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LIBRARY
Toronto
ÉCHOS D'ORIENT
ÉCHOS D'ORIENT
Revue bimestrielle
DE THÉOLOGIE, DE DROIT CANONIQUE,
DE LITURGIE, D'ARCHÉOLOGIE, D'HISTOIRE
ET DE GÉOGRAPHIE ORIENTALES
Tome XV — Année 19 12
PARIS
Ç, RUE BAVARD, Ç
/y s/zf/^
A NOS LECTEURS
Parvenus à leur quin:^ième année d'existence, les Echos d'Orient ont
vu s'étendre de plus en plus le cercle de leurs lecteurs. Aux sympathies
nombreuses qu'ils sont fiers d'avoir su se concilier, ils voudraient répondre
par une amélioration.
On nous a souvent exprimé le désir d'un format plus commode que rin-4^
â deux colonnes dans lequel notre revue est née et a grandi. Les lecteurs
de la présente livraison constateront que c'est désormais chose faite. Le fas-
cicule bimestriel sera dorénavant un in-8^ de 96 pages — soit une augmen-
tation de )2 pages, — et les six livraisons annuelles formeront un fort
volume de ^j6 pages, soit une augmentation de 192 pages par an.
Un auteur fort au courant des choses concernant les Eglises orientales
a écrit et imprimé récemment, en 190c, cette phrase trop élogieuse : « Les
Echos d'Orient forment, à l'heure présente, le recueil le plus intéressant,
le mieux informé et contenant le plus' de travaux inédits sur [l'ensemble des
chrétientés qui suivent le rite de Constantinople. » On nous pardonnera
de citer cet éloge — assurément excessif, — afin d'en prendre occasion
pour affirmer notre désir de continuer à tendre à le mériter.
Une appréciation si flatteuse, en même temps qu'elle nous encourage à
poursuivre nos travaux, nous a suggéré une idée que nous proposons volon-
tiers à nos lecteurs en ce début de série et d'année. C'est celle de faciliter,
à tous ceux qu'intéresse l étude de l'Orient chrétien, l'utilisation des volumes
de notre revue parus jusqu'ici, par une Table des matières générale. Ce
n'est qu'un projet encore, car l'exécution exige du temps. Mais nous croyons
que beaucoup seront heureux de saluer dès maintenant cette espérance.
Sauf la modification extérieure du format, les Echos d'Orient demeurent
fidèles à leur programme, à leur esprit, à leurs traditions, à leur passé de
quatorze années.
La Rhdaction.
Echos d'Orient. — i5' année. — N° 92. Janvier i()'2.
LETTRE DE S. S. PIE X
AUX ARMÉNIENS CATHOLIQUES
APRÈS LEUR CONCILE DE ROME
ARMENIE CATHOLICIS
Plus PAPA X
DiLECTI FiLlI, SALUTEM ET APOSTOLICAM BENEDICTIONEM.
Quanta animi Nostri laetitia, quantoque gaudio plerosque ex Venerabi-
libus Fratribus Armeniis Antistitibus una cum suo et vestro Patriarcha,
cujus multae virtutes et sincerissimus fidei amor Nobis perspecta sunt,
ad plenariam synodum in hac aima Urbe Nostra, sub immediata Apo-
stolicae Sedis protectione et tutela celebrandam convenientes complexi
simus, non est cur dicamus. Eos enim complectentes visi sumus Nobis
non solum Venerabiles Fratres Nostros in sinum Nostrum amanter
excipere, sed vos quoque omnes filios carissimos, catholicam scilicet
Armeniam universam. Hanc nobilissimam nationem et gentem semper
cordi habuisse Decessores Nostros multis monumentis testatur historia.
Sufficiat, omissis antiquioribus Pontificibus, qui praesidium fuere et
fulcimen illustri gentis vestrae Apostolo Gregorio Sancto cui Illumina-
toris cognomen merito fuit datum, in memoriam revocasse Grego-
rium XIII, Urbanum VIII, Benedictum XVI, Leonem XII, Pium VIII,
Pium IX, Leonem XIII, qui omnes de vestra gente et natione adeo bene
sunt meriti. Eam et Nos majorem in modum diligimus et cordi pre-
mimus, memores praesertim malorum quae recenter tulistis. Quare
animo gestientes zelum et laborem, quem in Dei gloriam et in vestram
utilitatem synodales Patres suscepere, vidimus et probavimus. Verum
ut tôt labores in cassum non cadant, necesse profecto est ut docilitas
filiorum patrum industriis respondeat. Hinc postquam Patriarchas et
Antistitibus vestris gratias egimus de suscepto in vestram utilitatem
labore, ad vos ipsos, filii carissimi, verba dirigere duximus neces-
sarium.
Et in primis hortari vos volumus ad magnum fidei amorem. Fides
LETTRE DE S. S. PIE X
AUX ARMÉNIENS CATHOLIQUES
APRÈS LEUR CONCILE DE ROME
AUX ARMENIENS CATHOLIQUES
PIE X, PAPE
Chers Fils, salut et bénédiction apostolique.
Il serait superflu de vous dire avec quelle joie et quelle allégresse Nous
avons accueilli Nos Vénérables Frères les évéques d'Arménie, réunis pour
la plupart avec leur patriarche et le vôtre, ce prélat dont les vertus nom-
breuses et l'amour très sincère pour la foi Nous sont bien connus, afin de
tenir un synode plénier, dans la Ville Eternelle, sous la protection et la
tutelle immédiate du Siège apostolique. En les accueillant, il Nous a
semblé recevoir avec amour, dans Notre sein, non seulement Nos Véné-
rables Frères, mais aussi vous tous, très chers fils, c'est-à-dire l'Arménie
catholique tout entière. L'histoire fournit de nombreuses preuves de
l'amour spécial que Nos prédécesseurs ont porté à votre peuple et à votre
noble nation. Pour ne point parler des Pontifes plus anciens qui ont été
les protecteurs et les soutiens de votre illustre apôtre, saint Grégoire, sur-
nommé avec raison l'Illuminateur, qu'il Nous suffise de rappeler à votre
souvenir Grégoire XIII, Urbain VIII, Benoît XIV, Léon XII, Pie VIII,
Pie IX, Léon XIII, qui ont tous si bien mérité de votre patrie. C'est avec
le même amour et un plus grand encore que Nous chérissons et pressons
sur Notre cœur votre peuple, en Nous rappelant surtout les malheurs que
vous avez essuyés dans ces derniers temps. Aussi est-ce avec un tressail-
lement de cœur que Nous avons considéré et approuvé le zèle des Pères
du synode, ainsi que les travaux entrepris par eux pour la gloire de Dieu
et votre propre utilité.
Cependant, afin que toutes ces fatigues ne soient pas inutiles, il est
absolument nécessaire que la docilité des fiLs corresponde à la sollicitude
de leurs pères. C'est pour cette raison qu'après avoir remercié le patriarche
et vos évêques de la tâche pénible qu'ils ont assumée pour votre bien-
Nous croyons indispensable. Nos très chers fils, de vous adresser à vous,
mêmes quelques paroles.
Tout d'abord, Notre volonté est de vous 'exhorter à un grand amour
8 ÉCHOS d'orient
quippe est qua Deo adhaeremus eique maximum prasbemus debitae
submissionis obsequium; fide caritate formata Deo conjungimur
ejusque vivimus vita. Fidem igitur, quam tôt devictis periculis, tôt
exantlatis laboribus, Patriarchae et majores vestri pretiosissimam ad vos
hœreditatem transmiserunt, tamquam maximum pignus salutis ut
animo semper retineatis, operibus profiteamini, in deliciis habeatis hor-
tamur. Fide hac vera, quae una est, sicut una est Ecclesia, Christo ad-
haerebitis ejusque Sponsae, quam Ipse sibi gloriosam exhibet non
habentem maculam neque rugam, sed sanctam et immaculatam.
Fidem custodientes, obedientiam pariter colitote, ut intégras simul
servetis unitatem fidei et unitatem regiminis, quibus Christus unam
effecit Ecciesiam suam. Obedite igitur in primis iiuic Apostolicae Sedi,
quam Dominus statuit fundamentum et petram suae Ecclesiae, numquam
obliti verba Leonis Xlli Decessoris Nostri qui ad vos ipsos scribens
dicebat : « Testatur historia inter sacros Armenias Antistites eos pras-
fulsisse cœteris, uti splendida sidéra, qui Romanae Ecclesiae adhœse-
runt arctius, maximamque fuisse iis saeculis nationis gloriam, quibus
in ea catholica religio latissime floruit. » Obedite prœterea praspositis
vestris et subjacete eis. Ipsi enim pervigilant quasi rationem pro ani-
mabus vestris reddituri, ut cum gaudio iioc faciant et non gementes :
hoc enim non expedit vobis {Hebr. xiii, 17). Eos igitur, quum mox ad
vos redierint, sicut angelos excipite, qui postquam hic ad fontem ipsum
veritatem hauserint, veniunt ad vos, animos vestros verbis salutis et
sanctis operibus ad Christum ducturi. « ^quum enim est, ut jam
S. Clemens Corinthios alioquebatur, cervicem supponere et obedientias
locum implentes inclinari illis, qui sunt duces animarum nostrarum, ut
quiescentes a vana seditione, ad scopum nobis in veritate propositum
sine ulla vituperatione perveniamus. » Et vere, quemadmodum ignatius
martyr ad Philadeiphienses scribebat : « Quotquot Dei et Jesu Christi
sunt, ii sunt cum Episcopo Ne erretis, fratres mei, si quis schisma
facientem sectatur, regni divini haereditatem non consequitur. »
Patriam vestram et nationales avitas glorias diligite, nihil enim in
ndum Deum amate,
patriam diligit, qui
rias negligit ac pes-
ita ut omnes una-
LETTRE DE S. S. PIE X AUX ARMENIENS CATHOLIQUES 9
pour la foi. C'est par la foi, en effet, que nous adhérons à Dieu et que
nous lui rendons le plus grand témoignage de la soumission qui lui est
due; c'est la foi animée par la charité qui nous unit à Dieu et nous fait
vivre de sa vie. Nous vous exhortons donc à la conserver toujours dans
votre âme comme le gage le plus certain de votre salut, à la professer par
vos œuvres, à chérir tendrement cette foi, qu'au prix de tant de périls et
de souffrances vos patriarches et vos ancêtres vous ont transmise comme
l'héritage le plus précieux. Par cette foi vraie qui est une comme l'Eglise
est une, vous vous attacherez au Christ et à son Epouse, qu'il a fait paraître
devant lui pleine de gloire, n'ayant ni tache ni ride, mais sainte et irré-
préhensible.
A la conservation de la foi, vous devez ajouter la pratique de l'obéis-
sance pour garder dans leur intégrité l'unité de foi en même temps que
l'unité de discipline sur lesquelles Jésus-Christ a établi l'unité de son
Eglise. Obéissez donc avant tout à ce Siège apostolique que le Seigneur
a posé comme la pierre fondamentale de son Eglise, et n'oubliez pas les
paroles que vous adressait Léon XIII, Notre prédécesseur : « L'histoire
nous atteste que, parmi les évoques d'Arménie, ceux-là ont surtout brillé
parmi les autres comme des astres lumineux, qui ont été plus étroitement
unis à l'Eglise romaine, et que les gloires de votre nation ont jeté leur
plus grand éclat alors que la religion catholique s'épanouissait plus floris-
sante parmi vous. » De plus, obéissez à vos supérieurs et soyez-leur soumis,
car ils veillent pour vos âmes comme devant en rendre compte, afin qu'ils
s'acquittent de ce devoir avec joie et non en gémissant, ce qui ne vous
serait pas avantageux {Hebr. xiii, 17). Recevez-les, à leur retour prochain
dans votre pays, comme des anges qui, après avoir puisé la vérité, ici,
à sa source même, se rendent parmi vous pour conduire vos âmes au
Christ par leurs paroles de salut et leurs actions saintes. « II est juste, en
effet, comme le disait jadis saint Clément aux Corinthiens, de courber la
tète, et, en pratiquant l'obéissance, de s'incliner devant ceux qui sont
les conducteurs de nos âmes, de sorte que, mettant fin à tome vaine
sédition, nous puissions parvenir sans reproche à notre but: la vérité. »
Et de fait, ainsi qu'écrivait le martyr saint Ignace aux Philadelphiens :
« Tous ceux qui sont avec Dieu et avec Jésus-Christ sont aussi avec leur
évéque Ne vous faites pas illusion, mes frères, celui qui marche à la
suite d'un fauteur de schisme n'obtiendra pas l'héritage du royaume de
Dieu. »
Aimez votre patrie et vos vieilles gloires nationales. Sur la terre, rien
de plus noble que la patrie. Mais aimez la patrie selon Dieu, car Dieu doit
être aimé avant tout. Il n'aime pas véritablement sa patrie, celui qui
n'aime pas Dieu et qui néglige et foule aux pieds les gloires de son pays
les plus pures et les plus vraies.
Ayez en outre une charité mutuelle les uns pour les autres, en sorte
10 ÉCHOS D ORIENT
nimes, compatientes, fraternitatis amatores, miséricordes, modesti,
humiles sitis, non reddentes malum pro malo, nec maiedictum pro
maledicto, sed e contrario benedicentes, quia in hoc vocati estis ut
benedictionem hœreditate possideatis (/ Peir. m, 9). Ab hac caritatis
universalitate ne excludatis eos quos a Nobis et a cœtu vestro error
sejungit; quin imo conversationem vestram inter eos habentes bonam
(/ Petr. II, 12), et exemplo allicite et precibus juvate, ut errore détecte
ad catiiolicam redeant unitatem.
Haec peragentibus vobis, confidimus utopus a Patriarcha et Antistitibus
vestris susceptum suos producat lastissimos et uberes fructus, inter quos
illud maxime optandum, ut nobiiissimae Ecclesias vestrai novum accrescat
decus, gloria splendidior. Hoc autem majorem in modum optamus ad
illustris nationis et gentis vestram nobilitatem et bonum, quam potis-
simum S. Gregorii Illuminatoris labores olim sanctificarunt et fœcun-
darunt martyrum sanguis et praeclarae sanctorum virtutes.
Haec porro, quae generatim fidelibus commendamus, ad vos, dilecti
sacerdotes, speciali modo pertinere dignoscuntur, propter majorem ves-
trum cum Praelatis in sacra liierarchia conjunctionem, propter pra^ci-
puum consequens obsequium a vobis illis debitum, et munus tandem
gravissimum caeteris fidelibus in cunctis virtutibus praslucendi, ut ves-
tris non verbis modo, sed et operibus et exemplis efficacius fidèles exci-
tentur. Cum enim soleant homines in eos qui in elatiori loco sunt con-
stituti oculorum aciem convertere, ut ad ipsorum normam ducendae
vitae rationem componant, neminem latet eosdem per sacerdotum sanc-
tissima exempla ad virtutem accendi atque inflammari,
Id autem quo succédât felicius, cumulatissimam a Deo gratiam
opemque maternam sanctissimae Virginis, quam gens vestra singulari
semper amore est prosecuta, ex corde imploramus, Nostrae benevolentiae |
testem Apostolicam Benedictionem vobis omnibus, dilecti filii. per-
amanter impertimus.
Ex Sedibus Vaticanis, die 22 decembris 191 1.
Plus PP. X.
LETTRE DE S. S. PIE X AUX ARMENIENS CATHOLIQUES I I
qu'il y ait entre vous tous une parfaite union de sentiments, une bonté
compatissante, une amitié de frères, une charité indulgente, accompagnée
de douceur et d'humilité, ne rendant pas mal pour mal, outrage pour
outrage, mais au contraire répondant par des bénédictions, sachant que
c'est à cela que vous avez été appelés, afin de recevoir l'héritage de la
bénédiction de Dieu (/ Petr. m, 9). N'excluez pas de cette charité univer-
selle ceux que l'erreur sépare de Nous et de votre communauté; bien
plus, ayez une conduite irréprochable parmi eux {I Petr. 11, 12); attirez-les
par votre exemple et aidez-les par vos prières, afin que, reconnaissant leur
erreur, ils reviennent à l'unité catholique.
Si telle est votre conduite, Nous avions la ferme confiance que l'œuvre
entreprise par votre patriarche et vos évêques produira des fruits heureux
et abondants, parmi lesquels Nous désirons surtout voir celui d'un pres-
tige croissant et d'une gloire plus éclatante pour votre illustre Eglise.
■L'objet principal de Nos désirs est la gloire et le bien de votre peuple et
de votre noble nation, que les travaux de saint Grégoire l'Illuminateur
ont sanctifiée jadis, et que le sang des martyrs et les vertus éclatantes des
saints ont fécondée.
Ce que Nous recommandons en général aux fidèles vous concerne
d'une manière spéciale, vous autres. Nos chers fils, les prêtres, à cause de
votre union plus étroite dans la hiérarchie sacrée avec vos chefs ecclésias-
tiques, à cause du respect profond que vous leur devez par là même, et
enfin à cause de l'obligation très grave que vous avez de briller parmi le
reste des fidèles par la pratique de toutes les vertus, afin que ceux-ci soient
excités efficacement au bien non seulement par vos paroles, mais aussi
par vos actions et vos exemples. Les hommes ont l'habitude de porter
leurs regards vers ceux qui sont plus haut placés pour régler la conduite
de leur vie sur les exemples de leurs chefs. D'où il est manifeste pour tous
que c'est par les saints exemples des prêtres que les fidèles sont excités et
portés à la vertu.
Afin d'obtenir cet heureux résultat, Nous implorons de tout cœur une
grâce abondante de Dieu, le secours maternel de la Très Sainte Vierge,
que votre peuple a toujours entourée d'un amour spécial, et, en témoignage
de Notre bienveillance, Nous vous accordons très affectueusement, à vous
tous, chers fils, la Bénédiction apostolique.
De Notre palais du Vatican, le 22 décembre 191 1.
PIE X, PAPE.
LA TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE
DE SAINT CYRILLE D'ALEXANDRIE
Plus on étudie de près les controverses théologiques du iv^ et du
v« siècle, plus on s'aperçoit combien fréquents, combien déplorables
et parfois combien durables furent les malentendus sur la terminologie
entre docteurs également orthodoxes par la pensée. A la fin du
iv« siècle, on était arrivé à peu près à s'entendre — on sait après quels
tâtonnements et au prix de quelles luttes — sur la manière de formuler
le dogme trinitaire. On disait en Occident : iina natura vel siibstantia,
très personœ; on disait en Orient: aia '-pjT-..; y, oj^ia, tosI; 'jr.oi-y.zt'.;
y, Toia -pôc-co-a. 11 semble qu'après avoir ainsi fixé la signification des
termes exprimant la nature et la personne, on aurait dû transporter
cette terminologie dans la théologie de l'Incarnation. C'est ce que firent
en général les Occidentaux. Les mots natttra et persona ont habituelle-
ment (i) chez eux un sens identique en théologie proprement dite (2)
et en christologie. En Jésus-Christ, il y a deux natures, la divine et
l'humaine, et une seule personne, celle du Fils unique de Dieu, du
Verbe éternel.
En Orient, on ne procéda pas si simplement ni si uniformément.
L'esprit grec, toujours curieux, toujours préoccupé d'harmoniser le
dogme avec la raison, trouvait une difficulté spéciale à concilier dans
le Christ l'unité de la personne avec la dualité des natures. L'une de ces
natures, en effet, était la nature humaine complète, en tout semblable
à la nôtre, hormis le péché. Comment concevoir que cette nature indi-
viduelle du Christ ne fût pas une véritable personne humaine? Mais,
cela admis, que devenait l'unité du sujet et de la personne, réclamée
par la foi? On sait comment Apollinaire de Laodicée résolut le pro-
blème. 11 supprima à la nature humaine du Christ ce sans quoi il ne
saurait y avoir de véritable personnalité : l'intelligence et la liberté. Cer-
tains docteurs de l'école d'Antioche, comme Diodore de Tarse et Théo-
dore de Mopsueste, partant, ainsi qu'Apollinaire, du principe qu'une
(i) Nous disons « habituellement », parce qu'il y a quelques exceptions. Marius
Mercator, par exemple, parle d'une seule natura du Verbe incarné. 11 a sans doute
été influencé par la terminologie cyriilienne.
{2) A l'époque patristique, le mot « théologie •» s'entend spécialement de la doctrine
sur Dieu et la Trinité.
LA TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE DE SAINT CYRILLE D ALEXANDRIE 1}
nature humaine individuelle et complète est nécessairement une per-
sonne, affirmèrent hardiment qu'il y avait en Jésus-Christ deux natures-
personnes, et, pour se maintenir dans l'orthodoxie traditionnelle, qui
réclamait l'unité personnelle de l'Homme-Dieu, ils imaginèrent une
sorte de personnalité supérieure, résultat de la compénétration amou-
reuse des deux natures-personnes que Nestorius, leur fidèle disciple,
appelle le prosopon d'union (i).
Il est clair que, pour Apollinaire aussi bien que pour Théodore, les
termes de œ-jT-.; et de OTOoraT'.; sont synonymes en christologie. La
synonymie s'étend aussi en partie au mot -pÔTWTcov, en tant que ce mot
désigne la personnalité naturelle, le sujet individuel, par opposition au
prosopon de l'union, tel que l'expliquent Théodore et Nestorius. La ter-
minologie de l'Incarnation ne cadre plus dès lors avec celle de la théo-
logie (2).
Cependant Apollinaire, Diodore, Théodore et Nestorius ne repré-
sentaient pas tout l'Orient. Ceux qu'on désigna au concile d'Ephèse
sous le nom d'Orientaux, la plupart d'entre eux du moins, étaient
d'accord avec l'Occident, non seulement sur le fond de la doctrine,
mais encore sur les formules. Ils disaient comme les Occidentaux :
« Deux natures, ouo cpûo-siç, et une seule personne, iv rpôo-w-rrov. » Quant
au terme j-rÔTTaTi;, les uns, comme André de Samosate, en font un
synonyme de -pÔTto-rrov, et rejettent expressément la formule : « oyo
•j-oG-Tào-ît,; » après l'union (3); les autres, comme Théodoret, identifient
0-ÔTTaT'.; avec cpij7'.; (4).
Il faut remarquer, du reste, qu'il existait une différence entre les
Occidentaux et les Orientaux dans la manière d'envisager les deux
natures. Les premiers prenaient le mot « nature » dans le sens abstrait
de chose possédée par l'unique personne. Les seconds visaient la
nature concrète et individuelle, ce qui faisait qu'ils se rapprochaient
tant dans leur terminologie de Théodore et de Nestorius.
Chez les Alexandrins, antérieurement à la controverse nestorienne,
les formules étaient assez imprécises. Certains docteurs, à la suite
(il Sur le système nestorien, voir Echos d'Orient, t. XIV (1911), p. 65-75: Nestorius,
jugé d'après le Livre d'Héraclide.
(2) G. Voisin, lApollinarisme, Louvain, 1901, p. 278, reconnaît l'identité de termi-
nologie entre apollinaristes et antiochiens: « Sans doute, écrit cet auteur, les antio-
chiens affirmaient avec l'Eglise l'unité de personne; mais, en fait, leur doctrine était
en contradiction flagrante avec cette affirmation, et c'est à bon droit que l'évéque de
Laodicée leur reprochait d'enseigner qu'il y a deux fils de Dieu, que le Christ est un
homme saint en qui le Verbe habite. »
(3) Cyrilli apologeticus adversus Orientales. P. G., t. LXXVI, col. 333 A, 348 C.
(4) Cyrilli apologeticus contra Théodore ttim. P. G-, ibid., col. 404 B.
14 ECHOS D ORIENT
d'Origène, parlaient de la nature humaine ,et de la nature divine du
Christ, ds'la xal àvQpojTTflvr, cauTi; (i). D'autres, préoccupés de mettre en
relief l'unité de sujet dans l'Homme-Dieu, paraissent avoir évité à des-
sein de dire deux natures, ouo '^'jtî'.ç, et avoir adopté la terminologie
apollinariste (2). Pierre le Martyr reconnaissait une seule hypostase et
un seul prosôpon dans le Christ (3).
Bien des malentendus pouvaient naître de cette imprécision du lan-
gage christologique. On le vit bien quand éclata la controverse nesto-
rienne, bientôt suivie de la querelle monophysite. A ces deux querelles,
le nom de saint Cyrille d'Alexandrie est intimement mêlé. Si les nesto-
riens le honnirent toujours, les catholiques et les monophysites se pré-
valurent également de son patronage. A ce curieux phénomène il ne
faut pas chercher d'autre explication que le manque d'uniformité des
formules employées par l'évêque d'Alexandrie dans ses écrits christo-
logiques. Les pages qui vont suivre montreront la justesse de cette
assertion.
Deux causes empêchèrent l'évêque d'Alexandrie d'avoir une termi-
nologie christologique tout à fait arrêtée : tout d'abord, la tradition de
son école, qui, nous l'avons vu, n'en possédait point de fixe; ensuite,
les nécessités de la polémique antinestorienne, au cours de laquelle
Cyrille eut à la fois à attaquer l'orthodoxie de Nestorius et à défendre
la sienne contre les Orientaux orthodoxes. Nestoriens hérétiques et
antiochiens orthodoxes paraissaient s'entendre sur le fond de la doc-
trine, parce qu'ils se servaient des mêmes formules. Saint Cyrille eut à
dissiper cette dangereuse équivoque, et, pour y mieux réussir, il fut
amené à donner à certains termes un sens différent, suivant qu'il eut
affaire aux uns ou aux autres.
Que la terminologie christologique de l'évêque d'Alexandrie ait
manqué d'uniformité, c'est ce que reconnaissent généralement les
modernes historiens du dogme, à la suite des anciens (4). Le P. Petau,
(1) Origène, De principiis, I, 2. P. G., t. XI, col. i3o A. Contra Celsum, III, 2,s.
P. G., ibid., col. 956D. Isidore de Péluse, Epist. CDV, lib. I; P. G., t. LXXVIIl,
col. 409 A.
(2) Par exemple Didyme l'Aveugle.. Cf. Bardy, Didyme l'Aveugle. Paris, 1910. p. 126.
(3) [it'av ÛTtôo-Taatv xal irpôawTrov £v. Bardy, ibid., p. 65.
(4) Le Père spirituel de Cyrille, saint Isidore de Péluse, trouvait déjà certaines con-
tradictions apparentes dans ses écrits, et lui en faisait des remontrances sévères, qui
nous semblent fortement exagérées: Xp^ ae, 6av)[ià(7t£, arpsTtTov (xéveiv àel o-j'te
o-eauTO) èvavTÎov 9atv($(A£vov. Et y«P fà vûv yeTpaiJ-tAÉva <Tot xoXç uporépoiç àvxeEsTaffEia;, r,
xoXaxetaç yav7i<TYi -jîtevevvoç, r, v^yzatiixq. Stâxovoi;. Epist., 1. 1; Epist. CCCXXIV, P. G..
t. LXXVllI, col. 369 G.
LA TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE DE SAINT CYRILLE D ALEXANDRIE I 5
qui a écrit un livre entier de son De Incarnatione, pour défendre saint
Cyrille contre les attaques du calviniste Bruguier, trouve que le docteur
alexandrin a e mployé les mots cpyo-i; et O-ÔTTaT'.; en des sens assez
divergents. On peut résumer ainsi ses conclusions :
10 a'jT',;ei 'jTrôa-rao-^ sont parfois synonymes de ttogo-wtov et désignent
l'individu subsistant en lui-même.
2° cp'jo-'.; et j-nÔTTaT'.; ont souvent une signification distincte de
rpÔToj-ov ; ils indiquent la nature concrète considérée comme chose
existante, comme réalité, abstraction faite du mode de subsistance.
3" 'fjT'.; n'a pas toujours le sens de 'j-Q7-<y.7<.<;. 11 est quelquefois
synonyme de ojTÎa, essence spécifique (1).
M. Loofs est aussi d'avis que, chez saint Cyrille, les mots 'fJT'.; et
uTïôoraTi; ne se prennent pas toujours l'un pour l'autre. Cela n'arrive
que lorsque ce Père parle d'une -ijo-'.^ ucpîo-rwTa par opposition avec les
Siio ç;u7î!,; des antiochiens, ou de la nature du Verbe. La nature humaine
n'est pas une hyposlase; elle est anhypostatiqiie, àvjTrcro-TaTo;, bien qu'elle
reçoive le nom de 'fÛT'.;, et désigne la nature humaine en général sans
individualisation (2).
M. Rehrmann, à qui l'on doit une longue étude sur la christologle
de saint Cyrille, déclare que ce docteur joint au mot uTrÔTTao-i,; l'idée
de nature, et ne maintient pas toujours la différence déjà reçue de
son temps entre '^ût'.; et •j-io-rao-!,; (3),
CLuant à Mg'' Duchesne, qui paraît avoir pris saint Cyrille en grippe,
il accentue très fort la dualité de terminologie qu'il a découverte dans
« l'Egyptien » :
Il y avait deux Cyrilles, le Cyrille intime, naturel, celui de l'unique
nature, et c'est celui dont Eutychès se réclamait, tout en le dépassant; et
le Cyrille diplomate, celui des précautions et des concessions forcées, et
c'est celui que retenait Flavien. Le premier était représenté par les ana-
thématismes, ainsi que par les lettres à Acace de Mélitène et à Successus;
l'autre par la lettre dogmatique à Nestorius (Kara^XuapCffi), et par celle
où il accepte le symbole d'union (4). Il faut insister sur cette distinction.
A Rome aussi on la faisait; pendant près de cent ans elle y régla l'opinion
[i) De Incarnatione, 1. VI, c. 1, 11, viii, et tout le livre VI.
(2) Looks, Leontius von Byx.an^., dans Texte iind Intersuchungen, t. III, 1887,
p. 43, 46, 48. Cf. l'article Christologie du même auteur, dans Realencyclopœdie fur
proteslantische Théologie, t. IV, p. 5o.
(3) Die Christologie des hl. Cyril lus von Atexandrien systeinalisch dargestellt.
Hildesheim, 1902, p. 289, 3i8 sq.
(4) On ne peut s'empêcher a priori de voir un peu de fantaisie dans ce partage
entre le Cyrille naturel et le Cyrille diplomate. Il se trouve, en efl'et, que le Cyrille
diplomate se manifeste avant le Cyrille naturel. Pourquoi Cyrille faisait-il de la diplo-
i6 ÉCHOS d'orient
sur la doctrine du célèbre évêque d'Alexandrie et sur l'usage à faire de
ses écrits (i).
A {'encontre des auteurs que nous venons de nommer, M. J. Lebon
a soutenu récemment, dans son savant ouvrage sur le Monophysisnw
sévérien{2), que le langage christologique de l'évêque d'Alexandrie était
absolument constant, que ce Pèie « n'attribue qu'une seule et invariable
signification aux trois termes 'fJT-,?, u-ÔT-aTt,; et -oôtio-ov. Ils marquent
tous trois le concret, l'existant, l'individuel, et n'ont jamais la valeur
de ojT'la, réservé pour signifier l'essence spécifique » (3). Celle-ci est
encore indiquée en langage cyrillien, d'après le même auteur, par les
formules : 0 Àôyoç toù ttw; slvai et ttowtyic; 'jjT'.xrj (4). Saint Cyrille ne
donne jamais à l'humanité du Christ le nom d'hypostase; il ne l'appelle
jamais non plus une nature, une nature humaine {^).
Les affirmations réitérées de M. Lebon sur la fixité de la terminologie
cyrillienne n'ont pas porté la conviction dans notre esprit. Nous per-
sistons à croire avec les anciens et les modernes que cette fixité n'existe
pas. La lecture des écrits christologiques nous a suggéré des conclu-
sions à peu près identiques à celles du P. Petau. Nous avons remarqué
tout d'abord que l'évêque d'Alexandrie n'avait varié en aucune manière
sur le fond de la doctrine, depuis le commencement de la controverse
nestorienne jusqu'à la fin de sa vie; que cette doctrine était très nette
et très claire, et qu'elle consistait à affirmer et à établir par l'Ecriture,
la Tradition et la comparaison tirée de l'union de l'âme et du corps
l'unité de sujet, d'individu, dans le Christ, contre les négations de
Nestorius, sans préjudice de la distinction et de la non-confusion de la
divinité et de l'humanité, après comme avant l'union.
matie en écrivant sa seconde lettre à Nestorius (KaTaçXuapoO<7t), et pourquoi n'en fai-
sait-il pas dans la troisième au même, ou lettre des anathématismes? Qui empêchait
l'Alexandrin de se montrer au naturel, alors que la controverse était à ses débuts,
que Rome n'était pas encore intervenue? S'il avait voulu une rupture pour le plaisir
de l'avoir, devait-il commencer par lui faire des concessions sur la terminologie?
M''^ Duchesne a-t-il remarqué, d'ailleurs, que la fameuse expression « ivoxn; xaô'-JTré-
ffTa(7t'v », qui souleva tant de tempêtes, se trouve aussi bien dans la première lettre
que dans la seconde, et que Rome n'y trouva rien à redire?
(•i) Histoire ancienne de l'Eglise, t. 111, p. 403.
(2) J. Lebon, le Monophysisme sévérien. Louvain, 1909.
(3| Ibid., p. 356. Des affirmations semblables se lisent aux pages 25o-25i, 252-253,
278-279, 280, 292, 3S2-383, 400, 409, 411. Tout récemment, dans la Revue d'histoire
ecclésiastique, t. XII (1911), p. 52 1, M. Lebon écrivait encore : « C'est une erreur
évidente, à mon avis, de considérer la terminologie christologique employée par
saint Cyrille comme obscure et flottante. »
(4) Ibid., p. 411.
(51 M. Lebon entend cependant .excepter les cas d'emploi des formules SJo çJtec; àv
Ôitopta ou iv. ô-Jo 9-J(T£wv, qui constituent des concessions faites aux Orientaux.
LA TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE DE SAINT CYRILLE D ALEXANDRIE I7
Ecarter toute idée d'existence séparée et indépendante pour la nature
humaine du Christ, voilà la grande préoccupation de l'évêque d'Alexan-
drie, celle que l'on retrouve dans tous ses écrits antinestoriens et qui
en est l'âme, la seule qui lui a fait inventer quelques expressions et for-
mules nouvelles pour mieux réfuter l'hérésie. 11 a déclaré à plusieurs
reprises que la pointe de ses fameux chapitres ou anathématismes n'était
dirigée que contre Nestorius (i). Qu'on lui accorde que l'humanité
du Christ n'a pas une existence séparée de l'hypostase ou personne
du Verbe, que le Verbe incarné est le sujet aussi bien des attributs
humains que des attributs divins, et on le trouvera fort accommodant
pour toutes les formules, pourvu que celles-ci ne cachent aucun piège
nestorien.
Cyrille, en effet, ne tient qu'aux idées et nullement aux mots. Sous
ce rapport, sa conduite est toute différente de celle des monophysites
sévériens. Les questions de terminologie n'occupent guère son atten-
tion. Les deux natures, oùo 'jjtî!,;, proclamées par les Orientaux ne
l'effarouchent nullement, et lui-même a reconnu deux natures après
l'union, avant d'entrer en controverse avec eux. Avec beaucoup de
souplesse et de finesse d'esprit, il sait se mettre au point de vue de
ceux à qui il a affaire et adopter leur langage. Trouve-t-il dans un écrit
qu'il croit être de saint Athanase (2) l'expression ;ji.ia -^ùt-.; toCÎ Bîoj
; Aôvoj aî!Tapxaj[j.£w,, il sait l'expliquer d'une manière orthodoxe, et l'ac-
j cepte d'autant plus facilement qu'elle contredit directement Nestorius,
pour qui cpticriç est synonyme d'être concret, subsistant en lui-même
d'une existence indépendante. Est-il en présence de Théodoret, qui
identifie '^-jt'.;; et 'jtJjt-zol^'.^, et désigne par ces mots la divinité et l'hu-
manité considérées comme natures concrètes individuelles, comme
réalités, il ne fait pas difficulté de dire avec lui :
Nous n'affirmons pas que la forme de Dieu et celle de l'esclave ont été
unies sans les hypostases (3).
(i) Capitulorum vero virtus contra sola Nestorii dogmata scripta est. Qucc enim ille
non recte dixit ac scripsit ipsa rejiciunt. Qui vero anatliematizant atque negant ejus
vesaniam, cessabunt hœc quœ a nobis scripta sunt increpare. Videbunt enim capitu-
lorum sensa solis illius contraire blasphemiis. Epist. XXXII ad Acaciiim Ber. P. G.,
t. LXXVII, col. 157 A. Même déclaration dans VApologeticus contra Theodoretum
pro Xll capitibus. P. G., t. LXXVI, col. 400-401.
(2) La formule est d'Apollinaire. On la trouve dans le Iliol tt,ç (xapx-jffew; ■zoZ (-)âoù
Aiiyou, composé sous forme de lettre à l'empereur Jovien et mis sous le nom de saint
Athanase. Voisin, op. cit., p. 182.
(3) O-Jxo-Jv O'JTE ôtya Toiv •J7to<TTà<T£(i)v ôouXo'j -t /.al 0ÎOÙ {lopçyiv rjvwaôaf çaïASv. Contra
Theodoretum. P. G., lac. cit., col. 401 A.
Echos d'Orient, t. XV. 2
ÉCHOS d'ORŒNT
Il reconnaît comme parfaitement orthodoxe la phrase suivante de son
adversaire, qui parle cependant d'une nature humaine après l'union :
L'Enfant né [de la Vierge] est appelé Emmanuel: Dieu, il n'est pas
séparé de la nature humaine, àvôptoTrs-Iaç ©ùcrsojç xe/cooto-aévo;; homme, il
n'est pas dépouillé de la divinité (i).
Du moment qu'on ne sépare pas les deux natures dans leur existence
physique et qu'on maintient une unité réelle du sujet, Cyrille est satis-
fait. Aussi a-t-il signé le symbole d'union de 433, parce que ce docu-
ment écarte suffisamment la division nestorienne. S'il ne veut pas de
la formule : Buo oûo-ct,; uwso-uwTa!, àSt.a!,p£Ttoç, c'est parce qu'elle est équi-
voque et pourrait abriter la pensée nestorienne (2).
Cyrille a poussé très loin la condescendance sur la terminologie. Se
plaçant au point de vue de Nestorius, il a fait un véritable tour de
prestidigitation intellectuelle, en admettant une division, S'.a'lpsTt.;, des
natures après l'union. On pourra dire en style nestorien : « o'jo cpjo-c'.;
après l'union », pourvu qu'on restreigne au seul ordre logique et idéal
la division que, dans le cas, la formule suppose. Dans cette hypothèse
irréelle, l'esprit fait pour un moment abstraction de l'union, svcoo-iç, et
considère l'humanité et la divinité comme natures séparées, c'est-à-dire
comme personnes subsistantes. Par le même procédé, on pourra dire
aussi : « oûo cpûo-siç avant l'union », d'où la formule : sx S-jo cpûo-îwv, bieu
qu'à aucun moment réel la nature humaine n'ait été une cpûs--.,;, au sens
nestorien.
C'est dire que la thèse de M. Lebon, affirmant une fixité absolue de
sens et la synonymie des trois termes : '^ i>t!.ç, uTiÔTTacnç, Tcpoo-to-ov dans
la christologie cyrillienne, nous paraît tout à fait fausse et contredite par
des textes très probants. Trop préoccupé de montrer que les mono-
physites sévériens ont été les disciples fidèles de saint Cyrille, M. Lebon
n'a pas aperçu suffisamment que l'évêque d'Alexandrie se désintéres-
sait au fond de la terminologie, pour ne s'attacher qu'aux idées. Si les
premiers monophysites avaient eu un peu de la condescendance de
celui qu'ils réclamaient pour maître, ils n'auraient pas refusé d'être |
dyophysites avec lui.
11 n'y a qu'un Cyrille, le Cyrille naturel, l'adversaire de Nestorius
partout et toujours, mais ce Cyrille n'aime point les logomachies.
Qu'on lui exprime bien clairement qu'on n'est pas nestorien, il vous
(i> Contra Theodoretum. P. G., loc. cit., col. SgS C, 897 D.
(2) Voir la deuxième lettre à Succensus. P. G., t. LXXVII, col. 245.
LA TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE DE SAINT CYRILLE d' ALEXANDRIE I9
recevra à sa communion avec n'importe quelle formule et se chargera
même de montrer l'usage orthodoxe qu'on peut faire de chacune avec
une dextérité digne du scolastique le plus délié.
Quelques textes bien précis montreront la valeur de nos affirmations.
Examinons d'abord le terme cpjT-,;.
1. Le terme '^Ja-i; APPLIQUÉ A LA NATURE HUMAINE DU ChRIST.
M. Lebon prétend que saint Cyrille ne dit jamais : nature humaine,
^Û3-'.^ ivOpo>Tt'lv7, , en parlant de l'humanité du Christ, excepté lorsqu'il
rapporte les formules de ses adversaires. Or, voici ce qu'on lit dans la
Lettre aux Impératrices :
Voici que maintenant le Verbe apparaît à la face de Dieu dans un état
nouveau. Il n'est plus simplement Verbe et incorporel, comme il était au
commencement, mais il est dans la forme et la nature qui est la nôtre,
àÀÀ' £v ^aoscpy, t£ xal '^ùav. ty, xaO ''/][ji.a<;. Nous affirmons, en effet, que c'est
dans cet état qu'il se montre maintenant, et qu'il amène sous les regards
de Dieu le Père la nature de l'homme, xou àvOpcjTro-j ^ûiriv, qui cependant
était détournée de lui à cause de la transgression en Adam (i).
Le Verbe fait chair apparaît donc maintenant à la face de son Père
avec la nature qui est la nôtre. 11 amène sous les yeux du Père la nature
de l'homme. Dans ce passage, Cyrille ne s'exprime-t-il pas comme nous,
actuellement, quand nous disons que le Verbe a pris la nature humaine?
Voici d'ailleurs d'autres exemples :
Comme la nature de l'homme était incapable de détruire la mort, le
Verbe de Dieu, source de vie, s'est revêtu de la nature soumise à la mort,
c'est-à-dire de notre nature, de la nature humaine, tyjv ôavirw y.iTo/o^
71p.7rÉ7/£TC/ Ci'JiT'.V, TO'JTEaT'. TY,V Xa6 'T,[i.5.Ç, f^^fOU'^ t}(^ àvOpCOTTtVTjV (2).
Celui qui s'est anéanti attend l'appel du Père qui l'investit du sacerdoce,
dignité qui ne convient pas à sa nature, mais bien à la nôtre, c'est-à-dire
à la nature humaine, to'jtétt; tt, àvOooj7r'>/|, dont il est devenu parti-
cipant (3).
Ta Perfection a parlé de la passion du Sauveur avec beaucoup de jus-
tesse et d'intelligence, lorsqu'elle a affirmé que le F'ils unique de Dieu
n'a pas souffert dans sa propre nature, en tant que Dieu, les douleurs du
di De recta fide ad Augustas, 46. P. G., t. LXXVI, col. 1400 B G.
(2) Ibid., col. 1376 A B. Un peu plus bas, col. 1409 B, Cyrille écrit : sTrîtSTi 5È tm
(3) Ibid., col. i388 A. Cf. aussi col. i36oC: ttî; évwÔîi'ar,; a-JTf;> ç-jfxîw;. SriXov ô-r-. xyïc
20 ÉCHOS D ORIENT
corps, mais qu'il les a endurées par sa nature terrestre, ir^ yoixr^ ©ûcsi (i).
Il a subi la mort selon la loi de la chair et dans noire nature, oj^ô-. t7,
zaO''/i[;.aç tîOvvjxoj; (2).
Puisque l'Ecriture inspirée déclare que le Christ a souffert par la chair,
il vaut mieux que nous nous en tenions à ce langage, que de dire qu'il a
souffert par la nature de l'humanité, tT| cpùdst ttjç àvOpo)7roTr,TOî. Cette façon
de parler toutefois serait inoffensive, si certains n'en travestissaient pas la
signification (3).
Le mot cp'JT'-; dans la christologie cyrillienne est donc appliqué assez
souvent à la nature humaine du Christ. 11 est alors synonyme de ojs-la.
Les expressions : 6 ).6yo; toù ttôjç slvat et -oiôty,? '^'jtw/, ne sont pas
les seules employées par l'évêque d'Alexandrie pour désigner l'essence
spécifique. Le mot cpùo-i; a fréquemment la même signification. Cyrille
dit aussi bien et plus souvent : htpoly. xa-rà Tvy cpjs-'.v Htôrr,; -z xal
o-ào; (4), que : sTcoa xa-rà tov toO tw; îlvat. ÀÔyov (5), ou : sv -o'.ôty,t'.
'iU3-t.xr,. 11 dit aussi : pir, cpùo-t.; y, a'JTYi o-apxô; tî xal OîÔty.to? (6).
11 n'est pas étonnant dès lors que le saint docteur ait proclamé « deux
natures après l'union », dans le sens chalcédonien, aussi bien avant
qu'après sa controverse avec les Orientaux. Les passages abondent.
11 y a d'abord celui de la seconde lettre à Nestorius :
Les natures qui se sont rapprochées pour former une unité véritable
sont, il est vrai, différentes; mais des deux résulte un seul Fils et Christ,
non que la différence des natures ait été supprimée par suite de l'union,
mais parce que la divinité et l'humanité, unies d'une manière ineffable,
constituent l'unique Fils et Seigneur Jésus-Christ (7).
Si la différence des natures persiste, il est évident que les natures
■persistent aussi; mais celles-ci ne sont pas dans le Christ à l'état séparé,
subsistant chacune à part. Cyrille ne défend pas de distinguer deux
natures après l'union, et de leur donner ce nom de nature; il interdit
seulement de les séparer l'une de l'autre, de manière à en faire deux
sujets (8).
(i) Epist. Il ad Succensum. P. G., t. LXXVII, col. 244 B.
(2) De recta Jide ad Theodosium, 43. P. G., t. LXXVI, col. 1200 A.
(3) Epist. II ad Succensum, col. 245.
(4) Adversus Nestorium, 1. II, P. G., t. LXXVI, col. 64 A.
(5) Ibid., col. 85 A. Cyrille dit aussi, col. 89 B : xarà -rov ttï; ç-juew; Xoyov.
(6) De recta Jide ad Theodosium. P. G., ibid., col. 1141 B. Cf. Apologeticus contra
Orientales. P. G., ibid., col. 32g D: étépa xaTà cpJT'.v tôi'av ■/] aa.pl .... 'é-spoç -/.axà rôv
Tïjî ISt'aç cpyaswî 16yo^ ô Movoycvr,;.
(7) P. G., t. LXXVII, col. 45 C. Cyrille dit bien ici deux natures après l'union.
Rien ne prouve qu'il fait dans le cas présent le tour de gymnastique intellectuelle
dont il a été parlé plus haut.
(8) C'est ce qu'il dit lui-même dans le deuxième livre contre Nestorius. Après avoir
LA TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE DE SAINT CYRILLE D ALEXANDRIE 2 I
Voici un passage encore plus explicite tiré des Scholies sur l'Incarna-
tion :
Il ne faut donc pas diviser l'unique Jésus-Christ en homme à part et
en Dieu à part, tout en sachant la différence des natures et en les mainte-
nant l'une et l'autre sans confusion (i).
Quand il écrivait ces lignes, Cyrille n'était pas encore engagé dans
la controverse avec les Orientaux. En maintenant deux natures sans
confusion après l'union, il n'était poussé par aucun souci de diplomatie;
il parlait son langage naturel, qui commençait à être le langage d'un
peu tout le monde. S'il en a pris un autre — sans du reste abandonner
le premier, — c'est la nécessité de combattre une erreur subtile qui l'y
a contraint.
II. Le mot J-ÔTTaT'.; APPLIQUÉ A LA NATURE HUMAINE DU ChRIST.
L'expression « svtoT!.; xaO'jTwôo-TaT'.v ».
On se tromperait d'ailleurs, si l'on croyait avec M. Loofs que, d'après
le docteur alexandrin, le Verbe ne s'est uni que la nature humaine en
général et non une nature concrète et bien individualisée. La 'x.Û7t.s que
le Verbe a prise n'est pas une forme abstraite, sans consistance; c'est
une nature bien réelle, bien concrète, une hypostase, j-ôo-TaT^. Le sens
de ce dernier mot dans saint Cyrille est loin, en effet, d'être toujours
identique à celui de rcpÔTto-ov. Comme l'a très bien remarqué Petau, il
signifie directement une réalité, une chose existante, par opposition à de
pures abstractions ou à des apparences, mais sans déterminer le mode
d'existence. « Ce qui n'a pas d'hypostase, dit Cyrille, équivant au néant,
n'est absolument rien. » (2) Aussi la nature humaine du Christ est-elle
une hypostase avant comme après l'union.
Théodoret disait indifféremment deux natures ou deux hypostases,
•^jTS'.ç Vi'O'jv 'jT.fj7':ÔL'Tt\^, pour désigner les deux natures du Christ, car
affirmé que l'humanité et la divinité sont autres en essence, xaTa tôv toû tcw; eïvas
).(5yov, il ajoute : 0 ty,? £vw(Tcf.);).(5Yo; oJ/. àyvoït [lîv tT|V Siaçopàv, i^iu-r^ai oï ttjv Sia!p£<Ttv,
ryj <7UYX£wv r, àvay.ipvwv rà; çCdît;. P. G., t. LXXVI, col. 85 B. Dans la lettre à Euloge
de Constantinople, il déclare que Nestorius est blâmé non pour avoir dit c^eux natures,
mais pour les avoir séparées de manière à détruire la véritable ëvwd;;. P. G., t. LXXVII,
col. 225 A.
(i) Oy ô'.opiUTeov à'pa tôv ïvol 'Irjdoijv Xp'.dxbv £Î; Î5t/,à); àvOpwTiov y.al £c; ôîbv tS'.y.w;,
Tr,v '<•>'' ç'Jffîwv £t56T£; ôtapooàv xai àiTUY/-JTou; àXXr,).aiî -TipoûvTs; a-JTâ;. P- G., t. LXXV,
col. i385 G. ■
(2) Tb jXTj yç£(TTw;, èv l'ato tw [i.r)8£vt, (xâXXov 5k 7ravT£),w; ojôév. De recta Jtde ad Theo-
dosium, i3. P. G., t. LXXV'l, col. ii53 B. Ce passage est capital pour saisir le sens
de ÛTiôff-aa:; dans la christolosie cvrilli<;nne.
ECHOS D ORIENT
l'une et l'autre sont des réalités concrètes (i). En défendant contre lui
ses anathématismes, l'évêque d'Alexandrie adopte cette terminologie.
C'est ainsi qu'il déclare, comme nous l'avons vu, que la forme de Dieu
et celle du serviteur n'ont pas été unies sans les hyposiases (2), c'est-
à-dire sans ce qui en constitue la réalité. Il interpelle Théodoret en ces
termes :
Puisqu'il affirme que la forme de l'esclave a été prise par la forme de
Dieu, qu'il vienne nous dire si ce sont les formes seules considérées en
elles-mêmes qui se sont unies sans les hypostases. Mais, à mon avis, il
va se combattre ici lui-même. Ce ne sont pas, en effet, de simples simu-
lacres sans consistance, àvuTrôffraxot 6[xotÔTY,T£; (de pures idées), des formes
qui se sont rencontrées pour former l'union de l'Incarnation, xaO'svoffiv
otxovo{X'.xY,v, mais il y a eu concours de réalités, c'est-à-dire d' hypostases^
àÀXà xpaYjxàxcov r^youv ûTrocxàffscov yiyoze gûvoùoç, comme l'exige la foi en la
réalité de l'Incarnation (3).
11 est évident que, dans ce passage, •jiroo-Taa-t.ç ne saurait avoir le sens
de TTpôo-toTïov. Cyrille ne pouvait pas dire : « Tzpoo-coTzcov y^y^vî t-jvooo; »
comme il dit : « OTroaxàa-sojv y, cpûo-swv o-ûvoSo? », lui qui reproche à Nes-
torius Vunion des prosôpons, svwo-!.? TrpoTwiiojv (4). Le terme j-oT-raT',;
signifie donc ici une réalité, comme l'indique du reste le mot ~py.-"j.y.-(<rj
donné comme synonyme de •jitoTrào-sojv.
On constate ainsi que l'évêque d'Alexandrie a appliqué à la nature
humaine du Christ, non seulement le terme de 'f ùtiç, mais encore celui
de 'jTTÔo-Tacrtç. M. Loofs fait donc erreur lorsqu'il attribue à saint Cyrille
l'idée d'une nature humaine anhypostatique, cpuo-i; àvu-îiÔT-raTo; (5). Le
saint docteur rejette expressément cette hypothèse :
Je voudrais bien savoir, dit-il, si Théodoret enseigne une union véri-
table du Verbe avec l'humanité ou si lui aussi partage l'opinion de
certains autres, qui parlent d'adhésion par relation d'une forme d'esclave
anhypostatique à une forme divine enhypostatique (6).
Une nature anhypostatique, au sens où Cyrille entend ce mot dans le
cas présent, serait une nature irréelle, inexistante, une pure abstraction.
(i) A'jo 5à Ta; ÉvwOetffaî inzoaxiatii eïtouv çyoreiç, Xéyîiv o'jx àxoTiov, àX).K xaTr'alxtav i.v.6-
Xoueov. p. G., t. LXXVI, col. 404 B.
(2) Ibid., col., 401 A.
(3) Ibid., col. 396 C.
(4) Voir, par exemple, P. G., t. LXXVII, col. 48 C, 65 B.
(5) On dira plus tard chez les Grecs que la nature humaine du Christ est vrjTzoa-y.Ti^
c'est-à-dire qu'elle existe dans l'hypostase ou personne du Verbe.
(6) xatà «Tuvxçeiav aytzi-Ar^-i 8ou>>07tp£ïtoûç xal àvuTtoffxâTO-j p.opsf,; Ttpoç îvjTrécnraTOv y.%1
eeîav [xopçv. P. G., t. LXXVI, col. 397 BC.
LA TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE DE SAINT CYRILLE d' ALEXANDRIE 2}
Ce ne serait point une nature individuelle privée de subsistance propre
et de personnalité. Si l'on donnait cette dernière signification à l'adjectif
àvÛTcoTTa-ro^. l'évêque d'Alexandrie reconnaîtrait que la nature humaine
du Christ est àvj-ÔT-:a-:o; et s'appuie pour subsister sur l'unique hypos-
tase ou personne du Verbe, qu'elle existe dans le Verbe et non en elle-
même et à part.
C'est le moment de parler de la fameuse expression union selon l'hy-
postase, svcoo-'.; xaO'j-ÔTTaT'.v, que saint Cyrille avoue avoir forgée exprès
pour réfuter Nestorius (i). D'après les explications que lui-même en a
données, union hypostatique est synonyme d'union vraie, véritable,
réelle, consistante (2). On devine dès lors que le terme j-ÔT-rao-'.; est
pris ici encore non dans le sens de personne, -pÔTOi-ov, mais dans le
sens de réalité, 7rpàY;ji.a. 'Iv/to-n; xa9'67:ôa-:5cTt.v est donc pour l'évêque
d'Alexandrie l'union selon la réalité, selon la vérité, y.y.'zb. à^vr^Os'.av, comme
il dit souvent. La formule ne signifie pas directement union hypostatique,
au sens où on l'a entendu depuis, c'est-à-dire union personnelle ou dans
la personne. Ce n'est qu'indirectement qu'on la ramène à cette signifi-
cation, l'union véritable étant en fait l'union de la divinité et de l'huma-
nité réalisée dans la personne du Verbe.
Pourquoi cette épithète de véritable, consistante, employée pour carac-
tériser rîv(-)7!.;? Cyrille nous l'apprend. L'svtoT!,; xaO'j-ÔTTaa-î.v s'oppose
à l'svtoT'.; ou ivÔTT,; Tïpoo-wraov, dont parle Nestorius. Cyrille unifie le
Christ dans l'ordre de l'existence concrète, physique, individuelle. Nes-
torius opère l'unification dans l'ordre des relations morales entre per-
sonnes, 2v<.)T'.; TcpoTtÔTTwv (3). 11 aboutlt alusl à un prosôpon unique, mais
ce prosôpon n'est qu'un masque; cette unité n'est que factice, apparente;
c'est une ombre sans consistance. A ce fantôme, Cyrille oppose l'évcoa-iç
véritable, réelle, qui fait vraiment du Christ, du Verbe incarné un
sujet unique à la fois Dieu et homme, une seule véritable personne,
un seul individu. On comprend dès lors toute la portée de la formule.
Par elle-même, elle constitue un acte d'accusation contre la farce théo-
logique qu'est l'unique prosôpon nestorien. Aussi l'évêque d'Alexandrie
la répète à satiété. 11 veut que l'on sache bien que l'unité du Christ,
telle que l'établit Nestorius, est fictive, n'est pas véritable, et que la
foi n'y peut trouver son compte.
(i) Ibid., col. 400-401.
(2I Voir, par exemple: Apologelicus contra Orientales. P. G., ibid., col. 332 B;
Contra Theodoretum, coL 401.
(3) Le terme grec îvtoort; n'est qu'imparfaitement rendu par le mot français « union ».
Il éveille l'idée de réduction à l'unité, d'unification.
24 ÉCHOS D ORIENT
Faisons remarquer à ce propos que certains anciens théologiens ont
qualifié d'union personnelle, svwt^ TrpoTWTrixrî , l'unité de prosôpon admise
par Nestorius et l'ont opposée à l'union hypostalique, i'vwT-.; 'j-oTTaTurj.
L'une et l'autre de ces unions peut être dite personnelle, mais la pre-
mière, rsvwa!,? TTpoTWTTix-/^ , signlfic i uuîon de deux personnes en une
seule, qui ne peut être qu'une personnalité morale; la seconde, l'union
hypotastique, s'entend d'une union dans la personne du Verbe, qui
est vraiment unique. On peut dire que l'union nestorienne est trop
personnelle et pas assez pour satisfaire aux exigences du dogme : trop,
parce qu'elle suppose deux personnes; pas assez, parce que sa personne
unique est factice.
11 eût été maladroit de la part de saint Cyrille de parler directement
d'union personnelle, parce que ce terme eût été équivoque, la o-jvicps-.a
nestorienne n'étant que trop personnelle. 11 fallait se placer sur le ter-
rain de la réalité, et dénoncer l'artifice de l'unique prosôpon.
111. <J>'JTf.; ET yTcôo-Tao-!,-; SYNONYMES DE TupôcrwTrov.
La formule : une seule nature incarnée de Dieu le Verbe.
En plus des significations que nous venons d'indiquer, les termes
cp'j(T!,ç et OTTOT-racri,; en ont une autre dans la christologie cyrillienne. Ils
sont parfois synonymes de TrpÔTcoTiov, et désignent l'être doué d'une
existence propre et indépendante, l'individu, la personne. Toute cp'jT-.;,
toute jTOCTTaa-'.; devient une personne, par le fait qu'elle existe d'une
existence propre et séparée. C'est pour cela que les deux natures ou
hypostases du système nestorien sont deux personnes. Du moment que
Dieu le Verbe, d'un côté, et l'homme Jésus, de l'autre, constituent
deux sujets distincts, et qu'on ne peut attribuer à celui-ci les propriétés
de celui-là, il s'ensuit que la oûtiç humaine du Christ est un individu
à part, une vraie personne. Cyrille a la vision nette de cette conséquence.
Dans tous les passages où, faisant allusion à la christologie de l'héré-
siarque, il parle de natures ou hypostases séparées, les termes -fÛT',; et
jTTOG-TSfiT'.ç sont synonymes de Tipoo-io-ov.
De même, dit-il, que deux dignitaires de rang égal ne sont pas consi-
dérés comme un seul individu, mais qu'ils sont deux en toute vérité, de
même celui qui est uni à un autre selon la dignité, les natures ou hypo-
stases demeurant séparées, oiy,pYi[j.£vcov twv ^ùasojv v/ouv ÙTroaTâ'îewv, ne sau-
rait constituer un seul être [avec l'autre; ils sont nécessairement deux(i).
(I) De recta Jïde ad Auguslas, 45. P. G., t. LXXVI, col. xZbj D.
A TERMINOLOGIE CHRISTOLOGIQUE DE SAINT CYRILLE D ALEXANDRIE 25
Que ceux qui divisent l'unique Ciirist et Vus en deux fils, et déclarent
que l'homme a adhéré à Dieu selon la seule égalité de dignité et de pou-
voir, les natures restant séparées, que ceux-là nous disent en la mort de
qui ils ont été baptisés (i).
Comme le Christ est un seul sujet, un seul individu, il ne peut y
avoir en lui qu'une seule 'fJT'.«;, une seule j-ÔTraTiç existant d'une
manière indépendante. Cette unique nature ou hypostase est évidem-
ment celle de Dieu le Verbe, puisqu'elle a toujours existé et qu'elle est
immuable en elle-même. Dès qu'on dit : nature ou hypostase du Verbe,
on dit nécessairement une nature indépendante, subsistant en elle-même,
donc une nature-personne. La formule [JLÎa oiio-iç (ou uTcôo-Tao-t;) toG 0îo'j
Ao-'oj désigne donc la nature concrète, l'hypostase indépendante, la
personne du Verbe, c'est-à-dire, comme l'explique Cyrille (2), le Verbe
lui-même. Dans le Christ, pas d'autre personne que celle de Dieu le
Verbe. Aussi, quand il s'agit du Verbe, les trois termes csût'.;, Ottô-
TTaT'.;, TtoÔTio-ov se trouvent être synonymes, comme on le voit par de
nombreux passages (3).
Cette synonymie, du reste, n'a rien qui doive surprendre. Elle est
basée sur la nature même des choses. N'est-il pas vrai que, dans la réa-
lité, tout être individuel, qu'il soit simple ou composé, est à la fois nature
ou essence, hypostase ou réalité, suppôt ou personne (4). Un ange, un
homme, est à la fois une nature, une hypostase, une personne. Le cas
de la nature humaine du Christ est tout à fait spécial. C'est bien une
essence, cpÛT'.,;, une réalité, •jTïoo-Taa-i;, mais ce n'est pas une nature-
personne, une cp'j7i.s-7^p6TW7rov, parce qu'elle ne s'appartient pas et qu'elle
a été, dès son origine, la propriété de Dieu le Verbe.
C'est pourquoi, quand il se place au point de vue de Nestorius et
aussi du pseudo-Athanase, l'évêque d'Alexandrie déclare qu'il n'y a
dans le Christ qu'une seule '^ù<n? (une cpûo-iç-TtpÔTioTrov), celle de Dieu le
Verbe; mais, pour marquer que cette nature s'est approprié l'huma-
nité, il ajoute l'épithète T33-apx{0[j.£VY, : une seule nature incarnée de Dieu
le Verbe, un seul individu, l'individu divin possédant une nature humaine
m Ibid., 52, col. 1408-1409.
12) :TAr,v OTt [xovov -f, loû Aôyoy ?û<7t;, f,Yoyv r, iiixô'jzxai^, ci èdTiv aCtb; ô Aôyo;. Contra
Theodoretum. P. G., ibid., col. 401 A.
(3) 'itlvl TOi^apouv 7rpoao')7io) Taç àv TOt; sùaYYc Àfo'. ; iràffa; àvaôc-rÉov çwvi;" xiTtoa^iis
[L'.y., zr, ToC Ad^ou dscrapy.ojiiÉvr,. Epist. XVH ad Nestorium. P. G., t. LXXVH, col. 1 16 C
Cf. Contra Orientales. P. G., t. LXXVI, col. 840 C.
(4) On peut voir dans VApologie contre les Orientaux, P. G., t. LXXVI, col. 352,
353, un long passage d'où il résulte que tout individu est à la lois ç-Jut;, •JnôffTaut-
îr&ô(T(i)irov.
26 ÉCHOS d'orient
qu'il n'avait pas avant l'incarnation. Faire de cette nature humaine un
sujet distinct et indépendant de certaines propriétés, à l'exclusion de
Dieu le Verbe, serait la soustraire à la possession parfaite de celui-ci et
la séparer de son individualité, en faire une vraie personne. C'est cette
séparation qu'opère Nestorius. L'esprit, sans doute, en contemplant le
composé théandrique, distingue le Verbe considéré comme Dieu, de
l'humanité considérée dans son essence; mais distinguer n'est pas
séparer. Ici vient la comparaison tirée du composé humain. L'esprit
aperçoit nettement la différence qu'il y a entre la nature de l'âme et
celle du corps; mais, dans la réalité, l'âme et le corps sont étroitement
unis et ne constituent qu'un seul être concret, un seul individu, une
seule nature indépendante. De même. Dieu le Verbe et l'humanité ne
forment qu'un sujet unique, une seule '-py^i.;, non que celte cpûs-.; soit la
résultante des deux par changement, mélange ou confusion, mais parce
qu'il y a eu accession de l'humanité à la nature, hypostase et personne
de Dieu le Verbe, dont le domaine individuel a été étendu et élargi (i).
On peut toutefois, par la pensée pure, èv l^-yval^ Bcwpia-.;, svvoia'.;,
supposer un moment irréel où la nature humaine sera aperçue comme
existant à part et venant à la rencontre de l'hypostase du Verbe. De
ce point de vue, on pourra dire : deux natures (çp'JT£',s-~po7(o7:a) avant
l'union; une seule nature après; ou encore : Le Christ est de deux natures,
èx oûo cpûo-cwv, aboutissant à une seule.
C'est parce que la nature humaine du Christ n'est pas une 'jût-.; au j
sens nestorien, une nature indépendante, une vraie personne, que
saint Cyrille la désigne le plus souvent par les mots : xàp;, lob. a-àpi,;
(Twpia, àv9pw7î6Tr,ç, to àvOpw7ït.vov, tô xaO'y^aà^. 11 évite avec soin toute
expression qui pourrait suggérer que l'humanité du Christ est un sujet
distinct de Dieu le Verbe. Sa délicatesse sur ce point est extrême.
Toute expression qui peut receler le nestorianisme le trouve impitoyable,
et il eût sans doute été choqué par certaines manières de parler de
Jésus homme, qui sont de nos jours d'un usage courant.
Au demeurant il est, nous venons de le voir, fort accommodant
Sur la signification à donner aux termes cp-jo-t,; et 'j^oa-rao-!.;. 11 parle aussi
bien le langage dyophysite que le langage monophysite, mais il prend
toutes les précautions nécessaires pour ne laisser planer aucune obscu-
rité sur sa pensée, qui est toujours d'une irréprochable orthodoxie.
Si, par exemple, il attribue au mot uTrÔT-raTi; le sens de personne, il le
(i) Voir, par exemple, la lettre à Euloge de Constantinople, P. G., t. LXXVII,j
col. 225, les deux lettres à Succensus, ibid., col. 232-233, 241; la lettre à Valérien '
d'Iconium, ibid., col. 257-260.
La terminologie CHRISTOLOGIQUE de saint CYRILLE d' ALEXANDRIE 27
joint habituellement au mot -pocroi-ov (1). S'il lui donne la signification
de chose réelle, il la fait suivre du terme Toà-'x-a. Si le mot '.pyT'.; est
pris par lui comme synonyme de oùo-ia, le contexte indique suffisam-
■nent cette synonymie. Il ne semble pas, dès lors, qu'on soit autorisé
à lui faire un grief de ce manque de fixité dans la terminologie; encore
moins est-il permis de faire intervenir la diplomatie en cette question.
On doit, au contraire, lui savoir gré de son esprit de conciliation, et
admirer la dextérité avec laquelle il a su manier toutes les formules
pour les plier aux exigences du dogme. Si, après sa mort, ses écrits
ont donné naissance à d'interminables logomachies, il ne saurait en
être rendu responsable. 11 faut en accuser l'esprit de parti, excité et
entretenu par certaines circonstances malheureuses.
M. JUGIE.
Constantinople.
(1) C'est le cas du IV' anathématisme : Eï t;; TtpoawTro'.c Sudlv vfo-jv ÛTroaTâffSff:, etc.
Dans la lettre à Valérien, évêque d'Iconium, Cyrille emploie le mot vT.àazxTi^ dans le
sens de Ttpdo-wTrov sans aucune détermination, mais cela vient de ce qu'il rapporte le
langage de certains nestoriens, pour qui ûnôdTadtç désignait toujours un individu.
P. G., t. LXXVIl, col. 257 C D.
L'ÉGLISE MARONITE
ET LE SAlNT-SIÉGE (1213-1911)
Nous empruntons le sujet et les sources principales de cette étude
au Bullarium Maronitarum, publié récemment par le Révérendissime
Tobie Anaissi, supérieur du Séminaire maronite de Rome (i).
S'en tenant au sens strict du mot bullarium, l'auteur publie peu de
documents émanant de la Propagande. Nous le regrettons : car, à notre
avis, les archives de cette Congrégation auraient permis au Révérendis-
sime abbé de livrer au public savant un ensemble de documents très ;
instructifs. Tel qu'il est cependant, et en attendant qu'on nous livre
la série complète des pièces concernant l'Eglise maronite, le Bullarium
Maronitarum rendra service à ceux qui s'intéressent à l'histoire de la
noble nation libanaise (2).
Nous grouperons les renseignements les plus curieux contenus dans
les cent treize documents du bullaire maronite en trois périodes
principales: le moyen âge (1213-1500), les temps modernes (1500-1800),
l'époque contemporaine (i 800-191 1) (3).
1. Le moyen AGE (12 13-1500).
Cette partie du bullaire, que nous aurions préféré voir débuter en
1182, et nous donner quelques documents relatifs à la première con-
version des Maronites et aux agissements du patriarche Luc (t 1209),
(i) Bullarium Maronitarum complectens bullas, brevia, epistolas, constitutiones,
aliaque documenta à romanis pontificibus ad patriarchas antiochenos syro-maroni-
tarum missa. Ex tabulario secreto S. Sedis, bibliotheca vaticana, bullariis variis,elc.
excerpta et jiixta temporis seriem disposita. Cura et studio Tobi^ Anaissi, 5. T. D.
Hospitii-collegii congregationis aleppino-libanensis syro-maronitarum abbatis. Roma,
-Max Bretschneider, 1911, in-8°, 578 pages. Prix : i5 francs.
(2) Le R. P. Louis Petit, un savant bien connu des lecteurs de cette revue, a réuni,
pour la continuation de la Conciliorum collectio de Mansi, les pièces officielles con-
cernant l'Eglise maronite. Ce recueil sera publié dans un des prochains volumes de
la collection. On peut voir, en attendant, la liste de ces documents dans la table des
matières contenae au tome XXXVI A, Paris, 1911, spécialement col. 337-338.
(3) Nous ne relèverons pas les quelques fautes d'impression ou de latin échappées à
l'attention de Dom Anaissi. Elles sont peu nombreuses, et n'ont le plus souvent pas
d'importance. Çà et là, les sommaires qui précèdent les actes pontificaux ne ren-
seignent qu'imparfaitement sur le contenu suggestif de ces pièces. Au sujet du classe-
ment des documents, nous ferons observer au docte moine Antonin que nous ne
l'église maronite et le SAINT-SIÈGE (1213-I9I1) 29
m début du xiiF siècle, contient peu de documents, mais, par contre, ils
sont d'un intérêt capital.
Le premier en date est la fameuse bulle d'Innocent 111 (121 3), dans
laquelle l'illustre Pontife rappelle d'abord au patriarche Jérémie la léga-
tion du cardinal Pierre d'Amalfi et la nouvelle conversion de la nation
libanaise, puis ajoute ce qui suit :
<^)uia vero dictus cardinalis 1 1 ) in quibusdam intelkxit vos pati defecîum,
illum in vobis apostolicœ auctoritatis plenitudijie supplere curauit.
injungens ut amodo secundùm quod Romana tenet Ecclesia sine dubila-
'ione credatis quod Spiritus Sanctus procedit à Filio, sicui procedit à
Pâtre, cùm sit Spiritus utriusque quemadmodum et sacris auctoritatibus
et certis rationibus comprobatiir ; et ut hanc formam bapti^ando servetis,
quod in trina immersione unica tantumjiat invocatio Trinitatis; ut etiam
Confirmationis utamini sacramento à solis episcopis conferendo. Et ne
in confectione chrismatis aliquam speciem, nisi balsamum et oleum appo-
natis : et ut quilibet vestrum saltem semel in anno sua conjiteatur pec-
cata proprio sacerdoti, et ter ad minus in anno devotè suscipiatis Eucha-
risties sacramentum ; ut duas in Christo confiteamini voluntates, divinam
sciiicetet humanam ; et in altaris sacrijicio non vitreis, lignis aut œreis,
sed stagneis, argenteis, vel aureis vasis utamini: habentes campanas ad
distinguendas horas, et populum ad ecclesiam convocandum (2).
Plus loin, le même Pape dit encore :
Volentes autem tibi, frater patriarcha, qui ob multam devotionem
matrem tuani sanctam Romanam Ecclesiam personaliter visitans ad
sacrum générale concilium accessisti, et populo tuo « noviter » (3) ad
obedientiam Ecclesiœ romance reverso gratiam facere specialem, aucto-
ritate tibi apostolica indulgemus, ut Maronitas qui prœdicta sententia
fuerint innodati temerarias manus mittendo in clericos, eadem auctori-
tate potestatem habeas absolvendi (4).
La nouvelle conversion signalée par Innocent 111 a dû avoir lieu avant
le IVe concile de Latran. En tout cas, elle ne semble pas s'être bornée
voyons pas pourquoi, ayant adopté l'ordre chronologique, il place une lettre de
Paul H, datée de 1469, après les actes de Sixte IV, qui, dans le bullaire, s'arrêtent à
1475. Nous ne saisissons pas davantage la raison pour laquelle une Bulle de Léon X,
adressée au gouverneur du Liban et datée du i3 des calendes de septembre i5i5, est
classée avant une autre Bulle de ce Pape, écrite le i5 août de la même année,
(i) Le cardinal Pierre d'Amalfi.
(2) Bullarium Maronitarum, p. 3. Nous citons ce texte et le suivant malgré leur lon-
gueur, parce que les Papes feront souvent allusion dans la suite aut réformes accom-
plies chez les Maronites par le cardinal Pierre d'Amalfi sous le pape Innocent III.
(3) C'est nous qui soulignons ce mot.
14) Op. cit., p. 4.
^O ÉCHOS d'orient
à une partie seulement de la nation : car Innocent III parle d'une manière
générale, et, en 1237, le Dominicain Philippe écrit au Souverain Pon-
tife sans restriction aucune:
Maronitœ qui habitant in Libano, jam diù est quod ad Ecclesiarn
redierunt (i).
Une autre pièce intéressante est la Bulle d'Alexandre IV (1256)
adressée au patriarche Siméon. Ce Pape parle lui aussi sans restriction,
de la conversion des Maronites accomplie sous Innocent III, et renouvelle ^
les prescriptions de son prédécesseur touchant les réformes doctrinales
et disciplinaires imposées par le cardinal Pierre d'Amalfi. Ces réformes
sont spécifiées dans le premier texte cité plus haut. Le Pape prie ensuite
le patriarche de se souvenir que toujours, selon les prescriptions d'In-
nocent III, il a l'obligation d'user des mêmes habits pontificaux que
les Romains, dont il observera les coutumes conciliables avec le main-
tien de son rite.
Le troisième renseignement important du BiUlarium maronitarum
durant la première période, est une lettre du pape Eugène IV ayant
trait à la conversion des Maronites de Chypre en 1445. Le document
pontifical n'oublie pas de faire constater d'une manière spéciale que,
dans sa profession de foi, en tout semblable à celle des Chaldéens, le
délégué envoyé à Rome par l'évêque maronite a réprouvé l'erreur du
monothélisme :
Deinde similem per omnia professionem, dilectus in Christo Isaac
nuncius venerabilis fratris nostri Eliœ Episcopi Maronitarum, ipsius
vice et nomine, reprobando Macarii de unica voluntate in Christo hœ-
resim, cum mulla veneratione emisit (2).
Le dernier acte pontifical de cette première période est de 1469.
Dans le sommaire qui précède la lettre de Paul II au patriarche Pierre,
le lecteur est averti que celui-ci avait demandé au Pape de l'instruire
sur l'unité de l'essence divine, la Trinité de personnes et l'unité de
nature en Dieu, l'unité de personne et la dualité de natures dans le
Christ. Dom Anaissi juge inutile de mentionner dans le sommaire la
croyance à la dualité de volontés et d'opérations. Et pourtant, l'ensei-
gnement de Paul II sur ce point forme plus de la moitié du petit résumé |
doctrinal composé à l'intention des Maronites .
Similiter in ipso D. N. J. C. sunt duœ voluntates quantum ad proprie'
(i) Op. cit., p. 8.
(2) Op. cit., p. 16.
l'église maronite et le SAINT-SIÈGE (1213-I9I1) 3I
tates naturales, id est proprietaies duarum, scilicet divina et humana
unitœ in uno supposito divino, concordes in unam, sive simùl indivisœ,
inconvertibiles, inseparabiles, inconfusœ, non autem separatœ, neque
contraria: sicut impii hœretici dixerunt. El similiter dicendum est de
operationibus Christi, agit enim utraque forma secundutn divinorum
prœdicatore7nLeonemcumalteriusco7nmunione,quodpropriam est Verbo
scilicet opérante quod Verbi est; et carne exequente quod carnis est (i).
Suivent un texte de saint Athanase et un autre de saint Cyrille
d'Alexandrie, confirmant l'exposé catéchétique (2).
11. Les temps modernes (1500- 1800).
En IS15, Léon X, écrivant au patriarche Pierre, croit devoir lui
déclarer avec une certaine sévérité que, dans sa profession de foi, il
a eu tort de ne pas parler de la procession du Saint-Esprit, et que, pour
la confection du Saint Chrême, les patriarches maronites n'ont pas per-
sévéré dans l'obéissance promise au Saint-Siège. Peu après, cependant,
il avoue au gouverneur du Liban. Ximès, que la nation maronite est
toujours demeurée fidèle à l'Eglise romaine depuis Innocent III (3). Le
Pape dit avoir été informé de l'état de l'Eglise maronite par le- célèbre
Frà Suriano, collègue, comme visiteur, de Frà Francesco dà Poienia.
Au P. Marc de Florence, gardien des Observantins à Beyrouth, il
demande des renseignements au sujet de l'élection des patriarches, du
lieu de leur résidence, de leurs ornements liturgiques, de leur ordon-
nateur, etc.
En 1326, Clément VII exhorte les Maronites à conserver intacte
l'union faite avec Rome sous Innocent III et Eugène IV.
Vers la fm du concile de Trente, en 1362, saint Pie V écrit au
patriarche des Maronites qu'il est parfaitement inutile de professer la
1 1 1 Op. cit., p. 24.
(2) Nous regrettons que le Révérendissime abbé Antonin ne signale aucune pièce
concernant les travaux du Fr. Gryphon, le célèbre missionnaire franciscain. Celui-ci
* séjourna longtemps au Liban, y bâtit de nombreuses églises, revisa les livres litur-
giques des Maronites, et, s'il faut en croire la plupart des historiens franciscains, le
PV. Gryphon serait même devenu patriarche des Maronites ». Cf. Van Steen deJehay,
De ta situation légale des sujets ottomans non musulmans, Bruxelles, 1906, p. 3o2.
Le nom de ce religieux si méritant est simplement indiqué une première fois à la
page 19 du bullaire, à propos d'un visiteur franciscain qui lui succéda dans la même
charge auprès des Libanais. Une deuxième fois, son nom et ses travaux sont rappelés
d'une manière générale et indéterminée dans une Bulle de Léon X au patriarche des
•Maronites. C'est plutôt maigre comme renseignement.
(3l 11 s'agit évidemment ici de l'obéissance à l'Eglise romaine. Aucun Pontife romain
ne fera difficulté d'avouer la perpétuelle lidélité des Maronites entendue en ce sens.
ECHOS D ORIENT
foi catholique, si on ne la met en pratique ni au point de vue de la
croyance ni spécialement au point de vue de l'administration conve-
nable des sacrements :
Frustra enim ipsam Ecclesiam Romanam colerçt et observaret ejusque
principatum agnosceret, quisquis ab ejus fide, doctrina et Sacramen-
torum ritu quod ad eorum materiam et formam pertinet , discreparet ( i ).
Après cette déclaration, le vénérable Pontife attire l'attention du
patriarche sur les instructions d'Eugène IV et de Léon X, à propos de
la procession du Saint-Esprit, des deux natures, des deux volontés et
opérations, de l'unité de personnalité dans le Christ, du lieu du purga-
toire et des sept sacrements. Il veut enfin que les patriarches formulent
nettement leur foi lorsqu'ils supplient le Saint-Siège de confirmer
leur élection.
Vingt ans auparavant, Paul III, tout en félicitant le peuple maronite
de son obéissance au Siège romain, lui avait envoyé six visiteurs fran-
ciscains (2). En attendant, il exhortait le patriarche à faire en sorte que
la nation maronite se montrât pleinement catholique au point de vue de
la foi, des sacrements, du jeûne, de la célébration de la messe avant
midi. Entre autres choses, le patriarche devait éviter de tolérer que
l'administration des sacrements fût confiée à des prêtres ignorants, et,
ce qui est pis encore, à des laïques ou à des hérétiques (3).
En 1577, Grégoire XIII ordonne au chef de l'Eglise du Liban de sup-
primer au trisagion de la messe l'invocation hérétique : Qui crucifixus
es pro nobis, qui surrexisti et ascendisti in cœlum pro nobis, miserere
nobis. Pour remédier à cet abus et à d'autres, le même Pontife confie
la visite des Maronites à deux Pères Jésuites (1578), et bientôt après
(1^80), envoie au patriarche des tracts catéchétiques destinés à l'in-
struction du peuple (4).
Une autre marque de la sollicitude de ce Pape envers les Syriens
du Liban fut la transformation de leur hospice attenant à Saint-André
délie Fratte (1584) en Séminaire de leur nation.
Sous Clément VIII, un Jésuite est de nouveau envoyé chez les Maro-
nites comme visiteur canonique (1599), et, à propos des empêchements
{i) Op. cit., p. 67.
(2) C'était au moins la septième ou hiuitième fois que Rome envoyait des fils de saint
François faire la visite canonique de l'Eglise maronite,
(3) Ici encore le sommaire placé en tête du document ne renseigne qu'imparfaite-
ment sur son contenu.
(4) Un synode maronite se tint au monastère de Sainte-Marie de Kanobin, en i58o.
Les actes en seront prochainement publiés par le R. P. Louis Petit dans la collection
Mansi. Voir la table au tome XXXVI A, col. 33/.
I
l'église maronite et le saint-siège (1213-1911) }^
de parenté charnelle ou spirituelle, d'affinité, d'honnêteté publique et
de la copula illicita, un Bref papal insiste sur la règle du droit occi-
dental, promulguée d'ailleurs au Liban sous Innocent 111 (i).
A la fin du xvi® siècle (1599), Paul V exige que le patriarche et les
autres évêques maronites reviennent à l'ancienne coutume, qui les
obligeait à l'abstinence perpétuelle. Il prescrit de même que, durant le
grand Carême, les fidèles s'abstiennent de vin et de poisson; que le
jeûne de l'Avent soit de quarante jours, et ne puisse être rompu avant
midi. De plus, pour le Carême des apôtres, la tradition doit être main-
tenue. Rome n'approuve pas davantage qu'on use de viande pendant
la semaine qui précède le Carême de. Pâques. Enfin, le patriarche s'ef-
forcera de ramener les fidèles au respect dû aux clercs séculiers ou
réguliers, que les premiers ne craignent pas d'insulter, de frapper et
d'accabler d'impôts, au mépris de leur immunité canonique.
Rien à signaler sous le pontificat d'Urbain VIll, sauf l'envoi, en 1630,
de Capucins français en Syrie et en Palestine (2).
En 1648, Innocent IX autorise la fondation d'un Séminaire maronite
à Ravenne, mais ce Séminaire ne tardera pas à être supprimé par
Alexandre Vil (1665).
Le même pape impose au patriarche Georges la prestation de verbo ad
verbum (sic) et la signature d'un serment en vertu duquel il s'engagera
à défendre les droits du Souverain Pontife, à traiter honorablement
pt à entretenir d'une manière convenable les envoyés du Saint-Siège ;
à ne jamais favoriser les ennemis de l'Eglise romaine, etc. (1659).
Clément X fait remettre au patriarche Pierre-Georges une profession
ie foi en vingt-huit articles relatifs à toutes les erreurs des Orientaux
séparés (1672). L'article 8 condamne le monothélisme.
La même profession de foi est prescrite en 1706 au patriarche Jacques-
Pierre par Clément XI, qui exige en outre de lui le serment ordonné
3ar. Alexandre Vil au patriarche Georges.
Sous le même Pontife, un religieux Franciscain est délégué comme
/isiteur au sujet de la déposition du patriarche Jacques-Pierre (171 1),
jît, après un mûr examen de l'affaire, le Pape casse la sentence de
[déposition.
Quelques années plus tard (17 18), Clément XI accorde aux Antonins
(i) Op. cit., p. 112. Un synode provincial maronite se tint au Mont Liban en iSgô,
luquel le Jésuite Jérôme Dandini assista en qualité de nonce de Clément VIII. Cf.
VIansi, Concil. t. XXXV B, col. 1021-1028.
(2) En 1664, eut lieu un synode maronite au couvent de Saint-Jean de Herach. Voir
a table des matières de Mansi, t. XXXVI A, col. 338.
Échos d'Orient, t. XV. 3
34 ÉCHOS d'orient
maronites l'église des Saints-Pierre et Marcellin, voisine de leur hos-
pice. En 1721, l'un de ces moines est désigné comme visiteur pour
rétablir la paix chez ses compatriotes.
Clément XII montre sa sollicitude envers la nation libanaise par trois
actes principaux. En 1732, il approuve la règle des Antonins et le
règlement de leur monastère et scolasticat des Saints-Pierre et Marcellin.
En 1736, il députe le gardien de la bibliothèque vaticane, l'illustre
Joseph Assemani, pour présider un important synode maronite (i).
Quatre ans après, préoccupé des irrégularités commises dans une
double élection patriarcale, il annule ces deux élections anticanoniques
et nomme patriarche le métropolite Evode.
Le successeur de Clément XII (t 1740) est certainement l'un des Papes
qui ont le plus aimé les chrétientés orientales et se sont le plus
souciés du bon renom de l'Eglise catholique dans les pays schisma-
tiques. Ainsi, presque dès le début de son pontificat (1741), Benoît XIV
se hâte de reviser les actes du synode célébré au Liban en 1736 et
d'en confirmer les articles importants. Les décisions de ce concile ont
pour objet principal la suppression des monastères doubles, la cessation
de la vénalité dans l'administration des sacrements, la nomination d'un
nombre déterminé d'évêques diocésains, et la réduction à huit du
nombre des diocèses, à savoir : les métropoles d'Alep, Damas, Bey-
routh, Tripoli, Baalbek, Sour et Saida, Chypre et l'évêché de Byblos (2).
En 1743, Benoît XIV se voit obligé de casser deux élections patriar-
cales, et nomme d'office patriarche le métropolite de Damas. Il confie
l'exécution de ses ordres au Franciscain Jacques de Lucques, visiteur
du Saint-Sépulcre, règle la question des sommes d'argent abusivement
dépensées dans les deux élections irrégulières, et fixe la pénitence à
imposer aux moines sacrés évêques à cette occasion.
L'épiscopat maronite se soumit aussitôt et écrivit une lettre collective
au Souverain Pontife. Cette lettre fut lue et traduite en Consistoire. Le
Pape en manifesta sa joie devant les cardinaux, et, à ce propos, s'efforça
de les intéresser à la petite nation syrienne, dont les usages litur- ■
(i) Voir les actes de ce synode édités par le R. P. Louis Petit dans Mansi, ConciL,
Paris, 1907, t. XXXVIII, coi. i-334, avec un supplément de pièces orientales antérieures 4
ou posérieures, ibid., col. 335-432. '.
(2) L'évêché d'Eden fut fondé plus tard. En 1906, S. S. Pie X a divisé Sour et Sai'da J
en deux diocèses. Peu auparavant, M." Hoyek avait créé le vicariat épiscopal du Caire.
Le titre et le territoire propres du patriarche sont ceux d'Antioche. Le li'eu de rési-
dence serait en droit, depuis le xiv' siècle, le monastère de Sainte-Marie de Kanobin.
En fait, cependant, la coutume veut, paraît-il, qu'il réside en hiver au monastère de
Bkercheh, et en été à Diman. Il a, croyons-nous, autorité sur les régions plus ou moins
voisines de ces localités. Quatre évêques titulaires l'aident dans le gouvernement de
l'Eglise libanaise.
l'église maronite et le saint-siège (1213-1911) 35
giques, qu'il énumère complaisamment, se rapprochaient de plus en
plus des usages romains, tels : l'usage du pain azyme, les ornements
sacerdotaux, la célébration quotidienne de plusieurs messes privées sur
le même autel, l'usage de l'eau froide au Saint-Sacrifice, l'administration
du sacrement de Confirmation réservée à l'évêque, et l'acceptation du
calendrier grégorien (i).
Toutefois, et nous l'avons déjà constaté plus haut, la sympathie qu'il
éprouvait envers les catholiques du Liban ne fit pas oublier au Pontife
de corriger les abus qui lui étaient signalés. C'est ainsi qu'il s'occupa
de réformer la règle des Antonins, qui habitaient le monastère des
Saints-Pierre et Marcellin, de réconcilier entre eux le patriarche et cer-
tains évêques par l'intermédiaire du P. Désiré, religieux Observantin de
Jérusalem; de supprimer la Congrégation de femmes instituée sous le
vocable du Sacré-Cœur par la Sœur Anne Agémi (1752). Entre temps
(1753), ^^ approuva la translation à la villa Paganica du monastère des
Saints-Pierre et Marcellin.
En 1754, il pressa auprès du patriarche Evode la mise à exécution
des décisions du synode de 1736, surtout en ce qui concerne la fixation
du lieu de résidence du patriarche et des évêques, la délimitation des
diocèses, la distribution gratuite des saintes huiles, la recommandation
d'éviter les ordinations inutiles, de ne pas employer les biens ecclésias-
tiques à des usages personnels ou familiaux (2).
Trois ans plus tard (1757), une année avant sa mort, Benoît XIV
tentera, mais en vain , d'éviter la division des Antonins en deux branches :
la Congrégation alépine et la Congrégation libanaise.
Durant le pontificat de Clément XllI, le Saint-Siège félicite le patriarche
Joseph-Pierre de veiller à l'exécution des décrets du synode maronite
dont nous venons de parler (1767) (3).
/ Son successeur, Clément XIV, approuve les deux Congrégations
antonines d'Alep et du Liban.
Quelques années après son élévation au souverain pontificat (1779),
Pie VI eut à résoudre la question difficile de la sœur Anne Agémi, fon-
datrice des religieuses maronites du Sacré-Cœur. Celle-ci, que le clergé
accusait de n'être qu'une visionnaire et de n'avoir que les dehors de
la sainteté, avait affirmé l'existence de moines francs-maçons dans le
monastère de Bkercheh. Une ordonnance papale la condamna à rétracter
(i) Un concile ^e tint sous le patriarche Seman-Aouad. Voir Mansi, à la table,
t. XXVI A, col. 338.
(2) En 1755 et 1756, nouveaux conciles au mont Liban^ signalés par la table de
Mansi, loc. cit.
(3) En 1768, 1780, 1786, 1790, autres synodes maronites. Ibid.
36 ÉCH05 d'orient
cette accusation, et, pour avoir favorisé cette religieuse, le patriarche
Joseph-Pierre lut destitué et ne conserva que l'exercice du sacerdoce
simple. En raison de ces événements, l'évêque Pierre de Moretta fut
chargé de la visite apostolique au mont Liban (1783). L'année suivante,
Rome consentit à absoudre et à rétablir dans sa dignité première le
patriarche repentant.
En 1787, un autre visiteur est délégué auprès des Maronites. Pie VI
confie cette mission à l'évêque melkite d'Alep, Germain Adam, qui
devra présider à la nomination de nouveaux évêques.
111. L'ÉPOQUE CONTEMPORAINE (180O-I9II).
Au début du xix^ siècle, il s'était fondé en Syrie et ailleurs en Orient
une Société antiromaine, qui recruta en peu de temps un nombre con-
sidérable d'adeptes. Tristement émue des agissements de la secte, la
Propagande adressa, en 1803, aux patriarches et évêques orientaux, une
circulaire en vertu de laquelle elle imposa aux prêtres chargés d'un
ministère quelconque et aux candidats aux ordres majeurs la profession
de foi d'Urbain VIII, à laquelle était ajoutée en appendice la formule
du pape Hormisdas. Cette double profession de foi devait être souscrite
par les clercs précités.
Benoît XIV et Clément XIII avaient rappelé aux patriarches maro-
nites l'exécution des décrets du synode libanais de 1736. Pie Vllrenou-
velle cette instance concernant les monastères doubles. Il s'afflige, à
ce sujet, de voir l'inutilité d'ordonnances nombreuses du Saint-Siège
et de huit visites apostoliques accomplies depuis 1838.
11 blâme l'absentéisme des évêques et le défaut de fixité du lieu de
leur résidence. Par contre, en 1819, il se dit heureux d'approuver le
synode patriarcal qui décide l'abolition des fameux monastères doubles.
Il résout en même temps la question de la résidence du patriarche et
des autres évêques.
Rien de bien marquant à signaler dans le bullaire sous les pontificats
des trois premiers successeurs de Pie VII. En 1856, le pape Pie IX loue ;
le patriarche et les évêques de la célébration d'un synode destiné à
promouvoir la foi et la discipline chez les Libanais.
En 1860, il assure l'archevêque maronite d'Alep qu'il ne permettra
pas le passage des Orientaux au rite latin.
Léon XllI s'attira la reconnaissance des Maronites en rétablissant leur i
Séminaire, supprimé depuis la Révolution. _
Le bullaire se termine par la profession de foi des Orientaux et des|[
l'église maronite et le saint-siège (1213-19/1) 37
Latins. II y manque l'addition faite par S. S. Pie X contre les modernistes.
Suit la liste des patriarches d'Antioche depuis les origines. Nous
laissons aux spécialistes le soin de contrôler la valeur critique de cette
liste, particulièrement en ce qui concerne le patriarcat de Jean Maron,
dont le Révérendissime Anaissi place l'élection en 685.
En finissant cette analyse très sommaire du BuUarhim Maronitarum ,
nous avons le regret de dire qu'elle ne permet pas de conclure à la
perpétuité absolue de l'orthodoxie maronite. Dom Anaissi semble se pré
valoir (i) des paroles pontificales relatées dans les divers documents
contre les tenants de l'opinion contraire. Le contexte de ces paroles
démontre que les Souverains Pontifes n'entendaient pas cette perpétuité
dans le sens rigoureux. En serait-il ainsi d'ailleurs, que nous repro-
cherions au Révérendissime Abbé d'engager imprudemment l'autorité
de l'Eglise en semblable matière. Lorsqu'elle approuve certaines tradi-
tions, l'Eglise n'a nullement l'intention de canoniser leur authenticité.
Si le docte moine Antonin est persuadé du contraire, nous ne pouvons
mieux faire que de Tinviter à lire le Résumé de fin d'année: idées sur
l'histoire en 191 1 , dû à la plume de M. Saltet, et inséré en novembre 191 1
dans le Bulletin de littérature ecclésiastique, p. 435-449, de l'Institut
catholique de Toulouse, et la conférence intéressante que le R. P. Savio
a donnée dernièrement au palais de la Chancellerie, à Rome, sur les Papes
et les traditions populaires. La traduction de cette conférence a également
paru en 191 1 dans la même revue (fascicule d'octobre, p. 353-364).
Malgré cette conclusion suggérée par la lecture du Bullarium maro-
nitarum, nous sommes heureux d'affirmer qu'en publiant cet ouvrage,
Dom Anaissi rend un grand service non seulement aux savants, mais
encore aux amis de l'Eglise maronite, en leur permettant de constater,
d'une part, la sollicitude perpétuelle du Saint-Siège envers cette chré-
tienté, et de l'autre l'attachement inébranlable que, nonobstant ses
défaillances et son catholicisme que d'aucuns pourraient être tentés
de trouver un peu trop théorique, cette dernière a toujours voué au
Saint-Siège depuis le xiii^ siècle, époque de son retour définitif au catho-
licisme romain (2). A. Catoire.
Constantinople.
(i) Slatuunt atque demonstrant prœterea documenta hœc rem historicam magni
momenti, perperam ab adpersariis, parùm veritatis amicis, negatam : id est perpe-
tuus atque constans animus (sic) majorum nostrorum in fide catholica projitenda
atque tuenda, « veluti rosa inter spinas », tôt sœculorum intervallo atque finiti-
marum gentium conatibus. Anaissi, op. cit., p. 7.
(2) Le R. P. Vailhé avait raison d'écrire en 1902 {Echos d'Orient, t. IV, p. 161) : « Il
serait intéressant de rechercher, dans les lettres subséquentes des Papes aux patriarches
libanais, s'il n'y a pas d'autre mention explicite de cette vieille hérésie (monothélite) ».
ÉPIGRAPHIE DE JÉRUSALEM
En faisant des nivellements autour des restes de Véglise Saint-Pierre
en Gallicante, on a mis à jour une mosaïque de facture ordinaire et
très délabrée. Elle est faite de cubes blancs et rouges avec une orne-
mentation très simple, et couvrait une surface d'environ 5 mètres de
côté. Le milieu portait une inscription circulaire qui n'est pas complète,
mais ce qui reste permet de suppléer ce qui manque ; elle se compo-
sait de trois mots seulement.
/
YnEPCCOTE PIAC
On peut compléter sans hésiter :
L'orthographe fautive o-toxspUç
pour (TWTTipiaç n'est pas un exemple
isolé. La même faute se rencontre
sur un fragment de pluteus trouvé
à la chapelle de Sainte-Véronique
à Jérusalem.
La substitution de l'e à l'ri semblerait indiquer que la prononciation
du temps rapprochait ces deux lettres, et que l'itacisme ne dominait
pas encore.
Les formules votives de ce genre se rencontrent souvent, soit dans
les pavages, soit dans le mobilier des églises byzantines.
La même se retrouve sur une plaque de marbre signalée par M. de
Vogué dans son bel ouvrage sur le Temple de Jérusalem (i).
Les bienfaiteurs qui faisaient les frais des constructions ou des amé-
nagements étaient signalés ainsi à la reconnaissance et recommandés
aux prières des pèlerins.
La variété de ces formules indique bien cette intention. Quand l'of-
frande était faite au nom des défunts, on écrivait :
TTîèp pi.V7Î[JLriç xal àvaTraûo-stoç
S'il s'agissait d'un vivant, on disait, comme dans le cas présent :
'TTrèp (Ttor/]p[aç.
Quand l'intention était double, les deux formules se suivaient :
Tuèp (T(OTr,piaç xoù Selivoç xal àvaTtaùo-etoç toû oelivoç.
(i) M. DE Vogué, le Temple de Jérusalem, Paris, 1864, PI. XXXVII,
ÉPIGRAPHIE DE JÉRUSALEM
39.
Et lorsque la modestie des bienfaiteurs préférait l'anonyme, on se
contentait de dire : wv Kûpioç vwwTxst. Ta ovôpiaTa, comme on peut le
lire sur le baptistère de la basilique de Bethléem.
La présence de cette mosaïque et de son inscription votive dans les
dépendances de l'ancienne église Saint-Pierre n'est pas sans intérêt.
C'est un document nouveau qui vient s'ajouter aux autres documents
épigraphiques déjà signalés :
Passage du psaume cxx, inscrit sur la mosaïque du vestibule de la
crypte;
Sépulture byzantine d'un nommé Etienne, à quelques pas au nord
de l'église;
Polycandilon avec dédicace à saint Théodose, trouvé dans une citerne
contiguë à l'église, sans parler des fragments de sculpture, chapiteaux
et bases de colonnes.
L'inscription du polycandilon, signalée dans les Echos d'Orient en
1909(1), prend une importance considérable dans la question, par suite
du texte suivant des Menées au 1 1 janvier, fête du Saint :
OTÔXoU nÉTpOU.
Sa fête est célébrée dans le sanctuaire apostolique de l'apôtre saint Pierre.
Ce texte, qui fait partie des éditions modernes des Menées, figure
également dans deux manuscrits du patriarcat grec de Jérusalem, et
comme saint Théodose le Céno-
biarque est un saint de Jérusalem,
il semble évident que l'Apostolium
de saint Pierre dont on parle ici est
bien l'église près de laquelle le po-
lycandilon a été trouvé.
Ajoutons encore un petit docu-
ment, trouvé aussi dans les fouilles,
qui ne manque pas d'intérêt. C'est
une bague en bronze dont le chaton représente un coq. La photo-
graphie la reproduit en double grandeur.
J. Germer-Durand.
Jérusalem.
(i) « Un polycandilon byzantin », dans les Echos d'Orient, t. Xll, 1909. p. yS sq;
« A propos d'un polycandilon byzantin », ibid.y p. 3o8 sq. .
LE MOINE JOB
Le codex 71 des Nanti, du xv^ siècle, contient, p. 245-255, un office
annoncé sous le titre suivant : 'Axo)vou9[a el; ttiv oariav [XTiTepa yiulwv
0£o8topav TTiv GaupiaTOupyôv x^ èv t^ àpT. {sic) uovTiQs'ïo-a Tiap' epioij 'Iwê
{jiovay_oG. Cet office comprend une vie de Théodora, incomplète, le ^
manuscrit étant mutilé de la fin. Mingarelli en a publié (i) ce qui reste,
c'est-à-dire la plus grande partie.
Allatius place un Jobius dans sa liste de mélodes, sans aucun rensei-
gnement. Le cardinal Pitra (2) signale l'office de Théodora, d'après 1
Mingarelli, sans savoir qu'il a été imprimé depuis longtemps (^). il
est étrange de ne pas rencontrer Job parmi les hymnographes dans les
Su|Jiêo*Àal eiç t/jv lo-xopiav t^ç è/x/rjo-iao-Tufiç p-ouo-wriÇ de M. G. Papa-
dopoulos ou dans l'Histoire de la littérature byzantine de M. Krumbacher.
Quant à la basilissa thaumaturge, Théodora, dont le moine Job a
composé la vie et l'office, je ne la trouve ni dans les Menées, ni dans
le Synaxariste de Nicodème, ni dans le recueil de l'archimandrite Serge.
11 ne sera donc pas sans intérêt pour nos lecteurs de retracer l'his-
toire de cette princesse peu connue, en complétant autant que possible
les renseignements fournis par la notice de Job à l'aide des chroni-
queurs; puis de chercher à identifier ce moine Job lui-même, d'étudier
le personnage, et de voir si on n'a pas d'autres œuvres littéraires à lui
attribuer.
1. L'office et la vie de sainte Théodora.
Examinons d'abord l'office lui-même. C'est une àxoAouO-la à peu près
complète. En voici la description. v
Pour vêpres : 'i
Quatre stichères Tipoo-otAoïa du 4^ ton, et doxasticon du 2^ ton ■
plagal; trois àu6oTi-)(^a du i«''ton plagal, et double doxasticon du 2^ ton
plagal.
Pour l'orthros:
Un kathisma et son doxastikon, du 3^ ton;
(i) Grceci codices manuscripti apud Nanios asservati, p. i36 sq.
(2) Analecta sacra, t. I", p. 425, note.
(3) G. S. Mostra; Venise, 1812, réimprimé dans le Méya; Suva^pta-TY); de G. H. Dou-
KAKis. Athènes, 1891 (mois de mars, p. 181-208; la Vie est en grec vulgaire).
LE MOINE JOB 4I
Un idiomèle du 2^ ton plagal;
Deux canons : le premier du 2» ton, avec l'acrostiche: Aéyou tov ujxvov
X tl^uyf,; Gewv 86|jLa; le second, du 4« ton, avec l'acrostiche : Tyiv êail-
iTo-av alvÉo-o) ©eoowpav. 'Itoê Mo[vayo<; 6 MéÀr,ç], ainsi indiquée dans le
nanuscrit, mais dont onze lettres, comme on voit, restent en dehors
les tropaires. Notons aussi que, dans le premier canon, les theotokia
le rentrent pas dans l'acrostiche.
Après la 3« ode, un kathisma et son doxastikon.du 4^ ton; après la 6«,
in xovxàxiov et un owoç, du 4^ ton plagal, sur le rythme de T^ uTOpuàyw
t "AyYs^^oÇ TrpwTOo-TàxYiç.
Au synaxaire, trois vers iambiques, puis Bio; xal -KO^xitLct de la sainte.
'E^aTvOo-TeO.àpiov et son theotokion.
Aux alvot, trois àTcôo-xiya du i«r ton, et doxasticon du 2^ ton plagal.
11 n'y a pas d'apolytikion indiqué; on renvoie à celui de sainte Théo-
iora d'Alexandrie, qui est, au reste, commun à toutes les saintes
"emmes.
Enfin, au doxastikon des stichères 7T:poT6[j.ot.a de vêpres et à celui
les oLTzÔT-zi'/oL des alvoi à l'orthros, on indique pour theotokia les deux
;ropaires 'ATrea-TàÀr, è^ oùpavoG ry.6pir{k, et EùayyeA'lî^ETa!, 6 Ta.6^i.r{k, qui
ont partie de l'office de l'Annonciation (1); il semblerait par là que la
ete de sainte Théodora se célébrait d'abord non le 1 1 mars, mais le
26, jour où la fête de l'Annonciation se continue par la synaxe de
'archange Gabriel.
Théodora naquit vers 1210, probablement à Didymoteichos (2), où
nabitait ordinairement son père, Jean Pétraleiphès. Celui-ci, d'origine
française, avait épousé Hélène, d'une des principales familles de Con-
stantinople, par les soins de l'empereur Alexis 111 Comnène, qui l'avait
nommé sébastocrator et lui avait confié le gouvernement de la Macé-
doine et de la Thessalie. Il eut au moins six enfants : quatre garçons,
dont l'aîné s'appelait Théodore, et deux filles, Marie et Théodora.
Après la mort de son père, la jeune Théodora fut demandée en
mariage par Michel 11 Doucas, despote de l'ancienne Epire (3). Ce
prince, l'ayant aperçue à Serbion dans une expédition contre les
Valaques, fut frappé de sa beauté; le mariage eut lieu en grande
pompe à Acarnania ou Arta.
(i) Mr,vaïa, édit. Venisç, iSgS, mars, p. 98, 99.
(2) Démotika.
(3) Fils de Michel I", il ne le remplaça en Epire qu'après la défaite de son oncle
Théodore par Asén, tsar des Bulgares; Théodore avait évincé Michel encore enfant;
on l'accuse même d'avoir fait assassiner Michel 1", son frère.
42 ÉCHOS d'orient
Cette union fut d'abord heureuse; Michel était déjà père d'un fils
lorsqu'il s'éprit d'une passion coupable pour une femme de la noblesse,
nommée Gangrené. Il alla jusqu'à expulser de son palais son épouse,
qui fut recueillie avec son petit enfant par un prêtre de Prénista (i).
L'exil. dura cinq ans. Sur les représentations des seigneurs de la
cour d'Arta, Michel reconnut ses torts et se réconcilia avec Théodora.
Rien ne devait plus troubler la paix entre les deux époux; notre héroïne
ne saurait pourtant avoir été bien heureuse avec un homme du carac-
tère de Michel.
Ils eurent au moins six enfants : Nicéphore, Jean, Dimitri, Anne, qui
épousa Guillaume de Villehardouin, prince de Morée et d'Achaïe; Hélène,
qui devint femme de Manfred, roi de Sicile, et une troisième fille dont
nous ignorons le nom.
Ce n'est pas ici le lieu de raconter en détail la vie de Michel II (2).
Il me suffira de dire qu'à la mort de ses oncles Manuel et Constantin,
il devint maître de la Nouvelle-Epire, puis de la plus grande partie de la
Thessalie et même d'un coin de la Macédoine. L'empereur de Nicée, Théo-
dore 11 (1255-1259), lui confirma le titre de despote d'Epire ainsi qu'à
son fils Nicéphore; il se fit couronner à Thessalonique par l'archevêque
d'Ochrida.
Théodora, nous apprennent les chroniqueurs, joua un rôle actif dans
le mariage de son fils Nicéphore avec la princesse Marie, fille de l'em-
pereur Théodore I^r. Elle se rendit à Nicée en i2 5o(?) avec Nicéphore;
on célébra seulement les fiançailles, sans doute à cause du jeune âge
des fiancés. Le mariage n'eut lieu qu'en 1256 à Thessalonique, où se
trouvait alors Théodore II. Ici encore, Théodora était seule avec Nicé-
phore. L'empereur en profita pour faire promettre à Théodora que son ;
mari lui céderait Durazzo et Serbia. Manuel, craignant pour la vie ou
du moins pour la liberté de sa femme et de son fils, fut obligé d'y
consentir. Ajoutons que certains documents accusent Nicéphore d'avoir i
abrégé les jours de Marie par ses mauvais traitements. I
Michel II mourut en 1267. Théodora se retira dans le monastère de |
Saint-Georges, fondé par elle, et y prit l'habit religieux. Elle avait bâti |
un autre monastère d'hommes, sous le vocable de la Vierge nav-àvay^a. ;
(i) Les habitants du village de Prénista montrent encore l'endroit où Théodoraj
cachait et une grande pierre qui lui aurait servi de siège. Séraphin, métropolite d'Ar
Aoxfjxtov to-ToptUY)!; Ttvoç TreptXTJ^J/ewi; Tf,ç "Apfrjç xal ir^i; IIpEêé^ri;. Athènes, i^
P- 17-
(2) Cf. les références dans Du Cange, Familiœ Augustœ by^antinœ, édit. Paris,""
p. 208-210; édit. Venise, p. 170, 171. Consulter aussi Arabantinos, XpovoYpacpta tyj;
'Hnzipov. Athènes, 1896, t. I", p. 66 sq.
LE MOINE JOB 4}
3'après Arabantinos (i), l'église de la Ilavxàvao-aa serait l'église encore
jubsistante de l'Annonciation, appelée aujourd'hui t/",? nap7]yopyiÔ£i(rr,(;,
napTjyopTiTlTOTiÇ ou IIap7iYopiT^r,<; ; mais cette dernière, nous fait-il
observer lui-même, remonte à 796, au témoignage d'une inscription
gravée sur la porte du Nord. Séraphin, métropolite d'Arta (2), prétend,
sans indiquer de sources, que l'église de l'Annonciation était celle d'un
monastère; au xin^ siècle, lorsque Arta devint la capitale de l'Epire,
les moines la cédèrent pour en faire la cathédrale, et, sur leur demande,
Théodora leur bâtit un autre couvent à une demi-heure de là, au lieu
dh Chemin de la Source. Ce couvent existe encore; on l'appelle KaTw-
Tîavay'a; on y conserve, entre autres reliques, un fragment de mâchoire
et une dent de Théodora (3).
Quant au monastère de Saint-Georges, on en voit encore l'église
dans le quartier de Loukena ou Karapanos; mais l'ancien vocable a
disparu, remplacé par celui de la fondatrice (4).
Théodora donna quelques années à ses compagnes l'exemple des vertus
religieuses, du travail et de la mortification. A sa mort, elle fut ensevelie
dans l'église de Saint-Georges qu'elle venait d'achever, et ses reliques,
nous dit Job, y opérèrent de nombreux miracles.
Le métropolite Séraphin affirme que les miracles continuent. Le tom-
beau de la pieuse basilissa se voit toujours à droite du narthex, mais
tes reliques en ont été extraites le 20 mars 1873, P^ur être plus solen-
nellement exposées à la dévotion des fidèles (5).
11. — Le moine Job et ses œuvres.
D'après Sathas (6), Job le moine ou Job Mélès, l'auteur de l'office et
de la biographie de Théodora, serait un moine épirote du xvif siècle;
le savant Grec n'indique pas la source où il aurait puisé cette informa-
tion, qu'on trouve reproduite dans le Lexique d'histoire et de géographie,
publié sous la direction de M. Voutyras (7).
Que Job eût l'Epire pour patrie, son œuvre ne nous le dit pas. Sans
i) Op. cit., p. 91, note. L'auteur en attribue la restauration à Michel II, fondateur
également, d'après lui, de la Ka-rwTravayi'a. La vie de Théodora semble, en effet, parler
de deux églises distinctes.
(2) Op. cit., p. 145 sq.
(3) Ibid., p. i5o, i52.
(4) Ibid., p. 149.
(5) Ibid., p. 139.
(6) NeoeXXyivtxY) çtXoXoYÎa, p. 414.
(7) AeÇtxbv icrzopiaç xal Yewypaîîta;, t. II, p. 1713.
44
ECHOS D ORIENT
doute, il nous donne des détails fort précis sur l'histoire de cette pro-
vince, de 1220 à 1230, période sur laquelle nous ne saurions rien sans
lui; mais, pour être ainsi renseigné, il lui suffit d'avoir vécu en un
temps plus rapproché que le xvii« siècle des événements qu'il raconte.
Que notre mélode appartienne au xvii^ siècle, c'est impossible, puisque
son œuvre est contenue dans un manuscrit du xv^.
Théodora étant morte peu après 1267, c'est à la fin du xiif siècle ou
pendant le xiv^ que nous devons nécessairement placer son hymno-
graphe.
Or, vers 1270, vivait à Constantinople un personnage fameux, prêtre,
moine, théologien, écrivain, connu sous le nom de Job le lasite ; il
semble tout naturel de l'identifier avec le moine Job Mélès.
Job le lasite nous apparaît comme un des principaux champions de
V orthodoxie byzantine sous le règne de Michel VIII Paléologue, et
comme un des plus fougueux adversaires de l'Union des Eglises que
voulut réaliser cet empereur. On sait que l'impératrice Théodora ne
partageait pas du tout sur ce sujet les vues de Michel, et qu'elle prit
une part active à la résistance organisée par un groupe de fanatiques
irréductibles. Or, Théodora était l'arrière-petite-fille d'une sœur de Pétra-
leiphès (i); sa fille Anne épousa elle-même Michel, appelé aussi Dimitri,
le troisième fils du despote Michel II et de sainte Théodora (2).
La canonisation des fondateurs de monastères n'a jamais traîné chez
les Grecs, surtout quand il s'agit de personnages impériaux. Lorsqu'il
fallut composer un office propre en l'honneur de la belle-mère de sa
fille, l'impératrice dut s'adresser à l'écrivain ordinaire de son parti; à
son défaut, Anne y aurait songé, elle qui assistait à la lecture en petit
comité des élucubrations de Job contre les dissertations favorables à
l'Union.
Jusqu'ici, nous n'avons que des hypothèses. Mais l'identification du
mélode Job Mélès avec le lasite Job ou Job le lasite, devient absolument
Certaine, si l'on fait attention que Georges Pachymère, après avoir parlé
de Job le lasite ou du lasite Job, parle un peu plus loin du lasite Mélias
qui est sûrement le même personnage (3). Job Mélias serait-il distinct
de notre Job Mélès.? Evidemment nous avons affaire ici à une simple
variante des manuscrits ou à une abréviation mal résolue.
Que savons-nous de Job le lasite? Lui-même se donne, comme on le
(i) Du Gange, Familiœ Augustœ By^ant., édit. Paris, p. 234; édit. Venise, p. iqi
182, 170. "
(2) Ibid., édit. Paris, p. 234; édit. Venise, p. 192.
(3) De Mich. PalœoL, V, 14; P. G., t. CXLIII, col. 833 sq.
LE MOINE JOB 45
;erra plus loin, le titre de lepofjLovayoç, c'est-à-dire de prêtre et de moine,
;t celui de disciple du patriarche Joseph.
L'épithète 'lao-'lTTiç, à en croire l'archimandrite A. K. Démétraco-
oulos (i), indiquerait le monastère auquel appartenait Job, le monas-
ire TO'j 'laTtTou à Constantinople; c'est ainsi qu'on dit Izouùlrr^ç pour
ésigner un moine du Stoudion, etc. Ce monastère toû 'IoltItou, était
loisin du couvent de femmes appelé tÂi; 'Apt-ox/ivf.i;, et du monastère
e Saint-Mamas, dans le quartier de Psamatia. M. Gédéon l'identifierait
olontiers avec la mosquée de Yesa-Kapou (2).
Mais le monastère en question portant déjà le nom de toù 'lao-itou,
n ne voit pas bien comment 'laa-ÎTV]? pourrait être l'adjectif indiquant
n habitant de ce monastère.
Le nom des moines est aussi souvent suivi du nom de leur patrie
ue de celui de leur couvent. On pourrait croire que l'épithète de 'lao-irr,;
ésigne Job Mélias comme originaire de 'lào-oç, aujourd'hui Jassy en
.oumanie, ou de la petite île d'Iao-oç, sur la côte de Carie. Le nom de
lélias est connu par ailleurs, il est porté au x^ siècle par Georges
lélias, aventurier d'origine arménienne, dont M. Schlumberger a recon-
titué la curieuse histoire (3).
Il existe dans un codex de Leyde quatre lettres inédites de Georges
te Chypre au moine lasite, c'est-à-dire à Job (4); je n'ai malheureusement
>as pu les consulter, et j'ai dû me contenter des renseignements fournis
►ar Pachymère.
Michel Paléologue venait d'adresser au patriarche Joseph un mémoire
:n faveur des latins. Le groupe des opposants, dans une réunion à
aquelle assistait l'impératrice, chargea le moine Job de la réplique; on
Ui donna, au reste, des auxiliaires pour ce travail, auxiliaires parmi
lesquels Pachymère revendique la première place pour lui-même. Le
\omos terminé fut lu dans une nouvelle réunion du parti, retouché et
nvoyé à l'empereur, qui ne daigna même pas le lire (5).
Mais il me paraît plus vraisemblable encore de regarder 'lao-'lTr,?
omme le nom de famille de Job, et 'Iwê comme son nom de religion ;
3n remarquera que, selon un usage fort commun, les deux noms com-
mencent par la même lettre. Mélès ou Mélias serait un simple surnom
destiné à distinguer Job des autres membres de la famille.
(1) 'Op868oÇoç 'EXXi;, p. Sy. Leipzig, 1872.
(2) Bu^avTtvôv 'EopToXôytov, p. 164, i65.
(3) Sigillographie byzantine, p. 272 sq.
(4) De RuBErs, Georgii seu Gregorii Cyprii patriarchœ Cp. vita. Venise, 1753,
P. 27, 28; P. G., t. CXLIl, coL 45, 46.
(5) De Mich. Palœol., V, 14; P, G., t. CXLIII, col. 833.
46 ÉCHOS d'orient
De cette famille, nous connaissons plusieurs autres personnages,
dont l'un aura sans doute été le fondateur du monastère toG 'lao-bo-j.
Théophylacte de Bulgarie se plaint dans une lettre (i) des vexations
que lui fait subir un 'lacrixT^ç employé du fisc, au sujet d'une terre
possédée par son Eglise sur les bords du Vardar.
Anne Comnène mentionne « des lasitès » parmi les auditeurs de
Jean l'Italien, le célèbre prince des philosophes (2).
Un lasitès est catépan d'Ibérie en 1038 (3). Constantin lasitès, sans
doute fils du précédent, épousa Eudocie, troisième fille d'Alexis l^f
Comnène t 1118 (4). Jean Mélès, 6 MsXtiç, vend au monastère twv
>.£fjL[3tov, dit de Planus, un champ et des oliviers en janvier 1263 (5).
Le tomos de Job, encore inédit, se trouve dans le cod. 68 de la biblio-
thèque de Munich, et dans le cod. 281 de la bibliothèque impériale de
Vienne (Théologie). Il est précédé d'un long titre, dont voici les pre-
mières lignes : « 'ÂTroAoyia toù TcavayiWTàTOu xal olxoupievuoù naTpiàpyou
K'jpiou 'I(OTr]:p ettI toi? TipoêXTiôelo-iv UTièp twv AaTwwv lui twv T,u£pô5v toG
Qsojji.eYaXoouvàTOU xal àyiou Bao-iAécoç Mi'^aYiA xal ©eoSwpaç, èxTuovTiQelo-a
T^ 'Iepo|ji.ovày(î) 'Iwê Tw p.a9r,'î^ toutou » L'archimandrite Démétrako^-
poulos en a publié un court fragment (6). Incipit: « EpàTLore, Osottetits,
ôsoxuêépVYiTS, Oeooo^aTTS, ayis Asa-TroTa p.ou xal Bao-t-XeCi. »
Lorsque Veccos, le futur patriarche, se fut prononcé en faveur de
l'Union, Job craignit de voir Joseph céder à son tour, et lui conseilla
d'envoyer une lettre à ses fidèles pour les affermir et leur faire pro-
mettre par serment de maintenir l'Orthodoxie. Joseph chargea encore
son mauvais génie de rédiger cette encyclique, qui fut, en effet, publiée
après avoir été lue et approuvée par les prélats antiunionistes (7). Nous
n'en connaissons pas le texte.
Le 6 octobre 1272, Job eut sa part dans le bizarre châtiment infligé
par Manuel Comnène au rhéteur Holobolos, avec neuf autres amis de
Joseph et la nièce d'Holobolos. On traîna les onze malheureux à travers
toute la ville; Holobolos avait été fouetté préalablement; Job et lui
(i) P. G., t. CXXVI, col. 432.
(2) P. G., t. CXXXI, col. 436.
(3) Cedrenus, p. g., t. CXXII, col. 252. Il est appelé Michel par Jean Skylitzès, édi^
Paris, p. 766. ^
(4) ZoNARAS, p. G., t. CXXXV, col. 3oi. Du Gange, dans ses notes sur r'AXeltà;, édit.
Paris, p. 3o5, édit. Yen., p. 59, cite un lasitès d'après Jean Utzatzès, XiXtâSeç, V, \j;
je n*ai pas cet auteur sous la main.
(5) MiKLOSiscH et MuLLER, Acta et diplomata grœc, t. IV, p. 124.
(6) Op. cit., p. 59; cf. Lambecius, Comment. 1. V, p. 227; Nessel, Catalogus, t. I",
p. 252.
(7) G. Pachymère, op. cit., V, 16; P. G., t. GXLII I, col. 835, 836.
LE MOINE JOB 47
marchaient tout chargés de boyaux de moutons non vidés de leurs
excréments, et les exécuteurs frappaient continuellement Holobolos
au visage avec les foies de ces animaux (i).
Ce traitement ignominieux ne corrigea pas le fanatique ennemi de
l'Union; en Ï275, après s'être débarrassé de l'ex-patriarche Joseph,
Michel Paléologue expédia son ami Job à Kabaia, forteresse située sur
les bords du Sangaris (2). A partir de cette date, l'histoire est muette
sur le compte du moine turbulent.
Il me paraît fort plausible d'attribuer à Job le lasite deux ouvrages
théologiques, dont les manuscrits font honneur à un Job pécheur. Ce
sont :
1° Ttôv Itzxol [jLixTTrjpiwv Trjç 'ExxXyio-iaç èÇriyTr) {xarixT) Qetopta xal Siaa-à-
oY.Tiç Trpôç <ï>(oxa£iç. Ce traité des Sacrements se trouve à la Vaticane,
codex Ottobon. 418, des xv® et xvi^ siècles, fol. 194-212 (3); à la Biblio-
thèque Nationale de Paris, codex 64 du supplément grec des xv^ et
xvii'^ siècles, fol. 239-254 (4), et au Mont Athos, au monastère ToG
'E7'.p'.Y|j(.évou, codex 95, du xvin« siècle (5). Il a été souvent cité par
Arcudius (6), une fois par Du Cange (7). Chrysanthe de Jérusalem le
publia dans son Sy^/rayiJLàT'.ov, mais en le modifiant par endroits (8).
2° 'HO'.xYi ôswpia eiç ràç àylaç cpwvàç TOÛ 7cpocpy]Tou Aaê'lS. A la biblio-
thèque de Turin, cod. CLXXVIIl, b, II, 32 (xvi« siècle). C'est le commen-
taire des quinze premiers psaumes. La préface seule est publiée (9).
Inédit.
N. Comnène Papadopoulos cite (10) d'un moine Job des scholies sur
les canons du concile de Césarée, dont je ne sais rien autre chose.
Le cardinal Pitra a publié (11) une série de stichères (o-uvTojjia) où
l'acrostiche lui a révélé le nom du mélode Job, 'Iwê, répétée onze
fois (12). Ces tropaires sont mêlés à d'autres où Pitra croit reconnaître
le nom de Nicolas le Studite.
(i) Ibid., V, 20; P. G., t. CXLIII, col. 848, 849.
