  Jauhar,  se  rangèrent  sur  deux  lignes  paral- 
lèles, pour  recevoir  le  délégué  à  la  porte  même  du  monastère.  Jauhar 
fermait  majestueusement  la  procession,  revêtu  du  mandyas  liturgique, 
et  tenant  la  crosse  en  main.  A  l'apparition  du  délégué,  Jauhar  se  hâta  de 
lui  remettre  sa  crosse,  protestant  qu'il  ne  la  recevrait  que  de  ses  mains. 
Le  P.  Dominique  Lança,  sans  rien  dire,  saisit  cette  crosse,  la  déposa 
dans  un  coin  du  monastère  et  fit  entrer  tout  ce  monde  à  la  chapelle. 
Là,  il  donna  lecture  des  ordonnances  romaines,  exhorta  l'intrus  à  se' 
soumettre  à  Rome  avec  tout  son  parti,  et  déclara  que  le  Souverain  Pon- . 
tife  s'adjugeait  pour  cette  fois  seulement  le  droit  de  nommer  le  pasteur  ^ 
de  l'Eglise  d'Antioche  en  la  personne  de  Mgf  Maxime  Hakim,  arche- 
vêque d'Alep.  11  ne  rencontra  que  résistances  opiniâtres  de  la  part  de 
tous,  notamment  de  la  part  du  P.Jean  'Ajéimi.  En  vain,  il  se  ménagea 
des  entretiens  secrets  avec  Jauhar,  lui  prodigua  mille  caresses  pour  le| 
ramener  à  de  meilleurs  sentiments.  Il  dut  quitter  Saint-Sauveur  l'an 
goisse  dans  l'âme  (i). 


(i)  Réponse  des  évêques  au  délégué,  pièce  n°  i;  Relation  du  P.  Adam,  p.  32-40 
Réfutation,  du  même,  p.  4-b;  Annales,  t.  I",  cah.  XXVII,  p.  418.  Cette  longue  relatio 
du  P.  Adam,  que  nous  avons  suivie  exactement,  ne  contient  pas  moins  de  quarante  eÉ 
une  pages  in-8°.  Elle  est  divisée  en  deux  parties,  précédées  d'une  courte  introduction''" 
(p.  1-2)  et  terminées  par  une  notice  exacte  touchant  la  résignation  du  siège  d'Alep  par; 
Gérasimos  en  faveur  de  M"  Maxime  Hakim  (p.  32-41).  La  première  partie,  plus  longue^^ 
nous  donne  tous  les  détails  des  événements  qui  ont  eu  lieu  avant  l'élection  de  Jauhar; 


l'église  melkite  au  xviir  siècle  53 


Cependant,  les  évêques  fidèles  étaient  réunis  à  Saint-Jean  de  Chouéir, 
lans  l'attente  du  délégué  apostolique.  Celui-ci  y  fit  son  apparition  dans 
es  premiers  jours  de  septembre  1760.  Sans  perdre  de  temps,  il  donna 
scture  des  ordonnances  pontificales  dont  il  était  porteur,  et  enjoignit 
ux  évêques  présents  de  procéder  à  l'installation  de  M?»"  Hakim,  patriarche 
i'Antioche  et  de  tout  l'Orient.  Le  nouvel  élu  voulut  résister,  rapporte 

P.  Michel  Adam,  mais  devant  les  menaces  pontificales  il  dut  se  sou- 
nettre  au  plus  tôt  ;  et,  après  avoir  prononcé  la  profession  de  foi  ordi- 
laire  et  prêté  serment  d'obéissance  entre  les  mains  de  Ms""  Athanase 
)ahan,  le  délégué  apostolique  le  confirma  dans  sa  nouvelle  charge  et 
njoignit  à  tous  les  évêques  de  le  reconnaître  comme  patriarche  légi- 
Ime  d'Antioche  (i). 

D'un  âge  avancé  et  accablé  par  la  maladie,  le  nouveau  patriarche  se 
lâta  de  se  donner  un  vicaire  dans  la  personne  de  Ms'^  Dahan,  métropo- 
le de  Beyrouth  ;  puis  il  pourvut  aux  sièges  vacants,  et  sacra  le  P.  Ignace 
rbou'  archevêque  d'Alep;  le  P.  Philippe  Bitar  évêque  de  Baalbek,  et 
;  P.  Joseph  Safar  évêque  de  Qâra.  A  Homs,  il  apaisa  certains  troubles 
ui  étaient  occasionnés  par  la  révolte  de  l'évêque  même  de  ce  diocèse, 
i«r  Ignace,  qui  soutenait  toujours  l'intrus  ;  puis  il  rentra  à  Mar-Hanna  (2). 

adressa  aux  évêques  révoltés  une  lettre  des  plus  paternelles,  les 
xhortant  à  la  soumission  aux  ordres  romains,  et  les  menaçant  en 
lême  temps  de  la  perte  de  la  voix  active  et  passive,  en  cas  de  résis- 
ince.  Les  malheureux  méprisèrent  ces  conseils  autorisés,  et  répon- 
irent  au  courrier  spécial  que  leur  avait  envoyé  Ms^  Hakim  :  «  Nous 
vons  un  patriarche  et  nous  n'en  reconnaissons  pas  d'autre.  »  (3)  Ils 
rent  plus.  Le  lendemain,  Jauhar  et  son  conseiller,  le  P.Jean  'Ajéimi, 
B  rendirent  au  village  de  'Ajaltoun,  auprès  du  patriarche  maronite, 
bbie  Khazen,  et  le  supplièrent  de  leur  prêter  main-forte  pour  recon- 


>.  2-24).  Elle  est  on  ne  peut  plus  exacte,  et  elle  nous  renvoie  constamment  aux  sources 
riginales  que  le  P.  Adam  avait  pris  soin  de  réunir  avant  de  mettre  la  main  à  l'œuvre, 
ette  partie  ayant  été  complètement  négligée  par  le  R.  P.  Cyrille  Charon,  nous  avons 
inu  à  la  faire  connaître  au  public.  Quant  à  la  seconde  partie  (p.  24-32),  bien  courte, 
notre  avis,  elle  ne  nous  présente  que  certains  détails  peu  importants  touchant  les 
iTénements  qui  ont  eu  lieu  avant  l'arrivée  du  délégué  apostolique,  le  P.  Dominique 
ança,  et  immédiatement  après  l'élection  de  Jauhar.  Le  P.  Adam  nous  avertit  qu'il  est 
lutile  de  rapporter  tous  les  faits  qui  ont  eu  lieu  après  cette  intrusion,  ce  qui  nous 
rouve  qu'il  écrivait  après  1768,  époque  de  la  soumission  de  l'intrus  au  patriarche 
gitime  Théodose  VI  Dahan,  alors  que  toute  cette  malheureuse  histoire  était  encore 
mte  fraîche  dans  toutes  les  mémoires 

(1)  Réfutation  des  prétentions  des  Salvatoriens,  par  le  P.  M.  Adam,  p.  5;  Annales, 
\",  cah.  XXVII,  p.  422. 

(2)  Annales,  t.  I",  cah.  XXVII,  p.  482. 

(3)  Réfutation,  p.  21. 


54  ÉCHOS  d'orient 


I 


quérir  le  patriarcat,  qui  venait  d'échapper  aux  efforts  de  Jauhar 
M«i-  Khazen  les  reçut  avec  bienveillance,  prodigua  à  l'intrus  tous  les 
honneurs  propres  à  la  dignité  patriarcale,  l'encouragea  dans  sa  résis- 
tance à  Rome  et  au  patriarche  nouvellement  élu,  s'engagea  à  prendre 
sa  défense  en  toute  occasion,  contrairement  aux  ordres  pontificaux, 
et  envoya  même  de  sa  part  le  P.  Michel  Fadel  à  Mar-Hanna,  pour 
demander  à  Maximos:  a)  de  nommer  Jauhar  son  vicaire  général;  h)  de 
lui  rembourser  tout  l'argent  qu'il  avait  dépensé  pour  arriver  au 
patriarcat.  Mê'^'  Hakim  ne  fit  aucune  réponse  à  ces  prétentions  orgueil- 
leuses, mais  il  écrivit  à  Rome,  de  concert  avec  le  délégué  apostolique, 
pour  flétrir  cette  conduite  indigne  du  patriarche  maronite,  qui  s'im- 
misçait dans  des  affaires  en  dehors  de  sa  compétence  (i).  La  réponse 
de  Rome  fut  terrible.  Ms'  Hakim  ne  put  la  connaître;  il  mourut  le 
26  novembre  1760  à  Mar-Hanna,  après  quatre  mois  seulement  de 
patriarcat,  et  fut  enterré  dans  la  tombe  même  d'Abdallah  Zahker  (2) 

Le  cardinal  Spinelli,  préfet  de  la  Propagande,  se  hâta  donc  d'écrire 
àM&i"  Khazen,  en  date  du  30  janvier  1762.  Il  lui  rappela  tous  les  troubles 
occasionnés  par  Jauhar  et  son  parti,  troubles  que  le  Souverain  Pontife 
s'est  efforcé  d'apaiser  en  élevant  lui-même  l'archevêque  d'Alep  au  siège 
patriarcal.  11  s'étonne  que  lui,  patriarche  des  Maronites,  qui  avait  donné, 
dans  le  passé,  tant  de  preuves  de  soumission  aux  ordres  romains,  soit 
à  cette  heure  critique  le  premier  à  mépriser  les  prescriptions  pontifi- 
cales. «  Je  veux  bien  me  persuader,  continue  le  cardinal,  qu'à  la  récep 
tion  de  ma  lettre  vous  changerez  de  conduite,  en  respectant  davantage 
'es  ordonnances  du  Saint-Siège,  et  en  vous  conduisant  suivant  les 
lumières  de  la  prudence  chrétienne  et  l'honneur  de  votre  dignité  patriar 
cale.  Que  si  vous  agissez  autrement,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise!  nou 
serions  contraint  d'employer  les  remèdes  les  plus  efficaces  contre  vo 
agissements.  » 

La  lettre  de  Clément  Xlll  à  ce  même  patriarche  maronite  est  datée 
du  5  mars  1762.  Le  Pape  lui  reproche  amèrement  son  immixtion  dan^ 
les  affaires  d'une  autre  Eglise  que  la  sienne,  contrairement  à  l'Ency- 
clique Demandatam  cœlitus  de  Benoît  XIV,  en  1743;  il  lui  ordonne 
d'éviter  l'intrus  Ignace  comme  on  éviterait  un  homme  frappé 
toutes  les  censures  ecclésiastiques,  sous  peine  d'encourir  lui-même  ce 
peines  canoniques.  Enfin,  il  lui  rappelle  que  les  Druses  infidèles  eux| 
mêmes  n'ont  pas  voulu  recevoir  l'intrus  dans  leur  communion;  pour 


1 


(i)  Annales,  1. 1",  cah.  XXVIII,  p.  438. 
(2)  Loc.  cit.,  p.  439. 


l'église    MELKITE  au    XVIll®    SIÈCLE  55 


quoi  faut-il  que  lui,  patriarche  catholique,  méprise  à  ce  point  les  ordres 

i  iu  Saint-Siège  (i)? 

Nous  ne  savons  pas  quelle  fut,  en  cette  occasion,  la  réponse  ou  la 

:  protestation   du  patriarche   maronite,  toujours  est-il  que  nous   ne  le 
soyons  plus  mentionné  dans  la  suite  de  cette  histoire  (2). 

''  Cependant,  Jauhar  continua  ses  agissements.  A  Saint-Sauveur,  il 
:élébra  une  messe  pontificale,  assisté  des  six  évêques  révoltés,  en  vue 
l'affirmer  davantage  son  patriarcat;  puis,  il  réunit  un  synode  à  Deir  el 
^oukhallès,  et  excommunia  publiquement  tous  ceux  qui  ne  voudraient 
)as  le  reconnaître  patriarche  légitime  (3).  11  lança  à  cette  occasion  des 
ettres  pleines  de  fiel  dans  tous  les  diocèses  contre  les  évêques  fidèles, 
fiotamment  contre  le  délégué  (4).  Ce  dernier,  à  bout  de  ressources,  se 
^t  forcé  de  porter  contre  lui  l'excommunication  majeure,  le  5  août  1761(5). 
A.U  lieu  de  se  soumettre,  Jauhar  et  son  parti  écrivirent  au  délégué  une 
ongue  lettre  des  plus  injurieuses  et  pleine  de  blasphèmes  abominables, 
DÙ  ils  qualifiaient  l'envoyé  du  Pontife  romain  d'un  second  Antéchrist, 
i'un  autre  Nestorius,  d'un  second  Dioscore,  lui  appliquant  en  même 
temps  les  surnoms  les  plus  diffamatoires,  enfin  lui  déclarant  leur 
révolte  opiniâtre  en  termes  pleins  de  rage.  La  lettre  fut  adressée  à 
aint-lsaïe,  où  se  trouvait  alors  le  P.  Dominique  Lança.  11  eut  soin  de 
l'emporter  à  Rome,  nous  apprennent  les  Annales,  pour  la  mettre  sous 
les  yeux  du  Souverain  Pontife  et  de  la  Propagande  (6). 

Durant  son  séjour  à  Saint-Isaie,  il  apprit  les  troubles  occasionnés 
jarmi  les  Moniales  de  Notre-Dame  de  l'Annonciation,  non  loin  de  Saint- 
Sauveur,  par  suite  des  agissements  de  l'intrus.  Le  délégué  leur  écrivit 
une  lettre  pleine  de  charité  pour  les  exhorter  à  se  soumettre,  elles  aussi, 
aux  ordonnances  romaines  et  ne  point  reconnaître  l'intrusion  de  Jauhar. 
Or,  à  la  réception  de  cette  lettre,  les  Moniales  prirent  la  peine  de  la 
ire  ;  puis,  en  dépit  du  délégué  et  du  Saint-Siège  lui-même,  elles  fou- 
lèrent cette  missive  aux  pieds  et  la  mirent  en  pièces,  déclarant  haute- 
ment ne  reconnaître  d'autre  patriarche  que  Jauhar  (7).  Ces  scandales 


(i)  C'était,  en  effet,  parfaitement  exact,  comme  nous  le  dirons  plus  loin  en  citant 
les  propres  paroles  de  ces  princes  infidèles  à  l'adresse  de  l'intrus. 

(2)  Il  ne  dut  pas,  croyons-nous,  vivre  longtemps  après  ces  semonces  romaines,  bien 
que  nous  ne  connaissions  pas  exactement  l'époque  de  sa  mort. 

(3)  Annales,  t.  I",  cah.  XXVII,  p.  428;  Réfutation,  p.  18. 

(4)  Loc.  cit.,  p.  415. 

(5)  Loc.  cit.,  p.  416.  Notre  Recueil  de  manuscrits,  p.  174-176,  renferme  la  formule 
arabe  de  cette  excommunication  majeure.  Elle  est  terrible,  et  elle  relate  tous  les 
désordres  de  l'intrus  qui  en  ont  été  cause. 

(6)  Annales,  t.  I",  cah.  XXVIII,  p.  440;  Réfutation,  p.  io-i5. 

(7)  Loc.  cit.,  p.  414. 


56  ÉCHOS    d'orient 


devaient  s'aggraver  et  se  multiplier  davantage  à  l'élection  du  successeur 
de  Maxime  Hakim. 

III.  Election  d'Athanase  Dahan. 

Le  lendemain  même  de  la  mort  de  Maxime  II  Hakim,  27  novembre  1 760, 
les  évêques  fidèles,  au  nombre  de  six,  tinrent  un  synode  dans  la  cha- 
pelle de  Mar-Hanna  ;  et,  dans  la  crainte  de  voir  Jauhar  et  son  parti  exciter 
contre  eux  les  gouverneurs  du  pays  et  les  empêcher  de  donner  un  chef 
à  l'Eglise  d'Antioche,  ils  procédèrent  immédiatement  à  l'élection  du 
nouveau  patriarche,  sous  la  présidence  du  P.  Dominique  Lança.  Atha- 
nase  Dahan,  évêque  de  Beyrouth,  fut  élu  à  l'unanimité  des  voix.  Sur-le- 
champ,  les  évêques  électeurs  dressèrent  un  procès-verbal  de  l'élection, 
et  tous  y  apposèrent  leurs  signatures  et  leurs  cachets,  ainsi  que  le  délégué 
apostolique.  Le  nouvel  élu  y  ajouta  une  lettre  à  l'adresse  du  Saint-Père 
et  une  autre  à  l'adresse  de  la  Propagande,  relatant  certains  détails  tou- 
chant les  nouveaux  agissements  de  Jauhar,  et  demandant  humblement 
sa  confirmation  au  Saint-Siège  (i). 

Cette  nouvelle  élection  augmenta  l'exaspération  de  Jauhar.  Le  P.Jean 
'Ajéimi  conseilla  aux  révoltés  de  ne  point  reconnaître  les  ordres  de 
Rome,  dont  le  P.  Dominique  Lança  était  porteur.  On  qualifia  d'impos- 
ture toute  sa  délégation,  en  le  traitant  lui-même  de  menteur  et  d'arro- 
gant. Mais  les  nombreuses  lettres  que  les  missionnaires  latins  et  le 
consul  de  France  à  Saïda  avaient  reçues  de  Rome  à  cette  occasion, 
n'eurent  pas  de  peine  à  prouver  à  tout  le  monde  la  réalité.  Honteux, 
confus,  méprisés  de  tous,  les  révoltés  durent  se  rendre  à  la  vérité  et 
révoquer  leurs  premières  affirmations  mensongères  (2).  Ce  n'est  pas 
tout.  En  vue  d'échapper  à  l'excommunication  majeure  que  le  délégué 
avait  lancée  contre  eux,  ils  en  appelèrent  au  tribunal  de  la  Propagande, 
suppliant  les  éminents  cardinaux  de  renouveler  l'examen  de  leur  cause. 
Mais  personne  ne  s'y  méprit,  et  l'on  ne  prêta  pas  une  attention  sérieuse 
à  ces  hypocrisies.  C'est  à  cette  occasion  que  le  P.  Jean  'Ajéimi  lança 
sa  fameuse  brochure  intitulée  :  Réponse  des  évêques  au  délégué,  que  le 
R.  P.  Cyrille  Charon  cite  si  souvent  dans  son  article  des  Echos  d'Orient. 
Elle  est  composée  de  dix  chapitres  ou  rououss,  et  renferme  les  opi- 
nions   les  plus  schismatiques,  appuyées  sur  les  données  historiques 


(i)  Notre  Recueil  de  manuscrits,  p.  145-149,  renferme  in  extenso  toutes  ces  pièces, 
œuvre  de  M"  Théodose  VI  Dahan  lui-même. 
(2)  Réfutation,  p,  5-6. 


l'église  melkite  au  xviii^  siècle  57 

s  plus  fausses.  Nous  verrons  plus  tard  avec  quelle  habileté  le 
P.  Michel  Adam  sut  réfuter  ce  factum.  Sur  le  même  plan,  et  répétant 
les  mêmes  arguments,  un  second  écrit  fut  composé  par  les  religieux 
révoltés  de  Saint-Sauveur,  en  1765.  11  était  intitulé  :  Chapitre  sur  la 
nullité  de  l'excommunication  quia  été  lancée  injustement  contre  le  patriarche 
Athanase  et  les  évéques  de  son  parti.  Nous  possédons  de  même  la 
réfutation  péremptoire  que  nous  en  a  laissée  le  P.  Michel  Adam,  et  où 
il  fait  preuve  d'une  orthodoxie  impeccable,  notamment  sur  le  dogme 
cjde  la  primauté  pontificale,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut.  Enfin, 
plusieurs  autres  écrits  de  ce  genre  furent  répandus  dans  le  bas  peuple, 
en  vue  de  tromper  les  simples  et  les  ignorants  et  d'augmenter  le  parti 
de  l'intrus;  ils  ne  réussirent  qu'à  causer  des  scandales,  sans  jamais 
arriver  au  résultat  désiré  (1).  Ces  brochures  diverses  avaient  pour 
auteur  le  P.  Jean  'Ajéimi,  l'homme,  à  coup  sûr,  le  plus  instruit  de  son 
époque,  mais  qui,  en  ces  circonstances,  faisait  preuve  d'une  mauvaise 
foi  incroyable  en  vue  de  faire  réussir  une  cause  que,  dès  l'origine,  il 
avait  reconnue  louche  et  irrégulière.  11  ne  manqua  pas,  du  reste,  de 
contradicteurs,  tels  le  P.  Joseph  Babila,  le  P.  Simaân  Sabbâgh,  les  mis- 
sionnaires latins  de  Saïda  et  enfin  le  P.  Michel  Adam.  Ce  dernier  ne 
s'attira  les  colères  de  Jauhar  qu'à  partir  de  cette  époque.  Dès  lors, 
naquit  entre  ces  deux  hommes  une  animosité  regrettable,  que  nous 
voyons  se  faire  jour  à  plusieurs  reprises  durant  cette  époque  de  trente- 
cinq  ans  dont  nous  relatons  l'histoire. 

Mais  revenons  à  Deir  el  Moukhallès.  Après  l'élection  de  Mërr  Athanase 
Dahan,  qui  prit  le  nom  de  Théodose  VI,  Jauhar  consacra  deux  nouveaux 
évêques,  et  conféra  les  saints  Ordres  à  plusieurs  moines  salvatoriens. 
Les  deux  nouveaux  évêques  furent  Grégoire  Haddad,  avec  le  titre  de 
Qâra,  et  Andrès  Moubayïed,  avec  celui  de  Saïdnaya,  qui  se  joignirent 
aux  révoltés  (2).  Ceux-ci  furent  au  nombre  de  huit,  et  ils  crurent  un 
moment  pouvoir  lutter  contre  les  évêques  fidèles  qui,  eux,  n'étaient 
que  six  seulement.  Fort  de  cet  appui,  Jauhar' déclara  qu'il  voulait  se 
rendre  à  Rome  pour  obtenir  une  confirmation  pontificale  plus  directe 
et  ainsi  devancer  celle  de  Théodose  VI,  qui  venait  d'envoyer  à  la  Ville 
Eternelle  le  P.  Dimitri  Qoyoumji,  Chouérite,  muni  de  tous  les  documents 
nécessaires  pour  demander  sa  confirmation  et  le  pallium.  Le  P.  Domi- 
nique Lança  avait  déjà  quitté  la  Syrie  pour  aller  rendre  compte  de  sa 
mission  au  Souverain  Pontife.  Enfin,  Jauhar,  après  avoir  nommé  l'arche- 


(i)  Réfutation,  p.  i5-i6;  lettre  du  délégué,  10  février  1765. 
(2)  Annales,  t.  I",  cah.  XXVII,  p.  425. 


à 


58  ÉCHOS  d'orient 


(i)  Annales,  loc.  cit.,  p.  481;  lettre  de  Théodose  VI  Dahan,  25  février  1765. 

(2)  C'était  un  excellent  religieux  chouérite,  qui  allait  commencer  ses  études  dans 
un  âge  assez  avancé.  Il  fut  cependant  un  élève  brillant  à  la  Propagande,  et,  neuf  ans 
après,  1770,  il  fut  sacré  évêque  in  partibus  et  chargé  de  faire  les  ordinations  grecques 
melkites  à  Rome.  Il  mourut 'en  1776,  à  Rome  même,  et  fut  inhumé  dans  le  petit  cou- 
vent de  Saint-Basile,  que  les  Chouérites  s'étaient  fait  bâtir  en  1767,  sur  la  voie  de  Saint- 
Jean  de  Latran,  moyennant  6  5oo  piastres  seulement.  Nous  ne  savons  pas  ce  que  ce 
monastère  devint  par  la  suite,  car  les  Annales  ne  nous  en  parlent  guère;  nous  croyons 
qu'il  dut  être  acheté  parles  Salvatoriens,  qui  en  ont  fait  la  résidence  de  leur  procureur 
à  Rome.  M"  Joseph  'Ajlouni  est  l'auteur  de  la  première  théologie  morale  éditée  en 
langue  arabe.  Son  ouvrage  est  intitulé  :  Qatful  Anihar  fi  'ulm  il  asrar,  la  Cueillette 
des  fleurs  pour  l'étude  des  sacrements.  C'est  plutôt  une  théologie  sacramentaire  en 
abrégé,  destinée  à  l'instruction  des  religieux  chouérites.  Elle  fut  éditée  à  Mar-Hanna 
et  servit  longtemps  de  manuel  classique  dans  les  deux  Congrégations  salvatorienne  et 
chouérite. 

(3)  Notre  Recueil  de  manuscrits,  p.  166-171,  renferme  in  extenso,  en  arabe,  toutes 
ces  lettres  de  la  Propagande  et  des  évéques  fidèles,  ainsi  que  les  lettres  de  Clément  XIII 
et  du  cardinal  Spinelli,  adressées  au  patriarche  maronite  Tobie  Khazen,  à  l'occasion 
de  la  protection  qu'il  avait  accordée  à  Jauhar  et  à  son  parti. 


vêque  de  Tyr,  André  Fakhouri,  vicaire  général  et  supérieur  des  évêques 
qui  lui  demeuraient  fidèles  à  Deir   el  Moukhallès,  prit  le  chemin  de  | 
Rome  en  compagnie  de  Ms'  Maxime  Sallal,  du  P.  Francis  Siaj,  de  Damas, 
et  du  P.  Arsène  Caramé,  de  Homs  (i). 

IV.  Voyage  de  Jauhar  a  Rome. 

A  Rome,  le  délégué  patriarcal,  le  P.  Dimitri  Qoyoumji,  était  arrivé 
de  bonne  heure,  en  compagnie  du  P.  Joseph  'Ajlouni,  que  les  Chouérites 
envoyaient  au  collège  grec  de  Saint-Athanase  pour  y  faire  ses  études 
théologiques  (2).  Ayant  pris  connaissance  des  lettres  des  évêques  fidèles 
qui  avaient  choisi  régulièrement  M»'"  Athanase  Dahan  pour  succéder  au 
patriarche  défunt,  le  cardinal  Spinelli,  préfet  de  la  Propagande,  en  fut 
ravi.  Il  adressa  à  l'élu  et  aux  électeurs  de  chaleureuses  lettres  de  félici- 
tations, en  date  du  7  avril  1762,  leur  promettant  une  confirmation 
prompte  de  leur  œuvre,  en  vue  de  procurer  enfin  la  paix  dans  ce 
patriarcat  melkite  cruellement  éprouvé.  Le  même  cardinal  avait  enjoint 
aux  évêques  fidèles  de  lancer  l'excommunication  majeure  contre  le 
P.Jean  'Ajéimi,  le  grand  instigateur  de  tous  ces  troubles,  par  une  lettre 
spéciale  en  date  du  27  mars  1762.  Cet  ordre  fut  exécuté  à  l'occasion 
de  la  consécration  des  deux  nouveaux  prélats  à  Saint-Sauveur,  que 
Théodose  VI,  en  union  avec  ses  évêques  fidèles,  dénonça  à  Rome,  le 
ler  août  1761  (3).  Enfin,  le  pape  Clément  XllI  allait  confirmer  l'élection 
du  nouveau  patriarche,  lorsqu'on  apprit  à  Rome  l'arrivée  de  Jauhar  et 
de  ses  trois  compagnons.  L'intrus  n'eut  pas  une  réception  brillante  à 
la  Propagande,  nous  disent  les  Annales  chouérites.  11  fut,  une  année 


l'église  melkite  au  xviir  siècle  D9 

ntière,  suspens  de  la  célébration  de  la  sainte  messe  à  Rome,  parce  qu'il 
emeurait  toujours  excommunié  par  le  délégué  apostolique,  le  P.  Domi- 
nique Lança  (i).  Le  Saint-Siège  ne  tenait  à  aucun  prix  à  revenir  sur 
es  tristes  événements,  bien  que  Jauhar  et  son  parti  persistassent  à 
emander  un  nouvel  examen  de  tout  l'ancien  procès.  D'autre  part,  la 
[Propagande  et  le  Pape  lui-même  avaient  prononcé  la  nullité  d'une  élec- 
tion anticanonique  de  tout  point.  Enfin,  ajoute  le  P.  Michel  Adam,  en 
«|s'adressant  aux  révoltés  (2),  «  vous  devez  savoir  que  les  jugements  du 
Saint-Siège  apostolique  sont  irrévocables  et  n'admettent  point  d'appel.  » 
siMalgré  tout,  par  une  condescendance  extraordinaire,  et  dans  le  but  de 
«gagner  l'intrus,  le  Souverain  Pontife  consentit  à  reprendre  tout  l'examen 
i|de  cette  affaire.  Il  fit  promettre  cependant  à  jauhar  de  se  soumettre  au 
jugement  du  Saint-Siège,  fût-il  favorable  ou  non  à  ses  prétentions  (3). 
Ainsi  donc,  la  Propagande  dut  envoyer  un  second  délégué  apostolique 
en  la  personne  du  P.  Dominique  de  Venise,  Franciscain.  Il  avait  été,  peu 
de  temps  auparavant,  custode  de  Terre  Sainte  à  Jérusalem  ;  et,  en  cette 
qualité,  il  avait  eu  le  tort  de  prodiguer  les  honneurs  à  l'intrus,  en  le 
reconnaissant  patriarche  légitime  avant  même  l'arrivée  des  ordonnances 
romaines.  De  retour  à  Rome,  il  fut  sévèrement  blâmé  par  la  Propagande 
qui  lui  imposa  l'ordre  d'écrire  à  Ms^  Maxime  Hakim,  qui  venait  d'être 
élu  par  Clément  XIII,  pour  lui  faire  des  excuses,  lui  demander  pardon 
de  sa  conduite  antérieure  et  le  reconnaître  comme  patriarche  légitime 
en  rejetant  l'intrusion  de  Jauhar.  Tous  ces  détails  nous  sont  donnés  dans 
la  lettre  humble  et  soumise  qu'il  adressa  de  Rome  à  Ms'-  Hakim  en  date 
du  30  mars  1762.  Ce  dernier  était  déjà  mort  depuis  longtemps  (4). 
Cependant,  ce  second  délégué  arriva  en  Syrie  en  1763.  Il  examina 
les  dossiers  des  deux  parties,  disent  les  Annales,  celle  de  Théodose  VI 
et  celle  de  Jauhar,  puis  il  les  envoya  à  la  Propagande.  Toutes  ces  pièces 
furent  de  nouveau  minutieusement  examinées  à  Rome;  Théodose  VI 
fut  reconnu  patriarche  légitime,  et  Clément  XIII  le  confirma  par  la  Bulle 
Ecclesia  antiochena  de  1764.  En  même  temps,  il  lui  envoya  le  pallium 
par  l'entremise  de  son  délégué,  le  P.  Dimitri  Qoyoumji,  qui  se  hâta  de 
rentrer  en  Syrie.  Quant  à  Jauhar,  il  dut  comparaître  une  dernière  fois 
devant  la  Propagande,  où  le  cardinal  Castelli  lui  signifia  de  nouveau 
les  ordonnances  romaines  qui  confirmaient  Théodose  VI  Dahan  patriarche 
légitime  d'Antioche  et  de  tout  l'Orient.  En  même  temps,  il  enjoignit 


(il  Annales,  t.  I",  cah.  XXVIII,  p.  415. 

(2)  Réfutation,  p.  9-10. 

(3|  Annales,  t.  I",  cah.  XXX,  p.  416. 

(4)    Cette  lettre  se  trouve  in  extenso  en  arabe  dans  notre  Recueil,  p.  171-173, 


6o  ÉCHOS  d'orient 


à  l'intrus  de  le  reconnaître  pour  son  supérieur  légitime  et  de  lui  adresser, 
dans  ce  sens,  une  lettre  où  respire  la  soumission  la  plus  absolue.  Malgré 
la  répugnance  qu'un  acte  semblable  inspirait  à  son  orgueil,  Jauhar  dut 
se  soumettre  aux  exigences  de  la  Propagande,  et,  après  avoir  signé  la 
lettre  destinée  au  patriarche,  le  cardinal  Castelli  le  délia  de  l'excom- 
munication dont  l'avait  frappé  le  P.  Dominique  Lança,  ainsi  que  de 
toutes  les  censures  ecclésiastiques  que  lui  avait  attirées  sa  conduite 
passée  (i).  Maxime  Sallai,  qui  l'accompagnait,  avoua  qu'il  avait  été 
entraîné  par  violence  à  soutenir  Jauhar  dans  son  intrusion,  et  il  sup- 
plia le  cardinal  Castelli  de  le  relever  de  l'excommunication  qu'il  avait 
encourue,  ce  qu'il  obtint  sur-le-champ  (2). 

Jauhar  resta  encore  quelque  temps  à  Rome,  mais  il  eut  soin  d'envoyer 
devant  lui  ses  deux  émissaires,  les  PP.  Francis  Siaj  et  Arsène  Caramé, 
qui  arrivèrent  en  Syrie  peu  de  Jours  après  le  P.  Dimitri  Qoyoumji  et 
purent  ainsi  assister  au  synode  de  Deir  el  Qâmar  (3).  En  effet,  les  ordon- 
nances romaines  furent  remises  au  délégué  apostolique;  et  celui-ci, 
sans  perdre  de  temps,  convoqua  tous  les  évêques  et  prêtres  de  la  nation 
melkite  ainsi  que  les  missionnaires  latins  à  Deir  el  Qâmar,  en  1762,  Il 
ordonna  lecture  des  Bulles  pontificales,  confirma  Théodose  VI  dans 
le  patriarcat,  et  enjoignit  à  tout  le  clergé  et  au  peuple  melkites  de  lui 
offrir  respect  et  obéissance  complète.  Cependant,  le  P.  Jean  'Ajéimi 
prétendit  que  le  siège  patriarcal  lui  devait  une  somme  de  20  000  piastres, 
ce  qui  était  absolument  faux,  ajoutent  les  Annales.  Mais,  en  vue  de  la 
paix  et  pour  faire  plaisir  au  délégué,  qui  s'était  interposé  dans  cette 
affaire,  Théodose  VI  promit  de  les  lui  rembourser  au  moyen  d'un  écrit 
officiel  qu'il  remit  entre  les  mains  du  P.  'Ajéimi.  Par  l'élévation  de 
Théodose  VI  au  patriarcat,  le  siège  de  Beyrouth  demeurait  vacant.  Le 
même  P.  'Ajéimi  obtint  de  même,  dans  ce  synode,  que  Mgr  Basile 
Jelghaf,  de  Saida,  fût  transféré  sur  le  siège  de  Beyrouth,  et  que  le  dio- 
cèse de  Saïda  fût  adjugé  à  Jauhar  (4). 

Après  ce  synode,  le  nouveau  patriarche  alla,  suivant  l'habitude,  offrir 
ses  civilités  au  cheikh  'Ali  Gemblatt,  gouverneur  de  Beyrouth;  il  en 
fut  accueilli  avec  enthousiasme,  rapportent  les  Annales.  Théodose  VI 
reçut  le  pallium  à  Saint-Jean  d'Acre  des  mains  de  Mg^  Basile  Jelghaf,  et 
le  peuple  melkite  fut  rempli  d'allégresse  à  cette  fête  triomphale  (5). 

P.  Bacel. 

(1)  Tous  ces  détails  nous  sont  fournis  par  les  Annales,  t.  1",  cah.  XXX,  p.  417-418. 

(2)  Lettre  de  Maxime  SîUal  à  la  Propagande.  23  janvier  1763. 

(3)  Annales,  t.  I",  cah.  XXX,  p.  417. 

(4)  Loc.  cit.,  p.  418. 

(5)  Annales,  t.  1",  cah.  XXXI,  p.  423;  lettre  de  Jauhar,  24  juillet  1766. 


UN  ANCIEN  BOURG  DE  CAPPADOCE 

SADAGOLTHINA 


Un  journal  turc  de  Constantinople,  le  Tanine,  dans  son  numéro  du 
2"^  décembre  191 1,  v.  s.  (=  6  janvier  1912,  n.  s.),  insérait  une  cor- 
respondance de  province  annonçant  une  découverte  archéologique  qui, 
pour  avoir  été  tout  à  fait  fortuite,  n'en  est  pas  moins  intéressante. 

Ali  Riza  Effendi,  secrétaire  du  kaïmakam  de  Kotch-Hissar,  au  nord- 
est  du  sandjak  de  Koniah,  se  promenait  aux  environs  du  village  de 
Kara-Moull-Ouchak,  à  une  demi-heure  de  distance  de  la  rive  du  lac 
salé  appelé  Touz-Gheul  (le  Taitœa  Palus  ou  Tatta  Palus  des  anciens), 
sur  les  ruines  d'une  ancienne  tour  de  défense.  11  y  découvrit  un  monu- 
ment qui  lui  parut  être  un  tombeau. 

Cette  trouvaille  l'ayant  amené  à  prendre  des  informations,  il  constata 
que  les  habitants  de  Kara-Moull-Ouchak,  fidèles  à  une  vieille  habitude 
orientale,  tiraient  de  ces  ruines  des  matériaux  pour  leurs  constructions. 
Ils  y  avaient  recueilli,  entre  autres  choses,  deux  fragments  en  bronze, 
marqués  de  croix  et  portant  des  représentations  de  serpents  et  de 
fleurs,  qui  semblent  appartenir  à  des  couvercles  de  sarcophage.  Quelque 
temps  auparavant,  sur  une  des  pierres  apportées  au  village,  on  avait 
reconnu  une  inscription  grecque  portant  ces  mots  :  yUle  de  Sadagolthina. 

A  la  suite  de  ces  constatations,  défense  a  été  faite  aux  villageois  de 
continuer  à  emprunter  aux  ruines  leurs  matériaux  de  construction  (i). 

Ce  n'est  que  quelques  jours  après  l'annonce  de  ces  découvertes  que 
M.  Carolidis,  député  ottoman  de  Smyrne  et  historien  estimé  dans  le 
monde  scientifique  grec,  en  a  signalé  l'importance  aux  lecteurs  du 
Tanine  et  du  Lloyd  Ottoman  (2). 

Les  trouvailles  d'Ali  Riza  Effendi  et  des  paysans  de  Kara-Moull-Ouchak 
nous  fournissent,  en  effet,  l'identification  d'une  antique  localité  cappa- 
docienne  qui  n'est  pas  sans  intérêt  historique. 

Le  chronographe  Philostorge  (né  vers  364,  mort  après  425)  nomme 
la  bourgade  de  Sadagolthina  comme  pays  d'origine  des  aïeux  d'UI- 
philas,  le  célèbre  évêque  des  Goths  au  iv«  siècle  (3). 


(i)  Tanine,  à  la  date  citée. 

(2)  Tanine,  numéro  du  3i  décembre  191 1,  v.  s.  (=  i3  janvier  1912,  n.  s.)  et  Lloyd 
Ottoman,  même  date. 

(3)  Philostorge,  Ecclesiasticœ  Historiœ,  1.  Il,    n.  5,   dans  Migne,  P.   G.,  t.  XLV, 
col.  467. 


62  ÉCHOS    d'orient 


La  vaste  contrée,  qui  s'étend  du  littoral  de  la  mer  Noire  à  celui  de 
la  Baltique,  était  occupée,  vers  le  milieu  du  m*'  siècle  de  l'ère  chré- 
tienne, par  les  Goths.  En  264  (i),  ces  peuples  barbares  se  ruèrent  sur 
l'Asie  Mineure,  envahirent  la  Cappadoce,  la  Galatie  et  la  Bithynie.  Un 
grand  nombre  d'habitants  de  ces  provinces  furent  emmenés  par  eux 
en  captivité.  Parmi  ces  captifs  se  trouvaient  des  chrétiens  et  des  clercs, 
qui  demeurèrent  fidèles  à  leur  foi  et  prêchèrent  l'Evangile  à  leurs  vain- 
queurs (2).  Les  ancêtres  d'Ulphilas  firent  partie  de  cette  déportation. 
C'étaient,  affirme  Philostorge,  des  Cappadociens  originaires  de  la  bour- 
gade appelée  Sadagolthina,  près  de  la  ville  de  Parnassos  (3). 

Certains  critiques  ont  cru  pouvoir  —  à  tort,  pensons-nous,  —  con- 
sidérer ces  données  comme  une  fiction  tendancieuse  de  Philostorge. 
Tels  Esberg,  BesselL  Rappaport,  Kirchner,  etc.  (4).  Mais  des  érudits 
non  moins  compétents,  comme  Boehmer  et  Erbiceanu,  ne  font  pas  dif- 
ficulté d'y  ajouter  pleinement  foi  (5).  Cappadocien  lui-même  et  origi- 
naire de  la  ville  de  Borissos  (6),  peu  éloignée  des  localités  ci-dessus 
mentionnées  par  lui,  Philostorge  pouvait  être  particulièrement  bien 
informé  au  sujet  de  l'invasion  des  Goths  dans  son  pays.  Sa  précision 
à  noter  le  lieu  d'origine  des  aïeux  d'Ulphilas  s'explique  donc  sans 
peine. 

La  récente  découverte  confirme  parfaitement  l'exactitude  de  ses  ren- 
seignements géographiques.  Il  place  Sadagolthina  près  de  Parnassos. 


(i)  Viia  Gallieni,  xi,  i. 

(2)  Philostorge,  loc.  cit.  Voici  la  remarque  que  fait  à  ce  propos  Tillemont  :  «  Cela 
éclaircit  beaucoup  ce  que  dit  saint  Basile,  Epist.  CCCXXXVIII,  que  les  semences  de 
la  religion  parmi  les  Goths  venaient  de  la  Cappadoce,  par  le  moyen  du  bienheureux 
Entyche,  homme  d'une  vertu  éminente  qui,  par  la  puissance  du  Saint-Esprit  et  par 
la  force  des  dons  qu'il  en  avait  reçus,  avait  adouci  le  cœur  des  barbares.  *  Tillemont, 
Histoire  des  empereurs,  t.  III.  Bruxelles,  1782,  p.  180.  Voir  aussi  saint  Basile, 
Epist.  LXX,  dans  Migne,  P.  G.,  t.  XXXII,  col.  436  :  le  grand  évêque  y  rappelle  que  le 
pape  saint  Denys  (259-268)  contribua  généreusement  au  rachat  des  captifs  cappadociens. 

(3)  TauTTi;  TTÎ?  a'txixaAwcrîaç  ye^dveo-av  xal  oî  OùpçtXa  Trp^yovo'.,  KaTrnaSo'xa-.  (lÈv  yàvoç, 
TréXew;  8e  Tzlrioiov  Ilapvaa-o-oy,  èx  xw[iY);  Se  SaSayoWt'và  xaXo-jfxévr,;.  Philostorge,  op.  et 
loc.  cit. 

(4)  Esberg,  De  Ulphila.  Stockholm,  1700;  Bessell,  Ueber  das  Leben  des  Ulfilasund 
die  Bekerung  der  Goten  ^um  Christentum.  Gœttingue,  1860;  Rappaport,  Die  Ein- 
fœlle  der  Goten  ins  rœmische  Reich.  Berlin,  1899,  P-  65;  Kirchner,  Die  Abstainmung 
des  Ulfilas.  Chemnitz,  1879. 

(5)  H.  Boehmer,  art.  Wuljila  dans  Realencyklopœdie  f.  prot.  Theol.  und  Kirche, 
t.  XXI,  Leipzig,  1908,  p.  549  ;  C.  Erbiceanu,  Ulfila,  viata  si  doctrina  lui  saii  starea 
crestinismuluî  in  Dacia  Trajanà  }i  Aurelianà  in  seculul  al  IV.  Bucarest,  1898,  p.  26, 
n.  2. 

(6)  Philostorge,  op.  cit.,  1.  IX,  n.  9,  col.  575.  —  La  patrie  de  Philostorge,  Borissos, 
s'élevait  à  quelque  distance  au  Sud.  Son  emplacement  est  aujourd'hui  marqué  par  la 
bourgade  de  Bor,  dans  le  sandjak  de  Nigdé,  voisin  de  celui  de  Koniah.  Y.  Cuinet, 
op.  cit.,  p.  798  et  834. 


UN    ANCIEN    BOURG   DE   CAPPADOCE  I    SADAGOLTHINA  6} 

Or,  Parnassos  est  un  ancien  siège  épiscopal  de  la  seconde  Cappadoce, 
qui  doit  être  localisé  dans  la  région  de  Kotch-Hissar,  à  peu  de  distance 
du  lac  de  Touz-Gheul.  C'est  à  Kotch-Hissar  même  que  Hamilton  met 
l'emplacement  de  Parnassos,  tandis  que  Ramsay  l'éloigné  de  quelques 
kilomètres,  vers  le  Nord-Est  (i).  Ajoutons  que  les  cartes  actuelles,  celle 
de  Cuinet,  par  exemple  (2),  signalent,  entre  Kotch-Hissar  et  la  rivière. 
Kizil  Irmak  (ancien  Halys),  une  localité  appelée  Parlassan,  dont  le  nom 
semble  bien  être  une  légère  déformation  de  celui  de  Parnassos,  et  dont 
le  site  répond,  d'ailleurs,  aux  données  historiques  concernant  cette 
ville. 

Sa  dagolthina  et  Parnassos  s'élevaient  donc  l'une  et  l'autre  non  loin 
des  rives  du  grand  lac  salé  de  Touz-Gheul  ou  de  Kotch-Hissar  (3),  à  la 
partie  septentrionale  où  ce  lac  forme  un  golfe  assez  profond,  à  peu 
près  à  mi-chemin  entre  Iconium  de  Lycaonie  et  Ancyre  de  Galatie,  à 
peu  près  aussi  au  centre  du  triangle  dont  les  trois  côtés  relieraient  ces 
deux  dernières  cités  avec  la  capitale  de  la  Cappadoce,  Césarée.  Il  est  aisé 
de  reconnaître  dans  le  nom  de  Sadagolthina  la  racine  sanscrite  sada 
signifiant  «  siège,  résidence,  sol  »,  qui  a  donné  en  grec  eSoç  et  en  latin 
sedes  (4). 

S.  Salaville. 


(i)  Ramsay,  The  historical  Geography  of  Asia  Minor,  Londres,  1890,  p.  298-299; 
S.  PÉTRiDÈs,  art.  Parnassus  dans  The  catholic  Encyclopedia,  t.  XI,  New-York,  191 1, 
p.  507. 

(2)  V.  Cuinet,  la  Turquie  d'Asie  :  Géographie  administrative,  statistique  descrip- 
tive et  raisonnée  de  chaque  province  de  l'Asie  Mineure.  Paris,  1892,  t.  I",  p.  798. 

(3)  Au  sujet  du  lac  Touz-Gheul  (nom  turc,  signifiant  simplement  lac  salé),  qu'on 
appelle  encore  lac  de  Kotch-Hissar,  du  nom  du  caza  ou  arrondissement  où  il  se 
trouve,  on  peut  consulter  :  Texier,  Asie  Mineure,  description  géographique,  histo- 
rique et  archéologique.  Paris,  1862,  p.  56o-56i  ;  V.  Cuinet,  op.  cit.,  p.  8i5. 

(4)  Je  dois  cette  indication  à  l'obligeante  érudition  de  M.  Carolidis.  Qu'il  me  soit 
permis  de  le  remercier  ici.  On  connaît  d'autres  villes  cappadociennes  dont  le  nom 
est  également  formé  de  cette  racine.  Telles  sont  Sadakora,  Sadagena,  etc.  Cf.  Pape, 
Wœrterbuch  der  griechischen  Eigennamen,  Braurschweig,  186J-1870,  p.    i326. 


LE  NOUVEL  ÉVÊQUE  GREC  CATHOLIQUE 
M^^  ISAIE  PAPADOPOULOS 


Dans  la  liste  des  évêques  préconisés  par  S.  S.  le  pape  Pie  X  au  Con- 
sistoire du  ler  décembre  191 1,  les  catholiques  d'Orient  ont  pu  remarquer 
avec  joie  le  nom  de  Mg^  Isaïe  Papadopoulos,  nommé  évêque  titulaire 
de  Gratianopolis,  avec  juridiction  ordinaire  sur  les  fidèles  catholiques 
de  rite  grec  dans  les  limites  du  vicariat  apostolique  de  Constantinople. 
On  sait  que  jusqu'ici  les  groupes  grecs  catholiques  de  ce  vicariat  rele- 
vaient directement  de  S.  Exe.  le  Délégué  apostolique  et  n'avaient  pas 
d'évêque  de  leur  rite. 

Le  nouvel  évêque  appartient  à  la  petite  Société  de  la  Sainte-Trinité, 
communauté  de  missionnaires  dits  Pères  grecs  de  Péra,  fondée  en  1861 
par  le  R.  P.  Hyacinthe  Marangos,  prêtre  latin  originaire  de  Syra. 

Nous  sommes  heureux  de  présenter  à  nos  lecteurs  une  notice  bio- 
graphique du  nouveau  prélat. 

Mgr  Isaïe  Papadopoulos  est  né  à  Pyrgos,  dans  le  Péloponèse,  en 
février  1855,  de  parents  orthodoxes.  Jeune  encore,  il  fit,  à  Athènes,  la 
connaissance  du  R.  P.  Hyacinthe  Marangos,  par  l'intermédiaire  duquel 
il  se  sentit  attiré  par  Dieu  vers  l'Eglise  catholique.  Le  fondateur  de  l'œuvre 
des  Missions  grecques  catholiques  l'emmena  à  Constantinople  où,  après 
un  certain  temps  d'étude,  le  jeune  homme  fit  son  abjuration,  en  1877. 

Le  P.  Isaïe  Papadopoulos  fut  ordonné  prêtre  en  1882,  par  un  prélat 
grec  converti,  Mgr  Benjamin  Evsévidis,  ancien  évêque  titulaire  de  Néa- 
polis  et  auxiliaire  de  Bosna-Séraï  (i). 

Le  nouveau  prêtre  déploya  son  zèle  dans  la  fondation  de  plusieurs 
missions  en  Thrace.  En  1884,  il  fonde  la  mission  de  Malgara,  non  loin 
de  Gallipoli;  puis,  un  peu  plus  tard,  celles  de  Daoudéli  et  de  Lisgar. 


(i)  M"  Benjamin  Evsévidis,  évêque  titulaire  de  Néapolis  et  auxiliaire  de  Bosna-Séraï, 
était  depuis  longtemps  catholique  de  cœur,  lorsque,  en  i858,  il  fut  appelé  au  Phanar 
pour  s'y  justifier  de  ses  tendances,  arrêté  par  suprise  et  conduit,  pour  y  être  détenu, 
au  monastère  bulgare  Saint-Jean-du-Rilo,  près  de  Samakof.  Il  demeura  ferme  dans 
son  attachement  à  l'Eglise  catholique  et  fut  délivré,  dans  des  circonstances  drama- 
tiques, par  les  soins  de  l'ambassade  de  France  à  Constantinople.  Voir  le  récit  détaillé 
de  ces  circonstances,  publié  par  M.  Ferdinand  Ronzevalle,  consul  de  France  en  retraite, 
alors  attaché  au  vice-consulat  de  France  à  Philippopoli,  qui  opéra  la  délivrance.  F.  Ron- 
zevalle, Un  épisode  de  l'histoire  contemporaine  des  Eglises  d'Orient  :  Captivité  et 
délivrance  d'un  évêque  grec  (août  i858),  dans  les  Etudes,  20  août  1899,  t.  LXXX, 
p.  528-536.  M"  Benjamin  Evsévidis  vécut  ensuite  à  Constantinople  jusqu'en  iSgS,  date 
de  sa  mort. 


LE   NOUVEL   ÉVÊQUE   GREC   CATHOLIQUE  65 


)ans  les  deux  premières,  le  P.  Isaie  établit  une  église  et  une  école.  La 
roisième  est  une  mission  bulgare  qui  dépend  de  S.  G.  Me^  Petkov, 
icaire  apostolique  des  Bulgares-Unis  de  Thrace  et  de  Bulgarie.  Chacun 
es  deux  postes  de  Malgara  et  de  Daoudéli  est  aujourd'hui  occupé  par 
eux  prêtres  de  rite  grec,  que  le  P.  Isaie  a  lui-même  initiés,  par  son 
xemple,  au  ministère  apostolique. 

Le  29  juillet  1909,  S.  Exe.  Mgi-  Sardi,  délégué  apostolique  de  Con- 
tantinople,  nomma  le  P.  Isaie  Papadopoulos  vicaire  général  pour  le 
ite  grec  et  directeur  de  l'œuvre  des  Missions  grecques. 

C'est  à  Malgara  que  le  P.  Isaie  a  consacré  la  plus  grande  partie  de 
on  temps  et  de  son  activité  de  missionnaire.  11  s'y  trouvait  encore 
)eu  de  jours  avant  sa  préconisation  au  titre  épiscopal  de  Gratianopolis. 

Au  cours  de  sa  carrière  apostolique,  le  P.  Isaie  a  eu  plus  d'une  fois 
i  souffrir  de  la  part  des  adversaires  de  l'Eglise  catholique.  Citons  un 
tpisode  récent.  Le  21  février  19 10,  il  débarquait  à  Péramos,  bourgade 
voisine  de  Panderma,  dans  la  presqu'île  de  Cyzique,  où  l'avaient  appelé 
[uelques  familles  catholiques,  et  d'où  un  autre  prêtre  grec  catholique 
vait  été  brutalement  expulsé  dix-huit  mois  auparavant.  A  peine  arrivé, 
e  P.  Isaïe  y  subit  les  plus  indignes  traitements,  qui  ébranlèrent  sa  santé 
)our  plusieurs  semaines  (i). 

Lorsque  ces  lignes  paraîtront,  la  cérémonie  du  sacre  de  M^r  Isaïe 
'apadopoulos,  fixée  au  dimanche  21  janvier,  aura  été  accomplie,  selon 
outes  les  règles  du  Pontifical  byzantin,  dans  la  cathédrale  latine  du 
aint-Esprit  à  Constantinople. 

Nous  offrons  au  nouvel  évêque  grec  catholique  nos  respectueuses 
élicitations,  avec  nos  meilleurs  souhaits  de  prospérité  pour  la  petite 
iglise  grecque  unie  qui  salue  en  lui  son  chef  vénéré,  et  qui  ne  saurait 
rop  remercier  S.  S.  le  pape  Pie  X  de  le  lui  avoir  donné. 

Sévérien  Salaville. 

K.adi-Keui',  le  14  janvier  1912. 


(i)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  XIII,  1910,  p.  120-121. 


Echos  d'Orient,  t.  XV. 


LES    CHRÉTIENS   DE   TURQUIE 

ET   LA    QUESTION   SCOLAIRE    ET  MILITAIRE 


La  situation  des  chrétiens  de  Turquie,  au  point  de  vue  scolaire  et  mili 
taire,  vient  d'être  enfin  réglée,  au  moins  d'une  manière  provisoire. 
Cette  question  était  soulevée  depuis  longtemps;  notre  collaborateur 
G.  Bartas  la  signalait  dès  le  mois  de  mars  dernier  (i).  Sans  doute  ell 
fût  bien  des  mois  encore  restée  en  suspens,  tranchée  à  demi,  donnant 
prise  à  des  mesures  arbitraires,  si  l'énergie  des  chefs  des  nations  chré- 
tiennes n'eût  comme  arraché  de  force  une  réponse  que  l'on  s'obstinait 
à  retarder. 

Celte  étude,  pour  exposer  avec  quelques  détails  les  manœuvres  offi- 
cielles ou  secrètes  qui  ont  amené  la  solution  et  les  bases  juridiques  sur 
lesquelles  elle  s'appuie,  nous  amènera  à  toucher  à  des  questions  poli- 
tiques. On  ne  saurait  les  éviter  entièrement  lorsqu'on  s'occupe  des 
patriarches  orientaux,  qui  ne  sont  pas  seulement  des  chefs  spirituels, 
mais  se  trouvent  aussi  investis  d'une  certaine  juridiction  civile,  et,  on 
le  sait,  les  occupations  qui  leur  incombent  à  ce  dernier  titre  ne  sont 
pas  les  moindres  de  leurs  fonctions. 

.  Nature  de  la  auESTioN  scolaire. 

Sous  l'ancien  régime,  l'enseignement  était  libre  de  fait  en  Turquie. 
Moyennant  quelques  formalités,  souvent,  il  est  vrai,  difficiles  à  rem- 
plir à  cause  de  la  mauvaise  volonté  de  l'administration,  mais  en  très 
petit  nombre,  toute  communauté  chrétienne  pouvait  avoir  ses  écoles 
à  elle,  et,  une  fois  l'autorisation  accordée,  y  jouissait  en  fait  de  la  plus 
entière  indépendance  à  l'égard  du  ministère. 

La  Jeune-Turquie  trouva  par  trop  libéral  ce  régime  qu'acceptait 
Abd-ul-Hamid.  Elle  avait  appris  des  gouvernements  européens  la  puis- 
sance de  l'école;  elle  ne  pouvait  la  négliger.  Aussi,  dès  le  premier  jour, 
se  montra-t-elle  décidée  à  pénétrer  dans  ce  domaine  autrefois  inviolé 
à  y  envoyer  ses  inspecteurs,  à  y  introduire  ses  programmes. 

Mais  jusqu'à  quel  point  interviendrait  le  gouvernement?  Cette  intru| 
sion  ne  pouvait  être  livrée  au  caprice  des  fonctionnaires,  aux  hasardsj 


(i)  Echos  d'Orient,  mars  191 1,  p.  122. 


LES    CHRÉTIENS    DE    TURQUIE  67 

des  circonstances.  L'absence  d'une  réglementation  commune  et  uni- 
forme constituait  une  situation  fausse  et  dangereuse  pour  les  chrétiens. 
Continuer  à  opposer  dans  les  provinces  une  résistance  isolée  aux  agents 
du  pouvoir,  c'était  s'exposer  à  de  perpétuels  reculs  devant  la  force. 

Un  tel  état  de  choses  devenait  plus  inquiétant  encore  à  qui  se  ren- 
dait compte  des  tendances  nouvelles  de  la  Jeune-Turquie.  Virant  de 
bord,  le  Comité  Union  et  Progrès  s'est  tourné  résolument  vers  l'isla- 
misme. L'unité  ottomane  l'obsède  plus  que  jamais,  et,  pour  la  réaliser, 
il  trouve  un  moyen  radical,  s'appuyer  sur  l'élément  turc  et  musulman, 
sans  souci  des  autres  nationalités.  L'Etat  ottoman  sera  soumis  à 
Mahomet  ou  ne  sera  pas,  telle  est  la  formule  qui  le  dirige  en  pratique. 
Cela  doit  amener  à  brève  échéance  la  suppression  des  droits  civils 
concédés  aux  chefs  des  communautés  chrétiennes. 

Dans  ces  conditions,  le  gouvernement,  respectueux  et  docile  devant 
le  Comité  qui  inspire  tous  ses  actes,  ne  se  sentait  nullement  incliné 
.à  donner  une  confirmation  officielle  à  l'ancien  état  de  choses,  et,  d'autre 

Ipart,  le  moment  ne  semblait  pas  encore  venu  d'en  signifier  publique- 
ment l'abolition.  Pour  ménager  à  la  fois  les  chrétiens  et  le  Comité,  il 
refusait  de  répondre  ou  renvoyait  à  plus  tard  une  solution  souvent 
réclamée. 

Lasses  d'attendre,  les  communautés  grecque,  arménienne  et  bulgare 
prirent,  au  mois  de  mai  dernier,  l'initiative  d'une  demande  plus  pres- 
sante. Afin  sans  doute  que  le  ministre  des  Cultes  ne  pût  excuser  ses 
délais  par  la  multiplicité  de  ses  occupations,  le  Phanar  lui  facilita  le 
travail  en  lui  présentant  un  exposé  complet  et  détaillé,  en  dix-sept 
articles,  de  tous  ses  désirs,  dans  un  acte  officiel  {takrir)  auquel  il  suf- 
.tirait  d'ajouter  le  sceau  impérial.  Ainsi  au  temps  de  Hamid,  celui  qui 
voulait  obtenir  une  signature  devait  parfois,  pour  alléger  la  peine  de 
l'employé,  prendre  lui-même  le  calame,  le  tremper  dans  l'encre,  le 
déposer  dans  la  main  du  magistrat,  et,  pour  un  peu,  conduire  ses  nobles 
-doigts  sur  le  papier. 

Toutefois,  ce  n'est  pas  à  l'indolence  qu'on  se  heurtait  ici  ;  c'est  un 
mauvais  vouloir  qu'il  fallait  vaincre.  On  ne  s'y  trompait  pas.  Aussi  les 
chrétientés  appuyaient-elles  leurs  demandes  sur  des  bases  solides.  Elles 
se  réclamaient  de  la  Constitution,  de  cet  article  fondamental  qui  promet 
à  tous  les  Ottomans  une  entière  égalité  dans  l'empire.  Un  rapide  coup 
d'œil  jeté  sur  les  projets  présentés  par  les  Grecs  nous  permettra  de 
juger  comment  ils  entendaient  la  mise  en  pratique  de  cette  égalité. 
Voici  les  principaux. 

En  ce  qui  touche  à  la  fondation  des  écoles,  celles  qui  ont  été  ouvertes 


68  ÉCHOS    D  ORIENT 


jusqu'ici  sans  permission  devront  naturellement  être  approuvées  tout 
de  suite,  et,  pour  en  établir  de  nouvelles,  il  suffira  d'avertir  le  minis- 
tère, qui  l'approuvera  de  même. 

Les  programmes,  et  c'est  là  un  des  points  des  plus  importants, 
devront  être  composés  et  sanctionnés  par  les  métropoles;  il  suffira  de 
les  présenter  au  gouvernement  dans  leur  teneur  générale;  les  diplômes 
délivrés  par  les  chefs  religieux  et  présentés  au  ministère  auront  autant 
de  valeur  que  ceux  des  écoles  du  gouvernement. 

Pareillement,  ce  sont  les  pouvoirs  spirituels  seuls  qui  délivreront 
aux  maîtres  des  certificats  d'aptitude. 

Enfin,  les  inspecteurs  officiels  n'entreront  dans  une  école  libre 
qu'après  avis  préalable  donné  aux  patriarches  ou  métropolites. 

On  le  voit,  toutes  ces  demandes  s'inspirent  d'une  conception  spéciale 
de  l'égalité.  Elles  ne  visent  pas  à  concéder  directement  aux  individus 
les  mêmes  avantages  sous  un  pouvoir  unique,  mais  à  constituer,  à 
côté  du  gouvernement  central,  d'autres  autorités  presque  indépendantes 
et  jouissant  à  l'égard  des  écoles  confessionnelles  de  droits  égaux  à 
ceux  du  gouvernement  sur  les  écoles  publiques.  En  un  mot,  on  veut 
établir  une  égalité  ottomane  fondée  sur  le  régime  des  privilèges.  Ceci 
appelle  quelques  mots  d'explication. 

A  première  vue,  les  termes  d'égalité  et  de  privilèges  paraissent 
inconciliables,  l'un  étant  la  négation  de  l'autre.  Ce  n'est  là  qu'une 
apparence,  vite  dissipée  quand  on  précise  la  vraie  portée  des  formules. 

En  Turquie,  les  privilèges  ne  sont  pas  pour  les  chrétiens  des  droits 
civils  supérieurs  à  ceux  dont  jouissent  les  musulmans,  mais  des  droits 
à  peu  près  égaux  et  parallèles  à  ceux-ci. 

La  loi  turque,  religieuse  et  musulmane  par  nature,  pourra  bien  régler 
tout  ce  qui  concerne  les  fidèles  de  Mahomet,  mais  il  n'en  va  pas  de 
même  des  chrétiens.  Sur  un  certain  nombre  de  matières  relevant  plus 
ou  moins  directement  du  droit  canon,  l'administration,  pour  être  vrai- 
ment équitable,  devra  se  fonder  sur  les  principes  de  la  loi  chrétienne; 
c'est  sur  ces  points  que  portent  la  plupart  des  droits  civils,  concédés 
par  des  pièces  officielles  ou  par  la  coutume,  et  décorés  du  nom  de  pri- 
vilèges. Ils  peuvent  se  concilier  avec  une  égalité  bien  entendue. 

Les  chefs  religieux  investis  de  cette  juridiction  jouissent,  par  le  fait, 
d'une  certaine  autonomie.  11  va  de  soi  que  cette  indépendance  à  l'égard 
du  pouvoir  sera  toujours  relative.  Mais  entre  la  suppression  entière  des 
privilèges  où  voudraient  aboutir  les  Jeunes-Turcs  du  Comité  Union  et 
Progrès,  et  l'exemption  presque  totale  de  contrôle  officiel  que  demandent  | 
les  patriarcats,  il  y  a  place  pour  un  juste  milieu.  C'est  là  qu'un  pou- 


LES   CHRÉTIENS    DE   TURQUIE  69 


voir  sage  chercherait  un  parfait  équilibre  entre  les  deux  tendances. 
On  conçoit  cependant  que  les  communautés  réclament  le  maintien 
complet  de  leur  ancienne  situation  et  n'aillent  pas  se  dépouiller  elles- 
mêmes  avec  un  héroïsme  civique  et  un  désintéressement  dont  peu  sont 
capables,  et  qui  serait  peut-être  assez  naïf. 

11.  Etat  de  la  question  militaire. 

Bien  plus  facile  à  exposer  sera  l'état  de  la  question  militaire,  à  laquelle 
le  même  takrir  du  mois  de  mai  proposait  une  solution  détaillée  en 
onze  articles.  Elle  est  plus  récente  et  n'a  jamais  été  l'objet  de  privilèges 
spéciaux. 

Admises  en  principe  dès  1839,  promises  de  nouveau  en  1856,  la 
suppression  de  l'impôt  du  sang  et  l'admission  des  chrétiens  dans 
l'armée  ottomane  ne  sont  devenues  des  réalités  que  sous  le  nouveau 
régime  jeune-turc. 

.  La  circulaire  ministérielle,  qui  réglait  d'une  manière  provisoire  les 
cas  les  plus  urgents  de  la  nouvelle  situation,  était  loin  de  tout  résoudre 
pour  le  mieux.  Les  soldats  chrétiens  se  trouvaient  assez  mal  à  l'aise 
dans  une  caserne  remplie  de  Turcs.  Le  petit  catéchisme  à  l'usage  du 
soldat,  qu'avec  un  zèle  louable  composa  naguère  l'économe  Léonce,  et 
que  fit  distribuer  gratuitement  aux  siens  le  patriarcat  œcuménique, 
pouvait  bien  parer  à  certains  inconvénients,  mais  il  en  était  d'autres 
engendrés  par  la  différence  de  langue,  de  religion,  de  coutume,  qui 
demandaient  une  solution  officielle. 

Ici  encore,  les  chrétientés  réclament  l'égalité  absolue  des  Ottomans. 
Ainsi  demande-t-on  un  recrutement  plus  équitable,  fait  suivant  de  nou- 
velles circonscriptions  militaires;  l'admission  de  tous  sans  distinction 
aux  écoles  supérieures  militaires,  et  la  faculté  d'obtenir  les  grades  les 
plus  élevés;  la  traduction  des  règlements  en  diverses  langues  à  l'usage 
de  ceux  qui  ignorent  le  turc;  le  changement  des  lois  trop  exclusive- 
ment musulmanes,  pour  les  mettre  à  la  portée  de  tous.  Ce  dernier 
point,  qui  forme  l'aspect  religieux  de  la  question  et  nous  intéresse 
surtout,  vaut  qu'on  entre  davantage  dans  le  détail.  Les  patriarcats 
estiment  nécessaire  : 

1»  De  modifier  les  lois  et  règlements  à  un  point  de  vue  plus  général 
qui  embrasse  la  religion,  les  coutumes  et  les  mœurs  de  tous  les 
soldats; 

.  2°  D'interdire  tout  changement  de  religion  durant  le  séjour  sous 
les  drapeaux; 


70  ÉCHOS    D  ORIENT 


y  De  modifier  V introduction  du  règlement  intérieur,  de  façon  à  mon- 
trer que  l'armée  n'est  ni  chrétienne  ni  musulmane; 

40  D'établir  pour  les  chrétiens  des  prescriptions  sur  les  mœurs  et 
coutumes  partout  où  il  en  existe  de  semblables  pour  les  musulmans  ; 

50  D'admettre  un  prêtre  partout  où  se  trouve  un  imam  ; 

6°  D'accepter  dans  chaque  division  et  pour  chaque  confession  chré- 
tienne différente  un  prêtre,  qui  s'occupera  de  tous  les  soldats  de  cette 
division; 

7°  De  prévenir  les  insultes  et  mauvais  traitements  dont  les  soldats 
chrétiens  pourraient  être  l'objet,  en  leur  permettant  le  recours  immé- 
diat au  chef  de  la  division. 

Le  takrir  se  hasardait  à  exprimer,  en  finissant,  quelques  désirs 
touchant  une  diminution  du  service,  ou  la  possibilité  de  le  faire  dans 
sa  propre  circonscription,  ou  enfin  des  exemptions  en  faveur  des  fils 
uniques  ou  autres. 

On  le  voit,  toutes  ces  demandes,  sauf  les  dernières,  s'inspiraient 
vraiment  du  principe  posé  à  la  base,  de  l'égalité  absolue  des  Ottomans 
dans  l'empire,  tant  au  point  de  vue  matériel  qu'au  point  de  vue  reli- 
gieux. 

m.   RÉPONSE    ORALE. 

Les  takrirs  grec,  arménien  et  bulgare,  envoyés  simultanément  au 
ministère,  ne  tardèrent  pas  à  être  publiés  et  firent  grande  impression. 
Les  milieux  turcs  s'en  offensèrent.  Ils  y  virent  ou  affectèrent  d'y  voir 
une  tentative  de  coalition  chrétienne  contre  les  musulmans.  A  la  vérité, 
il  y  avait  à  cela  quelque  fondement.  Ce  n'était  pas  aux  Turcs  qu'on 
s'en  prenait,  mais  au  Comité  secret  et  à  ses  tendances  manifestement 
trop  islamiques.  L'opinion  publique  s'échauffa,  excitée  par  les  com- 
mentaires envenimés  de  la  presse,  et  de  plus  grandes  divisions  étaient 
à  craindre. 

Cependant,  le  gouvernement  mieux  renseigné  garda  son  sang-froid. 
Les  ministres  de  la  Guerre,  de  l'Instruction  publique,  de  la  Justice  et 
des  Cultes  eurent  mission  d'examiner,  chacun  à  son  point  de  vue,  les 
désirs  exprimés.  Les  travaux  furent  pénibles,  à  en  juger  par  le  temps 
qu'ils  durèrent. 

Un  mois  et  demi  et  plus  la  réponse  fut  attendue  en  vain.  Enfin,  vers 
le  milieu  d'août,  les  représentants  des  principales  communautés  chré- 
tiennes, Grecs  et  Bulgares,  Arméniens  grégoriens  et  Arméniens  catho- 
liques,  Chaldéens,    réunis   au   ministère   de  la  Justice  et  des  Cultes, 


LES    CHRÉTIENS    DE    TURQUIH  7I 

reçurent  l'assurance  que  la  plupart  de  leurs  demandes  étaient  agréées. 
Par  ces  déclarations  conciliantes,  gage  de  sa  modération,  le  pouvoir 
se  montrait  donc  disposé  à  s'affranchir,  dans  le  cas  présent,  de  la 
tutelle  du  Comité. 

Les  membres  de  l'Union  et  Progrès,  on  le  devine,  reçurent,  avec  un 
dépit  mélangé  de  colère,  ces  promesses  officielles.  Ils  souhaitaient  aux 
événements  une  autre  issue. 

Quant  aux  chrétiens,  l'impression  fut  diverse.  Les  Arméniens,  les 
Bulgares  et  d'autres  s'en  seraient  volontiers  contentés,  estimant  impK)S- 
sible  de  tout  obtenir.  Le  Phanar,  au  contraire,  craignant  ou  feignant  de 
craindre  que  cette  réponse  orale  ne  fût  un  moyen  d'éluder  une  solu- 
tion positive  du  problème,  exigeait  une  réponse  écrite,  et  sous  forme 
de  loi.  11  voulait  tout  ou  rien.  Certaine  mauvaise  langue  assura  même 
qu'il  tenait  à  se  séparer  de  ses  confrères,  afin  d'obtenir  seul  la  prolon- 
gation de  privilèges  dont  il  jouit  seul  jusqu'à  présent,  touchant  la  fon- 
dation des  écoles. 

Y  eut-il  de  fait  séparation  entre  les  Grecs  et  les  Bulgares?  On  l'a 
prétendu.  Les  Grecs  l'ont  nié. 

En  tous  cas,  l'exarchat  sera  le  fidèle  compagnon  du  Phanar  dans  les 
manifestations  qui  vont  commencer  en  vue  d'obtenir  une  réponse  écrite 
à  tous  les  projets  présentés  au  gouvernement. 

IV.    «   La    voix    DES   PROVINCES.    » 

Huit  jours  à  peine  s'étaient  écoulés  depuis  la  communication  du 
ministre  des  Cultes,  qu'arrivèrent  à  la  Sublime  Porte  des  dépêches 
d'Adana.  Les  Grecs  orthodoxes  de  cette  ville  et  des  environs,  réunis 
en  assemblée  sous  l'im.pulsion  d'une  force  secrète,  avaient  tout  à  coup 
éprouvé  le  besoin  de  faire  savoir  au  gouvernement  leur  désir  de  voir 
enfin  établi  dans  l'empire  un  régime  d'égalité  véritable,  basée  sur  l'ac- 
ceptation totale  et  immédiate  des  propositions  relatives  à  l'armée  et  aux 
écoles.  Le  lendemain,  Salonique  tint  des  réunions  semblables  et  expédia 
des  dépêches  identiques.  Puis  ce  fut  le  tour  de  Smyrne.  C'est  un  coup 
monté  par  le  patriarcat,  écrivait  dès  lors  le  Tanine;  nous  pouvons 
nous  attendre  à  les  voir  tous  arriver  l'un  après  l'autre.  Le  directeur 
de  la  Proodos,  M.  Spanoudis,  qui  voulut  relever  le  mot,  sans  doute 
parce  qu'il  avait  porté,  s'en  tira  avec  une  longue  phrase  alambiquée 
qui  ne  niait  rien. 

De  fait,  les  réunions  et  les  adresses  continuèrent.  Après  Smyrne  vint 
Rodosto,  puis  Adalia,  Constantinople,  etc.  «  La  voix  des  provinces  » 


72  ECHOS    D  ORIENT 


fit  entendre  longtemps  encore  et  comme  à  intervalles  marqués  ses  appels 
monotones.   Voyons  celui  de  la  capitale,   nous  les  connaîtrons  tous. 

Dépouillée  des  amples  atours  dont  un  Grec  sait  revêtir  sa  pensée, 
cette  adresse  se  réduit  à  un  syllogisme  régulier  de  forme,  et  point  du 
tout  révolutionnaire  quant  au  fond. 

L'empire  ottoman  doit  devenir  puissant. 

Or,  cette  puissance  suppose  l'égalité  des  citoyens. 

L'empire  ottoman  doit  donc  accorder  aux  citoyens  grecs  cette  égalité 
que  lui  demande  le  patriarche. 

Et  de  peur  que  le  Turc  ne  demeurât  insensible  devant  Aristote,  les 
Bulgares  de  Macédoine  soutenaient  leurs  confrères,  toujours  d'ailleurs 
sur  le  même  ton. 

On  essaya  bien  aussi,  dans  la  Proodos,  d'ébranler  les  Arméniens  et 
de  faire  passer  pour  une  importante  manifestation  en  faveur  des 
demandes  une  réunion  tenue  à  Amasée.  Mais  cette  tentative  de 
déclanchement  fut  inutile,  l'Arménie  ne  bougea  pas. 

V.  Campagne  de  presse. 

En  même  temps,  les  journaux  remplissaient  leurs  colonnes  de 
longues  diatribes  contre  le  Comité  Union  et  Progrès,  à  qui  l'on  s'en 
prenait  surtout,  car  c'était  lui  sans  doute  qui  empêchait  une  réponse 
écrite,  afin  de  pouvoir  au  moment  propice  obtenir  sans  peine  du  Par- 
lement une  loi  générale  qui  réglerait  d'un  mot  la  situation  de  tous 
les  Ottomans,  sans  tenir  compte  de  leur  religion  ou  de  leurs  usages, 
ou  bien  ne  s'adressant  qu'aux  musulmans. 

Au  reste,  cette  campagne  de  presse  fut  assez  mal  conduite.  Rares 
furent  les  articles  allant  directement  au  sujet.  On  eût  dit  que  l'on 
redoutait  les  précisions,  et  comme  à  plaisir  on  généralisait  le  pro- 
blème, au  risque  bien  souvent  d'en  sortir.  A  part  quelques  envolées 
aussi  anodines  que  superbes,  la  plupart  des  articles  se  contentaient 
de  commenter  au  jour  le  jour,  au  hasard  des  impressions,  les  adresses 
des  provinces,  et  à  protester  que  jamais  le  pouvoir  turc  ne  réussirait 
à  anéantir  les  nationalités  chrétiennes  ou  à  les  absorber  dans  l'élément 
islamique.  Les  journalistes  avaient  mille  fois  raison.  Une  unité  ottomane 
qui  ne  compterait  pas  avec  elles  est  une  utopie  irréalisable.  Tout  le] 
monde  le  voit. 

Mais  ce  n'est  là  que  le  côté  négatif  du  problème,  et  l'autre  face 
pas  été  mise  en  évidence. 

Il  fallait  surtout  faire  comprendre  à  ces  politiciens  improvisés,  ép 


LES   CHRETIENS    DE   TURQUIE  73 

de  procédés  simplificateurs,  qui  ne  conçoivent  l'unité  que  par  la  même 
réglementation  imposée  aux  cas  les  plus  divers,  qu'il  y  a  une  unité  plus 
haute,  admettant  autant  de  lois  différentes  qu'il  y  a  de  faits  concrets 
particuliers  à  régulariser. 

Naguère  à  propos  de  l'action  russe  en  Pologne,  M.  Maurras  (i)  sou- 
mettait aux  nationalistes  de  Saint-Pétersbourg  de  lumineuses  et  fortes 
pensées  qui  auraient  en  Turquie  une  merveilleuse  actualité.  «  Autant 
de  peuples,  cependant,  autant  de  situations  et  de  catégories  différentes! 
Autant  de  problèmes  qu'il  vaut  mieux  isoler  et  détailler  que  de  traiter 
€t  résoudre  en  un  bloc  de  grossière,  approximative  et  fausse  synthèse.  » 
C'est  se  laisser  égarer  par  un  «  préjugé  métaphysique  du  droit  »,  par 
une  «  Nuée  »,  que  de  vouloir  «  substituer  au  règlement  direct  des  faits 
concrets  de  pauvres  tentatives  de  généralisation  juridique  toujours 
périlleuses  »,  surtout  si  la  violence  doit  intervenir. 

«  Ce  qu'il  faut  craindre,  ajoute  M.  Maurras  parlant  des  Russes,  c'est 
qu'une  politique  de  rigueur  et  de  cruauté  ne  se  retourne  contre  l'objet 
qu'elle  poursuit.  Ils  prétendent  unifier  et  divisent.  Ils  prétendent  con- 
vertir ou  déconvertir,  au  lieu  qu'ils  risquent  de  désunir  à  jamais  et 
de  tout  gâter  de  leur  édifice  historique.  »  (2) 

Combien  une  telle  politique  ne  serait-elle  pas  plus  dangereuse  dans 
un  pays  où  l'élément  chrétien  forme  près  du  tiers  de  la  population 
totale  de  l'empire  ! 

N'est-ce  pas  courir  à  l'anarchie  que  de  supprimer,  quand  elle  existe, 
une  telle  réglementation  directe  des  situations  propres  à  chaque  natio- 
nalité? Car  ce  qu'on  appelle,  d'un  mot  ambitieux  et  trop  charmeur 
peut-être,  les  privilèges,  c'est  surtout  cela,  et,  à  peu  de  choses  près,  ce 
n'est  que  cela  (3).  Les  privilèges  n'accordent  point  de  faveurs  particu- 
lières, ils  sont  parfaitement  conciliables  avec  une  égalité  bien  entendue. 

Voilà,  semble-t-il,  ce  qu'il  fallait  prouver  par  tous  les  arguments 
possibles.  C'est  justement  le  point  que  l'on  a,  comme  à  dessein,  laissé 
-dans  l'ombre. 

M.  Chrysanthe  Philippidès,  par  exemple,  qui  traita  la  question  dans 
l'organe  officiel  du  Phanar,  la  Vérité  ecclésiastique  i^é^,  négligea  entière- 


(i)  Action  française,  4  décembre  1911. 

(2)  Ch.  Maurras,  Action  française,  loc.  cit. 

(3)  11  ne  suit  pas  de  là  que  l'organisation  actuelle  soit  l'idéal  à  tous  les  points  de 
vue.  Il  s'en  faut  de  beaucoup  :  la  réunion  entre  les  mêmes  mains  du  pouvoir  religieux 
et  de  droits  civils  est  une  source  de  graves  abus,  d'autant  plus  aisés  que  certaines 
concessions  n'ont  qu'un  rapport  très  éloigné  avec  le  droit  canon  et  la  religion.  Mais 
c'est  aller  aux  extrêmes  que  de  vouloir  tout  supprimer  pour  corriger. 

(4)  'Exx).ri<Tia(TTtxr,  'A)>i^6£ia,  i"  septembre  191 1,  article  STwjAsvxaXw;,  p.  281-283. 


74  ÉCHOS    D  ORIENT 


ment  le  côté  positif  du  problème,  et  se  contenta  d'affirmer  l'impossi- 
bilité où  seraient  les  Turcs  de  s'assimiler  les  chrétiens  orthodoxes  par 
la  violence. 

Il  est  vrai  qu'alors  l'âme  du  rédacteur  était  agitée  d'une  préoccupation 
très  vive,  traduite  en  termes  violents  qui  devaient,  deux  semaines  plus 
tard,  porter  ombrage  à  la  cour  martiale  et  motiver  la  suppression  du 
périodique. 

Certaines  Eglises  orthodoxes  de  Turquie  se  laissent  un  peu  trop 
entraîner,  inconsciemment  ou  non,  par  le  tourbillon  des  forces  centri- 
fuges qui  agissent  autour  de  la  Grande  Eglise.  Le  moment  parut  favo- 
rable à  un  ralliement.  Ce  fut  le  hiérodiacre  Chrysanthe  qui  eut  mission 
de  le  sonner  et  de  rappeler  ceux  des  égarés  qui  pouvaient  encore 
entendre,  Bulgares  et  Serbes,  Albanais  et  Arabes.  Il  le  fit  dans  le  mani- 
feste signalé  déjà,  St(Ô[jl£v  xaAw^  :  Tenons-nous  bien. 

On  n'y  soufflait  mot  des  Koutzo-Valaques.  Se  seraient-ils  déjà  laissé 
emporter  trop  loin,  jusque  dans  les  filets  de  la  Propagande,  dans  les- 
quels M.  Ch.  Philippidès  craint  (i)  ^^  voir  tomber  leurs  grands  frères 
de  Roumanie  par  une  excessive  réaction  contre  certains  scandales  hié- 
rarchiques? 

La  démarche  du  Phanar  fut-elle  du  moins  heureuse  auprès  des  autres? 
Hélas!  il  faut  bien  l'avouer,  l'exarque  bulgare,  se  voyant  déjà  soleil, 
ne  désirait  aucunement  redevenir  planète.  L'essai  de  réconciliation  qui 
avait  échoué  à  la  fin  de  19 lo,  et  dont  les  Echos  d'Orient  ont  parlé  en 
son  temps  (2),  ne  se  trouve  guère  plus  avancé  à  la  fin  de  191 1,  même 
après  la  crise  présente.  Au  correspondant  de  la  Patris  d'Athènes,  qui 
lui  demandait  peu  de  jours  après  l'appel  vibrant  de  la  Vérité  ecclésias- 
tique, s'il  n'y  aurait  pas  lieu  d'établir  une  entente  plus  étroite  et  plus 
cordiale  entre  lui  et  le  patriarche  œcuménique,  M?r  Joseph  laissa 
entendre  qu'il  n'était  pas  trop  mécontent  de  la  situation  présente.  11  se 
peut  que  plus  tard,  ajouta-t-il,  nous  soyons  obligés  de  nous  unir  plus 
étroitement,  mais  souhaitons  que  les  circonstances  ne  nous  l'impo- 
seront pas. 

VI.  Assassinat  d'un  métropolite  grec. 

Le  gouvernement  songeait  alors  moins  que  jamais. à  grandir  ses 
prétentions.  La  guerre  d'Italie  absorbait  son  attention  et  ne  lui  laissait 

(i)  Vérité  ecclésiastique,  i3  août  igii,  p.  25o. 

(2)  G.  Bartas,  Rapprochement  entre  le  patriarcat  œcuménique  et  l'exarchat  bul- 
gare, dan^>  Echos  d'Orient,  mars  191 1,  p.  116-122. 


LES   CHRÉTIENS   DE    TURQUIE  -Jt, 


eter  qu'un  œil  distrait  sur  la  politique  intérieure.  Le  nouveau  ministère 
enouvela  les  mêmes  assurances  pacifiques  que  le  précédent  et  aurait 
)ien  voulu  que  l'on  s'en  contentât,  au  moins  provisoir-ement.  11  n'en 
ut  rien.  Les  Grecs  pensèrent  que  le  moment  était  venu  de  lui  forcer 
a  main  et  d'arracher  de  haute  lutte  la  réponse  écrite  attendue.  D'ail- 
eurs,  sur  ces  entrefaites  survint  un  incident  qui  motiva  toutes  les 
exigences;  ce  fut  l'assassinat  indigne  d'un  métropolite  grec.  Ce  fait 
trop  soulevé  de  passions  pour  que  nous  n'en  disions  un  mot.  11  ne 
ut  pas,  du  reste,  sans  influence  sur  la  solution  du  débat  que  nous 
voris  à  raconter. 

Depuis  assez  longtemps,  les  chrétientés  font  parvenir  à  la  Porte  des 
suppliques  officielles  (takrirs)  qui  dénoncent  les  violences  de  toute 
lorte  dont  elles  ont  à  se  plaindre  de  la  part  des  Turcs,  et  qui  demandent 
éparation.  Elles  ont  été  particulièrement  nombreuses  ces  derniers 
nois.  La  situation  était-elle  devenue  moins  supportable,  ou  voulait-on 
lussi  exercer  sur  le  pouvoir  une  pression  en  faveur  des  demandes  sur 
'enseignement  et  l'armée?  Cette  dernière  pensée  sans  doute  n'en  était 
jas  absente;  le  takrir  grec  du  i«>*  juillet,  qui  donnait  une  interminable 
iste  de  violences  subies  par  les  orthodoxes,  commençait  par  rappeler 
lu  gouvernement  que  la  demande  précédente  attendait  encore  une 
•éponse.  Mais  certainement  aussi  tant  de  faits  énumérés  n'étaient  pas 
maginaires,  et  les  journaux  en  donnaient  chaque  jour  de  nouveaux  de 
:outes  les  parties  de  l'empire,  spécialement  de  Macédoine.  Ici,  les 
musulmans  avaient  pour  alliés  les  turbulents  Koutzo-Valaques.  Dès  la 
fm  du  mois  d'août,  le  jeune  métropolite  de  Grévéna.  Ms»"  Emilien,  un 
irdent  patriote  qui  leur  tenait  tête,  dénonçait  leur  propagande  roumaine, 
Mitihellénique.  La  situation,  disait-il,  est  intenable,  et  les  Grecs  ortho- 
poxes  commencent  à  perdre  patience. 

Cet  état  de  choses  ne  fit  qu'empirer  les  semaines  suivantes.  Lors  de 
a  déclaration  de  la  guerre  contre  l'Italie,  les  petits  Etats  voisins  de  la 
[Turquie  mobilisèrent.  Cette  effervescence  gagna  vite  le  pays  lui-même 
où  tant  de  cœurs  vibrent  à  l'unisson  des  cœurs  étrangers  et  guettent 
les  occasions  de  le  prouver.  Le  métropolite  grec  de  Bodéna  se  plaignit 
encore  des  Roumains.  Le  ministre  de  la  Justice  rejeta  ces  accusations, 
mais  par  contre  exigea  le  rappel  immédiat  du  métropolite  de  Grévéna, 
Mg''  Emilien,  coupable  de  soulever  le  peuple  et  de  travailler  contre  les 
intérêts  de  l'Etat  ottoman.  Des  ordres  pareils  furent  lancés,  et  pour  des 
motifs  analogues,  contre  les  métropolites  grecs  d'Ephèse  etdeSmyrne; 
puis  le  lendemain  contre  celui  de  Cozan,  tandis  que  celui  de  Drama 
devait  protester  qu'il  ne  s'était  jamais  allié  aux  révolutionnaires.  Enfin, 


^6  ÉCHOS  d'orient 


l'organe   officiel   du   patriarcat    œcuménique    venait   d'être    supprim( 
comme  séditieux. 

C'est  en  ces  circonstances  qu'arrivèrent  à  Constantinople  de{ 
dépêches  annonçant  que  le  vaillant  M?*"  Emilien  de  Grévéna  venait  d'êtn 
égorgé  dans  une  forêt  avec  son  diacre  et  son  domestique  par  de; 
inconnus,  au  cours  d'un  voyage  entrepris  pour  visiter  une  paroisse  d( 
son  éparchie.  Cette  nouvelle  atterra  les  milieux  grecs.  Tous  les  centre: 
helléniques  du  monde  entier  firent,  par  leurs  condoléances  et  leur: 
chants  funèbres,  un  lugubre  écho  aux  sanglots  de  la  capitale. 

La  nation  entière  porta  le  deuil  de  celui  qu'elle  appela,  avec  raison 
semble-t-il,  V ethnomartyr ,  martyr  de  la  nation.  On  le  vénéra,  en  o 
début  du  xxe  siècle,  presque  à  l'égal  de  la  grande  victime  dont  le  sanj 
teignit  l'aurore  du  xix^,  le  patriarche  Grégoire  V.  S.  S.  Joachim  III  ei 
personne  établit  ce  parallèle,  lorsque  du  haut  de  son  balcon  il  bénit 
avec  la  croix  même  de  Grégoire  V,  le  peuple  rassemblé  devant  la  grand 
porte  fermée  où  fut  pendu  l'illustre  défenseur  de  l'indépendance  hel 
lénique. 

Une  fois  passé  le  premier  moment  de  stupeur,  on  se  reprit.  Il  fallai 
du  moins  obtenir  un  châtiment  exemplaire  des  coupables.  Hélas 
disons-le  tout  de  suite,  les  recherches  ont  été  vaines. 

Les  premiers  soupçons  se  portèrent  sur  des  bergers  roumains;  tou 
bas,  à  demi-mot,  on  insinuait  même  une  inspiration  supérieure,  un 
cause  politique.  Le  député  grec  de  Serbia,  M.  Boussios,  osa  même,  ei 
pleine  Chambre  dire  aux  députés  de  la  majorité  unioniste  :  «  Le 
assassins,  c'est  vous.  »  Mais  les  preuves  manquèrent  ou  ne  purent  s 
produire,  et  quelques    semaines   plus  tard,    le  gouvernement   assur 

avoir  la  certitude  que  les  coupables  étaient ô  dérision!  deux  Grecs 

Zékos  et  Ramos,  qui  s'étaient  enfuis  en  Hellade  une  fois  leur  cou 
accompli. 

N'allons  pas  à  notre  tour  nous  lancer  à  leur  poursuite.  Au  reste,  1 
lumière  se  fera  un  jour,  et  il  est  aisé  de  prévoir  dans  quel  sens. 


Vil.  Résolutions  désespérées. 


Venant  après  tant  d'autres,  ce  crime  fut  un  sanglant  plaidoyer  é 
faveur  des  victimes,  à  qui  les  sympathies  allaient  par  le  seul  fait  qu'elle 
étaient  victimes.  Même  les  demandes  relatives  à  l'armée  et  à  l'ense 
gnement,  bien  que  nullement  engagées  ici,  durent  en  bénéficier,  Cc\ 
elles  faisaient  bloc  avec  l'ensemble  des  garanties  de  sécurité  que  1 
gouvernement  se  devait  d'accorder  aux  chrétiens.  De  plus,  l'empire^ 


LES    CHRÉTIENS    DE   TURQUIE  77 


îsoin  de  paix,  et  rien  n'était  plus  propre  à  calmer  les  passions  que 
s  concessions  démandées. 

Et  cependant,  il  fallut  attendre  encore.  Peut-être,  comme  il  arrive 
la  faiblesse,  le  ministère  ne  voulut-il  pas  paraître  céder  devant  la  force. 
Dès  le  milieu  de  novembre,  le  Phanar  était  exaspéré.  Le  saint  synode 
le  Conseil  mixte,  réunis  en  assemblée  plénière,  sous  la  présidence 
Li  patriarche,  prirent  des  mesures  extrêmes,  comme  en  fait  seul  adopter 
désespoir.  Ils  en  furent  légèrement  honteux  le  lendemain.  Les  jour, 
aux  tâchaient  d'en  atténuer  la  portée,  plaidaient  les  circonstances 
:ténuantes.  Ainsi  excuse-t-on  un  violent  qui  a  frappé  sans  mesurer  la 
ortée  des  coups  qu'il  donnait. 

Ces  résolutions   n'ont   pas  été  divulguées,  et  pour  cause.  11   n'est 
^pendant  pas  téméraire  d'essayer  de  les  deviner  par  l'histoire  du  passé, 
ous  trouvons,  en  1891,  une  situation  parfaitement  analogue  à  celle 
i| 'aujourd'hui. 

1  Abd-ul-Hamid  avait  déjà,  longtemps  avant  les  Jeunes-Turcs  et  avec  la 
Méthodique  ténacité  qu'on  lui  connaît,  essayé  de  généraliser  l'organi- 
jjition  administrative  de  son  empire,  de  la  laïciser  en  quelque  sorte  et 
e  supprimer  une  à  une  les  concessions  faites  aux  chrétiens.  C'est 
lême  pour  avoir  résisté  à  des  empiétements  de  ce  genre  que  S.  S.  Joa- 
him  111  dut,  en  1884,  descendre  du  trône  patriarcal.  11  en  fut  de  même 
e  son  deuxième  successeur,  Denys  V,  en  1890.  Pendant  la  vacance  du 
j|iège,  grâce  à  l'énergie  du  métropolite  actuel  de  Kadi-Keuï,  M&''  Ger- 
lain,  l'interdit  fut  jeté  et  maintenu  durant  trois  mois  sur  toutes  les 
giises  grecques  de  Turquie.  La  Porte,  redoutant  un  soulèvement, 
îcula,  et,  en  février  1891,  rendit  aux  Grecs  les  droits  dont  ils  ont 
Dui  jusqu'à  présent. 
Ne  serait-ce  pas  à  un  expédient  de  ce  genre  que  l'on  aurait  décidé 
recourir  dernièrement?  Cela  paraît  d'autant  plus  probable,  qu'on 
avait  laissé  entrevoir  aussitôt  après  l'événement  tragique  de  Grévéna. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  patriarcat  a  agi,  semble-t-il,  un  peu  précipi- 
amment  et  sous  le  coup  d'impressions  trop  peu  contenues.  La  vraie 
ituation,  froidement  comprise,  ne  paraît  pas  avoir  été  assez  grave 
our  justifier  de  pareils  coups  de  théâtre.  Pour  recourir  trop  aisément 
ux  mesures  extrêmes,  on  les  fait  déprécier  (i). 


I)  Cette  phrase  a  reçu  encore  ces  jours  derniers  une  confirmation  inattendue.  Le 
endredi  22/9  décembre  191 1,  S.  S.  Joachim  III  donnait  tout  à  coup  sa  démission,  au 
rand  étonnement  universel.  On  n'en  donnait  pas  de  motifs,  on  insinuait  cependant 
n  désaccord  sur  certains  points  avec  le  saint  synode  et  le  Conseil  mixte.  Dès  le  len- 
emain,  la  démission  était  retirée  devant  les  instances,  imprévues,  de  la  nation. 
Ce  sont  là,  en  eflet,  de  vrais  coups  de  théâtre,  au  sens  propre  du  terme. 


78  ÉCHOS    d'orient 


VIH.  La  réponse  officielle. 

Presque  au  moment  même  où  ces  résolutions  étaient  prises,  la  réponse 
officielle  était  enfin  délivrée  par  la  Porte.  Tout  compte  fait,  les  conces 
sions  étaient  exactement  celles  qui  avaient  été  promises  au  mois  d'août 
La  campagne  qui  avait  suivi   n'avait  obtenu   que   la  réponse   écrite.^ 
C'était,  du  reste,  un  grand  point. 

La  lecture  du  ma{bata  impérial  laisse  une  impression  favorable.  Lej 
ministère  fait  preuve  d'une  modération  de  bon  augure.  Les  protesta- 
tions avec  lesquelles  le  Comité  avait  accueilli  les  premières  promesses 
conciliantes  ne  paraissent  pas  l'avoir  trop  ému. 

Satisfaction  complète  est  accordée  aux  chrétientés  pour  la  question 
militaire.  Toutes  les  demandes  qui  s'inspiraient  d'un  sincère  désir 
d'égalité  ont  été  acceptées  par  le  gouvernement.  Et  si  les  dernières, 
touchant  des  exemptions  et  autres  faveurs  particulières,  ont  été  refusées, 
c'est  qu'elles  étaient  contraires  à  cette  égalité.  Les  avantages  dont 
jouissaient  les  musulmans  au  point  de  vue  politique  ou  religieux  sont 
supprimés  ou  concédés  également  aux  chrétiens. 

La  mise  en  pratique  de  ces  mesures  n'ira  pas  sans  de  sérieuses  diffi- 
cultés, cela  est  incontestable.  11  n'en  est  pas  moins  vrai  que  le  seul  fait 
de  les  avoir  admises  prouve  l'intention  de  conserver  une  politique 
fondée  sur  la  reconnaissance  des  nationalités  existantes  et  de  leurs 
situations  diverses. 

Bien  autrement  importante  est  la  question  scolaire. 

Le  ministre  de  l'Instruction  publique  est  beaucoup  moins  libéral  que 
son  confrère  de  la  Guerre.  Si  les  décisions  qu'il  prend  nous  laissent 
bien  en  deçà  des  anciens  projets  radicaux  du  Comité  de  Salonique,  il 
n'entend  pas  cependant  confirmer  aux  communautés  chrétiennes  leur 
indépendance  de  jadis.  11  concède  aux  chefs  spirituels  la  faculté  de  com- 
poser les  programmes,  de  délivrer  eux-mêmes  les  diplômes  aux  élèves 
sortants,  les  certificats  d'aptitude  aux  maîtres,  mais  il  veut  que  ces 
programmes,  diplômes  et  certificats  lui  soient  présentés  et  aient  son 
approbation  ;  il  exige  la  connaissance  de  la  langue  turque  pour  assurer 
à  ces  diplômes  la  même  valeur  qu'à  ceux  des  écoles  publiques  ;  surtout 
il  refuse  d'avertir  préalablement  les  autorités  religieuses  chaque  fois 
que  l'inspecteur  du  gouvernement  devra  visiter  une  école  libre,  el 
entend  trancher  seul  les  conflits  qui  s'élèveront  entre  les  professeur 
et  les  inspecteurs  officiels. 

Qui  pourrait  trouver  ces  prétentions  exagérées,  surtout  de  la  parj 
d'un  Etat  musulman?  La  Commission  patriarcale  orthodoxe  chargé 


d 


LES   CHRÉTIENS    DE   TURQUIE  79 

l'examiner  en  détail  la  réponse  de  la  Porte,  constata  avec  joie  que  la 
plupart  des  désirs,  ceux  surtout  qui  touchaient  de  plus  près  aux  pri- 
vilèges, avaient  été  agréés. 

Le  Phanar,  néanmoins,  décida  d'envoyer  au  ministère  un  nouveau 
akrir,  en  vue  d'obtenir  aussi  l'acceptation  des  autres  points,  non  fort- 
lamentaux  il  est  vrai,  mais  cependant  essentiels.  On  ne  voit  pas  bien  la 
iistinclion.  Il  se  peut  que  le  gouvernement  ne  la  voie  pas  davantage 
t  s'en  tienne  à  sa  réponse. 

Le  ma^hata  impérial  avait  été  délivré  au  milieu  de  novembre.  Deux 
ours  plus  tard,  arrivait  un  ieskéré  du  ministère  annonçant  que  la 
éponse  du  gouvernement  était  une  simple  mesure  administrative  qui 
levait,  pour  avoir  force  de  loi,  être  soumise  au  Corps  législatif.  Cela 
paraissait  d'autant  plus  acceptable  que  les  Grecs  avaient  eux-mêmes, 

Si  3araît-il,  réclamé  au  mois  d'août  un  projet  de  loi.  Mais  à  présent  on 
•edoutait  l'influence  de  la  majorité  jeune-turque,  dévouée  au  Comité. 
1  n'en  coûta  pas  de  se  dédire,  et  l'on  protesta  avec  vigueur.  Grave- 

ilfinent,  le  directeur  de  la  Proodos,  le  23/10  novembre,  écrivait  un  article 
bloquent  pour  prouver  l'incompétence  de  la  Chambre  en  ces  matières. 
Le  grand  vizir  et  ses  collègues  durent  être  flattés  de  se  voir  investis 

t  d'un  droit  divin  dont  étaient  privés  leurs  collègues  les  députés.  Mais 

e  3n  imagine  qu'ils  ne  furent  pas  persuadés. 

Du  reste,  la  juridiction  viendra  peut-être  un  jour  au  Corps  législatif 
lui-même,  si,  comme  beaucoup  l'espèrent  et  quelques-uns  le  croient, 
le  nouveau  parti  libéral  Entente  et  Liberté  fait  des  progrès  au  point  de 
conquérir  la  majorité  au  Parlement. 

F.  Cayré. 

29  décembre  191 1. 


BIBLIOGRAPHIE 


M.  HuBER,  O.  s.  B.,  Die  Wanderlegende  von  den  Siebenschlœfern.  Eine 
literargeschichtliche  Untersuchung.  Leipzig,  Harrassowitz,  1910,  in-8°, 
xx[-574-32  pages.  Prix  :  12  marks. 

Le  R.  P.  Huber  consacre  à  la  légende  des  Sept-Dormants  un  véritable 
travail  de  Bénédictin.  On  en  jugera  par  cette  brève  analyse. 

L'ouvrage  comprend  trois  sections,  plus  un  appendice.  La  première 
section,  traitant  de  la  transmission  littéraire  de  la  légende,  étudie  les  textes 
orientaux  et  occidentaux.  Parmi  les  premiers  se  groupent  les  textes 
syriaques,  arabes  (chrétiens  et  musulmans),  persans,  coptes,  éthiopiens  et 
arméniens.  Dans  la  seconde  catégorie  viennent  les  textes  grecs  et  latins. 

La  deuxième  section  a  pour  objet  le  développement  ultérieur  de  la 
légende,  que  l'auteur  examine  successivement  à  travers  les  écrits  des 
chroniqueurs  du  moyen  âge,  dans  la  liturgie  et  dans  les  monuments, 
puis  à  travers  les  diverses  littératures  nationales  (anglaise,  allemande» 
Scandinave,  française,  italienne,  espagnole,  latine).  Deux  chapitres  spé 
ciaux  sont  réservés,  l'un  à  la  littérature  arabe,  l'autre  à  l'utilisation  de  la 
légende  par  Mahomet. 

Ces  préliminaires  étant  posés,  la  troisième  section  s'occupe  de  l'origine 
de  la  légende.  C'est  sans  contredit  la  partie  la  plus  intéressante  du 
volume.  Dom  Huber  y  recherche  les  attaches  de  cette  légende  avec  certains 
thèmes  analogues  des  littératures  anciennes  et  spécialement  avec  la  litté- 
rature biblique.  Puis  il  se  demande  quelle  est  la  langue  dans  laquelle  elle 
a  pris  corps  pour  la  première  fois.  A  son  avis,  cette  langue  ne  serait  ni 
le  grec  ni  le  syriaque,  mais  bien  le  latin,  représenté  par  le  Cod.  lat. 
2j68  A  de  Paris  (x«  siècle).  Du  latin,  elle  aurait  passé  en  grec,  et  du 
grec  en  syriaque.  La  formation  de  la  légende  se  rattacherait  à  une  décou- 
verte merveilleuse  de  corps  saints  qu'on  aurait  faite  dans  la  région 
d'Ephèse,  et  remonterait  aux  environs  de  l'an  450,  peu  après  la  mort 
de  l'empereur  Théodose  11. 

Ces  conclusions  ne  seront  certainement  pas  admises  de  tous  les  savants, 
et  en  vérité  l'exposé  des  preuves  ne  paraît  pas  de  nature  à  établir  la 
pleine  conviction.  Du  moins,  ce  sera  le  grand  avantage  de  ce  livre  d'avoir 
fourni  amplement  les  matériaux  de  leur  travail  aux  chercheurs  que  ce 
sujet  pourrait  intéresser.  Nous  signalons  spécialement,  à  ce  titre,  le 
recueil  de  textes  grecs,  liturgiques  et  hagiographiques  qu'on  trouver 
colligés,  soit  dans  le  corps  de  l'ouvrage,  soit  dans  l'appendice.  11  y 
cependant  des  oublis  en  ce  qui  a  trait  à  la  liturgie  grecque.  Les  Menées 
avec  leurs  offices  des  Sept  enfants  d'Ephèse,  et  l'Euchologe,  avec   sa 


le 

i 
1 


BIBLIOGRAPHIE 


Prière  des  Sept-Dormants  »,  auraient  pu  fournir  matière  à  un  chapitre 
itéressant. 

La  discussion  de  la  page  461  sur  les  mots  Kapyriouiv  et  XaXxr,oo'jv  aurait 
u  être  moins  laborieuse,  si  l'auteur  s'était  souvenu  de  l'équivalence  des 
eux  noms,  Chalcédoine  ayant  été  originairement  une  colonie  phéni- 
ienne,  et  le  nom  de  la  métropole,  Kap/r.Swv.  ayant  été  légèrement  modifié 
ar  les  Grecs  jen  XaXxY,oajv.  Voir  A.  D.  Mordtmann,  Die  Phœnikier  am 
iosporus,  dans  Bosporus,  Mitteilungen  des  deutschen  Ausjlugs-Vereins 
?.  Albert.  Constantinople,  1907,  p.  35. 

I  S.  Salaville. 

'.  TouRNEBizE,  S.  J.,  Histoire  politique  et  religieuse  de  r Arménie.  Y^SiV'xs, 
A.  Picard,  in-8",  872  pages.  Prix  :  10  francs. 

A  ceux  qui  s'intéressent  aux  Eglises  et  aux  peuples  de  l'Orient,  le 
(.  P.  Tournebize  présente  une  étude  complète  sur  l'histoire  politique  et 
eligieuse  de  l'Arménie  depuis  les  origines  du  peuple  arménien  jusqu'à  la 
lort  de  son  dernier  roi  (iSqS).  Une  bonne  partie  de  l'ouvrage  a  paru  dans 
a  Revue  de  l'Orient  chrétien,  de  1902  à  1908.  Au  fur  et  à  mesure  que  ces 
rticles  étaient  publiés,  une  documentation   nouvelle  et  plus  sérieuse 

permis  à  l'auteur  de  faire  des  rectifications  indispensables.  Il  en  résulte 
ans  la  composition  du  livre  un  désordre  apparent  que  le  Révérend  Père 
econnaît  volontiers.  Malgré  ce  défaut,  dont  la  disparition  eût  demandé 

refonte  à  peu  près  complète  de  l'ouvrage,  l'Histoire  politique  et  reli- 
gieuse de  l'Arménie  n'en  est  pas  moins  une  œuvre  de  valeur,  faite  avec 

plus  grand  souci  de  la  critique,  et  basée  sur  une  multitude  de  docu- 
nents  dont  beaucoup  sont  inabordables  aux  profanes. 

L'auteur  étudie  successivement  l'Arménie  depuis  les  origines  jusqu'à 
a  conversion  au  christianisme,  la  prédication  de  l'Evangile  dans  ce  pays, 
es  vicissitudes  politiques  et  religieuses  depuis  l'abolition  de  la  royauté 
rsacide,  vers  428,  jusqu'à  la  mort  du  dernier  roi  de  la  Petite-Arménie 
iSgS).  Un  dernier  chapitre  est  consacré  aux  dogmes,  à  la  discipline  et  aux 
isages  de  l'Eglise  arménienne,  principalement  au  iv«  et  au  v  siècle.  Une 
xcellente  table  des  matières  permet  de  faire  facilement  les  rectifications 
lécessitées  par  la  manière  dont  le  livre  est  composé.  Enfin,  un  index 
Iphabétique  très  complet  et  trois  cartes,  malheureusement  un  peu 
bscures,  parce  que  manuscrites,  terminent  le  livre.  Nous  souhaitons 
olontiers  à  cette  œuvre  tout  le  succès  qu'elle  mérite  par  sa  documentation 
boudante  et  sa  critique  avisée. 

R.  Janin. 

A.  Ormanian,  l'Eglise  arménienne.   Paris,   Leroux,   1910,    in-8<^,  x-192 
pages. 

Echos  d'Orient,  t.  XV  6 


82  ,  ÉCHOS    d'orient 


Il  nous  serait  difficile  de  faire  les  mêmes  éloges  à  ï Eglise  a}~ménienne 
de  M.s'-  Ormanian,  «  ci-devant  patriarche  arménien-grégorien  de  Constan- 
tinople  »  et  plus  anciennement  encore  moine  antonin  et  catholique.  On 
dirait  que  l'auteur  n'a  eu  pour  but  que  d'accentuer  encore  les  divergences 
qui  divisent  l'Eglise  arménienne  et  l'Eglise  romaine.  Quant  à  la  critique 
historique,  il  en  est  fait  bon  marché  dès  qu'il  s'agit  des  relations  avec  les 
Papes.  Le  livre  est  présenté  par  M.  Bertrand  Bareilles,  pour  qui  les 
dogmes  sont  immuables,  mais  la  doctrine  sujette  à  des  variations  (?). 
Ajoutons  que  cet  ouvrage  a  été  condamné  par  un  décret  de  la  S.  Gong, 
de  l'Index  en  date  du  8  mai  191 1 . 

R.  Janin. 

J.-C.-E.  Falls,  Dret  Jahre  in  der  libyschen  Wiiste.  Fribourg-en-Brisgaij 
Herder,  191 1,  in-8°,  xviii-344  pages.  Prix  :  8  marks  5o. 

Récit  très  vivant  d'une  expédition  scientifique  entreprise  dans  le  déseï 
de  Libye  par  la  mission  de  M^"'  Kaufmann  (mars  iqoS-décembre  1908) 
M.  Falls  ne  se  contente  pas  de  nous  décrire  le  voyage,  il  nous  fait  pai 
des  découvertes  faites  durant  ces  trois  ans.  Il  a  aussi  étudié  la  religion  e 
les  mœurs  des  Bédouins.  Il  consacre  même  une  trentaine  de  pages  à  leur 
chants.  192  photographies,  très  artistiques  pour  la  plupart,  rendent  1 
livre  plus  attrayant  encore.  Un  index  alphabétique  et  deux  cartes  terminer 
l'ouvrage. 

J.  Iannakis. 

Manuel  GÉDÉON,    'E7:t(nri(xa   lyyçaîpa    àvaç£p6[ji.£va    sic  zy.    £yw/.AY,(7[a«7T'.y.à   tjjjlwv 
.  Bixata.Constantinople.  Imprimerie  patriarcale,  1910,  in-8°,viii-i 36  pages. 

L'histoire  des  privilèges  que  le  Phanar  a  obtenus  de  l'empire  turc, 
depuis  la  prise  de  Constantinople,  est  encore  à  faire,  malgré  l'essai 
qu'en  a  tenté  naguère  (1910)  M.  Gédéon,  dans  sa  Bpa/c;a  crYi-j.suoT'.ç  Tisût  tw^ 

sxxX?j(jtaffT'.xwv  Tjfxwv  otxaicov  OU  dans   ses  <ï»àa£'.ç  tou  Tiaç, '7,[j,iv    Ix/.Xr.aiaffTtxou 

CTjTT^fxaToç,  résumé  du  livre  précédent.  Je  n'ai  vu  que  ce  dernier  travail,, 
mais  comme  il  suit  le  premier  pas  à  pas,  il  est  aisé  par  l'un  de  les  juger 
tous  deux. 

Le  grand  archiviste  du  patriarcat  aidera  d'une  manière  très  efficace 
et  beaucoup  plus  sûre  à  composer  cette  histoire  par  la  publication  des 
documents  qui  s'y  rapportent.  C'est  ce  qu'il  fait  en  partie  dans  le  présen 
fascicule,  destiné  à  être  le  supplément  de  la  Bpa/ôTa  G-Y,a£it-)(7i?.  Il  y  don 
en  traduction  grecque  divers  bérats  délivrés  aux  patriarches  et  aux  évêque 
des  lettres  officielles  turques  sanctionnant  les  décisions  communes  de 
l'Eglise  et  de  l'élite  de  la  nation  grçcque,  et  d'autres  documents  officiels 
accordant  divers  droits  à  l'Eglise  orthodoxe.  Malheureusement,  aucur 


1 


BIBLIOGRAPHIE  83 


document  n'est  antérieur  au  xvir"  siècle,  alors  que  les  principaux  privi- 
lèges étaient  déjà  concédés  depuis  près  de  deux  cents  ans. 

Outre  les  explications  d'importance  trèsdiverse  qui  accompagnent  chaque 
pièce,  M.  Gédéon  fait  suivre  sa  liste  de  trois  notices  explicatives.  Dans 
la  deuxième,  il  a  éprouvé  le  besoin  d'insister  lourdement  sur  un  Hatti- 
Chérif  obtenu  de  Mahmout  I",  en  1732,  par  les  orthodoxes  contre  les 
missionnaires  catholiques.  11  aurait  pu  signaler  aussi  un  firman  de  1834 
qui  renouvelle  les  mesures  de  rigueur  de  1732,  mais  ne  pas  oublier  une 
pièce  de  1847  qui  les  abroge. 

F.  Cayré. 

F.  MouRRET,  S.  s.,  l'Eglise  et  le  monde  barbare.  Paris,  Bloud,  1909,  in-8°, 
494  pages.  Prix  :  7  fr.  5o. 

Cet  ouvrage  est  le  premier  volume  paru  d'une  Histoire  générale  de 
l'Eglise  qui  n'en  contiendra  pas  moins  de  huit.  L'auteur  y  étudie  la  première 
période  du  moyen  âge,  de  la  chute  de  l'empire  romain  d'Occident  à  l'an 
mil.  Nous  avons  admiré  l'aisance  avec  laquelle  il  a  su  mettre  en  lumière 
cette  période  de  l'histoire,  somme  toute  si  brillante  et  si  mal  connue,  où 
l'Eglise  forma  les  peuples  barbares,  d'une  manière  si  douce  et  si  ferme  tout 
à  la  fois.  Certains  chapitres  :  Saint  Grégoire  le  Grand,  Charlemagne 
et  l'Eglise,  saint  Nicolas  I",  sont  des  tableaux  animés  où  revivent  les  plus 
glorieux  épisodes  du  haut  moyen  âge.  Tout  en  faisant  l'histoire  intérieure 
ei  extérieure  de  l'Eglise,  M.  Mourret  ne  néglige  pas  le  côté  apologétique, 
et  sa  science  avertie  sera  d'un  grand  secours  dans  la  controverse  historique. 
Nous  avons  été  heureux  de  voir  utiliser,  pour  ce  qui  regarde  l'Orient,  maint 
article  de  notre  revue  et  les  travaux  de  nos  collaborateurs  les  PP.  Pargoire 
et  Vailhé.  La  bibliographie,  du  reste,  est  abondante  et  choisie.  C'est  avec 
joie  que  nous  accueillons  cette  nouvelle  Histoire  générale  de  l'Eglise, 
et  que  nous  lui  souhaitons  le  plus  vif  succès.  Elle  l'aura  mérité,  si  nous 
en  jugeons  par  le  présent  volume. 

R.  Janin. 

Jean  PhOKILIDÈS  '.  XsuatTiTrou  -jrpsaêuTépO'j  'IspoffoXûjxwv  èYxa)[ji.tov  £?ç  tov  "Ay.  Mâp- 
Tupa  Oeoocopov,  Irt  Ss  jcoù  twv  OaufxocTcov  auTOu  [xsptJtïj  otrjyTiffti;.  Extrait  de  la 
Nsa  S'.wv.  Jérusalem,  191 1,  in-8",  vii-22  pages. 

Des  «  nombreux  écrits,  dignes  de  passer  à  la  postérité  »,  que  laissa  Chry- 
sippe,  prêtre  de  Jérusalem,  disciple  de  saint  Euthyme,  au  v*  siècle,  il  ne 
reste  plus  que  quatre  discours.  Deux  sont  connus,  au  moins  dans  leur 
texte  latin  :  ce  sont  une  homélie  sur  l'Annonciation  et  un  panégyrique 
■de  saint  Jean-Baptiste;  les  deux  autres,  panégyriques  de  saint  Michel  et  du 
martyr  saint  Théodore,  n'avaient  pas  encore  été  publiés.  Celui-ci  nous 


84  ÉCHOS  d'orient 


est  parvenu  par  deux  manuscrits  du  x«  siècle,  l'un  de  la  Bibliothèque 
Nationale  de  Paris,  l'autre  de  la  bibliothèque  du  Saint-Sépulcre.  C'est  ce 
dernier  texte  que  M.  Phokilidès  édite  le  premier.  Il  n'a  malheureusement 
pu  le  collationner  avec  celui  de  Paris.  Du  moins  a-t-il  mis  en  note  les 
corrections  qui  lui  ont  paru  nécessaires  ou  utiles. 

Dans  l'introduction,  M.  Phokilidès  raconte  la  vie  de  Chrysippe  et 
donne  quelques  renseignements  bibliographiques  et  critiques  sur  ce  qui 
nous  reste  de  son  œuvre.  Les  éléments  de  cette  étude  ont  été  empruntés 
à  un  travail  bien  autrement  précis  que  le  R.  P.  Vailhé  a  publié  dans  la 
Revue  de  l'Orient  chrétien,  1905,  p.  96  sq. 

F.  Cayré. 

J.  Oquet,  Manuel  de  prières  à  V usage  des  fidèles  du  rite  gt^ec.  Beyrouth. 
Imprimerie  Alsabatt,  1902,  in-32,  xLvi-822  pages.  En  vente  chez  Miche( 
Rahmé,  éditeur,  Beyrouth.  Prix  :  6  francs. 

Sans  avoir  aucune  prétention  scientifique,  cet  élégant  petit  volume  vaut' 
d'être  signalé  à  ceux  de  nos  lecteurs  qui  s'intéressent  à  la  liturgie  byzantine 
et  désirent  la  voir  mieux  connue  en  Occident.  Contribuer  à  réaliser  ce 
désir  est  précisément  un  des  buts  visés  ici  dans  la  traduction  d'un  choix 
de  prières  byzantines  par  l'archimandrite  grec  catholique  Jean  Oquet.  Un 
autre  est  de  rendre  service  aux  Orientaux  fixés  en  Occident  dans  les  pays 
de  langue  française. 

Le  plan  est  à  peu  près  conforme  à  celui  de  nos  si  nombreux  parois- 
siens; mais  l'auteur  a  été  à  bon  droit  préoccupé  de  donner,  même  pour  des 
exercices  généraux,  comme  les  prières  du  matin  et  du  soir,  celles  avant  et 
après  la  confession  ou  la  communion,  etc.,  des  formules  empruntées  à  la 
liturgie  orientale.  Pour  la  messe,  on  ne  nous  ofi're  que  celle  de  saint 
Jean  Chrysostome;  beaucoup  regretteront  qu'on  n'y  ait  pas  ajouté  celles 
de  saint  Basile  et  des  Présan"ctifiés.  La  traduction  d'une  bonne  partie  des 
offices  de  la  Semaine-Sainte  et  de  Pâques  ne  peut  être  que  très  goûtée.  Pour- 
quoi n'y  avoir  pas  joint  le  beau  Canon  de  Noël?  Signalons  une  inté- 
ressante adaptation  du  chemin  de  la  croix  au  rite  byzantin  avec  des 
formules  extraites  de  l'Evangile  et  du  Triodion  ou  livre  des  offices  du 
Carême. 

Malgré  ses  quatorze  pages  d'errata,  qu'une  attentive  correction  des 
épreuves  eût  pu  diminuer  beaucoup,  l'impression  de  ce  Manuel,  avec  ses 
caractères  elzéviriens  et  son  gracieux  encadrement  rouge  à  chaque  page, 
fait  assez  honneur  à  l'imprimerie  syrienne  qui  l'a  produit.  Nous  recom- 
mandons volontiers  ce  petit  livre  aux  nombreux  catholiques  latins, 
prêtres  ou  fidèles,  désireux  d'avoir  à  portée  de  la  main  les  éléments 
essentiels  de  comparaison  entre  la  liturgie  latine  et  la  liturgie  orientale. 

D.  Servière. 


BIBLIOGRAPHIE  85 

r ~ ~ 

^.  Agrain,  Quarante-neuf  Lettres  de  saint  Isidore  de  Péluse.  Edition 
critique  de  l'ancienne  version  latine  contenue  dans  deux  manuscrits 
du  concile  d'Ephèse.  Paris,  A.  Picard,  191 1,  in-8°,  94  pages. 

Le  riche  et  intéressant  recueil  de  lettres  patristiques  connu  sous  le  nom 
de  Synodicon  Casinense  se  trouve  dans  deux  manuscrits,  le  Vatic.  lat.  1 3 19, 
t  le  Gasinensis  2.  Le  public  savant  en  attend  encore  une  édition  critique. 
Parmi  les  pièces  qui  y  sont  contenues,  on  remarque  quarante-neuf  lettres 
de  saint  Isidore  de  Péluse,  que  Lupus,  le  premier  éditeur  du  Synodicon, 
dédaigna  de  publier.  En  lySg,  Mansi  en  édita  treize,  qu'il  tira  du  Vatic. 
lat.  iSig.  Ce  n'est  qu'en  iSyS  que  les  trente-six  autres  virent  le  jour  par 
es  soins  des  Bénédictins  du  Mont-Cassin.  Ayant  remarqué  que  ces  lettres 
se  trouvaient  dispersées  dans  deux  recueils  différents,  que  chacun  de 
ceux-ci  ne  dépendait  que  d'un  seul  manuscrit,  M.  l'abbé  Agrain  a  eu 
'heureuse  inspiration  de  publier  une  édition  critique  de  ces  quarante- 
neuf  lettres.  Précédée  d'une  courte  introduction  sur  l'histoire  du  Synodicon, 
a  vie  et  le  caractère  d'Isidore  de  Péluse,  cette  édition  est  très  soignée  et 
ne  mérite  que  des  éloges.  Elle  nous  fait  souhaiter  que  l'auteur  poursuive 
e  travail  commencé  et  présente  enfin  au  public  le  Synodicon  en  entier 
dans  le  mém^  appareil  que  les  lettres  d'Isidore. 

La  présente  brochure  se  termine  par  deux  appendices.  Le  premier 
donne  le  texte  de  quatre  lettres  de  saint  Isidore  à  saint  Cyrille,  d'après  la 
version  latine  du  Vatic.  lat.  1340;  le  second  fait  connaître  la  suscription 
d'une  lettre  envoyée,  le  i3  août  43 1,  par  un  groupe  d'évêques  résidant  à 
Constantinople  au  concile  d'Ephèse.  Cette  suscription,  qui  se  trouve 
écourtée  dans  Mansi,  a  son  importance.  Elle  nous  révèle  les  noms  de  plu- 
sieurs évêques  inconnus  jusqu'ici.  Ce  sont  :  Entrechios  de  Chio,  Achilliade 
d'Elaea,  Sévère  de  Codula  (?),  Isaïe  de  Panemotichos,  Chrysaphios  d'Apros, 
Jérémie  de  l'ibérie  persane. 

M.  JUGIE. 

C.  DiOBOUNiOTis  et  N.  Beïs,  Hippolyts  Schrift  ûber  die  Segnungen  Jakobs. 
Hippolyts  Daniel  commentar  in  Handschrijt  n°  5j3  des  Meteoron- 
klosters  {Texte  und  Untersuchungen,  t.  XXXVIII,  cah.  i).  Leipzig, 
J.-C.  Hinrichs,  191 1. 

M.  G.-N.  Bonwetsch  publia  en  1904  une  traduction  allemande  de  la 
version  géorgienne  du  commentaire  des  Bénédictions  de  Jacob,  ouvrage 
du  célèbre  théologien  romain,  saint  Hippolyte.  Cette  version  géorgienne 
dépendait  elle-même  d'une  version  arménienne.  Du  texte  grec  original, 
on  ne  possédait  que  des  fragments.  M.  C.  Diobouniotis  a  eu  l'heureuse 
fortune  de  découvrir  ce  texte  en  entier  dans  le  cod.  573  du  couvent  de 
Météora,  et  il  vient  de  l'éditer  dans  tout  l'appareil  critique  désirable 
avec  la  collaboration  de  M.  N.  Beïs. 


86  ÉCHOS  d'orient 


Dans  le  manuscrit  du  Météoron,  qui  remonte  au  x^  siècle,  ce  commen- 
taire est  mis  sous  le  nom  de  saint  Irénée,  évêque  de  Lyon  ;  mais  c'est  une 
fausse  indication.  L'ouvrage  est  bien  d'Hippolyte.  Il  présente  un  véritable 
intérêt  exégétique  et  théologique.  La  Vierge  Marie  y  reçoit  le  nom  de 
ôeoTÔxoç.  Le  mystère  de  l'Incarnation  y  est  exprimé  en  des  formules  dignes 

de  saint  Cyrille  d'Alexandrie  :  y,v  b  Aoyoç  kx.  xapotàç  IlaTobç y,v  oè  to  xaxà 

dàoxa  Itz' iayixx oyv  ex  7cap8evtx-?iç  [X'/^rpaç  xuooopoufxevoç xarà  •:rvcù[ji.a  ysysvvT,- 

[xevo;  xai  xarà  aàpxa,  axe  ori  xat  ©sbç  xai  àv6poj7:oç  cov  (p.  41-42). 

Les  anciens  attribuent  à  saint  Hippolyte  un  autre  petit  commentaire 
«  £tç  Ta;  eûXoy'aç  xou  'Iffaocx  ».  M.  Diobouniotis  estime  que  ce  commentaire] 
doit  être  identifié  avec  celui  qu'il  publie  «  sic  xàç  sùXoyi'a;  toZ  'laxcojî  ».  Le 
même  auteur  croit  aussi  que  le  commentaire  sic  ttiv  révstrtv  d'Hippolyte 
ne  doit  pas  être  distingué  des  trois  écrits  signalés  sous  les  noms  :  eU  ttiv] 
éçaTjfjLspov,  s'tç  xà  [letx  x7]v  àçaVîjXEpov,  et;  xx;  sùXoy'aç  xoïï  'laxoj^.  L'hypothèS( 
est  très  vraisemblable. 

Le  commentaire  d'Hippolyte  sur  le  prophète  Daniel  a  été  édité  en  1897 
par  M.  Achelis.  M.  Diobouniotis  a  trouvé  des  fragments  de  cet  ouvrage 
dans  le  même  manuscrit  SyB  du  Météoron,  et  il  publie  les  variantes 
que  ce  manuscrit  présente  avec  l'édition  d'Achelis.  Quelques-unes  sont 
intéressantes. 

M.  JUGIE. 

C.  Bâcha,  Le  deuxième  centenaire  de  la  fondation  du  monastère  des  reli- 
gieux Basiliens  de  Saint-Sauveur .  Extrait  de  Roma  e  l'Oriente, 
25  mai  191 1.  Grottaferrata,  typographie  italo-orientale  «S.  Nilo  »,  in-8% 
9  pages. 

Ces  quelques  pages,  en  nous  [donnant  une  idée  des  fêtes  qui  se  sont 
déroulées  dernièrement  à  Saint-Sauveur,  du  mois  de  janvier  au  6  août  1911, 
nous  décrivent  les  origines  de  cette  Congrégation  melkite  des  Salvatoriens, 
les  persécutions  auxquelles  elle  a  été  en  butte,  et  les  progrès  qu'elle  a 
réalisés. 

A.  Chappet. 

L.  Andrieux,  La  première  Communion  :  Histoire  et  discipline.  Textes 
et  documents.  Des  origines  au  xx""  siècle.  Paris,  G.  Beauchesne,  191 1, 
in-i6  de  xxxiii-392  pages.  Prix  :  3  fr.  5o.  i 

S'il  est  encore  des  prêtres  —  et  il  est  à  craindre  qu'ils  ne  soient  nom4 
breux  —  qui  hésitent  à  admettre  la  nouvelle  discipline  de  l'Eglise,  au 
sujet  de  la  communion  des  petits  enfants,  je  leur  conseille  vivement  dej 
lire  le  livre  de  M.  l'abbé  L.  Andrieux.  Leur  hésitation  tombera  bien  vite 
et  fera  place  à  la  plus  entière  conviction.  Dans  ce  volume  de  près  die 
400  pages,  l'auteur  montre,  avec  une  richesse  et  une  variété  presque  e.xiu 

I 


BIBLIOGRAPHIE  87 


bérante  de  documents,  ce  que  fut  la  discipline  de  l'Eglise  à  travers  les 
siècles,  touchant  la  communion  des  tout  petits. 

Dès  les  premiers  temps,  jusqu'au  xn«  siècle,  les  enfants  communiaient 
le  jour  môme  de  leur  baptême,  et  cette  coutume  s'est  toujours  conservée 
en  certaines  Eglises  orientales.  Peu  à  peu,  à  cause  des  graves  inconvé- 
nients qui  s'en  suivaient,  on  sépara  la  première  Communion  de  la  céré- 
monie du  baptême. 

Le  IV<=  concile  de  Latran  (121 5)  déclara,  dès  lors,  que  les  enfants 
«  arrivés  à  l'àgc  de  discrétion  »  devaient  se  confesser  et  communier  au 
moins  au  temps  de  Pâques.  C'est  ce  décret,  dont  on  comprend  l'impor- 
tance, que  des  docteurs  et  certains  synodes  provinciaux  essayèrent  d'inter- 
préter plus  ou  moins,  selon  l'esprit  du  concile.  Il  fut  difficile  surtout  de 
s'entendre  sur  le  sens  de  ces  mots  :  ad  annos  discretionis. 

Le  jansénisme  finit  par  avoir  le  dessus  dans  certaines  provinces  chré- 
tiennes, en  France  tout  particulièrement,  et  fit  reculer  la  première  Com- 
munion jusqu'à  douze  et  quinze  ans.  Le  concile  de  Trente,  entre  deux, 
avait  repris  la  thèse  du  IV^  concile  de  Latran;  mais,  en  pratique,  la  plu- 
part des  enfants  ne  communiaient  plus  que  très  tard. 

Enfin,  arriva  le  Décret  libérateur  du  8  août  19 10,  qui  remit  toutes  choses 
en  place,  et  décida  que  l'âge  de  discrétion  requis  pour  la  première  Com- 
munion des  petits  enfants  se  réalise  vers  sept  ans,  plus  ou  moins,  — 
moins  aussi.  —  D'ailleurs,  Pie  X,  par  le  décret  de  la  S.  Congrégation  des 
Sacrements,  ne  condamne  nullement  l'heureuse  habitude  de  la  première 
Communion  solennelle,  telle  qu'elle  a  lieu  en  France. 

Telle  est  la  thèse  développée  d'une  manière  aussi  claire  que  convain- 
cante par  l'abbé  L.  Andrieux.  La  lecture  en  est  facile,  d'autant  plus  que 
l'auteur,  au  lieu  de  se  contenter  de  simples  références,  apporte  toujours 
le  texte  original  du  document. 

On  ne  peut  donc  que  souhaiter  bon  succès  et  grande  diffusion  à  ce 

)lume  précédé  d'une  lettre  si  bienveillante  de  S.  Em.  le  cardinal  Luçon. 

Ch.  Vitel. 

>PHRONIOS  EUSTRATIADÈS,  EùayYÉXtov  Mapia;  ty,;  rTaXaioXoyt'vaç.  Alexandrie, 
Imprimerie  patriarcale,  191 1,  in-8°,  84  pages. 

Dans  cette  petite  brochure,  qui  intéressera  vivement  les  spécialistes, 
M^^''  Sophronios  Eustratiadès,  métropolite  de  Léontopolis,  nous  offre  un 
court  aperçu  sur  le  précieux  manuscrit  de  809  feuillets  qu'il  vient  d'ac- 
quérir. 11  porte  à  la  dernière  page  une  note  importante,  mais  qui  ne  nous 
éclaire  pas  complètement  sur  sa  provenance  :  «  Ce  saint  Evangile  m'a  été 
donné  à  moi,  Fr.  Pierre,  de  l'Ordre  dit  en  Italie  des  Frères  Mineurs, 
actuellement  par  la  grâce  de  Dieu  archevêque  de  Milan,  métropole  de 
Ligurie,  et  alors  évêque  de  Novare;  il  m'a  été  donné  par  Marie,  impéra- 


88  ÉCHOS  d'orient 


trice  des  Romains,  et  Augusta,  appelée  plus  tard  Macaria,  lorsque,  avec; 
son  fils,  l'empereur  des  Romains,  Jean  Paléologue,  elle  vint  à  Ticinium 
de  Ligurie,  :à  l'époque  où  les  Liguriens  avaient  pour  gouverneur  le  duc 
de  Milan,  Jean  Galéaz,  comte  de  Pavie,  en  l'an  1392.  » 

Le  distingué  métropolite  eût  voulu  résoudre  un  problème  qui  naît  de 
cette  inscription  finale  et  certainement  postérieure  au  manuscrit.  Quelle 
est  cette  Marie  dont  il  est  ici  question,  et  quelles  sont  les  origines  de  ce 
codex?  Il  s'en  remet  pour  la  réponse  aux  recherches  des  spécialistes.  Le 
contenu  de  cet  évangéliaire,  qu'il  pense  être  du  xii^  siècle,  et  dont  il  nou 
met  sous  les  yeux  les  grandes  divisions,  est  ainsi  réparti  :  i"  prologues  de 
saint  Jérôme  à  chacun  des  Evangiles;  2°  quand  et  dans  quel  ordre  lire  les 
quatre  Evangiles?  3"  ménologe  indiquant  les  passages  des  différents 
évangélistes  pour  chaque  jour,  depuis  septembre  jusqu'à  la  fin  d'août; 
4°  Evangiles  pour  le  commun  des  saints  et  pour  diverses  circonstances. 
M.«'  Sophronios  termine  son  étude  en  relevant  les  nombreuses  variantes 
du  texte  officiel  de  la  Grande  Eglise,  comparé  avec  le  manuscrit. 

Attendons  que  la  critique  ait  examiné  à  loisir  ce  document.  Peut-être 
le  trouvera-t-elle  plus  ancien  encore  que  ne  le  croit  notre  auteur.  Peut-être 
aussi  découvrira-t-elle  quelle  était  l'Eglise  particulière  qui  avait  distribué 
les  péricopes  évangéliques  d'une  manière  tout  autre  que  dans  les  livres 
actuels.  A.  Chappet. 

NlCOS  BÉIS.  'Avayvwffefç  x.où  xaraTà^eiç  êuÇavrtvtov  [xoXuêooêouXXojv.  Extrait  de 
la  revue  A'.sOvr,;  'Etp-iqixeptç  tt;;  No[Ji,t(7(x.aTtXT,;  'ApyatoXoyia;.  Athènes,  1911, 
imprimerie  de  T'Earta,  in-8°,  24  pages. 

M.  Nicos  Béis,  dans  cette  publication,  nous  présente  vingt-neuf  sceaux 
byzantins  récemment  découverts,  et  que  de  savants  sigillographes,  sur- 
tout MM.  Schlumberger  et  Mordtmann,  ont  déjà  signalés  et  en  partie 
examinés.  Il  apporte  lui  aussi  son  précieux  contingent  à  cette  critique. 
Connaissant  son  érudition  et  sa  compétence,  nous  ne  pouvons  que  nous 
fier  à  lui  pour  les  inscriptions  qu'il  restitue  dans  leur  véritable  texte  pri- 
mitif, et  pour  les  dates  qu'il  fixe  avec  précision. 

Remarquons  dans  ce  catalogue  l'inscription  curieuse  que  l'on  rencontre 
assez  souvent,  et  qui  est  un  titre  de  la  Vierge  :  y]  Iv  Oùpavoïç,  Celle  qui  est 
au  ciel.  C'est  évidemment  une  allusion  au  vocable  d'un  ancien  monastère 
de  Constantinople,  situé  du  côté  d'Edirné-Kapou. 

A.  Chappet. 

A. -T.  DuMiTRESCU,  Relation  sur  les  ruines  de  la  colonie  Romula  de 
Dacie.  Bucarest,  Sococ,  1910,  in-8%  12  pages. 

Cette  notice,  extraite  de  la  Revue  de  Roumanie,  indique  le  résultat  des 
fouilles  entreprises  depuis  quelques  années  à  Resca,  où  l'auteur  a  trouvé 


■ 


BIBLIOGRAPHIE  89 


des  monuments  remontant  à  l'époque  de  Galère  et  des  tombeaux  chré- 
tiens. Quatre  photographies  d'objets  antiques  illustrent  la  notice. 

J.  Iannakis. 

R.  P.  Jean-Baptiste  de  San-Lorenzo,  O.  M.  C,  Saint  Polycarpe  et  son 
tombeau  sur  le  Pagus;  notice  sur  la  ville  de  Smyrne.  Constantinople, 
Loeffler,  1911,  in-12,  xii-354-ivpages.  Prix:  3  fr.  5o. 

Sur  les  trois  cent  cinquante-quatre  pages  que  contient  cet  ouvrage, 
l'auteur  a  réussi  à  en  consacrer  une  centaine  à  la  vie  de  saint  Polycarpe. 
Ce  n'est  pas  un  mince  mérite,  car,  en  dehors  de  la  lettre  circulaire  de 
l'Eglise  de  Smyrne  et  de  quelques  faits  rapportés  par  des  auteurs  divers, 
il  ne  possédait  guère  sur  saint  Polycarpe  qu'une  biographie  assez  tardive 
écrite  au  iv«  siècle  par  un  certain  Pionius.  Ce  dernier  document,  traduit 
ici  dans  son  entier,  nous  fait  assister,  à  la  fin  du  premier  siècle,  à  une 
ordination  régulière  et  à  d'autres  cérémonies,  telles  qu'elles  se  pratiquèrent 
deux  ou  trois  siècles  plus  tard.  Nous  y  entendons  aussi  l'écho  des  prédi- 
'\  cations  de  saint  Polycarpe,  que  Pionius  aura  sans  doute  recueilli  dans 
son  imagination.  Ne  manque-t-elle  pas  un  peu  de  critique,  la  méthode 
qui  se  borne  à  une  simple  juxtaposition  de  documents,  d'origine  et  de 
mérite  aussi  variés  ? 

Le  R.  P.  Jean-Baptiste  a  été  plus  heureux  dans  l'histoire  de  la  ville  de 
Smyrne,  à  laquelle  il  consacre  une  bonne  partie  de  son  ouvrage.  Il  y  a 
joint  des  détails  fort  intéressants  sur  les  fouilles  que  les  Révérends  Pères 
Capucins  ont  pratiquées  dans  leur  jardin  du  Mont  Pagus,  avec  l'espoir 
d'y  retrouver  le  tombeau  de  saint  Polycarpe;  il  y  a  joint  aussi  une  notice 
sur  les  églises  catholiques  et  les  établissements  religieux  à  Smyrne  et 
dans  la  banlieue.  Trente-deux  illustrations  hors  texte,  parmi  lesquelles 
nous  avons  été  quelque  peu  étonné  de  trouver  le  portrait  de  l'auteur, 
agrémentent  le  livre.  Le  R.  P.  Jean-Baptiste  est-il  bien  sûr  que  le  tableau 
d'Azambre,  reproduit  à  la  page  59,  représente  «  l'ordination  de  saint 
Polycarpe  »?  Regrettons,  en  terminant,  l'abondance  des  erreurs  typogra- 
phiques. 

Malgré  ces  quelques  défauts,  l'ouvrage  contribuera  certainement  à 
augmenter  le  culte  de  saint  Polycarpe,  notamment  chez  les  fidèles  de 
Smyrne,  pour  qui  il  est  plus  spécialement  écrit. 

R.  Janin. 

T.  Savio,  s.  J.  I.  La  questione  del  papa  Liberio.  Rome,  F.  Pustet,  1907, 
in-i2,  218  pages.  Prix:  i  fr.  60.  —  2.  Nuovi  studi  sulla  questione  di 
papa  Liberio.  Rome,  F.  Pustet,  1909,  in- 12,  127  pages.  Prix  :  i  fr.  20. 

s      —  3.   Punti  controversi  nella  questione  del  papa  Liberio.   Rome, 

é      F.  Pustet,  191 1,  in-i2,  156  pages.  Prix  :  i  fr.  20. 


90  ÉCHOS    D  ORIENT 


Le  R.  P.  Savio  nous  avertit  que  ces  trois  brochures,  dont  la  première 
fait  partie  de  la  collection  Fede  e  Scien^a,  de  la  maison  Pastet,  sont,  en 
somme,  des  tirages  à  part  d'articles  parus  dans  la  Civiltà  cattolica.  La 
seconde,  motivée  par  un  article  défavorable  au  pape  Libère  inséré  par 
Me--  Duchesne  dans  les  Mélanges  d'archéologie  et  d'histoire  publiés  par 
l'Ecole  française  de  Rome,  t.  XXVIII,  1908,  p.  32-78,  reprend  et  renforce 
la  démonstration  de  l'opuscule  précédent.  Dans  les  Punti  controversi,  le 
docte  Jésuite  ne  revient  que  sur  l'inscription  sépulcrale  de  Libère,  la  date 
de  son  exil,  'e  fragment  de  saint  Hilaire  et  le  récit  de  Sozomène.  Il  termine 
ce  troisième  opuscule  par  deux  courtes  notes  supplémentaires  et  deu^ 
brefs  appendices.  La  plupart  des  documents  concernant  la  question  libé- 
rienne sont  ajoutés  au  premier  travail.  Les  lettres  attribuées  à  Libère 
figurent  à  la  fin  des  Nuovi  studi  sulla  questione  del  papa  Liberio. 

Le  P.  Savio  n'hésite  pas  à  dire,  dès  l'entrée  en  matière,  qu'il  se  propose 
de  plaider  (en  bonne  et  due  forme  scientifique,  bi  n  entendu)  en  faveur 
de  l'innocence  du  pape  Libère.  On  sait  les  deux  questions  principales 
que  comporte  ce  problème  historique:  i.  Le  Pontife  incriminé  a-t-il, 
TJEDio  viCTus  ExiLii,  sacrifié  à  Sirmium  le  terme  b]x.oo\i<sio(;,  abandonnant 
ainsi,  en  partie  du  moins,  la  cause  de  saint  Athanase?2.  S'est-il  humilié 
à  tel  point  devant  les  Eusébiens  que,  pour  obtenir  leur  recommandation 
auprès  de  l'empereur  Constance,  il  leur  aurait  écrit  les  quatre  lettres 
flatteuses  qu  on  lui  attJ^ibue?  A  ces  deux  questions,  l'auteur  des  brochures 
que  nous  analysons  répond  hardiment  d'une  manière  négative. 

Et  d'abord,  que  Libère  n'ait  capitulé  en  rien  à  Sirmium,  malgré  l'aflSr- 
mation  contraire  prêtée  à  saint  Athanase  et  à  saint  Jérôme,  malgré  le  récit 
de  l'arien  Philostorge  et  celui  de  Sozomène,  malgré  enfin  toute  ane  tra- 
dition formée  un  siècle  à  peine  après  la  mort  de  ce  pape,  le  Révérend  Père 
en  trouve  un  premier  groupe  de  preuves  dans  l'inauthenticité,  à  son  avis 
évidente,  des  lettres  de  saint  Athanase  et  de  saint  Jérôme,  et  la  dépen- 
dance non  moins  évidente  de  Sozomène  à  l'égard  de  Philostorge.  Un 
second  groupe  de  preuves  que  le  P.  Savio  estime  favorables  au  Pontife 
sont,  d'une  part,  l'attitude  toujours  hostile  de  Constance  envers  lui,  et 
l'accueil  sympathique  et  enthousiaste  que  les  Romains  lui  ménagèrent  à 
son  retour  de  l'exil;  de  l'autre,  la  condamnation  par  Libère  du  concile 
semi-arien  réuni  à  Rimini  peu  après  son  retour,  la  profession  de  foi  net- 
tement antieusébienne  exigée  par  lui  des  évéques  qui  avaient  faibli  à 
Rimini,  et  dont  aucun  ne  songea  un  instant  à  lui  reprocher  sa  propre 
conduite  à  Sirmium.  Enfin,  l'inscription  élogieuse  placée  sur  son  tombea 
et  où  sont  célébrées  à  l'envi  la  sainteté  et  l'orthodoxie  de  sa  vie,  plaiderai 
elle  aussi,  en  faveur  du  pape  Libère. 

Quant  aux  fameuses  lettres  libériennes  (cf.  Duchesne,  Histoire  ancien 
de  l'Eglise,  t.  II,  p.  35i),  leur  contenu  semble  au  P.  Savio  trop  manife 
tement  opposé  à  toute  la  conduite  de  Libère  pour  lui  être  attribuées. 


BIBLIOGRAPHIE  <-)\ 


Notons  toutefois  que,  malgré  la  persuasion  pleine  et  entière  où  il  est  de 
1  vérité  de  sa  thèse,  le  P.  Savio  ne  se  fait  aucune  illusion.  Il  sait  que  sa 
lanière  de  voir  paraîtra  à  plusieurs  une  attitude  «  singulière,  et  plutôt 
effet  d'un  pieux  enthousiasme  qu'une  conviction  critique  ».  Il  avoue 
léme  que  les  conclusions  auxquelles  est  arrivé  M.^'  Duchesne  sont  une 
reuve  des  difficultés  inhérentes  à  la  question  libérienne.  De  fait,  les  râl- 
ons présentées  ne  sont  pas  toutes  sans  réplique,  spécialement  celle  de 
inscription  sépulcrale  que  Mommsen  pensait  avoir  été  écrite  en  faveur 
u 'pape  Félix  11,  tandis  que  Funk  la  disait  composée  en  l'honneur  de 
aint  Martin  I«''.  A  propos  de  la  partie  du  travail  du  savant  Jésuite  rela- 
ve à  cette  inscription,  le  R.  P.  Hurter  souhaitait  une  démonstration 
lus  probante  que  celle  de  l'opuscule  sur  La  quesiione  del  papa  Libéria. 

Aussi,  en  présence  des  incertitudes  qu'offre  au  savant,  non  certes  la 
lèse  de  l'authenticité  des  lettres  qu'il  nous  semble  impossible  d'attribuer 
îlles  quelles  à  Libère,  mais  la  question  générale  de  savoir  si  ce  dernier 
'a  rien,  fait  de  blâmable  pour  obtenir  son  retour  à  Rome,  d'aucuns  pré- 
^reront  observer  la  réserve  prudente  de  Rufin.  Ils  se  contenteront,  par 
uite,  de  dire  aux  adversaires  de  l'Eglise  que,  devant  ce  problème  histo- 
ique,  l'esprit  demeure  obsédé  par  certains  doutes,  mais  qu'il  n'a  aucune 
Teuve  évidente  pour  les  résoudre  contre  Libère.  Le  P.  Savio  n'éprouve 
ucune  hésitation  à  se  prononcer,  et  nous  estimons  que  son  état  d'esprit 
st  parfaitement  respectable.  Nous  aurions  seulement  mieux  aimé  le  voir 
dopter,  dans  la  détense  de  son  opinion,  non  le  procédé  du  panégyrique, 
nais  plutôt  celui  de  la  méthode  froide  et  austère  préférée  par  la  critique 
listorique.  Nous  disons  à  dessein  :  pj'é/érée,  car  si  nous  croyons  que  la 
léthode  apologétique  provoque  la  défiance  de  la  part  du  lecteur  et  ne 
trémunit  pas  toujours  contre  les  écarts  du  sentiment,  nous  n'allons  pas 
usqu'à  prétendre  qu'elle  est  inconciliable  avec  la  critique  et  que,  pour 
'avoir  suivie,  l'éminent  religieux  n'ait  péché  en  rien  contre  le  code  scien- 
ifique. 

A.  Catoire. 

UG.  Mangenot,  les  Evangiles  synoptiques,  conférences  apologétiques 
faites  à  l'Institut  catholique  de  Paris.  Paris,  Letouzey  et  Ané,  191 1, 
in-i2,  vi-472  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

«  Ces  conférences  portent  sur  les  Evangiles  synoptiques.  Elles  visent  le 
)lus  souvent  les  erreurs  que  M.  Loisy  a  soutenues  récemment  dans  son 
norme  commentaire.  »  (P.  v.)  «  C'est,  en  effet,  dans  le  but  apologétique 
le  discuter  et  de  critiquer  les  erreurs  systématiques  de  cet  auteur  sur  les 
évangiles  synoptiques  »,  qu'on  a  demandé  à  M.  Mangenot  cette  série  de 
eçons,  et  qu'il  les  a  préparées  (p.  26).  . 

Il  se  place  évidemment  sur  le  terrain  où  se  meuvent  ses  adversaires,  et 


92  ÉCHOS    d'orient 


envisage  le  problème  sous  le  double  rapport  de  la  critique  à  la  fois  litté- 
raire et  historique,  tel  qu'il  se  pose  depuis  1901  et  tel  que  le  présente 
M.  Loisy. 

M.  Mangenot  a  su  éviter  les  écueils  des  œuvres  de  vulgarisation.  Il  s'est 
attaché  aux  seuls  points  essentiels,  afin  de  rester  toujours  à  la  portée  de 
son  auditoire,  mais  il  a  su  n'être  pas  superficiel  en  donnant  à  ses  confé- 
rences la  forme  de  traités  didactiques  et  serrés,  dont  la  valeur  nous  est 
garantie  par  la  compétence  reconnue  de  l'éminent  professeur  de  l'Institut 
catholique  de  Paris. 

Les  deux  premières,  étudiant  la  tradition  évangélique,  sa  formation 
réelle  et  les  facteurs  prétendus  de  son  élaboration,  la  rédaction  et  la 
valeur  historique  des  synoptiques,  m'ont  paru  avoir  un  intérêt  plus 
grand  que  les  autres,  à  cause  de  leur  caractère  général.  J'y  signalerai 
comme  spécialement  digne  de  remarque  la  fin  de  la  deuxième  conférence. 
Après  avoir  réprouvé  les  excès  des  exégètes  modernistes,  l'auteur  y  signale, 
avec  une  grande  largeur  de  vues,  ce  qui  peut  et  doit  être  accepté  dans  leuiÉj 
système.  Il  prouve  que  les  mots  de  rédactionnel  et  de  secondaire  n'ont^ 
rien  de  rationaliste,  s'ils  sont  pris  dans  leur  vrai  sens. 

Suivant  pas  à  pas  son  adversaire,  M.  Mangenot  étudie  tour  à  tour 
dans  les  autres  leçons  la  conception  virginale  de  Jésus,  le  théâtre,  la 
durée,  les  obstacles  et  le  développement  de  son  ministère  public,  ses 
miracles,  la  forme  de  son  enseignement,  le  témoignage  de  Jésus  sur  sa 
mission  et  sa  personne,  le  procès  et  la  mort  rédemptrice  de  Jésus,  sa  résur- 
rection. 

«  Pour  former  un  volume  suffisamment  rempli,  on  a  ajouté  en  appen- 
dice deux  études  sur  le  même  objet,  qui  ont  déjà  paru  daus  la  Revue  du 
Clergé  français  :  le  paulinisme  de  Marc,  et  un  soi-disant  antécédent  juif 
de  l'Eucharistie.  »  (P.  vi.) 

M.  Lacroix. 

DlM.    ŒCONOMIDÈS,   Se^afTTOTTOuXetoç  àyojv,   sxôscrtç   tT|Ç   àyojvootxou    £7riTp07r£taç 

Constantinople,  191 1,  imprimerie  patriarcale,  in-8°,  24  pages. 

Prononcé  à  la  grande  Ecole  nationale  du  Phanar,  à  l'occasion  du  con- 
cours dû  à  l'initiative  de  M.  Sébastopoulos,  ce  discours  sur  la  nécessité 
de  la  langue  relevée  et  de  la  culture  classique  défend,  avec  une  légère 
pointe  d'emphase,  ce  qui  me  paraît  être  la  cause  du  bon  sens.  Mais  c'esfc 

F.  Cayré. 


une  exagération  de  vouloir  revenir  au  grec  ancien  ^ 


F.  W.  Groves  Campbell,  A  Little  Orthodox  Manual  of  prayers  of  th 
Holy  Orthodox  catholic  Church.  Londres,  191 1,  The  Century  Press 
in-i6,  x-148  pages.  Prix:  2  shellings. 


BIBLIOGRAPHIE  93 


L'auteur  nous  donne  lui-même  la  raison  qui  l'a  porté  à  composer  ce 
petit  euchologe  :  «  Le  besoin  s'est  tait  sentir  d'un  manuel  léger,  contenant 
la  traduction  en  anglais  de  la  messe  grecque  pour  l'usage  pratique  des 
fidèles  orthodoxes.  » 

Et,  de  fait,  on  peut  juger  de  l'utilité  de  ce  livre  par  le  simple  exposé  de 
son  contenu  :  liturgie  desaint  Jean  Chrysostome,  apolytikia  des  dimanches, 
antiennes  des  grandes  fêles,  trisagion  des  morts,  acolouthia  de  la  confes- 
sion et  de  la  communion,  compiles  de  chaque  jour,  tropaires  tirés  de  dif- 
férents offices  et  rendus  en  vers  anglais. 

Ce  manuel  sera  donc  très  avantageux  non  seulement  aux  Hellènes 
domiciliés  en  Grande-Bretagne,  mais  encore  à  tout  chrétien  de  langue 
anglaise  désireux  de  se  familiariser  avec  la  liturgie  byzantine  ou  d'ali- 
menter sa  dévotion  par  quelques-unes  de  ses  belles  prières. 

Nous  félicitons  en  particulier  le  traducteur  d'avoir  inséré  dans  ce  recueil 
des  oraisons  on  ne  peut  mieux  choisies,  extraites  des  livres  liturgiques, 
pour  servir  d'actes  avant  et  après  la  confession,  avant  et  après  la  com- 
munion. A.  Chappet. 

F.-J.  BoNNASSiEUX,  les  Evangiles  synoptiques  de  saint  Hilaire  de  Poi- 
tiers. Lyon,  E.  Vitte,  1906,  in-12,  128  pages. 

«  Cette  étude  a  pour  objet  immédiat  et  direct  d'éclaircir  un  point  d'his- 
toire de  la  vieille  version  latine.  » 

Elle  s'adresse  surtout  aux  spécialistes  de  profession,  et  les  savants  sus- 
ceptibles, s'il  y  en  a,  pourraient  bien  se  froisser  de  voir  consacrer,  à  les 
mettre  au  courant  d'une  question  dont  ils  savent  tous  les  secrets,  une 
longue  introduction  qui  forme  à  elle  seule  presque  la  moitié  du  texte  de 
l'ouvrage,  et  dans  laquelle  je  signalerai,  au  point  de  vue  qui  intéresse  les 
Echos  d'Orient^  les  six  pages  consacrées  aux  groupes  syrien  et  alexandrin. 

Mais  M.  Bonnassieux  a  pensé  aux  novices,  et  il  a  eu  raison;  cela  lui 
a  permis  de  bien  préciser  la  position  qu'il  prend  «  dans  l'ensemble  du 
problème  ». 

Les  érudits  amis  des  statistiques  et  des  collations  de  textes  se  trouve- 
ront amplement  dédommagés  dans  le  cours  de  ce  travail  sérieux  et  solide, 
qui  a  certainement  exigé  de  l'auteur  «  un  effort  constant,  une  exactitude 
rigoureuse,  une  attention  sans  défaillance.  »  Ajouterai-je  que  la  lecture 
ne  demande  pas  moins  d'attention  ni  moins  d'effort? 

Mais  on  est  bien  récompensé  par  les  conclusions  auxquelles  on  est 
amené,  et  qui  sont  en  opposition  avec  certaines  affirmations  communé- 
ment admises.  Les  voici  :  il  est  certain  que  le  texte  latin  dont  se  servit 
saint  Hilaire  n'était  ni  européen,  ni  italien,  ni  africain,  mais  irlandais; 
par  suite,  il  faut  étendre  bien  au  delà  de  Tours  l'influence  du  texte  irlan- 
dais, et  cela  dès  le  début  du  iv  siècle;  enfin  il  semble  qu'il  faut  regarder 


94  ÉCHOS  d'orient 


la  recension  irlandaise  comme  entièrement  indépendante  du  groupe  euro 
péen.  M.  Lacroix. 

Georges  Brézol,  les  Turcs  ont  passé  là.  Recueil  de  documents,  dos 
siers,  rapports,  requêtes,  protestations,  suppliques  et  enquêtes  établis 
sant  la  vérité  sur  les  massacres  d'Adana  de  igog.  Lettre-préface  d 
Pierre  Sales.  Un  vol.  in-8°  de  400  pages,  trois  portraits,  une  carte 
Prix  :  5  fr.  5o.  En  vente  chez  l'auteur,  66,  boulevard  Ornano,  Paris,  190c 

Les  sous-titres  de  ce  livre  indiquent  dans  le  détail  tout  ce  qu'il  contient. 
A  ne  lire  que  la  préface  de  Pierre  Sales,  on  croirait  que  l'avènement  du 
gouvernement  jeune-turc  a  mis  fin  pour  toujours  aux  scènes  de  massacre 
qui  avaient  si  souvent  déshonoré  l'Ancien  Régime,  mais  on  a  une  impres- 
sion bien  différente  quand  on  lit  l'introduction  qui  suit  immédiatement 
la  préface,  et  qui  retrace  en  quelques  mots  les  horreurs  des  massacres  de 
Cilicie  en  1909,  massacres  qui  suivirent  de  si  près  l'établissement  du 
régime  constitutionnel  en  Turquie. 

Quant  au  livra  lui-même,  c'est  un  recueil  de  documents  avec  quelques 
lignes  pour  expliquer  l'origine  ou  aider  à  saisir  le  sens  de  chacun  d'eux, 
tout  juste  de  quoi  mettre  le  lecteur  au  courant.  L'auteur  a  voulu  laisser 
ces  lettres,  rapports,  résultats  d'enquête,  etc.,  parler  eux-mêmes,  dans  leur 
émouvante  simplicité,  et  retracer  les  souffrances  physiques  et  morales 
des  malheureux  Arméniens  pendant  ces  horribles  journées. 

En  appendice,  nous  lisons  une  grande  partie  du  discours  de  M.  Frédéric 
Masson,  prononcé  le  8  décembre  1910  à  l'Académie  française,  qui  attri- 
buait plusieurs  de  ses  prix  à  des  Français  qui  s'étaient  signalés  par  leur 
héroïque  dévouement  pendant  ces  massacres. 

Que  faut-il  penser  des  renseignements  fournis  par  ce  livre  et  des  conclu- 
sions qu'en  tire  l'auteur?  Question  pour  le  moins  délicate.  On  ne  peut 
douter  un  seul  instant  de  la  stricte  authenticité  de  ces  documents  signés 
par  des  personnages  trop  connus;  mais,  pour  apprécier  de  pareils  événe- 
ments à  leur  juste  valeur  (appréciation  qui  d'ailleurs  ne  diminuerait  en 
rien  la  responsabilité  écrasante  d'un  gouvernement  dont  le  devoir  était  de 
prévoir  et  d'empêcher  ces  massacres),  il  faudrait  une  étude  critique,  com- 
plète et  impartiale  des  événements  de  Cilicie.  Le  mérite  de  ce  livre  est 
d'en  avoir  fourni  les  éléments.  A.  Trannoy. 

J.  LiNDER,  S.  J.,  Die  Heilige  Schrift  fiir  das  Volk  erklœrt.  Geschichie 
des  Allen  Bundes,  fasc.  1  et  II.  Klagenfurt,  St  Josef-Vereinsbuchdruckerei, 
in-4'',  354  pages. 

Le  but  que  se  propose  l'auteur  est  de  faire  connaître  et  aimer  du  peuple 
les  Saintes  Ecritures.  Dans  ces  deux  premiers  fascicules,  il  étudie  l'histoire 


^1 


BIBLIOGRAPHIE  9^ 


du  monde  depuis  la  création  jusqu'à  l'alliance  solennelle  conclue  par 
Dieu  avec  Abraham.  Il  n'a  pas  craint  de  répondre  aux  objections  si 
souvent  opposées  aux  récits  de  la  Bible,  et  en  particulier  à  celui  de  la 
création.  Il  fait  servir  les  conclusions  des  sciences  modernes,  histoire, 
archéologie,  géologie,  etc.,  à  la  défense  des  Saints  Livres.  Une  illus- 
tration abondante  et  choisie  fait  encore  mieux  saisir  les  explications  et 
donne  un  attrait  de  plus  à  l'ouvrage.  J.  Iannakis. 


LIVRES  REÇUS  A  LA  RÉDACTION 

La  plupart  de  ces  ouvrages 
seront  l'objet  d'un  compte  rendu  dans  une  des  prochaines  livraisons  de  la  Revue. 

J,  LoNGNON,  Chronique  de  Morée  {i 204-1 3o5j,  publiée  par  la  Société  de 
l'Histoire  de  France.  Paris,  H.  Laurens,  1911,  in-8°,  cxx-432  pages,  avec  une 
carte.  Prix  :  9  francs.  ' 

F.  Chalandon,  Les  Comnène.  Etude  sui'  l'empire  byzantin  aux  xi^  et 
xii*^  siècles.  II,  Jean  II  Comnène  {i  i  [8-1 143),  et  Manuel  I  Comnènefi  143-1 1 80). 
Paris,  Picard,  19 12,  in-8'%  XLv-709  pages,  2  planches.  Prix  :  20  francs. 

H.  Freiherrn  von  K.utschera,  Die  Chasaren.  Historische  Studie,  Ein 
Xachlass,  2.  Auflage.  Vienne,  A.  Holzhausen,  1910,  in-8°,  271  pages. 

N.   G.    Polîtes,    'Ellr^'uv-ri    pig/.iovpacpia.    KariAoyo;  twv    èv    'E>.),3:&:   r,    ûtiô    'EXAr^vrov 

à/.).axov  àxôoOévTwv  ptê/t'wv  àizo  toû  ïto-j;  1907,  t.  IL  Athènes,  Sakellarios,  191 1, 
p.  139-612. 

E.  Legrand,  Bibliographie  ionienne.  Description  raisonnée  des  ouvrages 
publiés  par  les  Grecs  des  Sept-Iles  ou  concernant  ces  Iles,  du  x\^  siècle  à 
l'année  igoo.  Œuvre  posthume  complétée  et  publiée  par  H.  Pernot  (Publica- 
tions de  l'École  des  langues    orientales  vivantes).  Paris,   Leroux,    19 10,  in-8", 

-860  pages. 

Ernst  Edler  von  der  Planitz,  Ein  Jugendfreund  Jesu.  Brief  des œgyptischen 

*Ar\tes  Benan  aus  der  Zeit  Domitians,  nach  dem  griechischen  Urtext  und  der 

i^spœteren  koptischen  Ueberarbeitung  herausgegeben.  Berlin,  A.  Piehler,  191 1, 

-16,  134  pages. 

rpriY(5pto;  IlaTtajuxar,)-,  'O  àyio;  rpriYop;o;  llaAajj.x;.  Alexandrie,  Rédaction  du 
^hare  ecclésiastique,  191 1.  In-8°,  v(tt'-238-xi  pages.  Prix  :  5  francs. 

A.  Spaldak,  De  remissione  et  retentione  peccatorum  in  sacramcnto  pœni- 
]entiœ.     Tractatus    dogmaticus.    Prague,     Imprimerie    archiépiscopale,    191 1. 

■8",  3oo  pages. 

X.-M.    Le    Bachelet,    Bellarmin    et    la    Bible    sixto-clémentine.    Étude  et 

>cu>nents  inédits.  Paris,  G.  Beauchesne,  1911.  In-S°,  xv-210  pages.  Prix  :  5  francs. 

A.  Jasek.,  Was  ist  die  Cyrillo-Methode'ische  Idée  .^  Velehrad,  M.  Melicharek, 
911.  In- 12,  82  pages. 

A.  d'Alès,  Dictionnaire  apologétique  de  la  Foi  catholique,  fasc.  VII  :  Fin 

\stifie  les  moyens?  —  Gouvernement  ecclésiastique.   Paris,  G.   Beauchesne, 

1 1.  Prix  :  5  francs. 


c)6  ÉCHOS  d'orient 


N.N.  Gloubois:ovsk.ij,  Bogoslovckaija  Entsiclopedija.  Saint-Pétersbourg,  igii, 
t.  XII  :  Knighi  symboliceskiJa-Konstantinopol.  In-8°,  xr-982  colonnes. 

Emile  de  Backer,  Sacramentum  :  Le  mot  et  l'idée  représentée  par  lui 
dans  les  œuvres  de  Tertullien.  Paris,  A.  Picard,  191 1.  In-8°,  xix-392  pages. 
Prix  :  8  francs. 

P,  A.  SvÈTLOv,  Khrianstianskoe  vèrooucenie  v  apologeticeskom  i^logenij. 
Kiev,  Koul'genko,  1910.  In-8^  xxiii-721  pages. 

JoANNES  B.  AuFHAUSER,  Die  Heilslehre  des  hl.  Gregor  von  Nyssa.  Munich, 
E.  Stahl,  19 10.  In-8°,  216  pages. 

L.  Andrieux,  la  Primauté  romaine  et  le  clergé  oriental  au  vn"  siècle  {5go-y  1 5). 
Le  Puy,  A.  Prades-Freydier,  igoS.  In-S",  i5o  pages. 

J.  V.  Bainvel,  la  Dévotion  au  Sacré  Cœur  de  Jésus.  Doctrine.  Histoire. 
Troisième  édition,  considérablement  augmentée.  Paris,  G.  Beauciiesne,  191 1. 
In- 16,  x-498  pages.  Prix  :  4  francs. 

J.  ScHWEisER,  Ambrosius  Catharinus  Politus.  Sein  Leben  und  seine  Schriften. 
Munster,  Aschendorf,  1910.  In-8",  xvi-3o8  pages.  Prix  :  8  mk.  5o. 

Kirchengeschichliche  Abhandlungen,  publiées  par  Max  Sdralek..  Breslau, 
Aderholz,  1908,  t.  VI.  In-8°,  236  pages. 

H.  Petitot,  Pascal.  Sa  vie  religieuse  et  son  Apologie  du  christianisme. 
Paris,  G.  Beauchesne,  191 1.  In-B",  427  pages.  Prix  :  6  francs. 

M.  J.  Rouet  d  :  Journel,  Euchiridion  patristicum.  Fribourg,  Herder,  1911. 
In-8°,  xxi-887  pages.  Prix  :  i3  fr.  75. 

Anatolij,  Istoriceskij  Ocerk  siriiskago  monasestva  do  poloviny  VI  vêka. 
Kiev,  P.  Barskij,  191 1.  In-8°,  xvi-297  pages 

Aloïs  Bukowski,  Die  Genugtuung  fur  die  Sûnde   nach  der  Auffassung  der 
russischen  Orthodoxie.   Paderborn,  F.   Schôningh,   191 1.   In-8",    vi-212   pages 
Prix  :  6  Mk 

A,  Harn'ack  et  G.  Smidt,  Texte  und  Untersuchungen  ^ur  Geschichte  der 
altchristlichen  Literatur.  3^  série,  c.  XXXVI-XXXVII.  Leipzig,  Hinrichs,  1910-191 1 

Mélanges  de  la  Faculté  orientale  de  l'Université  Saint-Joseph,  Beyrouth,  t.  V, 
iasc.  I.  Beyrouth,  191 1,  in-8°,  4i5-xxxix  pages 

Bosporus,  Mitteilungen  des  deutschen  Ausjlugs-Vereins  G.  Albert,  N.  F. 
VI  Heft.  Constantinople,  O.  Keil,  191 1.  In-8",  94  pages. 

A,  Rucker,  Die  Lukas-Homilien  des  hl.  Cyrill  von  Alexandrien.  Ein  Beitra, 
\ur  Geschichte  der  Exégèse.  Breslau,  Goerlich  et  Coch,  191 1.  \n-%'\  102  pages 
Mk.  3,5o 

Hans  Lietzmann,  By\antinische  Legenden.  léna,  E.  Diederichs,  191 1| 
In-B",  io3  pages. 

G.  Antolin,  O.  s.  a.  Catalogo  de  los  codices  latinos  de  la  real  Bibliothe 
del  Escorial.  Madrid,  Imprenta  Helénica,    1910-1911.  2  vol.   in-8^,   Liii-576  tfl|j 
596  pages 

F.  Larrivaz,  s,  j.  Les  saintes  pérégrinations  de  Bernard  do.  Breydenbach 
Extraits  relatifs  à  l'Egypte  suivant  l'édition  de  1490.  Texte  et  traduction  annotée 
Le  Caire,  imprimerie  nationale,  1904.  In-8°,  78  pages.  Ëkl 

J.  P.  Bock,  S.  J.  Die  Brotbitte  des  Vaterunsers.  Ein-Beitrag  ^um  VerstœAimt 

nis  dièses  Universalgebetes  und  einschlœgiger  patristisch-liturgischer  Fragtm   / 

Paderborn,  Bonifacius-Druckerei,  191 1.  In-8«,  xvi-339  pages.  Prix  :  5  marks,     ip'^ 

igSi-ii.  —  Imp.  p   Feron-Vrau,  3  et  5,  rue  Bayard,  Paris,  VIIK  —  Le  gérant  :  E.  Petithenrt.  §  «tj 


M"^  LOUIS  PETIT 

ARCHEVÊQUE  D'ATHÈNES 

ET  DÉLÉGUÉ  APOSTOLIQUE  EN  GRÈCE 


Une  nouvelle  nous  arrive  de  Rome,  qui  est  pour  nous  une  grande 
joie  et  un  grand  honneur.  S.  S.  le  pape  Pie  X  vient  de  nommer  le 
!v.  P.  Louis  f^etit,  des  Augustins  de  l'Assomption,  archevêque  d'Athènes 
i  délégué  apostolique  en  Grèce. 

Les  Echos  d'Orient  doivent  trop  à  leur  éminent  fondateur  et  directeur 
[^our  ne  pas  saluer  avec  empressement 
cette  haute  distinct  on,  que  tant  de 
travaux  ont  si  bien  méritée.  Nos  lec- 
teurs, qui  ont  souvent  vu  dans  les 
pages  de  cette  revue  le  nom  de  l'érudit 
byzantiniste,  nous  sauront  gré  de  leur 
présenter  à  grands  traits  le  nouvel 
archevêque  et  de  publier  à  cette  occa- 
sion une  nomenclature,  encore  incom- 
plète, de  ses  nombreux  ouvrages  ou 
articles  scientifiques. 

Né  le  21  février  1868,  à  Viuz-la- 
('hiésaz,  village  de  la  Haute-Savoie, 
Louis  Petit  fit  ses  premières  études 
à  l'alumnat  assomptioniste  de  Notre- 
Dame  des  Châteaux,  non  loin  d'Albert- 
ville. Ceux  qui  ont  lu  les  notes  déli- 
cates de  M.  Henry  Bordeaux  sur  le 
Caractère  savoxard  comprendront  que 

le  sang  savoisien  hérité  d'ancêtres  paysans  et  la  première  éducation 
en  terre  montagnarde  n'aient  pas  été  sans  contribuer  pour  leur  part 
à  cette  âpreté  au  travail,  à  cet  harmonieux  équilibre  de  qualités  inteK 
lectuelles  et  morales  que  les  amis  du  savant  religieux  peuvent  admirer 
et  apprécier  en  lui. 

Après  avoir  suivi  les  classes  d'humanités  à  l'alumnat  de  Clairmarais 
(Pas-de-Calais),  Louis  Petit  se  rendit  à  Osma,  en  Espagne,  où  se  trou- 
vait depuis  1880  le  noviciat  expulsé  des  Augustins  de  l'Assomption,  il 


M»""   LOUIS    PETIT 


Echos  d'Orient. 


1 5'  année. 


N-  93. 


Mars   igi2. 


I 


98  ÉCHOS  d'orient 


fît  sa  profession  religieuse  le  15  août  1887,  à  l'abbaye  de  Livry  (Seine- 
et-Oise),  qui  venait  d'ouvrir  ses  portes  aux  moines  revenus  de  l'exil. 

Les  études  philosophiques  et  théologiques  amenèrent  le  jeune  reli- 
gieux à  Rome.  11  fut  ordonné  prêtre  le  15  août  1891,  au  couvent  de 
Livry.  En  1893,  il  fit  son  premier  séjour  en  Orient,  où  il  vint  ensei- 
gner au  Séminaire  oriental  de  Phanaraki,  à  Constantinople.  Il  avait 
déjà,  auparavant,  été  professeur  dans  les  alumnats  des  Châteaux  et 
de  Clairmarais.  Nommé  supérieur  de  la  maison  de  Toulouse  en 
octobre  1894,  le  R.  P.  Louis  Petit  fut  de  nouveau  envoyé  l'année  suivante 
à  Constantinople,  où  le  Pape  Léon  XIII  venait  de  confier  aux  Assomp- 
tionistes,  avec  l'œuvre  importante  des  Séminaires  de  rite  gréco-slave, 
les  deux  paroisses  latine  et  grecque  de  Koum-Kapou  et  de  Kadi-Keuï. 

Le  7  octobre  1895,  la  maison  d'études  de  Kadi-Keui  était  fondée,  et 
le  P.  Louis  Petit  en  était  nommé  supérieur.  La  vieille  cité  de  Chalcé- 
doine,  la  ville  du  grand  concile  de  451,  était  un  séjour  bien  approprié 
aux  études  ecclésiastiques  byzantines.  Le  P.  Louis  Petit  s'y  voua  avec 
l'ardeur  qu'il  mettait  en  tout,  donna  un  élan  qui  fut  suivi,  et  ne  tarda 
pas  à  passer  maître.  Primus  discendi  ardor  nobilitas  est  magistri,  a  écrit j 
quelque  part  saint  Ambroise.  Cette  maxime  se  réalisa  pleinement  à 
Kadi-Keuï.  Parmi  le  groupe  de  disciples  formés  alors  à  si  bonne  école, 
il  nous  seraMen  permis  de  rappeler  ici  ceuoc-là  du  moins  qu'une  mort 
prématurée  est  venue  ravir  trop  tôt  à  notre  affection,  à  leur  Congre-  i 
gation,  à  l'Eglise,  à  la  science:  les  PP.  Jules  Pargoire  et  Sophrone 
Rabois-Bousquet  (Pétridès).  Fin  humaniste,  doublé  d'un  érudit  et  d'un  1 
chercheur,  le  P.  Louis  Petit  se  fit  tour  à  tour  avec  un  égal  succès  pro- 
fesseur de  droit  canon  oriental,  de  littérature  et  de  liturgie  byzantines. 

Tout  était  à  faire.  Il  manquait,  avant  tout,  une  bonne  bibliothèque;  il 
fallait  la  créer.  Ce  n'était  pas  chose  facile  pour  les  modestes  ressources! 
de  religieux  missionnaires.  Un  travail  patient  et  méthodique,  d'autant 
plus  méritoire  que  les  livres  à  utiliser  étaient  encore  très  rares,  et  qu'il 
n'était  pas  toujours  aisé  de  faire  franchir  aux  nouvelles  acquisitions  lai 
douane  turque  de  l'ancien  régime,  opéra  peu  à  peu  la  merveille  qui 
peut  aujourd'hui  rivaliser  avec  maints  établissements  analogues.  La 
bibliothèque  assomptioniste  de  Kadi-Keuï,  désormais  bien  connue  des 
byzantinistes,  est  l'œuvre  du  R.  P.  Louis  Petit.  Dieu  sait  tout  le  dévoue- 
ment que  le  zélé  supérieur  y  dépensa,  la  somme  de  fatigues  et  de  veilles 
qu'il  s'imposa  pour  réunir  un  par  un  ces  milliers  de  volumes,  dont 
quelques-uns  sont  de  véritables  raretés  bibliographiques.  Il  n'est  que 
juste  de  noter  que  le  laborieux  bibliophile  fut  aidé  par  de  généreux  con- 
cours; qu'il  nous  suffise  de  mentionner  le  Supérieur  général  des  Augus- 


M*-'"'   LOUIS    PETIT  99 


tins  de  l'Assomption,  le  supérieur  de  la  mission  assomptioniste  d'Orient, 
l'ambassade  de  France  à  Constantinople  et  le  ministère  français  de 
l'Instruction  publique.  L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  de 
Paris,  les  écoles  françaises  d'Athènes  et  de  Rome  ont  envoyé  gracieu- 
sement à  la  jeune  école  d'études  byzantines  de  Constantinople  des  collec- 
tions et  des  revues  savantes  que  ses  faibles  ressources  ne  lui  auraient 
jamais  permis  de  se  procurer.  D'autres  envois  généreux  lui  sont  venus 
de  l'étranger  :  de  l'Académie  roumaine  de  Bucarest,  de  l'Académie  royale 
de  Belgrade,  de  l'Académie  jougo-slave  d'Agram,  du  syllogue  grec  de 
Constantinople. 

Le  P.  Louis  Petit  fut,  dès  le  début,  membre  de  ce  syllogue,  ainsi  que 
de  l'Institut  archéologique  russe  de  Péra,  et  les  érudits  qui  dirigent 
ces  deux  établissements  scientifiques,  orthodoxes  pour  la  plupart,  ont 
voué  à  ce  savant  religieux  catholique  une  estime  qu'ils  ne  craignent 
pas  d'affirmer  publiquement  à  l'occasion. 

Deux  ans  après  la  fondation  de  la  maison,  l'on  avait  déjà  acquis  un 
bon  nombre  des  instruments  d'étude  les  plus  indispensables.  On 
commença  par  insérer  dans  plusieurs  revues  françaises  et  étrangères 
des  articles  qui  furent  remarqués.  En  octobre  1897,  paraissait  le  premier 
fascicule  des  Echos  d'Orient.  Un  peu  incertain  au  début,  le  programme 
de  cette  revue  ne  tarda  pas  à  se  préciser,  sous  la  vigoureuse  impulsion 
de  celui  qui  en  était  l'âme.  L'esprit  scientifique  le  plus  vrai  s'y  allia 
tout  de  suite  avec  le  zèle  apostolique  qui  l'inspirait  et  le  soutenait. 

L'accueil  fut  des  plus  sympathiques.  Le  Bulletin  de  littérature  ecclé- 
siastique de  l'Université  catholique  de  Toulouse,  alors  dirigé  par 
Me»'  Batiffol,  écrivait  en  1899: 

Depuis  quelque  temps  apparaissent  en  diverses  revues  d'excellents 
articles  qui  viennent  d'un  même  atelier.  Il  semble  que  cet  atelier,  où  l'on 
travaille  selon  les  règles  de  la  meilleure  critique,  ait  pris  la  résolution  de 
se  consacrer  à  l'étude  de  l'ancien  Orient  chrétien,  et,  comme  ces  ouvriers 
connaissent  la  topographie  de  l'Orient  à  fond,  ils  nous  donnent  des 
études  où,  grand  avantage,  la  connaissance  des  textes  s'éclaire  de  la  con- 
naissance des  monuments  et  des  lieux Nous  signalons  avec  grande 

joie  ces  études,  qui  sont  l'indice  d'un  éveil.  La  forte  culture  ecclésias- 
tique est  manifestement  en  progrès,  et  ce  ne  sera  pas  une  des  moindres 
surprises  de  cette  fin  de  siècle,  alors  que  tels  de  nos  vieux  clergés  ont  tant 
de  peine  à  se  déprendre  de  la  culture  vieillotte  et  similiuniversitaire,  de 
pir  de  jeunes  Congrégations  comme  l'Assomption  donner  l'exemple 
n  si  vif  progrès  (i). 


\ii)  Bulletin  de  littérature  ecclésiastique,  t.  1",  1899,  p.  255. 


lOO  ECHOS    D  ORIENT 


Cet  atelier  scientifique  avait  désormais  son  organe  propre.  On  trou- 
vera plus  loin  la  liste  des  articles  donnés  par  le  P.  Louis  Petit  à  ce  recueil,  j 
qui  fut  véritablement  sien.  On  y  verra  qu'aucune  des  matières  de  notre  I 
programme  ne  lui  était  étrangère:  théologie,  droit  canon,  liturgie, 
archéologie,  histoire  et  géographie  orientales,  il  aborda  tout  avec  une 
égale  compétence.  11  nous  paraît  utile  de  signaler  ici  le  travail  que  les 
Echos  d'Orient  publiaient  en  juin  1900,  sous  ce  titre  :  Un  nouvel  «  Oriens 
christianus  ».  Le  savant  directeur  n'y  proposait  rien  moins  que  la 
refonte  de  l'Oriens  christianus  de  Le  Quien,  sous  forme  de  mono- 
graphies indépendantes. 

Le  projet  était  déjà  en  voie  d'exécution,  comme  en  témoignent  les 
notes  de  géographie  ecclésiastique  et  les  notices  épiscopales  disséminées 
à  travers  les  premiers  volumes  du  périodique.  Signalons  notamment, 
à  ce  propos,  les  remarquables  études  du  P.  Louis  Petit  lui-même  sur 
les  évêques  de  Thessalonique.  Communiquée  au  Congrès  d'archéologie 
chrétienne  tenu  à  Rome  du  17  au  25  avril  1900,  cette  proposition  reçut - 
de  la  docte  assemblée  le  meilleur  accueil  et  les  plus  précieux  encou- 
ragements. A  l'unanimité  fut  fixé  un  ordre  du  jour  dont  il  ne  sera  pasi 
inutile  de  transcrire  la  teneur,  car  il  renferme  la  mention  d'un  autre! 
projet,   ordonné  d'ailleurs  au   précédent,   et  à   l'exécution    duquel   le| 
R.  P.  Louis  Petit  ne  tardera  pas  à  se  donner  tout  entier. 

Vu  l'extrême  utilité,  pour  l'avancement  de  la  science  chrétienne,  d'une 
géographie  historique  de  l'Orient  chrétien,  dans  laquelle  les  grandes  divi- 
sions ecclésiastiques  seraient  successivement  décrites  avec  la  statistique 
des  diocèses  et  la  liste  des  titulaires,  le  Congrès  exprime  le  vœu  qu'un 
travail  de  ce  genre  soit  entrepris  pour  chacune  des  Eglises  autocéphales 
de  l'Orient,  et  préparé  dès  maintenant  par  la  publication  des  actes  offi- 
ciels concernant  ces  Eglises  (i),  actes  qui  permettront  de  suivre,  siècle 
par  siècle,  les  modifications  survenues  dans  les  diverses  provinces.  Les 
rédacteurs  des  Echos  d'Orient  ayant  abordé  le  travail  pour  les  patriarcats 
de  langue  grecque,  le  Congrès  les  engage  vivement  à  poursuivre  leur 
œuvre,  et  souhaite  que  des  Comités  de  même  genre  soient  constitués  pour 
les  autres  Eglises  orientales  (2). 

Déjà,  à  maintes  reprises,  le  directeur  des  Echos  d'Orient  avait  inséré 
dans  d'autres  recueils  un  certain  nombre  de  ces  actes  officiels  concer- 
nant les  Eglises  orientales.  Citons  la  Revue  de  l'Orient  chrétien,   la 


(i)  C'est  moi  qui  souligne. 

(2)  Conventus  aller  de  Archœologia  christiana  Romœ  habendus.  Commentarius 
authenticus,  n.  5  (18  mai  1900),  p.  188  et  202.  Cf.  Echos  d'Orient,  t.  II,  1899-1900, 
p.  326-333. 


^ 

.■i* 


M^^'    LOUIS    PETIT  lOI 


Byiantinische  Zeitschrift,  le  l^iiantiiski  yremennik,  le  Bulletin  de  l'In- 
stiiiit  archéologique  russe  de  Constantinople.  On  trouvera  plus  loin  l'énu- 
mération  des  travaux  publiés  par  le  R.  P.  Louis  Petit  dans  ces  divers 
recueils.  On  y  verra  aussi  les  nombreux  articles  donnés  par  l'infatigable 
■érudit  aux  récentes  Encyclopédies  catholiques  de  Paris  ou  de  New-York. 
Tout  cela  rentrait  dans  le  plan  d'études  tracé  à  la  Rédaction  des  Echos 
d'Orient,  et  notamment  les  notices  consacrées  aux  évêchés  ou  aux 
•évêques  orientaux,  surtout  dans  le  Dictionnaire  d'histoire  et  de  géogra- 
phie ecclésiastique  et  dans  The  Catholic  Encyclopedia,  sont  comme  un 
acheminement  progressif  au  futur  Oriens  christianus. 

Deux  voyages  d'exploration  scientifique  du  R.  P.  Louis  Petit  et  du 
P.  Jules  Pargoire  au  mont  Athos,  en  juillet-août  1901  et  en  avril-mai- 
juin  1905,  vinrent  enrichir  les  cartons  de  nombreux  manuscrits. 

Le  premier  de  ces  voyages  avait  été  entrepris  sur  la  demande  de 
M.  G.  Millet,  professeur  à  la  Sorbonne,  en  vue  de  constituer  un  pre- 
mier essai  de  Corpus  des  textes  épigraphiques  athonites.  Il  eut  pour 
résultat  immédiat  la  publication  d'un  beau  volume  intitulé  :  Recueil 
des  inscriptions  chrétiennes  du  mont  Athos,  recueillies  et  publiées  par 
MM.  G.  Millet,  J.  Pargoire  et  L.  Petit  (1). 

«  Cette  collection  de  cinq  cents  textes  et  plus,  écrivait  alors  le 
P.  Pargoire,  ne  représente,  malgré  son  apparente  richesse,  que  la  pre- 
mière partie  d'une  œuvre  qui  sera  certainement  doublée,  peut-être  triplée 
■dans  un  avenir  prochain.  »  Sous  le  titre  général  d'Actes  de  V Athos,  le 
R.  P.  L.  Petit  fit  paraître  successivement,  comme  supplément  à  la  revue 
byzantine  de  Saint-Pétersbourg  {l^iiantiiski  Vremennik)  des  pièces  offi- 
■cielles  de  grand  intérêt  concernant  quelques  monastères  de  la  célèbre 
presqu'île.  La  seconde  excursion  compléta  la  moisson  déjà  abondante 
de  la  première.  La  photographie,  mise  au  service  de  l'intrépide  fouilleur 
•de  manuscrits,  accumula  les  textes  précieux,  dont  un  petit  nombre 
encore  ont  pu  être  livrés  aux  presses  des  typographes. 

Du  reste,  une  bonne  partie  des  matériaux  ainsi  recueillis  devaient 
rentrer  dans  une  vaste  œuvre  d'ensemble  qui  réunirait  la  plus  grande 
masse  possible  de  pièces  officielles  concernant  les  Eglises  orientales. 
Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  cette  publication  associée  par  le  Congrès 
d'archéologie  chrétienne  au  projet  de  refonte  de  VOriens  christianus. 

Précisément  vers  cette  époque,  une  autre  réédition  se  préparait,  à 
laquelle  le  R.  P.  Louis  Petit  devait  collaborer  plus  activement  encore. 


(i)  Paris,  Fontemoing,  1904,  in-8°,  192  pages,  avec  figures,  planches  et  reproductions. 
Cet  ouvrage  forme  le  fascicule  XCI  de  \a.  Bibliothèque  des  Ecoles  françaises  d'Athènes 
€i  de  Rome,  publiée  sous  les  auspices  du  ministère  de  l'Instruction  publique. 


102  ECHOS    D  ORIENT 


C'était  celle  de  VAmplissima  conciliorum  collectio  de  Mansi,  dont  l'éditeur 
parisien  Welter  entreprit,  en  1903,  la  reproduction  et  la  continuation. 
Celle-ci  fut  confiée  aux  soins  de  deux  travailleurs  de  grand  mérite  : 
M.  l'abbé  Martin,  professeur  à  la  Faculté  catholique  de  Lyon,  et  le 
R.  P.  Louis  Petit.  C'est  avec  une  véritable  passion  que  notre  éminent 
directeur  se  livra  désormais  à  sa  tâche  d'éditeur  de  textes.  Les  conciles 
et  documents  synodiques  orientaux  furent  naturellement  sa  spécialité. 
Les  massifs  in-folio  se  sont  succédé  rapidement  :  documents  grecs 
d'abord,  puis  bulgares,  serbes,  roumains,  melkites,  maronites,  etc., 
s'alignent  en  grandes  colonnes  compactes,  où  les  historiens  n'auront 
qu'à  venir  puiser.  Parfois  même,  son  flair  exercé  d'intelligent  biblio- 
phile et  son  infatigable  puissance  de  travail  lui  font  accepter  de  se 
charger,  en  outre,  de  telle  partie  des  conciles  occidentaux.  Tel  fut  le 
cas,  par  exemple,  pour  le  synode  de  Pistoie  et  pour  les  affaires  de  la 
Petite  Eglise;  tel  doit-il  être  pour  le  concile  du  Vatican. 

La  continuation  de  Mansi  avait  mené  le  R.  P.  Louis  Petit  à  Rome, 
où  les  Archives  du  Vatican  et  de  la  Propagande  contiennent  des  trésors 
d'inédits  qui  l'attiraient.  En  1908,  il  se  laissa  tenter  par  cet  attrait,  et, 
après  un  voyage  à  travers  les  grandes  bibliothèques,  à  la  recherche  des 
œuvres  manuscrites  des  Cantacuzène,  qu'il  se  proposait  alors  d'éditer, 
il  échangea  la  résidence  de  Kadi-Keuï  pour  celle  de  la  Ville  Eternelle. 
11  pensait  y  continuer  en  toute  tranquillité  sa  vie  de  chercheur  et  d'édi- 
teur de  textes.  Et  c'est  ce  qu'il  fit,  en  effet,  durant  trois  années  entières, . 
qui  eurent  pour  résultat,  outre  une  accumulation  nouvelle  de  documents 
inédits,  deux  nouveaux  volumes  in-folio,  l'un  consacré  aux  synodes 
melkites,  l'autre  aux  synodes  orientaux  de  1860  à  1884,  et  spécialement 
aux  affaires  du  schisme  gréco-bulgare  (i  860-1 872). 

Cependant  les  honneurs  vinrent  trouver  à  Rome  ce  moine  savant,  ' 
dont  l'unique  ambition  était  de  poursuivre  ses  recherches  dans  le  calme 
et  la  tranquillité  que  lui  assurait,  pensait-il,  son  capuchon  monastique. 
Honoré  depuis  longtemps  de  la  confiance  de  ses  supérieurs  religieux, 
membre  du  Chapitre  général  de  sa  Congrégation  depuis  1906,  il  reçut,  ^ 
en  191 1,  le  titre  et  les  fonctions  d'Assistant  général.  Ses  magnifiques^ 
travaux  lui  conquirent  très  vite  l'estime  des  plus  hautes  personnalités 
ecclésiastiques  romaines.  11  se  vit  confier  des  tâches  délicates  et  difficiles 
dont  il  s'acquitta  avec  un  tact  et  une  compétence  remarquables.  Sa  con- 
naissance très  précise  du  passé  des  Eglises  orientales,  de  leurs  docu- 
ments synodaux  en  particulier,  lui  permit  de  rendre  de  grands  services, .; 
comme  théologien  et  consulteur,  au  cours  du  récent  concile  des  Armé-,;-' 
nîens  catholiques.  Le  savant  se  faisait  ainsi  apôtre,  et  de  la  meilleure.- 


;* 


M^""    LOUIS    PETIT  103 


des  manières,  en  mettant  sa  vaste  érudition  au  service  de  l'Eglise  orien- 
tale unie  à  Rome.  Avec  quel  désintéressement  cet  apostolat  fut  exercé, 
ceux-là  seuls  le  comprendront  pleinement,  qui  savent  combien  il  en 
coûte  aux  ouvriers  de  la  plume  de  laisser,  pour  des  mois  entiers,  un  ou 
plusieurs  volumes  sur  le  chantier,  afin  de  se  livrer  à  un  autre  travail 

exigé  ou  postulé  par  les  circonstances.  Pendent  opéra  interrupta , 

peuvent-ils  dire  alors  avec  le  poète  Virgile. 

Le  modeste  religieux  ne  se  doutait  certainement  pas  que  ce  surcroît 
de  labeur  qu'il  avait  accepté  le  conduirait  à  l'épiscopat.  11  aimait  trop  sa 
paisible  vie  d'étude  pour  ne  pas  désirer  la  maintenir  toujours  à  l'écart 
des  dignités  ecclésiastiques.  Le  Saint-Siège  en  a  jugé  autrement  et  a 
voulu  décerner  une  récompense  publique  à  ce  moine  qui  a  si  bien 
mérité  de  l'Eglise  catholique  en  Orient.  Nous  ne  pouvons  que  nous 
réjouir  de  cet  honneur,  nous  qui  cependant  souhaitons  ardemment  la 
continuation  d'une  œuvre  scientifique  si   glorieusement  commencée. 

C'est  que,  dans  le  R.  P.  Louis  Petit,  il  y  a  plus  que  le  savant  et 
l'érudit,  il  y  a  l'ami  au  grand  cœur,  il  y  a  surtout  le  prêtre,  le  religieux, 
l'apôtre,  c'est-à-dire  l'homme  digne  et  capable  d'être  fait  par  Dieu  pas- 
teur et  conducteur  d'hommes.  Il  l'a  été  comme  supérieur  de  commu- 
nauté; il  le  sera  désormais  comme  évêque.  Tous  les  religieux  qui  ont 
eu  la  joie  de  vivre  sous  sa  houlette  peuvent  en  rendre  témoignage. 
Tous  savent  les  trésors  de  bonté,  de  charité  sacerdotale,  de  dévouement 
qui  sont  dans  ce  cœur  véi'itablement  façonné  à  la  taille  de  l'esprit.  On 
peut  dire  de  lui  ce  qu'il  disait  d'un  autre  chef  non  moins  vénéré,  le 
P.  Alfred  Mariage,  supérieur  des  missions  assomptionistes  en  Orient, 
mort  le  6  mai  1903  :  «  S.ms  avoir  hésité  jamais  à  faire  les  blessures 
salutaires  »,  il  était  environné  «  de  l'affection  et  de  la  reconnaissance 
4e  tous  ». 

Ses  anciens  religieux  savent  la  douceur  de  sa  société,  le  sel  de  ses 
spirituelles  reparties,  le  charme  de  ses  fines  et  distinguées  causeries.  Us 
savent  aussi  avec  quelle  abnégation  cet  érudit  acceptait  de  sacrifier  ses 
livres  et  ses  manuscrits  à  des  devoirs  d'un  autre  genre;  comment  le 
byzantiniste  si  remarqué  se  faisait  modestement  professeur  de  belles- 
lettres,  maître  d'ascétisme  ou  de  pastorale  à  la  doctrine  très  nette  et 
très  sûre,  prédicateur  de  retraite  au  ton  chaud  et  pénétrant.  Ils  savent 
bien  d'autres  choses  encore,  qu'ils  gardent  au  fond  du  cœur,  et  qu'ils 
laissent  à  Dieu  le  soin  de  récompenser. 

Qu'on  ne  s'imagine  donc  pas  que  ce  savant,  ce  critique,  ce  philo- 
logue, cet  éditeur  de  textes,  ce  profond  connaisseur  des  choses  ecclé- 
siastiques d'Orient,  cherche  seulement  dans  ce  labeur  acharné  la  satis- 


K04  ÉCHOS    D  ORIENT 


faction  d'une  passion  intellectuelle  très  intense.  Outre  que  son  travail 
scientifique  est  conçu  par  lui  à  la  manière  d'un  réel  apostolat  catholique, 
le.  R.  P.  Louis  Petit  possède  aussi  les  qualités  requises  pour  l'apostolat 
pratique  auprès  des  âmes  et  des  œuvres.  Il  le  montra  tout  particu- 
lièrement lorsque,  en  1903,  il  géra  pendant  quelques  mois  (de  mai  à 
décembre)  le  supériorat  intérimaire  de  toutes  les  missions  assomptio- 
nistes  d'Orient,  en  attendant  qu'on  nommât  un  remplaçant  du  provin- 
cial décédé.  Ce  bibliophile  est  un  véritable  missionnaire  dans  toute  la 
force  du  terme;  cet  érudit  est  un  enthousiaste  du  règne  de  Dieu  et  de 
l'Eglise,  un  passionné  des  plus  saintes  causes. 

Ici  encore  je  n'ai  qu'à  le  citer,  et  j'éprouve  grand  plaisir  à  le  faire, 
puisque  la  citation  que  j'emprunte  se  rapporte  précisément  à  l'Orient, 
au  retour  des  dissidents  à  l'unité.  Le  8  mai  1903,  le  R.  P.  Louis  Petit 
disait,  en  prononçant  dans  l'église  de  Kadi-Keui  l'éloge  funèbre  du 
P.  Alfred  Mariage,  supérieur  des  missions  des  Augustins  de  l'Assomp- 
tion en  Orient  : 

En  moins  de  douze  ans,  son  activité  a  déborde  de  toutes  parts,  et 
parmi  les  œuvres  dues  à  son  initiative,  les  plus  stériles  en  apparence  ne 
furent  pas  les  moins  chères  à  son  cœur  d'apôtre.  Libre  à  d'autres  d'en 
vouer  quelques-unes  à  d'inéluctables  revers  ou  à  de  superbes  dédains!  Il 
a  estimé,  ce  grand  croyant,  qu'un  événement  comme  le  retour  des  dissi- 
dents, que  l'Eglise  entière  appelle  de  ses  prières  et  le  Vicaire  du  Christ  de 
ses  vœux,  ne  peut  être  que  voulu  de  Dieu,  et  qu'un  missionnaire  digne 
de  ce  nom  a  le  devoir  d'en  hâter  l'approche,  dût-il  y  perdre  et  l'honneur 
et  la  vie. 

Nous  tenions  à  souligner  discrètement  ces  traits,  moins  connus  du 
public,  de  la  physionomie  de  celui  que  nous  aimons  à  appeler  simple- 
ment, dans  l'intimité  de  la  vie  de  famille,  le  P.  Louis.  Un  journal  a  eu 
raison  d'écrire  récemment  que  la  modestie  du  savant  religieux  égale  sa 
haute  compétence.  Ce  n'est  certainement  pas  lui  qui  a  cherché  les  hon- 1 
neurs  qui  viennent  couronner  son  mérite.  Nous  sommes  convaincus 
qu'ils  ne  changeront  rien  à  la  simplicité  de  sa  vie  et  de  ses  manières, 
et  qu'il  a  été  plutôt  mortifié  d'une  nomination  et  d'une  dignité  quif 
modifient  un  peu  ses  plans  de  vie  studieuse,  tranquille  et  retirée.  Nous 
ne  s.ivons  pas  encore  quelle  sera  sa  devise  épiscopale,  mais  nous 
sommes  assurés  que  celle  de  sa  vie  tout  entière,  vie  d'étude  et  vie 
d'apostolat,  restera  toujours  le  mot  de  saint  Augustin  :  labor  amaturj, 
une  fatigue  aimée,  non  point  pour  elle-même,  mais  pour  le  but  plus 
haut  qu'elle  atteint  et  qui  est  V Adveniat  regntim  tuum  réalisé  à  sa  manière. 

Travailleur  acharné,  très  affable,  animé  d'un  grand  esprit  surnaturel, 


ÉCRITS    DE    Mf?'"   LOUIS    PETIT  IO5 

plein  d'entrain,  le  R.  P.  Louis  Petit  a  été  partout  estimé  et  aimé.  11  con- 
tinuera certainement  à  l'être  partout;  comme  il  l'a  été  à  Constantinople 
et  à  Rome,  il  le  sera  à  Athènes,  où  il  est  déjà  avantageusement  connu 
et  apprécié  aussi  bien  du  monde  orthodoxe  que  du  monde  catholique. 
S.  Em.  le  cardinal  de  Cabrières  rappelait  récemment,  en  une  phrase 
d'exquise  délicatesse,  l'honneur  fait  par  Pie  X  à  la  grande  œuvre  d'en- 
seignement et  d'apostolat  fondée  par  le  P.  d'Alzon,  en  plaçant  Ms^'  Louis 
Petit  «  au  pied  de  l'Acropole,  au  sein  des  plus  beaux  souvenirs  clas- 
siques, et  sous  le  patronage  du  plus  grand  orateur  qui  se  soit  fait 
entendre  de  l'Aréopage  »  (i).  Le  nouvel  archevêque  représentera  à 
Athènes  le  clair  génie  des  lettres  grecques,  latines  et  françaises,  dont 
il  s'est  si  bien  inspiré,  en  même  temps  que  le  nouveau  délégué  aposto- 
lique en  Grèce  y  représentera  avec  honneur  cette  Eglise  catholique  pour 
laquelle  il  a  déjà  tant  et  si  noblement  travaillé. 

Pour  nous,  qui  avons  la  joie  d'être  unis  de  plus  près  à  Mg""  Louis 
Petit,  et  qui  avons  maintenant  l'honneur  de  continuer  son  œuvre  ici, 
nous  ne  pouvons  qu'être  fiers  de  voir  ses  mérites  récompensés  par  l'au- 
torité la  plus  sacrée  qui  soit  ici-bas. 

Au  savant,  nous  souhaitons  de  tout  cœur  les  forces,  la  santé  et  les 
loisirs  pour  la  continuation  de  ses  importants  travaux.  A  l'évêque,  nous 
offrons  nos  affectueuses  félicitations,  nos  meilleurs  vœux  de  long  et 
fécond  épiscopat:  EU  Tzoklb.  IV^! 

^w  nom  de  la  Rédaction  des  «  Echos  d'Orient  », 
S.  Salaville. 

Kadi-Keui'. 


ÉCRITS   DE  M°^  LOUIS   PETIT 

Les  Confréries  musulmanes.  Paris,  Bloud,  1899,  in- 12,  70  pages. 

Vie  et  Office  de  Michel  Maléinos  et  traité  ascétique  de  Basile  le 
Maléinote.  Paris,  A.  Picard,  1903,  in-8°,  67  pages. 

Actes  de  l'Athos:  I.  Actes  de  Xénophon.  Saint-Pétersbourg,  1903, 
in-8°,  ii3  pages.  IL  Actes  du  Pantocralor,  in-8",  xix-77  pages.  III.  Actes 
d'Esphigménou.  Saint-Pétersbourg,   1906,  in-8°.,  122  pages. 

En  collaboration  avec  M.  G.  Millet  et  le  P.  J.  Pargoire  :  Recueil  des 
inscriptions  chrétiennes  de  l'Athos,  P«  partie.  (Bibliothèque  des  Écoles 
françaises  d'Athènes  et  de  Rome,  Fasc.  XCI).  Paris,  Fontemoing,  1904, 
in-8'',  192  pages,  avec  figures,  planches  et  reproductions. 

(i)  Lettre  à  M.  Maurice  Barrés,  de  l'Académie  française,  au  sujet  des  Petites-Sœurs 
de  l'Assomption,  10  mars  1912.  (Voir  le  journal  la  Croix  du  16  mars.) 


io6  ÉCHOS  d'orient 


Vie  et  Office  de  saint  Euthyme  le  Jeune.  Paris,  Picard,  1904,  in-8°, 
87  pages. 

Typicon  de  Grégoire  Pacourianos  pour  le  monastère  de  Bachkovo. 
Saint-Pétersbourg,  1904,  in-8°,  xxxn-63  pages. 

Vie  de  saint  Athanase  l'Athonite  (Extrait  des  Analçcta  Bollandiana, 
t.  XXV),  in-S",  89  pages.  Bruxelles,  1906. 

Mansi,  Amplissima  Collectio  Conciliorum.  Dans  cette  collection  qui 
est  en  voie  de  publication,  le  R.  P.  Petit  a  publié  à  lui  seul  les  tomes  XL. 
XLI.  XLIF,  XLV  et  XLVI.  Il  a  fourni  la  majeure  partie  des  volumes 
XXXVIÏ,  XXXVIII  et  XXXIX.  II  a  paru  un  tirage  à  part  de  la  partie  orien- 
tale du  tome  XXXIX,  sous  le  titre  :  Serborum  per  Hungariam  consti- 
tutorum  ordinatioties  ecclesiasticœ,  Paris,  A.  Welter,  1906,  in-fol.,^ 
459  pages,  et  un  autre  tirage  à  part  de  la  partie  du  tome  XLV  concernant 
le  conflit  gréco-bulgare  de  1860  à  1872,  sous  le  titre:  Acta  dissidii  eccle- 
siastici  grœco-bulgarici,  Paris,  A.  VV'elter,  191 1,  in-fol.,  562  colonnes. 

Articles  parus  dans  la  Revue  de  l'Orient   chrétien  : 

Règlements  généraux  de  l'Église  orthodoxe  en  Turquie,  t.  III,  1898, 
p.  393-424;  t.  IV,  p.  227-246. 
Règlements  généraux  des  Arméniens  catholiques,  t.  IV,  p.  3o5-3i7. 
Une  bagarre  au  Saint-Sépulcre  en  i6q8,  t.  VIII,  p.  J71-476. 
Bulle  du  patriarche  Métrophane  sur  le  mariage,  t.  IX,  p.  139-143. 

Articles  parus  dans  la  Byiantinische  Zeitschrift  : 

Notes  d'histoire  littéraire,  t.  VII,  1898,  p.  594-698. 
Office  de  Nicéphore  Phocas,  t.  XIII,  p.  398-420. 

Recension  de  1  ouvrage  de  K.  Ahrens  et  G.  Krûger  :  Kirchengeschichle 
des  Zacharias  Rhetor,  t.  IX,  p.  527-53o. 

Articles  parus  dans  la  Chronique  byzantine  {yiiantiiskii  Krenminik,. 
revue  russe  )  : 

Monodie  de  Nicétas  Eugénianos   sur   Théodore  Prodrome,   t.    IX,     ; 
1902.  p.  446-463. 

Documents  inédits  sur  le  Concile  de  1166  et  ses  derniers  adversaires,    1 
t.  XI,  1904,  p.  465-493. 

Les  Actes  de  l'Athos  signalés  ci-dessus  ont  paru  en  supplément  dans 
cette  revue. 

Articles  parus  dans  le  Bulletin  de  l'Institut  archéologique  russe  de 
Constantinople  : 

Monodie  de  Théodore  Prodrofne  sur  Etienne  Skylit^ès,  métropolitaia| 
de  Trébizonde,  t.  VIII,  1902,  p.  1-14. 


ÉCRITS   DE   Mf-'""   LOUIS   PETIT  IO7 

Le  monastère  de  Notre-Dame  de  Pitié  en  Macédoine,  t.  VI,  1900, 
p.  i-i53. 

Typikon  du  monastère  de  la  Konnosotira,  près  d'Aenos  (ii52), 
t.  XIII,  p.  17-77. 

Articles  parus  dans  le  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne  et  de  liturgie  : 

Allatius  (6  colonnes),  Anabathmoi  (8  colonnes),  Anacréontiques 
(7  colonnes),  Anastasiaatarion  (2  colonnes),  André  de  Crèfe  (7  colonnes), 
Anthologion(2  colonnes),  Antiphone dans  la  liturgie grecque{^6co\onnes), 
Archieraticon  (1  colonne),  Assemani i%  colonnes),  Bastagarius,  Brevion 
(4  colonnes),  Boutisies. 

Articles  publiés  dans  The  Catholic  Encyclopedia  (Encyclopédie  des 
catholiques  américains).  Le  R.  P.  Louis  Petit  a  donné  quelques  notices 
d'évêchés  orientaux  à  cette  encyclopédie. 

Articles  publiés  dans  le  Dictionnaire  d'histoire  et  de  géographie  ecclé- 
siastiques : 

Aaro7i  de  Bistra,  Abraham  Ecchellensis,  Achilius  (saint),  etc. 

Articles  publiés  dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catholique  Vacani- 
Mangenot  : 

Angélologie  dans  les  Églises  orthodoxes  (5  colonnes),  Alexeiev,  Acomi- 
natos  (Nicétas),  Abjuration  dans  V Église  grecque  (i5  colonnes).  Ame, 
doctrine  des  Grecs  (10 colonnes),  Arcudius  (P'itrre),  A r^en//s  (Eustratios), 
i4r/.f/è«e, (Alexis),  Arménie  (80  colonnes),  Arsène  Antorianos,  Balsamon 
(Théodore),  Blastarès  (Mathieu),  Brucolaque  (4  colonnes).  Confession 
dans  i Eglise  arménienne,  Damascènc  le  Studite,  Dapontès  (Constantin), 
Démétrius  (Darvaris),  Déméiracopoulos  (Andronic),  Démétrius  Choma- 
tianos,  Démétrius  de  Cysique,  Démétrius  de  Lampe,  Denys  d'Andri- 
nople,  Denys  IV  de  Constantinople. 

Articles  publiés  dans  les  Échos  d'Orient  : 

Entre  anglicans  et  orthodoxes  au  début  du  xviW  siècle,  t.  VIII,  32i. 

L'entrée  des  catholiques  dans  i Église  orthodoxe,  t.  II,  129. 

La  grande  controverse  des  colybes,  t.  II,  32 1. 

Du  pouvoir  de  consacrer  le  Saint-Chrême,  t.  III,  i. 

Nova  et  Vetera,  à  propos  d'une  découverte  liturgique,  t.  III,  5o. 

Composition  et  consécration  du  Saint-Chrême,  t.  III,  129. 

Euchologie  latine  et  euchologie  grecque,  t.  IV,  i. 

Le  manuel  canon  que  du  moine  Christophore,  t.  II,  io3. 

Le  canoniste  Agapios  Léonardos,  t.  II,  204. 

Vie  et  ouvrages  de  Néophyte  le  Reclus,  t.  II,  257,  372. 


!08  ÉCHOS    d'orient 


Notes  sur  les  homélies  de  Léon  le  Sage,  t.  III,  245. 
Le  moine  Agapios  Landos,  t.  III,  278. 

Agapios  Landos  et  la  «Revue  internationale  de  théologie  »,  t.  IV,  3o3. 
Un  texte  de  saint  Jean  Chrysostome  sur  les  images,  t.  XI,  80. 
Un  nouvel  «  Oriens  christianus  »,  t.  III,  326. 

Les  évêques  de  Thessalonique,  t.   IV,    i36,  212;   t.  V,  26,   90,   i5û. 
212;  t.  VI,  292. 
Macaire  de  Thessalonique,  t.  VIII,  272. 
La  réjorme  judiciaire  d'Andronic  Paléologue,  t.  IX,  134. 
Les  publications  populaires  en  Turquie,  t.  I,  266. 
Le  Syllogue  littéraire  grec  de  Constantinople,  t.  I,  Sg. 
L'épitaphe  de  Pierre  Gilles,  t.  III,  64. 
Deux  mots  sur  Pierre  Gilles,  t.  V,  SyS. 
Un  poids  byzantin  inédit,  t.  X,  199. 
Découverte  archéologique  de  M.  Ouspensky,  t.  III,  209. 
L'  «  Asie  Mineure  »  de  M.  Str^ygowski,  t.  VIII,  307. 
Le  R.  P.  Jules  Pargoire,  t.  X,  257. 

Dans  la  collection  des  Contemporains  éditée  par  la  Bonne  Presse,  le 
R.  P.  Louis  Petit  a  publié  de  1897  à  1901  les  biographies  suivantes  : 

Le  sultan  Mahmoud,  Méhémet-Ali,  Le  sultan  Abdul-Medjid,  Le  sultan 
Abdul-A^i^,  Ibrahim  Pacha,  Sélim  III,  Soliman  Pacha,  Midhat  Pacha, 
Othon  P\  roi  de  Grèce,  l'émir  Béchir,  prince  du  Liban,  Pierre  /", 
prince  de  Monténégro,  Alexandre  de  Battenberg,  prince  de  Bulgarie. 


FORMATION 
DU  PATRIARCAT  D'ANTIOCHE 


n 


I.  Avant  le  concile  de  NIcée 

L'annonce  de  l'Evangile  parvint,  dès  les  premiers  jours,  à  la  commu- 
;iuté  juive  d'Antioche,  puisque  Nicolas,  l'un  des  sept  premiers  diacres, 
était  originaire  de  cette  ville  (  i  ).  Dès  que  la  persécution  sévit  à  Jérusalem, 
immolant  Etienne  et  dispersant  les  collaborateurs  du  Christ,  apôtres  et 
disciples  se  rendirent  dans  la  métropole  de  l'Orient,  prêchant  la  bonne 
nouvelle  aux  seuls  enfants  d'Israël  :  tiemini  loqiienfes  verbuni  nisi  solis 
jitdœis  (2).  Cette  conception  étroite  du  christianisme  répugnait  à  l'esprit 
libéral  des  missionnaires,  venus  de  Chypre  et  de  Cyrène,  qui  étaient,, 
depuis  leur  naissance,  en  contact  journalier  avec  les  Gentils;  ils  se 
mêlèrent  à  eux,  leur  firent  part  des  grandes  vérités  qui  intéressaient 
tous  les  hommes,  sans  distinction  de  race  ou  de  nationalité,  et,  si  grands 
qu'eussent  été  les  progrès  de  la  religion  nouvelle  parmi  les  fils  de  la 
synagogue,  c'est  de  préférence  au  sein  de  la  population  païenne  qu'elle 
recruta  des  adhérents.  Antioche  fut  réellement  la  première  Eglise  de  la 
gentilité,  le  vrai  berceau  du  christianisme. 

Barnabe  d'abord,  puis  son  ami  Saul  vinrent,  au  nom  de  l'Eglise  mère 
de  Sion,  approuver  ces  innovations,  affermir  les  volontés  défaillantes, 
organiser  la  communauté.  Bientôt,  le  nombre  des  disciples  s'accrut  dans 
de  telles  proportions  que,  pour  les  distinguer  des  juifs,  le  vulgaire  les  sur- 
nomma chrétiens  (3).  Antioche  devint  alors  le  centre  effectif  des  mis- 
sions, d'où  des  apôtres  zélés  comme  Barnabe,  Simon  le  Noir,  Lucius  de 
Cyrène,  Manahen,  Paul  (4),  Jean  Marc,  Silas,  etc.,  rayonnèrent  dans  les 
îles  de  Chypre  et  de  Crète,  dans  les  grandes  cités  de  l'Asie  Mineure,  de 
la  Thrace  et  de  la  Macédoine.  Au  retour  de  chaque  expédition  évangé- 
lique,  Paul  ne  manqua  jamais  d'aller  consoler  ses  enfants  d'Antioche 
et  de  retremper  sa  ferveur  sur  le  premier  théâtre  de  son  apostolat  (5). 

Cependant,  les  multiples  conversions  opérées  parmi  les  Gentils 
éveillaient  la  jalousie  chez  les  chrétiens  judaisants,  qui  auraient  voulu 


•  I  '  Acl.  IV,  5. 
:;(  Act.  XI,  ig. 
;i)  .4c/.  XI,  26. 
41  Act.  XIII,  I. 
3)  Act,  XIV,  25;  xv,  35;  xviii,  22. 


!  lO  ÉCHOS    D  ORIENT 


leur  imposer  les  pratiques  de  la  Synagogue.  Entrés  directement  dans  le 
bercail  du  christianisme  sans  passer  par  la  porte  des  observances 
mosaïques,  les  chrétiens  de  la  gentilité  repoussaient  la  circoncision,  le 
repos  sabbatique  et  les  autres  pratiques  légales  des  onvertis  du  judaïsme. 
De  là  des  disputes  véhémentes  entre  les  deux  fractions  de  la  commu- 
nauté antiochienne.  Paul  et  Barnabe  prirent  ouvertement  parti  contre  les 
observances  légales  et  portèrent  les  doléances  des  fidèles  sortis  du  paga- 
nisme devant  l'assemblée  des  apôtres  àjérusalem,  vers  l'année  52.  Le  con- 
cile ratifia  les  innovations  des  deux  hardis  missionnaires  et  proclama 
l'affranchissement  absolu  des  Gentils  vis-à-vis  du  joug  de  la  Loi  (i). 

Lorsque  Céphas,  venu  à  Antioche  et  oublieux  des  prescriptions  du 
concile  de  Jérusalem,  se  tint  à  l'écart  des  chrétiens  sortis  du  paganisme 
et  sembla  par  son  silence  encourager  l'opposition  des  judaïsants,  Paul 
lui  résista  en  face  et  le  remit  dans  le  chemin  de  la  vérité  (2).  Ce  trait, 
relevé  par  saint  Paul,  donne  une  certitude  presque  absolue  à  la  tradition 
<^ui  fait  vivre  saint  Pierre  à  Antioche.  Nous  avons  des  témoins  de  cette 
tradition  dans  les  écrits  d'Origène,  d'Eusèbe,  de  saint  Jérôme  et  de  saint 
Jean  Chrysostome  (3),  pour  ne  pas  descendre  plus  bas  que  le  iv^  siècle. 

Toutefois,  Antioche,  qui  se  glorifiait  d'avoir  possédé  sant  Pierre 
n'estimait  pas  que  le  chef  des  apôtres  eût  été  proprement  son  évêque; 
en  effet,  Eusèbe  de  Césarée,  qui  avait  sous  les  yeux  les  catalogues  d 
■cette  Eglise,  fait  d'Evodius  le  premier  pontife  d'Antioche  et  de  saint  Ignace 
le  second  (4).  Quelle  fut  la  durée  du  séjour  de  saint  Pierre  dans  la! 
capitale  de  la  Syrie?  Il  nous  est  impossible  de  le  dire.  La  tradition,  qui^ 
lui  attribue  sept  années  d'épiscopat,  ne  paraît  pas  être  plus  ancienne 
que  le  pape  saint  Grégoire  le  Grand  (5).  Quoi  qu'il  en  soit,  la  gloire 
d'avoir  abrité  le  chef  de  l'Eglise  rejaillit  sur  Antioche  et  l'éleva  de  bonne 
heure  au-dessus  des  autres  sièges  apostoliques. 

A  Evodius  succéda  le  célèbre  martyr  Ignace,  mort  entre  les  années 
107  et  117,  qui  s'intitule  lui-même  «  évêque  de  Syrie  »  et  parle  à 
plusieurs  reprises  de  «  l'Eglise  de  Syrie  »,  à  laquelle  on  l'a  arraché  pour  ; 
,1e  conduire  à  Rome  (6).  Ces  deux  expressions,  qui  peuvent  à  la  rigueur 
correspondre  à  celles  d'évêque  d'Antioche  et  d'Eglise  d'Antioche,  se\ 
comprennent  beaucoup  plus  naturellement,  «  si  l'on  suppose  que  l'action 


(i)  Act.  XV. 

(2)  Gai.  III,  ii-i5. 

(3)  Origène,  In  Luc.  homilia  VI;  Migne,  P.  G.,  t.  XIII,  col.  i8i5;  Eusèbe,  Ihs.. 
eccles.,  m,  36;  S.  Jérôme,  In  Gai.,  c.  11;  Migne,  P.  L.,  t.  XXVI,  col.  341;  De  viris 
illustribus,  i;  S.  Jean  Chrysostome,  Homil.  in  Ignat.,  Migne,  P.  G.,  t.  L,  col.  591. 

(4)  Hist.  eccles.,  m,  22. 

(5)  Epistola  ad  Eulogium  Alexandrinum,  1.  VI,  ep.  XXXVIl. 

(6)  Ephes.  XXI,  2;  Magn.,  14;  Trall.  xiii,  i;  Rom.  11,  2;  ix,  i. 


i 


FORMATION    DU    PATRIARCAT    D  ANTIOCHE  I  I  I 

^piscopale  d'Ignace  s'étendait  au  delà  de  la  ville  d'Antioche,  sur  les  pre- 
mières chrétientés  que  la  prédication  évangélique  avait  déjà  pu  fonder 
•dans  ce  pays  »  (i).  Mê nie  avec  cette  interprétation,  on  ne  saurait 
admettre  toutefois  que,  si  l'autorité  religieuse  d'Ignace  s'est  réellement 
exercée  hors  des  limites  de  la  cité  d'Antioche,  elle  a  été  également 
étendue  à  d'autres  provinces  que  la  Syrie,  par  exemple  à  la  Cilicie,  à 
la  Palestine  et  à  Chypre,  provinces  dont  l'existence  est  déjà  constatée 
à  cette  époque. 

Entre  saint  Ignace  et  Théophile,  Eusèbe  cite  les  évêques  :  Héron, 
Corneille,  Héros  (2),  dont  on  n'a  retenu  que  les  noms.  Théophile,  qui 
■semble  avoir  vécu  sous  Marc-Aurèle  et  Commode,  réfuta,  dans  ses  apo- 
logies, les  erreurs  d'Hermogène  et  de  Marcion.  Il  composa  des  écrits 
•catéchétiques,  et,  le  premier,  employa  le  mot  de  Trinité,  désignant  les 
trois  personnes  sous  le  nom  de  Dieu,  son  Verbe  et  sa  Sagesse.  S'il 
a  écrit  la  première  Chronique  remontant  à  la  création,  comme  c'est 
probable,  Théophile  a  le  mérite  d'être  le  plus  ancien  historien  ecclé- 
siastique. Il  ne  servirait  de  rien  de  continuer  l'énumération  des  titu- 
laires d'Antioche,  dont  Eusèbe  de  Césarée  nous  a  conservé  la  liste 
intégrale;  mieux  vaut  insister  sur  les  faits  religieux  du  ir  et  du  iw  siècles, 
•qui  mirent  peu  à  peu  l'Eglise  d'Antioche  en  relief  et  soumirent  à  sa 
juridiction  tout  l'épiscopat  de  l'Orient. 

Vers  la  fin  du  if  siècle,  Sérapion,  évêque  de  cette  ville  (190-21 1), 
intervient  comme  juge  suprême  dans  une  question  religieuse  qui  divi- 
sait ia  communauté  chrétienne  de  Rhossos,  en  Cilicie.  Un  fragment  de 
la  lettre  qu'il  adressa  à  cette  Eglise  sur  le  prétendu  évangile  de  Pierre 
{retrouvé  de  nos  jours  en  Egypte),  a  été  inséré  par  Eusèbe  dans  son 
Histoire  ecclésiastique  (3);  il  nous  apprend  que  l'évêque  d'Antioche 
javait  déjà  visité  les  chrétiens  de  Rhossos  pour  examiner  leur  foi,  et 
qu'il  devait  y  retourner,  dans  le  dessein  de  mettre  un  terme  aux  dis- 
[sensions  religieuses  des  fidèles.  La  tradition  d'Edesse  rapporte  également 
que,  vers  i'an  200,  Palout,  le  troisième  évêque  de  cette  ville,  fut  con- 
sacré par  le  même  Sérapion  (4);  il  avait  succédé  à  Aggai,  lequel  avait 
emplacé  Addaï,  qui  ne  fut  ni  l'un  des  soixante-douze  disciples  ni 
l'apôtre  Thaddée,  comme  l'a  écrit  Eusèbe  (5),  mais  un  missionnaire  venu 


(i)  Flamion,  dans  Revue  d'histoire  ecclésiastique,  t.  II  (1901),  p.  Soy. 

(2)  Hist.  eccles.,  IV,  10. 

{3)  Hist.  eccles.,  vi,  12. 

(4)  TixERONT,  Les  Origines  de  l'Eglise  d'Edesse.  Paris,  1888,  p.  140. 

^5)  Hist.  eccles.,  iv,  i3. 


1  12  ÉCHOS    D  ORIENT 


de  Palestine,  vers  le  milieu  du  ii"  siècle,  évangéliser  la  Mésopotamie.  A 
partir  de  cette  époque,  l'Eglise  d'Edesse,  jusque-là  en  relations  suivies 
avec  Jérusalem  et  la  Palestine,  d'où  lui  étaient  arrivés  ses  premiers 
apôtres,  est  entraînée  vers  la  métropole  civile  et  religieuse  de  la  Syrie. 
Ces  deux  faits  dénotent  la  nature  des  rapports  existant  entre  Antioche 
et  les  Eglises  que  ses  missionnaires  avaient  évangélisées  ou  qui  étaient 
attirées  à  elle  par  son  prestige;  ils  reconnaissent  à  l'évêque  d'Antioche 
une  sorte  de  primauté  sur  des  chrétientés  distinctes  de  son  Eglise  parti- 
culière et  situées  dans  d'autres  provinces.  11  y  a  d'autant  plus  d'intérêt 
à  les  relever  que,  malgré  le  double  titre  d'Eglise  apostolique  et  de 
capitale  de  l'Orient  que  possédait  Antioche,  les  textes  étaient  muets 
jusqu'à  cette  époque  sur  cette  autorité  métropolitaine  et  même  prima-, 
tiale  qui  lui  appartient  alors  et  qu'elle  exercera  dans  la  suite  avec  plusî 
d'ampleur.  En  effet,  si  l'on  considérait  uniquement  les  conciles  qui 
furent  tenus  au  cours  du  ii«  et  du  iii«  siècle,  les  évêques  qui  y  prirent 
part  et  ceux  qui  les  présidèrent,  on  serait  amené  à  n'attribuer  à  l'évêque 
d'Antioche  aucune  autorité  spéciale  en  dehors  de  celle  qu'il  exerçait  natu--' 
rellement  sur  son  Eglise.  ■ 

Vers  la  fin  du  ii^  siècle,  un  concile,  à  propos  de  la  querelle  pascale, 
groupe  les  évêques  de  Gésarée,  d'^lia,  de  Ptolémaïs,  de  Tyr  et  quelques 
autres  dont  on  ignore  les  sièges  (i).  Or,  Tyr  et  Ptolémaïs  appartenaient^ 
alors  à  la  province  de  Syrie  (bientôt  après  à  la  nouve.le  province  de  Phé- j. 
nicie),  tandis  qu'^Elia  et  Gésarée  étaient  dans  la  province  de  Palestine. 
Il  est  à  noter  aussi  que,  dans  leur  lettre  synodale,  dont  Eusèbe  nous  a 
conservé  un  fragment,  ils  déclarent  qu'ils  ont  l'habitude  de  s'entendre^ 
avec  l'évêque  d'Alexandrie  pour  fixer  la  date  de  Pâques.  Aucune  trace  d^ 
relations  avec  la  métropole  de  la  Syrie  (2). 

N'exagérons  pas  pourtant  l'importance  de  ce  fait,  car,  au  sujet  d 
la  date  pascale,  toutes   les  Eglises  avaient  coutume  de   s'adresser 
l'évêque  d'Alexandrie,  et  cela  non  seulement  au  ii®  siècle,  mais  au  v«™ 
et  beaucoup  plus  tard,  alors  que  la  délimitation  des  patriarcats  était 
fixée  depuis  longtemps;  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  le  concile  fut 
tenu  à  Gésarée  de  Palestine,  non  à  Antioche,  et  que  les  évêques  de 
rOsrhoène  se  réunirent  également  chez  eux,  c'est-à-dire  sans  doute  à 
Edesse  (3). 

Une  lettre  de  Firmilien  de  Gappadoce  à  saint  Gyprien,  datée  de  la  fia 
de  l'année  2^6,  parle  d'un  concile  régional  tenu  par  lui  à  Iconium  erf 


r 


I 


(i)  Eusèbe,  Hist.  eccles.,  v,  23  et  25. 

(2)  DucHESNE,  Origines  du  culte  chrétien.  Paris,  1898,  p.  li 

(3)  Eusèbe,  Jlist.  eccles.,  v,  23. 


FORMATION    DU    PATRIARCAT    D  ANTIOCHE  I  1} 

i'iuygie,  //  y  a  longtemps,  probablement  vers  l'année  230,  d'accord 
v<  avec  les  évêques  de  Galatle,  de  Cilicie  et  des  autres  provinces  voi- 
sines »  (i).  Là  non  plus,  aucune  trace  d"une  influence  quelconque  du 
prélat  antiochien,  qui  ne  fut  peut-être  même  pas  convoqué.  Il  faut  en 
diie  autant  du  concile  de  Synnades  en  Phrygie,  rassemblé  pour  le  même 
)b;et  et  sans  doute  aussi  à  la  même  époque  que  celui  d'iconium  (2).  Un 
peu  plus  tard,  vers  244,  un  concile  fut  réuni  à  Bostra  d'Arabie  au  sujet 
Jrs  erreurs  de  Bérylle,  évêque  de  cette  ville  (3);  nombre  d'évêques 
iiibes  y  assistaient,  sans  qu'il  soit  fait  la  moindre  allusion  à  celui 
1  \ntioche.  Quelques  années  après,  un  autre  concile  est  tenu  dans  la 
nèine  province  (4),  auquel  sont  présents  quatorze  évêques  (5).  Encore 
me  fois,  aucune  allusion  ni  à  la  présidence  de  l'évêque  d'Antioche  ni 
i  sa  présence. 

Hn  251,  quand  Fabius  d'Antioche  semble  incliner  vers  les  idées  nova- 
iennes,  les  évêques  de  Tarse  en  Cilicie,  de  Césarée  de  Palestine  et  de 
'esarée  de  Cappadoce  prennent  l'initiative  de  réunir  à  Antioche  un  con- 
fie qui,  du  reste,  n'eut  probablement  pas  lieu. 

Quelques  années  après,  en  256,  Denys  d'Alexandrie,  passant  en  revue 
es  Kglises  d'Orient  qui  avaient  été  agitées  par  ce  conflit,  nomme  Antioche, 
>ésarée  de  Palestine,  .-Elia,  Tyr,  Laodicée  de  Syrie,  Tarse  et  Césarée  de 
Cappadoce  (6). 

Un  peu  plus  tard,  entre  les  années  263  et  268,  des  conciles  se  réu- 
nissent à  Antioche  pour  l'affaire  de  Paul  de  Samosate.  Ce  prélat,  con- 
ident  et  ministre  de  la  célèbre  Zénobie,  menait  la  vie  fastueuse  et 
]Lielque  peu  vicieuse  d'un  homme  du  siècle;  il  avait  introduit  dans 
église  des  chœurs  de  femmes  pour  chanter  ses  louanges  et  niait  même 
:i    divinité  de  Jésus-Christ.    La  question   passionna   tout  l'Orient,   et 

iiena  par  trois  fois  dans  la  ville  d'Antioche  toutes  les  célébrités  ecclé- 
iastiques  de  l'Asie  Mineure  et  des  provinces  syriennes.  A  défaut  de 
)enys  d'Alexandrie,  qui,  invité,  avait  prétexté  son  âge  et  ses  infir- 
nités,  les  deux  premiers  conciles  paraissent  avoir  été  présidés  par  Fir- 
nilien  de  Césarée  de  Cappadoce,  assisté  de  Grégoire  de  Néo:ésarée, 
Iclenus  de  Tarse,  Nicomas  d'iconium,  Hyménée  de  Jérusalem,  Theo- 
eenus  de  Césarée  en  Palestine,  Maxime  de  Bostra,  etc.  Au  troisième 


(i)  MiGNE,  P.  L..  t.  111,  col.  1201.' 

(2)  Le  concile  de  Synnades  est  sij^nalé,  avec  celui  d'iconium,  par  Denys  d'Alexan- 
rie,  EusÈBE,  Hist.  eccles.,  vu,  7. 

(3)  EuskBE,  Hist.  eccles.,  vi,  20;  S.  Jérôme,  De  viris  illustribus,  lx. 

(4)  EusÈBE,  Hist.  eccles.,  vi,  87. 

\b)  Libellus  synodicus,  dans  Mansi,  Conciliorum  Colleclio,  t.  I,  col.  790. 
[6)  EusÈBE,  Hist.  eccles.,  vu,  5;  Duchesne,  Origines  du  culte  chrétien,  p.  19. 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  8 


I  14  ÉCHOS    D  ORIENT 


concile,  tenu  en  267  ou  268,  et  qui  déposa  Paul  de  Samosate,  le  titu- 
laire de  Césarée  de  Cappadoce  ne  put  assister,  car  il  mourut  en  route 
à  Tarse,  et  ce  fut  l'évêque  de  la  métropole  de  Cilicie  qui  le  remplaça; 
on  y  remarquait  la  plupart  des  prélats  qui  avaient  pris  part  aux  deux 
conciles  précédents  (i). 

Que  conclure  de  toutes  ces  réunions  synodales,  tenues  tantôt  dans 
les  provinces  de  Syrie,  tantôt  dans  celles  d'Asie  Mineure,  et  où  voisi- 
naient les  .évêques  de  Palestine,  d'Arabie,  de  Syrie,  de  Galatie,  de 
Cilicie,  de  Phrygie,  de  Cappadoce  et  même  du  Pont  polémoniaque?J 
Rien  de  particulier  pour  le  sujet  qui  nous  occupe.  Du  moment  quf 
l'évêque  d'Antioche  comparaît  à  titre  d'accusé  ou  bien  qu'il  est  absent, 
il  va  de  soi  que  la  présidence  de  ces  conciles  devait  incomber  à  d'autres  1 
qu'à  lui.  On  ne  saurait  donc  en  déduire  ni  que  sa  juridiction  se  limi-î 
tait  à  sa  ville  épiscopale  ni  que  son  autorité  primatiale  s'étendait  à 
d'autres  provinces  que  la  sienne.  Le  seul  point  à  retenir  de  ces  grandes 
manifestations  conciliaires,  c'est  l'entente,  la  bonne  harmonie  qui 
règne  entre  les  évêques  des  provinces  de  Syrie  et  d'Asie  Mineure,  à 
l'exception  de  l'Asie  proconsulaire,  restée  toujours  à  l'écart  de  ce  groupe. 
Un  corps  épiscopal  régional  s'est  déjà  formé,  dont  on  ne  voit  pas 
encore  nettement  le  véritable  chef,  sans  parler  bien  entendu  des  chefs 
secondaires  ou  métropolitains  qui  existaient  dans  chaque  province. 

Avant  le  concile  de  Nicée,  qui  mit  fin  au  moins  juridiquement  à  cette 
situation  provisoire,  nous  ne  connaissons  que  deux  conciles  réunis 
entre  les  années  314  et  320,  l'un  à  Ancyre,  l'autre  à  Néocésarée,  et 
qui  furent  tous  les  deux  présidés  par  Vital,  évêque  d'Antioche.  Bien 
que  le  nombre  des  membres  fût  assez  restreint,  ce  sont  toujours  les 
mêmes  provinces  qui  sont  représentées,  en  y  ajoutant  celles  de  Bithynie, 
de  Pisidie  et  de  Pamphylie,  qui  avaient  aussi  quelques  délégués  (2). 
Faut-il  en  conclure  que  l'évêque  d'Antioche  était,  dès  lors,  considéré 
comme  le  primat  de  toutes  ces  provinces?  Aucunement;  pas  plus  que 
nous  n'avons  accordé  la  même  autorité  à  l'évêque  de  Césarée  de 
Cappadoce,  lorsque,  au  siècle  précédent,  il  se  trouvait  à  la  tête  du 
même  épiscopat  dans  les  conciles  d'Iconium  et  d'Antioche;  pas  plus 
que  nous  ne  l'aurions  reconnue  à  l'évêque  d'Alexandrie,  si  son  état 
de  santé  avait  permis  à  saint  Denys  de  venir  à  Antioche  en  264  juger 
la  cause  de  Paul  de  Samosate. 

{Â  suivre.)  Siméon  Vailhé. 


(i)  EusfeBE,  Hist.  eccles.,  vir,  27-30;  Mansi,  Conciliormn  Collectio,  t.  I,  col.   logS  sq. 
(2)  Mansi,  op.  cit.,. t.  II,  col.  5i3  sq.;  col.  SSg  sq. 


LA  «  PRIÈRE  DES  SEPT  DORMANTS  » 

LE  TEXTE  GREC  ACTUEL 

ET  LE  TEXTE  PRIMITIF 


Parmi  les  prières  que  les  femmes  de  Grèce  demandent  au  papas  de 
iL'citer  pour  éloigner  de  leur  enfant  la  fièvre  si  commune  en  ces  pays 
d'humidité  chaude  et  de  trop  rudimentaire  hygiène,  il  en  est  une  qui 
porte  le  nom  singulier  de  «  Prière  des  sept  enfants  ».  Elle  a  été  insérée 
dans  le  Grand  Euchologe  sous  ce  titre  :  Kjyr,  s».?  T.'j^zvr^  xal  jj.r,  'jTTvoùvTa, 
Y,  0)^  AsysTat.  Ttôv  àyûov  STixà  Tzaioojv  (  i). 

Hn  voici  la  traduction.  L'Ey/r,  tient  en   cinquante  lignes,   de   page 
inat  in-40.  Sur  ces  cinquante  lignes,  la  première  phrase  en  occupe 
quarante    et    une.   C'est    dire    qu'une    traduction    élégante    est    assez 
malaisée. 

O  Dieu,  grand  et  digne  de  louanges,  incompréhensible  et  ineffable,  toi 
qui,  ayant  pris  un  peu  de  poussière  de  tes  mains,  as  formé  l'homme  et 
l'as  honoré  de  ta  ressemblance.  O  Jésus-Christ,  nom  désiré,  avec  Dieu 
ton  Père  sans  commencement  et  ton  Esprit  très  saint,  bon  et  vivifiant, 
manifeste-toi  dans  ton  serviteur  N...,  et  visite-le  dans  son  corps  et  dans 
son  âme,  touché  par  les  prières  (oi»(7to7rou[X£voç)  de  notre  glorieuse  Dame 
la  Vierge  Marie,  Mère  de  Dieu,  et  des  puissances  célestes,  les  saints 
anges;  par  les  prières  du  vénérable  et  glorieux  Jean  prophète,  précurseur 
Cl  baptiste,  et  des  glorieux  et  illustres  apôtres;  par  celles  de  nos  saints 
Pères,  les  grands  hiérarques  et  docteurs  universels,  Basile  le  Grand,  Gré- 
-îoire  le  théologien,  Jean  (>hrysostome,  Athanase  et  Cyrille;  de  nos  saints 
Pères  Nicolas  de  Myre,  Spyridon  de  Trimithunte  les  thaumaturges  [2), 
L't  de  tous  les  saints  hiérarques;  par  les  prières  de  saint  Etienne,  apôtre, 
protomartyr  et  archidiacre;  des  saints  et  glorieux  martyrs  Georges  le 
porte-trophée,  Démétrius  le  Myroblite,  Théodore  le  Stratélate  et  de  tous 
!'  s  martyrs;  par  celles  de  nos  Pères  les  moines,  pleins  de  l'esprit  de  Dieu, 


!  IvJyoXÔYcov  To  (léya.  Athènes  1902  (Edition  Paraskévopouios),  p.  407;  l'édition 
liolique  de  la  Propagande,  Rome,  iSyS,  contient  aussi  cette  prière,  p.  343-344,  sauf 
m  court  passage  qui  en  a  étc  supprimé.  Cf.  Goar,  EJyoXôytov  sïve  Rituale  grœcorum. 
Paris,  1647,  p.  703.  Dom  Huber,  O.  S.  B.,  qui  a  consacré  rjicemment  un  volumineux 
Hivrage  à  la  Légende  des  Sept  Dormants,  Die  Wander légende  von  deti  Siebenschlœ- 
fern,  Eine  literargeschichtliche  Untersuchung  (Leipzig,  lyio),  ne  fait  pas  même 
mention  de  cette  intéressante  formule  liturgique. 

(2)  Goar  écrit  à  tort  -oC  Oaj[i.aTo-jpi'Oj.  Voir  son  Euchologion,  p.  446;  l'édition  de  la 
Propagande,  /oc.  cit.,  porte  aussi  simplement  :  STrupiôwvoç  tou  6au[j.aTO-jpYoù. 


ri6  ÉCHOS  d'orient 


Antoine,  Euthyme,  Sabbas  le  sanctifié,  Théodose  le  cénobiarque,  Onufre, 
Arsène,  Athanase  l'Athonite  et  tous  les  saints  moines;  par  celles  des  gué- 
risseurs, les  saints  anargyres  Cosme  et  Damien,  Cyrus  et  Jean,  Panta- 
lémon  et  Hermolaùs,  Samson  et  Diomède,  Thalélaius,  Tryphon  et  les 
autres;  par  celles  de  saint  N...  et  de  tous  les  saints,  et  accorde-lui  un 
sommeil  réparateur,  un  sommeil  qui  donne  à  son  corps  guérison,  salut 
et  vie;  accorde-lui  la  santé  de  l'âme  et  du  corps. 

Ainsi  autrefois  tu  as  visité  Abimélek  ton  serviteur  dans  le  temple 
d'Agrippa,  et  tu  lui  as  accordé  un  sommeil  consolateur  pour  qu'il  ne 
soit  pas  témoin  de  la  ruine  de  Jérusalem,  et  ce  sommeil  lui-même  était 
sa  nourriture.  Puis  en  une  seconde  tu  l'as  réveillé  pour  manifester  ta 
bonté,  £tç  oô^av  TTi?  (7T,ç  àyaGÔTT,To;.  De  même  aussi  durant  les  jours  de 
Dèce,  le  roi  apostat,  tu  glorifias  les  sept  enfants,  confesseurs  et  témoins 
de  ta  venue  (iTT'.c&avstaç),  les  endormant  dans  la  grotte  où  durant  trois  cent 
soixante-deux  ans  ils  demeurèrent  comme  des  foetus  dans  le  sein  de  leur 
mère,  sans  souffrir  des  atteintes  de  la  corruption  ;  cela,  afin  de  magnifier 
ton  amour  pour  les  hommes,  et  en  témoignage  assuré  de  la  palingénésie 
et  de  la  résurrection  des  morts.  Toi-même,  ô  Roi  qui  aime  les  hommes, 
deviens-nous  présent  par  la  venue  de  ton  Saint-Esprit,  et  visite  ton  ser- 
viteur N...,  et  accorde-lui  guérison,  force  et  bonne  santé,  car  de  toi  vient 
toute  grâce  et  tout  don  parfait. 

Car  tu  es  le  médecin  des  âmes  et  des  corps,  et  de  nous  vers  toi  montent 
la  louange,  les  actions  de  grâces  et  les  adorations;  vers  toi,  qui  es  avec 
ton  Père  sans  commencement,  et  avec  ton  Esprit  très  saint,  bon  et  vivi-, 
fiant,  maintenant  et  toujours  et  dans  les  siècles  des  siècles. 


Avant  de  faire  semarquer  la  singularité  de  cette  longue  oraison,  il 
est  bon  de  donner  quelques  détails  sur  les  personnages  invoqués  ou 
pris  en  exemple.  Saint  Basile,  saint  Grégoire,  d'autres  encore  sont  très 
connus.  Saint  Spyridon  est  l'évêque  de  Trimithunte,  dans  l'île  de 
Chypre,  qui  assista  au  concile  de  Nicée  et  mourut  vers  348.  Son  corps, 
dans  la  suite,  fut  transporté  à  Constantinople,  puis  vers  1500,  sous 
le  coup  de  la  crainte  des  Turcs,  à  Corfou,  où  il  est  conservé  intact, 
dit-on,  dans  une  riche  châsse  d'argent.  C'est  le  saint  le  plus  vénéré 
des  îles  Ioniennes,  tant  par  les  catholiques  que  par  les  orthodoxes  (i). 
La  relation  des  miracles  que  les  Grecs  lui  attribuent  remplirait  de  gros 
volumes. 

Saint  Nicolas,  le  saint  préféré  des  tout  jeunes  Français,  est  l'évêque 


(i)  Le  curé  latin  d'une  grande  ville  de  Grèce  m'a  dit  que  pour  empêcher  les  catho-^ 
liques  d'aller  vénérer  dans  les  églises  orthodoxes  l'icône  de  saint  Spyridon,  il  avai 
dû  la  placer  dans  son  église. 


LA   «    PRIÈRE    DES    SEPT    DORMANTS    )>  I  17 

ac    Myre,    dont    le    corps    est    conservé    à    Bari,    dans    la    Fouille. 

Saint  Georges  le  Victorieux  est  également  célèbre.  Avec  Théodore 
It'  Stratélate  et  Démétrius  le  Myroblite,  il  fait  partie  du  groupe  dit  des 
s.iints  militaires,  qu'on  pourrait  tout  aussi  bien  appeler  le  groupe  des 
saints  méconnus,  puisque  aucun  peut-être  de  ceux  qui  le  composent  n'a 
été  militaire  au  sens  propre  du  mot  (i). 

Un  très  ancien  récit  rattache  Georges  à  la  Cappadoce  et  le  fait 
mourir  sur  l'ordre  de  l'empereur  des  Perses,  Datianos.  «  C'est  un  tissu 
d'inepties  »,  déclare  le  P.  Delehaye  (2).  Georges,  par  exemple,  fait 
porter  des  fruits  à  vingt-deux  sièges  de  bois  et  ressuscite  des  morts 
qui  reposent  dans  un  sarcophage  depuis  quatre  cent  soixante  ans, 
cinq  hommes,  neuf  femmes  et  trois  enfants.  Dans  des  actes  latins, 
plus  modernes  et  plus  vraisemblables,  c'est  Dioclétien  qui  prononce 
la  peine  de  mort,  et  le  prodige  des  dix-sept  ressuscites  est  devenu  la 
résurrection  d'un  païen  mort  seulement  depuis  plus  de  trois  cents 
années  avant  la  venue  de  Jésus-Christ,  comme  il  le  confesse  lui- 
même  (3).  Il  est  peu  d'églises  en  Grèce  où  on  ne  trouve  l'icône  de 
saint  Georges.  11  est  représenté  en  soldat,  dans  la  fière  attitude  du 
Dexiléos  du  Céramique  d'Athènes,  sur  un  cheval  cabré  et  perçant 
d'une  longue  lance  un  horrible  dragon. 

Démétrius  ou  Dimitri,  patron  de  Salonique,  souffrit  le  martyre  sur 
i  ordre  de  Maximien  à  Salonique  même,  raconte  une  première  légende. 
Rien  n'y  dit  qu'il  soit  un  soldat.  Il  joue  plutôt  le  rôle  d'un  catéchiste 
volontaire  et  d'un  prédicateur. 

De  Saint  Théodore  on  sait  encore  moins.  Il  existe  un  très  ancien 
Ihéodore  le  Conscrit,  28  février,  dont  le  culte  avait  pour  centre  la  ville 
d'Euchaita,  dans  l'Hélénopont.  A  une  époque  difficile  à  préciser,  on 
commença  à  faire  mention  d'un  homonyme,  Théodore  le  Stratège  ou 
le  Général,  que  l'on  rattache  aussi  à  Euchaita.  Son  existence  n'est  point 
établie  historiquement  (4). 

(i)  Un  des  plus  connus  de  ces  sai7its  militaires  est  saint  Procope  de  Césarée,  lec- 
teur et  exorciste.  Le  R.  P.  Delehaye  a  fait  assez  longuement  le  récit  de  ses  transfor- 
mations successives.  Les  Légendes  hagiographiques.  Bruxelles,  1906,  p.  142. 

(2)  Pour  ces  trois  saints,  je  me  sers  beaucoup  du  livre  déjà  classique  du  R.  P.  Dele- 
haye, les  Légendes  grecques  des  saints  militaires.  Paris,  1909.  Saint  Théodore  occupe 
le  chapitre  11;  saint  Georges  le  chapitre  m,  et  saint  Démétrius  le  chapitre  vi.  Voir 
aussi,  pour  saint  Théodore,  Analecta  Bollandiana,  igti,  t.  XXX,  p.  457;  et  pour  les 
difficultés  que  l'on  essaye  de  tirer  de  ces  légendes,  la  série  d'articles  que  M.  Vacandard 
a  publiés  dans  la  Revue  du  clergé  français  sur  les  saints,  successeurs  des  dieux, 
surtout  la  livraison  du  i5  octobre  191 1. 

(3)  C'est  la  version  que  les  hagiographes  populaires  ont  adoptée.  Cf.  Nicodème 
l'Hagiorite,  i]uvaÇapi(TTrj<;,  au  23  avril.  (Edition  Nicolai"dès  Philadelphe,  Athènes,  1868^ 
t.  11,  p.  io5.) 

(4)  H.  Delehaye,  op.  cit.,  p.  i5. 


1  I  8  ÉCHOS    D  ORIENT 


Ces  trois  martyrs,  les  deux  premiers  surtout,  jouissent  d'une  vogue 
immense  dans  le  monde  orthodoxe.  Le  fondateur  de  la  jeune  dynastie 
grecque  a  voulu  s'appeler  Georges. 

Le  groupe  des  moines  succède,  dans  notre  prière,  à  celui  des  mar- 
tyrs. Sabbas  le  Cappadocien,  surnommé  le  Sanctifié,  fut,  à  l'époque  de 
Justinien,  un  des  plus  célèbres  abbés  de  Palestine.  11  avait  été  dans  sa 
jeunesse  disciple  d'Euthyme  l'abbé,  qui  est  sans  doute  le  personnage 
nommé  avant  lui  dans  la  prière.  De  même,  l'abbé  Théodose  le  Céno- 
biarque,  également  Cappadocien  et  disciple  de  Siméon  le  Stylite,  vécut 
dans  le  même  temps  près  de  Jérusalem. 

En  1906,  le  R.  P.  Petit,  des  Augustins  de  l'Assomption  (i),  a  public 
une  longue  vie  inédite  de  saint  Athanase  l'Athonite,  le  grand  patron 
des  caloyers  grecs.  Athanase  est  le  fondateur  de  la  Grande  Laure,  ou 
son  corps  est  conservé,  et  le  premier  législateur  de  la  sainte  montagne. 
Il  n'est  donc  pas  étonnant  qu'il  soit  invoqué  ici  à  la  suite  des  grands 
moines  Onufre  et  Arsène,  antérieurs  de  plusieurs  siècles. 