(2) Ibid., V, 3o; P. G., t. CXLIII, col. 875.
(3) Feron et Battaglini, Codices manuscripti Grœci Ottoboniani, p. 280.
(4) Omont, Inventaire sommaire des manuscrits grecs de la Biblioth. Nation., 3' partie,
p. 210, 21 1.
(5) Lambbos, Catalogue of the Greek man. on Mount Athos, t. I", p. 182.
(6) De Concord. eccles. occident, et orient. Paris, 1672, p. 6, 7, 47, -jj, etc.
(7) Glossar. med. et inf. grœcitatis. Index auctorum, col. 53.
(8) SuvxayndtTtov. Tergovist, 1715, p. pxy' sq.
(9I Pasinus, Codices manuscripti biblioth. regiœ Taurin. Atlienœi, t. I", p. 365,
266; P. G., t. CLVIII, col. io56.
(10) Prœnotationes mystagogicœ, p. 398.
(11) Analecta Sacra, t. I", p. 425 sq.
(12) II manque le troisième tropaire du 3' et du 5* triolets, ce qui donne un total de
48 ÉCHOS d'orient
Il s'est demandé quel est le Job auquel il avait affaire ici. La beauté •
des stichères, l'âge du cod. Barberîni, où il les avait cueillis, le portaient
à les croire plus anciens que le xni« siècle, et, refusant d'en faire hon-
neur à Job le lasite, il songeait immédiatement à cet autre Job, qui
écrivit au vi« siècle contre les monophysites (i). C'est, je crois, remonter!
bien haut; on pourrait, avec plus de vraisemblance, attribuer nos sti-
chères au moine Job, des Spoudaei de Jérusalem, venu à Constantinople
en 8n, avec saint Michel le Syncelle et les deux frères saint Théodore
et saint Théophane Grapti (2). Ceci n'est qu'une hypothèse, mais, en
tout cas, je doute fort que les mélodes du vi^ siècle aient composé des
(TuvTO|jLa sur l'Hypapante, avec leurs noms à l'acrostiche ! Au ix^ siècle, ^
au contraire, on trouve des poèmes de ce genre édités par Pitra lui- ■
même (3), dus à Cosmas, Joseph, Théophane, Cyprien et Nicolas.
En résumé. Job Mélès ou Mélias, moine toû 'lao-ÎTOu à Constantinople,
dans la seconde moitié du xni« siècle, et adversaire fanatique de l'Union
des Eglises, a écrit : 1° un tomos inédit contre les latins; 2° une lettre
(perdue) au nom du patriarche Joseph; 3" l'office et la vie de sainte
Théodora d'Arta, plusieurs fois imprimés. On peut lui attribuer un traité
sur les sacrements et un commentaire sur les quinze premiers psaumes,
et même des stichères sur la fête de l'Hypapante (Purification); si ceux-ci
ne sont pas de lui, ils ont pour auteur Job, moine de Jérusalem au
ixe siècle, plutôt que Job, controversiste du vi^.
t S. Pétridès.
Constantinople.
3i tropaires seulement portant le nom de Job. Parmi les tropaires intercalés entre
ceux-là, quelques-uns doivent être du même hymnographe.
(i) Contre Sévère (perdu); OlxovotiixTi TrpaytiaTeîa, fragments dans Photius, 5î6/zoM.,
cod. 222. Autres fragments dans Mai, Classici auctores, t. X, p, 601-604, et Spicileg.
Rom., t. X, p. i32 (P. G., t. LVXXVI», col. 33i3-332o).
(2) Cf. mon article sur le Monastère des Spoudœi à Jérusalem et les Spoudcei de
Constantinople, dans les Echos d'Orient, t. IV (1901), p, 226.
(3) Pitra, op. cit., p. 400 sq.
ÉGLISE MELKITE AU XVlir SIÈCLE
II. L'INTRUSION DE JAUHAR
I. Les premiers actes de l'intrus.
L'Eglise melkite se voyait imposer, malgré ses protestations, un jeune
triarche du vivant même de Cyrille Thanas (i).
Au rapport du P. Michel Adam, « tout le peuple uni à son clergé
fusait de se soumettre à cet intrus : a) Le clergé de la ville de Damas
tous les notables étaient opposés à cette élection ; nous avons en main
irs lettres d'appel à Rome pour l'attester; ^) le clergé de Saint-Jean
\cre et les notables de la ville déclarèrent leur refus en défendant
eur évêque d'en faire mention à la sainte messe. Et comme M»'" Macaire
jéimi ne voulait pas leur obéir, ils le chassèrent de Saint-Jean d'Acre.
malheureux prélat se réfugia à Deir el Moukhallès, auprès de l'in-
js, et n'en devint que plus acharné à combattre les évêques fidèles;
le clergé et les notables de Saida et du Chouf, sous la direction de
ir Ordinaire, M&r Basile Jelghaf, qui faisait partie des prélats fidèles;
le diocèse de Baalbek tout entier, sous la direction de son évêque,
?r Basile; e) le diocèse de Beyrouth et Gébaïl, suivant la voix de son
steur, Mgr Athanase Dahan;/)la ville d'Alep, qui, à elle seule, ren-
"me autant et plus de Melkites catholiques que tous les diocèses
unis du patriarcat; g) enfin, les Congrégations de Saint-Sauveur et
Saint-Jean de Chouéir; tous, d'un accord unanime, rejetaient cette
trusion et ne voulaient pas reconnaître pour patriarche Ignace Jauhar,
li avait pris le nom d'Athanase V. » (2)
Malgré ces résistances communes de tout le patriarcat melkite,
jhar tint à affirmer son intrusion par des mesures rigoureuses
ntre les opposants. Sous l'impulsion du P. Jean 'Ajéimi, il lança
rce excommunications contre tous les évêques fidèles qui refusaient
le reconnaître patriarche légitime d'Antioche; il répandit partout
s lettres envenimées qui les traitaient de menteurs, d'hallucinés,
orgueilleux, qui, lorsqu'ils se sont aperçus que la dignité patriarcale
i) Voir £"0/205 d'Orient, t. XIV, 191 1, p. 340-35i : « Une période troublée de l'histoire
l'Eglise melkite (1759-1794). »
2) Relation du P. Adam, p. 25-26.
Echos d'Orient, t. XV. 4
50
ÉCHOS d'orient
était perdue pour eux, s'étaient déclarés ses ennemis acharnés. Tou-
jours inspiré par le P. 'Ajéimi, il dirigeait ses coups spécialement sur
le P. Ignace Jarbou', Supérieur général de Chouéir, qui, disait-il, avait
occasionné tous ces troubles. Enfin, l'intrus alla jusqu'à exciter par ses
ordonnances le peuple contre les évêques fidèles, pour les faire chasser
de leurs diocèses respectifs (i). A l'exemple du P. Joseph Babila, le
P. Michel Adam s'arrête à réfuter toutes ces prétentions, non sans y
mêler quelques traits bien aiguisés à l'adresse de Jauhar et de son parti
notamment au P. Jean 'Ajéimi.
Le chouérite Arsène Homsy, infidèle à ses engagements solennels,
vint se réfugier auprès de Jauhar. Ce dernier le reçut, le délia de ses
vœux religieux et en fit son secrétaire attitré. M^"- Basile Jelghaf, qui
nourrissait toujours quelque espoir de ramener Jauhar à de meilleurs
sentiments, offrit ses services à l'intrus, essaya de parler à son cœur,
de l'exhorter paternellement. Il eut la douleur de voir Jauhar se déclarer
ouvertement contre lui. En effet, ce dernier se prit à exciter certain?
notables de Saida contre leur bon évêque; puis, moyennant finances,
il obtint des gouverneurs musulmans du pays que ce prélat fût chassé
de son diocèse. M&r Jelghaf se réfugia donc à Saint-Sauveur, où les
troubles recommencèrent de plus belle. Vingt-cinq religieux, des plus
relâchés, furent gagnés au parti de Jauhar, grâce au sacerdoce et à
d'autres dignités eccclésiastiques que l'intrus prodiguait sans mesure
à tous ses amis. Les autres religieux, sous la direction de leur Supé-
rieur général, le P. Michel 'Arraj, demeurèrent fidèles à leur premier
engagement. Ils répondirent franchement aux injonctions de l'in-
trus : « Nous sommes de pauvres moines incompétents. Laissez-nous
en paix, nous n'avons rien à voir dans vos affaires. » Furieux, Jauhar
s'entendit secrètement avec l'émir du pays, propriétaire de Saint-Sau-
veur, qui reprit son monastère et en chassa Les moines fidèles. « Puisque
vous ne désirez pas vous soumettre au patriarche nouvellement élu,
sortez vite de mon monastère, vous et tous ceux qui vous suivent. »
Là-dessus, le P. Michel 'Arraj quitta Saint-Sauveur en compagnie de
ses religieux fidèles, et il se réfugia au monastère de Saint-Elie, à
Richmaija, qui était alors dans le dénuement le plus complet. Eux
partis, Jauhar convoqua en Chapitre gén&al les vingt-cinq religieux
révoltés et il leur ordonna de se choisir un Supérieur général avec quatre
assistants, que lui-même se hâta de confirmer solennellement. Les vingt
autres qui restaient furent honorés du sacerdoce ou d'autres dignité!
(i) Relation du P. Adam, p. 27-29.
l'église melkite au xviii° siècle 51
icclésiastiques. Dès lors, ces pauvres religieux et les six évêques infidèles
brmèrent le parti de l'intrus, sous la direction du P.Jean 'Ajéimi(i).
II. Le patriarche Maxime Hakim.
A Rome, le P. Simaân Sabbâgh avait présenté à la S. Gong, de la
'ropagande tout le procès-verbal de cette intrusion dès le mois de
anvier 1760. De nombreuses lettres des évêques fidèles furent de même
soumises au jugement des éminents cardinaux. De son côté,Jauhar avait
lussi envoyé un procureur à Rome pour y soutenir sa cause. C'était
e P. Arsène Homsy, religieux transfuge de Chouéir, qui était porteur
ie documents innombrables pour justifier l'intrus. Le Saint-Siège exa-,
Tiina minutieusement tout ce long dossier, et, sept mois après, le
ler août 1760, le pape Clément Xlll prononçait la nullité de l'élection
fie Jauhar pour les motifs suivants. Tout d'abord, l'abdication de
yrille VI était de nulle valeur, parce qu'elle n'avait pas été sanctionnée
jar le Saint-Siège, qui avait primitivement confirmé ce patriarche et
ui avait envoyé le palUum. Par suite, Cyrille VI mort, l'élection de son
successeur était, par le fait même, dévolue aux ordres du Souverain
'ontife, qui a pleine autorité pour la permettre et la surveiller. En
econd lieu, l'élection du P. Ignace Jauhar avait été faite après l'appel
Rome de quatre prélats de la nation melkite, appel après lequel tout
icte officiel était, par le fait même, frappé de nullité. Enfin, l'intrus
Tianquait de l'âge canonique requis pour l'épiscopat, à plus forte raison
jour le patriarcat. « En conséquence, ajoute le Pape, Nous déclarons
)ar la force de Notre autorité suprême et de Notre propre mouvement,
^ue ledit P. Ignace Jauhar n'a acquis aucun droit, aucun pouvoir, par
ion élection irrégulière. Si, à l'avenir, il ose s'immiscer dans les affaires
du patriarcat, il tombera ipso facto sous le coup des peines ecclésias-
tiques, et il encourra Notre colère. Enfin, Nous décrétons que, dans ces
:irconstances exceptionnelles, il appartient à Nous et au siège aposto-
lique de donner un pasteur à l'Eglise d'Antioche, cette fois seulement,
par un droit dévolutif. » (2)
Clément Xlll nommait ensuite M^»- Maxime Hakim patriarche d'An-
tioche et de tout l'Orient, lui enjoignait de faire la profession de foi
catholique ordinaire imposée aux Orientaux par Urbain VllI et de prêter
le serment d'obéissance entre les mains d'un évêque catholique en union
(i) Relation du P. Adam, p. ag-So.
(2) Encyclique Injunctum nobis du 1" août 1760.
52 ÉCHOS d'orient
avec le Saint-Siège, enfin de signer et de cacheter ces deux actes offi-
ciels et de les envoyer à Rome par l'entremise d'un délégué auquel
serait remis le pallium patriarcal. L'Encyclique est excessivement élo-
gieuse pour le saint archevêque d'Alep. Mg»" Hakim avait toujours fui
les honneurs et les dignités ecclésiastiques; nous l'avons vu, lors de
son élection au généralat de Chouéir et au siège d'Alep. Le Souverain
Pontife le savait parfaitement. Aussi lui ordonna-t-il, « au nom de la
sainte obéissance, et sous peine d'encourir sa colère et d'autres peines
encore dont il le frapperait en cas de refus », de se soumettre entière-
ment en acceptant la charge patriarcale.
Les ordonnances pontificales furent confiées à un délégué apostolique,
le P. Dominique Lança ou de Lanceis, qui n'arriva en Syrie qu'aux der-
niers jours du mois d'août, en compagnie du P. Simaân Sabbâgh. Son
premier soin fut de se présenter à Deir el Moukhallès pour exhorter
l'intrus à abdiquer sans délai en face des ordonnances romaines. Ce
qui, en effet, eût été infiniment plus honorable pour jauhar. Celui-ci se
mit en devoir de faire une réception triomphale au délégué du Saint-
Siège. Tous les religieux de Saint-Sauveur, en habits sacerdotaux, suivis
des six évêques dévoués à Jauhar, se rangèrent sur deux lignes paral-
lèles, pour recevoir le délégué à la porte même du monastère. Jauhar
fermait majestueusement la procession, revêtu du mandyas liturgique,
et tenant la crosse en main. A l'apparition du délégué, Jauhar se hâta de
lui remettre sa crosse, protestant qu'il ne la recevrait que de ses mains.
Le P. Dominique Lança, sans rien dire, saisit cette crosse, la déposa
dans un coin du monastère et fit entrer tout ce monde à la chapelle.
Là, il donna lecture des ordonnances romaines, exhorta l'intrus à se'
soumettre à Rome avec tout son parti, et déclara que le Souverain Pon- .
tife s'adjugeait pour cette fois seulement le droit de nommer le pasteur ^
de l'Eglise d'Antioche en la personne de Mgf Maxime Hakim, arche-
vêque d'Alep. 11 ne rencontra que résistances opiniâtres de la part de
tous, notamment de la part du P.Jean 'Ajéimi. En vain, il se ménagea
des entretiens secrets avec Jauhar, lui prodigua mille caresses pour le|
ramener à de meilleurs sentiments. Il dut quitter Saint-Sauveur l'an
goisse dans l'âme (i).
(i) Réponse des évêques au délégué, pièce n° i; Relation du P. Adam, p. 32-40
Réfutation, du même, p. 4-b; Annales, t. I", cah. XXVII, p. 418. Cette longue relatio
du P. Adam, que nous avons suivie exactement, ne contient pas moins de quarante eÉ
une pages in-8°. Elle est divisée en deux parties, précédées d'une courte introduction''"
(p. 1-2) et terminées par une notice exacte touchant la résignation du siège d'Alep par;
Gérasimos en faveur de M" Maxime Hakim (p. 32-41). La première partie, plus longue^^
nous donne tous les détails des événements qui ont eu lieu avant l'élection de Jauhar;
l'église melkite au xviir siècle 53
Cependant, les évêques fidèles étaient réunis à Saint-Jean de Chouéir,
lans l'attente du délégué apostolique. Celui-ci y fit son apparition dans
es premiers jours de septembre 1760. Sans perdre de temps, il donna
scture des ordonnances pontificales dont il était porteur, et enjoignit
ux évêques présents de procéder à l'installation de M?»" Hakim, patriarche
i'Antioche et de tout l'Orient. Le nouvel élu voulut résister, rapporte
P. Michel Adam, mais devant les menaces pontificales il dut se sou-
nettre au plus tôt ; et, après avoir prononcé la profession de foi ordi-
laire et prêté serment d'obéissance entre les mains de Ms"" Athanase
)ahan, le délégué apostolique le confirma dans sa nouvelle charge et
njoignit à tous les évêques de le reconnaître comme patriarche légi-
Ime d'Antioche (i).
D'un âge avancé et accablé par la maladie, le nouveau patriarche se
lâta de se donner un vicaire dans la personne de Ms'^ Dahan, métropo-
le de Beyrouth ; puis il pourvut aux sièges vacants, et sacra le P. Ignace
rbou' archevêque d'Alep; le P. Philippe Bitar évêque de Baalbek, et
; P. Joseph Safar évêque de Qâra. A Homs, il apaisa certains troubles
ui étaient occasionnés par la révolte de l'évêque même de ce diocèse,
i«r Ignace, qui soutenait toujours l'intrus ; puis il rentra à Mar-Hanna (2).
adressa aux évêques révoltés une lettre des plus paternelles, les
xhortant à la soumission aux ordres romains, et les menaçant en
lême temps de la perte de la voix active et passive, en cas de résis-
ince. Les malheureux méprisèrent ces conseils autorisés, et répon-
irent au courrier spécial que leur avait envoyé Ms^ Hakim : « Nous
vons un patriarche et nous n'en reconnaissons pas d'autre. » (3) Ils
rent plus. Le lendemain, Jauhar et son conseiller, le P.Jean 'Ajéimi,
B rendirent au village de 'Ajaltoun, auprès du patriarche maronite,
bbie Khazen, et le supplièrent de leur prêter main-forte pour recon-
>. 2-24). Elle est on ne peut plus exacte, et elle nous renvoie constamment aux sources
riginales que le P. Adam avait pris soin de réunir avant de mettre la main à l'œuvre,
ette partie ayant été complètement négligée par le R. P. Cyrille Charon, nous avons
inu à la faire connaître au public. Quant à la seconde partie (p. 24-32), bien courte,
notre avis, elle ne nous présente que certains détails peu importants touchant les
iTénements qui ont eu lieu avant l'arrivée du délégué apostolique, le P. Dominique
ança, et immédiatement après l'élection de Jauhar. Le P. Adam nous avertit qu'il est
lutile de rapporter tous les faits qui ont eu lieu après cette intrusion, ce qui nous
rouve qu'il écrivait après 1768, époque de la soumission de l'intrus au patriarche
gitime Théodose VI Dahan, alors que toute cette malheureuse histoire était encore
mte fraîche dans toutes les mémoires
(1) Réfutation des prétentions des Salvatoriens, par le P. M. Adam, p. 5; Annales,
\", cah. XXVII, p. 422.
(2) Annales, t. I", cah. XXVII, p. 482.
(3) Réfutation, p. 21.
54 ÉCHOS d'orient
I
quérir le patriarcat, qui venait d'échapper aux efforts de Jauhar
M«i- Khazen les reçut avec bienveillance, prodigua à l'intrus tous les
honneurs propres à la dignité patriarcale, l'encouragea dans sa résis-
tance à Rome et au patriarche nouvellement élu, s'engagea à prendre
sa défense en toute occasion, contrairement aux ordres pontificaux,
et envoya même de sa part le P. Michel Fadel à Mar-Hanna, pour
demander à Maximos: a) de nommer Jauhar son vicaire général; h) de
lui rembourser tout l'argent qu'il avait dépensé pour arriver au
patriarcat. Mê'^' Hakim ne fit aucune réponse à ces prétentions orgueil-
leuses, mais il écrivit à Rome, de concert avec le délégué apostolique,
pour flétrir cette conduite indigne du patriarche maronite, qui s'im-
misçait dans des affaires en dehors de sa compétence (i). La réponse
de Rome fut terrible. Ms' Hakim ne put la connaître; il mourut le
26 novembre 1760 à Mar-Hanna, après quatre mois seulement de
patriarcat, et fut enterré dans la tombe même d'Abdallah Zahker (2)
Le cardinal Spinelli, préfet de la Propagande, se hâta donc d'écrire
àM&i" Khazen, en date du 30 janvier 1762. Il lui rappela tous les troubles
occasionnés par Jauhar et son parti, troubles que le Souverain Pontife
s'est efforcé d'apaiser en élevant lui-même l'archevêque d'Alep au siège
patriarcal. 11 s'étonne que lui, patriarche des Maronites, qui avait donné,
dans le passé, tant de preuves de soumission aux ordres romains, soit
à cette heure critique le premier à mépriser les prescriptions pontifi-
cales. « Je veux bien me persuader, continue le cardinal, qu'à la récep
tion de ma lettre vous changerez de conduite, en respectant davantage
'es ordonnances du Saint-Siège, et en vous conduisant suivant les
lumières de la prudence chrétienne et l'honneur de votre dignité patriar
cale. Que si vous agissez autrement, ce qu'à Dieu ne plaise! nou
serions contraint d'employer les remèdes les plus efficaces contre vo
agissements. »
La lettre de Clément Xlll à ce même patriarche maronite est datée
du 5 mars 1762. Le Pape lui reproche amèrement son immixtion dan^
les affaires d'une autre Eglise que la sienne, contrairement à l'Ency-
clique Demandatam cœlitus de Benoît XIV, en 1743; il lui ordonne
d'éviter l'intrus Ignace comme on éviterait un homme frappé
toutes les censures ecclésiastiques, sous peine d'encourir lui-même ce
peines canoniques. Enfin, il lui rappelle que les Druses infidèles eux|
mêmes n'ont pas voulu recevoir l'intrus dans leur communion; pour
1
(i) Annales, 1. 1", cah. XXVIII, p. 438.
(2) Loc. cit., p. 439.
l'église MELKITE au XVIll® SIÈCLE 55
quoi faut-il que lui, patriarche catholique, méprise à ce point les ordres
i iu Saint-Siège (i)?
Nous ne savons pas quelle fut, en cette occasion, la réponse ou la
: protestation du patriarche maronite, toujours est-il que nous ne le
soyons plus mentionné dans la suite de cette histoire (2).
'' Cependant, Jauhar continua ses agissements. A Saint-Sauveur, il
:élébra une messe pontificale, assisté des six évêques révoltés, en vue
l'affirmer davantage son patriarcat; puis, il réunit un synode à Deir el
^oukhallès, et excommunia publiquement tous ceux qui ne voudraient
)as le reconnaître patriarche légitime (3). 11 lança à cette occasion des
ettres pleines de fiel dans tous les diocèses contre les évêques fidèles,
fiotamment contre le délégué (4). Ce dernier, à bout de ressources, se
^t forcé de porter contre lui l'excommunication majeure, le 5 août 1761(5).
A.U lieu de se soumettre, Jauhar et son parti écrivirent au délégué une
ongue lettre des plus injurieuses et pleine de blasphèmes abominables,
DÙ ils qualifiaient l'envoyé du Pontife romain d'un second Antéchrist,
i'un autre Nestorius, d'un second Dioscore, lui appliquant en même
temps les surnoms les plus diffamatoires, enfin lui déclarant leur
révolte opiniâtre en termes pleins de rage. La lettre fut adressée à
aint-lsaïe, où se trouvait alors le P. Dominique Lança. 11 eut soin de
l'emporter à Rome, nous apprennent les Annales, pour la mettre sous
les yeux du Souverain Pontife et de la Propagande (6).
Durant son séjour à Saint-Isaie, il apprit les troubles occasionnés
jarmi les Moniales de Notre-Dame de l'Annonciation, non loin de Saint-
Sauveur, par suite des agissements de l'intrus. Le délégué leur écrivit
une lettre pleine de charité pour les exhorter à se soumettre, elles aussi,
aux ordonnances romaines et ne point reconnaître l'intrusion de Jauhar.
Or, à la réception de cette lettre, les Moniales prirent la peine de la
ire ; puis, en dépit du délégué et du Saint-Siège lui-même, elles fou-
lèrent cette missive aux pieds et la mirent en pièces, déclarant haute-
ment ne reconnaître d'autre patriarche que Jauhar (7). Ces scandales
(i) C'était, en effet, parfaitement exact, comme nous le dirons plus loin en citant
les propres paroles de ces princes infidèles à l'adresse de l'intrus.
(2) Il ne dut pas, croyons-nous, vivre longtemps après ces semonces romaines, bien
que nous ne connaissions pas exactement l'époque de sa mort.
(3) Annales, t. I", cah. XXVII, p. 428; Réfutation, p. 18.
(4) Loc. cit., p. 415.
(5) Loc. cit., p. 416. Notre Recueil de manuscrits, p. 174-176, renferme la formule
arabe de cette excommunication majeure. Elle est terrible, et elle relate tous les
désordres de l'intrus qui en ont été cause.
(6) Annales, t. I", cah. XXVIII, p. 440; Réfutation, p. io-i5.
(7) Loc. cit., p. 414.
56 ÉCHOS d'orient
devaient s'aggraver et se multiplier davantage à l'élection du successeur
de Maxime Hakim.
III. Election d'Athanase Dahan.
Le lendemain même de la mort de Maxime II Hakim, 27 novembre 1 760,
les évêques fidèles, au nombre de six, tinrent un synode dans la cha-
pelle de Mar-Hanna ; et, dans la crainte de voir Jauhar et son parti exciter
contre eux les gouverneurs du pays et les empêcher de donner un chef
à l'Eglise d'Antioche, ils procédèrent immédiatement à l'élection du
nouveau patriarche, sous la présidence du P. Dominique Lança. Atha-
nase Dahan, évêque de Beyrouth, fut élu à l'unanimité des voix. Sur-le-
champ, les évêques électeurs dressèrent un procès-verbal de l'élection,
et tous y apposèrent leurs signatures et leurs cachets, ainsi que le délégué
apostolique. Le nouvel élu y ajouta une lettre à l'adresse du Saint-Père
et une autre à l'adresse de la Propagande, relatant certains détails tou-
chant les nouveaux agissements de Jauhar, et demandant humblement
sa confirmation au Saint-Siège (i).
Cette nouvelle élection augmenta l'exaspération de Jauhar. Le P.Jean
'Ajéimi conseilla aux révoltés de ne point reconnaître les ordres de
Rome, dont le P. Dominique Lança était porteur. On qualifia d'impos-
ture toute sa délégation, en le traitant lui-même de menteur et d'arro-
gant. Mais les nombreuses lettres que les missionnaires latins et le
consul de France à Saïda avaient reçues de Rome à cette occasion,
n'eurent pas de peine à prouver à tout le monde la réalité. Honteux,
confus, méprisés de tous, les révoltés durent se rendre à la vérité et
révoquer leurs premières affirmations mensongères (2). Ce n'est pas
tout. En vue d'échapper à l'excommunication majeure que le délégué
avait lancée contre eux, ils en appelèrent au tribunal de la Propagande,
suppliant les éminents cardinaux de renouveler l'examen de leur cause.
Mais personne ne s'y méprit, et l'on ne prêta pas une attention sérieuse
à ces hypocrisies. C'est à cette occasion que le P. Jean 'Ajéimi lança
sa fameuse brochure intitulée : Réponse des évêques au délégué, que le
R. P. Cyrille Charon cite si souvent dans son article des Echos d'Orient.
Elle est composée de dix chapitres ou rououss, et renferme les opi-
nions les plus schismatiques, appuyées sur les données historiques
(i) Notre Recueil de manuscrits, p. 145-149, renferme in extenso toutes ces pièces,
œuvre de M" Théodose VI Dahan lui-même.
(2) Réfutation, p, 5-6.
l'église melkite au xviii^ siècle 57
s plus fausses. Nous verrons plus tard avec quelle habileté le
P. Michel Adam sut réfuter ce factum. Sur le même plan, et répétant
les mêmes arguments, un second écrit fut composé par les religieux
révoltés de Saint-Sauveur, en 1765. 11 était intitulé : Chapitre sur la
nullité de l'excommunication quia été lancée injustement contre le patriarche
Athanase et les évéques de son parti. Nous possédons de même la
réfutation péremptoire que nous en a laissée le P. Michel Adam, et où
il fait preuve d'une orthodoxie impeccable, notamment sur le dogme
cjde la primauté pontificale, comme nous l'avons dit plus haut. Enfin,
plusieurs autres écrits de ce genre furent répandus dans le bas peuple,
en vue de tromper les simples et les ignorants et d'augmenter le parti
de l'intrus; ils ne réussirent qu'à causer des scandales, sans jamais
arriver au résultat désiré (1). Ces brochures diverses avaient pour
auteur le P. Jean 'Ajéimi, l'homme, à coup sûr, le plus instruit de son
époque, mais qui, en ces circonstances, faisait preuve d'une mauvaise
foi incroyable en vue de faire réussir une cause que, dès l'origine, il
avait reconnue louche et irrégulière. 11 ne manqua pas, du reste, de
contradicteurs, tels le P. Joseph Babila, le P. Simaân Sabbâgh, les mis-
sionnaires latins de Saïda et enfin le P. Michel Adam. Ce dernier ne
s'attira les colères de Jauhar qu'à partir de cette époque. Dès lors,
naquit entre ces deux hommes une animosité regrettable, que nous
voyons se faire jour à plusieurs reprises durant cette époque de trente-
cinq ans dont nous relatons l'histoire.
Mais revenons à Deir el Moukhallès. Après l'élection de Mërr Athanase
Dahan, qui prit le nom de Théodose VI, Jauhar consacra deux nouveaux
évêques, et conféra les saints Ordres à plusieurs moines salvatoriens.
Les deux nouveaux évêques furent Grégoire Haddad, avec le titre de
Qâra, et Andrès Moubayïed, avec celui de Saïdnaya, qui se joignirent
aux révoltés (2). Ceux-ci furent au nombre de huit, et ils crurent un
moment pouvoir lutter contre les évêques fidèles qui, eux, n'étaient
que six seulement. Fort de cet appui, Jauhar' déclara qu'il voulait se
rendre à Rome pour obtenir une confirmation pontificale plus directe
et ainsi devancer celle de Théodose VI, qui venait d'envoyer à la Ville
Eternelle le P. Dimitri Qoyoumji, Chouérite, muni de tous les documents
nécessaires pour demander sa confirmation et le pallium. Le P. Domi-
nique Lança avait déjà quitté la Syrie pour aller rendre compte de sa
mission au Souverain Pontife. Enfin, Jauhar, après avoir nommé l'arche-
(i) Réfutation, p. i5-i6; lettre du délégué, 10 février 1765.
(2) Annales, t. I", cah. XXVII, p. 425.
à
58 ÉCHOS d'orient
(i) Annales, loc. cit., p. 481; lettre de Théodose VI Dahan, 25 février 1765.
(2) C'était un excellent religieux chouérite, qui allait commencer ses études dans
un âge assez avancé. Il fut cependant un élève brillant à la Propagande, et, neuf ans
après, 1770, il fut sacré évêque in partibus et chargé de faire les ordinations grecques
melkites à Rome. Il mourut 'en 1776, à Rome même, et fut inhumé dans le petit cou-
vent de Saint-Basile, que les Chouérites s'étaient fait bâtir en 1767, sur la voie de Saint-
Jean de Latran, moyennant 6 5oo piastres seulement. Nous ne savons pas ce que ce
monastère devint par la suite, car les Annales ne nous en parlent guère; nous croyons
qu'il dut être acheté parles Salvatoriens, qui en ont fait la résidence de leur procureur
à Rome. M" Joseph 'Ajlouni est l'auteur de la première théologie morale éditée en
langue arabe. Son ouvrage est intitulé : Qatful Anihar fi 'ulm il asrar, la Cueillette
des fleurs pour l'étude des sacrements. C'est plutôt une théologie sacramentaire en
abrégé, destinée à l'instruction des religieux chouérites. Elle fut éditée à Mar-Hanna
et servit longtemps de manuel classique dans les deux Congrégations salvatorienne et
chouérite.
(3) Notre Recueil de manuscrits, p. 166-171, renferme in extenso, en arabe, toutes
ces lettres de la Propagande et des évéques fidèles, ainsi que les lettres de Clément XIII
et du cardinal Spinelli, adressées au patriarche maronite Tobie Khazen, à l'occasion
de la protection qu'il avait accordée à Jauhar et à son parti.
vêque de Tyr, André Fakhouri, vicaire général et supérieur des évêques
qui lui demeuraient fidèles à Deir el Moukhallès, prit le chemin de |
Rome en compagnie de Ms' Maxime Sallal, du P. Francis Siaj, de Damas,
et du P. Arsène Caramé, de Homs (i).
IV. Voyage de Jauhar a Rome.
A Rome, le délégué patriarcal, le P. Dimitri Qoyoumji, était arrivé
de bonne heure, en compagnie du P. Joseph 'Ajlouni, que les Chouérites
envoyaient au collège grec de Saint-Athanase pour y faire ses études
théologiques (2). Ayant pris connaissance des lettres des évêques fidèles
qui avaient choisi régulièrement M»'" Athanase Dahan pour succéder au
patriarche défunt, le cardinal Spinelli, préfet de la Propagande, en fut
ravi. Il adressa à l'élu et aux électeurs de chaleureuses lettres de félici-
tations, en date du 7 avril 1762, leur promettant une confirmation
prompte de leur œuvre, en vue de procurer enfin la paix dans ce
patriarcat melkite cruellement éprouvé. Le même cardinal avait enjoint
aux évêques fidèles de lancer l'excommunication majeure contre le
P.Jean 'Ajéimi, le grand instigateur de tous ces troubles, par une lettre
spéciale en date du 27 mars 1762. Cet ordre fut exécuté à l'occasion
de la consécration des deux nouveaux prélats à Saint-Sauveur, que
Théodose VI, en union avec ses évêques fidèles, dénonça à Rome, le
ler août 1761 (3). Enfin, le pape Clément XllI allait confirmer l'élection
du nouveau patriarche, lorsqu'on apprit à Rome l'arrivée de Jauhar et
de ses trois compagnons. L'intrus n'eut pas une réception brillante à
la Propagande, nous disent les Annales chouérites. 11 fut, une année
l'église melkite au xviir siècle D9
ntière, suspens de la célébration de la sainte messe à Rome, parce qu'il
emeurait toujours excommunié par le délégué apostolique, le P. Domi-
nique Lança (i). Le Saint-Siège ne tenait à aucun prix à revenir sur
es tristes événements, bien que Jauhar et son parti persistassent à
emander un nouvel examen de tout l'ancien procès. D'autre part, la
[Propagande et le Pape lui-même avaient prononcé la nullité d'une élec-
tion anticanonique de tout point. Enfin, ajoute le P. Michel Adam, en
«|s'adressant aux révoltés (2), « vous devez savoir que les jugements du
Saint-Siège apostolique sont irrévocables et n'admettent point d'appel. »
siMalgré tout, par une condescendance extraordinaire, et dans le but de
«gagner l'intrus, le Souverain Pontife consentit à reprendre tout l'examen
i|de cette affaire. Il fit promettre cependant à jauhar de se soumettre au
jugement du Saint-Siège, fût-il favorable ou non à ses prétentions (3).
Ainsi donc, la Propagande dut envoyer un second délégué apostolique
en la personne du P. Dominique de Venise, Franciscain. Il avait été, peu
de temps auparavant, custode de Terre Sainte à Jérusalem ; et, en cette
qualité, il avait eu le tort de prodiguer les honneurs à l'intrus, en le
reconnaissant patriarche légitime avant même l'arrivée des ordonnances
romaines. De retour à Rome, il fut sévèrement blâmé par la Propagande
qui lui imposa l'ordre d'écrire à Ms^ Maxime Hakim, qui venait d'être
élu par Clément XIII, pour lui faire des excuses, lui demander pardon
de sa conduite antérieure et le reconnaître comme patriarche légitime
en rejetant l'intrusion de Jauhar. Tous ces détails nous sont donnés dans
la lettre humble et soumise qu'il adressa de Rome à Ms'- Hakim en date
du 30 mars 1762. Ce dernier était déjà mort depuis longtemps (4).
Cependant, ce second délégué arriva en Syrie en 1763. Il examina
les dossiers des deux parties, disent les Annales, celle de Théodose VI
et celle de Jauhar, puis il les envoya à la Propagande. Toutes ces pièces
furent de nouveau minutieusement examinées à Rome; Théodose VI
fut reconnu patriarche légitime, et Clément XIII le confirma par la Bulle
Ecclesia antiochena de 1764. En même temps, il lui envoya le pallium
par l'entremise de son délégué, le P. Dimitri Qoyoumji, qui se hâta de
rentrer en Syrie. Quant à Jauhar, il dut comparaître une dernière fois
devant la Propagande, où le cardinal Castelli lui signifia de nouveau
les ordonnances romaines qui confirmaient Théodose VI Dahan patriarche
légitime d'Antioche et de tout l'Orient. En même temps, il enjoignit
(il Annales, t. I", cah. XXVIII, p. 415.
(2) Réfutation, p. 9-10.
(3| Annales, t. I", cah. XXX, p. 416.
(4) Cette lettre se trouve in extenso en arabe dans notre Recueil, p. 171-173,
6o ÉCHOS d'orient
à l'intrus de le reconnaître pour son supérieur légitime et de lui adresser,
dans ce sens, une lettre où respire la soumission la plus absolue. Malgré
la répugnance qu'un acte semblable inspirait à son orgueil, Jauhar dut
se soumettre aux exigences de la Propagande, et, après avoir signé la
lettre destinée au patriarche, le cardinal Castelli le délia de l'excom-
munication dont l'avait frappé le P. Dominique Lança, ainsi que de
toutes les censures ecclésiastiques que lui avait attirées sa conduite
passée (i). Maxime Sallai, qui l'accompagnait, avoua qu'il avait été
entraîné par violence à soutenir Jauhar dans son intrusion, et il sup-
plia le cardinal Castelli de le relever de l'excommunication qu'il avait
encourue, ce qu'il obtint sur-le-champ (2).
Jauhar resta encore quelque temps à Rome, mais il eut soin d'envoyer
devant lui ses deux émissaires, les PP. Francis Siaj et Arsène Caramé,
qui arrivèrent en Syrie peu de Jours après le P. Dimitri Qoyoumji et
purent ainsi assister au synode de Deir el Qâmar (3). En effet, les ordon-
nances romaines furent remises au délégué apostolique; et celui-ci,
sans perdre de temps, convoqua tous les évêques et prêtres de la nation
melkite ainsi que les missionnaires latins à Deir el Qâmar, en 1762, Il
ordonna lecture des Bulles pontificales, confirma Théodose VI dans
le patriarcat, et enjoignit à tout le clergé et au peuple melkites de lui
offrir respect et obéissance complète. Cependant, le P. Jean 'Ajéimi
prétendit que le siège patriarcal lui devait une somme de 20 000 piastres,
ce qui était absolument faux, ajoutent les Annales. Mais, en vue de la
paix et pour faire plaisir au délégué, qui s'était interposé dans cette
affaire, Théodose VI promit de les lui rembourser au moyen d'un écrit
officiel qu'il remit entre les mains du P. 'Ajéimi. Par l'élévation de
Théodose VI au patriarcat, le siège de Beyrouth demeurait vacant. Le
même P. 'Ajéimi obtint de même, dans ce synode, que Mgr Basile
Jelghaf, de Saida, fût transféré sur le siège de Beyrouth, et que le dio-
cèse de Saïda fût adjugé à Jauhar (4).
Après ce synode, le nouveau patriarche alla, suivant l'habitude, offrir
ses civilités au cheikh 'Ali Gemblatt, gouverneur de Beyrouth; il en
fut accueilli avec enthousiasme, rapportent les Annales. Théodose VI
reçut le pallium à Saint-Jean d'Acre des mains de Mg^ Basile Jelghaf, et
le peuple melkite fut rempli d'allégresse à cette fête triomphale (5).
P. Bacel.
(1) Tous ces détails nous sont fournis par les Annales, t. 1", cah. XXX, p. 417-418.
(2) Lettre de Maxime SîUal à la Propagande. 23 janvier 1763.
(3) Annales, t. I", cah. XXX, p. 417.
(4) Loc. cit., p. 418.
(5) Annales, t. 1", cah. XXXI, p. 423; lettre de Jauhar, 24 juillet 1766.
UN ANCIEN BOURG DE CAPPADOCE
SADAGOLTHINA
Un journal turc de Constantinople, le Tanine, dans son numéro du
2"^ décembre 191 1, v. s. (= 6 janvier 1912, n. s.), insérait une cor-
respondance de province annonçant une découverte archéologique qui,
pour avoir été tout à fait fortuite, n'en est pas moins intéressante.
Ali Riza Effendi, secrétaire du kaïmakam de Kotch-Hissar, au nord-
est du sandjak de Koniah, se promenait aux environs du village de
Kara-Moull-Ouchak, à une demi-heure de distance de la rive du lac
salé appelé Touz-Gheul (le Taitœa Palus ou Tatta Palus des anciens),
sur les ruines d'une ancienne tour de défense. 11 y découvrit un monu-
ment qui lui parut être un tombeau.
Cette trouvaille l'ayant amené à prendre des informations, il constata
que les habitants de Kara-Moull-Ouchak, fidèles à une vieille habitude
orientale, tiraient de ces ruines des matériaux pour leurs constructions.
Ils y avaient recueilli, entre autres choses, deux fragments en bronze,
marqués de croix et portant des représentations de serpents et de
fleurs, qui semblent appartenir à des couvercles de sarcophage. Quelque
temps auparavant, sur une des pierres apportées au village, on avait
reconnu une inscription grecque portant ces mots : yUle de Sadagolthina.
A la suite de ces constatations, défense a été faite aux villageois de
continuer à emprunter aux ruines leurs matériaux de construction (i).
Ce n'est que quelques jours après l'annonce de ces découvertes que
M. Carolidis, député ottoman de Smyrne et historien estimé dans le
monde scientifique grec, en a signalé l'importance aux lecteurs du
Tanine et du Lloyd Ottoman (2).
Les trouvailles d'Ali Riza Effendi et des paysans de Kara-Moull-Ouchak
nous fournissent, en effet, l'identification d'une antique localité cappa-
docienne qui n'est pas sans intérêt historique.
Le chronographe Philostorge (né vers 364, mort après 425) nomme
la bourgade de Sadagolthina comme pays d'origine des aïeux d'UI-
philas, le célèbre évêque des Goths au iv« siècle (3).
(i) Tanine, à la date citée.
(2) Tanine, numéro du 3i décembre 191 1, v. s. (= i3 janvier 1912, n. s.) et Lloyd
Ottoman, même date.
(3) Philostorge, Ecclesiasticœ Historiœ, 1. Il, n. 5, dans Migne, P. G., t. XLV,
col. 467.
62 ÉCHOS d'orient
La vaste contrée, qui s'étend du littoral de la mer Noire à celui de
la Baltique, était occupée, vers le milieu du m*' siècle de l'ère chré-
tienne, par les Goths. En 264 (i), ces peuples barbares se ruèrent sur
l'Asie Mineure, envahirent la Cappadoce, la Galatie et la Bithynie. Un
grand nombre d'habitants de ces provinces furent emmenés par eux
en captivité. Parmi ces captifs se trouvaient des chrétiens et des clercs,
qui demeurèrent fidèles à leur foi et prêchèrent l'Evangile à leurs vain-
queurs (2). Les ancêtres d'Ulphilas firent partie de cette déportation.
C'étaient, affirme Philostorge, des Cappadociens originaires de la bour-
gade appelée Sadagolthina, près de la ville de Parnassos (3).
Certains critiques ont cru pouvoir — à tort, pensons-nous, — con-
sidérer ces données comme une fiction tendancieuse de Philostorge.
Tels Esberg, BesselL Rappaport, Kirchner, etc. (4). Mais des érudits
non moins compétents, comme Boehmer et Erbiceanu, ne font pas dif-
ficulté d'y ajouter pleinement foi (5). Cappadocien lui-même et origi-
naire de la ville de Borissos (6), peu éloignée des localités ci-dessus
mentionnées par lui, Philostorge pouvait être particulièrement bien
informé au sujet de l'invasion des Goths dans son pays. Sa précision
à noter le lieu d'origine des aïeux d'Ulphilas s'explique donc sans
peine.
La récente découverte confirme parfaitement l'exactitude de ses ren-
seignements géographiques. Il place Sadagolthina près de Parnassos.
(i) Viia Gallieni, xi, i.
(2) Philostorge, loc. cit. Voici la remarque que fait à ce propos Tillemont : « Cela
éclaircit beaucoup ce que dit saint Basile, Epist. CCCXXXVIII, que les semences de
la religion parmi les Goths venaient de la Cappadoce, par le moyen du bienheureux
Entyche, homme d'une vertu éminente qui, par la puissance du Saint-Esprit et par
la force des dons qu'il en avait reçus, avait adouci le cœur des barbares. * Tillemont,
Histoire des empereurs, t. III. Bruxelles, 1782, p. 180. Voir aussi saint Basile,
Epist. LXX, dans Migne, P. G., t. XXXII, col. 436 : le grand évêque y rappelle que le
pape saint Denys (259-268) contribua généreusement au rachat des captifs cappadociens.
(3) TauTTi; TTÎ? a'txixaAwcrîaç ye^dveo-av xal oî OùpçtXa Trp^yovo'., KaTrnaSo'xa-. (lÈv yàvoç,
TréXew; 8e Tzlrioiov Ilapvaa-o-oy, èx xw[iY); Se SaSayoWt'và xaXo-jfxévr,;. Philostorge, op. et
loc. cit.
(4) Esberg, De Ulphila. Stockholm, 1700; Bessell, Ueber das Leben des Ulfilasund
die Bekerung der Goten ^um Christentum. Gœttingue, 1860; Rappaport, Die Ein-
fœlle der Goten ins rœmische Reich. Berlin, 1899, P- 65; Kirchner, Die Abstainmung
des Ulfilas. Chemnitz, 1879.
(5) H. Boehmer, art. Wuljila dans Realencyklopœdie f. prot. Theol. und Kirche,
t. XXI, Leipzig, 1908, p. 549 ; C. Erbiceanu, Ulfila, viata si doctrina lui saii starea
crestinismuluî in Dacia Trajanà }i Aurelianà in seculul al IV. Bucarest, 1898, p. 26,
n. 2.
(6) Philostorge, op. cit., 1. IX, n. 9, col. 575. — La patrie de Philostorge, Borissos,
s'élevait à quelque distance au Sud. Son emplacement est aujourd'hui marqué par la
bourgade de Bor, dans le sandjak de Nigdé, voisin de celui de Koniah. Y. Cuinet,
op. cit., p. 798 et 834.
UN ANCIEN BOURG DE CAPPADOCE I SADAGOLTHINA 6}
Or, Parnassos est un ancien siège épiscopal de la seconde Cappadoce,
qui doit être localisé dans la région de Kotch-Hissar, à peu de distance
du lac de Touz-Gheul. C'est à Kotch-Hissar même que Hamilton met
l'emplacement de Parnassos, tandis que Ramsay l'éloigné de quelques
kilomètres, vers le Nord-Est (i). Ajoutons que les cartes actuelles, celle
de Cuinet, par exemple (2), signalent, entre Kotch-Hissar et la rivière.
Kizil Irmak (ancien Halys), une localité appelée Parlassan, dont le nom
semble bien être une légère déformation de celui de Parnassos, et dont
le site répond, d'ailleurs, aux données historiques concernant cette
ville.
Sa dagolthina et Parnassos s'élevaient donc l'une et l'autre non loin
des rives du grand lac salé de Touz-Gheul ou de Kotch-Hissar (3), à la
partie septentrionale où ce lac forme un golfe assez profond, à peu
près à mi-chemin entre Iconium de Lycaonie et Ancyre de Galatie, à
peu près aussi au centre du triangle dont les trois côtés relieraient ces
deux dernières cités avec la capitale de la Cappadoce, Césarée. Il est aisé
de reconnaître dans le nom de Sadagolthina la racine sanscrite sada
signifiant « siège, résidence, sol », qui a donné en grec eSoç et en latin
sedes (4).
S. Salaville.
(i) Ramsay, The historical Geography of Asia Minor, Londres, 1890, p. 298-299;
S. PÉTRiDÈs, art. Parnassus dans The catholic Encyclopedia, t. XI, New-York, 191 1,
p. 507.
(2) V. Cuinet, la Turquie d'Asie : Géographie administrative, statistique descrip-
tive et raisonnée de chaque province de l'Asie Mineure. Paris, 1892, t. I", p. 798.
(3) Au sujet du lac Touz-Gheul (nom turc, signifiant simplement lac salé), qu'on
appelle encore lac de Kotch-Hissar, du nom du caza ou arrondissement où il se
trouve, on peut consulter : Texier, Asie Mineure, description géographique, histo-
rique et archéologique. Paris, 1862, p. 56o-56i ; V. Cuinet, op. cit., p. 8i5.
(4) Je dois cette indication à l'obligeante érudition de M. Carolidis. Qu'il me soit
permis de le remercier ici. On connaît d'autres villes cappadociennes dont le nom
est également formé de cette racine. Telles sont Sadakora, Sadagena, etc. Cf. Pape,
Wœrterbuch der griechischen Eigennamen, Braurschweig, 186J-1870, p. i326.
LE NOUVEL ÉVÊQUE GREC CATHOLIQUE
M^^ ISAIE PAPADOPOULOS
Dans la liste des évêques préconisés par S. S. le pape Pie X au Con-
sistoire du ler décembre 191 1, les catholiques d'Orient ont pu remarquer
avec joie le nom de Mg^ Isaïe Papadopoulos, nommé évêque titulaire
de Gratianopolis, avec juridiction ordinaire sur les fidèles catholiques
de rite grec dans les limites du vicariat apostolique de Constantinople.
On sait que jusqu'ici les groupes grecs catholiques de ce vicariat rele-
vaient directement de S. Exe. le Délégué apostolique et n'avaient pas
d'évêque de leur rite.
Le nouvel évêque appartient à la petite Société de la Sainte-Trinité,
communauté de missionnaires dits Pères grecs de Péra, fondée en 1861
par le R. P. Hyacinthe Marangos, prêtre latin originaire de Syra.
Nous sommes heureux de présenter à nos lecteurs une notice bio-
graphique du nouveau prélat.
Mgr Isaïe Papadopoulos est né à Pyrgos, dans le Péloponèse, en
février 1855, de parents orthodoxes. Jeune encore, il fit, à Athènes, la
connaissance du R. P. Hyacinthe Marangos, par l'intermédiaire duquel
il se sentit attiré par Dieu vers l'Eglise catholique. Le fondateur de l'œuvre
des Missions grecques catholiques l'emmena à Constantinople où, après
un certain temps d'étude, le jeune homme fit son abjuration, en 1877.
Le P. Isaïe Papadopoulos fut ordonné prêtre en 1882, par un prélat
grec converti, Mgr Benjamin Evsévidis, ancien évêque titulaire de Néa-
polis et auxiliaire de Bosna-Séraï (i).
Le nouveau prêtre déploya son zèle dans la fondation de plusieurs
missions en Thrace. En 1884, il fonde la mission de Malgara, non loin
de Gallipoli; puis, un peu plus tard, celles de Daoudéli et de Lisgar.
(i) M" Benjamin Evsévidis, évêque titulaire de Néapolis et auxiliaire de Bosna-Séraï,
était depuis longtemps catholique de cœur, lorsque, en i858, il fut appelé au Phanar
pour s'y justifier de ses tendances, arrêté par suprise et conduit, pour y être détenu,
au monastère bulgare Saint-Jean-du-Rilo, près de Samakof. Il demeura ferme dans
son attachement à l'Eglise catholique et fut délivré, dans des circonstances drama-
tiques, par les soins de l'ambassade de France à Constantinople. Voir le récit détaillé
de ces circonstances, publié par M. Ferdinand Ronzevalle, consul de France en retraite,
alors attaché au vice-consulat de France à Philippopoli, qui opéra la délivrance. F. Ron-
zevalle, Un épisode de l'histoire contemporaine des Eglises d'Orient : Captivité et
délivrance d'un évêque grec (août i858), dans les Etudes, 20 août 1899, t. LXXX,
p. 528-536. M" Benjamin Evsévidis vécut ensuite à Constantinople jusqu'en iSgS, date
de sa mort.
LE NOUVEL ÉVÊQUE GREC CATHOLIQUE 65
)ans les deux premières, le P. Isaie établit une église et une école. La
roisième est une mission bulgare qui dépend de S. G. Me^ Petkov,
icaire apostolique des Bulgares-Unis de Thrace et de Bulgarie. Chacun
es deux postes de Malgara et de Daoudéli est aujourd'hui occupé par
eux prêtres de rite grec, que le P. Isaie a lui-même initiés, par son
xemple, au ministère apostolique.
Le 29 juillet 1909, S. Exe. Mgi- Sardi, délégué apostolique de Con-
tantinople, nomma le P. Isaie Papadopoulos vicaire général pour le
ite grec et directeur de l'œuvre des Missions grecques.
C'est à Malgara que le P. Isaie a consacré la plus grande partie de
on temps et de son activité de missionnaire. 11 s'y trouvait encore
)eu de jours avant sa préconisation au titre épiscopal de Gratianopolis.
Au cours de sa carrière apostolique, le P. Isaie a eu plus d'une fois
i souffrir de la part des adversaires de l'Eglise catholique. Citons un
tpisode récent. Le 21 février 19 10, il débarquait à Péramos, bourgade
voisine de Panderma, dans la presqu'île de Cyzique, où l'avaient appelé
[uelques familles catholiques, et d'où un autre prêtre grec catholique
vait été brutalement expulsé dix-huit mois auparavant. A peine arrivé,
e P. Isaïe y subit les plus indignes traitements, qui ébranlèrent sa santé
)our plusieurs semaines (i).
Lorsque ces lignes paraîtront, la cérémonie du sacre de M^r Isaïe
'apadopoulos, fixée au dimanche 21 janvier, aura été accomplie, selon
outes les règles du Pontifical byzantin, dans la cathédrale latine du
aint-Esprit à Constantinople.
Nous offrons au nouvel évêque grec catholique nos respectueuses
élicitations, avec nos meilleurs souhaits de prospérité pour la petite
iglise grecque unie qui salue en lui son chef vénéré, et qui ne saurait
rop remercier S. S. le pape Pie X de le lui avoir donné.
Sévérien Salaville.
K.adi-Keui', le 14 janvier 1912.
(i) Voir Echos d'Orient, t. XIII, 1910, p. 120-121.
Echos d'Orient, t. XV.
LES CHRÉTIENS DE TURQUIE
ET LA QUESTION SCOLAIRE ET MILITAIRE
La situation des chrétiens de Turquie, au point de vue scolaire et mili
taire, vient d'être enfin réglée, au moins d'une manière provisoire.
Cette question était soulevée depuis longtemps; notre collaborateur
G. Bartas la signalait dès le mois de mars dernier (i). Sans doute ell
fût bien des mois encore restée en suspens, tranchée à demi, donnant
prise à des mesures arbitraires, si l'énergie des chefs des nations chré-
tiennes n'eût comme arraché de force une réponse que l'on s'obstinait
à retarder.
Celte étude, pour exposer avec quelques détails les manœuvres offi-
cielles ou secrètes qui ont amené la solution et les bases juridiques sur
lesquelles elle s'appuie, nous amènera à toucher à des questions poli-
tiques. On ne saurait les éviter entièrement lorsqu'on s'occupe des
patriarches orientaux, qui ne sont pas seulement des chefs spirituels,
mais se trouvent aussi investis d'une certaine juridiction civile, et, on
le sait, les occupations qui leur incombent à ce dernier titre ne sont
pas les moindres de leurs fonctions.
. Nature de la auESTioN scolaire.
Sous l'ancien régime, l'enseignement était libre de fait en Turquie.
Moyennant quelques formalités, souvent, il est vrai, difficiles à rem-
plir à cause de la mauvaise volonté de l'administration, mais en très
petit nombre, toute communauté chrétienne pouvait avoir ses écoles
à elle, et, une fois l'autorisation accordée, y jouissait en fait de la plus
entière indépendance à l'égard du ministère.
La Jeune-Turquie trouva par trop libéral ce régime qu'acceptait
Abd-ul-Hamid. Elle avait appris des gouvernements européens la puis-
sance de l'école; elle ne pouvait la négliger. Aussi, dès le premier jour,
se montra-t-elle décidée à pénétrer dans ce domaine autrefois inviolé
à y envoyer ses inspecteurs, à y introduire ses programmes.
Mais jusqu'à quel point interviendrait le gouvernement? Cette intru|
sion ne pouvait être livrée au caprice des fonctionnaires, aux hasardsj
(i) Echos d'Orient, mars 191 1, p. 122.
LES CHRÉTIENS DE TURQUIE 67
des circonstances. L'absence d'une réglementation commune et uni-
forme constituait une situation fausse et dangereuse pour les chrétiens.
Continuer à opposer dans les provinces une résistance isolée aux agents
du pouvoir, c'était s'exposer à de perpétuels reculs devant la force.
Un tel état de choses devenait plus inquiétant encore à qui se ren-
dait compte des tendances nouvelles de la Jeune-Turquie. Virant de
bord, le Comité Union et Progrès s'est tourné résolument vers l'isla-
misme. L'unité ottomane l'obsède plus que jamais, et, pour la réaliser,
il trouve un moyen radical, s'appuyer sur l'élément turc et musulman,
sans souci des autres nationalités. L'Etat ottoman sera soumis à
Mahomet ou ne sera pas, telle est la formule qui le dirige en pratique.
Cela doit amener à brève échéance la suppression des droits civils
concédés aux chefs des communautés chrétiennes.
Dans ces conditions, le gouvernement, respectueux et docile devant
le Comité qui inspire tous ses actes, ne se sentait nullement incliné
.à donner une confirmation officielle à l'ancien état de choses, et, d'autre
Ipart, le moment ne semblait pas encore venu d'en signifier publique-
ment l'abolition. Pour ménager à la fois les chrétiens et le Comité, il
refusait de répondre ou renvoyait à plus tard une solution souvent
réclamée.
Lasses d'attendre, les communautés grecque, arménienne et bulgare
prirent, au mois de mai dernier, l'initiative d'une demande plus pres-
sante. Afin sans doute que le ministre des Cultes ne pût excuser ses
délais par la multiplicité de ses occupations, le Phanar lui facilita le
travail en lui présentant un exposé complet et détaillé, en dix-sept
articles, de tous ses désirs, dans un acte officiel {takrir) auquel il suf-
.tirait d'ajouter le sceau impérial. Ainsi au temps de Hamid, celui qui
voulait obtenir une signature devait parfois, pour alléger la peine de
l'employé, prendre lui-même le calame, le tremper dans l'encre, le
déposer dans la main du magistrat, et, pour un peu, conduire ses nobles
-doigts sur le papier.
Toutefois, ce n'est pas à l'indolence qu'on se heurtait ici ; c'est un
mauvais vouloir qu'il fallait vaincre. On ne s'y trompait pas. Aussi les
chrétientés appuyaient-elles leurs demandes sur des bases solides. Elles
se réclamaient de la Constitution, de cet article fondamental qui promet
à tous les Ottomans une entière égalité dans l'empire. Un rapide coup
d'œil jeté sur les projets présentés par les Grecs nous permettra de
juger comment ils entendaient la mise en pratique de cette égalité.
Voici les principaux.
En ce qui touche à la fondation des écoles, celles qui ont été ouvertes
68 ÉCHOS D ORIENT
jusqu'ici sans permission devront naturellement être approuvées tout
de suite, et, pour en établir de nouvelles, il suffira d'avertir le minis-
tère, qui l'approuvera de même.
Les programmes, et c'est là un des points des plus importants,
devront être composés et sanctionnés par les métropoles; il suffira de
les présenter au gouvernement dans leur teneur générale; les diplômes
délivrés par les chefs religieux et présentés au ministère auront autant
de valeur que ceux des écoles du gouvernement.
Pareillement, ce sont les pouvoirs spirituels seuls qui délivreront
aux maîtres des certificats d'aptitude.
Enfin, les inspecteurs officiels n'entreront dans une école libre
qu'après avis préalable donné aux patriarches ou métropolites.
On le voit, toutes ces demandes s'inspirent d'une conception spéciale
de l'égalité. Elles ne visent pas à concéder directement aux individus
les mêmes avantages sous un pouvoir unique, mais à constituer, à
côté du gouvernement central, d'autres autorités presque indépendantes
et jouissant à l'égard des écoles confessionnelles de droits égaux à
ceux du gouvernement sur les écoles publiques. En un mot, on veut
établir une égalité ottomane fondée sur le régime des privilèges. Ceci
appelle quelques mots d'explication.
A première vue, les termes d'égalité et de privilèges paraissent
inconciliables, l'un étant la négation de l'autre. Ce n'est là qu'une
apparence, vite dissipée quand on précise la vraie portée des formules.
En Turquie, les privilèges ne sont pas pour les chrétiens des droits
civils supérieurs à ceux dont jouissent les musulmans, mais des droits
à peu près égaux et parallèles à ceux-ci.
La loi turque, religieuse et musulmane par nature, pourra bien régler
tout ce qui concerne les fidèles de Mahomet, mais il n'en va pas de
même des chrétiens. Sur un certain nombre de matières relevant plus
ou moins directement du droit canon, l'administration, pour être vrai-
ment équitable, devra se fonder sur les principes de la loi chrétienne;
c'est sur ces points que portent la plupart des droits civils, concédés
par des pièces officielles ou par la coutume, et décorés du nom de pri-
vilèges. Ils peuvent se concilier avec une égalité bien entendue.
Les chefs religieux investis de cette juridiction jouissent, par le fait,
d'une certaine autonomie. 11 va de soi que cette indépendance à l'égard
du pouvoir sera toujours relative. Mais entre la suppression entière des
privilèges où voudraient aboutir les Jeunes-Turcs du Comité Union et
Progrès, et l'exemption presque totale de contrôle officiel que demandent |
les patriarcats, il y a place pour un juste milieu. C'est là qu'un pou-
LES CHRÉTIENS DE TURQUIE 69
voir sage chercherait un parfait équilibre entre les deux tendances.
On conçoit cependant que les communautés réclament le maintien
complet de leur ancienne situation et n'aillent pas se dépouiller elles-
mêmes avec un héroïsme civique et un désintéressement dont peu sont
capables, et qui serait peut-être assez naïf.
11. Etat de la question militaire.
Bien plus facile à exposer sera l'état de la question militaire, à laquelle
le même takrir du mois de mai proposait une solution détaillée en
onze articles. Elle est plus récente et n'a jamais été l'objet de privilèges
spéciaux.
Admises en principe dès 1839, promises de nouveau en 1856, la
suppression de l'impôt du sang et l'admission des chrétiens dans
l'armée ottomane ne sont devenues des réalités que sous le nouveau
régime jeune-turc.
. La circulaire ministérielle, qui réglait d'une manière provisoire les
cas les plus urgents de la nouvelle situation, était loin de tout résoudre
pour le mieux. Les soldats chrétiens se trouvaient assez mal à l'aise
dans une caserne remplie de Turcs. Le petit catéchisme à l'usage du
soldat, qu'avec un zèle louable composa naguère l'économe Léonce, et
que fit distribuer gratuitement aux siens le patriarcat œcuménique,
pouvait bien parer à certains inconvénients, mais il en était d'autres
engendrés par la différence de langue, de religion, de coutume, qui
demandaient une solution officielle.
Ici encore, les chrétientés réclament l'égalité absolue des Ottomans.
Ainsi demande-t-on un recrutement plus équitable, fait suivant de nou-
velles circonscriptions militaires; l'admission de tous sans distinction
aux écoles supérieures militaires, et la faculté d'obtenir les grades les
plus élevés; la traduction des règlements en diverses langues à l'usage
de ceux qui ignorent le turc; le changement des lois trop exclusive-
ment musulmanes, pour les mettre à la portée de tous. Ce dernier
point, qui forme l'aspect religieux de la question et nous intéresse
surtout, vaut qu'on entre davantage dans le détail. Les patriarcats
estiment nécessaire :
1» De modifier les lois et règlements à un point de vue plus général
qui embrasse la religion, les coutumes et les mœurs de tous les
soldats;
. 2° D'interdire tout changement de religion durant le séjour sous
les drapeaux;
70 ÉCHOS D ORIENT
y De modifier V introduction du règlement intérieur, de façon à mon-
trer que l'armée n'est ni chrétienne ni musulmane;
40 D'établir pour les chrétiens des prescriptions sur les mœurs et
coutumes partout où il en existe de semblables pour les musulmans ;
50 D'admettre un prêtre partout où se trouve un imam ;
6° D'accepter dans chaque division et pour chaque confession chré-
tienne différente un prêtre, qui s'occupera de tous les soldats de cette
division;
7° De prévenir les insultes et mauvais traitements dont les soldats
chrétiens pourraient être l'objet, en leur permettant le recours immé-
diat au chef de la division.
Le takrir se hasardait à exprimer, en finissant, quelques désirs
touchant une diminution du service, ou la possibilité de le faire dans
sa propre circonscription, ou enfin des exemptions en faveur des fils
uniques ou autres.
On le voit, toutes ces demandes, sauf les dernières, s'inspiraient
vraiment du principe posé à la base, de l'égalité absolue des Ottomans
dans l'empire, tant au point de vue matériel qu'au point de vue reli-
gieux.
m. RÉPONSE ORALE.
Les takrirs grec, arménien et bulgare, envoyés simultanément au
ministère, ne tardèrent pas à être publiés et firent grande impression.
Les milieux turcs s'en offensèrent. Ils y virent ou affectèrent d'y voir
une tentative de coalition chrétienne contre les musulmans. A la vérité,
il y avait à cela quelque fondement. Ce n'était pas aux Turcs qu'on
s'en prenait, mais au Comité secret et à ses tendances manifestement
trop islamiques. L'opinion publique s'échauffa, excitée par les com-
mentaires envenimés de la presse, et de plus grandes divisions étaient
à craindre.
Cependant, le gouvernement mieux renseigné garda son sang-froid.
Les ministres de la Guerre, de l'Instruction publique, de la Justice et
des Cultes eurent mission d'examiner, chacun à son point de vue, les
désirs exprimés. Les travaux furent pénibles, à en juger par le temps
qu'ils durèrent.
Un mois et demi et plus la réponse fut attendue en vain. Enfin, vers
le milieu d'août, les représentants des principales communautés chré-
tiennes, Grecs et Bulgares, Arméniens grégoriens et Arméniens catho-
liques, Chaldéens, réunis au ministère de la Justice et des Cultes,
LES CHRÉTIENS DE TURQUIH 7I
reçurent l'assurance que la plupart de leurs demandes étaient agréées.
Par ces déclarations conciliantes, gage de sa modération, le pouvoir
se montrait donc disposé à s'affranchir, dans le cas présent, de la
tutelle du Comité.
Les membres de l'Union et Progrès, on le devine, reçurent, avec un
dépit mélangé de colère, ces promesses officielles. Ils souhaitaient aux
événements une autre issue.
Quant aux chrétiens, l'impression fut diverse. Les Arméniens, les
Bulgares et d'autres s'en seraient volontiers contentés, estimant impK)S-
sible de tout obtenir. Le Phanar, au contraire, craignant ou feignant de
craindre que cette réponse orale ne fût un moyen d'éluder une solu-
tion positive du problème, exigeait une réponse écrite, et sous forme
de loi. 11 voulait tout ou rien. Certaine mauvaise langue assura même
qu'il tenait à se séparer de ses confrères, afin d'obtenir seul la prolon-
gation de privilèges dont il jouit seul jusqu'à présent, touchant la fon-
dation des écoles.
Y eut-il de fait séparation entre les Grecs et les Bulgares? On l'a
prétendu. Les Grecs l'ont nié.
En tous cas, l'exarchat sera le fidèle compagnon du Phanar dans les
manifestations qui vont commencer en vue d'obtenir une réponse écrite
à tous les projets présentés au gouvernement.
IV. « La voix DES PROVINCES. »
Huit jours à peine s'étaient écoulés depuis la communication du
ministre des Cultes, qu'arrivèrent à la Sublime Porte des dépêches
d'Adana. Les Grecs orthodoxes de cette ville et des environs, réunis
en assemblée sous l'im.pulsion d'une force secrète, avaient tout à coup
éprouvé le besoin de faire savoir au gouvernement leur désir de voir
enfin établi dans l'empire un régime d'égalité véritable, basée sur l'ac-
ceptation totale et immédiate des propositions relatives à l'armée et aux
écoles. Le lendemain, Salonique tint des réunions semblables et expédia
des dépêches identiques. Puis ce fut le tour de Smyrne. C'est un coup
monté par le patriarcat, écrivait dès lors le Tanine; nous pouvons
nous attendre à les voir tous arriver l'un après l'autre. Le directeur
de la Proodos, M. Spanoudis, qui voulut relever le mot, sans doute
parce qu'il avait porté, s'en tira avec une longue phrase alambiquée
qui ne niait rien.
De fait, les réunions et les adresses continuèrent. Après Smyrne vint
Rodosto, puis Adalia, Constantinople, etc. « La voix des provinces »
72 ECHOS D ORIENT
fit entendre longtemps encore et comme à intervalles marqués ses appels
monotones. Voyons celui de la capitale, nous les connaîtrons tous.
Dépouillée des amples atours dont un Grec sait revêtir sa pensée,
cette adresse se réduit à un syllogisme régulier de forme, et point du
tout révolutionnaire quant au fond.
L'empire ottoman doit devenir puissant.
Or, cette puissance suppose l'égalité des citoyens.
L'empire ottoman doit donc accorder aux citoyens grecs cette égalité
que lui demande le patriarche.
Et de peur que le Turc ne demeurât insensible devant Aristote, les
Bulgares de Macédoine soutenaient leurs confrères, toujours d'ailleurs
sur le même ton.
On essaya bien aussi, dans la Proodos, d'ébranler les Arméniens et
de faire passer pour une importante manifestation en faveur des
demandes une réunion tenue à Amasée. Mais cette tentative de
déclanchement fut inutile, l'Arménie ne bougea pas.
V. Campagne de presse.
En même temps, les journaux remplissaient leurs colonnes de
longues diatribes contre le Comité Union et Progrès, à qui l'on s'en
prenait surtout, car c'était lui sans doute qui empêchait une réponse
écrite, afin de pouvoir au moment propice obtenir sans peine du Par-
lement une loi générale qui réglerait d'un mot la situation de tous
les Ottomans, sans tenir compte de leur religion ou de leurs usages,
ou bien ne s'adressant qu'aux musulmans.
Au reste, cette campagne de presse fut assez mal conduite. Rares
furent les articles allant directement au sujet. On eût dit que l'on
redoutait les précisions, et comme à plaisir on généralisait le pro-
blème, au risque bien souvent d'en sortir. A part quelques envolées
aussi anodines que superbes, la plupart des articles se contentaient
de commenter au jour le jour, au hasard des impressions, les adresses
des provinces, et à protester que jamais le pouvoir turc ne réussirait
à anéantir les nationalités chrétiennes ou à les absorber dans l'élément
islamique. Les journalistes avaient mille fois raison. Une unité ottomane
qui ne compterait pas avec elles est une utopie irréalisable. Tout le]
monde le voit.
Mais ce n'est là que le côté négatif du problème, et l'autre face
pas été mise en évidence.
Il fallait surtout faire comprendre à ces politiciens improvisés, ép
LES CHRETIENS DE TURQUIE 73
de procédés simplificateurs, qui ne conçoivent l'unité que par la même
réglementation imposée aux cas les plus divers, qu'il y a une unité plus
haute, admettant autant de lois différentes qu'il y a de faits concrets
particuliers à régulariser.
Naguère à propos de l'action russe en Pologne, M. Maurras (i) sou-
mettait aux nationalistes de Saint-Pétersbourg de lumineuses et fortes
pensées qui auraient en Turquie une merveilleuse actualité. « Autant
de peuples, cependant, autant de situations et de catégories différentes!
Autant de problèmes qu'il vaut mieux isoler et détailler que de traiter
€t résoudre en un bloc de grossière, approximative et fausse synthèse. »
C'est se laisser égarer par un « préjugé métaphysique du droit », par
une « Nuée », que de vouloir « substituer au règlement direct des faits
concrets de pauvres tentatives de généralisation juridique toujours
périlleuses », surtout si la violence doit intervenir.
« Ce qu'il faut craindre, ajoute M. Maurras parlant des Russes, c'est
qu'une politique de rigueur et de cruauté ne se retourne contre l'objet
qu'elle poursuit. Ils prétendent unifier et divisent. Ils prétendent con-
vertir ou déconvertir, au lieu qu'ils risquent de désunir à jamais et
de tout gâter de leur édifice historique. » (2)
Combien une telle politique ne serait-elle pas plus dangereuse dans
un pays où l'élément chrétien forme près du tiers de la population
totale de l'empire !
N'est-ce pas courir à l'anarchie que de supprimer, quand elle existe,
une telle réglementation directe des situations propres à chaque natio-
nalité? Car ce qu'on appelle, d'un mot ambitieux et trop charmeur
peut-être, les privilèges, c'est surtout cela, et, à peu de choses près, ce
n'est que cela (3). Les privilèges n'accordent point de faveurs particu-
lières, ils sont parfaitement conciliables avec une égalité bien entendue.
Voilà, semble-t-il, ce qu'il fallait prouver par tous les arguments
possibles. C'est justement le point que l'on a, comme à dessein, laissé
-dans l'ombre.
M. Chrysanthe Philippidès, par exemple, qui traita la question dans
l'organe officiel du Phanar, la Vérité ecclésiastique i^é^, négligea entière-
(i) Action française, 4 décembre 1911.
(2) Ch. Maurras, Action française, loc. cit.
(3) 11 ne suit pas de là que l'organisation actuelle soit l'idéal à tous les points de
vue. Il s'en faut de beaucoup : la réunion entre les mêmes mains du pouvoir religieux
et de droits civils est une source de graves abus, d'autant plus aisés que certaines
concessions n'ont qu'un rapport très éloigné avec le droit canon et la religion. Mais
c'est aller aux extrêmes que de vouloir tout supprimer pour corriger.
(4) 'Exx).ri<Tia(TTtxr, 'A)>i^6£ia, i" septembre 191 1, article STwjAsvxaXw;, p. 281-283.
74 ÉCHOS D ORIENT
ment le côté positif du problème, et se contenta d'affirmer l'impossi-
bilité où seraient les Turcs de s'assimiler les chrétiens orthodoxes par
la violence.
Il est vrai qu'alors l'âme du rédacteur était agitée d'une préoccupation
très vive, traduite en termes violents qui devaient, deux semaines plus
tard, porter ombrage à la cour martiale et motiver la suppression du
périodique.
Certaines Eglises orthodoxes de Turquie se laissent un peu trop
entraîner, inconsciemment ou non, par le tourbillon des forces centri-
fuges qui agissent autour de la Grande Eglise. Le moment parut favo-
rable à un ralliement. Ce fut le hiérodiacre Chrysanthe qui eut mission
de le sonner et de rappeler ceux des égarés qui pouvaient encore
entendre, Bulgares et Serbes, Albanais et Arabes. Il le fit dans le mani-
feste signalé déjà, St(Ô[jl£v xaAw^ : Tenons-nous bien.
On n'y soufflait mot des Koutzo-Valaques. Se seraient-ils déjà laissé
emporter trop loin, jusque dans les filets de la Propagande, dans les-
quels M. Ch. Philippidès craint (i) ^^ voir tomber leurs grands frères
de Roumanie par une excessive réaction contre certains scandales hié-
rarchiques?
La démarche du Phanar fut-elle du moins heureuse auprès des autres?
Hélas! il faut bien l'avouer, l'exarque bulgare, se voyant déjà soleil,
ne désirait aucunement redevenir planète. L'essai de réconciliation qui
avait échoué à la fin de 19 lo, et dont les Echos d'Orient ont parlé en
son temps (2), ne se trouve guère plus avancé à la fin de 191 1, même
après la crise présente. Au correspondant de la Patris d'Athènes, qui
lui demandait peu de jours après l'appel vibrant de la Vérité ecclésias-
tique, s'il n'y aurait pas lieu d'établir une entente plus étroite et plus
cordiale entre lui et le patriarche œcuménique, M?r Joseph laissa
entendre qu'il n'était pas trop mécontent de la situation présente. 11 se
peut que plus tard, ajouta-t-il, nous soyons obligés de nous unir plus
étroitement, mais souhaitons que les circonstances ne nous l'impo-
seront pas.
VI. Assassinat d'un métropolite grec.
Le gouvernement songeait alors moins que jamais. à grandir ses
prétentions. La guerre d'Italie absorbait son attention et ne lui laissait
(i) Vérité ecclésiastique, i3 août igii, p. 25o.
(2) G. Bartas, Rapprochement entre le patriarcat œcuménique et l'exarchat bul-
gare, dan^> Echos d'Orient, mars 191 1, p. 116-122.
LES CHRÉTIENS DE TURQUIE -Jt,
eter qu'un œil distrait sur la politique intérieure. Le nouveau ministère
enouvela les mêmes assurances pacifiques que le précédent et aurait
)ien voulu que l'on s'en contentât, au moins provisoir-ement. 11 n'en
ut rien. Les Grecs pensèrent que le moment était venu de lui forcer
a main et d'arracher de haute lutte la réponse écrite attendue. D'ail-
eurs, sur ces entrefaites survint un incident qui motiva toutes les
exigences; ce fut l'assassinat indigne d'un métropolite grec. Ce fait
trop soulevé de passions pour que nous n'en disions un mot. 11 ne
ut pas, du reste, sans influence sur la solution du débat que nous
voris à raconter.
Depuis assez longtemps, les chrétientés font parvenir à la Porte des
suppliques officielles (takrirs) qui dénoncent les violences de toute
lorte dont elles ont à se plaindre de la part des Turcs, et qui demandent
éparation. Elles ont été particulièrement nombreuses ces derniers
nois. La situation était-elle devenue moins supportable, ou voulait-on
lussi exercer sur le pouvoir une pression en faveur des demandes sur
'enseignement et l'armée? Cette dernière pensée sans doute n'en était
jas absente; le takrir grec du i«>* juillet, qui donnait une interminable
iste de violences subies par les orthodoxes, commençait par rappeler
lu gouvernement que la demande précédente attendait encore une
•éponse. Mais certainement aussi tant de faits énumérés n'étaient pas
maginaires, et les journaux en donnaient chaque jour de nouveaux de
:outes les parties de l'empire, spécialement de Macédoine. Ici, les
musulmans avaient pour alliés les turbulents Koutzo-Valaques. Dès la
fm du mois d'août, le jeune métropolite de Grévéna. Ms»" Emilien, un
irdent patriote qui leur tenait tête, dénonçait leur propagande roumaine,
Mitihellénique. La situation, disait-il, est intenable, et les Grecs ortho-
poxes commencent à perdre patience.
Cet état de choses ne fit qu'empirer les semaines suivantes. Lors de
a déclaration de la guerre contre l'Italie, les petits Etats voisins de la
[Turquie mobilisèrent. Cette effervescence gagna vite le pays lui-même
où tant de cœurs vibrent à l'unisson des cœurs étrangers et guettent
les occasions de le prouver. Le métropolite grec de Bodéna se plaignit
encore des Roumains. Le ministre de la Justice rejeta ces accusations,
mais par contre exigea le rappel immédiat du métropolite de Grévéna,
Mg'' Emilien, coupable de soulever le peuple et de travailler contre les
intérêts de l'Etat ottoman. Des ordres pareils furent lancés, et pour des
motifs analogues, contre les métropolites grecs d'Ephèse etdeSmyrne;
puis le lendemain contre celui de Cozan, tandis que celui de Drama
devait protester qu'il ne s'était jamais allié aux révolutionnaires. Enfin,
^6 ÉCHOS d'orient
l'organe officiel du patriarcat œcuménique venait d'être supprim(
comme séditieux.
C'est en ces circonstances qu'arrivèrent à Constantinople de{
dépêches annonçant que le vaillant M?*" Emilien de Grévéna venait d'êtn
égorgé dans une forêt avec son diacre et son domestique par de;
inconnus, au cours d'un voyage entrepris pour visiter une paroisse d(
son éparchie. Cette nouvelle atterra les milieux grecs. Tous les centre:
helléniques du monde entier firent, par leurs condoléances et leur:
chants funèbres, un lugubre écho aux sanglots de la capitale.
La nation entière porta le deuil de celui qu'elle appela, avec raison
semble-t-il, V ethnomartyr , martyr de la nation. On le vénéra, en o
début du xxe siècle, presque à l'égal de la grande victime dont le sanj
teignit l'aurore du xix^, le patriarche Grégoire V. S. S. Joachim III ei
personne établit ce parallèle, lorsque du haut de son balcon il bénit
avec la croix même de Grégoire V, le peuple rassemblé devant la grand
porte fermée où fut pendu l'illustre défenseur de l'indépendance hel
lénique.
Une fois passé le premier moment de stupeur, on se reprit. Il fallai
du moins obtenir un châtiment exemplaire des coupables. Hélas
disons-le tout de suite, les recherches ont été vaines.
Les premiers soupçons se portèrent sur des bergers roumains; tou
bas, à demi-mot, on insinuait même une inspiration supérieure, un
cause politique. Le député grec de Serbia, M. Boussios, osa même, ei
pleine Chambre dire aux députés de la majorité unioniste : « Le
assassins, c'est vous. » Mais les preuves manquèrent ou ne purent s
produire, et quelques semaines plus tard, le gouvernement assur
avoir la certitude que les coupables étaient ô dérision! deux Grecs
Zékos et Ramos, qui s'étaient enfuis en Hellade une fois leur cou
accompli.
N'allons pas à notre tour nous lancer à leur poursuite. Au reste, 1
lumière se fera un jour, et il est aisé de prévoir dans quel sens.
Vil. Résolutions désespérées.
Venant après tant d'autres, ce crime fut un sanglant plaidoyer é
faveur des victimes, à qui les sympathies allaient par le seul fait qu'elle
étaient victimes. Même les demandes relatives à l'armée et à l'ense
gnement, bien que nullement engagées ici, durent en bénéficier, Cc\
elles faisaient bloc avec l'ensemble des garanties de sécurité que 1
gouvernement se devait d'accorder aux chrétiens. De plus, l'empire^
LES CHRÉTIENS DE TURQUIE 77
îsoin de paix, et rien n'était plus propre à calmer les passions que
s concessions démandées.
Et cependant, il fallut attendre encore. Peut-être, comme il arrive
la faiblesse, le ministère ne voulut-il pas paraître céder devant la force.
Dès le milieu de novembre, le Phanar était exaspéré. Le saint synode
le Conseil mixte, réunis en assemblée plénière, sous la présidence
Li patriarche, prirent des mesures extrêmes, comme en fait seul adopter
désespoir. Ils en furent légèrement honteux le lendemain. Les jour,
aux tâchaient d'en atténuer la portée, plaidaient les circonstances
:ténuantes. Ainsi excuse-t-on un violent qui a frappé sans mesurer la
ortée des coups qu'il donnait.
Ces résolutions n'ont pas été divulguées, et pour cause. 11 n'est
^pendant pas téméraire d'essayer de les deviner par l'histoire du passé,
ous trouvons, en 1891, une situation parfaitement analogue à celle
i| 'aujourd'hui.
1 Abd-ul-Hamid avait déjà, longtemps avant les Jeunes-Turcs et avec la
Méthodique ténacité qu'on lui connaît, essayé de généraliser l'organi-
jjition administrative de son empire, de la laïciser en quelque sorte et
e supprimer une à une les concessions faites aux chrétiens. C'est
lême pour avoir résisté à des empiétements de ce genre que S. S. Joa-
him 111 dut, en 1884, descendre du trône patriarcal. 11 en fut de même
e son deuxième successeur, Denys V, en 1890. Pendant la vacance du
j|iège, grâce à l'énergie du métropolite actuel de Kadi-Keuï, M&'' Ger-
lain, l'interdit fut jeté et maintenu durant trois mois sur toutes les
giises grecques de Turquie. La Porte, redoutant un soulèvement,
îcula, et, en février 1891, rendit aux Grecs les droits dont ils ont
Dui jusqu'à présent.
Ne serait-ce pas à un expédient de ce genre que l'on aurait décidé
recourir dernièrement? Cela paraît d'autant plus probable, qu'on
avait laissé entrevoir aussitôt après l'événement tragique de Grévéna.
Quoi qu'il en soit, le patriarcat a agi, semble-t-il, un peu précipi-
amment et sous le coup d'impressions trop peu contenues. La vraie
ituation, froidement comprise, ne paraît pas avoir été assez grave
our justifier de pareils coups de théâtre. Pour recourir trop aisément
ux mesures extrêmes, on les fait déprécier (i).
I) Cette phrase a reçu encore ces jours derniers une confirmation inattendue. Le
endredi 22/9 décembre 191 1, S. S. Joachim III donnait tout à coup sa démission, au
rand étonnement universel. On n'en donnait pas de motifs, on insinuait cependant
n désaccord sur certains points avec le saint synode et le Conseil mixte. Dès le len-
emain, la démission était retirée devant les instances, imprévues, de la nation.
Ce sont là, en eflet, de vrais coups de théâtre, au sens propre du terme.
78 ÉCHOS d'orient
VIH. La réponse officielle.
Presque au moment même où ces résolutions étaient prises, la réponse
officielle était enfin délivrée par la Porte. Tout compte fait, les conces
sions étaient exactement celles qui avaient été promises au mois d'août
La campagne qui avait suivi n'avait obtenu que la réponse écrite.^
C'était, du reste, un grand point.
La lecture du ma{bata impérial laisse une impression favorable. Lej
ministère fait preuve d'une modération de bon augure. Les protesta-
tions avec lesquelles le Comité avait accueilli les premières promesses
conciliantes ne paraissent pas l'avoir trop ému.
Satisfaction complète est accordée aux chrétientés pour la question
militaire. Toutes les demandes qui s'inspiraient d'un sincère désir
d'égalité ont été acceptées par le gouvernement. Et si les dernières,
touchant des exemptions et autres faveurs particulières, ont été refusées,
c'est qu'elles étaient contraires à cette égalité. Les avantages dont
jouissaient les musulmans au point de vue politique ou religieux sont
supprimés ou concédés également aux chrétiens.
La mise en pratique de ces mesures n'ira pas sans de sérieuses diffi-
cultés, cela est incontestable. 11 n'en est pas moins vrai que le seul fait
de les avoir admises prouve l'intention de conserver une politique
fondée sur la reconnaissance des nationalités existantes et de leurs
situations diverses.
Bien autrement importante est la question scolaire.
Le ministre de l'Instruction publique est beaucoup moins libéral que
son confrère de la Guerre. Si les décisions qu'il prend nous laissent
bien en deçà des anciens projets radicaux du Comité de Salonique, il
n'entend pas cependant confirmer aux communautés chrétiennes leur
indépendance de jadis. 11 concède aux chefs spirituels la faculté de com-
poser les programmes, de délivrer eux-mêmes les diplômes aux élèves
sortants, les certificats d'aptitude aux maîtres, mais il veut que ces
programmes, diplômes et certificats lui soient présentés et aient son
approbation ; il exige la connaissance de la langue turque pour assurer
à ces diplômes la même valeur qu'à ceux des écoles publiques ; surtout
il refuse d'avertir préalablement les autorités religieuses chaque fois
que l'inspecteur du gouvernement devra visiter une école libre, el
entend trancher seul les conflits qui s'élèveront entre les professeur
et les inspecteurs officiels.
Qui pourrait trouver ces prétentions exagérées, surtout de la parj
d'un Etat musulman? La Commission patriarcale orthodoxe chargé
d
LES CHRÉTIENS DE TURQUIE 79
l'examiner en détail la réponse de la Porte, constata avec joie que la
plupart des désirs, ceux surtout qui touchaient de plus près aux pri-
vilèges, avaient été agréés.
Le Phanar, néanmoins, décida d'envoyer au ministère un nouveau
akrir, en vue d'obtenir aussi l'acceptation des autres points, non fort-
lamentaux il est vrai, mais cependant essentiels. On ne voit pas bien la
iistinclion. Il se peut que le gouvernement ne la voie pas davantage
t s'en tienne à sa réponse.
Le ma^hata impérial avait été délivré au milieu de novembre. Deux
ours plus tard, arrivait un ieskéré du ministère annonçant que la
éponse du gouvernement était une simple mesure administrative qui
levait, pour avoir force de loi, être soumise au Corps législatif. Cela
paraissait d'autant plus acceptable que les Grecs avaient eux-mêmes,
Si 3araît-il, réclamé au mois d'août un projet de loi. Mais à présent on
•edoutait l'influence de la majorité jeune-turque, dévouée au Comité.
1 n'en coûta pas de se dédire, et l'on protesta avec vigueur. Grave-
ilfinent, le directeur de la Proodos, le 23/10 novembre, écrivait un article
bloquent pour prouver l'incompétence de la Chambre en ces matières.
Le grand vizir et ses collègues durent être flattés de se voir investis
t d'un droit divin dont étaient privés leurs collègues les députés. Mais
e 3n imagine qu'ils ne furent pas persuadés.
Du reste, la juridiction viendra peut-être un jour au Corps législatif
lui-même, si, comme beaucoup l'espèrent et quelques-uns le croient,
le nouveau parti libéral Entente et Liberté fait des progrès au point de
conquérir la majorité au Parlement.
F. Cayré.
29 décembre 191 1.
BIBLIOGRAPHIE
M. HuBER, O. s. B., Die Wanderlegende von den Siebenschlœfern. Eine
literargeschichtliche Untersuchung. Leipzig, Harrassowitz, 1910, in-8°,
xx[-574-32 pages. Prix : 12 marks.
Le R. P. Huber consacre à la légende des Sept-Dormants un véritable
travail de Bénédictin. On en jugera par cette brève analyse.
L'ouvrage comprend trois sections, plus un appendice. La première
section, traitant de la transmission littéraire de la légende, étudie les textes
orientaux et occidentaux. Parmi les premiers se groupent les textes
syriaques, arabes (chrétiens et musulmans), persans, coptes, éthiopiens et
arméniens. Dans la seconde catégorie viennent les textes grecs et latins.
La deuxième section a pour objet le développement ultérieur de la
légende, que l'auteur examine successivement à travers les écrits des
chroniqueurs du moyen âge, dans la liturgie et dans les monuments,
puis à travers les diverses littératures nationales (anglaise, allemande»
Scandinave, française, italienne, espagnole, latine). Deux chapitres spé
ciaux sont réservés, l'un à la littérature arabe, l'autre à l'utilisation de la
légende par Mahomet.
Ces préliminaires étant posés, la troisième section s'occupe de l'origine
de la légende. C'est sans contredit la partie la plus intéressante du
volume. Dom Huber y recherche les attaches de cette légende avec certains
thèmes analogues des littératures anciennes et spécialement avec la litté-
rature biblique. Puis il se demande quelle est la langue dans laquelle elle
a pris corps pour la première fois. A son avis, cette langue ne serait ni
le grec ni le syriaque, mais bien le latin, représenté par le Cod. lat.
2j68 A de Paris (x« siècle). Du latin, elle aurait passé en grec, et du
grec en syriaque. La formation de la légende se rattacherait à une décou-
verte merveilleuse de corps saints qu'on aurait faite dans la région
d'Ephèse, et remonterait aux environs de l'an 450, peu après la mort
de l'empereur Théodose 11.
Ces conclusions ne seront certainement pas admises de tous les savants,
et en vérité l'exposé des preuves ne paraît pas de nature à établir la
pleine conviction. Du moins, ce sera le grand avantage de ce livre d'avoir
fourni amplement les matériaux de leur travail aux chercheurs que ce
sujet pourrait intéresser. Nous signalons spécialement, à ce titre, le
recueil de textes grecs, liturgiques et hagiographiques qu'on trouver
colligés, soit dans le corps de l'ouvrage, soit dans l'appendice. 11 y
cependant des oublis en ce qui a trait à la liturgie grecque. Les Menées
avec leurs offices des Sept enfants d'Ephèse, et l'Euchologe, avec sa
le
i
1
BIBLIOGRAPHIE
Prière des Sept-Dormants », auraient pu fournir matière à un chapitre
itéressant.
La discussion de la page 461 sur les mots Kapyriouiv et XaXxr,oo'jv aurait
u être moins laborieuse, si l'auteur s'était souvenu de l'équivalence des
eux noms, Chalcédoine ayant été originairement une colonie phéni-
ienne, et le nom de la métropole, Kap/r.Swv. ayant été légèrement modifié
ar les Grecs jen XaXxY,oajv. Voir A. D. Mordtmann, Die Phœnikier am
iosporus, dans Bosporus, Mitteilungen des deutschen Ausjlugs-Vereins
?. Albert. Constantinople, 1907, p. 35.
I S. Salaville.
'. TouRNEBizE, S. J., Histoire politique et religieuse de r Arménie. Y^SiV'xs,
A. Picard, in-8", 872 pages. Prix : 10 francs.
A ceux qui s'intéressent aux Eglises et aux peuples de l'Orient, le
(. P. Tournebize présente une étude complète sur l'histoire politique et
eligieuse de l'Arménie depuis les origines du peuple arménien jusqu'à la
lort de son dernier roi (iSqS). Une bonne partie de l'ouvrage a paru dans
a Revue de l'Orient chrétien, de 1902 à 1908. Au fur et à mesure que ces
rticles étaient publiés, une documentation nouvelle et plus sérieuse
permis à l'auteur de faire des rectifications indispensables. Il en résulte
ans la composition du livre un désordre apparent que le Révérend Père
econnaît volontiers. Malgré ce défaut, dont la disparition eût demandé
refonte à peu près complète de l'ouvrage, l'Histoire politique et reli-
gieuse de l'Arménie n'en est pas moins une œuvre de valeur, faite avec
plus grand souci de la critique, et basée sur une multitude de docu-
nents dont beaucoup sont inabordables aux profanes.
L'auteur étudie successivement l'Arménie depuis les origines jusqu'à
a conversion au christianisme, la prédication de l'Evangile dans ce pays,
es vicissitudes politiques et religieuses depuis l'abolition de la royauté
rsacide, vers 428, jusqu'à la mort du dernier roi de la Petite-Arménie
iSgS). Un dernier chapitre est consacré aux dogmes, à la discipline et aux
isages de l'Eglise arménienne, principalement au iv« et au v siècle. Une
xcellente table des matières permet de faire facilement les rectifications
lécessitées par la manière dont le livre est composé. Enfin, un index
Iphabétique très complet et trois cartes, malheureusement un peu
bscures, parce que manuscrites, terminent le livre. Nous souhaitons
olontiers à cette œuvre tout le succès qu'elle mérite par sa documentation
boudante et sa critique avisée.
R. Janin.
A. Ormanian, l'Eglise arménienne. Paris, Leroux, 1910, in-8<^, x-192
pages.
Echos d'Orient, t. XV 6
82 , ÉCHOS d'orient
Il nous serait difficile de faire les mêmes éloges à ï Eglise a}~ménienne
de M.s'- Ormanian, « ci-devant patriarche arménien-grégorien de Constan-
tinople » et plus anciennement encore moine antonin et catholique. On
dirait que l'auteur n'a eu pour but que d'accentuer encore les divergences
qui divisent l'Eglise arménienne et l'Eglise romaine. Quant à la critique
historique, il en est fait bon marché dès qu'il s'agit des relations avec les
Papes. Le livre est présenté par M. Bertrand Bareilles, pour qui les
dogmes sont immuables, mais la doctrine sujette à des variations (?).
Ajoutons que cet ouvrage a été condamné par un décret de la S. Gong,
de l'Index en date du 8 mai 191 1 .
R. Janin.
J.-C.-E. Falls, Dret Jahre in der libyschen Wiiste. Fribourg-en-Brisgaij
Herder, 191 1, in-8°, xviii-344 pages. Prix : 8 marks 5o.
Récit très vivant d'une expédition scientifique entreprise dans le déseï
de Libye par la mission de M^"' Kaufmann (mars iqoS-décembre 1908)
M. Falls ne se contente pas de nous décrire le voyage, il nous fait pai
des découvertes faites durant ces trois ans. Il a aussi étudié la religion e
les mœurs des Bédouins. Il consacre même une trentaine de pages à leur
chants. 192 photographies, très artistiques pour la plupart, rendent 1
livre plus attrayant encore. Un index alphabétique et deux cartes terminer
l'ouvrage.
J. Iannakis.
Manuel GÉDÉON, 'E7:t(nri(xa lyyçaîpa àvaç£p6[ji.£va sic zy. £yw/.AY,(7[a«7T'.y.à tjjjlwv
. Bixata.Constantinople. Imprimerie patriarcale, 1910, in-8°,viii-i 36 pages.
L'histoire des privilèges que le Phanar a obtenus de l'empire turc,
depuis la prise de Constantinople, est encore à faire, malgré l'essai
qu'en a tenté naguère (1910) M. Gédéon, dans sa Bpa/c;a crYi-j.suoT'.ç Tisût tw^
sxxX?j(jtaffT'.xwv Tjfxwv otxaicov OU dans ses <ï»àa£'.ç tou Tiaç, '7,[j,iv Ix/.Xr.aiaffTtxou
CTjTT^fxaToç, résumé du livre précédent. Je n'ai vu que ce dernier travail,,
mais comme il suit le premier pas à pas, il est aisé par l'un de les juger
tous deux.
Le grand archiviste du patriarcat aidera d'une manière très efficace
et beaucoup plus sûre à composer cette histoire par la publication des
documents qui s'y rapportent. C'est ce qu'il fait en partie dans le présen
fascicule, destiné à être le supplément de la Bpa/ôTa G-Y,a£it-)(7i?. Il y don
en traduction grecque divers bérats délivrés aux patriarches et aux évêque
des lettres officielles turques sanctionnant les décisions communes de
l'Eglise et de l'élite de la nation grçcque, et d'autres documents officiels
accordant divers droits à l'Eglise orthodoxe. Malheureusement, aucur
1
BIBLIOGRAPHIE 83
document n'est antérieur au xvir" siècle, alors que les principaux privi-
lèges étaient déjà concédés depuis près de deux cents ans.
Outre les explications d'importance trèsdiverse qui accompagnent chaque
pièce, M. Gédéon fait suivre sa liste de trois notices explicatives. Dans
la deuxième, il a éprouvé le besoin d'insister lourdement sur un Hatti-
Chérif obtenu de Mahmout I", en 1732, par les orthodoxes contre les
missionnaires catholiques. 11 aurait pu signaler aussi un firman de 1834
qui renouvelle les mesures de rigueur de 1732, mais ne pas oublier une
pièce de 1847 qui les abroge.
F. Cayré.
F. MouRRET, S. s., l'Eglise et le monde barbare. Paris, Bloud, 1909, in-8°,
494 pages. Prix : 7 fr. 5o.
Cet ouvrage est le premier volume paru d'une Histoire générale de
l'Eglise qui n'en contiendra pas moins de huit. L'auteur y étudie la première
période du moyen âge, de la chute de l'empire romain d'Occident à l'an
mil. Nous avons admiré l'aisance avec laquelle il a su mettre en lumière
cette période de l'histoire, somme toute si brillante et si mal connue, où
l'Eglise forma les peuples barbares, d'une manière si douce et si ferme tout
à la fois. Certains chapitres : Saint Grégoire le Grand, Charlemagne
et l'Eglise, saint Nicolas I", sont des tableaux animés où revivent les plus
glorieux épisodes du haut moyen âge. Tout en faisant l'histoire intérieure
ei extérieure de l'Eglise, M. Mourret ne néglige pas le côté apologétique,
et sa science avertie sera d'un grand secours dans la controverse historique.
Nous avons été heureux de voir utiliser, pour ce qui regarde l'Orient, maint
article de notre revue et les travaux de nos collaborateurs les PP. Pargoire
et Vailhé. La bibliographie, du reste, est abondante et choisie. C'est avec
joie que nous accueillons cette nouvelle Histoire générale de l'Eglise,
et que nous lui souhaitons le plus vif succès. Elle l'aura mérité, si nous
en jugeons par le présent volume.
R. Janin.
Jean PhOKILIDÈS '. XsuatTiTrou -jrpsaêuTépO'j 'IspoffoXûjxwv èYxa)[ji.tov £?ç tov "Ay. Mâp-
Tupa Oeoocopov, Irt Ss jcoù twv OaufxocTcov auTOu [xsptJtïj otrjyTiffti;. Extrait de la
Nsa S'.wv. Jérusalem, 191 1, in-8", vii-22 pages.
Des « nombreux écrits, dignes de passer à la postérité », que laissa Chry-
sippe, prêtre de Jérusalem, disciple de saint Euthyme, au v* siècle, il ne
reste plus que quatre discours. Deux sont connus, au moins dans leur
texte latin : ce sont une homélie sur l'Annonciation et un panégyrique
■de saint Jean-Baptiste; les deux autres, panégyriques de saint Michel et du
martyr saint Théodore, n'avaient pas encore été publiés. Celui-ci nous
84 ÉCHOS d'orient
est parvenu par deux manuscrits du x« siècle, l'un de la Bibliothèque
Nationale de Paris, l'autre de la bibliothèque du Saint-Sépulcre. C'est ce
dernier texte que M. Phokilidès édite le premier. Il n'a malheureusement
pu le collationner avec celui de Paris. Du moins a-t-il mis en note les
corrections qui lui ont paru nécessaires ou utiles.
Dans l'introduction, M. Phokilidès raconte la vie de Chrysippe et
donne quelques renseignements bibliographiques et critiques sur ce qui
nous reste de son œuvre. Les éléments de cette étude ont été empruntés
à un travail bien autrement précis que le R. P. Vailhé a publié dans la
Revue de l'Orient chrétien, 1905, p. 96 sq.
F. Cayré.
J. Oquet, Manuel de prières à V usage des fidèles du rite gt^ec. Beyrouth.
Imprimerie Alsabatt, 1902, in-32, xLvi-822 pages. En vente chez Miche(
Rahmé, éditeur, Beyrouth. Prix : 6 francs.
Sans avoir aucune prétention scientifique, cet élégant petit volume vaut'
d'être signalé à ceux de nos lecteurs qui s'intéressent à la liturgie byzantine
et désirent la voir mieux connue en Occident. Contribuer à réaliser ce
désir est précisément un des buts visés ici dans la traduction d'un choix
de prières byzantines par l'archimandrite grec catholique Jean Oquet. Un
autre est de rendre service aux Orientaux fixés en Occident dans les pays
de langue française.
Le plan est à peu près conforme à celui de nos si nombreux parois-
siens; mais l'auteur a été à bon droit préoccupé de donner, même pour des
exercices généraux, comme les prières du matin et du soir, celles avant et
après la confession ou la communion, etc., des formules empruntées à la
liturgie orientale. Pour la messe, on ne nous ofi're que celle de saint
Jean Chrysostome; beaucoup regretteront qu'on n'y ait pas ajouté celles
de saint Basile et des Présan"ctifiés. La traduction d'une bonne partie des
offices de la Semaine-Sainte et de Pâques ne peut être que très goûtée. Pour-
quoi n'y avoir pas joint le beau Canon de Noël? Signalons une inté-
ressante adaptation du chemin de la croix au rite byzantin avec des
formules extraites de l'Evangile et du Triodion ou livre des offices du
Carême.
Malgré ses quatorze pages d'errata, qu'une attentive correction des
épreuves eût pu diminuer beaucoup, l'impression de ce Manuel, avec ses
caractères elzéviriens et son gracieux encadrement rouge à chaque page,
fait assez honneur à l'imprimerie syrienne qui l'a produit. Nous recom-
mandons volontiers ce petit livre aux nombreux catholiques latins,
prêtres ou fidèles, désireux d'avoir à portée de la main les éléments
essentiels de comparaison entre la liturgie latine et la liturgie orientale.
D. Servière.
BIBLIOGRAPHIE 85
r ~ ~
^. Agrain, Quarante-neuf Lettres de saint Isidore de Péluse. Edition
critique de l'ancienne version latine contenue dans deux manuscrits
du concile d'Ephèse. Paris, A. Picard, 191 1, in-8°, 94 pages.
Le riche et intéressant recueil de lettres patristiques connu sous le nom
de Synodicon Casinense se trouve dans deux manuscrits, le Vatic. lat. 1 3 19,
t le Gasinensis 2. Le public savant en attend encore une édition critique.
Parmi les pièces qui y sont contenues, on remarque quarante-neuf lettres
de saint Isidore de Péluse, que Lupus, le premier éditeur du Synodicon,
dédaigna de publier. En lySg, Mansi en édita treize, qu'il tira du Vatic.
lat. iSig. Ce n'est qu'en iSyS que les trente-six autres virent le jour par
es soins des Bénédictins du Mont-Cassin. Ayant remarqué que ces lettres
se trouvaient dispersées dans deux recueils différents, que chacun de
ceux-ci ne dépendait que d'un seul manuscrit, M. l'abbé Agrain a eu
'heureuse inspiration de publier une édition critique de ces quarante-
neuf lettres. Précédée d'une courte introduction sur l'histoire du Synodicon,
a vie et le caractère d'Isidore de Péluse, cette édition est très soignée et
ne mérite que des éloges. Elle nous fait souhaiter que l'auteur poursuive
e travail commencé et présente enfin au public le Synodicon en entier
dans le mém^ appareil que les lettres d'Isidore.
La présente brochure se termine par deux appendices. Le premier
donne le texte de quatre lettres de saint Isidore à saint Cyrille, d'après la
version latine du Vatic. lat. 1340; le second fait connaître la suscription
d'une lettre envoyée, le i3 août 43 1, par un groupe d'évêques résidant à
Constantinople au concile d'Ephèse. Cette suscription, qui se trouve
écourtée dans Mansi, a son importance. Elle nous révèle les noms de plu-
sieurs évêques inconnus jusqu'ici. Ce sont : Entrechios de Chio, Achilliade
d'Elaea, Sévère de Codula (?), Isaïe de Panemotichos, Chrysaphios d'Apros,
Jérémie de l'ibérie persane.
M. JUGIE.
C. DiOBOUNiOTis et N. Beïs, Hippolyts Schrift ûber die Segnungen Jakobs.
Hippolyts Daniel commentar in Handschrijt n° 5j3 des Meteoron-
klosters {Texte und Untersuchungen, t. XXXVIII, cah. i). Leipzig,
J.-C. Hinrichs, 191 1.
M. G.-N. Bonwetsch publia en 1904 une traduction allemande de la
version géorgienne du commentaire des Bénédictions de Jacob, ouvrage
du célèbre théologien romain, saint Hippolyte. Cette version géorgienne
dépendait elle-même d'une version arménienne. Du texte grec original,
on ne possédait que des fragments. M. C. Diobouniotis a eu l'heureuse
fortune de découvrir ce texte en entier dans le cod. 573 du couvent de
Météora, et il vient de l'éditer dans tout l'appareil critique désirable
avec la collaboration de M. N. Beïs.
86 ÉCHOS d'orient
Dans le manuscrit du Météoron, qui remonte au x^ siècle, ce commen-
taire est mis sous le nom de saint Irénée, évêque de Lyon ; mais c'est une
fausse indication. L'ouvrage est bien d'Hippolyte. Il présente un véritable
intérêt exégétique et théologique. La Vierge Marie y reçoit le nom de
ôeoTÔxoç. Le mystère de l'Incarnation y est exprimé en des formules dignes
de saint Cyrille d'Alexandrie : y,v b Aoyoç kx. xapotàç IlaTobç y,v oè to xaxà
dàoxa Itz' iayixx oyv ex 7cap8evtx-?iç [X'/^rpaç xuooopoufxevoç xarà •:rvcù[ji.a ysysvvT,-
[xevo; xai xarà aàpxa, axe ori xat ©sbç xai àv6poj7:oç cov (p. 41-42).
Les anciens attribuent à saint Hippolyte un autre petit commentaire
« £tç Ta; eûXoy'aç xou 'Iffaocx ». M. Diobouniotis estime que ce commentaire]
doit être identifié avec celui qu'il publie « sic xàç sùXoyi'a; toZ 'laxcojî ». Le
même auteur croit aussi que le commentaire sic ttiv révstrtv d'Hippolyte
ne doit pas être distingué des trois écrits signalés sous les noms : eU ttiv]
éçaTjfjLspov, s'tç xà [letx x7]v àçaVîjXEpov, et; xx; sùXoy'aç xoïï 'laxoj^. L'hypothèS(
est très vraisemblable.
Le commentaire d'Hippolyte sur le prophète Daniel a été édité en 1897
par M. Achelis. M. Diobouniotis a trouvé des fragments de cet ouvrage
dans le même manuscrit SyB du Météoron, et il publie les variantes
que ce manuscrit présente avec l'édition d'Achelis. Quelques-unes sont
intéressantes.
M. JUGIE.
C. Bâcha, Le deuxième centenaire de la fondation du monastère des reli-
gieux Basiliens de Saint-Sauveur . Extrait de Roma e l'Oriente,
25 mai 191 1. Grottaferrata, typographie italo-orientale «S. Nilo », in-8%
9 pages.
Ces quelques pages, en nous [donnant une idée des fêtes qui se sont
déroulées dernièrement à Saint-Sauveur, du mois de janvier au 6 août 1911,
nous décrivent les origines de cette Congrégation melkite des Salvatoriens,
les persécutions auxquelles elle a été en butte, et les progrès qu'elle a
réalisés.
A. Chappet.
L. Andrieux, La première Communion : Histoire et discipline. Textes
et documents. Des origines au xx"" siècle. Paris, G. Beauchesne, 191 1,
in-i6 de xxxiii-392 pages. Prix : 3 fr. 5o. i
S'il est encore des prêtres — et il est à craindre qu'ils ne soient nom4
breux — qui hésitent à admettre la nouvelle discipline de l'Eglise, au
sujet de la communion des petits enfants, je leur conseille vivement dej
lire le livre de M. l'abbé L. Andrieux. Leur hésitation tombera bien vite
et fera place à la plus entière conviction. Dans ce volume de près die
400 pages, l'auteur montre, avec une richesse et une variété presque e.xiu
I
BIBLIOGRAPHIE 87
bérante de documents, ce que fut la discipline de l'Eglise à travers les
siècles, touchant la communion des tout petits.
Dès les premiers temps, jusqu'au xn« siècle, les enfants communiaient
le jour môme de leur baptême, et cette coutume s'est toujours conservée
en certaines Eglises orientales. Peu à peu, à cause des graves inconvé-
nients qui s'en suivaient, on sépara la première Communion de la céré-
monie du baptême.
Le IV<= concile de Latran (121 5) déclara, dès lors, que les enfants
« arrivés à l'àgc de discrétion » devaient se confesser et communier au
moins au temps de Pâques. C'est ce décret, dont on comprend l'impor-
tance, que des docteurs et certains synodes provinciaux essayèrent d'inter-
préter plus ou moins, selon l'esprit du concile. Il fut difficile surtout de
s'entendre sur le sens de ces mots : ad annos discretionis.
Le jansénisme finit par avoir le dessus dans certaines provinces chré-
tiennes, en France tout particulièrement, et fit reculer la première Com-
munion jusqu'à douze et quinze ans. Le concile de Trente, entre deux,
avait repris la thèse du IV^ concile de Latran; mais, en pratique, la plu-
part des enfants ne communiaient plus que très tard.
Enfin, arriva le Décret libérateur du 8 août 19 10, qui remit toutes choses
en place, et décida que l'âge de discrétion requis pour la première Com-
munion des petits enfants se réalise vers sept ans, plus ou moins, —
moins aussi. — D'ailleurs, Pie X, par le décret de la S. Congrégation des
Sacrements, ne condamne nullement l'heureuse habitude de la première
Communion solennelle, telle qu'elle a lieu en France.
Telle est la thèse développée d'une manière aussi claire que convain-
cante par l'abbé L. Andrieux. La lecture en est facile, d'autant plus que
l'auteur, au lieu de se contenter de simples références, apporte toujours
le texte original du document.
On ne peut donc que souhaiter bon succès et grande diffusion à ce
)lume précédé d'une lettre si bienveillante de S. Em. le cardinal Luçon.
Ch. Vitel.
>PHRONIOS EUSTRATIADÈS, EùayYÉXtov Mapia; ty,; rTaXaioXoyt'vaç. Alexandrie,
Imprimerie patriarcale, 191 1, in-8°, 84 pages.
Dans cette petite brochure, qui intéressera vivement les spécialistes,
M^^'' Sophronios Eustratiadès, métropolite de Léontopolis, nous offre un
court aperçu sur le précieux manuscrit de 809 feuillets qu'il vient d'ac-
quérir. 11 porte à la dernière page une note importante, mais qui ne nous
éclaire pas complètement sur sa provenance : « Ce saint Evangile m'a été
donné à moi, Fr. Pierre, de l'Ordre dit en Italie des Frères Mineurs,
actuellement par la grâce de Dieu archevêque de Milan, métropole de
Ligurie, et alors évêque de Novare; il m'a été donné par Marie, impéra-
88 ÉCHOS d'orient
trice des Romains, et Augusta, appelée plus tard Macaria, lorsque, avec;
son fils, l'empereur des Romains, Jean Paléologue, elle vint à Ticinium
de Ligurie, :à l'époque où les Liguriens avaient pour gouverneur le duc
de Milan, Jean Galéaz, comte de Pavie, en l'an 1392. »
Le distingué métropolite eût voulu résoudre un problème qui naît de
cette inscription finale et certainement postérieure au manuscrit. Quelle
est cette Marie dont il est ici question, et quelles sont les origines de ce
codex? Il s'en remet pour la réponse aux recherches des spécialistes. Le
contenu de cet évangéliaire, qu'il pense être du xii^ siècle, et dont il nou
met sous les yeux les grandes divisions, est ainsi réparti : i" prologues de
saint Jérôme à chacun des Evangiles; 2° quand et dans quel ordre lire les
quatre Evangiles? 3" ménologe indiquant les passages des différents
évangélistes pour chaque jour, depuis septembre jusqu'à la fin d'août;
4° Evangiles pour le commun des saints et pour diverses circonstances.
M.«' Sophronios termine son étude en relevant les nombreuses variantes
du texte officiel de la Grande Eglise, comparé avec le manuscrit.
Attendons que la critique ait examiné à loisir ce document. Peut-être
le trouvera-t-elle plus ancien encore que ne le croit notre auteur. Peut-être
aussi découvrira-t-elle quelle était l'Eglise particulière qui avait distribué
les péricopes évangéliques d'une manière tout autre que dans les livres
actuels. A. Chappet.
NlCOS BÉIS. 'Avayvwffefç x.où xaraTà^eiç êuÇavrtvtov [xoXuêooêouXXojv. Extrait de
la revue A'.sOvr,; 'Etp-iqixeptç tt;; No[Ji,t(7(x.aTtXT,; 'ApyatoXoyia;. Athènes, 1911,
imprimerie de T'Earta, in-8°, 24 pages.
M. Nicos Béis, dans cette publication, nous présente vingt-neuf sceaux
byzantins récemment découverts, et que de savants sigillographes, sur-
tout MM. Schlumberger et Mordtmann, ont déjà signalés et en partie
examinés. Il apporte lui aussi son précieux contingent à cette critique.
Connaissant son érudition et sa compétence, nous ne pouvons que nous
fier à lui pour les inscriptions qu'il restitue dans leur véritable texte pri-
mitif, et pour les dates qu'il fixe avec précision.
Remarquons dans ce catalogue l'inscription curieuse que l'on rencontre
assez souvent, et qui est un titre de la Vierge : y] Iv Oùpavoïç, Celle qui est
au ciel. C'est évidemment une allusion au vocable d'un ancien monastère
de Constantinople, situé du côté d'Edirné-Kapou.
A. Chappet.
A. -T. DuMiTRESCU, Relation sur les ruines de la colonie Romula de
Dacie. Bucarest, Sococ, 1910, in-8% 12 pages.
Cette notice, extraite de la Revue de Roumanie, indique le résultat des
fouilles entreprises depuis quelques années à Resca, où l'auteur a trouvé
■
BIBLIOGRAPHIE 89
des monuments remontant à l'époque de Galère et des tombeaux chré-
tiens. Quatre photographies d'objets antiques illustrent la notice.
J. Iannakis.
R. P. Jean-Baptiste de San-Lorenzo, O. M. C, Saint Polycarpe et son
tombeau sur le Pagus; notice sur la ville de Smyrne. Constantinople,
Loeffler, 1911, in-12, xii-354-ivpages. Prix: 3 fr. 5o.
Sur les trois cent cinquante-quatre pages que contient cet ouvrage,
l'auteur a réussi à en consacrer une centaine à la vie de saint Polycarpe.
Ce n'est pas un mince mérite, car, en dehors de la lettre circulaire de
l'Eglise de Smyrne et de quelques faits rapportés par des auteurs divers,
il ne possédait guère sur saint Polycarpe qu'une biographie assez tardive
écrite au iv« siècle par un certain Pionius. Ce dernier document, traduit
ici dans son entier, nous fait assister, à la fin du premier siècle, à une
ordination régulière et à d'autres cérémonies, telles qu'elles se pratiquèrent
deux ou trois siècles plus tard. Nous y entendons aussi l'écho des prédi-
'\ cations de saint Polycarpe, que Pionius aura sans doute recueilli dans
son imagination. Ne manque-t-elle pas un peu de critique, la méthode
qui se borne à une simple juxtaposition de documents, d'origine et de
mérite aussi variés ?
Le R. P. Jean-Baptiste a été plus heureux dans l'histoire de la ville de
Smyrne, à laquelle il consacre une bonne partie de son ouvrage. Il y a
joint des détails fort intéressants sur les fouilles que les Révérends Pères
Capucins ont pratiquées dans leur jardin du Mont Pagus, avec l'espoir
d'y retrouver le tombeau de saint Polycarpe; il y a joint aussi une notice
sur les églises catholiques et les établissements religieux à Smyrne et
dans la banlieue. Trente-deux illustrations hors texte, parmi lesquelles
nous avons été quelque peu étonné de trouver le portrait de l'auteur,
agrémentent le livre. Le R. P. Jean-Baptiste est-il bien sûr que le tableau
d'Azambre, reproduit à la page 59, représente « l'ordination de saint
Polycarpe »? Regrettons, en terminant, l'abondance des erreurs typogra-
phiques.
Malgré ces quelques défauts, l'ouvrage contribuera certainement à
augmenter le culte de saint Polycarpe, notamment chez les fidèles de
Smyrne, pour qui il est plus spécialement écrit.
R. Janin.
T. Savio, s. J. I. La questione del papa Liberio. Rome, F. Pustet, 1907,
in-i2, 218 pages. Prix: i fr. 60. — 2. Nuovi studi sulla questione di
papa Liberio. Rome, F. Pustet, 1909, in- 12, 127 pages. Prix : i fr. 20.
s — 3. Punti controversi nella questione del papa Liberio. Rome,
é F. Pustet, 191 1, in-i2, 156 pages. Prix : i fr. 20.
90 ÉCHOS D ORIENT
Le R. P. Savio nous avertit que ces trois brochures, dont la première
fait partie de la collection Fede e Scien^a, de la maison Pastet, sont, en
somme, des tirages à part d'articles parus dans la Civiltà cattolica. La
seconde, motivée par un article défavorable au pape Libère inséré par
Me-- Duchesne dans les Mélanges d'archéologie et d'histoire publiés par
l'Ecole française de Rome, t. XXVIII, 1908, p. 32-78, reprend et renforce
la démonstration de l'opuscule précédent. Dans les Punti controversi, le
docte Jésuite ne revient que sur l'inscription sépulcrale de Libère, la date
de son exil, 'e fragment de saint Hilaire et le récit de Sozomène. Il termine
ce troisième opuscule par deux courtes notes supplémentaires et deu^
brefs appendices. La plupart des documents concernant la question libé-
rienne sont ajoutés au premier travail. Les lettres attribuées à Libère
figurent à la fin des Nuovi studi sulla questione del papa Liberio.
Le P. Savio n'hésite pas à dire, dès l'entrée en matière, qu'il se propose
de plaider (en bonne et due forme scientifique, bi n entendu) en faveur
de l'innocence du pape Libère. On sait les deux questions principales
que comporte ce problème historique: i. Le Pontife incriminé a-t-il,
TJEDio viCTus ExiLii, sacrifié à Sirmium le terme b]x.oo\i<sio(;, abandonnant
ainsi, en partie du moins, la cause de saint Athanase?2. S'est-il humilié
à tel point devant les Eusébiens que, pour obtenir leur recommandation
auprès de l'empereur Constance, il leur aurait écrit les quatre lettres
flatteuses qu on lui attJ^ibue? A ces deux questions, l'auteur des brochures
que nous analysons répond hardiment d'une manière négative.
Et d'abord, que Libère n'ait capitulé en rien à Sirmium, malgré l'aflSr-
mation contraire prêtée à saint Athanase et à saint Jérôme, malgré le récit
de l'arien Philostorge et celui de Sozomène, malgré enfin toute ane tra-
dition formée un siècle à peine après la mort de ce pape, le Révérend Père
en trouve un premier groupe de preuves dans l'inauthenticité, à son avis
évidente, des lettres de saint Athanase et de saint Jérôme, et la dépen-
dance non moins évidente de Sozomène à l'égard de Philostorge. Un
second groupe de preuves que le P. Savio estime favorables au Pontife
sont, d'une part, l'attitude toujours hostile de Constance envers lui, et
l'accueil sympathique et enthousiaste que les Romains lui ménagèrent à
son retour de l'exil; de l'autre, la condamnation par Libère du concile
semi-arien réuni à Rimini peu après son retour, la profession de foi net-
tement antieusébienne exigée par lui des évéques qui avaient faibli à
Rimini, et dont aucun ne songea un instant à lui reprocher sa propre
conduite à Sirmium. Enfin, l'inscription élogieuse placée sur son tombea
et où sont célébrées à l'envi la sainteté et l'orthodoxie de sa vie, plaiderai
elle aussi, en faveur du pape Libère.
Quant aux fameuses lettres libériennes (cf. Duchesne, Histoire ancien
de l'Eglise, t. II, p. 35i), leur contenu semble au P. Savio trop manife
tement opposé à toute la conduite de Libère pour lui être attribuées.
BIBLIOGRAPHIE <-)\
Notons toutefois que, malgré la persuasion pleine et entière où il est de
1 vérité de sa thèse, le P. Savio ne se fait aucune illusion. Il sait que sa
lanière de voir paraîtra à plusieurs une attitude « singulière, et plutôt
effet d'un pieux enthousiasme qu'une conviction critique ». Il avoue
léme que les conclusions auxquelles est arrivé M.^' Duchesne sont une
reuve des difficultés inhérentes à la question libérienne. De fait, les râl-
ons présentées ne sont pas toutes sans réplique, spécialement celle de
inscription sépulcrale que Mommsen pensait avoir été écrite en faveur
u 'pape Félix 11, tandis que Funk la disait composée en l'honneur de
aint Martin I«''. A propos de la partie du travail du savant Jésuite rela-
ve à cette inscription, le R. P. Hurter souhaitait une démonstration
lus probante que celle de l'opuscule sur La quesiione del papa Libéria.
Aussi, en présence des incertitudes qu'offre au savant, non certes la
lèse de l'authenticité des lettres qu'il nous semble impossible d'attribuer
îlles quelles à Libère, mais la question générale de savoir si ce dernier
'a rien, fait de blâmable pour obtenir son retour à Rome, d'aucuns pré-
^reront observer la réserve prudente de Rufin. Ils se contenteront, par
uite, de dire aux adversaires de l'Eglise que, devant ce problème histo-
ique, l'esprit demeure obsédé par certains doutes, mais qu'il n'a aucune
Teuve évidente pour les résoudre contre Libère. Le P. Savio n'éprouve
ucune hésitation à se prononcer, et nous estimons que son état d'esprit
st parfaitement respectable. Nous aurions seulement mieux aimé le voir
dopter, dans la détense de son opinion, non le procédé du panégyrique,
nais plutôt celui de la méthode froide et austère préférée par la critique
listorique. Nous disons à dessein : pj'é/érée, car si nous croyons que la
léthode apologétique provoque la défiance de la part du lecteur et ne
trémunit pas toujours contre les écarts du sentiment, nous n'allons pas
usqu'à prétendre qu'elle est inconciliable avec la critique et que, pour
'avoir suivie, l'éminent religieux n'ait péché en rien contre le code scien-
ifique.
A. Catoire.
UG. Mangenot, les Evangiles synoptiques, conférences apologétiques
faites à l'Institut catholique de Paris. Paris, Letouzey et Ané, 191 1,
in-i2, vi-472 pages. Prix : 3 fr. 5o.
« Ces conférences portent sur les Evangiles synoptiques. Elles visent le
)lus souvent les erreurs que M. Loisy a soutenues récemment dans son
norme commentaire. » (P. v.) « C'est, en effet, dans le but apologétique
le discuter et de critiquer les erreurs systématiques de cet auteur sur les
évangiles synoptiques », qu'on a demandé à M. Mangenot cette série de
eçons, et qu'il les a préparées (p. 26). .
Il se place évidemment sur le terrain où se meuvent ses adversaires, et
92 ÉCHOS d'orient
envisage le problème sous le double rapport de la critique à la fois litté-
raire et historique, tel qu'il se pose depuis 1901 et tel que le présente
M. Loisy.
M. Mangenot a su éviter les écueils des œuvres de vulgarisation. Il s'est
attaché aux seuls points essentiels, afin de rester toujours à la portée de
son auditoire, mais il a su n'être pas superficiel en donnant à ses confé-
rences la forme de traités didactiques et serrés, dont la valeur nous est
garantie par la compétence reconnue de l'éminent professeur de l'Institut
catholique de Paris.
Les deux premières, étudiant la tradition évangélique, sa formation
réelle et les facteurs prétendus de son élaboration, la rédaction et la
valeur historique des synoptiques, m'ont paru avoir un intérêt plus
grand que les autres, à cause de leur caractère général. J'y signalerai
comme spécialement digne de remarque la fin de la deuxième conférence.
Après avoir réprouvé les excès des exégètes modernistes, l'auteur y signale,
avec une grande largeur de vues, ce qui peut et doit être accepté dans leuiÉj
système. Il prouve que les mots de rédactionnel et de secondaire n'ont^
rien de rationaliste, s'ils sont pris dans leur vrai sens.
Suivant pas à pas son adversaire, M. Mangenot étudie tour à tour
dans les autres leçons la conception virginale de Jésus, le théâtre, la
durée, les obstacles et le développement de son ministère public, ses
miracles, la forme de son enseignement, le témoignage de Jésus sur sa
mission et sa personne, le procès et la mort rédemptrice de Jésus, sa résur-
rection.
« Pour former un volume suffisamment rempli, on a ajouté en appen-
dice deux études sur le même objet, qui ont déjà paru daus la Revue du
Clergé français : le paulinisme de Marc, et un soi-disant antécédent juif
de l'Eucharistie. » (P. vi.)
M. Lacroix.
DlM. ŒCONOMIDÈS, Se^afTTOTTOuXetoç àyojv, sxôscrtç tT|Ç àyojvootxou £7riTp07r£taç
Constantinople, 191 1, imprimerie patriarcale, in-8°, 24 pages.
Prononcé à la grande Ecole nationale du Phanar, à l'occasion du con-
cours dû à l'initiative de M. Sébastopoulos, ce discours sur la nécessité
de la langue relevée et de la culture classique défend, avec une légère
pointe d'emphase, ce qui me paraît être la cause du bon sens. Mais c'esfc
F. Cayré.
une exagération de vouloir revenir au grec ancien ^
F. W. Groves Campbell, A Little Orthodox Manual of prayers of th
Holy Orthodox catholic Church. Londres, 191 1, The Century Press
in-i6, x-148 pages. Prix: 2 shellings.
BIBLIOGRAPHIE 93
L'auteur nous donne lui-même la raison qui l'a porté à composer ce
petit euchologe : « Le besoin s'est tait sentir d'un manuel léger, contenant
la traduction en anglais de la messe grecque pour l'usage pratique des
fidèles orthodoxes. »
Et, de fait, on peut juger de l'utilité de ce livre par le simple exposé de
son contenu : liturgie desaint Jean Chrysostome, apolytikia des dimanches,
antiennes des grandes fêles, trisagion des morts, acolouthia de la confes-
sion et de la communion, compiles de chaque jour, tropaires tirés de dif-
férents offices et rendus en vers anglais.
Ce manuel sera donc très avantageux non seulement aux Hellènes
domiciliés en Grande-Bretagne, mais encore à tout chrétien de langue
anglaise désireux de se familiariser avec la liturgie byzantine ou d'ali-
menter sa dévotion par quelques-unes de ses belles prières.
Nous félicitons en particulier le traducteur d'avoir inséré dans ce recueil
des oraisons on ne peut mieux choisies, extraites des livres liturgiques,
pour servir d'actes avant et après la confession, avant et après la com-
munion. A. Chappet.
F.-J. BoNNASSiEUX, les Evangiles synoptiques de saint Hilaire de Poi-
tiers. Lyon, E. Vitte, 1906, in-12, 128 pages.
« Cette étude a pour objet immédiat et direct d'éclaircir un point d'his-
toire de la vieille version latine. »
Elle s'adresse surtout aux spécialistes de profession, et les savants sus-
ceptibles, s'il y en a, pourraient bien se froisser de voir consacrer, à les
mettre au courant d'une question dont ils savent tous les secrets, une
longue introduction qui forme à elle seule presque la moitié du texte de
l'ouvrage, et dans laquelle je signalerai, au point de vue qui intéresse les
Echos d'Orient^ les six pages consacrées aux groupes syrien et alexandrin.
Mais M. Bonnassieux a pensé aux novices, et il a eu raison; cela lui
a permis de bien préciser la position qu'il prend « dans l'ensemble du
problème ».
Les érudits amis des statistiques et des collations de textes se trouve-
ront amplement dédommagés dans le cours de ce travail sérieux et solide,
qui a certainement exigé de l'auteur « un effort constant, une exactitude
rigoureuse, une attention sans défaillance. » Ajouterai-je que la lecture
ne demande pas moins d'attention ni moins d'effort?
Mais on est bien récompensé par les conclusions auxquelles on est
amené, et qui sont en opposition avec certaines affirmations communé-
ment admises. Les voici : il est certain que le texte latin dont se servit
saint Hilaire n'était ni européen, ni italien, ni africain, mais irlandais;
par suite, il faut étendre bien au delà de Tours l'influence du texte irlan-
dais, et cela dès le début du iv siècle; enfin il semble qu'il faut regarder
94 ÉCHOS d'orient
la recension irlandaise comme entièrement indépendante du groupe euro
péen. M. Lacroix.
Georges Brézol, les Turcs ont passé là. Recueil de documents, dos
siers, rapports, requêtes, protestations, suppliques et enquêtes établis
sant la vérité sur les massacres d'Adana de igog. Lettre-préface d
Pierre Sales. Un vol. in-8° de 400 pages, trois portraits, une carte
Prix : 5 fr. 5o. En vente chez l'auteur, 66, boulevard Ornano, Paris, 190c
Les sous-titres de ce livre indiquent dans le détail tout ce qu'il contient.
A ne lire que la préface de Pierre Sales, on croirait que l'avènement du
gouvernement jeune-turc a mis fin pour toujours aux scènes de massacre
qui avaient si souvent déshonoré l'Ancien Régime, mais on a une impres-
sion bien différente quand on lit l'introduction qui suit immédiatement
la préface, et qui retrace en quelques mots les horreurs des massacres de
Cilicie en 1909, massacres qui suivirent de si près l'établissement du
régime constitutionnel en Turquie.
Quant au livra lui-même, c'est un recueil de documents avec quelques
lignes pour expliquer l'origine ou aider à saisir le sens de chacun d'eux,
tout juste de quoi mettre le lecteur au courant. L'auteur a voulu laisser
ces lettres, rapports, résultats d'enquête, etc., parler eux-mêmes, dans leur
émouvante simplicité, et retracer les souffrances physiques et morales
des malheureux Arméniens pendant ces horribles journées.
En appendice, nous lisons une grande partie du discours de M. Frédéric
Masson, prononcé le 8 décembre 1910 à l'Académie française, qui attri-
buait plusieurs de ses prix à des Français qui s'étaient signalés par leur
héroïque dévouement pendant ces massacres.
Que faut-il penser des renseignements fournis par ce livre et des conclu-
sions qu'en tire l'auteur? Question pour le moins délicate. On ne peut
douter un seul instant de la stricte authenticité de ces documents signés
par des personnages trop connus; mais, pour apprécier de pareils événe-
ments à leur juste valeur (appréciation qui d'ailleurs ne diminuerait en
rien la responsabilité écrasante d'un gouvernement dont le devoir était de
prévoir et d'empêcher ces massacres), il faudrait une étude critique, com-
plète et impartiale des événements de Cilicie. Le mérite de ce livre est
d'en avoir fourni les éléments. A. Trannoy.
J. LiNDER, S. J., Die Heilige Schrift fiir das Volk erklœrt. Geschichie
des Allen Bundes, fasc. 1 et II. Klagenfurt, St Josef-Vereinsbuchdruckerei,
in-4'', 354 pages.
Le but que se propose l'auteur est de faire connaître et aimer du peuple
les Saintes Ecritures. Dans ces deux premiers fascicules, il étudie l'histoire
^1
BIBLIOGRAPHIE 9^
du monde depuis la création jusqu'à l'alliance solennelle conclue par
Dieu avec Abraham. Il n'a pas craint de répondre aux objections si
souvent opposées aux récits de la Bible, et en particulier à celui de la
création. Il fait servir les conclusions des sciences modernes, histoire,
archéologie, géologie, etc., à la défense des Saints Livres. Une illus-
tration abondante et choisie fait encore mieux saisir les explications et
donne un attrait de plus à l'ouvrage. J. Iannakis.
LIVRES REÇUS A LA RÉDACTION
La plupart de ces ouvrages
seront l'objet d'un compte rendu dans une des prochaines livraisons de la Revue.
J, LoNGNON, Chronique de Morée {i 204-1 3o5j, publiée par la Société de
l'Histoire de France. Paris, H. Laurens, 1911, in-8°, cxx-432 pages, avec une
carte. Prix : 9 francs. '
F. Chalandon, Les Comnène. Etude sui' l'empire byzantin aux xi^ et
xii*^ siècles. II, Jean II Comnène {i i [8-1 143), et Manuel I Comnènefi 143-1 1 80).
Paris, Picard, 19 12, in-8'% XLv-709 pages, 2 planches. Prix : 20 francs.
H. Freiherrn von K.utschera, Die Chasaren. Historische Studie, Ein
Xachlass, 2. Auflage. Vienne, A. Holzhausen, 1910, in-8°, 271 pages.
N. G. Polîtes, 'Ellr^'uv-ri pig/.iovpacpia. KariAoyo; twv èv 'E>.),3:&: r, ûtiô 'EXAr^vrov
à/.).axov àxôoOévTwv ptê/t'wv àizo toû ïto-j; 1907, t. IL Athènes, Sakellarios, 191 1,
p. 139-612.
E. Legrand, Bibliographie ionienne. Description raisonnée des ouvrages
publiés par les Grecs des Sept-Iles ou concernant ces Iles, du x\^ siècle à
l'année igoo. Œuvre posthume complétée et publiée par H. Pernot (Publica-
tions de l'École des langues orientales vivantes). Paris, Leroux, 19 10, in-8",
-860 pages.
Ernst Edler von der Planitz, Ein Jugendfreund Jesu. Brief des œgyptischen
*Ar\tes Benan aus der Zeit Domitians, nach dem griechischen Urtext und der
i^spœteren koptischen Ueberarbeitung herausgegeben. Berlin, A. Piehler, 191 1,
-16, 134 pages.
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c)6 ÉCHOS d'orient
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Troisième édition, considérablement augmentée. Paris, G. Beauciiesne, 191 1.
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H. Petitot, Pascal. Sa vie religieuse et son Apologie du christianisme.
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F. Larrivaz, s, j. Les saintes pérégrinations de Bernard do. Breydenbach
Extraits relatifs à l'Egypte suivant l'édition de 1490. Texte et traduction annotée
Le Caire, imprimerie nationale, 1904. In-8°, 78 pages. Ëkl
J. P. Bock, S. J. Die Brotbitte des Vaterunsers. Ein-Beitrag ^um VerstœAimt
nis dièses Universalgebetes und einschlœgiger patristisch-liturgischer Fragtm /
Paderborn, Bonifacius-Druckerei, 191 1. In-8«, xvi-339 pages. Prix : 5 marks, ip'^
igSi-ii. — Imp. p Feron-Vrau, 3 et 5, rue Bayard, Paris, VIIK — Le gérant : E. Petithenrt. § «tj
M"^ LOUIS PETIT
ARCHEVÊQUE D'ATHÈNES
ET DÉLÉGUÉ APOSTOLIQUE EN GRÈCE
Une nouvelle nous arrive de Rome, qui est pour nous une grande
joie et un grand honneur. S. S. le pape Pie X vient de nommer le
!v. P. Louis f^etit, des Augustins de l'Assomption, archevêque d'Athènes
i délégué apostolique en Grèce.
Les Echos d'Orient doivent trop à leur éminent fondateur et directeur
[^our ne pas saluer avec empressement
cette haute distinct on, que tant de
travaux ont si bien méritée. Nos lec-
teurs, qui ont souvent vu dans les
pages de cette revue le nom de l'érudit
byzantiniste, nous sauront gré de leur
présenter à grands traits le nouvel
archevêque et de publier à cette occa-
sion une nomenclature, encore incom-
plète, de ses nombreux ouvrages ou
articles scientifiques.
Né le 21 février 1868, à Viuz-la-
('hiésaz, village de la Haute-Savoie,
Louis Petit fit ses premières études
à l'alumnat assomptioniste de Notre-
Dame des Châteaux, non loin d'Albert-
ville. Ceux qui ont lu les notes déli-
cates de M. Henry Bordeaux sur le
Caractère savoxard comprendront que
le sang savoisien hérité d'ancêtres paysans et la première éducation
en terre montagnarde n'aient pas été sans contribuer pour leur part
à cette âpreté au travail, à cet harmonieux équilibre de qualités inteK
lectuelles et morales que les amis du savant religieux peuvent admirer
et apprécier en lui.
Après avoir suivi les classes d'humanités à l'alumnat de Clairmarais
(Pas-de-Calais), Louis Petit se rendit à Osma, en Espagne, où se trou-
vait depuis 1880 le noviciat expulsé des Augustins de l'Assomption, il
M»"" LOUIS PETIT
Echos d'Orient.
1 5' année.
N- 93.
Mars igi2.
I
98 ÉCHOS d'orient
fît sa profession religieuse le 15 août 1887, à l'abbaye de Livry (Seine-
et-Oise), qui venait d'ouvrir ses portes aux moines revenus de l'exil.
Les études philosophiques et théologiques amenèrent le jeune reli-
gieux à Rome. 11 fut ordonné prêtre le 15 août 1891, au couvent de
Livry. En 1893, il fit son premier séjour en Orient, où il vint ensei-
gner au Séminaire oriental de Phanaraki, à Constantinople. Il avait
déjà, auparavant, été professeur dans les alumnats des Châteaux et
de Clairmarais. Nommé supérieur de la maison de Toulouse en
octobre 1894, le R. P. Louis Petit fut de nouveau envoyé l'année suivante
à Constantinople, où le Pape Léon XIII venait de confier aux Assomp-
tionistes, avec l'œuvre importante des Séminaires de rite gréco-slave,
les deux paroisses latine et grecque de Koum-Kapou et de Kadi-Keuï.
Le 7 octobre 1895, la maison d'études de Kadi-Keui était fondée, et
le P. Louis Petit en était nommé supérieur. La vieille cité de Chalcé-
doine, la ville du grand concile de 451, était un séjour bien approprié
aux études ecclésiastiques byzantines. Le P. Louis Petit s'y voua avec
l'ardeur qu'il mettait en tout, donna un élan qui fut suivi, et ne tarda
pas à passer maître. Primus discendi ardor nobilitas est magistri, a écrit j
quelque part saint Ambroise. Cette maxime se réalisa pleinement à
Kadi-Keuï. Parmi le groupe de disciples formés alors à si bonne école,
il nous seraMen permis de rappeler ici ceuoc-là du moins qu'une mort
prématurée est venue ravir trop tôt à notre affection, à leur Congre- i
gation, à l'Eglise, à la science: les PP. Jules Pargoire et Sophrone
Rabois-Bousquet (Pétridès). Fin humaniste, doublé d'un érudit et d'un 1
chercheur, le P. Louis Petit se fit tour à tour avec un égal succès pro-
fesseur de droit canon oriental, de littérature et de liturgie byzantines.
Tout était à faire. Il manquait, avant tout, une bonne bibliothèque; il
fallait la créer. Ce n'était pas chose facile pour les modestes ressources!
de religieux missionnaires. Un travail patient et méthodique, d'autant
plus méritoire que les livres à utiliser étaient encore très rares, et qu'il
n'était pas toujours aisé de faire franchir aux nouvelles acquisitions lai
douane turque de l'ancien régime, opéra peu à peu la merveille qui
peut aujourd'hui rivaliser avec maints établissements analogues. La
bibliothèque assomptioniste de Kadi-Keuï, désormais bien connue des
byzantinistes, est l'œuvre du R. P. Louis Petit. Dieu sait tout le dévoue-
ment que le zélé supérieur y dépensa, la somme de fatigues et de veilles
qu'il s'imposa pour réunir un par un ces milliers de volumes, dont
quelques-uns sont de véritables raretés bibliographiques. Il n'est que
juste de noter que le laborieux bibliophile fut aidé par de généreux con-
cours; qu'il nous suffise de mentionner le Supérieur général des Augus-
M*-'"' LOUIS PETIT 99
tins de l'Assomption, le supérieur de la mission assomptioniste d'Orient,
l'ambassade de France à Constantinople et le ministère français de
l'Instruction publique. L'Académie des inscriptions et belles-lettres de
Paris, les écoles françaises d'Athènes et de Rome ont envoyé gracieu-
sement à la jeune école d'études byzantines de Constantinople des collec-
tions et des revues savantes que ses faibles ressources ne lui auraient
jamais permis de se procurer. D'autres envois généreux lui sont venus
de l'étranger : de l'Académie roumaine de Bucarest, de l'Académie royale
de Belgrade, de l'Académie jougo-slave d'Agram, du syllogue grec de
Constantinople.
Le P. Louis Petit fut, dès le début, membre de ce syllogue, ainsi que
de l'Institut archéologique russe de Péra, et les érudits qui dirigent
ces deux établissements scientifiques, orthodoxes pour la plupart, ont
voué à ce savant religieux catholique une estime qu'ils ne craignent
pas d'affirmer publiquement à l'occasion.
Deux ans après la fondation de la maison, l'on avait déjà acquis un
bon nombre des instruments d'étude les plus indispensables. On
commença par insérer dans plusieurs revues françaises et étrangères
des articles qui furent remarqués. En octobre 1897, paraissait le premier
fascicule des Echos d'Orient. Un peu incertain au début, le programme
de cette revue ne tarda pas à se préciser, sous la vigoureuse impulsion
de celui qui en était l'âme. L'esprit scientifique le plus vrai s'y allia
tout de suite avec le zèle apostolique qui l'inspirait et le soutenait.
L'accueil fut des plus sympathiques. Le Bulletin de littérature ecclé-
siastique de l'Université catholique de Toulouse, alors dirigé par
Me»' Batiffol, écrivait en 1899:
Depuis quelque temps apparaissent en diverses revues d'excellents
articles qui viennent d'un même atelier. Il semble que cet atelier, où l'on
travaille selon les règles de la meilleure critique, ait pris la résolution de
se consacrer à l'étude de l'ancien Orient chrétien, et, comme ces ouvriers
connaissent la topographie de l'Orient à fond, ils nous donnent des
études où, grand avantage, la connaissance des textes s'éclaire de la con-
naissance des monuments et des lieux Nous signalons avec grande
joie ces études, qui sont l'indice d'un éveil. La forte culture ecclésias-
tique est manifestement en progrès, et ce ne sera pas une des moindres
surprises de cette fin de siècle, alors que tels de nos vieux clergés ont tant
de peine à se déprendre de la culture vieillotte et similiuniversitaire, de
pir de jeunes Congrégations comme l'Assomption donner l'exemple
n si vif progrès (i).
\ii) Bulletin de littérature ecclésiastique, t. 1", 1899, p. 255.
lOO ECHOS D ORIENT
Cet atelier scientifique avait désormais son organe propre. On trou-
vera plus loin la liste des articles donnés par le P. Louis Petit à ce recueil, j
qui fut véritablement sien. On y verra qu'aucune des matières de notre I
programme ne lui était étrangère: théologie, droit canon, liturgie,
archéologie, histoire et géographie orientales, il aborda tout avec une
égale compétence. 11 nous paraît utile de signaler ici le travail que les
Echos d'Orient publiaient en juin 1900, sous ce titre : Un nouvel « Oriens
christianus ». Le savant directeur n'y proposait rien moins que la
refonte de l'Oriens christianus de Le Quien, sous forme de mono-
graphies indépendantes.
Le projet était déjà en voie d'exécution, comme en témoignent les
notes de géographie ecclésiastique et les notices épiscopales disséminées
à travers les premiers volumes du périodique. Signalons notamment,
à ce propos, les remarquables études du P. Louis Petit lui-même sur
les évêques de Thessalonique. Communiquée au Congrès d'archéologie
chrétienne tenu à Rome du 17 au 25 avril 1900, cette proposition reçut -
de la docte assemblée le meilleur accueil et les plus précieux encou-
ragements. A l'unanimité fut fixé un ordre du jour dont il ne sera pasi
inutile de transcrire la teneur, car il renferme la mention d'un autre!
projet, ordonné d'ailleurs au précédent, et à l'exécution duquel le|
R. P. Louis Petit ne tardera pas à se donner tout entier.
Vu l'extrême utilité, pour l'avancement de la science chrétienne, d'une
géographie historique de l'Orient chrétien, dans laquelle les grandes divi-
sions ecclésiastiques seraient successivement décrites avec la statistique
des diocèses et la liste des titulaires, le Congrès exprime le vœu qu'un
travail de ce genre soit entrepris pour chacune des Eglises autocéphales
de l'Orient, et préparé dès maintenant par la publication des actes offi-
ciels concernant ces Eglises (i), actes qui permettront de suivre, siècle
par siècle, les modifications survenues dans les diverses provinces. Les
rédacteurs des Echos d'Orient ayant abordé le travail pour les patriarcats
de langue grecque, le Congrès les engage vivement à poursuivre leur
œuvre, et souhaite que des Comités de même genre soient constitués pour
les autres Eglises orientales (2).
Déjà, à maintes reprises, le directeur des Echos d'Orient avait inséré
dans d'autres recueils un certain nombre de ces actes officiels concer-
nant les Eglises orientales. Citons la Revue de l'Orient chrétien, la
(i) C'est moi qui souligne.
(2) Conventus aller de Archœologia christiana Romœ habendus. Commentarius
authenticus, n. 5 (18 mai 1900), p. 188 et 202. Cf. Echos d'Orient, t. II, 1899-1900,
p. 326-333.
^
.■i*
M^^' LOUIS PETIT lOI
Byiantinische Zeitschrift, le l^iiantiiski yremennik, le Bulletin de l'In-
stiiiit archéologique russe de Constantinople. On trouvera plus loin l'énu-
mération des travaux publiés par le R. P. Louis Petit dans ces divers
recueils. On y verra aussi les nombreux articles donnés par l'infatigable
■érudit aux récentes Encyclopédies catholiques de Paris ou de New-York.
Tout cela rentrait dans le plan d'études tracé à la Rédaction des Echos
d'Orient, et notamment les notices consacrées aux évêchés ou aux
•évêques orientaux, surtout dans le Dictionnaire d'histoire et de géogra-
phie ecclésiastique et dans The Catholic Encyclopedia, sont comme un
acheminement progressif au futur Oriens christianus.
Deux voyages d'exploration scientifique du R. P. Louis Petit et du
P. Jules Pargoire au mont Athos, en juillet-août 1901 et en avril-mai-
juin 1905, vinrent enrichir les cartons de nombreux manuscrits.
Le premier de ces voyages avait été entrepris sur la demande de
M. G. Millet, professeur à la Sorbonne, en vue de constituer un pre-
mier essai de Corpus des textes épigraphiques athonites. Il eut pour
résultat immédiat la publication d'un beau volume intitulé : Recueil
des inscriptions chrétiennes du mont Athos, recueillies et publiées par
MM. G. Millet, J. Pargoire et L. Petit (1).
« Cette collection de cinq cents textes et plus, écrivait alors le
P. Pargoire, ne représente, malgré son apparente richesse, que la pre-
mière partie d'une œuvre qui sera certainement doublée, peut-être triplée
■dans un avenir prochain. » Sous le titre général d'Actes de V Athos, le
R. P. L. Petit fit paraître successivement, comme supplément à la revue
byzantine de Saint-Pétersbourg {l^iiantiiski Vremennik) des pièces offi-
■cielles de grand intérêt concernant quelques monastères de la célèbre
presqu'île. La seconde excursion compléta la moisson déjà abondante
de la première. La photographie, mise au service de l'intrépide fouilleur
•de manuscrits, accumula les textes précieux, dont un petit nombre
encore ont pu être livrés aux presses des typographes.
Du reste, une bonne partie des matériaux ainsi recueillis devaient
rentrer dans une vaste œuvre d'ensemble qui réunirait la plus grande
masse possible de pièces officielles concernant les Eglises orientales.
Nous avons vu tout à l'heure cette publication associée par le Congrès
d'archéologie chrétienne au projet de refonte de VOriens christianus.
Précisément vers cette époque, une autre réédition se préparait, à
laquelle le R. P. Louis Petit devait collaborer plus activement encore.
(i) Paris, Fontemoing, 1904, in-8°, 192 pages, avec figures, planches et reproductions.
Cet ouvrage forme le fascicule XCI de \a. Bibliothèque des Ecoles françaises d'Athènes
€i de Rome, publiée sous les auspices du ministère de l'Instruction publique.
102 ECHOS D ORIENT
C'était celle de VAmplissima conciliorum collectio de Mansi, dont l'éditeur
parisien Welter entreprit, en 1903, la reproduction et la continuation.
Celle-ci fut confiée aux soins de deux travailleurs de grand mérite :
M. l'abbé Martin, professeur à la Faculté catholique de Lyon, et le
R. P. Louis Petit. C'est avec une véritable passion que notre éminent
directeur se livra désormais à sa tâche d'éditeur de textes. Les conciles
et documents synodiques orientaux furent naturellement sa spécialité.
Les massifs in-folio se sont succédé rapidement : documents grecs
d'abord, puis bulgares, serbes, roumains, melkites, maronites, etc.,
s'alignent en grandes colonnes compactes, où les historiens n'auront
qu'à venir puiser. Parfois même, son flair exercé d'intelligent biblio-
phile et son infatigable puissance de travail lui font accepter de se
charger, en outre, de telle partie des conciles occidentaux. Tel fut le
cas, par exemple, pour le synode de Pistoie et pour les affaires de la
Petite Eglise; tel doit-il être pour le concile du Vatican.
La continuation de Mansi avait mené le R. P. Louis Petit à Rome,
où les Archives du Vatican et de la Propagande contiennent des trésors
d'inédits qui l'attiraient. En 1908, il se laissa tenter par cet attrait, et,
après un voyage à travers les grandes bibliothèques, à la recherche des
œuvres manuscrites des Cantacuzène, qu'il se proposait alors d'éditer,
il échangea la résidence de Kadi-Keuï pour celle de la Ville Eternelle.
11 pensait y continuer en toute tranquillité sa vie de chercheur et d'édi-
teur de textes. Et c'est ce qu'il fit, en effet, durant trois années entières, .
qui eurent pour résultat, outre une accumulation nouvelle de documents
inédits, deux nouveaux volumes in-folio, l'un consacré aux synodes
melkites, l'autre aux synodes orientaux de 1860 à 1884, et spécialement
aux affaires du schisme gréco-bulgare (i 860-1 872).
Cependant les honneurs vinrent trouver à Rome ce moine savant, '
dont l'unique ambition était de poursuivre ses recherches dans le calme
et la tranquillité que lui assurait, pensait-il, son capuchon monastique.
Honoré depuis longtemps de la confiance de ses supérieurs religieux,
membre du Chapitre général de sa Congrégation depuis 1906, il reçut, ^
en 191 1, le titre et les fonctions d'Assistant général. Ses magnifiques^
travaux lui conquirent très vite l'estime des plus hautes personnalités
ecclésiastiques romaines. 11 se vit confier des tâches délicates et difficiles
dont il s'acquitta avec un tact et une compétence remarquables. Sa con-
naissance très précise du passé des Eglises orientales, de leurs docu-
ments synodaux en particulier, lui permit de rendre de grands services, .;
comme théologien et consulteur, au cours du récent concile des Armé-,;-'
nîens catholiques. Le savant se faisait ainsi apôtre, et de la meilleure.-
;*
M^"" LOUIS PETIT 103
des manières, en mettant sa vaste érudition au service de l'Eglise orien-
tale unie à Rome. Avec quel désintéressement cet apostolat fut exercé,
ceux-là seuls le comprendront pleinement, qui savent combien il en
coûte aux ouvriers de la plume de laisser, pour des mois entiers, un ou
plusieurs volumes sur le chantier, afin de se livrer à un autre travail
exigé ou postulé par les circonstances. Pendent opéra interrupta ,
peuvent-ils dire alors avec le poète Virgile.
Le modeste religieux ne se doutait certainement pas que ce surcroît
de labeur qu'il avait accepté le conduirait à l'épiscopat. 11 aimait trop sa
paisible vie d'étude pour ne pas désirer la maintenir toujours à l'écart
des dignités ecclésiastiques. Le Saint-Siège en a jugé autrement et a
voulu décerner une récompense publique à ce moine qui a si bien
mérité de l'Eglise catholique en Orient. Nous ne pouvons que nous
réjouir de cet honneur, nous qui cependant souhaitons ardemment la
continuation d'une œuvre scientifique si glorieusement commencée.
C'est que, dans le R. P. Louis Petit, il y a plus que le savant et
l'érudit, il y a l'ami au grand cœur, il y a surtout le prêtre, le religieux,
l'apôtre, c'est-à-dire l'homme digne et capable d'être fait par Dieu pas-
teur et conducteur d'hommes. Il l'a été comme supérieur de commu-
nauté; il le sera désormais comme évêque. Tous les religieux qui ont
eu la joie de vivre sous sa houlette peuvent en rendre témoignage.
Tous savent les trésors de bonté, de charité sacerdotale, de dévouement
qui sont dans ce cœur véi'itablement façonné à la taille de l'esprit. On
peut dire de lui ce qu'il disait d'un autre chef non moins vénéré, le
P. Alfred Mariage, supérieur des missions assomptionistes en Orient,
mort le 6 mai 1903 : « S.ms avoir hésité jamais à faire les blessures
salutaires », il était environné « de l'affection et de la reconnaissance
4e tous ».
Ses anciens religieux savent la douceur de sa société, le sel de ses
spirituelles reparties, le charme de ses fines et distinguées causeries. Us
savent aussi avec quelle abnégation cet érudit acceptait de sacrifier ses
livres et ses manuscrits à des devoirs d'un autre genre; comment le
byzantiniste si remarqué se faisait modestement professeur de belles-
lettres, maître d'ascétisme ou de pastorale à la doctrine très nette et
très sûre, prédicateur de retraite au ton chaud et pénétrant. Ils savent
bien d'autres choses encore, qu'ils gardent au fond du cœur, et qu'ils
laissent à Dieu le soin de récompenser.
Qu'on ne s'imagine donc pas que ce savant, ce critique, ce philo-
logue, cet éditeur de textes, ce profond connaisseur des choses ecclé-
siastiques d'Orient, cherche seulement dans ce labeur acharné la satis-
K04 ÉCHOS D ORIENT
faction d'une passion intellectuelle très intense. Outre que son travail
scientifique est conçu par lui à la manière d'un réel apostolat catholique,
le. R. P. Louis Petit possède aussi les qualités requises pour l'apostolat
pratique auprès des âmes et des œuvres. Il le montra tout particu-
lièrement lorsque, en 1903, il géra pendant quelques mois (de mai à
décembre) le supériorat intérimaire de toutes les missions assomptio-
nistes d'Orient, en attendant qu'on nommât un remplaçant du provin-
cial décédé. Ce bibliophile est un véritable missionnaire dans toute la
force du terme; cet érudit est un enthousiaste du règne de Dieu et de
l'Eglise, un passionné des plus saintes causes.
Ici encore je n'ai qu'à le citer, et j'éprouve grand plaisir à le faire,
puisque la citation que j'emprunte se rapporte précisément à l'Orient,
au retour des dissidents à l'unité. Le 8 mai 1903, le R. P. Louis Petit
disait, en prononçant dans l'église de Kadi-Keui l'éloge funèbre du
P. Alfred Mariage, supérieur des missions des Augustins de l'Assomp-
tion en Orient :
En moins de douze ans, son activité a déborde de toutes parts, et
parmi les œuvres dues à son initiative, les plus stériles en apparence ne
furent pas les moins chères à son cœur d'apôtre. Libre à d'autres d'en
vouer quelques-unes à d'inéluctables revers ou à de superbes dédains! Il
a estimé, ce grand croyant, qu'un événement comme le retour des dissi-
dents, que l'Eglise entière appelle de ses prières et le Vicaire du Christ de
ses vœux, ne peut être que voulu de Dieu, et qu'un missionnaire digne
de ce nom a le devoir d'en hâter l'approche, dût-il y perdre et l'honneur
et la vie.
Nous tenions à souligner discrètement ces traits, moins connus du
public, de la physionomie de celui que nous aimons à appeler simple-
ment, dans l'intimité de la vie de famille, le P. Louis. Un journal a eu
raison d'écrire récemment que la modestie du savant religieux égale sa
haute compétence. Ce n'est certainement pas lui qui a cherché les hon- 1
neurs qui viennent couronner son mérite. Nous sommes convaincus
qu'ils ne changeront rien à la simplicité de sa vie et de ses manières,
et qu'il a été plutôt mortifié d'une nomination et d'une dignité quif
modifient un peu ses plans de vie studieuse, tranquille et retirée. Nous
ne s.ivons pas encore quelle sera sa devise épiscopale, mais nous
sommes assurés que celle de sa vie tout entière, vie d'étude et vie
d'apostolat, restera toujours le mot de saint Augustin : labor amaturj,
une fatigue aimée, non point pour elle-même, mais pour le but plus
haut qu'elle atteint et qui est V Adveniat regntim tuum réalisé à sa manière.
Travailleur acharné, très affable, animé d'un grand esprit surnaturel,
ÉCRITS DE Mf?'" LOUIS PETIT IO5
plein d'entrain, le R. P. Louis Petit a été partout estimé et aimé. 11 con-
tinuera certainement à l'être partout; comme il l'a été à Constantinople
et à Rome, il le sera à Athènes, où il est déjà avantageusement connu
et apprécié aussi bien du monde orthodoxe que du monde catholique.
S. Em. le cardinal de Cabrières rappelait récemment, en une phrase
d'exquise délicatesse, l'honneur fait par Pie X à la grande œuvre d'en-
seignement et d'apostolat fondée par le P. d'Alzon, en plaçant Ms^' Louis
Petit « au pied de l'Acropole, au sein des plus beaux souvenirs clas-
siques, et sous le patronage du plus grand orateur qui se soit fait
entendre de l'Aréopage » (i). Le nouvel archevêque représentera à
Athènes le clair génie des lettres grecques, latines et françaises, dont
il s'est si bien inspiré, en même temps que le nouveau délégué aposto-
lique en Grèce y représentera avec honneur cette Eglise catholique pour
laquelle il a déjà tant et si noblement travaillé.
Pour nous, qui avons la joie d'être unis de plus près à Mg"" Louis
Petit, et qui avons maintenant l'honneur de continuer son œuvre ici,
nous ne pouvons qu'être fiers de voir ses mérites récompensés par l'au-
torité la plus sacrée qui soit ici-bas.
Au savant, nous souhaitons de tout cœur les forces, la santé et les
loisirs pour la continuation de ses importants travaux. A l'évêque, nous
offrons nos affectueuses félicitations, nos meilleurs vœux de long et
fécond épiscopat: EU Tzoklb. IV^!
^w nom de la Rédaction des « Echos d'Orient »,
S. Salaville.
Kadi-Keui'.
ÉCRITS DE M°^ LOUIS PETIT
Les Confréries musulmanes. Paris, Bloud, 1899, in- 12, 70 pages.
Vie et Office de Michel Maléinos et traité ascétique de Basile le
Maléinote. Paris, A. Picard, 1903, in-8°, 67 pages.
Actes de l'Athos: I. Actes de Xénophon. Saint-Pétersbourg, 1903,
in-8°, ii3 pages. IL Actes du Pantocralor, in-8", xix-77 pages. III. Actes
d'Esphigménou. Saint-Pétersbourg, 1906, in-8°., 122 pages.
En collaboration avec M. G. Millet et le P. J. Pargoire : Recueil des
inscriptions chrétiennes de l'Athos, P« partie. (Bibliothèque des Écoles
françaises d'Athènes et de Rome, Fasc. XCI). Paris, Fontemoing, 1904,
in-8'', 192 pages, avec figures, planches et reproductions.
(i) Lettre à M. Maurice Barrés, de l'Académie française, au sujet des Petites-Sœurs
de l'Assomption, 10 mars 1912. (Voir le journal la Croix du 16 mars.)
io6 ÉCHOS d'orient
Vie et Office de saint Euthyme le Jeune. Paris, Picard, 1904, in-8°,
87 pages.
Typicon de Grégoire Pacourianos pour le monastère de Bachkovo.
Saint-Pétersbourg, 1904, in-8°, xxxn-63 pages.
Vie de saint Athanase l'Athonite (Extrait des Analçcta Bollandiana,
t. XXV), in-S", 89 pages. Bruxelles, 1906.
Mansi, Amplissima Collectio Conciliorum. Dans cette collection qui
est en voie de publication, le R. P. Petit a publié à lui seul les tomes XL.
XLI. XLIF, XLV et XLVI. Il a fourni la majeure partie des volumes
XXXVIÏ, XXXVIII et XXXIX. II a paru un tirage à part de la partie orien-
tale du tome XXXIX, sous le titre : Serborum per Hungariam consti-
tutorum ordinatioties ecclesiasticœ, Paris, A. Welter, 1906, in-fol.,^
459 pages, et un autre tirage à part de la partie du tome XLV concernant
le conflit gréco-bulgare de 1860 à 1872, sous le titre: Acta dissidii eccle-
siastici grœco-bulgarici, Paris, A. VV'elter, 191 1, in-fol., 562 colonnes.
Articles parus dans la Revue de l'Orient chrétien :
Règlements généraux de l'Église orthodoxe en Turquie, t. III, 1898,
p. 393-424; t. IV, p. 227-246.
Règlements généraux des Arméniens catholiques, t. IV, p. 3o5-3i7.
Une bagarre au Saint-Sépulcre en i6q8, t. VIII, p. J71-476.
Bulle du patriarche Métrophane sur le mariage, t. IX, p. 139-143.
Articles parus dans la Byiantinische Zeitschrift :
Notes d'histoire littéraire, t. VII, 1898, p. 594-698.
Office de Nicéphore Phocas, t. XIII, p. 398-420.
Recension de 1 ouvrage de K. Ahrens et G. Krûger : Kirchengeschichle
des Zacharias Rhetor, t. IX, p. 527-53o.
Articles parus dans la Chronique byzantine {yiiantiiskii Krenminik,.
revue russe ) :
Monodie de Nicétas Eugénianos sur Théodore Prodrome, t. IX, ;
1902. p. 446-463.
Documents inédits sur le Concile de 1166 et ses derniers adversaires, 1
t. XI, 1904, p. 465-493.
Les Actes de l'Athos signalés ci-dessus ont paru en supplément dans
cette revue.
Articles parus dans le Bulletin de l'Institut archéologique russe de
Constantinople :
Monodie de Théodore Prodrofne sur Etienne Skylit^ès, métropolitaia|
de Trébizonde, t. VIII, 1902, p. 1-14.
ÉCRITS DE Mf-'"" LOUIS PETIT IO7
Le monastère de Notre-Dame de Pitié en Macédoine, t. VI, 1900,
p. i-i53.
Typikon du monastère de la Konnosotira, près d'Aenos (ii52),
t. XIII, p. 17-77.
Articles parus dans le Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie :
Allatius (6 colonnes), Anabathmoi (8 colonnes), Anacréontiques
(7 colonnes), Anastasiaatarion (2 colonnes), André de Crèfe (7 colonnes),
Anthologion(2 colonnes), Antiphone dans la liturgie grecque{^6co\onnes),
Archieraticon (1 colonne), Assemani i% colonnes), Bastagarius, Brevion
(4 colonnes), Boutisies.
Articles publiés dans The Catholic Encyclopedia (Encyclopédie des
catholiques américains). Le R. P. Louis Petit a donné quelques notices
d'évêchés orientaux à cette encyclopédie.
Articles publiés dans le Dictionnaire d'histoire et de géographie ecclé-
siastiques :
Aaro7i de Bistra, Abraham Ecchellensis, Achilius (saint), etc.
Articles publiés dans le Dictionnaire de théologie catholique Vacani-
Mangenot :
Angélologie dans les Églises orthodoxes (5 colonnes), Alexeiev, Acomi-
natos (Nicétas), Abjuration dans V Église grecque (i5 colonnes). Ame,
doctrine des Grecs (10 colonnes), Arcudius (P'itrre), A r^en//s (Eustratios),
i4r/.f/è«e, (Alexis), Arménie (80 colonnes), Arsène Antorianos, Balsamon
(Théodore), Blastarès (Mathieu), Brucolaque (4 colonnes). Confession
dans i Eglise arménienne, Damascènc le Studite, Dapontès (Constantin),
Démétrius (Darvaris), Déméiracopoulos (Andronic), Démétrius Choma-
tianos, Démétrius de Cysique, Démétrius de Lampe, Denys d'Andri-
nople, Denys IV de Constantinople.
Articles publiés dans les Échos d'Orient :
Entre anglicans et orthodoxes au début du xviW siècle, t. VIII, 32i.
L'entrée des catholiques dans i Église orthodoxe, t. II, 129.
La grande controverse des colybes, t. II, 32 1.
Du pouvoir de consacrer le Saint-Chrême, t. III, i.
Nova et Vetera, à propos d'une découverte liturgique, t. III, 5o.
Composition et consécration du Saint-Chrême, t. III, 129.
Euchologie latine et euchologie grecque, t. IV, i.
Le manuel canon que du moine Christophore, t. II, io3.
Le canoniste Agapios Léonardos, t. II, 204.
Vie et ouvrages de Néophyte le Reclus, t. II, 257, 372.
!08 ÉCHOS d'orient
Notes sur les homélies de Léon le Sage, t. III, 245.
Le moine Agapios Landos, t. III, 278.
Agapios Landos et la «Revue internationale de théologie », t. IV, 3o3.
Un texte de saint Jean Chrysostome sur les images, t. XI, 80.
Un nouvel « Oriens christianus », t. III, 326.
Les évêques de Thessalonique, t. IV, i36, 212; t. V, 26, 90, i5û.
212; t. VI, 292.
Macaire de Thessalonique, t. VIII, 272.
La réjorme judiciaire d'Andronic Paléologue, t. IX, 134.
Les publications populaires en Turquie, t. I, 266.
Le Syllogue littéraire grec de Constantinople, t. I, Sg.
L'épitaphe de Pierre Gilles, t. III, 64.
Deux mots sur Pierre Gilles, t. V, SyS.
Un poids byzantin inédit, t. X, 199.
Découverte archéologique de M. Ouspensky, t. III, 209.
L' « Asie Mineure » de M. Str^ygowski, t. VIII, 307.
Le R. P. Jules Pargoire, t. X, 257.
Dans la collection des Contemporains éditée par la Bonne Presse, le
R. P. Louis Petit a publié de 1897 à 1901 les biographies suivantes :
Le sultan Mahmoud, Méhémet-Ali, Le sultan Abdul-Medjid, Le sultan
Abdul-A^i^, Ibrahim Pacha, Sélim III, Soliman Pacha, Midhat Pacha,
Othon P\ roi de Grèce, l'émir Béchir, prince du Liban, Pierre /",
prince de Monténégro, Alexandre de Battenberg, prince de Bulgarie.
FORMATION
DU PATRIARCAT D'ANTIOCHE
n
I. Avant le concile de NIcée
L'annonce de l'Evangile parvint, dès les premiers jours, à la commu-
;iuté juive d'Antioche, puisque Nicolas, l'un des sept premiers diacres,
était originaire de cette ville ( i ). Dès que la persécution sévit à Jérusalem,
immolant Etienne et dispersant les collaborateurs du Christ, apôtres et
disciples se rendirent dans la métropole de l'Orient, prêchant la bonne
nouvelle aux seuls enfants d'Israël : tiemini loqiienfes verbuni nisi solis
jitdœis (2). Cette conception étroite du christianisme répugnait à l'esprit
libéral des missionnaires, venus de Chypre et de Cyrène, qui étaient,,
depuis leur naissance, en contact journalier avec les Gentils; ils se
mêlèrent à eux, leur firent part des grandes vérités qui intéressaient
tous les hommes, sans distinction de race ou de nationalité, et, si grands
qu'eussent été les progrès de la religion nouvelle parmi les fils de la
synagogue, c'est de préférence au sein de la population païenne qu'elle
recruta des adhérents. Antioche fut réellement la première Eglise de la
gentilité, le vrai berceau du christianisme.
Barnabe d'abord, puis son ami Saul vinrent, au nom de l'Eglise mère
de Sion, approuver ces innovations, affermir les volontés défaillantes,
organiser la communauté. Bientôt, le nombre des disciples s'accrut dans
de telles proportions que, pour les distinguer des juifs, le vulgaire les sur-
nomma chrétiens (3). Antioche devint alors le centre effectif des mis-
sions, d'où des apôtres zélés comme Barnabe, Simon le Noir, Lucius de
Cyrène, Manahen, Paul (4), Jean Marc, Silas, etc., rayonnèrent dans les
îles de Chypre et de Crète, dans les grandes cités de l'Asie Mineure, de
la Thrace et de la Macédoine. Au retour de chaque expédition évangé-
lique, Paul ne manqua jamais d'aller consoler ses enfants d'Antioche
et de retremper sa ferveur sur le premier théâtre de son apostolat (5).
Cependant, les multiples conversions opérées parmi les Gentils
éveillaient la jalousie chez les chrétiens judaisants, qui auraient voulu
• I ' Acl. IV, 5.
:;( Act. XI, ig.
;i) .4c/. XI, 26.
41 Act. XIII, I.
3) Act, XIV, 25; xv, 35; xviii, 22.
! lO ÉCHOS D ORIENT
leur imposer les pratiques de la Synagogue. Entrés directement dans le
bercail du christianisme sans passer par la porte des observances
mosaïques, les chrétiens de la gentilité repoussaient la circoncision, le
repos sabbatique et les autres pratiques légales des onvertis du judaïsme.
De là des disputes véhémentes entre les deux fractions de la commu-
nauté antiochienne. Paul et Barnabe prirent ouvertement parti contre les
observances légales et portèrent les doléances des fidèles sortis du paga-
nisme devant l'assemblée des apôtres àjérusalem, vers l'année 52. Le con-
cile ratifia les innovations des deux hardis missionnaires et proclama
l'affranchissement absolu des Gentils vis-à-vis du joug de la Loi (i).
Lorsque Céphas, venu à Antioche et oublieux des prescriptions du
concile de Jérusalem, se tint à l'écart des chrétiens sortis du paganisme
et sembla par son silence encourager l'opposition des judaïsants, Paul
lui résista en face et le remit dans le chemin de la vérité (2). Ce trait,
relevé par saint Paul, donne une certitude presque absolue à la tradition
<^ui fait vivre saint Pierre à Antioche. Nous avons des témoins de cette
tradition dans les écrits d'Origène, d'Eusèbe, de saint Jérôme et de saint
Jean Chrysostome (3), pour ne pas descendre plus bas que le iv^ siècle.
Toutefois, Antioche, qui se glorifiait d'avoir possédé sant Pierre
n'estimait pas que le chef des apôtres eût été proprement son évêque;
en effet, Eusèbe de Césarée, qui avait sous les yeux les catalogues d
■cette Eglise, fait d'Evodius le premier pontife d'Antioche et de saint Ignace
le second (4). Quelle fut la durée du séjour de saint Pierre dans la!
capitale de la Syrie? Il nous est impossible de le dire. La tradition, qui^
lui attribue sept années d'épiscopat, ne paraît pas être plus ancienne
que le pape saint Grégoire le Grand (5). Quoi qu'il en soit, la gloire
d'avoir abrité le chef de l'Eglise rejaillit sur Antioche et l'éleva de bonne
heure au-dessus des autres sièges apostoliques.
A Evodius succéda le célèbre martyr Ignace, mort entre les années
107 et 117, qui s'intitule lui-même « évêque de Syrie » et parle à
plusieurs reprises de « l'Eglise de Syrie », à laquelle on l'a arraché pour ;
,1e conduire à Rome (6). Ces deux expressions, qui peuvent à la rigueur
correspondre à celles d'évêque d'Antioche et d'Eglise d'Antioche, se\
comprennent beaucoup plus naturellement, « si l'on suppose que l'action
(i) Act. XV.
(2) Gai. III, ii-i5.
(3) Origène, In Luc. homilia VI; Migne, P. G., t. XIII, col. i8i5; Eusèbe, Ihs..
eccles., m, 36; S. Jérôme, In Gai., c. 11; Migne, P. L., t. XXVI, col. 341; De viris
illustribus, i; S. Jean Chrysostome, Homil. in Ignat., Migne, P. G., t. L, col. 591.
(4) Hist. eccles., m, 22.
(5) Epistola ad Eulogium Alexandrinum, 1. VI, ep. XXXVIl.
(6) Ephes. XXI, 2; Magn., 14; Trall. xiii, i; Rom. 11, 2; ix, i.
i
FORMATION DU PATRIARCAT D ANTIOCHE I I I
^piscopale d'Ignace s'étendait au delà de la ville d'Antioche, sur les pre-
mières chrétientés que la prédication évangélique avait déjà pu fonder
•dans ce pays » (i). Mê nie avec cette interprétation, on ne saurait
admettre toutefois que, si l'autorité religieuse d'Ignace s'est réellement
exercée hors des limites de la cité d'Antioche, elle a été également
étendue à d'autres provinces que la Syrie, par exemple à la Cilicie, à
la Palestine et à Chypre, provinces dont l'existence est déjà constatée
à cette époque.
Entre saint Ignace et Théophile, Eusèbe cite les évêques : Héron,
Corneille, Héros (2), dont on n'a retenu que les noms. Théophile, qui
■semble avoir vécu sous Marc-Aurèle et Commode, réfuta, dans ses apo-
logies, les erreurs d'Hermogène et de Marcion. Il composa des écrits
•catéchétiques, et, le premier, employa le mot de Trinité, désignant les
trois personnes sous le nom de Dieu, son Verbe et sa Sagesse. S'il
a écrit la première Chronique remontant à la création, comme c'est
probable, Théophile a le mérite d'être le plus ancien historien ecclé-
siastique. Il ne servirait de rien de continuer l'énumération des titu-
laires d'Antioche, dont Eusèbe de Césarée nous a conservé la liste
intégrale; mieux vaut insister sur les faits religieux du ir et du iw siècles,
•qui mirent peu à peu l'Eglise d'Antioche en relief et soumirent à sa
juridiction tout l'épiscopat de l'Orient.
Vers la fin du if siècle, Sérapion, évêque de cette ville (190-21 1),
intervient comme juge suprême dans une question religieuse qui divi-
sait ia communauté chrétienne de Rhossos, en Cilicie. Un fragment de
la lettre qu'il adressa à cette Eglise sur le prétendu évangile de Pierre
{retrouvé de nos jours en Egypte), a été inséré par Eusèbe dans son
Histoire ecclésiastique (3); il nous apprend que l'évêque d'Antioche
javait déjà visité les chrétiens de Rhossos pour examiner leur foi, et
qu'il devait y retourner, dans le dessein de mettre un terme aux dis-
[sensions religieuses des fidèles. La tradition d'Edesse rapporte également
que, vers i'an 200, Palout, le troisième évêque de cette ville, fut con-
sacré par le même Sérapion (4); il avait succédé à Aggai, lequel avait
emplacé Addaï, qui ne fut ni l'un des soixante-douze disciples ni
l'apôtre Thaddée, comme l'a écrit Eusèbe (5), mais un missionnaire venu
(i) Flamion, dans Revue d'histoire ecclésiastique, t. II (1901), p. Soy.
(2) Hist. eccles., IV, 10.
{3) Hist. eccles., vi, 12.
(4) TixERONT, Les Origines de l'Eglise d'Edesse. Paris, 1888, p. 140.
^5) Hist. eccles., iv, i3.
1 12 ÉCHOS D ORIENT
de Palestine, vers le milieu du ii" siècle, évangéliser la Mésopotamie. A
partir de cette époque, l'Eglise d'Edesse, jusque-là en relations suivies
avec Jérusalem et la Palestine, d'où lui étaient arrivés ses premiers
apôtres, est entraînée vers la métropole civile et religieuse de la Syrie.
Ces deux faits dénotent la nature des rapports existant entre Antioche
et les Eglises que ses missionnaires avaient évangélisées ou qui étaient
attirées à elle par son prestige; ils reconnaissent à l'évêque d'Antioche
une sorte de primauté sur des chrétientés distinctes de son Eglise parti-
culière et situées dans d'autres provinces. 11 y a d'autant plus d'intérêt
à les relever que, malgré le double titre d'Eglise apostolique et de
capitale de l'Orient que possédait Antioche, les textes étaient muets
jusqu'à cette époque sur cette autorité métropolitaine et même prima-,
tiale qui lui appartient alors et qu'elle exercera dans la suite avec plusî
d'ampleur. En effet, si l'on considérait uniquement les conciles qui
furent tenus au cours du ii« et du iii« siècle, les évêques qui y prirent
part et ceux qui les présidèrent, on serait amené à n'attribuer à l'évêque
d'Antioche aucune autorité spéciale en dehors de celle qu'il exerçait natu--'
rellement sur son Eglise. ■
Vers la fin du ii^ siècle, un concile, à propos de la querelle pascale,
groupe les évêques de Gésarée, d'^lia, de Ptolémaïs, de Tyr et quelques
autres dont on ignore les sièges (i). Or, Tyr et Ptolémaïs appartenaient^
alors à la province de Syrie (bientôt après à la nouve.le province de Phé- j.
nicie), tandis qu'^Elia et Gésarée étaient dans la province de Palestine.
Il est à noter aussi que, dans leur lettre synodale, dont Eusèbe nous a
conservé un fragment, ils déclarent qu'ils ont l'habitude de s'entendre^
avec l'évêque d'Alexandrie pour fixer la date de Pâques. Aucune trace d^
relations avec la métropole de la Syrie (2).
N'exagérons pas pourtant l'importance de ce fait, car, au sujet d
la date pascale, toutes les Eglises avaient coutume de s'adresser
l'évêque d'Alexandrie, et cela non seulement au ii® siècle, mais au v«™
et beaucoup plus tard, alors que la délimitation des patriarcats était
fixée depuis longtemps; il n'en est pas moins vrai que le concile fut
tenu à Gésarée de Palestine, non à Antioche, et que les évêques de
rOsrhoène se réunirent également chez eux, c'est-à-dire sans doute à
Edesse (3).
Une lettre de Firmilien de Gappadoce à saint Gyprien, datée de la fia
de l'année 2^6, parle d'un concile régional tenu par lui à Iconium erf
r
I
(i) Eusèbe, Hist. eccles., v, 23 et 25.
(2) DucHESNE, Origines du culte chrétien. Paris, 1898, p. li
(3) Eusèbe, Jlist. eccles., v, 23.
FORMATION DU PATRIARCAT D ANTIOCHE I 1}
i'iuygie, // y a longtemps, probablement vers l'année 230, d'accord
v< avec les évêques de Galatle, de Cilicie et des autres provinces voi-
sines » (i). Là non plus, aucune trace d"une influence quelconque du
prélat antiochien, qui ne fut peut-être même pas convoqué. Il faut en
diie autant du concile de Synnades en Phrygie, rassemblé pour le même
)b;et et sans doute aussi à la même époque que celui d'iconium (2). Un
peu plus tard, vers 244, un concile fut réuni à Bostra d'Arabie au sujet
Jrs erreurs de Bérylle, évêque de cette ville (3); nombre d'évêques
iiibes y assistaient, sans qu'il soit fait la moindre allusion à celui
1 \ntioche. Quelques années après, un autre concile est tenu dans la
nèine province (4), auquel sont présents quatorze évêques (5). Encore
me fois, aucune allusion ni à la présidence de l'évêque d'Antioche ni
i sa présence.
Hn 251, quand Fabius d'Antioche semble incliner vers les idées nova-
iennes, les évêques de Tarse en Cilicie, de Césarée de Palestine et de
'esarée de Cappadoce prennent l'initiative de réunir à Antioche un con-
fie qui, du reste, n'eut probablement pas lieu.
Quelques années après, en 256, Denys d'Alexandrie, passant en revue
es Kglises d'Orient qui avaient été agitées par ce conflit, nomme Antioche,
>ésarée de Palestine, .-Elia, Tyr, Laodicée de Syrie, Tarse et Césarée de
Cappadoce (6).
Un peu plus tard, entre les années 263 et 268, des conciles se réu-
nissent à Antioche pour l'affaire de Paul de Samosate. Ce prélat, con-
ident et ministre de la célèbre Zénobie, menait la vie fastueuse et
]Lielque peu vicieuse d'un homme du siècle; il avait introduit dans
église des chœurs de femmes pour chanter ses louanges et niait même
:i divinité de Jésus-Christ. La question passionna tout l'Orient, et
iiena par trois fois dans la ville d'Antioche toutes les célébrités ecclé-
iastiques de l'Asie Mineure et des provinces syriennes. A défaut de
)enys d'Alexandrie, qui, invité, avait prétexté son âge et ses infir-
nités, les deux premiers conciles paraissent avoir été présidés par Fir-
nilien de Césarée de Cappadoce, assisté de Grégoire de Néo:ésarée,
Iclenus de Tarse, Nicomas d'iconium, Hyménée de Jérusalem, Theo-
eenus de Césarée en Palestine, Maxime de Bostra, etc. Au troisième
(i) MiGNE, P. L.. t. 111, col. 1201.'
(2) Le concile de Synnades est sij^nalé, avec celui d'iconium, par Denys d'Alexan-
rie, EusÈBE, Hist. eccles., vu, 7.
(3) EuskBE, Hist. eccles., vi, 20; S. Jérôme, De viris illustribus, lx.
(4) EusÈBE, Hist. eccles., vi, 87.
\b) Libellus synodicus, dans Mansi, Conciliorum Colleclio, t. I, col. 790.
[6) EusÈBE, Hist. eccles., vu, 5; Duchesne, Origines du culte chrétien, p. 19.
Echos d'Orient, t. XV. 8
I 14 ÉCHOS D ORIENT
concile, tenu en 267 ou 268, et qui déposa Paul de Samosate, le titu-
laire de Césarée de Cappadoce ne put assister, car il mourut en route
à Tarse, et ce fut l'évêque de la métropole de Cilicie qui le remplaça;
on y remarquait la plupart des prélats qui avaient pris part aux deux
conciles précédents (i).
Que conclure de toutes ces réunions synodales, tenues tantôt dans
les provinces de Syrie, tantôt dans celles d'Asie Mineure, et où voisi-
naient les .évêques de Palestine, d'Arabie, de Syrie, de Galatie, de
Cilicie, de Phrygie, de Cappadoce et même du Pont polémoniaque?J
Rien de particulier pour le sujet qui nous occupe. Du moment quf
l'évêque d'Antioche comparaît à titre d'accusé ou bien qu'il est absent,
il va de soi que la présidence de ces conciles devait incomber à d'autres 1
qu'à lui. On ne saurait donc en déduire ni que sa juridiction se limi-î
tait à sa ville épiscopale ni que son autorité primatiale s'étendait à
d'autres provinces que la sienne. Le seul point à retenir de ces grandes
manifestations conciliaires, c'est l'entente, la bonne harmonie qui
règne entre les évêques des provinces de Syrie et d'Asie Mineure, à
l'exception de l'Asie proconsulaire, restée toujours à l'écart de ce groupe.
Un corps épiscopal régional s'est déjà formé, dont on ne voit pas
encore nettement le véritable chef, sans parler bien entendu des chefs
secondaires ou métropolitains qui existaient dans chaque province.
Avant le concile de Nicée, qui mit fin au moins juridiquement à cette
situation provisoire, nous ne connaissons que deux conciles réunis
entre les années 314 et 320, l'un à Ancyre, l'autre à Néocésarée, et
qui furent tous les deux présidés par Vital, évêque d'Antioche. Bien
que le nombre des membres fût assez restreint, ce sont toujours les
mêmes provinces qui sont représentées, en y ajoutant celles de Bithynie,
de Pisidie et de Pamphylie, qui avaient aussi quelques délégués (2).
Faut-il en conclure que l'évêque d'Antioche était, dès lors, considéré
comme le primat de toutes ces provinces? Aucunement; pas plus que
nous n'avons accordé la même autorité à l'évêque de Césarée de
Cappadoce, lorsque, au siècle précédent, il se trouvait à la tête du
même épiscopat dans les conciles d'Iconium et d'Antioche; pas plus
que nous ne l'aurions reconnue à l'évêque d'Alexandrie, si son état
de santé avait permis à saint Denys de venir à Antioche en 264 juger
la cause de Paul de Samosate.
{Â suivre.) Siméon Vailhé.
(i) EusfeBE, Hist. eccles., vir, 27-30; Mansi, Conciliormn Collectio, t. I, col. logS sq.
(2) Mansi, op. cit.,. t. II, col. 5i3 sq.; col. SSg sq.
LA « PRIÈRE DES SEPT DORMANTS »
LE TEXTE GREC ACTUEL
ET LE TEXTE PRIMITIF
Parmi les prières que les femmes de Grèce demandent au papas de
iL'citer pour éloigner de leur enfant la fièvre si commune en ces pays
d'humidité chaude et de trop rudimentaire hygiène, il en est une qui
porte le nom singulier de « Prière des sept enfants ». Elle a été insérée
dans le Grand Euchologe sous ce titre : Kjyr, s».? T.'j^zvr^ xal jj.r, 'jTTvoùvTa,
Y, 0)^ AsysTat. Ttôv àyûov STixà Tzaioojv ( i).
Hn voici la traduction. L'Ey/r, tient en cinquante lignes, de page
inat in-40. Sur ces cinquante lignes, la première phrase en occupe
quarante et une. C'est dire qu'une traduction élégante est assez
malaisée.
O Dieu, grand et digne de louanges, incompréhensible et ineffable, toi
qui, ayant pris un peu de poussière de tes mains, as formé l'homme et
l'as honoré de ta ressemblance. O Jésus-Christ, nom désiré, avec Dieu
ton Père sans commencement et ton Esprit très saint, bon et vivifiant,
manifeste-toi dans ton serviteur N..., et visite-le dans son corps et dans
son âme, touché par les prières (oi»(7to7rou[X£voç) de notre glorieuse Dame
la Vierge Marie, Mère de Dieu, et des puissances célestes, les saints
anges; par les prières du vénérable et glorieux Jean prophète, précurseur
Cl baptiste, et des glorieux et illustres apôtres; par celles de nos saints
Pères, les grands hiérarques et docteurs universels, Basile le Grand, Gré-
-îoire le théologien, Jean (>hrysostome, Athanase et Cyrille; de nos saints
Pères Nicolas de Myre, Spyridon de Trimithunte les thaumaturges [2),
L't de tous les saints hiérarques; par les prières de saint Etienne, apôtre,
protomartyr et archidiacre; des saints et glorieux martyrs Georges le
porte-trophée, Démétrius le Myroblite, Théodore le Stratélate et de tous
!' s martyrs; par celles de nos Pères les moines, pleins de l'esprit de Dieu,
! IvJyoXÔYcov To (léya. Athènes 1902 (Edition Paraskévopouios), p. 407; l'édition
liolique de la Propagande, Rome, iSyS, contient aussi cette prière, p. 343-344, sauf
m court passage qui en a étc supprimé. Cf. Goar, EJyoXôytov sïve Rituale grœcorum.
Paris, 1647, p. 703. Dom Huber, O. S. B., qui a consacré rjicemment un volumineux
Hivrage à la Légende des Sept Dormants, Die Wander légende von deti Siebenschlœ-
fern, Eine literargeschichtliche Untersuchung (Leipzig, lyio), ne fait pas même
mention de cette intéressante formule liturgique.
(2) Goar écrit à tort -oC Oaj[i.aTo-jpi'Oj. Voir son Euchologion, p. 446; l'édition de la
Propagande, /oc. cit., porte aussi simplement : STrupiôwvoç tou 6au[j.aTO-jpYoù.
ri6 ÉCHOS d'orient
Antoine, Euthyme, Sabbas le sanctifié, Théodose le cénobiarque, Onufre,
Arsène, Athanase l'Athonite et tous les saints moines; par celles des gué-
risseurs, les saints anargyres Cosme et Damien, Cyrus et Jean, Panta-
lémon et Hermolaùs, Samson et Diomède, Thalélaius, Tryphon et les
autres; par celles de saint N... et de tous les saints, et accorde-lui un
sommeil réparateur, un sommeil qui donne à son corps guérison, salut
et vie; accorde-lui la santé de l'âme et du corps.
Ainsi autrefois tu as visité Abimélek ton serviteur dans le temple
d'Agrippa, et tu lui as accordé un sommeil consolateur pour qu'il ne
soit pas témoin de la ruine de Jérusalem, et ce sommeil lui-même était
sa nourriture. Puis en une seconde tu l'as réveillé pour manifester ta
bonté, £tç oô^av TTi? (7T,ç àyaGÔTT,To;. De même aussi durant les jours de
Dèce, le roi apostat, tu glorifias les sept enfants, confesseurs et témoins
de ta venue (iTT'.c&avstaç), les endormant dans la grotte où durant trois cent
soixante-deux ans ils demeurèrent comme des foetus dans le sein de leur
mère, sans souffrir des atteintes de la corruption ; cela, afin de magnifier
ton amour pour les hommes, et en témoignage assuré de la palingénésie
et de la résurrection des morts. Toi-même, ô Roi qui aime les hommes,
deviens-nous présent par la venue de ton Saint-Esprit, et visite ton ser-
viteur N..., et accorde-lui guérison, force et bonne santé, car de toi vient
toute grâce et tout don parfait.
Car tu es le médecin des âmes et des corps, et de nous vers toi montent
la louange, les actions de grâces et les adorations; vers toi, qui es avec
ton Père sans commencement, et avec ton Esprit très saint, bon et vivi-,
fiant, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles.
Avant de faire semarquer la singularité de cette longue oraison, il
est bon de donner quelques détails sur les personnages invoqués ou
pris en exemple. Saint Basile, saint Grégoire, d'autres encore sont très
connus. Saint Spyridon est l'évêque de Trimithunte, dans l'île de
Chypre, qui assista au concile de Nicée et mourut vers 348. Son corps,
dans la suite, fut transporté à Constantinople, puis vers 1500, sous
le coup de la crainte des Turcs, à Corfou, où il est conservé intact,
dit-on, dans une riche châsse d'argent. C'est le saint le plus vénéré
des îles Ioniennes, tant par les catholiques que par les orthodoxes (i).
La relation des miracles que les Grecs lui attribuent remplirait de gros
volumes.
Saint Nicolas, le saint préféré des tout jeunes Français, est l'évêque
(i) Le curé latin d'une grande ville de Grèce m'a dit que pour empêcher les catho-^
liques d'aller vénérer dans les églises orthodoxes l'icône de saint Spyridon, il avai
dû la placer dans son église.
LA « PRIÈRE DES SEPT DORMANTS )> I 17
ac Myre, dont le corps est conservé à Bari, dans la Fouille.
Saint Georges le Victorieux est également célèbre. Avec Théodore
It' Stratélate et Démétrius le Myroblite, il fait partie du groupe dit des
s.iints militaires, qu'on pourrait tout aussi bien appeler le groupe des
saints méconnus, puisque aucun peut-être de ceux qui le composent n'a
été militaire au sens propre du mot (i).
Un très ancien récit rattache Georges à la Cappadoce et le fait
mourir sur l'ordre de l'empereur des Perses, Datianos. « C'est un tissu
d'inepties », déclare le P. Delehaye (2). Georges, par exemple, fait
porter des fruits à vingt-deux sièges de bois et ressuscite des morts
qui reposent dans un sarcophage depuis quatre cent soixante ans,
cinq hommes, neuf femmes et trois enfants. Dans des actes latins,
plus modernes et plus vraisemblables, c'est Dioclétien qui prononce
la peine de mort, et le prodige des dix-sept ressuscites est devenu la
résurrection d'un païen mort seulement depuis plus de trois cents
années avant la venue de Jésus-Christ, comme il le confesse lui-
même (3). Il est peu d'églises en Grèce où on ne trouve l'icône de
saint Georges. 11 est représenté en soldat, dans la fière attitude du
Dexiléos du Céramique d'Athènes, sur un cheval cabré et perçant
d'une longue lance un horrible dragon.
Démétrius ou Dimitri, patron de Salonique, souffrit le martyre sur
i ordre de Maximien à Salonique même, raconte une première légende.
Rien n'y dit qu'il soit un soldat. Il joue plutôt le rôle d'un catéchiste
volontaire et d'un prédicateur.
De Saint Théodore on sait encore moins. Il existe un très ancien
Ihéodore le Conscrit, 28 février, dont le culte avait pour centre la ville
d'Euchaita, dans l'Hélénopont. A une époque difficile à préciser, on
commença à faire mention d'un homonyme, Théodore le Stratège ou
le Général, que l'on rattache aussi à Euchaita. Son existence n'est point
établie historiquement (4).
(i) Un des plus connus de ces sai7its militaires est saint Procope de Césarée, lec-
teur et exorciste. Le R. P. Delehaye a fait assez longuement le récit de ses transfor-
mations successives. Les Légendes hagiographiques. Bruxelles, 1906, p. 142.
(2) Pour ces trois saints, je me sers beaucoup du livre déjà classique du R. P. Dele-
haye, les Légendes grecques des saints militaires. Paris, 1909. Saint Théodore occupe
le chapitre 11; saint Georges le chapitre m, et saint Démétrius le chapitre vi. Voir
aussi, pour saint Théodore, Analecta Bollandiana, igti, t. XXX, p. 457; et pour les
difficultés que l'on essaye de tirer de ces légendes, la série d'articles que M. Vacandard
a publiés dans la Revue du clergé français sur les saints, successeurs des dieux,
surtout la livraison du i5 octobre 191 1.
(3) C'est la version que les hagiographes populaires ont adoptée. Cf. Nicodème
l'Hagiorite, i]uvaÇapi(TTrj<;, au 23 avril. (Edition Nicolai"dès Philadelphe, Athènes, 1868^
t. 11, p. io5.)
(4) H. Delehaye, op. cit., p. i5.
1 I 8 ÉCHOS D ORIENT
Ces trois martyrs, les deux premiers surtout, jouissent d'une vogue
immense dans le monde orthodoxe. Le fondateur de la jeune dynastie
grecque a voulu s'appeler Georges.
Le groupe des moines succède, dans notre prière, à celui des mar-
tyrs. Sabbas le Cappadocien, surnommé le Sanctifié, fut, à l'époque de
Justinien, un des plus célèbres abbés de Palestine. 11 avait été dans sa
jeunesse disciple d'Euthyme l'abbé, qui est sans doute le personnage
nommé avant lui dans la prière. De même, l'abbé Théodose le Céno-
biarque, également Cappadocien et disciple de Siméon le Stylite, vécut
dans le même temps près de Jérusalem.
En 1906, le R. P. Petit, des Augustins de l'Assomption (i), a public
une longue vie inédite de saint Athanase l'Athonite, le grand patron
des caloyers grecs. Athanase est le fondateur de la Grande Laure, ou
son corps est conservé, et le premier législateur de la sainte montagne.
Il n'est donc pas étonnant qu'il soit invoqué ici à la suite des grands
moines Onufre et Arsène, antérieurs de plusieurs siècles.
Pour finir, on invoque les anargyres Cosme et Damien, ceux qui
soignent et guérissent gratis, et un quadruple groupe de martyrs (Cyr
et Jean, Pantaléon et Hermolaùs, Samson et Diomède, Thalalaius et
Tryphon) qui, presque toujours, les accompagnent. Les hagiographes
grecs, embarrassés par les difficultés que présente leur légende, ont en
toute candeur distingué trois paires d'anargyres, tous de même nom :
Cosme et Damien, de même métier et de même surnom àvàpvjpoç.
mais de pays différents, et dont ils célèbrent la mémoire le 27 octobre,
le ler novembre et le i«»' juillet (2). Cette épithète d'anargyre a été.
dans la suite, appliquée à plusieurs martyrs, même en dehors de ce
groupe de dix.
On invoque encore un saint au choix du prêtre ou du malade, et la
prière semble se terminer par l'exposition de la grâce à obtenir. Mais
alors commence un double récit dont le premier a, je n'en doute pas,
intrigué le lecteur.
*
* *
La Bible raconte que l'eunuque éthiopien Abdémélek obtint, grâce a
son influence auprès du roi Sédécias, la permission de retirer d'une
(i) L. Petit, A. A., Vie de saint Athanase l'Athonite, dans les Analecta Bollandiana,
IQ06, t. XXV, p. 12-87. Avant cette publication, le rôle exact du Saint était fort mal
connu. Cf. Dom P. de Meester, Voyage de deux Bénédictins aux monastères du
mont Aihos. Paris, 1908, p. 58.
(2) Cf. NicoDÈME l'Hagiorite, op. cit., t. I", p. iSy. On voit par cet exemple ce qu'il
faut penser de la critique des hagiographes byzantins. Sur le sanctuaire romain d s
saints Cosme et Damien, sur le culte qu'on leur rendait et sur leur- messe, le P. Grisar
LA NN PRIÈRE DES SEPT DORMANTS ^^ . II9
basse-fosse, où on l'avait descendu pour l'y laisser mourir de faim, le
prophète Jérémie. Dieu, pour récompenser cet acte de charité, révéla au
prophète que, dans la ruine de Jérusalem, Abdéméleck serait épargné.
C'est tout ce que le Livre de Jérémie nous dit de ce personnage (i).
Mais un apocryphe judéo-palestinien, les Paralipomènes de Jérémie (2),
qui circulait peut-être dès le ii« siècle avant l'ère chrétienne, connaît
bien d'autres détails. C'est de lui qu'est tirée la légende du sommeil
d'Abdémélek. De l'apocryphe, elle a passé dans les recueils des hagio-
graphes. Nicodème l'Hagiorite la narre avec complaisance dans son
Synaxaire, sous ce titre : « Récit sur la lamentation de Jérémie le pro-
phète, sur la ruine de Jérusalem et sur l'extase (^cspl ttÏ^ sxo-ràTsto?)
d'Abimélek. » Comme elle est très peu connue, on me permettra de la
résumer (3).
Après avoir développé à sa manière le sobre récit de la Bible, l'hagio-
graphe en arrive au prodige.
« Seigneur, dit Jérémie, je ne veux pas qu'Abimélek voie la ruine
de la cité; il sécherait de frayeur et il mourrait, car il est craintif et pusil-
lanime. » Et Dieu dit à Jérémie : « Envoie-le dans la vigne d'Agrippa. Je
le garderai dessous, à l'ombre de la montagne, jusqu'à ce que le peuple
revienne de la captivité. » Et Jérémie dit à Abimélek : « Prends une cor-
beille, mon fils, et va à la vigne d'Agrippa, par le chemin du milieu de
la montagne, et rapporte des figues, afin que les malades en mangent. »
Abimélek obéit. Pendant qu'il cueillait les figues, l'armée de Nabucho-
donosor entra dans la ville, mais Abimélek ne le sut pas. Ayant rempli
sa corbeille de figues, comme la chaleur était accablante, pour se reposer
un peu il s'assit à l'ombre d'un arbre, la tête appuyée sur la corbeille.
Et, ô merveille, il s'endormit pour soixante-dix ans.
a écrit quelques pages très intéressantes. Grisar, S. J., Histoire de Rome et des
Papes au moyen âge. Paris, 1906 (traduction Ledos), t. I", p. 190 sq.
(i) Jerem. xxxvni,6-i3, et xxxix, i5-i8. Le vrai nom de l'eunuque est Abdémélek.
(21 Ou plutôt les Paralipomènes de Baruch. L s Paralipomena Jeremiœ ont été
édités par Cériani en 186K, et réédités par M. Rendel Harris. The rest of the words
cf Baruch. Londres, 1889. Cf. Bulletin critique, 1890, t. XL p. 261.
AbimJek s'endort sur la route qui meneaux «jardins d'Agrippa ». Dans l'apocryphe
juif, l'eunuque retrouve Baruch, et tous deux Jérémie, qui revient de Babylone, rame-
nant le peuple à sa suite. Puis le prophète meurt pour ressusciter le troisième jour
€t mourir derechef, lapidé par le populaire. Il fut enseveli par ses deux fidèles dis-
ciples. Il est intéressant de constater que la partie la plus fantaisiste de l'apocryphe
a été conservée dans un recueil quasi-officiel de l'Eglise orthod )xe, le Synaxaire de
Nicodème. L'apocryphe carchoumi (arabe) sur la captivité de B.bylone, publié et
traduit récemment par M. P. Nib, raconte en détail la même I istoire. Revue de
l'Orient chrétien, tom. vi (xvi), 191 1, n' 2 p. i5o sq. Aftimalek le dormeur retp.uve
Jérémie. « Et toute sa vie durant, le prophète Jérémie révérait Aftimalek. » Ibid.,
p. i5i.
(3) Nicodème, op. cit., t. I", p. 188, au 4 novembre. Les Grecs célèbrent le i" mai
ta mémoire du prophète Jérémie.
I20 ECHOS D ORIENT
Quand il se réveilla, il avait la tête lourde et plus sommeil encore.
Mais, secouant sa paresse, il prit ses figues, et, honteux d'avoir dormi,
il courut en hâte les porter à Jérémie. Stupéfaction! il ne reconnaît plus
Jérusalem, ni les rues, ni sa maison, ni personne. « J'ai la tête malade,
tant j'ai besoin de sommeil. C'est pourtant bien ici Jérusalem! » A ses
questions, tout le monde s'étonne; les passants se moquent de lui. Crai-
gnant la folie, il s'assied hors de la ville pour tâcher de se ressaisir. Un
vieillard se présente. Il l'interroge et apprend de lui ce qui s'est passé.
Jérémie, on ne sait où il est, mais le peuple est en captivité à Babylone
depuis soixante-dix années. » L'Ethiopien, à son tour, traite de fou le
paysan qui lui raconte de telles insanités. Mais on s'explique, et Abi-
mélek se laisse convaincre. Une preuve palpable, c'est son panier de
figues. « Les fruits sont mûrs. Est-ce possible à cette époque? — Mais
en quel mois sommes-nous donc? — Dans le douzième, mon fils. » Et
le vieillard prend quelques figues, le remercie et s'en va
Inutile d'ajouter que cette jolie histoire est sortie tout entière de
l'imagination du premier narrateur. Pour quel motif le moine qui l'a
fait entrer dans V Euchologion a-t-il changé en temple la vigne d'Agrippa?
Peut-être existe-t-ii une variante du récit (i).
Le suivant, celui qui a donné son nom à la prière qui nous occupe,
si l'on met à part comme il convient les noms des sept martyrs inscrits
au martyrologe romain, n'offre pas de moindres difficultés. 11 est plus
merveilleux encore. Après Grégoire de Tours, Syméon le Méta-
phraste (2) a popularisé la légende de ces sept officiers d'Ephèse, qui,
au temps de la persécution de l'empereur Dèce, s'étant cachés dans
une grotte, s'y endormirent, pour se réveiller trois cent soixante-deux
années plus tard, sous le règne de Théodose le jeune. Peut-être dor-
miraient-ils encore si le propriétaire de la grotte, dans laquelle ils
avaient été emmurés sur l'ordre de l'empereur, n'avait eu l'idée de
démolir le mur et d'y prendre des pierres pour la construction d'une
mandra, c'est-à-dire d'un parc à brebis. — Réveillés, et l'estomac
creux, les officiers dépêchent l'un d'eux, jamblique, à la ville pour
acheter des provisions. Mais à Jamblique, qui croyait avoir dormi
quelques heures à peine, il arrive pires aventures qu'à Abdémélek. On
(i) Sur la légende d'Abimélek et ses relations littéraires avec celle des Sept Dor-
mants, voir HuBER, op. cit., p. 407 sq.
(2) P. G., t. CXV, col. 428 sq. Ce récit, que le Métaphraste intitule assez étrangement
'T7ro(j.vr|(AaTa, occupe dix colonnes de la Patrologie. C'est dire tout ce qu'on y peut
raconter. Au martyrologe romain, les Sept Dormants sont inscrits au ly juillet.
Cf. Acta Sanctorum, jul., t. VI, p. 876; H. Delehaye, Synaxarium Ecclesiœ Constan-
tinopolitanœ. Bruxelles, 1902, col. i55, 1. 10 et 1. ^7 (22 et 23 oct.); col. 664, 1. 21 (8 mai);
col. 834, 1. 43; col. 865, 1. 38 (4 août); coi. 866, 1. 12 ^2 août); col. 872, 1. bj (7 août).
LA x> PRIERE DES SEPT DORMANTS » 121
le prend pour un voleur, parce qu'il présente une pièce d"or à l'effigie
de Dèce, mort depuis si longtemps, et pour un fou. Le proconsul veut
le faire garder en prison, mais Jamblique parvient à convaincre de sa
bonne foi l'évêque Marin. Tous se transportent à la grotte : fidèles,
évêque, proconsul, et même l'empereur Théodose, venu en hâte de
Constantinople. On s'étonne, on interroge, on se félicite du miracle.
Mais voilà que tout à coup les martyrs, repris par le sommeil, inclinent
la tête, et, en présence de la foule — travaillée à ce moment par des
hérétiques qui niaient la résurrection des morts, — s'endorment pour
ne plus se réveiller.
Les noms de ces Dormants, que les Grecs appellent les sept enfants
d'Epbèse, varient beaucoup. D'après le martyrologe romain, qui dépend
de Grégoire de Tours, leurs noms étaient : Malchus, Maximien, Marcien,
Denys, Jean, Sérapion et Constantin. Nicodème l'Hagiorite, qui est une
autorité chez les Grecs, les nomme : Maximilien, Exagoustodinien,
Jamblique, Martinien, Denys, Antonin et Constantin. Le Métaphraste
remplaçait Constantin par Jean. De même la durée de leur sommeil
varie de 198 à 377 années, selon les calculs (i).
Aucun récit n'a été plus populaire durant le moyen âge, et, de nos
Jours même. Les hagiographes en tous pays s'en sont faits les propa-
gateurs, et il y a deux années à peine, M. François de Witt-Guizot l'a
redit avec une grâce ingénue et une souriante ironie aux lecteurs du
Correspondant, non sans l'avoir enjolivé encore (2). Le cardinal Baronius
y retrouvait le souvenir dramatisé d'une inventio de martyrs. Le savant
bollandiste Delehaye y voit « à l'origine un roman pieux qui, insen-
siblement, quitte le domaine de la littérature pour passer sur le terrain
de la liturgie. Les héros d'un pur récit d'imagination, dit-il, sont
honorés comme des saints dont on désigne la sépulture et dont on se
procure des reliques » (3).
Ce qui étonne d'abord, quand on étudie cette prière au point de
vue littéraire, c'est que, tout en portant le titre de « Prière des sept
(i) Sur les noms des Sept Dormants, la durée de leur sommeil, et autres détails de
leur légende, d'après les divers textes, voir Huber, op. cit., p. 91-104.
(2) François de Witt-Guizot, Malchus ou les Dormants d'Ephèse, dans le Corres-
pondant, 25 décembre 1909. Dom Huber, op. cit., p. 422, signale un rapprochement
à faire entre les deux noms Jamblichus-Malchus et celui d'Abimélek.
(3) H. Delehaye, les Légendes hagiographiques, p. 212. Cf. ibid., p. 180, où il est
dit qu'on trouve parfois les noms des Sept Dormants mêlés à des formules magiques.
Il doit en être de même pour Abdémélek.
122 ECHOS D ORIENT
enfants », elle ne donne pas leurs noms, mais renferme, par contre,
ceux d'une trentaine de saints que l'on n'invoque guère, exception
faite des anargyres, pour> obtenir le sommeil. En réalité, il y a une
première prière qui, malgré le titre, n'est pas celle des Sept Dormants,
et qui s'arrête où commence la légende d'Abdémélek, pour se terminer,
si l'on y tient, par la doxologie. Les deux récits, celui d'Abdémélek et
celui des Sept Dormants, sont adventices. Il suffit de les lire avec atten-
tion. Ce n'est ni le même style, ni le même vocabulaire, ni la même
allure. L'attitude religieuse, pour ainsi dire, et le mode d'intercession
sont essentiellement différents.
Cette première oraison n'offre rien de remarquable. Elle ne doit pas
être ancienne sous cette forme, et le nom d'Athanase l'Athonite, qui
semblerait la dater, ne peut être appelé en témoignage. De plus, elle
n'est pas originale, en ce sens que rien ne lui appartient en propre.
Les noms des saints et la doxologie sont empruntés à d'autres prières
ou plutôt font partie d'une série quasi fixée par la coutume liturgique.
A l'office de la Prothèse, le prêtre, en préparant les troisième, qua-
trième, cinquième et sixième particules du pain d'autel, nomme presque
tous ces saints, y compris Athanase l'Athonite (i). De même aussi, on
les nomme presque tous dans une oraison de Vacoloutbia Toy w.xoo'j \
àY'.aTjjLO'j, dont la doxologie est analogue à celle de la Prière des Sept ^
Dormants (2). \
On objectera que les oraisons susdites ne demandent pas la grâce du ;
sommeil. En effet, il reste une phrase de deux lignes irréductibles
à d'autres prières de VEuchologion. « Accorde-lui un sommeil réparateur,
un sommeil qui donne à son corps guérison, salut et vie; accorde-lui^
la santé de l'âme et du corps. » Mais cette phrase elle-même n'est qu'un
passage à dessein transformé d'une prière oubliée, qui était la véritable
Prière des Sept Dormants.
En voici la traduction :
« Béni sois-tu, Seigneur Jésus-Christ, notre Dieu, toi qui guéris
toute maladie et toute faiblesse, toi qui à tes sept bienheureux enfants :
Maximilien, Jamblique, Martinien, Denys, Jean, Exagoustodinien et
Antonin as accordé le sommeil qui apporte le salut (-Tïpôçsvov T(jjT7,pîa;),
pour fuir les menaces du roi impie, accorde à ton serviteur N... un doux
(i) Ce rite, qui consiste à détacher des parcelles en l'honneur des saints, peu
remonter au x°-xi' siècle. Cf. Dom P. de Meestek, Genèse et somxes du développemen
du texte grec de la Liturgie de saint Jean Chrysostome. Rome, 1908, p. 67 >q.
(2' Celle qui commenje ainsi : K-Jois ô esdc riiiôiv, ô [xÉya; xr\ BouX^., Eùxo /o'y tov _
■d'Athènes, p. 363. EùxoXoytov de la Propagande. Rome, 1873, p.'2i3; Cif. Goar, op. cit.,^
p. 446.
LA « PRIÈRE DES SEPT DORMANTS » I23
I sommeil et la santé du corps. Et si, en sa qualité d'homme, il a trans-
gressé un de tes commandements, pardonne-le-lui, Seigneur; relève-le,
éclaire son âme et purifie-le de toute souillure de la chair et de l'esprit.
Garde-le par ta grâce sain, bien portant, comblé de jours; (garde-le) de
tout mal et de toute entreprise satanique, lui que tes mains très pures
ont formé. Par l'intercession de la Mère de Dieu, Marie toujours vierge,
î et de tous les saints. »
■ Cette prière a été publiée il y a quelques années par M. A. Dmi-
ii trievsky, d'après un manuscrit du xie-xir- siècle appartenante la Biblio-
I thèque du monastère du Sinaï. Elle a pour titre: Ey/Y, d; aTQîvoùvTa;
Ij /.al Twv aYÛov i--y. -rra'l^wv twv èv 'Ecp£7t|j (i). Puisque les Grecs voulaient
|i posséder une Ej'/r; twv in-zb. Tra'lowv, pourquoi n'ont-ils pas gardé cette
il si belle prière? Il en est peu dans tout VBucbologion, qui est en partie
! le Rituale de l'Eglise orthodoxe, d'aussi touchantes, ni d'aussi pieuses,
i ni d'aussi expressives. Le style est nerveux, précis et clair, dans la bonne
: tradition hellénique. Point de rhétorique facile ni de développement
i, par appel verbal, par jeux de mots pour ainsi dire, comme il arrive trop
;i souvent chez les liturgistes byzantins de la décadence. On voit, par
; exemple, ce qu'est devenue la phrase : accorde à ton serviteur un doux
'\ sommeil et la santé du corps, oôç utzvov -O.'jx-jv xal pwTiv Toj|jLaToç. Cette
formule si concise est défigurée en ces termes dans V Euchologion : ùoç
ajTO) 'j-vov àv£TîO)Ç, 'j-vov crtoaaTUOV, li^ftiv.:; xal (joiirr^oiy.^ xal s<^>)f,ç, xal
iM7\y 'l'jyr^^ xal TtôjjiaTOç.
Mais, par quel moyen la prière actuelle a-t-elle pénétré dans V Eucho-
logion? Dans une note à propos d'Abdéméleck, Goar déclare que la
Prière des Sept Dormants est de date récente et ne se trouve pas dans
les manuscrits (2). 11 n'aurait pu dire la même chose de la véritable
prière que peut-être il n'a pas connue, mais qui, avec de légères
variantes, s'est conservée presque jusqu'à l'époque où il écrivait. C'est
ainsi qu'on la trouve encore dans un Euchologe manuscrit appartenant
(i) A. D.MiTRiEVSKY, Description des Manuscrits liturgiques conservés dans les biblio-
thèques de l'Orient orthodoxe (en russe), t. II, EùyoXôyta- Kiev, igoi, p. 74. Voir
dans les Echos d'Orient, igoS, p. 21g, une brève recension du volume.
(2) Goar, op. cit., p. 705, n. 8.
Voici cette note, qui a été l'occasion de cette petite étude sur la Prière des Sept
Dormants: Apocrypha seqiiutus hujus Orationis [quœ recens est, nec in M. S. exem-
plar habet) author, sanctorum fama celebrium habita memoria, ignoti cujusdam
Abimelech è fabulosis libris nomen producit ut somni longioris miraculose contin-
gentis historiam fidemque astruat. Goar ne soupçonne pas qu'Abimélek est l'Abdé-
mélek du Livre de Jérémie.
124 ÉCHOS d'orient
à la bibliothèque du monastère atlionite de Vatopédi, écrit en 1538 (i).
Mais, depuis quelques années déjà, la prière actuelle était composée.
M. Dmitrievsky la signale dans un manuscrit écrit en 1522 (2). Il donne
Yincipit : 0 Stbç, 6 ij^Éva; xal alvcTÔ? et renvoie sans plus à Goar, édition
de Venise, p. 559.
Goar ne connaissait pas non plus une autre prière, qui est vraisem-
blablement le point de départ de la deuxième partie de celle qu'il publie.
La voici, d'après un Euchologe manuscrit du xv^ siècle :
« EjyT, elq auTivov. Seigneur notre Dieu, qui as endormi ton serviteur
Abimélek sous le figuier à six branches, yTroxaTco -zr.q o-jxy,^ ty,ç è^a~-c-
puyou, et à Ephèse les sept enfants Jamblique, Maximien, Exagoustodi-
nien, Denys, Jean, Antoine et Martinien, endors aussi ton serviteur N...
d'un sommeil paisible, d'un sommeil reposant, d'un sommeil de vie,
d'un sommeil guérisseur et salutaire. Au nom du Père, et du Fils... » (3)
Cette oraison, qui se termine sans doxologie, par le simple signe de la
croix, ressemble assez à celles que les commères guérisseuses d'Athènes
ou du Pirée récitent sur les enfants malades (4).
Il existe donc trois types bien distincts de la Prière des Dormants
celui de l'Euchologe actuel, celui où l'on nomme les sept martyrs,
et un troisième, où sont évoqués à la fois Abdémélek et les martyrs.
Le plus ancien est celui du manuscrit du xi« siècle; c'est la véritable
prière, celle qui aurait dû trouver sa place dans VEuchologion Méga (5).
Mais, vers le xiv'^-xve siècle, un liturgiste, choqué peut-être de voir
choisis comme intercesseurs les héros d'une histoire aussi étrange que
celle des martyrs d'Ephèse, aura remplacé leurs noms par des saints
mieux connus et moins discutés, ceux précisément qu'on invoquait
dans l'office de la Prothèse, et embelli à sa manière le style de l'antique
prière, qu'il a fait suivre d'une doxologie empruntée.
Par malheur, une autre prière circulait déjà, celle du troisième type,]
sous une forme ou sous une autre. L'Eùy^ actuelle est une combi-
(() Dmitrievsky, op. cit., p. yôS. Un2 légère variante : le scribe nomme l'empereurj
Dèce et retranche deux lignes, depuis garde-le par ta grâce, jusqu'à ont formé.
(2) Dmitrievsky, op. cit., p. 747. Manuscrit du Métokhion du Saint-Sépulcre à Con-j
stantinople.
(3) Dmitrievsky, op. cit., p. 473. Manuscrit du Métokhion du Saint-Sépulcre à Con-|
stantinople.
(4) Voir ma note sur Quelques supostitions liturgiques che^ les Grecs, dans les Echos i
d'Orient, t. XIV, 191 1, p. 75. Li traduction s&ra'a : Sous le figuier à six ailes. 'EÇocirTi-|
puyo; est l'épithéte liturgique des séraphins. ,<
(5) Dire l'époque où cette prière fut composée est impossible, mais on a vu qu'elle}
doit remonter très haut. D'ailleurs, une Prière des Sept Dormants ne pouvait êtrej
imaginée que sous cette forme.
LA « PRIÈRE DES SEPT DORMANTS » 12^
iiiiison des deux, due à un moine ignorant ou superstitieux. Le rôle
d'Abdémélel^ a même été précisé et agrandi, et la simple nomencla-
ture des noms des martyrs est devenue le récit de leur merveilleuse
aventure. Le compilateur a pu tout aussi bien ajouter à la prière, qu'à
son tour il corrigeait, une formule existante, car d'Abdémélekà la doxo-
logie, la prière est complète. On prononce même le nom du patient.
En ce cas encore, cette formule rentrerait dans le troisième type.
Voilà une des deux ou trois hypothèses qui se peuvent faire. Mais,
à quoi bon? Il suffit d'avoir montré où est le texte qui servait dès le
XF siècle à l'usage liturgique. 11 me reste à souhaiter que les liturgistes
grecs fassent disparaître de V Euchologion Mega cette production médiocre,
que Goar condamnait déjà, et la remplacent par la véritable Prière des
Sept Dormants.
Louis Arnaud.
Athènes.
LES JUIFS DANS L'EMPIRE BYZANTIN
Depuis la captivité de Babylone et leur dispersion à travers le monde,
les Juifs ont eu les fortunes les plus diverses, suivant les temps et les
lieux. Les empereurs romains les avaient d'abord persécutés, non pas
tant parce qu'ils refusaient d'adopter la religion officielle que parce
qu'ils menaçaient la sécurité de l'empire en prétendant à la domination
sur la terre entière par l'avènement de leur Messie. Puis, les événements
leur ayant montré que cette crainte était vaine, ils avaient fini par leur
laisser toute liberté de pratiquer leur religion et de s'établir où bon
leur semblerait, pourvu que ce fût en dehors de Jérusalem. Aussi la
situation d'Israël était-elle très florissante au moment où le christia-
nisme, triomphant après trois siècles de luttes, s'emparait du trône
impérial.
Héritiers de l'empire romain, les Byzantins n'adoptèrent point à l'égard
des Juifs les idées de leurs devanciers. Fidèles convaincus ou simplement
partisans du christianisme, parce qu'il était la religion nationale, ils
prirent les mesures les plus énergiques pour le protéger contre tous
ses ennemis: hérétiques, SaFnaritains, Juifs, païens et musulmans.
L'union intime que Byzance réalisait de plus en plus entre l'Eglise et
l'Etat faisait de tous les non chrétiens des ennemis de l'empire en
même temps que de la religion officielle. C'est à ce titre que les Juifs
furent soumis à un régime très sévère, qui ne s'adoucit que momenta-
nément durant la persécution iconoclaste.
Justinien, qui montra peut-être le moins de tendresse pour Israël, ne
fut cependant pas le, premier empereur à légiférer à son endroit. Chose
digne de remarque, la plupart des édits qu'il a introduits dans le code,
il les a trouvés dans l'héritage de ses prédécesseurs depuis Constantin;
il n'y a pas ajouté grand'chose, non plus du reste que les princes qui
l'ont suivi. Les basiliques de Léon VI le Sage, au ix^ siècle, contiennent
presque mot pour mot les articles du code de Justinien. La jurispru-
dence est donc fixée à l'égard des Juifs dès le vp siècle. S'il y eut diver-
sité dans la politique des empereurs à leur égard, ce fut plutôt dans
l'application des lois existantes que dans la promulgation de nouveaux
décrets.
Il serait intéressant de suivre dans le détail toutes les phases de j
cette lutte, qui dura des siècles entre le pouvoir impérial et les sectateurs |
de Moïse, où les révoltes et les trahisons répondirent aux mesures
LES JUIFS DANS L EMPIRE BYZANTIN \2J
d'exception. Il nous suffira, dans cette étude, d'examiner quelle était,^
à Byzance, la situation juridique des Juifs, et d'indiquer quelles mesures
prenait le gouvernement pour protéger les chrétiens contre les fils
d'Israël et ceux-ci contre le zèle intempestif des chrétiens.
Statut légal des Juifs
Les Juifs n'ont point le droit de suivre leurs coutumes particulières
dans la célébration des mariages, mais ils doivent s'en tenir aux pres-
criptions du droit commun (Code, i, 9, 7); défense leur est faite de
pratiquer la polygamie (Code, loc. cit.); défense d'épouser une chré-
tienne, comme il est défendu aux chrétiens d'épouser une Juive (Code, i,
9, 6). Ceux qui enfreignent la loi sur ce point subissent la peine
infligée aux adultères, et se voient privés du droit d'ester en justice
(Code, loc. cit.).
Sous les empereurs païens, les Juifs avaient été dispensés des charges
alors si lourdes de la curie. Un édit de Gratien, Valentinien et Théo-
dose, du 14 avril 383, les y soumet de nouveau (Code, i, 9, 5). Arca-
dius et Honorius réclament l'application rigoureuse de ce décret, le
30 décembre 399 (Code, i, 9, 10). Les Israélites doivent verser au trésor
impérial un impôt annuel en « or de couronne », et leurs chefs religieux
sont chargés de le lever à leurs risques et périls (Code i, 9, 17).
Pour leurs différends, ils sont soumis au droit commun. Ils sont tenus
de se présenter devant les tribunaux ordinaires pour tout ce qui regarde
la religion, les lois et le droit public; ils doivent intenter et plaider tous
leurs procès selon les lois romaines. Cependant, si quelques-uns d'entre
eux, après entente et en matière civile seulement, s'en remettent à
l'arbitrage d'autres Juifs, la sentence de ces derniers sera valable, et les
juges devront la faire exécuter comme si le procureur lui-même avait
désigné les arbitres (Code i, 9, 8). Dans leurs procès avec les chrétiens,
ils ne peuvent jouir de cette faveur, et sont tenus de soumettre le
différend aux juges ordinaires (Code, i, 9, 15). Ils ne peuvent ester en
justice contre un chrétien orthodoxe, mais ils le peuvent contre un
hérétique ou un non chrétien (ITsIpa d'Eustathe, xxx, 16) (i).
Le serment des Juifs n'est admis qu'entouré de cérémonies assez
curieuses que le génie byzantin avait inventées pour montrer son
mépris à leur égard. Un document, qui est probablement du xi« siècle.
(i) Zach. a Lingenthal, Jus grœco-romanum. Leipzig, i856, t. I, p. i38. Cf. Har-
MÉNOPOULOS, Manuale legum dictum Hexabiblos, i, 6, 10.
128 ÉCHOS D ORIENT
VEcloga ad Prochiron mutata, nous indique de quelle manière il se
pratiquait à cette époque.
Défais sa ceinture, remplace-la par une ronce, plonge-le dans la mer
jusqu'au cou, qu'il étende la main sur l'eau et qu'il dise : Par le Dieu
qui a créé Adam et Eve, qui a donné la loi à Moïse, qui a opéré de
grands prodiges, qui a fait passer à Israël la mer Rouge à pied sec, qui
lui a préparé à manger dans le désert et l'a nourri d'un pain céleste, je
jure que je dis la vérité et que je ne mens pas en ceci et en cela (i).
Cette mise en scène assez burlesque est encore enrichie de détails
nouveaux dans le rapport d'un Juif converti du xii^ siècle, adressé à
l'empereur Manuel Comnène :
Qu'il se ceigne d'une ronce, qu'il se mette à cheval sur une outre, qu'il
entre dans la mer xat TCTUfjYi ty,v -rrcp'.TojxYjV «ùtou toîtov (2) en disant : Pai
Barasa, Baraa, Adonaï, EIoï, qui a fait passer la mer Rouge à pied sec
à Israël, qui l'a désaltéré de l'eau du rocher, qui lui a donné à manger la
manne et le râle, bien qu'il ait été ingrat en ne refusant pas la viande de
porc; par la loi que nous a donnée Adonaï, xal xbv lp.7:T'j5pLc>v -zoz cojjxaTO!;
TYi; 7repiT0[jLTiç (3) et la ronce qui me ceint les reins, ce n'est pas faussement
que je jure le nom du Seigneur Sabaoth ; si je jure faussement, maudits
soient les enfants de mes entrailles; que je heurte les murs comme un
aveugle, et qu'ayant des yeux comme si je n'en avais pas, je tombe avec
eux tous; que la terre s'entr'ouvre et m'engloutisse comme Dathan et
Abiron (4).
A la suite de ce rapport, l'empereur imposa une autre formule plus
courte, trouvée, dit-il, dans un vieux livre (1148). La mise en scène
est un peu moins humiliante.
Qu'il se ceigne d'une ronce, qu'il prenne dans ses mains le livre des
Ecritures, et qu'il dise : « Béni soit le nom du Seigneur Dieu de nos
Pères, qui a créé le ciel et la terre et qui nous a fait passer la mer Rouge
à pied sec, je ne mens pas; si je mens, que le Seigneur Dieu me donne
la lèpre de Giézi et d'Amman '(5), le châtiment du prêtre Héli; que la
terre s'entr'ouvre et m'engloutisse vivant comme Dathan et Abiron (6).
A Constantinople, la coutume s'était établie de soumettre tous les
(i) Ecloga ad Prochiron mutata, XXX, 14, apud Zach. a Lingknthal, op. cit.^
t. IV, p. 145.
(2) Le grec comme le latin, dans les mots, brave l'honnêteté. Nous donnons la tra?
duction latine du texte grec : Et exspuat in circumcisionem suam tertio.
(3) Et exspuitionem in corpus circumcisionis.
(4) Zach. a Lingenthal, op. cit., t. III, p. 441.
(5) Sans doute Naaman.
(6) Zach. a Lingenthal, op. cit., t. III, p. 442.
LES JUIFS DANS L EMPIRE BYZANTIN 1 29
procès des Juifs au gouverneur du détroit (Bosphore). Vers 1180, le
même Manuel Comnène décida qu'ils pourraient à l'avenir être jugés
par tous les tribunaux (Novelle 80) (i).
Bien que soumis aux lois communes, les fils d'Israël n'ont pas les
mêmes droits que les autres citoyens. Justin 1<"' les déclare radicalement
inhabiles à exercer aucune fonction civile ou militaire; ils ne peuvent
recevoir aucune dignité ni s'élever à aucun ordre, sauf celui des cohor-
tales (Code, i, 5, 12). 11 leur est spécialement interdit d'obtenir les
charges de defensor civitaiis et de pater civitatis, afin, dit la loi, « de
protéger contre leur arbitraire et leurs jugements iniques les chrétiens
et particulièrement les évêques ». (Code, i, 9, 18.) Si, d'aventure, ils
réussissent à se faire donner une dignité ou une fonction quelconque,
ils en seront privés et rendus à leur condition première (Code, i, 12;
ï, q, 18). De plus, ils sont condamnés à payer une amende de trente
livres d'or; quant aux fonctionnaires chargés de les inscrire, et qui ne
s'opposent pas à cette usurpation, ils doivent payer huit livres; les
magistrats qui sont de connivence paient cinquante livres (Code, i, 5, 12).
Une mesure très sévère de Théodose 11 et de Valentinien 111(3 ' j^f^v. 439),
inscrite dans le code (2) et renouvelée dans les basiliques (3), interdit
nux Juifs de construire de nouvelles synagogues; tout ce qui leur est
permis, c'est de réparer celles qui existent et de les consolider. Qui-
conque bâtit une nouvelle synagogue au lieu de réparer l'ancienne
voit son œuvre confisquée au profit de l'Eglise; quant à lui, il est con-
damné à une amende de cinquante livres d'or.
L'Etat n'intervient pas seulement pour légiférer sur la construction
•des édifices du culte; il prend aussi sur lui de régler ce qui doit se
faire dans les assemblées religieuses. C'est ainsi que nous voyons Jus-
tinien, par sa novelle 146 inscrite mot pour mot dans les basiliques (4),
permettre pour la lecture publique des Livres Saints l'usage de la langue
grecque, de la langue latine et de toute autre langue, suivant les
4ieux. Cette mesure a pour but d'empêcher les rabbins d'expliquer à
leur façon la Bible au peuple qui ne connaît point ou pas assez la langue
hébraïque. 11 impose à ceux qui parlent le grec la version des Sep-
tante, « qui est la meilleure de toutes, et préférable aux autres à cause
du miracle qui a accompagné sa composition ». Cependant, les autres
traductions ne sont pas entièrement interdites; ils peuvent se servir
|i) Zach. a Lingenthal, op. cit., t. III, p. 504.
i|2) Code, I, 9, 18.
P) Bas. l, I, 57.
4) Bas. I, I, 47.
Echos d'Orient, t. XV
130 ÉCHOS D ORIENT
aussi de la version d'Aquila, bien que l'auteur ne soit pas un Juif de
naissance, et que son texte s'écarte en plusieurs passages de celui des
Septante. Interdiction absolue de la deuterosis (i), qui n'a point été
inspirée par Dieu, mais composée uniquement par les hommes. Tous
ceux qui, archiphérécites (commentateurs du Talmud), prêtres ou rab-
bins, empêchent le peuple de lire l'Ecriture en langue grecque, sont
punis de châtiments corporels et privés de leur patrimoine. Dans le
Nomocanon de Phôtius, la peine indiquée est la confiscation et l'exil (2).
Quiconque cherche à introduire des nouveautés ou qui nie la résurrec*
tion, le jugement, la création des anges par Dieu, doit être expulse
de partout. L'empereur termine son décret par une exhortation à hier
se pénétrer des vérités contenues dans les Saintes Ecritures, et y à con
former sa vie, la connaissance des Livres Saints étant très utile poui
vivre honnêtement. Cette sollicitude paternelle fait sourire, quand or
se rappelle que Justinien avait parfois la main un peu lourde lorsqu'i
s'occupait d'Israël.
Mesures pour protéger les chrétiens
A ces dispositions qui réglaient le statut légal des Juifs, l'Eglise et
l'Etat en ajoutèrent d'autres qui avaient pour but d'empêcher les chré-
tiens de se laiss.er tenter par le prosélytisme judaïque, et de les pro-
téger contre des attentats que les haines de race d'un côté et les perse
cutions de l'autre rendaient toujours possibles.
Le canon 6 des apôtres (3), les canons 36 et 37 de Laodicée (4) inter
disent aux chrétiens de célébrer la Pâque en même temps que les Juifs,
de participer à leur fête et de recevoir d'eux des azymes. Le concile in
Trullo renouvelle <:es défenses et y ajoute celle d'habiter dans les mêmes
maisons que les Juifs, de les consulter dans les maladies, de recevoir
d'eux des remèdes, de se baigner en leur compagnie. Qiiiconque enfreint
ces prescriptions doit être dégradé, s'il est clerc, excommunié, s'il est
laïque (Concile i» Trullo, canon 11) (5).
11 fallait aussi prévoir les sollicitations à embrasser la religion mosaïque J
Le code déclare que tout Juif qui essayera d'attirer un chrétien a
judaïsme aura ses biens confisqués et subira la peine du sang (Code, i
(i) Traditions des anciens. On connaît quatre de ces ouvrages: celui dit de Moïse,
celui de Rabbi Akiba, celui d'Adda ou Juda, et celui des fils de l'Asmonéen.
(2) Nomocanon, XII, 3.
(3) Ralli et PoTLi, SûvraYna twv îepwv xavôvwv. Athènes, i852, t. II, p. lO.
(4) Ralli et Poili, op. cit., t. III, p. 206.
(5) Ralli et Potli, op. cit., t. II, p. 328.
LES JUIFS DANS L EMPIRE BYZANTIN I3I
9, 18). Quant à celui qui ose circoncire un chrétien ou qui aura
ordonné de le faire, il est puni de l'exil perpétuel (Code, i, 9, 16). Il est
de même défendu de circoncire un catéchumène (Bas., i, i, 46).
Rigoureuse pour les propagandistes juifs, la loi ne l'est pas moins
pour les chrétiens qui glissent au judaïsme. Le code décrète contre eux
la peine de la confiscation (Code, i, 7, i); la Synopsis minor {xi^ ou
XI!*' siècle) y ajoute celle du sang (i).
S'il est permis aux chrétiens d'avoir des esclaves baptisés, cette
faculté n'est point accordée aux Juifs. La loi leur interdit d'acheter un
esclave chrétien, de le recevoir en legs ou à quelque autre titre que ce
soit. Si un Israélite a un esclave chrétien ou d'une autre race que la
sienne, et qu'il ose le circoncire, il est condamné à la peine capitale, et
l'esclave est remis en liberté (Gode, i, 10, i). Celui qui garde un
esclave chrétien doit payer trente livres d'or et voit l'esclave reprendre
sa liberté (Code, 1, 10, 2). Si l'esclave non chrétien d'un Juif veut
embrasser le christianisme, aussitôt qu'il est baptisé il doit être remis
en liberté sans que ni l'Eglise ni personne n'ait rien à payer à son
maître, et cela même dans le cas où celui-ci se convertirait après le
baptême de l'esclave. Les infractions à cet édit entraînent la peine de
mort (Code, 1,3, 54).
Non contente de défendre les chrétiens contre le prosélytisme juif et
de les mettre à l'abri d'une sujétion pleine de périls, la loi punit des
peines les plus sévères les attentats commis sur leurs personnes. Un édit
de Constantin et de Licinius, du 13 octobre 315, inséré dans le code,
déclare :
Nous voulons qu'il soit notifié aux Juifs que si quelqu'un d'entre eux
ose, selon leurs lois, lapider ou mettre à mort de quelque autre manière
que ce soit celui des leurs qui aura abandonné leur secte funeste pour
se convertir au vrai Dieu, il sera brûlé avec tous ses complices (Code, i,
9» 3) (2).
Les gouverneurs des provinces doivent veiller à empêcher tout acte
qui serait une injure à la religion chrétienne, comme de brûler la croix
les jours de sabbat ou de l'introduire dans les synagogues pour s!en
oquer (Code, i, 9, 1 1).
ous avons déjà vu que les Juifs ne pouvaient ester en justice contre
chrétiens, et que tous les procès qu'ils avaient avec ces derniers
aient être jugés par les tribunaux ordinaires et non soumis aux
iens d'Israël. Il leur est encore défendu d'assigner les chrétiens le
1) Synopsis minor, \, 5, apud Zach. a Lingenthal, op. cit., t. II, p. m.
t) Cf. Zach. a Lingenthal, op. cit., t. V, p. 365.
fc32 ÉCHOS D ORIENT
sabbat, et de leur faire subir ce jour-là la moindre vexation de la pa
des officiers de justice (Code, i, 9, 13) (i). Si un chrétien a un cham
sur lequel se trouve une église, et qu'il l'aliène, l'hypothèque ou e
confie l'administration à un Juif, l'église de cet endroit en revendique]
la propriété (Code, i, i, ^3).
Enfin, si les enfants d'un Juif se font chrétiens, ils ne peuvent êti
prives en rien de l'héritage paternel, quelle que soit la volonté dernièi
du défunt, à condition toutefois qu'ils n'aient commis aucune fau
grave contre leurs parents. S'ils sont reconnus coupables, la loi, toi
en les punissant, leur reconnaît encore le droit au quart du patrimoir
(Code, I, s, 13)-
L'intérêt ou la crainte pouvant amener les fils d'Israël à simuli
une conversion au christianisme, l'Eglise et l'Etat s'entendaient pot
écarter ces pseudo-néophytes. Dès 397, Arcadius et Honorius ordo
naient de rejeter impitoyablement des églises les Juifs poursuivis p
la justice ou par leurs créanciers qui y pénétraient, afin d'y trouver i
refuge par une soi-disant conversion; on ne devait les admettre q'
lorsqu'ils avaient payé leurs dettes ou prouvé leur innocence (Code,
12, i)(2). Le juriste Théodose ajoute que ceux qui s'étaient converj
étaient punis de la confiscation et de l'exil perpétuel s'ils retournaie
au judaïsme. Le 'canon 8 du deuxième concile de Nicée demande qu'
n'admette plus ni à la communion, ni à la prière, ni à l'église les Ju
convertis qui, tout en affectant de mener une vie chrétienne, cor;
Hueraient en cachette à se conformer à la loi mosaïque. On ne pou
désormais les admettre au baptême que lorsqu'il sera prouvé qu'ils (
entièrement renoncé à leurs pratiques nationales (3).
Mesures pour protéger les Juifs
Les empereurs et les conciles, tout en prenant soin de mettre
chrétiens à l'abri des tentatives de prosélytisme judaïque et de vei
à ce que la religion de Jésus-Christ ne fût pas tournée en ridicule
les tenants du mosaïsme, n'omettaient pas pour cela de protéger cor
Ife zèle intempestif des chrétiens et contre les émeutes popula
ceux-là même contre qui ils adoptaient des mesures très sévères. Séri
sèment appliqués, ces édits de protection auraient rendu la situai n
d'Israël en somme fort tolérable, bien qu'il ne lui fût point recoiju
Tes mêmes droits qu'au peuple chrétien. Disons qu'ils restèrent près le
(i) Cf. Bas. I, I, 43. '
(2) Cf. Bas. I, I, 43. ;
(3) Ralli et PoTLi, op. cit., t. II, p. 583.
LES JUIFS DANS L EMPIRE BYZANTIN I })
ittre morte sous certains empereurs, comme Justinien, Maurice, Héra-
lius et Léon Vi.
Aucun Juif ne peut être persécuté parce qu'il est Juif, et sa religion
e saurait être un prétexte pour le tracasser (Code, i, 9, 14) (1). S'il
it en paix et qu'il ne cause aucun trouble, nul ne peut, sous prétexte
e défendre la religion, exercer des violences sur lui ou piller ses biens,
out dommage matériel causé à un Juif doit être payé au double; les
ouverneurs des villes ou des provinces qui permettent ces attentats
Dnt passibles de la même peine (Bas., i, i, 16). Défense, sous peine
exil, d'envahir les synagogues pour y chercher un logement (Code, l,
4) (2), d'y mettre le feu, de brûler les maisons des particuliers
ode, I, 9, 14). Si on a à se plaindre des Juifs, les tribunaux ordi-
bires sont seuls qualifiés pour exercer des poursuites (Code, i, 9, 14).
a loi ordonne aussi de respecter les sabbats et les fêtes mosaïques; on
e peut, ces jours-là, imposer aux Juifs aucune corvée ni aucune charge
iriale que ce soit (Code, i, 9, 13).
Toute liberté leur est donnée de fixer eux-mêmes le prix de leurs
jenrées. Aucun homme étranger à leur religion ne peut leur imposer
règlement à ce sujet. Les gouverneurs des provinces doivent donc
abstenir de leur désigner des inspecteurs et des vérificateurs. Si quel-
lu'un ose s'attribuer une de ces fonctions contre la volonté des Juifs
; de leurs anciens, le gouverneur doit le punir comme cherchant â
emparer du bien d'autrui (Code, i, 9, 9).
On voit, par ce rapide exposé, que la situation des Juifs, dans l'em-
re byzantin, était loin d'être privilégiée, sans toutefois présenter le
jiractère d'asservissement que certains historiens se sont plu à lui
, anner. Les mesures de rigueur prises contre eux s'expliquent par les
aines de deux religions rivales, de deux races sans cesse aux prises,
i ar la conviction profondément ancrée chez les Byzantins, que tout
''^ omme qui n'était point partisan de l'Eglise officielle était, par le fait
lême, un ennemi de l'Etat; elles s'expliquent aussi par les révoltes et
s trahisons des Juifs, auxquels elles fournissaient ainsi une excuse.
Orient, qui se piquait de civilisation raffmée, au moyen âge, ne fut
'•ne ni plus confiant ni moins sévère pour Israël que l'Occident encore
ide et grossier où s'élaboraient les civilisations modernes.
R. Janin.
Constantinople.
M 1) Cf. Bas. I, I, 44.
|(2) Cf. Bas. I, I, 37.
"<) Cf. Bas. I, I, 43.
LE MOINE ALEXANDRE DE CHYPRE
(VI' SIÈCLE)
On possède sous le nom d'Alexandre, moine de Chypre, un long
discours historique à propos de l'Invention de la Croix, et un encomion
ou panégyrique de l'apôtre saint Barnabe.
Le discours sur l'Invention de la Croix est, en réalité, un abrégé de
toute l'histoire de la religion, depuis la création du monde jusqu'à
l'époque de Constantin. L'auteur s'excuse lui-même de mettre un si
long préambule au récit de la découverte de la vraie Croix, mais il
ajoute que ce n'est pas sans raison qu'il s'y est déterminé (2). Il est
ainsi amené à exposer, entre autres choses, la théologie de la Trinité
et de l'Incarnation. Ce long récit, où se trouvent mêlées l'histoire et la
légende, se termine par un encomion à la croix dans la forme habituelle
à la rhétorique byzantine. Cet encomion final montre, comme l'auteur
l'afifirme d'ailleurs lui-même (3), que ce discours fut composé à l'oc-
casion- de la fête de l'Exaltation de la Croix, le 14 septembre.
Migne a emprunté le texte de ce discours au premier éditeur, le Jésuite
Gretser. Il a également reproduit à la suite de ce discours l'extrait qu'en
fit sans doute un écrivain postérieur, lequel supprima, comme de
juste, le long exposé historique jusqu'à Constantin, et se borna, après
le récit de la découverte de la croix, à développer un peu plus
y encomion final.
Quant au panégyrique de saint Barnabe, il a été vraisemblablement
prononcé dans l'église Saint-Barnabe de Salamine. Il présente, au point
de vue de la composition, les mêmes caractères généraux que le discours
précédent; il y a similitude de plan et de rhétorique. Même longueur
de: récits, où la légende a souvent le pas sur l'histoire; mêmes formule
de modestie affectée, même conclusion sous forme de panégyrique ai
(i) Migne, P. G., t. LXXXVIP, coL 40 13-4106. L'editio princeps du discours éf
inventione crucis a été donnée par J. Gretser, De cruce, t. II, Ratisbonne, 1734, p. i-3ÔJ
que Migne s'est conienté de réimprimer. Quant à {'encomion de saint Barnabe, Migoè
n'en reproduit que la traduction latine empruntée aux Vitœ Sanctorum de Surius,
XI jun. Cependant le texte grec en avait déjà été publié dans les Acta Sanctorum;.
pin., t. II. Paris, Palmé, 1867, p. 436-453.
(2) P. G., t. LXXXVII», col. 4021 B.
(3) Ibid., col. 4072 B.
LE MOINE ALEXANDRE DE CHYPRE I35
de prière. Alexandre dit emprunter ses renseignements sur la vie et le
martyre de saint Barnabe « à Clément, auteur des Stromales et à d'autres
écrivains anciens » (i). Il utilise surtout un écrit plus rapproché de
son époque, l'histoire des pérégrinations (irspioSoi) de saint Barnabe,
dont l'auteur, un écrivain chypriote du v« siècle, se fait audacieusement
passer pour Jean Marc, le compagnon de Paul et de Barnabe. Alexandre
nsiste particulièrement sur la découverte miraculeuse des reliques de
saint Barnabe à Salamine sous le règne de l'empereur Zenon (474-491)
et sous l'épiscopat d'Anthémius. Elle valut à l'Eglise de Chypre la
reconnaissance de son origine apostolique, et, conséquemment, de
son indépendance, en dépit des réclamations de Pierre le Foulon,
patriarche d'Antioche (2).
Voi i le jugement que porte sur cette œuvre du moine Alexandre
Lin Bollandiste, le R. P. Delehaye :
L'ÊYxoSfjnov du moine Alexandre, qui marque un pas notable dans la
roie du développement légendaire {des Actes de saint Barnabe), n'est
irraisemblablement pas antérieur à la seconde moitié du vi* si-'cle. Il est
iestiné, comme le récit de Jean Marc, à appuyer les revendications de la
>rovince de Chypre, et l'auteur y insiste longuement. Alexandre, qui
irivait dans le monastère voisin du sanctuaire de Saint-Barnabe, a connu
es Trspt'oSoi, mais il a trouvé moyen d'enrichir l'histoire de l'apôtre
l'un certain nombre de détails nouveaux puisés dans « d'autres vieux
crits », dans les traditions nouvellement formées, et aussi dans son
magination (3).
Les critiques ont longtemps hésité au sujet de l'époque où il convient
ie placer le moine Alexandre. Baronius (4) pensait que c'était vers la
în du ve siècle, parce que, parlant de l'addition faite au trisagion par
ierre le Foulon, l'écrivain chypriote y voit une corruption introduite
iepuis peu par les hérétiques (5). Tillemont rejette l'opinion de Baro-
lius; à son avis, les confusions historiques faites par notre auteur au
►ujet des événements du v*' siècle prouvent qu'il en était déjà assez
0) Acta Sanctorum, lac. cit., p. 433 A ; cf. P. G., loc. cit., coL 4090 B.
(?) Voir S. Vailhé, Formation de l'Eglise de Chypre, dans les Echos d'Orient,
.XIII, 1910, p. 5-20.
(3) H. Delehaye, Saints de Chypre, dans les Analecta bollandiana, t. XXVI, 1907,
\. 236. Voir aussi, sur Vencomion de saint Barnabe par le moine Alexandre, Fabricius,
'orfex apocryphus Novi Testamenti, Hambourg, 1719, p. 781-7^2, et R. Lipsius Die
pocryphen Apostelgesckichten und Apostellegenden, t. II, p. II. Braunschweig, 1884,
i 398-304.
(4) Baronius, Annales ecclesiastici, ad ann. 485, n. 4. Lacques, 1741, t. VIII, p., 480.
(5) Tillemont, Mémoires pour servir a l'histoire ecclésiastique. Paris, 1693, t. I",
438 et 646.
I 36 ÉCHOS d'orient
éloigné (i). Combefis croit qu'Alexandre est sûrement antérieur à Héra-
clius (610-641) et doit avoir vécu sous Zenon ou peu après (2). Sur
la foi d'une fausse citation faite par Nicolas Comnène Papadopoli (3),
attribuant au moine Alexandre la biographie du patriarche saint Nicé-
phore (806-815) écrite, on le sait, par le diacre Ignace, Fabricius dit
qu'Alexandre n'a pas vécu avant le ix^ siècle (4). Allatius le met parmi
les écrivains dont l'époque est inconnue (s), et Dom Ceillier affirme
hardiment « qu'on le place communément dans le xu*^ siècle » (6). Le
chanoine [Ulysse Chevalier n'a retenu que cette dernière opinion, qui
est évidemment erronée (7).
Les critiques modernes les plus compétents, entre autres Krumba-
cher, Bardenhewer et le P. Pargoire, rangent le moine Alexandre de
Chypre parmi les écrivains byzantins du vi" siècle, sous Justinien
(527-565) (8). La Patrologie de Migne se trouve donc être dans le vrai,
en plaçant Alexandre de Chypre anno sceculi sexti incerto (9).
Ce qui est sûr, ainsi que le remarque Dom Ceillier, c'est que cet
auteur « n'était point au fait des choses qu'il raconte, ni suffisamment
instruit de l'histoire de l'Eglise Il dit que les Pères du concile de
Nicée séparèrent de leur communion tous ceux qui demeurèrent atta-
chés à l'opinion d'Arius et d'Eusèbe de Nicomédie, les condamnèrent
à l'exil et mirent d'autres évêques en leurs places. Il est toutefois cer-
tain que les prélats qui favorisaient le parti des ariens souscri-
virent à la formule de Nicée, quoique frauduleusement pour la plupart,
et l'on ne voit nulle part que le concile ait excommunié ou exilé ceux
qui avaient souscrit à son Symbole » (10).