Pour  finir,  on  invoque  les  anargyres  Cosme  et  Damien,  ceux  qui 
soignent  et  guérissent  gratis,  et  un  quadruple  groupe  de  martyrs  (Cyr 
et  Jean,  Pantaléon  et  Hermolaùs,  Samson  et  Diomède,  Thalalaius  et 
Tryphon)  qui,  presque  toujours,  les  accompagnent.  Les  hagiographes 
grecs,  embarrassés  par  les  difficultés  que  présente  leur  légende,  ont  en 
toute  candeur  distingué  trois  paires  d'anargyres,  tous  de  même  nom  : 
Cosme  et  Damien,  de  même  métier  et  de  même  surnom  àvàpvjpoç. 
mais  de  pays  différents,  et  dont  ils  célèbrent  la  mémoire  le  27  octobre, 
le  ler  novembre  et  le  i«»'  juillet  (2).  Cette  épithète  d'anargyre  a  été. 
dans  la  suite,  appliquée  à  plusieurs  martyrs,  même  en  dehors  de  ce 
groupe  de  dix. 

On  invoque  encore  un  saint  au  choix  du  prêtre  ou  du  malade,  et  la 
prière  semble  se  terminer  par  l'exposition  de  la  grâce  à  obtenir.  Mais 
alors  commence  un  double  récit  dont  le  premier  a,  je  n'en  doute  pas, 

intrigué  le  lecteur. 

* 
*  * 

La  Bible  raconte  que  l'eunuque  éthiopien  Abdémélek  obtint,  grâce  a 
son  influence  auprès  du  roi  Sédécias,  la  permission  de  retirer  d'une 


(i)  L.  Petit,  A.  A.,  Vie  de  saint  Athanase  l'Athonite,  dans  les  Analecta  Bollandiana, 
IQ06,  t.  XXV,  p.  12-87.  Avant  cette  publication,  le  rôle  exact  du  Saint  était  fort  mal 
connu.  Cf.  Dom  P.  de  Meester,  Voyage  de  deux  Bénédictins  aux  monastères  du 
mont  Aihos.  Paris,  1908,  p.  58. 

(2)  Cf.  NicoDÈME  l'Hagiorite,  op.  cit.,  t.  I",  p.  iSy.  On  voit  par  cet  exemple  ce  qu'il 
faut  penser  de  la  critique  des  hagiographes  byzantins.  Sur  le  sanctuaire  romain  d  s 
saints  Cosme  et  Damien,  sur  le  culte  qu'on  leur  rendait  et  sur  leur-  messe,  le  P.  Grisar 


LA    NN    PRIÈRE    DES    SEPT    DORMANTS    ^^  .    II9 

basse-fosse,  où  on  l'avait  descendu  pour  l'y  laisser  mourir  de  faim,  le 
prophète  Jérémie.  Dieu,  pour  récompenser  cet  acte  de  charité,  révéla  au 
prophète  que,  dans  la  ruine  de  Jérusalem,  Abdéméleck  serait  épargné. 
C'est  tout  ce  que  le  Livre  de  Jérémie  nous  dit  de  ce  personnage  (i). 

Mais  un  apocryphe  judéo-palestinien,  les  Paralipomènes  de  Jérémie  (2), 
qui  circulait  peut-être  dès  le  ii«  siècle  avant  l'ère  chrétienne,  connaît 
bien  d'autres  détails.  C'est  de  lui  qu'est  tirée  la  légende  du  sommeil 
d'Abdémélek.  De  l'apocryphe,  elle  a  passé  dans  les  recueils  des  hagio- 
graphes.  Nicodème  l'Hagiorite  la  narre  avec  complaisance  dans  son 
Synaxaire,  sous  ce  titre  :  «  Récit  sur  la  lamentation  de  Jérémie  le  pro- 
phète, sur  la  ruine  de  Jérusalem  et  sur  l'extase  (^cspl  ttÏ^  sxo-ràTsto?) 
d'Abimélek.  »  Comme  elle  est  très  peu  connue,  on  me  permettra  de  la 
résumer  (3). 

Après  avoir  développé  à  sa  manière  le  sobre  récit  de  la  Bible,  l'hagio- 
graphe  en  arrive  au  prodige. 

«  Seigneur,  dit  Jérémie,  je  ne  veux  pas  qu'Abimélek  voie  la  ruine 

de  la  cité;  il  sécherait  de  frayeur  et  il  mourrait,  car  il  est  craintif  et  pusil- 
lanime. »  Et  Dieu  dit  à  Jérémie  :  «  Envoie-le  dans  la  vigne  d'Agrippa.  Je 
le  garderai  dessous,  à  l'ombre  de  la  montagne,  jusqu'à  ce  que  le  peuple 
revienne  de  la  captivité.  »  Et  Jérémie  dit  à  Abimélek  :  «  Prends  une  cor- 
beille, mon  fils,  et  va  à  la  vigne  d'Agrippa,  par  le  chemin  du  milieu  de 
la  montagne,  et  rapporte  des  figues,  afin  que  les  malades  en  mangent.  » 
Abimélek  obéit.  Pendant  qu'il  cueillait  les  figues,  l'armée  de  Nabucho- 
donosor  entra  dans  la  ville,  mais  Abimélek  ne  le  sut  pas.  Ayant  rempli 
sa  corbeille  de  figues,  comme  la  chaleur  était  accablante,  pour  se  reposer 
un  peu  il  s'assit  à  l'ombre  d'un  arbre,  la  tête  appuyée  sur  la  corbeille. 
Et,  ô  merveille,  il  s'endormit  pour  soixante-dix  ans. 


a  écrit  quelques  pages  très  intéressantes.  Grisar,  S.  J.,  Histoire  de  Rome  et  des 
Papes  au  moyen  âge.  Paris,  1906  (traduction  Ledos),  t.  I",  p.  190  sq. 

(i)  Jerem.  xxxvni,6-i3,  et  xxxix,  i5-i8.  Le  vrai  nom  de  l'eunuque  est  Abdémélek. 

(21  Ou  plutôt  les  Paralipomènes  de  Baruch.  L  s  Paralipomena  Jeremiœ  ont  été 
édités  par  Cériani  en  186K,  et  réédités  par  M.  Rendel  Harris.  The  rest  of  the  words 
cf  Baruch.  Londres,  1889.  Cf.  Bulletin  critique,  1890,  t.  XL  p.  261. 

AbimJek  s'endort  sur  la  route  qui  meneaux  «jardins  d'Agrippa  ».  Dans  l'apocryphe 
juif,  l'eunuque  retrouve  Baruch,  et  tous  deux  Jérémie,  qui  revient  de  Babylone,  rame- 
nant le  peuple  à  sa  suite.  Puis  le  prophète  meurt  pour  ressusciter  le  troisième  jour 
€t  mourir  derechef,  lapidé  par  le  populaire.  Il  fut  enseveli  par  ses  deux  fidèles  dis- 
ciples. Il  est  intéressant  de  constater  que  la  partie  la  plus  fantaisiste  de  l'apocryphe 
a  été  conservée  dans  un  recueil  quasi-officiel  de  l'Eglise  orthod  )xe,  le  Synaxaire  de 
Nicodème.  L'apocryphe  carchoumi  (arabe)  sur  la  captivité  de  B.bylone,  publié  et 
traduit  récemment  par  M.  P.  Nib,  raconte  en  détail  la  même  I  istoire.  Revue  de 
l'Orient  chrétien,  tom.  vi  (xvi),  191 1,  n'  2  p.  i5o  sq.  Aftimalek  le  dormeur  retp.uve 
Jérémie.  «  Et  toute  sa  vie  durant,  le  prophète  Jérémie  révérait  Aftimalek.  »  Ibid., 
p.  i5i. 

(3)  Nicodème,  op.  cit.,  t.  I",  p.  188,  au  4  novembre.  Les  Grecs  célèbrent  le  i"  mai 
ta  mémoire  du  prophète  Jérémie. 


I20  ECHOS    D  ORIENT 


Quand  il  se  réveilla,  il  avait  la  tête  lourde  et  plus  sommeil  encore. 
Mais,  secouant  sa  paresse,  il  prit  ses  figues,  et,  honteux  d'avoir  dormi, 
il  courut  en  hâte  les  porter  à  Jérémie.  Stupéfaction!  il  ne  reconnaît  plus 
Jérusalem,  ni  les  rues,  ni  sa  maison,  ni  personne.  «  J'ai  la  tête  malade, 
tant  j'ai  besoin  de  sommeil.  C'est  pourtant  bien  ici  Jérusalem!  »  A  ses 
questions,  tout  le  monde  s'étonne;  les  passants  se  moquent  de  lui.  Crai- 
gnant la  folie,  il  s'assied  hors  de  la  ville  pour  tâcher  de  se  ressaisir.  Un 
vieillard  se  présente.  Il  l'interroge  et  apprend  de  lui  ce  qui  s'est  passé. 
Jérémie,  on  ne  sait  où  il  est,  mais  le  peuple  est  en  captivité  à  Babylone 
depuis  soixante-dix  années.  »  L'Ethiopien,  à  son  tour,  traite  de  fou  le 
paysan  qui  lui  raconte  de  telles  insanités.  Mais  on  s'explique,  et  Abi- 
mélek  se  laisse  convaincre.  Une  preuve  palpable,  c'est  son  panier  de 
figues.  «  Les  fruits  sont  mûrs.  Est-ce  possible  à  cette  époque?  —  Mais 
en  quel  mois  sommes-nous  donc?  —  Dans  le  douzième,  mon  fils.  »  Et 
le  vieillard  prend  quelques  figues,  le  remercie  et  s'en  va 

Inutile  d'ajouter  que  cette  jolie  histoire  est  sortie  tout  entière  de 
l'imagination  du  premier  narrateur.  Pour  quel  motif  le  moine  qui  l'a 
fait  entrer  dans  V Euchologion  a-t-il  changé  en  temple  la  vigne  d'Agrippa? 
Peut-être  existe-t-ii  une  variante  du  récit  (i). 

Le  suivant,  celui  qui  a  donné  son  nom  à  la  prière  qui  nous  occupe, 
si  l'on  met  à  part  comme  il  convient  les  noms  des  sept  martyrs  inscrits 
au  martyrologe  romain,  n'offre  pas  de  moindres  difficultés.  11  est  plus 
merveilleux  encore.  Après  Grégoire  de  Tours,  Syméon  le  Méta- 
phraste  (2)  a  popularisé  la  légende  de  ces  sept  officiers  d'Ephèse,  qui, 
au  temps  de  la  persécution  de  l'empereur  Dèce,  s'étant  cachés  dans 
une  grotte,  s'y  endormirent,  pour  se  réveiller  trois  cent  soixante-deux 
années  plus  tard,  sous  le  règne  de  Théodose  le  jeune.  Peut-être  dor- 
miraient-ils encore  si  le  propriétaire  de  la  grotte,  dans  laquelle  ils 
avaient  été  emmurés  sur  l'ordre  de  l'empereur,  n'avait  eu  l'idée  de 
démolir  le  mur  et  d'y  prendre  des  pierres  pour  la  construction  d'une 
mandra,  c'est-à-dire  d'un  parc  à  brebis.  —  Réveillés,  et  l'estomac 
creux,  les  officiers  dépêchent  l'un  d'eux,  jamblique,  à  la  ville  pour 
acheter  des  provisions.  Mais  à  Jamblique,  qui  croyait  avoir  dormi 
quelques  heures  à  peine,  il  arrive  pires  aventures  qu'à  Abdémélek.  On 


(i)  Sur  la  légende  d'Abimélek  et  ses  relations  littéraires  avec  celle  des  Sept  Dor- 
mants, voir  HuBER,  op.  cit.,  p.  407  sq. 

(2)  P.  G.,  t.  CXV,  col.  428  sq.  Ce  récit,  que  le  Métaphraste  intitule  assez  étrangement 
'T7ro(j.vr|(AaTa,  occupe  dix  colonnes  de  la  Patrologie.  C'est  dire  tout  ce  qu'on  y  peut 
raconter.  Au  martyrologe  romain,  les  Sept  Dormants  sont  inscrits  au  ly  juillet. 
Cf.  Acta  Sanctorum,  jul.,  t.  VI,  p.  876;  H.  Delehaye,  Synaxarium  Ecclesiœ  Constan- 
tinopolitanœ.  Bruxelles,  1902,  col.  i55, 1.  10  et  1.  ^7  (22  et  23  oct.);  col.  664, 1.  21  (8  mai); 
col.  834,  1.  43;  col.  865,  1.  38  (4  août);  coi.  866,  1.  12  ^2  août);  col.  872,  1.  bj  (7  août). 


LA   x>    PRIERE    DES    SEPT    DORMANTS    »  121 

le  prend  pour  un  voleur,  parce  qu'il  présente  une  pièce  d"or  à  l'effigie 
de  Dèce,  mort  depuis  si  longtemps,  et  pour  un  fou.  Le  proconsul  veut 
le  faire  garder  en  prison,  mais  Jamblique  parvient  à  convaincre  de  sa 
bonne  foi  l'évêque  Marin.  Tous  se  transportent  à  la  grotte  :  fidèles, 
évêque,  proconsul,  et  même  l'empereur  Théodose,  venu  en  hâte  de 
Constantinople.  On  s'étonne,  on  interroge,  on  se  félicite  du  miracle. 
Mais  voilà  que  tout  à  coup  les  martyrs,  repris  par  le  sommeil,  inclinent 
la  tête,  et,  en  présence  de  la  foule  —  travaillée  à  ce  moment  par  des 
hérétiques  qui  niaient  la  résurrection  des  morts,  —  s'endorment  pour 
ne  plus  se  réveiller. 

Les  noms  de  ces  Dormants,  que  les  Grecs  appellent  les  sept  enfants 
d'Epbèse,  varient  beaucoup.  D'après  le  martyrologe  romain,  qui  dépend 
de  Grégoire  de  Tours,  leurs  noms  étaient  :  Malchus,  Maximien,  Marcien, 
Denys,  Jean,  Sérapion  et  Constantin.  Nicodème  l'Hagiorite,  qui  est  une 
autorité  chez  les  Grecs,  les  nomme  :  Maximilien,  Exagoustodinien, 
Jamblique,  Martinien,  Denys,  Antonin  et  Constantin.  Le  Métaphraste 
remplaçait  Constantin  par  Jean.  De  même  la  durée  de  leur  sommeil 
varie  de  198  à  377  années,  selon  les  calculs  (i). 

Aucun  récit  n'a  été  plus  populaire  durant  le  moyen  âge,  et,  de  nos 
Jours  même.  Les  hagiographes  en  tous  pays  s'en  sont  faits  les  propa- 
gateurs, et  il  y  a  deux  années  à  peine,  M.  François  de  Witt-Guizot  l'a 
redit  avec  une  grâce  ingénue  et  une  souriante  ironie  aux  lecteurs  du 
Correspondant,  non  sans  l'avoir  enjolivé  encore  (2).  Le  cardinal  Baronius 
y  retrouvait  le  souvenir  dramatisé  d'une  inventio  de  martyrs.  Le  savant 
bollandiste  Delehaye  y  voit  «  à  l'origine  un  roman  pieux  qui,  insen- 
siblement, quitte  le  domaine  de  la  littérature  pour  passer  sur  le  terrain 
de  la  liturgie.  Les  héros  d'un  pur  récit  d'imagination,  dit-il,  sont 
honorés  comme  des  saints  dont  on  désigne  la  sépulture  et  dont  on  se 
procure  des  reliques  »  (3). 


Ce  qui  étonne  d'abord,  quand  on  étudie  cette  prière  au  point  de 
vue  littéraire,  c'est  que,  tout  en  portant  le  titre  de  «  Prière  des  sept 


(i)  Sur  les  noms  des  Sept  Dormants,  la  durée  de  leur  sommeil,  et  autres  détails  de 
leur  légende,  d'après  les  divers  textes,  voir  Huber,  op.  cit.,  p.  91-104. 

(2)  François  de  Witt-Guizot,  Malchus  ou  les  Dormants  d'Ephèse,  dans  le  Corres- 
pondant, 25  décembre  1909.  Dom  Huber,  op.  cit.,  p.  422,  signale  un  rapprochement 
à  faire  entre  les  deux  noms  Jamblichus-Malchus  et  celui  d'Abimélek. 

(3)  H.  Delehaye,  les  Légendes  hagiographiques,  p.  212.  Cf.  ibid.,  p.  180,  où  il  est 
dit  qu'on  trouve  parfois  les  noms  des  Sept  Dormants  mêlés  à  des  formules  magiques. 
Il  doit  en  être  de  même  pour  Abdémélek. 


122  ECHOS    D  ORIENT 


enfants  »,  elle  ne  donne  pas  leurs  noms,  mais  renferme,  par  contre, 
ceux  d'une  trentaine  de  saints  que  l'on  n'invoque  guère,  exception 
faite  des  anargyres,  pour> obtenir  le  sommeil.  En  réalité,  il  y  a  une 
première  prière  qui,  malgré  le  titre,  n'est  pas  celle  des  Sept  Dormants, 
et  qui  s'arrête  où  commence  la  légende  d'Abdémélek,  pour  se  terminer, 
si  l'on  y  tient,  par  la  doxologie.  Les  deux  récits,  celui  d'Abdémélek  et 
celui  des  Sept  Dormants,  sont  adventices.  Il  suffit  de  les  lire  avec  atten- 
tion. Ce  n'est  ni  le  même  style,  ni  le  même  vocabulaire,  ni  la  même 
allure.  L'attitude  religieuse,  pour  ainsi  dire,  et  le  mode  d'intercession 
sont  essentiellement  différents. 

Cette  première  oraison  n'offre  rien  de  remarquable.  Elle  ne  doit  pas 
être  ancienne  sous  cette  forme,  et  le  nom  d'Athanase  l'Athonite,  qui 
semblerait  la  dater,  ne  peut  être  appelé  en  témoignage.  De  plus,  elle 
n'est  pas  originale,  en  ce  sens  que  rien  ne  lui  appartient  en  propre. 
Les  noms  des  saints  et  la  doxologie  sont  empruntés  à  d'autres  prières 
ou  plutôt  font  partie  d'une  série  quasi  fixée  par  la  coutume  liturgique. 
A  l'office  de  la  Prothèse,  le  prêtre,  en  préparant  les  troisième,  qua- 
trième, cinquième  et  sixième  particules  du  pain  d'autel,  nomme  presque 
tous  ces  saints,  y  compris  Athanase  l'Athonite  (i).  De  même  aussi,  on 
les  nomme  presque  tous  dans  une  oraison  de  Vacoloutbia  Toy  w.xoo'j  \ 
àY'.aTjjLO'j,  dont  la  doxologie  est  analogue  à  celle  de  la  Prière  des  Sept  ^ 
Dormants  (2).  \ 

On  objectera  que  les  oraisons  susdites  ne  demandent  pas  la  grâce  du  ; 
sommeil.  En  effet,  il  reste  une  phrase  de  deux  lignes  irréductibles 
à  d'autres  prières  de  VEuchologion.  «  Accorde-lui  un  sommeil  réparateur, 
un  sommeil  qui  donne  à  son  corps  guérison,  salut  et  vie;  accorde-lui^ 
la  santé  de  l'âme  et  du  corps.  »  Mais  cette  phrase  elle-même  n'est  qu'un 
passage  à  dessein  transformé  d'une  prière  oubliée,  qui  était  la  véritable 
Prière  des  Sept  Dormants. 

En  voici  la  traduction  : 

«  Béni  sois-tu,  Seigneur  Jésus-Christ,  notre  Dieu,  toi  qui guéris 

toute  maladie  et  toute  faiblesse,  toi  qui  à  tes  sept  bienheureux  enfants  : 
Maximilien,  Jamblique,  Martinien,  Denys,  Jean,  Exagoustodinien  et 
Antonin  as  accordé  le  sommeil  qui  apporte  le  salut  (-Tïpôçsvov  T(jjT7,pîa;), 
pour  fuir  les  menaces  du  roi  impie,  accorde  à  ton  serviteur  N...  un  doux 


(i)  Ce  rite,  qui  consiste  à  détacher  des  parcelles  en  l'honneur  des  saints,  peu 
remonter  au  x°-xi'  siècle.  Cf.  Dom  P.  de  Meestek,  Genèse  et  somxes  du  développemen 
du  texte  grec  de  la  Liturgie  de  saint  Jean  Chrysostome.  Rome,  1908,  p.  67  >q. 

(2'  Celle  qui  commenje  ainsi  :  K-Jois  ô  esdc  riiiôiv,  ô  [xÉya;  xr\  BouX^.,  Eùxo  /o'y  tov  _ 
■d'Athènes,  p.  363.  EùxoXoytov  de  la  Propagande.  Rome,  1873,  p.'2i3;  Cif.  Goar,  op.  cit.,^ 
p.  446. 


LA   «    PRIÈRE    DES    SEPT    DORMANTS    »  I23 

I  sommeil  et  la  santé  du  corps.  Et  si,  en  sa  qualité  d'homme,  il  a  trans- 
gressé un  de  tes  commandements,  pardonne-le-lui,  Seigneur;  relève-le, 
éclaire  son  âme  et  purifie-le  de  toute  souillure  de  la  chair  et  de  l'esprit. 
Garde-le  par  ta  grâce  sain,  bien  portant,  comblé  de  jours;  (garde-le)  de 
tout  mal  et  de  toute  entreprise  satanique,  lui  que  tes  mains  très  pures 
ont  formé.  Par  l'intercession  de  la  Mère  de  Dieu,  Marie  toujours  vierge, 
î   et  de  tous  les  saints.  » 

■  Cette  prière  a  été  publiée  il  y  a  quelques  années  par  M.  A.  Dmi- 
ii  trievsky,  d'après  un  manuscrit  du  xie-xir-  siècle  appartenante  la  Biblio- 
I  thèque  du  monastère  du  Sinaï.  Elle  a  pour  titre:  Ey/Y,  d;  aTQîvoùvTa; 
Ij  /.al  Twv  aYÛov  i--y.  -rra'l^wv  twv  èv  'Ecp£7t|j  (i).  Puisque  les  Grecs  voulaient 
|i  posséder  une  Ej'/r;  twv  in-zb.  Tra'lowv,  pourquoi  n'ont-ils  pas  gardé  cette 
il  si  belle  prière?  Il  en  est  peu  dans  tout  VBucbologion,  qui  est  en  partie 
!  le  Rituale  de  l'Eglise  orthodoxe,  d'aussi  touchantes,  ni  d'aussi  pieuses, 
i  ni  d'aussi  expressives.  Le  style  est  nerveux,  précis  et  clair,  dans  la  bonne 
:  tradition  hellénique.  Point  de  rhétorique  facile  ni  de  développement 
i,  par  appel  verbal,  par  jeux  de  mots  pour  ainsi  dire,  comme  il  arrive  trop 
;i  souvent  chez  les  liturgistes  byzantins  de  la  décadence.  On  voit,  par 
;  exemple,  ce  qu'est  devenue  la  phrase  :  accorde  à  ton  serviteur  un  doux 
'\  sommeil  et  la  santé  du  corps,  oôç  utzvov  -O.'jx-jv  xal  pwTiv  Toj|jLaToç.  Cette 
formule  si  concise  est  défigurée  en  ces  termes  dans  V Euchologion  :  ùoç 
ajTO)  'j-vov  àv£TîO)Ç,  'j-vov  crtoaaTUOV,  li^ftiv.:;  xal  (joiirr^oiy.^  xal  s<^>)f,ç,  xal 
iM7\y  'l'jyr^^  xal  TtôjjiaTOç. 


Mais,  par  quel  moyen  la  prière  actuelle  a-t-elle  pénétré  dans  V  Eucho- 
logion? Dans  une  note  à  propos  d'Abdéméleck,  Goar  déclare  que  la 
Prière  des  Sept  Dormants  est  de  date  récente  et  ne  se  trouve  pas  dans 
les  manuscrits  (2).  11  n'aurait  pu  dire  la  même  chose  de  la  véritable 
prière  que  peut-être  il  n'a  pas  connue,  mais  qui,  avec  de  légères 
variantes,  s'est  conservée  presque  jusqu'à  l'époque  où  il  écrivait.  C'est 
ainsi  qu'on  la  trouve  encore  dans  un  Euchologe  manuscrit  appartenant 


(i)  A.  D.MiTRiEVSKY,  Description  des  Manuscrits  liturgiques  conservés  dans  les  biblio- 
thèques de  l'Orient  orthodoxe  (en  russe),  t.  II,  EùyoXôyta-  Kiev,  igoi,  p.  74.  Voir 
dans  les  Echos  d'Orient,  igoS,  p.  21g,  une  brève  recension  du  volume. 

(2)  Goar,  op.  cit.,  p.  705,  n.  8. 

Voici  cette  note,  qui  a  été  l'occasion  de  cette  petite  étude  sur  la  Prière  des  Sept 
Dormants:  Apocrypha  seqiiutus  hujus  Orationis  [quœ  recens  est,  nec  in  M.  S.  exem- 
plar  habet)  author,  sanctorum  fama  celebrium  habita  memoria,  ignoti  cujusdam 
Abimelech  è  fabulosis  libris  nomen  producit  ut  somni  longioris  miraculose  contin- 
gentis  historiam  fidemque  astruat.  Goar  ne  soupçonne  pas  qu'Abimélek  est  l'Abdé- 
mélek  du  Livre  de  Jérémie. 


124  ÉCHOS    d'orient 


à  la  bibliothèque  du  monastère  atlionite  de  Vatopédi,  écrit  en  1538  (i). 

Mais,  depuis  quelques  années  déjà,  la  prière  actuelle  était  composée. 
M.  Dmitrievsky  la  signale  dans  un  manuscrit  écrit  en  1522  (2).  Il  donne 
Yincipit  :  0  Stbç,  6  ij^Éva;  xal  alvcTÔ?  et  renvoie  sans  plus  à  Goar,  édition 
de  Venise,  p.  559. 

Goar  ne  connaissait  pas  non  plus  une  autre  prière,  qui  est  vraisem- 
blablement le  point  de  départ  de  la  deuxième  partie  de  celle  qu'il  publie. 
La  voici,  d'après  un  Euchologe  manuscrit  du  xv^  siècle  : 

«  EjyT,  elq  auTivov.  Seigneur  notre  Dieu,  qui  as  endormi  ton  serviteur 
Abimélek  sous  le  figuier  à  six  branches,  yTroxaTco  -zr.q  o-jxy,^  ty,ç  è^a~-c- 
puyou,  et  à  Ephèse  les  sept  enfants  Jamblique,  Maximien,  Exagoustodi- 
nien,  Denys,  Jean,  Antoine  et  Martinien,  endors  aussi  ton  serviteur  N... 
d'un  sommeil  paisible,  d'un  sommeil  reposant,  d'un  sommeil  de  vie, 
d'un  sommeil  guérisseur  et  salutaire.  Au  nom  du  Père,  et  du  Fils...  »  (3) 
Cette  oraison,  qui  se  termine  sans  doxologie,  par  le  simple  signe  de  la 
croix,  ressemble  assez  à  celles  que  les  commères  guérisseuses  d'Athènes 
ou  du  Pirée  récitent  sur  les  enfants  malades  (4). 

Il  existe  donc  trois  types  bien  distincts  de  la  Prière  des  Dormants 
celui  de  l'Euchologe   actuel,  celui   où   l'on  nomme  les  sept  martyrs, 
et  un  troisième,  où  sont  évoqués  à  la  fois  Abdémélek  et  les  martyrs. 
Le  plus  ancien  est  celui  du  manuscrit  du  xi«  siècle;  c'est  la  véritable 
prière,  celle  qui  aurait  dû  trouver  sa  place  dans  VEuchologion  Méga  (5). 

Mais,  vers  le  xiv'^-xve  siècle,  un  liturgiste,  choqué  peut-être  de  voir 
choisis  comme  intercesseurs  les  héros  d'une  histoire  aussi  étrange  que 
celle  des  martyrs  d'Ephèse,  aura  remplacé  leurs  noms  par  des  saints 
mieux  connus  et  moins  discutés,  ceux  précisément  qu'on  invoquait 
dans  l'office  de  la  Prothèse,  et  embelli  à  sa  manière  le  style  de  l'antique 
prière,  qu'il  a  fait  suivre  d'une  doxologie  empruntée. 

Par  malheur,  une  autre  prière  circulait  déjà,  celle  du  troisième  type,] 
sous  une  forme  ou  sous  une  autre.  L'Eùy^   actuelle  est  une  combi- 


(()  Dmitrievsky,  op.  cit.,  p.  yôS.  Un2  légère  variante  :  le  scribe  nomme  l'empereurj 
Dèce  et  retranche  deux  lignes,  depuis  garde-le  par  ta  grâce,  jusqu'à  ont  formé. 

(2)  Dmitrievsky,  op.  cit.,  p.  747.  Manuscrit  du  Métokhion  du  Saint-Sépulcre  à  Con-j 
stantinople. 

(3)  Dmitrievsky,  op.  cit.,  p.  473.  Manuscrit  du  Métokhion  du  Saint-Sépulcre  à  Con-| 
stantinople. 

(4)  Voir  ma  note  sur  Quelques  supostitions  liturgiques  che^  les  Grecs,  dans  les  Echos  i 
d'Orient,  t.  XIV,  191 1,  p.  75.  Li  traduction  s&ra'a  :  Sous  le  figuier  à  six  ailes.  'EÇocirTi-| 
puyo;  est  l'épithéte  liturgique  des  séraphins.  ,< 

(5)  Dire  l'époque  où  cette  prière  fut  composée  est  impossible,  mais  on  a  vu  qu'elle} 
doit  remonter  très  haut.  D'ailleurs,  une  Prière  des  Sept  Dormants  ne  pouvait  êtrej 
imaginée  que  sous  cette  forme. 


LA    «    PRIÈRE    DES    SEPT    DORMANTS    »  12^ 

iiiiison  des  deux,  due  à  un  moine  ignorant  ou  superstitieux.  Le  rôle 
d'Abdémélel^  a  même  été  précisé  et  agrandi,  et  la  simple  nomencla- 
ture des  noms  des  martyrs  est  devenue  le  récit  de  leur  merveilleuse 
aventure.  Le  compilateur  a  pu  tout  aussi  bien  ajouter  à  la  prière,  qu'à 
son  tour  il  corrigeait,  une  formule  existante,  car  d'Abdémélekà  la  doxo- 
logie,  la  prière  est  complète.  On  prononce  même  le  nom  du  patient. 
En  ce  cas  encore,  cette  formule  rentrerait  dans  le  troisième  type. 


Voilà  une  des  deux  ou  trois  hypothèses  qui  se  peuvent  faire.  Mais, 
à  quoi  bon?  Il  suffit  d'avoir  montré  où  est  le  texte  qui  servait  dès  le 
XF  siècle  à  l'usage  liturgique.  11  me  reste  à  souhaiter  que  les  liturgistes 
grecs  fassent  disparaître  de  V Euchologion  Mega  cette  production  médiocre, 
que  Goar  condamnait  déjà,  et  la  remplacent  par  la  véritable  Prière  des 
Sept  Dormants. 

Louis  Arnaud. 

Athènes. 


LES  JUIFS  DANS  L'EMPIRE  BYZANTIN 


Depuis  la  captivité  de  Babylone  et  leur  dispersion  à  travers  le  monde, 
les  Juifs  ont  eu  les  fortunes  les  plus  diverses,  suivant  les  temps  et  les 
lieux.  Les  empereurs  romains  les  avaient  d'abord  persécutés,  non  pas 
tant  parce  qu'ils  refusaient  d'adopter  la  religion  officielle  que  parce 
qu'ils  menaçaient  la  sécurité  de  l'empire  en  prétendant  à  la  domination 
sur  la  terre  entière  par  l'avènement  de  leur  Messie.  Puis,  les  événements 
leur  ayant  montré  que  cette  crainte  était  vaine,  ils  avaient  fini  par  leur 
laisser  toute  liberté  de  pratiquer  leur  religion  et  de  s'établir  où  bon 
leur  semblerait,  pourvu  que  ce  fût  en  dehors  de  Jérusalem.  Aussi  la 
situation  d'Israël  était-elle  très  florissante  au  moment  où  le  christia- 
nisme, triomphant  après  trois  siècles  de  luttes,  s'emparait  du  trône 
impérial. 

Héritiers  de  l'empire  romain,  les  Byzantins  n'adoptèrent  point  à  l'égard 
des  Juifs  les  idées  de  leurs  devanciers.  Fidèles  convaincus  ou  simplement 
partisans  du  christianisme,  parce  qu'il  était  la  religion  nationale,  ils 
prirent  les  mesures  les  plus  énergiques  pour  le  protéger  contre  tous 
ses  ennemis:  hérétiques,  SaFnaritains,  Juifs,  païens  et  musulmans. 
L'union  intime  que  Byzance  réalisait  de  plus  en  plus  entre  l'Eglise  et 
l'Etat  faisait  de  tous  les  non  chrétiens  des  ennemis  de  l'empire  en 
même  temps  que  de  la  religion  officielle.  C'est  à  ce  titre  que  les  Juifs 
furent  soumis  à  un  régime  très  sévère,  qui  ne  s'adoucit  que  momenta- 
nément durant  la  persécution  iconoclaste. 

Justinien,  qui  montra  peut-être  le  moins  de  tendresse  pour  Israël,  ne 
fut  cependant  pas  le, premier  empereur  à  légiférer  à  son  endroit.  Chose 
digne  de  remarque,  la  plupart  des  édits  qu'il  a  introduits  dans  le  code, 
il  les  a  trouvés  dans  l'héritage  de  ses  prédécesseurs  depuis  Constantin; 
il  n'y  a  pas  ajouté  grand'chose,  non  plus  du  reste  que  les  princes  qui 
l'ont  suivi.  Les  basiliques  de  Léon  VI  le  Sage,  au  ix^  siècle,  contiennent 
presque  mot  pour  mot  les  articles  du  code  de  Justinien.  La  jurispru- 
dence est  donc  fixée  à  l'égard  des  Juifs  dès  le  vp  siècle.  S'il  y  eut  diver- 
sité dans  la  politique  des  empereurs  à  leur  égard,  ce  fut  plutôt  dans 
l'application  des  lois  existantes  que  dans  la  promulgation  de  nouveaux 
décrets. 

Il  serait  intéressant  de  suivre  dans  le  détail  toutes  les  phases  de  j 
cette  lutte,  qui  dura  des  siècles  entre  le  pouvoir  impérial  et  les  sectateurs  | 
de  Moïse,  où  les  révoltes  et  les  trahisons  répondirent  aux  mesures 


LES   JUIFS    DANS    L  EMPIRE    BYZANTIN  \2J 

d'exception.  Il  nous  suffira,  dans  cette  étude,  d'examiner  quelle  était,^ 
à  Byzance,  la  situation  juridique  des  Juifs,  et  d'indiquer  quelles  mesures 
prenait  le  gouvernement  pour  protéger  les  chrétiens  contre  les  fils 
d'Israël  et  ceux-ci  contre  le  zèle  intempestif  des  chrétiens. 

Statut  légal  des  Juifs 

Les  Juifs  n'ont  point  le  droit  de  suivre  leurs  coutumes  particulières 
dans  la  célébration  des  mariages,  mais  ils  doivent  s'en  tenir  aux  pres- 
criptions du  droit  commun  (Code,  i,  9,  7);  défense  leur  est  faite  de 
pratiquer  la  polygamie  (Code,  loc.  cit.);  défense  d'épouser  une  chré- 
tienne, comme  il  est  défendu  aux  chrétiens  d'épouser  une  Juive  (Code,  i, 
9,  6).  Ceux  qui  enfreignent  la  loi  sur  ce  point  subissent  la  peine 
infligée  aux  adultères,  et  se  voient  privés  du  droit  d'ester  en  justice 
(Code,  loc.  cit.). 

Sous  les  empereurs  païens,  les  Juifs  avaient  été  dispensés  des  charges 
alors  si  lourdes  de  la  curie.  Un  édit  de  Gratien,  Valentinien  et  Théo- 
dose, du  14  avril  383,  les  y  soumet  de  nouveau  (Code,  i,  9,  5).  Arca- 
dius  et  Honorius  réclament  l'application  rigoureuse  de  ce  décret,  le 
30  décembre  399  (Code,  i,  9,  10).  Les  Israélites  doivent  verser  au  trésor 
impérial  un  impôt  annuel  en  «  or  de  couronne  »,  et  leurs  chefs  religieux 
sont  chargés  de  le  lever  à  leurs  risques  et  périls  (Code  i,  9,  17). 

Pour  leurs  différends,  ils  sont  soumis  au  droit  commun.  Ils  sont  tenus 
de  se  présenter  devant  les  tribunaux  ordinaires  pour  tout  ce  qui  regarde 
la  religion,  les  lois  et  le  droit  public;  ils  doivent  intenter  et  plaider  tous 
leurs  procès  selon  les  lois  romaines.  Cependant,  si  quelques-uns  d'entre 
eux,  après  entente  et  en  matière  civile  seulement,  s'en  remettent  à 
l'arbitrage  d'autres  Juifs,  la  sentence  de  ces  derniers  sera  valable,  et  les 
juges  devront  la  faire  exécuter  comme  si  le  procureur  lui-même  avait 
désigné  les  arbitres  (Code  i,  9,  8).  Dans  leurs  procès  avec  les  chrétiens, 
ils  ne  peuvent  jouir  de  cette  faveur,  et  sont  tenus  de  soumettre  le 
différend  aux  juges  ordinaires  (Code,  i,  9,  15).  Ils  ne  peuvent  ester  en 
justice  contre  un  chrétien  orthodoxe,  mais  ils  le  peuvent  contre  un 
hérétique  ou  un  non  chrétien  (ITsIpa  d'Eustathe,  xxx,  16)  (i). 

Le  serment  des  Juifs  n'est  admis  qu'entouré  de  cérémonies  assez 
curieuses  que  le  génie  byzantin  avait  inventées  pour  montrer  son 
mépris  à  leur  égard.  Un  document,  qui  est  probablement  du  xi«  siècle. 


(i)  Zach.  a  Lingenthal,  Jus  grœco-romanum.  Leipzig,  i856,  t.  I,  p.    i38.  Cf.  Har- 
MÉNOPOULOS,  Manuale  legum  dictum  Hexabiblos,  i,  6,  10. 


128  ÉCHOS    D  ORIENT 


VEcloga  ad  Prochiron  mutata,  nous  indique   de   quelle   manière   il   se 
pratiquait  à  cette  époque. 

Défais  sa  ceinture,  remplace-la  par  une  ronce,  plonge-le  dans  la  mer 
jusqu'au  cou,  qu'il  étende  la  main  sur  l'eau  et  qu'il  dise  :  Par  le  Dieu 
qui  a  créé  Adam  et  Eve,  qui  a  donné  la  loi  à  Moïse,  qui  a  opéré  de 
grands  prodiges,  qui  a  fait  passer  à  Israël  la  mer  Rouge  à  pied  sec,  qui 
lui  a  préparé  à  manger  dans  le  désert  et  l'a  nourri  d'un  pain  céleste,  je 
jure  que  je  dis  la  vérité  et  que  je  ne  mens  pas  en  ceci  et  en  cela  (i). 

Cette  mise  en  scène  assez  burlesque  est  encore  enrichie  de  détails 
nouveaux  dans  le  rapport  d'un  Juif  converti  du  xii^  siècle,  adressé  à 
l'empereur  Manuel  Comnène  : 

Qu'il  se  ceigne  d'une  ronce,  qu'il  se  mette  à  cheval  sur  une  outre,  qu'il 
entre  dans  la  mer  xat  TCTUfjYi  ty,v  -rrcp'.TojxYjV  «ùtou  toîtov  (2)  en  disant  :  Pai 
Barasa,  Baraa,  Adonaï,  EIoï,  qui  a  fait  passer  la  mer  Rouge  à  pied  sec 
à  Israël,  qui  l'a  désaltéré  de  l'eau  du  rocher,  qui  lui  a  donné  à  manger  la 
manne  et  le  râle,  bien  qu'il  ait  été  ingrat  en  ne  refusant  pas  la  viande  de 
porc;  par  la  loi  que  nous  a  donnée  Adonaï,  xal  xbv  lp.7:T'j5pLc>v  -zoz  cojjxaTO!; 
TYi;  7repiT0[jLTiç  (3)  et  la  ronce  qui  me  ceint  les  reins,  ce  n'est  pas  faussement 
que  je  jure  le  nom  du  Seigneur  Sabaoth  ;  si  je  jure  faussement,  maudits 
soient  les  enfants  de  mes  entrailles;  que  je  heurte  les  murs  comme  un 
aveugle,  et  qu'ayant  des  yeux  comme  si  je  n'en  avais  pas,  je  tombe  avec 
eux  tous;  que  la  terre  s'entr'ouvre  et  m'engloutisse  comme  Dathan  et 
Abiron  (4). 

A  la  suite  de  ce  rapport,  l'empereur  imposa  une  autre  formule  plus 
courte,  trouvée,  dit-il,  dans  un  vieux  livre  (1148).  La  mise  en  scène 
est  un  peu  moins  humiliante. 

Qu'il  se  ceigne  d'une  ronce,  qu'il  prenne  dans  ses  mains  le  livre  des 
Ecritures,  et  qu'il  dise  :  «  Béni  soit  le  nom  du  Seigneur  Dieu  de  nos 
Pères,  qui  a  créé  le  ciel  et  la  terre  et  qui  nous  a  fait  passer  la  mer  Rouge 
à  pied  sec,  je  ne  mens  pas;  si  je  mens,  que  le  Seigneur  Dieu  me  donne 
la  lèpre  de  Giézi  et  d'Amman '(5),  le  châtiment  du  prêtre  Héli;  que  la 
terre  s'entr'ouvre  et  m'engloutisse  vivant  comme  Dathan  et  Abiron  (6). 

A  Constantinople,  la  coutume  s'était  établie  de  soumettre  tous  les 


(i)  Ecloga   ad  Prochiron  mutata,  XXX,    14,   apud  Zach.   a    Lingknthal,    op.  cit.^ 
t.  IV,  p.  145. 

(2)  Le  grec  comme  le  latin,  dans  les  mots,  brave  l'honnêteté.  Nous  donnons  la  tra? 
duction  latine  du  texte  grec  :  Et  exspuat  in  circumcisionem  suam  tertio. 

(3)  Et  exspuitionem  in  corpus  circumcisionis. 

(4)  Zach.  a  Lingenthal,  op.  cit.,  t.  III,  p.  441. 

(5)  Sans  doute  Naaman. 

(6)  Zach.  a  Lingenthal,  op.  cit.,  t.  III,  p.  442. 


LES   JUIFS    DANS   L  EMPIRE    BYZANTIN  1 29 

procès  des  Juifs  au  gouverneur  du  détroit  (Bosphore).  Vers  1180,  le 
même  Manuel  Comnène  décida  qu'ils  pourraient  à  l'avenir  être  jugés 
par  tous  les  tribunaux  (Novelle  80)  (i). 

Bien  que  soumis  aux  lois  communes,  les  fils  d'Israël  n'ont  pas  les 
mêmes  droits  que  les  autres  citoyens.  Justin  1<"'  les  déclare  radicalement 
inhabiles  à  exercer  aucune  fonction  civile  ou  militaire;  ils  ne  peuvent 
recevoir  aucune  dignité  ni  s'élever  à  aucun  ordre,  sauf  celui  des  cohor- 
tales  (Code,  i,  5,  12).  11  leur  est  spécialement  interdit  d'obtenir  les 
charges  de  defensor  civitaiis  et  de  pater  civitatis,  afin,  dit  la  loi,  «  de 
protéger  contre  leur  arbitraire  et  leurs  jugements  iniques  les  chrétiens 
et  particulièrement  les  évêques  ».  (Code,  i,  9,  18.)  Si,  d'aventure,  ils 
réussissent  à  se  faire  donner  une  dignité  ou  une  fonction  quelconque, 
ils  en  seront  privés  et  rendus  à  leur  condition  première  (Code,  i,  12; 
ï,  q,  18).  De  plus,  ils  sont  condamnés  à  payer  une  amende  de  trente 
livres  d'or;  quant  aux  fonctionnaires  chargés  de  les  inscrire,  et  qui  ne 
s'opposent  pas  à  cette  usurpation,  ils  doivent  payer  huit  livres;  les 
magistrats  qui  sont  de  connivence  paient  cinquante  livres  (Code,  i,  5,  12). 

Une  mesure  très  sévère  de  Théodose  11  et  de  Valentinien  111(3  '  j^f^v.  439), 
inscrite  dans  le  code  (2)  et  renouvelée  dans  les  basiliques  (3),  interdit 
nux  Juifs  de  construire  de  nouvelles  synagogues;  tout  ce  qui  leur  est 
permis,  c'est  de  réparer  celles  qui  existent  et  de  les  consolider.  Qui- 
conque bâtit  une  nouvelle  synagogue  au  lieu  de  réparer  l'ancienne 
voit  son  œuvre  confisquée  au  profit  de  l'Eglise;  quant  à  lui,  il  est  con- 
damné à  une  amende  de  cinquante  livres  d'or. 

L'Etat  n'intervient  pas  seulement  pour  légiférer  sur  la  construction 
•des  édifices  du  culte;  il  prend  aussi  sur  lui  de  régler  ce  qui  doit  se 
faire  dans  les  assemblées  religieuses.  C'est  ainsi  que  nous  voyons  Jus- 
tinien,  par  sa  novelle  146  inscrite  mot  pour  mot  dans  les  basiliques  (4), 
permettre  pour  la  lecture  publique  des  Livres  Saints  l'usage  de  la  langue 
grecque,  de  la  langue  latine  et  de  toute  autre  langue,  suivant  les 
4ieux.  Cette  mesure  a  pour  but  d'empêcher  les  rabbins  d'expliquer  à 
leur  façon  la  Bible  au  peuple  qui  ne  connaît  point  ou  pas  assez  la  langue 
hébraïque.  11  impose  à  ceux  qui  parlent  le  grec  la  version  des  Sep- 
tante, «  qui  est  la  meilleure  de  toutes,  et  préférable  aux  autres  à  cause 
du  miracle  qui  a  accompagné  sa  composition  ».  Cependant,  les  autres 
traductions  ne  sont  pas  entièrement  interdites;  ils  peuvent  se  servir 


|i)  Zach.  a  Lingenthal,  op.  cit.,  t.  III,  p.  504. 
i|2)  Code,  I,  9,  18. 
P)  Bas.  l,  I,  57. 
4)  Bas.  I,  I,  47. 

Echos  d'Orient,  t.  XV 


130  ÉCHOS    D  ORIENT 


aussi  de  la  version  d'Aquila,  bien  que  l'auteur  ne  soit  pas  un  Juif  de 
naissance,  et  que  son  texte  s'écarte  en  plusieurs  passages  de  celui  des 
Septante.  Interdiction  absolue  de  la  deuterosis  (i),  qui  n'a  point  été 
inspirée  par  Dieu,  mais  composée  uniquement  par  les  hommes.  Tous 
ceux  qui,  archiphérécites  (commentateurs  du  Talmud),  prêtres  ou  rab- 
bins, empêchent  le  peuple  de  lire  l'Ecriture  en  langue  grecque,  sont 
punis  de  châtiments  corporels  et  privés  de  leur  patrimoine.  Dans  le 
Nomocanon  de  Phôtius,  la  peine  indiquée  est  la  confiscation  et  l'exil  (2). 
Quiconque  cherche  à  introduire  des  nouveautés  ou  qui  nie  la  résurrec* 
tion,  le  jugement,  la  création  des  anges  par  Dieu,  doit  être  expulse 
de  partout.  L'empereur  termine  son  décret  par  une  exhortation  à  hier 
se  pénétrer  des  vérités  contenues  dans  les  Saintes  Ecritures,  et  y  à  con 
former  sa  vie,  la  connaissance  des  Livres  Saints  étant  très  utile  poui 
vivre  honnêtement.  Cette  sollicitude  paternelle  fait  sourire,  quand  or 
se  rappelle  que  Justinien  avait  parfois  la  main  un  peu  lourde  lorsqu'i 
s'occupait  d'Israël. 

Mesures  pour  protéger  les  chrétiens 

A  ces  dispositions  qui  réglaient  le  statut  légal  des  Juifs,  l'Eglise  et 
l'Etat  en  ajoutèrent  d'autres  qui  avaient  pour  but  d'empêcher  les  chré- 
tiens de  se  laiss.er  tenter  par  le  prosélytisme  judaïque,  et  de  les  pro- 
téger contre  des  attentats  que  les  haines  de  race  d'un  côté  et  les  perse 
cutions  de  l'autre  rendaient  toujours  possibles. 

Le  canon  6  des  apôtres  (3),  les  canons  36  et  37  de  Laodicée  (4)  inter 
disent  aux  chrétiens  de  célébrer  la  Pâque  en  même  temps  que  les  Juifs, 
de  participer  à  leur  fête  et  de  recevoir  d'eux  des  azymes.  Le  concile  in 
Trullo  renouvelle  <:es  défenses  et  y  ajoute  celle  d'habiter  dans  les  mêmes 
maisons  que  les  Juifs,  de  les  consulter  dans  les  maladies,  de  recevoir 
d'eux  des  remèdes,  de  se  baigner  en  leur  compagnie.  Qiiiconque  enfreint 
ces  prescriptions  doit  être  dégradé,  s'il  est  clerc,  excommunié,  s'il  est 
laïque  (Concile  i»  Trullo,  canon  11)  (5). 

11  fallait  aussi  prévoir  les  sollicitations  à  embrasser  la  religion  mosaïque  J 
Le  code  déclare  que  tout  Juif  qui  essayera  d'attirer  un   chrétien  a 
judaïsme  aura  ses  biens  confisqués  et  subira  la  peine  du  sang  (Code,  i 


(i)  Traditions  des  anciens.  On  connaît  quatre  de  ces  ouvrages:  celui  dit  de  Moïse, 
celui  de  Rabbi  Akiba,  celui  d'Adda  ou  Juda,  et  celui  des  fils  de  l'Asmonéen. 

(2)  Nomocanon,  XII,  3. 

(3)  Ralli  et  PoTLi,  SûvraYna  twv  îepwv  xavôvwv.  Athènes,  i852,  t.  II,  p.  lO. 

(4)  Ralli  et  Poili,  op.  cit.,  t.  III,  p.  206. 

(5)  Ralli  et  Potli,  op.  cit.,  t.  II,  p.  328. 


LES   JUIFS    DANS    L  EMPIRE    BYZANTIN  I3I 

9,  18).  Quant  à  celui  qui  ose  circoncire  un  chrétien  ou  qui  aura 
ordonné  de  le  faire,  il  est  puni  de  l'exil  perpétuel  (Code,  i,  9,  16).  Il  est 
de  même  défendu  de  circoncire  un  catéchumène  (Bas.,  i,  i,  46). 

Rigoureuse  pour  les  propagandistes  juifs,  la  loi  ne  l'est  pas  moins 
pour  les  chrétiens  qui  glissent  au  judaïsme.  Le  code  décrète  contre  eux 
la  peine  de  la  confiscation  (Code,  i,  7,  i);  la  Synopsis  minor  {xi^  ou 
XI!*'  siècle)  y  ajoute  celle  du  sang  (i). 

S'il  est  permis  aux  chrétiens  d'avoir  des  esclaves  baptisés,  cette 
faculté  n'est  point  accordée  aux  Juifs.  La  loi  leur  interdit  d'acheter  un 
esclave  chrétien,  de  le  recevoir  en  legs  ou  à  quelque  autre  titre  que  ce 
soit.  Si  un  Israélite  a  un  esclave  chrétien  ou  d'une  autre  race  que  la 
sienne,  et  qu'il  ose  le  circoncire,  il  est  condamné  à  la  peine  capitale,  et 
l'esclave  est  remis  en  liberté  (Gode,  i,  10,  i).  Celui  qui  garde  un 
esclave  chrétien  doit  payer  trente  livres  d'or  et  voit  l'esclave  reprendre 
sa  liberté  (Code,  1,  10,  2).  Si  l'esclave  non  chrétien  d'un  Juif  veut 
embrasser  le  christianisme,  aussitôt  qu'il  est  baptisé  il  doit  être  remis 
en  liberté  sans  que  ni  l'Eglise  ni  personne  n'ait  rien  à  payer  à  son 
maître,  et  cela  même  dans  le  cas  où  celui-ci  se  convertirait  après  le 
baptême  de  l'esclave.  Les  infractions  à  cet  édit  entraînent  la  peine  de 
mort  (Code,  1,3,  54). 

Non  contente  de  défendre  les  chrétiens  contre  le  prosélytisme  juif  et 
de  les  mettre  à  l'abri  d'une  sujétion  pleine  de  périls,  la  loi  punit  des 
peines  les  plus  sévères  les  attentats  commis  sur  leurs  personnes.  Un  édit 
de  Constantin  et  de  Licinius,  du  13  octobre  315,  inséré  dans  le  code, 
déclare  : 

Nous  voulons  qu'il  soit  notifié  aux  Juifs  que  si  quelqu'un  d'entre  eux 
ose,  selon  leurs  lois,  lapider  ou  mettre  à  mort  de  quelque  autre  manière 
que  ce  soit  celui  des  leurs  qui  aura  abandonné  leur  secte  funeste  pour 
se  convertir  au  vrai  Dieu,  il  sera  brûlé  avec  tous  ses  complices  (Code,  i, 
9»  3)  (2). 

Les  gouverneurs  des  provinces  doivent  veiller  à  empêcher  tout  acte 
qui  serait  une  injure  à  la  religion  chrétienne,  comme  de  brûler  la  croix 
les  jours  de  sabbat  ou  de  l'introduire  dans  les  synagogues  pour  s!en 

oquer  (Code,  i,  9,  1 1). 
ous  avons  déjà  vu  que  les  Juifs  ne  pouvaient  ester  en  justice  contre 
chrétiens,  et  que  tous  les  procès  qu'ils  avaient  avec  ces  derniers 
aient  être  jugés  par  les  tribunaux  ordinaires  et  non  soumis  aux 
iens  d'Israël.  Il  leur  est  encore  défendu  d'assigner  les  chrétiens  le 

1)  Synopsis  minor,  \,  5,  apud  Zach.  a  Lingenthal,  op.  cit.,  t.  II,  p.  m. 
t)  Cf.  Zach.  a  Lingenthal,  op.  cit.,  t.  V,  p.  365. 


fc32  ÉCHOS    D  ORIENT 


sabbat,  et  de  leur  faire  subir  ce  jour-là  la  moindre  vexation  de  la  pa 
des  officiers  de  justice  (Code,  i,  9,  13)  (i).  Si  un  chrétien  a  un  cham 
sur  lequel  se  trouve  une  église,  et  qu'il  l'aliène,  l'hypothèque  ou  e 
confie  l'administration  à  un  Juif,  l'église  de  cet  endroit  en  revendique] 
la  propriété  (Code,  i,  i,  ^3). 

Enfin,  si  les  enfants  d'un  Juif  se  font  chrétiens,  ils  ne  peuvent  êti 
prives  en  rien  de  l'héritage  paternel,  quelle  que  soit  la  volonté  dernièi 
du  défunt,  à  condition  toutefois  qu'ils  n'aient  commis  aucune  fau 
grave  contre  leurs  parents.  S'ils  sont  reconnus  coupables,  la  loi,  toi 
en  les  punissant,  leur  reconnaît  encore  le  droit  au  quart  du  patrimoir 
(Code,  I,  s,  13)- 

L'intérêt  ou  la  crainte   pouvant  amener  les  fils  d'Israël  à  simuli 
une  conversion  au  christianisme,  l'Eglise  et  l'Etat  s'entendaient  pot 
écarter  ces  pseudo-néophytes.  Dès  397,  Arcadius  et  Honorius  ordo 
naient  de  rejeter  impitoyablement  des  églises  les  Juifs  poursuivis  p 
la  justice  ou  par  leurs  créanciers  qui  y  pénétraient,  afin  d'y  trouver  i 
refuge  par  une  soi-disant  conversion;  on  ne  devait  les  admettre  q' 
lorsqu'ils  avaient  payé  leurs  dettes  ou  prouvé  leur  innocence  (Code, 
12,  i)(2).  Le  juriste  Théodose  ajoute  que  ceux  qui  s'étaient  converj 
étaient  punis  de  la  confiscation  et  de  l'exil  perpétuel  s'ils  retournaie 
au  judaïsme.  Le 'canon  8  du  deuxième  concile  de  Nicée  demande  qu' 
n'admette  plus  ni  à  la  communion,  ni  à  la  prière,  ni  à  l'église  les  Ju 
convertis  qui,  tout  en  affectant  de  mener  une  vie  chrétienne,  cor; 
Hueraient  en  cachette  à  se  conformer  à  la  loi  mosaïque.  On  ne  pou 
désormais  les  admettre  au  baptême  que  lorsqu'il  sera  prouvé  qu'ils  ( 
entièrement  renoncé  à  leurs  pratiques  nationales  (3). 

Mesures  pour  protéger  les  Juifs 

Les  empereurs  et  les  conciles,  tout  en  prenant  soin  de  mettre 
chrétiens  à  l'abri  des  tentatives  de  prosélytisme  judaïque  et  de  vei 
à  ce  que  la  religion  de  Jésus-Christ  ne  fût  pas  tournée  en  ridicule 
les  tenants  du  mosaïsme,  n'omettaient  pas  pour  cela  de  protéger  cor 
Ife  zèle  intempestif  des    chrétiens   et   contre  les  émeutes    popula 
ceux-là  même  contre  qui  ils  adoptaient  des  mesures  très  sévères.  Séri 
sèment  appliqués,  ces  édits  de  protection  auraient  rendu  la  situai  n 
d'Israël  en  somme  fort  tolérable,  bien  qu'il  ne  lui  fût  point  recoiju 
Tes  mêmes  droits  qu'au  peuple  chrétien.  Disons  qu'ils  restèrent  près  le 

(i)  Cf.  Bas.  I,  I,  43.  ' 

(2)  Cf.  Bas.  I,  I,  43.  ; 

(3)  Ralli  et  PoTLi,  op.  cit.,  t.  II,  p.  583. 


LES   JUIFS    DANS    L  EMPIRE    BYZANTIN  I  }) 

ittre  morte  sous  certains  empereurs,  comme  Justinien,  Maurice,  Héra- 
lius  et  Léon  Vi. 

Aucun  Juif  ne  peut  être  persécuté  parce  qu'il  est  Juif,  et  sa  religion 
e  saurait  être  un  prétexte  pour  le  tracasser  (Code,  i,  9,  14)  (1).  S'il 
it  en  paix  et  qu'il  ne  cause  aucun  trouble,  nul  ne  peut,  sous  prétexte 
e  défendre  la  religion,  exercer  des  violences  sur  lui  ou  piller  ses  biens, 
out  dommage  matériel  causé  à  un  Juif  doit  être  payé  au  double;  les 
ouverneurs  des  villes  ou  des  provinces  qui  permettent  ces  attentats 
Dnt  passibles  de  la  même  peine  (Bas.,  i,   i,  16).  Défense,  sous  peine 

exil,  d'envahir  les  synagogues  pour  y  chercher  un  logement  (Code,  l, 
4)  (2),  d'y  mettre  le  feu,   de  brûler  les  maisons  des  particuliers 

ode,  I,  9,  14).  Si  on  a  à  se  plaindre  des  Juifs,  les  tribunaux  ordi- 
bires  sont  seuls  qualifiés  pour  exercer  des  poursuites  (Code,  i,  9,  14). 
a  loi  ordonne  aussi  de  respecter  les  sabbats  et  les  fêtes  mosaïques;  on 
e  peut,  ces  jours-là,  imposer  aux  Juifs  aucune  corvée  ni  aucune  charge 
iriale  que  ce  soit  (Code,  i,  9,   13). 

Toute  liberté  leur  est  donnée  de  fixer  eux-mêmes  le  prix  de  leurs 

jenrées.  Aucun  homme  étranger  à  leur  religion  ne  peut  leur  imposer 

règlement  à  ce  sujet.  Les  gouverneurs  des  provinces  doivent  donc 

abstenir  de  leur  désigner  des  inspecteurs  et  des  vérificateurs.  Si  quel- 
lu'un  ose  s'attribuer  une  de  ces  fonctions  contre  la  volonté  des  Juifs 

;  de  leurs  anciens,  le  gouverneur  doit  le  punir  comme  cherchant  â 

emparer  du  bien  d'autrui  (Code,  i,  9,  9). 

On  voit,  par  ce  rapide  exposé,  que  la  situation  des  Juifs,  dans  l'em- 

re  byzantin,  était  loin  d'être  privilégiée,  sans  toutefois  présenter  le 

jiractère  d'asservissement  que  certains  historiens  se  sont  plu  à  lui 

,  anner.  Les  mesures  de  rigueur  prises  contre  eux  s'expliquent  par  les 

aines  de  deux  religions  rivales,  de  deux  races  sans  cesse  aux  prises, 

i  ar  la  conviction  profondément  ancrée  chez  les  Byzantins,  que  tout 

''^  omme  qui  n'était  point  partisan  de  l'Eglise  officielle  était,  par  le  fait 

lême,  un  ennemi  de  l'Etat;  elles  s'expliquent  aussi  par  les  révoltes  et 

s  trahisons  des  Juifs,  auxquels  elles  fournissaient  ainsi  une  excuse. 

Orient,  qui  se  piquait  de  civilisation  raffmée,  au  moyen  âge,  ne  fut 

'•ne  ni  plus  confiant  ni  moins  sévère  pour  Israël  que  l'Occident  encore 

ide  et  grossier  où  s'élaboraient  les  civilisations  modernes. 

R.  Janin. 

Constantinople. 

M  1)  Cf.  Bas.  I,  I,  44. 
|(2)  Cf.  Bas.  I,  I,  37. 
"<)  Cf.  Bas.  I,  I,  43. 


LE  MOINE    ALEXANDRE   DE   CHYPRE 

(VI'   SIÈCLE) 


On  possède  sous  le  nom  d'Alexandre,  moine  de  Chypre,  un  long 
discours  historique  à  propos  de  l'Invention  de  la  Croix,  et  un  encomion 
ou  panégyrique  de  l'apôtre  saint  Barnabe. 

Le  discours  sur  l'Invention  de  la  Croix  est,  en  réalité,  un  abrégé  de 
toute  l'histoire  de  la  religion,  depuis  la  création  du  monde  jusqu'à 
l'époque  de  Constantin.  L'auteur  s'excuse  lui-même  de  mettre  un  si 
long  préambule  au  récit  de  la  découverte  de  la  vraie  Croix,  mais  il 
ajoute  que  ce  n'est  pas  sans  raison  qu'il  s'y  est  déterminé  (2).  Il  est 
ainsi  amené  à  exposer,  entre  autres  choses,  la  théologie  de  la  Trinité 
et  de  l'Incarnation.  Ce  long  récit,  où  se  trouvent  mêlées  l'histoire  et  la 
légende,  se  termine  par  un  encomion  à  la  croix  dans  la  forme  habituelle 
à  la  rhétorique  byzantine.  Cet  encomion  final  montre,  comme  l'auteur 
l'afifirme  d'ailleurs  lui-même  (3),  que  ce  discours  fut  composé  à  l'oc- 
casion- de  la  fête  de  l'Exaltation  de  la  Croix,  le  14  septembre. 

Migne  a  emprunté  le  texte  de  ce  discours  au  premier  éditeur,  le  Jésuite 
Gretser.  Il  a  également  reproduit  à  la  suite  de  ce  discours  l'extrait  qu'en 
fit  sans  doute  un  écrivain  postérieur,  lequel  supprima,  comme  de 
juste,  le  long  exposé  historique  jusqu'à  Constantin,  et  se  borna,  après 
le  récit  de  la  découverte  de  la  croix,  à  développer  un  peu  plus 
y  encomion  final. 

Quant  au  panégyrique  de  saint  Barnabe,  il  a  été  vraisemblablement 
prononcé  dans  l'église  Saint-Barnabe  de  Salamine.  Il  présente,  au  point 
de  vue  de  la  composition,  les  mêmes  caractères  généraux  que  le  discours 
précédent;  il  y  a  similitude  de  plan  et  de  rhétorique.  Même  longueur 
de: récits,  où  la  légende  a  souvent  le  pas  sur  l'histoire;  mêmes  formule 
de  modestie  affectée,  même  conclusion  sous  forme  de  panégyrique  ai 


(i)  Migne,  P.  G.,  t.  LXXXVIP,  coL  40 13-4106.  L'editio  princeps  du  discours  éf 
inventione  crucis  a  été  donnée  par  J.  Gretser,  De  cruce,  t.  II,  Ratisbonne,  1734,  p.  i-3ÔJ 
que  Migne  s'est  conienté  de  réimprimer.  Quant  à  {'encomion  de  saint  Barnabe,  Migoè 
n'en  reproduit  que  la  traduction  latine  empruntée  aux  Vitœ  Sanctorum  de  Surius, 
XI  jun.  Cependant  le  texte  grec  en  avait  déjà  été  publié  dans  les  Acta  Sanctorum;. 
pin.,  t.  II.  Paris,  Palmé,  1867,  p.  436-453. 

(2)  P.  G.,  t.  LXXXVII»,  col.  4021  B. 

(3)  Ibid.,  col.  4072  B. 


LE    MOINE    ALEXANDRE    DE    CHYPRE  I35 

de  prière.  Alexandre  dit  emprunter  ses  renseignements  sur  la  vie  et  le 
martyre  de  saint  Barnabe  «  à  Clément,  auteur  des  Stromales  et  à  d'autres 
écrivains  anciens  »  (i).  Il  utilise  surtout  un  écrit  plus  rapproché  de 
son  époque,  l'histoire  des  pérégrinations  (irspioSoi)  de  saint  Barnabe, 
dont  l'auteur,  un  écrivain  chypriote  du  v«  siècle,  se  fait  audacieusement 
passer  pour  Jean  Marc,  le  compagnon  de  Paul  et  de  Barnabe.  Alexandre 
nsiste  particulièrement  sur  la  découverte  miraculeuse  des  reliques  de 
saint  Barnabe  à  Salamine  sous  le  règne  de  l'empereur  Zenon  (474-491) 
et  sous  l'épiscopat  d'Anthémius.  Elle  valut  à  l'Eglise  de  Chypre  la 
reconnaissance  de  son  origine  apostolique,  et,  conséquemment,  de 
son  indépendance,  en  dépit  des  réclamations  de  Pierre  le  Foulon, 
patriarche  d'Antioche  (2). 

Voi  i  le  jugement  que  porte  sur  cette  œuvre  du  moine  Alexandre 
Lin  Bollandiste,  le  R.  P.  Delehaye  : 

L'ÊYxoSfjnov  du  moine  Alexandre,  qui  marque  un  pas  notable  dans  la 
roie  du  développement  légendaire  {des  Actes  de  saint  Barnabe),  n'est 
irraisemblablement  pas  antérieur  à  la  seconde  moitié  du  vi*  si-'cle.  Il  est 
iestiné,  comme  le  récit  de  Jean  Marc,  à  appuyer  les  revendications  de  la 
>rovince  de  Chypre,  et  l'auteur  y  insiste  longuement.  Alexandre,  qui 
irivait  dans  le  monastère  voisin  du  sanctuaire  de  Saint-Barnabe,  a  connu 
es  Trspt'oSoi,  mais  il  a  trouvé  moyen  d'enrichir  l'histoire  de  l'apôtre 
l'un  certain  nombre  de  détails  nouveaux  puisés  dans  «  d'autres  vieux 
crits  »,  dans  les  traditions  nouvellement  formées,  et  aussi  dans  son 
magination  (3). 

Les  critiques  ont  longtemps  hésité  au  sujet  de  l'époque  où  il  convient 
ie  placer  le  moine  Alexandre.  Baronius  (4)  pensait  que  c'était  vers  la 
în  du  ve  siècle,  parce  que,  parlant  de  l'addition  faite  au  trisagion  par 
ierre  le  Foulon,  l'écrivain  chypriote  y  voit  une  corruption  introduite 
iepuis  peu  par  les  hérétiques  (5).  Tillemont  rejette  l'opinion  de  Baro- 
lius;  à  son  avis,  les  confusions  historiques  faites  par  notre  auteur  au 
►ujet  des  événements  du  v*'  siècle  prouvent  qu'il  en  était  déjà  assez 


0)  Acta  Sanctorum,  lac.  cit.,  p.  433  A  ;  cf.  P.  G.,  loc.  cit.,  coL  4090  B. 
(?)  Voir  S.  Vailhé,  Formation   de   l'Eglise   de   Chypre,  dans  les  Echos  d'Orient, 
.XIII,  1910,  p.  5-20. 

(3)  H.  Delehaye,  Saints  de  Chypre,  dans  les  Analecta  bollandiana,  t.  XXVI,  1907, 
\.  236.  Voir  aussi,  sur  Vencomion  de  saint  Barnabe  par  le  moine  Alexandre,  Fabricius, 
'orfex  apocryphus  Novi  Testamenti,  Hambourg,  1719,  p.  781-7^2,  et  R.  Lipsius  Die 
pocryphen  Apostelgesckichten  und  Apostellegenden,  t.  II,  p.  II.  Braunschweig,  1884, 

i  398-304. 

(4)  Baronius,  Annales  ecclesiastici,  ad  ann.  485,  n.  4.  Lacques,  1741,  t.  VIII,  p.,  480. 

(5)  Tillemont,  Mémoires  pour  servir  a  l'histoire  ecclésiastique.  Paris,  1693,  t.   I", 
438  et  646. 


I  36  ÉCHOS    d'orient 


éloigné  (i).  Combefis  croit  qu'Alexandre  est  sûrement  antérieur  à  Héra- 
clius  (610-641)  et  doit  avoir  vécu  sous  Zenon  ou  peu  après  (2).  Sur 
la  foi  d'une  fausse  citation  faite  par  Nicolas  Comnène  Papadopoli  (3), 
attribuant  au  moine  Alexandre  la  biographie  du  patriarche  saint  Nicé- 
phore  (806-815)  écrite,  on  le  sait,  par  le  diacre  Ignace,  Fabricius  dit 
qu'Alexandre  n'a  pas  vécu  avant  le  ix^  siècle  (4).  Allatius  le  met  parmi 
les  écrivains  dont  l'époque  est  inconnue  (s),  et  Dom  Ceillier  affirme 
hardiment  «  qu'on  le  place  communément  dans  le  xu*^  siècle  »  (6).  Le 
chanoine  [Ulysse  Chevalier  n'a  retenu  que  cette  dernière  opinion,  qui 
est  évidemment  erronée  (7). 

Les  critiques  modernes  les  plus  compétents,  entre  autres  Krumba- 
cher,  Bardenhewer  et  le  P.  Pargoire,  rangent  le  moine  Alexandre  de 
Chypre  parmi  les  écrivains  byzantins  du  vi"  siècle,  sous  Justinien 
(527-565)  (8).  La  Patrologie  de  Migne  se  trouve  donc  être  dans  le  vrai, 
en  plaçant  Alexandre  de  Chypre  anno  sceculi  sexti  incerto  (9). 

Ce  qui  est  sûr,  ainsi  que  le  remarque  Dom  Ceillier,  c'est  que  cet 
auteur  «  n'était  point  au  fait  des  choses  qu'il  raconte,  ni  suffisamment 

instruit  de  l'histoire  de  l'Eglise Il  dit  que  les  Pères  du  concile  de 

Nicée  séparèrent  de  leur  communion  tous  ceux  qui  demeurèrent  atta- 
chés à  l'opinion  d'Arius  et  d'Eusèbe  de  Nicomédie,  les  condamnèrent 
à  l'exil  et  mirent  d'autres  évêques  en  leurs  places.  Il  est  toutefois  cer- 
tain que  les  prélats  qui  favorisaient  le  parti  des  ariens  souscri- 
virent à  la  formule  de  Nicée,  quoique  frauduleusement  pour  la  plupart, 
et  l'on  ne  voit  nulle  part  que  le  concile  ait  excommunié  ou  exilé  ceux 
qui  avaient  souscrit  à  son  Symbole  »  (10). 

Dom  Ceillier  allègue  un  second  exemple  de  l'inexactitude  historique 
d'Alexandre  de  Chypre.  Cet  écrivain  affirme  que  «  Macaire,  évêque  de 
Jérusalem,  alla  au-devant  de  l'impératrice  Hélène  avec  tous  ses  compro- 


(1)  P.  G.,  loc.  cit.,  col.  4 ICO  C  D. 

(2)  Combefis,  Bibliotheca  concionatoria.  Paris,  1662,  t.  VII,  p.  i  sq. 

(3)  N.-CoMNÈNE  Papadopoli,  Prœnotationes  mystagogicœ.  Padoue,  1697,  p.  292. 

(4)  Fabricius,  Bibliotheca  grœca.  Hambourg,  1787,  t.  X,  p.  473. 

(5)  Allatius,  De  Simeon. scrip.,PsLris,  1664,  p.  99.  Cf.  OvDiîi,Descript.  ecc/.  Leipzig, 
1722,  t.  II,  p.  1071-1072  C. 

(6)  Ceillier,  Histoire  générale  des  auteurs  sacrés  et  ecclésiastiques.  Paris,  i863. 
t.  XIV,  p.  635. 

(7)  U.  Chevalier,  Répertoire  des  sources  hisioriques  du  moyen  âge,  Bio-bibliogra- 
phie. Paris,  1905,  t.  I",  col.  134. 

(8)  Krumbacher,  Geschichte  der  byzantin.  Litteratur,  2«  édit.,  Munich,  1897,  p.  164, 
363;  Bardenhewer,  Patrologie,  2'  édit.,  Fribourg-en-Brisgau,  1901,  p.  486;  Pargoire, 
l'Eglise  byi{antine  de  527  à  847,  Paris,  1906,  p.  140. 

(9)  P.  G.,  loc.  cit.,  col.  4013. 

(10)  Ceillier,  op.  cit.,  p.  655-656. 


LE    MOINE    ALEXANDRE    DE    CHYPRE  I37 

V  inciaux,  comme  si  cet  évêque  eût  été  dès  lors  métropolitain  ou  patriarche, 
dignité  à  laquelle  les  évêques  de  Jérusalem  ne  furent  élevés  que  long- 
temps après  »  (i). 

Les  erreurs  du  moine  Alexandre  de  Chypre  ne  sont  pas  rares,  du 
reste,  notamment  en  ce  qui  touche  à  la  chronologie  des  empereurs  de 
Rome  (2)  et  des  évêques  de  Jérusalem.  Aussi,  les  deux  écrits  qui  nous 
restent  de  lui  ne  sont-ils  à  signaler  que  comme  œuvres  littéraires.  Ni 
lun  ni  l'autre  ne  saurait  revendiquer  beaucoup  de  valeur  historique. 


S,  Salaville. 


K.adi-K.eui'. 


(1)  Ceillier,  op.  et  loc.  cit. 

(2)  Cf.  K.  Praechter,  Die  roemische  Kaisergeschichte  bis  auf  Diokletian,  dans 
By^antinische  Zeitschrift,  t.  V,  1896,  p.  504-520;  C.  de  Boor,  Die  Chronik  des  Logo- 
theten,  dans  la  même  revue,  t.  VI,  1897,  p.  160-271.  On  peut  voir  encore,  soit  à  propos 
du  discours  sur  l'Invention  de  la  Croix,  soit  à  propos  du  panégyrique  de  saint  Barnabe, 
les  références  de  la  By^antinische  Zeitschrift  indiquées  par  la  Table  des  matières 
des  douze  premiers  volumes,  Generalregister,  Leipzig,  1909,  p.  i5,  c'est-à-dire  :  t.  Il, 
p.  563;  t.  VIII,  p.  65;  t.  IX,  p.  35. 


LA  VIERGE  MYRTIDIOTISSA  A  CÉRIGO 
ET  SON  OFFICE 


La  moderne  Cérigo,  qui  ne  compte  guère  plus  de  12000  habitants, 
la  plupart  cultivateurs  ou  pêcheurs,  ne  s'est  point  laissé  dépasser, 
dans  sa  dévotion  envers  la  Mère  de  Dieu  ou  les  saints,  par  les  autres 
îles  grecques  même  les  plus  peuplées.  Sans  vouloir  donner  la  liste  de 
tous  les  oratoires  qui  couvrent  ses  sommets,  signalons  cependant  les 
deux  plus  importants.  Le  premier,  de  tout  temps  très  fréquenté,  porte 
le  vocable  de  sainte  Elésa,  vierge  martyre,  qui  aurait  vécu  là  au  milieu 
du  ive  siècle;  mais  ce  nom  n'est  peut-être  qu'une  corruption  du  mot 
'E/.£Q'jia-a,  appellation  byzantine  assez  fréquente  de  la  Théotocos  «  misé- 
ricordieuse »  (i). 

L'autre  sanctuaire,  plus  connu  encore,  du  moins  aujourd'hui,  est  celui 
de  la  Vierge  Myrtidiotissa;  c'est  le  lieu  saint  par  excellence  de  l'an- 
tique Cythère,  celui  vers  lequel  converge  la  piété  si  expansive  de  tous 
ses  habitants.  C'est  ce  second  sanctuaire  qui  fera  l'objet  des  pages  qui 
vont  suivre.  Après  en  avoir  raconté  brièvement  les  origines,  nous  ajou- 
terons une  notice  sur  la  fête  et  l'office  auquel  il  a  donné  naissance  (2). 

I.  Origines  et  miracles 

La  tradition  locale  est  seule  à  nous  renseigner  sur  les  origines  du 
sanctuaire.  Voici  ce  qu'elle  nous  en  raconte,  sans  rien  préciser  sur 
l'époque  initiale;  nous  n'entrerons  dans  l'histoire  à  peu  près  datée 
qu'à  partir  du  récit  des  premiers  miracles. 

A  l'ouest  de  Cérigo,  presque  sur  le  bord  de  la  mer,  il  y  avait  un 
lieu  désert  planté  de  myrtes,  qui  lui  avaient  valu  le  nom  de  Myrtidia. 
Après  un  songe  révélateur,  un  paysan  particulièrement  dévot  envers 
Marie  s'y  rendit,  et  entendit  une  voix  qui  lui  disait  :  «  Cherche  tout 


(i)  A.  MiLiABAKis,  Fewypaçta  'ApyoX^ôo;  xal  KopivOiaç.  Athènes,  1886,  p.  281. 

(2)  Nous  avons  utilisé  pour  cet  article  l"AxoXou6ta  tï)ç  eîxovoç  ty)ç  k-Ki\z^o^.biTiç  M-jp- 
TtStoTtffffyiç.  Elle  a  été  éditée  à  Venise  en  1744  et  1789,  à  Constantinople  en  iSei  et  i865, 
à  Smyrne  en  1847  et  1879,  à  Céphalonie  en  1849,  au  Pirée  en  1882,  et  à  Athènes  en  1894. 
Cf.  E.  Legrand  et  H.  Pernot,  Bibliographie  ionienne.  Paris,  1910,  p.  100,  i52,  23o, 
372,  570,  647,  756,  où  l'édition  de  Céphalonie  et  c  lie  du  Pirée  ont  été  oubliées. 
C.  Saihas,  NeoeXXrjVtxï)  çtXoXoyta,  Athènes,  1868,  p.  601,  a  également  omis  de  signaler 
plusieurs  éditions. 


LA  VIERGE    MYRTIDIOTISSA  I  39 

près  d'ici,  si  tu  veux  retrouver  mon  icône;  il  y  a  longtemps  que  j'ha- 
bite ces  parages,  où  je  désire  exercer  ma  puissante  protection.  »  Plein 
de  confiance,  le  paysan  se  penche  sur  les  arbustes  et  soudain  découvre 
l'icône  de  la  Mère  de  Dieu  au  milieu  d'un  bouquet  de  myrtes.  La 
Vierge,  au  regard  compatissant,  tenait  son  Fils  dans  ses  bras;  sur  la 
tête  de  l'Enfant  et  de  la  Mère  était  une  couronne,  et  deux  anges  soute- 
naient d'une  main  celle  de  Marie.  Aussitôt,  notre  homme  s'empresse 
de  bâtir  un  modeste  oratoire  pour  y  déposer  la  précieuse  image,  qu'il 
dénomme  Myrtidiotissa,  c'est-à-dire  Notre-Dame  des  Myrtes.  Il  se  con- 
struit une  cellule,  se  fait  ermite  et  passe  eri  cet  endroit  le  reste  de  ses 
jours  auprès  de  la  sainte  icône,  afin  de  l'offrir  à  la  vénération  des 
foules,  qui  ne  tardent  pas  à  affluer. 

Après  sa  mort,  un  autre  caloyer,  du  nom  de  Léonce,  agrandit  le 
sanctuaire  et  établit  un  couvent  tout  à  côté  (1). 

Quelque  temps  après,  nous  dit  la  notice  du  Synaxaire,  sans  que  rien 
nous  mette  en  mesure  d'apprécier  cet  intervalle,  eut  lieu  le  premier 
■miracle  de  l'icône,  et  le  miraculé  fut  un  certain  Théodore  Koumpanios. 
•Ce  Théodore  venait  chaque  année,  quarante  jours  après  l'Assomption 
'(24  septembre),  faire  un  pèlerinage  à  la  Vierge  des  Myrtes,  en  com- 
pagnie de  sa  famille  et  de  ses  amis.  Cette  pieuse  coutume  fut  bientôt 
imitée  dans  toute  l'île  où,  depuis  le  miracle,  on  célèbre  à  cette  date  la 
fête  annuelle  de  la  Panaghia  locale. 

Devenu  paralytique,  Théodore  était  resté  longtemps  dans  l'impossi- 
bilité absolue  de  revenir  vers  la  Madone.  Pourtant,  au  bout  de  plusieurs 
-années,  il  demanda  d'y  être  porté  dans  une  litière,  et  ses  supplications 
ardentes,  jointes  à  celles  de  ses  enfants  et  de  ses  amis,  lui  obtinrent 
dans  l'oratoire  une  guérison  subite,  dont  le  bruit  se  répandit  même  en 
•dehors  de  Cythère  (2). 

Ces  événements  se  passaient  au  xvip  siècle,  entre  1633  et  1680,  bien 
•que  le  synaxariste  ne  l'indique  pas  explicitement.  L'auteur  qui  en  com- 
posa l'office  commémoratif  fut,  en  effet,  évêque  de  Cérigo  à  cette 
-époque  (3).  Un  seul  miracle,  le  cinquième  relaté  dans  la  notice,  porte 
une  date  et  est  noté  comme  ayant  eu  lieu  le  i'''  février  1722,  le  dimanche 
■de  l'Orthodoxie. 

Nous^  renonçons  à  raconter  ici  les  faveurs  innombrables  que  les  chré- 
tiens obtinrent  par  l'intermédiaire  de  l'image.  Ils  avaient  principalement 


<i)  Acolouthia  citée,  au  Synaxaire. 
(2)  Op.  cit.,  dédicace  de  la  2'  édition. 

{i}    A.   DiMiTRACOPOULOS.    'E7ravop9ta)(T£t;  azii.li)A-:ui'i  irapsaTïipYiôévTwv  èv  t?,  veoEXXïjvtxvi 
çiXoXoYta  toC  K.  Sâôa,  [xsTà  xa(  Ttvwv  upoaOrjxwv.  Trieste,  1872,  p.  42.  ' 


140  -  ÉCHOS    d'orient 


à  soufifrir  des  incursions  des  corsaires  et  des  Turcs,  de  la  sécheresse, 
de  la  disette  et  parfois  de  la  peste;  la  Myrtidiotissa  manifesta  dans  ces 
diverses  circonstances  sa  maternelle  libéralité  (i).  Les  marins  éprou- 
vèrent souvent  son  assistance  salutaire  dans  la  tempête.  Aussi  les 
ex-voto  ont-ils  abondé.  Après  l'avoir  recouverte  d'un  revêtement  d'ar- 
gent, on  gratifia  la  madone  d'un  magnifique  collier  d'or,  et  l'on  sus- 
pendit à  son  cou  un  médaillon  où  étincelaient  les  perles  les  plus  rares. 
Des  champs  lui  ont  été  consacrés  en  témoignage  de  reconnaissance  et 
sont  ainsi  devenus  la  propriété  sacrée  et  inaliénable  du  couvent  (2). 

Chaque  année,  on  porte  en  procession  la  sainte  icône  à  travers  l'île 
entière.  Dès  qu'un  fléau  s'abat  sur  la  contrée,  ou  que  l'on  veut  obtenir 
du  ciel  une  grâce  signalée,  c'est  encore  à  elle  que  l'on  recourt,  et  l'on 
organise  alors  en  son  honneur  une  marche  triomphale  à  travers  les 
bourgs  et  les  campagnes. 

Dans  la  seconde  moitié  du  siècle  dernier,  entre  1870  et  1875,  sous 
l'higoumène  Agathange  Calligéros,  les  Cythéréens  se  sont  concertés 
pour  reconstruire  à  neuf  l'église  et  le  monastère.  Tous,  même  les  émi- 
grés, ont  tenu  à  fournir  généreusement  leur  contingent.  Ils  ont  main- 
tenant un  sanctuaire  aux  proportions  grandioses,  et  dans  l'antique 
oratoire  que  l'on  a  conservé  comme  crypte  on  garde  avec  piété  l'image 
vénérée  de  Notre-Dame  des  Myrtes  (3). 

II.  *La  fête  et  son  office 

Comme  nous  l'avons  vu  plus  haut,  la  Myrtidiotissa  fut  honorée  au 
début  par  des  pèlerinages  privés.  Puis,  lorsqu'on  eut  déterminé  comme 
jour  de  fête  spécial  le  quarantième  jour  après  l'Assomption,  c'est-à-dire 
le  24  septembre,  les  foules  s'accoutumèrent  à  amener  avec  elles  quelques 
membres  du  clergé  pour  célébrer  avec  pompe  la  liturgie  et  les  offices 
de  l'Assomption,  puisque  le  lieu  était  désormais  placé  sous  ce  vocable. 

Quand  se  fit  le  miracle  du  paralytique,  on  chantait  encore  à  Myrtidia 
les  vêpres  et  les  matines  du  1 5  août  (4). 

Néanmoins,  il  semble  bien,  quoique  le  Synaxaire  n'en  dise  rien,  qu'il 
devait  exister  déjà  un  canon  (5)  particulier  pour  la  solennité  du  pèleri- 
nage, car,  sur  les  trois  que  l'on  trouve  actuellement  à  matines,  le  pre- 


(i)  Acolouthia  citée,  dédicace  de  la  2°  édition, 

(2)  Op.  cit.,  au  Synaxiire. 

(3)  A.  MiLiARAKis,  op.  cit.,  p.  271. 

(4)  Acol.  cit.,  Synaxaire. 

(5)  Composition  poétique  qui  fait  partie  de  l'office  de  l'aurore,  et  qui  comprend  huit 
hymnes  ou  odes. 


LA    VIRRGE    MYRTIDIOTISSA  I4I 

mier  ne  fait  aucune  allusion,  même  éloignée,  au  prodige  en  question. 
II  ne  contient  qu'une  longue  série  de  louanges  à  la  Vierge,  et  pourrait 
servir  en  toute  autre  circonstance  comme  une  sorte  d'office  du  commun. 
Au  contraire,  le  second  et  le  troisième  canon,  ainsi  que  les  tropaires 
des  autres  heures,  ont  presque  uniquement  pour  sujet  la  célèbre  gué- 
rison  instantanée.  De  plus,  il  y  a  dans  ces  deux  dernières  pièces  litur- 
giques des  répétitions  frappantes  de  termes  ou  d'idées  que  l'on  ren- 
contre déjà  dans  la  première  (i). 

De  ces  menues  observations,  on  peut  conclure  vraisemblablement  à 
la  priorité  chronologique  du  premier  canon  et  dire  qu'il  a  été  composé 
antérieurement  au  fameux  miracle,  mais  à  une  date  que  l'on  ne  saurait 
fixer  d'une  façon  certaine.  Son  auteur,  Mélétios  Kallonas,  né  en  Crète 
et  devenu  higoumène  du  couvent  de  l'Angaranthos  dans  son  pays 
natal  (2),  vivait  dans  la  seconde  moitié  du  xvii«  siècle.  En  dehors  des 
hymnes  dont  il  s'agit  ici,  il  traduisit  encore  en  langue  commune  l'Aca- 
thiste  de  Sergius,  dont  il  fit  également  une  paraphrase.  Ces  derniers 
travaux  furent  imprimés  à  Venise  en  1695  et  1730  (3). 

A  l'exception  de  la  composition  de  Kallonas,  dont  nous  venons  de 
parler,  l'ensemble  de  l'office  propre  à  la  fête  de  Notre-Dame  des  Myrtes 
est  de  Sophrone  Pangalos,  Cretois  lui  aussi,  qui  était,  en  1632,  pro- 
fesseur à  l'école  grecque  de  Venise  (4),  et  devint  dans  la  suite  évêque 
de  Cythère.  Outre  ce  canon,  il  écrivit  sur  la  sépulture  et  la  résurrection 
de  Notre-Seigneur  quelques  traités  succincts  dont  le  texte  manuscrit 
se  trouve  dans  la  bibliothèque  patriarcale  du  Saint-Sépulcre  (5).  Le  style 
du  canon  en  question  est  généralement  d'une  grande  simplicité  et 
d'une  pureté  irréprochable.  La  protection  que  Marie  accorde  aux  chré- 
tiens de  l'île  contre  les  invasions  des  musulmans  et  les  calamités 
publiques  en  forme  le  thème  ordinaire.  Mais  la  guérison  du  paralytique 
Théodore,  qui  est  comparée  à  celle  opérée  par  Notre-Seigneur  à  la 
piscine  probatique,  est  l'idée  prédominante  qui  revient  presque  à  chaque 
tropaire. 

Quelques  strophes  (6)  rappellent  que  le  sanctuaire  est  dédié  au  mys- 


(i)  Ainsi  le  8*  tropaire  du  2°  canon  ffjd;;  az  xXîv/jv  (roXotiôvTîiov  SnvaTwv  xuxXoùvtwv 
rappelle  le  thème  du  i"  canon;  le  8'  tropaire  du  3°  canon  xaXwç  TrpoEixuv^Orn;  xoXu(i.- 
6r,8pa  fait  allusion  au  6"  tropaire  du  i"  canon;  le  i3'  tropaire  du  2"  canon  "kvyyloiv  <tî 
est  à  comparer  avec  le  14'  du  i"  canon,  etc. 

(2)  Flaminius  Cornélius,  Crète.  Sacra.  Venise,  lySS,  p.  221, 

(3)  C.  Sathas,  op.  cit.,  p.  413. 

(4)  A.   DlMlTRACOPOULOS,    Op.   cit.,  p.  42. 

(5)  A.  P.  Kkrameus,  'lepoToX-JtA'.Ttxri  P[gXtoOr,xy|.  Saint-Pétersbourg,  1891,  t.  I",  p.  3i5. 

(6)  Le  2'  prosomion  et  le  2"  apostikhon  des  vêpres,  le  l'f  cathisma  de  matines,  etc. 


142  ÉCHOS    D  ORIENT 


tère  de  l'Assomption,  et  que  l'on  est  au  quarantième  jour  après  cette 
sotlennité. 

Voici,  par  exemple,  le  troisième  prosomion  (1)  des  vêpres:  «  O  Vierge^ 
Mère  de  Dieu,  les  chœurs  des  anges  célèbrent  ton  départ  de  cette  terre 
et  disent  ta  gloire  et  ta  splendeur;  nous  aussi,  les  phalanges  des  fidèles, 
de  concert  avec  eux,  nous  t'honorons  dans  la  crainte  et  l'allégresse,  en 
ce  jour  où  tu  multiplies  les  prodiges  et  qui  est  le  quarantième  après  ton 
Assomption,  et  nous  baisons  avec  foi  ta  vénérable  image.  »  (2) 

Les  termes  de  ^oiooôyoq  Ttr^rr,,  777.^?.  àv£;àvT>.rjTO^,  -n:r,yr,  ^au'^aLxôëo'j-zo;, 
que  l'on  rencontre  çà  et  là  (3),  pourraient  donner  à  croire  qu'il  y  avait 
à  Myrtidia,  comme  en  beaucoup  d'autres  lieux  consacrés  à  la  Vierge, 
quelque  source  {aghiasmà)  dont  l'eau  produisait  des  merveilles.  Mais, 
faute  de  renseignements  plus  positifs^  tenons-nous-en  à  une  interpré- 
tation plus  large  et  peut-être  la  seule  vraie,  en  appliquant  ces  méta- 
phores à  Celle  qui  est  la  fontaine  scellée,  la  source  par  excellence  qtit 
reçoit  la  vie  ou  qui  la  donne.  Plusieurs  mélodes,  du  reste,  ont  employé 
de  semblables  comparaisons  pour  désigner  Marie  (4).  Ajoutons  que  ces 
appellations  de  la  Vierge  sont  assez  communes  parmi  le  peuple;  dans 
le  seul  royaume  de  Grèce,  plus  de  soixante  oratoires  portent  actuel- 
lement ce  titre  en  son  honneur,  sans  posséder  tous  quelque  source  qui. 
y  ait  donné  occasion  (5). 

L'office  comprend  trois  leçons  scripturaires  extraites  de  la  Genèse,  I 
d'Ezéchiel  et  des  Proverbes,  et  qui  rapportent  la  vision  de  Jacob  à 
Béthel,  le  récit  du  prophète  Ezéchiel  parlant  de  la  porte  orientale  du 
Temple,  et  enfin  les  conseils  de  la  Sagesse  invitant  les  hommes  à 
s'asseoir  à  sa  table;  autant  de  figures  qui,  au  sens  accomodatice,  peuvent 
convenir  à  un  lieu  de  prière,  tel  que  le  sanctuaire  de  la  Myrtidiotissa. 

Quant  aux  canons,  voici  la  rubrique  dont  le  synaxariste  les  fait 
précéder  (6) : 


(i)  Tropaire  semblable  à  un  autre,  se  chantant  sur  la  même  mélodie  et  suivant  le 
même  rythme. 

(2)  Tyjv  (Tr,v  û[ivoûfft  iiETao-raffcv,  6£Ofj,r|Top  7.ôpv5,  à(7wt/,âTwv  TaÇetç  zz  ty)v  86|av  ffO'J  y.al 
^.ajXTTpÔTïjTa  Yspatpoyo-a'..  Syixçwvo);  ouv  y.al  T|[A£ÏÇ  uâvTwv  xa.  Gxi-^r^  utattôç  eryYxpoToîijiev  «re 
èv  <p66w  T£  xal  X^P?  '^'H''  ôaupiaTÔopuTOv  la.-lzr^'^  Ttav/iyypiv  tyjç  o-y,;  7rav£v8d|oy  (ivr,[ji,ïi;  reffera- 
paxovÔT^jxepov,  xal  ttkttw;  irpoarxyvo-j[i.£v  tt]v  Tavfféêacr-ov  EExôva  «rou.  [Acol.  cit.) 

(3)  Voici  les  passages  où  se  trouvent  ces  expressions  :  2*,  6',  7°  prosomion  des 
vêpres;  Ao?a  des  Apostikha,  4°  tropaire  du  2'  canon,  8'  et  So"  du  3°  canon. 

(4)  Dans  le  canon  de  la  vigile  de  Noël,  on  lit  à  l'hirmus  de  la  IX"  ode  qui  parle  de 
la  Sainte  Vierge  :  tyiv  !^woô<5xov  irsrji'viv  Tr,v  àéwaov. 

(5)  Echos  d'Orient,  juin  1900,  t.  III,  p.  3oo. 

(6)  'G  |i£v  TipùiToç  (juvTeÔel;  Tcapà  lov  xùp  M£)^Tt{MJ  KaX).ovà,  xa9riyou(i£vou  tyjî  '.Ai'xi- 
pavôou  àyta;  ix-ov?);,  xal  7rpwTo<TUYYé).ou  t/jÇ  xaÔoXtxiii;  toù  Xptcrroy  u.îYà).T);  'ExxXr,iTt3c;, 
ftepréx^'  touz  éÇrjKovta  ôuvrtou;  xatà  tôv  ij.£yav    'Iwavvvjv  xôv  Aa[jifl(er.xr,vdv,  Xéyovvtt  el;  trjv 


LA    VIERGE    MYRTIDIOTISSA  14^ 

Le  premier  a  été  rédigé  par  le  Révérend  Mélétios  Kallonas,  iiigoumène 
du  couvent  de  l'Angaranthos,  et  protosyncelle  de  la  grande  Eglise  catho- 
lique du  Christ;  il  contient  les  soixante  braves  selon  saint  Jean  Damas- 
cène,  qui  dit  dans  l'Octoïchos,  ton  plagal  IV,  orthros  du  mercredi, 
IX"  ode  (i)  :  «  O  litière  de  Salomon,  que  soixante  braves  entourent  main- 
tenant, selon  les  divines  Ecritures!  »  (2) 

Voici  la  suite  de  cette  ode  :  «  Toi  en  qui  le  Verbe  s'est  reposé,  par 
ta  puissance,  conserve-moi  invulnérable  contre  les  milliers  de  démons 
qui  m'environnent  sans  cesse,  ô  Vierge  Immaculée!  » 

Pour  le  mélode  de  l'Octoïchos  (qui,  suivant  l'indication  de  l'acrostiche,, 
serait  Joseph  l'Hymnographe  et  non  saint  Jean  Damascène),  la  sedia 
gestatoria  de  Salomon  symbolisait  le  sein  très  pur  qui  a  porté  l'Enfant- 
Dieu.  11  établit  sa  comparaison  en  supposant  que  ces  forts  d'Israël  qui 
entouraient  Marie  étaient  ses  vertus  ou  ses  privilèges,  ou  encore  des 
anges;  tandis  que  lui,  au  contraire,  se  dit  environné  de  milliers  de 
démons  dont  il  sollicite  d'être  délivré. 

Aussi  le  nombre  de  soixante,  avec  son  symbolisme,  n'embarrasse- 
t-il  guère  l'auteur  de  notre  canon;  sa  vive  imagination,  pleine  des- 
textes de  la  Bible  et  des  types  de  Marie  dans  l'ancienne  alliance,  par- 
vient aisément  à  trouver  autant  de  titres  glorieux  convenant  à  mer- 
veille à  la  Mère  de  Dieu.  Quarante-neuf  tropaires  assez  courts  lui  ont 
suffi,  où  il  a  su  glisser  délicatement  le  nombre  mystique  de  ses  louanges 
à  la  Théotocos.  Chaque  tropaire  commence  généralement  par  la  dési- 
gnation du  titre  biblique  à  appliquer  à  Marie,  puis  il  fait  brièvement 
cette  application. 

Citons  deux  ou  trois  exemples  pris  dans  cette  litanie,  pour  donner 
une  idée  de  toute  cette  œuvre  poétique. 

«  Buisson.  Chantons  tous  avec  foi  et  amour  Marie  la  Très  Pure, buisson 
incombustible  (3)  que  Moïse  vit  autrefois,  et  glorifions  à  l'envi  cette 
Mère  de  Dâeu.  »  (4) 

«  Porte.  Ezéchiel  t'a  prédite  comme  la  porte  fermée  par  où  le  Christ 


'OxTWYixov    cc;    Tov   TtX.   ô'    r,)rov,   eîc   t'ov   "Opôpov   tt)c   TerâpTri;,   wSr,   6',    «    *H   ôs(«   v.Xfvir, 
SoXojAwv,  r,v  7.uy.>.oG(n  Suvatol  vuv  éSr,xovTa,  pTiffsn;  t-î^ç  Oeca;  ■ypaç-î^ç.  »  {Acol.  ■cit). 

(i)  Voici  le  texte  de  cette  ode  :  «  ^Q  ôsîa  y.\ivr\  SoXo|ià)v.  i^v  xu/.).oC(Tt  Suvatot  vGv 
£$r,xovTa,  f-r,(T£i  tt^î  ÔEtaç  YPotÇ^î»  èv  r,  ô  X^yoç  èiravEiraû<Ta':o,  xaîç  [lupwtffi  (ae  «el  Aatiuâvoiv 
xuxXoC(i£vov  «TpfoTOv  çiiXaÇov  r?)  Suvanet  orou,  ây>iy\  'AetTtâpôsvc.  »  {Acol.  cit.). 

(2)  Cant.  III,  7. 

(3)  Comparer  l'antienne  latine  de  la  Circoncision  :  Rubum  quem  viderai  Moyses 
incombiistiim,  conservatam  agnovimus  tuam  laudabilem  virginitatem  :  Dei  Genitrix, 
intercède  pro  nobis. 

(4)  'T(j.vi^(j(i>tj.£v  aTcavTsç  irto-rei  xal  w6%<à  Maptav  ttiv  aj^^avtov,  ëdtTOv  àxaràçXEXTOv  r,v 
ïlôe  TtàXat  Mojtyj;,  xal  (Ix;  (iriTépa  tou  0goy  Tïàvteç  SoÇâdwjjisv  {Acol.  cit.,  i"  tropaire). 


J44  ÉCHOS    D  ORIENT 


est  passé  et  a  apparu  dans  notre  chair,  sans  rompre  le  sceau  de  ta  vir- 
ginité; aussi  te  cliantons-nous  comme  la  porte  de  notre  salut  :  gloire 
à  toi,  ô  toute  chaste  que  Dieu  a  glorifiée.  »  (i) 

«  Table.  Le  Sauveur  du  monde  a  placé  devant  nous  sa  Mère  comme 
une  table  mystique,  qui  nourrit  d'un  pain  divin  ceux  qui  s'en  approchent 
avec  foi.  »  (2) 

Le  second  et  le  troisième  canon,  tous  deux  du  même  auteur,  ne  sont 
qu'une  longue  prière  de  demande  et  d'action  de  grâces.  Une  strophe 
seulement  nous  fait  entrevoir  l'époque  du  fameux  miracle,  mais  sans 
la  préciser;  la  locution  grecque  h  to^  /.aO'r.fjiâ^  xai,po~.;  correspond,  en 
effet,  à  l'expression  française  «  de  nos  jours  »,  qui,  on  le  voit,  nous 
laisse  un  peu  dans  le  vague. 

Cependant,  puisque  l'office  a  été  composé  par  ce  Pangalos,  qui  était 
évêque  de  Cérigo  après  1632,  et  qui,  d'après  un  poème  de  ce  temps  (3  ), 
était  mort  en  1681,  l'expression  précitée  nous  confirme  dans  l'idée  que 
le  prodige  a  eu  lieu  à  cette  époque.  Le  canon  aurait  donc  été  rédigé 
l'année  même  de  la  guérison  miraculeuse  du  paralytique  ou  peu  après. 

L'oixoç  (4),  composé  sur  le  modèle  de  l'hymne  acathiste,  auquel 
d'ailleurs  les  xa-raêao-iat,  (5)  ont  été  pareillement  empruntées,  récapitule 
les  éloges  et  les  remerciements  adressés  à  Marie  dans  le  cours  de  l'of- 
fice: elle  envoie  les  pluies  bienfaisantes,  met  en  fuite  les  ennemis,  elle^ 
a  guéri  le  malade  Théodore  et  opère  de  semblables  prodiges  pour  tous 
ceux  qui  l'implorent;  elle  est  un  sujet  d'orgueil  pour  les  Cythéréens, 
le  remède  à  leurs  maux,  la  joie  et  le  salut  de  l'univers  entier. 

En  résumé,  nous  avons  là  un  office  analogue  à  celui  des  fêtes  les 
plus  solennelles  de  la  Vierge,  avec  leçons  scripturaires,  litie  (6),  et  à 
matines  trois  canons,  particularité  exceptionnelle  qui  ne  se  rencontre 
même  pas  pour  la  Présentation  et  l'Assomption. 

Cette  Acolouthia  fut  jusqu'en  1744  à  l'état  de  simple  manuscrit,  copié 
par  un  miraculé  de  la  Myrtidiotissa,  Doménicos  Vénérios  (7).  A  cette 
date,  elle  fut  imprimée  à  Venise  par  les  soins  de  Georges  Kaloutzis,  fils 


(i)  ri'jXïjv  ae  xEy.XsiCTiiévrjV  ctÔ£v  'l£>^£y.tïî).,  êi'rj;  5tfi>>0£  XptffToi;  xal  oîçÔr,  âv  arapxt,  £<rçpa- 
Ytff(iévriv  çuXâÇaç  az  aiôtç,  xôpY].  Ato  xai  ttvXyiv  Y£patpo(i£v  (Ta)Tr,p(aç"  SéÇa  irot,  àyvri  ©soSô- 
^aaT£  {Acol.  cit..  i8'  tropaire). 

(2)  'lôou  Té6Y)X£v  TjfjLÏv  6  TY)ç  y.T''(T£wi;  atoTTip  Tvjv  nrj-répa  êauToû  Tpane'av  w;  (xuo-Tizrv 
âxTpécpovoav  tw  ôe^w  aprw  roù;  Ttpoffiovxaç  TttffTwc.  (Acol.  cit.,  28°  tropaire). 

(3)  E.  Legrand,  Bibliographie  hellénique  du  xvii'  siècle,  t.  II.  Paris,  1894,  p.  397. 

(4)  On  appelle  olxo;  le  tropaire  qui  fait  suite  à  la  6'  ode  du  canon. 

(5)  On  désigne  sous  le  nom  de  xaxaêafftat  huit  tropairesqui  appartiennent  au  canon 
d'une  grande  fête  et  qui  se  chantent  à  la  fin  de  chaque  ode. 

(6)  Le  terme  de  Xttri  désigne  une  hymne  de  trois  ou  quatre  strophes,  intercalée  au 
milieu  des  vêpres,  entre  les  prosomia  initiaux  et  les  apostikha. 

(7)  D'après  le  titre  même,  de  l"AxoXou6ia. 


LA    VIERGE    MYRTIDIOTISSA  I45 

du  paralytique  miraculé  (i).  Emmanuel  Mormoris  en  fit  faire  une  soi- 
disant  deuxième  (2)  édition  à  Constantinople  en  181 1.  Au  cours  de  sa 
préface,  il  déclare  que,  dans  son  pays  et  dans  toutes  les  contrées  où  la 
Irte  s'était  répandue,  il  n'y  a  plus  que  de  très  rares  exemplaires  de  la 
première  édition.  Cette  «  deuxième  édition  »  est.  à  notre  connaissance, 
la  seule  à  avoir  conservé  la  préface  ou  plutôt  la  dédicace  de  Georges 
Kaloutzis  à  Néophyte,  évêque  de  Cythère.  Emmanuel  Mormoris  y  ajoute 
une  autre  dédicace  à  Anthime,  un  successeur  de  Néophyte, 

Toutes  les  diverses  éditions  postérieures  du  Pirée,  de  Smyrne,  de 
(^ephalonie  et  d'Athènes  renferment  le  même  texte  liturgique  primitif, 
avec  pourtant  une  légère  modification  dans  les  rubriques  qui  précèdent 
le  canon  de  Kallonas.  Le  mot  catholique,  accolé  à  celui  de  Grande  Eglise 
dans  la  rubrique  que  nous  avons  citée,  a  été  retranché,  soit  pour  faire 
éviter  une  confusion,  soit  sous  l'influence  de  préjugés  malveillants. 

En  finissant,  remarquons  que  la  plupart  de  ceux  qui  ont  contribué 
à  éditer  cet  office  y  ont  été  mus  par  leur  dévotion  reconnaissante  envers 
Notre-Dame  des  Myrtes,  dont  ils  avaient  obtenu  d'insignes  bienfaits  (3), 
et  ont  inscrit  leurs  noms  au  bas  de  l'icône  qu'ils  avaient  à  cœur  de 
reproduire  en  tête  de  la  pieuse  brochure. 

La  Myrtidiotissa  est  également  vénérée  à  Constantinople  sous  ce 
nom  ou  sous  celui  de  Vierge  brune  (4)  dans  l'église  de  la  Présentation,, 
^  Péra,  et  dans  celle  de  Saint-Nicolas,  à  Psamathia,  où  il  existait  jadis 
une  confrérie  sous  ce  vocable.  On  voit  encore  l'icône  de  Notre-Dame 
des  Myrtes  dans  le  narthex  de  cette  église  (5).  Elle  se  trouve  aussi  dans 
'église  de  la  Trinité,  à  Kadi-Keui  (Chalcédoine),  où  les  Cythéréeqs 
habitant  cette  ville  se  font  spécialement  remarquer  par  leur  dévotion 
envers  la  Vierge  de  leur  patrie.  La  fête  de  la  Vierge  Myrtidiotissa  est 
célébrée  le  24  septembre  dans  toutes  ces  églises,  ainsi  qu'à  Halki  (6)  et 
à  Corfou  (7). 

A.  Chappet. 

K.adi-Keuï. 


(1)  A.  P.  Vrétos,  N£0£X).r,vixr,  çtXoXoyt'a.  Athènes,  1854,  p.  70. 

(2)  11  ne  connaissait  pas  la  deuxième  édition  faite  à  Venise  en  1789,  et  qui  est  signalée 
|dans  l'ouvrage  cité  de  E.  Legrand  et  H.  Pernot,  p.  23i. 

(3)  Acolouthia  citée,  aux  deux  dédicaces. 

(4)  MtXaxpo'vri  ou,  en  turc,  Arabindou.  Mani;el  Gédéon,  'EopTo).ô-','iov  KwvdiavT'.voy- 
io>£tov  7rpou)iuvïiTo-j.  Constantinople,  1904,  p.  270. 

(5)  Ibid. 

(6)  M.  GÉDÉON,   'IltxspoXoyiov   toiv   7Txvr,YÛp£wv    Tri;    Kwvd-avTtvo'jTTÔXtw;,   dans    'AvaTO- 
ixbv  'Il!j,£po).ÔYiov.  Constantinople,  1896,  p.  (x8'. 

(7)  E.  CoPHiNioTis,  'II  'Exy./.rjTÎa  âv  'E).),â5;.  Athènes,  1897,  p.  27. 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  10 


LA  BASILIQUE  SAINTE-MARIE  LA  NEUVE 

A  JÉRUSALEM  <" 


La  Sainte  Vierge  fut  présentée  au  Temple  de  Jérusalem,  où  elle  offrit 
à  Dieu  sa  virginité  :  voilà  un  fait  qui,  dépouillé  des  circonstances 
merveilleuses  ajoutées  par  la  légende,  appartient,  non  pas  sans  doute 
à  l'enseignement  formel  de  l'Église,  mais  du  moins  au  dépôt  des  tradi- 
tions chrétiennes  les  plus  respectables.  Ce  souvenir  fut  célébré  d'assez 
bonne  heure  par  la  liturgie  grecque.  11  nous  est  impossible  de  donner 
une  date  précise,  mais  nous  savons  qu'en  1166  l'empereur  de  Con- 
stantinople.  Manuel  Comnène  (i  143- 1 180),  mit  au  nombre  des  fêtes 
chômées  par  les  tribunaux  celle  de  la  Présentation.  Par  cette  ordon- 
nance, le  hasileus  reconnaissait  simplement  la  faveur  dont  cette  fête, 
probablement  ancienne,  jouissait  auprès  des  fidèles.  En  1371,  Philippe 
de  Maizières,  chancelier  du  roi  de  Chypre,  fit  adopter  cette  solennité 
liturgique  par  le  pape  Grégoire  XI,  résidant  à  Avignon,  puis  par  le  roi 
de  France  Charles  V.  La  fête  de  la  Présentation  passa  en  Allemagne 
au  XV®  siècle  et  fut  imposée  à  toute  l'Eglise  par  Sixte-Quint  en  1585. 

Le  culte  liturgique  du  souvenir  de  la  Présentation  n'a-t-il  pas  laissé 
de  traces  plus  anciennes  en  Orient,  et  notamment  en  Palestine?  Telle 
est  la  question  qui  vient  naturellement  à  l'esprit,  quand  on  connaît  tant 
soit  peu  les  traditions  locales  de  Jérusalem.  Si  on  a  lu  les  remarquables 
ouvrages  de  M.  de  Vogué  sur  les  Eglises  de  Terre  Sainte  et  le  Temple, 
ou  simplement  le  guide  Baedeker,  on  se  souvient  qu'il  est  parlé  dans 
ces  livres  d'une  église  de  la  Présentation,  Sainte-Marie  la  Neuve,  ainsi 
appelée  pour  la  distinguer  de  Sainte-Marie  de  Gethsémani  et  de  Sainte- 
Marie  de  la  Probalique,  et  bâtie  au  commencement  du  vF  siècle  par 
l'empereur  Justinien.  Cette  basilique  n'est  autre,  assurent  plusieurs, 
que  la  mosquée  El-Aksa,  située  au  sud  de  l'esplanade  de  l'ancien  Temple 
juif,  et  que  les  musulmans  auraient  plus  ou  moins  transformée  après 
la  conquête.  Telle  était  encore  l'opinion  unanimement  reçue  à  Jéru- 
salem jusqu'à  ces  vingt  dernières  années. 

Mais  alors  on  s'est  dit  :  comment  expliquer  cette  anomalie  qu'une 
ancienne  église  soit  tournée  vers  le  Sud,  c'est-à-dire  vers  la  Mecque? 


(1)  Conférence  donnée  à   l'École   biblique  des  Pères  Dominicains  à  Jérusalem,  liij 
24  janvier  1912. 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIH    LA    NEUVE  I47 

Et  l'on  a  commencé  à  douter  de  la  tradition  locale,  et  cela  avec  d'autant 
plus  de  liberté  qu'elle  paraissait  avoir  une  base  documentaire  assez 
fragile. 

Néanmoins,  par  respect  pour  l'opinion  communément  admise,  on 
a  supposé  d'abord  qu'elle  contenait  une  part  de  vérité,  et  l'on  a  émis 
l'hypothèse  que  l'empereur  Justinien  avait  élevé  la  basilique  de  Sainte- 
Marie  la  Neuve  au-dessus  des  vastes  substructions  situées  à  l'angle 
Sud-Est  du  Haram-ech-Chérif  et  connues  sous  le  nom  d'Ecuries  de 
Salomon.  Hypothèse  séduisante,  car  dans  un  détail  de  la  muraille  orien- 
tale, le  légendaire  balcon  de  Salomon,  on  croyait  retrouver  la  trace  des 
travaux  jadis  accomplis,  selon  l'historien  Procope,  pour  porter  l'abside 
de  la  basilique  Sainte-Marie. 

Cette  solution,  ou  plutôt  ce  compromis  entre  la  tradition  locale  et 
:ertaines  données  des  textes  qui  restaient  inexpliquées,  a  paru  bientôt 
insuffisante.  Aussi  certains  archéologues,  sacrifiant,  ou  à  peu  près, 
^'existence  d'une  ancienne  église  de  la  Présentation  à  Jérusalem,  ont 
îroposé  de  chercher  l'emplacement  de  Sainte-Marie  la  Neuve,  non  plus 
ur  un  point  quelconque  du  Haram-ech-Chérif,  mais  sur  la  colline  dite 
Sion,  dans  le  quartier  des  deux  grandes  synagogues  dont  les  vastes 
upoles  rouges  dominent  d'une  hauteur  considérable  les  maisons 
'alentour. 

due  penser  de  cette  hypothèse  ?  Je  ne  veux  rien  préjuger  en  ce 
oment.  Tout  à  l'heure,  quand  nous  aurons  exposé  l'histoire  de  Sainte- 
^arie  la  Neuve  et  que  nous  aurons  ainsi  rappelé  les  textes  qu'il  s'agit 
le  combiner  et  d'accorder  entre  eux,  nous  pourrons  nous  prononcer 
m  connaissance  de  cause. 

Pour  résoudre  le  problème  d'archéologie  et  surtout  de  topographie 
fue  présente  Sainte-Marie  la  Neuve,  je  crois  donc  devoir  diviser  cette 
tude  en  deux  parties  : 
1":  Histoire  de  Sainte-Marie  la  Neuve: 
2"  Emplacement  de  Sainte-Marie  la  Neuve. 

/.    Histoire   de    Sainte-Marie   ta    Neuve 

îtte  histoire  n'offre  rien  de  dramatique  :  nous  sommes  assez  bien 
keignés  touchant  la  fondation  de  l'édifice,  mais  nous  ne  possédons 

de  maigres  détails  sur  ses  destinées. 

)ixante-dix  ans  s'étaient  écoulés  depuis  que  le  concile  d'Ephèse(43 1) 
ft  stigmatisé  l'impiété  de  Nestorius  en  proclamant  la  Très  Sainte 

rge  Mère  de  Dieu.  Pour  s'associer,  suivant  ses  moyens,  à  la  mani- 


148  ÉCHOS    d'orient 


festation  du  concile,  saint  Sabas  fit  élever  au  milieu  de  sa  laure  un 
très  belle  église  en  l'honneur  de  Marie,  dont  la  consécration,  présidé 
par  le  patriarche  Élie  (494-5  13),  eut  lieu  le  P"-  juillet  de  l'année  501  (i) 

Le  patriarche  de  Jérusalem  avait  formé  un  projet  plus  grandiose 
celui  de  construire  dans  la  Ville  Sainte  une  splendide  basilique  dédié 
à  la  Vierge.  Saint  Sabas  ne  fut  sans  doute  pas  étranger  à  ce  dessein 
car  nous  le  verrons  bientôt  aller  à  Constantinople  pour  solliciter  di 
l'empereur  Justinien  l'achèvement  de  l'édifice.  Quoi  qu'il  en  soit  de  cett 
supposition,  le  noble  projet  était  bien  digne  des  deux  disciples  de  sain 
Euthyme,  Sabas  et  Elie,  tous  deux,  comme  leur  maître,  ardents  défen 
seurs  des  doctrines  catholiques. 

C'est  vers  le  début  du  vi®  siècle  que  l'entreprise  fut  vraisembh 
blement  commencée.  Faute  de  ressources  suffisantes,  saint  Élie  ne 
devait  pas  la  voir  menée  à  bonne  fin.  Lorsque,  en  513,  il  fut  exilé  pour 
la  vraie  foi  à  Ela,  sur  le  golfe  d'Akabah,  par  ordre  de  l'empereur 
Anastase,  le  monument  était  bien  loin  d'être  achevé.  Les  luttes  mono- 
physites  qui  suivirent  le  départ  du  patriarche  durent  amener  la  suspen- 
sion des  travaux.  Saint  Elie  mourut  dans  son  exil,  en  318. 

Les  années  passèrent.  En  531,  Pierre,  patriarche  de  Jérusalem,  envoya 
saint  Sabas  à  Constantinople  solliciter  de  l'empereur  Justinien  une 
réduction  des  impôts  pour  les  habitants  de  la  Palestine,  car  le  pays 
venait  d'être  dévasté  par  les  Samaritains.  Sabas  dit  à  Justinien  :  «  Que 
l'empereur  ordonne  de  relever  les  églises  que  les  Samaritains  ont  livrées 
aux  flammes,  de  construire  à  Jérusalem  un  hôpital  {nosocomhim)  pour 
les  pèlerins,  et  d'achever  le  temple  de  la  Néa  (c'est-à-dire  Sainte-Marie 
la  Neuve)  (2)  commencé  par  Élie,  patriarche  de  Jérusalem.  L'empereur 

acquiesça  à  toutes  les  demandes aussi  il  fit  accompagner  le  Saint 

par  un  légat  muni  de  riches  ressources,  et  il  écrivit  au  préfet  de  Pales- 
tine de  transmettre  à  cet  envoyé  le  montant  des  impôts  en  vue  des 
constructions  que  l'empereur  avait  ordonnées.  »  (3)  Pour  ce  qui  est, 
en  particulier,  de  l'église  Sainte-Marie  la  Neuve,  Justinien  s'était  chargé 
de  tous  les  frais.  11  avait  assuré  à  l'hôpital  qui  devait  servir  aux  pèle-,, 
rins  malades  un  revenu  de  3  700  écus,  et  avait  confié  la  direction  dej| 
travaux  de  la  basilique  à  Théodore,  un  de  ses  plus  habiles  architectes  (4)  \ 


(1)  CoTELiER,  Ecclesiœ  grœcœ  mo7iumenta,  m,  Sabœ  Vita,  n°  32,  p.  264. 

(2)  La  traduction  latine  d'Eutychius  porte  Helenœ  templum.  Mais  Al.  Clermon 
Ganneau  a  démontré  que  le  mot  Hélène  est  ici  une  transcription  du  grec  Nea,  l 
Neuve.  On  lit  dans  le  texte  ar^)je  d'Eutychius  Keniset  (église)  Eliné.  Voir  Clermon 
Ganneau,  Recueil  d'archéoL- orient.,  t.  Il,  p.  i5o  et  suiv. 

(3)  El'tychius,  Annales;  Migne,  P..  G.,  t.  CXI,  col.  1070.  Cf.  Cotelier,  t.  III,  p.  343-3.|t 

(4)  Cotelier,  loc.  cit. 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA    NEUVE  I49 

;<  Le  légat,  étant  arrivé  à  Jérusalem,  dit  Eutychius  ("•'939),  construisit  un 
lôpital  pour  les  pèlerins  et  acheva  l'église  Neuve.  »(i)  Nous  verrons 
lairement  tout  à  l'heure,  par  le  récit  de  l'historien  Procope  et  par  le 
émoignage  d'un  pèlerin  anonyme  du  vi^  siècle,  que  Sainte-Marie  avait 
omme  annexes  à  la  fois  une  hôtellerie  et  un  hôpital;  mais  il  n"est  pas 
acile  de  décider  si  l'hôpital  était  à  l'usage  exclusif  des  pèlerins.  Bien  que 
es  textes  ne  permettent  pas  de  trancher  absolument  la  question,  il 
emble  plutôt  que  l'hôpital  recevait  et  les  étrangers  et  les  gens  de  la 
ille. 

L'historien  Procope  de  Césarée  nous  a  laissé  un  récit  détaillé  de  cette 
aste  entreprise  et  une  description  aussi  enthousiaste  que  prolixe  du 
ouveau  sanctuaire  de  la  Vierge.  Voici  ses  paroles  : 

A  Jérusalem,  Justinien  éleva  en  l'honneur  de  la  Mère  de  Dieu  un 
emple  qui  n'a  point  son  pareil  ;  les  indigènes  l'appellent  la  Nouvelle 
église.  Je  vais  en  donner  la  description,  après  avoir  dit  que  la  ville  est, 
ans  sa  plus  grande  partie,  bâtie  sur  des  collines  qui  ne  sont  pas  de 
impies  ondulations  de  terrain,  mais  se  dressent  en  formant  des  escar- 
lements  et  des  précipices,  si  bien  que  les  rues  les  descendent  par  des 
egrés. 

Tous  les  autres  édifices  de  Jérusalem  occupent  une  surface  unie,  qu'ils 
oient  bâtis  sur  une  hauteur  ou  dans  le  fond  d'une  vallée.  Il  n'en  va  pas 
e  même  pour  ce  temple  dont  je  parle.  L'empereur  ordonna  de  le  con- 
truire  sur  la  plus  haute  des  collines  et  en  fixa,  entre  autres  choses,  la 
jngueur  et  la  largeur.  Or,  la  colline  ne  suffisait  pas  aux  dimensions  de 
œuvre  telle  que  l'empereur  l'avait  conçue;  il  manquait  un  quart  de 
espace  voulu  au  Midi  et  à  l'Orient,  c'est-à-dire  à  l'endroit  réservé  par 
usage  aux  cérémonies  des  prêtres.  Aussi  les  directeurs  des  travaux 
coururent-ils  au  moyen  suivant  :  ils  jetèrent  des  fondements  à  l'extré- 
[lité  du  plateau  et  bâtirent  des  substructions  qui  montèrent  jusqu'à  hau- 
ur  de  celui-ci.  Après  avoir  achevé  ces  murs  de  soutènement,  ils  les  cou- 
rirent  de  voûtes  qui  mirent  la  substruction  au  niveau  de  la  plate-forme 
u  temple.  Ainsi  cette  église  repose  en  partie  sur  le  rocher  et  se  trouve  en 
artie  suspendue,  la  puissance  de  l'empereur  ayant  suppléé  à  l'insuffi- 
mce  de  la  colline. 

Les  pierres  de  ce  soubassement  sont  d'une  grandeur  insolite.  Les  archi- 
:ctes,  obligés  de  lutter  contre  les  difficultés  du  site  et  d'atteindre  la  hau- 
ur  du  rocher,  méprisèrent  les  procédés  habituels  et  en  employèrent 
'inusités  et  de  tout  à  fait  inconnus.  Ils  détachèrent  des  hautes  montagnes 
voisinantes  des  blocs  énormes  qu'ils  équarrirent  soigneusement  et  qu'ils 
menèrent  de  la  façon  suivante  :  on  fabriqua  des  chariots  proportionnés 


fi)  Eutychius,  loc.  cit. 


I^O  '  ÉCHOS    d'orient 


à  la  dimension  des  pierres  et  on  en  mit  une  sur  chacun.  Quarante  bœufs, 
choisis  parmi  les  plus  forts  par  ordre  de  l'empereur,  traînèrent  chaque 
chariot  à  destination.  Comme  les  routes  qui  mènent  à  la  ville  n'étaient 
pas  préparées  pour  de  tels  transports,  il  fallut  entailler  les  montagnes 
pour  leur  livrer  passage.  C'est  ainsi  qu'on  put  donner  au  temple  la 
grande  longueur  exigée  par  l'empereur.  On  adopta  une  largeur  ea  pro- 
portion, ce  qui  rendait  impossible  de  faire  le  toit.  Alors  on  parcourut  les 
bois,  les  forêts,  toutes  les  régions  connues  pour  leurs  grands  arbres.  On 
découvrit  enfin  une  épaisse  forêt  de  cèdres  géants.  Le  temple  en  fat 
couvert,  et  sa  hauteur  répondait  aux  autres  dimensions. 

Telle  est  l'œuvre  accomplie  par  l'empereur  Justinien  avec  des  ressources, 
et  des  procédés  simplement  humains.  Mais  sa  piété  confiante  reçut  la 
récompense  méritée  et  lui  fut  d'un  précieux  secours.  Le  temple  manquait 
totalement  de  colonnes  dont  la  beauté  fût  digne  de  la  sienne  et  qui  fussent 
assez  fortes  pour  le  poids  qu'elles  auraient  à  supporter.  De  plus,  le  pays 
était  situé  tout  à  fait  à  l'intérieur,  loin  de  la  mer,  et,  comme  je  l'ai  dit, 
coupé  de  toutes  parts  de  montagnes  très  accidentées  :  il  était  donc  impos- 
sible d'y  introduire  des  colonnes  de  l'étranger.  Tandis  que  l'empereur 
avait  à  ce  sujet  de  grandes  inquiétudes,  Dieu  lui  montra  dans  des  col-; 
Unes  très  rapprochées  une  espèce  de  marbre  d'une  convenance  par-- 
faite,  resté  caché  jusque-là  ou  créé  au  moment  même  :  dans  les  deux 

cas,   il   faut  admettre   une  intervention   divine On   travailla  donc 

â  extraire  une  foule  de  grande  colonnes  couleur  de  flamme  (i)  pour  sup-^ 
porter  l'édifice  de  tous  côtés;  on  en  mit  en  bas,  on  en  mit  en  haut,  on 
en  mit  aux  portiques  qui  entourent  de  tous  côtés  le  monument,  sauf  duj 
côté  de  l'Est.  Devant  la  porte,  se  dressaient  deux  d'entre  elles,  si  belle^ 
qu'il  n'y  en  a  point  de  semblables  dans  le  monde  entier.  Le  portique  se 
nomme  en  cet  endroit  narthex,  à  cause,  je  crois,  de  son  étroitesse. 
Ensuite,  vient  Yatrium,  entouré  sur  les  quatre  côtés  de  colonnes  sem- 
blables; les  portes  intermédiaires  sont  telles  qu'elles  préparent  ceux  qui 
entrent  aux  merveilles  de  l'intérieur.  Les  propylées  ne  leur  cèdent  pas 
en  beauté,  avec  leur  arcade  portée  sur  deux  colonnes  à  une  très  grande 
hauteur.  En  avançant  toujours,  on  trouve  deux  hémicycles,  en  face  l'un 
de  l'autre,  de  chaque  côté  de  la  rue.  Sur  une  autre  rue  conduisant  au 
temple  s'élèvent,  à  droite  et  à  gauche,  deux  hospices,  œuvre  de  l'empereur 
Justinien;  l'un  est  réservé  aux  pèlerins  de  passage,  l'autre  aux  pauvres 
malades.  Ce  même  prince  dota  le  temple  de  la  Mère  de  Dieu  d'un  revenu 
annuel  très  important.  Voilà  ce  qu'il  fit  à  Jérusalem  (2). 

Cyrille  de  Scythopolis   nous   assure   que   l'achèvement  de   la  basi- 
lique, située  au  milieu  de  la  -ville,  ne  demanda  pas  moins  de  douze 


(i)  A  ce  détail,  on  reconnaîtra  sans  peine  la  pierre  rouge  de  Bethléem. 
(2)  Procope,  De  œdificiis,  \.  V,  c.  vi. 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA    NEUVE  I5I 

ans  (i).  On  en  fit  la  dédicace  au  mois  de  novembre  543  (2).  Cyrille, 
témoin  de  cette  solennité,  dit  que  Tédifice  défiait  tous  les  anciens 
monuments,  tout  ce  que  l'antiquité  grecque  avait  jamais  pu  accomplir 
ou  décrire  (3). 

En  outre  de  l'église,  de  l'hôtellerie  pour  les  pèlerins  et  de  l'hôpital, 
rétablissement  de  Sainte-Marie  la  Neuve  comprenait  un  grand  couvent- 
jean  Moschus,  qui  vivait  au  vf  siècle,  nous  a  laissé  le  nom  de  trois  de 
ses  higoumènes  ou  supérieurs  :  les  abbés  Eudoxe  (4),  Abraham  (5)  et 
Constantin  (6).  Le  même  auteur  nous  parle  d'un  certain  abbé  Léonce, 
«  tout  rempli  de  dévotion  envers  Notre-Dame  la  sainte  Mère  de  Dieu, 
dont  il  ne  quitta  pas  l'église  pendant  quarante  ans  »  (7).  On  peut 
croire  que  dans  ce  passage  il  s'agit  de  la  grande  église  bâtie  par  Justi- 
nien,  et  non  de  Sainte-Marie  de  Gethsémani  ou  de  la  Probatique. 

Une  inscription  tombale  en  mosaïque,  trouvée  dans  le  jardin  de 
l'hospice  russe  à  Jéricho,  donne  le  nom  d'un  «  bienfaiteur  de  la  très 
sainte  église  Neuve  de  la  très  glorieuse  Mère  de  Dieu  à  Jérusalem  », 
le  prêtre  et  higoumène  Cyriaque,  mort  le  1 1  décembre  566  (8).  Nous 
savions  déjà  par  Jean  Moschus  que  les  moines  de  Jéricho  vivaient  en 
bonnes  relations  avec  ceux  de  Sainte-Marie  la  Neuve  (9). 

Saint  Grégoire  de  Tours  (544-593),  dans  son  livre  sur  la  gloire  des 
martyrs,  parle  d'un  très  grand  monastère  de  Jérusalem  contenant  de 
nombreux  religieux  et  comblé  de  largesses,  non  seulement  par  les 
fidèles,  mais  encore  par  la  munificence  impériale.  Des  reliques  de  la 
Sainte  Vierge,  qu'on  y  conservait,  opéraient  des  miracles  (10).  Il  n'est 
guère  douteux  qu'il  ne  s'agisse  dans  ce  texte  de  l'établissement  de 
Sainte-Marie  la  Neuve,  magnifiquement  doté,  nous  l'avons  dit,  par 
l'empereur  Justinien. 

Ces  richesses  introduisirent  le  relâchement  dans  le  monastère.  Dans 
deux  lettres  adressées  par  saint  Grégoire  le  Grand  (590-604),  l'une  au 


(1)  COTELIER,   op.  cit.,   p.   346. 

(2)  Cf.  S.  Vailhé,  La  dédicace  de  Sainte-Marie-la-Neuve,  dans  la  Revue  Augusti- 
nienne,  igoS,  p.  i38-i39. 

(3)  COTELIER,   op.   cit.   p.    346-347. 

(4)  Jean  Moschus,  c.  clxxxvii. 

(5)  Jean  Moschus,  c.  lxviii. 

(6)  Jean  Moschis,  c.  vi.  Cf.  R.  P.  Siméon  Vailhé,  Répe?-toire  alphabétique  des 
monastères  de  Palestine,  dans  la  Revue  de  l'Orient  chrétien,  1900,  p.  27. 

(7)  Jean  Moschus,  c.  lxi. 

(8)  C'est  peut-être  le  Cyriaque  prêtre  de  la  laure  de  Calamon  ou  le  Cyriaque  higou- 
mèoe  de  la  laure  des  Tours,  dans  la  vallée  de  Jéricho.  Cf.  Revue  biblique,  avril  i^w; 
p.  287;  Echos  d'Orient,  juillet  191 1,  p.  23i.  '  : 

(g)  Revue  biblique,  loc.  cit.,  p.  288. 

(10)  Liber  de  gloria  martyrum,  c.  i.  Migne,  P.  L.,  t.  LXXI,  col.  71b. 


IC2  ÉCHOS    D  ORIENT 


prêtre  Anastase,  qui  semble  être  le  supérieur,  et  l'autre  au  patriarche 
de  Jérusalem  Isaac,  le  Pape  se  plaint  de  l'esprit  mondain  qui  a  pénétré 
dans  le  couvent  de  Sainte-Marie  la  Neuve,  où  les  moines,  dit-il,  n'ont 
guère  des  vrais  religieux  que  l'habit,  et  des  disputes  multipliées  qui 
ont  surgi  entre  l'autorité  patriarcale  et  le  supérieur  de  ces  moines  (i). 
Un  peu  auparavant,  un  pèlerin  anonyme  de  Plaisance,  venu  à  Jéru- 
salem en  570,  nous  signale  brièvement  l'église,  le  couvent,  l'hôpital  et 
l'hôtellerie  de  Sainte-Marie  la  Neuve  : 

De  Sion,  nous  vînmes  à  la  basilique  de  Sainte-Marie  où  se  trouvent 
une  très  nombreuse  communauté  de  moines,  des  hôpitaux  pour  les 
hommes  et  pour  les  femmes,  une  hôtellerie  pour  les  pèlerins,  des  tables 
innombrables,  et  plus  de  trois  mille  lits  pour  les  malades  (2). 

Ce  dernier  chiffre  paraît  extraordinaire.  Notons  que  Cyrille  de  Scytho- 
polis,  probablement  mieux  renseigné,  parle  de  trois  cents  lits  seulement, 
fondés  à  la  demande  de  saint  Sabas  (3). 

Tous  ces  merveilleux  édifices  allaient  être  détruits  par  les  Perses 
en  614.  L'armée  persane,  nous  dit  Eutychius,  «  renversa  d'abord  l'église 
de  Gethsémani  et  ensuite  l'église  neuve  (4)  ».  Cet  historien,  qui  vivait 
à  Alexandrie  au  x**  siècle,  ajoute  que  ces  deux  églises  étaient  demeurées 
en  ruines  jusqu'à  son  époque,  mais  son  affirmation  est  contredite 
formellement,  en  ce  qui  regarde  Sainte-Marie  la  Neuve,  par  un  document 
du  temps  de  Charlemagne  dont  nous  allons  parler  dans  un  instant. 

L'église,  peut-être  sans  toutes  les  annexes,  dut  être  relevée  quelques 
années  après,  comme  le  Saint-Sépulcre,  par  les  soins  de  saint  Modeste. 
C'est  là  probablement  que  saint  Sophrone,  patriarche  de  Jérusalem, 
prêcha  devant  le  peuple  fidèle  le  jour  de  Noël  634.  Les  premières  bandes 
arabes  avaient  envahi  la  Palestine,  les  environs  de  la  Ville  Sainte  étaient 
infestés  par  les  nomades  pillards,  les  chrétiens  n'osaient  faire  le  pèle- 
rinage traditionnel  de  Bethléem  :  le  sermon  fut  donné  dans  l'église 
de  la  Vierge. 

Que  les  Mages  et  les  saints  bergers,  dit  saint  Sophrone,  veillent 
à  Bethléem Pour  nous,  nous  sommes  empêchés  de  nous  y  rendre 


(i)  MiGNE,  P.  L.,  t.  LXXVII,  col.  890  et  1166.  La  première  lettre  parle  du  monastère 
de  la  Néa,  et  la  seconde,  de  l'église  de  même  nom.  Cf.  Revue  de  l'Orient  chrétien, 
1900,  p.  27-28. 

(2)  Geyer,  Itinera  hierosolomitana  sœculi  iv-viii,  Vienne  1897,  p.  174-175.  Nous  avons 
traduit  xenodochia  virorum  ac  mulierum  par  «  hôpitaux  pour  les  nommes  et  pour 
les  femmes  »,  et  non  pas  «  hôtelleries  »,  parce  que  l'anonyme  signale  clairement  l'hô- 
tellerie par  les  mots  :  susceptio  peregrinorum. 

(3)  CoTELiER,  op.  cit.,  p.  346. 

(4)  MiGNE,  P.  G.,  t.  III,  col.  io83. 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA   NEUVE  I  53 

nous  sommes  contraints  de  rester  chez  nous,  non  pas  retenus  par  des 

liens  corporels,  mais  enchaînés  et  cloués  par  la  terreur  des  Sarrasins 

Enfermés  derrière  les  portes  de  cette  ville  et  réunis  dans  le  divin  temple 
de  la  Mère  de  Dieu,  nous  célébrons  cette  fête  et  cet  anniversaire  publi- 
quement, mais  non  sans  tristesse  (i). 

Une  liste  officielle  des  églises  et  des  monastères  de  Terre  Sainte, 
rédigée  en  808  par  ordre  de  Charlemagne,  le  Commemoratoriiim  de 
casis  Dei  vel  monasteriis,  mentionne  encore  la  présence  de  «  douze 
clercs   à  Sainte-Marie  la  Neuve,  bâtie  par  l'empereur  Justinien  »  (2). 

Tel  est  le  dernier  certificat  d'existence  qui  nous  soit  parvenu  au  sujet 
de  la  grandiose  basilique.  Elle  aura  ensuite  été  détruite  par  le  calife 
égyptien  Hakem  en  1009,  ainsi  que  toutes  les  autres  églises  de  Jéru- 
salem, pour  ne  plus  se  relever  de  ses  ruines.  Celles-ci  même  ont  dis- 
paru  Je  touche  ici  à  la  question  de  l'emplacement  de  Sainte-Marie 

la  Neuve  :  il  est  temps  de  discuter  ce  point  de  topographie. 

(A  suivre.) 

Léopoi.d  Dressaire. 

Jérusalem. 


(1)  MiGNE,  P.  G.,  LXXXVIP,  col.  3201  et  suiv. 
\2)  ToBLER,  Itinera  hierosolymitana,  I,  11,  p.  3o2. 


L'HOMME  CRÉÉ  A  L'IMAGE  DE  DIEU 

D'APRÈS  THÉODORE!  DE  CYR 

ET  PROCOPE  DE  GAZA 

{Suite.) 


Dans  un  article  précédent  (i),  nous  avons  rapporté  l'opinion  de 
Théodoret  de  Cyr  et  de  Procope  de  Gaza  au  sujet  de  l'homme  et  de  la 
femme  considérés  comme  créés  à  l'image  de  Dieu.  A  l'école  de  ces  deux 
exégètes,  nous  avons  établi  que,  créés  tous  les  deux  à  l'image  de  Dieu, 
l'homme  et  la  femme  ne  réalisent  cependant  pas  au  même  degré  cette 
divine  ressemblance.  Après  avoir  montré  que  c'est  surtout  par  l'âme 
que  l'homme  reproduit  l'image  de  son  Créateur  parce  que,  résumé  de 
la  création,  l'homme  y  apparaît  d'abord  en  souverain  libre  et  indé- 
pendant des  êtres  créés  comme  Dieu  est  indépendant  des  autres  êtres, 
puis  en  roi  intelligent  qui,  imitant  jusqu'à  un  certain  point  l'intelligence 
universelle  de  Dieu,  en  diffère  pourtant  par  son  esprit  discursif  et 
imparfait,  il  nous  reste  à  préciser  sous  quels  autres  rapports  l'homme 
ressemble  encore  à  Dieu  et  à  discuter  la  valeur  des  opinions  rapportées. 


4°  L'homme  est  l'image  de  Dieu  par  l'unité  de  son  esprit  dans  la  diversité 
de  ses  facultés. 

Semblable  à  Dieu  par  l'intelligence,  l'homme  lui  ressemble  encore  par 
l'unité  de  son  esprit  qui  subsiste  toujours  sous  la  diversité  de  ses  puis- 
sances. En  effet,  dit  Théodoret  (2)  «  l'esprit  humain  (to  Tïveùaa)  produit 
la  parole  (tov  Xôyov),  et  le  souffle  dérive  de  l'esprit  par  le  canal  de  la 
parole,  sans  être  engendré,  il  est  vrai,  comme  la  parole,  mais  accom- 
pagnant toujours  la  production  de  cette  dernière.  Or,  dans  la  Sainte 
Trinité,  nous  trouvons  trois  personnes  unies  sans  confusion  et  subsistant 
par  elles-mêmes:  car  le  Verbe  a  été  avant  les  siècles  engendré  par  le 
Père  et  il  est  inséparable  du  Père.  Le  Saint-Esprit  procède  de  Dieu  le 
Père  pour  constituer  une  personne  distincte.  »  Il  y  a  donc  ressemblance 
d'une  part  entre  les  trois  personnes  de  l'indivisible  Trinité,  qui  ont  la 


(i)  Cf.  Echos  d'Orient,  nov.  191 1,  p.  384  sq. 
|2)  Théodoret,  col.  107-108. 


l'homme  créé  a  l  image  de  dieu  155 

même  nature  divine,  et,  d'autre  part,  entre  l'intelligence,  la  parole 
humaine  et  son  souffle,  qui  ont  la  même  nature  divine  et  qui  dérivent 
de  la  même  âme.  Mais  il  y  a  entre  les  deux  termes  de  cette  comparaison 
une  grande  différence  :  car  dans  l'intelligence  humaine  la  parole  et  le 
souffle  ne  peuvent  subsister,  tandis  qu'en  Dieu  le  Verbe  et  le  Saint- 
Hsprit  sont  des  personnes  distinctes  du  Père(i). 

Procope  découvre  le  même  trait  de  ressemblance,  mais  le  présente 
lin  peu  différemment,  car  il  ne  considère  dans  la  Trinité  que  deux 
personnes  :  «  Dieu,  dit-il,  a  en  lui  deux  puissances  qui  sont  inséparables, 
c  est-à-dire  le  Fils  unique  et  le  Saint-Esprit;  chacune  a  une  subsistance 

propre,  bien  qu'elles  découlent  de  la  même  nature De  même,  il  a 

donné  à  notre  âme  deux  puissances  qui  proviennent  d'elle-même, 
qui  subsistent  en  elle-même  et  qui  sont  inséparables  d'elle-même  : 
l'une  est  la  raison  qui  fait  de  nous  des  êtres  intelligents;  l'autre  est  la 
puissance  végétative  par  laquelle  il  communique  la  vie  à  notre  corps  (2). 

Cette  assimilation  entre  deux  personnes  divines  et  deux  facultés  de 
notre  âme  n'est  pas,  dans  la  pensée  de  Procope,  une  identification  des 
personnes  divines  aux  facultés  de  notre  esprit,  qui  nous  rappellerait 
le  sabeliianisme.  Mais,  comme  il  n'y  a  jamais  identité  entre  l'image  et 
la  réalité  d'un  être,  ne  retenons  de  ce  rapprochement  que  les  points 
de  ressemblance  et  disons  pour  résumer  la  pensée  de  cet  exégète  :  de 
même  que,  dans  la  Trinité,  on  peut  considérer  deux  personnes  qui  ont 
la  même  nature  que  la  première,  le  Père,  de  même,  dans  l'âme  humaine 
nous  distinguons  deux  facultés  qui  toutes  les  deux  dérivent  de  l'âme 
et  qui  ont,  par  suite,  la  même  nature  qu'elle.  11  y  a  donc  ressemblance 
entre  les  facultés  de  l'esprit  humain  et  les  personnes  de  la  Sainte  Trinité. 

5"  L'homme  est  l'image  de  Dieu  par  le  pouvoir  en  quelque  sorte  créateur 
qu'il  possède. 

Semblable  à  Dieu  par  les  puissances  de  son  âme,  l'homme  lui  res- 
semble encore  par  l'exercice  de  ses  facultés  et,  notamment,  nous  disent 
nos  deux  exégètes,  par  l'exercice  d'un  pouvoir  qui  semble  incompatible 
avec  la  condition  d'un  être  créé  :  la  puissance  créatrice. 

Cette  expression  a  de  quoi  nous  surprendre  :  mais,  pour  en  saisir 
le  bien  fondé,  écoutons  d'abord  Théodoret  (3)  : 

A  l'imitation  du  Dieu  Créateur,  l'homme  crée,  construit  des  maisons, 
des  remparts,  des  villes,  des  portes,  des  navires,  des  voitures  et  une  infi- 


(i)  Théodoret,  col.  107-108. 

(2)  Procope,  col.  125-126. 

(3)  Théodoret,  col.  io5-io6. 


1^6  ÉCHOS  d'orient 


nité  d'autres  choses  :  il  fait  également  des  images  et  des  figures  du  ciel, 
du  soleil,  de  la  lune,  des  étoiles;  de  même  aussi,  il  représente  la  figure 
des  hommes  et  des  animaux  dépourvus  de  raison. 

Il  y  a  pourtant  entre  lui  et  Dieu,  dans  la  manière  de  créer,  une  grande 
■différence.  Car  Dieu,  auteur  de  tous  les  êtres,  crée  indistinctement  avec 
une  matière  préexistante  ou  sans  matière  préexistante  ;  il  le  fait  sans 
peine  et  n'exige  pour  cela  aucun  temps:  car,  dès  qu'il  le  veut,  il  produit 
ce  qu'il  lui  plaît.  L'homme,  au  contraire,  a  besoin  de  matière,  d'instru- 
ments, de  conseils,  de  délibération,  de  temps,  de  peine  et  des  connais- 
sances techniques  nécessaires  à  son  métier 

Cependant,  dans  cette  œuvre  qu'il  produit,  l'homme  imite  en  quelque 
façon  le  Créateur,  comme  une  image  est  l'imitation  de  son  modèle.  En 
effet,  l'image  reproduit  les  traits  du  modèle.  Mais,  bien  qu'elle  représente 
les  membres,  l'image  est  sans  vie,  car  il  lui  manque  l'âme,  principe  du 
mouvement  corporel  (i). 

On  ne  saurait  mieux  caractériser  la  différence  qui  sépare  les  œuvres 
créées  par  Dieu  de  celles  qui  sortent  des  mains  de  l'homme.  A  son 
tour,  Procope  de  Gaza  détermine  avec  précision  les  traits  semblables 
et  les  traits  différentiels  de  l'œuvre  créée  par  Dieu  et  de  l'œuvre  créée 
par  l'homme  (i). 

11  le  fait  de  deux  manières,  en  considérant  la  création,  soit  comme  une 
simple  production  d'être  nouveau,  soit  comme  une  génération  d'être 
semblable  à  son  générateur.  D'où  ces  deux  conclusions  de  l'auteur  : 

1°  Dieu  crée  dans  l'éternité  sans  utiliser  des  êtres  préexistants;  au 
contraire,  l'homme  produit  dans  le  temps,  artificiellement,  un  nouvel 
•être  en  se  servant  de  substances  préexistantes  (2). 

2°  Dieu  engendre  son  Fils  hors  du  temps,  sans  matière,  sans  division 
de  sa  substance,  tandis  que  l'homme  engendre  dans  les  temps  au  détri- 
ment de  sa  propre  substance  matérielle  (3). 

Que  conclure  de  ces  textes?  Que  l'homme  crée  comme  Dieu  dans 
tout  le  sens  du  mot  créer?  Nullement  :  car  ni  la  génération  proprement 
dite  ni  la  production  d'une  forme  nouvelle  d'être  à  la  faveur  de  sub- 
stances préexistantes  ne  sont,  au  sens  propre  du  mot,  une  création. 
Mais  si  l'on  entend  le  mot  création  dans  le  sens  plus  général  de  pro- 
duction d'être  nouveau  —  quel  que  soit  du  reste  ce  mode  de  produc- 
tion, —  on  peut  dire  avec  ces  deux  commentateurs  que  l'homme,  créé 
à  l'image  de  Dieu,  jouit  d'un  certain  pouvoir  créateur  participé,  puisque 
•de  substances,  il  est  vrai,  préexistantes  il  tire  un  être  qui  est  distinct 


(i)  Théodoret,  ibid. 
(2)  Procope,  col.  i23. 
■(3)  Procope,  col.  i38. 


l'homme  créé  a  l  image  de  dieu  I  S7 

de  ces  substances,  qui  les  suppose  mais  qui  en  diffère,  qui  est  par 
conséquent  un  être  nouveau  ou  une  forme  nouvelle  d'être,  qui  est  donc 
le  résultat  d  une  véritable  création,  au  sens  très  large  dans  lequel  nous 
devons  ici  prendre  ce  mot  (i). 

(5°  L'homme  est  l'image  Je  Dieu  par  sa  sainteté. 

Créateur,  l'homme  ne  l'est  pas  seulement  par  son  esprit  inventif,  il 
l'est  aussi  par  sa  libre  volonté  capable  de  vertu  :  par  là  encore,  il 
ressemble  à  Dieu  qui  est  la  sainteté  même. 

Sur  cette  question,  écoutons  d'abord  Théodoret  : 

L'Apôtre  nous  dit  dans  une  épître  aux  Corinthiens:  «  De  même  que 
nous  avons  porté  l'image  de  l'homme  terrestre,  ainsi  portons  l'image  de 
l'homme  céleste.  »  (2)  Or,  si  celui  qui  vit  selon  la  chair  porte  l'image  de 
l'homme  terrestre,  celui  qui,  par  l'esprit,  mortifie  les  actes  de  la  chair 
porte  l'image  de  l'homme  céleste. 

De  même,  dans  une  autre  épître,  donnant  des  règles  de  conduite, 
l'Apôtre  nous  dit  entre  autres  choses  :  «Vous  avez  revêtu  l'homme  nouveau 
qui,  se  renouvelant  sans  cesse  à  Vimage  de  celui  qui  l'a  créé,  atteint  la 
science  parfaite.  »  (3^ 

Et  voici  les  conclusions  tirées  par  cet  auteur  : 

Dieu  est  patient  :  ainsi  l'homme  patient  est  à  l'image  de  Dieu.  Le 
Seigneur  est  juste,  saint,  compatissant  et  miséricordieux  :  donc  celui  qui 
aime  la  justice  et  la  sainteté  et  qui  observe  les  préceptes  du  Seigneur  : 
«  Soyez  miséricordieux  de  même  que  votre  Père  est  miséricordieux  »,  (4) 
et  :  «  Soyez  parfaits  comme  votre  Père  céleste  est  parfait  »  (5)  devient  en 
tout  l'image  de  Dieu  (6). 

Voici,  d'autre  part,  comment  s'exprime  Procope  sur  le  même  sujet  : 

Quand  Dieu  dit:  «  Faisons  l'homme  à  notre  ressemblance  »,  il  faut 
comprendre,  dans  la  mesure  où  nous  le  pouvons  :  devenons  doux  et  sem- 
blables à  Dieu,  selon  la  parole  de  l'Ecriture  :  «  Soyez  miséricordieux  de 
même  que  votre  Père  (céleste)  est  miséricordieux.  »  (7)  D'autre  part, 
saint  Paul  dit  qu'il  enfante,  en  quelque  sorte,  une  seconde  fois  au  Christ 


il)  Ce  sens  n'est  pas  nouveau.  Ne  parle-t-on  pas  tous  les  jours  de  créations  scienti- 
liques,  de  créations  artistiques?  Et  cela  se  conçoit:  il  y  a  production  d'être  nouveau, 
mais,  remarquons-le,  ce  qui  est  proprement  un  être  nouveau  dans  les  œuvres  humaines, 
ce  ne  sont  pas,  évidemment,  les  éléments  utilisés,  puisqu'ils  sont  préexistants,  mais 
c'est  la  mise  à  contribution  de  ces  éléments  dans  une  synthèse  originale. 

{2)  /  Cor.  XV,  49. 

(3)  Coloss.  m,  10. 

(4)  Luc.  VI,  36. 

(5)  Matth.  V,  48. 

(G)  Théodoret,  col.  ii5-iir). 
(7)  Luc.  VI,  36. 


i::8  ÉCHOS    D  ORIENT 


ceux  qui  ont  perdu  cette  ressemblance  divine,  jusqu'à  ce  que  le  Christ 

soit  forncié  en  eux  (i) L'homme  ressemble  à  Dieu  par  la  charité, 

puisque  saint  Jean  a  écrit:  Dieu  est  charité  (2) Cette  image  a  été,  il 

est  vrai,  altérée  et  enlaidie  par  le  péché,  mais  l'incarnation  du  Christ  l'a 
restaurée  et  l'a  même  rétablie  dans  un  état  supérieur  au  premier  (3). 

On  le  voit,  ici  encore  Procope  complète  Théodoret,  car  tandis  que 
celui-ci  nous  engage  à  imiter  directement  Dieu  qui  est  la  sainteté 
même,  Procope  nous  montre  que  notre  ressemblance  à  Dieu  sous  ce 
rapport,  comme  sous  les  autres  déjà  examinés,  comporte  deux  étapes 
logiques  :  la  ressemblance  au  Christ,  et,  par  la  ressemblance  au  Christ, 
la  ressemblance  à  Dieu. 

IV.  L'homme,  image  de  dieu  par  son  corps 

Ainsi,  si  dans  l'homme  on  considère  l'âme,  on  y  découvre  clairement 
l'image  de  Dieu.  Mais  cette  divine  ressemblance  se  retrouve-t-elle  aussi 
dans  le  corps  humain?  Théodoret  le  nie,  apparemment,  mais  au  fond 
en  convient;  Procope  l'affirme  nettement.  Voyons  leurs  raisons  et 
comparons. 

Théodoret  réfute  longuement  l'assertion  de  ceux  qui  prêtent  à  Dieu 
des  membres,  des  mains,  des  pieds,  des  yeux.  Il  conclut  avec  raison 
que  les  passages  de  la  Sainte  Écriture  où  Dieu  est  représenté  comme 
un  homme  doivent  être  entendus  au  sens  métaphorique.  Ce  sont  là  des 
anthropomorphismes.  Puis  il  résume  ainsi  sa  pensée  : 

Celui  qui  dira  que  le  texte  ad  imaginem  suam  ne  se  rapporte  pas  au 
corps,  mais  à  l'âme  raisonnable,  exposera  une  doctrine  sérieuse  en  com- 
prenant sous  le  mot  âme  les  facultés  de  l'âme.  Car,  dans  l'homme,  la  faculté 
de  connaître,  de  juger,  de  bien  mériter,  bref,  de  faire  le  bien,  a  été  créée 
par  Dieu  à  sa  propre  image.  Ce  n'est  donc  pas  la  forme  du  corps,  mais  ce 
sont  ses  actions  qui  reproduisent  l'image  de  Dieu,  car  saint  Paul  dit  aux 
Corinthiens  :  «  De  même  que  nous  avons  porté  l'image  de  l'homme  ter- 
restre, de  même  portons  l'image  de  l'homme  céleste.  »  (4) 

Voici,  par  contre,  la  manière  dont  raisonne  Procope  pour  établir  la 
thèse  opposée  : 


(i)  Gai.  IV,  19.  Procope,  col.  ii5-n6. 

(2)  /  Joan.  IV,  16. 

(3)  Procope,  col.  123-124. 

(4)  /  Cor.  XV,  49;  Théodoret,  col.  ii3-ii6.  On  le  voit,  en  disant  que  c'est  par  les 
actions  de  son  corps  que  l'homme  reproduit  l'image  de  Dieu,  Théodoret  reconnaît 
que,  même  par  quelque  chose  d'extérieur  venant  du  corps,  l'homme  est  l'image  de 
Dieu. 


L  HOMME   CREE    A    L  IMAGE    DE    DIEU  !  59 

Quelques-uns  ont  pensé  que  les  mots  :  secundum  imaginem,  ne  s'appli- 
uaient  qu'à  l'âme,  com  me  si  l'âme  seule  avait  été  créée  à  l'image  de  Dieu . 
'autres  entendent  l'expression  du  corps  et  de  l'âme,  mais  surtout  de 
âme.  Ils  disent,  en  effet  :  toute  image  est  composée  de  matière  et  de  forme, 
t  l'une  ne  va  pas  sans  l'autre,  car  ce  qu'on  appelle  image,  c'est  la  matière 
nie  à  la  forme.  Le  bois  lui-même  reçoit  le  nom  d'image  à  cause  du  dessin 
u'il  porte  gravé  en  lui  et  qui  est,  à  proprement  parler,  l'image.  Cepen- 
ant,  sans  le  corps,  l'âme  n'est  pas  appelée  image  ;  car  si  l'âme  est  l'image 
e  Dieu  à  cause  de  la  ressemblance  divine  qu'elle  porte  en  elle,  le  corps, 
cause  de  l'image  divine  qui  est  imprimée  en  lui,  est  limage  de  Dieu, 
e  visage,  l'habillement,  h  démarche  et  le  rire  de  l'homme  sage  révèlent 
homme  intérieur  (1).  Du  reste,  le  mot  âme  désigne  l'homme  tout  entier, 
jprit  et  corps.  Or,  l'image  d'un  être  tire  son  principe  de  la  partie  princi- 
ale  de  cet  être,  puis  elle  s'étend  aux  parties  accessoires  et  plus  faibles. 
'est  pourquoi  l'incarnation  du  Verbe  a  été  très  nécessaire  pour  nous 
ndre  l'éclat  de  l'image  perdue,  non  seulement  dans  l'âme,  mais  aussi 
ans  le  corps.  De  même,  la  résurrection  universelle  des  corps  sera  néces- 
lire  pour  présenter  à  Dieu  le  vrai  homme  créé  à  son  image  (2). 

Cette  opinion  d'exégètes  antérieurs  que  Procope  a  faite  sienne 
îmande  quelques  explications.  Elle  se  ramène  aux  trois  propositions 
livantes  : 

/o  Toute  image,  expression  d'une  idée,  se  compose  de  matière  sefisible  et 
'■  forme,  c'est-à-dire  d'une  idée  rendue  sensible  par  la  disposition 
irticulière  de  la  matière  qui  sert  à  l'exprimer.  Donc,  le  corps  humain 
;ut  être  dit  l'image  de  Dieu,  non  pas  dans  ce  sens  qu'il  ressemble 
1  corps  de  Dieu  —  ce  qui  serait  franchement  absurde,  Dieu  étant 
îHS  corps  —  mais  parce  que  c'est  ur»e  matière  qui,  par  sa  disposition 
irticulière,  exprime  quelques-uns  des  attributs  divins,  non  pas  sans 
)ute   directement,  mais  indirectement,   en  reproduisant  jusqu'à  un 

rtain  point  les  qualités  de  l'âme,  qui  est  l'image  de  Dieu  (3).  Ainsi  le 
•rps  est  l'image  de  Dieu  en  étant  d'abord  l'image  de  l'âme.  Entendue 
ms  ce  sens,  cette  assertion  de  Procope  est  l'expression  d'une  pensée 
"Ofonde,  et  concorde  de  tout  point  avec  celle  de  la  plupart  des  philo- 
tphes  de  l'esthétique  pour  lesquels  l'idée  doit  toujours  être  liée  à 
mage  matérielle  dans  les  représentations  artistiques. 

20  Dieu  a  créé  l'homme  à  son  image  ;  or,  l'homme  est  constitué  par 


i)  Eccli.  I,  19. 
[z]  Procope,  col.  1 19-120. 

3)  Précisons  cette  pensée  par  un  exemple  :  l'œil,  par  la  vivacité  de  son  regard, 
prime  la  pénétration  de  l'intelligence;  or,  l'intelligence  humaine  est  créée  à  l'image 
celle  de  Dieu,  on  l'a  prouvé.  Donc  l'œil  corporel  sera  aussi  à  l'image  de  l'intelli- 
nce  divine. 


i6o  ÉCHOS  d'orient 


I 


l'union  substantielle  de  l'âme  et  du  corps.  Donc  le  corps,  partie  consti- 
tutive de  l'homme,  est,  lui  aussi,  créé  à  l'image  divine,  non  pas  en  lui- 
même,  mais  en  tant  que  substantiellement  uni  à  l'âme,  qui  est  la  partie 
la  plus  importante  du  composé  humain. 

30  Le  Christ,  s'étant  incarné  pour  rendre  à  l'homme  la  première 
beauté  qui  faisait  de  lui  l'image  de  Dieu,  a  pris  un  corps  et  une  âme 
humaine,  réhabilitant  ainsi  l'un  et  l'autre  comme  parties  constitutives 
de  l'image  divine. 

Si,  maintenant,  nous  comparons  les  opinions  de  ces  deux  auteurs, 
nous  pouvons  conclure  :  Théodoret  avait  raison  de  ne  pas  voir  dans  le 
corps  humain  l'image  divine,  puisque  Dieu  n'a  pas  de  corps,  mais  Pro- 
cope  est,  lui  aussi,  dans  la  vérité  quand  il  découvre  dans  ce  corps  qui 
fait  partie  de  l'homme  le  rayonnement  des  qualités  de  l'âme  qui  sont 
elles-mêmes  le  rayonnement  des  attributs  divins.  Le  corps  humain  peut 
donc,  sous  ce  rapport,  être  appelé  l'image  de  Dieu. 

V.  Conclusion. 

Au  terme  de  cette  longue  analyse,  précisons  en  quelques  traits  ld| 
points  sur  lesquels  nos  deux  commentateurs  semblent  avoir  exagéré  çt 
sur  lesquels,  par  suite,  il  convient  de  faire  quelques  réserves. 

Tous  les  deux  ont  montré  que,  créés  à  l'image  de  Dieu  d'après  l3^' 
Genèse,  l'homme  et  la  femme,  en  fait,  ressemblent  à  leur  Créateur  pa|^ 
les  puissances  de  leur  âme  et  de  leur  corps.  Mais  ici  la  question  n'est 
pas  seulement  de  savoir  si,  en  fait,  l'homme  et  la  femme  ressemblent 
à  Dieu  à  ces  divers  points  de  vue.  Car  il  s'agit  principalement  d'établir 
que  ces  traits  de  ressemblance  constatés  ressortent  des  textes  comparés 
de  la  Genèse.  Sur  cette  dernière  question,  ces  deux  exégètes  ont  émis 
des  opinions  que  nous  croyons  pouvoir  rectifier  sur  les  trois  points 
suivants  : 

1°  11  est  vrai,  comme  ils  l'ont  établi,  qu'il  y  a,  en  fait,  entre  les  facultés 
de  l'âme  humaine  et  les  trois  personnes  de  la  sainte  Trinité,  une  certaine 
analogie  et  même,  disons  le  mot  en  lui  donnant  un  sens  large,  une 
certaine  ressemblance.  Mais  si  le  texte  de  la  Genèse  :  Faisons  l'homme 
à  iwtre  image,  insinue  le  dogme  de  la  Trinité,  il  n'est  pas  certain,  toute- 
fois, que  ce  soit  précisément  à  l'image  des  trois  personnes  divines  ' 
considérées  comme  personnes  que  le  premier  homme  ait  été  créé.  Au 
contraire,  il  semble  prouvé  que  c'est  à  l'image  de  la  nature  divine  et 
non  des  personnes  considérées  comme  personnes  qu'Adam  a  été  créé. 

Comparons,  en  effet,  dans  la  Genèse,  ch.  1^'-,  les  versets  26  et 


l'hommr  crkh  a  l'image  de  dieu  i6i 

expression  :  Faisons  l'homme,  du  verset  26,  correspond  à  l'expression  :  Et 
Ui'ii  créa  l'homme,  du  verset  27.  C'est  donc  comme  Dieu,  c'est-à-dire 
)mme  nature  divine  ^Xxiioi  que  comme  trinité  de  personnes  que  Dieu  a 
éé  l'homme  à  son  image.  C'est  pourquoi,  dans  le  verset  26,  l'expres- 
011  ad  imaginem  nostram  est  au  singulier  au  lieu  d'être  au  pluriel;  il 
V  a  qu'une  image,  parce  qu'il  n'y  a  qu'une  nature  divine.  Bref,  nous  ne 
)mmes  créés  à  l'image  de  la  Trinité  qu'en  tant  que  ces  trois  personnes 
it  une  seule  et  même  nature  (i). 

2  '  11  est  très  vrai  aussi  que,  en  fait,  l'homme  jouit  d'un  certain 
jLivoir  créateur  dans  le  sens  large  que  nous  avons  donné  à  ce  mot, 
après  ces  deux  exégètes.  Mais  si  l'on  se  rapporte  aux  deux  versets 
écités  du  chapitre  l*''  de  la  Genèse,  il  ne  semble  pas  que  nécessairement 
m  doive  donner  au  verbe  créer  ce  sens  large,  et,  par  suite,  l'homme 
éé  à  l'image  de  Dieu  étant  incapable  de  créer  ex  nihilo  comme  Dieu, 
'  n'est  pas  sous  le  rapport  du  pouvoir  créateur  que  l'homme,  d'après 

Genèse,  aurait  été  créé  à  l'image  de  Dieu. 

Comparons,  en  effet,  les  trois  passages  suivants  :  Gen.  1,  26  ;  Gen.  i, 
;:  Gen.  11,  7,  8.  Trois  verbes  différents  sont  employés  en  hébreu,  en 
;  ec  et  en  latin  pour  caractériser  l'action  créatrice  de  Dieu:  Gen.  i,  26  : 
iah  =  -o'.s^.v  =::  facere;  Gen.  i,  27  :  bara=  xt-Iv^s'.v  =  creare  {ex  nihilo)  \ 


'II. 


II,  7,  8  :  yasar  =  TTÂàa-Tô'.v  =  formare  {ex  materia  prœexistenti). 

!  l'on  s'en  tenait  au  premier  et  au  dernier  verbe,  on  pourrait,  sans 

oiite,  conclure  de  sa  signification  que  l'homme  peut  imiter  Dieu  dans 

:  n  pouvoir  créateur.  Mais  le  texte  principal,  celui  qui  exprime  le  com- 

lencement  de  l'œuvre  créatrice,  est  le  deuxième  cité.  Dans  ce  passage, 

in'est  question,  semble-t-il,  que  de  la  création  ^j>C7«')b//o(2).  Or,  l'homme 

len  est  pas  capable.  11  n'est  donc  pas  certain  que  ce  soit  sous  le  rapport 

(  \\\  puissance  créatrice  que,  d'après  le  texte  même  de  la  Genèse,  l'homme 

;été  créé  à  l'image  de  Dieu  (3). 

3  "  Très  fondée  aussi  est  l'argumentation  de  nos  deux  auteurs  tendant 

;  prouver  que  nous  devons  perfectionner  en  nous  l'image  de  Dieu  par 

Ure  sainteté  personnelle.  Mais  quand  Procope  nous  dit  que,  la  divine 

ssemblance  ayant  été  altérée  en  nous  par  le  péché,  l'Incarnation  du 

ifist  l'a  restaurée  en  nous  et  même  l'a  remise  dans  un  état  supérieur 

premier,  il  est  bien  évident  qu'il  voit  dans  cette  altération  de  l'image 

«ne  en   nous  la  perte  de  la   grâce  divine  recouvrée  plus  tard  par 

icarnation  du  Christ.  Certes,  cette  assertion  est  très  juste,  car  parmi 


i)  HuMMELAL'EB,  Gettests,  p.  86,  87. 

a)  Cf.  Gen.  i,  i,  21,  27. 

{)  Hlmmelàuer,  op.  cit.,  p.  86,  87;  Filhon,  la  Sainte  Bible  commentée,  t.  I",  p.  20. 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  11 


l62  .  ÉCHOS    d'orient 


les  biens  de  l'âme  qui  nous  font  ressemblera  Dieu,  la  grâce  sanctifiante, 
cette  greffe  divine  entée  sur  le  sauvageon  de  la  nature  humaine,  occupe 
le  premier  rang,  puisque,  d'après  saint  Pierre,  «  c'est  une  certaine  par- 
ticipation à  la  nature  divine  »  (i). 

Mais  là  n'est  pas  la  question.  Ce  qu'il  importe  de  savoir  ici,  c'est  si  ks 
textes  précités  de  la  Genèse  font  au  moins  allusion  à  la  ressemblance 
surnaturelle  créée  par  la  grâce  entre  Dieu  et  l'âme  humaine.  11  semble 
que  non  (2).  Car  dans  tout  le  récit  génésiaque  il  n'est  question  que  de 
l'origine  du  monde  visible;  donc,  quand  la  Genèse  parle  de  la  création 
de  l'homme  à  l'image  de  Dieu,  il  s'agit  de  V image  naturelle  de  Dieu,  c'est- 
à-dire  de  la  similitude  éloignée  mais  pourtant  réelle  qu'il  y  a  entre  les 
puissances  naturelles  de  l'âme  et  du  corps  de  l'homme  et  les  attributs 
de  Dieu  (3).  Ces  réserves  faites,  on  peut  adopter  les  conclusions  de  ces 
deux  exégètes  et  dire  avec  le  P.  Pétau,  qui  a  magistralement  résumé 
cette  question  et  même,  sur  certains  points,  complété  ses  devanciers  : 

L'image  de  Dieu  se  trouve  dans  l'homme  tout  entier  :  elle  est  principa. 
lement  dans  son  âme  spirituelle,  immortelle,  intelligente,  libre  et  ornée 
des  vertus  qui  sont  une  imitation  de  la  sainteté  de  Dieu;  elle  est  dans  son 
corps,  en  second  lieu,  il  est  vrai,  mais  pourtant  réellement,  soit  parce  que 
ce  corps  a  la  faculté  de  se  tenir  debout  pour  imiter  la  majesté  de  Dieu, 
soit  à  cause  de  sa  faculté  de  parler,  expression  de  son  intelligence  et  de 
sa  volonté,  soit  à  cause  de  ses  mœurs  extérieures,  révélation  de  ses  vertusi- 
intérieures  (4).  ^ 

E.   MONTMASSON. 


(i)  II  Petr.  I,  4. 

(2)  Il  est  de  foi  qu'Adam  a  reçu  la  grâce  sanctifiante  en  partage.  Mais  le  texte  géné- 
siaque y  fait-il  allusion  en  parlant  de  l'image  divine?  Telle  est  la  question. 

(3)  HUMMELAUER,  Op.    cit.,    p.    IIO-III. 

(4)  PÉTAU,  De  sex  dierum  opificio,  11,4. —  Cette  doctrine,  synthétisée  par  cet  auteur, 
n'est  pas  nouvelle  :  on  en  retrouve  les  éléments  épars  dans  les  écrits  de  plusieurs 
Pères,  notamment  de  saint  Augustin,  De  Trinitate,  xii,  2, 


CHRONIQUE 

DES  ÉGLISES  ORIENTALES 


Arméniens 

I.  Arméniens  catholiques 

1 .  Le  concile  arménien  de  Rome.  —  Un  concile  important  des  évêques 
rméniens  catholiques,  sous  la  présidence  de  leur  patriarche, 
.  B.  Msi-  Paul-Pierre  XIll  Terzian,  s'est  tenu  à  Rome,  du  is  octobre  au 
G  décembre  191 1  (1).  Ms^'  Terzian  écrivait  en  septembre  dernier  aux 
lissions  catholiques,  en  annonçant  ce  synode  : 

Pour  notre  hiérarchie,  c'est  un  événement  tout  à  fait  extraordinaire, 
ar  c'est  la  première  fois  que  tous  les  archevêques  et  évêques  arméniens 

réuniront  dans  la  Ville  Sainte,  sous  la  présidence  de  leur  patriarche, 
our  réformer  leur  Église  et  faire  leur  statut  hiérarchique  pour  le 
atriarcat  et  ses  seize  diocèses.  En  effet,  jusqu'à  présent,  nous  étions 
rivés  de  ce  statut,  et  le  manque  d'un  règlement  nous  exposait  à  toutes 
s  difficultés  et  condamnait  nos  efforts  à  une  grande  stérilité. 
Une  fondation  qui  réclame  d'urgence  notre  attention,  c'est  la  création 
un  Petit  Séminaire  qui  nous  fournirait  un  clergé  instruit.  Nous  étudie- 
»ns  les  moyens  d'établir,  pour  l'instruction  de  la  jeunesse,  les  bonnes 
:oIes  qui  nous  manquent  un  peu  partout... 

Après  une  audience  pontificale  et  une  séance  préparatoire  qui  eurent 
jîu  le  14  octobre,  l'ouverture  solennelle  du  concile  se  fit  le  lendemain, 
jréglise  arménienne  de  Saint-Nicolas  de  Tolentin,  d'abord  par  la  célé- 
l'ation  d'une  messe  pontificale,  puis  par  une  séance  solennelle,  en 
résence  de  seize  évêques  arméniens,  sous  la  présidence  du  patriarche. 
jirmi  ces  prélats,  deux  seulement  ne  sont  pas  sujets  ottomans,  ce 
|int  :  NN.  SS.  Teodorowicz,  archevêque  de  Lemberg,  et  Covrighian, 
^êque  titulaire  de  Nisibe,  abbé  général  des  Mékitaristes  de  Vienne. 


roir  la  revue  Rome  (Paris,  Bonne  Presse),  n""  de  novembre,  décembre,  janvier 
rier.  Voir  aussi  un  article  de  la  Cirilta  cattolica  du.  17  février  1912,  intitulé  : 
Vite  sinodo  armeno,  Per  la  storia  délia  Chiesa  armeno-cattolica. 


l64  ÉCHOS    D  ORIENT 


L'abbé  général  des  Mékitaristes  de  Venise,  qui  a  aussi  le  caractère  épi- 
scopal,  s'est  excusé  de  ne  pouvoir  assister  au  concile  à  raison  de  son 
état  de  santé. 

Sept  évêques  de  Turquie  attendaient  encore  que  le  gouvernement 
ottoman  levât  l'interdiction  qu'il  leur  avait  intimée  de  se  rendre  à  Rome. 

Dès  la  première  séance,  les  Pères  du  concile  se  sont  partagés  en 
quatre  Commissions  qui  doivent  étudier  et  préparer  les  rapports;  les 
matières  soumises  à  leurs  délibérations  sont  réparties  on  onze  titres. 
Puis  leur  assemblée  générale  discutera  et  décidera  sur  le  texte  des 
schémas  adoptés  en  Commission.  Enfin,  dans  l'église  Saint-Nicolas  de 
Tolentin,  le  concile  promulguera  ses  décrets  en  session  solennelle, 
ce  qui  équivaudra  à  une  publication  canonique. 

Parmi  les  Pères  du  concile  qui  avaient  assisté  à  la  séance  d'ouverture, 
neuf  n'avaient  pas  encore  reçu  le  caractère  épiscopal.  Mais  le  Pape  les 
avait  déjà  désignés  et  nommés  directement  pour  qu'ils  fussent  sacrés 
ensemble  par  leur  patriarche.  Le  Souverain  Pontife  a,  en  effet,  jugé 
nécessaire,  à  raison  notamment  des  difficultés  qui  eussent  empêché 
de  réunir  des  synodes  locaux  avant  le  concile  arménien,  de  déroger 
pour  cette  fois  aux  coutumes  de  la  communauté  arménienne  et  de 
pourvoir  directement  aux  sièges  vacants,  sans  attendre  le  témoignage 
du  clergé  et  des  laïques  des  diocèses  intéressés.  Pie  X,  dans  l'audience 
du  14  octobre,  avait  tenu  à  insister  sur  cette  décision  qu'il  avait  jugé 
bon  de  prendre  pour  le  bien  de  l'Église  arménienne.  La  cérémonie 
imposante  de  la  consécration  des  nouveaux  évêques  s'accomplit  le 
22  octobre,  selon  toutes  les  règles  du  pontifical  arménien.  Voici  les 
noms  de  ces  prélats,  dans  l'ordre  où  ils  furent  préconisés  au  Consis- 
toire du  30  novembre  191 1  : 

NN.  SS.  Joseph  Rokossian,  archevêque  titulaire  d'Achrida,  nommé 
auxiliaire  et  vicaire  de  S.  B.  Mgr  Terzian;  Joseph  Melkisedekian,  évêque 
d'Erzeroum;  Jacques  Topousian,  évêque  de  Mouche;  Pascal  Keklikian, 
évêque  d'Adana;  Grégoire  Bahabanian,  évêque  d'Angora;  Antoine 
Bahabanian,  évêque  de  Césarée  de  Cappadoce;  Jean  Nasiian,  évêque 
de  Trébizonde;  Jean  Couzian,  évêque  d'Alexandrie. 

Trois  des  évêques  retenus  en  Turquie  avaient  fini  par  s'embarquer 
et  étaient  venus  se  joindre  aux  autres  membres  du  concile. 

Une  première  session  solennelle  se  tint  le  26  octobre;  une  deuxième 
le  29,  puis  une  autre  chaque  dimanche  jusqu'au  10  décembre.  Ces 
sessions,  bien  que  solennelles,  n'admettaient  cependant  aucun  témoin, 
les  décrets  ne  pouvant  ^tre  promulgués  qu'après  avoir  reçu  l'approba- 
tion du  Saint-Siège.  La  clôture  du  concile  s'est  faite  le  10  décembre. 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  165 

M&''  Teodorowicz,  archevêque  arménien  de  Lemberg,  a  lu  en  italien  un 
discours  où,  dans  une  large  synthèse,  il  a  montré  comment  les  ponti- 
licats  de  Léon  Xll!  et  de  Pie  X  avaient  un  rayonnement  magnifique, 
spécialement  au  point  de  vue  des  Églises  orientales. 

Le  1 4  décembre,  dans  l'audience  solennelle  qu'il  accorda  au  patriarche, 
aux  évêques  arméniens,  aux  théologiens  et  aux  consulteurs  du  concile, 
S.  S.  Pie  X  déclara  qu'il  avait  suivi  de  très  près,  avec  une  sollicitude 
constante,  les  travaux  du  synode  qu'il  avait  lui-même  voulu. 

Deux  lettres  synodales  datées  du  18  décembre  ont  été  adressées  de 
Rome  par  les  Pères  du  concile  à  la  communauté  arménienne  catho- 
lique (i).  Elles  ont  pour  but  d'attirer  l'attention  sur  les  principales 
juestions  qui  ont  fait  l'objet  des  délibérations  synodales.  Elles  con- 
cernent soit  l'enseignement  de  la  foi  et  de  la  liturgie,  soit  les  prin- 
cipes qui  doivent  régler  les  rapports  des  fidèles  avec  les  évêques. 

C'est  ce  dernier  point  surtout  qui,  comme  on  le  pense  bien,  a  été 
spécialement  étudié.  Les  lettres  synodales  ramènent  à  trois  points  essen- 
tiels ces  rapports  mutuels  entre  évêques  et  fidèles  :  i"  la  participation 
du  peuple  à  l'élection  des  évêques  et  du  patriarche;  2°  l'immixtion  du 
peuple  dans  la  gestion  des  biens  ecclésiastiques;  3°  l'intervention 
du  peuple  dans  l'administration  civile  de  la  communauté.  Cette  der- 
nière question  fait  l'objet  spécial  de  la  seconde  lettre;  les  deux  autres 
sont  traitées  dans  la  première. 

Cet  important  document  relève  avec  raison  le  droit  exclusif  de  l'Église 
dans  l'élection  des  évêques  et  des  autres  dignitaires  ecclésiastiques, 
établit  la  vérité  concernant  l'intervention  populaire  dans  les  élections 
épiscopales,  privilège  qui  n'a  jamais  créé  un  droit  strict.  Puis  appli- 
cation est  faite  de  ces  principes  aux  récentes  nominations  épiscopales 
auxquelles  le  Pape  a  cru  devoir  procéder  directement.  De  même,  on 
affirme  ensuite  le  droit  exclusif  de  l'Église  sur  ses  biens,  et  on  étudie 
ce  qu'il  en  est  des  biens  qui  sont  objet  d'administration  dans  la  com- 
munauté arménienne  catholique.  En  ceux-ci  il  importe,  en  effet,  de 
distinguer  très  nettement  les  biens  ecclésiastiques,  les  biens  nationaux 
et  les  biens  mixtes.  Enfin,  en  ce  qui  regarde  l'attitude  du  Conseil 
national  à  l'égard  de  l'autorité  patriarcale,  la  première  lettre,  après 
avoir  établi  la  responsabilité  du  patriarche  devant  l'Église  et  devant  le 


(i)  Voici  les  titres  de  ces  lettres,  qui  ont  été  publiées  en  brochures  :  Première  lettre 
aux  Arméniens  catholiques  à  l'occasion  du  synode  tenu  à  Rome  en  igii.  Rome, 
imprimerie  Richard  Garroni,  191 1,  grand  in-8°,  33  pages.  Seconde  lettre  collective 
des  Pères  synodaux  à  la  communauté  arménienne  catholique.  Rome,  R.  Garroni, 
1912,  in-8',  29  pages. 


i66  ÉCHOS  d'orient 


pouvoir  civil,  lire  de  ces  principes  ce  mot  d'ordre  très  clair  :  «  Avec 
le  patriarche,  et  non  pas  au-dessus  du  patriarche  et  contre  lui.  »  Puis, 
par  manière  de  conclusion,  elle  montre  que  la  liberté  de  l'Église  dans 
son  gouvernement  est  dans  l'intérêt  de  la  nation,  et  elle  rappelle,  par 
contre,  les  tristes  conséquences  qu'a  toujours  l'asservissement  de 
l'Église  à  la  volonté  populaire. 

Cette  première  lettre,  dont  ce  simple  résumé  suffit  à  dire  la  haute 
importance,  est  signée  du  patriarche  et  des  évêques  présents  au  concile. 

La  seconde  s'occupe  seulement  de  rétablir,  au  sujet  des  événements 
qui  ont  provoqué  la  crise  actuelle,  la  vérité  fâcheusement  dénaturée 
par  certains  membres  de  l'Assemblée  laïque  et  par  la  presse.  Au  bas 
de  ce  document,  on  lit  les  noms  des  mêmes  signataires  que  pour  la 
première  lettre,  sauf  ceux  du  patriarche  et  de  l'archevêque  de  Lemberg. 

Les  Actes  du  concile  ont  été  soum.is  à  l'examen  du  Saint-Siège  qui 
vient,  croyons-nous,  de  les  approuver.  Souhaitons  qu'ils  soient  bientôt 
publiés.  Souhaitons  surtout  que  les  décisions  prises  puissent  être  sans 
retard  mises  à  exécution  pour  le  plus  grand  bien  de  l'Église  arménienne 
catholique.  S.  Salavili.e. 

2.  Crise  religieuse.  —  On  dirait  qu'un  vent  de  parlementarisme 
a  soufflé  sur  l'Église  arménienne,  comme  il  a  soufflé  sur  tout  l'Orient 
depuis  la  révolution  de  juillet  1908. 

L'Assemblée  nationale,  réunie  contre  la  volonté  du  patriarche,  soii 
président  naturel,  et  en  violation  des  Canons,  a  déclaré  M^''  Terzian 
déchu  de  sa  dignité.  Son  droit  de  participer  à  l'élection  du  chef  de 
l'Église  nationale,  elle  voudrait  l'exercer  en  faisant  et  en  défaisant  les 
patriarches,  selon  les  caprices  du  vote.  Les  révoltés  ont  malheureu- 
sement trouvé  un  appui  chez  quelques  prêtres  irrités  des  réformes  que 
Mgf  Terzian  veut  introduire  dans  son  clergé.  Les  opposants  sont 
quelques  centaines  seulement,  cependant  leur  audace  impose  à  la 
masse  des  catholiques,  bien  intentionnés,  mais  timides.  La  question 
du  patriarche  devient  le  sujet  de  toutes  les  conversations  dans  les, 
salons,  où  l'on  voit  des  canonistes  improvisés  émettre  les  opinions  les 
plus  extravagantes. 

Le  concile  terminé,  les  évêques  ne  tardèrent  pas  à  rentrer  dans  leurs 
diocèses.  Le  patriarche,  Me'  Terzian,  arriva  à  Constantinople  le  5  jan-^ 
vier.  Une  manifestation  hostile  organisée  à  sa  descente  du  bateau 
échoua,  m.ais  les  meneurs  eurent  leur  revanche.  Me^'  Terzian  se  heurta 
à  une  porte  fermée,  quand  il  se  présenta  au  palais  patriarcal.  Une  foulét, 
hurlante  l'accueillit  par  des  huées.  Après  quelques  instants  de  pour- 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  167 

allers  avec  les  représentants  laïques  de  la  communauté,  la  porte 
Ouvrit  et  il  put  pénétrer  dans  ses  appartements  dont  on  lui  refusait 
accès,  sous  prétexte  qu'il  était  «  déchu  ». 

Le  lendemain,  jour  de  Noël  (1),  il  n'y  eut  qu'une  messe  basse,  par 
lainte  de  troubles.  Il  en  est  encore  ainsi  les  dimanches  et  jours  de 
k .  Presque  chaque  dimanche  les  scènes  de  désordre  se  renouvellent. 
es  réunions  tumultueuses  ont  lieu,  où  le  Saint-Siège  n'est  guère 
lieux  traité  que  Me''  Terzian.  On  a  même  vu  une  jeune  fille  prendre 

parole  pour  demander  que  les  femmes  soient  mises  au  courant  des 
a  nements,  afin  «  qu'elles  puissent  élever  leurs  enfants  dans  le  devoir 
lUiotique  (!)  ».  Pendant  ce  temps,  une  violente  campagne  est  menée 
ans  les  journaux  contre  le  patriarche  et  les  nouveaux  évêques.  Mén- 
inges, calomnies,  insinuations  perfides,  tout  est  mis  en  œuvre  pour 
<citer  les  Arméniens  catholiques  contre  l'autorité  ecclésiastique  :  le 
itriarche  a  emprisonné  dans  une  chambre  retirée  deux  évêques  et 
jelques  prêtres  partisans  des  révoltés  (!?),  le  délégué  apostolique, 
\g^  Sardi,  va  agir  contre  Me^  Terzian;  le  Pape  rappelle  le  patriarche 
Rome,  il  va  le  nommer  cardinal,  les  privilèges  de  l'Eglise  vont  être 
:tirés,  on  veut  romaniser  le  rite  arménien,  etc.,  etc.  Les  adresses  se 
ultiplient,  où  l'on  se  proclame  Arménien  avant  que  d'être  catholique 

où,  tout  en  protestant  d'un  vif  attachement  au  Pape,  on  critique  vio- 
Hiîment  les  actes  du  Saint-Siège.  C'est  à  se  croire  à  l'époque  du  schisme 
rtihassou  niste  (2). 

Le  gouvernement  turc  n'avait  guère  besoin  de  cette  querelle  inté- 
eure,  surtout  dans  les  circonstances  actuelles  où  les  difficultés  lui 
ennent  de  toute  part.  Après  avoir  cherché  un  terrain  d'entente  sur 
quel  le  parti  d'opposition  pût  se  rencontrer  avec  Mg""  Terzian,  il  vient 
;  prendre  une  décision  très  grave  qui  va  envenimer  la  querelle  au  lieu 
y  mettre  fin.  Cédant  à  la  pression  exercée  sur  lui  par  l'Assemblée 
itionale  révoltée  et  peut-être  aussi  à  des  influences  maçonniques  (3), 

conseil  des  ministres  a  fait  sanctionner  par  le  sultan  un  iradé  impérial 
Jclarant  Me»"  Terzian  déchu  de  sa  dignité  de  patriarche  et  invitant 
assemblée  nationale  à  choisir  un  locum  tenens.  Nous  aurons  prochai- 


'i)  On  sait  que  les  Arméniens  catholiques,  comme  les  grégoriens,  ont  gardé  la  cou- 

aae  antique  de  célébrer  en  même  temps  Noël  et  l'Epiphanie  le  6  janvier. 

[2)  Signalons  une  très  apostolique  exhortation  à  la  concorde,  composée  par  un  mis- 

mnaire  catholique  et  publiée  sous  ce  titre:  Aux  Arméniens  catholiques  de  Con- 

mtinople,  par  le  plus  humble  de  leurs  amis.  Constantinople,  imprimerie  Lœffley, 

12,  in-i2,  12  pages. 

3)  On  sait   que  la    franc-maçonnerie  exerce   une  influence  considérable  dans  les 

nseils  du  parti  Union  et  Progrès  qui  détient  actuellement  le  pouvoir  et  que  plusieurs 

nistres  sont  affiliés  au  Grand-Orient  de  France. 


i68  ÉCHOS  d'orient 


nement  à  parler  de  cette  décision  qui  donne  à  la  crise  religieuse  sort 
caractère  aigu.  Ajoutons  seulement,  comme  nouvelle  de  la  dernière  heure^ 
que  révêque  de  Malatia  a  été  frappé  par  S.  S.  le  pape  Pie  X  de  suspense 
a  divinis,  pour  avoir  assisté  à  la  lecture  du  décret  de  «  déchéance  », 
lecture  faite  publiquement  au  patriarcat  par  un  fonctionnaire  du  gou- 
vernement. S.  B.  Mg'  Terzian  a  frappé  de  la  même  peine  canonique 
deux  prêtres  coupables  de  la  même  faute.  R.  Janin. 

IL  Arméniens  grégonens 

Le  nouveau  patriarche.  — L'Eglise  arménienne  grégorienne  a  été  privée 
de  chef  pendant  plusieurs  mois.  Elle  a  été  tirée  de  cette  longue  viduite 
en  décembre  191 1,  par  l'élection  de  M?'"  Archarouni  comme  patriarche 

De  ses  premiers  actes,  nous  ne  retiendrons  que  ses  sourires  amicau) 
au  patriarche  grec  orthodoxe.  Ce  dernier,  lors  de  sa  visite,  au  premiei 
de  l'an,  a  été  reçu  avec  des  témoignages  exceptionnels  d'estime  ;  durant 
l'entrevue,  on  a  accentué  la  nécessité  d'une  durable  collaboration  et 
entente  des  deux  Eglises.  «  Tout  ce  qui  y  a  été  échangé,  dit  le  journal 
Proodos,  montre  que  les  préventions  et  les  défiances  mutuelles  sont 
tombées  pour  toujours  et  que  désormais,  ainsi  qu'il  a  été  dit,  commence 
une  nouvelle  époque  dans  les  relations  des  deux  Eglises.  » 

Le  patriarche  grec  a  exprimé  le  désir  de  placer  à  l'école  théologique 
arménienne  d'Armache,  près  d'ismidt,  déjeunes  Grecs  venus  de  contrées 
«  arménophones  »  d'Asie-Mineure,  afin  de  cimenter  l'union  des  deux 
Eglises.  La  proposition  a  été  acceptée  avec  empressement. 

Malgré  ces  symptômes  et  quelque  tortueuse  que  soit  la  vie  des 
Eglises  orientales,  il  ne  semble  pas  que  nous  nous  trouvions,  de  ce 
fait,  à  un  nouveau  tournant  de  leur  histoire.  F.  Cayré. 

Bulgares 

I.  Bulgares  catholiques  jj 

Association  des  Saints-Cyrille  et  Méthode.  —  En  août  191 1 ,  les  prêtres 
réguliers  et  séculiers  de  la  mission  de  Thrace  et  de  Bulgarie  dépendant 
du  vicaire  apostolique,  Mg'"  Michel  Petkoff,  évêque  titulaire  d'Hébron, 
résidant  à  Andrinople,  se  sont  formés  en  association  religieuse  sous  la 
présidence  du  même  prélat,  et  ont  choisi  comme  patrons  les  saints 
apôtres  slaves  Cyrille  et  Méthode.  Le  but  de  la  pieuse  association  est 
de  cimenter  l'union  des  membres  du  clergé  catholique  entre  eux  et  àt, 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  169 

pourvoir  plus  facilement  aux  besoins  spirituels  et  matériels  des  curés 
qui,  jusqu'ici,  ont  été  trop  isolés  et  abandonnés  à  leurs  propres  forces. 

Un  Conseil  de  six  membres,  qui  doivent  se  réunir  une  fois  par  mois 
au  Séminaire  bulgare  de  Kara-Agatch,  dirigé  par  les  Pères  Assomptio- 
nistes,  reçoit  toutes  les  demandes  de  secours,  centralise  les  informa- 
tions et  les  résultats  des  quêtes,  distribue  les  subsides  et  gère  le  petit 
fonds  commun  de  la  Société,  constitué  par  les  cotisations  des  membres 
et  les  dons  des  fidèles. 

Deux  réunions  générales  doivent  avoir  lieu  tous  les  ans  au  Sémi- 
naire slave  de  Kara-Agatch;  l'une  de  ces  réunions  servira  en  même 
temps  de  retraite  ecclésiastique. 

M^'Petkoffa  nommé  immédiatement  deux  visiteurs  chargés  de  mis- 
sions dans  les  paroisses  rurales  et  confesseurs  extraordinaires. 

Les  membres  de  l'association  sont  en  union  de  prières  pour  l'union 
des  Eglises  et  s'obligent  à  dire  tous  les  jours  certaines  prières  spéciales 
à  cette  intention. 

Cette  œuvre,  qui  a  été  accueillie  avec  enthousiasme  parmi  le  clergé 
bulgare  catholique  du  diocèse  d'Andrinople,  est  appelée,  croyons-nous, 
à  grandir  et  à  porter  des  fruits  de  salut  autant  pour  les  fidèles  que 
pour  les  prêtres.  P.  Cristof. 

IL  Bulgares  orthodoxes 

I.  L' exarque  est-il  le  chef  de  l'Église  bulgare?  —  Telle  est  la  question 
délicate  que  reprend,  dès  le  début  de  191 1,  le  T:{erkoven  K^s//»7;  (Journal 
ecclésiastique  du  saint  synode),  thème  brûlant  qui  avait  déjà  troublé 
depuis  des  mois  les  coriphées  de  l'opinion  bulgare.  Il  s'agissait  de 
déterminer,  une  fois  pour  toutes,  si  réellement  Sa  Béatitude  l'exarque 
était  le  chef  spirituel  de  l'Eglise  orthodoxe  bulgare. 

Plusieurs  publicistes  l'avaient  affirmé.  Des  membres  influents  du  clergé 
s'étaient  lancés  à  leur  suite,  et  la  discussion  avait  pris  la  tournure 
inquiétante  d'une  campagne  passionnée,  lorsque  Mg^  Syméon  de  Varna, 
"le  doyen  d'âge  de  l'épiscopat  bulgare,  eut  déclaré,  dans  les  colonnes 
du  Den,  que  l'idée  de  la  suprématie  de  l'exarque  était  étrangère  à  la 
pensée  de  l'Eglise  bulgare,  et  que  son  acceptation  causerait  un  contre- 
coup fatal  dans  la  vie  religieuse  du  peuple  bulgare.  La  question,  on  le 
voit,  touchait  à  l'essence  et  à  l'organisation  de  l'Eglise  même,  et  le  saint 
synode  crut  enfin  de  son  devoir  d'intervenir  dans  l'ardente  polémique. 

Il  le  fit  par  son  porte-parole,  le  D^"  Tzankof,  rédacteur  du  Tj^erkoven 
l^estnik.   11  établit,   dans  une  vingtaine  de  numéros,  la  thèse  officielle 


I^O  ÉCHOS    D  ORIENT 


que  l'Église  n'a  d'autre  chef  que  Jésus-Christ.  Point  de  chef  visible  sur 
la  terre.  Les  patriarches,  primats,  métropolitains  n'ont  qu'une  primauté 
d'honneur.  Le  président  du  synode  lui-même  n'est  que  l'exécuteur  des 
décisions  prises  par  l'assemblée  des  évêques  ses  égaux,  et  l'intermé- 
diaire entre  les  communautés  chrétiennes.  Par  suite,  l'exarque  n'est  pas 
le  chef  de  l'Eglise  bulgare. 

Telle  est  aussi  la  pensée  explicite  de  ses  fondateurs,  clairement  expri- 
mée dans  la  première  assemblée  générale  bulgare  tenue  à  Constanti- 
nople  (1871)  où  patriotes  laïques  et  ecclésiastiques  jetèrent  les  bases  de 
la  nouvelle  Eglise  nationale. 

Les  décisions  de  cette  assemblée,  conclut  l'auteur  de  la  thèse,  sont  d'une 
importance  capitale  pour  le  savant,  l'historien  et  le  canoniste.  Son  proto- 
cole est  l'unique  testament  de  notre  jeune  Église  et  l'expression  la  plusj 
autorisée  de  la  pensée  nationale  et  religieuse,  au  sujet  de  la  vie  et  de; 
bases  de  notre  Église  nationale  (  i). 

2.  La  loi  sur  les  fêtes  et  le  repos  dominical.  —  Le  ministère  démocrat 
s'est  avisé  de  supprimer  un  certain  nombre  de  fêtes  religieuses  popu- 
laires et  a  ainsi  indisposé  contre  lui  les  autorités  ecclésiastiques  et  l'opi- 
nion publique.  Cependant,  les  réclamations  du  saint  synode,  les  pro- 
testations des  paroisses,  les  récriminations  des  partisans  de  l'ancien  état 
de  choses  ne  l'ont  pas  empêché  de  voter  d'emblée  la  suppression. 

Cette  loi  sur  les  fêtes  et  le  repos  dominical  a  été  votée  par  le 
XlVe  Sobranié  ordinaire  en  avril  191 1.  Elle  comprend  quatorze  articles. 
Voici  ceux  qui  ont  un  intérêt  plus  général. 

Art.  i«r.  —  Les  fêtes  chômées  en  Bulgarie  sont  tous  les  jours  de 
dimanche,  ainsi  que  les  fêtes  de  Notre-Seigneur  ou  des  saints  et  les 
fêtes  officielles  suivantes  :  Noël,  deux  jours  ;  Pâques,  deux  jours  ; 
V  Ascension  ;  la  Pentecôte,  deux  jours  ;  le  i"- janvier,  Nouvel  an;  le  6  jan- 
vier, Epiphanie;  le  19  janvier,  Délivrance  de  la  Bulgarie;  le  25  mars, 
Annonciation  \  le  ij,  avril,  Saint-Georges;  le  11  mai.  Saints  Cyrille  d 
Méthode;  le  28  juin,  Saint-Pierre  et  Saint-Paul;  le  2  août,  avènement 
du  t^ar ;  le  15  août,  Assomption  ;  le  22  septembre.  Indépendance  de  la 
Bulgarie;  le  26  octobre,  Saint-Dimitri . 

Art.  3.  —  La  fête  dure  de  6  heures  du  matin  à  8  heures  du  soir. 

Art.  4.  —  Aux  jours  de  fêtes  mentionnées,  tous  les  établissements 
privés  ou  publics  ferment  toute  la  journée. 


(i)  Le  saint  synode  vient  de  faire  publier  ce  protocole  â  Sophia.  Sophia,  éd.  san.t 
synode,  xxxiv-178  pages,  in-4%  191 1;  prix,  2  fr.  —  On  trouvera  aussi  dans  le 
XLV*  volume  de  Mansi,  réunis  par  les  soins  du  R.  P.  L.  Petit,  tous  les  actes  de  ces 
divers  conciles. 


CHRONIQUE    DES    EGLISES   ORIENTALES  lyi 

Les  articles  suivants  prévoient  les  cas  d'exception  légitime. 

Art.  12.  —  Celui  qui  enfreint  la  loi  présente  est  passible  d'une 
amende  de  lo  à  loo  francs.  En  cas  de  récidive,  elle  est  doublée.  Elle 
peut  s'élever  à  300  francs  pour  les  patrons  d'établissements  industriels 
3Ù  travaillent  plus  de  vingt  ouvriers. 

La  nouvelle  loi  supprime,  entre  autres  fêtes,  celles  de  la  Transfigu- 
ation  (6  août),  de  la  Sainte-Croix  (14  septembre),  des  Saints-Archanges 
8  novembre),  de  Saint-Nicolas  (6  décembre). 

Le  saint  synode,  qui  avait  été  impuissant  à  faire  accepter  ses  desi- 
ierata,  ne  voit  pas  sans  un  certain  plaisir  les  manifestations  qui  se  font 
ni  peu  partout  en   Bulgarie  pour  demander  la  revision  de  cette  loi. 

n'est  pas  sans  intérêt  de  constater  qu'on  n'a  jamais  célébré  certaines 
le  ces  fêtes  avec  plus  de  splendeur  que  depuis  le  jour  où  l'Etat  s'est 
onné  la  peine  de  les  supprimer. 

(Nous  renvoyons  au  prochain  numéro  la  question  des  biens  des 
nonastères  et  celle  des  études  ecclésiastiques,  qui  ont  aussi  occupé 
Église  bulgare  en  1911.)  H.  Gospodinof. 

Grecs 

/.  Grecs  catholiques 

Le  sacre  de  Mv^-  Isaïe  Papadopoulos.  —  Le  27  janvier  19 12  a  eu  lieu,- 
la  cathédrale  catholique  de  Pancaldi  à  Constantinople,  le  sacre  de 
Igr  Isaïe  Papadopoulos,  évêque  des  Grecs  catholiques.  La  cérémonie 
est  accomplie  suivant  le  rite  byzantin,  en  langue  grecque.  Nous  n'avons 
as  à  la  décrire  ici  ;  il  nous  suffira  d'indiquer  certaines  particularités  dans 
:s  bulles  dont  la  lecture  a  été  donnée  en  grec,  au  début  delà  cérémonie^ 
Les  Lettres  pontificales  portent  la  date  191 1  ;  l'une,  celle  qui  accorde 
\  juridiction,  est  du  1 1  juin  ;  l'autre,  celle  qui  concerne  l'ordination, 
pt  du  28  juin. 
Mg»'  Isaïe  avait  la  faculté  de  se  faire  sacrer  par  un  évêque  catholique 
e  son  choix,  de  n'importe  quel  rite,  assisté  de  deux  autres  èvêques, 
,  à  leur  défaut,  de  deux  prêtres  constitués  en  dignité.  La  profession 
s  foi  devait  être  faite  suivant  la  formule  spéciale  que  le  Saint-Siège 
jwescrite  aux  Grecs. 

Mg''  Isaïe  est  nommé  évêque  titulaire  de  Gratianopolis,  mais  il  reçoit 
)rdre  de  siéger  à  Constantinople  pour  y  exercer  la  juridiction  ordi- 
itfe  sur  les  fidèles  «  de  rite  grec  pur  »,  «  dans  la  ville  de  Constanti- 
)ple  et  dans  le  territoire  de  la  Délégation  apostolique  ».  Il  reste  cepen- 


172  ÉCHOS    d'orient 


dant  «  soumis  immédiatement  à  l'autorité  du  Délégué  apostolique  de 
Constantinople  », 

Remarquons  enfin  le  motif  qui  a  déterminé  le  Pape  à  nommer  un 
evêque  grec  catholique.  11  est  double  :  le  nombre  toujours  croissant 
des  fidèles  catholiques  de  rite  grec  et  l'espoir  que  la  présence  d'un 
•évêque  favorisera  davantage  le  retour  au  sein  de  l'Eglise  des  frères 
séparés.  F.  Cayré. 


//.  Grecs  orthodoxes 


I.  PATRIARCAT  D  ALEXANDRIE 


I.  Organisation  actuelle  du  patriarcat .  — L'Église  orthodoxe  d'Egypte 
n'en  est  plus,  il  s'en  faut,  aux  jours  encore  peu  éloignés  où  elle  devait 
s'adresser  au  Phanar  pour  la  nomination  de  chaque  nouveau  métro- 
polite. «  Le  pape  et  patriarche  d'Alexandrie  »  est  aujourd'hui  tout  à 
fait  indépendant  dans  son  domaine,  assez  vaste  en  étendue,  mais  bien 
modeste  quant  à  sa  population.  Me»"  Photios  doit  en  partie  cette  auto- 
nomie à  la  réorganisation,  qu'il  a  eu  le  talent  d'accomplir,  de  la  haute 
hiérarchie  ecclésiastique  de  sa  province.  >' 

Voici,  d'après  le  calendrier  que  publie  l'organe  officiel  du  patriarc|t 
égyptien,  cette  organisation  qui  paraît  se  présenter  aujourd'hui  daiîS 
des  conditions  suffisantes  de  stabilité. 

Le  corps  dirigeant  de  cette  Eglise  comprend  le  patriarche  et  7  métn| 
polites  qui  exercent  leur  juridiction  sur  les  54  églises  du  patriarcat  et 
les  85  ou  90000  fidèles  qui  le  composent. 

Le  patriarche  s'est  réservé  la  part  du  lion.  A  lui  seul  il  possède 
21  églises  dans  son  éparchie,  qui  comprend  Alexandrie  et  le  Caire. 

Les  7  métropolites  se  partagent  les  }}  autres  églises.  Ce  sont  :  le 
métropolite  de  Tripoli  et  de  Libye,  avec  6  églises  à  Tripoli,  Benghazi, 
Tunis,  etc.  ;  le  métropolite  de  Memphis  avec  4  églises  à  Kélouan, 
à  Chibin-el-Kom,  etc.  ;  le  métropolite  de  Péluse  avec  4  églises  à  Port- 
Saïd,  Damiette,  etc.  ;  le  métropolite  de  Léontopolis  avec  4  églises  à  Zagazig, 
où  réside  l'évêque,  Suez,  Ismaïlia,  Phagous;  le  métropolite  de  Ptolémais 
avec  7  églises  à  Minieh,  lieu  de  la  résidence  épiscopale,  Assouan, 
Louqsor,  etc;  le  métropolite  de  Nubie  avec  4  églises,  à  Khartoum,  Port- 
Soudan,  etc.  ;  le  métropolite  d'Ethiopie  ou  d'Axoum  avec  4  églises,  dont 
deux  en  Abyssinie  et  deux  en  Erythrée,  où  il  réside  (à  Asmara). 

II  est  superflu  de  faire  remarquer  que  ces  métropolites  n'ont  pour 
sufîragants  que  des  curés  ou  les  chapelains  qui  desservent  l'église  de 
la  communauté. 


iii, 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES   ORIENTALES  1 73 

Le  métropolite  de  Tripoli  est  vicaire  patriarcal  à  Alexandrie,  tandis 
ae  celui  de  Mempliis  remplit  le  même  office  au  Caire. 
Cette    deuxième  fonction   du   métropolite  de   Tripoli  prouve    que, 
ns  être  de  simples  évêques  titulaires,  tous  ne  résident  pas. 

Le  diocèse  de  Tripoli.  —  Le  métropolite  actuel  de  Tripoli,  Ms''  Théo- 
lane,  visita  son  diocèse  en  1900  et  poussa  même  une  pointe  jusqu'à 
inis  pour  y  consacrer  une  église  dédiée  à  saint  Georges.  Depuis  cinq 
is,  les  Turcs  empêchaient  le  patriarche  d'Alexandrie  d'envoyer  ses 
nissaires  et  demandaient  au  Phanar  de  s'occuper  lui-même  de  cette 
ovince. 

Le  Pafitainos  (n»  44,  16/3  nov.  1911)  rappelle  ces  faits  et  leur  cause 
son  confrère  de  Chypre  l"Exx)./,Tt.aT7!.xc)(;  xy-pu;.  Voici  ses  propres 
rmes  : 

La  nouvelle  que  jamais  la  Turquie  n'a  permis  un  envoi  à  Tripoli  de 
êtres  venus  d'Egypte  n'est  vraie  que  depuis  cinq  ans,  depuis  que  les 
trigues  non  point  des  étrangers,  mais  des  nôtres,  malheureusement, 
it,  en  haut  lieu,  à  Constaniinople,  dénoncé  comme  nuisible  cet  envoi 
prêtres  fait  par  le  patriarche  d'Alexandrie.  Les  journaux  se  sont  trouvés 
ns  la  douloureuse  nécessité  de  publier  des  rapports  dans  lesquels  des 
•ecs,  qui  par  malheur  occupaient  à  Tripoli  la  première  place,  deman- 
ient  à  la  Sublime  Porte  d'envoyer  elle-même  le  prêtre  à  Tripoli  et 
ibliaient  en  même  temps  mille  calomnies. 

Les  Italiens,  pour  des  raisons  faciles  à  saisir,  seront  évidemment  plus 
cueillants  aux  délégués  du  patriarche  égyptien.  F.  C. 

2.    KGLISE    DE    CHYPRE 

L'Église  de  Chypre  en  içi  i.  —  Réorganisation.  —  Le  métropolite  de 
tien,  Mg""  Mélétios  Métaxakis,  donne  dans  le  petit  bulletin  de  son 
)cèse  un  aperçu  général  de  la  vie  ecclésiastique  dans  l'île  en  191 1. 
us  résumons  son  rapport,  regrettant  de  ne  pouvoir  le  mettre  tout 
tier  sous  les  yeux  de  nos  lecteurs. 

:n  1910,  Chypre  avait  enfin  trouvé  un  archevêque  après  dix  ans 
discussions.  Le  programme  de  191 1  se  trouvait  tout  fixé  d'avance, 
organiser  l'Eglise  si  cruellement  éprouvée. 

Dix  ans  d'anarchie  ecclésiastique,  dit  M«^  Mélétios,  avaient  fait  tant 
lézardes  à  notre  édifice  ecclésiastique  considéré  au  point  de  vue  admi- 
tratif,  avaient  créé  un  tel  désordre  dans  le  domaine  des  droits  et  des 
,'oirs,  que  personne  dans  l'île  ne  pouvait  nier  la  nécessité  d'un  effort 
médiat  et  intense  pour  rétablir  l'ordre  légal.  ('ExxX7i<Tta<rTtxô;  xVipu;, 
II,  p.  779.) 


174 


ECHOS    D  ORIENT 


Le  Synode,  composé  des  soixante  représentants  de  la  nation,  avait 
reconnu  aussi  qu'il  fallait  au  plus  tôt  «  mettre  sur  le  tapis  la  question 
ecclésiastique  pour  la  régulariser  ».  C'est  ce  que  l'on  fit. 

Au  lieu  de  se  contenter  de  réorganiser  l'administration  paroissiale, 
comme  on  se  l'était  d'abord  proposé,  on  préféra  faire  une  loi  générale 
sur  l'Église.  Une  Commission  fut  nommée  pour  la  préparer.  Le  rapport 
-que  présenta  Ms""  de  Kition,  président,  légèrement  modifié,  devint  le 
projet  de  loi  organique  de  l'Église  de  Chypre.  (Ibid.,  p.  780.) 

On  convoqua  alors  l'assemblée  des  évêques,  higoumènes,  députés 
€t  autres  personnes  compétentes,  pour  discuter  cette  loi  qui  «  doit 
réformer  la  vie  ecclésiastique  ».  {Ibid.,  p.  780.) 

L'assemblée  se  réunit  le  2/15  mai  à  l'archevêché.  Les  discussions 
traînèrent  en  longueur.  A  la  fin  du  mois,  «  les  bancs  des  laïques  se 
vidaient  de  plus  en  plus,  à  tel  point  qu'il  n'était  plus  possible  de 
regarder  l'assemblée  comme  formée  de  clercs  et  de  laïques  ».  (P.  781.) 

Le  1/14  juin,  on  prononça  sa  dissolution  et  l'on  renvoya  la  fm  des 
débats  à  l'année  suivante. 

En  octobre,  on  a  dû  pourvoir  aux  sièges  vacants,  et,  en  janvier  1912V 
lès  discussions  ont  dû  se  poursuivre.  F.  C. 

3.  PATRIARCAT  DE  CONSTANTINOPLE 

I .  Tendances  séparatistes  dans  l'Église  de  Bosnie- Her;(égovine.  —  Depiris 
■que  la  Bosnie  et  Herzégovine  sont  séparées  de  l'empire  ottoman,  on  se 
demande  bien  pourquoi  elles  continueraient  de  dépendre  du  patriardie 
grec  de  Constantinople.  D'après  les  principes  mêmes  que  l'Église 
byzantine  a  enseignés  par  son  exemple,  les  provinces  annexée* 
à  l'Autriche  ont  droit  à  l'indépendance  religieuse.  C'est  ce  que  pensent 
aussi  les  Serbes  bosniaques.  Ils  trouvent,  du  reste,  que  l'organisation 
actuelle,  qui  date  de  1905  et  les  tient  sous  la  juridiction  administrative 
et  judiciaire  du  Phanar,  donne  prise  à  des  abus  nombreux,  à  des  retards 
préjudiciables  dans  l'expédition  des  affaires  et  à  d'autres  difficultés 
■encore. 

La  séparation,  cependant,  rencontrera  des  obstacles,  surtout  si  l'on 
veut  la  faire,  non  d'une  manière  violente,  mais  conformément  aux 
accords  de  1905  qui  exigent  :  1°  la  proposition  faite  par  le  Conseil 
ecclésiastique  orthodoxe  de  cette  province  ;  2°  la  sanction  de  l'empere! 
3°  le  consentement  du  patriarche  de  Constantinople.  Ces  difficultés 
sont  pas  absolument  invincibles.  Tôt  ou  tard,  avec  violence  ou  d' 
commun  accord,  la  séparation  se  fera. 

Cependant  rien  de  positif  n'a  été  fait  encore. 


CHRONIQUE    DES    EGLISES    ORIENTALES  Ijej 

Au  mois  d'août  dernier,  un  grand  journal  de  Vienne  annonça  que 
Conseil  administratif  de  l'Eglise  orthodoxe  de  Bosnie-Herzégovine 
ait  soumis  à  la  couronne  un  mémoire  demandant,  pour  les  motifs 
le  nous  venons  de  résumer,  la  séparation  de  l'Eglise  bosniaque  du 
janar.  Laissant  néanmoins  indécise  la  future  situation  de  cette  Eglise, 
crit  s'abstenait  de  se  prononcer  pour  une  nouvelle  autocéphalie  ou 
>ur  la  soumission  à  Carlovitz. 

^a  nouvelle  fut  démentie.  Vienne  et  Constantinople  déclarèrent  n'avoir 
s  été  saisies  d'une  telle  demande.  Toutefois,  les  organes  grecs  eux- 
mes,  tels  le  nàvTaivo?,  le  ^tokôroç,  furent  d'avis  que  ces  dénégations 
îcielles  ne  prouvent  pas  que  les  Serbes  n'aient  fait  aucune  démarche 
ns  le  sens  indiqué.  Les  tendances  séparatistes  de  ces  Eglises  la  rendent 
s  vraisemblable. 

L  Rapports  avec  les  Serbes.  La  métropole  de  Pri:{rend.  —  Par  suite 

la  démission  du  métropolite  dé  Prizrend,  le  saint-synode  de  Con- 

ntinople  a  procédé  à  l'élection  d'un  nouveau  titulaire. 

L,es  Serbes,  qui  forment  la  presque  totalité  des  fidèles  du  diocèse, 

lient  désigné  l'archimandrite  Bogdan  que  le  Phanar  refusa,  lui  pré- 

ant  l'archimandrite  Dositz,  Serbe  originaire  du  Monténégro,  frère  du 

nistre  de  Monténégro  à  Constantinople  et  docteur  de   l'Université 

\.thènes.  Ce  choix  a  vivement  irrité  les  fidèles  de  Prizrend,  qui  ont  fait 

r  leurs  députés  et  le  sénateur  M.  Popovitch  pour  obtenir  satisfaction. 

,eur    mécontentement    a    réveillé    leurs    susceptibilités    nationales 

oupies.  On  en  vint  jusqu'à  parler  de  se  séparer  du  Phanar  et  de 

iblir  le  patriarcat  d'Ipek.  Ces  sentiments  se  manifestèrent  dans  tous 

journaux,  mais  particulièrement  dans  la  Politika. 

.a  diplomatie   russe  intervint  à  Constantinople   et  contribua  pour 

grande  part  à  obtenir  que  les  Turcs  refusent  au  nouveau  métro- 

ite   le   bérat  officiel.  En   même  temps,  elle  représentait  au  Phanar 

ibien  son  choix  était  fâcheux  pour  les  intérêts  de  l'orthodoxie.  Cette 

stion  est  grosse  de  difficultés  sérieuses,  puisqu'elle  a  failli  amener 

complications  diplomatiques  entre  le  Monténégro  et  la  Serbie.  Elle 

surtout  instructive  et  montre  bien  les  tendances  séparatistes  qui 

vent  dans  les  diocèses  serbes. 

)n  attend  encore  la  solution  définitive  du  conflit. 

,  Rapports  avec  les  Bulgares.  —  Le  26   13  janvier  19 12,  le  ministre 

Bulgarie  à  Constantinople,  M.  Sarafof,  a  fait  au  Phanar  une  visite 

le  qui  a  profondément  ému  les  milieux  grecs.  C'est  la  première 

e  la  Bulgarie  fait  une  démarche  de  ce  genre.  Cependant,  on  s'en 

ft  exagéré  la  portée  lorsqu'on  a  voulu  en  conclure  la  prochaine 


1^6  ÉCHOS  d'orient 


cessation  du  schisme  gréco-bulgare.  D'après  le  Telegraphen  Corres- 
ponden:{  Bureau,  Mg'Joachim  111  aurait  lui-même  démenti  tous  ces  bruits. 
M.  Sarafof  aurait  simplement  déclaré  que  les  Bulgares  sont  offensés  de 
de  se  voir  traités  de  schismatiques,  parce  qu'ils  sont  et  entendent 
rester  de  vrais  orthodoxes.  Le  patriarche  lui  aurait  rappelé  alors  les 
prescriptions  canoniques  dont  il  faudrait  tenir  compte  pour  mettre  fin 
au  schisme  et  surtout  pour  régler  la  situation  de  l'exarque. 

4.  Le  second  mariage  des  clercs.  —  L'Eglise  orientale  permet  aux  clercs 
mariés  avant  leur  diaconat  de  vivre  avec  leur  femme  après  leur  ordi- 
nation, mais  leur  interdit  de  contracter  un  second  mariage  si  elle 
meurt.  Cette  dernière  défense  paraît  trop  dure  à  certains  membres  du 
clergé  oriental  et  l'on  voudrait  changer  ce  canon  traditionnel. 

Cette  question  ne  date  pas  d'hier.  Elle  a  été  souvent  agitée  depuis 
plusieurs  années;  mais  une  lettre  du  métropolite  de  Carlonitz,  au  début 
de  191 1,  la  remit  à  l'ordre  du  jour. 

Une  encyclique  fut  envoyée  par  le  patriarche  œcuménique  aux  Eglises 
autocéphales  pour  connaître  leur  avis.  En  même  temps,  on  consulta 
les  théologiens  du  patriarcat.  A  la  séance  du  saint  synode  du 
28/15  mars  191 1,  on  lut  la  réponse  des  théologiens  professeurs 
à  l'école  de  Halki.  Elle  était  favorable  aux  secondes  noces.  M^""  Bryen- 
nios,  l'ancien  métropolite  de  Nicomédie,  pensait  de  même. 

Le  métropolite  de  Pisidie  rappela  |alors  que,  pour  sauvegarder  son 
prestige,  l'Eglise  de  Constantinople  devait,  à  l'avance,  indépendamment 
des  réponses  des  autres  Eglises  autocéphales,  s'être  formé  une  opinion 
conforme  aux  anciens  canons.  Le  saint  synode  aurait  donc  dû,  selon 
lui,  à  la  suite  de  la  consultation  des  théologiens,  prendre  une  décision. 
On  préféra  cependant  la  remettre  jusqu'à  l'arrivée  des  réponses  des 
Eglises  consultées.  Celles  de  Bucovine  et  de  Dalmatie  ne  se  firent  pas 
attendre,  mais  les  autres  ne  vinrent  que  plus  tard  et  furent  très  diverses. 
Le  Monténégro  fut  d'avis  qu'il  ne  fallait  rien  changer  aux  usages  tradi- 
tionnels, tandis  que  la  Transylvanie  acceptait  le  changement  à  la  con- 
dition qu'il  se  fît  du  consentement  de  toutes  les  Eglises  orthodoxes. 
Leurs  lettres  n'arrivèrent  qu'en  novembre  dernier.  Celle  du  patriarche 
de  Jérusalem  se  fit  attendre  plus  encore,  jusqu'en  janvier  1912. 
Mgr  Damien  est  d'avis  que  seul  un  concile  œcuménique  peut  tranc 
la  difficulté.  L'Eglise  de  Serbie  pense  de  même,  mais  avec  quelq 
atténuations  pour  la  pratique  (i). 

5.  Autre  innovation  :  Jeûne  supprimé.  —  En  août  dernier,  le  patriarche 


(1)  Lei  Echos  d'Orient  publieront  prochainement  une  chronique  de  Serbici 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES  ORIENTALES  I77 

rec  il  envoyé  à  tous  les  curés  de  son  archevêché  une  lettre  encyclique, 

s  priant  d'avertir  leurs  fidèles  qu'ils  ont  la  fliculté  de  ne  pas  observer 

jeûne  d'août,  même  les  deux  semaines  que  la  coutume  a  seules  con- 

rvées.  —  Ce-  petit  fait,  négligeable  en  soi,  sera  remarqué  par  tous 

îux  qui  savent  l'importance  attachée  en  Orient  aux  anciens  usages. 

6.  Le  Saint  Chrême.  —  Cette  année,  aura  lieu  la  bénédiction  du  Saint 

hrême.  Une  Commission  a  déjà  été  chargée  de  réunir  les  nombreux 

ments  qui  entrent  dans  sa  composition.  Les  dépenses,  toujours  con- 

dérables,  seront  plus  considérables  encore  cette  année,  où  l'on  se  pro- 

)se  de  renouveler  les  grands  vases  d'argent  qui  le  contiennent.  Elles 

lèveront,  dit-on,  à  plus  de  700  livres,  soit  18000  francs. 

Pour  y  faire  face  et  aussi  afin  d'intéresser  pratiquement  les  fidèles 

cette  cérémonie  solennelle,  S.  B.  le  patriarche  Joachim  111  a  organisé 

le  sorte  d'association,  dont  font  partie  les  dames  de  la  haute  société 

ecque,  chargée  de  travailler  à  recueillir  les  fonds  nécessaires. 

F.  C. 

4.    ÉGLISE    DE   GRÈCE 

1 .  L'ancienne  et  la  nouvelle  loi  sur  les  paroisses.  —  Depuis  le  mois  d'oc- 
bre  dernier  ont  commencé  en  Grèce  les  élections  des  marguilliers 
s  églises,  d'après  la  nouvelle  loi  sur  les  paroisses.  C'est  ce  qu'an- 
>nce  M.  l'archimandrite  Synodinos  dans  une  lettre  que  publie  le  Pan- 
inos  (no  51,  4/25  décembre  1911)  et  qui  fait  le  procès  de  l'ancienne 

sur  les  paroisses,  puis  donne  les  motifs  d'espérer  d'heureux  résul- 
:s  de  la  nouvelle. 

L'ancienne  loi.  —  Les  Conseils  municipaux  à  qui,  d'après  l'ancienne 
revenait  l'élection  des  marguilliers,  choisissaient  «  non  pas  les 
mmes  les  plus  capables  et  les  plus  honorables,  mais  ceux  du  parti, 
|i  administraient  les  richesses  paroissiales  sans  contrôle,  sans  tenir 

plus  souvent  les  comptes  demandés.  C'est  le  maire,  surtout  dans 
.  villages,  qui  désignait  vraiment  les  marguilliers.  Dans  les  petites 
['.alités,  les  chrétiens  connaissent  les  marguilliers  concussionnaires 
li  ont  gaspillé  et  détourné  beaucoup  d'argent  appartenant  aux  Eglises. 
ly  en  avait  bien  de  respectables  et  d'honnêtes,  qui  administraient 

^iennement  les  biens  sacrés,  mais  malheureusement  ils  sont  rares  ». 
^09.) 
îl  est  le  mal.  Voici  le  remède. 

nouvelle  loi.  —  «  Heureusement  la  nouvelle  loi  protège  les  biens 
^eux  de  diverses  manières.  Chaque  paroisse  forme   une   personne 

\chos  d'Orient,  t.  XV.  12 


17.8  ÉCHOS  d'orient 


juridique.  Les  marguilliers  sont  élus  par  les  paroissiens,  devant  qui,  au 
jour  fixé,  ils  doivent  rendre  leurs  comptes. 

Ce  qu'il  y  a  d'heureux,  c'est  que  l'Église,  conformément  aux  canons, 
reçoit  la  surveillance  des  lieux  saints.  L'évéque  nomme,  sur  la  proposi- 
tion des  marguilliers,  les  chantres,  les  gardiens  des  églises,  et,  par  l'inter- 
médiaire du  préiie,  participe  à  l'administration  des  biens. 

Chaque  famille  paye  6  drachmes  par  an  à  la  caisse  de  l'église.  Moyen- 
nant cela,  on  rétribuera  le  personnel  et  les  prêtres  eux-mêmes  suivant 
leurs  ressources  et  leurs  attributions.  Pareillement,  avec  le  temps,  on 
créera  un  clergé  instruit  et  digne,  d'autant  que  la  nouvelle  loi  détermine 
le  nombre  de  curés  attachés  à  chaque  paroisse.  Ainsi  cette  loi  votée  dans 
la  dernière  révolution  constitue  l'effort  le  plus  sérieux  de  l'État  pour  la 
réforme  de  l'Église  et,  par  elle,  de  la  société  et  de  la  nation.  »  (P.  8io.  i 

M.  Synodinos  remarque  ensuite  que  la  mise  en  pratique  de  cette  loi 
rencontre  beaucoup  d'obstacles.  Les  évêques,  ajoute-t-il,  doivent 
s'employer  à  les  briser  et  «  avec  le  temps,  l'Église  de  Grèce  retrou- 
vera sa  splendeur,  grâce  à  la  .loi  nouvelle,  si  elle  est  appliquée  ». 
(P.  8io.) 

Nous  ferons  connaître  cette  loi  plus  en  détail  dans  un  prochain 
numéro. 

2.  Une  institution  originale  :  des  Écoles-Séminaires.  —  La  nouvelle  loi- 
sur  les  paroisses  est  en  rapport  étroit  avec  les  Ecoles-Séminaires  qui 
vont  se  fonder.  C'est  une  institution  originale  due  à  ce  perpétuel' 
besoin  de  réorganisation  qui  caractérise  les  Églises  séparées. 

Ces  Ecoles-Séminaires  (UpoSiSao-xaXeltr/)  ne  doivent  pas  être  confon-- 
dues  avec  les  Séminaires  proprement  dits  (UpaTixr,  oyoArj).  Les  premiers 
formeront  des  prêtres  pour  les  campagnes,  les  autres  préparent  aux 
hautes  dignités  ecclésiastiques;  ces  derniers  existent  déjà.  M.  Synodinos. 
nous  en  dit  un  mot  qu'il  est  bon  de  noter  :  «  En  Grèce,  nous  avons- 
deux  Séminaires,  celui  de  Tripoli  et  d'Arta,  et  le  Rizarion  à  Athènes. 
Un  décret  royal  a  fixé  leurs  programmes;  par  suite,  les  clercs  en  sorti- 
ront bien  formés.  » 

Les  Écoles-Séminaires,  au  contraire,  sont  encore  à  fonder,  du  moins 
en  Grèce,  car  en  Chypre  fonctionne  déjà  un  établissement  de  ce  genre, 
sous  les  auspices  de  Mgr  Mélétios  de  Kition.  Cette  institution  sera  à  la 
fois  Ecole  normale  iùi^a.T/.'xKzw/)  et  Séminaire  (upaTu-o  o-y^oXr)),  d'où  s 
nom  lcpo-8i,8a(TxaÀ£lov,  que  nous  pouvons  rendre  par  École-Séminaire^ 
Mg""  Mélétios  en  expose  le  but  en  ces  termes: 

Nous  voulons  surajouter  le  prêtre  à  l'instituteur  et  l'instituteur  ai 
prêtre,  pour  rendre  essentielle  l'union  de  l'École  et  de  l'Église,  de  l'édi 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES   ORIENTALES  1791 

ation  et  de  la  religion,  en  même  temps  que  nous  donnerons  une  solu- 
ion  au  problème  économique  de  l'entretien  convenable  de  l'instituteur 
du  prêtre.  ('Ex>cX'/|ç.  xiqpu;.  191 1,  p.  520.) 

Le  ministre  de  l'Instruction  publique  de  Grèce,  M.  Alexandrès,  indique 
Wid.  p.  521-522)  le  mode  pratique  dont  il  entend  réaliser  ce  pro- 
ramme.  On  donnerait  aux  élèves  une  instruction  élémentaire  en  même 
mps  qu'une  éducation  morale  leur  apprendrait  à  distinguer  le  bien  et 
mal  et  leur  enseignerait  leurs  devoirs  envers  le  prochain,  envers 
Btat  et  envers  eux-mêmes.  Au  sortir  de  l'École-Séminaire,  les  élèves 
3nt  envoyés  un  à  un  dans  les  campagnes,  lis  y  sont  instituteurs  jus- 
u'à  trente  ans.  Ils  sont  alors  ordonnés  curés  du  même  village  pour  le 
îste  de  leur  vie.  Quelle  influence  n'auraient-ils  pas,  ajoute  M.  Alexàn- 
rès,  sur  ces  hommes  qu'ils  auraient  d'abord  comme  élèves,  plus  tard 
Dmme  paroissiens! 

11  est  permis  de  n'être  pas  de  l'avis  de  M.  Alexandrès.  Tout  ce  règle- 
lentarisme  sera  peu  efficace,  parce  qu'il  ne  va  pas  à  la  source  même 
u  mal  dont  souffre  l'Eglise  grecque  orthodoxe.  Bien  autrement  pers- 
Icace  est  M.  Maniakis  dont  voici  la  pensée.  F.  G. 

9.  Plaidoyer  orthodoxe  en  faveur  de  la  primauté  romaine.  — Quelques 
recs,  mais  ceux-là,  faut-il  l'avouer,  si  peu  nombreux  que  leur  voix  est 
peine  entendue  par  la  foule,  voudraient  se  rapprocher  de  l'Eglise 
)maine.  M.  Constantin  Maniakis,  ancien  député  et  procureur  général 
Dnoraire  à  la  Gour  de  cassation,  est  parmi  eux  le  plus  écouté.  Dans 
le  interview  accordée  à  M.  Stéfanou,  rédacteur  à  l'A-ùvr,,  journal  catho- 
^ue  de  Syra,  et  reproduite  par  l"Ap[j.ovia:  d'Athènes,  il  a  fait  des  déela- 
tions  très  catégoriques.  En  voici  le  résumé: 

La  Grèce  souffre  d'une  cachexie  économique  et  morale  incurable, 
onomique,  car  si  même  les  réformes  désirées  et  prévues  allaient  être 
alisées,  elles  seraient  ineificaces  et  inapplicables.  Et  cela  à  cause  de 
tat  de  cachexie  morale  dans  lequel  le  pays  se  consume.  En  effet,  la 
oralité,  au  lieu  de  grandir  avec  le  progrès,  diminue.  Les  prisons  sont 
«nés,  les  crimes  augmentent:  on  cherche  en  vain  le  remède.  Loin 
être  un  exemple  et  un  réconfort,  le  spectacle  de  la  puissante  Europe 
t  un  scandale  perpétuel  pour  le  peuple  grec.  Elle  est  plus  malade,  plus 
semparée  que  la  Grèce  elle-même.  Les  grands  Etats  chrétiens  oublient 
plus  en  plus  le  droit  traditionnel.  11  ne  reste  que  la  force,  et  la 
enace  de  guerre  est  dans  toutes  les  bouches.  Quelle  puissance  oserait 
fier  aux  déclarations  d'une  puissance  rivale?  La  paixarméeelle-même, 
t'est-elle,  sinon  une  .guerre  longue  et  coûteuse,  qui  conduira  deux  ou 
)is  Etats  parmi  les  plus  forts  à  l'inéluctable  faillite?  Seule  l'idée  reli- 


1  8o  ÉCHOS    D  ORIENT 


gieuse  est  assez  puissante  pour  refréner  tant  d'appétits,  enrayer  la  course 
à  l'abîme  et  fournir  les  bases  d'une  union  durable  et  efficace  pour  le 
progrès  de  la  moralité. 

Mais,  ajoute-t-il,  l'idée  religieuse  n'est  rien  sans  un  homme  qui  la 
réprésente  aux  yeux  de  la  foule,  l'incarne,  pour  ainsi  parler.  11  importe 
donc  de  faire  au  plus  vite  un  choix  parmi  les  maîtres  spirituels  des 
grandes  religions  chrétiennes,  grecque,  protestante  et  catholique,  car 
l'homme  indispensable,  nous  ne  le  trouverons  que  là.  Ces  prémisses 
posées,  la  conclusion  s'impose.  Ce  chef  incontesté,  accepté  par  tous 
sans  arrière-pensée  ni  regrets,  assez  fort  pour  se  faire  obéir  de  tous  les 
chrétiens,  tout  en  respectant  leurs  droits,  un  homme  seul  est  susceptible 
de  le  devenir,  c'est  le  Pontife  romain,  institué  par  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ  lui-même,  pour  être  sur  la  terre  son  représentant  et  le  pasteur 
unique  des  peuples,  tov  â'va  7rot.jjL£va. 

Pour  conclure,  M.  Maniakis  ajoute  : 

«  Voilà  ce  que  moi,  Hellène,  je  souhaite  de  tout  cœur.  Et,  à  mesure 
que  j'envisage  l'avenir  de  mon  pays  et  les  intérêts  de  ma  religion, 
j'acquiers  une  certitude  plus  ferme  que  de  cette  façon  seulement  les 
intérêts  de  l'orthodoxie  pourront  être  assurés,  et  les  nombreux  périls 
qui,  de  toutes  parts,  menacent  l'hellénisme  conjurés.  Un  seul  troupeau 
et  un  seul  pasteur.  » 

Les  désirs  de  M.  Maniakis  sont  ceux  de  tous  les  catholiques  grecs. 
Penseur  et  philosophe,  telle  est  la  conclusion  à  laquelle  il  aboutit  après 
toute  une  vie  de  réflexion  et  de  travail.  A  l'écouter,  on  croirait  parfois 
entendre  notre  Joseph  de  Maistre.  11  est  juste  que  les  lecteurs  des  Echos 
d'Orient  soient  une  fois  de  plus  assurés  que  dans  l'orthodoxie,  parmi 
les  meilleurs  et  les  plus  sincères,  il  en  est  qui  ont  la  nostalgie  de  l'unité 
romaine.  Louis  Arnaud. 

5.    PATRIARCAT    DE   JÉRUSALEM 

Relations  avec  les  orthodoxes.  —  Le  patriarche  grec  de  lérusalem, 
Mgr  Damien,  ne  se  trouve  pas  encore  en  relation  de  cordialité  bien 
étroite  avec  son  collègue  d'Alexandrie,  M&r  Photios.  Celui-ci,  à  en  juger 
par  la  liste  des  titulaires  des  Eglises  orthodoxes  que  publie  la  rédaction 
du  Pharos,  ne  reconnaît  plus  à  Me:»'  Damien  le  titre  de  patriarche,  depuis 
qu'il  a  été  déposé  par  son  synode,  lors  des  disputes  gréco-arabes.  Cfifj; 
relations  ont  été  renouées  depuis  longtemps  déjà  avec  Constantinople, 
et  aujourd'hui,  sans  être  intimes,  elles  sont  au  moins  correctes 

Plus  qu'à  la  bienveillance  de  Mg*-  Photios,  Mp'  Damien  semble  te 
aux  bonnes  grâces  de  l'ambassadeur  de  Russie,  qu'il  a  fait  décor 


rsflr  1 


^v 


CHRONIQUE  DES   EGLISES    ORIENTALES  l8l 


laguère,  ainsi  que  l'ambassadrice,  de  la  croix  d'or  du  Saint-Sépulcre, 
Son  autorité  se  fortifie  à  l'intérieur.  Lt  Néologos  du  8/26  février  annon- 
ait  que  le  ministère  avait  opposé  une  fin  de  non-recevoir  aux  demandes 
"aites  par  les  35  000  fidèles  arabes  du  patriarcat  de  participer  aussi  au 
gouvernement  de  l'Église  de  Sion  que  dirigent  seuls  aujourd'hui  quelques 
entaines  de  Grecs.  Aussi  Mk'-  Damien  se  construit-il  un  patriarcat  neuf 
ont  les  dépenses  s'élèveront  à  2  millions  et  demi.  Ne  sera-ce  pas  un 
louvel  appât  pour  les  Arabes?  F.  G. 

Gréco-Arabes 

/.  Catholiques  Melkites 

Patriarcat  melkite  catholique  d'Antioche.  —  Le  patriarcat  melkite 
atholique  d'Antioche  possède  depuis  quelques  mois  un  organe  officiel, 

revue  El  Msarra,  titre  de  joyeux  augure  puisqu'il  signifie  La  Joie. 
lette  revue  est  bimensuelle;  elle  est  rédigée  en  langue  arabe.  Abon- 
ement  :  6  fr.  50  en  Turquie,  et  10  francs  pour  l'étranger.  Elle  est 
îdigée  par  les  missionnaires  grecs-catholiques  de  Saint-Paul,  dans  leur 
îsidence  de  Harissa,  par  Jounié  (Liban).  Les  Echos  d'Orient  ont  con- 
icré,  il  y  a  quelques  années,  à  cette  Société  de  missionnaires  melkites, 
mdée  par  Mg»'  Germanos  Mo'aqqad,  évêque  titulaire  de  Laodicée,  une 
otice  à  laquelle  nos  lecteurs  nous  permettront  de  les  renvoyer 
Ichos  d'Orient,  t.  VIII,  1905,  p.  232-239). 

Alep.  —  Le  Saint-Siège  vient  de  nommer  Msi'  Dimitrios  Gadi,  métro- 
Dlite  d'Alep,  visiteur  apostolique  pour  les  Alépins  Chouérites.  Ge 
îgne  prélat  est  assisté  par  les  RR.  PP.  Joseph  Jallan,  Dominicain,  et 
rançois  Farra,  Franciscain.  Appelé  par  S.  Exe.  le  délégué  apostolique 

Beyrouth,  Mri'  Gadi  est  entré  en  possession  de  ses  nouveaux  pou- 
)irs  le  20  novembre  191 1.  P.  B, 

//.  Orthodoxes 


Patriarcat  d'Antioche.  —  La  réconciliation,  déjà  vieille  de  trois  ans, 
i  patriarche  d'Antioche,  Grégoire  IV,  avec  le  Phanar  et  les  autres 
itocéphalies  grecques  s'est  maintenue  jusqu'ici,  malgré  l'hostilité 
ujours  persistante  entre  Grecs  et  Arabes.  Gette  hostilité  est  surtout 
ve  dans  la  métropole  de  Cilicie,  où  l'on  n'arrive  pas  à  s'entendre 
ipuis  plusieurs  années  pour  le  choix  d'un  nouvel  évêque.  Les  métro- 


l82  ÉCHOS    D  ORIENT 


pôles  d'AÏep  et  d'Erzeroum  sont  aussi  vacantes,  faute,  paraît-il,  de  can- 
didats dignes. 

Depuis  1909,  le  patriarcat  a  sa  revue  officielle.  Elle  est  rédigée  en 
langue  arabe  et  porte  un  titre  charmant:  La  Grâce.  On  lui  a  fait 
bon  accueil,  non  seulement  en  Syrie,  mais  aussi  en  Palestine.  Une 
petite  imprimerie  s'occupe  de  publier  de  bons  livres. 

Sous  la  vigoureuse  impulsion  du  patriarche  et  grâce  à  l'assistance 
de  la  Société  impériale  russe  de  Palestine,  l'instruction  primaire  et 
secondaire  se  répand  de  plus  en  plus  parmi  les  fidèles  orthodoxes.  La 
Société  de  Palestine  n'entretient  pas  moins  de  loi  écoles.  Homs  possède 
un  collège  florissant,  bâti  par  Ms'"  Athanase,  qui  a  célébré,  cette  année, 
ses  noces  d'argent  épiscopales.  Seul,  le  Séminaire  de  Bêlement  végète 
assez  misérablement,  faute  de  ressources.  L'instruction  qu'on  y  donne 
est  à  peine  suffisante  pour  le  clergé  paroissial.  Le  synode  patriarcal  de 
1910  a  décidé  son  transfert  à  Beyrouth,  mais  on  n'avait  pas  encore  mis 
ce  projet  à  exécution  à  la  fin  de  191 1.  Les  Russes  seraient,  je  crois, 
très  heureux  d'aider  S.  B.  Grégoire  IV  à  établir  un  Séminaire  modèle, 
mais  ce  serait  évidemment  sous  la  condition  d'avoir  la  haute  direction 
de  l'établissement.  Le  patriarche  arabe  doit  avoir  ses  raisons  de  main- 
tenir son  indépendance. 

Dans  l'insistance  que  met  telle  feuille  russe  à  parler  des  dettes  du 
patriarcat,  à  raconter  la  tournée  peu  fructueuse  au  point  de  vue  pécu- 
niaire qu'a  faite  l'an  dernier  Grégoire  IV  parmi  ses  fidèles;  à  peindre 
sous  de  sombres  couleurs  la  situation  de  V orthodoxie  dans  ces  régions 
par  suite  des  ravages  qu'y  exercent  la  propagande  catholique,  le  pro- 
testantisme et  la  franc-maçonnerie,  il  est  permis  de  voir  l'invitation 
discrète:  «  Mais  venez  donc  à  nous.  Pourquoi  ces  refroidissements 
dans  notre  ancienne  amitié?  Nous  avons  encore  des  roubles  à  votre 
disposition.  »  Oui,  mais  les  Arabes  sont  des  roublards,  qui  savent 
profiter  de  leurs  amis,  et  dont  le  cœur  n'est  pas  toujours  débordant  de 
reconnaissance.  (Voir  Tserkovny  yietsnih,  191 2,  n»  i.) 

M.   JUGIE. 

Roumains    orthodoxes 

La  crise  religieuse.  —  Depuis  que  le  primat  de  Roumanie,  M?'- 
nase  Mironesco,  a  été  déposé,  pour  affaire  de  mœurs,  par  le  tribut 

•ecclésiastique  de  Bukarest,  l'Eglise  de  ce  pays  traverse  une  crise 
loureuse.  Tous  les  efforts  aujourd'hui  sont  concentrés  sur  la  prochai 

■élection  aux  deux  sièges  vacants. 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  1 83 

Deux  attitudes  se  partagent  les  esprits  réfléchis,  qu'inquiète  la  posi- 
tion actuelle  de  leur  Eglise. 

Les  uns,  avec  le  docte  professeur  lorga,  auquel  se  rallie  le  R"ie  archi- 
iîiandrite  Scriban,  l'un  des  meilleurs  prêtres  roumains,  ne  croient  pas 
i  l'Eglise  orientale,  qu'ils  accusent  de  stérilité  absolue  et  à  laquelle, 
m  point  de  vue  de  la  civilisation,  les  Roumains  auraient  mieux  fait, 
iisent-ils,  de  préférer  l'Eglise  active  et  zélée  d'Occident.  H  faut  noter 
:ependant  que  M.  lorga  est  accusé  par  ses  adversaires  de  nier  les  vérités 
bndamentales  du  christianisme,  telles  que  la  Résurrection,  la  Rédemp- 
ion,  etc. 

D'autres,  avec  les  rédacteurs  de  la  Rouiania  crestina,  ne  désespèrent 
)as  de  l'avenir  religieux  de  leur  pays.  «  L'Église  catholique  elle-même, 
Ut  le  rédacteur  en  chef  de  cette  revue,  a  connu  nos  misères  à  l'époque 
le  Luther  et  en  d'autres  temps.  Si  elle  n'avait  pas  subi  alors  le  choc 
lu  protestantisme  que  les  fautes  de  beaucoup  de  catholiques  (laïques  et 
'.cclésiastiques)  avaient  préparé,  elle  n'aurait  pas  aujourd'hui  le  clergé 
claire  qui  la  gouverne,  et  il  n'aurait  pu  être  question  des  célébrités 
cclésiastiques  dont  personne  n'a  le  droit  de  contester  le  mérite.  » 
?Ieins  d'espoir  dans  l'avenir,  ils  proclament  hautement  la  nécessité  de 
égénérer  l'Eglise  roumaine  in  capite  et  in  memhris.  Les  articles  de  leur 
irogramme  de  réforme  peuvent  se  résumer  dans  les  quatre  points  sui- 
ants  :  i»  réformer  l'épiscopat;  2"  réorganiser  les  écoles  cléricales; 
«  imposer  aux  moines,  pour  empêcher  l'oisiveté,  une  occupation  intel- 
îctuelle  ou  autre,  par  exemple,  les  œuvres  d'éducation  et  de  charité; 
,0  rendre  la  vie  et  l'esprit  chrétien  aux  masses  populaires. 

Nous  souhaitons  vivement  que  l'Eglise  roumaine  triomphe  de  la 
rise  où  elle  se  débat';  mais,  à  notre  avis,  elle  n'en  sortira  qu'en  appli- 
uant  le  plan  de  réformes  mis  en  avant  par  les  adversaires  de  l'ex- 
rimat.  En  attendant,  nous  sommes  heureux  de  constater,  comme 
ésultat  de  la  campagne  menée  par  l'évêque  de  Roman,  les  rédacteurs 
e  la  Romania  crestina  et  d'autres  orthodoxes,  le  fait  que  le  gouver- 
ement  s'est  vu  forcé  de  modifier  le  nouveau  statut  synodal  dans  le 
!ns  de  la  tradition  (i).  A.  Catoire. 


(i)  Nous  arrêtons  ici,  faute  de  place,  cette  Chronique  des  Eglises  orientales,  réser- 
int  pour  les  prochaines  livraisons  d'intéressants  renseignements  concernant  l'Eglise 
isse  et  les  Eglises  serbes,  ainsi  qu'une  chronique  détaillée  des  choses  de  l'Eglise 
)umaine. 

La  Rédaction. 


BIBLIOGRAPHIE 


G.  Antolin,  O.  s.  a.,  Catalogo  de  los  codices  latinos  de  la  real  biblio- 
tecadel  Escortai.  Madrid.  Imprenta  Helénica,  1910-1911,  2  vol.  in-8", 
Lvi-577  et  596  pages. 

Tous  les  savants  et  tous  les  travailleurs  doivent  remercier  le  R.  P.  Guil- 
lermo  Antolin,  religieux  Augustin,  bibliothécaire  de  l'Escurial,  d'avoir 
dressé  le  catalogue  des  manuscrits  latins  de  la  célèbre  bibliothèque.  On 
sait  que  cette  bibliothèque  est  des  plus  riches,  mais  que  ces  richesses  sont 
relativement  peu  connues,  faute  d'inventaire  complet.  L'auteur  du  présent 
Catalogue  a  pris  pour  modèle  les  plus  récents  Catalogues  du  Vatican. 
C'est  dire  le  soin  et  l'exactitude  qui  ont  présidé  à  l'analyse  détaillée  des 
manuscrits.  L'âge  de  chacun  d'eux  est  noté  avec  autant  de  précision  que 
possible,  et  autant  que  possible  aussi  le  lecteur  est  renvoyé,  pour  chaque 
texte,  à  une  édition.  Il  est  regrettable  que  les  53  pages  d'introduction,  où 
se  trouvent  résumées  l'histoire  de  la  bibliothèque  de  l'Escurial  et  celle  des 
catalogues  antérieurs,  ne  soient  pas  munies  de  références  plus  précises  et 
plus  complètes.  C'est  une  lacune  que  le  docte  bibliothécaire  comblera 
sans  doute  quelque  jour. 

En  attendant,  nous  sommes  particulièrement  heureux,  à  la  Rédaction 
des  Echos  d'Orient,  de  féliciter  le  R.  P.  Antolin,  notre  confrère  en  saint 
Augustin,  de  l'excellent  et  précieux  instrument  de  travail  que  constitue 
son  Catalogue  des  manuscrits  latins.  S.  Salaville. 

N.  G.  Polîtes,  'EXXiqvcxT)  ^tpXtoypacpia.  KaxâXoyo;  tcov  ev  'EXXâot  y,  ûttô  'EÀXy^viov 
klAoLy^oZ  âxooôévTojv  êiSXuov  7.7:0  tou  êtouç  1907.  B'.  Athènes,  imp.  Sakel- 
larios,  191 1,  474  pages  (137-612),  in-8°. 

Cet  ouvrage  est  un  extrait  de  l"E7ri(7Tri[xovcxrj  'E-rcer/ip;;  ç'.  Les  «  livres 
publiés  en  Grèce  ou  par  des  Grecs»  en  1907  et  1908  ont  été  déjà  catalogués 
par  M.  Politès  dans  la  première  partie  de  son  ouvrage,  p.  i-i36.  Ce 
second  volume,  beaucoup  plus  considérable,  décrit  toutes  les  publica- 
tions analogues  qui  ont  été  faites  en  1909-19 10. 

Malgré,  sans  doute,  des  lacunes  inévitables  en  pareil  sujet,  cet  ouvrage 
est  destiné  à  rendre  de  grands  services  à  tous  ceux  qui  s'intéressent  aux 
études  helléniques.  Il  est  rédigé  et  imprimé  avec  un  soin  trop  rare  encoç| 
chez  les  auteurs  grecs.  Une  triple  table  de  matières  permet  de  se  retrouv^^ 
sans  peine  dans  ce  long  catalogue. 

Voici,  pour  donner  une  idée  du  contenu  de  ce  livre,  le  titre  des  trenf 
chapitres  qui  le  composent  : 

I.  Périodiques  et  publications  annuelles.  —  2.  Bibliographie  et  pal^ 


BIBLIOGRAPHIE  iS' 


raphie.  —  3,  Littérature  diverse.  —  4.  Philologie.  —  5.  Littérature 
recque.  —  6.  Littérature  laiine.  —  7.  Littérature  néo-grecque.  —  8.  Lit- 
Tature  moderne  (étrangère). — 9.  Littérature  orientale. —  10.  Géographie. 
II.  Ethnographie.  —  12.  Folklore.  —  i3.  Histoire.  —  14.  Archéo- 
»gie.  —  i5.  Histoire  de  l'art  et  épigraphie.  —  16.  Beaux-arts.  — 
7.  Mathématiques.  —  18.  Sciences  physiques.  — •  19.  Médecine.  — 
).  Technologie.  —  21.  Travaux  publics.  —  22.  Athlétique.  —  23.  Guerre. 
-  24.  Marine.  —  25.  Théologie.  —  26.  Histoire  des  religions.  —  27.  Phi- 
sophie.  —  28.  Pédagogie.  —  29.  Droit.  —  3o.  Sciences  politiques. 

F.  Ca.yré. 

Cabrol  et  H.  Leclercq,  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne  et  de 
liturgie,  fascicule  XXV  :  Chapelle-Charlemagne.  Paris,  Letouzey  et 
Ané,  191 1.  Prix:  5  francs. 

Ce  nouveau  fascicule  du  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne  et  de 
urgie  contient  quinze  articles,  tous  signés  par  l'infatigable  Dom  Leclercq. 
l'article  Chapelle,  signalons  le  numéro  vu  :  Chapelles  épiscopales  et 
ivées  en  Orient,  col.  425-426.  Il  y  a  là  quelques  indications  rapides  qui 
it  leur  intérêt,  bien  qu'elles  ne  puissent  prétendre  être  complètes, 
archéologie  proprement  dite  a  sa  bonne  part  aux  mots  Chapiteau, 
l.  439-495;  Chaqqa  [yWXo,  ancienne  de  la  Syrie  centrale),  col.  509-519; 
laqqara  (monastère  égyptien),  col.  5 19-558;  Chariot,  Charbonnier, 
iarcutier.  L'étude  de  l'antiquité  chrétienne  ou  de  la  vie  chrétienne  dans 
ntiquité  est  représentée  par  les  articles  Chapitre  des  cathédrales, 
\.  495-507;  Chapitre  monastique,  col.  5o8;  Charismes,  col.  579-598; 
larité,  col.  599-656;  Charlatan,  col.  654-656.  On  le  voit  par  l'indication 
nombre  des  colonnes,  plusieurs  de  ces  notices  sont  de  véritables 
Dnographies.  La  liturgie  a  naturellement  partout  à  glaner.  Elle  est  spé- 
ilement  mise  à  contribution  dans  les  deux  articles  Charagan  (recueil 
mnologique  arménien),  col,  558-564,  et  C^ar/e  (manuscrits  liturgiques 
ce  monastère  syrien  ),  col.  569-576. 

Le  fascicule  se  termine  sur  une  notice  de  Charlemagne,  qui  promet 
tre  très  longue,  car  le  sommaire  annonce  45  numéros,  et  les  dix  premiers 
'on  nous  donne  seuls  ici  occupent  déjà  46  colonnes  (col.  658-704). 
rtains  lecteurs  trouveront  sans  doute  que  tels  paragraphes  auraient 
is  normalement  leur  place  dans  le  Dictionnaire  d'Histoire,  tout  comme 
s  autres  articles  ressortiraient  plutôt  au  futur  Dictionnaire  de  droit 

S.  Salaville. 


f 


ScHERMANN,  Dcr  Hlurgische  Papyrus  von  Dér-Baly^eh.  Eine  Abend- 
nahlsliturgie  des  Ostermorgens  (fait  partie  des  Texte  und  Untersu- 
:hungen  de  Harnack-Schmidt,  N.  F.,  t.  XXXVI,  cah.  i  b).  Leipzig, 
.  Hinrichs,  1910,  in-8°,  vi-45  pages.  Prix:  i  mark  5o. 


l^  ÉCHOS    d' ORIENT 


J'ai  eu  le  plaisir  d'attirer  l'attention  des  lecteurs  de  cette  revue  sur  le 
papyrus  liturgique  de  Deir-Balyzeh  (£"0^05 â?'Or/en^  t.  XII,  1909,  p.  33i  sq.; 
t.  XIII,  1910,  p.  i33  sq.).  Ce  papyrus,  du  vii«  ou  viii«  siècle,  découvert 
par  les  merribres  de  la  British  School  of  Archœology  in  Egypt  et  édité 
par  Dom  P.  de  Puniet,  à  qui  M.  Crum  l'avait  confié  {Congrès  eucharis- 
tique de  Westminster,  Londres,  1909,  p.  367-401.  Cf.  Revue  bénédictine, 
t.  XXVI,  1909,  p.  34-51),  contient  des  fragments  de  la  prière  litanique, 
de  l'action  de  grâces  eucharistique,  et  le  Credo  en  grec.  On  saura  gré 
à  M.  Schermann  d'avoir  donné  place  à  ces  fragments  dans  la  collection 
des  Texte  und  Untersuchungen,  en  complétant  les  lectures  ou  les  expli- 
cations du  premier  éditeur.  Je  dois,  pour  ma  part,  le  remercier  de  la 
sympathie  avec  laquelle  il  a  bien  voulu,  p.  16,  17,  21,  signaler  et  utiliser 
mon  modeste  travail  à  propos  de  la  double  épiclèse  des  anaphores 
égyptiennes.  S.  Salaville. 

J.-B.  Thibaut,  des  Augustins  de  l'Assomption.  Monuments  de  la  notation 
ekphonétique  et  neumatique  de  VÉglise  latine.  Exposé  documentaire 
des  anciens  manuscrits  de  Corbie,  de  Saint-Germain  des  Prés,  etc., 
conservés  à  la  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg.  Saint- 
Pétersbourg,  imprimerie  Kûgelgen,  191 2.  Album  de  luxe  (demi-reliure), 
in-folio,  XVI-120  pages  de  planches  (94)  et  illustrations  (5o)  accompagnées 
d'un  texte  explicatif.  En  vente  chez  M.  Antoine  Revon,  3,  rue  de  Plai- 
sance. Saint-Chamond  (Loire).  Prix  :  i5o  francs. 

Le  R.  P.  Thibaut  était  déjà  bien  connu  des  musicologues  par  son 
ouvrage,  paru  en  1907,  sur  V Origine  byzantine  de  la  notation  neuma- 
tique latine.  Il  y  posait  et  soutenait  cette  proposition  :  «  La  notation 
neumatique  de  l'Eglise  latine,  comme  celle  de  toutes  les  confessions 
chrétiennes  primitives,  tire  indirectement  son  origine  de  la  séméiographifi 
ekphonétique  des  Byzantins.  »  (Voir  Échos  d'Orient,  t.  X,  1907,  p.  Siyv) 
On  sait  que  l'ekphonèse,  comme  le  rappelait  alors  dans  cette  même  reviœ 
le  R.  P.  Louis  Petit,  est  «  l'art  de  la  lecture  à  haute  voix,  des  intonations 
à  faire  au  cours  de  la  phrase,  à  la  finale  en  particulier  ».  Sauf  la  restric- 
tion qui  consistait  à  arrêter  à  l'époque  byzantine  cette  dépendance  delà 
notation  neumatique  à  l'égard  de  la  notation  ekphonétique,  alors  qu'oDB 
pouvait  la  faire  remonter  plus  haut,  la  thèse  était  très  vraisemblable. 

Quelques  années  après,  un  Bénédictin,  Dom  Staerk,  en  publiant  on 
ouvrage  sur  les  Manuscrits  latins  du  v«  au  xiii«  siècle  conservés  à  Ut 
Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg,  se  souvenait  fort  à  propos 
de  l'opinion  émise  par  le  R.  P.  Thibaut.  Il  écrivait  :  «  La  notation  ekpho- 
nétique ou  élévation  de  voix  dont  le  R.  P.  J.  Thibaut,  des  Augustins  de 
l'Assomption,  a  souligné  l'existence  dans  un  manuscrit  grec  du  x«  siècle 
reproduit  en  fac-similé  par  M.  Papadopoulos-Kérameus,  nous  a  révélé, 
l'origine  prosodique  .et  établi  les  principes  de  composition.  Cette  notât 


BIBLIOGRAPHIE  187 


kphonétique  se  rencontre  aussi  dans  les  plus  anciens  manuscrits  latins 

le  Saint-Pétersbourg Cette  ponctuation  que  nous  y  rencontrons  ne 

erait-elle  pas  par  hasard  l'origine  de  la  notation  latine?  »  C  était,  par  le 
ait,  une  éclatante  démonstration  de  sa  thèse  que  les  manuscrits  latins  de 
iaint-Pétersbourg  offraient  ainsi  au  R.  P.  Thibaut.  Il  fallait  la  faire  con- 
laître  au  public  qui  s'intéresse  à  ces  études,  et  tel  est  le  but  des  Monu- 
nents  de  la  notation  ekphonétique  et  neumatique  de  l'Église  latine.  «  Le 
lUt  de  notre  ouvrage,  écrit  l'auteur,  p.  xn,  est:  i"  d'établir  le  caractère 
nusical  de  l'interponctuation  primitive;  2"  de  marquer  l'époque  de 
ransition  entre  cette  interponctuation  et  la  notation  neumatique  usuelle; 
"  de  définir  la  nature  de  la  notation  neumatique  primitive,  d'en  déter- 
liner  la  date  d'apparition  et  les  principales  phases  de  développement.  » 
Nous  n'allons  pas  entreprendre  ici  un  exposé  technique.  Nous  nous 
ontenterons  de  signaler  les  lignes  générales  de  ces  «  monuments  »  pour 
a  taire  entrevoir  l'importance. 
Disons  d'abord  que  les  Monuments  de  la  notation  ekphonétique  et  neu- 
lalique  de  l'Église  latine  ont  pour  base  des  manuscrits  de  divers  monas- 
ares  polonais  et  des  manuscrits  des  illustres  abbayes  de  Corbie  et  de 
aint-Germain  des  Prés,  volés  au  début  de  la  Révolution,  achetés  par  les 
Dmtes  Zaluski  et  Pierre  Dubrovski,  et  actuellement  conservés  à  la  biblio- 
lèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg,  où  le  P.  Thibaut,  d'ailleurs 
lembre  de  l'Institut  archéologique  russe  de  Constantinople,  a  reçu  un 
cueil  des  plus  empressés. 

Dans  une  première  partie,  l'auteur  nous  apprend  que,  dès  le  v®  siècle, 
n  système  d'interponctaation,  très  simple  au  début  mais  qui  revêtira  peu 
peu  le  caractère  d'une  véritable  notation  musicale,  se  manifeste  dans  les 
/angéliaires,  les  épistolaires  et  les  «  ouvrages  des  Pères  de  l'orthodoxie 
itholique  »  dont  saint  Benoît  fut  le  premier  à  prescrire  la  lecture  au  cours 
l'office  canonique.  Cette  interponctuation  primitive  est  le  fondement 
î-la  notation  ekphonétique  latine.  Le  P.  Thibaut  nous  en  convainc  par 
Stude  détaillée  du  fragment  d'un  évangéliaire  de  saint  Jérôme  écrit  du 
vant  du  célèbre  exégète,  par  l'examen  d'un  manuscrit  du  v«  siècle  con- 
nant  quatre  traités  de  saint  Augustin,  par  l'étude  d'un  autre  manuscrit 
i'v*  siècle  qui  renferme  une  partie  notable  des  homélies  d'Origène,  et 
ifin  par  l'examen  d'un  évangéliaire  du  temps  de  saint  Grégoire  I". 
Exclusivement  fondé  sur  les  plus  anciens  monuments  liturgiques  de 
iglise  latine,  cet  exposé  documentaire  nous  paraît  établir  d'une  façon 
finitive  le  caractère  musical  de  l'interponctuation  primitive. 
C'est  l'époque  d'Alcuin  qui  a  été  l'époque  de  transition  entre  cette  inter- 
ractuation  et  la  notation  neumatique  usuelle;  c'est  elle  qui  a  donné 
lissance  à  la  séméiographie  neumatique;  c'est  un  évangéliaire  romain 
1  ix«  siècle  et  une  péricope  grecque  en  usage  dans  les  Gaules  au  même 
ornent  qui   marquent  l'apparition  de  la   notation   rudimentaire  des 


ECHOS    D  ORIENT 


neumes  dans  les  livres  liturgiques.  Il  ressort  de  là  que  «  la  lecture  solen- 
nelle des  saints  Évangiles  a  été  le  principe  occasionnel  de  la  notation 
ekphonétique  latine.  Les  signes  d'interponctuation,  en  usage  dans  les 
péricopes  liturgiques  du  v«  au  ix«  siècle,  constituent  la  base  de  cette 
notation,  qu'une  étroite  affinité  relie  au  système  grec.  Portée  à  son  point 
de  perfection  au  début  du  x«  siècle,  cette  étude  musicale  traduit  dès  lors 
la  modulation  neumatique  de  l'Église  latine.  » 

Dans  la  deuxième  partie  de  son  livre,  qui,  on  le  voit,  complète  heureu- 
sement et  modifie  parfois  la  thèse  de  l'Origine  byzantine,  le  P.  Thibaut 
définit  la  notation  neumatique  primitive,  en  fait  voir  VOrigine  romaine 
(laquelle  s'affirme  surtout  dans  les  grands  centres  bénédictins,  Mont- 
Cassin,  Bobbio,  Saint-Gall,  Einsiedeln,  Reichenau,  Prùm,  Metz,  Rouen, 
Corbie,  Saint-Germain  des  Prés,  Gluny),  étudie  minutieusement  les  écri- 
tures variées  et  le  caractère  rythmique  de  cette  notation  neumatique  pri- 
mitive. Pour  ces  différentes  démonstrations,  il  s'appuie  sur  \e  Liber  comitis 
de  saint  Jérôme  (premières  années  du  x'  siècle),  sur  le  Liber  pontijîcalis,, 
de  l'Église  de  Sens,  sur  l'évangéliaire  de  Saint-Germain  des  Prés,  sur  let^l 
offices  de  saint  Grégoire  le  Grand,  sur  l'hymne  à  sainte  Marie-Madeleine: 
(d'Odon  de  Cluny),  sur  le  sacramentaire  du  patriarcat  d'Aquilée,  suif 
l'évangéliaire  bénédictin  de  Pologne. 

Le  chant  ecclésiastique  d'Occident  a  son  plein  épanouissement  au 
x«  siècle.  «  Le  nombre  toujours  croissant  des  compositions  musicalef; 
destinées  à  rehausser  l'éclat  des  solennités  liturgiques  dans  les  grandai^' 
abbayes  bénédictines  nécessite  alors,  dit  le  P.  Thibaut,  un  perfectionne- 
ment de  la  notation  neumatique  primitive.  Le  propre  de  cette  séméio- 
graphie  était  la  manifestation  du  rythme  dans  la  cantilène.  Très  inconii|, 
plète  sous  le  rapport  de  l'expression  mélodique,  cette  notation  n'indiquait 
que  le  nombre  des  notes,  leurs  mouvements  antithétiques,  leurs  divers 

groupements,  sans  préciser  aucune  valeur  d'intonation Pour  assurer 

la  disposition  graduée  des  notules  et  marquer  la  valeur  relative  des  son$ 
sur  l'échelle  musicale,  certains  copistes  prennent  soin  de  tracer,  qui  une 
ligne  de  direction,  qui  deux  et  plus.  Le  système  de  la  portée  est  trouvé}; 
Gui  d'Arezzo  en  devient  le  vulgarisateur  de  génie  et  y  attache  son  nom; 
Les  monuments  de  la  notation  neumatique  primitive  et  ceux  de  la  nota- 
tion diastématique  guidonienne  sont  au  premier  chef  les  sources  de  la 
Cantilena  Romana.  C'est  donc  sur  la  foi  de  ces  antiques  et  vénérables 
documents  que  doit  s'établir  la  restauration  du  chant  traditionnel  de 
l'Église  latine.  » 

Voilà,  sèchement  mais  aussi  fidèlement  que  possible,  le  résumé  de  d 
ouvrage  de  toute  première  valeur  qui,  croyons-nous,  fera  époque.  Il  po: 
bien  son  titre.  C'est,  en  eff^et,  un  monument,  et  l'un  des  plus  beaux  qu'i 
fait  surgir  l'impulsion  donnée  par  S.  S.  Pie  X  aux  études  de  musicoloj 
religieuse.  Jean  Dorinet.  ^If^ 


BIBLIOGRAPHIE  189 


DussAUL),  Les  civilisations  préhelléniques  dans  le  bassin  de  la  mer 
Egée.  Paris,  Geulhner,  190H,  in-80,  vni-3i4  pages.  Prix:  12  francs. 

Depuis  quelques  années,  les  découvertes  faites  en  Orient  ont  jeté  une 
mière  nouvelle  sur  l'histoire  des  peuples  anciens.  Parmi  les  ouvrages 

ont  tiré  de  ces  découvertes  les  conclusions  qu'elles  font  naître,  celui 
iVl.  Dussaud  mérite  une  bonne  place.  Il  étudie  les  peuples  égéens  en 
ète,  dans  les  Cyclades,  à  Troie,  à  Tirynthe,  à  Chypre,  et  nous  donne 

leur  race,  leur  culte,  leur  civilisation  et  leur  langue  des  détails  fort 
;tructifs.  Sans  doute,  en  ces  matières  complexes,  l'accord  est  loin  d'être 
mplet  parmi  les  archéologues,  mais  il  faudra  désormais  tenir  compte 

'étude  si  fouillée  de  M.  Dussaud.  On  admirera  comment,  à  une  époque 
:ulée  qui  échappe  à  l'histoire,  une  civilisation  très  avancée  fleurissait 
jà  dans  le  bassin  oriental  de  la  Méditerranée.  La  Grèce  classique, 

;uère  encore  regardée  comme  l'initiatrice  des  arts,  n'a  fait  que  nous 
uer  cette  civilisation,  en  la  perfectionnant,  il  est  vrai.  Nous  avons  été 
ureux  de  voir,  en  passant,  que  l'auteur  fait  bonne  justice  de  l'hypothèse, 
lolument  contraire  à  l'histoire,  d'après  laquelle  les  chrétiens  auraient 

Dfunté  aux  civilisations  anciennes  le  culte  de  la  croix.  Deux  planches 
207  figures,  qui  ont  la  valeur  de  véritables  documents,  illustrent  heu- 
isement  le  texte.  R.  Janin. 

A.  BÉis.  I.  ^Aas  ist  die  sogenannte  ôlûçuyyoç-^chrijt ?  Extrait  duRhei- 
lisches  Muséum,  N.  F.,  LXVI,  p.  636-639.  Bonn,  G.  Georgi,  191 1. 

II.  'AvaYvo'j(T£t;  yptffTtavtxwv  eTT'.ypxîpwv  A'.y''vr,ç,  0£(T7ruov,  Meyâpwv,  Kootvôou 
.al  "Aùyouç  xa-.  TrapsxêoXal  £tç  xauraç.  Extrait  du  Bulletin  de  l'Institut 
irchéologique  russe  à  Constantinople,  t.  XIV.  Sofia,  imprimerie  du 
;ouvernement,  1909,  in-8°,  32  pages. 

.,  M.  Nikos  A.  Béis,  un  des  plus  distingués  parmi  les  maîtres  en  byzan- 
isme,  étudie,  après  Wilcken,  Gardthausen  et  Lambros,  quel  est  le 
ife  d'écriture  qui  est  appelé  oyxrynkhos  (oçupuy/o;)  dans  certains  textes 
Palladius,  de  Jean  Philopone  et  d'autres  plus  récents.  A  la  série  de 
tes  déjà  connus,  M.  Nikos  A.  Béis  en  ajoute  un  de  Michel  Psellos,  daté 
1Ô49,  et  emprunté  à  Sathas,  Mcca-.wv'.xYi  PtêXtoô/jx-ri,  t.  V.  Venise- 
13,1876,  p.  198-199.  Il  en  ressort  que  l'oçupuy^oî  xapaxTYjp  ou  écriture 
'rynkhos  doit  être  distinguée  du  (TTpoYyuXoç  /apaxTvjp  ou  écriture  arrondie, 
première  serait  une  écriture  majuscule  pointue,  la  seconde  serait 
logue  à  l'onciale  latine.  Les  termes  èço^p'./offTpoyYÛXt,  Codex  Barber., 
5,  à  Rome,  et  oçypt/tov  {sic)  ÇpoyyvjÀsi  (s/c).  Codex  16  [i3o]  de  la  Société 
chéologie  chrétienne  à  Athènes,  désigneraient  simplement  des  lettres 
ides,  régulières  et  bien  formées. 

Le  distingué  secrétaire  de  la  Société  byzantinologue  d'Athènes  a 
né  au  Bulletin  de  l'Institut  archéologique  russe  de  Constantinople  un 


190  ÉCHOS    D  ORIENT 


savant  article  sous  ce  titre  :  Lectures  d'inscriptions  chrétiennes  d'Egine y 
de  Thespies,  de  Mégare,  de  Corinthe  et  d'Argos.  C'est  un  excellent  tra- 
vail de  correction  et  de  critique  sur  des  textes  épigraphiques  publiés  par 
divers  auteurs  dans  un  grand  nombre  de  recueils.  Les  épigraphistes  sauront 
gré  à  M.  Nikos  A.  Béis  du  labeur  patient  et  méritoire  auquel  il  s'est  livré 
pour. eux,  avec  la  compétence  et  la  maîtrise  scientifiques  qu'on  lui  connaît. 

S.  Salaville. 

Nikos  A.  Béis,  NeoeXÀYjV.xà  oTjfxoSoTi  aapiaTa,  £x  ^stpoypo'.cscov  xcooixojv.  Athènes,, 
éd.  des  «  Panathénées  »,  19  lo,  12  pages  in-4°. 

Au  cours  de  ses  recherches  paléographiques,  M.  Nikos  Béis  a  eu  le 
plaisir  de  rencontrer  des  chants  populaires  modernes  écrits  en  marge  ou 
dans  les  blancs  des  manuscrits.  11  les  a  recueillis  avec  soin  et  les  publie 
dans  le  présent  fascicule.  La  plupart  ont  été  trouvés  dans  les  codices  des 
couvents  des  Météores.  Ils  peuvent  être  datés  du  xvi®,  xvii^  ou  xviii^  siècle. 
Ces  fragments  sont  en  général  très  courts.  Trois  cependant  ont  une  cer- 
taine étendue  :  le  morceau  t)  xocxt)  [xdcwa  a  plus  de  3o  vers;  un  autre,  t7 

TiàÔT)  Tou  ;(pt<7T0u,  QH  compte  18  ;  le  plus  long,  intitulé  rà  àxaTÔXoya  ttiç  kyir.r^ç, 

en  a  j5.  Six  distiques  seulement  ont  été  recueillis  dans  un  manuscrit  de 
la  bibliothèque  de  Zante. 

En  tirant  de  l'oubli  ces  fragments,  M.  Nikos  Béis  rend  un  précieux  ser- 
vice à  ceux  qui  voudront  un  jour  écrire  l'histoire  de  la  poésie  populaire^ 
grecque,  étudier  son  origine  et  son  développement  à  travers  les  siècles. 

F,  Cayré. 

L.  Celier,  les  Dataires  du  xv  siècle  et  les  origines  de  la  Daterie  aposto- 
lique. Paris,  Fontemoing,  19 10,  in-8°,  173  pages. 

L'ouvrage  de  M.  Celier  fait  partie  de  la  Bibli >thèque  des  écoles  fran- 
çaises d'Athènes  et  de  Rome  publiée  sous  les  auspices  du  fninistère  de 
l'Instruction  publique.  C'est  le  fascicule  cent  troisième. 

Il  est  précédé  de  la  table  des  ouvrages  consultés  ainsi  que  d'une  assez.; 
longue  introduction  et  suivi  d'une  note  sur  les  Dataires  étrangers  à  la- 
Daterie  apostolique,  de  seize  pièces  justificatives  très  intéressantes  (spé- 
cialement la  quinzième,  intitulée:  tarif  des  compositions  au  xv«  siècle) 
et  d'une  table  alphabétique  des  ouvrages  consultés. 

Le  travail  du  savant  archiviste  est  divisé  en  cinq  chapitres  intitulés  : 
les  Dataires  du  xv*  siècle.  Les  attributions  du  Dataire:  r^  Les  attributions, 
de  chancellerie;  2'^'  Les  attributions  financières.  La  situation  du  Dataire^ 
à  la  cour  du  Pape.  Les  origines  de  la  Daterie. 

Nous  regrettons  que  l'espace  dont  nous  disposons  nous  oblige  à  passerd 
sous  silence  l'excellente  introduction  que  M.  Celier  consacre  au  fonction-'; 
nement  de  l'ancienne  Daterie. 

I 


BIBLIOGRAPHIE  I9I 


Ch.  I.  Les  principaux  Dataires  du  xv*  siècle  dont  l'auteur  retrace  l'his- 
toire furent  Giovanni  de  F'eys,  Maffeo  Vegio,  Cosmade  Monserrat, 
Lorenzo  Roverella,  etc. 

Ch.  II.  —  La  date  des  suppliques  marquait  le  «  point  de  départ  de  la 
grâce  accordée.  D'où  une  surveillance  spéciale  exercée  dès  le  xiii«  siècle 
sur  cette  date,  surveillance  qui  se  traduit  par  la  prescription  de  n'expédier 
de  lettres  que  sur  les  suppliques  provenant  de  la  Data  communis.  — 
Cette  Data  co?nrnunts  était-elle  un  bureau  particulier?  En  tout  cas,  au 
XIII''  et  au  XIV*  siècle,  a'icun  officier  nouveau  ne  s'en  dégage.  —  Seulement 
au  xv  siècle  nous  avons  celui  qui  date,  puis  le  Datator,  puis  enfin  le 
Datarius.  Celui-ci  a  toujours  pour  fonction  essentielle  de  dater  les  sup- 
pliques signées ,  il  s'occupe  (peu  à  peu)  de  ce  qu'elles  contiennent  et 

et  de  ce  qu'on  en  fait,  et  tend  à  devenir  (aussi)  celui  qui  juge  de  l'oppor- 
tunité d'accorder  ce  qu'elles  (les  suppliques)  demandent,  en  attendant 
qu'il  soit  directement  et  officiellement  chargé  de  l'accorder  lui-même  ou 
de  le  refuser  ». 

Ch.  III.  —  La  principale  attribution  financière  du  Dataire  fut  celle  de 
toutes  les  compositions  de  la  Curie. 

La  composition  signifie  ici  accord  et  prix  d'un  accord  débattu  entre  deux 
parties.  L'origine  de  cette  pratique  à  la  cour  de  Rome  est  inconnue.  En 
principe,  cet  argent  était  destiné  aux  bonnes  œuvres,  à  des  œuvres 
pieuses  et  désintéressées,  parmi  lesquelles  figurait  au  xv^  siècle  la  construc- 
tion de  Saint-Pierre.  En  fait  cependant,  il  était  souvent  employé  à  sub- 
venir aux  nécessités  de  la  cour  pontificale. 

Ch.  IV.  —  La  généralisation  de  la  fonction  financière  des  Dataires 
provenait  de  la  situation  de  confiance  qu'ils  occupaient  à  la  cour  pontifi- 
cale et  dont  ils  devaient  naturellement  songer  à  profiter.  «  C'est  ce  qu'ils 
ne  manquèrent  pas  de  faire,  et  nous  les  voyons  recevoir  toutes  sortes  de 
bénéfices  et  profiter  de  mille  faveurs,  plus  ou  moins  exceptionnelles  et 
exorbitantes.  » 

Ce  chapitre  se  termine  par  la  citation  curieuse  des  conseils  de  prudence 
donnés  par  l'évêque  de  Fossombrone  à  un  futur  Dataire,  son  protégé. 

Ch.  V.  —  Les  origines  de  la  Daterie  s'expliquent  par  le  besoin  d'auxi- 
liaires fixes  qu'éprouva  le  Dataire.  Vers  la  fin  du  xv«  siècle,  on  est  près 
de  la  Daterie,  mais  le  mot  n'apparaîtra  qu'à  la  fin  du  xvi®. 

L'ouvrage  de  M.  Celier  nous  a  vivement  intéressé.  Il  est  écrit  d'une 
manière  claire,  sobre  et  réservée.  Des  abus  réels,  provenant  des  attribu- 
tions financières  universelles  du  Dataire,  sont  signalés,  mais  avec  modé- 
ration et  respect.  La  pièce  n"  i5  nous  apprend  que  pour  un  motif  très 
?rave  et  grâce  à  une  componende  très  élevée,  un  sous-diacre  et  un  diacre 

luvaient  parfois  p  irvenir  à  rentrer  dans  l'état  laïque,  chose  qu'il  est 
infiniment  plus  difficile  d'obtenir  aujourd'hui,  sauf  sur  le  lit  de  mort  et 
ous  certaines  conditions. 


192 


ECHOS    D  ORIENT 


Nous  ne  voyons  que  fort  peu  de  choses  à  reprocher  au  docte  archi- 
viste. Bien  que  le  terme  ait  pu  être  employé,  nous  pensons  que  M.  Celier 
aurait  mieux  fait  de  donner  à  la  réunion  du  Dataire  et  de  ses  employés 
principaux  l'appellation  canonique  non  de  congrégation  mais  de  con- 
gresso  ou  congrès.  La  pièce  justificative  n"  i  est-elle  une  bulle  au  sens 
strict?  L'année  de  Y  Incarnation  n'y  étant  pas  indiquée,  nous  hésiterions 
à  ranger  cet  acte  pontifical  parmi  les  bulles.  Enfin,  le  document  16  est 
dénommé,  à  tort  selon  nous,  motu  proprio,  à  moins^  ce  que  nous  ne 
croyons  pas,  qu'à  cette  époque  (1672),  les  motu  proprii  eussent  été  appelés 
brefs  sans  porter  à  la  fin  la  formule  consacrée:  Sub  annulo  piscaioris. 

A.  Catoire. 


LIVRES  REÇUS  A  LA  RÉDACTION 

Plusieurs  de  ces  ouvrages 
seront  l'objet  d'un  compte  rendu  dans  un  des  prochains  numéros  de  la  Revue. 

E.  Martini,  Textgeschichte  der  Bibliotheke  des  Patriarchen  Photios  von 
Konstantinopel.  I  Teil :  Die  Handschriften,  Ausgaben  und  Uebertragungen. 
(Abhandlungen  der  philolog.-histor.  Klasse  der  Kœnigl.  Saschsischen  Gesellschaft 
der  Wissenschaften,  t.  XXVIII,  n°  vi,  mit  Tafeln  in  Lichtdruck).  Leipzig,  B.  G. 
Teubner,  191 1,  in-8",  184  pages,  8  planches.  Prix:  7  marks. 
,  F.  Ehrle,  s.  J.,  et  P.  Liebaert,  Specimina  codicum  latinorum  (Tabulae  in 
usum  scholarum,  III).  Bonn,  A.  Marcus  et  E.  Weber,  191 2,  in-4°,  xxxvi  pages. 
5o  planches.  Prix:  6  marks. 

Bibliotheca  hagiographica  latina  antiquœ  et  mediœ  œtatis,  ediderunt  SocH 
BoLLANDiANi.  Supplementi  ediiio  altéra  auctior.  Bruxelles,  Société  de  Bollandistes, 

1911,  in-8°,  viii-355  pages. 

Bibliotheca  hagiographica  orientalis,  ediderunt  Socii  Bollandiani.  Bruxelles^ 
Société  des  Bollandistes,  1910,  xxiii-288  pages.  Prix:  20  francs. 

J.  Behm,  D/e  Handaujlegung  ini  Urchristentum  nach  Verwendung,  Herkunft 
und Bedeutung  in  religionsgeschichtlichem  Zusammenhang  iintersucht.  Leipzig^ 
A.  Deichert,  191 1,  in-8'',  viii-208  pages.  Prix  :  4  marks  5o. 

K.  LuEBECK,  Die  christlichen  Kirchen  des  Orients.  Kempten  et  MunicÈ^^ 
J.  Koesel,  191 1,  in-i6,  xii-206  pages.  Prix:  1  mark. 

M.  Maxudianz,  Le  parler  arménien  d'Akn  (quartier  bas).  Paris,  J.  Geuthner| 

1912,  in-8*,  X1-146  pages. 

W.  Miller,    'larop^a  ifiç.  4>paYy.oxpaTiaç  èv    'E),>,à6:  (i  204-1 566).  Mcrâ^paai;  Sit; 
11.  AajxTcpo'j  [Astà  TrpoffÔT^xwv  xal  peXxiwo-swv.  Athènes,  Société  hellénique  d'éditic 
1909-1910,  deux  volumes  in-8°,  493  et  483  pages,  avec  nombreuses  illustratic 
Prix  :  20  francs. 


576-12.  —  Imp.  P   Feron- Vrau,  3  ei  5,  rue  Bayard,  Paris,  VIH'.  —  Le  gérant  :  E.  PETiTHENRTr] 


FORMATION 
DU    PATRIARCAT  D'ANTIOCHE*" 


II.  Après  le  Concile  de  Nîcée. 

Tous  les  conciles  que  nous  avons  cités  —  et  ce  sont  jusqu'ici  les 

uls  dont  le  souvenir  se  soit  conservé  —  n'incluent  pas  la  juridiction 

ipérieure  d'Antioche  sur  l'épiscopat  de  Syrie  ou  d'Asie  Mineure,  mais 

me  hâte  d'ajouter  qu'ils  ne  l'excluent  pas  davantage. 

Et  cependant  Antioche  possédait  de  vrais  privilèges,  des  prérogatives 

clésiastiques  d'ordre  supérieur,  antérieures  au  concile  de  Nicée,  et 

li  lui  furent  expressément  reconnues  par  le  Vl^  canon  de  ce  concile, 

ns  que  l'on  puisse  voir  au  premier  abord  en  quoi  elles  consistaient. 

effet,  après  avoir  mentionné  la  primatie  de  l'évêque  d'Alexandrie 

r  les  provinces  d'Egypte,  le  VI«  canon  de  Nicée  se  contente  d'ajouter  : 

t  doit  de  même  conserver  aux  Eglises  d'Antioche  et  des  autres  éparchies 

trs  anciens  droits.  Remarquons-le,  le  concile  ne  se  propose  aucune 

lovation;  il  constate  seulement  et  confirme  de  son  autorité  souveraine 

droits  accordés   déjà  à  certaines  Eglises,  et  en  particulier  à  celle 

Vntioche,  par  une  coutume  immémoriale.  Mais  quels  sont  les  droits 

nt  parle  l'assemblée  synodale,  c'est  ce  qu'il  n'est  pas  aisé  de  préciser. 

Des  conciles   provinciaux  ou   régionaux  tenus  avant  celui  de  ^2^, 

:une  conclusion  bien  nette,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  ne  ressort 

iir  ou  contre  une  juridiction  supérieure  de  la  métropole  de  la  Syrie. 

•  ailleurs,   l'histoire  ne  nous  a  conservé  que  deux  faits  :  celui  de 

ossos  en  Cilicie  et  celui  d'Edesse  en  Mésopotamie,  où  la  primatie  de 

'êque  d'Antioche  se  soit,  dès  la  fin  du  ii®  siècle,  réellement  exercée 

dehors  des  limites  de  sa  province.  Cependant,  n'oublions  pas  qu'à 

te  époque  le  territoire  qui  sera  désigné  un  siècle  plus  tard  sous  le 

nde  diocèse  d'Orient  ne  comprend  encore  que  six  provinces  civiles  : 

iélésyrie,  la  Cilicie,  la  Mésopotamie,  la  Palestine,  l'Arabie  et  Chypre. 

dans  trois  provinces  sur  six,  nous  en  avons  les  preuves,  l'autorité 

eure  de  l'évêque  d'Antioche  était  obéie  sans  contestation,  et  pas 

seul  acte  d'une  autre  autorité  que  la  sienne  n'est  constaté  alors  dans 

trois  autres  provinces. 


Voir  Echos  d'Orient,  mars  1912,  p.  109-119. 
^chos  d'Orient.  —  i5'  année.  —  A'°  g4.  Mai  1912. 


194  ÉCHOS  d'orient 


Puisque  le  texte  du  VI"-  canon  de  Nicée  est  d'une  rédaction  obscure, 
et  que  l'histoire  ecclésiastique  antérieure  à  325  ne  nous  a  fourni  que 
peu  de  renseignements,  reportons-nous  à  l'interprétation  que  la  posté- 
rité a  donnée  de  ce  canon.  Le  ll^  canon  du  concile  œcuménique  de 
Constantinople,  en  381,  est  revenu  en  ces  termes  sur  la  décision  de 
Nicée  : 

Les  évêques  d'un  diocèse  ne  doivent  pas  empiéter  sur  les  Eglises  étran- 
gères ni  troubler  les  Eglises;  mais,  d'après  les  canons,  l'évêque  d'Alexan- 
drie doit  s'occuper  des  seules  affaires  de  l'Egypte;  les  évêques  d'Orient 
diriger  seulement  le  diocèse  d'Orient  —  en  maintenant  les  prérogatives 
reconnues  à  l'Eglise  d'Antioche  dans  les  canons  de  Nicée;  —  les  évêques 
du  diocèse  d'Asie  doivent  s'occuper  des  seules  affaires  de  l'Asie,  ceux  du 
diocèse  du  Pont  des  seules  affaires  du  Pont,  et  ceux  du  diocèse  de  Thrace 
des  seules  affaires  de  la  Thrace. 

On  remarquera  que  l'interprétation  du  Vl"  canon  de  Nicée  par  le 
second  concile  œcuménique  n'est  pas  beaucoup  plus  claire  que  le  texte 
qu'il  s'agissait  d'expliquer.  En  effet,  si  l'évêque  d'Alexandrie  est  seul 
mentionné  en  ce  qui  concerne  l'Egypte,  si  lui  seul  est  vraiment  le  chef 
de  l'épiscopat  égyptien,  par  contre,  on  nous  parle,  au  pluriel,  des 
évêques  de  l'Orient,  des  évêques  de  l'Asie,  de  ceux  du  Pont  et  de  ceux 
de  la  Thrace,  à  propos  de  ces  quatre  diocèses  civils.  Est-ce  qu'en 
dehors  de  chaque  métropolitain,  qui,  là  comme  ailleurs,  dirigeait  cha- 
cune des  provinces  particulières  de  chacun  de  ces  diocèses,  le  concile 
aurait  reconnu  une  juridiction  supérieure  exercée  en  commun  par  plu- 
sieurs métropolitains  sur  tout  le  diocèse  d'Orient,  ainsi  que  sur  les 
diocèses  d'Asie,  de  Pont  et  de  Thrace?  D'aucuns  l'ont  prétendu;  mais 
cela  ne  semble  guère  vraisemblable,  et  l'on  ne  connaît  pas  de  fait 
historique  qui  puisse  appuyer  pareille  explication.  Le  pluriel  employé 
par  le  concile  équivaudrait-il  à  un  singulier,  et  faudrait-il  conclure  qu'en 
Orient,  en  Asie,  dans  le  Pont  et  en  Thrace,  comme  en  Egypte,  un  seul 
évêque  présidait  effectivement  à  tout  l'épiscopat  de  chacun  de  ces 
quatre  diocèses?  Pour  l'Orient,  cela  ne  peut  faire  de  doute,  car  le  con- 
cile ajoute  aussitôt  après  :  «  En  maintenant  les  prérogatives  accordées 
à  l'Eglise  d'Antioche  par  les  canons  de  Nicée  »,  et  il  n'est  pas  temps 
d'examiner  ici  ce  qu'il  en  est  des  trois  diocèses  d'Asie,  de  Pont  et  de 
Thrace. 

Nous  croyons  donc,  en  dépit  des  termes  assez  obscurs  dont  se  ser- 
virent les  Pères  de  325  et  de  381,  que  le  Vl^  canon  de  Nicée,  comme 
le  lie  de  Constantinople,  reconnaît  et  garantit  à  l'évêque  d'Antioche 
sur  les  provinces  du  diocèse  d'Orient  les  mêmes  droits  qu'il   avait 


FORMATION    DU    PATRIARCAT    D  ANTIOCHE  I95 

reconnus  et  garantis  au  siège  d'Alexandrie  sur  les  provinces  du  diocèse 
d'Egypte.  Saint  Jérôme  n'interprète  pas  autrement  que  nous  le  canon 
de  Nicée,  lors  de  ses  démêlés  avec  Jean,  l'évêque  de  Jérusalem;  il  écrit, 
en  effet,  à  Pammachius  que,  «  à  Nicée,  il  a  été  réglé  qu'Antioche 
serait  la  métropole  générale  de  tout  l'Orient  (diocèse),  et  Césarée  la 
métropole  particulière  de  la  Palestine  (province)  »  (i).  Le  pape  Inno- 
cent Icf,  dans  sa  lettre  à  Alexandre,  évêque  d'Antioche,  dit  de  même  : 

Le  concile  de  Nicée  n'a  pas  établi  l'Eglise  d'Antioche  sur  une  province, 
mais  sur  un  diocèse.  C'est  pourquoi  Nous  pensons,  Frère  très  cher  —  le 
Pape  s'adresse  à  Alexandre  en  personne  —  que,  de  même  que  tu  ordonnes 
les  métropolitains'  en  vertu  de  ton  autorité  particulière,  de  même  il  n'est 
pas  permis  aux  autres  évêques  de  faire  des  ordinations  à  ton  insu  et  sans 
ton  consentement  (2). 

Voilà  donc  la  portée  du  canon  nicéen,  d'après  l'antiquité  chrétienne. 
Par  le  fait  de  cette  décision,  que  confirma  plus  lard  le  concile  de  Con- 
stantinople,  le  patriarcat  —  bien  que  le  terme  n'existe  pas  encore  — 
d'Antioche  est  définitivement  constitué,  et  il  a  pour  limites  celles-là 
mêmes  que  Dioclétien   avait   reconnues  au  diocèse  civil  d'Orient  en 

l'année  297. 

» 
«  * 

En  effet,  de  même  que  la  division  en  provinces  civiles  de  l'empire 
romain  avait  grandement  contribué  à  la  création  des  provinces  ecclé- 
siastiques comprenant  plusieurs  évêchés  soumis  à  un  métropolitain,  de 
même  l'acte  de  Dioclétien  instituant  des  diocèses  civils,  sous  lesquels 
se  rangeaient  un  plus  ou  moins  grand  nombre  de  provinces,  amena, 
du  moins  en  Orient,  la  création  dans  chaque  diocèse  d'une  puissance 
religieuse  placée  au-dessus  des  métropolitains  et  qui  en  comptait 
plusieurs    sous    sa    sujétion.    C'est    ce    qu'a    admirablement   montré 

I~M.  Flamion  (3),  en  résumant  la  thèse  si  touffue  mais  aussi  si  nourrie  de 
faits  de  M.  Lùbeck  (4),  et  en  établissant  que,  dans  l'évolution  subie  par 
a  hiérarchie  ecclésiastique,  deux  phases  sont  à  distinguer  :  la  formation 
de  l'organisation  métropolitaine  et  celle  de  l'organisation  patriarcale  ou, 
îour  parler  plus  exactement,  de  l'organisation  surmétropolitaine. 
La  première,  commencée  dès  le  n«  siècle,  et  fortement  aidée  par 


(1)  Ni  fallor,  hoc  ibi  decernitur,  ut  Palœstinœ  metropolis  Cœsarea  sit  et  tolius 
Orientis  Antiochia,  dans  Migne,  P.  L.,  t.  XXIII,  col.  889. 
(a)  Epist.  XXIV,  dans  Migne,  P.  L.,   t.  XX,  col.  547. 

(3)  Revue  d'histoire  ecclésiastique,  t.  IV  (igoS),  p.  481-489. 

(4)  Reichseinteihing  und  Kirchliche  Hiérarchie  des  Orients.  Munster,  1901. 


196  ÉCHOS   d'orient 


l'organisation  du  culte  impérial,  qu'elle  semble  avoir  pris  pour  modèle, 
ainsi  que  parla  création  des  synodes  provinciaux,  est  complète  en  Orient 
à  la  fin  du  iiP  siècle,  elle  est  sanctionnée  et  consacrée  légalement  par 
le  IVe  canon  du  concile  de  Nicée.  Dès  lors,  il  exista  une  concordance 
absolue  entre  la  province  civile  et  la  province  ecclésiastique,  entre  la 
métropole  politique  et  la  métropole  religieuse;  les  quelques  exceptions 
que  l'on  pourrait  citer  n'appartiennent  pas  à  notre  époque  et  ne  furent 
introduites  que  par  des  faveurs  impériales  ou  à  la  suite  d'une  nouvelle 
réorganisation  des  provinces.  Quant  à  l'organisation  surmétropolitaine 
ou  patriarcale,  à  part  l'Egypte,  qui  en  jouit  de  bonne  heure  pour  des 
raisons  historiques  particulières,  elle  ne  doit  son  existence  qu'à  l'insti- 
tution des  diocèses  civils  par  Dioclétien  en  l'année  297;  mais  elle  aussi 
fut  reconnue  et  confirmée  par  un  acte  ecclésiastique,  par  le  Vl^  canon 
de  Nicée,  qui  resta  la  base  légale  de  ses  revendications. 

L'édition  critique  des  listes  épiscopales  du  concile  de  Nicée  (i)  nous 
a  montré  qu'en  325  le  diocèse  d'Antioche  comprenait  les  huit  pro- 
vinces de  Palestine,  Phénicie,  Célésyrie,  Arabie,  Mésopotamie,  Cilicie, 
Isaurie  et  Chypre,  desquelles  dépendaient  des  évêchés  suffragants.  Au 
cours  du  ive  siècle,  le  nombre  des  provinces  augmenta,  non  pas  à  la 
suite  d'une  extension  territoriale,  mais  du  fait  de  divers  remaniements 
administratifs  opérés  par  l'Etat.  Près  de  trente  ans  après  le  concile  de 
Nicée,  en  353,  Ammien  Marcellin  (2)  énumère  les  provinces  suivantes: 
«  Cilicie,  Isaurie,  Commagène,  maintenant  Euphratensis;  Syrie,  Phé- 
nicie, Palestine,  Arabie  et  Chypre.  »  A  la  même  date,  mais  dans  un 
autre  passage  (3),  le  même  historien  cite  également  l'Osrhoène  :  Post 

Osdroenam Commagène  nunc  Euphratensis. 

Si  nous  comparons  la  liste  de  353  à  celle  de  325,  nous  y  trouvons 
deux  nouvelles  provinces  :  l'Osrhoène  et  l'Euphratensis,  formées  l'une 
et  l'autre  avec  des  villes  prises  soit  à  la  Célésyrie,  soit  à  la  Mésopo- ' 
tamie.  Pour  ne  citer  que  deux  exemples,  Edesse,  la  future  métropu! 
de  l'Osrhoène,  était,  à  Nicée,  la  métropole  de  la  Mésopotamie;  et  Hiéra- 
polis,  métropole  de  l'Euphratensis  en  353,  était  rangée  en  j,2^  parmi 
les  évêchés  de  la  Célésyrie.  Comme  ces  deux  provinces  ne  figurent 
pas  encore  dans  les  signatures  du  concile  d'Antioche,  en  341,  suscrip- 
tions  qui  sont  d'ailleurs  tenues  en  médiocre  estime,  on  pense  qu'elles 
furent  érigées  entre  les  années  341  et  }^},  en  tout  cas  sûrement  après 
325  et  avant  ^^}. 


(i)  Gelzer,  Patrum  nicœnoriim  nomina.  Leipzig,  \i 
(2)  Rerum  gestarum  libri,  xiv,  8. 
(3).  Op.  cit.,  XIV,  -j,  21. 


FORMATION    DU    PATRIARCAT    D  ANTIOCHE  I97 

Ij — — . 

!'  La  province  d'Arabie  avait  succédé  au  royaume  nabatéen  de  Pétra, 
jlupprimé  par  l'empereur  Trajan  en  l'an  105  de  notre  ère.  Elle  pos- 
ijédait  les  mêmes  territoires  que  ce  royaume,  à  l'exception  de  la  Batanée, 
:1e  la  Trachonite  et  de  l'Auranite,  qui  furent  rattachées  à  la  Phénicie 
ijusqu'en  295;  cette  année-là,  les  trois  districts  du  Nord  lui  étaient  res- 
iltués  et  elle  formait  la  province  d'Arabia  Augusta  Libanensis,  avec 
fostra  pour  métropole,  mais  en  même  temps  on  lui  enlevait  toute  la 
jartie  méridionale  qui  constitua,  avec  Pétra  pour  métropole,  la  nou- 
elle  province  d'Arabia. 

I  Douze  ans  après,  en  307,  la  province  de  Pétra  était  unie  à  celle  de 
;  alestine,  pour  en  être  détachée  à  nouveau  dans  la  seconde  moitié  du 
'6  siècle,  en  358  au  plus  tôt,  en  390  au  plus  tard,  et  constituer  désor- 
lais  la  Paîœstina  salutaris  ou  Palœstina  iertia. 

.  Quant  à  la  Palcestina  secunda,  formée  avec  des  villes  des  provinces 
loisines,  surtout  de  la  Syrie  et  de  l'Arabie,  elle  est  citée  pour  la  pre- 
uière  fois  dans  une  ordonnance  impériale  de  Théodose  11  datée  du 
3  mars  409  (i). 

L'ancienne  province  impériale  de  Cilicie,  déjà  scindée  en  deux,  la 
.ilicie  et  l'isaurie,  lors  du  concile  de  Nicée,  fut  encore,  sous  Arcadius, 
?  visée  en  une  troisième  province,  la  Cilicia  secunda. 
I  La  Syrie  avait  été  divisée,  vers  l'an  194,  par  Septime  Sévère  en  Syria 
kagna  ou  Célésyrie,  et  en  Phénicie,  division  qui  subsistait  encore 
n  325. 

'  En  l'année  353,  nous  avons  constaté  l'existence  d'une  autre  province, 
]  Syria  Euphratênsis ,  créée  peu  de  temps  auparavant. 

A  la  suite  de  la  réorganisation  de  l'empire  par  Théodose  le  Grand  et 

jfcadius,  la  Célésyrie,  qui  avait  déjà  cédé  plusieurs  villes  à  VEuphra- 

ûnsis,  se  fractionna  encore  en  Syrie  première  et  en  Syrie  seconde,  la 

jjiénicie  en  Phénicie  maritime  et  en  Phénicie  libanaise.  La  date  pré- 

Ijie  de  ces  transformations  n'est  pas  connue,  mais  elles  sont  sûrement 

stérieures  à  381,  et  elles  étaient  déjà  opérées  en  425,  date  fixée  par 

ommsen  pour  la  rédaction  définitive  de  la  Notifia  dignitatum. 

A  ce  moment-là,  c'est-à-dire  dans  le  premier  quart  du  v«  siècle,  le 

triarcat  d'Antioche  ne  comptait  pas  seulement  huit  provinces  ecclé- 

istiques   comme  en  325,   mais  quinze  qui   sont   énumérées   par  la 

>titia  dignitatum  (2)  dans  l'ordre  suivant  :  Palestine,  Phénicie,  Syrie, 

icie,  Chypre,  Arabie,  Isaurie,  Palestine  salutaire,  Palestine  seconde, 


i)  GoDEFROY,  Codex  theodosianus,  t.  II,  p.  327. 

>)  Edit.  Bœcking.  Bonn,  iSSg,  t.  I,  part.  Orient.,  p.  9. 


ic)8  ÉCHOS  d'orient 


Phénicie  libanaise,  Euphratensis,  Syrie  salutaire,  Osrhoène,  Mésopo- 
tamie, Cilicie  seconde. 

C'est  pour  la  première  et  la  dernière  fois  que  nous  les  trouvons  toutes 
signalées  ensemble,  car,  en  431,  la  province  de  Chypre,  qui  contestait 
déjà  au  primat  d'Antioche  le  droit  de  faire  des  ordinations  dans  son  île, 
obtenait  du  concile  d'Ephèse  son  autonomie  ecclésiastique,  tandis  que 
vingt  ans  plus  tard,  au  concile  de  Chalcédoine,  Juvénal  réussissait  à 
constituer  le  patriarcat  de  Jérusalem  avec  les  trois  provinces  de  Pales- 
tine. Dès  lors,  il  ne  restait  plus  sous  la  sujétion  d'Antioche  que  onze 
provinces  ecclésiastiques,  alors  que  le  diocèse  d'Orient  comptait  tou- 
jours quinze  provinces  civiles.  Par  ailleurs,  l'Eglise  de  Perse  avait, 
depuis  quelques  années,  proclamé  elle  aussi  son  indépendance  vis-à-vis 
de  la  vieille  métropole  de  Syrie. 


La  principale  cause  de  ces  victoires  de  Chypre  et  de  Jérusalem  sur 
Antioche,  c'est  qu'elles  se  trouvèrent  en  présence  de  prélats  timorés, 
compromis  aux  yeux  de  la  chrétienté  par  leurs  complaisances  envers 
l'arianisme  et  surtout  affaiblis  par  un  schisme  local  de  quatre-vingt- 
cinq  ans.  Quand  saint  Eustathe,  évêque  d'Antioche,  fut  déposé  et 
exilé  en  Macédoine  par  les  ariens  (330),  ses  partisans  formèrent  une^ 
communauté  à  part  sous  la  direction  du  prêtre  Paulin  et  n'entretinrent 
aucune  relation  avec  les  hérétiques.  En  360,  l'arien  Eudoxe  ayant 
échangé  le  trône  primatial  d'Antioche  pour  le  simple  évêché  de  Con- 
stantinople,  ses  amis  élurent  à  sa  place  Mélèce,  évêque  de  Sébaste  en 
Arménie,  et  qui  n'avait  jamais  pu  prendre  possession  de  son  poste. 
Celui-ci  passait,  à  tort  ou  à  raison,  pour  être  de  leur  parti;  à  tort, 
semble-t-il,  malgré  sa  signature  donnée  au  concile  deSéleucie,  puisque, 
dès  son  discours  d'installation,  sans  parler  ni  d'essence  ni  d'hypostases, 
il  laissa  voir  qu'au  fond  il  était  avec  ceux  de  Nicée.  Cela  lui  valut  d'être 
destitué  par  Constance,  moins  de  trente  jours  après  sa  nomination. 
Euzoïus,  l'ancien  compagnon  et  ami  d'Arius,  lui  succéda. 

Le  retour  de  Mélèce  coïncida  avec  le  règne  de  Julien  l'Apostat  (362); 
toutefois,  l'auréole  de  son  bannissement  ne  pouvait,  aux  yeux  des  eusta- 
thiens,  dissiper  la  souillure  contractée  par  son  élection  plus  ou  moins 
arienne;  ils  restèrent  donc  à  l'écart.  En  conséquence,  il  y  eut  quatre 
partis  religieux  dans  la  capitale  de  l'Orient  :  les  eustathiens,  minorité 
infime  soutenue  surtout  par  les  Eglises  d'Egypte  et  d'Occident;  les 
méléciens,  qu'appuyaient  tous  les  orthodoxes  d'Orient;  enfin  deux 
groupes  d'ariens,  ceux  de  l'Eglise  officielle  et  les  anoméens,  adversaires 


FORMATION    DU    PATRIARCAT    d'aNTIOCHE  199 

irréductibles  du  concile  de  Rimini-Constantinople.  Des  saints,  des 
évêques,  bien  des  personnalités  marquantes  du  catholicisme  s'em- 
ployèrent tour  à  tour  à  réunir  les  deux  fractions  orthodoxes  qui  se 
boudaient  pour  une  question  de  personnes;  ils  échouèrent  totalement. 
Il  est  vrai  que  Lucifer  de  Cagliari,  qui  s'avisa  de  terminer  le  conflit,  était 
l'homme  le  plus  impropre  à  mener  une  négociation.  Avant  même  que 
le  concile  d'Alexandrie  eût  pris  une  décision,  son  humeur  batailleuse  le 
poussa  à  consacrer  évêque  le  prêtre  Paulin,  chef  de  la  communauté 
ïustathienne,  et  la  division  ne  fit  ainsi  que  s'accroître. 

Après  deux  nouveaux  exils  subis  en  364  et  370,  comme  le  démêlé 
;iétait  pas  apaisé,  Mélèce  aurait  offert  une  transaction  à  Paulin,  qui  crut 
Je  sa  dignité  de  là  refuser;  alors,  chacun  d'eux  nomma  des  évêques  de 
son  parti  aux  sièges  qui  en  manquaient,  parfois  même  aux  sièges  qui 
2n  possédaient  déjà.  On  ne  put,  malgré  tous  les  efforts,  arriver  à  un 
compromis  pour  que,  à  la  mort  de  l'un  des  deux,  le  survivant  fût 
reconnu  comme  le  seul  évêque  orthodoxe.  Aussi,  à  la  mort  de  Mélèce, 
pendant  la  réunion  du  second  concile  œcuménique  (mai  381),  fut-il 
impossible  d'obtenir  de  l'assemblée  la  reconnaissance  du  seul  survivant, 
l'est-à-dire  de  Paulin,  pour  évêque  d'Antioche.  Dès  que  le  concile  fut 
terminé,  juillet  381,  les  évêques  du  diocèse  d'Orient  coururent  en  Syrie 
donner  le  prêtre  Flavien  comme  successeur  à  Mélèce.  De  son  côté, 
ivant  de  mourir  (388),  Paulin  désigna  et  sacra  lui-même  le  prêtre  Evagre 
pour  le  remplacer. 

Après  des  pourparlers  inutiles,  après  le  concile  tenu  en  393  à 
Clésarée  de  Palestine,  et  qui  réconcilia  l'Eglise  alexandrine  avec  l'évêque 
^'lavien,  après  surtout  la  mort  d'Evagre,  survenue  probablement  en  394, 
?t  la  reconnaissance  de  Flavien  par  le  Saint-Siège,  en  394  ou  en  398, 
tout  le  monde  espérait  la  fin  de  cette  longue  contestation.  Espérance 
v'aine,  car  les  eustathiens  restèrent  groupés  autour  de  leur  clergé 
dissident.  L'élection  de  Porphyre  (404-412)  ne  pouvait  pas  contribuer 
1  les  ramener.  Les  persécutions  de  celui-ci  contre  tous  ceux  qui  mani- 
festaient la  moindre  sympathie  envers  saint  Jean  Chrysostome  lui 
aliénèrent  même  une  partie  de  la  population  mélécienne.  Enfin,  vers 
'année  414,  l'évêque  Alexandre,  successeur  de  Porphyre,  assista  à  un 
office  célébré  par  la  petite  Eglise  séparée;  ses  avances  inespérées 
-entraînèrent  la  réconciliation  du  plus  grand  nombre  et  mirent  fin  à  une 
division  qui  avait  duré  quatre-vingt-cinq  ans.  C'est  le  pape  Innocent  I" 
qui  y  avait  eu  la  plus  grande  part,  en  l'imposant  comme  condition  préa- 
able  à  la  reconnaissance  d'Alexandre.  Toutefois,  il  resta  encore  un  petit 
groupe  de  réfractaires  eustathiens,  qui    ne  se  rendirent  qu'en  482, 


200  ÉCHOS   d'orient 


lorsque  le  patriarche  Calendion  obtint  de  l'empereur  l'autorisation  de  faire 
rapporter  à  Antioche  d'une  ville  de  Thrace,  où  ils  se  trouvaient  alors, 
les  restes  de  saint  Eustathe. 


Des  luttes  fratricides  si  longues,  aggravées  encore  par  l'interminable 
crise  arienne  que  traversa  l'Eglise  d'Antioche  comme  toutes  les  Eglises 
orientales,  avaient  dû  énerver  l'autorité  de  son  chef,  diminuer  son  pres- 
tige, permettre  à  divers  métropolitains  d'empiéter  sur  ses  prérogatives. 
Si  tous  ne  réussirent  pas,  comme  ceux  de  Chypre  et  de  Jérusalem,  à 
secouer  défmitivement  sa  primatie  religieuse,  ils  s'efforcèrent  du  moins, 
une  fois  nommés  et  approuvés  par  Antioche,  d'être  le  plus  possible 
les  maîtres  dans  leurs  provinces  respectives.  C'est  sur  ce  point,  autant 
que  sur  la  juridiction  que  les  Chypriotes  lui  contestaient  dans  leur  île, 
que  l'évêque  d'Antioche,  Alexandre,  semble  avoir  interrogé  le  pape 
Innocent  I^"",  après  qu'il  eut  rétabli  la  paix  et  la  concorde  entre  les 
diverses  fractions  de  son  Eglise.  En  s'appuyant  sur  le  Vl^  canon  de 
Nicée,  dont  il  possédait  peut-être  et  les  Actes  et  une  interprétation  auto- 
risée, le  Pape  reconnut  en  416  que  l'évêque  d'Antioche  avait  le  droit  de 
conférer  l'ordination  aux  évêques  de  toutes  les  provinces  du  diocèse 
d'Orient.  Il  dit,  en  effet,  qu'en  vertu  de  sa  pleine  autorité,  l'évêque 
d'Antioche  doit  ordonner  les  métropolitains,  et  que  ceux-ci  ne  peuvent 
sacrer  personne  à  son  insu  et  sans  son  consentement  (1). 

Cette  décision  paraît  bien  emporter  la  dépossession  du  droit  des  primats 
provinciaux  au  profit  du  métropolitain  d'Antioche;  droit  d'ordination 
qu'ils  ne  pourront  exercer  désormais  qu'avec  le  consentement  ou  la  délé- 
gation de  ce  métropolitain.  Par  malheur,  nous  ignorons  comment  les 
primats  provinciaux  se  comportèrent  dans  la  pratique  et  si,  conformément 
à  l'interprétation  d'Innocent  I",  ils  abandonnèrent  les  ordinations  de 
leurs  suffragants  (2). 

Le  seul  exemple  connu  avant  le  concile  de  Chalcédoine  favorise  cette 
dernière  hypothèse.  En  l'année  445  se  tint  à  Antioche  un  concile  pour 
examiner  la  cause  de  l'évêque  Athanase  de  Perrhé.  Le  patriarche  Domnus 
s'exprima  ainsi  :  j 

Je  ne  désirais  pas  avoir  à  prononcer  une  pareille  sentence  contre  un 
évêque.  Mais  puisque  le  saint  concile  a  jugé  bon  d'écarter  Athanase  de 
Vépiscopat  en  vertu  des  lois  ecclésiastiques,  à  cause  de  ses  crimes  énormes 


(i)  Eptsf.  XXIV,  dans  M  igné,  P.  L.,  t.  XX,  col.  547. 

(2)  Leclercq,  traduction  de  l'Histoire  des  conciles  d'Héfélé,  t.  I",  II'  partie,  p.  1 190. 


FORMATION    DU    PATRIARCAT    D  ANTIOCHE  201 

et  nombreux  et  de  son  refus  de  comparaître,  je  confirme,  moi,  et  je  suis 
d'accord  sur  ces  matières,  qui  ont  réuni  le  consentement  de  tous,  le  décla- 
rant étranger  désormais  à  l'épiscopat,  et  je  prescris  à  Jean,  l'évéque  très 
chéri  de  Dieu  et  aux  très  pieux  évêques  de  sa  province,  d'ordonner  un 
autre  évéque,  à  la  place  de  celui-ci,  pour  la  sainte  Eglise  de  Perrhé  (i). 

Ce  Jean,  à  qui  Domnus  prescrit  d'ordonner  un  évêque  pour  le 
siège  de  Perrhé,  était  métropolitain  de  Hiérapolis,  dans  l'Euphratensis, 
province  dans  laquelle  était  situé  cet  évêché.  Si  ce  métropolitain  ne 
pouvait  procéder  au  sacre  d'un  de  ses  suffragants  que  sur  l'ordre  formel 
du  patriarche  d'Antioche,  il  devait  en  être  de  même  dans  les  autres 
provinces  ecclésiastiques. 

L'interprétation  du  Vl«  canon  de  Nicée,  mentionnée  par  le  pape  Inno- 
cent 1er,  avait  donc  force  de  loi.  Antioche  possédait  réellement  sur  les 
métropoles  et  sur  les  évêchés  des  provinces  du  diocèse  d'Orient  les 
mêmes  droits  de  juridiction  qu'exerçait  Alexandrie  sur  les  métropoles 
et  sur  les  évêchés  des  provinces  d'Egypte.  L'assimilation  entre  ces  deux 
grandes  Eglises  est  absolue. 

SiMÉON  Vailhé. 


(i)  Mansi,  Conciliorum  Collectio,  t.  VIII,  col.  352. 


L'INTERVENTION  DES  LAÏQUES 
DANS   LA   GESTION    DES  BIENS   D'ÉGLISE 


La  lutte  héroïque  que  l'épiscopat  arméno-cathoUque  vient  d'entre« 
prendre  contre  l'ingérence  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens  ecclé-» 
siastiques  (i)nous  a  suggéré  l'idée  d'examiner  rapidement  la  doctrine 
canonique  de  la  tradition  concernant  cette  question  importante  m 
sujet  de  laquelle,  sous  une  forme  ou  une  autre  (2),  la  plupart  de» 
Eglises  séparées  d'Orient,  les  plus  importantes,  ont  fini  par  accepter 
en  pratique  la  solution  préconisée  par  les  laïques. 

La  tradition  canonique  admet-elle  que  les  laïques  ont  le  droit  de  gérer 
les  biens  d'Eglise  ou  d'en  contrôler  la  gestion?  Nous  disons  à  dessein: 
ont  le  droit,  car  nul  ne  songe  à  dire  que  l'administration  des  biens 


(i)  Le  concile  arméno-catholique,  célébré  à  Rome  en  octobre  dernier,  avait  en  partie 
pour  objet  de  rappeler  et  de  faire  sanctionner  par  l'autorité  suprême  les  principes 
selon  lesquels  les  Règlements  généraux  de  l'Eglise  arménienne  catholique  tolérés^ 
mais  non  encore  approuvés  ni  par  le  Saint-Siège  ni  par  le  gouvernement  ottoman 
lui-même,  devront  être  modifiés.  Les  délibérations  du  synode  relatives  à  la  foi,  aa 
gouvernement  de  l'Eglise  et  à  l'administration  des  biens  ecclésiastiques  sont  résumée» 
dans  une  première  lettre  digne  et  modérée  de  l'épiscopat  aux.  fidèles,  écrite  de  Rome 
le  18  décembre.  Cette  première  circulaire  des  évêques  a  été  suivie  d'une  courte  lettre 
adressée  par  S.  S.  Pie  X  aux  catholiques  arméniens,  pour  leur  recommander  d'une 
manière  discrète  et  paternelle  l'obéissance  aux  décisions  du  synode.  (Voir  le  texte 
dans  Echos  d'Orient,  janvier  1912,  p.  6  sq.)  Une  seconde  lettre  de  l'épiscopat  armé- 
nien, également  digne  et  modérée,  écrite  de  Rome  comme  la  première,  et  datée  du 
18  décembre,  a  trait  à  l'assemblée  nationale  et  aux  questions  brûlantes  qui  la  con- 
cernent. 

La  lutte  dont  nous  parlons  plus  haut  menace  d'être  longue,  et  il  faudra  au  haut 
clergé  une  énergie  et  une  patience  peu  communes  pour  arriver  à  convaincre  de  la  doc- 
trine pleinement  catholique  des  fidèles  habitués  à  croire  que  si  les  grégoriens  accep- 
taient la  primauté  du  Pape  et  les  autres  articles  du  symbole  catholique,  ils  n'auraient 
à  se  réformer  en  rien  pour  le  reste.  Ce  qu'il  faudrait  surtout  (que  le  clergé  arménien 
catholique  nous  permette  de  lui  exprimer  humblement  ce  desideratum),  ce  serait 
d'introduire  dans  le  catéchisme  et  d'inculquer  aux  nouvelles  générations  les  principes 
proclamés  par  le  synode  arménien-catholique. 

(2)  Sur  les  vingt  et  une  Eglises  orientales  séparées,  huit  (celles  des  Jacobites,  des 
Nestoriens,  des  Malabarites,  des  Coptes,  des  Abyssins,  les  Eglises  d'Antioche,  de 
Jérusalem,  du  Sinaï)  n'admettent  pas  l'intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des 
biens  ecclésiastiques.  Sept  autres  (c'est-à-dire  celles  de  Constant! nople,  d'Alexandrie, 
de  Chypre,  des  Arméniens,  de  Carlowitz,  d'Hermannstadt,  de  Bulgarie)  ont  un  Con- 
seil mixte.  Les  six  dernières  (les  Eglises  de  Russie,  de  Cetinje,  de  l'Hellade,  de  Czer-  , 
nowitz,  de  Serbie  et  de  Roumanie)  ne  peuvent  prendre  aucune  décision  ferme  eo 
matière  de  biens  ecclésiastiques  sans  l'autorisation  du  gouvernement.  A  noter  toute- 
fois que,  pour  les  Eglises  d'Alexandrie  et  de  Bulgarie,  cette  intervention  n'a  pas  lieu 
en  tait,  et  qu'elle  se  réduit  à  l'approbation  des  statuts  synodaux.  Ajoutons  même  que 
les  statuts  de  l'Exarchat  bulgare  applicables  dans  le  royaume  de  Bulgarie,  ne  men- 
tionnent pas  cette  intervention. Voir  Echos  d'Orient,  t.  Xlll  (1910),  p.  352. 

m. 


/intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens  D  EGLISE      20_J 

::?cclésiastiques  ne  peut  être  confiée  à  des  laïques  ou  que  ces  derniers 
l'ont  pas  le  droit  d'émettre  un  avis  consultatif  au  sujet  de  cette  admi- 
listration,  et  qu'en  certains  cas  et  pays  il  ne  serait  pas  préférable  que 
'Eglise  consulte  les  laïques  à  cet  égard. 

11  importe,  en  outre,  de  se  faire  une  idée  exacte  de  la  nature  et  des 
;atégories  des  biens  d'Eglise, 

Un  bien  ecclésiastique  est  celui  dont,  en  principe,  la  propriété, 
'administration  et  le  contrôle  appartiennent  à  l'Eglise  (i).  Il  est  pure- 
nent  ecclésiastique  si,  au  point  de  vue  des  trois  conditions  ci-dessus 
inumérées,  le  bien  est  entièrement  entre  les  mains  du  clergé,  même 
.'il  se  dessaisit,  ad  nutiim,  en  faveur  de  laïques,  de  l'administration  et 
lu  contrôle  partiel.  Le  même  bien  est  au  contraire,  en  fait,  semi-ecclé- 
liastique  ou  mixte  quand  l'Eglise  a  concédé  à  perpétuité  aMX  fondateurs 
>u  patrons  l'administration  et  parfois  le  droit  privilégié  à  un  certain 
x>ntrôle  (2).  On  pourrait  encore  appeler  bien  ecclésiastique  mixte  un 
nen  laïque  individuel  ou  national  dont  le  contrôle  et  l'administration 
t  non  la  propriété  seraient  concédés  à  perpétuité  à  l'Eglise,  ou  dont 
es  propriétaires  seraient  des  ecclésiastiques  et  des  laïques  (3). 

Enfin,  une  erreur  commune  en  Orient  est  que  le  fidèle  et  souvent 
e  clerc  ne  peuvent  se  faire  à  l'idée  que  l'Eglise  et  la  société  civile  ou 
lation  ne  forment  pas  une  seule  et  même  communauté  indivise,  en 
iorte  qu'à  leurs  yeux  bien  ecclésiastique  et  bien  national  sont  choses 
dentiques  (4).  Cette  idée  vient  en  partie  de  la  confusion  séculaire  faite 
m  Orient  entre  les  prérogatives  de  l'Eglise  et  de  la  nation,  de  l'auto- 
ité  religieuse  et  de  l'autorité  civile,  depuis  l'octroi  en  Turquie  des 
^érats  âux  évêques  et  les  règlements  gémraiix  imposés  aux  Eglises  indi- 
gènes en  pays  ottoman,  à  partir  de  1856.  Cette  erreur  ne  disparaîtra 
i  la  longue  que  si  le  clergé  lui-même,  après  s'être  fait  une  idée  nette  de 
a  distinction  fondamentale  qui  existe  entre  la  société  ou  communauté 
:ivile  et  la  société  ou  communauté  religieuse  et  leur  double  autorité, 


(i)  A  l'Ei^Iise  comme  Société  locale  ou  générale,  à  l'Eglise  comme  lieu  saint,  repré- 
enté  juridiquement  par  le  clergé,  selon  les  trois  opinions  plus  ou  moins  probables 
les  canonistes,  touchant  la  propriété  des  biens  d'EIglise. 

(2)  Ce  contrôle  laïque  serait  encore  partiel  et  relatif,  si  l'Eglise  l'accordait  pure- 
n€nt  et  simplement  aux  laïques,  à  la  condition  toutefois  de  ne  pas  en  abuser  et  d'agir 
onformément  aux  canons. 

(3)  Il  n'est  douteux  pour  personne  qu'un  bien  (rosaire,  ornement,  chapelle,  etc.) 
l'est  pas  nécessairement  ecclésiastique  par  le  seul  fait  de  la  béné  iiction  ou  consécration. 

(4)  C'était  l'opinion  erronée  de  Marsile  de  Padoue  à  l'époque  des  démêlés  survenus 
între  Jean  XXII  et  Louis  ae  Bavière.  C'était  également  l'opinion  des  réformés  et  plus 
)u  moins  aussi  celle  des  législateurs  de  la  Révolution  française,  lorsqu'ils  déclarèrent 
lue  les  biens  dont  l'Eglise  avait  abusé,  selon  eux,  devaient  taire  retour  à  la  nation 
Ijui  les  avait  donnés.  (Voir  Vering,  traduction  Belet,  Droit  canon,  t.  II,  p.  527,  n.  2). 


204  ÉCHOS    D  ORIENT 


se  préoccupe  de  la  faire  comprendre  aux  fidèles  par  la  prédication  et 
le  catéchisme. 

Après  ces  quelques  explications  préliminaires,  destinées  à  prévenir 
toute  méprise  relativement  à  la  question  que  nous  abordons  aujour- 
d'hui, nous  allons  interroger  quelques-uns  des  représentants  les  plus 
autorisés  de  l'histoire  ecclésiastique  et  du  droit  canon,  et  les  canons  les 
plus  importants  formulés  par  l'Eglise  au  sujet  de  la  gestion  de  ses  biens. 
De  leurs  réponses  il  nous  sera  aisé  de  conclure  quelle  est  la  pensée  de 
la  tradition  canonique  sur  ce  point  capital  du  droit  ecclésiastique, 
oriental  et  occidental  (i). 

1.  Représentants  de  l'histoire  ecclésiastique,  i.  Thomassin.  —  Cet 
auteur  croit  pouvoir  affirmer  que,  pendant  les  cinq  premiers  siècles, 
«  l'évêque  avait  l'autorité  souveraine  sur  le  temporel,  quoiqu'il  en  dût 
donner  connaissance  à  son  clergé  et  en  rendre  compte  au  concile  de 
la  province  »  (2).  Thomassin  poursuit  :  «  11  y  avait  des  Eglises  où  l'on 
créait  un  économe.  En  d'autres,  tous  les  prêtres  et  les  diacres  prenaient 

connaissance  de  l'administration  du  temporel  (3) Semblable  police 

(avait  lieu)  dans  l'Eglise  latine,  selon  le  pape  saint  Gélase.  »  (4) 

Cette  affirmation,  le  savant  Oratorien  la  répète  pour  la  période  qui  va 
de  l'an  500  à  l'an  800  et  au-delà.  «  En  Orient  comme  en  Occident, 
dit-il,  les  évêques  avaient  (encore  à  cette  date)  la  souveraineté  du 
temporel  de  leur  église,  dont  ils  se  déchargeaient  néanmoins  en  partie 

sur  les  diacres  ou  sur  les  prêtres ,  sur  lesquels  ils  veillaient  et  dont  ils 

recevaient  les  comptes ;  ils  n'étaient  comptables  qu'à  Dieu  seul ^ 

si  ce  n'est  en  quelques  occurrences  extraordinaires,  dont  les  conciles 
provinciaux  prenaient  connaissance.  »  (5) 

La  seule  divergence  que  Thomassin  constate  entre  l'Orient  et  l'Oc- 
cident, au  point  de  vue  de  l'administration  des  biens,  c'est  qu'en  Orient 
à  partir  de45 1 ,  cette  administration  ne  devait  être  confiée  par  les  évêques 
qu'à  des  économes  pris  dans  les  rangs  du  clergé  (6). 


(i)  Il  va  sans  dire  que  l'Eglise  ne  songe  nullement  à  contester  le  droit  des  laïques 
sur  les  deux  dernières  catégories  de  biens  semi-ecclésiastiques,  puisqu'ils  ne  sont 
pas  des  biens  ecclésiastiques  proprement  dits.  Les  réclamations  de  l'Eglise  ne  portent 
donc  que  sur  les  deux  catégories  précédentes. 

(2)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  discipline  de  l'Eglise.  Nouvelle  édition  revue, 
corrigée  et  augmentée,  par  M'"  André,  t.  VI,  p.  Sog. 

(3)  Op.  cit.,  p.  509. 

(4)  Op.  cit.,  p.  509. 

(5)  Op.  cit.,  p.  526. 

(6)  Thomassin  apporte  à  l'appui  de  ce  qu'il  avance  le  témoignage  d'hommes  d'Eglise 
remarquables,  tels  que  :  saint  Basile,  saint  Grégoire  de  Nazianze,  saint  Ambroise, 
saint  Jean  Chrysostome,  saint  Augustin,  Théodoret  de  Cyr,  Palladius,  Gennadius, 
saint  Grégoire  de  Tours,  saint  Isidore  de  Séville.  Op.  cit.,  p.  5i5,  5ii,  519-520,  5n. 


l'intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens  d'église    205 

2.  Hergenrœther.  —  Cet  historien  suppose  comme  évidente  avant  le 
iv«  siècle  et  après  le  ix®,  l'autorité  de  l'Eglise  sur  les  biens  ecclésiastiques. 
Aussi  ne  traite-t-il  la  question  qui  nous  occupe  que  pour  la  période 
qui  va  du  iv«  au  ix«  siècle.  «  L'Eglise  avait  (de  313  a  692)  des  biens 
meubles  etimmeubles  que  l'évêque  administrait  avec  l'aide  desdiacres(i), 
puis  des  économes.  »  «  L'évêque  (de  692  à  900)  conserva  sa  suprême 
autorité  sur  les  biens  de  l'Eglise.  »  (2) 

^.  Ml?»'  DucHESNE.  —  A  propos  des  relations  de  l'Eglise  et  de  l'Etat 
au  IIP  siècle,  le  prélat  écrit  ce  qui  suit  :  «  S'il  arrivait  un  édit  de  persé- 
cution, ils  (les  empereurs)  savaient  où  trouver  l'évêque,  le  faisaient 
arrêter,  mettaient  saisie  sur  les  lieux  du  culte  et  les  biens  de  l'Eglise. 
L'édit  révoqué,  c'est  encore  à  l'évêque  que  l'on  s'adressait  pour  rendre 
les  biens  confisqués.  »  (3)  Ailleurs,  l'historien  parlant  de  l'autorité  de 
l'Eglise  sur  ces  biens  au  iv^  siècle,  écrit  encore  :  «  L'Etat  reconnaissait 
les  évêques  chefs  élus  des  communautés  comme  les  administrateurs  de 
leur  temporel  et  leurs  directeurs  religieux.  »  (4)  «  Comme  autrefois 
encore,  l'évêque,  avec  son  personnel,  administrait  la  fortune  ecclésias- 
tique   Non  seulement  dans  le  culte,  mais  encore  dans  l'administra- 
tion temporelle,  le  clergé  est  seul  à  compter.  »  (3) 

Pour  les  cinq  premiers  siècles  de  l'antiquité  chrétienne,  à  laquelle 
se  bornent  les  trois  volumes  parus  de  \' Histoire  ancienne  de  l'Eglise, 
Mp''  Duchesne  est  donc  entièrement  de  l'avis  de  Thomassin  et  d'Hergen- 
rœther. 

4,  M.  A.  VoGT.  —  Dans  son  étude  sur  Basile  /«"",  empereur  de  By^ance 
(86y-886)  et  la  civilisation  byzantine  à  la  fin  du  ix«  siècle,  M.  Vogt  con- 
state que  l'économe  de  la  Grande  Eglise,  à  cette  époque,  était  nommé 
par  l'empereur,  mais  n'était  pas  pris  parmi  les  laïques,  et  que  cette 
nomination  par  l'empereur  ne  dura  pas  :  «  L'économe  de  la  Grande 
Eglise  était  un  des  grands  dignitaires  dont  la  nomination  était  réservée 
à  l'empereur Souvent  (6)  elle  était  donnée  à  quelque  haut  fonction 


5i8,  5i4,  519,  514,  523,  525.  Plus  loin  (op.  cit.,  t.  VU,  p.  504  et  547),  il  s'exprime  ainsi  : 
«  Les  évêques  (d'Occident  et  d'Orient)  avaient  encore  la  dispensation  universelle  du 

bien  de  l'Eglise  au  xi"  siècle.  Le  droit  des  décrétales,  survenu  après ,  a  beaucoup 

diminué  (en   Occident)  le  pouvoir   des  évêques Zonare  dit  qu'  (Isaac  Comnène} 

rendit  au  patriarche  la  liberté  de  créer  lui-même  le  grand  économe  de  son  Eglise,  car 
les  empereurs  précédents  avaient  usurpé  ce  droit.  » 
(i)  Hergenrœther,  Histoire  de  l'Eglise,  trad.  franc,,  t.  II,  p.  448. 

(2)  Op.  cit.,  t.  m,  p.  3oS. 

(3)  Duchesne,  Histoire  ancienne  de  l'Eglise,  t.  I",  p.  387. 

(4)  Op.  cit.,  t.  II,  p.  658. 

(5)  Op.  cit.,  t.  m,  p.  21  (fin  du  iv"  et  durée  du  v"  siècle). 

(6)  Le  mot  souvent  est,  selon  nous,  exagéré. 


2o6  ÉCHOS    d'orient 


naire  qu'on  avait  obligé à  entrer  au  couvent,  et  qu'on  récompensait 

de  cette  façon Ce  ne  fut  que  plus  tard,  sous  les  Comnènes,  que  l'em- 
pereur donna  (i)  au  patriarche  le  droit  de  nommer  l'économe.  »  (2) 

5.  Msf  Louis  Petit.  —  Dans  l'introduction  aux  Règlements  généraux 
de  V Eglise  orthodoxe  de  Turquie  (5),  W"^  L.  Petit,  racontant  la  lutte 
acharnée  engagée  entre  les  laïques  et  les  représentants  du  gérontisme  (4), 
ne  manque  pas  de  signaler  à  ce  propos  qu'en  prétendant  vouloir  inter- 
venir dans  les  affaires  ecclésiastiques,  les  laïques  commettaient  une 
innovation  :  «  Les  laïques  n'étaient  pas  moins  jaloux  de  s'immiscer 
dans  les  affaires  ecclésiastiques,  placées  jusque-là  en  dehors  de  leur 
contrôle.  » 

6.  R.  P.  S.  Vailhé.  —  Dans  son  article  sur  l'Eglise  de  Constantin 
nople,  publié  dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catholique  de  MM.  Vacant- 
Mangenot,  le  R.  P.  Vailhé  ne  signale  pas  de  modification  essentielle 
à  la  loi  canonique  concernant  l'économe  de  la  Grande  Eglise  avant  le 
xvup  siècle  :  «  Le  premier  essai  que  l'histoire  ait  enregistré  de  l'immix- 
tion directe  des  laïques  dans  le  gouvernement  de  l'Eglise  œcuménique 
remonte  au  patriarche  Samuel  (1763- 1768),  qui  confia  à  quatre  notables 
l'administration  des  revenus  de  la  nation.  Cette  Commission  d'épitropes 
ne  semble  pas  avoir  donné  de  grands  résultats.  Un  nouvel  essai  fut 
tenté  en  1847  par  le  gouvernement  turc,  qui  voulut  adjoindre  au  saint 
synode  trois  membres  laïques;' il  dut  reculer  devant  la  résistance  éner- 
gique des  synodiques.  Enfin,  dès  1856  s'engageait  une  lutte  violente 
«ntre  l'élément  ecclésiastique  et  l'élément  laïque  de  la  nation  grecque, 
lutte  qui  se  termina  le  27  février  1862  par  l'organisation  du  Conseil 
mixte.  »  (5) 

Plus  haut,  le  R.  P.  Vailhé  fait  observer  que  le  synode  se  montra  assez 
longtemps  rebelle  aux  règlements  généraux,  auxquels  le  gouvernement 
voulait  soumettre  la  communauté  orthodoxe  non  seulement  en  matière 
financière,  mais  encore  en  matière  disciplinaire  :  «  Comme  le  synode 
se  montrait  rebelle  et  cherchait  par  son  inaction  à  éviter  une  loi  qu'il 

qualifiait  de  révolutionnaire,  le  grand  vizir  l'invita  à  s'exécuter Cette 

ingérence  directe  du  pouvoir  fut  le  signal  de  violentes  protestations 


(i)  Le  terme  rendit  répondrait  mieux  à  la  vérité  historique. 

(2)  A.  VoGT,  Basile  I",  empereur  de  Byz^ance  (867-886).  Paris,  1908,  p.  267-268. 

(3)  Revue  de  l'Orient  chrétien,  t.  III  (1898),  p.  4o3. 

{4)  Coutume  qui  consistait  en  ce  que,  depuis  1741,  le  nouveau  patriarche  de  Constan- 
tinople  ne  pouvait  obtenir  la  sanction  du  gouvernement  ottoman  à  moins  de  présenter 
un  certificat  de  bonne  conduite  signé  des  cinq  métropolites  (yépovrsç)  d'Héraclée,  de 
Cyzique,  de  Nicomédie,  de  Nicée,  de  Chalcédoine  {op.  cit.,  ibid.). 

(5)  Op.  cit.,  col.  1471-1472. 


l'intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens  d  EGLISE    207 

au  sein  de  la  communauté  grecque ;  bon  gré  mal  gré  il  fallut  pour- 
tant s'exécuter.  »  (i) 

II.  Les  représentants  du  droit  canon,  i.  Mg'"  Milasch  (2).  —  Le  docte 
canoniste  orthodoxe  avoue  que  les  lois  canoniques  anciennes  ne  font 
pas  mention  de  la  participation  des  laïques  à  la  gestion  des  biens  ecclé- 
siastiques :  «  Toutefois,  ajoute-t-il,  dès  les  temps  apostoliques,  des 
hommes  pieux  et  zélés  (vspovre-;)  (3)  reçurent  de  l'autorité  ecclésiastique 
la  charge  de  distribuer  les  aumônes  et  de  l'informer  des  nécessités 

matérielles  de  la  communauté Ce  fait  explique  l'origine  des  épitro- 

pies  paroissiales.  Après  la  chute  de  l'empire  byzantin,  les  laïques 
reçurent  la  mission  d'aider  la  hiérarchie,  et  leur  intervention  prit  alors 
■de  plus  amples  proportions.  »  (4) 

La  pensée  du  docte  canoniste  est  transparente.  Il  n'admet  sûrement 
pas  que  les  biens  d'Eglise  soient  appelés  biens  de  la  nation,  entendue 
au  sens  de  communauté  civile,  ni  que  les  laïques,  relativement  à  ces 
biens,  soient  propriétaires  ou  même  simplement  administrateurs  indé- 
pendants de  l'autorité  ecclésiastique  (5). 

A  son  avis,  la  propriété  et  l'administration  de  ces  biens  appartiennent 
à  chaque  Eglise  locale  (6). 

Tel  est  le  jugement  de  l'évêque  dalmate  touchant  le  droit  des  laïques 
à  gérer  les  biens  ecclésiastiques  d'après  la  tradition.  Quant  à  la  part 
considérable  et  parfois  prépondérante  qui  leur  est  accordée  en  fait 
comme  un  droit  dans  le  plus  grand  nombre  des  Eglises  orientales,  il  la 
condamne  absolument,  au  moins  telle  qu'elle  se  pratique  à  Constanti- 
nople,  à  Carlowitz,  à  Hermannstadt  et  en  Bulgarie  (7),  «  Les  Conseils 
mixtes  de  ces  Eglises,  dit  le  docte  auteur,  ne  sont  pas  conformes  aux 

règles  canoniques et  bien  que  le  Conseil  mixte  de  Constantinople 

ne  puisse  être  regardé  comme  le  modèle  que  les  Conseils  mixtes  des 
Eglises  mentionnées  se  seraient  contentées  de  reproduire....,  cepen- 


(i)  Op.  cit.,  col.  1468» 

(2)  Ancien  Evêque  orthodoxe  de  Zara,  en  Dalmatie. 

(3)  Comparer  ce  terme  avec  ceux  de  Spoudœi  et  de  Philopones,  et  voir  au  sujet  de 
■ces  derniers  les  articles  du  R.  P.  S.  Pètridès,  dans  les  Echos  d'Orient,  t.  IV,  1901, 
p.  225-23 1,  et  t.  VII,  1934,  p.  341-348.  Voir  aussi  un  article  du  R.  P.  Vailhé,  qui  com- 
^îlète  les  précédents,  dans  Echos  d'Orient,  t.  XIV,  1911,  p.  277-278. 

(4>  M.il.>lS,ch,  Dus  Kirchenrecht  der  Morgenlœndischen  Kirche,  traduction  allemande 
du  docteur  A.  Pessic,  p.  226-227. 

(5)  Op.  cit.,  p.  520. 

{6)  Op.  cit.,  p.  521. 

(7)  En  fait,^  le  Conseil  mixte  de  l'Eglise  bulgare  prévu  par  l'article  8  du  règlement 
■de  1870  ne  s'est  plus  réuni  depuis  1878.  «  En  l'absence  du  Conseil  (mixte),  les  fonctions 
•en  sont  assumées  directement  par  l'Exarque.  »  Voir  Van  den  Steen  de  Jehay,  Situation 
dégale  des  sujets  ottomans  non  musulmans.  Bruxelles,  1906,  p.  164.  Pour  la  question 
de  droit,  voir  plus  haut,  p.  i,  note  2. 


208  ÉCHOS    d'orient 


dant  (même  tels  qu'ils  existent  dans  ces  Eglises),  ils  sont  opposés  ai 
fondements  mêmes  du  droit  ecclésiastique  oriental.  »  (i) 

D'autres  canonistes  orthodoxes,  tels  que  Sakellaropoulos  et  Apos- 
TOLOS  Christodoulou,  professent  une  doctrine  analogue.  A  leurs  yeux, 
les  droits  de  fait  reconnus  aux  laïques  relativement  à  l'administration 
des  biens  d'Eglise  n'est  qu'une  concession  forcée  arrachée  à  l'Eglise. 

2.  M.  Sakellaropoulos  croit  que  les  biens   ecclésiastiques  sont  la 
propriété  des  lieux  saints,  mais  que   leurs   représentants  canoniques 
sont,   «  sous  l'autorité  de  l'évêque,   les  économes   et  les    épitropies 
locales  »  (2).  Après  la  période  apostolique,  c'est  aux  évêques  qu'appar- 
tenait d'abord  l'administration  immédiate  des  biens  d'Eglise  (3).  Plus, 
tard,  malgré  l'institution  des  économes,  l'autorité  et  le  droit  de  con- 
trôle   supérieurs    furent    reconnus    comme    «    une    prérogative    de 
l'évêque  »  (4).  «  En  Grèce,  écrit  en  terminant  l'éminent  canoniste, 
l'administration  ecclésiastique  est  toute  différente  de  l'administration 
traditionnelle.  Nous  ne  voyons  nulle  part  dans  (la  tradition  et)  les  docu- 
ments anciens  que  les  laïques  prissent  part  à  la  gestion  des  biens  ecclé- 
siastiques. La  modification  (profonde)  que  le  droit  canon  a  subie  sur  ce 
point  provient,  à  mon  avis,  des  relations  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  qui, 
réellement,  a  dépassé  les  limites  de  son  droit,  en  évinçant  presque  com- 
plètement l'Eglise  de  l'administration  des  biens  »  dont  nous  parlons  (5). 
Cette  observation  «  s'applique  également  au  patriarcat  de  Constanti- 
nople,  avec  cette  différence,  que  les  Conseils  ecclésiastiques  sont  soumis 
à  la  surveillance  de  l'évêque  »  (6). 

3.  Mg''  Christodoulou  (7)  n'hésite  pas  non  plus  à  reconnaître  que, 
«  d'après  la  tradition  primitive,  les  revenus  de  l'Eglise  appartiennent 
à  l'évêque  »  (8).  11  ajoute  que,  dans  la  suite,  les  revenus  provenant  des 


(1)  Op.  cit.,  p.  347-348. 

(2)  Sakellaropoulos,  'Ey.xXr,ffiaaTtxov  St'xatov.  Athènes,  1898,  p.  SSj. 

(3)  Op.  cit.,  p.  369-372.  Aujourd'hui,  d'après  la  récente  loi  de  191 1,  les  Conseils 
ecclésiastiques  locaux  se  composent  (en  Grèce)  du  maire,  du  'Curé,  et  de  deux,  trois 
ou  quatre  notables  nommés  par  la  commune.  Op.  cit.,  p.  372.  La  loi  nouvelle  statue 
que  l'épitropie  sera  élue  par  les  paroissiens  et  que  la  gestion  financière  sera  tous 
les  ans  soumise  au  contrôle  d'une  commission  nommée  également  par  la  paroisse. 
No'iT  Roma  e  l'Oriente  25  janvier  1912,  p.  197-198. 

(4)  Op.  cit.,  p.  372. 

(5)  Op.  cit.,  p.  372, 

(6)  Sans  doute.  «  Toutefois,  dit  le  R.  P.  Vailhé,  il  n'existe  pas  pour  (les)  assemblée 

provinciales  de  règlement  uniforme Chaque  métropole  doit  s'en  tenir  aux  tradition 

locales.  »  Op.  cit.,  col.  1473.  D'ailleurs,  en  serait-il  ainsi  et  les  Conseils  ecclésiastique 
seraient-ils  partout  uniformément  soumis  à  la  surveillance  de  l'évêque,  qu  il  impôt 
tarait  de  se  souvenir  de  la  dépendance  étroite  de  celui-ci  à  l'égard  du  Conseil  mixte 
de  Constantinople.  Op.  cit.,  col.  1472-1473. 

(7)  Métropolite  de  Serrés. 

(8)  Aox{[Aiov  lxjt>>r|(rta(7T(xoC  Stxatoù.  Constantinople,  1896,  p.  477. 


,' INTERVENTION  DES  LAÏQUES  DANS  LA  GESTION  DES  BIENS  d'ÉGLISE      209 

)iens  ecclésiastiques  furent  divisés  en  trois  ou  quatre  parts,  mais  il  ne 
uppose  même  pas  que  l'on  puisse  douter  du  droit  de  l'Eglise  concernant 
a  gestion  de  ces  biens. 

4.  Les  CANONisTES  RUSSES.  —  L'opinion  traditionnelle  de  Milasch, 
>ake.llaropoulos,  Christodoulou  est  partagée  par  les.  canonistes  russes 
>troumov,  Berdnikov,  etc.  Malheureusement,  en  Russie,  le  laïcisme 
)rotestant  compte  un  certain  nombre  de  partisans  (i). 

5.  Les  CANONISTES  CATHOLIQUES.  —  Parmi  les  canonistes  catholiques 
lont  les  idées  traditionnelles  sont  connues,  nous  ne  citerons  que 
vlgr  TiLLOY  (2)  et  Vering  (3),  qui  exposent  d'une  manière  claire  et  simple 
a  question  de  la  gestion  des  biens  d'Eglise  et  celle  des  Fabriques  (4) 
)réposées  à  l'administration  des  biens  d'Eglise. 

«  Par  le  mot  Fabrique,  dit  M^''  Tili.oy,  on  entend  deux  choses  :  1°  le 
:orps  des  administrateurs  chargés  de  régir  les  biens  et  les  revenus  d'une 
îglise,  succursale,  cure,  cathédrale  ou  chapelle  vicariale;  a»  les  biens  et 
es  revenus  de  cette  église. 

11  est  difficile  de  fixer  l'époque  précise  à  laquelle  les  Fabriques  ont  pris 
jne  forme   régulière.  Dans  les  premiers  siècles,  l'évêque  administrait 

îeul  les  biens  qui  étaient  offerts  par  la  piété  des  fidèles L'évêque 

iyant  ensuite  permis  de  fonder  de  nouvelles  églises  dans  la  ville  épis- 
;opale  et  dans  les  campagnes,  il  demeura  toujours  le  maître  de  ce  qui 
j'y  offrait,  parce  que  ces  nouvelles  paroisses  étant  comme  d.^s  démem- 
brements de  sa  cathédrale,  il  y  conservait  les  mêmes  droits  que  dans 
:elle-ci.  L'archidiacre,  l'archiprêtre,  et  même  le  curé  (5) avaient  quelque- 
fois, sous  l'inspection  de  l'évêque,  l'intendance  de  la  Fabrique.  Les 
Constitutions  du  vi^  siècle  nous  offrent  plusieurs  exemples  de  ces 
livers  genres  d'administration.  Au  vif  siècle,  les  conciles  (6)  donnent 


(i)  Cf.  A.  Palmieri.  O.  s.  A.,  La  Chiesa  russa.  Florence,  1908,  p.  2o3-3ii. 

(2)  A.  TiLLOY,  Manuel  théorique  et  pratique  du  droit  canonique.  Paris,  1897,  t.  II, 
207-209. 

(3)  Vering,  DroîV  canon,  traduction  Belet,  t.  II,  p.  543-544.  Le  Dictionnaire  de  droit 
ànon  de  M''  André  fait  un  exposé  analogue  à  celui  de  Vering  et  de  Tilloy.  Il  con- 
ient  en  appendice  les  diverses  décisions  de  l'autorité  civile  française,  relatives  aux 
'abriques,  de  1809  à  1893  exclusivement.  Le  manuel  de  Tilloy  contient  aussi  ces 
[ocuments,  mais  jusqu'en  1893  inclusivement.  VAmi  du  Clergé  (t.  XV,  1893,  p.  309,  sq.> 
ésume  d'une  manière  complète  l'histoire  contemporaine  des  Fabriques,  et  apprécie 
u  point  de  vue  canonique  les  lois  et  décrets  que  les  divers  gouvernements  français 
>nt  édictés  à  leur  sujet.  D'autres  auteurs  sérieux,"  qui  se  sont  occupés  de  la  question 
le  l'intervention  laïque  en  semblable  matière,  sont  unanimes  dans  leur  appréciation. 

(4)  Que  l'Orient  ecclésiastique  appelle  Conseils  ecclésiastiques.  Conseils  mixtes, 
pitropies  paroissiales,  etc. 

(5)  En  Occident.  En  Orient,  les  biens  d'Eglise,  depuis  le  concile  de  Chalcédoine  jus- 
[u'au  patriarche  Samuel,  furent  toujours  confiés  à  des  économes,  qui  furent  presque 
DUS  des  ecclésiastiques.  Voir  Thom.\ssin,  op.  cit.,  t.  VI,  p.  547. 

(6)  Occidentaux. 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  .14 


2IO  ECHOS    D  ORIENT 


des  économes  aux  églises.  La  gestion  des  économes  était  Soumise  aux 
ordres  et  à  la  surveillance  du  premier  pasteur.  Plus  tard,  les  évêques  (i) 
se  déchargèrent  de  cette  administration  générale  des  biens  ecclésias- 
tiques, et  les  conciles  la  firent  passer  dans  la  dépendance  du  clergé, 
de  l'archidiacre  et  de  l'économe,  mais  toujours  sous  le  contrôle  de 
révêque.  Les  monuments  de  l'histoire  ecclésiastique  concourent  à  éta- 
blir que,  pendant  les  quatorze  premiers  siècles,  les  biens  de  l'Eglise  ont 
été  entre  les  mains  des  ecclésiastiques,  qui  les  administraient  exclusi- 
vement. A  la  vérité,  dès  le  xii«  et  le  xiiF  siècle,  il  est  question  des 
matriculaires  ou  marguilliers,  mais  ce  n'étaient  encore  que  des  servi- 
teurs d'église  qui  servaient  d'aides  aux  curés  dans  l'administration  des 
revenus  paroissiaux. 

En  général,  les  conciles  (2)  du  xv«  siècle  permettent  de  confier  la 
gestion  des  biens  d'Eglise  à  des  laïques,  mais  ils  y  mettent  pour  con- 
dition que  ce  ne  sera  pas  sans  le  consentement  de  l'évêque,  et  que  ces 
laïques  lui  rendront  compte,  ainsi  qu'à  l'archidiacre,  lorsque  celui-ci 
fera  sa  visite 

Les  canons  exigent  de  plus  que  l'administration  des  biens  de  l'Eglise 
ne  soit  pas  confiée  à  des  laïques  seuls,  mais  que  le  curé  ait  la  part 

principale  dans  l'administration On  ne  trouve,    dans  l'antiquité, 

aucun  vestige  d'une  administration  confiée  à  des  laïques  au  nom  de  la 
puissance  séculière.  Cet  abus  ne  se  produisit  en  France  que  quand  le 
pouvoir  fit  invasion  en  cette  matière,  comme  en  tant  d'autres,  sur  la 
juridiction  de  l'Eglise. 

Ainsi  le  décret  de  1809,  sur  l'organisation  des  Fabriques  en  France, 
est  un  empiétement  manifeste sur  le  domaine  ecclésiastique. 

Depuis  dix  ans,  le  pouvoir  civil  a  commis  de  nouveaux  empié- 
tements sur  l'administration  des  Fabriques.  La  loi  municipale  de  1884 
a  dépouillé  celles-ci  à  peu  près  complètement  de  leur  droit  de  recours 
à  la  commune.  Plus  récemment,  une  loi  de  finances  (3)  les  a  soumises 
aux  règles  de  la  comptabilité  des  établissements  publics,  et  un  décret  du 
27  mars  1 893  détermine  les  conditions  d'application  de  cette  mesure»  (4). 

Vering  s'explique  comme  il  suit  sur  la  même  question  de  l'adminis- 


(i)  D'Occident. 

(2)  D'Occident.  , 

(3)  Fin  1892. 

.  (4)  Qp.  cit.,  pages  indiquées.  Dépouillée  du  traitement  qui  était  l'acquittement  d'ui; 
dette  contractée  à  son  égard,  dépouillée  également  de  la  propriété   des  édifices  re' 
gieux  et  autres,  et  même  souvent  de  leur  simple  usage,  l'Eglise  de  France  peut, 
vertu  du  droit  commun  individuel,  acquérir  et  administrer  par  elle-même   ou 
intermédiaires  choisis  par  elle,  le  denier  du  culte  et  d'autres  biens  dus  à  la  char 
des  fidèles. 


l'intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens  D  EGLISE      21  t 

tration  des  biens  ecclésiastiques  et  des  Fabriques  :  «  Dans  les  premiers 
temps  de  l'Eglise,  les  apôtres  faisaient  administrer  les  biens  ecclésias- 
tiques par  des  diacres.  Depuis  le  iii^  siècle,  les  évêques  (i)  en  con- 
fièrent le  soin  à  des  économes  particuliers.  Perfdant  toute  la  durée  des 
dix  premiers  siècles,  les  biens  de  chaque  diocèse  demeurèrent  concentrés» 
dans  les  mains  de  l'évêque.  (2) 

Quand  les  clercs  cessèrent  de  vivre  en  commun,  depuis  le  xii^  siècle 
surtout,  on  commença  d'assigner  à  chaque  église  particulière  une  por- 
tion distincte  des  revenus  de  l'Eglise,  consistant  en  biens  fonds  et 
autres  ressources 

Dans  la  suite  (3),  l'administration  des  Fabriques  fut  confiée,  dans  les 
églises  cathédrales  et  collégiales,  au  Chapitre;  dans  les  églises  des  reli- 
gieux et  des  confréries,  à  la  confrérie;  dans  les  églises  paroissiales,  au 
curé  ou  au  bénéficier,  quel  qu'il  fût  (4). 

Les  actes  de  fondation  peuvent  également  établir  des  droits  d'inspec- 
tion plus  ou  moins  étendus,  par  exemple  en  faveur  du  patron. 

11  se  peut  aussi  que  les  paroissiens  exercent  un  droit  de  surveillance, 
et  qu'ils  aient  voix  délibérative  dans  l'administration  de  la  Fabrique, 
soit  parce  que  la  commune  a  doté  l'église,  soit  en  vertu  de  la  coutume, 
soit  parce  qu'ils  sont  obligés  de  subvenir  à  l'impuissance  de  l'église  (5). 
Ainsi  on  adjoint  ordinairement  au  curé  un  certain  nombre  de  membres 

de  la  paroisse  qui  se  nomme  Conseil  paroissial ,  fabriciens.  Ils  sont 

tantôt  nommés  par  !a  commune,  tantôt  établis  par  le  curé Quelque- 
fois aussi  les  concordats  ou  les  lois  du  pays  (6),  accordent  au  gouver- 
nement un  droit  de  co-inspection.  »  (7) 


(i)  Surtout  en  Orient. 

(2)  Qui  les  divisait  en  trois,  et  le  plus  souvent  en  quatre  parts  :  la  quarta  episcopi, 
a  quarta  cleri,  la  quarta  fabricœ  (pour  l'entretiea  des  édifices  du  cuite),  la  quarta 
ffouperum. 

(3)  Après  le  concile  de  Trente. 

(4)  En  principe,  les  laïques  devaient  être  exclus. 

{b)  Dans  les  trois  cas  signalés,  Vering  suppose  que  le  consentement  explicite  ou 
mplicite  de  l'Eglise  est  requis. 

(6)  Ces  lois  sont  abusives,  si  elles  sont  promulguées  malgré  la  volonté  de  l'Eglise. 
j  Dans  les  pays  de  concordats,  l'Eglise,  forcée  par  les  circonstances,  a  concédé  à  l'Ittat 
an  certain  droit  sur  l'acquisition  et  l'administration  de  ses  biens.  Ailleurs,  ou  elle  est 
presque  complètement  libre,  comme  en  Angleterre  et  aux  Etats-Unis,  ou  elle  subit 
plus  ou  moins  un  régime  d'exception,  comme  en  France,  au  Brésil,  au  Mexique,  à 
'Equateur,  en  Suisse  et  en  plusieurs  pays  d'Allemagne.  En  Russie  et  en  Portugal,  ce 
légime  d'exception  confine  à  la  tyrannie.  Dans  les  pays  balkaniques  et  en  Grèce,  elle  est 
joumise  au  contrôle  de  l'Etat,  mais  elle  a  la  personnalité  juridique  et  jouit  d'un  •  liberté 
lelative  pour  l'administration  de  ses  biens.  En  Turquie,  grâce  aux  bérats  ou  aux 
\apitulations,  elle  possède  et  administre  librement  ces  mêmes  biens.  En  tout  cas.  à  l'ex- 
eption  des  Arméniens  catholiques,  les  simples  fidèles  ne  revendiquent  nulle  part  le 

roit  de  participer  à  la  gestion  des  biens  d'Eglise. 

(7)  Op.  cit.,  page  signalée  plus  haut.  Bèwérdge,  dans  son  SynodikQn,  t.  II,  p.  i23  sq. 


2  12  ÉCHOS    D  ORIENT 


III.  Les  canons  des  apôtres  et  des  conciles  particuliers  ou  généraux.  — 
L'accord  des  historiens  et  des  canonistes  compétents  que  nous  avons 
cités  concernant  l'intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens 
d'Eglise  s'explique  en  grande  partie  par  l'existence  de  documents  con- 
tenant une  législation  canonique  formelle  à  cet  égard.  Les  canons  les 
plus  importants  sont  ceux  des  apôtres,  des  conciles  particuliers  d'An- 
tioche,  de  Gangres,  de  Carthage,  les  conciles  généraux  de  Chalcédoine 
et  le  deuxième  de  Nicée(i).  Nous  les  transcrivons  ici  sans  commentaire 
et  tels  que  les  donne  Héfélé. 

/.  Canon  des  apôtres.  Canon  ^9.  —  «  Omnium  negotiorum  curam  epp. 
copus  habeat  et  ea  velut  Deo  contemplante  dispenset;  nec  liceat  ei  ex  bis  ali- 
quid  omnino  contingere  aut  parentihus  propriis  qucc  Dei  sunt,  condonare. 
Quod  si  pauperes  sunt,  tamquam  pauperibus  subministret,  nec  eorum  occa- 
sione  Ecclesiœ  ne^otia  deprœdetur.  »  (2) 

Canon  40.  —  «  Presbyteri  et  diaconi  prœter  episcopum  nihil  agere  per- 
tentent,  nam  Domini  populus  ipsi  commissus  est  et  pro  animabus  eorum  hic 
redditurus  est  rationem.  »  (3) 

Canon  41.  —  <<  Prœcipimus,  ut  in  potestate  sua  episcopus  Ecclesiœ  res 
habeat.  Si  enim  animce  hominum  pretiosce  illi  crédit  ce  sunt,  multo  magis 
oportet  eum  curam  pecuniarum  gerere,  ita  ut  potestate  ej'us  indigentibus 
omnia  dispensentur  per  presbyteros  et  diaconos,  et  cum  timoré  omnique  solli- 
citudine  ministrentur.  »  (4) 

2.  Concile  d'Antioche  (341).  Canon  24.  —  «  Les  biens  de  l'Eglise 
doivent  être  administrés  avec  vigilance  et  conscience,  sans  oublier  que 
Dieu  voit  et  juge  tout.  On  doit  les  administrer  sous  la  surveillance  et 
l'autorité  de  l'évêque,  à  qui  sont  confiés  les  intérêts  de  tout  le  peuple 
et  ceux  des  âmes  des  fidèles.  Les  prêtres  et  les  diacres  qui  entourent 
l'évêque  doivent  savoir  exactement  ce  qui  appartient  à  l'Eglise;  on  ne 
leur  doit  rien  cacher  sur  ce  point,  car,  l'évêque  venant  à  mourir,  ils 
pourront  de  cette  manière  connaître  le  véritable  état  des  choses.  Rien 
ne  sera  perdu,  et  la  fortune  de  Tévêque  ne  sera  pas  non  plus  entamée, 
sous  prétexte  qu'une  partie  de  cette  fortune  est  à  l'Eglise »  (3) 

Canon  2^:  —  «  L'évêque  peut  disposer  des  biens  de  l'Eglise,  il  peut 
les  employer  avec  discernement  et  crainte  de  Dieu  pour  les  diverses 


re^_ 

i 


et  Van  Espen,  dans  son  Comment,  in  canones  et  décréta  veteris  juris,  sont  de  l'avis 
des  canonistes  cités  par  nous, 
(i)  Année  787. 

(2)  Histoire  des  conciles,  par  Héfélé,  trad.  Goschler-Delarc,  Paris,  1869,  t-  I",  p.  629. 

(3)  Op.  cit.,  t.  I",  p.  63o. 

(4)  Op.  cit.,  t.  I",  p.  63i. 

(5)  Op,  cit.,  t.  I",  p.  5,2. 


l'intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens  d  église    213 

dépenses  qu'il  a  à  faire.  Il  ne  prendra  pour  lui,  s'il  en  a  besoin,  que 
ce  qui  est  nécessaire  pour  son  entretien  et  pour  celui  des  frères  qui 

reçoivent  l'hospitalité  chez  lui;  il  aura  soin  que  rien  ne  leur  manque 

Quant  à  celui  qui  ne  se  contente  pas  de  cette  part ,  celui-là  devra 

rendre  compte  de  l'emploi  de  ces  revenus  devant  le  synode  des  évêques 
de  l'éparchie  (province) (En  ce  cas),  le  synode  sera  tenu  de  pro- 
céder à  une  enquête  sur  ce  qui  s'est  passé  et  à  décider  ce  qu'il  sera 
convenable  de  faire.  »  (i) 

3.  Concile  de  Gangres  (vers  350).  Canon  7.  —  «  Si  quelqu'un  veut 
garder  pour  lui  les  fruits  offerts  à  l'Eglise,  ou  bien  s'il  veut  les  donner 
sans  l'assentiment  de  l'évêque  ou  de  son  fondé  de  pouvoir,  en  dehors 
de  l'Eglise  (c'est-à-dire  à  ceux  qui  ne  sont  pas  employés  au  service  de 
l'Eglise),  et  s'il  veut  agir  sans  son  consentement  (sans  celui  de  l'évêque), 
qu'il  soit  anathème,  »  (2) 

Canon  8.  —  «  Si  quelqu'un  donne  ou  prend  pour  lui,  sans  l'assen- 
timent de  l'évêque  ou  de  celui  qui  est  chargé  de  l'administration  des 
dons  provenant  de  la  libéralité,  une  semblable  oblation  de  fruits,  celui 
qui  donne  ou  celui  qui  reçoit  seront  également  frappés  d'anathème.  »(3) 

4.  Concile  de  Carthage  {41S).  Canon  41 .  —  «  Le  prêtre  ne  peut  aliéner 
les  biens  d'Eglise  sans  le  consentement  de  l'évêque.  »  (4) 

5.  Concile  de  Chalcédoine  (451).  Canon  26.  —  «  Comme  nous  avons 
appris  que,  dans  quelques  Eglises,  les  évêques  administrent  sans  aucun 
économe  les  biens  ecclésiastiques,  le  synode  a  décidé  que  toute  Eglise 
qui  a  un  évêque  eût  aussi  un  économe  pris  dans  le  clergé  de  cette 
Eglise,  lequel  aura  à  administrer  les  biens  de  l'Eglise  après  que  son 
évêque  l'en  aura  chargé;  afin  que  l'administration  de  l'Eglise  ne  soit  pas 
sans  contrôle,  et  par  là  même  afin  que  les  biens  ecclésiastiques  ne 
soient  pas  dissipés  et  que  la  dignité  des  clercs  soit  à  l'abri  de  toute 
atteinte.  »  (3) 

6.  Deuxième  Concile  de  Nicée  (787).  Canon  11.  —  «  Conformément 
aux  anciennes  ordonnances,  il  doit  y  avoir  un  économe  dans  chaque 
Eglise.  Si  un  métropolitain  n'observe  pas  cette  règle,  le  patriarche  de 
Constantinople  pourra  établir  lui-même  (6)  un  économe  pour  l'Eglise 
de  ce  métropolitain.  Le  métropolitain  a  le  même   droit  vis-à-vis  des 


(i)  Op.  cit.,  t.  I",  p.  5i2-5i3. 

(2)  Op.  cit.,  t.  II,  p.  175. 

(3)  Op.  cit.,  t.  II,  p.  175. 

(4)  ScHAGUNA,  Compendium  des  Kanonischen  Rechtes,  traduit  du  roumain  par  Senk. 
Hermannstadt,  1868,  p.  337. 

(5)  HÉFÉLÉ,  op.  cit.,  t.  IV,  p.  12a. 

(6)  En  Orient. 


214  ÉCHOS   D  ORIENT 


évêques.  La  même  ordonnance  devra  être  observée  vis-à-vis  des  cou-^ 
vents.  »  (i) 

*  * 

Deux  conclusions  se  dégagent  des  lignes  qui  précèdent.  La  principj 
est  que,  selon  les  historiens,  les  canonistes  compétents  et  les  légi 
lateurs  ecclésiastiques,  les  laïques  ne  sont  pas  autorisés  à  revendiqi 
comme  un  droit  leur  intervention  dans  la  gestion  des  biens  d'Eglise" 
proprement  dits,  c'est-à-dire  des  biens  donnés  à  l'Eglise  au  point  de 
vue  de  la  propriété.  Cette  intervention,  très  utile  en  beaucoup  de  cas, 
peut  être  consultative  et  nullement  délibérative,  à  moins  de  concession 
consentie  par  l'Eglise.  Par  suite,  les  laïques  sont  ou  étaient  dans  leur 
tort  lorsqu'ils  réclamaient  ou  réclament  un  droit  inexistant  sur  les  biens 
ecclésiastiques. 

Une  autre  conclusion  s'impose.  C'est  que,  lorsque  les  circonstances 
ne  forcent  pas  l'Eglise  catholique  à  subir  les  exigences  abusives  des 
laïques,  particuliers  ou  gouvernants,  elle  ne  peut  pas  accepter  leurs 
prétentions;  et,  si  le  malheur  des  temps  l'oblige  à  céder,  elle  le  fait  en 
réservant  son  droit,  qu'elle  reprend  aussitôt  que  les  circonstances  se 
modifient. 

La  même  conclusion  s'applique  aux  Eglises  séparées.  Officiellement, 
dks  reconnaissent  leurs  droits  traditionnels  sur  les  biens  ecclésiastiques, 
mais,  en  fait,  plus  de  la  moitié  d'entre  elles  se  sont  résignées  trop  faci- 
lement, selon  nous,  à  subir  l'immixtion  des  laïques  en  matière  bénéficiale. 

A.  Catoire. 

Constantinople. 


'(i)  HÉFÉLÉ,  op.  cit.,  t.  IV,  p.  375. 


LA  VIE  ET  LES  ŒUVRES 

D'EUTHYME   ZIGABÉNE 


Comme  beaucoup  d'autres  noms,  les  Euthymes  abondent  dans 
l'histoire  de  l'Eglise  byzantine.  On  en  compte  au  moins  sept  ayant  vécu 
entre  le  x^  et  le  xii«  siècle.  C'est  d'abord  Euthyme  1er,  patriarche  de  Con- 
stantinople  de  907  à  912;  puis  Euthyme,  évêque  de  Madyta,  au  x^  siècle, 
honoré  comme  saint;  un  métropolite  d'Ephèse  et  un  patriarche  de 
Jérusalem,  au  xp siècle;  Euthyme  Tornikès,  abbé  du  couvent  des  Ibères, 
mort  en  1028;  Euthyme  Zigabène  ou  Zigadène  (i),  contemporain 
d'Alexis  Comnène  (1081-1118);  Euthyme  Malakès,  métropolite  de 
Nouvelle-Patras,  qui  vivait  sur  la  fin  du  xn«  siècle.  G.  Ficker  en  a 
récemment  trouvé  un  autre,  un  moine  du  couvent  de  la  Pèribleptos, 
à  Constantinople,  né  en  Phrygie,  dans  le  diocèse  d'Acmonia,  sur  la 
fin  du  xe  siècle  ou  au  commencement  du  xi"  (2).  Ce  moine  écrivit  plusieurs 
traités  contre  l'hérésie  naissante  des  Bogomiles,  qu'il  appelle  aussi 
Phoundagiagites.  L'un  de  ces  traités,  composé  sous  forme  de  lettre, 
\  été  édité  par  Ficker  (3).  D'après  les  données  historiques  qu'il  ren- 
ferme, on  peut  le  dater  du  milieu  du  xp  siècle. 

Avant  la  publication  de  Ficker,  on  connaissait  de  ce  document  quelques 
îxtraits  tirés  du  Cod.  Vatic.  grcec.  840,  et  comme  on  savait  par  ailleurs 
qu'Euthyme  Zigabène  avait  bataillé  contre  les  Bogomiles,  on  lui  avait 
:out  naturellement  attribué  cette  Invective,  qui  portait  le  titre  suivant  : 
î)u6up.îou  jxovayoû  toG  à-rcô  ttIç  ae^ao-jAiai;  (Jiovfii;  t^ç  n£pi.,3X£7rroi»  (TuyYpaip-Ài 
rTY,ÀsuTurj  Triç  tôjv  àOiwv  xal  ào-ej^wv  alpsTLxwv  twv  Xeyoïxévcjv  <I>ouvSa- 
fia-rôiv  alpé(T£(o<;  (4),  C'est  seulement  sur  ce  titre  qu'est  basée  l'opinion 
:ourante,  qui  fait  de  Zigabène  un  moine  du  couvent  de  la  Pèribleptos {^). 


(i)  Les  manuscrits  portent  plus  souvent  ZtYa8r,v(5î  ou  ZuyaSrivoi;  que  Ztyajîvivdi:. 

(2)  G.  Ficker,  Die  Phoundagiagiten,  ein  Beitrag  ^ur  Ketaiergeschichte  des  byf^ari' 
inischen  Mittelalters.  Leipzig,  1908.  Voir  ma  recensioa  de  cet  ouvrage  dans  les  Echos 
"Orient,  t.  XII  (1909),  p.  257-263. 

(3)  Ibid.,  p.  1-86. 

(4)  P.  G.,  t.  CXXXL  coL  47.  Le  titre  donné  par  le  Cod.  Vindob.  theol.  grœc.  Soj 
iffére  un  peu  de  celui  du  Cod.  Vatic.  :  'ETtioToXïj  'Eù9u|jifou  [iova/oO  ttji;  TrsptpXéitTou 
ovfji;,  o-TaXeiffa  inh  KwvoxavTivouTrdXeu);  xr^z  &lpr\\Lévrii  [lov^ji;  Trpbî  Tr|V  aùtoû  îtarpiSa,  <rxr\ki- 
îijo-jffa  xà;  aipéasi;  twv  àôewTdtTojv  xal  «(Ts^wv  «Xavûiv  twv  ts  <&ouv6aYtaiftT(3v  rjxoi  ^oyo- 
iltav  xal  MaadaXtavôiv  XsYojt^vwv,  etc.  Ficker,  p.  3. 

(5)  Ficker,  p.  189. 


2l6  ÉCHOS    d'orient 


Or,  Ficker  a  montré  par  de  très  bonnes  raisons  qu'il  est  impossible 
d'identifier  le  moine  de  la  Péribleptos,  auteur  de  Vînvective  contre  les 
Phounâagiates  ou  Phoundagiagites,  avec  le  Zigabène  qui  travaillait  sous 
Alexis  Comnène.  Ce  dernier,  sans  doute,  était  moine  lui  aussi,  mais  les 
en-têtes  des  manuscrits  qui  contiennent  ses  œuvres  authentiques  ne 
disent  point,  autant  que  j'ai  pu  m'en  rendre  compte,  qu'il  appartenait 
au  couvent  de  la  Péribleptos,  et  ils  portent  habituellement  le  nom  de 
Zigabène  accolé  à  celui  de  «  moine  Euthyme  ». 

Ce  n'est  pas  là,  du  reste,  la  seule  indication  qui  empêche  d'identifier 
nos  deux  Euthymes,  Le  moine  de  la  Péribleptos  vint  un  jour  à  Acmonia 
avec  sa  mère,  sous  le  règne  des  empereurs  Basile  II  et  Constantin  IX 
(976-1025).  Il  est  tout  à  fait  invraisemblable  que  le  même  ait  pu  être 
invité  par  l'empereur  Alexis  Comnène,  vers  11 10,  ou  tout  au  moins 
après  1092  (1),  à  composer  une  Panoplie  dogmatique  contre  toutes  les 
hérésies.  Le  moine  aurait  été  bien  vieux  pour  une  telle  besogne,  et  il  y 
a  tout  à  parier  qu'il  était  déjà  mort  (2).  Si  l'on  veut  bien,  d'ailleurs, 
com'pdixe.v -Vînvective  contre  les  Phoundagiagites  avec  V Exposé  de  l'hérésie 
des  Bogomiles,  qui  constitue  le  titre  XXVII  de  la.  Panoplie  dogmatique  de 
Zigabène,  on  remarquera,  à  côté  de  très  nombreuses  ressemblances, 
des  divergences  de  détails  telles  que  les  deux  écrits  peuvent  difficilement 
venir  de  la  même  plume.  Ainsi  une  interprétation  du  texte  de  l'Evangile 
de  saint  Matthieu  (vi,  6):  Tu  autem  cum  oraveris,  intra  in  cubiculum 
tuum,  donnée  comme  orthodoxe  par  le  moine  de  la  Péribleptos,  est  mise 
par  Zigabène  sur  le  compte  des  hérétiques. 

Euthyme  Zigabène  n'est  donc  point  l'auteur  de  l'Invective  contre  les 
Phoundagiagites  ou  Bogomiles,  mais  il  est  fort  probable  qu'il  a  connu 
cette  pièce.  Le  début  du  titre  XXVII  de  la  Panoplie  semble  l'insinuer: 
«  L'hérésie  des  Bogomiles,  dit  Zigabène,  a  pris  naissance  peu  de  temps 
avant  notre  génération.  C'est  un  rameau  de  la  secte  massalienne.  »  {}) 
La  Lettre  du  moine  de  la  Péribleptos  nous  renseigne  précisément  sur  les 
origines  du  bogomilisme.  Celui-ci  a  d'abord  paru  en  Phrygie,  le  pays 
classique  des  hérésies  bizarres,  au  commencement  du  xp  siècle.  Son 
fondateur  a  été  un  certain  Jean  Tzourillas.  Ses  adeptes  ont  reçu  le  nom 
de  Phoundagiagites  dans  le  thème  d'Opsikion  (nord-ouest  de  l'Asie 
Mineure),  et  celui  de  Bogomiles  dans  le  thème  des  Kibyrrhaiotes  (sud- 


(i)  C'est-à-dire  après  le  couronnement  de  Jean  Comnène.  On  le  sait  par  les  accl»« 
mations  d'un  concile  tenu  contre  les  Bogomiles,  dont  il  est  parlé  plus  loin. 

(2)  Ce  moine  aurait  eu,  au  minimum,  quatre-vingt-dix  ans. 

(3)  H  Twv  BoyofAÎXwv  ai'pgdt;  où  Ttpb  TtoXXoû  (TUviaTYi  xriç  xa9'r||i.àç  -^z-izÔLti,  [iépo;  oyixa  fiiî 
Twv  MaffdaXtavwv.  P.  G.,  t.  CXXX,  col.  1289  D.  ' 


LA   VIE    ET   LES   ŒUVRES   D  EUTHYME   ZIGABÈNE  217 

)uest  de  l'Asie  Mineure),  en  Occident  (presqu'île  balkanique)  et  en 
i'autres  lieux  (i). 

Un  autre  indice  que  Zigabène  a  eu  entre  les  mains  l'écrit  de  son 
lomonyme  de  la  Péribleptos  se  tire  de  la  Réfutation  de  l'hérésie  des  Massa- 
iens  et  des  Phuundaïtes  ou  Bogomiles  :  sAsyyoi;  xal  BpîajAjSoç  vr^ç  [^ AaTcpr]  ii.o'j 
:al  7T:o)vU£t.ôoù;  alosTcW?  twv  àOicov  MaTTa)aavwv  xal  twv  <ï>ouvôaiTcôv  xal 
ioyojJL'lXtov  xaXoufJiévwv  xal  Eùy^aôiv  xal  'EvOoua-tacrTtôv  xal  'EyxpaTTjTwv  xal 
lapxitovwTwv  (2).  Ce  document  est  étroitement  apparenté  à  l'Invective 
outre  les  Phoundagiagites  (}).  11  comprend  un  prologue,  quatorze  anathé- 
natismes  et  df;s  acclamations  aux  empereurs  et  au  patriarche  œcumé- 
îique.  C'est  dire  qu'il  s'agit  des  actes  d'un  concile  tenu  à  Constan- 
inople  contre  les  Bogomiles  sous  Alexis  et  Jean  Comnène,  après  qu'on 
:ut  découvert  l'existence  de  la  secte  et  que  son  chef,  le  médecin  Basile, 
tut  été  condamné  aux  flammes.  A  ce  concile,  Zigabène  dut  certaine- 
nent  assister,  et  il  y  a  grande  probabilité  à  ce  qu'il  ait  rédigé  les  anathé- 
natismes,  que  l'assemblée  fit  siens.  Aussi  les  lui  a-t-on  attribués  (4).  Si 
;ela  est,  Zigabène  a  connu  et  utilisé  l'œuvre  du  moine  de  la  Péribleptos. 

Mais  Zigabène  lui-même  n'était-il  pas  moine  de  ce  couvent  de  la  Péri- 
>leptos,  que  l'empereur  romain  Argyre  (1028-10,4)  fonda  (ou  restaura?) 
lans  le  quartier  de  Psammathia.^  Comme  nous  l'avons  déjà  dit,  on  n'en 
ait  rien.  Les  seuls  renseignements  biographiques  qu'on  possède  sur 
;on  compte  sont  fournis  par  Anne  Comnène,  qui  nous  le  présente 
;omme  un  moine  lettré,  très  versé  dans  la  grammaire,  la  rhétorique  et 
a  théologie  (5).  En  faveur  auprès  de  l'aïeule  d'Anne  Comnène,  il  se  vit 
;onfier  par  l'empereur  Alexis  Comnène  (1081-1118)  le  soin  de  com- 
)0ser  un  ouvrage  contre  toutes  les  hérésies.  Ce  fut  la  Panoplie  dogma- 
ique,  Tzy.-'/OTz) loL  ooyjji.aTuri  (6). 


(i)  FicKER,  p.  62,  ligne  11. 

(2)  Cette  pièce,  publiée  par  Jacques  Tollius,  Insignia  itinerarii  italici.  Utrecht,  1696, 
I.  io6-i25,  est  reproduite  dans  Migne,  P.  G.,  loc.  cit.,  col.  40-48.  Des  additions  inté- 
essantes,  se  rapportant  à  la  manière  de  recevoir  dans  l'Eglise  les  Bogomiles  convertis, 
nt  été  publiées  par  Thalloczy  en  traduction  allemande,  d'après  le  Cod.  theolog.  grœc. 
Yindob.  3o6,  Beitrœge  :{ur  Kenntnis  der  Bogomilenlehre,  dans  Vissenschaflliche 
\4itteilungen  aus  Bosnien  und  der  HerT^egovina.  Vienne,  iSgS.  Ficker,  p.  172-175, 
jonne  le  texte  grec  de  ces  additions. 

(3)  Ficker,  p.  190. 

(4)  Remarquons  que  cette  attribution  n'est  fondée  que  sur  une  probabilité. 

(5)  rpa(i[iaTi-/tïii;  8à  et;  axpov  à),r)Xax6ra  xal  pirjToptxï);  oùx  à|xe).éTY|Tov  ovta,  xal  tô  S^yt^* 
î  oùx  a/lo;  Tiç  âm(TT3([j.îvov.  Annce  Comnenœ  Alexiadis,  1.  XV.  P.  G.,  t.  CXXXI, 
ol.  1176  B  C. 

(6)  L'édition  princeps  du  texte  original  parut  à  Tergovist  en  1710,  par  les  soins  du 
iéromoine  Métrophane  Grégoras.  Migne  la  reproduit,  P.  G.,  t.  CXXX,  avec  la  tra- 
uction  latine  de  François  Zinus,  publiée  à  Venise,  i555.  Bien  que  retouchée  par  les 
diteurs  de  la  patrologie,  cette  traduction  laisse  encore  bien  à  désirer.  J'ai  remarqué 


2l8  ÉCHOS    D  ORIENT 


Zigabène  fut  aidé  dans  son  travail  par  Jean  Fournès  (i).  Il  divisa  son 
ouvrage  en  vingt-huit  titres  ou  chapitres,  tW^oi,  de  longueur  fort  iné- 
gale. Un  prologue  contient  l'éloge  d'Alexis  Comnène  et  nous  fait  con- 
naître l'occasion,  le  but  et  le  caractère  de  cette  Panoplie,  qui  doit  fournir 
les  meilleures  armes  forgées  par  les  saints  Pères  contre  toutes  les 
hérésies.  Jusqu'au  titre  XXlll,  ce  n'est  qu'une  enfilade  de  textes  patris- 
tiques  empruntés  à  saint  Athanase,  aux  trois  Cappadociens,  à  saint  Jean 
Chrysostome,'  à  saint  Cyrille  d'Alexandrie,  au  pseudo-Denys,  aux  deux 
Léonces  de  Byzance  et  de  Chypre,  à  saint  Maxime  le  Confesseur,  à  Anas- 
tase  le  Sinaïte  et  à  saint  Jean  Damascène.  Les  anténicéens  et  les  latins 
sont  ignorés.  Après  avoir  dit  un  mot,  dans  le  prologue,  de  l'athéisme 
d'Epicure  et  du  polythéisme  grec,  peut-être  pour  rappeler  à-  Michel 
Psellos  et  à  son  école  que  tout  n'est  pas  à  admirer  dans  les  anciens 
philosophes,  l'auteur  fait  exposer  par  les  Pères  les  dogmes  de  l'unité 
divine,  de  la  trinité  des  personnes,  de  la  création  et  de  l'IncarnatioR 
(titres  1-Vll).  11  dresse  ensuite  ses  batteries  contre  les  Juifs,  Simon  le 
Magicien,  les  manichéens  et  les  gnostiques,  Sabellius,  Arius  et  Euno- 
mius,  Macédonius  et  les  pneumatomaques,  les  latins  (2),  Apollinaire, 
Nestorius,  Eutychès,  et.  les  monophysites,  les  aphthartodocètes,  les 
théopaskhites,  les  agnoètes,  les  origénistes,  les  monothélites,  les  ico- 
noclastes. 

A  partir  du  titre  XXIII,  Zigabène  s'occupe  des  hérésies  contempo- 
raines, et  son  œuvre  devient  plus  personnelle  et  plus  intéressante- 
Les  citations  directes  des  Pères  sont  plus  rares;  il  expose  et  réfute 
lui-même  les  erreurs  qu'il  combat.  Ses  arguments  n'ont  d'ailleurs  rien 
de  bien  original  et  ne  sont  généralement  que  des  réminiscences  d'au- 
teurs plus  anciens.  Dans  le  titre  XXllI,  consacré  aux  Arméniens,  il 
reproche  à  ceux-ci,  entre  autres  choses,  l'usage  du  pain  azyme  dans  la 
célébration  de  la  messe.  A  ce  propos,  il  fait  des  déclarations  d'une 
largeur  de  vue  surprenante  chez  un  Byzantin  sur  la  liberté  qu'a 
l'Eglise  de  modifier  ses  rites  et  ses  usages  : 

Accordons  que  le  Christ  se  soit  servi  de  pain  azyme,  à  cause  de  la 

nécessité  de  la  circonstance ,  c'est  un  fait  que  ses  disciples  et  les  saints 

Pères,  qui  leur  ont  succédé  dans  le  gouvernement  des  Eglises,  ont  employé 


que  le  mot  grec  «  iieTaXT)'{<tç  »,  qui  signifie  «  la  communion  »,  est  rendu  constamment    j 
par  transmutatio  dominici  corporis.  \ 

(i)  Allatius,  De  Ecclesiœ  Occid.  et  Orient,  perpétua  consensione,  1.  II,  ex.  i 

(2)  Les  latins  sont  attaqués  dans  le  titre  XIH,  qui  se  compose  uniquement  d'un  petit 
traité  contre  la  procession  du  Saint-Esprit  a  Filio,  attribué  à  Photius.  Le  texte  en  est 
imprimé  dans  P.  G.,  t.  Cil,  col.  391-400.  Cf.  Hergenbœther,  Photii  patriarchœ  liber   | 
de  Spiritus  sancti  mystagogia.  Ratisbonne,  1857,  p.  xx-xxii,  ii3-i20. 


I 


LA    VIE    ET    LES   ŒUVRES    D  EUTHYME   ZIGABÈNE  219 

;  pain  fermenté  (tôv  àpxov)  dans  le  Sacrifice.  C'est  pourquoi  nous  aussi, 
leur  exemple,  nous  offrons  du  fermenté.  Il  est  bien  d'autres  points 
ir  lesquels  la  tradition  du  Christ  a  été  modifiée  par  les  apôtres  et  leurs 
jccesseurs,  et  en  cela  ils  ne  se  sont  pas  opposés  au  Christ,  loin  de  là. 
lais  après  que  l'Eglise  se  fût  développée,  ils  ont  accru,  eux  aussi,  en  toute 
berté  la  pompe  des   mystères  divins  pour  la  plus  grande  gloire  du 

hrist Les  circonstances  demandent  souvent  des  innovations  dont 

but  n'est  pas  de  détruire  les  coutumes  anciennes,  mais  plutôt  de  les 
méliorer.  L'Eglise,  en  effet,  n'est  pas  liée  par  son  passé,  et  garde  tou- 
)urs  sa  liberté.  Les  apôtres  et  leurs  successeurs,  les  vrais  pasteurs  et 
acteurs  orthodoxes  des  Eglises  ont,  sous  l'inspiration  et  les  lumières  de 
Esprit  de  Dieu,  modifié  certains  rites  ou  en  ont  développé  d'autres,  le 
mt  pour  la  plus  grande  utilité  [des  fidèles]  (i). 

Ces  belles  déclarations,  du  reste,  contrastent  singulièrement  avec 
îtroitesse  d'esprit  de  notre  théologien  dans  cette  question  des  azymes. 
3ur  lui,  l'azyme  est  quelque  chose  de  tout  à  fait  judaïque  (2).  Si,  con- 
airement  à  certains  polémistes  antilatins,  il  affirme  catégoriquement 
je  Notre-Seigneur  a   mangé   la  pâque  légale  le  Jeudi-Saint  et  qu'il 

employé  pour  ce  repas  du  pain  azyme,  selon  les  prescriptions 
losaïques,  il  a  soin  d'ajouter  que,  pour  l'institution  de  l'Eucharistie, 

Christ  prit  du  pain  fermenté  qu'il  avait  fait  lui-même  préparer  ou 
je  le  maître  de  la  maison  tenait  pour  lui  en  réserve.  Du  pain  fermenté 
1  pouvait  encore  en  avoir  dans  les  maisons,  parce  que,  d'après 
Jthyme,  Jésus  anticipa  d'un  jour  le  festin  pascal  (3).  11  y  aurait  une 
lusion  à  cette  anticipation  dans  les  mots  de  Notre-Seigneur  :  J'ai  eu 
i  grand  désir  de  manger  cette  pâque  avec  vous  avant  ma  Passion. 
gabène  traduit:  «J'ai  fait  toute  la  diligence  possible  pour  manger, 
tte  année,  la  pâque  avec  vous,  et  je  n'ai  point  attendu  le  temps  légal, 
in  que  ma  mort  sur  la  croix  ne  m'empêchât  point  de  célébrer  et  la 
ne  légale  et  la  mystique.  »  (4) 

Disons  à  ce  propos  qu'il  existe  un  petit  traité  encore  inédit  de  notre 
iteur  sur  le  jour  où  Jésus-Christ  mangea  la  pâque  avec  ses  disciples  (5). 
:  Les  titres  XXIV  et  XXV  de  la  Panoplie  sont  dirigés  contre  les  Pauli- 
îns.  Photius,  saint  Jean  Damascène  et  les  trois  Cappadociens  en  font 


i|  P.  G.,  t.  CXXX,  coL  1179-1181. 

2)  'loviSatxov  Se  TidcvTox;  tô  àîij(i.ov.  Ibid.,  coL  1 180  C. 

3)  Ibid,,  col.  1181  C  D.  Cf.  Comment,  in  Matth.  P.  G.,  t.  CXXIX,  col.  65i-66o. 

4)  P'  G.,  t.  CXXIX,  col.  657  D. 

5)  Cet  opuscule  se  trouve  dans  le  Vatic.  grcec.  36i,  fol.  123-124,  du  x\'  siècle, 
apit  :  ô(}/îaç  Yevo(i£vr,î.  Cf.  Stevenson,  Codices  manuscripti  palatini  grceci  biblioth. 
t.  Rome,  i885,  p.  212. 


220  ÉCHOS    D  ORIENT 


presque  tous  les  frais.  Le  titre  XXVI  attaque  les  Massaliens  et  le  titre  XXVll 
les  Bogomiles.  Ce  dernier  traité  est  de  tous  le  plus  important,  parce 
qu'il  nous  renseigne  sur  une  secte  contemporaine  de  l'auteur.  Le  texte 
de  la  Tatrologie  grecque  de  Migne  doit  être  confronté  avec  celui  qu'a 
publié  G.  Ficker  d'après  le  Cod.  grœc.  3  de  la  bibliothèque  de  l'Uni- 
versité d'Utrecht  (i).  Il  existe,  en  effet,  entre  les  deux,  des  différences 
notables.  L'introduction  est  totalement  différente;  la  disposition  des 
matières  n'est  pas  la  même.  La  courte  réfutation  que  l'on  trouve  dans 
la  Patrologie,  après  l'exposé  de  chacun  des  points  de  la  doctrine  bogo- 
milienne,  est  omise  dans  le  manuscrit  d'Utrecht.  Sathanaël,  le  dieu  des 
Bogomiles,  y  est  constamment  appelé  Samaël. 

Le  titre  XXVIII,  le  dernier  de  l'ouvrage,  s'occupe  des  Sarrasins 
«  appelés  Ismaélites  »,  c'est-à-dire  des  musulmans.  Zigabène  y  réfute 
brièvement  mais  vigoureusement  la  doctrine  de  Mahomet.  Pour  montrer 
qu'en  Dieu  il  y  a  trois  personnes,  il  recourt  à  l'argument  que  saint 
Athanase  et  d'autres  Pères  produisaient  contre  les  ariens  :  Dieu  n'a 
jamais  pu  exister  sans  son  Verbe  (sans  sa  parole)  et  sans  son  Esprit 
(son  souffle),  car  il  est  parfait  (2). 


Euthyme  Zigabène  est  surtout  célèbre  par  ses  travaux  exégétiques. 
On  a  d'abord  de  lui  un  Commentaire  sur  les  Psaumes,  dont  le  texte  ori- 
ginal fut  publié  par  Antoine  Bongiovanni  à  Venise,  en  1763  (3).  L'exé- 
gèse de  Zigabène  est  rarement  personnelle.  Elle  est  presque  entièrement 
empruntée  aux  anciens  et  mêle  à  peu  près  à  égale  dose  l'interprétation 
littérale  et  l'allégorie.  Ses  principales  sources  sont  :  Origène,  Athanase, 
Basile,  Jean  Chrysostome,  Cyrille  d'Alexandrie,  Hesychius  de  Jérusalem. 
Cette  œuvre,  d'ailleurs,  n'est  pas  sans  mérite.  Au  lieu  de  citer  purement 
et  simplement  les  textes  patristiques  selon  la  méthode  suivie  dans  la 
Panoplie  dogmatique,  l'auteur  résume  ses  sources  avec  intelligence,  et 
son  choix  des  interprétations  est  généralement  heureux. 

Le  Commentaire  des  quatre  Evangiles  (4),  composé  avant  le  Commen- 
taire des  Psaumes,  est  encore  une  compilation  d'exégèse  patristique.  ; 
Pour  expliquer  l'Evangile  de  saint  Matthieu,  l'auteur  avait  à  sa  dispo- 


(i)  Ficker,  p.  89-1  ii. 

(2)  '0  0£Oî  TÉXscoç  wv,  oùx  àloY<$;  èo-Ti.  P.  G.,  t.  CXXX,  col.  iSS;  B.; 

(3)  Inter  opéra  Theophylacti,  t.  IV.  Reproduit  par  Migne,  P.  G.,  t.  CXXVIII,  avec 
la  traduction  latine  de  Saule,  évêque  de  Brugnato,  parue  à  Vérone  en  i53o. 

(4)  Edité  par  Matthaei  à  Leipzig,  en  1792,  avec  la  traduction  latine  de  Jean  Hente- 
nius.  Louvain,  1644.  Reproduit  par  Migne,  t.  CXXIX.  Le  Grec  Th.  Pharmakidès  fit 
paraître  une  édition  de  ce  commentaire  à  Athènes,  en  1842. 


LA    VIE    ET    LES    ŒUVRES    D  EUTHYME   ZIGABENE  22  1 

lition  les  belles  homélies  de  saint  Jean  Chrysostome,  Aussi  y  a-t-il  puisé 
argement.  Le  Commentaire  de  saint  Marc  est  très  court;  ce  n'est  guère 
lu'une  suite  de  renvois  au  Commentaire  de  saint  Matthieu.  Saint  Luc  est 
in  peu  mieux  traité,  et  renferme  quelques  interprétations  nouvelles, 
^ant  au  Commentaire  de  saint  Jean,  Chrysostome  en  fait  encore  les 
)rincipaux  frais. 

Ces  commentaires  évangéliques  ont  toujours  été  très  appréciés  des 
îxégètes.  Richard  Simon  en  fait  de  grands  éloges  : 

Il  y  a  peu  de  commentateurs  grecs,  dit-il,  qui  aient  interprété  le  texte 
les  Evangiles  avec  autant  d'exactitude  et  de  jugement  que  l'auteur  qu'on 
lomme  ordinairement  Euthymius  grœcus.  Il  recherche  avec  beaucoup 
le  soin  le  sens  littéral  et  la  signification  propre  des  mots.  ...  Euthymius 
:st  plus  exact  et  plus  judicieux  que  Théophylacte.  Il  s'éloigne  moins  du 
:exte  des  Evangiles,  et  il  ajoute  de  plus,  de  temps  en  temps,  des  remarques 
rritiques  (i). 

J'ai  eu  la  curiosité  de  rechercher  l'interprétation  que  donne  ce  Byzantin, 
jui  a  écrit,  une  soixantaine  d'années  après  Michel  Cérulaire,  des  textes 
■elatifs  à  la  primauté  de  saint  Pierre,  et  j'ai  constaté  que,  tout  hostile 
}u'\\  fût  aux  latins,  comme  on  le  voit  par  ses  attaques  contre  le  Filioque 
ît  l'usage  de  l'azyme,  Euthyme  a  reconnu  les  privilèges  du  Prince  des 
ipôtres.  II  atténue  sans  doute  la  portée  de  certaines  explications  de 
jaint  Jean  Chrysostome,  par  exemple  à  propos  du  Tu  es  Petrus  (2), 
nais  il  ne  paraît  pas  qu'il  y  ait  eu  là  dessein  prémédité.  Commentant 
e  Pasce  oves  meas,  il  dit,  à  la  suite  de  la  Bouche  d'or,  que  Pierre  était 
e  coryphée  des  disciples  ;  que,  s'il  n'a  pas  reçu  le  siège  de  Jérusalem, 
Tialgré  sa  primauté,  c'est  parce  que  Jésus-Christ  l'a  établi  docteur  de 
'univers  et  lui  a  confié  le  gouvernement  de  ses  frères  (3).  Ses  frères, 
:e  sont  les  autres  apôtres  ou  ceux  qui  devaient  croire  par  leur  minis- 
ère  (4).  Pierre  est  appelé  le  premier,  irptÔTo;,  non  pas  seulement  parce 
\\i"\\  était  plus  âgé  qu'André,  mais  aussi  parce  qu'il  l'emportait  sur  les 
lutres,  à  cause  de  la  fermeté  de  sa  foi  (5).  Les  disciples  savaient  que 
^ierre,  sur  la  terre,  avait  reçu  une  dignité  supérieure  à  la  leur;  ils  le 
:onstataient  par  ce  qu'ils  voyaient,  mais  ils  voulaient  savoir  s'il  en  serait 


(i)  Histoire  critique  des  principaux  commentateurs  du  Nouveau  Testament.  Rotter- 
lam,  1693,  p.  409  sq. 

(2)  P.  G.,  t.  CXXIX,  coL  465-468. 

(3)  Tf^;  oty.ou^.£vTii;  èx£tooTovr,9r)  8t5i<Ty.aXo ;...;.  tT|V   TrpoffTaffiav  âTTKTTeOôri  twv  àSsXçôJv. 
bid.,  coL  1496  C,  i5oo  À  B. 

(4)  Ibid.,  col.  108 1  A. 

(5)  Ibid.,  324  A.  IIpâSTov  5à  tov  IléTpov  elucv,  oO  (j,(5v&v  w;  TrpeffPuxepov  'Av5péoy  toû  à5eX?ov 
•jToO,  àXXà  xal  w;  TtàvTwv  SiaçopwTepov  àul  <TTa6epdTir|Tt. 


222  ECHOS    D  ORIENT 


ainsi  au  ciel  (i).  Après  la  Résurrection,  les  disciples  n'ajoutèrent  pas 
foi  à  ceux  qui  avaient  vu  Jésus,  mais  ils  acceptèrent  le  témoignage  de 
Pierre,  parce  qu'il  était  le  chef  de  tous  (2). 

De  nos  jours,  les  théologiens  des  Eglises  autocéphalès  rejettent  com- 
munément la  primauté  de  Pierre.  L'exégèse  de  Zigabène  ne  peut  que 
les  choquer.  C'est  une  preuve  que  l'Orient  n'est  pas  si  immuable  qu'on 
le  dit,  même  quand  il  s'agit  de  théologie. 

En  1887,  le  Grec  Nicéphore  Kaloghéras  a  édité  un  autre  commentaire 
d'Euthyme  sur  les  quatorze  épîtres  de  saint  Paul  (3).  11  n'y  a  rien  à  en 
dire,  sinon  qu'il  ressemble  aux  commentaires  précédents.  L'auteur  se 
montre  toujours  un  pillard  intelligent  de  saint  Jean  Chrysostome  et  des 
autres  Pères.  11  ajoute  de  temps  en  temps  une  explication  personnelle  (4). 


Dans  un  grand  nombre  de  manuscrits,  dont  plusieurs  remontent  au 
xii^  siècle  (5),  le  Commentaire  des  Psaumes  est  suivi  du  Commentaire  des 
dix  cantiques  de  l'office  byzantin.  Ce  morceau  est  encore  inédit.  Son 
authenticité  ne  fait  pas  de  doute. 

Se  fondant  sur  les  titres  donnés  par  certains  catalogues  de  manuscrits, 
Ehrhardt  attribue  à  Zigabène  des  opuscules  de  controverse  contre  les 
Latins  et  les  Arméniens  (6).  Je  n'ai  trouvé  nulle  trace  d'écrits  dirigés 
contre  les  Arméniens,  en  dehors  du  titre  XXIII  de  la  Panoplie  et  du  petit 
traité  inédit  sur  la  pâque,  dont  il  a  été  parlé  plus  haut.  Contre  les  Latins, 
Euthyme  n'a,  en  réalité,  rien  écrit  de  son  propre  fonds.  Toute  sa  polé- 
mique contre  le  Filioque  a  consisté  à  insérer  au  titre  Xlll  de  la  Panoplet 
une  série  de  douze  ou  de  treize  arguments  attribués  à  Photius.  II  ne 
faut  pas  se  laisser  tromper  par  les  titres  de  certains  manuscrits  dans 
le  genre  de  ceux-ci  :  De  sancti  Spiriius  processione  adversiis  Halos 
capita  XII Ç']);  Euôujxîou  ^ovayou  toCÎ  Z'.vajBriVoCi  x£coàAai.a  16'  si;;  tÔ  ex  [aovou 


(i)  Ibid.,  col.  496-497. 

(2)  Ibid..  col.  848  C. 

(3)  Le  titre  de  l'édition  de  Kaloghéras  est  celui-ci  :  Ey6u[Aioy  toû  ZtYapT,vou  £pfir,vit« 
.£tî  Tac  to'  èTiKTToXâç  TOÛ  àTTOo-TOAou  IlaûXou  xûcl  EÎ;  Ta;  Ç'  xaôoXreâç,  2  voU  in-8°.  Athènes,  1887- 

(4)  Le  titre  du  manuscrit  publié  par  Kaloghéras  indique  bien  le  caractère  du  commen- 
taire :  Ep[j,y)V£ta  Tôiv  âirtaToXwv  toG  (XEyàXoy  àTroaioXo-j  IlayXou  çiXoTtdvo);  âpavta-ôsïff» 
(X'xXiaTa  [i£v  àrco  t-îjç  ^•rl^^r^<Isu)l;  xoC  âv  àyioiz  Trarpoç  TjfAôiv  'Iwivvou  toîJ  Xpua-ocrréfAoy,  eti 
0£  xal  àuo  Staçdpwv  aX).wv  uaTÉpwv,  ffyvEtffEVEyxdvxoç  Tivà  xal  Toy  TauTriv  àpavto-apLévou  to»- 
Ztyaprivoy  EyGyjxtoy  (Jiovaxoy. 

(5)  Par  exemple,  le  cod.  142  du  fonds  grec  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris; 
le  Coisl.  104. 

(6)  Dans  Krumbacher,  Geschichte  der  by^antinischen  Litteratur.  Munich,  1897,  p. 84 

(7)  Cod.  1372  du  fonds  grec  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris,  fol.  58  V-60' 
(xv*  s.).  Cf.  cod.  2782  A,  du  même  fonds  (xvi*  s.). 


LA    VIE    ET    LES    ŒUVRES    D  EUTHYME    ZIGABÈNE  22^ 

OJ  naTsô^  èxT.ozvJz'jfiy.r.  to  nv£'j[xa  (i);  OU  encore:  Ej^jiviou  toÙ  Zt-va- 
ly.voO  x7-à  AaT'lvwv  (2).  J'ai  constaté  que,  sous  ces  dénominations,  se 
achait  toujours  l'opuscule  photien,  dont  l'incipit  est:  E-.  aTcT^oûv  ;jièv  'zb 

Ehrhardt  parle  aussi  d'homélies  sur  la  Vierge  et  les  saints,  qui  auraient 
>our  auteur  notre  Euthyme  et  qui  sont  toutes  inédites,  sauf  le  panégy- 
ique  de  saint  Hiérothée,  le  prétendu  maître  du  pseudo-Denys  l'Aréo- 
lagite  (3).  Cet  éloge  de  saint  Hiérothée,  qui  est  un  brillant  morceau  de 
hétorique,  Kaloghéras  l'a  tiré  d'un  manuscrit  du  couvent  athonite  du 
lographos  datant  du  xviii«  siècle,  et  il  l'a  publié  dans  le  premier  volume 
le  son  édition  du  Commentaire  des  Epitres  pauliniennes  (4).  Son  authen- 
icité  ne  me  semble  pas  parfaitement  établie.  Les  plus  anciens  manuscrits 
[ui  le  contiennent  ne  remontent  pas  au  delà  du  xvF  siècle,  et  portent 
2  titre  suivant  :  EjOua'loj  l'h'j.yj.'jxo'j  ooxjXo'j  'Ir,5-o'j  XpwToû  èyx(0|ji.t.ov  sU 
ov  ayiov  xal  -av£voo;ov  aTTÔa-TOAOv  toij  Xq'.tto'j  'kpôOsov  (5).  L'absence 
iu  nom  de  «  Zigabène  »  me  paraît  inquiétante.  Aussi,  jusqu'à  plus 
mple  information,  je  n'oserai  affirmer  qu'il  appartient  sûrement  à 
lotre  Euthyme. 

On  trouve  sous  le  nom  du  «  moine  Euthyme  »  un  éloge  de  l'apôtre 
"homas  dans  le  cod.  384  de  la  bibliothèque  synodale  de  Moscou,  qui 
emonte  au  xi«  siècle  (6).  Je  n'hésite  pas  à  le  refuser  à  Zigabène.  Les 
euvres  authentiques  de  ce  dernier  ne  se  rencontrent  pas  dans  les 
nanuscrits  avant  le  xii^  siècle. 

A  un  moine  Euthyme  différent  du  nôtre  revient  le  discours  <^  sur  la 
einture  de  la  Vierge  et  les  langes  du  Seigneur  »,  dont  Lipomanus  a 
ait  paraître  une  traduction  latine  (7).  Ce  discours  se  rencontre,  en 
ffet,  dans  le  Cod.  Fatic.  grœc.  1671,  qui  est  du  x^  siècle  (8). 

Longtemps  Zigabène  a  passé  pour  être  l'auteur  de  la  Monodie  sur  la 
tort  d'Eustaihe  de  Thessalojtique,  mais  l'on  sait  maintenant  qu'Eustathe 
lourut  en   1194,   et  que  l'Euthyme  qui   composa  son  éloge  funèbre 


\{t)  Cod.  athon.  4502  du  catalogue  de  Lambros  (xV  s.). 
jja)  Cod.  athon.  3701  (xv*  s.). 
JtS)  Krumbacher,  op.  cit.,  p.  84. 

îlf4y  P.  Lxxviii-xci.  Le  cod.  du  Zographos  qui  contenait  cet  éloge  est  le  335  du  cata- 
î''gae  de  Lambros.  L'en-tête  porte  bien  «  Zt^aSTivoù  »,  mais  il  faut  faire  attention  que 
manuscrit  est  du  xviii*  siècle. 

(5)  Ces  manuscrits  sont  le  cod.  36o  de  la  bibliothèque  synodale  de  Moscou  (xvi'  s.), 
cod.  athon.  3632  (xvi'  s.)  et  le  cod.  athon.  i3i2  (xvir  s.). 

'•■1   'EYxwfxtov  £l;   àTr6(TTo),ov    0(i)|ji5v.  Incipit  :   'II  nri^q  Tfj;   ffo;f/ta;  xô  çwç  xô  «Tvpdcnxov, 
Reproduite  dans  la  Patrologie  de  Migne,  P.  G.,  t.  CXXXI,  col.  1243-1250. 
'^atalogus  cod.  hagiogr.  grœc.  bibliot.  Vatic.  fiag.  Bollandianorum.  Bruxelles, 
p.  164.  Je  parlerai  prochainement  de  l'auteur  de  cette  homélie. 


224  ÉCHOS    d'orient 


n'est  autre  qu'Euthyme  Malakès,  métropolite  de  Nouvelle-Patrjs  (i). 

Tout  compte  fait,  il  ne  nous  reste  de  Zigabène  aucune  homélie, 
aucun  discours  dont  il  soit  sûrement  l'auteur. 

On  affirme  aussi  qu'il  nous  a  légué  quelques  lettres,  mais  tant  qu'elles 
sont  inédites,  il  est  prudent  de  se  taire  sur  leur  authenticité  (2). 

C'est  sans  raison  aucune  que  F.  Matthaei  a  mis  au  compte  de  Ziga- 
bène une  Exposition  du  symbole  nicéno-constantinopolitain,  tiré  du 
Cod.  grœc.  52  de  la  bibliothèque  synodale  de  Moscou,  et  datant  du 
xve  siècle  (3).  Ce  morceau  doit  être  l'œuvre  d'un  théologien  hésychaste 
du  xiv«  siècle.  On  y  lit,  en  effet,  le  passage  suivant  : 

Le  mot  «  Dieu  »  n'indique  pas  l'essence  et  n'est  pas  un  nom  de  la 
nature  divine.  Celle-ci  est  au-dessus  de  tout  nom,  comme  elle  échappe 
à  toute  pensée.  Mais  ce  mot  signifie  l'énergie  de  la  divine  essence;  il 
n'exprime  pas,  en  effet,  l'être  de  Dieu,  mais  la  puissance  et  l'énergie 
divinisatrice  qui,  de  lui,  vient  vers  nous  (4). 

On  sait  que  les  hésychastes  ou  palamites  établissaient  une  distinc- 
tion réelle  entre  l'essence  divine,  absolument  inaccessible  aux  créatures, 
et  ses  attributs,  opérations  ou  énergies  ad  extra. 

Mai  n'a  pas  été  mieux  inspiré  que  Matthaei,  quand  il  a  prêté  à  Ziga- 
bène le  Dialogue  du  moine  Euthyme  avec  un  philosophe  sarrasin  au  sujet 
de  la  foi  dans  la  ville  de  Mélitène  (5).  Ce  morceau,  trouvé  dans  un 
manuscrit  du  xv!"  siècle  (6),  rappelle  en  plusieurs  endroits  le  titre  XXVllI 
de  la  Panoplie  dogmatique,  mais,  à  en  juger  par  la  critique  interne,  il  est 
visiblement  postérieur  à  la  Panoplie.  Celui  qui  l'a  composé  s'est  servi 
de  l'ouvrage  de  Zigabène,  et  c'est  sans  doute  la  raison  pour  laquelle  il 
a  donné  le  nom  d'Euthyme  au  chrétien  qui  discute  avec  le  philosophe 
musulman. 

On  a  cru  longtemps  qu'Euthyme  Zigabène  nous  avait  laissé  un 
Commentaire  des  sept  Epîtres  catholiques.  Ph.  Meyer  l'affirmait  encore 


(i)  L.  Petit,  Les  évêques  de  Thessalonique,  dans  Echos  d'Orient,  t.  V  (1902),  p.  3o, 
P.  Meyer,  dans  son  article  sur  Zigabène,  Realencyclopœdie  fiir  protest.  Théologie. 
3*  édit.,  t.  V,  p.  634,  croit  encore  que  Zigabène  a  composé  la  Monodie. 

(2)  Le  cod.  2  ,9  du  supplément  grec  de  la  Bibliothèque  Nationale  de  Paris,  fol.  156-174, 
contient  des  lettres  d'un  Euthyme.  Omont,  dans  son  Inventaire,  t.  III,  p.  238,  suppose 
qu'il  s'agit  de  Zigabène,  mais  ce  n'est  qu'une  supposition.  Cf.  Cod.  theolog.  grœc. 
Vindob.  247  et  248. 

(3)  P.  G.,  t.  CXXXI,  col.  10-20.  Cf.  Vladimir,  Description  systématique  des  manus- 
crits de  la  bibliothèque  synodale  de  Moscou,  I"  partie.  Moscou,  1894,  p.  5i. 

(4)  P.  G.,  ibid.,  col.  12  A.  i 

(5)  Ibid..  col.  20-38.  | 

(6)  Le  Cod.  Vatic.  Ottob.  333.  Cf.  E.  Féron  et  Battaglini.  Cod.  grœc.  Ott.  Rome,l 
1893,  p.  174. 


LA   VIE    ET    LES    ŒUVRES    D'EUTHYME   ZIGABÈNE  225 

récemment  (i).  Mais  le  contraire  est  parfaitement  établi.  Le  commen- 
taire, ou  plutôt  la  chaîne  patristique  sur  les  épîtres  catholiques  que  l'on 
/oulait  mettre  sous  le  nom  de  notre  auteur  appartient  à  un  certain 
prêtre  André  ayant  vécu  entre  la  fin  du  vii^  siècle  et  le  x«.  Elle  se 
trouve,  en  effet,  dans  le  Cod.  Coisl.  25,  qui  date  du  x®  siècle;  par 
lilleurs,  le  Père  le  plus  récent  qui  est  cité  est  Maxime  le  Confesseur  (2). 

Le  Cod.  grœc.  444  de  la  bibliothèque  ambrosienne  de  Milan  renferme 
jne  prière  d'un  certain  Euthyme.  Elle  débute  ainsi:  K'jpu,  6  ©eôs  uol», 
)  aéva^  xal  (ïïO|3£pôç  xal  è'vooço;  (3).  Le  manuscrit  étant  du  xii^  siècle,  il 
^  a  quelque  probabilité  à  ce  que  Zigabène  en  soit  l'auteur. 

Le  nombre  relativement  considérable  d'ouvrages  faussement  attribués 
\  Euthyme  Zigabène  confirme  la  vérité  de  l'adage  qui  dit  :  «  On  ne 
Drête  qu'aux  riches.  »  C'est  parce  que  de  tous  les  Euthymes  byzantins 
Zigabène  a  le  plus  écrit  qu'on  a  mis  à  son  compte  avec  tant  de  facilité 
e  bagage  littéraire  de  ses  nombreux  homonymes. 

M.  JUGIE. 

Constantinople. 


(i)  Dans  Realencyclopœdie  fur  protestantische  Théologie,  loc.  cit.  Kaloghéras 
ivait  d'abord  admis  l'authenticité  de  ce  commentaire,  déjà  publié  par  Kramer  dans 
les  Catenœ  grœc.  tatrum.  Oxford,  1840-1844.  Il  a  reconnu  son  erreur  dans  la  préface 
lu  second  volume  de  son  édition. 

{2)  Cf.  Kaloghéras,  op.  cit.,  t.  II,  p.  8';  Krumbacher,  op.  cit.,  p.  211. 

(3)  Voir  Martino  et  Bassi,  Catalog.  cod.  grœc.  bibliot.  ambros.,  t.  I. 


Echos  d'Orient,  t.  XV.  ib 


L'ÉGLISE  MELKITE  AU  XVMF  SIÈCLE 

NOUVELLES  INTRIGUES  DE  JAUHAR'" 


I.  Jauhar  se  révolte  de  nouveau.  Sa  soumission. 

En  dépit  de  toutes  les  condescendances  de  Rome  et  du  nouveau 
patriarche,  le  parti  de  Jauhar  demeura  toujours  inflexible.  En  effet,  avec 
un  agitateur  tel  que  le  P.Jean  'Ajéimi,  on  ne  pouvait  espérer  un  prompt 
apaisement.  Jauhar  était  encore  à  Rome  quand  le  P.  'Ajéimi,  irrité  de  la 
confirmation  de  Théodose  VI,  persuada  aux  évêques  révoltés  de  con- 
sacrer d'autres  prélats  en  vue  d'augmenter  le  nombre  des  partisans  de 
Jauhar.  Là-dessus,  à  l'insu  de  tout  le  monde,  Euthyme  Ma'louli,  évêque 
de  Fourzol,  assisté  d'Ignace,  archevêque  de  Homs,  sacra  trois  nouveaux 
évêques  à  Saint-Sauveur  :  les  PP.  Francis  Siaj,  Arsène  Caramé  et 
Maxime  Fakhouri(2).  11  fit  plus  encore.  Un  certain  prêtre  syrien  catholique 
du  nom  de  Michel  Marini,  résidant  à  Déir-er-Raghm  (3),  désirait  vivemen' 
répiscopat.  Son  évêque,  M^""  Choucrallah  Jaroué,  et  le  patriarche  Théodos 
lui-même  s'étaient  toujours  opposés  à  ses  vues  ambitieuses.  Or,  ei 
dépit  de  ces  avertissements  autorisés,  les  partisans  de  Jauhar  se  ren- 
dirent à  Déir-er-Raghm  et  consacrèrent  le  nouvel  intrus  avec  le  titre  de 
ce  pauvre  village,  qui  ne  comptait  qu'un  petit  nombre  d'habitants. 

Le  P.  'Ajéimi  alla  plus  loin  encore.  Comme  Jauhar  venait  de  rentrer 
de  Rome,  il  lui  persuada  de  réunir  un  nouveau  synode  électoral  ; 
Déir  el  Moukhallès,  et  de  se  faire  proclamer  patriarche  en  dépit  df 
Théodose  VI,  qui  venait  d'être  confirmé  par  Rome.  11  envoya  tou 
d'abord  l'intrus  à  Saint-Jean  d'Acre,  pour  s'y  créer  un  parti  laïque  qu 
contre-balancerait  celui  de  Théodose  VI.  Jauhar  ne  réussit  qu'à  j 
fomenter  des  troubles,  et  il  rentra  à  Saint-Sauveur,  où  se  trouvaien! 
tous  les  prélats  révoltés.  Cette  fois,  le  P.  'Ajéimi  avait  gagné  à  sa  causi 
le  P.  Michel  'Arraj,  Supérieur  général,  et  la  plupart  des  religieux  Salvc| 
toriens.  11  réunit  tout  ce  monde  en  synode  électoral,  le  25  janvier  176-' 
et  il  proclama  de  nouveau  Jauhar  patriarche  d'Antioche,  sous  le  nor 
d'Athanase.  On  répandit  dans  tous  les  diocèses  des  lettres  où  la  véril 


(i)  Voir  Echos  d'.Orient,  janvier  1912,  p.  49  sq. 

(2)  Annales,  loc.  cit.,  p.  427. 

(3)  Nous  ne  savons  pas  exactement  où  est  situé  ce  village,  mais  il  ne  doit  pas  ét:| 
croyons-nous,  à  une  distance  considérable  de  Homs  ou  de  Hama,  dans  les  enviro||j 
desquels  les  Jacobites  étaient  et  sont  encore  assez  répandus. 


l'église   MELKITE    AU    XVIII^   SIÈCLE  227 

le  trouvait  guère  son  compte,  et  qui  ne  firent  qu'aggraver  les  scandales. 
\  cette  nouvelle,  le  délégué  apostolique  convoqua  à  Saint-Michel  de 
^ouq  tous  les  éveques  fidèles,  sous  la  présidence  de  Théodose  VI.  On 
^  dressa  un  long  Mémoire  de  tous  ces  événements,  et  on  l'envoya  à  la 
Propagande.  Clément  Xlll  y  répondit  par  la  Bulle  Inter  cœtera  du  1 1  sep- 
;embre  1765,  qui  lançait  de  nouveau  rexcommunication  majeure  contre 
auhar  et  tous  ceux  qui  avaient  fait  partie  de  son  synode  sacrilège. 

L'intrus  ne  se  soumit  point.  11  persuada  au  cheikh  'Ali  Gemblatt  qu'il 
îtait  lui-même  le  patriarche  légitime,  et,  moyennant  finances,  il  lui 
enjoignit  de  punir  tous  les  évêques  qui  ne  voudraient  pas  se  soumettre 
\  son  autorité.  Là-dessus,  il  fit  publier  partout  que  celui  qui  recon- 
naîtrait Théodose  pour  patriarche  serait  puni  d'une  amende  pécuniaire 
de  2000  piastres,  payables  au  cheildi  'Ali  Gemblatt.  En  outre,  il  assembla 
jn  nauveau  synode  à  Saint-Sauveur,  et  il  lança  l'excommunication 
majeure  contre  tous  ceux  qui  ne  lui  donneraient  pas  le  titre  de 
patriarche  (i). 

En  1766,  Jauhar  pensa  réussir  à  se  faire  proclamer  patriarche  à  Damas, 
où  il  comptait,  outre  ses  proches,  un  bon  nombre  de  partisans.  A  cet 
sffet,  il  écrivit  au  gouverneur  de  Damas  et  lui  fit  un  généreux  don  de 
500  piastres.  Celui-ci  accepta  bien  l'argent  avec  beaucoup  de  recon- 
naissance, mais  H  lui  conseilla  très  poliment  de  rester  chez  lui,  en  lui 
faisant  remarquer  qu'il  n'y  avait  guère  d'espoir  pour  lui  d'obtenir  le 
siège  de  Damas,  où  les  orthodoxes  étaient  excessivement  puissants.  Le 
patriarche  de  Constantinople,  ayant  appris  ces  prétentions  orgueilleuses, 
pxcommunia  publiquement  l'intrus. 

A  bout  de  ressources,  Jauhar  écrivit  à  l'émir  métouali  Héidar  Har- 

uch,  gouverneur  de  Zahlé  et  de  tout  le  pays  de  Baalbek.  11  lui  fit, 

lui  aussi,  un  don  de  soo  piastres,  et  lui  demanda  la  permission  de  faire 
a  visite  -patriarcale  du  diocèse  de  Baalbek.  L'émir  païen  lui  fit  cette 
elle  réponse  :  «  Votre  présent  de  500  piastres  est  accepté  avec  joie, 

ais  votre  entrée  dans  mon  pays  est  interdite,  parce  que,  pour  arriver 
u  pouvoir,  vous  n'ave:^^  point  passé  par  la  porte  des  apôtres  et  par  le  chemin 
ju'ils  ont  suivi.  C'est  pourquoi  vous  n'êtes  pas  autorisé  à  entrer  dans 
non  domaine,  et  si  vous  y  pénétrez  malgré  cette  défense,  vous  n'aurez 
\u'd  vous  en  prendre  à  vous-même.  »  (2) 

Le  ler  juillet  1767,  Jauhar  se  proposait  de  célébrer  une  messe  ponti- 


(n  Annales,  t.  I",  cah.  XXXI,  p.  419-424.  La  Bulle  du  Pape  y  est  citée  en  arabe,  in 
xteiiso.  Après  cette  seconde  élection   anticanonique,  Jauhar  consacra  le  P.  Pierre 
Naimé  archevêque  de  Tyr,  à  la  place  d'André,  qui  venait  de  mourir  excommunié. 
Loc.  cit.,  p.  424-425. 


228  ÉCHOS    d'orient 


ficale  solennelle  pour  affirmer  de  nouveau  son  autorité  patriarcale  à 
Déir  el  Moukhallès.  Or,  le  jour  fixé,  les  religieux  Salvatoriens  refusèrent 
de  communiquer  avec  lui  in  divinis,  et  ils  se  réfugièrent  à  Saint-Elie 
de  Richmaya,  où  se  trouvait  déjà  leur  Supérieur  général.  A  la  suite  de 
l'Encyclique  pontificale  Inter  cœtera,  le  P.  Michel   'Arraj  avait  quitté 
précipitamment  Saint-Sauveur,  en  abdiquant  le  généralat.  A  Saint-Elie, 
il  fut  rejoint  par  tous  ses  religieux  révoltés,  qui  étaient  revenus  à  de 
meilleurs  sentiments.  11  écrivit  alors  à  Théodose  VI,  par  l'entremise  de 
Mgr  Ignace  Jarbou'  et  de  Ms^"  Basile  Jelghaf,  pour  le  prier  de  le  relever 
de  l'excommunication  majeure  qu'il  avait  encourue  en  prenant  part  au 
synode  électoral  de  Déir  el  Moukhallès,  Le  patriarche  l'invita  à  se  rendre 
auprès  de  lui  à  Saint-Jean  d'Acre,  mais  il  ne  put  y  aller.  Théodose  VI 
dut  envoyer  une  procuration  régulière,  en  date  du   24  juin  1767,  à 
M?'"  Ignace  Jarbou',  l'autorisant  à  relever  de  cette  excommunication  le 
P.  Michel  'Arraj  et  tous  ses  subordonnés;  ce  qui  eut  lieu  solennellement 
au  monastère  chouérite  de  Saint-Georges,  à  Makkin,  en  présence  de 
Mg»"  Jelghaf  de  Beyrouth.  A  la  fin  de  la  cérémonie,  l'archevêque  d'Alep 
remit  aux  intéressés  un  sakkon  signé  et  cacheté  par  lui  et  par  l'évêque 
de   Beyrouth,   en   date  du    i^r  juillet    1767,   pour   attester  cet  événe- 
ment (1). 

Dans  notre  article  sur  Ignace  Jarbou',  Supérieur  géîiéral  des  Chouérites, 
nous  avons  raconté  tous  les  troubles  occasionnés  au  diocèse  de  Fourzol 
par  Mg»"  Euthyme  Ma'louli,  et  toutes  les  persécutions  dont  les  Chouérites 
furent  l'objet,  par  suite  de  cette  triste  intrusion,  dans  la  région  de 
Baalbek  (2). 

Excommunié  par  Rome,  rejeté  par  le  peuple  et  tout  le  clergé  fidèle, 
repoussé  par  les  infidèles  eux-mêmes,  Jauhar  eut  enfin  le  bon  esprit  de 
rentrer  en  grâce  avec  l'Eglise,  après  huit  années  d'intrusion  sacrilège. 

A  cet  effet,  il  s'entendit  avec  ses  partisans,  et  tous  ensemble  ils  1 
écrivirent  à  Théodose  VI  une  lettre  pleine  de  soumission,  priant  le  j 
patriarche  de  les  relever  des  censures  qu'ils  avaient  encourues.  Théo- 
dose VI  les  invita  à  se  rendre  à  Beyrouth,  et  là,  au  début  d'une  messe 
pontificale  solennelle,  il  les  bénit  et  les  releva  de  l'excommunication, 
à  la  grande  joie  de  tout  le  peuple  assemblé.  Arsène  Caramé  avait  tout 
d'abord  refusé  de  se  joindre  à  ses  collègues,  mais  il  ne  tarda  pas  à 
revenir  à  de  meilleurs  sentiments,  et  il  obtint  l'absolution  requise. 
Ainsi,  ajoutent  les  Annales,  Théodose  VI  rendit  aux  évêques  leurs  dio- 


(i)  Loc.  cit.,  p.  426-428.  Le  sahkon  délivré  par  M"  Jarbou'  s'y  trouve  in  exte 
en  arabe. 
(2)  Echos  d'Orient,  t.  xii,  1909,  p.  286  sq. 


i 


L  EGLISE   MELKITE    AU    XVIIl''   SIÈCLE  229 

cèses  respectifs,  et  la  paix  se  rétablit  dans  toute  la  nation  melkite  (i). 
Malheureusement,  Jauhar  devait  encore  faire  parler  de  lui  jusqu'à 
l'année  1794,  époque  de  sa  mort. 

11.  Le  p.  Michel  Adam  défenseur  de  la  primauté  romaine. 

Tous  les  événements  que  nous  venons  de  raconter,  avec  les  détails 
nécessaires,  avaient  fourni  l'occasion  aux  membres  du  clergé  melkite 
les  plus  distingués  de  manifester  leur  science  théologique  relativement 
aux  points  doctrinaux  en  litige.  Tous  avaient  fait  de  bonnes  études  au 
collège  grec  de  Saint- Athanase  à  Rome.  Nous  les  avons  nommés  dans 
le  cours  de  notre  narration;  mais  nous  tenons,  avant  de  passer  outre, 
à  mettre  pleinement  en  lumière  la  doctrine  du  P.  Michel  Adam  tou- 
chant la  primauté  pontificale.  Nous  avons  parlé  des  écrits  pleins  d'équi- 
voques que  le  P.  'Ajélmi  n  avait  pas  manqué  de  semer  partout  pour 
soutenir  une  mauvaise  cause,  et  nous  avons  mentionné  les  réfutations 
péremptoires  qu'il  s'était  attirées  sur-le-champ  de  la  part  de  maîtres 
autorisés  tels  que  le  P.  Joseph  Babila,  le  P.  Simaân  Sabbâgh,  le 
P.  Michel  Adam,  sans  parler  de  tous  les  missionnaires  latins  de  Saida 
et  de  Beyrouth.  Arrêtons-nous  un  peu  à  la  longue  réfutation  que  le 
P.  Adam  envoya  à  Déir  el  Moukhallès  en  1768,  quelques  jours  seule- 
ment après  la  réconciliation  de  Jauhar,  événement  dont  l'auteur  n'avait 
pas  connaissance,  parce  qu'il  était  alors  à  Alep  et  très  éloigné  du  théâtre 
des  événements  (2). 

Cette  réfutation,  qui  ne  compte  pas  moins  de  vingt-neuf  pages  in-S", 
commence  en  ces  termes  : 

J'ai  été  profondément  attristé  en  lisant  une  épître  signée  de  votre  nom 
et  ainsi  intitulée  :  Chapitre  sur  la  nullité  de  l'excommunication  qui  fut 
injustement  lancée  contre  le  patriarche  Athanase  et  les  évêques  de  son 
parti.  Cette  épître  m'a  donné  la  persuasion  qu'il  ne  vous  manque  plus 
rien  de  la  folie  de  Photius  et  de  Dioscore,  qui,  eux,  ont  lancé  l'excom- 
munication contre  le  Chef  visible  de  l'Eglise,  contre  celui  qui  a  reçu  du 
Sauveur  lui-même  la  garde  de  la  vigne,  suivant  l'expression  du  concile 
de  Chalcédoine. 

Puis  il  ajoute  : 


(i)  Annales,  t.  I",  cah.  XXXII,  p.  432-433. 

(2)  Cette  réfutation  se  trouve  in  extenso  dans  notre  Recueil,  p.  47-76.  Dans  notre 
inalyse  de  cet  écrit,  nous  avons  souligné  nous-même  à  dessein  les  phrases  et  expres- 
sions les  plus  importantes,  pour  mettre  en  lumière  la  doctrine  orthodoxe  primitive 
ie  M"  G.  Adam. 


230  ÉCHOS    D  ORIENT 


Pliisque  je  suis  prêtre  catholique  et  missionaaire  du  Siège  apostolique, 
j'a;i  cru  de  mon  devoir  de  réfuter  les  prétentions  schismatiques  que  vous 
affichez  partout  (p.  i). 

Le  P.  Adam  n'a  pas  de  peine  à  montrer  aux  révoltés  que  l'excommu- 
nication qu'ils  ont  encourue  a  été  tout  à  fait  canonique.  Il  leur  cite  le 
concile  de  Trente,  sess.  XXV,  c.  m  De  Reformatione ,  leur  reproche  amè- 
rement leur  révolte  contre  te  Souverain  Pontife,  Vicaire  de  Jésus-Christ 
sur  la  terre,  et  leur  montre  tout  l'odieux  de  leur  conduite,  en  comparant 
leur  crîme  àcelui  du  peuple  juif  qui,  lui,  a  donné  la  mort  au  corps  humain 
du  Christ,  tandis  que  les  schismatiques  déchirent  son  corps  mystique, 
la  sainte  Église.  Aux  prétentions  des  Salvatoriens,  qui  tenaient  l'excom- 
munication pontificale  pour  injuste  et  non  avenue,  le  P.  Adam  répond  : 

Lisez  plutôt  les  maîtres  de  la  théologie,  saint  Thomas,  Tournelly  et 
d'autres,  tous  vous  diront  àl'envi  que  l'excommunication  atteint  toujours 
son  but,  et  l'on  est  tenu  de  la  respecter,  fût-elle  même  injuste.  Mais 
pouvez-vous  affirmer,  sans  un  mensonge  effroyable,  que  votre  excommu- 
nication n'est  pas  juste?  Votre  seule  révolte  contre  le  Saint-Siège  est 
digne  d'excommunication,  car  le  Saint-Siège  est  l'autorité  la  plus  sacrée 
sur  la  terre,  et  qui  est  au-dessus  même  de  celle  du  concile  œcuménique. 
Ecoutez  le  concile  de  Chalcédoine  (i)  :  «  Si  dans  un  concile  œcuménique 
il  s'élève  une  discussion  ayant  rapport  à  la  sainte  Eglise  romaine,  il  faut 
la  soumettre  à  cette  même  Eglise  et  en  attendre  humblement  la  solution, 
car  il  est  téméraire  de  porter  un  jugement  contre  les  Souverains  Pontifes 
de  l'ancienne  Rome.  »  Si  donc  le  Concile  œcuménique,  qui  représente 
l'Eglise  entière,  est  impuissant  à  porter  un  jugement  contre  le  Siège 
apostolique,  et  à  lui  attribuer  l'oppression  ou  l'injustice,  avec  quelle 
témérité  et  quelle  aberration  schismatique  avez-vous  osé  calomnier  ainsi 
le  Siège  de  Pierre,  vous  qui  ne  comptez  presque  pas  en  comparaison  d'un 
concile  œcuménique,  vous  qui  êtes  pasteurs  de  certains  petits  villages 
insignifiants,  vous  dont  le  peuple,  qui  a  la  triste  chance  de  se  soumettre 
à  votre  pouvoir,  peut  à  peine  être  évalué  à  la  moitié  d'une  humble  paroisse 
des  diocèses  de  ces  grands  prélats  qui,  jadis,  ont  composé  les  conciles 
œcuméniques,  et  nous  ont  appris  ces  enseignements  divins  (p.  2-7). 

Les  Salvatoriens  prétendaient  que  le  Pape  n'avait  pas  le  droit  d'exconj- 
munier  un  patriarche  avec  ses  partisans,  en  dehors  du  cas  d'hérésie. 
Le  P.  Adam  leur  fait  cette  vigoureuse  réponse  : 

Vous  vous  trompez;  vous  vous  croyez  grands  et  dignes  de  considé- 


(i)  Le  P.  Adam  fait  ici  erreur.  Le  texte  qu'il  cite  appartient  non  au  concile  de  Chal- 
cédoine, mais  au  VIII*  concile  oecuménique  réuni  contre  Photius. 


l'église   MELKITE   au   XVIir   SIÈCLE  231 

ration,  alors  que  vous  n'avez  en  propre  que  le  caractère  indélébile  de 
l'épiscopat^  qui  se  trouve  aussi  bien  dans  les  damnés  et  les  schismatiques. 
Où  donc  avez-vous  lu  que  le  pontife  romain  est  impuissant  à  commander 
au  patriarche  d'Antioche  et  à  quelques  évéques  semblables  à  vous? 
N' est-il  pas  admis  par  tous  les  catholiques  que  le  Pape  exerce  un  pou- 
voir suprême  dans  l'Eglise  entière?  N'a-t-il  pas  reçu  du  Christ  lui- 
même  la  garde  de  la  vigne  mystique?  N'exerce-t-il  pas  une  vigilance 
absolue  sur  toute  l'Eglise  ?  Par  suite,  il  a  tout  droit  à  excommunier  le 
coupable  et  à  absoudre  celui  qui  en  est  digne.  N'est-ce  point  là  la 
croyance  de  tous  les  catholiques  et  l'enseignement  de  tous  les  maîtres? 
Mais  plutôt  votre  prétention  inqualifiable  ti'est-elle  pas  une  prétention 
schismatique  supprimant  dans  l'Eglise  l'existence  d'un  supérieur  qui  soit 
au-dessus  de  tous  les  autres?  Le  pape  saint  Célestin  (i)  nVt-il  pas  excom- 
munié Théophile  d'Alexandrie,  qui  persécutait  saint  Jean  Chrysostome? 
Le  pape  saint  Nicolas  n'a-t-il  pas   agi  de  même  à  l'égard  de  l'intrus 

Photius? Tout  catholique  croit  fermement  que  l'honneur  de  l'épis- 

copat  catholique  vient  de  la  soumission  de  celui-ci  au  Chef  de  l'Eglise, 

Vicaire  de  Jésus-Christ ,  et  il  est  manifeste  que  la  nation  des  Grecs 

a  perdu  sa  gloire  et  son  royaume  par  suite  du  schisme  orgueilleux  et 
de  sa  révolte  contre  les  Pontifes  romains.  Votre  gloire,  à  vous,  et  l'hon- 
neur de  votre  Eglise  consistent  à  vous  soumettre  au  jugement  de  votre 
supérieur,  le  Pontife  Romain,  pasteur  commun  de  l'univers  (p.  7-1 5). 

Le  P.  Michel  Adam  rappelle  les  événements  qui  ont  précédé  et  suivi 
l'intrusion  de  Jauhar,  puis  il  répond  à  une  autre  de  leurs  prétentions 
portant  que  le  droit  d'élire  le  patriarche  appartient  aux  évêques  et  non 
au  Pape  : 

Je  ne  le  nie  point,  au  cas  où  tous  les  évêques  sont  unanimes,  ou  lorsque 
plus  de  la  moitié  des  voix  sont  acquises  à  un  sujet  digne,  élu  selon  les 
règles  canoniques,  ayant  toutes  les  qualités  requises.  Mais  si  le  con- 
traire a  lieu,  on  ne  considère  plus  l'élection  de  la  majorité,  et  il  appar- 
tient au  Pontife  romain,  de  par  le  droit  de  sa  charge,  qui  lui  permet 
d'exercer  sa  sollicitude  sur  toutes  les  Eglises,  de  prendre  soin  de  cette 
Eglise  elle-même,  d'en  extirper  la  discorde  qui  s'est   engagée  entre  les 

évêques,  et  de  lui  donner  un  chef  de  son  propre  choix Si  vous  êtes 

véritablement  catholiques,  vous  ne  sauriez  le  nier.  En  effet,  la  sollicitude 
de  toutes  les  Eglises  que  lui  a  remises  le  Chef  des  pasteurs,  Jésus-Christ, 
lui  fait  un  devoir  d'administrer  toutes  les  Eglises  suivant  qu'il  convient. 
Par  suite,  il  a  le  pouvoir  de  taire  usage  de  tel  ou  tel  moyen  qu'il  verra 
plus  utile  au  bien  de  l'Eglise,  à  sa  paix,  à  sa  tranquillité,  sinon.  Dieu  lui 
aurait  imposé  une  charge  sans  lui  accorder  la  Jaculté  de  la  remplir; 


(i)  C'est  le  pape  Innocent  et  non  le  pape  Célestin  qui  excommunia  Théophile. 


2}2 


ECHOS    D  ORIENT 


de  plus,  cette  sollicitude  générale  elle-même  eût  été  de  nulle  valeur.  Mais 
de  telles  conclusions  sont  un  blasphème  pour  la  sagesse  de  notre  Sauveur 
Jésus-Christ,  qui  a  accordé  au  Chef  visible  de  son  Eglise  tous  les  pouvoirs 
nécessaires  et  utiles  pour  rem  plir  les  devoirs  de  sa  charge  suprême  (p .  1 5  - 1 9). 

Le  P.  Michel  Adam  rectifie  ensuite  certains  faits  historiques  que  les 
Salvatoriens  avaient  travestis,  et  arrive  à  cette  objection  gallicane  :  le 
Pape  ne  saurait  être  considéré  comme  juge  de  la  foi  que  dans  le  Concile. 

Cette  affirmation  n'a  été  énoncée  par  personne,  répond  le  P.  Adam, 
car  il  est  admis  par  tous  les  catholiques  que  le  Pape  est  aussi  juge  de  la 
foi  et  des  mœurs  en  dehors  même  du  concile.  L'histoire  et  les  actes  des 
Conciles  oecuméniques  nous  apprennent  que  les  Pontifes  romains  ont 
condamné  plusieurs  hérésies  sans  avoir  recours  à  un  concile.  En  outre, 
ils  envoyaient  eux-mêmes  les  définitions  requises  aux  conciles  œcumé- 
niques, et  ils  leur  ordonnaient  de  les  croire  et  de  s'y  conformer.  J'ai 
d'ailleurs  démontré  ces  vérités  dans  l'ouvrage  que  je  viens  de  composer 
tout  dernièrement,  au  troisième  article  (i),  où  je  traite  de  la  «  croyance 


(i)  Cet  ouvrage,  assez  volumineux,  est,  paraît-il,  d'une  orthodoxie  irréprochable, 
phénomène  rare  dans  les  écrits  de  M"  G.  Adam.  Nous  n'avons  jamais  eu  la  bonne 
fortune  de  l'avoir  entre  nos  mains.  Nous  nous  rendons  pleinement  au  jugement  de 
l'auteur,  après  avoir  entendu  la  doctrine  très  catholique  qu'il  vient  de  nous  enseigner. 
Malheureusement,  M"  Adam  dut  changer  de  sentiment  dans  les  quinze  dernières  années 
de  sa  vie.  Son  pauvre  ouvrage  intitulé  :  Rad  'ala  Ar-Rissalat  almad'ouat  Saoutli  et 
Aba,  Réfutation  de  l'épître  intitulée  la  Voix  des  Pères  (brochure  publiée  par  les 
missionnaires  latins  de  Syrie,  qui  soutenaient  Sarrouf  contre  le  patriarche  Agapios  III 
Matar,  dans  la  fameuse  affaire  de  la  Congrégation  de  Mar-Simaân),  renferme  tous 
les  arguments  gallicans  contre  la  primauté  pontificale.  Le  grand  concile  de  Qarqafé, 
en  1806,  qui  devrait  être  le  modèle  des  conciles  nationaux  melkites,  tout  entier  œuvre 
de  M''  G.  Adam,  ne  fut  condamné  par  le  Saint-Siège  que  parce  qu'il  amoindrissait  la 
primauté  pontificale  en  la  ravalant  presque  au  rang  de  l'autorité  patriarcale.  Nous 
pensons  que  Rome  serait  excessivement  satisfaite  de  cet  excellent  concile  si  on  l'ex- 
purgeait de  ces  quelques  erreurs  qui  le  déparent.  Cependant,  M"  G.  Adam  avant  de 
mourir,  en  1809,  soumit  tous  ses  ouvrages  au  jugement  de  Rome  et  rétracta  toutes 
ses  erreurs.  Nous  le  savons  par  le  récit  des  Annales,  t.  l",cah.  XXXIX,  p.  624,  et  par 
son  testament,  conservé  à  la  bibliothèque  archiépiscopale  d'Alep,  ainsi  que  par  plu- 
sieurs écrits  de  son  élève,  le  patriarche  Maxime  111  Mazloum. 

Outre  cette  Réfutation  des  prétentions  schismatiques  des  Salvatoriens,  le  P.  Michel 
Adam  avait  aussi  composé  une  autre  brochure  en  forme  de  dialogue  entre  deux  per- 
sonnages nommés  Joseph  et  Jean,  pour  démontrer  la  nullité  des  deux  élections  anti- 
canoniques de  Jauhar.  Tout  en  se  présentant  sous  une  forme  plaisante  et  ironique, 
cet  écrit  renferme  cependant  une  doctrine  orthodoxe,  appuyée  sur  de  puissants  argu- 
ments théologiques. 

Enfin,  un  dernier  ouvrage  polémique  du  P.  M.  Adam,  Rad  'ala  alcachr  rououss^ 
Réfutations  des  dix  chapitres,  mit  en  déroute  la  théologie  schismatique  des  Salvatoi 
riens,  partisans  de  Jauhar,  et  leur  donna  à  réfléchir  sérieusement  sur  leur  conduite 
antérieure.  Ces  «  dix  chapitres  »,  que  le  R.  P.  Charon  intitule  :  Réponse  des  épêqua 
au  délégué,  et  qui  renferment  dix  pièces  ou  chapitres,  avaient  été  lancés  par  les 
évéques  partisans  de  Jauhar  contre  le  P.  Dominique  Lança;  nul  doute  qu'ils  n'aient 
été  composés  par  le  P.  J.  'Ajéimi  lui-même. 

Tous  ces  écrits  lui  attirèrent  les  colères  de  Jauhar  et  des  Salvatoriens.  Jauhar  lui 


l'église  melkite  au  xviir  siècle  233 

des  sept  conciles  œcuméniques  et  de  celle  de  l'Eglise  universelle  »  durant 
les  neuf  premiers  siècles,  touchant  la  primauté  des  Pontifes  romains.  Je 
vous  l'enverrai,  si  vous  le  voulez,  en  vue  de  vous  être  utile  et  de  vous 
guérir  de  votre  incurable  maladie  (p.  19-23). 

Enfin,  le  P.  Michel  Adam  explique  pour  quel  motif  le  Souverain 
Pontife  n'a  pas  voulu  donner  à  l'intrus  le  titre  de  patriarche  ;  il  déclare 
qu'il  est  absolument  inutile  de  persister  à  demander  un  nouvel 
examen  de  tous  ces  événements,  parce  que  les  jugements  du  Saint- 
Siège  sont  irrévocables,  et  il  termine  en  exhortant  les  révoltés  à  une 
humble  et  entière  soumission  tant  au  Pape  qu'à  leur  supérieur  légitime 
le  patriarche  Théodose  VI  Dahan  (p.  23-26). 

Paul  Bacel, 

Prêtre  du  rite  grec. 


jura  une  inimitié  éternelle  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  ainsi  qu'aux  PP.  Joseph  Babila, 
Simaân  Sabbâgh  et  Pierre  Adam,  cousin  germain  de  l'archevêque  d'Alep.  Ces  derniers 
étant  morts  quelques  années  après,  tout  le  ressentiment  de  Jauhar  se  porta  sur 
M"  Germanos  Adam. 


LA   BASILIQUE   SAINTE-MARIE  LA   NEUVE 
A  JÉRUSALEM'" 


//.  Emplacement  àe  Sainte-Marie  la  Neuve 

Pour  procéder  avec  ordre  dans  la  discussion  qui  va  suivre,  je  me 
propose  d'établir  : 

1°  Que  Sainte-Marie  la  Neuve  ne  peut  être  identifiée  avec  la  mosquée 
El-Aksa; 

2°  Que  Sainte-Marie  la  Neuve  ne  se  trouvait  même  pas  sur  l'espla- 
nade de  l'ancien  temple  juif; 

y  Qu'il  faut  très  probablement  chercher  l'emplacement  de  Sainte- 
Marie  la  Neuve  sur  le  mont  Sion  chrétien,  dans  la  région  des  grandes 
synagogues. 

En  finissant,  nous  nous  demanderons  s'il  y  a  jamais  eu  une  église  de 
la  Présentation  à  Jérusalem. 

1°.  La  mosquée  El-Aksa  n'est  pas  l'église  Sainte-Marie  la   Neuve. 

Quand,  après  avoir  franchi  un  porche  monumental  ajouté  au  xiii^  siècle,. 
le  voyageur  pénètre  dans  la  mosquée  El-Aksa,  il  est  tout  d'abord 
impressionné  par  les  deux  longues  rangées  de  colonnes  surmontées  de 
chapiteaux  évidemment  byzantins  et  par  la  charpente  nullement  dissi- 
mulée de  l'édifice.  Les  quelques  vagues  notions  archéologiques  qu'il 
peut  avoir  se  réveillent  soudain,  et  il  émet  avec  gravité  ce  jugement  :' 
voilà  certes  une  ancienne  basilique.  Pour  peu  qu'il  se  souvienne  d'avoir 
lu  que  Justinien  éleva  en  cet  endroit  une  grande  église  en  l'honneui^ 
de  la  Présentation,  son  opinion,  s'affermit.  «  Son  siège  est  fait  »  ;  voilî 
bien  l'église  de  Justinien.  Dites-lui  maintenant  toutes  les  difficultés  que 
présente  cette  opinion  :  il  aura  peine  à  revenir  de  son  impression  pre- 
mière, et  tous  vos  raisonnements  érudits  ne  le  persuaderont  qu'à 
moitié.  Vous  me  permettrez  bien  d'ajouter  que  j'ai  été  souvent  le 
témoin  d'une  scène  analogue.  Je  vais  vous  faire  part  des  raisons  qu€ 
l'on  peut  objecter  en  pareil  cas  à  ces  archéologues  d'occasion. 

La  mosquée  El-Aksa  est  tournée  vers  la  Mecque,  c'est-à-dire  vers  h 
Sud.  Or,  c'est  un  fait  constant  dans  l'architecture  religieuse  depuis  Ii 
ive  siècle,  que  la  tendance  vers  l'orientation  des  églises.  Absolumen 


(1)  Voir  Echos  d'Orient,  mars  1912,  p.  146-154. 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA    NEUVE    A   JERUSALEM  2}^ 

tous  les  lieux  de  culte,  somptueuses  basiliques  ou  modestes  petites  cha- 
pelles, auront  bientôt  leur  chevet  du  côté  du  soleil  levant,  symbole  du 
Soleil  divin  qui  s'est  levé  sur  Le  mandie  au,  jour  de  l'Incarnation.  Cette 
lot  de  l'orientation  est  générale  en:  Orient  dès  le  v«  ou  le  vi<3  siècle,  et 
en  Occident  dès  le  viii«  (i).  Pour  ce  qui  concerne  la  Palestine  en  partJr 
culier,  on  n'y  a  trouvé  aucune  église,  aucune  chapelle  tant  soit  peu 
ancienne,  dont  l'abside  ne  fût  placée  à  l'Est.  Rappelez-vous  la  basilique 
de  la  Nativité  à  Bethléem,  les  ruines  de  l'Eléona  au  mont  des  Oliviers, 
les  églises  de  Sainte-Anne,  de  Saint-Etienne,  de  Gethsémani,  à  Jéru- 
salem, les  deux  sanctuaires  de  Saint-Jean  in  Montana,  l'église  du  puits 
de  la  Samaritaine  près  de  Naplouse,  celle  de  Saint-Jean-Baptiste  à  Sébas- 
tiéh,  l'ancienne  église  de  l'Annonciation  à  Nazareth,  la  basilique  en 
ruines  du  Thabor  et  tant  d'autres  édifices  religieux  dispersés  à  travers 
toute  la  région.  Une  seule  exception,  qui,  du  reste,  n'est  pas  admise 
par  tout  le  monde,  est  constituée  par  l'antique  église  constantinienne 
du  Martyrium  au  Saint-Sépulcre,  mais  ici,  nous  sommes  en  présence 
d'une  œuvre  très  ancienne,,  bâtie  à  une  époque  où  lia  règle  de  l'orien- 
tation commençait  seulement  à  se  faire  jour,  et  puis,  le  Saint  Tombeau 
exerçait  assurément  sur  la  piété  une  attraction  assez  forte  pour  diriger 
vers  lui  la  prière  liturgique.  On  avait  donc  occidenté  (qu'on  me  per- 
mette cette  expression)  l'antique  basilique  du  Saint-Sépulcre,  pour  un 
excellent  motif  qui  n'existait  pas  ailleurs  à  Jérusalem  en  plein  vi"  siècle, 
au  temps  où  Sainte-Marie  la  Neuve  fut  construite. 

Mais  qu'est-il  besoin,  de  discuter  sur  la  rigueur  plus  ou  moins  grande 
d'une  règle  devenue  générale  en  Orient  au  temps  de  Justinien,  lorsque 
l'historien  Procope  nous  dit  équivalemment  que  Sainte-Marie  la  Neuve 
était  orientée?  «  Il  manquait,  dit-il,  un  quart  de  l'espace  voulu  au  Midi 
et  à  l'Est,  c'est-à-dire  à  la  partie  réservée  par  l'usage  aux  cérémonies 
des  prêtres  »  (2).  Dans  cette  phrase  l'auteur  fait  appel  à  la  coutume 
liturgique.  Or,  celle-ci,  nous  l'avons  dit,  voulait  au  vi^  siècle,  en  Orient, 
que  l'autel  et  l'abside  fussent  placés  à  l'est  du  monument.  D'ailleurs 
Procope  nous  représente  un  peu  plus  loin  l'église  proprement  dite 
comme  précédée  d'un  atrium  et  d'un  nartbex  et  entourée  de  portiques, 
sauf  du  côté  de  l'Orient.  Cette  description  ne  se  comprend  que  si  l'on 
place  à  l'Est  l'abside  et  l'autel. 

Laissant  de  côté  ce  point  de  vue  spécial  de  l'orientation,  demandons- 
tious  maintenant  si  la  mosquée  El-Aksa  répond  pour  le  reste  à  la  des- 


(i)  Cf.  Cabrol-Leclercq,  Dictionnaire,  d'archéologie  chrétienne  et  de  Liturgie,  au 
flaot  Basilique. 
('2)  Mot  à  mot:  «  Afin  qu'il  fût  licite  aux  prêtres  de  faire  leurs  cérémonies.  » 


2)6  ÉCHOS    d'orient 


cription  de  Procope.  L'étendue  de  la  plate-forme  choisie  pour  l'église 
Sainte-Marie  ne  suffisait  pas,  nous  l'avons  vu,  aux  grandioses  dimen- 
sions de  l'édifice  :  on  dut  suppléer  à  ce  défaut  par  de  gigantesques 
substructions  établies  au  Sud  et  à  l'Est.  Ce  détail  se  vérifie-t-il  pour 
notre  mosquée?  11  ne  semble  pas.  La  construction  d'Hl-Aksa  n'a  point 
nécessité  du  côté  du  Sud  de  fondations  géantes  destinées  à  prolonger 
la  colline  :  tout  le  monde  est  d'avis  que  la  muraille  du  Haram-ech-Chérif 
est  d'une  époque  antérieure  à  Justinien.  Pour  ce  qui  est  du  côté  Est, 
nous  pouvons  dire  encore  que  la  nécessité  d'établir,  en  plein  vf  siècle, 
de  gigantesques  soubassements  est  pour  le  moins  douteuse.  Du  reste, 
si  quelque  part  à  Jérusalem  la  place  ne  faisait  point  défaut,  c'est  assuré- 
ment sur  l'immense  esplanade  du  Temple  où  Justinien  aurait  pu  établir 
à  l'aise  sa  basilique  sans  recourir  à  des  frais  énormes  de  substructions. 

Poursuivons.  Les  deux  historiens  Procope  et  Cyrille  de  Scythopolis 
nous  parlent  de  Sainte-Marie  la  Neuve  comme  d'une  merveille.  Or,  il 
faut  avoir  l'enthousiasme  facile  pour  crier  au  miracle  quand  on  entre 
dans  la  mosquée  El-Aksa.  De  lourdes  colonnes  trapues  et  de  massifs 
piliers  supportant  des  murs  que  l'on  dirait  en  carton,  puis,  à  l'extré- 
mité du  vaste  monument,  une  coupole  sans  grandeur  :  voilà,  il  me 
semble,  les  caractéristiques  principales  de  cette  mosquée.  Est-ce  bien 
là  un  édifice  digne  de  Justinien,  du  constructeur  de  Sainte-Sophie  qui 
se  glorifiait  d'avoir  fait  plus  beau  que  le  temple  de  Salomon?  Est-ce 
bien  là  cette  admirable  basilique  de  Sainte-Marie  tant  vantée  par  les 
historiens?  Je  ne  le  crois  pas.  11  me  semble  que,  s'il  nous  avait  été 
donné  de  visiter  à  la  suite  l'une  de  l'autre  Sainte-Marie  la  Neuve  et  la 
mosquée  El-Aksa  (que  je  suppose  distinctes),  nous  aurions  éprouvé  la 
même  impression  pénible  que  nous  ressentons  en  passant  des  splen- 
deurs de  la  mosquée  d'Omar  aux  pauvretés  architecturales  de  la  seconde 
mosquée  du  Haram.  11  y  a  sans  doute  dans  la  mosquée  El-Aksa  j 
quelques  beaux  spécimens  de  style  byzantin  (je  fais  surtout  allusion  ici 
aux  colonnes  élégantes  qui  décorent  la  partie  Sud  du  monument),  mais 
l'ensemble,  en  dépit  de  ces  détails  et  de  vastes  dimensions,  n'offre  ni 
grâce  ni  noblesse. 

La  vraisemblance  nous  empêche  donc  de  considérer  El-Aksa  comme 
une  ancienne  église,  et  surtout  comme  la  merveilleuse  basilique  de 
Sainte-Marie  la  Neuve.  Non,  El-Aksa,  tournée  vers  la  Mecque,  fut  dès 
i'origine  une  mosquée.  Omar  avait  bâti  en  ce  point  du  Haram-ech-Chérif 
un  sanctuaire  musulman,  très  vaste,  mais  sans  valeur  artistique.  C'était, 
au  dire  du  pèlerin  Arculfe,  qui  le  vit  en  670,  «  une  maison  de  prière 
quadrangulaire,  faite  de  planches  dressées  et  de  grandes  poutres,  bâtie 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA    NEUVE    A   JERUSALEM  237 

au-dessus  de  certaines  ruines,  et  d'une  exécution  sommaire  »  (i). 
Sans  doute  vers  la  fin  du  vii«  siècle,  alors  qu'Abdel-Mélik  venait  d'élever 
la  belle  mosquée  dite  d'Omar,  on  trouva  ces  misérables  baraquements 
trop  indignes  du  culte  et  l'on  construisit  la  moderne  El-Aksa.  Le 
R.  P.  Abel,  à  la  science  obligeante  duquel  je  me  plais  à  rendre  hommage, 
nous  a  lumineusement  renseignés  sur  ce  point  l'an  dernier  (2). 

Si  l'on  en  croyait  l'historien  arabe  Souyouti,  qui  écrivait  en  1470,  et 
d'autres  auteurs  arabes  postérieurs,  Omar  aurait  prié  en  638  dans 
l'église  Sainte-Marie  et  l'aurait  vouée  au  culte  de  l'Islam.  Mais  ces 
auteurs  sont  bien  loin  du  fait  qu'ils  racontent.  De  plus,  il  n'est  pas 
vraisemblable  que  le  calife,  après  avoir  respecté,  comme  nous  le  savons, 
les  églises  du  Saint-Sépulcre  et  du  Cénacle,  ait  profané  la  basilique  de 
Sainte-Marie  la  Neuve.  Pareille  conduite  est  inadmissible  en  l'absence 
de  preuves  sérieuses,  alors  surtout  que  nous  connaissons  la  promesse 
formelle  d'Omar  à  saint  Sophrone  au  moment  de  la  capitulation  : 
«  Vos  églises  ne  seront  ni  habitées  par  les  musulmans,  ni  détruites.  »  (3) 

El-Aksa  ne  fut  pas  considérée  comme  une  anciennne  église  par  les 
Croisés,  puisqu'ils  y  installèrent  le  palais  royal  et  une  partie  du  couvent 
des  Templiers.  Ceux-ci,  dit  un  historien  musulman  indigné,  établirent 
des  greniers  et  des  latrines  au  chevet  de  la  mosquée. 

Les  tenants  de  l'identification  d'El-Aksa  avec  Sainte-Marie  la  Neuve 
deviennent  de  plus  en  plus  rares.  Dans  un  article  du  Correspondant 
paru  l'an  dernier,  M.  le  marquis  de  Vogué  a  déclaré  hésiter  sur  la 
valeur  de  son  ancienne  opinion  favorable  à  l'identification  (4).  Les 
doutes  qui  pourraient  encore  subsister  dans  l'esprit  de  mes  auditeurs 
seront  dissipés,  je  l'espère,  par  les  arguments  qu'il  me  reste  à  fournir 
pour  démontrer  que  Sainte-Marie  la  Neuve  ne  se  trouvait  même  pas 
sur  l'esplanade  du  Haram-ech-Chérif. 

2°  Sainte-Marie  la  Neuve  ne  s'élevait  pas  sur  l'esplanade 
de  l'ancien  temple  juif. 

A  priori  on  est  porté  à  admettre  que  les  empereurs  chrétiens  auront 
remplacé  par  quelque  somptueuse  église  le  temple  de  Jupiter  Capitolin, 
bâti  par  Adrien  sur  l'emplacement  de  l'ancien  temple  juif,  ou  du  moins 


(1)  TOBLER,   op.  cit.  p.   226. 

(2)  Cf.  Conférences  de  Saint-Etienne,  1910-1911,  p.  l'iq  (chez  Gabalda). 

(3)  Yaqoubi,  dans  Caetani,  Annali,  III',  p.  935.  Cf.  Eutychius,  P.  G.,  t.  CXI,  col.  i  099. 

(4)  Numéro  du  25  juin  1911,  p.  i  061  :  «J'examine  de  nouveau  la  construction,  et 
j'hésite  à  penser,  comme  autrefois,  que  la  mosquée  conserve  quelques  parties  d'une 
basilique  attribuée  à  Justinien.  » 


238  ÉCHOS    d'orient 


qu'ils  auront  .élevé  quelque  sanctuaire  sut  un  point  de  l'esplanade  pour 
vénérer  quelqu'un  des  nombreux  souvenirs  évangéliques  rappelés  par 
ce  Heu.  Hâtons-nous  de  dire  que  cette  supposition  est  contredite  par 
les  anciens  témoignages. 

Dans  sO'iî  commentaire  de  ce  passage  d'isaïe,  Sion,  la  ville  de  votre 
saint,  est  devenue  déserte,  Jérusalem  a  été  changée  en  une  solitude,  la 
maison  de  notre  sanctuaire  a  été  maudite  (Js.  lxiv,  1 1),  saint  Jérôme  écrit  : 

Les  Juifs  pensent  que  tous  ces  événements  se  sont  accomplis  à  Tépoque 

des  Assyriens  et  des  Babyloniens,  mais  nous ,  nous  appliquons  tout 

le  passage  au  temps  de  la  conquête  romaine....,  et  il  est  superflu  d'en 
donner  l'explication  par  la  parole,  alors  que  cette  explication  éclate  à  tous 
les  yeux  :  tout  ce  qui  leur  était  cher  a  été  dévasté,  et  leur  temple,  célèbre 
dans  le  monde  entier ,  est  devenu  la  voirie  {sterquilinium)de  la  ville  nou- 
velle, appelée ^lia,  du  nom  de  son  fondateur;  il  est  devenu  l'habitacle 
des  chouettes  (i). 

Voilà  quel  était  l'état  du  Haram-ech-Chérif  au  commencement  du 
v®  siècle. 

Les  choses  n'avaient  pas  changé  lorsque,  en  638,  le  calife  Omar 
y  pénétra  en  compagnie  de  saint  Sophrone.  Les  portes  étaient  obstruées 
par  les  décombres.  Nos  deux  personnages  et  leur  suite  durent  se  frayer 
un  chemin  en  rampant  sur  les  débris  accumulés  pour  déboucher  sur 
la  partie  méridionale  du  Haram  (2).  Le  patriarche,  rapporte  Eutychius, 
avait  dit  au  calife  : 

Je  montrerai  au  chef  des  croyants  un  endroit  pour  bâtir  un  temple  [les 
empereurs  grecs  n'en  ont  élevé  aucun  en  ce  lieu);  à  cet  endroit  se  trouve 
la  pierre  sur  laquelle  Dieu  a  parlé  à  Jacob,  celle  même  que  Jacob  appela 
Porte  du  Ciel  et  que  les  Israélites  ont  nommé  Saint  des  saints. 

Et  l'historien  ajoute  : 

En  effet,  après  la  conversion  de  l'empire  romain  à  la  religion  chré- 
tienne, tandis  qu'Hélène,  mère  de  Constantin,  bâtissait  des  églises  à  Jéru- 
salem, le  lieu  de  la  Sakhrah  et  ses  environs  demeurèrent  déserts  et  aban- 
donnés. On  avait  apporté  sur  la  Sakhrah  une  telle  quantité  de  décombres^ 
qu'ils  formaient  un  grand  monceau  de  Jumier.  Les  Grecs  ont  néglige 

cette  pierre ,  ils  n'ont  élevé  aucune  église  au-dessus  d'elle,  parce  qu(' 

Notre-Seigneur  a  dit  dans  le  saint  Evangile  :  «  Voici  que  votre  maisor 
sera  déserte  »,  et  encore  :  «  Il  ne  restera  pas  là  pierre  sur  pierre  qui  ne  soi 
détruite  et  dévastée.  »  C'est  pourquoi  les  chrétiens  ont  laissé  la  Sakhral 
dans  l'abandon  et  n'ont  élevé  aucune  église  par-dessus  (3). 

(i)  Saint  Jérôme  In  Isaïam,  lib.  XVII;  Migne,  P.  L.,  ,t.  XXIV,  col.  626. 
(a)  Conférences  de  Saint-Etienne,  1910-1911,  p.  i36. 
(3)  Eutychius,  Annales,  P.  G.,  t.  CXI,  col.  i  099-1  loc. 


LA    BASILIQUE    SAINTE-iKARIE    LA   NEUVE    A   JERUSALEM  239 

Ainsi  donc,  par  un  sentiment  d'aversion  pour  les  Juifs,  les  chrétiens 
qui  se  souvenaient  de  la  tentative  de  Julien  l'Apostat  (362)  pour  rebâtir 
J'anden  Temple,  avaient  feit  du  Haram  la  voirie,  ou,  si  l'<m.  veut,  l'exu- 
toire,  le  dépotoir  de  la  ville.  C'étaient  des  endroits  absolument  déserts 
que  le  lieu  de  la  Sakbrab  et  ses  environs,  comme  l'atteste  formellement 
Eutychius. 

Déjà,  en  1869,  M.  le  comte  Couret  signalait  cette  très  grosse  diffi* 
culte,  quand  il  écrivait  dans  son  ouvrage  la  Palestine  sous  les  empereurs 
grecs  : 

Nous  avons  peine  à  croire  que  l'on  ait  choisi  pour  asseoir  une  basilique 
un  emplacement  en  horreur  aux  chrétiens  et  qui  servait  de  réceptacle  aux 
ordures  de  la  ville  (i). 

Et  ce  serait  un  pareil  lieu,  ajouterons-nous,  que  I'oti  aurait  choisi, 
non  seulement  pour  une  basilique,  mais  encore  pour  un  grand  cou- 
vent, une  hôtellerie  et  un  vaste  hôpital? 

Une  difficulté  encore  plus  sérieuse  contre  l'emplacement  de  Sainte- 
Marie  la  Neuve  sur  l'esplanade  du  Temple  est  créée  par  le  «  mémoire  sur 
les  maisons  de  Dieu  ou  les  monastères  »  (commemoratorium  de  casis  Dei 
■vel  manasteriis)  rédigé  au  commencement  du  ix«  siècle  par  ordre  de 
Charlemagne.  Vous  avez  entendu  tout  à  l'heure  ce  petit  texte,  d'après 
lequel  il  y  avait  encore,  en  l'année  808,  «  12  clercs  à  Sainte-Marie  la 
Neuve,  bâtie  par  l'empereur  Justinien  »  (2).  Est-il  croyable,  je  vous  ie 
demande,  que  les  musulmans  aient  laissé  aux  chrétiens,  même  sous 
Charlemagne,  une  partie  notable  du  Haram-ech-Chérif,  c'est-à-dire  de 
J'enceinte  sacrée  par  excellence,  la  plus  sainte  à  leurs  yeux  après  celle 
de  la  Mecque?  Non,  sans  doute;  non,  les  bons  rapports  entretenus  par 
Je  grand  empereur  d'Occident  avec  Haroun-el-Rachid  ne  suffisent  pas 
à  résoudre  l'objection. 

Enfin,  un  passage  de  Procope  et  un  autre  de  Cyrille  de  Scythopolis 
sont  absolument  décisifs  en  faveur  de  notre  thèse.  «  L'empereur,  écrit 
Procope,  ordonna  de  bâtir  l'église  sur  la  plus  haute  des  collines.  •>>  (3) 
Si  l'emplacement  déterminé  par  Justinien  avait  été  Tesplanadedu  temple, 
i'historien  n'aurait  eu  qu'un  mot  à  dire  pour  désigner  cet  endroit  avec 
•clarté.  Ce  mot,  il  ne  l'a  pas  dit.  Par  contre,  il  nous  a  donné  un  détail 
lopographique  qui  exclut  la  colline  du  temple;  l'emplacement  de  Sainte- 


(i)  Couret,  la  Palestine  sous  les  empereurs  grecs.  Paris,  1869,  P-  '81,  n.  7. 

(2)  ToBLER,  op.  cit.,  p.  302. 

^3)  'ETtéareXXe èv  xai  upoù'yovTt  fïvéffOai  twv  Àdcpwv. 


240  ÉCHOS    D  ORIENT 


Marie  la  Neuve,  nous  assure-t-il,  est  à  chercher  sur  la  colline  la  plus 
haute  de  Jérusalem,  c'est-à-dire  sur  la  colline  occidentale. 

On  a  voulu  éluder  la  difficulté  en  traduisant  l'historien  de  la  manière 
suivante  :  «  L'empereur  ordonna  de  construire  l'église  sur  la  plus 
avancée  des  collines.  »  Mais  qu'est-ce  au  juste,  dans  notre  cas,  qu'une 
colline  avancée?  Qui  dira  quelle  peut  bien  être  la  colline  la  plus  avancée 
de  Jérusalem?  Cette  traduction  bizarre  d'un  mot  grec,  assez  clair 
cependant,  paraît  bien  avoir  été  donnée  pour  le  besoin  de  la  cause.  Le 
traducteur  latin,  qui  n'avait  pas  nos  préoccupations  topographiques, 
a  rendu  tout  naturellement  le  passage  de  Procope  par  ces  mots  :  «  in 
colle  omnium  editissimo,  sur  la  colline  la  plus  haute  de  toutes  ». 

Le  passage  de  Cyrille  de  Scythopolis  auquel  je  faisais  allusion  il  y  a 
un  instant  est  le  suivant  :  Justinien  «  ordonna  de  construire  l'hôpital  » 
de  Sainte-Marie  la  Neuve  au  milieu  de  la  Ville  Sainte  (i).  11  résulte 
encore  de  ce  texte  que  le  Haram,  situé  sur  un  côté  de  la  ville,  doit  être 
exclu  comme  emplacement  de  Sainte-Marie  la  Neuve. 

3°  //  faut  très  probablement  chercher  l'emplacement  de  Sainte-Marie  la 
Neuve  sur  le  mont  Sien  chrétien,  dans  la  région  des  grandes  synagogues. 

Sainte-Marie  la  Neuve  fut  bâtie  sur  la  colline  la  plus  haute  de 
Jérusalem,  donc  sur  la  colline  occidentale  :  du  texte  de  Procope  on  ne 
peut  tirer  davantage.  Si  l'on  se  demande  en  quel  endroit  précis  de  cette 
colline,  occupée  par  la  ville  du  vi*'  siècle  sur  une  étendue  de  plus  d'un 
kilomètre,  Justinien  avait  élevé  la  merveilleuse  basilique,  il  faut  recourir, 
pour  obtenir  une  réponse,  à  d'autres  sources  d'information. 

Tout  d'abord,  la  description   de   l'Anonyme  de  Plaisance,   venu  à 
Jérusalem  en  570,  nous  fournit  une  indication  utile.  Le  pèlerin  a  visité   | 
le  Saint-Sépulcre;  de  là  il  s'est  rendu  au  Cénacle,  puis  à  la  basilique  . 
Sainte-Marie  la  Neuve.  11  ajoute  :  Il 

Nous  avons  prié  au  prétoire,  là  où  le  Seigneur  fut  jugé,  là  où  s'élève 
maintenant  la  basilique  Sainte-Sophie.  Devant  les  ruines  du  Temple  de 
Salomon,  sur  la  rue,  l'eau  coule  vers  la  fontaine  de  Siloé,  le  long  du  por- 
tique de  Salomon.  De  là,  nous  arrivâmes  à  un  arc  où  il  y  a  eu  une  porte 

antique ,  et,  de  l'arc,  nous  descendîmes  à  la  fontaine  de  Siloé  par  de 

nombreux  degrés  (2). 

Que  l'on  place  le  prétoire  visité  par  ce  pèlerin  au  Mékémeh,  voisin 
du  mur  des  Lamentations,  qu'on  le  place  près  de  l'hospice  autrichien 


(i)  CoTELiER,  op.  cit.,  p.  346.  Le  grec  porte  :  év  tw  ii.é<7(û  ty)?  àyloa  ttoXewç. 

(2)  TOBLER,   op.  cit.,    p.    104. 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA   NEUVE    A   JERUSALEM  24I 

et  des  Arméniens  catholiques,  ou  qu'on  le  place  à  la  caserne  située  à 
l'angle  Nord-Ouest  du  Haram-ech-Chérif,  on  conclura  du  texte  de  notre 
pèlerin  que  l'église  Sainte-Marie  la  Neuve  s'élevait,  soit  dans  le  quartier 
juif,  soit  dans  le  quartier  du  sérail  (i).  Et  si  l'on  admet,  avec  un  bon 
nombre  d'auteurs,  et  non  sans  preuves  sérieuses,  que  le  prétoire  était 
montré,  à  l'époque  byzantine,  dans  la  région  du  Mur  des  Pleurs  des 
juifs,  il  faudra  songer  plus  probablement  au  quartier  juif  actuel  pour 
localiser  la  basilique  de  Justinien. 

Cette  dernière  manière  de  voir  est  confirmée  par  le  petit  texte  de 
Cyrille  de  Scythopolis  donné  tout  à  l'heure  :  au  milieu  de  la  Ville 
Sainte.  En  effet,  à  l'époque  de  Justinien,  Jérusalem  s'étendait  beaucoup 
plus  au  Sud  que  la  ville  moderne,  en  couvrant  complètement  le  mont 
Sion  chrétien,  de  sorte  que  le  quartier  juif  actuel  se  serait  trouvé  au 
centre  de  la  cité  de  cette  époque. 

Or,  il  est  intéressant  de  constater  que  la  carte-mosaïque  de  Madaba, 
oeuvre  du  temps  de  Justinien,  représente  en  plein  milieu  du  quartier 
juif  actuel,  semble-t-il,  vers  l'endroit  où  se  dressent  les  coupoles  des 
deux  grandes  synagogues,  un  monument  important,  bien  orienté,  dont 
la  façade  se  trouve  sur  la  longue  rue  à  colonnes  qui  va  de  la  porte  de 
Damas  vers  la  porte  Sud  de  la  ville.  Il  a  paru  tout  naturel  à  plus  d'un 
de  voir  dans  ce  vaste  édifice  la  basilique  de  Sainte-Marie  la  Neuve  qui 
faisait  l'admiration  des  contemporains. 

Je  n'oserais  affirmer  absolument  que  le  mosaïste  a  voulu  représenter 
Sainte-Marie  la  Neuve,  car,  en  dehors  du  Saint-Sépulcre,  bien  dessiné, 
il  n'est  pas  tout  à  fait  sûr  qu'aucune  église  soit  figurée  sur  ce  plan  de 
la  Ville  Sainte,  mais  du  moins  tout  le  monde  concédera  que  l'hypo- 
thèse est  très  plausible,  les  églises  étant  les  monuments  principaux  de 
Il  la  Ville  Sainte  au  vi»  siècle. 

Même  si  on  n'admet  pas  que  la  carte  de  Madaba  représente  Sainte- 
Marie  la  Neuve,  on  doit  avouer  que  la  partie  du  quartier  juif  comprise 
entre  les  deux  grandes  synagogues  à  coupole  est  un  point  de  la  ville 
qui  vérifie  à  la  lettre  les  données  des  anciens  textes  sur  l'emplacement 
|de  la  grande  basilique  de  Justinien.  On  est  là  sur  la  colline  occidentale, 
la  plus  haute  de  Jérusalem,  et  en  plein  milieu  de  la  ville  du  vi^  siècle. 
iL'bôtellerie  et  V hôpital  qui  avoisinaient  Sainte-Marie  la  Neuve  pouvaient 
'avoir  leur  façade  sur  la  grande  rue  à  colonnes  figurée  par  la  carte  de 
Madaba.  Un  peu  plus  loin,  sur  le  plateau  qui  s'abaisse  rapidement  vers 
j l'Est  et  vers  le  Sud,  devaient  s'ouvrir  les  deux  hémicycles  dont  parle 


(1)  C'est-à-dire  à  l'est  d*  la  basilique  du  Siint-Sépulcri. 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  ,6 


242  ÉCHOS    D  ORIENT 


Procope.  Enfin  venaient  les  propylées  et  l'atrium,  puis  la  basilique 
proprement  dite  à  l'extrémité  orientale  du  plateau.  On  avait  dû  établir 
des  soubassements  considérables  pour  soutenir  le  monument  du  côté 
du  Sud,  et  surtout  du  côté  de  l'Est  où  la  colline  offre  une  pente  plus 
rapide. 

Les  vestiges  anciens  apparents  sont  rares  sur  ce  point  de  la  ville 
comme  presque  partout  ailleurs.  Cependant  le  R.  P.  Séjourné  en  avait 
signalé,  il  y  a  une  quinzaine  d'années,  d'assez  importants  près  de  l'an- 
cien couvent  teutonique  du  temps  des  croisés,  sur  l'escarpement  qui 
domine  la  vallée  du  Tyropœon  (i).  Seules  des  fouilles  pourraient  per- 
mettre de  proposer  un  lieu  tout  à  fait  précis  comme  emplacement  de 
l'église  Sainte-Marie. 

En  terminant  cette  discussion  topographique,  relevons  un  détail  signalé 
par  M.  Clermont-Ganneau.  Il  y  avait  au  x^  siècle  une  Porte-Neuve,  pro- 
bablement dans  la  région  de  la  porte  actuelle  des  Maugrebins  ou  un 
peu  plus  à  l'Ouest.  Ce  nom  de  Porte-Neuve  mérite  d'être  rapproché  de 
celui  de  Sainte-Marie  la  Neuve  (2), 


11  ne  nous  reste  plus  maintenant  qu'à  répondre  à  cette  question  : 
Y  a-t-il  jamais  eu  à  Jérusalem  une  église  dédiée  à  la.  Présentation  de  la 
Sainte  Vierge? 

Nier  absolument  le  fait  serait  téméraire.  Du  moins,  nous  pouvons 
affirmer  qu'aucun  texte  bien  ancien  n'autorise  cette  croyance  et  que» 
si  l'église  de  Sainte-Marie  la  Neuve  s'élevait,  comme  nous  croyons 
l'avoir  démontré,  en  dehors  de  l'esplanade  du  Temple,  l'existence 
d'une  antique  église  de  la  Présentation  à  Jérusalem  devient  fort  probl^ 
matique. 

Le  docte  Franciscain  Quaresmius  (xvif  siècle)  parle  de  la  mosqué€J 
El-Aksa  avec  sa  prolixité  habituelle,  mais  il  insiste  surtout  sur  \t  fait  àk\ 
la  Présentation  de  la  Vierge  au  Temple.  Touchant  l'histoire  du  culte  de[ 
Marie  se  manifestant  à  Jérusalem  par  la  consécration  d'une  église  auj 
mystère  de  la  Présentation,  il  est  beaucoup  plus  laconique. 


(i)  Le  long  de  la  rue  HaratelMeidan,  on  peut  voir  des  fragments  relativement  noirj 
breiix  de  colonnes  et  de  chapiteaux.  ; 
^  (2)  Moqaddesy  (x*  siècle). signale  la  Porte-Neuve  après  la  porte  de  Sion;  M.  Clermonj 
Ganneau  incline  à  croire  que  dans  son  énumération  des  portes  de  la  ville  cet  auteuj 
va  de  l'Ouest  à  l'Est.  Dans  cette  hypothèse,  la  deuxième  porte,  appelée  Porte-Neuvf 
doit  être  cherchée  dans  les  environsde  la  porte  actuelle  des  Maugrebins.  (Cf.  Clermon' 
Ganneau,  Recueil  d'archéologie  orientale,  t.  III,  p.  56-57.) 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA   NEUVE    A  JÉRUSALEM  243 

Il  dit  d'abord  qu'un  vieux  manuscrit  signale  la  mosquée  El-Aksa 
sous  un  nom  équivalent  à  celui  de  la  Présentation  au  Temple,  en  l'ap- 
pelant :  l'école  de  la  Bienheureuse  Vierge  Marie  oii  elle  apprit  l'alphabet. 
L'interprétation  que  donne  Quaresmius  de  cet  ancien  texte  me  semble 
erronée.  Nous  savons,  en  effet,  par  plusieurs  récits  de  pèlerinages 
qu'après  les  Croisades  la  légende  montra  une  pareille  école  dans  le 
voisinage  de  l'Arc  de  VEcce  Homo  (i). 

Ensuite  Quaresmius  cite  un  passage  de  Jacques  de  Vitry  qu'il  applique 
sans  raison  suffisante  à  la  mosquée  El-Aksa,  alors  que  cet  historien 
des  Croisades  se  contente  de  dire  que  la  Vierge  fut  présentée  au  Temple 
du  Seigneur,  dont  l'emplacement  est  marqué  par  la  mosquée  d'Omar  (2). 

Le  docte  écrivain  se  demande  enfin  quel  fut  le  constructeur  d'El-Aksa, 
pour  lui  église  de  la  Présentation.  Et  il  répond  que  ce  ne  fut  pas 
sainte  Hélène,  comme  le  croyait  à  tort  au  xvi«  siècle  Bonîface  d€  Raguse, 
un  de  ses  prédécesseurs  dans  la  charge  de  custode,  mais  bien  l'empe- 
reur Justinien.  Là-dessus,  il  se  pose  cette  autre  question  :  «  La  mosquée 
El-Aksa  fut-elle  appelée,  à  l'origine,  c'est-à-dire  au  temps  de  la  fon- 
dation, église  de  la  Présentation?  »  Non,  répond-il,  «  elle  s'appela 
d'abord  église  de  la  Mère  de  Dieu,  église  Neuve,  si  nous  en  croyons 
Cyrille  de  Scythopolis  ».  Et  il  donne  comme  autre  preuve  que  la  fête 
de  la  Présentation  a  été  introduite  dans  l'Eglise  bien  longtemps  après 
Justinien.  A  la  suite  de  Baronius,  il  fait  commencer  l'histoire  connue 
de  cette  fête  au  xiv^  siècle  seulement  (nous  avons  dit  qu'elle  était  sûre- 
ment plus  ancienne  d'au  moins  deux  cents  ans),  mais  il  admet  que  la 
solennité  de  la  Présentation  aura  pu  être  célébrée  auparavant  à  Jérusa- 
lem et  que  le  patriarche  de  cette  ville  aura  ajouté  au  vocable  Sainte- 
iMarie  les  mots  «  de  la  Présentation  ».  Sa  pensée  paraît  être  que  le  fait  se 
îpwa  produit  à  une  époque  reculée,  avant  la  prise  de  la  Ville  Sainte  par 
les  Arabes  en  638  ou  pendant  la  durée  du  royaume  latin  auxii^  siècle  (3). 

On  le  voit,  Quaresmius  est  à  court  de  preuves  servant  à  établir 
qu'une  église  de  Jérusalem  a  été  dédiée  jadis  à  la  Présentation  de  la 
Vrerge. 

N'accusons  pas  trop  vite  son  érudition  de  se  trouver  en  défaut.  En 
effet,  la  croyance  générale  de  son  temps,  d'après  laquelle  il  y  aurait 
eu  autrefois  dans  la  Ville  Sainte  une  église  sous  le  vocable  de  la  Pré- 
jsentation,  manque  de  documentation  dans  l'antiquité.  11  faut  attendre, 


(1)  Ainsi  par  la  relation  du  baron  d'Anglure,  venu  à  Jérusalem  en  iSgS. 
is)  Elucidatio  Terrœ  Sanctcc,  1.  IV,  c.  xviu, 
^3)  Op.  cit.,  1.  IV,  c.  XIX. 


244  ÉCHOS    D  ORIENT 


à  ma  connaissance,  jusqu'au  xv^  siècle  pour  trouver,  dans  le  Traité  de  h 
Terre  Sainte  et  de  l'Orient  de  Francesco  Soriano,  la  première  attestation 
de  ce  genre. 

On  a  mis  en  avant  l'hypothèse  selon  laquelle  la  fixation  du  jour  de  la 
fête  de  la  Présentation  aurait  été  déterminée  par  la  date  de  la  dédicace 
de  Sainte-Marie  la  Neuve  (novembre  543),  comme  le  jour  de  la  fête  de 
l'Exaltation  de  la  Sainte  Croix  a  été  déterminé  par  le  second  jour  de  la 
dédicace  de  la  basilique  du  Saint-Sépulcre,  le  14  septembre  (1).  Dès  lors, 
assure-t-on,  il  serait  très  vraisemblable  que  Sainte-Marie  la  Neuve  ait 
porté  le  vocable  de  la  Présentation.  Tout  ceci  ressemble  fort,  si  je  ne 
me  trompe,  à  un  cercle  vicieux.  Tant  qu'on  n'aura  pas  prouvé,  à  l'aide 
des  témoignages  des  textes,  que  la  consécration  de  Sainte-Marie  la  Neuve 
eut  lieu  exactement  le  21  novembre,  on  n'aura  rien  prouvé  (2). 

Concluons  donc  que  l'existence  à  Jérusalem,  à  n'importe  quelle 
époque,  d'une  église  dédiée  à  la  Présentation,  est  pour  nous,  dans 
l'état  actuel  de  la  science,  un  fait  extrêmement  douteux. 


S'il  fallait  résumer  en  quelques  mots  cette  conférence,  nous  pourrions j 
dire  : 

Sainte-Marie  la  Neuve,  bâtie  à  la  fin  du  v«  siècle  et  au  commencements 
du  vie,  détruite  par  les  Perses  en  614,  mais  relevée  bientôt  (commel 
le  prouve  le  Commemoratorium  de  casis  Del)  pour  subir  en  1009,  soujd 
Hakem,  une  destruction  définitive,  ne  peut  être  identifiée  avec  la  moslj 
quée  El-Aksa,  car  l'orientation  d'El-Aksa  et  son  peu  de  caractère  archi-L^ 
tectural  s'y  refusent,  et,  de  plus,  nous  savons  qu'Omar  avait  promis  d(  j 
respecter  toutes  les  églises.  | 

Elle  ne  s'élevait  même  pas  sur  le  Haram-ech-Chérif,  car  1°  ce  liei  | 
était  désert  et  avait  été  transformé  en  voirie  à  l'époque  byzantine  j 
2"  il  y  aurait  eu  au  ixe  siècle,  chose  bien  invraisemblable,  une  églisi  i 
livrée  au  culte  sur  l'esplanade  du  Haram,  si  sainte  aux  yeux  des  musu!  .- 
mans;  y  la  basilique  Sainte-Marie  la  Neuve  s'élevait  sur  la  collinl  .'j 
la  plus  haute  de  Jérusalem  et  donc  sur  la  colline  occidentale  (Procopej  j 
et  au  milieu  de  la  ville  (Cyrille  de  Scythopolis).  \ 

11  est  très  probable  que  Sainte-Marie  la  Neuve  se  trouvait,  avec  se|   \ 


(i)  Les  fêtes  de  la  dédicace  commençaient  le  i3  septembre,  mais  l'ostension  sole 
nelle  de  la  relique  avait  lieu  le  14.  (Cf.  S.  Vailhé,  La  dédicace  de  Sainte-Marie 
Neuve,  dans  Revue  Augustinienne,x.  II,  igoS,  p.  139-140.) 

(2)  Cyrille  de  Scythopolis  dit  simplement  qu'il  est  parti  de  Scythopolis  à  la  fin  ( 
mois  de  novembre  pour  aller  assister  à  la  dédicace  de  Sainte-Marie. 


.^i 


LA    BASILIQUE    SAINTE-MARIE    LA   NEUVE    A   JERUSALEM  245 

annexes,  au  centre  du  quartier  juif  actuel,  car  cet  endroit  répond  bien 
aux  données  de  Procope  et  de  Cyrille  de  Scythopolis  et,  de  plus, 
semble  suggéré  par  le  récit  de  voyage  de  l'Anonyme  de  Plaisance  et 
la  carte  de  Madaba. 

Enfin  ces  conclusions  topographiques,,  jointes  au  silence  des  anciens 
auteurs,  rendent  très  incertaine  l'existence  dans  Jérusalem,  à  une  date 
quelconque,  d'une  église  dédiée  à  la  Présentation. 

Ceci  n'empêchera  personne,  en  visitant  l'Esplanade  du  Temple,  de 
vénérer  le  souvenir  de  la  Vierge  qui  y  fut  présentée,  y  vécut  de  longues 
années  et  y  vint  ensuite  souvent  pendant  la  vie  de  Jésus. 

LÉOPOLD  Dressaire. 

Jérusalem. 


LA    «   NATION    LATINE   » 
DE  CONSTANTINOPLE 


L'histoire  complète  de  la  colonie  latine  de  Constantinople  serait 
longue  à  faire;  elle  devrait  remonter  pour  le  moins  au  ix«  siècle, 
puisque  le  pape  Jean  VIIT  (882),  écrivant  à  Basile  le  Macédonien,  parle 
de  l'église  des^saints  Serge  et  Bacchus,  qu'il  considère  comme  une  église 
de  rite  latin  (i).  Cette  histoire  présenterait  aussi  forcément  bien  des 
lacunes,  car  les  documents  sont  rares,  et  beaucoup  d'entre  eux,  enfouis 
dans  les  archives  de  la  Sublim  e  Porte,  y  restent  à  peu  près  inaccessibles. 

Notre  intention  n'est  pas,  pour  aujourd'hui  du  moins,  de  remonter 
à  l'époque  de  Jean  VIII;  nous  préférons  nous  borner  à  la  période  qui 
suivit  la  conquête  musulmane.  Dans  la  période  qui  précède,  au  reste^ 
la  nation  latine  n'était  qu'une  colonie  étrangère  ne  faisant  même  pas 
partie  intégrante,  au  moins  en  fait,  sinon  en  droit,  de  l'empire  de 
Byzance. 

La  fondation  de  l'empire  latin  avait,  il  est  vrai,  amené  en  1204  la 
création  d'un  patriarcat  de  rite  latin;  un  Chapitre  s'était  même  constitué 
à  Sainte-Sophie  (2).  Cette  splendeur,  fruit  d'une  conquête,  n'eut  que 
la  durée  de  cette  même  conquête.  Moins  de  cinquante  ans  plus  tard^" 
en  1261,  les  empereurs  grecs  remontaient  sur  le  trône  de  Constantin, 
et  le  patriarche  Giustiniani,  partageant  la  fortune  de  ses  compatriotes, 
devait  s'embarquer  en  fugitif  sur  le  même  vaisseau  que  l'empereur 
Baudouin  II.  II  ne  perdit  pas  son  titre  néanmoins;  il  continua,  bien  que 
de  loin,  à  diriger  les  quelques  latins  restés  à  Constantinople.  En  1274,; 
il  assista  même  au  concile  de  Lyon.  Sa  Juridiction  ne  se  bornait  pas 
à  Constantinople,  mais  s'étendait  à  tout  l'ancien  patriarcat  et  aux  po$ 
sessions  encore  au  pouvoir  des  croisés. 

Giustiniani  fut  remplacé,  en  1286,  par  Pierre  I«r,  Celui-ci  résida  daru 
l'île  de  Crète,  et,  de  là,  continua  à  exercer  sa  juridiction  sur  les  latins 
de  l'empire  byzantin. 

Les  successeurs  de  Pierre  I^r,  successivement  élus  par  les  chanoines 
de  Sainte-Sophie,  conservèrent  une  juridiction  réelle  sur  la  ville  impé- 


(i)  A.  Belin,  Histoire  de  la  latinité  de  Constantinople,  2'  édition.  Paris,  1894.  p.  i5 

(2)  Van  den  Steen  de  Jehay,  De  la  situation  légale  des  sujets  ottomans  non  musul 

mans.  Bruxelles,  1906,  p.  307. 


i 


LA   «   NATION    LATINE   »    DE   CONSTANTINOPLE  247 


riale.  En  1302,  Boniface  Vlll  leur  confia  aussi  le  gouvernement  de  l'ar- 
chevêché de  Candie.  En  1314,  Clément  V  y  ajouta  l'évêché  de  Négre- 
pont.  Celui-ci  devint  la  résidence  habituelle  de  plusieurs  patriarches,  entre 
autres  du  patriarche  Henri,  qui,  en  1344,  se  mit  à  la  tête  d'une  croi- 
sade et  s'empara  de  Smyrne  le  28  octobre  de  la  même  année;  il  y  fut 
tué  dans  une  sortie  contre  les  Turcs. 

En  1390,  le  titulaire  était  Angelo  Corraro,  qui  devint  le  pape  Gré- 
goire XII. 

A  la  fin  du  siècle  suivant,  plusieurs  patriarches  unirent  ce  titre  à  celui 
de  cardinal,  à  l'inverse  de  ce  qui  se  fait  maintenant;  on  sait  qu 'au- 
jourd'hui le  patriarche  latin  de  Constantinople  cesse  de  porter  ce  titre 
s'il  entre  dans  le  Sacré  Collège. 

En  1492,  quand  mourut  Bessarion,  le  Chapitre  de  Sainte-Sophie 
n'existait  plus;  un  seul  de  ses  membres  vivait  encore,  et  le  Pape  se 
réserva  le  droit  de  nommer  directement  au  titre  de  Constantinople. 

De  1261  à  1453,  la  juridiction  des  patriarches,  si  précaire  déjà,  avait 
îté  restreinte  encore  par  les  droits  que  le  patriarche  de  Venise  et  l'ar- 
:hevêque  de  Gênes  n'avaient  pas  cessé  d'exercer  sur  leurs  compatriotes 
le  Constantinople  et  les  églises  qu'ils  fréquentaient;  mais,  après  la 
:onquête  turque,  Génois  et  Vénitiens  disparurent,  le  peu  qu'il  en  resta 
[l'osa  plus  se  réclamer  de  la  mère  patrie,  et  le  vrai  titulaire  de  Cons- 
antinoplé  concentra  entre  ses  mains  tous  les  pouvoirs  :  pouvoirs  pure- 
ment nominaux,  ou  à  peu  près;  car,  obligé  de  résider  à  Rome  ou  dans 
'île  de  Crète,  le  patriarche  n'était  représenté  dans  sa  ville  patriarcale 
3ue  par  un  simple  prêtre,  ordinairement  le  supérieur  du  couvent  de 
iaint-François,  à  qui  il  donnait  le  nom  de  vicaire  patriarcal. 

En  1634  (i),  sur  l'ordre  de  la  Propagande,  le  patriarche  dut  envoyer, 
;n  le  rétribuant  lui-même,  un  évêque  suffragant.  Mais  cette  situation 
le  dura  guère,  car  six  ans  plus  tard  les  Turcs  vinrent  la  simplifier  en 
l'emparant  de  l'île  de  Crète  et  des  revenus  que  TEglise  catholique  y 
)ossédait.  N'ayant  plus  de  quoi  payer  son  suffragant,  le  patriarche  cessa 
ie  le  nommer  et  perdit  de  ce  chef  l'ombre  de  juridiction  qui  lui  restait. 
.'Eglise  latine  fut  dès  lors  gouvernée  directement  par  la  Propagande, 
lui  nomma  elle-même  le  vicaire  patriarcal,  et  transforma  son  titre 
:n  celui  de  vicaire  apostolique  suffragant  patriarcal  de  Constantinople. 
:n  1772,  le  mot  suffragant  fut  supprimé,  l'évêque  porta  le  titre  de  vicaire 
apostolique  pour  le  district  de  Constantinople,  et  celui  de  vicaire 
miriarcal.  pour  la  ville  même.  En  1868,  on  y  ajouta  le  titre  de  délégué 


(i)  Belin,  op.  cit.,  p.  174. 


248  ÉCHOS    d'orient 


apostolique  pour  les  rites  orientaux,  et,  depuis   lors,  l'évêque  résidant 
à  Constantinople  s'intitule  -vicaire  patriarcal  et  délégué  apostolique. 


Telle  est  la  suite  des  transformations  qui  aboutirent  à  la  situation 
religieuse  actuelle.  Voyons  comment  s'organisa  à  son  tour  l'adminis- 
tration civile  des  catholiques  de  rite  latin. 

Avant  la  conquête  de  Mahomet  11,  Gênes  et  Venise,  l'emportant  tour 
à  tour,  s'étaient  disputé  l'influence  latine  à  Constantinople.  Au  moment 
de  la  conquête,  la  première  de  ces  deux  villes  dominait,  elle  partagea 
le  sort  que  l'ouragan  musulman  faisait  subir  à  l'empire  byzantin.  La 
plupart  des  latins  quittèrent  la  ville  devenue  turque,  mais  un  bon 
nombre  prêtèrent  l'oreille  aux  invitations  de  Mahomet  II,  qui  leur  pro- 
mettait, comme  à  tous  les  autres  habitants  de  Constantinople,  la  vie 
sauve  et  la  propriété  de  leurs  biens.  Ceux  qui  revinrent  furent  même 
assez  nombreux  pour  constituer  une  communauté  à  part,  avec  son 
existence  propre  et  ses  privilèges.  On  sait,  en  effet,  que  Mahomet  II, 
trop  habile  politique  pour  essayer  de  créer,  entre  tant  de  peuples  de 
races  et  de  tendances  si  diverses,  une  unité  impossible,  garantit  une 
entière  indépendance  religieuse  et  une  certaine  autonomie  civile  à 
chaque  communauté  chrétienne,  sous  la  surveillance  et  la  responsabilité 
de  son  chef  religieux. 

Le  noyau  de  la  communauté  latine  se  trouvait  à  Péra,  qui,  à  l'époque 
de  l'empire  byzantin,  formait  comme  une  cité  à  part  avec  ses  fossés,  ses 
murailles  (dont  le  couvent  de  Saint-Benoît  offre  encore  des  vestiges),  et 
son  administration  particulière.  Elle  était  même,  au  temps  de  l'empire 
disparu,  indépendante  à  ce  point,  que  bien  des  fois  elle  prit  parti  contre 
les  maîtres  du  pays,  et,  bien  longtemps  avant  la  conquête,  elle  avait 
traité  directement  avec  les  sultans  qui  menaçaient  sans  cesse  la  capitale 
de  l'empire  grec.  Cela  lui  attira  de  la  part  des  Turcs  une  bienveillance 
relative;  et,  après  la  conquête,  le  faubourg  de  Galata,  sans  se  soucier 
autrement  des  Grecs,  put  capituler  pour  son  propre  compte.  Mais  le 
pouvoir  régulier,  lui,  n'avait  pas  voulu  renier  ses  amitiés  génoises,  et 
Mahomet  ne  trouva  devant  lui  qu'une  réunion  de  bourgeois  érigée  en 
gouvernement  provisoire.  Il  lui  accorda  la  paix  et  lui  concéda  même 
certaines  franchises  consignées  dans  le  firman  suivant  : 

Moi,  le  Grand  Seigneur,  le  grand  Emir,  Sultan  Méhemed  Khan,  fil 
du  Grand  Seigneur  et  Grand  Emir  Mourad  Khan,  je  jure,  par  le  Diei 
créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  par  notre  grand  prophète  Mohammed,  pa< 
les  sept  variantes  du  Coran  que  nous  confessons,  nous,  musulmans,  pa 


LA   «   NATION   LATINE   »   DE   CONSTANTINOPLE  249 

les  cent  vingt-quatre  mille  prophètes  de  Dieu,  par  l'âme  de  mon  grand- 
père,  par  le  sabre  qui  me  ceint  le  corps,  que  je  laisse  aux  habitants  de 
Galata  leurs  lois  et  leurs  franchises,  ainsi  qu'il  est  d'usage  pour  tous  les 
pays  aujourd'hui  soumis  à  ma  domination,  et  cela  sur  la  prière  que  m'en 
ont  faite  les  très  honorables  archontes,  le  Sieur  Bayle  Paraban,  le  Seigneur 
Marchèse  Difrangho  et  l'interprète  Nicolas  Pelazoni,  députés  auprès  de 
notre  Sublime  Porte  par  les  archontes  de  cette  ville.  En  conséquence, 
les  murs  de  Galata  seront  rasés,  mais  les  habitants  conserveront  tous 
leurs  biens,  leurs  maisons,  leurs  magasins,  leurs  vignes,  leurs  moulins, 
leurs  navires,  leurs  barques,  leur  commerce,  leurs  femmes  et  leurs 
enfants,  pour  en  disposer  comme  ils  l'entendent.  Il  leur  est  permis  de 
vendre  leurs  marchandises  dans  toute  l'étendue  de  mon  empire;  ils  pour- 
ront voyager  librement  par  terre  et  par  mer;  ils  ne  seront  assujettis  à 
aucun  droit  de  douane  ni  à  aucun  travail  forcé,  mais  ils  seront  tenus  de 
payer  un  droit  de  capitation  {kharadj),  comme  tout  autre  pays  rangé 
sous  ma  domination.  Ses  lois  et  ses  usages  {de  Galata)  resteront,  dès 
aujourd'hui  et  pour  toujours,  les  mêmes;  je  les  protégerai  et  les  défendrai 
comme  ma  propre  personne.  Les  habitants  conserveront  leurs  églises  et 
leurs  chants;  mais  il  leur  est  défendu  de  se  servir  de  cloches  ou  de  cré- 
celles; je  ne  changerai  pas  leurs  églises  en  mosquées,  mais  ils  ne  pour- 
ront pas  en  construire  de  nouvelles. 