Dom Ceillier allègue un second exemple de l'inexactitude historique
d'Alexandre de Chypre. Cet écrivain affirme que « Macaire, évêque de
Jérusalem, alla au-devant de l'impératrice Hélène avec tous ses compro-
(1) P. G., loc. cit., col. 4 ICO C D.
(2) Combefis, Bibliotheca concionatoria. Paris, 1662, t. VII, p. i sq.
(3) N.-CoMNÈNE Papadopoli, Prœnotationes mystagogicœ. Padoue, 1697, p. 292.
(4) Fabricius, Bibliotheca grœca. Hambourg, 1787, t. X, p. 473.
(5) Allatius, De Simeon. scrip.,PsLris, 1664, p. 99. Cf. OvDiîi,Descript. ecc/. Leipzig,
1722, t. II, p. 1071-1072 C.
(6) Ceillier, Histoire générale des auteurs sacrés et ecclésiastiques. Paris, i863.
t. XIV, p. 635.
(7) U. Chevalier, Répertoire des sources hisioriques du moyen âge, Bio-bibliogra-
phie. Paris, 1905, t. I", col. 134.
(8) Krumbacher, Geschichte der byzantin. Litteratur, 2« édit., Munich, 1897, p. 164,
363; Bardenhewer, Patrologie, 2' édit., Fribourg-en-Brisgau, 1901, p. 486; Pargoire,
l'Eglise byi{antine de 527 à 847, Paris, 1906, p. 140.
(9) P. G., loc. cit., col. 4013.
(10) Ceillier, op. cit., p. 655-656.
LE MOINE ALEXANDRE DE CHYPRE I37
V inciaux, comme si cet évêque eût été dès lors métropolitain ou patriarche,
dignité à laquelle les évêques de Jérusalem ne furent élevés que long-
temps après » (i).
Les erreurs du moine Alexandre de Chypre ne sont pas rares, du
reste, notamment en ce qui touche à la chronologie des empereurs de
Rome (2) et des évêques de Jérusalem. Aussi, les deux écrits qui nous
restent de lui ne sont-ils à signaler que comme œuvres littéraires. Ni
lun ni l'autre ne saurait revendiquer beaucoup de valeur historique.
S, Salaville.
K.adi-K.eui'.
(1) Ceillier, op. et loc. cit.
(2) Cf. K. Praechter, Die roemische Kaisergeschichte bis auf Diokletian, dans
By^antinische Zeitschrift, t. V, 1896, p. 504-520; C. de Boor, Die Chronik des Logo-
theten, dans la même revue, t. VI, 1897, p. 160-271. On peut voir encore, soit à propos
du discours sur l'Invention de la Croix, soit à propos du panégyrique de saint Barnabe,
les références de la By^antinische Zeitschrift indiquées par la Table des matières
des douze premiers volumes, Generalregister, Leipzig, 1909, p. i5, c'est-à-dire : t. Il,
p. 563; t. VIII, p. 65; t. IX, p. 35.
LA VIERGE MYRTIDIOTISSA A CÉRIGO
ET SON OFFICE
La moderne Cérigo, qui ne compte guère plus de 12000 habitants,
la plupart cultivateurs ou pêcheurs, ne s'est point laissé dépasser,
dans sa dévotion envers la Mère de Dieu ou les saints, par les autres
îles grecques même les plus peuplées. Sans vouloir donner la liste de
tous les oratoires qui couvrent ses sommets, signalons cependant les
deux plus importants. Le premier, de tout temps très fréquenté, porte
le vocable de sainte Elésa, vierge martyre, qui aurait vécu là au milieu
du ive siècle; mais ce nom n'est peut-être qu'une corruption du mot
'E/.£Q'jia-a, appellation byzantine assez fréquente de la Théotocos « misé-
ricordieuse » (i).
L'autre sanctuaire, plus connu encore, du moins aujourd'hui, est celui
de la Vierge Myrtidiotissa; c'est le lieu saint par excellence de l'an-
tique Cythère, celui vers lequel converge la piété si expansive de tous
ses habitants. C'est ce second sanctuaire qui fera l'objet des pages qui
vont suivre. Après en avoir raconté brièvement les origines, nous ajou-
terons une notice sur la fête et l'office auquel il a donné naissance (2).
I. Origines et miracles
La tradition locale est seule à nous renseigner sur les origines du
sanctuaire. Voici ce qu'elle nous en raconte, sans rien préciser sur
l'époque initiale; nous n'entrerons dans l'histoire à peu près datée
qu'à partir du récit des premiers miracles.
A l'ouest de Cérigo, presque sur le bord de la mer, il y avait un
lieu désert planté de myrtes, qui lui avaient valu le nom de Myrtidia.
Après un songe révélateur, un paysan particulièrement dévot envers
Marie s'y rendit, et entendit une voix qui lui disait : « Cherche tout
(i) A. MiLiABAKis, Fewypaçta 'ApyoX^ôo; xal KopivOiaç. Athènes, 1886, p. 281.
(2) Nous avons utilisé pour cet article l"AxoXou6ta tï)ç eîxovoç ty)ç k-Ki\z^o^.biTiç M-jp-
TtStoTtffffyiç. Elle a été éditée à Venise en 1744 et 1789, à Constantinople en iSei et i865,
à Smyrne en 1847 et 1879, à Céphalonie en 1849, au Pirée en 1882, et à Athènes en 1894.
Cf. E. Legrand et H. Pernot, Bibliographie ionienne. Paris, 1910, p. 100, i52, 23o,
372, 570, 647, 756, où l'édition de Céphalonie et c lie du Pirée ont été oubliées.
C. Saihas, NeoeXXrjVtxï) çtXoXoyta, Athènes, 1868, p. 601, a également omis de signaler
plusieurs éditions.
LA VIERGE MYRTIDIOTISSA I 39
près d'ici, si tu veux retrouver mon icône; il y a longtemps que j'ha-
bite ces parages, où je désire exercer ma puissante protection. » Plein
de confiance, le paysan se penche sur les arbustes et soudain découvre
l'icône de la Mère de Dieu au milieu d'un bouquet de myrtes. La
Vierge, au regard compatissant, tenait son Fils dans ses bras; sur la
tête de l'Enfant et de la Mère était une couronne, et deux anges soute-
naient d'une main celle de Marie. Aussitôt, notre homme s'empresse
de bâtir un modeste oratoire pour y déposer la précieuse image, qu'il
dénomme Myrtidiotissa, c'est-à-dire Notre-Dame des Myrtes. Il se con-
struit une cellule, se fait ermite et passe eri cet endroit le reste de ses
jours auprès de la sainte icône, afin de l'offrir à la vénération des
foules, qui ne tardent pas à affluer.
Après sa mort, un autre caloyer, du nom de Léonce, agrandit le
sanctuaire et établit un couvent tout à côté (1).
Quelque temps après, nous dit la notice du Synaxaire, sans que rien
nous mette en mesure d'apprécier cet intervalle, eut lieu le premier
■miracle de l'icône, et le miraculé fut un certain Théodore Koumpanios.
•Ce Théodore venait chaque année, quarante jours après l'Assomption
'(24 septembre), faire un pèlerinage à la Vierge des Myrtes, en com-
pagnie de sa famille et de ses amis. Cette pieuse coutume fut bientôt
imitée dans toute l'île où, depuis le miracle, on célèbre à cette date la
fête annuelle de la Panaghia locale.
Devenu paralytique, Théodore était resté longtemps dans l'impossi-
bilité absolue de revenir vers la Madone. Pourtant, au bout de plusieurs
-années, il demanda d'y être porté dans une litière, et ses supplications
ardentes, jointes à celles de ses enfants et de ses amis, lui obtinrent
dans l'oratoire une guérison subite, dont le bruit se répandit même en
•dehors de Cythère (2).
Ces événements se passaient au xvip siècle, entre 1633 et 1680, bien
•que le synaxariste ne l'indique pas explicitement. L'auteur qui en com-
posa l'office commémoratif fut, en effet, évêque de Cérigo à cette
-époque (3). Un seul miracle, le cinquième relaté dans la notice, porte
une date et est noté comme ayant eu lieu le i''' février 1722, le dimanche
■de l'Orthodoxie.
Nous^ renonçons à raconter ici les faveurs innombrables que les chré-
tiens obtinrent par l'intermédiaire de l'image. Ils avaient principalement
<i) Acolouthia citée, au Synaxaire.
(2) Op. cit., dédicace de la 2' édition.
{i} A. DiMiTRACOPOULOS. 'E7ravop9ta)(T£t; azii.li)A-:ui'i irapsaTïipYiôévTwv èv t?, veoEXXïjvtxvi
çiXoXoYta toC K. Sâôa, [xsTà xa( Ttvwv upoaOrjxwv. Trieste, 1872, p. 42. '
140 - ÉCHOS d'orient
à soufifrir des incursions des corsaires et des Turcs, de la sécheresse,
de la disette et parfois de la peste; la Myrtidiotissa manifesta dans ces
diverses circonstances sa maternelle libéralité (i). Les marins éprou-
vèrent souvent son assistance salutaire dans la tempête. Aussi les
ex-voto ont-ils abondé. Après l'avoir recouverte d'un revêtement d'ar-
gent, on gratifia la madone d'un magnifique collier d'or, et l'on sus-
pendit à son cou un médaillon où étincelaient les perles les plus rares.
Des champs lui ont été consacrés en témoignage de reconnaissance et
sont ainsi devenus la propriété sacrée et inaliénable du couvent (2).
Chaque année, on porte en procession la sainte icône à travers l'île
entière. Dès qu'un fléau s'abat sur la contrée, ou que l'on veut obtenir
du ciel une grâce signalée, c'est encore à elle que l'on recourt, et l'on
organise alors en son honneur une marche triomphale à travers les
bourgs et les campagnes.
Dans la seconde moitié du siècle dernier, entre 1870 et 1875, sous
l'higoumène Agathange Calligéros, les Cythéréens se sont concertés
pour reconstruire à neuf l'église et le monastère. Tous, même les émi-
grés, ont tenu à fournir généreusement leur contingent. Ils ont main-
tenant un sanctuaire aux proportions grandioses, et dans l'antique
oratoire que l'on a conservé comme crypte on garde avec piété l'image
vénérée de Notre-Dame des Myrtes (3).
II. *La fête et son office
Comme nous l'avons vu plus haut, la Myrtidiotissa fut honorée au
début par des pèlerinages privés. Puis, lorsqu'on eut déterminé comme
jour de fête spécial le quarantième jour après l'Assomption, c'est-à-dire
le 24 septembre, les foules s'accoutumèrent à amener avec elles quelques
membres du clergé pour célébrer avec pompe la liturgie et les offices
de l'Assomption, puisque le lieu était désormais placé sous ce vocable.
Quand se fit le miracle du paralytique, on chantait encore à Myrtidia
les vêpres et les matines du 1 5 août (4).
Néanmoins, il semble bien, quoique le Synaxaire n'en dise rien, qu'il
devait exister déjà un canon (5) particulier pour la solennité du pèleri-
nage, car, sur les trois que l'on trouve actuellement à matines, le pre-
(i) Acolouthia citée, dédicace de la 2° édition,
(2) Op. cit., au Synaxiire.
(3) A. MiLiARAKis, op. cit., p. 271.
(4) Acol. cit., Synaxaire.
(5) Composition poétique qui fait partie de l'office de l'aurore, et qui comprend huit
hymnes ou odes.
LA VIRRGE MYRTIDIOTISSA I4I
mier ne fait aucune allusion, même éloignée, au prodige en question.
II ne contient qu'une longue série de louanges à la Vierge, et pourrait
servir en toute autre circonstance comme une sorte d'office du commun.
Au contraire, le second et le troisième canon, ainsi que les tropaires
des autres heures, ont presque uniquement pour sujet la célèbre gué-
rison instantanée. De plus, il y a dans ces deux dernières pièces litur-
giques des répétitions frappantes de termes ou d'idées que l'on ren-
contre déjà dans la première (i).
De ces menues observations, on peut conclure vraisemblablement à
la priorité chronologique du premier canon et dire qu'il a été composé
antérieurement au fameux miracle, mais à une date que l'on ne saurait
fixer d'une façon certaine. Son auteur, Mélétios Kallonas, né en Crète
et devenu higoumène du couvent de l'Angaranthos dans son pays
natal (2), vivait dans la seconde moitié du xvii« siècle. En dehors des
hymnes dont il s'agit ici, il traduisit encore en langue commune l'Aca-
thiste de Sergius, dont il fit également une paraphrase. Ces derniers
travaux furent imprimés à Venise en 1695 et 1730 (3).
A l'exception de la composition de Kallonas, dont nous venons de
parler, l'ensemble de l'office propre à la fête de Notre-Dame des Myrtes
est de Sophrone Pangalos, Cretois lui aussi, qui était, en 1632, pro-
fesseur à l'école grecque de Venise (4), et devint dans la suite évêque
de Cythère. Outre ce canon, il écrivit sur la sépulture et la résurrection
de Notre-Seigneur quelques traités succincts dont le texte manuscrit
se trouve dans la bibliothèque patriarcale du Saint-Sépulcre (5). Le style
du canon en question est généralement d'une grande simplicité et
d'une pureté irréprochable. La protection que Marie accorde aux chré-
tiens de l'île contre les invasions des musulmans et les calamités
publiques en forme le thème ordinaire. Mais la guérison du paralytique
Théodore, qui est comparée à celle opérée par Notre-Seigneur à la
piscine probatique, est l'idée prédominante qui revient presque à chaque
tropaire.
Quelques strophes (6) rappellent que le sanctuaire est dédié au mys-
(i) Ainsi le 8* tropaire du 2° canon ffjd;; az xXîv/jv (roXotiôvTîiov SnvaTwv xuxXoùvtwv
rappelle le thème du i" canon; le 8' tropaire du 3° canon xaXwç TrpoEixuv^Orn; xoXu(i.-
6r,8pa fait allusion au 6" tropaire du i" canon; le i3' tropaire du 2" canon "kvyyloiv <tî
est à comparer avec le 14' du i" canon, etc.
(2) Flaminius Cornélius, Crète. Sacra. Venise, lySS, p. 221,
(3) C. Sathas, op. cit., p. 413.
(4) A. DlMlTRACOPOULOS, Op. cit., p. 42.
(5) A. P. Kkrameus, 'lepoToX-JtA'.Ttxri P[gXtoOr,xy|. Saint-Pétersbourg, 1891, t. I", p. 3i5.
(6) Le 2' prosomion et le 2" apostikhon des vêpres, le l'f cathisma de matines, etc.
142 ÉCHOS D ORIENT
tère de l'Assomption, et que l'on est au quarantième jour après cette
sotlennité.
Voici, par exemple, le troisième prosomion (1) des vêpres: « O Vierge^
Mère de Dieu, les chœurs des anges célèbrent ton départ de cette terre
et disent ta gloire et ta splendeur; nous aussi, les phalanges des fidèles,
de concert avec eux, nous t'honorons dans la crainte et l'allégresse, en
ce jour où tu multiplies les prodiges et qui est le quarantième après ton
Assomption, et nous baisons avec foi ta vénérable image. » (2)
Les termes de ^oiooôyoq Ttr^rr,, 777.^?. àv£;àvT>.rjTO^, -n:r,yr, ^au'^aLxôëo'j-zo;,
que l'on rencontre çà et là (3), pourraient donner à croire qu'il y avait
à Myrtidia, comme en beaucoup d'autres lieux consacrés à la Vierge,
quelque source {aghiasmà) dont l'eau produisait des merveilles. Mais,
faute de renseignements plus positifs^ tenons-nous-en à une interpré-
tation plus large et peut-être la seule vraie, en appliquant ces méta-
phores à Celle qui est la fontaine scellée, la source par excellence qtit
reçoit la vie ou qui la donne. Plusieurs mélodes, du reste, ont employé
de semblables comparaisons pour désigner Marie (4). Ajoutons que ces
appellations de la Vierge sont assez communes parmi le peuple; dans
le seul royaume de Grèce, plus de soixante oratoires portent actuel-
lement ce titre en son honneur, sans posséder tous quelque source qui.
y ait donné occasion (5).
L'office comprend trois leçons scripturaires extraites de la Genèse, I
d'Ezéchiel et des Proverbes, et qui rapportent la vision de Jacob à
Béthel, le récit du prophète Ezéchiel parlant de la porte orientale du
Temple, et enfin les conseils de la Sagesse invitant les hommes à
s'asseoir à sa table; autant de figures qui, au sens accomodatice, peuvent
convenir à un lieu de prière, tel que le sanctuaire de la Myrtidiotissa.
Quant aux canons, voici la rubrique dont le synaxariste les fait
précéder (6) :
(i) Tropaire semblable à un autre, se chantant sur la même mélodie et suivant le
même rythme.
(2) Tyjv (Tr,v û[ivoûfft iiETao-raffcv, 6£Ofj,r|Top 7.ôpv5, à(7wt/,âTwv TaÇetç zz ty)v 86|av ffO'J y.al
^.ajXTTpÔTïjTa Yspatpoyo-a'.. Syixçwvo); ouv y.al T|[A£ÏÇ uâvTwv xa. Gxi-^r^ utattôç eryYxpoToîijiev «re
èv <p66w T£ xal X^P? '^'H'' ôaupiaTÔopuTOv la.-lzr^'^ Ttav/iyypiv tyjç o-y,; 7rav£v8d|oy (ivr,[ji,ïi; reffera-
paxovÔT^jxepov, xal ttkttw; irpoarxyvo-j[i.£v tt]v Tavfféêacr-ov EExôva «rou. [Acol. cit.)
(3) Voici les passages où se trouvent ces expressions : 2*, 6', 7° prosomion des
vêpres; Ao?a des Apostikha, 4° tropaire du 2' canon, 8' et So" du 3° canon.
(4) Dans le canon de la vigile de Noël, on lit à l'hirmus de la IX" ode qui parle de
la Sainte Vierge : tyiv !^woô<5xov irsrji'viv Tr,v àéwaov.
(5) Echos d'Orient, juin 1900, t. III, p. 3oo.
(6) 'G |i£v TipùiToç (juvTeÔel; Tcapà lov xùp M£)^Tt{MJ KaX).ovà, xa9riyou(i£vou tyjî '.Ai'xi-
pavôou àyta; ix-ov?);, xal 7rpwTo<TUYYé).ou t/jÇ xaÔoXtxiii; toù Xptcrroy u.îYà).T); 'ExxXr,iTt3c;,
ftepréx^' touz éÇrjKovta ôuvrtou; xatà tôv ij.£yav 'Iwavvvjv xôv Aa[jifl(er.xr,vdv, Xéyovvtt el; trjv
LA VIERGE MYRTIDIOTISSA 14^
Le premier a été rédigé par le Révérend Mélétios Kallonas, iiigoumène
du couvent de l'Angaranthos, et protosyncelle de la grande Eglise catho-
lique du Christ; il contient les soixante braves selon saint Jean Damas-
cène, qui dit dans l'Octoïchos, ton plagal IV, orthros du mercredi,
IX" ode (i) : « O litière de Salomon, que soixante braves entourent main-
tenant, selon les divines Ecritures! » (2)
Voici la suite de cette ode : « Toi en qui le Verbe s'est reposé, par
ta puissance, conserve-moi invulnérable contre les milliers de démons
qui m'environnent sans cesse, ô Vierge Immaculée! »
Pour le mélode de l'Octoïchos (qui, suivant l'indication de l'acrostiche,,
serait Joseph l'Hymnographe et non saint Jean Damascène), la sedia
gestatoria de Salomon symbolisait le sein très pur qui a porté l'Enfant-
Dieu. 11 établit sa comparaison en supposant que ces forts d'Israël qui
entouraient Marie étaient ses vertus ou ses privilèges, ou encore des
anges; tandis que lui, au contraire, se dit environné de milliers de
démons dont il sollicite d'être délivré.
Aussi le nombre de soixante, avec son symbolisme, n'embarrasse-
t-il guère l'auteur de notre canon; sa vive imagination, pleine des-
textes de la Bible et des types de Marie dans l'ancienne alliance, par-
vient aisément à trouver autant de titres glorieux convenant à mer-
veille à la Mère de Dieu. Quarante-neuf tropaires assez courts lui ont
suffi, où il a su glisser délicatement le nombre mystique de ses louanges
à la Théotocos. Chaque tropaire commence généralement par la dési-
gnation du titre biblique à appliquer à Marie, puis il fait brièvement
cette application.
Citons deux ou trois exemples pris dans cette litanie, pour donner
une idée de toute cette œuvre poétique.
« Buisson. Chantons tous avec foi et amour Marie la Très Pure, buisson
incombustible (3) que Moïse vit autrefois, et glorifions à l'envi cette
Mère de Dâeu. » (4)
« Porte. Ezéchiel t'a prédite comme la porte fermée par où le Christ
'OxTWYixov cc; Tov TtX. ô' r,)rov, eîc t'ov "Opôpov tt)c TerâpTri;, wSr, 6', « *H ôs(« v.Xfvir,
SoXojAwv, r,v 7.uy.>.oG(n Suvatol vuv éSr,xovTa, pTiffsn; t-î^ç Oeca; ■ypaç-î^ç. » {Acol. ■cit).
(i) Voici le texte de cette ode : « ^Q ôsîa y.\ivr\ SoXo|ià)v. i^v xu/.).oC(Tt Suvatot vGv
£$r,xovTa, f-r,(T£i tt^î ÔEtaç YPotÇ^î» èv r, ô X^yoç èiravEiraû<Ta':o, xaîç [lupwtffi (ae «el Aatiuâvoiv
xuxXoC(i£vov «TpfoTOv çiiXaÇov r?) Suvanet orou, ây>iy\ 'AetTtâpôsvc. » {Acol. cit.).
(2) Cant. III, 7.
(3) Comparer l'antienne latine de la Circoncision : Rubum quem viderai Moyses
incombiistiim, conservatam agnovimus tuam laudabilem virginitatem : Dei Genitrix,
intercède pro nobis.
(4) 'T(j.vi^(j(i>tj.£v aTcavTsç irto-rei xal w6%<à Maptav ttiv aj^^avtov, ëdtTOv àxaràçXEXTOv r,v
ïlôe TtàXat Mojtyj;, xal (Ix; (iriTépa tou 0goy Tïàvteç SoÇâdwjjisv {Acol. cit., i" tropaire).
J44 ÉCHOS D ORIENT
est passé et a apparu dans notre chair, sans rompre le sceau de ta vir-
ginité; aussi te cliantons-nous comme la porte de notre salut : gloire
à toi, ô toute chaste que Dieu a glorifiée. » (i)
« Table. Le Sauveur du monde a placé devant nous sa Mère comme
une table mystique, qui nourrit d'un pain divin ceux qui s'en approchent
avec foi. » (2)
Le second et le troisième canon, tous deux du même auteur, ne sont
qu'une longue prière de demande et d'action de grâces. Une strophe
seulement nous fait entrevoir l'époque du fameux miracle, mais sans
la préciser; la locution grecque h to^ /.aO'r.fjiâ^ xai,po~.; correspond, en
effet, à l'expression française « de nos jours », qui, on le voit, nous
laisse un peu dans le vague.
Cependant, puisque l'office a été composé par ce Pangalos, qui était
évêque de Cérigo après 1632, et qui, d'après un poème de ce temps (3 ),
était mort en 1681, l'expression précitée nous confirme dans l'idée que
le prodige a eu lieu à cette époque. Le canon aurait donc été rédigé
l'année même de la guérison miraculeuse du paralytique ou peu après.
L'oixoç (4), composé sur le modèle de l'hymne acathiste, auquel
d'ailleurs les xa-raêao-iat, (5) ont été pareillement empruntées, récapitule
les éloges et les remerciements adressés à Marie dans le cours de l'of-
fice: elle envoie les pluies bienfaisantes, met en fuite les ennemis, elle^
a guéri le malade Théodore et opère de semblables prodiges pour tous
ceux qui l'implorent; elle est un sujet d'orgueil pour les Cythéréens,
le remède à leurs maux, la joie et le salut de l'univers entier.
En résumé, nous avons là un office analogue à celui des fêtes les
plus solennelles de la Vierge, avec leçons scripturaires, litie (6), et à
matines trois canons, particularité exceptionnelle qui ne se rencontre
même pas pour la Présentation et l'Assomption.
Cette Acolouthia fut jusqu'en 1744 à l'état de simple manuscrit, copié
par un miraculé de la Myrtidiotissa, Doménicos Vénérios (7). A cette
date, elle fut imprimée à Venise par les soins de Georges Kaloutzis, fils
(i) ri'jXïjv ae xEy.XsiCTiiévrjV ctÔ£v 'l£>^£y.tïî)., êi'rj; 5tfi>>0£ XptffToi; xal oîçÔr, âv arapxt, £<rçpa-
Ytff(iévriv çuXâÇaç az aiôtç, xôpY]. Ato xai ttvXyiv Y£patpo(i£v (Ta)Tr,p(aç" SéÇa irot, àyvri ©soSô-
^aaT£ {Acol. cit.. i8' tropaire).
(2) 'lôou Té6Y)X£v TjfjLÏv 6 TY)ç y.T''(T£wi; atoTTip Tvjv nrj-répa êauToû Tpane'av w; (xuo-Tizrv
âxTpécpovoav tw ôe^w aprw roù; Ttpoffiovxaç TttffTwc. (Acol. cit., 28° tropaire).
(3) E. Legrand, Bibliographie hellénique du xvii' siècle, t. II. Paris, 1894, p. 397.
(4) On appelle olxo; le tropaire qui fait suite à la 6' ode du canon.
(5) On désigne sous le nom de xaxaêafftat huit tropairesqui appartiennent au canon
d'une grande fête et qui se chantent à la fin de chaque ode.
(6) Le terme de Xttri désigne une hymne de trois ou quatre strophes, intercalée au
milieu des vêpres, entre les prosomia initiaux et les apostikha.
(7) D'après le titre même, de l"AxoXou6ia.
LA VIERGE MYRTIDIOTISSA I45
du paralytique miraculé (i). Emmanuel Mormoris en fit faire une soi-
disant deuxième (2) édition à Constantinople en 181 1. Au cours de sa
préface, il déclare que, dans son pays et dans toutes les contrées où la
Irte s'était répandue, il n'y a plus que de très rares exemplaires de la
première édition. Cette « deuxième édition » est. à notre connaissance,
la seule à avoir conservé la préface ou plutôt la dédicace de Georges
Kaloutzis à Néophyte, évêque de Cythère. Emmanuel Mormoris y ajoute
une autre dédicace à Anthime, un successeur de Néophyte,
Toutes les diverses éditions postérieures du Pirée, de Smyrne, de
(^ephalonie et d'Athènes renferment le même texte liturgique primitif,
avec pourtant une légère modification dans les rubriques qui précèdent
le canon de Kallonas. Le mot catholique, accolé à celui de Grande Eglise
dans la rubrique que nous avons citée, a été retranché, soit pour faire
éviter une confusion, soit sous l'influence de préjugés malveillants.
En finissant, remarquons que la plupart de ceux qui ont contribué
à éditer cet office y ont été mus par leur dévotion reconnaissante envers
Notre-Dame des Myrtes, dont ils avaient obtenu d'insignes bienfaits (3),
et ont inscrit leurs noms au bas de l'icône qu'ils avaient à cœur de
reproduire en tête de la pieuse brochure.
La Myrtidiotissa est également vénérée à Constantinople sous ce
nom ou sous celui de Vierge brune (4) dans l'église de la Présentation,,
^ Péra, et dans celle de Saint-Nicolas, à Psamathia, où il existait jadis
une confrérie sous ce vocable. On voit encore l'icône de Notre-Dame
des Myrtes dans le narthex de cette église (5). Elle se trouve aussi dans
'église de la Trinité, à Kadi-Keui (Chalcédoine), où les Cythéréeqs
habitant cette ville se font spécialement remarquer par leur dévotion
envers la Vierge de leur patrie. La fête de la Vierge Myrtidiotissa est
célébrée le 24 septembre dans toutes ces églises, ainsi qu'à Halki (6) et
à Corfou (7).
A. Chappet.
K.adi-Keuï.
(1) A. P. Vrétos, N£0£X).r,vixr, çtXoXoyt'a. Athènes, 1854, p. 70.
(2) 11 ne connaissait pas la deuxième édition faite à Venise en 1789, et qui est signalée
|dans l'ouvrage cité de E. Legrand et H. Pernot, p. 23i.
(3) Acolouthia citée, aux deux dédicaces.
(4) MtXaxpo'vri ou, en turc, Arabindou. Mani;el Gédéon, 'EopTo).ô-','iov KwvdiavT'.voy-
io>£tov 7rpou)iuvïiTo-j. Constantinople, 1904, p. 270.
(5) Ibid.
(6) M. GÉDÉON, 'IltxspoXoyiov toiv 7Txvr,YÛp£wv Tri; Kwvd-avTtvo'jTTÔXtw;, dans 'AvaTO-
ixbv 'Il!j,£po).ÔYiov. Constantinople, 1896, p. (x8'.
(7) E. CoPHiNioTis, 'II 'Exy./.rjTÎa âv 'E).),â5;. Athènes, 1897, p. 27.
Échos d'Orient, t. XV. 10
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE
A JÉRUSALEM <"
La Sainte Vierge fut présentée au Temple de Jérusalem, où elle offrit
à Dieu sa virginité : voilà un fait qui, dépouillé des circonstances
merveilleuses ajoutées par la légende, appartient, non pas sans doute
à l'enseignement formel de l'Église, mais du moins au dépôt des tradi-
tions chrétiennes les plus respectables. Ce souvenir fut célébré d'assez
bonne heure par la liturgie grecque. 11 nous est impossible de donner
une date précise, mais nous savons qu'en 1166 l'empereur de Con-
stantinople. Manuel Comnène (i 143- 1 180), mit au nombre des fêtes
chômées par les tribunaux celle de la Présentation. Par cette ordon-
nance, le hasileus reconnaissait simplement la faveur dont cette fête,
probablement ancienne, jouissait auprès des fidèles. En 1371, Philippe
de Maizières, chancelier du roi de Chypre, fit adopter cette solennité
liturgique par le pape Grégoire XI, résidant à Avignon, puis par le roi
de France Charles V. La fête de la Présentation passa en Allemagne
au XV® siècle et fut imposée à toute l'Eglise par Sixte-Quint en 1585.
Le culte liturgique du souvenir de la Présentation n'a-t-il pas laissé
de traces plus anciennes en Orient, et notamment en Palestine? Telle
est la question qui vient naturellement à l'esprit, quand on connaît tant
soit peu les traditions locales de Jérusalem. Si on a lu les remarquables
ouvrages de M. de Vogué sur les Eglises de Terre Sainte et le Temple,
ou simplement le guide Baedeker, on se souvient qu'il est parlé dans
ces livres d'une église de la Présentation, Sainte-Marie la Neuve, ainsi
appelée pour la distinguer de Sainte-Marie de Gethsémani et de Sainte-
Marie de la Probalique, et bâtie au commencement du vF siècle par
l'empereur Justinien. Cette basilique n'est autre, assurent plusieurs,
que la mosquée El-Aksa, située au sud de l'esplanade de l'ancien Temple
juif, et que les musulmans auraient plus ou moins transformée après
la conquête. Telle était encore l'opinion unanimement reçue à Jéru-
salem jusqu'à ces vingt dernières années.
Mais alors on s'est dit : comment expliquer cette anomalie qu'une
ancienne église soit tournée vers le Sud, c'est-à-dire vers la Mecque?
(1) Conférence donnée à l'École biblique des Pères Dominicains à Jérusalem, liij
24 janvier 1912.
LA BASILIQUE SAINTE-MARIH LA NEUVE I47
Et l'on a commencé à douter de la tradition locale, et cela avec d'autant
plus de liberté qu'elle paraissait avoir une base documentaire assez
fragile.
Néanmoins, par respect pour l'opinion communément admise, on
a supposé d'abord qu'elle contenait une part de vérité, et l'on a émis
l'hypothèse que l'empereur Justinien avait élevé la basilique de Sainte-
Marie la Neuve au-dessus des vastes substructions situées à l'angle
Sud-Est du Haram-ech-Chérif et connues sous le nom d'Ecuries de
Salomon. Hypothèse séduisante, car dans un détail de la muraille orien-
tale, le légendaire balcon de Salomon, on croyait retrouver la trace des
travaux jadis accomplis, selon l'historien Procope, pour porter l'abside
de la basilique Sainte-Marie.
Cette solution, ou plutôt ce compromis entre la tradition locale et
:ertaines données des textes qui restaient inexpliquées, a paru bientôt
insuffisante. Aussi certains archéologues, sacrifiant, ou à peu près,
^'existence d'une ancienne église de la Présentation à Jérusalem, ont
îroposé de chercher l'emplacement de Sainte-Marie la Neuve, non plus
ur un point quelconque du Haram-ech-Chérif, mais sur la colline dite
Sion, dans le quartier des deux grandes synagogues dont les vastes
upoles rouges dominent d'une hauteur considérable les maisons
'alentour.
due penser de cette hypothèse ? Je ne veux rien préjuger en ce
oment. Tout à l'heure, quand nous aurons exposé l'histoire de Sainte-
^arie la Neuve et que nous aurons ainsi rappelé les textes qu'il s'agit
le combiner et d'accorder entre eux, nous pourrons nous prononcer
m connaissance de cause.
Pour résoudre le problème d'archéologie et surtout de topographie
fue présente Sainte-Marie la Neuve, je crois donc devoir diviser cette
tude en deux parties :
1": Histoire de Sainte-Marie la Neuve:
2" Emplacement de Sainte-Marie la Neuve.
/. Histoire de Sainte-Marie ta Neuve
îtte histoire n'offre rien de dramatique : nous sommes assez bien
keignés touchant la fondation de l'édifice, mais nous ne possédons
de maigres détails sur ses destinées.
)ixante-dix ans s'étaient écoulés depuis que le concile d'Ephèse(43 1)
ft stigmatisé l'impiété de Nestorius en proclamant la Très Sainte
rge Mère de Dieu. Pour s'associer, suivant ses moyens, à la mani-
148 ÉCHOS d'orient
festation du concile, saint Sabas fit élever au milieu de sa laure un
très belle église en l'honneur de Marie, dont la consécration, présidé
par le patriarche Élie (494-5 13), eut lieu le P"- juillet de l'année 501 (i)
Le patriarche de Jérusalem avait formé un projet plus grandiose
celui de construire dans la Ville Sainte une splendide basilique dédié
à la Vierge. Saint Sabas ne fut sans doute pas étranger à ce dessein
car nous le verrons bientôt aller à Constantinople pour solliciter di
l'empereur Justinien l'achèvement de l'édifice. Quoi qu'il en soit de cett
supposition, le noble projet était bien digne des deux disciples de sain
Euthyme, Sabas et Elie, tous deux, comme leur maître, ardents défen
seurs des doctrines catholiques.
C'est vers le début du vi® siècle que l'entreprise fut vraisembh
blement commencée. Faute de ressources suffisantes, saint Élie ne
devait pas la voir menée à bonne fin. Lorsque, en 513, il fut exilé pour
la vraie foi à Ela, sur le golfe d'Akabah, par ordre de l'empereur
Anastase, le monument était bien loin d'être achevé. Les luttes mono-
physites qui suivirent le départ du patriarche durent amener la suspen-
sion des travaux. Saint Elie mourut dans son exil, en 318.
Les années passèrent. En 531, Pierre, patriarche de Jérusalem, envoya
saint Sabas à Constantinople solliciter de l'empereur Justinien une
réduction des impôts pour les habitants de la Palestine, car le pays
venait d'être dévasté par les Samaritains. Sabas dit à Justinien : « Que
l'empereur ordonne de relever les églises que les Samaritains ont livrées
aux flammes, de construire à Jérusalem un hôpital {nosocomhim) pour
les pèlerins, et d'achever le temple de la Néa (c'est-à-dire Sainte-Marie
la Neuve) (2) commencé par Élie, patriarche de Jérusalem. L'empereur
acquiesça à toutes les demandes aussi il fit accompagner le Saint
par un légat muni de riches ressources, et il écrivit au préfet de Pales-
tine de transmettre à cet envoyé le montant des impôts en vue des
constructions que l'empereur avait ordonnées. » (3) Pour ce qui est,
en particulier, de l'église Sainte-Marie la Neuve, Justinien s'était chargé
de tous les frais. 11 avait assuré à l'hôpital qui devait servir aux pèle-,,
rins malades un revenu de 3 700 écus, et avait confié la direction dej|
travaux de la basilique à Théodore, un de ses plus habiles architectes (4) \
(1) CoTELiER, Ecclesiœ grœcœ mo7iumenta, m, Sabœ Vita, n° 32, p. 264.
(2) La traduction latine d'Eutychius porte Helenœ templum. Mais Al. Clermon
Ganneau a démontré que le mot Hélène est ici une transcription du grec Nea, l
Neuve. On lit dans le texte ar^)je d'Eutychius Keniset (église) Eliné. Voir Clermon
Ganneau, Recueil d'archéoL- orient., t. Il, p. i5o et suiv.
(3) El'tychius, Annales; Migne, P.. G., t. CXI, col. 1070. Cf. Cotelier, t. III, p. 343-3.|t
(4) Cotelier, loc. cit.
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE I49
;< Le légat, étant arrivé à Jérusalem, dit Eutychius ("•'939), construisit un
lôpital pour les pèlerins et acheva l'église Neuve. »(i) Nous verrons
lairement tout à l'heure, par le récit de l'historien Procope et par le
émoignage d'un pèlerin anonyme du vi^ siècle, que Sainte-Marie avait
omme annexes à la fois une hôtellerie et un hôpital; mais il n"est pas
acile de décider si l'hôpital était à l'usage exclusif des pèlerins. Bien que
es textes ne permettent pas de trancher absolument la question, il
emble plutôt que l'hôpital recevait et les étrangers et les gens de la
ille.
L'historien Procope de Césarée nous a laissé un récit détaillé de cette
aste entreprise et une description aussi enthousiaste que prolixe du
ouveau sanctuaire de la Vierge. Voici ses paroles :
A Jérusalem, Justinien éleva en l'honneur de la Mère de Dieu un
emple qui n'a point son pareil ; les indigènes l'appellent la Nouvelle
église. Je vais en donner la description, après avoir dit que la ville est,
ans sa plus grande partie, bâtie sur des collines qui ne sont pas de
impies ondulations de terrain, mais se dressent en formant des escar-
lements et des précipices, si bien que les rues les descendent par des
egrés.
Tous les autres édifices de Jérusalem occupent une surface unie, qu'ils
oient bâtis sur une hauteur ou dans le fond d'une vallée. Il n'en va pas
e même pour ce temple dont je parle. L'empereur ordonna de le con-
truire sur la plus haute des collines et en fixa, entre autres choses, la
jngueur et la largeur. Or, la colline ne suffisait pas aux dimensions de
œuvre telle que l'empereur l'avait conçue; il manquait un quart de
espace voulu au Midi et à l'Orient, c'est-à-dire à l'endroit réservé par
usage aux cérémonies des prêtres. Aussi les directeurs des travaux
coururent-ils au moyen suivant : ils jetèrent des fondements à l'extré-
[lité du plateau et bâtirent des substructions qui montèrent jusqu'à hau-
ur de celui-ci. Après avoir achevé ces murs de soutènement, ils les cou-
rirent de voûtes qui mirent la substruction au niveau de la plate-forme
u temple. Ainsi cette église repose en partie sur le rocher et se trouve en
artie suspendue, la puissance de l'empereur ayant suppléé à l'insuffi-
mce de la colline.
Les pierres de ce soubassement sont d'une grandeur insolite. Les archi-
:ctes, obligés de lutter contre les difficultés du site et d'atteindre la hau-
ur du rocher, méprisèrent les procédés habituels et en employèrent
'inusités et de tout à fait inconnus. Ils détachèrent des hautes montagnes
voisinantes des blocs énormes qu'ils équarrirent soigneusement et qu'ils
menèrent de la façon suivante : on fabriqua des chariots proportionnés
fi) Eutychius, loc. cit.
I^O ' ÉCHOS d'orient
à la dimension des pierres et on en mit une sur chacun. Quarante bœufs,
choisis parmi les plus forts par ordre de l'empereur, traînèrent chaque
chariot à destination. Comme les routes qui mènent à la ville n'étaient
pas préparées pour de tels transports, il fallut entailler les montagnes
pour leur livrer passage. C'est ainsi qu'on put donner au temple la
grande longueur exigée par l'empereur. On adopta une largeur ea pro-
portion, ce qui rendait impossible de faire le toit. Alors on parcourut les
bois, les forêts, toutes les régions connues pour leurs grands arbres. On
découvrit enfin une épaisse forêt de cèdres géants. Le temple en fat
couvert, et sa hauteur répondait aux autres dimensions.
Telle est l'œuvre accomplie par l'empereur Justinien avec des ressources,
et des procédés simplement humains. Mais sa piété confiante reçut la
récompense méritée et lui fut d'un précieux secours. Le temple manquait
totalement de colonnes dont la beauté fût digne de la sienne et qui fussent
assez fortes pour le poids qu'elles auraient à supporter. De plus, le pays
était situé tout à fait à l'intérieur, loin de la mer, et, comme je l'ai dit,
coupé de toutes parts de montagnes très accidentées : il était donc impos-
sible d'y introduire des colonnes de l'étranger. Tandis que l'empereur
avait à ce sujet de grandes inquiétudes, Dieu lui montra dans des col-;
Unes très rapprochées une espèce de marbre d'une convenance par--
faite, resté caché jusque-là ou créé au moment même : dans les deux
cas, il faut admettre une intervention divine On travailla donc
â extraire une foule de grande colonnes couleur de flamme (i) pour sup-^
porter l'édifice de tous côtés; on en mit en bas, on en mit en haut, on
en mit aux portiques qui entourent de tous côtés le monument, sauf duj
côté de l'Est. Devant la porte, se dressaient deux d'entre elles, si belle^
qu'il n'y en a point de semblables dans le monde entier. Le portique se
nomme en cet endroit narthex, à cause, je crois, de son étroitesse.
Ensuite, vient Yatrium, entouré sur les quatre côtés de colonnes sem-
blables; les portes intermédiaires sont telles qu'elles préparent ceux qui
entrent aux merveilles de l'intérieur. Les propylées ne leur cèdent pas
en beauté, avec leur arcade portée sur deux colonnes à une très grande
hauteur. En avançant toujours, on trouve deux hémicycles, en face l'un
de l'autre, de chaque côté de la rue. Sur une autre rue conduisant au
temple s'élèvent, à droite et à gauche, deux hospices, œuvre de l'empereur
Justinien; l'un est réservé aux pèlerins de passage, l'autre aux pauvres
malades. Ce même prince dota le temple de la Mère de Dieu d'un revenu
annuel très important. Voilà ce qu'il fit à Jérusalem (2).
Cyrille de Scythopolis nous assure que l'achèvement de la basi-
lique, située au milieu de la -ville, ne demanda pas moins de douze
(i) A ce détail, on reconnaîtra sans peine la pierre rouge de Bethléem.
(2) Procope, De œdificiis, \. V, c. vi.
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE I5I
ans (i). On en fit la dédicace au mois de novembre 543 (2). Cyrille,
témoin de cette solennité, dit que Tédifice défiait tous les anciens
monuments, tout ce que l'antiquité grecque avait jamais pu accomplir
ou décrire (3).
En outre de l'église, de l'hôtellerie pour les pèlerins et de l'hôpital,
rétablissement de Sainte-Marie la Neuve comprenait un grand couvent-
jean Moschus, qui vivait au vf siècle, nous a laissé le nom de trois de
ses higoumènes ou supérieurs : les abbés Eudoxe (4), Abraham (5) et
Constantin (6). Le même auteur nous parle d'un certain abbé Léonce,
« tout rempli de dévotion envers Notre-Dame la sainte Mère de Dieu,
dont il ne quitta pas l'église pendant quarante ans » (7). On peut
croire que dans ce passage il s'agit de la grande église bâtie par Justi-
nien, et non de Sainte-Marie de Gethsémani ou de la Probatique.
Une inscription tombale en mosaïque, trouvée dans le jardin de
l'hospice russe à Jéricho, donne le nom d'un « bienfaiteur de la très
sainte église Neuve de la très glorieuse Mère de Dieu à Jérusalem »,
le prêtre et higoumène Cyriaque, mort le 1 1 décembre 566 (8). Nous
savions déjà par Jean Moschus que les moines de Jéricho vivaient en
bonnes relations avec ceux de Sainte-Marie la Neuve (9).
Saint Grégoire de Tours (544-593), dans son livre sur la gloire des
martyrs, parle d'un très grand monastère de Jérusalem contenant de
nombreux religieux et comblé de largesses, non seulement par les
fidèles, mais encore par la munificence impériale. Des reliques de la
Sainte Vierge, qu'on y conservait, opéraient des miracles (10). Il n'est
guère douteux qu'il ne s'agisse dans ce texte de l'établissement de
Sainte-Marie la Neuve, magnifiquement doté, nous l'avons dit, par
l'empereur Justinien.
Ces richesses introduisirent le relâchement dans le monastère. Dans
deux lettres adressées par saint Grégoire le Grand (590-604), l'une au
(1) COTELIER, op. cit., p. 346.
(2) Cf. S. Vailhé, La dédicace de Sainte-Marie-la-Neuve, dans la Revue Augusti-
nienne, igoS, p. i38-i39.
(3) COTELIER, op. cit. p. 346-347.
(4) Jean Moschus, c. clxxxvii.
(5) Jean Moschus, c. lxviii.
(6) Jean Moschis, c. vi. Cf. R. P. Siméon Vailhé, Répe?-toire alphabétique des
monastères de Palestine, dans la Revue de l'Orient chrétien, 1900, p. 27.
(7) Jean Moschus, c. lxi.
(8) C'est peut-être le Cyriaque prêtre de la laure de Calamon ou le Cyriaque higou-
mèoe de la laure des Tours, dans la vallée de Jéricho. Cf. Revue biblique, avril i^w;
p. 287; Echos d'Orient, juillet 191 1, p. 23i. ' :
(g) Revue biblique, loc. cit., p. 288.
(10) Liber de gloria martyrum, c. i. Migne, P. L., t. LXXI, col. 71b.
IC2 ÉCHOS D ORIENT
prêtre Anastase, qui semble être le supérieur, et l'autre au patriarche
de Jérusalem Isaac, le Pape se plaint de l'esprit mondain qui a pénétré
dans le couvent de Sainte-Marie la Neuve, où les moines, dit-il, n'ont
guère des vrais religieux que l'habit, et des disputes multipliées qui
ont surgi entre l'autorité patriarcale et le supérieur de ces moines (i).
Un peu auparavant, un pèlerin anonyme de Plaisance, venu à Jéru-
salem en 570, nous signale brièvement l'église, le couvent, l'hôpital et
l'hôtellerie de Sainte-Marie la Neuve :
De Sion, nous vînmes à la basilique de Sainte-Marie où se trouvent
une très nombreuse communauté de moines, des hôpitaux pour les
hommes et pour les femmes, une hôtellerie pour les pèlerins, des tables
innombrables, et plus de trois mille lits pour les malades (2).
Ce dernier chiffre paraît extraordinaire. Notons que Cyrille de Scytho-
polis, probablement mieux renseigné, parle de trois cents lits seulement,
fondés à la demande de saint Sabas (3).
Tous ces merveilleux édifices allaient être détruits par les Perses
en 614. L'armée persane, nous dit Eutychius, « renversa d'abord l'église
de Gethsémani et ensuite l'église neuve (4) ». Cet historien, qui vivait
à Alexandrie au x** siècle, ajoute que ces deux églises étaient demeurées
en ruines jusqu'à son époque, mais son affirmation est contredite
formellement, en ce qui regarde Sainte-Marie la Neuve, par un document
du temps de Charlemagne dont nous allons parler dans un instant.
L'église, peut-être sans toutes les annexes, dut être relevée quelques
années après, comme le Saint-Sépulcre, par les soins de saint Modeste.
C'est là probablement que saint Sophrone, patriarche de Jérusalem,
prêcha devant le peuple fidèle le jour de Noël 634. Les premières bandes
arabes avaient envahi la Palestine, les environs de la Ville Sainte étaient
infestés par les nomades pillards, les chrétiens n'osaient faire le pèle-
rinage traditionnel de Bethléem : le sermon fut donné dans l'église
de la Vierge.
Que les Mages et les saints bergers, dit saint Sophrone, veillent
à Bethléem Pour nous, nous sommes empêchés de nous y rendre
(i) MiGNE, P. L., t. LXXVII, col. 890 et 1166. La première lettre parle du monastère
de la Néa, et la seconde, de l'église de même nom. Cf. Revue de l'Orient chrétien,
1900, p. 27-28.
(2) Geyer, Itinera hierosolomitana sœculi iv-viii, Vienne 1897, p. 174-175. Nous avons
traduit xenodochia virorum ac mulierum par « hôpitaux pour les nommes et pour
les femmes », et non pas « hôtelleries », parce que l'anonyme signale clairement l'hô-
tellerie par les mots : susceptio peregrinorum.
(3) CoTELiER, op. cit., p. 346.
(4) MiGNE, P. G., t. III, col. io83.
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE I 53
nous sommes contraints de rester chez nous, non pas retenus par des
liens corporels, mais enchaînés et cloués par la terreur des Sarrasins
Enfermés derrière les portes de cette ville et réunis dans le divin temple
de la Mère de Dieu, nous célébrons cette fête et cet anniversaire publi-
quement, mais non sans tristesse (i).
Une liste officielle des églises et des monastères de Terre Sainte,
rédigée en 808 par ordre de Charlemagne, le Commemoratoriiim de
casis Dei vel monasteriis, mentionne encore la présence de « douze
clercs à Sainte-Marie la Neuve, bâtie par l'empereur Justinien » (2).
Tel est le dernier certificat d'existence qui nous soit parvenu au sujet
de la grandiose basilique. Elle aura ensuite été détruite par le calife
égyptien Hakem en 1009, ainsi que toutes les autres églises de Jéru-
salem, pour ne plus se relever de ses ruines. Celles-ci même ont dis-
paru Je touche ici à la question de l'emplacement de Sainte-Marie
la Neuve : il est temps de discuter ce point de topographie.
(A suivre.)
Léopoi.d Dressaire.
Jérusalem.
(1) MiGNE, P. G., LXXXVIP, col. 3201 et suiv.
\2) ToBLER, Itinera hierosolymitana, I, 11, p. 3o2.
L'HOMME CRÉÉ A L'IMAGE DE DIEU
D'APRÈS THÉODORE! DE CYR
ET PROCOPE DE GAZA
{Suite.)
Dans un article précédent (i), nous avons rapporté l'opinion de
Théodoret de Cyr et de Procope de Gaza au sujet de l'homme et de la
femme considérés comme créés à l'image de Dieu. A l'école de ces deux
exégètes, nous avons établi que, créés tous les deux à l'image de Dieu,
l'homme et la femme ne réalisent cependant pas au même degré cette
divine ressemblance. Après avoir montré que c'est surtout par l'âme
que l'homme reproduit l'image de son Créateur parce que, résumé de
la création, l'homme y apparaît d'abord en souverain libre et indé-
pendant des êtres créés comme Dieu est indépendant des autres êtres,
puis en roi intelligent qui, imitant jusqu'à un certain point l'intelligence
universelle de Dieu, en diffère pourtant par son esprit discursif et
imparfait, il nous reste à préciser sous quels autres rapports l'homme
ressemble encore à Dieu et à discuter la valeur des opinions rapportées.
4° L'homme est l'image de Dieu par l'unité de son esprit dans la diversité
de ses facultés.
Semblable à Dieu par l'intelligence, l'homme lui ressemble encore par
l'unité de son esprit qui subsiste toujours sous la diversité de ses puis-
sances. En effet, dit Théodoret (2) « l'esprit humain (to Tïveùaa) produit
la parole (tov Xôyov), et le souffle dérive de l'esprit par le canal de la
parole, sans être engendré, il est vrai, comme la parole, mais accom-
pagnant toujours la production de cette dernière. Or, dans la Sainte
Trinité, nous trouvons trois personnes unies sans confusion et subsistant
par elles-mêmes: car le Verbe a été avant les siècles engendré par le
Père et il est inséparable du Père. Le Saint-Esprit procède de Dieu le
Père pour constituer une personne distincte. » Il y a donc ressemblance
d'une part entre les trois personnes de l'indivisible Trinité, qui ont la
(i) Cf. Echos d'Orient, nov. 191 1, p. 384 sq.
|2) Théodoret, col. 107-108.
l'homme créé a l image de dieu 155
même nature divine, et, d'autre part, entre l'intelligence, la parole
humaine et son souffle, qui ont la même nature divine et qui dérivent
de la même âme. Mais il y a entre les deux termes de cette comparaison
une grande différence : car dans l'intelligence humaine la parole et le
souffle ne peuvent subsister, tandis qu'en Dieu le Verbe et le Saint-
Hsprit sont des personnes distinctes du Père(i).
Procope découvre le même trait de ressemblance, mais le présente
lin peu différemment, car il ne considère dans la Trinité que deux
personnes : « Dieu, dit-il, a en lui deux puissances qui sont inséparables,
c est-à-dire le Fils unique et le Saint-Esprit; chacune a une subsistance
propre, bien qu'elles découlent de la même nature De même, il a
donné à notre âme deux puissances qui proviennent d'elle-même,
qui subsistent en elle-même et qui sont inséparables d'elle-même :
l'une est la raison qui fait de nous des êtres intelligents; l'autre est la
puissance végétative par laquelle il communique la vie à notre corps (2).
Cette assimilation entre deux personnes divines et deux facultés de
notre âme n'est pas, dans la pensée de Procope, une identification des
personnes divines aux facultés de notre esprit, qui nous rappellerait
le sabeliianisme. Mais, comme il n'y a jamais identité entre l'image et
la réalité d'un être, ne retenons de ce rapprochement que les points
de ressemblance et disons pour résumer la pensée de cet exégète : de
même que, dans la Trinité, on peut considérer deux personnes qui ont
la même nature que la première, le Père, de même, dans l'âme humaine
nous distinguons deux facultés qui toutes les deux dérivent de l'âme
et qui ont, par suite, la même nature qu'elle. 11 y a donc ressemblance
entre les facultés de l'esprit humain et les personnes de la Sainte Trinité.
5" L'homme est l'image de Dieu par le pouvoir en quelque sorte créateur
qu'il possède.
Semblable à Dieu par les puissances de son âme, l'homme lui res-
semble encore par l'exercice de ses facultés et, notamment, nous disent
nos deux exégètes, par l'exercice d'un pouvoir qui semble incompatible
avec la condition d'un être créé : la puissance créatrice.
Cette expression a de quoi nous surprendre : mais, pour en saisir
le bien fondé, écoutons d'abord Théodoret (3) :
A l'imitation du Dieu Créateur, l'homme crée, construit des maisons,
des remparts, des villes, des portes, des navires, des voitures et une infi-
(i) Théodoret, col. 107-108.
(2) Procope, col. 125-126.
(3) Théodoret, col. io5-io6.
1^6 ÉCHOS d'orient
nité d'autres choses : il fait également des images et des figures du ciel,
du soleil, de la lune, des étoiles; de même aussi, il représente la figure
des hommes et des animaux dépourvus de raison.
Il y a pourtant entre lui et Dieu, dans la manière de créer, une grande
■différence. Car Dieu, auteur de tous les êtres, crée indistinctement avec
une matière préexistante ou sans matière préexistante ; il le fait sans
peine et n'exige pour cela aucun temps: car, dès qu'il le veut, il produit
ce qu'il lui plaît. L'homme, au contraire, a besoin de matière, d'instru-
ments, de conseils, de délibération, de temps, de peine et des connais-
sances techniques nécessaires à son métier
Cependant, dans cette œuvre qu'il produit, l'homme imite en quelque
façon le Créateur, comme une image est l'imitation de son modèle. En
effet, l'image reproduit les traits du modèle. Mais, bien qu'elle représente
les membres, l'image est sans vie, car il lui manque l'âme, principe du
mouvement corporel (i).
On ne saurait mieux caractériser la différence qui sépare les œuvres
créées par Dieu de celles qui sortent des mains de l'homme. A son
tour, Procope de Gaza détermine avec précision les traits semblables
et les traits différentiels de l'œuvre créée par Dieu et de l'œuvre créée
par l'homme (i).
11 le fait de deux manières, en considérant la création, soit comme une
simple production d'être nouveau, soit comme une génération d'être
semblable à son générateur. D'où ces deux conclusions de l'auteur :
1° Dieu crée dans l'éternité sans utiliser des êtres préexistants; au
contraire, l'homme produit dans le temps, artificiellement, un nouvel
•être en se servant de substances préexistantes (2).
2° Dieu engendre son Fils hors du temps, sans matière, sans division
de sa substance, tandis que l'homme engendre dans les temps au détri-
ment de sa propre substance matérielle (3).
Que conclure de ces textes? Que l'homme crée comme Dieu dans
tout le sens du mot créer? Nullement : car ni la génération proprement
dite ni la production d'une forme nouvelle d'être à la faveur de sub-
stances préexistantes ne sont, au sens propre du mot, une création.
Mais si l'on entend le mot création dans le sens plus général de pro-
duction d'être nouveau — quel que soit du reste ce mode de produc-
tion, — on peut dire avec ces deux commentateurs que l'homme, créé
à l'image de Dieu, jouit d'un certain pouvoir créateur participé, puisque
•de substances, il est vrai, préexistantes il tire un être qui est distinct
(i) Théodoret, ibid.
(2) Procope, col. i23.
■(3) Procope, col. i38.
l'homme créé a l image de dieu I S7
de ces substances, qui les suppose mais qui en diffère, qui est par
conséquent un être nouveau ou une forme nouvelle d'être, qui est donc
le résultat d une véritable création, au sens très large dans lequel nous
devons ici prendre ce mot (i).
(5° L'homme est l'image Je Dieu par sa sainteté.
Créateur, l'homme ne l'est pas seulement par son esprit inventif, il
l'est aussi par sa libre volonté capable de vertu : par là encore, il
ressemble à Dieu qui est la sainteté même.
Sur cette question, écoutons d'abord Théodoret :
L'Apôtre nous dit dans une épître aux Corinthiens: « De même que
nous avons porté l'image de l'homme terrestre, ainsi portons l'image de
l'homme céleste. » (2) Or, si celui qui vit selon la chair porte l'image de
l'homme terrestre, celui qui, par l'esprit, mortifie les actes de la chair
porte l'image de l'homme céleste.
De même, dans une autre épître, donnant des règles de conduite,
l'Apôtre nous dit entre autres choses : «Vous avez revêtu l'homme nouveau
qui, se renouvelant sans cesse à Vimage de celui qui l'a créé, atteint la
science parfaite. » (3^
Et voici les conclusions tirées par cet auteur :
Dieu est patient : ainsi l'homme patient est à l'image de Dieu. Le
Seigneur est juste, saint, compatissant et miséricordieux : donc celui qui
aime la justice et la sainteté et qui observe les préceptes du Seigneur :
« Soyez miséricordieux de même que votre Père est miséricordieux », (4)
et : « Soyez parfaits comme votre Père céleste est parfait » (5) devient en
tout l'image de Dieu (6).
Voici, d'autre part, comment s'exprime Procope sur le même sujet :
Quand Dieu dit: « Faisons l'homme à notre ressemblance », il faut
comprendre, dans la mesure où nous le pouvons : devenons doux et sem-
blables à Dieu, selon la parole de l'Ecriture : « Soyez miséricordieux de
même que votre Père (céleste) est miséricordieux. » (7) D'autre part,
saint Paul dit qu'il enfante, en quelque sorte, une seconde fois au Christ
il) Ce sens n'est pas nouveau. Ne parle-t-on pas tous les jours de créations scienti-
liques, de créations artistiques? Et cela se conçoit: il y a production d'être nouveau,
mais, remarquons-le, ce qui est proprement un être nouveau dans les œuvres humaines,
ce ne sont pas, évidemment, les éléments utilisés, puisqu'ils sont préexistants, mais
c'est la mise à contribution de ces éléments dans une synthèse originale.
{2) / Cor. XV, 49.
(3) Coloss. m, 10.
(4) Luc. VI, 36.
(5) Matth. V, 48.
(G) Théodoret, col. ii5-iir).
(7) Luc. VI, 36.
i::8 ÉCHOS D ORIENT
ceux qui ont perdu cette ressemblance divine, jusqu'à ce que le Christ
soit forncié en eux (i) L'homme ressemble à Dieu par la charité,
puisque saint Jean a écrit: Dieu est charité (2) Cette image a été, il
est vrai, altérée et enlaidie par le péché, mais l'incarnation du Christ l'a
restaurée et l'a même rétablie dans un état supérieur au premier (3).
On le voit, ici encore Procope complète Théodoret, car tandis que
celui-ci nous engage à imiter directement Dieu qui est la sainteté
même, Procope nous montre que notre ressemblance à Dieu sous ce
rapport, comme sous les autres déjà examinés, comporte deux étapes
logiques : la ressemblance au Christ, et, par la ressemblance au Christ,
la ressemblance à Dieu.
IV. L'homme, image de dieu par son corps
Ainsi, si dans l'homme on considère l'âme, on y découvre clairement
l'image de Dieu. Mais cette divine ressemblance se retrouve-t-elle aussi
dans le corps humain? Théodoret le nie, apparemment, mais au fond
en convient; Procope l'affirme nettement. Voyons leurs raisons et
comparons.
Théodoret réfute longuement l'assertion de ceux qui prêtent à Dieu
des membres, des mains, des pieds, des yeux. Il conclut avec raison
que les passages de la Sainte Écriture où Dieu est représenté comme
un homme doivent être entendus au sens métaphorique. Ce sont là des
anthropomorphismes. Puis il résume ainsi sa pensée :
Celui qui dira que le texte ad imaginem suam ne se rapporte pas au
corps, mais à l'âme raisonnable, exposera une doctrine sérieuse en com-
prenant sous le mot âme les facultés de l'âme. Car, dans l'homme, la faculté
de connaître, de juger, de bien mériter, bref, de faire le bien, a été créée
par Dieu à sa propre image. Ce n'est donc pas la forme du corps, mais ce
sont ses actions qui reproduisent l'image de Dieu, car saint Paul dit aux
Corinthiens : « De même que nous avons porté l'image de l'homme ter-
restre, de même portons l'image de l'homme céleste. » (4)
Voici, par contre, la manière dont raisonne Procope pour établir la
thèse opposée :
(i) Gai. IV, 19. Procope, col. ii5-n6.
(2) / Joan. IV, 16.
(3) Procope, col. 123-124.
(4) / Cor. XV, 49; Théodoret, col. ii3-ii6. On le voit, en disant que c'est par les
actions de son corps que l'homme reproduit l'image de Dieu, Théodoret reconnaît
que, même par quelque chose d'extérieur venant du corps, l'homme est l'image de
Dieu.
L HOMME CREE A L IMAGE DE DIEU ! 59
Quelques-uns ont pensé que les mots : secundum imaginem, ne s'appli-
uaient qu'à l'âme, com me si l'âme seule avait été créée à l'image de Dieu .
'autres entendent l'expression du corps et de l'âme, mais surtout de
âme. Ils disent, en effet : toute image est composée de matière et de forme,
t l'une ne va pas sans l'autre, car ce qu'on appelle image, c'est la matière
nie à la forme. Le bois lui-même reçoit le nom d'image à cause du dessin
u'il porte gravé en lui et qui est, à proprement parler, l'image. Cepen-
ant, sans le corps, l'âme n'est pas appelée image ; car si l'âme est l'image
e Dieu à cause de la ressemblance divine qu'elle porte en elle, le corps,
cause de l'image divine qui est imprimée en lui, est limage de Dieu,
e visage, l'habillement, h démarche et le rire de l'homme sage révèlent
homme intérieur (1). Du reste, le mot âme désigne l'homme tout entier,
jprit et corps. Or, l'image d'un être tire son principe de la partie princi-
ale de cet être, puis elle s'étend aux parties accessoires et plus faibles.
'est pourquoi l'incarnation du Verbe a été très nécessaire pour nous
ndre l'éclat de l'image perdue, non seulement dans l'âme, mais aussi
ans le corps. De même, la résurrection universelle des corps sera néces-
lire pour présenter à Dieu le vrai homme créé à son image (2).
Cette opinion d'exégètes antérieurs que Procope a faite sienne
îmande quelques explications. Elle se ramène aux trois propositions
livantes :
/o Toute image, expression d'une idée, se compose de matière sefisible et
'■ forme, c'est-à-dire d'une idée rendue sensible par la disposition
irticulière de la matière qui sert à l'exprimer. Donc, le corps humain
;ut être dit l'image de Dieu, non pas dans ce sens qu'il ressemble
1 corps de Dieu — ce qui serait franchement absurde, Dieu étant
îHS corps — mais parce que c'est ur»e matière qui, par sa disposition
irticulière, exprime quelques-uns des attributs divins, non pas sans
)ute directement, mais indirectement, en reproduisant jusqu'à un
rtain point les qualités de l'âme, qui est l'image de Dieu (3). Ainsi le
•rps est l'image de Dieu en étant d'abord l'image de l'âme. Entendue
ms ce sens, cette assertion de Procope est l'expression d'une pensée
"Ofonde, et concorde de tout point avec celle de la plupart des philo-
tphes de l'esthétique pour lesquels l'idée doit toujours être liée à
mage matérielle dans les représentations artistiques.
20 Dieu a créé l'homme à son image ; or, l'homme est constitué par
i) Eccli. I, 19.
[z] Procope, col. 1 19-120.
3) Précisons cette pensée par un exemple : l'œil, par la vivacité de son regard,
prime la pénétration de l'intelligence; or, l'intelligence humaine est créée à l'image
celle de Dieu, on l'a prouvé. Donc l'œil corporel sera aussi à l'image de l'intelli-
nce divine.
i6o ÉCHOS d'orient
I
l'union substantielle de l'âme et du corps. Donc le corps, partie consti-
tutive de l'homme, est, lui aussi, créé à l'image divine, non pas en lui-
même, mais en tant que substantiellement uni à l'âme, qui est la partie
la plus importante du composé humain.
30 Le Christ, s'étant incarné pour rendre à l'homme la première
beauté qui faisait de lui l'image de Dieu, a pris un corps et une âme
humaine, réhabilitant ainsi l'un et l'autre comme parties constitutives
de l'image divine.
Si, maintenant, nous comparons les opinions de ces deux auteurs,
nous pouvons conclure : Théodoret avait raison de ne pas voir dans le
corps humain l'image divine, puisque Dieu n'a pas de corps, mais Pro-
cope est, lui aussi, dans la vérité quand il découvre dans ce corps qui
fait partie de l'homme le rayonnement des qualités de l'âme qui sont
elles-mêmes le rayonnement des attributs divins. Le corps humain peut
donc, sous ce rapport, être appelé l'image de Dieu.
V. Conclusion.
Au terme de cette longue analyse, précisons en quelques traits ld|
points sur lesquels nos deux commentateurs semblent avoir exagéré çt
sur lesquels, par suite, il convient de faire quelques réserves.
Tous les deux ont montré que, créés à l'image de Dieu d'après l3^'
Genèse, l'homme et la femme, en fait, ressemblent à leur Créateur pa|^
les puissances de leur âme et de leur corps. Mais ici la question n'est
pas seulement de savoir si, en fait, l'homme et la femme ressemblent
à Dieu à ces divers points de vue. Car il s'agit principalement d'établir
que ces traits de ressemblance constatés ressortent des textes comparés
de la Genèse. Sur cette dernière question, ces deux exégètes ont émis
des opinions que nous croyons pouvoir rectifier sur les trois points
suivants :
1° 11 est vrai, comme ils l'ont établi, qu'il y a, en fait, entre les facultés
de l'âme humaine et les trois personnes de la sainte Trinité, une certaine
analogie et même, disons le mot en lui donnant un sens large, une
certaine ressemblance. Mais si le texte de la Genèse : Faisons l'homme
à iwtre image, insinue le dogme de la Trinité, il n'est pas certain, toute-
fois, que ce soit précisément à l'image des trois personnes divines '
considérées comme personnes que le premier homme ait été créé. Au
contraire, il semble prouvé que c'est à l'image de la nature divine et
non des personnes considérées comme personnes qu'Adam a été créé.
Comparons, en effet, dans la Genèse, ch. 1^'-, les versets 26 et
l'hommr crkh a l'image de dieu i6i
expression : Faisons l'homme, du verset 26, correspond à l'expression : Et
Ui'ii créa l'homme, du verset 27. C'est donc comme Dieu, c'est-à-dire
)mme nature divine ^Xxiioi que comme trinité de personnes que Dieu a
éé l'homme à son image. C'est pourquoi, dans le verset 26, l'expres-
011 ad imaginem nostram est au singulier au lieu d'être au pluriel; il
V a qu'une image, parce qu'il n'y a qu'une nature divine. Bref, nous ne
)mmes créés à l'image de la Trinité qu'en tant que ces trois personnes
it une seule et même nature (i).
2 ' 11 est très vrai aussi que, en fait, l'homme jouit d'un certain
jLivoir créateur dans le sens large que nous avons donné à ce mot,
après ces deux exégètes. Mais si l'on se rapporte aux deux versets
écités du chapitre l*'' de la Genèse, il ne semble pas que nécessairement
m doive donner au verbe créer ce sens large, et, par suite, l'homme
éé à l'image de Dieu étant incapable de créer ex nihilo comme Dieu,
' n'est pas sous le rapport du pouvoir créateur que l'homme, d'après
Genèse, aurait été créé à l'image de Dieu.
Comparons, en effet, les trois passages suivants : Gen. 1, 26 ; Gen. i,
;: Gen. 11, 7, 8. Trois verbes différents sont employés en hébreu, en
; ec et en latin pour caractériser l'action créatrice de Dieu: Gen. i, 26 :
iah = -o'.s^.v =:: facere; Gen. i, 27 : bara= xt-Iv^s'.v = creare {ex nihilo) \
'II.
II, 7, 8 : yasar = TTÂàa-Tô'.v = formare {ex materia prœexistenti).
! l'on s'en tenait au premier et au dernier verbe, on pourrait, sans
oiite, conclure de sa signification que l'homme peut imiter Dieu dans
: n pouvoir créateur. Mais le texte principal, celui qui exprime le com-
lencement de l'œuvre créatrice, est le deuxième cité. Dans ce passage,
in'est question, semble-t-il, que de la création ^j>C7«')b//o(2). Or, l'homme
len est pas capable. 11 n'est donc pas certain que ce soit sous le rapport
( \\\ puissance créatrice que, d'après le texte même de la Genèse, l'homme
;été créé à l'image de Dieu (3).
3 " Très fondée aussi est l'argumentation de nos deux auteurs tendant
; prouver que nous devons perfectionner en nous l'image de Dieu par
Ure sainteté personnelle. Mais quand Procope nous dit que, la divine
ssemblance ayant été altérée en nous par le péché, l'Incarnation du
ifist l'a restaurée en nous et même l'a remise dans un état supérieur
premier, il est bien évident qu'il voit dans cette altération de l'image
«ne en nous la perte de la grâce divine recouvrée plus tard par
icarnation du Christ. Certes, cette assertion est très juste, car parmi
i) HuMMELAL'EB, Gettests, p. 86, 87.
a) Cf. Gen. i, i, 21, 27.
{) Hlmmelàuer, op. cit., p. 86, 87; Filhon, la Sainte Bible commentée, t. I", p. 20.
Échos d'Orient, t. XV. 11
l62 . ÉCHOS d'orient
les biens de l'âme qui nous font ressemblera Dieu, la grâce sanctifiante,
cette greffe divine entée sur le sauvageon de la nature humaine, occupe
le premier rang, puisque, d'après saint Pierre, « c'est une certaine par-
ticipation à la nature divine » (i).
Mais là n'est pas la question. Ce qu'il importe de savoir ici, c'est si ks
textes précités de la Genèse font au moins allusion à la ressemblance
surnaturelle créée par la grâce entre Dieu et l'âme humaine. 11 semble
que non (2). Car dans tout le récit génésiaque il n'est question que de
l'origine du monde visible; donc, quand la Genèse parle de la création
de l'homme à l'image de Dieu, il s'agit de V image naturelle de Dieu, c'est-
à-dire de la similitude éloignée mais pourtant réelle qu'il y a entre les
puissances naturelles de l'âme et du corps de l'homme et les attributs
de Dieu (3). Ces réserves faites, on peut adopter les conclusions de ces
deux exégètes et dire avec le P. Pétau, qui a magistralement résumé
cette question et même, sur certains points, complété ses devanciers :
L'image de Dieu se trouve dans l'homme tout entier : elle est principa.
lement dans son âme spirituelle, immortelle, intelligente, libre et ornée
des vertus qui sont une imitation de la sainteté de Dieu; elle est dans son
corps, en second lieu, il est vrai, mais pourtant réellement, soit parce que
ce corps a la faculté de se tenir debout pour imiter la majesté de Dieu,
soit à cause de sa faculté de parler, expression de son intelligence et de
sa volonté, soit à cause de ses mœurs extérieures, révélation de ses vertusi-
intérieures (4). ^
E. MONTMASSON.
(i) II Petr. I, 4.
(2) Il est de foi qu'Adam a reçu la grâce sanctifiante en partage. Mais le texte géné-
siaque y fait-il allusion en parlant de l'image divine? Telle est la question.
(3) HUMMELAUER, Op. cit., p. IIO-III.
(4) PÉTAU, De sex dierum opificio, 11,4. — Cette doctrine, synthétisée par cet auteur,
n'est pas nouvelle : on en retrouve les éléments épars dans les écrits de plusieurs
Pères, notamment de saint Augustin, De Trinitate, xii, 2,
CHRONIQUE
DES ÉGLISES ORIENTALES
Arméniens
I. Arméniens catholiques
1 . Le concile arménien de Rome. — Un concile important des évêques
rméniens catholiques, sous la présidence de leur patriarche,
. B. Msi- Paul-Pierre XIll Terzian, s'est tenu à Rome, du is octobre au
G décembre 191 1 (1). Ms^' Terzian écrivait en septembre dernier aux
lissions catholiques, en annonçant ce synode :
Pour notre hiérarchie, c'est un événement tout à fait extraordinaire,
ar c'est la première fois que tous les archevêques et évêques arméniens
réuniront dans la Ville Sainte, sous la présidence de leur patriarche,
our réformer leur Église et faire leur statut hiérarchique pour le
atriarcat et ses seize diocèses. En effet, jusqu'à présent, nous étions
rivés de ce statut, et le manque d'un règlement nous exposait à toutes
s difficultés et condamnait nos efforts à une grande stérilité.
Une fondation qui réclame d'urgence notre attention, c'est la création
un Petit Séminaire qui nous fournirait un clergé instruit. Nous étudie-
»ns les moyens d'établir, pour l'instruction de la jeunesse, les bonnes
:oIes qui nous manquent un peu partout...
Après une audience pontificale et une séance préparatoire qui eurent
jîu le 14 octobre, l'ouverture solennelle du concile se fit le lendemain,
jréglise arménienne de Saint-Nicolas de Tolentin, d'abord par la célé-
l'ation d'une messe pontificale, puis par une séance solennelle, en
résence de seize évêques arméniens, sous la présidence du patriarche.
jirmi ces prélats, deux seulement ne sont pas sujets ottomans, ce
|int : NN. SS. Teodorowicz, archevêque de Lemberg, et Covrighian,
^êque titulaire de Nisibe, abbé général des Mékitaristes de Vienne.
roir la revue Rome (Paris, Bonne Presse), n"" de novembre, décembre, janvier
rier. Voir aussi un article de la Cirilta cattolica du. 17 février 1912, intitulé :
Vite sinodo armeno, Per la storia délia Chiesa armeno-cattolica.
l64 ÉCHOS D ORIENT
L'abbé général des Mékitaristes de Venise, qui a aussi le caractère épi-
scopal, s'est excusé de ne pouvoir assister au concile à raison de son
état de santé.
Sept évêques de Turquie attendaient encore que le gouvernement
ottoman levât l'interdiction qu'il leur avait intimée de se rendre à Rome.
Dès la première séance, les Pères du concile se sont partagés en
quatre Commissions qui doivent étudier et préparer les rapports; les
matières soumises à leurs délibérations sont réparties on onze titres.
Puis leur assemblée générale discutera et décidera sur le texte des
schémas adoptés en Commission. Enfin, dans l'église Saint-Nicolas de
Tolentin, le concile promulguera ses décrets en session solennelle,
ce qui équivaudra à une publication canonique.
Parmi les Pères du concile qui avaient assisté à la séance d'ouverture,
neuf n'avaient pas encore reçu le caractère épiscopal. Mais le Pape les
avait déjà désignés et nommés directement pour qu'ils fussent sacrés
ensemble par leur patriarche. Le Souverain Pontife a, en effet, jugé
nécessaire, à raison notamment des difficultés qui eussent empêché
de réunir des synodes locaux avant le concile arménien, de déroger
pour cette fois aux coutumes de la communauté arménienne et de
pourvoir directement aux sièges vacants, sans attendre le témoignage
du clergé et des laïques des diocèses intéressés. Pie X, dans l'audience
du 14 octobre, avait tenu à insister sur cette décision qu'il avait jugé
bon de prendre pour le bien de l'Église arménienne. La cérémonie
imposante de la consécration des nouveaux évêques s'accomplit le
22 octobre, selon toutes les règles du pontifical arménien. Voici les
noms de ces prélats, dans l'ordre où ils furent préconisés au Consis-
toire du 30 novembre 191 1 :
NN. SS. Joseph Rokossian, archevêque titulaire d'Achrida, nommé
auxiliaire et vicaire de S. B. Mgr Terzian; Joseph Melkisedekian, évêque
d'Erzeroum; Jacques Topousian, évêque de Mouche; Pascal Keklikian,
évêque d'Adana; Grégoire Bahabanian, évêque d'Angora; Antoine
Bahabanian, évêque de Césarée de Cappadoce; Jean Nasiian, évêque
de Trébizonde; Jean Couzian, évêque d'Alexandrie.
Trois des évêques retenus en Turquie avaient fini par s'embarquer
et étaient venus se joindre aux autres membres du concile.
Une première session solennelle se tint le 26 octobre; une deuxième
le 29, puis une autre chaque dimanche jusqu'au 10 décembre. Ces
sessions, bien que solennelles, n'admettaient cependant aucun témoin,
les décrets ne pouvant ^tre promulgués qu'après avoir reçu l'approba-
tion du Saint-Siège. La clôture du concile s'est faite le 10 décembre.
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 165
M&'' Teodorowicz, archevêque arménien de Lemberg, a lu en italien un
discours où, dans une large synthèse, il a montré comment les ponti-
licats de Léon Xll! et de Pie X avaient un rayonnement magnifique,
spécialement au point de vue des Églises orientales.
Le 1 4 décembre, dans l'audience solennelle qu'il accorda au patriarche,
aux évêques arméniens, aux théologiens et aux consulteurs du concile,
S. S. Pie X déclara qu'il avait suivi de très près, avec une sollicitude
constante, les travaux du synode qu'il avait lui-même voulu.
Deux lettres synodales datées du 18 décembre ont été adressées de
Rome par les Pères du concile à la communauté arménienne catho-
lique (i). Elles ont pour but d'attirer l'attention sur les principales
juestions qui ont fait l'objet des délibérations synodales. Elles con-
cernent soit l'enseignement de la foi et de la liturgie, soit les prin-
cipes qui doivent régler les rapports des fidèles avec les évêques.
C'est ce dernier point surtout qui, comme on le pense bien, a été
spécialement étudié. Les lettres synodales ramènent à trois points essen-
tiels ces rapports mutuels entre évêques et fidèles : i" la participation
du peuple à l'élection des évêques et du patriarche; 2° l'immixtion du
peuple dans la gestion des biens ecclésiastiques; 3° l'intervention
du peuple dans l'administration civile de la communauté. Cette der-
nière question fait l'objet spécial de la seconde lettre; les deux autres
sont traitées dans la première.
Cet important document relève avec raison le droit exclusif de l'Église
dans l'élection des évêques et des autres dignitaires ecclésiastiques,
établit la vérité concernant l'intervention populaire dans les élections
épiscopales, privilège qui n'a jamais créé un droit strict. Puis appli-
cation est faite de ces principes aux récentes nominations épiscopales
auxquelles le Pape a cru devoir procéder directement. De même, on
affirme ensuite le droit exclusif de l'Église sur ses biens, et on étudie
ce qu'il en est des biens qui sont objet d'administration dans la com-
munauté arménienne catholique. En ceux-ci il importe, en effet, de
distinguer très nettement les biens ecclésiastiques, les biens nationaux
et les biens mixtes. Enfin, en ce qui regarde l'attitude du Conseil
national à l'égard de l'autorité patriarcale, la première lettre, après
avoir établi la responsabilité du patriarche devant l'Église et devant le
(i) Voici les titres de ces lettres, qui ont été publiées en brochures : Première lettre
aux Arméniens catholiques à l'occasion du synode tenu à Rome en igii. Rome,
imprimerie Richard Garroni, 191 1, grand in-8°, 33 pages. Seconde lettre collective
des Pères synodaux à la communauté arménienne catholique. Rome, R. Garroni,
1912, in-8', 29 pages.
i66 ÉCHOS d'orient
pouvoir civil, lire de ces principes ce mot d'ordre très clair : « Avec
le patriarche, et non pas au-dessus du patriarche et contre lui. » Puis,
par manière de conclusion, elle montre que la liberté de l'Église dans
son gouvernement est dans l'intérêt de la nation, et elle rappelle, par
contre, les tristes conséquences qu'a toujours l'asservissement de
l'Église à la volonté populaire.
Cette première lettre, dont ce simple résumé suffit à dire la haute
importance, est signée du patriarche et des évêques présents au concile.
La seconde s'occupe seulement de rétablir, au sujet des événements
qui ont provoqué la crise actuelle, la vérité fâcheusement dénaturée
par certains membres de l'Assemblée laïque et par la presse. Au bas
de ce document, on lit les noms des mêmes signataires que pour la
première lettre, sauf ceux du patriarche et de l'archevêque de Lemberg.
Les Actes du concile ont été soum.is à l'examen du Saint-Siège qui
vient, croyons-nous, de les approuver. Souhaitons qu'ils soient bientôt
publiés. Souhaitons surtout que les décisions prises puissent être sans
retard mises à exécution pour le plus grand bien de l'Église arménienne
catholique. S. Salavili.e.
2. Crise religieuse. — On dirait qu'un vent de parlementarisme
a soufflé sur l'Église arménienne, comme il a soufflé sur tout l'Orient
depuis la révolution de juillet 1908.
L'Assemblée nationale, réunie contre la volonté du patriarche, soii
président naturel, et en violation des Canons, a déclaré M^'' Terzian
déchu de sa dignité. Son droit de participer à l'élection du chef de
l'Église nationale, elle voudrait l'exercer en faisant et en défaisant les
patriarches, selon les caprices du vote. Les révoltés ont malheureu-
sement trouvé un appui chez quelques prêtres irrités des réformes que
Mgf Terzian veut introduire dans son clergé. Les opposants sont
quelques centaines seulement, cependant leur audace impose à la
masse des catholiques, bien intentionnés, mais timides. La question
du patriarche devient le sujet de toutes les conversations dans les,
salons, où l'on voit des canonistes improvisés émettre les opinions les
plus extravagantes.
Le concile terminé, les évêques ne tardèrent pas à rentrer dans leurs
diocèses. Le patriarche, Me' Terzian, arriva à Constantinople le 5 jan-^
vier. Une manifestation hostile organisée à sa descente du bateau
échoua, m.ais les meneurs eurent leur revanche. Me^' Terzian se heurta
à une porte fermée, quand il se présenta au palais patriarcal. Une foulét,
hurlante l'accueillit par des huées. Après quelques instants de pour-
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 167
allers avec les représentants laïques de la communauté, la porte
Ouvrit et il put pénétrer dans ses appartements dont on lui refusait
accès, sous prétexte qu'il était « déchu ».
Le lendemain, jour de Noël (1), il n'y eut qu'une messe basse, par
lainte de troubles. Il en est encore ainsi les dimanches et jours de
k . Presque chaque dimanche les scènes de désordre se renouvellent.
es réunions tumultueuses ont lieu, où le Saint-Siège n'est guère
lieux traité que Me'' Terzian. On a même vu une jeune fille prendre
parole pour demander que les femmes soient mises au courant des
a nements, afin « qu'elles puissent élever leurs enfants dans le devoir
lUiotique (!) ». Pendant ce temps, une violente campagne est menée
ans les journaux contre le patriarche et les nouveaux évêques. Mén-
inges, calomnies, insinuations perfides, tout est mis en œuvre pour
<citer les Arméniens catholiques contre l'autorité ecclésiastique : le
itriarche a emprisonné dans une chambre retirée deux évêques et
jelques prêtres partisans des révoltés (!?), le délégué apostolique,
\g^ Sardi, va agir contre Me^ Terzian; le Pape rappelle le patriarche
Rome, il va le nommer cardinal, les privilèges de l'Eglise vont être
:tirés, on veut romaniser le rite arménien, etc., etc. Les adresses se
ultiplient, où l'on se proclame Arménien avant que d'être catholique
où, tout en protestant d'un vif attachement au Pape, on critique vio-
Hiîment les actes du Saint-Siège. C'est à se croire à l'époque du schisme
rtihassou niste (2).
Le gouvernement turc n'avait guère besoin de cette querelle inté-
eure, surtout dans les circonstances actuelles où les difficultés lui
ennent de toute part. Après avoir cherché un terrain d'entente sur
quel le parti d'opposition pût se rencontrer avec Mg"" Terzian, il vient
; prendre une décision très grave qui va envenimer la querelle au lieu
y mettre fin. Cédant à la pression exercée sur lui par l'Assemblée
itionale révoltée et peut-être aussi à des influences maçonniques (3),
conseil des ministres a fait sanctionner par le sultan un iradé impérial
Jclarant Me»" Terzian déchu de sa dignité de patriarche et invitant
assemblée nationale à choisir un locum tenens. Nous aurons prochai-
'i) On sait que les Arméniens catholiques, comme les grégoriens, ont gardé la cou-
aae antique de célébrer en même temps Noël et l'Epiphanie le 6 janvier.
[2) Signalons une très apostolique exhortation à la concorde, composée par un mis-
mnaire catholique et publiée sous ce titre: Aux Arméniens catholiques de Con-
mtinople, par le plus humble de leurs amis. Constantinople, imprimerie Lœffley,
12, in-i2, 12 pages.
3) On sait que la franc-maçonnerie exerce une influence considérable dans les
nseils du parti Union et Progrès qui détient actuellement le pouvoir et que plusieurs
nistres sont affiliés au Grand-Orient de France.
i68 ÉCHOS d'orient
nement à parler de cette décision qui donne à la crise religieuse sort
caractère aigu. Ajoutons seulement, comme nouvelle de la dernière heure^
que révêque de Malatia a été frappé par S. S. le pape Pie X de suspense
a divinis, pour avoir assisté à la lecture du décret de « déchéance »,
lecture faite publiquement au patriarcat par un fonctionnaire du gou-
vernement. S. B. Mg' Terzian a frappé de la même peine canonique
deux prêtres coupables de la même faute. R. Janin.
IL Arméniens grégonens
Le nouveau patriarche. — L'Eglise arménienne grégorienne a été privée
de chef pendant plusieurs mois. Elle a été tirée de cette longue viduite
en décembre 191 1, par l'élection de M?'" Archarouni comme patriarche
De ses premiers actes, nous ne retiendrons que ses sourires amicau)
au patriarche grec orthodoxe. Ce dernier, lors de sa visite, au premiei
de l'an, a été reçu avec des témoignages exceptionnels d'estime ; durant
l'entrevue, on a accentué la nécessité d'une durable collaboration et
entente des deux Eglises. « Tout ce qui y a été échangé, dit le journal
Proodos, montre que les préventions et les défiances mutuelles sont
tombées pour toujours et que désormais, ainsi qu'il a été dit, commence
une nouvelle époque dans les relations des deux Eglises. »
Le patriarche grec a exprimé le désir de placer à l'école théologique
arménienne d'Armache, près d'ismidt, déjeunes Grecs venus de contrées
« arménophones » d'Asie-Mineure, afin de cimenter l'union des deux
Eglises. La proposition a été acceptée avec empressement.
Malgré ces symptômes et quelque tortueuse que soit la vie des
Eglises orientales, il ne semble pas que nous nous trouvions, de ce
fait, à un nouveau tournant de leur histoire. F. Cayré.
Bulgares
I. Bulgares catholiques jj
Association des Saints-Cyrille et Méthode. — En août 191 1 , les prêtres
réguliers et séculiers de la mission de Thrace et de Bulgarie dépendant
du vicaire apostolique, Mg'" Michel Petkoff, évêque titulaire d'Hébron,
résidant à Andrinople, se sont formés en association religieuse sous la
présidence du même prélat, et ont choisi comme patrons les saints
apôtres slaves Cyrille et Méthode. Le but de la pieuse association est
de cimenter l'union des membres du clergé catholique entre eux et àt,
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 169
pourvoir plus facilement aux besoins spirituels et matériels des curés
qui, jusqu'ici, ont été trop isolés et abandonnés à leurs propres forces.
Un Conseil de six membres, qui doivent se réunir une fois par mois
au Séminaire bulgare de Kara-Agatch, dirigé par les Pères Assomptio-
nistes, reçoit toutes les demandes de secours, centralise les informa-
tions et les résultats des quêtes, distribue les subsides et gère le petit
fonds commun de la Société, constitué par les cotisations des membres
et les dons des fidèles.
Deux réunions générales doivent avoir lieu tous les ans au Sémi-
naire slave de Kara-Agatch; l'une de ces réunions servira en même
temps de retraite ecclésiastique.
M^'Petkoffa nommé immédiatement deux visiteurs chargés de mis-
sions dans les paroisses rurales et confesseurs extraordinaires.
Les membres de l'association sont en union de prières pour l'union
des Eglises et s'obligent à dire tous les jours certaines prières spéciales
à cette intention.
Cette œuvre, qui a été accueillie avec enthousiasme parmi le clergé
bulgare catholique du diocèse d'Andrinople, est appelée, croyons-nous,
à grandir et à porter des fruits de salut autant pour les fidèles que
pour les prêtres. P. Cristof.
IL Bulgares orthodoxes
I. L' exarque est-il le chef de l'Église bulgare? — Telle est la question
délicate que reprend, dès le début de 191 1, le T:{erkoven K^s//»7; (Journal
ecclésiastique du saint synode), thème brûlant qui avait déjà troublé
depuis des mois les coriphées de l'opinion bulgare. Il s'agissait de
déterminer, une fois pour toutes, si réellement Sa Béatitude l'exarque
était le chef spirituel de l'Eglise orthodoxe bulgare.
Plusieurs publicistes l'avaient affirmé. Des membres influents du clergé
s'étaient lancés à leur suite, et la discussion avait pris la tournure
inquiétante d'une campagne passionnée, lorsque Mg^ Syméon de Varna,
"le doyen d'âge de l'épiscopat bulgare, eut déclaré, dans les colonnes
du Den, que l'idée de la suprématie de l'exarque était étrangère à la
pensée de l'Eglise bulgare, et que son acceptation causerait un contre-
coup fatal dans la vie religieuse du peuple bulgare. La question, on le
voit, touchait à l'essence et à l'organisation de l'Eglise même, et le saint
synode crut enfin de son devoir d'intervenir dans l'ardente polémique.
Il le fit par son porte-parole, le D^" Tzankof, rédacteur du Tj^erkoven
l^estnik. 11 établit, dans une vingtaine de numéros, la thèse officielle
I^O ÉCHOS D ORIENT
que l'Église n'a d'autre chef que Jésus-Christ. Point de chef visible sur
la terre. Les patriarches, primats, métropolitains n'ont qu'une primauté
d'honneur. Le président du synode lui-même n'est que l'exécuteur des
décisions prises par l'assemblée des évêques ses égaux, et l'intermé-
diaire entre les communautés chrétiennes. Par suite, l'exarque n'est pas
le chef de l'Eglise bulgare.
Telle est aussi la pensée explicite de ses fondateurs, clairement expri-
mée dans la première assemblée générale bulgare tenue à Constanti-
nople (1871) où patriotes laïques et ecclésiastiques jetèrent les bases de
la nouvelle Eglise nationale.
Les décisions de cette assemblée, conclut l'auteur de la thèse, sont d'une
importance capitale pour le savant, l'historien et le canoniste. Son proto-
cole est l'unique testament de notre jeune Église et l'expression la plusj
autorisée de la pensée nationale et religieuse, au sujet de la vie et de;
bases de notre Église nationale ( i).
2. La loi sur les fêtes et le repos dominical. — Le ministère démocrat
s'est avisé de supprimer un certain nombre de fêtes religieuses popu-
laires et a ainsi indisposé contre lui les autorités ecclésiastiques et l'opi-
nion publique. Cependant, les réclamations du saint synode, les pro-
testations des paroisses, les récriminations des partisans de l'ancien état
de choses ne l'ont pas empêché de voter d'emblée la suppression.
Cette loi sur les fêtes et le repos dominical a été votée par le
XlVe Sobranié ordinaire en avril 191 1. Elle comprend quatorze articles.
Voici ceux qui ont un intérêt plus général.
Art. i«r. — Les fêtes chômées en Bulgarie sont tous les jours de
dimanche, ainsi que les fêtes de Notre-Seigneur ou des saints et les
fêtes officielles suivantes : Noël, deux jours ; Pâques, deux jours ;
V Ascension ; la Pentecôte, deux jours ; le i"- janvier, Nouvel an; le 6 jan-
vier, Epiphanie; le 19 janvier, Délivrance de la Bulgarie; le 25 mars,
Annonciation \ le ij, avril, Saint-Georges; le 11 mai. Saints Cyrille d
Méthode; le 28 juin, Saint-Pierre et Saint-Paul; le 2 août, avènement
du t^ar ; le 15 août, Assomption ; le 22 septembre. Indépendance de la
Bulgarie; le 26 octobre, Saint-Dimitri .
Art. 3. — La fête dure de 6 heures du matin à 8 heures du soir.
Art. 4. — Aux jours de fêtes mentionnées, tous les établissements
privés ou publics ferment toute la journée.
(i) Le saint synode vient de faire publier ce protocole â Sophia. Sophia, éd. san.t
synode, xxxiv-178 pages, in-4% 191 1; prix, 2 fr. — On trouvera aussi dans le
XLV* volume de Mansi, réunis par les soins du R. P. L. Petit, tous les actes de ces
divers conciles.
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES lyi
Les articles suivants prévoient les cas d'exception légitime.
Art. 12. — Celui qui enfreint la loi présente est passible d'une
amende de lo à loo francs. En cas de récidive, elle est doublée. Elle
peut s'élever à 300 francs pour les patrons d'établissements industriels
3Ù travaillent plus de vingt ouvriers.
La nouvelle loi supprime, entre autres fêtes, celles de la Transfigu-
ation (6 août), de la Sainte-Croix (14 septembre), des Saints-Archanges
8 novembre), de Saint-Nicolas (6 décembre).
Le saint synode, qui avait été impuissant à faire accepter ses desi-
ierata, ne voit pas sans un certain plaisir les manifestations qui se font
ni peu partout en Bulgarie pour demander la revision de cette loi.
n'est pas sans intérêt de constater qu'on n'a jamais célébré certaines
le ces fêtes avec plus de splendeur que depuis le jour où l'Etat s'est
onné la peine de les supprimer.
(Nous renvoyons au prochain numéro la question des biens des
nonastères et celle des études ecclésiastiques, qui ont aussi occupé
Église bulgare en 1911.) H. Gospodinof.
Grecs
/. Grecs catholiques
Le sacre de Mv^- Isaïe Papadopoulos. — Le 27 janvier 19 12 a eu lieu,-
la cathédrale catholique de Pancaldi à Constantinople, le sacre de
Igr Isaïe Papadopoulos, évêque des Grecs catholiques. La cérémonie
est accomplie suivant le rite byzantin, en langue grecque. Nous n'avons
as à la décrire ici ; il nous suffira d'indiquer certaines particularités dans
:s bulles dont la lecture a été donnée en grec, au début delà cérémonie^
Les Lettres pontificales portent la date 191 1 ; l'une, celle qui accorde
\ juridiction, est du 1 1 juin ; l'autre, celle qui concerne l'ordination,
pt du 28 juin.
Mg»' Isaïe avait la faculté de se faire sacrer par un évêque catholique
e son choix, de n'importe quel rite, assisté de deux autres èvêques,
, à leur défaut, de deux prêtres constitués en dignité. La profession
s foi devait être faite suivant la formule spéciale que le Saint-Siège
jwescrite aux Grecs.
Mg'' Isaïe est nommé évêque titulaire de Gratianopolis, mais il reçoit
)rdre de siéger à Constantinople pour y exercer la juridiction ordi-
itfe sur les fidèles « de rite grec pur », « dans la ville de Constanti-
)ple et dans le territoire de la Délégation apostolique ». Il reste cepen-
172 ÉCHOS d'orient
dant « soumis immédiatement à l'autorité du Délégué apostolique de
Constantinople »,
Remarquons enfin le motif qui a déterminé le Pape à nommer un
evêque grec catholique. 11 est double : le nombre toujours croissant
des fidèles catholiques de rite grec et l'espoir que la présence d'un
•évêque favorisera davantage le retour au sein de l'Eglise des frères
séparés. F. Cayré.
//. Grecs orthodoxes
I. PATRIARCAT D ALEXANDRIE
I. Organisation actuelle du patriarcat . — L'Église orthodoxe d'Egypte
n'en est plus, il s'en faut, aux jours encore peu éloignés où elle devait
s'adresser au Phanar pour la nomination de chaque nouveau métro-
polite. « Le pape et patriarche d'Alexandrie » est aujourd'hui tout à
fait indépendant dans son domaine, assez vaste en étendue, mais bien
modeste quant à sa population. Me»" Photios doit en partie cette auto-
nomie à la réorganisation, qu'il a eu le talent d'accomplir, de la haute
hiérarchie ecclésiastique de sa province. >'
Voici, d'après le calendrier que publie l'organe officiel du patriarc|t
égyptien, cette organisation qui paraît se présenter aujourd'hui daiîS
des conditions suffisantes de stabilité.
Le corps dirigeant de cette Eglise comprend le patriarche et 7 métn|
polites qui exercent leur juridiction sur les 54 églises du patriarcat et
les 85 ou 90000 fidèles qui le composent.
Le patriarche s'est réservé la part du lion. A lui seul il possède
21 églises dans son éparchie, qui comprend Alexandrie et le Caire.
Les 7 métropolites se partagent les }} autres églises. Ce sont : le
métropolite de Tripoli et de Libye, avec 6 églises à Tripoli, Benghazi,
Tunis, etc. ; le métropolite de Memphis avec 4 églises à Kélouan,
à Chibin-el-Kom, etc. ; le métropolite de Péluse avec 4 églises à Port-
Saïd, Damiette, etc. ; le métropolite de Léontopolis avec 4 églises à Zagazig,
où réside l'évêque, Suez, Ismaïlia, Phagous; le métropolite de Ptolémais
avec 7 églises à Minieh, lieu de la résidence épiscopale, Assouan,
Louqsor, etc; le métropolite de Nubie avec 4 églises, à Khartoum, Port-
Soudan, etc. ; le métropolite d'Ethiopie ou d'Axoum avec 4 églises, dont
deux en Abyssinie et deux en Erythrée, où il réside (à Asmara).
II est superflu de faire remarquer que ces métropolites n'ont pour
sufîragants que des curés ou les chapelains qui desservent l'église de
la communauté.
iii,
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 1 73
Le métropolite de Tripoli est vicaire patriarcal à Alexandrie, tandis
ae celui de Mempliis remplit le même office au Caire.
Cette deuxième fonction du métropolite de Tripoli prouve que,
ns être de simples évêques titulaires, tous ne résident pas.
Le diocèse de Tripoli. — Le métropolite actuel de Tripoli, Ms'' Théo-
lane, visita son diocèse en 1900 et poussa même une pointe jusqu'à
inis pour y consacrer une église dédiée à saint Georges. Depuis cinq
is, les Turcs empêchaient le patriarche d'Alexandrie d'envoyer ses
nissaires et demandaient au Phanar de s'occuper lui-même de cette
ovince.
Le Pafitainos (n» 44, 16/3 nov. 1911) rappelle ces faits et leur cause
son confrère de Chypre l"Exx)./,Tt.aT7!.xc)(; xy-pu;. Voici ses propres
rmes :
La nouvelle que jamais la Turquie n'a permis un envoi à Tripoli de
êtres venus d'Egypte n'est vraie que depuis cinq ans, depuis que les
trigues non point des étrangers, mais des nôtres, malheureusement,
it, en haut lieu, à Constaniinople, dénoncé comme nuisible cet envoi
prêtres fait par le patriarche d'Alexandrie. Les journaux se sont trouvés
ns la douloureuse nécessité de publier des rapports dans lesquels des
•ecs, qui par malheur occupaient à Tripoli la première place, deman-
ient à la Sublime Porte d'envoyer elle-même le prêtre à Tripoli et
ibliaient en même temps mille calomnies.
Les Italiens, pour des raisons faciles à saisir, seront évidemment plus
cueillants aux délégués du patriarche égyptien. F. C.
2. KGLISE DE CHYPRE
L'Église de Chypre en içi i. — Réorganisation. — Le métropolite de
tien, Mg"" Mélétios Métaxakis, donne dans le petit bulletin de son
)cèse un aperçu général de la vie ecclésiastique dans l'île en 191 1.
us résumons son rapport, regrettant de ne pouvoir le mettre tout
tier sous les yeux de nos lecteurs.
:n 1910, Chypre avait enfin trouvé un archevêque après dix ans
discussions. Le programme de 191 1 se trouvait tout fixé d'avance,
organiser l'Eglise si cruellement éprouvée.
Dix ans d'anarchie ecclésiastique, dit M«^ Mélétios, avaient fait tant
lézardes à notre édifice ecclésiastique considéré au point de vue admi-
tratif, avaient créé un tel désordre dans le domaine des droits et des
,'oirs, que personne dans l'île ne pouvait nier la nécessité d'un effort
médiat et intense pour rétablir l'ordre légal. ('ExxX7i<Tta<rTtxô; xVipu;,
II, p. 779.)
174
ECHOS D ORIENT
Le Synode, composé des soixante représentants de la nation, avait
reconnu aussi qu'il fallait au plus tôt « mettre sur le tapis la question
ecclésiastique pour la régulariser ». C'est ce que l'on fit.
Au lieu de se contenter de réorganiser l'administration paroissiale,
comme on se l'était d'abord proposé, on préféra faire une loi générale
sur l'Église. Une Commission fut nommée pour la préparer. Le rapport
-que présenta Ms"" de Kition, président, légèrement modifié, devint le
projet de loi organique de l'Église de Chypre. (Ibid., p. 780.)
On convoqua alors l'assemblée des évêques, higoumènes, députés
€t autres personnes compétentes, pour discuter cette loi qui « doit
réformer la vie ecclésiastique ». {Ibid., p. 780.)
L'assemblée se réunit le 2/15 mai à l'archevêché. Les discussions
traînèrent en longueur. A la fin du mois, « les bancs des laïques se
vidaient de plus en plus, à tel point qu'il n'était plus possible de
regarder l'assemblée comme formée de clercs et de laïques ». (P. 781.)
Le 1/14 juin, on prononça sa dissolution et l'on renvoya la fm des
débats à l'année suivante.
En octobre, on a dû pourvoir aux sièges vacants, et, en janvier 1912V
lès discussions ont dû se poursuivre. F. C.
3. PATRIARCAT DE CONSTANTINOPLE
I . Tendances séparatistes dans l'Église de Bosnie- Her;(égovine. — Depiris
■que la Bosnie et Herzégovine sont séparées de l'empire ottoman, on se
demande bien pourquoi elles continueraient de dépendre du patriardie
grec de Constantinople. D'après les principes mêmes que l'Église
byzantine a enseignés par son exemple, les provinces annexée*
à l'Autriche ont droit à l'indépendance religieuse. C'est ce que pensent
aussi les Serbes bosniaques. Ils trouvent, du reste, que l'organisation
actuelle, qui date de 1905 et les tient sous la juridiction administrative
et judiciaire du Phanar, donne prise à des abus nombreux, à des retards
préjudiciables dans l'expédition des affaires et à d'autres difficultés
■encore.
La séparation, cependant, rencontrera des obstacles, surtout si l'on
veut la faire, non d'une manière violente, mais conformément aux
accords de 1905 qui exigent : 1° la proposition faite par le Conseil
ecclésiastique orthodoxe de cette province ; 2° la sanction de l'empere!
3° le consentement du patriarche de Constantinople. Ces difficultés
sont pas absolument invincibles. Tôt ou tard, avec violence ou d'
commun accord, la séparation se fera.
Cependant rien de positif n'a été fait encore.
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES Ijej
Au mois d'août dernier, un grand journal de Vienne annonça que
Conseil administratif de l'Eglise orthodoxe de Bosnie-Herzégovine
ait soumis à la couronne un mémoire demandant, pour les motifs
le nous venons de résumer, la séparation de l'Eglise bosniaque du
janar. Laissant néanmoins indécise la future situation de cette Eglise,
crit s'abstenait de se prononcer pour une nouvelle autocéphalie ou
>ur la soumission à Carlovitz.
^a nouvelle fut démentie. Vienne et Constantinople déclarèrent n'avoir
s été saisies d'une telle demande. Toutefois, les organes grecs eux-
mes, tels le nàvTaivo?, le ^tokôroç, furent d'avis que ces dénégations
îcielles ne prouvent pas que les Serbes n'aient fait aucune démarche
ns le sens indiqué. Les tendances séparatistes de ces Eglises la rendent
s vraisemblable.
L Rapports avec les Serbes. La métropole de Pri:{rend. — Par suite
la démission du métropolite dé Prizrend, le saint-synode de Con-
ntinople a procédé à l'élection d'un nouveau titulaire.
L,es Serbes, qui forment la presque totalité des fidèles du diocèse,
lient désigné l'archimandrite Bogdan que le Phanar refusa, lui pré-
ant l'archimandrite Dositz, Serbe originaire du Monténégro, frère du
nistre de Monténégro à Constantinople et docteur de l'Université
\.thènes. Ce choix a vivement irrité les fidèles de Prizrend, qui ont fait
r leurs députés et le sénateur M. Popovitch pour obtenir satisfaction.
,eur mécontentement a réveillé leurs susceptibilités nationales
oupies. On en vint jusqu'à parler de se séparer du Phanar et de
iblir le patriarcat d'Ipek. Ces sentiments se manifestèrent dans tous
journaux, mais particulièrement dans la Politika.
.a diplomatie russe intervint à Constantinople et contribua pour
grande part à obtenir que les Turcs refusent au nouveau métro-
ite le bérat officiel. En même temps, elle représentait au Phanar
ibien son choix était fâcheux pour les intérêts de l'orthodoxie. Cette
stion est grosse de difficultés sérieuses, puisqu'elle a failli amener
complications diplomatiques entre le Monténégro et la Serbie. Elle
surtout instructive et montre bien les tendances séparatistes qui
vent dans les diocèses serbes.
)n attend encore la solution définitive du conflit.
, Rapports avec les Bulgares. — Le 26 13 janvier 19 12, le ministre
Bulgarie à Constantinople, M. Sarafof, a fait au Phanar une visite
le qui a profondément ému les milieux grecs. C'est la première
e la Bulgarie fait une démarche de ce genre. Cependant, on s'en
ft exagéré la portée lorsqu'on a voulu en conclure la prochaine
1^6 ÉCHOS d'orient
cessation du schisme gréco-bulgare. D'après le Telegraphen Corres-
ponden:{ Bureau, Mg'Joachim 111 aurait lui-même démenti tous ces bruits.
M. Sarafof aurait simplement déclaré que les Bulgares sont offensés de
de se voir traités de schismatiques, parce qu'ils sont et entendent
rester de vrais orthodoxes. Le patriarche lui aurait rappelé alors les
prescriptions canoniques dont il faudrait tenir compte pour mettre fin
au schisme et surtout pour régler la situation de l'exarque.
4. Le second mariage des clercs. — L'Eglise orientale permet aux clercs
mariés avant leur diaconat de vivre avec leur femme après leur ordi-
nation, mais leur interdit de contracter un second mariage si elle
meurt. Cette dernière défense paraît trop dure à certains membres du
clergé oriental et l'on voudrait changer ce canon traditionnel.
Cette question ne date pas d'hier. Elle a été souvent agitée depuis
plusieurs années; mais une lettre du métropolite de Carlonitz, au début
de 191 1, la remit à l'ordre du jour.
Une encyclique fut envoyée par le patriarche œcuménique aux Eglises
autocéphales pour connaître leur avis. En même temps, on consulta
les théologiens du patriarcat. A la séance du saint synode du
28/15 mars 191 1, on lut la réponse des théologiens professeurs
à l'école de Halki. Elle était favorable aux secondes noces. M^"" Bryen-
nios, l'ancien métropolite de Nicomédie, pensait de même.
Le métropolite de Pisidie rappela |alors que, pour sauvegarder son
prestige, l'Eglise de Constantinople devait, à l'avance, indépendamment
des réponses des autres Eglises autocéphales, s'être formé une opinion
conforme aux anciens canons. Le saint synode aurait donc dû, selon
lui, à la suite de la consultation des théologiens, prendre une décision.
On préféra cependant la remettre jusqu'à l'arrivée des réponses des
Eglises consultées. Celles de Bucovine et de Dalmatie ne se firent pas
attendre, mais les autres ne vinrent que plus tard et furent très diverses.
Le Monténégro fut d'avis qu'il ne fallait rien changer aux usages tradi-
tionnels, tandis que la Transylvanie acceptait le changement à la con-
dition qu'il se fît du consentement de toutes les Eglises orthodoxes.
Leurs lettres n'arrivèrent qu'en novembre dernier. Celle du patriarche
de Jérusalem se fit attendre plus encore, jusqu'en janvier 1912.
Mgr Damien est d'avis que seul un concile œcuménique peut tranc
la difficulté. L'Eglise de Serbie pense de même, mais avec quelq
atténuations pour la pratique (i).
5. Autre innovation : Jeûne supprimé. — En août dernier, le patriarche
(1) Lei Echos d'Orient publieront prochainement une chronique de Serbici
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES I77
rec il envoyé à tous les curés de son archevêché une lettre encyclique,
s priant d'avertir leurs fidèles qu'ils ont la fliculté de ne pas observer
jeûne d'août, même les deux semaines que la coutume a seules con-
rvées. — Ce- petit fait, négligeable en soi, sera remarqué par tous
îux qui savent l'importance attachée en Orient aux anciens usages.
6. Le Saint Chrême. — Cette année, aura lieu la bénédiction du Saint
hrême. Une Commission a déjà été chargée de réunir les nombreux
ments qui entrent dans sa composition. Les dépenses, toujours con-
dérables, seront plus considérables encore cette année, où l'on se pro-
)se de renouveler les grands vases d'argent qui le contiennent. Elles
lèveront, dit-on, à plus de 700 livres, soit 18000 francs.
Pour y faire face et aussi afin d'intéresser pratiquement les fidèles
cette cérémonie solennelle, S. B. le patriarche Joachim 111 a organisé
le sorte d'association, dont font partie les dames de la haute société
ecque, chargée de travailler à recueillir les fonds nécessaires.
F. C.
4. ÉGLISE DE GRÈCE
1 . L'ancienne et la nouvelle loi sur les paroisses. — Depuis le mois d'oc-
bre dernier ont commencé en Grèce les élections des marguilliers
s églises, d'après la nouvelle loi sur les paroisses. C'est ce qu'an-
>nce M. l'archimandrite Synodinos dans une lettre que publie le Pan-
inos (no 51, 4/25 décembre 1911) et qui fait le procès de l'ancienne
sur les paroisses, puis donne les motifs d'espérer d'heureux résul-
:s de la nouvelle.
L'ancienne loi. — Les Conseils municipaux à qui, d'après l'ancienne
revenait l'élection des marguilliers, choisissaient « non pas les
mmes les plus capables et les plus honorables, mais ceux du parti,
|i administraient les richesses paroissiales sans contrôle, sans tenir
plus souvent les comptes demandés. C'est le maire, surtout dans
. villages, qui désignait vraiment les marguilliers. Dans les petites
['.alités, les chrétiens connaissent les marguilliers concussionnaires
li ont gaspillé et détourné beaucoup d'argent appartenant aux Eglises.
ly en avait bien de respectables et d'honnêtes, qui administraient
^iennement les biens sacrés, mais malheureusement ils sont rares ».
^09.)
îl est le mal. Voici le remède.
nouvelle loi. — « Heureusement la nouvelle loi protège les biens
^eux de diverses manières. Chaque paroisse forme une personne
\chos d'Orient, t. XV. 12
17.8 ÉCHOS d'orient
juridique. Les marguilliers sont élus par les paroissiens, devant qui, au
jour fixé, ils doivent rendre leurs comptes.
Ce qu'il y a d'heureux, c'est que l'Église, conformément aux canons,
reçoit la surveillance des lieux saints. L'évéque nomme, sur la proposi-
tion des marguilliers, les chantres, les gardiens des églises, et, par l'inter-
médiaire du préiie, participe à l'administration des biens.
Chaque famille paye 6 drachmes par an à la caisse de l'église. Moyen-
nant cela, on rétribuera le personnel et les prêtres eux-mêmes suivant
leurs ressources et leurs attributions. Pareillement, avec le temps, on
créera un clergé instruit et digne, d'autant que la nouvelle loi détermine
le nombre de curés attachés à chaque paroisse. Ainsi cette loi votée dans
la dernière révolution constitue l'effort le plus sérieux de l'État pour la
réforme de l'Église et, par elle, de la société et de la nation. » (P. 8io. i
M. Synodinos remarque ensuite que la mise en pratique de cette loi
rencontre beaucoup d'obstacles. Les évêques, ajoute-t-il, doivent
s'employer à les briser et « avec le temps, l'Église de Grèce retrou-
vera sa splendeur, grâce à la .loi nouvelle, si elle est appliquée ».
(P. 8io.)
Nous ferons connaître cette loi plus en détail dans un prochain
numéro.
2. Une institution originale : des Écoles-Séminaires. — La nouvelle loi-
sur les paroisses est en rapport étroit avec les Ecoles-Séminaires qui
vont se fonder. C'est une institution originale due à ce perpétuel'
besoin de réorganisation qui caractérise les Églises séparées.
Ces Ecoles-Séminaires (UpoSiSao-xaXeltr/) ne doivent pas être confon--
dues avec les Séminaires proprement dits (UpaTixr, oyoArj). Les premiers
formeront des prêtres pour les campagnes, les autres préparent aux
hautes dignités ecclésiastiques; ces derniers existent déjà. M. Synodinos.
nous en dit un mot qu'il est bon de noter : « En Grèce, nous avons-
deux Séminaires, celui de Tripoli et d'Arta, et le Rizarion à Athènes.
Un décret royal a fixé leurs programmes; par suite, les clercs en sorti-
ront bien formés. »
Les Écoles-Séminaires, au contraire, sont encore à fonder, du moins
en Grèce, car en Chypre fonctionne déjà un établissement de ce genre,
sous les auspices de Mgr Mélétios de Kition. Cette institution sera à la
fois Ecole normale iùi^a.T/.'xKzw/) et Séminaire (upaTu-o o-y^oXr)), d'où s
nom lcpo-8i,8a(TxaÀ£lov, que nous pouvons rendre par École-Séminaire^
Mg"" Mélétios en expose le but en ces termes:
Nous voulons surajouter le prêtre à l'instituteur et l'instituteur ai
prêtre, pour rendre essentielle l'union de l'École et de l'Église, de l'édi
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 1791
ation et de la religion, en même temps que nous donnerons une solu-
ion au problème économique de l'entretien convenable de l'instituteur
du prêtre. ('Ex>cX'/|ç. xiqpu;. 191 1, p. 520.)
Le ministre de l'Instruction publique de Grèce, M. Alexandrès, indique
Wid. p. 521-522) le mode pratique dont il entend réaliser ce pro-
ramme. On donnerait aux élèves une instruction élémentaire en même
mps qu'une éducation morale leur apprendrait à distinguer le bien et
mal et leur enseignerait leurs devoirs envers le prochain, envers
Btat et envers eux-mêmes. Au sortir de l'École-Séminaire, les élèves
3nt envoyés un à un dans les campagnes, lis y sont instituteurs jus-
u'à trente ans. Ils sont alors ordonnés curés du même village pour le
îste de leur vie. Quelle influence n'auraient-ils pas, ajoute M. Alexàn-
rès, sur ces hommes qu'ils auraient d'abord comme élèves, plus tard
Dmme paroissiens!
11 est permis de n'être pas de l'avis de M. Alexandrès. Tout ce règle-
lentarisme sera peu efficace, parce qu'il ne va pas à la source même
u mal dont souffre l'Eglise grecque orthodoxe. Bien autrement pers-
Icace est M. Maniakis dont voici la pensée. F. G.
9. Plaidoyer orthodoxe en faveur de la primauté romaine. — Quelques
recs, mais ceux-là, faut-il l'avouer, si peu nombreux que leur voix est
peine entendue par la foule, voudraient se rapprocher de l'Eglise
)maine. M. Constantin Maniakis, ancien député et procureur général
Dnoraire à la Gour de cassation, est parmi eux le plus écouté. Dans
le interview accordée à M. Stéfanou, rédacteur à l'A-ùvr,, journal catho-
^ue de Syra, et reproduite par l"Ap[j.ovia: d'Athènes, il a fait des déela-
tions très catégoriques. En voici le résumé:
La Grèce souffre d'une cachexie économique et morale incurable,
onomique, car si même les réformes désirées et prévues allaient être
alisées, elles seraient ineificaces et inapplicables. Et cela à cause de
tat de cachexie morale dans lequel le pays se consume. En effet, la
oralité, au lieu de grandir avec le progrès, diminue. Les prisons sont
«nés, les crimes augmentent: on cherche en vain le remède. Loin
être un exemple et un réconfort, le spectacle de la puissante Europe
t un scandale perpétuel pour le peuple grec. Elle est plus malade, plus
semparée que la Grèce elle-même. Les grands Etats chrétiens oublient
plus en plus le droit traditionnel. 11 ne reste que la force, et la
enace de guerre est dans toutes les bouches. Quelle puissance oserait
fier aux déclarations d'une puissance rivale? La paixarméeelle-même,
t'est-elle, sinon une .guerre longue et coûteuse, qui conduira deux ou
)is Etats parmi les plus forts à l'inéluctable faillite? Seule l'idée reli-
1 8o ÉCHOS D ORIENT
gieuse est assez puissante pour refréner tant d'appétits, enrayer la course
à l'abîme et fournir les bases d'une union durable et efficace pour le
progrès de la moralité.
Mais, ajoute-t-il, l'idée religieuse n'est rien sans un homme qui la
réprésente aux yeux de la foule, l'incarne, pour ainsi parler. 11 importe
donc de faire au plus vite un choix parmi les maîtres spirituels des
grandes religions chrétiennes, grecque, protestante et catholique, car
l'homme indispensable, nous ne le trouverons que là. Ces prémisses
posées, la conclusion s'impose. Ce chef incontesté, accepté par tous
sans arrière-pensée ni regrets, assez fort pour se faire obéir de tous les
chrétiens, tout en respectant leurs droits, un homme seul est susceptible
de le devenir, c'est le Pontife romain, institué par Notre-Seigneur Jésus-
Christ lui-même, pour être sur la terre son représentant et le pasteur
unique des peuples, tov â'va 7rot.jjL£va.
Pour conclure, M. Maniakis ajoute :
« Voilà ce que moi, Hellène, je souhaite de tout cœur. Et, à mesure
que j'envisage l'avenir de mon pays et les intérêts de ma religion,
j'acquiers une certitude plus ferme que de cette façon seulement les
intérêts de l'orthodoxie pourront être assurés, et les nombreux périls
qui, de toutes parts, menacent l'hellénisme conjurés. Un seul troupeau
et un seul pasteur. »
Les désirs de M. Maniakis sont ceux de tous les catholiques grecs.
Penseur et philosophe, telle est la conclusion à laquelle il aboutit après
toute une vie de réflexion et de travail. A l'écouter, on croirait parfois
entendre notre Joseph de Maistre. 11 est juste que les lecteurs des Echos
d'Orient soient une fois de plus assurés que dans l'orthodoxie, parmi
les meilleurs et les plus sincères, il en est qui ont la nostalgie de l'unité
romaine. Louis Arnaud.
5. PATRIARCAT DE JÉRUSALEM
Relations avec les orthodoxes. — Le patriarche grec de lérusalem,
Mgr Damien, ne se trouve pas encore en relation de cordialité bien
étroite avec son collègue d'Alexandrie, M&r Photios. Celui-ci, à en juger
par la liste des titulaires des Eglises orthodoxes que publie la rédaction
du Pharos, ne reconnaît plus à Me:»' Damien le titre de patriarche, depuis
qu'il a été déposé par son synode, lors des disputes gréco-arabes. Cfifj;
relations ont été renouées depuis longtemps déjà avec Constantinople,
et aujourd'hui, sans être intimes, elles sont au moins correctes
Plus qu'à la bienveillance de Mg*- Photios, Mp' Damien semble te
aux bonnes grâces de l'ambassadeur de Russie, qu'il a fait décor
rsflr 1
^v
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES l8l
laguère, ainsi que l'ambassadrice, de la croix d'or du Saint-Sépulcre,
Son autorité se fortifie à l'intérieur. Lt Néologos du 8/26 février annon-
ait que le ministère avait opposé une fin de non-recevoir aux demandes
"aites par les 35 000 fidèles arabes du patriarcat de participer aussi au
gouvernement de l'Église de Sion que dirigent seuls aujourd'hui quelques
entaines de Grecs. Aussi Mk'- Damien se construit-il un patriarcat neuf
ont les dépenses s'élèveront à 2 millions et demi. Ne sera-ce pas un
louvel appât pour les Arabes? F. G.
Gréco-Arabes
/. Catholiques Melkites
Patriarcat melkite catholique d'Antioche. — Le patriarcat melkite
atholique d'Antioche possède depuis quelques mois un organe officiel,
revue El Msarra, titre de joyeux augure puisqu'il signifie La Joie.
lette revue est bimensuelle; elle est rédigée en langue arabe. Abon-
ement : 6 fr. 50 en Turquie, et 10 francs pour l'étranger. Elle est
îdigée par les missionnaires grecs-catholiques de Saint-Paul, dans leur
îsidence de Harissa, par Jounié (Liban). Les Echos d'Orient ont con-
icré, il y a quelques années, à cette Société de missionnaires melkites,
mdée par Mg»' Germanos Mo'aqqad, évêque titulaire de Laodicée, une
otice à laquelle nos lecteurs nous permettront de les renvoyer
Ichos d'Orient, t. VIII, 1905, p. 232-239).
Alep. — Le Saint-Siège vient de nommer Msi' Dimitrios Gadi, métro-
Dlite d'Alep, visiteur apostolique pour les Alépins Chouérites. Ge
îgne prélat est assisté par les RR. PP. Joseph Jallan, Dominicain, et
rançois Farra, Franciscain. Appelé par S. Exe. le délégué apostolique
Beyrouth, Mri' Gadi est entré en possession de ses nouveaux pou-
)irs le 20 novembre 191 1. P. B,
//. Orthodoxes
Patriarcat d'Antioche. — La réconciliation, déjà vieille de trois ans,
i patriarche d'Antioche, Grégoire IV, avec le Phanar et les autres
itocéphalies grecques s'est maintenue jusqu'ici, malgré l'hostilité
ujours persistante entre Grecs et Arabes. Gette hostilité est surtout
ve dans la métropole de Cilicie, où l'on n'arrive pas à s'entendre
ipuis plusieurs années pour le choix d'un nouvel évêque. Les métro-
l82 ÉCHOS D ORIENT
pôles d'AÏep et d'Erzeroum sont aussi vacantes, faute, paraît-il, de can-
didats dignes.
Depuis 1909, le patriarcat a sa revue officielle. Elle est rédigée en
langue arabe et porte un titre charmant: La Grâce. On lui a fait
bon accueil, non seulement en Syrie, mais aussi en Palestine. Une
petite imprimerie s'occupe de publier de bons livres.
Sous la vigoureuse impulsion du patriarche et grâce à l'assistance
de la Société impériale russe de Palestine, l'instruction primaire et
secondaire se répand de plus en plus parmi les fidèles orthodoxes. La
Société de Palestine n'entretient pas moins de loi écoles. Homs possède
un collège florissant, bâti par Ms'" Athanase, qui a célébré, cette année,
ses noces d'argent épiscopales. Seul, le Séminaire de Bêlement végète
assez misérablement, faute de ressources. L'instruction qu'on y donne
est à peine suffisante pour le clergé paroissial. Le synode patriarcal de
1910 a décidé son transfert à Beyrouth, mais on n'avait pas encore mis
ce projet à exécution à la fin de 191 1. Les Russes seraient, je crois,
très heureux d'aider S. B. Grégoire IV à établir un Séminaire modèle,
mais ce serait évidemment sous la condition d'avoir la haute direction
de l'établissement. Le patriarche arabe doit avoir ses raisons de main-
tenir son indépendance.
Dans l'insistance que met telle feuille russe à parler des dettes du
patriarcat, à raconter la tournée peu fructueuse au point de vue pécu-
niaire qu'a faite l'an dernier Grégoire IV parmi ses fidèles; à peindre
sous de sombres couleurs la situation de V orthodoxie dans ces régions
par suite des ravages qu'y exercent la propagande catholique, le pro-
testantisme et la franc-maçonnerie, il est permis de voir l'invitation
discrète: « Mais venez donc à nous. Pourquoi ces refroidissements
dans notre ancienne amitié? Nous avons encore des roubles à votre
disposition. » Oui, mais les Arabes sont des roublards, qui savent
profiter de leurs amis, et dont le cœur n'est pas toujours débordant de
reconnaissance. (Voir Tserkovny yietsnih, 191 2, n» i.)
M. JUGIE.
Roumains orthodoxes
La crise religieuse. — Depuis que le primat de Roumanie, M?'-
nase Mironesco, a été déposé, pour affaire de mœurs, par le tribut
•ecclésiastique de Bukarest, l'Eglise de ce pays traverse une crise
loureuse. Tous les efforts aujourd'hui sont concentrés sur la prochai
■élection aux deux sièges vacants.
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 1 83
Deux attitudes se partagent les esprits réfléchis, qu'inquiète la posi-
tion actuelle de leur Eglise.
Les uns, avec le docte professeur lorga, auquel se rallie le R"ie archi-
iîiandrite Scriban, l'un des meilleurs prêtres roumains, ne croient pas
i l'Eglise orientale, qu'ils accusent de stérilité absolue et à laquelle,
m point de vue de la civilisation, les Roumains auraient mieux fait,
iisent-ils, de préférer l'Eglise active et zélée d'Occident. H faut noter
:ependant que M. lorga est accusé par ses adversaires de nier les vérités
bndamentales du christianisme, telles que la Résurrection, la Rédemp-
ion, etc.
D'autres, avec les rédacteurs de la Rouiania crestina, ne désespèrent
)as de l'avenir religieux de leur pays. « L'Église catholique elle-même,
Ut le rédacteur en chef de cette revue, a connu nos misères à l'époque
le Luther et en d'autres temps. Si elle n'avait pas subi alors le choc
lu protestantisme que les fautes de beaucoup de catholiques (laïques et
'.cclésiastiques) avaient préparé, elle n'aurait pas aujourd'hui le clergé
claire qui la gouverne, et il n'aurait pu être question des célébrités
cclésiastiques dont personne n'a le droit de contester le mérite. »
?Ieins d'espoir dans l'avenir, ils proclament hautement la nécessité de
égénérer l'Eglise roumaine in capite et in memhris. Les articles de leur
irogramme de réforme peuvent se résumer dans les quatre points sui-
ants : i» réformer l'épiscopat; 2" réorganiser les écoles cléricales;
« imposer aux moines, pour empêcher l'oisiveté, une occupation intel-
îctuelle ou autre, par exemple, les œuvres d'éducation et de charité;
,0 rendre la vie et l'esprit chrétien aux masses populaires.
Nous souhaitons vivement que l'Eglise roumaine triomphe de la
rise où elle se débat'; mais, à notre avis, elle n'en sortira qu'en appli-
uant le plan de réformes mis en avant par les adversaires de l'ex-
rimat. En attendant, nous sommes heureux de constater, comme
ésultat de la campagne menée par l'évêque de Roman, les rédacteurs
e la Romania crestina et d'autres orthodoxes, le fait que le gouver-
ement s'est vu forcé de modifier le nouveau statut synodal dans le
!ns de la tradition (i). A. Catoire.
(i) Nous arrêtons ici, faute de place, cette Chronique des Eglises orientales, réser-
int pour les prochaines livraisons d'intéressants renseignements concernant l'Eglise
isse et les Eglises serbes, ainsi qu'une chronique détaillée des choses de l'Eglise
)umaine.
La Rédaction.
BIBLIOGRAPHIE
G. Antolin, O. s. a., Catalogo de los codices latinos de la real biblio-
tecadel Escortai. Madrid. Imprenta Helénica, 1910-1911, 2 vol. in-8",
Lvi-577 et 596 pages.
Tous les savants et tous les travailleurs doivent remercier le R. P. Guil-
lermo Antolin, religieux Augustin, bibliothécaire de l'Escurial, d'avoir
dressé le catalogue des manuscrits latins de la célèbre bibliothèque. On
sait que cette bibliothèque est des plus riches, mais que ces richesses sont
relativement peu connues, faute d'inventaire complet. L'auteur du présent
Catalogue a pris pour modèle les plus récents Catalogues du Vatican.
C'est dire le soin et l'exactitude qui ont présidé à l'analyse détaillée des
manuscrits. L'âge de chacun d'eux est noté avec autant de précision que
possible, et autant que possible aussi le lecteur est renvoyé, pour chaque
texte, à une édition. Il est regrettable que les 53 pages d'introduction, où
se trouvent résumées l'histoire de la bibliothèque de l'Escurial et celle des
catalogues antérieurs, ne soient pas munies de références plus précises et
plus complètes. C'est une lacune que le docte bibliothécaire comblera
sans doute quelque jour.
En attendant, nous sommes particulièrement heureux, à la Rédaction
des Echos d'Orient, de féliciter le R. P. Antolin, notre confrère en saint
Augustin, de l'excellent et précieux instrument de travail que constitue
son Catalogue des manuscrits latins. S. Salaville.
N. G. Polîtes, 'EXXiqvcxT) ^tpXtoypacpia. KaxâXoyo; tcov ev 'EXXâot y, ûttô 'EÀXy^viov
klAoLy^oZ âxooôévTojv êiSXuov 7.7:0 tou êtouç 1907. B'. Athènes, imp. Sakel-
larios, 191 1, 474 pages (137-612), in-8°.
Cet ouvrage est un extrait de l"E7ri(7Tri[xovcxrj 'E-rcer/ip;; ç'. Les « livres
publiés en Grèce ou par des Grecs» en 1907 et 1908 ont été déjà catalogués
par M. Politès dans la première partie de son ouvrage, p. i-i36. Ce
second volume, beaucoup plus considérable, décrit toutes les publica-
tions analogues qui ont été faites en 1909-19 10.
Malgré, sans doute, des lacunes inévitables en pareil sujet, cet ouvrage
est destiné à rendre de grands services à tous ceux qui s'intéressent aux
études helléniques. Il est rédigé et imprimé avec un soin trop rare encoç|
chez les auteurs grecs. Une triple table de matières permet de se retrouv^^
sans peine dans ce long catalogue.
Voici, pour donner une idée du contenu de ce livre, le titre des trenf
chapitres qui le composent :
I. Périodiques et publications annuelles. — 2. Bibliographie et pal^
BIBLIOGRAPHIE iS'
raphie. — 3, Littérature diverse. — 4. Philologie. — 5. Littérature
recque. — 6. Littérature laiine. — 7. Littérature néo-grecque. — 8. Lit-
Tature moderne (étrangère). — 9. Littérature orientale. — 10. Géographie.
II. Ethnographie. — 12. Folklore. — i3. Histoire. — 14. Archéo-
»gie. — i5. Histoire de l'art et épigraphie. — 16. Beaux-arts. —
7. Mathématiques. — 18. Sciences physiques. — • 19. Médecine. —
). Technologie. — 21. Travaux publics. — 22. Athlétique. — 23. Guerre.
- 24. Marine. — 25. Théologie. — 26. Histoire des religions. — 27. Phi-
sophie. — 28. Pédagogie. — 29. Droit. — 3o. Sciences politiques.
F. Ca.yré.
Cabrol et H. Leclercq, Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de
liturgie, fascicule XXV : Chapelle-Charlemagne. Paris, Letouzey et
Ané, 191 1. Prix: 5 francs.
Ce nouveau fascicule du Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de
urgie contient quinze articles, tous signés par l'infatigable Dom Leclercq.
l'article Chapelle, signalons le numéro vu : Chapelles épiscopales et
ivées en Orient, col. 425-426. Il y a là quelques indications rapides qui
it leur intérêt, bien qu'elles ne puissent prétendre être complètes,
archéologie proprement dite a sa bonne part aux mots Chapiteau,
l. 439-495; Chaqqa [yWXo, ancienne de la Syrie centrale), col. 509-519;
laqqara (monastère égyptien), col. 5 19-558; Chariot, Charbonnier,
iarcutier. L'étude de l'antiquité chrétienne ou de la vie chrétienne dans
ntiquité est représentée par les articles Chapitre des cathédrales,
\. 495-507; Chapitre monastique, col. 5o8; Charismes, col. 579-598;
larité, col. 599-656; Charlatan, col. 654-656. On le voit par l'indication
nombre des colonnes, plusieurs de ces notices sont de véritables
Dnographies. La liturgie a naturellement partout à glaner. Elle est spé-
ilement mise à contribution dans les deux articles Charagan (recueil
mnologique arménien), col, 558-564, et C^ar/e (manuscrits liturgiques
ce monastère syrien ), col. 569-576.
Le fascicule se termine sur une notice de Charlemagne, qui promet
tre très longue, car le sommaire annonce 45 numéros, et les dix premiers
'on nous donne seuls ici occupent déjà 46 colonnes (col. 658-704).
rtains lecteurs trouveront sans doute que tels paragraphes auraient
is normalement leur place dans le Dictionnaire d'Histoire, tout comme
s autres articles ressortiraient plutôt au futur Dictionnaire de droit
S. Salaville.
f
ScHERMANN, Dcr Hlurgische Papyrus von Dér-Baly^eh. Eine Abend-
nahlsliturgie des Ostermorgens (fait partie des Texte und Untersu-
:hungen de Harnack-Schmidt, N. F., t. XXXVI, cah. i b). Leipzig,
. Hinrichs, 1910, in-8°, vi-45 pages. Prix: i mark 5o.
l^ ÉCHOS d' ORIENT
J'ai eu le plaisir d'attirer l'attention des lecteurs de cette revue sur le
papyrus liturgique de Deir-Balyzeh (£"0^05 â?'Or/en^ t. XII, 1909, p. 33i sq.;
t. XIII, 1910, p. i33 sq.). Ce papyrus, du vii« ou viii« siècle, découvert
par les merribres de la British School of Archœology in Egypt et édité
par Dom P. de Puniet, à qui M. Crum l'avait confié {Congrès eucharis-
tique de Westminster, Londres, 1909, p. 367-401. Cf. Revue bénédictine,
t. XXVI, 1909, p. 34-51), contient des fragments de la prière litanique,
de l'action de grâces eucharistique, et le Credo en grec. On saura gré
à M. Schermann d'avoir donné place à ces fragments dans la collection
des Texte und Untersuchungen, en complétant les lectures ou les expli-
cations du premier éditeur. Je dois, pour ma part, le remercier de la
sympathie avec laquelle il a bien voulu, p. 16, 17, 21, signaler et utiliser
mon modeste travail à propos de la double épiclèse des anaphores
égyptiennes. S. Salaville.
J.-B. Thibaut, des Augustins de l'Assomption. Monuments de la notation
ekphonétique et neumatique de VÉglise latine. Exposé documentaire
des anciens manuscrits de Corbie, de Saint-Germain des Prés, etc.,
conservés à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. Saint-
Pétersbourg, imprimerie Kûgelgen, 191 2. Album de luxe (demi-reliure),
in-folio, XVI-120 pages de planches (94) et illustrations (5o) accompagnées
d'un texte explicatif. En vente chez M. Antoine Revon, 3, rue de Plai-
sance. Saint-Chamond (Loire). Prix : i5o francs.
Le R. P. Thibaut était déjà bien connu des musicologues par son
ouvrage, paru en 1907, sur V Origine byzantine de la notation neuma-
tique latine. Il y posait et soutenait cette proposition : « La notation
neumatique de l'Eglise latine, comme celle de toutes les confessions
chrétiennes primitives, tire indirectement son origine de la séméiographifi
ekphonétique des Byzantins. » (Voir Échos d'Orient, t. X, 1907, p. Siyv)
On sait que l'ekphonèse, comme le rappelait alors dans cette même reviœ
le R. P. Louis Petit, est « l'art de la lecture à haute voix, des intonations
à faire au cours de la phrase, à la finale en particulier ». Sauf la restric-
tion qui consistait à arrêter à l'époque byzantine cette dépendance delà
notation neumatique à l'égard de la notation ekphonétique, alors qu'oDB
pouvait la faire remonter plus haut, la thèse était très vraisemblable.
Quelques années après, un Bénédictin, Dom Staerk, en publiant on
ouvrage sur les Manuscrits latins du v« au xiii« siècle conservés à Ut
Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, se souvenait fort à propos
de l'opinion émise par le R. P. Thibaut. Il écrivait : « La notation ekpho-
nétique ou élévation de voix dont le R. P. J. Thibaut, des Augustins de
l'Assomption, a souligné l'existence dans un manuscrit grec du x« siècle
reproduit en fac-similé par M. Papadopoulos-Kérameus, nous a révélé,
l'origine prosodique .et établi les principes de composition. Cette notât
BIBLIOGRAPHIE 187
kphonétique se rencontre aussi dans les plus anciens manuscrits latins
le Saint-Pétersbourg Cette ponctuation que nous y rencontrons ne
erait-elle pas par hasard l'origine de la notation latine? » C était, par le
ait, une éclatante démonstration de sa thèse que les manuscrits latins de
iaint-Pétersbourg offraient ainsi au R. P. Thibaut. Il fallait la faire con-
laître au public qui s'intéresse à ces études, et tel est le but des Monu-
nents de la notation ekphonétique et neumatique de l'Église latine. « Le
lUt de notre ouvrage, écrit l'auteur, p. xn, est: i" d'établir le caractère
nusical de l'interponctuation primitive; 2" de marquer l'époque de
ransition entre cette interponctuation et la notation neumatique usuelle;
" de définir la nature de la notation neumatique primitive, d'en déter-
liner la date d'apparition et les principales phases de développement. »
Nous n'allons pas entreprendre ici un exposé technique. Nous nous
ontenterons de signaler les lignes générales de ces « monuments » pour
a taire entrevoir l'importance.
Disons d'abord que les Monuments de la notation ekphonétique et neu-
lalique de l'Église latine ont pour base des manuscrits de divers monas-
ares polonais et des manuscrits des illustres abbayes de Corbie et de
aint-Germain des Prés, volés au début de la Révolution, achetés par les
Dmtes Zaluski et Pierre Dubrovski, et actuellement conservés à la biblio-
lèque impériale de Saint-Pétersbourg, où le P. Thibaut, d'ailleurs
lembre de l'Institut archéologique russe de Constantinople, a reçu un
cueil des plus empressés.
Dans une première partie, l'auteur nous apprend que, dès le v® siècle,
n système d'interponctaation, très simple au début mais qui revêtira peu
peu le caractère d'une véritable notation musicale, se manifeste dans les
/angéliaires, les épistolaires et les « ouvrages des Pères de l'orthodoxie
itholique » dont saint Benoît fut le premier à prescrire la lecture au cours
l'office canonique. Cette interponctuation primitive est le fondement
î-la notation ekphonétique latine. Le P. Thibaut nous en convainc par
Stude détaillée du fragment d'un évangéliaire de saint Jérôme écrit du
vant du célèbre exégète, par l'examen d'un manuscrit du v« siècle con-
nant quatre traités de saint Augustin, par l'étude d'un autre manuscrit
i'v* siècle qui renferme une partie notable des homélies d'Origène, et
ifin par l'examen d'un évangéliaire du temps de saint Grégoire I".
Exclusivement fondé sur les plus anciens monuments liturgiques de
iglise latine, cet exposé documentaire nous paraît établir d'une façon
finitive le caractère musical de l'interponctuation primitive.
C'est l'époque d'Alcuin qui a été l'époque de transition entre cette inter-
ractuation et la notation neumatique usuelle; c'est elle qui a donné
lissance à la séméiographie neumatique; c'est un évangéliaire romain
1 ix« siècle et une péricope grecque en usage dans les Gaules au même
ornent qui marquent l'apparition de la notation rudimentaire des
ECHOS D ORIENT
neumes dans les livres liturgiques. Il ressort de là que « la lecture solen-
nelle des saints Évangiles a été le principe occasionnel de la notation
ekphonétique latine. Les signes d'interponctuation, en usage dans les
péricopes liturgiques du v« au ix« siècle, constituent la base de cette
notation, qu'une étroite affinité relie au système grec. Portée à son point
de perfection au début du x« siècle, cette étude musicale traduit dès lors
la modulation neumatique de l'Église latine. »
Dans la deuxième partie de son livre, qui, on le voit, complète heureu-
sement et modifie parfois la thèse de l'Origine byzantine, le P. Thibaut
définit la notation neumatique primitive, en fait voir VOrigine romaine
(laquelle s'affirme surtout dans les grands centres bénédictins, Mont-
Cassin, Bobbio, Saint-Gall, Einsiedeln, Reichenau, Prùm, Metz, Rouen,
Corbie, Saint-Germain des Prés, Gluny), étudie minutieusement les écri-
tures variées et le caractère rythmique de cette notation neumatique pri-
mitive. Pour ces différentes démonstrations, il s'appuie sur \e Liber comitis
de saint Jérôme (premières années du x' siècle), sur le Liber pontijîcalis,,
de l'Église de Sens, sur l'évangéliaire de Saint-Germain des Prés, sur let^l
offices de saint Grégoire le Grand, sur l'hymne à sainte Marie-Madeleine:
(d'Odon de Cluny), sur le sacramentaire du patriarcat d'Aquilée, suif
l'évangéliaire bénédictin de Pologne.
Le chant ecclésiastique d'Occident a son plein épanouissement au
x« siècle. « Le nombre toujours croissant des compositions musicalef;
destinées à rehausser l'éclat des solennités liturgiques dans les grandai^'
abbayes bénédictines nécessite alors, dit le P. Thibaut, un perfectionne-
ment de la notation neumatique primitive. Le propre de cette séméio-
graphie était la manifestation du rythme dans la cantilène. Très inconii|,
plète sous le rapport de l'expression mélodique, cette notation n'indiquait
que le nombre des notes, leurs mouvements antithétiques, leurs divers
groupements, sans préciser aucune valeur d'intonation Pour assurer
la disposition graduée des notules et marquer la valeur relative des son$
sur l'échelle musicale, certains copistes prennent soin de tracer, qui une
ligne de direction, qui deux et plus. Le système de la portée est trouvé};
Gui d'Arezzo en devient le vulgarisateur de génie et y attache son nom;
Les monuments de la notation neumatique primitive et ceux de la nota-
tion diastématique guidonienne sont au premier chef les sources de la
Cantilena Romana. C'est donc sur la foi de ces antiques et vénérables
documents que doit s'établir la restauration du chant traditionnel de
l'Église latine. »
Voilà, sèchement mais aussi fidèlement que possible, le résumé de d
ouvrage de toute première valeur qui, croyons-nous, fera époque. Il po:
bien son titre. C'est, en eff^et, un monument, et l'un des plus beaux qu'i
fait surgir l'impulsion donnée par S. S. Pie X aux études de musicoloj
religieuse. Jean Dorinet. ^If^
BIBLIOGRAPHIE 189
DussAUL), Les civilisations préhelléniques dans le bassin de la mer
Egée. Paris, Geulhner, 190H, in-80, vni-3i4 pages. Prix: 12 francs.
Depuis quelques années, les découvertes faites en Orient ont jeté une
mière nouvelle sur l'histoire des peuples anciens. Parmi les ouvrages
ont tiré de ces découvertes les conclusions qu'elles font naître, celui
iVl. Dussaud mérite une bonne place. Il étudie les peuples égéens en
ète, dans les Cyclades, à Troie, à Tirynthe, à Chypre, et nous donne
leur race, leur culte, leur civilisation et leur langue des détails fort
;tructifs. Sans doute, en ces matières complexes, l'accord est loin d'être
mplet parmi les archéologues, mais il faudra désormais tenir compte
'étude si fouillée de M. Dussaud. On admirera comment, à une époque
:ulée qui échappe à l'histoire, une civilisation très avancée fleurissait
jà dans le bassin oriental de la Méditerranée. La Grèce classique,
;uère encore regardée comme l'initiatrice des arts, n'a fait que nous
uer cette civilisation, en la perfectionnant, il est vrai. Nous avons été
ureux de voir, en passant, que l'auteur fait bonne justice de l'hypothèse,
lolument contraire à l'histoire, d'après laquelle les chrétiens auraient
Dfunté aux civilisations anciennes le culte de la croix. Deux planches
207 figures, qui ont la valeur de véritables documents, illustrent heu-
isement le texte. R. Janin.
A. BÉis. I. ^Aas ist die sogenannte ôlûçuyyoç-^chrijt ? Extrait duRhei-
lisches Muséum, N. F., LXVI, p. 636-639. Bonn, G. Georgi, 191 1.
II. 'AvaYvo'j(T£t; yptffTtavtxwv eTT'.ypxîpwv A'.y''vr,ç, 0£(T7ruov, Meyâpwv, Kootvôou
.al "Aùyouç xa-. TrapsxêoXal £tç xauraç. Extrait du Bulletin de l'Institut
irchéologique russe à Constantinople, t. XIV. Sofia, imprimerie du
;ouvernement, 1909, in-8°, 32 pages.
., M. Nikos A. Béis, un des plus distingués parmi les maîtres en byzan-
isme, étudie, après Wilcken, Gardthausen et Lambros, quel est le
ife d'écriture qui est appelé oyxrynkhos (oçupuy/o;) dans certains textes
Palladius, de Jean Philopone et d'autres plus récents. A la série de
tes déjà connus, M. Nikos A. Béis en ajoute un de Michel Psellos, daté
1Ô49, et emprunté à Sathas, Mcca-.wv'.xYi PtêXtoô/jx-ri, t. V. Venise-
13,1876, p. 198-199. Il en ressort que l'oçupuy^oî xapaxTYjp ou écriture
'rynkhos doit être distinguée du (TTpoYyuXoç /apaxTvjp ou écriture arrondie,
première serait une écriture majuscule pointue, la seconde serait
logue à l'onciale latine. Les termes èço^p'./offTpoyYÛXt, Codex Barber.,
5, à Rome, et oçypt/tov {sic) ÇpoyyvjÀsi (s/c). Codex 16 [i3o] de la Société
chéologie chrétienne à Athènes, désigneraient simplement des lettres
ides, régulières et bien formées.
Le distingué secrétaire de la Société byzantinologue d'Athènes a
né au Bulletin de l'Institut archéologique russe de Constantinople un
190 ÉCHOS D ORIENT
savant article sous ce titre : Lectures d'inscriptions chrétiennes d'Egine y
de Thespies, de Mégare, de Corinthe et d'Argos. C'est un excellent tra-
vail de correction et de critique sur des textes épigraphiques publiés par
divers auteurs dans un grand nombre de recueils. Les épigraphistes sauront
gré à M. Nikos A. Béis du labeur patient et méritoire auquel il s'est livré
pour. eux, avec la compétence et la maîtrise scientifiques qu'on lui connaît.
S. Salaville.
Nikos A. Béis, NeoeXÀYjV.xà oTjfxoSoTi aapiaTa, £x ^stpoypo'.cscov xcooixojv. Athènes,,
éd. des « Panathénées », 19 lo, 12 pages in-4°.
Au cours de ses recherches paléographiques, M. Nikos Béis a eu le
plaisir de rencontrer des chants populaires modernes écrits en marge ou
dans les blancs des manuscrits. 11 les a recueillis avec soin et les publie
dans le présent fascicule. La plupart ont été trouvés dans les codices des
couvents des Météores. Ils peuvent être datés du xvi®, xvii^ ou xviii^ siècle.
Ces fragments sont en général très courts. Trois cependant ont une cer-
taine étendue : le morceau t) xocxt) [xdcwa a plus de 3o vers; un autre, t7
TiàÔT) Tou ;(pt<7T0u, QH compte 18 ; le plus long, intitulé rà àxaTÔXoya ttiç kyir.r^ç,
en a j5. Six distiques seulement ont été recueillis dans un manuscrit de
la bibliothèque de Zante.
En tirant de l'oubli ces fragments, M. Nikos Béis rend un précieux ser-
vice à ceux qui voudront un jour écrire l'histoire de la poésie populaire^
grecque, étudier son origine et son développement à travers les siècles.
F, Cayré.
L. Celier, les Dataires du xv siècle et les origines de la Daterie aposto-
lique. Paris, Fontemoing, 19 10, in-8°, 173 pages.
L'ouvrage de M. Celier fait partie de la Bibli >thèque des écoles fran-
çaises d'Athènes et de Rome publiée sous les auspices du fninistère de
l'Instruction publique. C'est le fascicule cent troisième.
Il est précédé de la table des ouvrages consultés ainsi que d'une assez.;
longue introduction et suivi d'une note sur les Dataires étrangers à la-
Daterie apostolique, de seize pièces justificatives très intéressantes (spé-
cialement la quinzième, intitulée: tarif des compositions au xv« siècle)
et d'une table alphabétique des ouvrages consultés.
Le travail du savant archiviste est divisé en cinq chapitres intitulés :
les Dataires du xv* siècle. Les attributions du Dataire: r^ Les attributions,
de chancellerie; 2'^' Les attributions financières. La situation du Dataire^
à la cour du Pape. Les origines de la Daterie.
Nous regrettons que l'espace dont nous disposons nous oblige à passerd
sous silence l'excellente introduction que M. Celier consacre au fonction-';
nement de l'ancienne Daterie.
I
BIBLIOGRAPHIE I9I
Ch. I. Les principaux Dataires du xv* siècle dont l'auteur retrace l'his-
toire furent Giovanni de F'eys, Maffeo Vegio, Cosmade Monserrat,
Lorenzo Roverella, etc.
Ch. II. — La date des suppliques marquait le « point de départ de la
grâce accordée. D'où une surveillance spéciale exercée dès le xiii« siècle
sur cette date, surveillance qui se traduit par la prescription de n'expédier
de lettres que sur les suppliques provenant de la Data communis. —
Cette Data co?nrnunts était-elle un bureau particulier? En tout cas, au
XIII'' et au XIV* siècle, a'icun officier nouveau ne s'en dégage. — Seulement
au xv siècle nous avons celui qui date, puis le Datator, puis enfin le
Datarius. Celui-ci a toujours pour fonction essentielle de dater les sup-
pliques signées , il s'occupe (peu à peu) de ce qu'elles contiennent et
et de ce qu'on en fait, et tend à devenir (aussi) celui qui juge de l'oppor-
tunité d'accorder ce qu'elles (les suppliques) demandent, en attendant
qu'il soit directement et officiellement chargé de l'accorder lui-même ou
de le refuser ».
Ch. III. — La principale attribution financière du Dataire fut celle de
toutes les compositions de la Curie.
La composition signifie ici accord et prix d'un accord débattu entre deux
parties. L'origine de cette pratique à la cour de Rome est inconnue. En
principe, cet argent était destiné aux bonnes œuvres, à des œuvres
pieuses et désintéressées, parmi lesquelles figurait au xv^ siècle la construc-
tion de Saint-Pierre. En fait cependant, il était souvent employé à sub-
venir aux nécessités de la cour pontificale.
Ch. IV. — La généralisation de la fonction financière des Dataires
provenait de la situation de confiance qu'ils occupaient à la cour pontifi-
cale et dont ils devaient naturellement songer à profiter. « C'est ce qu'ils
ne manquèrent pas de faire, et nous les voyons recevoir toutes sortes de
bénéfices et profiter de mille faveurs, plus ou moins exceptionnelles et
exorbitantes. »
Ce chapitre se termine par la citation curieuse des conseils de prudence
donnés par l'évêque de Fossombrone à un futur Dataire, son protégé.
Ch. V. — Les origines de la Daterie s'expliquent par le besoin d'auxi-
liaires fixes qu'éprouva le Dataire. Vers la fin du xv« siècle, on est près
de la Daterie, mais le mot n'apparaîtra qu'à la fin du xvi®.
L'ouvrage de M. Celier nous a vivement intéressé. Il est écrit d'une
manière claire, sobre et réservée. Des abus réels, provenant des attribu-
tions financières universelles du Dataire, sont signalés, mais avec modé-
ration et respect. La pièce n" i5 nous apprend que pour un motif très
?rave et grâce à une componende très élevée, un sous-diacre et un diacre
luvaient parfois p irvenir à rentrer dans l'état laïque, chose qu'il est
infiniment plus difficile d'obtenir aujourd'hui, sauf sur le lit de mort et
ous certaines conditions.
192
ECHOS D ORIENT
Nous ne voyons que fort peu de choses à reprocher au docte archi-
viste. Bien que le terme ait pu être employé, nous pensons que M. Celier
aurait mieux fait de donner à la réunion du Dataire et de ses employés
principaux l'appellation canonique non de congrégation mais de con-
gresso ou congrès. La pièce justificative n" i est-elle une bulle au sens
strict? L'année de Y Incarnation n'y étant pas indiquée, nous hésiterions
à ranger cet acte pontifical parmi les bulles. Enfin, le document 16 est
dénommé, à tort selon nous, motu proprio, à moins^ ce que nous ne
croyons pas, qu'à cette époque (1672), les motu proprii eussent été appelés
brefs sans porter à la fin la formule consacrée: Sub annulo piscaioris.
A. Catoire.
LIVRES REÇUS A LA RÉDACTION
Plusieurs de ces ouvrages
seront l'objet d'un compte rendu dans un des prochains numéros de la Revue.
E. Martini, Textgeschichte der Bibliotheke des Patriarchen Photios von
Konstantinopel. I Teil : Die Handschriften, Ausgaben und Uebertragungen.
(Abhandlungen der philolog.-histor. Klasse der Kœnigl. Saschsischen Gesellschaft
der Wissenschaften, t. XXVIII, n° vi, mit Tafeln in Lichtdruck). Leipzig, B. G.
Teubner, 191 1, in-8", 184 pages, 8 planches. Prix: 7 marks.
, F. Ehrle, s. J., et P. Liebaert, Specimina codicum latinorum (Tabulae in
usum scholarum, III). Bonn, A. Marcus et E. Weber, 191 2, in-4°, xxxvi pages.
5o planches. Prix: 6 marks.
Bibliotheca hagiographica latina antiquœ et mediœ œtatis, ediderunt SocH
BoLLANDiANi. Supplementi ediiio altéra auctior. Bruxelles, Société de Bollandistes,
1911, in-8°, viii-355 pages.
Bibliotheca hagiographica orientalis, ediderunt Socii Bollandiani. Bruxelles^
Société des Bollandistes, 1910, xxiii-288 pages. Prix: 20 francs.
J. Behm, D/e Handaujlegung ini Urchristentum nach Verwendung, Herkunft
und Bedeutung in religionsgeschichtlichem Zusammenhang iintersucht. Leipzig^
A. Deichert, 191 1, in-8'', viii-208 pages. Prix : 4 marks 5o.
K. LuEBECK, Die christlichen Kirchen des Orients. Kempten et MunicÈ^^
J. Koesel, 191 1, in-i6, xii-206 pages. Prix: 1 mark.
M. Maxudianz, Le parler arménien d'Akn (quartier bas). Paris, J. Geuthner|
1912, in-8*, X1-146 pages.
W. Miller, 'larop^a ifiç. 4>paYy.oxpaTiaç èv 'E),>,à6: (i 204-1 566). Mcrâ^paai; Sit;
11. AajxTcpo'j [Astà TrpoffÔT^xwv xal peXxiwo-swv. Athènes, Société hellénique d'éditic
1909-1910, deux volumes in-8°, 493 et 483 pages, avec nombreuses illustratic
Prix : 20 francs.
576-12. — Imp. P Feron- Vrau, 3 ei 5, rue Bayard, Paris, VIH'. — Le gérant : E. PETiTHENRTr]
FORMATION
DU PATRIARCAT D'ANTIOCHE*"
II. Après le Concile de Nîcée.
Tous les conciles que nous avons cités — et ce sont jusqu'ici les
uls dont le souvenir se soit conservé — n'incluent pas la juridiction
ipérieure d'Antioche sur l'épiscopat de Syrie ou d'Asie Mineure, mais
me hâte d'ajouter qu'ils ne l'excluent pas davantage.
Et cependant Antioche possédait de vrais privilèges, des prérogatives
clésiastiques d'ordre supérieur, antérieures au concile de Nicée, et
li lui furent expressément reconnues par le Vl^ canon de ce concile,
ns que l'on puisse voir au premier abord en quoi elles consistaient.
effet, après avoir mentionné la primatie de l'évêque d'Alexandrie
r les provinces d'Egypte, le VI« canon de Nicée se contente d'ajouter :
t doit de même conserver aux Eglises d'Antioche et des autres éparchies
trs anciens droits. Remarquons-le, le concile ne se propose aucune
lovation; il constate seulement et confirme de son autorité souveraine
droits accordés déjà à certaines Eglises, et en particulier à celle
Vntioche, par une coutume immémoriale. Mais quels sont les droits
nt parle l'assemblée synodale, c'est ce qu'il n'est pas aisé de préciser.
Des conciles provinciaux ou régionaux tenus avant celui de ^2^,
:une conclusion bien nette, ainsi que nous l'avons vu, ne ressort
iir ou contre une juridiction supérieure de la métropole de la Syrie.
• ailleurs, l'histoire ne nous a conservé que deux faits : celui de
ossos en Cilicie et celui d'Edesse en Mésopotamie, où la primatie de
'êque d'Antioche se soit, dès la fin du ii® siècle, réellement exercée
dehors des limites de sa province. Cependant, n'oublions pas qu'à
te époque le territoire qui sera désigné un siècle plus tard sous le
nde diocèse d'Orient ne comprend encore que six provinces civiles :
iélésyrie, la Cilicie, la Mésopotamie, la Palestine, l'Arabie et Chypre.
dans trois provinces sur six, nous en avons les preuves, l'autorité
eure de l'évêque d'Antioche était obéie sans contestation, et pas
seul acte d'une autre autorité que la sienne n'est constaté alors dans
trois autres provinces.
Voir Echos d'Orient, mars 1912, p. 109-119.
^chos d'Orient. — i5' année. — A'° g4. Mai 1912.
194 ÉCHOS d'orient
Puisque le texte du VI"- canon de Nicée est d'une rédaction obscure,
et que l'histoire ecclésiastique antérieure à 325 ne nous a fourni que
peu de renseignements, reportons-nous à l'interprétation que la posté-
rité a donnée de ce canon. Le ll^ canon du concile œcuménique de
Constantinople, en 381, est revenu en ces termes sur la décision de
Nicée :
Les évêques d'un diocèse ne doivent pas empiéter sur les Eglises étran-
gères ni troubler les Eglises; mais, d'après les canons, l'évêque d'Alexan-
drie doit s'occuper des seules affaires de l'Egypte; les évêques d'Orient
diriger seulement le diocèse d'Orient — en maintenant les prérogatives
reconnues à l'Eglise d'Antioche dans les canons de Nicée; — les évêques
du diocèse d'Asie doivent s'occuper des seules affaires de l'Asie, ceux du
diocèse du Pont des seules affaires du Pont, et ceux du diocèse de Thrace
des seules affaires de la Thrace.
On remarquera que l'interprétation du Vl" canon de Nicée par le
second concile œcuménique n'est pas beaucoup plus claire que le texte
qu'il s'agissait d'expliquer. En effet, si l'évêque d'Alexandrie est seul
mentionné en ce qui concerne l'Egypte, si lui seul est vraiment le chef
de l'épiscopat égyptien, par contre, on nous parle, au pluriel, des
évêques de l'Orient, des évêques de l'Asie, de ceux du Pont et de ceux
de la Thrace, à propos de ces quatre diocèses civils. Est-ce qu'en
dehors de chaque métropolitain, qui, là comme ailleurs, dirigeait cha-
cune des provinces particulières de chacun de ces diocèses, le concile
aurait reconnu une juridiction supérieure exercée en commun par plu-
sieurs métropolitains sur tout le diocèse d'Orient, ainsi que sur les
diocèses d'Asie, de Pont et de Thrace? D'aucuns l'ont prétendu; mais
cela ne semble guère vraisemblable, et l'on ne connaît pas de fait
historique qui puisse appuyer pareille explication. Le pluriel employé
par le concile équivaudrait-il à un singulier, et faudrait-il conclure qu'en
Orient, en Asie, dans le Pont et en Thrace, comme en Egypte, un seul
évêque présidait effectivement à tout l'épiscopat de chacun de ces
quatre diocèses? Pour l'Orient, cela ne peut faire de doute, car le con-
cile ajoute aussitôt après : « En maintenant les prérogatives accordées
à l'Eglise d'Antioche par les canons de Nicée », et il n'est pas temps
d'examiner ici ce qu'il en est des trois diocèses d'Asie, de Pont et de
Thrace.
Nous croyons donc, en dépit des termes assez obscurs dont se ser-
virent les Pères de 325 et de 381, que le Vl^ canon de Nicée, comme
le lie de Constantinople, reconnaît et garantit à l'évêque d'Antioche
sur les provinces du diocèse d'Orient les mêmes droits qu'il avait
FORMATION DU PATRIARCAT D ANTIOCHE I95
reconnus et garantis au siège d'Alexandrie sur les provinces du diocèse
d'Egypte. Saint Jérôme n'interprète pas autrement que nous le canon
de Nicée, lors de ses démêlés avec Jean, l'évêque de Jérusalem; il écrit,
en effet, à Pammachius que, « à Nicée, il a été réglé qu'Antioche
serait la métropole générale de tout l'Orient (diocèse), et Césarée la
métropole particulière de la Palestine (province) » (i). Le pape Inno-
cent Icf, dans sa lettre à Alexandre, évêque d'Antioche, dit de même :
Le concile de Nicée n'a pas établi l'Eglise d'Antioche sur une province,
mais sur un diocèse. C'est pourquoi Nous pensons, Frère très cher — le
Pape s'adresse à Alexandre en personne — que, de même que tu ordonnes
les métropolitains' en vertu de ton autorité particulière, de même il n'est
pas permis aux autres évêques de faire des ordinations à ton insu et sans
ton consentement (2).
Voilà donc la portée du canon nicéen, d'après l'antiquité chrétienne.
Par le fait de cette décision, que confirma plus lard le concile de Con-
stantinople, le patriarcat — bien que le terme n'existe pas encore —
d'Antioche est définitivement constitué, et il a pour limites celles-là
mêmes que Dioclétien avait reconnues au diocèse civil d'Orient en
l'année 297.
»
« *
En effet, de même que la division en provinces civiles de l'empire
romain avait grandement contribué à la création des provinces ecclé-
siastiques comprenant plusieurs évêchés soumis à un métropolitain, de
même l'acte de Dioclétien instituant des diocèses civils, sous lesquels
se rangeaient un plus ou moins grand nombre de provinces, amena,
du moins en Orient, la création dans chaque diocèse d'une puissance
religieuse placée au-dessus des métropolitains et qui en comptait
plusieurs sous sa sujétion. C'est ce qu'a admirablement montré
I~M. Flamion (3), en résumant la thèse si touffue mais aussi si nourrie de
faits de M. Lùbeck (4), et en établissant que, dans l'évolution subie par
a hiérarchie ecclésiastique, deux phases sont à distinguer : la formation
de l'organisation métropolitaine et celle de l'organisation patriarcale ou,
îour parler plus exactement, de l'organisation surmétropolitaine.
La première, commencée dès le n« siècle, et fortement aidée par
(1) Ni fallor, hoc ibi decernitur, ut Palœstinœ metropolis Cœsarea sit et tolius
Orientis Antiochia, dans Migne, P. L., t. XXIII, col. 889.
(a) Epist. XXIV, dans Migne, P. L., t. XX, col. 547.
(3) Revue d'histoire ecclésiastique, t. IV (igoS), p. 481-489.
(4) Reichseinteihing und Kirchliche Hiérarchie des Orients. Munster, 1901.
196 ÉCHOS d'orient
l'organisation du culte impérial, qu'elle semble avoir pris pour modèle,
ainsi que parla création des synodes provinciaux, est complète en Orient
à la fin du iiP siècle, elle est sanctionnée et consacrée légalement par
le IVe canon du concile de Nicée. Dès lors, il exista une concordance
absolue entre la province civile et la province ecclésiastique, entre la
métropole politique et la métropole religieuse; les quelques exceptions
que l'on pourrait citer n'appartiennent pas à notre époque et ne furent
introduites que par des faveurs impériales ou à la suite d'une nouvelle
réorganisation des provinces. Quant à l'organisation surmétropolitaine
ou patriarcale, à part l'Egypte, qui en jouit de bonne heure pour des
raisons historiques particulières, elle ne doit son existence qu'à l'insti-
tution des diocèses civils par Dioclétien en l'année 297; mais elle aussi
fut reconnue et confirmée par un acte ecclésiastique, par le Vl^ canon
de Nicée, qui resta la base légale de ses revendications.
L'édition critique des listes épiscopales du concile de Nicée (i) nous
a montré qu'en 325 le diocèse d'Antioche comprenait les huit pro-
vinces de Palestine, Phénicie, Célésyrie, Arabie, Mésopotamie, Cilicie,
Isaurie et Chypre, desquelles dépendaient des évêchés suffragants. Au
cours du ive siècle, le nombre des provinces augmenta, non pas à la
suite d'une extension territoriale, mais du fait de divers remaniements
administratifs opérés par l'Etat. Près de trente ans après le concile de
Nicée, en 353, Ammien Marcellin (2) énumère les provinces suivantes:
« Cilicie, Isaurie, Commagène, maintenant Euphratensis; Syrie, Phé-
nicie, Palestine, Arabie et Chypre. » A la même date, mais dans un
autre passage (3), le même historien cite également l'Osrhoène : Post
Osdroenam Commagène nunc Euphratensis.
Si nous comparons la liste de 353 à celle de 325, nous y trouvons
deux nouvelles provinces : l'Osrhoène et l'Euphratensis, formées l'une
et l'autre avec des villes prises soit à la Célésyrie, soit à la Mésopo- '
tamie. Pour ne citer que deux exemples, Edesse, la future métropu!
de l'Osrhoène, était, à Nicée, la métropole de la Mésopotamie; et Hiéra-
polis, métropole de l'Euphratensis en 353, était rangée en j,2^ parmi
les évêchés de la Célésyrie. Comme ces deux provinces ne figurent
pas encore dans les signatures du concile d'Antioche, en 341, suscrip-
tions qui sont d'ailleurs tenues en médiocre estime, on pense qu'elles
furent érigées entre les années 341 et }^}, en tout cas sûrement après
325 et avant ^^}.
(i) Gelzer, Patrum nicœnoriim nomina. Leipzig, \i
(2) Rerum gestarum libri, xiv, 8.
(3). Op. cit., XIV, -j, 21.
FORMATION DU PATRIARCAT D ANTIOCHE I97
Ij — — .
!' La province d'Arabie avait succédé au royaume nabatéen de Pétra,
jlupprimé par l'empereur Trajan en l'an 105 de notre ère. Elle pos-
ijédait les mêmes territoires que ce royaume, à l'exception de la Batanée,
:1e la Trachonite et de l'Auranite, qui furent rattachées à la Phénicie
ijusqu'en 295; cette année-là, les trois districts du Nord lui étaient res-
iltués et elle formait la province d'Arabia Augusta Libanensis, avec
fostra pour métropole, mais en même temps on lui enlevait toute la
jartie méridionale qui constitua, avec Pétra pour métropole, la nou-
elle province d'Arabia.
I Douze ans après, en 307, la province de Pétra était unie à celle de
; alestine, pour en être détachée à nouveau dans la seconde moitié du
'6 siècle, en 358 au plus tôt, en 390 au plus tard, et constituer désor-
lais la Paîœstina salutaris ou Palœstina iertia.
. Quant à la Palcestina secunda, formée avec des villes des provinces
loisines, surtout de la Syrie et de l'Arabie, elle est citée pour la pre-
uière fois dans une ordonnance impériale de Théodose 11 datée du
3 mars 409 (i).
L'ancienne province impériale de Cilicie, déjà scindée en deux, la
.ilicie et l'isaurie, lors du concile de Nicée, fut encore, sous Arcadius,
? visée en une troisième province, la Cilicia secunda.
I La Syrie avait été divisée, vers l'an 194, par Septime Sévère en Syria
kagna ou Célésyrie, et en Phénicie, division qui subsistait encore
n 325.
' En l'année 353, nous avons constaté l'existence d'une autre province,
] Syria Euphratênsis , créée peu de temps auparavant.
A la suite de la réorganisation de l'empire par Théodose le Grand et
jfcadius, la Célésyrie, qui avait déjà cédé plusieurs villes à VEuphra-
ûnsis, se fractionna encore en Syrie première et en Syrie seconde, la
jjiénicie en Phénicie maritime et en Phénicie libanaise. La date pré-
Ijie de ces transformations n'est pas connue, mais elles sont sûrement
stérieures à 381, et elles étaient déjà opérées en 425, date fixée par
ommsen pour la rédaction définitive de la Notifia dignitatum.
A ce moment-là, c'est-à-dire dans le premier quart du v« siècle, le
triarcat d'Antioche ne comptait pas seulement huit provinces ecclé-
istiques comme en 325, mais quinze qui sont énumérées par la
>titia dignitatum (2) dans l'ordre suivant : Palestine, Phénicie, Syrie,
icie, Chypre, Arabie, Isaurie, Palestine salutaire, Palestine seconde,
i) GoDEFROY, Codex theodosianus, t. II, p. 327.
>) Edit. Bœcking. Bonn, iSSg, t. I, part. Orient., p. 9.
ic)8 ÉCHOS d'orient
Phénicie libanaise, Euphratensis, Syrie salutaire, Osrhoène, Mésopo-
tamie, Cilicie seconde.
C'est pour la première et la dernière fois que nous les trouvons toutes
signalées ensemble, car, en 431, la province de Chypre, qui contestait
déjà au primat d'Antioche le droit de faire des ordinations dans son île,
obtenait du concile d'Ephèse son autonomie ecclésiastique, tandis que
vingt ans plus tard, au concile de Chalcédoine, Juvénal réussissait à
constituer le patriarcat de Jérusalem avec les trois provinces de Pales-
tine. Dès lors, il ne restait plus sous la sujétion d'Antioche que onze
provinces ecclésiastiques, alors que le diocèse d'Orient comptait tou-
jours quinze provinces civiles. Par ailleurs, l'Eglise de Perse avait,
depuis quelques années, proclamé elle aussi son indépendance vis-à-vis
de la vieille métropole de Syrie.
La principale cause de ces victoires de Chypre et de Jérusalem sur
Antioche, c'est qu'elles se trouvèrent en présence de prélats timorés,
compromis aux yeux de la chrétienté par leurs complaisances envers
l'arianisme et surtout affaiblis par un schisme local de quatre-vingt-
cinq ans. Quand saint Eustathe, évêque d'Antioche, fut déposé et
exilé en Macédoine par les ariens (330), ses partisans formèrent une^
communauté à part sous la direction du prêtre Paulin et n'entretinrent
aucune relation avec les hérétiques. En 360, l'arien Eudoxe ayant
échangé le trône primatial d'Antioche pour le simple évêché de Con-
stantinople, ses amis élurent à sa place Mélèce, évêque de Sébaste en
Arménie, et qui n'avait jamais pu prendre possession de son poste.
Celui-ci passait, à tort ou à raison, pour être de leur parti; à tort,
semble-t-il, malgré sa signature donnée au concile deSéleucie, puisque,
dès son discours d'installation, sans parler ni d'essence ni d'hypostases,
il laissa voir qu'au fond il était avec ceux de Nicée. Cela lui valut d'être
destitué par Constance, moins de trente jours après sa nomination.
Euzoïus, l'ancien compagnon et ami d'Arius, lui succéda.
Le retour de Mélèce coïncida avec le règne de Julien l'Apostat (362);
toutefois, l'auréole de son bannissement ne pouvait, aux yeux des eusta-
thiens, dissiper la souillure contractée par son élection plus ou moins
arienne; ils restèrent donc à l'écart. En conséquence, il y eut quatre
partis religieux dans la capitale de l'Orient : les eustathiens, minorité
infime soutenue surtout par les Eglises d'Egypte et d'Occident; les
méléciens, qu'appuyaient tous les orthodoxes d'Orient; enfin deux
groupes d'ariens, ceux de l'Eglise officielle et les anoméens, adversaires
FORMATION DU PATRIARCAT d'aNTIOCHE 199
irréductibles du concile de Rimini-Constantinople. Des saints, des
évêques, bien des personnalités marquantes du catholicisme s'em-
ployèrent tour à tour à réunir les deux fractions orthodoxes qui se
boudaient pour une question de personnes; ils échouèrent totalement.
Il est vrai que Lucifer de Cagliari, qui s'avisa de terminer le conflit, était
l'homme le plus impropre à mener une négociation. Avant même que
le concile d'Alexandrie eût pris une décision, son humeur batailleuse le
poussa à consacrer évêque le prêtre Paulin, chef de la communauté
ïustathienne, et la division ne fit ainsi que s'accroître.
Après deux nouveaux exils subis en 364 et 370, comme le démêlé
;iétait pas apaisé, Mélèce aurait offert une transaction à Paulin, qui crut
Je sa dignité de là refuser; alors, chacun d'eux nomma des évêques de
son parti aux sièges qui en manquaient, parfois même aux sièges qui
2n possédaient déjà. On ne put, malgré tous les efforts, arriver à un
compromis pour que, à la mort de l'un des deux, le survivant fût
reconnu comme le seul évêque orthodoxe. Aussi, à la mort de Mélèce,
pendant la réunion du second concile œcuménique (mai 381), fut-il
impossible d'obtenir de l'assemblée la reconnaissance du seul survivant,
l'est-à-dire de Paulin, pour évêque d'Antioche. Dès que le concile fut
terminé, juillet 381, les évêques du diocèse d'Orient coururent en Syrie
donner le prêtre Flavien comme successeur à Mélèce. De son côté,
ivant de mourir (388), Paulin désigna et sacra lui-même le prêtre Evagre
pour le remplacer.
Après des pourparlers inutiles, après le concile tenu en 393 à
Clésarée de Palestine, et qui réconcilia l'Eglise alexandrine avec l'évêque
^'lavien, après surtout la mort d'Evagre, survenue probablement en 394,
?t la reconnaissance de Flavien par le Saint-Siège, en 394 ou en 398,
tout le monde espérait la fin de cette longue contestation. Espérance
v'aine, car les eustathiens restèrent groupés autour de leur clergé
dissident. L'élection de Porphyre (404-412) ne pouvait pas contribuer
1 les ramener. Les persécutions de celui-ci contre tous ceux qui mani-
festaient la moindre sympathie envers saint Jean Chrysostome lui
aliénèrent même une partie de la population mélécienne. Enfin, vers
'année 414, l'évêque Alexandre, successeur de Porphyre, assista à un
office célébré par la petite Eglise séparée; ses avances inespérées
-entraînèrent la réconciliation du plus grand nombre et mirent fin à une
division qui avait duré quatre-vingt-cinq ans. C'est le pape Innocent I"
qui y avait eu la plus grande part, en l'imposant comme condition préa-
able à la reconnaissance d'Alexandre. Toutefois, il resta encore un petit
groupe de réfractaires eustathiens, qui ne se rendirent qu'en 482,
200 ÉCHOS d'orient
lorsque le patriarche Calendion obtint de l'empereur l'autorisation de faire
rapporter à Antioche d'une ville de Thrace, où ils se trouvaient alors,
les restes de saint Eustathe.
Des luttes fratricides si longues, aggravées encore par l'interminable
crise arienne que traversa l'Eglise d'Antioche comme toutes les Eglises
orientales, avaient dû énerver l'autorité de son chef, diminuer son pres-
tige, permettre à divers métropolitains d'empiéter sur ses prérogatives.
Si tous ne réussirent pas, comme ceux de Chypre et de Jérusalem, à
secouer défmitivement sa primatie religieuse, ils s'efforcèrent du moins,
une fois nommés et approuvés par Antioche, d'être le plus possible
les maîtres dans leurs provinces respectives. C'est sur ce point, autant
que sur la juridiction que les Chypriotes lui contestaient dans leur île,
que l'évêque d'Antioche, Alexandre, semble avoir interrogé le pape
Innocent I^"", après qu'il eut rétabli la paix et la concorde entre les
diverses fractions de son Eglise. En s'appuyant sur le Vl^ canon de
Nicée, dont il possédait peut-être et les Actes et une interprétation auto-
risée, le Pape reconnut en 416 que l'évêque d'Antioche avait le droit de
conférer l'ordination aux évêques de toutes les provinces du diocèse
d'Orient. Il dit, en effet, qu'en vertu de sa pleine autorité, l'évêque
d'Antioche doit ordonner les métropolitains, et que ceux-ci ne peuvent
sacrer personne à son insu et sans son consentement (1).
Cette décision paraît bien emporter la dépossession du droit des primats
provinciaux au profit du métropolitain d'Antioche; droit d'ordination
qu'ils ne pourront exercer désormais qu'avec le consentement ou la délé-
gation de ce métropolitain. Par malheur, nous ignorons comment les
primats provinciaux se comportèrent dans la pratique et si, conformément
à l'interprétation d'Innocent I", ils abandonnèrent les ordinations de
leurs suffragants (2).
Le seul exemple connu avant le concile de Chalcédoine favorise cette
dernière hypothèse. En l'année 445 se tint à Antioche un concile pour
examiner la cause de l'évêque Athanase de Perrhé. Le patriarche Domnus
s'exprima ainsi : j
Je ne désirais pas avoir à prononcer une pareille sentence contre un
évêque. Mais puisque le saint concile a jugé bon d'écarter Athanase de
Vépiscopat en vertu des lois ecclésiastiques, à cause de ses crimes énormes
(i) Eptsf. XXIV, dans M igné, P. L., t. XX, col. 547.
(2) Leclercq, traduction de l'Histoire des conciles d'Héfélé, t. I", II' partie, p. 1 190.
FORMATION DU PATRIARCAT D ANTIOCHE 201
et nombreux et de son refus de comparaître, je confirme, moi, et je suis
d'accord sur ces matières, qui ont réuni le consentement de tous, le décla-
rant étranger désormais à l'épiscopat, et je prescris à Jean, l'évéque très
chéri de Dieu et aux très pieux évêques de sa province, d'ordonner un
autre évéque, à la place de celui-ci, pour la sainte Eglise de Perrhé (i).
Ce Jean, à qui Domnus prescrit d'ordonner un évêque pour le
siège de Perrhé, était métropolitain de Hiérapolis, dans l'Euphratensis,
province dans laquelle était situé cet évêché. Si ce métropolitain ne
pouvait procéder au sacre d'un de ses suffragants que sur l'ordre formel
du patriarche d'Antioche, il devait en être de même dans les autres
provinces ecclésiastiques.
L'interprétation du Vl« canon de Nicée, mentionnée par le pape Inno-
cent 1er, avait donc force de loi. Antioche possédait réellement sur les
métropoles et sur les évêchés des provinces du diocèse d'Orient les
mêmes droits de juridiction qu'exerçait Alexandrie sur les métropoles
et sur les évêchés des provinces d'Egypte. L'assimilation entre ces deux
grandes Eglises est absolue.
SiMÉON Vailhé.
(i) Mansi, Conciliorum Collectio, t. VIII, col. 352.
L'INTERVENTION DES LAÏQUES
DANS LA GESTION DES BIENS D'ÉGLISE
La lutte héroïque que l'épiscopat arméno-cathoUque vient d'entre«
prendre contre l'ingérence des laïques dans la gestion des biens ecclé-»
siastiques (i)nous a suggéré l'idée d'examiner rapidement la doctrine
canonique de la tradition concernant cette question importante m
sujet de laquelle, sous une forme ou une autre (2), la plupart de»
Eglises séparées d'Orient, les plus importantes, ont fini par accepter
en pratique la solution préconisée par les laïques.
La tradition canonique admet-elle que les laïques ont le droit de gérer
les biens d'Eglise ou d'en contrôler la gestion? Nous disons à dessein:
ont le droit, car nul ne songe à dire que l'administration des biens
(i) Le concile arméno-catholique, célébré à Rome en octobre dernier, avait en partie
pour objet de rappeler et de faire sanctionner par l'autorité suprême les principes
selon lesquels les Règlements généraux de l'Eglise arménienne catholique tolérés^
mais non encore approuvés ni par le Saint-Siège ni par le gouvernement ottoman
lui-même, devront être modifiés. Les délibérations du synode relatives à la foi, aa
gouvernement de l'Eglise et à l'administration des biens ecclésiastiques sont résumée»
dans une première lettre digne et modérée de l'épiscopat aux. fidèles, écrite de Rome
le 18 décembre. Cette première circulaire des évêques a été suivie d'une courte lettre
adressée par S. S. Pie X aux catholiques arméniens, pour leur recommander d'une
manière discrète et paternelle l'obéissance aux décisions du synode. (Voir le texte
dans Echos d'Orient, janvier 1912, p. 6 sq.) Une seconde lettre de l'épiscopat armé-
nien, également digne et modérée, écrite de Rome comme la première, et datée du
18 décembre, a trait à l'assemblée nationale et aux questions brûlantes qui la con-
cernent.
La lutte dont nous parlons plus haut menace d'être longue, et il faudra au haut
clergé une énergie et une patience peu communes pour arriver à convaincre de la doc-
trine pleinement catholique des fidèles habitués à croire que si les grégoriens accep-
taient la primauté du Pape et les autres articles du symbole catholique, ils n'auraient
à se réformer en rien pour le reste. Ce qu'il faudrait surtout (que le clergé arménien
catholique nous permette de lui exprimer humblement ce desideratum), ce serait
d'introduire dans le catéchisme et d'inculquer aux nouvelles générations les principes
proclamés par le synode arménien-catholique.
(2) Sur les vingt et une Eglises orientales séparées, huit (celles des Jacobites, des
Nestoriens, des Malabarites, des Coptes, des Abyssins, les Eglises d'Antioche, de
Jérusalem, du Sinaï) n'admettent pas l'intervention des laïques dans la gestion des
biens ecclésiastiques. Sept autres (c'est-à-dire celles de Constant! nople, d'Alexandrie,
de Chypre, des Arméniens, de Carlowitz, d'Hermannstadt, de Bulgarie) ont un Con-
seil mixte. Les six dernières (les Eglises de Russie, de Cetinje, de l'Hellade, de Czer- ,
nowitz, de Serbie et de Roumanie) ne peuvent prendre aucune décision ferme eo
matière de biens ecclésiastiques sans l'autorisation du gouvernement. A noter toute-
fois que, pour les Eglises d'Alexandrie et de Bulgarie, cette intervention n'a pas lieu
en tait, et qu'elle se réduit à l'approbation des statuts synodaux. Ajoutons même que
les statuts de l'Exarchat bulgare applicables dans le royaume de Bulgarie, ne men-
tionnent pas cette intervention. Voir Echos d'Orient, t. Xlll (1910), p. 352.
m.
/intervention des laïques dans la gestion des biens D EGLISE 20_J
::?cclésiastiques ne peut être confiée à des laïques ou que ces derniers
l'ont pas le droit d'émettre un avis consultatif au sujet de cette admi-
listration, et qu'en certains cas et pays il ne serait pas préférable que
'Eglise consulte les laïques à cet égard.
11 importe, en outre, de se faire une idée exacte de la nature et des
;atégories des biens d'Eglise,
Un bien ecclésiastique est celui dont, en principe, la propriété,
'administration et le contrôle appartiennent à l'Eglise (i). Il est pure-
nent ecclésiastique si, au point de vue des trois conditions ci-dessus
inumérées, le bien est entièrement entre les mains du clergé, même
.'il se dessaisit, ad nutiim, en faveur de laïques, de l'administration et
lu contrôle partiel. Le même bien est au contraire, en fait, semi-ecclé-
liastique ou mixte quand l'Eglise a concédé à perpétuité aMX fondateurs
>u patrons l'administration et parfois le droit privilégié à un certain
x>ntrôle (2). On pourrait encore appeler bien ecclésiastique mixte un
nen laïque individuel ou national dont le contrôle et l'administration
t non la propriété seraient concédés à perpétuité à l'Eglise, ou dont
es propriétaires seraient des ecclésiastiques et des laïques (3).
Enfin, une erreur commune en Orient est que le fidèle et souvent
e clerc ne peuvent se faire à l'idée que l'Eglise et la société civile ou
lation ne forment pas une seule et même communauté indivise, en
iorte qu'à leurs yeux bien ecclésiastique et bien national sont choses
dentiques (4). Cette idée vient en partie de la confusion séculaire faite
m Orient entre les prérogatives de l'Eglise et de la nation, de l'auto-
ité religieuse et de l'autorité civile, depuis l'octroi en Turquie des
^érats âux évêques et les règlements gémraiix imposés aux Eglises indi-
gènes en pays ottoman, à partir de 1856. Cette erreur ne disparaîtra
i la longue que si le clergé lui-même, après s'être fait une idée nette de
a distinction fondamentale qui existe entre la société ou communauté
:ivile et la société ou communauté religieuse et leur double autorité,
(i) A l'Ei^Iise comme Société locale ou générale, à l'Eglise comme lieu saint, repré-
enté juridiquement par le clergé, selon les trois opinions plus ou moins probables
les canonistes, touchant la propriété des biens d'EIglise.
(2) Ce contrôle laïque serait encore partiel et relatif, si l'Eglise l'accordait pure-
n€nt et simplement aux laïques, à la condition toutefois de ne pas en abuser et d'agir
onformément aux canons.
(3) Il n'est douteux pour personne qu'un bien (rosaire, ornement, chapelle, etc.)
l'est pas nécessairement ecclésiastique par le seul fait de la béné iiction ou consécration.
(4) C'était l'opinion erronée de Marsile de Padoue à l'époque des démêlés survenus
între Jean XXII et Louis ae Bavière. C'était également l'opinion des réformés et plus
)u moins aussi celle des législateurs de la Révolution française, lorsqu'ils déclarèrent
lue les biens dont l'Eglise avait abusé, selon eux, devaient taire retour à la nation
Ijui les avait donnés. (Voir Vering, traduction Belet, Droit canon, t. II, p. 527, n. 2).
204 ÉCHOS D ORIENT
se préoccupe de la faire comprendre aux fidèles par la prédication et
le catéchisme.
Après ces quelques explications préliminaires, destinées à prévenir
toute méprise relativement à la question que nous abordons aujour-
d'hui, nous allons interroger quelques-uns des représentants les plus
autorisés de l'histoire ecclésiastique et du droit canon, et les canons les
plus importants formulés par l'Eglise au sujet de la gestion de ses biens.
De leurs réponses il nous sera aisé de conclure quelle est la pensée de
la tradition canonique sur ce point capital du droit ecclésiastique,
oriental et occidental (i).
1. Représentants de l'histoire ecclésiastique, i. Thomassin. — Cet
auteur croit pouvoir affirmer que, pendant les cinq premiers siècles,
« l'évêque avait l'autorité souveraine sur le temporel, quoiqu'il en dût
donner connaissance à son clergé et en rendre compte au concile de
la province » (2). Thomassin poursuit : « 11 y avait des Eglises où l'on
créait un économe. En d'autres, tous les prêtres et les diacres prenaient
connaissance de l'administration du temporel (3) Semblable police
(avait lieu) dans l'Eglise latine, selon le pape saint Gélase. » (4)
Cette affirmation, le savant Oratorien la répète pour la période qui va
de l'an 500 à l'an 800 et au-delà. « En Orient comme en Occident,
dit-il, les évêques avaient (encore à cette date) la souveraineté du
temporel de leur église, dont ils se déchargeaient néanmoins en partie
sur les diacres ou sur les prêtres , sur lesquels ils veillaient et dont ils
recevaient les comptes ; ils n'étaient comptables qu'à Dieu seul ^
si ce n'est en quelques occurrences extraordinaires, dont les conciles
provinciaux prenaient connaissance. » (5)
La seule divergence que Thomassin constate entre l'Orient et l'Oc-
cident, au point de vue de l'administration des biens, c'est qu'en Orient
à partir de45 1 , cette administration ne devait être confiée par les évêques
qu'à des économes pris dans les rangs du clergé (6).
(i) Il va sans dire que l'Eglise ne songe nullement à contester le droit des laïques
sur les deux dernières catégories de biens semi-ecclésiastiques, puisqu'ils ne sont
pas des biens ecclésiastiques proprement dits. Les réclamations de l'Eglise ne portent
donc que sur les deux catégories précédentes.
(2) Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l'Eglise. Nouvelle édition revue,
corrigée et augmentée, par M'" André, t. VI, p. Sog.
(3) Op. cit., p. 509.
(4) Op. cit., p. 509.
(5) Op. cit., p. 526.
(6) Thomassin apporte à l'appui de ce qu'il avance le témoignage d'hommes d'Eglise
remarquables, tels que : saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, saint Ambroise,
saint Jean Chrysostome, saint Augustin, Théodoret de Cyr, Palladius, Gennadius,
saint Grégoire de Tours, saint Isidore de Séville. Op. cit., p. 5i5, 5ii, 519-520, 5n.
l'intervention des laïques dans la gestion des biens d'église 205
2. Hergenrœther. — Cet historien suppose comme évidente avant le
iv« siècle et après le ix®, l'autorité de l'Eglise sur les biens ecclésiastiques.
Aussi ne traite-t-il la question qui nous occupe que pour la période
qui va du iv« au ix« siècle. « L'Eglise avait (de 313 a 692) des biens
meubles etimmeubles que l'évêque administrait avec l'aide desdiacres(i),
puis des économes. » « L'évêque (de 692 à 900) conserva sa suprême
autorité sur les biens de l'Eglise. » (2)
^. Ml?»' DucHESNE. — A propos des relations de l'Eglise et de l'Etat
au IIP siècle, le prélat écrit ce qui suit : « S'il arrivait un édit de persé-
cution, ils (les empereurs) savaient où trouver l'évêque, le faisaient
arrêter, mettaient saisie sur les lieux du culte et les biens de l'Eglise.
L'édit révoqué, c'est encore à l'évêque que l'on s'adressait pour rendre
les biens confisqués. » (3) Ailleurs, l'historien parlant de l'autorité de
l'Eglise sur ces biens au iv^ siècle, écrit encore : « L'Etat reconnaissait
les évêques chefs élus des communautés comme les administrateurs de
leur temporel et leurs directeurs religieux. » (4) « Comme autrefois
encore, l'évêque, avec son personnel, administrait la fortune ecclésias-
tique Non seulement dans le culte, mais encore dans l'administra-
tion temporelle, le clergé est seul à compter. » (3)
Pour les cinq premiers siècles de l'antiquité chrétienne, à laquelle
se bornent les trois volumes parus de \' Histoire ancienne de l'Eglise,
Mp'' Duchesne est donc entièrement de l'avis de Thomassin et d'Hergen-
rœther.
4, M. A. VoGT. — Dans son étude sur Basile /«"", empereur de By^ance
(86y-886) et la civilisation byzantine à la fin du ix« siècle, M. Vogt con-
state que l'économe de la Grande Eglise, à cette époque, était nommé
par l'empereur, mais n'était pas pris parmi les laïques, et que cette
nomination par l'empereur ne dura pas : « L'économe de la Grande
Eglise était un des grands dignitaires dont la nomination était réservée
à l'empereur Souvent (6) elle était donnée à quelque haut fonction
5i8, 5i4, 519, 514, 523, 525. Plus loin (op. cit., t. VU, p. 504 et 547), il s'exprime ainsi :
« Les évêques (d'Occident et d'Orient) avaient encore la dispensation universelle du
bien de l'Eglise au xi" siècle. Le droit des décrétales, survenu après , a beaucoup
diminué (en Occident) le pouvoir des évêques Zonare dit qu' (Isaac Comnène}
rendit au patriarche la liberté de créer lui-même le grand économe de son Eglise, car
les empereurs précédents avaient usurpé ce droit. »
(i) Hergenrœther, Histoire de l'Eglise, trad. franc,, t. II, p. 448.
(2) Op. cit., t. m, p. 3oS.
(3) Duchesne, Histoire ancienne de l'Eglise, t. I", p. 387.
(4) Op. cit., t. II, p. 658.
(5) Op. cit., t. m, p. 21 (fin du iv" et durée du v" siècle).
(6) Le mot souvent est, selon nous, exagéré.
2o6 ÉCHOS d'orient
naire qu'on avait obligé à entrer au couvent, et qu'on récompensait
de cette façon Ce ne fut que plus tard, sous les Comnènes, que l'em-
pereur donna (i) au patriarche le droit de nommer l'économe. » (2)
5. Msf Louis Petit. — Dans l'introduction aux Règlements généraux
de V Eglise orthodoxe de Turquie (5), W"^ L. Petit, racontant la lutte
acharnée engagée entre les laïques et les représentants du gérontisme (4),
ne manque pas de signaler à ce propos qu'en prétendant vouloir inter-
venir dans les affaires ecclésiastiques, les laïques commettaient une
innovation : « Les laïques n'étaient pas moins jaloux de s'immiscer
dans les affaires ecclésiastiques, placées jusque-là en dehors de leur
contrôle. »
6. R. P. S. Vailhé. — Dans son article sur l'Eglise de Constantin
nople, publié dans le Dictionnaire de théologie catholique de MM. Vacant-
Mangenot, le R. P. Vailhé ne signale pas de modification essentielle
à la loi canonique concernant l'économe de la Grande Eglise avant le
xvup siècle : « Le premier essai que l'histoire ait enregistré de l'immix-
tion directe des laïques dans le gouvernement de l'Eglise œcuménique
remonte au patriarche Samuel (1763- 1768), qui confia à quatre notables
l'administration des revenus de la nation. Cette Commission d'épitropes
ne semble pas avoir donné de grands résultats. Un nouvel essai fut
tenté en 1847 par le gouvernement turc, qui voulut adjoindre au saint
synode trois membres laïques;' il dut reculer devant la résistance éner-
gique des synodiques. Enfin, dès 1856 s'engageait une lutte violente
«ntre l'élément ecclésiastique et l'élément laïque de la nation grecque,
lutte qui se termina le 27 février 1862 par l'organisation du Conseil
mixte. » (5)
Plus haut, le R. P. Vailhé fait observer que le synode se montra assez
longtemps rebelle aux règlements généraux, auxquels le gouvernement
voulait soumettre la communauté orthodoxe non seulement en matière
financière, mais encore en matière disciplinaire : « Comme le synode
se montrait rebelle et cherchait par son inaction à éviter une loi qu'il
qualifiait de révolutionnaire, le grand vizir l'invita à s'exécuter Cette
ingérence directe du pouvoir fut le signal de violentes protestations
(i) Le terme rendit répondrait mieux à la vérité historique.
(2) A. VoGT, Basile I", empereur de Byz^ance (867-886). Paris, 1908, p. 267-268.
(3) Revue de l'Orient chrétien, t. III (1898), p. 4o3.
{4) Coutume qui consistait en ce que, depuis 1741, le nouveau patriarche de Constan-
tinople ne pouvait obtenir la sanction du gouvernement ottoman à moins de présenter
un certificat de bonne conduite signé des cinq métropolites (yépovrsç) d'Héraclée, de
Cyzique, de Nicomédie, de Nicée, de Chalcédoine {op. cit., ibid.).
(5) Op. cit., col. 1471-1472.
l'intervention des laïques dans la gestion des biens d EGLISE 207
au sein de la communauté grecque ; bon gré mal gré il fallut pour-
tant s'exécuter. » (i)
II. Les représentants du droit canon, i. Mg'" Milasch (2). — Le docte
canoniste orthodoxe avoue que les lois canoniques anciennes ne font
pas mention de la participation des laïques à la gestion des biens ecclé-
siastiques : « Toutefois, ajoute-t-il, dès les temps apostoliques, des
hommes pieux et zélés (vspovre-;) (3) reçurent de l'autorité ecclésiastique
la charge de distribuer les aumônes et de l'informer des nécessités
matérielles de la communauté Ce fait explique l'origine des épitro-
pies paroissiales. Après la chute de l'empire byzantin, les laïques
reçurent la mission d'aider la hiérarchie, et leur intervention prit alors
■de plus amples proportions. » (4)
La pensée du docte canoniste est transparente. Il n'admet sûrement
pas que les biens d'Eglise soient appelés biens de la nation, entendue
au sens de communauté civile, ni que les laïques, relativement à ces
biens, soient propriétaires ou même simplement administrateurs indé-
pendants de l'autorité ecclésiastique (5).
A son avis, la propriété et l'administration de ces biens appartiennent
à chaque Eglise locale (6).
Tel est le jugement de l'évêque dalmate touchant le droit des laïques
à gérer les biens ecclésiastiques d'après la tradition. Quant à la part
considérable et parfois prépondérante qui leur est accordée en fait
comme un droit dans le plus grand nombre des Eglises orientales, il la
condamne absolument, au moins telle qu'elle se pratique à Constanti-
nople, à Carlowitz, à Hermannstadt et en Bulgarie (7), « Les Conseils
mixtes de ces Eglises, dit le docte auteur, ne sont pas conformes aux
règles canoniques et bien que le Conseil mixte de Constantinople
ne puisse être regardé comme le modèle que les Conseils mixtes des
Eglises mentionnées se seraient contentées de reproduire...., cepen-
(i) Op. cit., col. 1468»
(2) Ancien Evêque orthodoxe de Zara, en Dalmatie.
(3) Comparer ce terme avec ceux de Spoudœi et de Philopones, et voir au sujet de
■ces derniers les articles du R. P. S. Pètridès, dans les Echos d'Orient, t. IV, 1901,
p. 225-23 1, et t. VII, 1934, p. 341-348. Voir aussi un article du R. P. Vailhé, qui com-
^îlète les précédents, dans Echos d'Orient, t. XIV, 1911, p. 277-278.
(4> M.il.>lS,ch, Dus Kirchenrecht der Morgenlœndischen Kirche, traduction allemande
du docteur A. Pessic, p. 226-227.
(5) Op. cit., p. 520.
{6) Op. cit., p. 521.
(7) En fait,^ le Conseil mixte de l'Eglise bulgare prévu par l'article 8 du règlement
■de 1870 ne s'est plus réuni depuis 1878. « En l'absence du Conseil (mixte), les fonctions
•en sont assumées directement par l'Exarque. » Voir Van den Steen de Jehay, Situation
dégale des sujets ottomans non musulmans. Bruxelles, 1906, p. 164. Pour la question
de droit, voir plus haut, p. i, note 2.
208 ÉCHOS d'orient
dant (même tels qu'ils existent dans ces Eglises), ils sont opposés ai
fondements mêmes du droit ecclésiastique oriental. » (i)
D'autres canonistes orthodoxes, tels que Sakellaropoulos et Apos-
TOLOS Christodoulou, professent une doctrine analogue. A leurs yeux,
les droits de fait reconnus aux laïques relativement à l'administration
des biens d'Eglise n'est qu'une concession forcée arrachée à l'Eglise.
2. M. Sakellaropoulos croit que les biens ecclésiastiques sont la
propriété des lieux saints, mais que leurs représentants canoniques
sont, « sous l'autorité de l'évêque, les économes et les épitropies
locales » (2). Après la période apostolique, c'est aux évêques qu'appar-
tenait d'abord l'administration immédiate des biens d'Eglise (3). Plus,
tard, malgré l'institution des économes, l'autorité et le droit de con-
trôle supérieurs furent reconnus comme « une prérogative de
l'évêque » (4). « En Grèce, écrit en terminant l'éminent canoniste,
l'administration ecclésiastique est toute différente de l'administration
traditionnelle. Nous ne voyons nulle part dans (la tradition et) les docu-
ments anciens que les laïques prissent part à la gestion des biens ecclé-
siastiques. La modification (profonde) que le droit canon a subie sur ce
point provient, à mon avis, des relations de l'Eglise et de l'Etat, qui,
réellement, a dépassé les limites de son droit, en évinçant presque com-
plètement l'Eglise de l'administration des biens » dont nous parlons (5).
Cette observation « s'applique également au patriarcat de Constanti-
nople, avec cette différence, que les Conseils ecclésiastiques sont soumis
à la surveillance de l'évêque » (6).
3. Mg'' Christodoulou (7) n'hésite pas non plus à reconnaître que,
« d'après la tradition primitive, les revenus de l'Eglise appartiennent
à l'évêque » (8). 11 ajoute que, dans la suite, les revenus provenant des
(1) Op. cit., p. 347-348.
(2) Sakellaropoulos, 'Ey.xXr,ffiaaTtxov St'xatov. Athènes, 1898, p. SSj.
(3) Op. cit., p. 369-372. Aujourd'hui, d'après la récente loi de 191 1, les Conseils
ecclésiastiques locaux se composent (en Grèce) du maire, du 'Curé, et de deux, trois
ou quatre notables nommés par la commune. Op. cit., p. 372. La loi nouvelle statue
que l'épitropie sera élue par les paroissiens et que la gestion financière sera tous
les ans soumise au contrôle d'une commission nommée également par la paroisse.
No'iT Roma e l'Oriente 25 janvier 1912, p. 197-198.
(4) Op. cit., p. 372.
(5) Op. cit., p. 372,
(6) Sans doute. « Toutefois, dit le R. P. Vailhé, il n'existe pas pour (les) assemblée
provinciales de règlement uniforme Chaque métropole doit s'en tenir aux tradition
locales. » Op. cit., col. 1473. D'ailleurs, en serait-il ainsi et les Conseils ecclésiastique
seraient-ils partout uniformément soumis à la surveillance de l'évêque, qu il impôt
tarait de se souvenir de la dépendance étroite de celui-ci à l'égard du Conseil mixte
de Constantinople. Op. cit., col. 1472-1473.
(7) Métropolite de Serrés.
(8) Aox{[Aiov lxjt>>r|(rta(7T(xoC Stxatoù. Constantinople, 1896, p. 477.
,' INTERVENTION DES LAÏQUES DANS LA GESTION DES BIENS d'ÉGLISE 209
)iens ecclésiastiques furent divisés en trois ou quatre parts, mais il ne
uppose même pas que l'on puisse douter du droit de l'Eglise concernant
a gestion de ces biens.
4. Les CANONisTES RUSSES. — L'opinion traditionnelle de Milasch,
>ake.llaropoulos, Christodoulou est partagée par les. canonistes russes
>troumov, Berdnikov, etc. Malheureusement, en Russie, le laïcisme
)rotestant compte un certain nombre de partisans (i).
5. Les CANONISTES CATHOLIQUES. — Parmi les canonistes catholiques
lont les idées traditionnelles sont connues, nous ne citerons que
vlgr TiLLOY (2) et Vering (3), qui exposent d'une manière claire et simple
a question de la gestion des biens d'Eglise et celle des Fabriques (4)
)réposées à l'administration des biens d'Eglise.
« Par le mot Fabrique, dit M^'' Tili.oy, on entend deux choses : 1° le
:orps des administrateurs chargés de régir les biens et les revenus d'une
îglise, succursale, cure, cathédrale ou chapelle vicariale; a» les biens et
es revenus de cette église.
11 est difficile de fixer l'époque précise à laquelle les Fabriques ont pris
jne forme régulière. Dans les premiers siècles, l'évêque administrait
îeul les biens qui étaient offerts par la piété des fidèles L'évêque
iyant ensuite permis de fonder de nouvelles églises dans la ville épis-
;opale et dans les campagnes, il demeura toujours le maître de ce qui
j'y offrait, parce que ces nouvelles paroisses étant comme d.^s démem-
brements de sa cathédrale, il y conservait les mêmes droits que dans
:elle-ci. L'archidiacre, l'archiprêtre, et même le curé (5) avaient quelque-
fois, sous l'inspection de l'évêque, l'intendance de la Fabrique. Les
Constitutions du vi^ siècle nous offrent plusieurs exemples de ces
livers genres d'administration. Au vif siècle, les conciles (6) donnent
(i) Cf. A. Palmieri. O. s. A., La Chiesa russa. Florence, 1908, p. 2o3-3ii.
(2) A. TiLLOY, Manuel théorique et pratique du droit canonique. Paris, 1897, t. II,
207-209.
(3) Vering, DroîV canon, traduction Belet, t. II, p. 543-544. Le Dictionnaire de droit
ànon de M'' André fait un exposé analogue à celui de Vering et de Tilloy. Il con-
ient en appendice les diverses décisions de l'autorité civile française, relatives aux
'abriques, de 1809 à 1893 exclusivement. Le manuel de Tilloy contient aussi ces
[ocuments, mais jusqu'en 1893 inclusivement. VAmi du Clergé (t. XV, 1893, p. 309, sq.>
ésume d'une manière complète l'histoire contemporaine des Fabriques, et apprécie
u point de vue canonique les lois et décrets que les divers gouvernements français
>nt édictés à leur sujet. D'autres auteurs sérieux," qui se sont occupés de la question
le l'intervention laïque en semblable matière, sont unanimes dans leur appréciation.
(4) Que l'Orient ecclésiastique appelle Conseils ecclésiastiques. Conseils mixtes,
pitropies paroissiales, etc.
(5) En Occident. En Orient, les biens d'Eglise, depuis le concile de Chalcédoine jus-
[u'au patriarche Samuel, furent toujours confiés à des économes, qui furent presque
DUS des ecclésiastiques. Voir Thom.\ssin, op. cit., t. VI, p. 547.
(6) Occidentaux.
Echos d'Orient, t. XV. .14
2IO ECHOS D ORIENT
des économes aux églises. La gestion des économes était Soumise aux
ordres et à la surveillance du premier pasteur. Plus tard, les évêques (i)
se déchargèrent de cette administration générale des biens ecclésias-
tiques, et les conciles la firent passer dans la dépendance du clergé,
de l'archidiacre et de l'économe, mais toujours sous le contrôle de
révêque. Les monuments de l'histoire ecclésiastique concourent à éta-
blir que, pendant les quatorze premiers siècles, les biens de l'Eglise ont
été entre les mains des ecclésiastiques, qui les administraient exclusi-
vement. A la vérité, dès le xii« et le xiiF siècle, il est question des
matriculaires ou marguilliers, mais ce n'étaient encore que des servi-
teurs d'église qui servaient d'aides aux curés dans l'administration des
revenus paroissiaux.
En général, les conciles (2) du xv« siècle permettent de confier la
gestion des biens d'Eglise à des laïques, mais ils y mettent pour con-
dition que ce ne sera pas sans le consentement de l'évêque, et que ces
laïques lui rendront compte, ainsi qu'à l'archidiacre, lorsque celui-ci
fera sa visite
Les canons exigent de plus que l'administration des biens de l'Eglise
ne soit pas confiée à des laïques seuls, mais que le curé ait la part
principale dans l'administration On ne trouve, dans l'antiquité,
aucun vestige d'une administration confiée à des laïques au nom de la
puissance séculière. Cet abus ne se produisit en France que quand le
pouvoir fit invasion en cette matière, comme en tant d'autres, sur la
juridiction de l'Eglise.
Ainsi le décret de 1809, sur l'organisation des Fabriques en France,
est un empiétement manifeste sur le domaine ecclésiastique.
Depuis dix ans, le pouvoir civil a commis de nouveaux empié-
tements sur l'administration des Fabriques. La loi municipale de 1884
a dépouillé celles-ci à peu près complètement de leur droit de recours
à la commune. Plus récemment, une loi de finances (3) les a soumises
aux règles de la comptabilité des établissements publics, et un décret du
27 mars 1 893 détermine les conditions d'application de cette mesure» (4).
Vering s'explique comme il suit sur la même question de l'adminis-
(i) D'Occident.
(2) D'Occident. ,
(3) Fin 1892.
. (4) Qp. cit., pages indiquées. Dépouillée du traitement qui était l'acquittement d'ui;
dette contractée à son égard, dépouillée également de la propriété des édifices re'
gieux et autres, et même souvent de leur simple usage, l'Eglise de France peut,
vertu du droit commun individuel, acquérir et administrer par elle-même ou
intermédiaires choisis par elle, le denier du culte et d'autres biens dus à la char
des fidèles.
l'intervention des laïques dans la gestion des biens D EGLISE 21 t
tration des biens ecclésiastiques et des Fabriques : « Dans les premiers
temps de l'Eglise, les apôtres faisaient administrer les biens ecclésias-
tiques par des diacres. Depuis le iii^ siècle, les évêques (i) en con-
fièrent le soin à des économes particuliers. Perfdant toute la durée des
dix premiers siècles, les biens de chaque diocèse demeurèrent concentrés»
dans les mains de l'évêque. (2)
Quand les clercs cessèrent de vivre en commun, depuis le xii^ siècle
surtout, on commença d'assigner à chaque église particulière une por-
tion distincte des revenus de l'Eglise, consistant en biens fonds et
autres ressources
Dans la suite (3), l'administration des Fabriques fut confiée, dans les
églises cathédrales et collégiales, au Chapitre; dans les églises des reli-
gieux et des confréries, à la confrérie; dans les églises paroissiales, au
curé ou au bénéficier, quel qu'il fût (4).
Les actes de fondation peuvent également établir des droits d'inspec-
tion plus ou moins étendus, par exemple en faveur du patron.
11 se peut aussi que les paroissiens exercent un droit de surveillance,
et qu'ils aient voix délibérative dans l'administration de la Fabrique,
soit parce que la commune a doté l'église, soit en vertu de la coutume,
soit parce qu'ils sont obligés de subvenir à l'impuissance de l'église (5).
Ainsi on adjoint ordinairement au curé un certain nombre de membres
de la paroisse qui se nomme Conseil paroissial , fabriciens. Ils sont
tantôt nommés par !a commune, tantôt établis par le curé Quelque-
fois aussi les concordats ou les lois du pays (6), accordent au gouver-
nement un droit de co-inspection. » (7)
(i) Surtout en Orient.
(2) Qui les divisait en trois, et le plus souvent en quatre parts : la quarta episcopi,
a quarta cleri, la quarta fabricœ (pour l'entretiea des édifices du cuite), la quarta
ffouperum.
(3) Après le concile de Trente.
(4) En principe, les laïques devaient être exclus.
{b) Dans les trois cas signalés, Vering suppose que le consentement explicite ou
mplicite de l'Eglise est requis.
(6) Ces lois sont abusives, si elles sont promulguées malgré la volonté de l'Eglise.
j Dans les pays de concordats, l'Eglise, forcée par les circonstances, a concédé à l'Ittat
an certain droit sur l'acquisition et l'administration de ses biens. Ailleurs, ou elle est
presque complètement libre, comme en Angleterre et aux Etats-Unis, ou elle subit
plus ou moins un régime d'exception, comme en France, au Brésil, au Mexique, à
'Equateur, en Suisse et en plusieurs pays d'Allemagne. En Russie et en Portugal, ce
légime d'exception confine à la tyrannie. Dans les pays balkaniques et en Grèce, elle est
joumise au contrôle de l'Etat, mais elle a la personnalité juridique et jouit d'un • liberté
lelative pour l'administration de ses biens. En Turquie, grâce aux bérats ou aux
\apitulations, elle possède et administre librement ces mêmes biens. En tout cas. à l'ex-
eption des Arméniens catholiques, les simples fidèles ne revendiquent nulle part le
roit de participer à la gestion des biens d'Eglise.
(7) Op. cit., page signalée plus haut. Bèwérdge, dans son SynodikQn, t. II, p. i23 sq.
2 12 ÉCHOS D ORIENT
III. Les canons des apôtres et des conciles particuliers ou généraux. —
L'accord des historiens et des canonistes compétents que nous avons
cités concernant l'intervention des laïques dans la gestion des biens
d'Eglise s'explique en grande partie par l'existence de documents con-
tenant une législation canonique formelle à cet égard. Les canons les
plus importants sont ceux des apôtres, des conciles particuliers d'An-
tioche, de Gangres, de Carthage, les conciles généraux de Chalcédoine
et le deuxième de Nicée(i). Nous les transcrivons ici sans commentaire
et tels que les donne Héfélé.
/. Canon des apôtres. Canon ^9. — « Omnium negotiorum curam epp.
copus habeat et ea velut Deo contemplante dispenset; nec liceat ei ex bis ali-
quid omnino contingere aut parentihus propriis qucc Dei sunt, condonare.
Quod si pauperes sunt, tamquam pauperibus subministret, nec eorum occa-
sione Ecclesiœ ne^otia deprœdetur. » (2)
Canon 40. — « Presbyteri et diaconi prœter episcopum nihil agere per-
tentent, nam Domini populus ipsi commissus est et pro animabus eorum hic
redditurus est rationem. » (3)
Canon 41. — << Prœcipimus, ut in potestate sua episcopus Ecclesiœ res
habeat. Si enim animce hominum pretiosce illi crédit ce sunt, multo magis
oportet eum curam pecuniarum gerere, ita ut potestate ej'us indigentibus
omnia dispensentur per presbyteros et diaconos, et cum timoré omnique solli-
citudine ministrentur. » (4)
2. Concile d'Antioche (341). Canon 24. — « Les biens de l'Eglise
doivent être administrés avec vigilance et conscience, sans oublier que
Dieu voit et juge tout. On doit les administrer sous la surveillance et
l'autorité de l'évêque, à qui sont confiés les intérêts de tout le peuple
et ceux des âmes des fidèles. Les prêtres et les diacres qui entourent
l'évêque doivent savoir exactement ce qui appartient à l'Eglise; on ne
leur doit rien cacher sur ce point, car, l'évêque venant à mourir, ils
pourront de cette manière connaître le véritable état des choses. Rien
ne sera perdu, et la fortune de Tévêque ne sera pas non plus entamée,
sous prétexte qu'une partie de cette fortune est à l'Eglise » (3)
Canon 2^: — « L'évêque peut disposer des biens de l'Eglise, il peut
les employer avec discernement et crainte de Dieu pour les diverses
re^_
i
et Van Espen, dans son Comment, in canones et décréta veteris juris, sont de l'avis
des canonistes cités par nous,
(i) Année 787.
(2) Histoire des conciles, par Héfélé, trad. Goschler-Delarc, Paris, 1869, t- I", p. 629.
(3) Op. cit., t. I", p. 63o.
(4) Op. cit., t. I", p. 63i.
(5) Op, cit., t. I", p. 5,2.
l'intervention des laïques dans la gestion des biens d église 213
dépenses qu'il a à faire. Il ne prendra pour lui, s'il en a besoin, que
ce qui est nécessaire pour son entretien et pour celui des frères qui
reçoivent l'hospitalité chez lui; il aura soin que rien ne leur manque
Quant à celui qui ne se contente pas de cette part , celui-là devra
rendre compte de l'emploi de ces revenus devant le synode des évêques
de l'éparchie (province) (En ce cas), le synode sera tenu de pro-
céder à une enquête sur ce qui s'est passé et à décider ce qu'il sera
convenable de faire. » (i)
3. Concile de Gangres (vers 350). Canon 7. — « Si quelqu'un veut
garder pour lui les fruits offerts à l'Eglise, ou bien s'il veut les donner
sans l'assentiment de l'évêque ou de son fondé de pouvoir, en dehors
de l'Eglise (c'est-à-dire à ceux qui ne sont pas employés au service de
l'Eglise), et s'il veut agir sans son consentement (sans celui de l'évêque),
qu'il soit anathème, » (2)
Canon 8. — « Si quelqu'un donne ou prend pour lui, sans l'assen-
timent de l'évêque ou de celui qui est chargé de l'administration des
dons provenant de la libéralité, une semblable oblation de fruits, celui
qui donne ou celui qui reçoit seront également frappés d'anathème. »(3)
4. Concile de Carthage {41S). Canon 41 . — « Le prêtre ne peut aliéner
les biens d'Eglise sans le consentement de l'évêque. » (4)
5. Concile de Chalcédoine (451). Canon 26. — « Comme nous avons
appris que, dans quelques Eglises, les évêques administrent sans aucun
économe les biens ecclésiastiques, le synode a décidé que toute Eglise
qui a un évêque eût aussi un économe pris dans le clergé de cette
Eglise, lequel aura à administrer les biens de l'Eglise après que son
évêque l'en aura chargé; afin que l'administration de l'Eglise ne soit pas
sans contrôle, et par là même afin que les biens ecclésiastiques ne
soient pas dissipés et que la dignité des clercs soit à l'abri de toute
atteinte. » (3)
6. Deuxième Concile de Nicée (787). Canon 11. — « Conformément
aux anciennes ordonnances, il doit y avoir un économe dans chaque
Eglise. Si un métropolitain n'observe pas cette règle, le patriarche de
Constantinople pourra établir lui-même (6) un économe pour l'Eglise
de ce métropolitain. Le métropolitain a le même droit vis-à-vis des
(i) Op. cit., t. I", p. 5i2-5i3.
(2) Op. cit., t. II, p. 175.
(3) Op. cit., t. II, p. 175.
(4) ScHAGUNA, Compendium des Kanonischen Rechtes, traduit du roumain par Senk.
Hermannstadt, 1868, p. 337.
(5) HÉFÉLÉ, op. cit., t. IV, p. 12a.
(6) En Orient.
214 ÉCHOS D ORIENT
évêques. La même ordonnance devra être observée vis-à-vis des cou-^
vents. » (i)
* *
Deux conclusions se dégagent des lignes qui précèdent. La principj
est que, selon les historiens, les canonistes compétents et les légi
lateurs ecclésiastiques, les laïques ne sont pas autorisés à revendiqi
comme un droit leur intervention dans la gestion des biens d'Eglise"
proprement dits, c'est-à-dire des biens donnés à l'Eglise au point de
vue de la propriété. Cette intervention, très utile en beaucoup de cas,
peut être consultative et nullement délibérative, à moins de concession
consentie par l'Eglise. Par suite, les laïques sont ou étaient dans leur
tort lorsqu'ils réclamaient ou réclament un droit inexistant sur les biens
ecclésiastiques.
Une autre conclusion s'impose. C'est que, lorsque les circonstances
ne forcent pas l'Eglise catholique à subir les exigences abusives des
laïques, particuliers ou gouvernants, elle ne peut pas accepter leurs
prétentions; et, si le malheur des temps l'oblige à céder, elle le fait en
réservant son droit, qu'elle reprend aussitôt que les circonstances se
modifient.
La même conclusion s'applique aux Eglises séparées. Officiellement,
dks reconnaissent leurs droits traditionnels sur les biens ecclésiastiques,
mais, en fait, plus de la moitié d'entre elles se sont résignées trop faci-
lement, selon nous, à subir l'immixtion des laïques en matière bénéficiale.
A. Catoire.
Constantinople.
'(i) HÉFÉLÉ, op. cit., t. IV, p. 375.
LA VIE ET LES ŒUVRES
D'EUTHYME ZIGABÉNE
Comme beaucoup d'autres noms, les Euthymes abondent dans
l'histoire de l'Eglise byzantine. On en compte au moins sept ayant vécu
entre le x^ et le xii« siècle. C'est d'abord Euthyme 1er, patriarche de Con-
stantinople de 907 à 912; puis Euthyme, évêque de Madyta, au x^ siècle,
honoré comme saint; un métropolite d'Ephèse et un patriarche de
Jérusalem, au xp siècle; Euthyme Tornikès, abbé du couvent des Ibères,
mort en 1028; Euthyme Zigabène ou Zigadène (i), contemporain
d'Alexis Comnène (1081-1118); Euthyme Malakès, métropolite de
Nouvelle-Patras, qui vivait sur la fin du xn« siècle. G. Ficker en a
récemment trouvé un autre, un moine du couvent de la Pèribleptos,
à Constantinople, né en Phrygie, dans le diocèse d'Acmonia, sur la
fin du xe siècle ou au commencement du xi" (2). Ce moine écrivit plusieurs
traités contre l'hérésie naissante des Bogomiles, qu'il appelle aussi
Phoundagiagites. L'un de ces traités, composé sous forme de lettre,
\ été édité par Ficker (3). D'après les données historiques qu'il ren-
ferme, on peut le dater du milieu du xp siècle.
Avant la publication de Ficker, on connaissait de ce document quelques
îxtraits tirés du Cod. Vatic. grcec. 840, et comme on savait par ailleurs
qu'Euthyme Zigabène avait bataillé contre les Bogomiles, on lui avait
:out naturellement attribué cette Invective, qui portait le titre suivant :
î)u6up.îou jxovayoû toG à-rcô ttIç ae^ao-jAiai; (Jiovfii; t^ç n£pi.,3X£7rroi» (TuyYpaip-Ài
rTY,ÀsuTurj Triç tôjv àOiwv xal ào-ej^wv alpsTLxwv twv Xeyoïxévcjv <I>ouvSa-
fia-rôiv alpé(T£(o<; (4), C'est seulement sur ce titre qu'est basée l'opinion
:ourante, qui fait de Zigabène un moine du couvent de la Pèribleptos {^).
(i) Les manuscrits portent plus souvent ZtYa8r,v(5î ou ZuyaSrivoi; que Ztyajîvivdi:.
(2) G. Ficker, Die Phoundagiagiten, ein Beitrag ^ur Ketaiergeschichte des byf^ari'
inischen Mittelalters. Leipzig, 1908. Voir ma recensioa de cet ouvrage dans les Echos
"Orient, t. XII (1909), p. 257-263.
(3) Ibid., p. 1-86.
(4) P. G., t. CXXXL coL 47. Le titre donné par le Cod. Vindob. theol. grœc. Soj
iffére un peu de celui du Cod. Vatic. : 'ETtioToXïj 'Eù9u|jifou [iova/oO ttji; TrsptpXéitTou
ovfji;, o-TaXeiffa inh KwvoxavTivouTrdXeu); xr^z &lpr\\Lévrii [lov^ji; Trpbî Tr|V aùtoû îtarpiSa, <rxr\ki-
îijo-jffa xà; aipéasi; twv àôewTdtTojv xal «(Ts^wv «Xavûiv twv ts <&ouv6aYtaiftT(3v rjxoi ^oyo-
iltav xal MaadaXtavôiv XsYojt^vwv, etc. Ficker, p. 3.
(5) Ficker, p. 189.
2l6 ÉCHOS d'orient
Or, Ficker a montré par de très bonnes raisons qu'il est impossible
d'identifier le moine de la Péribleptos, auteur de Vînvective contre les
Phounâagiates ou Phoundagiagites, avec le Zigabène qui travaillait sous
Alexis Comnène. Ce dernier, sans doute, était moine lui aussi, mais les
en-têtes des manuscrits qui contiennent ses œuvres authentiques ne
disent point, autant que j'ai pu m'en rendre compte, qu'il appartenait
au couvent de la Péribleptos, et ils portent habituellement le nom de
Zigabène accolé à celui de « moine Euthyme ».
Ce n'est pas là, du reste, la seule indication qui empêche d'identifier
nos deux Euthymes, Le moine de la Péribleptos vint un jour à Acmonia
avec sa mère, sous le règne des empereurs Basile II et Constantin IX
(976-1025). Il est tout à fait invraisemblable que le même ait pu être
invité par l'empereur Alexis Comnène, vers 11 10, ou tout au moins
après 1092 (1), à composer une Panoplie dogmatique contre toutes les
hérésies. Le moine aurait été bien vieux pour une telle besogne, et il y
a tout à parier qu'il était déjà mort (2). Si l'on veut bien, d'ailleurs,
com'pdixe.v -Vînvective contre les Phoundagiagites avec V Exposé de l'hérésie
des Bogomiles, qui constitue le titre XXVII de la. Panoplie dogmatique de
Zigabène, on remarquera, à côté de très nombreuses ressemblances,
des divergences de détails telles que les deux écrits peuvent difficilement
venir de la même plume. Ainsi une interprétation du texte de l'Evangile
de saint Matthieu (vi, 6): Tu autem cum oraveris, intra in cubiculum
tuum, donnée comme orthodoxe par le moine de la Péribleptos, est mise
par Zigabène sur le compte des hérétiques.
Euthyme Zigabène n'est donc point l'auteur de l'Invective contre les
Phoundagiagites ou Bogomiles, mais il est fort probable qu'il a connu
cette pièce. Le début du titre XXVII de la Panoplie semble l'insinuer:
« L'hérésie des Bogomiles, dit Zigabène, a pris naissance peu de temps
avant notre génération. C'est un rameau de la secte massalienne. » {})
La Lettre du moine de la Péribleptos nous renseigne précisément sur les
origines du bogomilisme. Celui-ci a d'abord paru en Phrygie, le pays
classique des hérésies bizarres, au commencement du xp siècle. Son
fondateur a été un certain Jean Tzourillas. Ses adeptes ont reçu le nom
de Phoundagiagites dans le thème d'Opsikion (nord-ouest de l'Asie
Mineure), et celui de Bogomiles dans le thème des Kibyrrhaiotes (sud-
(i) C'est-à-dire après le couronnement de Jean Comnène. On le sait par les accl»«
mations d'un concile tenu contre les Bogomiles, dont il est parlé plus loin.
(2) Ce moine aurait eu, au minimum, quatre-vingt-dix ans.
(3) H Twv BoyofAÎXwv ai'pgdt; où Ttpb TtoXXoû (TUviaTYi xriç xa9'r||i.àç -^z-izÔLti, [iépo; oyixa fiiî
Twv MaffdaXtavwv. P. G., t. CXXX, col. 1289 D. '
LA VIE ET LES ŒUVRES D EUTHYME ZIGABÈNE 217
)uest de l'Asie Mineure), en Occident (presqu'île balkanique) et en
i'autres lieux (i).
Un autre indice que Zigabène a eu entre les mains l'écrit de son
lomonyme de la Péribleptos se tire de la Réfutation de l'hérésie des Massa-
iens et des Phuundaïtes ou Bogomiles : sAsyyoi; xal BpîajAjSoç vr^ç [^ AaTcpr] ii.o'j
:al 7T:o)vU£t.ôoù; alosTcW? twv àOicov MaTTa)aavwv xal twv <ï>ouvôaiTcôv xal
ioyojJL'lXtov xaXoufJiévwv xal Eùy^aôiv xal 'EvOoua-tacrTtôv xal 'EyxpaTTjTwv xal
lapxitovwTwv (2). Ce document est étroitement apparenté à l'Invective
outre les Phoundagiagites (}). 11 comprend un prologue, quatorze anathé-
natismes et df;s acclamations aux empereurs et au patriarche œcumé-
îique. C'est dire qu'il s'agit des actes d'un concile tenu à Constan-
inople contre les Bogomiles sous Alexis et Jean Comnène, après qu'on
:ut découvert l'existence de la secte et que son chef, le médecin Basile,
tut été condamné aux flammes. A ce concile, Zigabène dut certaine-
nent assister, et il y a grande probabilité à ce qu'il ait rédigé les anathé-
natismes, que l'assemblée fit siens. Aussi les lui a-t-on attribués (4). Si
;ela est, Zigabène a connu et utilisé l'œuvre du moine de la Péribleptos.
Mais Zigabène lui-même n'était-il pas moine de ce couvent de la Péri-
>leptos, que l'empereur romain Argyre (1028-10,4) fonda (ou restaura?)
lans le quartier de Psammathia.^ Comme nous l'avons déjà dit, on n'en
ait rien. Les seuls renseignements biographiques qu'on possède sur
;on compte sont fournis par Anne Comnène, qui nous le présente
;omme un moine lettré, très versé dans la grammaire, la rhétorique et
a théologie (5). En faveur auprès de l'aïeule d'Anne Comnène, il se vit
;onfier par l'empereur Alexis Comnène (1081-1118) le soin de com-
)0ser un ouvrage contre toutes les hérésies. Ce fut la Panoplie dogma-
ique, Tzy.-'/OTz) loL ooyjji.aTuri (6).
(i) FicKER, p. 62, ligne 11.
(2) Cette pièce, publiée par Jacques Tollius, Insignia itinerarii italici. Utrecht, 1696,
I. io6-i25, est reproduite dans Migne, P. G., loc. cit., col. 40-48. Des additions inté-
essantes, se rapportant à la manière de recevoir dans l'Eglise les Bogomiles convertis,
nt été publiées par Thalloczy en traduction allemande, d'après le Cod. theolog. grœc.
Yindob. 3o6, Beitrœge :{ur Kenntnis der Bogomilenlehre, dans Vissenschaflliche
\4itteilungen aus Bosnien und der HerT^egovina. Vienne, iSgS. Ficker, p. 172-175,
jonne le texte grec de ces additions.
(3) Ficker, p. 190.
(4) Remarquons que cette attribution n'est fondée que sur une probabilité.
(5) rpa(i[iaTi-/tïii; 8à et; axpov à),r)Xax6ra xal pirjToptxï); oùx à|xe).éTY|Tov ovta, xal tô S^yt^*
î oùx a/lo; Tiç âm(TT3([j.îvov. Annce Comnenœ Alexiadis, 1. XV. P. G., t. CXXXI,
ol. 1176 B C.
(6) L'édition princeps du texte original parut à Tergovist en 1710, par les soins du
iéromoine Métrophane Grégoras. Migne la reproduit, P. G., t. CXXX, avec la tra-
uction latine de François Zinus, publiée à Venise, i555. Bien que retouchée par les
diteurs de la patrologie, cette traduction laisse encore bien à désirer. J'ai remarqué
2l8 ÉCHOS D ORIENT
Zigabène fut aidé dans son travail par Jean Fournès (i). Il divisa son
ouvrage en vingt-huit titres ou chapitres, tW^oi, de longueur fort iné-
gale. Un prologue contient l'éloge d'Alexis Comnène et nous fait con-
naître l'occasion, le but et le caractère de cette Panoplie, qui doit fournir
les meilleures armes forgées par les saints Pères contre toutes les
hérésies. Jusqu'au titre XXlll, ce n'est qu'une enfilade de textes patris-
tiques empruntés à saint Athanase, aux trois Cappadociens, à saint Jean
Chrysostome,' à saint Cyrille d'Alexandrie, au pseudo-Denys, aux deux
Léonces de Byzance et de Chypre, à saint Maxime le Confesseur, à Anas-
tase le Sinaïte et à saint Jean Damascène. Les anténicéens et les latins
sont ignorés. Après avoir dit un mot, dans le prologue, de l'athéisme
d'Epicure et du polythéisme grec, peut-être pour rappeler à- Michel
Psellos et à son école que tout n'est pas à admirer dans les anciens
philosophes, l'auteur fait exposer par les Pères les dogmes de l'unité
divine, de la trinité des personnes, de la création et de l'IncarnatioR
(titres 1-Vll). 11 dresse ensuite ses batteries contre les Juifs, Simon le
Magicien, les manichéens et les gnostiques, Sabellius, Arius et Euno-
mius, Macédonius et les pneumatomaques, les latins (2), Apollinaire,
Nestorius, Eutychès, et. les monophysites, les aphthartodocètes, les
théopaskhites, les agnoètes, les origénistes, les monothélites, les ico-
noclastes.
A partir du titre XXIII, Zigabène s'occupe des hérésies contempo-
raines, et son œuvre devient plus personnelle et plus intéressante-
Les citations directes des Pères sont plus rares; il expose et réfute
lui-même les erreurs qu'il combat. Ses arguments n'ont d'ailleurs rien
de bien original et ne sont généralement que des réminiscences d'au-
teurs plus anciens. Dans le titre XXllI, consacré aux Arméniens, il
reproche à ceux-ci, entre autres choses, l'usage du pain azyme dans la
célébration de la messe. A ce propos, il fait des déclarations d'une
largeur de vue surprenante chez un Byzantin sur la liberté qu'a
l'Eglise de modifier ses rites et ses usages :
Accordons que le Christ se soit servi de pain azyme, à cause de la
nécessité de la circonstance , c'est un fait que ses disciples et les saints
Pères, qui leur ont succédé dans le gouvernement des Eglises, ont employé
que le mot grec « iieTaXT)'{<tç », qui signifie « la communion », est rendu constamment j
par transmutatio dominici corporis. \
(i) Allatius, De Ecclesiœ Occid. et Orient, perpétua consensione, 1. II, ex. i
(2) Les latins sont attaqués dans le titre XIH, qui se compose uniquement d'un petit
traité contre la procession du Saint-Esprit a Filio, attribué à Photius. Le texte en est
imprimé dans P. G., t. Cil, col. 391-400. Cf. Hergenbœther, Photii patriarchœ liber |
de Spiritus sancti mystagogia. Ratisbonne, 1857, p. xx-xxii, ii3-i20.
I
LA VIE ET LES ŒUVRES D EUTHYME ZIGABÈNE 219
; pain fermenté (tôv àpxov) dans le Sacrifice. C'est pourquoi nous aussi,
leur exemple, nous offrons du fermenté. Il est bien d'autres points
ir lesquels la tradition du Christ a été modifiée par les apôtres et leurs
jccesseurs, et en cela ils ne se sont pas opposés au Christ, loin de là.
lais après que l'Eglise se fût développée, ils ont accru, eux aussi, en toute
berté la pompe des mystères divins pour la plus grande gloire du
hrist Les circonstances demandent souvent des innovations dont
but n'est pas de détruire les coutumes anciennes, mais plutôt de les
méliorer. L'Eglise, en effet, n'est pas liée par son passé, et garde tou-
)urs sa liberté. Les apôtres et leurs successeurs, les vrais pasteurs et
acteurs orthodoxes des Eglises ont, sous l'inspiration et les lumières de
Esprit de Dieu, modifié certains rites ou en ont développé d'autres, le
mt pour la plus grande utilité [des fidèles] (i).
Ces belles déclarations, du reste, contrastent singulièrement avec
îtroitesse d'esprit de notre théologien dans cette question des azymes.
3ur lui, l'azyme est quelque chose de tout à fait judaïque (2). Si, con-
airement à certains polémistes antilatins, il affirme catégoriquement
je Notre-Seigneur a mangé la pâque légale le Jeudi-Saint et qu'il
employé pour ce repas du pain azyme, selon les prescriptions
losaïques, il a soin d'ajouter que, pour l'institution de l'Eucharistie,
Christ prit du pain fermenté qu'il avait fait lui-même préparer ou
je le maître de la maison tenait pour lui en réserve. Du pain fermenté
1 pouvait encore en avoir dans les maisons, parce que, d'après
Jthyme, Jésus anticipa d'un jour le festin pascal (3). 11 y aurait une
lusion à cette anticipation dans les mots de Notre-Seigneur : J'ai eu
i grand désir de manger cette pâque avec vous avant ma Passion.
gabène traduit: «J'ai fait toute la diligence possible pour manger,
tte année, la pâque avec vous, et je n'ai point attendu le temps légal,
in que ma mort sur la croix ne m'empêchât point de célébrer et la
ne légale et la mystique. » (4)
Disons à ce propos qu'il existe un petit traité encore inédit de notre
iteur sur le jour où Jésus-Christ mangea la pâque avec ses disciples (5).
: Les titres XXIV et XXV de la Panoplie sont dirigés contre les Pauli-
îns. Photius, saint Jean Damascène et les trois Cappadociens en font
i| P. G., t. CXXX, coL 1179-1181.
2) 'loviSatxov Se TidcvTox; tô àîij(i.ov. Ibid., coL 1 180 C.
3) Ibid,, col. 1181 C D. Cf. Comment, in Matth. P. G., t. CXXIX, col. 65i-66o.
4) P' G., t. CXXIX, col. 657 D.
5) Cet opuscule se trouve dans le Vatic. grcec. 36i, fol. 123-124, du x\' siècle,
apit : ô(}/îaç Yevo(i£vr,î. Cf. Stevenson, Codices manuscripti palatini grceci biblioth.
t. Rome, i885, p. 212.
220 ÉCHOS D ORIENT
presque tous les frais. Le titre XXVI attaque les Massaliens et le titre XXVll
les Bogomiles. Ce dernier traité est de tous le plus important, parce
qu'il nous renseigne sur une secte contemporaine de l'auteur. Le texte
de la Tatrologie grecque de Migne doit être confronté avec celui qu'a
publié G. Ficker d'après le Cod. grœc. 3 de la bibliothèque de l'Uni-
versité d'Utrecht (i). Il existe, en effet, entre les deux, des différences
notables. L'introduction est totalement différente; la disposition des
matières n'est pas la même. La courte réfutation que l'on trouve dans
la Patrologie, après l'exposé de chacun des points de la doctrine bogo-
milienne, est omise dans le manuscrit d'Utrecht. Sathanaël, le dieu des
Bogomiles, y est constamment appelé Samaël.
Le titre XXVIII, le dernier de l'ouvrage, s'occupe des Sarrasins
« appelés Ismaélites », c'est-à-dire des musulmans. Zigabène y réfute
brièvement mais vigoureusement la doctrine de Mahomet. Pour montrer
qu'en Dieu il y a trois personnes, il recourt à l'argument que saint
Athanase et d'autres Pères produisaient contre les ariens : Dieu n'a
jamais pu exister sans son Verbe (sans sa parole) et sans son Esprit
(son souffle), car il est parfait (2).
Euthyme Zigabène est surtout célèbre par ses travaux exégétiques.
On a d'abord de lui un Commentaire sur les Psaumes, dont le texte ori-
ginal fut publié par Antoine Bongiovanni à Venise, en 1763 (3). L'exé-
gèse de Zigabène est rarement personnelle. Elle est presque entièrement
empruntée aux anciens et mêle à peu près à égale dose l'interprétation
littérale et l'allégorie. Ses principales sources sont : Origène, Athanase,
Basile, Jean Chrysostome, Cyrille d'Alexandrie, Hesychius de Jérusalem.
Cette œuvre, d'ailleurs, n'est pas sans mérite. Au lieu de citer purement
et simplement les textes patristiques selon la méthode suivie dans la
Panoplie dogmatique, l'auteur résume ses sources avec intelligence, et
son choix des interprétations est généralement heureux.
Le Commentaire des quatre Evangiles (4), composé avant le Commen-
taire des Psaumes, est encore une compilation d'exégèse patristique. ;
Pour expliquer l'Evangile de saint Matthieu, l'auteur avait à sa dispo-
(i) Ficker, p. 89-1 ii.
(2) '0 0£Oî TÉXscoç wv, oùx àloY<$; èo-Ti. P. G., t. CXXX, col. iSS; B.;
(3) Inter opéra Theophylacti, t. IV. Reproduit par Migne, P. G., t. CXXVIII, avec
la traduction latine de Saule, évêque de Brugnato, parue à Vérone en i53o.
(4) Edité par Matthaei à Leipzig, en 1792, avec la traduction latine de Jean Hente-
nius. Louvain, 1644. Reproduit par Migne, t. CXXIX. Le Grec Th. Pharmakidès fit
paraître une édition de ce commentaire à Athènes, en 1842.
LA VIE ET LES ŒUVRES D EUTHYME ZIGABENE 22 1
lition les belles homélies de saint Jean Chrysostome, Aussi y a-t-il puisé
argement. Le Commentaire de saint Marc est très court; ce n'est guère
lu'une suite de renvois au Commentaire de saint Matthieu. Saint Luc est
in peu mieux traité, et renferme quelques interprétations nouvelles,
^ant au Commentaire de saint Jean, Chrysostome en fait encore les
)rincipaux frais.
Ces commentaires évangéliques ont toujours été très appréciés des
îxégètes. Richard Simon en fait de grands éloges :
Il y a peu de commentateurs grecs, dit-il, qui aient interprété le texte
les Evangiles avec autant d'exactitude et de jugement que l'auteur qu'on
lomme ordinairement Euthymius grœcus. Il recherche avec beaucoup
le soin le sens littéral et la signification propre des mots. ... Euthymius
:st plus exact et plus judicieux que Théophylacte. Il s'éloigne moins du
:exte des Evangiles, et il ajoute de plus, de temps en temps, des remarques
rritiques (i).
J'ai eu la curiosité de rechercher l'interprétation que donne ce Byzantin,
jui a écrit, une soixantaine d'années après Michel Cérulaire, des textes
■elatifs à la primauté de saint Pierre, et j'ai constaté que, tout hostile
}u'\\ fût aux latins, comme on le voit par ses attaques contre le Filioque
ît l'usage de l'azyme, Euthyme a reconnu les privilèges du Prince des
ipôtres. II atténue sans doute la portée de certaines explications de
jaint Jean Chrysostome, par exemple à propos du Tu es Petrus (2),
nais il ne paraît pas qu'il y ait eu là dessein prémédité. Commentant
e Pasce oves meas, il dit, à la suite de la Bouche d'or, que Pierre était
e coryphée des disciples ; que, s'il n'a pas reçu le siège de Jérusalem,
Tialgré sa primauté, c'est parce que Jésus-Christ l'a établi docteur de
'univers et lui a confié le gouvernement de ses frères (3). Ses frères,
:e sont les autres apôtres ou ceux qui devaient croire par leur minis-
ère (4). Pierre est appelé le premier, irptÔTo;, non pas seulement parce
\\i"\\ était plus âgé qu'André, mais aussi parce qu'il l'emportait sur les
lutres, à cause de la fermeté de sa foi (5). Les disciples savaient que
^ierre, sur la terre, avait reçu une dignité supérieure à la leur; ils le
:onstataient par ce qu'ils voyaient, mais ils voulaient savoir s'il en serait
(i) Histoire critique des principaux commentateurs du Nouveau Testament. Rotter-
lam, 1693, p. 409 sq.
(2) P. G., t. CXXIX, coL 465-468.
(3) Tf^; oty.ou^.£vTii; èx£tooTovr,9r) 8t5i<Ty.aXo ;...;. tT|V TrpoffTaffiav âTTKTTeOôri twv àSsXçôJv.
bid., coL 1496 C, i5oo À B.
(4) Ibid., col. 108 1 A.
(5) Ibid., 324 A. IIpâSTov 5à tov IléTpov elucv, oO (j,(5v&v w; TrpeffPuxepov 'Av5péoy toû à5eX?ov
•jToO, àXXà xal w; TtàvTwv SiaçopwTepov àul <TTa6epdTir|Tt.
222 ECHOS D ORIENT
ainsi au ciel (i). Après la Résurrection, les disciples n'ajoutèrent pas
foi à ceux qui avaient vu Jésus, mais ils acceptèrent le témoignage de
Pierre, parce qu'il était le chef de tous (2).
De nos jours, les théologiens des Eglises autocéphalès rejettent com-
munément la primauté de Pierre. L'exégèse de Zigabène ne peut que
les choquer. C'est une preuve que l'Orient n'est pas si immuable qu'on
le dit, même quand il s'agit de théologie.
En 1887, le Grec Nicéphore Kaloghéras a édité un autre commentaire
d'Euthyme sur les quatorze épîtres de saint Paul (3). 11 n'y a rien à en
dire, sinon qu'il ressemble aux commentaires précédents. L'auteur se
montre toujours un pillard intelligent de saint Jean Chrysostome et des
autres Pères. 11 ajoute de temps en temps une explication personnelle (4).
Dans un grand nombre de manuscrits, dont plusieurs remontent au
xii^ siècle (5), le Commentaire des Psaumes est suivi du Commentaire des
dix cantiques de l'office byzantin. Ce morceau est encore inédit. Son
authenticité ne fait pas de doute.
Se fondant sur les titres donnés par certains catalogues de manuscrits,
Ehrhardt attribue à Zigabène des opuscules de controverse contre les
Latins et les Arméniens (6). Je n'ai trouvé nulle trace d'écrits dirigés
contre les Arméniens, en dehors du titre XXIII de la Panoplie et du petit
traité inédit sur la pâque, dont il a été parlé plus haut. Contre les Latins,
Euthyme n'a, en réalité, rien écrit de son propre fonds. Toute sa polé-
mique contre le Filioque a consisté à insérer au titre Xlll de la Panoplet
une série de douze ou de treize arguments attribués à Photius. II ne
faut pas se laisser tromper par les titres de certains manuscrits dans
le genre de ceux-ci : De sancti Spiriius processione adversiis Halos
capita XII Ç']); Euôujxîou ^ovayou toCÎ Z'.vajBriVoCi x£coàAai.a 16' si;; tÔ ex [aovou
(i) Ibid., col. 496-497.
(2) Ibid.. col. 848 C.
(3) Le titre de l'édition de Kaloghéras est celui-ci : Ey6u[Aioy toû ZtYapT,vou £pfir,vit«
.£tî Tac to' èTiKTToXâç TOÛ àTTOo-TOAou IlaûXou xûcl EÎ; Ta; Ç' xaôoXreâç, 2 voU in-8°. Athènes, 1887-
(4) Le titre du manuscrit publié par Kaloghéras indique bien le caractère du commen-
taire : Ep[j,y)V£ta Tôiv âirtaToXwv toG (XEyàXoy àTroaioXo-j IlayXou çiXoTtdvo); âpavta-ôsïff»
(X'xXiaTa [i£v àrco t-îjç ^•rl^^r^<Isu)l; xoC âv àyioiz Trarpoç TjfAôiv 'Iwivvou toîJ Xpua-ocrréfAoy, eti
0£ xal àuo Staçdpwv aX).wv uaTÉpwv, ffyvEtffEVEyxdvxoç Tivà xal Toy TauTriv àpavto-apLévou to»-
Ztyaprivoy EyGyjxtoy (Jiovaxoy.
(5) Par exemple, le cod. 142 du fonds grec de la Bibliothèque Nationale de Paris;
le Coisl. 104.
(6) Dans Krumbacher, Geschichte der by^antinischen Litteratur. Munich, 1897, p. 84
(7) Cod. 1372 du fonds grec de la Bibliothèque Nationale de Paris, fol. 58 V-60'
(xv* s.). Cf. cod. 2782 A, du même fonds (xvi* s.).
LA VIE ET LES ŒUVRES D EUTHYME ZIGABÈNE 22^
OJ naTsô^ èxT.ozvJz'jfiy.r. to nv£'j[xa (i); OU encore: Ej^jiviou toÙ Zt-va-
ly.voO x7-à AaT'lvwv (2). J'ai constaté que, sous ces dénominations, se
achait toujours l'opuscule photien, dont l'incipit est: E-. aTcT^oûv ;jièv 'zb
Ehrhardt parle aussi d'homélies sur la Vierge et les saints, qui auraient
>our auteur notre Euthyme et qui sont toutes inédites, sauf le panégy-
ique de saint Hiérothée, le prétendu maître du pseudo-Denys l'Aréo-
lagite (3). Cet éloge de saint Hiérothée, qui est un brillant morceau de
hétorique, Kaloghéras l'a tiré d'un manuscrit du couvent athonite du
lographos datant du xviii« siècle, et il l'a publié dans le premier volume
le son édition du Commentaire des Epitres pauliniennes (4). Son authen-
icité ne me semble pas parfaitement établie. Les plus anciens manuscrits
[ui le contiennent ne remontent pas au delà du xvF siècle, et portent
2 titre suivant : EjOua'loj l'h'j.yj.'jxo'j ooxjXo'j 'Ir,5-o'j XpwToû èyx(0|ji.t.ov sU
ov ayiov xal -av£voo;ov aTTÔa-TOAOv toij Xq'.tto'j 'kpôOsov (5). L'absence
iu nom de « Zigabène » me paraît inquiétante. Aussi, jusqu'à plus
mple information, je n'oserai affirmer qu'il appartient sûrement à
lotre Euthyme.
On trouve sous le nom du « moine Euthyme » un éloge de l'apôtre
"homas dans le cod. 384 de la bibliothèque synodale de Moscou, qui
emonte au xi« siècle (6). Je n'hésite pas à le refuser à Zigabène. Les
euvres authentiques de ce dernier ne se rencontrent pas dans les
nanuscrits avant le xii^ siècle.
A un moine Euthyme différent du nôtre revient le discours <^ sur la
einture de la Vierge et les langes du Seigneur », dont Lipomanus a
ait paraître une traduction latine (7). Ce discours se rencontre, en
ffet, dans le Cod. Fatic. grœc. 1671, qui est du x^ siècle (8).