Les  négociants  génois  pourront  circuler  librement  et  vaquer  en  toute 
sûreté  au  soin  de  leur  commerce;  je  ne  prendrai  pas  leurs  enfants  pour 
les  enrôler  dans  le  corps  des  janissaires;  il  ne  leur  sera  point  fait  violence 
pour  les  convertir  à  notre  foi;  je  promets  aux  habitants  de  Galata  de  ne 
pas  les  faire  gouverner  par  un  esclave;  ils  choisiront  eux-mêmes  dans 
leur  sein  un  ancien  pour  juger  les  différends  entre  les  négociants.  Ni 
janissaires  ni  esclaves  ne  seront  logés  dans  leurs  maisons;  ils  éliront  un 
des  leurs  pour  administrer  leurs  affaires. 

Les  archontes  et  les  administrateurs  ne  seront  pas  molestés;  ils  auront 
la  faculté  d'aller  et  de  venir  en  payant  la  taxe,  comme  il  est  dit  dans  ce 
document  par  nous  écrit. 

Fait  l'an  6961  de  la  création  du  monde,  et  de  l'Egire  SSy,  vers  la  fin 
du  mois  de  Djémadi-ul-akher  (i). 

Ce  firman  fut  l'origine  civile  de  la  nation  latine  actuelle;  il  garantit 
jencore  son  égalité  avec  les  autres  communautés  chrétiennes  dans 
ll'empire  des  sultans. 


(i)  Hammer,  Geschichte  des  osmanichen  Reichs.  Pesth,  1827,  t.  I",  p.  677.  Cf.  Zin- 
KEiSEN,  Geschichte  des  osmanischen  Reiches  in  Europa.  Gotha,  1854,  t.  Il,  p.  26-28. 
JGet  auteur  cite  en  note,  ibid.,  une  traduction  italienne  de  ce  document,  probablement 
jcontemporaine  des  événements,  et  existant  à  l'état  de  manuscrit,  en  1864,  à  la  biblio- 
jthèque  de  l'Arsenal,  à  Paris,  dans  la  collection  intitulée  :  Traite^  et  ambassades  de 


2^0  ÉCHOS    D  ORIENT 


La  petite  communauté  ainsi  constituée  s'intitula  d'un  nom  qui  ne 
parut  pas  alors  trop  pompeux  Magnifica  Communita  di  Fera  (Péra,  c'est- 
à-dire  ce  qui  est  au  delà,  au  delà  de  la  Corne  d'Or,  par  rapport  à  Stam- 
boul). Sur  son  organisation  nous  savons  fort  peu  de  chose,  les  documents 
n'abondent  pas;  e'n  tout  cas,  la  Magnifica  Communita  était  dirigée  par 
un  prieur,  un  sous-prieur  et  douze  conseillers.  Cette  organisation  ne 
fut  complète  que  plus  tard,  sous  Ahmed  l^r,  puis  sous  Mourad  IV,  qui, 
en  1640,  permit  aux  latins  de  se  choisir  des  chefs  à  leur  guise. 

La  Magnifica  Communita  était  chargée  de  l'administration  tempo- 
relle des  églises,  et  nommait  pour  chacune  d'elles  un  procureur  dont 
les  pouvoirs  ne  duraient  jamais  plus  d'un  an.  Ces  pouvoirs,  en  prin- 
cipe, ne  concernaient  que  l'administration  strictement  temporelle  des 
églises;  toute  la  puissance  spirituelle  résidait  entre  les  mains  des 
vicaires  patriarcaux.  Est-ce  à  dire  que  la  Magnifica  Communita  ne 
chercha  pas  de  temps  à  autre  à  se  mêler  aussi  du  spirituel?  C'eût 
été  presque  héroïque,  et  surtout  contraire  à  la  coutume  de  l'Orient. 
L'exemple  des  communautés  non  catholiques  exerçait  parfois  une  sorte 
de  fascination  sur  les  procureurs,  qui  eussent  bien  voulu  s'immiscer 
dans  l'administration  spirituelle.  Aussi  des  conflits  en  résultaient-ils 
assez  fréquemment  entre  la  Magnifica  Communita  et  le  pouvoir  reli- 
gieux. Ainsi,  en  1585,  le  18  novembre,  les  conseillers  demandèrent 
qu'on  leur  laissât  le  soin  de  choisir  eux-mêmes  les  prêtres  chargés  de 
desservir  les  églises  de  la  communauté  :  Sainte-Marie,  Saint-Nicolas, 
Sainte-Anne,  Saint-Benoît,  Saint-Jean,  Saint-Sébastien,  Saint-Antoine 
et  Saint-Georges.  La  communauté  prétendait  posséder  ce  droit  depuis 
la  conquête  musulmane.  Mais  l'évêque  de  Tinos,  envoyé  par  le  Pape 
comme  visiteur  apostolique,  ne  voulut  pas  le  reconnaître. 

La  Magnifica  Communita  était  naturellement  chargée  de  subvenir  aux 
dépenses  des  églises,  mais  elle  se  montrait  moins  zélée  dans  l'exercice 
de  cette  prérogative  que  dans  la  nomination  des  curés,  et,  à  plusieurs 
reprises,  les  vicaire^  patriarcaux  furent  obligés  de  menacer  d'excom- 
munication les  procureurs  qui  refusaient  de  rendre  compte  de  leur 
administration.  En  1648,  cette  menace  fut  même  mise  à  exécution  par 
un  vicaire  patriarcal  du  nom  de  Gian  Franceso. 

Déjà,  en  1623,  la  Magnifica  Communita  avait  essayé  de  s'opposer  ;i 
la  nomination  d'un  vicaire  patriarcal  revêtu  du  caractère  épiscopal. 
sous  prétexte  que  la  présence  à  Constantinople  d'un  ambassadeur  du 


Turquie,  t.  I",  p.  i8.  Cf.  C.  Saih,  Notice  historique  sur  la  communauté  latine  (jtiu-- 
mane.  Constantinople,  1908,  p.  9. 


LA   «  NATION    LATINE   »   DE   CONSTANTINOPLE  2t^I 

Pape  déchaînerait  le  fanatisme  musulman  contre  la  religion  chrétienne, 
et  pousserait  les  Turcs  à  transformer  en  mosquées  les  églises  catho- 
liques. 

La  crainte  inspirée  alors  par  les  Turcs  était  si  grande,  que  Ton  n'osa 
pas  passer  outre.  Mais  onze  ans  plus  tard,  comme  nous  l'avons  déjà 
vu,  la  Propagande  ordonnait  néanmoins  au  patriarche  de  Constantinople 
d'env  oyer  un  évêque  suffragant  dans  sa  ville  patriarcale.  Un  peu  plus 
tard,  en  1664,  la.  Ma^nijica  Communiia  elle-même  sollicitait  du  gouver- 
nement turc  le  bérat  ou  diplôme  d'investiture  pour  M^^"  Ridolphi,  ce 
qui,  d'ailleurs,  fut  refusé  (i);  et,  en  1671,  elle  insistait  auprès  du  Pape 
pour  que  le  patriarche  résidât  à  Constantinople. 


La  raison  qui  avait  fait  accepter  au  Saint-Siège  et  aux  différents 
vicaires  patriarcaux  le  fonctionnement  de  cette  Magnifica  Communita 
était  l'espoir  qu'un  Comité  laïque,  composé  à  l'instar  de  ceux  qui 
gouvernent  encore  les  communautés  non  catholiques,  porterait  moins 
ombrage  aux  Turcs,  qu'il  serait  par  suite  plus  à  même  de  sauvegarder 
les  intérêts  catholiques.  On  fut  un  peu  déçu,  comme  on  l'a  été,  du  reste, 
chaque  fois  que  l'expérience  s'est  renouvelée  ;  ces  Comités  se  préoccupent 
surtout,  quand  ils  se  préoccupent  de  quelque  chose,  de  réclamer  des 
privilèges,  toujours  dus  ab  antiquo  naturellement,  et  les  vrais  intérêts 
religieux  passent  infailliblement  à  l'arrière-plan.  C'était  arrivé  pour  la 
Magnifica  Communita,  et,  vers  1680,  il  ne  restait  presque  plus  d'églises 
catholiques  ;  les  unes  avaient  été  incendiées,  et  personne  n'avait  su  les 
reconstruire;  les  Turcs  avaient  confisqué  les  autres  pour  en  faire  des 
mosquées,  et  personne  n'avait  soufflé  mot.  D'un  autre  côté,  la  plupart 
des  latins  n'étaient  même  pas  sujets  ottomans;  ils  n'avaient  affaire,  au 
civil,  qu'avec  les  ambassadeurs  de  leurs  pays  respectifs.  Quant  à  la 
Magnifica  Communita  di  Fera,  ils  s'en  souciaient  très  peu.  Aussi  le 
vicaire  patriarcal,  Mg^  Gasparini,  jugea-t-il  le  moment  venu  de  s'en 
passer  tout  à  fait,  et  de  briser  ainsi»  une  fois  pour  toutes,  son  opposition, 
qui  devenait  souvent  encombrante  et  jalouse.  Il  obtint  de  la  S.  Cong.  de 
la  Propagande  un  décret  du  17  octobre  1682,  qui  enlevait  totalement 
ià  la  Communita  l'administration  des  biens  ecclésiastiques.  La  Société 


,j  (i)  Une  petite  brochure  publiée  à  Constantinople  sur  le  sujet  que  nous  traitons 
prétend  que  cette  demande  était  dirigée  contre  Rome,  et  pour  soustraire  i'évêque  au 
pouvoir  du  Pape,  pouvoir  que  l'auteur  de  la  brochure  voudrait  prouver  exagéré; 
iîntiais  les  ouvrages  dans  lesquels  il  a  puisé  les  éléments  de  son  travail  ne  donnent 
pas  lieu  à  cette  interprétation  trop  tendancieuse.  (C.  Saih,  Notice  historique  sur  la 
'munauté  latine  ottomane.  Constantinople,  1908,  p.  i5.  ) 


2^2 


ECHOS    D  ORIENT 


• 


ainsi  dépossédée  essaya  bien  de  résister;  mais,  d'une  part,  toutes  les 
églises  appartenaient  aux  communautés  religieuses;  d'autre  part,  les 
membres  de  ce  Comité  avaient  diminué,  au  point  de  devenir  quantité 
négligeable;  d'ailleurs,  en  cas  de  besoin,  l'ambassade  de  France  savait 
agir,  et  les  latins  avaient  plus  de  confiance  en  elle  qu'en  la  Communiia. 

Il  suffit,  dit  M.  Belin,  pour  ne  parler  que  de  la  latinité  de  la  capitale, 
de  rappeler  la  conservation  de  plusieurs  églises,  due  à  l'intervention  de 
François  I";  la  protection  assurée  aux  divers  Ordres  religieux,  l'inter- 
vention personnelle  de  Henri  III  en  faveur  du  patriarche  de  Constanti- 
nople,  la  reconstruction  ou  la  dotation  de  telles  ou  telles  églises,  dues 
aux  bons  offices  des  ambassadeurs  non  moins  qu'à  la  munificence  de 
nos  rois,  en  un  mot  l'assistance  efficace  et  constante  donnée  par  la 
France  aux  affaires  de  l'Eglise.  En  1608,  la  Communiia  déclarait  M.  de 
Brèves  protecteur  général  des  chrétiens  de  l'empire  ottoman.  En  1639,  le 
patriarche  œcuménique  lui-même  faisait  supplier  le  roi  de  France  de  se 
déclarer  le  protecteur  de  l'Eglise  d'Orient  (i).  .,^ 

La  Magnifica  Communiia  disparut  donc  tout  à  fait,  pour  céder  lâ 
place  à   une  paisible  confrérie  de   Sainte-Anne,   qui  n'eut  jamais  de 

prétentions  politiques  ou  administratives. 

* 
*  * 

Cependant  le  vicaire  patriarcal  et  délégué  apostolique  n'ayant  pas  de 
bérat  de  la  Sublime  Porte,  il  lui  est  impossible  de  traiter  directement 
avec  le  gouvernement.  L'ambassadeur  de  France,  en  sa  qualité  de 
représentant  de  la  nation  protectrice,  doit  lui  servir  d'intermédiaire,  et, 
c'est  accompagné  d'un  drogman  français,  que  le  délégué  apostolique  se 
présente  devant  le  souverain  ottoman. 

Mahomet  II  avait  créé  une  situation  spéciale  à  ses  sujets  chrétiens; 
chaque  groupement  forme  comme  un  Etat  à  part  et  traite  avec  le  gouver- 
nement central  par  l'intermédiaire  et  sous  la  responsabilité  de  ses  chefs 
religieux.  Mais,  nous  venons  de  le  voir,  l'évêque  latin  n'a  pas  de  bérat, 
pour  la  raison  très  simple  qu'il  n'est  jamais  sujet  ottoman  et  que  le 
gouvernement  ottoman  n'accepte  pas  que  des  sujets  étrangers  soient 
revêtus  d'un  caractère  officiel  civil.  Les  latins  ont  donc  besoin  d'un 
intermédiaire,  qui,  sujet  de  la  Porte,  puisse  les  représenter  auprès  d'elle. 
De  ce  chef,  ils  restèrent  longtemps  soumis  au  patriarche  arménien  gré- 
gorien, qui,  d'ailleurs,  représentait  tous  les  chrétiens  non  orthodoxes 
de  l'empire. 

En  1828,  les  Arméniens  catholiques  obtinrent  un  représentant  spécial, 


(i)  Belin,  op.  cit.,  p.  175. 


LA   «   NATION    LATINE    »    DE   CONSTANTINOPLE  253 

un  Na^ir;  les  autres  catholiques  profitèrent  de  cet  arrangement.  Mais 
quand,  deux  ans  plus  tard,  les  premiers  firent  transférer  à  leur 
patriarche,  chef  religieux,  les  pouvoirs  civils  du  Nazir,  les  catholiques 
latins  réclamèrent  un  chef  civil  qui  leur  fût  propre,  lis  l'obtinrent,  en 
1836,  avec  le  titre  de  directeur  de  la  chancellerie  latine  ottomane,  bien 
qu'on  le  désigne  communément  sous  le  titre  de  consul  latin.  Cette 
charge  relève  actuellement  du  ministère  des  Affaires  étrangères,  mais 
il  n'en  fut  pas  toujours  ainsi;  elle  dépendait,  en  1844,  du  ministère  de 
la  Marine;  en  1850,  du  ministère  de  la  Police,  et  en  1831,  de  celui  de 
la  Guerre.  En  somme,  le  chancelier  latin  était  placé  sous  les  ordres  de 
tel  ou  tel  personnage,  plutôt  que  sous  la  dépendance  de  telle  ou  telle 
administration.  Depuis  une  trentaine  d'années  il  est  invariablement 
resté  attaché  au  ministère  des  Affaires  étrangères.  Le  titulaire  actuel 
est  M.  Othon  Varthaliti,  qui  a  succédé  dans  cette  charge  à  son  père, 
M.  Georges  Varthaliti. 

Quelles  sont  les  attributions  du  chancelier  latin?  Pour  répondre  à 
cette  question,  il  suffira  de  citer  M.  le  comte  van  den  Steen  de  Jehay  : 

Pour  préciser  les  idées  au  sujet  d'une  organisation  qu'il  est  difficile  de 
bien  définir,  puisqu'elle  n'a  jamais  fait  l'objet  d'un  règlement  mis  par 
écrit,  nous  nous  bornerons  à  énumérer  quelques-unes  des  attributions 
du  consul  latin. 

Il  légalise  les  actes  d'état  civil  des  latins,  lorsqu'il  en  est  requis,  et 
envoie  des  extraits  de  ces  actes  au  bureau  de  la  statistique  du  ministère 
de  l'Intérieur.  On  remarquera  que  ce  sont  les  intéressés  eux-mêmes  ou 
leurs  représentants,  qui,  aujourd'hui  comme  autrefois,  prennent  l'initia- 
tive de  réclamer  au  curé  de  la  paroisse  les  documents  d'état  civil  dont  ils 
peuvent  avoir  besoin. 

Il  nous  a  été  affirmé,  au  moins  pour  les  paroisses  auxquelles  nos  inves- 
tigations se  sont  étendues,  que  la  communication  régulière  et  générale 
des  actes  de  baptême  ne  se  fait  ni  à  la  Chancellerie  latine,  ni  au  Vicariat 
apostolique,  ni  au  moukhtar  du  quartier.  Les  puissances  qui  s'arrogent 
encore  un  certain  droit  de  protection  sur  les  raïas  latins  auraient  refusé, 
jusqu'à  ce  jour,  de  reconnaître  aux  moukhtars  le  droit  d'exiger  la  déli- 
vrance régulière  de  ces  actes,  comme  le  prescrit  le  règlement  du  5  rébi- 
ul-e\vel  i320  ou  29  mai  i3i8  (29  mai/ii  juin  1902).  En  ce  qui  concerne  le 
directeur  de  la  Chancellerie  latine,  son  rôle  consiste  tout  à  la  fois  à 
authentiquer  et  à  transmettre  les  extraits  dont  les  autorités  ottomanes 
exigent  la  production. 

D'autre  part,  c'est  directement  à  la  Chancellerie  latine  que  le  raïa  latin 
is'adressera  pour  obtenir  le  certificat  d'identité  de  vie  {ilm-i-haber)  néces- 
jsaire  pour  l'achat  ou  la  vente  d'une  propriété. 


254  ÉCHOS    d'orient 


Avant  l'abolition  de  l'impôt  dit  kharadj,  le  consul  latin  avait  le  droit 
de  délivrer  des  cartes  de  permanence  indiquant  que  le  porteur  était  sujet 
ottoman  de  rite  latin  {latin  îaïfessi),  ce  qui  l'exonérait  de  cette  con- 
tribution. 

lien  était  de  même  des  passeports,  qui,  aujourd'hui,  ne  peuvent  plus 
être  délivrés  que  par  le  ministère  des  Affaires  étrangères,  et  sur  la  pro- 
duction, pour  les  latins,  d'une  demande  formulée  par  leur  Chancellerie^ 

Le  directeur  de  la  Chancellerie  latine  a  compétence  pour  dresser  et 
recevoir  les  testaments  de  ses  ressortissants.  Sa  signature,  apposée  sur 
ces  actes,  en  constitue  l'authenticité.  A  l'époque  où  il  n'existait  pas  de 
notaires  (avant  le  4  août  1874),  il  dressait  des  actes  de  procuration;  sa 
signature,  en  ces  cas,  était  légalisée  par  le  ministère  des  Affaires  étran- 
gères. 

Il  a  qualité  pour  donner  aussi  valeur  légale  à  un  acte  de  transaction 
passé  devant  lui  et  qui,  en  cas  de  transgression  par  l'une  des  parties  en 
cause,  sera  transmis  àu  tribunal  compétent  pour  être  homologué  et  mis 
à  exécution. 

On  peut  même  dire  que  le  directeur  de  la  Chancellerie  a  des  fonctions 
judiciaires,  car  il  peut  connaître  de  toutes  causes  mobilières  entre 
membres  de  sa  communauté.  Les  autorités  ottomanes  lui  recon- 
naissent le  droit  de  citation.  Sur  sa  réquisition,  la  police  turque  amènera 
devant  son  tribunal  le  témoin  ou  un  défendeur  récalcitrant.  Il  fut  un 
temps  où  il  siégeait  avec  quatre  assesseurs.  Maintenant  il  siège  seul.  II 
faut  ajouter  que  c'est  plutôt  un  juge  de  paix  ou  arbitre.  Si  l'un  des  plai- 
deurs ne  se  soumettait  pas  à  sa  sentence,  il  pourrait  en  appeler  aux  tri- 
bunaux ordinaires. 

11  va  de  soi  aussi  que  la  juridiction  du  consul  latin  ne  préjudicie  point 
à  la  juridiction  patriarcale.  Les  causes  matrimoniales,  étant  de  la  compé- 
tence exclusive  de  l'autorité  religieuse,  ne  peuvent  être  jugées  que  par 
un  tribunal  ecclésiastique.  C'est  au  vicaire  patriarcal  qu'il  appartient  de 
fixer  la  procédure  à  suivre.  Le  tribunal  se  compose  normalement  du 
vicaire  patriarcal,  de  son  chancelier,  d'un  defensor  vinculi  (matrimonii) 
et  quelquefois  d'un  ou  de  plusieurs  assesseurs.  Les  règles  observées  sont 
strictement  celles  du  droit  canon. 

Tout  en  étant  fonctionnaire  ottoman,  le  directeur  de  la  Chancellerie 
latine  ne  reçoit  pas  de  traitement  du  gouvernement  turc.  Ses  honoraires 
et  frais  de  gestion  doivent  être  payés  par  les  taxes  qu'il  a  le  droit  de  pré- 
lever, et  il  existe  un  tarif  porté  à  la  connaissance  des  intéressés. 

D'après  les  renseignements  qui  nous  ont  été  obligeamment  donnés 
dans  les  bureaux  de  la  Chancellerie  établis  à  Galata,  le  nombre  des  sujets 
ottomans  latins  à  Constantinople,  y  compris  la  banlieue  —  de  Tchek- 
médjé,  sur  la  mer  de  Marmara,  à  Beuyuk-Déré,  sur  le  Bosphore  —  serait 
actuellement  de  16000,  et  dans  tout  l'Empire  ottoman,  de  i5o  à  160000. 


LA    «   NATION    LATINE    »    DE    CONSTANTINOPLE  255 

La  Chancellerie  latine  eut  autrefois  des  succursales  à  Smyrne,  à  Andri- 
lople,  à  Trébizonde,  à  Brousse  et  à  Chio,  De  ces  diverses  succursales, 
a  Chancellerie  de  Smyrne  a  seule  été  maintenue;  les  autres  furent  sup- 
)rimées,  nous  a-t-il  été  dit,  parce  qu'elles  ne  faisaient  pas  leurs  frais  (i). 

Les  chiffres  cités  dans  cette  page  paraîtront  bien  faibles  à  plus  d'un 
ecteur,  comparés  au  nombre  des  fidèles  des  autres  confessions  chré- 
iennes.  11  ne  faut  pas  s'en  étonner  pourtant,  car  l'Eglise  catholique 
le  permet  pas  facilement  le  passage  d'un  rite  à  un  autre,  et  les  Orien- 
aux  qui  se  convertissent,  même  quand  leur  conversion  est  due  au 
èle  des  missionnaires  latins,  ne  deviennent  qu'exceptionnellement 
atins  eux-mêmes. 

11  serait  intéressant  de  savoir  quel  fut,  à  travers  les  âges,  le  chiffre  de 
a  population  latine  de  Constantinople.  On  ne  peut  guère  s'en  rendre 
in  compte  très  exact,  car  on  ne  tient  pas,  en  Orient,  à  ces  détails  de 
tatistique.  Transcrivons  pourtant  ce  qu'écrit  à  ce  sujet  M.  Belin  : 

Il  est  une  autre  question  qu'il  importe  de  traiter  aussi,  celle  de  la  popu- 
ation  de  la  ville  latine  de  Péra  à  travers  les  temps. 

Il  ne  paraît  pas,  d'après  Sauli,  ce  qui  est  confirmé  d'ailleurs  par  les 
Mémoires  de  Sansovino,  que  la  capitulation  de  Méhémed  II  ait  inspiré 
me  grande  sécurité  aux  Pérotes;  ceux-ci,  Génois  ou  Vénitiens,  ayant  pris 
me  part  plus  ou  moins  importante  à  la  prise  de  Constantinople,  émi- 
;rèrent  en  grand  nombre  à  Chio,  où  bientôt  le  conquérant  ottoman,  en 
ue  de  les  rappeler  dans  leurs  foyers,  fit  prévenir  les  intéressés  que  leurs 
iropriétés,  mises  sous  scellés,  seraient  rendues  à  tous  ceux  qui  viendraient 
2s  occuper  dans  le  délai  de  trois  mois. 

En  i56o,  les  Vénitiens  comptaient,  dans  Galata,  dix  à  douze  maisons 
e  commerce. 

Selon  les  Négociations,  «  la  population  chrétienne  de  Constantinople 
t  de  Péra  était,  vers  i5j2,  de  40000  âmes  ». 

Le  20  février  1606,  «  la  population  latine,  écrivait  la  Communita  au 
ardinal  protecteur,  compte  à  peine  cinquante  maisons  ». 

En  1612,  le  P.  Canillac  disait:  «  Le  petit  nombre  des  latins  fait  que 
os  fonctions  sont  moins  fréquentées  que  nous  le  voudrions.  » 

En  1614,  Pietro  délia  Valle  dit  au  sujet  de  la  même  question  :  «  Il  reste 
j  Péra  peu  de  familles  de  l'ancien  temps,  qui,  tout  en  se  grécisant  de 
lôtement  et  de  costume,  ont  gardé  le  rite  latin  et  la  langue  italienne, 
Dncurremment  avec  l'idiome  grec.  » 

En   1616,  les  Francs  de  Galata  «  non  arrivano  a  mille  »,  rapporte 

lammer,  d'après  les  bailes  vénitiens. 

En  1664,  dit  le  P.  Saulger,  «  les  marchands  français  establis  en  cette 


\'aN   DEN    StEEN    de   JeHAY,    op.    cit.,    p.    322-325. 


2S6  ÉCHOS    d'orient 


ville,  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  étaient  en  assez  bon  petit 
nombre  ». 

On  lit  dans  le  Choix  des  lettres  édifiantes  :  «  Le  nombre  des  catho- 
liques, à  Constantinople,  s'élève  aujourd'hui  à  plus  de  12  ooo.  » 

Ce  chiffre,  comparé  à  celui  des  années  précédentes,  paraît  bien  élevé, 
ou,  du  moins,  il  faudrait  savoir  de  quelle  catégorie  d'individus  on  veut 
parler.  En  effet,  dans  un  rapport  du  P.  Tarillon,  adressé  à  Paris,  le 
II  mars  1714,  au  comte  de  Pontchartrain,  sous-secrétaire  d'Etat,  on 
trouve  ce  qui  suit  :  «  De  toutes  les  familles  qui  habitaient  ici  au  temps 
des  Génois,  il  y  en  a  encore  plusieurs  qui  se  sont  maintenues  à  Galata  et 
à  Péra;  ces  personnes  font  entre  elles  3  à  400  personnes.  Les  missions 
des  ambassadeurs  des  princes  chrétiens  et  les  marchands  de  leurs  nations 
font  la  portion  la  plus  distinguée  des  chrétiens  francs;  ils  se  montent 

à  près  de  3  000  personnes Il  faut  encore  compter,  parmi  les  catholiques 

de  Constantinople,  4  000  ou  5  000  esclaves  servant  sur  les  vaisseaux  et 
les  galères,  ou  enfermés  dans  le  bagne  du  Grand  Seigneur,  et  plus  de 
20000  autres  (?)  répandus  dans  les  diverses  maisons  des  particuliers. 

En  1842,  selon  le  mémoire  du  supérieur  de  Saint-Pierre  (i),  «  le  nombre 
des  paroissiens  de  cette  église  s'élevait  à  mille  environ  ». 

On  voit,  par  ces  citations  assez  contradictoires,  qu'il  est  impossiblt 
de  donner  un  chiffre  approchant,  même  de  très  loin,  de  la  réalité. 

Quand  le  régime  constitutionnel  fut  rétabli  en  Turquie,  les  commu- 
nautés chrétiennes,  ou  du  moins  quelques-unes  d'entre  elles,  cher- 
chèrent à  s'organiser  plus  fortement  pour  ne  pas  laisser  leurs  privi- 
lèges s'envoler  au  souffle  d'égalité  qui  passait  sur  l'empire  ottoman. 

Quelques  latins  eurent  alors  l'idée  de  réorganiser,  eux  aussi,  leui 
nation.  Une  assemblée  générale  fut  tenue  à  Constantinople  le  9  octobre 
1908;  on  y  lut  un  petit  travail,  assez  exact  dans  ses  lignes  générales 
sur  l'histoire  de  la  latinité  de  Constantinople  (2).  Mais,  pour  les  même 
raisons  qui,  il  y  a  trois  siècles,  amenèrent  la  désagrégation  de  la  Corn 
munita  di  Fera,  ces  tentatives  n'eurent  aucune  suite,  et  les  latins  conti 
nuèrent  à  vivre  tranquillement,  sans  chercher  chicane  à  leur  clergé 
qui  administre  toujours  ses  biens  (biens  dont  la  presque  totalité  es^ 
d'origine  étrangère),  mieux  et  surtout  avec  plus  de  désintéressemer 
que  ne  le  saurait  faire  le  plus  perfectionné  des  Conseils  laïques. 

A,  Trannoy. 

Kadi-Keuï. 


(i)  Belin,  op.  cit.,  p.  181. 

(2)  C.   Saih,  Notice  historique   sur  la   comtnunauté  latine  ottomane,  et  RappiX 
soumis  à  cet  effet  par  la  Commission  provisoire  de  recherches  et  d'étude  à  rAsse\ 
blée  générale  de  la  communauté  latine  ottomane,  tenue  le  g  octobre  igo8.  ConsU 
tinople,  A.  Zeillich,  1908,  in-12,  3i  pages. 


GLANURES 

DANS  LES  MANUSCRITS  DES  MÉTÉORES 


Je  suis  heureux  d'offrir  aux  Echos  d'Orient  la  publication  de  quelques 
xtes  que  j'ai  recueillis  dans  des  manuscrits  aux  Météores,  lors  des 
cherches  que  j'y  ai  faites  en  1908  et  1909  par  ordre  de  la  Société 
:{antine  d'Athènes,  avec  le  secours  de  l'Académie  royale  des  sciences 
!  Munich  et  du  gouvernement  grec,  (i) 

J'avertis  le  lecteur  que  les  manuscrits  sont  signalés  d'après  ma  propre 
assification.  Une  verticale  simple,  I,  marque  le  commencement  d'une 
juvelle  ligne;  une  verticale  double,  II,  marque  le  commencement  d'un 
juveau  feuillet.  J'ai  mis  entre  crochets  [  ]  les  mots  et  lettres  à  ajouter 
IX  inscriptions  ou  au  texte  des  manuscrits. 

)TES    RELATIVES    AU     MONASTÈRE     DES    SAINTS-THÉODORE    DE     KYR    MAMAS 

Diverses  notes  recueillies  aux  Météores,  au  couvent  de  la  Transfi- 
iration  appelé  «  le  Météore  »  par  excellence,  dans  le  codex  bombycin 
u  xiv«  siècle)  signalé  sous  le  numéro  330,  méritent  d'être  ajoutées  à 

que  J.  Pargoire  (2)  a  écrit  avec  tant  d'érudition  sur  les  différentes 
jlises  connues  à  Constantinople  et  aux  environs  sous  le  nom  de  Saint- 
amas,  et  sur  le  quartier  de  Constantinople  appelé  aussi  de  ce  nom. 
n  transcris  ci-dessous  une  copie  fidèle.  La  note  du  numéro  A  se  lit 

feuillet  170''  du  codex;  elle  a  été  écrite  en  travers,  de  haut  en  bas, 
r  une  main  du  xiv^  siècle.  Celle  du  numéro  B  se  lit  sur  une  feuille 
niée  au  début  du  manuscrit. 


iÔ(<;)  I   saoù    II  mil  II  III    TjO-àx    Ispô|Jt.ovàyoCi    Ç'    [=  xal]    y.a9''vo'j;j.(£v)vO'J 


i)  N1K.0S  A.  BÊis,  "E/.Ocat;  i:aXa;OYf<a?'."*ûv  xal  texv-./.wv  èpsuvwv  èv  taïi;  [Aovaï;  tôW 
etSpwv  xaià  ta  èVri  1908  -/.al  1909.  Aiiiènes,  1910. 

;)  J.  PARr.oiRE,  les  Saints-Mamas  de  Constantinople,  dans  le  Bulletin  de  l'Institut 
héolngique  russe  de  Constantinople,  t.  IX,  1904,  p.  26i-3i6.  ;—  Cf.  J.  Pargoire, 
nt-Mamas,  le  quartier  des  Russes  à  Constantinople,  dans  Echos  d'Orient,  t.  XI, 

S,   p.   203-2IO. 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  17 


2^8  ÉCHOS    d'orient 


TiTaiêa(T[jt.i(aç)  jj-OW)?  |  tov    àyt(ov)   |A(£)^;(à)).(ov)  |i.apT'lp(ov)  Oalooôpov  toù 
xGo  pi.à[ji.avTOs* 

B 

[Mrjv]-/i  uoJÂW,  xa.  £[xo!,[ji'/;9r,  (l)  6]  |  èv  [àyllot,?  7:(aT)rjp  r,[jL(wv)  ^[î't 
l]£po([A6v)ay(oç)  xal  xaQot.YOU[ji.[£voç  r^ç]  |  a-£(êaa-[jiiaç)  [j.ov(tiç)  t((À)v)  àvtwv 
pL(£)Y(à)>v(wv),  |jLapTt+  I  -4-piov)(x(al)6au[ji.aTOupYwv0£)(oÔ6po>v, 'E7rAjX(at.)- 
xTvYiixévTjÇ-TOU  xtjp  pLà|j.avTo(;)-  x(al)  xTr,Top  t/^ç  |  o-£(êa<7|jiîa<;)  |jiov(f.;) -ràjTr,;- 
£m  £t(ous)  Ç"  w  I  v-^  [=1350]  :  H- 

Probablement,  cependant,  il  ne  s'agit  pas  du  monastère  des  Saints- 
Théodore,  établi  dans  le  faubourg  ou  le  quartier  de  Saint-Mamas  à 
Constantinople,  mais  d'un  autre  monastère  établi  ailleurs  et  appelé  du 
seigneur  Marnas  (toû  xùp  MàjjLavroç),  du  nom  d'un  fondateur  ancien. 

LISTE   DES  MÉTROPOLES 
ET   DES  ÉVÊCHÉS    SOUMIS    AUX    ARCHEVÊQUES   D'aCHRIDA,    AU    XVII''    SIÈCLE 

Du  codex  1 10  du  Météore,  écrit  au  xvii'  siècle,  qiii  contient  un  Nomo- 
canon  en  langue  vulgaire,  j'extrais  la  liste  suivante  des  métropoles  ci 
évêchés  soumis  au  trône  patriarcal  d'Achrida.  Cette  liste  doit  être  com- 
parée à  celles  qui  ont  été  publiées  déjà,  surtout  par  Gelzer  (2).  De  cett( 
collation,  il  ressort  que  celle-ci  ressemble  parfaitement  à  celle  de  1706 
publiée  par  Gelzer,  d'après  le  Codex  Hierosolymitanus  487  (3).  Dans  l'ui 
et  l'autre  manuscrit,  les  mêmes  éparchies  sont  soumises  à  Achrida 
seul  l'ordre  est  différent,  et  leurs  noms  présentent  des  variantes  impor 
tantes. 

La  présente  liste  se  trouve  aux  feuillets  120'',  121»  du  codex  (4).  J'ei 
donne  la  copie  fidèle,  me  contentant  d'écrire  en  majuscules  les  lettre 
initiales  des  noms  propres. 

'Oi  Gpovo!.  '^(■^)s  àYitoTàT(-iri)ç  àpyl£7tlTX07r('Ài)ç  'Aypet5(à)v)"  ;ji(Ti':)p07roX£i 
-h  xal  £7rt!TX0Tral 

6  TtpwxôOpovoç-  6  KaTTopt(aç). 

ê»?  6  S£Aao'«pôpou. 

Y°î  6  Auppaywu. 


(1)  Ou    £[T£).£t(Oeyi]. 

(2)  H.  Gelzer,  Der Patriarchat  von  Achrida,  Geschichte  und  Urkunden,  d&nsAbhan 
lungen  der  philologisch-historichen  Classe  der  K'ànig.  Sàchsischen  Gesellschaft  d 

Wissenschaften,  t.  XX,  n»  v.  Leipzig,  1902. 

(3)  Ibid.,  p.  3i. 

(4)  Notons  que  dans  la  table  des  matières  du  Nomocanon  contenu  dans  le  codex 
se  trouve  pas  signalée  la  liste  que  nous  éditons. 


I 


GLANURES    DANS    LES    MANUSCRITS    DES    METEORES  259 

rjOi  ô  n£ÀaYOvi(aç)  xal  IIpeàTrou  ■r,'zoi  B!.tom(7.^). 
îOî  6  Boosvwv  rjTOi  'ESàTfiÇ  'E/.àooç. 
Ç"oî  '0  rpcêîvo'j. 
'f^TT'.Txo— al  îlvat.  a'jTa',* 

êoc  6  BîA£ypào(tov)  y] toi  Kî'iaAovi(a;). 
voî  6  A'j)vôv(wv). 
3oî  6  Ms^'Aaîvoy. 
£o;  0  Asêp'.;. 
Ç"°î  6  np£a'7:(côv). 

^O?    6    BsAîTTO'J. 

■fjOî  6  S'.Tav'lo'j. 

t.OÎ     6   MOA'-TXOJ- 

i.aoî  x(a'.)  ô  rxôp(a;),  t^to!.  B)>ayipv/,^  : 

LA    FAMILLE    DE  JEAN  CHOMATIANOS 

Dans  les  marges  du  codex  559  du  Météore,  codex  en  parchemin 
écrit  au  xm«  siècle,  nous  lisons  la  note  suivante,  écrite  au  xiv*"  siècle, 
à  en  juger  par  l'écriture  : 

+  rîv(o;)  -zo'j  XoixaTiavo'J  I(o(àvvr,;)  0  Xo[j.aT''iàvô>;-  y.  aoc)v'^ol  |J(.0'j  KaAAr,. 
£i;  TT,v  avvVla  ao'J  ^(riv)  jjLapvapoG*  si;  tov  î;ao£A'.iôv  tji.O'J  "^(ov)  AÉov  î'.ç 
7Ôv  Oî'lov  |AO'j  "^(ôv)  KôuxouAa*  st.;  tà,v  6îiav  aou  ^(y.v)  ^otwxo'j'  x(al)  £!.;  tov 
ulôv  aoj  rôv  r£0)pY(iov) 

Cette  note  est  écrite  sur  la  marge  supérieure  du  feuillet  10,  sauf  les 
sept  derniers  mots,  qui  ont  été  écrits  sur  la  marge  extérieure  du  même 
feuillet. 

Sur  la  famille  Chomatianos,  à  laquelle  appartient  le  célèbre  Démétrius 
^homatianos,  archevêque  de  Bulgarie,  écrivain  remarquable  des  xii« 
et  xiiF  siècle  (i),  et  qui  se  trouve  surtout  à  Athènes  et  à  Zia,  voir  les 
écrits  de  A.  Miliarakis  (2). 

NiKos  A.  Béis. 

\ux  Météores,  190g. 
A  Munich,  igi2. 


(i)  Voir  K.RUMBACHER,  Gcscliichtc  der  by!{anlinisclien  Lilterattir.  Munich,  1897, 
p.  134,607,  610,  611,  1043. 

(2)  Ant.  Miliarakis,  'I<7Topîa  to-j  êactXeto-j  t-?î;  N'.xat'x;  y.al  to-j  ôtTTcotâTO-j  xr^ç,  'llïtetpoy 
1204-1261).  Athènes,  1898,  p.  193,  n.  2. 


CHRONIQUE 

DES  ÉGLISES  ORIENTALES 


Arméniens 

Catholiques 

Déposition  du  patriarche.  —  C'est  le  19  mars  que  le  gouvernement 
turc,  cédant  aux  sollicitations  de  l'Assemblée  nationale,  a  déclaré 
Mgr  Terzian  déchu  de  sa  dignité  de  patriarche,  c'est-à-dire  de  chef  des 
Arméniens  catholiques.  Deux  jours  après,  un  teskèré  grand-véziriel 
informait  le  prélat  de  la  sentence  qui  le  frappait.  Les  raisons  pour 
lesquelles  a  été  prise  une  mesure  aussi  radicale  sont  à  retenir  :  convo- 
cation à  Rome,  sous  l'influence  étrangère,  d'un  synode  qui  aurait  dû 
se  tenir  à  Constantinople,  appel  des  évêques  à  Rome  malgré  la  défense 
du  gouvernement,  décisions  prises  au  sujet  des  biens  de  la  commu- 
nauté, nomination  directe  de  neuf  évêques,  sans  avoir  eu  recours  à-i 
l'élection,  administration  arbitraire  des  biens  de  la  communauté,  refus 
de  reconnaître  l'Assemblée  nationale,  affirmation  que  l'élection  du 
patriarche  et  des  évêques  n'est  pas  un  droit,  mais  un  simple 
privilège. 

Ce  sont  exactement  les  reproches  que  les  opposants  font  à  Mk»'  Ter- 
zian. Tout  y  est  confondu  :  autorité  du  Pape,  indépendance  de  l'Eglise 
vis-à-vis,  du  pouvoir  civil,  propriété  des  biens  ecclésiastiques.  Dans  unel 
réponse  pleine  de  fermeté,  Mg""  Terzian  fait  justice  de  ces  accusations. | 
11  n'a  quitté  le  palais  patriarcal  que  lorsque  la  police  lui  en  eut  rendu 
le  séjour  impossible  en  l'occupant.  Il  continue  à  exercer  sa  charge 
malgré  les  prétentions  de  ceux  qui  le  déclarent  déchu  de  sa  dignité  spi- 
rituelle au  même  titre  que  de  sa  dignité  civile.  j 

Le  31  mars,  le  représentant  du  ministre  des  Cultes,  Béha  bey,  es" 
allé  donner  aux  notables  lecture  du  Bouyourouldou  par  lequel  l'Assem 
blée  nationale  est  invitée  à  élire  un  locum  tenens  et  un  patriarche.  Dej 
instructions  très  graves  venues  de  Rome  empêchèrent  le  clergé  d'; 
assister.  11  se  trouva,  pourtant  un  prélat,  Ms''  Hatchadourian,  évêqU' 
de  Malatia,  et  deux  prêtres  pour  aller  à   la  réunion  et  se   proclame 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  26 1 

Arméniens  avant  que  d'être  catholiques.  Quelques  jours  après, 
Mk'-  Hatchadourian  était  déclaré  suspens  a  divinis  par  le  Pape  et  les 
deux  prêtres  étaient  frappés  de  la  même  peine  par  le  patriarche  (i). 
De  plus,  est  déclaré  excommunié  ipso  facto  quiconque  sera  élu  locum 
tenens  ou  patriarche,  quiconque  participera  à  l'élection  de  ces  digni- 
taires, quiconque  s'opposera  d'une  manière  efficace  à  la  juridiction  de 
W""  Ter/ian. 

Ces  menaces  de  peines  ecclésiastiques  commencent  à  faire  réfléchir 
les  membres  de  l'Assemblée  qui  ne  sont  pas  entièrement  dévoyés.  Dans 
une  réunion,  on  n'a  pas  pu  obtenir  le  quorum  nécessaire,  et  il  ne  s'est 
trouvé  que  cinq  membres  sur  plus  de  trente  à  voter  contre  les  propo- 
sitions pontificales.  La  situation  n'en  reste  pas  moins  tendue.  Des  ecclé- 
siastiques latins  cherchent  à  s'entremettre  entre  le  patriarche  et  les 
opposants  pour  amener  une  entente,  mais  il  paraît  bien  difficile  de  faire 
renoncer  ces  derniers  à  leurs  principes  nettement  schismatiques.  11  va 
sans  dire  que  toute  la  presse  fait  chorus  contre  Mg'"  Terzian  et  contre 
la  cour  pontificale.  11  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner,  Constantinople  ne 
possède  pas  un  seul  journal  vraiment  catholique. 

Le  gouvernement  turc  joue  un  rôle  assez  singulier  qui  dénote  une 
certaine  incohérence.  Il  déclare  solennellement  qu'il  ne  reconnaît  pas 
les  nouveaux  évêques  nommés  directement  par  le  Pape,  et  il  leur  interdit 
de  se  rendre  dans  leurs  diocèses.  Or,  la  plupart  de  ces  prélats  sont 
rentrés  paisiblement  chez  eux  depuis  plus  de  deux  mois!  A  l'occasion 
des  fêtes  de  Pâques,  le  ministère  a  donné  une  certaine  somme  aux 
Arméniens  catholiques  pour  être  distribuée  aux  pauvres,  ainsi  qu'il  l'a 
fait  pour  les  autres  communautés  non  musulmanes,  et  il  a  versé  cet 
argent  entre  les  mains  de  Mg'"  Terzian,  qu'il  a  déclaré  déchu  quinze 
jours  auparavant!  Quelques  jours  après,  sur  une  plainte  de  l'Assemblée 
nationale,  le  fonctionnaire  qui  avait  versé  l'argent  est  allé  le  réclamer 
à  Mgf  Terzian  pour  le  remettre  à  l'Assemblée  nationale!  Peut-être  le 
gouvernement  se  préoccupe-t-il  uniquement  de  s'assurer  les  voix  des 
Arméniens  catholiques  pour  les  élections  actuelles,  et  ne  se  soUviendra- 
t-il  pas  de  ses  promesses  dans  un  mois.  On  dit  cependant  qu'il  a  fixé 
un  délai  à  Mt?>"  Terzian  pour  donner  sa  démission  et  que,  passé  ce  délai, 
il  l'expulsera  du  territoire  ottoman. 

R.  Janin. 


Depuis,  Mgr  Hatchadourian  et  un  des  deux  prêtres  ont  fait  amende  honorable 
sont  vus  relever  de  la  censure  qu'ils  avaient  encourue. 


262  ÉCHOS    d'orient 


Bulgares 

Orthodoxes  (1) 

I.  L'Ecole  de  hautes  études  théologiques.  —  L'année  191 1  marquera  un 
pas  décisif  dans  le  mouvement  de  l'enseignement  religieux  en  Bulgarie 
par  la  création  d'une  Faculté  théologique  à  Sophia.  Avant  même  d'être 
établie,  cette  institution  a  déjà  son  histoire.  Elle  n'est,  en  réalité,  que  la 
solution  d'un  problème  posé  dès  1 895 ,  lors  du  jubilé  de  l'exarchat  bulgare. 

On  avait  décidé  l'érection  d'un  monument  commémoratif  qui  fût 
digne  de  l'œuvre  et  de  ses  héros  :  1 50  000  francs  furent  recueillis  dans 
tout  le  pays,  et  l'on  proposa  de  construire  une  basilique.  Par  malheur, 
à  cette  même  époque,  les  millions  de  la  Russie  firent  sortir  de  terre, 
à  Sophia,  un  temple  superbe  qui  défiait  toute  concurrence.  Les  Bulgares 
ne  pouvaient  lutter  et  renoncèrent  à  leur  projet.  Ce  léger  froissement 
d'amour-propre  national,  le  temps  aidant,  leur  dicta  la  réponse.  Non 
seulement  ils  ne  se  laisseraient  pas  éclipser  par  la  Russie,  mais  ils 
l'attaqueraient  elle-même  dans  son  influence. 

Depuis  1902  s'élève  à  Sophia,  sur  la  place  de  Chipka,  une  splendide 
église  de  deux  millions  de  roubles,  commémorant  les  victoires  russes 
de  1877  ^t  flanquée  d'un  Séminaire  où  devait  se  former  le  clergé  du 
Jeune  peuple  délivré.  Les  fils  de  la  grande  nation  libératrice  apprirenll 
à  leurs  dépens   qu'on  ne  s'impose  pas  aux  Bulgares,  car  tant  qu'il 
y  aura  des  Russes  à  Chipka,  aucun  séminariste  n'y  entrera,  et  l'œuvrt 
dispendieuse  attend  encore  aujourd'hui  sa  destination.  Cependant,  le: 
Bulgares  vont  chercher  au  loin  ce  qu'ils  refusent  sur  place,  et  le  peu  d( 
théologiens  qu'ils  possèdent  sortent  tous  des  Académies  de  Kiew,  d( 
Saint-Pétersbourg  et  de  Moscou. 

Pourquoi  cet  illogisme?  Pourquoi  ne  pas  rejeter  tout  à  fait  la  tutellj 
de  l'étranger?  L'autorité  ecclésiastique  y  songeait  depuis  longtemps; 
Le  plan  d'une  Ecole  de  hautes  études  théologiques  a  fini  par  prendre  conj 
sistance  dans  les  délibérations  du  palais  synodal.  Le  gouvernemenlj 
sondé  à  plusieurs  reprises,  a  autorisé  le  projet,  et  a  offert  lui-mêmi 
l'espace  de  terrain  nécessaire  pour  bâtir  la  nouvelle  Faculté.  i 

2.  Le  clergé  bulgare  orthodoxe.  —  En  attendant,  la  formation  du  clergi 
reste  confiée,  comme  par  le  passé,  à  deux  écoles  ecclésiastiques,  l'uri 
à  Sophia,  l'autre  à  Batchkovo  (2).   La  première  tient  lieu  de  Gran\ 

(i)  Voir  Echos  d'Orient,  mars  1912,  p.  169-171.  1 

(2)  Batchkovo  est  un  monastère  bulgare  situé  non  loin  de  Phih'ppopoli.  La  Rev\ 

franco-bulgare  en  a  publié  une  monographie  (n»  6,  p.  80).  ! 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES   ORIENTALES  263 

Séminaire  et  fournit  des  prêtres  pour  les  villes;  la  deuxième,  sorte  de 
Petit  Séminaire,  forme  le  clergé  rural  (i). 

Avec  le  temps,  ces  diverses  institutions  arriveront  à  remplir  les 
cadres  du  clergé  et  à  fournir  des  prêtres  aux  trop  nombreuses  paroisses 
qui  en  manquent.  Pour  le  moment,  ce  sont  les  fidèles  qui  se  chargent 
de  se  procurer  le  curé  dont  ils  ont  besoin,  ce  sont  les  brebis  qui  vont 
à  la  recherche  d'un  pasteur.  Tantôt  ils  en  quêtent  dans  les  gymnases 
ou  dans  le  village  même,  parmi  les  jeunes  gens  de  bonne  volonté.  Le 
plus  souvent,  aujourd'hui,  la  demande  est  faite  par  l'intermédiaire  de 
la  presse.  Voici,  à  titre  de  spécimen,  une  de  ces  annonces  prise  entre 
cent  dans  un  journal  ecclésiastique  :  «  Les  paroissiens  du  village  de 
Stoudena  (département  de  Sophia)  font  savoir  qu'ils  ont,  à  partir  du 
19  janvier,  une  cure  vacante,  et  prient  les  intéressés  qui  voudraient 
s'en  charger  de  venir  à  l'église  de  Stoudena.  Ce  village  compte 
200  maisons,  se  trouve  à  une  heure  de  la  station  de  Tserkva,  possède 
un  progymnase,  jouit  d'un  bon  climat  et  d'un  site  pittoresque;  il  ne 
manque  pas  non  plus  d'une  élite  de  gens  éclairés.  » 

Ce  ne  sont  pas  les  villages  seuls  qui  demandent  ainsi  des  prêtres. 
Les  évêques  agissent  de  même  par  l'intermédiaire  des  chancelleries. 
La  métropole  de  Sophia,  dans  une  même  annonce  plusieurs  fois  publiée, 
en  demanda  cinq  naguère  pour  autant  de  paroisses  de  la  capitale. 

Telle  est,  à  des  degrés  divers,  la  situation  de  toutes  les  Eglises 
séparées.  L'élément  laïque  y  prend  le  dessus,  administre  les  biens  et 
gouverne.  Le  prêtre  devient  un  instrument,  un  employé  nécessaire 
mais  méprisé  et  sans  influence.  H.  Gospodinof. 

Coptes 

Catholiques 

Ms'^  Cyrille  Macaire.  —  Naguère,  les  journaux  grecs  annonçaient 
avec  grand  fracas  que  l'orthodoxie  venait  de  faire  une  importante  con- 
quête. L'ancien  patriarche  des  Coptes  catholiques,  lAë^  Cyrille  Macaire, 
secouant  le  joug  des  Bulles  papales,  était  rentré  en  Egypte,  non,  il 
est  vrai,  dans  le  but  de  reconquérir  son  siège,  mais  pour  être  admis 


(i)  Sur  la  proposition  du  saint  synode,  le  gouvernement  vient  d'adopter  un  projet 
de  loi  assurant  aux  prêtres  des  appointements  proportionnés  à  leur  degré  d'instruction. 
Les  prêtres  qui  n'ont  aucune  instruction  théologique  (!)  reçoivent  i  200  francs  par  an. 
Ceux  qui  ont  une  instruction  théologique  secondaire  perçoivent  i  56o  francs. 
Enfin,  ceux  qui  ont  fait  des  études  théologiques  supérieures  ont  droit  à  2  400  francs. 


264  ÉCHOS    d'orient 


dans  les  rangs  du  clergé  schismatique,  après  avoir  fait  profession  de 
foi  orthodoxe. 

La  nouvelle  était  malheureusement  vraie.  Cependant,  le  scandale  ne  fui 
pas  long.  Msr  Macaire,  pris  bientôt  de  remords,  se  rendit  à  Rome  poui 
se  réconcilier  avec  l'Eglise.  Voici  la  rétractation  qu'il  adressa  au  Saint- 
Office,  et  que  reproduisent  les  /icta  ApostolicœSedis{}o  mars  1 9 1 2,  p.  2 1 4) 

Déclaration  et  rétractation  de  S.  G.  Ms^  Cyrille  Macaire, 
ancien  patriarche  des  Coptes  d'Alexandrie. 

Je  soussigné,  Cyrille  Macaire,  patriarche  démissionnaire  des  Copte 
catholiques,  venu  spontanément  à  Rome  pour  attester  au  Saint-Sièg 
ma  ferme  résolution  de  vivre  et  de  mourir  dans  la  foi  catholique  sou 
l'obéissance  du  Pontife  romain,  déclare  librement  et  sincèrement  c 
qui  suit  :  ' 

J'exprime  tout  mon  repentir  pour  avoir  fait,  dans  des  jours  de  ter 
tation,  de  découragement  et  de  perturbation  morale  profonde,  adhésio 
publique   à   l'Eglise    grecque-schismatique    d'Alexandrie,    en    Egypte 
remerciant  Dieu,  toutefois,  de  n'avoir  pas  participé  aux  actes  religieu 
de  ladite  Eglise.  Je  rétracte  toutes  mes  démarches  à  cet  effet,  je  k 
condamne,  je  les  déplore  de  tout  mon  cœur,  je  suis  prêt  à  acceptf 
toutes  les  pénitences  et  réparations  que  le  Saint-Siège  jugera  bon  c 
m'imposer  et  à  vivre  dorénavant  dans  la  retraite,  appliqué  aux  exercic* 
de  piété  et  aux  études  qui  me  sont  chères.  Je  rétracte  de  même,  je  coi 
damne  et  déplore  de  tout  mon  cœur  ce  que,  durant  mon  aberratioi 
j'ai  pu  dire,  faire  ou  écrire  de  schismatique,  et  je  demande  humblemei 
pardon  des  scandales  donnés  par  ma  défection  aux  fidèles.  Je  renouvel 
enfin  mes  promesses  solennelles  d'obéissance  au  Siège  apostoliqu 
et  ma  pleine  et  sincère  adhésion  aux  doctrines  et  aux  enseignemen 
de  la  sainte  Eglise  catholique  romaine,  notamment  en  ce  qui  conceri 
la  primauté  absolue  de  droit  divin  du  Pontife  romain  sur  l'Eglise  ( 
général  et  sur  tout  rite  et  tout  fidèle  en  particulier. 

■j-  KvRfLLos  Macaire. 

Rome,  le  9  mars  1912. 

Grecs 

Orthodoxes 

PATRIARCAT   d'aLEXANDRIE 

Le  patriarche  d'Alexandrie,   Ms^   Photios,   et   l'Eglise  de  Jérusalei 
—  Nous  remarquions,  dans  notre  dernier  numéro,  que  le  patriarcji 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  265 

d'Alexandrie,  Me""  Photios,  ne  désarme  pas  contre  son  collègue  de  Jéru- 
salem, Msr  Damien,  et  qu'il  continue  à  le  regarder  comme  déchu. 
Celui-ci,  à  bout  de  patience,  se  décide  à  user  de  représailles. 

Lors  de  sa  nomination  au  patriarcat  d'Alexandrie,  Mg'*  Photios  aurait 
dû,  en  vertu  des  canons,  être  exclu  de  l'Eglise  de  Sion.  On  fit  cependant 
pour  lui  une  exception,  légitimée  par  les  services  éminents  qu'il  avait 
rendus  en  qualité  de  directeur  de  l'école  de  Sainte-Croix  et  de  métro- 
polite de  Nazareth.  D'un  commun  accord,  le  patriarche  et  le  synode  lui 
maintinrent  son  rang  dans  la  confrérie  du  Saint-Sépulcre.  Touché  et 
reconnaissant,  Ms»-  Photios  promit,  dans  un  écrit  public,  de  ne  jamais 
oublier  l'Eglise  de  Jérusalem. 

Il  tint  parole.  Il  l'oublie  si  peu,  qu'il  aspire,  dit-on,  à  en  devenir 
patriarche  ;  tous  les  orthodoxes  au  courant  sont  unanimes  à  en  con- 
venir. Le  titre  à' hagiotaphite  qui  lui  fut  conservé  autorise  ces  ambitions. 
Comme  par  malheur  la  place  menace  d'être  occupée  pour  longtemps, 
il  s'etforce  d'aider  Ms''  Damien  à  descendre  plus  tôt  de  son  tréne. 

Déjà,  lors  des  troubles  gréco-arabes  d'il  y  a  trois  ans,  il  essaya  de 
séparer  la  confrérie  de  son  chef.  La  Néa  Siwv  (19 12,  janvier,  p.  157) 
y  fait  une  allusion  peu  voilée  :  «  Profitant  de  la  terrible  tempête  qui 
visita  l'Eglise  de  Sion  il  y  a  trois  ans,  Ms""  Photios  fut  surpris  en  flagrant 
délit  d'agissements  secrets  pour  rompre  la  paix,  aidé  en  cela  par 
d'autres  qui  partagent  ses  sentiments  (sans  aucun  doute,  les  réfugiés 
alexandrins  que  l'on  sait).  » 

Mg''  Damien  fut  assez  habile  pour  se  tirer  de  cette  fâcheuse  situation. 
L'union  se  rétablit  avec  Constantinople.  Alexandrie  persiste  encore 
dans  son  refus  de  tout  accommodement.  On  comprend  les  raisons 
intimes  de  ces  rancunes  tenaces. 

Depuis  lors,  Mg'"  Photios  n'a  pas  encore  réécrit  aux  diptyques  le  nom 
de  son  adversaire.  Mais  il  y  a  plus. 

«  A  présent  encore,  dit  la  Nsa  S'.wv  (p.  138),  il  met  tout  en  œuvre 
pour  troubler  et  agiter  cette  Mère  des  Eglises  qui  lutte  contre  tant 
d'épreuves.  »  Y  a-t-il  là  calomnie  ou  simple  médisance?  Cette  dernière 
hypothèse  paraît  plus  vraie,  vu  les  décisions  prises.  L'Eglise  de  Jéru- 
salem, en  effet,  se  décide  à  frapper.  «  Une  plus  longue  patience,  dit 
la  Neà  Siwv,  pourrait  avoir  des  suites  fâcheuses  et  nuisibles.  »  Aussi 
le  patriarche  et  son  synode  ont-ils  décidé  à  l'unanimité  d'ôter  à  l'évêque 
d'Alexandrie  le  privilège  qui  lui  avait  été  concédé,  et  de  le  retrancher 
des  membres  de  la  confrérie  du  Saint-Sépulcre. 

Mt?»-  Photios,  évidemment,  n'en  renoncera  pas  pour  cela  à  ses  ambi- 
"Hs.  Si  une  faveur  lui  a  permis  de  rester  membre  de  la  communauté 


266  ÉCHOS  d'orient 


de  Sion,  quand  il  s'en  est  éloigné;  une  autre  lui  permettra  aussi  bien 
d'y  rentrer  sans  trop  de  peine.  La  vraie  difficulté  ne  sera  point  là. 

On  se  demandera  peut-être  pourquoi  le  patriarche  d'Alexandrie,  qui 
a  plus  de  80  000  fidèles,  désire  tant  le  siège  de  Jérusalem,  qui  n'en  pos- 
sède pas  la  moitié.  Mais  on  sait  que  la  situation  privilégiée  de  celle-ci 
aux  Lieux  Saints  et  l'abondance  des  aumônes  qui  affluent  du  monde 
orthodoxe  tout  entier,  spécialement  de  Russie,  lui  assurent  une  impor- 
tance exceptionnelle  au  point  de  vue  religieux  et  financier. 

F.  Cayré. 

ÉGLISE   DE   CHYPRE 

1 .  Le  monachisme  dans  l'île.  —  Le  nàvraivo?  (18/5  janvier  191 2)  offrait 
naguère  à  ses  lecteurs  un  tableau  éblouissant  du  monachisme  chypriote. 
Sa  statistique  détaillée  ne  comportait  pas  moins  de  87  monastères. 

Par  malheur,  ces  chiffres  étaient  légèrement  grossis.  Pour  être  dans 
le  vrai,  il  faut,  des  87  monastères,  en  retrancher  exactement  80  :  sept 
seuls  abritent  des  communautés  monastiques,  un  total  de  120  religieux 
au  plus.  Ces  monastères  sont  : 

Les  couvents  de  Kûxxoç  et  de  Ma^aipâç,  stavropégiaques,  entièrement 
soustraits  à  la  juridiction  épiscopale;  Saint-Néophyte,  stavropégiaque, 
dépendant  de  l'archevêque  de  Chypre;  la  yp'jaoppoïà-io-a-a  et  la  TpwoSU 
Tto-a-a,  soumises  au  métropolite  de  Paphos;  Saint-Pantaléïmon,  du  diocèse!* 
de  Kérynia,  et  enfin  le  monastère  du  mont  Sainte-Croix,  dans  répaffl 
chie  de  Larnaka.  Dans  ce  dernier  seul  on  mène  la  vie  cénobitique.  Les- 
six  précédents  tempèrent  ce  régime  d'idiorrylhmie. 

Les  autres  propriétés  décorées  du  nom  de  monastère  ne  l'ont  jamaÈ 
été  ou  n'en  sont  plus  depuis  longtemps. 

Ces  précisions  sont  empruntées  presque  littéralement  à  l"Ex/.ÀT,Tia<T-< 
Ttxoç  xTÎpui  de  Larnaka  (31  janvier  1912,  p.  58).  Ce  bulletin  a  tenu 
relever  les  exagérations  de  son  confrère  égyptien  pour  faciliter  le 
travail  des  futurs  historiens  de  cette  époque.  11  a  aussi  voulu  mettre 
les  étrangers  en  état  de  mieux  apprécier  les  discussions  soulevées  dam 
l'île  touchant  l'administration  des  biens  des  monastères  et  des  évêchés 

2.  La  loi  organique  de  l'Eglise.  —  Le  8  mars  (28  février)  19 12 
l'assemblée  nationale  grecque  orthodoxe  s'est  réunie  à  Nicosie,  sou 
la  présidence  de  l'archevêque.  Elle  est  composée  des  évêques,  de 
higoumènes,  des  députés  et  de  60  représentants  du  peuple  :  40  laiquef 
et  20  ecclésiastiques.  Elle  poursuit  en  toute  hâte  la  discussion  de  1! 
loi  organique  de  l'Eglise  de  Chypre. 

Les  travaux  avancent  rapidement.  On  a  évité  de  reviser  les  73  arti 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES   ORIENTALES  267 

déjà  votés,  afin  d'achever  au  plus  tôt  l'examen  de  ce  projet  de  loi  et 
d'aborder  sans  retard  le  chapitre  si  important  de  l'administration  éco- 
nomique de  l'Eglise. 

F.  C. 

PATRIARCAT  DE  CONSTANTINOPLE 

Le  Saint  Chrême.  —  La  bénédiction  du  Saint  Chrême,  dans  l'Eglise 
latine,  passe  inaperçue  de  ceux  qui  ne  suivent  pas  de  près  les  offices 
liturgiques.  11  n'en  est  pas  ainsi  chez  les  orthodoxes  de  Constantinople. 
Diverses  particularités  concourent  à  attirer  sur  cette  cérémonie  l'atten- 
tion du  public  même  indifférent. 

Une  des  premières  est  sa  rareté;  elle  ne  se  fait  pas  chaque  année.  La 
réunion  des  diverses  substances  nécessaires  à  la  composition  du  Saint 
Chrême,  occasionne  des  frais  généraux  considérables.  On  les  diminue 
dans  la  mesure  du  possible,  par  la  consécration  en  une  seule  fois  d'une 
plus  grande  quantité.  La  dernière  cérémonie  eut  lieu  en  1903,  l'avant- 
dernière  en  1890,  et  la  précédente  onze  ans  plus  tôt.  11  n'y  a  point 
d'autre  règle  que  la  nécessité;  on  renouvelle  la  provision  quand  l'an- 
cienne est  épuisée. 

Autre  particularité  remarquable  :  ce  ne  sont  pas  les  évêques  qui  font 
ce  rite  dans  leur  diocèse,  mais  le  patriarche  ou  les  chefs  de  certaines 
Eglises  nationales.  11  en  est  de  même  chez  les  jacobites  et  les  Nestoriens. 

Cependant,  dans  l'Eglise  orthodoxe,  la  doctrine  officielle  touchant 
le  droit  de  consacrer  est  encore  indécise  et  flottante,  et  il  serait  peut- 
être  dangereux  pour  le  Phanar  de  vouloir  exiger  trop  de  précisions. 

Depuis  le  xip  ou  le  xm«  siècle,  l'Eglise  de  Constantinople  a  essayé 
d'accaparer  ce  pouvoir.  Elle  n'a  pu  y  réussir  entièrement.  De  gré  ou 
de  force  elle  a  dû  le  reconnaître  à  d'autres  Eglises,  celles  de  Russie, 
de  Roumanie,  par  exemple,  dites  de  ce  fait  «  privilégiées  ».  Même 
parmi  les  chrétientés  qui  reçoivent  encore  le  Saint  Chrême  de  Constan- 
tinople, toutes  n'admettent  pas  comme  un  dogme,  il  s'en  faut,  ce 
monopole  du  Phanar,  Pour  beaucoup,  c'est  une  pure  raison  d'économie 
qui  a  établi  cette  coutume.  Les  intéressés,  évidemment,  y  trouvent  des 
raisons  plus  profondes,  plus  mystérieuses,  plus  théologiques.  Recevoir 
le  Saint  Chrême  d'une  autre,  c'est  lui  témoigner  sa  soumission;  ce 
droit  nouveau  a  prévalu  afin  de  maintenir  l'unité  dans  les  rangs  de 
l'orthodoxie  et  prévenir  les  divisions. 

Les  simples  et  les  exaltés,  qui  sont  légion,  vont  plus  loin  encore. 
Derrière  ce  monopole  de  l'Eglise  de  Constantinople,  ils  voient  un  pri- 
jvUège  de  leur  nation,  de  ce  second  peuple  élu  par  qui  viennent  aux 


268  ÉCHOS  d'orient 


autres  orthodoxes  les  ordres  et  les  grâces  du  ciel.  Peut-être  y  a-t-il  dans 
ces  exagérations  du  patriotisme  une  des  raisons  qui  ont  poussé  les 
autres  peuples  à  rejeter  les  prétentions  phanariotes.  En  fait,  il  n'y  a  plus 
aujourd'hui  avec  les  Grecs  que  les  Serbes  de  Belgrade  à  accepter  le 
Saint  Chrême  de  Constantinople.  Les  trois  Eglises  orthodoxes  d'Autriche 
et  celle  de  Roumanie  le  consacrent  elles-mêmes.  La  Russie  fait  de  même 
et  en  fournit  aux  Églises  d'Autriche,  de  Bulgarie  et  de   Monténégro. 

Nous  ne  pouvons  nous  étendre  davantage  sur  cette  question  du 
pouvoir  de  consacrer  le  Saint  Chrême.  Il  nous  suffira  de  renvoyer  le 
lecteur  à  la  remarquable  étude  canonique  publiée  par  Mgr  Louis  Petit, 
dans  les  Echos  d'Orient  (1899,  t.  111,  p.  1-7). 

Dans  un  deuxième  article,  le  même  auteur  publiait,  quelques  mois 
plus  tard,  un  document  très  précieux,  inconnu  jusqu'alors,  sur  «  la 
composition  et  la  consécration  du  Saint  Chrême  »  dans  l'Eglise  ortho- 
doxe de  Constantinople.  C'était  la  Aià-a^i.;  Tuspl  xoù  àyiou  aûpou  du 
patriarche  Constantios  I«r,  qui  remplace,  depuis  1833,  l'ancien  cérémonial 
cité  dans  l'Euchologe  de  Goar. 

La  dernière  consécration  a  été  conforme  dans  sa  substance  au  rite 
décrit  dans  ce  document.  Nous  nous  bornerons  donc  à  le  résumer  rapi- 
dement à  titre  de  chronique,  en  notant  les  particularités  qui  ont  carac- 
térisé la  cérémonie  de  1912. 

Le  Saint  Chrême  dont  se  servent  les  orthodoxes  aujourd'hui  est  ur 
mélange  d'huile  d'olive  pure  avec  cinquante-sept  autres  substances,  les 
unes  très  communes,  comme  le  vin  qui  entre  pour  2/7  dans  le  mélangé 
d'autres  rares  et  précieuses. 

A  l'automne  dernier,  une  Commission  de  six  membres  a  été  consti 
tuée  dans  le  but  de  réunir  tous  ces  éléments  divers.  Le  président  étaiF 
Mgr  Philarète  Vaphidès.  Il  était  tout  désigné  pour  cette  charge' 
Dès  1881,  il  écrivait  sur  ce  sujet  de  belliqueux  articles  dans  la  Vérit 
ecclésiastique,  et  soutenait  contre  les  Roumains  les  droits  du  Phanal 
à  consacrer  le  Saint  Chrême. 

Après  lui,  l'homme  le  plus  important  de  la  Commission  était  certa 
nement  celui  que  l'on  appelle  sans  sourira  le  «parfumeur  »  de  ij 
Grande  Eglise,  (6  piupe^j^ôç),  M.  Const.  N.  Thomadès.  C'est  le  titrj 
donné  au  pharmacien  qui  devra  surveiller  la  préparation  du  Saint  Chrên-' 
et  faire  le  mélange  des  éléments  dans  les  proportions  voulues.  Juij 
qu'en  1893,  cette  charge  était  provisoire.  Elle  commençait  par  uri 
sorte  d'ordination  (Xs'.poQso-îa)  du  titulaire,  le  dimanche  des  Rameau:| 
et  s'achevait  avec  la  confection  du  Saint  Chrême.  Le  patriarche  Né({ 
phyte  Vlll,  en  1894,  en  fit  une  dignité  permanente,  un  o^'^îxiov,  «  ut! 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES   ORIENTALES  269 

sorte  de  prélature  laïque  »  donnant  à  celui  qui  en  est  investi  le  devoir 
de  veiller  à  l'entretien  de  l'huile  sainte.  Aujourd'hui,  l'ordination  du 
«  parfumeur  »  ne  se  fait  donc  plus  le  dimanche  des  Rameaux,  mais  une 
fois  pour  toutes  lorsqu'il  entre  en  charge.  Depuis  plus  de  cinquante 
ans,  c'est  la  famille  Thomadès  qui  remplit  ces  hautes  fonctions. 

M.  .Manuel  Gédéon  est  aussi  membre  de  la  Commission.  11  y  a  large- 
ment conquis  sa  place  par  la  composition  d'une  petite  brochure  de 
104  pages,  «  nspl  Toù  M'jpo'j  »,  où  il  développe  à  l'usage  du  peuple  une 
partie  de  ce  que  Mgr  Petit  a  résumé  avec  tant  de  clarté,  et  y  joint 
des  détails  intéressants  sur  les  dernières  consécrations. 

Des  quêtes  organisées  par  les  soins  de  la  Commission  dans  les  épar- 
chies  grecques,  des  dons  spontanés  en  nature  et  en  argent,  ont  permis 
assez  vite  de  réunir  les  matières  nécessaires. 

La  préparation  directe  et  immédiate  du  Saint  Chrême  se  fait  sous  un 
pavillon  de  bois  construit  à  cet  effet  devant  l'église  patriarcale.  Elle 
dure  trois  jours  :  le  lundi,  le  mardi,  le  mercredi  de  la  «  Grande 
Semaine  ».  Cette  opération  a  pour  but  de  faire  le  mélange  des  diverses 
matières  dans  les  proportions  voulues.  Les  deux  premiers  jours  sont 
surtout  consacrés  à  faire  cuire  et  bouillir  les  42  éléments  qui  ne  peuvent 
être  assimilés  p:ir  l'huile  que  sous  l'action  de  la  chaleur;  le  mercredi, 
quand  le  liquide  est  refroidi  et  clarifié,  on  y  verse  les  13  essences  ou 
huiles  aromatiques  qui  doivent  compléter  le  mélange. 

Pour  donner  à  toute  cette  préparation  un  caractère  religieux,  le 
patriarche  vient  lui-même,  chaque  matin,  bénir  les  chaudières,  les 
diverses  substances,  allumer  le  feu,  ou  bien  verser  dans  l'huile  les 
essences. 

Le  rite  de  ces  cérémonies,  décrit  par  Mgr  Petit  d'après  la  Aià-ra^'.; 
de  1833,  a  été  légèrement  corrigé  cette  année,  on  ignore  pour  quel 
motif.  Peut-être  est-ce  parce  que  cet  office  devait  enfin  être  livré  à  la 
publicité.  De  fait,  dans  les  modifications  apportées,  on  semble  avoir 
visé  surtout  à  retrancher  les  tropaires  ou  prières  qui  ne  se  trouvent  pas 
dans  la  liturgie  ancienne  (i). 
.    La  bénédiction  proprement  dite  se  fait  le  Jeudi-Saint,  au  cours  de 


I  Voici   les   principaux  changements  introduits,  d'après  l'AxoXouôi'a  tï);  to-j  ày^ou 
iM-^pou  y.aTaff/.cur,;  xai  a-jXoyta;,  24  p.  in-8",  imprimerie  patriarcale,  Contantinople. 
'   Lundi  :  le  (iixpôç  àycao-jAd;  n'est  pas  mentionné.  Des  chants  du  début,  seul  l'àTcoXuTtxtov 
de  la  Pentecôte  reste;  les  autres  tropaires  spécialement  destinés  à  la  préparation  du 
Chrême  ont  été  remplacés  par  l'àjroA-jTÎxtov  de  Saint-Georges  et  le  xovrdcxtov  de  i'As- 

ption. 

'  rcrerfj;  ietropairedu  2' ton  a  été  transformé  en  une  prière  récitée  par  le  patriarche. 
i  texte  ancien,  après  nvEj(j.a  awatStov,  èx  Ilarpo;  ixropsuéjxEvov,  on  a  ajouté  xal  è 


270 


écHos  d'orient 


la  messe  pontificale,  entre  la  Consécration  et  le  Pater.  Le  patriarche, 
à  genoux  avec  tout  le  clergé  et  les  fidèles,  d'où  le  nom  de  «  YovuxAt.Tia  » 
donné  à  cette  cérémonie,  récite  une  double  prière.  La  première  demande 
surtout  à  Dieu  de  sanctifier  le  Saint  Chrême,  et  la  deuxième  le  remercie 
des  grâces  qu'il  vient  d'accorder. 

A  la  fin  de  la  messe,  les  vases  sont  portés  en  procession  à  la  ijLupo- 
QtÎxyi,  édicule  où  l'on  conserve  l'huile  sainte  dans  de  grandes  cruches. 

Depuis  que  l'office  de  |j.up£t};dç  ou  «  parfumeur  »  a  été  établi  d'une 
manière  permanente,  le  titulaire  doit  veiller  au  bon  entretien  de  cette 
chapelle,  ainsi  qu'à  la  conservation  du  Saint  Chrême.  F.  C. 

PATRIARCAT    DE   JERUSALEM 

La  lutte  entre  les  Grecs  et  les  Arabes.  —  La  poussée  arabe  pour  la 
conquête  des  premières  places  et  des  sanctuaires  lucratifs  se  poursuit 
d'une  manière  lente  et  sourde,  mais  sans  interruption.  Les  Grecs 
résistent  avec  la  vaillance  et  les  arguments  que  l'on  sait.  Les  derniers 
combats  se  sont  livrés  sur  les  prérogatives  de  l'assemblée  mixte. 

Naguère,  on  ne  l'a  pas  oublié,  les  Arabes  obtinrent  pour  Jérusalerr 
la  création  d'une  assemblée  mixte  présidée  par  le  patriarche,  et  com 
posée  de  six  clercs  nommés  par  le  patriarche  et  de  six  laïques  élus  pai 
les  fidèles  (Arabes)  du  patriarcat. 

La  formation  fut  pénible.  Elle  se  fit  cependant.  11  devait  être  autremer 
difficile  de  s'entendre.  Les  Grecs  y  arrivaient,  décidés  à  arrêter  tout 
immixtion  sérieuse  des  indigènes  dans  leurs  affaires;  les  Arabes  ave 
la  volonté  de  conquérir  encore  sur  les  domaines  des  Grecs.  Commen 
éviter  les  conflits  dans  de  telles  conditions? 

Suivant  l'usage,  le  sultan  fut  invité  à  mettre  d'accord  les  deux  camp 
opposés  et  à  préciser  ses  premières  décisions.  Après  mûr  examen, 
réponse  fut  donnée,  mais,  hélas!  la  paix  ne  vint  pas.  Les  Arabes  cont 
nuaient  à  réclamer  sanctuaires  et  dignités,  et  les  Grecs  à  ne  rien  cède 
des  privilèges  de  leur  «  pieuse  nation  ». 

Une  fois  de  plus,  on  courut  à  la  Sublime  Porte.  Avec  une  patiem 
vraiment  orientale,  de  nouveau  le  ministère  examina  la  question 
répondit  le  7  janvier  dernier.  Un  teskéré  viziriel  en  huit  articles  rég 


utôi 8;a{i.évov,  rb,  -rà  iràvxa  TsXetouv  xai  âyiâÇov  — et  plus  loin:  vj-/_<xpia-cov[iéy  ao:  qt.  /.ol: 
Itweraç  û|x5(;  ie.lzi&(Ta.i  xo  é'pyov  toCto,  etç  âytafffiôv  xwv  ôp8o56Çwv  jrptffxtavwv. 

Jeudi-Saint  :  Pendant  la  consécration  même  du  Saint  Chrême,  la  belle  prière  :  luj 
xoù  èXéou;,  a  été  remplacée  par  'O  ©eô;  ô  (iiya;  -/.ai  {itl;;(TTo;  du  M.  S.  d'Allatius,  dfp 
Goar,  Euchologe,  p.  632.  —  La  deuxième  prière  de  la  Yov'jxXio-ta,  Sol  xw  0ew  est  restj, 

mais  non  intacte.  On  en  a  retranché  tout  le  passage  ôÉÇacrôat  xbv  àyiaatjiôv jus 

<TU  yàp  yirâpxet;.  Goar,  p.  629. 


CHRONIQUE    DES   EGLISES   ORIENTALES  27 1 

plus  en  détail  le  fonctionnement  de  l'assemblée  mixte.  11  maintient  pour 
l'ensemble  l'ancien  état  de  choses. 

La  solution  de  la  question  gréco-arabe  en  est-elle  plus  avancée  de 
ce  fait?  11  ne  le  semble  pas.  On  a  un  règlement  de  plus,  voilà  tout. 

F.  C. 


r 


Serbes  ^'^ 

I.  Patriarcat  de  Carlovitz 


^ipDn  sait  que  l'Eglise  autocephale  de  Carlovitz  est  gouvernée  par  un 
synode  composé  des  évêques  de  la  métropolie  sous  la  présidence  du 
métropolite,  patriarche  de  Carlovitz,  et  par  une  assemblée  mixte,  dite 
assemblée  nationale,  comprenant  75  membres  dont  les  deux  tiers  sont 
des  laïques.  Jusqu'ici,  l'autorité  du  synode  était  excessivement  restreinte 
et  soumise  dans  une  large  mesure  à  l'ingérence  du  pouvoir  civil  et  de 
l'assemblée  nationale.  C'est  pour  se  libérer  autant  que  possible  de  cette 
ingérence  et  acquérir  une  certaine  autonomie  dans  son  domaine  propre 
que,  le  25  mai  191 1,  le  synode  archiépiscopal  a  élaboré  un  nouveau 
règlement  délimitant  d'une  manière  précise  sa  sphère  d'action  et  ses 
pouvoirs.  Le  plus  grand  secret  a  été  gardé  sur  la  teneur  de  ce  nouveau 
règlement,  jusqu'à  son  approbation  par  l'empereur  d'Autriche,  donnée 
le  27  juillet.  On  craignait  une  opposition  de  la  part  des  membres  de 
l'assemblée  nationale  ecclésiastique. 

Lorsque  l'organe  du  patriarcat,  le  Bogoslovski  Glasnik,  en  a  eu  publié 
le  texte,  les  critiques  n'ont  pas  manqué  de  se  produire  dans  les  milieux 
politiques,  spécialement  dans  le  clan  radical.  Les  élèves  de  l'Académie 
ont  protesté  énergiquement  contre  ce  qu'ils  ont  appelé  «  le  clérica- 
lisme orthodoxe  »  et  ont  parlé  de  l'attentat  de  la  haute  hiérarchie  contre 
l'autonomie  de  la  nation  serbe.  Ils  se  sont  même  donné  le  plaisir  de 

,,  faire  des  prophéties  et  d'annoncer  aux  évêques  qu'ils  seront  bientôt  des 

I  pasteurs  sans  troupeau.  Il  faut  espérer  que  ces  jeunes  moutons  s'assa- 

j  giront  et  deviendront  des  brebis  dociles. 

I  Aux  termes  du  nouveau  règlement,  le  synode  archiépiscopal  est 
reconnu  comme  l'autorité  ecclésiastique  suprême  dans  les  affaires 
ecclésiastico-religieuses  de  la  métropolie  de  Carlovitz.  Celle-ci,  «  en  tant 


(i)  Un  article  spécial  sera  consacré  prochainement  aux  choses  ecclésiastiques  du 
royaume  de  Serbie.  La  présente  chronique  ne  s'occupe  que  des  autres  Eglises  serbes, 
savoir  celles  de  Carlovitz,  de  Dalraatie  et  de  Monténégro. 


272 


ÉCHOS    d'orient 


que  partie  organique  de  l'Eglise  orthodoxe  d'Orient,  est  une  province 
ecclésiastique  autonome  et  autocéphale  »  (art.  I).  Le  synode  ne  peut 
rien  faire  sans  le  métropolite-patriarche,  qui  est  son  président  et  son 
représentant  (art.  II).  11  pourvoit  à  l'exécution  de  ses  décisions  par  des 
organes  qui  lui  sont  soumis  et  qui  sont  :  les  évêques,  les  consistoires 
diocésains,  le  Conseil  ecclésiastique  de  la  métropolie  et  les  institutions 
et  personnes  désignées  pour  telles  ou  telles  fonctions  dans  l'Eglise 
(art.  111).  Dans  l'ancien  règlement,  le  synode  n'avait  qu'un  pouvoir 
exécutif  illusoire  et  se  trouvait  désarmé  en  face  de  la  mauvaise  volonté 
des  Consistoires  et  du  Conseil  ecclésiastique,  sur  lesquels  il  n'avait 
aucune  influence. 

En  cas  de  vacance  du  siège  patriarcal,  c'est  l'évêque  diocésain  le  plus 
ancien  par  la  consécration  qui  remplace  le  patriarche  défunt  (art.  V). 
Autrefois,  le  vicaire  patriarcal  était  nommé  par  le  pouvoir  civil.  Durant 
la  vacance,  rien  de  ce  qui  touche  à  l'organisation  de  l'Eglise  ne  peut 
être  discuté  ni  décidé  (art.  VI).  S.  M.  l'empereur  d'Autriche  a  un  droit 
de  haute  surveillance  sur  les  actes  du  synode  archiépiscopal,  qui  doivent 
être  conformes  à  la  loi(art.  Vil).  Le  même  empereur  conserve  le  pouvoir 
de  confirmer  l'élection  du  patriarche  et  des  évêques  (art.  XI  et  XXII).' 
Il  peut  toujours  écarter  tout  candidat  déplaisant,  et  il  a  usé  largement 
de  ce  droit  lors  de  l'élection  du  patriarche  actuellement  en  fonction 
(art.  XI,  d). 

Le  synode  se  compose:  1°  du  métropolite-patriarche  de  Carlovitz 
et  des  évêques  de  Batch  Boudim,  Verchets,  Gorne-Karlovetz,  Pacrats 
et  Témechvar,  qui  ont  voix  décisive;  2°  du  vicaire  patriarcal  et  des 
autres  vicaires  épiscopaux  désignés  comme  coadjuteurs  des  évêques 
diocésains,  qui  ont  voix  consultative;  y  des  évêques  nommés  aux 
éparchies  vacantes  et  confirmés  par  Sa  Majesté,  mais  non  encore  con-, 
sacrés,  des  administrateurs  temporaires  des  éparchies  vacantes,  des 
conseillers  du  synode  choisis  dans  le  clergé  de  la  métropolie,  du  secré-j 
taire  du  métropolite-patriarche,  qui  n'ont  également  que  voix  consul! 
tative  (art.  VIII).  Le  synode  peut,  par  une  ordonnance  spéciale,  inviteil 
à  ses  séances  —  qui  ne  sont  pas  publiques,  le  jour  de  l'ouverturÉJ 
excepté  (art.  XXI)  —  d'autres  conseillers  ecclésiastiques  pour  prendre 
leurs  avis,  et  même,  en  cas  de  nécessité,  des  personnages  laïques  dt\ 
foi  orthodoxe,  remarquables  par  leur  piété,  leur  science  et  leur  verti 
(art.  IX).  I 

L'autorité  du  synode  s'étend  à  tout  ce  qui  regarde  la  vie  et  l'orgiil 
nisation  ecclésiastique  :  dogme,  morale,  discipline,  liturgie,  directioij 
des  Séminaires,  instruction  religieuse  dans  les  écoles,  réglementatioil 


CHRONIQUE    DES    EGLISES   ORIENTALES  273 

de  la  vie  monastique,  création  et  délimitation  des  paroisses,  des  pro- 
topresbytérats  ou  doyennés  et  des  diocèses,  établissement  et  fermeture 
des  monastères,  création  des  organes  nécessaires  pour  l'exécution  des 
décisions  prises  et  délimitation  des  droits  et  des  devoirs  de  ces  organes, 
haute  surveillance  sur  l'ensemble  de  la  vie  religieuse  dans  la  métro- 
polie,  élection  du  métropolite-patriarche  et  des  évêques  diocésains, 
déplacement  de  ceux-ci  pour  le  bien  de  l'Eglise,  du  consentement  de 
sa  Majesté,  élection  de  deux  évêques  diocésains  comme  membres  du 
Conseil  ecclésiastique  de  la  métropolie  (art.  X  et  XI).  Le  synode  est  en 
même  temps  l'autorité  judiciaire  suprême  qui  connaît  en  dernier  ressort 
de  toutes  les  causes  ecclésiastiques  (art.  XII).  Précédemment,  le  droit 
de  décider  en  dernière  instance  appartenait  à  l'empereur,  qui  prenait 
d'ailleurs  habituellement  l'avis  du  patriarche  et  du  synode  avant  de  se 
prononcer. 

Les  sessions  régulières  du  synode  ont  lieu  deux  fois  par  an,  au  prin- 
temps et  à  l'automne,  mais  il  peut  y  avoir  convocation  extraordinaire 
du  synode,  chaque  fois  que  l'exigent  des  affaires  importantes  et  pres- 
santes, ou  quand  trois  évêques  diocésains  le  demandent  par  lettre 
motivée  (art.  Xlll).  Le  patriarche  convoque  huit  jours  à  l'avance  les 
membres  du  synode  et  leur  fait  connaître  l'objet  des  futures  délibéra- 
tions (art.  XIV).  C'est  lui  qui  ouvre,  préside,  clôture  le  synode,  dirige 
les  délibérations  et  veille  à  l'exécution  des  décisions  prises.  En  son 
absence,  ses  prérogatives  passent  à  l'évêque  le  plus  ancien  par  la  con- 
sécration (art.  XV-XVI).  Quand  un  évêque  diocésain  ne  peut  assister 
aux  sessions,  il  se  fait  remplacer,  soit  par  le  patriarche,  soit  par  un 
autre  évêque  à  son  choix,  qui  vote  pour  lui  (art.  XVII).  Les  décisions 
se  prennent  à  la  majorité  des  suffrages,  et  elles  ne  sont  valides  que 
si  plus  de  la  moitié  des  membres  ayant  voix  délibérative  sont  pré- 
sents (art.  XX).  La  langue  des  délibérations  synodales  et  de  la  procé- 
dure est  le  serbe  et  le  slavon  (art.  XXIII). 

Le  métropolite-patriarche  de  Carlovitz  est  le  chef  ecclésiastique  de 
l'Eglise  orthodoxe  de  la  métropolie,  qu'il  représente  tant  auprès  des 
autres  Eglises  autocéphales  qu'auprès  du  pouvoir  civil,  tant  dans  les 
solennités  ecclésiastiques  que  dans  les  réceptions  officielles  de  l'Etat. 
lEn  cas  d'urgence,  il  peut  prendre  de  lui-même  les  décisions  oppor- 
tunes, sauf  à  en  référer  dans  la  suite  au  synode.  Le  droit  de  dévolu- 
tion lui  revient  dans  les  éparchies  de  la  métropole,  et  il  en  use  après 
■javoir  averti  préalablement  le  synode.  Quand  une  éparchie  est  vacante, 
ïil  propose  au  choix  du  synode  trois  candidats  parmi. les  clercs  de  la 
métropolie  (art.  XXV). 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  18 


274  ÉCHOS    D  ORIENT 


Tels  sont  les  articles  les  plus  importants  du  nouveau  règlement. 
11  marque  un  véritable  progrès  dans  la  voie  de  l'émancipation  .de 
l'Église  de  la  tutelle  laïque.  Cette  émancipation  ne  saurait,  d'ailleurs, 
être  complète  dans  une  Eglise  autocéphale.  Le  pouvoir  civil  réclame 
toujours  pour  lui  le  droit  de  suprême  intervention,  et  joue  le  même 
rôle  que  le  Pape  dans  le  gouvernement  de  l'Église  catholique. 

//.  Église  série  de  Dalmatie 

Les  prêtres  de  l'éparchie  orthodoxe  de  Dalmatie-lstrie  (Zara)  se  sont 
organisés  en  Société  dans  le  courant  de  l'année  1909,  dans  le  but  de 
subvenir  aux  besoins  religieux,  intellectuels  et  matériels  du  clergé  et 
des  fidèles  de  l'éparchie.  Le  23  novembre  1909,  l'empereur  d'Autriche 
a  autorisé  la  constitution  de  cette  Société.  Un  Comité  administratif  del 
sept  membres  élus  expédie  les  affaires  courantes.  Les  afi'aires  impor 
tantes  sont  traitées  en  assemblée  générale  ou  locale.  La  Société  es3 
placée  sous  la  juridiction  immédiate  du  Consistoire  épiscopal  de  Zara] 

M.  Vladimir  Boberitch,  protosyncelle  et  professeur  à  l'École  théolo 
gique  de  Relief,  a  été  nommé  par  l'empereur  d'Autriche,  le  10  octobn 
191 1,  évêque  des  Bouches  de  Cattaro.  Le  nouvel  élu  est  né  en  1873 
à  Aratch,  en  Hongrie.  H  a  fait  ses  études  au  gymnase  de  Novi-Sad  e 
au  Séminaire  de  Carlovitz.  II  remplace  M&r  Dosithée  lovitch,  qui  a  fir 
tristement  sa  vie  par  un  suicide,  le  29  septembre  1910,  à  la  suite  d'un 
scandaleuse  affaire  d'argent. 

Favori  du  gouvernement  autrichien  et  rival  de  Mër  Nicodème  Milach 
évêque  de  Zara,  le  prélat  défunt  employait  de  fortes  sommes  à  corrompr 
divers  fonctionnaires  autrichiens  chargés  de  faire  de  la  propaganc 
nationaliste  à  Cattaro,  en  Herzégovine  et  jusqu'en  Monténégro.  Uj 
déficit  s'en  est  suivi,  et  M&'  Milach  a  été  rendu  responsable  des  dilapj 
dations  de  son  voisin  de  Cattaro.  Malgré  tous  ses  efforts  pour  couvr| 
les  dettes  du  prélat  suicidé,  l'évêque  de  Zara  n'a  pu  y  parvenir.  Ausj 
le-  comte  Atems,  gouverneur  de  Dalmatie,  vient-il  de  le  destituer,  ( 
lui  faisant  assigner  une  pension  de  10  000  couronnes,  dont  le  tiej 
sera  consacré  à  payer  les  dettes  de  l'évêque  défunt.  | 

Telle  est  la  grosse  nouvelle  que  donnent  les  Tserhovnyia  yêdemo\ 
dans  leur  numéro  3  de  19 12.  Le  récit  de  l'organe  du  synode  russe  j 
laisse  pas  clairement  voir  pourquoi  Mk'  Milach  a  été  impliqué  da[ 
l'affaire  Dositch.  Nous  n'avons  pu  nous  procurer  d'autres  renseigt 
ments.  L'évêque  de  Zara  jouit  d'une  réputation   européenne   comr 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES   ORIENTALES  275 

canoniste  et  historien.  Son  manuel  de  droit  canon  orthodoxe,  publié 
en  serbe  en  1890,  a  eu  plusieurs  éditions  et  a  été  traduit  en  allemand 
(2  éditions,  Vienne,  1897  et  1905),  en  bulgare  (Sophia,  1903),  en  grec 
(Athènes,  1906)  et  en  russe  (Pétersbourg,  1897).  En  dehors  de  cet 
ouvrage  capital,  il  a  écrit  une  cinquantaine  d'autres  livres  ou  opus- 
cules. Son  dernier  travail  :  le  Droit  pénal  ecclésiastique,  2l  paru  l'an 
dernier  à  Mostar. 

Voici  quelques  statistiques  récentes  sur  les  deux  éparchies  de  Zara 
et  de  Cattaro,  dont  le  lien  avec  la  métropole  de  Tchernovitz  paraît 
guère  n'exister  que  dans  le  texte  de  la  loi  qui  a  voulu  l'établir.  Dans 
le  diocèse  de  Zara,  on  comptait  en  191 1,  3  monastères,  5  doyennés, 
S4  paroisses,  83  églises,  12057  familles,  89951  âmes,  46  prêtres, 
21  hiéromoines,  2  diacres,  i  moine.  Le  nombre  des  conversions  à  l'ortho- 
doxie, en  19 10,  a  dépassé  56,  et  le  nombre  des  défections  a  été  de  22. 
Le  diocèse  des  Bouches  de  Cattaro  est  moins  peuplé  :  8  monastères, 
4  doyennés,  44  paroisses,  21s  églises,  s  332  familles,  31  27s  fidèles, 
50  prêtres,   14  hiéromoines,  i  diacre. 

III.  Église  du  Monténégro 

La  Skoupchtina  monténégrine  a  voté  dans  le  courant  de  l'année  1909 
une  nouvelle  loi  sur  le  clergé  paroissial,  que  le  roi  a  approuvée,  le 
31  août  de  la  même  année.  Cette  loi  comprend  deux  parties  :  l'une 
qui  regarde  le  clergé  orthodoxe,  l'autre  le  clergé  catholique. 

Dans  l'article  premier,  la  religion  orthodoxe  est  déclarée  la  religion 

officielle  de  la  principauté  (qui  est  maintenant  devenue  royaume).  Les 

curés  sont  régulièrement  choisis  parmi  les  membres  du  clergé  séculier, 

bien  que  les  moines  (art.  XLllI)  soient  acceptés  en  cas  de  nécessité.  Ils 

doivent  être  sujets  monténégrins,  avoir  terminé  leur  cours  régulier  de 

théologie   dans    l'École    théologique   orthodoxe  ou    dans  une  Faculté 

étrangère  donnant  une  formation  égale,  et  présenter  toutes  les  qualités 

de  l'âme  et  du  corps  requises  par  le  droit  canon  de  l'Église  orthodoxe 

jet  les  dispositions  de  la  nouvelle  loi  (art.  IV).  Les  paroisses  sont  dis- 

jtribuées  au  concours  par  une  Commission  composée  d'un  fonction- 

jnaire   du  ministère  de   l'Instruction   publique  et  des  Cultes,  de   deux 

'membres  du  tribunal  ecclésiastique  et  de  deux  prêtres  désignés  pour 

un  an  par  le  ministre  des  Cultes  (art.  V).  La  paroisse  orthodoxe  ne  doit 

ipas  comprendre  plus  de  400  foyers  ni  moins  de  200.  Dans  les  paroisses 

citadines  et  les  gros  villages,  on  tolère  jusqu'à  600  maisons,  et  dans 


276  ÉCHOS    d'orient 


les  paroisses  de  montagne  et  les  petites  localités,  le  nombre  des  familles 
peut  n'être  que  de  1 50  (art.  VI). 

Le  curé  doit  se  rendre  à  l'appel  de  ses  paroissiens  pour  exercer 
n'importe  quel  acte  du  culte,  mais  il  lui  appartient  de  fixer  le  moment, 
excepté  dans  les  cas  qui  ne  souffrent  pas  de  délai,  comme  le  baptême 
en  cas  de  nécessité  et  la  communion  des  malades  (art.  Vlll).  L'article  IX 
énumère  les  délits  professionnels  du  clergé  paroissial,  et  l'article  X  les 
peines  dont  l'autorité  ecclésiastique  peut  les  punir.  Ces  peines  sont  : 
l'avertissement,  le  blâme,  une  pénitence  (épitimie)  de  sept  à  trente  jours, 
la  privation  de  traitement  pour  deux  mois,  la  suspense  des  fonctions 
liturgiques  pour  une  durée  variant  entre  un  mois  et  un  an,  la  destitu- 
tion, la  déposition.  L'archiprêtre  ou  doyen  peut  faire  la  monition, 
intliger  le  blâme  ou  la  privation  de  traitement  pour  dix  jours.  Les  autres 
pénitences  sont  du  ressort  de  l'évêque,  sauf  la  déposition,  qui  dépend  , 
du  synode  archiépiscopal.  On  peut  en  appeler  du  jugement  de  l'archi- 
prêtre à  celui  de  l'évêque,  de  l'évêque  au  synode  et  du  synode  —  mais 
seulement  dans  les  questions  de  pure  administration  —  au  ministre 
de  l'Instruction  publique  et  des  Cultes.  Les  délits  de  droit  commun 
commis  par  des  prêtres  ressortissent  des  tribunaux  civils  (art.  XI). 

Les  curés  de  paroisse  reçoivent  un  traitement  annuel  fixe  de  960  per- 
pers  (i).  En  plus,  tous  les  cinq  ans,  pendant  une  durée  de  trente  ans, 
ils  ont  droit  à  un  supplément  de  240  perpers  (art.  XVllI).   Les  curés 
de  Cettigné  sont  gratifiés  d'un  autre  supplément  annuel  de   720  per- 
pers, ceux  de  Podgoritz  et  de  Nikchitz  d'un  supplément  de  600  perpers, 
ceux  des  autres  centres  provinciaux  et  de  la  ville  de  Dulcino  reçoivent 
également  480  perpers  par  an  en  plus  du  traitement  commun  (art.  XIX) 
Conformément  à  la  loi  sur  les  fonctionnaires  civils,  le  clergé  paroissia 
reçoit  une  pension  (art.  XXVI).  Traitements  et  pensions  sont  fourni;; 
par  le  Trésor  public.  11  existe  en  plus  une  caisse  pour  l'entretien  de:j 
veuves  et  des  enfants  des  prêtres  défunts.  Le  ministre  des  Finances! 
qui  la  détient,  l'alimente  au  moyen  de  contributions  prises  sur  le  traij 
tement  de  chaque  curé.   La   mort,  l'abandon   de  l'état  ecclésiastiqui 
pour  une  profession  séculière,  la  condamnation  à  une  peine  infamant 
font  perdre  tout  droit  à  la  pension  (art.  XXVII-XXVIII). 

En  retour  du  traitement  annuel  qu'il  leur  paye,  le  gouvernemerl 
monténégrin  demande  aux  curés  d'accomplir  gratuitement  une  séri 
de  fonctions  liturgiques  :  le  service  divin  dans  les  églises,  les  dimanchej 
et  jours  de  fête;  la  bénédiction  de  l'eau,  le  jour  de  l'Epiphanie;   la  pre! 


(i)  Le  perper  équivaut  à  une  couronne  autrichienne,  c'est-i-dire  i  fr.  o5. 


CHRONIQUE    DES    EGLISES   ORIENTALES  277 

dication  de  la  parole  de  Dieu  aux  grandes  solennités;  l'adminislration 
du  baptême  à  l'église;  la  cérémonie  du  mariage,  les  services  d'enter- 
rement, le  chant  des  Te  Deum  solennels  prescrits  par  l'autorité  ecclé- 
siastique d'accord  avec  le  gouvernement,  etc.  (art.  XXI).  D'autres  fonc- 
tions sont  tarifées  par  l'article  XXII  :  pour  une  prière  à  l'église,  on 
demande  1  perper;  pour  une  prière  à  la  maison,  2  perpers.  La  cérémonie 
de  l'Extrême-Onction  rapporte  2  perpers,  à  chacun  des  prêtres  qui  y 
prennent  part.  La  bénédiction  de  l'eau  faite  sur  demande  à  l'église  coûte 
1  perper  au  solliciteur,  et  2  perpers,  si  elle  est  faite  à  domicile.  Pour  la 
lecture  de  l'Evangile  à  domicile  sur  un  mort,  le  curé  a  droit  à  3  perpers. 

La  législation  appliquée  au  clergé  orthodoxe  «  a  force  de  loi  pour  le 
clergé  catholique  dans  la  mesure  où  elle  peut  s'accorder  avec  le  droit 
canon  de  l'Église  romaine  catholique  et  pour  les  cas  où  elle  n'est  pas 
changée  par  les  dispositions  spéciales  du  paragraphe  consacré  au  clergé 
catholique  (art.  XLVllI)  ».  D'après  ces  dispositions  spéciales,  le  curé 
catholique  doit  être  sujet  monténégrin,  avoir  terminé  ses  études  dans 
le  Séminaire  diocésain  et  satisfaire  à  toutes  les  exigences  du  droit 
canon  de  l'Église  catholique.  Les  candidats  qui  ont  reçu  leur  formation 
théologique  à  l'étranger  doivent  passer  un  examen  devant  une  Com- 
mission spéciale  sur  la  langue  serbe  et  slavonne,  l'histoire  et  la  géo- 
graphie des  pays  serbes  (art.  XXXV).  Les  paroisses  catholiques,  tout 
comme  les  paroisses  orthodoxes,  sont  données  au  concours.  La  Com- 
mission élective  comprend  un  fonctionnaire  du  ministère  de  l'Instruc- 
tion publique  et  des  Cultes  et  un  prêtre  catholique  romain  (art.  XXXVI). 
Les  délits  des  prêtres  catholiques  ayant  un  caractère  ecclésiastique  sont 
jugés  et  punis  suivant  la  présente  loi  par  l'archevêque  d'Antivari.  Les 
plaintes  contre  les  peines  portées  par  l'archevêque  sont  présentées  au 
ministère  des  Cultes  dans  l'espace  de  quinze  jours  (art.  XXXVlll). 

L'archevêché  catholique  d'Antivari.  —  On  vient  de  voir  que,  pour 
exercer  le  ministère  paroissial  en  Monténégro,  il  faut  être  sujet  du 
royaume.  Le  titulaire  de  l'archevêché  catholique  d'Antivari  doit  être 
aussi  de  nationalité  monténégrine.  Dernièrement,  le  Saint-Siège  avait 
donné  comme  successeur  à  Mt^''-  Méthode  Raditch,  démissionnaire,  le 
.prêtre  italien  M.  l'abbé  Di  Salva,  qui,  paraît  il,  ignore  li  langue  serbe. 
iSur  le  refus  du  gouvernernent  monténégrin  de  reconnaître  cette  nomi- 
nation, Rome  a  cédé,  et  c'est  M.  l'abbé  Nicolas  Dobredchitch,  prêtre 
à  Cettigné  et  Monténégrin  d'origine,  qui  a  été  nommé  à  l'archevêché 
jd'Antivari.  11  faut  ajouter  que  le  gouvernement  de  Cettigné  s'est  montré 
jmécontent  de  n'avoir  pas  été  consulté  sur  la  démission  de  Ms^'  Raditch. 

M.    JUGIE. 


A  PROPOS 

DU   NOUVEL  ARCHEVÊQUE  D'ATHÈNES 


Më'  Louis  Petit,  archevêque  d'Athènes  et  délégué  apostolique  en 
Grèce,  a  été  sacré  à  Rome,  en  l'église  Saint-Augustin,  le  25  avril,  par 
S.  Em.  le  cardinal  de  Cabrières,  évêque  de  Montpellier,  assisté  de 
NN.  SS.  Campistron,  évêque  d'Annecy,  et  Zampini,  de  l'Ordre  des 
AugiiQStins,  évêque  titulaire  de  Porphyre  et  sacriste  pontifical.  11  a  pris 
possession  de  son  siège  le  8/21  mai. 

Que  nos  lecteurs  nous  permettent  de  leur  présenter  à  cette  occasion 
une  brève  description  du  blason  adopté  par  le  nouvel  archevêque,  blason 
dont  nous  n'avions  pas  encore  connaissance  en  écrivant  la  notice  bio- 
graphique de  la  précédente  livraison.  Ces  détails  compléteront  l'esquisse 
que  nous  avons  donnée  de  la  physionomie  d'un  prélat  qui  nous  est  cher 
à  plus  d'un  titre. 

Les  armes  de  Me:»-  Petit  ont  comme  sujet  principal,  par  allusion  au 
discours  de  saint  Paul  devant  l'Aréopage,  un  autel  d'or  sur  azur,  por- 
tant à  sa  base  ces  mots  grecs:  ©sw  vvojttw  (i),  et  sur  la  table  unt 
gerbe  de  flammes  d'où  semble  s'échapper  le  nom  de  Jésus,  le  Diei 
ignoré  des  Athéniens  et  annoncé  par  l'Apôtre.  On  sait  d'ailleurs  que  It 
nom  et  Jésus  était  la  devise  de  saint  François  de  Sales,  un  saint  que  1: 
communauté  d'origine  savoisienne  et  de  mission  épiscopale  renden 
doublement  cher  à  la  piété  de  Ms'  Petit.  Le  chef,  d'argent,  contient  le: 
trois  symboles  qui  résument  toute  la  vie  du  nouveau  prélat  :  la  truit 
d'Annecy,  rappelant  son  diocèse  d'origine  et  le  pays  de  saint  Françoi 
de  Sales;  le  livre  fermé  supportant  un  cœur  transpercé  par  une  flèche 
armoiries  de  l'Ordre  augustinien  admirablement  appropriées  à  ce  savan 
religieux  qui,  à  l'exemple  de  saint  Augustin,  a  la  haute  ambition  d 
tourner  la  science  en  amour,  selon  le  mot  connu  de  Bossuet;  enfini 
rétoile  avec  le  monogramme  de  la  Sainte  Vierge,  en  souvenir  de  Ij 
Congrégation  de  l'Assomption  à  laquelle  appartient  }A&'  Petit.  \ 

La  devise  qui  accompagne  cet  écusson  est  celle-ci  :  Unitas  in  veritak 
C'est  un   programme   d'apostolat,   d'inspiration   bien    paulinienne  < 


(i)  Allusion  à  ce  verset  des  Actes  des  Apôtres,  xvii,  23  :  "Av8p£ç  'AÔYivaïoi,...  àvaôewpij 
Ta  (j£oa(TftaTa  upiûv  eupov  xal  pw[j.bv  èv  w  iTtyeéYpaTrro*  iyyûxrcu»  &e.m,  "Ov  û^v  «YvogCviI 
euffe6£tT£,  Toû-rov  èyà)  xaTa^yé^Xw  ùixïv.  I 


A    PROPOS    DU    NOUVEL    ARCHEVÊQUE    d' ATHÈNES  279 

augustinienne,  disons  mieux,  d'inspiration  pleinement  ciirétienne. 
Catholiques  et  ortliodoxes  ne  peuvent  que  se  rallier  volontiers  à  cette 
devise,  ainsi  que  le  reconnaissait  récemment  M.  Damvergès  dans 
l"E'^r,u.îvls  d'Athènes  : 

La  parole  écrite  au  bas  de  l'écusson  de  M^''  Petit,  disait-il,  constitue  un 
beau  programme  chrétien:  l'unité  dans  la  vérité.  To  p/iT&v  xh  xàrwôev  toïï 
o!xo<7rjp.O'j  TOI»   aTCOTeXsï  wpaïov  yrpiffT'.avtxbv   Trpôypajji.jji.a    Xéyov    'H   evwor'.ç   èv  ty, 

Ils  peuvent  se  rassurer,  les  journalistes  et  autres  personnages  athé- 
niens qui  ont  paru  un  moment  effrayés  par  la  nomination  d'un  Assomp- 
tioniste  au  siège  archiépiscopal  latin  de  la  capitale  de  la  Grèce;  leurs 
compatriotes  catholiques  les  ont,  du  reste,  rassurés  déjà  en  relevant 
point  par  point,  par  la  plume  d'un  rédacteur  de  l'Aùyr^  (2),  feuille  catho- 
lique de  Syra,  les  motifs  de  leurs  vaines  frayeurs.  Le  nouvel  archevêque, 
tout  Assomptioniste  qu'il  soit,  ne  veut  être  à  Athènes  qu'un  disciple 
de  celui  qui  convertit  Denys  l'Aréopagite.  Son  ambition  est  d'employer 
plus  que  jamais  les  grandes  ressources  de  son  esprit  et  de  son  cœur 
à  orienter  toujours  davantage  les  esprits  et  les  cœurs  vers  le  Christ  qui 
€St  depuis  saint  Paul  le  Dieu  connu,  à  faire  l'unité  dans  la  vérité  pour 
réaliser  la  sublime  prière  adressée  par  le  Sauveur  à  son  Père,  la  veille 

de  sa  mort  :  Ut  omnes  unum  sint ut  sint  consummati  in  unum.  "Iva 

Tzàv";  'h  (T)T'.,.,.  wa  coT'.  TîTîlsuo^ivot.  eU  27(3).  La  devise  du  nouveau 
pasteur  donné  par  Rome  aux  catholiques  du  diocèse  d'Athènes  fait 
ainsi  écho  aux  désirs  de  cet  excellent  groupe  de  Grecs  orthodoxes  qui, 
2Mtc  M.  Constantin  Maniakis,  dont  les  Echos  d'Orient  (4)  résumaient 
naguère  la  pensée,  éprouvent  la  bienfaisante  nostalgie  de  l'unité  chré- 
tienne. 

S.  Salaville. 


(i)  'Ecpr,|iîptç  du  22  avril  (==  5  mai)  191 2. 

(2)  L'A-jyr)  du  22  avril  (=  5  mai)  1912  ne  consacre  pas  moins  de  deux  pages  entières 
de  journal  à  répondre  à  un  long  article  de  l"E®Y|(X£ptî  du  14/27  avril  dont  un  des 
titres  sensationnels  était  celui-ci  :  '0  xtvôyvoî  xwv  'A(Toy[j.'|'tov'.<7Twv,  Le  péril  assomp- 
tioniste. L'AJyr,  intitule  simplement  sa  réponse  :  \ix  ttjv  «  'E?r,[x.epcôa  »  'A6ï|vûv,  Pour 
l''E!pri\izpiz  d'Athènes.  Ce  nous  est  un  devoir  et  un  plaisir  de  remercier  l'auteur  de 
•cette  réponse. 

(3)  Joan.  XVII,  21,  23. 

(4)  Echos  d'Orient,  mars-avril  1912,  p.  179-180. 


RECTIFICATION 


Les  Echos  d'Orient  de  mars-avril  1912  ont  rendu  compte  (p.  84)  d'un 
Manuel  de  prières  à  l'usage  des  fidèles  du  rite  grec  portant  le  nom  de 
l'archimandrite  Jean  Oquet.  Le  R.  P.  Cyrille  Karalevsky,  bien  connu  de 
nos  lecteurs  sous  la  signature  de  Cyrille  Charon,  nous  écrit  que  ce  volume 
est  en  réalité  son  œuvre  et  qu'il  entend  bien  se  réserver  d'en  donner  un 
jour  une  édition  corrigée  qui  portera,  cette  fois,  le  nom  de  son  véritable 
auteur. 

Le  rédacteur  du  compte  rendu,  ne  connaissant  pas  les  circonstances 
dans  lesquelles  fut  composé  et  publié  cet  opuscule,  s'en  était  rapporté  aux 
seules  données  du  frontispice  qui  porte  en  propres  termes  :  Manuel  d^ 
prières  à  l'usage  des  fidèles  du  rite  grec  recueillies  et  mises  en  ordre 
par  r  archimandrite  Jean  Oquet,  supérieur  du  collège  patriarcal  grec- 
catholique  de  Beyrouth  (Syrie).  Nos  lecteurs  prendront  acte,  avec  nous, 
de  la  protestation  du  R.  P.  Charon  et  de  l'annonce  qu'il  fait  d'une  pro* 
chaîne  réédition  de  ce  Manuel. 

Un  de  nos  lecteurs  d'Angleterre  a  eu  l'obligeance  de  nous  signaler  que 
la  traduction  anglaise  des  liturgies  byzantines  publiée  par  J.  N.  W.  D.  Ro- 
bertson,  analysée  dans  les  Echos  d'Orient  {novembre  191 1,  p.  SyG)  d'après^ 
l'édition  de  1886  par  notre  collaborateur  Paul  Bacel,  avait  été  rééditée 
depuis.  Au  sujet  de  cette  réédition,  M.  Adrien  Fortescue,  dans  son  récent 
opuscule  :  The  divine  Liturgy  of  our  Father  among  the  Saint  John 
Chrysostom  (Londres,  1908),  écrit  les  lignes  suivantes: 

«  J.  N.  W.  D.  Robertson  :  The  divine  Liturgies  of  our  Fathers  amon^^ 
the  Saints  John  Chrysostom  and  Basil  the  Great,  with  that  of  the  Pre 
sanctified  (London,   Nutt,    1894).    Very    prettily  printed,   but    almos^ 
impossible  to  use;  is  has  neither  table  of  contents  nor  index,  not  evei 
headings  to  pages.  »  (i) 

Ces  indications  préciseront  certains  points  du  compte  rendu  publid 
dans  notre  revue  par  M.  Paul  Bacel. 

La  Rédaction. 


(i)  A.  Fortescue,  op,  cit.,  p.  84. 


BIBLIOGRAPHIE 


|.  B.  AuFHAUSER,  Die  Heilslehre  des  hl.  Gregor  von  Nyssa.  Munich^ 
J.-J.  Lentner,  1910.  In-8",  vin-2i5  pages. 

Au  cours  du  xix^  siècle,  les  Allemands  ont  consacré  à  la  doctrine  théo- 
logique de  saint  Grégoire  de  Nysse  une  série  de  monographies  de  valeur 
fort  inégale.  Toutes  ont  pour  objet  un  point  spécial  :  aucune  ne  constitue 
une  étude  d'ensemble  sur  la  théologie  du  grand  docteur  cappadocien. 
M.  Aufhauser  imite  ses  devanciers  :  il  borne  son  enquête  à  la  doctrine  du 
salut.  En  lisant  cette  monographie  si  serrée,  si  pleine,  si  bien  menée,, 
fruit  d'une  lecture,  attentive  de  toutes  les  œuvres  de  saint  Grégoire,  nous 
nous  sommes  pris  à  regretter  que  l'auteur  n'ait  pas  donné  une  synthèse 
générale  de  toute  la  doctrine  du  docteur  qu'il  étudie. 

L'ouvrage  comprend  une  introduction  et  cinq  chapitres.  L'introduction 
présente  un  aperçu  rapide  sur  la  situation  théologico-philosophique  du 
milieu  intellectuel  dans  lequel  a  vécu  saint  Grégoire  de  Nysse  et  fixe 
l'attitude  de  celui-ci  en  face  des  problèmes  de  son  temps.  L'atmosphère 
intellectuelle  du  iv«  siècle  était  chargée  d'éléments  fort  disparates.  Les 
vieilles  hérésies  des  trois  premiers  siècles  étaient  loin  d'être  extirpées.  Les 
hérésies  contemporaines  :  arianisme,  macédonianisme,  apollinarisme, 
donnaient  l'assaut  à  la  doctrine  orthodoxe.  Le  paganisme  n'était  pas 
mort;  il  avait  même  essayé  de  prendre  une  revanche  sur  le  christianisme, 
à  l'époque  de  Julien.  Quant  aux  philosophes,  ils  s'inspiraient  surtout  de 
Platon.  Si  l'évêque  de  Nysse  fut  l'adversaire  intrépide  et  redoutable  de 
l'hérésie,  il  se  montra  bienveillant  pour  la  philosophie  et  chercha  à  en 
faire  la  servante  de  la  théologie.  11  fut,  après  Origène,  le  plus  philosophe 
les  Pères  grecs.  Le  problème  du  mal  surtout  le  préoccupa.  Malheureu- 
sement, la  solution  à  laquelle  il  s'arrêta  ne  fut  pas  heureuse  de  tout 
Doint,  comme  on  le  verra  tout  à  l'heure. 

L'influence  de  la  philosophie  sur  la  doctrine  de  Grégoire  est  particuliè- 
■ement  visible  dans  la  manière  dont  ce  Père  explique  la  fin  de  l'homme 
it  dont  il  détermine  les  moyens  pour  y  parvenir.  Imiter  Dieu,  lui  devenir 
iemblable,  participer  à  sa  vie  :  tel  est  le  but  vers  lequel  l'homme  doit 
lendre  et  auquel  il  peut  arriver  par  le  détachement  des  choses  sensibles 
!t  terrestres.  Il  emprunte  à  Aristote  sa  théorie  de  la  vertu.  Ses  homélies 
ur  le  Cantique  des  cantiques  et  son  traité  de  la  virginité  abondent  en 
)elles  considérations  ascétiques  et  mystiques  et  font  de  lui  un  des  pre- 
miers théoriciens  de  la  vie  spirituelle  (ch.  i). 

La  doctrine  du  salut  étant  intimement  liée  à  celle  qui  regarde  l'état 
)rimitif  de  l'humanité  et  le  péché  originel,  M.  Aufhauser  nous  fait  con- 


282  ÉCHOS    d'orient 


naître  l'enseignement  de  Grégoire  sur  ces  points  capitaux.  Sur  l'état 
primitif,  notre  Docteur  a  des  conceptions  à  lui,  qu'il  mêle  aux  données 
de  la  foi  traditionnelle.  Il  distingue  un  double  paradis  :  le  paradis  idéal, 
celui  que  Dieu  aurait  réalisé,  dans  l'hypothèse  de  la  persévérance  de 
l'homme  dans  l'état  de  justice  originelle,  et  le  paradis  historique,  celui 
qui  a  existé  en  fait  et  a  été  conditionné  par  la  prévision  de  la  chute. 
D'après  le  plan  divin  idéal,  la  différenciation  des  sexes  et  le  mariage 
n'auraient  pas  existé,  Dieu  aurait  multiplié  les  hommes  d'une  autre 
manière,  selon  le  mode  angélique.  Le  corps  humain  aurait  été  formé 
d'éléments  moins  grossiers  et  aurait  été  soustrait  à  toutes  les  nécessités 
de  la  vie  végétative  et  animale  :  il  aurait  ressemblé  au  corps  des  élus 
après  la  résurrection.  En  fait,  ce  plan  n'a  été  réalisé  qu'en  partie.  Pré- 
voyant la  chute  du  premier  homme.  Dieu  lui  a  donné  une  compagne 
pour  que  la  reproduction  de  l'espèce  humaine  se  fît  par  voie  de  gêné 
ration.  Au  paradis  terrestre,  Adam  et  Eve  étaient  exempts  de  la  concu- 
piscence, de  la  douleur  et  de  la  mort.  Ils  n'avaient  pas  besoin  de  nourri 
ture,  l'arbre  de  vie  n'étant  qu'une  allégorie.  Mais  leur  corps  n'était  point 
formé  de  la  fine  matière  qui  aurait  composé  le  corps  de  l'homme  idéal 
il  contenait  toutes  les  virtualités  de  l'animalité,  et  celles-ci  devaienl 
passer  à  l'acte,  dès  qu'elles  ne  seraient  plus  contenues  par  les  dons  pré- 
ternaturels. 

Sans  employer  ce  terme  de  «  dons  préternaturels  »  et  sans  tracer  à'um 
manière  précise  les  limites  du  naturel  et  du  surnaturel,  saint  Grégoire  fj|| 
cependant  ressortir  clairement  le  côté  gratuit  des  prérogatives  qu'Ai 
a  perdues  par  le  péché.  Il  affirme  aussi  très  nettement  l'élévation 
premier  homme  à  l'état  surnaturel  proprement  dit  par  le  don  de  la  grâce 
participation  de  la  vie  divine.  Cette  dernière  affirmation  mérite  d'autant 
plus  d'être  remarquée  qu'à  entendre  certains  historiens  du  dogme,  la 
dition  grecque  des  quatre  premiers  siècles  serait  presque  muette  sur 
point  particulier. 

Non  moins  digne  d'attention  est  la  doctrine  de  l'évêque  de  Nysse  s 
l'existence  du  péché  originel  dans  les  descendants  d'Adam  et  ses  funeste] 
conséquences.  Il  parle  d'une  dette  commune  de  la  nature  humaine,  1 
xatvà  T-ri;  àvôpwut'vri;  çoffswç  o^X^ara,  et  déclare  que  quiconque  particsipl 
à  la  nature  d'Adam  par  la  génération  participe  à  sa  chute.  Le  principj 
effet  du  péché  d'origine  est  la  mort,  non  pas  seulement  la  mort  du  corp 
mais  aussi  la  mort  de  l'âme.  De  là  la  nécessité  du  baptême  pour  recouvT' 
la  vie  de  l'âme,  c'est-à-dire  la  grâce  perdue  par  Adam.  Après  avoir  entend 
des  affirmations  si  orthodoxes,  on  est  un  peu  surpris  de  voir  Grégoi 
ouvrir  le  ciel  aux  petits  enfants  morts  sans  baptême.  Il  est  vrai  qu'il  pi 
sente  sa  solution  comme  une  conjecture.  Il  y  a  même  lieu  de 
demander,  comme  le  fait  remarquer  M.  Aufhauser,  si,  dans  le  cas, il 
se  place  pas  uniquement  sur  le  terrain  philosophique. 


BIBLIOGRAPHIE  iS} 


Grégoire  semble  bien  enseigner  que  le  péché  originel  a  blessé  au  vif  la 
nature  humaine  considérée  en  elle-même,  bien  qu'il  n'y  ait  point  eu  cor- 
ruption foncière.  D'après  lui,  nous  naissons  avec  un  penchant  au  mal 
plus  fort  que  le  penchant  au  bien. 

Pour  rétablir  l'homme  dans  l'état  primitif  (àvàyjTjdt;)  et  lui  redonner 
a  vie  divine,  l'Incarnation  de  l'Homme-Dieu  était  nécessaire,  car 
'homme  déchu  ne  pouvait  se  relever  lui-même  ni  payer  au  démon  une 
juste  rançon.  La  manière  dont  Grégoire  parle  des  droits  du  démon  est 
ïssez  choquante.  Par  une  rhétorique  de  mauvais  goût,  il  considère 
'ennemi  du  genre  humain  comme  un  légitime  possesseur  qui  avait  droit 
i  une  juste  compensation.  C'est  à  lui  que  Jésus-Christ  a  payé  le  prix  de 
aotre  rachat,  tout  en  le  trompant  comme  il  avait  trompé  lui-même  nos 
premiers  parents.  Jésus,  à  la  fois  prêtre  et  victime,  s'est  offert  en  hostie 
le  propitiation  pour  nous  réconcilier  avec  Dieu.  Ce  sacrifice  s'est  accompli 
l'une  manière  sanglante  sur  la  croix,  et  à  la  dernière  Cène  d'une  manière 
mystique.  La  rédemption  a  été  universelle,  non  seulement  pour  les 
hommes,  mais  aussi,  semble-t-il,  pour  tous  les  êtres  de  la  création  (ch.  ii). 

Considérée  dans  le  sujet,  l'œuvre  du  salut  s'accomplit  par  le  concours 
du  facteur  humain  et  du  facteur  divin,  de  la  liberté  et  de  la  grâce.  Contre 
le  dualisme  gnostique  et  le  fatalisme  païen,  saint  Grégoire  met  vivement 
en  relief  la  liberté  humaine,  amoindrie  mais  non  détruite  par  le  péché. 
Il  semble  même,  en  certains  endroits  de  ses  écrits,  trop  lui  accorder,  mais 
ce  n'est  qu'une  apparence.  En  réalité,  les  droits  de  la  grâce  sont  suffi- 
samment sauvegardés.  Presque  toutes  les  thèses  catholiques  sur  la  néces- 
sité, la  nature,  la  gratuité,  la  distribution,  l'universalité  de  la  grâce 
actuelle  trouvent  en  lui  un  témoin  et  un  défenseur.  On  ne  saurait  l'accu- 
ser de  semi-pélagianisme,  car,  en  plusieurs  passages,  il  donne  très  clai- 
rement la  priorité  à  la  grâce  sur  la  liberté  et  enseigne  que  la  foi  est 
un  don  gratuit  offert  à  tous.  Il  ne  faut  pas,  du  reste,  chercher  chez  lui 
le  théorie  précise  sur  la  manière  dont  les  deux  facteurs  humain  et  divin 
:ombinent  leur  action.  Il  se  contente  d'affirmer  que  la  grâce  ne  détruit 
Das  la  nature  et  ne  violente  pas  le  libre  arbitre  (ch.  m). 

La  justification,  à  laquelle  disposent  la  foi  et  le  repentir  et  qu'apporte 
e  baptême,  consiste  dans  la  destruction  du  péché  et  dans  la  naissance 
A  une  vie  nouvelle,  la  vie  même  de  Dieu.  Le  baptisé  est  fils  de  Dieu,  non 
par  nature,  mais  par  grâce;  il  contracte  avec  lui  une  parenté  véritable. 
l)ieu  naît  en  lui;  il  est  divinisé.  A  l'Eucharistie  appartient  d'entretenir  en 
|ious  cette  vie  divine  (ch.  iv). 

La  doctrine  eschatologique  de  saint  Grégoire  s'écarte  en  un  point 
Upital  de  l'enseignement  catholique.  Disciple  d'Origène,  il  admet  le  réta- 
l^lissement  final  de  toutes  choses,  àTroxaToccTTaffi;  iràvTojv,  c'est-à-dire  la  dis- 
|)arition  définitive  du  mal  moral  dans  l'œuvre  de  la  création.  Le  mal  est 
luelque  chose  de  négatif,  un  non-être  qui  n'existe  que  dans  et  par  le  bien. 


284  ÉCHOS    d'orient 


Il  ne  saurait  être  infini  dans  la  durée,  étant  limité  dans  l'espace.  Un  jour 
viendra  où  les  réprouvés  et  les  démons,  après  avoir  erré  par  tous  les 
chemins  de  la  malice  et  du  désordre  et  avoir  exploré  tout  le  domaine  du 
mal,  se  tourneront  finalement  vers  le  Bien  Souverain,  qui  les  accueillera. 
Dieu  alors  sera  tout  dans  tous,  et  toute  créature  libre  chantera  l'hymne 
de  l'amour  et  de  la  reconnaissance.  Cette  conception  a  quelque  chose  de 
grandiose;  elle  est  séduisante  pour  la  raison;  mais  il  est  facile  devoir, 
à  la  réflexion,  qu'elle  est  destructrice  de  l'ordre  moral.  Tout  châtiment 
temporel,  si  terrible  qu'on  le  suppose,  est  une  sanction  insuffisante  de  la 
loi  morale  (ch.  v). 

Plusieurs  auteurs  ont  vainement  essayé  d'établir  que  l'évéque  de  Nysse 
n'avait  point  enseigné  l'apocatastase  universelle,  soit  en  supposant  gra- 
tuitement que  ses  œuvres  avaient  été  interpolées,  soit  en  faisant  violence 
aux  textes  les  plus  clairs.  Sans  doute,  en  maints  endroits  de  ses  écrits 
parénétiques,  il  parle  de  peines  éternelles,  mais  l'épithète  aîaiv.o;  a  pour 
lui  un  sens  relatif  et  signifie  une  longue  durée.  Il  faut  reconnaître  qu'il 
s'est  écarté  sur  ce  point  de  la  tradition  apostolique.  A  son  époque,  l'Eglise 
n'avait  pas  encore  condamné  l'apocatastase  origéniste,  et  l'on  n'a  pas 
trop  de  peine  à  comprendre  qu'un  philosophe  comme  saint  Grégoire  se 
soit  laissé  séduire  par  une  théorie  dont  le  brillant  et  le  grandiose  dissi- 
mulent la  fausseté. 

M.  JUGIE. 

J.  P.  Bock,  S.  J.  Die  Brotbitte  des  V aterunsers .  Ein  Beitrag  s^ur  VerS' 
taendnis  dièses  Universalgebetes  und  einscklaegiger  patristisch-litur»\ 
gischer  Fragen.  Paderborn,  Bonifacius-Druckerei,  191 1,  in-8°,  xvt 
339  pages.  Prix:  5  marks. 


C'est  le  récent  décret  pontifical  Sacra  trideniina  Synodus  sur  la  cor 
munion  fréquente  et  quotidienne  qui  a  donné  occasion  à  cet  ouvrage.  L 
R.  P.  Bock  cherche  à  y  établir  le  bien  fondé  exégétique,  patristique  e 
liturgique  de  l'application  du  Panem  quotidianum  du  Pater  à  la  saint- 
communion.  Nous  ne  pouvons  pas,  dans  un  bref  compte  rendu,  suivr 
l'auteur  à  travers  sa  longue  et  très  érudite  démonstration.  Tous  les  élé 
ments  qui  y  entrent  ne  sont  pas  d'égale  valeur.  Exégètes  et  liiurgistes  n 
manqueront  pas   de  critiquer  bien  des  détails,  où   peut-être  le  doct 
Jésuite  s'est  trop  laissé  influencer  par  la  thèse  à  établir.  Pour  ne  cite 
qu'un  exemple,  le  groupe  de  documents  liturgiques,  spécialement  orier 
taux,  du  IV*  et  du  v«  siècle,  où  la  mention  du  Pater  est  absente  à  la  messi 
constitue  une  difficulté  que  l'auteur  tourne  trop  légèrement  en  «  témo 
gnage  équivalent  »,  ch.  xvi,  p.  245  sq.  Mais  du  moins  on  sera  bien  aii 
de  trouver  ainsi  réunis  tant  de  textes  intéressants.  La  partie  patristiqi| 
surtout,  la  plus  solide  d'ailleurs,  rendra  service  à  tous  ceux  qui  auroi| 
à  la  consulter. 


BIBLIOGRAPHIE  285 


Quel  que  soit  le  degré  de  valeur  démonstrative,  variable  suivant  les 
cas,  qu'il  faille  attribuer  aux  divers  éléments  de  cet  ouvrage,  il  convient 
de  féliciter  le  R.  P.  Bock  du  zèle  très  sacerdotal  qui  le  lui  a  inspiré  et  du 
labeur  consciencieux  qui  lui  a  fait  mener  à  bonne  fin  de  si  patientes 
recherches.  S.  Salaville. 

M.  J.   RouËT  DE  JouRNEL,   S.    J.,   Enchiridion  patristicum.   Fribourg 
en  Brisgau,  Herder,  191 1,  in-8",  xxiv-888  pages.  Prix:  12  fr.  5o. 

Après  V Enchiridion  symbolorum,  definitionum  et  declarationum  de 
rébus  Jidei  et  morum  de  Denzinger,  revu  et  considérablement  augmenté 
par  le  P.  C.  Banmvart,  et  V Enchiridion  Fontium  historiée  du  P.  C.  Kirch, 
la  librairie  Herder  présente  au  public  un  troisième  Enchiridion,  VEnchi- 
ridion  patristicum,  dû  aux  soins  du  P.  Rouët  de  Journel.  Il  est  en  tout 
digne  de  ses  aînés,  rédigé  sur  le  même  plan,  avec  le  même  souci  d'être 
utile  aux  étudiants  en  théologie  et  à  d'autres.  Les  textes  patristiques  vont 
de  la  Didaché  à  saint  Jean  Damascène  et  sont  disposés  dans  l'ordre  chro- 
nologique des  auteurs  et  de  leurs  écrits.  Les  textes  des  Pères  grecs  sont 
donnés  dans  l'original  et  en  traduction  latine. 

Cet  Enchiridion  est  bien  fait  pour  initier  les  élèves  en  théologie  à 
la  preuve  patristique  et  leur  inspirer  le  goût  de  la  lecture  des  Pères.  Il  est 
re^^rettable  que  la  consultation  n'en  soit  pas  très  commode,  malgré  les 
excellentes  tables  qu'on  y  a  jointes.  Professeurs  et  élèves  en  théologie  pré- 
féreraient certainement  une  disposition  des  textes  par  ordre  de  matières. 
Cela  entraînerait  sans  doute  quelques  répétitions,  le  même  passage  conte- 
nant parfois  l'énoncé  de  plusieurs  dogmes;  mais  comme  on  serait  satis- 
fait d'avoir  à  la  file  tous  les  témoignages  se  rapportant  à  une  même 
thèse!  Nous  souhaitons  vivement  qu'une  prochaine  édition  nous  donne 
une  petite  Somme  de  théologie  patristique  sur  le  plan  de  l'index  théolo- 
^ique  placé  à  la  fin  du  volume. 

Certains  points  de  doctrine  sont  faiblement  représentés  dans  ce  recueil. 
Sur  l'Immaculée  Conception  de  la  Vierge,  par  exemple,  on  ne  trouve 
^uère qu'un  témoignage,  celui  de  saint  Ephrem,  qui  contienne  vraiment 
'idée  dogmatique.  La  tradition  patristique  serait-elle  si  pauvre?  Nous  ne 
e  croyons  pas.  L'auteur  aurait  pu  faire  figurer  dans  son  recueil  une 
penne  demi-douzaine  de  textes  suffisamment  clairs,  fournis  par  Théodote 
jl'Ancyre,  Proclus,  Sévère  d'Antioche,  saint  Sophrone,  saint  André  de 
prête,  saint  Germain  et  saint  Jean  Damascène.  Sur  l'Assomption,  on  ne 
ignale  que  le  passage  de  l'histoire  euthymiaque  inséré  dans  une  homélie 
lu  Damascène,  passage  dont  la  véracité  est  suspectée  à  bon  droit  par  les 
ritiques.  Pourquoi  ne  pas  mentionner  l'opinion  de  saint  Epiphane  sur 
a  mort  de  la  Vierge,  le  témoignage  de  Modeste  de  Jérusalem  et  d'autres 
iiocteurs  byzantins  sur  la  Dormition? 

M.  JUGIE. 


286  ÉCHOS  d'orïent 


A.  T.  RoBERTSON,  Grammaire  du  grec  et  du  Nouveau  Testament,  tra- 
duite sur  la  seconde  édition,  par  E.  Montet.  Paris,  Paul  Geuthner, 
191 1,  xvi-298  pages  in-8". 

Voici  une  nouvelle  étude  philologique  d'une  réelle  valeur  sur  la  langue 
du  Nouveau  Testament.  Elle  n'atteint  pas  les  développements  de  celle 
de  Moulton,  mais  cela  même  la  met  à  la  portée  d'un  plus  grand  nombre 
de  lecteurs.  L'auteur  écrit  pour  les  Séminaires  protestants  des  Etats- 
Unis,  ce  qui  explique,  par  exemple,  les  sens  qu'il  donne  aux  mots  o-.xa-.w, 
oixaîoxTtç,  —  à7roXuTûo)(7i;  (p.  89),  mais  n'enlève  rien  à  la  portée  de  ses 
affirmations  scientifiques. 

M.  Robertson  a  voulu  combler  une  lacune  qui  existe  entre  les  gram- 
maires rudimentaires  et  les  traités  complets.  Il  a  voulu  faire  «un  ouvrage 
pratique  intermédiaire  pour  ceux  qui  sont  familiarisés  avec  les  éléments 
du  grec  (p.  11)  ».  ! 

Le  point  de  vue  où  il  se  place  est  à  noter.  Appuyé  sur  les  particularités 
grammaticales  que  l'on  remarque  dans  les  papyrus,  il  restreint  le  plus 
possible  l'influence  sémitique,  qui,  dit-il,  «  n'est  vraiment  pas  grande, 
bien  qu'elle  soit  réelle  et  précise  (p.  24)  ». 

Mais  ce  qui  donne  à  cet  ouvrage  la  note  caractéristique  et  originale, 
c'est  la  manière  dont  le  sujet  y  est  traité.  M.  Robertson,  qui  est,  en  philo- 
logie, au  courant  de  toutes  les  méthodes  modernes,  a  su  s'élever  à  des^ 
considérations  générales  d'un  très  grand  intérêt.  Il  a,  dans  le  Nouveau 
Testament,  saisi  la  langue  grecque  dans  une  phase  de  sa  longue  évolir-i 
tion  et  s'est  attaché,  pour  la  faire  comprendre,  à  opposer  sans  cesse 
xotvT)  des  temps  apostoliques  aux  formes  dialectales  plus  anciennes  et  a| 
grec  moderne  parlé.  Enfin,  il  le  rapproche  aussi  du  sanscrit,  du  latin 
des  langues  indo-germaniques.  Le  traducteur,  M.  E.  Montet,  qui  est  uî 
«  hébraïsant  de  l'Ancien  Testament  »,  ainsi  que  lui-même  a  soin  db 
nous  le  dire  (p.  ix),  a  ajouté  en  note  des  remarques  prises  de  la  com 
paraison  avec  les  langues  sémitiques.  Elles  aggraveront  le  reproche  qii 
certains  adresseront  sans  doute  à  l'auteur  d'avoir  excédé  dans  ses  qua 
lités  mêmes,  d'avoir  parfois  dépassé  les  bornes  du  Nouveau  Testament 
développé  telle  théorie  philologique  plus  qu'il   n'était  nécessaire  pou 
l'explication  du  texte  sacré,  surtout  dans  une  grammaire  relativemefi 
courte. 

Mais  ce  n'est  pas  nous  qui  l'en  blâmerons.  Outre  que  «  cette  philos( 
phie  du  langage  grec  fait  le  charme  de  l'ouvrage  »  (p.  ix),  comme 
remarque  M.  Montet,  c'est  par  ce  côté  justement  qu'il  nous  intéresse 
qu'il  serait  utile  à  certains  de  nos  lecteurs  grecs,  si  passionnés  pour  l 
querelles  linguistiques.  F.  Cayré. 

E.  DE  Marsay,  De  Vauthenticité  des  livres  d'Esther  et  de  Judith.  Pari 
Paul  Geuthner,  191 1,  41  pages,  in-8". 


BIBLIOGRAPHIE  287 


Dans  cette  courte  brochure,  M.  E.  de  Marsay  réfute  les  objections  faites 
à  l'historicité  du  livre  dEsther.  Il  rétablit  avec  une  très  grande  vraisem- 
blance la  scène  biblique  dans  son  cadre  historique  et  prouve  sa  reconsti- 
tution par  une  brève  étude  philologique. 

Trois  pages  en  supplément  sont  consacrées  au  livre  de  Judith,  dont 
M.  de  Marsay  fait  remonter  les  événements  jusqu'au  x"  siècle.  C'est  aller 
bien  haut,  alors  que  tant  d'autres  descendent  si  bas. 

M.  Lacroix. 

E.  Klostermann,  Origenes,  Eustathius  von  Antiochien  und  Gregor  von 
Nyssa  ùber  die  Hexe  von  Endor.  Bonn,  A.  Marcus  et  E.  Weber,  1912^ 
petit  in-8 ",  70  pages.  Prix  :  i  mark  60  (Fait  partie  de  la  collection 
«  Kleine  Texte  fiir  Vorlesungen  und  Uebungen  »  herausgegeben  von 
Hans  Lietzmann). 

On  sait  qu'Origène  a  consacré  à  l'épisode  de  la  pythonisse  d'Endor 
(/  Reg.  XXVIII,  3-25)  un  commentaire  caractéristique  de  son  exégèse  où 
l'allégorie  occupe  une  trop  grande  place.  Les  amis  du  grand  Alexandrin 
ont  pris  parti  pour  lui,  tandis  que  ses  adversaires  l'ont  vivement  critiqué. 
Un  manuscrit  de  Munich,  le  Cod.  grœcus  33 1,  du  x«  siècle,  contient  pré- 
cisément, avec  l'homélie  d'Origène,  la  réfutation  qu'en  fit  saint  Eustathe 
d'Antioche  et  la  lettre  de  saint  Grégoire  deNysse  à  l'évêque  Théodose  sur 
le  même  sujet.  Ces  textes  étaient  connus.  Mais  on  saura  gréa  M.  E.  Klos- 
termann, éditeur  d'Origène  dans  le  Corpus  de  Berlin,  de  les  avoir  munis 
d'un  excellent  appareil  critique  en  se  servant  d'un  manuscrit  qui  n'avait 
pas  été  utilisé  jusqu'à  présent.  S.  Salaville. 

A.  RuECKER,  Die  Lukas-Homilien  des  hl.  Cyrill  von  Alexandrien.  Ein 
Beitrag  ^ur  Geschichte  der  Exégèse.  Breslau,  Goerlich  et  Coch,  1911, 
in-8",  102  pages.  Prix:  3  marks  20. 

Saint  Cyrille  d'Alexandrie  a  consacré  au  commentaire  de  l'Evangile 
selon  saint  Luc  cent  cinquante-six  homélies,  dont  le  texte  grec  n'est 
malheureusement  pas  parvenu  jusqu'à  nous.  On  n'en  a  que  des  fragments 
recueillis  surtout  par  le  cardinal  Mai  dans  les  Chaînes  grecques.  Par 
contre,  nous  possédons  de  ces  homélies  une  traduction  syriaque  à  peu 
près  complète,  qui  a  été  publiée  et  traduite  en  anglais  par  Robert  Payne 
jSmith  (Oxford,  1 858-1  SSg).  Cette  traduction  pourrait  servir  à  retrouver 
d'autres  fragments  grecs  et  à  reconstituer  peu  à  peu  le  texte  original. 
|Ml.  l'abbé  Rûcker,  par  son  excellente  thèse  de  doctorat  présentée  à  la 
Faculté  de  théologie  catholique  de  l'Université  de  Breslau,  a  fort  bien 
préparé  le  terrain  à  ce  travail  en  faisant  l'application  des  principes  de  la 
critique  à  l'histoire  et  aux  témoins  de  ce  commentaire,  en  dressant  le 
ableau  très  complet  des  extraits  connus  du  texte  grec,  en  étudiant  l'ori- 


288  ÉCHOS  d'orient 


gine  de  ces  homélies  cyrilliennes,  le  texte  scripturaire  qu'elles  attestent, 
leur  caractère  exégétique. 

Ce  commentaire  dut  être  composé  vers  43o,  en  partie  contre  Nestorius. 
On  sait  que  l'exégèse  de  l'évéque  d'Alexandrie  est,  en  général,  plutôt 
allégorisante,  surtout  pour  l'Ancien  Testament.  Néanmoins,  le  littéra- 
lisme  est  loin  de  lui  être  étranger.  On  en  trouvera  un  exemple  frappant 
dans  son  explication  du  logion  concernant  le  chameau  et  le  trou  de 
l'aiguille,  p.  loo.  Ce  passage  du  commentaire  est  ici  publié,  dans  le  texte 
syriaque  et  en  traduction  allemande,  avec  quelques  autres  qui  manquaient 
dans  le  manuscrit  édité  par  Robert  Payne  Smith.  L'abbé  Riicker  les 
a  trouvés  dans  le  Codex  Sachau  220  de  Berlin.  Souhaitons  au  savant 
auteur  de  pouvoir  nous  donner  un  jour  le  texte  grec  des  Homélies  de 
saint  Cyrille,  reconstitué  grâce  à  ses  patients  et  consciencieux  travaux,     j 

S.  Salavili.e. 


LIVRES  REÇUS  A  LA  RÉDACTION 


Plusieurs  de  ces  ouvrages 
seront  l'objet  d'un  compte  rendu  dans  une  des  livraisons  de  la  Revue. 

Publications  de  l'Académie  roumaine  de  Bucarest  : 

C.  LiTzicA,  Catalogul  manuscriptelor  grecesti,  eu  i5  stampe  fac-simil< 
Bucarest,  Académie  roumaine,  1909,  vi-564  pages  in-S".  Prix  :  12  francs. 

J.  BiANU  et  N.  HoDos,  Bibliografia  rotnânesca  pèche  1 5o8-i 83o,  t.  II,fasc,/ 
et  VI.  Bucarest,  1909-1910,  in-4°^  p.  385-481.  Prix:  i  franc  par  fascicule. 

Documente  privitoare  la  Istoria  Românilor  culese  de  E.  de  Hurmuzaki  : 

T.  XIII,  Texte  grecesti  privitoare  la  istoria  Româneasca  culese  si  publicai 
de  A.  Papadopoulos-Kerameus,  Bucarest.  1909,  in-4°,  [xy'-6i9  pages.  Prix 
25  francs. 

T.  XV,  Acte  si  Scrisori  din  Arhivele  Oraselor  Ardelene  {Bistrita,  Braso 
Sibiiu)  publicate  de  N.  Iorga.  Partea  I  :  i358-i6oo.  Bucarest,  191 1,  in-4°,  lxxvii 
775  pages.  Prix  :  25  francs. 

Analele  Academiei  Romane,  séria  11,  t.  XXXI-XXXIII  (1908-1911)  :  Memorii 
sectiunii  istorice,  stiintijîce,  literare;  Partea  administrativa  si  desbaterile. 

Academia  Româna  :  Discursuri  de  receptiune,  xxxii-xxxvii.  Bucarest,  19c 
1911. 

DoNADO  DA  Lezze,  Histora  Tiirchesca  (i3oo-i5i4),  publicata,  annotât] 
impreuna  eu  o  introducere  de  D'  I.  Ursu.  Bucarest,  igio,  in-8'^  lx-3o4  pag<j 
Prix  :  5  francs. 

Academia  Româna:  Din  vieata  poporului  Roman  Culegeri  si  Stiidii,  t.  IV-.| 
Bucarest,  1909-1911. 

638-12.  —  Imp.  P   Feron-Vrau,  3  «  b,  rue  Hayard,  Paris,  Vlll*.  —  Le  gérant  :  E.  Petithejjrt. 


ORIGINES  CHRÉTIENNES 

DE  LA  GÉORGIE 


De  toutes  les  Eglises  orientales  de  rite  byzantin,  la  moins  connue 
isqu'ici  est  peut-être  l'Eglise  géorgienne.  11  faut  sans  doute  en  chercher 

cause  dans  son  éloignement  et  dans  son  manque  de  relations  directes 
/ec  l'Occident.  Cependant,  elle  mérite  à  plus  d'un  titre  d'être  étudiée. 
u  moyen  âge,  ses  monastères  se  rencontraient  dans  les  provinces  les 
lus  diverses  de  l'empire  byzantin,  depuis  Jérusalem  jusqu'au  mont 
thos,  exerçant  une  influence  considérable.  Les  saints  et  les  martyrs 
e  lui  firent  pas  plus  défaut  que  les  savants. 

Malgré  le  voisinage  des  Arméniens  monophysites  et  leurs  incessantes 
ersécutions,  les  Géorgiens  ont  conservé  intacte  la  foi  de  leurs  pères, 
'ils  sont  séparés  de  Rome  depuis  plus  de  cent  ans,  ils  ont,  jusqu'à 
[  fin  du  xviije  siècle,  entretenu  avec  elle  les  meilleures  relations,  au 
rand  désespoir  des  patriarches  byzantins,  jaloux  d'étendre  leur  auto- 
té  jusqu'au  pied  du  Caucase. 

La  Géorgie  et  les  Géorgiens. 

On  appelle  Géorgie  la  partie  de  la  Transcaucasie  russe  qui  comprend 

I  bassin  du  Tchorokh,  de  l'ingour  et  du  Rion  (le  Phasis  des  anciens), 

haut  plateau  et  le  bassin  central  de  la  Koura  jusqu'à  son  confluent 

'/ec  l'Alazane.  La  capitale  fut  d'abord  Mtzkhéta,  puis  Tiflis,  à  quelques 

lomètres  plus  à  l'Est.  Les  écrivains  grecs  et  latins  connaissaient  ce 

lys  sous  le  nom  d'Ibérie.   C'est  dans  ces  régions,  en  Colchide  (la 

ingrélie  actuelle),  que  les  Argonautes  vinrent  avec  Jason  conquérir 

fameuse  Toison  d'or.  Les  habitants  sont  les  Kartvels  ou  Géorgiens. 

s  rares  auteurs  qui  ont  étudié  ce  peuple  sont  loin  de  s'entendre  quand 

veulent  déterminer  à  quelle  race  il  appartient.  L'incertitude  est  la 

ême  pour  la  langue.  Avant  l'ère  chrétienne,  les  Géorgiens  occupèrent 

iqu'au  vue  siècle  une  bonne  partie  de  l'Arménie  actuelle.  D'après  des 

couvertes  relativement  récentes,  il  semble  même  qu'il  faut  les  iden- 

er  avec  les  Alarodiens,   qui  formaient,  autour  du  lac  de  Van,  le 

neux  royaume  d'Ourartou,  contre  lequel  les  Assyriens  eurent  tant 

Litter.  Repoussés  petit  à  petit  par  les  Arméniens  venus  de  Phrygie  et 

■  d'autres  peuples  envahisseurs,  ils  se  cantonnèrent  dans  le  Caucase, 

ils  occupent  encore  aujourd'hui. 

Echos  d'Orient.  —  i5'  année.  —  N°  g5.  Juillet   1912. 


2O0  ÉCHOS    D  ORIENT 


Pour  assurer  son  indépendance  politique  et  sa  liberté  religieuse,  ce 
peuple  énergique  eut  à  lutter  contre  des  empires  puissants  qui  l'enser- 
raient de  toute  part.  Tour  à  tour  les  Perses,  les  Byzantins,  les  Arabes, 
les  Mongols  et  les  Turcs  se  ruent  à  l'assaut  des  montagnes  du  Caucase, 
les  pillent  et  les  dévastent.  Lorsque  enfin,  épuisés  par  tant  de  guerres 
et  par  des  divisions  intestines,  les  Géorgiens  sont  aux  abois,  la  diplo- 
matie moscovite  en  fait  d'abord  les  vassaux,  puis,  quelques  années 
après,  les  sujets  de  la  toute  sainte  Russie. 

De  la  puissante  Eglise  de  jadis,  qui  comptait  plusieurs  millions  de 
fidèles  avec  un  catholicos,  et  pas  moins  de  soixante-quinze  évêques,  il 
ne  reste  plus  aujourd'hui  qu'un  million  et  demi  à  deux  millions  df 
fidèles,  introduits  malgré  eux  dans  l'Eglise  officielle  russe,  sous  la  direc- 
tion d'un  exarque  toujours  russe  et  de  cinq  évêques  habituellemenl 
géorgiens.  La  Géorgie  a  complètement  perdu  son  indépendance  civil 
et  religieuse  de  1800  à  1810. 

Les  Géorgiens  rattachent  les  origines  de  leur  Eglise  à  la  traditioi 
de  la  sainte  Tunique,  à  lapostolat  de  saint  André,  au  premier  siècle 
et  à  celui  de  sainte  Nino,  au  iv^  siècle.  Essayons  brièvement  d'appli 
quer  à  ces  traditions  le  contrôle  de  l'histoire. 

La  tradition  de  la  sainte  Tunique. 

Parmi  les  causes  qui  ont  contribué  à  faire  connaître  la  religion  chrel 
tienne  dans  leur  patrie,  les  Géorgiens  se  plaisent  à  compter  la  possesl 
sion  de  la  tunique  sans  couture  de  Notre-Seigneur,  que  les  soldai 
tirèrent  au  sort  au  pied  de  la  croix.  Comment  cette  insigne   reliqtj 
s'est-elle  trouvée  en  Géorgie  pendant   plusieurs  siècles,  c'est  ce  qui 
n'est  pas  facile  d'établir.  Cependant,  si  nous  en  croyons  les  zAnnalX 
géorgiennes,  la  chose  s'explique  très  aisément.  Ces  annales,  il  est  vrai 
n'existent  dans  leur  forme  actuelle  que  depuis  Je  xvii^  siècle,  mais  \\ 
documents  sur  lesquels  elles  se  basent  sont,  au  dire  des  orientalistej 
d'une  très  grande  valeur. 
:    Nous  savons  qu'après  la  destruction  de  Jérusalem  par  Nabuchodl 
nosor  bon  nombre  de  Juifs  vinrent  s'établir  en  Géorgie,  principalemej 
dans  la  capitale,  à  Mtzkhéta.  D'après  les  annales,  «  Anne,  prêtre  dj 
Juifs  de  Jérusalem  »,  aurait  envoyé  à  ses  coreligionnaires  du  Cauca| 
un  émissaire  pour  leur  demander  de  venir  dans  la  Ville  Sainte  et  de 
prononcer  au  sujet  de  Jésus,  qui  se  prétendait  le  Messie.  Les  Juifs 
Qéorgie  envoyèrent  deux  des  leurs  :  Elioz  de  Mtzkhéta  et  Longinoz 
Carsan.  Ces  deux  délégués  n'arrivèrent  à  Jérusalem  qu'après  la  J 


ORIGINES   CHRETIENNES    DE   LA   GÉORGIE  291 

amnation  du  Sauveur,  juste  à  temps  pour  assister  à  son  crucifiement. 

Lorsque  le  sort  fut  jeté  par  les  Juifs  impies  qui  assistaient  à  son  sup- 
lice,  sur  la  robe  du  Seigneur,  la  Providence  divine  la  fit  échoir  aux 
jifs  de  Mtzkhéta.  »  (i)  Elioz  et  Longinoz  l'emportèrent  dans  leur  pays, 
ù  elle  a  été  conservée  depuis  lors  jusque  vers  le  milieu  du  vif  siècle. 

Outre  certains  détails  manifestement  inventés  pour  embellir  le  récit, 
t  qu'il  est  inutile  de  rapporter  ici,  il  est  bien  difficile  d'admettre  la 
Dnvocation  faite  par  Anne  à  ses  confrères  du  Caucase,  l'histoire  n'en 
it  pas  un  mot;  d'ailleurs,  les  Juifs  de  Jérusalem  suffisaient  pour  con- 
amner  le  Sauveur.  Quant  au  récit  du  partage  des  vêtements,  il  est 
artainement  faux,  puisqu'il  est  en  tout  contraire  au  texte  des  quatre 
vangiles  (2).  Ce  ne  sont  pas  les  Juifs,  mais  les  soldats  romains  qui  ont 
lit  ce  partage.  Certains  historiens,  dans  le  but  de  concilier  à  tout 
rix  la  tradition  géorgienne  avec  l'histoire,  prétendent  que  le  soldat 
ivorisé  du  sort  était  Géorgien.  Cette  assertion,  d'ailleurs  toute  gratuite, 
it  sujette  à  caution,  car,  à  cette  époque,  la  Géorgie  ne  faisait  pas 
ncore  partie  de  l'empire  romain. 

Les  Annales  géorgiennes  ne  sont  pas  le  seul  document  qui  raconte  le 
lit.  La  Chronique  arménienne  \e  rapporte  aussi,  mais  il  est  aujourd'hui 
rouvé  que  ce  n'est  qu'un  abrégé  des  Annales  géorgiennes.  La  Couver^ 
on  de  la  Géorgie,  ouvrage  très  ancien,  composé,  au  moins  pour  la 
remière  partie,  vers  le  vii^  siècle,  en  parle  aussi,  mais  incidemment. 

est  vrai  qu'il  y  manque  une  page  (3). 

Malgré  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  paraît  certain  que  la  tradition 
ilative  à  la  présence  en  Géorgie  de  la  sainte  Tunique  a  été  universel- 
:ment  admise  dans  ce  pays  depuis  une  très  haute  antiquité.  La  relique 

a  toujours  été  en  grand  honneur.  On  lui  a  même  consacré  une  fête 
ji  est  devenue  en  quelque  sorte  la  fête  nationale,  et  qui  se  célèbre  le 
*  octobre  (4).  Les  Pères  de  l'Eglise  géorgienne  racontent  de  nombreux 

iracles  opérés  par  la  sainte  Tunique.  Elle  a  même  pris  place  dans  les 
imes  de  la  famille  royale  (5). 


i)  Tamarati,  l'Eglise  géorgienne.  Rome,  1910,  p.  m.  Cet  ouvrage  est  précieux 
ar  son  excellente  documentation  et  sa  critique  habituellement  avisées^  Pour  plusieurs 

)ns  l'auteur  n'a  pas  su  se  dégager  de  tout  parti  pris  national. 

Litth.wwi,  35;  Marc,  xv,  24;  Luc.  xxiii,  84;  Joan.  xix,  23-24.  ' 

j)  oisons,  en  faveur  des  Géorgiens,  que  les  multiples  vicissitudes  de  leur  patrie, 
ivasion  et  l'occupation  musulmane,  qui  se  prolongea  pendant  plusieurs  siècles,  ont 
tainement  fait  disparaître  de  précieux  documents.  On  est  loin,  du  reste,  d'avoir 
'isé  tous  ceux  qui  ont  subsisté. 

\)  La  fête  est  consacrée  à  la  sainte  Tunique  et  à  la  colonne  miraculeuse  témoin  de 
:onversion  de  la  Géorgie,  au  temps  de  sainte  Nino.  Nous  aurons  à  en  parler  plus 
I. 
5)  Les  armoiries  des  rois  géorgiens  sont  très  curieuses.  Au  centre,  la  sainte  Tunique, 


292  ÉCHOS   d'orient 


Cette  précieuse  relique  dut  être  enlevée  d'assez  bonne  heure  à  h 
Géorgie.  Il  est  difficile  de  fixer  une  date,  mais  il  est  probable  que  a 
fut  en  642,  lors  de  l'invasion  qui  rendit  les  Arabes  maîtres  de  tout  le 
pays  pendant  quatre  siècles.  Que  devint  la  sainte  Tunique?  Peut-être 
passa-t-elle  aux  mains  des  croisés  et  arriva-t-elle  ainsi  à  Trêves,  ci 
l'on  vénère  encore  aujourd'hui  une  tunique  de  Notre-Seigneur  (i). 

Aucun  des  historiens  occidentaux  et  orientaux,  en  dehors  des  Géor- 
giens, jusqu'au  xi^  siècle,  ne  parle  de  la  sainte  Tunique,  bien  qu'ilî 
aient  décrit  avec  plus  ou  moins  de  vérité  toutes  les  reliques  de  Notre- 
Seigneur  et  leurs  pérégrinations.  Saint  Grégoire  de  Tours  [t  594]  (2) 
cependant,  et  son  continuateur  Frédégaire  [t  658]  (3)  en  parlent   su 
des  ouï-dire,  mais  avec  de  telles  invraisemblances,  que  leur  témoignag( 
n'a  aucune  valeur.  Ce  silence  universel  peut  donc,  à  la  rigueur,  êtr.- 
regardé  comme  favorable  au  droit  de  possession    des  Géorgiens.   L 
récit  que  nous  avons  résumé  plus  haut,  et  qui  se  répète  dans  les  autre 
documents,  paraît  inadmissible  pour  les  raisons  que  nous  avons  indi 
quées.  Il  semble  qu'il  a  été  composé  à  une  époque  où  se  faisait  senti 
le  besoin  de  fixer  la  tradition  sous  une  forme  propre  à  frapper  l'ims 
gination  populaire.  Peut-être  même  est-il  postérieur  à  la  perte  de  1 
sainte  relique.  Bien  que  nos  conclusions  ne  prétendent  en  rien  dim 
nuer  la  valeur  de  la  tradition  générale  et  ininterrompue  du  peupl 
géorgien  relativement  à  la  possession  de  la  sainteTunique,  le  manqu 
de  preuves  positives  sérieuses  suffit  cependant  à  faire  douter  de  so 
authenticité. 


autour  de  laquelle  court  cette  inscription  en  géorgien  :  «  La  tunique  était  sans  o 
ture,  d'un  seul  tissu  depuis  le  haut  jusqu'en  bas.  »  (Joan.  xix,  23.)  Au-dessou§ 
droite  une  balance;  à  gauche,  un  globe  surmonté  de  la  croix;  deux  lions  debout,  1 
une  montagne  qui  figure  le  Caucase,  soutiennent  la  tunique;  plus  haut,  placés  en  s? 
toir,  un  sabre  et  un  sceptre  au-dessus  desquels  se  trouvent  une  fronde  et  une  hajj 
en  souvenir  de  David,  dont  les  rois  de  Géorgie  se  disent  issus;  le  tout  est  surnlbi 
d'une  couronne  de  pierreries,  et,  dans  les  coins  supérieurs,  on  voit  deux  fleurs  placi 
là  sans  doute  pour  remplir  l'espace  demeuré  libre. 

(1)  Les  documents  en  faveur  de  la  sainte  Tunique  de  Trêves  ne  remontent  pas 
delà  du  xii'  siècle.  La  Commission  d'examen,  en  i8go,  a  conclu  qu'on  pouvait  admet 
que  l'étoffe  de  soie  damasquinée  qui  enveloppe  la  relique  a  été  faite  en  Orient  à  i 
époque  comprise  entre  le  vi'  et  le  ix'  siècle,  ce  qui  semble  favorable  à  la  thèse  1 
Géorgiens.  Une  autre  tunique  de  Notre-Seigneur  est  vénérée  à  Argenteuil. 

Les  Russes  prétendent  posséder,  dans  diverses  églises  de  Saint-Pétersbourg,  de  Ki 
de  Moscou,  etc.,  les  morceaux  de  la  tunique  sans  couture  de  Notre-Seigneur,  que  1 
aurait  donnée  le  shah  de  Perse  Abbâs,  en  1625,  après  qu'il  l'eut  enlevée  aux  Gé' 
pendant  qu'il  saccageait  leur  pays,  en  1616-1618.  Les  prétentions  des  Russes  soi; 
missibles,  pour  la  bonne  raison  que  la  sainte  Tunique  avait  disparu  de  la  Geoi 
depuis  un  millier  d'années,  ainsi  qu'il  a  été  dit  plus  haut. 

(2)  De  gloria  martyriim,  viii.  P.  L.,  LXXl,  coi.  712-713. 

(3)  P.  L.,  LXXI,  col.  712-713. 


ORIGINES   CHRÉTIENNES    DE    LA   GÉORGIE  293 

Apostolat  de  saint  André. 

En  dehors  de  l'influence  exercée  en  Géorgie  par  la  présence  de  la 
sainte  Tunique,  la  tradition  populaire  veut  que  l'apôtre  saint  André  ait 
eu  une  part  très  grande  dans  la  conversion  de  ce  pays.  Les  Annales 
géorgiennes  contiennent  à  ce  sujet  des  détails  encore  plus  légendaires 
que  ceux  que  nous  avons  signalés  plus  haut  à  propos  de  la  sainte 
Tunique.  S'il  faut  les  croire,  c'est  à  la  Sainte  Vierge  elle-même  qu'échut 
Ja  Géorgie,  lors  du  partage  du  monde  entre  les  apôtres.  Pour  remplir 
sa  mission,  elle  fit  choix,  d'après  une  révélation  de  son  divin  Fils,  de 
l'apôtre  saint  André,  le  protoclite  (premier  appelé).  Celui-ci  se  mit  avec 
ardeur  au  travail,  soutenu  par  la  contemplation  d'une  image  miracu- 
leuse de  la  Sainte  Vierge,  que  la  Mère  de  Dieu  lui  avait  donnée  en  appli- 
quant son  visage  sur  une  planche  (!).  Sa  prédication  et  ses  miracles 
convertirent  le  peuple  tout  entier,  après  quoi  il  alla  évangéliser  d'autres 
contrées  (i). 

Telle  est  la  tradition  populaire.  Le  rapide  aperçu  que  nous  venons 
d'en  donner  sent  la  légende  de  fort  loin,  M.  Giavakhov,  professeur 
géorgien,  fait  au  récit  des  annales  plusieurs  objections  auxquelles 
il  est  bien  difficile  de  répondre.  11  n'est  fait  aucune  mention  de  l'apos- 
tolat de  saint  André  en  Géorgie,  ni  dans  l'histoire  de  Rufin,  qui  raconte 
la  conversion  de  ce  pays  par  sainte  Nino,  ni  dans  la  yie  de  Pierre  l'Ibère 
(vF  siècle),  ni  dans  la  Conversion  de  la  Géorgie,  écrite  vers  le  vii«  ou 
le  viiie  siècle,  ni  dans  l'introduction  apocryphe  à  la  vie  de  sainte  Nino, 
composée  vers  le  viii**  ou  le  ix^  siècle.  D'après  ce  critique,  les  Géorgiens, 
jusqu'au  ix^  siècle,  ne  savaient  rien  de  la  mission  de  saint  André  chez 
eux.  Cette  légende  aurait  été  créée  de  toutes  pièces  par  les  moines 
géorgiens  du  mont  Athos  ou  de  la  Palestine,  qui  voulaient  soutenir 
contre  le  clergé  byzantin  l'indépendance  de  leur  Eglise.  Comme  les 
Çrecs  prétendaient  que  Byzance  avait  été  évangélisée  par  saint  André 
!^e  protoclite,  les  Géorgiens,  pour  ne  point  paraître  inférieurs,  revendi- 
quèrent le  même  apôtre  comme  premier  missionnaire  de  leur  patrie  (2). 

On  pourrait  peut-être  répondre  à  M.  Giavakhov  que  la  Fie  de  Pierre 
\'lhère  n'a  pas  de  relation  directe  avec  la  mission  de  saint  André;  que 
les  trois  autres  documents  allégués  ont  surtout  pour  but  d'exalter  sainte 
^Jino  et  d'attribuer  à  elle  seule  la  conversion  complète  de  la  Géorgie; 
nais  son  assertion  sur  l'origine  de  la  tradition  populaire  relative  à  saint 


Brosset,  Histoire  de  la  Géorgie.  Saint-Pétersbourg,  1849-1858,  t.  I",  p.  55-6i. 
Moambé,  revue  géorgienne.  Tiflis,  igco,  n.  6,  p.  35-5o. 


294  ÉCHOS   D  ORIENT 


André  paraît,  au  moins  pour  la  forme  actuelle  de  cette  tradition,  troi 
vraisemblable  pour  qu'on  ne  l'accueille  pas  avec  faveur,  bien  qu'il  n'er 
donne  aucune  preuve  positive. 

On  sait  quelles  discussions  s'élevèrent,  au  moyen  âge,  en  Occiden 
comme  en  Orient,  sur  la  prééminence  des  Eglises.  Pour  éclipser  lei 
voisines,  chacune  cherchait  à  faire  remonter  son  origine  à  un  apôtre 
ou  du  moins  à  un  de  leurs  successeurs  immédiats.  Ce  fut  la  cause  poui 
laquelle  on  distribua  entre  les  Eglises,  dans  le  monde  latin  comm< 
dans  le  monde  grec,  les  douze  apôtres,  les  soixante-douze  disciples  e 
leurs  premiers  compagnons.  Si  les  Géorgiens  avaient  connu  les  rai 
sons  qui  nous  font  rejeter  la  fondation  par  saint  André  de  l'Eglise  d< 
Constantinople,  ils  n'auraient  pas  eu  à  créer  cette  légende  pour  teni 
tête  aux  Grecs  (i). 

Malgré  ce  qui  vient  d'être  dit,  il  ne  paraît  pas  impossible  d'admettr 
que  saint  André  a  eu  une  certaine  influence  sur  la  conversion  de 
Géorgie.  S'il  a  évangélisé  la  Scythie,  comme  le  rapporte  Origène  (2), 
aura  sans  doute  traversé  la  Géorgie  pour  s'y  rendre;  c'était  pour  lui 
chemin  le  plus  direct.  Rien  ne  nous  interdit  de  prétendre  qu'il  a  pu 
fonder  çà  et  là  quelques  chrétientés,  au  moins  dans  la  Géorgie  occider 
taie,  plus  accessible  et  en  relations  suivies  avec  l'Occident. 

Les  missionnaires  qui  évangélisèrent  de  très  bonne  heure  le  Pon 
à  la  suite  de  saint  Pierre,  ont  sans  doute  aussi  concouru,  sinon  p; 
eux-mêmes,  du  moins  par  leurs  disciples,  à  la  conversion  de  la  Géorgi 
Baronius,  en  sollicitant  un   texte  de  saint  Irénée,  attribue  l'évangéi 
sation  de  ce  pays  au  pape  saint  Clément,  relégué  par  Trajan  dans 
Chersonèse  Taurique  (3).  Même  si  le  texte  de  saint  Irénée  avait  le  sfi 
que  Baronius  lui  donne,  il  nous  paraît  difficile  que  la  captivité  du  sai 
Pape  lui  laissât  assez  de  liberté  pour  aller  prêcher  la  vraie  foi  en  Géorg 
Cependant,  il  est  fort  possible  que  ses  disciples    aient    étendu  le 
apostolat  jusqu'aux  montagnes  du  Caucase.  Un  recueil  de  vies  de  saiii> 
géorgiens  mentionne,  vers  la  fin  du  premier  siècle,  dix-neuf  martjis 
mis  à  mort  dans  l'Albanie  (la  Kakhétie  actuelle),  province  orientale  b 
la  Géorgie.  Si  le   martyre  de  ces  saints  est  réel,  il  est  fort  dout€|x 
qu'il  ait  eu  lieu  à  la.  fin  du  premier  siècle,  surtout  dans  la  Géore 
orientale,  qui  était  la  partie  la  moins  accessible.  En  somme,  nous  e 
possédons  pas  de  témoignage  certain  de  l'évangélisation  de  la  Géor 


(i)  Voir  l'article  du  R,  P.  Vailhé,  «  Origines  de  l'Eglise  de  Constantinople 
les  Echos  d'Orient,  t,  X  (1907),  p.  287-295. 

(2)  P.  G.,  XII,  col,  92. 

(3)  Baronius,  Annales  ecclesiastici,  t.  II,  ann.  100,  n.  X-XII. 


ORIGINES   CHRÉTIENNES    DE    LA   GEORGIE  295 


durant  les  deux  premiers  siècles;  nous  en  sommes  réduits  à  des  hypo- 
thèses, très  vraisemblables  cependant. 

Si  le  christianisme  avait  pénétré  dans  ce  pays,  il  était  loin  d'avoir 
amené  à  la  foi  chrétienne  la  masse  de  la  population,  surtout  dans  le 
centre.  L'honneur  de  convertir  le  royaume  tout  entier  et  son  prince 
était  réservé  à  une  pauvre  esclave,  sainte  Nino. 

Sainte  Nino  et  la  conversion  de  la  Géorgie. 

Dans  son  Histoire  ecclésiastique,  Rufm  nous  raconte,  sans  beaucoup 
de  détails  d'ailleurs,  la  mission  apostolique  de  sainte  Nino  en  Géorgie. 
Cette  captive,  que  les  Ibères  avaient  emmenée  dans  leur  pays,  ne  tarda 
pas  à  les  étonner  par  sa  vie  pieuse  et  chaste.  La  guérison  d'un  enfant, 
obtenue  par  ses  prières,  attira  l'attention  de  la  reine,  qui,  malade  elle- 
même,  voulut  recourir  à  la  vertu  toute  puissante  de  la  Sainte.  Guérie 
et  à  moitié  convertie,  la  reine  s'efforça  de  gagner  son  époux  à  la  vraie 
foi,  mais  sans  y  réussir.  Il  fallut  la  délivrance  miraculeuse  d'un  danger 
pour  amener  le  roi  Mirian  à  renoncer  aux  idoles  et  à  reconnaître  Jésus- 
Christ. 

Sur  la  demande  du  prince,  Nino  traça  le  plan  d'une  église  dont  Mirian 

confia  la  construction  à  ses  ouvriers  les  plus  habiles.  La  Sainte  prêchait 

sans  relâche  la  nouvelle  religion,  quand  un  miracle  éclatant  vint  donner 

plus  de  force  encore  à  sa  parole.  Pendant  la  construction  de  l'église, 

les  ouvriers,  après  avoir  mis  en  place  les  deux  premières  colonnes,  ne 

parvinrent  pas,   malgré  leurs  efforts,   à  dresser  la  troisième.  Le  soir 

venu,  ils  abandonnèrent  leur  travail,  très  découragés,  eux  et  le  roi. 

Quand  tout  le  monde  se  fut  retiré,  sainte  Nino,  demeurée  seule  dans 

l'édifice,  passa  toute  la  nuit  en  prières.  Au  matin,  grande  fut  la  sur- 

!  prise  du  prince  et  de  sa  suite  de  trouver  la  colonne  debout,  mais  comme 

!  suspendue  à  un  pied  de  distance  du  sol.  Sous  leurs  yeux,  elle  descendit 

îj  lentement,  et  vint  se  placer  d'elle-même  sur  sa  base  (i).  Un  tel  pro- 

!  dige,  en  frappant  l'imagination  populaire,  facilita  grandement  la  prédi- 

,j  cation  de  sainte  Nino. 

j     Une  fois  l'église  bâtie,  il  fallait  trouver  des  prêtres  pour  baptiser  le 

f  peuple  et  achever  son  instruction  religieuse.  Le  roi  Mirian  députa  à  cet 

effet  une  ambassaie  à  l'empereur  Constantin,  le  suppliant  de  lui  envoyer 

des  hommes  instruits  pour  achever  la  conversion  de  la  Géorgie,  «  ce 


1  Cette  colonne  miraculeuse  est  fêtée  dans  l'Eglise  géorgienne  en  même  temps 
ue  la  sainte  Tunique,  le  1"  octobre. 


296  ÉCHOS    d'orient 


que  Constantin  fit  avec  autant  de  joie  que  s'il  avait  ajouté  une  province 
à  l'empire  romain  ». 

Tel  est,  en  substance,  le  récit  que  fit  à  Rufm,  vers  l'an  380,  le  prince 
géorgien  Bacour  ou  Bacurius,  duc  des  frontières  de  la  Palestine,  et 
depuis  général  de  Théodose  le  Grand,  auprès  duquel  il  se  fit  tuer  glo- 
rieusement lors  de  la  révolte  du  tyran  Maxime  (i). 

Aucune  date  n'est  indiquée  d'une  façon  précise,  mais  il  semble  bien 
qu'il  faut  placer  ces  événements  entre  les  années  320  et  330  (2).  Les 
récits  parallèles  plus  ou  moins  défigurés  que  l'on  retrouve  chez  les 
auteurs  arabes,  syriens  et  coptes,  donnent  à  la  Sainte  le  nom  sym- 
bolique de  Théognoste  (3).  Elle  est  connue  en  Occident  sous  le  nom 
de  sainte  Chrétienne.  Le  martyrologe  romain  la  mentionne  au  13  dé- 
cembre (4). 

Des  origines  de  l'apôtre  de  la  Géorgie,  nous  ne  savons  absolumeni 
rien  de  sûr.  Rufin  (5)  et  d'autres  historiens,  grecs  (6)  ou  géorgiens 
nous  apprennent  simplement  que  c'était  une  esclave,  sans  nous  din 
de  quel  pays  elle  venait  ni  à  quelle  famille  elle  appartenait.  Les  auteur: 
postérieurs,  en  mal  de  légendes,  se  chargèrent  volontiers  de  comble 
cette  lacune.  Ils  firent  de  sainte  Nino  la  fille  d'un  riche  Cappadocien 
Zabulon,  marié  à  la  sœur  de  Juvénal,  patriarche  de  Jérusalem.  G 
Zabulon,  à  la  tête  de  l'armée  romaine,  aurait  vaincu  les  Francs,  pui 
converti  leur  roi  et  une  bonne  partie  de  la  nation,  etc.  Tous  ces  détail 
offrent  une  telle  contradiction  avec  l'histoire  qu'il  suffit  de  les  indique 
pour  en  démontrer  la  fausseté  (7). 

Les  historiens  arméniens  ont  créé  autour  de  la  conversion  de  1 
Géorgie  par  sainte  Nino  toute  une  série  de  légendes  que  l'on  a,  jusqu' 
ces  derniers  temps,  trop  facilement  acceptées.  Dans  le  but  de  s'attribue 
une  partie  de  l'honneur  d'avoir  amené  à  la  vraie  foi  leurs  voisins  d 
Nord,  Moïse  de  Khorène  (8)  et  d'autres  n'ont  pas  hésité  à  faire  ci 


(i)  p.  L.,  t.  XXI,  col.  480-482.  Théodoret  résume  le  récit  de  Rufin;  P.  G.,  t.  LXXXl 
col.  972-974.  SocRATE,  P.  G.,  LXVIII,  col.  129-133,  et  Sozomène,  ib.,  949-953,  font  c 
même. 

(2)  Suivant  les  auteurs,  on  a  les  dates  les  plus  diverses  :  317,  3i8,  323,  326,  327,  32 
332,  335,  et  même  366. 

(3)  Il  semble  que  le  nom  de  Nina  ou  Nino  (en  arménien  Nouné)  est  aussi  un  no^ 
commun  (du  latin  nonna).  j 

(4)  Apud  Iberos  trans  Pontum  Euxinum,  S.  Christianœ  ancillœ,  quœ  virtute  mir\ 
culorum  gentem  illani  tempore  Cotistaniini  ad  fidem  Christi  perduxit. 

(5)  P.  L.,  XXI,  col.  480. 

(6)  SocRATE,  P.  G.,  LXVIII,  col.  129;  SozoMÈNE,  ib.,  col.  949. 
^    (7}  Tamarati,  op.  cit.,  p.  )8o. 

(8)  Sto}-ia  di  Mosè  Corenese,  traduction  italienne  des  Pères  Mékhitaristes,  2'  éà 
Venise,  i85o,  p.  252-255. 


ORIGINES    CHRÉTIENNES    DE    LA   GÉORGIE  297 

sainte  Nino  une  compagne  des  saintes  Hripsimiennes.,  célèbres  martyres 
exécutées  en  Arménie  au  iv*  siècle.  Quand  la  Géorgie  parut  disposée 
à  se  foire  chrétienne,  sainte  Nino  aurait  envoyé  à  saint  Grégoire  l'IUu- 
minateur  une  ambassade  pour  lui  demander  des  instructions. 

Les  auteurs  arméniens  sont  les  seuls  à  nous  donnner  ces  détails, 
qu'ils  ont  d'ailleurs  tous  plus  ou  moins  copiés  dans  Moïse  de  Khorène, 
bien  connu  aujourd'hui  pour  ses  déformations  systématiques  de  l'his- 
toire. 

Les  historiens  byzantins  et  géorgiens  sont  unanimes  à  nous  affirmer 
que  l'empereur  Constantin,  sur  la  demande  du  roi  Mirian,  envoya  en 

orgie  un  évêque  (i)  et  des  prêtres.  Le  nom  de  cet  évêque  n'est  pas 
connu  d'une  façon  certaine.  Parmi  les  Géorgiens,  la  plupart  l'appellent 
lean. 

Quelques-auteurs  cependant,  malheureusement  trop  récents,  affirment 
que  ce  fut  le  patriarche  Eustathe  d'Antioche  lui-même  qui  vint  baptiser 
Jes  Géorgiens  et  leur  ordonner  un  évêque.  Ce  n'est  guère  qu'à  la  fin 
du  xviiie  siècle  que  l'on  a  commencé  à  répandre  cette  opinion,  basée 
5ur  des  textes  trop  obscurs  pour  qu'on  puisse  en  tirer  rien  de  certain. 
Jl  est  à  remarquer  cependant  que,  jusqu'au  vm^  siècle  au  moins,  l'Eglise 
Âe  Géorgie  dépendit  de  celle  d'Antioche.  Il  faut  donc  admettre  que  de 
très  bonne  heure  se  sont  établies  ces  relations  entre  deux  Eglises  aussi 
éloignées  l'une  de  l'autre.  Comment  expliquer  sans  cela  que  la  Géorgie 
soit  restée  si  longtemps  fidèle  à  cette  dépendance?  Une  fois  organisée, 
son  Eglise  ne  l'aurait  probablement  pas  acceptée  facilement.  En  dehors 
de  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  nous  est  impossible  de  trouver  le 
jno.indre  document  indiquant  comment  cela  se  fit;  il  semble  que  l'am- 
Jbassade  du  roi  Mirian  arriva  auprès  de  Constantin  pendant  la  célébra- 
"tion  du  concile  de  Nicée.  11  se  peut  très  bien  que  l'empereur  ait  confié 
à  Eustathe,  choisi  l'année  précédente  comme  patriarche  d'Antioche,  et 
dont  l'influence  était  très  grande  alors,  la  mission  de  faire  droit  aux 
demandes  des  Géorgiens.  Antioche  exerçait  à  cette  époque  sur  tout 

*rient  une  suprématie  incontestée,  et  il  rentrait  naturellement  dans 
les  attributions  de  ses  patriarches  d'organiser  les  Eglises  nouvelles  des 
régions  orientales.  On  peut  donc  admettre  sans  trop  de  difficulté  que 
le  premier  évêque  envoyé  aux  Géorgiens  a  été  désigné  et  consacré  par 
Eustathe,  et  que  cette  intervention  a  créé  pour  les  patriarches  d'Antioche 
un  droit  de  suzeraineté  sur  l'Eglise  géorgienne. 


Voir  entre  autres  Théodoret,  P.  G.,  t.  LXXXIl,  col.  973. 


298  ÉCHOS    d'orient 


Établissement  d'un  catholîcos. 

Indépendance  de  l'Église  géorgienne. 

L'œuvre  si  bien  commencée  par  sainte  Nino  fut  continuée  avec 
beaucoup  de  zèle  par  les  rois  géorgiens  et  par  les  évêques  que  leur 
envoyait  soit  Constantinople,  soit  Antioche.  Ces  prélats  introduisirent 
tout  naturellement  la  liturgie  de  leur  Eglise.  Au  début,  cette  liturgie 
se  célébra  en  langue  grecque,  mais  quand  le  clergé  indigène  se  trouva 
assez  puissant,  il  substitua  le  géorgien  au  grec,  sans  pour  cela  aban- 
donner la  liturgie  byzantine.  Aucun  document  précis  ne  nous  permet 
de  fixer  à  quelle  date  s'opéra  cette  transformation. 

Avec  le  temps,  les  Géorgiens  cherchèrent  à  s'affranchir  de  la  tutelle 
qu'exerçaient  sur  eux  les  patriarches  d'Antioche.  Sous  le  roi  Vakh- 
tang  I""  (446-499),  ils  obtinrent  un  catholicos  nommé  Pierre  (i),  et, 
du  même  coup,  leur  indépendance  religieuse  fut  à  peu  près  complète. 
C'est  ce  que  nous  apprend  Balsamon  dans  son  commentaire  sur  le 
canon  2  du  premier  concile  de  Constantinople  (2).  C'est,  d'après  lui,  le 
patriarche  Pierre  qui  donna  l'exemption  à  l'archevêque  d'ibérie.  On  ne 
connaît,  avant  Balsamon,  que  deux  patriarches  d'Antioche  du  nom 
de  Pierre  :  Pierre  le  Foulon,  au  vi»  siècle,  et  un  autre  au  xf.  Nous  ne 
pensons  pas  qu'il  puisse  être  question  du  second;  au  xi«  siècle,  l'Eglise 
de  Géorgie  avait  son  indépendance  complète.  La  nomination  du  catho- 
licos amena  la  création  de  douze  nouveaux  diocèses,  et,  conséquem- 
ment,  une  diffusion  plus  rapide  du  christianisme. 

Le  catholicos,  tout  en  ayant  pleine  autorité  sur  toute  l'Eglise  géor- 
gienne, gardait  cependant  à  l'égard  du  patriarche  d'Antioche  une  cer- 
taine dépendance,  qui  se  traduisait  par  l'obligation  de  recevoir  la  con- 
sécration de  ce  prélat  dans  la  capitale  de  la  Syrie.  Jusqu'en  542,  le  chef 
de  l'Eglise  géorgienne  fut  constamment  un  Grec  ou  un  Syrien.  A  cette 
date,  sous  le  règne  de  Pharsman  VI  (542-547),  l'histoire  nous  signale 
le  premier  Géorgien,  Saba,  élevé  à  la  dignité  de  catholicos  (3).  Depuis 
lors,  ce  fut  toujours  un  enfant  du  pays  qui  obtint  ce  titre.  La  dernière 
trace  de  dépendance  ne  devait  disparaître  que  deux  siècles  plus  tard, 
vers  750,  d'après  ce  que  rapportent  un  écrivain  du  xi«  siècle,  le  moine 
melkite  Nicon  (4)  et  d'autres  auteurs  de  la  même  époque,  comme  lej 


(i)  Taqichvili,  Trois  chroniques  historiques,  p.  29. 

(2)  P.  G.,  t.  CXXXVII,  col.  320, 

(3)  Brosset,  op.  cit.,  t.  I",  p.  202. 

(4)  Bibliothèque  vaticane,  Cod.  Arab.,  n.  76,  p.  367. 


ORIGINES   CHRÉTIENNES    DE    LA   GEORGIE  299 

moine  Ephrem  le  Mineur  (1).  L'occupation  de  la  Géorgie  par  les 
Arabes  et  les  persécutions  suscitées  par  ces  maîtres  cruels  avaient 
depuis  de  longues  années  privé  le  pays  de  son  catholicos.  Deux  moines 
géorgiens  vinrent  alors  à  Antioche  exposer  les  malheurs  de  leur  Eglise 
et  demander  du  secours.  Le  patriarche  Théophylacte  (744-751)  con- 
voqua un  synode  qui  accueillit  favorablement  leurs  demandes.  Il  décréta 
que  les  évêques  de  la  Géorgie  feraient  eux-mêmes  la  consécration  de 
leur  catholicos,  après  l'avoir  élu  au  scrutin  secret.  Cette  décision  éta- 
blissait la  complète  autonomie  de  l'Eglise  géorgienne.  Depuis  lors,  elle 
ne  releva  plus  que  d'elle-même,  tout  en  restant  en  communion  avec 
l'Eglise  universelle. 

R.  Janin. 

Constantinople. 


|i)  BrosseTj  op.  cit.,  t.  I",  p.  229. 


UN   ESSAI   DE   CORRECTION 

DES  LIVRES  LITURGIQUES  GRECS 


Dans  les  quelques  lignes  qui  vont  suivre,  je  voudrais  mettre  les  lec- 
teurs des  Echos  d'Orient  au  courant  d'une  polémique  qui  s'est  élevée 
à  Athènes  à  l'occasion  d'une  série  d'articles  publiés  par  l'ex-archevêque 
de  Céphalonie,  Spyridon,  dans  le  bulletin  officiel  des  théologiens  de 
l'Eglise  de  Grèce,  6  Icpôç  o-uvSecrjxoç  (i),  11  s'agissait  de  savoir  si,  oui  ou 
non,  il  est  loisible  de  corriger  les  livres  liturgiques  ou  d'en  modifier  la 
teneur  traditionnelle,  quand  le  texte  s'écarte  des  règles  de  la  syntaxe 
classique,  ou  quand  il  offre  un  sens  qui,  à  première  vue,  semble  illogique. 

Je  résumerai  d'abord  sans  commentaire  et  très  brièvement  les  six 
premiers  articles  de  l'archevêque  Spyridon.  Il  les  a  réunis  lui-même  en 
une  petite  plaquette  in- 12  de  80  pages,  avant  même  la  fin  de  la  discus- 
sion (2). 

Ce  n'est  pas  la  première  fois,  raconte-t-il,  qu'il  essaye  d'attirer  l'at- 
tention des  théologiens  et  des  liturgistes  sur  les  erreurs  grammaticales 
contenues  dans  certaines  prières  de  VEuchologion.  Déjà,  en  1862,  simple 
diacre,  il  avait  à  Céphalonie,  dans  une  assemblée  d'ecclésiastiques,  pris 
la  défense  de  l'édition  corrigée  par  feu  Koutloumousianos  douze 
années  auparavant. 

Quelques-uns  l'avaient  écouté  avec  sympathie;  d'autres,  un  vieux 
prêtre  surtout,  vertueux  et  plein  de  zèle,  mais  de  courte  science, 
l'avaient  accusé  de  vouloir  bouleverser  les  livres  liturgiques  et  de  sup- 
primer des  prières.  Plus  tard,  en  1887,  ajoute-t-il,  il  publia  sur  le  même 
sujet  une  brochure  qui  fut  tirée  à  cent  exemplaires,  mais  en  vain. 
Dépité  et  voulant  être  entendu,  il  s'est  adressé  cette  année  au  grand 
public. 

—  Rien  n'est  plus  grand  ni  plus  beau,  déclare-t-il  en  manière  d'intro- 
duction, que  l'hymnologie  de  l'Eglise  orientale.  Du  ive  au  ix^  siècle,  les 


(i)  'lepôc  o-jv8£a[xoç,  èxx>>yi(TtaaTtxbv  u£pto6t5cbv  toû  *ô[ji,wvÙ{iou  o-y^vôyou,  de  format  grand 
in-4»  sur  deux  colonnes.  Paraît  tous  les  quinze  jours;  les  articles  sur  les  XstToupyixdt 
vont  du  i5  mars  au  i"  décembre  191 1,  n"  141  à  i58,  avec  une  interruption  du  i5  juillet 
au  i5  septembre. 

(2)  ActTOupYf/.àc  CiTCo  ToC  àpx.i£7tt(TV-(5T:ou  7ipMr,v  KEcpa)-)>yivîaç  SnupiSwvoç.  Athènes,  191 1. 
In-12  de  80  pages.  Je  renverrai  toujours  au  'lepb;  (T'jv6£ff|Aoc,  qui  contient  seul  les  réponses 
aux  contradicteurs. 


UN    ESSAI    DE    CORRECTION    DES    LIVRES    LITURGIQUES    GRECS       ^Ol 

mélodes  se  sont  montrés  les  dignes  successeurs  de  l'olympique  Pin- 
dare  :  Romanos,  André  de  Crète,  Cosmas  de  Majuma,  le  Damascène 
auquel  on  attribue  VOctoikos. 

iMalheureusement,  cette  hymnologie  a  été  contaminée  et  défigurée 
parfois  par  les  fautes  grammaticales  qui  provenaient,  soit  de  l'ignorance 
des  copistes,  soit  du  peu  d'attention  et  du  manque  de  soin  des  premiers 
imprimeurs,  plus  encore  de  la  myopie  des  protes  correcteurs  d'épreuves. 
Toutefois,  les  éditions  imprimées  depuis  le  xvn'^  siècle  à  Venise  ont  eu 
des  correcteurs  sérieux  qui  ont  enlevé  beaucoup  de  fautes.  De  même  les 
éditions  récentes  publiées  à  Athènes.  Cependant,  il  en  reste  encore.  Et 
c'est  un  scandale,  axàvoaÀov  où  a-.xsôv,  que  pareille  chose  existe  dans  des 
hymnes  ou  des  prières  que  chaque  jour  des  millions  de  chrétiens,  dont 
quelques-uns  instruits,  entendent  chanter  ou  lire  (i). 

Travailler  à  éliminer  ces  erreurs  et  à  corriger  les  textes  est  donc 
pour  ceux  qui  le  peuvent  un  devoir  sacré.  11  donnera  quelques  exemples 
de  fautes  tirés  de  VAcoloiithia  nécrosimos,  c'est-à-dire  de  l'Office  des 
morts  (2). 

*  * 

1 .  Tout  est  vanité,  la  richesse  et  la  gloire,  chante  un  idiomèle  du 
Damascène.  EttsaOcov  yàp  6  QàvxTo;,  TajTa  TzàvTa  £;r/-5àv!.7Ta!.  (3).  — 
Voilà  un  solécisme  syntactique,  répond  en  écho  l'archevêque  Spyridon, 
s'appuyant  sur  une  définition  du  lexicographe  Suidas.  Il  faudrait  lizt- 
lOôvTo?  yào  Tod  fjavàTO'j.  Mais  le  mètre  de  l'hirmos  et  le  rythme  du 
tropaire  s'y  opposent  en  même  temps  que  la  mélodie.  11  reste  à  consi- 
dérer l-ùSior/  yào  6  GàvaTo;  comme  un  sujet,  et  à  écrire  è^rjCpàv.TS. 
Ainsi  rien  n'est  changé,  ni  la  qualité  ni  la  quantité  du  mot,  et  la 
phrase  est  correcte. 

Et  il  se  défend  contre  ceux  qui,  appuyés  sur  une  phrase  d'Hérodote, 
v,  I  S7,  voudraient  voir  in  casu  une  anacoluthe.  C'est  le  premier  exemple 
de  correction;  deux  colonnes  lui  sont  consacrées. 

2.  Un  deuxième  exemple,  tiré  de  la  première  £>//■  d'absolution  dite 
il  par  l'évêque  devant  le  mort  (4),  ne  prend  que  huit  lignes.  Faute  de 

syntaxe  et  faute  de  logique,  qui  d'ailleurs  a  été  corrigée  dans  les  édi- 
i  lions  récentes  de  V Eiichologion  méga  :  MîTal^aAÔvTa  rri?  slxôvo;,  quand  il 
i  faut  lire  a£-a'Aa|ii6vTa  tyJç  s'.xovo^. 


(i)  Il  est  entendu  que,  même  quand  je  cite,  je  ne  fais  que  résumer  très  fidèlement 
pensée  et  le  raisonnement  de  l'auteur. 

-il   'Ay.oÀoyOïa   vîy.poja-'.u.o;   et;   /.offij-ixo^ç   dans   rEyx&).&Y".ov  tô  Méya.    Je  me  sers   de 
iition  Paraskevopoulos.  Athènes,  1902,  p.  413-442. 
3i  Euchologe,  p.  435. 
4)  Euchologe,  E-jyat  (7'jyxmP''i"'-"'^«!.  P-  240.  11  y  a  deux  oraisons. 


302 


ÉCHOS    D  ORIENT 


3.  Voici  la  conclusion  d'un  tropaire  qui  appartient  à  la  brève  o-uva-Tr^ 
ou  collecte  du  commencement  de  V Acolouthia  nécrosimos  : 

Les  miséricordes  divines,  le  royaume  des  cieux  et  la  rémission  de  ses 
péchés,  demandons-les  au  Christ,  Roi  immortel  et  notre  Dieu,  -api  Xpcm-ùi 
T(5  àOavaTw alTrj<Toj[J.£Ôa  (l). 

Solécisme,  objecte  le  censeur,  car  ici  le  verbe  veut  le  génitif,  non  le 
datif.  On  doit  lire  -apà  toG  XpiT-oG. 

Et  en  quatre  colonnes  il  en  appelle  à  Hérodote,  à  Xénophon,  à  la 
locution  française  de  che{  quelqu'un  et  à  la  grammaire  grecque  de  Kùhner. 
Puis  il  donne  des  exemples  tirés  de  saint  Jean,  de  saint  Matthieu,  des 
Actes,  des  Septante  même  {Tobie,  iv,  19).  Cf.  Bailly,  Dictionnaire  grec 
français,  s.  v.  Mais  surtout  il  s'appuie  sur  des  invocations  semblables 
usitées  dans  différentes  acolouthies,  et  qui  emploient  le  génitif,  par 
exemple  la  rJvaTrr/,  :  «  zItm\^zv  TràvTs^  »  qui,  dans  l'Hespérinos  (Vêpres), 
vient  après  le  chant  du  'jw;l>.ap6v  (2).  Et,  après  avoir  répondu  à  quelques 
objections,  il  conclut  qu'il  est  nécessaire  de  corriger  ce  solécisme. 

4.  Dans  le  magnifique  hymne  du  «  dernier  baiser  »  qui  accompagne 
le  rite  le  plus  impressionnant  des  funérailles  selon  le  rite  oriental  (3), 
le  premier  tropaire  et  le  deuxième  ont  cette  finale  :  ov-z^  àvaraûs-a'.  Kûpioç 
£jçwp.£9a.  Le  dixième  tropaire  finit  de  même,  avec  cette  variante  o'jorTOp,. 
car  on  y  parle  de  tous  les  morts  (4), 

Encore  une  faute!  les  règles  de  la  syntaxe  exigent  ov-sp  àva-aGo-ai. 
Kupwv  EÙqwusOa,  c'est-à-dire  l'accusatif  et  l'infinitif  aoriste,  au  lieu  du 
mode  optatif  (AÙtrat.,  ÀGa-a-,).  La  nuance  est  facile  à  saisir.  Homère,  Héro- 
dote et  le  huitième  tropaire  de  la  présente  hymne  sont  appelés  en  témoi-' 
gnage.  La  discussion  est  rondement  menée. 

Suit  un  excursus  de  quatre  colonnes,  plaidoyer  pro  domo  dans  lequel 
l'auteur  réfute  avec  une  aisance  surprenante  des  adversaires  imagi- 
naires qui  vainement  essayent  de  lui  opposer  la  tradition  littéraire  et 
ecclésiastique,  le  taxent  de  témérité  et  de  zèle  intempestif  et  tapageur/' 


(1)  Euchologion,  p.  414,  donne  la  lecture  corrigée. 

(2)  Cf.  mon  article  Vêpres  byzantines,  dans  Annales  salésiennes,  1908,  p.  65-74. 

(3)  On  me  permettra  de  reproduire  ces  lignes  de  mon  article  sur  le  Rite  des  funé- 
railles dans  l'Eglise  grecque  [Annales  salésiennes,  1906,  p.  363)  :  «  Mais  il  est  tard;  la 
fonction  liturgique  a  assez  duré,  et  le  moment  est  venu  de  se  séparer  du  mort.  Alors 
se  déroule  une  scène  qui  nous  paraît  étrange,  à  nous  autres  Occidentaux,  sobres  de' 
paroles  et  de  gestes  même  dans  les  plus  poignantes  douleurs.  Un  à  un  les  assistants 
quittent  leur  place,  et,  se  penchant  au-dessus  du  cadavre,  le  baisent  sur  la  figure,  sur 
le  front,  sur  les  yeux  ou  sur  les  lèvres.  Les  proches  parents  défilent  les  premiers,  puis 
les  familiers,  puis  les  amis.  Cependant  les  choristes  chantent  ces  tropaires,  qui  ont 
précisément  été  appelés  tropaires  du  baiser » 

(4)  Euchologion,  p.  439. 


UN    ESSAI    DE   CORRECTION    DES    LIVRES    LITURGIQUES   GRECS       303 

C'est  même   à  ce   propos  qu'il   raconte  avec  humour  et  malice  son 
insuccès  de  1862. 

5.  Le  larron  qui  sur  la  croix  t'avait  crié  :  «  Souviens-toi  de  moi  »,  tu 
l'as  élu  d'avance  citoyen  du  paradis,  ô  Christ.  Accorde-moi,  à  moi  l'in- 
digne, la  grâce  de  son  repentir,  aùrou  tt,i;  {xeravota;  àç-'wiTov  xàfiè  rbv  àviçiov  (i). 

Dans  ces  dernières  paroles,  l'archevêque,  signale  la  cause  de  ce  qu'il 
appelle  un  Tzpocpopuôv  Aà9o;,  une  erreur  verbale,  pour  ainsi  dire,  contre 
le  dogme  que  'Ev  "Aùi^  ojx  èV-rt.  [j.£-:àvo!,a.  En  enfer  point  de  pénitence. 

Beaucoup  de  psaltes  (chantres),  d'après  lui,  au  lieu  de  y.hxk  -zh^ 
avà^'.ov,  quand  il  s'agit  d'une  femme  défunte,  prononcent,  par  ignorance 
ou  par  inattention,  xàuè  ttiV  àvà;!.ov.  Dans  leur  pensée,  c'est  le  mort  ou 
la  morte  qui  est  indigne  et  qui  demande,  tov  ou  -rr,v.  C'est  une  erreur. 
En  réalité,  c'est  le  fidèle  qui  implore  pour  lui-même  ce  repentir  du  bon 
larron.  Mettre  tôv  ou  r^.v  dans  la  bouche  du  cadavre,  c'est  aller  contre 
ce  dogme  qu'après  la  mort  il  n'est  pas  de  repentir. 

Et  six  ou  sept  textes  empruntés  à  la  parabole  du  Lazare,  à  saint 
Matthieu  et  à  saint  Paul  viennent  fortifier  sa  conclusion.  Soit  pour  ce 
Toocpop'.xov  ).à9o<;  cinq  colonnes,  pour  finir  par  cette  boutade  :  ainsi,  ceux 
qui,  par  inattention,  attribuent  aux  défunts  la  possibilité  du  repentir 
paraissent  du  même  coup  admettre  le  -nrpÔTxa'.pov  ty^;  xoAàTsw;;,  c'est- 
à-dire  la  non-éternité  de  l'enfer,  et,  conséquemment,  rejeter  deux 
dogmes.  Là-dessus  notre  critique  passe  à  une  sixième  remarque. 

6.  Dans  le  premier  tropaire  du  Trisagion  (2)  de  VAcoJouthie,  il  signale 
un  solécisme  dans  le  genre  de  celui  qu'il  a  corrigé  au  numéro  3,  mais 
au  rebours. 

Garde-la  (l'âme  du  défunt).  Seigneur  qui  aimes  les  hommes,  dans  la  vie 
bienheureuse,  ttjV  itapà  rsoZ. 

Au  lieu  de  -apà  o-où,  il  prétend  écrire  irapà  toL 

7.  Une  correction  prise  en  dehors  de  V Acolouthia  nécrosimos  a  surtout 
irrité.  M^^  Spyridon  a  découvert  ce  qu'il  appelle  «  une  erreur  histo- 
rique et  morale  ». 

V apolytikion  du  deuxième  mode  plagal  de  Vocto'ihos  peut  se  traduire 
ainsi  : 

Les  puissances  angéliques  sont  là  sur  le  tombeau  et  ceux  qui  le  gardaient 
sont  morts.  Et  Marie  était  dans  le  tombeau,  cherchant  ton  corps  très  pur. 
Tu  as  vaincu  l'enfer,  et  il  n'a  rien  pu  contre  toi;  tu  as  marché  au-devant 


(i)  Euchologion,  p.  436.  Goar  ponctue  et  traduit  autrement.  Cf.  Goar,  'Ey/oXéytov 
iive  Ritiiale  Grœcorum.  Paris,  1647,  p.  534. 
(2)  Euchologion,  p.  414. 


304  ÉCHOS    D  ORIENT 


de  la  Vierge,  et  tu  nous  as  donné  la  vie.  Gloire  à  toi,  Seigneur  ressuscité 

des  morts  :   'T7rr|VTTj<7ai;  TY,  llaç^Évw,  ocopoùfJLSvo;  t7-,v  Ccoy,v  (i). 

L'archevêque  propose  de  corriger  'j-r^vr/.fra;  t/,  TlapOivco  par  67:y/>Tr,7a; 
Tw  OavàTto.  Car,  dit-il,  il  s'agit  de  Marie-Madeleine,  qui,  d'après  les 
Ecritures,  n'était  pas  vierge,  mais  pécheresse  notoire  (2).  De  plus,  la 
phrase  doit  être  antithétique,  selon  un  procédé  habituel  aux  hymno- 
graphes.  Beaucoup  d'exemples  intéressants  sont  cités  à  l'appui  de  cette 
sorte  de  loi  de  la  rhétorique  des  melodes.  Dans  ce  seul  tropaire,  il  y  a 
trois  antithèses.  Mais  vierge  et  vie  ne  s'opposent  en  aucune  façon.  11 
faut  mort  et  vie.  «  Tu  as  marché  contre  la  mort,  et  tu  nous  as  donné  la 
vie.  » 

C'est  d'ailleurs,  ajoute  l'auteur,  la  suite  logique  des  idées.  Enfin,  le 
sens  dogmatique  du  stique  ainsi  corrigé  devient  plus  précis  et  plus 
riche,  car,  en  vérité,  c'est  en  foulant  la  mort  aux  pieds  que  le. Christ 
nous  a  donné  la  vie.  Puis  vient  un  excurstis  de  quatre  colonnes  pour 
appuyer  la  conclusion. 


L'archevêque,  qui  a  la  plume  alerte,  de  la  verve,  du  loisir  et  de  la 
grammaire,  aurait  peut-être  pu  tout  à  son  aise  continuer  à  faire  la 
chasse  aux  solécismes  dans  V Eiichologion  ou  VHorologion.  Mais  son  asser- 
tion   hasardeuse  sur  Marie-Madeleine  lui  suscita  un  premier  contra-| 
dicteur. 

Dès  le    i^^r  novembre,   l'archimandrite    Papadopoulos,   directeur  de^: 
l'école  du  Rizarion,  qui  est  le  Grand  Séminaire  orthodoxe  d'Athènes,.,, 
publie  un  article  :  Qiie  dit  l'Evangile  sur  Marie-Madeleine?  L'archiman-^ 
drite  distingue  trois  personnages  du  nom  de  Marie  :  Marie,  sœur  de 
Lazare,  Marie  de  Magdala  et  Marie  la  pécheresse.  Or.  en  aucun  endroit 
de  l'Evangile  on  ne  dit  que  Marie  de  Magdala,  dont  il  est  fait  mention 
dans  le  tropaire  incriminé,  ne  fût  pas  vierge. 

Dans  le  même  numéro,  M.  Dyovouniotis,  directeur  du  lioh^  a"jvo£a-|jt.Oy, 
proteste  dans  une  courte  note.  Corrections  liturgiques,  AstToupyixal  ôiw^ 
p9wa£i;,  contre  la  manière  de  l'archevêque  qui,  dit-il,  ne  s'inquiète  pas 
des  manuscrits.  Ce  principe  de  correction,  au  nom  des  régies  de  la 
grammaire  classique,  serait  fatal  à  tous  les  livres  de  la  liturgie,  et  c'est 


(i)  Cf.  l'édition  manuelle  de  Nicolaïdès,  'Oxtwyjxoç.  Athènes,  igo3,  p.  ii3. 

(2)  Toutes  les  Vies  de  Notre-Seigneur  traitent  cette  question.  Voir,  pour  n'en 
citer  qu'une  seule,  Fouard,  la  Vie  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Paris,  t.  I",  p.  340. 
Beaucoup  de  théologiens  grecs,  et  avec  eux  Bossuet  au  xvii'  siècle,  distinguent  tr(  ' 
Marie.  * 


UN    ESSAI    DE    CORRECTION    DES    LIVRES    LITURGIQUES    GRECS      }0^ 

pour  se  libérer  qu'il  donne  ainsi  son  avis,  (Peut-être  des  abonnés 
l'ont-ils  blâmé  d'avoir  laissé  paraître  ces  articles  sans  rien  dire.) 

L'archevêque  ne  laissa  pas  échapper  l'occasion  qui  lui  était  ofïerte 
d'exposer  les  principes  qui  l'avaient  guidé  dans  ses  essais  de  correction. 
Je  résume  fidèlement  sa  longue  lettre,  en  le  faisant  parler  lui-même, 
pour  plus  de  clarté. 

Je  réponds  à  M.  Papadopoulos  et  à  vous-même  (M.  Dyovouniotis). 
Vous  prétendez  qu'à  votre  avis,  pour  la  correction  des  fautes  grammati- 
cales et  des  solécismes,  la  comparaison  et  l'examen  des  manuscrits  sont 
absolument  nécessaires.  Je  considère,  moi,  qu'en  l'espèce,  les  manuscrits 
ne  servent  de  rien,  car  les  règles  grammaticales  ont  leurs  lois  propres  et 
leur  force  propre  auxquelles  doivent  se  soumettre  même  les  manuscrits. 
D'autant  qu'il  ne  s'agit  pas  de  rien  changer  aux  dogmes  ou  à  la  tradition 

de  l'Eglise  orthodoxe Vous-même,  agissez-vous  autrement?  Quand,  au 

cours  de  vos  laborieuses  recherches,  aux  Météores  ou  ailleurs,  vous  avez 
trouvé  un  manuscrit  ancien,  et  dans  ce  manuscrit  un  texte  de  phrase 
non  concordant  avec  la  doctrine  des  sept  conciles,  est-ce  que  vous  ne  le 
corrigez  pas?M'/j7roj;  xac  ûasTç  0£v  0£T£T£  Toùç  to'.outouç  xcooTjxaç  utzo  xàOaofiiv  ; 
Est-ce  que  vous  ne  prenez  pas  seulement  ce  qui  concorde  avec  les  traditions 
et  les  dogmes  de  l'Eglise?  ou  ce  qui,  étant  inconnu,  inédit,  les  éclaire? 
Est-ce  que  vous  recevez  ce  qui  est  contraire  à  notre  croyance,  sous  prétexte 
que  c'est  dans  les  manuscrits  anciens?  Mt^tcwç  Trapaoé/scrôs  xal  uî.oôsteïts  oaa 
Tu/ôv  àvît^aivouat  xat  àvTcxetvTat  irpoç  xà  oeBoypi'Sva  xal  TraûaSeoeyfxéva  uirb  tT|; 
iy;'aî  Vjjxwv  'ExxXr,(7''aç  Ittê'.oti  uTràoyouv  eiç  ys'.poypaîpa  appâta;  oyi  ^s^ato^ç  (i). 
Non,  certes.  Eh  bien  1  ce  que  la  tradition  est  pour  la  théorie  et  la  pratique 
du  dogme,  dans  ces  mêmes  manuscrits,  la  syntaxe  l'est  pour  le  style  et 
les  solécismes. 

Qui  persuaderez-vous,  continue-t-il,  que  kl'rifhiGxtx'.  n'est  pas  un  solé- 
cisme et  que  ma  correction  n'est  pas  légitime?  Et  si  les  manuscrits 
donnent  les  véritables  règles,  pourquoi  fatiguer  nos  enfants  à  apprendre 
la  syntaxe  grecque?  Est-ce  pour  leur  permettre  de  mépriser  plus  tard  la 
liturgie  ?  Vous  ne  me  dites  rien  de  ma  façon  de  corriger  les  psaltes  (chantres) 
qui,  en  prononçant  mal  un  seul  mot,  ruinent  deux  dogmes  révélés.  Vous 
ne  réfléchissez  pas  non  plus  que  les  copistes  des  manuscrits  étaient  la 
plupart  illettrés  et  ignorants,  et  que  la  syntaxe  est  justement  faite  pour 
lies  corriger.  Sur  la  virginité  de  sainte  Marie-Madeleine,  il  est  permis 
d'avoir  une  opinion  contraire,  et  j'abandonne  volontiers  ma  première 
preuve.  Mais  le  rythme,  la  suite  logique  des  idées,  la  pensée  de  tout 
Vapolytikion  veulent  Oàvaxoç  en  opposition  à  Çcoyj.  Je  persiste  donc  dans 
.ma  correction  07:YjVTT,(7aç  rr,  riapôévoj. 


(«)  'Ispôç  «TJvôsffjxo;,    i5   novembre,  n"  iSj,   p.  5,   L'archevêque  fait  allusion  à  des 
Echos  d'Orient,  t.  XV.  20 


^o6  ÉCHOS  d'orient 


J'ai  tenu  à  résumer  cette  longue  lettre  de  350  lignes  environ,  parce 
qu'elle  est  comme  une  profession  de  foi  critique  de  l'archevêque  Spy- 
ridon.  Elle  met  bien  en  évidence  les  principes  qui  le  dirigent  dans  la 
correction  des  textes.  Elle  a  été  écrite  ab  irato,  je  le  crains,  dans  le  feu 
de  la  discussion,  car  elle  attribue  à  l'adversaire  des  procédés  qui,  s'ils 
étaient  appliqués,  ruineraient  la  critique  même  des  manuscrits.  Et  ce 
serait  plus  grave  que  de  simples  corrections  grammaticales  ou  la  sub- 
stitution d'un  mot  à  un  autre.  Car,  enfin,  supprimer  un  texte  gênant 
ou  l'arranger  ou  le  solliciter  à  contresens  pour  le  mettre  d'accord  avec 
la  doctrine  de  l'Eglise  orthodoxe,  c'est  là  un  procédé  qui,  employé 
une  seule  fois,  serait  suffisant  pour  disqualifier  à  jamais  un  érudit. 

Les  manuscrits,  l'archevêque  à  tout  propos  les  accable  de  son  mépris. 
Un  mois  auparavant,  répondant  à  un  recenseur  de  la  revue  italienne 
Roma  e  l'Oriente,  il  plaisantait  assez  lourdement,  dans  une  page  malgré| 
tout  alerte  et  qui  fait  plaisir  à  lire. 

Pour  les  fautes  de  ce  genre,  les  manuscrits  ne  servent  de  rien.  La 
syntaxe  grecque  a  seule  autorité.  En  outre,  on  parle  toujours  de  manu« 
scrits.  Mais  ces  manuscrits,  où  sont-ils?  Ceux  duDamascène,  par  exemple 
mort  depuis  douze  siècles?  Et  non  pas  ceux,  maXs celui,  car  il  est  probable 
que  le  Damascène  n'a  écrit  lui-même  qu'un  seul  exemplaire  (i).  Ce  travai 
même  de  recherche  et  de  comparaison  serait  vain  et  inutile,  les  manu- 
scrits n'étant  le  plus  souvent  que  des  colporteurs  de  fautes. 

L'archimandrite  Papadopoulos  a  cru  devoir  répondre  une  second^ 
fois. 

L'archevêque,  dit-il,  prétend  que  Marie-Madeleine  était  une  pécheresse 
Mais  l'Ecriture  ne  parle  ni  de  pécheresse  ni  de  femme  mariée  à  propo 
de  Madeleine.  L'Apolyiikion  a  donc  raison  de  nommer  TtaçOévoç  un 
jeune  femme  non  mariée.  Sans  doute,  on  doit  compter  avec  la  scien< 
grammaticale  et  avec  la  logique.  Mais,  dans  le  cas,  il  s'agit  de  savo 
comment  le  Damascène  a  écrit.  Or,  il  a  écrit  sans  aucun  doute  :  «  Û7rY-vTT,ff<i 
TTj  riapôévo)  »,  comme  on  peut  le  lire  dans  tous  les  manuscrits  qui  existeni 
Ce  n'est  donc  pas  un  lapsus  calami.  Une  preuve  de  l'authenticité  de 
lecture  incriminée,  c'est  la  version  slavonne  qui  est  du  ix*-x«  sièclf 
c'est-à-dire  antérieure  peut-être  à  tous  les  manuscrits  qui  nous  restent  c 
YOctoïkos  (2). 


manuscrits  découverts  et  publiés  par   M.  Dyovouniotis  :   des  scolies  d'Origène 
l'Apocalypse  de  saint  Jean. 

(i)  'lepô;  aùvÔEo-jxoi;,  i"  octobre,  n°  i54,  p.  5. 

(2)  L'archimandrite  Papadopoulos  renvoie  à  la  traduction  allemande  de  Maltze-v 
Du  bist  begegnet  der  Jungfrau.  Evidemment,  les  manuscrits  sont  tous  conl 
l'archevêque. 


UN    ESSAI    DE    CORRECTION    DES    LIVRES    LITURGIQUES    GRECS       307 

M.  Dyovouniotis,  lui  aussi,  a  répondu.  Dans  son  second  article,  la 
ritiqiie  des  textes,  r^  xp'.Tixr,  -rwv  y.îi,|j.£vcov,  il  rappelle  deux  règles  de  cri- 
ique  des  manuscrits.  Ce  qu'il  faut  chercher,  d'après  lui,  c'est  à  retrouver 
e  texte  primitif  et  à  le  débarraser  des  adventitia.  Pour  cela,  on  n'a  pas 
i  s'inquiéter  des  règles  de  la  grammaire.  Et  il  donne  quatre  ou  cinq 
îxemples  empruntés  à  saint  Marc,  vi,  2^',  à  saint  Luc,  i,  36;  aux  Actes, 
IV,  23;  à  l'épître  aux  Ephésiens,  iv,  i.  Or,  on  n'a  jamais  parlé  de  cor- 
iger  ces  fautes-là. 

Le  docte  professeur  aurait  pu  facilement  allonger  sa  liste.  Il  n'avait 
ju'à  relire  certains  passages  de  l'Apocalypse  de  saint  Jean.  De  plus, 
ijoute-t-il,  les  corrections  de  manuscrits,  quand  il  y  a  lieu  d'en  pro- 
)oser,  doivent  se  faire  d'après  des  règles  tirées  de  la  science  même  des 
Tianuscrits.  C'est  pourquoi  il  ne  semble  pas  que  la  correction  sir/jàviTe 
>oit  logique,  car  elle  n'est  appuyée  sur  aucun  texte.  Le  mot  rejeté  satis- 
fait mieux  l'oreille  de  l'auditeur  et  retient  son  attention;  l'emploi  de 
'aoriste  rendrait  la  phrase  plus  molle  et  la  mélodie  moins  expressive. 


La  discussion  en  est  là.  Je  ne  pense  pas  que  la  polémique  reprenne, 
rii  que  l'archevêque  se  déclare  convaincu  par  les  arguments  de  ses  con- 
:radicteurs.  Exiger  au  préalable  l'exemplaire  écrit  de  la  main  même  de 
îaintjean  Damascène,  et  reconnaître  pour  seul  guide  dans  une  matière 
lussi  délicate  la  syntaxe  classique,  c'est  par  là  même  se  refuser  à  toute 
liscussion.  C'est  vouloir,  pour  prendre  au  dehors  un  terme  de  com- 
)araison,  juger  de  la  langue  de  la  Vulgate  ou  de  celle  des  liturgies 
gallicanes,  d'après  la  syntaxe  de  Cicéron  et  corriger  saint  Jérôme  par 
e  professeur  Riemann.  L'archevêque,  qui  est  Grec,  doit  mieux  qu'un 
lUtre  savoir  combien  facilement  se  transforme  même  la  syntaxe  d'une 
angue  vivante,  et  que,  par  exemple,  on  ne  peut  condamner  le  romaïque 
lu  xxe  siècle  au  nom  des  règles  de  la  syntaxe  reçue  au  temps  des 
jiymnographes. 

Je  rends  de  tout  cœur  hommage  au  zèle  déployé  par  le  respectable 
jcrivain  et  je  reconnais  sa  science  philologique,  d'autant  qu'elle  est 
[idée  par  une  facilité  remarquable  à  traiter  avec  clarté  et  entrain  des 

hoses  obscures  et  souvent  ennuyeuses.  Mais,  dans  cette  revue,  qui 
[epuis  quinze  années  a  tant  fait  en  France  et  ailleurs  pour  les  études  des 
'turgies  grecques,  il  me  sera  permis  de  lui  dire  que  ses  trois  contradic- 

2urs  ont  raison  contre  lui.  11  lui  serait  si  facile  de  le  reconnaître! 
Ce  point  acquis,  on  pourrait  étudier  si,  malgré  les  manuscrits,  il  n'y 

urait  pas  parfois  avantage  à  corriger  une  lecture  embrouillée,  un  sole- 


3o8  ÉCHOS  d'orient 


cisme  un  peu  choquant,  ou  à  remplacer  un  mot  équivoque  ou  mal 
venu  par  un  autre  plus  expressif  ou  mieux  adapté  au  texte  (i).  C'est 
précisément  le  cas  dans  V apolytikion  du  Damascène. 

Qjiandocumqne  bonus  dormitat  Homerus Les  mélodes,  héritiers  du 

glorieux  rapsode,  eux  aussi  ont  dormi  quelquefois.  Les  secouer  douce- 
ment, les  réveiller,  rendre  leurs  odes  et  leurs  tropaires  plus  parfaits,  ce 
n'est  pas  aller  contre  leur  mémoire.  Au  contraire.  Nous,  Latins,  qui, 
aussi  bien  que  les  Grecs,  regardons  l'œuvre  de  ces  illustres  ancêtres 
comme  notre  patrimoine  sacré,  nous  serons  les  premiers  à  applaudir  à 
ce  genre  de  corrections.  Mais,  quoi  qu'il  advienne  de  cette  discussion 
entre  liturgistes  orthodoxes,  et  c'est  un  résultat  appréciable,  nous 
sommes  heureux  d'avoir  la  certitude  que  les  textes  de  VHorologion  et 
de  V Euchologion  sont  bien  gardés. 

Louis  Arnaud. 

Athènes. 

(i)  Je  ne  parle  pas  des  «  fautes  de  copistes  »  qu'il  est  toujours  loisible  de  corriger 
La  discussion  ne  portait  pas  sur  ce  point,  sauf  une  fois  (j.î7a),a[îovta  corrigeant  ^.z-:a 
paXovta.  Mais  des  solécismes  prétendus  relevés  par  l'archevêque,  aucun  ne  serafel 
avoir  pour  origine  une  «  faute  de  copiste  ». 


k'ÉGLISE  MELKITE  AU  XVIir  SIÈCLE 

(Suite.) 


La  lutte  du  patriarche  Jauhar 
et  du  métropolite  Germanos  Adam  (jy5^-iy^4,) 

I.    —   LES   PREMIÈRES   HOSTILITÉS 

En  décembre  1774,  les  habitants  de  Saint-Jean  d'Acre  adressèrent  à 
Tliéodose  VI  Dahan  une  requête  solennelle,  signée  par  tous  les  notables 
de  la  ville  pour  demander  au  patriarche  de  les  délivrer  de  Me^  Macaire 
'Ajéimi,  et  de  leur  donner  pour  évêque  à  sa  place  le  P.  Michel  Adam 
d'Alep  (i).  C'est  que  l'ancien  partisan  de  Jauhar,  malgré  ses  solennels 
engagements,  ne  manquait  pas  une  seule  occasion  de  fomenter  des 
troubles  dans  la  ville,  dans  le  seul  but  de  gagner  des  partisans  à 
l'intrus.  Ignorant,  incapable,  acariâtre,  il  était  devenu  à  charge  à  son 
troupeau,  qui  l'avait  déjà  congédié  deux  fois  sous  Cyrille  VI  Thanâs  (2). 
A  cette  époque,  la  ville  de  Saint-Jean  d'Acre  occupait  le  troisième  rang 
dans  le  patriarcat  d'Antioche,  après  Alep  et  Damas,  grâce  au  grand 
nombre  de  catholiques  melkites  qui  s'y  trouvaient.  La  plupart  d'entre 
eux,  originaires  d'Alep  ou  de  Damas,  s'y  étaient  fixés  pour  fuir  les 
persécutions  des  orthodoxes;  plusieurs  y  avaient  pris  domicile  depuis 
les  persécutions  de  Sylvestre  le  Chypriote,  en  1725  (3). 

Or,  suivant  une  coutume  immémoriale  dans  le  patriarcat  d'Antioche, 
Théodose  VI  informa  les  évêques  de  la  requête  des  Acriotes,  et  leur 
proposa  officiellement  la  candidature  du  P.  Michel  Adam.  Ce  dernier 
avait  déjà  conquis  une  grande  célébrité,  grâce  aux  nombreux  ouvrages 
doctrinaux  qu'il  avait  publiés,  notamment  sur  l'intrusion  de  Jauhar. 
Suivant  l'expression  des  <tAnnales  (4),  il  passait  partout  pour  un  maître 


(i)  Annales,  t.  I",  cah.  XXVII,  p.  440. 

(2)  Voir  la  première  partie  de  ce  travail,  Echos  d'Orient,  nov.  igii,  janv.  1912,  ainsi 
que  les  deux  lettres  de  Cyrille  VI  Thanâs  adressées  aux  Acriotes,  en  ijSg,  pour  leur 
signifier  d'avoir  à  chasser  leur  évêque  de  Saint-Jean  d'Acre. 

(3)  Lettre  de  Cyrille  VI  Thanâs  à  Jauhar,  lySg,  pour  l'inviter  à  se  rendre  à  Saint- 
Jean  d'Acre  afin  de  travailler  à  gagner  quelques  partisans  parmi  les  notables  dont 
l'appui  devait  être  exceptionnellement  précieux  pour  le  triomphe  de  sa  cause.  On  sait 
que  Jauhar  ne  réussit  alors  qu'à  y  fomenter  des  troubles,  et  il  dut  quitter  précipitam- 
ment la  ville. 

(4)  T.  I",  cah.  XXVII,  p.  440. 


3IO 


ECHOS    D  ORIENT 


très  versé  dans  les  sciences,  ce  qui  le  recommandait  puissamment  à 
tout  le  peuple  melkite,  dont  il  faisait  l'orgueil.  Les  évêques  n'eurent 
que  des  éloges  à  adresser  au  nouveau  candidat.  Au  milieu  de  ce  con- 
cert unanime  de  louanges,  la  lettre  acerbe,  presque  haineuse  d'Ignace 
Jauhar,  évêque  de  Saïda,  fit  entendre  la  note  fausse.  Elle  prouvait  que 
l'ancien  intrus  n'avait  pas  pardonné  à  son  adversaire.  Théodose  VI  n'y 
attacha  aucune  importance,  et,  le  25  décembre  1774,  dans  la  nuit  de 
Noël,  il  consacra  le  P.  Michel  Adam  évêque  de  Saint-Jean  d'Acre,  au 
monastère  de  Saint-Antoine  de  Qarqafé,  sous  le  nom  de  Germanos 
ou  Germain.  Cette  élévation,  insinue  Ananie  Mounayyer  (i),  était  due 
à  l'influence  considérable  dont  jouissait  à  Saint-Jean  d'Acre  la  puissante 
famille  Sabbâgh,  originaire  d'Alep.  Mî-^r  Macaire  'Ajéimi  dut  reprendre 
pour  la  troisième  fois  son  ancien  titre  d'évêque-vicaire  de  Damas,  et 
regagner  cette  ville  malgré  ses  répugnances. 

A  Saint-Jean  d'Acre,  on  le  sait,  la  situation  civile  de  la  ville  n'était 
pas  brillante  sous  l'administration  oppressive  du  fameux  Ahmed  Pacha: 
el  Jazzar.  Ce  tyran  en  voulait  particulièrement  aux  riches  familles  dont 
il  s'adjugeait  la  fortune  sans  autre  <forme  de  procès.  Les  notables- 
aimèrent  mieux  s'expatrier;  Mg^  Adam  lui-même  ne  put  y  tenir  long- 
temps, et,  vers  la  fin  de  1775,  les  Annales  (2)  nous  signalent  sa  pré- 
sence dans  les  monastères  chouérites,  en  compagnie  de  la  famille 
Sabbâgh,  «  fuyant  les  troubles  et  les  persécutions  de  Saint-Jeani 
d'Acre  ». 


En  décembre  1776,  MKf  Ignace  Jarbou',  le  digne  archevêque  d'Alep, 
mourait  dans  sa  ville  épiscopale,  après  quinze  années  et  quatre  mois 
d'épiscopat.  «  C'était  un  homme  expérimenté  dans  les  sciences,  nous 
rapportent  les  e/Jnnales  (3);  il  gagna  à  Dieu  plusieurs  âmes  par  ses 
prédications,  et  notamment  par  son  bon  exemple.  Il  surpassa  tous  ses 
contemporains  par  ses  connaissances  de  la  psaltique  (4),  qu'il  possé- 


(1)  p.  52. 

(2)  T.  I",  cah.  XXVIII,  p.  441. 

(3)  T.  I",  cah.  XXVIII,  p.  442. 

(4)  En  effet,  c'est  M"  Ignace  Jarbou'  qui,  Je  premier,  mit  en  honneur  les  offices 
liturgiques  à  Alep,  et  en  releva  la  solennité  par  les  beautés  des  chants  ecclésiastiques 
grecs.  A  cet  effet,  il  institua  deux  chœurs  dans  son  église-cathédrale  ;  il  s'entoura 
d'une  élite  de  jeunes  enfants,  qu'il  se  plaisait  à  instruire  lui-même.  Petit  à  petit 
l'amour  de  la  psaltique  gagna  les  grands,  et  l'on  tenait  à  honneur,  notamment  dans 
les  classes  distinguées,  de  posséder  quelque  connaissance  de  cet  art  nouveau.  A  cettt 
époque  parurent  à  Alep  les  Holvypô^ioL  harmonisés,  mesurés,  cadencés.  Les  Alépins 
dont  beaucoup  jouissent  d'un  bel  organe,  se  plaisent  encore  à  les  répéter  jusqu'à: 
nos  jours.  M''  Jarbou'  y  est  appelé  Kap7r(5ç;  il  prend  aussi  ce  nom  dans  certains  de  ses! 


L  EGLISE   MELKITE    AU   XVIII^   SIECLE  3It 

dait  merveilleusement.  Le  peuple  alépin  pleura  longtemps  son  saint 
archevêque,  ainsi  que  toute  la  Congrégation  chouérite,  qui  perdait  en 
lui  un  père  tendrement  aimé,  » 

Six  mois  durant,  on  tint  à  Alep  des  assemblées  plus  ou  moins  offi- 
cielles pour  se  concerter  sur  le  choix  de  son  successeur.  Enfin,  les 
Alépins  élurent  à  l'unanimité  leur  compatriote,  Mt-^''  Germanos  Adam, 
et,  en  juillet  1777,  Théodose  VI  Dahan  jle  transférait  au  siège  archiépi- 
scopal d'Alep,  en  le  déliant  de  tous  les  liens  qui  l'attachaient  au  siège 
de  Saint-Jean  d'Acre.  Cette  élection,  nous  rapportent  les  Annales  (i), 
était  légitime,  canonique,  et  faite  avec  le  consentement  de  toute  la  nation. 

Cela  n'empêcha  pas  Jauhar,  devenu  patriarche,  de  reprocher  dure- 
ment à  Mp>-  Adam  cette  translation  :  «  Cette  même  autorité  patriarcale, 
dit-il  dans  une  lettre  du  pr  juillet  1792,  vous  a  transféré  du  siège  épi- 
scopal  de  Saint-Jean  d'Acre  au  siège  métropolitain  d'Alep,  grâce  aux 
circonstances  et  aux  intrigues  que  vous  seul  connaisse:{. . . .  »  Mg^"  G.  Adam 
lui  répondit  catégoriquement  au  mois  d'août  de  la  même  année:  «  Ces 
circonstances  et  ces  moyens  ne  sont  pas  connus  de  moi  seul,  mais 
encore  de  tout  le  monde.  Tous,  à  l'unanimité,  reconnaissent  qu'ils 
furent  canoniques,  légitimes,  étrangers  à  la  moindre  intrigue,  ce  qui 
est  parfaitement  démontré  par  le  procès-verbal  de  l'élection,  et  par  l'en- 
cyclique patriarcale   de  confirmation.  Je   n'ai   pas  besoin   de  vous  le 

prouver  davantage »  (2)  Ces  paroles  suffisent  à  nous  convaincre 

que  l'évêque  de  Saïda  s'était  opposé  au  transfert  de  Mk^  Adam  au  siège 
d'Alep,  tout  comme  il  avait  combattu  son  élévation  à  l'épiscopat.  Quoi 
qu'il  en  soit.  M»'"  Adam  ne  semble  pas  avoir  gardé  rancune  à  l'ancien 
intrus,  et,  dans  les  querelles  qui  vont  suivre,  il  est  plutôt  victime 
qu'oppresseur.  Aux  blâmes  injustes  du  patriarche  Athanase  V  Jauhar, 


mandements  et  ses  autres  actes  officiels,  notamment  dans  le  aâxxov  qu'il  remit  au 
P.  Michel  'Arraj,  à  Saint-Georges  de  Makkin,  après  l'avoir  relevé,  ainsi  que  ses  reli- 
gieux, de  l'excommunication  romaine  qu'ils  avaient  encourue  en  prenant  part  au 
second  conciliabule  de  Déir  el  Moukhallés,  qui  se  proposait  de  réélire  Jauhar  patriarche 
d'Antioche,  en  lyôS  : 

L'humble  évêqiie  Ignace  Kapir(5î,  métropolite  d'Alep.  Ce  prélat,  qui  laissa  un  pro- 
fond souvenir  à  Alep,  est,  jusqu'à  nos  jours,  en  grande  vénération.  Dans  certains 
Hol-jy^rià^ny.  chantés  à  l'occasion  de  la  réception  solennelle  de  leur  nouveau  pasteur, 
les  Al'epins  lui  souhaitent  une  longue  vie  et  toutes  sortes  de  prospérités,  comme  ils 
les  souhaitaient  naguère  à  KapTr*^;,  qui  chérissait  son   peuple,  w;  ô  KapTtôç  -cbv  >.ady. 

Après  M"  Jarbou',  M"  Grégoire  Chahiatt  fit  honneur  à  la  psaltique  d'Alep;  mais 
celui  qui  fit  revivre  les  beaux  jours  de  M""  Jarbou',  ce  fut  M''  Paul  Hatem,  qui,  avec 
l'aide  du  professeur  Georges  Lian,  établit  des  cours  de  psaltique,  qu'il  rendit  obliga- 
toires pour  ses  prêtres  avant  tout;  puis  il  s'entoura  d'un  beau  groupe  de  laïques  de  la 
classe  noble,  qui  remirent  en  si  grand  honneur  les  offices  divins,  que  les  Alépins  accou- 
raient en  foule  à  la  cathédrale. 

(1)  T.  1",  cah.  XXVUl,  p.  443. 

(2)  Lettre  de  M"  Adam  à  Jauhar,  20  août  1792,  p.  i3. 


512  ECHOS    D  ORIENT 

aux  insolences  de  prêtres  révoltés  contre  son  autorité,  aux  insultes 
mêmes  de  Sarrouf,  Mk^  Adam  répond  avec  sa  logique  habituelle,  et 
Rome  lui  donne  raison,  le  comble  d'éloges,  et  inflige  le  blâme  à  tous 
ses  adversaires,  à  commencer  par  Jauhar. 


En  1778,  le  P.  Joseph  Sarrouf,  Damasquin,  était  élevé  sur  le  siège 
de  Beyrouth  et  prenait  le  nom  d'Ignace.  Ignorant,  léger,  prompt  dans 
ses  décisions,  il  eut  le  bon  sens  de  recourir  aux  lumières  de  M«'-  Adam, 
qui  lui  offrit  complaisamment  ses  services.  Jauhar  s'en  indigna,  et,  avec 
l'intermédiaire  du  P.  Simaân  Sabbâgh,  secrétaire  patriarcal,  il  parvint 
à  gagner  Sarrouf  à  ses  vues.  Dès  lors,  celui-ci  brisa  brusquement  avec 
son  bienfaiteur,  et  s'engagea  dans  des  querelles  interminables  avec  les 
Chouérites.  Ceux-ci  eurent  recours  à  bAs^  Adam,  qui  délivra  en  leur 
faveur  deux  longs  faiwas  parfaitement  documentés.  Exaspéré,  Sarrouf 
lança  ses  dix  articles,  peut-être  sur  l'instigation  de  Jauhar  lui-même. 
L'acharnement  que  ce  dernier  mit  plus  tard  à  défendre  ce  factum,  ainsi 
que  les  vin^t  articles  sortis  de  sa  plume  et  de  celle  de  Sarrouf,  prouvent 
x}u'il  n'était  pas  complètement  désintéressé  en  cette  affaire,  1778- 1785  (i). 

Vint  enfin  l'élection  d'Athanase  V  Jauhar  au  patriarcat.  Naturelle- 
ment, Mgi'  Adam  dut  s'opposer  de  toutes  ses  forces  à  l'élévation  d'un 
prélat  qui  n'était  pas  bien  noté  à  Rome.  M&i'  Bénédictos  Turcmany,  de 
Baâlbeck,  s'était  même  adjoint  à  lui  pour  le  soutenir  dans  cette  lutte; 
mais  le  parti  de  Jauhar  était  considérable,  et  Sarrouf  ne  se  donnait  point 
de  repos,  de  telle  sorte  que  l'élection  eut  lieu  le  23  avril  1788,  à  Saint- 
Antoine  de  Qarqafé,  presque  à  l'unanimité  des  voix  (2).  Sarrouf, 
dépêché  en  toute  hâte  à  Rome  pour  obtenir  la  confirmation  de  son 
œuvre,  dut  y  passer  deux  longues  années  en  négociations.  «  Enfin, 
dit  le  Ristretto  du  cardinal  Valens  Gonzaga,  le  Saint-Siège  approuva, 
en  1790,  l'élection  de  Ms^'  Athanase  Jauhar  au  patriarcat  d'Antioche  de 
la  nation  melkite.  »  Dans  le  même  temps,  Mp-  Sarrouf  adressa  un 
Inviato  au  Souverain  Pontife,  pour  réclamer  l'honneur  du  pallium  en 
faveur  du  nouveau  patriarche.  Pie  VI  le  lui  accorda  sur-le-champ.  Sar- 
rouf rentra  en  Syrie  en  Juin  1790.  Le  30  du  même  mois,  le  métropolite 
de  Beyrouth  remettait  solennellement  le  pallium  à  Athanase  Jauhar, 
avec  l'assistance  de  Ms»'  Macaire  'Ajéimi  et  de  M^''  Grégoire  Haddac 
évêque  de  Qara.  Après  la  cérémonie,  qui  eut  lieu  à  Déir  el  Moukhallès 


(i)  Voir  à  ce  sujet  notre  longue  étude  publiée  ici  même  en   1910,  sous  le  titrej 
Ignace  Sarrouf  et  les  réformes  des  Chouérites. 
[2]  Annales,  t.  1".  cah.  XXXIII,  p.  52i;  Ristretto,  n"  1-2. 


L  EGLISE    MELKITE    AU    XVIII*'    SIECLE  S  H 

Jauhar  écrivit  au  Saint-Père  et  à  la  S.  C.  de  la  Propagande  deux 
longues  lettres  en  date  du  7  juillet  1790.  Elles  relataient,  dit  le  Ris- 
treilo(i),  l'allegre:{ia  e  soddisfa^ione di  tutta  la  Naiione Melchita,  e  mando 
il  suo  giuramento  nella  forma  che  si  da'qtti  in  foglio  segnato  letiera  A, 

Or,  ce  fut  toute  une  affaire  que  ce  serment,  exigé  par  Rome  de  tout  nou- 
veau patriarche  oriental  en  communion  avec  le  Saint-Siège.  Déjà  Pie  VI, 
dans  ses  deux  Bulles  apostoliques  adressées  à  Jauhar,  le  22  avril  1789, 
l'une  pour  confirmer  son  élection,  et  l'autre  pour  lui  concéder  le  pa\- 
lium,  avait  fixé  au  nouveau  patriarche  deux  formules  de  serment  dif- 
férentes qu'on  demandait  au  nouvel  élu,  par  suite  des  circonstances 
exceptionnelles  de  son  intrusion,  (1759-1768).  C'était  d'ailleurs  l'usage 
reçu,  dit  le  Ristretto;  cela  s'était  pratiqué,  en  effet,  sous  les  patriarcats 
de  Cyrille  VI  Thanâs,  de  Maxime  II  Hakim  et  de  Théodose  VI  Dahan. 
Malgré  tout,  Jauhar  ne  tint  aucun  compte  des  ordonnances  romaines, 
et,  le  30  juin  1790,  avant  de  revêtir  le  pallium,  il  prononça,  entre  les 
mains  de  Sarrouf,  une  formule  équivoque  qu'il  avait  rédigée  lui-même. 

Le  nouvel  élu,  tout  en  promettant  d'être  fedele  e  ubbidiente  al  Beatis- 
simo  Pietro  Apostolo,  trahissait  une  fois  de  plus  ses  sentiments  schisma- 
fiques.  Rome  eut  des  appréhensions,  et,  craignant  de  voir  renouveler 
les  événements  de  1759- 1768,  elle  rejeta  cette  vague  formule  de  ser- 
ment, et  résolut  énergiquement  de  soumettre  le  nouveau  patriarche  à 
une  autre  formule  plus  précise  et  plus  satisfaisante.  Mais  elle  ne  voulut 
rien  précipiter,  pour  éviter  de  froisser  les  susceptibilités  de  Jauhar  et 
de  ses  partisans.  Les  motifs  canoniques,  allégués  à  ce  sujet  par  le  Saint- 
Siège,  nous  sont  clairement  démontrés  par  la  note  que  nous  en  donne 
le  cardinal  Valens  Gonzaga,  à  la  suite  de  son  long  Ristretto.  Cette  note 
établit  que  le  serment  fait  par  Jauhar  ne  présentait  point  une  profession 
de  foi  catholique  et  ne  marquait  point  la  dépendance  et  la  soumission 
|requises  des  patriarches  orientaux  à  l'égard  du  Pontife  romain.  Sa  for- 
jmule  ne  différait  guère  de  celles  qu'avaient  prononcées  le  patriarche 
Cyrille  VI  Thanâs,  et  que  Rome  avait  trouvées  insuffisantes.  Au  con- 
traire, Maxime  11  Hakim  et  Théodose  II  Dahan  avaient  présenté  une 
longue  profession  de  foi  tout  à  fait  satisfaisante. 

II.  —  Les  préparatifs  du  concile  national. 

,5  Nous  avons  dit  que  M^-'''  Ignace  Sarrouf  avait  passé  à  Rome  deux  ans 
bn  négociations  pour  obtenir  la  confirmation  de  Jauhar  et  le  pallium 
patriarcal.  Une  note  du  Ristretto,  placée  dans  le  contexte  même,  après 

|i 

(1)  N*  I  ad  finem. 


314  ÉCHOS  d'orient 


le  premier  paragraphe,  nous  apprend  que  le  Saint-Siège  avait  aussi 
enjoint  au  nouveau  patriarche  l'ordre  de  réunir  quanto primo  un  concile 
national  de  tous  les  évêques  melkites  par  sanare  le  scissure  e  discordie, 
che  vi  erano.  A  ce  sujet,  la  S.  C.  de  la  Propagande  avait  remis  à  Sar- 
rouf  une  longue  Instruction  à  laquelle  le  procureur  patriarcal  se  hâta 
d'adhérer,  promettant  de  l'observer  fidèlement  (i). 

Or,  lorsque  Ma""  G.  Adam  et  Msi""  Bénédictos  Turcmany,  qui  s'étaieni 
opposés  à  l'élection  de  Jauhar,  eurent  fait  acte  de  soumission  volon- 
taire à  Athanase  V,  le  nouveau  patriarche  se  mit  en  devoir  de  réunit 
le  concile  national  ordonné  par  la  Propagande.  De  concert  avec 
Mg»'  Sarrouf,  qui  ne  le  quittait  pas  un  seul  moment,  il  adressa  à  toui 
les  évêques  melkites  une  lettre-circulaire  en  date  du  3  juin  1790,  le: 
invitant  à  se  présenter  à  Déir  el  Moukhallès  pour  la  tenue  du  concil< 
national,  qui  devait  s'ouvrir  solennellement,  le  i^i-  juillet  suivant.  Eii 
même  temps  que  cette  circulaire,  Athanase  V  adressait  aux  évêque 
un  Elenco  ou  schéma  des  matières  générales  qui  devaient  être  débat 
tues  dans  cette  assemblée  plénière  ;  quant  aux  matières  spéciales  con 
cernant  chaque  diocèse  en  particulier,  on  y  devait  pourvoir,  en  ca 
d'urgence,  après  la  réunion  des  évêques. 

A  cette  circulaire,  tous  les  évêques  melkites  adhérèrent,  sans  aucun 
arrière-pensée.  Ils  ne  soupçonnaient  pas  la  grosse  lacune  que  le  noi 
veau  patriarche  d'Antioche  essayait  de  dérober  adroitement  à  toute 
les  investigations  gênantes  pour  lui  et  pour  son  parti;  nous  voulon 
parler  des  directions  romaines  relatées  expressément  dans  l'instructio 
apostolique  remise   à   Sarrouf  par   la   S.   C.  de  la  Propagande.  Sel 
M^i"  G.  Adam  perça  la  manœuvre.  «  Au  lieu  de  toutes  ces  pièces 
circulaires  plus  ou  moins  solennelles,  lui  écrivit-il  en  substance,  il  e] 
été  infiniment  plus  utile  de  proposer  aux  évêques  l'étude  de  l'Instrifi 
tion  apostolique  dans  le  concile  ;  de  leur  en  envoyer  à  chacun  une  cof 
spéciale,  de  leur  donner  au  moins  un  délai  de  deux  mois  pour  q 
tous  puissent  avoir  le  loisir  de  préparer  les  travaux  à  débattre  dai 
cette  assemblée  solennelle,  et  de  mettre  par  écrit  leurs  réflexions,  leu 
allégations  diverses,  et  toutes  les  particularités  propres  à  leurs  diocès 
respectifs.  En  effet,  cette  Instruction  apostolique  renferme  toutes 


(i)  Voici  cette  note  dans  sa  teneur  italienne:  «  E  siccome  la  Sacra  Congregazic 
gli  aveva  in  sieme  ordinato  di  adunare  al  Concilio  dei  Vescovi  per  sanare  le  scissu 
e  discordie,  che  vi  erano,  e  a  quest'essetto  avea  mandate  per  suddetto  Monsigm 
Sarruf  le  sue  instruzioni  da  osservarsi  in  detto  Concilio;  quindi  prometteva  di  o 
vocarlo  quanto  primo,  e  di  adempire  le  intenzioni  délia  medesima  Sacra  Congre 
zione.  L'istesso  annunzio  çon  Lettere  délia  medesima  data  anche  il  suddetto  Deleg 
Monsignore  Ignazio  Sarruf.  »  Archives  de  la  Propaga7ide,  (Greci  Melchiti,p.387-3) 


L  ÉGLISE   MELKITE    AU    XVIIl*'    SIÈCLE  31^ 

matières  nécessaires  pour  un  concile  plénier,  et,  comme  elle  émane 
de  l'autorité  suprême,  nous  ne  saurions  faire  rien  de  mieux  que  de  la 
respecter  et  de  nous  y  conformer  en  tout  point.  »  (i) 

A  cette  missive,  qui  ne  disait  rien  que  d'opportun  et  de  juste, 
Athanase  V  fit  une  réponse  courroucée,  nous  dit  le  Ristretto  :  replicù 
il  Patriarca  con  una  nionitoria  (2).  «  Ce  que  j'ai  écrit  aux  évêques, 
dit-il  en  substance  à  Mgr  Adam,  je  l'ai  fait  avec  connaissance  de  cause; 
vous  saurez  que  le  patriarche  ne  souhaite  pas  du  tout  leur  soumettre 
l'instruction  apostolique,  et  cette  seule  volonté  doit  vous  suffire.  En 
outre,  vous  en  possédez  vous-même  une  copie  authentique  ;  vous  pourrez 
y  travailler  à  votre  aise,  sans  trop  vous  préoccuper  de  vos  autres 
collègues  dans  l'épiscopat.  Enfin,  vous  saurez  qu'il  appartient  au 
patriarche  de  régler  les  travaux  du  concile  et  non  point  au  Saint-Siège. 
Que  si,  en  nous  écrivant  ces  choses,  vous  avez  eu  en  vue  de  nous 
donner  seulement  un  conseil  fraternel,  nous  l'acceptons  volontiers  de 
votre  part.  En  attendant,  nous  portons  à  votre  connaissance  que  nous 
avons  renvoyé  au  20  septembre  l'ouverture  de  notre  synode  patriarcal, 
vous  aurez  la  bonté  de  vous  présenter  sans  retard  à  Saint-Sauveur  au 
moins  vers  le  15  du  même  mois,  afin  que  nous  puissions  en  faire  les 
préparatifs.  C'est  alors  que  vous  jugerez  par  vous-même  de  la  soumis- 
sion et  du  respect  que  nous  avons  toujours  professés  à  l'égard  du 
Siège  apostolique,  non  seulement  durant  cette  année  de  la  confirmation 
de  notre  élection  au  patriarcat,  mais  encore  durant  les  années  précé- 
dentes, notamment  après  la  mort  du  patriarche  Théodose.  Il  en  sera 
toujours  ainsi  à  l'avenir,  sans  que  nous  ayons  le  moindre  besoin  de 
recourir  aux  conseils  d'un  M^*"  Adam.  »  (3) 

L'archevêque    d'Alep    ne  fit  aucune   réponse   à  ces courtoisies 

patriarcales,  auxquelles  il  s'était  déjà  bien  habitué  ;  il  se  contenta  de  se 
présenter  à  Déir  el  Moukhallès,  suivant  l'ordre  du  patriarche,  le  1 1  sep- 
tembre, neuf  jours  avant  l'ouverture  du  synode  (4).  Or,  le  jour  même 
le  son  arrivée,  nous  apprend  le  Ristretto,  il  se  trouva  en  présence 
ie  Mg'-  Sarrouf  et  du  patriarche  Athanase,  et,  sans  aucun  préambule, 
omincio  il  patriarca  Atanasio  a  lagnarsi  di  Monsignore  Adami  (5). 
lomme  c'était  pour  la  première  fois  que  les  deux  antagonistes  se  trou- 


(i)  Lettre  de  G.  Adam  à  Athanase  V  Jauhar,  i"  juillet  1790,  datée  de  Saint-Michel 
le  Zouq-Mikaïl.  Ristretto,  n°  3,  p.  388-389  des  Archives. 
(2)  Ristretto,  loc.  cit. 
''''  Ristretto,  n°  3  ad  finetn,  p.  389  des  Archives. 

Lettre  de  M''  Adam  à  Athanase  V  Jauhar,  20  août  1792,  p.  9-10. 
\~>,  Ristretto,  n"  4,  p.  389  des  Archives. 


^i6  ÉCHOS  d'orient 


valent  en  présence  l'un  de  l'autre  depuis  1 788  ( i  ),  Athanase  V  n'épargna 
aucun  reproche  à  l'archevêque  d'Alep.  D'après  le  résumé  que  le  Ris- 
tretto  nous  donne  de  cette  longue  audience,  le  patriarche  se  serait 
exprimé  à  peu  près  en  ces  termes  : 

Vous  vous  êtes  opposé  de  toutes  vos  forces  à  mon  élection  au  patriarcat; 
vous  en  avez  même  appelé  à  Rome,  ce  qui  vous  a  coûté  des  dépenses 
considérables,  absolument  inutiles,  et  qui  s'élevaient  à  plus  de  huit 
bourses  (2).  De  la  sorte,  vous  n'avez  réussi  qu'à  avilir  la  dignité  patriar- 
cale, notamment  après  la  réception  du  pallium  et  la  profession  du  serment 
solennel. 