Longtemps Zigabène a passé pour être l'auteur de la Monodie sur la
tort d'Eustaihe de Thessalojtique, mais l'on sait maintenant qu'Eustathe
lourut en 1194, et que l'Euthyme qui composa son éloge funèbre
\{t) Cod. athon. 4502 du catalogue de Lambros (xV s.).
jja) Cod. athon. 3701 (xv* s.).
JtS) Krumbacher, op. cit., p. 84.
îlf4y P. Lxxviii-xci. Le cod. du Zographos qui contenait cet éloge est le 335 du cata-
î''gae de Lambros. L'en-tête porte bien « Zt^aSTivoù », mais il faut faire attention que
manuscrit est du xviii* siècle.
(5) Ces manuscrits sont le cod. 36o de la bibliothèque synodale de Moscou (xvi' s.),
cod. athon. 3632 (xvi' s.) et le cod. athon. i3i2 (xvir s.).
'•■1 'EYxwfxtov £l; àTr6(TTo),ov 0(i)|ji5v. Incipit : 'II nri^q Tfj; ffo;f/ta; xô çwç xô «Tvpdcnxov,
Reproduite dans la Patrologie de Migne, P. G., t. CXXXI, col. 1243-1250.
'^atalogus cod. hagiogr. grœc. bibliot. Vatic. fiag. Bollandianorum. Bruxelles,
p. 164. Je parlerai prochainement de l'auteur de cette homélie.
224 ÉCHOS d'orient
n'est autre qu'Euthyme Malakès, métropolite de Nouvelle-Patrjs (i).
Tout compte fait, il ne nous reste de Zigabène aucune homélie,
aucun discours dont il soit sûrement l'auteur.
On affirme aussi qu'il nous a légué quelques lettres, mais tant qu'elles
sont inédites, il est prudent de se taire sur leur authenticité (2).
C'est sans raison aucune que F. Matthaei a mis au compte de Ziga-
bène une Exposition du symbole nicéno-constantinopolitain, tiré du
Cod. grœc. 52 de la bibliothèque synodale de Moscou, et datant du
xve siècle (3). Ce morceau doit être l'œuvre d'un théologien hésychaste
du xiv« siècle. On y lit, en effet, le passage suivant :
Le mot « Dieu » n'indique pas l'essence et n'est pas un nom de la
nature divine. Celle-ci est au-dessus de tout nom, comme elle échappe
à toute pensée. Mais ce mot signifie l'énergie de la divine essence; il
n'exprime pas, en effet, l'être de Dieu, mais la puissance et l'énergie
divinisatrice qui, de lui, vient vers nous (4).
On sait que les hésychastes ou palamites établissaient une distinc-
tion réelle entre l'essence divine, absolument inaccessible aux créatures,
et ses attributs, opérations ou énergies ad extra.
Mai n'a pas été mieux inspiré que Matthaei, quand il a prêté à Ziga-
bène le Dialogue du moine Euthyme avec un philosophe sarrasin au sujet
de la foi dans la ville de Mélitène (5). Ce morceau, trouvé dans un
manuscrit du xv!" siècle (6), rappelle en plusieurs endroits le titre XXVllI
de la Panoplie dogmatique, mais, à en juger par la critique interne, il est
visiblement postérieur à la Panoplie. Celui qui l'a composé s'est servi
de l'ouvrage de Zigabène, et c'est sans doute la raison pour laquelle il
a donné le nom d'Euthyme au chrétien qui discute avec le philosophe
musulman.
On a cru longtemps qu'Euthyme Zigabène nous avait laissé un
Commentaire des sept Epîtres catholiques. Ph. Meyer l'affirmait encore
(i) L. Petit, Les évêques de Thessalonique, dans Echos d'Orient, t. V (1902), p. 3o,
P. Meyer, dans son article sur Zigabène, Realencyclopœdie fiir protest. Théologie.
3* édit., t. V, p. 634, croit encore que Zigabène a composé la Monodie.
(2) Le cod. 2 ,9 du supplément grec de la Bibliothèque Nationale de Paris, fol. 156-174,
contient des lettres d'un Euthyme. Omont, dans son Inventaire, t. III, p. 238, suppose
qu'il s'agit de Zigabène, mais ce n'est qu'une supposition. Cf. Cod. theolog. grœc.
Vindob. 247 et 248.
(3) P. G., t. CXXXI, col. 10-20. Cf. Vladimir, Description systématique des manus-
crits de la bibliothèque synodale de Moscou, I" partie. Moscou, 1894, p. 5i.
(4) P. G., ibid., col. 12 A. i
(5) Ibid.. col. 20-38. |
(6) Le Cod. Vatic. Ottob. 333. Cf. E. Féron et Battaglini. Cod. grœc. Ott. Rome,l
1893, p. 174.
LA VIE ET LES ŒUVRES D'EUTHYME ZIGABÈNE 225
récemment (i). Mais le contraire est parfaitement établi. Le commen-
taire, ou plutôt la chaîne patristique sur les épîtres catholiques que l'on
/oulait mettre sous le nom de notre auteur appartient à un certain
prêtre André ayant vécu entre la fin du vii^ siècle et le x«. Elle se
trouve, en effet, dans le Cod. Coisl. 25, qui date du x® siècle; par
lilleurs, le Père le plus récent qui est cité est Maxime le Confesseur (2).
Le Cod. grœc. 444 de la bibliothèque ambrosienne de Milan renferme
jne prière d'un certain Euthyme. Elle débute ainsi: K'jpu, 6 ©eôs uol»,
) aéva^ xal (ïïO|3£pôç xal è'vooço; (3). Le manuscrit étant du xii^ siècle, il
^ a quelque probabilité à ce que Zigabène en soit l'auteur.
Le nombre relativement considérable d'ouvrages faussement attribués
\ Euthyme Zigabène confirme la vérité de l'adage qui dit : « On ne
Drête qu'aux riches. » C'est parce que de tous les Euthymes byzantins
Zigabène a le plus écrit qu'on a mis à son compte avec tant de facilité
e bagage littéraire de ses nombreux homonymes.
M. JUGIE.
Constantinople.
(i) Dans Realencyclopœdie fur protestantische Théologie, loc. cit. Kaloghéras
ivait d'abord admis l'authenticité de ce commentaire, déjà publié par Kramer dans
les Catenœ grœc. tatrum. Oxford, 1840-1844. Il a reconnu son erreur dans la préface
lu second volume de son édition.
{2) Cf. Kaloghéras, op. cit., t. II, p. 8'; Krumbacher, op. cit., p. 211.
(3) Voir Martino et Bassi, Catalog. cod. grœc. bibliot. ambros., t. I.
Echos d'Orient, t. XV. ib
L'ÉGLISE MELKITE AU XVMF SIÈCLE
NOUVELLES INTRIGUES DE JAUHAR'"
I. Jauhar se révolte de nouveau. Sa soumission.
En dépit de toutes les condescendances de Rome et du nouveau
patriarche, le parti de Jauhar demeura toujours inflexible. En effet, avec
un agitateur tel que le P.Jean 'Ajéimi, on ne pouvait espérer un prompt
apaisement. Jauhar était encore à Rome quand le P. 'Ajéimi, irrité de la
confirmation de Théodose VI, persuada aux évêques révoltés de con-
sacrer d'autres prélats en vue d'augmenter le nombre des partisans de
Jauhar. Là-dessus, à l'insu de tout le monde, Euthyme Ma'louli, évêque
de Fourzol, assisté d'Ignace, archevêque de Homs, sacra trois nouveaux
évêques à Saint-Sauveur : les PP. Francis Siaj, Arsène Caramé et
Maxime Fakhouri(2). 11 fit plus encore. Un certain prêtre syrien catholique
du nom de Michel Marini, résidant à Déir-er-Raghm (3), désirait vivemen'
répiscopat. Son évêque, M^"" Choucrallah Jaroué, et le patriarche Théodos
lui-même s'étaient toujours opposés à ses vues ambitieuses. Or, ei
dépit de ces avertissements autorisés, les partisans de Jauhar se ren-
dirent à Déir-er-Raghm et consacrèrent le nouvel intrus avec le titre de
ce pauvre village, qui ne comptait qu'un petit nombre d'habitants.
Le P. 'Ajéimi alla plus loin encore. Comme Jauhar venait de rentrer
de Rome, il lui persuada de réunir un nouveau synode électoral ;
Déir el Moukhallès, et de se faire proclamer patriarche en dépit df
Théodose VI, qui venait d'être confirmé par Rome. 11 envoya tou
d'abord l'intrus à Saint-Jean d'Acre, pour s'y créer un parti laïque qu
contre-balancerait celui de Théodose VI. Jauhar ne réussit qu'à j
fomenter des troubles, et il rentra à Saint-Sauveur, où se trouvaien!
tous les prélats révoltés. Cette fois, le P. 'Ajéimi avait gagné à sa causi
le P. Michel 'Arraj, Supérieur général, et la plupart des religieux Salvc|
toriens. 11 réunit tout ce monde en synode électoral, le 25 janvier 176-'
et il proclama de nouveau Jauhar patriarche d'Antioche, sous le nor
d'Athanase. On répandit dans tous les diocèses des lettres où la véril
(i) Voir Echos d'.Orient, janvier 1912, p. 49 sq.
(2) Annales, loc. cit., p. 427.
(3) Nous ne savons pas exactement où est situé ce village, mais il ne doit pas ét:|
croyons-nous, à une distance considérable de Homs ou de Hama, dans les enviro||j
desquels les Jacobites étaient et sont encore assez répandus.
l'église MELKITE AU XVIII^ SIÈCLE 227
le trouvait guère son compte, et qui ne firent qu'aggraver les scandales.
\ cette nouvelle, le délégué apostolique convoqua à Saint-Michel de
^ouq tous les éveques fidèles, sous la présidence de Théodose VI. On
^ dressa un long Mémoire de tous ces événements, et on l'envoya à la
Propagande. Clément Xlll y répondit par la Bulle Inter cœtera du 1 1 sep-
;embre 1765, qui lançait de nouveau rexcommunication majeure contre
auhar et tous ceux qui avaient fait partie de son synode sacrilège.
L'intrus ne se soumit point. 11 persuada au cheikh 'Ali Gemblatt qu'il
îtait lui-même le patriarche légitime, et, moyennant finances, il lui
enjoignit de punir tous les évêques qui ne voudraient pas se soumettre
\ son autorité. Là-dessus, il fit publier partout que celui qui recon-
naîtrait Théodose pour patriarche serait puni d'une amende pécuniaire
de 2000 piastres, payables au cheildi 'Ali Gemblatt. En outre, il assembla
jn nauveau synode à Saint-Sauveur, et il lança l'excommunication
majeure contre tous ceux qui ne lui donneraient pas le titre de
patriarche (i).
En 1766, Jauhar pensa réussir à se faire proclamer patriarche à Damas,
où il comptait, outre ses proches, un bon nombre de partisans. A cet
sffet, il écrivit au gouverneur de Damas et lui fit un généreux don de
500 piastres. Celui-ci accepta bien l'argent avec beaucoup de recon-
naissance, mais H lui conseilla très poliment de rester chez lui, en lui
faisant remarquer qu'il n'y avait guère d'espoir pour lui d'obtenir le
siège de Damas, où les orthodoxes étaient excessivement puissants. Le
patriarche de Constantinople, ayant appris ces prétentions orgueilleuses,
pxcommunia publiquement l'intrus.
A bout de ressources, Jauhar écrivit à l'émir métouali Héidar Har-
uch, gouverneur de Zahlé et de tout le pays de Baalbek. 11 lui fit,
lui aussi, un don de soo piastres, et lui demanda la permission de faire
a visite -patriarcale du diocèse de Baalbek. L'émir païen lui fit cette
elle réponse : « Votre présent de 500 piastres est accepté avec joie,
ais votre entrée dans mon pays est interdite, parce que, pour arriver
u pouvoir, vous n'ave:^^ point passé par la porte des apôtres et par le chemin
ju'ils ont suivi. C'est pourquoi vous n'êtes pas autorisé à entrer dans
non domaine, et si vous y pénétrez malgré cette défense, vous n'aurez
\u'd vous en prendre à vous-même. » (2)
Le ler juillet 1767, Jauhar se proposait de célébrer une messe ponti-
(n Annales, t. I", cah. XXXI, p. 419-424. La Bulle du Pape y est citée en arabe, in
xteiiso. Après cette seconde élection anticanonique, Jauhar consacra le P. Pierre
Naimé archevêque de Tyr, à la place d'André, qui venait de mourir excommunié.
Loc. cit., p. 424-425.
228 ÉCHOS d'orient
ficale solennelle pour affirmer de nouveau son autorité patriarcale à
Déir el Moukhallès. Or, le jour fixé, les religieux Salvatoriens refusèrent
de communiquer avec lui in divinis, et ils se réfugièrent à Saint-Elie
de Richmaya, où se trouvait déjà leur Supérieur général. A la suite de
l'Encyclique pontificale Inter cœtera, le P. Michel 'Arraj avait quitté
précipitamment Saint-Sauveur, en abdiquant le généralat. A Saint-Elie,
il fut rejoint par tous ses religieux révoltés, qui étaient revenus à de
meilleurs sentiments. 11 écrivit alors à Théodose VI, par l'entremise de
Mgr Ignace Jarbou' et de Ms^" Basile Jelghaf, pour le prier de le relever
de l'excommunication majeure qu'il avait encourue en prenant part au
synode électoral de Déir el Moukhallès, Le patriarche l'invita à se rendre
auprès de lui à Saint-Jean d'Acre, mais il ne put y aller. Théodose VI
dut envoyer une procuration régulière, en date du 24 juin 1767, à
M?'" Ignace Jarbou', l'autorisant à relever de cette excommunication le
P. Michel 'Arraj et tous ses subordonnés; ce qui eut lieu solennellement
au monastère chouérite de Saint-Georges, à Makkin, en présence de
Mg»" Jelghaf de Beyrouth. A la fin de la cérémonie, l'archevêque d'Alep
remit aux intéressés un sakkon signé et cacheté par lui et par l'évêque
de Beyrouth, en date du i^r juillet 1767, pour attester cet événe-
ment (1).
Dans notre article sur Ignace Jarbou', Supérieur géîiéral des Chouérites,
nous avons raconté tous les troubles occasionnés au diocèse de Fourzol
par Mg»" Euthyme Ma'louli, et toutes les persécutions dont les Chouérites
furent l'objet, par suite de cette triste intrusion, dans la région de
Baalbek (2).
Excommunié par Rome, rejeté par le peuple et tout le clergé fidèle,
repoussé par les infidèles eux-mêmes, Jauhar eut enfin le bon esprit de
rentrer en grâce avec l'Eglise, après huit années d'intrusion sacrilège.
A cet effet, il s'entendit avec ses partisans, et tous ensemble ils 1
écrivirent à Théodose VI une lettre pleine de soumission, priant le j
patriarche de les relever des censures qu'ils avaient encourues. Théo-
dose VI les invita à se rendre à Beyrouth, et là, au début d'une messe
pontificale solennelle, il les bénit et les releva de l'excommunication,
à la grande joie de tout le peuple assemblé. Arsène Caramé avait tout
d'abord refusé de se joindre à ses collègues, mais il ne tarda pas à
revenir à de meilleurs sentiments, et il obtint l'absolution requise.
Ainsi, ajoutent les Annales, Théodose VI rendit aux évêques leurs dio-
(i) Loc. cit., p. 426-428. Le sahkon délivré par M" Jarbou' s'y trouve in exte
en arabe.
(2) Echos d'Orient, t. xii, 1909, p. 286 sq.
i
L EGLISE MELKITE AU XVIIl'' SIÈCLE 229
cèses respectifs, et la paix se rétablit dans toute la nation melkite (i).
Malheureusement, Jauhar devait encore faire parler de lui jusqu'à
l'année 1794, époque de sa mort.
11. Le p. Michel Adam défenseur de la primauté romaine.
Tous les événements que nous venons de raconter, avec les détails
nécessaires, avaient fourni l'occasion aux membres du clergé melkite
les plus distingués de manifester leur science théologique relativement
aux points doctrinaux en litige. Tous avaient fait de bonnes études au
collège grec de Saint- Athanase à Rome. Nous les avons nommés dans
le cours de notre narration; mais nous tenons, avant de passer outre,
à mettre pleinement en lumière la doctrine du P. Michel Adam tou-
chant la primauté pontificale. Nous avons parlé des écrits pleins d'équi-
voques que le P. 'Ajélmi n avait pas manqué de semer partout pour
soutenir une mauvaise cause, et nous avons mentionné les réfutations
péremptoires qu'il s'était attirées sur-le-champ de la part de maîtres
autorisés tels que le P. Joseph Babila, le P. Simaân Sabbâgh, le
P. Michel Adam, sans parler de tous les missionnaires latins de Saida
et de Beyrouth. Arrêtons-nous un peu à la longue réfutation que le
P. Adam envoya à Déir el Moukhallès en 1768, quelques jours seule-
ment après la réconciliation de Jauhar, événement dont l'auteur n'avait
pas connaissance, parce qu'il était alors à Alep et très éloigné du théâtre
des événements (2).
Cette réfutation, qui ne compte pas moins de vingt-neuf pages in-S",
commence en ces termes :
J'ai été profondément attristé en lisant une épître signée de votre nom
et ainsi intitulée : Chapitre sur la nullité de l'excommunication qui fut
injustement lancée contre le patriarche Athanase et les évêques de son
parti. Cette épître m'a donné la persuasion qu'il ne vous manque plus
rien de la folie de Photius et de Dioscore, qui, eux, ont lancé l'excom-
munication contre le Chef visible de l'Eglise, contre celui qui a reçu du
Sauveur lui-même la garde de la vigne, suivant l'expression du concile
de Chalcédoine.
Puis il ajoute :
(i) Annales, t. I", cah. XXXII, p. 432-433.
(2) Cette réfutation se trouve in extenso dans notre Recueil, p. 47-76. Dans notre
inalyse de cet écrit, nous avons souligné nous-même à dessein les phrases et expres-
sions les plus importantes, pour mettre en lumière la doctrine orthodoxe primitive
ie M" G. Adam.
230 ÉCHOS D ORIENT
Pliisque je suis prêtre catholique et missionaaire du Siège apostolique,
j'a;i cru de mon devoir de réfuter les prétentions schismatiques que vous
affichez partout (p. i).
Le P. Adam n'a pas de peine à montrer aux révoltés que l'excommu-
nication qu'ils ont encourue a été tout à fait canonique. Il leur cite le
concile de Trente, sess. XXV, c. m De Reformatione , leur reproche amè-
rement leur révolte contre te Souverain Pontife, Vicaire de Jésus-Christ
sur la terre, et leur montre tout l'odieux de leur conduite, en comparant
leur crîme àcelui du peuple juif qui, lui, a donné la mort au corps humain
du Christ, tandis que les schismatiques déchirent son corps mystique,
la sainte Église. Aux prétentions des Salvatoriens, qui tenaient l'excom-
munication pontificale pour injuste et non avenue, le P. Adam répond :
Lisez plutôt les maîtres de la théologie, saint Thomas, Tournelly et
d'autres, tous vous diront àl'envi que l'excommunication atteint toujours
son but, et l'on est tenu de la respecter, fût-elle même injuste. Mais
pouvez-vous affirmer, sans un mensonge effroyable, que votre excommu-
nication n'est pas juste? Votre seule révolte contre le Saint-Siège est
digne d'excommunication, car le Saint-Siège est l'autorité la plus sacrée
sur la terre, et qui est au-dessus même de celle du concile œcuménique.
Ecoutez le concile de Chalcédoine (i) : « Si dans un concile œcuménique
il s'élève une discussion ayant rapport à la sainte Eglise romaine, il faut
la soumettre à cette même Eglise et en attendre humblement la solution,
car il est téméraire de porter un jugement contre les Souverains Pontifes
de l'ancienne Rome. » Si donc le Concile œcuménique, qui représente
l'Eglise entière, est impuissant à porter un jugement contre le Siège
apostolique, et à lui attribuer l'oppression ou l'injustice, avec quelle
témérité et quelle aberration schismatique avez-vous osé calomnier ainsi
le Siège de Pierre, vous qui ne comptez presque pas en comparaison d'un
concile œcuménique, vous qui êtes pasteurs de certains petits villages
insignifiants, vous dont le peuple, qui a la triste chance de se soumettre
à votre pouvoir, peut à peine être évalué à la moitié d'une humble paroisse
des diocèses de ces grands prélats qui, jadis, ont composé les conciles
œcuméniques, et nous ont appris ces enseignements divins (p. 2-7).
Les Salvatoriens prétendaient que le Pape n'avait pas le droit d'exconj-
munier un patriarche avec ses partisans, en dehors du cas d'hérésie.
Le P. Adam leur fait cette vigoureuse réponse :
Vous vous trompez; vous vous croyez grands et dignes de considé-
(i) Le P. Adam fait ici erreur. Le texte qu'il cite appartient non au concile de Chal-
cédoine, mais au VIII* concile oecuménique réuni contre Photius.
l'église MELKITE au XVIir SIÈCLE 231
ration, alors que vous n'avez en propre que le caractère indélébile de
l'épiscopat^ qui se trouve aussi bien dans les damnés et les schismatiques.
Où donc avez-vous lu que le pontife romain est impuissant à commander
au patriarche d'Antioche et à quelques évéques semblables à vous?
N' est-il pas admis par tous les catholiques que le Pape exerce un pou-
voir suprême dans l'Eglise entière? N'a-t-il pas reçu du Christ lui-
même la garde de la vigne mystique? N'exerce-t-il pas une vigilance
absolue sur toute l'Eglise ? Par suite, il a tout droit à excommunier le
coupable et à absoudre celui qui en est digne. N'est-ce point là la
croyance de tous les catholiques et l'enseignement de tous les maîtres?
Mais plutôt votre prétention inqualifiable ti'est-elle pas une prétention
schismatique supprimant dans l'Eglise l'existence d'un supérieur qui soit
au-dessus de tous les autres? Le pape saint Célestin (i) nVt-il pas excom-
munié Théophile d'Alexandrie, qui persécutait saint Jean Chrysostome?
Le pape saint Nicolas n'a-t-il pas agi de même à l'égard de l'intrus
Photius? Tout catholique croit fermement que l'honneur de l'épis-
copat catholique vient de la soumission de celui-ci au Chef de l'Eglise,
Vicaire de Jésus-Christ , et il est manifeste que la nation des Grecs
a perdu sa gloire et son royaume par suite du schisme orgueilleux et
de sa révolte contre les Pontifes romains. Votre gloire, à vous, et l'hon-
neur de votre Eglise consistent à vous soumettre au jugement de votre
supérieur, le Pontife Romain, pasteur commun de l'univers (p. 7-1 5).
Le P. Michel Adam rappelle les événements qui ont précédé et suivi
l'intrusion de Jauhar, puis il répond à une autre de leurs prétentions
portant que le droit d'élire le patriarche appartient aux évêques et non
au Pape :
Je ne le nie point, au cas où tous les évêques sont unanimes, ou lorsque
plus de la moitié des voix sont acquises à un sujet digne, élu selon les
règles canoniques, ayant toutes les qualités requises. Mais si le con-
traire a lieu, on ne considère plus l'élection de la majorité, et il appar-
tient au Pontife romain, de par le droit de sa charge, qui lui permet
d'exercer sa sollicitude sur toutes les Eglises, de prendre soin de cette
Eglise elle-même, d'en extirper la discorde qui s'est engagée entre les
évêques, et de lui donner un chef de son propre choix Si vous êtes
véritablement catholiques, vous ne sauriez le nier. En effet, la sollicitude
de toutes les Eglises que lui a remises le Chef des pasteurs, Jésus-Christ,
lui fait un devoir d'administrer toutes les Eglises suivant qu'il convient.
Par suite, il a le pouvoir de taire usage de tel ou tel moyen qu'il verra
plus utile au bien de l'Eglise, à sa paix, à sa tranquillité, sinon. Dieu lui
aurait imposé une charge sans lui accorder la Jaculté de la remplir;
(i) C'est le pape Innocent et non le pape Célestin qui excommunia Théophile.
2}2
ECHOS D ORIENT
de plus, cette sollicitude générale elle-même eût été de nulle valeur. Mais
de telles conclusions sont un blasphème pour la sagesse de notre Sauveur
Jésus-Christ, qui a accordé au Chef visible de son Eglise tous les pouvoirs
nécessaires et utiles pour rem plir les devoirs de sa charge suprême (p . 1 5 - 1 9).
Le P. Michel Adam rectifie ensuite certains faits historiques que les
Salvatoriens avaient travestis, et arrive à cette objection gallicane : le
Pape ne saurait être considéré comme juge de la foi que dans le Concile.
Cette affirmation n'a été énoncée par personne, répond le P. Adam,
car il est admis par tous les catholiques que le Pape est aussi juge de la
foi et des mœurs en dehors même du concile. L'histoire et les actes des
Conciles oecuméniques nous apprennent que les Pontifes romains ont
condamné plusieurs hérésies sans avoir recours à un concile. En outre,
ils envoyaient eux-mêmes les définitions requises aux conciles œcumé-
niques, et ils leur ordonnaient de les croire et de s'y conformer. J'ai
d'ailleurs démontré ces vérités dans l'ouvrage que je viens de composer
tout dernièrement, au troisième article (i), où je traite de la « croyance
(i) Cet ouvrage, assez volumineux, est, paraît-il, d'une orthodoxie irréprochable,
phénomène rare dans les écrits de M" G. Adam. Nous n'avons jamais eu la bonne
fortune de l'avoir entre nos mains. Nous nous rendons pleinement au jugement de
l'auteur, après avoir entendu la doctrine très catholique qu'il vient de nous enseigner.
Malheureusement, M" Adam dut changer de sentiment dans les quinze dernières années
de sa vie. Son pauvre ouvrage intitulé : Rad 'ala Ar-Rissalat almad'ouat Saoutli et
Aba, Réfutation de l'épître intitulée la Voix des Pères (brochure publiée par les
missionnaires latins de Syrie, qui soutenaient Sarrouf contre le patriarche Agapios III
Matar, dans la fameuse affaire de la Congrégation de Mar-Simaân), renferme tous
les arguments gallicans contre la primauté pontificale. Le grand concile de Qarqafé,
en 1806, qui devrait être le modèle des conciles nationaux melkites, tout entier œuvre
de M'' G. Adam, ne fut condamné par le Saint-Siège que parce qu'il amoindrissait la
primauté pontificale en la ravalant presque au rang de l'autorité patriarcale. Nous
pensons que Rome serait excessivement satisfaite de cet excellent concile si on l'ex-
purgeait de ces quelques erreurs qui le déparent. Cependant, M" G. Adam avant de
mourir, en 1809, soumit tous ses ouvrages au jugement de Rome et rétracta toutes
ses erreurs. Nous le savons par le récit des Annales, t. l",cah. XXXIX, p. 624, et par
son testament, conservé à la bibliothèque archiépiscopale d'Alep, ainsi que par plu-
sieurs écrits de son élève, le patriarche Maxime 111 Mazloum.
Outre cette Réfutation des prétentions schismatiques des Salvatoriens, le P. Michel
Adam avait aussi composé une autre brochure en forme de dialogue entre deux per-
sonnages nommés Joseph et Jean, pour démontrer la nullité des deux élections anti-
canoniques de Jauhar. Tout en se présentant sous une forme plaisante et ironique,
cet écrit renferme cependant une doctrine orthodoxe, appuyée sur de puissants argu-
ments théologiques.
Enfin, un dernier ouvrage polémique du P. M. Adam, Rad 'ala alcachr rououss^
Réfutations des dix chapitres, mit en déroute la théologie schismatique des Salvatoi
riens, partisans de Jauhar, et leur donna à réfléchir sérieusement sur leur conduite
antérieure. Ces « dix chapitres », que le R. P. Charon intitule : Réponse des épêqua
au délégué, et qui renferment dix pièces ou chapitres, avaient été lancés par les
évéques partisans de Jauhar contre le P. Dominique Lança; nul doute qu'ils n'aient
été composés par le P. J. 'Ajéimi lui-même.
Tous ces écrits lui attirèrent les colères de Jauhar et des Salvatoriens. Jauhar lui
l'église melkite au xviir siècle 233
des sept conciles œcuméniques et de celle de l'Eglise universelle » durant
les neuf premiers siècles, touchant la primauté des Pontifes romains. Je
vous l'enverrai, si vous le voulez, en vue de vous être utile et de vous
guérir de votre incurable maladie (p. 19-23).
Enfin, le P. Michel Adam explique pour quel motif le Souverain
Pontife n'a pas voulu donner à l'intrus le titre de patriarche ; il déclare
qu'il est absolument inutile de persister à demander un nouvel
examen de tous ces événements, parce que les jugements du Saint-
Siège sont irrévocables, et il termine en exhortant les révoltés à une
humble et entière soumission tant au Pape qu'à leur supérieur légitime
le patriarche Théodose VI Dahan (p. 23-26).
Paul Bacel,
Prêtre du rite grec.
jura une inimitié éternelle jusqu'à la fin de sa vie, ainsi qu'aux PP. Joseph Babila,
Simaân Sabbâgh et Pierre Adam, cousin germain de l'archevêque d'Alep. Ces derniers
étant morts quelques années après, tout le ressentiment de Jauhar se porta sur
M" Germanos Adam.
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE
A JÉRUSALEM'"
//. Emplacement àe Sainte-Marie la Neuve
Pour procéder avec ordre dans la discussion qui va suivre, je me
propose d'établir :
1° Que Sainte-Marie la Neuve ne peut être identifiée avec la mosquée
El-Aksa;
2° Que Sainte-Marie la Neuve ne se trouvait même pas sur l'espla-
nade de l'ancien temple juif;
y Qu'il faut très probablement chercher l'emplacement de Sainte-
Marie la Neuve sur le mont Sion chrétien, dans la région des grandes
synagogues.
En finissant, nous nous demanderons s'il y a jamais eu une église de
la Présentation à Jérusalem.
1°. La mosquée El-Aksa n'est pas l'église Sainte-Marie la Neuve.
Quand, après avoir franchi un porche monumental ajouté au xiii^ siècle,.
le voyageur pénètre dans la mosquée El-Aksa, il est tout d'abord
impressionné par les deux longues rangées de colonnes surmontées de
chapiteaux évidemment byzantins et par la charpente nullement dissi-
mulée de l'édifice. Les quelques vagues notions archéologiques qu'il
peut avoir se réveillent soudain, et il émet avec gravité ce jugement :'
voilà certes une ancienne basilique. Pour peu qu'il se souvienne d'avoir
lu que Justinien éleva en cet endroit une grande église en l'honneui^
de la Présentation, son opinion, s'affermit. « Son siège est fait » ; voilî
bien l'église de Justinien. Dites-lui maintenant toutes les difficultés que
présente cette opinion : il aura peine à revenir de son impression pre-
mière, et tous vos raisonnements érudits ne le persuaderont qu'à
moitié. Vous me permettrez bien d'ajouter que j'ai été souvent le
témoin d'une scène analogue. Je vais vous faire part des raisons qu€
l'on peut objecter en pareil cas à ces archéologues d'occasion.
La mosquée El-Aksa est tournée vers la Mecque, c'est-à-dire vers h
Sud. Or, c'est un fait constant dans l'architecture religieuse depuis Ii
ive siècle, que la tendance vers l'orientation des églises. Absolumen
(1) Voir Echos d'Orient, mars 1912, p. 146-154.
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE A JERUSALEM 2}^
tous les lieux de culte, somptueuses basiliques ou modestes petites cha-
pelles, auront bientôt leur chevet du côté du soleil levant, symbole du
Soleil divin qui s'est levé sur Le mandie au, jour de l'Incarnation. Cette
lot de l'orientation est générale en: Orient dès le v« ou le vi<3 siècle, et
en Occident dès le viii« (i). Pour ce qui concerne la Palestine en partJr
culier, on n'y a trouvé aucune église, aucune chapelle tant soit peu
ancienne, dont l'abside ne fût placée à l'Est. Rappelez-vous la basilique
de la Nativité à Bethléem, les ruines de l'Eléona au mont des Oliviers,
les églises de Sainte-Anne, de Saint-Etienne, de Gethsémani, à Jéru-
salem, les deux sanctuaires de Saint-Jean in Montana, l'église du puits
de la Samaritaine près de Naplouse, celle de Saint-Jean-Baptiste à Sébas-
tiéh, l'ancienne église de l'Annonciation à Nazareth, la basilique en
ruines du Thabor et tant d'autres édifices religieux dispersés à travers
toute la région. Une seule exception, qui, du reste, n'est pas admise
par tout le monde, est constituée par l'antique église constantinienne
du Martyrium au Saint-Sépulcre, mais ici, nous sommes en présence
d'une œuvre très ancienne,, bâtie à une époque où lia règle de l'orien-
tation commençait seulement à se faire jour, et puis, le Saint Tombeau
exerçait assurément sur la piété une attraction assez forte pour diriger
vers lui la prière liturgique. On avait donc occidenté (qu'on me per-
mette cette expression) l'antique basilique du Saint-Sépulcre, pour un
excellent motif qui n'existait pas ailleurs à Jérusalem en plein vi" siècle,
au temps où Sainte-Marie la Neuve fut construite.
Mais qu'est-il besoin, de discuter sur la rigueur plus ou moins grande
d'une règle devenue générale en Orient au temps de Justinien, lorsque
l'historien Procope nous dit équivalemment que Sainte-Marie la Neuve
était orientée? « Il manquait, dit-il, un quart de l'espace voulu au Midi
et à l'Est, c'est-à-dire à la partie réservée par l'usage aux cérémonies
des prêtres » (2). Dans cette phrase l'auteur fait appel à la coutume
liturgique. Or, celle-ci, nous l'avons dit, voulait au vi^ siècle, en Orient,
que l'autel et l'abside fussent placés à l'est du monument. D'ailleurs
Procope nous représente un peu plus loin l'église proprement dite
comme précédée d'un atrium et d'un nartbex et entourée de portiques,
sauf du côté de l'Orient. Cette description ne se comprend que si l'on
place à l'Est l'abside et l'autel.
Laissant de côté ce point de vue spécial de l'orientation, demandons-
tious maintenant si la mosquée El-Aksa répond pour le reste à la des-
(i) Cf. Cabrol-Leclercq, Dictionnaire, d'archéologie chrétienne et de Liturgie, au
flaot Basilique.
('2) Mot à mot: « Afin qu'il fût licite aux prêtres de faire leurs cérémonies. »
2)6 ÉCHOS d'orient
cription de Procope. L'étendue de la plate-forme choisie pour l'église
Sainte-Marie ne suffisait pas, nous l'avons vu, aux grandioses dimen-
sions de l'édifice : on dut suppléer à ce défaut par de gigantesques
substructions établies au Sud et à l'Est. Ce détail se vérifie-t-il pour
notre mosquée? 11 ne semble pas. La construction d'Hl-Aksa n'a point
nécessité du côté du Sud de fondations géantes destinées à prolonger
la colline : tout le monde est d'avis que la muraille du Haram-ech-Chérif
est d'une époque antérieure à Justinien. Pour ce qui est du côté Est,
nous pouvons dire encore que la nécessité d'établir, en plein vf siècle,
de gigantesques soubassements est pour le moins douteuse. Du reste,
si quelque part à Jérusalem la place ne faisait point défaut, c'est assuré-
ment sur l'immense esplanade du Temple où Justinien aurait pu établir
à l'aise sa basilique sans recourir à des frais énormes de substructions.
Poursuivons. Les deux historiens Procope et Cyrille de Scythopolis
nous parlent de Sainte-Marie la Neuve comme d'une merveille. Or, il
faut avoir l'enthousiasme facile pour crier au miracle quand on entre
dans la mosquée El-Aksa. De lourdes colonnes trapues et de massifs
piliers supportant des murs que l'on dirait en carton, puis, à l'extré-
mité du vaste monument, une coupole sans grandeur : voilà, il me
semble, les caractéristiques principales de cette mosquée. Est-ce bien
là un édifice digne de Justinien, du constructeur de Sainte-Sophie qui
se glorifiait d'avoir fait plus beau que le temple de Salomon? Est-ce
bien là cette admirable basilique de Sainte-Marie tant vantée par les
historiens? Je ne le crois pas. 11 me semble que, s'il nous avait été
donné de visiter à la suite l'une de l'autre Sainte-Marie la Neuve et la
mosquée El-Aksa (que je suppose distinctes), nous aurions éprouvé la
même impression pénible que nous ressentons en passant des splen-
deurs de la mosquée d'Omar aux pauvretés architecturales de la seconde
mosquée du Haram. 11 y a sans doute dans la mosquée El-Aksa j
quelques beaux spécimens de style byzantin (je fais surtout allusion ici
aux colonnes élégantes qui décorent la partie Sud du monument), mais
l'ensemble, en dépit de ces détails et de vastes dimensions, n'offre ni
grâce ni noblesse.
La vraisemblance nous empêche donc de considérer El-Aksa comme
une ancienne église, et surtout comme la merveilleuse basilique de
Sainte-Marie la Neuve. Non, El-Aksa, tournée vers la Mecque, fut dès
i'origine une mosquée. Omar avait bâti en ce point du Haram-ech-Chérif
un sanctuaire musulman, très vaste, mais sans valeur artistique. C'était,
au dire du pèlerin Arculfe, qui le vit en 670, « une maison de prière
quadrangulaire, faite de planches dressées et de grandes poutres, bâtie
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE A JERUSALEM 237
au-dessus de certaines ruines, et d'une exécution sommaire » (i).
Sans doute vers la fin du vii« siècle, alors qu'Abdel-Mélik venait d'élever
la belle mosquée dite d'Omar, on trouva ces misérables baraquements
trop indignes du culte et l'on construisit la moderne El-Aksa. Le
R. P. Abel, à la science obligeante duquel je me plais à rendre hommage,
nous a lumineusement renseignés sur ce point l'an dernier (2).
Si l'on en croyait l'historien arabe Souyouti, qui écrivait en 1470, et
d'autres auteurs arabes postérieurs, Omar aurait prié en 638 dans
l'église Sainte-Marie et l'aurait vouée au culte de l'Islam. Mais ces
auteurs sont bien loin du fait qu'ils racontent. De plus, il n'est pas
vraisemblable que le calife, après avoir respecté, comme nous le savons,
les églises du Saint-Sépulcre et du Cénacle, ait profané la basilique de
Sainte-Marie la Neuve. Pareille conduite est inadmissible en l'absence
de preuves sérieuses, alors surtout que nous connaissons la promesse
formelle d'Omar à saint Sophrone au moment de la capitulation :
« Vos églises ne seront ni habitées par les musulmans, ni détruites. » (3)
El-Aksa ne fut pas considérée comme une anciennne église par les
Croisés, puisqu'ils y installèrent le palais royal et une partie du couvent
des Templiers. Ceux-ci, dit un historien musulman indigné, établirent
des greniers et des latrines au chevet de la mosquée.
Les tenants de l'identification d'El-Aksa avec Sainte-Marie la Neuve
deviennent de plus en plus rares. Dans un article du Correspondant
paru l'an dernier, M. le marquis de Vogué a déclaré hésiter sur la
valeur de son ancienne opinion favorable à l'identification (4). Les
doutes qui pourraient encore subsister dans l'esprit de mes auditeurs
seront dissipés, je l'espère, par les arguments qu'il me reste à fournir
pour démontrer que Sainte-Marie la Neuve ne se trouvait même pas
sur l'esplanade du Haram-ech-Chérif.
2° Sainte-Marie la Neuve ne s'élevait pas sur l'esplanade
de l'ancien temple juif.
A priori on est porté à admettre que les empereurs chrétiens auront
remplacé par quelque somptueuse église le temple de Jupiter Capitolin,
bâti par Adrien sur l'emplacement de l'ancien temple juif, ou du moins
(1) TOBLER, op. cit. p. 226.
(2) Cf. Conférences de Saint-Etienne, 1910-1911, p. l'iq (chez Gabalda).
(3) Yaqoubi, dans Caetani, Annali, III', p. 935. Cf. Eutychius, P. G., t. CXI, col. i 099.
(4) Numéro du 25 juin 1911, p. i 061 : «J'examine de nouveau la construction, et
j'hésite à penser, comme autrefois, que la mosquée conserve quelques parties d'une
basilique attribuée à Justinien. »
238 ÉCHOS d'orient
qu'ils auront .élevé quelque sanctuaire sut un point de l'esplanade pour
vénérer quelqu'un des nombreux souvenirs évangéliques rappelés par
ce Heu. Hâtons-nous de dire que cette supposition est contredite par
les anciens témoignages.
Dans sO'iî commentaire de ce passage d'isaïe, Sion, la ville de votre
saint, est devenue déserte, Jérusalem a été changée en une solitude, la
maison de notre sanctuaire a été maudite (Js. lxiv, 1 1), saint Jérôme écrit :
Les Juifs pensent que tous ces événements se sont accomplis à Tépoque
des Assyriens et des Babyloniens, mais nous , nous appliquons tout
le passage au temps de la conquête romaine...., et il est superflu d'en
donner l'explication par la parole, alors que cette explication éclate à tous
les yeux : tout ce qui leur était cher a été dévasté, et leur temple, célèbre
dans le monde entier , est devenu la voirie {sterquilinium)de la ville nou-
velle, appelée ^lia, du nom de son fondateur; il est devenu l'habitacle
des chouettes (i).
Voilà quel était l'état du Haram-ech-Chérif au commencement du
v® siècle.
Les choses n'avaient pas changé lorsque, en 638, le calife Omar
y pénétra en compagnie de saint Sophrone. Les portes étaient obstruées
par les décombres. Nos deux personnages et leur suite durent se frayer
un chemin en rampant sur les débris accumulés pour déboucher sur
la partie méridionale du Haram (2). Le patriarche, rapporte Eutychius,
avait dit au calife :
Je montrerai au chef des croyants un endroit pour bâtir un temple [les
empereurs grecs n'en ont élevé aucun en ce lieu); à cet endroit se trouve
la pierre sur laquelle Dieu a parlé à Jacob, celle même que Jacob appela
Porte du Ciel et que les Israélites ont nommé Saint des saints.
Et l'historien ajoute :
En effet, après la conversion de l'empire romain à la religion chré-
tienne, tandis qu'Hélène, mère de Constantin, bâtissait des églises à Jéru-
salem, le lieu de la Sakhrah et ses environs demeurèrent déserts et aban-
donnés. On avait apporté sur la Sakhrah une telle quantité de décombres^
qu'ils formaient un grand monceau de Jumier. Les Grecs ont néglige
cette pierre , ils n'ont élevé aucune église au-dessus d'elle, parce qu('
Notre-Seigneur a dit dans le saint Evangile : « Voici que votre maisor
sera déserte », et encore : « Il ne restera pas là pierre sur pierre qui ne soi
détruite et dévastée. » C'est pourquoi les chrétiens ont laissé la Sakhral
dans l'abandon et n'ont élevé aucune église par-dessus (3).
(i) Saint Jérôme In Isaïam, lib. XVII; Migne, P. L., ,t. XXIV, col. 626.
(a) Conférences de Saint-Etienne, 1910-1911, p. i36.
(3) Eutychius, Annales, P. G., t. CXI, col. i 099-1 loc.
LA BASILIQUE SAINTE-iKARIE LA NEUVE A JERUSALEM 239
Ainsi donc, par un sentiment d'aversion pour les Juifs, les chrétiens
qui se souvenaient de la tentative de Julien l'Apostat (362) pour rebâtir
J'anden Temple, avaient feit du Haram la voirie, ou, si l'<m. veut, l'exu-
toire, le dépotoir de la ville. C'étaient des endroits absolument déserts
que le lieu de la Sakbrab et ses environs, comme l'atteste formellement
Eutychius.
Déjà, en 1869, M. le comte Couret signalait cette très grosse diffi*
culte, quand il écrivait dans son ouvrage la Palestine sous les empereurs
grecs :
Nous avons peine à croire que l'on ait choisi pour asseoir une basilique
un emplacement en horreur aux chrétiens et qui servait de réceptacle aux
ordures de la ville (i).
Et ce serait un pareil lieu, ajouterons-nous, que I'oti aurait choisi,
non seulement pour une basilique, mais encore pour un grand cou-
vent, une hôtellerie et un vaste hôpital?
Une difficulté encore plus sérieuse contre l'emplacement de Sainte-
Marie la Neuve sur l'esplanade du Temple est créée par le « mémoire sur
les maisons de Dieu ou les monastères » (commemoratorium de casis Dei
■vel manasteriis) rédigé au commencement du ix« siècle par ordre de
Charlemagne. Vous avez entendu tout à l'heure ce petit texte, d'après
lequel il y avait encore, en l'année 808, « 12 clercs à Sainte-Marie la
Neuve, bâtie par l'empereur Justinien » (2). Est-il croyable, je vous ie
demande, que les musulmans aient laissé aux chrétiens, même sous
Charlemagne, une partie notable du Haram-ech-Chérif, c'est-à-dire de
J'enceinte sacrée par excellence, la plus sainte à leurs yeux après celle
de la Mecque? Non, sans doute; non, les bons rapports entretenus par
Je grand empereur d'Occident avec Haroun-el-Rachid ne suffisent pas
à résoudre l'objection.
Enfin, un passage de Procope et un autre de Cyrille de Scythopolis
sont absolument décisifs en faveur de notre thèse. « L'empereur, écrit
Procope, ordonna de bâtir l'église sur la plus haute des collines. •>> (3)
Si l'emplacement déterminé par Justinien avait été Tesplanadedu temple,
i'historien n'aurait eu qu'un mot à dire pour désigner cet endroit avec
•clarté. Ce mot, il ne l'a pas dit. Par contre, il nous a donné un détail
lopographique qui exclut la colline du temple; l'emplacement de Sainte-
(i) Couret, la Palestine sous les empereurs grecs. Paris, 1869, P- '81, n. 7.
(2) ToBLER, op. cit., p. 302.
^3) 'ETtéareXXe èv xai upoù'yovTt fïvéffOai twv Àdcpwv.
240 ÉCHOS D ORIENT
Marie la Neuve, nous assure-t-il, est à chercher sur la colline la plus
haute de Jérusalem, c'est-à-dire sur la colline occidentale.
On a voulu éluder la difficulté en traduisant l'historien de la manière
suivante : « L'empereur ordonna de construire l'église sur la plus
avancée des collines. » Mais qu'est-ce au juste, dans notre cas, qu'une
colline avancée? Qui dira quelle peut bien être la colline la plus avancée
de Jérusalem? Cette traduction bizarre d'un mot grec, assez clair
cependant, paraît bien avoir été donnée pour le besoin de la cause. Le
traducteur latin, qui n'avait pas nos préoccupations topographiques,
a rendu tout naturellement le passage de Procope par ces mots : « in
colle omnium editissimo, sur la colline la plus haute de toutes ».
Le passage de Cyrille de Scythopolis auquel je faisais allusion il y a
un instant est le suivant : Justinien « ordonna de construire l'hôpital »
de Sainte-Marie la Neuve au milieu de la Ville Sainte (i). 11 résulte
encore de ce texte que le Haram, situé sur un côté de la ville, doit être
exclu comme emplacement de Sainte-Marie la Neuve.
3° // faut très probablement chercher l'emplacement de Sainte-Marie la
Neuve sur le mont Sien chrétien, dans la région des grandes synagogues.
Sainte-Marie la Neuve fut bâtie sur la colline la plus haute de
Jérusalem, donc sur la colline occidentale : du texte de Procope on ne
peut tirer davantage. Si l'on se demande en quel endroit précis de cette
colline, occupée par la ville du vi*' siècle sur une étendue de plus d'un
kilomètre, Justinien avait élevé la merveilleuse basilique, il faut recourir,
pour obtenir une réponse, à d'autres sources d'information.
Tout d'abord, la description de l'Anonyme de Plaisance, venu à
Jérusalem en 570, nous fournit une indication utile. Le pèlerin a visité |
le Saint-Sépulcre; de là il s'est rendu au Cénacle, puis à la basilique .
Sainte-Marie la Neuve. 11 ajoute : Il
Nous avons prié au prétoire, là où le Seigneur fut jugé, là où s'élève
maintenant la basilique Sainte-Sophie. Devant les ruines du Temple de
Salomon, sur la rue, l'eau coule vers la fontaine de Siloé, le long du por-
tique de Salomon. De là, nous arrivâmes à un arc où il y a eu une porte
antique , et, de l'arc, nous descendîmes à la fontaine de Siloé par de
nombreux degrés (2).
Que l'on place le prétoire visité par ce pèlerin au Mékémeh, voisin
du mur des Lamentations, qu'on le place près de l'hospice autrichien
(i) CoTELiER, op. cit., p. 346. Le grec porte : év tw ii.é<7(û ty)? àyloa ttoXewç.
(2) TOBLER, op. cit., p. 104.
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE A JERUSALEM 24I
et des Arméniens catholiques, ou qu'on le place à la caserne située à
l'angle Nord-Ouest du Haram-ech-Chérif, on conclura du texte de notre
pèlerin que l'église Sainte-Marie la Neuve s'élevait, soit dans le quartier
juif, soit dans le quartier du sérail (i). Et si l'on admet, avec un bon
nombre d'auteurs, et non sans preuves sérieuses, que le prétoire était
montré, à l'époque byzantine, dans la région du Mur des Pleurs des
juifs, il faudra songer plus probablement au quartier juif actuel pour
localiser la basilique de Justinien.
Cette dernière manière de voir est confirmée par le petit texte de
Cyrille de Scythopolis donné tout à l'heure : au milieu de la Ville
Sainte. En effet, à l'époque de Justinien, Jérusalem s'étendait beaucoup
plus au Sud que la ville moderne, en couvrant complètement le mont
Sion chrétien, de sorte que le quartier juif actuel se serait trouvé au
centre de la cité de cette époque.
Or, il est intéressant de constater que la carte-mosaïque de Madaba,
oeuvre du temps de Justinien, représente en plein milieu du quartier
juif actuel, semble-t-il, vers l'endroit où se dressent les coupoles des
deux grandes synagogues, un monument important, bien orienté, dont
la façade se trouve sur la longue rue à colonnes qui va de la porte de
Damas vers la porte Sud de la ville. Il a paru tout naturel à plus d'un
de voir dans ce vaste édifice la basilique de Sainte-Marie la Neuve qui
faisait l'admiration des contemporains.
Je n'oserais affirmer absolument que le mosaïste a voulu représenter
Sainte-Marie la Neuve, car, en dehors du Saint-Sépulcre, bien dessiné,
il n'est pas tout à fait sûr qu'aucune église soit figurée sur ce plan de
la Ville Sainte, mais du moins tout le monde concédera que l'hypo-
thèse est très plausible, les églises étant les monuments principaux de
Il la Ville Sainte au vi» siècle.
Même si on n'admet pas que la carte de Madaba représente Sainte-
Marie la Neuve, on doit avouer que la partie du quartier juif comprise
entre les deux grandes synagogues à coupole est un point de la ville
qui vérifie à la lettre les données des anciens textes sur l'emplacement
|de la grande basilique de Justinien. On est là sur la colline occidentale,
la plus haute de Jérusalem, et en plein milieu de la ville du vi^ siècle.
iL'bôtellerie et V hôpital qui avoisinaient Sainte-Marie la Neuve pouvaient
'avoir leur façade sur la grande rue à colonnes figurée par la carte de
Madaba. Un peu plus loin, sur le plateau qui s'abaisse rapidement vers
j l'Est et vers le Sud, devaient s'ouvrir les deux hémicycles dont parle
(1) C'est-à-dire à l'est d* la basilique du Siint-Sépulcri.
Échos d'Orient, t. XV. ,6
242 ÉCHOS D ORIENT
Procope. Enfin venaient les propylées et l'atrium, puis la basilique
proprement dite à l'extrémité orientale du plateau. On avait dû établir
des soubassements considérables pour soutenir le monument du côté
du Sud, et surtout du côté de l'Est où la colline offre une pente plus
rapide.
Les vestiges anciens apparents sont rares sur ce point de la ville
comme presque partout ailleurs. Cependant le R. P. Séjourné en avait
signalé, il y a une quinzaine d'années, d'assez importants près de l'an-
cien couvent teutonique du temps des croisés, sur l'escarpement qui
domine la vallée du Tyropœon (i). Seules des fouilles pourraient per-
mettre de proposer un lieu tout à fait précis comme emplacement de
l'église Sainte-Marie.
En terminant cette discussion topographique, relevons un détail signalé
par M. Clermont-Ganneau. Il y avait au x^ siècle une Porte-Neuve, pro-
bablement dans la région de la porte actuelle des Maugrebins ou un
peu plus à l'Ouest. Ce nom de Porte-Neuve mérite d'être rapproché de
celui de Sainte-Marie la Neuve (2),
11 ne nous reste plus maintenant qu'à répondre à cette question :
Y a-t-il jamais eu à Jérusalem une église dédiée à la. Présentation de la
Sainte Vierge?
Nier absolument le fait serait téméraire. Du moins, nous pouvons
affirmer qu'aucun texte bien ancien n'autorise cette croyance et que»
si l'église de Sainte-Marie la Neuve s'élevait, comme nous croyons
l'avoir démontré, en dehors de l'esplanade du Temple, l'existence
d'une antique église de la Présentation à Jérusalem devient fort probl^
matique.
Le docte Franciscain Quaresmius (xvif siècle) parle de la mosqué€J
El-Aksa avec sa prolixité habituelle, mais il insiste surtout sur \t fait àk\
la Présentation de la Vierge au Temple. Touchant l'histoire du culte de[
Marie se manifestant à Jérusalem par la consécration d'une église auj
mystère de la Présentation, il est beaucoup plus laconique.
(i) Le long de la rue HaratelMeidan, on peut voir des fragments relativement noirj
breiix de colonnes et de chapiteaux. ;
^ (2) Moqaddesy (x* siècle). signale la Porte-Neuve après la porte de Sion; M. Clermonj
Ganneau incline à croire que dans son énumération des portes de la ville cet auteuj
va de l'Ouest à l'Est. Dans cette hypothèse, la deuxième porte, appelée Porte-Neuvf
doit être cherchée dans les environsde la porte actuelle des Maugrebins. (Cf. Clermon'
Ganneau, Recueil d'archéologie orientale, t. III, p. 56-57.)
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE A JÉRUSALEM 243
Il dit d'abord qu'un vieux manuscrit signale la mosquée El-Aksa
sous un nom équivalent à celui de la Présentation au Temple, en l'ap-
pelant : l'école de la Bienheureuse Vierge Marie oii elle apprit l'alphabet.
L'interprétation que donne Quaresmius de cet ancien texte me semble
erronée. Nous savons, en effet, par plusieurs récits de pèlerinages
qu'après les Croisades la légende montra une pareille école dans le
voisinage de l'Arc de VEcce Homo (i).
Ensuite Quaresmius cite un passage de Jacques de Vitry qu'il applique
sans raison suffisante à la mosquée El-Aksa, alors que cet historien
des Croisades se contente de dire que la Vierge fut présentée au Temple
du Seigneur, dont l'emplacement est marqué par la mosquée d'Omar (2).
Le docte écrivain se demande enfin quel fut le constructeur d'El-Aksa,
pour lui église de la Présentation. Et il répond que ce ne fut pas
sainte Hélène, comme le croyait à tort au xvi« siècle Bonîface d€ Raguse,
un de ses prédécesseurs dans la charge de custode, mais bien l'empe-
reur Justinien. Là-dessus, il se pose cette autre question : « La mosquée
El-Aksa fut-elle appelée, à l'origine, c'est-à-dire au temps de la fon-
dation, église de la Présentation? » Non, répond-il, « elle s'appela
d'abord église de la Mère de Dieu, église Neuve, si nous en croyons
Cyrille de Scythopolis ». Et il donne comme autre preuve que la fête
de la Présentation a été introduite dans l'Eglise bien longtemps après
Justinien. A la suite de Baronius, il fait commencer l'histoire connue
de cette fête au xiv^ siècle seulement (nous avons dit qu'elle était sûre-
ment plus ancienne d'au moins deux cents ans), mais il admet que la
solennité de la Présentation aura pu être célébrée auparavant à Jérusa-
lem et que le patriarche de cette ville aura ajouté au vocable Sainte-
iMarie les mots « de la Présentation ». Sa pensée paraît être que le fait se
îpwa produit à une époque reculée, avant la prise de la Ville Sainte par
les Arabes en 638 ou pendant la durée du royaume latin auxii^ siècle (3).
On le voit, Quaresmius est à court de preuves servant à établir
qu'une église de Jérusalem a été dédiée jadis à la Présentation de la
Vrerge.
N'accusons pas trop vite son érudition de se trouver en défaut. En
effet, la croyance générale de son temps, d'après laquelle il y aurait
eu autrefois dans la Ville Sainte une église sous le vocable de la Pré-
jsentation, manque de documentation dans l'antiquité. 11 faut attendre,
(1) Ainsi par la relation du baron d'Anglure, venu à Jérusalem en iSgS.
is) Elucidatio Terrœ Sanctcc, 1. IV, c. xviu,
^3) Op. cit., 1. IV, c. XIX.
244 ÉCHOS D ORIENT
à ma connaissance, jusqu'au xv^ siècle pour trouver, dans le Traité de h
Terre Sainte et de l'Orient de Francesco Soriano, la première attestation
de ce genre.
On a mis en avant l'hypothèse selon laquelle la fixation du jour de la
fête de la Présentation aurait été déterminée par la date de la dédicace
de Sainte-Marie la Neuve (novembre 543), comme le jour de la fête de
l'Exaltation de la Sainte Croix a été déterminé par le second jour de la
dédicace de la basilique du Saint-Sépulcre, le 14 septembre (1). Dès lors,
assure-t-on, il serait très vraisemblable que Sainte-Marie la Neuve ait
porté le vocable de la Présentation. Tout ceci ressemble fort, si je ne
me trompe, à un cercle vicieux. Tant qu'on n'aura pas prouvé, à l'aide
des témoignages des textes, que la consécration de Sainte-Marie la Neuve
eut lieu exactement le 21 novembre, on n'aura rien prouvé (2).
Concluons donc que l'existence à Jérusalem, à n'importe quelle
époque, d'une église dédiée à la Présentation, est pour nous, dans
l'état actuel de la science, un fait extrêmement douteux.
S'il fallait résumer en quelques mots cette conférence, nous pourrions j
dire :
Sainte-Marie la Neuve, bâtie à la fin du v« siècle et au commencements
du vie, détruite par les Perses en 614, mais relevée bientôt (commel
le prouve le Commemoratorium de casis Del) pour subir en 1009, soujd
Hakem, une destruction définitive, ne peut être identifiée avec la moslj
quée El-Aksa, car l'orientation d'El-Aksa et son peu de caractère archi-L^
tectural s'y refusent, et, de plus, nous savons qu'Omar avait promis d( j
respecter toutes les églises. |
Elle ne s'élevait même pas sur le Haram-ech-Chérif, car 1° ce liei |
était désert et avait été transformé en voirie à l'époque byzantine j
2" il y aurait eu au ixe siècle, chose bien invraisemblable, une églisi i
livrée au culte sur l'esplanade du Haram, si sainte aux yeux des musu! .-
mans; y la basilique Sainte-Marie la Neuve s'élevait sur la collinl .'j
la plus haute de Jérusalem et donc sur la colline occidentale (Procopej j
et au milieu de la ville (Cyrille de Scythopolis). \
11 est très probable que Sainte-Marie la Neuve se trouvait, avec se| \
(i) Les fêtes de la dédicace commençaient le i3 septembre, mais l'ostension sole
nelle de la relique avait lieu le 14. (Cf. S. Vailhé, La dédicace de Sainte-Marie
Neuve, dans Revue Augustinienne,x. II, igoS, p. 139-140.)
(2) Cyrille de Scythopolis dit simplement qu'il est parti de Scythopolis à la fin (
mois de novembre pour aller assister à la dédicace de Sainte-Marie.
.^i
LA BASILIQUE SAINTE-MARIE LA NEUVE A JERUSALEM 245
annexes, au centre du quartier juif actuel, car cet endroit répond bien
aux données de Procope et de Cyrille de Scythopolis et, de plus,
semble suggéré par le récit de voyage de l'Anonyme de Plaisance et
la carte de Madaba.
Enfin ces conclusions topographiques,, jointes au silence des anciens
auteurs, rendent très incertaine l'existence dans Jérusalem, à une date
quelconque, d'une église dédiée à la Présentation.
Ceci n'empêchera personne, en visitant l'Esplanade du Temple, de
vénérer le souvenir de la Vierge qui y fut présentée, y vécut de longues
années et y vint ensuite souvent pendant la vie de Jésus.
LÉOPOLD Dressaire.
Jérusalem.
LA « NATION LATINE »
DE CONSTANTINOPLE
L'histoire complète de la colonie latine de Constantinople serait
longue à faire; elle devrait remonter pour le moins au ix« siècle,
puisque le pape Jean VIIT (882), écrivant à Basile le Macédonien, parle
de l'église des^saints Serge et Bacchus, qu'il considère comme une église
de rite latin (i). Cette histoire présenterait aussi forcément bien des
lacunes, car les documents sont rares, et beaucoup d'entre eux, enfouis
dans les archives de la Sublim e Porte, y restent à peu près inaccessibles.
Notre intention n'est pas, pour aujourd'hui du moins, de remonter
à l'époque de Jean VIII; nous préférons nous borner à la période qui
suivit la conquête musulmane. Dans la période qui précède, au reste^
la nation latine n'était qu'une colonie étrangère ne faisant même pas
partie intégrante, au moins en fait, sinon en droit, de l'empire de
Byzance.
La fondation de l'empire latin avait, il est vrai, amené en 1204 la
création d'un patriarcat de rite latin; un Chapitre s'était même constitué
à Sainte-Sophie (2). Cette splendeur, fruit d'une conquête, n'eut que
la durée de cette même conquête. Moins de cinquante ans plus tard^"
en 1261, les empereurs grecs remontaient sur le trône de Constantin,
et le patriarche Giustiniani, partageant la fortune de ses compatriotes,
devait s'embarquer en fugitif sur le même vaisseau que l'empereur
Baudouin II. II ne perdit pas son titre néanmoins; il continua, bien que
de loin, à diriger les quelques latins restés à Constantinople. En 1274,;
il assista même au concile de Lyon. Sa Juridiction ne se bornait pas
à Constantinople, mais s'étendait à tout l'ancien patriarcat et aux po$
sessions encore au pouvoir des croisés.
Giustiniani fut remplacé, en 1286, par Pierre I«r, Celui-ci résida daru
l'île de Crète, et, de là, continua à exercer sa juridiction sur les latins
de l'empire byzantin.
Les successeurs de Pierre I^r, successivement élus par les chanoines
de Sainte-Sophie, conservèrent une juridiction réelle sur la ville impé-
(i) A. Belin, Histoire de la latinité de Constantinople, 2' édition. Paris, 1894. p. i5
(2) Van den Steen de Jehay, De la situation légale des sujets ottomans non musul
mans. Bruxelles, 1906, p. 307.
i
LA « NATION LATINE » DE CONSTANTINOPLE 247
riale. En 1302, Boniface Vlll leur confia aussi le gouvernement de l'ar-
chevêché de Candie. En 1314, Clément V y ajouta l'évêché de Négre-
pont. Celui-ci devint la résidence habituelle de plusieurs patriarches, entre
autres du patriarche Henri, qui, en 1344, se mit à la tête d'une croi-
sade et s'empara de Smyrne le 28 octobre de la même année; il y fut
tué dans une sortie contre les Turcs.
En 1390, le titulaire était Angelo Corraro, qui devint le pape Gré-
goire XII.
A la fin du siècle suivant, plusieurs patriarches unirent ce titre à celui
de cardinal, à l'inverse de ce qui se fait maintenant; on sait qu 'au-
jourd'hui le patriarche latin de Constantinople cesse de porter ce titre
s'il entre dans le Sacré Collège.
En 1492, quand mourut Bessarion, le Chapitre de Sainte-Sophie
n'existait plus; un seul de ses membres vivait encore, et le Pape se
réserva le droit de nommer directement au titre de Constantinople.
De 1261 à 1453, la juridiction des patriarches, si précaire déjà, avait
îté restreinte encore par les droits que le patriarche de Venise et l'ar-
:hevêque de Gênes n'avaient pas cessé d'exercer sur leurs compatriotes
le Constantinople et les églises qu'ils fréquentaient; mais, après la
:onquête turque, Génois et Vénitiens disparurent, le peu qu'il en resta
[l'osa plus se réclamer de la mère patrie, et le vrai titulaire de Cons-
antinoplé concentra entre ses mains tous les pouvoirs : pouvoirs pure-
ment nominaux, ou à peu près; car, obligé de résider à Rome ou dans
'île de Crète, le patriarche n'était représenté dans sa ville patriarcale
3ue par un simple prêtre, ordinairement le supérieur du couvent de
iaint-François, à qui il donnait le nom de vicaire patriarcal.
En 1634 (i), sur l'ordre de la Propagande, le patriarche dut envoyer,
;n le rétribuant lui-même, un évêque suffragant. Mais cette situation
le dura guère, car six ans plus tard les Turcs vinrent la simplifier en
l'emparant de l'île de Crète et des revenus que TEglise catholique y
)ossédait. N'ayant plus de quoi payer son suffragant, le patriarche cessa
ie le nommer et perdit de ce chef l'ombre de juridiction qui lui restait.
.'Eglise latine fut dès lors gouvernée directement par la Propagande,
lui nomma elle-même le vicaire patriarcal, et transforma son titre
:n celui de vicaire apostolique suffragant patriarcal de Constantinople.
:n 1772, le mot suffragant fut supprimé, l'évêque porta le titre de vicaire
apostolique pour le district de Constantinople, et celui de vicaire
miriarcal. pour la ville même. En 1868, on y ajouta le titre de délégué
(i) Belin, op. cit., p. 174.
248 ÉCHOS d'orient
apostolique pour les rites orientaux, et, depuis lors, l'évêque résidant
à Constantinople s'intitule -vicaire patriarcal et délégué apostolique.
Telle est la suite des transformations qui aboutirent à la situation
religieuse actuelle. Voyons comment s'organisa à son tour l'adminis-
tration civile des catholiques de rite latin.
Avant la conquête de Mahomet 11, Gênes et Venise, l'emportant tour
à tour, s'étaient disputé l'influence latine à Constantinople. Au moment
de la conquête, la première de ces deux villes dominait, elle partagea
le sort que l'ouragan musulman faisait subir à l'empire byzantin. La
plupart des latins quittèrent la ville devenue turque, mais un bon
nombre prêtèrent l'oreille aux invitations de Mahomet II, qui leur pro-
mettait, comme à tous les autres habitants de Constantinople, la vie
sauve et la propriété de leurs biens. Ceux qui revinrent furent même
assez nombreux pour constituer une communauté à part, avec son
existence propre et ses privilèges. On sait, en effet, que Mahomet II,
trop habile politique pour essayer de créer, entre tant de peuples de
races et de tendances si diverses, une unité impossible, garantit une
entière indépendance religieuse et une certaine autonomie civile à
chaque communauté chrétienne, sous la surveillance et la responsabilité
de son chef religieux.
Le noyau de la communauté latine se trouvait à Péra, qui, à l'époque
de l'empire byzantin, formait comme une cité à part avec ses fossés, ses
murailles (dont le couvent de Saint-Benoît offre encore des vestiges), et
son administration particulière. Elle était même, au temps de l'empire
disparu, indépendante à ce point, que bien des fois elle prit parti contre
les maîtres du pays, et, bien longtemps avant la conquête, elle avait
traité directement avec les sultans qui menaçaient sans cesse la capitale
de l'empire grec. Cela lui attira de la part des Turcs une bienveillance
relative; et, après la conquête, le faubourg de Galata, sans se soucier
autrement des Grecs, put capituler pour son propre compte. Mais le
pouvoir régulier, lui, n'avait pas voulu renier ses amitiés génoises, et
Mahomet ne trouva devant lui qu'une réunion de bourgeois érigée en
gouvernement provisoire. Il lui accorda la paix et lui concéda même
certaines franchises consignées dans le firman suivant :
Moi, le Grand Seigneur, le grand Emir, Sultan Méhemed Khan, fil
du Grand Seigneur et Grand Emir Mourad Khan, je jure, par le Diei
créateur du ciel et de la terre, par notre grand prophète Mohammed, pa<
les sept variantes du Coran que nous confessons, nous, musulmans, pa
LA « NATION LATINE » DE CONSTANTINOPLE 249
les cent vingt-quatre mille prophètes de Dieu, par l'âme de mon grand-
père, par le sabre qui me ceint le corps, que je laisse aux habitants de
Galata leurs lois et leurs franchises, ainsi qu'il est d'usage pour tous les
pays aujourd'hui soumis à ma domination, et cela sur la prière que m'en
ont faite les très honorables archontes, le Sieur Bayle Paraban, le Seigneur
Marchèse Difrangho et l'interprète Nicolas Pelazoni, députés auprès de
notre Sublime Porte par les archontes de cette ville. En conséquence,
les murs de Galata seront rasés, mais les habitants conserveront tous
leurs biens, leurs maisons, leurs magasins, leurs vignes, leurs moulins,
leurs navires, leurs barques, leur commerce, leurs femmes et leurs
enfants, pour en disposer comme ils l'entendent. Il leur est permis de
vendre leurs marchandises dans toute l'étendue de mon empire; ils pour-
ront voyager librement par terre et par mer; ils ne seront assujettis à
aucun droit de douane ni à aucun travail forcé, mais ils seront tenus de
payer un droit de capitation {kharadj), comme tout autre pays rangé
sous ma domination. Ses lois et ses usages {de Galata) resteront, dès
aujourd'hui et pour toujours, les mêmes; je les protégerai et les défendrai
comme ma propre personne. Les habitants conserveront leurs églises et
leurs chants; mais il leur est défendu de se servir de cloches ou de cré-
celles; je ne changerai pas leurs églises en mosquées, mais ils ne pour-
ront pas en construire de nouvelles.
Les négociants génois pourront circuler librement et vaquer en toute
sûreté au soin de leur commerce; je ne prendrai pas leurs enfants pour
les enrôler dans le corps des janissaires; il ne leur sera point fait violence
pour les convertir à notre foi; je promets aux habitants de Galata de ne
pas les faire gouverner par un esclave; ils choisiront eux-mêmes dans
leur sein un ancien pour juger les différends entre les négociants. Ni
janissaires ni esclaves ne seront logés dans leurs maisons; ils éliront un
des leurs pour administrer leurs affaires.
Les archontes et les administrateurs ne seront pas molestés; ils auront
la faculté d'aller et de venir en payant la taxe, comme il est dit dans ce
document par nous écrit.
Fait l'an 6961 de la création du monde, et de l'Egire SSy, vers la fin
du mois de Djémadi-ul-akher (i).
Ce firman fut l'origine civile de la nation latine actuelle; il garantit
jencore son égalité avec les autres communautés chrétiennes dans
ll'empire des sultans.
(i) Hammer, Geschichte des osmanichen Reichs. Pesth, 1827, t. I", p. 677. Cf. Zin-
KEiSEN, Geschichte des osmanischen Reiches in Europa. Gotha, 1854, t. Il, p. 26-28.
JGet auteur cite en note, ibid., une traduction italienne de ce document, probablement
jcontemporaine des événements, et existant à l'état de manuscrit, en 1864, à la biblio-
jthèque de l'Arsenal, à Paris, dans la collection intitulée : Traite^ et ambassades de
2^0 ÉCHOS D ORIENT
La petite communauté ainsi constituée s'intitula d'un nom qui ne
parut pas alors trop pompeux Magnifica Communita di Fera (Péra, c'est-
à-dire ce qui est au delà, au delà de la Corne d'Or, par rapport à Stam-
boul). Sur son organisation nous savons fort peu de chose, les documents
n'abondent pas; e'n tout cas, la Magnifica Communita était dirigée par
un prieur, un sous-prieur et douze conseillers. Cette organisation ne
fut complète que plus tard, sous Ahmed l^r, puis sous Mourad IV, qui,
en 1640, permit aux latins de se choisir des chefs à leur guise.
La Magnifica Communita était chargée de l'administration tempo-
relle des églises, et nommait pour chacune d'elles un procureur dont
les pouvoirs ne duraient jamais plus d'un an. Ces pouvoirs, en prin-
cipe, ne concernaient que l'administration strictement temporelle des
églises; toute la puissance spirituelle résidait entre les mains des
vicaires patriarcaux. Est-ce à dire que la Magnifica Communita ne
chercha pas de temps à autre à se mêler aussi du spirituel? C'eût
été presque héroïque, et surtout contraire à la coutume de l'Orient.
L'exemple des communautés non catholiques exerçait parfois une sorte
de fascination sur les procureurs, qui eussent bien voulu s'immiscer
dans l'administration spirituelle. Aussi des conflits en résultaient-ils
assez fréquemment entre la Magnifica Communita et le pouvoir reli-
gieux. Ainsi, en 1585, le 18 novembre, les conseillers demandèrent
qu'on leur laissât le soin de choisir eux-mêmes les prêtres chargés de
desservir les églises de la communauté : Sainte-Marie, Saint-Nicolas,
Sainte-Anne, Saint-Benoît, Saint-Jean, Saint-Sébastien, Saint-Antoine
et Saint-Georges. La communauté prétendait posséder ce droit depuis
la conquête musulmane. Mais l'évêque de Tinos, envoyé par le Pape
comme visiteur apostolique, ne voulut pas le reconnaître.
La Magnifica Communita était naturellement chargée de subvenir aux
dépenses des églises, mais elle se montrait moins zélée dans l'exercice
de cette prérogative que dans la nomination des curés, et, à plusieurs
reprises, les vicaire^ patriarcaux furent obligés de menacer d'excom-
munication les procureurs qui refusaient de rendre compte de leur
administration. En 1648, cette menace fut même mise à exécution par
un vicaire patriarcal du nom de Gian Franceso.
Déjà, en 1623, la Magnifica Communita avait essayé de s'opposer ;i
la nomination d'un vicaire patriarcal revêtu du caractère épiscopal.
sous prétexte que la présence à Constantinople d'un ambassadeur du
Turquie, t. I", p. i8. Cf. C. Saih, Notice historique sur la communauté latine (jtiu--
mane. Constantinople, 1908, p. 9.
LA « NATION LATINE » DE CONSTANTINOPLE 2t^I
Pape déchaînerait le fanatisme musulman contre la religion chrétienne,
et pousserait les Turcs à transformer en mosquées les églises catho-
liques.
La crainte inspirée alors par les Turcs était si grande, que Ton n'osa
pas passer outre. Mais onze ans plus tard, comme nous l'avons déjà
vu, la Propagande ordonnait néanmoins au patriarche de Constantinople
d'env oyer un évêque suffragant dans sa ville patriarcale. Un peu plus
tard, en 1664, la. Ma^nijica Communiia elle-même sollicitait du gouver-
nement turc le bérat ou diplôme d'investiture pour M^^" Ridolphi, ce
qui, d'ailleurs, fut refusé (i); et, en 1671, elle insistait auprès du Pape
pour que le patriarche résidât à Constantinople.
La raison qui avait fait accepter au Saint-Siège et aux différents
vicaires patriarcaux le fonctionnement de cette Magnifica Communita
était l'espoir qu'un Comité laïque, composé à l'instar de ceux qui
gouvernent encore les communautés non catholiques, porterait moins
ombrage aux Turcs, qu'il serait par suite plus à même de sauvegarder
les intérêts catholiques. On fut un peu déçu, comme on l'a été, du reste,
chaque fois que l'expérience s'est renouvelée ; ces Comités se préoccupent
surtout, quand ils se préoccupent de quelque chose, de réclamer des
privilèges, toujours dus ab antiquo naturellement, et les vrais intérêts
religieux passent infailliblement à l'arrière-plan. C'était arrivé pour la
Magnifica Communita, et, vers 1680, il ne restait presque plus d'églises
catholiques ; les unes avaient été incendiées, et personne n'avait su les
reconstruire; les Turcs avaient confisqué les autres pour en faire des
mosquées, et personne n'avait soufflé mot. D'un autre côté, la plupart
des latins n'étaient même pas sujets ottomans; ils n'avaient affaire, au
civil, qu'avec les ambassadeurs de leurs pays respectifs. Quant à la
Magnifica Communita di Fera, ils s'en souciaient très peu. Aussi le
vicaire patriarcal, Mg^ Gasparini, jugea-t-il le moment venu de s'en
passer tout à fait, et de briser ainsi» une fois pour toutes, son opposition,
qui devenait souvent encombrante et jalouse. Il obtint de la S. Cong. de
la Propagande un décret du 17 octobre 1682, qui enlevait totalement
ià la Communita l'administration des biens ecclésiastiques. La Société
,j (i) Une petite brochure publiée à Constantinople sur le sujet que nous traitons
prétend que cette demande était dirigée contre Rome, et pour soustraire i'évêque au
pouvoir du Pape, pouvoir que l'auteur de la brochure voudrait prouver exagéré;
iîntiais les ouvrages dans lesquels il a puisé les éléments de son travail ne donnent
pas lieu à cette interprétation trop tendancieuse. (C. Saih, Notice historique sur la
'munauté latine ottomane. Constantinople, 1908, p. i5. )
2^2
ECHOS D ORIENT
•
ainsi dépossédée essaya bien de résister; mais, d'une part, toutes les
églises appartenaient aux communautés religieuses; d'autre part, les
membres de ce Comité avaient diminué, au point de devenir quantité
négligeable; d'ailleurs, en cas de besoin, l'ambassade de France savait
agir, et les latins avaient plus de confiance en elle qu'en la Communiia.
Il suffit, dit M. Belin, pour ne parler que de la latinité de la capitale,
de rappeler la conservation de plusieurs églises, due à l'intervention de
François I"; la protection assurée aux divers Ordres religieux, l'inter-
vention personnelle de Henri III en faveur du patriarche de Constanti-
nople, la reconstruction ou la dotation de telles ou telles églises, dues
aux bons offices des ambassadeurs non moins qu'à la munificence de
nos rois, en un mot l'assistance efficace et constante donnée par la
France aux affaires de l'Eglise. En 1608, la Communiia déclarait M. de
Brèves protecteur général des chrétiens de l'empire ottoman. En 1639, le
patriarche œcuménique lui-même faisait supplier le roi de France de se
déclarer le protecteur de l'Eglise d'Orient (i). .,^
La Magnifica Communiia disparut donc tout à fait, pour céder lâ
place à une paisible confrérie de Sainte-Anne, qui n'eut jamais de
prétentions politiques ou administratives.
*
* *
Cependant le vicaire patriarcal et délégué apostolique n'ayant pas de
bérat de la Sublime Porte, il lui est impossible de traiter directement
avec le gouvernement. L'ambassadeur de France, en sa qualité de
représentant de la nation protectrice, doit lui servir d'intermédiaire, et,
c'est accompagné d'un drogman français, que le délégué apostolique se
présente devant le souverain ottoman.
Mahomet II avait créé une situation spéciale à ses sujets chrétiens;
chaque groupement forme comme un Etat à part et traite avec le gouver-
nement central par l'intermédiaire et sous la responsabilité de ses chefs
religieux. Mais, nous venons de le voir, l'évêque latin n'a pas de bérat,
pour la raison très simple qu'il n'est jamais sujet ottoman et que le
gouvernement ottoman n'accepte pas que des sujets étrangers soient
revêtus d'un caractère officiel civil. Les latins ont donc besoin d'un
intermédiaire, qui, sujet de la Porte, puisse les représenter auprès d'elle.
De ce chef, ils restèrent longtemps soumis au patriarche arménien gré-
gorien, qui, d'ailleurs, représentait tous les chrétiens non orthodoxes
de l'empire.
En 1828, les Arméniens catholiques obtinrent un représentant spécial,
(i) Belin, op. cit., p. 175.
LA « NATION LATINE » DE CONSTANTINOPLE 253
un Na^ir; les autres catholiques profitèrent de cet arrangement. Mais
quand, deux ans plus tard, les premiers firent transférer à leur
patriarche, chef religieux, les pouvoirs civils du Nazir, les catholiques
latins réclamèrent un chef civil qui leur fût propre, lis l'obtinrent, en
1836, avec le titre de directeur de la chancellerie latine ottomane, bien
qu'on le désigne communément sous le titre de consul latin. Cette
charge relève actuellement du ministère des Affaires étrangères, mais
il n'en fut pas toujours ainsi; elle dépendait, en 1844, du ministère de
la Marine; en 1850, du ministère de la Police, et en 1831, de celui de
la Guerre. En somme, le chancelier latin était placé sous les ordres de
tel ou tel personnage, plutôt que sous la dépendance de telle ou telle
administration. Depuis une trentaine d'années il est invariablement
resté attaché au ministère des Affaires étrangères. Le titulaire actuel
est M. Othon Varthaliti, qui a succédé dans cette charge à son père,
M. Georges Varthaliti.
Quelles sont les attributions du chancelier latin? Pour répondre à
cette question, il suffira de citer M. le comte van den Steen de Jehay :
Pour préciser les idées au sujet d'une organisation qu'il est difficile de
bien définir, puisqu'elle n'a jamais fait l'objet d'un règlement mis par
écrit, nous nous bornerons à énumérer quelques-unes des attributions
du consul latin.
Il légalise les actes d'état civil des latins, lorsqu'il en est requis, et
envoie des extraits de ces actes au bureau de la statistique du ministère
de l'Intérieur. On remarquera que ce sont les intéressés eux-mêmes ou
leurs représentants, qui, aujourd'hui comme autrefois, prennent l'initia-
tive de réclamer au curé de la paroisse les documents d'état civil dont ils
peuvent avoir besoin.
Il nous a été affirmé, au moins pour les paroisses auxquelles nos inves-
tigations se sont étendues, que la communication régulière et générale
des actes de baptême ne se fait ni à la Chancellerie latine, ni au Vicariat
apostolique, ni au moukhtar du quartier. Les puissances qui s'arrogent
encore un certain droit de protection sur les raïas latins auraient refusé,
jusqu'à ce jour, de reconnaître aux moukhtars le droit d'exiger la déli-
vrance régulière de ces actes, comme le prescrit le règlement du 5 rébi-
ul-e\vel i320 ou 29 mai i3i8 (29 mai/ii juin 1902). En ce qui concerne le
directeur de la Chancellerie latine, son rôle consiste tout à la fois à
authentiquer et à transmettre les extraits dont les autorités ottomanes
exigent la production.
D'autre part, c'est directement à la Chancellerie latine que le raïa latin
is'adressera pour obtenir le certificat d'identité de vie {ilm-i-haber) néces-
jsaire pour l'achat ou la vente d'une propriété.
254 ÉCHOS d'orient
Avant l'abolition de l'impôt dit kharadj, le consul latin avait le droit
de délivrer des cartes de permanence indiquant que le porteur était sujet
ottoman de rite latin {latin îaïfessi), ce qui l'exonérait de cette con-
tribution.
lien était de même des passeports, qui, aujourd'hui, ne peuvent plus
être délivrés que par le ministère des Affaires étrangères, et sur la pro-
duction, pour les latins, d'une demande formulée par leur Chancellerie^
Le directeur de la Chancellerie latine a compétence pour dresser et
recevoir les testaments de ses ressortissants. Sa signature, apposée sur
ces actes, en constitue l'authenticité. A l'époque où il n'existait pas de
notaires (avant le 4 août 1874), il dressait des actes de procuration; sa
signature, en ces cas, était légalisée par le ministère des Affaires étran-
gères.
Il a qualité pour donner aussi valeur légale à un acte de transaction
passé devant lui et qui, en cas de transgression par l'une des parties en
cause, sera transmis àu tribunal compétent pour être homologué et mis
à exécution.
On peut même dire que le directeur de la Chancellerie a des fonctions
judiciaires, car il peut connaître de toutes causes mobilières entre
membres de sa communauté. Les autorités ottomanes lui recon-
naissent le droit de citation. Sur sa réquisition, la police turque amènera
devant son tribunal le témoin ou un défendeur récalcitrant. Il fut un
temps où il siégeait avec quatre assesseurs. Maintenant il siège seul. II
faut ajouter que c'est plutôt un juge de paix ou arbitre. Si l'un des plai-
deurs ne se soumettait pas à sa sentence, il pourrait en appeler aux tri-
bunaux ordinaires.
11 va de soi aussi que la juridiction du consul latin ne préjudicie point
à la juridiction patriarcale. Les causes matrimoniales, étant de la compé-
tence exclusive de l'autorité religieuse, ne peuvent être jugées que par
un tribunal ecclésiastique. C'est au vicaire patriarcal qu'il appartient de
fixer la procédure à suivre. Le tribunal se compose normalement du
vicaire patriarcal, de son chancelier, d'un defensor vinculi (matrimonii)
et quelquefois d'un ou de plusieurs assesseurs. Les règles observées sont
strictement celles du droit canon.
Tout en étant fonctionnaire ottoman, le directeur de la Chancellerie
latine ne reçoit pas de traitement du gouvernement turc. Ses honoraires
et frais de gestion doivent être payés par les taxes qu'il a le droit de pré-
lever, et il existe un tarif porté à la connaissance des intéressés.
D'après les renseignements qui nous ont été obligeamment donnés
dans les bureaux de la Chancellerie établis à Galata, le nombre des sujets
ottomans latins à Constantinople, y compris la banlieue — de Tchek-
médjé, sur la mer de Marmara, à Beuyuk-Déré, sur le Bosphore — serait
actuellement de 16000, et dans tout l'Empire ottoman, de i5o à 160000.
LA « NATION LATINE » DE CONSTANTINOPLE 255
La Chancellerie latine eut autrefois des succursales à Smyrne, à Andri-
lople, à Trébizonde, à Brousse et à Chio, De ces diverses succursales,
a Chancellerie de Smyrne a seule été maintenue; les autres furent sup-
)rimées, nous a-t-il été dit, parce qu'elles ne faisaient pas leurs frais (i).
Les chiffres cités dans cette page paraîtront bien faibles à plus d'un
ecteur, comparés au nombre des fidèles des autres confessions chré-
iennes. 11 ne faut pas s'en étonner pourtant, car l'Eglise catholique
le permet pas facilement le passage d'un rite à un autre, et les Orien-
aux qui se convertissent, même quand leur conversion est due au
èle des missionnaires latins, ne deviennent qu'exceptionnellement
atins eux-mêmes.
11 serait intéressant de savoir quel fut, à travers les âges, le chiffre de
a population latine de Constantinople. On ne peut guère s'en rendre
in compte très exact, car on ne tient pas, en Orient, à ces détails de
tatistique. Transcrivons pourtant ce qu'écrit à ce sujet M. Belin :
Il est une autre question qu'il importe de traiter aussi, celle de la popu-
ation de la ville latine de Péra à travers les temps.
Il ne paraît pas, d'après Sauli, ce qui est confirmé d'ailleurs par les
Mémoires de Sansovino, que la capitulation de Méhémed II ait inspiré
me grande sécurité aux Pérotes; ceux-ci, Génois ou Vénitiens, ayant pris
me part plus ou moins importante à la prise de Constantinople, émi-
;rèrent en grand nombre à Chio, où bientôt le conquérant ottoman, en
ue de les rappeler dans leurs foyers, fit prévenir les intéressés que leurs
iropriétés, mises sous scellés, seraient rendues à tous ceux qui viendraient
2s occuper dans le délai de trois mois.
En i56o, les Vénitiens comptaient, dans Galata, dix à douze maisons
e commerce.
Selon les Négociations, « la population chrétienne de Constantinople
t de Péra était, vers i5j2, de 40000 âmes ».
Le 20 février 1606, « la population latine, écrivait la Communita au
ardinal protecteur, compte à peine cinquante maisons ».
En 1612, le P. Canillac disait: « Le petit nombre des latins fait que
os fonctions sont moins fréquentées que nous le voudrions. »
En 1614, Pietro délia Valle dit au sujet de la même question : « Il reste
j Péra peu de familles de l'ancien temps, qui, tout en se grécisant de
lôtement et de costume, ont gardé le rite latin et la langue italienne,
Dncurremment avec l'idiome grec. »
En 1616, les Francs de Galata « non arrivano a mille », rapporte
lammer, d'après les bailes vénitiens.
En 1664, dit le P. Saulger, « les marchands français establis en cette
\'aN DEN StEEN de JeHAY, op. cit., p. 322-325.
2S6 ÉCHOS d'orient
ville, avec leurs femmes et leurs enfants, étaient en assez bon petit
nombre ».
On lit dans le Choix des lettres édifiantes : « Le nombre des catho-
liques, à Constantinople, s'élève aujourd'hui à plus de 12 ooo. »
Ce chiffre, comparé à celui des années précédentes, paraît bien élevé,
ou, du moins, il faudrait savoir de quelle catégorie d'individus on veut
parler. En effet, dans un rapport du P. Tarillon, adressé à Paris, le
II mars 1714, au comte de Pontchartrain, sous-secrétaire d'Etat, on
trouve ce qui suit : « De toutes les familles qui habitaient ici au temps
des Génois, il y en a encore plusieurs qui se sont maintenues à Galata et
à Péra; ces personnes font entre elles 3 à 400 personnes. Les missions
des ambassadeurs des princes chrétiens et les marchands de leurs nations
font la portion la plus distinguée des chrétiens francs; ils se montent
à près de 3 000 personnes Il faut encore compter, parmi les catholiques
de Constantinople, 4 000 ou 5 000 esclaves servant sur les vaisseaux et
les galères, ou enfermés dans le bagne du Grand Seigneur, et plus de
20000 autres (?) répandus dans les diverses maisons des particuliers.
En 1842, selon le mémoire du supérieur de Saint-Pierre (i), « le nombre
des paroissiens de cette église s'élevait à mille environ ».
On voit, par ces citations assez contradictoires, qu'il est impossiblt
de donner un chiffre approchant, même de très loin, de la réalité.
Quand le régime constitutionnel fut rétabli en Turquie, les commu-
nautés chrétiennes, ou du moins quelques-unes d'entre elles, cher-
chèrent à s'organiser plus fortement pour ne pas laisser leurs privi-
lèges s'envoler au souffle d'égalité qui passait sur l'empire ottoman.
Quelques latins eurent alors l'idée de réorganiser, eux aussi, leui
nation. Une assemblée générale fut tenue à Constantinople le 9 octobre
1908; on y lut un petit travail, assez exact dans ses lignes générales
sur l'histoire de la latinité de Constantinople (2). Mais, pour les même
raisons qui, il y a trois siècles, amenèrent la désagrégation de la Corn
munita di Fera, ces tentatives n'eurent aucune suite, et les latins conti
nuèrent à vivre tranquillement, sans chercher chicane à leur clergé
qui administre toujours ses biens (biens dont la presque totalité es^
d'origine étrangère), mieux et surtout avec plus de désintéressemer
que ne le saurait faire le plus perfectionné des Conseils laïques.
A, Trannoy.
Kadi-Keuï.
(i) Belin, op. cit., p. 181.
(2) C. Saih, Notice historique sur la comtnunauté latine ottomane, et RappiX
soumis à cet effet par la Commission provisoire de recherches et d'étude à rAsse\
blée générale de la communauté latine ottomane, tenue le g octobre igo8. ConsU
tinople, A. Zeillich, 1908, in-12, 3i pages.
GLANURES
DANS LES MANUSCRITS DES MÉTÉORES
Je suis heureux d'offrir aux Echos d'Orient la publication de quelques
xtes que j'ai recueillis dans des manuscrits aux Météores, lors des
cherches que j'y ai faites en 1908 et 1909 par ordre de la Société
:{antine d'Athènes, avec le secours de l'Académie royale des sciences
! Munich et du gouvernement grec, (i)
J'avertis le lecteur que les manuscrits sont signalés d'après ma propre
assification. Une verticale simple, I, marque le commencement d'une
juvelle ligne; une verticale double, II, marque le commencement d'un
juveau feuillet. J'ai mis entre crochets [ ] les mots et lettres à ajouter
IX inscriptions ou au texte des manuscrits.
)TES RELATIVES AU MONASTÈRE DES SAINTS-THÉODORE DE KYR MAMAS
Diverses notes recueillies aux Météores, au couvent de la Transfi-
iration appelé « le Météore » par excellence, dans le codex bombycin
u xiv« siècle) signalé sous le numéro 330, méritent d'être ajoutées à
que J. Pargoire (2) a écrit avec tant d'érudition sur les différentes
jlises connues à Constantinople et aux environs sous le nom de Saint-
amas, et sur le quartier de Constantinople appelé aussi de ce nom.
n transcris ci-dessous une copie fidèle. La note du numéro A se lit
feuillet 170'' du codex; elle a été écrite en travers, de haut en bas,
r une main du xiv^ siècle. Celle du numéro B se lit sur une feuille
niée au début du manuscrit.
iÔ(<;) I saoù II mil II III TjO-àx Ispô|Jt.ovàyoCi Ç' [= xal] y.a9''vo'j;j.(£v)vO'J
i) N1K.0S A. BÊis, "E/.Ocat; i:aXa;OYf<a?'."*ûv xal texv-./.wv èpsuvwv èv taïi; [Aovaï; tôW
etSpwv xaià ta èVri 1908 -/.al 1909. Aiiiènes, 1910.
;) J. PARr.oiRE, les Saints-Mamas de Constantinople, dans le Bulletin de l'Institut
héolngique russe de Constantinople, t. IX, 1904, p. 26i-3i6. ;— Cf. J. Pargoire,
nt-Mamas, le quartier des Russes à Constantinople, dans Echos d'Orient, t. XI,
S, p. 203-2IO.
Échos d'Orient, t. XV. 17
2^8 ÉCHOS d'orient
TiTaiêa(T[jt.i(aç) jj-OW)? | tov àyt(ov) |A(£)^;(à)).(ov) |i.apT'lp(ov) Oalooôpov toù
xGo pi.à[ji.avTOs*
B
[Mrjv]-/i uoJÂW, xa. £[xo!,[ji'/;9r, (l) 6] | èv [àyllot,? 7:(aT)rjp r,[jL(wv) ^[î't
l]£po([A6v)ay(oç) xal xaQot.YOU[ji.[£voç r^ç] | a-£(êaa-[jiiaç) [j.ov(tiç) t((À)v) àvtwv
pL(£)Y(à)>v(wv), |jLapTt+ I -4-piov)(x(al)6au[ji.aTOupYwv0£)(oÔ6po>v, 'E7rAjX(at.)-
xTvYiixévTjÇ-TOU xtjp pLà|j.avTo(;)- x(al) xTr,Top t/^ç | o-£(êa<7|jiîa<;) |jiov(f.;) -ràjTr,;-
£m £t(ous) Ç" w I v-^ [=1350] : H-
Probablement, cependant, il ne s'agit pas du monastère des Saints-
Théodore, établi dans le faubourg ou le quartier de Saint-Mamas à
Constantinople, mais d'un autre monastère établi ailleurs et appelé du
seigneur Marnas (toû xùp MàjjLavroç), du nom d'un fondateur ancien.
LISTE DES MÉTROPOLES
ET DES ÉVÊCHÉS SOUMIS AUX ARCHEVÊQUES D'aCHRIDA, AU XVII'' SIÈCLE
Du codex 1 10 du Météore, écrit au xvii' siècle, qiii contient un Nomo-
canon en langue vulgaire, j'extrais la liste suivante des métropoles ci
évêchés soumis au trône patriarcal d'Achrida. Cette liste doit être com-
parée à celles qui ont été publiées déjà, surtout par Gelzer (2). De cett(
collation, il ressort que celle-ci ressemble parfaitement à celle de 1706
publiée par Gelzer, d'après le Codex Hierosolymitanus 487 (3). Dans l'ui
et l'autre manuscrit, les mêmes éparchies sont soumises à Achrida
seul l'ordre est différent, et leurs noms présentent des variantes impor
tantes.
La présente liste se trouve aux feuillets 120'', 121» du codex (4). J'ei
donne la copie fidèle, me contentant d'écrire en majuscules les lettre
initiales des noms propres.
'Oi Gpovo!. '^(■^)s àYitoTàT(-iri)ç àpyl£7tlTX07r('Ài)ç 'Aypet5(à)v)" ;ji(Ti':)p07roX£i
-h xal £7rt!TX0Tral
6 TtpwxôOpovoç- 6 KaTTopt(aç).
ê»? 6 S£Aao'«pôpou.
Y°î 6 Auppaywu.
(1) Ou £[T£).£t(Oeyi].
(2) H. Gelzer, Der Patriarchat von Achrida, Geschichte und Urkunden, d&nsAbhan
lungen der philologisch-historichen Classe der K'ànig. Sàchsischen Gesellschaft d
Wissenschaften, t. XX, n» v. Leipzig, 1902.
(3) Ibid., p. 3i.
(4) Notons que dans la table des matières du Nomocanon contenu dans le codex
se trouve pas signalée la liste que nous éditons.
I
GLANURES DANS LES MANUSCRITS DES METEORES 259
rjOi ô n£ÀaYOvi(aç) xal IIpeàTrou ■r,'zoi B!.tom(7.^).
îOî 6 Boosvwv rjTOi 'ESàTfiÇ 'E/.àooç.
Ç"oî '0 rpcêîvo'j.
'f^TT'.Txo— al îlvat. a'jTa',*
êoc 6 BîA£ypào(tov) y] toi Kî'iaAovi(a;).
voî 6 A'j)vôv(wv).
3oî 6 Ms^'Aaîvoy.
£o; 0 Asêp'.;.
Ç"°î 6 np£a'7:(côv).
^O? 6 BsAîTTO'J.
■fjOî 6 S'.Tav'lo'j.
t.OÎ 6 MOA'-TXOJ-
i.aoî x(a'.) ô rxôp(a;), t^to!. B)>ayipv/,^ :
LA FAMILLE DE JEAN CHOMATIANOS
Dans les marges du codex 559 du Météore, codex en parchemin
écrit au xm« siècle, nous lisons la note suivante, écrite au xiv*" siècle,
à en juger par l'écriture :
+ rîv(o;) -zo'j XoixaTiavo'J I(o(àvvr,;) 0 Xo[j.aT''iàvô>;- y. aoc)v'^ol |J(.0'j KaAAr,.
£i; TT,v avvVla ao'J ^(riv) jjLapvapoG* si; tov î;ao£A'.iôv tji.O'J "^(ov) AÉov î'.ç
7Ôv Oî'lov |AO'j "^(ôv) KôuxouAa* st.; tà,v 6îiav aou ^(y.v) ^otwxo'j' x(al) £!.; tov
ulôv aoj rôv r£0)pY(iov)
Cette note est écrite sur la marge supérieure du feuillet 10, sauf les
sept derniers mots, qui ont été écrits sur la marge extérieure du même
feuillet.
Sur la famille Chomatianos, à laquelle appartient le célèbre Démétrius
^homatianos, archevêque de Bulgarie, écrivain remarquable des xii«
et xiiF siècle (i), et qui se trouve surtout à Athènes et à Zia, voir les
écrits de A. Miliarakis (2).
NiKos A. Béis.
\ux Météores, 190g.
A Munich, igi2.
(i) Voir K.RUMBACHER, Gcscliichtc der by!{anlinisclien Lilterattir. Munich, 1897,
p. 134,607, 610, 611, 1043.
(2) Ant. Miliarakis, 'I<7Topîa to-j êactXeto-j t-?î; N'.xat'x; y.al to-j ôtTTcotâTO-j xr^ç, 'llïtetpoy
1204-1261). Athènes, 1898, p. 193, n. 2.
CHRONIQUE
DES ÉGLISES ORIENTALES
Arméniens
Catholiques
Déposition du patriarche. — C'est le 19 mars que le gouvernement
turc, cédant aux sollicitations de l'Assemblée nationale, a déclaré
Mgr Terzian déchu de sa dignité de patriarche, c'est-à-dire de chef des
Arméniens catholiques. Deux jours après, un teskèré grand-véziriel
informait le prélat de la sentence qui le frappait. Les raisons pour
lesquelles a été prise une mesure aussi radicale sont à retenir : convo-
cation à Rome, sous l'influence étrangère, d'un synode qui aurait dû
se tenir à Constantinople, appel des évêques à Rome malgré la défense
du gouvernement, décisions prises au sujet des biens de la commu-
nauté, nomination directe de neuf évêques, sans avoir eu recours à-i
l'élection, administration arbitraire des biens de la communauté, refus
de reconnaître l'Assemblée nationale, affirmation que l'élection du
patriarche et des évêques n'est pas un droit, mais un simple
privilège.
Ce sont exactement les reproches que les opposants font à Mk»' Ter-
zian. Tout y est confondu : autorité du Pape, indépendance de l'Eglise
vis-à-vis, du pouvoir civil, propriété des biens ecclésiastiques. Dans unel
réponse pleine de fermeté, Mg"" Terzian fait justice de ces accusations. |
11 n'a quitté le palais patriarcal que lorsque la police lui en eut rendu
le séjour impossible en l'occupant. Il continue à exercer sa charge
malgré les prétentions de ceux qui le déclarent déchu de sa dignité spi-
rituelle au même titre que de sa dignité civile. j
Le 31 mars, le représentant du ministre des Cultes, Béha bey, es"
allé donner aux notables lecture du Bouyourouldou par lequel l'Assem
blée nationale est invitée à élire un locum tenens et un patriarche. Dej
instructions très graves venues de Rome empêchèrent le clergé d';
assister. 11 se trouva, pourtant un prélat, Ms'' Hatchadourian, évêqU'
de Malatia, et deux prêtres pour aller à la réunion et se proclame
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 26 1
Arméniens avant que d'être catholiques. Quelques jours après,
Mk'- Hatchadourian était déclaré suspens a divinis par le Pape et les
deux prêtres étaient frappés de la même peine par le patriarche (i).
De plus, est déclaré excommunié ipso facto quiconque sera élu locum
tenens ou patriarche, quiconque participera à l'élection de ces digni-
taires, quiconque s'opposera d'une manière efficace à la juridiction de
W"" Ter/ian.
Ces menaces de peines ecclésiastiques commencent à faire réfléchir
les membres de l'Assemblée qui ne sont pas entièrement dévoyés. Dans
une réunion, on n'a pas pu obtenir le quorum nécessaire, et il ne s'est
trouvé que cinq membres sur plus de trente à voter contre les propo-
sitions pontificales. La situation n'en reste pas moins tendue. Des ecclé-
siastiques latins cherchent à s'entremettre entre le patriarche et les
opposants pour amener une entente, mais il paraît bien difficile de faire
renoncer ces derniers à leurs principes nettement schismatiques. 11 va
sans dire que toute la presse fait chorus contre Mg'" Terzian et contre
la cour pontificale. 11 n'y a pas lieu de s'en étonner, Constantinople ne
possède pas un seul journal vraiment catholique.
Le gouvernement turc joue un rôle assez singulier qui dénote une
certaine incohérence. Il déclare solennellement qu'il ne reconnaît pas
les nouveaux évêques nommés directement par le Pape, et il leur interdit
de se rendre dans leurs diocèses. Or, la plupart de ces prélats sont
rentrés paisiblement chez eux depuis plus de deux mois! A l'occasion
des fêtes de Pâques, le ministère a donné une certaine somme aux
Arméniens catholiques pour être distribuée aux pauvres, ainsi qu'il l'a
fait pour les autres communautés non musulmanes, et il a versé cet
argent entre les mains de Mg'" Terzian, qu'il a déclaré déchu quinze
jours auparavant! Quelques jours après, sur une plainte de l'Assemblée
nationale, le fonctionnaire qui avait versé l'argent est allé le réclamer
à Mgf Terzian pour le remettre à l'Assemblée nationale! Peut-être le
gouvernement se préoccupe-t-il uniquement de s'assurer les voix des
Arméniens catholiques pour les élections actuelles, et ne se soUviendra-
t-il pas de ses promesses dans un mois. On dit cependant qu'il a fixé
un délai à Mt?>" Terzian pour donner sa démission et que, passé ce délai,
il l'expulsera du territoire ottoman.
R. Janin.
Depuis, Mgr Hatchadourian et un des deux prêtres ont fait amende honorable
sont vus relever de la censure qu'ils avaient encourue.
262 ÉCHOS d'orient
Bulgares
Orthodoxes (1)
I. L'Ecole de hautes études théologiques. — L'année 191 1 marquera un
pas décisif dans le mouvement de l'enseignement religieux en Bulgarie
par la création d'une Faculté théologique à Sophia. Avant même d'être
établie, cette institution a déjà son histoire. Elle n'est, en réalité, que la
solution d'un problème posé dès 1 895 , lors du jubilé de l'exarchat bulgare.
On avait décidé l'érection d'un monument commémoratif qui fût
digne de l'œuvre et de ses héros : 1 50 000 francs furent recueillis dans
tout le pays, et l'on proposa de construire une basilique. Par malheur,
à cette même époque, les millions de la Russie firent sortir de terre,
à Sophia, un temple superbe qui défiait toute concurrence. Les Bulgares
ne pouvaient lutter et renoncèrent à leur projet. Ce léger froissement
d'amour-propre national, le temps aidant, leur dicta la réponse. Non
seulement ils ne se laisseraient pas éclipser par la Russie, mais ils
l'attaqueraient elle-même dans son influence.
Depuis 1902 s'élève à Sophia, sur la place de Chipka, une splendide
église de deux millions de roubles, commémorant les victoires russes
de 1877 ^t flanquée d'un Séminaire où devait se former le clergé du
Jeune peuple délivré. Les fils de la grande nation libératrice apprirenll
à leurs dépens qu'on ne s'impose pas aux Bulgares, car tant qu'il
y aura des Russes à Chipka, aucun séminariste n'y entrera, et l'œuvrt
dispendieuse attend encore aujourd'hui sa destination. Cependant, le:
Bulgares vont chercher au loin ce qu'ils refusent sur place, et le peu d(
théologiens qu'ils possèdent sortent tous des Académies de Kiew, d(
Saint-Pétersbourg et de Moscou.
Pourquoi cet illogisme? Pourquoi ne pas rejeter tout à fait la tutellj
de l'étranger? L'autorité ecclésiastique y songeait depuis longtemps;
Le plan d'une Ecole de hautes études théologiques a fini par prendre conj
sistance dans les délibérations du palais synodal. Le gouvernemenlj
sondé à plusieurs reprises, a autorisé le projet, et a offert lui-mêmi
l'espace de terrain nécessaire pour bâtir la nouvelle Faculté. i
2. Le clergé bulgare orthodoxe. — En attendant, la formation du clergi
reste confiée, comme par le passé, à deux écoles ecclésiastiques, l'uri
à Sophia, l'autre à Batchkovo (2). La première tient lieu de Gran\
(i) Voir Echos d'Orient, mars 1912, p. 169-171. 1
(2) Batchkovo est un monastère bulgare situé non loin de Phih'ppopoli. La Rev\
franco-bulgare en a publié une monographie (n» 6, p. 80). !
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 263
Séminaire et fournit des prêtres pour les villes; la deuxième, sorte de
Petit Séminaire, forme le clergé rural (i).
Avec le temps, ces diverses institutions arriveront à remplir les
cadres du clergé et à fournir des prêtres aux trop nombreuses paroisses
qui en manquent. Pour le moment, ce sont les fidèles qui se chargent
de se procurer le curé dont ils ont besoin, ce sont les brebis qui vont
à la recherche d'un pasteur. Tantôt ils en quêtent dans les gymnases
ou dans le village même, parmi les jeunes gens de bonne volonté. Le
plus souvent, aujourd'hui, la demande est faite par l'intermédiaire de
la presse. Voici, à titre de spécimen, une de ces annonces prise entre
cent dans un journal ecclésiastique : « Les paroissiens du village de
Stoudena (département de Sophia) font savoir qu'ils ont, à partir du
19 janvier, une cure vacante, et prient les intéressés qui voudraient
s'en charger de venir à l'église de Stoudena. Ce village compte
200 maisons, se trouve à une heure de la station de Tserkva, possède
un progymnase, jouit d'un bon climat et d'un site pittoresque; il ne
manque pas non plus d'une élite de gens éclairés. »
Ce ne sont pas les villages seuls qui demandent ainsi des prêtres.
Les évêques agissent de même par l'intermédiaire des chancelleries.
La métropole de Sophia, dans une même annonce plusieurs fois publiée,
en demanda cinq naguère pour autant de paroisses de la capitale.
Telle est, à des degrés divers, la situation de toutes les Eglises
séparées. L'élément laïque y prend le dessus, administre les biens et
gouverne. Le prêtre devient un instrument, un employé nécessaire
mais méprisé et sans influence. H. Gospodinof.
Coptes
Catholiques
Ms'^ Cyrille Macaire. — Naguère, les journaux grecs annonçaient
avec grand fracas que l'orthodoxie venait de faire une importante con-
quête. L'ancien patriarche des Coptes catholiques, lAë^ Cyrille Macaire,
secouant le joug des Bulles papales, était rentré en Egypte, non, il
est vrai, dans le but de reconquérir son siège, mais pour être admis
(i) Sur la proposition du saint synode, le gouvernement vient d'adopter un projet
de loi assurant aux prêtres des appointements proportionnés à leur degré d'instruction.
Les prêtres qui n'ont aucune instruction théologique (!) reçoivent i 200 francs par an.
Ceux qui ont une instruction théologique secondaire perçoivent i 56o francs.
Enfin, ceux qui ont fait des études théologiques supérieures ont droit à 2 400 francs.
264 ÉCHOS d'orient
dans les rangs du clergé schismatique, après avoir fait profession de
foi orthodoxe.
La nouvelle était malheureusement vraie. Cependant, le scandale ne fui
pas long. Msr Macaire, pris bientôt de remords, se rendit à Rome poui
se réconcilier avec l'Eglise. Voici la rétractation qu'il adressa au Saint-
Office, et que reproduisent les /icta ApostolicœSedis{}o mars 1 9 1 2, p. 2 1 4)
Déclaration et rétractation de S. G. Ms^ Cyrille Macaire,
ancien patriarche des Coptes d'Alexandrie.
Je soussigné, Cyrille Macaire, patriarche démissionnaire des Copte
catholiques, venu spontanément à Rome pour attester au Saint-Sièg
ma ferme résolution de vivre et de mourir dans la foi catholique sou
l'obéissance du Pontife romain, déclare librement et sincèrement c
qui suit : '
J'exprime tout mon repentir pour avoir fait, dans des jours de ter
tation, de découragement et de perturbation morale profonde, adhésio
publique à l'Eglise grecque-schismatique d'Alexandrie, en Egypte
remerciant Dieu, toutefois, de n'avoir pas participé aux actes religieu
de ladite Eglise. Je rétracte toutes mes démarches à cet effet, je k
condamne, je les déplore de tout mon cœur, je suis prêt à acceptf
toutes les pénitences et réparations que le Saint-Siège jugera bon c
m'imposer et à vivre dorénavant dans la retraite, appliqué aux exercic*
de piété et aux études qui me sont chères. Je rétracte de même, je coi
damne et déplore de tout mon cœur ce que, durant mon aberratioi
j'ai pu dire, faire ou écrire de schismatique, et je demande humblemei
pardon des scandales donnés par ma défection aux fidèles. Je renouvel
enfin mes promesses solennelles d'obéissance au Siège apostoliqu
et ma pleine et sincère adhésion aux doctrines et aux enseignemen
de la sainte Eglise catholique romaine, notamment en ce qui conceri
la primauté absolue de droit divin du Pontife romain sur l'Eglise (
général et sur tout rite et tout fidèle en particulier.
■j- KvRfLLos Macaire.
Rome, le 9 mars 1912.
Grecs
Orthodoxes
PATRIARCAT d'aLEXANDRIE
Le patriarche d'Alexandrie, Ms^ Photios, et l'Eglise de Jérusalei
— Nous remarquions, dans notre dernier numéro, que le patriarcji
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 265
d'Alexandrie, Me"" Photios, ne désarme pas contre son collègue de Jéru-
salem, Msr Damien, et qu'il continue à le regarder comme déchu.
Celui-ci, à bout de patience, se décide à user de représailles.
Lors de sa nomination au patriarcat d'Alexandrie, Mg'* Photios aurait
dû, en vertu des canons, être exclu de l'Eglise de Sion. On fit cependant
pour lui une exception, légitimée par les services éminents qu'il avait
rendus en qualité de directeur de l'école de Sainte-Croix et de métro-
polite de Nazareth. D'un commun accord, le patriarche et le synode lui
maintinrent son rang dans la confrérie du Saint-Sépulcre. Touché et
reconnaissant, Ms»- Photios promit, dans un écrit public, de ne jamais
oublier l'Eglise de Jérusalem.
Il tint parole. Il l'oublie si peu, qu'il aspire, dit-on, à en devenir
patriarche ; tous les orthodoxes au courant sont unanimes à en con-
venir. Le titre à' hagiotaphite qui lui fut conservé autorise ces ambitions.
Comme par malheur la place menace d'être occupée pour longtemps,
il s'etforce d'aider Ms'' Damien à descendre plus tôt de son tréne.
Déjà, lors des troubles gréco-arabes d'il y a trois ans, il essaya de
séparer la confrérie de son chef. La Néa Siwv (19 12, janvier, p. 157)
y fait une allusion peu voilée : « Profitant de la terrible tempête qui
visita l'Eglise de Sion il y a trois ans, Ms"" Photios fut surpris en flagrant
délit d'agissements secrets pour rompre la paix, aidé en cela par
d'autres qui partagent ses sentiments (sans aucun doute, les réfugiés
alexandrins que l'on sait). »
Mg'' Damien fut assez habile pour se tirer de cette fâcheuse situation.
L'union se rétablit avec Constantinople. Alexandrie persiste encore
dans son refus de tout accommodement. On comprend les raisons
intimes de ces rancunes tenaces.
Depuis lors, Mg'" Photios n'a pas encore réécrit aux diptyques le nom
de son adversaire. Mais il y a plus.
« A présent encore, dit la Nsa S'.wv (p. 138), il met tout en œuvre
pour troubler et agiter cette Mère des Eglises qui lutte contre tant
d'épreuves. » Y a-t-il là calomnie ou simple médisance? Cette dernière
hypothèse paraît plus vraie, vu les décisions prises. L'Eglise de Jéru-
salem, en effet, se décide à frapper. « Une plus longue patience, dit
la Neà Siwv, pourrait avoir des suites fâcheuses et nuisibles. » Aussi
le patriarche et son synode ont-ils décidé à l'unanimité d'ôter à l'évêque
d'Alexandrie le privilège qui lui avait été concédé, et de le retrancher
des membres de la confrérie du Saint-Sépulcre.
Mt?»- Photios, évidemment, n'en renoncera pas pour cela à ses ambi-
"Hs. Si une faveur lui a permis de rester membre de la communauté
266 ÉCHOS d'orient
de Sion, quand il s'en est éloigné; une autre lui permettra aussi bien
d'y rentrer sans trop de peine. La vraie difficulté ne sera point là.
On se demandera peut-être pourquoi le patriarche d'Alexandrie, qui
a plus de 80 000 fidèles, désire tant le siège de Jérusalem, qui n'en pos-
sède pas la moitié. Mais on sait que la situation privilégiée de celle-ci
aux Lieux Saints et l'abondance des aumônes qui affluent du monde
orthodoxe tout entier, spécialement de Russie, lui assurent une impor-
tance exceptionnelle au point de vue religieux et financier.
F. Cayré.
ÉGLISE DE CHYPRE
1 . Le monachisme dans l'île. — Le nàvraivo? (18/5 janvier 191 2) offrait
naguère à ses lecteurs un tableau éblouissant du monachisme chypriote.
Sa statistique détaillée ne comportait pas moins de 87 monastères.
Par malheur, ces chiffres étaient légèrement grossis. Pour être dans
le vrai, il faut, des 87 monastères, en retrancher exactement 80 : sept
seuls abritent des communautés monastiques, un total de 120 religieux
au plus. Ces monastères sont :
Les couvents de Kûxxoç et de Ma^aipâç, stavropégiaques, entièrement
soustraits à la juridiction épiscopale; Saint-Néophyte, stavropégiaque,
dépendant de l'archevêque de Chypre; la yp'jaoppoïà-io-a-a et la TpwoSU
Tto-a-a, soumises au métropolite de Paphos; Saint-Pantaléïmon, du diocèse!*
de Kérynia, et enfin le monastère du mont Sainte-Croix, dans répaffl
chie de Larnaka. Dans ce dernier seul on mène la vie cénobitique. Les-
six précédents tempèrent ce régime d'idiorrylhmie.
Les autres propriétés décorées du nom de monastère ne l'ont jamaÈ
été ou n'en sont plus depuis longtemps.
Ces précisions sont empruntées presque littéralement à l"Ex/.ÀT,Tia<T-<
Ttxoç xTÎpui de Larnaka (31 janvier 1912, p. 58). Ce bulletin a tenu
relever les exagérations de son confrère égyptien pour faciliter le
travail des futurs historiens de cette époque. 11 a aussi voulu mettre
les étrangers en état de mieux apprécier les discussions soulevées dam
l'île touchant l'administration des biens des monastères et des évêchés
2. La loi organique de l'Eglise. — Le 8 mars (28 février) 19 12
l'assemblée nationale grecque orthodoxe s'est réunie à Nicosie, sou
la présidence de l'archevêque. Elle est composée des évêques, de
higoumènes, des députés et de 60 représentants du peuple : 40 laiquef
et 20 ecclésiastiques. Elle poursuit en toute hâte la discussion de 1!
loi organique de l'Eglise de Chypre.
Les travaux avancent rapidement. On a évité de reviser les 73 arti
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 267
déjà votés, afin d'achever au plus tôt l'examen de ce projet de loi et
d'aborder sans retard le chapitre si important de l'administration éco-
nomique de l'Eglise.
F. C.
PATRIARCAT DE CONSTANTINOPLE
Le Saint Chrême. — La bénédiction du Saint Chrême, dans l'Eglise
latine, passe inaperçue de ceux qui ne suivent pas de près les offices
liturgiques. 11 n'en est pas ainsi chez les orthodoxes de Constantinople.
Diverses particularités concourent à attirer sur cette cérémonie l'atten-
tion du public même indifférent.
Une des premières est sa rareté; elle ne se fait pas chaque année. La
réunion des diverses substances nécessaires à la composition du Saint
Chrême, occasionne des frais généraux considérables. On les diminue
dans la mesure du possible, par la consécration en une seule fois d'une
plus grande quantité. La dernière cérémonie eut lieu en 1903, l'avant-
dernière en 1890, et la précédente onze ans plus tôt. 11 n'y a point
d'autre règle que la nécessité; on renouvelle la provision quand l'an-
cienne est épuisée.
Autre particularité remarquable : ce ne sont pas les évêques qui font
ce rite dans leur diocèse, mais le patriarche ou les chefs de certaines
Eglises nationales. 11 en est de même chez les jacobites et les Nestoriens.
Cependant, dans l'Eglise orthodoxe, la doctrine officielle touchant
le droit de consacrer est encore indécise et flottante, et il serait peut-
être dangereux pour le Phanar de vouloir exiger trop de précisions.
Depuis le xip ou le xm« siècle, l'Eglise de Constantinople a essayé
d'accaparer ce pouvoir. Elle n'a pu y réussir entièrement. De gré ou
de force elle a dû le reconnaître à d'autres Eglises, celles de Russie,
de Roumanie, par exemple, dites de ce fait « privilégiées ». Même
parmi les chrétientés qui reçoivent encore le Saint Chrême de Constan-
tinople, toutes n'admettent pas comme un dogme, il s'en faut, ce
monopole du Phanar, Pour beaucoup, c'est une pure raison d'économie
qui a établi cette coutume. Les intéressés, évidemment, y trouvent des
raisons plus profondes, plus mystérieuses, plus théologiques. Recevoir
le Saint Chrême d'une autre, c'est lui témoigner sa soumission; ce
droit nouveau a prévalu afin de maintenir l'unité dans les rangs de
l'orthodoxie et prévenir les divisions.
Les simples et les exaltés, qui sont légion, vont plus loin encore.
Derrière ce monopole de l'Eglise de Constantinople, ils voient un pri-
jvUège de leur nation, de ce second peuple élu par qui viennent aux
268 ÉCHOS d'orient
autres orthodoxes les ordres et les grâces du ciel. Peut-être y a-t-il dans
ces exagérations du patriotisme une des raisons qui ont poussé les
autres peuples à rejeter les prétentions phanariotes. En fait, il n'y a plus
aujourd'hui avec les Grecs que les Serbes de Belgrade à accepter le
Saint Chrême de Constantinople. Les trois Eglises orthodoxes d'Autriche
et celle de Roumanie le consacrent elles-mêmes. La Russie fait de même
et en fournit aux Églises d'Autriche, de Bulgarie et de Monténégro.
Nous ne pouvons nous étendre davantage sur cette question du
pouvoir de consacrer le Saint Chrême. Il nous suffira de renvoyer le
lecteur à la remarquable étude canonique publiée par Mgr Louis Petit,
dans les Echos d'Orient (1899, t. 111, p. 1-7).
Dans un deuxième article, le même auteur publiait, quelques mois
plus tard, un document très précieux, inconnu jusqu'alors, sur « la
composition et la consécration du Saint Chrême » dans l'Eglise ortho-
doxe de Constantinople. C'était la Aià-a^i.; Tuspl xoù àyiou aûpou du
patriarche Constantios I«r, qui remplace, depuis 1833, l'ancien cérémonial
cité dans l'Euchologe de Goar.
La dernière consécration a été conforme dans sa substance au rite
décrit dans ce document. Nous nous bornerons donc à le résumer rapi-
dement à titre de chronique, en notant les particularités qui ont carac-
térisé la cérémonie de 1912.
Le Saint Chrême dont se servent les orthodoxes aujourd'hui est ur
mélange d'huile d'olive pure avec cinquante-sept autres substances, les
unes très communes, comme le vin qui entre pour 2/7 dans le mélangé
d'autres rares et précieuses.
A l'automne dernier, une Commission de six membres a été consti
tuée dans le but de réunir tous ces éléments divers. Le président étaiF
Mgr Philarète Vaphidès. Il était tout désigné pour cette charge'
Dès 1881, il écrivait sur ce sujet de belliqueux articles dans la Vérit
ecclésiastique, et soutenait contre les Roumains les droits du Phanal
à consacrer le Saint Chrême.
Après lui, l'homme le plus important de la Commission était certa
nement celui que l'on appelle sans sourira le «parfumeur » de ij
Grande Eglise, (6 piupe^j^ôç), M. Const. N. Thomadès. C'est le titrj
donné au pharmacien qui devra surveiller la préparation du Saint Chrên-'
et faire le mélange des éléments dans les proportions voulues. Juij
qu'en 1893, cette charge était provisoire. Elle commençait par uri
sorte d'ordination (Xs'.poQso-îa) du titulaire, le dimanche des Rameau:|
et s'achevait avec la confection du Saint Chrême. Le patriarche Né({
phyte Vlll, en 1894, en fit une dignité permanente, un o^'^îxiov, « ut!
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 269
sorte de prélature laïque » donnant à celui qui en est investi le devoir
de veiller à l'entretien de l'huile sainte. Aujourd'hui, l'ordination du
« parfumeur » ne se fait donc plus le dimanche des Rameaux, mais une
fois pour toutes lorsqu'il entre en charge. Depuis plus de cinquante
ans, c'est la famille Thomadès qui remplit ces hautes fonctions.
M. .Manuel Gédéon est aussi membre de la Commission. 11 y a large-
ment conquis sa place par la composition d'une petite brochure de
104 pages, « nspl Toù M'jpo'j », où il développe à l'usage du peuple une
partie de ce que Mgr Petit a résumé avec tant de clarté, et y joint
des détails intéressants sur les dernières consécrations.
Des quêtes organisées par les soins de la Commission dans les épar-
chies grecques, des dons spontanés en nature et en argent, ont permis
assez vite de réunir les matières nécessaires.
La préparation directe et immédiate du Saint Chrême se fait sous un
pavillon de bois construit à cet effet devant l'église patriarcale. Elle
dure trois jours : le lundi, le mardi, le mercredi de la « Grande
Semaine ». Cette opération a pour but de faire le mélange des diverses
matières dans les proportions voulues. Les deux premiers jours sont
surtout consacrés à faire cuire et bouillir les 42 éléments qui ne peuvent
être assimilés p:ir l'huile que sous l'action de la chaleur; le mercredi,
quand le liquide est refroidi et clarifié, on y verse les 13 essences ou
huiles aromatiques qui doivent compléter le mélange.
Pour donner à toute cette préparation un caractère religieux, le
patriarche vient lui-même, chaque matin, bénir les chaudières, les
diverses substances, allumer le feu, ou bien verser dans l'huile les
essences.
Le rite de ces cérémonies, décrit par Mgr Petit d'après la Aià-ra^'.;
de 1833, a été légèrement corrigé cette année, on ignore pour quel
motif. Peut-être est-ce parce que cet office devait enfin être livré à la
publicité. De fait, dans les modifications apportées, on semble avoir
visé surtout à retrancher les tropaires ou prières qui ne se trouvent pas
dans la liturgie ancienne (i).
. La bénédiction proprement dite se fait le Jeudi-Saint, au cours de
I Voici les principaux changements introduits, d'après l'AxoXouôi'a tï); to-j ày^ou
iM-^pou y.aTaff/.cur,; xai a-jXoyta;, 24 p. in-8", imprimerie patriarcale, Contantinople.
' Lundi : le (iixpôç àycao-jAd; n'est pas mentionné. Des chants du début, seul l'àTcoXuTtxtov
de la Pentecôte reste; les autres tropaires spécialement destinés à la préparation du
Chrême ont été remplacés par l'àjroA-jTÎxtov de Saint-Georges et le xovrdcxtov de i'As-
ption.
' rcrerfj; ietropairedu 2' ton a été transformé en une prière récitée par le patriarche.
i texte ancien, après nvEj(j.a awatStov, èx Ilarpo; ixropsuéjxEvov, on a ajouté xal è
270
écHos d'orient
la messe pontificale, entre la Consécration et le Pater. Le patriarche,
à genoux avec tout le clergé et les fidèles, d'où le nom de « YovuxAt.Tia »
donné à cette cérémonie, récite une double prière. La première demande
surtout à Dieu de sanctifier le Saint Chrême, et la deuxième le remercie
des grâces qu'il vient d'accorder.
A la fin de la messe, les vases sont portés en procession à la ijLupo-
QtÎxyi, édicule où l'on conserve l'huile sainte dans de grandes cruches.
Depuis que l'office de |j.up£t};dç ou « parfumeur » a été établi d'une
manière permanente, le titulaire doit veiller au bon entretien de cette
chapelle, ainsi qu'à la conservation du Saint Chrême. F. C.
PATRIARCAT DE JERUSALEM
La lutte entre les Grecs et les Arabes. — La poussée arabe pour la
conquête des premières places et des sanctuaires lucratifs se poursuit
d'une manière lente et sourde, mais sans interruption. Les Grecs
résistent avec la vaillance et les arguments que l'on sait. Les derniers
combats se sont livrés sur les prérogatives de l'assemblée mixte.
Naguère, on ne l'a pas oublié, les Arabes obtinrent pour Jérusalerr
la création d'une assemblée mixte présidée par le patriarche, et com
posée de six clercs nommés par le patriarche et de six laïques élus pai
les fidèles (Arabes) du patriarcat.
La formation fut pénible. Elle se fit cependant. 11 devait être autremer
difficile de s'entendre. Les Grecs y arrivaient, décidés à arrêter tout
immixtion sérieuse des indigènes dans leurs affaires; les Arabes ave
la volonté de conquérir encore sur les domaines des Grecs. Commen
éviter les conflits dans de telles conditions?
Suivant l'usage, le sultan fut invité à mettre d'accord les deux camp
opposés et à préciser ses premières décisions. Après mûr examen,
réponse fut donnée, mais, hélas! la paix ne vint pas. Les Arabes cont
nuaient à réclamer sanctuaires et dignités, et les Grecs à ne rien cède
des privilèges de leur « pieuse nation ».
Une fois de plus, on courut à la Sublime Porte. Avec une patiem
vraiment orientale, de nouveau le ministère examina la question
répondit le 7 janvier dernier. Un teskéré viziriel en huit articles rég
utôi 8;a{i.évov, rb, -rà iràvxa TsXetouv xai âyiâÇov — et plus loin: vj-/_<xpia-cov[iéy ao: qt. /.ol:
Itweraç û|x5(; ie.lzi&(Ta.i xo é'pyov toCto, etç âytafffiôv xwv ôp8o56Çwv jrptffxtavwv.
Jeudi-Saint : Pendant la consécration même du Saint Chrême, la belle prière : luj
xoù èXéou;, a été remplacée par 'O ©eô; ô (iiya; -/.ai {itl;;(TTo; du M. S. d'Allatius, dfp
Goar, Euchologe, p. 632. — La deuxième prière de la Yov'jxXio-ta, Sol xw 0ew est restj,
mais non intacte. On en a retranché tout le passage ôÉÇacrôat xbv àyiaatjiôv jus
<TU yàp yirâpxet;. Goar, p. 629.
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES 27 1
plus en détail le fonctionnement de l'assemblée mixte. 11 maintient pour
l'ensemble l'ancien état de choses.
La solution de la question gréco-arabe en est-elle plus avancée de
ce fait? 11 ne le semble pas. On a un règlement de plus, voilà tout.
F. C.
r
Serbes ^'^
I. Patriarcat de Carlovitz
^ipDn sait que l'Eglise autocephale de Carlovitz est gouvernée par un
synode composé des évêques de la métropolie sous la présidence du
métropolite, patriarche de Carlovitz, et par une assemblée mixte, dite
assemblée nationale, comprenant 75 membres dont les deux tiers sont
des laïques. Jusqu'ici, l'autorité du synode était excessivement restreinte
et soumise dans une large mesure à l'ingérence du pouvoir civil et de
l'assemblée nationale. C'est pour se libérer autant que possible de cette
ingérence et acquérir une certaine autonomie dans son domaine propre
que, le 25 mai 191 1, le synode archiépiscopal a élaboré un nouveau
règlement délimitant d'une manière précise sa sphère d'action et ses
pouvoirs. Le plus grand secret a été gardé sur la teneur de ce nouveau
règlement, jusqu'à son approbation par l'empereur d'Autriche, donnée
le 27 juillet. On craignait une opposition de la part des membres de
l'assemblée nationale ecclésiastique.
Lorsque l'organe du patriarcat, le Bogoslovski Glasnik, en a eu publié
le texte, les critiques n'ont pas manqué de se produire dans les milieux
politiques, spécialement dans le clan radical. Les élèves de l'Académie
ont protesté énergiquement contre ce qu'ils ont appelé « le clérica-
lisme orthodoxe » et ont parlé de l'attentat de la haute hiérarchie contre
l'autonomie de la nation serbe. Ils se sont même donné le plaisir de
,, faire des prophéties et d'annoncer aux évêques qu'ils seront bientôt des
I pasteurs sans troupeau. Il faut espérer que ces jeunes moutons s'assa-
j giront et deviendront des brebis dociles.
I Aux termes du nouveau règlement, le synode archiépiscopal est
reconnu comme l'autorité ecclésiastique suprême dans les affaires
ecclésiastico-religieuses de la métropolie de Carlovitz. Celle-ci, « en tant
(i) Un article spécial sera consacré prochainement aux choses ecclésiastiques du
royaume de Serbie. La présente chronique ne s'occupe que des autres Eglises serbes,
savoir celles de Carlovitz, de Dalraatie et de Monténégro.
272
ÉCHOS d'orient
que partie organique de l'Eglise orthodoxe d'Orient, est une province
ecclésiastique autonome et autocéphale » (art. I). Le synode ne peut
rien faire sans le métropolite-patriarche, qui est son président et son
représentant (art. II). 11 pourvoit à l'exécution de ses décisions par des
organes qui lui sont soumis et qui sont : les évêques, les consistoires
diocésains, le Conseil ecclésiastique de la métropolie et les institutions
et personnes désignées pour telles ou telles fonctions dans l'Eglise
(art. 111). Dans l'ancien règlement, le synode n'avait qu'un pouvoir
exécutif illusoire et se trouvait désarmé en face de la mauvaise volonté
des Consistoires et du Conseil ecclésiastique, sur lesquels il n'avait
aucune influence.
En cas de vacance du siège patriarcal, c'est l'évêque diocésain le plus
ancien par la consécration qui remplace le patriarche défunt (art. V).
Autrefois, le vicaire patriarcal était nommé par le pouvoir civil. Durant
la vacance, rien de ce qui touche à l'organisation de l'Eglise ne peut
être discuté ni décidé (art. VI). S. M. l'empereur d'Autriche a un droit
de haute surveillance sur les actes du synode archiépiscopal, qui doivent
être conformes à la loi(art. Vil). Le même empereur conserve le pouvoir
de confirmer l'élection du patriarche et des évêques (art. XI et XXII).'
Il peut toujours écarter tout candidat déplaisant, et il a usé largement
de ce droit lors de l'élection du patriarche actuellement en fonction
(art. XI, d).
Le synode se compose: 1° du métropolite-patriarche de Carlovitz
et des évêques de Batch Boudim, Verchets, Gorne-Karlovetz, Pacrats
et Témechvar, qui ont voix décisive; 2° du vicaire patriarcal et des
autres vicaires épiscopaux désignés comme coadjuteurs des évêques
diocésains, qui ont voix consultative; y des évêques nommés aux
éparchies vacantes et confirmés par Sa Majesté, mais non encore con-,
sacrés, des administrateurs temporaires des éparchies vacantes, des
conseillers du synode choisis dans le clergé de la métropolie, du secré-j
taire du métropolite-patriarche, qui n'ont également que voix consul!
tative (art. VIII). Le synode peut, par une ordonnance spéciale, inviteil
à ses séances — qui ne sont pas publiques, le jour de l'ouverturÉJ
excepté (art. XXI) — d'autres conseillers ecclésiastiques pour prendre
leurs avis, et même, en cas de nécessité, des personnages laïques dt\
foi orthodoxe, remarquables par leur piété, leur science et leur verti
(art. IX). I
L'autorité du synode s'étend à tout ce qui regarde la vie et l'orgiil
nisation ecclésiastique : dogme, morale, discipline, liturgie, directioij
des Séminaires, instruction religieuse dans les écoles, réglementatioil
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES 273
de la vie monastique, création et délimitation des paroisses, des pro-
topresbytérats ou doyennés et des diocèses, établissement et fermeture
des monastères, création des organes nécessaires pour l'exécution des
décisions prises et délimitation des droits et des devoirs de ces organes,
haute surveillance sur l'ensemble de la vie religieuse dans la métro-
polie, élection du métropolite-patriarche et des évêques diocésains,
déplacement de ceux-ci pour le bien de l'Eglise, du consentement de
sa Majesté, élection de deux évêques diocésains comme membres du
Conseil ecclésiastique de la métropolie (art. X et XI). Le synode est en
même temps l'autorité judiciaire suprême qui connaît en dernier ressort
de toutes les causes ecclésiastiques (art. XII). Précédemment, le droit
de décider en dernière instance appartenait à l'empereur, qui prenait
d'ailleurs habituellement l'avis du patriarche et du synode avant de se
prononcer.
Les sessions régulières du synode ont lieu deux fois par an, au prin-
temps et à l'automne, mais il peut y avoir convocation extraordinaire
du synode, chaque fois que l'exigent des affaires importantes et pres-
santes, ou quand trois évêques diocésains le demandent par lettre
motivée (art. Xlll). Le patriarche convoque huit jours à l'avance les
membres du synode et leur fait connaître l'objet des futures délibéra-
tions (art. XIV). C'est lui qui ouvre, préside, clôture le synode, dirige
les délibérations et veille à l'exécution des décisions prises. En son
absence, ses prérogatives passent à l'évêque le plus ancien par la con-
sécration (art. XV-XVI). Quand un évêque diocésain ne peut assister
aux sessions, il se fait remplacer, soit par le patriarche, soit par un
autre évêque à son choix, qui vote pour lui (art. XVII). Les décisions
se prennent à la majorité des suffrages, et elles ne sont valides que
si plus de la moitié des membres ayant voix délibérative sont pré-
sents (art. XX). La langue des délibérations synodales et de la procé-
dure est le serbe et le slavon (art. XXIII).
Le métropolite-patriarche de Carlovitz est le chef ecclésiastique de
l'Eglise orthodoxe de la métropolie, qu'il représente tant auprès des
autres Eglises autocéphales qu'auprès du pouvoir civil, tant dans les
solennités ecclésiastiques que dans les réceptions officielles de l'Etat.
lEn cas d'urgence, il peut prendre de lui-même les décisions oppor-
tunes, sauf à en référer dans la suite au synode. Le droit de dévolu-
tion lui revient dans les éparchies de la métropole, et il en use après
■javoir averti préalablement le synode. Quand une éparchie est vacante,
ïil propose au choix du synode trois candidats parmi. les clercs de la
métropolie (art. XXV).
Echos d'Orient, t. XV. 18
274 ÉCHOS D ORIENT
Tels sont les articles les plus importants du nouveau règlement.
11 marque un véritable progrès dans la voie de l'émancipation .de
l'Église de la tutelle laïque. Cette émancipation ne saurait, d'ailleurs,
être complète dans une Eglise autocéphale. Le pouvoir civil réclame
toujours pour lui le droit de suprême intervention, et joue le même
rôle que le Pape dans le gouvernement de l'Église catholique.
//. Église série de Dalmatie
Les prêtres de l'éparchie orthodoxe de Dalmatie-lstrie (Zara) se sont
organisés en Société dans le courant de l'année 1909, dans le but de
subvenir aux besoins religieux, intellectuels et matériels du clergé et
des fidèles de l'éparchie. Le 23 novembre 1909, l'empereur d'Autriche
a autorisé la constitution de cette Société. Un Comité administratif del
sept membres élus expédie les affaires courantes. Les afi'aires impor
tantes sont traitées en assemblée générale ou locale. La Société es3
placée sous la juridiction immédiate du Consistoire épiscopal de Zara]
M. Vladimir Boberitch, protosyncelle et professeur à l'École théolo
gique de Relief, a été nommé par l'empereur d'Autriche, le 10 octobn
191 1, évêque des Bouches de Cattaro. Le nouvel élu est né en 1873
à Aratch, en Hongrie. H a fait ses études au gymnase de Novi-Sad e
au Séminaire de Carlovitz. II remplace M&r Dosithée lovitch, qui a fir
tristement sa vie par un suicide, le 29 septembre 1910, à la suite d'un
scandaleuse affaire d'argent.
Favori du gouvernement autrichien et rival de Mër Nicodème Milach
évêque de Zara, le prélat défunt employait de fortes sommes à corrompr
divers fonctionnaires autrichiens chargés de faire de la propaganc
nationaliste à Cattaro, en Herzégovine et jusqu'en Monténégro. Uj
déficit s'en est suivi, et M&' Milach a été rendu responsable des dilapj
dations de son voisin de Cattaro. Malgré tous ses efforts pour couvr|
les dettes du prélat suicidé, l'évêque de Zara n'a pu y parvenir. Ausj
le- comte Atems, gouverneur de Dalmatie, vient-il de le destituer, (
lui faisant assigner une pension de 10 000 couronnes, dont le tiej
sera consacré à payer les dettes de l'évêque défunt. |
Telle est la grosse nouvelle que donnent les Tserhovnyia yêdemo\
dans leur numéro 3 de 19 12. Le récit de l'organe du synode russe j
laisse pas clairement voir pourquoi Mk' Milach a été impliqué da[
l'affaire Dositch. Nous n'avons pu nous procurer d'autres renseigt
ments. L'évêque de Zara jouit d'une réputation européenne comr
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 275
canoniste et historien. Son manuel de droit canon orthodoxe, publié
en serbe en 1890, a eu plusieurs éditions et a été traduit en allemand
(2 éditions, Vienne, 1897 et 1905), en bulgare (Sophia, 1903), en grec
(Athènes, 1906) et en russe (Pétersbourg, 1897). En dehors de cet
ouvrage capital, il a écrit une cinquantaine d'autres livres ou opus-
cules. Son dernier travail : le Droit pénal ecclésiastique, 2l paru l'an
dernier à Mostar.
Voici quelques statistiques récentes sur les deux éparchies de Zara
et de Cattaro, dont le lien avec la métropole de Tchernovitz paraît
guère n'exister que dans le texte de la loi qui a voulu l'établir. Dans
le diocèse de Zara, on comptait en 191 1, 3 monastères, 5 doyennés,
S4 paroisses, 83 églises, 12057 familles, 89951 âmes, 46 prêtres,
21 hiéromoines, 2 diacres, i moine. Le nombre des conversions à l'ortho-
doxie, en 19 10, a dépassé 56, et le nombre des défections a été de 22.
Le diocèse des Bouches de Cattaro est moins peuplé : 8 monastères,
4 doyennés, 44 paroisses, 21s églises, s 332 familles, 31 27s fidèles,
50 prêtres, 14 hiéromoines, i diacre.
III. Église du Monténégro
La Skoupchtina monténégrine a voté dans le courant de l'année 1909
une nouvelle loi sur le clergé paroissial, que le roi a approuvée, le
31 août de la même année. Cette loi comprend deux parties : l'une
qui regarde le clergé orthodoxe, l'autre le clergé catholique.
Dans l'article premier, la religion orthodoxe est déclarée la religion
officielle de la principauté (qui est maintenant devenue royaume). Les
curés sont régulièrement choisis parmi les membres du clergé séculier,
bien que les moines (art. XLllI) soient acceptés en cas de nécessité. Ils
doivent être sujets monténégrins, avoir terminé leur cours régulier de
théologie dans l'École théologique orthodoxe ou dans une Faculté
étrangère donnant une formation égale, et présenter toutes les qualités
de l'âme et du corps requises par le droit canon de l'Église orthodoxe
jet les dispositions de la nouvelle loi (art. IV). Les paroisses sont dis-
jtribuées au concours par une Commission composée d'un fonction-
jnaire du ministère de l'Instruction publique et des Cultes, de deux
'membres du tribunal ecclésiastique et de deux prêtres désignés pour
un an par le ministre des Cultes (art. V). La paroisse orthodoxe ne doit
ipas comprendre plus de 400 foyers ni moins de 200. Dans les paroisses
citadines et les gros villages, on tolère jusqu'à 600 maisons, et dans
276 ÉCHOS d'orient
les paroisses de montagne et les petites localités, le nombre des familles
peut n'être que de 1 50 (art. VI).
Le curé doit se rendre à l'appel de ses paroissiens pour exercer
n'importe quel acte du culte, mais il lui appartient de fixer le moment,
excepté dans les cas qui ne souffrent pas de délai, comme le baptême
en cas de nécessité et la communion des malades (art. Vlll). L'article IX
énumère les délits professionnels du clergé paroissial, et l'article X les
peines dont l'autorité ecclésiastique peut les punir. Ces peines sont :
l'avertissement, le blâme, une pénitence (épitimie) de sept à trente jours,
la privation de traitement pour deux mois, la suspense des fonctions
liturgiques pour une durée variant entre un mois et un an, la destitu-
tion, la déposition. L'archiprêtre ou doyen peut faire la monition,
intliger le blâme ou la privation de traitement pour dix jours. Les autres
pénitences sont du ressort de l'évêque, sauf la déposition, qui dépend ,
du synode archiépiscopal. On peut en appeler du jugement de l'archi-
prêtre à celui de l'évêque, de l'évêque au synode et du synode — mais
seulement dans les questions de pure administration — au ministre
de l'Instruction publique et des Cultes. Les délits de droit commun
commis par des prêtres ressortissent des tribunaux civils (art. XI).
Les curés de paroisse reçoivent un traitement annuel fixe de 960 per-
pers (i). En plus, tous les cinq ans, pendant une durée de trente ans,
ils ont droit à un supplément de 240 perpers (art. XVllI). Les curés
de Cettigné sont gratifiés d'un autre supplément annuel de 720 per-
pers, ceux de Podgoritz et de Nikchitz d'un supplément de 600 perpers,
ceux des autres centres provinciaux et de la ville de Dulcino reçoivent
également 480 perpers par an en plus du traitement commun (art. XIX)
Conformément à la loi sur les fonctionnaires civils, le clergé paroissia
reçoit une pension (art. XXVI). Traitements et pensions sont fourni;;
par le Trésor public. 11 existe en plus une caisse pour l'entretien de:j
veuves et des enfants des prêtres défunts. Le ministre des Finances!
qui la détient, l'alimente au moyen de contributions prises sur le traij
tement de chaque curé. La mort, l'abandon de l'état ecclésiastiqui
pour une profession séculière, la condamnation à une peine infamant
font perdre tout droit à la pension (art. XXVII-XXVIII).
En retour du traitement annuel qu'il leur paye, le gouvernemerl
monténégrin demande aux curés d'accomplir gratuitement une séri
de fonctions liturgiques : le service divin dans les églises, les dimanchej
et jours de fête; la bénédiction de l'eau, le jour de l'Epiphanie; la pre!
(i) Le perper équivaut à une couronne autrichienne, c'est-i-dire i fr. o5.
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES 277
dication de la parole de Dieu aux grandes solennités; l'adminislration
du baptême à l'église; la cérémonie du mariage, les services d'enter-
rement, le chant des Te Deum solennels prescrits par l'autorité ecclé-
siastique d'accord avec le gouvernement, etc. (art. XXI). D'autres fonc-
tions sont tarifées par l'article XXII : pour une prière à l'église, on
demande 1 perper; pour une prière à la maison, 2 perpers. La cérémonie
de l'Extrême-Onction rapporte 2 perpers, à chacun des prêtres qui y
prennent part. La bénédiction de l'eau faite sur demande à l'église coûte
1 perper au solliciteur, et 2 perpers, si elle est faite à domicile. Pour la
lecture de l'Evangile à domicile sur un mort, le curé a droit à 3 perpers.
La législation appliquée au clergé orthodoxe « a force de loi pour le
clergé catholique dans la mesure où elle peut s'accorder avec le droit
canon de l'Église romaine catholique et pour les cas où elle n'est pas
changée par les dispositions spéciales du paragraphe consacré au clergé
catholique (art. XLVllI) ». D'après ces dispositions spéciales, le curé
catholique doit être sujet monténégrin, avoir terminé ses études dans
le Séminaire diocésain et satisfaire à toutes les exigences du droit
canon de l'Église catholique. Les candidats qui ont reçu leur formation
théologique à l'étranger doivent passer un examen devant une Com-
mission spéciale sur la langue serbe et slavonne, l'histoire et la géo-
graphie des pays serbes (art. XXXV). Les paroisses catholiques, tout
comme les paroisses orthodoxes, sont données au concours. La Com-
mission élective comprend un fonctionnaire du ministère de l'Instruc-
tion publique et des Cultes et un prêtre catholique romain (art. XXXVI).
Les délits des prêtres catholiques ayant un caractère ecclésiastique sont
jugés et punis suivant la présente loi par l'archevêque d'Antivari. Les
plaintes contre les peines portées par l'archevêque sont présentées au
ministère des Cultes dans l'espace de quinze jours (art. XXXVlll).
L'archevêché catholique d'Antivari. — On vient de voir que, pour
exercer le ministère paroissial en Monténégro, il faut être sujet du
royaume. Le titulaire de l'archevêché catholique d'Antivari doit être
aussi de nationalité monténégrine. Dernièrement, le Saint-Siège avait
donné comme successeur à Mt^''- Méthode Raditch, démissionnaire, le
.prêtre italien M. l'abbé Di Salva, qui, paraît il, ignore li langue serbe.
iSur le refus du gouvernernent monténégrin de reconnaître cette nomi-
nation, Rome a cédé, et c'est M. l'abbé Nicolas Dobredchitch, prêtre
à Cettigné et Monténégrin d'origine, qui a été nommé à l'archevêché
jd'Antivari. 11 faut ajouter que le gouvernement de Cettigné s'est montré
jmécontent de n'avoir pas été consulté sur la démission de Ms^' Raditch.
M. JUGIE.
A PROPOS
DU NOUVEL ARCHEVÊQUE D'ATHÈNES
Më' Louis Petit, archevêque d'Athènes et délégué apostolique en
Grèce, a été sacré à Rome, en l'église Saint-Augustin, le 25 avril, par
S. Em. le cardinal de Cabrières, évêque de Montpellier, assisté de
NN. SS. Campistron, évêque d'Annecy, et Zampini, de l'Ordre des
AugiiQStins, évêque titulaire de Porphyre et sacriste pontifical. 11 a pris
possession de son siège le 8/21 mai.
Que nos lecteurs nous permettent de leur présenter à cette occasion
une brève description du blason adopté par le nouvel archevêque, blason
dont nous n'avions pas encore connaissance en écrivant la notice bio-
graphique de la précédente livraison. Ces détails compléteront l'esquisse
que nous avons donnée de la physionomie d'un prélat qui nous est cher
à plus d'un titre.
Les armes de Me:»- Petit ont comme sujet principal, par allusion au
discours de saint Paul devant l'Aréopage, un autel d'or sur azur, por-
tant à sa base ces mots grecs: ©sw vvojttw (i), et sur la table unt
gerbe de flammes d'où semble s'échapper le nom de Jésus, le Diei
ignoré des Athéniens et annoncé par l'Apôtre. On sait d'ailleurs que It
nom et Jésus était la devise de saint François de Sales, un saint que 1:
communauté d'origine savoisienne et de mission épiscopale renden
doublement cher à la piété de Ms' Petit. Le chef, d'argent, contient le:
trois symboles qui résument toute la vie du nouveau prélat : la truit
d'Annecy, rappelant son diocèse d'origine et le pays de saint Françoi
de Sales; le livre fermé supportant un cœur transpercé par une flèche
armoiries de l'Ordre augustinien admirablement appropriées à ce savan
religieux qui, à l'exemple de saint Augustin, a la haute ambition d
tourner la science en amour, selon le mot connu de Bossuet; enfini
rétoile avec le monogramme de la Sainte Vierge, en souvenir de Ij
Congrégation de l'Assomption à laquelle appartient }A&' Petit. \
La devise qui accompagne cet écusson est celle-ci : Unitas in veritak
C'est un programme d'apostolat, d'inspiration bien paulinienne <
(i) Allusion à ce verset des Actes des Apôtres, xvii, 23 : "Av8p£ç 'AÔYivaïoi,... àvaôewpij
Ta (j£oa(TftaTa upiûv eupov xal pw[j.bv èv w iTtyeéYpaTrro* iyyûxrcu» &e.m, "Ov û^v «YvogCviI
euffe6£tT£, Toû-rov èyà) xaTa^yé^Xw ùixïv. I
A PROPOS DU NOUVEL ARCHEVÊQUE d' ATHÈNES 279
augustinienne, disons mieux, d'inspiration pleinement ciirétienne.
Catholiques et ortliodoxes ne peuvent que se rallier volontiers à cette
devise, ainsi que le reconnaissait récemment M. Damvergès dans
l"E'^r,u.îvls d'Athènes :
La parole écrite au bas de l'écusson de M^'' Petit, disait-il, constitue un
beau programme chrétien: l'unité dans la vérité. To p/iT&v xh xàrwôev toïï
o!xo<7rjp.O'j TOI» aTCOTeXsï wpaïov yrpiffT'.avtxbv Trpôypajji.jji.a Xéyov 'H evwor'.ç èv ty,
Ils peuvent se rassurer, les journalistes et autres personnages athé-
niens qui ont paru un moment effrayés par la nomination d'un Assomp-
tioniste au siège archiépiscopal latin de la capitale de la Grèce; leurs
compatriotes catholiques les ont, du reste, rassurés déjà en relevant
point par point, par la plume d'un rédacteur de l'Aùyr^ (2), feuille catho-
lique de Syra, les motifs de leurs vaines frayeurs. Le nouvel archevêque,
tout Assomptioniste qu'il soit, ne veut être à Athènes qu'un disciple
de celui qui convertit Denys l'Aréopagite. Son ambition est d'employer
plus que jamais les grandes ressources de son esprit et de son cœur
à orienter toujours davantage les esprits et les cœurs vers le Christ qui
€St depuis saint Paul le Dieu connu, à faire l'unité dans la vérité pour
réaliser la sublime prière adressée par le Sauveur à son Père, la veille
de sa mort : Ut omnes unum sint ut sint consummati in unum. "Iva
Tzàv"; 'h (T)T'.,.,. wa coT'. TîTîlsuo^ivot. eU 27(3). La devise du nouveau
pasteur donné par Rome aux catholiques du diocèse d'Athènes fait
ainsi écho aux désirs de cet excellent groupe de Grecs orthodoxes qui,
2Mtc M. Constantin Maniakis, dont les Echos d'Orient (4) résumaient
naguère la pensée, éprouvent la bienfaisante nostalgie de l'unité chré-
tienne.
S. Salaville.
(i) 'Ecpr,|iîptç du 22 avril (== 5 mai) 191 2.
(2) L'A-jyr) du 22 avril (= 5 mai) 1912 ne consacre pas moins de deux pages entières
de journal à répondre à un long article de l"E®Y|(X£ptî du 14/27 avril dont un des
titres sensationnels était celui-ci : '0 xtvôyvoî xwv 'A(Toy[j.'|'tov'.<7Twv, Le péril assomp-
tioniste. L'AJyr, intitule simplement sa réponse : \ix ttjv « 'E?r,[x.epcôa » 'A6ï|vûv, Pour
l''E!pri\izpiz d'Athènes. Ce nous est un devoir et un plaisir de remercier l'auteur de
•cette réponse.
(3) Joan. XVII, 21, 23.
(4) Echos d'Orient, mars-avril 1912, p. 179-180.
RECTIFICATION
Les Echos d'Orient de mars-avril 1912 ont rendu compte (p. 84) d'un
Manuel de prières à l'usage des fidèles du rite grec portant le nom de
l'archimandrite Jean Oquet. Le R. P. Cyrille Karalevsky, bien connu de
nos lecteurs sous la signature de Cyrille Charon, nous écrit que ce volume
est en réalité son œuvre et qu'il entend bien se réserver d'en donner un
jour une édition corrigée qui portera, cette fois, le nom de son véritable
auteur.
Le rédacteur du compte rendu, ne connaissant pas les circonstances
dans lesquelles fut composé et publié cet opuscule, s'en était rapporté aux
seules données du frontispice qui porte en propres termes : Manuel d^
prières à l'usage des fidèles du rite grec recueillies et mises en ordre
par r archimandrite Jean Oquet, supérieur du collège patriarcal grec-
catholique de Beyrouth (Syrie). Nos lecteurs prendront acte, avec nous,
de la protestation du R. P. Charon et de l'annonce qu'il fait d'une pro*
chaîne réédition de ce Manuel.
Un de nos lecteurs d'Angleterre a eu l'obligeance de nous signaler que
la traduction anglaise des liturgies byzantines publiée par J. N. W. D. Ro-
bertson, analysée dans les Echos d'Orient {novembre 191 1, p. SyG) d'après^
l'édition de 1886 par notre collaborateur Paul Bacel, avait été rééditée
depuis. Au sujet de cette réédition, M. Adrien Fortescue, dans son récent
opuscule : The divine Liturgy of our Father among the Saint John
Chrysostom (Londres, 1908), écrit les lignes suivantes:
« J. N. W. D. Robertson : The divine Liturgies of our Fathers amon^^
the Saints John Chrysostom and Basil the Great, with that of the Pre
sanctified (London, Nutt, 1894). Very prettily printed, but almos^
impossible to use; is has neither table of contents nor index, not evei
headings to pages. » (i)
Ces indications préciseront certains points du compte rendu publid
dans notre revue par M. Paul Bacel.
La Rédaction.
(i) A. Fortescue, op, cit., p. 84.
BIBLIOGRAPHIE
|. B. AuFHAUSER, Die Heilslehre des hl. Gregor von Nyssa. Munich^
J.-J. Lentner, 1910. In-8", vin-2i5 pages.
Au cours du xix^ siècle, les Allemands ont consacré à la doctrine théo-
logique de saint Grégoire de Nysse une série de monographies de valeur
fort inégale. Toutes ont pour objet un point spécial : aucune ne constitue
une étude d'ensemble sur la théologie du grand docteur cappadocien.
M. Aufhauser imite ses devanciers : il borne son enquête à la doctrine du
salut. En lisant cette monographie si serrée, si pleine, si bien menée,,
fruit d'une lecture, attentive de toutes les œuvres de saint Grégoire, nous
nous sommes pris à regretter que l'auteur n'ait pas donné une synthèse
générale de toute la doctrine du docteur qu'il étudie.
L'ouvrage comprend une introduction et cinq chapitres. L'introduction
présente un aperçu rapide sur la situation théologico-philosophique du
milieu intellectuel dans lequel a vécu saint Grégoire de Nysse et fixe
l'attitude de celui-ci en face des problèmes de son temps. L'atmosphère
intellectuelle du iv« siècle était chargée d'éléments fort disparates. Les
vieilles hérésies des trois premiers siècles étaient loin d'être extirpées. Les
hérésies contemporaines : arianisme, macédonianisme, apollinarisme,
donnaient l'assaut à la doctrine orthodoxe. Le paganisme n'était pas
mort; il avait même essayé de prendre une revanche sur le christianisme,
à l'époque de Julien. Quant aux philosophes, ils s'inspiraient surtout de
Platon. Si l'évêque de Nysse fut l'adversaire intrépide et redoutable de
l'hérésie, il se montra bienveillant pour la philosophie et chercha à en
faire la servante de la théologie. 11 fut, après Origène, le plus philosophe
les Pères grecs. Le problème du mal surtout le préoccupa. Malheureu-
sement, la solution à laquelle il s'arrêta ne fut pas heureuse de tout
Doint, comme on le verra tout à l'heure.
L'influence de la philosophie sur la doctrine de Grégoire est particuliè-
■ement visible dans la manière dont ce Père explique la fin de l'homme
it dont il détermine les moyens pour y parvenir. Imiter Dieu, lui devenir
iemblable, participer à sa vie : tel est le but vers lequel l'homme doit
lendre et auquel il peut arriver par le détachement des choses sensibles
!t terrestres. Il emprunte à Aristote sa théorie de la vertu. Ses homélies
ur le Cantique des cantiques et son traité de la virginité abondent en
)elles considérations ascétiques et mystiques et font de lui un des pre-
miers théoriciens de la vie spirituelle (ch. i).
La doctrine du salut étant intimement liée à celle qui regarde l'état
)rimitif de l'humanité et le péché originel, M. Aufhauser nous fait con-
282 ÉCHOS d'orient
naître l'enseignement de Grégoire sur ces points capitaux. Sur l'état
primitif, notre Docteur a des conceptions à lui, qu'il mêle aux données
de la foi traditionnelle. Il distingue un double paradis : le paradis idéal,
celui que Dieu aurait réalisé, dans l'hypothèse de la persévérance de
l'homme dans l'état de justice originelle, et le paradis historique, celui
qui a existé en fait et a été conditionné par la prévision de la chute.
D'après le plan divin idéal, la différenciation des sexes et le mariage
n'auraient pas existé, Dieu aurait multiplié les hommes d'une autre
manière, selon le mode angélique. Le corps humain aurait été formé
d'éléments moins grossiers et aurait été soustrait à toutes les nécessités
de la vie végétative et animale : il aurait ressemblé au corps des élus
après la résurrection. En fait, ce plan n'a été réalisé qu'en partie. Pré-
voyant la chute du premier homme. Dieu lui a donné une compagne
pour que la reproduction de l'espèce humaine se fît par voie de gêné
ration. Au paradis terrestre, Adam et Eve étaient exempts de la concu-
piscence, de la douleur et de la mort. Ils n'avaient pas besoin de nourri
ture, l'arbre de vie n'étant qu'une allégorie. Mais leur corps n'était point
formé de la fine matière qui aurait composé le corps de l'homme idéal
il contenait toutes les virtualités de l'animalité, et celles-ci devaienl
passer à l'acte, dès qu'elles ne seraient plus contenues par les dons pré-
ternaturels.
Sans employer ce terme de « dons préternaturels » et sans tracer à'um
manière précise les limites du naturel et du surnaturel, saint Grégoire fj||
cependant ressortir clairement le côté gratuit des prérogatives qu'Ai
a perdues par le péché. Il affirme aussi très nettement l'élévation
premier homme à l'état surnaturel proprement dit par le don de la grâce
participation de la vie divine. Cette dernière affirmation mérite d'autant
plus d'être remarquée qu'à entendre certains historiens du dogme, la
dition grecque des quatre premiers siècles serait presque muette sur
point particulier.
Non moins digne d'attention est la doctrine de l'évêque de Nysse s
l'existence du péché originel dans les descendants d'Adam et ses funeste]
conséquences. Il parle d'une dette commune de la nature humaine, 1
xatvà T-ri; àvôpwut'vri; çoffswç o^X^ara, et déclare que quiconque particsipl
à la nature d'Adam par la génération participe à sa chute. Le principj
effet du péché d'origine est la mort, non pas seulement la mort du corp
mais aussi la mort de l'âme. De là la nécessité du baptême pour recouvT'
la vie de l'âme, c'est-à-dire la grâce perdue par Adam. Après avoir entend
des affirmations si orthodoxes, on est un peu surpris de voir Grégoi
ouvrir le ciel aux petits enfants morts sans baptême. Il est vrai qu'il pi
sente sa solution comme une conjecture. Il y a même lieu de
demander, comme le fait remarquer M. Aufhauser, si, dans le cas, il
se place pas uniquement sur le terrain philosophique.
BIBLIOGRAPHIE iS}
Grégoire semble bien enseigner que le péché originel a blessé au vif la
nature humaine considérée en elle-même, bien qu'il n'y ait point eu cor-
ruption foncière. D'après lui, nous naissons avec un penchant au mal
plus fort que le penchant au bien.
Pour rétablir l'homme dans l'état primitif (àvàyjTjdt;) et lui redonner
a vie divine, l'Incarnation de l'Homme-Dieu était nécessaire, car
'homme déchu ne pouvait se relever lui-même ni payer au démon une
juste rançon. La manière dont Grégoire parle des droits du démon est
ïssez choquante. Par une rhétorique de mauvais goût, il considère
'ennemi du genre humain comme un légitime possesseur qui avait droit
i une juste compensation. C'est à lui que Jésus-Christ a payé le prix de
aotre rachat, tout en le trompant comme il avait trompé lui-même nos
premiers parents. Jésus, à la fois prêtre et victime, s'est offert en hostie
le propitiation pour nous réconcilier avec Dieu. Ce sacrifice s'est accompli
l'une manière sanglante sur la croix, et à la dernière Cène d'une manière
mystique. La rédemption a été universelle, non seulement pour les
hommes, mais aussi, semble-t-il, pour tous les êtres de la création (ch. ii).
Considérée dans le sujet, l'œuvre du salut s'accomplit par le concours
du facteur humain et du facteur divin, de la liberté et de la grâce. Contre
le dualisme gnostique et le fatalisme païen, saint Grégoire met vivement
en relief la liberté humaine, amoindrie mais non détruite par le péché.
Il semble même, en certains endroits de ses écrits, trop lui accorder, mais
ce n'est qu'une apparence. En réalité, les droits de la grâce sont suffi-
samment sauvegardés. Presque toutes les thèses catholiques sur la néces-
sité, la nature, la gratuité, la distribution, l'universalité de la grâce
actuelle trouvent en lui un témoin et un défenseur. On ne saurait l'accu-
ser de semi-pélagianisme, car, en plusieurs passages, il donne très clai-
rement la priorité à la grâce sur la liberté et enseigne que la foi est
un don gratuit offert à tous. Il ne faut pas, du reste, chercher chez lui
le théorie précise sur la manière dont les deux facteurs humain et divin
:ombinent leur action. Il se contente d'affirmer que la grâce ne détruit
Das la nature et ne violente pas le libre arbitre (ch. m).
La justification, à laquelle disposent la foi et le repentir et qu'apporte
e baptême, consiste dans la destruction du péché et dans la naissance
A une vie nouvelle, la vie même de Dieu. Le baptisé est fils de Dieu, non
par nature, mais par grâce; il contracte avec lui une parenté véritable.
l)ieu naît en lui; il est divinisé. A l'Eucharistie appartient d'entretenir en
|ious cette vie divine (ch. iv).
La doctrine eschatologique de saint Grégoire s'écarte en un point
Upital de l'enseignement catholique. Disciple d'Origène, il admet le réta-
l^lissement final de toutes choses, àTroxaToccTTaffi; iràvTojv, c'est-à-dire la dis-
|)arition définitive du mal moral dans l'œuvre de la création. Le mal est
luelque chose de négatif, un non-être qui n'existe que dans et par le bien.
284 ÉCHOS d'orient
Il ne saurait être infini dans la durée, étant limité dans l'espace. Un jour
viendra où les réprouvés et les démons, après avoir erré par tous les
chemins de la malice et du désordre et avoir exploré tout le domaine du
mal, se tourneront finalement vers le Bien Souverain, qui les accueillera.
Dieu alors sera tout dans tous, et toute créature libre chantera l'hymne
de l'amour et de la reconnaissance. Cette conception a quelque chose de
grandiose; elle est séduisante pour la raison; mais il est facile devoir,
à la réflexion, qu'elle est destructrice de l'ordre moral. Tout châtiment
temporel, si terrible qu'on le suppose, est une sanction insuffisante de la
loi morale (ch. v).
Plusieurs auteurs ont vainement essayé d'établir que l'évéque de Nysse
n'avait point enseigné l'apocatastase universelle, soit en supposant gra-
tuitement que ses œuvres avaient été interpolées, soit en faisant violence
aux textes les plus clairs. Sans doute, en maints endroits de ses écrits
parénétiques, il parle de peines éternelles, mais l'épithète aîaiv.o; a pour
lui un sens relatif et signifie une longue durée. Il faut reconnaître qu'il
s'est écarté sur ce point de la tradition apostolique. A son époque, l'Eglise
n'avait pas encore condamné l'apocatastase origéniste, et l'on n'a pas
trop de peine à comprendre qu'un philosophe comme saint Grégoire se
soit laissé séduire par une théorie dont le brillant et le grandiose dissi-
mulent la fausseté.
M. JUGIE.
J. P. Bock, S. J. Die Brotbitte des V aterunsers . Ein Beitrag s^ur VerS'
taendnis dièses Universalgebetes und einscklaegiger patristisch-litur»\
gischer Fragen. Paderborn, Bonifacius-Druckerei, 191 1, in-8°, xvt
339 pages. Prix: 5 marks.
C'est le récent décret pontifical Sacra trideniina Synodus sur la cor
munion fréquente et quotidienne qui a donné occasion à cet ouvrage. L
R. P. Bock cherche à y établir le bien fondé exégétique, patristique e
liturgique de l'application du Panem quotidianum du Pater à la saint-
communion. Nous ne pouvons pas, dans un bref compte rendu, suivr
l'auteur à travers sa longue et très érudite démonstration. Tous les élé
ments qui y entrent ne sont pas d'égale valeur. Exégètes et liiurgistes n
manqueront pas de critiquer bien des détails, où peut-être le doct
Jésuite s'est trop laissé influencer par la thèse à établir. Pour ne cite
qu'un exemple, le groupe de documents liturgiques, spécialement orier
taux, du IV* et du v« siècle, où la mention du Pater est absente à la messi
constitue une difficulté que l'auteur tourne trop légèrement en « témo
gnage équivalent », ch. xvi, p. 245 sq. Mais du moins on sera bien aii
de trouver ainsi réunis tant de textes intéressants. La partie patristiqi|
surtout, la plus solide d'ailleurs, rendra service à tous ceux qui auroi|
à la consulter.
BIBLIOGRAPHIE 285
Quel que soit le degré de valeur démonstrative, variable suivant les
cas, qu'il faille attribuer aux divers éléments de cet ouvrage, il convient
de féliciter le R. P. Bock du zèle très sacerdotal qui le lui a inspiré et du
labeur consciencieux qui lui a fait mener à bonne fin de si patientes
recherches. S. Salaville.
M. J. RouËT DE JouRNEL, S. J., Enchiridion patristicum. Fribourg
en Brisgau, Herder, 191 1, in-8", xxiv-888 pages. Prix: 12 fr. 5o.
Après V Enchiridion symbolorum, definitionum et declarationum de
rébus Jidei et morum de Denzinger, revu et considérablement augmenté
par le P. C. Banmvart, et V Enchiridion Fontium historiée du P. C. Kirch,
la librairie Herder présente au public un troisième Enchiridion, VEnchi-
ridion patristicum, dû aux soins du P. Rouët de Journel. Il est en tout
digne de ses aînés, rédigé sur le même plan, avec le même souci d'être
utile aux étudiants en théologie et à d'autres. Les textes patristiques vont
de la Didaché à saint Jean Damascène et sont disposés dans l'ordre chro-
nologique des auteurs et de leurs écrits. Les textes des Pères grecs sont
donnés dans l'original et en traduction latine.
Cet Enchiridion est bien fait pour initier les élèves en théologie à
la preuve patristique et leur inspirer le goût de la lecture des Pères. Il est
re^^rettable que la consultation n'en soit pas très commode, malgré les
excellentes tables qu'on y a jointes. Professeurs et élèves en théologie pré-
féreraient certainement une disposition des textes par ordre de matières.
Cela entraînerait sans doute quelques répétitions, le même passage conte-
nant parfois l'énoncé de plusieurs dogmes; mais comme on serait satis-
fait d'avoir à la file tous les témoignages se rapportant à une même
thèse! Nous souhaitons vivement qu'une prochaine édition nous donne
une petite Somme de théologie patristique sur le plan de l'index théolo-
^ique placé à la fin du volume.
Certains points de doctrine sont faiblement représentés dans ce recueil.
Sur l'Immaculée Conception de la Vierge, par exemple, on ne trouve
^uère qu'un témoignage, celui de saint Ephrem, qui contienne vraiment
'idée dogmatique. La tradition patristique serait-elle si pauvre? Nous ne
e croyons pas. L'auteur aurait pu faire figurer dans son recueil une
penne demi-douzaine de textes suffisamment clairs, fournis par Théodote
jl'Ancyre, Proclus, Sévère d'Antioche, saint Sophrone, saint André de
prête, saint Germain et saint Jean Damascène. Sur l'Assomption, on ne
ignale que le passage de l'histoire euthymiaque inséré dans une homélie
lu Damascène, passage dont la véracité est suspectée à bon droit par les
ritiques. Pourquoi ne pas mentionner l'opinion de saint Epiphane sur
a mort de la Vierge, le témoignage de Modeste de Jérusalem et d'autres
iiocteurs byzantins sur la Dormition?
M. JUGIE.
286 ÉCHOS d'orïent
A. T. RoBERTSON, Grammaire du grec et du Nouveau Testament, tra-
duite sur la seconde édition, par E. Montet. Paris, Paul Geuthner,
191 1, xvi-298 pages in-8".
Voici une nouvelle étude philologique d'une réelle valeur sur la langue
du Nouveau Testament. Elle n'atteint pas les développements de celle
de Moulton, mais cela même la met à la portée d'un plus grand nombre
de lecteurs. L'auteur écrit pour les Séminaires protestants des Etats-
Unis, ce qui explique, par exemple, les sens qu'il donne aux mots o-.xa-.w,
oixaîoxTtç, — à7roXuTûo)(7i; (p. 89), mais n'enlève rien à la portée de ses
affirmations scientifiques.
M. Robertson a voulu combler une lacune qui existe entre les gram-
maires rudimentaires et les traités complets. Il a voulu faire «un ouvrage
pratique intermédiaire pour ceux qui sont familiarisés avec les éléments
du grec (p. 11) ». !
Le point de vue où il se place est à noter. Appuyé sur les particularités
grammaticales que l'on remarque dans les papyrus, il restreint le plus
possible l'influence sémitique, qui, dit-il, « n'est vraiment pas grande,
bien qu'elle soit réelle et précise (p. 24) ».
Mais ce qui donne à cet ouvrage la note caractéristique et originale,
c'est la manière dont le sujet y est traité. M. Robertson, qui est, en philo-
logie, au courant de toutes les méthodes modernes, a su s'élever à des^
considérations générales d'un très grand intérêt. Il a, dans le Nouveau
Testament, saisi la langue grecque dans une phase de sa longue évolir-i
tion et s'est attaché, pour la faire comprendre, à opposer sans cesse
xotvT) des temps apostoliques aux formes dialectales plus anciennes et a|
grec moderne parlé. Enfin, il le rapproche aussi du sanscrit, du latin
des langues indo-germaniques. Le traducteur, M. E. Montet, qui est uî
« hébraïsant de l'Ancien Testament », ainsi que lui-même a soin db
nous le dire (p. ix), a ajouté en note des remarques prises de la com
paraison avec les langues sémitiques. Elles aggraveront le reproche qii
certains adresseront sans doute à l'auteur d'avoir excédé dans ses qua
lités mêmes, d'avoir parfois dépassé les bornes du Nouveau Testament
développé telle théorie philologique plus qu'il n'était nécessaire pou
l'explication du texte sacré, surtout dans une grammaire relativemefi
courte.
Mais ce n'est pas nous qui l'en blâmerons. Outre que « cette philos(
phie du langage grec fait le charme de l'ouvrage » (p. ix), comme
remarque M. Montet, c'est par ce côté justement qu'il nous intéresse
qu'il serait utile à certains de nos lecteurs grecs, si passionnés pour l
querelles linguistiques. F. Cayré.
E. DE Marsay, De Vauthenticité des livres d'Esther et de Judith. Pari
Paul Geuthner, 191 1, 41 pages, in-8".
BIBLIOGRAPHIE 287
Dans cette courte brochure, M. E. de Marsay réfute les objections faites
à l'historicité du livre dEsther. Il rétablit avec une très grande vraisem-
blance la scène biblique dans son cadre historique et prouve sa reconsti-
tution par une brève étude philologique.
Trois pages en supplément sont consacrées au livre de Judith, dont
M. de Marsay fait remonter les événements jusqu'au x" siècle. C'est aller
bien haut, alors que tant d'autres descendent si bas.
M. Lacroix.
E. Klostermann, Origenes, Eustathius von Antiochien und Gregor von
Nyssa ùber die Hexe von Endor. Bonn, A. Marcus et E. Weber, 1912^
petit in-8 ", 70 pages. Prix : i mark 60 (Fait partie de la collection
« Kleine Texte fiir Vorlesungen und Uebungen » herausgegeben von
Hans Lietzmann).
On sait qu'Origène a consacré à l'épisode de la pythonisse d'Endor
(/ Reg. XXVIII, 3-25) un commentaire caractéristique de son exégèse où
l'allégorie occupe une trop grande place. Les amis du grand Alexandrin
ont pris parti pour lui, tandis que ses adversaires l'ont vivement critiqué.
Un manuscrit de Munich, le Cod. grœcus 33 1, du x« siècle, contient pré-
cisément, avec l'homélie d'Origène, la réfutation qu'en fit saint Eustathe
d'Antioche et la lettre de saint Grégoire deNysse à l'évêque Théodose sur
le même sujet. Ces textes étaient connus. Mais on saura gréa M. E. Klos-
termann, éditeur d'Origène dans le Corpus de Berlin, de les avoir munis
d'un excellent appareil critique en se servant d'un manuscrit qui n'avait
pas été utilisé jusqu'à présent. S. Salaville.
A. RuECKER, Die Lukas-Homilien des hl. Cyrill von Alexandrien. Ein
Beitrag ^ur Geschichte der Exégèse. Breslau, Goerlich et Coch, 1911,
in-8", 102 pages. Prix: 3 marks 20.
Saint Cyrille d'Alexandrie a consacré au commentaire de l'Evangile
selon saint Luc cent cinquante-six homélies, dont le texte grec n'est
malheureusement pas parvenu jusqu'à nous. On n'en a que des fragments
recueillis surtout par le cardinal Mai dans les Chaînes grecques. Par
contre, nous possédons de ces homélies une traduction syriaque à peu
près complète, qui a été publiée et traduite en anglais par Robert Payne
jSmith (Oxford, 1 858-1 SSg). Cette traduction pourrait servir à retrouver
d'autres fragments grecs et à reconstituer peu à peu le texte original.
|Ml. l'abbé Rûcker, par son excellente thèse de doctorat présentée à la
Faculté de théologie catholique de l'Université de Breslau, a fort bien
préparé le terrain à ce travail en faisant l'application des principes de la
critique à l'histoire et aux témoins de ce commentaire, en dressant le
ableau très complet des extraits connus du texte grec, en étudiant l'ori-
288 ÉCHOS d'orient
gine de ces homélies cyrilliennes, le texte scripturaire qu'elles attestent,
leur caractère exégétique.
Ce commentaire dut être composé vers 43o, en partie contre Nestorius.
On sait que l'exégèse de l'évéque d'Alexandrie est, en général, plutôt
allégorisante, surtout pour l'Ancien Testament. Néanmoins, le littéra-
lisme est loin de lui être étranger. On en trouvera un exemple frappant
dans son explication du logion concernant le chameau et le trou de
l'aiguille, p. loo. Ce passage du commentaire est ici publié, dans le texte
syriaque et en traduction allemande, avec quelques autres qui manquaient
dans le manuscrit édité par Robert Payne Smith. L'abbé Riicker les
a trouvés dans le Codex Sachau 220 de Berlin. Souhaitons au savant
auteur de pouvoir nous donner un jour le texte grec des Homélies de
saint Cyrille, reconstitué grâce à ses patients et consciencieux travaux, j
S. Salavili.e.
LIVRES REÇUS A LA RÉDACTION
Plusieurs de ces ouvrages
seront l'objet d'un compte rendu dans une des livraisons de la Revue.
Publications de l'Académie roumaine de Bucarest :
C. LiTzicA, Catalogul manuscriptelor grecesti, eu i5 stampe fac-simil<
Bucarest, Académie roumaine, 1909, vi-564 pages in-S". Prix : 12 francs.
J. BiANU et N. HoDos, Bibliografia rotnânesca pèche 1 5o8-i 83o, t. II,fasc,/
et VI. Bucarest, 1909-1910, in-4°^ p. 385-481. Prix: i franc par fascicule.
Documente privitoare la Istoria Românilor culese de E. de Hurmuzaki :
T. XIII, Texte grecesti privitoare la istoria Româneasca culese si publicai
de A. Papadopoulos-Kerameus, Bucarest. 1909, in-4°, [xy'-6i9 pages. Prix
25 francs.
T. XV, Acte si Scrisori din Arhivele Oraselor Ardelene {Bistrita, Braso
Sibiiu) publicate de N. Iorga. Partea I : i358-i6oo. Bucarest, 191 1, in-4°, lxxvii
775 pages. Prix : 25 francs.
Analele Academiei Romane, séria 11, t. XXXI-XXXIII (1908-1911) : Memorii
sectiunii istorice, stiintijîce, literare; Partea administrativa si desbaterile.
Academia Româna : Discursuri de receptiune, xxxii-xxxvii. Bucarest, 19c
1911.
DoNADO DA Lezze, Histora Tiirchesca (i3oo-i5i4), publicata, annotât]
impreuna eu o introducere de D' I. Ursu. Bucarest, igio, in-8'^ lx-3o4 pag<j
Prix : 5 francs.
Academia Româna: Din vieata poporului Roman Culegeri si Stiidii, t. IV-.|
Bucarest, 1909-1911.
638-12. — Imp. P Feron-Vrau, 3 « b, rue Hayard, Paris, Vlll*. — Le gérant : E. Petithejjrt.
ORIGINES CHRÉTIENNES
DE LA GÉORGIE
De toutes les Eglises orientales de rite byzantin, la moins connue
isqu'ici est peut-être l'Eglise géorgienne. 11 faut sans doute en chercher
cause dans son éloignement et dans son manque de relations directes
/ec l'Occident. Cependant, elle mérite à plus d'un titre d'être étudiée.
u moyen âge, ses monastères se rencontraient dans les provinces les
lus diverses de l'empire byzantin, depuis Jérusalem jusqu'au mont
thos, exerçant une influence considérable. Les saints et les martyrs
e lui firent pas plus défaut que les savants.
Malgré le voisinage des Arméniens monophysites et leurs incessantes
ersécutions, les Géorgiens ont conservé intacte la foi de leurs pères,
'ils sont séparés de Rome depuis plus de cent ans, ils ont, jusqu'à
[ fin du xviije siècle, entretenu avec elle les meilleures relations, au
rand désespoir des patriarches byzantins, jaloux d'étendre leur auto-
té jusqu'au pied du Caucase.
La Géorgie et les Géorgiens.
On appelle Géorgie la partie de la Transcaucasie russe qui comprend
I bassin du Tchorokh, de l'ingour et du Rion (le Phasis des anciens),
haut plateau et le bassin central de la Koura jusqu'à son confluent
'/ec l'Alazane. La capitale fut d'abord Mtzkhéta, puis Tiflis, à quelques
lomètres plus à l'Est. Les écrivains grecs et latins connaissaient ce
lys sous le nom d'Ibérie. C'est dans ces régions, en Colchide (la
ingrélie actuelle), que les Argonautes vinrent avec Jason conquérir
fameuse Toison d'or. Les habitants sont les Kartvels ou Géorgiens.
s rares auteurs qui ont étudié ce peuple sont loin de s'entendre quand
veulent déterminer à quelle race il appartient. L'incertitude est la
ême pour la langue. Avant l'ère chrétienne, les Géorgiens occupèrent
iqu'au vue siècle une bonne partie de l'Arménie actuelle. D'après des
couvertes relativement récentes, il semble même qu'il faut les iden-
er avec les Alarodiens, qui formaient, autour du lac de Van, le
neux royaume d'Ourartou, contre lequel les Assyriens eurent tant
Litter. Repoussés petit à petit par les Arméniens venus de Phrygie et
■ d'autres peuples envahisseurs, ils se cantonnèrent dans le Caucase,
ils occupent encore aujourd'hui.
Echos d'Orient. — i5' année. — N° g5. Juillet 1912.
2O0 ÉCHOS D ORIENT
Pour assurer son indépendance politique et sa liberté religieuse, ce
peuple énergique eut à lutter contre des empires puissants qui l'enser-
raient de toute part. Tour à tour les Perses, les Byzantins, les Arabes,
les Mongols et les Turcs se ruent à l'assaut des montagnes du Caucase,
les pillent et les dévastent. Lorsque enfin, épuisés par tant de guerres
et par des divisions intestines, les Géorgiens sont aux abois, la diplo-
matie moscovite en fait d'abord les vassaux, puis, quelques années
après, les sujets de la toute sainte Russie.
De la puissante Eglise de jadis, qui comptait plusieurs millions de
fidèles avec un catholicos, et pas moins de soixante-quinze évêques, il
ne reste plus aujourd'hui qu'un million et demi à deux millions df
fidèles, introduits malgré eux dans l'Eglise officielle russe, sous la direc-
tion d'un exarque toujours russe et de cinq évêques habituellemenl
géorgiens. La Géorgie a complètement perdu son indépendance civil
et religieuse de 1800 à 1810.
Les Géorgiens rattachent les origines de leur Eglise à la traditioi
de la sainte Tunique, à lapostolat de saint André, au premier siècle
et à celui de sainte Nino, au iv^ siècle. Essayons brièvement d'appli
quer à ces traditions le contrôle de l'histoire.
La tradition de la sainte Tunique.
Parmi les causes qui ont contribué à faire connaître la religion chrel
tienne dans leur patrie, les Géorgiens se plaisent à compter la possesl
sion de la tunique sans couture de Notre-Seigneur, que les soldai
tirèrent au sort au pied de la croix. Comment cette insigne reliqtj
s'est-elle trouvée en Géorgie pendant plusieurs siècles, c'est ce qui
n'est pas facile d'établir. Cependant, si nous en croyons les zAnnalX
géorgiennes, la chose s'explique très aisément. Ces annales, il est vrai
n'existent dans leur forme actuelle que depuis Je xvii^ siècle, mais \\
documents sur lesquels elles se basent sont, au dire des orientalistej
d'une très grande valeur.
: Nous savons qu'après la destruction de Jérusalem par Nabuchodl
nosor bon nombre de Juifs vinrent s'établir en Géorgie, principalemej
dans la capitale, à Mtzkhéta. D'après les annales, « Anne, prêtre dj
Juifs de Jérusalem », aurait envoyé à ses coreligionnaires du Cauca|
un émissaire pour leur demander de venir dans la Ville Sainte et de
prononcer au sujet de Jésus, qui se prétendait le Messie. Les Juifs
Qéorgie envoyèrent deux des leurs : Elioz de Mtzkhéta et Longinoz
Carsan. Ces deux délégués n'arrivèrent à Jérusalem qu'après la J
ORIGINES CHRETIENNES DE LA GÉORGIE 291
amnation du Sauveur, juste à temps pour assister à son crucifiement.
Lorsque le sort fut jeté par les Juifs impies qui assistaient à son sup-
lice, sur la robe du Seigneur, la Providence divine la fit échoir aux
jifs de Mtzkhéta. » (i) Elioz et Longinoz l'emportèrent dans leur pays,
ù elle a été conservée depuis lors jusque vers le milieu du vif siècle.
Outre certains détails manifestement inventés pour embellir le récit,
t qu'il est inutile de rapporter ici, il est bien difficile d'admettre la
Dnvocation faite par Anne à ses confrères du Caucase, l'histoire n'en
it pas un mot; d'ailleurs, les Juifs de Jérusalem suffisaient pour con-
amner le Sauveur. Quant au récit du partage des vêtements, il est
artainement faux, puisqu'il est en tout contraire au texte des quatre
vangiles (2). Ce ne sont pas les Juifs, mais les soldats romains qui ont
lit ce partage. Certains historiens, dans le but de concilier à tout
rix la tradition géorgienne avec l'histoire, prétendent que le soldat
ivorisé du sort était Géorgien. Cette assertion, d'ailleurs toute gratuite,
it sujette à caution, car, à cette époque, la Géorgie ne faisait pas
ncore partie de l'empire romain.
Les Annales géorgiennes ne sont pas le seul document qui raconte le
lit. La Chronique arménienne \e rapporte aussi, mais il est aujourd'hui
rouvé que ce n'est qu'un abrégé des Annales géorgiennes. La Couver^
on de la Géorgie, ouvrage très ancien, composé, au moins pour la
remière partie, vers le vii^ siècle, en parle aussi, mais incidemment.
est vrai qu'il y manque une page (3).
Malgré ce que nous venons de dire, il paraît certain que la tradition
ilative à la présence en Géorgie de la sainte Tunique a été universel-
:ment admise dans ce pays depuis une très haute antiquité. La relique
a toujours été en grand honneur. On lui a même consacré une fête
ji est devenue en quelque sorte la fête nationale, et qui se célèbre le
* octobre (4). Les Pères de l'Eglise géorgienne racontent de nombreux
iracles opérés par la sainte Tunique. Elle a même pris place dans les
imes de la famille royale (5).
i) Tamarati, l'Eglise géorgienne. Rome, 1910, p. m. Cet ouvrage est précieux
ar son excellente documentation et sa critique habituellement avisées^ Pour plusieurs
)ns l'auteur n'a pas su se dégager de tout parti pris national.
Litth.wwi, 35; Marc, xv, 24; Luc. xxiii, 84; Joan. xix, 23-24. '
j) oisons, en faveur des Géorgiens, que les multiples vicissitudes de leur patrie,
ivasion et l'occupation musulmane, qui se prolongea pendant plusieurs siècles, ont
tainement fait disparaître de précieux documents. On est loin, du reste, d'avoir
'isé tous ceux qui ont subsisté.
\) La fête est consacrée à la sainte Tunique et à la colonne miraculeuse témoin de
:onversion de la Géorgie, au temps de sainte Nino. Nous aurons à en parler plus
I.
5) Les armoiries des rois géorgiens sont très curieuses. Au centre, la sainte Tunique,
292 ÉCHOS d'orient
Cette précieuse relique dut être enlevée d'assez bonne heure à h
Géorgie. Il est difficile de fixer une date, mais il est probable que a
fut en 642, lors de l'invasion qui rendit les Arabes maîtres de tout le
pays pendant quatre siècles. Que devint la sainte Tunique? Peut-être
passa-t-elle aux mains des croisés et arriva-t-elle ainsi à Trêves, ci
l'on vénère encore aujourd'hui une tunique de Notre-Seigneur (i).
Aucun des historiens occidentaux et orientaux, en dehors des Géor-
giens, jusqu'au xi^ siècle, ne parle de la sainte Tunique, bien qu'ilî
aient décrit avec plus ou moins de vérité toutes les reliques de Notre-
Seigneur et leurs pérégrinations. Saint Grégoire de Tours [t 594] (2)
cependant, et son continuateur Frédégaire [t 658] (3) en parlent su
des ouï-dire, mais avec de telles invraisemblances, que leur témoignag(
n'a aucune valeur. Ce silence universel peut donc, à la rigueur, êtr.-
regardé comme favorable au droit de possession des Géorgiens. L
récit que nous avons résumé plus haut, et qui se répète dans les autre
documents, paraît inadmissible pour les raisons que nous avons indi
quées. Il semble qu'il a été composé à une époque où se faisait senti
le besoin de fixer la tradition sous une forme propre à frapper l'ims
gination populaire. Peut-être même est-il postérieur à la perte de 1
sainte relique. Bien que nos conclusions ne prétendent en rien dim
nuer la valeur de la tradition générale et ininterrompue du peupl
géorgien relativement à la possession de la sainteTunique, le manqu
de preuves positives sérieuses suffit cependant à faire douter de so
authenticité.
autour de laquelle court cette inscription en géorgien : « La tunique était sans o
ture, d'un seul tissu depuis le haut jusqu'en bas. » (Joan. xix, 23.) Au-dessou§
droite une balance; à gauche, un globe surmonté de la croix; deux lions debout, 1
une montagne qui figure le Caucase, soutiennent la tunique; plus haut, placés en s?
toir, un sabre et un sceptre au-dessus desquels se trouvent une fronde et une hajj
en souvenir de David, dont les rois de Géorgie se disent issus; le tout est surnlbi
d'une couronne de pierreries, et, dans les coins supérieurs, on voit deux fleurs placi
là sans doute pour remplir l'espace demeuré libre.
(1) Les documents en faveur de la sainte Tunique de Trêves ne remontent pas
delà du xii' siècle. La Commission d'examen, en i8go, a conclu qu'on pouvait admet
que l'étoffe de soie damasquinée qui enveloppe la relique a été faite en Orient à i
époque comprise entre le vi' et le ix' siècle, ce qui semble favorable à la thèse 1
Géorgiens. Une autre tunique de Notre-Seigneur est vénérée à Argenteuil.
Les Russes prétendent posséder, dans diverses églises de Saint-Pétersbourg, de Ki
de Moscou, etc., les morceaux de la tunique sans couture de Notre-Seigneur, que 1
aurait donnée le shah de Perse Abbâs, en 1625, après qu'il l'eut enlevée aux Gé'
pendant qu'il saccageait leur pays, en 1616-1618. Les prétentions des Russes soi;
missibles, pour la bonne raison que la sainte Tunique avait disparu de la Geoi
depuis un millier d'années, ainsi qu'il a été dit plus haut.
(2) De gloria martyriim, viii. P. L., LXXl, coi. 712-713.
(3) P. L., LXXI, col. 712-713.
ORIGINES CHRÉTIENNES DE LA GÉORGIE 293
Apostolat de saint André.
En dehors de l'influence exercée en Géorgie par la présence de la
sainte Tunique, la tradition populaire veut que l'apôtre saint André ait
eu une part très grande dans la conversion de ce pays. Les Annales
géorgiennes contiennent à ce sujet des détails encore plus légendaires
que ceux que nous avons signalés plus haut à propos de la sainte
Tunique. S'il faut les croire, c'est à la Sainte Vierge elle-même qu'échut
Ja Géorgie, lors du partage du monde entre les apôtres. Pour remplir
sa mission, elle fit choix, d'après une révélation de son divin Fils, de
l'apôtre saint André, le protoclite (premier appelé). Celui-ci se mit avec
ardeur au travail, soutenu par la contemplation d'une image miracu-
leuse de la Sainte Vierge, que la Mère de Dieu lui avait donnée en appli-
quant son visage sur une planche (!). Sa prédication et ses miracles
convertirent le peuple tout entier, après quoi il alla évangéliser d'autres
contrées (i).
Telle est la tradition populaire. Le rapide aperçu que nous venons
d'en donner sent la légende de fort loin, M. Giavakhov, professeur
géorgien, fait au récit des annales plusieurs objections auxquelles
il est bien difficile de répondre. 11 n'est fait aucune mention de l'apos-
tolat de saint André en Géorgie, ni dans l'histoire de Rufin, qui raconte
la conversion de ce pays par sainte Nino, ni dans la yie de Pierre l'Ibère
(vF siècle), ni dans la Conversion de la Géorgie, écrite vers le vii« ou
le viiie siècle, ni dans l'introduction apocryphe à la vie de sainte Nino,
composée vers le viii** ou le ix^ siècle. D'après ce critique, les Géorgiens,
jusqu'au ix^ siècle, ne savaient rien de la mission de saint André chez
eux. Cette légende aurait été créée de toutes pièces par les moines
géorgiens du mont Athos ou de la Palestine, qui voulaient soutenir
contre le clergé byzantin l'indépendance de leur Eglise. Comme les
Çrecs prétendaient que Byzance avait été évangélisée par saint André
!^e protoclite, les Géorgiens, pour ne point paraître inférieurs, revendi-
quèrent le même apôtre comme premier missionnaire de leur patrie (2).
On pourrait peut-être répondre à M. Giavakhov que la Fie de Pierre
\'lhère n'a pas de relation directe avec la mission de saint André; que
les trois autres documents allégués ont surtout pour but d'exalter sainte
^Jino et d'attribuer à elle seule la conversion complète de la Géorgie;
nais son assertion sur l'origine de la tradition populaire relative à saint
Brosset, Histoire de la Géorgie. Saint-Pétersbourg, 1849-1858, t. I", p. 55-6i.
Moambé, revue géorgienne. Tiflis, igco, n. 6, p. 35-5o.
294 ÉCHOS D ORIENT
André paraît, au moins pour la forme actuelle de cette tradition, troi
vraisemblable pour qu'on ne l'accueille pas avec faveur, bien qu'il n'er
donne aucune preuve positive.
On sait quelles discussions s'élevèrent, au moyen âge, en Occiden
comme en Orient, sur la prééminence des Eglises. Pour éclipser lei
voisines, chacune cherchait à faire remonter son origine à un apôtre
ou du moins à un de leurs successeurs immédiats. Ce fut la cause poui
laquelle on distribua entre les Eglises, dans le monde latin comm<
dans le monde grec, les douze apôtres, les soixante-douze disciples e
leurs premiers compagnons. Si les Géorgiens avaient connu les rai
sons qui nous font rejeter la fondation par saint André de l'Eglise d<
Constantinople, ils n'auraient pas eu à créer cette légende pour teni
tête aux Grecs (i).
Malgré ce qui vient d'être dit, il ne paraît pas impossible d'admettr
que saint André a eu une certaine influence sur la conversion de
Géorgie. S'il a évangélisé la Scythie, comme le rapporte Origène (2),
aura sans doute traversé la Géorgie pour s'y rendre; c'était pour lui
chemin le plus direct. Rien ne nous interdit de prétendre qu'il a pu
fonder çà et là quelques chrétientés, au moins dans la Géorgie occider
taie, plus accessible et en relations suivies avec l'Occident.
Les missionnaires qui évangélisèrent de très bonne heure le Pon
à la suite de saint Pierre, ont sans doute aussi concouru, sinon p;
eux-mêmes, du moins par leurs disciples, à la conversion de la Géorgi
Baronius, en sollicitant un texte de saint Irénée, attribue l'évangéi
sation de ce pays au pape saint Clément, relégué par Trajan dans
Chersonèse Taurique (3). Même si le texte de saint Irénée avait le sfi
que Baronius lui donne, il nous paraît difficile que la captivité du sai
Pape lui laissât assez de liberté pour aller prêcher la vraie foi en Géorg
Cependant, il est fort possible que ses disciples aient étendu le
apostolat jusqu'aux montagnes du Caucase. Un recueil de vies de saiii>
géorgiens mentionne, vers la fin du premier siècle, dix-neuf martjis
mis à mort dans l'Albanie (la Kakhétie actuelle), province orientale b
la Géorgie. Si le martyre de ces saints est réel, il est fort dout€|x
qu'il ait eu lieu à la. fin du premier siècle, surtout dans la Géore
orientale, qui était la partie la moins accessible. En somme, nous e
possédons pas de témoignage certain de l'évangélisation de la Géor
(i) Voir l'article du R, P. Vailhé, « Origines de l'Eglise de Constantinople
les Echos d'Orient, t, X (1907), p. 287-295.
(2) P. G., XII, col, 92.
(3) Baronius, Annales ecclesiastici, t. II, ann. 100, n. X-XII.
ORIGINES CHRÉTIENNES DE LA GEORGIE 295
durant les deux premiers siècles; nous en sommes réduits à des hypo-
thèses, très vraisemblables cependant.
Si le christianisme avait pénétré dans ce pays, il était loin d'avoir
amené à la foi chrétienne la masse de la population, surtout dans le
centre. L'honneur de convertir le royaume tout entier et son prince
était réservé à une pauvre esclave, sainte Nino.
Sainte Nino et la conversion de la Géorgie.
Dans son Histoire ecclésiastique, Rufm nous raconte, sans beaucoup
de détails d'ailleurs, la mission apostolique de sainte Nino en Géorgie.
Cette captive, que les Ibères avaient emmenée dans leur pays, ne tarda
pas à les étonner par sa vie pieuse et chaste. La guérison d'un enfant,
obtenue par ses prières, attira l'attention de la reine, qui, malade elle-
même, voulut recourir à la vertu toute puissante de la Sainte. Guérie
et à moitié convertie, la reine s'efforça de gagner son époux à la vraie
foi, mais sans y réussir. Il fallut la délivrance miraculeuse d'un danger
pour amener le roi Mirian à renoncer aux idoles et à reconnaître Jésus-
Christ.
Sur la demande du prince, Nino traça le plan d'une église dont Mirian
confia la construction à ses ouvriers les plus habiles. La Sainte prêchait
sans relâche la nouvelle religion, quand un miracle éclatant vint donner
plus de force encore à sa parole. Pendant la construction de l'église,
les ouvriers, après avoir mis en place les deux premières colonnes, ne
parvinrent pas, malgré leurs efforts, à dresser la troisième. Le soir
venu, ils abandonnèrent leur travail, très découragés, eux et le roi.
Quand tout le monde se fut retiré, sainte Nino, demeurée seule dans
l'édifice, passa toute la nuit en prières. Au matin, grande fut la sur-
! prise du prince et de sa suite de trouver la colonne debout, mais comme
! suspendue à un pied de distance du sol. Sous leurs yeux, elle descendit
îj lentement, et vint se placer d'elle-même sur sa base (i). Un tel pro-
! dige, en frappant l'imagination populaire, facilita grandement la prédi-
,j cation de sainte Nino.
j Une fois l'église bâtie, il fallait trouver des prêtres pour baptiser le
f peuple et achever son instruction religieuse. Le roi Mirian députa à cet
effet une ambassaie à l'empereur Constantin, le suppliant de lui envoyer
des hommes instruits pour achever la conversion de la Géorgie, « ce
1 Cette colonne miraculeuse est fêtée dans l'Eglise géorgienne en même temps
ue la sainte Tunique, le 1" octobre.
296 ÉCHOS d'orient
que Constantin fit avec autant de joie que s'il avait ajouté une province
à l'empire romain ».
Tel est, en substance, le récit que fit à Rufm, vers l'an 380, le prince
géorgien Bacour ou Bacurius, duc des frontières de la Palestine, et
depuis général de Théodose le Grand, auprès duquel il se fit tuer glo-
rieusement lors de la révolte du tyran Maxime (i).
Aucune date n'est indiquée d'une façon précise, mais il semble bien
qu'il faut placer ces événements entre les années 320 et 330 (2). Les
récits parallèles plus ou moins défigurés que l'on retrouve chez les
auteurs arabes, syriens et coptes, donnent à la Sainte le nom sym-
bolique de Théognoste (3). Elle est connue en Occident sous le nom
de sainte Chrétienne. Le martyrologe romain la mentionne au 13 dé-
cembre (4).
Des origines de l'apôtre de la Géorgie, nous ne savons absolumeni
rien de sûr. Rufin (5) et d'autres historiens, grecs (6) ou géorgiens
nous apprennent simplement que c'était une esclave, sans nous din
de quel pays elle venait ni à quelle famille elle appartenait. Les auteur:
postérieurs, en mal de légendes, se chargèrent volontiers de comble
cette lacune. Ils firent de sainte Nino la fille d'un riche Cappadocien
Zabulon, marié à la sœur de Juvénal, patriarche de Jérusalem. G
Zabulon, à la tête de l'armée romaine, aurait vaincu les Francs, pui
converti leur roi et une bonne partie de la nation, etc. Tous ces détail
offrent une telle contradiction avec l'histoire qu'il suffit de les indique
pour en démontrer la fausseté (7).
Les historiens arméniens ont créé autour de la conversion de 1
Géorgie par sainte Nino toute une série de légendes que l'on a, jusqu'
ces derniers temps, trop facilement acceptées. Dans le but de s'attribue
une partie de l'honneur d'avoir amené à la vraie foi leurs voisins d
Nord, Moïse de Khorène (8) et d'autres n'ont pas hésité à faire ci
(i) p. L., t. XXI, col. 480-482. Théodoret résume le récit de Rufin; P. G., t. LXXXl
col. 972-974. SocRATE, P. G., LXVIII, col. 129-133, et Sozomène, ib., 949-953, font c
même.
(2) Suivant les auteurs, on a les dates les plus diverses : 317, 3i8, 323, 326, 327, 32
332, 335, et même 366.
(3) Il semble que le nom de Nina ou Nino (en arménien Nouné) est aussi un no^
commun (du latin nonna). j
(4) Apud Iberos trans Pontum Euxinum, S. Christianœ ancillœ, quœ virtute mir\
culorum gentem illani tempore Cotistaniini ad fidem Christi perduxit.
(5) P. L., XXI, col. 480.
(6) SocRATE, P. G., LXVIII, col. 129; SozoMÈNE, ib., col. 949.
^ (7} Tamarati, op. cit., p. )8o.
(8) Sto}-ia di Mosè Corenese, traduction italienne des Pères Mékhitaristes, 2' éà
Venise, i85o, p. 252-255.
ORIGINES CHRÉTIENNES DE LA GÉORGIE 297
sainte Nino une compagne des saintes Hripsimiennes., célèbres martyres
exécutées en Arménie au iv* siècle. Quand la Géorgie parut disposée
à se foire chrétienne, sainte Nino aurait envoyé à saint Grégoire l'IUu-
minateur une ambassade pour lui demander des instructions.
Les auteurs arméniens sont les seuls à nous donnner ces détails,
qu'ils ont d'ailleurs tous plus ou moins copiés dans Moïse de Khorène,
bien connu aujourd'hui pour ses déformations systématiques de l'his-
toire.
Les historiens byzantins et géorgiens sont unanimes à nous affirmer
que l'empereur Constantin, sur la demande du roi Mirian, envoya en
orgie un évêque (i) et des prêtres. Le nom de cet évêque n'est pas
connu d'une façon certaine. Parmi les Géorgiens, la plupart l'appellent
lean.
Quelques-auteurs cependant, malheureusement trop récents, affirment
que ce fut le patriarche Eustathe d'Antioche lui-même qui vint baptiser
Jes Géorgiens et leur ordonner un évêque. Ce n'est guère qu'à la fin
du xviiie siècle que l'on a commencé à répandre cette opinion, basée
5ur des textes trop obscurs pour qu'on puisse en tirer rien de certain.
Jl est à remarquer cependant que, jusqu'au vm^ siècle au moins, l'Eglise
Âe Géorgie dépendit de celle d'Antioche. Il faut donc admettre que de
très bonne heure se sont établies ces relations entre deux Eglises aussi
éloignées l'une de l'autre. Comment expliquer sans cela que la Géorgie
soit restée si longtemps fidèle à cette dépendance? Une fois organisée,
son Eglise ne l'aurait probablement pas acceptée facilement. En dehors
de ce que nous venons de dire, il nous est impossible de trouver le
jno.indre document indiquant comment cela se fit; il semble que l'am-
Jbassade du roi Mirian arriva auprès de Constantin pendant la célébra-
"tion du concile de Nicée. 11 se peut très bien que l'empereur ait confié
à Eustathe, choisi l'année précédente comme patriarche d'Antioche, et
dont l'influence était très grande alors, la mission de faire droit aux
demandes des Géorgiens. Antioche exerçait à cette époque sur tout
*rient une suprématie incontestée, et il rentrait naturellement dans
les attributions de ses patriarches d'organiser les Eglises nouvelles des
régions orientales. On peut donc admettre sans trop de difficulté que
le premier évêque envoyé aux Géorgiens a été désigné et consacré par
Eustathe, et que cette intervention a créé pour les patriarches d'Antioche
un droit de suzeraineté sur l'Eglise géorgienne.
Voir entre autres Théodoret, P. G., t. LXXXIl, col. 973.
298 ÉCHOS d'orient
Établissement d'un catholîcos.
Indépendance de l'Église géorgienne.
L'œuvre si bien commencée par sainte Nino fut continuée avec
beaucoup de zèle par les rois géorgiens et par les évêques que leur
envoyait soit Constantinople, soit Antioche. Ces prélats introduisirent
tout naturellement la liturgie de leur Eglise. Au début, cette liturgie
se célébra en langue grecque, mais quand le clergé indigène se trouva
assez puissant, il substitua le géorgien au grec, sans pour cela aban-
donner la liturgie byzantine. Aucun document précis ne nous permet
de fixer à quelle date s'opéra cette transformation.
Avec le temps, les Géorgiens cherchèrent à s'affranchir de la tutelle
qu'exerçaient sur eux les patriarches d'Antioche. Sous le roi Vakh-
tang I"" (446-499), ils obtinrent un catholicos nommé Pierre (i), et,
du même coup, leur indépendance religieuse fut à peu près complète.
C'est ce que nous apprend Balsamon dans son commentaire sur le
canon 2 du premier concile de Constantinople (2). C'est, d'après lui, le
patriarche Pierre qui donna l'exemption à l'archevêque d'ibérie. On ne
connaît, avant Balsamon, que deux patriarches d'Antioche du nom
de Pierre : Pierre le Foulon, au vi» siècle, et un autre au xf. Nous ne
pensons pas qu'il puisse être question du second; au xi« siècle, l'Eglise
de Géorgie avait son indépendance complète. La nomination du catho-
licos amena la création de douze nouveaux diocèses, et, conséquem-
ment, une diffusion plus rapide du christianisme.
Le catholicos, tout en ayant pleine autorité sur toute l'Eglise géor-
gienne, gardait cependant à l'égard du patriarche d'Antioche une cer-
taine dépendance, qui se traduisait par l'obligation de recevoir la con-
sécration de ce prélat dans la capitale de la Syrie. Jusqu'en 542, le chef
de l'Eglise géorgienne fut constamment un Grec ou un Syrien. A cette
date, sous le règne de Pharsman VI (542-547), l'histoire nous signale
le premier Géorgien, Saba, élevé à la dignité de catholicos (3). Depuis
lors, ce fut toujours un enfant du pays qui obtint ce titre. La dernière
trace de dépendance ne devait disparaître que deux siècles plus tard,
vers 750, d'après ce que rapportent un écrivain du xi« siècle, le moine
melkite Nicon (4) et d'autres auteurs de la même époque, comme lej
(i) Taqichvili, Trois chroniques historiques, p. 29.
(2) P. G., t. CXXXVII, col. 320,
(3) Brosset, op. cit., t. I", p. 202.
(4) Bibliothèque vaticane, Cod. Arab., n. 76, p. 367.
ORIGINES CHRÉTIENNES DE LA GEORGIE 299
moine Ephrem le Mineur (1). L'occupation de la Géorgie par les
Arabes et les persécutions suscitées par ces maîtres cruels avaient
depuis de longues années privé le pays de son catholicos. Deux moines
géorgiens vinrent alors à Antioche exposer les malheurs de leur Eglise
et demander du secours. Le patriarche Théophylacte (744-751) con-
voqua un synode qui accueillit favorablement leurs demandes. Il décréta
que les évêques de la Géorgie feraient eux-mêmes la consécration de
leur catholicos, après l'avoir élu au scrutin secret. Cette décision éta-
blissait la complète autonomie de l'Eglise géorgienne. Depuis lors, elle
ne releva plus que d'elle-même, tout en restant en communion avec
l'Eglise universelle.
R. Janin.
Constantinople.
|i) BrosseTj op. cit., t. I", p. 229.
UN ESSAI DE CORRECTION
DES LIVRES LITURGIQUES GRECS
Dans les quelques lignes qui vont suivre, je voudrais mettre les lec-
teurs des Echos d'Orient au courant d'une polémique qui s'est élevée
à Athènes à l'occasion d'une série d'articles publiés par l'ex-archevêque
de Céphalonie, Spyridon, dans le bulletin officiel des théologiens de
l'Eglise de Grèce, 6 Icpôç o-uvSecrjxoç (i), 11 s'agissait de savoir si, oui ou
non, il est loisible de corriger les livres liturgiques ou d'en modifier la
teneur traditionnelle, quand le texte s'écarte des règles de la syntaxe
classique, ou quand il offre un sens qui, à première vue, semble illogique.
Je résumerai d'abord sans commentaire et très brièvement les six
premiers articles de l'archevêque Spyridon. Il les a réunis lui-même en
une petite plaquette in- 12 de 80 pages, avant même la fin de la discus-
sion (2).
Ce n'est pas la première fois, raconte-t-il, qu'il essaye d'attirer l'at-
tention des théologiens et des liturgistes sur les erreurs grammaticales
contenues dans certaines prières de VEuchologion. Déjà, en 1862, simple
diacre, il avait à Céphalonie, dans une assemblée d'ecclésiastiques, pris
la défense de l'édition corrigée par feu Koutloumousianos douze
années auparavant.
Quelques-uns l'avaient écouté avec sympathie; d'autres, un vieux
prêtre surtout, vertueux et plein de zèle, mais de courte science,
l'avaient accusé de vouloir bouleverser les livres liturgiques et de sup-
primer des prières. Plus tard, en 1887, ajoute-t-il, il publia sur le même
sujet une brochure qui fut tirée à cent exemplaires, mais en vain.
Dépité et voulant être entendu, il s'est adressé cette année au grand
public.
— Rien n'est plus grand ni plus beau, déclare-t-il en manière d'intro-
duction, que l'hymnologie de l'Eglise orientale. Du ive au ix^ siècle, les
(i) 'lepôc o-jv8£a[xoç, èxx>>yi(TtaaTtxbv u£pto6t5cbv toû *ô[ji,wvÙ{iou o-y^vôyou, de format grand
in-4» sur deux colonnes. Paraît tous les quinze jours; les articles sur les XstToupyixdt
vont du i5 mars au i" décembre 191 1, n" 141 à i58, avec une interruption du i5 juillet
au i5 septembre.
(2) ActTOupYf/.àc CiTCo ToC àpx.i£7tt(TV-(5T:ou 7ipMr,v KEcpa)-)>yivîaç SnupiSwvoç. Athènes, 191 1.
In-12 de 80 pages. Je renverrai toujours au 'lepb; (T'jv6£ff|Aoc, qui contient seul les réponses
aux contradicteurs.
UN ESSAI DE CORRECTION DES LIVRES LITURGIQUES GRECS ^Ol
mélodes se sont montrés les dignes successeurs de l'olympique Pin-
dare : Romanos, André de Crète, Cosmas de Majuma, le Damascène
auquel on attribue VOctoikos.
iMalheureusement, cette hymnologie a été contaminée et défigurée
parfois par les fautes grammaticales qui provenaient, soit de l'ignorance
des copistes, soit du peu d'attention et du manque de soin des premiers
imprimeurs, plus encore de la myopie des protes correcteurs d'épreuves.
Toutefois, les éditions imprimées depuis le xvn'^ siècle à Venise ont eu
des correcteurs sérieux qui ont enlevé beaucoup de fautes. De même les
éditions récentes publiées à Athènes. Cependant, il en reste encore. Et
c'est un scandale, axàvoaÀov où a-.xsôv, que pareille chose existe dans des
hymnes ou des prières que chaque jour des millions de chrétiens, dont
quelques-uns instruits, entendent chanter ou lire (i).
Travailler à éliminer ces erreurs et à corriger les textes est donc
pour ceux qui le peuvent un devoir sacré. 11 donnera quelques exemples
de fautes tirés de VAcoloiithia nécrosimos, c'est-à-dire de l'Office des
morts (2).
* *
1 . Tout est vanité, la richesse et la gloire, chante un idiomèle du
Damascène. EttsaOcov yàp 6 QàvxTo;, TajTa TzàvTa £;r/-5àv!.7Ta!. (3). —
Voilà un solécisme syntactique, répond en écho l'archevêque Spyridon,
s'appuyant sur une définition du lexicographe Suidas. Il faudrait lizt-
lOôvTo? yào Tod fjavàTO'j. Mais le mètre de l'hirmos et le rythme du
tropaire s'y opposent en même temps que la mélodie. 11 reste à consi-
dérer l-ùSior/ yào 6 GàvaTo; comme un sujet, et à écrire è^rjCpàv.TS.
Ainsi rien n'est changé, ni la qualité ni la quantité du mot, et la
phrase est correcte.
Et il se défend contre ceux qui, appuyés sur une phrase d'Hérodote,
v, I S7, voudraient voir in casu une anacoluthe. C'est le premier exemple
de correction; deux colonnes lui sont consacrées.
2. Un deuxième exemple, tiré de la première £>//■ d'absolution dite
il par l'évêque devant le mort (4), ne prend que huit lignes. Faute de
syntaxe et faute de logique, qui d'ailleurs a été corrigée dans les édi-
i lions récentes de V Eiichologion méga : MîTal^aAÔvTa rri? slxôvo;, quand il
i faut lire a£-a'Aa|ii6vTa tyJç s'.xovo^.
(i) Il est entendu que, même quand je cite, je ne fais que résumer très fidèlement
pensée et le raisonnement de l'auteur.
-il 'Ay.oÀoyOïa vîy.poja-'.u.o; et; /.offij-ixo^ç dans rEyx&).&Y".ov tô Méya. Je me sers de
iition Paraskevopoulos. Athènes, 1902, p. 413-442.
3i Euchologe, p. 435.
4) Euchologe, E-jyat (7'jyxmP''i"'-"'^«!. P- 240. 11 y a deux oraisons.
302
ÉCHOS D ORIENT
3. Voici la conclusion d'un tropaire qui appartient à la brève o-uva-Tr^
ou collecte du commencement de V Acolouthia nécrosimos :
Les miséricordes divines, le royaume des cieux et la rémission de ses
péchés, demandons-les au Christ, Roi immortel et notre Dieu, -api Xpcm-ùi
T(5 àOavaTw alTrj<Toj[J.£Ôa (l).
Solécisme, objecte le censeur, car ici le verbe veut le génitif, non le
datif. On doit lire -apà toG XpiT-oG.
Et en quatre colonnes il en appelle à Hérodote, à Xénophon, à la
locution française de che{ quelqu'un et à la grammaire grecque de Kùhner.
Puis il donne des exemples tirés de saint Jean, de saint Matthieu, des
Actes, des Septante même {Tobie, iv, 19). Cf. Bailly, Dictionnaire grec
français, s. v. Mais surtout il s'appuie sur des invocations semblables
usitées dans différentes acolouthies, et qui emploient le génitif, par
exemple la rJvaTrr/, : « zItm\^zv TràvTs^ » qui, dans l'Hespérinos (Vêpres),
vient après le chant du 'jw;l>.ap6v (2). Et, après avoir répondu à quelques
objections, il conclut qu'il est nécessaire de corriger ce solécisme.
4. Dans le magnifique hymne du « dernier baiser » qui accompagne
le rite le plus impressionnant des funérailles selon le rite oriental (3),
le premier tropaire et le deuxième ont cette finale : ov-z^ àvaraûs-a'. Kûpioç
£jçwp.£9a. Le dixième tropaire finit de même, avec cette variante o'jorTOp,.
car on y parle de tous les morts (4),
Encore une faute! les règles de la syntaxe exigent ov-sp àva-aGo-ai.
Kupwv EÙqwusOa, c'est-à-dire l'accusatif et l'infinitif aoriste, au lieu du
mode optatif (AÙtrat., ÀGa-a-,). La nuance est facile à saisir. Homère, Héro-
dote et le huitième tropaire de la présente hymne sont appelés en témoi-'
gnage. La discussion est rondement menée.
Suit un excursus de quatre colonnes, plaidoyer pro domo dans lequel
l'auteur réfute avec une aisance surprenante des adversaires imagi-
naires qui vainement essayent de lui opposer la tradition littéraire et
ecclésiastique, le taxent de témérité et de zèle intempestif et tapageur/'
(1) Euchologion, p. 414, donne la lecture corrigée.
(2) Cf. mon article Vêpres byzantines, dans Annales salésiennes, 1908, p. 65-74.
(3) On me permettra de reproduire ces lignes de mon article sur le Rite des funé-
railles dans l'Eglise grecque [Annales salésiennes, 1906, p. 363) : « Mais il est tard; la
fonction liturgique a assez duré, et le moment est venu de se séparer du mort. Alors
se déroule une scène qui nous paraît étrange, à nous autres Occidentaux, sobres de'
paroles et de gestes même dans les plus poignantes douleurs. Un à un les assistants
quittent leur place, et, se penchant au-dessus du cadavre, le baisent sur la figure, sur
le front, sur les yeux ou sur les lèvres. Les proches parents défilent les premiers, puis
les familiers, puis les amis. Cependant les choristes chantent ces tropaires, qui ont
précisément été appelés tropaires du baiser »
(4) Euchologion, p. 439.
UN ESSAI DE CORRECTION DES LIVRES LITURGIQUES GRECS 303
C'est même à ce propos qu'il raconte avec humour et malice son
insuccès de 1862.
5. Le larron qui sur la croix t'avait crié : « Souviens-toi de moi », tu
l'as élu d'avance citoyen du paradis, ô Christ. Accorde-moi, à moi l'in-
digne, la grâce de son repentir, aùrou tt,i; {xeravota; àç-'wiTov xàfiè rbv àviçiov (i).
Dans ces dernières paroles, l'archevêque, signale la cause de ce qu'il
appelle un Tzpocpopuôv Aà9o;, une erreur verbale, pour ainsi dire, contre
le dogme que 'Ev "Aùi^ ojx èV-rt. [j.£-:àvo!,a. En enfer point de pénitence.
Beaucoup de psaltes (chantres), d'après lui, au lieu de y.hxk -zh^
avà^'.ov, quand il s'agit d'une femme défunte, prononcent, par ignorance
ou par inattention, xàuè ttiV àvà;!.ov. Dans leur pensée, c'est le mort ou
la morte qui est indigne et qui demande, tov ou -rr,v. C'est une erreur.
En réalité, c'est le fidèle qui implore pour lui-même ce repentir du bon
larron. Mettre tôv ou r^.v dans la bouche du cadavre, c'est aller contre
ce dogme qu'après la mort il n'est pas de repentir.
Et six ou sept textes empruntés à la parabole du Lazare, à saint
Matthieu et à saint Paul viennent fortifier sa conclusion. Soit pour ce
Toocpop'.xov ).à9o<; cinq colonnes, pour finir par cette boutade : ainsi, ceux
qui, par inattention, attribuent aux défunts la possibilité du repentir
paraissent du même coup admettre le -nrpÔTxa'.pov ty^; xoAàTsw;;, c'est-
à-dire la non-éternité de l'enfer, et, conséquemment, rejeter deux
dogmes. Là-dessus notre critique passe à une sixième remarque.
6. Dans le premier tropaire du Trisagion (2) de VAcoJouthie, il signale
un solécisme dans le genre de celui qu'il a corrigé au numéro 3, mais
au rebours.
Garde-la (l'âme du défunt). Seigneur qui aimes les hommes, dans la vie
bienheureuse, ttjV itapà rsoZ.
Au lieu de -apà o-où, il prétend écrire irapà toL
7. Une correction prise en dehors de V Acolouthia nécrosimos a surtout
irrité. M^^ Spyridon a découvert ce qu'il appelle « une erreur histo-
rique et morale ».
V apolytikion du deuxième mode plagal de Vocto'ihos peut se traduire
ainsi :
Les puissances angéliques sont là sur le tombeau et ceux qui le gardaient
sont morts. Et Marie était dans le tombeau, cherchant ton corps très pur.
Tu as vaincu l'enfer, et il n'a rien pu contre toi; tu as marché au-devant
(i) Euchologion, p. 436. Goar ponctue et traduit autrement. Cf. Goar, 'Ey/oXéytov
iive Ritiiale Grœcorum. Paris, 1647, p. 534.
(2) Euchologion, p. 414.
304 ÉCHOS D ORIENT
de la Vierge, et tu nous as donné la vie. Gloire à toi, Seigneur ressuscité
des morts : 'T7rr|VTTj<7ai; TY, llaç^Évw, ocopoùfJLSvo; t7-,v Ccoy,v (i).
L'archevêque propose de corriger 'j-r^vr/.fra; t/, TlapOivco par 67:y/>Tr,7a;
Tw OavàTto. Car, dit-il, il s'agit de Marie-Madeleine, qui, d'après les
Ecritures, n'était pas vierge, mais pécheresse notoire (2). De plus, la
phrase doit être antithétique, selon un procédé habituel aux hymno-
graphes. Beaucoup d'exemples intéressants sont cités à l'appui de cette
sorte de loi de la rhétorique des melodes. Dans ce seul tropaire, il y a
trois antithèses. Mais vierge et vie ne s'opposent en aucune façon. 11
faut mort et vie. « Tu as marché contre la mort, et tu nous as donné la
vie. »
C'est d'ailleurs, ajoute l'auteur, la suite logique des idées. Enfin, le
sens dogmatique du stique ainsi corrigé devient plus précis et plus
riche, car, en vérité, c'est en foulant la mort aux pieds que le. Christ
nous a donné la vie. Puis vient un excurstis de quatre colonnes pour
appuyer la conclusion.
L'archevêque, qui a la plume alerte, de la verve, du loisir et de la
grammaire, aurait peut-être pu tout à son aise continuer à faire la
chasse aux solécismes dans V Eiichologion ou VHorologion. Mais son asser-
tion hasardeuse sur Marie-Madeleine lui suscita un premier contra-|
dicteur.
Dès le i^^r novembre, l'archimandrite Papadopoulos, directeur de^:
l'école du Rizarion, qui est le Grand Séminaire orthodoxe d'Athènes,.,,
publie un article : Qiie dit l'Evangile sur Marie-Madeleine? L'archiman-^
drite distingue trois personnages du nom de Marie : Marie, sœur de
Lazare, Marie de Magdala et Marie la pécheresse. Or. en aucun endroit
de l'Evangile on ne dit que Marie de Magdala, dont il est fait mention
dans le tropaire incriminé, ne fût pas vierge.
Dans le même numéro, M. Dyovouniotis, directeur du lioh^ a"jvo£a-|jt.Oy,
proteste dans une courte note. Corrections liturgiques, AstToupyixal ôiw^
p9wa£i;, contre la manière de l'archevêque qui, dit-il, ne s'inquiète pas
des manuscrits. Ce principe de correction, au nom des régies de la
grammaire classique, serait fatal à tous les livres de la liturgie, et c'est
(i) Cf. l'édition manuelle de Nicolaïdès, 'Oxtwyjxoç. Athènes, igo3, p. ii3.
(2) Toutes les Vies de Notre-Seigneur traitent cette question. Voir, pour n'en
citer qu'une seule, Fouard, la Vie de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Paris, t. I", p. 340.
Beaucoup de théologiens grecs, et avec eux Bossuet au xvii' siècle, distinguent tr( '
Marie. *
UN ESSAI DE CORRECTION DES LIVRES LITURGIQUES GRECS }0^
pour se libérer qu'il donne ainsi son avis, (Peut-être des abonnés
l'ont-ils blâmé d'avoir laissé paraître ces articles sans rien dire.)
L'archevêque ne laissa pas échapper l'occasion qui lui était ofïerte
d'exposer les principes qui l'avaient guidé dans ses essais de correction.
Je résume fidèlement sa longue lettre, en le faisant parler lui-même,
pour plus de clarté.
Je réponds à M. Papadopoulos et à vous-même (M. Dyovouniotis).
Vous prétendez qu'à votre avis, pour la correction des fautes grammati-
cales et des solécismes, la comparaison et l'examen des manuscrits sont
absolument nécessaires. Je considère, moi, qu'en l'espèce, les manuscrits
ne servent de rien, car les règles grammaticales ont leurs lois propres et
leur force propre auxquelles doivent se soumettre même les manuscrits.
D'autant qu'il ne s'agit pas de rien changer aux dogmes ou à la tradition
de l'Eglise orthodoxe Vous-même, agissez-vous autrement? Quand, au
cours de vos laborieuses recherches, aux Météores ou ailleurs, vous avez
trouvé un manuscrit ancien, et dans ce manuscrit un texte de phrase
non concordant avec la doctrine des sept conciles, est-ce que vous ne le
corrigez pas?M'/j7roj; xac ûasTç 0£v 0£T£T£ Toùç to'.outouç xcooTjxaç utzo xàOaofiiv ;
Est-ce que vous ne prenez pas seulement ce qui concorde avec les traditions
et les dogmes de l'Eglise? ou ce qui, étant inconnu, inédit, les éclaire?
Est-ce que vous recevez ce qui est contraire à notre croyance, sous prétexte
que c'est dans les manuscrits anciens? Mt^tcwç Trapaoé/scrôs xal uî.oôsteïts oaa
Tu/ôv àvît^aivouat xat àvTcxetvTat irpoç xà oeBoypi'Sva xal TraûaSeoeyfxéva uirb tT|;
iy;'aî Vjjxwv 'ExxXr,(7''aç Ittê'.oti uTràoyouv eiç ys'.poypaîpa appâta; oyi ^s^ato^ç (i).
Non, certes. Eh bien 1 ce que la tradition est pour la théorie et la pratique
du dogme, dans ces mêmes manuscrits, la syntaxe l'est pour le style et
les solécismes.
Qui persuaderez-vous, continue-t-il, que kl'rifhiGxtx'. n'est pas un solé-
cisme et que ma correction n'est pas légitime? Et si les manuscrits
donnent les véritables règles, pourquoi fatiguer nos enfants à apprendre
la syntaxe grecque? Est-ce pour leur permettre de mépriser plus tard la
liturgie ? Vous ne me dites rien de ma façon de corriger les psaltes (chantres)
qui, en prononçant mal un seul mot, ruinent deux dogmes révélés. Vous
ne réfléchissez pas non plus que les copistes des manuscrits étaient la
plupart illettrés et ignorants, et que la syntaxe est justement faite pour
lies corriger. Sur la virginité de sainte Marie-Madeleine, il est permis
d'avoir une opinion contraire, et j'abandonne volontiers ma première
preuve. Mais le rythme, la suite logique des idées, la pensée de tout
Vapolytikion veulent Oàvaxoç en opposition à Çcoyj. Je persiste donc dans
.ma correction 07:YjVTT,(7aç rr, riapôévoj.
(«) 'Ispôç «TJvôsffjxo;, i5 novembre, n" iSj, p. 5, L'archevêque fait allusion à des
Echos d'Orient, t. XV. 20
^o6 ÉCHOS d'orient
J'ai tenu à résumer cette longue lettre de 350 lignes environ, parce
qu'elle est comme une profession de foi critique de l'archevêque Spy-
ridon. Elle met bien en évidence les principes qui le dirigent dans la
correction des textes. Elle a été écrite ab irato, je le crains, dans le feu
de la discussion, car elle attribue à l'adversaire des procédés qui, s'ils
étaient appliqués, ruineraient la critique même des manuscrits. Et ce
serait plus grave que de simples corrections grammaticales ou la sub-
stitution d'un mot à un autre. Car, enfin, supprimer un texte gênant
ou l'arranger ou le solliciter à contresens pour le mettre d'accord avec
la doctrine de l'Eglise orthodoxe, c'est là un procédé qui, employé
une seule fois, serait suffisant pour disqualifier à jamais un érudit.
Les manuscrits, l'archevêque à tout propos les accable de son mépris.
Un mois auparavant, répondant à un recenseur de la revue italienne
Roma e l'Oriente, il plaisantait assez lourdement, dans une page malgré|
tout alerte et qui fait plaisir à lire.
Pour les fautes de ce genre, les manuscrits ne servent de rien. La
syntaxe grecque a seule autorité. En outre, on parle toujours de manu«
scrits. Mais ces manuscrits, où sont-ils? Ceux duDamascène, par exemple
mort depuis douze siècles? Et non pas ceux, maXs celui, car il est probable
que le Damascène n'a écrit lui-même qu'un seul exemplaire (i). Ce travai
même de recherche et de comparaison serait vain et inutile, les manu-
scrits n'étant le plus souvent que des colporteurs de fautes.
L'archimandrite Papadopoulos a cru devoir répondre une second^
fois.
L'archevêque, dit-il, prétend que Marie-Madeleine était une pécheresse
Mais l'Ecriture ne parle ni de pécheresse ni de femme mariée à propo
de Madeleine. L'Apolyiikion a donc raison de nommer TtaçOévoç un
jeune femme non mariée. Sans doute, on doit compter avec la scien<
grammaticale et avec la logique. Mais, dans le cas, il s'agit de savo
comment le Damascène a écrit. Or, il a écrit sans aucun doute : « Û7rY-vTT,ff<i
TTj riapôévo) », comme on peut le lire dans tous les manuscrits qui existeni
Ce n'est donc pas un lapsus calami. Une preuve de l'authenticité de
lecture incriminée, c'est la version slavonne qui est du ix*-x« sièclf
c'est-à-dire antérieure peut-être à tous les manuscrits qui nous restent c
YOctoïkos (2).
manuscrits découverts et publiés par M. Dyovouniotis : des scolies d'Origène
l'Apocalypse de saint Jean.
(i) 'lepô; aùvÔEo-jxoi;, i" octobre, n° i54, p. 5.
(2) L'archimandrite Papadopoulos renvoie à la traduction allemande de Maltze-v
Du bist begegnet der Jungfrau. Evidemment, les manuscrits sont tous conl
l'archevêque.
UN ESSAI DE CORRECTION DES LIVRES LITURGIQUES GRECS 307
M. Dyovouniotis, lui aussi, a répondu. Dans son second article, la
ritiqiie des textes, r^ xp'.Tixr, -rwv y.îi,|j.£vcov, il rappelle deux règles de cri-
ique des manuscrits. Ce qu'il faut chercher, d'après lui, c'est à retrouver
e texte primitif et à le débarraser des adventitia. Pour cela, on n'a pas
i s'inquiéter des règles de la grammaire. Et il donne quatre ou cinq
îxemples empruntés à saint Marc, vi, 2^', à saint Luc, i, 36; aux Actes,
IV, 23; à l'épître aux Ephésiens, iv, i. Or, on n'a jamais parlé de cor-
iger ces fautes-là.
Le docte professeur aurait pu facilement allonger sa liste. Il n'avait
ju'à relire certains passages de l'Apocalypse de saint Jean. De plus,
ijoute-t-il, les corrections de manuscrits, quand il y a lieu d'en pro-
)oser, doivent se faire d'après des règles tirées de la science même des
Tianuscrits. C'est pourquoi il ne semble pas que la correction sir/jàviTe
>oit logique, car elle n'est appuyée sur aucun texte. Le mot rejeté satis-
fait mieux l'oreille de l'auditeur et retient son attention; l'emploi de
'aoriste rendrait la phrase plus molle et la mélodie moins expressive.
La discussion en est là. Je ne pense pas que la polémique reprenne,
rii que l'archevêque se déclare convaincu par les arguments de ses con-
:radicteurs. Exiger au préalable l'exemplaire écrit de la main même de
îaintjean Damascène, et reconnaître pour seul guide dans une matière
lussi délicate la syntaxe classique, c'est par là même se refuser à toute
liscussion. C'est vouloir, pour prendre au dehors un terme de com-
)araison, juger de la langue de la Vulgate ou de celle des liturgies
gallicanes, d'après la syntaxe de Cicéron et corriger saint Jérôme par
e professeur Riemann. L'archevêque, qui est Grec, doit mieux qu'un
lUtre savoir combien facilement se transforme même la syntaxe d'une
angue vivante, et que, par exemple, on ne peut condamner le romaïque
lu xxe siècle au nom des règles de la syntaxe reçue au temps des
jiymnographes.
Je rends de tout cœur hommage au zèle déployé par le respectable
jcrivain et je reconnais sa science philologique, d'autant qu'elle est
[idée par une facilité remarquable à traiter avec clarté et entrain des
hoses obscures et souvent ennuyeuses. Mais, dans cette revue, qui
[epuis quinze années a tant fait en France et ailleurs pour les études des
'turgies grecques, il me sera permis de lui dire que ses trois contradic-
2urs ont raison contre lui. 11 lui serait si facile de le reconnaître!
Ce point acquis, on pourrait étudier si, malgré les manuscrits, il n'y
urait pas parfois avantage à corriger une lecture embrouillée, un sole-
3o8 ÉCHOS d'orient
cisme un peu choquant, ou à remplacer un mot équivoque ou mal
venu par un autre plus expressif ou mieux adapté au texte (i). C'est
précisément le cas dans V apolytikion du Damascène.
Qjiandocumqne bonus dormitat Homerus Les mélodes, héritiers du
glorieux rapsode, eux aussi ont dormi quelquefois. Les secouer douce-
ment, les réveiller, rendre leurs odes et leurs tropaires plus parfaits, ce
n'est pas aller contre leur mémoire. Au contraire. Nous, Latins, qui,
aussi bien que les Grecs, regardons l'œuvre de ces illustres ancêtres
comme notre patrimoine sacré, nous serons les premiers à applaudir à
ce genre de corrections. Mais, quoi qu'il advienne de cette discussion
entre liturgistes orthodoxes, et c'est un résultat appréciable, nous
sommes heureux d'avoir la certitude que les textes de VHorologion et
de V Euchologion sont bien gardés.
Louis Arnaud.
Athènes.
(i) Je ne parle pas des « fautes de copistes » qu'il est toujours loisible de corriger
La discussion ne portait pas sur ce point, sauf une fois (j.î7a),a[îovta corrigeant ^.z-:a
paXovta. Mais des solécismes prétendus relevés par l'archevêque, aucun ne serafel
avoir pour origine une « faute de copiste ».
k'ÉGLISE MELKITE AU XVIir SIÈCLE
(Suite.)
La lutte du patriarche Jauhar
et du métropolite Germanos Adam (jy5^-iy^4,)
I. — LES PREMIÈRES HOSTILITÉS
En décembre 1774, les habitants de Saint-Jean d'Acre adressèrent à
Tliéodose VI Dahan une requête solennelle, signée par tous les notables
de la ville pour demander au patriarche de les délivrer de Me^ Macaire
'Ajéimi, et de leur donner pour évêque à sa place le P. Michel Adam
d'Alep (i). C'est que l'ancien partisan de Jauhar, malgré ses solennels
engagements, ne manquait pas une seule occasion de fomenter des
troubles dans la ville, dans le seul but de gagner des partisans à
l'intrus. Ignorant, incapable, acariâtre, il était devenu à charge à son
troupeau, qui l'avait déjà congédié deux fois sous Cyrille VI Thanâs (2).
A cette époque, la ville de Saint-Jean d'Acre occupait le troisième rang
dans le patriarcat d'Antioche, après Alep et Damas, grâce au grand
nombre de catholiques melkites qui s'y trouvaient. La plupart d'entre
eux, originaires d'Alep ou de Damas, s'y étaient fixés pour fuir les
persécutions des orthodoxes; plusieurs y avaient pris domicile depuis
les persécutions de Sylvestre le Chypriote, en 1725 (3).
Or, suivant une coutume immémoriale dans le patriarcat d'Antioche,
Théodose VI informa les évêques de la requête des Acriotes, et leur
proposa officiellement la candidature du P. Michel Adam. Ce dernier
avait déjà conquis une grande célébrité, grâce aux nombreux ouvrages
doctrinaux qu'il avait publiés, notamment sur l'intrusion de Jauhar.
Suivant l'expression des <tAnnales (4), il passait partout pour un maître
(i) Annales, t. I", cah. XXVII, p. 440.
(2) Voir la première partie de ce travail, Echos d'Orient, nov. igii, janv. 1912, ainsi
que les deux lettres de Cyrille VI Thanâs adressées aux Acriotes, en ijSg, pour leur
signifier d'avoir à chasser leur évêque de Saint-Jean d'Acre.
(3) Lettre de Cyrille VI Thanâs à Jauhar, lySg, pour l'inviter à se rendre à Saint-
Jean d'Acre afin de travailler à gagner quelques partisans parmi les notables dont
l'appui devait être exceptionnellement précieux pour le triomphe de sa cause. On sait
que Jauhar ne réussit alors qu'à y fomenter des troubles, et il dut quitter précipitam-
ment la ville.
(4) T. I", cah. XXVII, p. 440.
3IO
ECHOS D ORIENT
très versé dans les sciences, ce qui le recommandait puissamment à
tout le peuple melkite, dont il faisait l'orgueil. Les évêques n'eurent
que des éloges à adresser au nouveau candidat. Au milieu de ce con-
cert unanime de louanges, la lettre acerbe, presque haineuse d'Ignace
Jauhar, évêque de Saïda, fit entendre la note fausse. Elle prouvait que
l'ancien intrus n'avait pas pardonné à son adversaire. Théodose VI n'y
attacha aucune importance, et, le 25 décembre 1774, dans la nuit de
Noël, il consacra le P. Michel Adam évêque de Saint-Jean d'Acre, au
monastère de Saint-Antoine de Qarqafé, sous le nom de Germanos
ou Germain. Cette élévation, insinue Ananie Mounayyer (i), était due
à l'influence considérable dont jouissait à Saint-Jean d'Acre la puissante
famille Sabbâgh, originaire d'Alep. Mî-^r Macaire 'Ajéimi dut reprendre
pour la troisième fois son ancien titre d'évêque-vicaire de Damas, et
regagner cette ville malgré ses répugnances.
A Saint-Jean d'Acre, on le sait, la situation civile de la ville n'était
pas brillante sous l'administration oppressive du fameux Ahmed Pacha:
el Jazzar. Ce tyran en voulait particulièrement aux riches familles dont
il s'adjugeait la fortune sans autre <forme de procès. Les notables-
aimèrent mieux s'expatrier; Mg^ Adam lui-même ne put y tenir long-
temps, et, vers la fin de 1775, les Annales (2) nous signalent sa pré-
sence dans les monastères chouérites, en compagnie de la famille
Sabbâgh, « fuyant les troubles et les persécutions de Saint-Jeani
d'Acre ».
En décembre 1776, MKf Ignace Jarbou', le digne archevêque d'Alep,
mourait dans sa ville épiscopale, après quinze années et quatre mois
d'épiscopat. « C'était un homme expérimenté dans les sciences, nous
rapportent les e/Jnnales (3); il gagna à Dieu plusieurs âmes par ses
prédications, et notamment par son bon exemple. Il surpassa tous ses
contemporains par ses connaissances de la psaltique (4), qu'il possé-
(1) p. 52.
(2) T. I", cah. XXVIII, p. 441.
(3) T. I", cah. XXVIII, p. 442.
(4) En effet, c'est M" Ignace Jarbou' qui, Je premier, mit en honneur les offices
liturgiques à Alep, et en releva la solennité par les beautés des chants ecclésiastiques
grecs. A cet effet, il institua deux chœurs dans son église-cathédrale ; il s'entoura
d'une élite de jeunes enfants, qu'il se plaisait à instruire lui-même. Petit à petit
l'amour de la psaltique gagna les grands, et l'on tenait à honneur, notamment dans
les classes distinguées, de posséder quelque connaissance de cet art nouveau. A cettt
époque parurent à Alep les Holvypô^ioL harmonisés, mesurés, cadencés. Les Alépins
dont beaucoup jouissent d'un bel organe, se plaisent encore à les répéter jusqu'à:
nos jours. M'' Jarbou' y est appelé Kap7r(5ç; il prend aussi ce nom dans certains de ses!
L EGLISE MELKITE AU XVIII^ SIECLE 3It
dait merveilleusement. Le peuple alépin pleura longtemps son saint
archevêque, ainsi que toute la Congrégation chouérite, qui perdait en
lui un père tendrement aimé, »
Six mois durant, on tint à Alep des assemblées plus ou moins offi-
cielles pour se concerter sur le choix de son successeur. Enfin, les
Alépins élurent à l'unanimité leur compatriote, Mt-^'' Germanos Adam,
et, en juillet 1777, Théodose VI Dahan jle transférait au siège archiépi-
scopal d'Alep, en le déliant de tous les liens qui l'attachaient au siège
de Saint-Jean d'Acre. Cette élection, nous rapportent les Annales (i),
était légitime, canonique, et faite avec le consentement de toute la nation.
Cela n'empêcha pas Jauhar, devenu patriarche, de reprocher dure-
ment à Mp>- Adam cette translation : « Cette même autorité patriarcale,
dit-il dans une lettre du pr juillet 1792, vous a transféré du siège épi-
scopal de Saint-Jean d'Acre au siège métropolitain d'Alep, grâce aux
circonstances et aux intrigues que vous seul connaisse:{. . . . » Mg^" G. Adam
lui répondit catégoriquement au mois d'août de la même année: « Ces
circonstances et ces moyens ne sont pas connus de moi seul, mais
encore de tout le monde. Tous, à l'unanimité, reconnaissent qu'ils
furent canoniques, légitimes, étrangers à la moindre intrigue, ce qui
est parfaitement démontré par le procès-verbal de l'élection, et par l'en-
cyclique patriarcale de confirmation. Je n'ai pas besoin de vous le
prouver davantage » (2) Ces paroles suffisent à nous convaincre
que l'évêque de Saïda s'était opposé au transfert de Mk^ Adam au siège
d'Alep, tout comme il avait combattu son élévation à l'épiscopat. Quoi
qu'il en soit. M»'" Adam ne semble pas avoir gardé rancune à l'ancien
intrus, et, dans les querelles qui vont suivre, il est plutôt victime
qu'oppresseur. Aux blâmes injustes du patriarche Athanase V Jauhar,
mandements et ses autres actes officiels, notamment dans le aâxxov qu'il remit au
P. Michel 'Arraj, à Saint-Georges de Makkin, après l'avoir relevé, ainsi que ses reli-
gieux, de l'excommunication romaine qu'ils avaient encourue en prenant part au
second conciliabule de Déir el Moukhallés, qui se proposait de réélire Jauhar patriarche
d'Antioche, en lyôS :
L'humble évêqiie Ignace Kapir(5î, métropolite d'Alep. Ce prélat, qui laissa un pro-
fond souvenir à Alep, est, jusqu'à nos jours, en grande vénération. Dans certains
Hol-jy^rià^ny. chantés à l'occasion de la réception solennelle de leur nouveau pasteur,
les Al'epins lui souhaitent une longue vie et toutes sortes de prospérités, comme ils
les souhaitaient naguère à KapTr*^;, qui chérissait son peuple, w; ô KapTtôç -cbv >.ady.
Après M" Jarbou', M" Grégoire Chahiatt fit honneur à la psaltique d'Alep; mais
celui qui fit revivre les beaux jours de M"" Jarbou', ce fut M'' Paul Hatem, qui, avec
l'aide du professeur Georges Lian, établit des cours de psaltique, qu'il rendit obliga-
toires pour ses prêtres avant tout; puis il s'entoura d'un beau groupe de laïques de la
classe noble, qui remirent en si grand honneur les offices divins, que les Alépins accou-
raient en foule à la cathédrale.
(1) T. 1", cah. XXVUl, p. 443.
(2) Lettre de M" Adam à Jauhar, 20 août 1792, p. i3.
512 ECHOS D ORIENT
aux insolences de prêtres révoltés contre son autorité, aux insultes
mêmes de Sarrouf, Mk^ Adam répond avec sa logique habituelle, et
Rome lui donne raison, le comble d'éloges, et inflige le blâme à tous
ses adversaires, à commencer par Jauhar.
En 1778, le P. Joseph Sarrouf, Damasquin, était élevé sur le siège
de Beyrouth et prenait le nom d'Ignace. Ignorant, léger, prompt dans
ses décisions, il eut le bon sens de recourir aux lumières de M«'- Adam,
qui lui offrit complaisamment ses services. Jauhar s'en indigna, et, avec
l'intermédiaire du P. Simaân Sabbâgh, secrétaire patriarcal, il parvint
à gagner Sarrouf à ses vues. Dès lors, celui-ci brisa brusquement avec
son bienfaiteur, et s'engagea dans des querelles interminables avec les
Chouérites. Ceux-ci eurent recours à bAs^ Adam, qui délivra en leur
faveur deux longs faiwas parfaitement documentés. Exaspéré, Sarrouf
lança ses dix articles, peut-être sur l'instigation de Jauhar lui-même.
L'acharnement que ce dernier mit plus tard à défendre ce factum, ainsi
que les vin^t articles sortis de sa plume et de celle de Sarrouf, prouvent
x}u'il n'était pas complètement désintéressé en cette affaire, 1778- 1785 (i).
Vint enfin l'élection d'Athanase V Jauhar au patriarcat. Naturelle-
ment, Mgi' Adam dut s'opposer de toutes ses forces à l'élévation d'un
prélat qui n'était pas bien noté à Rome. M&i' Bénédictos Turcmany, de
Baâlbeck, s'était même adjoint à lui pour le soutenir dans cette lutte;
mais le parti de Jauhar était considérable, et Sarrouf ne se donnait point
de repos, de telle sorte que l'élection eut lieu le 23 avril 1788, à Saint-
Antoine de Qarqafé, presque à l'unanimité des voix (2). Sarrouf,
dépêché en toute hâte à Rome pour obtenir la confirmation de son
œuvre, dut y passer deux longues années en négociations. « Enfin,
dit le Ristretto du cardinal Valens Gonzaga, le Saint-Siège approuva,
en 1790, l'élection de Ms^' Athanase Jauhar au patriarcat d'Antioche de
la nation melkite. » Dans le même temps, Mp- Sarrouf adressa un
Inviato au Souverain Pontife, pour réclamer l'honneur du pallium en
faveur du nouveau patriarche. Pie VI le lui accorda sur-le-champ. Sar-
rouf rentra en Syrie en Juin 1790. Le 30 du même mois, le métropolite
de Beyrouth remettait solennellement le pallium à Athanase Jauhar,
avec l'assistance de Ms»' Macaire 'Ajéimi et de M^'' Grégoire Haddac
évêque de Qara. Après la cérémonie, qui eut lieu à Déir el Moukhallès
(i) Voir à ce sujet notre longue étude publiée ici même en 1910, sous le titrej
Ignace Sarrouf et les réformes des Chouérites.
[2] Annales, t. 1". cah. XXXIII, p. 52i; Ristretto, n" 1-2.
L EGLISE MELKITE AU XVIII*' SIECLE S H
Jauhar écrivit au Saint-Père et à la S. C. de la Propagande deux
longues lettres en date du 7 juillet 1790. Elles relataient, dit le Ris-
treilo(i), l'allegre:{ia e soddisfa^ione di tutta la Naiione Melchita, e mando
il suo giuramento nella forma che si da'qtti in foglio segnato letiera A,
Or, ce fut toute une affaire que ce serment, exigé par Rome de tout nou-
veau patriarche oriental en communion avec le Saint-Siège. Déjà Pie VI,
dans ses deux Bulles apostoliques adressées à Jauhar, le 22 avril 1789,
l'une pour confirmer son élection, et l'autre pour lui concéder le pa\-
lium, avait fixé au nouveau patriarche deux formules de serment dif-
férentes qu'on demandait au nouvel élu, par suite des circonstances
exceptionnelles de son intrusion, (1759-1768). C'était d'ailleurs l'usage
reçu, dit le Ristretto; cela s'était pratiqué, en effet, sous les patriarcats
de Cyrille VI Thanâs, de Maxime II Hakim et de Théodose VI Dahan.
Malgré tout, Jauhar ne tint aucun compte des ordonnances romaines,
et, le 30 juin 1790, avant de revêtir le pallium, il prononça, entre les
mains de Sarrouf, une formule équivoque qu'il avait rédigée lui-même.
Le nouvel élu, tout en promettant d'être fedele e ubbidiente al Beatis-
simo Pietro Apostolo, trahissait une fois de plus ses sentiments schisma-
fiques. Rome eut des appréhensions, et, craignant de voir renouveler
les événements de 1759- 1768, elle rejeta cette vague formule de ser-
ment, et résolut énergiquement de soumettre le nouveau patriarche à
une autre formule plus précise et plus satisfaisante. Mais elle ne voulut
rien précipiter, pour éviter de froisser les susceptibilités de Jauhar et
de ses partisans. Les motifs canoniques, allégués à ce sujet par le Saint-
Siège, nous sont clairement démontrés par la note que nous en donne
le cardinal Valens Gonzaga, à la suite de son long Ristretto. Cette note
établit que le serment fait par Jauhar ne présentait point une profession
de foi catholique et ne marquait point la dépendance et la soumission
|requises des patriarches orientaux à l'égard du Pontife romain. Sa for-
jmule ne différait guère de celles qu'avaient prononcées le patriarche
Cyrille VI Thanâs, et que Rome avait trouvées insuffisantes. Au con-
traire, Maxime 11 Hakim et Théodose II Dahan avaient présenté une
longue profession de foi tout à fait satisfaisante.