Quant  à  ce  serment,  il  vous  eût  été  bien  facile  de  comprendre  pour 
quel  motif  nous  n'avons  pas  voulu  nous  soumettre  à  la  formule  proposée 
par  la  S.  C.  de  la  Propagande.  Nous  ne  saurions,  en  effet,  promettra  de 
nous  rendre  à  Rome  tous  les  cinq  ans,  soit  en  personne,  soit  par  le  moyen 
d'un  procureur,  soit  enfin  en  y  adressant  un  rapport  officiel  touchant 
notre  administration  patriarcale.  Nous  ne  saurions  non  plus  aviser  le 
Saint-Père  de  toutes  les  affaires  du  patriarcat  et  de  celles  des  ouailles  àj 
nous  confiées.  Or,  vous  savez  parfaitement  qu'un  serment  semblable 
est  de  nulle  valeur,  car  il  est  contraire  à  l'honneur  et  aux  droits  de  la 
dignité  patriarcale  :  pretendendo  che  questo  Giuramento  é  nullo  perché 
■contrario  all'onore,  e  ai  diritti  délia  Dignita  Patriarcale  (3). 

A  toutes  ces  prétentions  schismatiques,  Mp'  Adam  répondit  con  deli- 
■cateiia,  ajoute  le  Ristretto  (4).  11  rappela  au  patriarche  que  son  procu- 
reur, Mgr  Sarrouf,  avait  pleinement  adhéré  à  ce  serment  romain^  et  ei 
avait  même  solennellement  promis  à  la  Propagande  l'observation  ponc 
tuelle  (5).  D'ailleurs,  ajouta  M?''  Adam,  notre  honneur  consiste  dans 
une  soumission  entière  au  Chef  suprême  de  l'Eglise  universelle,  il  nostVi 
onore  é  di  essere  soggetti  al  Capo  délia  Chiesa  universale. 

Athanase  V  se  garda  bien  d'y  riposter,  et  il  changea  immédiatemen 
le  sujet  de  la  discussion  en  s'attaquant  à  l'Instruction  apostolique  de  1 
Propagande.  «  Voilà  encore,  s'écria-t-il,  un  document  romain  qui  me 
des  entraves  à  la  liberté  requise  pour  le  concile!  »  Là-dessus,  M^^'"  Adar 
se  tourna  vers  Me»  Sarrouf,  et  lui  posa  la  question  suivante  :  «  Mf-'''  1 


(i)  On  se  rappelle  que  M''  Adam,  qui,  avec  M''  Bénédictos  Turcmany,  s'éta 
opposé  à  l'élection  de  Jauhar,  n'avait  fait  acte  de  soumission  au  nouveau  patriarcl 
que  par  le  moyen  d'une  lettre  pleine  de  respect  adressée  de  Zouq-Mikaïl,  tandis  qii 
M"  Turcmany  s'était  présenté  en  personne  à  Déir  el  Moukhallès  pour  lui  offrir  s(! 
obédience.  ' 

(2)  La  bourse  valait  une  somme  de  5oo  piastres. 

(3)  Ristretto,  n°  4,  p.  SSg-Sgo  des  Archives. 

(4)  Loc.  cit.  I 

(5)  C'est,  en  effet,  ce  dont  témoigne  parfaitement  la  note  du  Ristretto,  que  noj 
avons  citée  entièrement  dans  sa  teneur  italienne.  Voir  ci-dessus,  p.  314,  note  i.:-*' 


L  ÉGLISE    MELKITE    AU    XVIIl^    SIÈCLE  317 


patriarche  n'avait  donc  pas  adhéré  à  cette  instruction,  et  n'en  avait 
pas  promis  l'observation?  »  Mf^'"  Sarrouf  répondit  :  tergiversando  lunga- 
mente  essai,  ajoute  le  Risiretfo.  Puis,  détournant  la  question  de  son 
point  de  vue  primitif,  il  conclut  que  cette  pièce  romaine  n'était,  après 
tout,  qu'une  Instruction  et  non  pas  un  Décret  obligatoire.  Enfin,  il 
ajouta,  à  tort  ou  à  raison,  que  l'éminent  préfet  de  la  Propagande  lui 
avait  expressément  dit  que  cette  Instruction  demeurait  une  pièce  facul- 
tative, et  qu'il  dépendait  de  la  liberté  des  Pères  du  synode  de  l'accepter 
ou  de  la  mettre  de  côté.  Puis,  le  patriarche  s'écria  :  «  En  envoyant  à 
Rome  Mf-^i'  Sarrouf,  je  ne  lui  ai  point  mandé  de  m'en  rapporter  des 
instructions  apostoliques,  mais  je  l'ai  uniquement  chargé  de  réfuter  les 
objections  de  mes  contradicteurs  et  de  travailler  à  obtenir  la  confirma- 
tion romaine  de  mon  élection  au  patriarcat  (i). 

M^-^''  Adam  ne  pouvait  se  faire  illusion  sur  la  mauvaise  tournure  que 
prenait  le  synode.  11  était  clair  que  les  Pères  se  comporteraient  en  tous 
points  d'une  façon  contraire  aux  directions  romaines.  11  partit  soudain 
sans  mot  dire,  et,  la  tristesse  dans  l'âme,  iî  regagna  sa  cellule  de  Déir 
el  Moukhallès.  Durant  les  neuf  jours  qu'il  passa  dans  ce  monastère,  en 
compagnie  de  ses  collègues  dans  l'épiscopat,  les  discussions  violentes 
touchant  les  directions  romaines  ne  discontinuèrent  point.  M?;''  Adam 
se  montra  en  la  circonstance  le  champion  invincible  des  droits  du  Saint- 
Siège;  malheureusement,  ses  cris  furent  impuissants  devant  l'opposi- 
tion catégorique  et  aveugle  de  Jauhar,  de  Sarrouf  et  de  tous  ces  pauvres 
évêques  d'alors,  qui  ignoraient,  disait-il,  jusqu'à  Va  bc  des  saints  canons 
et  des  devoirs  rigoureux  de  leur  saint  état  ecclésiastique!  (2) 


(i)  Ristretlo,  loc.  cit. 

(2)  Lettre  de  M**^  Adam  au  patriarche  Athanase  V  Jauhar,  20  août  1792,  datée  de 
Laodicée,  p.  10.  Ce  jugement,  tout  excessif  qu'il  paraisse,  n'est  malheureusement  que 
trop  vrai.  Passons,  en  effet,  en  revue,  les  évêques  melkites  de  cette  époque.  En  dehors 
du  patriarche  Athanase  V  Jauhar  et  de  son  mentor  Ignace  Sarrouf,  dont  les  senti- 
ments schismatiques  nous  sont  bien  connus,  on  trouve  les  évêques  suivants  : 

a)  Grégoire  Haddad,  de  Qâra,  sacré  par  l'intrus  Jauhar  en  1761,  en  vue  d'augmenter 
le  nombre  de  ses  partisans.  11  mourut  en  1795,  après  trente-quatre  années  d'épiscopat. 
En  1790,  vieux  et  tombé  en  enfance,  il  était  naturellement  à  la  dévotion  de  Jauhar; 

b)  iMacaire  'Ajéimi,  de  Saint-Jean  d'Acre.  On  se  rappelle  encore  les  grands  services 
qu'il  rendit  à  l'intrus  de  1760  à  1768,  et  que  nous  avons  relatés  dans  la  première  partie 
de  cette  étude; 

c)  Agapios  Qenai'er,  de  Diarbékir.  Ancien  élève  du  P.  Nicolas  Saïgh,  et  peut-être 
le  plus  instruit  des  évêques  après  M"  Adam  et  les  quatre  autres  évêques  qui  ne  3e 
présentèrent  pas  au  synode.  A  cette  époque,  il  était  nonagénaire  et  tombé  en  enfance; 

d)  Cyrille  Siaj,  du  Hauran; 

"I  Gérasimos  Moubayyed,  de  Cana  en  Galilée; 
./ )  Maxime  Sallal,  de  Panéas; 

g)  Arsène  Caramé,  de  Homs,  tous  sacrés  par  Jauhar,  1760-1768,  et  dont  nous  avons 
fait  la  triste  histoire  dans  la  première  partie  de  cette  étude; 
/.')  Parthénios  Na'imé,  de  Tyr; 


3i8  ÉCHOS  d'orient 

m.  —  Le  concile  de  Déir  el  Moukhallès. 

La  veille  de  l'ouverture  du  synode,  c'est-à-dire  le  19  septembre  1790, 
ajoute  le  Ristretto  (i),  il  Patriarca  chiamo  Monsignore  Adami  alla  pre- 
senyï  di  Sarruf  solamente,  e  gli  disse,  che  hisognava  daré  il  primo  posto 
air  Arcivescovo  di  Tiro  seconda  l'antico  istituto.  C'était,  en  effet,  une 
véritable  querelle  provoquée  par  Sarrouf  et  Jauhar,  plutôt  qu'une  discus- 
sion régulière,  canonique.  Cette  fameuse  question  de  la  préséance  du 
siège  de  Tyr  sur  celui  d'Alep  avait  été  plusieurs  fois  remise  sur  le  tapis 
depuis  1733,  époque  où  Alep,  soustraite  à  la  juridiction  de  Constanti- 
nople,  rentrait  sous  celle  d'Antioche,  après  quarante  ans  d'une  triste 
servitude.  Sous  Cyrille  VI  Thânas  et  Théodose  VI  Dahan,  Alep  avait 
toujours  eu  la  préséance  sur  Tyr;  il  en  fut  de  même  sous  Agapios  111 
Matar,  notamment  au  synode  de  Saint-Michel  de  Zouq-Mikaïl,  1798, 
qui  condamna  la  fameuse  Congrégation  Siméonienne  de  Sarrouf,  et  au 
grand  synode  de  Qarqafé,   1806.  qui  fut  l'œuvre  de  Mf^""  G.  Adam. 

Les  mêmes  discussions  furent  renouvelées  plus  tard  sous  le  patriarche 
Maxime  111  Mazloum,  en  1849,  ^^  concile  de  Jérusalem.  Enfin,  le  pape 
Pie  IX  dirima  le  litige  et  statua  que,  à  la  mort  du  patriarche  grec- 
melkite  catholique,  l'administration  du  patriarcat  reviendrait  de  droit  à 
l'archevêque  de  Tyr,  qui  est  le  protothrone  dans  le  patriarcat  d'Antioche. 

Sur  le  soir  de  ce  même  jour,  Mgr  Adam  reçut  une  lettre  pressante 
du  cheikh  Farès,  ministre  du  grand  prince  du  Liban,  l'invitant  à  se 
rendre  en  toute  hâte  à  Déir-el-Qamar  pour  juger  des  affaires  urgentes 
concernant  les  Maronites  (2).  Là-dessus,  le  métropolite  d'Alep  se  rend 


i)  Joseph  Farhat,  de  Fourzol; 

j)  Joseph  Safar,  d'Edesse; 

k)  Bénédictos  Turcmany,  de  Baâlbek.  Ces  quatre  derniers  ne  se  présentèrent  point 
au  synode  pour  éviter  des  querelles  qui,  d'ailleurs,  ne  manquèrent  pas  de  surgir,  lis 
se  firent  remplacer  par  des  procureurs  dont  le  aàxxov  canonique  de  procuration  ne 
plut  guère  à  M''  Adam,  parce  qu'il  était  exprimé  en  termes  trop  vagues,  et  fut 
exploité  par  le  parti  schismatique.  (Cf.  lettre  de  M''  Adam  à  Jauhar,  20  août  1792,1 
p.  II.)  I 

/)  Enfin,  Germanos  Adam,  d'Alep. 

Ces  nombreux  évêques,  qui,  à  cette  époque,  formaient  le  patriarcat  d'Antioche, 
n'étaient  pas  tous  résidentiels;  à  part  sept  d'entre  eux,  qui  avaient  des  diocèses  pro- 
prement dits,  tous  les  autres  n'avaient  que  des  titulatures  de  sièges  vieillis  et  qu , 
n'existaient  plus.  On  les  trouvait  toujours  à  Déir  el  Moukhallès,  dans  l'entourage,  ^ 
la  table  de  Jauhar,  et,  cela  va  sans  dire,  entièrement  à  sa  dévotion.  Après  tout,  ilîi 
lui  devaient  leur  élévation  à  l'épiscopat,  et  c'est  seulement  à  ce  grand  nombre  d<j 
partisans  intéressés  que  nous  devons  attribuer  le  triomphe  de  Jauhar  du  23  avril  1788 
qui  lui  donna  le  patriarcat  d'Antioche. 

(i)  N°  5,  p.  390  des  Archives.  Greci  Melchiti.  •  j 

(2)  On  se  rappelle  que  M"  Adam  exerçait  la  justice  au  Liban  par  ordre  des  gouveri 
neurs  mêmes  de  la  montagne.  A  cet  effet,  il  avait  établi  sa  résidence  au  monastèr; 
chouérite  de  Saint-Michel  de  Zouq-Mikai'l,  d'où  il  gouvernait  en  même  temps  soi 


L  EGLISE    MELKITE    AU    XVIII''    SIECLE  3I9 

après  du  patriarche,  lui  montre  les  ordres  pressants  de  l'émir,  et  le 
rie  de  lui  désigner  un  religieux  Salvatorien  de  son  choix  pour  en  faire 
Dn  procureur  au  synode,  à  l'instar  des  quatre  évêques  de  Tyr,  de 
aâlbek,  de  Fourzol  et  d'Edesse,  qui  ne  se  présentèrent  point  en  per- 
Dnne  au  synode.  Athanase  V  lui  indiqua  sur-le-champ  le  P.  Emmanuel 
hamma',  Salvatorien,  ancien  élève  du  collège  Saint-Athanase  de  Rome 
t  visiblement  à  la  dévotion  du  patriarche  (i).  Mais  dans  le  sakkon 
anonique  de  procuration  que  lui  remit  M^r  Adam,  sa  conduite  au 
ynode  était  réglée  par  cette  phrase  significative  :  yous  n' accepter e:{^ 
ullement  tout  ce  qui  serait  en  contradiction  avec  les  directions  romaines 
lentionnées  dans  l'Instruction  apostolique  de  la  S.  C.  de  la  Propagande. 
Dans  ce  sakkon,  il  n'était  point  question  de  la  préséance  du  siège 
'Alep;  ce  qui  était  laissé,  dit  le  Ristretto,  à  la  bienveillance  de  M^»"  Sar- 
ouf  et  du  patriarche.  Mais  les  mots  «  directions  romaines  »,  sur  les- 
uels  appuyait  Mm:»"  Adam,  furent  particulièrement  gênants  pour  ces 
oryphées  d'un  nouveau  schisme.  Longtemps  ils  le  supplièrent  de  les 
emplacer  par  «  les  saints  canons  »,  ce  qui  était  plus  général,  et,  par 
uite,  ne  disait  rien.  Ms'^  Adam  tint  ferme,  ajoute  le  Ristretto,  et  il 
artit,  rimanendo  pero  VAdami  sempre  fermo,  sicché  sen:ia  mutare  parola 
2  ne  parti  (2). 


Après  le  départ  de  M^'-  Adam,  le  patriarche,  entouré  de  Ms^''  Sarrouf 
t  de  M^r  Jérémie,  consacré  depuis  quelques  jours  évêque-vicaire  de 
)amas,  procéda  à  l'ouverture  du  synode  par  une  messe  pontificale 
olennelle.  C'était  le  20  septembre  1790,  et  les  délibérations  conciliaires 
e  prirent  fin  que  le  6  novembre  de  la  même  année.  On  se  garda  bien, 
it  le  Ristretto,  de  toucher  à  l'Instruction  apostolique,  encore  moins 
ux  prescriptions  des  lois  générales  de  l'Eglise.  Les  actes  en  furent 
ependant  signés  par  tous  les  Pères,  mais  on  ne  permit  à  personne 
'en  prendre  copie.  La  raison  qu'en  donnait  le  patriarche  était  la  sui- 
ante  : 

Avant  de  livrer  ces  actes  conciliaires  au  public,  nous  avons  besoin  de 
s  corriger,  de  les  ordonner,  d'en  régler  toutes  les  matières,  afin  que  nous 
uissions  les  confirmer,  puis  les  présenter  à  Rome,  non  perché  sieno 
■aminate,  ed  approvate,  ma  affinché  si  stampino ;  Qi  alors  nous  pourrons 


ocèse  d'Alep  par  ses  mandements  et  par  l'intermédiaire  d'un  vicaire  général;  car 
ne  put  jamais  résider  à  Alep,  par  suite  des  persécutions  des  orthodoxes. 

Lettre  de  M''  Adam  à  Jauhar,  20  août  1792,  de  Laodicée,  p.  11. 

'(istretto,  n"  5  ad  Jinem,  p.  892  des  Archives. 


320 


ECHOS    D  ORIENT 


en  faire  la  distribution.  Nous  avons  confié  ce  travail  à  M^''  Sarrouf,  di 
consentement  de  nos  frères  les  cvêques  et  de  leurs  procureurs.  II  y  ajou 
tera  ou  en  retranchera  tout  ce  qui  lui  paraîtra  nécessaire;  nous  lui  lais 
sons  pleine  liberté  pour  cela.  Il  nous  le  représentera  ensuite  avec  le; 
mêmes  signatures  et  cachets  des  évéques  et  de  tous  ceux  qui  y  ont  pri: 
part(i). 

Ces  paroles  malheureuses,  transmises  plus  tard  à  Rome  par  Ms^  Adan 
et  par  Sarrouf  lui-même  (2),  y  produisirent,  on  le  devine,  une  fâcheusi 
impression.  Nous  étudierons  plus  loin  le  jugement  de  Rome  à  ce 
égard;  mais  dès  maintenant  nous  pouvons  voir  la  justesse  de  la  rela 
tion  que  nous  citions  naguère  du  P.  Ananie  Mounayyer,  contemporaii 
de  ces  événements  (3)  :  «  Mf^'»'  Ignace  réunit  les  actes  de  ce  synode  pou 
les  transmettre  à  Rome.  A  cette  nouvelle,  les  gens  qui  avaient  une  cet 
taine  connaissance  des  choses  haussaient  les  épaules  de  pitié,  affirmât 
hautement  que  Rome  n'approuverait  jamais  de  pareilles  élucubrations. 

Ces  actes  officiels  du  patriarche  Athanase  V  Jauhar  nous  donner 
la  preuve  des  sentiments  schismatiques  qu'il  nourrissait  au  fond  de  so 
cœur  depuis  1739.  H  ne  prétendait  se  soumettre  à  Rome,  dit  le  Rii 
tretto  (4),  qu'en  matière  de  foi  seulement,  e  si  awan^erà  il  patriarca 
cose  maggiori,  essendo  fino  ad  or  a  fermo  in  prêt  end  ère  il  dominio  assolm 
non  soggetlo  alla  Sede  Apostolica,  ecceitiiate  H  cose  di  fede  solament 
com'egli  dice.  11  faut  remarquer  aussi  que  les  actes  de  ce  fameux  synoc 
ont  été  interpolés  et  ne  donnent  pas  la  vraie  physionomie  de  l'assen 
blée.  Les  évêques  et  les  procureurs  présents  aux  sessions  ne  signerai 
que  des  canevas  informes.  Ce  n'était  là  qu'un  stratagème  bien  conn 
de  Sarrouf,   qui  ne   préparait  ses  foudres  contre   ses   bons   amis  li 
Chouérites  que  dans  le  plus  grand  secret.  On  lui  confia  la  rédaction  dé\ 
loppée  du  synode,  après  lui  avoir  livré  les  signatures  et  les  cachets 
tous  les  Pères  capitulaires .  Charmante  liberté,  en  vérité!  Aussi  en  a-t- 
usé  et  abusé  à  souhait.  Un  simple  coup  d'œil  jeté  sur  toutes  ces  éluci 
brations  disciplinaires  —  car  la  partie  dogmatique  ne  compte  pas 
nous  convainc  que  ce  synode  avait  été  un  complément  ajouté  à 
fameuse  guerre  des  Dix  articles.  Une  comparaison  minutieuse  du  syne< 
avec  l'Encyclique  des  Vingt  articles,  du  8  novembre  1790,  nous  a  amei 
à  ce  résultat  surprenant  que,  abstraction  faite  du  préambule,  cette  long 


(1)  Ristretto,  n"  6,  p.  892  des  Archives  de  la  Propagande,  Greci  Melchiti. 

(2)  Lettre  de  M*'  Ignace  Sarrouf  à  la  Propagande,  3  septembre  1791,  citée  par  le  B 
tretto  lui-même,  n"  8,  p.  SgS  des  Archives;  Relation  de  M''  Adam,  1791,  à  la  Pro| 
gande,  ad  Jinem.  Nous  parlerons  plus  loin  de  ce  dernier  document. 

(3)  P.  69. 

(4)  N"  7,  p.  392-393  des  Archives. 


l'église  melkite  au  xvm*'  siècle  321 

ncyclique  est  prise  mot  pour  mot  dans  le  synode  de  1790.  Nous  ne  savons 
oint  si  le  Saint-Siège  s'est  bien  rendu  compte  de  la  manière  dont  fut 
aboré  ce  synode,  car  le  Ristretto  ne  l'indique  pas  bien  clairement; 
îpendant  les  Chouérites,  dans  leur  Mémoire  du  i«''  avril  1791,  et 
i^r  Adam,  dans  sa  longue  Relation  de  la  même  année,  n'ont  pas 
lanqué  de  mettre  ce  point  en  lumière.  «  Dans  ce  synode,  on  a  décrété 
'ftains  points  seulement,  et  encore  la  rédaction  n'en  parut  point  en 
ublic;  M^T  Ignace  Sarrouf  fut  chargé  de  développer  ce  qui  avait  été 
nsi  décrété,  et  NN.  SS.  les  évêques  se  dispersèrent.  »  (i)Le  Ristretto {2) 

ous  dit  cependant:  si  comincio  il  detto  Concilia e  in  pochi  giorni 

i  terminato e  fiirono  decretaie  alcune  cose,  ma  nulla  è  stato  pubblicato 

i  iscritto  essendosi  incaricaio  A/^re.  Sarruf  di  diliicidare  cio' che  e  stato 
îcretato.  Charmante  assemblée  ! 

{^A  suivre.^ 

Paul  Bacel, 

prêtre  du  rite  grec. 
Syrie. 


(i)  Mémoire  des  Chouérites,  p.  i. 
J(2)  N"  II,  p.  394  des  Archives. 


Echos  d'Orient,  t.  XV. 


LE  VOYAGE  DE  L'EMPEREUR 

MANUEL  PALÉOLOGUE 
EN  OCCIDENT  (1399-1403)  <'> 


Dans  la  galerie  des  empereurs  qui  se  sont  succédé  sur  le  trône  de 
Byzance,  une  des  figures  les  plus  distinguées  et  les  plus  sympathiques 
est,  sans  contredit,  celle  de  Manuel  Paléologue,  qui  régna  de  1391 
à  1425.  Au  physique,  Manuel  avait  tout  pour  plaire.  Les  peintures 
authentiques  qui  nous  ont  conservé  son  portrait  nous  révèlent  la  beauté 
de  sa  physionomie^  la  finesse  et  la  régularité  de  ses  traits.  Une  cheve- 
lure d'or,  que  vante  Bessarion  dans  son  éloge  funèbre,  une  longue 
barbe,  qui  fut  blanche  avant  l'âge  et  qui  lui  couvrait  toute  la  poitrine, 
îui  donnaient  un  air  à  la  fois  plein  de  grâce  et  de  majesté.  De  taille 
moyenne  et  bien  proportionnée,  très  agile  de  ses  membres,  passé 
maître  dans  tous  les  sports  du  temps,  en  particulier  dans  l'équitation, 
ce  prince  était  bien  fait  pour  charmer  les  Byzantins.  Aussi  fut-il  très 
populaire,  et  quand  son  père,  le  faible  Jean  V,  l'associa  à  l'empire  en 
déshéritant  son  aîné,  Andronic  (2),  il  n'y  eut  qu'une  voix  dans  le  Séna! 
comme  dans  le  peuple  pour  applaudir  à  son  élévation. 

Au  moral,  Manuel  n'était  pas  moins  attachant.  D'un  caractère  pri- 
mesautier,  qui  le  poussa  parfois  à  des  entreprises  téméraires  (3),  il  sut 


(i)  Conférence  lue  à  la  réunion  annuelle  de  l'Institut  archéologique  russe  de  Con- 
stantinople,  le  17  mars  1912.  Nombreux  sont  les  historiens  et  les  chroniqueurs  orientaux 
et  occidentaux  qui  ont  parlé  du  voyage  de  Manuel  Paléologue  en  Occident.  Citons 
parmi  les  Byzantins:  Georges  Phrantzès,  Laonic  Chalcocondyle,  Jean  Doucas;  parm 
les  Français  :  le  Livre  des  faits  du  bon  messire  Jean  le  Maingre,  dit  Bouciquaut;  h 
Chronique  du  religieux  de  Saint-Denys,  l'historiographe  de  Charles  VI;  Jean  Juvéna 
des  {JTsins,  Histoire  de  Charles  VI.  Les  chroniques  italiennes  et  anglaises  fournisseni 
quelques  détails.  Toutes  ces  sources  ont  été  admirablement  utilisées  par  Berger  m 
XiVREY  dans  sa  dissertation  sur  la  vie  et  les  ouvrages  de  l'empereur  Manuel  Paléo 
logue,  publiée  dans  les  Mémoires  de  l'Académie  des  inscriptions  et  beles-lettres 
t.  XIX  (i853),  II,  p.  1-201.  Voir  aussi  J.  Delaville  Le  Roulx,  la  France  en  Orient  ai 
XIV'  siècle.  —  Expéditions  du  maréchal  Boucicaut,  t.  I".  Paris,  1886,  p.  Bjô-SSS. 

(2)  Andronic  avait  comploté  contre  son  père  Jean  V,  pendant  que  celui-ci  faisait  1; 
guerre  aux  Hongrois  en  compagnie  d'Amurath.  Sur  l'ordre  du  sultan,  le  basileus  aval 
fait  aveugler  son  fils  avec  du  vinaigre  bouillant;  mais  l'opération  n'avait  eu  qu'ui 
résultat  incomplet.  Andronic  continua  à  y  voir  assez  pour  poursuivre  ses  intrigues  e 
jouer  plus  d'un  mauvais  tour  à  son  père.  C'est  ainsi  qu'il  ne  fit  aucune  démarch' 
pour  le  délivrer  des  banquiers  vénitiens,  qui  le  retinrent  prisonnier  pour  dettes,  à  soi 
retour  de  Rome  (iSôg).  Ce  fut  Manuel  qui  se  montra  bon  fils  en  cette  occasion.  [ 

(3/  Nommé  par  son  père  gouverneur  de  Thessalonique,  Manuel  voulut  enlever  au  1 


LE  VOYAGE  DE  L  EMPEREUR  MANUEL  PALÉOLOGUE   EN  OCCIDENT      323 

i  la  bravoure  allier  une  grande  bonté  de  cœur.  Forcé  par  une  dure 
lécessité  de  faire  campagne  contre  ses  propres  sujets  aux  côtés  du 
;ruel  Bayezid  (i),  il  garda  dans  cette  humiliation  suprême  une  âme  de 
oi,  et  rien  n'est  touchant  et  digne  à  la  fois  comme  les  lettres  qu'il 
icrivit  alors  à  ses  amis  pour  dépeindre  son  malheureux  sort.  Sa  piété 
;tait  vive  et  profonde,  témoin  ses  poésies  sacrées  et  ses  homélies,  où 
1  exhale  les  sentiments  de  la  plus  tendre  dévotion  envers  la  Vierge  et 
es  saints. 

Que  dire  des  qualités  de  son  esprit?  Aucun  basileus  ne  s'est  acquis 
me  plus  brillante  et  plus  légitime  renommée  dans  le  domaine  des 
ettres  et  des  sciences  sacrées  et  profanes.  Son  activité  intellectuelle 
ient  du  prodige,  quand  on  songe  au  milieu  de  quels  soucis  et  de 
juels  embarras  de  toute  sorte  elle  s'est  déployée.  11  se  plaint  souvent 
lans  ses  lettres  du  peu  de  temps  que  lui  laissait  le  tracas  des  affaires 
)our  l'étude  et  la  composition.  C'était  un  humaniste  par  vocation,  et 
>es  écrits  sont  d'un  styliste  consommé,  bien  qu'ils  sentent  parfois  un 
)eu  trop  la  rhétorique.  Comme  controversiste  et  théologien,  il  marche 
'égal  de  Justinien  (2);  comme  orateur  sacré,  il  peut  disputer  la  palme 
i  Léon  le  Sage;  mais  là  où  je  le  crois  sans  rival  parmi  ses  collègues, 
:'est  dans  son  amour  des  choses  anciennes. 

Les  Byzantins  furent  tous  un  peu  archéologues.  Ils  vécurent  surtout 
lu  passé,  et  ignorèrent  les  initiatives  fécondes  de  ceux  qu'ils  appelaient 
dédaigneusement  les  barbares  de  l'Occident.  Mais  ce  n'est  point  de 
;ette  sorte  d'archéologie  dont  j'entends  parler  en  avançant  que  Manuel 
lima  les  choses  anciennes.  Je  veux  dire  qu'il  eut  vraiment  l'étoffe  d'un 
irchéologue,  au  sens  propre  du  mot.  Archéologue,  il  le  fut  d'abord 
5ar  son  nom  —  Paléologue  n'est-il  pas,  en  effet,  synonyme  d'archéo- 
ogue?  —  11  le  fut  dans  son  style;  on  le  voit  éviter  avec  un  soin  jaloux 
eut  néologisme  capable  d'altérer  la  pureté  de  sa  prose  attique;  les 
Turcs  sont  pour  lui  les  Perses  dont  parle  Xénophon;  Bayezid  est  le 
.atrape;  les  Mongols  de  Tamerlan  sont  identifiés  avec  les  Scythes, 
^ant  aux  Byzantins,  ils  restent  toujours  les  PwpLaïot.  des  anciens 
emps.  A  la   bataille  de  Nicopolis,  il  n'aperçoit  que  des  Celtes,  des 


^urcs  la  ville  de  Serres;  mais,  prévenu  à  temps,  Amurath  marcha  sur  Thessalonique 
vec  une  armée  formidable.  Le  jeune  prince  dut  aller  demander  pardon  au  sultan  à 
irousse. 

(i)  On  voit  à  quelles  hontes  se  pliaient  les  derniers  souverains  de  Byzance. 

(2)  Manuel  a  laissé  un  long  ouvrage  de  controverse  antimusulraane  comprenant 
ingt-six  dialogues,  dont  deux  seulement  sont  publiés.  Cf.  Migne,  P.  G.,  t.  CLVI, 
ol.  126-173,  et  une  diatribe  en  cent  cinquante-sept  chapitres  contre  la  procession  du 
aint-Esprit  a  Pâtre  et  Filio.  Voir  plus  bas,  p.  33 1. 


324  ÉCHOS    d'orient 


Gaulois  occidentaux  et  des  Pannoniens.  Le  nom  du  maréchal  Bouci- 
càut,  qui  lui  rendit  tant  de  services,  ne  saurait  trouver  place  dans  somj 
vocabulaire;  tout  au  plus  consent-il  à  traduire  «  maréchal  »  par  aavt,T- 
xaAxo;.  Cet  archéologue  rigoriste  a  pourtant  toléré  le  mot  pY.^  (du  latin 
rex)  pour  désigner  les  rois  de  l'Occident.  Pourquoi  cette  exception? 
Parce  que  le  terme  de  «  Bao-iXeuç  »  était  incommunicable  et  ne  pouvait 
convenir  qu'au  seul  empereur  des  'P(i){AaIot. 

Mais  vous  allez  trouver  que  je  plaisante  et  qu'il  n'y  a  rien,  dans  ce 
purisme  exagéré,  qui  soit  digne  de  cette  belle  science  évocatrice  du 
passé,  dont  nous  voyons  ici  de  si  érudits  représentants.  Ecoutez  plutôt 
ces  quelques  lignes,  écrites  sous  la  tente  après  une  longue  chevauchée 
sur  les  plateaux  d'Asie  Mineure,  en  compagnie  des  infidèles  : 

La  plaine  que  nous  occupons  en  ce  moment,  écrivait  Manuel  à  son 
ami  et  ancien  maître,  Démétrius  Cydonius,  devait  avoir  un  nom  dans 
les  temps  prospères  où  elle  était  foulée  par  les  Romains  et  obéissait  à  leur 
domination.  Mais  aujourd'hui,  quand  j'ai  voulu  l'apprendre,  c'est  comme 
si  j'avais  voulu  chercher  les  ailes  d'un  loup,  suivant  le  proverbe.  Aucun 
être  vivant  qui  pût  me  l'enseigner.  On  voit  là  beaucoup  de  villes,  mais 
elles  ne  renferment  plus  ce  qui  fait  la  splendeur  des  cités,  et  sans  quoi 
une  ville  n'en  est  pas  une,  je  veux  dire  des  hommes.  La  plupart  même 
sont  renversées,  spectacle  lamentable  pour  les  descendants  des  anciens 
possesseurs!  Et  à  ces  ruines,  il  ne  reste  pas  même  leur  nom,  parce  que 
la  destruction  est  déjà  ancienne.  Et  quand  je  demandais  quel  nom  a 
villes  avaient  porté,  ceux  qui  m'entourent  répondaient  :  «  Nous  les  avori 
détruites,  et  le  temps  a  détruit  leur  nom.  •»  Alors  je  suis  saisi  de  lristesse| 
Cependant,  je  m'afflige  en  silence,  je  maîtrise  mes  émotions.  Mais 
l'on  vient  à  l'une  de  ces  villes  qui  ait  perdu  sa  dénomination  ancienri 
pour  en  recevoir  une  étrange  et  barbare,  alors  je  ne  puis  retenir  me 
lamentations  et  cacher  ma  douleur  (i). 

Cette  curiosité  savante,  ces  accents  pathétiques,  cette  douleur  amèi 
en  face  des  ruines  des  antiques  cités  ne  sont-elles  point  d'un  véritabi 
archéologue?  Ah!  si  ce  prince  avait  vécu  à  notre  époque,  comme  il  et 
été  heureux,  Monsieur  le  Directeur,  de  favoriser  vos  savantes  entcl 
prises!  Avec  quel  empressement  il  eût  entouré  de  sa  protection  et  d 
ses  bienfaits  une  Société  toute  dévouée  à  l'amour  du  passé,  et  comm- 
il  eût  été  fier  de  compter  parmi  les  membres  de  votre  Institut!  Vou 
lui  auriez  donné  le  signalement  de  ces  villes  dont  il  demandait  en  vaii 
le  nom  à  son  entourage,  et  qui  sait  si  par  quelque  belle  matinée  d 


(1)  Berger  de  Xivrey,  op.  cit.,  p.  56. 


LE  VOYAGE  DE  L  EMPEREUR  MANUEL  PALEOLOGUE    EN  OCCIDENT      325 

printemps,  prenant  le  chemin  de  fer  àChalcédoine  ou  à  Chrysopolis,  il 
ne  serait  pas  venu  vous  surprendre  en  Asie  Mineure,  au  milieu  de  vos 
passionnantes  recherches,  et  si,  sank  penser  déchoir  de  sa  dignité,  il 
n'aurait  pas  saisi  la  pioche  de  ses  mains  basilicales,  pour  aider  aux 
fouilles? 


Mais  je  m'aperçois  que  l'archéologie  me  fait  oublier  mon  sujet.  Je 
dois  vous  parler  du  voyage  que  fit  en  Occident,  à  l'aurore  du  xv^  siècle, 
l'empereur  dont  j'ai  essayé  de  vous  esquisser  le  portrait.  Ce  voyage 
est  un  fait  mémorable  dans  les  annales  byzantines.  II  fut  l'une  des  plus 
solennelles  et  des  dernières  démarches  de  I  Orient  grec  auprès  de  l'Oc- 
cident latin,  en  vue  de  solliciter  son  fraternel  appui  contre  un  ennemi 
commun. 

On  touchait  à  la  fin  de  l'année  1399.  Bloquée  presque  sans  inter- 
ruption depuis  huit  ans  par  les  troupes  de  Bayezid,  Constantinople 
venait  enfin  de  respirer  un  peu,  grâce  aux  exploits  de  la  petite  armée 
de  braves  commandée  par  le  maréchal  Boucicaut,  que  le  roi  de  France 
Charles  VI,  le  cœur  encore  gros  des  deuils  de  Nicopolis,  avait  envoyée 
«  à  son  cousin  Karmanoli  »  (1),  autrement  dit  le  Seigneur  Manuel, 
empereur  des  Romains.  Les  chevaliers  français  avaient  eu  vite  fait  de 
nettoyer  d'ennemis  les  alentours  de  la  capitale  et  d'approvisionner 
celle-ci  de  vivres.  Boucicaut,  cependant,  ne  se  faisait  pas  illusion  sur  la 
portée  de  ces  succès  éphémères.  Que  pouvait-il,  sans  ressources  et 
avec  une  poignée  seulement  de  héros,  contre  un  ennemi  tout-puissant 
qui  venait  d'écraser,  dans  la  plaine  de  Nicopolis,  l'armée  des  croisés 
de  l'Occident,  et  qui  resserrait  tous  les  jours  un  peu  plus  les  liens  de 
fer  dans  lesquels  il  espérait  étouffer  à  bref  délai  la  vieille  Byzance  ago- 
nisante? Conscient  plus  que  personne  de  cette  situation  désespérée, 
l'officier  français  conseilla  à  Manuel  d'adresser  un  suprême  appel  aux 
princes  de  l'Occident  en  allant  plaider  lui-même  auprès  d'eux  sa  cause, 
qui  était  celle  de  toute  la  chrélienté.  11  fut  même  question  d'une  renon- 
ciation hypothétique  de  Manuel  au  trône  impérial  au  profit  du  roi  de 
France,  qui  serait  ainsi  mis  en  demeure  de  défendre  contre  les  Otto- 
mans un  empire  devenu  sien  (2). 


(i)  Manuel  est  appelé  Karmanoli  {=  Kùp  MavouiiX)  par  l'historien  de  Boucicaut. 
L'historien  Andréa  Gataro  le  nomme  Chiaramomolle.  Les  chroniqueurs  occidentaux 
du  moyen  âge  s'entendaient  à  merveille  à  déformer  les  noms  propres. 

(2)  Déjà,  en  iSgH,  Manuel  avait  offert  aux  Vénitiens  de  leur  abandonner  Constanti- 
nople avec  les  i!es  d'Imbros  et  de  Lemnos.  La  République  refusa.  Elle  avait  peur  des 
représailles  de  Bayezid.  Delaville  Le  Roulx,  op.  cit.,  p.  356-357. 


326  ÉCHOS    d'orient 


Mais  qu'allait  devenir  Constantinople  pendant  l'absence  du  basileus 
Boucicaut  pourvut  à  tout.  Il  commença  par  réconcilier  Manuel  avec  sor 
neveu,  Jean  Vil,  fils  d'Andronic,  qui  lui  disputait  la  couronne  en  s'ap 
puyant  sur  les  Turcs.  11  fut  convenu  que  Jean  remplacerait  son  oncle 
pendant  toute  la  durée  du  voyage.  Pour  lui  donner  courage,  le  maré- 
chal, qui  devait  accompagner  Manuel  avec  la  plupart  de  ses  chevaliers, 
laissa  pour  la  garde  de  la  ville  une  garnison  française  de  cent  hommes 
d'armes,  de  cent  valets  armés  et  d'un  grand  nombre  d'arbalétriers, 
avec  des  vivres  pour  un  an  et  assez  d'argent  «  en  mains  de  bons  mar- 
chans  »  (i)  pour  le  payement  régulier  de  la  solde.  Les  Vénitiens  et 
les  Génois,  de  leur  côté,  firent  preuve  d'une  bonne  volonté  dont  ils 
étaient  peu  coutumiers,  en  s'engageant  à  maintenir  huit  galères  dans 
les  eaux  du  Bosphore. 

Tout  ayant  été  ainsi  sagement  disposé.  Manuel  et  Boucicaut  quit- 
tèrent Constantinople,  le  10  décembre  1399,  sur  des  galères  vénitiennes. 
L'empereur  emmenait  avec  lui  l'impératrice  Irène,  sa  femme,  et  ses 
deux  jeunes  enfants,  Jean  et  Théodore,  On  fit  une  première  escale  en 
Morée,  où  Manuel  laissa  sa  famille  à  la  garde  du  despote  Théodore, 
son  frère.  Puis  on  cingla  vers  Venise.  La  République  préparait  au  basi- 
leus une  réception  magnifique.  Elle  avait  à  lui  faire  oublier  les  amers 
souvenirs  de  sa  visite  de  1370,  époque  où  il  était  venu  délivrer  son 
père,  Jean  V,  honteusement  retenu  prisonnier  pour  dettes  par  les  ban 
quiers  de  la  cité.  A  son  approche,  le  doge  alla  à  sa  rencontre,  monté 
sur  le  Bucentaure.  On  sait  ce  qu'était  ce  monstre  :  une  grande  galère 
superbement  sculptée  et  dorée,  sur  laquelle  s'embarquait  le  doge  tou$ 
les  ans,  le  jour  de  l'Ascension,  pour  renouveler  son  mariage  avec  ta 
mer  Adriatique.  Le  Sénat  rendit  à  Manuel  les  plus  grands  honneurs 
On  le  logea  au  palais  du  marquis  de  Ferrare,  et  l'on  ne  dépensa  pai 
moins  de  deux  cents  ducats  pour  lui  faire  fête.  11  put  exposer  à  sort 
aise  au  Grand  Conseil  la  triste  situation  de  son  empire.  On  l'écoutj 
avec  beaucoup  de  sympathie,  et  on  lui  fit  les  plus  belles  promesses^ 

Ravi  de  tant  d'amabilité,  l'auguste  voyageur  se  dirigea  sur  Padouej 
François  de  Carrare,  seigneur  de  la  cité,  envoya  deux  de  ses  fils  à 
rencontre  avec  une  brillante  escorte.  On  entra  par  la  porte  de  Toui 
les-Saints,  à  une  heure  du  matin,  à  la  lumière  des  torches  et  au  son 
des  fanfares.  Un  souper  de  gala  suivit.  A  Vicence  ce  fut  même  réce 
tion.  A  Pavie,  le  duc  de  Milan,  Jean  Galéas  Visconti,  alors  au  faîte 
sa  puissance  et  plein  de  grandioses  projets  —  il  ne  rêvait  rien  moi 


(1)  Le  Livre  des  faits,  p.  i,  ch.  xxxiii. 


LE  VOYAGE  DE  L  EMPEREUR  MANUEL  PALEOLOGUE  EN  OCCIDENT   327 

<]ue  de  faire  l'unité  italienne  à  son  profit,  —  se  montra  encore  plus 
magnifique.  A  la  promesse  solennelle  de  venir  en  personne  au  secours 
de  l'empire  grec,  il  joignit  de  superbes  présents  et  procura  à  Manuel 
escorte  et  chevaux  pour  passer  en  France. 

La  France!  c'était  surtout  en  elle  que  Manuel  plaçait  son  espoir. 
N'était-ce  point  de  là  que  lui  étaient  venus,  après  le  désastre  de  Nico- 
polis  (i),  les  premiers  secours  d'argent  et  la  vaillante  troupe  de  Bou- 
cicaut,  qui  avait  conjuré  pour  quelque  temps  la  ruine  finale  et  lui  avait 
permis  d'entreprendre  son  voyage?  Aussi,  comme  le  basileus  avait  hâte 
de  voir  le  p-f^l  des  Gaulois,  dont  le  cœur  était  si  généreux  et  qui  l'appe- 
lait gentiment  son  cousin  ! 

De  son  côté,  Charles  VI  n'était  pas  moins  désireux  de  s'entretenir 
avec  l'héritier  infortuné  des  anciens  maîtres  du  monde.  11  considérait 
comme  un  grand  honneur  d'être  visité  par  cet  empereur  d'Orient  dont 
le  prestige,  malgré  les  tristes  réalités  du  présent,  n'était  pas  encore 
€ffacé  dans  l'esprit  des  peuples.  Tout  fut  mis  en  œuvre  pour  recevoir 
dignement  le  basileus. 

Arrivé  à  la  frontière  de  France,  Manuel  trouva  une  escorte  de  che- 
valiers et  d'écuyers,  qui  avaient  ordre  de  le  conduire  jusqu'à  Paris,  et 
de  veiller  à  ce  qu'il  fût  traité  avec  les  plus  grands  honneurs  partout  où 
il  passerait. 

Le  3  juin  1400,  vers  9  heures  du  matin,  l'empereur  arriva  au  pont  de 
Charenton,  où  il  fut  salué  d'abord  par  deux  mille  bourgeois  à  cheval, 
qui  étaient  venus  de  Paris  à  sa  rencontre,  et  qui  étaient  rangés  dans  un 
bel  ordre  des  deux  côtés  de  la  route.  Après  s'être  avancé  environ  la 
portée  d'une  flèche,  il  trouva  le  chancelier  de  France  et  toutes  les 
Chambres  du  Parlement,  accompagnés  de  cinq  cents  officiers  de  leur 
suite.  Tous  firent  la  révérence  à  l'empereur  en  s'inclinant  devant  lui. 
Continuant  sa  marche,  il  rencontra  successivement  les  trois  cardinaux 
qui  se  trouvaient  alors  à  Paris;  après  les  avoir  un  peu  dépassés,  il  aperçut 
le  roi  qui,  entouré  d'une  multitude  de  ducs,  de  comtes  et  de  barons, 
s'avançait  au-devant  de  lui  au  son  des  trompettes  et  de  toutes  sortes 
d'instruments.  Le  roi  ôta  son  chaperon,  et  aussitôt  l'empereur,  dont  le 
costume  oriental  n'admettait  pas  ce  genre  de  coiffure,  alors  seul  autorisé 
en  France  par  la  mode,  ôta  son  bonnet  impérial,  comme  dit  le  moine 
(chroniqueur)  de  Saint-Denys.  Les  deux  princes  cherchèrent  à  se  prévenir, 
s'adressèrent  à  la  fois  une  salutation,  chacun  en  sa  langue,  se  donnèrent 
le  baiser  de  paix  et  s'embrassèrent.  Le  roi  s'attacha  à  accompagner  ces 


(i)  En  1897,  Manuel  avait  envoyé  une  ambassade  à  Charles  VI,  qui  avait  répondu 
rovaleraent. 


328  ÉCHOS  d'orient 


démonstrations  d'un  air  riant  et  gracieux  que  chacun  remarquait  sur  son 
visage  (i). 

Bien  que  Manuel  n'eût  alors  que  cinquante  ans,  il  paraissait  beaucoup 
plus  vieux  avec  sa  longue  barbe  couleur  de  neige,  il  était  revêtu  d'un 
habit  impérial  en  soie  blanche,  et  ce  fut  un  cheval  blanc  que  lui  fit 
offrir  Charles  VI,  honneur  souverain  que  Charles  V  avait  refusé  à 
l'empereur  d'Allemagne.  Lestement  et  sans  toucher  terre,  le  basileus 
sauta  du  cheval  qu'il  montait  sur  celui  qu'on  lui  présentait.  Toutes  ces 
blancheurs,  cette  agilité  surprenante,  l'air  d'affabilité  et  de  bénignité 
répandu  sur  son  visage,  son  attitude  pleine  d'une  majesté  sereine  con- 
quirent à  Manuel  la  sympathie,  l'amour  et  bientôt  l'enthousiasme  des 
Parisiens,  qui  furent  toujours  gens  au  cœur  bon,  à  l'émotion  facile,  très 
curieux  aussi,  examinant  leurs  hôtes  de  pied  en  cap.  L'Anonyme  de 
Saint-Denys  traduit  l'impression  générale  dans  cette  phrase  savou- 
reuse :  «  Tous  ceux  qui  ont  vu  l'empereur,  dit-il,  ont  été  frappés  de 
sa  bonne  mine  et  l'ont  jugé  digne  de  l'empire.  »  (2) 

Monté  sur  son  cheval  blanc,  Manuel  fit  son  entrée  solennelle  à  Paris, 
aux  côtés  du  roi,  suivi  des  princes  du  sang  et  d'une  foule  enthousiaste. 
Après  un  banquet  somptueux  au  palais,  on  le  conduisit  au  Louvre  où 
son  logement  avait  été  préparé.  «  Et  estoit  l'hostel,  dit  juvénal  des 
Ursins,  très  bien  habillé  et  paré.  »  (3)  Parmi  les  ornements  qui  déco-  !* 
raient  ses  appartements,  l'artiste  délicat  qu'était  le  souverain  byzantin 
remarqua  une  tapisserie  représentant  le  printemps  (4).  11  la  décrit  lon- 
guement dans  une  des  pages  les  plus  finement  ciselées  qu'il  nous  ait 
laissées. 

Charles  VI  et  sa  cour  entourèrent  le  basileus  des  pius  délicates 
attentions,  et  le  comblèrent  d'honneurs  et  de  présents.  Depuis  huit 
ans,  le  roi  de  France  était  sujet  à  des  accès  de  folie  qui  revenaient 
périodiquement.  Par  un  heureux  hasard,  il  eut,  à  l'arrivée  de  Manuel, 
un  long  intervalle  lucide.  11  s'ingénia  à  rendre  à  son  hôte  le  séjour  de 
Paris  aussi  agréable  que  possible.  Tantôt,  pour  lui  complaire,  il  visitait 
avec  lui  les  églises  et  les  monastères  de  la  capitale;  tantôt  il  l'invitait 
à  une  partie  de  chasse.  Il  avait  avec  lui  de  fréquents  entretiens  par  inter- 
prète, soit  en  particulier,  soit  en  Conseil.  On  parlait  de  la  croisade 
future  et  de  la  revanche  à  prendre  sur  les  vainqueurs  de  Nicopolis. 
Le  24  juin  1400,  fut  célébré  le  mariage  d'un  prince  du  sang,  Louis  de 


(i|  Berger  de  Xivrey,  p.  99-100. 

(2)  P.  I,  ch.  XXXV. 

(3)  Op.  cit.,  ip.  143  de  l'édition  de  1643. 

{4)  "Eapoç  bIy.ù>^  êv  ûyavrôi  TrapaTieTao-fiaTt  p-^Ytxw.  Berger  de  Xivrey,  p.  101. 


I.H   VOYAGE  DE  l'eMPEREUR  MANUEL  PALÉOLOGUE  EN  OCCIDENT      329 

ourbon,  avec  la  princesse  Marie,  fille  du  duc  de  Berry.  L'empereur 
rit  part  à  la  fête.  Au  dîner,  qui  fut  servi  au  Palais  Royal  sur  une  table 
n  fer  à  cheval,  couverte  d'un  riche  tissu  de  fleurs  de  lis  d'or,  on  le 
laça  entre  le  roi  et  le  cardinal  légat,  qui  avait  dit  la  messe  du  mariage  (  i  ). 
Charmé  de  tant  de  courtoisie  et  reconnaissant  des  dons  généreux 
u'il  recevait,  Manuel  écrivait  à  son  ami  Chrysoloras  : 

Enfin,  nous  sommes  en  France,  et  noire  main  court  d'elle-même,  s'ef- 
)rçant  de  t'écrire  ce  qu'il  faudrait  pouvoir  exposer  de  vive  voix;  car  cela 
épasse  de  beaucoup  les  limites  d'une  lettre.  Nombreux  sont  les  dons 
ue  le  glorieux  roi  nous  a  accordés,  nombreux  aussi  ceux  que  nous  avons 
btenus  de  ses  parents,  des  dignitaires  de  sa  cour  et  de  tout  le  monde, 
s  ont  montré  la  noblesse  de  leur  âme,  leur  affection  pour  nous  et  leur 
ble  solide  pour  la  foi.  Bref,  si  la  jalousie  habituelle  de  la  mauvaise  for- 
me ne  nous  envoie  pas  quelque  coup  imprévu,  nous  avons  bon  espoir 
2  retourner  bientôt  dans  notre  patrie,  comme  tu  le  souhaites  et  comme 
os  ennemis  le  redoutent  (2). 


Cependant,  la  joyeuse  cour  de  France  ne  tarda  pas  à  être  plongée 
ans  la  tristesse  par  la  maladie  du  roi.  qui  retomba  en  démence, 
lanuel,  dont  le  cœur  était  bon  et  compatissant,  prit  sa  part  de  ce 
lalheur.  En  attendant  des  jours  meilleurs,  il  songea  à  poursuivre  son 
3yage  jusqu'en  Angleterre.  Ce  fut  au  début  de  décembre  1400  qu'il 
aversa  la  Manche  par  un  temps  affreux.  11  se  rendit  d'abord  à  Can- 
)rbéry,  où  les  moines  Augustins  lui  firent  un  accueil  digne  de  son 
ng.  Son  entrevue  avec  le  roi  d'Angleterre,  Henri  IV,  ci-devant  duc 
;  Lancastre,  eut  lieu  le  jour  de  Saint-Thomas,  21  ou  29  décembre  (3), 
j  Blakheth,  près  de  Londres.  Le  monarque  anglais,  qui  venait  de 
îtrôner  son  cousin,  Richard  II,  et  de  faire  reconnaître  son  usurpation 
ir  le  Parlement,  tint  à  montrer  à  l'empereur  d'Orient  qu'il  n'était 
)int  un  vulgaire  parvenu,  et  déploya,  pour  le  recevoir,  un  faste  inouï, 
ches  présents  et  belles  promesses  furent  prodigués  à  Manuel,  qui 
rivit  à  son  fidèle  Chrysoloras  : 

Le  prince  auprès  duquel  nous  nous  trouvons  maintenant,  le  roi  de  la 
■ande-Bretagne,  cette  contrée  qu'on  pourrait  appeler  un  autre  monde, 

iîince  inondé  de  biens,  orné  de  mille  qualités ,  a  suivi  son  instinct 

Uurel  en  devenant  pour  nous  un  port  après  une  double  tempête  :  de 

i)  L'Anonyme  de  Saint-Denys,  L  XXI,  cli.  11. 

2)  Berger  de  Xivrey,  p.  io2-io3. 

3)  La  fête  de  saint  Thomas,  apôtre,  tombe  le  21  décembre,  et  celle  de  saint  Thomas 
|Caniorbéry  le  29.  On  a  à  choisir  entre  les  deux  dates. 


330  ÉCHOS    D  ORIENT 


la  nature  et  de  la  fortune.  Sa  conversation  est  pleine  de  charmes  ;  il  noui 
réjouit  de  toutes  les  manières,  nous  honore  et  nous  aime  également.... 
Il  nous  accorde  un  secours  en  hommes  d'armes,  en  archers,  en  argent  e 
en  vaisseaux,  qui  transporteront  l'armée  où  besoin  sera  (i). 

C'est  sur  ces  assurances  consolantes  que  l'empereur  repassa  h 
détroit  pour  rentrer  à  Paris,  dans  les  derniers  jours  de  février  1401 
Charles  VI,  qui  était  revenu  à  la  santé,  l'invita  à  assister  à  un  offio 
solennel  qui  se  célébrait  à  l'abbaye  de  Saint-Denys,  pour  la  fête  de  1. 
Dédicace.  Cette  conduite  du  roi  de  France  à  l'égard  d'un  prince  étrange 
au  catholicisme  scandalisa  certains  esprits  étroits,  mais  d'autres  viren 
dans  cette  tolérance  le  meilleur  moyen  de  faciliter  l'union  des  Eglises 
Manuel,  du  reste,  n'était  pas  privé  des  offices  de  son  rite.  11  ava^ 
emmené  avec  lui  des  prêtres  byzantins  qui  célébraient  en  grande  pomp 
la  liturgie  orientale.  Les  Parisiens  purent  jouir  du  spectacle  de  ce 
cérémonies  inaccoutumées.  La  messe  grecque  fut  très  courue  :  «  Fa 
soyent  les  Grégeois,  dit  Juvénal  des  Ursins,  le  service  de  Dieu  su 
vant  leurs  manières  et  cérémonies,  qui  sont  bien  estranges,  et  le 
alloit  voir  qui  vouloit.  »  (2) 

Cependant  Manuel  ne  tarda  pas  à  s'apercevoir  que  les  espérance 
qu'il  avait  fondées  sur  l'assistance  des  princes  occidentaux  étaient  fr 
giles.  Des  promesses,  on  lui  en  avait  fait  partout,  et  de  magnifiques 
des  présents,  on  l'en  avait  comblé;  quant  à  organiser  une  grande  crc 
sade  contre  les  infidèles,  personne  n'y  songeait  sérieusement.  Le  r 
d'Angleterre,  une  fois  le  basileus  parti,  oublia  tous  ses  engagemen 
A  la  cour  de  France,  les  ducs  d'Orléans  et  de  Bourgogne  se  disputaii 
le  pouvoir,  que  Charles  VI  était  incapable  d'exercer,  et  se  préparai! 
aux  luttes  fratricides  qui  devaient  faire  tant  de  mal  au  royaume.  L'e 
pereur  byzantin   attendit   vainement  à  Paris,   pendant  deux  ans, 
secours  qu'on  lui  avait  promis,  c'est-à-dire  douze  cents  combattaa 
entretenus,  un  an  durant,  aux  frais  de  Charles  VI  et  commandés  p 
Boucicaut,  et  une  pension  annuelle  de  quatorze  mille  écus. 

Pour  occuper  ses  loisirs.  Manuel  se  souvint  alors  qu'il  était  théc 
gien.  11  prêta  l'oreille  aux  disputes  d'école  qui  s'agitaient  en  Sorboné 
La  question  du  jour  ardemment  débattue  entre  Dominicains  et  Fra 
ciscains  était  l'Immaculée  Conception  de  la  Vierge.  Comme  en  témoig 
une  de  ses  homélies  pour  la  fête  de  la  Dormition  (3),  le  basileus 
rangea  du  côté  des  Franciscains,  défenseurs  du  privilège  de  la  Mè 


(i)  MiGNE,  P.  G.,  t.  CLVI,  col.  581-582. 

(2)  Op.  cit.,  p.  143. 

(3)  P.  G.,  t.  cit.,  col.  91-108. 


LE  VOYAGE   DE  L  EMPEREUR  MANUEL  PALEOLOGUE  EN  OCCIDENT       3^1 

le  Dieu.  En  même  temps,  un  docteur  parisien  lui  ayant  présenté  une 
;ourte  dissertation  sur  la  procession  du  Saint-Esprit,  du  Père  et  du 
Mis,  il  réfuta  cet  écrit  dans  un  long  ouvrage  encore  inédit,  qui  ne 
;ompte  pas  moins  de  cent  cinquante-sept  chapitres  (i).  Il  y  attaque 
iussi  la  primauté  romaine,  ce  qui,  vraiment,  n'était  ni  opportun  ni 
lélicat.  L'empire  byzantin,  en  effet,  ne  comptait  pas  d'ami  plus  sincère 
t  plus  dévoué  que  le  pape  BonifacelX,  qui,  par  un  Bref  du  i«'- avril  1398, 
ivait  fait  prêcher  la  croisade  dans  toute  la  chrétienté,  accordant  des 
ndulgences  à  tous  ceux  qui  prendraient  les  armes  en  faveur  des  Grecs 
lu  viendraient  à  leur  secours  par  des  aumônes  (2).  L'année  suivante, 
1  avait  renouvelé  ses  pressants  appels  auprès  des  fidèles. 

Notre  théologien  se  serait  sans  doute  attardé  plus  longtemps  à  Paris 
n  parcourant  tout  le  cycle  de  ia  polémique  antilatine,  si  une  nou- 
elle  tout  à  fait  extraordinaire  ne  lui  était  parvenue  d'Orient,  le 
er  novembre  1402.  Pendant  qu'il  était  en  train  d'argumenter  contre 
e  Filioque  dans  la  capitale  de  la  France,  de  graves  événements  s'étaient 
léroulés  en  Asie  Mineure.  Dès  l'année  1400,  une  hostilité  féroce  avait 
daté  entre  le  sultan  des  Turcs,  Bayezid,  et  le  khan  des  Mongols, 
jmour-Lenk  ou  Tamerlan.  Les  deux  adversaires  avaient  fini  par  se 
encontrer,  le  20  juillet  1402,  dans  la  plaine  d'Angora.  Les  Turcs 
valent  été  taillés  en  pièce  et  Bayezid  fait  prisonnier.  Voilà  l'incroyable 
louvelle  que  Manuel  apprit,  trois  mois  et  demi  après  l'événement, 
le  la  bouche  de  captifs  chrétiens  délivrés  des  chaînes  des  Turcs  par 
e  vainqueur.  On  devine  quel  fut  son  bonheur.  Sans  retard,  il  se  pré- 
)ara  à  rentrer  dans  ses  Etats.  11  quitta  Paris,  le  21  novembre  1402, 
près  avoir  été  comblé  de  riches  présents  par  le  roi  de  France,  qui  lui 
[ssigna  en  outre  une  pension  annuelle  de  quatorze  m  lie  écus  sur  son 
tésor,  et  lui  donna  pour  escorte  deux  cents  hommes  d'armes,  com- 
nandés  par  le  seigneur  de  Châteaumorand,  revenu  récemment  de 
^onstantinople  à  Paris. 

La  cour  de  France  était  heureuse  de  se  tirer  à  si  bon  compte  des 
nciennes  promesses.  Les  princes  italiens,  que  Manuel  revit,  crurent 
ussi  que  Tamerlan  les  avait  délivrés  de  leurs  engagements,  et  pensèrent 
tre  quittes  envers  le  basileus  en  l'accablant  de  félicitations  pour  l'heu- 


(i)  Allatius,  De  Ecclesiœ  occidentalis  atque  orientalis  perpétua  consensione. 
ologne,  1648,  p.  854. 

2)  Le  Pape  commençait  sa  lettre  par  ces  paroles  :  Nuper  ex  corde  compassi  illustri 
ïrincipi  Emmanueli  Palœlogo,  imperatori  constantinopolitano  ejusque  subditis, 
^li,  etsi  non  in  plena  obedientia  et  devotione  nostra  ac  sinceritate  fidei  et  unitate 
mciœ  Romance  Ecclesiœ  persistent,  invocant  tamtn  salutiferum  Chrisli  nomen. 
'«RHNius,  Annales  ad  ann.  iSgS.) 


3  32  ECHOS    D  ORIENT 


reux  événement  qui  hâtait  son  retour,  et  en  lui  accordant  quelques  écu: 
et  quelques  galères.  A  Gênes,  où  il  arriva  le  22  janvier  1403,  le  mare 
chai  Boucicaut,  gouverneur  de  la  ville  (i),  le  fit  recevoir  sous  un  dai: 
de  brocart,  porté  par  des  citoyens  habillés  d'écarlate,  qui  le  conduisiren 
au  couvent  des  Dominicains,  où  il  prit  logement.  Le  3 1  janvier,  un  ba 
splendide  fut  donné  en  son  honneur,  au  palais  du  gouvernement.  Er 
même  temps,  on  préparait  trois  galères  à  destination  du  Bosphore 
Venise  se  montra  aussi  généreuse  et  lui  accorda  également  troi: 
galères  (2).  C'est  avec  cette  petite  escadre  qu'il  regagna  Constantinople 
en  passant  par  la  Morée,  où  il  retrouva,  après  plus  de  trois  ans  d'ab- 
sence, l'impératrice  Irène  et  ses  entants. 

Quelques  galères,  de  riches  présents,  d'agréables  souvenirs,  voili 
tout  ce  que  rapportait  Manuel  de  son  long  voyage  d'Occident.  C'étai 
peu  sans  doute,  mais  Tamerlan  avait  fourni  le  magnifique  supplémen 
qui  allait  assurer  à  la  vieille  Byzance  encore  cinquante  ans  d'existence 

M.   JUGIE. 
Constantinople.  ! 


(i)  Gênes  s'était  donnée  à  la  France  en  1896. 

(2)  Ce  nombre  fut  bientôt  porté  à  quatre  de  part  et  d'autre. 

11 


,A  FRANC-MACONNERIE 

) 

ET  L'ÉGLISE  GRECQUE 


C'est  au  xviiie  siècle  que,  du  moins  sous  sa  forme  moderne,  la  franc- 
laçonnerie  prit  en  Occident  un  développement  sérieux  ;  dès  1738,  elle 
jt  frappée  de  condamnation  par  le  pape  Clément  XII,  condamnation 
enouvelée  en  175 1  par  Benoît  XIV,  et  si  souvent  depuis  par  les  suc- 
esseurs  de  ces  Pontifes.  Vers  la  même  époque,  la  secte  faisait  son  appa- 
ition  en  Orient,  où  l'orthodoxie,  d'accord  pour  une  fois  avec  l'Eglise 
omaine,  ne  lui  ménageait  pas  un  très  tendre  accueil. 

Nous  sommes  renseignés  là-dessus  par  deux  documents  contempo- 
ains.  Le  premier  est  un  curieux  passage  du  B'IêÀo;  [BaTiAs'.wv  de 
ionstantin  Dapontès. 

Constantin  avait  succédé  en  1739  à  son  père  comme  consul  d'Angle- 
erre  pour  l'île  de  Scopelos  et  ses  dépendances.  En  relations  ordinaires 
vec  les  négociants  anglais,  il  se  fit  sans  doute  renseigner  par  eux  sur 
i  franc-maçonnerie.  Aussi  a-t-il  pu,  au  VI*  livre  du  poème  susmen- 
ionné,  ajouter  une  longue  note  sur  1'  «  hérésie  des  crépisseurs  ou 
'ancs-maçons  »  xoviaTwv  riyo-jv  twv  ©appiao-ovwwv;  il  y  décrit  par  le  détail 
i  réception  d'un  nouveau  membre,  puis  ajoute  (1): 

La  Société  fut  dénoncée  à  la  Grande  Eglise  sous  le  patriarcat  de  Païsios, 
ar  Néophyte,  métropolite  de  Smyrne,  les  crépisseurs  ayant  envahi  cette 
ille.  Néophyte  prononça  contre  eux  plusieurs  discours  et  lança  de  ter- 
ibles  anathèmes  contre  ceux  qui  les  fréquenteraient,  leur  Société  secrète 
l'étant  qu'une  démonolâtrie.  De  Smyrne,  les  crépisseurs  passèrent  à 
lonstantinople,  à  Galata,  où  ils  firent  quelques  adeptes,  mais  d'où  ils 
irent  expulsés  par  les  autorités.....  C'est  en  1747  que  ces  crépisseurs 
étaient  établis  à  Smyrne. 

D'un  autre  côté,  M.  Gédéon  (2)  nous  dit  avoir  lu  dans  un  manuscrit 
u  mont  Athos,  qu'en  1744  ou  1745,  la  Grande  Eglise  ayant  appris  la 


(i)  Constantin  Dapontès,  Blëloç  PaaO.e.oiv,  1.  VI,  cité  par  Alexandre  de  Lavra, 
otxO.7)  tiTTopta,  dans  N£o).6you  éêôoix'.aïa  â7Ti9cwpr,at;,  t.  II,  p.  1008.  Sous  ce  titre,  plu- 
ears  morceaux  inédits  de  Dapontès,  Sur  Dapontès,  voir  la  notice  d'E.  Legrand, 
i^hémérides  Daces.  Paris,  1898,  t.  III,  p.  ix-lxxxiv,  le  prologue  de  Gabriel  Sophocles, 
ins  son  édition  du  Kf^noz  x^P'^^'''^  "^c  Dapontès.  Athènes,  1880;  l'article  Dapontès, 
tr  M"  L.  Petit,  dans  Vacant-Mangenot,  Dictionnaire  de  théologie  catholique, 
•  V,  col.  140. 
(2)  M.  Gédéon,  ITaTpcapxtxof  uivaxeç.  Constantinople,  1887,  p.  641. 


334 


ECHOS    D  ORIENT 


fondation  d'une  Loge  à  Galata,  une  lettre  synodale  condamna  la  Société 
secrète.  Dans  un  article  sur  l'Église  et  la  science  au  xyiif  siècle  (i),  il 
est  plus  explicite  : 

En  1744  fut  établie  à  Galata  de  Constantinople  la  première  Loge  de 
francs-maçons,  que  Césaire  Dapontès,  qui  nous  a  laissé  sur  eux  quelques 

renseignements  dans  un  manuscrit  inédit,  appelle  crépisseurs Les 

membres  de  cette  Loge,  ayant  attiré  l'attention  de  la  Grande  Eglise,  furent 
condamnés  par  le  patriarche  Païsios,  ancien  métropolite  de  Nicomédie. 
Des  lettres  patriarcales  à  leur  sujet  furent  envoyées  de  tous  côtés;  aucune 
n'est  parvenue  à  notre  connaissance. 

La  lettre  ou  les  lettres  de  Païsios,  si  elles  furent  écrites,  comme  c'es 
probable,  ne  durent  l'être  que  dans  les  premiers  mois  de  1748,  qui  es 
la  dernière  année  du  troisième  patriarcat  de  Païsios  IL 

Le  document  que  nous  allons  donner  plus  bas  confirme,  en  effet,  l 
données  de  Dapontès.  C'est  une  lettre  (2)  du  comte  des  Alleurs(3; 
ambassadeur  de  Louis  XV  à  Constantinople,  au  marquis  de  Puyzieulx 
Nous  le  transcrivons  en  entier  : 

Constantinople,  le  24  novembre  1748. 

Monsieur,  je  dois  vous  rendre  compte  d'une  chose  assez  particulier 
qui  s'est  passée  au  sujet  des  francs-maçons.  Plusieurs  négociants  angla 
de  cet  Ordre  avaient  tâché  d'engager  d'autres  négociants  français  à  prendr 
part  dans  cette  confrérie,  et  je  crois  qu'ils  y  étaient  parvenus.  L'assemble 
générale  se  tenait  à  Péra,  dans  la  maison  d'un  drogman  d'Angleterre 
M.  l'archevêque  de  Carthage  (4)  et  l'abbé  Barrestrelly  (5),  vicaire  d 
Smyrne,  sont  venus  me  prier  d'arrêter  le  cours  de  ces  assemblées,  défer 
dues  par  une  Bulle  du  Pape,  qui  excommunia  les  francs-maçons.  II  m 
demanda  mon  sentiment  sur  ce  qu'il  devait  faire  en  conséquence  d( 
ordres  rigoureux  qu'il  avait  de  la  cour  de  Rome  à  cet  égard.  Je  lui  dis  qi 
je  parlerais  au  député  de  la  nation  française,  auquel  j'ordonnerais  d'inte 
dire  toute  assemblée  de  cette  espèce;  qu'au  surplus,  je  ne  lui  conseilla 
pas  de  faire  un  si  grand  éclat,  à  cause  des  Anglais  et  des  Hollandais,  qi 


(i)  Dans  'ExxXYiortaffTtviri  àX-^ôeta,  t.  VIII,  1887,  p.  283. 

(2)  A.  RabbatHj  Documents  inédits  pour  servir  à  l'histoire  du  christianisme  ' 
Orient.  Paris,  1907,  t.  I",  p.  i34-i36. 

(3)  Roland  Puchot,  comte  des  Alleurs,  ambassadeur  de  1747  à  1754. 

(4)  Jérôme  Bona,  de  Raguse,  du  clergé  séculier,  d'abord  évêque  de  Marciana 
Trébigne,  puis  archevêque  de  Carthage  in  partibus  et  vicaire  apostolique  à  Consta 
tinople  de  1731  à  1750.  A.  Belin,  Histoire  de  la  latinité  de  Constantinople,  2°  éd 
Paris,  1894,  P-  357.  I 

(5)  Jean-Baptiste  Barrestrelly,  de  Constantinople,  plus  tard  évêque  de  Chio,  et  de  \'i\ 
à  1777  vicaire  apostolique  à  Constantinople.  A.  Belin,  op.  cit.,  p.  SSg. 


LA    FRANC-MAÇONNERIE    ET    L  ÉGLISE    GRECQUE  ))fy 

raient  peu  intimidés  par  la  Bulle  et  qui  s'acharneraient,  au  contraire, 
chercher  des  prosélytes. 

A  peu  près  dans  le  même  temps  est  arrivé  ici  le  S""  de  Balone,  dont  je 
îis  que  les  affaires  en  France  ne  sont  pas  bonnes,  et  qui  s'est  flatté  de 
)uver  des  ressources  à  Constantinople  pour  les  rétablir.  Ne  sachant  où 
yQT  à  Péra,  la  maison  du  drogman  d'Angleterre  étant  vide,  on  lui  a  offert 
1  logement  dans  cette  maison,  qu'il  a  accepté.  Sur  ces  entrefaites,  les 
oines  catholiques,  les  prêtres  grecs  et  arméniens  se  sont  réunis  pour 
ertir  les  Turcs  de  ce  qui  se  passait.  Les  premiers  ont  fait  accroire  aux 
ircs  que  les  francs-maçons  étaient  sorciers,  les  autres  prêtres  schisma- 
[ues,  que  c'était  un  moyen  nouveau  de  faire  des  conversions  et  de 
baucher  les  Grecs  et  même  des  Turcs. 

Le  réis  effendi  me  fit  dire,  il  y  a  quelques  jours,  qu'il  était  surpris  de 
:te  innovation;  que  nos  capitulations,  très  bien  observées,  autorisaient 
>ez  d'églises  dans  les  Etats  du  Grand  Seigneur  pour  ne  devoir  pas  cher- 
er  à  les  multiplier;  qu'il  y  avait  ici  une  assemblée  de  francs-maçons 
i  tendaient  à  ce  but  et  qui,  sous  prétexte  de  faire  des  francs-maçons, 
nnaient  trente  écus  à  ceux  qui  voulaient  se  faire  recevoir  et  les  enga- 
aient  ensuite  à  se  faire  chrétiens.  Je  m'informai  des  faits,  qui  se  trou- 
rent  tous  faux.  Mais  ce  qui  a  donné  lieu  à  cela,  le  voici  : 
Les  Grecs  schismatiques  ont  gagné  plusieurs  personnes  de  leur  secte  et 
s  Juifs  pour  aller  se  présenter  à  cette  maison.  Plusieurs  ont  parlé  au 
de  Balone,  auquel  ils  ont  proposé  de  se  faire  recevoir.  11  leur  a  répondu, 
:e  qu'il  m'a  dit,  qu'il  ne  savait  ce  qu'on  lui  demandait.  Instruit  de  ces 
oses,  j'ai  fait  répondre  au  réis  effendi  qu'il  y  avait  en  effet  ici  une  Société 
francs-maçons  anglais  et  français,  dont  le  but  était  l'amusement;  qu'ils 
se  mêlaient  ni  de  politique  ni  de  religion,  et  que  j'avais  défendu  toute 
semblée  de  cette  espèce. 

Le  réis  effendi  me  fit  redire,  peu  de  jours  après,  qu'un  Français  logeant 
ns  cette  maison  de  Péra  était  sorcier,  à  ce  qu'on  disait,  et  qu'il  serait 
)ropos  que  je  le  fisse  partir  pour  la  France.  Je  lui  fis  dire  que  je  ne  con- 
issais  aucun  Français  sorcier;  que  celui  qu'il  m'indiquait  était  venu  en 
irquie  par  curiosité;  que,  l'ayant  satisfaite,  il  était  parti.  En  effet,  dès 
première  insinuation  du  réis  effendi,  j'avais  cherché  le  S'  de  Balone, 
quel  j'avais  signifié  qu'il  devait  partir  sur-le-champ,  et,  n'ayant  pas 
is  la  main  de  bâtiment  tout  prêt,  je  l'ai  mis  en  sûreté  jusqu'à  jeudi, 
||il  doit  partir  soit  pour  la  France,  soit  pour  l'Italie.  Il  m'a  paru  assez 
ijlécis  à  cet  égard.  Quoique  cela  ne  soit  qu'une  pure  bagatelle,  je  n'ai 
u  voulu  qu'elle  parvînt  peut-être  à  vous  dans  les  nouvelles  publiques 
*ts  d'autres  couleurs  que  celles  de  la  vérité.  Vous  y  verrez,  je  crois,  avec 
[ilquQ  plaisir,  et  la  façon  dont  les  gens  d'église  savent  se  défaire  de  ce 
1  leur  blesse  les  yeux,  et  jusqu'où  l'ignorance  des  Turcs  peut  porter  la 
'l)erstition,  la  crainte  et  la  crédulité,  puisque  la  chose  a  été  au  point 


j)6  ÉCHOS  d'orient 


de  leur  faire  appréhender  qu'on  n'eût  dessein  de  détrôner  le  Grand  Sei- 
gneur par  le  moyen  des  sortilèges. 

Leréis  effendi  m'a  cependant  fait  dire  qu'il  ne  croyait  pas  aux  sorciers 
mais  que,  dans  un  pays  où  la  populace  était  aussi  susceptible  que  dam 
celui-ci,  on  ne  devait  y  rien  souffrir  qui  pût  lui  donner  de  l'ombrage 
ou  fournir  des  prétextes  au  moindre  mouvement. 

P.-S.  —  J'ai  écrit  au  S""  Peyssonnet,  consul  à  Smyrne,  ayant  appris 
qu'il  y  avait  une  Loge  de  francs-maçons  dans  cette  échelle,  d'empèchei 
que  les  négociants  français,  s'il  y  en  a  qui  soient  de  cet  Ordre,  n'assisten 
aux  assemblées  (i). 

Bien  entendu,  nous  laissons  au  signataire  de  cette  lettre  la  respon 
sabilité  des  opinions  qu'il  émet  sur  la  maçonnerie  et  de  ses  affirmation 
au  sujet  des  missionnaires  catholiques. 


Nous  trouvons  encore  au  xviii^  siècle  d'autres  témoignages  de  Ij 
répulsion  que  manifesta  l'orthodoxie  pour  la  pernicieuse  Société  secrète' 

C'est  d'abord  un  sermon  sur  la  Nativité  de  la  Sainte  Vierge,  prononc' 
par  Ephrem   l'Athénien  (2),  alors   directeur  d'école   et  prédicateur 
Chypre,  mort  en   1771  patriarche  de  Jérusalem.  A  propos  de  l'imm 
culée  Conception  de  Marie,  Ephrem  s'attaque  aux  latins,  puis  à  un  lati 
soit  personnage  réel,   soit  représentant  là  tous  ses  coreligionnaires 
Notre  fougueux  orateur  se  demande  si  ce  maudit  latin  n'est  pas  «  u 
rejeton  de  la  nouvelle  foi  infidèle  des  francs-maçons  »,  qu'il  appel 
œappLacrovaç. 

Cette  nouvelle  foi  infidèle,  dit-il,  a  pour  fondement  l'indépendance,  • 
n'a  de  dogme  que  son  caprice.  Aussi  admet-elle  Juifs,  Turcs,  calviniste 
Arméniens,  latins,  les  athées  eux-mêmes.  Bien  que,  par  peur,  ces  franc 
maçons  ne  parlent  ni  contre  les  rois  ni  contre  la  religion,  cependant  i 
n'acquiescent  pas  à  l'autorité,  ne  reçoivent  pas  l'Eglise,  ne  croient  p; 
à  l'Ecriture,  qui  sont  des  obstacles  à  leur  indépendance,  et  dont  les  lo 
répriment  leur  volonté.  La  profondeur  de  leur  méchanceté  reste  caché 
parce  que  leur  impie  religion  de  bienfaisance  ÈTttxoûptoç  Trianç,  gardi 
comme  un  grand  secret,  est  ignorée  des  autres  et  même  de  la  plupa 
d'entre  eux,  un  petit  nombre  seulement  connaissant  à  fond  leur  scélér 
tesse.  Leur  immense  multitude  a  pourtant  couvert  tout  l'Occident,  1 
gens  se  laissant  pour  la  plupart  attirer  par  la  curiosihé  (3). 


(i)  Rabbath,  op.  et  loc.  cit. 

'(2)    Sur    ce    personnage,    voir    C.    Sathas,    NeoeXXyivixr,    çiXoXoyta.    Athènes,    iS 
p.  507-5 10. 

(3)  EOaYYEXtx-r,  ailnijl.  Leipzig,  1765,  p.  378.  ^ 


LA    FRANC-MAÇONNERIE    ET    l'ÉGLISE    GRECQUE 


^  ••/ 


Ephrem,  on  le  voit,  était  bien  au  courant  de  l'esprit  et  des  manœuvres 
la  Société.  Peut-être  qu'à  Chypre  comme  à  Smyrne  il  existait  quelque 
ge  maçonnique. 

Les  francs-maçons,  en  effet,  continuaient  leur  propagande.  Ils  ren- 
ntrèrent  un  autre  adversaire  en  la  personne  de  Néophyte,  moine  du 
nsokalvbite,  au  mont  Athos,  grammairien  et  polémiste,  qui  vécut 
igtemps  en  Valachie  et  mourut  à  Bucarest  vers  1780  (i).  Zaviras 
[nale  de  lui  (2)  un  ouvrage  IIspl  Ttôv  AsYoaévtov  '^payxaawôvwv,  qu'il 
vu  en  manuscrit  chez  Gabriel  Kallonas,  mort  en  1755  curé  d'un 
lage  de  Macédoine.  C'était  un  dialogue  entre  un  chrétien  et  un  philo- 
'be  ou  déiste,  c'est-à-dire  franc-maçon. 

Relevons  enfin  la  lettre  synodique  de  novembre  1793,  où  Néophyte  VII 
ndamne  sévèrement  les  erreurs  philosophiques  de  Christodoulos 
stathion  (3).  Avant  de  le  nommer,  l'Encyclique  dresse  une  longue 
te,  très  incomplète  d'ailleurs,  d'anciennes  hérésies,  et  y  ajoute  pour 
poque  présente  «  ces  organes  de  parfaite  impiété  et  d'athéisme,  les 
)ltaire,  les  francs-maçons,  les  Rousseau  et  les  Spinoza  »,  tojç  BoATai- 
)^  )i"oacV  y.yX  <I>pavxuaJ^ôva;  xal  'Poto'j;  xal  S-ivôÇa^  (4). 
La  phrase  est  curieuse,  et  on  pourrait  au  premier  abord  croire  que 
patriarche  a  pris  le  titre  de  franc-maçon  pour  un  nom  propre.  Mais 
is  aucun  doute  francs-maçons  et  déistes  sont  pour  lui,  comme  tout 
l'heure  pour  Néophyte,  des  expressions  synonymes.  C'est  de  nos 
jrs  seulement  que  la  franc-maçonnerie,  au  moins  dans  certains  pays, 
ejeté  le  masque  du  déisme  pour  se  proclamer  hostile  à  toute  idée 
ligieuse. 


•Quelle  est  aujourd'hui  la  situation  de  la  franc-maçonnerie  en  Orient? 
jst  difficile  de  s'en  rendre  compte,  faute  de  documents.  Il  existe  deux 

1  trois  Loges  à  Constantinople  dans  le  quartier  de  Péra,  bien  fré- 
i^ntées  maintenant,  depuis  l'installation  du  régime  jeune-turc.  A  l'une 
|lles  appartenait  autrefois  le  métropolite  grec  Ambroise  de  Césarée, 
rs  curé  de  Saint-Nicolas  de  Djoubali.  On  trouve  des  Loges  dans  les 
ncipales  villes  de  l'empire  ottoman,  de  l'Egypte  et  des  Etats  balka- 
iues.  Il  a  déjà  été  enregistré  dans  cette  revue  le  reproche  que  les 
aires  de  M^'  Cyrille,   métropolite  de  Kition,   maintenant  arche- 


Sathas,  op.  cit.,  p.  5io-5i2. 
Zaviras,  Néa  'E/.Aa;.  Athènes,  1872,  p.  485. 
.  GÉDÉON,  Kavovixai  ô:a.-iU'-i-  Constantinople,  1888,  t.  1%  p.  273-291. 
Gédéon,  ibid.,  p.  281. 

hos  d'Orient,  t.  XV. 


338  ÉCHOS    d'orient 


vêque  de  Chypre,  adressaient  à  ce  prélat  de  faire  partie  de  la  franc- 
maçonnerie  (i). 

Mais  c'est  dans  le  royaume  de  Grèce,  semble-t-il,  que  la  Société  a 
fait  le  plus  de  progrès  pendant  la  seconde  moitié  du  dernier  siècle  (2). 
Nous  allons  passer  en  revue  quelques  documents  venus  à  notre  connais- 
sance, en  suivant  autant  que  possible  l'ordre  chronologique.  A  mesure 
que  d'autres  renseignements  nous  arriveront,  nous  nous  réservons  d'en 
informer  plus  tard  nos  lecteurs. 

Le  premier  document  émane  d'un  homme  que  ses  coreligionnaires 
regardaient  volontiers  comme  un  puits  de  science,  feu  Denys  Latas, 
archevêque  de  Zante.  Après  comme  avant  son  élévation  à  l'épiscopat, 
Denys  Latas  dirigeait  à  Athènes  une  revue,  la  S-.wv,  où  il  résolvait  de 
son  mieux  les  questions,  parfois  bien  bizarres,  que  lui  posaient  ses  lec- 
teurs sur  toute  espèce  de  sujets.  Or,  un  jour  on  lui  demanda  de  Corfou 
son  avis  sur  la  franc-maçonnerie.  Voici,  fidèlement  résumée,  sa  réponse 
du  5  décembre  1884  (3). 

Le  prélat  avoue  d'abord  qu'il  ne  s'est  jamais  occupé  spécialemen) 
de  la  franc-maçonnerie.  Cependant,  en  Allemagne,  en  Angleterre,  er 
France,  en  Grèce,  il  a  connu  de  nombreux  francs-maçons,  s'est  entre 
tenu  longuement  avec  eux  et  les  a  entendus  affirmer  qu'ils  poursui 
valent  un  but  unique:  le  bien.  11  leur  a  toujours  objecté  que  l'Eglisi 
fondée  par  Jésus-Christ  en  avait  reçu  une  mission  identique  et  qu'ell 
suffit  à  la  remplir,  mais  n'a  aucun  motif  de  s'inscrire  en  faux  contr 
leur  affirmation. 

Parfois  il  leur  a  reproché  le  mystère  dont  ils  s'entourent.  On  k 
a  répliqué  que  les  principes,  le  but,  les  membres  de  la  Société  soi 
connus;  que  le  secret  maçonnique  concerne  seulement  les  signes  ci 
reconnaissance  entre  maçons,  et  a  pour  objet  de  produire  sur  eux  un 
plus  profonde  impression;  que  les  coutumes  et  les  rites  de  la  maçor 
nerie  n'ont  rien  qui  puisse  inquiéter  l'Etat  ou  la  société. 

Enfin,  il  a  fait  observer  à  des  francs-maçons  que  l'opinion  commune 
surtout  en  Orient,  les  considère  comme  hostiles  à  la  religion  et  part 
culièrement  au  christianisme.  Ces  maçons  lui  ont  répondu  qu'ils  che 
chaient  seulement  à  éclairer  les  hommes  et  à  combattre  la  superstitioi 
mais  qu'ils  n'attaquaient  aucune  religion,  à  plus  forte  raison  la  religicl 


(i)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  V,  1901-1902,  p.  397,  et  t.  XI,  1908,  p.  344. 

(2)  Au  dire  de  certains  journaux  grecs  et  de  quelques  francs-maçons,  l'Hétairie  < 
travailla  à  l'indépendance  hellénique  de  1821  n'était  autre  qu'une  Métairie  maç( 
nique.  (D'après  l'Aîtov  du  i"  août  1887,  cité  dans  la  Siwv,  7*  année,  n'Sig.) 

(3)  Dans  Sswv,  -t"  année,  n°  189. 


LA    FRANC-MAÇONNERIE    ET    L  EGLISE   GRECQUE  339 

irétienne,  et  que  dans  aucune  de  leurs  réunions,  sur  aucun  point  du 
obe,  on  ne  s'occupait  de  questions  religieuses. 
Comme  conclusion,  Latas  répète  qu'il  ne  sait  rien  de  positif  et  d'as- 
jré  sur  la  maçonnerie;  qu'il  a  beaucoup  lu  et  entendu  pour  et  contre 
le;  que,  par  suite,  il  ne  peut  en  dire  ni  bien  ni  mal. 
Le  prélat  ne  devait  pas  garder  longtemps  cette  réserve  à  l'égard  de 
franc-maçonnerie.    Un  de  ses  prêtres,   qui  depuis  vingt  ans  déjà 
cerçait  le  ministère  paroissial,  s'était  fait  recevoir  à  la  Loge  et  avait 
rêté  le  serment  maçonnique.  Devant  ce  scandale,  il  dut  parler,  et  il  le 
t  avec  énergie  dans  plusieurs  articles  de  la  Siwv  et  dans  une  homélie 
rêchée  à  son  peuple,  le  lo  mai  1887.  Nous  résumons  ces  documents. 
M-'  Latas  dit  avoir  trouvé  à  Zante,  lorsqu'il  prit  possession  de  son 
ège,  plusieurs  Loges  et  bon  nombre  de  francs-maçons.  Jamais  il  ne 
était  informé  ni  de  la  doctrine  ni  des  principes  de  la  maçonnerie; 
'abord  l'on  aurait  pu  croire  qu'il  faisait  cela  par  esprit  de  parti,  et,  en 
îcond  lieu,  quelques  maçons  étaient  de  ses  amis,  et,  par  délicatesse 
e  sentiment,  pour  éviter  des  discussions,  il  ne  leur  avait  jamais  demandé 
;urs  principes  et  le  but  poursuivi  par  eux.  Pour  lui,  il  croyait  ferme- 
ment que  le  christianisme  contenait  ce  qu'il  y  avait  de  plus  parfait;  que 
Evangile  était  le  code  le  plus  excellent  de  la  vie  humaine  et  que,  par 
onséquent,  toute  autre  Société,  quels  que  soient  son  code  et  ses  prin- 
ipes,  lui  sera  toujours  inférieure  et  ne  pourra  être  prise  en  considéra- 
on  par  celui  qui  suit  les  préceptes  de  l'Evangile. 
Mais  qu'un  prêtre  devienne  maçon,  c'est  là  une  injure  pour  le  clergé, 
n  scandale  pour  le  peuple.  De  plus,  que  ce  prêtre  et  d'autres  maçons 
ffirment  que  des  membres  officiels  du  clergé  et  du  synode  aient  prêté 
!  serment  maçonnique,  voilà  qui  n'est  pas  soutenable,  et  ce  à  quoi 
eut  répondre  Ms»"  Latas. 

Nous  verrons,  dit-il,  d'après  les  documents  et  les  paroles  des  francs- 
laçons  eux-mêmes,  si  oui  ou  non  leurs  principes  s'accordent  ou 
opposent  à  ceux  du  christianisme.  De  plus,  nous  examinerons  si  un 
rêtre  qui  a  juré  d'être  le  ministre  de  l'Evangile  peut  s'affilier  à  une 
oge  et  obéir  à  son  chef  (i). 

Cet  examen  fut  fait  dans  une  homélie  prêchée  dans  la  métropole  de 
ante,  le  10  mai  1887  (2).  Certains  journaux  avaient  pris  la  défense 
Li  prêtre  maçon,  et  le  prélat  leur  prouve  qu'un  prêtre  ne  peut  d'aucune 
çon  appartenir  à  la  franc-maçonnerie,  être  à  la  fois  ange  de  lumière 


^  oir  S'.wv,  7*  année,  n"  ?o8. 
Ibid.,  n»  3ii. 


340 


ECHOS    D  ORIENT 


et.  ange  de  ténèbres,  assumer  des  devoirs  occultes  et  mystérieux  avec 
un  ministère  bien  évident  et  bien  fixé.  Le  prêtre,  autant  que  faire  se 
peut,  doit  être  allégé  des  soucis  du  monde  et  même  de  ceux  de  la 
famille,  afin  de  remplir  avec  dignité  son  ministère  sacré,  selon  le  ser- 
ment qu'il  en  a  fait  au  jour  de  son  ordination.  C'est  pourquoi  l'Eglise 
latine  impose  le  célibat  à  ses  prêtres,  et  elle  a  grandement  raison.  Mais 
devenir  l'affilié  de  la  maçonnerie,  faire  le  serment  d'obéir  au  chef  maçon, 
c'est  aller  contre  l'Evangile.  Celui  qui  pour  toujours  a  accepté  le  joug 
du  Christ  ne  peut  s'imposer  celui  de  la  maçonnerie.  Non,  au  grand 
jamais,  conclut  Latas,  un  prêtre  ne  doit  entrer  dans  une  Loge,  un  prêtre 
ne  doit  devenir  franc-maçon  :  txots  6  Upsùç  eU  r^v  ^Toàv  twv  [/.as-a'.ovwv 
Tcoxè  6  IlaTcâç  sic  ttjV  XôyzC^y.v  tzoxÏ  6  \ly.7zy.^  cspai-Aaio-tovo;. 

La  doctrine  des  francs-maçons  fut  étudiée  dans  une  réunion  (9  mai  1 887' 
où  le  prélat  avait  convoqué  tout  son  clergé.  Le  prêtre  maçon  y  assis- 
tait. On  lut  certains   passages   d'une   revue   maçonnique,   Pythagorai 
(décembre  1882,  n"  12),  relatant  la  réception  d'un  clerc  parmi  les  néo- 
phytes de  la  Loge,  puis  des  fragments  de  l'histoire  de  la  franc-maçon 
nerie  écrite  par  le  Vénérable  .'.  de  Zante,  Othon  Rentzos.  Les  prêtre: 
furent  invités  à  donner  leur  avis.  Tous  déclarèrent  que  les  principe: 
énoncés  n'étaient  autres  que  ceux  de  la  libre-pensée;  que  la  morali 
maçonnique,  n'ayant  pour  base  aucun  dogme  de  l'Evangile,  ne  pouvai 
être  qu'une  morale  imparfaite,  erronée  et  pernicieuse  ;  que  seule  la  par 
fection  chrétienne  révélée  par  Jésus-Christ  dans  l'Evangile  était  l'idé, 
de  l'humanité;  que,  sous  le  rapport  dogmatique,  il  y  a  entre  la  maçoi 
nerie  et  le  christianisme  incompatibilité  absolue,  puisqu'elle  rejette  k 
dogmes  et  les  mystères  de  la  religion  chrétienne  ;  bref,  que  la  franc 
maçonnerie  est  une  secte  antichrétienne.  Au  point  de  vue  social,  frant 
maçon  et  impie  sont  synonymes  pour   le  peuple  ;  quand  celui-ci  vei 
injurier  gravement  quelqu'un  et  l'accuser  d'athéisme,  il  l'appelle  toi 
simplement  franc-maçon.  Pour  toutes  ces  raisons,  le  prêtre  Jean  Stratis 
en  prêtant  le  serment  maçonnique,  a  commis  un  grand  crime  et  caus 
un    grave    scandale.   Qu'il    retire    donc    maintenant    son    serment  t 
demande  pardon  de  sa  faute  (i). 

Voilà,  en  quelques  lignes,  le  résultat  de  cette  réunion,  dont  le  compi 
rendu  tient  les  quatre  pages  in-40  du  journal.  Le  prêtre  ne  se  soum 
point  et  déclara  être  maçon  et  rester  maçon.  On  l'appela  à  Athèn< 
devant  le  saint  synode.  11  y  reconnut  son  erreur,  retira  son  serment  , 
fut  non  pas  innocenté,  comme  certains  journaux  plus  ou  moins  dévout 


(1)  ïltwv,  7"  année,  n°  3i5. 


LA    FRANC-MAÇONNERIE    ET   L  ÉGLISE   GRECQUE  34 1 

;i  la  cause  maçonnique  le  prétendirent,  mais  absous.  L'archevêque  de 
Zante  accepta  la  décision  dé  ses  supérieurs  hiérarchiques,  doutant 
cependant  de  la  sincérité  du  prêtre.  En  tout  cas,  vu  le  scandale  donné 
ians  toute  l'île,  et  à  la  demande  de  fout  son  clergé,  le  prêtre  Jean  Stratis 
serait  interdit  dans  son  diocèse  (i). 

Mais  il  faut  croire  que  le  maçon  avait  en  haut  lieu  des  protecteurs 
puissants.  Le  28  mai  1888,  Latas,  qui  allait  partir  en  pèlerinage  à  Jéru- 
jalem,  était  appelé  devant  le  saint  synode  et  engagé  fortement  à  lever 
'interdit  du  prêtre.  Il  répondit  qu'il  aimait  mieux  avoir  les  mains  cou- 
pées, être  pendu  sur  la  place  de  la  Constitution,  que  de  signer  pareille 
permission.  Le  prélat  s'embarqua  pour  la  Palestine.  Le  lendemain,  le 
saint  synode  profitant,  paraît-il,  de  cette  absence,  écrivit  au  représen- 
tant de  l'archevêque  à  Zante  d'avoir  à  remettre  en  place  immédiatement 
le  prêtre  Jean  Stratis.  On  obéit,  et,  à  son  retour,  Latas  défendit  à  ses 
prêtres  de  parler  à  l'avenir  de  cette  question  (2).  L'affaire  était  pour 
toujours  enterrée;  on  n'en  parla  plus. 

Voilà,  pour  le  moment,  ce  que  nous  avons  pu  trouver  d'intéressant 
sur  la  franc-maçonnerie  et  l'Eglise  grecque.  A  notre  avis,  peu  d'évêques 
en  Grèce  se  sont  occupés  de  cette  secte.  Peut-être  n'ont-ils  point  vu  sa 
pernicieuse  influence  et  l'ont-ils  considérée  comme  une  institution  phi- 
lanthropique et  philosophique.  Peut-être  encore,  imbus  d'idées  ratio- 
nalistes ou  protestantes,  à  cause  d'études  faites  en  Allemagne  et  en 
Suisse,  certains  membres  du  haut  clergé  orthodoxe  regardent-ils  d'un 
œil  indifférent  la  propagande  maçonnique.  Il  est  certain  du  moins  que 
les  principaux  centres  de  la  Grèce  possèdent  leur  Loge,  et  nous  ne  con- 
naissons aucun  document  émanant  du  saint  synode  d'Athènes  qui  con- 
damne la  franc-maçonnerie. 

■ 

E.    NÉSIOTÈS. 
Phanaraki. 


(1)  Ibid.,  7*  année,  n'  317. 

(2)  Siwv,  8'  année,  n"  362. 


GLANURES 

DANS  LES  MANUSCRITS  DES  MÉTÉORES 

(Suite  L'^.J 


NOTE   SUR   CASTORIA    EN     I374 

Au  feuillet  129'' du  codex  243  du  couvent  appelé  «  le  Météore  »  pa 
excellence,  nous  lisons  cette  note  que  je  transcris  fidèlement  : 

+  M^'^v-  '.oyÀ  ('Iw)  cAaêàv  o'.  aAcî'-po'Aot. 
T71V  eyuaAOT'jav  èx  tw  uls 

TO'J  -pocsoitoG*  O'-Auo'ji'  xà",  î'io-av 

ol  aAoccOv'//.  yrjÀO'.aoîT.v.  ty,  • 

à'JTTi  o'.jjLôpa  £xol!j.rjOY,v  0  xài  to 

voi/LaçTY,?  OY,  aTOu  [=  oî.à  ToO  I  ar^^^thÔKY,n^' 

cr/YjU.aToa-'  y/o  (àTa)'j'   o'.£pàp.6và 

'/(oa-  0  àpyY,|jLàvTpY,TriO-  :  —  j 

Cette  note  est  suivie  de  quelques  lignes  écrites  par  une  autre  main 
elles  sont  en  grande  partie  grattées  et  noircies.  Cette  note  se  rapports 
je  crois,  à  l'occupation  des  environs  de  Castoria  par  les  Turcs  I 
20  juillet  1374.  Ce  pays  était  tombé,  grâce  à  un  traité,  entre  les  main 
des  Serbes  en  1350  (2);  il  fut  rendu  plus  tard  aux  Byzantins. 

NOTES   RELATIVES   A   MÉTHONE   ET   A   MYSTRA   EN    I434 

Dans  le  codex  lo  du  principal  monastère  des  Météores  se  trouven 
les  notes  suivantes  : 


'E':(o'j;)  /Ç"À!^êo-^  [=  1434)  'Iv  (St.XTt.wv)  oç  lêo'?,  kr.o'ùCk  x^  tlf(j}ia.'j.{v' 
ey-ôv  tjLLi^Y/Jp(â)-  (/.al)  Y,AQâu(ev)  y,?  tottov  tI^^  euSôiou  /  xal  ij.£v(a)A(r, 
àuO(£v)T!.a;  TO'ji  ayiôy  {xapxoG  to  £v  t(y,)  tjLoOov(Yj)-  0O'jÂ(6){x(£VO'.  /  àroTtÂe'J 

£V   X0ÇaVT0t,V0U7îwX(£I,) 


(i)  Voir  Echos  d'Orient,  mai  1912,  p.  257-259. 

(2)  Cantacuzène,  édition  de  Bonn,  i.  Ili,  p.  i56  sq. 


GLANURES   DANS    LES   MANUSCRITS    DES    METEORES  ^43 

B 
4-  èçTiA^sv  6  ;jL7ra'.:^av(Y,)^'  aTiè  Tir.v)  uoOVri  [=:Mo86vr,]-  (xal)  à7:Ô7:AejT(£v) 
r,;  ■/.oa-àv<v>>  T'.voj-(o)A(t.v)  ua*.  w  -  £•  to  àu':(w)^u(ri)v((^  N»'  '.êo'î  sX^-»;) 

/CÀtTêo"^  r=  1434] 

C 

-\-  à-o-Xî'jT(à.;)-  6  ui.-£^av(ri);-  yi?  xoi;àv':o'.voy7roA(t.v)'  |ji.(yj)v(i)  piatto  /  s 
'Iv  /  O'.xT'.wv/o?  lê»'?  Tou  ÇAiJiêo'^J  /  -H  7,A0(a)jji.£v  (xal)  T,ui.r,;  :  r,;  (y,v)  ;j.oO'vo'. 
[=  MoOôvo'-]  TO  auT  (w)  uL(ri)v('.)  â"  êoJA(ô)uL[£]v[o!,]  xal  r,;j.l;  y.TZOTz'/.tùyz  r,^ 
xoa-avT'.voj-o)>('.v)-  îçîaOÔvts^  e'/tov  j/.ia-':p(à)  aTipiA  x[ç]. 

La  première  note  est  écrite  veriicalement  de  haut  en  bas  au  feuillet 
238^',  les  deux  autres  le  sont  au  feuillet  238''  parmi  quelques  autres. 

UNE    LISTE    DE   TOPONYMIES   ANCIENNES   ET   MODERNES 

Au  bas  des  feuillets  58''  59''  du  codex  326  du  grand  monastère  des 
Météores  se  trouve  une  liste  de  toponymies  écrite  vers  le  xvi*^  ou  le 
xviie  siècle.  Je  la  publie  ici  à  l'occasion  de  l'édition  critique  des  variantes 
que  doit  en  faire  prochainement  mon  ami,  M.  E.  Gerland.  En  beaucoup 
d'endroits  les  noms  sont  effacés  ou  illisibles  parce  que  le  bas  du  codex 
a  été  abîmé  à  force  d'être  feuilleté.  De  plus,  beaucoup  de  noms  sont 
écrits  en  abrégé,  aussi  me  suis-je  souvent  demandé  comment  il  fallait 
lire  certaines  abréviations  :  par  exemple,  o-joa-/-.  pourrait  peut-être  se 
lire  A'jpày.,  Ajpày.o,  A-jpày.ov.  J'ai  toujours  complété  d'après  ce  qui  me 
semblait  le  plus  probable  en  me  basant  sur  d'autres  listes  de  topono- 
nymies  déjà  publiées  (i). 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  listes  de  toponymies  anciennes  et  modernes  de 
notre  codex  sont  d'un  grand  intérêt;  je  les  transcris  fidèlement  ici  en 
ne  mettant  une  majuscule  qu'aux  noms  propres. 

FEUILLET  ÔS^ 

L ]  7^?àx(r.) 

[ ]  Tt  Max£0(i)v('la) 

A£Tg(o,-)-  n  ;a'.[':u]Ar,(vTi) 
a-.  <I>£o(a'.)-  Taa-£opaç 

I  ' ATZoXkioV'iT. 

(Autre  colonne.) 

+  H£pjx(r.)-  i  e£crTa)<o)v(.:)x(r.) 
-f  W^raA'la-  r,  Aàp'.o-s-a 


(i|  G.  Parthey,  Hieroclis  Synecdemus  et  notitiœ  episcopatuum.  Accedunt  Nili 
Doxopatrii  notitiœ  patriarchatuum  et  locorum  nomina  immutata.  Berlin,  i866.  — 
[\.  Blrckhardt,  Hieroclis  Synecdemus.  Accedunt  fragmenta  apud  Constantinum 
^yrphyrogennetum  servata  et  nomina  urbium  mutata.  Teubner,  Leipzig,  1893.  — 
Sp.  P.  Lambros,  N£o;  'EX),Yivoîi.vr|[jiu)v,  t.  VI  (1909),  p.  486-488. 

2)  J'ai  mis  entre  crochets  [  ]  les  mots  et  les  lettres  qui  manquaient. 


344 


ECHOS    D  ORIENT 


-f   *ï>6'la-  Ta  <I)ip7aA-  [=  4>£pTaAa] 
-f  Al-zoiJÀx-  7,    "ApTa 
-|-   'Axapv'la-  r,  "Ap^a. 

(Autre  colonne.) 

-f  "H7r£',ooç'  -:à  'Iwâviva-   -f  ^toTt-xf;. 

-f  Kiox'joa*  7<  Kop'Jcpf/ 

+   'E7:'15a|jivoç-  to  Aupày(t.?)- 

-|-  'E).a7'la-  To  )iT(t,)  Ivl  Ijj.Tp 

FEUILLET   59'' 

-f   'Avaa-Ta'no!j-oA('.ç)'  |  to  7:^p•.<;cp>0ôp('.ov?)• 
-f-  "A!>ô7,p(a);  TQ  7:o).(*j)  ç  (u)  À  (ov?) 
-f  K).a'JO'.0'J7:oA!.;  -:07:6X(!,a?) 
-}-   'Aêap!.voa"  7,  nàpou(a) 

(Autre  colonne.) 

-f  AD.'la  (xa»,)  'lôêcp  (?)  'Upouo-aÀî'iia/ 

-f-  Aa).|jLa-:'la'  7,  NaituSTa  x(a',)  7,  SxÀaêouv!.(a)  -f 

+  na)'(aL)  Ç7.V  Sup'la-  fDr.Aiç  /////////// 

•j-  B7,ftt.v'la-  x(a!,)  Ta  a'jT(7,)T*  7,  Nixaia" 

-f    0£O'J7roX(!,ç)"    7,    'AvT!,ôy£!.a 

-f   TpLav  Tà/////ri  7:6 a(!.;)  toG  M£V£Àâou 

FEUILLET   59' 

+    (■")£0O0T!.0'J-6a('.ç).    I    6    ào-TTOO^* 

+   lllllllll'kiy. 

-f  'E7:l5aupo;-  /  7.  'A  y p '10(7.) 

4"   'lAup!.x(cv) 

(Autre  colonne.) 
■\-   'Hojv'la  /  7,    'Ec5£îro; 
-|-   Çàvupa*  7,  Màxo(7,) 

-f   IlaAaià  Max£o(o)v(l;a)  /  7,  Apatx'  [=  Apa[j.a] 
/////////Toa  /  lllinillllll 

(Autre  colonne.) 
'Exwta-  /  7,  A£'Jxào-  [=  Ac'jxàoa] 
■f   Ko'j}ia-/"'7,  BîvîT'la 
4-   'Aç!£)>x7i  /  7,  r£vouê(a)  : 

(Autre  colonne.) 
+  Ç(au)pou7:ÔA(',;)-  7.  Xpiço'j-(o)A(i;)' 
"l"  KoAaTa(£^?)*  7,  'P(!jÔ(o;) 
-f  Bo',u)T'la*  7,  E'jo '.7:7:0?  • 

^MX  Météores,  igog. 
A  Munich,  igi2. 


NiKos  A.  BÉis. 


,'ÉGLISE  DE  SERBIE  DE  1909  A  1912 


Projets    de    réforme. 

Un  vent  de  réforme  souffle  en  ce  moment  dans  toutes  les  Eglises 
itocéphales.  Ce  ne  sont  partout  que  nouveaux  règlements,  nouveaux 
ojets,  consultations  diverses.  L'orthodoxie  est  atteinte  d'un  rAaîaise 
;néral,  qui  vient  de  l'anémie  de  sa  vie  spirituelle,  et  elle  espère 
Duver  dans  des  réglementations  compliquées  la  panacée  à  tous  ses 
aux.  Une  des  autocéphalies  où  l'amour  du  changement  se  fait* lé  plus 
ntir  est  l'Eglise  "serbe.  En  l'espace  d'une  vingtaine  d'années,  elle  a 
i  ses  statuts  organiques  changés  ou  modifiés  à  quatre  reprises  par 
5  lois  du  24  avril  1890,  du  10  avril  1895,  du  29  juillet  1898  et  du 
•  janvier  1900.  Il  s'agit,  évidemment,  non  de  lois  portées  par  l'autorité 
clésiastique,  mais  par  le  pouvoir  civil,  qui  légifère  en  maître  dans 
dministration  de  l'Eglise,  à  peu  près  dans  toutes  les  autocéphalies. 
La  loi  fondamentale  votée  en  1890  sur  les  bases  de  la  constitution 
dicale  de  1888  a  été  tellement  modifiée  par  les  lois  subséquentes, 
l'elle  est  devenue  méconnaissable;  non  seulement  elle  ne  s'harmonise 
is  avec  la  constitution  et  les  autres  lois  existantes,  mais  elle  se  con- 
îdit  elle-même  par  endroits.  Il  n'est  pas  étonnant»  dès  lors,  que  le 
soin  d'un  nouveau  changement  se  fasse  sentir.  Tandis  que,  les 
I  novembre  1910  et  13  janvier  191 1,  les  députés  Rotarts  et  Tchoditch 
oposaient  à  la  Skoupchtina,  mais  sans  trouver  d'écho,  de  rétablir  la 
de  1890  dans  son  intégrité,  deux  projets  de  loi  nouveaux,  destinés 
:hanger  radicalement  l'organisation  de  l'Eglise,  étaient  à  l'étude  dans 
;  Commissions  parlementaires.  Le  premier  projet  a  trait  à  la  constitu- 
in  du  clergé,  le  second  est  relatif  aux  autorités  ecclésiastiques;  le 
emier  compte  35  articles,  le  second  274.  Tous  les  deux  ont  été  éla- 
rés  par  le  Comité  central  de  l'association  du  clergé  séculier  ou  clergé 
inc  (i).  Le  projet  sur  la  constitution  du  clergé  date  de  1904.  Exa- 
né  et  remanié  par  l'assemblée  générale  du  clergé  et  par  le  synode 
itropolitain,  il  fut  envoyé  au  ministre  de  l'Instruction  publique  et 
f  Cultes,  qui  le  transmit  au  Conseil  d'Etat,  le  22  février  1905.  Le 
nseil  d'Etat  le  retourna  au  ministre  des  Cultes,  en  l'accompagnant 
tbservations,  le  15  janvier  1907.  La  Skoupchtina  attend,  pour  s'en 


)  Clergé  blanc  est  synonyme,  en  Serbie  comme  en  Russie,  de  clergé  marié.  Les 
nés,  parmi  lesquels  sont  choisis  les  évêques,  constituent  le  cierge  noir. 


346  ÉCHOS    d'orient 


occuper,  que  la  Commission  chargée  d'étudier  le  second  projet  sur  le: 
autorités  ecclésiastiques  ait  donné  son  avis. 

On  voit  à  quel  point  l'Eglise  serbe  est  soumise  à  l'Etat  dans  tout  c< 
qui  touche  à  son  gouvernement.  Aux  termes  de  la  loi  encore  en  vigueur 
«  toutes  les  autorités  ecclésiastiques  du  royaume  sont  placées  sous  1; 
haute  surveillance  du  ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  cultes  ! 
(art.  2}2). 

C'est  le  même  ministre  qui  reçoit  les  plaintes  contre  les  abus  de 
autorités  ecclésiastiques,  approuve  la  correspondance  de  celles-ci  ave 
l'étranger  et  donne  son  visa  pour  la  publication  et  l'exécution  de 
lettres  envoyées  par  les  autres  autocéphalies  (art.  233,  2}'y  et  236' 
L'approbation  du  Conseil  des  ministres  est  aussi  requise  pour  les  ordor 
nances  du  synode  métropolitain  (art.  238).  ' 

Le  clergé  blanc  et  les  réformes. 

La  nouvelle  législation  projetée  sera-t-elle  accceptée  par  le  Pari 
ment?  Nous  l'ignorons.  Quoi  qu'il  en  arrive,  l'ensemble  de  ses  dispcj 
sitions  est  fort  instructif  et  révèle  l'état  actuel  de  l'Eglise  serbe, 
importe  tout  d'abord  de  remarquer  que  les  projets  en  question  sor 
l'œuvre  du  clergé  blanc.  Nous  avons  signalé  dans  une  précédente  chn 
nique  (i)  l'hostilité  de  ce  clergé  à  l'égard  des  évêques  et  ses  bruyante 
revendications  relativement  à  la  participation  au  gouvernement  eccî 
siastique.  En  ces  derniers  temps,  l'agitation  s'était  accrue,  et  l'on  ava 
même  entendu,  en  1909,  un  appel  à  la  grève  générale  du  clergé.  Poi 
satisfaire  ces  terribles  curés,  le  projet  sur  les  autorités  ecclésiastiqUf 
établit  quatre  sortes  d'assemblées  auxquelles  ils  pourront  prend: 
part  :  le  Conseil  ecclésiastique,  le  synode  diocésain,  le  synode  d'arroi 
dissement  et  le  synode  cantonal. 

Le  Conseil  ecclésiastique  a  pour  but  d'aider  le  synode  métropolîta 
dans  l'administration  des  affaires  ecclésiastiques.  Il  siège  une  fois  p 
an  à  Belgrade,  avant  la  convocation  du  synode  métropolitain.  Il  a  po 
président  un  évêque  nommé  par  le  synode,  et  comprend  dix  membre 
cinq  perpétuels  :  le  recteur  du  Séminaire,  les  professeurs  de  droit  cam 
à  l'Université  et  au  Séminaire,  le  chef  du  bureau  ecclésiastique  du  mini 
tère,  le  secrétaire  du  grand  tribunal  ecclésiastique,  et  six  élus  :  un  cal 
chiste  choisi  par  le  métropolitain  et  cinq  prêtres  élus  par  les  synod 
des  cinq  éparchies  du  royaume. 

Aux  synodes  diocésains  et  d'arrondissement  sont  invités  aussi  bi 


(I)  Echos  d'Orient,  t.  XII  (1909),  p.  175-179. 


L  ÉGLISE    DE    SERBIE    DE    I909    A    lC)i2  ^547 

les  membres  du  clergé  noir  que  ceux  du  clergé  blanc;  aux  synodes  can- 
tonaux ne  doit  paraître  que  le  clergé  blanc.  Les  synodes  diocésains  et 
d'arrondissement  s'occupent  de  veiller  à  la  pureté  de  la  foi,  à  la  correc- 
tion des  mœurs,  et  ont  l'œil  sur  la  conduite  des  curés.  Les  synodes 
:antonaux  ont  des  fonctions  à  peu  près  identiques,  auxquelles  s'ajoute 
le  souci  des  propriétés  ecclésiastiques. 

Le  principe  électif  est  développé  dans  une  large  mesure.  C'est  le 
synode  d'arrondissement  qui  propose  au  synode  métropolitain  les  can- 
iidats  aux  archiprêtrés  vacants;  les  postes  de  curés  et  de  diacres  sont 
ionnés  au  concours  par  une  assemblée  mixte  dont  le  choix  doit  être 
:onfirmé  par  l'évêque.  Les  supérieurs  des  monastères  sont  nommés 
:onjointement  par  l'évêque  et  le  tribunal  ecclésiastique.  L'assemblée 
ijui  élit  le  métropolitain  s'augmente  de  nouveaux  membres;  ce  sont: 
e  président  du  grand  tribunal  ecclésiastique,  le  président  du  tribunal 
iiocésain,  le  plus  âgé  des  aumôniers  militaires,  le  ministre  de  la  Guerre, 
e  maire  de  la  commune  de  Belgrade,  les  higoumènes  des  monastères. 

La  nouvelle  législation  se  tait  sur  les  Congrès  sacerdotaux  interdio- 
:ésains  prévus  par  la  loi  de  1890,  supprimés  en  1894,  et  se  tenant 
pourtant  régulièrement  chaque  année.  11  est  visible  qu'on  voudrait  voir 
disparaître  cette  institution  anticanonique.  Les  autorités  supérieures 
3nt  sans  doute  pensé  que  l'institution  des  quatre  assemblées  susdites 
suffirait  à  satisfaire  les  goûts  parlementaires  des  curés,  mais  il  n'est 
3as  sûr  que  ceux-ci  consentent  à  renoncer  à  une  coutume  vieille  déjà 
de  vingt-deux  ans. 

Le  bas  clergé  serbe  a  assez  mauvaise  réputation;  on  lui  reproche  non 
seulement  son  indiscipline,  mais  encore  son  amour  de  la  politique  et 
son  outrecuidance.  Dernièrement,  M.  J.  Jivanovitch,  ex-ministre  des 
Zultes,  ne  s'est  pas  gêné  pour  lui  donner  de  vertes  leçons  {Trgovinski 
jlasnik,  nos  du  23  juin  et  du  11  juillet  1910).  Son  influence  morale  sur 
e  peuple  est  à  peu  près  nulle.  Et  cependant,  dit  M.  C.  Troitskii  (1), 
ï  ne  manquerait  pas  de  moyens  de  l'exercer.  Le  sentiment  religieux 
l'est  pas  encore  éteint  dans  la  famille.  Contrairement  à  ce  qui  se  passe 
;n  Bulgarie,  on  se  confesse  encore  en  Serbie  avant  de  communier, 
.'instruction  religieuse  est  obligatoire  dans  toutes  les  écoles  primaires 
X  secondaires,  et  placée  sous  la  surveillance  de  l'Eglise,  qui  choisit  les 
catéchistes  et  les  manuels.  Les  curés  sont  tenus  d'assister  à  tous  les 
xamens  des  écoles  primaires. 


(i)  Tserkovnyia  Vêdomosti,  1910,  n"  36,  p.  ibdy.  C'est  à  l'intéressante  chronique  de 
1.  C  Troïtskii  sur  la  situation  actuelle  de  l'Eglise  serbe  que  sont  empruntés  nos  ren- 
eignemenis  sur  les  nouveaux  projets  de  loi. 


348  ÉCHOS  d'orient 


Si  le  niveau  moral  du  clergé  est  si  inférieur,  cela  vient  en  grand 

jP^rtie  de  son  modede  reçruternent.  L'unique  Séminaire  existant,  étab 

„à  Belgrade  en  1836,  eut,  jusqu'en  l'année  1900,  un  programme  stricte 

^i;nent  théologique  comprenant  d'abord  deux  classes,  puis  quatre.  Un 

.formation  préalable  dans  les  gymnases  de  l'Etat  était  exigée  des  élèvej 

Mais  l'expérience  montra  que  les  recrues  fournies  par  les  gymnase 

laissaient  fort  à  désirer  au  point  de  vue  de  la  moralité.  Ce  fut  la  raiso 

pour  laquelle  on  adopta^^n  ■1909,  un  programme  mixte  embrassai 

jdans  une  période  de  neuf  années  l'enseignement  secondaire  et  l'ense 

..gnement  théologique.  Un  nouveau  local,  placé  sous  le  vocable  de  Sain 

•  Sabas,  fut  construit  dans  le  quartier  de  Vratchara,  situé  dans  la  part 

.^Sud-Est  de  Belgrade. 

;      Malgré  le  nombre  relativement  considérable  des  élèves  —  on  i 

comptait  343  en  1910,  —  l'établissement  fournit  un  nombre  minin 

de  vocations  sacerdotales.  C'est  ainsi  qu'en  1908,  sur  quatorze  sémin 

ristes  sortants,  cinq  allèrent  parfaire  leur  éducation  dans  les  Unive 

.sites  de  Suisse  et  de  Russie;  trois  devinrent  maîtres  d'école,  trois 

^firent  fonctionnaires,  deux  autres  restèrent  sans  place,  un  seul  ent 

dans  une  Académie  ecclésiastique  russe.  Cette  dispersion  s'explique  i 

-peu  par  le  fait  que  les  séminaristes  finissent  leurs  études  vers  l'âge 

vingt-deux  ans,  et  que,  d'après  la  loi,  ils  ne  peuvent  être  ordonn 

avapt  vingt-cinq  ans.  C'est  dans  l'intervalle  que  fond  la  troupe  â 

lévites. 

Devant  ces  déplorables  résultats,  le  synode  métropolitain  s'est  adres 

au  ministre  de  l'Instruction  publique  et  des  Cultes  pour  obtenir  u 

modification  de  la  loi  qui  défend  d'ordonner  des  sujets  avant  l'âge' 

;  vingt-cinq  ans.  On  lui  a  donné  satisfaction;  les  ministres  se  sont  mê 

■entendus  pour  refuser  aux  séminaristes  toute  place  de  fonctionnai! 

tout  au  plus  les  acceptera-t-on  comme  professeurs,  mais  pour  d 

ans  seulement.   Ces   petites  contraintes  pourront  peut-être  enlevei 

quelques-uns  l'envie  de  déserter  le  sanctuaire,  mais  sera-ce  un  bi 

pour  l'Eglise?  Comme  beaucoup  d'autres  autocéphalies,  l'Eglise  sei 

souffre  du  manque  de  vocations.  Malgré  les  recrues  fournies  par 

;  pays   voisins  de   Vieille-Serbie   et   de  Bosnie,   un  grand    nombre  fe 

paroisses  restent  sans  pasteur.  ' 

i 
La  réforme  des  monastères.  j 

Le  monachisme  serbe  est  en  pleine  décadence.  Le  nombre  des  rji- 

gieux  va  sans  cesse  en  décroissant,  et  l'on  peut  prévoir  le  jour  où  y 

"aura  plus  de  monastères  que  de  moines.  En  1903,  les  34  couvents b 


I 


L  ÉGLISE    DE    SERBIE    DE     I909    A     I912  349 

oyaume  renfermaient  113  moines;  en  1905,  il  n'y  en  avait  plus 
ue  107,  et,  en  1910,  74  seulement.  Il  n'existe  point  de  couvents  de 
gligieuses.  La  dernière  nonne  serbe,  nommée  Eugénie,  mourut  en  1860, 
ans  le  monastère  d'Ovtchir. 

Le  couvent  de  Khilandar,  au  Mont  Athos,  le  seul  que  les  Serbes 
ccupent,  est  envahi  de  plus  en  plus  par  des  sujets  bulgares  ou  macé- 
oniens;  loin  de  pouvoir  fournir  les  monastères  du  royaume,  il  manque 
ji-même  de  vocations.  Et  cependant,  le  gouvernement  serbe  fait  tout 
e  qu'il  peut  pour  sa  prospérité.  Cela  se  comprend  :  Khilandar  possède 

lui  seul  presque  la  moitié  de  la  sainte  montagne. 

L'état  des  monastères  de  Vieille-Serbie  n'est  pas  plus  brillant.  On 
ait  que,  il  y  a  quelques  années,  le  moine  russe  Kyrille,  higoumène  du 
;elli  athonite  de  saint  Jean  Chrysostome,  essaya,  après  entente  secrète 
ntre  le  gouvernement  serbe  et  le  gouvernement  russe,  de  repeupler, 

l'aide  de  sujets  russes,  quelques-uns  de  ces  monastères  tombés  en 
uines,  notamment  celui  de  Detchan-le-Haut  (i).  Un  contrat  fut  passé. 
,es  Russes  consacrèrent  de  fortes  sommes  à  la  restauration  de  Detchan. 
/lais  bientôt  de  violentes  protestations  se  firent  entendre  dans  la  presse 
erbe.  On  alla  jusqu'à  parler  d'un  nouveau  désastre  de  Kossovo.  Pour 
:almer  ces  accès  patriotiques  d'un  peuple  frère  et  malheureux,  le 
ninistre  des  Affaires  étrangères  de  Russie  a  consenti,  en  1910,  au 
lépart  des  moines  russes  de  Detchan,  et  leur  a  demandé  de  laisser 
:omme  don  d'adieu  la  jolie  somme  de  100  000  roubles  pour  amortir 
es  dettes  du  monastère.  11  est  vraisemblable  que  cette  générosité  rap- 
)ortera  un  jour  ou  l'autre  quelque  bénéfice  à  leurs  auteurs,  si  elle  ne 
'a  déjà  fait. 

Malgré  leur  petit  nombre,  les  moines  serbes  attirent  beaucoup  l'at- 
ention  du  public,  et  la  Skoupchtina  se  mêle  assez  souvent  de  leurs 
iffaires.  C'est  que  les  biens  des  couvents  sont  relativement  considérables. 
Is  n'occupent  pas  moins  de  18716  hectares  et  sont  estimés  8  millions 
le  francs.  S'ils  ne  rapportent  qu'un  revenu  annuel  de  183000  francs, 
a  faute  en  est  à  la  mauvaise  administration  des  moines,  dont  la  con- 
luite  peu  édifiante  a  été  dévoilée  dernièrement  dans  une  série  de  procès 
etentissants.   Aussi   des   bruits   de    confiscation    circulent-ils    depuis 

uelques  années  dans  les  milieux  gouvernementaux.  Pour  en  empêcher 
i  réalisation  et  montrer  aux  esprits  malveillants  que  les  monastères 
•euvent  être  utiles  à  quelque  chose,  l'autorité  ecclésiastique  s'est  préoc- 

upée  d'établir  des  écoles  monacales.  Une:  de  ces  écoles  a  été  ouverte 


Sur  cette  atïaire,  voir  Echos  d'Orient,  t.  VI  (igoS),  p.  399-401. 


350  ÉCHOS    D  ORIENT 


au  monastère  de  Rakovitza^  près  de  Belgrade,  en  1906  (i).  Une  autre 
existe  à  Khilandar  depuis  1908.  On  y  recueille  surtout  des  pauvres  et 
des  orphelins.  Le  nombre  total  des  élèves  ne  dépasse  pas  quelques 
dizaines.  A  Rakovitza,  les  cours  durent  quatre  ans,  et  à  Khilandar  deux 
ans  seulement. 

Le  nouveau  projet  de  loi  sur  les  autorités  ecclésiastiques  maintient 
ces  écoles  et  favorise  leur  développement.  En  même  temps,  pour  pré- 
venir le  retour  d'abus  malheureusement  trop  fréquents  jusqu'ici,  il 
soumet  d'une  manière  plus  étroite  les  monastères  à  l'autorité  ecclésias- 
tique. Moines  et  higoumènes  sont  placés  sous  la  surveillance  de  l'évêque 
diocésain,  qui  est  désigné  comme  leur  premier  supérieur  et  peut  changer 
les  higoumènes,  si  les  intérêts  de  la  foi  ou  le  bien  du  monastère 
l'exigent.  Quant  à  l'administration  des  propriétés,  elle  fait  l'objet  de 
dispositions  précises  et  détaillées.  Elle  n'est  plus  confiée,  comme  pré- 
cédemment, au  seul  supérieur,  mais  à  un  Conseil  monastique  dont  fontl 
partie  tous  les  religieux  du  monastère.  Si  ceux-ci  sont  moins  de  trois, 
l'évêque  complète  le  Conseil  par  un  prêtre  ou  même  un  laïque  de  sor 
choix.  Une  comptabilité  rigoureuse  est  établie,  et  l'évêque  la  contrôU 
par  l'intermédiaire  du  tribunal  ecclésiastique  et  de  délégués  spéciaux 
Le  traitement  du  supérieur  et  des  Frères  est  fixé  par  le  synode  métro- 
politain, proportionnellement  aux  revenus  du  monastère.  Sur  les  Con- 
grès monastiques,  le  projet  garde  le  silence  tout  comme  sur  les  Con 
grès  sacerdotaux.  Et  vraiment  les  74  moines  serbes  ont-ils  tant  besoii 
de  se  réunir  en  Congrès? 

La  réforme  de  la  paroisse. 

Dans  les  règlements  encore  en  vigueur,  on  ne  trouve  presque  riei 
sur  l'organisation  de  la  paroisse.  Les  nouveaux  projets  comblent  cett 
lacune.  Ils  déterminent  d'abord  le  nombre  des  familles  dont  devra  s 
composer  chaque  paroisse.  Les  chiffres  proposés  sont  :  pas  plus  de  40c 
pas  moins  de  200.  Des  exceptions  sont  admises  pour  les  villes,  les  grç 
villages  et  les  petites  localités  perdues  dans  les  montagnes.  Tou 
paroisse  est  pourvue  de  trois  institutions  :  i»  la  commune  ecclésiastiqt 
dont  font  partie  tous  les  cit03'ens  majeurs  payant  l'impôt,  jouissai 
de  leurs  droits  civils  et  menant  la  vie  chrétienne;  2°  le  Conseil  ecclésia 
tique,  composé  du  clergé  de  la  paroisse,  des  curateurs,  de  l'institutei, 
de  l'école  primaire  et  de  cinq  paroissiens  élus  par  la  commune.  \. 


(i)  Voir  Echos  d'Orient,  t.  X  (1907),  p.  248. 


L  EGLISE    DE    SERBIE    DE    I909    A    I912  35 1 

(résident  du  Conseil  est  le  curé;  ses  membres  doivent  être  de  bons  chré- 
iens  et  avoir  au  moins  trente  ans  d'âge.  La  revision  trimestrielle  des 
ivres  d'église,  la  réparation  des  édifices  du  culte,  la  surveillance  et 
administration  des  propriétés  et  des  revenus  ecclésiastiques,  le  déve- 
jppement  des  œuvres  de  bienfaisance  sont  du  ressort  de  ce  Conseil; 
,°  la  direction  ecclésiastique,  constituée  par  les  curés  et  les  curateurs, 
les  charges  sont  d'établir  le  budget  annuel  de  la  paroisse,  d'en  exécuter 
es  déterminations,  de  veiller  à  la  propreté  et  au  bon  ordre  de  l'église, 
l'engager  et  de  renvoyer  les  acolytes,  lecteurs,  chantres  et  sacristains, 
le  prendre  soin  des  livres  de  comptabilité  et  des  registres  paroissiaux. 
Jne  paroisse  peut  avoir  de  deux  à  quatre  curateurs.  Ce  sont  les  cura- 
eurs  qui  ont  la  garde  du  trésor  de  l'Eglise. 

.  Le  projet  sur  l'organisation  du  clergé  promet  un  traitement  au  clergé 
)aroissial  sur  le  budget  de  l'Etat.  Les  déterminations  relatives  au  mode 
le  répartition  de  ce  traitement  seront  vraisemblablement  modifiées.  Le 
Conseil  d'Etat  a  déjà  présenté  des  observations  dans  ce  sens. 

La  question  des  secondes  noces  des  clercs. 

D'après  la  législation  canonique  de  l'Eglise  orientale,  le  mariage 
îst  permis  au  bas  clergé  et  n'est  interdit  qu'aux  évéques.  Mais  le  diacre 
)u  le  prêtre  qui  vient  à  perdre  sa  femme,  serait-ce  le  lendemain  de 
'ordination,  ne  peut  convoler  en  secondes  noces.  Dans  ces  dernières 
innées,  un  mouvement  presque  général  s'est  dessiné  dans  les  Eglises 
lutocéphales  pour  réclamer  l'abolition  de  l'ancienne  discipline.  Si  le 
laut  clergé,  qui  compose  les  divers  saints  synodes,  s'est  montré,  dans 
'ensemble,  hostile  à  tout  changement,  le  clergé  marié  n'a  cessé  et  ne 
:esse  de  demander  les  secondes  noces.  Mais  l'abrogation  d'un  canon 
lu  concile  in  Trullo,  concile  regardé  par  les  Orientaux  comme  œcumé- 
lique,  est  chose  grave.  On  s'entend  généralement  à  dire,  dans  Vortho- 
foxie,  que  seul  un  concile  œcuménique  peut  défaire  ce  qu'un  concile 
fBcuménique  a  fait.  On  ne  s'entend  pas  moins  à  reconnaître  l'impos- 
sibilité morale,  sinon  physique,  de  réunir  de  nos  jours  un  concile  œcu- 
ménique de  toutes  les  Eglises  orthodoxes. 

Cette  impossibilité,  cependant,  ne  paraît  pas  évidente  aux  prêtres  du 
oyaume  de  Serbie.  Dans  leur  vingt-deuxième  Congrès  interdiocésain, 
lui  s'est  tenu  à  Belgrade  au  mois  d'août  191 1,  ils  ont  essayé  de  mon- 
ifrer  que  les  raisons  invoquées  contre  la  possibilité  de  réunir  un  con- 
l'ple  œcuménique  ne  sont  pas  sérieuses.  D'après  eux,  le  choix  de  la  ville 
f>ù  se  tiendrait  l'assemblée  est  chose  assez  secondaire.  Si  l'on  ne  peut 


3^2  ÉCHOS    d'orient 


se  réunir  à  Constantinople  à. cause  de  l'intolérance  turque,  intolérance 
qui  paraît  d'ailleurs  ne  plus  exister  depuis  la  constitution,  qu'est-ce 
qui  empêche  d'aller  autre  part,  dans  quelque  autre  capitale  d'un  pays 
orthodoxe?  Dans  l'état  actuel  de  l'orthodoxie,  les  Grecs  et  le  patriarche 
œcuménique  sauront  certainement  s'élever  au-dessus  des  petites  consi' 
dérations  mesquines  qui  leur  feraient  voir  de  mauvais  œil  le  choix  d'une 
autre  ville  que  Constantinople.  Il  est  temps  que  l'orthodoxie  ferme  h 
bouche  à  ses  ennemis,  qui  lui  reprochent  d'être  acéphale  justemen 
parce  qu'elle  est  une  agglomération  d'Eglises  autocéphales.  La  tête  d( 
l'Eglise  orthodoxe,  c'est  le  concile  œcuménique,  et  celui-ci  peut  êtn 
réuni  chaque  fois  que  le  besoin  s'en  fait  sentir.  Objecter  que  les  prélat! 
orthodoxes  ne  pourraient  délibérer  entre  eux,  faute  d'une  langue  com 
mune  entendue  de  tous,  est  un  pur  prétexte.  Comme  si  l'on  ne  pou 
vait  pas  trouver  des  interprètes! 

On  trouvera  sans  doute  un  peu  simplistes  ces  beaux  raisonnements 
Les  prêtres  serbes  oublient  d'ailleurs  de  nous  prouver  qu'une  assemblé 
composée  des  évêques  de  toutes  les  autocéphalies  constituerait  un  véri 
table  concile  œcuménique.  Ignorent-ils  que  certains  théologiens  orthc 
doxes,  et  des  meilleurs,  enseignent  que  la  présence  du  patriarche  d'0( 
cident  ou  de  ses  délégués,  c'est-à-dire  de  l'évêque  de  Rome,  est  requis 
pour  l'œcuménicité  d'un  synode,  suivant  l'adage  universellement  reç 
dans  l'ancienne  Eglise  une  et  indivise? 

Les  curés  n'ont  pas  été  les  seuls  à  s'occuper  de  la  question  de 
secondes  noces,  bien  qu'elle  les  touche  plus  particulièrement.  Lé 
députés  serbes  sont  heureux  de  faire,  à  l'occasion,  les  sacristains  et  k 
théologiens.  Dans  la  séance  de  la  Skoupchtina  du  24  mars  1911 
M.  Agatonovitch,  après  avoir  déclaré  que  le  Parlement  avait  le  droit  d 
changer  tout  ce  qui  ne  se  rapporte  pas  à  la  foi,  a  fait  l'apologie  d$ 
secondes  noces  et  a  opposé  aux  décrets  des  conciles  l'ordre  formel  é 
l'Ecriture  Sainte  :  «  Croissez  et  multipliez-vous.  »  Un  autre  a  mis  è 
avant  des  raisons  d'ordre  matériel  et  moral.  Il  paraît  qu'en  Serbie,  st 
975  prêtres,  235  sont  veufs  et  ne  peuvent  s'occuper  comme  il  conviei 
de  l'éducation  de  leurs  enfants.  Par  ailleurs,  leur  vertu  est  soumil 
à  de  rudes  épreuves.  Aussi  l'orateur  a-t-il  insisté  pour  qu'on  fort 
la  main  au  synode  métropolitain  en  vue  d'obtenir  une  décision  fa< 
rable  aux  secondes  noces,  même  si  l'Eglise  russe  s'obstine  à  h 
repousser. 

Une  seule  voix,  celle  de  l'archiprêtre  Djouritch,  s'est  élevée  dans  l'a 
semblée  pour  dire  que  l'Eglise  serbe  ne  pouvait  trancher  la  question  qi 
d'accord  avec  les  autres  Eglises  orthodoxes.  Quant  au   ministre  d 


L  EGLISE  DE  SERBIE  DE  I909  A  I912  3;;  3 

r- — — — ' ~- 

'ultes,  il  a  répondu  qu'il  avait  déjà  entretenu  de  cette  affaire  le  métro- 
lolitain  de  Belgrade. 

Ce  dernier  avait  déjà  reçu,  le  14  juillet  19 10,  la  lettre  que  le  patriarche 
le  Carlovitz  avait  adressée  à  toutes  les  Eglises  autocéphales  pour  les 
:onsulter  sur  cette  question  des  secondes  noces  des  clercs.  De  plus,  au 
lébut  de  1911,  le  patriarche  œcuménique,  Joachim  111,  avait  répondu 
,  l'initiative  de  son  confrère  de  Carlovitz  en  envoyant  lui  aussi  sa  circu- 
aire  aux  Eglises,  avec  prière  de  vouloir  bien  lui  faire  connaître  leur 
entiment  sur  le  même  sujet.  Enfin,  le  Comité  central  de  l'association 
les  prêtres  serbes  avait  demandé  au  synode  de  s'entendre  avec  le  synode 
le  Carlovitz  pour  permettre  les  secondes  noces. 

Devant  toutes  ces  sollicitations,  le  métropolitain  et  son  synode  ne 
îouvaient  garder  le  silence.  On  a  donc  examiné  la  question  à  la  session 
lu  printemps  de  191 1.  La  réponse  que  M^^^'"  Diniitri,  métropolitain  de 
Belgrade,  avait  fait  parvenir  au  patriarche  œcuménique,  et  dans  laquelle 
\  déclarait  que  seul  un  concile  œcuménique  pouvait  trancher  la  ques- 
tion pour  toute  l'Eglise,  a  eu  l'approbation  du  synode.  Mais  celui-ci 
a  ajouté  que  l'Eglise  serbe  serait  prête  à  permettre  aux  clercs  les 
secondes  noces,  si  les  Eglises  de  Constantinople  et  de  Russie  faisaient 
de  même,  et  qu'elle  tiendrait  la  même  conduite  que  ces  deux  Eglises  à 
l'égard  des  autocéphalies  sœurs  qui  se  permettraient  d'innover  de  leur 
propre  initiative.  On  remarquera  en  passant  ce  qu'a  d'illogique  cette 
attitude  :  d'un  côté,  on  proclame  que  le  concile  œcuménique  est  seul 
compétent  pour  abolir  l'ancienne  législation;  de  l'autre,  on  se  déclare 
prêt  à  suivre  le  mauvais  exemple  de  plus  grands  que  soi.  Que  la  grande 
sœur,  qui  s'appelle  l'Eglise  russe,  fasse  le  premier  pas,  et  on  la  suivra. 
Ce  sera  le  cas  de  dire  que  la  raison  du  plus  fort  est  toujours  la  meilleure. 
utant  qu'on  peut  le  conjecturer,  les  curés  veufs  de  Serbie  et  d'ailleurs 
Attendront  encore  longtemps  la  permission  de  prendre  une  seconde 
épouse,  et  ils  seront  certainement  grands-pères  avant  qu'un  concile 
Ipecuménique  vienne  les  tirer  d'embarras. 

Récentes  décisions  du  gouvernement  et  du  synode. 

Dernièrement,  le  gouvernement  serbe  a  pris  une  série  de  mesures 
leu  amicales  à  l'égard  de  l'Eglise.  Les  professeurs  d'instruction  reli- 
'■'use.  qui  recevaient  jusqu'ici  les  mêmes  honoraires  que  les   profes- 

rs  des  autres  matières  (3  francs  par  heure),  n'obtiendront  qu'un 
laitement  inférieur  (2  fr.  50  par  heure). 

La  nouvelle  loi  sur  les  taxes  et  octrois,   publiée  le  26  mars   191 1, 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  ^^ 


3^4  •  ÉCHOS  d'orient 


frappe  durement  le  clergé.  Non  seulement  celui-ci  est  obligé,  sous  le 
peines  les  plus  sévères,  de  fournir  tous  les  renseignements  nécessaire 
pour  la  perception  des  impôts,  mais  encore  il  devra  payer  un  droit  d 
timbre  fort  élevé  pour  tous  les  documents  émanés  de  l'autorité  ecch 
siastique.  Tous  les  papiers  relatifs  à  la  procédure  ecclésiastique  sor 
frappés  d'une  taxe  allant  de  5  à  50  francs.  Les  demandes  d'emplois,  k 
nominations  aux  charges,  depuis  le  poste  de  diacre  jusqu'à  celui  d 
métropolitain,  seront  fort  profitables  au  fisc,  qui  percevra  :  pour  u 
diacre,  0  fr.  50;  pour  un  curé,  30  francs;  pour  un  archiprêtre,  6c 
pour  un  moine,  2  ;  pour  un  hiéromoine,  20;  pour  un  syncelle,  40;  poi 
un  protosyncelle,  60;  pour  un  higoumène,  80;  pour  un  archimar 
drite,  100;  pour  un  évêque,  300;  pour  le  métropolitain,  600;  pour 
déplacement  d'un  curé,   10. 

Le  gouvernement  a  aussi  fait  preuve  d'indélicatesse  envers  le  synod 
en  ne  lui  demandant  pas  son  avis  avant  de  signer  avec  l'Autriche-Ho; 
grie  une  convention  par  laquelle  les  mariages  civils  conclus  en  Autrichj 
Hongrie  seront  considérés  comme  valides  dans  le  royaume  de  Serbi 

Les  prélats  qui  font  mine  de  résister  à  l'immixtion  du  pouvoir  ci' 
dans  les  affaires  ecclésiastiques  payent  de  leur  place  ces  tentatives  q 
les  honorent.  C'est  ce  qui  est  arrivé  dernièrement  à  l'évêque  de  Nie 
Mg»"  Nicanor,  qui  a  dû  donner  sa  démission.  Le  synode  métropolite 
l'a  remplacé,  le  19  avril  191 1,  par  l'archimandrite  Domentian,  prof 
seur  au  Séminaire  Saint-Sabas.  Le  nouvel  élu  est  né  en  1872.  Il  dut  à| 
protection  du  métropolitain  Michaël,  son  parent,  d'aller  étudier  à  Ki 
De  retour  en  Serbie,  il  embrassa  la  vie  monastique  en  1900.  Depuis 
temps,  il  s'est  dévoué  au  service  de  l'Eglise  et  paraît  être  une  des  f^ 
sonnalités  les  plus  marquantes  du  clergé  serbe. 

Le  Glasnik  pravoslavne  isrkve,  organe  officiel  du  synode,  a  pub 
dans  son   numéro  du   i^i-  septembre   191 1,   une  série  d'ordonnanb 
relatives  à  l'administration  paroissiale.  Toutes  les  questions  de  caij;- 
tère  économique  doivent  être  examinées  dans  les  réunions  de  la  Die- 
iion  ecclésiastique,  dont  font   partie   non  seulement  les  membres  : 
clergé,  mais  aussi  les  curateurs.  j 

Signalons   enfin   la   publication   par  le   synode  métropolitain   d  ' 
cérémonie  de  la  dégradation  des  clercs,  qui  sera  désormais  pratiquée 
Serbie.  En  voici  les  rubriques:    1°  Le  prêtre  coupable  est  condi 
l'église  devant  l'évêque  du  lieu.  On  lit  en  sa  présence  l'acte  de  concjU- 
nation;  2°  sur  l'ordre  de  l'évêque  ou  de  son  représentant,  un  bai'ie' 
coupe  au  condamné   quelques  cheveux  et  quelques  poils  de  b: 
Là-dessus,  l'évêque  déclare  que  N...  cesse  d'être  prêtre  et  perd  le  llit 


L  EGLISE    DE    SERBIE    DE    I909    A    I912 


355 


d'accomplir  les  actes  du  sacerdoce,  puis  il  lui  adresse  une  allocution; 
30  le  dégradé  se  dépouille  ensuite  de  ses  habits  sacerdotaux,  revêt  un 
costume  laïque  et  se  fait  raser  complètement  la  barbe  et  les  cheveux. 
Un  procès-verbal  signé  des  membres  du  tribunal  ecclésiastique  est 
envoyé  à  la  chancellerie  épiscopale,  qui  raye  le  dégradé  de  la  liste  des 
clercs  en  fonction  et  en  informe  les  autres  tribunaux  ecclésiastiques. 
La  dégradation  est  annoncée  dans  la  revue  officielle  du  synode.  Le 
dégradé  ne  peut  plus  être  admis  au  service  d'une  église  ou  d'un 
monastère. 


E.    GOUDAL. 


CHRONIQUE 
DE   L'ÉGLISE    MELKITE  '" 


Les  Echos  d'Orient  s'étaient  jusqu'ici  condamnés  à  un  silence  forcé  sui 
les  événements  religieux  qui  se  passaient  en  Syrie.  Faute  d'un  corres- 
pondant établi  sur  place,  il  leur  était  impossible  de  contrôler  des  faits 
qui  eussent  été  d'un  si  grand  intérêt  pour  leurs  lecteurs.  Aujourd'hui,  ih 
sont  heureux  de  pouvoir  combler  cette  lacune  en  donnant  des  détails  cir- 
constanciés sur  les  principaux  événements  qui  viennent  de  se  produire 
au  sein  de  l'Eglise  melkite  catholique. 

I.  A  'Aïn-Traz. 


En  juillet  1909,  tous  les  évéques  de  l'Eglise  melkite  étaient  réunis 
'Aïn-Traz,  sous  la  présidence  de  S.  B.  Cyrille  VIII  Géha,  pour  célèbre 
leur  synode  national  annoncé  depuis  dix  ans.  A  la  suite  des  troubles  regre 
tables  qui  agitèrent  le  court  patriarcat  de  Pierre  IV  Géraïgiry,  Léon  XII 
en  avait  pressé  vivement  les  travaux  préparatoires  à  Rome.  «  Hâtez-vou: 
disait-il,  hâtez-vous  de  célébrer  votre  synode,  afin  que  je  puisse  vous  ' 
confirmer  avant  de  mourir.  Ce  sera  le  couronnement  de  toutes  mes  œuvn 
entreprises  en  faveur  des  Eglises  orientales,  qui  me  sont  si  chères.  »  ( 

Le  grand  Pape  mourut  sans  avoir  eu  cette  consolation,  et  le  syno( 
melkite,  grâce  à  certains  troubles  suscités  par  les  laïques,  dut  être  différ 
Il  fut  enfin  célébré,  mais  dans  le  plus  grand  silence,  de  sorte  qu'il  pasl 
presque  inaperçu  lorsqu'il  se  tenait  à  'Aïn-Traz,  à  l'abri  de  toute  agitatic 
séculière.  | 

Les  actes  du  synode  sont  actuellement  à  Rome,  soumis  à  l'examen  d' 
EE.  cardinaux.  Nous  n'en  savons  encore  rien  de  précis,  bien  que  certair 
décisions  aient  déjà  transpiré  dans  quelques  parties  de  la  Syrie.  La  cuili 
liturgique  en  usage  pour  la  communion  des  fidèles  a  été  prudemmc 
abolie  à  Alep,  à  Damas  et  à  Beyrouth.  En  Egypte,  c'était  déjà  chose  acco  - 
plie  depuis  longtemps.  Au  Liban,  cependant,  et  dans  les  autres  éparcho 
melkites,  il  existe  encore  certains  endroits  où  la  prudence  ne  permet  gu-' 
d'introduire  l'usage  nouveau,  mais  on  ne  tardera  pas  à  y  donner  la  sai  i^ 
communion  avec  la  main,  comme  font  nos  frères  les  Syriens  catholiqij' 


(i)  Nous  déclarons  laisser  à  l'auteur  l'entière  responsabilité  de  son  article.  N  s 
avons,  d'ailleurs,  sur  les  affaires  malheureuses  qu'il  raconte  des  documents  irrécusati*- 
Que  les  fauteurs  de  troubles  s'en  prennent  à  eux-mêmes  s'ils  trouvent  mauvais  je 
leurs  menées  soient  connues  ailleurs  qu'en  Syrie.  (A^.  D.  L.  R.)  ' 

(2)  Paroles  citées  en  Syrie  par  M*'  Nicolas  Qâdi,  métropolite  de  Bosra  et 


CHRONIQUE    DE    L  EGLISE    MELKITE  357 

La  même  difficulté  existe  pour  l'Amérique,  où  certains  vieux  fanatiques 
lu  rite  —  qui  communient  une  ou  deux  fois  par  an  —  y  voient  une  atteinte 
»rave  apportée  aux  rites  et  coutumes  des  orientaux. 

Une  autre  décision  importante  de  ce  même  synode  fut  la  reconnaissance 
ifficielle,  par  tout  l'épiscopat  melkite,  de  la  jeune  Société  des  Mission- 
laires  de  Saint-Paul,  fondée  par  le  regretté  M^^""  Germanos  Mo'aqqad, 
;n  1903,  et  établie  à  Harissa  (Liban).  Evidemment,  cette  reconnaissance 
jfficielle  est  due  au  prestige  que  cet  excellent  prélat  exerçait  depuis  long- 
;emps  sur  l'épiscopat  melkite,  à  sa  science  et  aux  nombreux  services  qu'il 
i  rendus  à  l'Eglise  melkite  depuis  son  élévation  au  sacerdoce.  Il  faut  aussi 
j  faire  quelque  part  aux  labeurs  apostoliques  par  lesquels  se  sont  distin- 
gués les  trois  premiers  Missionnaires  dans  toutes  les  éparchies  melkites, 
lotamment  en  Egypte  et  au  Hauran.  D'aucuns  s'étonneront  peut-être  de 
*^oir  les  Chouérites  et  les  Salvatoriens  conserver  une  neutralité  excessive- 
Tient  prudente  dans  la  fondation  et  la  marche  en  avant  de  cette  jeune 
société  de  Missionnaires.  Or,  cette  attitude  impartiale  ne  fait  que  les 
lonorer  davantage  aux  yeux  du  public  instruit  de  la  nation  melkite.  Nous 
le  sommes  plus  à  l'époque  d'Ignace  Sarrouf,  qui,  en  haine  des  Chouérites 
;t  des  Salvatoriens,  entreprenait  de  fonder  sa  fameuse  Congrégation 
Siméonietine,  pour  remplacer  et  les  uns  et  les  autres.  On  sait  qu'alors 
Chouérites  et  Salvatoriens  se  sont  donné  la  main  pour  écraser  son  œuvre 
dès  le  berceau.  Les  temps  sont  changés.  Les  Chouérites  savent  bien  qu'ils 
l'ont  rien  à  appréhender  de  cette  Société  de  Missionnaires,  qui  ne  nour- 
rissent aucune  ambition  de  desservir  les  paroisses,  quelque  riches  et 
avantageuses  qu'elles  soient. 

Une  troisième  décision  de  cette  assemblée  solennelle  de  l'Eglise  mel- 
kite fut  la  fondation  de  la  petite  revue  arabe  Al-Massarrat,  «  la  Bonne 
Volonté  ».  Toujours  sur  l'instigation  de  Me""  Mo'aqqad,  le  synode  décréta 
]ue  cette  revue  serait  l'organe  officiel  de  la  communauté  melkite,  et  que 
la  rédaction  et  l'administration  en  seraient  confiées  aux  Missionnaires 
le  Saint-Paul,  sous  la  présidence  et  le  contrôle  de  Me--  G.  Mo'aqqad. 
\ussi,  le  jeune  périodique  se  glorifie-t-il  de  porter  le  titre  de  Revue  du 
f)atriarcat  des  Grecs  catholiques.  Elle  parut  le  i"  juin  1910,  en  un  fasci- 
tule  in-8°  de  32  pages,  et,  depuis  lors,  elle  se  présente  au  lecteur  deux  fois 
jie  mois  régulièrement.  Au  1"  juin  191 1,  elle  ajouta  huit  autres  pages  de 
i;exte,  à  cause  de  l'abondance  des  matières.  Ces  succès  précoces  sont  tous 
[1  la  louange  des  rédacteurs,  qui  se  comptent  déjà  dans  tous  les  rangs  du 
:lergé  melkite;  ils  sont  une  preuve  éclatante  du  grand  germe  de  vie  intel- 
ectuelle  et  religieuse,  jusque-là  à  l'état  latent,  dans  la  communauté  mel- 
kite catholique.  La  jeune  revue  s'intitule  avant  tout  religieuse,  puis  scien- 
'ifique,  historique  et  nouvelliste.  D'aucuns  lui  reprocheront  cependant 
le  n'avoir  été  jusqu'à  présent  que  religieuse,  et  pas  assez  patriarcale. 
Mais,  ne  l'oublions  pas,  la  jeune  revue  n'en  est  encore  qu'à  sa  seconde 


3^8  ÉCHOS  d'orient 


année,  et  elle  promet  beaucoup  pour  l'avenir.  D'ailleurs,  les  faits  et  geste 
de  la  chancellerie  patriarcale  ne  foisonnent  pas  d'ordinaire  en  Syrie,  bie 
que  des  réformes  nombreuses  et  salutaires  paraissent  urgentes  au  sein  d 
la  communauté  melkite.  Enfin,  la  jeune  revue,  rédigée  principalemer 
par  des  anciens  élèves  de  Sainte-Anne  de  Jérusalem,  permet  à  ces  derniei 
de  montrer  à  leurs  coreligionnaires  tout  ce  qu'ils  sont  capables  de  pn 
duire  après  une  douzaine  d'années  de  la  meilleure  formation  sacerdota] 
qu'on  puisse  recevoir  dans  toute  la  Syrie. 

Enfin,  le  synode  melkite,  à  l'instigation  de  M»""  Cyrille  Moghabghal 
a  lancé  l'excommunication  majeure  contre  le  P.  Paul  Kfouri,  Basilie 
chouérite.  Défroqué  à  trois  reprises  difl"érentes,  en  Amérique  et  en  Au; 
tralie,  ce  pauvre  moine  nourrissait  depuis  longtemps  des  disposition 
plus  qu'équivoques  à  l'endroit  de  sa  vocation  religieuse  et  sacerdotale.  L 
morale  de  Mahomet  lui  a  toujours  souri.  Le  Supérieur  général  actuel  c 
Chouéir  ne  réussit  à  le  faire  rentrer  en  Syrie,  qu'en  lui  donnant  la  dire 
tion  du  nouveau  Collège  oriental  que  les  Chouérites  venaient  de  fond 
à  Zahlé.  Dans  cette  ville,  entièrement  chrétienne,  s'étaient  établies  quelqu 
familles  musulmanes  originaires  de  Beyrouth.  Le  clergé  melkite  ne  f 
pas  peu  surpris  de  voir  le  P.  Kfouri  les  fréquenter  et  les  entourer  de  pi 
venances  excessives.  Plus  tard,  il  réussit  à  fonder  son  fameux  journ 
l'Educateur  où,  tout  en  faisant  les  plus  grands  éloges  du  mahométism 
il  essayait  de  répandre  les  doctrines  les  plus  subversives  contre  la  religi< 
catholique,  au  grand  scandale  des  fidèles.  En  vain  le  bon  évêque  de  Zai 
usa  de  douceur  pour  ramener  le  prêtre  dévoyé;  en  vain  il  lui  fit  les  tr< 
avertissements   canoniques;    il    dut    finalement    l'excommunier    d'u 
manière  solennelle,  ce  qui  lui  attira  les  malédictions  de  tous  les  fran< 
maçons  de  Zahlé.  Mais  l'excellent  évêque  tint  ferme;  le  synode  melk 
l'en  félicita,  et  confirma  de  nouveau  cette  censure  canonique.  La  jeu 
revue  Al-Massarrat  a  eu  le  rare  courage  de  publier  une  partie  de  ce 
excommunication,  après  avoir  résumé  en  quelques  mots  le  mandem* 
épiscopal  de  Mg''  Moghabghab  (i).  | 

Que  dire  encore  de  ce  synode  melkite  ?  Une  lettre  récente  nous  dor 
des  nouvelles  plutôt  alarmantes  sur  son  avenir.  Un  de  nos  meille 
évêques,  M^:'-  Dimitrios  Qâdi,  d'Alep,  qui  fut  l'âme  des  travaux  d'élabci- 
tion  à  Rome,  aurait  déclaré  «  qu'il  faut  attendre  au  moins  dix  ans  pijr 
que  Rome  puisse  confirmer  le  synode,  et  peut-être  ne  le  confirmera-t-ile 
jamais.  En  eff"et,  les  actes  du  synode  renferment  plusieurs  points  (je 
Rome  ne  se  résignera  jamais  à  sanctionner;  telle,  par  exemple,  l'imnc- 

tion  des  laïques  dans  l'élection  des  évêques Quant  à  la  clandestiiié 

du  mariage,  le  pape  Pie  X  avait  demandé  (2)  l'avis  de  notre  patriar|ie 


(i)  Cf.  Al-Massarrat,  t.  I"  (1911),  p.  705-707. 
^  (2)  Peut-être  vers  1907,  lorsque  le  même  Pape  promulguait  le  décret  Ne  terni 
l'Amérique  du  Nord. 


CHRONIQUE    DE    L  ÉGLISE    MELKITE  359 

ichant  la  nouvelle  législation  promulguée  dans  le  décret  A^e  temere.  Sa 
Béatitude  a  transmis  ces  désirs  aux  évoques  de  son  patriarcat,  et  la  majorité 
de  l'épiscopafmelkite  y  répondit  favorablement.  Aussi,  durant  notre 
assemblée  solennelle  à  'Aïn-Traz,  sommes-nous  tombés  d'accord  sur  ce 
point,  et  avons-nous  consenti  à  promulguer  le  décret  Ne  temere  dans 

nos  diocèses  (i) En  ce  qui  touche  aux  droits  du  clergé  régulier  et  à 

ceux  du  clergé  séculier  (2),  il  n'a  été  décidé  rien  de  bien  certain »  (3) 

II.  Au  diocèse  de  Beyrouth, 

On  sait  que  cette  éparchie  est  revendiquée,  avec  celle  de  Bâalbek,  par 
les  Chouérites  baladites,  qui,  à  ce  titre,  font  miroiter  aux  yeux  des  laïques 

incompétents  des  droits  inaliénables  qui  seraient  consacrés  par des 

Bulles  pontificales  (!) bien  difficiles  à  trouver.  Dans  l'éparchie  de 

Beyrouth,  il  n'y  a  qu'un  seul  prêtre  séculier,  ancien  élève  de  Sainte-Anne, 
auquel  on  veut  bien  accorder  le  droit  d'asile.  Il  y  dessert  une  petite 
paroisse,  ingrate  s'il  en  fut,  et  où  les  tracasseries  du  métropolite  actuel, 
de  son  vicaire  général  à  la  Montagne  et  des  nombreux  Chouérites  de  Bey- 
routh ont  souvent  l'air  de  s'unir  contre  lui  à  celles  des  protestants  et  des 
orthodoxes.  Mais  il  tient  ferme  depuis  1902,  fidèle  à  son  devoir,  et  exci- 
tant le  respect  et  l'admiration  de  tous  ses  persécuteurs.  Il  est  arrivé  à 
doter  cette  petite  paroisse  d'une  vaste  église,  d'un  solide  presbytère  et 
d'une  école  où  une  cinquantaine  d'élèves  —  la  plupart  internes  — 
apprennent  avant  tout  la  doctrine  chrétienne,  puis  les  langues  arabe, 
française  et  anglaise,  avec  la  grammaire,  l'histoire,  la  littérature  et  les 
mathématiques.  Des  résultats  merveilleux  ont  déjà  été  obtenus  par  cet 
enseignement,  et  des  conversions  nombreuses  sont  déjà  venues  couronner 
tant  de  labeurs,  soit  dans  le  camp  des  protestants,  soit  dans  celui  des 
orthodoxes.  Pourquoi  faut-il  que  les  Chouérites,  et  à  leur  tête  le  métro- 
polite de  Beyrouth,  créent  des  difficultés  à  cette  œuvre  de  Dieu? 

L'Eglise  catholique  a  constamment  prohibé  la  communication  in  sacris 
avec  toutes  les  communions  exclues  de  son  sein.  Or,  les  moines  choué- 
rites ont  trop  souvent  favorisé  ces  sortes  de  communications  avec  les 
orthodoxes  et  les  protestants.  Ces  abus  existent  actuellement  dans  tout 
le  diocèse  de  Beyrouth,  en  dépit  des  prohibitions  du  patriarche  melkite 
et  du  délégué  apostolique.  Seuls  les  Chouérites  en  portent  la  responsa- 


I  Evidemment,  après  la  confirmation  du  synode  par  Rome. 

(2)  Il  s'agit  de  la  fameuse  question  des  paroisses,  dont  le  service  a  toujours  été 
revendiqué  par  les  moines  Chouérites  et  Salvatoriens,  au  grand  préjudice  du  clergé 
séculier,  dont  le  nombre  augmente  de  jour  en  jour,  et  qui  ne  trouve  d'occupation 
que  dans  les  écoles. 

(3)  Une  autre  source  parfaitement  autorisée  nous  assure  qu'une  certaine  pression 
avait  été  exercée  sur  quelques  membres  du  synode  et  que  Rome,  en  l'apprenant, 
a  refusé  de  continuer  l'examen  des  travaux  conciliaires... 


360  ÉCHOS    d'orient 


bilité.  Déjà,  au  début  du  xviii®  siècle,  la  Propagande  faisait  remarquei 
à  M^"  Euthyme  Saïfi  qu'il  était  inutile  de  travailler  à  la  conversion  des 
orthodoxes  en  leur  faisant  certaines  concessions  coupables  sur  le  terrair 
catholique.  Plus  tard,  elle  défendit  à  plusieurs  reprises  ces  sortes  de  com 
munications.  Nous  allons  voir  comment  ces  défenses  sont  comprise: 
dans  le  diocèse  de  Beyrouth.  Le  bon  curé  dont  nous  avons  parlé  possèd( 
dans  sa  paroisse  une  petite  agglomération  de  Libanais  dont  la  plupar 
sont  catholiques,  d'autres  orthodoxes  ou  protestants.  Ces  derniers  viennen 
souvent  assister  à  la  messe  dans  l'église  catholique,  et  quelquefois  il  leu 
vient  l'envie  de  prendre  une  part  active  aux  offices  liturgiques.  Le  cur 
n'a  jamais  souffert  ce  désordre.  Le  Vendredi-Saint  de  l'an  1910,  un  ortho 
doxe  se  hasarda  à  lire  les  péricopes  à  l'àvaXoy.ov;  le  curé  l'arrêta  net,  e 
ordonna  à  un  catholique  de  faire  la  lecture  liturgique.  Deux  audacieu: 
lui  en  firent  des  remontrances;  il  les  mit  à  la  porte  et  acheva  les  prière 
avec  le  plus  grand  calme.  Le  lendemain,  sur  l'invitation  du  vicaire  général 
le  curé  donnait  les  explications  de  son  acte,  rappelant  les  ordonnance 
romaines  au  sujet  des  communications  in  sacris,  et  lui  demandait  1 
punition  des  coupables.  Le  P.  Joseph  Hanna  (i)  donna  raison  aux  oppc 
sants,  les  excita  sous  main,  écrivit  au  curé  pour  modérer  son  zèle  et  envoy 
un  moine  chouérite  pour  célébrer  la  sainte  messe  aux  délinquants 
Comme  de  juste,  le  curé  renvoya  poliment  ce  moine  qui  s'immisça 
dans  les  affaires  de  sa  paroisse.  Irrité,  le  vicaire  général  envoie  sur-l( 
champ  un  laïque  influent  qui  dresse  un  rapport  orné  de  vingt-trois  signî 
tures  pour  demander  au  métropolite  de  Beyrouth  le  renvoi  du  curé  «  qi 
trouble  la  paix  de  ses  paroissiens  au  point  de  les  éloigner  tous  du  giro 
de  l'Eglise  catholique  ».  De  son  côté,  le  curé  adresse  deux  longs  mémoire 
à  son  supérieur  ecclésiastique;  dans  le  premier,  il  lui  rappelle  la  doctrin 
romaine  touchant  les  communications  in  divinis;  dans  le  second,  il 
met  au  courant  de  toute  l'affaire,  et  lui  raconte  les  menées  de  ses  adve; 
saires.  Or,  voici  la  réponse  du  métropolite,  que  nous  publions  presqi 
in  extenso. 

Mon  Révérend  Père, 

Notre  nation  melkite  a,  de  tout  temps,  pris  l'habitude  d'employer,  dai 

ses  églises  archiépiscopales,  épiscopales,  métropolitaines  et  patriarcales  é 
chantres  schismatiques.  De  plus,  même  dans  les  plus  grandes  solennités  (litu 
giques),  les  chantres  sont  pris  exclusivement  parmi  les  schismatiques.  Not 
Eglise  melkite  ne  reconnaît  guère  tous  les  décrets  du  Concile  de  Trente.  ]f 
outre,  les  ordonnances  de  la  S.  Cong.  de  la  Propagande  (2),  que  vous 
citées,  ne  sauraient  avoir  force  de  loi  dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  lie 
Quant  à  nous,  nous  devons  avant  tout  nous  conformer  aux  évangiles  et 


(i)  C^est  le  nom  du  vicaire  général. 

(2)  Il  s'agit  de  trois  passages  des  Collectanea,  cités  dans  le  mémoire  du  curé. 


CHRONIQUE    DE    l'ÉGLISE    MELKITE  36 1 

pitres;  or,  ces  écrits  nous  recommandent  avant  tout  la  charité;  ils  préconisent 

i  charité  et  la  mettent  au-dessus  de  la  foi;  par  suite,  la  charité  exige  que  nous 

ccueillions  ces  schismatiques 

En  tout  cela,  je  suis  seul  responsable  devant  Dieu.  Je  suis  seul  chargé  devant 

)ieu,  sans  aucun  intermédiaire,  de  convertir  ces  schismatiques  à  notre  Eglise 

recque  melkite.  Par  conséquent,  vous  devez  rejeter  loin  de  vous  ce  fanatisme 

t  ce  mépris,  si  vous  souhaitez  servir  les  ouailles  du  Seigneur  comme  il  importe 

e  le  faire.  Que  si  maintenant  vous  vous  reconnaissez  incapable  de  ramener  les 

éserteurs,  nous  ordonnons  au  P.  Anthime(i)  d'aller  l.'ur  dire  la  messe  pendant 

uelques  jours  et  d'entendre  leurs  confessions 

•J-  Athanase, 

métropolite  de  Beyrouth  et  Gébaïl. 
Avril  1910. 

Cette  réponse  n'émut  guère  le  curé.  Il  se  présenta  à  l'évéché  pour 
emander  des  explications;  il  ne  fut  pas  reçu.  A  la  délégation,  où  il  alla 
nsuite,  on  lui  conseilla  d'envoyer  la  lettre  du  métropolite  à  la  Propa- 
ande  et  au  patriarche,  ce  qu'il  fit,  en  joignant  un  long  mémoire  à  chacun 
e  ces  deux  envois.  Puis  il  fit  publier  par  la  revue  Al-Machriq  un  petit 
rticle  touchant  ces  communications  in  sacris,  et  il  rentra  chez  lui.  Le 
îndemain ,  il  apprit  que  les  Chouérites  s'étaient  présentés  au  village  durant 
on  absence,  et  qu'ils  avaient  confessé  et  absous  les  délinquants,  au  plus 
Drt  de  leur  révolte  contre  leur  curé.  Justement  étonné,  il  adressa  au 
icaire  général  des  plaintes  qui  restèrent  sans  réponse.  Alors  il  déclara 
ux  révoltés  que  les  sacrements  qu'ils  avaient  reçus  des  Chouérites  étaient 
acrilèges.  Entre  temps,  S.  B.  Cyrille  VIII  avait  adressé  une  excellente 
éponse  au  curé,  l'engageant  à  tenir  ferme,  et  enjoignant  aux  délin- 
uants  de  se  soumettre  aux  directions  de  leur  pasteur  et  de  lui  demander 
umblement  pardon.  En  apprenant  celte  nouvelle,  le  vicaire  général  prit 
eur,  et  sa  politique  fit  tout  de  suite  volte-face. 

Emu  à  son  tour  par  les  admonestations  patriarcales  et  par  l'article  de 
î  revue  Al-Machriq,  le  métropolite  chercha  un  terrain  d'entente  en 
emandantau  curé  de  renoncera  sa  paroisse  en  échange  d'une  meilleure, 
.e  curé  refusa,  disant  que  cette  retraite  amènerait  le  triomphe  du  mal. 
Devant  cette  noble  attitude,  le  prélat  se  borna  à  recommander  au  curé 
e  réfléchir  un  peu  à  tout  cela  et  de  lui  donner  sa  dernière  réponse.  Le 
uré  alla  consulter  le  délégué  apostolique;  celui-ci  lui  conseilla  de  tenir 
irme.  Le  métropolite  alors  reconnut  que  ces  paroissiens  n'étaient  que 
'es  sauvages  auxquels  ne  convenait  que  le  bâton  (!).  Il  les  fit  venir  tous 
hez  lui,  et  leur  enjoignit  de  demander  pardon  à  leur  curé,  ce  qu'ils  firent 
ti  lui  baisant  la  main.  Mais,  excités  et  soutenus  sous  main  par  le  vicaire, 
s  ne  se  résignèrent  à  se  présenter  à  l'église  que  lorsque  tous  leurs  sou- 
ens  les  eurent  abandonnés!  Celte  triste  affaire  avait  duré  neuf  mois. 


n  moine  chouérite. 


362  ÉCHOS    d'orient 


III.  Au  diocèse  d'AIep. 

Depuis  la  séparation  en  deux  branches  de  la  Congrégation  basilienn 
chouérite  (1829),  les  religieux  Alépins  gèrent  seuls  les  awqaf  ou  bien 
legs  qu'ils  comptent  dans  la  ville  d'AIep,  mais  sous  le  contrôle  de  l'Oi 
dinaire  du  lieu.  C'est  d'ailleurs  ce  qui  se  pratique  à  la  Montagne  et  pai 
tout  où  se  trouvent  des  awqaf  monastiques.  A  Alep,  l'intendant  de  ce 
biens  était  tantôt  un  laïque,  tantôt  un  moine  chouérite.  Par  suite  d'un 
administration  louche,  les  moines  Alépins  étaient  sans  cesse  en  querel 
avec  le  métropolite  et  les  notables  de  la  ville.  Du  vivant  de  M^''  Paul  Haten 
ces  démêlés  étaient  sans  cesse  renaissants.  Une  fois  même,  ils  durèrei 
sept  années  consécutives  (i  871 -1878),  et  ne  tournèrent  pas  à  l'avanta^ 
des  Alépins  chouérites.  En  1910,  le  métropolite  actuel,  M?''  Dimitri( 
Qâdi,  homme  pieux  et  conciliant  s'il  en  fut,  avait  destitué  l'intendai 
nommé  par  le  Général  alépin,  et  avait  remis  les  aipqaf  aux  mains  d'i 
autre  Chouérite  en  résidence  à  Alep.  Cette  mesure  n'avait  été  prise  p 
le  métropolite  qu'après  cinq  années  de  patience  durant  lesquelles  il  r 
cessé  de  prodiguer  conseils  et  menaces  à  l'ancien  intendant,  dont  l'adn: 
nistration  trop  intéressée  causait  du  scandale  dans  la  ville.  Le  Généi 
alépin  en  fut  irrité;  d'ailleurs,  il  n'était  pas  en  bons  termes  avec  le  méti 
polite  d'AIep.  11  eut  donc  recours  aux  lumières  de  son  ami,  le  métropoli 
de  Beyrouth.  Celui-ci  s'entremit  pour  arranger  les  choses  en  combatta 
ce  qu'il  appelait  les  prétentions  antimonastiques  de  M^'"  Qàdi,  qui  s'ari 
geait  des  droits  qui  appartenaient  à  luiseuli}).  Sur  l'instigation  du  Génér 
il  accepta  un  sakkon  signé  et  cacheté  par  tous  les  supérieurs  majeurs  c 
Alépins,  le  nommant  «  intendant  général  »  des  awqaf  que  la  Congre^ 
tion  possède  à  Alep.  Ainsi,  le  Général  se  retirait  apparemment  du  théâ 
de  la  lutte,  mais  pour  en  diriger  sous  main  toutes  les  manœuvres. 

M?'^  Athanase  Sawaya  savait  bien  que,  s'il  lui  prenait  envie  de  se  ren 
à  Alep,  il  serait  probablement  prié  de  se  retirer.  Le  Général  alépin 
présenta  donc  un  moine  à  l'aspect  sauvage,  ancien  chef  de  brigan 
Alep,  et  qui  rêvait  toujours  de  revenir  à  ses  exploits  d'antan.  Il  s'ét 
plusieurs  fois  signalé  à  Zahlé  par  des  batailles  sanglantes  avec  les  moii 
maronites,  au  grand  scandale  des  fidèles.  Le  P.  Elle  Nahhas  se  mit  de 
au  service  du  Général.  M^'"  Sawaya  eut  la  naïveté  d'écrire  ce  qui  suit 
métropolite  d'AIep  :  ! 

La  Congrégation  des  Alépins  vient  de  me  constituer  intendant  généra'M 
tous  les  awqaf  c\vJç,\\q  possède  à  Alep;  en  conséquence,  j'ai  remis  une  procH- 
tion  officielle  entre  les  mains  du  P.  Elle  Nahhas,  et  l'ai  prié  de  se  rendre  à  /jp 
pour  en  prendre  l'administration.  I 

La  réponse  du  métropolite  d'AIep  fut  la  suivante  :  | 

Je  suis  très  heureux  d'apprendre  que  la  Congrégation  alépine  vous  a  co|'" 
l'intendance  générale  des  aw^d;/ qu'elle  possède  à  Alep;  c'est  là  une  marquf  ■ 


CHRONIQUE    DE    l'ÉGLISE    MELKITE  363 

confiance  en  votre  habileté,  pour  laquelle  je  vous  fais  tous  mes  compliments. 
Quant  au  P.  Elie  Nahhas,  il  sera  le  bienvenu  à  Alep;  mais,  s'il  y  vient  avec  le 
dessein  que  vous  mentionnez,  il  sera  suspens  ipso  facto  sans  autre  forme  de 
procès. 

Cette  réponse  mécontenta  et  le  métropolite  et  le  Général.  Celui-ci 
décida  de  faire  appel  au  pouvoir  séculier  contre  l'ingérence  du  prélat 
alépin,  et  pour  remettre  l'administration  des  awqaf  aux  mains  des  seuls 
Chouérites,  en  éloignant  le  procureur  nommé  par  Ms'  Qâdi.  Le  métropo- 
lite de  Beyrouth  adhéra  pleinement  à  cette  mesure,  et  le  P.  Elie  Nahhas 
fut  sur-le-champ  expédié  à  Alep.  Suspendu  par  le  métropolite,  il  trouva 
moyen  de  se  concilier  un  prélat  syrien  catholique  de  passage  à  Alep, 
M^''  Basile  Qandalaft,  évéque  titulaire  de  Jaffa.  Ce  dernier  l'accueillit  avec 
faveur;  il  disposa  une  chambrette  dans  sa  propre  maison,  et  invita  le 
prêtre  révolté  et  suspens  à  y  célébrer  la  messe.  Le  scandale  en  fut  immense 
dans  la  catholique  ville  d'Alep;  M«f  Qâdi  en  écrivit  à  Rome,  et  dénonça 
le  prélat  syrien  qui  s'immisçait  dans  les  affaires  d'une  autre  communauté 
orientale,  en  dépit  des  défenses  romaines.  Malgré  tout,  le  P.  Nahhas 
intenta  un  procès  au  métropolite  d'Alep,  et,  au  lieu  de  faire  agir  le  droit, 
il  recourut  à  des  moyens  peu  avouables  qui  triomphèrent  des  scrupules 
que  pouvaient  avoir  des  juges  musulmans.  Le  moine  alépin  eut  donc 
gain  de  cause.  Le  métropolite  appela  de  cette  sentence  à  un  tribunal 
supérieur,  invoquant  avant  tout  son  bérat  d'investiture  civile,  qui  lui 
donne  un  droit  de  juridiction  et  de  surveillance  sur  tous  les  awqaf  do.  son 
éparchie.  Le  tribunal  dut  casser  la  première  sentence  et  condamner  le 
P.  Nahhas,  qui  se  hâta  de  rentrer  à  Beyrouth.  M^'  Qâdi  dénonça  de  nou- 
veau à  la  Propagande  ce  recours  au  gouvernement  civil  contre  une  sen- 
tence ecclésiastique,  et  en  déplora  toutes  les  conséquences.  Mais  l'entêté 
Général  ne  se  tint  pas  pour  battu. 


i 


IV.  Chez  les  Basilîens  alépîns. 


rès  cette  première  victoire,  le  métropolite  d'Alep  se  rendit  dans  la 
Ville  Eternelle  vers  la  fin  de  juin  1910.  Ce  voyage  remplit  d'inquiétude 
le  Général  alépin  et  ses  subordonnés.  Outre  le  Séminaire  fondé  par  son 
prédécesseur,  le  P.  Théophane  Badaouy,  pour  l'instruction  et  la  forma- 
tion des  moines  alépins,  le  Général  avait  aussi  sapé  tous  les  fondements 
des  écoles  primaires  des  deux  sexes  que  les  Alépins  entretenaient  dans  le 
voisinage  de  Déir-Chir,  à  Makkin,  à  Souq-el-Gharb,  à  'Alayyh,  à  Qou- 
matié  (Liban).  Tout  cela  en  haine  des  PP.  Théophane  Badaouy  et  Denys 
'Attara  (i),  les  deux  religieux  alépins  alors  les  plus  instruits  et  qui  s'oc- 


(i)  A  la  suite  de  tous  ces  démêlés,  ces  deux  religieux,  qui  seuls  eussent  été  capables 
d'introduire  des  réformes  dans  leur  Congrégation,  demandèrent  leur  exeat  à  la 
S.  Gong,  de  la  Propagande.  Le  P.  'Attara,  aujourd'hui  curé  de  Port-Saïd,  fait  partie 


364  ÉCHOS    d'orient 


cupaient  d'introduire  quelques  réformes  dans  leur  pauvre  Congrégation. 
Après  avoir  dispersé  dans  les  paroisses  les  religieux  capables  de  mener  à 
bien  des  réformes  qui  paraissaient  urgentes,  et  dont  il  feignait  de  recon- 
naître l'utilité,  il  s'employa  à  exciter  les  moines  contre  le  P.  Denys  'Attara, 
qui  lui  créait  des  difficultés  à  cet  égard.  L'élection  du  nouveau  maire  de 
Qoumatié,  près  Déir-Chir,  amena  des  complications  excessivement  déli- 
cates. Le  supérieur  de  Déir-Chir  devait  y  prendre  une  part  active;  il 
demanda  des  instructions  au  Général.  Celui-ci,  qui  militait  pour  un  parti 
protestant  et  schismatique,  lui  ordonna  de  voter  pour  le  candidat  de  ce 
dernier.  Le  supérieur  tint  à  suivre  sa  conscience,  et  il  favorisa  le  parti 
catholique,  qui  eut  le  dessus.  De  là  querelles  entre  les  deux  parties  adverses. 
Pour  se  disculper  de  tout  reproche,  le  Général  fit  condamner  le  supérieur 
■de  Déir-Chir  par  le  Chapitre  des  Assistants,  et  il  le  fit  destituer.  Des 
troubles  et  des  scandales  épouvantables,  qu'il  serait  trop  long  de  raconter, 
se  produisirent  à  Déir-Chir  et  dans  les  environs.  Le  P.  'Altara  prit  h 
défense  du  supérieur  destitué.  Le  Général  se  tourna  contre  lui  ;  une  nuit 
les  moines  se  ruèrent  sur  le  P.  'Attara,  et  lui  auraient  fait  un  mauvai; 
parti,  sans  l'intervention  des  fidèles.  Le  lendemain,  il  se  retirait  à  Bey 
routh  avec  le  supérieur  destitué,  et  en  appelait  au  tribunal  du  métropo 
lite,  alors  M^'^  Mélèce  Fakkak.  Celui-ci  nomma  un  Comité  composé  d< 
son  vicaire  général,  d'un  Salvatorien  et  d'un  Chouérite  pour  examine 
l'afifaire  et  donner  un  jugement  que  lui-même  ratifierait  ensuite.  O 
jugement  fut  de  tout  point  défavorable  au  Général,  qui  refusa  de  h 
reconnaître.  On  eut  recours  au  patriarche  actuel,  qui  reconnut  bien  h 
culpabilité  du  Général,  mais  qui  n'osa  pas  aller  jusqu'au  bout.  Il  essaj^. 
cependant  d'une  entente;  il  prit  à  son  service  le  supérieur  destitué,  e 
l'envoya  desservir  la  paroisse  de  Mansourah  (Egypte),  qui  appartient  au 
Alépins. 

Restait  le  P.  'Attara,  qui  envoyait  à  la  Propagande  mémoire  sur  mémoir 
touchant  tous  les  empiétements  du  Général.  Celui-ci  était  soutenu  par  1 
patriarche.  Cyrille  VIII  Géha  se  souvenait  encore  des  insultes  du  métrc 
polite  d'Alep  (i)  en  1898,  lors  du  synode  de  Sarba,  qui  porta  sur  le  trôn 
patriarcal  Pierre  IV  Géraïgiry.  II  ne  lui  accordait  aucune  protection  et 
pressait  même  le  Général  de  sévir  contre  lui.  Le  P.  'Attara  partit  cepei 
dant  pour  Alexandrie,  où  son  frère,  archidiacre  du  clergé  patriarcal,  fi 
un  beau  jour  souffleté  par  M^'  Macaire  Saba,  vicaire  patriarcal  d'Egypl 


du  clergé  patriarcal;  le  P.  Badaouy  fait  partie  du  diocèse  de  Yabroud,  et  il  se  trou 
•aujourd'hui  à  Cordoba,  dans  la  République  Argentine,   occupé,  dit-il,  à  réunir  d 

fonds  pour  un orphelinat  à  Yabroud 

(i)  On  sait  que  lors  du  fameux  synode  électoral  de  Sarba,  1898,  des  démêlés  d'ord 
monastique  eurent  lieu  entre  le  P.  'Attara  et  M"  Géha,  alors  administrateur  apost 
lique  du  patriarcat  d'Antioche.  Le  P.  'Attara  travailla  énergiquement  à  recruter  d 
votes  pour  M"  Géraigiry,  au  grand  mécontentement  du  méiropolite  d'Alep,  qui  aspin 
déjà  au  patriarcat. 


CHRONIQUE    DE    l'ÉGLISE    MELKITE  36=^ 

ce  qui  aggrava  beaucoup  les  affaires.  Dès  lors,  le  P.  'Attara  entra  résolu- 
ment en  lice,  et  se  prit  à  combattre  le  patriarche  parla. parole  et  la  plume 
en  pleine  Egypte.  Le  patriarche  lança  contre  lui  la  suspense;  le  P.  'Attara 
n'en  continua  pas  moins,  et,  comme  il  est  éloquent  et  habile  parleur,  il 
y  créa  un  parti  immense  contre  le  patriarche,  de  sorte  qu'il  lui  rendit  la 
vie  bien  difficile  en  Egypte.  Cyrille  VIII  Géha  dut  se  retirer  à  Damas, 
tandis  que  le  P.  'Attara,  grâce  à  des  laïques  influents,  parvenait  à  se  faire 
accepter  par  le  délégué  apostolique.  Rome  temporisait  toujours,  atten- 
dant que  le  patriarche  mît  ordre  à  toutes  ces  affaires;  et  comme  celui-ci 
tardait  toujours,  elle  lui  ordonna  de  s'exécuter  au  plus  tôt,  car  les 
scandales  étaient  à  leur  comble.  Enfin,  on  réconcilia  le  prêtre  avec  son 
patriarche,  et  la  paix  se  rétablit;  puis,  comme  le  P.  'Attara  ne  tenait 
point  à  rentrer  dans  sa  Congrégation  alépine,  pour  se  remettre  sous  les 
ordres  de  son  persécuteur,  le  patriarche,  sur  les  instances  du  délégué  apo- 
stolique et  de  certains  laïques  influents,  dut  l'accepter  dans  son  clergé 
patriarcal.  Quelque  temps  après,  il  le  nommait  curé  de  la  petite  paroisse 
de  Port-Saïd,  et  dans  ces  derniers  mois,  le  ig  novembre  191 1,  il  le  grati- 
fiait de  la  dignité  d'archimandrite,  avec  faculté  de  porter  l'épanokalimaf- 
kion,  la  croix  et  l'anneau  aux  solennités  religieuses  et  civiles.  Preuve  évi- 
dente que  la  paix  a  été  finalement  conclue  tout  de  bon. 

Mais  revenons  au  Général  alépin,  le  P.  Gabriel  Basile.  A  Zer'aya, 
dans  un  couvent  de  Sœurs  Alépines,  la  supérieure  travaillait  à  introduire 
quelques  réformes  urgentes,  à  la  grande  joie  de  ses  subordonnées  et  du 
chapelain  lui-même.  Suivant  l'ordonnance  des  Constitutions  approuvées 
par  Rome,  elle  eut  la  hardiesse  de  demander  au  Général  un  confesseur 
extraordinaire  pour  ses  religieuses.  Le  Général,  ennemi  de  toute  réforme 
et  de  tout  progrès,  refusa  net  et  fit  adresser  de  graves  réprimandes  à 
l'abbesse.  11  écrivit  même  sous  main  à  certaines  Soeurs,  pour  les  engager 
à  ne  pas  se  prêter  aux  réformes  de  l'abbesse.  Celle-ci  ne  se  laissa  pas  inti- 
mider; elle  persista  quand  même  à  demander  son  confesseur  extraordi- 
naire. Le  Général  résolut  alors  de  s'exécuter;  mais,  au  lieu  de  lui  envoyer 
un  prêtre  étranger  à  la  Congrégation  (i),  il  chargea  de  cette  fonction  le 
quatrième  assistant;  celui-ci  ne  fit  que  causer  des  troubles  parmi  les- 
Sœurs.  Le  Général  eut  l'audace  de  s'en  prévaloir  plus  tard,  en  attribuant 
ces  démêlés  à  ce  qu'il  appelait  l'ingérence  de  l'abbesse  dans  une  réforme 

dont  les  Sœurs  ne  voulaient  à  aucun  prix! 

I  Au  Liban,  un  jeune  prêtre  instruit  et  plein  de  zèle  desservait  une  petite 
I  paroisse  où  il  avait  réussi  à  construire  un  presbytère  et  une  école  parois- 
;  siale.  Trois  ans  lui  avaient  suflS  pour  renouveler  cette  paroisse  par  la 
I  formation  chrétienne  des  enfants,  les  retraites  données  aux  parents  et  la 
j  prédication  ordinaire  du  dimanche,  ce  qui  ne  s'y  était  jamais  vu  depuis 


il)  Suivant  l'ordre  même  des  Constilutions  approuvées  par  le  Saint-Siège  en  1762. 


^66  ÉCHOS  d'orient 


1766,  époque  de  l'établissement  des  Chouérites  dans  ces  parages.  Le 
Général  ne  recevait  à  son  sujet  que  les  meilleures  nouvelles,  jointes  aux 
plus  grands  éloges.  Il  en  prit  ombrage,  et,  comme  le  jeune  curé  s'apprê- 
tait à  bâtir  une  église  pour  cette  paroisse,  le  Général  s'entendit  secrètemeni 
avec  le  métropolite  de  Beyrouth  pour  le  faire  partir.  Le  curé  supplia  en 
vain;  le  métropolite  lui  retira  tout  simplement  la  juridiction,  et  il  essaya 
de  soulever  les  paroissiens  contre  lui.  Ceux-ci  lui  firent  des  réponses 
nobles  et  dignes  de  la  formation  que  leur  avait  imprimée  le  curé.  Devam 
cette  attitude  pleine  de  grandeur,  le  métropolite  se  retira  à  Beyrouth, 
d'où  il  envoya  menacer  le  curé  des  censures  ecclésiastiques.  Ce  derniei 
dut  quitter  la  paroisse  au  milieu  des  regrets  de  ces  braves  Libanais.  L» 
métropolite  souhaitait  ardemment  confier  cette  paroisse  à  ses  coreligion' 
naires  chouérites;  il  en  envoya  plusieurs  pour  la  desservir,  mais  le 
Libanais  les  renvoyèrent,  et  depuis  huit  ans  déjà  cette  paroisse  manqu' 
de  curé. 

Quelques  temps  après,  le  Général  se  brouille  avec  son  secrétaire  (i),  e 
il  le  relègue  au  couvent  de  Déir-Chir,  à  Makkîn.  Une  nuit  sans  étoiles 
vers  10  heures,  les  moines  se  ruent  sur  lui,  lui  arrachent  la  barbe,  et  1 
frappent  violemment.  L'intervention  des  Libanais  sauva  la  victime.  L 
pauvre  religieux  fut  recueilli  par  les  fidèles  de  Makkîn,  puis  il  fit  appe 
au  délégué  apostolique,  qui  envoya  son  rapport  à  Rome,  et  lui  conseill. 
de  se  retirer  à  Harissa,  chez  les  missionnaires  Paulistes. 

A  Rome,  les  affaires  vont  lentement.  Entre  temps  avait  eu  lieu  1 
querelle  d'Alep  entre  le  métropolite  et  les  Basiliens  alépins  au  sujet  de 
awqaf,  et  que  nous  avons  racontée  plus  haut.  M^'  Dimitrios  Qàdi,  à  1 
suite  du  triomphe  qu'il  avait  remporté  sur  les  manoeuvres  du  P.  Elj 
Nahhas,  s'était  rendu  à  Rome  où,  dit  la  revue  Al-Massarrat>\\  fut  accueil) 
avec  honneur  et  beaucoup  de  prévenances  par  Pie  X  et  par  le  cardim 
Gotti,  préfet  de  la  Propagande.  M^^  Qâdi  était  d'ailleurs  parfaitemec 
bien  connu  et  estimé  à  Rome. 

II  fit  les  révélations  que  l'on  devine  à  l'endroit  des  Alépins.  Il  suggé 
même  à  la  Propagande  l'idée  de  nommer  elle-même  le  futur  Génén 
La  Propagande  désigna  le  P.  Jean  Khaouam,  curé  à  Mansourah  (Egyptt 
homme  d'un  caractère  conciliant,  peu  instruit,  mais  animé  du  meillel 
esprit.  Comme  c'était  l'année  du  Chapitre  triennal,  la  Propagande  chargé 
le  délégué  apostolique  de  faire  en  sorte  que  le  P.  Jean  Khaouam  —  bie 
que  nommé  directement  par  elle  —  fût  régulièrement  élu  par  le  prochai 
Chapitre  général  du  i^'  novembre  1910,  afin  de  conjurer  de  nouveav 
troubles  au  sein  de  cette  Congrégation. 


(i)  Un  diacre  qui  avait  passé  quelques  années  à  Sainte-Anne  de  Jérusalem;  malhe 
reusement,  la  formation  primitive  qu'il  avait  reçue  chez  les  moines  Alépins  ne  p 
jamais  être  supplantée  par  celle  qu'on  lui  donna  à  Sainte-Anne,  et  ainsi  il  peut  êl 
considéré  à  demi  coupable  de  toutes  les  vexations  exercées  contre  lui. 


m  CHRONIQUE    DE    l'ÉGLISE   MELKITE  367 

A  Sarba  (i),  on  n'augura  rien  de  bon  du  voyage  à  Rome  de  Me--  Qàdi; 
e  délégué  se  mit  en  devoir  de  faire  droit  aux  désirs  de  Rome  en  com- 
)attant  les  prétentions  du  Général  alépin,  et  en  faisant  connaître  sous 
nain  aux  électeurs  les  volontés  romaines.  Le  P.  Jean  Khaouam  fut  prié 
le  se  préseriter  en  personne  au  Chapitre,  ce  qu'il  n'avait  point  fait 
lepuis  1899,  époque  de  son  départ  pour  Mansourah. 

Le  P.  Gabriel  Basile  ne  se  dissimula  point  qu'un  grand  mouvement  de 
ésistance  était  dirigé  contre  lui;  les  Pères  électeurs  ne  lui  inspiraient 
lucune  confiance;  le  délégué  s'était  depuis  longtemps  déclaré  contre  lui; 

I  redouta  une  intervention  directe  de  la  Propagande,  qui  arrêterait  tout 
simplement  le  Chapitre  et  soumettrait  la  Congrégation  à  la  visite  cano- 
lique  romaine,  ce  qui  est  le  cauchemar  des  moines  melkites  chouérites. 

II  eut  donc  recours  aux  lumières  de  ses  deux  mentors  habituels  :  M^'  Aga- 
Dios  Ma'louf,  de  Baâlbek,  et  Ms""  Athanase  Sawaya,  de  Beyrouth.  Ceux-ci 
ui  conseillèrent  de  réunir  le  Chapitre  avant  l'échéance  du  terme  fixé  par 
les  Constitutions.  Il  le  fit,  et  les  Pères  électeurs  —  à  part  cinq  opposés 
au  Général  —  se  réunirent  à  Saint-Sauveur  de  Sarba  le  i"  octobre  1910, 
juste  un  mois  avant  l'échéance  ordinaire  du  Chapitre  général  chouérite. 

Tout  ne  se  passa  point,  tant  s'en  faut,  «  dans  un  grand  amour  et  la 
meilleure  tranquillité,  indices  des  excellentes  dispositions  des  Pères  capi- 
lulaires  »  (2).  Il  y  eut  des  batailles.  Tout  d'abord,  l'astucieux  Général  fit 
pression  sur  les  Pères  pour  décider  oflîiciellement  la  continuation  de  l'af- 
faire d'Alep.  M»'  Qâdi  avait  eu  gain  de  cause;  les  awqaf  d'Alep  étaient 
toujours  soumis  à  sa  juridiction  —  comme  ils  doivent  l'être  d'ailleurs, 
—  et  le  religieux  intendant  nommé  par  lui  était  toujours  maintenu  dans 
sa  charge.  Le  Général  s'obstinait  donc  à  envoyer  de  nouveau  le  P.  Elie 
Nahhas  à  Alep,  pour  intenter  un  nouveau  procès  au  métropolite,  dût  la 
Congrégation  y  dépenser  des  sommes  considérables.  Un  acte  officiel, 
signé  de  tous,  fut  donc  remis  au  P.  Nahhas  en  ce  sens.  Sous  la  même 
pression,  les  Pères  capitulaires  votèrent  l'expulsion  de  la  Congrégation 
du  pauvre  moine,  qui  avait  été  roué  de  coups  à  Déir-Chir,  et  de  trois 
autres  religieux  présents  à  Alep,  et  qui  avaient  demandé  à  Rome  leur 
exeat  par  l'entremise  de  M?'"  Qâdi.  Or,  les  décisions  du  Chapitre  général 
sont. irrévocables  (3);  le  P.  Gabriel  Basile  jubilait.  Ainsi,  pensait-il,  lors 
même  qu'il  ne  serait  point  réélu  Général,  il  aurait  évincé  le  métropolite 
jd'Alep  en  maintenant  une  résistance  opiniâtre  contre  ce  qu'il  appelait 
«  son  ingérence  »  dans  les  aff'aires  de  la  Congrégation. 

(i)  Résidence  du  Général  et  des  supérieurs  majeurs  où  devait  se  tenir  le  Chapitre 
triennal. 

(2)  Al-Massarrat,  t.  1"  (1910-1911),  p.  "i^b.  —  Telle  est  la  formule  que  Chouérites  et 
Salvatoriens  ont  employée  de  tout  temps,  malgré  leurs  querelles  accoutumées  lors 
des  Chapitres  généraux. 

(3)  Suivant  la  teneur  même  des  Constitutions;  mais  il  y  a  moyen  de  les  révoquer, 
\si  l'on  veut. 


368  ÉCHOS  d'orient 


Jusque-là,  les  choses  allèrent  au  gré  de  l'astucieux  Général.  Mai 
lorsque,  au  troisième  jour,  on  en  vint  au  scrutin,  il  fut  convaincu  qu 
les  voix  n'étaient  point  pour  lui,  tant  s'en  faut,  et  il  s'alita,  alléguant  un 
indisposition.  Du  même  coup,  le  Chapitre  fut  suspendu,  mais  les  Père 
électeurs  ne  se  laissèrent  pas  intimider.  Entre  temps,  le  délégué  aposto 
lique  envoya  secrètement  à  Sarba  un  excellent  prêtre  pour  s'informer  d 
ce  qui  s'y  passait.  Ce  prêtre  exhorta  les  électeurs  à  procéder  suivant  l 
liberté  que  leur  accordent  leurs  Constitutions. 

Le  Général  expédia  alors  un  courrier  spécial  à  Chtaura  —  où  se  trouvai 
alors  le  métropolite  de  Beyrouth,  —  avec  des  lettres  pressantes  invitan 
le  prélat  à  se  présenter  au  plus  tôt  à  Sarba.  Celui-ci  ne  manqua  pas  d' 
venir  dans  la  nuit  même,  et,  le  lendemain,  il  se  mit  en  campagne  pou 
acquérir  à  son  candidat  favori  des  votes  qui  s'en  allaient  à  un  autre.  Le 
voix  avaient  été  d'abord  partagées  entre  le  P.  Sabas  Balady,  le  P.  Jea 
Khaouam  et  le  P.  Basile  'Ajjouri.  Ce  dernier  fit  preuve  dune  énergie  pe 
commune.  Trois  fois  M^'  Sawaya  essaya  de  conférer  avec  lui;  trois  fo 
il  s'y  refusa  noblement.  Enfin,  il  le  pria  poliment  de  ne  point  interven 
dans  une  affaire  qui  ne  le  regardait  pas.  La  paix  se  rétablit,  et  les  Pèn 
capitulaires,  obéissant  aux  conseils  de  Rome,  élurent  à  l'unanimité  1 
P.  Jean  Khaouam  Supérieur  général  et  lui  donnèrent  les  quatre  assistant 
suivants:  les  PP.  Sabas  Balady,  Philippe  Bostany,  Basile  'Ajjouri  < 
Elle  Nahhas  (i). 

Tout  en  félicitant  les  nouveaux  élus,  Al-Massarrat  (2)  ne  manqua  ps 
de  faire  adroitement  «  des  vœux  pour  le  retour  de  cette  Congrégation 
sa  prospérité  première  »,  aux  beaux  jours  de  Nicolas  Saïgh,  de  Maxirr 
Hakim  et  d'Ignace  Jarbou'. 

Cependant,  le  nouveau  Général  alla  faire  une  visite  au  délégué  api 
stolique  dans  sa  maison  de  campagne,  à  Harrissa.  M^""  Giannini  le  pr 
de  mettre  au  plus  tôt  un  terme  à  l'affaire  d'Alep  et  à  celle  du  moine  Coi 
stantin  Kallal,  qui  avait  été  roué  de  coups  à  Déir-Chir  et  qui  en  ava 
appelé  à  Rome  contre  l'ex-Général.  Le  P.  Khaouam  promit  tout,  et  \ 
rentra  à  Sarba.  Mais  il  comptait  sans  la  rancune  opiniâtre  de  l'ex-Généraj 
Celui-ci  fit  observer  que  les  décisions  officielles  du  Chapitre  sont  irr 
vocables  et  pressantes  ;  il  gagna  à  sa  cause  le  deuxième  et  le  quatcièn 
assistants,  il  expédia  à  Alep  le  P.  Nahhas.  En  même  temps,  il  faisa; 
maintenir  bon  gré  mal  gré  la  décision  du  Chapitre  sur  l'expulsion  c{ 
moine  C.  Kallal.  i 

A  Alep,  le  P.  Nahhas  intenta  un  nouveau  procès  au  métropolite,  ' 
moyennant  les  mêmes  manœuvres,  il  parvint  à  avoir  gain  de  cau; 
avant  que  le  métropolite  eût  eu  le  temps  de  se  reconnaître.  Le  scandai 


(i)  Ce  dernier  avait  été  imposé  par  l'ex-Général,  qui  ne  l'avait  engagé  dans  l'affaii 

d'Alep  qu'après  lui  avoir  promis  p.ir  écrit  la  dignité  de  4"  assistant  de  la  Congrégatio, 

(2)  Loc.  cit.  1 


CHRONIQUE    DE    l'ÉGLISE    MELKITE  369 

jt  plus  grand  que  jamais,  mais  le  doux  et  conciliant  prélat  se  contenta 
'écrire  à  la  Propagande.  On  attribua  ces  désordres  à  une  mauvaise  admi- 
istration  du  nouveau  Général,  mais  le  délégué  apostolique  n'eut  pas  de 
eine  à  reconnaître  d'où  venait  le  coup,  et  il  écrivit  de  même  à  la  Pro- 
agande. 

Quelque  temps  après,  il  recevait  l'ordre  de  procéder  à  une  enquête 
îgulière  touchant  l'affaire  du  moine  G.  Rallal,  et  d'en  prononcer  une 
întence  irrévocable  au  nom  du  Saint-Siège  apostolique.  L'ex-Général  et 
;  métropolite  de  Beyrouth  s'en  émurent,  et  ils  préparèrent  une  résistance 
piniàtre.  Le  premier  fit  répondre  aux  injonctions  du  délégué,  par  un  acte 
Dllectif  signé  par  tous  les  moines  qui  avaient  trempé  dans  cette  misé- 
ible  affaire,  que  «  la  Congrégation  alépine  n'admet  point  que  le  délégué 
postolique  s'immisce  dans  ses  affaires,  étant  donné  qu'elle  est  soumise 
nmédiatement  à  l'Ordinaire  melkite  et  7nédiatement  au  patriarche  mel- 
itc  ;  en  conséquence,  elle  se  refuse  à  toute  enquête  concernant  son  admi- 
istration  et  les  griefs  de  ses  subordonnés,  lorsqu'elle  est  menée  par  un 
jpérieur  étranger  (1)  ».  Le  métropolite  de  Beyrouth  fit  répondre  que 
le  Saint-Siège  ignore  la  teneur  même  des  Constitutions;  par  suite,  il  ne 
DHscnt  nullement  à  céder  au  délégué  apostolique  des  droits  consacrés 
ar  les  Constitutions  monastiques,  et  qui  l'établissent  seul  juge  de  tous 
is  procès  religieux,  et  le  seul  arbitre  dans  les  différends.  Enfin,  il  ne 
DHsidère  dans  l'acte  du  délégué  qu'une  simple  immixtion  dans  son 
dministration  diocésaine  (1)  ». 

Le  délégué  apostolique  se  hâta  de  faire  parvenir  à  Rome  ces  pièces 
athentiques,  et  attendit  une  nouvelle  instruction  et  des  ordres  nouveaux. 
Le  14  mai  191 1,  M^""  Giannini  fut  invité  à  présider  les  solennités  du 
nquantenaire  des  deux  Congrégations  de  l'Immaculée-Conception  et 
es  Enfants  de  Marie,  que  les  RR.  PP.  Franciscains  dirigent  à  Saïda.  Le 
ndemain,  il  en  profita  pour  faire  une  visite  au  monastère  melkite  de 
■éir  el  Moukhallès;  il  en  fut  pleinement  satisfait.  Ce  qui  le  réjouit  sur- 
mt,  ce  fut  le  nouveau  Séminaire,  où  se  forment  à  une  éducation  vraiment 
icerdotale  les  futurs  religieux  de  cette  excellente  Congrégation,  qui  est 
Urée  résolument  dans  la  voie  des  réformes.  Enfin,  ce  qui  lui  alla  jus- 
j'au  cœur,  ce  fut  le  bon  esprit  catholique  dont  sont  animés  tous  les  Sal- 
.atoriens,  et  qui  contraste  si  étonnemment  avec  cet  esprit  indépendant 
jDot  Alépins  et  Chouérites  venaient  de  donner  des  preuves  si  regrettables. 
je  29  mai,  il  s'embarquait  pour  la  Ville  Eternelle  (i). 

Y.  La  visite  canonique  chez  les  Chouérites. 

JLe  délégué  apostolique  ne  tarda  pas  à  rentrer  en  Syrie;  mais  son 
pyage  avait  produit  une  pénible  impression  chez  les  Chouérites.  Les 

Rn  vue  de  faire  sa  visite  ad  limina  Apostolorum. 

■  Iios  d'Orient,  t.  X  V.  24 


370 


ECHOS    D  ORIENT 


Alépins,  en  particulier,  étaient  terrifiés,  et,  comme  le  patriarche  melki 
est  un  Alépin,  ils  se  donnèrent  un  moment  l'illusion  qu'ils  seraie: 
délivrés  de  la  visite  canonique  tant  redoutée,  et  qui  s'annonçait  imminent 
Ils  écrivirent  lettre  sur  lettre  à  leur  prétendu  sauveur,  et  où  les  craint 
les  plus  grandes  étaient  mêlées  aux  supplications  les  plus  touchante 
S.  B.  Cyrille  VIII  Géha,  ignorant  encore  les  sentiments  de  Rome,  s'e 
força  d'apaiser  leurs  craintes,  en  leur  donnant  l'illusion  du  contrair 
Enfin,  vers  la  mi-novembre,  il  leur  déclara  «  que,  finalement,  la  visi 
canonique  ne  leur  serait  point  imposée  ».  En  même  temps,  il  leur  t 
faisait  ses  meilleurs  compliments. 

Or,  quinze  jours  après,  le  délégué  apostolique  recevait  une  longi 
instruction  de  la  Propagande  ordonnant  cette  même  visite  romaine,  ( 
le  1"  décembre  191 1,  la  revue  Al-Massarrat  publiait  la  note  plaisan 
que  voici  :  «  S.  S.  Pie  X  vient  de  jeter  ses  regards  bienveillants  sur 
Congrégation  des  Basiliens  alépins,  et,  afin  de  mieux  prendre  soin  de  s 
intérêts.  Elle  a  nommé,  pour  sa  visite  (canonique),  S.  Exe.  M^''  Dimitri 
Qâdi,  métropolite  d'Alep,  assisté  des  RR.  PP.  Joseph  Gallant,  Domii 
cain,  et  François  Farra,  Franciscain.  Nous  demandons  pour  eux  le  secoif 
divin,  et  pour  l'honorable  Congrégation  le  bien  et  la  prospérité  que 
souhaite  aussi  le  Père  commun  des  fidèles.  » 

Cinq  mois  avant  de  prendre  ces  mesures  si  sages,  le  cardinal  Gotti  av 
eu  soin  de  les  faire  pressentir  aux  intéressés.  Il  avait  même  écrit  sévè 
ment  au  métropolite  de  Beyrouth  et  au  nouveau  Général  alépin  au  m 
de  mai  191 1.  «Votre  refus  opiniâtre,  disait-il,  de  vous  prêter  à  l'enqui 
ordonnée  au  délégué  apostolique  recèle  un  grand  fond  de  schisme  et  si 
très  fort  l'hérésie.  Nous  vous  engageons  à  changer  de  conduite,  autremi 
nous  serons  forcé  de  recourir  à  des  mesures  canoniques  coercitives 
Aucune  amende  honorable  ne  vint  modifier  ces  dispositions  plus  qu'éc 
voques,  et  Rome  dut  sévir. 

Comme  on  le  pense  bien,  les  trois  grands  mécontents  furent  le  méip- 
polite  de  Beyrouth,  l'évêque  de  Baâlbek  et  l'astucieux  ex-Général  aléf  p. 
Ce  dernier  conseilla  même  de  recourir  au  pouvoir  séculier  pour  bar  r, 
dès  le  début,  tous  les  chemins  à  la  visite  apostolique.  Il  fut  applaudi  ir 
ses  deux  mentors.  Il  fut  désigné  pour  mettre  à  exécution  le  plan  de  gue  p, 
et  il  le  fit  sous  le  couvert  de  Vincognito.  11  fit  donc  appel  aux  journak, 
et  comme  il  n'est  guère  capable  d'écrire,  il  paya  chè}'eme?ii  un  de  ses  a  i'^ 
laïques,  parfaitement  connu  de  ses  deux  mentors,  et  il  l'engaga  à  publ  ' 
dans  le  journal  Al-Iiiihad  ul  'Othmani,  V  «  Union  ottomane  »,  un  art 
sous  le  pseudonyme  des  initiales  arabes  Kh.  Z.,  intitulé:  Epître  à 
d'un  notable  chrétien  et  sous  sa   responsabilité.   Espionnage  iial 
23  décembre  191 1.  Le  qualificatif  à  bail  mérite  d'être  retenu.  L'an 
confond  grossièrement  les  questions  religieuses  avec  les  questions  ci^> 
et  politiques;  dans  la  visite  apostolique,  il  distingue  un  espionnage  ita! 


CHRONIQUE    DE   l'ÉGLISE   MELKITE  ^yi 

it  engage  tout  bon  citoyen  ottoman  à  la  repousser  de  toutes  ses  forces; 
nfin,  il  préconise  les  mêmes  principes  schismatiques  que  nous  avons  vu 
elater  par  M^"  Athanase  Sawaya  et  l'ex-Général  alépin  dans  leurs  lettres 
,u  délégué  apostolique,  touchant  «  l'ingérence  du  Saint-Siège  dans  le 
[ouvernement  de  l'Eglise  orientale  ».  Il  termine  en  lançant  des  ironies 
mères  aux  trois  Congrégations  religieuses  melkites  «  dont  l'une  d'elles, 
près  avoir  subi  le  joug  intolérable  de  pareille  ingérence  étrangère,  avait 
ini  par  s'en  débarrasser  pour  toujours  »  (i). 

Ces  lignes  malheureuses  firent  sensation  en  Syrie,  notamment  à  Bey- 
outh  et  au  Liban.  Comme  on  en  attribuait  le  patronage  au  métropolite 
le  Beyrouth,  celui-ci  se  crut  découvert,  et  il  se  hâta  de  publier,  le 
17  décembre  191 1,  une  petite  riposte  où  sont  semées  de  nombreuses 
;énéralités  équivoques.  Le  journal  des  Pères  Jésuites,  Al-Bachir  (2), 
mblia  un  autre  article  dans  le  même  sens,  signé  :  «  Un  religieux  liba- 
lais  »,  mais  plus  catégorique  et  surtout  foncièrement  catholique.  Il  eut 
)Our  résultat  de  mécontenter  un  laïque  exalté  et  une  pauvre  hallucinée 
ie  Beyrouth,  qui  répondit  en  français.  La  revue  Al-Massarrat  fit  bonne 
ustice  et  des  uns  et  des  autres,  mais  sans  aucune  allusion,  cela  va 
sans  dire,  aux  machinations  des  supérieurs  ecclésiastiques  précités  (3). 
L'évoque  de  Baâlbek  et  le  Général  des  Chouérites  indigènes  observèrent 
m  silence  prudent.  Mais  cette  attitude  peu  louable  ne  fut  pas  du  goût  des 
ieux  autres  Supérieurs  généraux  des  Salvatoriens  et  des  Alépins,  qui 
Ireni  des  réponses  nobles,  dignes,  foncièrement  catholiques  et  foncière- 
ment romaines  (4). 

Malgré  tous  les  bruits  de  schisme  qui  coururent  en  Syrie  à  l'endroit 
ie  la  visite  canonique,  M^'^  Giannini  ne  s'émut  guère.  Il  écrivit  aussitôt 
lu  métropolite  d'Alep,  pour  l'inviter  à  se  rendre  à  Beyrouth.  M^"^  le  délégué 
ipostolique  lui  remit,  en  décembre  191 1,  le  mandat  romain  qui  le  nom- 
nait  visiteur  apostolique  pour  la  Congrégation  des  Basiliens  alépins. 
.e  métropolite  de  Beyrouth,  malgré  sa  protestation  contre  le  pamphlet 
inonyme  dont  nous  avons  parlé,  essaya,  de  concert  avec  l'évéque  de 
iaâlbek  et  l'ex-Général  alépin,  de  fomenter  de  nouveaux  troubles,  accu- 
lant le  Saint-Siège  de  leur  avoir  assigné  comme  juge  leur  plus  mortel 
nnetni. 

.  Sa  première  visite  fut  pour  le  couvent  de  Sarba,  où  se  trouvaient 
jncore  les  Supérieurs  majeurs,  ainsi  que  l'ex-Général.  Une  réception 
jolennelle  fut  organisée  en  sa  faveur.  Sa  bienveillance  et  sa  douceur 

ccoutumées  lui  concilièrent  tous  les  coeurs;  l'ex-Général  lui  demanda 


Mlusion  à  la  Congrégation  Salvatorienne,  qui  fut  longtemps  soumise  à  la  visite 
iique  dont  était  chargé  l'évéque  melkite  de  Saïda,  un  Salvatorien. 
N  2  104. 

■"■  H  (1911-1912),  p.  620-635;  701-702. 
i-lles  furent  publiées  in  extenso  dans  Al-Massarat,  p.  63i-635. 


372 


ECHOS    D  ORIENT 


publiquement  pardon,  accusant  ouvertement  le  métropolite  de  Beyrou 
et  l'évêque  de  Baâlbek  de  l'avoir  énergiquement  engagé  dans  la  mauvai 
voie  qu'il  avait  suivie  (i);  il  remit  aussitôt  à  M^''  Qâdi  le  registre  d 
comptes  de  la  Congrégation,  qu'il  avait  refusé  de  livrer  au  nouve 
Général;  le  P.  Elle  Nahhas  se  jeta  aux  pieds  du  visiteur  apostolique,  fc 
dant  en  larmes,  accusant  l'ex-Général  et  les  deux  prélats  d'être  les  vé 
tables  auteurs  de  tous  les  méfaits  qu'il  avait  accomplis  à  Alep,  et  dema 
dant  humblement  pardon.  Me'  Qâdi  fut  on  ne  peut  plus  digne,  et,  av 
une  noblesse  peu  commune,  il  déclara  qu'il  ne  voulait  rien  entendre 
tout  le  passé  ;  puis,  sans  perdre  de  temps,  il  commença  la  visite  canoniqi 
Après  Sarba,  ce  fut  le  tour  de  Saint-Michel  à  Zouq-Mikaïl,  où  vive 
une  douzaine  de  Sœurs  Alépines;  puis,  Notre-Dame  de  Zer'aya  (2),  n( 
loin  du  petit  village  de  Kafar-Taïh  (Liban);  ensuite,  il  revint  à  Alep,  > 
se  trouvaient  huit  religieux,  dont  les  uns  avaient  demandé  et  obtenu  le 
exeat  à  la  Propagande.  Actuellement,  les  visiteurs  apostoliques  sont 
Egypte;  ils  ne  tarderont  pas  à  rentrer  en  Syrie  pour  remplir  leur  manc 
romain  le  plus  consciencieusement  du  monde. 

VU  Un  progrès  chez  les  Basîlîeus  alépîns. 

Sous  la  pression  de  la  S.  Gong,  de  la  Propagande,  qui  destituait 
P.  Gabriel  Basile  du  généralat,  et  ordonnait  des  réformes  urgentes,  le  d 
nier  Chapitre  général  alépin,  tenu  au  couvent  de  Sarba  le  1"  octobre  19 
décréta  l'ouverture  d'un  Petit  Séminaire  où  seraient  instruits  et  formés  i 
douzaine  d'enfants  alépins  en  qui  on  remarquerait  des  signes  de  vocat 
religieuse.  A  cet  effet,  il  fut  décidé  qu'on  rouvrirait  le  vieux  monast 
de  Saint-Isaïe,  non  loin  de  Broummana  (Liban),  après  y  avoir  prati< 
certaines  réparations  urgentes.  Jusqu'à  présent,  rien  n'a  été  entrepris 
ce  sens,  mais  le  Petit  Séminaire  a  commencé  à  fonctionner  dès  la  [n 
d'octobre  1910  à  Déir-Chir  Makkîn,  sous  la  direction  de  deux  anci' 
élèves  de  Sainte-Anne  de  Jérusalem.  Le  12  juillet  191 1,  le  R™«  P.  J 
Khaouam  avait  la  joie  de  constater  d'excellents  résultats  obtenus,  i 
suite  des  premiers  examens  annuels,  dans  les  langues  arabe,  français 
grecque,  et,  le  3i  août  191 1,  S.  B.  Cyrille  VIII  Géha  le  pressait  inst; 
ment  de  donner  tous  ses  soins  à  ce  Petit  Séminaire,  car  il  y  constatait 
aussi  des  progrès  réels,  à  la  suite  d'une  courte  visite  à  Déir-Chir.  i 

Depuis  1829,  les  Basiliens  alépins  n'ont  eu  que  des  velléités  d'instlo- 
tion  religieuse  et  littéraire.  Ils  ont  eu  des  Généraux  qui  se  piquaient  d  !^ 
certaine  habileté  dans  l'administration  des  propriétés  monastiques,  rii- 
qui  ne  possédaient  pas  la  moindre  connaissance  théologique,  philo- 


(i)  Nous  avons  en  main  trois  lettres  qui  nous  l'attestent. 

(2)  Autre  couvent  de  Sœurs  Alépines;  elles  y  sont  au  nombre  de  quatorze. 


CHRONIQUE    DE    l'ÉGLISE    MELKITE  373 

phique  ou  littéraire.  En  1 896,  le  P.  Théophane  Badaouy  essaya  de  remettre 
en  honneur  ces  études  indispensables,  et,  à  cet  effet,  il  ouvrit  un  Grand 
et  un  Petit  Séminaire  au  nouveau  couvent  de  Sarba.  Sa  réforme  ne  vécut 
pas  plus  de  deux  ans,  grâce  aux  intrigues  du  P.  Gabriel  Basile,  qui, 
gn  1901,  donna  de  même  le  coup  fatal  à  toutes  les  institutions  scolaires 
de  son  prédécesseur. 

Nous  souhaitons  une  plus  longue  vie  au  nouveau  Séminaire  alépin  de 
Déir-Chir. 

YII.  Au  diocèse  de  Zahlé. 

Après  avoir  lutté  contre  les  prétentions  schismatiques  des  Chouérites, 
l'Eglise  melkite  entreprit  une  guerre  ouverte  contre  les  prétentions  des 
Francs-maçons.  Ces  derniers  sont  légion  à  Zahlé;  ils  ont  tous  été  affiliés 
lux  Sociétés  secrètes  durant  leur  émigration  en  Amérique  ou  en  Australie. 
Rentrés  dans  leur  patrie,  ils  ont  essayé  de  participer  aux  sacrements  de 
l'Eglise,  tout  en  demeurant  affiliés  à  la  secte.  Les  bons  prêtres  ont  refusé 
l'absolution,  et  l'excellent  évêque  de  Zahlé,  M«'^  Cyrille  Moghabghab, 
s'est  élevé  en  chaire  contre  ces  abus,  a  instruit  dignement  de  leurs  devoirs 
tous  les  fidèles  de  son  éparchie,  et  condamné  solennellement  la  franc- 
maçonnerie  dans  son  diocèse. 

Les  sectaires  lui  ont  reproché  son  intransigeance,  affirmant  que  les 
autres  évêques  melkites  étaient  plus  faciles  et  moins  persécuteurs  de  leurs 
ouailles.  Le  corps  épiscopal  a  été  saisi  de  cette  calomnie  par  le  prélat  lui- 
même,  qui  a  reçu  les  félicitations  de  ses  collègues  (i).  Sur  ces  entrefaites, 
un  riche  franc-maçon  de  Zahlé  est  mort  à  Beyrouth.  Les  sectaires  l'ont 
ramené  à  Zihlé  dans  un  train  spécial,  et  ont  prié  le  prélat  de  procéder 
à  son  enterrement  religieux.  L'évêque  a  refusé  net,  et  ils  ont  dû  l'enterrer 
:ivilement,  avec  tous  les  insignes  maçonniques,  au  grand  scandale  de  la 
tatholique  ville  de  Zahlé. 

YIII.  Chez  les  missionnaires  Paulistes  de  Harissa  (Liban). 

L'Eglise  melkite  catholique  vient  de  perdre  le  plus  méritant  de  ses  pré- 
ats  en  la  personne  du  regretté  Ms""  Germanos  Mo'aqqad,  évêque  titulaire 
ie  Laodicée,  et  fondateur  de  la  Société  des  Missionnaires  de  Saint-Paul, 
i  Harissa  (Liban).  Depuis  longtemps  déjà  il  souffrait  du  diabète;  au  mois 
jle  janvier  dernier,  il  dut  subir  une  opération  à  l'hôpital  français  de 
Beyrouth;  ses  derniers  moments  ont  été  paisibles  et  profondément  reli- 
:;ieux.  JVU--  Athanase  Sawaya  lui  a  administré  les  derniers  sacrements 

(i)  Nous  avons  le  regret  de  dire  que  trois  prélats  melkites  se  sont  fait  remarquer 
5ar  leur  abstention.  Ce  sont  :  M"  Agapios  Ma'louf,  de  Baâlbek,  M''  F.avien  Kfouri, 
.|le  Homs  et  Yabroud,  et  M"  Grégoire  Hajjar,  de  Saint-Jean  d'Acre. 


374 


ECHOS    D  ORIENT 


avec  l'indulgence  plénière  in  articula  mortis.  Il  a  fait  généreusemei 
à  Dieu  le  sacrifice  de  sa  vie,  et  s'est  livré  aux  médecins-chirurgiens, 
mourut  pendant  l'opération,  entouré  de  ses  enfants,  les  Missionnaire 
de  Saint-Paul,  le  ii  février  1912.  A  Beyrouth,  il  a  eu  des  funéraill( 
triomphales,  auxquelles  ont  pris  part  le  délégué  apostolique  de  Syri( 
S.  B.  M^^'"  Ignace-Ephrem  Rahmani,  patriarche  des  Syriens  catholique; 
M»'' Athanase  Sawaya.  métropolite  de  Beyrouth;  les  RR.  PP.  Lazariste: 
les  RR.  PP.  Jésuites,  les  Sœurs  de  Charité  et  toutes  les  communauté 
orientales  de  Syrie.  Il  a  été  inhumé  dans  le  caveau  des  religieux  ChoiK 
rites,  sous  l'église  cathédrale  de  Saint-Elie,  en  attendant  que  les  Missioi 
naires  de  Saint-Paul  puissent  le  transférer  à  Harissa,  après  lui  avoir  éle\ 
un  monument  digne  de  lui. 

Les  Echos  d'Orient  (i)ont  déjà  longuement  parlé  de  ce  digne  préla 
de  ses  travaux  et  de  sa  Société  de  Missionnaires.  Ceux-ci  sont  aujourd'h 
au  nombre  de  cinq.  Le  prélat  défunt  les  laisse  en  possession  d'une  vas] 
maison  à  Harissa,  et  d'un  large  terrain  à  Jounyé,  acquis  au  moyen  d 
aumônes  recueillies  par  les  missionnaires  eux-mêmes  en  Egypte  (1 
Malgré  leur  petit  nombre  et  la  rédaction  de  la  revue  Al-Massarrat,  do 
le  synode  de  'Aïn-Traz,  1909,  les  a  officiellement  chargés,  ils  trouve 
moyen,  aux  approches  du  Carême,  de  donner  des  missions  salutaire 
tant  en  Egypte  qu'en  Syrie,  à  la  grande  satisfaction  des  prélats  melkites  (' 

IX.  Au  Séminaire  de  Sainte-Anne  à  Jérusalem. 

Depuis  19 10,  la  jeune  revue  Al-Massarrat  nous  entretient  réguliè 
ment  des  ordinations  qui  ont  lieu  chaque  année,  le  20  juillet,  au  Sél 
naire  melkite  de  Sainte-Anne.  On  sait  que  cette  maison  d'éducation  sâo 
dotale,  confiée  depuis  trente  ans  au  zèle  des  RR.  PP.  Blancs,  a  d 
donné  à  l'Eglise  melkite  une  centaine  de  prêtres  instruits  et  dévoués  < 
travaillent  sous  la  direction  de  leurs  évêques  respectifs.  En  19 10,  Ms^^'Nicé 


l 


Qâdi,  métropolite  de  Bosra  et  Hauran,  conférait  les  saints  Ordres  à  di 
prêtres,  deux  diacres  et  cinq  sous-diacres.  En  191 1,  Ms'"  Paul  Abi-Mourp 
vicaire  patriarcal  de  Jérusalem,  conférait  les  saints  Ordres  à  quatre  prêti 
trois  diacres  et  un  sous-diacre. 

Cette  même  année,  le  R.  P.  Féderlin,  le  distingué  supérieur  de  Saii 
Anne  depuis  1888,  à  la  suite  de  grandes  fatigues,  était  tombé  gravem 
malade  au  mois  de  janvier.  Après  trois  longues  semaines  passées  à  1'')- 


(i)  C.  Charon,  M"  Germanos  Mo'aqqad  et  sa  Société  de  missionnaires,  dans  E 0S 
d'Orient,  t.  VIII  (igoS),  p.  282  sq.  | 

(2)  Des  difficultés  ayant  surgi  au  sujet  de  la  succession  du  prélat  défunt,  S.  B,  Cyrille  '' 
a  prié  M^'  Dimitrios  Qâdi,  d'AIep,  de  se  rendre  à  Harissa  pour  les  apaiser. 

(3)  La  reyue  Al-Massarrat,  t.  H  (1911-1912),  p.  721-744,  publia  une  longue  noticel; 
M"  G.  Mo'aqqad. 


CHRONIQUE    DE    l'ÉGLISE    MELKITE  375 

pital  Saint-Louis  de  Jaffa,  il  est  revenu  à  la  santé,  mais  les  Supérieurs 
majeurs  ont  jugé  prudent  de  le  décharger  complètement  de  la  direction 
du  Grand  Séminaire.  Le  R.  P.  Vanwaelscappel  a  été  envoyé  à  Jérusalem 
en  qualité  de  supérieur  du  Grand  Séminaire  de  Sainte-Anne.  Le  Petit 
Séminaire  reste  toujours  sous  l'habile  direction  du  R.  P.  Jules  Ruffier, 
depuis  1894. 

X.  —  Au  patriarcat  meikite  de  Damas. 

En  191 1,  S.  B.  Cyrille  VIII  Géha,  patriarche  des  melkites  catholiques, 
a  célébré  à  Damas  son  Jubilé  de  vingt-cinq  ans  d'épiscopat  (1886-1911). 
A  cette  occasion,  des  solennités  religieuses  et  littéraires  ont  eu  lieu  au 
patriarcat  de  Damas,  qui  ont  réjoui  le  prélat  jubilaire,  auquel  le  Saint- 
Père  a  envoyé  une  bénédiction  spéciale.  En  Egypte,  on  a  fait  plus. 
M^'"  Macaire  Saba,  vicaire  général  patriarcal,  a  convoqué  les  membres 
de  la  Commission  patriarcale  égyptienne  au  Caire.  On  y  a  décidé  la 
construction  d'une  vaste  église  au  Caire,  sous  le  vocable  de  saint  Cyrille 
d'Alexandrie,  patron  de  Sa  Béatitude.  Le  terrain,  situé  dans  la  meilleure 
partie  de  la  nouvelle  ville  du  Caire,  et  mesurant  plus  de  i  5oo  mètres 
carrés,  a  été  gracieusement  cédé  par  la  nouvelle  Compagnie  d'Egypte. 
Les  noms  des  bienfaiteurs  doivent  être  inscrits  dans  un  album  richement 
orné  qui  sera  offert  à  Sa  Béatitude,  et  un  délai  de  six  mois  seulement 
a  été  fixé  pour  l'achèvement  des  travaux  de  construction. 

M.  le  consul  de  France  à  Damas  a  remis  à  S.  B.  Cyrille  VIII  Geha, 
le  20  août  191 1,  la  croix  de  commandeur  de  la  Légion  d'honneur,  au  nom 
de  la  France,  qui  récompense  ainsi  le  zèle  de  Sa  Béatitude  à  répandre 
la  langue  française  dans  tout  son  patriarcat  meikite.  Un  grand  nombre 
d'ecclésiastiques  et  de  laïques  ont  pris  part  à  cette  solennité,  qui  a  eu  lieu 
dans  la  vaste  cour  du  patriarcat,  et  durant  laquelle  plusieurs  discours  de 
circonstance  ont  été  prononcés  tant  en  arabe  qu'en  français. 

Après  une  longue  attente,  S.  B.  Cyrille  VIII  s'est  décidé  à  donner  pleine 
satisfaction  aux  Damasquins,  et,  en  19 10,  il  a  nommé  le  R.  P.  Dimitri 
Soukaryyé  vicaire  général  patriarcal  de  Damas,  avec  la  dignité  d'archi- 
mandrite, qu'il  lui  a  conféré  en  même  temps.  M«^  Ignace  Homsy,  l'an- 
cien vicaire  patriarcal,  a  été  prié  de  se  retirer  à  *Aïn-Traz. 

Jean  Barbara. 

Syrie. 


BIBLIOGRAPHIE 


NiKOS  A.   BÉIS,    'AvTtooXr,  to-j  «Uzo\  7iO'.Y,T[xr,;  »  tou  'AokjtotÉXou;  r.oo;  xojoixix 

Tou  MsTswpou.  Extrait  de  la  revue  'AOr,va,  Athènes,  P.  D.  Sakellarios, 
191 1,  10  pages  (34-43)  in-8°. 

Dans  cette  courte  étude,  parue  dans  le  tome  XXIII  de'AOr^va,  M.  Nikos 
Béis  compare  le  texte  de  la  Poétique  d'Aristote  publié  par  Egger  à  Paris 
en  1875  avec  celui  d'un  manuscrit  du  xv®  siècle  du  couvent  météore  de 
la  Transfiguration. 

Au  début  de  son  travail  il  donne  une  liste  des  autres  traités  contenus 
dans  le  même  manuscrit,  et  qui  sont:  1°  un  traité  sur  la  métrique,  dur 
inconnu;  2°  'Oveipoxpiasiç  de  Nicéphore;  3°  'Ey/'^p'-S'-ov  d'Héphestion; 
4°  Kuvr|Y£Tixà  d'Oppien;  b"  llsp-.  Tro-.rjTtXY,;  d'Aristote;  7°  lltoX  épaYiVsiaç  d( 
Démétrius  de  Phalère. 

F.  Cayré. 

E.  Legrand,  Bibliographie  ionienne:  Description  raisonnée  des  ouvragei 
publiés  par  les  Grecs  des  Sept-Iles  ou  concernant  ces  îles,  du  xv^  siècL 
à  l'année  igoo.  Œuvre  posthune  complétée  et  publiée  par  H.  Perno: 
(Publications  de  l'Ecole  des  langues  orientales  vivantes).  Paris,  Leroux 
1910.  Deux  volumes  in-8°,  ix-860  pages. 

Une  publication  de  ce  genre  demande  des  années  de  recherche 
assidues  et  de  patience  à  toute  épreuve,  mais  les  deux  infatigables  érudit 
que  sont  MM.  Legrand  et  Pernot  n'ont  pas  reculé  devant  la  tâche.  Auss 
devons-nous  ménager  un  accueil  chaleureux  à  ce  vaste  catalogue  de 
œuvres  manuscrites  ou  imprimées  qui  constituent  la  littérature  ionienne 
Combien  ces  deux  volumes  seront  utiles,  ceux-là  surtout  le  savent  bie 
qui  s'occupent  d'études  bzyantines.  Aucun  renseignement  indispensabl 
ne  fait  défaut;  on  y  indique  même  dans  quelle  bibliothèque  se  rencontren 
tels  ou  tels  ouvrages  plus  rares.  C'est  ainsi  que  plusieurs  (p.  114,  12c 
i65,  etc.)  sont  mentionnés  comme  se  trouvant  à  Kadi-Keuï,  à  la  réda-. 
tion  des  Echos  d'Orient.  Malgré  quelques  lacunes  (par  exemple,  au  sujt 
de  VAcolouthia  de  la  Myrtidiotissa  de  Cérigo,  les  éditions  de  Céphalonj 
et  du  Pirée,  en  1849  et  1882,  ont  été  omises),  lacunes  d'ailleurs  qu'i 
comblera  facilement  dans  un  appendice,  cette  bibliographie  n'en  deme 
pas  moins  une  source  abondante  de  renseignements  à  laquelle  on  p 
sera  longtemps. 

A.  Chappet. 


BIBLIOGRAPHIE 


377 


J.  LONGNON,  Chronique  de  Morée  (i204-i3o5),  publiée  par  la  Société  de 
l'Histoire  de  France.  Paris,  H.  Laurens,  191 1,  in-8°,  cxx-432  pages  et 
une  carte.  Prix  :  9  francs. 

Voici  plus  de  soixante-dix  ans  que  Buchon  publia  la  Chronique  de 
Morée.  Depuis  cette  époque,  il  s'est  fait  tant  de  précieuses  découvertes 
qu'une  réédition  critique  de  cet  ouvrage  s'imposait.  M.  Longnon  a  entre- 
pris cette  tâche  et  ij  l'a  menée  à  bien,  après  des  recherches  scrupuleuses 
et  avec  un  grand  souci  d'exactitude.  Le  texte  est  précédé  d'une  introduc- 
tion où  M.  Longnon  nous  donne  tous  les  renseignements  capables  de 
nous  faire  comprendre  le  document  qu'il  publie.  Après  un  aperçu  histo- 
rique sur  la  principauté  de  Morée  et  une  notice  sur  les  sources  de  l'histoire 
de  la  conquête  de  ce  pays,  il  étudie  la  Chronique  elle-même,  les  travaux 
qui  ont  été  faits  avant  lui  et  les  origines  de  cet  ouvrage.  Suit  une  notice 
chronologique  des  grands  feudataires  de  Morée  et  des  principaux  souve- 
rains de  Grèce.  Enfin,  une  notice  géographique  accompagnée  d'une  carte 
familiarise  le  lecteur  avec  les  noms  étranges  donnés  par  les  croisés  à  leurs 
possessions  d'outre-mer  et  dans  lesquels  il  est  bien  difficile  parfois  de 
retrouver  la  forme  grecque.  Le  texte  de  la  Chronique  est  suivi  d'un  glos- 
saire et  d'une  table  analytique  de  noms  propres. 

La  Chronique  de  Morée,  telle  que  vient  de  l'éditer  M.  Longnon,  sera 
bien  accueillie  de  ceux  qui  ont  à  cœur  d'étudier  les  gloires  de  la  France 
£t  de  retremper  leurs  énergies  au  contact  de  leurs  ancêtres. 

R.  Janin. 

R.  HuBER,  Empire  oiiojnan,  carte  statistique  des  cultes  chrétietis.  Le 
Caire,  Baader  et  Gross  (191 1).  Prix:  10  marks. 

Le  major  Huber  a  publié  en  1910  au  1/600000  la  carte  statistique  des 
cultes  chrétiens  dans  la  partie  européenne  de  l'empire  ottoman.  Il  vient 
de  faire  paraître  au  i/i  25o  000  celle  de  la  partie  asiatique.  Ici  la  tâche 
était  plus  facile  que  pour  la  Macédoine  parce  que  la  compénétration  des 
races  et  des  religions  y  est  moins  grande.  L'ensemble  du  travail  donne 
une  idée  assez  exacte  de  ce  que  sont  les  diverses  sectes  chrétiennes  en 
3rient.  Cependant  il  s'y  est  glissé  des  inexactitudes  dont  nous  relèverons- 
les  principales,  au  moins  pour  ce  qui  regarde  les  catholiques.  Les  Augus- 
ùns  de  l'Assomption  n'ont  ni  maison,  ni  église,  ni  école  à  Kara-Hissar, 
Ak  Chéhir  et  Érégli,  mais,  par  contre,  ils  ont  une  mission  assez  impor- 
tante à  Kadi-Keuï.  L'auteur  ne  paraît  pas  familiarisé  avec  les  Congréga- 
ions  religieuses  :  les  Franciscains  de  Terre  Sainte  ne  reçoivent  pas  moins 
ie  quatre  noms  différents,  les  Filles  de  la  Charité  sont  appelées  tantôt 
jSœurs  de  Saint-Vincent,  tantôt  Sœurs  de  Charité.  Ceux  que  M.  Huber 
ippelle  les  presbytériens  ne  sont-ils  pas  tout  simplement  les  Prêtres  de 
a  Mission  ou  Lazaristes?  Malgré  ces  imperfections,  la  carte  du  major 


378  ÉCHOS    d'orient 


Huber  rendra  beaucoup  de  services  à  ceux  qui  voudront  connaître  en 
détail  la  mosaïque  des  religions  dans  l'empire  ottoman. 

R.  Janin. 

F.  Larrivaz,  s.  J.  Les  saintes  Pérégrinations  de  Bernard  de  Breyden- 

bach  (1483).  Texte  et  traduction  annotée.  Extraits  relatifs  à  l'Egypte 

suivant  l'édition  de  1490.  Le  Caire,  1904,  in-8°,  78  pages. 

» 
Bernard  de  Breydenbach,  doyen  de  la  cathédrale  de  Mayence,  nous 

parle,  dans  ces  quelques  pages,  de  son  voyage  en  Egypte  au  retour  de 

Palestine  en  1483.  C'est  une  description  naïve  et  détaillée  de  tout  ce  qu'il 

a  rencontré,  comme  en  faisaient  jadis  les  pieux  pèlerins  de  Terre  Sainte. 

Le  R.  P.  Larrivaz,  dans  sa  traduction,  a  été  aussi  exact  que  possible,  ei 

l'élégance  de  son  style  n'en  a  nullement  souffert. 

Les  notes  explicatives  et  critiques  qu'il  a  ajoutées  au  texte  rendent  c( 

récit  plus  charmant  encore.  Les  principaux  points  décrits  sont  surtou' 

Matarieh,  Caire-Babylone  et  Alexandrie.  A.  Chappet. 

C.  LiTZiCA,  Catalogul  manuscriptelor  grecesti  {Catalogue  des  manuscrit 
grecs  de  la  bibliothèque  de  l'Académie  roumaine).  Bucarest,  Caro 
Gobi,  1909.  In-8°,  vi-564  pages  -h  XV  fac-similés.  Prix  :  12  francs. 

Ceux  qui  s'imposent  le  labeur  peu  attrayant  de  cataloguer  les  manu 
scrits  des  bibliothèques  ont  droit  à  la  reconnaissance  du  monde  savant 
Je  suis  sûr  que  tous  ceux  qui  parcourront  le  catalogue  si  bien  ordonné  de 
manuscrits  grecs  de  la  bibliothèque  de  l'Académie  roumaine,  que  M.  Lilzic 
a  récemment  dressé,  lui  diront  du  fond  du  cœur  un  sincère  merci.  L 
bibliothèque  roumaine  est  assez  pauvre  en  manuscrits  anciens.  Les  xi 
xvi^  siècles  ne  sont  représentés  que  par  une  cinquantaine  de  numéros 
Mais  l'abondance  commence  avec  le  xvii^  siècle.  Le  xviii^  a  la  part  d 
lion  :  près  des  deux  tiers  du  nombre  total,  qui  est  de  83o.  C'est  dire  qu 
la  bibliothèque  roumaine  se  recommande  à  l'attention  des  helléniste 
surtout  par  les  pièces  de  la  littérature  grecque  des  trois  derniers  siècle: 
bien  que  le  moyen  âge  byzantin  y  tienne  aussi  une  bonne  place.  L'excc 
lente  table  des  auteurs  qui  termine  le  volume  facilite  les  recherches. 

M.  JUGIE. 

D.   D.  Gerasimu  Safirinu,  Documente  privitoare  la  iurburarea  biser 
ceasca  pricinuita  de  legea  sinodala  din  igog  si  apararea  prea  sfint 

tului  episcopal  Romanului în  procesul  sinodal  din  vara  anuh 

igi I.  Bucarest,  D.  C.  Jonescu,  19 12,  446  pages. 

L'évêque  de  Roman  a  rassemblé  dans  cet  écrit  les  documents  dive 
relatifs  à  la  défense  de  sa  propre  cause  dans  le  fameux  procès  qui  s'ei 


BIBLIOGRAPHIE  379 


terminé  par  sa  destitution  et  celle  du  primat,  Mp""  Athanase  Mironescu. 
Ces  documents  curieux  contiennent  la  preuve  manifeste  de  la  culpabilité 
du  chef  de  l'Église  roumaine.  Comme  notre  correspondant  de  Roumanie 
se  charge  de  raconter  la  suite  de  la  triste  affaire  Minorescu,  dont  il  nous 
a  exposé  les  débuts  l'année  dernière,  et  qu'il  a  été  contraint  d'interrompre 
jusqu'à  ce  jour,  nous  ne  croyons  pas  nécessaire  de  parler  plus  lon- 
guement de  l'ouvrage  de  M^*"  Safirinu.  Signalons  cependant  un  détail 
intéressant  :  c'est  que,  d'après  les  griefs  formulés  contre  l'évéque  moldave, 
ce  dernier  s'était  permis  d'interdire  dans  son  éparchie  toute  musique 
polyphonique  aux  enterrements  des  officiers  même  supérieurs. 

En  finissant  ce  bref  compte  rendu,  nous  exprimons  le  regret  que  pour 
se  défendre  de  l'inculpation  de  tendance  catholique,  le  digne  prélat  ait 
cru  devoir  affirmer,  sans  examen  sérieux  de  la  question,  que  le  catholi- 
cisme est  une  déviation  du  christianisme  primitif.  A.  Catoire. 

A.  Valensin,  Jésus-Christ  et  Vétude  comparée  des  religions,  conférences 
données  aux  Facultés  catholiques  de  Lyon.  Paris,  Gabalda,  1912,  in-12, 
222  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

Les  sujets  traités  par  M.  Valensin  sont  :  L  Le  problème  christologique 
que  pose  la  science  des  religions.  II.  Les  «  Christs  mythiques  »  et  le 
Christ  historique.  III.  L'image  du  Christ  devant  le  syncrétisme  gréco- 
romain.  IV.  Le  Messianisme  d'Israël.  V.  Jésus-Christ,  la  voie,  la  vérité, 
la  vie.  Suivent:  i.  Cinq  notes  sur  le  Fait  religieux,  l'Option  préalable, 
r  «  Évangile  bouddhique  »,  la  supériorité  vitale  de  la  grâce  sur  la  loi,  la 
parole  de  l'apôtre  saint  Philippe  :  «  Montrez-nous  le  Père  et  il  nous 
suffit»;  2.  Un  index  des  auteurs  cités;  3.  Un  index  analytique. 

Le  conférencier  met  en  œuvre  les  derniers  renseignements  fournis  par 
l'étude  des  religions  sur  la  question  capitale  qu'il  s'est  proposé  d'exposer 
devant  un  auditoire  choisi.  Ce  genre  de  travail  a  son  mérite,  qui  n'est  pas 
toujours  inférieur  à  l'invention  des  documents  :  car,  sans  lui,  ces  derniers 
courraient  souvent  le  risque  d'être  inutilisables  pour  un  grand  nombre 
de  gens  instruits.  La  dernière  conférence,  qui  est  la  conclusion  des  pré- 
cédentes, est  à  notre  avis  la  plus  intéressante  de  toutes.  Le  fait  de  l'Église 
catholique  dans  laquelle  seule,  d'une  part,  l'instinct  religieux  de  l'homme 
trouve  pleine  satisfaction  et  dont  cependant,  d'autre  part,  non  seulement 
la  morale,  mais  encore  la  foi  aux  mystères  et  aux  miracles  anciens  et 
actuels,  sont  tellement  solidaires  qu'on  ne  peut  rien  en  modifier  sans 
les  renier  et  en  annuler  l'influence  religieuse;  ce  fait,  disons-nous  avec 
M.  Valensin,  est  absolument  unique  en  son  genre.  L'impression  qu'il 
produit  sur  l'esprit  droit  est  si  forte  que  l'incrédule  éclairé,  s'il  est  sin- 
cère et  examine  une  bonne  fois  la  chose  froidement  et  sans  prévention 
personnelle,  nationale  ou  autre,  ne  pourra  plus  désormais  vivre  en  paix 
dans  son  scepticisme. 


^8o  ÉCHOS  d'orient 


Malgré  l'estime  que  nous  professons  pour  cet  ouvrage,  nous  nous  per- 
mettons de  soumettre  à  l'auteur  quelques  remarques  ou  questions  con- 
cernant sa  méthode  et  certaines  de  ses  démonstrations  : 

1°  M.  Valensin  s'exprime  de  façon  à  laisser  au  lecteur  l'idée  que  la 
méthode  du  doute  scientifique  suppose  nécessairement  le  doute  réel  et 
positif; 

2°  A  propos  de  la  question  de  l'influence  exercée  par  le  bouddhisme,  le 
babyionisme  ou  le  syncrétisme  gréco-romain  sur  le  christianisme,  le  con- 
férencier ne  répond  pas  d'une  manière,  à  notre  avis,  pleinement  satisfai- 
sante aux  doutes  qui  peuvent  naître  dans  l'esprit,  à  propos  des  légendes 
de  Barlaam  et  de  Joasaph,  de  saint  Georges,  etc. 

Nous  pourrions  chicaner  le  savant  auteur  sur  d'autres  points  importants, 
tel  celui  d'une  déformation  primordiale  du  christianisme,  due  selon  les 
incrédules  à  l'ascendant  extraordinaire  et  si  impressionnant  du  Christ 
sur  ses  premiers  disciples.  Ici  encore,  nous  regrettons  que  le  professeur 
lyonnais  ne  mette  pas  assez  en  lumière  la  réponse  à  faire  à  cette  objection 
spécieuse  des  ennemis  de  l'Église.  En  outre,  des  critiques  compétents 
n'admettront  pas  ce  qui  est  dit  dans  Jésus-Christ  et  l'étude  comparée  des 
religions  sur  le  fatalisme  de  l'islam,  le  peu  d'influence  de  l'arianisme,  etc. 
Nous  n'insistons  pas  sur  ces  critiques,  faute  d'espace. 

Malgré  ces  remarques,  nous  tenons  à  répéter  que  M.  Valensin  a  fait 
œuvre  très  utile  en  publiant  ses  conférences,  et  qu'en  les  améliorant  çà  el 
là  il  rendrait  cette  œuvre  plus  utile  aux  apologistes  catholiques. 

A.  Catoire. 

E.  Gerland,  Der  Mosaikschmuck  der  Hamburger  Erloserkirche.  Eir. 
ikoîiographischer  Versuch.  Homburg,  J.  G.  Steinhaeusser,  I9ii,in-i2 
52  pages.  Prix  :  i  mark.  1 

A  propos  des  mosaïques  exécutées  dans  l'église  de  Homburg,  le  D''  Ger 
land  fait  l'historique  de  ce  genre  de  décorations  et  étudie  d'une  façor 
toute  spéciale  les  représentations  du  Christ  que  nous  ont  léguées  le 
anciens,  et  particulièrement  les  Byzantins.  Onze  gravures  illustrent  heu 
reusement  le  texte  et  donnent  encore  plus  de  valeur  à  cette  petite  étude 
qui  en  a  déjà  beaucoup  par  elle-même. 

J.  Iannakis. 

n 

A.   Stockle,    Spàlrômische  und  by^antinische  Zûnfte.   Leipzig,   1911 
Librairie  Dieterich,  in-4°,  x-i8o  pages.  Prix:  9  marks. 

L'édit  de  l'empereur  Léon  le  Sage  sur  les  corporations,  appelé  aus 
Livre  du  préfet,  nous  était  connu  depuis  une  vingtaine  d'années.  M.  Jul 
Nicole  l'avait  découvert  et  publié  en  1892.  Ce  document  faisait  connaît 
les  corporations  byzantines,  jusque-là  à  peu  près  ignorées.  M.  Stockle 


I 

I 


BIBLIOGRAPHIE  38 1 


donne  aujourd'hui  une  étude  approfondie.  Il  examine  en  détail  les  pre- 
scriptions de  redit, la  terminologie, les  vingt-deux  chapitres  qui  concernent 
chacun  un  corps  de  métier,  l'organisation  des  corporations  et  leurs  rap- 
ports avec  le  gouvernement.  Huit  index  philologiques,  géographiques, 
topographiques,  etc.,  complètent  ce  travail. 

R.  Janin. 

Fr.  Snopek,  Konstaniinus-Cyrillus  und  Methodius  die  Slavenapostel, 
in-8'',  472  pages.  Kremsier,  H.  Siovak,  191 1.  Prix:  10  couronnes. 

Voici  un  livre  de  combat.  On  s'en  aperçoit  dès  qu'on  a  lu  le  sous-titre  : 
U71  mot  de  défense  aux  amis  de  la  vérité  historique.  Il  fait  partie  des 
œuvres  publiées  par  l'Académie  de  Véléhrad,  qui  sont  destinées  à  mettre 
en  lumière  les  gloires  chrétiennes  des  Slaves  et  à  faciliter  le  retour  des 
schismatiques  à  l'unité.  C'est  à  un  professeur  berlinois,  le  D'  Alexandre 
Bruckner,  que  s'en  prend  M.  l'abbé  Snopek.  Et  vraiment  il  a  beau  jeu  de 
démolir  une  à  une  les  thèses  échafaudées  par  son  adversaire.  Parmi  les 
affirmations  soutenues  par  le  D""  Bruckner,  nous  découvrons  des  choses 
nouvelles  auxquelles  aucun  historien  sérieux  n'avait  songé  avant  lui.  Je 
n'en  cite  qu'un  exemple  :  il  paraît  que  saint  Cyrille  et  saint  Méthode 
étaient  partisans  de  Photius  et  détestaient  cordialement  Rome!  On  dirait 
que  les  Allemands,  qui  ont  si  vivement  combattu  les  apôtres  des  Slaves 
durant  leur  vie,  veulent  encore  leur  enlever  leur  auréole  de  sainteté. 

Aussi,  avec  quel  entrain,  quel  feu  lui  répond  M.  Snopek!  Le  vieil  anta- 
gonisme des  Slaves  contre  les  Germains  lui  dicte  parfois  des  invectives 
violentes,  mais  cette  polémique  est  basée  sur  un  scrupuleux  souci  de  la 
vérité,  sur  des  recherches  patientes  et  sur  un  grand  esprit  critique.  L'au- 
teur —  même  s'il  a  parfois  dépassé  la  mesure  —  aura  vaillamment  défendu 
les  apôtres  de  sa  race. 

Son  œuvre  est  un  peu  touffue;  on  y  trouve  trop  de  parenthèses  histo- 
riques ou  théologiques,  mais  elle  n'en  sera  pas  moins  d'une  grande  utilité 
à  ceux  qu'intéressent  la  vie  et  les  œuvres  de  saint  Cyrille  et  de  saint 
Méthode. 

R.  Janin. 

;  Mélanges  de  la  Faculté  orientale  de  l'Université  Saint-Joseph,  à  Beyrouth, 
'     t.  V,  fasc.  I,  in-8",  4i5-xxxviii  pages.  Beyrouth,  191 1. 

Nous  avons  déjà  dit  à  plusieurs  reprises  i^Voir  Echos  d'Orient,  t.  X, 
i  1907,  p.  i82-i83;  t.  XI,  1908,  p.  126-128;  t.  XIV,  1911,  p.  SS-Sg.)  tout 
le  bien  que  nous   pensions  des  savants  volumes  que   publie  périodi- 
quement, sous  le  titre  de  Mélanges,  la  Faculté  orientale  de  l'Université 
des  Pères  Jésuites  de  Beyrouth.  Parmi  les  travaux  qui  constituent  le 
r;î  présent  fascicule,  deux  ont  déjà  été  signalés  dans  notre  revue  :  Un  monas- 


382  ÉCHOS    d'orient 


tère  éthiopien  à  Rome  aux  xv^  et  xvi^  siècles,  «  San  Stefano  dei  Mari  », 
P.  M.  Chaîne;  notes  épigraphiques  (Damas,  Alep,  Orfa),  Noël  Giron. 
(Voir  Echos  d'Orient,  t.  XIV,  191 1,  p.  3ii-3i2.)  Il  nous  reste  à  men- 
tionner les  autres  études  de  ce  recueil  : 
La  Hamâsa  de  Buhturi  (Notes  critiques,  fin).  P.  L.  Cheikho,  p.  37-70. 

—  Le  calijat  de  Ya^îd  /<"■  (2^  fasc).  P.  H.  Lammens,  p.  79-268.  —  Etude 
sur  tJ'ois  textes  relatifs  à  l'agriculture  (Isaïe,  Amos).  P.  H.  V/ilbers, 
p.  269-282.  —  laurus  et  Cappadoce.  PP.  G.  de  Jerphanion  et  L.  Jala- 
BERT,  p.  283-328.  —  Inscriptions  de  Séleucie  et  de  Piérie.  P.  L.  Jalabert, 
p.  329-332.  —  Ibora-Ga^ioura  ?  Etude  de  géographie  pontique.  P.  G.  de 
Jerphanion,  p.  333-354.  —  Etudes  de  philologie  sémitique.  P.  Paul  Jouon, 
p.  355-404.  — Notes  de  lexicographie  hébraïque.  P.  PaulJouon,  p.  404-415. 

—  Bibliographie,  p.  i-xxxviii. 

Cette  simple  énumération  dit  assez  la  variété  et  la  richesse  de  ces 
Mélanges  où  orientalistes,  éxégètes,  historiens,  archéologues,  géographes 
puiseront  bien  des  renseignements  précieux.  Nous  attirons  plus  spéciale- 
ment l'attention  de  nos  lecteurs  sur  les  notes  très  intéressantes  et  très 
précises  consacrées  par  les  RR.  PP.  G.  de  Jerphanion  et  L.  Jalabert  au 
Taurus  et  à  la  Cappadoce,  aux  inscriptions  de  Séleucie  et  de  Piérie, 
l'identification  de  la  localité  pontique  d'Ibora.  Le  R.  P.  G.  de  Jerpha- 
nion, qui  a  minutieusement  exploré  ces  parages,  ne  croit  pas  qu'or 
puisse  continuer  à  identifier  Ibora  avec  Gazioura.  «  En  attendant,  dit- 
que  l'épigraphie  vienne  nous  fournir  les  seules  preuves  irréfutables,  or 
acceptera  la  situation  dans  Tach  Ova.  » 

Il  n'est  pas  jusqu'à  la  bibliographie  qu'il  ne  faille  recommander  au? 
amis  des  choses  orientales,  et  spécialement  des  choses  byzantines;  tel 
recension  signée  des  RR.  PP.  Mouterde,  Jalabert,  de  Jerphanion  est  uni 
véritable  étude  critique  apportant  sur  plus  d'un  point  d'importantes  cor 
rections  à  l'ouvrage  analysé. 

S.  Salaville. 

H.  Fr.  von  Kutschera,  Die  Chasaren.  Historische  Studie  (Ein  Nac 
lass),  2*  édition.  Vienne,  A.  Holzhausen,  1910,  in-8°,  271  pages. 

Le  baron  Hugo  von  Kutschera,  haut  fonctionnaire  autrichien,  réorga 
nisateur  de  la  Bosnie,  fort  au  courant  des  choses  politiques  de  l'OrieB 
ancien  et  moderne,  a  laissé  en  mourant  une  étude  historique  sur  le 
Khazars,  peuple  de  race  turque  établi  dès  le  v«  siècle  dans  l'Europe  orier 
taie  et  dont  l'empire  eut  une  assez  longue  période  de  gloire  et  de  puii 
sance.  L'auteur,  qui  n'avait  aucune  prétention  d'érudit,  a  négligé  d'appuyf 
sur  des  références  précises  les  chapitres  de  cette  excellente  monographit 
et  il  est  bien  regrettable  que  les  éditeurs  n'aient  pas  comblé  cette  lacum 
On  n'a  même  pas  pris  soin  d'insérer  une  table  des  matières  quelconquf 
Voici,  du  moins,  les  titres  des  chapitres  qui  constituent  cet  ouvrage 


BIBLIOGRAPHIE 


383 


[.  Coup  d'œil  historique,  p.  23- 106;  IL  L'empire  des  Khazars  et  son  orga- 
lisation,  p.  107-161;  IIL  Destinée  ultérieure  des  Khazars,  p.  162-207; 
[V.  Khazars  et  Juifs,  p.  207-270.  On  voit,  par  le  vague  de  ces  titres,  com- 
bien il  serait  à  désirer  que  quelque  travailleur  se  donnât  la  tâche  de 
reprendre  cette  étude  pour  la  rendre  plus  utilisable.  Il  faudrait  y  ajouter 
les  renvois  au  moins  aux  principales  sources,  détailler  la  table  des 
natières,  ajouter  un  index  alphabétique  et  analytique,  et  l'on  aurait 
linsi  décuplé  la  valeur  de  la  monographie  des  Khazars  laissée  par  le 
Daron  von  Kutschera.  Tous  ceux  qu'intéresse  l'histoire  des  Byzantins, 
des  Petchenègues,  des  Comans  et  de  tant  d'autres  peuples  apparentés  aux 
K-hazars,  accueilleraient  avec  joie  cette  édition  revue  et  augmentée  que 
nous  souhaitons. 

S.  Salaville. 

M.Maxudianz,  Lepar/er arme'n/enûf'AAn (quartier bas).  Paris,  P.  Geuthner, 
191 2,  in-S",  xi-146  pages. 

M.  Maxudianz,  vartabet  ou  archimandrite  d'Etchmiadzin,  docteur  de 
l'Université  de  Paris,  a  consacré  une  étude  scientifique  aux  particularités 
de  la  langue  arménienne  parlée  à  Akn,  sa  ville  natale.  Pour  plus  de  pré- 
cision encore,  il  se  borne  à  étudier  l'idiome  du  quartier  bas  de  cette  loca- 
lité, celui  du  quartier  haut  en  différant  d'une  manière  assez  notable.  Akn 
(en  turc  Eguiné)  se  trouve  en  Asie  Mineure,  dans  le  vilayet  de  Xarput, 
sur  TEuphrate;  elle  compte,  avec  les  villages  environnants,  20000  habi- 
tants, dont  10  000  Turcs  et  10  000  Arméniens,  y  compris  les  Arméno- 
Grecs.  Le  dialecte  arménien  qui  y  est  parlé  mérite  d'attirer  l'attention  des 
linguistes. 

D.  Servière. 

A.  Palus,  TI  véa  O'.aôVjxTi  xaxà  To  paxtxavb  yepoypaso  [jt,£Tacppa(7[X£V7i.  MépoçirpciJTo. 
Liverpool,  The  Liverpool  booksellers'  C°  Ltd,  1910,  in-12,  257  pages. 

Bien  que  mise  en  vente  à  Liverpool,  la  première  édition  de  cette  tra- 
duction du  Nouveau  Testament  (1902)  avait  été  imprimée  à  Paris.  La 
nouvelle  (troisième  et  quatrième  mille)  est  imprimée  à  Oxford. 

L'orthographe  a  été  plus  radicalement  phonétisée.  Ainsi   M.   Pallis 

jn'écrit  plus  llauXo;,  mais  Ila|iÀoç  ;  Y,-jpa,  mais  -^j3pa  ;  aùrd;,  mais  àcpTo;;  xai  Oevà 

l??Y,;(o,  mais   <7upw   (7:opeu(jo[ji.at,  Luc.   xv,    18).   Parfois  cette  orthographe 

jdéconcerte  le  lecteur,  Trpoaecpxr,,  prière;  ^r^rjx^dXzit  ÔTi<7aPpoûç;  â/xpot.  Le 

Itexte  a  parfois  été  modifié  ou  mieux  redressé.  Des  mots  ont  été  remplacés 

par  d'autres.  Kal  aàv  xb  [jpsï  xô  c&opxoSvexat  ;  l'ancienne  édition  avait  xb  paJIet 

[Luc.  XV,  5).  M.  Pallis  ne  dit  plus  TrpoaxaXsi  qui  traduisait  déjà  ffuyxaXeT 

de  saint  Luc,  mais  irpoçy.aXvï  de  la  langue  démotique.  Dans  le  Pater  noster, 

il  a  changé  un  mot  :  7:apà  yXuxcoaÉ  [xa;,  sed  libéra  nos;  il  disait  en  1902  : 


384  ÉCHOS    d'orient 


(xéve  yXÙTcoffé  [xaç.  On  pourrait  citer  cent  exemples.  Il  semble  que  M.  Pallis 
s'est  appliqué  à  rendre  sa  traduction  dans  un  langage  plus  populaire 
encore. 

On  sait  que  le  saint  synode  de  Grèce  a  interdit  la  traduction  en  langue 
démotique  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament.  Pas  un  catholique  ne 
l'en  blâmera.  Mais  il  est  permis  d'examiner  le  texte  de  M.  Pallis  au  point 
de  vue  de  la  traduction  même.  L'Evangile  est  bien  rendu,  mot  à  mot 
pour  ainsi  dire,  dans  un  langage  que  tous  les  Grecs,  bourgeois,  écoliers, 
paysans  illettrés,  femmes  du  peuple,  comprennent.  J'en  ai  moi-môme  fait 
l'expérience  sur  huit  ou  neuf  personnes.  Seuls  les  professeurs  et  les  Hel- 
lènes très  instruits,  partisans  de  la  xxOaps'JouTa,  affectent  de  ne  pas  com- 
prendre. Par  contre,  ces  huit  ou  neuf  personnes  ne  comprenaient  pas  le 
texte  reçu  de  l'Evangile,  ou  à  peine;  pas  plus  d'ailleurs  que  les  prières 
liturgiques  de  la  messe  et  des  Heures.  On  doitajouter,  pour  être  juste, 
que  les  Grecs  sans  distinction,  même  les  illettrés,  ont  une  répugnance 
instinctive  pour  la  traduction  de  M.  Pallis,  qui  est  considéré  par  le* 
puristes  comme  un  des  mortels  ennemis  de  l'hellénisme  et  de  l'ortho- 
doxie. C'est  un  fait  curieux  à  noter. 

M.  Pallis,  par  réaction  sans  doute  contre  le  texte  reçu,  le  défigure  par- 
fois. Par  exemple,  Xâ^sTs,  àoxb'  vat  rb  xopixt  [JLOJ  {Marc,  xiv)  :  hoc  est  coiym 
meiim;  même  traduction  dans  les  passages  parallèles.  Or,  même  ur 
paysan  dira  aôfxa  pour  corps;  xoi^y-'-  signifie  le  tronc,  du  bassin  au  cou 
par  analogie  seulement,  un  petit  garçon,  uae  fillette.  A  l'opposé,  peut-ètn 
pour  éviter  les  moqueries,  M.  Pallis  conserve  /oïpoi  {Marc,  v,  11),  quant 
tout  le  monde  en  Grèce  dit  youpoùvta.  Enfin  certains  passages  sont  traduit 
avec  une  brutalité  qui  semble  voulue.  Ainsi,  dans  la  prière  sacerdotal* 
0  yiéç  Tou  yafxov  pour  6  uiô;  Tr,ç  aTtwXei'aç  {Joatl.  XVII,  12),  Xajxoç  est  un  mO 
populaire,  mais  deux  sur  trois  paysans  que  j'interroge  ne  le  connaisseri 
pas.  La  langue  démotique  se  prêtant  mal  à  l'abstraction,  c'est  l'Evangil 
de  saint  Marc  qui  est  le  mieux  rendu. 

L'édition,  ornée  d'une  belle  icône  byzantine,  est  un  bijou  bibliogra 
phique.  Les  mots  sans  accents  sont  imprimés  comme  sur  les  stèle 
archaïques,  en  caractères  droits  et  en  majuscules,  ce  qui  rend  la  lecti^ 
courante  un  peu  difficile  pendant  les  premières  pages.  On  conservera] 
volume  comme  une  rareté  bibliographique,  et,  pour  étudier  le  texte,  ^ 
SQ  servira  de  l'édition  de  Paris. 

L.  Arnaud. 


984-12.  —  imp.  p   Ferox-Vrau,  3  ei  S,  rue  Bayara,  Paris,  viii'.  —  Le  gérant  :  K.  PETrruENHT. 


I 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL 
CHEZ    LES    GRECS    MODERNES 


1.  —  Théorie  et  histoire. 

Les  Echos  d'Orient  ont  publié  l'année  dernière  quatre  ou  cinq  formules 
d'exorcisme  contre  la  Baskania  ou  le  mauvais  œil,  la  superstition  la  plus 
répandue  qu'il  y  ait  dans  le  monde  grec.  Avec  les  formules,  on  indi- 
quait le  rituel  magique,  gestes  et  instruments,  aiguilles,  clous  de  girofle, 
verres  d'eau,  cendres,  cire,  huile,  salive,  insufflations,  signes  de 
croix,  etc.,  dont  les  sorcières,  en  toute  bonne  foi,  il  est  nécessaire  de 
beaucoup  insister  sur  ce  point,  se  servent  pour  chasser  la  maladie  ou 
le  mauvais  sort  (i). 

Je  voudrais  développer  ces  notes.  J'ai  pu  réunir  une  trentaine  d'exor- 
cismes  grecs  employés  aujourd'hui  contre  la  Baskania,  tant  inédits  que 
déjà  publiés.  Mais,  imprimés  ou  manuscrits,  ils  sont  également  diffi- 
ciles à  interpréter  en  français.  Pas  de  suite  dans  les  idées,  pas  de  style, 
une  langue  d'une  grossièreté  inconcevable,  des  absurdités  linguistiques, 
des  non-sens,  des  calembours,  des  jeux  de  mots  et  des  drôleries,  par- 
fois des  obscénités  révoltantes  mélangées  à  des  invocations  aux  saints 
et  à  des  lambeaux  de  textes  liturgiques,  voilà  plus  qu'il  n'en  faut  pour 
décourager  un  traducteur.  Souvent  même,  quand  il  est  emprunté  aux 
rituels  manuscrits  de  la  Magie  noire,  qu'on  désigne  sous  le  nom  de 
Solomonikis,  l'exorcisme  se  traîne,  du  commencement  à  la  fin,  dans 
'infamie  et  l'abjection. 

De  juste,  ce  groupe-là,  je  le  laisse  de  côté,  ne  donnant  que  des 
':extes  dont  se  servent  de  braves  femmes,  ignorantes  et  crédules,  per- 
suadées qu'elles  font  œuvre  pie  en  chassant  à  leur  manière  la  Baskania, 
^ui  fait  d'un  chrétien  le  jouet  de  la  mauvaise  fortune.  Car  les  effets 
n  sont  parfois  redoutables,  surtout  chez  les  enfants.  Fièvres,  langueurs, 
a  mort  même,  voilà  ce  qui  guette  l'ensorcelé.  Tout  ou  moins  la  mal- 
hance,  un  accident,  la  non-réussite  d'une  entreprise,  l'échec  d'une 
leureuse  combinaison,  une  brouille  entre  amis.  Un  seul  regard  peut 
out  cela  (2). 


(1)  Mars  et  mai,  191 1,  p.  78  et  147. 

(2)  La  Baskania,  la  fascinatio  des  Latins  et  la  jettatiira  des  Italiens  modernes.  Les 
irecs  anciens  emploient  le  mot  |îâaxavoi;,  d'origine   inconnue,  pour  désigner  celui 

Echos  d'Orient.  —  i5°  année.  —  N°  g6.  Septembre   IQ12. 


386  ÉCHOS    d'orient 


Il  est  d'ailleurs  curieux  de  voir  que  le  clergé  orthodoxe  semble  favo- 
riser une  superstition  tant  de  fois  condamnée.  En  effet,  un  exorcisme 
«  Eùvri  eTil  |3aa-5tavtav  »,  a  été  inséré  dans  le  }jLi.xpov  EùyoAÔyiov.  Je  diî 
semble,  parce  qu'il  ne  serait  pas  légitime  de  tirer  argument  du  recuei 
où  \'Wyf^f\  est  publiée.  Le  Mupôv  Eù-^oA6Yt.ov  ou  'Ayiao-Tàpiov  tô  p.£va  est 
comme  l'indique  son  sous-titre,  un  recueil  d'acolouthies  et  de  prière" 
tirées  du  grand  Euchologe,  les  plus  utiles  au  prêtre.  11  est  imprimé 
ajoute  l'éditeur,  avec  la  permission  de  la  Grande  Eglise  du  Christ,  mais 
ce  n'est  pas  un  livre  officiel  (i).  Le  grand  Euchologe  seul  est  reconnu 
authentique  par  l'Eglise  grecque. 

Cet  exorcisme,  le  voici  : 

Seigneur  notre  Dieu,  Roi  des  siècles,  Pantocrator  et  omnipotent,  to 
qui,  par  ta  seule  volonté,  crées  et  transformes  toutes  choses,  toi  qui,  , 
Babylone,  as  changé  en  rosée  la  flamme  de  la  fournaise  et  qui  as  gard 
sains  et  saufs  les  trois  enfants;  médecin  et  guérisseur  de  nos  âmes,  ferm 
appui  de  ceux   qui   espèrent  en   toi,  nous   te  prions  et   te   supplions 
Eloigne,  mets  en  fuite  et  chasse  toute  activité  diabolique,  toute  attaqi 
de  Satan,  toute  embûche,  ingérence  mauvaise,  tout  ensorcellernent  pa 
les  yeux  des  hommes  ma. faisants  et  pervers,  de  ton  serviteur  N...  Et  qa 
ce  mal  lui  soit  arrivé  à  cause  de  sa  beauté,  de  son  courage  ou  de  so 
bonheur,  ou  par  suite  de  jalousie,  d'envie  ou  d'ensorcellement,  [iatJxavK 
ô  Maître  qui  aime  les  hommes,  étends  sur  lui  ta  puissante  main  et  to 
bras  redoutable.  Veille  avec  soin  sur  ta  créature  et  envoie-lui  l'ange  c 
paix,  l'ange  de  force,  gardien  de  l'âme  et  du  corps,  qui  punira  et  chasseï 
loin  de  lui  toute  volonté  mauvaise,  tout  filtre  et  tout  ensorcellement  di 
hommes  méchants  et  pervertis.  Ainsi  ton  serviteur,  protégé  par  toi,  chai 
tera  avec  actions  de  grâces  :  Le  Seigneur  est  mon  secours;  je  ne  craindf 
rien.  Que  me  fera  l'homme? 

On  demande  encore  une  fois  la  délivrance  des  mêmes  dangers  et  ui 
doxologie  termine  la  prière  :  Par  l'intercession  de  la  Vierge,  des  Itirr 
neux  archanges  et  de  tous  les  saints. 

On  a  là  en  deux  ou  trois  lignes  toute  la  théorie  de  la  superstitii 
du  mauvais  œil..  Kal  f,  uto  wpawT/jToç  r,  àvSpsiaç  r,  eÙTuy^ic/.ç  r,  ^tjXou-  >n 


qui  jette  un  sort  surtout  par  les  yeux.  Les  Grecs  modernes  disent  paaxatvw,  paaxaj 
[iâ(Txa(jia.  Ils  disent  aussi  y.axb  (Aàti  pour  xaxov  ô(i,(xàTiov,  mauvais  œil,  ou  plus  s  [ 
plement  xb  [AaTi,  d'où  ils  ont  formé  en  néo-grec  i^aTtâ  ^w,  [Aan'a(r[ia  [xaTt'ayjjia,  etc. 

(i)  Mtxpbv  EùxoXdyiov.  Je  me  sers  de  l'édition  Michel  Salivéros,  5i8  pages,  il 
mat  i3  X  6.  Athènes  (p.  aSo).  D'où  vient  cet  exorcisme,  qui  n'est  m  dans  Goarj 
dans  les  E-jyolô^ia.  de  Dmitrievsky?  Les  prêtres  grecs,  m'assure-t-on,  le  récitent  il 
fréqueranaent  sur  les  malades. 


LA    BASKANIA  CHEZ   LES   GRECS   MODERNES  387 

aTa'.àv  rscyj  '/î'-pa.  La  phrase  est  incorrecte  et  grammaticalement  inex- 
icable.  Les  cas  sont  confondus  et  des  mots  manquent,  mais  le  sens 
t  clair.  Ce  passage  détonne  dans  la  prière.  On  dirait  qu'il  y  a  été 
corporé  après  coup,  ajusté  bon  gré  mal  gré.  Dans  un  exorcisme 
lostique  certainement  plus  ancien  que  Isj'/r,  è-l  jiiao-xaviav,  j'ai  lu 
le  phrase  presque  identique. 

Ainsi  la  beauté,  le  courage,  le  bonheur,  c'est-à-dire  une  louange 
;cessive,  une  admiration  trop  marquée,  la  sympathie  avouée  à  la  vue 
un  homme  beau,  loyal,  courageux  ou  heureux  dans  ses  entreprises, 
n'en  faut  pas  davantage  pour  le  livrer  à  l'action  du  charme  dange- 
ux.  De  même  un  regard  d'envie  ou  de  jalousie,  un  geste,  une  parole 
échante,  et  voilà  le  patient  ensorcelé,  homme,  femme  ou  enfant. 
A  une  jeune  mère,  par  exemple,  une  amie  dit  en  souriant  :  «  Quel 
A  enfant  tu  as  là!  »  Baskanie.  Pour  éviter  au  bébé  une  maladie  peut- 
re  grave,  la  mère,  intérieurement,  répondra  à  l'adresse  de  la  louan- 
;use  :  «  ïxôpSa  o-'xà  ijiàTi.à  o-ou,  de  l'ail  dans  tes  yeux!  »  Ou  encore  elle 
ésentera  le  bambin  à  l'amie  en  disant  :  «  n-rûo-To,  crache  dessus.  » 
;lle-ci  crachera  avec  ces  mots  :  «  Nà  ut,  liacrxaOrj  xô  rca'.o'lov.  »  C'est  le 
te  de  l'île  de  Spetsai.  Au  Pirée,  on  fait  la  même  chose. 
Autre  exemple.  A  Athènes,  une  dame  qui  vient  d'accoucher  reçoit 
le  visite.  La  visiteuse  la  loue  de  sa  bonne  mine.  Aussitôt,  voici  la 
alade  apeurée.  Elle  crachera  trois  fois  sur  elle-même.  Qu'on  lui  dise, 
I  contraire  :  «  Comme  tu  es  abattue!  »  Et  la  voilà  tranquille  pour  elle 
pour  son  enfant. 

De  même  aussi  la  beauté  chez  un  homme  ou  chez  une  jeune  fille. 
Quels  beaux  yeux  il  a!  »  dira-t-on.  Baskanie.  Pour  y  échapper,  il 
jdra  rompre  le  charme.  Un  geste,  une  amulette  touchée,  une  parole 
te  à  propos,  plaisanterie  ou  trop  souvent  obscénité,  sont  des  moyens 
iicaces.  Le  fait  de  dire  adieu,  de  souhaiter  bon  voyage  à  un  ami  qui 
jiloigne  peut  devenir  pour  le  malheureux  une  cause  d'accident  (i).  Je 
innais  des  Athéniens  qui,  chaque  fois  qu'ils  montent  sur  un  paquebot, 
appliquent  à  trouver  que  la  mer  est  mauvaise. 

?Mais  le  plus  souvent  un  simple  regard  suffit.  Celui  des  vieilles  femmes 
%,  croit-on,  ensorceleur  par  excellence.  Quand,  volontairement,  elles 
lient  le  mauvais  œil,  on  ne  peut  y  échapper  que  par  des  exorcismes 
*nt  elles-mêmes  ont  le  secret. 


ji)  M.  Vassel,  éclaircissant  un  passage  de  Pline  l'Ancien,  écrit  :  «  Au  temps  où  je 
lï;  tguais,  j'ai  constaté  une  croyance  assez  voisine  chez  nos  marins,  surtout  chez  ceux 
't  la  côte  bretonne,  à  qui  c'était  porter  la  guigne  que  de  leur  souhaiter  un  bon  voyage.  » 
ivue  de  Philologie,  1909,  p.  264.) 


388  ÉCHOS  d'orient 


Les  moyens  de  défense  sont  variés  comme  l'attaque.  Au  Pirée,  a' 
passage  d'un  pappas  (prêtre),  les  fillettes  nouent  leur  mouchoir  ou 
à  défaut,  le  coin  de  leur  tablier.  A  Athènes  et  à  Naxos,  un  ouvrier  qi 
le  matin  va  à  son  travail  rentre  quelques  secondes  chez  lui  si  la  premier 
personne  qu'il  a  rencontrée  est  un  prêtre.  Une  pièce  d'argent,  uneamu 
lette  chez  les  paysans,  une  monnaie  d'or  parmi  les  sequins  qui  ornen 
comme  d'un  diadème  le  front  des  paysannes,  une  cravate  rouge  à  ui 
enfant,  une  breloque  de  montre  (or,  corail),  ou  peu  commune  (den 
de  porc,  de  lion,  griffe  de  fauve),  ou  curieuse  (un  petit  singe,  un  poi 
celet,  un  diablotin)  sont  autant  de  préservatifs. 

Mais  le  meilleur  de  tous,  c'est  l'ail,  m'affirme  un  Chimariote.  «  Quan 
nous  étrennons  un  costume  neuf,  nos  femmes  mettent  toujours  ur 
gousse  d'ail  dans  une  des  poches,  même  à  notre  insu.  »  Le  fait  est  qu< 
dans  les  campagnes  surtout,  un  costume  neuf  attire  les  regards  i 
excite  l'envie.  Mais  l'ail  tenu  dans  la  main  éloigne  toute  tentativ( 
Les  sorcières  mêmes  fuient  à  son  odeur.  On  en  suspend  au  mât  d( 
caïques,  au  cou  des  animaux;  on  en  glisse  sous  les  vêtements  d< 
enfants.  Sxopoa  o-'-rà  piàT'.à  o-ou,  pourrait  tout  aussi  bien  se  traduire  par 
Je  t'exorcise  par  l'ail.  De  tous  temps,  chez  les  Grecs,  qui  s'en  att; 
chaient  une  gousse  à  la  tête,  et  chez  les  Romains,  l'ail  a  eu  cette  si) 
gulière  fortune  d'être  une  panacée  contre  la  fascination. 

Ou  encore  —  et  ceci  rentre  dans  la  catégorie  des  ysAo'.a  qui  combatte) 
la  fascination  par  le  ridicule  —  la  mère  fera  sur  le  visage  de  son  enfaî 
une  tache  de  boue.  Dans  l'île  de  Corfou,  la  marque  sera  faite  avec  < 
la  terre  délayée  dans  l'huile  de  la  lampe  qui  brûle  devant  l'icône  farr 
liale.  Il  se  peut  —  car  qui  pourra  jamais  donner  la  vraie  raison  de  c 
coutumes?  —  que  le  but  poursuivi  soit  de  déformer  l'enfant,  de  le  di« 
muler,  de  manière  que  la  Baskania  ne  s'adresse  pas  à  lui,  mais  à  la  pi 
sonne  fictive  créée  par  la  tache  de  boue.  Les  primitifs  n'agissent  p 
autrement. 

Mais  boue,  ail,  dent  de  porc  ou  nœud  au  mouchoir,  il  est  des  ge 
qui  ne  songent  guère  à  s'en  servir.  11  n'en  va  pas  de  même  du  '^ àTxeXf 
ce  geste  à  la  fois  tragique  et  ridicule  qui,  à  lui  seul,  suffirait  à  fai 
connaître  un  Grec.  La  main  bien  ouverte,  les  cinq  doigts  étendus, 
bras  est  projeté  en  avant  avec  un  geste  brusque  dans  la  direction 
l'adversaire.  Stylet  à  deux  pointes  que  le  cpào-xîÀov,  car  le  fascinatei 
tout  aussi  bien  que  sa  victime,  peut  s'en  servir.  11  s'agit  d'arriver 
premier.  Quelqu'un  prévoit-il  une  attaque  !  Vite,  le  cpàTX£).ov,  et  le  vo 
tranquille. 

Ce  geste,  les  Grecs  le  distribuent  avec  une  inépuisable  prodigali 


LA    BASKANIA    CHEZ    LES    GRECS    MODERNES  389 

)'est  à  la  fois  un  moyen  d'ensorceler,  une  arme  de  défense,  une  injure 
t  une  moquerie.  On  le  fait  partout.  Les  collégiens,  au  foot-ball,  le  font 
ur  leur  ballon  quand  l'équipe  rivale  a  réussi  un  coup;  les  joueurs  de 
artes  le  font  sur  la  portée  de  leurs  partenaires;  un  cocher  mécontent 
u  pourboire  le  fera  sur  son  client. 

Je  connais  un  jeune  homme  de  Sparte  qui,  chaque  fois  que  son  profes- 
eur  passait  à  côté  de  lui,  lançait  sournoisement  deux  ou  trois  cpào-xsXov 
vec  ces  paroles,  qui  sont  une  des  imprécations  de  la  Baskania  :  «  irt.àT'To 

xaxr,  wpa,  Q_ue  la  maie  heure  le  prenne!  »  La  raison?  Elle  est  toute 
impie.  Le  professeur  lui  avait  mis  de  médiocres  notes,  et,  à  son  tour, 

essayait  de  l'ensorceler. 

Un  mendiant  qui  ne  reçoit  pas  l'aumône  attendue,  deux  ouvriers  qui 
e  disputent,  un  bourgeois  qui  trouve  le  tramway  plein,  autant  de 
àa-xsAov.  La  plupart  du  temps,  le  geste  est  dissimulé,  à  peine  esquissé, 
éduit  à  trois  doigts,  par  peur  ou  par  politesse.  Les  dames  le  font  sous 
;ur  tablier  ou  la  main  dans  la  poche,  dans  leur  manchon,  dans  leur 
éticule.  Mme  K...,  d'Athènes,  pour  éloigner  une  visiteuse  importune 
u  désagréable,  la  crible  à  la  dérobée  de  zxx^tkzIo^.  L'effet  ne  tarde  pas 

se  produire,  m'assure-t-elle.  Inutile  de  discuter,  elle  est  convaincue 

le  son  pouvoir. 

* 
*  » 

Aucune  superstition  n'est  plus  ancienne,  ni  plus  enracinée,  ni  plus 
ivace  dans  le  monde  grec,  ni  moins  discutée.  Dans  l'antiquité  païenne, 
i  quelques-uns  en  rient,  les  plus  sérieux  moralistes,  comme  Plutarque, 
lui  lui  consacre  un  des  plus  étranges  dialogues  de  ses  Quœstiones  con- 
ivales,  s'essayent  à  expliquer  ce  mystérieux  pouvoir  donné  à  l'homme, 
nême  en  dehors  de  sa  volonté,  de  jeter  un  mauvais  sort  à  autrui  (i). 
'our  se  protéger,  il  n'était  procédé  que  l'on  n'imaginât,  à  ce  point 
u'on  peut  se  demander  s'il  est  un  seul  rite  actuel  que  les  anciens  n'aient 
lis  en  usage.  Tout  à  l'heure  on  parlera  des  exorcismes  à  dire:  cracher 
ur  soi,  lancer  une  moquerie,  faire  les  cornes,  faire  la  nique,  porter 
•ne  amulette  de  corail,  un  bijou  obscène,  un  anneau  avec  un  œil, 
épondre  aux  louanges  par  une  imprécation,  tout  cela  était  pratiqué 
ien  avant  le  christianisme. 

L'origine  de  cette  croyance?  Pour  ma  part,  j'y  vois,  du  moins  chez 
s  Grecs,  un  aboutissant,  une  concrétisation  populaire,  pour  ainsi 
ire,  de  l'idée  de  la  Némésis  antique,  cette  déesse  de  la  justice  distri- 
utive  qui  châtie  l'excès  de  bonheur  ou  l'orgueil,  et  qui  jalousement 


(■)  Edition  Didot,  voL  II,  p.  827.  Ilepl  twv  xaxa^affxaivetv  XeYO|ilvwv. 


390 


ECHOS    D  ORIENT 


poursuit  l'homme,  comme  si  être  heureux,  être  beau,  être  fier,  réusî 
dans  ses  entreprises,  c'était  frustrer  le  ciel.  Mais  Némésis  elle-mêm 
qu'est-elle?  sinon  le  fruit  de  l'expérience  journalière  des  primitifs. 
ont  eu  tôt  fait  de   remarquer  qu'on   n'était  pas  toujours  heureux 
longtemps  beau  ni  de  santé  solide,  que  l'infortune  succédait  vite  à 
prospérité,  la  maladie  au  bien-être,  la  tristesse  à  la  joie,  et  que  l'on 
s'élevait  le  plus  souvent  très  haut  que  pour  tomber  plus  bas.  Et  ne  po 
vant  s'expliquer  ces  brusques  changements,  physiques  ou  moraux,  c 
revirements  subits,  ces   révolutions  soudaines  dans  le  cours  de  le 
existence,  ils  ont  fait  appel  à  un  agent  extérieur,  à  une  déesse  jalou; 
à  un  démon  équitable  ou  pervers,  qui,  au  gré  de  son  caprice,  dispos 
de  leur  destinée  (i).  Les  Grecs  d'aujourd'hui  ne  pensent  pas  autremei 
sans  s'en  douter. 

^  Le  nom  même  de  Némésis  est  celui  de  la  jalousie,  qui  tient  le  mili 
entre  l'envie  (pOôvo;  et  la  malignité.  Or,  la  jalousie  venant  par  les  yeu 
ce  sont  les  yeux  qui  en  seront  les  agents  (2). 

Mais,  par  bonheur,  jaloux  ou  envieux,  tout  ie  monde  n'a  pas  ce  triî 
pouvoir  d'ensorceler  par  un  regard.  11  faut  être  marqué.  La  semai 
dernière,  un  étudiant  de  l'Université  me  racontait  en  riant  que,  revem 
d'Athènes  au  Pirée  par  le  tramway  de  Phalère,  il  avait  rencontré  u 
dame  amie  de  sa  mère,  qu'il  l'avait  saluée  et  que,  deux  minutes  pi 
tard,  à  la  descente,  cette  dame  avait  choppé  et  failli  tomber  à  la  renve: 
en  s'écriant:  «  Ah!  mon  enfant,  vous  m'avez  baskanisée!  »  Le  1 
est  que  ce  jeune  homme  a  le  type  idéal  de  l'ensorceleur  :  un  visa 
osseux,  maigre  et  allongé,  la  peau  brune,  le  nez  un  peu  arqué  et 
yeux  très  noirs  encadrés  par  des  sourcils  qui  se  rejoignent,  la  che 
lure  d'un  noir  de  jais.  Il  est  Grec.  Malgré  lui,  comme  par  atavisme 
croit  à  son  fatal  pouvoir.  Souvent,  en  d'autres  occasions,  il  m'a  demanû 
«  Vous,  croyez-vous  à  ces  choses?  Et  si  non,  comment  expliquez-v* 
ces  coïncidences?  »  (3) 


(i)  L'exemple  classique,  chez  les  Grecs,  était  l'aventure,  si  naïvement  narrée 
Hérodote,  de  Polycrate,  tyran  de  Samos,  jetant  son  anneau  à  la  mer.  (Hérodote,  l. 
c.  xxu  et  XXXIX.) 

(2)  Le  fait  que  la  croyance  au  mauvais  œil  a  été  constatée  chez  les  Chaldéetrt, 
Perses  et  les  Egyptiens  ne  prouve  pas  qu'elle  soit  venue  aux  Grecs  de  l'extérh 
Les  Egyptiens  surtout  redoutaient  la  fascination.  A  certains  jours,  le  1 1  et  le  i 
Pharmouti,  par  exemple,  il  était  défendu  de  s'arrêter  à  regarder  le  travail  des  chai 
L'œil  humain  pouvait  alors  déchaîner  de  terribles  fléaux.  Cf.  dans  G.  Maspéro,  Causé 
d'Egypte.  Paris,  1907,  le  chapitre  :  «  La  croyance  aux  jours  heureux  ou  malheul 
chez  les  Egyptiens.  » 

(3)  Cf.  J.  C,  Lawson,  Modem  greek  folklore  and  ancient  greek  religion.  Cambri< 
1910,  p.  9.  D'après  M.  L...,  en  Attique,  les  yeux  bleus  sont  fascinateurs  parmi 
populations  d'origine  albanaise.  «  Les  paysans,  écrit-il,  quand  je  passais  auprès  d'( 


LA    BASKANIA    CHEZ    LES   GRECS    MODERNES  39 1 

Un  autre,  à  qui  je  fais  l'éloge  de  son  ami,  que  nous  avons  rencontré 
au  cours  d'une  promenade,  crache  par  terre  en  disant  :  «  Nà  ;j.Ti  -b 
|jiaT!,àî^eTs,  Ne  lui  jetez  pas  le  mauvais  œil.  —  Est-ce  possible  de  ma 
part?  —  Qui  sait?  » 

Hier,  flânant  sur  un  quai  du  port  du  Pirée  à  regarder  s'embarquer 
des  émigrants  qui  partent  pour  l'Amérique,  j'entends  derrière  moi  à 
voix  basse  :  «  Tô  u.y.-\  toû  -an-â.  Prends  garde  à  l'œil  du  prêtre.  »  Je 
me  retourne  et  vois  deux  paysans  qui  baissent  aussitôt  les  yeux  pour 
ne  pas  rencontrer  les  miens.  Amusé  et  tout  content  d'expérimenter 
in  anima  vili  mon  pouvoir  d'ensorceler,  je  les  fixe  durant  quelques 
secondes.  Mais  ils  fuient  toujours  mon  regard  et  s'éloignent.  Qui  sait 
si  mes  yeux  n'auraient  pas  été  pour  eux  une  cause  d'insuccès,  de 
maladie  et  de  misères?  Pis  peut-être,  un  naufrage  ? 

La  vue  d'un  prêtre  catholique,  dans  une  circonstance  solennelle 
comme  le  départ  pour  un  si  lointain  pays,  avait  suffi  à  bouleverser  l'âme 
obscure  de  ces  deux  paysans,  figés  dans  la  superstition,  qui  est  la 
religion  occulte  de  tant  de  villages  grecs.  Peut-être,  avant  de  les 
embrasser  une  dernière  fois,  leur  mère,  paysanne  plus  crédule  encore, 
leur  avait  chanté  ce  couplet  d'une  chanson  klephte  :  «  Enfant,  porte- 
toi  bien,  et  que  la  Panaghia  soit  avec  toi;  —  et  que  la  bénédiction  de 
ta  maman  soit  là  pour  te  garder;  —  et  que  tu  échappes  à  la  baskania 
et  au  mauvais  œil  !  » 

Nà  jjLTi  <7£  TTiàvir,  jâàTxatjLijLa  xal  xô  Kaxô  -ro  aàx!.  (i). 


Je  relate  ces  faits  sans  pédantisme  ni  fausse  honte,  afin  de  faire  mieux 
voir  de  quel  poids  cette  superstition  pèse  sur  l'âme  grecque.  Les  meil- 
leurs ne  réussissent  pas  à  s'en  dégager.  Parmi  les  catholiques  de  race 
grecque,  on  rencontre  la  peur  de  l'ensorcellement  par  le  mauvais 
œil  (2).  Un  prélat  distingué,  aussi  pieux  qu'instruit,  élevé  à  la  fran- 
çaise et  mis  en  garde  par  conséquent  contre  toute  croyance  puérile, 
craignait  pourtant  le  mauvais  œil.  «  Vous  avez  mille  fois  raison,  me 


faisaient  le  signe  de  la  croix.  »M.  L...  a  dû  se  méprendre.  Les  paysans  agissent  ainsi 
ivec  tous  les  étrangers  de  marque  dans  la  crainte  d'un  péril  possible.  La  couleur  bleue 
le  ses  yeux  n'y  était  pour  rien.  » 

(1)  'O  ÇcVY)T£[ji(io(;  dans  les  A-/]\)oz'.y.k  zçixyoxjb'.x,  collection  ~Ayiz  Hspo;,  in-8».  Athènes, 
909.  P-  92- 

(2)  Voici  par  curiosité  un  exorcisme  contre  le  mauvais  oeil  en  usage  chez  les  catho- 
iques  latms  de  l'île  de  Syra.  «  On  met  cinq  branchettes  de  rameau  bénit  dans  un 
aiceosoir;  on  encense  le  malade  en  récitant  trois  lois  le  Salve  Regina,  suivi  de  ces 
)aroles  :  Le  Christ  Jésus  est  vainqueur;  il  dissipe  tous  les  maux.  » 


i92 


ECHOS    D  ORIENT 


disait-il;  toutes  ces  superstitions  sont  folie.  Mais  le  mauvais  œil 

—  Y  croyez-vous  encore?  —  Oui,  j'y  crois.  »  Et  il  me  citait  ou  préten- 
dait citer  des  faits  singuliers,  des  coïncidences  de  mort  et  de  maladies, 
des  catastrophes  survenues  soudain,  des  accidents  inexplicables,  qu'il 
attribuait  à  cette  redoutable  puissance.  «  Et  d'ailleurs,  ajoutait-il  comme 
pour  s'excuser,  l'Eglise  orthodoxe  y  croit  et  les  Pères  y  ont  cru.  » 

De  l'Eglise  orthodoxe,  je  ne  dirai  rien.  Mais  je  ne  pense  pas  que 
l'on  puisse  admettre  sans  plus  que  les  Pères  grecs  ou  latins  aient  cru 
au  mauvais  œil.  Je  ne  connais  pas  de  textes  grecs  qui  favorisent  cette 
superstition.  Ceux  que  l'on  a  coutume  de  rappeler  sont  des  textes  latins 
de  Tertullien,  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Augustin. 

Or,  dans  le  De  virginibus  velandis,  Tertullien  dit  à  peu  près  :  «  Ce 
qu'ils  appellent  fascinum,  nous  l'interprétons  du  diable,  et,  pour  se 
garer  contre  sa  jalousie,  qui  sont  les  tentations,  les  vierges  se  cou- 
vriront la  tête.  »  (i)  11  y  a  là  un  argument  d'apologétique,  une  accom- 
modation à  l'opinion  courante.  De  même,  dans  un  texte  qui  semble 
plus  expressif:  Taceat  et  anus  iUa  ne  fascinet  puerum  (2)  (il  s'agit  de 
l'Enfant  Jésus),  il  ne  fait,  comme  le  démontre  le  contexte,  qu'exercei 
sa  verve  contre  l'hérétique  Marcion.  C'est  une  plaisanterie  un  pei 
lourde,  comme  il  s'en  permet  trop  souvent  aux  dépens  de  l'adversaire. 

De  saint  Jérôme,  on  cite  moins  encore  :  Tout  juste  un  mot.  A  propos 
des  paroles  de  saint  Paul,  ad  Gai.  m,  2:  Quis  vos  fascinavit.  l'exégètf 
dit  en  forme  de  commentaire  :  Per  vulgi  verhum  invidiam  significavit. 
siciit  ait  Salomon  :  fascinatio  nugacitatis  obscurat  bona  (3). 

Un  passage  de  saint  Augustin  est  un  peu  plus  clair  et  plus  embar- 
rassant. Mais  on  ne  peut  en  tirer  qu'une  chose,  c'est  que,  de  son  temps 
et  on  le  sait  d'abondance,  les  mamans  et  les  nourrices  craignaient  pou 
leurs  bébés  l'action  du  mauvais  œil.  l^idi  ergo  et  expertus  sum  lelantein 
parvulum  :  nondum  loquebatur  et  intuebatur  pallidus  amaro  aspectu  conlaè 
taneum  suum.  Quis  hoc  ignorât  ?  Expiare  se  dicunt  ista  maires  atqiie  nuiriez 
nescio  quibus  remediis  (4). 

Vouloir  tirer  de  ces  textes  autre  chose  qu'un  constat,  une  vérificatior 
de  la  croyance  au  fascinum  à  une  époque  donnée,  et  dire  «  que  lej 
Pères  ne  nient  pas  la  réalité  de  l'influence  mystérieuse  qui  inspire  tan 


(i)  Tertulliani  opéra.  Edition  Rigault.  Paris,  1664,  p.  181. 

(2)  De  carne  Christi  II,  même  édition,  p.  3o8. 

(3)  MiGNE,  P.  L.,  XXX,  col.  811  c. 

(4)  Confessionutn  libriXXW,  édit.  Knoll.  Leipzig,  I,  11. 

(5)  Dictionnaire  des  antiquités  grecques  et  romaines  de  Daremberg  et  Saglio, 
verbum  Fascinum.  —  Voir  aussi  les  mots  abraxas,  amuletum,  magia,  etc. 


I 


LA    BASKANIA    CHEZ    LES    GRECS    MODERNES         ,  393 


e  frayeur  aux  hommes  »  (5),  il  semble  bien  que  ce  soit  excessif, 
lalheureusement,  presque  tous  ceux  qui  ont  écrit  sur  les  supersti- 
ions,  amulettes,  abraxas,  fascination,  magie,  sorcellerie,  aberrations 
ultuelles,  l'ont  fait  dans  un  esprit  hostile  au  christianisme,  avec  des 
iées  préconçues  et  le  désir  secret  de  retrouver  dans  la  pratique  des 
remiers  chrétiens,  et  seulement  épurées,  toutes  les  croyances  absurdes 
u  paganisme.  Peu  à  peu,  leur  opinion  a  prévalu.  Elle  est  aujourd'hui 
eule  admise  dans  les  manuels  ou  les  encyclopédies,  et  il  suffit  de  la 
iscuter  pour  être  suspect  de  faire  œuvre  d'apologétique  à  contre-sens, 
Incore  la  discuter  n'est  pas  toujours  aisé,  car  on  n'a  pas  facilement 
ous  la  main  Tertullien,  saint  Augustin  et  saint  Jérôme. 
Les  Pères  Grecs,  par  contre,  s'élèvent  avec  énergie  contre  la  croyance 
la  Baskania.  Saint  Jean  Chrysostome,  commentant  le  quis  vos  fasci- 
\avit  de  l'épître  aux  Galates,  «  cette  envie,  dont  il  est  question  ici, 
it-il,  comme  cet  œil  pervers  dont  il  est  parlé  dans  l'Evangile,  ce  n'est 
las  une  influence  exercée  par  le  regard.  L'œil  n'a  rien  de  mauvais  par 
ui-mème;  l'œil  n'a  qu'un  office:  voir  »  (i).  Des  fidèles  enclins  à  la 
uperstition,  et  voulant  la  fonder  en  raison,  interprétaient  de  la  Bas- 
Lania  le  passage  :  Si  oculus  tuus  fuerii  nequam  de  saint  Matthieu  et 
l'autres  textes  mal  compris,  celui-ci,  par  exemple,  tiré  du  même  évan- 

jéliste  :  Qitce  procedunt  de  ore ea  coinquinant  hominem.   Ils  s'ap- 

myaient  aussi  sur  un  rapprochement  verbal.  Saint  Paul,  dans  l'épître 
lUX  Romains,  place  les  meurtriers  à  la  suite  des  envieux;  [xectoùç 
jQôvou,  îpovo'j.  ^ôvoç,  cp96vos,  c'est  presque  le  même  mot.  «  Gain,  dit  saint 
iasile,  a  appris  du  diable  à  connaître  l'envie,  et  il  est  devenu  meurtrier 
le  son  frère  Abel.  »  Ceci,  c'est  la  doctrine  théologique  :  l'envie  est  le 
jrincipe  d'innombrables  péchés.  Mais  on  devine  aussi  tout  ce  que  les 
ladoteuses  de  Byzance  et  de  Cappadoce  devaient  tirer  de  tels  rappro- 
hements. 

Saint  Basile,  lui,  ne  se  soucie  guère  de  pareilles  billevesées.  Avec 
faint  Jean  Chrysostome,  il  reconnaît  que  le  mauvais  œil  dont  parle 
l'Ecriture,  c'est  l'envie,  la  jalousie.  Les  Pères  latins  ne  s'expriment  pas 

i 'autre  façon.  «  Mais,  conclut-il  avec  son  réalisme  ordinaire,  attri- 
uer  un  pouvoir  matériel  à  un  simple  regard,  c'est  folie.  Pour  qu'un 
iscinateur  vous  fasse  du  mal,  il  suffit,  croit-on,  qu'il  vous  regarde, 
.es  corps  les  mieux  portants,  des  gens  dans  la  fleur  de  l'âge  et  de  la 
orce  se  fondent,  dit-on,  sous  l'effet  de  la  fascination.  Leur  embonpoint 


MO  MiGNE,  p.  G.,  LXL  col.  647.  Cf.  Cabrol,  Diction,  de  liturg.  et  d'archéoL,  ad  verbum 

AMULETTE, 


394  ÉCHOS    D  ORIENT 


disparaît  entièrement,  comme  si  quelque  fluide  de  destruction,  de  coi 
ruption  et  d'anéantissement  était  sorti  des  yeux  du  fascinateur... 
C'est  une  superstition  populaire,  un  de  ces  contes  de  vieilles  femmt 
comme  il  s'en  débite  dans  les  gynécées.  » 

D'après  M.  Perdrizet,  qui  rapporte  et  traduit  ce  passage,  il  ne  semb! 
pas  qu'on  se  soit  servi  de  l'homélie  -soi  cpOovou  dans  les  études  sur  1 
Baskania.  C'est  dommage,  car  il  serait  difficile  de  trouver  sur  la  croyanc 
des  Pères  un  texte  plus  pertinent  (i). 

{Â  suivre.) 

Louis  Arnaud. 

Athènes. 


(i)  MiGNE,  P.  G.,  XXX,  col.  37^.  Bulletin  de  correspondance  hellénique,  1900,  p.  29 
C'est  à  propos  d'une  Inscription  chrétienne  de  Dokimion  que  M.  Perdrizet  rappor 
ce  passage  décisif. 


L'AUTORITÉ  SPIRITUELLE 
DU  PATRIARCHE  GREC 

DE  CONSTANTINOPLE 


Le  patriarche  de  Constantinople  est  «  la  plus  haute  autorité  spiri- 
tuelle de  l'Eglise  (orthodoxe)  et  de  la  nation  (grecque)  ».  11  est  «  le 
chef  de  tout  le  clergé  soumis  au  siège  œcuménique  ».  Ces  affirmations 
sont  empruntées  à  la  loi  organique  qui  régit  l'Eglise  de  Constantinople 
depuis  (862  (i).  Elles  paraîtront  banales  à  plusieurs.  Elles  en  éton- 
neront d'autres,  ceux  qui  savent  l'aversion  qu'éprouve  pour  toute  auto- 
rité personnelle  le  Grec  de  notre  époque.  11  se  défie  de  la  responsabilité 
individuelle.  C'est  une  sorte  d'instinct  chez  lui.  Sous  quelles  influences 
s'est-il  développé  à  ce  point?  Ce  n'est  pas  le  lieu  de  le  rechercher  ici, 
mais  cela  est.  Rien  ne  se  fait  en  pays  grec  sans  ètotoott/,  (commission). 

Comment,  dans  de  telles  conditions,  le  patriarche  peut-il  être  vrai- 
ment chef?  Est-ce  que  son  caractère  spirituel  aurait  été  assez  puissant 
pour  créer  une  exception?  Un  tel  résultat  eût  été  d'un  grand  mérite. 
Seule  une  force  surhumaine  aurait  pu  résister  à  un  courant  de  cette 
violence.  Hélas!  la  force  a  manqué.  L'exception  n'a  pas  été  obtenue. 
Si  le  patriarche  de  Constantinople  est  appelé  chef,  il  ne  l'est  en  fait 
que  de  nom,  même  en  matière  spirituelle,  la  seule  dont  nous  nous 
occupons.  Le  vrai  chef  de  l'Eglise  grecque  est  une  haute  Commission, 
le  saint  synode.  Le  patriarche  en  est  tout  au  plus  un  prête-nom.  Nous 
en  serons  convaincus  si  nous  nous  rendons  compte  : 

1°  Que  tout  son  pouvoir  se  réduit  à  ses  relations  avec  le  synode; 

2°  Que  sur  le  synode  il  peut,  au  maximum,  avoir  une  certaine 
autorité  «  morale  »; 

Que  cette  autorité  morale  est  encore  très  affaiblie  par  un  régime 
parlementaire  effréné. 

)  (i)  Cette  loi  organique  est  intitulée:  Règlements  généraux  de  l'Eglise  orthodoxe. 
'La  partie  de  ces  Règlements,  qui  concerne  le  gouvernement  central  de  l'Eglise,  a  été 
publiée  par  M"  Petit  dans  la  Revue  de  l'Orient  chrétien,  t.  III  et  IV,  1898,  1899.  On 
trouvera  les  autres  parties  dans  la  SÛYXPO'^oî  'Ispapxta  de  G.  Papadopoulos,  p.  36  sq., 
jou  dans  des  brochures  séparées. 

I  Ces  Règlements  sont  une  sorte  de  constitution  civile  assurant  aux  laïques  une 
'influence  prépondérante.  Avec  eux  commence  la  période  contemporaine  de  l'histoire 
de  l'Eglise  de  Constantinople. 


396  ÉCHOS    d'orient 


L'Orient  fait  grand  cas  des  titres  poriipeux,  et  les  Grecs  les  ont  pro- 
digués au  premier  dignitaire  de  leur  Eglise.  Entre  tous,  celui  à'œcumè- 
nique  a  le  don  de  plaire,  et  le  patriarche  s'en  pare  avec  une  complal 
sance  jalouse.  Personne  ne  songe  à  le  lui  disputer.  Au  reste,  désormais 
il  appartient  à  l'histoire.  S'il  est  encore  pour  le  peuple  naïf  un  emblèmi 
glorieux,  il  est  pour  les  autres  un  souvenir  de  grandes  déceptions 
Ce  devait  être  un  instrument  de  conquête.  11  aurait  servi  à  établi 
sur  l'Orient  chrétien  une  domination  égale  à  celle  que  l'Occident  recon 
naissait  à  Rome  (i).  Il  aurait  même  aidé,  une  fois  l'Orient  soumis 
à  supplanter  Rome  dans  le  monde  entier  (2).  Le  rêve,  s'il  a  été  caressé 
est  abandonné  aujourd'hui.  La  domination,  non  pas  même  de  tou 
l'Orient,  mais  de  la  seule  orthodoxie,  suffirait  à  l'œcuménicité  du  trôn 
"byzantin.  Le  titre  reste  cependant.  Loin  de  le  laisser  tomber  dans  l'oubli 
on  en  a,  faute  de  mieux,  rehaussé  l'éclat  par  de  nouveaux  qualificatifs 
Non  content  de  se  dire  bienheureux,  comme  ses  collègues,  il  s'appell 
tout  très  saint,  Travavf.wTa-roç,  et  fait  précéder  ce  titre,  pour  le  mettr 
■en  plus  grand  relief,  de  l'adjectif  très  divin,  GetÔTaToç.  Le  tout  est  réur 
dans  cette  brève  formule  :  Sa  Très  Divine  Toute  Sainteté,  le  patriarch 
oecuménique  de  la  Nouvelle  Rome. 

Les  honneurs  coûtent  peu  et  souvent  rapportent  moins  encore.  Ce 
•dehors  ne  seraient  que  faux  éclat,  ridicule  clinquant,  s'ils  devaient  ren: 
placer  une  autorité  effective,  au  lieu  de  la  mettre  en  évidence.  Trôi 
vons-nous,  par  delà  ces  belles  apparences,  une  réalité  qui  leur  correi 
ponde? 

La  réponse  ne  peut  être  douteuse.  Prodigues  de  distinctions,  le 
Grecs  se  montrent  infiniment  moins  généreux  quand  il  s'agit  de  poi 
voirs  effectifs.  Le  patriarche  est  peut-être,  de  tous  les  dignitaires,  le  pli 
dénué  d'autorité.  Il  a  entièrement  abdiqué  devant  son  synode. 

11  n'en  fut  pas  toujours  ainsi,  il  s'en  faut.  Avant  le  concile  de  Chalci 
doine,  et  même  après  la  consécration  officielle  du  «  synode  permanent 
par  les  9^  et  17*'  canons  du  quatrième  concile,  cette  assemblée  n'éta 
qu'un  tribunal  ecclésiastique  supérieur,  une  sorte  de  Conseil.  Loin  à 
concentrer  en  lui  toute  l'autorité  patriarcale,  elle  était,  pour  l'évêqued 
Constantinople,  un  instrument  de  domination  lui  permettant  d'étendj 
au  loin  ses  droits  personnels  et  d'exercer  une  sorte  de  surveillai 
efficace  et  active  des  métropoles.  De  plus,  elle  était  entièrement  à 


(i)  Christodoulou  :  Ao-/^[jiiov  £5cx).y)(Tta(7T.  Stxat'ou,  p.  387.  S.  Vailhé  :  Dictionnaire  i\ 
théologie  catholique  de  Vacant-Mangenot,  art.  «  Constantinople  »,  col.  i  334;  Ech\\ 
d'Orient,  t.  XI,  1908,  p.  65  sq.,  161  sq.  1 

(2)  Pargoire,  l'Eglise  byzantine,  p.  5o. 


.'autorité  spirituelle  du  fMTRIARCHE  GREC  DE  CONSTANTINOPLE       397 

iiscrétion;  il  en  désignait  les  membres,  les  convoquait,  les  congédiait, 
xerçait  sur  elle,  en  un  mot,  une  influence  active  et  vraie.  Aussi  l'évêque 
le  Constantinople,  loin  d'être  amoindri  par  son  synode,  en  était  élevé 
t  rendu  tout-puissant. 

Aujourd'hui,  c'est  le  contraire  qui  se  produit.  Le  patriarche  n'est 
)lus  rien,  le  synode  est  tout.  Leurs  rapports  mutuels,  imprécis  à 
'origine  ont  été  déterminés,  d'une  façon  presque  brutale,  par  les 
:.èglements  de  1862.  L'autorité  spirituelle  supérieure  est  devenue  le 
monopole  exclusif  d'une  assemblée  :  «  Toutes  les  affaires  spirituelles 
le  la  nation  »  sont  du  ressort  du  synode  (i).  Aucune  exception  n'est 
•revue. 

Peu  nous  importent  ici  les  moyens  lents  ou  rapides  par  lesquels 
'est  accomplie  l'évolution,  les  causes  qui  l'ont  amenée;  constatons-en 
î  terme.  Ce  qui  était  une  coutume  est  devenu  un  droit.  Ce  qui  était 
n  tribunal  ou  un  Conseil  est  devenu  une  assemblée  toute-puissante. 
lUtrefois,  le  patriarche  agissait  par  son  synode.  Aujourd'hui,  c'est  le 
ynode  qui  agit  par  le  patriarche.  Les  rôles  sont  changés.  L'autorité 
pirituelle  du  patriarche  se  trouve  réduite  à  ses  rapports  avec  le  synode 
ont  il  dépend  (2). 

Cette  dépendance,  toutefois,  serait  plus  nominale  qu'effective  si  le 
résident  avait  une  influence  vraie  sur  la  composition  de  l'assemblée, 
idis  elle  était  tout  entière  à  sa  discrétion  ;  il  en  choisissait  les  membres, 
es  temps  sont  bien  changés. 

Le  sentiment  de  l'égalité  a  poussé  de  profondes  racines,  et  a  fini  par 
)ut  envahir.  Son  triomphe  date  des  célèbres  Règlements  de  1861. 
endant  plus  d'un  siècle,  de  1741  à  1861,  il  avait  été  refoulé  par  un 
/stème  de  privilèges  qui  ne  reconnaissait  de  pouvoir  réel  dans  le  synode 
u'à  un  certain  nombre  de  métropolites,  dits  gérontes,  nommés  par  le 
atriarche.  A  la  suite  d'une  longue  lutte,  le  parti  égalitaire  l'emporta. 
>n  reconnut  à  tous  les  métropolites  le  droit  strict  de  gouverner  à  leur 
)ur  l'Eglise  orthodoxe  :  «  Tous  les  métropolitains  relevant  du  siège 


(i)  Règlement  organique  du  saint  synode,  i,  art.  i. 

(2)  Pour  être  entièrement  exact,  il  faudrait  signaler  une  autre  grave  restriction 
^portée  aux  pouvoirs  religieux  du  patriarche.  Les  Règlements  généraux  établissent, 
itre  les  matières  qui  relèvent  du  Phanar  une  répartition  trop  catégorique  et  fausse, 
s  distinguent  les  objets  spirituels  de  la  compétence  du  synode,  et  les  objets  tem- 
3rels  confiés  au  Conseil  mixte.  Dans  cette  dernière  classe,  ils  font  rentrer  nombre 
objets,  matériels  en  soi,  il  est  vrai,  mais  spirituels  par  destination,  tels  par  exemple 
s  biens  des  Eglises.  C'est  là  une  importante  diminution  de  la  compétence  reli- 
euse du  synode,  et  indirectement  du  patriarche.  Oublions  cela,  néanmoins,  pour 
i  pas  compliquer  à  l'excès  cette  étude,  et  supposons  que  le  pouvoir  spirituel  du. 
Uriarche  se  trouve  entier  dans  ses  relations  avec  le  synode. 


^^8  ÉCHOS  d'orient 


œcuménique  ont  également  le  droit  de  faire  partie  du  saint  synode, 
chacun  pendant  deux  ans,  à  tour  de  rôle.  »  (i) 

Retenons  le  mot  droit.  Il  revient  souvent  sur  les  lèvres  du  Grec  de 
nos  jours.  11  marque  ici  la  fin  de  l'autorité  personnelle  du  patriarche. 
Là  où  le  droit  intervient,  l'autorité  n'a  plus  que  faire.  Désormais,  cet 
important  organisme  administratif  qu'est  le  synode  fonctionne  seul. 
Le  patriarche  ne  peut  plus  que  le  subir.  Toute  son  autorité  vient  échouer 
devant  ce  droit.  L'approbation  de  la  Porte,  donnée  aux  Règlements, 
le  27  janvier  1861,  confirma  officiellement  cette  déchéance. 

Les  patriarches  ont  essayé  de  se  relever  et  de  reprendre  sous  main 
ce  qu'on  leur  refusait  en  face.  Ils  n'y  ont  réussi  qu'en  partie.  Après 
trente  ans  de  résistances,  ils  ont  obtenu  la  faculté  de  désigner  eux- 
mêmes,  «  par  ordre  de  mérite  »,  àp'.TT-lvor.v,  certains  métropolites  qui 
viennent  siéger  au  synode  à  la  place  de  ceux  que  désignait  leur  rang 
sur  les  listes  officielles.  «  C'est  là,  remarque  Mg'"  Petit,  un  privilège 
bien  modeste  sans  doute,  mais  dont  l'exercice,  s'il  devenait  fréquent, 
ne  manquerait  pas  de  rendre  vaines  et  illusoires  certaines  dispositions 
du  Règlement.  »  (2)  Elles  permettent  d'écarter  des  caractères  antipa- 
thiques et  de  conserver  des  partisans  au  pouvoir.  Mais  les  protestations 
qui  se  produisent,  chaque  fois  que  le  patriarche  use  de  ce  privilège, 
l'invitent  à  n'y  pas  recourir  trop  souvent.  En  fait,  ainsi  réduit,  ce  privi- 
lège change  peu  sa  situation;  il  doit  subir  le  synode  et  en  tirer  le 
meilleur  parti  possible  en  le  présidant. 


On  s'imagine  parfois  avoir  tout  dit  lorsqu'on  a  déclaré  que  le  patriarche 
est  le  président  du  synode.  En  fait,  ce  terme  est  des  plus  imprécis,  et 
s'applique  aux  attributions  les  plus  diverses.  Un  président  peut  être  un 
vrai  potentat,  comme  il  peut  n'être  qu'un  organe  inerte  et  sans 
influence.  Négligeons  les  noms  pour  atteindre  la  réalité.  Cherchonsî 
par  delà  l'écorce,  la  force  vitale  qui  doit  animer  tout  organisme  social, 
l'autorité.  Quelle  est  la  part  qu'assure  au  patriarche  son  titre  de  pré^ 
sident? 

Les  précisions  apportées  aujourd'hui  ne  laissent  plus  aucun  doulH 
sur  la  réponse.  Deux  mots,  dans  les  lois  organiques,  résument  les  rel" 
tions  du  patriarche  et  du  synode  :  l'un  est  le  «  dépositaire  du  pouvo 
spirituel  »,  k^yr^-^ôc;',  l'autre  est  «  le  pouvoir  »  lui-même,  '^^yr^  (3 


(i)  Règl.  org.  du  saint  synode,  i,  art.  2. 

(2)  Revue  de  l'Orient  chrétien,  1898,  p.  428. 

(3)  Règl.  org.  du  saint  synode,  i,  art.  i  ;  11,  i. 


AUTORITÉ  SP1R1TUE1,LE  DU  PATRIARCHE  GREC  DE  CONSTANTINOPLE      399 

Cette  distinction  est  pour  le  moins  originale;  on  n'a  pas  accoutumé 
;  la  rencontrer  dans  les  codes.  Elle  est  aussi  d'un  sens  profond, 
lieux  que  toute  explication,  elle  fait  connaître  l'état  d'esprit  des 
jteurs  de   la  loi  touchant  l'autorité.  Peut-être  n'en  virent-ils  point 

portée.  Mais  si  elle  leur  échappa  comme  naturellement,  d'un  jet 
jontané,  sans  apprêt,  sans  étude,  cela  même  en  garantit  la  valeur 
jychologique. 

Le  synode  est  «  l'autorité  spirituelle  »,  le  patriarche  n'en  est  et  n'en 
îut  être  que  le  dépositaire;  aucun  de  ses  actes  ne  lui  est  vraiment 
ersonnel.  Ils  sont  tous  faits  par  l'autorité  nîême  du  synode.  «  L'autorité 
j  patriarche,  sur  toute  sa  circonscription  patriarcale,  n'est  autre  que 
autorité  même  du  synode,  déclare  M.  Sakellaropoulos;  il  l'exerce  au 
om  et  d'après  les  décisions  mêmes  du  synode.  »  (i) 

Dans  les  démocraties  politiques,  les  ministres  conservent  au  moins 

pouvoir  exécutif;  ils  agissent  en  leur  nom,  prennent  des  décisions 
ratiques,  rendent  des  décrets,  en  un  mot,  gouvernent.  11  en  est  autre- 
lent  ici. 

Ce  n'est  pas  que  le  «  chef  »  de  l'Eglise  de  Constantinople  n'ait  pas 
i  devoirs  spéciaux  à  remplir;  les  règlements  en  énumèrent  plusieurs. 

doit  «  défendre  de  toutes  ses  forces  les  membres  du  clergé  qu'on 
laque  injustement  »;  —  «  observer  et  surveiller  le  genre  de  vie  et 

conduite  du  clergé,  encourageant  ce  qui  est  bien ,  corrigeant  ce 

ji  est  répréhensible »;  —  «  défendre  de  toutes  ses  forces  les  inté- 

:ts  généraux  de  l'Eglise  et  de  la  nation  »  (2),  etc.  Mais,  sur  aucun 
;  ces  points,  il  ne  doit  être  pris  de  décision  pratique  par  un  autre 
ue  par  le  synode  :  «  Tout  acte  émanant  du  patriarche  seul  demeure 
ins  valeur.  »  (3) 

Que  le  président  invite  le  synode  à  telle  décision  ou  à  telle  autre, 
)it.  Qu'il  les  y  exhorte,  rien  de  mieux. 

Mais  c'est  ainsi  seulement  qu'il  peut  défendre  de  toutes  ses  forces  les 
térêts  de  l'Eglise,  11  doit  agir,  mais  uniquement  en  paroles.  La  Consti- 
ition  le  déclare  presque  d'une  manière  formelle,  lorsqu'elle  invite  les 

nodiques  à  accepter  et  à  suivre  «  les  sages  conseils  et  les  exhortations 
1  patriarche  »  (4).  Encore  se  hâte-t-elle  d'ajouter  qu'ils  ne  doivent 
15,  cependant,  «  négliger  leurs  devoirs  sacrés  »  (5). 


1}  Sakellapopoulos  :  'ExxXriO-'.adt.  Stxacov,  p.  igS, 

2)  Règl.  org.  du  saint  synode,  11,  art.  2,  3,  6. 

3)  Ibid..  I,  art.  8. 

4)  Ibid.,  VA,  art.  1. 
(5)  Ibid. 


400 


ECHOS    D  ORIENT 


La  même  loi  en  donne  même  immédiatement  des  exemples  frappants 
S'agit-il  de  reprendre  un  abus;  par  exemple,  un  prélat  a-t-il  «  critiqu 
le  patriarche  avec  arrogance  ou  en  s'attaquant  à  sa  réputation  »,  c 
qui  est  interdit,  le  patriarche  ne  peut  que  le  reprendre  une  premier 
fois  avec  douceur.  Si  l'on  doit  aller  plus  loin  et  adresser  des  remoi 
trances,  c'est  le  synode  qui  agit.  A  plus  forte  raison  en  sera-t-il  ain; 
lorsqu'on  devra  punir  (i). 

Autre  exemple:  les  prélats  qui  quittent  leur  diocèse,  soit  pour  u 
séjour   à  Constantinople,   soit  pour  tout  autre   motif,    avertissent 
patriarche  si  le  congé  est  régulier.  Ils  doivent,  au  contraire,  recour 
au  synode  si  le  voyage  suppose  une  dispense  (2).  11  serait  fastidieux 
poursuivre  cette  enquête;  il  était  cependant  nécessaire  d'entrer  dans 
détail  et  de  proposer  des  textes  officiels.  Ils  sont  concluants.  Le  patriarcl 
œcuménique  ne  peut  prendre  aucune  décision  pratique,  du'il  crie 
loup,  mais  qu'il  se  garde  de  le  frapper. 

Par  contre,  le  consentement  du  patriarche  n'est  point  nécessaire 
synode.  Il  n'aurait  pas  le  pouvoir  de  l'arrêter  s'il  le  voyait  courir  ai 
abîmes.  La  condition  du  patriarche  et  celle  du  synode  ne  sont  p 
du  tout  pareilles.  La  loi  est  expresse.  Elle  déclare  nul  tout  acte 
premier  seul.  La  formule  est  bien  différente  quand  il  s'agit  du  secon( 
«  Tout  acte  du  synode  fait  à  Vinsu  ou  en  l'absence  du  patriarche  e 
nul.  »  (3)  L'acte  est  valide,  même  s'il  lui  déplaît.  Les  décisions  so 
prises  à  la  majorité  des  voix,  et  le  président  ne  fait  pencher  la  balan 
de  son  côté  que  dans  le  cas  d'égalité  de  suffrages  (4),  ce  qui  est  ass 
rare,  le  nombre  des  votants  étant  impair. 

Une  fois  la  décision  adoptée,  on  la  sanctionne  si  cela  est  nécessalr 
Du  sceau  synodal,  le  patriarche  n'a  d'ordinaire  l'avantage  de  posséd 
que  la  queue.  Le  reste,  par  mesure  de  précaution,  a  été  séparé,  partaj 
en  six  morceaux,  confiés  à  chacun  des  six  membres  plus  anciens  < 
synode  (5).  Les  parties  égarées  se  rejoignent,  et  l'on  scelle  le  décrî 

U  ne  reste  plus  qu'à  le  mettre  en  vigueur,  et  c'est  là,  à  propreme 
parler,  le  véritable  office  du  patriarche  :  exécuter  les  ordres  du  synod 
quels  qu'ils  soient.  Dans  toutes  ses  relations  soit  avec  le  gouvernemer 
soit  avec  les  autres  Eglises,  soit  avec  les  métropoles,  ce  haut  dignitaii 
dont  la  majesté  paraît  imposer  au  monde  entier,  n'est  que  le  repr 


(i)  Règl.  or  g.  du  saint  synode,  art.  3. 

(2)  Ibid.,  III,  art.  4. 

(3)  Ibid.,  I,  art.  8. 

(4)  Ibid.,  III,  art.  5. 

(5)  Ibid.,  III,  art.  8. 


AUTORITÉ  SPIRITUELLE  DU  PATRIARCHE  GREC  DE  CONSTANTINOPLE      4OI 

ntant  docile  d'une  assemblée  qui  lui  commande,  il  n'agit  pas  de  lui- 
ême;  il  est  à  la  merci  d'une  force  qui  le  conduit  en  secret,  même  où 
ne  voudrait  pas.  Ce  ministre  des  Cultes  le  savait  bien,  qui  disait  un 
ur  à  Mjï'"  Joachim  111,  venu  pour  plaider  une  cause  devant  lui  :  «  L'af- 
Ire,  au  fond,  vous  tient  peu  à  cœur,  patriarche  effendi;  mais  ce  sont 
s  prélats  qui  vous  poussent,  n'est-ce  pas,  patriarche?  »  (i).  Et  si 
mais  il  lui  prend  envie  de  sortir  de  ce  rôle  de  simple  intermédiaire, 
s'expose  à  d'humiliants  désaveux  et  à  pis  encore,  ainsi  que  nous  le 
rons  tout  à  l'heure. 

On  serait  tenté  de  conclure,  avec  un  fidèle  très  dévot  de  l'Eglise 
thodoxe,  qui  n'hésite  pas  à  canoniser,  sans  presque  faire  d'exception, 
s  hauts  prélats  de  son  époque,  dans  son  ouvrage  sur  la  Hiérarchie 
ntemporaine,  M.  Georges  Papadopoulos  :  «  Le  pouvoir  du  patriarche 
été  tellement  réduit,  qu'il  est  devenu  une  simple  machine  executive 
rien  plus.  »  (2)  Sans  doute,  le  plus  grand  tort  de  cette  phrase  est 
être  profondément  irrespectueuse.  Peut-être  est-elle  aussi  légèrement 
cagérée. 

Le  patriarche  ne  peut  avoir  sur  le  synode  une  action  décisive,  c'est 
itendu.  Cependant,  les  règlements  eux-mêmes  l'invitent  à  exercer, 
ar  le  bon  exemple  (3),  par  les  exhortations  et  les  conseils  (4),  une 
îrtaine  influence  que  des  qualités  personnelles  supérieures  pourraient 
indre  assez  grande.  Faute  de  terme  plus  précis,  nous  l'appellerons 
autorité  morale  ». 

j  Pourquoi  faut-il  que  ce  frêle  souffle  de  vie  soit  affaibli  encore  par 
|ae  autre  institution,  vivace  entre  toutes,  le  régime  parlementaire,  qui 
jit  du  patriarche  l'homme  d'un  parti? 


[C'est  un  parti  qui  le  conduit  au  pouvoir;  c'est  un  parti  qui  l'y  main- 
tînt. 

!La  nation  grecque,  ou  du  moins  la  portion  dirigeante  de  la  nation, 
it  divisée  en  deux  camps  :  le  clergé  et  les  laïques.  Nous  les  trouvons 
«1  présence  dans  l'élection  patriarcale. 

JDans  ce  cas,  les  laïques  sont  tout-puissants.  C'est  à  eux,  en  défmi- 
Ve,  que  revient  l'élection  du  plus  haut  dignitaire  spirituel.  Sans  doute, 
\  choix  définitif  (troisième  scrutin)  est  fait  par  les  seuls  membres  du 


V.  MiLoviTCH,  dans  les  Echos  d'Orient,  t.  VII,  1904,  p.  363. 
-■^yypovoî  'Ispapyja,  p.  384. 
^<égl.  org.  du  saint  synode,  11,  art.  i,  5. 
4)  Ibid.,  m,  art.  i. 

lîchos  d'Orient,  t.  XV.  '  26 


402  ÉCHOS    D  ORIENT 


synode,  mais  ceux-ci  doivent  prendre  leur  candidat  sur  une  liste  de 
trois  noms  dressée,  à  la  majorité  absolue  des  suffrages,  dans  une 
assemblée  où  les  laïques  ont  une  écrasante  majorité.  Ils  sont  trois, 
quatre  et  même  cinq  fois  plus  nombreux  que  les  représentants  du 
clergé.  Ils  peuvent  à  eux  seuls  imposer  les  trois  noms  sur  lesquels  devra 
tomber  le  choix  final  (i).  L'élu  sera  donc  souvent  le  candidat  du  peuple. 

Nous  ne  disons  pas  toujours,  parce  qu'il  n'est  pas  absolument  impos- 
sible aux  ecclésiastiques,  à  force  d'intrigues,  de  faire  avancer  le  leur, 
ou  du  moins  d'entraver  l'élection  de  l'adversaire.  Chacun  sait  combler 
longtemps  M?'  Joachim  111  a  été  tenu  en  échec  par  son  ennemi,  Ms'"  Ger- 
main, métropolite  de  Chalcédoine.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  résultat  est  It 
même,  le  patriarche  est  l'élu  d'un  parti. 

Si  du  moins  toute  dissension  disparaissait  une  fois  l'intronisatior 
faite,  le  mal  serait  encore  en  partie  réparable.  Mais  cela  n'est  pas.  L< 
patriarche  reste  à  la  merci  d'un  parti.  L'article  qui  prévoit,  permet  e 
régularise  la  déposition  du  chef  de  l'Eglise  est  la  cause  de  tout  l 
mal  (2).  11  est  d'un  effet  désastreux. 

11  établit  le  Conseil  et  le  synode  juges  de  la  conduite  du  patriarche 
Que  les  deux  tiers  de  ces  deux  corps  lui  soient  défavorables  et  lui  signi 
fient  de  s'en  aller,  c'en  est  assez  pour  que  le  malheureux  doive  ré» 
gner  sa  place  et  prévenir,  par  son  départ,  une  déposition  faite  par  h 
sultan. 

Sans  doute,  on  ne  peut  en  venir  là,  d'après  la  loi,  que  «  si  le  patriarch 
manque  à  ses  obligations  et  à  ses  devoirs  »,  mais  ces  conditions  son 
vagues  et  élastiques.  Des  sentiments  hostiles  ou  favorables  peuveE 
étendre  ou  restreindre  à  volonté  des  limites  si  imprécises,  et  les  oppos 
tions,  certes,  ne  feront  pas  défaut. 

Du  seul  fait  de  son  élection,  nous  l'avons  vu,  le  patriarche  est  dé 
un  signe  de  contradiction.  Sans  compter  les  malveillances,  les  jalousit 
les  espoirs  déçus,  toutes  choses  imprévues,  mais  non  moins  réelle* 
il  a  déjà  contre  lui  le  parti  qui  ne  l'a  point  nommé.  Supposé  mêni 
que  l'union  se  fasse  autour  du  nouvel  élu,  après  sa  prise  de  possession 
le  seul  fait  qu'il  peut  être  déposé  par  son  Eglise  est  un  principe  gén« 
rateur  de  discordes  et  de  divisions.  Loin  de  laisser  voir  dans  cet 
décision  un  acte  anormal  auquel  on  ne  recourt  qu'à  la  dernière  néce 
site,  la  loi  en  fait  une  institution  régulière.  La  présence  continue  c 


(i)  Voir,  dans  la  Revue  de  l'Orient  chrétien,  1898,  p.  4o5  sq.,  le  règlement  toucha 
l'élection  du  patriarche,  publié  par  M''  Petit. 
(2)  Règl.  org.  du  saint  synode,  i,  art.  12. 


.'autorité  spirituelle  du  patriarche  grec  de  constantinople     403 

ury  chargé  d'examiner  la  manière  d'agir  du  «  chef»  de  l'Eglise  aggrave 
:ette  disposition,  et  fait  de  lui  une  sorte  de  prévenu  perpétuel,  qui 
ioit  sans  cesse  justifier  ses  démarches  devant  ses  juges.  Mais  comment 
plaire  longtemps  à  des  partis  opposés?  Des  intérêts  contraires  feront 
/oir  sous  un  jour  bien  différent  les  actes  de  celui  qu'on  surveille. 
>ans  doute,  la  conduite  du  patriarche  n'est  que  l'exécution  des  ordres 
jynodaux.  Mais  encore  cette  obéissance  peut-elle  être  molle  et  lâche, 
DU  active  et  énergique;  elle  peut  n'être  pas  toujours  fidèle  et  dévier 
légèrement  de  la  ligne  tracée.  11  suffirait  de  moins  pour  exciter  la 
défiance  d'inspecteurs  jaloux,  d'autant  plus  susceptibles  qu'ils  se  sentent 
davantage  les  maîtres.  Ainsi  les  oppositions  ne  manqueront  jamais  au 
patriarche,  et  l'opposition  a  ici  pour  fin,  sinon  prochaine,  du  moins 
éloignée,  de  se  défaire  de  celui  qui  embarrasse. 

La  politique  du  patriarche  devra  s'inspirer  de  cet  état  de  choses.  11 
lui  est  matériellement  impossible  de  compter  sur  l'appui  des  deux 
partis.  Du  moins  s'emploiera-t-il  à  les  empêcher  de  se  coaliser  tous 
deux  contre  lui.  Tant  que  la  majorité  lui  est  fidèle  dans  l'une  ou 
l'autre  assemblée,  il  est  assuré  de  ne  pas  déchoir.  Aussi  la  meilleure 
part  de  ses  soins  et  de  son  attention  ira-t-elle  à  se  la  conserver.  Si  ce 
chef  spirituel,  esclave  d'un  parti,  est  en  même  temps  ambitieux  et  tient 
à  garder  sa  place,  on  devine  tout  ce  qu'il  consentira  de  complaisances 
et  de  compromissions  pour  ne  pas  déplaire  à  ses  protecteurs. 

Heureux  encore  sera-t-il  si,  malgré  tant  de  sacrifices,  il  ne  voit  pas 
soudain  sa  fortune  changée  dans  un  des  remous  incessants  du  parle- 
mentarisme. Chaque  année,  six  nouveaux  membres  arrivent  au  synode, 
entièrement  transformé  en  deux  ans  (i).  Ils  viennent  à  leur  tour, 
c'est  un  droit  dont  on  ne  peut  les  frustrer  que  par  de  basses  intrigues. 

Ils  arrivent  avec  leurs  opinions  et  leurs  intérêts,  qui  ne  sont  pas 
lécessairement  les  Opinions  et  les  intérêts  de  ceux  d'hier.  Le  Conseil 
st  aussi  renouvelé  par  moitié.  Chaque  année,  quatre  nouveaux  membres 
ont  élus,  et  les  suffrages  populaires  sont  si  capricieux,  en  pays  grec 
jjcomme  ailleurs!  II  est  impossible  que  des  changements  si  profonds, 
i  brusques  et  si  fréquents  ne  marquent  pas  des  revirements  d'opinion, 
ît  n'orientent  pas  les  partis  dans  un  sens  opposé.  Bientôt  le  patriarche 
n'est  plus,  même  dans  le  camp  qui  le  soutenait  hier,  qu'un  homme 
d'une  autre  époque,  si  même  il  n'est  pas  un  embarras  pour  ces  nou- 
v^eaux  venus. 
Pour  conserver  longtemps,  au  milieu  de  ce  va-et-vient  incessant,  la 


(i)  Règl.  org.  du  saint  synode,  i,  art.  2. 


404  ECHOS    D  ORIENT 


faveur  d'un  parti  et  résister  aux  assauts  de  l'autre,  le  patriarche  doi 
vraiment  être  devenu  une  sorte  d'idole,  comme  l'est  Joachim  111,  et  i 
doit  aussi  adorer  le  pouvoir.  A  combien  plus  forte  raison  serait  vit( 
perdu  celui  qui  essayerait  de  gouverner  sans  intrigues,  en  dehors  d( 
tout  parti,  on  le  voit  sans  peine;  l'entreprendre  serait  vouloir  se  tenii 
sur  les  flots  mouvants  sans  appui,  sans  soutien,  en  un  mot  être  victime 
de  l'illusion  et  de  l'utopie. 

Mais  que  devient,  au  milieu  de  ces  actions  diverses,  le  faible  reste 
d'autorité  morale  que  nous  avions  concédé  au  patriarche?  Pour  qu'elle 
ne  s'évanouisse  pas  entièrement,  il  faudrait  des  qualités  dont  personne 
ici-bas  n'est  doué.  L'homme  sans  parti  ne  peut  se  maintenir,  et  l'homme 
d'un  parti  renonce  à  toute  influence  efficace  sur  ses  adversaires  qui  le 
détestent,  et  sur  les  siens,  qui  le  savent  leur  esclave  et  le  méprisent] 

De  cette  étude  découlent  de  nombreuses  et  importantes  conclusions 
Contentons-nous,  pour  le  moment,  de  signaler  celle-ci,  qui  est  trè; 
générale  et  indiscutable  :  l'absence  de  toute  autorité  supérieure  person 
nelle  vraie  doit  avoir  sa  répercussion  dans  l'organisme  tout  entier.  Ur 
synode  sans  chef  sera  bien  différent  d'une  assemblée  conduite  par  ur 
pouvoir  respecté.  Ce  caractère  particulier  ne  peut  pas  ne  pas  rejailli 
swr  les  métropoles,  et  par  elles  jusque  dans  la  vie  paroissiale.  Quel  es 
ce  caractère?  Nous  essayerons  de  le  dire  plus  tard. 

F.  Cayré. 

Constantinople. 


LA  MISSION 
«  IN  ADJUTORIUM  COPTORUM  »  ('> 


I 


Coutt  aperçu. 


Il  y  aura  bientôt  vingt  ans  que  l'Eglise  copte  catholique  a  été  réor- 
ganisée par  Léon  XIII  (1895).  De  cette  époque  date  une  vie  nouvelle, 
ou,  plus  exactement,  de  nouveaux  efforts  en  vue  d'une  sérieuse  amélio- 
ration furent  alors  tentés. 

Elle  n'est  pourtant  encore  que  le  pusillus  grex,  mais,  telle  quelle,  elle 
mérite  notre  attention,  et,  dans  un  milieu  musulman  et  schismatique, 
maintient  la  vraie  foi  et  l'union  avec  l'Eglise  romaine. 

Le  dernier  recensement  de  l'Egypte,  qui  date  de  1907,  mais  n'a  été 
publié  qu'en  1909  (2),  permet  quelques  constatations  intéressantes  au 
sujet  du  mouvement  de  la  population  copte  catholique  et  de  sa  distri- 
bution géographique. 

Sur  une  population  globale  de  11  189978,  dont  10269445  de 
musulmans,  il  y  a  706  322  Coptes  et  1 4  376  d'entre  eux  sont  catholiques. 

Dix  ans  auparavant  (recensement  de  1897),  les  Coptes  catholiques, 
au  nombre  de  4630,  ne  représentaient  que  le  0,8  pour  100  de  la  popula- 
tion chrétienne  indigène.  En  1907,  ils  en  sont  le  2,1  pour  100,  soit  un 
accroissement  de  1,3  pour  100,  au  détriment  de  la  communauté  ortho- 
doxe qui,  dans  le  même  espace  de  temps,  appauvrie  par  des  passages 
au  protestantisme  et  des  conversions  au  catholicisme,  diminuait  de 
2,8  pour  100  (97,2  pour  100  à  94,4)  (3). 

Si  l'on  excepte  le  gouvernorat  du  Caire  (4),  où  l'on  compte  3  026  catho- 
liques (5),  c'est  en  Haute-Egypte  qu'est  le  pays  des  Coptes  catholiques. 


(i)  Les  Echos  d'Orient  se  sont  déjà  plusieurs  fois  occupés  des  Coptes.  Cf.  I  (i{ 
p.  123;  II  (1898),  p.  52;  III  (1899),  P-  59;  VI  (1903),  p.  270;  X  (1907),  p.  i38. 
{2)  The  Census  of  Egypt  taken  in  1907,  f°  Cairo,  1909. 
Populatioa  totale  lusuimans  pour  100 

(3)  1907       II  189978  10269445  91,8 
1897         9717228                  8992203  92,2 

Coptes  catholiques    pour  100  Coptes  protestants     pour  100 

1907  14576       .2,1  24710  3,5 

1897  4  63o  0,8  12507  2 

(4)  Le  gouvernorat  est  l'une  des  divisions  administratives  de  l'Egypte.  Il  y  a  7  gou- 
ernorats  et  14  moudiriehs. 

(5)  Dans  celui  d'Alexandrie,  il  n'y  en  a  que  462,  et,  en  dehors  de  là,  aucune  moudi- 
ieh  de  la  Basse-Egypte  n'en  compte  i5o. 


Copies 

pour  100 

706  322 

6,3i 

609511 

6,25 

Coptes  orthodoxes 

pour  100 

667  o36 

94.4 

592  374 

97.2 

4o6  ÉCHOS  d'orient 


Ils  y  sont  groupés  au  nombre  de  10246,  spécialement  dans  les  mou- 
diriehs  de  Minieh,  d'Assiout,  de  Guirgueh  et  de  Kéneh  (i). 

Ainsi,  en  dix  ans,  les  Coptes  catholiques  avaient  augmenté  de  loooo. 
Ce  fut  la  conséquence  de  l'intérêt  que  Léon  XIll,  soucieux  du  retour 
de  l'Orient  à  l'unité  catholique,  porta  à  la  nation  copte. 

En  quelques  années,  le  rétablissement  de  la  hiérarchie,  d'importants 
subsides  fournis  par  le  Pape  et  l'Autriche  (2),  le  concours  des  mission- 
naires latins  permirent  d'ouvrir  des  écoles,  d'augmenter  le  nombre  des 
églises,  de  fournir  au  clergé  copte  quelques  prêtres  instruits,  de  faire 
un  apostolat  fructueux  auprès  des  orthodoxes. 

Mais  cette  restauration  elle-même  fut  le  fruit  de  longs  travaux  anté- 
rieurs, et  dont  il  faut  faire  honneur  aux  premiers  missionnaires  qu" 
vinrent  in  adjutorium  coptorum.  Sans  le  zèle  de  ces  hommes  qui,  depuii 
plus  de  deux  siècles,  ont  fourni  sans  se  lasser  un  obscur,  pénible  e 
peu  récompensé  labeur,  qui  sait  si  l'on  eût  pu  trouver,  au  xix^  siècle 
les  éléments  d'une  communauté.  Si,  en  1895,  les  Coptes  catholique; 
n'étant  encore  que  4000,  font  déjà  figure,  possédant  églises  et  bien: 
au  soleil,  c'est  aux  Pères  Récollets  qu'ils  le  doivent.  Si  le  Pap< 
trouve  parmi  leurs  prêtres  un  patriarche  et  deux  évêques,  c'est  dan: 
le  petit  nombre  de  séminaristes  que  le  collège  de  la  Sainte-Famill 
au  Caire  et  l'Université  Saint-Joseph  de  Beyrouth  ont  pu  instruire  e 
former. 

Les  premiers  et  pendant  longtemps  les  seuls   missionnaires  de 
Haute-Egypte  furent  les  Pères  Franciscains  Récollets  (3). 

Ce  ne  fut  qu'en  1687  que  la  Propagande  (Innocent  XI)  établit  sou 
la  forme  d'une  vice-préfecture,  dont  le  P.  Antonio  de  Pisticcio  fut 
chef,  une  mission  de  la  Haute-Egypte  in  adjutorium  coptorum.  Jusqu'à; 
1697,  cette  mission  dépendit  de  la  custodie  de  Terre  Sainte.  Elle  deviâ 
alors  préfecture  dépendant  de  la  Propagande. 

En  1698,  Louis  XIV  installait  les  Jésuites  au  Caire.  Ils  n'en  sortirof 


(1)  Minieh,  1722;  Assiout,  4352;  Guirgueh,  2762;  Kéneh,   i  i3o.  C'est  là  aussi 
véritable  pays  des  Coptes,  la  «Coptie  »,  si  l'on  pouvait  ainsi  dire.  Une  carte  du  rece 
sèment  de  1907  le  montre  d'une  façon  saisissante.  Refoulés  graduellement,  les  chl? 
tiens  n'ont  offert  quelque  résistance  à  l'apostasie  que  loin  du  pouvoir  central. 

Cf.  Annuaire  statistique  de  l'Egypte,  191 1  (3'  année),  in-4'.  Le  Caire,  Imp.  nat.,  igi 
tableau  6,  population  par  divisions  administratives  et  par  religions,  p.  40-41. 

(2)  Le  protectorat  religieux  de  l'Autriche  sur  les  Coptes  catholiques  est  aussi  « 
tain  que  ses  origines  sont  difficiles  à  démêler.  Ce  serait  un  point  intéressant  à  trait* 

(3)  Une  partie  des  renseignements  qui  suivent  est  empruntée  à  l'opuscule  Memot 
storico-chronologiche  délie  ynissioni  Francescane  dell'  Alto-Egitto,  par  Fra  FoM 
NATO  DA  Seano.  Torino,  tipografia  Salesiana,  igoS.  J'en  dois  la  communication 
l'obligeance  du  P.  Atanasio  Riccardo,  présidente  dell'  ospizio  di  P.  Antonio,  Le  Ca^ 


LA    MISSION    NN    IN    ADJUTORIUM    COPTORUM    »  4O7 

guère.  En  1711,  aucun  Jésuite  n'est  encore  allé  en  Haute-Egypte  (i). 

Les  missionnaires  de  la  Propagande  (c'est  ainsi  qu'on  appelait  les 
Récollets)  s'établirent  d'abord  au  Caire,  dans  la  résidence  des  Pères  de 
Terre  Sainte  (couvent  du  Mousky),  et  au  Vieux-Caire.  La  même  année 
(i  687),  ils  étaient  au  Fayoum,  puis  à  Akhmin,  1691  ;  à  Guirgueh,  1720; 
à  Farshout,  1738;  à  Tahta,  1768  (2);  àNagada;  mais  pendant  longtemps 
ils  durent  exercer  leur  ministère  en  secret  sans  pouvoir  faire  acte  de  culte 
extérieur,  sans  compter  que  l'obstination  naturelle  des  Coptes  ne  leur 
laissait  que  peu  d'espoir  d'augmenter  le  nombre  infime  des  catholiques. 

lis  ne  furent  en  cela  guère  plus  favorisés  que  les  missionnaires  vivant 
au  Caire  (3).  Les  mémoires  de  Benoît  de  Maillet,  qui  fut  pendant  seize 
ans  (à  partir  de  1692)  consul  général  de  France,  sont  explicites  à  ce 
sujet  (4).  Dans  la  lettre  dixième  «  De  la  religion  des  Egyptiens  »,  le 
consul  ayant  noté  l'obstination  des  Coptes,  reconnaît  que  «  c'est  un 
écueil  contre  lequel  échouent  tout  le  zèle  et  la  charité  la  plus  infatigable 
de  nos  missionnaires  (5)  »,  et  il  continue  :  «  II  est  vrai  que  leur  persé- 
vérance et  leur  douceur  les  insinuent  dans  l'esprit  de  ces  peuples,  et 
leur  facilitent  un  libre  accès  dans  leurs  maisons.  Mais  comment  ne 
seraient-ils  pas  bien  reçus,  puisqu'ils  portent  partout  des  consolations 
pour  l'esprit  et  des  soulagements  pour  le  corps.  Ils  rétablissent  le  calme 
dans  une  famille  affligée  par  leurs  sages  conseils  et  leurs  pieuses  exhor- 
tations, souvent  même  par  leurs  aumônes Ils  sont  respectés  poui* 

leur  zèle  et  leur  désintéressement.  Mais  il  faut  pourtant  l'avouer,  tout 
cela  ne  convertit  point,  et  l'expérience  apprend  que  les  conversions, 
lorsqu'il  s'en  fait,  sont  si  peu  sincères,  qu'elles  cessent  aussitôt  que  le 
motif  de  l'intérêt  et  de  l'espérance  qui  en  était  le  fondement  vient  à 
disparaître.  Les  prétendus  convertis  répondent  nettement,  lorsqu'on 


(i)  Cf.  Lettres  éditantes  et  curieuses.  Paris,  1780,  t.  IV,  p.  480.  Lettre  du  P.  de 
Bernât, *S.  J. 

(2)  Ce  poste  est,  avec  celui  d'Akhmin,  un  des  plus  anciens  de  la  mission.  En  1768, 
il  devint  pour  les  missionnaires  un  lieu  de  résidence.  Tahta  est  aujourd'hui  le  lieu  le 
iplus  foncièrement  catholique  de  la  Haute-Egypte. 

(3)  Un  Français  qui  visite  l'Egypte  en  1780  écrit:  «  Il  y  a  (au  Caire)  quatre  hospicôS 
ie  religieux  qui  y  font  la  mission,  et  qui  n'opèrent  pas  beaucoup.  Ce  sont  les  Corde- 
iers,  les  Récollets,  les  Capucins  et  les  Jésuites.»  Relation  du  voyage  fait  en  Egypte 

^ar  le  sieur  Granger  en  Vannée  tjSo,  in«ia.  Paris.  1745,  p.  146.  Cependant,  le 
p.  Sicard,  S.  J.,  écrit  (Le  Caire.  10  déc.  1722)  :  «  Notre  mission  porte  ici  moins  de 
Fruits  qu'au  Saïd  (Haute-Egypte),  où  il  n'y  a  point  de  villes  ou  de  villages  sans 
quelques  maisons  catholiques.  »  Cf.  A.  Rabbath,  S.  J.,  Documents  inédits  pour  servir 
ti  l'histoire  du  christianisme  en  Orient,  t.  I",  p.  184. 

\  (4)  Description  de  l' Egypte,  composée  sur  les  mémoires  de  M.  de  Maillet,  ancien 
(Consul  de  Fiance  au  Caire,  par  M.  l'abbé  Le  Mascrier,  in-4°.  Paris,  1735.  Cette  édition 
a  deux  paginations.  La  seconde,  avec  astérisque,  commence  à  la  neuvième  lettre. 
(5)  Description  de  l'Egypte,  op.  cit.,  p.  65*. 


4o8  ÉCHOS  d'orient 


leur  reproche  leur  désertion  :  point  d'argent,  point  d'église,  Maphis 
Fellou,  Maphis  Quenisse.  On  a  vu  ici  l'église  des  Pères  de  Terre  Sainte 
remplie  de  nouveaux  chrétiens  dans  un  tems  où  l'on  donnait  assez  lar- 
gement aux  pauvres  qui  s'y  rendaient.  11  vint  un  nouveau  supérieur 
qui,  par  épargne  ou  par  nécessité,  retrancha  toutes  ces  aumônes.  L'église 
fut  aussitôt  déserte,  et  le  nombre  des  fidèles  se  réduisit  à  un  petit  nombre 
de  catholiques,  nés  de  parents  qui  l'étaient  déjà  ou  qui  avaient  et 
nourris  dès  leur  enfance  dans  les  sentiments  de  l'Eglise  romaine.  Telle 
est  la  véritable  idée  qu'on  doit  avoir  de  la  nouvelle  Eglise  qui  subsiste 
aujourd'hui  en  Egypte. 

»  On  s'efforce  cependant  d'entretenir  le  petit  troupeau  que  l'on  2 
formé  avec  beaucoup  de  tems,  de  travail  et  de  dépense.  On  tache  dt 
l'étendre  par  la  voye  des  mariages,  des  écoles  et  des  instructions  quf 
Ton  donne  à  la  jeunesse.  Mais,  malgré  tant  de  soins  et  de  précautions, 
si  l'on  y  regarde  de  près  et  sans  prévention,  on  s'apperçoit  aisément  qut 
l'on  ne  tient  presque  rien.  Le  fruit  de  tant  de  peines  se  réduit  ordinal 
rement  à  préserver  quelques  anciens  catholiques  de  la  dangereuse  con^ 
tagion  de  l'exemple  général.  »  (i) 

Les  missionnaires  cherchèrent  aussi  à  créer  les  éléments  d'un  cierge 
catholique,  et,  dans  ce  but,  sur  la  demande  d'ailleurs  de  la  Propagande 
ils  purent,  après  beaucoup  de  difficultés,  envoyer  à  Rome,  pour  y  rece 
voir  une  éducation  et  une  instruction  catholique,  quelques  jeune? 
Coptes.  Au  xviiie  siècle,  le  consul  de  France  Maillet  espérait  peu  d< 
cette  industrie  et  en  appelait  à  l'expérience  pour  justifier  son  senti 
ment  (2).  De  fait,  elle  ne  donna  pas  tout  ce  qu'on  en  attendait.  Rentré; 
dans  leur  pays,  ces  jeunes  hommes  étaient  exposés  à  retomber  soui 
l'influence  du  milieu,  et  à  reprendre,  par  la  force  de  l'hérédité,  leu. 
mentalité  et  conscience  premières.  Cependant,  c'est  parmi  eux  que  l'oi 
put  recruter  les  vicaires  apostoliques.  11  est  en  tout  cas  assez  singuli; 
que  les  Coptes,  dont  on  nous  cite  le  catholicisme  éprouvé,  soient  au 
ceux  qui  ont  vécu  en  dehors  de  l'Egypte  et  de  l'influence  du  pays  natal 
Bechara  Abulcher,  mort  à  Rome  en  1738,  à  vingt-quatre  ans;  le  célèbr 
Raphaël  Tuky,  mort  aussi  à  Rome  en  1 772,  à  quatre-vingts  ans  ;  l'évêqu 
de  Girgeh,  Antonios  Flaïfel,  qui  s'est  déclaré  catholique,  est  obligé  d 
fuir  à  Rome  pour  vivre  en  catholique.  Il  y  mourut  en  1807,  à  quatre 
vingt-dix-huit  ans  (3). 


(i)  Description  de  l'Egypte,  op.  cit.,  p.  65-66*. 

(2)  Cf.  Description  de  l'Egypte,  op.  cit.,  p.  67*. 

(3)  Cf.  Georges  Macaire,  Histoire  de  l'Eglise  d'Alexandrie,  in-8'.  Le  Caire,  i! 
p.  335,  347,  353. 


LA   MISSION    «    IN    ADJUTORIUM   COPTORUM   »  409. 

Au  XIX®  siècle,  sans  dédaigner  d'envoyer  des  jeunes  gens  à  Rome, 
on  pensa  aussi  à  faire  élever  dans  le  pays  ceux  dont  on  attendait  l'évan- 
gélisation  du  pays.  C'est  dans  ce  but  que  la  Compagnie  de  Jésus  éta- 
blit au  Caire  en  1879  U"  P^tit  Séminaire  qui  réunit  tout  de  suite  douze 
enfants  (i).  Un  peu  auparavant,  le  vicaire  apostolique,  Mg«-  Agabios 
Bschai,  autorisé  par  la  Propagande,  avait  envoyé  (187s)  au  Séminaire 
oriental  de  Beyrouth  (2)  quelques  sujets.  Enfin,  en  1897,  une  donation 
importante  de  Léon  Xlll  permettait  de  poser  la  première  pierre  d'un 
Séminaire  copte  à  Tahta. 

En  1741,  eut  lieu  pour  le  catholicisme  égyptien  un  événement  impor- 
tant. Jusqu'alors,  les  Papes  s'étaient  efforcés  de  ramener  le  patriarche 
et  son  clergé  et  par  eux  leur  peuple  à  l'unité  catholique.  C'avait  été 
en  vain. 

Benoît  XIV  ayant  trouvé  dans  l'évêque  copte  de  Jérusalem,  Amba 
Athanasios,  des  garanties  de  catholicisme,  le  mit  à  la  tête  de  l'Eglise 
copte  catholique  comme  vicaire  apostolique  (4  août  1741).  C'était  la 
première  fois  depuis  de  longs  siècles  que  l'on  pouvait  parler  d'Eglise 
copte  catholique.  Jusqu'alors  il  n'y  avait  eu  que  des  catholiques.  C'était 
en  même  temps  l'annonce  d'une  future  émancipation,  quand  le  progrès 
de  la  foi  permettrait  de  reconstituer  la  hiérarchie. 

11  y  eut  ainsi  en  Egypte  simultanément  une  préfecture  apostolique, 
mission  de  la  Propagande,  confiée  aux  Pères  Franciscains  Récollets,  et 
un  vicariat  apostolique,  l'Eglise  copte  catholique,  avec  un  chef  reli- 
gieux (3);  mais,  jusqu'à  la  fin  du  xix»  siècle,  religieux  missionnaires  et 


(i)  Il  a  été  fermé  en  1907.  Mais  le  collège  de  la  Sainte-Famille,  qui  doit  son  origine 
au  Séminaire,  continue  à  faire  les  frais  de  l'entretien  d'enfants  coptes,  qui  sont  main- 
tenant envoyés  à  Beyrouth. 

(2)  Le  Séminaire  oriental  de  Beyrouth  a  été  ouvert  en  1846  à  Ghazir  (Liban  occi- 
dental), transféré  à  Beyrouth  en  octobre  1875.  Vingt-cinq  prêtres  coptes  (jusqu'en  1911) 
en  sont  sortis. 

(3)  Voici,  à  partir  de  1741  jusqu'à  la  constitution  de  la  hiérarchie,  la  liste  des  chefs 
religieux  de  l'Eglise  copte  :  vicariat  apostolique. 

I"  Athanasios,  1741,  évéque  copte  de  Jérusalem,  qui  délègue  à  son  vicaire  Justus 
Maraghi  le  soin  de  l'Egypte; 

2'  Jean  Farargi; 

3°  Mathieu  Righet,  21  avril  1788,  f  1822.  Il  eut  depuis  1814  un  coadjuteur,  Theodoros 
Aboukarim.  Nommé  évéque  comme  son  prédécesseur,  il  ne  put,  comme  lui,  être 
'consacré  faute  de  prélat; 

4*  Maximos  Joued,  nommé  patriarche  par  Léon  XII,  septembre  1824.  Il  avait  béné- 
ficié de  faux  rapports  faits  à  la  cour  de  Rome  par  un  ambitieux  Copte.  Mais  cette 
dignité  fut  sans  lendemain,  f  3o  août  i83i  ; 

5*  Theodoros  Aboukarim,  i832,  f  1854; 

6*  Athanasios  Khouzam,  i855,  t  1864; 

7'  Agabios  Bschai',  27  février  1866,  élève  de  la  Propagande,  né  au  hameau  de  Hammas 
moudirieh  et  markas  de  Guirgueh),  fut,  en  1878,  appelé  à  Rome  par  suite  de  dissenti- 


4IO  ÉCHOS    D  ORIENT 


prêtres  coptes  devaient  rester  confondus,  ayant  les  mêmes  postes,  par- 
ticipant aux  mêmes  ressources,  officiant  à  tour  de  rôle  dans  les  mêmes 
églises,  bénéficiant  d'une  même  protection. 

Vint  un  temps  où  les  heurts,  inévitables  dans  un  contact  journalier, 
se  multiplièrent,  prenant  aussi  plus  de  conséquence,  car,  avec  l'âge 
avaient  crû  les  prétentions  des  pupilles.  Mieux  valait  se  séparer. 

Mais  en  laissant  la  jeune  Eglise  à  elle-même,  la  Propagande  et  les 
missionnaires  ne  lui  témoignaient  que  de  la  confiance  et  pensaient  à 
la  doter. 

Ce  fut  l'objet  de  deux  conventions  passées  en  1893  entre  le  provi- 
caire apostolique  des  Coptes,  Ms^  Antoun  Kabis,  et  le  Père  préfet  de 
la  mission  de  la  Haute-Egypte. 

La  première  (15  avril),  en  douze  articles  (i),  concerne  le  Caire. 

L'église  de  la  Sainte-Famille,  quartier  du  Mousky,  darb  el  Baraba, 
appartenant  à  la  Propagande,  est  cédée  à  l'usage  exclusif  des  Coptes  a 
beneplacito  délia  delta  S.  C.  che  ne  ritiene  la  proprieta.  Mais,  à  certains 
jours  de  fête,  les  Pères  Récollets  continueront  à  y  dire  la  messe  solen- 
nelle en  présence  du  représentant  de  Sa  Majesté  Apostolique.  Avec 
l'église  est  cédée  une  partie  du  Conventino  attenant  à  l'église. 

La  Convention  du  16  mai  concerne  la  Haute-Egypte.  Dix  postes 
étaient  cédés  aux  Coptes  (2):  1°  Le  Vieux-Caire,  poste  dont  la  fonda- 
tion remontait  à  1687;  2°  Tema  (moudirieh  de  Guirgueh),  une  église  y 
avait  été  commencée  en  1854  et  terminée  en  1862;  3°  Tahta,  une  des 
premières  stations  de  la  mission,  comprenant  église,  maison  et  école; 
40  Cheikh  Zein  el  Dine,  à  une  petite  distance  de  Tahta  (moudirieh  de 
Guirgueh),  église;  y  Akhmin  (moudirieh  de  Guirgueh).  Cette  station 


ments  avec  son  clergé.  Il  ne  revint  en  Egypte  après  neuf  ans  que  pour  y  mourir  (1887). 
Il  avait  été  consacré  au  Caire; 

8°  Antoun  Morcos,  prêtre  latin  du  patriarcat  de  Jérusalem,  visiteur  apostolique; 
1878-1887,  en  même  temps  que  Antoun  Nadabo  était  provicaire,  chef  légal  aux  yett» 
du  gouvernement  égyptien; 

9°  Simon  Baraya,  provicaire,  août  1889-décembre  1892; 

10°  Antoun  Kabis,  provicaire,  décembre  1892-1895; 

1 1°  Cyrille  Macaire, vicaire  apostolique,  préconisé  dans  le  Consistoire  du  18  mars  iSg! 
avec  le  titre  épiscopal  de  Césarée  de  Philippe;  il  fut  consacré  au  Caire  le  17  avril 
sous  le  nom  de  Cyrille  (il  s'appelait  Georges),  par  M"  Corbelli,  délégué  apostolique 
Le  pape  Léon  Xlll  ayant,  par  la  Bulle  Christi  Domini  (25  novembre  1895),  rétabli  U 
hiérarchie  et  la  dignité  patriarcale.  M*'  Macaire  devint  administrateur  apostolique  e 
vicaire  patriarcal  jusqu'au  19  juin  1899,  où  il  était  nommé  patriarche.  Né  à  Chenaine 
(village  de  la  moudirieh  d'Assiout),  le  19  février  i863,  il  fit  ses  études  au  Séminaij 
oriental  de  Beyrouth,  d'où  il  sortit  docteur  en  philosophie  et  théologie.  En  juin  190^ 
M"  Macaire  a  dû  donner  sa  démission,  et  M''  Maximos  Sedfaoui,  évéque  de  Miniâ 
depuis  le  29  mars  1896,  a  été  nommé  administrateur  apostolique. 

(i)  Archives  des  Pères  Récollets.  Le  Caire. 

(2)  FoRTUNATO  DA  Seano,  Mcmorie  storico-cronologiche,  op.  cit. 


LA   MISSION   «    IN    ADJUTORIUM   COPTORUM   »  4II 

remonte  à  1691,  Il  y  avait  depuis  1885  une  grande  église  à  trois  nefs 
et  une  maison;  6°  Hammas  (moudirieh  de  GuirguehJ,  église  et  maison; 
70  Farshout  (moudirieh  de  Kéneh),  église;  8°  Nagada  (moudirieh  de 
Kéneh),  église  et  maison  ;  9°  Garagous  (moudirieh  de  Kéneh),  église 
et  maison;  lo»  Kebli  Kamoula  (moudirieh  de  Kéneh),  église  et  maison. 

Les  Pères  Récollets  ont  présentement  huit  postes  :  au  Caire,  quartier 
du  Daher;  au  Fayoum;  à  Beni-Souef,  avec  dépendances  à  Bouche,  Tama 
et  El  Nawamdieh;  à  Assiout,  Guirgueh,  Nag-Hamadi,  Kéneh  et  Louksor, 
avec  dépendances  à  El  Salamieh  Kebli  et  à  Arment. 

Ils  sont  aidés  par  les  Sœurs  Franciscaines  missionnaires,  un  Institut 
qui  est  en  Egypte  depuis  1859  (0»  <^^  ''  ^  ouvert  écoles  et  hospices.  Elles 
ont  à  Assiout  une  école,  un  grand  hôpital  et  un  orphelinat;  à  Louksor, 
une  école  et  un  orphelinat;  à  Kéneh,  école  et  orphelinat,  et  àBeniSouef, 
école. 

A  la  fm  de  l'année  1887,  les  Jésuites  entraient  en  Haute-Egypte.  De 
Minieh  comme  centre,  ils  rayonnent  tout  autour.  Ils  ont  ouvert  des 
écoles.  Présentement,  les  religieuses  de  Saint-Joseph  de  Lyon  s'occupent 
des  filles. 

Ainsi  la  Missio  in  adjutorium  coptorum  n'a  rien  perdu  de  son  impor- 
tance. Si  le  nombre  de  ses  ouvriers  a  augmenté,  les  besoins  ont  crû 
bien  davantage,  et  longtemps  encore  le  clergé  copte,  toujours  peu  nom- 
breux (2)  et  pauvre,  ne  pourra  suffire  au  travail  des  missions,  de  postes 
à  fonder,  d'écoles  à  bâtir,  et  à  pourvoir  de  maîtres.  Là  encore  :  Messis 
milita,  operarii  pauci. 

Gabriel  Levenq.. 

Le  Caire. 


(i)  Cf.  P.  Agostino  MoLiNi,  le  Francescane  Missionarie  d'Egitto.  Broch.  in-8°. 
Roma,  190g. 

(2)  Le  P.  Rolland,  missionnaire,  S.  J.,  à  Minieh,  écrivant  aux  Missions  catholiques 
en  1895,  parle  d'une  vingtaine  de  prêtres  catholiques  valides,  et  il  en  faudrait  plus  du 
triple.  (Cf.  Missions  cathol.,  iSgS,  p.  i33  sq.) 

En  1905,  il  y  a  une  soixantaine  de  prêtres.  En  1910,  il  n'y  en  a  pas  plus. 


INTERVENTION   DES  LAÏQUES 

DANS  L'ÉLECTION   DES   ÉVÊQUES 


Dans  un  article  précédent  (i),  nous  avons  demandé  aux  représen- 
tants autorisés  de  l'histoire,  du  droit  canonique  et  de  la  législation 
ecclésiastique  leur  pensée  concernant  l'intervention  des  laïques  dans 
la  gestion  des  biens  d'Eglise.  C'est  à  une  enquête  semblable  que  nousl 
nous  proposons  de  recourir  aujourd'hui  pour  connaître  la  vérité  tou- 
chant l'intervention  des  mêmes  laïques  (2)  dans  la  nomination  desj 
évêques  durant  l'antiquité  et  le  moyen  âge.  Notre  but  est  ici  encore 
de  consulter  la  tradition  au  double  point  de  vue  de  la  question  de  faii 
et  de  la  question  de  droit.  Le  simple  relevé  des  documents  empruntés 
aux  historiens,  aux  canonistes,  aux  législateurs  ecclésiastiques,  nous  mettra 
à  même  de  connaître  le  fait  et  le  droit  de  la  participation  des  fidèles 
à  l'élection  de  leurs  chefs  spirituels. 

1.   Historiens. 

I.  Thomassin.  —  L'illustre  Oratorien  résume  en  ces  quelques  ligne; 
ce  que  l'histoire  nous  apprend  au  sujet  de  l'intervention  des  feïques  dan; 
l'élection  des  évêques  durant  les  treize  premiers  siècles  :  «  jusqu'ai 
vie  siècle,  le  peuple  avait  toujours  part  aux  élections  des  évêques,  mai; 
les  personnes  de  condition  avaient  le  plus  de  poids.  » 

Dans  l'Orient,  le  peuple  n'avait  point  tant  de  part  aux  élections  de; 
évêques  que  dans  l'Occident. 

Le  droit  du  peuple  consistait  en  ce  que  les  évêques  devaient  écoute 
son  témoignage,  et  qu'on  ne  pouvait  élire  un  évêque  malgré  lui. 

Le  témoignage  et  le  consentement  du  clergé  et  des  peuples  de  la  cam 
pagne  n'étaient  pas  nécessaires  dans  l'élection  de  l'évêque. 

Dans  l'élection,  les  seuls  évêques  pouvaient  faire  le  discernemen 
des  dignes  et  des  indignes,  des  plus  dignes  et  des  moins  dignes. 

Le  concile  de  Nicée  exigeait  (3)  pour  l'élection  d'un  évêque  la  pré 
sence  du  métropolitain  et  de  tous  les  évêques  de  la  province.  L 

Les  prêtres  d'Alexandrie,  suivant  saint  Jérôme,  dès  l'instant  de  H 
I 

(i)  Echos  d'Orient,  mai  191 2,  p.  202-214.  ^ 

(2)  C'est-à-dire  du  peuple,  des  princes  ou  des  notables. 

(3)  Can.  4. 


■fN 


TERVENTION    DES    LAÏQUES    DANS    l' ÉLECTION    DES    ÉVÊQUES      413 

nort  de  leur  évêque,  procédaient  à  l'élection  de  l'un  d'entre  eux  pour 
emplir  le  siège  épiscopal  et  pour  prévenir  les  brigues  du  peuple. 

C'était  toujours  le  métropolitain  qui  faisait  l'élection  dans  une  assem- 
lée  synodale  des  évêques  de  la  province. 

Les  élections  se  terminaient  à  la  pluralité  des  voix  des  évêques,  et 
on  pas  du  clergé  ou  du  peuple. 

En  Orient,  depuis  l'an  300  jusqu'en  800,  l'empereur,  les  grands  et 
;s  évêques,  le  clergé  et  le  peuple  participaient  à  l'élection  du  patriarche. 

Qtielque  participation  qu'on  donnât  au  clergé  et  au  peuple,  c'étaient  tou- 
vurs  les  évêques  qui  avaient  la  souveraine  autorité  dans  ces  élections,  et 
utout  le  métropolitain  (1). 

C'était  une  ancienne  coutume  que  le  clergé  et  le  peuple  proposassent 
•ois  personnes.  Le  métropolitain  ou  un  autre  évêque  qui  présidait  à 
élection,  choisissait  celle  qu'il  jugeait  la  plus  digne. 

Au  xii«  siècle,  suivant  Balsamon  (2),  les  évêques  en  choisissaient 
•ois,  et  le  métropolitain  choisissait  la  plus  digne. 

Les  empereurs  avaient  la  principale  autorité  dans  la  création  des 
atriarches,  qu'on  élisait  pourtant  toujours. 

Hn  France,  depuis  l'an  1000  jusqu'en  iioo,  les  évêques  étaient  les 
rincipaux  électeurs;  le  clergé  avait  plus  de  part  à  l'élection  que  le 
euple,  et  les  rois  y  consentaient. 

Quand  les  suffrage;  du  clergé  et  du  peuple  de  France  étaient  par- 
igés,  le  métropolitain  et  les  évêques  de  la  province  décidaient  et  fai- 
aient  l'élection. 

Le  peuple  commença  lui-même  à  s'exclure  partout  des  élections  par 
;s  violences  qu'il  faisait  au  clergé  et  aux  évêques. 

Innocent  111  et  le  IV^  concile  de  Latran  exclurent  de  l'élection  d'un 
vêque  (3)  le  peuple  et  le  clergé;  cependant,  leur  consentement  était 
ncore  compté  pour  quelque  chose  (4). 

2.  Hergenrœther  déclare  à  son  tour  :  «  Ainsi  que  nous  l'avons  vu, 
;s  premiers  évêques  furent  nommés  et  institués  par  les  apôtres.  Mais 


(i)  Nous  prions  le  lecteur  de  remarquer  ce  passage  ainsi  que  les  passages  analogues 
es  autres  auteurs  ou  des  canons  que  nous  soulignerons  également.  Nous  soulignerons 
e  même  les  mots  exprimant  le  mode  d'intervention  du  peuple  ou  du  clergé. 

(2)  Il  semble  au  premier  abord  qu'à  l'époque  de  ce  canoniste,  il  y  ait  eu  en  Orient 
n  essai  de  suppression  de  l'intervention  des  notables  eux-mêmes.  C'est  du  moins 
opinion  de  M.  Sakellaropoulos,  qui  interprète  à  la  lettre  le  texte  dont  parle  Tho- 
lassin. 

(3)  En  Occident,  car  nous  verrons  plus  loin  qu'en  Orient  les  notables  substitués 
eu  à  peu  à  la  foule  depuis  le  synode  local  de  Laodicée  (Phrygie),  tenu  vers  36o,  con- 
nuèrent  de  participer  à  cette  élection. 

(4)  Thomassin,  Ancienne  et  nouvelle  discipline  de  l'Eglise.  Paris,  1867,1.  VII,  p.  548. 


414 


ECHOS    D  ORIENT 


on  attacha  de  bonne  heure  une  grande  importance  au  témoignage  des 

communes; on  consultait  volontiers  les  fidèles  sur  le  choix  de  leurs 

pasteurs.  Quand  le  siège  épiscopal  devint  vacant,  l'usage  s'établit  que 
les  clercs  inférieurs  nommèrent  un  des  leurs,  sur  lequel  on  interrogeait 
le  peuple.  Les  évêques  du  voisinage  s'assemblaient  ordinairement  au 
nombre  de  trois,  et  consacraient  celui  qui  avait  été  ainsi  choisi  par  le 
clergé  et  le  peuple.  »  (i) 

De  312  à  692,  «  l'ancien  mode  électoral  (2)  fut  conservé  dans  sa 
substance,  mais  on  y  fit  quelques  changements,  surtout  en  ce  qui 
regarde  la  participation  du  peuple  :  1°  L'évêque  était  choisi  par  le  clergé 
et  les  fidèles,  et,  après  l'examen  canonique,  confirmé  par  le  métropoli- 
tain ou  par  les  évêques  de  la  province;  2»  d'autres  fois,  les  évêques  propo- 
saient trois  hommes,  parmi  lesquels  le  clergé  et  le  peuple  faisaient  leur 
choix;  y  d'autres  fois  encore,  c'étaient  le  clergé  et  le  peuple  qui  pro- 
posaient aux  évêques  trois  ecclésiastiques.  Le  peuple,  avec  l'approbation 
du  clergé,  élisait  souvent  son  évêque  par  acclamation.  Mais  comme  la 
charge  épiscopale  rapportait  maintenant  des  honneurs  et  des  revenus, 
que  les  considérations  humaines,  les  cabales  amenaient  souvent  des 
choix  indignes,  on  restreignit  l'influence  des  laïques  sur  les  élections, 
et  on  se  contenta  (3),  en  bien  des  cas,  d'y  appeler  les  membres  les 
plus  notables  de  la  commune  {optimales).  Quant  à  la  nomination 
proprement  dite,  elle  appartenait  toujours  au  clergé.  Les  élections 
étaient  souvent  faites  par  les  conciles,  et  en  Orient  (4)  par  les  empe^'' 
reurs  »  (5). 

De  814  à  1073,  date  de  la  réaction  courageuse  de  saint  Grégoire  Vil/ 
c'en  est  fait  en  partie  de  la  liberté  des  élections  ecclésiastiques  en  Occi- 
dent. «  Qiiand  un  évêque  venait  à  mourir,  le  métropolitain,  avec  l'assen- 
timent du  roi,  nommait  un  visiteur,  et  l'élection  était  faite  par  le  cierge 
et  les  principaux  laïques.  Le  métropolitain,  après  avoir  demandé  l'appro- 
bation du  roi,  examinait  l'élu,  ou,  quand  il  le  trouvait  indigne,  en 
nommait  un  autre  avec  ses  suffragants,  ou  le  laissait  nommer  par  le 
roi.  Quand  une  élection  était  (absolument)  contraire  aux  canons,  les 
Papes  intervenaient.  Mais  il  arrivait  souvent  que  les  rois  ne  laissaient 
pas  procéder  à  l'élection.  »  (6) 


(i)  Hergenrcepher,  Histoire  de  l'Eglise,  traduction  de  l'abbé  B^let.  Paris,  i83o,  1. 1^ 
p.  474.  (Première  période,  de  i  à  3i2,  et  ch.  1"  de  la  deuxième  période,  de  3i2  à  692 

(2)  Relatif  à  la  nomination  des  évêques. 

(3)  Surtout  en  Orient. 

(4)  Avec  l'acceptation  de  l'Eglise. 

(5)  Op.  cit.,  t.  Il,  ch.  III  de  la  deuxième  période,  de  3i2  à  692,  p.  423. 

(6)  Op.  cit.,  t.  III,  ch.  Il  de  la  quatrième  période,  de  814  à  1073,  p.  3o3. 


INTERVENTION    DES    LAÏQUES    DANS    l'ÉLECTION    DES    ÉVÊQUES      4IS 

3.  FuNK.  —  Dans  son  Histoire  de  l'Eglise  (i)  Funk  écrit:  Au  début, 

le  choix  des  clercs  appartenait  presque  exclusivement  aux  apôtres. 
t  à  leurs  successeurs  immédiats,  à  cause  de  leur  prééminence  dans 
Eglise.  Cependant,  ils  tenaient  aussi  compte  de  la  volonté  des  fidèles, 
iprès  la  mort  de  ses  premiers  chefs,  la  communauté  eut  le  droit  de 
hoisir  elle-même  son  pasteur.  L'élection  de  l'évèque  appartenait  en 
énéral  au  clergé  de  la  ville,  qui  soumettait  ensuite  son  choix  à  Vassen' 
imeiit  des  laïques.  Au  peuple  et  au  clergé  s'ajouta  bientôt  un  troisième 
icteur  concourant  à  l'élection  épiscopale.  Le  métropolitain  et  les  évêques 
e  sa  province  devaient  confirmer  le  nouvel  élu,  et  trois  évêques  au 
[îoins  devaient  assister  à  son  sacre  ». 

De  313  à  692,  «  le  mode  de  recrutement  du  corps  épiscopal  ne  subit 
las  de  modification  profonde.  On  voit  quelques  évêques  essayer  de  dési- 
ner  eux-mêmes  leurs  successeurs,  mais  ces  tentatives  se  heurtent  à  l'op- 
(osition  des  synodes,  qui  maintiennent  le  droit  d'élection  appartenant 

la  communauté.  La  part  que  le  peuple  prend  aux  élections  est  cepen- 
lant  soumise,  en  Orient,  à  des  restrictions.  Justinien  l^''  ne  laisse  que 
es  plus  importants  citoyens  déposer  leurs  suffrages  (2).  Le  synode  de 
.aodicée,  vers  360,  cherche  même  à  ôter  au  peuple  tout  droit  d'inter- 
'ention  (can.  13).  11  est  vrai  qu'il  n'y  réussit  pas.  Le  changement  le 
>lus  considérable  en  cette  matière  se  produit  en  Occident,  dans  le 
oyaume  des  Francs En  549,  le  synode  d'Orléans,  tout  en  conser- 
vant la  procédure  ordinaire  de  l'élection,  investit  le  roi  du  droit  de 
onfirmer  l'élu. 

»  En  Espagne,  chez  les  Wisigoths,  le  choix  des  évêques  est  confié  au 
ai  et  à  l'archevêque  de  Tolède  par  le  synode  de  cette  ville,  en  681.  En 
talie,  Théodoric  le  Grand,  après  la  mort  du  pape  Jean  lef  (526),  nomme 
'ans  autre  forme  le  pape  Félix  IV,  et  le  pourvoit  du  siège  de  Rome. 
)epuis  lors,  les  Ostrogoths,  et  après  eux  les  Byzantins,  prétendent  (3) 
lu  droit  de  confirmer  les  élections  des  Papes.  Cependant,  pour  ne  pas 
prolonger  outre  mesure  les  vacances,  la  confirmation  est  donnée,  depuis 
Constantin  Pogonat  et  le  pape  Benoît  II,  par  le  représentant  du  pouvoir 
mpérial  en  Italie,  par  l'exarque  de  Ravenne  »  (4). 

Durant  la  période  qui  va  de  692  à  1073,  «  l'élection  (des  évêques) 
îui,  dès  la  période  précédente,  n'avait  gardé  qu'une  vaine  apparence, 
ist  remplacée  peu  à  peu,  dans  l'empire  franc,  par  la  nomination  du  roi. 


(i)  Funk,  Histoire  de  l'Eglise,  traduction  de  l'abbé  Hemmer,  t.  1",  p.  87  sq. 

(2)  Nov.  123  a.  546,  c.  i;  nov.  iSy,  a.  564,  c.  2. 

(3)  Remarquer  ce  mot. 

(4)  Op.  cit.,  t.  !•%  p.  256. 


.416  ÉCHOS    d'orient 


Elle  a  lieu  d'une  manière  régulière,  depuis  le  x^  siècle,  par  la  remise  au 

nouveau  titulaire  de  la  crosse  et  de  Panneau,  insignes  qui,  à  la  mort  du 

prélat,  sont  rapportés  au  roi,  à  qui  il  appartient  d'en  disposer  v>  (i). 

Au  dibut  de  la  période  qui  s'écoule  de  1073  à  1294,  «  un  mal  qui 

rongeait  l'Eglise  attire l'attention  du  nouveau  Pape  (2);  la  manière 

dont  on  pourvoyait  aux  vacances  des  sièges  et  aux  grandes  dignités 
ecclésiastiques  mettait  l'Eglise  dans  une  dépendance  trop  étroite  de 
l'Etat.  Ce   mal   demandait  un   prompt    remède,   car    il   s'était  encore 

aggravé  par  les  abus  de  la  simonie Au  synode  romain  du  Carême 

de  1075,  Grégoire  déclara  invalide  la  nomination  à  un  emploi  ecclé- 
siastique faite  par  un  laïque,  et  menaça  de  censures  d'abord  ceux  qui 
recevraient  ainsi  des  charges;  puis,  en  1080,  ceux  mêmes  qui  les  con- 
féreraient »  (3). 

4.  Mgr  DuCHESNE  nous  donne,  à  propos  des  élections  épiscopales  pen- 
dant les  trois  premiers  siècles,  les  renseignements  précis  que  voici 
«  Régulièrement  installé  par  l'élection  des  siens  et  l'initiation  sacerdotale 
qu'il  recevait  soit  de  l'Eglise-mère,  soit  des  évêques  voisins,  l'évêque 
était  le  chef  indiscutable  de  son  Eglise.  »  (4)  Au  siècle  suivant,  «  les 
évêques  sont  et  demeurent  les  élus  de  leur  Eglise;  ils  s'investissent 

entre  eux,  sans  que  l'Etat  n'ait  rien  à  y  voir ;  l'élection  (épiscopale) 

demeure  généralement  libre  »  (5). 

Au  tome  111  de  son  ouvrage  (6),  le  même  historien  constate  en  pas- 
sant que  les  élections  se  faisaient  comme  par  le  passé.  Au  début  du 
volume  (7),  il  parle  ainsi  de  l'élection  des  évêques  au  temps  de  Théo- 
dose :  «Bien  que  dirigée  par  les  évêques  voisins;  l'élection  (épiscopale) 
demeurait  entre  les  mains  des  gens  de  l'endroit,  peuple  et  clergé.  Bien 
entendu,  comme  toutes  les  élections  et  en  tous  les  temps,  celle-ci  ne 
se  passait  pas  sans  brigues,  sans  intrigues,  sans  conflits  d'intérêts  ou 
d'ambitions.  » 

Dans  ses  origines  du  culte  chrétien  (8),  le  prélat  que  nous  venons 
de  citer  s'exprime  ainsi  au  sujet  de  l'ordination  des  évêques  latins  a 
l'époque  de  saint  Gélase  :  «  Les  évêques  que  le  Pape  ordonnait  étaient 


(1)  Op.  cit.,  t.  I",  p.  413.  Imitation  de  l'usage  byzantin  concernant  l'élection  du 
patriarche  de  Constantinople.  Siméon  de  Thessalonique,  Migne,  P.  G.,  De  sacrU 
ordinationibus,  t.  CLV,  col.  441. 

(2)  Le  pape  réformateur,  saint  Grégoire  VII. 

(3)  Op.  cit..  t.  I",  p.  446. 

(4)  Duchesne,  Histoire  ancienne  de  l'Eglise,  t.  I"  (1906),  p.  535. 

(5)  Op.  cit.,  t.  Il,  p.  663.  ."^ 

(6)  Op.  cit.,  t.  III,  p.  671.  ; 

(7)  Op.  cit.,  t.  III,  p.  24-25. 
.(8)  Duchesne,  Origines  du  culte  chrétien.  Paris,  1898,  p.  345-346. 


INTERVENTION    DES    LAÏQUES    DANS    L  ELECTION    DES    ÉVÈQUES      417 

esque  toujours  ceux  de  sa  province  métropolitaine.  Ce  n'était  pas  lui 

i  les  choisissait;  ils  étaient  élus  dans  leurs  localités  (1).  L'élection  faite, 

en  dressait  un  procès-verbal  ou  décret,  que  signaient  les  notables 

l'endroit,  clercs  et  laïques;  puis  le  futur  évêque,  escorté  de  quelques 

présentants  de  son  Eglise,  se  rendait  à  Rome Si  l'élection  était 

;onnue  régulière,  et  si  le  Pape  approuvait  le  choix  des  électeurs,  on 
ébrait  la  consécration.  » 

11.   Canonistes. 

I .  BÉvÉRiDGE  explique  de  la  manière  suivante  le  canon  4  (2)  du  pre- 
er  concile  de  Nicée  :  Prcesens  igitur  erat  (populus)  ut  suum  de  ordinandi 
là  «  testimonium  daret  »  et  hoc,  ni  fallor,  totum  erat  suffragii,  quod 
iternitas  in  episcopi  electione  ferebat,  nimirùm  «  episcopi,  congregati 
mm  diligebant,  et  electum  proponebant  populo  »,  eut  prœficiendus  erat; 
populus  nihil  haberet,  quod  delecto  objiceret,  episcoporum  electioni  suf- 

igabatur (3)  A  l'appui  de  son  commentaire,  le  canoniste  cite  le 

«te  connu  de  saint  Cyprien,  qui  semble  lui  donner  raison  contre 
ifélé,  dont  l'avis  est  que  le  peuple  émettait  toujours  son  vote,  préala- 
;ment  à  celui  des  évêques  :  Propter  quod,  diligenter  de  traditione 
vina  et  apostolica  observatione  observandum  est  et  tenendum,  quod  apud 
s  quoque,  et  f ère  per  provincias  universas  tenetur,  ut  ad  ordinationes 
*e  celebrandas,  ad  eam  plebem,  cui  prœpositus  ordinatur,  episcopi  ejusdem 
yvinciœ  proximi  quique  conveniant,  et  episcopus  diligatur  «  plèbe  prœ- 
tte  »,  quœ  singulorum  vitam  plenissime  novit,  et  uniuscujusque  actum 
ejus  conversaiione  perspexit.  Quod  et  apud  nos  f  actum  videmus  in  Sabini 
legce  nostri  ordinatione,  ut  «  de  universœ  Jraternitatis  suffragio  »,  et 
de  episcoporum  qui  in  prœsentia  convenerant  »,  quique  de  eo  ad  vos  lit- 
as  fecerant,  «  judicio  »,  episcopatus  ei  deferretur,  et  manus  ei  in  locum 
silidis  imponeretur  (4).  Selon  Bévéridge,  le  témoignage  du  peuple 
vivait  ou  précédait  l'élection  épiscopale,  et  même  le  peuple  exprimait 


\  C'est  ce  que  confirme  le  texte  même  du  pontifical  romain  dans  l'avis  donné  aux 
les  par  l'évèque  avant  l'ordination  des  prêtres  :  Neque  cnim  fuit  frustra  a  patribus 
titutum,  ut  de  electione  illorum,  qui  ad  regimen  altaris  adhibcndi  sunt,  consu- 
Ur  etiam  populus:  quia  de  vita  et  conversatione  prœsentandi,  quod  nonnumquàm 
oratur  a  pluribus,  scitur  a  paucis;  et  nccesse  est,  ut  facilius  ei,  quis  obedientiam 
ibeat  ordinato,  cui  assensum  prœbuerit  ordinando.  [Pontificale  romanum  Cle- 
ntis  VIII  ac  Urbani  VIII  jussu  editum  inde  vero  a  Bénédicte  XIV  recognitum  et 
ii^atum,  etc.  Romœ,  1818,  p.  45.) 
li  nous  citerons  plus  bas. 

•  vtRiDGE,  Synodicon.  Oxford,  1672,  t.  II,  Annotationes,  p.  47. 
i^YPRiANi  epistola  LX  VIII  ad  Clerum  et  plèbes  in  Ilispania.  (Note  de  Bévéridge.) 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  27 


4i8  ÉCHOS  d'orient 


parfois  son  désir  de  voir  élire  tel  ou  tel  candidat  qu'il  désignait  au  si 
frage  du  synode  :  Et  ftihil  guident  interest,  utrùm  «  plebis  testimonii 
episcoporum  electionem  sequaiur  mit  prœcedat  ».  Si  plebis  enim  digm 
aliquem  virum  sibi  prœponendum  postiilaret  et  sic  prœvium  electioni  e) 

testimonium  daret,  eumdem  episcopis  eligendum  proponebant (0^^* 

episcopi  à  plèbe  propositum  non  semper  eligebant,  acproinde  totum  electio'i 
arbitrium  pênes  episcopos  erat  »,  usque  adeo  lit   «  multas  »  légère 
«  episcopales  ordinationes  et  electiones  »  etiam  celebratas  «  ab  episcoi 
sine  plèbe,  à  plèbe  autem  sine  episcopis  nullas  »  (2). 

L'auteur  du  synodikon  observe  que,  sans  doute,  le  canon  4  du  co 
cile  de  N  cée  (et  il  en  est  de  même,  selon  nous,  des  canons  des  se 
tièm  et  huitième  conciles  généraux)  (3)  ne  mentionne  pas  le  suffra 
du  peuple,  pour  bien  montrer  que  l'élection  pênes  episcopos  erat;  ma 
ajoute-t-it  en  substance,  il  le  condamne  si  peu,  qu'il  y  fa.t  allusion  da 
sa  lettre  synodale  adressée  à  l'Eglise  dAlexandrie  :  Provebantur  ii  c 

adsciti  sunt ,  modo  digni  videantur  «  et  populus  voluerit  »,  sujfraga, 

nihilominùs  ei  et  electionem  confirmante  Alexandriœ  urbis  episcopo  ( 
Que  telle  soit  la  pensée  du  premier  concile  œcuménique,  on  le  v 
clairement  par  la  lettre  67  de  Synesius,  relative  à  l'élection  d'un  évêqi 
faite  conformément  au  quatrième  canon  du  concile  nicéen,  et  où  cepi 
dant  il  est  fait  mention  du  consentement  des  fidèles  (5). 

2.  Mjî''  Christodoulou   enseigne  que,   dans  l'Eglise  ancienne,   « 
clergé  et  le  peuple  prenaient  quelquefois  part  à  l'élection  épiscop 
par  manière  d'approbation,  mais  que  cette  intervention  différait  totalem 
de  l'élection  canonique  proprement  dite  réservée  aux  évêques  seuls. 
coutume  de  consulter  les  fidèles  variait  selon  les  Eglises.  En  Gm 
dit  le  prélat  que  nous  citons,  le  peuple  approuvait  l'un  des  trois  c 
didats  présentés  par  le  synode,  tandis  qu'en   Espagne  l'assemblée 
évêques  choisissait  le  nouvel  évêque  sur  une  liste  de  trois  proposée 
le  clergé  et  le  peuple.  Parfois,  continue  Christodoulou,  le  souvetC 
confirmait  l'élu  du  peuple  et  des  évêques  (comme  cela  arriva,  au  J 
de  Socrate,   pour  l'élection  de  saint  Jean  Chrysostome),  ou  nomt\ 
évêque  l'un  des  candidats  de  la  liste  conciliaire.  So:{omène  raconte 
Constantin  désigna  parfois  des  candidats  au  choix  des  évêques.  Qîj 
à  l'élection  des  patriarches  de  Constantinople,  elle  était  toujours  confin 


(i)  C'est  le  cas  de  saint  Athanase,  de  saint  Ambroise,  de  saint  Augustin,  etc. 

(2)  Op.  cit.  Ibid.,  p.  47-48. 

(3)  Malgré  l'opinion  contraire  de  Bévéridge,  dont  il  sera  dit  un  mot  ci-aprés. 

(4)  Op.  cit.  Ibid.,  p.  48. 

(5)  Op.  cit.  Ibid.,  p.  48-. 


INTERVENTION    DES    LAÏQUES    DANS   L  ELECTION    DES    EVEQUES      4Ï9 

'  l'empereur,  qui  leur  remettait  même  le  manteau  patriarcal  et  la  croix 
1;orale  »  (r). 

5.  Van  Espen  (2)  nie  formel! riment  que  le  synode  de  Laodicée,  dans 
canon  13  dont  le  texte  sera  transcrit  plus  loin,  ait  voulu  enlever  au 
iple  toute  participation  à  l'élection  des  c'ercs.  11  montre  qu'après 
décision  de  ce  synode  le  peuple  conti  ma  à  prendre  part  aux  élec- 

\.  Sakellaropoulos.  —  Aux  yeux  de  M.  Sakellaropoulos,  dont  nous 
umons  l'opinion,  c'est  un  abus  d'admettre  l'intervention  du  clergé 
des  laïques  dans  l'élection  des  évêques.  L'admission  des  notables 
lui  semble  pas  plus  conforme  au  droit  traditionnel  (4). 
5.  Selon  Ms»"  Milasch,  la  participation  du  peuple  à  l'élection  des 
;ques  ne  peut  avoir  en  soi  aucune  valeur  décisive,  et  se  réduit  au 
iple  témoignage  concernant  les  qualités  du  candidat.  Quant  à  l'évo- 
ion  historique  de  ce  témoignage  populaire,  le  prélat  l'expose  de  la 
inière  suivante  d'après  saint  Clément,  saint  Cyprien,  les  Constitutions 
DStoliques.  «(En  général),  les  apôtres  nommaient  par  ejx-mêmes  les 
îques.  Après  eux  s'établit  la  coutume  en  vertu  de  laquelle  l'élection 
s  évêques  était  soumise  à  l'intervention  du  clergé  et  du  peuple  comme 
noiiis,  des  évêques  voisins  comme  Juges  de  l'élection,  et  du  métropolitain 
mme  approbateur  du  scrutin  électoral. 

»  En  Orient,  la  participation  du  peuple  lui-même  à  la  nomination  épi- 
)pale  se  transforma  (après  le  iv^  siècle  probablement)  (5)  en  celle  des 


)  Ao/.([i.;ov  èxy.Xir)<Tta(TTi7.oy  Sixafou.  Constantinople,  1896,  p.  290-296. 
î)  Commentarius  in  canones,  etc.,  p.  161  sq. 

|îj  Héfélé  écrit  à  ce  propos  que  l'Eglise  grecque  a  interprété  sévèrement  le  qua- 

jjne  canon  du  premier  concile  de  Nicée,  et  a  voulu  par  suite  enlever  même  aux 

jrésentants  du  peuple  toute  participation  à  l'élection  épiscopale.  {Histoire  des  con- 

\s,  traduction  Goschler-Delarc,  t.  1",  p.  3j5.)  Bévéridge  affirme  aussi  la  chose  pour 

[iir  et  le  IX*  siècle,  à  cause  du  troisième  canon  du  septième  concile  œcuménique 

ilu  vingt-deuxième    canon  du  huitième  synode  générai.  Mais  l'interprétation  de 

-;e  signalée  plus  haut  touchant  l'article  quatrième  du  premier  concile  de  Nicée 

,    cment  applicable  aux  décisions  des  septième  et  huitième  conciles  généraux. 

ailleurs,  la  participation  des  notables  à  l'élection  des  évêques  est  formellement  auto- 

e  par  Justinien  (nov.  i23},  qui  décréta  qu'après  avoir  prêté  serment  sur  les  Evao- 

,  ces  électeurs  désigneraient  trois  candidats  au  synode  éparchique,  lequel,  à  son 

,  choisirait  le  plus  digne  des  trois.  Or,  on  ne  voit  nulle  part  que  l'Eglise  byzantine 

'ésisté  à  l'ordonnance  impériale.  Dans  sa  réponse  au  patriarche  Marc  d'Alexandrie, 

amon,  patriarche  d'Antioche  (xii°  siècle),  refuse  au  peuple  toute  participation  à 

ction  épiscopale,  mais  ne  se  prononce  pas  contre  celle  des  notables.  Cette  dernière 

nrention  est  admise  expressément  comme  chosi  ancienne  par  les  patriarches  de 

stantinople,  Philothée  (décret  de  iSjo)  et  Matthieu  (décret  de  1400).  M.  Sakellaro- 

los,  dont  nous  allons  parler  à  l'instant,  croit  cependant  que  Balsamon,  dans  le 

2  rappelé  par  Thomassin,  rejette  l'intervention  des  notables. 

I  *Exx),r;o-ii(7T'.y.ov  5i/.acov,  1898,  p.   186-187.  Le  canoniste  athénien  cite  en  sa  faveur 

tarés  et  Balsamon. 

f  C'est-à-dire  après  le  synode  de  Laodicée  (vers  36o). 


420  ÉCHOS    D  ORIENT 


notables  (i),  au  sujet  desquels  Justinien  décréta  qu'ils  prêteraient  S( 
ment  sur  les  Evangiles  et  désigneraient  ensuite  trois  candidats  au  syno 
éparchique,  qui  choisirait  le  plus  digne  d'entre  eux. 

»  Dans  sa  réponse  au  patriarche  Marc  d'Alexandrie,  Balsamon  n'e 
dut  pas  (2)  les  notables,  dont  la  présence  à  l'élection  est  formelleme 
admise,  au  xiv^  siècle,  par  les  patriarches  de  Constantinople,  Philoth 
et  Matthieu. 

»  A  noter,  qu'à  côté  du  double  mode  de  nomination  épiscopale  f 
le  synode  seul  ou  par  le  synode,  le  clergé  inférieur  et  le  peuple  ou 
notables,  l'histoire  mentionne  aussi  comme  mode  finalement  accej 
comme  légitime  en  soi  celui  de  la  nomination  directe  ou  indirecte  ( 
par  l'Etat,  mode  qui  devint  une  loi  de  l'empire  byzantin,  à  par 
d'Isaac  l'Ange  (xii°  s.),  pour  certains  sièges  épiscopaux.  Cette  loi 
acceptée  par  l'Eglise  de  Constantinople  en  1317,  sous  le  patriarc 
Jean  XII.  »  (4) 

6.  Les  canonistes  russes.  —  Chez  les  canonistes  russes  officiels 
non,  il  existe  une  tendance  très  répandue  à  reconnaître  l'intervent 
des  laïques  dans  l'élection  des  évêques,  comme  un  droit  absolu.  «  C< 
tendance  s'est  manifestée  en  1905  et  1906  et  a  trouvé  peu  de  conl 
dicteurs.  L'un  de  ces  derniers,  l'archimandrite  Georges,  recteur 
Séminaire  de  Tula,  croit  que  l'Evangile  n'admet  pas  l'intervention 
peuple  dans  le  choix  des  évêques.  Anciennement,  dit  cet  aute 
les  fidèles  prenaient  parfois  part  à  cette  élection  et  se  croyaient 
bonne  foi  investis  de  ce  droit;  mais,  en  réalité,  la  loi  canonique 
ignorait  (5). 

7.  Dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catholique  (6),  M.  Roland,  de 
vant  la  manière  dont  se  faisaient  les  élections  épiscopales  dans  l'E^ 
ancienn  ,  dit:  «  Le  choix  de  l'évêque  relève,  bien  qu'à  des  def 
divers,  de  tout  le  corps  électoral;  dirigé  par  les  évêques  voisin; 
demeure  entre  les  mains  des  gens  de  la  cité,  peuple  et  clergé.  Aupi 
qu'on  peut  s'en  rendre  compte,  le  choix  des  électeurs  est  respecté  ., 
Il  est  soumis  en  dernier  ressort  aux  évêques,  Juges  et  arbitres  de  l'^c- 


(i)  En  Occident,  les  notable;  et  les  évêques  eux-mêmes  commencèrent  à  être  e 
sous  le  pontificat  de  saint  Grégoire  VII,  et  l'élection  fut  dévolue  aux  Chapitre 
cathédrales. 

(2)  Nous  avons  fait  remarquer  plus  haut  que  M.  Sakellaropoulos  est  d'un  avis  -r 

(3)  En  d'autres  termes,  celui  de  la  nomination  pure  et  simple  ou  de  la  désigrjiOi' 
{nobis  nominatio). 

(4)  Das  Kirchenrecht  der  Morgenlaendischen  Kirche,  traduit  par  le  D'  P 
Mostar,  igoS,  p.  355-363. 

(5)  A.  Palmieri,  la  Chiesa  riissa.  Firenze,  1908,  p.  137.  .,^ 

(6)  T.  IV,  col.  2257-2261.  :[]^ 


Kt 


[ntervention  des  laïques  dans  l  élection  des  évêques    421 

'ion.  En  faveur  de  cet:e  discipline  témoigne  la  désignation  de  l'évêque 
Sabinus  et  de  saint  Cyprien  lui-même 

»  Le  silence  (du  concile  de  Nicée  au  sujet  du  suffrage  populaire) 
îquivaut-il  à  une  exclusion  du  peuple?  Suivant  en  cela  plusieurs  com- 
nentateurs  grecs,  le  P.  Sirmond  a  soutenu  que  le  quatrième  canon  de  Nicée 
ntroduisait  un  droit  nouveau  en  matière  de  nomination  épiscopale, 
nais   que  ce  droit  n'avait  pas  été  admis  de  si  tôt  en  Occident.  Rien 

l'est   moins   certain.   Le   concile,   il   est  vrai n'envisage   pas    le 

Ircit  électif  des  fidèles.  Il  ne  l'ignore  et  ne  le  nie  pas  pour  autant, 
)uisque,  en  d'autres  documents,  il  mentionne  l'intervention  du 
peuple.  En  outre,  à  cette  époque,  l'ordination  se  distinguant  fort  peu 

le  l'élection ,   le  'texte   conciliaire   envisage  aussi  bien   l'une  que 

'autre. 

»  Quant  à  l'article  13  du  synode  de  Laodicée,  «  il  prescrit  (simple- 

>  ment)  que  l'on  ne  doit  pas  laisser  à  la  foule  l'élection  de  ceux  qui  sont 

►  destinés  au  sacerdoce  »  (i). 

»  Trois  facteurs  :  le  clergé,  le  peuple  et  le  corps  épiscopal  de  la 
)rovince  intervenaient  (donc)  dans  (le  choix  de  l'évêque),  qui  n'était 
)as  une  mince  affaire  et  intéressait  toute  la  cité.  » 

Quant  à  l'évêque  de  Rome,  «  il  se  contente  de  porter  des  décrets,  de 
veiller  à  leur  application,  de  rappeler  le  peuple,  le  clergé,  les  princes 
uxmêmes  au  respect  des  lois  électorales  ». 

8.  Msr  TiLLOY  est  d'avis  que,  dans  l'antiquité  chrétienne,  «  lorsqu'une 
iglise  était  vacante,  les  évêques  voisins,  assistés  du  clergé  et  de  la  com- 

nune s'assemblaient  et  choisissaient  celui  qu'ils  jugeaient  le  plus 

ligne Le  peuple  désignait  souvent  le  sujet  à  élire,  mais  l'acte  consti- 

utif  de  l'élection  consistait  dans  l'assentiment  des  évêques.  Cet  usage 
ut  converti  en  loi  par  le  quatrième  canon  du  concile  de  Nicée  (325), 
|ui  st.ttue  que  l'élection  se  fera  par  tous  les  évêques  de  la  province  et 
era  confirmée  par  le  mélropclilain  »  (2). 


(1)  M.  Roland  paraît  croire  que  le  canon  du  concile  de  Laodicée  est  resté  lettre 
lorte.  La  vérité,  croyons-nous,  est  que  l'élimination  des  foules  (ô'xXoi)  fut  lente,  mais 
ourtant  réelle  ;  car,  à  partir  de  Balsamon,  il  n'est  plus  guère  question  que  des  notables 
u  de  l'empereur  byzantin.  C'est  contre  l'intervention  abusive  de  ce  dernier  et  de  ses 
)nctionnaires  que  le  deuxième  concile  de  Nicée  a  voulu  maintenir  le  droit  exclusif 
e  l'Eglise  à  l'élection  définitive,  et  nullement,  pensons-nous,  contre  une  intervention 
lodérée  de  certains  laïques,  princes  ou  non,  comme  semble  le  croire  M.  Roland,  à 
i  suite  d'Héfélé  et  de  Bévéridge. 

Quant  au  droit  nouveau  des  Latins,  inauguré  au  xi'  siècle,  il  peut  s'expliquer  par 
i  nécessité  de  refréner  l'ingérence  des  princes  et  la  complaisance  excessive  des 
rinces-évèques  à  leur  égard,  aussi  bien  que  par  une  interprétation  stricte  du  canon  IV 
u  premier  concile  de  Nicée. 

(2)  TiLLOY,  Traité  théorique  et  pratique  de  droit  canonique.  Paris,  1895,  t.  I",  p.  23i. 


422 


ECHOS    D  ORIENT 


m.   Lois  ecclésiastiques. 

Comme  pour  la  question  de  l'intervention  des  laïques  dans  l'admi 
nistration  des  biens  d'Eglise,  l'accord  des  historiens  et  des  canoniste; 
s'explique  par  les  dispositions  formelles  du  code  ecclésiastique  don 
nous  transcrivons,  d'après  Héfélé,  les  principaux  articles  relatifs  au  suje 
que  nous  traitons. 

1.  Canon  des  apôtres.  —  i.  «  Episcopus  »  a  duobus  aut  tribus  «  eph 
copis  ordinetur  »  (i). 

2.  Si  quis  «  episcopus  sœcularibus  potestatibus  »  usus  ecclesiam  pe 
ipsas  obtineat,  deponatur  et  segregentur  omnes  qui  illi  communicant. 

2.  Canon  20  du  concile  d'Arles  (314):  De  Us  qui  usurpant  sibi  que 
soli  debeant  episcopos  ordinare,  placuit  ut  nullus  hoc  sibi  prœsumat  «  ni. 
assumptis  secum  aliis  septem  episcopis  ».  Si  tamen  non  potuerit  septeti 
«  infra  ires  »  non  audeat  ordinare   (2). 

3.  Canon  4  du  premier  concile  de  Nicée  :  «  L'évêque  doit  être  choisi  pî 
tous  ceux  {les  évêques)  de  l'eparchie  (province);  si  cela  n'est  pas  possib 
à  cause  d'une  nécessité  urgente  ou  parce  qu'il  y  aurait  trop  de  chemi 
à  faire,  trois  (évêques)  au  moins  doivent  se  réunir  et  procéder  à 
chéirotonie  avec  la  permission  écrite  des  absents.  La  confirmation  c 
ce  qui  s'est  fait  revient  de  droit,  dans  chaque  éparchie,  au  métropol 
tain.  »  (3) 

4.  Canon  du  concile  d'Antioche  (341)  :  «  Un  évêque  ne  peut  être  sac 
sans  synode  et  sans  la  présence  du  métropolitain  de  l'éparchie.  Mên 
quand  le  métropolitain  est  présent,  îl  est  très  désirable  que  tous  s 
collègues  de  l'éparchie  soient  aussi  réunis;  le  métropolitain  aura  so 
de  les  convoquer  par  lettres.  Si  tous  viennent,  ce  sera  pour  le  mien 
si  la  chose  est  difficile,  il  faut  qu'au  moins  la  majorité  des  évêqu 
soit  présente  ou  qu'elle  envoie  par  écrit  son  assentiment  à  l'éleclio 
L'intronisation  (d'un  nouvel  évêque)  ne  pourra  donc  avoir  lieu  qui 
présence  de  la  majorité  des  évêques  de  l'éparchie  ou  avec  l'approbatif 
écrite  de  cette  majorité.  Si  on  procède  sans  suivre  la  présente  ordi 
nance,  le  sacre  sera  sans  valeur  aucune;  si,  au  contraire,  tout  se  pas 


(1)  Il  s'agit  ici  «  aussi  bien  de  la  part  que  prennent  Jes  évêques  de  U  provinc 
l'élection  épiscopale  que  de  l'ordination  qui  en  est  le  couronnement  ».  (Héfélé,  op.  c 
p.  375.) 

(2)  HÉFÉLÉ,  op.  cit.,i.  I",  p.  190.  Même  observation  que  pour  le  premier  canon  ■ 
apôtres.  Voir  plus  haut,  note  i. 

(3)  HÉFÉLÉ,  op.  cit., -p.  5io-5ii.  Se  rappeler,  à  propos  de  ce  canon,  la  lettre  circula 
du  concile  de  Nicée  à  l'Eglise  d'Alexandrie,  lettre  dont  nous  avons  cité  plus  haut 
substance  (p.  418). 


INTERVENTION    DES    LAÏQUES    DANS    L  ÉLECTION    DES    ÉVÈQUES      423 

selon  les  règles,  et  si  quelques-uns  font  de  l'opposition  par  esprit  de 
iispute,  le  vote  de  la  majorité  décidera  la  question.  »  (i) 

=,.  Canon  13  du  concile  de  Laodicée  (vers  360):  «  Que  l'on  ne  doit 
)as  laisser  à  la  foule  (oy).o'.;)  l'élection  de  ceux  qui  sont  destinés  au 
;acerdoce.  »  (2) 

6.  Règle  des  Constitutions  apostoliciues  :  Congregattis  in  unum 
Kpopuhis  »  cum  presbyierorum  cœtii  et  prœsentibus  episcopis,  die  dominica, 
<  consentiat.  Qui  vero  pr inceps  »  cœterorum  episcopus  est,  «  inierroget  •>> 
iresbyterorum  cœtum  et  plebem  {-zo  -pto-SuTipiov  xal  -rèv  Aaôv)  an  ipse  sit 
juem  «  postulant  »  in  antistitem.  Et  il  lis  annuentibus,  iterùm  roget  an 
;<  testimonium  »  ab  omnibus  habeat  quod  dignus  sit  magna  illâ  et  illustri 
)rœfectura,  an  quœ  ad  pietatem  in  Deum  spectant,  recte  peregerit,  an  jura 
^uerint  ab  eo  adversus  homines  servata,  an  domesticœ  ipsius  res  probe  dis- 
)ensatœ,  an  vivendi  ratio  integerrima.  Cumque  omnes  simitl  secundmn 
;eritatem,  non  autem  ex  opinione  prœjudicata,  «  testificati  fuerini  »  talem 
'um  esse,  tamqiiam  sub  judice  Deo  et  Cbristo,  etiam  coram  sancto  Spiritu, 
itquœ  omnibus  sanctis  administratoriisque  spiritibus,  rursus  tertio  scisci- 
entur  an  dignuiii  vere  sit  ministerio,  ut  in  ore  duorum  vel  trium  stet 
mne  verbum;  atque  iis  tertio  assentientibus ,  dignum  eum  esse,  «  petatur 
ib  omnibus  signum  assensûs  ».  Quo  allacriter  dato,  audiantur.  Tum, 
ilentio  facto,  unus  ex  primis  episcopis  cum  duobus  aliis  stans  prope  altare, 
-eliquis  episcopis  ac  presbyteris  tacite  orantibus,  atque  diaconis  divina 
•vangelia  super  caput  ejus  qui  ordinatur,  tenentibus,  dicat  ad  Deum 
(  oi'atio  ;  »  (3). 

7.  Canon  19  du  quatrième  concile  de  Tolède:  «  On  réunira  les 
mciennes  ordonnances  indiquant  quel  est  celui  qui  ne  doit  pas  être 
»rdonné  évêque,  et  on  y  ajoutera  que  le  sacre  d'un  évêque  ne  doit  être 
ait  que  le  dimanche,  et  au  moins  par  trois  évêques.  En  outre,  le  sacre 

un  évêque  ordinaire  aura  lieu  dans  l'endroit  fixé  par  le  métropolitain, 
t  le  sacre  du  métropolitain  aura  lieu  dans  la  ville  métropolitaine.  »  (4) 

8.  Canon  13  du  «  Codex  ecclesi^ï  african/e  »  (5):  Aurelius  episcopus 
ixit  :  quid  ad  hœc  dicit  sanctitas  vestra  ?  «    Ab  universis  episcopis  » 


(1)  Héfélé,  op.  cit.,  t.  I,  p.  5io-5i  I. 

(2)  Héfélé,  op.  cit.,  X.  Il,  p.  1^4. 

(3)  PiTRA,  Juris  ecclesiastici  grœcorum   historia   et  monumenta,   1864-1868,  t.   1", 
49-5o.  L'Eglise  grecque  ne  reconnaît  pas  les  Constitutions  apostoliques  comme  loi 

inonique  {synode  in  Trullo,  can.  2),  mais  elle  ne  peut  leur  refuser  la  valeur  d'un 
pcument  historique  important  témoignant  en  faveur  des  lois  ecclésiastiques  de  l'an- 
quité  chrétienne  sur  un  grand  nombre  de  points,  et  en  particulier  sur  celui  des 
ections  épiscopaies. 

(4)  Héfélé,  op.  cit.,  t.  111,  p.  621.  Voir  plus  haut  la  note  1  de  la  page  422. 

(5)  Collection  de  Denys  le  Petit,  Migne,  P.  L.,  t.  LXVIl,  col.  i88. 


424 


ÉCHOS    d'orient 


dictum  est  :  a  nobis  veierum  statut  a  debere  servari,  sicut  et  inconsulii 
«  primate  cujuslibet  provincice  »,  tam  facile  non  prœsmnant  miilti  congre 
gati  «  episcopi  »  episcopum  or  dinar  e  :  nisi  {quod  si)  nécessitas  fiierit 
très  episcopi,  in  quocumque  loco  sint,  ejus  prœcepto  or  dinar  e  debebun 
episcopum;  et  si  quis  contra  suam  professionem.  vel  subscriptionem  veneri 
in  aliquo,  ipse  se  honore  p-ivabit. 

9.  Canon  3  du  septième  concile  œcuménique  (i):  «  Toute  électioi 
d'un  évêque,  d'un  prêtre  ou  d'un  diacie  faite  par  un  prince  temporel  es 
frappée  de  nullité  (2),  conformément  à  une  ancienne  règle;  ainsi  qu 
l'ordonne  le  quatrième  canon  de  Nicée,  Vêvêque  ne  peut  être  élu  que  pa 
des  évéques.  » 

10.  Canon  22  du  huitième  concile  général  :  «  Ainsi  que  l'exigent  le 
canons,  l'installation  d'un  évêque  doit  avoir  lieu  en  vertu  de  l'électio 
et  d'un  décret  des  évéques  (3),  et  aucun  grand  du  monde  ne  doit,  soi 
peine  d'anathème,  se  mêler  de  cette  élection,  à  moins  qu'il  n'y  so 
invité  par  l'Eglise  elle-même.  »  (4) 

11.  Canon  2  du  «  corpus  iuris  »  (5):  «  Ordinationes  episcoporum  > 
auctoritate  apostolica  ab  omnibus  qui  in  eadem  fuerint  provincia  «  ep 
scopis  »,  sunt  celebrandœ.   Quod  si  omnes  convenire  minime  poteru< 
assensum   tamen  suis  apicibus  prcebeant,  ut  ab  ipsa  ordinatione  anii 
non  desint  (6). 


Les  conclusions  suggérées  par  l'exposé  historique  et  canonique';;! 
que  nous  venons  de  soumettre  au  lecteur  peuvent  se  ramener  aj 
deux  que  voici:  La  première  est  que  l'intervention  des  laïques  (8)  da; 
l'élection  épiscopale  durant  les  onze  premiers  siècles  (9)  ne  se  born; 
pas  au  seul  suffrage  testificatif,  mais  que  ce  suffrage  était,  selon  les  c 


(1)  HÉFÉLÉ,  op,  cit.,  t.  IV,  p.  365-370. 

(2)  «  Van  Espen  {Commentarius  in  canones,  p.  460)  a  fait  voir  que  ce  canon  n'eé 
vait  pas  ou  ne  condamnait  pas  le  droit  de  présentation  accordé  aux  souverains 
ou  la  faculté  accordée  à  beaucoup  de  rois  de  désigner  (ou  de  nommer)  Ks  évéqui 
il  s'attaque  ;eulemcnt  à  cette  opinion,  que  les  princes  devaient  jure  dominath 
nommer  aux  places  vacantes.  »  Héfélé,  op.  cit.,  t.  IV,  p.  370.  La  même  rema 
peut  être  faite  à  propos  de  l'intervention  des  notables  dans  l'élection  ériscopale.j 

(3)  Voir  plus  haut,  la  note  touchant  le  canon  3  du  deuxième  concile  de  Nicée. 
il)  HÉFÉLÉ,  op.  cit.,  t.  IV,  p.  369-370. 

(5)  Le  canon  i  reproduit  le  4'  canon  du  premier  concile  de  Nicée. 

(6)  Corpus  juris  Greg.  XIII  jiissu  editum.  Lyon,  1618,  t.  1",  col.  333. 

(7)  Canonique  au  double  point  de  vue  des  canonistes  et  des  canons  traditi 

(8)  Notables  ou  non. 
(91  Et  les  siècles  suivants  en  Orient. 


I 


INTERVENTION    DES    LAÏQUES    DANS    L'ÉLECTION    DES    ÉVÊQUES      425 

OU  les  régions,  une  vraie  demande,  désignation,  approbation  ou  accep- 
tation (1). 

Mais  (et  c'est  la  seconde  conclusion  de  notre  travail),  quel  que  fût 
le  mode  de  suffrage  donné  anciennement  par  le  peuple,  les  notables, 
les  princes,  la  tradition,  dûment  consultée,  n'admet  pas  que  le  vote  des 
laïques  constituât  un  droit  au  sens  absolu  du  mot.  C'était  plutôt  un 
simple  droit  de  fait  ou  privilège,  une  coutume  que  l'Eglise  dirigeante 
était  libre  d'accepter  au  début  et  de  maintenir  ou  de  supprimer  dans 
la  suite,  si  les  circonstances  l'exigeaient. 

De  même,  si  l'Eglise  catholique  a  toléré  certains  faits  abusifs,  tels 
que  la  nomination  ou  la  confirmation  faites  par  les  souverains,  il  est 
certain  qu'elle  n'a  jamais  accepté  la  chose  comme  un  droit  strict.  Quand 
elle  s'est  résignée  à  tolérer  ces  faits,  elle  s'est  toujours  proposé  de  les 
supprimer  à  la  première  occasion  favorable.  C'est  ainsi  que  S.  S.  Pie  X 
a  définitivement  supprimé  dans  l'élection  papale  (2)  l'abus  du  ^eto, 
dernier  vestige  de  la  confirmation  des  Papes  par  l'empereur  byzantin. 

Officiellement,  les  Eglises  orientales  n'ont  jamais  exprimé  une  autre 
doctrine.  En  pratique,  toutefois,  ne  se  plient-elles  pas  souvent  d'une 
manière  trop  docile  aux  prétentions  des  laïques,  gouvernants  ou  non? 
Beaucoup  de  personnes  compétentes  pensent  qu'il  est  difficile  de 
donner  une  réponse  négative  à  cette  question  grave  entre  toutes  au 
point  de  vue  canonique. 

Telles  sont  les  conclusions  que  nous  croyons  devoir  formuler  au 
point  de  vue  canonique  touchant  l'intervention  des  laïques  dans  la 
nomination  des  évêques. 

Que  penser  maintenant  de  cette  intervention  si  les  évêques  sont 
à  la  fois  ordinaires  diocésains  et  chefs  civils?  En  principe,  l'Eglise 
ne  songe  pas  à  refuser  à  l'Etat  et  au  peuple,  si  la  coutume  admet 
intervention  de  ce  dernier  en  pareil  cas,  le  droit  absolu  d'être  consultés 
avant  ou  après  la  nomination  des  évêques,  comme  représentants  du 
gouvernement  auprès  des  fidèles.  Ce  suffrage  toutefois  n'a  pour  objet 
que  les  qualités  purement  administratives  des  candidats.  En  outre,  le 
droit  strict  du  peuple  et  de  l'Etat  n'implique  nullement  qu'en  certaines 
circonstances  exceptionnelles,  le  chef  de  l'Eglise  ne  puisse  pourvoir 


(1)  Le  suffrage  des  fidèles  dont  parlent  Thomassin  et  M'' Christodoulou  nous  paraît 
être  plus  qu'un  témoignage  et  même  plus  qu'une  simple  désignation.  Le  terme  de 
confirmation,  parfois  employé,  a  le  même  sens  que  celui  d'approbation  ou  d'accepta- 
tion. Lorsque  les  évêques  ne  s'accordaient  pas  sur  le  choix  d'un  candidat  et  s'en 
remettaient  au  choix  du  peuple,  ce  choix  avait  lieu  par  arbitrage. 

(2)  20  janv.  1904,  Constitution  publiée  seulement  en  mars  1909  dans  le  troisième 
volume  des  Acta  PU,  p.  x. 


426 


ÉCHOS    d'orient 


à  la  vacance  des  sièges  épiscopaux  sans  consultation  préalable  (1) 
du  gouvernement  et  des  fidèles,  qui  ont  naturellement  le  droit  d'ex- 
poser ensuite  d'une  manière  raisonnable  les  griefs  qu'ils  croiraient 
devoir  formuler  au  point  de  vue  civil  contre  les  sujets  ainsi  nommés  (2). 

A.  Catoire. 

Constantinople. 


(i)  Jugée  impossible  ou  dangereuse. 

(2)  C'est  ce  que  n'ont  fait  dans  l'affaire  arméno-catholique  ni  le  gouvernement  ottoman 
ni  les  notables  arméniens.  Ceux-ci,  d'ailleurs,  n'étaient  pas  suffisamment  qualifiés 
pour  porter  plainte  contre  leur  patriarche.  Et  la  raison  en  est  d'abord  que  si  l'iradé 
de  1888  reconnaît  provisoirement  le  règlement  des  Arméniens  catholiques,  celui  de 
1890,  obtenu  par  M"  Azarian,  retire  cette  reconnaissance.  Une  autre  raison  est  que, 
supposé  même  la  parfaite  légalité  de  l'assemblée  nationale  arméno-catholique,  il  est 
douteux  que  l'élection  des  notables  actuels  et  leur  conduite,  durant  les  séances  de 
l'assemblée  nationale  en  question,  aient  été  légales.  Enfin,  comment  apprécier  favora- 
blement les  intempérances  de  langage  auxquelles  les  notables  se  sont  laissés  aller  ou 
qu'ils  n'ont  en  aucune  façon  désavouées?  En  pareille  occurrence,  des  catholiques  bien 
pensants  se  permettraient-ils  de  récriminer  ou  laisseraient-ils  récriminer  en  leur  nom 
contre  les  empiétements  qualifiés  de  vaticanesques  de  la  cour  romaine;  oseraient-ils 
dire  ou  laisser  dire  qu'un  synode  catholique,  réuni  à  Rome,  est  célébré  en  pays  étranger, 
que  Rome  veut  réduire  l'Eglise  arménienne-catholique  à  n'être  plus  qu'une  fraction 
de  l'Eglise  catholique-romaine ,  c'est-à-dire,  croyons-nous,  selon  le  sens  erroné  attaché 
fréquemment  en  Orient  à  ces  deux  mots  ou  simplement  au  terme  de  catholique,  à 
devenir  une  fraction  de  l'Eglise  occidentale  et  latine?  etc.,  etc. 


LES   CHRÉTIENS  DE  SYRIE 

DANS  L'AMÉRIQUE  DU  NORD 


C'en  est  fait  des  pauvres  Syriens  qui  abandonnent  leur  terre  natale 
pour  se  lancer  au  loin  à  la  recherche  du  dieu  Dollar  américain,  et 
perdre  ainsi  tout  ce  qu'ils  ont  de  plus  cher  au  monde  :  la  foi  et  la  reli- 
gion !  A  rencontre  des  autres  nationalités  émigrées,  ils  n'existent  ni 
comme  peuples  ni  comme  chrétiens,  encore  moins  comme  catholiques. 
Aussi  que  de  fois,  durant  nos  courses  apostoliques,  n'avons-nous  pas 
été  témoin  attristé  des  regrets  amers,  des  pleurs,  des  malédictions  cour- 
roucées dont  ces  «  compatriotes  du  Christ  Sauveur  »  (i)  accablaient 
l'Amérique  et  ceux  qui  les  y  avaient  conduits!  Après  avoir  assisté  à  une 
messe  célébrée  dans  une  de  ces  campagnes  abandonnées  de  l'Etat  du 
North  Dakota,  un  brave  Zahliote  me  disait,  les  larmes  aux  yeux  :  «  Que 
faisons-nous,  en  Amérique,  dans  ces  prairies  inhabitées?  Nous  y 
sommes  venus  chercher  de  l'argent;  dans  notre  pays,  nous  étions 
plus  riches,  surtout  nous  étions  riches  de  foi  et  de  religion.  Notre 
église  paroissiale  était  à  notre  portée,  nous  y  remplissions  régulière- 
ment nos  devoirs  religieux;  comme  tout  à  Theure,  nous  assistions  à 
nos  fêtes,  à  nos  cérémonies,  à  nos  rites  orientaux,  qui  dilatent  le  cœur! 
Ici,  nous  avons  tout  perdu  en  courant  après  le  dollar,  que  nous  avions 
cru  si  facile  à  acquérir,  et  qui  nous  fuit  toujours.  Ceux  qui  sont  un 
peu  plus  aisés  ont  contracté  des  dettes  considérables.  L'Amérique  est 
pour  les  Américains!  Ah!  maudit  soit  le  jour  où  nous  avons  fait  nos 
adieux  à  notre  cher  pays!  »  Et  le  bon  vieux  pleurait,  pleurait  toujours. 

Ces  sentiments  sont  ceux  de  la  généralité  des  Syriens  émigrés;  mais 
le  plaisir  de  voir  des  pays  nouveaux,  l'amour  du  gain,  et  surtout  l'en- 
traînement, empêchent  la  plupart  de  faire  des  aveux  semblables.  Ils 
sont  malheureux,  criblés  de  dettes,  en  dépit  de  leur  prétendue  fortune; 
ils  se  condamnent  à  un  travail  acharné  qui  ne  leur  permet  aucun  repos 
ni  le  jour  ni  la  |nuit,  et,  malgré  tout,  on  les  voit  aussi  pauvres  que 
lorsqu'ils  ont  abordé  en  Amérique.  De  cet  état  de  dénuement  et  d'ir- 
réligion découle  nécessairement  chez  eux  un  caractère  réfractaire  à 
toute  civilisation  occidentale,  et  ainsi  ils  demeurent  toujours  les  mêmes, 
paysans  bourrus  et  revêches  comme  au  temps  jadis.  Leur  vie  intellec- 


(i)  C'est  ainsi  qu'ils  aiment  à  se  qualifier  le  plus  souvent  en  présence  des  Américains. 


428  ÉCHOS  d'orient 


tuelle  est  nulle;  à  part  quelques  rédacteurs  de  journaux  arabes,  tou- 
jours occupés  à  se  lancer  des  foudres  en  vue  d'augmenter  leur  clien- 
tèle, les  études  et  même  l'enseignement  ne  tentent  aucun  émigrant 
syrien.  Quelquefois,  cependant,  de  petites  brochures  remplies  d'un 
I  poison  mortel  font  leur  apparition  à  New-York;  ce  sont  toujours  des 
extraits  des  pires  romans  américains,  où  la  religion  n'est  pas  à  la  place 
d'honneur. 

D'école  arabe,  même  primaire,  il  n'en  existe  nulle  part,  et  les  enfants 
des  deux  sexes  fréquentent  quelque  temps  les  écoles  publiques  de 
/  l'Etat,  où  ils  s'efforcent  d'apprendre  juste  assez  d'anglais  pour  débiter 
f  des  marchandises.  Les  prêtres  orientaux  établis  en  Amérique  ne  sau- 
I  raient  apporter  aucune  amélioration  à  cet  état  de  choses  déplorable, 
■        étant  livrés  à  d'autres  occupations plus  sérieuses!!! 

I.  Les  origines  de  l'émigration  syrienne. 

Aujourd'hui,  tout  le  monde  s'accorde  à  rapporter  les  débuts  de 
l'émigration  syrienne  à  1870-1880.  Durant  plusieurs  années,  ces 
exodes  passèrent  presque  inaperçus  dans  le  pays,  parce  qu'ils  n'étaient 
pas  effectués  en  masse,  tels  qu'ils  le  furent  plus  tard.  En  réalité, 
cette  émigration  ne  revêtit  un  caractère  de  régularité  qu'à  partir  de 
1892  ou  1895,  et,  dès  lors,  «  il  n'y  eut  pas  un  seul  paquebot 
des  Messageries  maritimes  françaises  »  ou  d'autres  Compagnies  ita- 
liennes ou  anglaises  «  qui  n'emmenât  à  chaque  voyage  un  certain 
nombre  de  ces  Syriens,  parfois  plusieurs  centaines,  entassés  le  plus 
souvent  à  l'avant  du  bateau,  dans  la  promiscuité  que  l'on  devine  et 
avec  les  dangers  que  l'on  comprend  »(i).Tous  les  quinze  jours,  depuis 
lors,  des  départs  en  grand  nombre  s'effectuèrent  régulièrement  à  Bey- 
routh ;  le  gouvernement  turc  a  essayé  à  plusieurs  reprises  de  s'y  opposer 
énergiquement,  mais  le  bakhchich  a  fini,  comme  toujours,  par  triompher 
de  toutes  ses  résistances.  Dès  lors  se  formèrent  à  Beyrouth  des  Sociétés 
d'émigration  qui  se  chargeaient  de  ces  Syriens  durant  tout  le  trajet 
de  la  Méditerranée  et  de  l'Atlantique,  mais  à  des  prix  exorbitants. 
A  Marseille,  à  Gênes,  à  Naples,  à  Liverpool  et  dans  d'autres  ports  de 
mer  aussi  importants,  des  Syriens  s'établirent  de  bonne  heure  pour 
y  tenir  des  hôtels  —  Dieu  sait  combien  primitifs  —  à  la  disposition 
de  leurs  compatriotes  émigrants.  Enfin,  l'émigration  vers  l'Amériqui 
prenant  de  jour  en  jour  des  proportions  considérables,  le  Canada  e 
les  Etats-Unis    établirent,   dans    leurs   principaux  ports   de   mer,  deî 

(i)  R.  P.  Charon,  t.  III,  p.  719,  les  Patriarcats  melkites. 


I 


LES    CHRETIENS    DE    SYRIE    DANS    L  AMÉRIQUE    DU    NORD  429 


bureaux  d'émigration  chargés  de  faire  passer  à  tout  émigrant  un  examen 
des  plus  minutieux,  notamment  au  point  de  vue  hygiénique  et  pécu- 
niaire, avant  de  lui  accorder  la  faveur  de  vivre  sur  leurs  terres.  Les 
principaux  de  ces  bureaux,  établis  en  pleine  mer,  au  port  même  de 
New-York,  font  l'effroi  des  Syriens  qui  ont  eu  assez  de  chance  pour 
échapper  aux  examens  sanitaires  de  Marseille,  du  Havre  ou  d'ailleurs. 

Comme  le  fait  très  bien  remarquer  le  R.  P.  Cyrille  Charon  (i),  cette 
émigration  syrienne  ne  date  pas  de  nos  jours.  Déjà,  au  moyen  âge,  des 
Orientaux  s'étaient  établis  en  Occident  dès  le  v»  siècle  (i);  plus  tard, 
Lin  prêtre  chaldéen  du  xvii*^  siècle  avait  visité  l'Amérique  pour  y  faire 
une  quête  en  faveur  de  son  peuple  (3).  Mais  l'émigration  syrienne 
proprement  dite,  qui  prend  aujourd'hui  des  proportions  considérables, 
grâce  au  service  militaire  rendu  obligatoire  pour  tous  les  chrétiens  de 
l'empire  turc,  ne  remonte  qu'au  dernier  quart  du  xix«  siècle.  On 
assure  même  que  les  Syriens  ne  commencèrent  à  atteindre  les  rivages 
des  Etats-Unis  qu'en  1886,  en  même  temps  que  les  Arméniens  et  les 
Grecs  des  côtes  méditerranéennes  de  l'Asie  (4). 

Contrairement  à  ce  qu'affirment  plusieurs  auteurs  (5),  les  premiers 
Syriens  qui  abordèrent  en  Amérique  ne  furent  pas  des  Palestiniens; 
ce  long  trajet  requérait  des  hommes  plus  audacieux  et  moins  craintifs 
que  les  pauvres  fellahs  de  la  Palestine,  tremblant  d'effroi  devant  le 
dernier  agent  de  la  Turquie. 

Aujourd'hui  encore,  les  survivants  syriens  qu'on  rencontre  çà  et 
là  dans  les  Etats-Unis  ou  le  Canada  assurent  que  les  premiers  émi- 
grants  furent  les  téméraires  paysans  du  nord  du  Liban  habitant  le 
vaste  et  pauvre  district  de  Bcharrë.  Ils  y  venaient  pour  mendier  plus 
facilement  leur  pain  quotidien;  puis,  lorsqu'ils  virent  que  les  bons 
Américains  se  laissaient  prendre  aisément  à  leurs  allégations  menson- 
gères, ils  imaginèrent  de  faire  du  commerce.  C'est  alors  que,  pour 
affirmer  davantage  leur  provenance  plus  ou  moins  réelle  du  pays  du 
Christ,  ils  commencèrent  à  importer  des  objets  de  piété  en  nacre 
ou  en  bois  d'olivier,  travaillés  à  Jérusalem  ou  à  Bethléem,  qu'ils  allèrent 


(1)  Loc.  cit. 

(2)  Cf.  L.  Bréhier,  Mémoire  sur  les  colonies  d'Orientaux  en  Occident  au  commen- 
cement du  moyen  âge,  du  v'  au  vin"  siècle,  dans  la  By^antinisclie  Zeitschrift,  t.  XII 
(igoS),  analysé  dans  la  Revue  de  l'Orient  chrétien,  t.  IX  (1904),  p.  96-106. 

(3)  Voir  sa   Relation,   d'ailleurs   fort  exacte,  publiée   dans   la  revue   Al-Machriq 
t.  VIII  (1905),  et  t.  IX  (1906). 

(4)  Cf.  A.  Shipman,  les  Catholiques  de  rite  by!{antin  en  Amérique,  dans  les  Echos 
d'Orient,  t.  XIII  (1910),  p.  195. 

(5)  Notamment  J.  Daher,  les  Syriens  au  Brésil,  dans  Al-Machriq,  t.  V  (189S), 
p.  I  io5  et  sq.,  et  le  R.  P.  Charon,  op.  cit.,  t.  IIl,  p.  719  sq. 


^ 


450  ÉCHOS  d'orient 


vendre  de  ville  en  ville  aux  Etats-Unis.  Tous  se  disaient  venir  de 
Jérusalem,  où  ils  auraient  été  en  butte  aux  persécutions  des  Turcs 
et  des  infidèles  musulmans.  Comme  ils  abordaient  en  Amérique  avec 
leur  costume  national  de  paysans  libanais,  les  habitants  du  Nouveau 
Monde  les  regardaient  avec  curiosité.  Ce  qui  intéressait  au  plus 
haut  point  les  Américains,  c'était  principalement  le  long  machlah 
ou  'aba,  manteau  qui  leur  couvrait  tout  le  corps,  ainsi  que  le  turban 
traditionnel  roulé  autour  d'un  tarbouche  plus  ou  moins  extravagant. 
D'ordinaire,  ce  turban  était  de  couleur  noire  ou  bleue  foncée;  les 
plus  coquets,  cependant,  se  paraient  d'un  turban  multicolore.  Les 
Américains  se  plaisaient  à  prendre  leur  photographie  avec  ce  même 
costume  syrien  qu'on  leur  disait  avoir  été  celui  que  portèrent  les 
disciples  du  Sauveur  et  Jésus-Christ  lui-même.  Ils  en  venaient  même 
jusqu'à  couper  les  franges  des  machlahs  ou  'abas  de  ces  pauvres 
paysans,  et  on  leur  donnait  gracieusement  en  retour  des  billets  de 
10,  15  ou  20  dollars.  A  la  longue,  les  Syriens  firent  mine  de  s'opposer 
à  ces  larcins  pieux,  mais  c'était  en  vue  de  hausser  le  prix  de  ce  nouvel 
article  de  marchandise;  bientôt  ils  allèrent  eux-mêmes  au-devant  des 
pieux  désirs  de  leur  clientèle;  ils  leur  portèrent  des  petites  pièces  d'étoffe 
toutes  faites,  fraîchement  extraites  de  leurs  grossiers  machlahs.  Mais 
les  prix  élevés  qu'on  y  attachait,  et  surtout  les  nombreux  mensonges 
qu'on  débitait  à  cette  occasion,  ne  contribuèrent  pas  peu  à  faire  mépriser 
marchands  et  marchandise.  Aussi  cet  article  fût-il  abandonné  de  bonne 
heure,  et  l'on  entreprit  le  commerce  des  objets  en  nacre  ou  en  bois 
d'olivier. 

A  cet  effet,  des  commandes  en  grand  nombre  furent  adressées  en 
Palestine  avec  de  fortes  sommes  d'argent;  en  même  temps,  ces  paysans 
enrichis  envoyaient  des  lettres  enthousiastes  à  leurs  parents  de  Bcharrë, 
les  invitant  à  venir  en  Amérique,  mais  en  passant  par  Jérusalem  et 
Bethléem,  pour  y  faire  une  bonne  provision  d'objets  de  piété.  Les 
Palestiniens,  ravis,  firent  les  commandes  requises,  mais  ils  ne  man- 
quèrent pas  de  se  transporter  en  grand  nombre  sur  le  théâtre  des 
événements. 

Les  succès  des  pauvres  paysans  de  Bcharrë  produisirent  une  vive 
sensation  à  Zahlé,  dont  les  habitants,  qui  se  piquaient  alors  d'une  civi- 
lisation plus  avancée,  ne  manquèrent  pas  de  s'adresser,  avec  un  certain 
dédain,  le  reproche  de  saint  Augustin  :  «  Ce  qu'eux  ont  pu  faire,  ne 
le  pouvons-nous  pas  nous-mêmes?  »  Là-dessus,  ils  partirent  en  masse 
pour  l'Amérique,  et  aujourd'hui  il  n'y  a  pas  un  seul  village,  si  petit 
soit-il,  où  l'on  ne  rencontre  quelque  Zahliote,  sans  compter  les  grandes 


LES    CHRETIENS    DE    SYRIE    DANS    L  AMERIQUE    DU    NORD  43 1 

nlles,  OÙ  ils  vivent  en  grand  nombre.  On  assure  qu'aujourd'hui  cette 
dlle  de  Zahlé  —  qui  est  la  reine  du  Liban  —  n'a  plus  qu'une  popu- 
aiion  diminuée  de  moitié  par  suite  de  cette  émigration  prodigieuse, 
:t  que  de  30000  âmes  environ,  elle  n'en  a  plus  que  13000.  Cependant, 
lous  devons  dès  à  présent  leur  faire  cet  éloge  mérité  :  parmi  tous  les 
jyriens  émigrés  en  Amérique,  ce  sont  eux  qui  occupent  le  premier 
ang  tant  par  la  brillante  situation  que  la  plupart  arrivent  à  se  faire 
lans  le  commerce  que  par  le  respect  et  l'amour  qu'ils  ont  toujours 
ionservé  pour  leurs  pratiques  religieuses.  En  général,  le  missionnaire 
ist  bien  traité  par  eux  au  double  point  de  vue  matériel  et  spirituel,  et 
I  est  rare  que,  lors  de  son  passage,  ils  ne  s'approchent  pas  des  sacre- 
nents  après  une  pieuse  assistance  à  la  messe.  Mais,  hâtons-nous  de  le 
lire,  tout  n'est  point  parfait,  et  il  y  a,  là  comme  ailleurs,  bien  des 
mibres  au  tableau. 

Après  Zahlé  vinrent  tous  les  autres  villages  du  Liban;  puis  Tripoli, 
)amas,  Alep  et  la  Mésopotamie  envoyèrent  de  nombreux  contingents 
n  Amérique.  Mais  depuis  la  publication  de  la  nouvelle  Constitution 
)ttomane,  qui  rendait  le  service  militaire  obligatoire  pour  les  chrétiens, 
'émigration  syrienne  a  pris  des  proportions  considérables,  notamment 
.  Alep,  à  Damas  et  à  Beyrouth. 

11  n'est  pas  rare  de  les  voir  se  lancer,  au  port  de  Beyrouth,  dans 
e  premier  paquebot  qu'ils  rencontrent,  ainsi  qu'au  Havre  et  dans 
l'autres  ports  de  mer  européens,  sans  distinguer  entre  un  bateau 
narchand  et  un  autre  construit  pour  le  transport  des  passagers.  Par 
uite  de  cette  erreur  grossière,  il  en  est  très  souvent  qui  passent  47, 
►5  et  jusqu'à  90  jours  en  mer  avant  d'aborder  au  Nouveau  Continent. 
^  New-York,  on  les  trouve  faibles,  maladifs,  à  cause  des  fatigues  d'un 
i  long  trajet,  et  on  les  renvoie  impitoyablement  par  le  même  paquebot. 
Is  sont  alors  déposés  à  Marseille;  mais,  trop  honteux  de  rentrer  en 
>yrie  sans  avoir  acquis  une  fortune  quelconque,  ils  s'embarquent  pour 
e  Brésil,  où  ils  traînent  une  misérable  vie  de  colporteur,  jusqu'à  ce 
lu'ils  trouvent  la  mort  soit  dans  un  assassinat  atroce,  soit  dans  des 
naladies  incurables  contractées  au  contact  des  marais  nauséabonds  qui 
mllulent  dans  le  pays.  11  ne  se  passe  pas  un  jour  sans  qu'on  lise  des 
ssassinats  de  ce  genre  dans  les  journaux  arabes  de  New-York. 

II.  Les  occupations  des  émigrés  syriens. 

Ceux  qui  arrivent  à  destination  se  hâtent  de  se  mêler  aux  Syriens 
léjà  établis  dans  le  pays,  et,  après  les  salutations  et  les  visites  d'usage, 
Is  se  mettent  à  la  recherche  d'un  petit  logis  pour  s'y  abriter  tant  bien 


432 


ECHOS    D  ORIENT 


que  mal.  Autrefois,  les  agents  de  police  les  surprenaient  souvent,  jusqu'à 
vingt  et  trente  personnes,  hommes  et  femmes,  logés  sous  un  même 
toit,  dans  un  appartement  de  lo  X  5,  où  ils  s'entassaient  pêle-mêle. 
On  les  emprisonnait  tous,  et  on  faisait  payer  une  forte  amende  au  maître 
du  logis,  qui  était  toujours  un  Syrien,  invitant  ainsi  chez  lui  le  plus 
grand  nombre  possible  de  ses  compatriotes  pour  s'enrichir  à  leurs 
dépens  et  faire  concurrence  à  un  autre  Syrien  établi  dans  le  pays. 
Aujourd'hui,  on  rencontre  rarement  ces  sortes  de  logements,  capables 
de  faire  naître  des  épidémies,  mais  il  ne  manque  jamais  de  ces  paysans 
chiches  et  dégoûtants  qui,  en  dépit  de  leurs  bénéfices,  souvent  consi- 
dérables, consentent  à  habiter  plusieurs  ensemble  des  maisons  si  mal- 
propres, que  des  Juifs  eux-mêmes  les  ont  en  horreur.  Les  plus  fortunés, 
et  qui  tiennent  à  passer  pour  des  Américains,  louent  habituellement 
deux  ou  trois  chambres;  ils  en  réservent  une,  meublée  à  peu  de  frais, 
pour  les  réceptions  et  les  visites.  Parfois  même  à  New-York,  à  Chi- 
cago, à  Montréal,  à  San-Francisco  et  ailleurs,  certains  Syriens  entre- 
tiennent des  maisons  à  l'américaine,  aussi  bien  ornées  que  celles  des 
plus  riches  habitants  du  Nouveau  Monde.  Malheureusement,  quel  que 
soit  leur  degré  de  richesse  ou  de  pauvreté,  tous  sont  parqués  dans  les 
quartiers  les  plus  sales,  les  plus  vieux  et  les  moins  fréquentés  de  la 
ville.  A  New-York,  Washington  street  est  leur  grand  centre;  à  Chi- 
cago, c'est  Sherman  street;  à  Atlanta  (Georgia),  Decatur  street,  la  rue 
même  où  sont  établis  tous  les  nègres  de  la  ville,  etc.,  etc.  Leur  mal- 
propreté est  proverbiale  à  New-York,  à  Chicago,  chez  les  Américains. 
Ils  vivent  de  très  peu,  chichement,  à  la  manière  libanaise  (  i  ).  Avec  toutes 
ces  économies  et  ces  souffrances,  ils  finissent  à  la  longue  par  ramasser 
des  sommes  assez  rondes.  Nous  dirons  bientôt  l'usage  qu'ils  en  font. 

Etudions,  pour  le  moment,  les  professions  diverses  qu'ils  exercent. 
On  peut  les  ramener  à  trois  groupes  principaux.  Parmi  les  émigrants, 
les  uns  sont  colporteurs  ;  les  autres  travailleurs,  les  derniers  commerçants. 

I .  Les  colporteurs.  —  Après  avoir  trouvé  son  humble  logis  dans  la 
ville,  le  nouvel  émigrant  est  vite  abordé  par  un  de  ces  Syriens  plus 
fortunés  et  qui  ont  à  leur  service  un  certain  nombre  de  colporteurs 
auxquels  ils  vendent  la  marchandise  qu'ils  ont  importée  en  gros.  Ce 
dernier,  qui  prétend  connaître  toutes  les  voies  conduisant  à  la  richesse, 
lui  persuade  de  se  mettre  à  son  service.  «  Mais  je  ne  puis  rien  vous 


(i)  Et  non  pas  à  la  manière  arabe,  comme  le  dit  le  R.  P.  Charon,  op.  cit.,  t.  111,  p.  721- 
Dans  les  grandes  villes  de  Syrie,  les  Arabes  —chrétiens  et  musulmans—  se  nourrissent 
beaucoup  mieux  que  des  Européens  (voire  même  que  des  Américains,  qui  ne  con-; 
naissent  que  leur  beefsteak  avec  quelques  tranches  de  potatœs). 


LES    CHRETIENS    DE    SYRIE    DANS    L  AMÉRIQUE    DU    NORD  433 

heter  pour  le  moment,  lui  répond  le  nouveau  venu  ;  je  n'ai  pas  d'argent, 
il  faut  que  je  travaille  quelque  temps  dans  une  fabrique  quelconque 
lur  gagner  au  moins  mon  Naouloûn  (i),  et  puis  nous  verrons.  — 
;  craignez  rien,  lui  répond  le  marchand  avec  une  amabilité  syrienne 
ipreinte  de  compassion,  voici  tout  ce  qu'il  vous  faut,  et  soyez  bien 
inquille.  »  Sur-le-champ  il  lui  avance  les  100  dollars  ou  ^00  francs 
îcessaires,  que  le  nouveau  venu  s'empresse  d'expédier  en  Syrie  pour 
mbourser  l'argent  emprunté  à  des  intérêts  excessivement  onéreux, 
retirer  ses  meubles  et  immeubles  impitoyablement  hypothéqués, 
ingt  et  un  jours  après,  le  chèque  arrive  au  Liban.  On  devine  l'impres- 
Dn  produite  dans  le  village.  «  Comment!  se  disent  ces  pauvres 
lysans,  il  n'y  a  pas  déjà  deux  mois  qu'il  est  parti  pour  l'Amérique, 

en  si  peu  de  temps  il  a  pu  ramasser  ^  000  piastres  ! (2)  Pourquoi 

irions-nous  pas  de  même  dans  ce  pays  de  l'or?  » 
Tranquille  au  sujet  de  son  Naouloûn,  le  nouvenu  venu  se  lance  dans 
voie  du  commerce,  qu'il  n'avait  jamais  connue  dans  le  passé,  et  il 
:  met  avec  zèle  au  service  de  son  nouveau  patron,  qui  a  déjà  conquis 
>n  cœur  par  son  offre  ou  son  avance  de  100  dollars.  Le  patron  en 
>e  et  en  abuse  largement,  mais  à  l'insu  de  la  pauvre  victime,  bien 
itendu.  Il  lui  achète  une  bonne  valise,  qu'il  remplit  de  différents 
3jets  de  pacotille,  puis  il  la  lui  remet  avec  un  sourire  significatif,  et 
imble  lui  dire  :  Vous  voilà  à  l'eau,  il  faut  nager  maintenant! 
Le  nouvel  émigrant  commence  alors  à  exercer  sa  profession  de 
)LPORTEUR,  à  laquelle  aucun  Syrien  n'a  échappé  en  abordant  au  Nouveau 
ontinent.  Primitivement,  c'étaient  des  objets  en  nacre  ou  en  bois, 
îs  peaux  et  quelques  étoffes,  surtout  des  chapelets,  des  croix,  des 
lédailles;  aujourd'hui,  ce  sont  différentes  étoffes  et  toutes  sortes 
'articles  à  l'usage  des  femmes  et  des  enfants.  Toutes  ces  marchan- 
ises  sont  le  produit  même  de  l'Amérique.  Les  colporteurs  parcourent 
s  villages  pour  les  débiter;  ils  se  gardent  bien  de  s'aventurer  ainsi 
ans  les  villes  :  les  agents  de  police  les  saisiraient  et  les  jetteraient  en 
rison  après  les  avoir  soumis  à  une  forte  amende  pécuniaire. 
i  Ici  vient  la  question  du  license  à  l'américaine.  C'est  le  permis  délivré 
ir  le  gouvernement  à  chaque  colporteur,  moyennant  une  somme  de 
5,  25,  30,  50,   70,  75   et  même  100  dollars,  suivant  les  Etats;   au 


!i)  Le  Naouloûn  désigne  tout  l'argent  dépensé  pour  le  voyage  de  Syrie  en  Amérique. 
1  se  rappelle  que  cet  argent  est  emprunté  à  des  intérêts  onéreux. 

2)  Les  5oo  francs  ou  20  livres  sterling  font  à  peu  près  3  000  piastres  de  la  monnaie 
rque;  en  réalité,  ils  font  exactement  2735  piastres  en  Syrie,  et  2800  piastres  dans 

ville  d'Alep,  où  l'argent  a  plus  de  valeur. 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  28 


434  ÉCHOS  d'orient 


Canada,  cette  formalité  n'existe  guère.  Lorsqu'un  colporteur  est  pris 
en  défaut  par  la  police,  il  doit  payer  le  double,  et  quelquefois  le  triple 
de-  l'amende  pécuniaire  requise,  et  subir  quelques  jours  de  prison.  En 
le  congédiant,  l'agent  de  police  lui  dit  avec  une  amabilité  américaine 
pleine  de  finesse  :  «  Corne  again,  please!  Revenez  encore,  si  cela  vous 
plaît!  »  Nous  en  avons  vu  plusieurs  qui  payaient  ainsi  jusqu'à  ^o  et 
75  dollars,  quelquefois  tout  leur  avoir,  et  se  retirer  en  grommelant  des 
malédictions  de  la  dernière  littérature  arabe.  S'ils  déclarent  n'avoir  pas 
d'argent,  ils  sont  condamnés  aux  travaux  forcés,  en  compagnie  des 
nègres  et  des  autres  criminels,  ou  bien  on  leur  confisque  leurs  mar- 
chandises et  on  les  congédie  «  en  les  priant  de  raconter  aux  autres 
leurs  mésaventures  »! 

A  ces  ventes,  opérées  de  village  en  village,  il  se  passe  une  scène  ouj 
plutôt  une  comédie  qu'on  ne  nous  pardonnerait  pas  de  passer  sousi 
silence.  Le  colporteur  syrien  arrive  chargé  de  ses  valises;  il  frappe! 
à  la  porte  (i)  et  attend  l'invitation  come  in,  entrez.  Très  souvent  h 
Américains  connaissent  parfaitemeut  le  motif  de  ces  visites  impor- 
tunes, et  ils  lui  lancent  un  go  on!  courroucé:  Allez-vous-en!  Les  moins 
expérimentés,  cependant,  entr'ouvrent  un  tant  soit  peu  la  porte  poui 
jeter  un  regard  rapide  sur  le  nouveau  venu,  puis  ils  la  ferment  avt 
fracas  en  fronçant  les  sourcils.  Ce  seul  air  suffit  à  effrayer  le  colpoi 
teur  et  à  le  mettre  en  fuite.  Malgré  tout,  il  arrive  parfois  qu'on  lu 
permette  l'accès  de  la  porte.  11  entre  alors  sans  façon,  exécute  maint; 
signes  de  croix  avec  les  cinq  doigts,  pour  attester  avant. tout  qu'il  es 
réellement  catholique.  /  am  a  catholic!  I  am  a  catbolic!  fait-il  à  plusieur 
reprises,  en  lançant  des  yeux  hagards  sur  les  gens  de  la  maison.  Puis 
sans  y  être  invité,  il  ouvre  ses  valises  et  étale  ses  marchandises;  il  ei 
présente  plusieurs  pièces  à  la   maîtresse  du  logis,  en  lui  répétant 
good!  good!  bon. 

Ces  pantomimes  et  simagrées  sont  accompagnées  de  phrases  anglaise 
inachevées  qui  achèvent  le   comique  de  la  scène  :  «  Je  suis  de  Jéru 

salem  ! Les  Turcs  nous  tuent  ! Mais  nous  sommes  catholiques 

nous  récitons  le  chapelet  dans  notre  pays  (et  il  met  en  évidence  ui 
chapelet   suspendu  au  cou).   Nous    sommes  bons  catholiques  (et 

montre  une  croix  qu'il  porte  sur  lui) Mes  goods  (marchandises)  soi 

d'excellente  qualité;  il  faut  que  vous  m'achetiez  quelque  chose;... 
prenez  ceci,  voyez  cela ,  c'est  pour  votre  fillette;  cela  va  bien  à  voti! 


(i)  Sans  cette  précaution,  le  maître  du  logis  le  livre  à  la  police  et  le  fait  incarcér| 
impitoyablement.  ' 


■ 


LES    CHRÉTIENS    DE    SYRIE    DANS    l'aMÉRIQUE    DU    NORD  43^ 

1,  etc.  »  En  même  temps,  la  tête  joue  le  branle-bas;  les  mains,  les 
is  s'agitent  fiévreusement.  Les  Américains,  étonnés,  fixent  des  yeux 
yards  sur  cet  être  humain  dont  ils  voudraient  se  débarrasser,  mais 
is  savoir  de  quelle  manière.  Finalement,  ils  lui  donnent  quelques 

is  et  le  mettent  à  la  porte pour  toujours.  Parfois,  il  lui  prend 

/ie  d'exécuter  une  partie  de  danse  syrienne  pour  amener  les  Améri- 
ns  à  lui  acheter  au  moins  quelque  chose;  il  est  alors  impitoyablement 
issé,  et  ses  marchandises  foulées  aux  pieds.  Souvent  il  ne  rencontre 
e  la  femme  à  la  maison,  et  alors  des  crimes  abominables  sont  signalés 
i  agents  de  police;  le  gouvernement  se  saisit  du  malheureux,  et  la 
tice  suit  impitoyablement  son  cours.  Si  on  l'hospitalise  pour  la 
it,  c'est  à  rétable,  dans  un  grenier  ou  en  un  autre  endroit  isolé  de 
maison.  Autrefois,  on  lui  offrait  un  bon  matelas  avec  des  draps 
)prets  et  une  excellente  couverture;  le  lendemain,  la  maîtresse  du 
fis  y  découvrait  avec  horreur  une  immonde  vermine.  Elle  jurait 
irs  de  ne  plus  admettre  aucun  colporteur  dans  sa  maison. 
Certains  Syriens  ne  colportent  des  marchandises  qu'aux  femmes  de 
luvaise  vie,  si  nombreuses  en  Amérique;  on  comprend  dès  lors  tous 
désordres  auxquels  ils  s'exposent. 

11  n'est  pas  rare  que  plusieurs  colporteurs  frappent  à  la  fois  à  une 
;me  porte,  ils  sont  alors  impitoyablement  chassés,  et  l'on  excite 
Qtre  eux  les  chiens  du  village.  Souvent  ils  se  suivent  à  petites  étapes, 
alors  ils  se  diffament  les  uns  les  autres.  Lorsque,  par  hasard,  ils 
tuvent  des  acheteurs,  ils  haussent  le  prix  de  leurs  marchandises  en 
bitant  une  série  de  mensonges  corroborés  par  les  serments  les  plus 
:rés.  11  arrive  alors  qu'un  article  coté  5  dollars  ou  un  peu  plus  est 
ndu  25  et  30  dollars,  avec  force  serments  auxquels  se  rendent  les 
néricains  sans  plus  de  procès. 

Après  ces  tournées,  qui  durent  plusieurs  jours,  souvent  plusieurs  mois, 
rentrent  à  New-York,  à  Chicago  ou  ailleurs.  S'ils  ont  réussi  à  ra- 
isser  une  petite  somme,  ils  en  font  parade  devant  leurs  compatriotes, 
=is  manquer  toutefois  de  faire  le  récit  de  leurs  mésaventures  (i). 
fin,  ils  vont  pouvoir  se  divertir  à  leur  aise!  Les  uns  s'en  vont  aux 
oons  (cabarets),  boire  bière  ou  whisky,  et  jouer  à  l'argent;  en  se 
irant,  ils  n'ont  plus  rien  en  poche,  et,  le  lundi  suivant,  ils  doivent 
reprendre  une  autre  tournée!  Beaucoup,  hélas!  au  lieu  de  se  rendre 


)  lis  n'éprouvent  aucune  honte,  aucune  confusion  à  se  raconter  entre  eux  leurs 
ttes  anecdotes.  Peu  soucieux  de  ces  déboires,  ils  n'en  deviennent  que  plus  hardis 
Dntinuer  leur  œuvre.  Malgré  tout,  cependant,  ils  confesseVit  aisément  que  c'est  là 
n  vilain  métier!  » 


436  ÉCHOS    d'orient 


aux  saluons,  dirigent  leurs  pas  vers  les maisons  publiques!  Les  plus 

sensés  expédient  de  leur  superflu  à  leurs  parents  de  Syrie.  Ils  font 
alors  preuve  d'une  avarice  extraordinaire,  menant  une  vie  des  plus 
misérables,  tant  au  point  de  vue  de  l'habillement  qu'au  point  de  vue  de 
la  nourriture,  et  cela  seul  explique  comment  s'est  formée  la  fortune 
assez  ronde  de  certains  émigrants  syriens.  Elle  a  été  amassée  à  grand' 
peine,  durant  plusieurs  années  passées  en  Amérique. 

Nous  devons  ajouter  un  mot  touchant  les  femmes  colporteuses.  Elles 
sont  légion  dans  toute   l'Amérique   septentrionale,  et  Dieu  sait  dans 

quel  accoutrement Elles  se   lient  sur   le   dos  une   grosse   valise, 

quelquefois  deux,  et  parcourent  ainsi,  suivant  la  dernière  mode  syrienne, 
les  rues   de  Washington  ou  de  Sherman  pour  se   rendre   à  la  garcj 
tous   les  lundis   matins.   Elles   prennent  le  train   et   s'absentent  pluj 
sieurs  semaines.   Si  auprès  des  Américains   elles  ont  un  accès  plu 
facile  que  les  hommes  (i)  et  arrivent  à  vendre   leurs   marchandis 

—  toujours  par  les  mêmes  voies  grimaçantes,  mensongères  et  sac: 
lèges,  —  leur  vertu  n'est  jamais  à  l'abri  de  tout  danger,  il  s'en  fan 

on  les  prend  tout  simplement  pour des  femmes  publiques!  «  Pou 

quoi  colportez-vous  ainsi  des  marchandises,  leur  demandent  les  Am 
ricaines  stupéfaites?  C'est  honteux  et  très  dangereux  pour  vous;... 
votre  mari  est  obligé,  de  par  la  loi,  de  subvenir  à  tous  vos  besoins... 

—  Hélas!  répondent-elles,  nous  sommes  veuves  (2),  nous  avons  d; 

petits  enfants  à  nourrir,  à  élever »  (3),  etc.,  etc.  Souvent  elles  soi 

livrées  à  la  police  et  emprisonnées.  Là  encore  leur  vertu  est  en  dange 
ainsi  que  dans  les  hôtels  où  elles  se  retirent  pour  la  nuit.  A  lei 
retour,  elles  racontent  des  choses  qui  écœurent;  le  lecteur  nous  pe 
mettra  de  lui  en  faire  grâce. 

Depuis  longtemps  déjà,  les  journaux  syriens  de  New- York  et  mên 
quelques  journaux  américains  ont  mené  une  campagne  retentissan 
contre  cette  plaie  de  l'émigration  syrienne,  et  très  souvent  depuis  lor 
on  a  publié  des  faits  regrettables,  suivis  d'exhortations  amicales 
salutaires;  jamais  on  n'a  pu  obtenir  une  amélioration  sérieuse.  Le  nomt 
des  femmes  colporteuses  va  toujours  en  augmentant,  au  grand  préjudii 
de  l'honneur  syrien.  Cela  tient  à  une  étourderie  étrange  des  femn" 
syriennes,  avides  de  plaisirs  matériels  qu'elles  n'ont  pu  goûter  da 


(i)  Car,  en  Amérique,  la  femme  est  trop  bien  respectée,  et  très  souvent  c'est  |' 
qui  fait  la  loi. 

(2)  Notez  que  souvent  leurs  maris,  gros  et  gras,  mènent,  à  la  maison,  une  vieli 
farniente.  {; 

(3)  Très  souvent  ce  sont  des  jeunes  filles  qui  tiennent  ce  langage! 


LES    CHRÉTIENS    DE    SYRIE    DANS    L  AMÉRIQUE    DU    NORD  4^7 

ir  pays,  et  aussi  —  il  faut  l'avouer  —  à  l'inertie  et  au  manque 
lonneur  d'un  grand  nombre  d'époux  qui,  rencontrant  en  Amérique 
ites  sortes  d'aisances,  se  condamnent  librement  à  une  oisiveté 
jpable,  et  permettent  à  leurs  femmes  de  se  rendre  partout  où  bon 
ir  semble,  pourvu  qu'au  retour  elles  leur  remettent  des  dollars. 
(\près  ces  longues  absences,  ajoute  le  journal  arabe  Al-Hoda,  «  le 
juide  »,  ils  ne  leur  demandent  point  :  Où  ave^-vous  été?  mais  plutôt  : 

mbieu  de  dollars  appor/ei-vous? » 

2.  Les  travailleurs.  —  Presque   le   tiers    de   ces    pauvres   émigrés 
ercent  heureusement  des  métiers  plus  honorables  que  celui  de  col- 
rteur.  On  en  trouve  qui  sont  tisserands,  cordonniers,  menuisiers, 
ideurs,  typographes,  tailleurs,  etc.  Malheureusement,  les  Syriens  ne 
illent  point  par  leur  persévérance  ;  on  les  voit  souvent  se  transporter 
une  fabrique  à  l'autre.  Cette  inconstance  rend  les  patrons  excessi- 
ment  défiants  à  leur  endroit,  et,  d'ordinaire,  ils  font  beaucoup  de 
Ticultés  avant  de  les  admettre,  tandis   que  les  Italiens,    les  Grecs 
aliènes,  les  Portugais,  etc.,  sont  reçus  à  bras  ouverts.  En  outre,  ces 
Tiens  n'ont  jamais  connu  la  moindre  régularité;  il  n'est  pas  rare  de 
5  voir  arriver  en  retard  à  la   fabrique,  lorsque  toutes  les  portes  en 
nt  fermées,  et  alors  ils  sont  impitoyablement  renvoyés.  Parfois,  ils 
lerchent  chicane  au  patron  lui-même;  ils  en  viennent  même  jusqu'à 
battre;  mais  de  pareils  oublis  se  payent  cher,  on  le  comprend.  Plu- 
eurs,  cependant,  travaillent  consciencieusement,  et  arrivent  à  gagner 
ur    vie    et    celle    des    leurs.    Lorsque  les   grèves   éclatent  dans   ces 
briques,  les  Syriens,  qui  y  sont  en  petite  majorité,  en  sont  les  pre- 
ières  victimes;  mais  ils  doivent  se  syndiquer  avec  les  autres  ouvriers, 
in  de  n'être  pas  en  butte  à  leurs  tracasseries.  Cependant,  ils  n'ont 
mais  été  à  la  tête  des  grévistes,  et  le  chômage  ne  fait  point  leur  affaire. 
Un   certain    nombre  d'émigrants  syriens   préfèrent  le    travail  à  la 
mnée,  soit  dans  les  constructions,  soit  sur  les  chemins  de  fer,  soit 
|ns  les  mines  d'or  et  d'argent  au  Canada,  à  San  Francisco  et  dans 
tUasl^a.   D'autres  enfin    entretiennent  la   propreté  des  rues  et  sont 
yés  grassement,  à  peu  près  60  dollars  par  mois.  Mais,  hâtons-nous 
le  dire,  ces  ouvriers  à  la  journée  ne  se  trouvent  pas  dans  tous  les 
ntres  américains,  à  l'instar  des  Italiens,  des  Grecs  Hellènes  ou  autres 
ligrants,  et  leur  nombre  est  excessivement  restreint. 
11  y  a  une  douzaine  d'années  seulement,  plusieurs  Syriens  eurent 
sez  de  bon  sens  pour  prendre  des  terres  et  les  cultiver,  notamment 
ns  les  Etats  du  North  Dakota,  du  South  Dakota  et  de  Montana.  Le 
iuvernement  américain,  désireux  de  peupler  ces  provinces  désertes 


438  ÉCHOS    d'orient 


et  éloignées  du  littoral,  cédait  gratuitement  des  terrains  très  fertiles. 
Un  père  de  famille  pouvait  acquérir  ainsi  jusqu'à  160  ares,  tandis 
qu'une  veuve  ayant  un  ou  plusieurs  enfants  avait  droit  à  ^20  ares.  Les 
personnes  célibataires  avaient  été  exclues  primitivement,  mais  plus  tard 
on  leur  donna  la  même  part  qu'au  père  de  famille.  Tous,  cependant, 
devaient  rembourser  quatorze  dollars  seulement  au  gouvernement  (i) 
et  s'établir  sur  le  terrain  acquis.  Après  cinq  ans  de  résidence  plus  ou 
moins  interrompue,  on  avait  droit  à  enregistrer  gratuitement  ce  vaste 
terrain  en  son  nom.  A  partir  de  ce  moment,  le  gouvernement  devenait 
en  mesure  d'exiger  une  taxe  quelconque  annuelle  pour  cette  nouvelle 
propriété,  tandis  que,  durant  les  cinq  années  précédentes,  le  nouveau 
farmer  ou  fermier  jouissait  librement  du  terrain  et  de  l'usufruit,  sans 
être  inquiété  par  le  gouvernement. 

Moyennant  toutes  ces  commodités,  plusieurs  Syriens,  dégoûtés  di 
triste  métier  de  colporteur,   s'établirent  ainsi  dans  ces  déserts  aban-| 
donnés.  Au  North  Dakota,  ils  devinrent  nombreux  en  peu  de  temps 
et  ils  formèrent  un  petit  village  d'une  centaine  de  familles,  qu'ils  appe 
lèrent  Beyrouth.  En  même  temps,  d'autres  Syriens  s'établissaient  ains 
dans  le  Minnesota,  et  donnaient  à  leur  nouveau  village  le  nom  c 
Zahlé :  mais  ni  Beyrouth  ni  Zahlé  ne  vécurent  longtemps,  comme  noi 
le  dirons  plus  tard  en   parlant  de  la  vie  religieuse   de  ces  orientai; 
transplantés  dans  un  pays  aussi  neuf  et  aussi  matérialiste  que  les  Etats 
Unis.  De  nos  jours,  le  Canada  s'efforce  de  peupler,  de  la  même  manière 
ses  vastes  territoires  du  Saskatchewan,  de  l'Alberta  et  de  la  Britis' 
Columbia,   dans   le  Nord-Ouest    canadien.   Beaucoup   de   Syriens  s 
établissent,  et  quelquefois  ils  ont  la  chance  de  découvrir  des  mines  d'o 
ou  d'argent,  dans  leur  terrain  gratuitement  acquis. 

Ces  fermiers  syriens  sont  encore  les  mieux  partagés  de  tous  leur 
compatriotes  émigrés.  Ils  vivent  très  aisément  et  en  bonne  ententt 
bien  qu'ils  soient  séparés  les  uns  des  autres  de  3,  5,  6  et  7  milles  dan 
le  désert.  Chacun  possède  sinon  douze,  du  moins  sept  ou  cinq  che 
vaux,  plusieurs  vaches,  des  moutons,  des  pourceaux  et  une  basse-coi' 
complète  sur  un  terrain  de  160  ares,  souvent  320  ares,  avec  un 
maison  confortable,  de  grandes  étables,  des  puits  d'eau  douce  creust 
quelquefois  jusqu'à  75  pieds  de  profondeur,  des  greniers  et  toutes  le 
machines  de  labourage  et  de  récolte  en  usage  chez  les  Américain: 
Si  aujourd'hui  ils  sont  criblés  de  dettes,  c'est  qu'ils  viennent  de  sub 


(i)  Non  pas  comme  prix  du  terrain,  mais  pour  faire  face  aux  diverses  dépens | 
«ausées  par  l'enregistrement  des  différents  papiers  aux  bureaux  de  la  municipalité. 


LES    CHRETIENS    DE    SYRIE    DANS    L  AMERIQUE    DU    NORD  439 

;ux  années  consécutives  d'une  sécheresse  qu'ils  n'ont  jamais  connue; 
aigre  tout,  ils  possèdent  largement  de  quoi  faire  face  à  toutes  leurs 
!ttes  :  terres,  chevaux,  machines  et  bestiaux.  Ils  ensemencent  surtout 
1  blé,  de  l'orge,  de  l'avoine  et  du  lin.  En  été,  ils  entretiennent  un 
îtit  jardinet  de  légumes  divers  pour  leur  usage  personnel,  et  ils  se 
ouvent  heureux.  Nous  verrons  plus  tard  les  difficultés  qu'éprouve 

missionnaire  pour  les  amener  à  faire  leurs  devoirs  religieux;  d'ail- 
urs,  cet  isolement  et  cette  vie  constante  avec  leurs  animaux,  en  plein 
;sert,  ne  contribue  pas  peu  à  leur  faire  perdre  tout  de  suite  le  petit 
igage  de  pratiques  religieuses  importées  en  Amérique.  Les  travaux  de 
terre  commencent  pour  eux  vers  la  fm  d'avril,  à  la  fonte  des  neiges, 

ils  durent  d'ordinaire  jusqu'à  la  fm  d'octobre  ou  à  la  mi-novembre, 
)oque  où  l'hiver  reparaît.  La  terre  est  excessivement  fertile;  ils  sèment 
1  mai  et  moissonnent  en  septembre,  souvent  en  août.  Lorsque  la 
coite  est  bonne,  \t  far  mer  est  heureux,  et  il  peut  arriver  à  payer  toutes 
is  dettes  en  une  seule  année,  les  banquiers  sont  à  son  service,  et  ils 
li  offrent  autant  d'argent  qu'il  souhaite;  mais,  quand  l'année  est  mau- 
lise,  l'argent  se  fait  rare,  et  il  n'est  cédé  au  pauvre  laboureur  que 
loyennant  de  fortes  garanties. 

3.  Les  commerçants.  —  Mais  hâtons-nous  de  parler  de  Y  aristocratie 
îs  émigrés;  elle  comprend  des  husiness-men,  c'est-à-dire  les  gens  qui 
!  livrent  au  commerce,  au  moins  en  apparence.  Ils  ne  forment  pas  la 
ajorité,  tant  sans  faut,  et  c'est  à  peine  si  on  peut  en  compter  un  sur 
lille.  D'ordinaire,  ils  sont  établis  dans  les  grands  centres  :  New-Yorlc, 
hicago,  Saint-Louis,  Boston,  Saint-Paul,  New-Orléans,  San-Francisco, 
ontréal,  Mexico,  Vera-Cruz,  Yucatan,  Havana  (Cuba),  Saint-Joseph 
lissouri),  etc.  Ils  importent  en  gros  les  acticles  de  marchandises  qu'ils 
;ndent  aux  colporteurs  attachés  à  leur  service. 

Ils  prétendent  imiter  les  Américains,  dans  la  bonne  tenue  de  leurs 
Qres.  En  réalité,  ils  sont  loin  d'atteindre  à  cet  ordre  et  à  cette  pro- 
jeté qui  distinguent  les  stores  américains.  Les  plus  aisés  entre- 
innent  des  stores  de  Dry  goods  (i)  ou  marchandises  d'étoffes 
iverses,  principalement  à  l'usage  des  femmes;  d'autres  vendent  cer- 
iins  articles  de  soie.  Kimonos,  pour  l'exécution  desquels  ils  occupent 
\\  grand  nombre  de  jeunes  filles.  Il  y  a  deux  ans  seulement,  trois 
"ires  Faour,  Maronites,  possédant  à  peu  près  30000  dollars  améri- 
'ins,  ont  fondé  à  New-York-City,  63,  Washington  street,  la  première 
.inque  syrienne,  sous  les  auspices  du  gouvernement  de  Washington. 


Mot  à  mot  marchandises  sèches. 


440  ÉCHOS    D  ORIENT 


Plusieurs  Syriens  sont  grocers,  épiciers,  notamment  à  New-York  et  à 
Chicago,  et,  en  cette  qualité,  ils  importent  toutes  les  céréales  de  Syrie, 
toutes  les  liqueurs  et  autres  spécialités  qu'on  ne  trouve  qu'en  Orient; 
de  sorte  que  le  Syrien,  en  se  fixant  en  Amérique,  peut  avoir  à  sa  portée 
tout  ce  qu'il  souhaite  et  faire  usage  de  la  meilleure  cuisine  orientale, 
après  laquelle  il  soupire  sans  cesse.  11  va  sans  dire  que  ces  groceries  ou 
épiceries  orientales  ne  tentent  aucun  Américain,  et  que  seuls  les  Syriens 
peuvent  en  faire  leur  profit.  Enfin,  la  plupart  de  ceux  qui  ont  réussi  à 
se  faire  une  petite  fortune  (i)  tiennent  des  candy  stores  ou  fruit  stores, 
dans  lesquels  ils  étalent  quelques  sucreries,  des  confitures,  un  peu  de 
toutes  sortes  de  fruits,  suivant  la  saison;  des  cigares  américains  et  le 
fameux  ice  cream  ou  crème  de  glace  dont  les  habitants  du  Nouveau 
Monde  sont  si  friands.  On  les  rencontre  souvent  aux  détours  des  rue<i 
un  peu  fréquentées,  où  ils  sont  postés  dans  de  petites  cabanes  de  bo: 
éclairées  à  l'électricité  ou  au  gaz,  et  mesurant  très  souvent  i  mètre  sur  2 
juste  assez  pour  y  abriter  quelques  fruits,  quelques  cigares,  un  peu  de 

peanuts  ou  pistaches  et le  business-man  ou  marchand  qui  se  tient 

debout  toute  la  journée.  Ceux  qui  sont  plus  aisés,  pourtant,  tiennent 
dans  les  principales  rues  de  la  ville  des  magasins  plus  vastes  et  mieu 
fournis,  mais  toujours  avec  la  même  négligence,  la  même  malpropret 
orientales.  Ces  sortes  de  stores  ne  chôment  jamais.  Les  bénéfices  st 
font  d'ordinaire  les  dimanches  et  les  jours  de  fête;  plusieurs  mêm 
sont  ouverts  la  nuit  comme  le  jour.  On  peut  voir,  dès  lors,  quell 
triste  vie  mènent  ces  pauvres  adorateurs  du  Dollar,  au  point  de  vu 
moral  et  religieux.  Enfin,  les  barbiers  ou  ceux  qui  tiennent  des  ras 
taurants  à  l'usage  de  leurs  compatriotes,  assurément,  ne  l'emporten 
en  rien  sur  leurs  émules  établis  en  Orient. 

Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  la  «  bonne  manière  »  pai 
laquelle  certains  marchands  arrivent  à  se  faire  une  petite  fortune  a 
très  peu  de  temps.  Une  fréquentation  assidue  des  juifs  de  l'Amériqut 
leur  en  a  fourni  le  secret.  Un  Syrien  possède-t-il  un  millier  de 
dollars,  il  revêt  ses  meilleurs  habits  et  se  dirige  à  la  banque,  01 
il  place  ses  mille  dollars  à  un  intérêt  de  3  %,  rarement  à  4  %.  h 
lendemain,  il  affiche  de  grands  airs  et  il  se  présente  au  wholesale  01 
magasin  de  vente  en  gros.  Là,  il  achète  toutes  sortes  de  marchandise; 
qu'il  se  fait  transporter  à  son  nouveau  magasin  (2);  puis,  lorsqu'on  lu 


(i)  C'est-à-dire  i  000  ou  2000  francs,  très  souvent  5oo  ou  600  francs. 

(2)  Ce  «  nouveau  magasin  »  est  souvent  une  petite  salle  qui  lui  sert  de  chambre 
coucher;  quelquefois  [elle  est  située  dans  un  soubassement  où  il  peut  dérober  plu 
facilement  les  marchandises. 


_A 


LES    CHRETIENS    DE    SYRIE    DANS    L  AMERIQUE    DU    NORD  44 1 

présente  le  bill  ou  la  facture  à  payer,  il  déclare  avec  emphase  qu'il  a 
mille  dollars  déposés  récemment  à  la  banque.  Après  recherches,  on 
s'assure  de  la  réalité.  Or,  un  homme  qui  compterait  mille  dollars  à  la 
banque  a  droit  à  tenir  un  magasin  de  dix  mille  dollars,  et  il  peut 
emprunter  des  marchandises  à  ce  prix,  sans  être  obligé  de  tout  payer 
au  comptant.  Là-dessus,  notre  nouveau  marchand  signe  des  billets  de 
banque  innombrables,  s'engage  à  tout  ce  qu'on  requiert  de  sa  probité 
et  se  retire.  En  trois  semaines,  il  a  vite  fait  d'expédier  en  dehors  de  la 
ville  certains  ballots  de  marchandises  que  d'autres  Syriens  lui  achètent 
à  des  prix  relativement  bas;  puis,  sous  prétexte  que  l'argent  lui  manque, 
il  s'empresse  de  retirer  ses  mille  dollars  de  la  banque;  enfin,  il  s'en  va 
trouver  un  de  ces  lawyers,  avoués,  qui  font  un  triste  métier.  11  lui 
remet  un  billet  de  dix  dollars  et  il  le  prie  de  lui  rédiger  un  acte  officiel 
par  lequel  il  déclare  sa  faillite  et  invite  les  wholesalers  ou  marchands 
en  gros  à  venir  prendre  ce  qui  lui  reste  en  magasin.  Ces  derniers 
arrivent  et  ne  trouvent  que  certains  articles  insignifiants  qu'ils  saisissent 
quand  même;  à  la  banque,  il  n'y  a  plus  aucun  sou  au  nom  de  ce 
malheureux;  force  leur  est  de  se  retirer  l'angoisse  dans  l'âme.  Quant 
au  Syrien,  il  se  hâte  de  quitter  la  ville  pour  se  retirer  dans  une  autre 
et  recommencer  de  plus  belle. 

Très  souvent  nos  émigrants  recourent  à  un  autre  stratagème.  Après 
avoir  bien  fourni  leur  magasin  de  toutes  sortes  de  marchandises,  ils 
l'assurent  contre  l'incendie  et  les  voleurs  pour  une  somme  ordinaire- 
ment assez  élevée.  Trois  semaines  après,  durant  une  nuit  sans  étoiles, 
ils  y  mettent  le  feu  et  se  prennent  à  accuser  le  gaz,  l'électricité  ou  un 
bandit  quelconque  plus  ou  moins  imaginaire.  La  Compagnie  d'assu- 
rance est  ensuite  mise  en  demeure  de  leur  remettre  la  somme  con- 
venue, et  les  Syriens  ne  deviennent  que  plus  hardis  à  recommencer. 
C'est  proprement  le  métier  des  Juifs  dans  les  Etats-Unis! 

Par  tout  ce  qui  précède,  le  lecteur  a  pu  remarquer,  dans  le  Syrien 
émigré,  une  aptitude  extraordinaire,  presque  innée,  à  mentir.  Le  dicton 
«  AH  the  Syrians  are  liars,  tous  les  Syriens  sont  menteurs  »,  se  trouve 
sur  toutes  les  lèvres.  Nous  connaissons  même  plusieurs  Etats  où  les 
juges  et  les  autres  agents  ministériels  répugnent  à  instruire  des 
procès  entre  Syriens.  A  chacune  des  deux  parties  belligérantes  ils  font 
payer  une  amende  de  25  dollars,  sans  autre  forme  de  procès,  puis  ils 
les  congédient  avec  la  meilleure  grâce  du  monde,  en  disant  :  Corne 
again,  please! 

{A  suivre.) 

A.  Zal'oum. 


LE  PREMIER  LIVRE  NÉO-BULGARE  : 

L'  «  ABAGAR  »  DE  L'ÉVÊQUE  STANISLAVOF  (1641) 


Le  premier  monument  connu  de  la  littérature  bulgare  sous  la  domi- 
nation turque,  la  première  brochure  néo-bulgare  imprimée,  est  l'œuvre 
d'un  évêque  catholique  du  xvif  siècle,  Philippe  Stanislavof,  évêque 
latin  de  Nicopolis  sur  le  Danube,  et  célèbre  apôtre  des  Pavlikans.  Cet 
opuscule  est  un  simple  recueil  de  prières  adapté  aux  besoins  religieux 
des  populations  grossières  et  ignorantes  auxquelles  il  était  destiné.  Le 
titre  d'Abagar  qu'il  porte  n'est  pas  sans  piquer  assez  vivement  la  curio- 
sité. C'est  un  titre  qui  ne  correspond  pas  à  tout  le  contenu  du  livre; 
il  n'est  occasionné  que  par  l'insertion  de  la  fameuse  lettre  apocryphe 
du  roi  Abgar,  d'Edesse,  à  Jésus-Christ,  lui  demandant  de  venir  le  guérir 
d'une  maladie  qui  le  retenait  au  lit  depuis  six  ans.  Ce  document  n'est 
qu'une  des  pièces  du  recueil,  mais  l'importance  spéciale  que  lui  attri- 
buaient Stanislavof  et  les  Pavlikans  a  fait  donner  son  nom  à  tout  l'opus- 
cule. Voici  d'ailleurs  comment  l'auteur  lui-même  indique,  à  la  dernière 
page  du  livre,  la  portée  réelle  de  son  œuvre  : 

Comme  l'abeille  recueille  le  miel  et  la  cire  de  diverses  fleurs  odorifé- 
rantes, de  même  Philippe  Stanislavof,  évêque  de  la  grande  Bulgarie,  des 
diff"érents  écrits  des  Pères,  a  recueilli  et  mis  en  ordre  des  prières  bienfai- 
santes, cet  Abagar ;  il  les  a  dédiées  à  son  peuple  bulgare  pour  les  porter 
avec  soi  à  la  place  des  reliques  très  puissantes. 

Vient  ensuite  la  date  très  précise  de  la  publication  du  recueil. 

Cet  «  Abagar  »  a  été  imprimé  l'an  1641  de  Jésus-Christ,  le  6  mai,  dans 
la  ville  sainte  où  reposent  les  corps  des  saints  Pierre  et  Paul,  sous  le 
règne  de  notre  roi  Ibrahim,  sous  Mathieu  le  voïvode  de  Valachie,  et 
sous  Loupoula  le  paisible,  de  la  contrée  de  Bogdan,  surnommé  Vasil 
Voïvoda. 


(i)  Qu'il  me  soit  permis  de  remercier  ici  plusieurs  de  mes  confrères  Assomptionistes 
qui  ont  bien  voulu  m'aider  dans  la  rédaction  de  cette  notice,  en  me  faisant  profiter 
de  leur  parfaite  connaissance  de  la  langue  et  de  la  littérature  bulgare.  Je  dis  aussi  un 
respectueux  merci  à  M.  A.  Teodorof,  secrétaire  de  l'exarchat  bulgare,  et  à  M.  B.  Pao^ 
chenko,  secrétaire  de  l'Institut  archéologique  russe  à  Constantinople.  Je  dois  à  l'ua 
et  à  l'autre  des  indications  bibliographiques  précieuses.  Voir  surtout  A.  Teodorof| 
Beulgarski  knigopis  (Bibliographie  bulgare),  dans  Sbornik  ^a  narodni  oumotvorénia^ 
naouka  i  knijnina  i^dava  ministerstvoto  na  narodnoto  prosviéchténié  (Recueil  de^ 
science,  d'érudition  et  de  littérature  nationale,  édité  par  le  ministère  de  l'Instruction 
publique),  t.  IX.  Sofia,  1893,  Prilojéniê  (Appendice),  p.  6-9  et  p.  i5o-i56. 


LE    PREMIER    LIVRE    NÉO-BULGARE  443 

Disons  tout  de  suite  qu'il  s'agit  du  sultan  Ibrahim  i^r  (1640-1648), 
lu  voïvode  de  Valachie,  Mathieu  Bassarabe  (163 3-1 6^4),  et  de  Basile- 
e-Loup,  prince  de  Moldavie  (1634-1654). 

Enfin  le  livre  se  ferme  sur  ces  touchantes  exclamations  de  la  piété 
;atholicue  : 

Que  le  saint  corps  du  Christ  soit  glorifié  et  loué  à  jamais! 
Jésus  et  Marie,  je  vous  donne  mon  cœur  et  mon  âme. 
Priez  pour  moi,  pécheur.  Amen  (i). 

Au  point  de  vue  typographique,  V Abagar  présente  un  aspect  assez 
ingulier.  C'est  un  opuscule  de  vingt  pages  grand  in-8",  ou  plus  exac- 
ement  de  format  34  X  23,  comprenant  cinq  feuilles  pliées  par  le  milieu 
t  imprimées  seulement  du  côté  intérieur,  c'est-à-dire  au  recto,  tandis 
|ue  le  verso  demeure  blanc.  Chaque  page  est  divisée  en  deux  colonnes. 
,es  cinq  feuilles  étant  ainsi  repliées  l'une  sur  l'autre,  les  deux  pages 
inales  se  trouvent  occuper  le  milieu  de  la  brochure,  et  pour  lire  les 
utres  pages,  il  faut  successivement  se  transporter  en  deçà  et  en  delà 
ie  la  feuille  médiane.  Voir  plus  loin  la  reproduction  de  cette  feuille 
nédiane  et  de  la  première  page.  L'exemplaire  dont  je  dispose  a,  en 
lUtre,  une  interversion  de  feuilles,  la  troisième  ayant  été  par  mégarde 
'lacée  avant  la  seconde  ;  de  telle  sorte  que  la  lecture  de  ces  curieuses 
•ièces  présente  au  premier  abord  quelques  difficultés. 

La  brochure  est  ornée  de  neuf  illustrations  pieuses,  représentations 
le  mystères  ou  de  saints.  Elle  est  sortie  des  presses  de  la  Propagande, 
[ans  les  catalogues  de  laquelle  on  la  trouve  inscrite  à  la  section  des 
ivres  bulgares,  en  ces  termes  :  Preces  quœdam  cum  novem  iconibus 
ylographis  charactere  cirilliano  impressœ  Romce  1641 . 

Quelle  a  été  la  raison  du  procédé  spécial  d'impression  adopté  pour 
e  recueil?  Quelques-uns  ont  supposé  que  les  feuilles  à." Abagar  avaient 
ité  imprimées  de  manière  à  pouvoir  être,  par  exemple,  placardées  aux 
nurs  d'une  maison.  D'autres  ont  pensé  que  la  disposition  typogra- 
'hique  décrite  ci-dessus  avait  pour  but  de  faliciter  au  détenteur  du 
ecueil  le  port  de  ces  diverses  pièces  ou  de  telle  et  telle  d'entre  elles. 
)n  l'a  vu  tout  à  l'heure,  en  effet,  Stanislavof  dédiait  ces  fragments  à 
on  peuple  bulgare,  pour  que  chacun  «  les  portât  sur  soi  à  la  place 
les  reliques  très  puissantes  ».  L' Abagar  aurait  donc  été  comme  une 
orte  d'amulette  chrétienne  analogue  aux  autres  talismans  que  portaient 
u  cou  ou  à  la  poitrine  les  Pauliciens  bulgares.  L'évêque  de  Nicopolis 


(i)  Voir  plus  loin  la  reproduction  phototypique  de  cette  note  finale. 


444 


ÉCHOS    DORIENT 


§  ÎS,T<lU-TMH.l,faACJCT.    U«1<WIIK,  ^ 

^  l^df ,  Njj.  wm  li^ffH» .  Frocnu.  | 

§  in(;i|(»ll<HVOA  lllAKrM.lKMioi.  ^ 

s  acdWdUnfHVBITHiCcjft-.f.-JitiUll.  f< 


K^fTTV  TVf;wfKM!f  ti|jcnicj.tts  2s 
,  r.i!K.urutu.-:iii:  Se»U's;M,  è 

'  ,uu«CJfcKH,>«i.     lj«TWI  K  XIMf >   ^ 


^    n 


*    Ci: 


avait  sans  doute  été  inspiré  par  la  pensée  de  faire  servir  à  la  formation 
chrétienne  de  ses  fidèles  un  usage  qui  jusqu'alors  avait  favorisé  davan- 
tage la  superstition  que  le  véritable  sentiment  religieux.  A  cette  fm,  il 
fit  de  nombreux  emprunts  au  rituel  catholique.  C'est  surtout  de  pareils 

emprunts  qu'est  formé  son 
recueil.  S'il  y  a  inséré 
l'épître  d'Abgar  et  donné  ce 
nom  atout  l'ensemble,  c'est 
que  peut-être  cet  apocryphe 
était  en  vogue  et  en  véné- 
ration chez  les  Pauliciens 
dès  avant  leur  conversion 
au  catholicisme,  et  que  peut- 
être  aussi  le  nom  d'Àbagar 
était  employé  par  eux 
comme  désignation  com- 
mune de  ces  sortes  d'amu- 
lettes. L'énumération  des 
titres  de  chaque  pièce  et  des 
illustrations  qui  les  accom- 
pagnent permettra  de  se 
faire  une  idée  suffisante  de 
l'œuvre  d^  Stanislavof. 

En  y  comprenant  la  not^ 
finale  qu'on  a  lue  plus  haut, 
VAbagar  contient  vingt-cinq 
pièces,  dont  voici  la  liste 
par  numéros  et  dans  l'ordre 
même  du  recueil  ;  les  chiffres  seuls  ont  été  ajoutés. 

En  tête  de  la  première  page,  on  voit  une  gravure  représentant  le 
couronnement  de  la  Vierge  par  la  Sainte  Trinité. 

1.  Louange  au  Christ  et  à  l'indivisible  Trinité. 

2.  Les  noms  du  Seigneur:  celui  qui  craint  Dieu  et  les  porte  sur  soi 
avec  un  cœur  pur  et  un  esprit  éclairé  aura  une  longue  vie  sur  cette  terre. 

C'est  le  début  d'un  apocryphe  très  connu  sur  les  soixante-dix  nor 
de  Dieu. 

3.  Les  noms  de  la  très  sainte  Mère  de  Dieu. 

4.  Epitre  du  roi  Abagar  (i)  écrite  au  Christ  Notre-Seigneur. 


fv&*n-.Cm.i.tÏAra!f,va;nc 
ë  njii'.i-i*nJTcj|),  ÎX);  'K.)irr,  Cïi 

'Ç^  l.!-.--\i«,  P|jj!  KtMiiii.     HcSV  X»K  -i 

J";   .i-î-,t>itw-ji-.  A><>WM>:ji.i(Hiui  % 

j-   ;     iSiuiia:,  Ko-j.,  CjAMq.,  TTpM  S 

\  iiSr,lMi:.A:iT.>,n(i:iia|:«i,<I*ji«i  % 

S  «vvi,,hlii<.-jcri(i;,M.iîA4TU,H.<rj.  3 


Co,  T     H.  J  ir      U 

r  b.<r4f  \\         1      î  '"i 


i,  t)  -Sk  «i»  ri  1 


(i)  Je  respecte,  dans  la  transcription  de  ce  mot,  la  graphie  du  recueil.  Voir  ci-dessûs 


LE    PREMIER    LIVRE    NÉO-BULGARE  445 

5.  Celui  qui  naît  en  ce  monde  souffre  de  maladies  et  de  toutes  sortes 
l'infirmiiés.  Prière  que  récite  le  prêtre,  le  maître  ou  un  clerc  [à  l'occasion 
l'une  naissance]. 

Après  cette  prière  vient  une  image  représentant  Constantin  et  sainte 
iélène. 

6.  Prière  pour  la  sainte  Eglise  de  Dieu  à  réciter  en  tout  temps. 

A  remarquer  dans  cette  prière  une  claire  allusion  aux  Pauliciens  con- 

'ertis  :  « et  pour  nos  nouveaux  fidèles  :  que  Dieu  ouvre  leurs  oreilles- 

fin  qu'ils  puissent  entendre  la  voix  du  Pasteur  qui  les  a  tirés  de  l'infi- 
lélité  par  le  baptême.  » 

7.  Prière  à  l'heure  de  la  mort. 
Image  de  saint  Michel  archange. 

8.  Prière  à  dire  au  moment  où  l'âme  quitte  le  corps. 
Image  de  saint  Nicolas  de  Myre. 

9.  Prière  pour  le  voyageur. 

Image  représentant  saint  Cyrille  et  saint  Athanase. 

10.  Prière  pour  toute  nécessité. 
Image  de  saint  Georges. 

11.  Prière  pour  une  femme  stérile. 

12.  Prière  pour  toute  femme  ou  tout  homme  tourmenté  par  Satan  ou 
)ar  un  sorcier.  Le  prêtre  revêt  l'habit  ecclésiastique,  met  l'étole  à  son 
;ou  et  récite  cette  prière. 

i3.  Prière  contre  le  démon.  Cette  prière  est  très  efficace. 

14.  Prière  lue  par  le  prêtre  pour  les  femmes  stériles. 

i5.  Prière  ou  chant  du  soldat  conquis  à  Jésus-Christ  non  par  le  sabre 
li  le  glaive  ni  le  bouclier  ou  n'importe  quelle  armure,  mais  par  le  poids 
ie  la  croix,  qui  a  pouvoir  même  sur  les  égarements  de  Satan. 

1   Cette  prière  n'est  autre  que  le  Pater.  Mais  il  y  manque  les  mots  : 
<  Que  votre  règne  arrive  ». 

16.  Prière  à  la  Sainte  Vierge  pour  tout  temps  et  toute  heure. 

C'est  VAve  Maria.  Elle  est  suivie  de  l'image  de  saint  Basile  le  Grand. 

17.  Prière  :  Louez  Dieu  à  cause  de  ses  bienfaits. 

18.  Prière  :  Louez  Dieu  à  cause  de  sa  bonté. 


ans  la  reproduction  phototypique  de  la  première  page  du  recueil,  au  bas  de  la 
'  colonne,  le  début  de  la  lettre  d'Abgar. 


446  ÉCHOS    d'orient 


Ces  deux  prières  sont  tirées  du  psaume  cxlviii.  Vient  ensuite  l'image 
de  saint  Dimitri. 

19.  Prière:  Louez  Dieu  sans  cesse  dans  le  malheur  et  dans  le  bonheur. 
Sous  cette  rubrique,  c'est  le  Te  Deum  qui  se  lit. 

20.  Prière  à  réciter  quand  l'âme  souffre. 

Ce  titre  paraît  étrange  pour  annoncer  le  Magnificat;  il  semblerait 
dénoter  chez  l'auteur  du  recueil  un  élan  de  mysticisme  assez  élevé  pour 
glorifier  Dieu  jusque  dans  l'épreuve,  et  chez  le  peuple  auquel  il  s'adresse 
assez  de  prise  au  sens  surnaturel.  Le  Magnificat  est  suivi  de  l'image 
de  saint  Etienne  lapidé  par  les  Juifs. 

21.  Prière  pour  louer  Dieu. 

Ici  c'est  la  doxologie  par  excellence  ou  Gloria  in  excelsis,  que  Stanis- 
lavof  transcrit. 

22.  Prière  à  réciter  sur  les  malades. 

Dans  cette  prière  sont  mentionnés  un  grand  nombre  de  saints  d'Orient 
et  d'Occident.  On  y  remarque,  entre  autres,  l'invocation  de  saint  Etienne, 
qui  est  nommé  protecteur  et  gardien  de  la  nation  bulgare. 

23.  Prière  à  lire  quand  on  a  le  mal  de  tête. 

24.  Prière  que  le  prêtre  récite  pour  toutes  sortes  d'infirmités. 

Ce  morceau  correspond  aux  prières  apocryphes  publiées  par  Tikhou- 
ravof  (i). 

25.  En  dernier  lieu  vient  la  note  finale,  où  Stanislavof  indique  le 
caractère  de  son  œuvre  et  la  date  de  sa  publication. 

* 
»  •* 

Il  existe  très  peu  d'exemplaires  de  VAbagar  de  Stanislavof.  Quatre 
seulement  étaient  connus  de  ceux  qui  se  sont  occupés  jusqu'ici  de  C£( 
premier  et  modeste  monument  de  la  littérature  néo-bulgare.  11  faut  eut' 
ajouter  un  cinquième,  qui  se  trouve  à  la  bibliothèque  des  Assomptio-; 
nistes  de  Kadi-Keuï  et  que  j'ai  sous  les  yeux  en  rédigeant  cette  notice,| 

Ce  n'est  que  vers  1825  que  le  critique  russe  P.  Keppen,  qui  avafl 
sans  doute  vu  l'exemplaire  de  la  Propagande,  le  signala  pour  la  première 
fois  dans  les  Biblio^raphitcheskié  listi  (Feuilles  bibliographiques)  {2^ 

Un  peu  plus  tard,  un  autre  exemplaire  fut  découvert  dans  la  biblic 
thèque  de  Tchertkov,  en  Russie  (3). 


(i)  TiKHOURAvoF,  Pamiatniki  otrechénoï  rouskoï  litteratoury,  II,  357-358. 

(2)  P.  Keppen,  Bibliographitcheskié  listi,  489,  585. 

(3)  Vceobchtata  bibliotheca  Rossii.  Moscou,  i838,  p.  610;  Sakharof,  Obo^rénié  si 


LE    PREMIER    LIVRE    NEO-BULGARE 


447 


i  »t«mri»inr»n»«i«»j» 


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1  Vv  M'tmrrwKblJTiitlbik^df  4Ak  >, 


\'.  Kopitar  eut  entre  les  mains  un  troisième  exemplaire  de  VAbagar 
luand  il  écrivit  son  article  :  De  hulgaricis  quœ  in  Propagandœ  catalogo 
ndicaniur  sic  :  (Libri)  Biilgari  Stanislarov  {pro  Stanislavof)  Philippus 
piscopus  Nîcopolitaiîus.  Preces  quœdam  sine  anno  et  in  folio,  ut  ajunt, 
iperto  (i). 

L'indication  sine  anno  est  fautive,  puisque,  comme  on  l'a  vu  plus 
laut  et  comme  on  peut  s'en  rendre  compte  par  la  reproduction  photo- 
graphique de  la  page  finale,  Stanislavof  précise  l'année  où  son  livre 
ut  imprimé  à  Rome.  Cette  date  est  indiquée  à  l'aide  des  lettres  AXHA. 
\  étant  la  forme  slave  de  la  lettre  N,  leur  valeur  numérique,  d'après 
e  système  emprunté  aux  Grecs,  donnerait  le  chiffre  de  1651.  Mais  cette 
late  ne  concorde  pas  avec  les  autres  données  de  Stanislavof  concernant 
es  princes  sous  le  gouvernement  desquels  fut  imprimé  le  recueil.  Il 
uflfit  de  consulter  l'histoire  et  la  chronologie  de  ces  princes,  pour  se 
endre  compte  que  la  date  165 1  doit  être  corrigée  en  celle  de  1641. 
.'Abagar,  est-il  dit  dans  la  note  finale,  a  été  imprimé  au  temps  du  sultan 
brahim  I«  (1640- 1648),   du  voïvode  de  Valachie  Mathieu  Bassarabe 


iano-rousskoï  bibliog7-aphii.  Saint-Pétersbourg,  1849,  n'  536;  Karataef,  Chronolo- 
'itcheskaïa  rospis  slaviano-roiisskikh  knig,  p.  82-83;  Oundolskiy,  Chronologitcheskii 
ïuka^tel  slaviano-rousskikh  knig.  Moscou,  1871,  n°  656. 

;  (0  Dans  llesychii  glossographi  discipulus  et  àTctYXwaaKrrr,;  russus.  Vienne,  iSSq, 
|.  45-46. 


^48  ÉCHOS  d'orient 


(1633- 1654),  et  de  Basile  le  Loup,  prince  de  Moldavie  (1634- 1654). 
Le  sultan  Ibrahim  l^"-  ayant  été  déposé  le  6  août  1648,  étranglé  le 
18  août  de  la  même  année  et  remplacé  par  Mohammed  IV  (1648-1687), 
les  données  de  cette  note  finale  ne  peuvent  se  réaliser  qu'en  supposant 
la  date  de  1641 ,  c'est-à-dire  en  corrigeant  la  lettre  slave  H  (=  N  laquelle 
=  50)  en  la  lettre  M,  dont  la  valeur  numérique  correspond  au  chiffre  40. 
Ainsi  donc,  bien  que  le  texte  imprimé  fournisse  la  date  de  1631 
(AXNA),  c'est  certainement  1641  (AXMA)  qu'il  faut  restituer. 

Le  professeur  A.  Leskien  a  trouvé  dans  la  bibliothèque  universitaire 
de  Leipzig  un  quatrième  exemplaire  de  VAhagar  (i). 

Le  cinquième  exemplaire  connu  se  trouve,  avons-nous  dit,  à  la  biblio- 
thèque des  Echos  d'Orient,  à  Kadi-Keui,  Constantinople.  Nous  avons 
le  plaisir  de  présenter  à  nos  lecteurs  en  reproduction  phototypique  la 
première  page  du  recueil,  qui  débute  par  la  gravure  du  couronnement 
de  la  Vierge  par  la  Sainte  Trinité,  et  les  deux  pages  finales  qui,  comme 
nous  l'avons  expliqué  plus  haut,  constituent  la  feuille  du  milieu  de  la 
brochure.  Cette  feuille  est  illustrée  par  l'image  de  saint  Etienne  le 
premier  martyr. 

La  langue  de  VAhagar  est  un  curieux  mélange  de  croate  et  de  bul- 
gare. C'est  l'idiome  que  parlaient  alors  les  Pavlikans  des  bords  du 
Danube,  auxquels  Stanislavof  destinait  son  recueil.  Une  de  ses  particu- 
larités les  plus  remarquables,  c'est  la  confusion  des  lettres  /;{  et  ich. 
On  ne  s'attend  pas,  du  reste,  à  trouver  un  caractère  proprement  litté- 
raire, dans  le  sens  que  nous  donnons  à  ce  mot  en  français,  à  cette 
compilation  de  prières  populaires,  dont  les  titres  ci-dessus  énumérés 
suffisent  à  dire  la  naïve  simplicité.  La  véritable  importance  de  VAhagar 
consiste  en  ce  qu'il  est  le  premier  livre  néo-bulgare  imprimé. 

11  est  assez  intéressant  de  constater  que  cet  honneur  revient  à  une 
œuvre  sortie  de  la  plume  d'un  évêque  catholique  et  des  presses  de  la 
Propagande.  J'espère  pouvoir  esquisser  prochainement  pour  les  lecteurs 
des  Echos  d'Orient  l'attachante  physionomie  de  ce  missionnaire  catho 
lique,  dont  le  nom  ouvre  ainsi  modestement  l'histoire  de  la  littérature 
néo-bulgare.  S.  Salavili.e. 

Constantinople. 


(i)  A.  Lr.sKiEN,  Abagar ein  neubulgarischer  Druck  aus  dem  XVIIJahrhundert,  dan 
Archiv  fur  slaptsche  Philologie,  1879,  III,  p.  5i8-52i.  Voir  encore,  pour  complémen 
de  bibliographie,  l'article  :  Abagar  pervii  petchatnii  pamiatnik  novo-bolgarskoï  lii 
teratoury,  dans  Slavianskiy  Sbornik,  1877,  t.  II,  p.  1-12;  et  celui  de  M.  Poproujenkc 
Abagar,  Contribution  à  l'histoire  de  la  renaissance  du  peuple  bulgare,  dans  1 
Bulletin  de  l'Académie  impériale  des  sciences  à  Saint-Pétersbourg,  section  de  1 
langue  et  de  la  littérature  russe,  X,  1905,  p.  229-258. 


CHRONIQUE  DE  L'ÉGLISE  RUSSE 


La  dernière  chronique  de  l'Eglise  russe  parue  dans  les  Echos  d'Orient 
ate  de  juillet  19 lo.  Nos  lecteurs  doivent  attendre  avec  impatience 
u'on  leur  parle  de  nouveau  de  cette  autocéphalie  qui  l'emporte  de 
eaucoup  sous  tous  les  rapports  sur  ses  sœurs  orthodoxes,  et  à  laquelle 
n  s'intéresse  particulièrement  en  Occident.  Aussi  bien,  cette  Eglise 
raverse,  à  l'heure  qu'il  est,  une  crise  des  plus  graves.  Il  y  a  deux  ans, 
in  croyait  enterrés  pour  jamais  les  vastes  projets  de  réorganisation 
cclésiastique  éclos  aux  premières  brises  de  la  liberté  et  tout  au  long 
xposés  dans  les  rapports  de  la  Consultation  préconciliaire  de  1906. 
)r,  voici  qu'à  l'aurore  de  191 2  le  vent  des  réformes  a  de  nouveau 
,oufné  sur  la  lourde  embarcation  du  saint  synode,  et,  ce  qu'il  y  a  de 
)lus  curieux,  c'est  que  celui  qui  a  ouvert  l'outre  d'Eole  n'est  autre  que 
e  nouveau  procureur  général,  M.  Sabler.  Un  procureur  du  saint  synode 
;st  une  personnalité  trop  marquante  dans  l'Eglise  russe  pour  qu'on  ne 
j'arrête  pas  un  instant  à  contempler  ses  traits.  Un  écrivain  ecclésias- 
ique  n'a-t-il  pas  écrit  dernièrement  «  que  l'histoire  de  l'Eglise  russe, 
rendant  les  deux  derniers  siècles,  c'était  l'histoire  des  procureurs  géné- 
aux,  et  que  l'Eglise  n'était,  au  fond,  que  leur  chancellerie  ».  Parlons 
ionc,  tout  d'abord,  de  M.  Sabler. 

*Le  nouueaa  procureur  du  saint  synode. 

Depuis  la  démission  du  célèbre  Pobiédonotsef,  le  17  octobre  1906,  le 
)OSte  de  haut  procureur  du  saint  synode  dirigeant  n'a  pas  eu  moins 
le  cinq  titulaires.  C'est  un  signe  des  temps.  Tandis  que  Pobiédonotsef 
)résida  aux  destinées  de  l'Eglise  russe  vingt-cinq  ans  durant,  le  règne 
ie  ses  successeurs  n'a  guère  dépassé  la  moyenne  d'un  an.  Le  premier 
ut  le  prince  Obolenski  (19  octobre  1905-26  avril  1906),  un  libéral 
omme  il  en  fallait  alors,  qui  fit  à  un  prêtre  catholique  l'aveu  suivant  : 
i  Je  ne  comprends  pas  que  je  puisse  me  trouver,  moi  laïque,  à  la  tête 
|e  l'Eglise  orthodoxe,  et  je  ne  conserve  pour  le  moment  ma  charge 
||u'avec  l'intention  bien  arrêtée  d'arriver  à  établir  un  nouvel  état  de 
rhoses  plus  selon  l'ordre.  »  {Echos  d'Orient,  IX,  49.)  Comme  il  ne 
tomprenait  pas,  on  ne  tarda  pas  à  lui  signifier  son  congé.  11  eut  pour 
iuccesseur  une  étoile  filante,  M.  Chirinski  Chikhmatof,  qui  passa  du 
\b  avril  au  9  juillet  1906  sans  laisser  de  trace.  Plus  long  fut  le  règne 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  ag 


450  ÉCHOS    D  ORIENT 


de  M.  Pierre  Pétrovitch  Izvolski,  ancien  adjoint  du  ministre  de  i'Instruc 
tion  publique  (27  juillet  1906-5  février  1909).  Pendant  ces  deux  années 
et  demie,  la  réaction  antilibérale  battit  son  plein.  Le  Congrès  des  mis- 
sionnaires de  Kief,  en  1908,  éleva  très  haut  la  voix  pour  appeler  au 
secours  de  l'orthodoxie  menacée.  On  voulut  bien  l'entendre  en  haut 
lieu,  mais  le  concile,  le  grand  sobor  de  toutes  les  Russies,  fut  relégué 
au  nombre  des  chimères.  On  n'en  parla  presque  plus  dans  la  presse 
ecclésiastique,  malgré  tout  le  désir  qu'on  en  avait. 

Pour  des  causes  à  nous  inconnues,  M.  Izvolski  fut  remplacé,  le 
5  février  1909,  par  M.  S.  M.  Loukianof,  un  honorable  médecin-chirur- 
gien, directeur  dépuis  1894  de  l'Institut  de  médecine  expérimentale  à 
Saint-Pétersbourg.  Sous  sa  haute  direction,  l'étranglement  de  la  liberté 
religieuse,  et  les  tracasseries  contre  les  cultes  dissidents,  en  particulier 
contre  le  catholicisme,  ont  continué  de  plus  belle.  Cependant,  ce  pra- 
ticien paraît  n'avoir  pas  réussi  dans  toutes  ses  opérations  pour  guérit 
un  organisme  malade.  II  a  été,  je  crois,  trop  médecin  et  pas  assez  chi- 
rurgien. Il  n'a  amputé  rien  du  tout,  alors  que  le  monde  ecclésiastique 
soupire  généralement  après  l'emploi  du  bistouri.  Voilà  sans  doute  poui 
quoi  M.  Loukaniof  a  été  renvoyé  avec  force  mercis  à  sa  clinique, 
2  mai  191 1.  C'est  M.  Vladimir  Karlovitch  Sabler  qui  lui  à  succédé, 
tout  fait  prévoir  que  ce  sera  pour  longtemps. 

Le  nouveau  titulaire  n'est  pas,  en  effet,  comme  ses  quatre  prédéces- 
seurs, un  homme  étranger  aux  choses  ecclésiastiques.  Vingt-cinq  arù^ 
durant,  c'est-à-dire  pendant  tout  le  règne  de  Pobiédonotsef,  il  fit  parti* 
du  personnel  du  saint  synode,  d'abord  comme  jurisconsulte,  ensuit» 
comme  directeur  de  la  chancellerie,  enfin  —  et  cela  pendant  plus  (M 
dix  ans  —  comme  adjoint  de  Pobiédonotsef. 

Sa  nomination  a  d'abord  été  accueillie  avec  une  certaine  défiance 
Sa  qualité  d'ancien  adjoint  du  terrible  Pobiédonotsef  n'était  pas  faiti 
pour  lui  attirer  les  sympathies  de  ceux  qui  désirent  des  réformes.  Cej 
tains  de  ces  derniers,  cependant,  se  sont  plu  à  rappeler  qu'en  une  cil 
constance  solennelle  il  s'était  séparé  de  son  illustre  maître  et  patroq 
en  se  prononçant  nettement  pour  la  convocation  du  concile,  et  | 
Gaietie  de  Moscou  s'est  empressée  de  saluer  en  lui  l'homme  qui  allai 
enfin  réaliser  les  'espérances  de  l'Eglise  russe,  tandis  qu'au  Novoi 
VremicL,  M.  Menchikoff,  représentant  du  groupe  des  sceptiques,  qui  es 
fort  nombreux,  a  mis  le  nouvel  élu  au  défi  de  faire  quoi  que  ce  soiil 
et  lui  a  promis  de  l'inscrire  au  nombre  des  nouveaux  saints  russes 
«  malgré  son  origine  allemande  »,  s'il  réunissait  le  sobor  et  rétablissai 
le  patriarcat  (no  12623  du  Novoïe  Vremia). 


CHRONIQUE    DE    L  EGLISE    RUSSE  45  I 

Les  premiers  actes  du  nouveau  procureur  ont  paru  donner  raison  aux 
)ptimistes.  Sous  sa  direction,  on  a  poursuivi  avec  entrain  la  réforme 
le  l'enseignement  ecclésiastique.  Le  2  avril  19 10,  un  nouveau  règie- 
nent  des  Académies  ecclésiastiques  avait  été  sanctionné  par  l'autorité 
,ouveraine  du  tsar,  et  il  était  entré  en  vigueur  dès  le  début  de  l'année 
;colaire  1 9 10- 191 1. 

Mais,  de  l'avis  des  gens  compétents,  cette  réforme  avait,  dès  son 
)erceau,  besoin  d'être  réformée.  M.  Sabler  s'est  employé  de  son  mieux 
i  faire  quelques  points  dans  ce  vêtement  neuf,  sans  parvenir,  du  reste, 
1  satisfaire  tout  le  monde,  car  les  professeurs  se  plaignent  qu'on  a  aug- 
nenté  le  travail  sans  élever  les  honoraires.  Ainsi  remanié,  le  règlement 
les  Académies  a  pu  être  observé  dès  la  rentrée  de  191 1.  On  attend 
ncessamment  la  confirmation  des  nouveaux  statuts  des  Séminaires 
;t  des  autres  écoles  ecclésiastiques  qu'a  élaborés  une  Commission 
ipéciale. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  l'enseignement  ecclésiastique  qui  a 
)esoin  de  réforme,  c'est  un  peu  tout.  Or,  le  clergé  s'obstine  à  répéter, 
:haque  fois  que  cela  est  possible,  que  seul  un  concile  plénier  mènera 
i  bien  cette  réforme  générale.  11  ne  peut  se  résoudre  à  admettre  que 
a  fameuse  assemblée  préconciliaire  de  1906  ait  travaillé  en  vain. 
Vl.  Sabler  a  compris  qu'il  était  difficile  d'étouffer  ces  légitimes  aspira- 
tions, et  il  s'est  décidé  à  les  satisfaire,  au  moins  provisoirement.  Un 
bukase  du  28  février  19 12  est  venu  faire  briller  de  nouveau  au  ciel  de 
jâ  sainte  Russie  l'espoir  radieux  du  grand  concile  par  l'établissement 
l'une  Commission  préconciliaire. 

*La  Commission  préconciliaire. 

Les  travaux  de  l'Assemblée  préparatoire  de  1906  (Priçoustvie)  ont 
té  publiés  en  quatre  tomes  bien  fournis.  11  y  a  là  des  matériaux  fort 
ivers,  de  longs  rapports  comme  en  savent  faire  les  Russes  sur  à  peu 
rès  toutes  les  questions  concernant  la  vie  intérieure  de  l'Eglise  russe, 
e  quoi  occuper  une  assemblée  délibérante  pendant  plusieurs  années, 
^'est  pour  reviser  tout  ce  fatras,  où  il  y  a  tant  de  bonnes  choses,  pour 
'ier,  compulser,  accorder,  supprimer,  ajouter,  amender  dans  le  sens 
oulu,  en  un  mot  pour  mâcher  la  besogne  au  futur  concile,  que  la  Com- 
hission  préconciliaire  du  28  février  (Predsobormie  Soviechtcbanie)  a  été 
bblie.  Elle  doit  aussi  classer  à  part  les  questions  susceptibles  d'être 
fanchées  directement  par  le  saint  synode,  ce  qui  est  un  peu  vague. 
.  l'heure  où  j'écris,  la  Commission  a  déjà  tenu  six  sessions.  Les  con- 


■  4^2  ÉCHOS    D  ORIENT 

clusions  adoptées  sont  des  plus  progressistes,  au  moins  en  appareno 
L'assemblée  est  présidée  par  un  membre  du  saint  synode,  Mgr  Sergi 
archevêque  de  Finlande.  Elle  doit  durer  jusqu'à  la  convocation  du  coi 
cile.  Jusqu'ici,  le  procureur  général  a  toujours  assisté  aux  sessions.  Oi 
été  nommés  membres  dès  le  début  :  Mg*"  Antoine,  archevêque  c 
Volhynie,  et  Mgr  Euloge,  évêque  de  Chelm,  pour  le  temps  de  leur  pn 
sence  au  saint  synode;  l'archiprêtre  Timothée  Boutkevitch,  membi 
du  Conseil  de  l'empire;  M.  Michel  Ostrooumov,  conseiller  d'Etat  effecti 
et  M.  Ivan  Sokolov,  professeur  d'histoire  gréco-orientale  à  l'Académ 
ecclésiastique  de  Pétersbourg.  Le  secrétaire  est  M.  Stepan  Rounkevitcï 
directeur  adjoint  de  la  chancellerie  synodale.  Le  président  a  la  liber 
d'appeler  à  la  participation  des  travaux  de  la  Commission  tout  persoi 
nage  capable  de  rendre  des  services.  11  est  à  remarquer  que  M&r  Ser^ 
et  la  plupart  de  ses  collaborateurs  ont  fait  partie  de  la  Consultatic 
de  1906. 

La  première  session  s'est  tenue  le  8  mars.  On  y  a  réglé  l'ordre 
suivre  dans  l'examen  des  questions.  A  la  deuxième  session  (6  avril 
on  a  abordé  la  question  capitale  du  haut  gouvernement  ecclésiastiqu 
Après  un  examen  attentif  des  règlements  en  vigueur  dans  les  autr 
autocéphalies  orthodoxes,  spécialement  dans  les  patriarcats  orientau 
la  Commission  a  décidé  la  rédaction  d'un  projet  de  constitution  pa 
l'Eglise  russe,  déterminant  les  droits  du  futur  patriarche  —  car  il^ 
entendu  qu'il  y  en  aura  un,  —  ses  relations  avec  le  synode  qui  l'as 
tera,  la  composition  et  le  rôle  de  celui-ci,  la  tenue  des  conciles  péf 
diques.  C'est  Mg^  Serge  qui  s'est  chargé  de  rédiger  le  règlement^ 
question.  De  son  côté,  Mg^  Flavien,  de  Kiev,  qui  assistait  aux  dél 
rations,  s'est  offert  pour  élaborer  un  autre  projet  concernant  l'étal 
sèment  de  nouvelles  éparchies  et  de  nouveaux  vicariats  dans  rEg| 
russe. 

La  troisième  session  (12  avril)  a  été  aussi  très  importante.  On 
est  occupé  de  l'administration  diocésaine  en  s'aidant  non  seulemti 
des  rapports  de  l'Assemblée  de  1906,  mais  encore  des  statuts  en  usi'? 
dans  les  autres  églises  orthodoxes.  j 

La  Commission  a  adopté  la  proposition  de  la  Consultation  précorr 
liaire  de  diviser  la  Russie  en  sept  districts  métropolitains  ayant  p(ji' 
centres,  outre  les  trois  métropoles  déjà  existantes  (Moscou,  Kievjt 
Pétersbourg),  Irkoutsk  pour  la  Sibérie,  Tiflis  pour  la  Géorgie,  Vila 
pour  les  éparchies  du  Nord-Ouest,  Kazan  pour  les  éparchies  du  Nc|- 
Est.  Le  métropolitain  jouira  d'une  primauté  d'honneur  sur  ses  sulji- 
gants,  convoquera  et  présidera  le  synode  de  son  district  et  veillei(a 


CHRONIQUE    DE    L  ÉGLISE    RUSSE  453 

'exécution  de  ses  décisions.  Au  synode  métropolitain  appartiendra  le 
Iroit  de  pourvoir  aux  évêchés  vacants,  mais  l'élection  devra  être  con- 
irmée  par  le  patriarche  et  son  synode,  avec  l'approbation  du  tsar.  Le 
[Consistoire  diocésain  sera  remplacé  par  la  Direction  diocésaine  {Epar- 
ihialnoïe  Pravlénie),  dont  les  ecclésiastiques  seuls  pourront  faire  partie. 
)e  la  Direction  diocésaine  sera  séparé  le  tribunal  ecclésiastique,  comme 
;ela  se  pratique  dans  plusieurs  Eglises  orientales.  C'est  l'évêque  qui 
:hoisira  les  membres  de  sa  Direction,  mais  son  choix  devra  être  con- 
irmé  par  le  saint  synode  patriarcal,  présidé  par  le  patriarche. 

Les  quatrième,  cinquième  et  sixième  sessions  (21,  27  avril,  4  mai) 
)nt  été  consacrées  à  la  réforme  des  tribunaux  ecclésiastiques.  La  Com- 
Tiission  s'est  prononcée  nettement  pour  la  séparation  du  tribunal  de  la 
lection  administrative.  On  distingue  trois  sortes  de  tribunaux:  i"  les 
ribunaux  des  blagotchines,  qui  jouent  un  peu  le  rôle  de  juges  de  paix 
)armi  les  ecclésiastiques  et  sont  soumis  à  l'Ordinaire;  2°  les  tribunaux 
liocésains,  composés  de  membres  permanents  et  de  membres  tempo- 
aires,  tous  prêtres,  choisis  par  l'évêque  et  confirmés  par  le  synode 
)atriarcal;  3°  le  tribunal  suprême,  qui  est  placé  sous  la  juridiction 
mmédiate  du  patriarche  et  de  son  synode,  dont  il  forme  une  section 
ipéciale. 

Telles  sont  les  principales  décisions  prises  jusqu'à  ce  jour  par  la  Com- 
nission  préconciliaire.  Si  l'on  s'en  tient  aux  apparences,  si  l'on  fait 
ittention  au  vocabulaire,  c'est  un  bouleversement  presque  radical  de 
'organisation  actuelle  qui  sera  proposé  aux  délibérations  du  futur  con- 
fie. Mais  si  l'on  va  au  fond,  on  s'aperçoit  vite  que  les  changements 
;ont  très  superficiels.  D'abord,  on  ne  parle  pas  de  supprimer  le  poste 
i'Ober  Procuror.  Celui-ci  continuera  vraisemblablement  auprès  du  futur 
synode  patriarcal  les  fonctions  qu'il  exerce  maintenant  auprès  du  saint 
jynode  dirigeant,  et  le  placet  du  tsar  sera  toujours  nécessaire  pour  les 
lécisions  de  quelque  importance.  La  centralisation  bureaucratique  per- 
;istera.  Il  y  aura  un  patriarche  à  la  place  d'un  président  du  saint  synode, 
in  synode  patriarcal  à  la  place  du  saint  synode  dirigeant,  une  direction 
liocésaine  au  lieu  d'un  Consistoire  diocésain,  terme  qui  sent  trop  le 
protestantisme;  mais  l'Eglise  russe  restera  sous  la  tutelle  de  l'Etat;  elle 
>era  tout  comme  maintenant  sa  prisonnière  et  son  esclave.  Et  cela  est 
àtal.  Pour  qu'elle  fût  libre,  l'Eglise  russe  devrait  faire  du  patriarche 
lu'on  lui  promet  une  sorte  de  Pape;  mais  de  Pape,  le  pouvoir  civil  n'en 
/eut  à  aucun  prix.  C'est  lui-même  qui  est  et  qui  restera  le  vrai  Pape, 

Qu'on  ne  m'accuse  pas  de  pessimisme.  Ce  que  je  viens  de  dire 
evient  à  ce  qu'on  lit  dans  un  long  article  signé  Cave,  paru  dernière- 


454 


BCHOS    D  ORIENT 


ment  dans  les  Tserlwvnyia  yiédomosti^  organe  du  saint  synode  (nos  22 
et  23  de  1912).  Cet  article,  intitulé  :  Sur  la  constitution  canonique,  débute 
ainsi  : 

A  ce  qu'il  paraît,  le  préjugé  que  notre  Eglise  russe,  depuis  l'époque  de 
Pierre  le  Grand,  spécialement  depuis  l'établissement  du  saint  synode 
dirigeant,  n'a  pas  d'organisation  canonique,  bien  plus,  ne  possède  pas 
dans  l'ensemble  de  constitution  canonique,  se  répand  de  plus  en  plus 
parmi  nous.  Gela  se  dit  au  Gonseil  de  l'Empire  et  à  la  Douma  impériale; 
cela  se  lit  dans  les  revues  ecclésiastiques  et  dans  la  presse  laïque.  Sur  ce 
sujet,  on  trouve  d'assez  longues  dissertations,  même  dans  les  réponses 
des  Révérendissimes  des  éparchies  (les  évêques  diocésains),  concernant 
la  réforme  ecclésiastique  projetée.  On  en  parla  pas  mal  dans  la  Consul- 
tation préconciliaire;  on  en  cause  pas  mal  encore  dans  les  conversations 
privées  et  dans  les  salons.  Pourtant  —  et  à  cela  rien  d'étonnant,  —  ces 
dires,  ces  jugements  et  ces  réclamations  de  «  rétablissement  »  de  la  con- 
stitution canonique  ne  reposent  le  plus  souvent  sur  aucun  fondement 
canonique,  et  ne  découlent  d'aucune  connaissance  profonde  des  canons. 
Car  il  n'est  pas  si  facile  que  cela  paraît  de  se  faire  une  idée  de  ce  qu'est 
«  la  constitution  canonique  v.  Pour  cela,  il  ne  suffit  pas  de  dire  que  1ê 
constitution  canonique  est  celle  dont  parlent  les  canons,  car  il  n'est  pas 
facile  de  comprendre  les  canons,  et  il  est  encore  plus  difficile  de  les  appli- 
quer à  la  vie  courante  et  aux  circonstances  présentes. 

Là-dessus,  M.  Prends-Garde  ic2LX  c'est  bien  ainsi  qu'il  faut  traduire  Cave^ 
donne  différentes  définitions  du  «  canonique  »  prises  aux  canonisteî 
russes.  Ces  définitions  sont  fort  intéressantes  et  pas  du  tout  concor 
dantes.  Je  n'en  citerai  qu'une  seule,  celle  du  professeur  Bolotov,  ains 
conçue  :  «  Est  canonique  ce  qui  concorde  avec  la  pratique  la  plus  récent* 
de  l'Eglise  de  Constantinople.  »  Suit  un  long  aperçu  historique  sui 
l'organisation  ecclésiastique  des  premiers  siècles,  où  l'on  montre  qin 
le  droit  canon  a  toujours  changé  suivant  les  époques  et  les  pays.  Comm+ 
la  Commission  préconciliaire  a  fait  souvent  appel,  pour  motiver  ses  déci 
sions,  aux  règlements  des  autres  autocéphalies,  et  en  particulier  au 
statuts  de  l'Eglise  de  Constantinople,  l'auteur  se  paye  le  malin  plaisi 
d'établir  que  la  constitution  des  autres  Eglises  a  subi  force  avatars  e 
que  les  xavovia-;jLol  actuels  du  patriarcat  œcuménique,  vieux  de  cinquant 
ans,  font  ressembler  étrangement  l'Eglise  de  Constantinople  à  l'Eglis 
russe.  Le  patriarche  œcuménique,  malgré  ses  prétentions  au  papisme 
n'a  jamais  été  un  souverain  absolu  comme  le  Pape  de  Rome,  c'est  u 
roi  constitutionnel,  un  président  de  république.  Si  les  règlements  Ii 
donnent  juridiction  sur  le  synode,  lui-même  est  jugé  par  le  synode 

11  n'y  a  pas  bien  longtemps  qu'un  représentant  de  l'Eglise  grecqu 


CHRONIQUE    DE    L  ÉGLISE    RUSSE  4S5 

affirmait  que,  en  cas  de  conflit  entre  les  membres  du  synode,  l'affaire  se 
règle  par  voie  administrative.  Il  est  visible  que  tout  cela  rappelle  notre 
constitution  synodale  russe,  et  personne  là-bas  ne  proteste  contre  elle. 

Et  M.  Cave  de  conclure  qu'au  fond  tout  est  canonique  :  Le  «  cano- 
nique »,  ce  n'est  exclusivement  ni  le  constantinopolitain,  ni  l'alexan- 
drin, ni  le  carthaginois,  ni  le  romain,  ni  le  russe,  ni  le  serbe,  ni  le 
bulgare,  parce  que,  malgré  les  différences  et  les  discordances,  tout  cela 
peut  être  canonique  comme  en  fait  cela  l'a  été.  Les  principes  fonda- 
mentaux de  la  constitution  canonique  de  l'Eglise  dans  tous  les  temps 
ont  été  les  trois  suivants  :  1°  Le  gouvernement  de  l'épiscopat  universel 
remontant  aux  apôtres  par  la  voie  de  l'ordination  ininterrompue; 
2^  l'organisation  de  l'épiscopat  universel  en  hiérarchie  locale  et  natio- 
nale sur  le  plan  de  l'organisation  civile  et  nationale;  d'où  il  suit  que 
l'organisation  de  chaque  Eglise  autocéphale  a  ses  particularités  ;  y  le 
maintien  du  principe  conciliaire  dans  toute  organisation  donnée,  prin- 
<:ipe  qui  écarte  tout  gouvernement  par  un  seul,  car  c'est  l'épiscopat  lui- 
même,  réuni  en  concile  œcuménique,  qui  est  l'autorité  universelle 
suprême. 

Ces  principes  fondent  la  constitution  canonique  commune, 'qui   s'est 

exprimée  de  diverses  manières  dans  l'histoire  de  la  législation  canonique 

D'où  il  appert  que  la  constitution  canonique  n'est  pas  immuablement 
celle  de  Constantinople  ni  celle  de  Carthage.  Ce  peut  être  la  bulgare,  la 
serbe  et  la  russe.  Du  moment  que  notre  constitution  synodale  ne  contredit 
pas  ces  principes  communs  et  les  exprime  à  sa  manière,  elle  est  aussi 
canonique  qu2  celle  de  l'Eglise  de  Constantinople  à  l'heure  actuelle,  ou 
celle  qu'elle  avait  à  l'époque  de  Justinien.  Nous  ne  comprenons  absolu- 
ment pas  pourquoi  nous  aurions  besoin  d'une  réforme  ecclésiastique  qui 
nous  reporterait  à  mille  ans  en  arrière.  Nous  pouvons  exister  d'une 
manière  tout  à  fait  canonique,  en  nous  contentant  de  réorganiser  et 
d'améliorer  la  constitution  synodale  actuelle,  qui  ne  s'oppose  pas  au 
concile  de  toutes  les  Russies.  S'il  faut  donner  au  métropolite  qui  a  la 
première  place  au  synode  le  nom  de  patriarche,  on  peut  légitimer  ce 
changement  par  des  considérations  d'opportunité  et  d'exigences  pratiques, 
mais  non  par  de  vagues  appels  à  de  prétendues  exigences  des  canons.  Le 
nom  même  de  patriarche  ne  se  trouve  pas  dans  les  canons,  et  l'Eglise  de 
Carthage  était  canonique  sans  patriarche  avec  son  unique  primat. 

Si  l'on  suppose  qu'avec  le  patriarche  l'Eglise  sera  aj^ranchie  de  l'Etat, 
cela  ne  peut  que  rompre  cet  accord,  cette  symphonie  (quel  joli  terme!) 
entre  l'Etat  et  l'Eglise  qui  constitue  une  règle  fondamentale,  comme  nous 
l'avons  vu  plus  haut.  Par  ailleurs,  cela  peut  conduire  à  l'asservissement 
\complet  de  l'Eglise.  Save^-vous  comment  on  faisait  un  patriarche  à 


4s6  ÉCHOS  d'orient 


By^ance?  En  cas  de  vacance  du  siège,  ïes  métropolites  l'éunis  en  synode 
présentaient  au  basileus  trois  candidats,  et  le  basileus  conjîrmait  l'un 
d'entre  eux  ou  proposait  aux  métropolites  son  candidat  à  lui. 

Puis,  en  présence  du  clergé  et  du  Sénat,  il  proclamait  l'élu  en  pronon- 
çant cette  formule  :  «  La  grâce  divine  et  notre  Majesté  impériale,  qui  tire 
d'elle  son  origine,  élèvent  cet  homme  très  pieux  à  la  dignité  de  patriarche 
de  Constantinople.  » 

C'est  ce  qu'écrit  l'empereur  de  Byzance  lui-même,  Constantin  Porphy- 
rogénète  {De  ceremoniis  aulœ  by^antinœ,  ii,  14). 

Voilà  la  verte  leçon  que  l'organe  du  saint  synode  s'est  cru  obligé  de 
donner  aux  réformateurs  trop  pressés,  et  en  particulier  à  son  confrère 
le  Tserkovnyi  Viestnik,  organe  hebdomadaire  de  l'Académie  de  Saint- 
Pétersbourg,  qu'on  ne  saurait  trop  recommander  à  tous  ceux  qui  veulent 
connaître  la  vie  intérieure  de  l'Eglise  russe.  Ce  périodique  mène  depuis 
quelque  temps  une  campagne  fort  habile  en  faveur  du  concile  et  di 
patriarcat.  En  une  série  de  Premiers-Paris  anonymes  —  les  articles  ano- 
nymes sont  les  plus  intéressants  dans  les  revues  ecclésiastiques  russes 
—  le  Messager  ecclésiastique  répète  sur  tous  les  tons  :  «  C'est  le  sobor, 
c'est  le  patriarche  qu'il  nous  faut.  Sans  le  concile,  pas  de  réforme  pos 
sible;  sans  le  patriarche,  le  synode  est  acéphale  et  anticanonique.  »  1 
y  a  bien  çà  et  là  quelques  petites  contradictions.  Tantôt  on  avoue  can 
didement  que  l'Eglise  russe  est  en  déficit  sur  quelques  points  de  droi 
canon.  Tantôt  on  fait  de  pompeuses  déclarations  sur  la  perpétuelle  cano 
nicité  de  l'Eglise  russe,  et  l'on  affirme  —  évidemment  sans  y  croire  — 
que  cette  Eglise  a  toujours  su  sauvegarder  son  indépendance  vis-à-vî 
de  l'Etat  (voir  le  numéro  2^  de  cette  année).  Mais  il  faut  pardonner  cel 
à  ces  champions  hardis  des  réformes,  et  c'est  sans  doute  sur  la  censur 
qu'il  faut  rejeter  la  responsabilité  de  ces  pieuses  restrictions  mentales 
Toutes  nos  sympathies  vont  à  ces  vaillants  qui,  sans  dire  leur  not 
essayent  de  secouer  le  joug  du  césaropapisme.  Qu'ils  nous  permettej 
seulement  de  leur  dire  qu'ils  ne  peuvent  échapper  au  césaropapisr 
qu'en  acceptant  ce  qu'ils  appellent  le  papisme  tout  court.  11  est  vj 
que  le  papisme,  ils  l'ont  en  profonde  horreur,  mais  on  ne  voit  vraime 
pas  pourquoi,  le  joug  du  Pape  étant  toujours  plus  doux  que  celui 
César,  et  son  fardeau  plus  léger.  L'Eglise  des  sept  conciles  ne  portai 
elle  pas  allègrement  ce  joug  et  ce  fardeau? 

îLa  première  assemblée  générale  de  l'Edinoyiérié. 

Il  paraît  qu'en  ces  derniers  temps  l'Eglise  russe  avait  couru  un  gra\ 
danger  par  le   fait  de  quelques  Jésuites,  qui  avaient  subrepticemei 


CHRONIQUE    DE    L  EGLISE    RUSSE  4S7 

passé  la  frontière  pour  convertir  non  pas  tant  les  orthodoxes  que  ceuK 
qu'on  appelle  les  Siarovières,  Staroobriadsy,  Raskolniki,  c'est-à-dire  les 
vieux-croyants,  vieux-ritualistes  ou  schismatiques. 

A  Moscou,  on  découvrit  un  beau  jour  un  vrai  nid  de  propagandistes 
avec  plus  de  sept  cents  convertis,  exactement  370  femmes  et  332  hommes. 
Un  Jésuite  de  nationalité  allemande,  le  P.  Félix  Virsinski,  qui  s'occupait 
activement  d'augmenter  ce  petit  troupeau,  fut  dénoncé  par  des  con- 
vertis mal  convertis,  et  reçut,  au  printemps  de  191 1,  l'ordre  du  ministre 
de  l'Intérieur  de  quitter  la  Russie  dans  le  plus  bref  délai.  Le  Novoïé 
Vremia,  pris  d'un  zèle  soudain  pour  V orthodoxie ,  mena  une  campagne 
vigoureuse  contre  les  propagandistes,  et  l'un  de  ses  rédacteurs, 
M.  Engelhart,  écrivit  un  article  savoureux,  \n\Xi\x\é  Jésuites  et  Occultistes, 
dans  lequel  les  fils  de  saint  Ignace  sont  présentés  avec  le  plus  grand 
sérieux  du  monde  comme  les  chefs  de  la  confrérie  occulte  des  marti- 
nistes,  destinée  à  faire  pièce  à  la  franc-maçonnerie  et  lui  empruntant 
son  vocabulaire. 

Ce  qu'il  y  avait  de  plus  grave,  c'était  —  chose  incroyable  —  que 
les  vieux-ritualistes  manifestaient  un  vrai  penchant  pour  le  papisme. 
On  comptait  déjà  quelques  prêtres  siarovières  convertis  au  catholicisme. 
La  validité  de  leur  ordination  avait  été  admise  par  les  théologiens  du 
Vatican  (i).  Si  ces  vieux  Russes  commençaient  à  prendre  le  chemin 
de  Rome,  jusqu'où  n'irait-on  pas?  Il  fallait  à  tout  prix  enrayer  le  mou- 
vement. Prise  de  jalousie  en  voyant  que  ces  bons  raskolniks,  qu'elle  a 
si  durement  traités,  lui  préféraient  l'Eglise  romaine,  l'Eglise  officielle, 
inspirée  par  M.  Sabler,  se  décida  à  faire  un  geste  hardi  qui  prouverait 
aux  partisans  des  vieux  rites  que  les  portes  de  l'orthodoxie  leur  sont 
toutes  grandes  ouvertes.  Les  principaux  représentants  de  Y Edinoviérié 
furent  invités  à  se  réunir  en  assemblée  générale  à  Pétersbourg  pour  le 
22  janvier  191 2. 

On  appelle  Edinoviérié,  en  Russie,  le  groupe  des  Starovières  soumis 
à  la  hiérarchie  de  l'Eglise  officielle,  mais  conservant  dans  son  intégrité 
l'ancienne  liturgie  slave  sans  les  modifications  introduites,  au  xvii^  siècle, 
par  le  patriarche  Nicon.  Malgré  les  anathèmes  portés  aux  conciles  mos- 
covites de  1656  et  de  1667  contre  les  adversaires  des  réformes  nico- 
niennes,  on  songea,  dès  la  seconde  moitié  du  xvm^  siècle,  à  composer 
avec  eux.  Certains  prélats,  entre  autres  le  célèbre  métropolite  de 
Moscou,  Platon  Levkhine,  firent  remarquer  qu'il  y  avait  lieu  de  dis- 


(i)  Cette  validité  n'est  pas  admise  par  l'Eglise  orthodoxe,  sous  prétexte  que  l'auteur 
de  la  hiérarchie  starovière  dite  de  Bélocrinitza,  le  métropolite  Ambroise,  était  un 
évéque  déposé  et  excommunié. 


4^8  ÉCHOS  d'orient 


tinguer  entre  le  dogme  et  le  rite,  et  qu'on  pouvait  bien  laisser  aux 
dissidents  leurs  vieilles  coutumes,  pourvu  qu'ils  reconnussent  l'auto- 
rité de  l'Eglise.  Leur  voix  fut  écoutée,  et  un  oukase  impérial  du 
27  octobre  1800  consacra  l'existence  officielle  de  VEdinoviérié.  On 
•comptait  beaucoup  sur  ce  compromis  pour  détruire  le  raskol.  En  fait, 
il  a  misérablement  échoué  par  la  faute  de  l'Eglise  officielle,  qui  a  trop 
parcimonieusement  ménagé  les  faveurs  à  ses  uniates.  Les  anciens  rites 
ont  été  plutôt  tolérés  que  reconnus.  On  a  constamment  refusé  jusqu'ici 
de  donner  aux  Edinovières  ce  qu'ils  ne  cessent  de  réclamer  :  un  épi- 
scopat  distinct.  Quant  aux  anathèmes  des  conciles  du  xvii^  siècle,  on 
n'a  pas  voulu  les  abroger,  on  s'est  contenté  d'en  faire  une  exégèse 
qui  n'a  jamais  complètement  satisfait  les  intéressés.  Le  saint  synode 
a  déclaré  officiellement,  en  1886,  que  les  conciles  n'avaient  pas  con- 
damné les  anciens  rites  pris  en  eux-mêmes,  mais  seulement  en  tant 
qu'ils  pouvaient  servir  de  symbole  à  des  interprétations  hérétiques;  que 
si  l'on  avait  persécuté  si  durement  les  raskolniks,  c'était  uniquement 
à  cause  de  leur  rébellion  à  l'autorité  de  l'Eglise.  Ces  explications  sont 
spécieuses  et  peuvent  être  vraies  dans  une  certaine  mesure,  mais  ces 
bons  Starovières  se  demandent  toujours  pourquoi  on  a  voulu  leur  faire 
abandonner  par  la  force,  au  xvii^  siècle,  des  coutumes  liturgiques  que 
l'on  trouve  aujourd'hui  innocentes.  Ils  se  souviennent  en  outre  qu'au 
concile  de  1656,  le  patriarche  Nicon  condamna  leurs  ancêtres  comme 
hérétiques,  comme  si  en  faisant  le  signe  de  la  croix  avec  deux  doigts 
ils  avaient  professé  par  là-même  le  nestorianisme,  l'existence  de  deux 
personnes  dans  le  Christ.  (Voir  l'étude  de  Kapterev  dans  le  Bogoslovski 
Viestnik.  octobre  1908,  p.  223-221.)  Ils  sentent  vivement  la  défiance 
et  le  dédain  dont  ils  sont  l'objet  de  la  part  des  orthodoxes  purs,  et 
soupçonnent  toujours  chez  les  prélats  niconiens  l'arrière-pensée  de  les 
convertir  aux  réformes,  comme  si  VEdinoviérié  n'était  qu'une  étape 
pour  arriver  à  l'orthodoxie  complète. 

C'est  pour  faire  disparaître  ces  soupçons  invétérés  que  M.  Sabler  â\ 
résolu  la  glorification  solennelle  des  anciens  rites  dans  une  assemblée  " 
plénière  des  représentants  de  VEdinoviérié.  Elle  s'est  tenue  à  Pétersbourg 
-du  22  au  29  janvier.  Il  m'a  été  impossible  de  trouver  dans  les  revues 
ecclésiastiques  un   compte  rendu  complet  des  délibérations.   Le  Tser- 
hovnyi  yiestnik  n'a   donné   qu'un    bref  résumé  des  séances  jusqu'à^ 
25  janvier  matin,  dans  son  numéro  du  2  février.  Quant  à  la  revue 
saint  synode,  elle  a  gardé  le  silence  jusqu'au  14  avril,  et  n'a  parlé  qi 
des  séances  d'ouverture  et  de  clôture,  séances  toute  d'apparat,  visible 
ment  organisées  pour  frapper  l'imagination  non  seulement  des  Edini 


CHRONIQUE    DE    L  ÉGLISE    RUSSE  459 

vières,  mais  aussi  et  surtout  des  Starovières.  Le  22  janvier,  une  messe 
solennelle  a  été  chantée  selon  le  rituel  pontifical  du  xvi«  siècle  dans 
l'église  édinovière  de  Saint-Nicolas,  par  M^r  Antoine  de  Voihynie, 
président  de  l'Assemblée,  avec  la  concélébration  de  M.  Siméon  Chléïef, 
curé  de  la  paroisse  Saint-Nicolas  et  douze  autres  prêtres  édinovières, 
choisis  parmi  les  délégués.  «  Les  chants  ecclésiastiques  d'autrefois, 
disent  les  Tserkovnyia  yiédomosti,  le  caractère  même  des  cérémonies 
exécutées  à  la  perfection  faisaient  songer  au  temps  où,  en  Russie, 
n'existait  pas  encore  le  schisme  ecclésiastique.  On  chantait  en  deux 
chœurs.  Quelques  morceaux  étaient  exécutés  par  les  deux  chœurs 
réunis,  où  l'on  entendait  quelques  voix  de  femmes.  »  Au  Te  Deum  qui 
a  terminé  la  cérémonie,  ont  été  présents  trois  évêques  et  le  représen- 
tant du  patriarche  œcuménique,  l'archimandrite  Jacques.  Pour  que  fût 
complète  la  réhabilitation  des  anciens  rites,  il  fallait  en  effet  au  moins 
un  représentant  de  l'Orient  grec,  dont  les  hiérarques  assistèrent  aux 
conciles  du  xvii«  siècle  et  eurent  tant  de  part  dans  la  rédaction  des 
anathèmes. 

Après  la  cérémonie  religieuse,  qui,  commencée  à  8  h.  1/2  du  matin, 
ne  s'est  terminée  que  vers  2  heures  de  l'après-midi,  a  eu  lieu  le  banquet 
chez  le  procureur  du  saint  synode.  La  grande  salle  du  festin  était  magni- 
fiquement décorée  aux  enseignes  starovières.  A  l'un  des  angles,  on 
remarquait  dans  une  lumière  de  cierges  la  croix  de  l'autel  de  l'église 
Saint-Nicolas,  l'image  de  Notre-Dame  de  Korsoun,  deux  bannières 
modèle  préniconien,  et  enfin  le  saint  Evangile.  Au  milieu,  reposant 
sur  un  beau  tapis,  une  longue  table  présentait  aux  regards  des  assistants 
ébahis  des  livres  colossaux.  C'étaient  les  incunables  de  la  Russie  ren- 
fermant les  anciens  rites.  Les  invités  étaient  fort  nombreux.  En  dehors 
^es  250  délégués  des  Edinovières,  on  comptait  nombre  de  membres 
du  clergé  officiel  blanc  et  noir,  pas  moins  de  dix-sept  prélats,  entre 
autres  Mgr  Vladimir,  métropolite  de  Moscou,  le  représentant  du  patriarcat 
Œcuménique,  etc.  M.  Sabler  était  là  évidemment,  puisqu'il  était  le 
(majordome.  Parmi  les  nombreux  toasts  prononcés,  c'est  le  sien  qui  m'a 
\t  plus  frappé.  II  a  déclaré  que  l'Edinoviérié  était  une  institution  tout  à 
Fait  utile  dans  l'Eglise  russe  :  «  L'Edinoviérié,  s'est-il  écrié,  ce  n'est  pas 
june  étape  vers  l'orthodoxie;  ce  n'est  pas  un  pont  pour  passer  de  l'im- 
perfection et  de  l'erreur  au  meilleur  et  au  vrai,  l'Edinoviérié,  c'est  l'or- 
thodoxie même.  Les  liens  sacrés  de  l'amour  du  Christ  nous  unissent  tous, 
nous  le  troupeau  de  la  sainte  Eglise  orthodoxe,  d'une  union  que  rien 
;ne  saurait  rompre.  » 
I   On  devine  qu'un  tonnerre  d'applaudissements  a  dû   souligner  ces 


460  ÉCHOS    d'orient 


belles  paroles.  Mais  voici  que  M.  le  curé  de  Saint-Nicolas,  Siméon  Chleïef, 
l'organisateur  du  Congrès,  s'est  levé  a  son  tour  et  a  profité  de  l'occa- 
sion pour  faire  l'enfant  terrible.  Sans  détour  il  a  abordé  les  deux  graves 
problèmes  qui  préoccupent  tous  les  cœurs  édinovières  :  la  création  d'un 
épiscopat  distinct  et  l'abrogation  des  anathèmes  conciliaires. 

Il  a  rappelé  que,  sous  le  tsar  Alexandre  11,  les  prélats  les  plus  mar 
quants  de  l'Eglise  officielle,  Arsène  de  Kiev,  Philarète  de  Tchernigov, 
Macaire  de  Moscou,  s'étaient  montrés  favorables  à  l'établissement  d'une 
hiérarchie  édinovière.  Au  milieu  de  la  chaleur  communicative  du  banquet, 
le  toast  de  M.  Chleïef  a  bien  été  la  douche  d'eau  froide,  car  ni  le  saint 
synode  ni  son  procureur  ne  sont  disposés  à  accorder  aux  Edinovières 
ce  qu'ils  demandent.  Si  les  revues  ecclésiastiques  se  sont  montrées  si 
discrètes  à  nous  renseigner  sur  les  débats  de  rassemblée,  c'est  qu'on 
y  a  discuté  chaudement  et  en  pure  perte  tant  sur  l'épiscopat  que  sur 
les  anathèmes.  On  a  même  soulevé  une  troisième  question  :  celle  du 
changement  du  nom  d' Edinoviérié  en  celui  d'ancien  ritualisme  orthodoxe, 
pravoslavnoïe  staroobriadtchestvo.  Sur  ce  dernier  point,  après  d'ardentes 
discussions,  l'accord  s'est  fait  en  vue  de  solliciter  du  saint  synode  la 
permission  d'employer  la  nouvelle  dénomination. 

A  en  juger  par  une  brochure  qui  a  paru  quelque  temps  après  la  clô- 
ture de  l'Assemblée,  et  dont  les  conclusions  ont  été  approuvées  par  les 
Tserkovnyia  l^iédomosti  {n°  19,  p.  811),  les  Edinovières  n'obtiendront 
aucune  de  leurs  demandes,  et  de  la  première  assemblée  générale  de 
V Edinoviérié  de  toutes  les  Russies,  il  ne  restera  guère  que  le  souvenir: 
des  pompeuses  cérémonies  et  du  joyeux  banquet  qui  l'ont  inaugurée.) 
En  effet,  dit  M.  N.  Griniakine,  l'auteur  de  la  brochure  en  question,  1 
changer  le  nom  d' Edinoviérié  en  celui  d'ancien  ritualisme  orthodoxe  ferait^ 
nécessairement  supposer  que  l'Eglise  orthodoxe  est  nouvelle-ritualiste, 
ce  qui  est  un  mensonge  de  raskolnik,  contredit  par  l'histoire  de  l'an-» 
tique  liturgie.  Demander  un  épiscopat  édinovière  ou  bien  une  Commis- 
sion édinovière   auprès    du   saint    synode   paraît  aussi    déraisonnable 
qu'anticanonique,  et  contraire  à  une  religion  éclairée.  Ce  sont  les  ras- 
kolniks  qui  ont  soufflé  cela  aux  oreilles  des  Edinovières.  Enfin,  des, 
savants  comme  N.  I.  Soubbotine,  1.  Ph.  Nilski,  le  P.  Paul  le  Prussieni 
ont  suffisamment  démontré  que  les  anathèmes  de  1656- 1667  étaient! 
dirigés  non  contre  les  anciens  rites,  mais  contre  les  raskolniks  rebelles 
à  l'autorité  ecclésiastique,  et  accusateurs  de  l'Eglise  orthodoxe. 

L'entêtement  des  Edinovières  à  maintenir  leurs  importunes  réclama-^ 
tions  n'a  pas  empêché  le  président  de  l'assemblée,  Mê^r  Antoine  de 
Volhynie,  un  Russe  de  vieille  roche,  point  familiarisé  du  tout  avec  la 


CHRONIQUE    DE    l' ÉGLISE    RUSSE  46  I 

théologie  catholique,  d'écrire  une  longue  lettre  à  la  fois  doucereuse 
et  hautaine  à  tous  les  Starovières  séparés  pour  les  inviter  à  entrer  en 
masse  dans  V Edinoviérié .  S'adressant  aux  Starovières  de  la  hiérarchie 
de  Bêlocrinitza,  il  leur  a  expliqué  que  la  persuasion  qu'ils  ont  de  la 
validité  des  ordinations  faites  par  le  métropolite  Ambroise  repose 
sur  une  hérésie  latine  puisée  par  les  leurs  en  Autriche  en  même  temps 
que  l'hérésie  impie  sur  la  conception  virginale  (beiciemennom  =  sine 
semine),  immaculée  de  la  Mère  de  Dieu  par  Joachim  et  Anne  (i). 

Les  Latins,  continue  le  prélat  sur  un  ton  qui  sent  son  Michel  Cérulaire, 
rejettent  le  sixième  concile  œcuménique  (entendez  le  concile  in  Trullo) 
et  les  neuf  conciles  locaux,  ainsi  que  les  règles  canoniques  des  saints 
Pères  par  lui  confirmés  et  acceptés.  Ils  rejettent  également  trente  des 
quatre-vingt-cinq  canons  apostoliques  (nous  les  lâchons  même  tous).  De 
plus,  chez  eux,  il  y  a  le  jeûne  du  samedi;  tous  les  prêtres  sont  céliba- 
taires (horreur!);  on  y  croit  à  la  primauté  du  Pape;  on  y  boit  du  lait  les 
jours  de  jeûne  et  l'on  fait  bien  d'autres  sottises. 

Je  pense  qu'après  avoir  été  renseignés  sur  ces  énormités  par 
Mg»"  Antoine,  les  bons  Starovières  ne  se  laisseront  plus  prendre  par  les 
Jésuites  et  qu'ils  courront  en  foule  dans  le  giron  de  la  sainte  Eglise 
orthodoxe.  Tout  de  même,  l'archevêque  de  Volhynie  gagnerait  à  être 
un  peu  plus  moderniste. 

Je  n'ai  encore  rien  dit  de  l'affaire  Héliodore-Raspoutine-Hermogène, 
ni  des  relations  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  ni  des  exploits  de  M.  Sabler  à 
la  Douma  en  faveur  de  l'Eglise,  ni  des  canonisations  en  perspective,  ni 
des  missions,  ni  des  nouveaux  vicariats,  ni  de  cent  autres  faits  divers 
capables  d'intéresser  nos  lecteurs.  Ce  sera  pour  une  autre  fois. 

E.  Martinovitch. 


(1)  Les  Starovières  de  Bêlocrinitza  admettent  le  dogme  de  l'ImmacuIée-Conception 
dans  le  sens  défini  par  Pie  IX.  (Voir  Echos  d'Orient,  t.  XII,  p.  32 1  sq.)  Vous  pensez 
s'ils  ont  dû  rire  de  la  bourde  de  M"  Antoine. 


A  PROPOS  D'UN  BULLAIRE  MARONITE 


L'article  qui  suit  a  pour  but  de  compléter  notre  article  des  Echos 
d'Orient  concernant  la  même  question  (i). 

Au  sujet  du  latin  personnel  à  l'auteur  du  Biillarium  Maronitarum , 
nous  n'avons  pas  cru  devoir  parler  en  détail  de  certaines  fautes,  dont 
la  principale  est  signalée  par  M.  Karalevsky  à  la  page  466  de  son  article. 
Quant  au  texte  lui-même  du  Bullaire,  il  nous  a  très  souvent  semblé 
mal  établi;  mais,  n'ayant  pas  les  documents  sous  la  main,  nous  avons 
préféré  garder  le  silence. 

Nous  sommes  heureux  d'apprendre  par  M.  Karalevsky  qu'il  existait 
des  archives  vaticanes  antérieures  à  13 13.  Le  contraire  nous  paraissait 
étonnant.  Aussi  n'avons-nous  pas  hésité  à  écrire  :  Cette  partie  du  Bul- 
laire, que  nous  aurions  préféré  voir  débuter  en  1182,  et  nous  donner 
quelques  documents  relatifs  à  la  première  conversion  des  Maronites,  etc.  (2). 

En  ce  qui  concerne  les  documents  du  Vatican  (3)  et  les  autres,  nous 
pensions  de  bonne  foi  que  l'abbé  maronite  les  avait  réellement  com- 
pulsés. Nous  avouons  nous  être  trompé.  11  est  vrai  qu'il  ne  nous  était 
guère  possible  de  faire  vérifier  les  dires  de  l'auteur. 

Nous  avons  donc  le  regret  de  constater  que  Dom  Anaissi  n'a  pas 
seulement  le  tort  d'attaquer  sans  preuve  les  adversaires  de  la  perpétuelle 
orthodoxie  des  Maronites,  mais  qu'au  point  de  vue  critique  M.  Kara- 
levsky a  en  partie  raison  d'appeler  son  ouvrage  «  un  mauvais  travail  ». 
En  partie,  disons-nous,  car  le  docte  prêtre  gréco-slave  nous  paraît  par 
trop  sévère  en  donnant  à  entendre  que,  tel  qu'il  est,  le  Bullarium  Maro- 
nitarum ne  peut  rendre  un  service  sérieux  aux  savants  qui  n'auraient 
sous  la  main  que  cet  instrument  de  travail. 

A.  C. 

Les  lecteurs  des  Echos  d'Orient  connaissent  déjà  le  Bullarium  Maroni- 
tarum récemment  publié  par  le  R^e  Tobie  Anaissi.  Que  ce  livre  ait  pu 
être  appelé  à  rendre  de  très  grands  services,  c'est  ce  que  personne  ne 
contestera.  Je  voudrais  seulement  examiner  ici  s'il  a  été  entrepris  avec 
toute  la  rigueur  des  méthodes  exigées  aujourd'hui  pour  des  travaux 


(i)  L'Eglise  maronite  et  le  Saint-Siège  (iSiS-igii),  Echos  d'Orient,  janvier   191s 
p.  28-37. 

(2)  Op.  cit.,  p.  28. 

(3)  A  partir  de  i3i3. 


A    PROPOS    d'un    BULLAIRE    MARONITE  46} 

de  ce  genre,  et  si  on  peut  vraiment  s'y  fier  en  vue  d'études  historiques 
ou  canoniques. 

En  effet,  lorsque  l'on  jette  les  yeux  sur  la  préface  du  Bullaire,  on  est 
tout  d'abord  surpris  de  voir  énoncer  l'affirmation  que  les  archives  du 
Saint-Siège  n'ont  commencé  à  être  tenues  qu'à  partir  d'Innocent  111 
(i  198-12 16),  alors  que  chacun  sait  qu'elles  ont  existé  dès  une  époque 
très  ancienne,  et  que  le  premier  armadium  de  Y  Archivio  secreto  renferme 
encore  trois  volumes  se  rapportant  aux  pontificats  de  Jean  Vlll  (872- 
882)  et  de  saint  Grégoire  VII  (1073- 1085),  épaves  de  l'ancien  dépôt 
renfermé  au  moyen  âge  dans  la  iurris  chartularia,  incendiée  durant  les 
troubles  sans  nombre  du  «  siècle  de  fer  ». 

Comme  sources  de  son  Bullaire,  le  R^e  Anaissi  dit  avoir  compulsé 

pendant  dix  ans  documenta ex  tabulario  Sanctce  Sedis,  Bibliotheca 

yaticana  aliisqiie  Urbis  bibliothecis,  Bullariis,  historicorum  libris  et  nostri 
ipsius  Hospitii-Collegii  scrinio.  Nous  allons  voir  ce  qu'il  en  est  en  réalité. 

Dans  l'immense  collection  des  manuscrits  latins  du  Vatican,  il  y  en 
a  un  qui  porte  le  numéro  7  258,  et  que  le  Bullaire  cite  bien  vingt-six 
fois  (p.  6,  13,  18,  65,  106,  116,  128,  139,  140,  142,  143,  145,  156, 
157,  170,  176,  179,  180,  181,  184,  185,  186,  195,  197);  deux  autres 
fois  (p.  18,  56)  la  référence  porte  par  erreur  7257;  il  faut  lire  7258, 
car  le  codex  7  257  est  un  recueil  d'extraits  de  Pères  grecs  et  latins, 
écrit  au  xvii^  ou  au  xviip  siècle,  d'après  des  manuscrits  du  Vatican, 
et  qui  ne  renferme  rien  de  maronite.  Un  examen  attentif  des  documents 
dont  les  références  sont  données  aux  pages  25,  35,  40,  52,  59,  70,  72, 
76,  78,  9'i,  112  (deux  pièces),  113,  115,  121,  125,  131,  montre  qu'ils 
ont  été  copiés  sur  ce  même  codex  7  258,  bien  qu'il  ne  soit  pas  indiqué. 
Cela  fait  donc  en  tout  quarante-cinq  pièces  tirées  d'un  seul  manuscrit 
de  la  Vaticane.  Cela  méritait  au  moins  quelques  mots  sur  une  source 
aussi  importante  et  sur  sa  valeur;  le  R^e  Anaissi  n'en  dit  pas  un  mot. 

Le  codex  Vat.  Lat.  5  328  est  cité  quatre  fois  (p.  76,  83,  100,  103, 
auxquelles  on  aurait  pu  ajouter  87  et  97),  mais  on  ne  nous  dit  pas  en 
quoi  il  consiste.  De  même,  pas  la  moindre  bibliographie  ni  un  mot 
sur  la  valeur  de  la  liste  des  patriarches  maronites  d'Antioche  que  l'on 
it  page  553  sq. 

Voici  maintenant  ce  que  sont  les  deux  codices  Vat.  Lat.  7  258  et  5  528. 

Le  codex  7  258  est  un  recueil  composite  de  vingt-deux  documents, 

qui  ont  donné  après  la  reliure  un  in-4'^  de  260  folios;  en  un  mot,  c'est 

jLin  de  ces  recueils  de  Miscellanee,  comme  on  en  rencontre  tant  dans 

es  archives  romaines.  Les  folios  19-130,  qui  forment  la  sixième  pièce 

tiu  recueil,  portent  le  titre  suivant  : 


464  ÉCHOS    d'orient 


Index  bullarum  seu  Brevium  apostolicorum  a  Romanis  Poniijicibus 
ad  Antiochenos  Maronitarum  Patriarchas  missarum,  ab  anno  Domi- 
nicœ Incarnaiionis MCCXV adannum  MDCCVI,  nempe ab Innocentio III 
ad  Hieremiam  Patriarchatn  usque  ad  Clemeniem  XI  féliciter  regnantem, 
seu  ad  Jacobum  Petrum,  Antiochenam  sedem  nunc  gubernantem. 

Et  au  folio  suivant,  une  note  nous  apprend  l'origine  de  ce  recueil  : 

Hanc  Brevium  apostolicorum  collectionem  Romatn  misit  Illustrissimus 
■et  Reverendissimus  Pater  D.  Simon  Avodius,  Damascenœ  Ecclesiœ 
archiepiscopus  meriiissimus,  Maronitarum  Collegii  olim  alumnus 
Illustrissimo  Domino  ac  doctissimo  clarissimoque  viro  Josepho  Simonio 
Assemanno  (sic),  Summis  Pontijicibus,  S.  R.  E.  Cardinalibus,  Prœsu- 
libus,  omnibus  Urbis  civibus  advenisque  acceptissimo,  ejusdemque  Col- 
legii jam  alumno,  cum  Adm.  R.  P.  D.  Paulo  Israël  Aleppino,  monaco 
(sic)  Maronita  Ordinis  S.  Antonii  Magni;  qui  Romam  appulit  ad' 
SS.  Pétri  et  Marcellini  Hospitium  die  18  decembris,  anni  iyi5. 

Plus  loin,  fol.  130  v: 

Hœc  omnia  latine  transcripsit  in  Canobinensi patriarchio  Reverendm 
■admodum  Dominus  Abraham  Metoscita  Cyprius,  Maronitarum  Collegii 
jam  alumnus,  Gamblinensis  postmodum  ecclesiœ  in  Cypri  insula  paro 
chus,  ac  rector. 

Nous  sommes  donc  en  présence  d'un  essai  de  Bullaire  maronite  di' 
au  célèbre  Joseph  Simon  Assémani.  Il  n'eût  peut-être  pas  été  mauvai 
de  le  rappeler,  surtout  lorsque  l'on  en  a  si  largement  profité  que  1' 
fait  le  Rme  Anaissi. 

Les  copies  faites  par  Abraham  Metochita  sur  les  originaux  conservé 
à  Qânoûbîn  ont  été  exécutées  avec  beaucoup  de  soin,  avec  plus  d 
soin  que  la  transcription  de  ces  mêmes  copies,  par  le  Rn^^  Anaissi 
comme  on  va  pouvoir  s'en  convaincre  tout  à  l'heure.  De  son  côtt 
Assémani  se  livra  à  des  recherches  personnelles  dans  les  archives  d 
Vatican,  qui,  à  cette  époque,  ne  s'ouvraient  que  bien  rarement  au 
profanes.  Les  folios  1 31-146  du  même  codex  7258  nous  donnent  u 
recueil  de  ce  genre,  et  l'on  reconnaît  sans  aucune  peine  l'écriture  d'A; 
sémani.  La  suite  s'en  trouve  aux  folios  197-202,  mais  ce  sont  des  pièce 
concernant  les  Coptes,  ce  qui  prouverait  qu'Assémani  avait  des  proje 
encore  plus  vastes,  et  qu'il  avait  peut-être  l'intention  d'éditer  un  grar 
Bullarium  orientale.  En  tout  cas,  les  folios  131-146  du  même  codex  noi 
donnent  un  autre  recueil  encore  de  lettres  des  Papes  à  propos  des  Mar 
nites,  extraites  de  la  collection  des  conciles  de  Labbe,  mais  non  pli 
de  la  main  d' Assémani.  Aux  folios   153-168  se  trouve  une  copie  di 


A    PROPOS    d'un    BULLAIRE   MARONITE  465 

ctes  consistoriaux  pour  la  préconisation  du  patriarche  Jean  Bâr- 
Aakhloûf  en  1608;  ils  manquent  dans  le  recueil  du  R'ne  Anaissi.  Les 
olios  159-177  sont  un  recueil  fait  par  des  mains  diverses  de  pièces  sur 
es  Maronites,  reliées  pêle-mêle  ensemble;  les  folios  178-196  regardent 
ss  Coptes,  ainsi  que  les  folios  197-202,  comme  nous  l'avons  vu;  sans 
ouloir  m'étendre  sur  le  reste  du  codex,  je  me  borne  à  signaler  le 
olio  260  :  Propositio  Ecclesice  patriarchalis  Antiochenœ  nationis  Maroni- 
ariun  in  Consistorio  die  27  aprilis  ijo^,  pour  le  patriarche  Jacques 
Aoûàd,  qui  manque  de  même  au  R'"''  Anaissi. 

Quant  au  codex  5  528,  il  fait  partie  d'une  série  concernant  les  diffé- 
ents  collèges  de  Rome,  et  est  intitulé  Collegium  Maroniticum.  Ce 
l'est  rien  moins  que  le  rapport  des  visiteurs  du  collège  à  Sixte-Quint; 
m  y  trouve  un  certain  nombre  de  documents  intéressants,  entre  autres 
e  synode  de  1  580,  sous  le  patriarche  Michel  Bar  Yoûhannân,  d'ailleurs 
léjà  connu  depuis  sa  publication  par  le  R.  P.  Antoine  Rabbath,  dans 
;es  Documents  inédits  (i). 

Ce  sont  là  les  deux  sources  manuscrites  les  plus  importantes  du 
3ullarium  Maronitarum.  Le  R'"e  Anaissi  est-il  allé  collationner  sur  les 
raiisumpta  ou  sur  les  minutes  originales,  aujourd'hui  accessibles  à  tous, 
:es  copies  de  seconde  main?  Quelques  vérifications  m'en  font  fortement 
iouter,  comme  on  le  verra. 

On  pourrait  au  moins  supposer  que  le  Rme  Anaissi  a  dépouillé  avec 
ioin  les  sources  déjà  imprimées.  J'ai  voulu  le  vérifier  en  me  bornant  à 
■.elles  qu'il  cite.  Or,  p.  406,  on  trouve  une  référence  conçue  d'une 
nanière  un  peu  sommaire  :  Theiner,  éd.  Florentina,  18^4,  p.  1  ^^.  Ce 
jui  veut  dire  :  A.  Theiner,  démentis  Xiy  Pontifias  Maximi  epistolce  et 
nevia  selectiora.  11  y  en  a  plusieurs  éditions;  j'ai  sous  les  yeux  celle  de 
lilan,  1833;  '^  I^'"®  Anaissi  n'a  pas  vu  que  le  Bref  Plurima  paterni, 
\i  6  avril  1771,  est  adressé  à  neuf  évêques  maronites  (éd.  de  Milan, 
'.  166).  11  est  vrai  qu'il  est  intitulé  simplement:  l^enerabilibus  Frairibiis 
biscopis  Beryti,  Heiiopolis,  Constantin,  Tripolis,  Aleppi,  Cœsarece,  Arcœ, 
ystrœet  Cypri.  Pour  les  compilateurs  pressés  ou  distraits,  le  P.  Theiner 
urait  dû  évidemment  ajouter  Maronitis. 

Parmi  les  sources  imprimées  que  le  R™^  Anaissi  ne  cite  pas,  mais  que 
3Ut  le  monde  connaît,  sauf  lui,  semble-t-il,  il  y  a  les  deux  volumes 
iubliés  en  1894  à  Naples  par  Mk'"  Raffaele  de  Martinis,  et  intitulés: 
tencdicli  Xlî^  acta,  sive  nondum,  sive  sparsim  édita;  il  aurait  pu  y  puiser 


\.  Rabbath,  S.  J.,  Documents  inédits  pour  servir  à  l'histoire  du  christianisme 
J  urient.  Paris,  igo5,  t.  I",  p.  i52  sq. 

\     /-^c/jos  d'Orient,  t.  XV.  3o 


466  ÉCHOS    d'orient 


non  moins  de  six  documents.  De  même  pour  les  Acta  Gregorii  XV. 
édités  en  1901-1902  par  D.  A.  M.  Bernasconi;  il  y  aurait  trouvé  le  Bn 
RenunciaHim  Nobis  du  10  novembre  1835. 

M'étant  livré  à  un  examen  consciencieux  d'une  partie  du  BuUain 
que  je  n'ai  pas  continué  parce  qu'il  aurait  fallu  tout  refaire,  et  que  mo 
but  était  simplement  de  me  rendre  compte  de  sa  valeur  comme  instri 
ment  de  travail,  je  crois  devoir  en  faire  profiter  mes  lecteurs.  Ce  ser 
en  même  temps  la  justification  de  tout  ce  que  j'ai  avancé  jusqu'ici. 

P.  I  :  dans  la  référence,  ajouter  tome  h^,  et,  au  lieu  de  Maronitensi 
lire:  Episcopo  Maronitanensi.  Labbe  et  Cossart  ont  lu:  In  eodem  moa 
archiepiscopo  Maronitano. 

P.  2  :  Cette  Bulle  d'Innocent  III  a  été  répétée  presque  mot  pour  me 
par  Alexandre  IV  en  1256;  voir  les  corrections  plus  loin,  à  propc 
des  pages  9  sq. 

P.  7,  ligne  3  :  au  lieu  de  quas,  lire  quod.  —  Ligne  24,  le  mot  Grat\ 
n'est  pas  le  nom  propre  de  l'auditeur  Alexandre. 

La  note  PUlippus  prior ,  des  pages  7-8  est  du  R^e  Anaissi,  bie 

que  rien  ne  l'indique,  la  référence  n'est  pas  exacte;  le  Bullaire  de  Clur 
ne  renferme  rien  à  ce  sujet  à  l'endroit  indiqué,  ni  même  ailleurs.  Quai 
à  la  source  ainsi  libellée  :  Mosebemius,  Hist.  eccl.  et  Matheus,  Pari 
vol.  III,  p.  ^ç8  {sic),  en  voici  le  sens  :  Mosebemius  est  Johann  Lorej 
von  Mosheim  (1694-17 55),  historien  luthérien,  qui  a  écrit  des  Instii 
tiones  Historiœ  eccJesiasticce  et  des  Institiitiones  historiœ  christianœ  majoré 
je  n'ai  pas  vérifié  ce  qu'il  peut  dire  des  Maronites.  La  note  du  R™«  AnaU 
est  l'analyse  d'une  lettre  du  Fr.  Philippe,  provincial  des  Dominical 
de  Terre  Sainte,  écrite  en  1237  à  Grégoire  IX.  Elle  se  trouve  dans  ( 
chroniqueur  anglais  du  xiif  siècle,  Matthceus  Parisiensis  ou  Pan 
Cf.    Mattbœi   Pai'is   monachi   Albanensis   Angli   historia    major,  juà 

exempt ar  Londinense  i^yi  Verbatim  récusa ,  editore  Willielmo  IV ù 

S.  T.  D.;  Londres,  1640,  in-folio,  t.  II,  p.  440-441,  ad  annum   i23 

.P.  9,  doc.  5  :  le  sommaire  est  incomplet,  et  l'adresse  Populo  Mare 
tarum  in  PP.  M.  inintelligible.  Comme  les  fautes  sont  nombreuses, 
cite  les  lignes  du  document. 

Ligne  9  :  après  investigabiles,  ajouter  sint. 

Ligne  24  :  avant  confirmare,  ajouter  sua. 

Ligne  74,  au  lieu  de  consuetudinibusque  Ecclesiœ  RomancB,  lire  Eccles 
Romance  consuetudinibus.  m 

Ligne  78  :  au  lieu  de  scilicet,  lire  videlicet.  De  même  ligne  86»« 

Ligne  80  :  au  lieu  de  Groccensis,  lire  Grœcensis.  ^ 

Ligne  87  :  au  lieu  de  Epipbania  Domini,  le  manuscrit  copié  fi(}ê 


I 


A    PROPOS    d'un    BULLAIRE   MARONITE  467 

ment  par  Abraham  Metochita,  qui  savait  le  grec,  porte  Epiphania,  ij'spa- 
banti;  il  est  facile  d'y  reconnaître  l'appellation  du  moyen  âge  de  la  fête 
ie  la  Présentation  :  Hypapante,  ce  qui  n'est  autre  chose  que  le  grec 
j7ra7:avTrj . 

Lignes  92-93  :  au  lieu  de  consecrationis  tuœ,  dictœ  Ecclesiœ  tuœ  prin- 
:ipaUbus,  le  manuscrit  porte  tuœ  consecrationis  die,  Ecclesice  tuce  princi- 
balibus.  Ligne  ici,  au  lieu  de  et,  lire  vel. 

Ligne  107  :  au  lieu  de  prœdictis,  lire  prœdicta. 

Ligne  121  :  au  lieu  de  Ugo,  le  manuscrit  porte  Udo;  c'est  le  cardinal 
Odo  de  Castro  Radulphi,  évêque  de  Tusculum,  mort  en  1273  (Eubel). 

Ligne  129  :  au  lieu  de  Ottobre,  lire  Ottobonus. 

Ligne  133  :  ajouter  vero  après  pontificatus. 

P.  13,  doc.  6:  dans  le  codex  7258,  la  pièce  commence  ex  abrupto 
par  Nec  hoc  dicimus.  Le  titre  et  l'adresse  ne  s'y  trouvent  pas.  Au  milieu, 
au  lieu  de  prœter  venim  jacturam,  lire  prœter  rerum  jacturam. 

P.  17,  ligne   19:  au  lieu  àt  fidelium,  lire  Christifidelium. 

Ligne  21  :  au  lieu  de  reddens,  lire  reddent. 

P.   18,  dernière  ligne:  au  lieu  de  7  2^y,  lir^  72^8. 

P.  19  :  toute  la  note  Natio  Maronitarum  est  empruntée  à  Wadding, 
bien  que  cela  ne  soit  pas  indiqué. 

P.  27  :  dans  le  sommaire,  les  mots  Marci  de  Flo.  G.  O.  M.  de  O.  ne 

sont  guère  compréhensibles;  il  aurait  fallu  :  Marci  de  Florentia,  Guar- 

iiani  Ordinis  Minoriim  de  Observantia.  —  Ligne  21  :  au  lieu  de  insti- 

tîitos,  lire  constitutos.  —  Ligne  25  :  au  lieu  de  mitram,  ccetera,  lire  mitram, 

t  cœtera. 

P.  28,  ligne  6  :  au  lieu  de  ut  dilectissimos,  lire  in  dilectissimos.  -^ 
jgne  22  :  au  lieu  de  hac  optima,  lire  bac  mente  et  optima.  —  Avant- 
lernière  ligne,  corriger  Nos  ea  omnia  sumus  en  Nos  eo  anima  sutnus. 

P.   29,   ligne  2  :  au  lieu   de  prcefacturi,  lire  patefacturi  simus.  '— 

igné  13,  corriger  Dilectis  Filiis  {Maronitis),  Satutem  en  Dilecti  Filii, 
\aliUem.  —  Ligne  17  :  au  lieu  de  apud  Biruthi,  lire  apud  Biruthum.  — 
Jgne  31  :  au  lieu  de  inspirante,  lire  inspirasset.  —  Ligne  32  :  au  lieu 
le  îiobis,  lire  vobis. 

P.  30  :  les  lignes  3-5  ne  renferment  pas  moins  de  six  fautes;  il  faut 
es  rétablir  ainsi  ; 


Sumusque  non  solum  avidi,  sed  etiam  ardentes^  vobis  ea  indicia  amoris 
lostri  ojferre,  quibus  agnoscatis  bene  vobis  et  saluti  vestrœ  consuluisse, 
eum  qui  hanc  vobis  mentem  inspiraverit. 

Ligne  10  :  au  lieu  de  sint,  lire  fiant.  —  Ligne  12  :  au  lieu  de  impar- 


b 


468  ÉCHOS    d'orient 


timus,  lire  impariimiir.  —  La  dernière  phrase  de  ce  document,  particu- 
lièrement maltraitée,  doit  être  rétablie  de  cette  manière  : 

Nos  Deum  Omnipotentem  et  misericordem  supplices  deprecaijiur,  ui 
vobis  tribuat  ea  agere  atgue  perjîcere,  quœ  illius  sanctissimœ  fidei  ei 
omnium  fidelium  christianorum  saluti  sint  oppoi'tuna. 

P.  35,  à  la  référence.  Les  archives  de  la  Propagande,  Miscellanee, 
vol.  16,  fol.  18  ^-19  v»,  contiennent  une  Morum  Maronitariim  relatio 
per  fratrem  Franciscum  Surianum  ad  SS.  D.  N.  Leonem  PP.  X,  dont  il 
existe  d'ailleurs  une  copie  plus  lisible  dans  le  même  volume,  fol.  23-24  v. 

P.  37.  On  pourrait  ajouter  à  cet  endroit  la  Bulle  De  salute  gregis 
Dominici,  du  13  des  calendes  de  septembre  1515,  par  laquelle  Léon  X 
accorde  une  indulgence  plénière  en  certains  jours  à  l'église  patriarcale 
des  Maronites.  Archives  de  la  Propagande,  Miscellanee,  vol.  16,  fol.  15. 

P.  52,  au  bas:  à  cet  endroit,  le  codex  7258,  fol.  66,  donne  l'indi-j 
cation  que  voici  : 

Epistola  Hadriani  PP.  VI  ad  eumdem  Simonem  Patriarcham  Maro 
nitarum  anno  i522,  mense  octobris  22,  quœ  sic  incipit  :  «  Adrianu. 
Epps,  Servus  servorum  Dei,  Venerabili  Fratri  Petro  sedenti  supn 
sedem  Antiochenam,  salutem.  »  Vide  Albertum  Mireum,  «  Politiœ  ecch: 
siasticœ  »  liber  secundus,  cap.  3°,  «  De  Maronitis  ». 

Le  Rn^«  Anaissi  n'a  pas  cherché  cette  lettre. 

P.  55,  vers  la  fin:  ce  n'est  pas  Alexandrum  de  la  Balle,  mais  bie: 
le  célèbre  voyageur  Alexandre  délia  Italie. 

P.  36,  ligne  9  :  au  lieu  de  et  si  simus,  lire  etsi  scinius.  —  Lignes  25-26 
corriger  ipso  assidere  en  isto  assidue.  Avant-dernière  ligne,  lire  :  Blosiu 
et  non  Blasius. 

P.  64,  ligne  6  :  lire  Galeatus  et  non  Galeatius.  —  Ligne  23  :  au  lie 
de  corrigabis servabis,  lire  corrigatis serveiis. 

P.  65,  ligne  9:  au  lieu  de  sequiretur,  hortatur,  lire  sequeretur,  boi 
talus.  —  La  ponctuation  des  lignes  12-13  ^st  mise  à  rencontre  d; 
sens.  —  Ligne  26  :  au  lieu  de  attribuitur,  lire  attribiiito.  —  Ligne  3  ; 
une  note  n'aurait  pas  été  de  trop  pour  expliquer  le  mot  singuli<i 
Machiademos,  ou  plutôt,  comme  porte  le  manuscrit,  Machadenios; 
s'agit  des  anciens  et  notables  du  peuple,  en  arabe  'al  machaîhh.  Enfi: 
la  date  du  document  est  fautive  ;  au  lieu  de  Octobris,  il  faut  lire  Novembr. 

P.  72:  toute  la  fin  de  ce  document,  que  le  R'^^^  Anaissi  remplai 
par  le  signe  etc.,  se  trouve  bel  et  bien  dans  le  codex  7  2=^8,  fol.  S 

ligne  7,  avant  la  fin  de  la  page:   Utinam  vero  quemadmodum; 

manque  ainsi  une  page  et  demie. 


A    PROPOS    d'un    BULLAIRE    MARONITE  469 

P.  75,  ligne  26:  au  lieu  de  in  signum,  lire  insigne  videlicet. 

P.  76,  ligne  2  :  après  quant,  ajouter  eisdem.  —  La  date  est  mal  donnée; 
1  faut  aprilis  et  non  pas  atigUsti.  Dans  la  signature,  ce  n'est  pas 
Zar{olus)  Glorierius,  mais  Cœ(sar)  Glorierius.]e  néglige  plusieurs  fautes 
le  ponctuation  et  d'orthographe,  que  le  lecteur  pourra  corriger  lui- 
nême.  —  Au  bas  de  la  même  page  se  trouve  un  document  non  numé- 
oté,  sans  sommaire;  c'est  la  proposition  consistoriale  du  patriarche 
*tichel  Bâr  Yoûhannân,  qu'il  faut  dater  du  14  des  calendes  d'octobre 
t  non  pas  du  75;  de  plus,  il  manque  toute  la  suite,  qui  occupe  deux 
>ages  entières  du  manuscrit. 

P.  77,  ligne  6,  avant  la  fm  ;  au  lieu  de  scies,  il  faut  sciens. 

P.  78,  ligne  7  :  au  lieu  de  etc.,  il  aurait  fallu  une  trentaine  de  lignes 
[ui  se  trouvent  dans  le  codex  7  258,  fol.  84,  vers  la  fm.  Le  R"»»  Anaissi 

pris  tout  simplement  une  édition  du  synode  libanais,  dont  il  n'indique 
['ailleurs  pas  l'année  (c'est  Veditio  princeps  latine,  imprimée  par  la 
*ropagande  en  1820)  (i),  et  qui  ne  donne  qu'un  texte  tronqué. 

P.  83,  ligne  II  :  après  siispensionis,  ajouter  hujusmodi.  —  Ligne  16: 
,u  lieu  de  prohibentes,  lire  prohibentis. 

P.  84,  ligne  2}  :  au  lieu  de  consueverint,  Wvf  consueverunt. 

P.  85,  ligne  16:  au  lieu  dejuliis,  lire  de  Juliis.U  s'agit  de  l'ancienne 
nonnaie  pontificale  appelée  giulio.  —  Ligne  18  :  au  lieu  de  sepulturœ, 
ire  sepultiiris. 

P.  88,  ligne  i  :  au  lieu  de  insinuandum,  lire  insummandum.  —  Ligne  8, 
près  inane,  lire  decernentes  si  secus  quidquid  super  his...  —  Ligne  15  : 
u  lieu  de  cui,  lire  si.  —  Ligne  17  :  au  lieu  de  prœdictœ,  etiam,  lire  prœ- 
Hctorum  et.  —  Ligne  25  :  au  lieu  de  etiam,  lire  et. 

P.  89,  ligne  4  :  corriger  Joanni  enjoannis.  —  Ligne  7  :  au  lieu  de  et, 
ire  ac.  —  Ligne  13  :  au  lieu  de  congrue,  lire  congrua.  —  La  date  est 
autive;  au  lieu  de  duodecimo,  il  faut  undecimo. 

P.  90,  ce  document,  pour  lequel  aucune  référence  n'est  indiquée,  a 
té  pris  dans  le  codex  7  258,  fol.  86-87.  —  Ligne  11  :  au  lieu  de  eleva- 
ionem  missœ,  lire  celebrationem  missœ.  —  Ligne  23,  après  corriu  Evan- 
elii,  ajouter  :  ac  superpellicio  induio  constituto  super  ejus  humer is  impo- 

ens —  Ligne  24  :  au  lieu  de  simili  hoc,  lire  similibus.  —  Ligne  33, 

re  ainsi  :  in  privilegiis  sibi  ab  eadem  Sede  concessis,  cum  Archiepiscopalis 
ominis  appellatione.  —  Dernière  ligne  :  au  lieu  de  Taddeo,  lire  Daddeo. 

P.  91,  ligne  I  :  au  lieu  de  Reci,  lire  Rui:{^.  —  La  note:  //  medesimo 
Notaio)  dello  stesso  tenore ne  fait  pas  partie  du  texte,  mais  est  une 


{i)  In-4',  p.  [iv]-xi-482. 


470  ÉCHOS    D  ORIENT 


addition  du  manuscrit.  —  Avant-dernière  ligne,  au  lieu  de  Sedem  ipsain, 
lire  Sedem  Apostolicam.  —  Dernière  ligne,  avant  quasdam,  ajouter  per. 

P.  92,  ligne  3  :  au  lieu  de  et,  lire  ac.  —  Ligne  26  :  au  lieu  de  sententiis, 
lire  ceriis. 

P.  93,  ligne  2  :  au  lieu  de  odore,  lire  ardore.  —  Ligne  9  :  après  scientia, 
ajouter  Nostra.  — -  Ligne  23  :  au  lieu  de  perinde  ac,  lire  proinde  ac. 

P.  94,  lignes  31-32  :  au  lieu  de  in posterum,  mettre  imponendis,  qui  se 
trouve  à  la  ligne  suivante.  Au  lieu  de  etiam,  lire  et.  —  Lignes  34-35  : 
au  lieu  de  grasciœ,  lire  Grassœ-. 

P.  95,  ligne  18:  les  mots  concedimus  illaque  eis  commwticamus  ne  se 
trouvent  pas  dans  le  manuscrit.  —  Ligne  j}  :  au  lieu  de  consolatur,. 
lire  consulatur. 

P.  96,  ligne  4  :  au  lieu  de  et  loco  amovendorum,  lire  ac  loco  illorum. 
—  Ligne  8:  corriger  expediens  en  expedire.  —  Lignes  13  et  32:  au 
lieu  de  etiam,  lire  et. 

P.  97,  ligne  2  :  au  lieu  de  exprimendoque  valore  etiam,  lire  exprimendo 
etiam  valorem.  —  Ligne  24  :  au  lieu  de  ohservata,  lire  servata;  les  mots 
prœsentibus  pro  su-fficienier  expressis  habentes  ont  été  ajoutés  avec  raison 
par  les  éditeurs  du  Bullaire  romain,  édition  de  Turin,  suivis  par  le 
Rrae  Anaissi;  ils  manquent  dans  le  codex  5528,  fol.  ï2-v°,  sur  lequel 
j'ai  fait  ma  collation.  Par  contre,  les  clausules  Nulliergo...  Siquisautem. 
y  sont  in  extenso.  La  date  est  fautive  :  au  lieu  de  kalendas,  il  faut  idus. 

P.  99,  lignes  13-14:  au  lieu  de  rivalidari,  subreptivis,  obreptivis,  lire 
invalidari,  subreptionis ,  obreptionis.  — Ligne  21  :  au  lieu  de  imque,  lire 
unquam.  —  Ligne  36  :  au  lieu  de  clausibus,  lire  clausulis.  —  Dernière 
ligne  et  p.  100,  ligne  i  :  au  lieu  de  porrectas  générales,  il  faut  per  clatù- 
sulas  générales. 

P.  100,  ligne  5  :  au  lieu  de  si  suo,  lire  in  siio.  —  Ligne  29  :  au  liei 
de  Fraxinorio,  lire  Fraxinovo. 

P.  10 1,  ligne  16:  au  lieu  de  resolvet,  lire  resultet.  —  Ligne  17:  ai 
lieu  de  annum,  lire  annuum.  —  Ligne  35  :  au  lieu  de  bis,  lire  lis. 

P.  III,  ligne  1 2  :  au  lieu  de  dum  morem  illius  geniis  factiim,  \vê 
secundum  morem  illius  gentis  factam.  —  Ligne  19  :  au  lieu  de  in  signunà 
lire  insigne.  —  Ligne  25  :  ajouter  après  assignandum  :  et  per  jiuntU 
tuos  prœdictos  ditximus  destinandum. 

P.  112,  ligne  2  :  au  lieu  de  sollicites,  lire  sollicite.  —  Les  fautes  coiïl 
mises  dans  4a  transcription  de  ce  document  montrent  qu'il  a  été  cof 
non  sur  le  registre  des  Archives  vaticanes,  comme  le  dit  la  référen^ 
mais  bien  sur  le  codex  7258,  fol.  87. 

P.   119,  au  milieu:   la  référence  Ex  regest.  in  Secret.   Breviimt 


A    PROPOS    D  UN    BULLAIRE    MARONITE  47  I 

ane  bévue  pour  la  formule  bien  connue  :  Registrata  in  Secretaria  Bre- 
vium,  qui  se  trouve  à  la  fin  de  bon  nombre  de  Bulles. 

P.   120,  ligne  24:  au  lieu  de  constiiuisse,  lire  constitutum  esse. 

P.  121,  ligne  I  :  au  lieu  de  quomodolibet,  lire  quetnlibet.  —  Ligne  12: 
m  lieu  de  perpeti,  lire  perpati.  Ces  deux  fautes  se  trouvent  bien  dans 
'édition  du  synode  libanais  faite  par  la  Propagande,  mais  non  pas 
ians  le  codex  7258,  fol.  93-96. 

P.  124.  Le  sommaire  de  cette  pièce  est  mal  fait;  il  faudrait  y  ajouter  : 
ma  vice  tautum,  anno  161 2.  Le  codex  7  258  dit  plus  justement  :  Epistola 
ijusdem  Pauli  l^  ad  Patriarcham  Joannem  Edettensem  pro  indulgentia,  amw 
j6i2  (fol.  93). 

P.  134.  L'original  sur  parchemin  de  ce  document  se  trouve  dans  le 
:odex  72^8,  fol.  249;  il  suggère  quelques  corrections  que  voici: 

§  i''»'  :  au  lieu  de  instruantur,  lire  instruerentur.  —  |  pi'  des  règles,  à 
a  fin,  ajouter  :  Omnes  tamen  tenentur  subséquentes  régulas  observare.  — 
I  2,  ajouter  le  titre  De  pietate.  —  |  4  :  au  lieu  de  missa,  lire  missam.  — 
1  10,  ajouter  le  titre  De  studiis.  Au  lieu  de  turcam,  lire  turcicam. 

P.  138,  ligne  13  :  au  lieu  de  pascentem^  lire  parentem.  —  Ligne  20: 
lu  lieu  de  exaudiendos,  lire  erudiendos.  —  Ligne  25  :  au  lieu  de  pepe- 
mit,  lire  pepererunt.  —  Ligne  3 1  :  au  lieu  de  Pontifias,  lire  pontificii. 
—  Ligne  39:  au  lieu  de  consultari,  lire  consulturi. 

P.  139.  Le  sommaire  est  complètement  inintelligible.  —  Ligne  15  : 
lu  lieu  de  jejungat,  lire  sejungat.  —  Ligne  25  :  au  lieu  de  amore,  lire 
irmare.  —  Ligne  26  :  le  manuscrit  donne  bien  Pater  discordiarum ,  mais 
I  semble  bien  que  le  sens  demande  Pater  misericordiarum .  —  Ligne  30  : 
u  lieu  de  coerere,  lire  coercere. 

P.  140,  lignes  u,  12,  14:  corriger  vixillo,  Turcorum,  deservit,  en 
>exillo,  Turcanim,  disseruit.  (i)  —  Ligne   16:  mettre  un  point  après 

urare,   et    continuer    ainsi  :    Ex   eo  prœsentem   Italiœ   statum — 

-igné  18  :  au  lieu  de  duciiorem,  lire  ductorem.  —  Ligne  22  :  au  lieu  de 
rocuratoribus,  lire  proceribus.  —  Ligne  2}  :  au  lieu  de  pro,  lire  pia.  — 
V  la  suite  de  ce  document,  le  manuscrit  mentionne  (fol.  148  v»)  une 
lUtre  pièce  que  le  R'^e  Anaissi  n'a  pas  recherchée,  et  dont  le  codex 
lonne  l'incipit  et  le  desinit  : 

Dilectis  Jiliis  rectoribus  catholicis  Ecclesiarum  Syriœ  et  Palestinœ, 
Jrbanus  PP.  VIII :  Dilecti  Filii,  salutem,  etc.  Contrit io  et  injelicitas 
n  viis  universœ  carnis.  Datum  Romœ,  apud  sanctum  Petrum,  die 
4/ebruarii  i63o,  Pontijîcatus  Nostri  anno  VIII. 

(«)?(A.  C.) 


472  ÉCHOS    D  ORIENT 


P.  141,  dernière  ligne:  au  lieu  à.t  propugnatoribus,  lire  propagaioribus. 

P.  142,  ligne  4:  au  lieu  de  Armamenioria.  lire  armamentaria.  — 
Ligne  8:  au  lieu  de  Principi,  lire  Princeps.  —  Ligne  12:  au  lieu  de 
perfrueris.  Vire  perfruaris.  —  Ligne  14:  au  lieu  de  orabis,  lire  iiobis. 

P.  143,  ligne  4  :  au  lieu  de  parte,  lire  partent.  —  Ligne  22  :  au  lieu 
de  Amairœ,  lire  Amirœ.  —  Ligne  24  :  au  lieu  de  Edensi,  lire  Edenensi. 

P.  144,  avant-dernière  ligne:  au  lieu  de  regeretur,  lire  regetur. 
A  la  fin  de  ce  document,  le  codex  ajoute  :  DelV  istesso  tenore,  e  con  l'is- 
tesse  parole,  Innocentio  X  scrive  al  patriarcha  Giuseppe  Accurense,  che  era 
prima  arcivescovo  di  Saida,  confermandolo  patriarcha.  Datum  Romce  apud 
sanclam  Mariant  Majorent,  anno  Incarnationis  Dominicœ  1646,  4°  Idibiis 
septembris,  Pontificatus  Nostri  anno  vigesimo.  —  Registrata  in  Secretaria 
Breviiim.  M.  Costa.  Cette  mention  et  ce  document  manquent. 

P.  133  :  dans  l'adresse,  lire  Besbel  au  lieu  de  Sebel,  et  supprimer  le 
mot  Patriarcha.  —  Ligne  19:  au  lieu  de  dum,  lire  secundum. 

P.  154,  ligne  I  :  au  lieu  de  servatione,  lire  reservatione .  —  Ligne  29  : 
au  lieu  de  fructuoso,  lire  gratioso. 

P.  157,  ligne  17  :  au  lieu  de  servos,  Vntsensus.  Lignes  25-26  :  au  lieu  de 
et  omnibus,  lire  ac  ovibus.  —  Dans  la  référence,  ïnefol.  1^0  et  non  14c. 

P.  169,  ligne  21  :  au  lieu  de/,  m.,  lire  felicissimce  recordationis.  — 
Ligne  2j  :  au  lieu  de  prœstit,  paternœ  charitatis,  lire  prcestitit,  paternce 
quia  charitatis.  —  Ligne  29  :  corriger  credituramque  en  creditorumque. 

P.  170,  ligne  I  :  au  lieu  de  Inde  facientem,  lire  Indeficientem.  —  Ligne 
3  I  :  au  lieu  de  Sebel,  lire  Besbel. 

P.  179,  lignes  20  et  22:  corriger  ipsam  en  istant,  et  constiltari  en 
consulturi. 

P.   184,  dans  le  titre,  il  faudrait  ajouter:  ad  decennium. 

P.  185,  ligne  33:  au  lieu  de  existit,  lire  existis.  A  la  fm,  le  codex 
ajoute,  fol.  259  : 

Idem  est  Brève  mtssum  ad  ires  prœdiclos,  scilicet  ad  Cais,  Chaledet. 
Torbei,  sed  Brève  mtssum  ad  Torbei,  in  principio  sic  habei  :  «  Dilecté' 
Fili,  salutem  et  Apostolicam  Benedictionem.  Ex  Romani,  etc.  »  Et  in 
medio  :  «  Nobis  super  hoc  humiliter  porrectis  inclinati,  ipse  qui,  ut] 
asseris,  Venerabilis  Fratris  moderni  Archiepiscopi  Tripoliiani  pr<^\ 
rtepos  existis,  Auratœ  Miliiiœ  equitem,  etc.  »,  et  in  superscriptione^ 
«  Dilecto  Filio  Torbei  filio  Jacobi  Maroniiœ.  » 

P.  209,  après  la  date,  ajouter  :  Joannes  Christophorus  Archiepiscopi^ 
Amasenus. 

P.  214,  ligne  24  :  au  lieu  de  ceriantnr,  lire  lœtantur.  —  Lignes  }2-y^ 
corriger  impendamus  et  Fraternitates  en  impendimus  et  Fratres. 


A    PROPOS    d'un    BULLAIRE    MARONITE  473 


P.  21--,,  ligne  I  :  au  lieu  de  cerie.  lire  esse.  —  Ligne  35  :  au  lieu  de 
volui/niis,  lire  iioluinms. 

P.  216,  ligne  5  :  au  lieu  de  anitentur,  lire  wiitentiir.  —  Ligne  1 1  :  au 
lieu  de  seatndiim,  lire  seciim.  —  Ligne  3  i  :  au  lieu  de  Nec,  lire  ex  et 
supprimer  le  point  qui  est  avant.  —  La  formule  apnd  sanctiim  Petrum. 
est  oubliée  et  le  folio  du  codex  est  le  151-v". 

P.  219:  le  codex  donne  ce  sommaire,  qui  est  meilleur:  Poiitifex 
^elum  Episcopi  Botrensis  in  resarcienda  diœcesi  laudat,  eique  facultatem 
impertiendi  indulgeiitiam  plenariam  in  articulo  mortis  concedit.  — 
Ligne  24  :  au  lieu  de  obtulerunt,  lire  attulerimt.  —  Ligne  27  :  corriger 
Ttiisqiie  et  ciirasset  en  Fuitque  et  curas  et. 

P.  220,  ligne  2  :  au  lieu  de  tuorum,  lire  inealiir.  et  unitate  au  lieu  de 
unione.  —  Ligne  9  :  corriger  largaris  en  largiaris. 

Je  n'ai  pas  poussé  plus  loin  cet  examen  fastidieux,  et  je  ne  mentionne 
ici  que  les  fautes  des  documents  que  j'ai  collationnés.  Cela  suffit  pour 
montrer  la  valeur  de  ce  mauvais  travail.  Le  Bullaire  maronite  est  com- 
plètement à  refaire,  et,  en  voyant  ce  bel  assemblage  de  fautes,  on  ne 
peut  s'empêcher  de  sourire  en  lisant  dans  la  préface  ces  paroles  du  com- 
pilateur : 

Statuunt  atque  demonstrant  prœterea  documeiita  hœc,  rem  historicam 
magni  momenti,  perperam  ab  adversariis,  parum  veritatis  amicis, 
negatam:  id,  est,  perpetuus  atque  constans  animus  majorum  nostrorum 
in  fide  catholica  profitenda  atque  tuenda,  veluti  rosa  inter  spinas,  tôt 
sœculorum  intei'vallo  atque  finit  arum  gentium  conatibus. 

Tout  d'abord,  pour  rendre  cette  phrase  intelligible,  il  manque,  après 
atque,  un  mot  essentiel  :  non  obstantibus,  par  exemple.  Ensuite,  après 
avoir  édité  des  textes  de  cette  façon,  un  peu  plus  de  modération  n'aurait 
pas,  ce  semble,  été  de  trop. 

Je  n'ajoute  qu'un  mot  sur  la  liste  des  patriarches  maronites  qui  est 
donnée  à  la  fin  du  volume.  Elle  est  reproduite  d'une  manière  abrégée, 
d'après  une  publication  du  P.  Jean  Notain  Dara'oûnî,  imprimée  à  Rome 
en  1881  et  intitulée:  Séries  chronologica  Patriarcharum  Antiochiœ  per 
Josephum  Simonium  Âssemanum  Syro-Maronitam ,  nunc  primum  ex  codice 
Vaticano  édita.  in-S»,  p.  iv-43,  et  qui  fait  naturellement  de  saint  Pierre 
le  premier  patriarche  maronite. 

Je  n'avais  d'abord  établi  cet  errata  que  pour  mon  usage  personnel, 
mais  des  amis  ont  pensé  qu'il  pouvait  être  aussi  utile  à  d'autres;  c'est 
ce  qui  m'a  déterminé  à  le  publier. 

Cyrille  Karalevsky, 

prêtre  du  rite  gréco-slave. 
Rome. 


BIBLIOGRAPHIE 


Bibliotheca  hagiographica  latina  antiquœ  et  jnediœ  œtatis.  Supplementi 

editio  altéra  auctior.  Ediderunt  Socii  Bollandiani.  Bruxelles,  191 1, 

in-8°,  viii-355  pages.  Prix  :  12  francs. 
Bibliotheca   hagiographica    orientalis.   Ediderunt    Socii    Bollandiani. 

Bruxelles,  Société  des  Bollandistes,  1910,  in-8°,  xxiii-288  pages.  Prix: 

20  francs. 

Nous  n'avons  pas  à  apprendre  aux  lecteurs  des  Echos  d'Orient  quel 
centre  de  haute  culture  et  d'érudition  critique  est  la  Société  des  Bollan- 
distes de  Bruxelles.  Dans  le  domaine  de  l'hagiographie,  dont  on  sait  la 
grande  importance  pour  les  études  historiques,  ces  religieux  catholiques 
sont  des  maîtres  éminents  dont  les  érudits  du  monde  entier  reconnaissent 
l'autorité.  Non  contents  de  continuer,  par  les  imposants  in-folio  qui 
s'appellent  Ac^a  Sanctorum  et  par  le  recueil  périodique  des  Analecta  bol- 
landiana,  la  grande  œuvre  de  Bollandus,  ils  s'astreignent  à  fournir  à 
tous  les  travailleurs,  dans  une  précieuse  collection  de  Subsidia  hagiogra- 
phica, le  meilleur  bénéfice  de  leurs  méthodes  et  de  leurs  recherches.  C'est 
le  but  visé  et  réalisé  par  une  série  déjà  très  riche  de  catalogues  et  de  réper- 
toires hagiographiques. 

Nous  avions  déjà  la  Bibliotheca  hagiographica  latina,  à  la  fin  de 
laquelle  on  avait  inséré  un  supplément.  On  vient  de  nous  donner  de  ce 
supplément  une  seconde  édition,  qui  en  est  une  refonte,  et  qui  forme  un 
beau  volume  de  36o  pages.  Afin  d'en  rendre  le  maniement  plus  commode, 
on  a  pris  soin,  à  l'aide  de  chiffres  ou  de  caractères  spéciaux,  d'indiquer 
de  fréquents  renvois  à  l'ouvrage  auquel  celui-ci  sert  de  supplément. 
L'ordre  suivi  est  l'ordre  alphabétique  des  noms  des  saints;  trois  saintes 
anonymes  sont  reléguées  à  la  fin.  Puis  viennent:  un  appendice  sous  ce 
titre  :  Vitœ  sanctorum  brèves  in  unum  collectœ;  une  importante  série 
d'Addenda  et  quelques  Emendanda  qui  attestent  une  fois  de  plus  le  soin 
minutieux  apporté  à  la  rédaction  et  à  la  publication  de  ces  précieuses 
notes;  enfin  un  Index  auctorum  très  complet  et  très  précis. 

L'Orient  occupe  une  large  place  dans  l'hagiographie  ancienne.  Les  Bol- 
landistes on.t  déjà  fourni  aux  esprits  désireux  d'explorer  ce  domaine  une 
Bibliotheca  hagiographica  grœca  qui,  parue  en  1895,  a  eu,  en  1909,  les 
honneurs  d'une  réédition,  disons  mieux,  d'une  refonte.  (Voir  Echos 
d'Orient,  t.  XIII,  1910,  p.  366-367.)  ^^  ^-  P-  Peeters  vient  d'y  ajouter  une 
Bibliotheca  hagiographica  orientalis,  pour  laquelle  il  a  fait  un  très  méri- 
toire dépouillement  de  textes  des  diverses  langues  orientales  :  arméniens, 
coptes,  éthiopiens,  syriaques,  arabes,  géorgiens.  La  méthode  suivie  est 
toujours  la  même;  elle  vise  au  maximum  de  précision  possible.  Rien 


:i 


BIBLIOGRAPHIE  47^ 


n'est  négligé  de  ce  qui  peut  faire  atteindre  ce  but  :  indications  de  manu- 
scrits, variantes,  éditions,  etc.  Le  savant  orientaliste  écrit  très  justement 
dans  sa  préface  :  Nondum  enim  in  litteris  Orientis  christiani  tam 
beata  condicione  vivitur  ut  quantulacumque  subsidia  fasiidire  liceat 
(p.  ix).  Le  livre  est  sorti  des  presses  de  l'imprimerie  des  Jésuites  de  Bey- 
routh, ce  qui  est  une  recommandation  de  plus  en  faveur  de  son  exacti- 
tude typographique. 

Le  P.  Albert  Poncelet,  dans  sa  préface  à  la  réédition  du  supplément 
de  la  Bibliotheca  hagiographica  latina,  faisait  allusion  au  travail  con- 
sidérable exigé  par  la  publication  de  ce  répertoire  :  Indicem  tllum,  in 
quem  multum  iempus  laboremque  impendimus  (p.  vi).  Ces  mots,  égale- 
ment vrais  des  deux  ouvrages  que  nous  annonçons,  étaient  écrits  en 
décembre  igii.  Un  mois  après,  le  19  janvier  1912,  le  signataire  de  cette 
préface  mourait  à  Montpellier,  à  l'âge  de  cinquante  et  un  ans.  Les  études 
hagiographiques  ont  perdu  en  lui  un  ouvrier  de  grande  valeur. 

S.  Salaville. 

A.  Papadopoulos-Kerameus,  Texte  Grecesti  privitoare  la  istoria  româ- 
neasca  (t.  XIII  de  la  Collection  Hurmu^aki  :  Docutnente  privitoare  la 
istoria  Românilor).  Bucarest,  1909.  Un  vol.  grand  in-4°,  [jlt, '-619  pages. 
Prix  :  25  francs. 

L'infatigable  éditeur  de  textes  grecs  qu'est  M.  Papadopoulos-Kerameus 
a  recueilli  dans  ce  volume,  qui  forme  le  treizième  de  la  collection  Hur- 
muzaki,  publiée  par  l'Académie  roumaine,  un  nombre  considérable  de 
pièces  inédites  se  rapportant  à  l'histoire  politique,  littéraire  et  religieuse 
des  Grecs  et  des  Roumains  sous  la  domination  turque,  depuis  le  xvi^  siècle. 
Ces  documents  sont  rangés  sous  vingt-sept  divisions  de  longueur  très 
inégale  et  de  contenu  très  divers.  On  en  trouve  une  brève  analyse  dans 
la  préface,  qui  renseigne  également  sur  leur  provenance,  fournit  parfois 
des  compléments  et  fait  connaître  les  auteurs.  M.  P.  Kérameus  s'arrête 
surtout  à  un  polygraphe  remarquable  du  xv!!!"*  siècle,  Sévastos  Kymé- 
nitès,  et  il  dresse  la  liste  de  ses  oeuvres,  qui  ne  comprend  pas  moins  de 
107  numéros. 

Il  serait  trop  long  de  donner  une  analyse  détaillée  de  tous  ces  docu- 
ments. Contentons-nous  de  signaler  les  principaux  à  l'attention  des  lec- 
teurs. Ce  sont  d'abord  les  Histoires  d'Alexandre  Mavrocordatos,  qui 
nous  livrent  des  renseignements  fort  intéressants  sur  la  politique,  la 
diplomatie  et  les  expéditions  militaires  des  Turcs  au  xvii*  siècle.  Le  Con- 
stantinopolitain  Aphentoulis  nous  fournit  ensuite  quelques  pièces  rela- 
tives au  séjour  du  roi  de  Suède,  Charles  XII,  à  Bender,  après  la  conclusion 
d€  la  paix  entre  Ottomans  et  Moscovites.  Puis  viennent  :  le  Journal  de 
Constantin  Karatzas;  des  extraits  de  l'historiographe  Athanase  Comnène 
Hypsilantis,  précieux  pour  l'histoire  de  la  littérature  grecque  moderne; 


476  ÉCHOS    d'orient 


un  panégyrique  de  Sophrone  Likhoudis  en  l'honneur  du  voïvode  Jean 
Servanos;  plusieurs  panégyriques  profanes  et  deux  homélies  de  Sévastos 
Kyménitès;  Vénumération  en  vers  des  sanctuaires  célèbres  et  des  monas- 
tères dédiés  à  la  Panaghia  (principalement  en  Grèce  et  en  Turquie), 
par  César  Dapontès;  une  liste  des  sultans,  des  grands  vizirs  et  des  voï- 
vodes  de  Moldo-Valachie, ainsi  qu'unegénéalogie  des  familles  phanariotes, 
dressées  par  un  anonyme;  un  certain  nombre  de  lettres  de  Mélèce  Pigas, 
patriarche  d'Alexandrie,  de  Dosithée  de  Jérusalem  et  de  plusieurs  autres 
célébrités  grecques  des  derniers  siècles;  quelques  lettres  officielles  de 
patriarches  oecuméniques,  parmi  lesquelles  nous  avons  remarqué  la  lettre 
d'absolution  post  mortem  Aélivréo,  par  Callinique  II  en  faveur  du  voïvode 
Constantin  Servanvoda,  pièce  que  les  théologiens  de  Vorthodoxie,  adver- 
saires des  indulgences  latines,  ne  sauraient  trop  méditer;  les  Maximes 
ou  Sentences  du  voïvode  Nicolas  Alexandre  Mavrocordatos,  qui  sont  fort 
belles;  des  compléments  importants  à  l'ouvrage  déjà  édité  d'Athanase 
Comnène  Hypsilantis  :  Ta  p-exà  Tr,v  aXwaiv,  etc.,  etc. 

Cette  sèche  et  très  incomplète  énumération  suffit  à  montrer  que  M.  Papa- 
dopoulos  Kérameus  et  l'Académie  roumaine  ont  bien  mérité  de  la  science 
historique  en  présentant  au  public  ce  volume,  qui  fait  grand  honneur 
à  la  collection  Hurmuzaki.  M.  Jugie. 

I.  K.  HoLL,  Die  handschrijtliche  Ueberlieferung  des  Epiphanius  {Anco- 

ratus  und  Panarion).  Leipzig,  J.  C.  Hinrichs,  1910,  in-8°  iv-98  pages. 

Prix  :  3  marks. 
!I.  I.  Heikel,  Kritiscke  Beitraege  \uden  Constantin-Schrijten  des  Euse- 

bius  {Eusebius  Werke  Band  I).  Leipzig,  J.  C.  Hinrichs,  191 1,  in-S", 

100  pages.  Prix  :  3  marks  5o. 

Ces  deux  études  font  partie  des  Texte  und  Untersuchungen  \ur  Ges- 
chichte  der  altchristlichen  Literatur  de  A.  Harnack  et  C.  Schmidt, 
t.  XXXVI,  fascicules  2  et  4. 

I.  Celle  de  K.  HoU  est  consacrée  à  la  tradition  manuscriptielle  des 
œuvres  de  saint  Epiphane.  Le  savant  critique  passe  successivement  en 
revue  les  deux  groupes  de  manuscrits  renfermant  ces  œuvres,  le  groupe 
ancien  et  h  groupe  plus  récent.  Au  premier  groupe  appartient  le  Vati- 
canus  5o3,  le  Genuensis  4,  le  Marcianus  i25,  YUrbinas  17/18  et  le  Vindo- 
bonensis  suppl.  gr.  9 1 .  Au  second  se  rattachent  le  Rhedigeranus  240,  VAn- 
gelicus  94  et  les  Parisini  833/835,  leJenensis  et  les  Laurentiani  vi,  12 
et  Lix,  21.  L'érudit  philologue  note  avec  soin  les  différences  que  présentent 
<:es  manuscrits  et  les  rapports  à  établir  entre  eux.  Son  travail,  qui  est 
une  précieuse  contribution  à  l'établissement  critique  du  texte  de  saint  Epi- 
phane, se  termine  par  un  appendice  sur  l'inauthenticité  de  VAnakepha- 
iaiosis. 

II.  C'est  un  travail  analogue  que  nous  donne  Ivar  A.  Heikel  au  sujet 


BIBLIOGRAPHIE  477 


des  écrits  d'Eusèbe  concernant  Constantin.  C'est  M.  Heikel  qui  a  publié, 
en  igo2,  le  premier  volume  des  œuvres  d'Eusèbe  dans  la  collection 
patristique  de  l'Académie  de  Berlin.  Les  recensions  ou  études  suscitées 
par  son  édition  lui  ont  donné  occasion  de  revenir  plus  à  loisir  encore 
qu'auparavant  sur  certains  points,  et  il  nous  présente  le  résultat  de  ses 
nouvelles  recherches,  qui  confirment  ses  premières  déclarations.  Il  étudie 
tout  d'abord  assez  longuement  la  célèbre  oratio  ad  sanctorum  cœtum 
(dans  MiGNE,  P.  G.,  t.  XX,  col.  i23o-i3i6),  pour  aboutir  à  conclure  que 
ce  discours  n'est  pas  authentique,  qu'il  n'est  «  qu'un  mauvais  travail 
d'écolier  »  (p.  49).  Comparer  avec  l'opinion  de  dom  Pfaettisch,  résumée 
dans  Echos  d'Orient,  t.  XII,  1909,  p.  255-256.  Puis  M.  Heikel  examine 
quelle  est  la  valeur  du  Marcianus  340  en  ce  qui  concerne  la  Vita  Con- 
stantini  et  l  Oratio,  présente  de  nouvelles  collations  faites  sur  le  meilleur 
manuscrit  qui  existe,  le  Vaticanus  149,  étudie  la  composition  du  Laus 
Constantini,  et  enfin  les  titres  de  chapitres.  Ces  derniers  ne  peuvent  pas 
être  d'Eusèbe,  puisqu'ils  contiennent  des  termes  étrangers  à  la  langue  de 
l'historien  et  qui  supposent  une  date  bien  postérieure.  On  ne  saurait  trop 
apprécier  ces  «  contributions  critiques  »  d'un  philologue  qui  compte 
parmi  les  plus  compétents.  S.  Salaville. 

F.  Ehrle,  s.  J.,  et  P.  Liebaert,  Specimina  codicum  latinorum  Vatica- 
norum{Tabulœ  in  usum  scholarum,  III).  Bonn,  A  Marcus  et  E.  Weber, 
1912,  in-4'',  XXXVI  pages,  5o  planches.  Prix:  6  marks. 

Les  études  paléographiques  devront  beaucoup  à  la  collection  de  Tabulœ^ 
in  usum  scholarum  dirigée  par  M.  Hans  Lietzmann,  et  dont  le  présent 
ouvrage  constitue  le  troisième  volume.  Le  R.  P.  Ehrle  et  M.  Paul  Liebaert 
ont  uni  leur  collaboration  pour  offrir  aux  étudiants  un  choix  des  manu- 
scrits latins  du  Vatican,  extraits  profanes  ou  sacrés,  d'auteurs  classiques 
ou  ecclésiastiques.  Les  dates  de  ces  manuscrits  s'échelonnent  entre  le 
iv"^  siècle  et  la  fin  du  xv^  Ces  extraits  sont  reproduits  en  d'excellentes 
planches  phototypiques.  Une  notice  est  consacrée  à  chacune  délies,  don- 
nant toutes  les  indications  critiques  concernant  la  provenance,  l'époque, 
l'état  du  manuscrit,  les  éditions.  Quand  les  textes  sont  plus  difficiles  à 
lire  et  moins  connus,  copie  entière  en  est  donnée.  Tout  est  mis  en  œuvre 
pour  rendre  faciles  et  attrayants  aux  étudiants  les  exercices  de  paléogra- 
phie latine.  D.  Servière. 

E.  Martini,  Textgeschichte  der  Bibliotheke  des  Patriarchen  Photios  von 
Constantinopel.  I  Theil  :  Die  Handschriften,  Ausgaben  und  Uebertra- 
gungen.  Leipzig,  G.  Teubner,  191 1,  in-S",  i34  pages  et  8  planches  en 
phototypie.  Prix  :  7  marks  {Abhandlungen  der  philologisch-historis- 
chen  K lasse  der  kœnigl.  sœchsischen  Gesellschajt  der  Wissenscha/ten, 
n"  VI  ). 


478  ÉCHOS    d'orient 


On  sait  l'importance  de  la  Bibliotheca  de  Photius  comme  source  litté- 
raire, cet  ouvrage  contenant  les  résumés  des  livres  lus  par  le  célèbre  per- 
sonnage. Or,  ce  recueil  attend  encore  son  édition  critique.  Cette  édition, 
M.  E.  Martini  la  prépare  d'une  manière  très  scientifique  par  l'étude  des 
manuscrits,  des  éditions  et  des  traductions  diverses  qu'il  a  publiée  dans 
les  Mémoires  de  la  section  philologique  et  historique  de  l'Académie  de 
Saxe,  n°  vi.  Le  docte  critique  y  fait  l'histoire  du  texte  de  la  Bibliotheca 
depuis  le  plus  ancien  manuscrit  connu  jusqu'aux  éditions  les  plus  récentes. 
On  y  sent  une  précision  impeccable  et  une  maîtrise  du  sujet  à  laquelle 
on  peut  avoir  pleine  confiance.  Le  catalogue  des  manuscrits  dressé  par 
Harles,  puis  par  Hergenrœther,  est  considérablement  augmenté  et  rectifié 
par  M.  E.  Martini  :  vingt-quatre  codices  sont  indiqués  et  décrits,  qui  con- 
tiennent le  texte  intégral  ou  presque  intégral  de  la  Bibliotheca;  vingt- 
huit  autres  en  ont  des  extraits  plus  ou  moins  étendus.  Les  deux  plus 
anciens  manuscrits,  le  Cod.  Marcianus  grœc.  460  (A),  du  x«  siècle,  et  le 
Cod.  Marcianus  grœc.  45 1  (M),  du  xii«  siècle,  sont  seuls  indépendants; 
tous  les  autres  se  rattachent  soit  à  A,  soit  à  M,  soit  à  une  combinaison 
de  l'un  et  de  l'autre.  Huit  reproductions  phototypiques  des  principaux 
manuscrits  forment  un  intéressant  appendice  à  cet  excellent  ouvrage,  dont 
la  continuation  et  l'achèvement  seront  salués  avec  grande  joie  par  les  cri- 
tiques, et  spécialement  par  les  byzantinistes. 

S.  Salaville. 

J.    Behm,    Die   Handaujlegung  im    Urchristentum  nach   Verwendung. 
Herkunft  und  Bedeutungin,  religionsgechichtlichem  Zusammenhang 
untersucht.   Leipzig,   A.    Deichert,   191 1,    in-8",   vi-208   pages.    Prix 
4  marks  5o. 

Le  rite  de  l'imposition  des  mains  est  un  des  rites  de  la  liturgie  chré- 
tienne les  plus  intéressants  à  étudier.  En  usage  déjà  chez  les  Juifs,  on  h 
voit  pratiqué  par  Jésus-Christ  dans  l'Evangile  ;  puis,  dès  la  première  heure 
par  l'Eglise,  qui  l'emploie  dans  les  cérémonies  du  baptême,  de  la  confiri 
mation,  de  l'ordination,  de  la  réconciliation  des  pénitents  et  des  héré 
tiques.  Un  théologien  protestant,  M.  J.  Behm,  s'est  proposé  de  recherche: 
à  travers  les  documents  de  l'antiquité  chrétienne  les  divers  cas  de  l'emplo 
de  ce  rite,  son  origine  et  sa  signification.  Les  deux  premières  parties,  plu: 
positives,  sont  bien  traitées.  L'auteur  a  méthodiquement  recueilli  lei 
textes  et  les  a,  semble-t-il,  bien  mis  en  valeur,  d'une  manière  générale 
bien  qu'il  soit  loisible  à  chacun  de  n'être  point  toujours  de  son  avis  su 
telle  interprétation  de  détail.  Mais  dans  la  troisième  partie,  où  il  s'agit  d 
déterminer  la  signification  du  rite  chrétien  de  l'imposition  des  mains 
la  mentalité  protestante  de  l'auteur  se  trahit,  au  détriment,  croyons-nous 
de  l'objectivité  scientifique.  Sans  doute,  il  déclare  bien  voir  dans  ce  rit 
un  signe  efficace  de  la  communication  d'une  vertu  de  vie  sainte,  de  1 


BIBLIOGRAPHIE  479 


communication  de  l'Esprit-Saint.  Mais  cette  vertu  de  vie,  cette  commu- 
nication de  l'Esprit-Saint  aurait  consisté,  selon  le  concept  que  M.  J.  Behm 
prête  aux  premiers  chrétiens,  en  une  sorte  de  fluide  mystérieux  transmis 
par  l'imposition  des  mains  (p.  igS)!  Sous  le  bénéfice  des  graves  réserves 
qu'impose  une  interprétation  aussi  tendancieuse,  et,  disons  le  mot,  aussi 
étrange,  cette  monographie  mérite  d'attirer  l'attention  des  théologiens  et 
des  liturgistes. 

S.  Salaville. 

F.  Chalandon  :  Jean  H  Comnène  (1118-1143)  et  Manuel  /"  Comnène 
{1143-1180).  Paris,  Picard,  1912,  in-8",  Lxiv-710  pages.  Prix:  20  francs. 

Depuis  plus  de  dix  ans,  M.  Chalandon  nous  faisait  espérer  la  continua- 
tion de  ses  études  sur  l'empire  byzantin  aux  xi"  et  xir  siècles.  Le  présent 
volume,  fruit  de  patientes  recherches,  vient  heureusement  mettre  un 
terme  à  cette  longue  attente.  Les  deux  règnes  de  Jean  II  et  de  Manuel  I" 
Comnène  y  sont  étudiés  avec  un  soin  minutieux;  la  documentation  est 
abondante,  la  critique  avisée.  Nous  souhaitons  que  l'auteur  nous  donne 
bientôt  la  suite  de  son  œuvre,  ainsi  qu'il  l'annonce  dans  l'avant-propos 
afin  que  nous  ayons  sur  l'histoire  et  la  civilisation  de  Byzance  au  xir  siècle 
un  tout  complet.  L'identification  des  lieux  a  été  faite  d'après  les  plus 
récentes  découvertes.  Cependant  il  a  échappé  certaines  petites  erreurs  de 
détail  :  Pernik  (p.  3gj)  a  conservé  son  ancien  nom  et  ne  s'appelle  pas 
Petrische;  Scadra  {ibid.)  est  Scodra  ou  Scutari  d'Albanie.  Berrhoé  a 
depuis  longtemps  abandonné  son  nom  turc  de  Eski-Sagra  pour  le  nom 
bulgare  de  Stara-Zagora.  Une  singulière  distraction  fait  dire  à  l'auteur 
dans  l'index  alphabétique  qui  termine  l'ouvrage  que  Chrysopolis  est  Scu- 
tari d'Albanie,  au  lieu  de  Scutari  de  Bithynie,  faubourg  asiatique  de  Con- 
stantinople.  L'absence  de  cartes  françaises  détaillées  pour  l'Orient  est 
vraiment  regrettable,  car  elle  oblige  les  auteurs  à  se  servir  de  cartes  alle- 
mandes ou  anglaises  qui  transcrivent  très  imparfaitement  les  noms  indi- 
gènes. Nous  le  déplorons  une  fois  de  plus.  C'est  ainsi  que  l'on  arrive  à 
écrire  Lali  Barga  pour  Lulé  Bourgas,  Enguri  pour  Angora,  sandschak 
pour  sandjak,  etc.  L'auteur  n'aurait-il  pas  bien  fait  de  traduire  pour  les 
profanes  les  noms  de  fonctionnaires  byzantins  tels  que  hétériarque,  ves- 
tiariste,  éparque,  skeuophulax,  pansébaste,  chef  du  kaniklée,  logothète  du 
drome,  acolouthe,  logariaste,  etc.  ?  Ces  taches  légères  enlèvent  bien  peu 
de  mérite  à  une  œuvre  d'aussi  grande  valeur,  qui  étudie  une  partie  de 
l'histoire  byzantine  encore  assez  peu  connue.  Nous  sommes  heureux  de  le 

reconnaître. 

R.  Janin. 

La  Palestine,  guide  historique  et  pratique  avec  cartes  et  plans  nouveaux 
par  des  projesseurs  de  Notre-Dame  de  France  à  Jérusalem,  2«  édition. 
Paris,  Bonne  Presse,  1912,  in-i6,  xL-720  pages.  Prix,  10  francs. 


480  ÉCHOS    d'orient 


La  première  édition  de  ce  guide  avait  été  saluée  avec  joie  par  les  amis 
des  études  bibliques  et  palestiniennes.  On  y  trouvait  une  érudition  tou- 
jours sûre  d'elle-même  et  toujours  intéressante,  une  critique  impartiale 
—  chose  fort  difficile  pour  certaines  questions  brûlantes,  —  une  clarté  et 
une  précision  qui  facilitaient  au  lecteur  l'intelligence  des  problèmes  par- 
fois complexes  qui  se  posent  au  sujet  des  Lieux  Saints.  La  deuxième  édi- 
tion, depuis  longtemps  attendue,  sera  certainement  mieuv  accueillie 
encore.  Les  auteurs  y  révèlent  une  fois  de  plus  leur  souci  de  l'exactitude 
et  de  la  saine  critique.  Non  contents  de  corriger  de  petites  erreurs  de 
détail  qu'on  leur  avait  signalées,  ils  n'ont  pas  hésité  à  refondre  entière- 
ment plusieurs  passages  pour  les  mettre  d'accord  avec  les  découvertes 
faites  depuis  la  première  édition.  C'est  ainsi  qu'ils  ont  étudié  à  nouveau 
la  question  d'Emmaûs  et  celle  du  palais  de  Caïphe,  qu'ils  ont  modifié 
d'après  les  travaux  les  plus  récents  ce  qui  regarde  la  basilique  de  l'Eléona 
au  mont  des  Oliviers,  la  Jéricho  primitive,  le  lieu  du  baptême  de  Notre- 
Seigneur,  Mambré,  l'antique  Samarie  et  l'église  de  l'Annonciation  è 
Nazareth.  Parfois  ils  ont  dû  renoncer  à  quelques-unes  des  hypothèses 
qu'ils  avaient  d'abord  proposées  dans  la  première  édition,  preuve  évidente 
qu'ils  ont  le  plus  grand  souci  de  l'impartialité.  D'aucuns  leur  reproche- 
ront peut-être  d'étonner  la  piété  des  pèlerins  en  discutant  la  valeur  des 
traditions  relatives  à  certains  sanctuaires,  mais  ils  ont  pensé  avec  raisor 
que  seules  les  traditions  basées  sur  des  témoignages  anciens  et  séricu? 
méritaient  notre  créance. 

A  l'étude  de  la  Palestine,  les  auteurs  ont  eu  l'heureuse  idée  de  joindn 
un  travail  très  complet  et  très  savant  sur  la  Syrie  centrale.  Heureuse  idée 
disons-nous,  car  cette  contrée  appartient  de  droit  aux  pays  bibliques 
Enfin  un  appendice  de  97  pages  donne  un  aperçu  des  principales  curio 
sites  qu'offre  une  excursion  autour  de  la  Méditerranée.  Ce  qu'on  y  trouv< 
sur  Naples,  Athènes,  Constantinople  et  l'Egypte  suffit  à  renseigner  le 
voyageurs  qui  ne  disposent  pas  de  beaucoup  de  temps. 

72  cartes  et  plans,  dans  le  texte  ou  hors  texte,  dont  une  trentaine  entiè 
rement  nouveaux,  illustrent  l'ouvrage.  Les  cartes  ont  le  grand  méritS 
d'être  très  claires,  de  ne  présenter  que  les  indications  essentielles,  ce  qu 
en  rend  la  lecture  très  facile.  Nous  leur  ferons  cependant  un  reproche 
A  première  vue,  on  croirait  que  la  Palestine  est  abondamment  pourva 
de  routes  carrossables.  N'eût-il  pas  été  préférable  d'indiquer  par  deux  trait; 
les  rares  grand'routes  et  par  un  trait  seulement  les  innombrables  sen 
tiers  qui  sillonnent  le  pays? 

L'ouvrage  se  présente  avec  une  élégante  reliure  souple,  moins  modes^ 

que  sa  sœur  aînée  et  du  plus  heureux  effet.  C'est  de  tout  cœur  que  nou 

lui  souhaitons  un  grand  succès  auprès  des  amis  de  la  Palestine,  car  il  | 

mérite  à  plus  d'un  titre. 

R.  Janin. 

992-12.  —  Imp.  P.  Ferok-Vrao,  3  et  5,  rue  Bayard,  Fans,  6°.  —  Le  gérant  :    E.  Petithenry^ 


PHILIPPE  STANISLAVOF 

APOTRE    DES    BULGARES    PAVLIKANS 
AU  XVir  SIÈCLE 


Dans  un  précédent  article,  j'ai  présenté  aux  lecteurs  des  Echos  d'Orient 
le  premier  livre  néo-bulgare  imprimé  à  Rome  en  1641,  VAbagar  de 
Philippe  Stanislavof,  évêque  catholique  de  Nicopolis  (i).  L'auteur  de 
ce  recueil  mérite  mieux  qu'une  notice  purement  bibliographique.  Je 
voudrais  aujourd'hui  esquisser  une  biographie  de  ce  missionnaire  des 
Bulgares  Pavlikans  au  xvii«  siècle. 

Philippe  Stanislavof  était  originaire  d'Oréché,  village  catholique  situé 
à  une  dizaine  de  kilomètres  au  sud-est  de  Svichtov,  sur  les  bords  du 
Danube.  Cette  localité,  qui  comptait  alors  soixante-dix  maisons  pavli- 
kanes  et  environ  400  habitants,  avait  été  convertie  au  catholicisme  par 
le  Franciscain  bosniaque  Fra  Pietro  Budi  da  Soli,  que  le  Pape  fit  évêque 
de  Sofia,  et  qui  est  plus  connu  dans  les  documents  de  l'époque  sous 
He  nom  de  Salinati,  1 605-1 623.  Philippe  Stanislavof  dut  grandir  au 
moment  où  ce  zélé  missionnaire  exerçait  là  son  apostolat,  et  c'est  sans 
(doute  par  lui  qu'il  fut  envoyé  à  Rome  pour  y  faire  ses  études.  Les 
documents  nous  le  signalent  comme  élève  du  Collegium  lllyricum, 
comme  élève  des  Pères  Franciscains  (2),  comme  élève  de  la  Propa- 
gande (3).  Après  son  ordination  sacerdotale,  le  pape  Urbain  Vlll  le 
prit  à  son  service  en  qualité  de  traducteur  pour  les  langues  slaves  (4). 


,  (i)  Le  premier  livre  néo-bulgare  :  V  «  Abagar  •»,   de  l'éj'èque  Stanislavof,  dans 
Echos  d'Orient,  septembre  1912,  p.  442-448. 

(2)  E.  Fermendziu,  Acta  Bulgariœ  ecclesiastica  ab  a.  i565  ad  a.  1799,  dans  les 
Moniimenta  spectantia  ad  historiam  Slavorum  meridionalium  édités  par  l'Académie 
jougoslave  de  Zagreb,  t.  XVIII.  Zagreb,  1887,  p.  190.  Les  documents  de  ce  précieux 
recueil  seront  constamment  utilisés  au  cours  de  ces  pages.  Le  seul  travail  bulgare  sur 
riode  et  le  sujet  qui  nous  occupent  est  celui  de  M.  Miletitch  :  /^  istoriata  na  beul- 
•  kata  katolichka  propaganda  vo  xvu  vék  (de  l'histoire  de  la  propagande  catholique 
'.ulgarie  au  xvu'  siècle),  dans  la  revue  Beulgarski  Prégled,  t.  I",  1894,  p.  62-82, 
i)0.  Voir  aussi  la  monographie  du  même  auteur,  intitulée:  Nos  Pavlikians.ou 
Hulgares  Pauliciens.  Sofia,  igoS.  Je  dois  remercier  ici  plusieurs  de  mes  confrères 
Bulgarie  qui  ont  bien  voulu  m'aider  de  leurs  renseignements  pour  traiter  ce  cha- 
■  d'histoire  religieuse  bulgare. 
Ibid.,  p.  259. 

Ibid.  C'est  Stanislavof  lui-même  qui  donne  ces  renseignements  au  début  d'un 
irt  envoyé  par  lui  à  la  Propagande  sur  son  diocèse  de  Nicopolis,  en  lôSg  :  Phi- 
us  Stanislaus,  sacerdos   sœcularis,   antiquus  alumnus   et   missionarius  ejusdem 
Congregationis,  ac  interpres  linguarum  coram  glor.  mem.  Urbano  Papa    VIII, 
'■ppido  Horrese,  Nicopolitanœ  diœcesis,  ex  gente  Paulianistarum. 

Echos  d'Orient.  —  i5'  année.  —  A'"  97.  Novembre    1912. 


482  ÉCHOS    d'orient 


En  septembre  1635,  Elie  Marinich,  successeur  de  Fra  Pietro  da  Sol 
sur  le  siège  de  Sofia,  écrivait  à  Rome  pour  demander  qu'on  lui  envoya 
le  plus  tôt  possible  Philippe  Stanislavof.  «  Je  compte  sur  lui,  disait  h 
prélat,  pour  convertir  son  village  natal,  infesté  par  les  erreurs  pav 
likanes.  »  (i) 

La  conversion  opérée  par  Pietro  da  Soli  était,  en  effet,  bien  loir 
d'avoir  été  la  transformation  complète  des  habitants  d'Oréché.  Deu: 
prêtres  avaient  été  laissés  dans  le  village  pour  y  continuer  l'œuvre  d< 
catholicisation.  Mais  un  jour  les  nouveaux  convertis  se  révoltèrent  e 
demandèrent  qu'il  leur  fût  permis  de  manger,  de  boire,  de  danser  e 
de  s'enivrer  dans  l'église  selon  leur  ancienne  coutume.  Le  métropolit 
orthodoxe  de  Tirnovo  profita  de  l'occasion  pour  les  attirer  à  lui,  e 
n'hésita  pas,  afin  d'y  parvenir,  à  soudoyer  jusqu'aux  Turcs  eux-mêmes 
Salinati  fit  tant  et  si  bien,  qu'il  finit  cependant  par  avoir  le  dessus 
vers  1620  (2).  Mais  on  devine  bien  qu'il  restait  encore  beaucoup 
travailler  sur  ces  populations  grossières. 

La  demande  d'Elie  Marinich  fut  agréée,  car  en   1636  Stanislavof 
trouvait  à  Oréché,  d'où  il  renseignait  personnellement  Rome  sur  le 
erreurs  bizarres  de  ses  compatriotes. 

Ils  s'appellent  Romains  et  papistes,  écrit  le  nouveau  missionnaire; 
ne  reconnaissent  d'autre  pasteur  que  le  Pape.  Mais  quand  nous  lei 
disons  que  nous  avons  séjourné  à  Rome  et  que  nous  avons  vu  le  Pap 
ils  nous  répondent  que  personne  ne  peut  voir  le  Pape.  Le  Pape  est 
lointain  qu'il  faudrait  vivre  cent  ans,  avoir  des  ailes  et  voler  pendai 
cent  ans  pour  le  voir  (3). 

Le  15  octobre  1640,  Pierre  Bogdan  ou  Déodat,  évêque  de  Gallipc 
et  coadjuteur  de  Sofia,  trouve  à  Oréché  480  habitants  catholiques,  ui 
église  en  bois  bien  misérable  exigeant  des  réparations  et  de  laquell 
pour  comble  de  malheur,  les  Turcs  voulaient  encore  s'emparer  po 
en  faire  une  mosquée.  Le  nombre  des  maisons  turques  s'élevait  alo 
à  une  trentaine,  ce  qui  donnait  une  population  musulmane  de  150  pe 
sonnes.  C'étaient,  pour  la  plupart,  des  janissaires  et  des  gens  d'influenc 
attirés  depuis  vingt  ans  par  la  situation  du  village  et  la  fécondité  du  st 
Malheureusement,  quelques  Pavlikans  renégats  s'étaient  joints  à  eu 

Le  travail  ne  manquait  donc  pas  pour  le  missionnaire  à  Oréché, 
les  difficultés.  La  solide  instruction  qu'avait  reçue  Stanislavof,  son  zè 
sa  connaissance  de  ses  compatriotes,  lui  permirent  d'exercer  unegran 


(i)  E.  Fermendziu,  op.  cit.,  p.  Sg. 

(2)  Ibid.,  p.  17-18,  86-87. 

(3)  Ibid.,  p.  42. 


PHILIPPE  STANISLAVOF,  AP.  DES  BULGARES  PAVLIKANS  AU  XVII''  S.       483 

influence.  Au  premier  synode  diocésain  de  Sofia,  tenu  du  18  au 
20  août  1641  dans  l'église  de  l'Assomption,  à  Chiprovatz,  sous  la 
présidence  de  l'évêque  Pierre  Bogdan,  Philippe  Stanislavof  est  nommé 
parmi  les  témoins  synodaux  chargés  de  veiller  à  l'exécution  des  mesures 
prises  et  d'examiner  les  réformes  ou  les  améliorations  à  introduire 
dans  le  diocèse.  11  est  mentionné  avec  le  titre  de  missionnaire  aposto- 
lique chez  les  Pavlikans. 

Testes  synodales Inter  Paulianistas  :  Rêver.  Dominus  Pliilippus 

Stanislauus,  alumnus  sacrœ  Congregationis  de  propagandafide,  et  mis- 
sionarius  apostolicus  {i). 

Dans  les  souscriptions  du  synode,  la  signature  de  Stanislavof  occupe 
le  quatrième  rang  après  l'évêque,  le  custode  de  Bulgarie,  qui  était 
aussi  vicaire  général,  et  un  troisième  Franciscain  qui  avait  lui-mèlne 
été  custode  (2).  C'est  dire  la  considération  dont  notre  missionnaire 
devait  être  entouré  et  le  rôle  important  qu'il  dut  jouer. 

C'était  d'ailleurs  quelques  mois  avant  ce  synode,  le  6  mai  1641, 
qu'avait  été  imprimé  à  Rome  YAbagar,  le  recueil  religieux  composé  par 
Stanislavof  à  l'usage  des  Pavlikans. 

Un  détail  du  long  rapport  qu'il  envoya  à  la  Propagande  la  onzième  année 
de  son  épiscopat,  en  1659,  sur  l'état  de  son  diocèse,  nous  fait  con- 
naître quelles  furent,  dès  1635,  sa  vie  et  sa  méthode  d'apostolat.  Il  était 
vraiment  le  missionnaire  allant  d'un  endroit  à  l'autre,  partout  où  les 
intérêts  catholiques  avaient  besoin  d'être  soutenus  et  fortifiés.  11  ne  se 
contentait  pas  de  rayonner  autour  de  son  village  natal;  il  passait  même 
le  Danube  et  allait  jusqu'en  Bessarabie.  L'aisance  avec  laquelle  il  parlait 
le  turc,  le  tartare  et  le  valaque,  sa  connaissance  parfaite  des  mœurs  et 
des  coutumes  des  habitants  de  ces  régions,  son  expérience  des  lieux 
lui  facilitaient  la  besogne,  qui  n'allait  pas  cependant  sans  de  graves 
ditficultés.  Dans  son  rapport  de  1659,  Stanislavof  avoue  qu'il  remplis- 
sait parfois  son  ministère  au  péril  de  ssi  w'ie,  cum  periculo  maximovitœ{}), 
moins  sans  doute  à  cause  des  Turcs  qu'à  cause  des  schismatiques. 
Aucun  prêtre  catholique  n'avait  pénétré  depuis  bien  longtemps  en  Bes- 
sarabie. Dès  sa  première  année  de  mission,  en  1635,  Stanislavof  se 
rendit  à  Akkerman  pour  visiter  les  catholiques  de  cette  ville,  petit 
groupe  composé  de  quatre  familles,  auxquelles  venaient  s'ajouter,  à 
certaines  époques,  des  marchands  ragusains  amenés  par  leur  négoce  (4). 


Il)  E.  Fermendziu,  op.  cit.,  p.  i3i. 
'î)  fbid.,  p.  i32. 
Ibid.,  p.  265. 
,4/  Ibid. 


484  ÉCHOS    d'orient 


Bien  qu'il  fût  muni  de  toutes  les  autorisations  de  la  part  des  Turcs,  il 
voyageait  cependant  incognito,  pour  se  conformer  aux  habitudes  du 
pays,  more  Turcarum,  et  revêtait  un  costume  qui  le  faisait  prendre 
pour  un  commerçant  (i). 

Il  semble  que  les  missions  lointaines  en  Bessarabie  aient  été  moins 
pénibles  pour  Stanislavof  que  l'apostolat  des  Pavlikans  de  son  propre 
pays  et  des  régions  environnantes.  Celui-ci  l'exposait  à  plus  de  vexations 
de  la  part  des  Turcs,  peut-être  aussi  à  plus  de  trahisons  de  la  part  des 
siens.  C'est  ce  qui  ressort,  du  moins,  d'une  lettre  de  François  Soymi- 
rovich,  custode  de  Bulgarie  et  de  Valachie,  vicaire  général  de  Sofia, 
lettre  écrite  le  20  février  1647  (2).  Il  y  est  question,  entre  autres  choses, 
d'une  dénonciation  portée  contre  Stanislavof  et  d'impôts  que  les  Turcs 
veulent  le  forcer  à  payer  tandis  que  les  Franciscains  en  sont  exempts, 
Il  est  vrai  que  le  témoignage  de  Soymirovich  paraît  quelque  peu  sujei 
à  caution  ;  car,  comme  nous  allons  le  voir,  son  jugement  sur  Stanislavo 
semble  avoir  été  conditionné  par  des  considérations  personnelles  oî 
l'on  aurait  pu  souhaiter  plus  de  désintéressement. 

C'est  que,  en  effet,  il  était  alors  question  de  créer  un  nouvel  évêché 
celui  de  Nicopolis.  Or,  Marc  Bandulovich,  archevêque  de  Marcianopolis 
appuyait  la  candidature  de  Philippe  Stanislavof,  proposé  par  les  Pav 
likans  de  Nicopolis. 

Déjà,  en  1643,  Bogdan  Bakchich,  archevêque  de  Sofia,  avait  demand< 
à  Rome  de  diviser  en  deux  diocèses  la  Bulgarie  et  la  Valachie,  qu 
étaient  jusque-là  soumises  ensemble  à  sa  juridiction.  C'est  alors  qui 
Marc  Bandulovich  avait  été  désigné  pour  le  nouvel  archevêché  de  Mar 
cianopolis,  avec  résidence  à  Silistra.  Mais  Bandulovich,  qui  s'était 
paraît-il,  compromis  devant  les  Turcs,  n'osait  s'établir  à  Silistra  et  rési 
dait  à  Bakaou,  en  Moldavie,  sans  jamais  paraître  dans  la  partie  de  soi 
diocèse  qui  comprenait  la  Bulgarie  du  Nord-Est.  Aussi  proposa-t-il.  l 
2  juillet  1647,  à  ses  catholiques  du  territoire  turc,  de  choisir  parm 
leurs  prêtres  un  candidat  qu'il  pût  présenter  à  Rome  pour  le  nouvç 
évêché  à  créer  à  Nicopolis  (3).  Les  Pavlikans  choisirent  Philippe  Stan; 
lavof,  qui  était  très  populaire  parmi  eux  à  cause  de  ses  allures  simpi 
et  de  son  habileté  reconnue  à  se  plier  à  toutes  les  circonstances. 

Fendant  ce   temps,   les    Franciscains,   de  leur  côté,    portaient  leu 


(i)  E.  Ferendziu,  op.  cit.,  p.  266.  Incedit  tamen  semper  in  habito  mercatoris,  mot 
Turcarum,  prout  debent  incedere  legati  principum,  omnes  catholici  latini  ritus 
quicumque  alii  episcopi. 

(2)  Ibid.,  p.  176. 

(3)  Ibid.,  p.  i8o. 


W, 


HILIPPE  STANISLAVOF,  AP.    DES  BULGARES  PAVLIKANS  AU  XVII'"  S.       48s 

hoix  sur  un  des  leurs,  François  Soymirovich,  et  l'archevêque  de  Sofia 
ppuyait  instamment  ce  candidat  (i).  On  en  était  là  quand  se  répandit 
e  bruit  de  la  nomination  de  Stanislavof.  L'émoi  fut  grand  à  la  custodie 
le  Bulgarie.  L'archevêque  de  Sofia  se  hâta  d'en  aviser  la  Propagande, 
t  de  demander,  en  guise  de  compensation,  que  Soymirovich  lui  fut 
lu  moins  donné  pour  évêque  auxiliaire.  La  piquante  naïveté  du  document 
talien  permet  de  saisir  sur  le  vif  l'impression  produite  : 

5  e  sparsa  la  voce  per  guesti  paesi,  che  Sig.  D.  Filippo  Stanislao  sia 
^atto  vescovo  délie  parti  dei  Paulianisti,  la  quai  cosa  hajatto  non  poca 
'onfusione  fra  H  religiosi  di  coiesta  custodia,  H  quali  speravano  che 
aràfatta  la  cosa  seconda  ch'  io  ho  supplicato  tante  volte,  per  che  tutti 
oro  desiderano  che  sia  fatto  vescovo  padre  fra  Francesco  Soymirovich^ 
jià  da  me  et  dalV  altri  tante  volte  raccomandato,  quale  potrebbe  risedere 
'ra  di  loro,  come  ancor  io  et  altri  vescovi  habitamo  nelle  case  de'  reli- 
giosi, che  non  potrà  essere  essendo  un  vescovo  prête,  come  V.  SS.  Emi- 
len^e  sano  benissimo 

Scrissi  una  volta  che  se  la  sacra  Congregai^ione  non  havesse  voglia  di 
^are  questo  per  adesso,  almeno  Io  jaccino  mio  suffraganeo  con  aggion- 
jere  alla  mia  provisione  qualche  cosa,  et  dare  a  me  amministrai^ione  di 
utto  Io  regno,  et  io  havria  cura  di  mandarlo  per  tutte  le  parti  dove 
>edero  che  sia  di  bisogno,  et  cosi  resterebbe  ogni  cosa  in  pace  et  quiète. 
Et  qui  per  fine  aspettando  la  risoluiione  dell'  Eminen^e  vestre  humilis- 
nmamente  le  bacio  le  sacre  vesti. 

Chiprovat\,  H  25  di  Maggio  1648. 

Fra  PiETRO  DioDATO,  arcivescovo  di  Soffia  (2). 

Pour  l'instant,  toutes  choses  étaient  loin  d'être  en  paix  et  en  repos, 
n  pace  et  qtiiete,  à  la  custodie.  Le  26  mai  1648,  une  autre  lettre  de 
jrotestation  partait  pour  Rome,  signée  des  principaux  représentants  de 
'Ordre  des  Frères  Mineurs  en  Bulgarie.  L'émotion  s'y  traduisait  en 
ermes  plus  vifs  encore  que  dans  la  précédente.  On  y  disait  l'unanimité 
les  suffrages  franciscains  sur  le  choix  de  Soymirovich,  puis  l'amertume 
le  la  déception  causée  par  la  nouvelle  qui  circulait  sur  la  nomination 
l'un  séculier,  Stanislavof. 

Et  stando  noi  sopra  quelV  aspettando  de  giorno  in  giorno  resolutione 
fella  sacra  Congregatione,  e  cio  che  adesso  habbiamo  inteso,  per  via  di 
^agusa,  che  Jorse  tal  cosa  si  fabbricava  sopra  la  persona  del  Signor 


(i)  E.  Fermendziu,  op.  cit.,  p.  182-184. 
(2)  Ibid.,  p.  184. 


486  ÉCHOS  d'orient 


D.  Filippo  Stanislavo,  invero  contro  la  volontà  di  tutti  noi  et  ancora  di 
questi  christiani  (i). 

On  le  voit,  les  termes  n'étaient  pas  révérencieux  à  l'excès.  La  lettre 
se  poursuivait  sur  un  ton  plutôt  de  diatribe  que  de  courtoisie.  L'arche- 
vêque de  Marcianopolis  et  les  autres  qui  avaient  proposé  Stanislavof 
y  étaient  accusés  de  ne  rien  connaître  du  pays,  non  sapendo  del  paese 
niente.  On  y  rappelait  que  la  conversion  des  Pavlikans  était  due  à  des 
missionnaires  franciscains,  et  que,  jusqu'à  présent,  c'était  dans  l'Ordre 
des  Frères  Mineurs  que  l'Eglise  avait  choisi  des  pasteurs  pour  les  dio- 
cèses créés  dans  ce  pays.  Les  auteurs  de  la  lettre  n'avaient  pas  réfléchi 
que  cette  dernière  raison  pouvait  aisément  se  retourner  contre  eux  ; 
puisqu'on  avait  déjà  tant  fait  d'évêques  franciscains,  il  pouvait  paraître 
raisonnable  d'en  prendre  un  dans  le  clergé  séculier,  d'autant  que  le 
candidat  choisi  connaissait  parfaitement  les  Pavlikans  ses  compatriotes 
et  leur  contrée.  Mais  à  la  custodie  bulgare  on  ne  concevait  pas  qu'un 
évêque  pût  vivre  sur  ce  sol  ni  faire  de  bonne  besogne  s'il  n'habitait  pas 
dans  un  couvent  de  Saint-François,  à  l'ombre  des  privilèges  accordés 
à  l'Ordre  par  les  Ottomans  (2). 

Ce  qu'on  craignait  surtout  à  la  custodie,  c'était  une  série  d'empiéte- 
ments sur  les  droits  franciscains,  contre  lesquels  la  nomination  d'ui 
séculier  était  une  menace.  Et  l'on  avertissait  la  Propagande  que  l'on  m 
souffrirait  pas  ces  empiétements  (3). 

Quant  à  la  personne  de  Stanislavof  et  à  son  activité  de  missionnaire 
on  la  jugeait  assez  cavalièrement,  A  entendre  les  plaignants,  Dor 
Filippo  n'aurait  jamais  vécu  un  seul  jour  parmi  les  Pavlikans,  sa  missior 
n'aurait  porté  aucun  fruit  heureux,  il  se  serait  contenté  de  vagabonde 
de  ville  en  ville,  d'avoir  des  relations  avec  les  marchands  ragusains  qu 
circulaient  dans  la  région,  mais  sans  résider  vraiment  chez  les  Pavlikans 
Ce  passage  vaut  d'être  cité  dans  la  saveur  ironique  du  texte  original 

Devono  di  più  sapere  l'Eminen^e  vostre  che  D.  Filippo  ibenche  sia  staÈ 
missionarid)  mai  ha  fatto  un  giorno  fra  H  Paulichiani,  ne  meno  fati 
alcun  bon  frutto  nella  sua  missione,  ma  sempre  è  andato  tarabascand 
per  le  terre  e  ciità,fra  Signori  marcanti  Ragusini,  came  semplice  prêt 


(i)  E.  Fermendziu,  op.  cit.,  p.  i85. 

(2)  Et  sempre  quando  la  santa  Chiesa  in  questi  paesi  fa  qualche  prelato,  o  ve 
covo,  lo  fa  sempre  délia  nostra  religione,  et  piii  del  paese:  accio  potesse  con  ma{ 
gior  quiète  et  pace  vipère  con  li  sui  religiosi  nell'  habita^ione  loro  sotto  l'ombt 
delli  nostri  privilegi,  che  habbiamo  ab  antiquis  temporibus  délia  casa  Ottoma» 
perché  altrimente  non  potrebbe  vivere,  ne  fare  cosa  buona.  Ibid.,  p.  i85. 

(3)  Ibid..  p.  186. 


PHILIPPE  STANISLAVOF,  AP.   DES  BULGARES  PAVLIKANS  AU  XYII"  S.       487 

et  noji  risedeva  Jra  li  Paulichiani ;  et  pot  considerino  che  nejarà  quando 
sarà  vescovo?  Basta  per  hora,  non  vogliamo  dire  cosa  veruna  delli  suoi 
fatti  et  portamenti  per  esservi  a  vostre  Eminem^e  molesti  et  mostrarvisi 
appassionati,  solo  lasciamo  a  pensareaW  Emineni^e  vostre.  Nam  sapien- 
tibus  est  providere futura  (i). 

La  passion  se  trahit  dans  ces  lignes  mêmes  dont  les  signataires 
déclarent  que,  pour  ne  point  se  montrer  passionnés,  ils  se  contentent 
■des  renseignements  ci-dessus.  Ils  ajoutent,  du  reste,  non  sans  quelque 
.naïveté  : 

Si  nous  avions  su  que  la  Sacrée  Congrégation  voulait  passer  outre  à  la 
lettre  de  Monseigneur  notre  archevêque,  nous  aurions,  aussitôt  après 
notre  Chapitre,  envoyé  un  de  nos  religieux  pour  cette  affaire.  Ma  stando 
sopra  quello,  s'  habbiamo  trovato  nella  secca  (2). 

La  confiance  des  Franciscains  en  leur  cause  était  si  grande,  qu'ils 
•osaient  encore  espérer. 

Pero  adesso  habbiajno  determinaîo  con  tanti  pericoli  mandare  il  lator 
■délia  présente,  che  insieme  con  il  nosiro  padre  custode,  quai'  hora  si 
ritrova  costi,  attendino  a  mettere  in  esecutione  suddetto  negotio,  accio 
passino  tutte  le  cose  in  pace  et  quiète  (3). 

L'espoir  demeurait  même  si  ferme,  qu'on  proposait  à  la  Propagande, 
en  terminant,  de  donner  une  compensation  à  Stanislavof  en  l'honorant 
d'une  autre  manière. 

E  se  V.  Eminen^e  voranno  poi  dare  al  predetto  D.  Filippo  qualche 
honore,  ail'  Eminen\e  V.  non  mancherà  il  modo  et  maniera  d'honorarlo  (4). 

La  Propagande  maintint  la  nomination  de  Philippe  Stanislavof  à 
'l'évêché  de  Nicopolis.  Le  3  septembre  1648,  Ms^  Pierre  Bogdan  se  déci- 
dait à  écrire  qu'il  se  réjouissait  de  cette  nomination,  bien  qu'il  eût  désiré, 
ajoutait-il,  ce  siège  pour  le  P.  François  Soymirovich.  «  Dieu  dispose 
les  choses  selon  sa  volonté,  écrivait-il  d'un  ton  résigné;  pour  moi,  je 
ne  désire  rien  autre  que  la  paix  et  la  tranquillité  de  ces  chrétiens.  »  (5) 

La  campagne  en  faveur  de  Soymirovich  aboutit  à  le  faire  nommer, 
par  décret  du  11  juillet  1650,  au  siège  de  Prisren,  puis  en  1636,  à 
l'archevêché  d'Ochrida  (6). 


(i)  Acta  Bulgariœ  ecclesiastica,  p.  186. 

(2)  Ibid.  On  pourrait  traduire  ainsi  :  «  Mais  en  nous  reposant  sur  la  demande  exprimée 
par  l'archevêque  de  Sofia,  voici  que  nous  nous  sommes  trouvés  bredouilles.  » 

(3)  Ibid. 

(4)  Ibid. 

(5)  Ibid.,  p.  187. 

^6)  Ibid.,  p.  211  et  254. 


488  ÉCHOS  d'orient 


Le  i«'  mai   1649,  un  accord  fut  conclu  entre  le  nouvel  évèque  de 
Nicopolis  et  les  Franciscains,  spécialement  représentés  par  l'archevêque 
de  Sofia  et  le  custode.  Le  texte  de   cet  accord,  signé  à  Chiprovatz, 
reconnaît  que  Mg""  Philippe  Stanislavof  est  un  homme  vraiment  dignej 
de  répiscopat,  huomo  veramente  degno  di  tal  dignità  et  honore  (i).  Maistl 
comme  il  est  le  premier  évêque  choisi  dans  le  clergé  séculier,  il  importe] 
de  préciser  le  modus  vivendi  qui  déterminera  les  rapports  entre  lui  et 
les  missionnaires  franciscains.  Les  Acta   Bidgariœ  ecclesiastica  nous 
donnent  la  teneur  de  cet  accord,  sous  ce  titre  :  Conventio  inter  episcopui 
Nicopolitanum  et  fratres  custodiœ  Bulgariœ  mutuo  sensu  approbata  (2). 
Se  reconnaissant  lui-même  fils  de  la  custodie,  Stanislavof  déclarait  qu'il' 
désirait  vivre  avec  elle  en  bonne  harmonie,  vivere  in  pace  et  quiète  con 
tutti  H  padri  (3). 

En  dépit  de  cette  convention,  une  querelle  ne  tarda  pas  à  surgir 
entre  l'archevêque  de  Sofia  et  l'évêque  de  Nicopolis,  à  propos  des  bour- 
siers à  faire  élever  en  Italie.  Dès  l'origine  de  la  conversion  des  Pavli- 
kans,  Pierre  Salinati,  premier  évêque  de  Sofia  avec  résidence  à  Chi- 
provatz, avait  envoyé  à  Rome  six  enfants  pavlikans,  qui  devaient  être 
instruits  aux  frais  du  Pape,  puis  revenir  prêtres  en  Bulgarie,  afin  d'y 
convertir  leurs  familles  et  leurs  villages.  Le  succès  de  cette  œuvre 
encouragea  Urbain  Vlll  à  décider,  en  1627,  l'admission  annuelle  de  six 
Bulgares  dans  le  Collegium  Illyricum  fondé  à  Lorette  par  Grégoire  VllF 
(1572-1582).  La  plupart  de  ces  prêtres  entraient  dans  l'Ordre  des  Fran- 
ciscains. Ceux-ci  avaient  en  main  la  mission  de  Bulgarie.  Après  avoir 
dépendu  quelque  temps  de  la  custodie  de  Bosnie,  fondée  au  xiv^  siècle, 
ils  formaient,  depuis  le  décret  porté  à  ce  sujet  par  Urbain  Vlll  en  1624, 
une  province  spéciale,  la  province  de  Bulgarie,  comprenant  aussi  la 
Valachie.  Sous  l'autorité  de  l'évêque  de  Sofia,  qui  était  toujours  un  des 
leurs,  les  Franciscains  gardaient  ainsi  le  monopole  de  la  propagande 
catholique,  recrutant  leurs  hommes  les  plus  influents,  évêques  et  cus- 
todes, dans  les  meilleures  familles  de  Chiprovatz,  qui  demeura  long- 
temps le  centre  de  leur  apostolat.  Cet  état  de  choses  explique  en  grande 
partie  la  campagne  très  ardente  menée  en  faveur  de  Soymirovich^'^ 
originaire  lui-même  de  cette  importante  localité.  I 

Or,  Innocent  X  (1644-1655)  voulut  supprimer  ces  bourses  spéciales, 
qui  n'avaient  pas,  pensait-il,  beaucoup  leur  raison  d'être,  puisque  ces 
six  enfants  bulgares  pouvaient  fort  bien,  au  lieu  d'aller  au  Collegium, 


(i)  Acta  Bulgariœ  ecclesiastica,  p.  190. 

(2)  Jbid.,  p.  190-192. 

(3)  Ibid.,  p.  191. 


PHILIPPE  STANISLAVOF,  AP.   DES  BULGARES  PAVLIKANS  AU  XVI^  S.       489 

lllyricum,  entrer  au  collège  de  la  Propagande.  Stanislavof  espérait  béné- 
ficier de  cette  décision,  obtenir  la  somme  affectée  jusqu'alors  à  l'en- 
tretien des  boursiers,  et,  grâce  à  ces  ressources,  construire  lui-même 
une  école  dans  son  diocèse.  Mg'"  Bogdan  fut  d'un  avis  contraire.  11  fut 
décidé,  en  fin  de  compte,  que  chacun  des  deux  évèques  enverrait  trois 
enfants  au  Collegium  lllyricum  (1). 

Stanislavof  continuait  à  mener  sa  vie  active  de  missionnaire.  Malgré 
ses  difficultés  avec  la  custodie,  il  avait  la  confiance  de  la  Propagande. 
Par  lettre  du  1 1  mai  1652,  Innocent  X  lui  confiait  pour  trois  ans  l'ad- 
ministration de  l'archidiocèse  de  Marcianopolis,  vacant  par  la  mort  de 
Bandulovich  (2).  Il  garda  cette  charge  de  1652  à  1655,  jusqu'à  la  nomi- 
nation de  Parcevich. 

Un  rapport  très  détaillé,  que  Stanislavof  envoya  à  Rome  le  4  février  1659, 
nous  montre  qu'il  connaissait  à  fond  son  diocèse  et  celui  de  Marciano- 
polis, si  souvent  parcourus  par  lui  depuis  vingt  ans  (3).  Il  y  décrit  sa 
façon  de  vivre,  qui  est  restée  tout  à  fait  celle  du  missionnaire. 

L'évêque  Stanislavof  vit  très  pauvrement.  Ses  ressources  lui  viennent 
des  catholiques  qui  partagent  avec  lui  leur  pauvreté,  lorsqu'il  passe  trois 
jours  ici,  quatre  jours  là.  Toute  l'année,  il  parcourt  ces  contrées  (de  la 
Bulgarie  du  Nord),  célébrant  la  messe,  administrant  les  sacrements,  et 
préchant  comme  un  simple  prêtre,  sans  rétributions  et  sans  honoraires. 
Pour  faciliter  ces  voyages,  il  a  reçu  de  nombreux  privilèges  des  pachas  et 
kaimakams  turcs,  lui  permettant  d'aller  partout,  à  cheval  et  en  armes, 
sous  un  déguisement  laïque,  et  d'agir  en  toute  liberté.  Grâce  à  ces  privi- 
lèges, il  a  été  à  l'abri  des  persécutions  turques.  Grecs  schismatiques  et 
Arméniens  se  font  un  plaisir  de  le  recevoir  dans  leurs  hôtelleries.  Il  peut 
ainsi  plusieurs  fois  par  an  visiter  son  diocèse  et  celui  de  Marcianopolis, 
dont  le  défunt  titulaire  n'avait,  durant  tant  d'années,  osé  entreprendre 
une  seule  visite  par  crainte  des  musulmans  (4). 

Du  vivant  même  de  Bandulovich,  Stanislavof  faisait  déjà  cette  visite, 
sans  avoir  d'autre  revenu  que  les  quarante  écus  accordés  annuellement 
par  la  Propagande.  Comme  évêque  de  Nicopolis,  il  recevait  cent  écus 
par  an.  Un  des  buts  du  rapport  était  précisément  d'obtenir  une  aug- 
mentation de  cette  subvention  par  trop  modique  (3). 

C'était  donc  en  vrai  missionnaire  que  Stanislavof  s'acquittait  de  ses 
devoirs  épiscopaux  à  travers  tout  le  pays  dont  il  avait  la  charge.  Turcs, 


(i)  Acta  Bulgariœ  ecclesiasiica,  p.  192,  202  et  223. 

(2)  Jbid.,  p.  225. 

(3)  Ibid.,  p.  259-266. 

(4)  Ibid.,  p,  266. 


(5)  Ibid 


490  ÉCHOS    D  ORIENT 


Grecs  et  Arméniens  le  prenaient  pour  un  simple  prêtre,  et  il  devait 
user  de  prudence,  surtout  en  été,  au  moment  où  la  circulation  était  la 
plus  active,  afin  de  ne  pas  trahir  son  caractère  épiscopal,  ce  qui  aurait 
sans  doute  gêné  son  ministère. 

Nesciunt  tamen  Turcœ  ipsum  esse  episcopum,  et  propterea  œstivo 
tempore  caute  properat,  ne  illum  Grœci  detegani,  gui  putant  eum  esse 
simplicem  sacerdotem  (i). 

La  statistique  de  ses  missions,  envoyée  par  Stanislavof  à  la  Propa- 
gande, achève  le  tableau  de  cette  vie  d'évêque  missionnaire.  Nous  la 
résumons  en  une  rapide  nomenclature  : 

Nicopolis  ne  compte  que  des  schismatiques  et  des  Turcs.  Deux  mar- 
chands ragusains,  catholiques  de  rite  latin,  s'y  rendent  fréquemment 
pour  affaires. 

Belleni  :  700  Pavlikans  catholiques. 

Orêcljé,  village  natal  de  Stanislavof,  compte  60  maisons  pavlikanes 
et  600  âmes.  Les  Turcs  demandent  400  écus  pour  donner  la  permis- 
sion de  bâtir  une  église.  On  s'est  contenté  de  construire  une  chapelle. 
Il  y  a  30  maisons  de  Pavlikans  islamisés. 

Petkladent:{i,  village  converti  par  Salinati  :  i  église,  90  maisons  pav- 
likanes, I  200  catholiques;  10  maisons  de  Pavlikans  islamisés,  avec  une 
mosquée. 

Brestovet:{  :  30  maisons  pavlikanes,  300  catholiques.  Il  y  a  20  maisons 
de  Pavlikans  islamisés,  avec  une  mosquée. 

Kosakovo  :  30  maisons  pavlikanes  avec  250  catholiques;  10  maisons 
de  Pavlikans  islamisés. 

Teurnichevit:{a  :  70  maisons  pavlikanes,  250  catholiques,  avec  église 
et  école  fondées  par  Stanislavof. 

Dolni  Loujani  :  17  maisons  pavlikanes,  avec  150  catholiques;  30  mai- 
sons de  Pavlikans  islamisés. 

Gorni  Loujani  :  70  maisons,  800  catholiques,  n'ayant  pas  d'église, 
mais  une  simple  chapelle  privée. 

Bakchévo  :  20  maisons  pavlikanes  catholiques,  200  âmes;  30  maisons 
de  Pavlikans  islamisés,  avec  une  mosquée. 

Téléjani  :  20  maisons  pavlikanes  catholiques,  270  âmes. 

Lovech  n'a  que  quelques  marchands  catholiques. 

Kalouguérit:{a  :  40  maisons  pavlikanes  catholiques,  250  âmes. 

Tirnovo  :    170  catholiques,  tous   marchands  ragusains,  ayant  ut 
église  dédiée  à  la  Sainte  Vierge. 


(i)  Acta  Bulgariœ  ecclesiastica. 


PHILIPPE  STANISLAVOF,  AP.    DES  BULGARES  PAVLIKANS  AU  XVlT  S.       49 1 

Marinopolt:^i  :  30  maisons  pavlikanes  catholiques,  250  âmes. 

Rousse  :  9  maisons  de  marchands  ragusains,  80  catholiques. 

Silisira  :  7  maisons  catholiques,  dont  3  de  marchands  ragusains; 
30  âmes. 

Rasgtad  :  5  maisons  catholiques,  dont  2  de  marchands  ragusains, 
30  âmes. 

Choiimen  :  17  maisons  catholiques,  dont  2  de  marchands  ragusains; 
J20  âmes. 

Provadia  :  30  maisons  catholiques,  dont  5  de  marchands  ragusains; 
470  âmes;  église  bâtie  par  Stanislavof. 

yarna  :  2  maisons  catholiques  de  marchands  ragusains;  25  âmes. 

Baba  :  7  maisons  catholiques;  40  âmes. 

Sma'ila  et  Kilia  :  chacun  30  catholiques. 

Akherman  :  4  maisons  catholiques,  15  âmes,  et  souvent  davantage 
lors  du  passage  des  marchands  ragusains  (i). 

Le  rapport  épiscopal  entre  beaucoup  plus  dans  le  détail  et  indique 
de  quelle  manière  se  fait  le  service  religieux  dans  chacune  des  localités 
mentionnées,  quelles  sont  les  missions  qui  ont  un  curé  ou  un  chape- 
lain, celles  qui  possèdent  un  calice  ou  quelques  ornements  sacrés.  La 
pauvreté  était  vraiment  extrême,  et  Stanislavof  voulait  décider  la  Pro- 
pagande à  lui  donner  quelques  secours  de  plus.  Déjà,  le  20  juillet  1654, 
il  se  plaignait,  par  l'intermédiaire  du  nonce  de  Pologne,  que  Rome  ne 
lui  répondît  pas  (2). 

Le  rapport  de  1659  obtint-il  plus  de  résultats  que  ses  précédentes 
démarches?  En  tout  cas,  c'est  la  dernière  lettre  que  nous  ayons  de  Stanis- 
lavof. Qiielques  vagues  indications  de  M^'Bogdan  nous  apprennent  plus 
tard  qu'il  fut  déposé,  mais  sans  donner  ni  la  date  ni  le  motif  de  cette 
déposition.  Il  est  probable  qu'il  faut  en  chercher  la  cause  dans  ses  rela- 
tions peut-être  plus  d'une  fois  imprudentes  avec  les  Turcs,  les  Grecs, 
les  Arméniens  et  les  marchands  ragusains.  Tous  les  catholiques  influents 
de  ces  pays,  et  à  leur  tête  les  deux  archevêques  de  Sofia  et  de  Marcia- 
nopolis,  Bogdan  et  Parcevich,  travaillaient  alors  activement  à  liguer  les 
princes  chrétiens  contre  les  musulmans.  Une  indiscrétion  de  la  part 
de  Stanislavof  aurait  pu  compromettre  non  seulement  l'œuvre  de  la 
délivrance  projetée,  mais  encore  la  cause  catholique  tout  entière.  On 
aura  donc  profité  des  campagnes  de  Léopold  L''' (1 661-1664)  pour  écarter 
ce  prélat,   considéré  comme  gênant  (3).  Cependant,  il  devait  encore 


(i)  Acta  Bulgariœ  ecclesiastica,  p.  259-265. 

(2)  Ibid.,  p.  247-248. 

(3)  MiLETiTCH,  article  cité  de  la  revue  Beulgarsha  Prégled,  t.  1"',  1894,  p.  i65. 


i 


492  ÉCHOS    D  ORIENT 


être  évêque  de  Nicopolis  en  juin  1663,  puisque,  à  cette  date,  Soymi- 
rovich  écrit  de  Raguse  avoir  appris  de  marchands  moldaves  que  «  Mon- 
signor  di  Nicopoli  »,  Stanislavof,  se  trouvait  alors  à  Varna  (i). 

Pas  plus  que  nous  ne  connaissons  les  motifs  exacts  de  la  disgrâce 
de  Stanislavof,  nous  ne  possédons  des  détails  concernant  son  exil.  Les 
Acta  Bulgarice  ecclesiastica  contiennent  une  lettre  de  l'archevêque  de 
Sofia,  Bogdan,  adressée  à  la  Propagande  le  24  novembre  1670,  et 
demandant  la  grâce  de  l'évêque  de  Nicopolis.  Celui-ci  lui  avait  écrit 
de  Raguse  pour  se  justifier  et  le  prier  de  le  recommander  à  Rome  (2). 

Par  une  coïncidence  curieuse,  c'est  Soymirovich,  son  concurrent  de 
jadis,  alors  archevêque  d'Ochrida,  qui  fut,  vers  1672,  nommé  admi- 
nistrateur temporaire  du  diocèse  de  Nicopolis  (3). 

Une  chose  des  plus  favorables  à  l'évêque  déchu,  c'est  que,  même 
après  la  nomination  d'un  administrateur  ecclésiastique,  ses  fidèles  le 
réclamaient  avec  instance.  Le  23  mai  1673,  '^  prêtre  François  Ricciardî 
écrit  de  Raguse  à  Urbain  Cerri,  secrétaire  de  la  Propagande,  et  le 
supplie  d'obtenir  la  grâce  de  Stanislavof;  ses  fidèles  le  réclament  avec 
d'autant  plus  d'instance  que,  depuis  son  départ,  ils  sont  privés  de 
pasteur.  Et  il  ajoute,  par  manière  d'explication,  que  Soymirovich, 
au  lieu  de  résider  à  Rousse,  conformément  aux  ordres  de  la  Sacrée 
Congrégation,  passe  presque  tout  son  temps  dans  sa  ville  natale  de 
Chiprovatz  (4).  i 

Ce  document  nous  présente  Stanislavof  comme  un  prélat  âgé  et 
souffrant  :  Questo  povero  prelato  cosi  vechio  Monsig.  Filippo  vescovo  di 
Nicopoli,  il  quale  è  desiderato  da  queli  popoli  christiani  (5).  Les  fatigues 
et  les  souffrances  avaient  dû  user  l'évêque  missionnaire,  qui,  en  fait^ 
ne  devait  pas  alors  avoir  dépassé  de  beaucoup  la  soixantaine.  11  mourut 
sans  avoir  obtenu  sa  grâce,  en  1674,  la  même  année  que  les  deux  plus 
illustres  évêques  bulgares  catholiques,  Bogdan  Bakchich,  archevêque 
de  Sofia,  et  Parcevich,  archevêque  de  Marcianopolis. 

En  écrivant  à  Rome  le  15  octobre  1675»  pour  demander  un  pasteur, 
les  fidèles  du  diocèse  de  Nicopolis,  qui  semblent  avoir  toujours  aimé 
Stanislavof,  pouvaient  déjà  dire  :  «  11  y  a  longtemps  que  Mê^''  Philippe 
a  quitté  ce  monde »  (6) 


(i)  Acta  Bulgariœ  ecclesiastica,  p.  274. 

(2)  Jbid.,  p.  284. 

(3)  Ibid..  p.  286-287. 

(4)  Jbid.,  p.  287. 

(5)  Ibid. 

(6)  Ibid.,  p.  292. 


PHILIPPE  STANISLAVOF,  AP.   DES  BULGARES  PAVLIKANS  AU  XVII^  S.       493 

Stéphane  Kniajevich,  successeur  de  Bogdan  Bakchich  sur  le  siège 
de  Sofia  (1676),  sacra  évêque  de  Nicopolis  son  compatriote  et  confrère 
Antoine  Stéphanof  (1677)  (i). 


Les  Âcia  Bulgariœ  ecclesiastica  renferment  un  dernier  document, 
qu'il  faut  mentionner  à  la  fin  de  cette  notice  sur  Philippe  Stanislavof. 
C'est  l'acte  par  lequel,  le  29  décembre  1745,  l'impératrice  Marie-Thérèse 
d'Autriche  confère  au  Franciscain  Nicolas  Stanislavich,  dit  aussi  Pavlit- 
chanich,  évêque  de  Csanàd,  et  à  ses  neveux  des  titres  de  noblesse 
austro-hongroise  (2).  Parmi  les  gloires  de  cette  famille,  l'évêque  de 
Nicopolis  occupe  le  premier  rang,  et  l'éloge  qu'on  lui  décerne  vaut 
d'être  cité,  car  il  résume  sa  vie  et  réhabilite  sa  mémoire. 

E  cujus  (familiae)  gremio  Philippus  qiiondam  Stani-Slavich,  episcopus 
Nicopolitanus,  triginta  circiter  annorum  periodo,  in  diœcesi  sua  com- 
plures  inter  easque  asperrimas  persecutiones,  ex  hœresi  Pauli  Samosa- 
theni  quatuordecim  castella,  et  in  liis  quindecim  mille  et  ultra  personas 
memorata  hœresi  injectas  ad  fidem  orthodoxam  convertit,  et  ad  ovile 
Christi  reduxit  (3). 

Un  lien  spécial  rattachait  à  cet  évêque  missionnaire  l'évêque  anobli 
de  1743;  celui-ci  avait  lui-même  longtemps  été  évêque  de  Nicopolis 
(1728-1739)  avant  d'être  transféré  à  l'évêché  de  Csanàd  et  Temesvar;  de 
plus,  il  avait  amené  en  terre  hongroise  trois  cents  environ  des  familles 
pavlikanes  évangélisées  par  son  ancêtre  et  par  lui  (4). 

Le  même  document  signale  un  neveu  de  notre  héros,  et  son  homo- 
nyme, qui,  membre  de  la  custodie  franciscaine  de  Bulgarie,  reproduisit 
pendant  plus  de  cinquante  ans  la  vie  de  missionnaire  qu'avait  menée 
son  oncle,  et  qui  mourut  en  17 13,  victime  de  son  dévouement,  à  l'oc- 
casion d'une  violente  épidémie  de  peste  (5). 


(i)  Acta  Bulgariœ  ecclesiastica,  p.  293-294. 

(2)  Ibid.,  p.  380-385.  Au  sujet  de  ce  Stanislavich,  qui  fut  d'abord  lui  aussi  missionnaire 
bulgare  et  évêque  de  Nicopolis,  voir  les  Ac^a  Bulga7-iœ  ecclesiastica,  p.  343,  345,  3o5, 
359,  369,  372. 

(3)  Ibid.,  p.  38i. 

(4)  E  quitus  tercentœ  circiter  familiœ,  nexu  fidei  ductœ,  studio  et  opéra  moderni 
episcopi  Csanadiensis  Nicolai  Stani-Slavich,  expensisque  per  familiam  ejus  subminis- 
tratis,  non  solum  in  Valachiam,  ditionem  nostram,  adductœ,  sed  etiam  in  Banatu 
Temesiensi  parte  ex  iina  illocatœ  existunt.  Ibid. 

(5)  Ibid.  :  Aller  vero  Philippus  œque  Stani-Slapich  ordinis  pariter  Minorum  sancti 
Francisci  de  Observantia  provinciœ  Bulgariœ  religiosus,  nepos  a  fratre  suprafati 
Philippi  episcopi,  in  summis  inter  Turcas  periculis,  quinquaginta  et  ultra  annorum 
decursu  prœfatum  populum  in  fide  orthodoxa  conserpavit,  fréquenter  intra  annum. 


494  ÉCHOS  d'orient 


Ces  belles  figures  de  missionnaires  méritaient  bien  de  se  trouver  ainsi 
associées  en  tête  des  lettres  de  noblesse  accordées  par  Marie-Thérèse 
à  la  famille  pavlikane  qui,  en  l'espace  d'un  siècle,  avait  donné  à  la 
Bulgarie  ces  trois  intrépides  apôtres.  Tous  trois  méritent  d'être  mis  en 
bonne  place  dans  l'histoire  des  missions  catholiques  bulgares;  le  pre- 
mier, Philippe  Stanislavof,  a  en  outre  le  droit  d'être  cité  avec  honneur 
dans  l'histoire  de  la  littérature  de  ce  pays,  comme  auteur  du  premier 
livre  néo-bulgare  imprimé. 

S.  Salaville. 

Constantinople. 

PosT-ScRiPTUM.  —  Après  lecture  de  mon  article  de  septembre  dernier: 
Le  premier  livre  néo-bulgare,  V  «  Abagar  »  de  l'évêque  Stanislavof,  le 
R.  P.  Pierling,  S.  J.,  de  Bruxelles,  a  bien  voulu  me  faire  savoir  que  la 
bibliothèque  slave  de  Bruxelles,  au  collège  Saint-Michel,  22,  boulevard 
Saint-Michel,  possède  un  sixième  exemplaire  de  Y  Abagar  de  Stanislavof 
en  état  de  conservation  parfaite.  Je  remercie  le  docte  Jésuite  de  son  inté- 
ressante communication,  dont  j'ai  tenu  à  faire  part,  sans  tarder,  à  nos^ 
lecteurs.  S.  S. 


emendicatis  vestibus,  sacra  missœ  apparamenta  humeris  bajiilans  dicta  castella 
pedester  visitabat  et  sacra  administrabat,  qui  anno  tandem  millesimo  septingentesimo 
decimo  tertio,  senio  confectus,  et  in  peste  ex  pura  charitate  expositus  occubuit. 


MUSULMANS  MALGRÉ   EUX 

LES  STAVRIOTES 


Pendant  de  longs  siècles,  la  liberté  de  conscience  en  Turquie  n'a  été 
u'un  vain  mot.  Quiconque  avait  une  fois  embrassé  l'islamisme,  de  gré 
u  de  force,  s'y  voyait  maintenu  d'une  façon  impitoyable  par  les  lois 
e  l'empire.  L'exemple  le  plus  frappant  que  l'on  en  puisse  donner  est 
slui  des  Stavriotes,  ces  chrétiens  d'Asie  Mineure  qui,  tout  en  faisant 
xtérieurement  profession  d'islamisme,  n'en  restèrent  pas  moins  atta- 
hés  à  la  religion  chrétienne  et  qui  la  conservèrent  malgré  les  persé- 
utions  effroyables  que  cette  fidélité  leur  suscita  pendant  plusieurs 
iècles. 

Les  Stavriotes  (i)  tirent  leur  nom  du  village  de  Stavra,  situé  dans 
éparchie  ecclésiastique  de  Chaldia  (Gumuchhané)et  le  vilayet  de  Trébi- 
onde.  C'est  là  que  ces  soi-disant  musulmans  sont  le  plus  nombreux  et 
u'ils  ont  montré  le  plus  de  courage  pour  revendiquer  leurs  droits  reli- 
ieux;  c'est  de  là  aussi  qu'ils  partirent  plus  d'une  fois  pour  aller  fonder 
es  villages  dans  des  lieux  plus  retirés,  afin  d'y  vivre  à  l'abri  des  persé- 
utions.  Mais  ce  n'est  pas  seulement  à  Stavra  qu'ils  sont  fixés.  On  en 
encontre  dans  toute  la  partie  montagneuse  qui  va  du  Lazistan  à  l'em- 
ouchure  du  Kizil-lrmak  (l'Halys  des  anciens),  et  qui  sépare  la  plaine 
laritime  des  hauts  plateaux  d'Anatolie,  dans  les  vilayets  de  Trébizonde, 
e  Sivas  et  d'Angora.  On  peut,  sans  être  taxé  d'exagération,  estimer 
;ur  nombre  à  une  vingtaine  de  mille.  Peut-être  même  est-il  plus  con- 
idérable;  la  liberté  qui  leur  a  été  accordée  récemment  de  se  faire 
econnaître  officiellement  comme  chrétiens  a  dû  révéler  qu'ils  étaient 
ncore  plus  nombreux  qu'on  n'avait  pensé. 

Leur  histoire  n'a  été  racontée  jusqu'ici  que  dans  quelques  brochures 
Tecques  inconnues  du  public  européen  et  dans  quelques  articles  de 
Durnaux  grecs  ou  étrangers.  En  la  publiant  dans  cette  revue,  nous 
Iroyons  jeter  une  lumière  nouvelle  sur  les  souffrances  que  les  chrétiens 
l'Orient  ont  eu  à  endurer  de  la  part  du  fanatisme  musulman.  11  faut 
emarquer,  du  reste,  que  les  Stavriotes  ne  sont  pas  les  seuls  chrétiens 
lilamisés  de  force  qui  sont  restés  malgré  tout  fidèles  à  la  foi  de  leurs 


(i)  11  serait  peut-être  plus  logique  de  les  désigner,  comme  on  le  fait  parfois,  sous 
;  nom  générique  de  convertis  {tCkoa-coi),  mais  nous  préférons  leur  conserver  celui 
u'on  leur  donne  le  plus  souvent. 


496  ÉCHOS    d'orient 


pères.  Les  Spathiotes  de  l'Epire  et  d'autres  encore  assez  peu  connus 
sont  dans  le  même  cas  (i). 

Bibliographie  :  Tryphon  E.  Evanghélidès,  'iTTopîa  ty,;  t.ùj-v/,},:^  Tpaze. 
soùvToç.  Odessa,  1898;  Epaminondas  Kyriakidès,  Ma-topia  t/,;  SouijisAà. 
Athènes,  1898;  Périclès  Triantaphyllidès,  'H  ev  IIôvtw  sAAT.w/.r'  'f>'j),r,, 
Tj  TOI.  Ta  Ttov-r'.xà,  Athènes,  1866;  Journal  Ilaxpis  de  Constantinople  des 
21,  22,  23,  24  janvier  (v.  s.)  1909  (2). 

La  prise  de  Trébizondc  et  ses  conséquences. 

L'empire  grec  de  Trébizonde  survécut  de  quelques  années  à  peine 
à  celui  de  Constantinople.  11  dut  alors  un  peu  de  tranquillité  au  fait  que 
Mahomet  II  était  occupé  à  affermir  ses  conquêtes  en  Europe.  Ce  répit 
ne  fut  pas  de  longue  durée.  Tranquille  du  côté  de  l'Occident,  le  vain- 
queur passa  en  Asie  dès  1460,  prit  Sinope  et  vint  mettre  le  siège  devant 
Trébizonde.  Abandonné  par  son  gendre  et  allié  Ouzoun  Hassan,  de  la 
dynastie  du  Mouton  Blanc,  maître  d'une  partie  de  l'Arménie  et  de  la 
Perse,  David  Comnène  dut  capituler  au  bout  d'un  mois  de  siège.  La 
partie  aisée  de  la  population  reçut  l'ordre  de  se  transporter  à  Constanti- 
nople pour  repeupler  la  capitale,  et  les  pauvres  furent  refoulés  dans  les 
quartiers  excentriques  pour  faire  place  aux  Turcs  envahisseurs.  Beaucoup 
s'enfuirent  dans  la  montagne  pour  échapper  aux  vexations;  ils  y  éta- 
blirent des  villages  et  connurent  un  peu  de  tranquillité. 

L'établissement  des  Turcs  dans  le  pays  eut  pour  le  christianisme  les 
conséquences  les  plus  funestes.  De  grandes  familles  donnèrent  l'exemple 
de  l'apostasie.  Le  plus  célèbre  de  ceux  qui  faiblirent  à  cette  époque  fut 
un  ancien  fonctionnaire  de  l'empire  grec  de  Trébizonde,  le  protoves- 
tiaire Georges  Amiroutzès  (t  1465),  dont  les  deux  fils,  Méhémet  béy 
et  Iskender  bey,  firent  dans  la  suite  beaucoup  de  tort  à  leurs  anciens 
coreligionnaires  (3).  D'autres  grandes  familles  quittèrent  le  pays  pour 


(i)  Il  faudrait  peut-être  y  joindre  les  Ki^il-Bach,  bien  que  leur  christianisme  soit 
fortement  mélangé.  Ces  Têtes  Rouges  (du  turc  Ki^il-Bach/  viennent  sans  doute  des 
confins  de  la  Perse.  A  des  coutumes  musulmanes,  ils  joignent  des  pratiques  religieuses 
mystérieuses,  dont  quelques-unes  rappellent  les  cultes  étranges  de  certaines  sectes 
chrétiennes  des  premiers  siècles.  Leur  nombre  est  considérable;  certains  auteurs_ 
l'estiment  à  plus  d'un  million.  On  en  rencontre  un  peu  partout  en  Asie  Mineure. 

(2)  Je  suis  tout  spécialement  redevable  pour  ce  travail  au  R.  P.  Th.  Xanthopoulosj 
qui  a  bien  voulu  me  communiquer  des  notes  précieuses  et  le  résultat  d'enquête^ 
personnelles  qu'il  a  faites  auprès  des  Stavriotes. 

(3)  Méhémet  bey  et  Iskender  bey  furent  les  premiers  musulmans  qui  habitèren^ 
Pèra.  C'est  à  cause  d'eux  que  les  Turcs  ont  donné  à  ce  faubourg  de  Constantinopla 
le  nom  de  Beyoglou. 


MUSULMANS   MALGRÉ    EUX  :    LES   STAVRIOTES  497 

;ter  chrétiennes,  comme  les  Ypsilantis,  les  Caratzas,  les  Rizos,  les 
Durouzas,  les  Cantacuzène, 

De  1461  à  1660,  le  gouvernement  ne  se  montra  cependant  pas  ter- 
)le,  et  les  apostasies  furent  assez  rares.  Mais  en  1660  commencèrent, 
ec  le  règne  des  dérébeys  (1),  la  persécution  violente  et  les  vexations 
otidiennes.  Pour  y  échapper,  les  chrétiens  apostasièrent  en  masse  (2); 
lutres,  plus  courageux,  abandonnèrent  leurs  biens,  s'enfuirent  dans 
itérieur  du  pays  et  s'y  établirent  loin  des  musulmans;  d'autres  enfin 
ent  semblant  d'embrasser  l'islamisme,  mais  ils  restèrent  en  secret 
achés  à  la  religion  chrétienne  et  la  pratiquèrent  autant  qu'ils  le 
irent.  Là  où  ils  avaient  pour  les  soutenir  des  évêchés  et  des  monas- 
es,  les  chrétiens  se  montrèrent  constamment  fidèles  à  leur  foi, 
mme  dans  les  environs  immédiats  des  métropoles  de  Trébizonde  et  de 
laldia,  et  des  couvents  de  Péristéra,  de  Souméla  et  de  Vazelona.  Au 
ntraire,  dans  les  villages  éloignés  où  l'influence  du  clergé  se  faisait 
3ins  sentir,  la  majeure  partie  de  la  population  se  fit  musulmane. 
Ceux  qui  avaient  gagné  la  montagne  et  qui  se  montraient  très  reli- 
5UX  essayèrent  même  de  reprendre  Trébizonde.  On  les  appelait  Matsou- 
tes,  soit  à  cause  des  armes  primitives  dont  ils  se  servaient  (de  ;jt.aTa-oùxa, 
mrdin),  soit  à  cause  du  village  de  Matsouka,  dont  beaucoup  étaient 
iginaires.  Un  vendredi,  pendant  que  les  Turcs  faisaient  leur  prière 
ns  les  mosquées,  ils  entrèrent  dans  la  ville  à  l'improviste  et  com- 
sncèrent  à  l'occuper.  Les  Turcs  coururent  aux  armes  et  n'eurent  pas 
aucoup  de  peine  à  refouler  des  envahisseurs  aussi  peu  redoutables. 
jEn  1665,  la  situation  des  chrétiens  s'aggrava  encore  par  la  prise  de 
métropole  grecque  de  Sainte-Sophie  et  de  l'église  de  Saint-Philippe. 
;n  qu'un  iradé  du  sultan  Sélim  II  leur  eût  garanti  la  propriété  de  ces 
ux  édifices,  les  chrétiens  en  furent  dépouillés.  Les  Turcs,  qui  les  con- 
itaient  à  cause  de  leur  beauté  et  de  leur  situation  avantageuse,  les 
avertirent  en  mosquées,  et,  comme  ils  rencontraient  de  la  résistance 
hs  la  population  grecque,  ils  firent  un  horrible  massacre.  Cette  oppo- 
on  et  la  tentative  malheureuse  des  Matsoukates  ne  firent  qu'accroître 


)  Les  dérébeys  étaient  de  grands  propriétaires  fonciers  qui  possédaient  leurs  terres 
ime  des  fiefs,  et  pour  qui  les  chrétiens  devaient  travailler.  Il  y  avait  aussi  quelques 
létiens  parmi  les  dérébeys  et  qui  luttaient  contre  les  Turcs. 

)  11  y  a,  dans  le  vilayet  de  Trébizonde  et  dans  le  pays  d'alentour,  de  nombreux 
iges  musulmans  dont  les  habitants  sont  d'origine  grecque  et  qui  parlent  encore 
j:rec.  11  en  est  particulièrement  ainsi  dans  les  régions  d'Ophis  (Of)  et  de  Tonia. 
reste,  la  population  musulmane  de  ces  régions  est  composée  surtout  de  descen- 
ts  des  renégats  grecs,  de  Lazes  et  de  Circassiens.  Les  Turcs  ne  se  rencontrent 
re  que  dans  les  villes,  dans  les  villages  de  la  côte,  et  n'ont  presque  pas  pénétré 
s  l'intérieur  du  pays. 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  3a 


498  ECHOS  d'orient 


la  persécution  et  augmenter  le  nombre  des  apostasies.  Les  habitants 
d'Ophis  et  de  Rizo,  sans  cesse  opprimés  par  ceux  d'entre  eux  qui  étaient 
devenus  musulmans  après  la  prise  de  Trébizonde  et  par  les  Lazes,  leurs 
voisins,  tinrent  un  Conseil  de  prêtres  et  de  notables  pour  aviser  à  ce 
qu'il  y  avait  à  faire.  On  ne  put  s'entendre;  les  uns  embrassèrent  l'isla- 
misme, les  autres  s'enfuirent  en  Moldavie  et  en  Crimée.  A  la  même 
époque,  huit  mille  familles  s'enfuirent  de  Trébizonde  et  des  villages 
environnants  et  se  réfugièrent  dans  les  montagnes  de  Tonia,  où  elles 
ne  tardèrent  pas  à  se  faire  musulmanes.  Vingt  ans  plus  tard,  en  1683, 
on  vit,  donnant  le  pire  des  exemples,  l'évêque  d'Ophis,  Alexandre, 
embrasser  l'islamisme  et  devenir  gouverneur  de  Trébizonde  sous  le 
nom  d'iskender  Pacha  (1). 

La  persécution  dirigée  par  les  dérébeys,  les  Lazes  et  les  Circassiens, 
tolérée  ou  encouragée  par  les  autorités  turques,  dura  au  moins  jus-i 
qu'en  1840,  et  causa  beaucoup  d'apostasies.  Elle  amena  aussi  la  fuite 
de  nombreux  chrétiens  qui  se  réfugièrent  dans  l'Archipel,  en  Moldavie, 
en  Crimée  et  ailleurs.  Seuls  les  habitants  de  l'éparchie  de  Chaldij 
furent  peu  inquiétés.  C'est  que  les  dérébeys  avaient  besoin  de  leun 
talents  pour  l'exploitation  des  mines  nombreuses  de  cette  région.  Cepen 
dant,  après  la  guerre  russo-turque,  en  1829,  ils  subirent  le  sort  corn 
mun,  et  deux  mille  familles,  accusées  d'être  favorables  aux  Russes 
durent  chercher  un  refuge  dans  l'empire  des  tsars. 

Les  apostats  vécurent  pendant  assez  longtemps  en  bonne  harmont 
•avec  leurs  anciens  frères,  mais  le  fanatisme  musulman  ne  tarda  pas] 
pénétrer  chez  eux  avec  les  médressés  et  au  contact  des  Lazes  et  des  Cil 
-cassiens.  Ceux  qui  se  proclamaient  chrétiens  et  refusaient  d'embrassj 
la  religion  de  Mahomet  furent  tracassés  de  toutes  les  manières.  Quai 
aux  faibles,  qui,  par  crainte  de  violences,  faisaient  extérieurement  prcj 
fession  d'islamisme,  tout  en  restant  chrétiens  en  secret,  ils  réussireil 
à  vivre  dans  une  tranquillité  relative  à  force  d'expédients.  Leur  situatîotJ 
•cependant,  ne  laissait  pas  que  d'être  fort  délicate  et  pleine  de  pérîlî| 

Situation  des  Stavriotes. 

Les    chrétiens   restés  fidèles   et  reconnus   comme  tels  savaient  ej 
général  quelles  étaient  les  croyances  véritables  de  ces  demi-apostats, 
cependant  jamais  un  seul  d'entre  eux,  même  sous  l'empire  de  la  haii 


(i)  Il  paraît  qu'il  a  encore  à  Trébizonde  des  descendants  qui  portent  le  ne 
Houssamoglou. 


MUSULMANS   MALGRÉ    EUX  :    LES    STAVRIOTES  499 

OU  de  la  vengeance,  ne  les  trahit  auprès  des  Turcs,  tant  était  forte 
l'aversion  commune  pour  l'infidèle.  Ceux  des  Stavriotes  qui  habitaient 
les  villes  étaient  naturellement  tenus  à  plus  de  réserve  que  les  autres, 
parce  que  les  Turcs  y  étaient  plus  nombreux.  Dans  ce  cas,  il  n'y  avait 
guère  que  l'évêque  et  quelques  notables  à  connaître  la  vérité.  A  côté 
de  ces  chrétiens  honteux,  il  y  en  avait  d'autres  dont  la  vie  n'était  pas 
moins  en  danger,  et  qui  étaient  tenus  à  la  plus  grande  prudence. 
C'étaient  ceux  qui,  dans  un  mouvement  de  colère  ou  de  passion,  avaient 
embrassé  l'islamisme,  et  qui  étaient  revenus  à  de  meilleurs  sentiments. 
Jls  furent  de  tout  temps  assez  nombreux,  et  payèrent  parfois  de  leur 
vie  une  audace  que  les  Turcs  regardaient  comme  criminelle. 

C'est  pendant  plus  de  deux  siècles  que  dura  cette  situation  pénible 
pour  ces  pauvres  gens  d'être  chrétiens  en  secret,  d'observer  presque 
■tous  les  préceptes  imposés  par  le  christianisme  et  d'être  quand  même 
considérés  comme  musulmans  par  les  Turcs.  Ils  portaient  toujours  deux 
noms,  l'un  officiel  et  turc,  sous  lequel  ils  étaient  connus  des  musul- 
mans, et  l'autre  chrétien,  qu'ils  portaient  en  secret  et  sous  lequel  ils  se 
désignaient  entre  eux.  Cependant,  ils  avaient  soin  de  rejeter  certains 
noms  qui  rappellent  trop  la  religion  de  Mahomet,  comme  Ali,  Méhémet, 
fathmé,  Aiché,  etc.  Souvent  leurs  imams  étaient  choisis  parmi  eux,  et, 
on  le  conçoit,  ne  se  montraient  pas  très  regardants  pour  l'accomplis- 
sement des  obligations  coraniques.  Là  où  ils  étaient  mêlés  aux  Turcs, 
ils  entraient  avec  eux  dans  les  mosquées,  mais  ils  récitaient  tout  bas 
-des  prières  chrétiennes  au  lieu  des  formules  islamiques. 

Ils  observaient  rigoureusement  les  jeûnes  chrétiens,  et  il  était  rare 
qu'ils  y  manquassent.  C'est  pendant  la  nuit  qu'ils  accomplissaient  les 
devoirs  religieux:  confessions,  communions,  baptêmes,  mariages.  Les 
prêtres  qui  s'occupaient  d'eux  ne  portaient  pas  de  costume  spécial; 
ils  vivaient  au  milieu  des  villageois,  dans  les  mêmes  conditions  qu'eux, 
afin  de  ne  pas  attirer  l'attention  des  Turcs.  Détail  à  noter,  leurs  églises 
secrètes,  quand  ils  en  avaient,  étaient  toutes  dédiées  à  saint  Théodore, 
[martyr.  Quand  un  des  leurs  venait  à  mourir,  ils  laissaient  les  Turcs 
et  l'imam  emporter  le  corps,  et,  pendant  ce  temps,  ils  récitaient  l'office 
des  morts  dans  une  maison  du  village  ou  dans  une  église  chrétienne 
des  environs. 

Partout  où  ils  étaient  mêlés  aux  Turcs,  comme  dans  les  villes,  les 
choses  se  passaient  forcément  ainsi;  mais,  dans  les  villages  où  ils  habi- 
taient seuls  ou  avec  des  chrétiens  reconnus  comme  tels,  ils  prenaient 
moins  de  précautions,  pratiquaient  plus  ouvertement  leur  religion,  tout 
en  veillant  à  ne  pas  être  surpris  par  un  Turc  de  passage.  Dans  certains 


500 


ÉCHOS    d'orient 


endroits,  ils  avaient  même  des  cimetières  distincts  de  ceux  des  musul- 
mans. 

En  général,  les  vrais  imams  ne  se  rendaient  dans  les  plus  populeux 
de  ces  villages  que  pendant  le  ramazan.  Si  quelqu'un  venait  à  y  mourir 
pendant  sa  présence  dans  la  localité,  on  s'arrangeait  pour  éloigner 
l'encombrant  personnage  pendant  quelques  heures,  en  lui  faisant  faire 
une  promenade,  ou  par  tout  autre  moyen.  Durant  son  absence,  on  se 
hâtait  de  faire  au  défunt  des  funérailles  chrétiennes.  On  se  gardait  bien 
ensuite  de  dire  que  quelqu'un  était  mort.  Un  imam  qui,  pendant  vingt 
ans,  était  venu  passer  le  temps  du  ramazan  dans  le  village  de  Kroum 
disait  que  le  climat  était  excellent,  et  il  le  recommandait  volontiers  aux 
santés  délicates  parce  que,  pendant  vingt  ans,  il  n'y  avait  jamais  trouvé 
ni  un  malade  ni  un  mort  (!). 

Non   contents   de   pratiquer  la    religion   chrétienne,   les    Stavriote; 
s'adonnaient  au   prosélytisme,   sans  doute   comme   compensation   d( 
l'obligation  où  ils  étaient  de  cacher  leur  religion.  Ceux  qui  habitaien 
les  villes  épousaient  autant  que  possible  des  jeunes  filles  musulmanes 
tandis  qu'ils  donnaient  très  rarement  les  leurs  aux  Turcs.  Un  Stavriot( 
qui  avait  la  faiblesse  de  marier  sa  fille  à  un  musulman  était  profon 
dément  méprisé  par  les  autres,  qui  cessaient  toute  relation  avec  lui. 
ne  se  considéraient  point  comme  mariés  après  la  cérémonie  que  l'iman 
présidait  à  la  mosquée;  ils  s'efforçaient,  à  l'aide  de  leurs  parents 
de  leurs  amis,  de  catéchiser  peu  à  peu  la  jeune  fille,  lui  révélaient  qu'i 
étaient  en  réalité  chrétiens,  et,  par  des  promesses  ou  des  menaces 
arrivaient  à  la  faire  baptiser.  Alors  seulement  avait  lieu  la  cérémoni 
du  mariage  devant  le  prêtre. 

Cependant,  la  conscience  de  ces  pauvres  gens  n'était  point  compl 
tement  rassurée.  Dans  leurs  maisons  ou  dans  les  églises,  quand 
pouvaient  y  pénétrer,  lorsqu'ils  levaient  leurs  regards  vers  les  icônes 
il  leur  semblait  que  les  grands  yeux  du  Christ  et  la  face  sévère  qu 
lui  donne  l'iconographie  byzantine  leur  reprochaient  leur  manque 
courage  devant  la  persécution.  Ils  recherchaient  les  chrétiens  instruit 
et  leur  demandaient  de  leur  expliquer  ce  que  signifiaient  au  juste  ce 
paroles  de  l'Evangile  :  «  Celui  qui  me  reniera  devant  les  hommes, 
le  renierai  moi  aussi  devant  mon  Père  »,  et  si  ce  texte  s'appliquait  à  eu) 

Revendications  infructueuses. 

L'apparition  du  Tanzimat  de  Gulhané  (3  novembre  1839)  ^'^  ^^^^^ 
à  peu  près  partout  les  persécutions.  Osman  Pacha,  gouverneur  de  Tn 
bizonde,  appliqua  le  décret  impérial  avec  justice  et  fermeté;  il  réuss 


.£. 


I 


MUSULMANS    MALGRÉ    EUX  I    LES    STAVRIOTES  5OI 


<nfin  à  assujettir  les  dérébeys  jusque-là  récalcitrants.  Les  Stavriotes 
n'obtinrent  cependant  pas  d'être  reconnus  comme  chrétiens. 

LeHatti  Humayoun  du  18  février  1856  produisit  une  nouvelle  détente. 
Haireddin  Pacha  était  alors  gouverneur  de  Trébizonde.  Profitant  de  la 
liberté  de  conscience  que  la  loi  reconnaissait  à  tous  les  habitants  de 
l'empire,  les  Stavriotes  commencèrent  de  se  proclamer  ouvertement 
chrétiens.  Ce  fut  surtout  dans  les  villages  de  Kroum  et  de  Matsouka, 
<ie  réparchie  de  Chaldia,  que  se  produisit  ce  mouvement.  Celui  qui  le 
suscita  par  sa  courageuse  initiative  fut  Pétros  Sabba  Sidéropoulos,  cavas 
de  Fabri,  consul  italien  de  Trébizonde.  Le  14  mai  1856,  il  alla  au  palais 
du  gouverneur  faire  solennellement  profession  de  foi  chrétienne. 
Haireddin  Pacha  le  laissa  en  paix,  peu  soucieux  sans  doute  de  faire 
intervenir  un  consul  européen  dans  l'application  du  Hatti  Humayoun. 
Le  fait  ne  tarda  pas  à  être  connu  dans  les  villages  les  plus  reculés.  Les 
Stavriotes  s'enhardirent  jusqu'à  envoyer  des  requêtes  pressantes  au 
gouvernement  impérial  et  aux  puissances  (1),  Les  Turcs,  que  ce  mou- 
vement inquiétait,  firent  échouer  les  unes  et  les  autres.  Afin  d'éviter 
•de  nouvelles  tracasseries,  les  Stavriotes  durent  se  cacher  de  nouveau 
ipour  pratiquer  la  religion  chrétienne. 

Pendant  cinquante  ans  encore  ils  subirent  cette  situation  pénible, 
soumis  au  service  militaire  et  assujettis  à  la  loi  du  Chéri  comme  les 
vrais  musulmans.  La  Constitution  de  1876  et  le  traité  de  Berlin  n'ap- 
portèrent aucun  changement,  pas  plus  que  les  plaintes  périodiques  des 
autorités  religieuses  du  Phanar.  Le  régime  hamidien  ne  permit  pas  aux 
Stavriotes  de  faire  valoir  les  raisons  qu'ils  avaient  de  vivre  en  chré- 
tiens. Ceux  de  l'Ak-Dagh  firent  à  leurs  dépens  la  dure  expérience  des 
inconvénients  qu'il  y  a  à  revendiquer  ses  droits  sous  un  régime  turc. 

Les  Stavriotes  de  l'Ak-Dagh. 

Parmi  tous  les  Stavriotes,  ce  furent  sans  contredit  ceux  de  l'Ak-Dagh 
•qui  eurent  le  plus  à  souffrir  au  cours  du  siècle  dernier. 

C'est  vers  1832  qu'un  certain  nombre  d'entre  eux,  habitant  alors  les 
villages  de  Stavra  et  de  Kroum,  ayant  trouvé  que  leurs  terres  n'étaient 


(i)  Joseph  Ricard,  de  Marseille,  secrétaire  du  consulat  de  Russie  de  Trébizonde, 
aida  beaucoup  les  Stavriotes  dans  leurs  démarches.  Ce  fut  lui  qui  rédigea  toutes  leurs 
requêtes. 

Un  autre  Français  leur  avait  déjà  prêté  son  concours  quelques  années  auparavant. 
André  Masson,  né  d'un  père  français  et  d'une  mère  grecque  qui  l'éleva  dans  la  religion 
orthodoxe,  fut  d'abord  chancelier  du  consulat  de  France  de  Trébizonde,  puis  drogman 
des  consulats  d'Angleterre  de  Trébizonde  et  de  Césarée.  Il  mourut  à  Trébizonde  en 
janvier  1854. 


502  ~  ÉCHOS    D  ORIENT 


pas  assez  fertiles,  pénétrèrent  plus  avant  dans  l'Asie  Mineure  avec  des^ 
chrétiens  des  environs,  et  vinrent  s'établir  dans  l'Ak-Dagh,  chaîne  de 
montagnes  qui  s'étend  à  la  fois  dans  les  deux  vilayets  de  Sivas  et  d'An- 
gora. Ils  y  fondèrent  les  villages  de  Sin-Maden,  Ak-Dagh  et  Boular- 
Maden.  Les  Turcs,  qu'ils  voulaient  éviter,  ne  tardèrent  pas  à  les 
rejoindre  et  à  les  espionner.  Quand  les  Stavriotes,  se  basant  sur  le  fait 
qu'ils  étaient  inconnus  dans  le  pays,  se  présentèrent  au  mudir  pour  se 
faire  inscrire  comme  chrétiens,  les  Turcs  les  dénoncèrent.  Le  mudir, 
Déli  Hasséki,  vieux  janissaire  fanatique,  refusa  d'accéder  à  leur  demande 
et  les  menaça  de  toutes  sortes  de  vexations.  Pour  avoir  la  paix,  ces- 
pauvres  gens  se  résignèrent  à  reprendre  leur  ancienne  manière  de 
vivre,  musulmane  en  public,  chrétienne  en  secret.  Leur  fidélité  à  la 
religion  n'en  fut  pas  ébranlée  ;  ils  allaient  jusqu'à  déterrer  leurs  morts, 
pour  les  ensevelir  dans  les  cimetières  chrétiens  des  environs. 

En  1876,  la  Constitution  proclama  la  liberté  de  conscience.  Les  Sta- 
vriotes crurent  le  moment  propice  pour  se  faire  reconnaître  comme- 
chrétiens.  Le  jour  de  Pâques,  ils  se  rendirent  publiquement  à  l'église,  et 
aux  soldats  turcs,  étonnés  de  les  voir  agir  ainsi,  ils  déclarèrent  fièrement 
qu'ils  étaient  chrétiens  et  qu'ils  mourraient  chrétiens.  Le  kaimakam  fit 
comparaître  le  mouktar  (maire)  et  les  principaux  notables,  les  menaça 
de  violences,  et,  finalement,  comme  il  ne  pouvait  triompher  de  leur: 
résistance,  il  les  fit  jeter  en  prison.  Loin  d'intimider  la  population,  cet' 
acte  ne  fit  qu'exciter  son  courage;  elle  entoura  le  konak  et  demandai 
à  grands  cris  l'élargissement  des  prisonniers.  Après  avoir  vainement 
rappelé  que  la  loi  musulmane  interdisait  sous^  peine  de  mort  de  rede-' 
venir  chrétien,  le  kaimakam  renvoya  la  foule  sans  se  décider  à  sévirt 
contre  elle. 

Les  Stavriotes  ne  se  découragèrent  pas.  Ils  adressèrent  leur  profession 
de  foi  au  Phanar,  et  demandèrent  qu'on  agît  auprès  du  ministère  pour 
qu'ils  fussent  reconnus  officiellement  comme  chrétiens.  Le  patriarche 
Joachim  III  n'obtint  rien,   la  Chambre  fut  dissoute  et  la  Constitution, 
remisée  pour  trente  ans;  le  règne  personnel  d'Abdul-Hamid  commen-; 
çait.   Tout  était  donc   remis   en   question.   Cependant,   le   kaimakam.^ 
ordonna  que  ceux  qui  voulaient  se  faire  inscrire  comme  chrétiens  vinssent 
se   déclarer.   Ce   n'était  là  qu'un   piège   pour  découvrir  ceux  qui  ne 
s'étaient  pas  encore  compromis.  Le  seul  résultat  obtenu  par  toutes  ces 
démarches  —  il  était  d'ailleurs  appréciable  —  fut  que  les  Stavrioteî 
purent  fréquenter  librement  les  églises,  envoyer  leurs  enfants  dans  les 
écoles  grecques  et  contracter  des  mariages  avec  les  chrétiens.  Mais,  con 
sidérés  comme  musulmans,  ils  étaient  toujours  tenus  au  service  militaire, 


MUSULMANS    MALGRÉ    EUX  !    LES    STAVRIOTES  ^O) 

Hn  1899,  nouvelle  persécution.  Cambour,  mutessarif  de  Yuzgat, 
essaie  du  chantage;  il  s'offre  à  les  faire  inscrire  comme  chrétiens, 
moyennant  la  modeste  somme  de  deux  cents  livres  turques.  Les  Sta- 
vriotes  refusent  prudemment.  Furieux  de  se  voir  découvert,  Cambour 
les  dénonce  à  son  protecteur,  Memdouh  Pacha,  ministre  de  l'Intérieur, 
en  lui  disant  que  les  Stavriotes  sont  riches  et  qu'on  peut  leur  extorquer 
beaucoup  d'argent.  Le  ministre  envoie  des  ordres  sévères,  déplace  le 
kaïmakam  de  l'Ak-Dagh,  qui  ne  se  montre  pas  assez  souple,  et  envoie 
sur  les  lieux  un  de  ses  hommes  de  confiance,  ismaïl  Hakki.  Les  deux 
principaux  chefs  du  village  sont  envoyés  à  Yuzgat,  emprisonnés  et  battus 
parce  qu'ils  refusent  de  donner  les  cinq  cents  livres  qu'on  leur  demande, 
puis  conduits  à  Angora,  et  de  là  dans  un  village  éloigné,  à  Tchorba. 
Ni  les  réclamations  du  métropolite  grec  d'Angora  ni  celles  des  consuls 
de  France  et  d'Angleterre  ne  réussissent  à  les  faire  délivrer.  A  toutes 
les  démarches  tentées  par  le  patriarche  de  Constantinople,  le  gouver- 
nement turc  répond  en  envoyant  l'ordre  d'inscrire  comme  Turcs  tous 
ceux  qu'on  n'avait  pas  recensés  comme  tels.  C'est  le  signal  de  nouvelles 
persécutions  et  d'emprisonnements.  Les  takrirs  du  patriarche  restent 
sans  réponse.  Alors  les  autorités  ecclésiastiques  recourent  à  la  seule 
puissance  que  veuille  encore  écouter  Abdul-Hamid  :  les  ambassades. 
Dans  une  réunion  des  représentants  de  la  France,  de  l'Angleterre,  de 
l'Italie  et  de  la  Russie,  on  décide  de  charger  des  réclamations  à  pré- 
senter M.  Zinovief,  ambassadeur  de  Russie,  que  sa  qualité  d'orthodoxe 
désignait  plus  spécialement  pour  cette  mission. 

Aux  représentations  que  celui-ci  fait  entendre  contre  les  violences 
exercées  sur  les  Stavriotes  de  l'Ak-Dagh,  le  grand  vizir  oppose  les  déné- 
gations les  plus  formelles,  demande  qu'on  lui  donne  des  preuves  des 
faits  incriminés,  puis  refuse  d'examiner  celles  qu'on  lui  présente.  Pen- 
dant ce  temps,  il  envoie  l'ordre  d'inscrire  tous  les  Stavriotes  de  l'Ak- 
Dagh  comme  musulmans,  afin  de  bien  prouver  qu'ils  sont  Turcs.  Le 
gouvernement  russe  ne  s'avoue  pas  vaincu  par  tant  de  mauvaise  foi. 
En  avril  1900,  il  demande  au  sultan  de  faire  élargir  immédiatement  tous 
les  Stavriotes  exilés  et  emprisonnés.  Après  bien  des  hésitations,  les 
ministres  turcs  en  informent  Abdul-Hamid,  qui  fait  relâcher  tout  le 
monde.  Les  prisonniers  peuvent  enfin  revenir  chez  eux  après  plusieurs 
mois  d'exil  et  de  tortures. 

Cinq  ans  plus  tard,  les  tracasseries  recommencent  à  propos  du  recen- 
sement, parce  qu'on  veut  obliger  les  Stavriotes  à  se  faire  inscrire  comme 
musulmans.  Le  28  février  (v.  s.)  1905,  le  kaimakam  les  convoque, 
et,  sur  leur  refus  d'obéir  à  l'ordre  qu'il  leur  communique,  il  retient  six 


504  ÉCHOS    D  ORIENT 


d'entre  eux  et  les  envoie  sous  escorte  à  Yuzgat.  Quant  à  ceux  qui 
restent,  il  les  presse  de  toutes  façons  pour  les  faire  obéir;  la  prison 
et  la  bastonnade  n'amènent  aucun  résultat.  Memdouh  Pacha,  qui  veut 
venger  son  précédent  échec,  envoie  l'ordre  de  transférer  les  exilés  de 
Yuzgat  à  six  heures  de  là,  dans  le  village  de  Makhal,  afin  de  les  sous- 
traire à  l'influence  des  chrétiens.  Pour  les  faire  céder,  on  leur  offre  des 
emplois  et  des  décorations,  on  les  menace  enfin  de  les  envoyer  à 
Sinope;  les  prisonniers  ne  se  laissent  pas  ébranler.  On  les  dirige  alors 
sur  Sinope,  mais  l'escorte  s'arrête  à  Tchoroum,  et  c'est  là  qu'ils  attendent 
la  fin  de  leurs  tribulations. 

Pendant  ce  temps,  les  prisonniers  d'Ak-Dagh  sont  envoyés  à  Angora 
avec  le  prêtre  Kyrillos  Caratzas,  désigné  comme  l'organisateur  de  la 
résistance.  Le  temps  passe  en  démarches  infructueuses,  et  plusieurs 
meurent  en  prison.  Enfin,  le  patriarche  obtient  que  les  Stavriotes  se 
fassent  inscrire  sous  le  nom  qu'ils  voudront.  Le  gouvernement  y  con- 
sent volontiers;  c'est  pour  lui  le  moyen  de  connaître  ceux  qui  n'ont 
pas  encore  osé  se  déclarer.  A  chacun  des  noms  chrétiens  dont  on  leur 
présente  de  longues  listes,  les  Turcs  accolent  un  nom  musulman  au 
hasard,  et  tous  les  Stavriotes  sont  de  nouveau  enregistrés  comme  Turcs. 
Quand  les  exilés  reviennent  au  mois  d'août,  ils  apprennent  qu'eux  aussi 
ont  été  inscrits  comme  les  autres.  La  situation  était  donc  pire  que 
jamais.  Il  fallut  la  révolution  de  1908  et  la  proclamation  de  la  Consti- 
tution pour  amener  une  solution  satisfaisante,  encore  se  fit-elle  attendre 
plus  de  deux  ans. 

Solution  de  la  question  stavriote. 

Aussitôt  que  la  Constitution  fut  sortie  du  sommeil  léthargique  où  la 
maintenait  depuis  trente-deux  ans  le  despotisme  d'Abdul-Hamid,  les 
Stavriotes  s'agitèrent  de  nouveau  pour  revendiquer  la  liberté  religieuse 
tant  de  fois  accordée  et  tant  de  fois  retirée,  lis  adressèrent  des  télé- 
grammes pressants  à  la  Sublime  Porte,  au  Comité  jeune-turc  et  au 
patriarche  grec.  Ils  en  reçurent  les  meilleures  promesses,  dont  les  effets 
se  firent  attendre  pendant  de  longs  mois.  Le  24  février  1909,  le  vali  de 
Trébizonde  s'adressait  lui  aussi  au  gouvernement  pour  demander  quelle_ 
devait  être  sa  conduite  dans  cette  affaire.  La  réponse  mit  treize  nwis 
lui  parvenir,  le  régime  jeune-turc  n'étant  guère  plus  expéditif  en  affaire 
que  son  prédécesseur.  Entre  temps,  les  Stavriotes  qui  avaient  quitté  H 
Turquie  pour  éviter  le  service  militaire  adressaient  au  président  de  la 
Chambre,  Ahmed  Riza,  une  pétition  dans  laquelle  ils  demandaient  l'am- 


é 


MUSULMANS    MALGRÉ    EUX  :    LES    STAVRIOTES  5OS 

nistie  complète  et  la  permission  de  rentrer  dans  leur  pays.  Le  député 
grec  de  Trébizonde  appuya  leur  demande.  De  leur  côté,  les  Stavriotes 
de  l'Ak-Dagh  envoyaient,  le  2^  juin  (v.  s.),  une  nouvelle  supplique  au 
saint  synode  pour  dénoncer  les  obstacles  que  les  Turcs  mettaient  à  la 
libre  pratique  de  la  religion  chrétienne. 

Le  gouvernement  finit  par  s'émouvoir  de  tant  de  réclamations.  Dans 
une  circulaire  du  24  mars  19 10,  adressée  aux  autorités  civiles  de  Tré- 
bizonde, il  déclarait  reconnaître  les  Stavriotes  comme  chrétiens  et 
demandait  qu'on  les  inscrivît  comme  tels.  Pour  bien  montrer  sans 
doute  qu'on  vivait  toujours  en  Turquie,  le  gouverneur  de  Trébizonde 
ne  communiqua  cette  décision  au  métropolite  de  cette  ville  que  neuf 
mois  plus  tard,  le  29  décembre  1910.  Le  métropolite  informa  immédia- 
tement le  patriarcat,  et  celui-ci  envoya  des  instructions  aux  métropolites 
de  Chaldia  (Gumuchhané)  et  de  Colonia  (Kara-Hissar-Charki).  Les  Sta- 
vriotes avaient  enfin  gain  de  cause,  mais  ils  avaient  acheté  par  plusieurs 
siècles  de  souffrances  la  liberté  religieuse  et  expié  durement  la  faiblesse 
de  leurs  ancêtres. 

R.  Janin. 

Constantinople. 


L'ÊVÊCHÉ  DE  SKIATHOS 


(I) 


C'est  avec  le  plus  vif  plaisir  que  j'ai  lu  dans  les  Echos  d'Orient  de 
novembre  1903  l'article  du  savant  et  regretté  P.  Pargoire  sur  les  évêques 
de  Skiathos  et  de  Skopelos  au  xviii«  siècle.  Des  recherches  personnelles 
m'ont  permis  de  compléter  quelque  peu  la  liste  des  titulaires  du  siège 
de  Skiathos. 

Une  inscription  découverte  par  le  savant  allemand  Ulrich,  il  y  a 
quarante-neuf  ans,  nous  donne  le  nom  d'un  évêque  inconnu  jusqu'alors. 
Elle  est  taillée  sur  un  rocher,  à  gauche  de  l'entrée  du  port,  à  l'endroit 
où  la  carte  anglaise  marque  trois  croix  (2).  Ses  dimensions  sont  de 
o«i,025  sur  oin,o6.  Elle  est  ainsi  conçue  :  MNAEO  6  àvuô  |  Tatoç  x  (k) 
ptaxapt-to  I  TaTOç  a».  |  tt'Itxqttoç  |  STpà-o)v  |  a'.x  twv  \  |  oûov  al'  |  xt'.tî 
jjLwXo'v  (3). 

L'inscription  est  bien  antérieure  à  la  conquête  vénitienne  de  1207,  et 
peut  remonter  aux  premiers  siècles  du  christianisme.  Cette  opinion  est 
basée  tant' sur  le  nom  archaïque  de  l'évêque  Straton,  que  sur  le  texte 
même  de  l'inscription.  Déjà  Hiéroclès  (dans  son  Svnecdème,  p.  7)  et 
Burckhard  (643,  2-5)  font  mention,  au  vi^  siècle,  de  la  métropole  de 
Larissa  en  Thessalie,  dont  dépendait  un  ancien  évêché  suffragant  du 
nom  de  Skiathos. 

De  cette  époque,  nous  ne  connaissons  que  le  nom  de  Démétrius, 
évêque  de  Skiathos,  qui  siégeait  en  530  (4).  Après  Straton,  dont  la  vie 


(i)  Bibliographie  :  Buondelmonti,  p.  129-131,  n.  73,  -jb,  77.  Tournefort,  II,  i5o 
lettre  X.  Pouqueville,  Voyage  de  la  Grèce,  II,  357,  408-411;  VI,  3oo,  3 10.  Fiedler,  II 
2-85.  Ross,  Reisen  des  Kônigs  Otto,  II,  32,  42,  5o.  Ulrich^  Reisen  iind  Forschungen 
II,  238.  BuRSiAN,  Géographie  von  Griechenland,  II,  384.  Lebègue,  Revue  archéologique 
1873;  XXV,  173.  H.  Belle,  Tour  du  monde,  1876,  173.  Abegg,  Reise  auf  den  Griechis^ 
chen  insein  Eubia,  Skiathos  und  Skopelos,  dans  Ausland,  1874,  427-433.  P.  Girard 
Antiquités  des  Sporades  septentrionales,  dans  le  Bulletin  de  correspondance  hellé 
nique,  1879,  p.  59-69,  180-190.  Philippson,  Beitrœge  ^ur  Kentniss  der  Griechischet 
Inselwelt.  Gotha,  1901,  p.  124.  Fredrich,  Skiathos  und  Peparethos,  1906.  S.  Mai* 
RAKis,  Die  Meeres-Algen  der  Insel  Skiathos,  1887.  R.  Rhangabé,  'E)v/,r,vtxà,  III,  48-5É 

(2)  Les  restes  de  ce  môle,  qui  disparaissent  à  peu  prés  sous  les  flots,  gênent  beaucouf 
la  navigation,  aussi  est-ce  le  vœu  de  tous  qu'on  fasse  disparaître  ce  dangereux  écueil 

(3)  Le  très  saint  et  bienheureux  évêque  Straton  a  bâti  le  môle  à  ses  frais. 

(4)  Voir  T.  E.  EùayY£/i5ou,  '0  y_poffTiavt(7i;.o;  bi  Taï;  KyxXâo-'.v,  'Epixo-JTroXii;,  i( 
p.  7.  Le  Quien,  Oriens  christianus.  II,  col.  io3,  106,  118,  i23.  Pd(),/r,-rioTXYi,  Sûv 
Ta-j'jxa  Twv  Oettov  xat  tepûv  xavôvwv,  v°  p.  482,  où  il  s'agit  de  l'évêque  Bardanés,  qu 
coopéra  à  la  réinstallation  de  Photius.  Je  signale  aussi  en  passant  un  titulaire  d' 
Skopelos,  dont  le  siège  devait  plus  tard  être  uni  à  celui  de  Skiathos,  Reginus,  don 
le  nom  est  latin,  quoiqu'il  porte  la  forme  et  la  terminaison  grecques  'Pr^Yivo 
=  (BaaO.Eioc).  Ce  prélat  aurait  pris  part  au  concile  de  Sardique  en  347,  et  serait  mor 


L  EVÈCHÉ    DE    SKIATHOS  SO7 


et  l'époque  ne  sont  pas  connues  avec  précision,  nous  trouvons  un  évêque 
de  Skopélos  (avant  que  ce  siège  fût  uni  à  celui  de  Skiathos)  non  inséré 
dans  la  liste  connue  des  évêques  de  ces  îles,  et  nommé  Anastasius  (i). 
Tel  est  le  nom  que  nous  lisons  sur  une  inscription  trouvée  pendant  la 
construction  du  clocher,  près  du  tombeau  de  cet  évêque,  situé  auprès 
d'une  mosaïque  à  côté  de  l'église  cathédrale  de  Skiathos,  dédiée  à  la 
Nativité  de  Notre-Dame.  Voici  le  texte  de  cette  inscription  : 

fl»oêy,9cis  "ô  cpp'.XTOV  xal  è'u-'jpov  ê'^ua  toG  3wpY,o-a[ji£vou  XpÎTTOU  to  t^J; 
£-'.Txo--^<;  àç'ltojjia  'Avao-raa-uo  tw  svOàSe  x£t.[X£vo)  ja-rj  -roÀfjiyjaTiç  è-iêàÀa». 
ys'.oa,  ToCÎ  àvaTX£uaa-|j.ôv  7zoif,a-ai  T'.va  £v  TtjiSs  Tcj)  tÔttw'  £jÇàui£vo<;  Se  aâXÀov 
'j-ïz  auToG  7;  ÂuyvaTTTYÎTa»;  7,  xal  -poT'^opàv  Tj  •l<xku.ool7.y  TOU'Taç  £v)oo!,s 
Taeioç  Trapà  toG  StoTrîooç  TT'.TTÔTaTa»,  ào£Àoal  (sîV)  (2), 

Cet  évêque  vivait  sous  l'empereur  byzantin  Nicéphore  Botoniatès, 
comme  l'indique  le  style  médiéval  du  texte  cité  plus  haut,  et  comme 
le  prouve  une  autre  inscription  encastrée  aujourd'hui  dans  l'église  de 
r  «  Episcopi  »,  à  Skopélos  : 

fc'AvExawlaQr,  £x  6y.^^ti)y  6  Ô£los  ojtoç  xal  7càvT£7:T0<;  vaoç  tti?  'rTiepayiaç 
AsT-oivr,;  r,jji.(ôv  0£OtÔxo!j  t'Jv  to^ç  7tav£ucpYÎjji.ot.ç  ôa)5£xa  xopucpaCot.?  'A7To[a]- 
TO/.o'.ç  ajjia  Tw  £v  àvio'.?  STTupîStov,  £7rl  'AvaTTaatou  to'j  £7ri,TXÔ7rou  t-?Îç  7:apoû- 
T(\q  vyÎtO'J  -xoTziAtov  £x  TîôQoi»  UTOp  tjLvr,a'r,ç  xal  àc5£a-£(oç  sxouTitov  T£  xal 
àxO'JT'ltov  àaapT/ifxàTtov,  o-cstiç  È'to'J!;  £7ïI  êao-0.£Îaç  NuTjoôpou  toÙ  BoTav- 
TjàTOj  (3),  c'est-à-dire  en  l'an  1078. 

En  se  basant  sur  la  date  de  cette  inscription,  il  faut  donc. supposer 
que  l'union  des  deux  évêchés  de  Skiathos  et  de  Skopélos  s'est  accomplie 
après  le  règne  de  Nicéphore,  quoique  nous  n'ayons  aucune  autre  preuve 

le  25  février  362,  sous  Julien  l'Apostat.  Son  corps  aurait  été  apporté  à  Skopélos  et 
enterré  dans  un  couvent  du  même  nom.  Son  tombeau,  qui  existe  encore,  a  été  décrit 
par  le  professeur  N.  Georgaras  de  Skopélos,  dans  VEnez-ripii;  napvaexdoû,  1906,  t.  IX, 
19728.  Cf.  C.  Fredrich,  Skiathos  und  Peparethos,  dans  les  Mitteiliingen  des  deutschen 
Archàoligischen  Instituts  ^u  Athen,  1906,  t.  XXXI,  p.  9g. 

[\]  Cesarius  Dapontés  fait  mention  de  cet  évêque  dans  son  ouvrage  Kf,Tio;  Xapt'twv, 
édit.  G.  Sophoclès,  p.  166,  et  il  en  est  aussi  fait  mention  dans  une  note  inscrite  sur 
une  feuille  d'un  nomocanon  de  la  bibliothèque  de  l'école  ^hellénique  de  Skopélos  : 
|ô  âT:;(7xo7:oî  'AvaiTTciasoc  k'y.Tto-e  xbv  aytov  SuupîSwva,  to'j;  àY^ouç  'AnoffxéXouç  xal  Tr^-^  âjtc- 
<ixo7:r,v  ÈTîl  Ntxriçôpou  toû  BoTave-.àTou.  Ce  nomocanon  a  malheureusement  disparu  de 
l'endroit  indiqué. 

■  (2)  Frère  très  croyant,  si  tu  crains  le  sanctuaire  terrible  et  environné  de  flammes 
du  Christ  qui  a  donné  la  dignité  épiscopale  à  Anastase  qui  repose  ici,  n'ose  pas  porter 
la  main  et  reconstruire  en  ce  lieu,  mais  prie  plutôt  pour  lui,  fais  brûler  une  lampe 
ou  donne  une  offrande  ou  récite  une  psalmodie  et  ainsi  tu  trouveras  grâce  auprès  du 
Sauveur. 

j  (3)  Ce  saint  et  très  auguste  temple  de  notre  sainte  Dame,  Mère  de  Dieu,  ainsi  que 
!  celui  des  douze  célèbres  coryphées,  les  apôtres  et  celui  de  saint  Spyridon,  a  été 
construit  entièrement  par  Anastase,  évêque  de  cette  île  de  Skopélos,  en  mémoire  et 
pour  la  rémission  de  ses  péchés  volontaires  et  involontaires,  l'an  6586,  sous  le  règne 
de  Nicéphore  Botoniatès. 


5o8  ÉCHOS    D  ORIENT 


de  la  vérité  de  cette  hypothèse.  Malgré  mes  efforts  et  mes  recherches 
prolongées  dans  les  documents,  je  n'ai  pu  parvenir  à  fixer  l'époque  où 
s'accomplit  cette  union. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  trouvons  les  deux  évêchés  unis  au  xvii^  siècle, 
comme  l'indique  un  acte  du  patriarcat  œcuménique.  M.  Papadopoulos- 
Kérameus  signale  comme  évêque  de  Skiathos-Skopelos  le  nommé  Ignace, 
qui  souscrivit  une  pièce  patriarcale  du  7  mars  1621.  C'est  à  cette  date 
que  commence  la  liste  du  R.  P.  Pargoire.  Aux  noms  publiés  dans  les 
Echos  d'Orient,  il  faut  en  ajouter  deux  autres.  Mathieu  succéda  à  Denys 
le  5  décembre  1777,  comme  il  l'écrit  lui-même  dans  une  note  que  le 
Df  Georgaras  a  publiée  dans  le  Néoç  'EAÀT,vo[jLvrîii.oL»v  (i). 

'Ev  Tw  a'i;OvO)  BsxsjjLêpiou  e'  hr^\yzy  r;  y!.pwT(ovLa  aou  elç  Tùpvaêov  Trapo 

TOÛ   7:aV!.£p 077-0 'J    Xal   iT£êaT|Jl.'.OTàTOU   [i-Ol   OSTTTÔTr,  xal  VSpOVTr,  àv'lw  AapiTTTiC 

xw  [JLOÎ,  xw  M£A£7'lto  £x  êaT',À£uoiJTr,ç  xal  yjSinv  z\^  rr^y  Tairô'.vr.v  £7^^TX0^^^J^ 
SxotcéXo'J  'lavo'japîoy  y'  xal  ÈjA-n/ixa  e[ç  to  xovàxtov  Eupôv  ajTO  yoplç  [j.Tcapùo 
xtvà  7roI(j)  vspov  jjly^te  yoÀ'.àpt.ov  ottou  £lvai  tÔv  ^vxpÔTcpov.  "EyeivEV  p 
ytpwTwvia  jjlo'j  ]xe  o).).a  7rou-:î^£'la  17  rjXOt,  S£xa  I-z'zol.  'YTz6z>t^x  jAupia  xaxc 
àirô  SuTTYiylaç  xal  twv  Ttpoo-TaTcUWVTWv.  Aèv  eupr.xa  wç  ypàœo)  T'IuoTa  tJ^i 
ETTio-xoTTr,?.  Aw  TOTTO!,  [ji.£  £l7rav  OTi  sys»,  :  6  Evaç  eU  tÔ  Mt-ya/vàxT,  tÔ  p£Ûp.c 

xal  6  aAo;  xapTr,  sic  cô  xapaêoTO'àx'.Tpi.a,  àyp'-TTOç,  'Ew^  Ttopa  iy (er 

marge)  [a£v  (c'est-à-dire  £yo[ji£v)  ypôvo'.  17(2).  Ce  qui  montre  que  ce  peti 
document  a  été  écrit  en  1794.  Nous  savons,  d'autre  part,  que  Mathiei 
a  occupé  ce  siège  jusqu'en  1797.  Déjà,  en  février  de  la  même  année 
avait  pris  possession  de  l'évêché  de  Skiathos-Skopelos  (3)  le  nomm< 
Eugène,  comme  nous  lisons  dans  les  triptyques  de  l'église  de  la  Nativiti 
de  Jésus-Christ  :  1797  tIaÔov  6  Eoylvio;  àpyi£p£Ù^  £v  jjL/jVt,  ©Eupouapw'j.  Ce 
évêque  est  le  dernier  des  Sporades  du  Nord  pendant  la  dominatioi 
turque,  comme  le  rapporte  le  R.  P.  Œconomos(4).  Après  la  constitutioi 
de  la  Grèce  en  Etat  libre,  le  20  novembre  1833,  par  décret  roya 
Eugène  reçut  à  nouveau  cet  évêché,  qu'il  gouverna  jusqu'à  sa  mort 


(i)  Voir  MaypoyopSâTEîo;  BtgÀ'.o9r,xr,,  t.  l",  p.  174. 

(2)  Le  5  décembre  1777  ma  consécration  eut  lieu  à  Tournavo  des  mains  du  très  sain 
et  très  vénérable  évêque,  le  saint  de  Larissa,  M*'  Meletios,  originaire  de  la  capitale 
et  j'arrivai  dans  mon  humble  évêché  de  Skopélos  le  3  janvier  et  j'allai  au  conak  où  j 
ne  trouvai  ni  une  cruche  pour  boire  de  l'eau  ni  la  moindre  cuiller.  Ma  consécratlo 
se  fit  avec  dix-sept  cierges  en  tout.  J'eus  à  supporter  mille  maux  à  cause  de  la  pauvre' 
et  de  mes  protecteurs.  Je  n'ai  rien  trouvé  dans  mon  évêché,  comme  je  l'écris.  On  n\ 
dit  qu'il  y  a  deux  endroits  :  un  au  ruisseau  Michalaki,  l'autre  non  chrétien,  en  fac 
au  lieu  du  naufrage. 

(3)  Au  territoire  de  l'évêché  de  Skiathos-Skopelos  fut  ajoutée  la  ville  de  Trikkéf 
(Tp'.y.xépwv),  située  vis-à-vis  de  Skiathos,  sur  le  promontoire  du  même  nom. 

(4)  Ta    ffw;îd(X£va   âjcy.XYjtrtatTxtxà   o-yyypàfjiîxaTa,    B'   6-E.   Kocptvcwtrj;,    'H    'Ey./.>,r|(T(a   vr 
'EX).â8o;,  p.  6-8.  S.  A.  CEconomos,  'H  vfjo-oç  IleTcàpriÔoî.  léna,  i883,  p.  29-30. 


l'évêché  de  skiathos  S09 


en  1841.  Depuis  lors,  le  siège  resta  vacant  et  portait  le  numéro  33  dans 
le  syntagmatarion. 

Le  9  juillet  1852,  une  loi  réduisit  les  dix  sièges  permanents  et  les 
quarante  provisoires  du  royaume  à  vingt-quatre.  Le  troisième  était  celui 
de  Chalcis,  qui  comprenait  :  Xérochorion,  Skiathos,  Skopelos  et  Halo- 
nesos.  Beaucoup  plus  tard,  en  1900,  un  décret  royal  du  22  janvier  rat- 
tacha Skiathos  à  la  nouvelle  nomarchie  de  Magnésie,  avec  l'évêché  de 
Démétrias.  Mais  onze  ans  après,  en  191 1,  la  nomarchie  de  Magnésie 
étant  abolie,  Skiathos  fit  de  nouveau  partie  du  diocèse  de  Chalcis  et 
Carystie. 

Dr  Tryphon  E.  Evangelidès. 

Volo  (Thessalie). 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  OEIL 

CHEZ  LES  GRECS  MODERNES  " 


11.  —   Exorcismes  guérisseurs 

Voici  maintenant  quelques  xorkia  que  j'ai  traduits  aussi  littéralement 
que  possible,  en  les  accompagnant  de  courtes  notes  explicatives.  Ils 
sont  en  usage  aujourd'hui  dans  les  pays  grecs,  de  Corfou  à  l'Asie 
Mineure.  11  se  peut  même  qu'un  texte,  que  l'on  croit  employé  seule- 
ment à  Athènes,  serve  aux  incantations  d'une  brave  guérisseuse  du 
Magne.  A  dessein,  et  malgré  les  occasions  qui  s'offraient,  j'ai  évité  les 
comparaisons  faciles  avec  les  coutumes  de  l'antiquité  grecque  ou  avec 
les  productions  similaires  des  peuples  qui  ont  été  en  contact  avec  les 
Byzantins,  Roumains,  Serbes,  Bulgares  ou  Russes.  Constantinople  ou 
Athènes  ne  leur  ont  pas  donné,  hélas!  que  la  foi  orthodoxe.  Ainsi, 
rien  ne  ressemble  plus  à  un  exorcisme  athénien  que  certains  exorcismes 
de  la  Russie  méridionale.  11  est  vrai  que  Tuchmann  rapporte  des  exor- 
cismes hindous  qu'on  dirait  fabriqués  dans  un  village  du  Péloponèse  (2). 

C'est  pourquoi  l'origine  de  ces  productions,  l'époque  et  le  point  de 
départ,  à  les  chercher  on  perd  trop  sa  peine.  Mais  beaucoup  remontent 
très  loin  sans  doute,  plus  haut  que  les  rituels  gnostiques,  qui  eux- 
mêmes  dérivent  des  recueils  magiques  païens.  Depuis  que  par  des  pro- 
cédés ténébreux  l'homme  a  cherché  à  agir  sournoisement  sur  autrui, 
il  s'est  vu  opposer  des  armes  de  même  nature;  les  exorcismes  ont  contre- 
balancé les  incantations,  annulé  leurs  redoutables  effets.  Ils  ont  été 
chez  tous  les  peuples  l'accessoire  obligé  de  la  contre-magie,  les  formules 
congrûment  récitées  étant  aussi  nécessaires  que  les  gestes  mêmes.  Au 
cours  des  siècles,  ils  se  sont  usés,  déformés,  fragmentés,  reconstitués 
en  formules  nouvelles  plus  étranges  encore,  comme  à  quelques  kilo- 
mètres d'Athènes,  sur  la  plage  du  Vieux  Phalère,  ces  galets  sortis  d'un 
simple  caillou,  et  que  la  mer,  par  le  jeu  de  ses  vagues  sur  la  grève,  a 
amenuisés,  arrondis,  rendus  méconnaissables  et  parfois  brisés,  pour 


(i)  Y  OIT  Echos  d'Orient,  septembre  1912,  p.  385-394. 

(2)  La  Fascination,  dans  Méliisine,  à  partir  de  i885.  Vaste  enquête  et  dépouillemei 
complet  de  toutes  les  sources  depuis  les  anciens  jusqu'au  Roman  d'un  spahi,  < 
Pierre  Loti,  par  exemple.  Mais  M.  Tuchmann  ne  connaît  pas  les  Grecs  moderne! 
ses  sources  s'arrêtent  aux  voyageurs  du  commencement  du  xix*  siècle.  Cf.  Mélusin 
III,  p.  25l. 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL  CHEZ  LES  GRECS  MODERNES       SI  I 

€11  refaire  ces  pierres  curieuses  que  les  pêcheurs  ramassent.  'Aaaà, 
uàxas,  0'J|Jiôv  ^iap-jy  ï'^'^yJ.z  x-juaT».  -Ôvto'j  y,o'  op£<.)v  xop'j'ir.T'.,  chantait 
déjà  le  poète  inconnu  des  Orphica.  Ce  n'est  pas  d'aujourd'hui  que  les 
guérisseuses  grecques  s'essayent  à  envoyer  la  maladie  dans  l'abîme  de 
la  mer  ou  sur  le  sommet  des  montagnes  (i). 

Le  moyen  âge  byzantin  les  a  pour  ainsi  dire  christianisés.  A  la  place 
des  dieux  et  des  éons  de  la  hiérarchie  gnostique,  il  a  mis  les  Bienheu- 
reux, les  saints  guérisseurs,  comme  saints  Cosme  et  Damien,  la  Pana- 
ghia,  Notre-Seigneur  lui-même.  Il  en  a  fait  ces  compositions  étranges 
que  l'on  connaît.  Mais,  comme  je  le  montrerai  plus  tard,  le  fond  est 
demeuré  païen.  11  les  a  parfois  associés  à  des  pratiques  vraiment  chré- 
tiennes :  signes  de  croix,  assistance  à  la  messe,  jeûnes  ou  pèlerinages 
<jui  eux-mêmes  ont  des  origines  suspectes.  Et  c'est  ce  qui,  pour  les 
byzantinologues  et  les  théologiens,  en  fait  le  grand  intérêt. 

Ces  notes,  et  d'autres  semblables  sur  les  superstitions  de  toute  sorte 
•qui  sont  la  moitié  de  la  religion  des  paysans,  aideront,  je  l'espère,  à 
dessiner  mieux  la  physionomie  religieuse  du  peuple  grec.  A  la  fois 
religieux  et  superstitieux,  il  est  également  attaché  à  l'orthodoxie  et  à 
des  coutumes  que  l'orthodoxie  même  depuis  des  siècles  condamne. 
Peuple  illogique  et  déconcertant  pour  nous,  Latins,  d'idées  nettes  et 
d'esprit  raisonneur  et  qui  d'instinct  réprouvons  les  pratiques  supersti- 
tieuses. Le  Grec,  non. 

Le  P.  Delehaye,  qui  a  tant  étudié  l'hagiographie  populaire,  estime 
qu'il  est  d'une  intellectualité  religieuse  inférieure  à  la  nôtre  (2).  C'est 
possible.  Quoi  qu'il  en  soit,  j'ai  recueilli  péniblement  ces  textes  et  une 
centaine  d'autres  analogues,  non  par  vaine  curiosité  ni  par  esprit  de 
chicane  et  de  moquerie,  mais  avec  le  sincère  désir  de  travailler  à  le 
mieux  faire  connaître. 


►ans  un  village,  un  bébé  est  malade.  Au  lieu  d'appeler  un  médecin, 
[ont  elle  se  méfie  comme  d'un  sorcier  dangereux,  et  qui  le  plus  sou- 
vent habite  loin  et  coûte  fort  cher,   la  mère  appellera  une  commère 
guérisseuse,  brave  femme  presque  toujours,  pieuse  orthodoxe,  et  qui 
vit  de   son  petit  métier  d'exorciste  volontaire.  Celle-ci  arrive,  cause, 


(i)  Orphica.  Edition  Eug.  Abel,  fragm.  19.  Partout  d'ailleurs,  en  Russie,  en  Hon- 
grie, en  Bulgarie,  on  envoie  la  maladie  dans  la  mer  et  sur  les  montagnes.  Cf.  Tlch- 
MANN,  dans  Mélusine,  vi,  p.  284. 

(2|  Analecta  Bollandiana,  igio,  p.  460,  à  propos  du  livre  de  M.  Lawson  et  d'un 
ouvrage  analogue  de  M'"  Hamihon  :  Greek  saints  and  their  festivals,  1910. 


512  ÉCHOS    D  ORIENT 


examine  l'enfant,  fait  l'importante,  prône  ses  recettes.  Mais  voici  que 
de  toute  sa  petite  bouche  le  malade  a  bâillé.  Signe  infaillible,  il  est 
ensorcelé  par  le  mauvais  œil.  La  conjuration  commence. 

Voici  celle  en  usage  à  Guioumoultsinas,  village  grec  de  la  Thrace. 
Tout  en  frottant  le  bébé  d'huile,  la  femme  dit: 

Une  biche  a  mis  bas;  —  dans  le  champ,  elle  a  conduit  son  faon;  —  les 
mâles  le  virent,  —  les  femelles  le  virent  ;  —  ils  le  virent  et  l'ensorcelèrent. 

—  Né  de  sa  mère,  nourri  par  sa  mère,  guéri  par  le  Christ  et  la  Panaghia. 

—  Une  biche  a  mis  bas  neuf  faons;  —  des  neuf,  huit  demeurèrent;  — 
puis  des  huit,  sept;  puis  des  sept,  six;  puis  des  six,  cinq;  puis  des  cinq^ 
quatre;  puis  des  quatre,  trois;  puis  des  trois,  deux;  puis  des  deux,  un; 

—  enfin,  pas  un.  —  Le  Christ  et  la  Panaghia  ont  dit:  Qu'il  naisse  et 
qu'il  grandisse  (l'enfant),  et  que  la  maladie  parte  de  sa  cervelle,  de  ses 
vingt  ongles,  sur  les  collines  et  les  montagnes,  là  où  le  coq  ne  chante 
pas,  où  le  chat  ne  miaule  pas,  où  le  levain  ne  lève  pas  (i). 

On  a  ici  un  exemple  curieux  du  style  des  exorcismes.  Insanités  et 
piété  superstitieuse.  La  guérisseuse  croit  à  son  pouvoir.  Elle  est  égale- 
ment persuadée,  puisque  l'enfant  a  bâillé,  qu'il  souffre  à  cause  d'une 
œillade  méchante,  d'une  malédiction  ou  d'une  parole  imprudente.  Mais 
elle  ne  sait  pas  ce  qu'elle  débite,  vite,  à  voix  basse,  et  sans  même 
chercher  à  comprendre.  Ce  sont  tout  à  la  fois  des  âneries,  des  morceaux 
de  conjurations  gnostiques  qui  se  sont  conservées,  on  se  demande 
comment,  à  travers  les  âges,  ou  encore  des  fragments  méconnaissables 
de  prières  liturgiques. 

En  Attique,  la  même  conjuration  se  fait.  L'opérateur  récite  :  «  11  y 

avait  une  fois  neuf  frères,  et  de  neuf  il  en  resta  huit ,  et  de  un 

aucun  »,  en  tenant  avec  force  des  deux  mains  une  main  du  malade,  et 
en  appuyant  sur  le  pouls. 

Dans  l'île  de  Céphalonie,  la  mère  de  l'enfant  saura  si  oui  ou  non  h 
maladie  vient  de  la  Baskania.  Voici  le  procédé  : 

Tu  verses  de  l'eau  dans  une  assiette,  et,  avec  la  main,  tu  fais  trois  fois 
le  signe  de  la  croix  sur  l'assiette,  en  disant  :  Christ,  Panaghia,  saint  Jean^ 
et  le  nom  de  l'enfant.  Puis  tu  trempes  le  doigt  dans  l'huile  de  la  veilleuse 
qui  brûle  devant  l'icône  de  la  Panaghia,  et  tu  en  fais  tomber  une  goutte 
dans  l'assiette.  Si  vraiment  l'enfant  a  été  ensorcelé,  fjLaTtadfxÉvoç,  la  goût 


d'huile,  en   tombant,   se  diluera  à   travers   l'eau;   sinon,   elle  flotter] 
au-dessus. 


î 


(i)  Publié  dans  Aaoypaifia,  1910,  p.  405.  A£LO-iSat(j,ovtai   xat  Bn(7iôxi\i.0'nç  ouvViôstl 
rxtûU|j.ouXTÇtva;  ttï;  @paxr,ç,  par  St.-Kyriakidis,  n°  3j. 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL  CHEZ   LES  GRECS  MODERNES       513 

Alors  il  est  facile  de  le  guérir  (i). 

Cette  façon  de  faire  est,  de  toute  évidence,  superstitieuse.  Elle  est 
générale  en  Grèce.  Les  paysans  de  Thessalie,  m'assure-t-on,  agissent 
de  même  en  l'occurrence. 

On  peut  noter  à  ce  propos  la  coutume,  très  répandue  en  Grèce,  de 
prendre  de  l'huile  de  la  lampe  qui  brûle  devant  l'icône  d'un  saint 
vénéré.  A  plusieurs  reprises  à  l'église  de  Sainte-Barbe,  près  de  Daphni, 
j'ai  vu  des  paysannes  tremper  dans  une  des  lampes  du  sanctuaire  une 
bourre  de  coton,  et  l'enfermer  avec  soin  dans  une  petite  boîte  de  fer. 
C'était  sans  nul  doute  pour  faire  des  onctions  à  un  malade  et  obtenir 
ainsi  sa  guérison. 

Pour  les  hommes  ou  les  femmes,  l'exorcisme  classique  se  fait  par 
l'épreuve  des  clous  de  girofle.  Trois  clous  de  girofle  sont  exposés  à  la 
flamme  d'une  bougie,  ou  même  un  seul  clou.  Du  nombre  et  du  mode 
des  crépitements,  on  conclura  à  la  Baskania  et  au  remède. 

A  Guioumoultsinas,  par  exemple,  on  se  sert  d'un  seul  clou.  On  le 
perce  avec  une  aiguille,  et  on  l'expose  à  la  flamme  du  cierge  de  la  nuit 
de  Pâques.  Au  préalable,  on  a  tracé  un  signe  de  croix  avec  le  clou  en 
disant  trois  fois  :  «  S'il  est  ensorcelé,  que  le  clou  de  girofle  crève  et 
que  s'en  aille  sa  maladie,  »  Puis  on  prononce  le  nom  du  patient  et  l'on 
met  le  clou  dans  la  flamme,  et  quand  il  est  lui-même  enflammé,  on 
dit  :  «  J'ai  parlé  pour  toi.  »  Si  le  clou  éclate  en  crépitant,  on  conclut 
à  la  Baskania  (2). 

A  Volo,  à  Athènes,  du  fond  du  Péloponèse  jusqu'à  Constantinople, 
c'est-à-dire  c'ans  tout  le  monde  grec,  c'est,  avec  de  légères  modifica- 
tions, la  même  conjuration,  dont  on  retrouve  l'équivalent  dans  les 
i  rituels  magiques  de  Babylone  et  des  Védas. 

Ces  trois  exorcismes  rentrent  dans  la  catégorie  de  ce  qu'on  peut 
I  appeler  superst  tions  liturgiques.  C'est  ce  qui  en  fait  l'intérêt.  Voici 
'  un  type  d'exorcisme   simplement  magique.  On  notera  pourtant  que 
;  presque  tous  les  membres  de  phrase  ont  été  incorporés  à  des  exor- 
cismes dits  liturgiques. 

I     11  est  en  usage  à  Athènes  avec  plusieurs  autres,  qui  mettent  en  scène 
iNotre-Seigneur  et  les  anargyres  Cosme  et  Damien. 

I     Sors  des  soixante-deux  veines  de  cette  fille  N...  et  de  toutes  ses  articu- 
ilations,  et  va  dans  les  profondeurs  de  la  mer,  et  va  mesurer  le  sable  de 


(i)  Aaoypaqjsa,  1910,  p.  466.  "Oxav  \).%zii^ov:Ai  xà  (xtxpà  TiatStà. 
(2)  St.  Kyriakidis,  loc.  cit.,  n"  46. 

Échos  d'Orient,  t.  XV.  33 


514  ÉCHOS    D  ORIENT 


la  mer,  où  personne  ne  mange  d'herbe,  et  retourne  en  arrière.  Sors  des 
soixante-deux  veines  de  cette  fille  pour  aller  sur  les  montagnes,  sur  les 
collines,  dans  le  Tartare,  derrière  le  soleil,  où  le  chien  n'aboie  pas,  ttoù 
fffftouXoç  Se  [îaut^si;  mange  sa  chair  et  bois  son  sang,  et  reviens  le  soixante- 
neuf  d'août  (i). 

Dans  l'île  de  Crète,  on  trouve  la  même  conjuration.  La  première 
ligne  est  incompréhensible.  «  ràlips  6apjj.s,  yàlips  xa!.fji£  Txri  ^avaTTpocpr.s- 
vuyé.  Va  dans  les  montagnes  et  sur  les  sommets  fouiller  pour  trouver 
le  nuage  noir,  pour  le  manger  et  le  boire,  et  le  faon  du  cerf  noir  pour 
le  brûler,  et  laisse  le  serviteur  de  Dieu  N...  »  (2) 

Une  autre  dit  :  «  Va  trouver  le  monstre  sauvage,  bois  son  sang  et 
mange  sa  chair.  » 

M.  Tuchmann  a  publié  un  exorcisme  crétois  analogue  à  ceux-ci, 
mais  plus  long,  du  fait  qu'il  a,  par  mégarde  peut-être,  réuni  en  un  seul 
deux  exorcismes  bien  différents.  Il  se  pratique  avec  trois  grains  de  se! 
et  un  mouchoir  qui  diminue  de  longueur  à  mesure  que  la  guérisseuse 
récite  (3). 

Singulière  allure  et  singulières  images.  Ces  exorcismes  sont  tout 
entiers  d'origine  païenne,  comme  beaucoup  de  ceux  qui  ont  été  con- 
servés par  les  Solomonikis,  et  qui  sont  très  souvent  dans  ce  style.  J'y 
reviendrai  à  propos  d'un  exorcisme  liturgique  attribué  à  saint  Grégoire, 
le  plus  extraordinaire  de  ceux  que  j'ai  pu  lire,  deux  cents  environ  (4). 

Ces  imprécations  et  ce  geste  de  chasser  la  maladie  dans  des  lieux< 
inaccessibles  :  le  fond  de  la  mer,  les  montagnes  et  les  pics  escarpés, 
sont  fréquents  dans  les  conjurations  des  anciens  Grecs.  On  connaît 
aussi  ce  proverbe  :  ô'tcok  al  IXaipoi  xà  xépaxa  à7ro[3à)vXoua-w  (3). 

Avec  l'exorcisme  suivant,  on  revient  au  culte  superstitieux  de  Notre- 
Seigneur,  de  la  Sainte  Vierge  et  des  saints.  11  m'a  été  donné  par  une 
paysanne  de  l'île  d'Egine. 


ri 

(i)  Rapporté  par  M.  Politis,  dans  A.  I.  E,  i883.  Ai  àdO^veiat  xarà  roù;  M-Jôou;  toû 
'EXXrjvtxoû  Xaou,  p.  g.  Le  69  août  signifie  peut-être  jamais,  comme,  en  France,  la  semaine 
des  quatre  jeudis. 

(2)  AaoYpaç^a,  1909,  p.  368. 

(3)  Mélusine,  vi,  284.  La  sorcière  compte  ici  soixante-douze  veines,  et,  à  la  fin  de 
l'épreuve,  le  mouchoir  se  trouve  de  six  doigts  plus  court,  par  suite  d'un  habile  pliage. 

(4)  Voici,  d'après  Tuchmann,  Mélusine,  vi,  284,  un  exorcisme  en  usage  chez  lesj 
paysans  de  Serbie:  «Va-t'en,  petite  maladie,  dans  la  forêt  et  dans  l'eau,  vers  les  hau- 
teurs les  plus  élevées,  dans  les  abîmes  les  plus  profonds,  là  où  le  coq  ne  chante  pas, 
où  la  poule  ne  glousse  pas.  »  Bien  que  la  preuve  soit  impossible  à  faire,  on  peut  êtrej 
assuré  que  cet  exorcisme  est  traduit  du  grec.  Ainsi  pour  beaucoup. 

(5)  «  Où  les  cerfs  jettent  leurs  bois  »,  pour  dire  une  chose  impossible  à  atteindre! 
ou  à  trouver.  Pline  aussi  raconte  que  les  cerfs  au  moment  de  perdre  leurs  cornes  se[ 
retirent  dans  les  solitudes  les  plus  inaccessibles.  Naturalis  Historia,  VIII,  5o. 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL  CHEZ  LES  GRECS  MODERNES       515 

La  Panaghia,  la  Vierge  se  leva,  mit  sa  belle  robe  et  s'assit  sur  son 
trône.  Les  anges  passèrent  et  la  virent,  et  l'ensorcelèrent,  xat  tyj  fxaTiiaave. 
Le  Christ  l'interrogea  :  «  Qu'as-tu,  ma  Mère,  même  plus  glorieuse  que 
moi  ?  —  Je  me  suis  levée,  j'ai  mis  ma  belle  robe  et  je  me  suis  assise  sur 
mon  trône.  Et  les  anges  ont  passé;  ils  m'ont  vue  et  ils  m'ont  ensorcelée. 
—  Prends-moi  la  main  et  mon  couteau,  et  souffle  trois  fois  et  ça  te 
passera. 

La  guérisseuse  souffle  trois  fois  sur  le  malade. 

La  Panaghia  et  les  anges  sont  traités,  on  l'avouera,  de  façon  cava- 
lière. Les  paysans  n'en  ont  cure.  Pour  eux,  le  mauvais  œil  a  une  telle 
puissance,  que  la  Mère  de  Dieu  peut  en  souffrir.  Quelle  conception  de 
la  gloire  des  anges  peuvent  avoir  les  paysans  qui  écoutent  telles 
folies?  Je  pense  que  la  scène  a  lieu  sur  la  terre  du  vivant  de  la  Sainte 
Vierge.  Notre-Seigneur  lui-même  agit  comme  un  vulgaire  magicien. 
11  prend  un  couteau  noir  et  ordonne  de  souffler  trois  fois.  Le  couteau 
à  manche  noir  et  à  double  tranchant  est  d'un  emploi  habituel  chez  les 
sorciers  grecs.  Si  le  manche  est  fait  d'une  corne  noire  de  bouc,  rien 
ne  pourra  résister  à  son  action  magique. 

L'action  de  souffler  trois  fois  pour  chasser  les  puissances  des  ténèbres 
est  un  geste  liturgique  très  fréquent  chez  les  orthodoxes.  D'après  les 
rubriques  de  VEuchologe,  le  prêtre  grec,  durant  les  cérémonies  du  bap- 
tême, souffle  trois  fois  sur  le  visage  de  l'enfant,  trois  fois  sur  l'eau, 
trois  fois  sur  la  bouche,  sur  le  front  et  sur  la  poitrine  de  l'enfant,  trois 
fois  sur  la  burette  qui  contient  l'huile.  Au  Rituel  romain,  on  trouve 
également  ce  geste  dans  la  cérémonie  du  baptême. 

Comme  pour  l'emploi  de  l'huile  de  la  lampe  d'une  icône  il  y  a,  dans 
cette  triple  insufflation,  dénaturation  d'un  rite  symbolique  de  l'Eglise. 

Dans  la  même  île  d'Egine,  on  emploie  également  cet  exorcisme  très 
court  :  «  Deux  yeux  l'ont  ensorcelé,  et  trois  le  guérissent,  le  Père,  le 
Fils  et  le  Saint-Esprit.  »  Simple  calembour,  que  la  traduction  ne  peut 
rendre.  La  formule  doit  être  répétée  trois  fois. 

Le  diable  est  le  singe  de  Dieu.  Il  n'est  pas  jusqu'à  cette  coutume  de 
répéter  trois  fois  une  formule,  qui  ne  soit  d'origine  liturgique.  Dans 
le  rituel  du  baptême  orthodoxe,  en  effet,  le  prêtre  à  trois  reprises, 
dans  les  Eùyal  qui  suivent  la  catéchèse,  répète  trois  fois  une  phrase, 
celle-ci  par  exemple,  qui  est  le  début  d'une  longue  oraison  :  «  Que 
toutes  les  puissances  adverses  soient  brisées  par  le  signe  de  ta  croix  (i). 


(i)  C'est  la  troisième  des  grandes  oraisons  qui  est  prononcée  sur  l'eau. 


5i6  ÉCHOS  d'orient 


Ces  deux  x&rkia  d'Egine   sont  brefs.  Un  jeune  Athénien   m'ay 
confié  que  sa  tante  avait  une  formule  infaillible  qui  l'avait  guéri  li- 
même,  je  la  lui  demandai.  La  voici.  C'est  une  véritable  incantatio 
Elle  est  assez  longue,  d'autant  qu'il  faut  la  répéter  trois  fois. 

N...,  né  [de  Dieu,  guéri  par  Dieu  {ter).  Panaghia  excellente,  exorc 
tout  mal,  toute  rencontre,  tout  souffle,  toute  maladie,  toute  Baskari 
Que  [les  sacrements,  les  liturgies,  les  onctions  saintes,  la  sainte  Eue 
ristie  guérissent  N...  de  son  mal.  Grand  est  le  nom  de  la  sainte  Trini 
grand^est  le  nom  de  tous  les  saints,  et  tous  les  saints.  Saints  anargyi 
médecins  et  thaumaturges,  vous  avez  reçu  gratis,  accordez  gratis  à  ? 
—  O  Dieu,  manifeste  ta  puissance!  Exorcise  tout  mal,  toute  rencon 
tout  souffle,  toute  Baskania.  —  Le  bâton  du  Christ,  il  l'a  pris   p  Ér 
oreiller;  le  Christ  qui  va  le  couvrir  de  son  ombre,  le  Christ  à  sa  tête  je 
Saint-Esprit  dans  son  âme,  le  chœur  des  apôtres  en  cercle  autour  de  in 
corps.  Eh!  dame  Madeleine,  comment  seule  dors-tu?  —  Non,  mon  ;î- 
gneur  Christ,  N...  ne  dort  pas  seul.  Il  y  a  Pierre,  il  y  a  Paul,  il  y  a  ^s 
douze 'apôtres.  —  Il  tombe;  il  fait  le  signe  de  la  croix.  Le  Christ  la 
Panaghia  et  Dieu,  voilà  son  remède. 


. 


Le  bâton  du  Christ,  dans  l'idée  du  compositeur,  c'était  peut-êtr 
baculus  pastoralis'j\e  l'évêque  orthodoxe,  ou  même  le  tau  ou  la  four  le 
dont  les  caloyers  se  servent  pour  s'appuyer  durant  les  longs  off  :s 
du  chœur.  In  casu,  c'est  moins  encore.  Le  jeune  homme  me  l'a  av  lé 
avec  candeur  :  «  Ma  tante  ne  comprend  pas,  mais  c'est  le  texte.  11 
le  lire  trois  fois,  sans  omettre  un  seul  mot.  » 

Suit  une  description  d'icône  byzantine,  peut-être  la  dormition  dpa 
Sainte  Vierge.  Puis  un  dialogue  entre  le  Christ  et  la  Madeleine, 
l'on  retrouve  mentionné  avec  plus  de  précision  dans  d'autres  adjja- 
tions.  A  l'origine,  c'était  un  couplet  de  chanson  populaire,  du  g< 
des  complaintes  que  les  paysannes  chantent  encore  le  Vendredi-Sî 
Notre-Seigneur  s'étonnait  que  Madeleine  dormît  quand  il  allait  moi 
Et  la  pécheresse  répondait:  «  Hélas!  Seigneur,  je  ne  suis  pas  la  st 
Voyez  Pierre,  Paul  et  les  apôtres.  »  Malgré  le  ton  de  familiarité 
naïve  complainte  était  gracieuse  et  touchante.  On  voit  ce  que  les  e 
ciseurs  en  ont  fait  :  un  non-sens  et  une  absurdité. 


re 
it. 
r. 
e. 
la 
br- 


f" 


Au  Pirée,  une  vieille  femme,  contre  dix  sous  et  la  promesse  q 
ne  s'en  servirait  pas,  a  consenti  à  livrer  sa  recette. 

Le  Christ,  le  Saint-Esprit  et  la  dame  Panaghia.  Elle  fut  troilee 
comme  elle  allaitait  le  Christ.  Et  le  fleuve  inonda  les  marais,  eles 
arbres  furent  ^déracinés.  Michel  l'archange  passa  et  interrogea  :  «    acl 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL  CHEZ  LES  GRECS  MODERNES      5 17 

«tt  ce  mal  ?  —  C'est  un  enfant  baptisé,  confirmé  et  remis  i  pieu. 

Eiilève-nioi  mon  mal  loin  de  toi.  Jette-le  dans  les  pcofoodecus  de  la  mer, 
D  est  venu  à  rebours,  qu'il  parte  à  rebours.  » 

La  rubrique  ajoute  :  «  Répète  ces  paroles  trob  fiws,  fêtant  d'abord 
issaré  que  c'est  un  garçon,  parce  que  l'exorcisme  n'agit  pas  quand 
c'est  une  fille.  Tu  le  fais  avec  trois  grains  de  sel,  et,  quand  tu  as  fini, 
ta  encenses  le  malade.  »  Voilà  des  instructions  précises! 

L'exorcisme  est  intéressant  à  cause  de  la  phrase  qui  interrompt  Sou- 
dan le  dialogue  :  «  C'est  un  enfant »  Un  habitant  de  TripoGtsa, 

en  Arcadie,  après  l'avoir  lue,  m'a  dit  :  «  Chez  nous,  lonqo'aprês  la 
cérémonie  du  baptême  le  parrain  rapporte  l'enÊuit  à  la  mère,  0  pro- 
nonce ces  mêmes  paroles  :  So*j  —TzxZiZta  Tuvj'^Lrâza.  -rô  î^t»*,  j»atsr:ï;yxi»», 
s  xzl  Toû  feov  îTopaowjiivo,  «  Commère,  je  te  rends  ton  en£uit; 
u  ^  cLc  baptisé,  confirmé  et  remis  à  Dieu.  »  C'est  l'accoaniiodalîoii 
populaire  d'un  passage  du  rituel  de  XapdoHsis,  qui  parachève  dcz  les 
orthodoxes  l'ixoÀou^'la  toJ  ^xzrzlr'xxzoi  (l)- 


Cène  formule  mi-liturgique,  nous  la  retrouvons  dans  un 
rn  usage  dans  l'île  de  Corfou. 

Saints  anaig3rres  du  Christ,  les  premiers  médecins  du  mmide,  qui  avez 
^Béri  beaucoup  de  malades,  guérissez  encore  N...,  qui  a  été  baptise,  coo- 
Stmc  et  remis  à  Dieu,  dont  tous  les  cheveux  scmt  comptés,  «Ssz  soépt 
fmspgisviii.  Et  s'il  est  ensorodé  soit  par  on  homme,  smt  par  une 
qat  s'en  aille  la  Baskania,  la  peur,  la  teneur,  la  mauvaise  renomnie. 

Cet  2^>pel  aux  anargyres  Cosme  et  Damîoi,  on  le  répcie  dans 
■■  groupe  d'exordsmes.  Les  deux  mar^rs,  en  tBtt,  sont,  en  pojs 
grecs,  les  guérisseurs  attitrés  de  nombreuses  maiadirs.  Le  i*  iMi>f€uiiMe 
est  le  jour  de  leur  fête.  Des  deux  canons  de  Vartèms  de  leur  *i  nftif !■■, 

f    le  premier  a  été  composé  par  le  Damascène,  le  dwnrièmr  peut-être  par 

*  Joseph  l'Hymnographe.  L'invocation  que  les  bonnes  fenuocs  apprlmt 
le  tropaire  des  anargyres,  et  qu'elles  arrangent  ftêgmimmcnt  à  leor 

é  tetaisie,  est  Vapolytikùm  de  Ve^ténmos,  choisi  sans  doute  à  caose  des 
'online  mots.  U  est  toujours  pénible  d'avoir  à  pofer  on  médecni,  co»- 
aditfîon  ou  remèdes.  "A-pAi  'Avirpjp»!  wà  ^mtfxmttsrmi,  csiaaê&arsIiE 

I    "à;  xs^sv^îx;  T,uûv  -  Ztazshc»  DiApszs,  «Modcv  o«c£  t«j>^.  «  Saônts  anaigynes 
et  thaumaturges,   guérissez  nos  mala<fies.  Vous  avez  reçu  gratis» 
î     donnez  gratis.  » 


>^  p«n«s  ae  dnwadett  pas  loajows  qae  cette  oér6aoaie  sok  oOGhrie. 


5i8  ÉCHOS  d'orient 


Les  voici  de  nouveau  invoqués,  en  compagnie  d'autres  bienlieureux, 
dans  cet  autre  exorcisme  de  Corfou. 

Saints  anargyres,  les  premiers  médecins  du  monde,  qui  avez  guéri 
nombreux  malades,  guérissez  encore  N...  La  Baskania,  la  jalousie,  l'envie, 
enlevez-la  de  son  cœur,  de  ses  membres  et  des  os  de  son  corps.  Femme, 
homme;  homme,  femme.  Saints  anargyres  et  thaumaturges  Cosme  et 
Damien,  les  premiers  médecins  du  monde;  sainte  Paraskévi  et  saint  Pan- 
talémon,  que  guérisse  et  sorte  la  Baskania  1  Qu'elle  aille  dans  les  mon- 
tagnes sauvages,  dans  les  plaines  désertes,  où  le  coq  ne  chante  pas,  où  la 
poule  ne  glousse  pas.  S'il  est  ensorcelé  par  une  femme,  qu'il  soit  exorcisé 
par  moi  et  guéri  par  moi;  s'il  est  ensorcelé  par  un  homme,  qu'il  soit 
exorcisé  par  moi  et  guéri  par  moi  (i). 

La  xorhistra  reçoit  du  malade  un  morceau  de  broderie  qu'elle  roule 
entre  ses  doigts  et  le  signe  du  signe  de  la  croix  en  répétant  le  xorki 
trois  fois. 

Tous  ces  motifs,  invocations  aux  bienheureux,  fantaisiste  anatomie 
du  corps  humain,  les  montagnes,  le  chant  du  coq  et  le  gloussement 
de  la  poule  nous  sont  déjà  connus.  On  notera  ici,  plus  encore  que 
dans  l'exorcisme  précédent,  les  précautions  prises  pour  désensorceler. 
Plus  haut  on  a  eu  un  exemple  de  xorki  qui,  sur  une  fille,  n'aurait  pas 
d'effet.  Ici  la  sorcière  se  met  en  garde  contre  les  ruses  de  la  maladie. 
Homme  ou  femme,  qu'elle  qu'en  soit  la  cause,  il  faut  qu'elle  s'en  aille. 

Malgré  l'habileté  des  guérisseuses  qui,  aux  moindres  indices  :  bâil- 
lements, salive,  rougeur  du  nez,  position  du  corps,  excellent  à  décou- 
vrir le  sexe  du  jettatore,  il  est  souvent  malaisé  de  dire  avec  certitude 
d'où  provient  la  maladie.  Il  arrive  parfois  qu'on  se  fascine  soi-même. 
Un  Grec  de  Sparte,  de  figure  assez  peu  avenante,  faut-il  ajouter,  me 
l'a  confié  un  jour  où  lui-même  se  sentait  malade.  «  Se  regarder  à  loisir; 
dans  une  glace,  se  trouver  beau  et  se  le  dire,  c'est  jouer  un  jeu  très^l 
dangereux.  »  Pourquoi  nos  coquettes  de  France  n'ont-elles  pas  cette 
salutaire  terreur  du  miroir?  De  même,  une  glace  dans  laquelle  s'est 
réfléchi  un  cadavre  peut  ensorceler  les  familiers  de  la  maison. 

Les  deux  exorcismes  suivants  ont  été  dérobés  par  ruse  à  une  vieille 
paysanne  de  l'île  de  Kéa,  dans  les  Cyclades.  Un  jeune  homme,  sur 
mon  conseil,  je  l'avoue  à  ma  honte,  lui  fit  accroire  que  sa  sœur  était 


(i)  Cet  exorcisme  et  le  précédent  ont  été  publiés  par  M.  Kabasilas,  Aaoypoiçta, 
191 1,  p.  648. 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL  CHEZ  LES  GRECS  MODERNES       5I9 

malade  du  mauvais  œil.  Emue  et  prise  de  compassion,  la  brave  femme 
lui  communique  en  secret  ce  premier  exorcisme  (i). 

Jésus-Christ  triomphe  et  dissipe  le  mal;  la  Panaghia  s'éveille.  Qu'il 
s'en  aille  dans  le  buisson  et  dans  la  plaine,  et  dans  l'abîme  de  la  mer; 
là  il  mangera,  là  il  boira,  là  il  tombera,  là  il  se  perdra. 

La  rubrique  note  :  «  On  prend  trois  clous  de  girofle.  Avec  le  pre- 
mier on  fait  très  lentement  un  signe  de  croix  sur  la  figure  du  patient, 
puis  avec  les  deux  autres  de  la  même  manière.  Après  quoi,  on  récite 
à  voix  basse  et  distinctement  l'incantation.  » 

Amusantes  ces  rubriques  d'exorcismes,  plus  parfois  que  les  textes 
eux-mêmes.  Elles  fournissent,  le  cas  échéant,  la  justification  et  l'excuse 
de  l'insuccès.  Tel  malade  n'a  pas  été  guéri;  c'est  la  conséquence  d'une 
distraction,  d'une  inadvertance,  de  l'omission  d'un  geste  ou  d'une 
parole  mal  prononcée.  Jamais  la  famille  ne  s'en  prendra  à  la  guérisseuse. 

Ces  gestes  répétés  agissent  sur  l'imagination  du  malade  et  sur  son 
entourage,  car  les  prières,  personne  ne  les  comprend  ni  ne  les  écoute. 
Tous  sont  trop  absorbés  par  le  spectacle  un  peu  fantastique  de  cette 
vieille  femme  qui  s'agite  et  se  démène  autour  du  lit  en  promettant  la 
guérison.  Quand  j'avais  sept  ans,  je  vis  un  soir  dans  ma  famille  un 
rebouteur  remettre  en  place  une  cheville  déboîtée.  11  marmotta  des 
oraisons,  dessina  sur  la  jambe  une  quinzaine  de  signes  de  croix  depuis 
le  genou  jusqu'aux  orteils,  et  se  mit  au  travail,  s'interrompant  fré- 
quemment pour  tracer  de  nouveaux  signes  cabalistiques  et  jargonner 
des  formules  magiques.  Pendant  de  longs  mois  je  restai  convaincu  que 
la  guérison  avait  été  obtenue  non  par  l'habile  massage  du  praticien, 
mais  par  les  signes  mystérieux  que,  du  pouce,  il  traçait  d'un  air  inspiré 
sur  la  jambe  malade. 

Dès  qu'il  s'agit  de  superstitions,  la  plupart  des  Grecs  ont  toujours 
sept  ans.  Toute  leur  vie,  jusqu'à  la  vieillesse,  ils  croiront  à  la  mysté- 
rieuse puissance  des  rites  inventés  par  les  sorcières  de  Byzance,  et 
transmis  presque  intacts  dans  les  villages  les  plus  reculés  à  travers 
les  siècles. 

Le  lendemain,  la  paysanne  demandait  avec  inquiétude  si  la  jeune 
fille  était  guérie.  Ayant  reçu  l'assurance  qu'une  amélioration  avait  été 
constatée  depuis  la  veille,  pour  hâter  la  guérison  elle  livra  ce  deuxième 
exorcisme. 


(1)  On  sait  l'extrême  difficulté  qu'il  y  a  à  se  procurer  ces  formules  qui,  une  fois 
publiées,  disent  les  commères,  perdent  leur  pouvoir  magique.  11  faut  ruser,  avoir  de 
la  patience,  et  toujours  se  servir  d'un  intermédiaire. 


520  ÉCHOS    D  ORIENT 


On  doit  le  répéter  neuf  fois.  Puis,  ayant  pris  quelques  grains  de  sel 
et  neuf  rameaux  de  buis,  on  jette  le  tout  au  feu. 

Ail  vert,  hibou,  chouette,  avec  des  mamelles  de  tortue,  avec  du  lait  de 
serpent.  Celui  qui  a  ensorcelé  N...,  un  clou  dans  ses  yeux.  Si  c'est  un 
homme,  que  les  yeux  lui  sortent;  si  c'est  une  femme,  qu'elle  se  casse 
la  jambe. 

Les  liturgistes  goûteront  le  suivant,  qui  sans  aucun  doute  provient 
d'un  Euchologion  manuscrit  du  moyen  âge.  Une  femme  d'Egine  s'en 
sert  avec  succès.  Elle  ne  se  doutera  jamais  que,  étant  publié,  il  a  perdu 
sa  valeur  curative. 

Seigneur,  Dieu  Sabaoth,  après  l'avoir  illuminé  et  être  allé  à  sa  ren- 
contre, tu  as  donné  à  Moïse  par  ta  divine  grâce  les  tables  de  la  Loi  sur 
le  mont  Sinaï.  Sur  le  Thabor,  Seigneur,  tu  t'es  transfiguré,  brillant 
comme  un  soleil  dans  la  nuée  lumineuse,  en  présence  des  saints  apôtres 
Pierre,  Jean  et  Jacques;  et  l'on  entendit  du  haut  du  ciel  une  voix  qui 
disait  :  «  Celui-ci  est  mon  Fils  bien-aimé,  en  qui  je  me  complais.  »  — 
Ton  humble  servante,  Seigneur,  te  supplie,  au  nom  de  ton  Fils  unique, 
de  guérir  ton  serviteur  N...  de  toute  fièvre,  érésipèle,  fièvre  des  marins,  | 

mal  de  dents,  ophtalmie {dix   mois   incompréhensibles,  on  devine 

qu'il  s'agit  de  maladies  contractées  dans  l'eau),  maladie  des  nerfs,  maladie 
des  articulations  et  toute  espèce  des  quatorze  fièvres.  Par  l'intercession 
de  ta  Mère  très  pure  et  du  très  saint  apôtre,  des  archanges  Michel,  Gabriel 
et  Raphaël;  des  hiérarques  Basile  le  Grand,  Grégoire  le  Théologien  et 
Jean  Chrysostome;  de  saint  Georges,  du  grand  martyr  Démétrius,  de  la 
martyre  Marine  et  de  sainte  Anastasie  la  Thaumaturge;  par  l'intercession 
des  trois  Enfants  sauvés  de  la  fournaise,  des  saints  Nicolas,  Karalambos, 
Eleuthère  et  tous  les  saints.  Nous  te  prions,  guéris  ton  serviteur  N...  — 
Saints  anargyres,  thaumaturges  et  médecins  de  l'univers,  guérissez  votre 
seiviteur  malade.  Vous  avez  reçu  gratis,  accordez-nous  gratis  saguérison.j 
—  Un  te  fascine,  deux  te  fascinent,  trois  te  guérissent  :  le  Père,  le  Fils  et 
le  Saint-Esprit. 

Depuis  plusieurs  siècles  peut-être,  cette  prière  se  transmet  par  tra- 
dition orale.  Le  texte  à  peu  près  indéchiffrable  qu'on  m'en  a  donné  a 
été  écrit  en  orthographe  phonétique  par  une  paysanne.  Mais,  grossiè- 
reté de  langage  mise  à  part,  il  est,  dans  Y  Euchologion  Méga,  des  oraij 
sons  qui  ne  la  valent  pas.  La  finale  seule,  qui  a  été  sûrement  ajoutéf 
avec  le  tropaire  des  anargyres,  donne  à  l'ensemble  une  allure  d'Ej^^V 
superstitieuse.  La  prière  elle-même  est  ce  qu'on  peut  appeler  une  'Eu'/V 
passe-partout,  c'est-à-dire  servant  pour  toutes  les  maladies,  car  le  plu! 
souvent  les  paysans  ne  savent  pas  au  juste  de  quoi  ils  souffrent. 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL  CHKZ  LES  GRECS  MODERNES       52  I 

Enumérant  toutes  les  maladies  connues,  la  sorcière  a  chance  d'exor- 
ciser la  véritabl?.  On  ferait  la  même  remarque  à  propos  des  exorcismes 
à  dire  sur  les  brebis  malades;  sont  énumérées  parfois  jusqu'à  vingt 
espèces  de  fièvres.  Ici,  il  y  en  a  une  dizaine,  plus  les  quatorze  incon- 
nues. Ce  qui,  dans  la  pensée  de  l'exorciseuse  et  des  paysans  rattache 
cette  prière  au  groupe  que  nous  étudions,  c'est  que,  par  eux,  la  cause 
de  la  maladie  est  attribuée  à  l'action  du  mauvais  œil. 

Les  personnages  invoqués  sont  assez  connus,  sauf  l'higoumène  Anas- 
tasie,  qui  est  nommée  la  dernière.  Née  à  Egine,  elle  y  vécut  dans  la 
prière,  au  cours  du  ix^  siècle,  y  dirigea  avec  succès  un  monastère  et 
mourut,  dit  sa  légende,  au  milieu  de  ses  caloyères,  en  récitant  des 
psaumes.  Son  office  est  au  propre  du  diocèse  latin  d'Athènes,  à  la  date 
du  7  septembre,  mais  les  Grecs  célèbrent  sa  mémoire  le  18  avril.  Une 
acolouthia  en  grec  d'école  a  été  récemment  imprimée  en  son  honneur. 
Mais  à  Egine  on  ne  sait  rien  d'elle,  ni  de  son  monastère,  ni  de  ses 
reliques.  Elle  y  a  seulement  dans  une  église  une  belle  icône  que  l'on 
orne  de  fleurs  le  jour  de  sa  fête  (i). 

On  reconnaîtra  dans  l'exorcisme  suivant,  en  usage  dans  l'île  de 
Sériphos,  la  phrase  liturgique  déjà  signalée  deux  fois. 

Venez,  Christ  et  Panaghia,  et  Saint-Esprit;  la  terré  s'ouvrit  et  les  mon- 
tagnes se  fendirent.  Anges  et  archanges,  je  te  confie  ton  serviteur  N... 
confirmé,  baptisé  et  remis  au  Christ  de  la  cime  à  la  racine.  Que  le  mal 
ne  se  pose  sur  lui  ni  un  jour,  ni  une  heure,  ni  une  demi-heure. 

Trois  jeunes  gens  de  vingt  ans  que  je  connais  ont  été  traités  pour 
la  Baskania.  Le  premier,  à  l'âge  de  douze  ans,  par  un  papas  qui  récita 
l'exorcisme  de  VEuchologion  mikron.  Le  deuxième  se  rappelle  seulement 
avoir  entendu  bredouiller  le  tropaire  des  anargyres;  des  autres  paroles, 
il  n'a  rien  compris.  L'exorciseuse  avait  fait  l'épreuve  des  trois  gouttes 
d'huile  dans  une  soucoupe  pleine  d'eau,  puis  elle  avait  jeté  le  mélange 
dans  la  rue,  ajoutant  que  si  un  passant,  homme  ou  femme,  marchait 
sur  la  terre  mouillée  par  ce  liquide,  il  «  prendrait  pour  lui-même  le 
mauvais  œil  ».  Quant  au  troisième,  qui  n'avait  que  huit  ans,  il  a  tout 
oublié,  mais  à  maintes  reprises  sa  mère  l'a  assuré  qu'étant  très  malade, 
il  avait  été  guéri  par  le  traitement  de  la  Baskania.  Le  deuxième,  qui 
a  perdu  toute  foi  positive  à  l'orthodoxie,  attribue  l'influence  pernicieuse 
du  mauvais  œil  à  la  puissance  magnétique  de  certains  individus.  Beau- 


(1)  'AxoXouôt'a  xal  pto;  tt^ç  'Aôava<Ttaç  tt];  'AtYtviiTt6oç,  in-8%  16  pages.  Athènes,  1897. 


522 


ECHOS    D  ORIENT 


coup  de  Grecs  pensent  de  même,  tant  est  enracinée  en  eux  cette 
absurde  croyance. 

Voici  encore  le  tropaire  des  anargyres  et  une  invocation  au  Sairft- 
Esprit  mélangés  à  d'insipides  fadaises. 

Saints  anargyres  et  thaumaturges,  qui  êtes  les  médecins  du  monde, 
guérissez  votre  serviteur  N...  —  Le  petit  de  l'ânesse,  que  sept  yeux  ne  le 
voient  pas.  —  L'Esprit-Saint,  le  Bon,  qui  dissipe  toute  maladie.  Si  c'est 
le  mati  (l'œil),  qu'il  devienne  poussière  qui  tourbillonne;  si  ce  n'est  pas 
le  mati,  qu'il  devienne  croix. 

La  rubrique  est  plus  déconcertante,  si  possible.  «  En  disant  ces 
paroles,  tu  jettes  dans  un  verre  d'eau  trois  gouttes  d'huile,  et  si  c'est 
le  mali,  elles  se  diluent.  Alors  tu  trempes  tes  doigts  dans  le  verre,  après 
y  avoir  mis  quelques  grains  de  sel,  et  tu  asperges  le  malade  de  la  tête 
aux  pieds,  en  comptant  5,  10,  15,  20,  25,  30,  35,  40.  » 

Ce  galimatias  est  à  l'usage  des  commères  de  l'île  d'Ydra. 


Dans  la  Mort  du  Pallihare,  qui  est  peut-être  son  chef-d'œuvre  e» 
prose,  le  poète  Kosti  Palamas  fait  un  remarquable  emploi  de  la  super- 
stition du  mauvais  œil  comme  motif  littéraire  (i).  Un  Vendredi-Saint, 
Mitros  Roumeliotis,  pêcheur  du  village  de  Thalassokori,  ayant  glissé 
sur  un  quartier  de  citron,  s'est  cassé  une  jambe  et  démis  la  rotule.  Le 
médecin  est  appelé;  puis  un  rebouteur  cupide  et  madré,  Kabanitsas, 
qui,  dans  toute  la  Roumélie  et  jusque  dans  la  moitié  de  la  Morée, 
jouit  d'une  universelle  renommée  ;  enfin  le  chirurgien  Kouzounopoulos 
qui,  durant  cinquante  jours,  aux  frais  de  la  mère  de  Mitros,  veuve  de 
Dimos,  mange,  boit  et  dort  à  l'égal  d'un  pacha  et  disparaît.  Mais  la 
jambe  ne  guérit  pas,  la  gangrène  s'y  est  mise.  Le  rebouteur  et  le  chi- 
rurgien ont,  contre  argent  comptant,  changé  en  maladie  mortelle  un 
accident  que  le  repos  eût  vite  réparé. 

Les  semaines  s'écoulent.  La  veuve  de  Dimos  «  depuis  plusieurs  mois 
réfléchissait  beaucoup.  Lentement  une  idée  envahissait  son  cerveau. 

On  avait  jeté  un  sort  à  son  fils La  mère  de  Morfo,  Yaroufalia,  qui 

tire  les  cartes  et  exorcise  les  démons,  avait  donné  le  mauvais  œil  à  son 
fils.  Le  sachant  fiancé  à.  Phroso  de  MéHssi,  elle  avait  voulu  le  nettoyer, 
Morfo,  sa  fille,  éconduite  et  jalouse,  ajoutaient  les  commères  amies»  ■ 


(i)  Traduit  en  français  par  Jean  d'Argos.  Athènes,  1907;  brochure  20/12  de  55  pages. 
J'ai  parfois  cité  littéralement  cette  remarquable  traduction. 


LA  BASKANIA  OU  LE  MAUVAIS  ŒIL  CHEZ  LES  GRECS  MODERNES      525 

avait  écrit,  sur  son  conseil,  le  nom  du  pêcheur  parmi  ceux  des  morts» 
et  avait  fait  déjà  célébrer  pour  lui  un  service  funèbre  au  bout  de  trois, 
de  neuf,  de  quarante  jours;  de  trois,  de  six  mois,  au  bout  de  l'an 
enfin.  Ces  envoûtements  sont  infaillibles,  et  celui  qui  en  est  l'objet 
peut  se  considérer  comme  perdu  ». 

C'est  d'ailleurs  ce  que  répond  une  sorcière  de  Patras  à  la  veuve,  après 
avoir  examiné  avec  attention  les  cheveux  du  blessé.  «  Ton  fils  ne  peut 
guérir.  On  l'a  terriblement  envoûté;  les  Arméniennes  (les  fées)  lui  en 
veulent.  Une  d'elles,  en  le  voyant,  a  porté  envie  à  sa  beauté,  l'a  poussé, 
l'a  renversé,  l'a  blessé.  »  Une  Juive  de  Jannina,  convertie  à  l'ortho- 
doxie, devine  également  que  les  coupables  sont  les  fées.  Elle  ordonne, 
comme  la  première,  des  herbes  calmantes;  tente  l'épreuve  du  soulier 
sur  le  toit  durant  la  nuit,  et  conclut  :  «  La  guérison  est  impossible.  Si, 
dès  le  début,  on  avait  eu  recours  aux  exorcismes  au  lieu  de  s'adresser 
aux  médecins,  il  aurait  été  sauvé.  » 

Mais  à  Lépante  vit  un  devin  fameux.  Taria  Tarela,  ami  de  la  veuve, 
s'en  va  le  trouver,  chargé  d'argent,  de  lettres,  d'objets  appartenant  à 
Mitros.  La  réponse  est  aussi  désespérante.  «  Prends-en  ton  parti,  mon 
ami.  Il  ne  faut  pas  demander  l'impossible.  Mitros  est  la  victime  d'en- 
voûtements terribles,  d'esprits  malfaisants.  Dès  aujourd'hui  vêtez-vous 
de  noir.  » 

Et  le  même  jour  du  Vendredi-Saint,  le  beau  pallikare,  que  des  vil- 
lages voisins  les  paysans  venaient  par  bandes  les  jours  de  fête  voir 
danser  les  danses  klephtes,  après  une  année  de  douleurs  atroces, 
expira.  Morfo,  la  perverse  et  curieuse  jeune  fille,  se  glisse  furtivement 
dans  la  maison  où  les  femmes  échevelées  chantent  autour  du  cadavre 
les  myrologuis.  A  sa  vue,  la  mère  éclate,  mais  Morfo,  avant  qu'on  ait 
pu  la  saisir  disparaît,  évanouie  comme  un  mauvais  rêve,  comme  un 
démon  enchanté.  «  Ah  !  bourreau,  c'est  toi  qui  l'as  tué!  Que  n'ai-je  un 
fusil  pour  te  tirer  dessus!  Mais  qu'importe!  tu  ne  l'as  pas  eu,  puisque 
la  Mort  l'a  enlevé.  » 


M.  Kosti  Palamas  affirme  qu'il  a  recueilli  ce  dramatique  récit  sur  les 
lèvres  de  sa  nourrice,  paysanne  simple  et  illettrée.  Enjolivées  ou  non, 
ces  pages  sont  un  témoin  exact  et  précis  des  croyances  populaires. 
L'aventure  banale  du  pallikare  Mitros  blessé  à  la  jambe,  soigné  par  un 
médecin  habile  qui  recommande  le  repos  et  la  patience,  et  envenimant 
comme  à  plaisir  sa  plaie  par  des  recettes  de  charlatans;  puis  recourant 
aux  exorcismes  et  à  la  sorcellerie,  dans  la  persuasion  que  son  mal  est 


524  ÉCHOS    D  ORIENT 


-dû  à  la  jalousie  d'une  jeune  fille  évincée;  sa  mère  et  ses  amis  s'asso- 
ciant  à  lui  dans  la  poursuite  folle  de  sorcières  ;  celles-ci  se  retranchant 
derrière  le  pouvoir  mystérieux  des  envoûtements  et  la  malveillance  des 
fées,  et  attribuant  leur  impuissance  à  guérir  au  manque  de  confiance 
du  malade,  qui  a  eu  la  fâcheuse  idée  de  recourir  d'abord  au  médecin, 
au  lieu  de  se  faire  exorciser;  malgré  ces  rebuts  et  ces  échecs,  le  pêcheur 
et  sa  mère  allant  trouver  un  autre  guérisseur;  finalement,  tout  le  vil- 
lage, la  jeune  fille  elle-même,  convaincus  que  Mitros  meurt  de  baskanie; 
voilà,  pour  qui  connaît  la  vie  des  paysans  grecs,  autant  de  détails  réels. 
Dans  les  villages  du  Magne  ou  de  la  Stéréa-Hellas,  combien  de  jeunes 
gens  tués  ainsi  bêtement  depuis  des  siècles,  comme  le  pallikare  Mitros, 
par  leur  famille  même  !  C'est  le  côté  tragique  et  odieux  de  la  supersti- 
tion. 11  serait  malaisé,  je  crois,  de  trouver  une  illustration  plus  appro- 
priée à  cette  étude  sur  la  Baskania  chez  les  Grecs  orthodoxes  modernes. 

Louis  Arnaud. 

Athènes. 


Il 


BULLETIN   DE   THÉOLOGIE   ORIENTALE 


I.  La  primauté  romaine  et  le  clergé  oriental  au  VII^  siècle.  — 
II.  Grégoire  Palamas  et  le  palamismë.  —  III.  Etudes  sur  la  théologie 
orthodoxe.  —  IV.  La  doctrine  de  la  satisfaction  dans  l'Eglise  russe. 

—  V.  La  Pénitence  et  l'Extrême-Onction  dans  l'Eglise  grecque.  — 
VI.  L'idée  morale  des  dogmes  de  la  Trinité,  de  l'Incarnation  et  de 
la  Rédemption  d'après  un  théologien  russe.  —  VIL  Le  dogme 
chrétien  au  point  de  vue  apologétique  d'après  un  théologien  russe. 

—  VIII.  L'Encyclopédie  théologique  russe. 

La  théologie  orientale  —  et  par  ce  mot  nous  entendons  spécialement 
la  théologie  de  l'Eglise  byzantine  et  de  ses  filles,  les  Eglises  autocéphales 
actuelles  —  commence  à  attirer  l'attention  des  Occidentaux.  Il  faut  s'en 
réjouir.  Trop  longtemps  peut-être  la  controverse  protestante  a  cbsorbé 
l'activité  de  nos  apologistes  et  de  nos  polémistes,  et  l'on  a  un  peu  oublié 
qu'en  dehors  des  disciples  de  Luther  et  de  Calvin,  il  existait  d'autres 
chrétiens  tout  aussi  intéressants,  plus  loin  de  nous  par  la  longitude,  mais, 
plus  près  par  leurs  croyances,  leurs  rites  et  leur  discipline.  En  dehors  du 
premier  volume  de  la  Theologia  dogmatica  orthodoxa  du  R.  P.  A.  Pal- 
mieri,  que  nos  lecteurs  connaissent  déjà  par  le  long  compte  rendu  que 
nous  lui  avons  consacré  (i),  il  a  paru  en  ces  dernières  années,  sur  la 
théologie  orientale,  un  certain  nombre  d'ouvrages  et  de  monographies 
qui  méritent  d'être  signalés.  De  ces  études,  les  unes  sont  dues  à  des 
plumes  catholiques,  d'autres  à  des  plumes  orthodoxes.  Si  les  premières 
sont  facilement  accessibles  à  tous  nos  lecteurs,  les  secondes  peuvent  en 
rebuter  plus  d'un  par  la  langue  en  laquelle  elles  ont  été  écrites.  Ce  sera 
pour  nous  une  raison  de  donner  de  ces  dernières  une  analyse  plus 
détaillée. 


Voici  d'abord  une  monographie  déjà  vieille  d'une  dizaine  d'années,^ 
qui  n'est  pas  dans  le  commerce  et  qui  mériterait  d'y  être,  sur  la  Primauté 
romaine  et  le  clergé  oriental  au  vn«  siècle  {5go-yi5){2).  L'auteur,  M.  l'abbé 
L.  Andrieux,  l'a  présentée  comme  thèse  pour  le  doctorat  à  la  Faculté 
libre  de  droit  canonique  de  Paris.  C'est  dire  qu'il  traite  surtout  son  sujef 


(i)  Voir  Echos  d'Orient,  novembre  ign,  p.  321-332. 

(2)  L.  Andrieux,  la  Primauté  romaine  et  le  clergé  oriental  au  vu*  siècle  (590-715). 
Le  Puy,  Prades-Freydier,  1903,  in-8%  vni-i5o  pages. 


526  ÉCHOS    d'orient 


du  point  de  vue  canonique.  Mais  vraiment  ce  point  de  vue,  attendu  qu'il 
s'agit  du  vii«  siècle,  paraît  un  peu  superficiel.  Ce  n'est  un  mystère  pour 
personne  qu'il  n'existait  pas  à  cette  époque  de  lois  canoniques  fixes 
réglant  les  rapports  du  Pape  avec  le  clergé  oriental.  Le  concile  de  Sar- 
dique  avait  bien  déterminé  la  procédure  à  suivre  dans  les  cas  d'appel, 
mais,  dans  le  fait,  cette  procédure,  tout  en  étant  consignée  dans  les  col- 
iections  canoniques,  était  restée  à  peu  près  lettre  morte.  Le  Pape  inter- 
venait dans  les  affaires  des  Eglises  orientales  quand  et  comme  il  le  jugeait 
à  propos,  et  cela  arrivait  presque  toujours  lorsque  la  foi  était  en  jeu.  C'est 
bien  la  conclusion  générale  qui  se  dégage  du  travail  de  M.  L.  Andrieux, 
travail  fort  consciencieux,  dénotant  une  lecture  attentive  des  sources, 
mais  dont  l'allure  naturelle  est  entravée  par  le  souci  de  manœuvrer  sur 
un  terrain  canonique  inexistant.  Aussi,  c'est  surtout  par  son  contenu 
dogmatique  que  cette  étude  présente  de  l'intérêt. 

Un  premier  chapitre  nous  apprend  quelle  idée  on  se  faisait  de  la  pri- 
mauté romaine  au  vu*  siècle,  tant  en  Occident  qu'en  Orient.  Cette  pri- 
mauté, une  primauté  effective  et  non  purement  honorifique,  était  partout 
reconnue,  et  on  lui  attribuait  généralement  une  origine  divine.  Certains 
Orientaux  cependant  affectaient  d'ignorer  cette  origine  pour  cacher  le 
calcul  de  leurs  ambitions.  Ces  tentatives,  qui  avaient  déjà  commencé  au 
concile  de  Constantinople,  en  38 1,  allèrent  en  s'accentuant  au  cours  de 
la  controverse  monothélite,  et  trouvèrent  leur  expression  la  plus  auda- 
cieuse dans  les  canons  du  concile  in  Trullo  (en  691,  non  en  692,  comme 
il  est  dit  p.  89).  C'est  pourquoi  nous  ne  saurions  souscrire  à  la  conclusion 
de  l'auteur,  p.  29,  «  qu'au  vu*  siècle  l'idée  romaine  fit  de  grands  progrès 
en  Orient  ».  Nous  croyons,  au  contraire,  qu'il  y  eut  recul  prononcé. 
«  L'époque  type  des  anciennes  relations  de  l'Evêque  de  Rome  avec 
l'Eglise  d'Orient  »  (p.  i)  n'est  pas  le  vu*  siècle,  mais  la  période  qui  va  de 
l'affaire  de  saint  Jean  Chrysostome  à  la  fin  du  schisme  d'Acace.  Telles 
affirmations  qui  se  rencontrent  dans  ce  premier  chapitre  comme  dans  les 
suivants  décèlent  une  connaissance  incomplète  de  la  doctrine  et  de 
l'exercice  de  la  primauté  dans  les  siècles  précédents. 

Le  chapitre  deuxième  étudie  les  relations  du  Pape  avec  les  patriarches 
orientaux.  Après  avoir  parlé  des  manœuvres  des  patriarches  de  Constan- 
tinople pour  s'égaler  au  Pontife  romain  et  lui  disputer  la  préséance,  l'au- 
teur s'attache  à  montrer  que  le  Pape  n'intervenait  pas  d'une  manière 
habituelle  dans  la  nomination  des  patriarches  orientaux  et  la  confir- 
mation de  leur  élection.  D'après  lui,  «  quoi  qu'on  en  ait  dit,  l'usage  dei 
lettres  synodales  n'impliqua  jamais,  ni  de  la  part  des  patriarches  une 
demande,  ni  de  la  part  des  Papes  l'octroi  d'une  confirmation  quelconque  >; 
(p.  59).  L'affirmation  est  peut-être  un  peu  trop  radicale.  Nous  concédons 
volontiers  à  l'auteur  que  les  formalités  canoniques  de  la  nomination  e 
de  la  confirmation  n'étaient  pas  en  usage;  mais  il  ne  faut  pas  oublier  qu( 


BULLETIN    DE   THÉOLOGIE   ORIENTALE  ^27 


le  Pape  était  universellement  considéré  comme  le  centre  de  la  commu- 
nion ecclésiastique,  et  que,  dès  lors,  ses  réponses  aux  lettres  synodales 
des  patriarches  constituaient  comme  une  sorte  de  confirmation  implicite 
de  l'élection  de  ceux-ci.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  que  chaque  fois  qu'un 
patriarche  était  suspect  d'hérésie,  le  Pape  s'assurait  de  son  orthodoxie 
avant  de  l'accepter  à  sa  communion.  On  a  même  deux  ou  trois  exemples 
de  confirmation  en  termes  exprès.  Il  ne  convient  donc  pas  de  dire  «  que 
le  Pape  ne  jouissait  pas  du  droit  de  confirmer  l'élection  des  patriarches  ». 
Il  avait  parfaitement  ce  droit,  mais  il  n'en  usait  formellement  qu'en  de 
rares  circonstances,  quand  les  intérêts  de  la  foi  l'exigeaient. 

Pour  établir  que  l'Evêque  de  Rome  n'avait  aucune  part  dans  l'élection 
des  patriarches,  l'auteur  nous  paraît  citer  à  contre-sens  un  passage  d'une 
lettre  du  pape  Martin  I"  à  Pantaléon.  Dans  cette  lettre,  le  Pape  déclare 
qu'il  a  nommé  Etienne  de  Dora  son  vicaire,  pour  établir  dans  le  patriarcat 
de  Jérusalem  des  évêques,  des  prêtres  et  des  diacres,  embarrassé  qu'il  a 
été  de  donner  un  patriarche  au  siège  de  Jérusalem  :  Quoad  potestas  nobis 
dejuit,  ad  promopendum  patriarcham  Hierosolymorum  (en  grec  :  êo  "6'so^ 
•:Tpa/0-r,vai  Trarptao/TiV  'l£po<ToXu[JL03v  I^TjTropTjtrajxev.  Mansi,  X,  821).  M.  Andrieux 
entend  cet  embarras  d'une  impuissance  canonique  :  «  Je  ne  saurais 
nommer  un  patriarche  de  Jérusalem,  déclare  sans  ambages  le  pape 
Martin  I"  à  Pantaléon.  »  (P.  40.)  Cette  interprétation  jure  avec  tout  le  con- 
texte. Comment  le  Pape,  qui  se  croyait  le  droit  d'exercer  par  son  vicaire 
les  fonctions  patriarcales  dans  le  diocèse  de  Jérusalem,  se  serait-il  senti 
impuissant  à  pourvoir  au  siège  de  cette  ville,  alors  que,  dans  cette  même 
lettre  à  Pantaléon,  saint  Martin  I®""  affirme  avoir  reçu  de  Dieu  la  mission 
de  venir  au  secours  des  Eglises  en  détresse?  Evidemment,  le  Pape  veut 
parler  d'une  impuissance  de  fait  tenant  aux  circonstances,  non  d'une 
impuissance  de  droit. 

Ajoutons  qu'on  ne  voit  pas  pourquoi  les  Papes,  qui,  de  l'aveu  de 
M.  Andrieux,  se  sont  permis  parfois  de  déposer  des  patriarches  orientaux, 
auraient  reculé  devant  une  nomination. 

Au  VII®  siècle,  les  évêques,  le  bas  clergé  et  les  moines  orientaux  entre- 
tiennent avec  l'Evêque  de  Rome  des  rapports  relativement  fréquents. 
C'est  ordinairement  pour  demander  aide  et  protection  contre  les  persé- 
cutions et  les  abus  des  patriarches  inféodés  à  la  politique  religieuse  des 
empereurs.  Ces  appels  constituent  une  des  preuves  les  plus  frappantes 
de  l'universelle  juridiction  du  Pape.  Tout  comme  de  nos  jours,  de 
simples  prêtres  en  appelaient  directement  au  Saint-Siège  des  décisions 
de  leurs  supérieurs  immédiats.  Les  moines  faisaient  de  même.  L'auteur 
cite  même  un  exemple  d'appel  d'une  décision  du  sixième  œcuménique. 
Les  appelants,  le  prêtre  Anastase  et  le  diacre  Léonce,  obtinrent  gain  de 
cause  auprès  du  pape  Léon  II  (ch.  m). 

L'Evêque  de  Rome  exerçait  aussi  son  autorité  tant  sur  les  conciles 


528  ÉCHOS    d'orient 


particuliers  que  sur  les  conciles  généraux.  Le  cas  du  pape  Honorius 
condamné  par  le  vi«  concile  n'y  contredit  pas,  comme  l'auteur  le  fait  bien 
ressortir,  encore  qu'il  soit  porté  à  exagérer  l'importance  du  fait  en  y 
voyant  une  manifestation  du  vieux  droit  public  ecclésiastique.  Malgré 
les  attitudes  contradictoires  prises  par  eux  aux  deux  conciles  de  680  et 
de  691,  les  Orientaux  s'accordèrent  toujours  à  reconnaître  la  nécessité 
pour  un  concile  œcuménique  d'être  confirmé  par  le  Pape.  Delà  les  inutiles 
instances  qu'ils  firent  pour  obtenir  la  confirmation  du  concile  in  Trullo 
(ch.  iv). 

Le  cinquième  et  dernier  chapitre  sur  les  agents  du  Saint-Siège  en 
Orient  :  apocrisiaires,  légats,  vicaires,  achève  de  montrer  comment  à 
cette  époque,  où  l'on  était  déjà  si  près  du  schisme,  l'Evêque  de  Rome  exer- 
çait en  Orient  une  véritable  primauté  de  juridiction  sur  tous  les  membres 
de  l'Eglise.  Et  dire  que  les  théologiens  orthodoxes  affectent  encore  de 
nos  jours  de  croire  et  ne  craignent  pas  d'enseigner  que  la  primauté  tut 
une  invention  du  pape  saint  Nicolas  I",  au  milieu  du  ix«  siècle!  11  esta 
souhaiter  que  M.  l'abbé  Andrieux  livre  au  public  à  leur  intention  une 
édition  revue  et  augmentée  de  sa  thèse,  débarrassée  de  toutes  les  préoc- 
cupations canoniques  qui  entravent  sa  marche  triomphante  sur  le  terrain 
dogmatique,  le  seul  important,  le  seul  réel  aussi  d'après  nous.  Dans  cette 
future  édition,  on  aimera  trouver  un  peu  plus  de  conformité  à  l'usage 
reçu  dans  la  transcription  des  noms  propres  grecs.  Ainsi,  Serge  et  Cyr 
pourront  devenir  sans  inconvénient  Sergius  et  Cyrus,  à  moins  qu'on  ne 
préfère  dire  Serge,  Cyr  et  Pyrrhe!  De  même  Sophronius  pourrait  être 
transformé  en  Sophrone.  Dora  sonnera  mieux  que  Dor,  et  les  Blakhernes 
que  Blacherna. 

* 
*  * 

La  monographie  de  M.  Grégoire  Papamikhaïl,  directeur  du  Phare 
ecclésiastique  (i),  sur  «  saint  Grégoire  Palamas  »  (2)  est,  comme  l'ouvra 
précédent,  une  thèse  présentée  en  igoS  à  l'Académ  e  ecclésiastique  de  Sain 
Pétersbourg  pour  le  diplôme  de  fin  d'études,  et  publiée  l'an  dernier  avec 
retouches  et  additions.  L'auteur  a  voulu  mettre  en  relief  le  rôle  joué  par 
Grégoire  Palamas  dans  la  controverse  hésychaste  du  xiv«  siècle,  et  il  y  a 
assez  bien  réussi.  Mais  c'a  été  un  peu  aux  dépens  des  autres  protagonistes, 
tels  que  Barlaam,  Acindyne  et  Nicéphore  Grégoras.  Palamas  étant  pour 
M.  Papamikhaïl  le  champion  de  l'orthodoxie  —  M.  Papamikhaïl  est,  ai 
xx^  siècle,  un  des  rares  et  peut-être  le  seul  palamite  qui  existe  encore,  — 


(i)  Organe  du  patriarcat  orthodoxe  d'Alexandrie. 

(2)  'O  ayto?  rpY)Y(5ptoî  TlaXap-a;.  Alexandrie,  imprimerie  patriarcale,  191 1,  in-8°,  vffi 
238-xi  pages.  Prix  :  5  francs.  Grégoire  Palamas  fut  canonisé  solennellement  au  synoJ 
constantinopolitain  de  i368  par  son  ancien  ami,  le  patriarche  Philothée.  D'abord  fix| 
au  14  novembre,  sa  fête  fut,  dans  la  suite,  transportée  au  II"  dimanche  de  Carême 
dimanche  de  l'Orthodoxie. 


BULLETIN    DE   THÉOLOGIE    ORIENTALE  529 


il  était  inévitable  que  les  antipalamites  fussent  par  lui  assc?  malmenés. 
De  fait,  le  Calabrais  est  passablement  noirci  dans  son  tableau.  Il  nous  le 
présente  comme  une  sorte  de  propagandiste  aux  intentions  machiavé- 
liques, cherchant  par  tous  les  moyens  à  discréditer  le  monachisme  atho- 
nite.  qui  contrecarrait  ses  projets  unionistes.  Car.  aux  yeux  de  M.  Papa- 
mikhaïl,  un  des  grands  torts  de  Barlaam  et  des  autres  adversaires  de 
Palamas  fut  ce  que  j'appellerai  le  latinophronisme,  la  tendance  à  faire 
■cesser  le  schisme  et  à  s'unir  avec  Rome.  La  haine  quelque  peu  farouche 
que  le  directeur  du  Phare  ecclésiastique  ^or\.e  au  catholicisme  lui  a  rendu 
impossible  une  appréciation  exacte  et  sereine  des  événements,  des  per- 
sonnes et  des  doctrines. 

C'est  ainsi  qu'il  n'a  fait  aucun  effort  sérieux  pour  saisir  la  pensée  du 
Calabrais  et  de  ses  disciples:  Acindyne,  Démétrius  Cydonius,  etc.,  qui 
n'était  pas  autre  chose  que  la  doctrine  de  saint  Thomas  d'Aquin  sur  l'es- 
sence et  les  attributs  de  Dieu,  doctrine  actuellement  professée  par  les 
théologiens  orthodoxes,  tels  que  le  Grec  Androutsoset  le  Russe  Sylvestre. 
Il  est  vrai  que  M.  Papamikhaïl  considère  cette  doctrine  comme  une 
hérésie  (p.  100^,  sans  se  préoccuper  de  savoir  comment  il  pourra  s'en- 
tendre avec  ses  confrères  en  orthodoxie,  mais  n'est-ce  pas  un  peu  parce 
qu'il  juge  de  l'enseignement  des  antipalamites  d'après  les  déductions 
fantaisistes  de  Grégoire  Palamas? 

La  doctrine  hésychaste  elle-même  touchant  l'essence  divine,  la  lumière 
thaborique  et  les  autres  opérations  divines  n'est  pas  exposée  avec  toute 
la  précision  désirable.  Quelle  sorte  de  distinction  Palamas  et  ses  disciples 
admettaient-ils  entre  l'essence  de  Dieu  et  ses  opérations?  L'auteur  ne  le 
dit  n  lie  part  d'une  manière  claire.  Je  sais  que  le  problème  est  délicat, 
mais  il  est  capital  et  bien  capable  de  tenter  la  curiosité  d'un  jeune  théo- 
logien. 

Des  citations  des  écrits  de  Palamas  données  dans  l'ouvrage,  on  peut 
déduire  les  conclusions  suivantes  sur  la  doctrine  du  grand  docteur 
hésvchaste  : 

I"  Les  opérations  ou  énergies  divines  (êvéoyetat,  Oeottjtsç)  sont  distinctes 
de  l'essence  divine  et  entre  elles  comme  les  personnes  de  la  Trinité  sont 
distinctes  de  l'essince  divine  et  entre  elles; 

2^  L'essence  divine  est  en  elle-même  imparticipable  et  Inaccessible  aux 
créatures,  même  d'une  manière  surnaturelle.  Les  créatures  ne  peuvent 
participer  qu'aux  opér  tions  divines,  qui  sont  éternel  es,  incréées  et  infé- 
rieures en  quelque  manière  à  l'essence  ; 

3°  Un  défaut  capital  du  système  palamite  est  de  ne  pas  distinguer  dans 
l'action  divine  le  point  de  départ  et  le  point  d'arrivce,  l'acte  divin  con- 
sidéré en  Dieu  et  l'effjt  créé  qu'il  produit  au  dehor>  ; 

4°  La  grâce  et  la  gloire  (c'est-à-dire  la  participation  à  la  lumière  divine, 
ou  lumière  thaborique)  sont  quelque  chose  d'incréé.  Ceux  qui  participent 
Échos  d'Orient,  t.  XV.  34 


?,?^ 


ECHOS    D  ORIENT 


à  celte  lumière  méritent  de  recevoir  les  attributs  divins.  On  peut  les  appeler 
éternels,  incréés,  divins  Qi  dieux  (àvap/ot,  àxTi^xoi,  àioio'.,  ôeïo;,  Osot); 

5°  La  lumière  thaborique  peut  être  vue,  non  pas  naturellement,  mais 
surnaturellement,  par  les  yeux  du  corps. 

Il  faut  ajouter  que  Grégoire  Palamas  a  couvert  de  son  approbation  les 
pratiques  mécaniques  peu  décentes  employées  par  les  moines  athonites 
pour  se  procurer  la  vision  de  la  lumière  thaborique.  D'après  lui,  la  loi 
de  péché  dont  parle  l'Apôtre  ayant  toute  sa  force  concentrée  dans  le 
nombril,  il  convient  que  l'homme  spirituel,  pour  mieux  réagir  contre 
elle,  concentre  aussi  sur  ce  point  toutes  ses  énergies  par  un  regard  tixe  et 
continu,  qui  empêche  les  divagations  de  l'esprit.  Par  cette  méthode,  on 
arrive  à  enfermer  l'esprit  dans  le  cœur,  qui  est  son  siège  naturel.  La 
rétention  de  la  respiration  contribue  aussi  à  ce  résultat  d'une  manière 
efficace,  car,  dit  Palamas,  «  il  arrive  parfois  que  la  chaleur  et  la  ferveur 
de  l'esprit  s'échappent  par  le  nez  d'une  manière  ineffable  ».  (Voir  p.  -j^ 
et  196-197.)  Le  prophète  Elle  aurait  usé  déjà  de  ces  procédés  de  contem- 
plation. 

Disons  à  ce  propos  que  M.  Papamikhaïl,  qui  accepte  tout  du  palamisme 
comme  faisant  bloc  avec  l'Orthodoxie,  même  la  concentration  sur  le 
nombril  (1),  cherche  à  montrer  que  ces  drôleries  mystiques  furent  pour 
l'ascèse  orientale  non  une  déviation,  mais  une  rénovation  et  la  reprise 
d'une  tradition  ancienne,  dont  le  secret  commençait  à  se  perdre  au 
moment  où  Grégoire  le  Sinaïte  aborda  à  l'Athos.  Inutile  de  dire  qu'il 
n'arriva  pas  à  prouver  sa  thèse  et  à  faire  des  hésychastes  du  xiv^  siècle  les 
fidèles  disciples  des  grands  mystiques  orientaux  des  siècles  précédents. 
Même  si  l'authenticité  d'un  sermon  attribué  à  Siméon  le  nouveau  théo- 
logien, où  la  manœuvre  hypnotisatrice  est  décrite,  était  établie,  cela  nf 
reporterait  pas  plus  haut  qu'au  xi'^  siècle  l'invention  du  secret  pour  voi^ 
la  lumière  thaborique,  secret  dont  on  cherchera  vainement  la  trace  dans 
les  écrits  des  anciens  ascètes  qui  ont  illustré  l'Eglise  orientale.  L'archi* 
mandrite  Thémistoclis  Stauros  a  donc  eu  raison  d'affirmer  que  les  prart 
tiques  hésychastes  du  xiv^  siècle  constituaient  une  adultération  de  la 
mystique  des  anciens,  et  M.  Papamikhaïl  a  été  bien  mal  inspiré  de  lu 
chercher  querelle  sur  ce  point. 

Palamas  n'a  pas  seulement  écrit  sur  la  lumière  thaborique;  il  a  aussi 
bataillé  contre  les  Latins  et  s'est  occupé  en  particulier  de  la  question  d^ 
la  procession  du  Saint-Esprit.  Quoi  qu'en  puisse  penser  M.  Papamikhaïl^ 
il  ne  me  paraît  pas  démontré  qu'il  ait  nié  ce  qui  fait  le  fond  du  dogme 
catholique  de  la  procession  du  Saint-Esprit  ab  utroqiie.  Il  considère,  en 
effet,  la  troisième  personne  de  la  Trinité  comme  l'amour  réciproque  du 


(i)  Voir  son  compte  rendu  de  l'ouvrage  de  M.  Thémistoclis  X.  Stauros,  sur  la  con 
troverse  hésychaste,  dans  la  Nsà  Skov,  t.  IV  (1906),  p.  565,  où  la  doctrine  de  Palama: 
même  Trepl  ■zr\^  et;  tov  6i;,5a>.bv  (juy/'-îv-pwaîwç  xoy  vovl  est  déclarée  opôoSoïciTârr,- 


BULLETIN    DE    THEOLOGIE    ORIENTALE  53  I 

Père  et  du  Fils,  leur  commun  baiser,  leur  aspiration  commune,  compa- 
raison chère  à  la  théologie  latine  :  "éo<.);  tiç  àTîôpoYiTo;  toù  revvT,Topoç  tcûoç  tôv 

Aoyov.  ('•)  y.<x\  b  Aoyo;  yoY,~a'.  r.zo;  tov  Tewt-^tocx. 

Il  est  regrettable  que  l'auteur  n'ait  pas  donné  un  résumé  complet  de 
toute  la  théologie  du  docteur  hésychaste.  Ses  nombreuses  homélies  sont 
riches  de  contenu  dogmatique.  On  y  trouve  en  particulier  des  affirmations 
très  claires  sur  la  primauté  de  saint  Pierre  et  l'Immaculée  Conception  de 
la  Mère  de  Dieu. 

Dans  le  chapitre  m  de  son  ouvrage,  M,  Papamikhaïl  a  fait  des  efforts 
louables  pour  débrouiller  l'histoire  de  la  controverse  hésychaste  et  en 
marquer  le  développement  progressif.  S'il  n'a  pas  réussi  à  éclaircir  com- 
plètement la  question  des  synodes  de  l'année  1341,  il  a  émis  du  moins 
une  hypothèse  très  plausible.  Ce  qu'on  peut  lui  reprocher,  c'est  de  n'avoir 
pas  suffisamment  mis  en  lumière  l'influence  des  événements  politiques 
sur  la  marche  de  la  querelle.  Ainsi  on  aura  quelque  peine  à  admettre  que 
la  régente  Anne  Paléologine  se  soit  tournée  vers  le  palamisme,  après  1347, 
par  une  conviction  bien  arrêtée  et  non  pour  des  motifs  politiques.  L'au- 
teur se  montre  aussi  trop  crédule  en  acceptant  sans  discussion  les  miracles 
attribués  à  Palamas. 

Le  dernier  chapitre  consacré  à  l'analyse  des  ouvrages  de  Palamas  est 
fort  intéressant,  bien  que  la  liste  des  écrits  inédits  ne  soit  pas  complète. 
Malgré  ses  erreurs,  le  docteur  hésychaste  fut  l'un  des  théologiens  et  des 
orateurs  les  plus  remarquables  du  xiv^  siècle  byzantin.  Une  étude  appro- 
fondie de  sa  doctrine  présenterait  le  plus  grand  intérêt  pour  l'histoire  de 
la  théologie  byzantine.  Nous  souhaitons  qu'après  ce  premier  essai  qui, 
malgré  les  imperfections  signalées,  possède  une  réelle  valeur,  M.  Grégoire 
Papamikhaïl  nous  donne  dans  un  avenir  prochain  l'ouvrage  définitif  que 
le  monde  savant  attend  encore  sur  la  théologie  de  Grégoire  Palamas. 


La  première  série  des  Etudeis  sur  la  théologie  orthodoxe  (i)  de  Dom 
Placide  de  Meester  est  un  recueil  d'articles  publiés  en  ces  dernières  années 
dans  la  Revue  bénédictine.  L'auteur  y  résume  l'enseignement  des  princi- 
paux manuels  de  théologie  dogmatique  actuellement  en  usage  dans  les 
Séminaires  des  Eglises  autocéphales  sur  les  traités  suivants  :  De  Deo 
uno,  trino,  créante  et  gubej'nante.  Ces  Etudes  ne  donnent  qu'une  idée 
très  imparfaite  de  la  pensée  théologique  des  milieux  orthodoxes  à  l'heure 
actuelle,  par  le  fait  qu'elles  ne  font  connaître  que  les  thèses  des  manuels 
classiques,  thèses  qui  sont  loin  d'être  admises  par  tous  les  orthodoxes 
qui  s'occupent  de  théologie.  Car  il  règne  une  grande  variété  de  doctrines 
et  d'opinions  dans  les  Eglises  autocéphales  sur  à  peu  près  toutes  les  ques- 


(i)  D.  Placide  de  Meester,  O.  S.  B.,  Etudes  sur  la  théologie  orthodoxe.  Première 
série.  Abbaye  de  Maredsous,  191 1,  in-8°,  ii-iry  pages. 


532 


ECHOS    D  ORIENT 


lions  qui  n'ont  pas  été  définies  par  les  sept  conciles  oecuméniques.  On 
ne  s'en  douterait  guère  en  lisant  les  Etudes  de  D.  Placide  de  Meester.  Ce 
qui  leur  manque,  c'est  l'ampleur  de  l'information,  i  es  coups  d'œil  qui 
sont  jetés  çà  et  là  sur  la  théologie  du  passé  n'embrassent  qu'un  horizon 
fort  restreint  :  Nicolas  Coursoulas,  Eugène  Boulgaris  et  son  élève,  Atha- 
nase  de  Paros,  voilà  à  peu  près  les  seuls  représentants  de  la  théologie 
grecque  aux  xvii*  et  xviii^  siècles,  que  l'on  signale,  en  dehors  des  confes- 
sions de  foi. 

Un  seul  point  a  été  traité  d'une  manière  satisfaisante  :  la  doctrine 
actuelle  des  théologiens  russes  et  grecs  sur  l'état  primitif  de  l'homme  et 
le  péché  originel  (p.  yy-ioS,  à  peu  près  le  quart  de  l'ouvrage).  Ceux  qui 
s'occupent  de  théologie  orientale  sauront  gré  à  l'auieur  d'avoir  donné, 
en  vingt-huit  pages,  un  résumé  clair  d'un  ouvrage  qui  ne  l'est  guère;  je 
veux  parler  du  De  doctrina  Russorum  de  statu  justitiœ  originalis,  de 
M.  l'abbé  Matulewicz.  Par  contre,  ce  qui  est  dit  de  la  prédestination  est 
tout  à  fait  insuffisant. 

L'auteur  paraît  considérer  la  confession  de  foi  de  Métrophane  Crito- 
poulos  comme  un  livre  symbolique  de  l'Eglise  orthodoxe,  malgré  les 
protestations  réitérées  des  théologiens  de  cette  Eglise  contre  cette  manière 
de  vo'r.  Je  me  demande  aussi  où  il  a  trouvé  que  le  symbole  de  saint 
Athanase  jouit  d'un  grand  crédit  dans  l'Eglise  grecque  (p.  28,  n.  3).  Pour- 
quoi l'expression  «enseignement  trinitariste  »,  au  lieu  de:  «enseigne- 
ment trinitaire  »,  et  que  peut  bien  être  «  un  triangle  ou\ert  »  (p.  49)? 
On  ne  connaît  point  de  patriarche  de  Constantinople  qui  se  soit  appelé 
Grégoire  VII  (p.  3,  n.  5).  Christianskoié  Tchtenie  doit  se  traduire  par  la 
Lecture  chrétienne  et  non  par  les  lectures  chrétiennes  (p.  8,  n.  2).  L'aperçu 
historique  sur  la  controverse  du  Filioque  abonde  en  lacunes  et  en  inexac- 
titudes (p.  33-35).  C'est  ainsi  qu'on  fait  écrire  une  lettre  aux  Espagnols, 
au  vi^  siècle,  par  le  pape  saint  Martin  I",  lettre  qui  aurait  scandalisé  les 
habitants  de  Constantinople,  au  témoignage  de  saint  Maxime. 


* 
*  * 


Des  quatre  chapitres  qui  constituent  l'excellente  monographie  du 
R.  P.  A.  Bukowski  sur  la  satisfaction  pour  les  péchés  d'après  la  doctrine 
de  l'orthodoxie  russe  (i),  les  deux  premiers  avaient  déjà  paru  dans  les 
Weidenauer  Studien,  t.  II  et  III.  Ils  traitent  respectivement  de  l'ensei- 
gnement des  confessions  de  foi  et  des  théologiens  russes  sur  la  satisfaction 
principale  fournie  par  le  Rédempteur  et  la  satisfaction  secondaire  qui 


(i)  Alois  Bukowski,  S.  J.,  Die  Genugtuung  fur  die  Siinde  nacli  der  Auffassung 
d  r  ssischen  Orthodoxie.  Ein  Beitrag  ^ur  Wiirdigung  der  Lehrunterschiede 
xwischen  der  morgenlœndisch-orthodoxen  und  der  roemisch-Katholischen  Kirche, 
t.  XI,  1"  cahier  des  Forschungen  \ur  christlichen  Literatur  und  Dngmengeschichte. 
Paderborn,  F.  Schœningh,  igii,  in-8°,  viii-212  pages.  Prix  :  6  marks. 


BULLETIN    DE   THÉOLOGIE   ORIENTALE  S33 

est  à  la  charge  de  l'homme  pécheur  en  union  avec  Jésus-Christ,  soit  avant, 
soit  après  la  justification.  Ces  deux  chapitres  ayant  déjà  été  analysés 
dans  cette  revue  {Echos  d'Orient,  t.  XIII,  19 [o,  p.  3i2-3i3),  nous  jugeons 
inutile  d'y  revenir.  Nous  nous  contenterons  seulement  de  rappeler  que, 
d'après  les  théologiens  russes  actuels,  la  pénitence  ou  épitimie  imposée 
par  le  confesseur  pour  les  péchés  pardonnes  n'est  aucunement  satisfac- 
toire,  mais  seulement  médicinale. 

Le  chapitre  m  est  un  court  aperçu  sur  la  polémique  des  théologiens 
russes  contre  la  doctrine  catholique  des  indulgences  ou,  pour  parler  plus 
exactement,  contre  les  absurdités  gratuitement  prêtées  à  l'Eglise  catho- 
lique par  des  esprits  nébuleux,  qui  ont  brodé  sur  un  canevas  fourni  par 
les  protestants  allemands.  La  doctrine  des  indulgences  est,  en  effet,  l'une 
de  celles  que  les  théologiens  orthodoxes  en  général,  et  les  théologiens  russes 
en  particulier,  travestissent  de  la  manière  la  plus  invraisemblable.  Des 
exemples  feront  comprendre.  Un  certain  Vinogradof  écrivait  récemment 
dans  son  catéchisme  à  l'usage  des  gymnases  (Moscou,  1908)  :  «  Les  indul- 
gences sont  des  attestations  écrites  du  pardon  des  péchés  données  moyen- 
nant finance.  Il  y  a  des  indulgences  plénières,  celles  qui  s'étendent  à  toute 
la  vie  et  à  tous  les  péchés,  les  péchés  à  venir  comme  les  péchés  passés, 
et  des  indulgences  partielles,  qui  ne  remettent  qu'une  partie  des  peines 
et  ne  délivrent  du  souci  de  ses  péchés  que  po  jr  quelques  jours  ou  quelques 
années.  »  (P.  i35.)  Un  autre,  M.  Malinovski,  qui  vient  d'écrire  un  cours 
de  théologie,  nous  apprend  que  «  la  Sacrée  Pénitencerie  fut  instituée  pour 
délivrer  à  tous  les  solliciteurs,  d'après  un  tarif  précis  et  détaillé,  des  bil- 
lets d'absolution  »  (p.  iSy).  Le  même  cite,  à  l'appui  d'autres  affirmations 
tout  aussi  étranges,  le  témoignage  d'un  rédacteur  du  Rouskoié  Slopo, 
qui,  ayant  vu  affiché  au  portail  de  la  cathédrale  d'Amiens  le  tarif  des 
chaises,  crut  qu'il  s'agissait  du  tarif  des  indulgences,  et  s'empressa  d'an- 
noncer à  grands  fracas  sa  découverte  à  toutes  les  Russies.  Un  tronc  pour 
les  pauvre'î,  suspendu  tout  près  de  l'affiche,  avait  été  pris  pour  le  coffret 
où  l'on  déposait  le  prix  de  ses  péchés.  Il  fallut  un  démenti  de  l'évéque 
^'Amiens,  envoyé  à  un  prêtre  catholique  de  Pétersbourg,  pour  détruire 
la  légende.  La  rectification  n'était  pas  encore  parvenue  aux  oreilles  de 

r.  Malinovski,  quand  il  a  publié  sa  dogmatique. 
Tout  n'est  pas  aussi  anodin  cependant  dans  les  attaques  des  ihéolo- 
Igiens  russes  contre  nos  indulgences.  Certains,  à  la  suite  de  Macaire, 
jurent  la  conclusion  qui  ressort  logiquement  de  la  négation  de  la  peine 
temporelle  due  au  péché  pardonné  et  du  caractère  sati-factoire  des  épiti- 
mies.  L'indulgence  portant  sur  la  rémission  de  la  peine  temporelle,  il  est 
évident  que  si  celle-ci  n'existe  pas,  celle-là  n'a  plus  de  raison  d'être. 
1  Relativement  à  la  satisfaction  d'outre-tombe,  objet  du  chapitre  iv,  les 
théologiens  russes  et  leurs  livres  symboliques  ne  s'entendent  que  sur 
deux  points  :  1°  Certaines  âmes  qui  n'ont  pas  été  admises  à  la  béatitude 


534  ÉCHOS    D  ORIENT 


aussitôt  après  leur  mort  peuvent  y  parvenir  grâce  à  l'intercession  des 
vivants;  2" ces  âmes  ne  peuvent  rien  pour  améliorer  leur  sort;  leurs  souf- 
frances elles-mêmes  ne  contribuent  en  rien  à  leur  délivrance;  celle-ci  est 
uniquement  procurée  par  les  prières  de  l'Eglise.  Tous  les  autres  pro- 
blèmes que  soulève  l'existence  d'une  catégorie  intermédiaire  de  défunts 
entre  les  élus  et  les  damnés  à  perpétuité  reçoivent  les  solutions  les  plus 
divergentes.  D'après  les  uns,  sont  susceptibles  d'être  délivrées  seulement 
es  âmes  de  ceux  qui  n'ont  pas  tait  pénitence  de  leurs  péchés  mortels 
pardonnes;  d'après  d'autres,  le  péché  contre  le  Saint-Esprit  seul  est  un 
obstacle  insurmontable  à  l'efficacité  des  prières  de  l'Eglise.  Celles-ci 
n'ont  qu'une  valeur  impétra'oire,  non  une  valeur  satisfactoire.  Elles 
s'adressent  à  la  miséricorde  de  Dieu,  non  à  sa  justice.  Certains  admettent 
la  possibilité  pour  les  âmes  pécheresses  d'une  amélioration  et  d'un  per- 
fectionnement n  oral  progressif,  grâce  au  concours  divin  provoqué  par 
le;  prières  de  l'Eglise. 

D'accord  pour  rejeter  l'existence  d'un  feu  matériel  purificateur  et  le 
mot  «  purgatoire  »,  nos  théologiens  sont  très  divisés  quand  il  s'agit  de 
formuler  positivement  leur  doctrine  sur  la  situation  des  âmes  appelées 
à  bénéficier  de  l'intervention  des  vivants.  Les  uns  nient  catégoriquement 
l'existence  de  tout  état  et  de  tout  lieu  intermédiaires  entre  le  ciel  et  l'enfer. 
Le  contingent  des  délivrés  est  pris  sur  la  population  de  l'enfer.  Les  autres 
ne  diffèrent  que  par  la  terminologie  de  l'enseignement  de  la  théologie 
catholique,  la  question  du  feu  mise  à  part,  question,  du  reste,  très  secon- 
daire et  nullement  définie.  On  les  voit  diviser  l'enfer  en  deux  comparti- 
ments :  l'un,  l'hadès,  reçoit  les  âmes  qui  conservent  l'espoir  de  voir  Dieu 
avant  le  jugement  dernier;  l'autre,  la  géhenne,  est  pour  les  damnés  pro- 
prement dits. 

L'étude  du  R.  P.  Buchowski  est  très  bien  menée,  amplement  docu- 
mentée, conçue  dans  un  esprit  irénique  qui  en  rendra  la  lecture  suppor- 
table aux  théologiens  dont  elle  expose  fidèlement  les  doctrines.  Trois 
petites  remarques  seulement.  L'auteur  paraît  croire  (p.  11 5)  que  les  théo- 
logiens orthodoxes  n'attaquèrent  les  indulgences  latines  que  postérieu- 
rement au  concile  de  Florence.  Ce  n'est  pas  tout  à  fait  exact.  On  trouve 
déjà  des  sorties  contre  elles  dans  Siméon  de  Thessalomque  (t  1429). 
Parmi  les  théologiens  russes  du  xviii®  siècle  qui  ont  nié  la  peine  tempo- 
relle, on  a  oublié  de  signaler  Gabriel,  métropolite  de  Novgorod.  Enfin,  . 
il  n'est  pas  démontré  que  la  confession  de  Dosithée  rejette  la  doctrine  de" 
la  satispassîo.  Plusieurs  indices  permettent,  au  contraire,  de  conclure 
que  Dosithée  a  varié  sur  ce  point  et  que,  en  1672,  il  était  latinophrone. 


Sur  la  brochure  de  M.  Constantin  Rhallis  :  les  Sacrements  de  Pét 
tence  et  d'Euchelaîon  {l Extrême-Onction)  d'après  le  droit  canonigut 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    ORIENTALE  5  ^t; 

e  l'Eglise  orthodoxe  orientale  (r),  nous  serons  très  bref,  parce  que  l'au- 
teur y  effleure  à  peine  les  questions  dogmatiques.  Parlant  des  épitimies, 
M.  Rhallis  a  soin  de  nous  dire  que  ce  ne  sont  que  des  peines  médicinales 
n'ayant  aucun  caractère  satisfactoire,  et  qu'elles  ne  font  point  partie  inté- 
grante du  sacrement.  C'est  la  doctrine  actuellement  régnante  aussi  bien 
chez  les  Grecs  que  chez  les  Russes  (2). 

Là  où  l'accord  cesse  entre  eux,  c'est  sur  le  sujet  de  VEuckelaion.  Tandis 
que  les  Russes,  à  l'exemple  des  catholiques,  n'administrent  ce  sacrement 
qu'aux  malades,  les  Grecs  —  et  M.  Rhallis  ne  fait  pas  exception  —  l'ac- 
cordent indistinctement  aux  bien  portants  et  aux  malades  (3). 

Contrairement  à  un  certain  nombre  de  théologiens  grecs,  l'auteur 
admet  qu'un  seul  prêtre  peut,  en  cas  de  nécessité,  administrer  validement 
l'Fuchelaion  (p.  114). 

Au  point  de  vue  canonique  et  pastoral,  la  brochure  de  M.  Rhallis  est 
fort  intéressante.  L'auteur  connaît  bien  la  théologie  morale  catholique  et 
lui  emprunte  beaucoup  pour  tracer  les  devoirs  du  «  père  spirituel  »  ou 
confesseur.  Il  résout  aussi  à  la  manière  de  nos  casuistes  un  certain 
nombre  de  questions  relatives  à  la  confession.  Il  s'étend  très  longuement 
sur  l'obligation  pour  le  confesseur  de  garder  le  secret.  Tout  cela  paraît 
bien  idéal,  quand  on  sait  comment  se  pratique  la  confession  en  pays  grec. 

L'c  puscule  de  M.  Rhallis  a  ceci  de  particulier,  que  les  notes  y  tiennent 
plus  de  place  que  le  texte  courant.  On  n'en  compte  pas  moins  de  273 
pour  125  pages. 

* 

L'idée  morale  des  dogmes  de  la  Très  Sainte  Trinité,  de  la  divinité  de 
Jésus-Christ  et  de  la  Rédemption,  tel  est  le  titre  d'un  opuscule  de 
M*^'  Antoine,  archevêque  de  Volhynie  et  de  Jitomir,  que  M.  le  comte 
A.-iVl.  du  Chayla  a  entrepris  de  traduire  en  français  d'après  la  troisième 
édition  russe  (4).  On  a  vite  fait  de  s'apercevoir,  en  parcourant  ces  quelques 
pages,  qu.'  M.  du  i  hayla  n'était  pas  l'homme  désigné  pour  cette  traduc- 
tion, attendu  que  la  langue  française  a  encore  pour  lui  trop  de  secrets.  Et 
c'est  vraiment  dommage  que,  la  pensée  du  théologien  russe  n'étant  pas 
toujours  d'une  limpidité  de  cristal,  le  jargon  de  M.  du  Chayla  con  ribue 
encore  à  l'obscurcir. 

Malgré  tout,  le  Lcteur  français  arrivera  à  cueillir  sur  ce  terrain  brous- 
sailleux quelques  belles  et  profondes  pensées.  Ms'^  Antoine  met  très  bien 

(i)  Constantin  M.  Rhallis,  Tlepl  xwv  [lUŒTYipfwv  tyj;  (ASTavota;  xal  toû  eù/eXa^ow  xarà 
To  5;y.a'.ov  rr,c  ôp6o8(i?ou  àvaToX-.XYÏî  êxicXrifffai:.  Athènes,  imprimerie  de  l'Hestia,  igoS, 
in-8°,  n-125  pages.  Prix  :  5  trancs. 

(2)  Voir  mon  artioe  :  la  Peine  temporelle  due  au  péché,  d'après  les  théologiens 
orthodoxes.  Echos  d'Orient,  t.  IX  (1906),  p.  3ii  sq. 

(3)  Voir  l'anicle  du  R.  P.  Jacquemier,  l'Extrême-Onction  che^  les  Grecs,  Echos 
d'Orient,  t.  II  (1899),  P-  '9^  sq. 

(4)  In-8%  63  pages.  Paris,  H.  Welter,  1910.  Prix  :  2  francs. 


5^6  ÉCHOS  d'orient 


en  lumière  la  portée  morale  du  dogme  de  la  Trinité,  qui  nous  révèle  la 
loi  de  l'amour  et  nous  apprend  à  combattre  les  tendances  égoïstes  et. 
individualistes  de   notre  nature.  Quant  au  dogme  de  la    rédemption^] 
il  constitue  un  stimulant  permanent  à  la  vie  parfaite  et  lève  l'énigme  de- 
la  souffrance.  Seu  e  la  croyance  en  Jésus  rédempteur  peut  inspirer  àj 
l'homme  la  force  de  se  vaincre  lui-même,  de  triompher  du  monde,  dei 
ne  pas  se  laisser  abattre  par  la  souffrance.  En  développant  ces  idées, 
M.^'  Antoine  a  malheureusement  le  tort  de  croire  qu'il  en  a  le  monopole, 
que  les  catholiques,  «  revenus  au  concept  de  la  loi  froide  et  du  devoir, 
méprisent  le  senti  meni  d'amour  comme  quelque  chose  de  sensuel  et 
d'étranger  à  un  esprit  libre  »;  que  «  la  pratique  de  l'amour  chrétien  n'était 
pas  selon  le  cœur  des  rudes  tcolastiques  du  mo\\n  âge  »  (p.  28);  qu'en 
Occident  «  s'est   obscurci   le  concept   du  combat  ascétique  chrétien  » 
(p.  34),  etc. 

Un  appendice  intitulé  :  En  quoi  la  foi  orthodoxe  se  distingue-t-elle  des 
conjessions  occidentales i^  nous  révèle  que  M^''  Antoine  a  appris  à  con- 
naître l'Occident  dans  les  écrits  du  théologien  slavophile  Khomiakof.  On 
sait  que  ce  personnage,  d'une  orthodoxie  fort  douteuse,  est  célèbre  par 
ses  tirades  grandiloquentes  et  creuses  contre  l'Occident,  c'est-à-dire  contre 
le  catholicisme  et  aussi  le  protestantisme.  Me'  Antoine  marche  résolument 
sur  ses  traces.  Ecoutez  ce  petit  morceau  : 

Le  Seigneur  ordonne  le  pardon  intégral,  mais  la  morale  occidentale  requiert 
la  vengeance  et  l'efiFusion  du  sang.  Le  Seigneur  commande  de  s'humilier  et  de 
se  compter  plus  que  tous  pécheur  {sic,  style  du  Chayla);  l'Occident  place 
au-dessus  de  tout  «  le  sentiment  de  la  dignité  personnelle  ».  Le  Sei,t;neur  veut 
que  nous  nous  réjoui  sions  quand  on  nous  insulte  et  nous  chasse;  l'Occident 
exige  «  la  réparation  d'honneur  ».  Le  Seigneur  et  les  apôtres  nomment  l'urgueil 
«  diabolique»;  les  Occidentaux  l'appellent  «  nobles  e  ».  Le  de  nier  m  ndiant 
russe  distingue  mieux  le  bien  du  mal  que  ne  le  discernent  les  moralistes  d'une 
culture  pourtant  m  Uenaire,  ainsi  tristement  mélangeant  des  fragments  de 
christianisme  avec  le  mensonge  du  classicisme. 

A  la  base  de  toute-,  ces  erreurs  gît  l'mintelligence  de  cette  simple  vérité  :  que 
le  christianisme  est  une  religion  ascétique,  une  doctrine  de  la  graduelle  élimi- 
nation des  passions,  des  procédés  et  des  conditions  d'acquisition  des  vertus. 
Ces  conditions  sont  intérieures,  incluses  dans  des  actes  de  l  beur  moral  et 
données  de  l'extérieur,  en  forme  de  croyances  dogmatiques  et  d'actions  cul- 
tuelles de  reconnaissance  qui  possèdent  une  destination  unique  :  guérir  la  pec- 
cabilité  humaine  et  nous  exhausser  vers  la  perfection  (p.  53). 

Ces  quelques  li;_nes  sont  un  assez  joli  échantillon  et  de  la  manière  de 
l'auteur  et  du  style  du  traducteur.  11  est  étonnant  qu'après  la  fustigation 
exemplaire  administrée  par  Vladimir  Solovief  aux  slavophiles,  il  se 
trouve  encore  en  Russie  des  théologiens  de  cette  force  (i). 

(i)  Comme  échantillon  de  la  prédication  russe  contemporaine,  M.  du  Chayla  nous 
donne  un  sermon  de  M''  Antoine,  prononcé  le  i"  octobre  1909  à  l'occasion  de  la  con- 


BULLETIN    DE    THÉOLOGIE    ORIENTALE  537 

Très  différent  de  Mg""  Antoine  par  les  tendances,  la  tournure  d'esprit, 
la  culture  iniellectuelle  est  M.  l'archiprêtre  Sviétlof,  qui  vient  de  publier 
la  troisième  édition  revue  et  augmentée  du  premier  volume  de  sa  Dog- 
matique chrétienne  exposée  au  point  de  vue  apologétique  (i).  Entre  lui 
et  l'archevêque  de  Volhynie,  il  y  a  comme  un  abîme,  et  —  faut-il  le  dire 
—  l'abîme  est  tout  à  l'avantage  de  M.  Sviétlof.  Esprit  vigoureux,  original, 
ennemi  de  l'ornière,  clair,  logique,  au  courant  de  ce  qui  s'écrit  en  Occi- 
dent sur  la  philosophie,  l'exégèse  et  la  théologie,  il  se  pose  hardiment 
dans  l'introduction  de  son  ouvrage  en  «  balayeur  »  de  la  théologie  russe 
officielle,  de  la  théologie  privilégiée,  comme  il  l'appelle.  Y  aurait-il  donc 
des  scories  dans  cette  théologie?  Il  paraît  que  oui,  et  il  faut  féliciter 
M.  Sviétlof  d'avoir  osé  le  dire.  Cette  audace  est  d'autant  plus  méritoire 
que  l'auteur  sait  par  expérience  qu'en  Russie  le  métier  de  théologien 
n'est  pas  facile.  Pendant  vingt-cinq  ans,  il  a  suivi  «  la  carrière  épineuse 
de  l'activité  théologique  »;  il  lui  a  fallu  une  patience  «  de  martyr  con- 
damné au  gibet  »  pour  rester  fidèle  au  service  de  la  théologie  : 

Pendant  tout  ce  temps,  dit-il,  il  m'a  été  donné  de  tout  éprouver On  a 

parlé  de  moi  en  bien,  on  en  a  parlé  en  mal.  Si  l'intérêt  ou  une  sotte  vanité 
avaient  conduit  ma  plume,  j'aurais  réussi  à  plaire  à  tout  le  monde;  je  me  seais 
attiré  les  faveurs  de  la  masse,  j'aurais  eu  les  sourires  de  tous.  Mais  des  motifs 
tout  autres  m'ont  inspiré  dans  mon  dur  labeur,  et  m'ont  donné  pendant  ces 
vingt-cinq  ans  assez  de  force  pour  porter  la  croix  de  mon  activité  scientifique 
consacrée  au  service  de  l'Eglise  (p.  xxn). 

Je  remercie  Dieu,  continue-t-il,  de  ce  que,  au  milieu  des  circonstances  into- 
lérables dans  lesquelles  s'est  déployée  mon  activité  théologique,  j'ai  réussi  a  ne 
suivre  que  la  voix  de  ma  conscience  et  de  mes  convictions.  Je  le  remercie  de 
ce  que  pas  une  seule  ligne  de  mes  écrits  n'a  réjoui  une  seule  fois  les  champions 
de  l'obscurantisme  et  de  la  violence,  et  de  ce  que  j'ai  toujours  soulevé  leur  bile 
et  leur  fureur. 

Puis,  s'adressant  à  ceux  qui  «  ont  bien  parlé  de  lui  »  —  il  a  trouvé  de 
ceux-là  tant  dans  la  haute  hiérarchie  que  parmi  les  théologiens,  qui  lui 
ont  dit  leur  approbation  par  lettres  secrètes,  —  il  leur  exprime  si  recon- 
naissance et  sollicite  leurs  prières.  11  ne  s'illusionne  pas  sur  l'accueil  qui 
attend  certains  remaniements  faits  à  la  présente  éjition  de  son  ouvrage; 
plusieurs  y  verront  non  des  «  améliorations»,  mais  des  «  aggravations  »; 
mais  il  ne  s'en  soucie  pas  :  l'approbation  de  certaines  gens  n'est-elle  pas 
le  pire  des  blâmes  (p.  xxi)? 

Que  dit  donc  de  si  grave  M.  Sviétlof,  et  comment  fait-il  son  métier  de 


sécration  de  l'église  érigée  à  Moscou  en  mémoire  des  victimes  de  la  lutte  révolution- 
naire. Le  discours  ne  manque  pas  de  souflle,  mais  on  y  trouve  aussi  du  pathos. 
M.  du  Chayla  veut  nous  convaincre,  par  ce  spécimen,  qu'on  prêche  beaucoup  en 
Russie.  Mais  il  oublie  qu'une  Hirondelle  ne  fait  pas  le  prmtemps. 

(i)  P.  A.  Sviétlof,  Khrislianskoïé  Viérooutchenie  p  apologhetitcheskom  i\logenii, 
t.  1,3*  édit.  Kiev,  igio,  in-8°,  xxiii-721-vi  pages.  Prix:  3  roubles,  5o  kopeks. 


1538  ÉCHOS    d'orient 


balayeur?  L'espace  nous  manque  pour  en  parler  tout  au  long,  et  nous 
devons  nous  contenter  d'un  rapide  aperçu. 

Tout  d'abord,  M.  Sviétlof  reproche  à  la  théologie  officielle  de  ne  pas 
mettre  suffisamment  en  lumière  les  vérités  dogmatiques,  de  n'en  point 
donner  une  idée  claire  et  précise,  de  n'en  point  découvrir  le  contenu  et 
le  sens  caché.  Les  théologiens  officiels,  tels  Macaire  et  l'évêqne  Sylvestre, 
se  contentent  d'apporter  de  longues  enfilades  de  textes  scripturaires  et 
patristiques.  et  oublient  d'éclaircir  la  notion  dogmatique  et  de  la  rendre 
accessible  à  la  raison  dans  la  mesure  du  possible. 

Un  défaut  p  us  grave  consiste  à  mélanger  le  dogme  avec  les  opinions 
théologiques,  à  accorder  aux  livres  symboliques  des  Eglises  particulières 
une  valeur  égale  aux  décisions  des  conciles  œcuméniques.  L'auteur  donne 
quelques  exemples  intéressants.  Les  théologiens  officiels  tra  tent  d'hérésie 
la  doctrine  latine  de  la  procession  du  Saint-Esprit  a  Pâtre  Filioque  ou 
per  Filium,  alors  que  cette  doctrine  a  été  enseignée  par  plusieurs  Pères 
de  l'Eglise  latine  et  de  l'Eglise  grecque,  qu'aucun  concile  œcuménique 
n'a  dirimé  la  question,  et  que  la  procession  du  Saint-E>prit  a  Pâtre  solo 
a  été  introduite  dans  l'Eglise  orientale  sans  l'autorité  de  lEglise  univer- 
selle; que,  d'ailleurs,  d'excellents  orthodoxes  admettent  le  per  Filium 
au  sens  de  la  procession  éternelle.  Ainsi  en  va-t-il  de  presque  toutes  les 
innovations  dogmatiques  reprochées  à  l'Eglise  romaine.  Du  point  de  vue 
orthodoxe,  ce  sont  des  opinions  particulières,  non  des  hérésies.  La  pri- 
mauté et  l'infaillibilité  du  Pape  elles-mêmes  ne  sauraient  être  traitées 
d'hérésies  p  oprement  dites;  ce  sont  tout  au  plus  des  erreur >  réfutées  par 
l'histoire,  des  erreurs  d'ordre  pratique  et  canonique  plutôt  que  des  erreurs 
spéculatives. 

M.  Sviétlof  s'élève  avec  force  contre  les  tentatives  de  certains  théolo- 
giens de  mettre  l 'S  confessions  de  Moghila  et  de  Dosi  hee  et  le  caté- 
chisme de  Philarète  sur  le  même  rang  que  l'enseignement  des  conciles 
œcuméniques.  On  n'entend  point,  dans  ces  documents,  la  voix  de  l'Eglise 
universelle,  mais  seulement  la  voix  d'Eglises  particulières.  On  doit  les 
contrôler  sur  la  doctrine  des  sept  conciles. 

L'Eglise  universelle  n'est  donc  point  l'Eglise  gréco-russe?  En  aucune 
façon,  répond  catégoriquement  M.  Sviétlof.  L'Eglise  universelle  est  con- 
stituée par  l'ensemble  des  confessions  chrétiennes,  y  compris  le  protes 
tantisme,  du  moins  le  protestantisme  orthodoxe.  Toutes  les  confessions 
s'entendent  sur  les  points  essentiels,  11  n'y  a  de  divergences  que  sur  des 
points  secondaires.  Même  entre  l'orthodoxie  orientale  et  le  protestan- 
tisme orthodoxe,  il  n'y  a  point  de  différence  essentielle  (p.  2o5).  L'unité 
visible  de  l'Eglise  universelle,  ce  que  l'auteur  appelle  le  corps,- n'existe 
plus  depuis  le  schisme;  mais  l'unité  invisible,  l'âme,  persévère.  Or,  l'âme 
l'emporte  sur  le  corps.  Comme  l'âme  est  en  quelque  manière  indépen- 
dante du  corps  et  peut  subsister  sans  lui,  de  même  l'Eglise  universeii 


BULLETIN    DE    THEOLOGIE    ORIENTALE  S  ?9 

nvisible  est  en  quelque  façon  indépendante  dans  son  existence  de  ce 
ui  constitue  son  organisation  visible.  Mais  la  rupture  de  l'unité  visible 
st  un  grand  mal,  un  mal  qu'il  faut  faire  cesser.  L'union  des  Eglises  est 
lécessaire,  et  tout  chrétien  doit  y  travailler. 

L'Eglise  gréco-russe  n'est  donc  qu'une  partie  de  l'Eglise  universelle, 
/auteur  estime  que  c'est  la  meilleure,  bien  qu'il  ne  soit  pas  absolument 
ertain  que  Dieu  soit  de  son  avis  (p.  225).  Si  l'on  compare,  dit-il,  les 
iverses  Eglises  particulières  à  des  vaisseaux,  l'Eglise  orthodoxe  sera  un 
;rand  transatlantique  de  fabrication  anglaise,  le  catholici>^me  romain  un 
[rand  vapeur  océanien  de  fabrication  russe,  le  protestantisme  un  vapeur 
lu  Volga,  les  sectes  des  chaloupes  marines  (p.  225).  La  comparaison  est 
uggestive,  mais  nous  ne  voyons  pas  pourquoi  M.  Sviétiof  fait  sortir 
lotre  vapeur  des  chantiers  de  Kronstad. 

Pour  réaliser  l'union  des  Eglises,  de  nouveaux  conciles  œcuméniques 
ont  nécessaires.  M.  Sviétiof  n'est  pas  de  ceux  qui  se  figurent  que  les 
ept  premiers  conciles  œcuméniques  ont  tout  défini.  Il  reconnaît,  au 
ontraire,  qu'ils  n'"nt  pas  touché  à  une  foule  de  graves  questions  qui 
livisent  les  Eglises  particulières.  De  nouveaux  conciles  œcuméniques  les 
héologiens  officiels  se  passent  volontiers,  parce  qu'ils  se  font  du  dogme 
me  conception  erronée,  en  prenant  pour  devise  le  canon  de  saint  Vincent 
le  Lérins  :  Quod  ubique,  quod  semper,  quod  ab  omnibus  credilum  est. 
>ette  règle  est  loin  d'être  un  critère  suffisant  et.  prise  à  la  lettre,  ten- 
Irait  à  nier  tout  véritable  progrès  dogmatique.  Or,  le  dog  ne,  tout  en 
estant  substantiellement  identique  à  lui-même,  passe  par  les  phases 
l'un  véritable  développement.  A  l'origine,  ce  peut  n'être  qu'un  gland; 
LU  point  d'arrivée,  c'est  un  chêne.  Il  ne  faut  pas  confondre,  du  reste,  le 
logme  avec  la  révélation.  Une  vérité  révélée  ne  devient  un  dogme  que 
orsqu'elle  est  proposée  par  l'Eglise  universelle. 

Telles  sont,  parmi  les  thèses  que  développe  M.  Sviétiof  dans  son 
)uvrage,  celle>  qui  nous  ont  paru  les  plus  susceptibles  d'intéresser  le  lec- 
eur.  Evidemment,  elles  ne  sont  pas  toutes  acceptables  pour  nous,  mais 
l  fait  bon  trouver  un  théologien  orthodoxe  qui  soit  conséquent  avec  les 
îrincipes  de  Vorihodoxie,  et  détermine  logiquement  la  position  de  celle-ci 
ns-à-vis  du  catholicisme  et  du  protestantisme.  Que  Icn  Egl  ses  occiden- 
jales  soient  tombées  dans  l'hérésie,  voilà,  affirme  M.  Svieilol,  ce  qui  n'a 
5as  été  démontré  et  ce  qui  ne  peut  l'être.  Où  est,  en  effet,  pour  les  ortho- 
ioxes,  le  concile  œcuménique  qui  a  tranché  les  questions  pendantes 

ntre  les  diverses  confessions  chrétiennes?  Cette  simple  léfllexion  suffit 
i  faire  crouler  par  la  ba^e  le  mur  des  divergences  dogmatiques  élevé  par 
a  fausse  orthodoxie  pour  abriter  le  schisme.  Il  est  curieux  aussi  de  con- 

tater  que  plusieurs  théologiens  russes  contemporains  —  car  M.  Sviétiof 
l'est  pas  le  seul  —  ne  considèrent  plus  leur  Eglise  comme  étant  l'Eglise 
iniverselle,  la  seule  véritable  Eglise  établie  par  Jésus-Christ. 


540 


ECHOS    D  ORIENT 


La  solution  que  donne  notre  théologien  à  cette  question  de  l'Eglise 
universelle  est  vraiment  par  trop  libérale.  Il  fait  trop  bon  marché  du 
corps  de  l'Eglise  pour  ne  s'attacher  qu'à  son  âme.  La  théologie  catho- 
lique distingue,  elle  aussi,  entre  le  corps  et  l'âme  de  l'Eglise,  mais  elle 
n'admet  pas  que  le  corps  ait  disparu  par  le  fait  du  schisme  grec.  Le  corps 
est  resté  dans  celle  des  Eglises  qui  garde  la  physionomie  de  l'Eglise  des 
septconciles,c'est-à-Jiredans  l'Eglise  catholique,  qui  continue,  à  l'exemple 
de  l'ancienne  Eglise,  de  reconnaître  l'Evéque  de  F'ome  comme  le  centre 
de  la  communion  ecclésiastique  et  le  docteur  infaillible  de  la  foi. 

En  plusieurs  endroits  de  son  livre,  M.  Sviétiof  fait  voir  qu'il  n'a  qu'une 
connaissance  imparfaite  de  certains  points  de  la  doctrine  catholique. 
Cela  se  remarque  surtout  quand  il  parle  des  indulgences  et  delà  primauté 
romaine,  et  qu'il  lance  contre  nos  théologiens  l'accusation  de  juridisme. 
Visiblement,  ses  rapports  avec  M.  Michaud  et  les  vieux-catholiques  lui 
ont  faussé  la  perspective  sur  les  catholiques  tout  court.  Nous  ne  doutons 
pas  qu'une  étude  plus  attentive  et  plus  personnelle  du  catholicisme  ne 
modifie  certaines  de  ses  idées  et  ne  le  mette  sur  la  voie  qui  a  conduit 
Vladimir  Solovief  jusquaux  pieds  du  successeur  de  Pierre,  chef  visible 
de  la  seule  véritable  Eglise. 


* 


Le  tome  XII  de  V Encyclopédie  théologique  russe,  paru  en  191 1  (i),  ne 
comprend  pas  moins  de  210  articles,  distribués  dans  900  colonnes  in-S''. 
Comme  dans  les  tomes  précédents,  la  théologie  dogmatique  n'y  tient 
qu'une  place  assez  restreinte.  Le  plus  grand  nombre  des  articles  est  pris 
par  les  biographies  d'écrivains  ecclésiastiques  et  l'histoire  des  institutions. 

L'étude  la  plus  intéressante  est  celle  qui  est  consacrée  aux  livres  sym- 
boliques (/sTn/g-Ziz  ijmèo/îïc/zesAai-î)  des  diverses  confessions  chrétiennes 
(107  colonnes).  Deux  auteurs  se  sont  partagé  le  travail  :  M.  Paul  Pono* 
maref  traite  des  livres  symboliques  en  général  et  des  livres  symboliques 
de  l'Eglise  russe;  M.  Vladimir  Kérenskii  passe  en  revue  les  livres  sym- 
boliques de  l'Eglise  catholique,  des  confessions  protestantes  et  du  vieux- 
catholicisme.  L'un  et  l'autre  sont  d'accord  pour  refuser  l'infaillibilité  et 
l'œcuménicité  aux  livres  symboliques  de  l'Eglise  russe,  c'est-à-dire  aux 
confessions  de  foi  de  Moghila  et  de  Dosithée  et  au  catéchisme  de  Phila- 
rète.  C'est  aussi,  nous  l'avons  vu,  la  position  adoptée  par  M.  Sviétiof. 
M.  Kérenskii  fait  remarquer  avec  raison  que  seule  l'Eglise  romaine  pos- 
sède des  livres  symboliques  au  sens  strict  du  mot,  c'est-à-Jire  des  recueils 
de  décisions  dogmatiques  considérées  comme  obligatoires  et  infaillibles.  \ 
Il  est  vrai  que  bon  nombre  de  théologiens  orthodoxes  ne  sont  pas  de  || 
l'avis  de  M.  Kérenskii  en  ce  qui  concerne   l'Eglise  gréco-russe,  mais 


(i)  N.  N.  Gloubskovskii,  Bogoslovskaïa   entsiclopediia,  t.  XII  [Knighi-Konstanti- 
nopol).  Saint-Pétersbourg,  191 1,  in-S",  xi-982  colonnes. 


BULLETIN    DE   THÉOLOGIE   ORIENTALE  S4I 

celui-ci  n'en  a  cure  et  ne  signale  même  pas  l'opinion  contraire  à  la  sienne. 

Nous  aurions  pas  mal  de  petites  remarques  à  faire  sur  l'histoire  des 
livres  symboliques  russes,  écrite  par  M.  Ponomaref.  Bornons-nous  à 
quelques-unes.  Le  synode  de  Jassy  eut  lieu  en  1642  et  non  en  1643.  La 
première  édition  de  la  Confession  de  Pierre  Moghila,  par  Panaghioti, 
parut  non  en  1662,  mais  en  1667,  comme  l'a  établi  M.  Legrand  dans  sa 
Bibliographie  hellénique.  11  est  vrai  que  ce  dernier  ouvrage  n'est  pas 
même  indiqué  dans  la  bibliographie.  En  parlant  de  la  confession  de 
Dosithée  ou  Lettre  des  patriarches,  l'auteur  aurait  pu  s'exprimer  un  peu 
plus  clairement  sur  les  corrections  et  suppressions  que  Philarète  fit  subir 
à  ce  document  en  le  traduisant  en  russe  en  i838.  Il  se  contente  de  dire 
que  la  traduction  n'est  pas  littérale. 

A  M.  Kérenskii,  nous  signalerons  que  le  pape  Léon  X  était  mort 
en  1529,  et  que  Sixte  V  n'a  pu  vivre  en  1687,  puisqu'il  a  régné  de  i585 
à  iSgo.  Il  n'est  pas  exact  non  plus  que  le  catéchisme  romain  constitue, 
pour  l'Eglise  catholique,  un  livre  symbolique  proprement  dit  au  même 
titre  que  les  décrets  du  concile  de  Trente.  Pour  parler  en  style  russe,  il 
y  a  des  théologoumènes  dans  ce  catéchisme.  On  se  demande  pourquoi 
l'auteur  présente  l'Index  catholique  comme  une  entrave  à  l'activité  scien- 
tifique. Les  Russes,  qui  ont  tant  à  souffrir  de  leur  censure  draconienne, 
devraient  s'interdire  absolument  de  médire  de  notre  Index. 

L'article  consacré  aux  Congrégations  de  l'Eglise  catholique,  exact  dans 
l'ensemble,  l'est  moins  dans  les  détails.  On  a  fait  aux  Assomptionistes 
l'honneur  de  deux  colonnes,  dans  lesquelles  on  insiste  surtout  sur  leur 
apostolat  en  Orient.  Les  Echos  d'Orient  sont  signalés  comme  très  hos- 
tiles aux  Eglises  grecques.  Pourvu  seulement  que  nous  ayons  l'amitié  des 
Russes!  L'auteur  a  trouvé  le  moyen  d'écrire  deux  fois  Notre-Dame  de 
Grance  au  lieu  de  Notre-Dame  de  France,  et  de  parler  de  l'ouvrage  de 
Zola  sur  Lourdes,  à  propos  des  pèlerinages  organisés  par  les  Assomptio- 
nistes. Pour  ne  pas  terminer  sur  le  nom  de  Zola  notre  bulletin  théolo- 
gique, signalons  encore  le  long  article  sur  Constantinople  (44  col.),  qui 
intéressera  plus  les  touristes  que  les  théologiens. 

M.  JUGIE. 
Constantinople. 


CHRONIQUE 

DES  ÉGLISES  ORIENTALES 


Arméniens 

Catholiques 

La  crise  religieuse.  —  La  crise  de  l'Eglise  arménienne  catholique 
dure  toujours.  Aucune  mesure  de  rigueur  n'a  pu  faire  revenir  les 
révoltés  sur  leurs  décisions  anticanoniques.  Le  ler  juin,  le  Conseil 
national  a  été  excommunié  par  le  Pape,  mais  ses  membres  prétendent 
que  cette  sentence  est  nulle,  Rome  étant  mal  informée.  Formule  com- 
mode qu'ont  employée  de  tout  temps  les  hérétiques  et  les  schisma- 
tiques.  Le  patriarche,  expulsé  de  son  palais  depuis  plus  de  six  mois, 
vit  très  modestement  au  presbytère  où  il  s'est  retiré,  mais  il  ne  cède  ni 
devant  les  menaces  ni  devant  les  tracasseries  des  membres  du  Conseil. 
Ces  derniers  ont  mis  la  main  sur  les  bâtiments  du  Séminaire,  ce  qui 
a  empêché  la  retraite  ecclésiastique  qu'on  devait  y  donner.  Ils  ont 
accaparé  aussi  le  collège  Saint-Grégoire  l'illuminateur,  et  Me»'  Terzian 
a  dû  sévir.  11  a  détendu  aux  parents,  sous  peine  de  péché  grave,  d'en- 
voyer leurs  enfants  à  ce  collège,  et  ordonné  aux  confesseurs  de  leur 
refuser  l'absolution  s'ils  passaient  outre  à  cette  défense.  Les  laïques 
ne  sont  pas  les  seuls  à  créer  des  difficultés  au  patriarche.  Le  clergé, 
tant  régulier  que  séculier,  est  loin  d'être  unanime  à  le  soutenir  ou  à 
lui  être  simplement  soumis.  Le  13  septembre,  un  prélat,  M^'"  Paul 
Gazrighian  (i),  et  un  simple  prêtre,  M.  G.  Badouhassian,  ont  été 
déclarés  suspens  a  divinis. 

Comment  se  terminera  cette  crise  malheureuse  ouverte  depuis  plus 
d'un  an?  D'aucuns  prétendent  que  la  démission  de  Ms''  Terzian  apla- 
nirait toutes  les  difficultés.  C'est  là  une  erreur  grossière.  Ce  qui  est  en 
jeu,  ce  n'est  pas  la  personne  du  patriarche,  c'est  un  principe.  Tant  que 
les  membres  du  Conseil  national  n'admettront  pas  les  décisions  cano- 
niques, il  est  inutile  de  chercher  une  solution  pacifique.  La  querelle  faite 
à  Mg»"  Terzian  recommencera  avec  un  autre  patriarche.  Or,  il  paraît  bien 
difficile  que  ces  messieurs  du  Conseil  se  soumettent;  la  plupart  n'ont 


(i)  M"  Gazrighian  a  fait  sa  soumission  au  bout  d'une  dizaine  de  jours. 


CHRONIQUE    DES    EGLISES   ORIENTALES  ^4^ 

de  catholique  que  le  nom,  trois  sont  même  notoirement  francs-maçons. 
Et  voilà  les  défenseurs  des  droits  de  l'Eglise  nationale  !  11  faudra  sans 
doute  prendre  des  mesures  de  rigueur  encore  plus  dures;  un  certain 
nombre  des  opposants  iront  grossir  les  rangs  des  Arméniens  grégo- 
riens, après  quoi  l'Eglise  arménienne  catholique,  redevenue  libre,  pourra 
enfin  s'organiser  sérieusement  avec  des  règlements  conformes  au  droit 
canon  et  surtout  scrupuleusement  mis  en  pratique,  ce  qui  n'a  pas  été 
jusqu'ici.  R,  Janin. 

Grégoriens. 

La  question  du  bérai.  —  Les  Arméniens  n'ont  décidément  pas  à  se 
féliciter  de  l'ère  constitutionnelle  ouverte  par  la  révolution  du  24  juillet 
1Q08.  Cependant  ils  l'avaient  appelée  de  tous  leurs  vœux  et  avaient  tra- 
vaillé de  toutes  leurs  forces  à  son  avènement.  Leur  alliance  avec  le  ■ 
Comité  Union  et  Progrès  ne  leur  a  pas  procuré  les  avantages  qu'ils  en 
attendaient. 

il  y  a  quelques  mois,  le  ministère  jeune-turc  envoya  au  rKruveau 
patriarche  arménien  grégorien  de  Constantinople  son  bérat  d'investi- 
ture. Mgi'  Archarouni  le  reçut  avec  d'autant  plus  de  plaisir  qu'on  le  lui 
avait  fait  attendre  plus  longtemps.  Quelle  ne  fut  pas  sa  stupeur  quand 
il  s'aperçut  qu'on  avait  modifié  le  texte  habituel.  Au  lieu  de  mettre 
«  nation  arménienne  »,  on  avait  mis  «  communauté  arménienne  »,  ce 
qui  a  une  tout  autre  signification.  De  même  on  avait  passé  sous  silence 
les  privilèges  du  patriarche.  Aussitôt  Mf»'  Archarouni  renvoya  le  bérat 
à  la  Sublime  Porte  en  déclarant  qu'il  ne  pouvait  pas  l'accepter  dans  sa 
forme  nouvelle.  Les  jeunes-Turcs,  qui  ont  la  rage  de  tout  ottomaniser, 
trouvaient  que  le  texte  ancien  était  incompatible  avec  la  souveraineté 
nationale!  Le  moment  était  bien  choisi  de  faire  une  pareille  réforme  et 
d'exciter  contre  le  gouvernement  les  colères  d'une  population  chrétienne. 
Mais  les  Jeunes-Turcs,  bien  qu'aux  prises  avec  les  Albanais,  les  Italiens 
?t  les  peuples  balkaniques,  n'estinrent  pas  qu'il  faille  s'attirer  les  sym- 
pathies de  leurs  sujets  non  musulmans. 

Massacres  d'Arménie.  Démission  du  patriarche.  —  Les  meurtres  qui 
ne  cessent  d'ensanglanter  l'Arménie  ont  trouvé  un  écho  chez  les  Armé- 
liens  de  la  capitale.  A  plusieurs  reprises  le  patriarche  a  fait  des  démarches 
)ressantes  auprès  du  gouvernement  pour  obtenir  les  réformes  tant  de 
bis  annoncées  et  la  répression  du  brigandage  dans  les  vilayets  d'Asie 
vlineure.  On  lui  a  toujours  répondu  par  des  promesses  de  mesures 

énergiques,  de  sanctions  sévères,  et les  massacres  ont  continué.  Le 

eudi  5  septembre,   Mk'   Archarouni  se  rendit  une  dernière  fois  à  la 


r^44  ÉCHOS    d'orient 


Sublime  Porte  pour  exprimer  les  doléances  de  son  peuple.  «  Le  patriarche 
a  ajouté  que  la  nation  arménienne  croyait  que  la  continuation  de  cet 
état  de  choses  en  Anatatolie  ne  pouvait  être  que  la  conséquence  ou  de 
l'incapacité  du  gouvernement  à  apporter  un  remède  à  ces  maux,  ou 
bien  du  mauvais  vouloir.  Comme  il  ne  croyait  pas  que  le  gouvernement 
soit  incapable,  alors  naturellement  c'était  à  la  seconde  supposition  qu'il 
fallait  s'arrêter.  Mfi''  Archarouni  a  conclu  que,  devant  cet  état  de  choses, 
il  ne  restait  au  patriarche  qu'à  fermer  les  portes  du  patriarcat  et  à 
en  remettre  les  clés  au  gouvernement.  »  (i)  Une  fois  de  plus  le  grand- 
vizir  lui  fit  des  promesses  qui  n'eurent  pas  le  don  de  le  satisfaire. 

Quinze  jours  plus  tard,  le  patriarche  mit  à  exécution  le  projet  dont 
il  avait  menacé  le  gouvernement.  Le  20  septembre,  près  de  leur  église 
de  Galata,  les  notables  arméniens  grégoriens  tinrent  une  assemblée 
nombreuse  pour  étudier  la  situation  faite  à  leurs  coreligionnaires  d'Asie 
Mineure.  Le  président,  Hodjassian  effendi,  déclara,  en  ouvrant  la 
séance,  qu'il  venait  de  trouver  sur  le  bureau  de  l'assemblée  la  démis- 
sion écrite  du  patriarche  et  celle  du  Conseil  mixte  chargé  de  l'admi- 
nistration des  affaires  de  la  communauté.  Après  une  discussion  assez 
vive,  un  ordre  du  jour,  voté  à  une  grande  majorité,  approuva  les  deux 
démissions,  décida  que  l'on  procéderait  à  l'élection  d'un  nouveau  Con- 
seil mixte,  mais  laissa  en  suspens  la  question  de  la  succession  patriar- 
cale. Celle-ci  ne  fut  réglée  que  plus  tard.  Une  nouvelle  réunion  de  l'As- 
semblée nationale  fut  tenue  à  Galata,  le  1 1  octobre.  La  Commission 
chargée  d'étudier  le  cas  conclut  au  refus  de  la  démission.  Aussitôt  l'as- 
semblée décida,  à  l'unanimité,  que  l'on  ferait  des  instances  auprès  du 
patriarche  pour  le  faire  revenir  sur  sa  détermination.  Le  13,  M^'»'  Archa- 
rouni déclara  que,  prenant  en  considération  les  démarches  faites  auprès 
de  lui,  il  retirait  sa  démission. 

Les  Turcs  pourront-ils  ou  voudront-ils  faire  les  réformes  demandées? 
Les  événements  qui  se  déroulent  actuellement  en  Orient  pourraient 
bien  les  y  obliger,  pour  le  plus  grand  avantage  des  chrétiens  de  l'em- 
pire, et  des  Arméniens  en  particulier.  R.  J. 


Bulgares 

Orthodoxes, 


L'Eglise  de  Bulgarie  a,  en  cette  année  19 12,  agité,  sans  les  résou 
deux  questions  d'un  intérêt  vital  pour  son  avenir.  Nous  nous  conti 

(i)  La  Liberté,  journal  français  de  Constantinople. 


I 

1 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  545 

terons  aujourd'hui  de  les  signaler  rapidement  aux  lecteurs,  dans  l'es- 
poir que  les  Echos  d'Orient  leur  fourniront  plus  tard  des  détails  cir- 
constanciés sur  ces  incidents. 

Le  schisme  bulgare.  —  L'Eglise  bulgare  orthodoxe  est  encore  consi- 
dérée officiellement  au  Phanar  comme  schismatique.  Cela  date  de  1872. 
Au  printemps  dernier,  on  a  essayé,  et  en  Bulgarie,  et  en  Grèce,  et  en 
Russie,  de  lever  les  difficultés  qui  séparent  les  deux  peuples  et  de  sceller 
leur  union.  L'entreprise  était  hasardeuse.  Pour  croire  à  son  succès,  il 
aurait  fallu  ignorer  la  situation  des  deux  ennemies. 

Une  Eglise  orthodoxe  est  essentiellement  une  organisation  nationale, 
poursuivant,  sous  l'étendard  religieux,  le  bien  de  la  nation.  Malgré  la 
sentence  d'excommunication  qui  la  Irappa  en  1872,  ou  plutôt  grâce 
à  elle,  la  jeune  Eglise  bulgare  a  pu  se  développer  elle-même  et  atteindre, 
par  ses  propres  moyens,  la  fin  qu'elle  poursuit,  la  conquête  à  la  nation 
bulgare  des  populations  indécises  de  Thrace  et  de  Macédoine.  Le  mot 
schismatique  a  aussi  une  portée  spéciale  en  corrélation  avec  Eglise. 
C'est  un  épouvantail  religieux,  sans  doute,  mais  son  but  pratique 
dernier  est  un  avantage  national.  On  ne  se  bat  plus  en  Orient  pour 
des  intérêts  spirituels.  Le  Phanar  maintient  sur  le  front  bulgare  cette 
épithète  outrageante,  d'abord  pour  effaroucher  les  âmes  timides  et  les 
retenir  dans  le  bercail,  mais  surtout  parce  que  cela  lui  permet  d'opposer 
à  la  hiérarchie  bulgare,  toujours  grandissante  en  Thrace  et  en  Macédoine, 
une  hiérarchie  grecque  plus  nombreuse,  combattant  pour  l'hellénisme. 

La  lutte  se  poursuit.  Elle  ne  s'achèvera  que  le  jour  où  les  deux  pro- 
vinces seront  sans  contestation  à  l'une  ou  à  l'autre  des  deux  nations 
rivales.  D'ici  lors,  malgré  tous  les  agissements  moscovites,  ni  la  Bul- 
garie ne  consentira  à  retirer  de  Constantinople  son  exarque  et  ses 
métropolites  des  villes  qu'ils  occupent,  ni  les  saints  canons  ne  per- 
mettront au  Phanar  la  moindre  concession  pratique  tant  que  l'hellé- 
nisme aura  des  intérêts  discutés  en  Turquie  d'Europe. 

En  attendant,  les  deux  nations  et  les  deux  Eglises  peuvent  continuer 
à  s'unir  contre  les  Turcs.  C'est  leur  avantage,  mais  qu'on  se  garde  de 
compromettre  cette  entente  en  portant  la  question  sur  des  points  aussi 
brûlants  que  celui  du  schisme.  C'est  ce  que,  fort  sagement,  l'on 
a  pensé  et  déclaré  dans  les  milieux  officiels  de  Grèce  et  de  Bulgarie. 
Aussi  le  projet,  qui  a  fait  couler  de  l'encre  durant  plusieurs  mois,  n'est 
pas  sorti  de  la  presse. 

L'unité  de  l'Eglise  bulgare.  —  Une  autre  controverse  a  tout  naturel- 
lement surgi -de  celle  du  schisme,  c'est  celle  qui  concerne  l'unité  de 
l'Eglise  bulgare. 

Echos  d'Orient,  t.  XV.  35 


^46  ECHOS    d'orient 


Même  depuis  la  création  du  royaume  indépendant,  les  orthodoxes 
bulgares  de  Turquie  et  de  Bulgarie  ne  forment  qu'une  seule  Eglise. 
L'article  39  de  la  Constitution  revisée  consacre  officiellement  cette  unité. 
Un  synode  permanent,  réuni  à  Sophia,  administre  les  provinces  libres, 
tandis  que  le  chef,  au  moins  nominal  de  toute  l'Eglise,  l'exarque, 
réside  à  Constantinople,  où  sa  présence  est  nécessaire  pour  favoriser  la 
propagande  nationale  en  Thrace  et  en  Macédoine.  Depuis  la  procla- 
mation de  la  Constitution  turque,  l'exarque  a  établi  à  ses  côtés,  à 
Constantinople,  un  synode  composé  des  métropolites  bulgares  de  la 
Thrace  et  de  la  Macédoine,  et  un  Conseil  laïque  analogue  à  ceux  qui 
fonctionnent  aux  patriarcats  grec,  arménien  grégorien  ou  arménien 
catholique.  Jusqu'à  présent,  les  Turcs  ont  refusé  de  reconnaître  cette 
institution. 

Les  rapports  mutuels  des  deux  autorités  de  Sophia  et  de  Constan- 
tinople n'ont  jamais  été  déterminés  bien  en  détail.  Cependant,  des  pré- 
cisions sont  de[plus  en  plus  nécessaires,  surtout  à  la  suite  des  créations 
récentes.  Le  synode  de  Sophia,  appuyé  sur  les  plus  orthodoxes  théories 
byzantines,  décida,  l'an  dernier,  que  l'exarque  n'était,  devant  ses  col- 
lègues, que  le  primus  inter  pares,  et  n'avait  qu'une  primauté  d'hon- 
neur (i).  Cette  autorité,  si  faible  fût-elle,  suffisait  à  maintenir  extérieu- 
rement l'unité,  et  concentrait  sur  l'exarque  toutes  les  aspirations  natio- 
nales vers  la  grande  Bulgarie. 

Mais  voici  que,  cette  année,  la  haute  assemblée  ecclésiastique  de 
Sophia  désire  et  demande  pour  l'Eglise  du  royaume  bulgare  la  sépa- 
ration complète  de  celle  de  Turquie.  Seuls,  semble-t-il,  des  motifs 
d'ordre  personnel  ou  un  excessif  esprit  de  corps  ont  pu  l'incliner  à  cette 
décision.  Les  intérêts  les  plus  évidents  de  la  nation  lui  sont  opposés. 
Aussi  la  presse,  surtout  la  presse  nationaliste,  s'engagea-t-elle  dans  le 
débat  pour  blâmer  l'initiative  du  synode.  Un  ministre  déclara  au  Matin 
de  Sophia  que  la  question  de  l'unité  de  l'Eglise  bulgare  étant  une  ques- 
tion politique,  le  synode  était  incompétent  pour  en  traiter.  L'exarque 
lui-même  est  de  cet  avis.  Ne  disait-il  pas,  peu  de  jours  plus  tard,  que 
seule  une  intervention  du  gouvernement  pourrait  déterminer  la  nature 
des  rapports  qui  doivent  exister  entre  l'exarchat  et  le  synode.?  Des 
négociations  ont  été  engagées.  Deux  conseillers  laïques  de  l'exarchat, 
MM.  Démoff  et  Mirtcheff,  sont  allés  à  Sophia  pour  traiter  de  cette 
importante  affaire  avec  les  milieux  intéressés. 

Mais  depuis  lors  ont  surgi  de  graves  événements,  gros  de  cons 


(1)  Echos  d'Orient,  1912,  t.  XV,  p.  169-170. 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  547 


<îuences  et  pour  la  nation  et  pour  l'église  bulgares.  Le  sort  des  armes 
^ura  sa  répercussion  jusque  dans  le  domaine  religieux. 

F.  C. 

Grecs 

Orthodoxes 

I.  Les  quatre  patriarches  orthodoxes  docteurs  en  théologie. 

11  est  peut-être  un  peu  tard  pour  signaler  la  distinction  dont  l'Uni- 
versité d'Athènes,  à  l'occasion  des  fêtes  du  soixante-quinzième  anni- 
versaire de  sa  fondation,  a  voulu  honorer  les  quatre  patriarches  ortho- 
doxes de  Constantinople,  d'Alexandrie,  d'Antioche  et  de  Jérusalem. 
Nous  n'y  reviendrions  pas,  si  nous  n'y  trouvions  une  occasion  d'ob- 
server la  manière  dont  ces  titres  ont  été  accueillis  par  les  intéressés. 

Le  bulletin  officiel  du  patriarcat  d'Alexandrie,  le  Pantainos  (i),  rap- 
porte in  intenso  la  lettre  de  chaleureux  remerciements  adressée  par  le 
patriarche  de  Constantinople  au  doyen  de  la  Faculté  de  théologie 
d'Athènes,  M.  Mésoloras,  qui  lui  avait  communiqué  officiellement  sa 
nomination  et  l'eu  avait  félicité.  La  réponse  du  patriarche  d'Antioche 
est  aussi  reproduite.  Celle  de  Mf.""  Damien,  de  Jérusalem,  est  oubliée 
pour  les  raisons  canoniques  que  l'on  sait  :  Mg»"  Damien  est  toujours  con- 
sidéré, en  Egypte,  comme  déchu  de  sa  charge  (2). 

Ces  deux  lettres  sont  suivies,  dans  le  Pantainos,  d'une  remarque 
rsèche,  courte,  mais  qui  en  dit  long  :  le  Pape  et  patriarche  d'Alexandrie 
n'a  pas  répondu.  Cependant,  Ms""  Photios  n'est  pas  en  froid  avec  Athènes, 
■comme  il  l'est  avec  Jérusalem.  11  s'est  fait  représenter  aux  fêtes,  et 
a  répondu  à  l'invitation  de  M.  Lambros,  recteur  de  l'Université,  par  une 
lettre  cordiale  et  enthousiaste.  Autres  sont  les  raisons  de  son  abstention. 
Elles  sont  aisées  à  comprendre  pour  qui  sait  combien  Ms?'"  Photios  est 
jaloux  de  conserver  son  indépendance  vis-à-vis  des  laïques.  11  aura  été 
froissé,  et  à  bon  droit,  de  voir  des  professeurs  séculiers  adresser  aux 
patriarches,  qui  sont  en  matière  de  doctrine  les  vrais  docteurs  dans 
4'Eglise,  un  certificat  de  compétence  théologique.  Voici,  à  titre  de 
curiosité,  les  termes  mêmes  de  la  lettre  adressée  par  M.  Mésoloras  au 
patriarche  de  Jérusalem  pour  lui  décerner  son  brevet.  Les  termes  en 
sont  suggestifs  : 


(0  ITàvraivo;,  21   juin  1912,  p.  385,  386. 
g(2)  Echos  d'Orient,   1912,  t.  XV,  p.  180,  264. 


548  ÉCHOS  d'o.rient 


«  L'Ecole  de  théologie  de  l'Université  capodistriaque,  prenant  en 
considération  (i)  vos  combats  pour  notre  Eglise  orthodoxe,  a  décidé,. 
dans  sa  séance  du  21  mars,  de  vous  proclamer  docteur  honoraire  en 
théologie. 

»  En  vous  félicitant  à  ce  sujet,  nous  baisons  pieusement  la  main  de 
Votre  Béatitude,  et  nous  vous  demandons  vos  prières  et  votre  béné- 
diction. »  (2) 

Le  plus  étonnant  de  l'aventure  sera  que  l'initiative  des  Athéniens 
n'en  ait  pas  offensé  d'autres  que  le  patriarche  d'Alexandrie.  Mais- 
Mt'i"  Joachim  111,  pour  s'en  froisser,  était  sans  doute  trop  à  la  joie  de 
n'avoir  plus  à  craindre  qu'un  membre  du  synode  vienne  jamais  lui. 
redemander  ironiquement  de  montrer  son  titre  de  docteur. 

IL  Biens  dédiés  en  Bessarabie. 

La  controverse  des  biens  dédiés  est  depuis  longtemps  close  en  Rou- 
manie. Elle  sommeillait  en  Russie,  depuis  quelque  temps,  lorsqu'une 
décision  récente  est  venue  la  rouvrir. 

Peut-être  le  centenaire  du  traité  de  Bucarest  et  de  la  cession  de  la 
Bessarabie  au  tsar  (1812)  a-t-il  paru  une  époque  favorable  pour  com- 
pléter la  sécularisation  de  cette  province.  On  sait  que  les  débuts  de  cette- 
œuvre  remontent  à  1873.  Les  revenus  des  couvents  qui  devaient  être 
consacrés  {dédiés)  aux  Lieux  Saints  (entendez  aux  monastères  grecs 
orthodoxes  de  Palestine,  de  l'Athos,  de  la  Thrace  et  de  la  Macédoine)- 
ne  furent  pas  confisqués  brutalement  comme  en  Roumanie.  Le  gou- 
vernement russe  s'établit  administrateur  des  propriétés,  s'adjugea  à  lui- 
même  les  trois  cinquièmes  de  leur  revenu  net,  ne  laissant  que  les  deux 
cinquièmes  à  leur  destination  primitive.  En  pratique,  cependant,  il  se 
montrait  bon  prince,  et  le  plus  souvent  se  contentait  d'un  cinquième 
pour  payer  les  frais  d'entretien  (3).  Cette  conduite  débonnaire  semble^ 
devoir  prendre  fm.  Dernièrement,  avant  de  se  séparer  pour  les  vacances,, 
les  députés  de  la  Douma  ont  voté  à  la  hâte  une  loi  qui  diminue  encore- 
d'un  cinquième  la  part  des  revenus  à  fournir  aux  Lieux  Saints.  Le- 
Conseil  a  sanctionné  la  loi,  qui  va  êtie  mise  à  exécution. 

Les  motifs   de  cette  résolution   ne  sont  pas    produits,  mais  ils  ne- 
doivent  guère  être  différents  de  ceux  que  développèrent,  en  1898,  les- 


(i)  C'est  nous  qui  soulignons  ces  passages. 

(2)  Néa  Stciv,  1912,  mars-avril,  p.  814. 

(3)  Vailhé,   art.    Consiantinople,   dans  le   Dictionnaire    de   théologie    catholique 
col.  1499,  i5oo. 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  549 

Novosti  de  Saint-Pétersbourg,  et  que  l'on  trouvera  résumés  dans  les 
■Echos  d'Orient  de  1899,  avec  la  réponse  indignée  qu'y  fit  un  Grec  dans 
•une  brochure  sensationnelle  (i). 

L'exarque  du  Saint-Sépulcre  à  Moscou  a  fait  entendre  d'énergiques 
•protestations,  qui  sont  restées  sans  résultat.  Le  saint  synode  de  la 
Grande  Eglise  a  aussi  adressé  au  tsar  une  dépêche  où  elle  exprimait 
ses  plaintes.  Elles  étaient  d'ailleurs  prévues  et  n'ont  pas  abouti. 

Pour  hausser  le  caractère  de  ces  protestations  et  leur  donner  la  portée 
■d'une  grande  manifestation,  certains  organes  orthodoxes  ont  dit  que  le 
patriarche  de  Constantinople  avait  démissionné  par  suite  de  la  décision 
•moscovite.  C'était  exagéré.  Sans  doute  la  crise  patriarcale  y  est  rattachée, 
mais  d'un  lien  très  ténu,  comme  on  pourra  s'en  rendre  compte. 

III.    DÉMISSION    DU    PATRIARCHE    DE    CoNSTAXTINOPLE. 

C'est  un  événement  très  banal  en  soi,  q,ue  la  démission  de  Me»'  Joa- 
chim  111  et  le  retrait  de  cette  démission  deux  jours  plus  tard.  C'est  une 
pure  manœuvre  parlementaire.  Nous  n'y  insisterions  pas,  si  cette  scène 
ne  venait  à  point  nommé  confirmer  une  étude  récemment  parue  dans 
les  Echos  d'Orient  sur  l'autorité  spirituelle  du  patriarche  (2).  C'est  en 
effet  aux  institutions  que  nous  nous  en  prendrons  surtout.  Sans  doute 
nous  pourrions,  avec  les  Grecs  eux-mêmes,  aller  plus  haut  et  dire  que 
«  si  le  patriarche  démissionne  très  souvent,  la  cause  en  est  dans  les 
déplorables  ambitions  des  clercs  et  des  laïques  qui  l'entourent  »  (3), 
ou,  avec  le  même  organe,  accuser  «  V envie,  la  bassesse  et  Vétroitesse 
d'horizon  »  du  synode  (4).  Mais  de  tels  propos  ne  sont  permis  qu'à  de 
bons  laïques  orthodoxes,  qui  font  la  leçon  au  clergé,  tant  les  dévore  le 
zèle  de  la  maison  de  Dieu.  11  nous  suffira  à  nous  de  remarquer  à  quels 
pauvres  stratagèmes  ce  chef  spirituel  est  condamné  à  recourir  pour  se 
donner  un  peu  d'autorité  sur  les  évêques  qui  l'entourent.  On  peut  les 
résumer  en  deux  mots  :  il  donne  sa  démission,  comptant  sur  le 
dévouement  des  conseillers  laïques;  ceux-ci,  en  effet,  obligent  les  pré- 
lats récalcitrants  à  venir  le  supplier  de  remonter  sur  le  trône  patriarcal. 

Voici  le  détail  des  faits.  Nous  les  rapportons  d'après  la  Proodos  (5), 
journal  tout  dévoué  à  la  personne  du  patriarche. 


(1)  Echos   d'Orient,  t.   III,  1899-1900,  p.   1 18-122.  Cf.  Revue  de  l'Orient  chrétien, 
agoo,  t.  V,  p.  1-18. 
■    (2)  Echos  d'Orient,  septembre  19 12,  p.  395-404. 

(3)  'Ay.pÔTio),'.  ;  (d'Athènes),  citée  dans  la  Proodos,  29  juillet  (v.  s.)  1912. 

H4)  Ibid.,  3i  juillet  {v.  s.)  1912. 

(5)  Proodos,  18,  19,  20,  25  juillet  (v.  s.)  1912. 


550  ÉCHOS  d'orient 


A  la  suite  de  la  décision  russe  touchant  les  biens  dédiés  de  Bessarabie, 
le  synode  envoya  seul  au  tsar  la  dépêche  de  protestation  dont  nous 
avons  parlé.  Le  Conseil  se  plaignit  de  n'avoir  pas  été  consulté  sur  une 
question  de  son  ressort.  La  plainte  fut  discutée  en  séance  synodale,  et 
inscrite,  avec  la  discussion,  au  procès-verbal.  Le  mardi  30  juillet,  ce 
procès-verbal  était  relu  au  synode  avant  d'être  envoyé  au  Conseil  en 
guise  de  réponse.  Dans  la  lecture,  fut  rapportée  la  phrase  suivante  du 
patriarche  :  «  Cette  décision  du  Conseil,  outre  qu'elle  est  illégale,  n'est 
pas  droite,  au  point  de  vue  affectueux  et  moral.  »  (Traduction  littérale.) 
Aussitôt  le  métropolite  de  Brousse,  président  du  Conseil,  se  leva  et 
demanda  au  patriarche  de  retirer  ces  paroles  ou  de  les  expliquer.  Le 
patriarche  répondit  que  sa  phrase  avait  été  «faussée  »,  et  aussitôt  rentra 
dans  ses  appartements.  Invité  à  deux  reprises  par  le  synode  à  revenir 
présider  la  séance,  il  s'y  refusa  et  enfin  envoya  sa  démission  écrite  dans 
un  pli  cacheté  qui  devait  être  ouvert  en  présence  des  deux  corps  réunis. 
Le  soir  même,  il  se  retira  à  sa  maison  de  campagne,  pour  attendre  les 
wénements. 

On  le  voit,  la  cause  de  l'incident  est  insignifiante,  et  c'est  là  une  des 
faiblesses  de  la  Grande  Eglise,  que  cette  facilité  avec  laquelle  un  dissen- 
timent futile  peut  dégénérer  en  crise  grave.  Y  avait-il  eu  préméditation, 
et  avait-on  à  dessein  changé  la  phrase  de  Sa  Sainteté  pour  la  rendre  plus 
dure  et  provoquer  une  démission  nouvelle?  Nous  l'ignorons.  En  tout 
cas,  nous  voyons  dès  lors  très  clairement  les  deux  partis  en  présence. 

Les  laïques  du  Conseil  mixte,  qui  cependant  devaient  être  les 
offensés,  restent  fidèles  au  patriarche.  Du  côté  opposé  sont  les  membres 
du  synode,  un  seul  excepté;  même  s'ils  n'ont  pas  provoqué  la  crise 
à  dessein,  ils  comptent  bien  la  mettre  à  profit  pour  essayer,  une  fois  de 
plus,  de  faire  tomber  Mb^'"  Joachim  111.  C'est  dans  la  réunion  générale  des 
deux  corps  que  la  partie  va  se  jouer.  Fixée  d'abord  au  lendemain,  elle 
fut  retardée  à  la  demande  des  conseillers,  qui  se  proposaient  d'agir  sur 
le  patriarche  et  d'obtenir  qu'il  revienne  sur  sa  décision. 

Le  synode  se  garda  bien  de  prendre  part  à  la  démarche.  C'est  le 
jeudi  ler  août  que  synodiques  et  conseillers  s'assemblèrent.  Ils  avaient 
été  convoqués  pour  «  prendre  connaissance  officielle  de  la  démissiorr 
du  patriarche,  et  procéder  aux  autres  formalités  prévues  ».  Le  pli  qui 
la  contenait  fut  décacheté  et  lu.  II  était  ainsi  conçu  :  «  Pour  des  raisons, 
de  conscience,  volontairement,  sans  violence,  nous  nous  démettons  aujour^ 
d'hui  du  poste  d'archevêque  de  Constantinople  et  de  patriarche  œci 
ménique,  mais  non  de  la  dignité  épiscopale,  que  nous  désirons  porte 
canoniquement  jusqu'à  notre  dernier  soupir.  » 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  S^I 


Aussitôt  après  la  lecture,  un  membre  du  Conseil,  M.  Pantziris,  déposa 
sur  la  table  du  président  une  autre  lettre,  obtenue  la  veille  de  Mt-'-  Joa- 
chim  111.  Le  patriarche  y  remerciait  M.  Pantziris  de  son  attachement  et 
de  ses  bons  sentiments,  et  déclarait  vouloir  réfléchir  jusqu'au  lundi 
suivant  sur  la  question  de  sa  dén.lssion.  Ainsi  le  prélat,  après  avoir 
déclaré  à  tous,  sur  tous   les   tons,   que  sa  volonté  était   immuable, 

inflexible,  irrévocable ,  avait  enfin  cédé.  11  n'attendait  plus  qu'une 

demande  officielle. 

Les  membres  du  synode  furent  un  peu  desappointés,  bien  qu'ils 
dussent  s'attendre  à  cette  issue.  Aussi  une  discussion  des  plus  vives 
s'engagea-t-elle  aussitôt  sur  le  fond  même  de  la  question  :  accepte- 
rait-on ou  non  la  démission?  Les  conseillers  voulaient  une  demande 
officielle  pour  en  obtenir  le  retrait.  Le  synode  s'y  refusait  absolument. 
Ne  pouvant  se  faire  écouter,  cinq  membres  du  Conseil  se  retirèrent  et 
allèrent  attendre  dans  la  salle  voisine.  L'assemblée,  dès  lors,  n'était 
plus  en  nombre  suffisant  pour  prendre  une  décision  valide.  Condamnés 
à  l'impuissance,  les  synodiques  se  soumirent,  rappellèrent  les  con- 
seillers, et  acceptèrent  leur  proposition  d'une  démarche  officielle. 

Quatre  délégués,  deux  membres  du  synode  et  deux  du  Conseil 
allèrent  prier  le  patriarche  de  vouloir  bien,  en  raison  de  l'état  critique 
des  circonstances,  retirer  sa  démission.  «  L'état  critique  des  circon- 
stances »  triompha  des  «  raisons  de  conscience  ».  Achille,  enfin,  laissa 
tomber  son  courroux  et  promit,  sans  conditions,  de  rentrer  le  soir 
même  au  palais. 

Qui  sortit  vainqueur  de  ces  escarmouches?  Mg^  Joachim  111?  On  ne 
voit  guère  en  quoi.  C'est  sans  conditions  qu'il  revint,  et  pour  s'en- 
tendre encore  rappeler  à  l'ordre  dès  la  première  séance  synodale.  Le 
métropolite  de  Brousse  l'invita  sans  détours  à  se  conformer  désormais 
aux  saints  canons  et  aux  règlements  nationaux  qui  déterminent  les 
rapports  du  patriarche  et  du  synode.  11  n'y  répondit  que  par  un  terne 
appel  ù  l'oubli  du  passé.  Quant  au  synode,  il  n'en  fut  pas  amoindri, 
pour  la  raison  qu'on  ne  peut  guère  l'amoindrir  davantage;  du  moins 
dut-il  avouer  une  fois  de  plus  son  impuissance  devant  le  Conseil.  Et 
s'il  est,  de  ces  faits,  une  conclusion  qui  s'impose,  c'est  la  constatation 
palpable,  évidente,  de  la  mainmise  du  corps  laïque  sur  la  Grande  Eglise- 


I 


IV.  Caisse  de  la  hiérarchie. 


Cette  institution  nouvelle  a  pour  but  d'améliorer  l'état  du  haut  clergé 
byzantin.  A  en  croire  certains  organes  orthodoxes,  cette  situation  serait 
des  plus  précaires.  Est-ce  vrai  de  l'ensemble?  Nous  ignorons  jusqu'à 


552 


ECHOS    D  ORIENT 


quel  point.  En  tout  cas,  cela  est  compréhensible  d'une  spéciale  caté- 
gorie de  prélats  qui  a  son  importance,  au  moins  numérique,  les  évêques 
démissionnaires. 

D'après  la  Proodos  (i),  il  n'y  aurait  pas  moins  de  20  métropolites  et 
de  6  simples  évêques  mis  ainsi  en  disponibilité,  pour  les  87  métropoles 
et  les  lôévêchésque  compte  le  patriarcat.  Sur  ce  nombre,  six  seulement 
se  sont  retirés  d'eux-mêmes;  les  autres  ont  été  déposés  pour  des 
raisons  d'ordre  moral  ou  administratif.  D'après  le  même  journal,  tous 
ces  déchus  vivotent  assez  misérablement.  Ils  reçoivent  sans  doute  une 
pension  de  la  Caisse  nationale,  mais  il  est  bien  évident  qu'ils  ont  été 
réduits  à  la  portion  congrue. 

Les  autres  prélats  semblent  moins  à  plaindre.  Métropolites  et  évêques 
tirent  de  leur  éparchie  des  revenus  au  moins  suffisants.  Si  les  chiffres, 
fixés  par  les  Règlements  généraux  (2)  de  1860,  correspondent  encore 
à  la  réalité,  les  plus  favorisés  reçoivent  100  000  piastres  (près  de 
20000  francs);  très  rares  sont  ceux  qui  ont  moins  de  20000  piastres 
(4000  francs);  la  moyenne  des  traitements  est  de  50000  piastres 
(10  000  francs).  Les  droits  casuels,  qui  varient  suivant  les  diocèses  et 
les  personnes,  ne  sont  pas  compris  dans  ces  évaluations.  Cependant, 
la  Proodos  (3)  constate  que  <^  la  vie  de  la  plupart  des  prélats  n'est  pas 
rose  au  point  de  vue  économique  ».  Ces  inconvénients  doivent  être 
réels,  puisque  l'on  éprouve  la  nécessité  d'y  remédier  par  une  institution 
nouvelle. 

C'est  le  synode  qui  en  a  pris  l'initiative  et  a  décidé  la  fondation, 
vers  le  début  du  mois  de  mai.  Il  a  voté  et  fait  sanctionner  par  le 
patriarche  un  règlement  particulier.  Comme  de  juste,  c'est  une  Com- 
mission ou  éphorie  qui  administre  la  Caisse.  Le  président  actuel  est 
Mgi-  Vaphidès,  de  Didymotichos. 

Cette  Caisse  hiérarchique  sera,  pour  le  haut  clergé,  ce  qu'est  pour  le 
clergé  inférieur  \2i  Caisse  sacerdotale,  rétablie  par  Constantin  V,  en 
1897  (4).  Elle  se  constitue  de  même,  par  des  cotisations  obligatoires. 
Tous  les  évêques  ont  été  taxés  pour  une  somme  annuelle  proportionnée 
aux  revenus  de  leur  éparchie.  11  faudra  longtemps  encore  avant  que  soit 
réuni  le  capital  nécessaire  pour  produire  les  heureux  fruits  qu'on  en 
attend  :    Carpent  poma  nepotes.  Du  moins  les   prélats  semblent-ils  le 


(i)  TIpooôo;,  7  avril  1912. 

(2)  Règlements  généraux,  publiés  par  M'^'  L.  Petit  dans  Colléctio  Conciliorum  de 
Mansi,  t.  XL,  col.  555  558;  cf.  Vailhé,  dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catholique, 
art.  Constantinople,  col.  1462. 

(3)  Ilpdoôo;,  28  avril  1912. 

(4)  Vailhé,  art.  Constantinople,  dans  le  Dictionnaire  de  théologie,  col.  1481. 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES    ORIENTALES  553 

craindre.  Aussi  la  Vérité  ecclésiastique  a-t-elle  dû  les  inviter  à  plusieurs 
reprises  à  verser  au  plus  tôt  leur  quote-part. 

Nous  souhaitons  à  cette  institution  nouvelle  plein  succès  dans  le  but 
qu'elle  poursuit,  et  qui  est  d'assurer  au  haut  clergé  grec  une  plus  grande 
indépendance  morale,  en  procurant  son  indépendance  économique. 
Dans  la  Vérité  ecclésiastique  (i),  M.  Ch.  Philippidès  reconnaît  que  «  si 
l'Eglise  catholique  est  encore  toute-puissante  et  lutte  avec  succès  contre 
toute  sorte  de  courants  et  de  flots,  elle  le  doit  et  à  l'incomparable 
discipline  qui  règne  en  elle,  et  à  son  indépendance  économique  ». 
L'auteur  propose  aux  siens  de  se  rendre  forts  en  se  rendant  ainsi  indé- 
pendants. 11  a  raison,  mais  le  vrai  secret  de  la  force  catholique  est  dans 
cet  esprit  de  discipline  qui  ne  peut  exister  que  sous  une  autorité  réelle, 
supérieure  et  personnelle.  Cette  tête  est  absente  dans  l'Eglise  ortho- 
doxe, et  une  si  grave  lacune  peut  rendre  nuls  les  bienfaits  mêmes  de 
l'indépendance  économique  et  morale. 

M.  Philippidès  sera  un  jour,  nous  le  craignons,  forcé  de  le  recon- 
naître, s'il  veut  être  sincère  jusqu'au  bout.  F.  C. 

Roumains 

Catholiques 

Création  d'un  diocèse  de  rite  grec-catholique  en  Hongrie,  à  Hajdu- 
Dorogh.  — Le  Saint-Siège  a  pris,  cet  été,  une  décision  appelée  à  avoir, 
dans  l'empire  austro-hongrois  et  même  au  delà  de  ses  frontières,  un 
retentissement  considérable;  c'est  la  création,  en  Hongrie,  d'un  diocèse 
nouveau  de  rite  grec  pur.  Pour  en  faire  saisir  toute  la  portée,  un  cer- 
tain nombre  de  détails  préliminaires  doivent  être  rappelés  brièvement. 
L'empire  austro-hongrois  possède  plus  de  cinq  millions  de  catholiques 
de  rite  oriental.  Tous,  jusqu'à  présent,  n'avaient  de  grec  que  le  rite. 
Pour  la  langue,  les  uns,  les  Ruthènes,  employaient  le  slavon,  et,  les 
iautres,  les  Roumains,  se  servaient  de  leur  langue  nationale,  le  roumain. 
La  plus  grande  partie  de  la  population  ruthène  habite  l'Autriche,  la 
iîalicie,  où  se  trouvent  près  de  3  500000  fidèles  organisés  en  une  pro- 
vince  indépendante,   composée   de  trois  diocèses  seulement,  l'arche- 
vêché de  Lemberg  et  les  deux  évêchés  suffragants  de   Przemyschl  et 
Itanislawow.  En  Hongrie,  les  Ruthènes  sont  bien  moins  nombreux, 
nais  mieux  organisés  hiérarchiquement,  puisque   une  population  de 
)^oooo  fidèles  seulement  est  répartie  aussi  en  trois  diocèses:  Munkacs, 


(i)   'Ey.y.),r,<Tta(7Ti-/.T,    'A),r,Octa,  2  juin  1912,  p.  194. 


=,^4  ECHOS    D  ORIENT 


Kreutz  et  Eperiès.  II  est  vrai  que  ces  éparchies  ne  forment  pas,  comme 
en  Autriche,  une  province  indépendante.  Les  susceptibilités  hongroises 
n'ont  pas  même  permis  de  les  rattacher  à  l'archevêché  de  même  rite 
de  Lemberg.  Elles  sont  placées  sous  la  haute  juridiction  du  primat  latin 
de  Gran.  La  plupart  de  ces  fidèles  sont  établis  au  nord  de  la  plaine 
hongroise,  sur  le  versant  méridional  des  Carpathes. 

C'est  en  Hongrie  aussi  que  se  trouvent  les  catholiques  roumains,  ils 
y  sont  presque  deux  fois  plus  nombreux  que  les  Ruthènes,  environ 
I  200  ooG,  disséminés  dans  la  partie  orientale,  la  montagneuse  Transyl- 
vanie et  les  abords  de  la  plaine.  Ils  forment  une  province  ecclésiastique 
indépendante  de  quatre  diocèses.  L'archevêché  estFogaras,  sur  les  fron- 
tières de  la  Roumanie,  et  les  diocèses  suffragants  sont  Nagy-Varad, 
Szamos-Ujvar  et  Lugos. 

Hajdu-Dorogh,  la  ville  qui  vient  d'être  dotée  d'un  évêché,  se  trouve 
au  centre  de  la  grande  plaine  hongroise,  un  peu  au  nord  de  Debreczen, 
à  peu  près  à  égale  distance  des  pays  proprement  ruthènes  (Nord)  et 
roumains  (Sud-Est).  C'est  évidemment  cette  position  intermédiaire  qui 
l'a  fait  choisir  pour  centre  du  nouveau  diocèse  grec,  composé  d'anciens 
fidèles  ruthènes  ou  roumains.  Sans  doute,  le  grec  est  loin  d'être  connu 
du  peuple  et  même  du  clergé  de  ces  régions,  mais  ils  ont  oublié  aussi, 
dit-on,  leur  langue  nationale  ancienne.  Grâce  surtout  aux  progrès  con- 
sidérables du  madgyar,  beaucoup  ne  comprennent  plus  le  slavon  ou  le 
roumain  de  la  liturgie.  Qu'ils  reviennent  donc  à  la  langue  primitive  de 
leur  rite,  le  grec  ancien. 

Tel  est  le  but  du  nouveau  diocèse  :  réunir  sous  la  même  juridiction 
les  catholiques  de  rite  byzantin  dont  la  majorité  parle  hongrois.  La  Bulle 
d'érection  Christ l  fidèles  grœci  ritus  (i),  du  8  juin  191 2,  est  formelle 
à  ce  sujet.  C'est  pour  ce  motif  qu'on  lui  a  adjoint  des  paroisses  très 
éloignées  parfois  de  Hajdu-Dorogh,  comme  Budapest,  Mako,  Nagy- 
Varad  :  Qiium  tamen  ipsarum  fidèles  fere  omnes  hungarice  loquantur, 
peropportunum  visum  est  eas  novœ  erectce  diœcesi  adjungere  atque  aggre- 
gare.  II  en  est  de  même  des  35  paroisses  enlevées  au  diocèse  de  Fogaras. 
Le  Saint-Siège  est  décidé  à  ne  jamais  permettre  l'usage  liturgique  d'une 
nouvelle  langue,  le  hongrois  par  exemple,  et  c'est  aussi  pour  prévenir 
cet  abus  que  la  création  nouvelle  a  été  décidée.  Enfin,  la  Bulle  men- 
tionne un  dernier  motif  qui  a  sa  valeur  :  ut  «  arctiora  reddantur  vincula 
qtiibus  Regnum  Apostolicum  Sancti  Stephani  devincitur  cathedrœ  Aposto- 
lorum  Principis  ». 


(i)  Acta  Apostolicœ  Sedis,  vol.  IV,  i"  juillet  1912,  p.  429-435. 


CHRONIQUE    DES    EGLISES    ORIENTALES  S  S  S 


Le  nouveau  diocèse  aura  i6o  paroisses;  une  seule  est  soustraite  à  l'ar- 
chevêché latin  de  Gran,  celle  de  Budapest;  76  sont  tirées  des  deux  dio- 
cèses ruthènes  du  nord  de  la  Hongrie,  Eperiès  (8  paroisses)  et  surtout 
Munkacs  (68  paroisses);  enfin,  les  83  autres,  le  plus  grand  nombre, 
viendront  des  éparchîes  roumaines,  44  de  Nagy-Varad  (Gross-Werein), 
le  diocèse  le  plus  proche  de  Hajdu-Dorogh;  4  de  Szamos-Ujvar,  au 
milieu  de  la  Transylvanie,  et  35  de  Fogaras,  à  l'extrémité  orientale  de 
la  Hongrie,  près  de  la  Roumanie.  Ces  dernières  paroisses,  très  éloi- 
gnées, seront  administrées  par  un  vicaire  nommé  et  institué  par  l'évêque 
de  Hajdu-Dorogh, 

Nous  n'avons  pas  à  entrer  dans  le  détail  des  décisions  pratiques 
prises  par  le  Saint-Siège  pour  l'érection  du  nouveau  diocèse.  Notons 
seulement  les  plus  importantes. 

La  langue  liturgique  est  le  grec  ancien.  La  langue  populaire  ne  sera 
admise  que  dans  les  cérémonies  extra-liturgiques,  comme  cela  se  pra- 
tique dans  les  églises  latines.  Le  grec  ne  sera  obligatoire  que  dans  trois 
ans,  afin  de  laisser  aux  prêtres  le  temps  de  l'apprendre.  D'ici  lors,  ils 
pourront  continuer  à  célébrer,  comme  par  le  passé,  en  leur  langue 
respective,  slave  ou  roumaine;  quant  au  hongrois,  il  reste  interdit, 
puisqu'il  n'a  jamais  été  admis  dans  la  liturgie. 

Hajdu-Dorogh  est  placé  sous  la  juridiction  et  la  dépendance  de  la 
Propagande  et  fait  suffragant  du  siège  latin  de  Gran,  comme  les  trois 
diocèses  ruthènes  de  Hongrie. 

Le  gouvernement  s'est  formellement  engagé  {pacto  se  obstrinxii)  à 
soutenir  et  à  aider  tous  les  évêques  futurs  de  Hajdu-Dorogh,  et  à  faire 
toutes  les  dépenses  utiles  pour  l'érection  de  ce  diocèse  et  l'aménagement 
des  édifices  que  suppose  l'organisation  régulière  d'un  siège  épiscopal. 

Orthodoxes 

La  crise  religieuse  roumaine.  —  Les  Echos  d'Orient  ont  appelé  ainsi, 
on  s'en  souvient,  les  divisions  profondes  créées  en  Roumanie  par  un 
essai  trop  radical  de  réforme  ecclésiastique  (i).  Que  l'Eglise  roumaine 
eût  besoin  de  réforme,  tout  le  monde  en  convenait.  Mais  le  remède 
que  l'on  proposait  pour  la  guérir  était  pire  que  le  mal.  On  voulait 
changer  la  loi  synodale  (2)  qui  le  régit  depuis  1872  dans  un  sens  pres- 
bytérien, et  constituer  à  côté,  et  presque  au-dessus  du  saint  synode,  un 
Haut  Conseil  ecclésiastique  composé  de  représentants  du  clergé  inférieur 


(i)  Jean-Marie,  Echos  d'Orient,  1910,  t.  XIII,  p.  48. 

(2)  M"  L.  Petit,  dans  le  Conciliorum  CoUectio  de  Mansi,  t.  XLII,  col.  219. 


556  ÉCHOS    d'orient 


et  même  de  laïques.  C'était  aller  contre  les  principes,  si  ondoyants 
soient-ils,  de  l'Eglise  orthodoxe  elle-même.  La  lutte  qui  s'ensuivit, 
conduite  par  Mg""  Safirim,  évêque  de  Roman,  amena  la  déposition  de 
l'archevêque  de  Bucarest,  M^''  Mironesco. 

Le  siège  est  resté  vacant  jusqu'à  la  fin  de  mars  191 2.  Alors  l'évêque 
de  Husi,  Më'  Conon,  a  été  élu  archevêque  et  primat  de  Roumanie. 
Dans  son  premier  discours,  Mg^  Conon  a  encore  rappelé  les  maux  dont 
souffre  son  Eglise,  surtout  l'incapacité  intellectuelle  et  morale  du  clergé. 
Il  en  signale  la  cause  dans  l'insuffisance  de  la  loi  du  20  mai  1893,  qui 
s'occupe  spécialement  du  clergé  séculier  et  des  Séminaires.  Enfin,  il 
compte  sur  l'appui  moral  et  matériel  de  l'Etat,  et  engage  celui-ci  à 
mettre  au  service  de  l'Eglise  les  capitaux  ecclésiastiques  qui  sont  en  sa 
possession. 

Peu  de  temps  après  cette  élection,  le  projet  de  réforme  si  radical 
présenté  en  1909  a  été  modifié  légèrement.  Le  Haut  Conseil  ecclêsias- 
Hque  malheureusement  n'est  pas  supprimé,  mais  il  devient  une  sorte 
de  bureau  consultatif  dépendant  du  ministère  des  Cultes  ou  du  saint 
synode,  qui  lui  confient,  chacun  dans  son  ressort,  diverses  matières 
à  étudier  ou  à  examiner.  Ses  avis  et  décisions  ne  peuvent  être  appliqués 
qu'après  l'approbation  du  ministère  ou  du  synode. 

Peut-être  ces  précisions  et  concessions  suffiront-elles  à  calmer  les 
scrupules  de  l'opposition  et  permettront-elles  à  l'Eglise  roumaine  et 
au  gouvernement  de  passer  aux  autres  réformes  proposées.  Qui  pour- 
rait affirmer,  en  effet,  que  l'institution  nouvelle,  ainsi  entendue,  soit 
vraiment  incompatible  avec  les  principes  si  fiexibles  de  l'Eglise  orthodoxe? 

F.  C. 

Ruthènes 

Catholiques 

Nomination  ifun  évêque  ruthène  au  Canada.  — Rome  vient  de  nommer 
pour  le  Canada  un  évêque  régionnaire  de  rite  et  de  nationalité  ruthène. 
L'élu  est  M.  Nicolas  Budka,  préfet  du  Séminaire  archiépiscopal  de 
Lemberg,  en  Galicie. 

Cette  décision   répond  à  un   réel   besoin.  Elle  continuera  l'œuvre, 
commencée  aux  Etats-Unis,  de  l'institution  d'une  hiérarchie  chargée  d^ 
veiller  spécialement  sur  les  fidèles  de  rite  oriental  émigrés  en  Ai 
rique.  Les  Slaves  y  sont  déjà  très  nombreux.  Les  Echos  d'Orient 
publié,  en  19 10  (i),  la  traduction  d'une  étude  que  M.  Shipman  a  c( 

{\)  Echos  d'Orient,  1910,  t.  XIII,  p.  173. 


CHRONIQUE    DES    ÉGLISES   ORIENTALES  SS7 

sacrée  à  ce  sujet  dans  The  catholic  Encyclopedia  (i).  C'est  aux  Etats- 
Unis  que  l'émigration  ruttiène  a  été  le  plus  intense.  En  1908,  il  y  avait 
de  350000  à  400000  fidèles  de  ce  rite,  en  comprenant  dans  ce  chitfre 
les  Slovaques  et  les  Croates  Slovènes  de  rite  byzantin.  C'est  à  eux  que 
devait  d'abord  songer  le  Saint-Siège.  En  1907,  il  leur  envoya  un  évêque 
régionnaire  avec  juridiction  sur  tous  les  Ruthènes  des  Etats-Unis  et, 
par  l'importante  Constitution  apostolique  Ea  semper  de  septembre  1907, 
régla  la  situation  générale  du  rite  grec  en  Amérique. 

C'est  une  œuvre  analogue  que  fait  aujourd'hui  le  Saint-Siège  au 
Canada,  par  le  Bref  (2)  Ojficium  stipremi  Apostolatus,  du  i  5  juillet  191 2. 
Dans  ce  pays,  les  Ruthènes  sont  bien  moins  nombreux  cependant 
qu'aux  Etats-Unis.  En  1908,  d'après  M.  Shipman,  ils  étaient  de  45000 
à  50000.  Ce  chiffre  est  certainement  dépassé  aujourd'hui.  11  est  assez 
important  pour  mériter  la  nomination  d'un  évêque,  dont  la  présence 
ne  pourra  que  hâter  et  faciliter  l'organisation  des  communautés  de 
fondation  récente. 

Le  nouvel  évêque  doit:  i"  exercer  une  pleine  juridiction  personnelle 
sur  tous  les  fidèles  du  rite  ruthène  du  Canada,  présents  et  futurs, 
sous  la  seule  dépendance  du  délégué  apostolique;  2"  établir  sa  rési- 
dence ordinaire  dans  la  ville  de  Winnipeg.  F.  Cayré. 

PosT-ScRiPTUM.  —  Un  acte  du  Saint-Siège  autorisant  tous  les  fidèles  à  communier 
dans  n'importe  quel  rite.  —  Que  nos  lecteurs  nous  permettent  d'ajouter,  à  la  fin  de 
cette  chronique  des  Eglises  orientales,  la  mention  d'un  important  document  du  Saint- 
Siège  dont  nous  comptons  leur  présenter  prochainement  le  texte  intégral  avec  une 
traduction  française.  Les  Acta  Sanctœ  Sedis  du  3o  septembre  1912  (t.  IV,  n»  18 
p.  609-617)  ont  publié  la  Constitution  apostolique  Tradita  ab  antiquis,  sous  ce  titre 
qui,  à  lui  seul,  en  indique  déjà  la  disposition  principale  et  la  haute  portée  religieuse  : 
De  sanctissima  Eucharistia  prumiscuo  rilu  sumenda.  L'acte  porte  la  date  du  14  sep- 
tembre 1912.  En  attendant  que  tous  nos  lecteurs  puissent  avoir  sous  les  yeux  ce  très 
intéressant  document,  duquel  le  Souverain  Pontife  se  promet  les  plus  heureux  résul- 
tats pour  la  grande  cause  de  l'union  des  Eglises,  nous  croyons  utile  de  faire  connaître 
ici  sans  retard  la  teneur  de  la  disposition  principale  formant  le  troisième  article  du 
dispositif  final.  Il  y  est  dit  : 

Omnibus  fidelibus  cujusvis  ritus  datur  facultas  ut.  pietatis  causa,  Sacramentum  Eucharisticum 
quolibet  ritu  confectum  suscipiant  (p.  6i6). 

Tout  fidèle,  de  quelque  rite  qu'il  soit,  est  autorisé,  môme  pour  simple  motif  de  dévotion,  à  rece- 
voir le  Sacrement  Eucharistique  consacré  dans  n'importe  quel  rite. 

Cette  mesure,  dit  le  Pape,  «  sera  utile,  non  seulement  pour  enflammer  l'ardeur  de 
la  piété  parmi  les  catholiques  d'Orient,  mais  encore  pour  confirmer  leur  mutuelle 
concorde  »  par  la  participation  commune  au  Pain  unique  qui  est  le  sacrement  de 
l'unité.  De  telles  paroles,  venant  d'une  autorité  si  auguste,  expriment  trop  bien  nos 
propres  aspirations,  pour  que  nous  ne  soyons  pas  empressés  à  applaudir  de  tout 
notre  cœur  à  ce  nouvel  acte  du  Vicaire  de  Jésus-Christ. 

S.  Salaville. 


(i)  The  catholic  Encyclopedia,  t.  VI,  p.  744-752. 

(2)  Acta  Apostolicœ  Sedis,  vol.  IV,  3i  août  1912,  f.  555-556. 


BIBLIOGRAPHIE 


Fr.  Mourret  :  Histoire  générale  de  l'Eglise.  —  V.  La  Renaissance  et  la 
Réforme.  Paris,  Bloud,  3«  édition,  1910,  in-S»,  604  pages.  Prix:  7  fr.  5o. 
—  Yl.  L'Ancien  Régime.  Paris,  Bloud,  4*  édition,  191 1,  in-8°,  594  pages. 
Prix  :  7  fr.  5o. 

Sous  le  titre  très  précis  :  la  Renaissance  et  la  Réforme,  l'auteur  ne  se 
contente  pas  de  nous  retracer  les  diverses  phases  de  l'histoire  de  l'Eglise 
au  xv«  et  au  xvi®  siècle;  il  prend  les  événements  au  pontificat  de  Boni- 
face  VIII  et  les  suit  jusqu'au  xvii^  siècle  (i 294-1 600).  L'ouvrage  comprend 
trois  parties:  1°  Décadence  de  la  chrétienté  sous  l'influence  des  légistes, 
de  l'humanisme  païen  et  du  grand  schisme  d'Occident,  décadence  qui 
rend  les  réformes  nécessaires;  2°  révolution  protestante  qui  prétend 
réformer  l'Eglise  en  se  passant  de  l'Eglise;  3"  réforme  catholique  par  le 
concile  de  Trente,  et  une  effloraison  magnifique  d'Ordres  religieux. 
M.  l'abbé  Mourret  a  utilisé  les  travaux  les  plus  récents  et  les  plus  sérieux, 
particulièrement  ceux  du  P.  Denifle  au  sujet  de  Luther,  ce  qui  donne  à 
son  ouvrage  une  grande  valeur  scientifique,  mais  qui  n'embarrasse  pas 
son  style  clair  et  rapide.  Nous  lui  ferons  un  petit  reproche  :  celui  de  ne 
s'être  pas  assez  occupé  des  Eglises  orientales.  La  formation  de  l'Eglise 
russe  et  la  fondation  du  patriarcat  de  Moscou,  entre  autres  choses,  méri- 
taient de  le  retenir  quelque  peu.  Cette  lacune  sera  regrettée  par  ceux  qui 
s'intéressent  aux  vieilles  chrétientés  de  l'Orient. 

Par  ancien  régime,  les  démagogues  entendent  volontiers  tout  ce  qui 
a  précédé  1789.  Ce  n'est  pas  l'avis  de  M.  Mourret  ni  des  meilleurs  histo- 
riens. Il  faut  simplement  entendre  par  là  le  régime  politique  et  social 
des  nations  européennes  pendant  les  deux  derniers  siècles  qui  ont  précédé 
la  Révolution.  L'auteur  nous  montre  la  Renaissance  catholique  com- 
mencée au  XVI*  siècle,  continuant  son  œuvre  bienfaisante  dans  la  doctrine, 
la  piété,  la  rénovation  du  clergé,  les  oeuvres  de  charité  et  les  missions 
étrangères.  Puis  nous  assistons  à  la  lutte  de  l'Eglise  contre  les  doctrines 
hétérodoxes  :  protestantisme,  gallicanisme,  jansénisme,  quiétisme.  Il 
nous  semble  que  M.  Mourret  a  fait  une  place  trop  restreinte  au  josé- 
phisme,  qui  a  cependant  beaucoup  contribué  à  la  Révolution,  et  dont 
s'inspirent,  peut-être  sans  le  savoir,  beaucoup  de  persécuteurs  modernes. 

Le  chapitre  consacré  aux  Eglises  orientales,  bien  qu'il  soit  d'inégale 
valeur  dans  ses  diverses  parties,  donne  toutefois  une  idée  juste  de  la  vie 
religieuse  en  Orient  aux  xvii*  et  xviii*  siècles.  Il  serait  faux  cependant  de 
croire  que  les  controverses  dogmatiques  chez  les  Grecs  se  sont  bornées 
aux  doctrines  protestantes  et  à  la  rebaptisation  des  Latins.  Il  eût  été  bon 
aussi  d'ajouter  quelques  mots  sur  l'apostolat  catholique  dans  les  pays  de 


BIBLIOGRAPHIE  559 


langue  grecque,  apostolat  très  intense  et  très  fructueux,  particulièrement 
celui  des  Pères  Jésuites  dans  l'Archipel. 

R.  Janin. 

F.  Prat,  s.  J.,   la  Théologie  de  saint  Paul.  Deuxième  partie.  Paris, 
G.  Beauchesne,  191 2,  in-S",  viii-579  pages.  Prix  :  7  fr.  5o. 

Le  R.  P.  Prat  nous  livre  dans  ce  second  volume  sur  la  théologie  de 
saint  Paul  une  magnifique  synthèse  de  la  doctrine  du  grand  Apôtre.  Par 
l'harmonieuse  disposition  des  parties  comme  par  la  plénitude  du  con- 
tenu, par  la  clarté  de  l'exposition  et  l'élégance  du  style  comme  par  l'ori- 
ginalité de  la  pensée,  alliée  à  une  érudition  consommée,  par  la  richesse 
et  la  précision  des  détails  comme  par  les  lumineuses  vues  d'ensemble, 
cet  ouvrage  nous  paraît  réaliser  toutes  les  conditions  du  chef-d'œuvre.  Il 
est  de  ceux  qui  resteront  et  qu'on  n'aura  pas  envie  de  refaire.  Car  le 
P.  Prat  a  fouillé  les  épîtres  pauliniennes  dans  tous  les  sens.  On  sent,  en 
le  lisant,  qu'il  s'est  assimilé  la  doctrine  de  l'Apôtre,  qu'il  a  fait  un  effort 
prodigieux  pour  en  saisir  l'idée  centrale  et  pour  faire  converger  autour  de 
cette  idée  les  éléments  variés  de  l'Evangile  paulinien. 

Cette  idée-mère,  le  P.  Prat  la  formule  ainsi  :  «  Le  Christ  Sauveur 
associe  tout  croyant  à  sa  mort  et  à  sa  vie.  Le  Christ  Sauveur  définit  la 
personne  du  rédempteur;  c'est  le  Messie,  l'envoyé,  l'agent  et  le  manda- 
taire de  Dieu,  le  pontife  de  l'humanité  coupable,  le  nouvel  Adam  chargi 
par  Dieu  de  réparer  l'œuvre  du  premier.  Tout  croyant  spécifie  le  sujet 
de  la  rédemption  —  universel  en  puissance,  sans  distinctions,  exclusions 
ni  privilèges  —  et  indique  en  même  temps  la  condition  essentielle  du 
salut  :  la  foi.  L'union  à  la  mort  et  à  la  vie  du  Christ  résume  k  plan 
rédempteur  conçu  par  le  Père  dès  l'éternité,  exécuté  au  tournant  des 
siècles  par  le  Fils  qui,  se  solidarisant  avec  nous  et  nous  unissant  avec  lui 
par  un  lien  d'identité  mystique,  fait  passer  sur  lui  ce  qui  est  à  nous  et 
sur  nous  ce  qui  est  à  lui.  »  (P.  55.)  De  cette  conception,  l'auteur  tire 
logiquement  le  plan  de  son  ouvrage.  I.  Préhistoire  de  la  rédemption 
(L'humanité  sans  le  Christ.  L'initiative  du  Père).  II.  La  personne  du 
\rédempteur  (Le  Christ  préexistant.  Relations  du  Christ  préexistant. 
IJésus-Christ).  III.  L'œuvre  de  la  rédemption  (La  mission  rédemptrice. 
|La  mort  rédemptrice.  Les  effets  immédiats  de  la  rédemption).  IV.  Les 
\fanaux  de  la  rédemption  (La  foi  et  la  justification.  Les  sacrements. 
JL'FIglise).  V.  Les  fruits  de  la  i-édemption  (La  vie  chrétienne.  Les  fins 
[dernières). 

Telles  sont,  avec  le  livre  premier,  consacré  au  paulinisme  (conceptions 
modernes,  notion  vraie),  les  grandes  divisions  de  cette  synthèse,  qui  défie 
tout  compte  rendu  et  qu'il  faut  lire  en  entier  pour  en  saisir  toute  la 
beauté  et  toute  la  richesse.  L'auteur  a  rassemblé  là  tout  ce  qu'on  a  écrit 
de  meilleur  sur  la  doctrine  de  saint  Paul,  en  y  ajoutant  son  apport  per- 


t^6o  ÉCHOS  d'orient 


sonnel,  qui  est  considérable.  Les  vues  neuves  et  originales  abondent,  en 
effet,  qui  montrent  dans  le  P.  Prat  un  théologien  très  averti,  un  exégète 
d'une  rare  pénétration,  un  philologue  rompu  à  toutes  les  nuances  de 
l'expression  et  de  la  pensée.  Le  philologue  et  l'érudit  se  révèle  surtout 
dans  les  vingt-cinq  longues  notes  distribuées  à  la  fin  des  chapitres.  Ce 
sont  autant  de  petites  monographies  très  denses  de  contenu,  qui  aident  à  _ 
mieux  comprendre  les  données  synthétiques.  Signalons  enfin  les  tables^! 
générales  qui  terminent  le  volume,  et  qui  comprennent  :  i°  Un  sommaire 
analytique  de  dix-huit  pages  très  serrées;  2"  une  bibliographie  de  quatorze 
pages;  3°  une  table  exégétique;  4"  un  index  philologique.  Nous  souhai- 
tons de  tout  cœur  à  la  Théologie  de  saint  Paul  le  succès  qu'elle  mérite. 
Elle  contribuera  certainement  dans  une  large  mesure  au  renouvellement 
et  au  progrès  de  la  théologie  tout  court. 

M.  JUGIE. 

E.  Mangenot,  Dictionnaire  de  théologie  catholique,  fascicules  XXXV- 
XXXIX  {Equipoque-Extrême-Onction).  Paris,  Letouzey,  I9ii-i9[2. 
Prix  :  5  francs  le  fascicule. 

Des  articles  très  étendus,  dont  quelques-uns  enjambent  sur  deux  ou 
même  sur  trois  fascicules,  nous  ont  mis  un  peu  en  retard  avec  le  Dic- 
tionnaire de  théologie  catholique.  Force  nous  sera  de  nous  borner  à  une 
rapide  énumération  des  principales  notices.  A  la  théologie  dogmatique  et 
morale  ressortissent  plus  directement  les  articles  :  Equivoque,  col.  386- 
388  (C.  Antoine);  Erreur  doctrinale  et  Erreur  empêchement  de  mariage, 
col.  435-456  (E.  Valton);  Eschatologie  (E.  M^angenot);  Esclavage,  col.  457- 
520  (J.  Dutilleul);  Espérance,  col.  605-676  (S.  Harrent);  Esprit-Saint, 
col.  676-829  (A.  Palmieri);  Essence,  col.  83i-85o  (A.  Michel);  Etats  de 
vie,  col.  905-911  (C.  Antoine);  £'/ern//e,  col.  912-921  (A.  Michel);  Eucha. 
ristie,  col.  989-1452  (C.  Ruch,  G.  Bareille,  R.  S.  Bour,  F.  Vernet,  J.  de 
Ghellinck,  E.  Mangenot,  F.  Jansen);  Eve,  col.  1640-1655  (E.  xMangenot); 
Evidence,  col.  1725-1731  (J.  Bouché);  Ex  cathedra,  col.  1731-1734 
(L.  Godefroy);  Expérience  religieuse,  col.  1786-1868  (H.  Pinard);  Expli- 
cite et  Implicite,  col.  1868-1871  (A.  Michel);  Extase,  col.  1871-1896 
(A.  Hamon);  enfin  le  début  de  l'article  Extrême-Onction. 

C'est  le  R.  P.  A.  Palmieri  qui  a  rédigé  l'article  Esprit-Saint.  11  étudie 
successivement:  1°  la  divinité  du  Saint-Esprit;  2"  sa  procession  du  Père 
et  du  Fils;  l'une  et  l'autre  d'après  l'Ecriture,  les  Pères,  les  conciles  et  les 
théologiens.  Ces  colonnes  compactes  abondent  en  renseignements  pré- 
cieux, bien  qu'ils  soient  présentés  d'une  manière  un  peu  trop  touffue. 
Les  belles  études  du  P.  de  Régnon  sont  largement  mises  à  contribution, 
même  aux  endroits  où  il  est  échappé  au  docte  Jésuite  quelques  inexacti- 
tudes. Ainsi,  col.  793-794,  pour  suivre  trop  fidèlement  son  guide,  le 
R.  P.  Palmieri  suppose,  comme  lui,  qu'Apollinaire  enseignait  que  le 


BIBLIOGRAPHIE  z,Sï 


Saint-Esprit  est  une  créature  du  Fils.  Voir  M.  Jugie,  Neslorius  et  la 
controverse  nestorienne,  Paris,  191 2,  p.  279-280.  Les  onze  colonnes  de 
bibliographie  sur  la  question  de  la  procession  du  Saint-Esprit  n'éton- 
neront pas  ceux  qui  sont  tant  soit  peu  au  courant  des  controverses  qu'elle 
a  suscitées,  et  l'on  saura  gré  au  R.  P.  Palmieri  d'avoir  dressé  cette  longue 
liste. 

Pour  les  articles  Eucharistie  et  Accidents  eucharistiques,  sept  colla- 
borateurs se  sont  partagé  la  besogne.  Le  sacrement  y  est  étudié  successi- 
vement dans  l'Ecriture,  chez  les  Pères,  d'après  les  monuments  chrétiens, 
du  w"  au  xii«  siècle,  au  xii«  en  Occident,  du  xiii''  au  xv«  siècle,  au  concile 
de  Trente,  du  xvi'=  au  xx«  siècle.  Vient  enfin  l'étude  sur  les  accidents 
eucharistiques.  C'est  la  matière  de  plusieurs  volumes  qui  se  trouve  ainsi 
réunie  pour  la  plus  grande  commodité  des  travailleurs.  Dans  la  subdivision 
y  Eucharistie  d'après  les  Pères,  on  se  contente  parfois  de  références  qui 
nous  ont  paru  par  trop  sobres.  Ainsi,  col.  1139,  un  alinéa  de  deux  lignes 
se  trouve  libellé  comme  suit:  «  7"  A  Rome.  —  Saint  Hippolyte,  voir 
A.  d'ALÈs,  la  Théologie  de  saint  Hippolyte.  Paris,  1906,  p.  147-150.  » 
Maints  lecteurs  préféreraient  certainement  un  résumé,  si  bref,  fût-il,  des 
pages  auxquelles  on  les  renvoie. 

Au  droit  canon  appartiennent  des  articles  comme  Etat,  col.  879-905 
(E.  Valton);  Etrangers,  col.  982-989  (C.  Antoine);  Evêques,  col.  i656- 
1725  (F.  Pratet  E.  Valton);  Excommunication,  col.  1734-1744  (E.  Valton); 
Exorcisme  et  Exorciste,  col.  1762-178G  (J.  Forget);  Extravagantes, 
col.  1896-1897  (A.Villien);  —  à  l'exégèse,  les  notices  de  E.  Mangenot  sur 
les  livres  d'Esdras  et  Néhémie,  d'Esiher,  de  Y  Exode,  et  sur  Y  Evangile; 
celle  de  E.  Amann  sur  les  Evangiles  apocryphes;  —  à  l'histoire  de  la 
théologie  les  articles  Erasme,  Erigène,  Estius,  Ethnophrones,  Eucher, 
Euchites,  Eudes,  Eudoxe  et  Eudoxiens;  les  monographies  des  Papes  du 
nom  d'Etienne  et  Eugène;  les  articles  Eugenicos  (Jean),  Eunomius, 
Eusèbe,  Eustathe,  Eustrate,  Euthymius  Zigabène,  Eutychès  et  Euty- 
chianisme,  Evagre.  Plusieurs  de  ces  notices  sont  signées  par  des  rédac- 
teurs de  cette  revue;  signalons  notamment  la  monographie  d'Eutychès  et 
de  l'Eutychianisme,  col.  1582-1C09,  due  à  la  plume  du  R.  P.  Jugie. 

A  l'Eglise  d'Espagne  sont  consacrés  deux  articles.  Dans  le  premier, 
M.  Legendre  expose  l'état  religieux  actuel  de  cette  Eglise,  col.  553-593. 
Dans  l'autre,  le  R.  P.  Dominique  de  Caylus,  Capucin  de  Burgos,  fait  une 
monographie  des  sciences  sacrées  en  Espagne  depuis  le  moyen  âge, 
col.  593-603. 

Cette  trop  aride  énumération  suffit  à  dire  une  fois  de  plus  l'abondance 
de  renseignements  très  utiles  et  puisés  aux  meilleures  sources,  qu'on  trou- 
vera dans  ce  recueil.  On  lui  a  déjà  reproché  des  empiétements  sur  le  Dic- 
tionnaire d'histoire  et  de  géographie  ecclésiastiques  et  sur  le  futur  Dic- 
tionnaire de  droit  canon.  Je  veux  bien  que  l'information  historique  et 
Echos  d  Orient,  t.  XV.  36 


562  ÉCHOS    d'orient 


canonique  soit  fort  recommandable  aux  théologiens,  mais  ne  pourrait-on 
pas,  dès  à  présent,  réserver  complètement  à  ces  deux  derniers  répertoires 
des  articles  qu'il  sera  nécessaire  d'y  insérer  comme  étant  de  leur  ressort? 
Le  Dictionnaire  de  théologie  catholique  gagnerait,  à  cette  mesure,  de  la 
place  et  du  temps. 

S.  Salaville. 

J.  TiXERONT,  Histoij'e  des  dogmes  dans  l'antiquité  chrélienne,  t.  III  : 
La  fin  de  l'âge  patr'istique  (430-800).  Paris,  Gabalda,  1912,  in-12, 
583  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

Ce  troisième  volume  d'un  ouvrage  dont  l'éloge  n'est  plus  à  faire  étudie 
la  fin  de  l'âge  patristique,  que  l'auteur  clôt  pour  l'Orient  à  saint  Jean 
Damascène  et  à  la  controverse  iconoclaste;  pour  l'Occident,  à  Alcuin  et 
à  la  controverse  adoptianiste.  Après  un  aperçu  général  sur  la  théologie 
grecque  du  v^  au  vu*  siècle,  vient  l'exposé  en  cinq  chapitres  des  grandes 
controverses  christologiques.  M.  Tixeront  n'est  pas  de  ceux  à  qui  le  Livre 
d'Héraclide  a  persuadé  que  Nestorius  n'était  pas  nestorien.  Il  retrouve 
dans  cet  ouvrage  tout  l'essentiel  du  nestorianisme  classique,  bien  que  sa 
conception  de  l'unique  prosôpon  admis  par  l'hérésiarque  manque  de 
netteté.  Utilisant  les  conclusions  de  la  récente  étude  de  M.  Lebon  sur 
le  monophysisme  sévérien,  il  distingue  le  monophysisme  eutychien  du 
monophysisme  sévérien,  et  à  cela  il  n'y  a  rien  à  redire.  Par  contre,  les 
vues  du  savant  Belge  sur  la  terminologie  cyrillienne  nous  paraissent  plus 
que  contestables,  et  il  est  regrettable  que  M.  Tixeront  les  ait  adoptées 
sans  contrôle  suffisant.  Nous  ne  croyons  pas  non  plus  que  le  concile  de 
Chalcédoine  ait  été  le  premier  à  violer  la  défense  du  concile  d'Ephèse  en 
mettant  en  circulation  le  symbole  dit  de  Constantinople  (p.  48,  n.  i), 
pour  la  bonne  raison  que  le  concile  d'Ephèse  n'avait  et  ne  pouvait  avoir, 
dans  le  cas,  l'intention  de  lier  les  conciles  futurs. 

Les  palinodies  du  pape  Vigile  dans  l'affaire  des  trois  chapitres  sont  for- 
tement mises  en  relief.  Le  lecteur  catholique  aimerait  bien  trouver,  après 
l'exposé  de  la  difficulté  doctrinale  qu'elles  soulèvent,  les  éléments  d'une 
solution.  Le  cas  du  pape  Honorius  aurait  aussi  mérité,  semble-t-il,  plus 
qu'une  simple  note. 

Les  diverses  phases  de  la  querelle  monothélite  sont  fort  bien  racontées. 
Quant  à  la  définition  même  du  monothélisme  de  Sergius  et  de  l'Ec- 
thèse,  certains  trouveront  qu'elle  ne  sort  pas  nécessairement  des  textes. 
Le  monothélisme  de  Sergius  esi-il  autre  chose  qu'un  point  particulier  du 
monophysisme  sévérien,  et  n'y  aurait-il  pas  lieu  de  distinguer  entre  un 
monothélisme  verbal  et  un  monothélisme  réel,  tout  comme  on  dis- 
tingue un  monophysisme  verbal  et  un  monophysisme  réel? 

Le  chapitre  vu  résume  les  données  de  la  tradition  grecque  en  dehors 
de  la  doctrine  christologique.  C'est  l'un  des  plus  denses  du  volume.  Cer- 

1 


I 


BIBLIOGRAPHIE  1^63 


laines  questions,  comme  la  primauté  romaine  et  la  mariologie,  auraient 
pu  être  traitées  un  peu  plus  longuement.  On  ne  dit  rien,  par  exemple,  de 
la  doctrine  de  saint  André  de  Crète  sur  l'Immaculée  Conception  et  l'As- 
somption. L'auteur  croit  que  Théodore  de  IMopsueste  et  Théodoret  ont 
nié  la  procession  du  Saint-Esprit  a  Filio  etper  Filium.  Il  nous  est  impos- 
sible d'être  de  son  avis.  Le  symbole  de  Théodore  ne  vise,  selon  toute  appa- 
rence, que  l'erreur  de  Macédonius,  et  il  serait  facile  d'apporter  des  textes 
de  Théodoret  qui  établissent  qu'il  n'a  pu  rejeter  le  per  Filium  des  Pères 
grecs  antérieurs,  et  que  lui  aussi  a  en  vue  l'hérésie  pneumatomaque. 

Les  chapitres  viii  et  ix  sont  consacrés  à  la  théologie  latine.  La  contro- 
verse semi-pélagienne  est  racontée  assez  longuement.  L'auteur  montre 
bien  comment  l'Eglise,  tout  en  approuvant  les  grandes  thèmes  de  saint 
Augustin  sur  la  grâce,  a  refusé  d'adopter  officiellement  les  conséquences 
■extrêmes  de  l'augustinisme  relativement  à  la  prédestination. 

La  controverse  des  images  et  la  théologie  de  saint  Jean  Damascène 
occupent  les  chapitres  x  et  \i.  A  propos  de  la  doctrine  de  saint  Jeafi 
"Damascène  sur  le  canon  scripturaire,  M.  Tixeront  écrit  :  «  Saint  Jean 
reproduit,  d'après  saint  Epiphane,  le  canon  de  l'Ancien  Testament,  les 
livres  de  la  Sagesse  et  de  V Ecclésiastique  exclus.  Son  canon  du  Nouveau 
Testament  concorde  avec  notre  canon  actuel.  »  (P.  485.)  Ceci  n'est  pas 
tout  à  fait  exact.  Il  est  bien  vrai  que  le  Damascène  donne  le  canon  hébreu 
de  l'Ancien  Testament  d'après  saint  Epiphane,  mais  il  est  vrai  aussi  qu'il 
•cite  dans  ses  ouvrages  plusieurs  deutérocanoniques  comme  écriture 
inspirée.  Quant  au  canon  du  Nouveau  Testament,  saint  Jean  y  fait  rentrer 
les  canons  dits  apostoliques.  Un  peu  plus  loin,  p.  5i3,  l'auteur  écrit: 
«  On  remarque! a  que  saint  Jean  Damascène  ne  parle  ni  de  la  prière  pour 
les  morts  ni  du  purgatoire.  »  Or,  M.  Franz  Diekamp  a  établi,  en  igoS, 
l'authenticité  du  Wiy.  to)v  h  Tiln-si  xsxoLaY,aÉvwv,  où  la  question  de  la  prière 
pour  les  morts  est  traitée  ex  professa. 

Un  dernier  chapitre  donne  un  court  aperçu  sur  la  théologie  latine  sous 
«Charlemagne.  Puis  vient  une  conclusion  résumant  à  grands  traits  les 
développements  de  la  doctrine  catholique  depuis  l'apparition  de  l'aria- 
nisme.  Ainsi  se  termine  cette  Histoire  des  dogmes,  qui  est  incontesta- 
blement un  ouvrage  fort  bien  conçu,  reflétant  à  un  haut  degré  les  qualités 
littéraires  de  l'esprit  français.  On  se  tromperait  cependant  si  l'on  croyait 
1  que  toutes  les  affirmations  en  sont  irréformables,  et  qu'elles  nous  li\Tent 
tous  les  secrets  de  la  patristique.  Il  y  a  encore  dans  ce  domaine  bien  des 
découvertes  à  faire  ou  à  retrouver  dans  les  travaux  de  nos  savants  devan- 
ciers des  xvii»  et  xviii^  siècles.  Car  il  nous  semble  que  M.  Tixeront  a 
.accordé  trop  de  confiance  à  certaines  études  contemporaines  de  valeur 
fort  contestable  et  n'a  pas  assez  feuilleté  Petau,  Thomassin  et  les  pré- 
faces des  grands  éditeurs  des  ouvrages  des  Pères. 

M.  JUGIE. 


564  ÉCHOS    d'orient 


E.  DE  Backer,  Sacramentutn  :  le  mot  et  l'idée  représentée  par  lui  dans- 
les  œuvres  de  Tertullien  (XXX«  fascicule  du  recueil  de  travaux  publiés 
par  les  membres  des  conférences  d'histoire  et  de  philologie  de  l'Uni- 
versité de  Louvain).  Paris,  A.  Picard,  191 1,  in-S»,  xx-392  pages.  Prix: 
8  francs. 

Le  titre  de  cet  ouvrage  n'indique  qu'un  tiers  à  peine  de  son  contenu, 
c'est-à-dire  la  première  partie.  Les  trois  autres  qui  suivent  traitent  :  a)  de 
l'initiation  au  christianisme  dans  l'antiquité  chrétienne,  spécialement 
d'après  les  ouvrages  de  Tertullien;  b)  des  initiations  dans  les  mystères, 
païens;  c)  des  principales  analogies  des  mystères  chrétiens  et  des  mystères, 
païens.  L'auteur  a  réuni  d'abondants  matériaux,  mais  des  matériaux  dispa- 
rates sans  lien  entre  eux,  qui  font  de  son  travail  un  recueil  plutôt  qu'un 
livre.  Le  mot  sacramentum,  dans  Tertullien,  a  été  pour  lui  l'occasion  de 
parler  de  toute  sorte  de  choses  :  de  l'initiation  chrétienne  dans  le  Nouveau 
Testament,  de  la  doctrine  de  Tertullien  sur  les  sacrements,  sur  les  fins 
dernières,  sur  la  soteriologie,  des  principaux  mystères  païens  avec  leurs, 
rites,  leurs  doctrines  et  leurs  effets,  etc.  On  trouve  des  chapitres  d'une 
ou  deux  pages  seulement.  Donc,  ouvrage  fort  érudit,  utile  à  consulter,, 
mais  mal  composé. 

M.  JUGIE. 

J.  Bricout,  Où  en  est  l'histoire  des  religions  ?  t.  II  :  Judaïsme  et  chris^ 
tianisme.  Paris,  Letouzey  et  Ané,  191 1,  in-8",  589  pages.  Prix  :  7  fr.  5o^ 

Le  tome  1"  de  cet  ouvrage  a  fait  l'an  dernier  l'objet  d'un  compte  rendu- 
dans  les  Echos  d'Orient.  Le  tome  II,  qui  n'a  pas  tardé  à  paraître,  vient 
heureusement  compléter  la  série  des  études  entreprises  dans  le  précédent.. 
Des  auteurs  connus  pour  leur  compétence  en  ces  matières  y  ont  collaboré 
avec  succès.  Enumérons  les  sujets  traités  :  J.  Touzard,  la  Religion 
d'Israël;  J.  Vénard,  les  Origines  chrétiennes;  P.  Battifol,  le  Christian 
nisme  et  le  monde  antique,  de  la  fin  du  i®""  siècle  au  concile  de  Nicée; 
J.  Bousquet,  les  Divers  schismes  d'Orient  ;  E.  Vacandard,  l'Eglise  latine 
du  IV®  au  XV®  siècle;  J.  Bricout,  le  Christianisme  de  la  Réforme  à  nos- 
Jours;  J.  Bricout,  Conclusion. 

Je  ne  m'arrêterai  qu'à  l'étude  du  regretté  chanoine  Bousquet.  En  moins- 
de  soixante  pages,  il  a  réussi  à  donner  sur  les  divers  schismes  orientaux- 
une  idée  aussi  exacte  que  claire,  ce  qui  n'est  pas  un  mince  mérite  aux 
yeux  de  celui  qui  connaît  un  peu  les  Eglises  orientales.  11  a  évidemment 
fait  la  meilleure  part  au  principal  de  ces  schismes,  le  schisme  grec,  qui 
a  entraîné  loin  de  Rome  la  moitié  de  l'Europe.  M.  Bousquet  a  fort  bien 
remarqué  que  ce  n'est  ni  sur  Photius  ni  sur  Michel  Cérulaire  qu'il  faut 
faire  retomber  la  principale  faute  du  schisme,  les  causes  en  étaient  plus 
anciennes  et  plus  profondes  :  intrusion  du  pouvoir  civil  dans  les  affaires 


BIBLIOGRAPHIE  565 


•ecclésiastiques,  ambition  des  patriarches  de  Constantinople,  antipathie 
des  Byzantins  pour  tout  ce  qui  n'était  pas  grec,  etc.  Les  autres  schismes 
ne  sont  pas  négligés  cependant.  L'auteur  en  donne  une  histoire  suffisante, 
bien  que  nécessairement  un  peu  rapide.  Le  paragraphe  consacré  à  l'état 
actuel  des  Eglises  orientales  et  à  la  vie  religieuse  qu'on  y  rencontre  est 
plein  de  judicieuses  remarques.  Peut-être  eût-il  été  bon  de  donner  quelques 
aperçus  sur  l'émiettement  de  ces  Eglises,  leur  situation  géographique, 
leur  importance  numérique,  etc.  Je  relève  aussi  quelques  inexactitudes 
■de  détail.  Ainsi,  p.  348,  il  n'est  rien  moins  que  sûr  que  le  chef  religieux 
■des  Arméniens  se  soit  appelé  catholicos  dès  le  iv«  siècle;  p.  356  :  les  Mel- 
kites  'ne  se  servent  pas  de  l'arabe  seul  dans  la  liturgie,  ils  emploient 
aussi,  et  de  plus  en  plus,  le  grec.  R.  Janin. 

A.  PÉPHANÈs,  SuvTOfjLo;  'ExxXY,aia<TTtxrj  'laropta,  1. 1".  Athènes,  A.  Dialesma, 
191 1,  180  pages  in-S". 

Cette  histoire  sera  divisée,  comme  celle  de  D.  Kyriakos,  qui  lui  sert  de 
modèle,  en  quatre  parties  :  la  première  s'étend  de  l'an  i  à  3 1 3  ;  la  deuxième, 
de  3i3  à  860;  la  troisième,  de  860  à  1453;  enfin  la  quatrième  de  1453  à 
nos  jours. 

Le  premier  volume  comprend  les  deux  premières  périodes.  Trois  mots 
suffisent  à  apprécier  ce  petit  manuel  :  c'est  une  thèse  orthodoxe,  déve- 
loppée d'une  manière  oratoire,  sans  la  moindre  allure  scientifique  et 
•critique. 

Voici,  choisi  entre  cent,  un  spécimen  du  genre.  Saint  Pierre  «  alla  à 
Rome,  dit-on,  xarà  xtva  kiùcr^^  '^'hv-f\^  »»  P-  37.  Et  douze  lignes  plus  bas, 
saint  André  «  enseigna  en  Scythie,  en  Cappadoce,  à  Byzance,  où  il  établit 
Stachys  premier  évêque  ».  Pas  le  moindre  doute  sur  ce  fait,  point  de  réfé- 
rences non  plus;  cela  laisse  à  l'auteur  plus  de  liberté  avec  les  faits  et  les 
citations. 

Son  orthodoxie  même  est-elle  immaculée?  On  peut  se  le  demander 
quand  on  le  voit,  p.  90,  reprocher  à  Justinien  d'avoir  fermé  les  écoles 
païennes  d'Athènes  et  d'avoir  ainsi  éteint  la  gloire  de  cette  ville  immor- 
telle. C'est  que  M.  Péphanès,  ici  et  dans  le  cours  de  son  travail,  estime 
l'hellénisme  au  moins  à  l'égal  de  la  religion.  F.  Cayré. 

A.  DuFOURCQ,  Histoire  de  l'Eglise  du  xi«  au  xiv*  siècle.  Le  christianisme 
et  l'organisation  féodale  (1049-1300).  Dans  la  collection  l'Avenir  du 
christianisme  (Le  passé  chrétien),  3«  édition.  Paris,  Bloud,  191 1,  in-i6, 
458  pages.  Prix  :  3  fr.  5o. 

M.  Dufourcq  n'est  pas  de  ceux  qu'un  vaste  labeur  effraye.  Il  peut  à  lui 
seul  entreprendre  une  collection  d'ouvrages  historiques  sans  nuire  à  ses 
autres  travaux.  En  trois  chapitres  (c'est  bien  peu  pour  plus  de  400  pages). 


^66  ÉCHOS  d'orient 


il  fait  le  tableau  de  l'Eglise  au  moyen  âge,  et  un  tableau  complet,  depuis 
les  luttes  de  Rome  contre  les  entreprises  du  pouvoir  civil  et  les  con- 
flits de  doctrine  jusqu'aux  rroindres  œuvres  sociales  et  à  l'architecture» 
Malheureusement,  il  n'y  a  guère  dans  son  ouvrage  que  les  matériaux  néces- 
saires à  une  aussi  vaste  étude.  La  majeure  partie  du  livre  —  au  moins  les 
trois  cinquièmes  —  est  une  suite  de  notes  rédigées  en  style  télégraphique, 
bourrées,  il  est  vrai,  de  faits  et  de  citations,  mais  qui  donnent  plutôt  l'im- 
pression de  fiches  patiemment  cataloguées.  Il  y  a  aussi  tel  titre  qui  cho- 
quera plus  d'un  catholique.  M.  Dufourcq  croit-il  donc  que  le  christianisme 
a  péri  pendant  la  soi-disant  période  de  ténèbres  qu'on  appelle  le  haut 
moyen  âge?  On  se  le  demande  quand  on  lit  le  titre  du  chapitre  i""  r 
la  Résurrection  du  christianisme.  Souhaitons  que  les  occupations  de 
M.  Dufourcq  lui  laissent  assez  de  loisirs  pour  lui  permettre  de  rédiger 
d'une  façon  plus  complète  les  volumes  qu'il  doit  encore  publier. 

R.  Janin. 

H.  LiETZMANN,  By\antinische  legenden.  léna,   191 1.  Eugen  Diederich^, 
102  pages  in-4^. 

Voici  un  livre  pour  le  moins  original.  Un  titre  à  traits  d'argent  sur  une 
couverture  rouge  pâle  attire,  dès  l'abord,  le  regard  du  lecteur.  Bientôt,  au 
dedans,  des  caractères  gras,  à  l'aspect  légèrement  archaïque,  imprimés 
sur  un  papier  épais  et  mat  d'une  blancheur  jaunissante,  l'étonnent 
davantage  encore.  Des  figures  grimaçantes,  égarées  en  tête  de  certaines 
légendes,  sans  doute  pour  leur  servir  d'illustration,  accentuent  la  première 
impression. 

Si,  malgré  tout,  on  prend  connaissance  du  contenu,  on  se  trouve  en 
présence  d'une  traduction  allemande  de  légendes  byzantines.  L'auteur 
a  voulu  présenter  quatre  types  différents  des  récits  dont  s'édifiaient  les 
moines  byzantins.  Ce  sont  :  1°  la  vie  de  saint  Daniel  Stylite,  p.  i-52; 
2°  la  vie  de  saint  Martinien,  p.  53-62;  3°  la  vie  de  saint  Syméon  le  Fou, 
p.  63-8 1  ;  4°  enfin  des  glanures  dans  le  Pré  spirituel  de  Moschus,  p.  82-99. 

En  dehors  des  deux  pages  de  notes  très  sommaires  qui  terminent  le 
volume^  on  trouve,  en  marge,  quelques  rares  dates,  aussi  étonnées  de  se 
trouver  dans  cet  isolement  que  les  numéros  de  la  pagination  d'être  relé- 
gués au  bas  des  feuillets. 

Au  demeurant,  la  science  n'a  rien  à  glaner  en  ce  recueil.  L'auteur  n'a 
eu  d'autre  but  que  la  vulgarisation.  F.  Cayré. 

Cl.  Huart,  Histoire  des  Arabes,  t.  I",  in-8".  Paris,  Geuihner,    1912. 
iv-38i  pages.  Prix:  10  francs.  | 

La  compétence  bien  connue  de  M.  Huart  dans  les  questions  qui  touchent 
à  l'islamisme  vient  de  se  manifester  une  fois  de  plus  dans  le  premier 


BIBLIOGRAPHIE  ^67 


volume  de  l'histoire  des  Arabes.  Après  avoir  donne  sur  l'Arabie  les 
notions  géographiques,  ethnographiques,  etc.,  qui  forment  comme  le 
cadre  de  son  travail,  il  étudie  l'histoire  de  la  presqu'île  arabique  d'abord 
avant  Mahomet.  Cette  période  est  de  toutes  la  moins  connue,  et  l'auteur 
a  raison  de  n'y  pénétrer  qu'à  tâtons.  La  vie  de  Mahomet  et  l'établissement 
de  l'islamisme  occupent  comme  de  raison  une  bonne  partie  du  livre. 
L'expansion  de  la  religion  et  de  la  puissance  musulmanes  est  étudiée 
jusqu'au  xi«  siècle  de  notre  ère. 

M.  Huart,  s'étant  proposé  de  donner  au  public  un  manuel  d'histoire, 
a  renoncé  à  y  mettre  des  notes  et  des  références;  il  a  préféré  indiquer  à  la 
fin  de  chaque  chapitre  la  bibliographie  du  sujet.  Les  lecteurs  qui  voudront 
étudier  certaines  questions  de  plus  près  regretteront  certainement  cette 
absence  totale  de  notes  qui  compliquera  leur  tâche.  Disons  cependant  que 
l'ouvrage  y  gagne  en  clarté.  Le  récit  simple,  alerte,  ne  s'arrête  pas  aux 
détails  et  ne  se  charge  pas  de  considérations  générales,  mais  il  ne  les 
néglige  pas  non  plus  quand  le  besoin  s'en  fait  sentir.  Nous  ne  doutons 
pas  que  l'ouvrage  de  M.  Huart  ne  soit  bien  accueilli  de  ceux  qui  voudront 
avoir  une  histoire  du  monde  arabe  à  la  fois  scientifique  et  accessible  aux 
profanes.  R.  Janin. 

K.      RhaI.LIS,      11e  si     T(ov     À'. Tav  £'.(•)  V     xari    xô     /. avov. /côv     oixa;  ov     tYjÇ 
ôiOoooço'j  àvaToÀ'./'.Y,?    ' ExxXY,(7t'aî .  Achènes,  SakcUarios,  rgio. 

On  trouve,  dans  cette  brochure  de  vingt-six  pages,  un  court  aperçu  sur 
les  processions  d'après  le  droit  ecclésiastique  byzantin.  Ce  qu'elles  sont, 
comment  elles  se  divisent,  quel  ordre  on  y  observe,  qui  a  le  droit  d'y  par- 
ticiper et  qui  peut  les  réglementer,  telles  sont  les  questions  auxquelles  il 
est  répondu  d'une  façon  d'ailleurs  assez  brève.  Mais  ce  qui  donne  à  cette 
publication  son  cachet  particulier,  ce  sont  les  longues  notes  instructives 
qui  développent  le  texte  et  y  ajoutent  de  précieux  renseignements. 

A.  Chappet. 

A.  ScHMiDTKE,   Neue  Fragmente  und  Untersuchungen   i(u   den  juden- 
christlichen  Evangelien.  Ein  Beitrag  j(ur  Literaiur  und  Geschichle  der 
Judenchristen.  Leipzig,  J.-G.   Hinrichs,    191 1,    in-8^   viii-3o2   pages. 
Prix  :  10  marks.  Collection  Texte  und  Untersuchungen.....  de  A.  Har 
NACR  et  C.  ScHMiDT,  t.  XXXVll,  fasc.  1. 

M.  Alfred  Schmidtke  consacre  un  important  travail  à  l'étude  de 
quelques  nouveaux  fragments  des  Evangiles  judéo-chrétiens.  Après  avoir 
exposé  ces  fragments,  il  passe  en  revue  les  textes  des  Pères  grecs  et  de 
saint  Jérôme  concernant  les  recueils  auxquels  ils  sont  empruntés  :  Evan- 
gile des  Hébreux,  Evangile  des  Ebionites,  Evangile  des  Nazaréens. 
Papias,  Hégésippe,  Eusèbe  de  Césarée,  Apollinaire  de  Laodicée,  saint 


^68  ÉCHOS  d'orient 


Epiphane  sont  tour  à  tour  interrogés,  et  le  texte  attesté  par  eux  est  com- 
paré avec  celui  que  connaît  saint  Jérôme.  Un  dernier  chapitre  (p.  287-302), 
intitulé  :  Die  Varianten  des  na^arœischen  Matthœusiextes,  fournit  une 
liste  de  variantes  qui  sera  appréciée  des  exégètes.  Nous  ne  pouvons  que 
signaler  ici  cette  utile  contribution  à  la  littérature  et  à  l'histoire  des 
judéo-chrétiens.  S.  Salaville. 

O.  VON  Gebhardt,  E.  von  Dobschutz,  Die  Aklen  der  edessenischen 
Bekenner  Gurjas,  Samonas  und  Abibos.  Leipzig,  J.  G.  Hinrichs,  191 1, 
in-8°,  Lxviii-264  pages.  Prix  :  12  marks.  (Même  collection,  t.  XXXVII, 
fasc.  II.) 

Le  fondateur  de  la  collection  Texte  und  Untersuchungen,  M.  Oscar 
von  Gebhardt,  avait  déjà  bien  mérité  des  études  d'hagiographie  ancienne 
par  sa  Passio  S.  Theclœ.  Sa  mort  est  venue  interrompre  les  grands  ser- 
vices que  cet  éminent  critique  aurait  pu  rendre  encore.  Fort  heureuse- 
ment, M.  Ernst  von  Dobschutz  a  pu  tirer  de  la  succession  littéraire  du 
savant  défunt  la  présente  publication  :  les  Actes  des  martyrs  d'Edesse, 
Gurjas,  Samonas  et  Abibos,  sous  Diodétien  et  Licinius.  Une  intro- 
duction très  érudite  étudie  le  texte  syriaque  de  ces  Actes,  les  textes  grecs, 
la  traduction  latine,  Venkomion  ou  panégyrique  d'Aréthas  de  Gésarée, 
les  textes  des  ménologes  ou  des  synaxaires.  Pour  l'époque  de  la  compo- 
sition des  Actes  (dernier  tiers  du  iv^  siècle),  ainsi  que  pour  l'appréciation 
de  leur  valeur,  M.  Ernst  von  Dobschutz  adopte  le  jugement  de  Heisen- 
berg  et  de  Noeldeke.  G'est  dire  que,  contrairement  à  l'avis  de  Baronius, 
Moesinger,  Bedjan,  Bickell,  R.  Duval,  Mkertschian,  Gonybeare  et  Burkitt, 
il  conclut  plutôt  à  leur  peu  de  valeur  historique.  L'introduction  se  ter- 
mine par  un  chapitre  sur  le  culte  des  martyrs  d'Edesse  et  un  index  des 
initia. 

Vient  alors  l'édition  des  textes.  La  traduction  allemande  du  texte 
syriaque  tient  le  haut  de  la  page,  tandis  que  le  texte  grec  court  au-dessous, 
p.  1-99.  Suivent  deux  recensions  grecques  plus  récentes,  dont  la  seconde 
est  celle  de  Métaphraste,  p.  101-199.  Puis  la  traduction  latine,  p.  200-209; 
enfin  le  texte  grec  de  l'enkomion  d'Aréthas  de  Gésarée,  et  les  textes  des 
ménologes  ou  synaxaires,  avec  la  mention  du  martyrologe  romain  au 
i5  novembre.  Un  index  des  citations  bibliques,  des  noms  propres,  de^ 
termes  grecs,  ainsi  qu'une  liste  de  corrections  et  d'additions,  en  même 
temps  qu'ils  témoignent  du  soin  minutieux  apporté  à  cet  excellent  travaili  ■• 
faciliteront  les  moyens  de  le  consulter  et  de  l'utiliser. 

S.  Salaville. 


G.  Barth,  Die  Interprétation  des  Neuen  Testaments  in  der  Valentinia-f 
nischen  Gnosis.  Leipzig,  J.-G.  Hinrichs,  191 1,  in-8°,  iv-ii8  pages.| 
Prix  :  4  marks.  (Même  collection,  t.  XXXVII,  fasc.  III.)    ■ 


BIBLIOGRAPHIE  09 


M.  C.  Barth  étudie,  dans  cet  ouvrage,  l'exégèse  du  Nouveau  Testament 
dans  la  gnose  valentinienne.  On  sait  que  les  gnostiques  valentiniens  s'ef- 
forçaient de  trouver  dans  l'Ecriture  la  confirmation  de  leurs  doctrines.  Il 
faut  savoir  gré  au  docte  critique  d'avoir  fait  un  peu  de  lumière  au  milieu 
de  ces  élucubrations  d'une  exégèse  fort  dévergondée.  Les  travailleurs  qui 
auront  à  s'occuper  de  la  pensée  gnostique  recourront  volontiers  aux 
savantes  explications  de  M.  C.  Barth.  L'index  des  citations  bibliques 
permet  d'avoir  d'un  seul  coup  d'oeil  le  tableau  des  principaux  passages 
sur  lesquels  portait  l'exégèse  valentinienne. 

S.  Salaville. 

Hélène  S.    Svorounou.   MtxfafrtaTtxbv  YjjxspoÀôY'.ov,   191 2,  t.   VI.  Samos, 
imp.  du  M'.xpatTtaT'.xôv  r^^j.zyo'kôyiov,  1912,  400  pages  in-8'\ 

11  est  plus  que  temps  de  présenter  aux  lectiurs  des  Echos  d'Orient 
un  calendrier  de  19 12.  Les  quelques  mots  tardifs  que  nous  lui  pourrons 
consacrer  seront  au  moins  une  recommandation  pour  le  volume  de  1913. 

Nous  devons,  en  effet,  féliciter  l'auteur.  M'"''  Svorounou  a  su  captiver 
l'intérêt  et  obtenir  la  variété  nécessaire  dans  ces  sortes  de  compositions, 
sans  tomber  dans  ces  légèretés  plus  que  frivoles  qui  les  déparent  trop 
souvent.  Elle  a  su  joindre  l'utile  à  l'agréable. 

L'agréable,  ce  sont  les  contes  et  les  récits  qui  forment  le  fond  du  volume  ; 
ce  sont  aussi  ces  poésies  de  toute  sorte  et  de  toute  valeur  qui  relient  les 
divers  paragraphes  et  ménagent  les  transitions. 

L'utile  mériterait  de  nous  arrêter  davantage.  Je  néglige  la  plupart  des 
biographies  qui  n'ont  guère  qu-'un  intérêt  local.  Au  point  de  vue  archéo- 
logique, une  longue  étude  avec  photographies,  sur  les  fouilles  de  Per- 
game  en  1909  et  1910,  doit  surtout  être  signalée,  p.  363.  L'article  le  plus 
développé  est  consacré  au  Mont  Athos,  p.  i65  à  190.  Il  est  extrait  de  l'ou- 
vrage de  Cosmas,  moine  de  saint  Paul,  sur  la  /£p(jovT,(To;  xou  'Ayiou 
"Oiou;.  Après  plusieurs  pages  de  dithyrambe,  on  y  trouve,  sur  la  date 
de  la  fondation,  le  nombre  des  moines  et  des  manuscrits  des  vingt  grands 
monastères,  des  détails  précis,  sinon  toujours  critiques:  par  exemple,  la 
fondation  de  Vatopèdt,  en  32i,  est  plus  que  douteuse;  de  même  pour 
celle  de  Xiropotamos  et  de  quelques  autres. 

Enfin,  diverses  études  sur  des  coutumes  locales  attireront  sans  doute 
l'attention  des  amis  du  folklore  oriental. 

F.  Cayré. 


TABLE    DES    MATIÈRES 


QUINZIÈME  ANNÉE   1912 


L   —    Sommaire    des    livraisons. 

/.  Janvier.  —  N°  Q2. 

I.  A  nos  lecteurs,  La  Rédaction 5^ 

II.  Lettre  de  S.  S.  Pie  X  aux  Arméniens  catholiques  après  leur  concile 

de  Rome à 

III.  La    terminologie    christologique    de    saint    Cyrille    d'Alexandrie, 

M.  JUGIE ^ 12 

IV.  L'Eglise  maronite  et  le  Saint-Siège  (1213-1911),  A.  Catoire 28. 

V.  Epigraphie  de  Jérusalem,  J.  Germer-Durand 38 

VI.  Le  moine  Job,  S.  Pétridès 40- 

VII.  L'Eglise  melkite  au  xviii»  siècle  :  l'intrusion  de  Jauhar,  P.  Bacel 49 

VIII.  Un  ancien  bourg  de  Cappadoce  :  Sadagolthina,  S.  Salaville 61 

IX.    Le    nouvel    évéque    grec    catholique   :    M^""    Isaïe    Papadopoulos, 

S.  Salaville 64 

X.  Les    chrétiens    de   Turquie   et    la   question    scolaire    et    militaire, 

F.  Cayré 6Ô- 

XI.  Bibliographie 80 

//.  Mars.  —  N°  g3. 

I.  M»""  Louis  Petit,  archevêque  d'Athènes  et  délégué  apostolique  en 

Grèce,  S.  Salaville 97 

IL  Ecrits  de  M^"-  Louis  Petit io5 

III.  Formation  du  patriarcat  d'Aniioche.  —  I.  Avant  le  concile  de  Nicée, 

S.  Vailhé 109 

IV.  La  «  prière  des  septs  dormants  »,  Le  texte  grec  actuel  et  le  texte 

grec  primitif,  L.  Arnaud 1 1 5 

V.  Les  Juifs  dans  l'empire  byzantin,  R.  Janin 1 26 

VI.  Le  moine  Alexandre  de  Chypre  (vi«  s.),  S.  Salaville i34 

VIL  La  vierge  Myrtidiotissa  à  Cérigo  et  son  office,  A.  Chappet i38 

VIII.  La  basilique  Sainte-Marie  la  Neuve  à  Jérusalem,  L.  Dressaire 146 

IX.   L'homme  créé  à    l'image  de   Dieu,  d'après  Théodoret  de  Cyr  et 

Procope  de  Gaza,  E.  Montmasson 1 54 

X.  Chronique  des  Eglises  orientales  unies  et  non  unies  :  Arméniens, 
Bulgares,  Grecs  (Alexandrie,  Chypre,  Constantinople,  Grèce, 
Jérusalem),  Gréco-Arabes,  Roumains 16S 

XI.  Bibliographie 184 


TABLE    DES    MATIÈRES  ^y  I 


///.  .\/c7/.  —  X"  04. 

I.  Formation  du  patriarcat  d'Aniioche.  —  II.  Après  le  concile  de  Nicée, 

S.  Vailhé iq3 

II.    L'intervention   des    laïques  dans    la   gestion    des    biens    d'Eglise, 

A.  Catoibe i.,,2 

ni.  La  vie  et  les  œuvres  d'Euthyme  Zigabène,  iVl,  Jugie 2i5 

IV.   L'Eglise  melkite  au  xvii.«  siècle  :   nouvelles  intrigues  de  Jauhar, 

P.  Bacel 226 

V.  La  basilique  Sainte-.Marie  la  Neuve  à  Jérusalem.  —  II.  Emplacement 

de  Sainte-Marie  la  Neuve,  L.  Dressaire 284 

VI.  La  «  nation  latine  »  de  Constantinople,  A.  Trannoy 24(3 

VII.  Glanures  dans  les  manuscrits  des  Météores,  N.  Béis 267 

VIII.  Chronique  des  Eglises  orientales  unies  et  non  unies:  Arméniens, 
Bulgares,    Coptes,   Grecs   (Alexandrie,   Chypre.   Constantinople, 
Jérusalem),  Serbes  de  Carlovitz,  de  Dalmatie  et  du  Monténégro.       260 
IX.  A  propos  du  nouvel  archevêque  d'.-Vthènes,  M^"'  Petit,  S.  Salaville.       278 

X.  Rectification 280 

XI.  Bibliographie 282 


IV.  Juillet.  —  A'"  9.5. 

I.  Origines  chrétiennes  de  la  Géorgie,  R.  Janin 289 

II.  Un  essai  de  correction  des  livres  liturgiques  grecs,  L.  Arnaud 3oo 

III.  L'Eglise  melkite  au  xvni*  siècle:  la  lutte  du  patriarche  Jauhar  et  du 

métropolite  Germanos  Adam  (1759-1794),  P.  Bacel 309 

IV.  Le  voyage  de  l'empereur  Manuel  Paléologue  en  Occident  (i  399-1403), 

M.   JUGIE 322 

V.  La  franc-maçonnerie  et  l'Eglise  grecque,  E.  Nésiotès 333 

VI.  Glanures  dans  les  manuscrits  des  Météores,  N.  Béis 342 

VIL  L'Eglise  de  Serbie  de  1909  à  1912,  E.  Goudal 345 

Vin.  Chronique  de  l'Eglise  melkite,  Jean  Barbara 356 

IX.  Bibliographie 376 

V.  Septembre.  —  .Vt>  (j6. 

I.   La    Baskania   ou    le   «   mauvais   œil   »  chez  les  Grecs    modernes, 

L.  Arnaud 385 

II.  L'autorité  spirituelle  du  patriarche  grec  de  Cons.antinople,  F.  Cayré.  395 

III.  La  Mission  in  adjutorium  Coptorum,  G.  Levenq 4o5 

IV.  Intervention  des  laïques  dans  l'élection  des  évéques,  A.  Catoire 412 

V.  Les  chrétiens  de  Syi  ie  dans  l'Amérique  du  Nord,  A.  Zal'oum 427 

VI.   Le    premier   livre  néo-bulgare  :   VAbagar  de  l'évêque  Stanislavof 

(1641),  S.  Salaville 442 

VII.  Chronique  de  l'Eglise  russe,  E.  Martinovitch 449 

VIII.  A  propos  d'un  buUaire  maronite,  C.  Karalevsky 462 

IX.  Bibliographie 474 


572 


TABLE    DES    MATIERES 


VI.  Novemh^e.  —  TV"  gj. 

I.  Philippe  Stanislavof,  apôtre  des  Bulgares  Pavlikans  au  xvii®  siècle, 

S.  Salaville 48 1 

II.  Musulmans  malgré  eux  :  les  Stavriotes,  R.  Janin 495 

III.  L'évêché  de  Skialhos,  T.  E.  Evangélidès 5o6 

IV.  La  Baskania«  ou  le  mauvais  œil»  chez  les  Grecs  modernes,  L.  Arnaud.  5 10 
V.  Bulletin  de  théologie  orientale,  M.  Jugie 525 

VI.  Chronique  des  Eglises  orientales  unies  et  non  unies  :  Arméniens, 

Bulgares,  iGrecs,  Roumains,  Ruthènes,  R.  Janin  et  F.  Cayré 542 

VII.  Un  acte  du  Saint-Siège  autorisant  la  communion  dans  n'importe 

quel  rite,  S.  Sal.wille 55/ 

VIII.  Bibliographie 558 

IX.  Table  des  matières 570 


II.  Liste  alphabétique  des  auteurs. 

Arnaud  (L.).  —  La  «  prière  des  sept  dormants  ».  Le  texte  grec  actuel  et 

le  texte  grec  primitif 1 15 

—  Un  essai  de  correction  des  livres  liturgiques  grecs 3oo 

—  La  Baskania  ou  le  «  mauvais  oeil  »  chez  les  Grecs  modernes 385  5 10 

Bacel  (P.).  —  L'Eglise  melkite  au  xviii®  siècle  :  l'intrusion  de  Jauhar 49 

—  L'Eglise  melkite  au  xviii*  siècle  :  nouvelles  intrigues  de  Jauhar 226 

—  L'Eglise  melkite  au  xviu®  siècle  :  la  lutte  du  patriarche  Jauhar  et  du 

métropolite  Germanos  d'Alep  (i  759-1794) 3og 

Barbara  (J.).  —  Chronique  de  l'Eglise  melkite 356 

Béis  (N.).  —  Glanures  dans  les  manuscrits  des  Météores 257  342 

Catoire  (A.).  —  L'Eglise  maronite  et  le  Saint-Siège  (i3i3-i9ii) 28 

—  L'intervention  des  laïques  dans  la  gestion  des  biens  d'Eglise 202 

—  Intervention  des  laïques  dans  l'élection  des  évêques 412 

Cayré  (F.).  —  Les  chrétiens  de  Turquie  et  la  question  scolaire  et  militaire.  66 

—  L'autorité  spirituelle  du  patriarche  grec  de  Constantinople 395 

—  Chroniques 168,  171,  263  542 

Chappet  (A.).  La  vierge  Myrtidiotissa  à  Cérigo  et  son  office i38 

Dressaire  (L.).  —  La  baislique  Sainte-Marie  la  Neuve  à  Jérusalem 146  234 

Evangélidès  (T.-E.).  —  L'évêché  de  Skiathos 5o6 

Germer-Durand  (J.).  —  Epigraphie  de  Jérusalem 38 

GospoDiNOF  (H.).  —  Chronique  :  Bulgares 169  262 

GouDAL  (E.).  —  L'Eglise  de  Serbie  de  1909  à  19 12 345 

Janin  (R.).  —  Les  Juifs  dans  l'empire  byzantin 1 26 

—  Origines  chrétiennes  de  la  Géorgie 289 

—  Musulmans  malgré  eux  :  les  Stavriotes 495 

—  Chronique  :  Arméniens 166,  260  542 

JuGiE  (M.).  —  La  terminologie  christologique  de  saint  Cyrille  d'Alexandrie.  12 

—  La  vie  et  les  œuvres  d'Euthyme  Zigabène 2 1 5 

—  Le  voyage  de  l'empereur  Manuel  Paléologue  en  Occident  (1399-1403).  322 


TABLE    DES   MATIÈRES  ^J } 


JuGiE  (M.)  —  Bulletia  de  théologie  orientale 525 

—  Chronique  des  Eglises  serbes 271 

Karalevsky  (C).  —  A  propos  d'un  buUaire  maronite 462 

Levenq  (G.).  —  La  Mission  in  adjutorium  Coptorum 4o5 

Martinovitch  (E.).  —  Chronique  de  l'Eglise  russe 449 

MoNTMASS  N  (E).  —  L'homme  créé  à  l'image  de  Dieu,  d'après  Théodoret 

ce  Cyr  et  Procope  de  Gaza 154 

Nésiotès  (E.).  —  La  franc-maçonnerie  et  l'Eglise  grecque ,  333 

Petit  (M^''  L.).  —  Ses  écrits io5 

PÉTRiDÈs  (S.).  —  Le  moine  Job 40 

Pie  X.  —  Lettre  aux  Arméniens  catholiques  après  leur  concile  de  Rome..  6 

Rédaction.  —  A  nos  lecteurs 5 

—  Rectification 280 

Salâville  (S.).  —  Un  ancien  bourg  de  Cappadoce  :  Sadagolthina 61 

—  Le  nouvel  évêque  grec  catholique  :  Mb""  Isaïe  Papadopoulos 64 

—  M^''  Louis  Petit,  archevêque  d'Athènes  et  délégué  apostolique  en 

Grèce 97 

—  Le  moine  Alexandre  de  Chypre  (vi^  s.) 1 34 

—  A  propos  du  nouvel  archevêque  d'Athènes,  M*""  Petit 278 

—  Le  premier  livre  néo-bulgare  :  l'Abagar  de  l'évêque  Stanislavof, 

(  1641) 442 

—  Philippe  Stanislavof,  apôtre  des  Bulgares  Pavlilcans  au  xvii*  siècle..  481 

—  Un  acte  du  Saint-Siège  autorisant  la  communion  dans  n'importe 

quel  rite 55/ 

Trannoy  (A.).  —  La  «  nation  latine  »  de  Constantinople 246 

Vailhé  (S.).  —  Formation  du  patriarcat  d'Antioche 109  193 

Zai  *oum  (A.).  —  Les  chrétiens  de  Syrie  dans  l'Amérique  du  Nord 427 


III.  Bibliographie. 

Agrain  (R.).  —  Quarante-neuf  lettres  de  saint  Isidore  de  Péluse.  Edition 
critique  de  l'ancienne  version  latine  contenue  dans  deux  manu- 
scrits du  concile  d'Ephèse 8S 

Andrieux  (L.).  —    La  première   Communion  :  Histoire  et  discipline. 

Textes  et  documents.  Des  origines  au  xx"  siècle 86 

—    La  primauté  romaine  et  le  clergé  oriental  au  vn^  siècle  {Bgo-jiS).      525 

Andolin  (G.).  —  Catalogo  de  los  codices  latinos  de  la  real  biblioleca  del 

Escoria  l '  °4 

AuFHAusER  (J.-B.).  —  Die  Heilslehre  des  hl.  Gregor  von  Nyssa 281 

Bâcha  (C).  —  Le  deuxième  centenaire  de  la  fondation  du  monastère 

des  religieux  Basiliens  de  Saint-Sauveur 86 

Backer  (E.  de).  —  Sacramentum  :  le  mot  et  l'idée  représentée  par  lui 

dans  les  œuvres  de  Tertullien ^64 

Barth  (C).  —  Die  Interprétation  des  Neuen  Testaments  in  der  Valenti- 
nianischen  Gnosis=  Texte  und  Untersuchungen  ;,ur  Geschichte 
der  altchristlichen  Literatur,  t.  XXXVIIl,  fasc.  3 56^ 


574 


TABLE    DES    MATIERES 


Behm  (J.).  —  Die  Handaujlegung  im  L'rchristentum  nach  Verwendung, 
Herkunft    und    Bedeutiingen    religionsgeschichtlichen    Zusam- 

menhang  untersucht 478 

BÉis  (N.).  —  Voir  Diobouniotis ^5 

Béis  (N.).  —   'AvaYvto(7£'.î  xal  xaTaTalsiç  êu^avTtvwv  p.o).u6So6o-J>.).wv 88 

—  Was  ist  die  sogenannte  ô^JpuYxoî  Schrift? 189 

—  'AvaYvwffEtç  yçi.(jx\.rxviVM\   èmypaçwv  AX-^vir.;,,  0£(T7Hwv,   Msyâpwv,    Koptvôoy 

xal  "ApYoy;  xal  TtapexêoXal  el;  raûra; l8g 

—  N£0£)>Xr,vixà  ÔTiiiwSri  ao-jxaTa,  âx  j(£tpoxoi?Mv  xwStxoJv 19O 

—  'AvTtêoXri  Toy  «  IlEpl  iroir;Tixfj;  »  to-j  'ApcffTOTAoy;  Trpb;  xwSixa  toù  MsTcwpou.  Syô 

Bibliotheca   hagiographica    latina    antiquœ    et    mediœ   œtatis.    Siipple- 

menti  editio  altéra  et  auctior 474 

Bibliotheca  hagiographica  orientalis 474 

Bock  (J.-P.).  —  Die  Brotbitte  des  Vaterunsers.  Ein  Beitrag  ^iir  Vers- 
taendnis  dièses  Universlgebetes  und  einschlaegiger  patristisch- 
liturgischer  Fragen 284 

BoNNASSiEUX  (F.-J.).  —  Les  Evangiles  synoptiques  de  saint  Hilaire  de 

Poitiers 93 

Bpézol  (Georges).  —  Les  Turcs  ont  passé  là.  Recueil  de  documents,  dos- 
siers, rapports,  requêtes,  protestations,  suppliques  et  enquêtes 
établissant  la  vérité  sur  les  7nassacres  d'Adana  de  i gOQ 94 

Bricout  (J.).  —  Oii  en  est  l'histoire  des  religions?  T.  II  :  Judaïsme  et 

Christian  isnie 564 

BuKOWSKi  (A.).  —  Die  Genugtuung  fur  die  Sûnde  nach  der  Aufassung 

der  russischen  Orthodoxie 532 

Cabrol  (F.)  et  Leclercq  (H.).  —  Dictionnaire  d'archéologie  chrétienne 

et  de  liturgie,  fascicule  XXV  :  Chapelle-Char lemagne i85 

Celier  (L.).  —  Les  Dataires  du  w"  siècle  et  les  origines  de  la  Daterie 

apostolique i< j  > 

Chalandon  (F.).  —  Jean  II  Comnène  (/  / 18-1 143)  et  Manuel  I"  Comnène 

(/  143-1 180) 479 

Diobouniotis  (C.)  et  Béis  (N.).  —  Hippolyts  Schrift  ûber  die  Segnungen 
Jakobs,  Hippolyts  Daniel  commentar  in  Handschrift  Ji"  5/3  des 
Meteoronklosters 85 

DuFOURCQ  (A.).  —  Histoire  de  l'Eglise  du  xi*  au  xiv^  siècle.  Le  christia- 
nisme et  l'organisation  féodale  (1049-1300) 565 

DuMiTRESCU  (A.-T.).  —  Relation  sur  les  ruines  de  la  colonie  Romula  de 

Dacie 88 

DussAUD  (R.).  —   Les  civilisations  préhelléniques  dans  le  bassin  de  la 

mer  Egée 189 

Ehrle  (F.)  et   LiEBAERT  (P.).  —  Specimina  codicum  latinorum   Vatica- 

norum  (Tabulae  in  usum  Schoi-arum  III) 477 

■  EuSTRATIADÈS   (S.).   —  E-jayyéXtov  Mapîa;  xf,;  na),x'.o)-OYi'va; 87 

Falls  (J.-C,-E.).  —  Drei  Jahre  in  der  libyschen  Wûste 82 

Gebhardt(0.  Von)  et  von  Dobschutz  (E.).  —  Die  Akten  der  edessenischen 
Bekenner  Gurj'as,  Safnonas  und  Abibos  =  Texte  und  Untersu- 
chungen  ^ur  Geschichte der  altchristlichen  Literatur,i.  XXXVII, 
fasc.  2 563 


J 


TABLE    DES    MATIÈRES  S75 


•GÉDÉON   (M.).   —   'KTîÎTrifia  à'vYpacpa  xvaçepôiiEva  si;  TX  èy.y.).r|(TcaTTiy.à  YjiAôiv  St'y.ata.  82 

Gerland  (E.).  —  Der  Mosaikschmuck   der  Hamburger  Erloserkirche. 

Ein  ikonographischer  Versuch ^ 38o 

<jROVEs  Campbell  (F.-W.). —  A   Little  Orthodox  Manual  of  prayers  of 

the  Hoir  Orthodox  catholic  Church 92 

Globoukovsk.1i  (N.  N.).  —  Bogoslovskaia  enîsiclopedia,  i.  XII  (Knighi 

Konstantinopol) 540 

Hi'iKEL  (I.).  —  Kritische  Beitraege  \u  den  Constantin-Schriften  des  Euse- 

bius  (Eiisebius  Werke  Band  I)  =   Texte  und  Untersuchitngen 

\ur  Geschichte  der  altchristlichen  Literatiir,  t.  XXXVI,  fasc.  4..       476 
MoLL   (K.).   —    Die    handschriftliche    Ueberlieferung    des    Epiphanius 

{Ancoratiis  und  Panarion).  Texte  und  Unters.,  XXXVI,  2 476 

HuART  (Cl.).  —  Histoire  des  Arabes,  t.  I^"" 566 

Hubert  (M.).  —  Die    Wander légende  von  der  Siebenschlaefern.  Eine 

literargeschichtliche  Untersuchung 80 

HuBER  (R.).  —  Empire  ottoman,  carte  statistique  des  cultes  chrétiens  . . .       377 
Jean-Baptiste  de  San-Lobenzo  (R.  P.).  —  Saint  Polycarpe  et  son  tombeau 

sur  le  Pagus;  notice  sur  la  ville  de  Smyrne 89 

K.LOSTERMANN  (E.).  —  Origcnes,  Eustathius  von  Antiochien    und  Gregor 

von  I\yssa  ûber  die  H  exe  von  Endor 287 

K.UTSCHERA  (H.-Fr.  von).  —  Die  Cha^aren.  Hislorische  Studie 382 

Larrivaz  (F.).  —  Les  saintes  pérégrinations  de  Bernard  de  Brevdenbach 

(1483) 378 

Leclebc  (H.).  —  (Voir  Cabrol) i85 

Legrand  (E.).   —  Bibliographie   ionienne  :  Description    raisonnée  des 

ouvrages  publiés  par  les  Grecs  des  Sept-Iles  ou  concernant  ces 

îles,  du  xv^  siècle  à  l'année  1  goo 376 

Liebaert  (P.).  —  (Voir  Ehrle) -^ 477 

Lietzmann  (H.).  —  'By^antinische  Legenden 566 

Linder  (J.).  —  Die  Heilige  Schrift  fur  das    Volk   erklaert.  Geschichte 

des  Alten  Bundes 94 

LiTZiCA  (G.).  —  Catalogul  manuscriptelor  grecesti  {Catalogue  des  manu- 
scrits grecs  de  la  bibliothèque  de  l'Académie  roumaine) 378 

LoNGNON  (J.).  —  Chronique  de  Morée  (i204-i3o5) 377 

Mangenot  (E.).  —  Les  Evangiles  synoptiques 91 

—  Dictionnaire  de  théologie  catholique,  fasc.  XXXV-XXXIX  [Equi- 

voque-Extrême-Onction) 56o 

Marsay  (E.  de).  —  De  l'authenticité  des  livres  d'Esther  et  de  Judith 286 

Martini  (E.).  —  Textgeschichte  dèr  Bibliotheke  des  Patriarchen  Photios 

von  Constantinopel.  I  Theil  :  Die  Handschriften,  Ausgaben  und 

Uebertragungen 47^ 

Maxudianz  (M.).  —  Le  parler  arménien  d'Akn  (quartier  bas) 383 

Meester  (D.-P.  de).  —  Etudes  sur  la  théologie  orthodoxe,  i"^  série 53 1 

Mélanges  de  la  Faculté  orientale  de  l'Université  Saint-Joseph  à  Beyrouth, 

t.  V,  fasc.  1 38i 

MouRRET  (F.).  —  L'Eglise  et  le  monde  barbare 83 

—  La  Renaissance  et  la  Réforme 558 

—  L'Ancien  Régime 558 


\J' 


r.'i'^ 


TABLE    DES   MATIERES 


ŒcONOMIDÈS   (D.)-   —  S£oaaT07r&-J).£to?  àywv,  sy.Oeai;  t/,?  àyojvoôiy.ou  âjîtTpoTrei'a;.  92 

Oquet  (J.).  —  Manuel  de  prières  à  l'usage  des  fidèles  de  rite  grec 84 

OriMANian  (M.).  —  L'Eglise^  arménienne 81 

La  Palestine,  guide  historique  et  pratique  avec  caries  et  plans  nouveaux 

par  des  professeurs  de  Notre-Dame  di  France  à  Jérusalem 480 

PalliS  (A.).   —    'H  via  oiaôïîxï)  xaxà  tÔ  ^aTixavo  yepévpaço  \i.s~a.<fipa.(j\i.iyr,.  Mipo; 

7:pwT0 ; 383 

Papadopoulos-Kékameus   (A.),   —    Texte    Grecesti  privitoare    la    isloria 

româneasca 475 

Papamirhail  (Gr.).  —  'O  âyto;  TpriYopto;  ria)>a[j.âc  (1296-1360) 628 

PÉPHANÈS  (A.).   —  SùvTO[Jioi;  'E-/.y.),r,(Tta(TTiy.r,   'I(7T0pta,  t.  1 565 

PhoKILIDÈS   (J.).   —  Xpy(T(7t7rou  npôdêuTépou    'lepodoX-jiJiwv  iyxo'jfAtov   s'.c  tôv   "Ay. 

MâpTupa  0£(58wpov,  ext  Sa  xal  twv  OaufiàTiov  a-jtou  [xeptxY)  ôtr|YY)(Tic 83 

Polîtes  (N.-G.).  —   'EXXr,vtXTi   gtSXtoypacpta.    Ka-ràXoyoç  twv    èv    'E)lâ8:   r,   utto 

'EXXiQvwv  àXXaxou  èxSoÔévxwv  oiêXîwv  ành  xo'û  k'xo;  1907 1 84 

Prat  (Fr.).  —  La  théologie  de  saint  Paul.  Deuxième  partie 559, 

Khallis  (K.).  —  riepl  Twv  XtTaveiwv  xarà  t'o  xavovtxôv  Sixaiov  zf,ç  op6o5d|ov>  àvaxo- 

XtXY);   'ExxXv](7Îa; 567 

—  Ilepl   Tôiv    lAUff-criptwv   T-riÇ    p.c-avoia;   xal   10Z    e-jysXat'oy   xaTx  xô    Sizatov  ■zf^i 

ôp9o86$ou  àvaxoXtxfiî  £xxXr,(Tia; 534 

RoBERTSON  (A. -T.).  —  Grammaire  du  grec  du  Nouveau  Testament 280 

Rouet  de  Journel  (M.-J.).  —  Enchiridion  patristicuin 28S 

RuECKER  (A.).  —  Die  Lukas-Homilien  des  Hl.  Cyrill  von  Alexandrien. 

Ein  Beitrag  ^iir  Geschichte  der  Exégèse 287 

Safirinu  (D.-D.-C).  — Documente  privitoae  la  turburarea  bisericeasca 

pricinuita  de  legea  sinodala  din  1 909  si  aparareaprea  sfintitului 

episcopal  Romanului in  procesul  sinodal  din   vara  anului 

1911 378 

Savio  (T.).  —  La  questione  del  papa  Libéria 89 

—  Nuovi  studi  su  lia  questione  di  papa  Libéria 90 

—  Punti  controversi  nella  questione  del  papa  Libéria 90 

Schermann    (T.).   —  Der    liturgische  Papyrus  von   Dêr-Baly^^eh.  Eine 

Abendmahlsliturgie  des  Ostermorgens i85 

ScHMiDTKE  (A.).  —  Neue  Fragmente  und  Untersuchungen  ^u  den  juden- 
christlichen  Evangelien.  Ein  Beitrag  ^ur  Literatur  und  Ges- 
chichte der  Judenchristen 568 

Snopek  (Fr.).  —  Konstantinus-Cyrillus  und  Methodius  die  Slavenapostel.  38i 

Stockle  (A.).  —  Spœtrœmische  und  By^antinische  Zûnfte 38oJ 

SviETLov  (P.    A.).  —  Kristianska'ié  Vêraoutchénié  v  apologhetitcheskan 

i^logenii 53/1 

SvoRONOU  (H. -S.).   —  Mtxpao-'.aTjxov  •^(x.epoXôyiov  1912 56ç 

Texte  und  Untersuchungen  !^ur  Geschichte  der  altchristlichen  Lite- 
ratur  85,  i85,  476,  56Î 

Thibaut  (J.-B.).  —  Monuments  de  la  notation  ekphonétiqiie  et  neumatique 

de  l'Eglise  latiyie 186 

TixERONT  (J.).  —  Histoire  des  dogmes  dans  l'antiquité  chrétienne 562:  j 

TouRNEBizE  (F.).  —  Histoire  politique  et  religieuse  de  l'Arménie 81 

Valensin  (A.).  —  Jésus-Christ  et  l'étude  comparée  des  religions 379^ 

1485-12.  —  Imp.  p.  FERON-^'RAU,  3  et  5,  rue  Bayard,  Paris,  8'.  —  Le  gérant  :  A.  Faigle. 


Echos  d'Orient 


V.15  (1912)