II. — Les préparatifs du concile national.
,5 Nous avons dit que M^-''' Ignace Sarrouf avait passé à Rome deux ans
bn négociations pour obtenir la confirmation de Jauhar et le pallium
patriarcal. Une note du Ristretto, placée dans le contexte même, après
|i
(1) N* I ad finem.
314 ÉCHOS d'orient
le premier paragraphe, nous apprend que le Saint-Siège avait aussi
enjoint au nouveau patriarche l'ordre de réunir quanto primo un concile
national de tous les évêques melkites par sanare le scissure e discordie,
che vi erano. A ce sujet, la S. C. de la Propagande avait remis à Sar-
rouf une longue Instruction à laquelle le procureur patriarcal se hâta
d'adhérer, promettant de l'observer fidèlement (i).
Or, lorsque Ma"" G. Adam et Msi"" Bénédictos Turcmany, qui s'étaieni
opposés à l'élection de Jauhar, eurent fait acte de soumission volon-
taire à Athanase V, le nouveau patriarche se mit en devoir de réunit
le concile national ordonné par la Propagande. De concert avec
Mg»' Sarrouf, qui ne le quittait pas un seul moment, il adressa à toui
les évêques melkites une lettre-circulaire en date du 3 juin 1790, le:
invitant à se présenter à Déir el Moukhallès pour la tenue du concil<
national, qui devait s'ouvrir solennellement, le i^i- juillet suivant. Eii
même temps que cette circulaire, Athanase V adressait aux évêque
un Elenco ou schéma des matières générales qui devaient être débat
tues dans cette assemblée plénière ; quant aux matières spéciales con
cernant chaque diocèse en particulier, on y devait pourvoir, en ca
d'urgence, après la réunion des évêques.
A cette circulaire, tous les évêques melkites adhérèrent, sans aucun
arrière-pensée. Ils ne soupçonnaient pas la grosse lacune que le noi
veau patriarche d'Antioche essayait de dérober adroitement à toute
les investigations gênantes pour lui et pour son parti; nous voulon
parler des directions romaines relatées expressément dans l'instructio
apostolique remise à Sarrouf par la S. C. de la Propagande. Sel
M^i" G. Adam perça la manœuvre. « Au lieu de toutes ces pièces
circulaires plus ou moins solennelles, lui écrivit-il en substance, il e]
été infiniment plus utile de proposer aux évêques l'étude de l'Instrifi
tion apostolique dans le concile ; de leur en envoyer à chacun une cof
spéciale, de leur donner au moins un délai de deux mois pour q
tous puissent avoir le loisir de préparer les travaux à débattre dai
cette assemblée solennelle, et de mettre par écrit leurs réflexions, leu
allégations diverses, et toutes les particularités propres à leurs diocès
respectifs. En effet, cette Instruction apostolique renferme toutes
(i) Voici cette note dans sa teneur italienne: « E siccome la Sacra Congregazic
gli aveva in sieme ordinato di adunare al Concilio dei Vescovi per sanare le scissu
e discordie, che vi erano, e a quest'essetto avea mandate per suddetto Monsigm
Sarruf le sue instruzioni da osservarsi in detto Concilio; quindi prometteva di o
vocarlo quanto primo, e di adempire le intenzioni délia medesima Sacra Congre
zione. L'istesso annunzio çon Lettere délia medesima data anche il suddetto Deleg
Monsignore Ignazio Sarruf. » Archives de la Propaga7ide, (Greci Melchiti,p.387-3)
L ÉGLISE MELKITE AU XVIIl*' SIÈCLE 31^
matières nécessaires pour un concile plénier, et, comme elle émane
de l'autorité suprême, nous ne saurions faire rien de mieux que de la
respecter et de nous y conformer en tout point. » (i)
A cette missive, qui ne disait rien que d'opportun et de juste,
Athanase V fit une réponse courroucée, nous dit le Ristretto : replicù
il Patriarca con una nionitoria (2). « Ce que j'ai écrit aux évêques,
dit-il en substance à Mgr Adam, je l'ai fait avec connaissance de cause;
vous saurez que le patriarche ne souhaite pas du tout leur soumettre
l'instruction apostolique, et cette seule volonté doit vous suffire. En
outre, vous en possédez vous-même une copie authentique ; vous pourrez
y travailler à votre aise, sans trop vous préoccuper de vos autres
collègues dans l'épiscopat. Enfin, vous saurez qu'il appartient au
patriarche de régler les travaux du concile et non point au Saint-Siège.
Que si, en nous écrivant ces choses, vous avez eu en vue de nous
donner seulement un conseil fraternel, nous l'acceptons volontiers de
votre part. En attendant, nous portons à votre connaissance que nous
avons renvoyé au 20 septembre l'ouverture de notre synode patriarcal,
vous aurez la bonté de vous présenter sans retard à Saint-Sauveur au
moins vers le 15 du même mois, afin que nous puissions en faire les
préparatifs. C'est alors que vous jugerez par vous-même de la soumis-
sion et du respect que nous avons toujours professés à l'égard du
Siège apostolique, non seulement durant cette année de la confirmation
de notre élection au patriarcat, mais encore durant les années précé-
dentes, notamment après la mort du patriarche Théodose. Il en sera
toujours ainsi à l'avenir, sans que nous ayons le moindre besoin de
recourir aux conseils d'un M^*" Adam. » (3)
L'archevêque d'Alep ne fit aucune réponse à ces courtoisies
patriarcales, auxquelles il s'était déjà bien habitué ; il se contenta de se
présenter à Déir el Moukhallès, suivant l'ordre du patriarche, le 1 1 sep-
tembre, neuf jours avant l'ouverture du synode (4). Or, le jour même
le son arrivée, nous apprend le Ristretto, il se trouva en présence
ie Mg'- Sarrouf et du patriarche Athanase, et, sans aucun préambule,
omincio il patriarca Atanasio a lagnarsi di Monsignore Adami (5).
lomme c'était pour la première fois que les deux antagonistes se trou-
(i) Lettre de G. Adam à Athanase V Jauhar, i" juillet 1790, datée de Saint-Michel
le Zouq-Mikaïl. Ristretto, n° 3, p. 388-389 des Archives.
(2) Ristretto, loc. cit.
'''' Ristretto, n° 3 ad finetn, p. 389 des Archives.
Lettre de M'' Adam à Athanase V Jauhar, 20 août 1792, p. 9-10.
\~>, Ristretto, n" 4, p. 389 des Archives.
^i6 ÉCHOS d'orient
valent en présence l'un de l'autre depuis 1 788 ( i ), Athanase V n'épargna
aucun reproche à l'archevêque d'Alep. D'après le résumé que le Ris-
tretto nous donne de cette longue audience, le patriarche se serait
exprimé à peu près en ces termes :
Vous vous êtes opposé de toutes vos forces à mon élection au patriarcat;
vous en avez même appelé à Rome, ce qui vous a coûté des dépenses
considérables, absolument inutiles, et qui s'élevaient à plus de huit
bourses (2). De la sorte, vous n'avez réussi qu'à avilir la dignité patriar-
cale, notamment après la réception du pallium et la profession du serment
solennel.
Quant à ce serment, il vous eût été bien facile de comprendre pour
quel motif nous n'avons pas voulu nous soumettre à la formule proposée
par la S. C. de la Propagande. Nous ne saurions, en effet, promettra de
nous rendre à Rome tous les cinq ans, soit en personne, soit par le moyen
d'un procureur, soit enfin en y adressant un rapport officiel touchant
notre administration patriarcale. Nous ne saurions non plus aviser le
Saint-Père de toutes les affaires du patriarcat et de celles des ouailles àj
nous confiées. Or, vous savez parfaitement qu'un serment semblable
est de nulle valeur, car il est contraire à l'honneur et aux droits de la
dignité patriarcale : pretendendo che questo Giuramento é nullo perché
■contrario all'onore, e ai diritti délia Dignita Patriarcale (3).
A toutes ces prétentions schismatiques, Mp' Adam répondit con deli-
■cateiia, ajoute le Ristretto (4). 11 rappela au patriarche que son procu-
reur, Mgr Sarrouf, avait pleinement adhéré à ce serment romain^ et ei
avait même solennellement promis à la Propagande l'observation ponc
tuelle (5). D'ailleurs, ajouta M?'' Adam, notre honneur consiste dans
une soumission entière au Chef suprême de l'Eglise universelle, il nostVi
onore é di essere soggetti al Capo délia Chiesa universale.
Athanase V se garda bien d'y riposter, et il changea immédiatemen
le sujet de la discussion en s'attaquant à l'Instruction apostolique de 1
Propagande. « Voilà encore, s'écria-t-il, un document romain qui me
des entraves à la liberté requise pour le concile! » Là-dessus, M^^'" Adar
se tourna vers Me» Sarrouf, et lui posa la question suivante : « Mf-''' 1
(i) On se rappelle que M'' Adam, qui, avec M'' Bénédictos Turcmany, s'éta
opposé à l'élection de Jauhar, n'avait fait acte de soumission au nouveau patriarcl
que par le moyen d'une lettre pleine de respect adressée de Zouq-Mikaïl, tandis qii
M" Turcmany s'était présenté en personne à Déir el Moukhallès pour lui offrir s(!
obédience. '
(2) La bourse valait une somme de 5oo piastres.
(3) Ristretto, n° 4, p. SSg-Sgo des Archives.
(4) Loc. cit. I
(5) C'est, en effet, ce dont témoigne parfaitement la note du Ristretto, que noj
avons citée entièrement dans sa teneur italienne. Voir ci-dessus, p. 314, note i.:-*'
L ÉGLISE MELKITE AU XVIIl^ SIÈCLE 317
patriarche n'avait donc pas adhéré à cette instruction, et n'en avait
pas promis l'observation? » Mf^'" Sarrouf répondit : tergiversando lunga-
mente essai, ajoute le Risiretfo. Puis, détournant la question de son
point de vue primitif, il conclut que cette pièce romaine n'était, après
tout, qu'une Instruction et non pas un Décret obligatoire. Enfin, il
ajouta, à tort ou à raison, que l'éminent préfet de la Propagande lui
avait expressément dit que cette Instruction demeurait une pièce facul-
tative, et qu'il dépendait de la liberté des Pères du synode de l'accepter
ou de la mettre de côté. Puis, le patriarche s'écria : « En envoyant à
Rome Mf-^i' Sarrouf, je ne lui ai point mandé de m'en rapporter des
instructions apostoliques, mais je l'ai uniquement chargé de réfuter les
objections de mes contradicteurs et de travailler à obtenir la confirma-
tion romaine de mon élection au patriarcat (i).
M^-^'' Adam ne pouvait se faire illusion sur la mauvaise tournure que
prenait le synode. 11 était clair que les Pères se comporteraient en tous
points d'une façon contraire aux directions romaines. 11 partit soudain
sans mot dire, et, la tristesse dans l'âme, iî regagna sa cellule de Déir
el Moukhallès. Durant les neuf jours qu'il passa dans ce monastère, en
compagnie de ses collègues dans l'épiscopat, les discussions violentes
touchant les directions romaines ne discontinuèrent point. M?;'' Adam
se montra en la circonstance le champion invincible des droits du Saint-
Siège; malheureusement, ses cris furent impuissants devant l'opposi-
tion catégorique et aveugle de Jauhar, de Sarrouf et de tous ces pauvres
évêques d'alors, qui ignoraient, disait-il, jusqu'à Va bc des saints canons
et des devoirs rigoureux de leur saint état ecclésiastique! (2)
(i) Ristretlo, loc. cit.
(2) Lettre de M**^ Adam au patriarche Athanase V Jauhar, 20 août 1792, datée de
Laodicée, p. 10. Ce jugement, tout excessif qu'il paraisse, n'est malheureusement que
trop vrai. Passons, en effet, en revue, les évêques melkites de cette époque. En dehors
du patriarche Athanase V Jauhar et de son mentor Ignace Sarrouf, dont les senti-
ments schismatiques nous sont bien connus, on trouve les évêques suivants :
a) Grégoire Haddad, de Qâra, sacré par l'intrus Jauhar en 1761, en vue d'augmenter
le nombre de ses partisans. 11 mourut en 1795, après trente-quatre années d'épiscopat.
En 1790, vieux et tombé en enfance, il était naturellement à la dévotion de Jauhar;
b) iMacaire 'Ajéimi, de Saint-Jean d'Acre. On se rappelle encore les grands services
qu'il rendit à l'intrus de 1760 à 1768, et que nous avons relatés dans la première partie
de cette étude;
c) Agapios Qenai'er, de Diarbékir. Ancien élève du P. Nicolas Saïgh, et peut-être
le plus instruit des évêques après M" Adam et les quatre autres évêques qui ne 3e
présentèrent pas au synode. A cette époque, il était nonagénaire et tombé en enfance;
d) Cyrille Siaj, du Hauran;
"I Gérasimos Moubayyed, de Cana en Galilée;
./ ) Maxime Sallal, de Panéas;
g) Arsène Caramé, de Homs, tous sacrés par Jauhar, 1760-1768, et dont nous avons
fait la triste histoire dans la première partie de cette étude;
/.') Parthénios Na'imé, de Tyr;
3i8 ÉCHOS d'orient
m. — Le concile de Déir el Moukhallès.
La veille de l'ouverture du synode, c'est-à-dire le 19 septembre 1790,
ajoute le Ristretto (i), il Patriarca chiamo Monsignore Adami alla pre-
senyï di Sarruf solamente, e gli disse, che hisognava daré il primo posto
air Arcivescovo di Tiro seconda l'antico istituto. C'était, en effet, une
véritable querelle provoquée par Sarrouf et Jauhar, plutôt qu'une discus-
sion régulière, canonique. Cette fameuse question de la préséance du
siège de Tyr sur celui d'Alep avait été plusieurs fois remise sur le tapis
depuis 1733, époque où Alep, soustraite à la juridiction de Constanti-
nople, rentrait sous celle d'Antioche, après quarante ans d'une triste
servitude. Sous Cyrille VI Thânas et Théodose VI Dahan, Alep avait
toujours eu la préséance sur Tyr; il en fut de même sous Agapios 111
Matar, notamment au synode de Saint-Michel de Zouq-Mikaïl, 1798,
qui condamna la fameuse Congrégation Siméonienne de Sarrouf, et au
grand synode de Qarqafé, 1806. qui fut l'œuvre de Mf^"" G. Adam.
Les mêmes discussions furent renouvelées plus tard sous le patriarche
Maxime 111 Mazloum, en 1849, ^^ concile de Jérusalem. Enfin, le pape
Pie IX dirima le litige et statua que, à la mort du patriarche grec-
melkite catholique, l'administration du patriarcat reviendrait de droit à
l'archevêque de Tyr, qui est le protothrone dans le patriarcat d'Antioche.
Sur le soir de ce même jour, Mgr Adam reçut une lettre pressante
du cheikh Farès, ministre du grand prince du Liban, l'invitant à se
rendre en toute hâte à Déir-el-Qamar pour juger des affaires urgentes
concernant les Maronites (2). Là-dessus, le métropolite d'Alep se rend
i) Joseph Farhat, de Fourzol;
j) Joseph Safar, d'Edesse;
k) Bénédictos Turcmany, de Baâlbek. Ces quatre derniers ne se présentèrent point
au synode pour éviter des querelles qui, d'ailleurs, ne manquèrent pas de surgir, lis
se firent remplacer par des procureurs dont le aàxxov canonique de procuration ne
plut guère à M'' Adam, parce qu'il était exprimé en termes trop vagues, et fut
exploité par le parti schismatique. (Cf. lettre de M'' Adam à Jauhar, 20 août 1792,1
p. II.) I
/) Enfin, Germanos Adam, d'Alep.
Ces nombreux évêques, qui, à cette époque, formaient le patriarcat d'Antioche,
n'étaient pas tous résidentiels; à part sept d'entre eux, qui avaient des diocèses pro-
prement dits, tous les autres n'avaient que des titulatures de sièges vieillis et qu ,
n'existaient plus. On les trouvait toujours à Déir el Moukhallès, dans l'entourage, ^
la table de Jauhar, et, cela va sans dire, entièrement à sa dévotion. Après tout, ilîi
lui devaient leur élévation à l'épiscopat, et c'est seulement à ce grand nombre d<j
partisans intéressés que nous devons attribuer le triomphe de Jauhar du 23 avril 1788
qui lui donna le patriarcat d'Antioche.
(i) N° 5, p. 390 des Archives. Greci Melchiti. • j
(2) On se rappelle que M" Adam exerçait la justice au Liban par ordre des gouveri
neurs mêmes de la montagne. A cet effet, il avait établi sa résidence au monastèr;
chouérite de Saint-Michel de Zouq-Mikai'l, d'où il gouvernait en même temps soi
L EGLISE MELKITE AU XVIII'' SIECLE 3I9
après du patriarche, lui montre les ordres pressants de l'émir, et le
rie de lui désigner un religieux Salvatorien de son choix pour en faire
Dn procureur au synode, à l'instar des quatre évêques de Tyr, de
aâlbek, de Fourzol et d'Edesse, qui ne se présentèrent point en per-
Dnne au synode. Athanase V lui indiqua sur-le-champ le P. Emmanuel
hamma', Salvatorien, ancien élève du collège Saint-Athanase de Rome
t visiblement à la dévotion du patriarche (i). Mais dans le sakkon
anonique de procuration que lui remit M^r Adam, sa conduite au
ynode était réglée par cette phrase significative : yous n' accepter e:{^
ullement tout ce qui serait en contradiction avec les directions romaines
lentionnées dans l'Instruction apostolique de la S. C. de la Propagande.
Dans ce sakkon, il n'était point question de la préséance du siège
'Alep; ce qui était laissé, dit le Ristretto, à la bienveillance de M^»" Sar-
ouf et du patriarche. Mais les mots « directions romaines », sur les-
uels appuyait Mm:»" Adam, furent particulièrement gênants pour ces
oryphées d'un nouveau schisme. Longtemps ils le supplièrent de les
emplacer par « les saints canons », ce qui était plus général, et, par
uite, ne disait rien. Ms'^ Adam tint ferme, ajoute le Ristretto, et il
artit, rimanendo pero VAdami sempre fermo, sicché sen:ia mutare parola
2 ne parti (2).
Après le départ de M^'- Adam, le patriarche, entouré de Ms^'' Sarrouf
t de M^r Jérémie, consacré depuis quelques jours évêque-vicaire de
)amas, procéda à l'ouverture du synode par une messe pontificale
olennelle. C'était le 20 septembre 1790, et les délibérations conciliaires
e prirent fin que le 6 novembre de la même année. On se garda bien,
it le Ristretto, de toucher à l'Instruction apostolique, encore moins
ux prescriptions des lois générales de l'Eglise. Les actes en furent
ependant signés par tous les Pères, mais on ne permit à personne
'en prendre copie. La raison qu'en donnait le patriarche était la sui-
ante :
Avant de livrer ces actes conciliaires au public, nous avons besoin de
s corriger, de les ordonner, d'en régler toutes les matières, afin que nous
uissions les confirmer, puis les présenter à Rome, non perché sieno
■aminate, ed approvate, ma affinché si stampino ; Qi alors nous pourrons
ocèse d'Alep par ses mandements et par l'intermédiaire d'un vicaire général; car
ne put jamais résider à Alep, par suite des persécutions des orthodoxes.
Lettre de M'' Adam à Jauhar, 20 août 1792, de Laodicée, p. 11.
'(istretto, n" 5 ad Jinem, p. 892 des Archives.
320
ECHOS D ORIENT
en faire la distribution. Nous avons confié ce travail à M^'' Sarrouf, di
consentement de nos frères les cvêques et de leurs procureurs. II y ajou
tera ou en retranchera tout ce qui lui paraîtra nécessaire; nous lui lais
sons pleine liberté pour cela. Il nous le représentera ensuite avec le;
mêmes signatures et cachets des évéques et de tous ceux qui y ont pri:
part(i).
Ces paroles malheureuses, transmises plus tard à Rome par Ms^ Adan
et par Sarrouf lui-même (2), y produisirent, on le devine, une fâcheusi
impression. Nous étudierons plus loin le jugement de Rome à ce
égard; mais dès maintenant nous pouvons voir la justesse de la rela
tion que nous citions naguère du P. Ananie Mounayyer, contemporaii
de ces événements (3) : « Mf^'»' Ignace réunit les actes de ce synode pou
les transmettre à Rome. A cette nouvelle, les gens qui avaient une cet
taine connaissance des choses haussaient les épaules de pitié, affirmât
hautement que Rome n'approuverait jamais de pareilles élucubrations.
Ces actes officiels du patriarche Athanase V Jauhar nous donner
la preuve des sentiments schismatiques qu'il nourrissait au fond de so
cœur depuis 1739. H ne prétendait se soumettre à Rome, dit le Rii
tretto (4), qu'en matière de foi seulement, e si awan^erà il patriarca
cose maggiori, essendo fino ad or a fermo in prêt end ère il dominio assolm
non soggetlo alla Sede Apostolica, ecceitiiate H cose di fede solament
com'egli dice. 11 faut remarquer aussi que les actes de ce fameux synoc
ont été interpolés et ne donnent pas la vraie physionomie de l'assen
blée. Les évêques et les procureurs présents aux sessions ne signerai
que des canevas informes. Ce n'était là qu'un stratagème bien conn
de Sarrouf, qui ne préparait ses foudres contre ses bons amis li
Chouérites que dans le plus grand secret. On lui confia la rédaction dé\
loppée du synode, après lui avoir livré les signatures et les cachets
tous les Pères capitulaires . Charmante liberté, en vérité! Aussi en a-t-
usé et abusé à souhait. Un simple coup d'œil jeté sur toutes ces éluci
brations disciplinaires — car la partie dogmatique ne compte pas
nous convainc que ce synode avait été un complément ajouté à
fameuse guerre des Dix articles. Une comparaison minutieuse du syne<
avec l'Encyclique des Vingt articles, du 8 novembre 1790, nous a amei
à ce résultat surprenant que, abstraction faite du préambule, cette long
(1) Ristretto, n" 6, p. 892 des Archives de la Propagande, Greci Melchiti.
(2) Lettre de M*' Ignace Sarrouf à la Propagande, 3 septembre 1791, citée par le B
tretto lui-même, n" 8, p. SgS des Archives; Relation de M'' Adam, 1791, à la Pro|
gande, ad Jinem. Nous parlerons plus loin de ce dernier document.
(3) P. 69.
(4) N" 7, p. 392-393 des Archives.
l'église melkite au xvm*' siècle 321
ncyclique est prise mot pour mot dans le synode de 1790. Nous ne savons
oint si le Saint-Siège s'est bien rendu compte de la manière dont fut
aboré ce synode, car le Ristretto ne l'indique pas bien clairement;
îpendant les Chouérites, dans leur Mémoire du i«'' avril 1791, et
i^r Adam, dans sa longue Relation de la même année, n'ont pas
lanqué de mettre ce point en lumière. « Dans ce synode, on a décrété
'ftains points seulement, et encore la rédaction n'en parut point en
ublic; M^T Ignace Sarrouf fut chargé de développer ce qui avait été
nsi décrété, et NN. SS. les évêques se dispersèrent. » (i)Le Ristretto {2)
ous dit cependant: si comincio il detto Concilia e in pochi giorni
i terminato e fiirono decretaie alcune cose, ma nulla è stato pubblicato
i iscritto essendosi incaricaio A/^re. Sarruf di diliicidare cio' che e stato
îcretato. Charmante assemblée !
{^A suivre.^
Paul Bacel,
prêtre du rite grec.
Syrie.
(i) Mémoire des Chouérites, p. i.
J(2) N" II, p. 394 des Archives.
Echos d'Orient, t. XV.
LE VOYAGE DE L'EMPEREUR
MANUEL PALÉOLOGUE
EN OCCIDENT (1399-1403) <'>
Dans la galerie des empereurs qui se sont succédé sur le trône de
Byzance, une des figures les plus distinguées et les plus sympathiques
est, sans contredit, celle de Manuel Paléologue, qui régna de 1391
à 1425. Au physique, Manuel avait tout pour plaire. Les peintures
authentiques qui nous ont conservé son portrait nous révèlent la beauté
de sa physionomie^ la finesse et la régularité de ses traits. Une cheve-
lure d'or, que vante Bessarion dans son éloge funèbre, une longue
barbe, qui fut blanche avant l'âge et qui lui couvrait toute la poitrine,
îui donnaient un air à la fois plein de grâce et de majesté. De taille
moyenne et bien proportionnée, très agile de ses membres, passé
maître dans tous les sports du temps, en particulier dans l'équitation,
ce prince était bien fait pour charmer les Byzantins. Aussi fut-il très
populaire, et quand son père, le faible Jean V, l'associa à l'empire en
déshéritant son aîné, Andronic (2), il n'y eut qu'une voix dans le Séna!
comme dans le peuple pour applaudir à son élévation.
Au moral, Manuel n'était pas moins attachant. D'un caractère pri-
mesautier, qui le poussa parfois à des entreprises téméraires (3), il sut
(i) Conférence lue à la réunion annuelle de l'Institut archéologique russe de Con-
stantinople, le 17 mars 1912. Nombreux sont les historiens et les chroniqueurs orientaux
et occidentaux qui ont parlé du voyage de Manuel Paléologue en Occident. Citons
parmi les Byzantins: Georges Phrantzès, Laonic Chalcocondyle, Jean Doucas; parm
les Français : le Livre des faits du bon messire Jean le Maingre, dit Bouciquaut; h
Chronique du religieux de Saint-Denys, l'historiographe de Charles VI; Jean Juvéna
des {JTsins, Histoire de Charles VI. Les chroniques italiennes et anglaises fournisseni
quelques détails. Toutes ces sources ont été admirablement utilisées par Berger m
XiVREY dans sa dissertation sur la vie et les ouvrages de l'empereur Manuel Paléo
logue, publiée dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et beles-lettres
t. XIX (i853), II, p. 1-201. Voir aussi J. Delaville Le Roulx, la France en Orient ai
XIV' siècle. — Expéditions du maréchal Boucicaut, t. I". Paris, 1886, p. Bjô-SSS.
(2) Andronic avait comploté contre son père Jean V, pendant que celui-ci faisait 1;
guerre aux Hongrois en compagnie d'Amurath. Sur l'ordre du sultan, le basileus aval
fait aveugler son fils avec du vinaigre bouillant; mais l'opération n'avait eu qu'ui
résultat incomplet. Andronic continua à y voir assez pour poursuivre ses intrigues e
jouer plus d'un mauvais tour à son père. C'est ainsi qu'il ne fit aucune démarch'
pour le délivrer des banquiers vénitiens, qui le retinrent prisonnier pour dettes, à soi
retour de Rome (iSôg). Ce fut Manuel qui se montra bon fils en cette occasion. [
(3/ Nommé par son père gouverneur de Thessalonique, Manuel voulut enlever au 1
LE VOYAGE DE L EMPEREUR MANUEL PALÉOLOGUE EN OCCIDENT 323
i la bravoure allier une grande bonté de cœur. Forcé par une dure
lécessité de faire campagne contre ses propres sujets aux côtés du
;ruel Bayezid (i), il garda dans cette humiliation suprême une âme de
oi, et rien n'est touchant et digne à la fois comme les lettres qu'il
icrivit alors à ses amis pour dépeindre son malheureux sort. Sa piété
;tait vive et profonde, témoin ses poésies sacrées et ses homélies, où
1 exhale les sentiments de la plus tendre dévotion envers la Vierge et
es saints.
Que dire des qualités de son esprit? Aucun basileus ne s'est acquis
me plus brillante et plus légitime renommée dans le domaine des
ettres et des sciences sacrées et profanes. Son activité intellectuelle
ient du prodige, quand on songe au milieu de quels soucis et de
juels embarras de toute sorte elle s'est déployée. 11 se plaint souvent
lans ses lettres du peu de temps que lui laissait le tracas des affaires
)our l'étude et la composition. C'était un humaniste par vocation, et
>es écrits sont d'un styliste consommé, bien qu'ils sentent parfois un
)eu trop la rhétorique. Comme controversiste et théologien, il marche
'égal de Justinien (2); comme orateur sacré, il peut disputer la palme
i Léon le Sage; mais là où je le crois sans rival parmi ses collègues,
:'est dans son amour des choses anciennes.
Les Byzantins furent tous un peu archéologues. Ils vécurent surtout
lu passé, et ignorèrent les initiatives fécondes de ceux qu'ils appelaient
dédaigneusement les barbares de l'Occident. Mais ce n'est point de
;ette sorte d'archéologie dont j'entends parler en avançant que Manuel
lima les choses anciennes. Je veux dire qu'il eut vraiment l'étoffe d'un
irchéologue, au sens propre du mot. Archéologue, il le fut d'abord
5ar son nom — Paléologue n'est-il pas, en effet, synonyme d'archéo-
ogue? — 11 le fut dans son style; on le voit éviter avec un soin jaloux
eut néologisme capable d'altérer la pureté de sa prose attique; les
Turcs sont pour lui les Perses dont parle Xénophon; Bayezid est le
.atrape; les Mongols de Tamerlan sont identifiés avec les Scythes,
^ant aux Byzantins, ils restent toujours les PwpLaïot. des anciens
emps. A la bataille de Nicopolis, il n'aperçoit que des Celtes, des
^urcs la ville de Serres; mais, prévenu à temps, Amurath marcha sur Thessalonique
vec une armée formidable. Le jeune prince dut aller demander pardon au sultan à
irousse.
(i) On voit à quelles hontes se pliaient les derniers souverains de Byzance.
(2) Manuel a laissé un long ouvrage de controverse antimusulraane comprenant
ingt-six dialogues, dont deux seulement sont publiés. Cf. Migne, P. G., t. CLVI,
ol. 126-173, et une diatribe en cent cinquante-sept chapitres contre la procession du
aint-Esprit a Pâtre et Filio. Voir plus bas, p. 33 1.
324 ÉCHOS d'orient
Gaulois occidentaux et des Pannoniens. Le nom du maréchal Bouci-
càut, qui lui rendit tant de services, ne saurait trouver place dans somj
vocabulaire; tout au plus consent-il à traduire « maréchal » par aavt,T-
xaAxo;. Cet archéologue rigoriste a pourtant toléré le mot pY.^ (du latin
rex) pour désigner les rois de l'Occident. Pourquoi cette exception?
Parce que le terme de « Bao-iXeuç » était incommunicable et ne pouvait
convenir qu'au seul empereur des 'P(i){AaIot.
Mais vous allez trouver que je plaisante et qu'il n'y a rien, dans ce
purisme exagéré, qui soit digne de cette belle science évocatrice du
passé, dont nous voyons ici de si érudits représentants. Ecoutez plutôt
ces quelques lignes, écrites sous la tente après une longue chevauchée
sur les plateaux d'Asie Mineure, en compagnie des infidèles :
La plaine que nous occupons en ce moment, écrivait Manuel à son
ami et ancien maître, Démétrius Cydonius, devait avoir un nom dans
les temps prospères où elle était foulée par les Romains et obéissait à leur
domination. Mais aujourd'hui, quand j'ai voulu l'apprendre, c'est comme
si j'avais voulu chercher les ailes d'un loup, suivant le proverbe. Aucun
être vivant qui pût me l'enseigner. On voit là beaucoup de villes, mais
elles ne renferment plus ce qui fait la splendeur des cités, et sans quoi
une ville n'en est pas une, je veux dire des hommes. La plupart même
sont renversées, spectacle lamentable pour les descendants des anciens
possesseurs! Et à ces ruines, il ne reste pas même leur nom, parce que
la destruction est déjà ancienne. Et quand je demandais quel nom a
villes avaient porté, ceux qui m'entourent répondaient : « Nous les avori
détruites, et le temps a détruit leur nom. •» Alors je suis saisi de lristesse|
Cependant, je m'afflige en silence, je maîtrise mes émotions. Mais
l'on vient à l'une de ces villes qui ait perdu sa dénomination ancienri
pour en recevoir une étrange et barbare, alors je ne puis retenir me
lamentations et cacher ma douleur (i).
Cette curiosité savante, ces accents pathétiques, cette douleur amèi
en face des ruines des antiques cités ne sont-elles point d'un véritabi
archéologue? Ah! si ce prince avait vécu à notre époque, comme il et
été heureux, Monsieur le Directeur, de favoriser vos savantes entcl
prises! Avec quel empressement il eût entouré de sa protection et d
ses bienfaits une Société toute dévouée à l'amour du passé, et comm-
il eût été fier de compter parmi les membres de votre Institut! Vou
lui auriez donné le signalement de ces villes dont il demandait en vaii
le nom à son entourage, et qui sait si par quelque belle matinée d
(1) Berger de Xivrey, op. cit., p. 56.
LE VOYAGE DE L EMPEREUR MANUEL PALEOLOGUE EN OCCIDENT 325
printemps, prenant le chemin de fer àChalcédoine ou à Chrysopolis, il
ne serait pas venu vous surprendre en Asie Mineure, au milieu de vos
passionnantes recherches, et si, sank penser déchoir de sa dignité, il
n'aurait pas saisi la pioche de ses mains basilicales, pour aider aux
fouilles?
Mais je m'aperçois que l'archéologie me fait oublier mon sujet. Je
dois vous parler du voyage que fit en Occident, à l'aurore du xv^ siècle,
l'empereur dont j'ai essayé de vous esquisser le portrait. Ce voyage
est un fait mémorable dans les annales byzantines. II fut l'une des plus
solennelles et des dernières démarches de I Orient grec auprès de l'Oc-
cident latin, en vue de solliciter son fraternel appui contre un ennemi
commun.
On touchait à la fin de l'année 1399. Bloquée presque sans inter-
ruption depuis huit ans par les troupes de Bayezid, Constantinople
venait enfin de respirer un peu, grâce aux exploits de la petite armée
de braves commandée par le maréchal Boucicaut, que le roi de France
Charles VI, le cœur encore gros des deuils de Nicopolis, avait envoyée
« à son cousin Karmanoli » (1), autrement dit le Seigneur Manuel,
empereur des Romains. Les chevaliers français avaient eu vite fait de
nettoyer d'ennemis les alentours de la capitale et d'approvisionner
celle-ci de vivres. Boucicaut, cependant, ne se faisait pas illusion sur la
portée de ces succès éphémères. Que pouvait-il, sans ressources et
avec une poignée seulement de héros, contre un ennemi tout-puissant
qui venait d'écraser, dans la plaine de Nicopolis, l'armée des croisés
de l'Occident, et qui resserrait tous les jours un peu plus les liens de
fer dans lesquels il espérait étouffer à bref délai la vieille Byzance ago-
nisante? Conscient plus que personne de cette situation désespérée,
l'officier français conseilla à Manuel d'adresser un suprême appel aux
princes de l'Occident en allant plaider lui-même auprès d'eux sa cause,
qui était celle de toute la chrélienté. 11 fut même question d'une renon-
ciation hypothétique de Manuel au trône impérial au profit du roi de
France, qui serait ainsi mis en demeure de défendre contre les Otto-
mans un empire devenu sien (2).
(i) Manuel est appelé Karmanoli {= Kùp MavouiiX) par l'historien de Boucicaut.
L'historien Andréa Gataro le nomme Chiaramomolle. Les chroniqueurs occidentaux
du moyen âge s'entendaient à merveille à déformer les noms propres.
(2) Déjà, en iSgH, Manuel avait offert aux Vénitiens de leur abandonner Constanti-
nople avec les i!es d'Imbros et de Lemnos. La République refusa. Elle avait peur des
représailles de Bayezid. Delaville Le Roulx, op. cit., p. 356-357.
326 ÉCHOS d'orient
Mais qu'allait devenir Constantinople pendant l'absence du basileus
Boucicaut pourvut à tout. Il commença par réconcilier Manuel avec sor
neveu, Jean Vil, fils d'Andronic, qui lui disputait la couronne en s'ap
puyant sur les Turcs. 11 fut convenu que Jean remplacerait son oncle
pendant toute la durée du voyage. Pour lui donner courage, le maré-
chal, qui devait accompagner Manuel avec la plupart de ses chevaliers,
laissa pour la garde de la ville une garnison française de cent hommes
d'armes, de cent valets armés et d'un grand nombre d'arbalétriers,
avec des vivres pour un an et assez d'argent « en mains de bons mar-
chans » (i) pour le payement régulier de la solde. Les Vénitiens et
les Génois, de leur côté, firent preuve d'une bonne volonté dont ils
étaient peu coutumiers, en s'engageant à maintenir huit galères dans
les eaux du Bosphore.
Tout ayant été ainsi sagement disposé. Manuel et Boucicaut quit-
tèrent Constantinople, le 10 décembre 1399, sur des galères vénitiennes.
L'empereur emmenait avec lui l'impératrice Irène, sa femme, et ses
deux jeunes enfants, Jean et Théodore, On fit une première escale en
Morée, où Manuel laissa sa famille à la garde du despote Théodore,
son frère. Puis on cingla vers Venise. La République préparait au basi-
leus une réception magnifique. Elle avait à lui faire oublier les amers
souvenirs de sa visite de 1370, époque où il était venu délivrer son
père, Jean V, honteusement retenu prisonnier pour dettes par les ban
quiers de la cité. A son approche, le doge alla à sa rencontre, monté
sur le Bucentaure. On sait ce qu'était ce monstre : une grande galère
superbement sculptée et dorée, sur laquelle s'embarquait le doge tou$
les ans, le jour de l'Ascension, pour renouveler son mariage avec ta
mer Adriatique. Le Sénat rendit à Manuel les plus grands honneurs
On le logea au palais du marquis de Ferrare, et l'on ne dépensa pai
moins de deux cents ducats pour lui faire fête. 11 put exposer à sort
aise au Grand Conseil la triste situation de son empire. On l'écoutj
avec beaucoup de sympathie, et on lui fit les plus belles promesses^
Ravi de tant d'amabilité, l'auguste voyageur se dirigea sur Padouej
François de Carrare, seigneur de la cité, envoya deux de ses fils à
rencontre avec une brillante escorte. On entra par la porte de Toui
les-Saints, à une heure du matin, à la lumière des torches et au son
des fanfares. Un souper de gala suivit. A Vicence ce fut même réce
tion. A Pavie, le duc de Milan, Jean Galéas Visconti, alors au faîte
sa puissance et plein de grandioses projets — il ne rêvait rien moi
(1) Le Livre des faits, p. i, ch. xxxiii.
LE VOYAGE DE L EMPEREUR MANUEL PALEOLOGUE EN OCCIDENT 327
<]ue de faire l'unité italienne à son profit, — se montra encore plus
magnifique. A la promesse solennelle de venir en personne au secours
de l'empire grec, il joignit de superbes présents et procura à Manuel
escorte et chevaux pour passer en France.
La France! c'était surtout en elle que Manuel plaçait son espoir.
N'était-ce point de là que lui étaient venus, après le désastre de Nico-
polis (i), les premiers secours d'argent et la vaillante troupe de Bou-
cicaut, qui avait conjuré pour quelque temps la ruine finale et lui avait
permis d'entreprendre son voyage? Aussi, comme le basileus avait hâte
de voir le p-f^l des Gaulois, dont le cœur était si généreux et qui l'appe-
lait gentiment son cousin !
De son côté, Charles VI n'était pas moins désireux de s'entretenir
avec l'héritier infortuné des anciens maîtres du monde. 11 considérait
comme un grand honneur d'être visité par cet empereur d'Orient dont
le prestige, malgré les tristes réalités du présent, n'était pas encore
€ffacé dans l'esprit des peuples. Tout fut mis en œuvre pour recevoir
dignement le basileus.
Arrivé à la frontière de France, Manuel trouva une escorte de che-
valiers et d'écuyers, qui avaient ordre de le conduire jusqu'à Paris, et
de veiller à ce qu'il fût traité avec les plus grands honneurs partout où
il passerait.
Le 3 juin 1400, vers 9 heures du matin, l'empereur arriva au pont de
Charenton, où il fut salué d'abord par deux mille bourgeois à cheval,
qui étaient venus de Paris à sa rencontre, et qui étaient rangés dans un
bel ordre des deux côtés de la route. Après s'être avancé environ la
portée d'une flèche, il trouva le chancelier de France et toutes les
Chambres du Parlement, accompagnés de cinq cents officiers de leur
suite. Tous firent la révérence à l'empereur en s'inclinant devant lui.
Continuant sa marche, il rencontra successivement les trois cardinaux
qui se trouvaient alors à Paris; après les avoir un peu dépassés, il aperçut
le roi qui, entouré d'une multitude de ducs, de comtes et de barons,
s'avançait au-devant de lui au son des trompettes et de toutes sortes
d'instruments. Le roi ôta son chaperon, et aussitôt l'empereur, dont le
costume oriental n'admettait pas ce genre de coiffure, alors seul autorisé
en France par la mode, ôta son bonnet impérial, comme dit le moine
(chroniqueur) de Saint-Denys. Les deux princes cherchèrent à se prévenir,
s'adressèrent à la fois une salutation, chacun en sa langue, se donnèrent
le baiser de paix et s'embrassèrent. Le roi s'attacha à accompagner ces
(i) En 1897, Manuel avait envoyé une ambassade à Charles VI, qui avait répondu
rovaleraent.
328 ÉCHOS d'orient
démonstrations d'un air riant et gracieux que chacun remarquait sur son
visage (i).
Bien que Manuel n'eût alors que cinquante ans, il paraissait beaucoup
plus vieux avec sa longue barbe couleur de neige, il était revêtu d'un
habit impérial en soie blanche, et ce fut un cheval blanc que lui fit
offrir Charles VI, honneur souverain que Charles V avait refusé à
l'empereur d'Allemagne. Lestement et sans toucher terre, le basileus
sauta du cheval qu'il montait sur celui qu'on lui présentait. Toutes ces
blancheurs, cette agilité surprenante, l'air d'affabilité et de bénignité
répandu sur son visage, son attitude pleine d'une majesté sereine con-
quirent à Manuel la sympathie, l'amour et bientôt l'enthousiasme des
Parisiens, qui furent toujours gens au cœur bon, à l'émotion facile, très
curieux aussi, examinant leurs hôtes de pied en cap. L'Anonyme de
Saint-Denys traduit l'impression générale dans cette phrase savou-
reuse : « Tous ceux qui ont vu l'empereur, dit-il, ont été frappés de
sa bonne mine et l'ont jugé digne de l'empire. » (2)
Monté sur son cheval blanc, Manuel fit son entrée solennelle à Paris,
aux côtés du roi, suivi des princes du sang et d'une foule enthousiaste.
Après un banquet somptueux au palais, on le conduisit au Louvre où
son logement avait été préparé. « Et estoit l'hostel, dit juvénal des
Ursins, très bien habillé et paré. » (3) Parmi les ornements qui déco- !*
raient ses appartements, l'artiste délicat qu'était le souverain byzantin
remarqua une tapisserie représentant le printemps (4). 11 la décrit lon-
guement dans une des pages les plus finement ciselées qu'il nous ait
laissées.
Charles VI et sa cour entourèrent le basileus des pius délicates
attentions, et le comblèrent d'honneurs et de présents. Depuis huit
ans, le roi de France était sujet à des accès de folie qui revenaient
périodiquement. Par un heureux hasard, il eut, à l'arrivée de Manuel,
un long intervalle lucide. 11 s'ingénia à rendre à son hôte le séjour de
Paris aussi agréable que possible. Tantôt, pour lui complaire, il visitait
avec lui les églises et les monastères de la capitale; tantôt il l'invitait
à une partie de chasse. Il avait avec lui de fréquents entretiens par inter-
prète, soit en particulier, soit en Conseil. On parlait de la croisade
future et de la revanche à prendre sur les vainqueurs de Nicopolis.
Le 24 juin 1400, fut célébré le mariage d'un prince du sang, Louis de
(i| Berger de Xivrey, p. 99-100.
(2) P. I, ch. XXXV.
(3) Op. cit., ip. 143 de l'édition de 1643.
{4) "Eapoç bIy.ù>^ êv ûyavrôi TrapaTieTao-fiaTt p-^Ytxw. Berger de Xivrey, p. 101.
I.H VOYAGE DE l'eMPEREUR MANUEL PALÉOLOGUE EN OCCIDENT 329
ourbon, avec la princesse Marie, fille du duc de Berry. L'empereur
rit part à la fête. Au dîner, qui fut servi au Palais Royal sur une table
n fer à cheval, couverte d'un riche tissu de fleurs de lis d'or, on le
laça entre le roi et le cardinal légat, qui avait dit la messe du mariage ( i ).
Charmé de tant de courtoisie et reconnaissant des dons généreux
u'il recevait, Manuel écrivait à son ami Chrysoloras :
Enfin, nous sommes en France, et noire main court d'elle-même, s'ef-
)rçant de t'écrire ce qu'il faudrait pouvoir exposer de vive voix; car cela
épasse de beaucoup les limites d'une lettre. Nombreux sont les dons
ue le glorieux roi nous a accordés, nombreux aussi ceux que nous avons
btenus de ses parents, des dignitaires de sa cour et de tout le monde,
s ont montré la noblesse de leur âme, leur affection pour nous et leur
ble solide pour la foi. Bref, si la jalousie habituelle de la mauvaise for-
me ne nous envoie pas quelque coup imprévu, nous avons bon espoir
2 retourner bientôt dans notre patrie, comme tu le souhaites et comme
os ennemis le redoutent (2).
Cependant, la joyeuse cour de France ne tarda pas à être plongée
ans la tristesse par la maladie du roi. qui retomba en démence,
lanuel, dont le cœur était bon et compatissant, prit sa part de ce
lalheur. En attendant des jours meilleurs, il songea à poursuivre son
3yage jusqu'en Angleterre. Ce fut au début de décembre 1400 qu'il
aversa la Manche par un temps affreux. 11 se rendit d'abord à Can-
)rbéry, où les moines Augustins lui firent un accueil digne de son
ng. Son entrevue avec le roi d'Angleterre, Henri IV, ci-devant duc
; Lancastre, eut lieu le jour de Saint-Thomas, 21 ou 29 décembre (3),
j Blakheth, près de Londres. Le monarque anglais, qui venait de
îtrôner son cousin, Richard II, et de faire reconnaître son usurpation
ir le Parlement, tint à montrer à l'empereur d'Orient qu'il n'était
)int un vulgaire parvenu, et déploya, pour le recevoir, un faste inouï,
ches présents et belles promesses furent prodigués à Manuel, qui
rivit à son fidèle Chrysoloras :
Le prince auprès duquel nous nous trouvons maintenant, le roi de la
■ande-Bretagne, cette contrée qu'on pourrait appeler un autre monde,
iîince inondé de biens, orné de mille qualités , a suivi son instinct
Uurel en devenant pour nous un port après une double tempête : de
i) L'Anonyme de Saint-Denys, L XXI, cli. 11.
2) Berger de Xivrey, p. io2-io3.
3) La fête de saint Thomas, apôtre, tombe le 21 décembre, et celle de saint Thomas
|Caniorbéry le 29. On a à choisir entre les deux dates.
330 ÉCHOS D ORIENT
la nature et de la fortune. Sa conversation est pleine de charmes ; il noui
réjouit de toutes les manières, nous honore et nous aime également....
Il nous accorde un secours en hommes d'armes, en archers, en argent e
en vaisseaux, qui transporteront l'armée où besoin sera (i).
C'est sur ces assurances consolantes que l'empereur repassa h
détroit pour rentrer à Paris, dans les derniers jours de février 1401
Charles VI, qui était revenu à la santé, l'invita à assister à un offio
solennel qui se célébrait à l'abbaye de Saint-Denys, pour la fête de 1.
Dédicace. Cette conduite du roi de France à l'égard d'un prince étrange
au catholicisme scandalisa certains esprits étroits, mais d'autres viren
dans cette tolérance le meilleur moyen de faciliter l'union des Eglises
Manuel, du reste, n'était pas privé des offices de son rite. 11 ava^
emmené avec lui des prêtres byzantins qui célébraient en grande pomp
la liturgie orientale. Les Parisiens purent jouir du spectacle de ce
cérémonies inaccoutumées. La messe grecque fut très courue : « Fa
soyent les Grégeois, dit Juvénal des Ursins, le service de Dieu su
vant leurs manières et cérémonies, qui sont bien estranges, et le
alloit voir qui vouloit. » (2)
Cependant Manuel ne tarda pas à s'apercevoir que les espérance
qu'il avait fondées sur l'assistance des princes occidentaux étaient fr
giles. Des promesses, on lui en avait fait partout, et de magnifiques
des présents, on l'en avait comblé; quant à organiser une grande crc
sade contre les infidèles, personne n'y songeait sérieusement. Le r
d'Angleterre, une fois le basileus parti, oublia tous ses engagemen
A la cour de France, les ducs d'Orléans et de Bourgogne se disputaii
le pouvoir, que Charles VI était incapable d'exercer, et se préparai!
aux luttes fratricides qui devaient faire tant de mal au royaume. L'e
pereur byzantin attendit vainement à Paris, pendant deux ans,
secours qu'on lui avait promis, c'est-à-dire douze cents combattaa
entretenus, un an durant, aux frais de Charles VI et commandés p
Boucicaut, et une pension annuelle de quatorze mille écus.
Pour occuper ses loisirs. Manuel se souvint alors qu'il était théc
gien. 11 prêta l'oreille aux disputes d'école qui s'agitaient en Sorboné
La question du jour ardemment débattue entre Dominicains et Fra
ciscains était l'Immaculée Conception de la Vierge. Comme en témoig
une de ses homélies pour la fête de la Dormition (3), le basileus
rangea du côté des Franciscains, défenseurs du privilège de la Mè
(i) MiGNE, P. G., t. CLVI, col. 581-582.
(2) Op. cit., p. 143.
(3) P. G., t. cit., col. 91-108.
LE VOYAGE DE L EMPEREUR MANUEL PALEOLOGUE EN OCCIDENT 3^1
le Dieu. En même temps, un docteur parisien lui ayant présenté une
;ourte dissertation sur la procession du Saint-Esprit, du Père et du
Mis, il réfuta cet écrit dans un long ouvrage encore inédit, qui ne
;ompte pas moins de cent cinquante-sept chapitres (i). Il y attaque
iussi la primauté romaine, ce qui, vraiment, n'était ni opportun ni
lélicat. L'empire byzantin, en effet, ne comptait pas d'ami plus sincère
t plus dévoué que le pape BonifacelX, qui, par un Bref du i«'- avril 1398,
ivait fait prêcher la croisade dans toute la chrétienté, accordant des
ndulgences à tous ceux qui prendraient les armes en faveur des Grecs
lu viendraient à leur secours par des aumônes (2). L'année suivante,
1 avait renouvelé ses pressants appels auprès des fidèles.
Notre théologien se serait sans doute attardé plus longtemps à Paris
n parcourant tout le cycle de ia polémique antilatine, si une nou-
elle tout à fait extraordinaire ne lui était parvenue d'Orient, le
er novembre 1402. Pendant qu'il était en train d'argumenter contre
e Filioque dans la capitale de la France, de graves événements s'étaient
léroulés en Asie Mineure. Dès l'année 1400, une hostilité féroce avait
daté entre le sultan des Turcs, Bayezid, et le khan des Mongols,
jmour-Lenk ou Tamerlan. Les deux adversaires avaient fini par se
encontrer, le 20 juillet 1402, dans la plaine d'Angora. Les Turcs
valent été taillés en pièce et Bayezid fait prisonnier. Voilà l'incroyable
louvelle que Manuel apprit, trois mois et demi après l'événement,
le la bouche de captifs chrétiens délivrés des chaînes des Turcs par
e vainqueur. On devine quel fut son bonheur. Sans retard, il se pré-
)ara à rentrer dans ses Etats. 11 quitta Paris, le 21 novembre 1402,
près avoir été comblé de riches présents par le roi de France, qui lui
[ssigna en outre une pension annuelle de quatorze m lie écus sur son
tésor, et lui donna pour escorte deux cents hommes d'armes, com-
nandés par le seigneur de Châteaumorand, revenu récemment de
^onstantinople à Paris.
La cour de France était heureuse de se tirer à si bon compte des
nciennes promesses. Les princes italiens, que Manuel revit, crurent
ussi que Tamerlan les avait délivrés de leurs engagements, et pensèrent
tre quittes envers le basileus en l'accablant de félicitations pour l'heu-
(i) Allatius, De Ecclesiœ occidentalis atque orientalis perpétua consensione.
ologne, 1648, p. 854.
2) Le Pape commençait sa lettre par ces paroles : Nuper ex corde compassi illustri
ïrincipi Emmanueli Palœlogo, imperatori constantinopolitano ejusque subditis,
^li, etsi non in plena obedientia et devotione nostra ac sinceritate fidei et unitate
mciœ Romance Ecclesiœ persistent, invocant tamtn salutiferum Chrisli nomen.
'«RHNius, Annales ad ann. iSgS.)
3 32 ECHOS D ORIENT
reux événement qui hâtait son retour, et en lui accordant quelques écu:
et quelques galères. A Gênes, où il arriva le 22 janvier 1403, le mare
chai Boucicaut, gouverneur de la ville (i), le fit recevoir sous un dai:
de brocart, porté par des citoyens habillés d'écarlate, qui le conduisiren
au couvent des Dominicains, où il prit logement. Le 3 1 janvier, un ba
splendide fut donné en son honneur, au palais du gouvernement. Er
même temps, on préparait trois galères à destination du Bosphore
Venise se montra aussi généreuse et lui accorda également troi:
galères (2). C'est avec cette petite escadre qu'il regagna Constantinople
en passant par la Morée, où il retrouva, après plus de trois ans d'ab-
sence, l'impératrice Irène et ses entants.
Quelques galères, de riches présents, d'agréables souvenirs, voili
tout ce que rapportait Manuel de son long voyage d'Occident. C'étai
peu sans doute, mais Tamerlan avait fourni le magnifique supplémen
qui allait assurer à la vieille Byzance encore cinquante ans d'existence
M. JUGIE.
Constantinople. !
(i) Gênes s'était donnée à la France en 1896.
(2) Ce nombre fut bientôt porté à quatre de part et d'autre.
11
,A FRANC-MACONNERIE
)
ET L'ÉGLISE GRECQUE
C'est au xviiie siècle que, du moins sous sa forme moderne, la franc-
laçonnerie prit en Occident un développement sérieux ; dès 1738, elle
jt frappée de condamnation par le pape Clément XII, condamnation
enouvelée en 175 1 par Benoît XIV, et si souvent depuis par les suc-
esseurs de ces Pontifes. Vers la même époque, la secte faisait son appa-
ition en Orient, où l'orthodoxie, d'accord pour une fois avec l'Eglise
omaine, ne lui ménageait pas un très tendre accueil.
Nous sommes renseignés là-dessus par deux documents contempo-
ains. Le premier est un curieux passage du B'IêÀo; [BaTiAs'.wv de
ionstantin Dapontès.
Constantin avait succédé en 1739 à son père comme consul d'Angle-
erre pour l'île de Scopelos et ses dépendances. En relations ordinaires
vec les négociants anglais, il se fit sans doute renseigner par eux sur
i franc-maçonnerie. Aussi a-t-il pu, au VI* livre du poème susmen-
ionné, ajouter une longue note sur 1' « hérésie des crépisseurs ou
'ancs-maçons » xoviaTwv riyo-jv twv ©appiao-ovwwv; il y décrit par le détail
i réception d'un nouveau membre, puis ajoute (1):
La Société fut dénoncée à la Grande Eglise sous le patriarcat de Païsios,
ar Néophyte, métropolite de Smyrne, les crépisseurs ayant envahi cette
ille. Néophyte prononça contre eux plusieurs discours et lança de ter-
ibles anathèmes contre ceux qui les fréquenteraient, leur Société secrète
l'étant qu'une démonolâtrie. De Smyrne, les crépisseurs passèrent à
lonstantinople, à Galata, où ils firent quelques adeptes, mais d'où ils
irent expulsés par les autorités..... C'est en 1747 que ces crépisseurs
étaient établis à Smyrne.
D'un autre côté, M. Gédéon (2) nous dit avoir lu dans un manuscrit
u mont Athos, qu'en 1744 ou 1745, la Grande Eglise ayant appris la
(i) Constantin Dapontès, Blëloç PaaO.e.oiv, 1. VI, cité par Alexandre de Lavra,
otxO.7) tiTTopta, dans N£o).6you éêôoix'.aïa â7Ti9cwpr,at;, t. II, p. 1008. Sous ce titre, plu-
ears morceaux inédits de Dapontès, Sur Dapontès, voir la notice d'E. Legrand,
i^hémérides Daces. Paris, 1898, t. III, p. ix-lxxxiv, le prologue de Gabriel Sophocles,
ins son édition du Kf^noz x^P'^^'''^ "^c Dapontès. Athènes, 1880; l'article Dapontès,
tr M" L. Petit, dans Vacant-Mangenot, Dictionnaire de théologie catholique,
• V, col. 140.
(2) M. Gédéon, ITaTpcapxtxof uivaxeç. Constantinople, 1887, p. 641.
334
ECHOS D ORIENT
fondation d'une Loge à Galata, une lettre synodale condamna la Société
secrète. Dans un article sur l'Église et la science au xyiif siècle (i), il
est plus explicite :
En 1744 fut établie à Galata de Constantinople la première Loge de
francs-maçons, que Césaire Dapontès, qui nous a laissé sur eux quelques
renseignements dans un manuscrit inédit, appelle crépisseurs Les
membres de cette Loge, ayant attiré l'attention de la Grande Eglise, furent
condamnés par le patriarche Païsios, ancien métropolite de Nicomédie.
Des lettres patriarcales à leur sujet furent envoyées de tous côtés; aucune
n'est parvenue à notre connaissance.
La lettre ou les lettres de Païsios, si elles furent écrites, comme c'es
probable, ne durent l'être que dans les premiers mois de 1748, qui es
la dernière année du troisième patriarcat de Païsios IL
Le document que nous allons donner plus bas confirme, en effet, l
données de Dapontès. C'est une lettre (2) du comte des Alleurs(3;
ambassadeur de Louis XV à Constantinople, au marquis de Puyzieulx
Nous le transcrivons en entier :
Constantinople, le 24 novembre 1748.
Monsieur, je dois vous rendre compte d'une chose assez particulier
qui s'est passée au sujet des francs-maçons. Plusieurs négociants angla
de cet Ordre avaient tâché d'engager d'autres négociants français à prendr
part dans cette confrérie, et je crois qu'ils y étaient parvenus. L'assemble
générale se tenait à Péra, dans la maison d'un drogman d'Angleterre
M. l'archevêque de Carthage (4) et l'abbé Barrestrelly (5), vicaire d
Smyrne, sont venus me prier d'arrêter le cours de ces assemblées, défer
dues par une Bulle du Pape, qui excommunia les francs-maçons. II m
demanda mon sentiment sur ce qu'il devait faire en conséquence d(
ordres rigoureux qu'il avait de la cour de Rome à cet égard. Je lui dis qi
je parlerais au député de la nation française, auquel j'ordonnerais d'inte
dire toute assemblée de cette espèce; qu'au surplus, je ne lui conseilla
pas de faire un si grand éclat, à cause des Anglais et des Hollandais, qi
(i) Dans 'ExxXYiortaffTtviri àX-^ôeta, t. VIII, 1887, p. 283.
(2) A. RabbatHj Documents inédits pour servir à l'histoire du christianisme '
Orient. Paris, 1907, t. I", p. i34-i36.
(3) Roland Puchot, comte des Alleurs, ambassadeur de 1747 à 1754.
(4) Jérôme Bona, de Raguse, du clergé séculier, d'abord évêque de Marciana
Trébigne, puis archevêque de Carthage in partibus et vicaire apostolique à Consta
tinople de 1731 à 1750. A. Belin, Histoire de la latinité de Constantinople, 2° éd
Paris, 1894, P- 357. I
(5) Jean-Baptiste Barrestrelly, de Constantinople, plus tard évêque de Chio, et de \'i\
à 1777 vicaire apostolique à Constantinople. A. Belin, op. cit., p. SSg.
LA FRANC-MAÇONNERIE ET L ÉGLISE GRECQUE ))fy
raient peu intimidés par la Bulle et qui s'acharneraient, au contraire,
chercher des prosélytes.
A peu près dans le même temps est arrivé ici le S"" de Balone, dont je
îis que les affaires en France ne sont pas bonnes, et qui s'est flatté de
)uver des ressources à Constantinople pour les rétablir. Ne sachant où
yQT à Péra, la maison du drogman d'Angleterre étant vide, on lui a offert
1 logement dans cette maison, qu'il a accepté. Sur ces entrefaites, les
oines catholiques, les prêtres grecs et arméniens se sont réunis pour
ertir les Turcs de ce qui se passait. Les premiers ont fait accroire aux
ircs que les francs-maçons étaient sorciers, les autres prêtres schisma-
[ues, que c'était un moyen nouveau de faire des conversions et de
baucher les Grecs et même des Turcs.
Le réis effendi me fit dire, il y a quelques jours, qu'il était surpris de
:te innovation; que nos capitulations, très bien observées, autorisaient
>ez d'églises dans les Etats du Grand Seigneur pour ne devoir pas cher-
er à les multiplier; qu'il y avait ici une assemblée de francs-maçons
i tendaient à ce but et qui, sous prétexte de faire des francs-maçons,
nnaient trente écus à ceux qui voulaient se faire recevoir et les enga-
aient ensuite à se faire chrétiens. Je m'informai des faits, qui se trou-
rent tous faux. Mais ce qui a donné lieu à cela, le voici :
Les Grecs schismatiques ont gagné plusieurs personnes de leur secte et
s Juifs pour aller se présenter à cette maison. Plusieurs ont parlé au
de Balone, auquel ils ont proposé de se faire recevoir. 11 leur a répondu,
:e qu'il m'a dit, qu'il ne savait ce qu'on lui demandait. Instruit de ces
oses, j'ai fait répondre au réis effendi qu'il y avait en effet ici une Société
francs-maçons anglais et français, dont le but était l'amusement; qu'ils
se mêlaient ni de politique ni de religion, et que j'avais défendu toute
semblée de cette espèce.
Le réis effendi me fit redire, peu de jours après, qu'un Français logeant
ns cette maison de Péra était sorcier, à ce qu'on disait, et qu'il serait
)ropos que je le fisse partir pour la France. Je lui fis dire que je ne con-
issais aucun Français sorcier; que celui qu'il m'indiquait était venu en
irquie par curiosité; que, l'ayant satisfaite, il était parti. En effet, dès
première insinuation du réis effendi, j'avais cherché le S' de Balone,
quel j'avais signifié qu'il devait partir sur-le-champ, et, n'ayant pas
is la main de bâtiment tout prêt, je l'ai mis en sûreté jusqu'à jeudi,
||il doit partir soit pour la France, soit pour l'Italie. Il m'a paru assez
ijlécis à cet égard. Quoique cela ne soit qu'une pure bagatelle, je n'ai
u voulu qu'elle parvînt peut-être à vous dans les nouvelles publiques
*ts d'autres couleurs que celles de la vérité. Vous y verrez, je crois, avec
[ilquQ plaisir, et la façon dont les gens d'église savent se défaire de ce
1 leur blesse les yeux, et jusqu'où l'ignorance des Turcs peut porter la
'l)erstition, la crainte et la crédulité, puisque la chose a été au point
j)6 ÉCHOS d'orient
de leur faire appréhender qu'on n'eût dessein de détrôner le Grand Sei-
gneur par le moyen des sortilèges.
Leréis effendi m'a cependant fait dire qu'il ne croyait pas aux sorciers
mais que, dans un pays où la populace était aussi susceptible que dam
celui-ci, on ne devait y rien souffrir qui pût lui donner de l'ombrage
ou fournir des prétextes au moindre mouvement.
P.-S. — J'ai écrit au S"" Peyssonnet, consul à Smyrne, ayant appris
qu'il y avait une Loge de francs-maçons dans cette échelle, d'empèchei
que les négociants français, s'il y en a qui soient de cet Ordre, n'assisten
aux assemblées (i).
Bien entendu, nous laissons au signataire de cette lettre la respon
sabilité des opinions qu'il émet sur la maçonnerie et de ses affirmation
au sujet des missionnaires catholiques.
Nous trouvons encore au xviii^ siècle d'autres témoignages de Ij
répulsion que manifesta l'orthodoxie pour la pernicieuse Société secrète'
C'est d'abord un sermon sur la Nativité de la Sainte Vierge, prononc'
par Ephrem l'Athénien (2), alors directeur d'école et prédicateur
Chypre, mort en 1771 patriarche de Jérusalem. A propos de l'imm
culée Conception de Marie, Ephrem s'attaque aux latins, puis à un lati
soit personnage réel, soit représentant là tous ses coreligionnaires
Notre fougueux orateur se demande si ce maudit latin n'est pas « u
rejeton de la nouvelle foi infidèle des francs-maçons », qu'il appel
œappLacrovaç.
Cette nouvelle foi infidèle, dit-il, a pour fondement l'indépendance, •
n'a de dogme que son caprice. Aussi admet-elle Juifs, Turcs, calviniste
Arméniens, latins, les athées eux-mêmes. Bien que, par peur, ces franc
maçons ne parlent ni contre les rois ni contre la religion, cependant i
n'acquiescent pas à l'autorité, ne reçoivent pas l'Eglise, ne croient p;
à l'Ecriture, qui sont des obstacles à leur indépendance, et dont les lo
répriment leur volonté. La profondeur de leur méchanceté reste caché
parce que leur impie religion de bienfaisance ÈTttxoûptoç Trianç, gardi
comme un grand secret, est ignorée des autres et même de la plupa
d'entre eux, un petit nombre seulement connaissant à fond leur scélér
tesse. Leur immense multitude a pourtant couvert tout l'Occident, 1
gens se laissant pour la plupart attirer par la curiosihé (3).
(i) Rabbath, op. et loc. cit.
'(2) Sur ce personnage, voir C. Sathas, NeoeXXyivixr, çiXoXoyta. Athènes, iS
p. 507-5 10.
(3) EOaYYEXtx-r, ailnijl. Leipzig, 1765, p. 378. ^
LA FRANC-MAÇONNERIE ET l'ÉGLISE GRECQUE
^ ••/
Ephrem, on le voit, était bien au courant de l'esprit et des manœuvres
la Société. Peut-être qu'à Chypre comme à Smyrne il existait quelque
ge maçonnique.
Les francs-maçons, en effet, continuaient leur propagande. Ils ren-
ntrèrent un autre adversaire en la personne de Néophyte, moine du
nsokalvbite, au mont Athos, grammairien et polémiste, qui vécut
igtemps en Valachie et mourut à Bucarest vers 1780 (i). Zaviras
[nale de lui (2) un ouvrage IIspl Ttôv AsYoaévtov '^payxaawôvwv, qu'il
vu en manuscrit chez Gabriel Kallonas, mort en 1755 curé d'un
lage de Macédoine. C'était un dialogue entre un chrétien et un philo-
'be ou déiste, c'est-à-dire franc-maçon.
Relevons enfin la lettre synodique de novembre 1793, où Néophyte VII
ndamne sévèrement les erreurs philosophiques de Christodoulos
stathion (3). Avant de le nommer, l'Encyclique dresse une longue
te, très incomplète d'ailleurs, d'anciennes hérésies, et y ajoute pour
poque présente « ces organes de parfaite impiété et d'athéisme, les
)ltaire, les francs-maçons, les Rousseau et les Spinoza », tojç BoATai-
)^ )i"oacV y.yX <I>pavxuaJ^ôva; xal 'Poto'j; xal S-ivôÇa^ (4).
La phrase est curieuse, et on pourrait au premier abord croire que
patriarche a pris le titre de franc-maçon pour un nom propre. Mais
is aucun doute francs-maçons et déistes sont pour lui, comme tout
l'heure pour Néophyte, des expressions synonymes. C'est de nos
jrs seulement que la franc-maçonnerie, au moins dans certains pays,
ejeté le masque du déisme pour se proclamer hostile à toute idée
ligieuse.
•Quelle est aujourd'hui la situation de la franc-maçonnerie en Orient?
jst difficile de s'en rendre compte, faute de documents. Il existe deux
1 trois Loges à Constantinople dans le quartier de Péra, bien fré-
i^ntées maintenant, depuis l'installation du régime jeune-turc. A l'une
|lles appartenait autrefois le métropolite grec Ambroise de Césarée,
rs curé de Saint-Nicolas de Djoubali. On trouve des Loges dans les
ncipales villes de l'empire ottoman, de l'Egypte et des Etats balka-
iues. Il a déjà été enregistré dans cette revue le reproche que les
aires de M^' Cyrille, métropolite de Kition, maintenant arche-
Sathas, op. cit., p. 5io-5i2.
Zaviras, Néa 'E/.Aa;. Athènes, 1872, p. 485.
. GÉDÉON, Kavovixai ô:a.-iU'-i- Constantinople, 1888, t. 1% p. 273-291.
Gédéon, ibid., p. 281.
hos d'Orient, t. XV.
338 ÉCHOS d'orient
vêque de Chypre, adressaient à ce prélat de faire partie de la franc-
maçonnerie (i).
Mais c'est dans le royaume de Grèce, semble-t-il, que la Société a
fait le plus de progrès pendant la seconde moitié du dernier siècle (2).
Nous allons passer en revue quelques documents venus à notre connais-
sance, en suivant autant que possible l'ordre chronologique. A mesure
que d'autres renseignements nous arriveront, nous nous réservons d'en
informer plus tard nos lecteurs.
Le premier document émane d'un homme que ses coreligionnaires
regardaient volontiers comme un puits de science, feu Denys Latas,
archevêque de Zante. Après comme avant son élévation à l'épiscopat,
Denys Latas dirigeait à Athènes une revue, la S-.wv, où il résolvait de
son mieux les questions, parfois bien bizarres, que lui posaient ses lec-
teurs sur toute espèce de sujets. Or, un jour on lui demanda de Corfou
son avis sur la franc-maçonnerie. Voici, fidèlement résumée, sa réponse
du 5 décembre 1884 (3).
Le prélat avoue d'abord qu'il ne s'est jamais occupé spécialemen)
de la franc-maçonnerie. Cependant, en Allemagne, en Angleterre, er
France, en Grèce, il a connu de nombreux francs-maçons, s'est entre
tenu longuement avec eux et les a entendus affirmer qu'ils poursui
valent un but unique: le bien. 11 leur a toujours objecté que l'Eglisi
fondée par Jésus-Christ en avait reçu une mission identique et qu'ell
suffit à la remplir, mais n'a aucun motif de s'inscrire en faux contr
leur affirmation.
Parfois il leur a reproché le mystère dont ils s'entourent. On k
a répliqué que les principes, le but, les membres de la Société soi
connus; que le secret maçonnique concerne seulement les signes ci
reconnaissance entre maçons, et a pour objet de produire sur eux un
plus profonde impression; que les coutumes et les rites de la maçor
nerie n'ont rien qui puisse inquiéter l'Etat ou la société.
Enfin, il a fait observer à des francs-maçons que l'opinion commune
surtout en Orient, les considère comme hostiles à la religion et part
culièrement au christianisme. Ces maçons lui ont répondu qu'ils che
chaient seulement à éclairer les hommes et à combattre la superstitioi
mais qu'ils n'attaquaient aucune religion, à plus forte raison la religicl
(i) Voir Echos d'Orient, t. V, 1901-1902, p. 397, et t. XI, 1908, p. 344.
(2) Au dire de certains journaux grecs et de quelques francs-maçons, l'Hétairie <
travailla à l'indépendance hellénique de 1821 n'était autre qu'une Métairie maç(
nique. (D'après l'Aîtov du i" août 1887, cité dans la Siwv, 7* année, n'Sig.)
(3) Dans Sswv, -t" année, n° 189.
LA FRANC-MAÇONNERIE ET L EGLISE GRECQUE 339
irétienne, et que dans aucune de leurs réunions, sur aucun point du
obe, on ne s'occupait de questions religieuses.
Comme conclusion, Latas répète qu'il ne sait rien de positif et d'as-
jré sur la maçonnerie; qu'il a beaucoup lu et entendu pour et contre
le; que, par suite, il ne peut en dire ni bien ni mal.
Le prélat ne devait pas garder longtemps cette réserve à l'égard de
franc-maçonnerie. Un de ses prêtres, qui depuis vingt ans déjà
cerçait le ministère paroissial, s'était fait recevoir à la Loge et avait
rêté le serment maçonnique. Devant ce scandale, il dut parler, et il le
t avec énergie dans plusieurs articles de la Siwv et dans une homélie
rêchée à son peuple, le lo mai 1887. Nous résumons ces documents.
M-' Latas dit avoir trouvé à Zante, lorsqu'il prit possession de son
ège, plusieurs Loges et bon nombre de francs-maçons. Jamais il ne
était informé ni de la doctrine ni des principes de la maçonnerie;
'abord l'on aurait pu croire qu'il faisait cela par esprit de parti, et, en
îcond lieu, quelques maçons étaient de ses amis, et, par délicatesse
e sentiment, pour éviter des discussions, il ne leur avait jamais demandé
;urs principes et le but poursuivi par eux. Pour lui, il croyait ferme-
ment que le christianisme contenait ce qu'il y avait de plus parfait; que
Evangile était le code le plus excellent de la vie humaine et que, par
onséquent, toute autre Société, quels que soient son code et ses prin-
ipes, lui sera toujours inférieure et ne pourra être prise en considéra-
on par celui qui suit les préceptes de l'Evangile.
Mais qu'un prêtre devienne maçon, c'est là une injure pour le clergé,
n scandale pour le peuple. De plus, que ce prêtre et d'autres maçons
ffirment que des membres officiels du clergé et du synode aient prêté
! serment maçonnique, voilà qui n'est pas soutenable, et ce à quoi
eut répondre Ms»" Latas.
Nous verrons, dit-il, d'après les documents et les paroles des francs-
laçons eux-mêmes, si oui ou non leurs principes s'accordent ou
opposent à ceux du christianisme. De plus, nous examinerons si un
rêtre qui a juré d'être le ministre de l'Evangile peut s'affilier à une
oge et obéir à son chef (i).
Cet examen fut fait dans une homélie prêchée dans la métropole de
ante, le 10 mai 1887 (2). Certains journaux avaient pris la défense
Li prêtre maçon, et le prélat leur prouve qu'un prêtre ne peut d'aucune
çon appartenir à la franc-maçonnerie, être à la fois ange de lumière
^ oir S'.wv, 7* année, n" ?o8.
Ibid., n» 3ii.
340
ECHOS D ORIENT
et. ange de ténèbres, assumer des devoirs occultes et mystérieux avec
un ministère bien évident et bien fixé. Le prêtre, autant que faire se
peut, doit être allégé des soucis du monde et même de ceux de la
famille, afin de remplir avec dignité son ministère sacré, selon le ser-
ment qu'il en a fait au jour de son ordination. C'est pourquoi l'Eglise
latine impose le célibat à ses prêtres, et elle a grandement raison. Mais
devenir l'affilié de la maçonnerie, faire le serment d'obéir au chef maçon,
c'est aller contre l'Evangile. Celui qui pour toujours a accepté le joug
du Christ ne peut s'imposer celui de la maçonnerie. Non, au grand
jamais, conclut Latas, un prêtre ne doit entrer dans une Loge, un prêtre
ne doit devenir franc-maçon : txots 6 Upsùç eU r^v ^Toàv twv [/.as-a'.ovwv
Tcoxè 6 IlaTcâç sic ttjV XôyzC^y.v tzoxÏ 6 \ly.7zy.^ cspai-Aaio-tovo;.
La doctrine des francs-maçons fut étudiée dans une réunion (9 mai 1 887'
où le prélat avait convoqué tout son clergé. Le prêtre maçon y assis-
tait. On lut certains passages d'une revue maçonnique, Pythagorai
(décembre 1882, n" 12), relatant la réception d'un clerc parmi les néo-
phytes de la Loge, puis des fragments de l'histoire de la franc-maçon
nerie écrite par le Vénérable .'. de Zante, Othon Rentzos. Les prêtre:
furent invités à donner leur avis. Tous déclarèrent que les principe:
énoncés n'étaient autres que ceux de la libre-pensée; que la morali
maçonnique, n'ayant pour base aucun dogme de l'Evangile, ne pouvai
être qu'une morale imparfaite, erronée et pernicieuse ; que seule la par
fection chrétienne révélée par Jésus-Christ dans l'Evangile était l'idé,
de l'humanité; que, sous le rapport dogmatique, il y a entre la maçoi
nerie et le christianisme incompatibilité absolue, puisqu'elle rejette k
dogmes et les mystères de la religion chrétienne ; bref, que la franc
maçonnerie est une secte antichrétienne. Au point de vue social, frant
maçon et impie sont synonymes pour le peuple ; quand celui-ci vei
injurier gravement quelqu'un et l'accuser d'athéisme, il l'appelle toi
simplement franc-maçon. Pour toutes ces raisons, le prêtre Jean Stratis
en prêtant le serment maçonnique, a commis un grand crime et caus
un grave scandale. Qu'il retire donc maintenant son serment t
demande pardon de sa faute (i).
Voilà, en quelques lignes, le résultat de cette réunion, dont le compi
rendu tient les quatre pages in-40 du journal. Le prêtre ne se soum
point et déclara être maçon et rester maçon. On l'appela à Athèn<
devant le saint synode. 11 y reconnut son erreur, retira son serment ,
fut non pas innocenté, comme certains journaux plus ou moins dévout
(1) ïltwv, 7" année, n° 3i5.
LA FRANC-MAÇONNERIE ET L ÉGLISE GRECQUE 34 1
;i la cause maçonnique le prétendirent, mais absous. L'archevêque de
Zante accepta la décision dé ses supérieurs hiérarchiques, doutant
cependant de la sincérité du prêtre. En tout cas, vu le scandale donné
ians toute l'île, et à la demande de fout son clergé, le prêtre Jean Stratis
serait interdit dans son diocèse (i).
Mais il faut croire que le maçon avait en haut lieu des protecteurs
puissants. Le 28 mai 1888, Latas, qui allait partir en pèlerinage à Jéru-
jalem, était appelé devant le saint synode et engagé fortement à lever
'interdit du prêtre. Il répondit qu'il aimait mieux avoir les mains cou-
pées, être pendu sur la place de la Constitution, que de signer pareille
permission. Le prélat s'embarqua pour la Palestine. Le lendemain, le
saint synode profitant, paraît-il, de cette absence, écrivit au représen-
tant de l'archevêque à Zante d'avoir à remettre en place immédiatement
le prêtre Jean Stratis. On obéit, et, à son retour, Latas défendit à ses
prêtres de parler à l'avenir de cette question (2). L'affaire était pour
toujours enterrée; on n'en parla plus.
Voilà, pour le moment, ce que nous avons pu trouver d'intéressant
sur la franc-maçonnerie et l'Eglise grecque. A notre avis, peu d'évêques
en Grèce se sont occupés de cette secte. Peut-être n'ont-ils point vu sa
pernicieuse influence et l'ont-ils considérée comme une institution phi-
lanthropique et philosophique. Peut-être encore, imbus d'idées ratio-
nalistes ou protestantes, à cause d'études faites en Allemagne et en
Suisse, certains membres du haut clergé orthodoxe regardent-ils d'un
œil indifférent la propagande maçonnique. Il est certain du moins que
les principaux centres de la Grèce possèdent leur Loge, et nous ne con-
naissons aucun document émanant du saint synode d'Athènes qui con-
damne la franc-maçonnerie.
■
E. NÉSIOTÈS.
Phanaraki.
(1) Ibid., 7* année, n' 317.
(2) Siwv, 8' année, n" 362.
GLANURES
DANS LES MANUSCRITS DES MÉTÉORES
(Suite L'^.J
NOTE SUR CASTORIA EN I374
Au feuillet 129'' du codex 243 du couvent appelé « le Météore » pa
excellence, nous lisons cette note que je transcris fidèlement :
+ M^'^v- '.oyÀ ('Iw) cAaêàv o'. aAcî'-po'Aot.
T71V eyuaAOT'jav èx tw uls
TO'J -pocsoitoG* O'-Auo'ji' xà", î'io-av
ol aAoccOv'//. yrjÀO'.aoîT.v. ty, •
à'JTTi o'.jjLôpa £xol!j.rjOY,v 0 xài to
voi/LaçTY,? OY, aTOu [= oî.à ToO I ar^^^thÔKY,n^'
cr/YjU.aToa-' y/o (àTa)'j' o'.£pàp.6và
'/(oa- 0 àpyY,|jLàvTpY,TriO- : — j
Cette note est suivie de quelques lignes écrites par une autre main
elles sont en grande partie grattées et noircies. Cette note se rapports
je crois, à l'occupation des environs de Castoria par les Turcs I
20 juillet 1374. Ce pays était tombé, grâce à un traité, entre les main
des Serbes en 1350 (2); il fut rendu plus tard aux Byzantins.
NOTES RELATIVES A MÉTHONE ET A MYSTRA EN I434
Dans le codex lo du principal monastère des Météores se trouven
les notes suivantes :
'E':(o'j;) /Ç"À!^êo-^ [= 1434) 'Iv (St.XTt.wv) oç lêo'?, kr.o'ùCk x^ tlf(j}ia.'j.{v'
ey-ôv tjLLi^Y/Jp(â)- (/.al) Y,AQâu(ev) y,? tottov tI^^ euSôiou / xal ij.£v(a)A(r,
àuO(£v)T!.a; TO'ji ayiôy {xapxoG to £v t(y,) tjLoOov(Yj)- 0O'jÂ(6){x(£VO'. / àroTtÂe'J
£V X0ÇaVT0t,V0U7îwX(£I,)
(i) Voir Echos d'Orient, mai 1912, p. 257-259.
(2) Cantacuzène, édition de Bonn, i. Ili, p. i56 sq.
GLANURES DANS LES MANUSCRITS DES METEORES ^43
B
4- èçTiA^sv 6 ;jL7ra'.:^av(Y,)^' aTiè Tir.v) uoOVri [=:Mo86vr,]- (xal) à7:Ô7:AejT(£v)
r,; ■/.oa-àv<v>> T'.voj-(o)A(t.v) ua*. w - £• to àu':(w)^u(ri)v((^ N»' '.êo'î sX^-»;)
/CÀtTêo"^ r= 1434]
C
-\- à-o-Xî'jT(à.;)- 6 ui.-£^av(ri);- yi? xoi;àv':o'.voy7roA(t.v)' |ji.(yj)v(i) piatto / s
'Iv / O'.xT'.wv/o? lê»'? Tou ÇAiJiêo'^J / -H 7,A0(a)jji.£v (xal) T,ui.r,; : r,; (y,v) ;j.oO'vo'.
[= MoOôvo'-] TO auT (w) uL(ri)v('.) â" êoJA(ô)uL[£]v[o!,] xal r,;j.l; y.TZOTz'/.tùyz r,^
xoa-avT'.voj-o)>('.v)- îçîaOÔvts^ e'/tov j/.ia-':p(à) aTipiA x[ç].
La première note est écrite veriicalement de haut en bas au feuillet
238^', les deux autres le sont au feuillet 238'' parmi quelques autres.
UNE LISTE DE TOPONYMIES ANCIENNES ET MODERNES
Au bas des feuillets 58'' 59'' du codex 326 du grand monastère des
Météores se trouve une liste de toponymies écrite vers le xvi*^ ou le
xviie siècle. Je la publie ici à l'occasion de l'édition critique des variantes
que doit en faire prochainement mon ami, M. E. Gerland. En beaucoup
d'endroits les noms sont effacés ou illisibles parce que le bas du codex
a été abîmé à force d'être feuilleté. De plus, beaucoup de noms sont
écrits en abrégé, aussi me suis-je souvent demandé comment il fallait
lire certaines abréviations : par exemple, o-joa-/-. pourrait peut-être se
lire A'jpày., Ajpày.o, A-jpày.ov. J'ai toujours complété d'après ce qui me
semblait le plus probable en me basant sur d'autres listes de topono-
nymies déjà publiées (i).
Quoi qu'il en soit, les listes de toponymies anciennes et modernes de
notre codex sont d'un grand intérêt; je les transcris fidèlement ici en
ne mettant une majuscule qu'aux noms propres.
FEUILLET ÔS^
L ] 7^?àx(r.)
[ ] Tt Max£0(i)v('la)
A£Tg(o,-)- n ;a'.[':u]Ar,(vTi)
a-. <I>£o(a'.)- Taa-£opaç
I ' ATZoXkioV'iT.
(Autre colonne.)
+ H£pjx(r.)- i e£crTa)<o)v(.:)x(r.)
-f W^raA'la- r, Aàp'.o-s-a
(i| G. Parthey, Hieroclis Synecdemus et notitiœ episcopatuum. Accedunt Nili
Doxopatrii notitiœ patriarchatuum et locorum nomina immutata. Berlin, i866. —
[\. Blrckhardt, Hieroclis Synecdemus. Accedunt fragmenta apud Constantinum
^yrphyrogennetum servata et nomina urbium mutata. Teubner, Leipzig, 1893. —
Sp. P. Lambros, N£o; 'EX),Yivoîi.vr|[jiu)v, t. VI (1909), p. 486-488.
2) J'ai mis entre crochets [ ] les mots et les lettres qui manquaient.
344
ECHOS D ORIENT
-f *ï>6'la- Ta <I)ip7aA- [= 4>£pTaAa]
-f Al-zoiJÀx- 7, "ApTa
-|- 'Axapv'la- r, "Ap^a.
(Autre colonne.)
-f "H7r£',ooç' -:à 'Iwâviva- -f ^toTt-xf;.
-f Kiox'joa* 7< Kop'Jcpf/
+ 'E7:'15a|jivoç- to Aupày(t.?)-
-|- 'E).a7'la- To )iT(t,) Ivl Ijj.Tp
FEUILLET 59''
-f 'Avaa-Ta'no!j-oA('.ç)' | to 7:^p•.<;cp>0ôp('.ov?)•
-f- "A!>ô7,p(a); TQ 7:o).(*j) ç (u) À (ov?)
-f K).a'JO'.0'J7:oA!.; -:07:6X(!,a?)
-}- 'Aêap!.voa" 7, nàpou(a)
(Autre colonne.)
-f AD.'la (xa»,) 'lôêcp (?) 'Upouo-aÀî'iia/
-f- Aa).|jLa-:'la' 7, NaituSTa x(a',) 7, SxÀaêouv!.(a) -f
+ na)'(aL) Ç7.V Sup'la- fDr.Aiç ///////////
•j- B7,ftt.v'la- x(a!,) Ta a'jT(7,)T* 7, Nixaia"
-f 0£O'J7roX(!,ç)" 7, 'AvT!,ôy£!.a
-f TpLav Tà/////ri 7:6 a(!.;) toG M£V£Àâou
FEUILLET 59'
+ (■")£0O0T!.0'J-6a('.ç). I 6 ào-TTOO^*
+ lllllllll'kiy.
-f 'E7:l5aupo;- / 7. 'A y p '10(7.)
4" 'lAup!.x(cv)
(Autre colonne.)
■\- 'Hojv'la / 7, 'Ec5£îro;
-|- Çàvupa* 7, Màxo(7,)
-f IlaAaià Max£o(o)v(l;a) / 7, Apatx' [= Apa[j.a]
/////////Toa / lllinillllll
(Autre colonne.)
'Exwta- / 7, A£'Jxào- [= Ac'jxàoa]
■f Ko'j}ia-/"'7, BîvîT'la
4- 'Aç!£)>x7i / 7, r£vouê(a) :
(Autre colonne.)
+ Ç(au)pou7:ÔA(',;)- 7. Xpiço'j-(o)A(i;)'
"l" KoAaTa(£^?)* 7, 'P(!jÔ(o;)
-f Bo',u)T'la* 7, E'jo '.7:7:0? •
^MX Météores, igog.
A Munich, igi2.
NiKos A. BÉis.
,'ÉGLISE DE SERBIE DE 1909 A 1912
Projets de réforme.
Un vent de réforme souffle en ce moment dans toutes les Eglises
itocéphales. Ce ne sont partout que nouveaux règlements, nouveaux
ojets, consultations diverses. L'orthodoxie est atteinte d'un rAaîaise
;néral, qui vient de l'anémie de sa vie spirituelle, et elle espère
Duver dans des réglementations compliquées la panacée à tous ses
aux. Une des autocéphalies où l'amour du changement se fait* lé plus
ntir est l'Eglise "serbe. En l'espace d'une vingtaine d'années, elle a
i ses statuts organiques changés ou modifiés à quatre reprises par
5 lois du 24 avril 1890, du 10 avril 1895, du 29 juillet 1898 et du
• janvier 1900. Il s'agit, évidemment, non de lois portées par l'autorité
clésiastique, mais par le pouvoir civil, qui légifère en maître dans
dministration de l'Eglise, à peu près dans toutes les autocéphalies.
La loi fondamentale votée en 1890 sur les bases de la constitution
dicale de 1888 a été tellement modifiée par les lois subséquentes,
l'elle est devenue méconnaissable; non seulement elle ne s'harmonise
is avec la constitution et les autres lois existantes, mais elle se con-
îdit elle-même par endroits. Il n'est pas étonnant» dès lors, que le
soin d'un nouveau changement se fasse sentir. Tandis que, les
I novembre 1910 et 13 janvier 191 1, les députés Rotarts et Tchoditch
oposaient à la Skoupchtina, mais sans trouver d'écho, de rétablir la
de 1890 dans son intégrité, deux projets de loi nouveaux, destinés
:hanger radicalement l'organisation de l'Eglise, étaient à l'étude dans
; Commissions parlementaires. Le premier projet a trait à la constitu-
in du clergé, le second est relatif aux autorités ecclésiastiques; le
emier compte 35 articles, le second 274. Tous les deux ont été éla-
rés par le Comité central de l'association du clergé séculier ou clergé
inc (i). Le projet sur la constitution du clergé date de 1904. Exa-
né et remanié par l'assemblée générale du clergé et par le synode
itropolitain, il fut envoyé au ministre de l'Instruction publique et
f Cultes, qui le transmit au Conseil d'Etat, le 22 février 1905. Le
nseil d'Etat le retourna au ministre des Cultes, en l'accompagnant
tbservations, le 15 janvier 1907. La Skoupchtina attend, pour s'en
) Clergé blanc est synonyme, en Serbie comme en Russie, de clergé marié. Les
nés, parmi lesquels sont choisis les évêques, constituent le cierge noir.
346 ÉCHOS d'orient
occuper, que la Commission chargée d'étudier le second projet sur le:
autorités ecclésiastiques ait donné son avis.
On voit à quel point l'Eglise serbe est soumise à l'Etat dans tout c<
qui touche à son gouvernement. Aux termes de la loi encore en vigueur
« toutes les autorités ecclésiastiques du royaume sont placées sous 1;
haute surveillance du ministre de l'Instruction publique et des cultes !
(art. 2}2).
C'est le même ministre qui reçoit les plaintes contre les abus de
autorités ecclésiastiques, approuve la correspondance de celles-ci ave
l'étranger et donne son visa pour la publication et l'exécution de
lettres envoyées par les autres autocéphalies (art. 233, 2}'y et 236'
L'approbation du Conseil des ministres est aussi requise pour les ordor
nances du synode métropolitain (art. 238). '
Le clergé blanc et les réformes.
La nouvelle législation projetée sera-t-elle accceptée par le Pari
ment? Nous l'ignorons. Quoi qu'il en arrive, l'ensemble de ses dispcj
sitions est fort instructif et révèle l'état actuel de l'Eglise serbe,
importe tout d'abord de remarquer que les projets en question sor
l'œuvre du clergé blanc. Nous avons signalé dans une précédente chn
nique (i) l'hostilité de ce clergé à l'égard des évêques et ses bruyante
revendications relativement à la participation au gouvernement eccî
siastique. En ces derniers temps, l'agitation s'était accrue, et l'on ava
même entendu, en 1909, un appel à la grève générale du clergé. Poi
satisfaire ces terribles curés, le projet sur les autorités ecclésiastiqUf
établit quatre sortes d'assemblées auxquelles ils pourront prend:
part : le Conseil ecclésiastique, le synode diocésain, le synode d'arroi
dissement et le synode cantonal.
Le Conseil ecclésiastique a pour but d'aider le synode métropolîta
dans l'administration des affaires ecclésiastiques. Il siège une fois p
an à Belgrade, avant la convocation du synode métropolitain. Il a po
président un évêque nommé par le synode, et comprend dix membre
cinq perpétuels : le recteur du Séminaire, les professeurs de droit cam
à l'Université et au Séminaire, le chef du bureau ecclésiastique du mini
tère, le secrétaire du grand tribunal ecclésiastique, et six élus : un cal
chiste choisi par le métropolitain et cinq prêtres élus par les synod
des cinq éparchies du royaume.
Aux synodes diocésains et d'arrondissement sont invités aussi bi
(I) Echos d'Orient, t. XII (1909), p. 175-179.
L ÉGLISE DE SERBIE DE I909 A lC)i2 ^547
les membres du clergé noir que ceux du clergé blanc; aux synodes can-
tonaux ne doit paraître que le clergé blanc. Les synodes diocésains et
d'arrondissement s'occupent de veiller à la pureté de la foi, à la correc-
tion des mœurs, et ont l'œil sur la conduite des curés. Les synodes
:antonaux ont des fonctions à peu près identiques, auxquelles s'ajoute
le souci des propriétés ecclésiastiques.
Le principe électif est développé dans une large mesure. C'est le
synode d'arrondissement qui propose au synode métropolitain les can-
iidats aux archiprêtrés vacants; les postes de curés et de diacres sont
ionnés au concours par une assemblée mixte dont le choix doit être
:onfirmé par l'évêque. Les supérieurs des monastères sont nommés
:onjointement par l'évêque et le tribunal ecclésiastique. L'assemblée
ijui élit le métropolitain s'augmente de nouveaux membres; ce sont:
e président du grand tribunal ecclésiastique, le président du tribunal
iiocésain, le plus âgé des aumôniers militaires, le ministre de la Guerre,
e maire de la commune de Belgrade, les higoumènes des monastères.
La nouvelle législation se tait sur les Congrès sacerdotaux interdio-
:ésains prévus par la loi de 1890, supprimés en 1894, et se tenant
pourtant régulièrement chaque année. 11 est visible qu'on voudrait voir
disparaître cette institution anticanonique. Les autorités supérieures
3nt sans doute pensé que l'institution des quatre assemblées susdites
suffirait à satisfaire les goûts parlementaires des curés, mais il n'est
3as sûr que ceux-ci consentent à renoncer à une coutume vieille déjà
de vingt-deux ans.
Le bas clergé serbe a assez mauvaise réputation; on lui reproche non
seulement son indiscipline, mais encore son amour de la politique et
son outrecuidance. Dernièrement, M. J. Jivanovitch, ex-ministre des
Zultes, ne s'est pas gêné pour lui donner de vertes leçons {Trgovinski
jlasnik, nos du 23 juin et du 11 juillet 1910). Son influence morale sur
e peuple est à peu près nulle. Et cependant, dit M. C. Troitskii (1),
ï ne manquerait pas de moyens de l'exercer. Le sentiment religieux
l'est pas encore éteint dans la famille. Contrairement à ce qui se passe
;n Bulgarie, on se confesse encore en Serbie avant de communier,
.'instruction religieuse est obligatoire dans toutes les écoles primaires
X secondaires, et placée sous la surveillance de l'Eglise, qui choisit les
catéchistes et les manuels. Les curés sont tenus d'assister à tous les
xamens des écoles primaires.
(i) Tserkovnyia Vêdomosti, 1910, n" 36, p. ibdy. C'est à l'intéressante chronique de
1. C Troïtskii sur la situation actuelle de l'Eglise serbe que sont empruntés nos ren-
eignemenis sur les nouveaux projets de loi.
348 ÉCHOS d'orient
Si le niveau moral du clergé est si inférieur, cela vient en grand
jP^rtie de son modede reçruternent. L'unique Séminaire existant, étab
„à Belgrade en 1836, eut, jusqu'en l'année 1900, un programme stricte
^i;nent théologique comprenant d'abord deux classes, puis quatre. Un
.formation préalable dans les gymnases de l'Etat était exigée des élèvej
Mais l'expérience montra que les recrues fournies par les gymnase
laissaient fort à désirer au point de vue de la moralité. Ce fut la raiso
pour laquelle on adopta^^n ■1909, un programme mixte embrassai
jdans une période de neuf années l'enseignement secondaire et l'ense
..gnement théologique. Un nouveau local, placé sous le vocable de Sain
• Sabas, fut construit dans le quartier de Vratchara, situé dans la part
.^Sud-Est de Belgrade.
; Malgré le nombre relativement considérable des élèves — on i
comptait 343 en 1910, — l'établissement fournit un nombre minin
de vocations sacerdotales. C'est ainsi qu'en 1908, sur quatorze sémin
ristes sortants, cinq allèrent parfaire leur éducation dans les Unive
.sites de Suisse et de Russie; trois devinrent maîtres d'école, trois
^firent fonctionnaires, deux autres restèrent sans place, un seul ent
dans une Académie ecclésiastique russe. Cette dispersion s'explique i
-peu par le fait que les séminaristes finissent leurs études vers l'âge
vingt-deux ans, et que, d'après la loi, ils ne peuvent être ordonn
avapt vingt-cinq ans. C'est dans l'intervalle que fond la troupe â
lévites.
Devant ces déplorables résultats, le synode métropolitain s'est adres
au ministre de l'Instruction publique et des Cultes pour obtenir u
modification de la loi qui défend d'ordonner des sujets avant l'âge'
; vingt-cinq ans. On lui a donné satisfaction; les ministres se sont mê
■entendus pour refuser aux séminaristes toute place de fonctionnai!
tout au plus les acceptera-t-on comme professeurs, mais pour d
ans seulement. Ces petites contraintes pourront peut-être enlevei
quelques-uns l'envie de déserter le sanctuaire, mais sera-ce un bi
pour l'Eglise? Comme beaucoup d'autres autocéphalies, l'Eglise sei
souffre du manque de vocations. Malgré les recrues fournies par
; pays voisins de Vieille-Serbie et de Bosnie, un grand nombre fe
paroisses restent sans pasteur. '
i
La réforme des monastères. j
Le monachisme serbe est en pleine décadence. Le nombre des rji-
gieux va sans cesse en décroissant, et l'on peut prévoir le jour où y
"aura plus de monastères que de moines. En 1903, les 34 couvents b
I
L ÉGLISE DE SERBIE DE I909 A I912 349
oyaume renfermaient 113 moines; en 1905, il n'y en avait plus
ue 107, et, en 1910, 74 seulement. Il n'existe point de couvents de
gligieuses. La dernière nonne serbe, nommée Eugénie, mourut en 1860,
ans le monastère d'Ovtchir.
Le couvent de Khilandar, au Mont Athos, le seul que les Serbes
ccupent, est envahi de plus en plus par des sujets bulgares ou macé-
oniens; loin de pouvoir fournir les monastères du royaume, il manque
ji-même de vocations. Et cependant, le gouvernement serbe fait tout
e qu'il peut pour sa prospérité. Cela se comprend : Khilandar possède
lui seul presque la moitié de la sainte montagne.
L'état des monastères de Vieille-Serbie n'est pas plus brillant. On
ait que, il y a quelques années, le moine russe Kyrille, higoumène du
;elli athonite de saint Jean Chrysostome, essaya, après entente secrète
ntre le gouvernement serbe et le gouvernement russe, de repeupler,
l'aide de sujets russes, quelques-uns de ces monastères tombés en
uines, notamment celui de Detchan-le-Haut (i). Un contrat fut passé.
,es Russes consacrèrent de fortes sommes à la restauration de Detchan.
/lais bientôt de violentes protestations se firent entendre dans la presse
erbe. On alla jusqu'à parler d'un nouveau désastre de Kossovo. Pour
:almer ces accès patriotiques d'un peuple frère et malheureux, le
ninistre des Affaires étrangères de Russie a consenti, en 1910, au
lépart des moines russes de Detchan, et leur a demandé de laisser
:omme don d'adieu la jolie somme de 100 000 roubles pour amortir
es dettes du monastère. 11 est vraisemblable que cette générosité rap-
)ortera un jour ou l'autre quelque bénéfice à leurs auteurs, si elle ne
'a déjà fait.
Malgré leur petit nombre, les moines serbes attirent beaucoup l'at-
ention du public, et la Skoupchtina se mêle assez souvent de leurs
iffaires. C'est que les biens des couvents sont relativement considérables.
Is n'occupent pas moins de 18716 hectares et sont estimés 8 millions
le francs. S'ils ne rapportent qu'un revenu annuel de 183000 francs,
a faute en est à la mauvaise administration des moines, dont la con-
luite peu édifiante a été dévoilée dernièrement dans une série de procès
etentissants. Aussi des bruits de confiscation circulent-ils depuis
uelques années dans les milieux gouvernementaux. Pour en empêcher
i réalisation et montrer aux esprits malveillants que les monastères
•euvent être utiles à quelque chose, l'autorité ecclésiastique s'est préoc-
upée d'établir des écoles monacales. Une: de ces écoles a été ouverte
Sur cette atïaire, voir Echos d'Orient, t. VI (igoS), p. 399-401.
350 ÉCHOS D ORIENT
au monastère de Rakovitza^ près de Belgrade, en 1906 (i). Une autre
existe à Khilandar depuis 1908. On y recueille surtout des pauvres et
des orphelins. Le nombre total des élèves ne dépasse pas quelques
dizaines. A Rakovitza, les cours durent quatre ans, et à Khilandar deux
ans seulement.
Le nouveau projet de loi sur les autorités ecclésiastiques maintient
ces écoles et favorise leur développement. En même temps, pour pré-
venir le retour d'abus malheureusement trop fréquents jusqu'ici, il
soumet d'une manière plus étroite les monastères à l'autorité ecclésias-
tique. Moines et higoumènes sont placés sous la surveillance de l'évêque
diocésain, qui est désigné comme leur premier supérieur et peut changer
les higoumènes, si les intérêts de la foi ou le bien du monastère
l'exigent. Quant à l'administration des propriétés, elle fait l'objet de
dispositions précises et détaillées. Elle n'est plus confiée, comme pré-
cédemment, au seul supérieur, mais à un Conseil monastique dont fontl
partie tous les religieux du monastère. Si ceux-ci sont moins de trois,
l'évêque complète le Conseil par un prêtre ou même un laïque de sor
choix. Une comptabilité rigoureuse est établie, et l'évêque la contrôU
par l'intermédiaire du tribunal ecclésiastique et de délégués spéciaux
Le traitement du supérieur et des Frères est fixé par le synode métro-
politain, proportionnellement aux revenus du monastère. Sur les Con-
grès monastiques, le projet garde le silence tout comme sur les Con
grès sacerdotaux. Et vraiment les 74 moines serbes ont-ils tant besoii
de se réunir en Congrès?
La réforme de la paroisse.
Dans les règlements encore en vigueur, on ne trouve presque riei
sur l'organisation de la paroisse. Les nouveaux projets comblent cett
lacune. Ils déterminent d'abord le nombre des familles dont devra s
composer chaque paroisse. Les chiffres proposés sont : pas plus de 40c
pas moins de 200. Des exceptions sont admises pour les villes, les grç
villages et les petites localités perdues dans les montagnes. Tou
paroisse est pourvue de trois institutions : i» la commune ecclésiastiqt
dont font partie tous les cit03'ens majeurs payant l'impôt, jouissai
de leurs droits civils et menant la vie chrétienne; 2° le Conseil ecclésia
tique, composé du clergé de la paroisse, des curateurs, de l'institutei,
de l'école primaire et de cinq paroissiens élus par la commune. \.
(i) Voir Echos d'Orient, t. X (1907), p. 248.
L EGLISE DE SERBIE DE I909 A I912 35 1
(résident du Conseil est le curé; ses membres doivent être de bons chré-
iens et avoir au moins trente ans d'âge. La revision trimestrielle des
ivres d'église, la réparation des édifices du culte, la surveillance et
administration des propriétés et des revenus ecclésiastiques, le déve-
jppement des œuvres de bienfaisance sont du ressort de ce Conseil;
,° la direction ecclésiastique, constituée par les curés et les curateurs,
les charges sont d'établir le budget annuel de la paroisse, d'en exécuter
es déterminations, de veiller à la propreté et au bon ordre de l'église,
l'engager et de renvoyer les acolytes, lecteurs, chantres et sacristains,
le prendre soin des livres de comptabilité et des registres paroissiaux.
Jne paroisse peut avoir de deux à quatre curateurs. Ce sont les cura-
eurs qui ont la garde du trésor de l'Eglise.
. Le projet sur l'organisation du clergé promet un traitement au clergé
)aroissial sur le budget de l'Etat. Les déterminations relatives au mode
le répartition de ce traitement seront vraisemblablement modifiées. Le
Conseil d'Etat a déjà présenté des observations dans ce sens.
La question des secondes noces des clercs.
D'après la législation canonique de l'Eglise orientale, le mariage
îst permis au bas clergé et n'est interdit qu'aux évéques. Mais le diacre
)u le prêtre qui vient à perdre sa femme, serait-ce le lendemain de
'ordination, ne peut convoler en secondes noces. Dans ces dernières
innées, un mouvement presque général s'est dessiné dans les Eglises
lutocéphales pour réclamer l'abolition de l'ancienne discipline. Si le
laut clergé, qui compose les divers saints synodes, s'est montré, dans
'ensemble, hostile à tout changement, le clergé marié n'a cessé et ne
:esse de demander les secondes noces. Mais l'abrogation d'un canon
lu concile in Trullo, concile regardé par les Orientaux comme œcumé-
lique, est chose grave. On s'entend généralement à dire, dans Vortho-
foxie, que seul un concile œcuménique peut défaire ce qu'un concile
fBcuménique a fait. On ne s'entend pas moins à reconnaître l'impos-
sibilité morale, sinon physique, de réunir de nos jours un concile œcu-
ménique de toutes les Eglises orthodoxes.
Cette impossibilité, cependant, ne paraît pas évidente aux prêtres du
oyaume de Serbie. Dans leur vingt-deuxième Congrès interdiocésain,
lui s'est tenu à Belgrade au mois d'août 191 1, ils ont essayé de mon-
ifrer que les raisons invoquées contre la possibilité de réunir un con-
l'ple œcuménique ne sont pas sérieuses. D'après eux, le choix de la ville
f>ù se tiendrait l'assemblée est chose assez secondaire. Si l'on ne peut
3^2 ÉCHOS d'orient
se réunir à Constantinople à. cause de l'intolérance turque, intolérance
qui paraît d'ailleurs ne plus exister depuis la constitution, qu'est-ce
qui empêche d'aller autre part, dans quelque autre capitale d'un pays
orthodoxe? Dans l'état actuel de l'orthodoxie, les Grecs et le patriarche
œcuménique sauront certainement s'élever au-dessus des petites consi'
dérations mesquines qui leur feraient voir de mauvais œil le choix d'une
autre ville que Constantinople. Il est temps que l'orthodoxie ferme h
bouche à ses ennemis, qui lui reprochent d'être acéphale justemen
parce qu'elle est une agglomération d'Eglises autocéphales. La tête d(
l'Eglise orthodoxe, c'est le concile œcuménique, et celui-ci peut êtn
réuni chaque fois que le besoin s'en fait sentir. Objecter que les prélat!
orthodoxes ne pourraient délibérer entre eux, faute d'une langue com
mune entendue de tous, est un pur prétexte. Comme si l'on ne pou
vait pas trouver des interprètes!
On trouvera sans doute un peu simplistes ces beaux raisonnements
Les prêtres serbes oublient d'ailleurs de nous prouver qu'une assemblé
composée des évêques de toutes les autocéphalies constituerait un véri
table concile œcuménique. Ignorent-ils que certains théologiens orthc
doxes, et des meilleurs, enseignent que la présence du patriarche d'0(
cident ou de ses délégués, c'est-à-dire de l'évêque de Rome, est requis
pour l'œcuménicité d'un synode, suivant l'adage universellement reç
dans l'ancienne Eglise une et indivise?
Les curés n'ont pas été les seuls à s'occuper de la question de
secondes noces, bien qu'elle les touche plus particulièrement. Lé
députés serbes sont heureux de faire, à l'occasion, les sacristains et k
théologiens. Dans la séance de la Skoupchtina du 24 mars 1911
M. Agatonovitch, après avoir déclaré que le Parlement avait le droit d
changer tout ce qui ne se rapporte pas à la foi, a fait l'apologie d$
secondes noces et a opposé aux décrets des conciles l'ordre formel é
l'Ecriture Sainte : « Croissez et multipliez-vous. » Un autre a mis è
avant des raisons d'ordre matériel et moral. Il paraît qu'en Serbie, st
975 prêtres, 235 sont veufs et ne peuvent s'occuper comme il conviei
de l'éducation de leurs enfants. Par ailleurs, leur vertu est soumil
à de rudes épreuves. Aussi l'orateur a-t-il insisté pour qu'on fort
la main au synode métropolitain en vue d'obtenir une décision fa<
rable aux secondes noces, même si l'Eglise russe s'obstine à h
repousser.
Une seule voix, celle de l'archiprêtre Djouritch, s'est élevée dans l'a
semblée pour dire que l'Eglise serbe ne pouvait trancher la question qi
d'accord avec les autres Eglises orthodoxes. Quant au ministre d
L EGLISE DE SERBIE DE I909 A I912 3;; 3
r- — — — ' ~-
'ultes, il a répondu qu'il avait déjà entretenu de cette affaire le métro-
lolitain de Belgrade.
Ce dernier avait déjà reçu, le 14 juillet 19 10, la lettre que le patriarche
le Carlovitz avait adressée à toutes les Eglises autocéphales pour les
:onsulter sur cette question des secondes noces des clercs. De plus, au
lébut de 1911, le patriarche œcuménique, Joachim 111, avait répondu
, l'initiative de son confrère de Carlovitz en envoyant lui aussi sa circu-
aire aux Eglises, avec prière de vouloir bien lui faire connaître leur
entiment sur le même sujet. Enfin, le Comité central de l'association
les prêtres serbes avait demandé au synode de s'entendre avec le synode
le Carlovitz pour permettre les secondes noces.
Devant toutes ces sollicitations, le métropolitain et son synode ne
îouvaient garder le silence. On a donc examiné la question à la session
lu printemps de 191 1. La réponse que M^^^'" Diniitri, métropolitain de
Belgrade, avait fait parvenir au patriarche œcuménique, et dans laquelle
\ déclarait que seul un concile œcuménique pouvait trancher la ques-
tion pour toute l'Eglise, a eu l'approbation du synode. Mais celui-ci
a ajouté que l'Eglise serbe serait prête à permettre aux clercs les
secondes noces, si les Eglises de Constantinople et de Russie faisaient
de même, et qu'elle tiendrait la même conduite que ces deux Eglises à
l'égard des autocéphalies sœurs qui se permettraient d'innover de leur
propre initiative. On remarquera en passant ce qu'a d'illogique cette
attitude : d'un côté, on proclame que le concile œcuménique est seul
compétent pour abolir l'ancienne législation; de l'autre, on se déclare
prêt à suivre le mauvais exemple de plus grands que soi. Que la grande
sœur, qui s'appelle l'Eglise russe, fasse le premier pas, et on la suivra.
Ce sera le cas de dire que la raison du plus fort est toujours la meilleure.
utant qu'on peut le conjecturer, les curés veufs de Serbie et d'ailleurs
Attendront encore longtemps la permission de prendre une seconde
épouse, et ils seront certainement grands-pères avant qu'un concile
Ipecuménique vienne les tirer d'embarras.
Récentes décisions du gouvernement et du synode.
Dernièrement, le gouvernement serbe a pris une série de mesures
leu amicales à l'égard de l'Eglise. Les professeurs d'instruction reli-
'■'use. qui recevaient jusqu'ici les mêmes honoraires que les profes-
rs des autres matières (3 francs par heure), n'obtiendront qu'un
laitement inférieur (2 fr. 50 par heure).
La nouvelle loi sur les taxes et octrois, publiée le 26 mars 191 1,
Échos d'Orient, t. XV. ^^
3^4 • ÉCHOS d'orient
frappe durement le clergé. Non seulement celui-ci est obligé, sous le
peines les plus sévères, de fournir tous les renseignements nécessaire
pour la perception des impôts, mais encore il devra payer un droit d
timbre fort élevé pour tous les documents émanés de l'autorité ecch
siastique. Tous les papiers relatifs à la procédure ecclésiastique sor
frappés d'une taxe allant de 5 à 50 francs. Les demandes d'emplois, k
nominations aux charges, depuis le poste de diacre jusqu'à celui d
métropolitain, seront fort profitables au fisc, qui percevra : pour u
diacre, 0 fr. 50; pour un curé, 30 francs; pour un archiprêtre, 6c
pour un moine, 2 ; pour un hiéromoine, 20; pour un syncelle, 40; poi
un protosyncelle, 60; pour un higoumène, 80; pour un archimar
drite, 100; pour un évêque, 300; pour le métropolitain, 600; pour
déplacement d'un curé, 10.
Le gouvernement a aussi fait preuve d'indélicatesse envers le synod
en ne lui demandant pas son avis avant de signer avec l'Autriche-Ho;
grie une convention par laquelle les mariages civils conclus en Autrichj
Hongrie seront considérés comme valides dans le royaume de Serbi
Les prélats qui font mine de résister à l'immixtion du pouvoir ci'
dans les affaires ecclésiastiques payent de leur place ces tentatives q
les honorent. C'est ce qui est arrivé dernièrement à l'évêque de Nie
Mg»" Nicanor, qui a dû donner sa démission. Le synode métropolite
l'a remplacé, le 19 avril 191 1, par l'archimandrite Domentian, prof
seur au Séminaire Saint-Sabas. Le nouvel élu est né en 1872. Il dut à|
protection du métropolitain Michaël, son parent, d'aller étudier à Ki
De retour en Serbie, il embrassa la vie monastique en 1900. Depuis
temps, il s'est dévoué au service de l'Eglise et paraît être une des f^
sonnalités les plus marquantes du clergé serbe.
Le Glasnik pravoslavne isrkve, organe officiel du synode, a pub
dans son numéro du i^i- septembre 191 1, une série d'ordonnanb
relatives à l'administration paroissiale. Toutes les questions de caij;-
tère économique doivent être examinées dans les réunions de la Die-
iion ecclésiastique, dont font partie non seulement les membres :
clergé, mais aussi les curateurs. j
Signalons enfin la publication par le synode métropolitain d '
cérémonie de la dégradation des clercs, qui sera désormais pratiquée
Serbie. En voici les rubriques: 1° Le prêtre coupable est condi
l'église devant l'évêque du lieu. On lit en sa présence l'acte de concjU-
nation; 2° sur l'ordre de l'évêque ou de son représentant, un bai'ie'
coupe au condamné quelques cheveux et quelques poils de b:
Là-dessus, l'évêque déclare que N... cesse d'être prêtre et perd le llit
L EGLISE DE SERBIE DE I909 A I912
355
d'accomplir les actes du sacerdoce, puis il lui adresse une allocution;
30 le dégradé se dépouille ensuite de ses habits sacerdotaux, revêt un
costume laïque et se fait raser complètement la barbe et les cheveux.
Un procès-verbal signé des membres du tribunal ecclésiastique est
envoyé à la chancellerie épiscopale, qui raye le dégradé de la liste des
clercs en fonction et en informe les autres tribunaux ecclésiastiques.
La dégradation est annoncée dans la revue officielle du synode. Le
dégradé ne peut plus être admis au service d'une église ou d'un
monastère.
E. GOUDAL.
CHRONIQUE
DE L'ÉGLISE MELKITE '"
Les Echos d'Orient s'étaient jusqu'ici condamnés à un silence forcé sui
les événements religieux qui se passaient en Syrie. Faute d'un corres-
pondant établi sur place, il leur était impossible de contrôler des faits
qui eussent été d'un si grand intérêt pour leurs lecteurs. Aujourd'hui, ih
sont heureux de pouvoir combler cette lacune en donnant des détails cir-
constanciés sur les principaux événements qui viennent de se produire
au sein de l'Eglise melkite catholique.
I. A 'Aïn-Traz.
En juillet 1909, tous les évéques de l'Eglise melkite étaient réunis
'Aïn-Traz, sous la présidence de S. B. Cyrille VIII Géha, pour célèbre
leur synode national annoncé depuis dix ans. A la suite des troubles regre
tables qui agitèrent le court patriarcat de Pierre IV Géraïgiry, Léon XII
en avait pressé vivement les travaux préparatoires à Rome. « Hâtez-vou:
disait-il, hâtez-vous de célébrer votre synode, afin que je puisse vous '
confirmer avant de mourir. Ce sera le couronnement de toutes mes œuvn
entreprises en faveur des Eglises orientales, qui me sont si chères. » (
Le grand Pape mourut sans avoir eu cette consolation, et le syno(
melkite, grâce à certains troubles suscités par les laïques, dut être différ
Il fut enfin célébré, mais dans le plus grand silence, de sorte qu'il pasl
presque inaperçu lorsqu'il se tenait à 'Aïn-Traz, à l'abri de toute agitatic
séculière. |
Les actes du synode sont actuellement à Rome, soumis à l'examen d'
EE. cardinaux. Nous n'en savons encore rien de précis, bien que certair
décisions aient déjà transpiré dans quelques parties de la Syrie. La cuili
liturgique en usage pour la communion des fidèles a été prudemmc
abolie à Alep, à Damas et à Beyrouth. En Egypte, c'était déjà chose acco -
plie depuis longtemps. Au Liban, cependant, et dans les autres éparcho
melkites, il existe encore certains endroits où la prudence ne permet gu-'
d'introduire l'usage nouveau, mais on ne tardera pas à y donner la sai i^
communion avec la main, comme font nos frères les Syriens catholiqij'
(i) Nous déclarons laisser à l'auteur l'entière responsabilité de son article. N s
avons, d'ailleurs, sur les affaires malheureuses qu'il raconte des documents irrécusati*-
Que les fauteurs de troubles s'en prennent à eux-mêmes s'ils trouvent mauvais je
leurs menées soient connues ailleurs qu'en Syrie. (A^. D. L. R.) '
(2) Paroles citées en Syrie par M*' Nicolas Qâdi, métropolite de Bosra et
CHRONIQUE DE L EGLISE MELKITE 357
La même difficulté existe pour l'Amérique, où certains vieux fanatiques
lu rite — qui communient une ou deux fois par an — y voient une atteinte
»rave apportée aux rites et coutumes des orientaux.
Une autre décision importante de ce même synode fut la reconnaissance
ifficielle, par tout l'épiscopat melkite, de la jeune Société des Mission-
laires de Saint-Paul, fondée par le regretté M^^"" Germanos Mo'aqqad,
;n 1903, et établie à Harissa (Liban). Evidemment, cette reconnaissance
jfficielle est due au prestige que cet excellent prélat exerçait depuis long-
;emps sur l'épiscopat melkite, à sa science et aux nombreux services qu'il
i rendus à l'Eglise melkite depuis son élévation au sacerdoce. Il faut aussi
j faire quelque part aux labeurs apostoliques par lesquels se sont distin-
gués les trois premiers Missionnaires dans toutes les éparchies melkites,
lotamment en Egypte et au Hauran. D'aucuns s'étonneront peut-être de
*^oir les Chouérites et les Salvatoriens conserver une neutralité excessive-
Tient prudente dans la fondation et la marche en avant de cette jeune
société de Missionnaires. Or, cette attitude impartiale ne fait que les
lonorer davantage aux yeux du public instruit de la nation melkite. Nous
le sommes plus à l'époque d'Ignace Sarrouf, qui, en haine des Chouérites
;t des Salvatoriens, entreprenait de fonder sa fameuse Congrégation
Siméonietine, pour remplacer et les uns et les autres. On sait qu'alors
Chouérites et Salvatoriens se sont donné la main pour écraser son œuvre
dès le berceau. Les temps sont changés. Les Chouérites savent bien qu'ils
l'ont rien à appréhender de cette Société de Missionnaires, qui ne nour-
rissent aucune ambition de desservir les paroisses, quelque riches et
avantageuses qu'elles soient.
Une troisième décision de cette assemblée solennelle de l'Eglise mel-
kite fut la fondation de la petite revue arabe Al-Massarrat, « la Bonne
Volonté ». Toujours sur l'instigation de Me"" Mo'aqqad, le synode décréta
]ue cette revue serait l'organe officiel de la communauté melkite, et que
la rédaction et l'administration en seraient confiées aux Missionnaires
le Saint-Paul, sous la présidence et le contrôle de Me-- G. Mo'aqqad.
\ussi, le jeune périodique se glorifie-t-il de porter le titre de Revue du
f)atriarcat des Grecs catholiques. Elle parut le i" juin 1910, en un fasci-
tule in-8° de 32 pages, et, depuis lors, elle se présente au lecteur deux fois
jie mois régulièrement. Au 1" juin 191 1, elle ajouta huit autres pages de
i;exte, à cause de l'abondance des matières. Ces succès précoces sont tous
[1 la louange des rédacteurs, qui se comptent déjà dans tous les rangs du
:lergé melkite; ils sont une preuve éclatante du grand germe de vie intel-
ectuelle et religieuse, jusque-là à l'état latent, dans la communauté mel-
kite catholique. La jeune revue s'intitule avant tout religieuse, puis scien-
'ifique, historique et nouvelliste. D'aucuns lui reprocheront cependant
le n'avoir été jusqu'à présent que religieuse, et pas assez patriarcale.
Mais, ne l'oublions pas, la jeune revue n'en est encore qu'à sa seconde
3^8 ÉCHOS d'orient
année, et elle promet beaucoup pour l'avenir. D'ailleurs, les faits et geste
de la chancellerie patriarcale ne foisonnent pas d'ordinaire en Syrie, bie
que des réformes nombreuses et salutaires paraissent urgentes au sein d
la communauté melkite. Enfin, la jeune revue, rédigée principalemer
par des anciens élèves de Sainte-Anne de Jérusalem, permet à ces derniei
de montrer à leurs coreligionnaires tout ce qu'ils sont capables de pn
duire après une douzaine d'années de la meilleure formation sacerdota]
qu'on puisse recevoir dans toute la Syrie.
Enfin, le synode melkite, à l'instigation de M»"" Cyrille Moghabghal
a lancé l'excommunication majeure contre le P. Paul Kfouri, Basilie
chouérite. Défroqué à trois reprises difl"érentes, en Amérique et en Au;
tralie, ce pauvre moine nourrissait depuis longtemps des disposition
plus qu'équivoques à l'endroit de sa vocation religieuse et sacerdotale. L
morale de Mahomet lui a toujours souri. Le Supérieur général actuel c
Chouéir ne réussit à le faire rentrer en Syrie, qu'en lui donnant la dire
tion du nouveau Collège oriental que les Chouérites venaient de fond
à Zahlé. Dans cette ville, entièrement chrétienne, s'étaient établies quelqu
familles musulmanes originaires de Beyrouth. Le clergé melkite ne f
pas peu surpris de voir le P. Kfouri les fréquenter et les entourer de pi
venances excessives. Plus tard, il réussit à fonder son fameux journ
l'Educateur où, tout en faisant les plus grands éloges du mahométism
il essayait de répandre les doctrines les plus subversives contre la religi<
catholique, au grand scandale des fidèles. En vain le bon évêque de Zai
usa de douceur pour ramener le prêtre dévoyé; en vain il lui fit les tr<
avertissements canoniques; il dut finalement l'excommunier d'u
manière solennelle, ce qui lui attira les malédictions de tous les fran<
maçons de Zahlé. Mais l'excellent évêque tint ferme; le synode melk
l'en félicita, et confirma de nouveau cette censure canonique. La jeu
revue Al-Massarrat a eu le rare courage de publier une partie de ce
excommunication, après avoir résumé en quelques mots le mandem*
épiscopal de Mg'' Moghabghab (i). |
Que dire encore de ce synode melkite ? Une lettre récente nous dor
des nouvelles plutôt alarmantes sur son avenir. Un de nos meille
évêques, M^:'- Dimitrios Qâdi, d'Alep, qui fut l'âme des travaux d'élabci-
tion à Rome, aurait déclaré « qu'il faut attendre au moins dix ans pijr
que Rome puisse confirmer le synode, et peut-être ne le confirmera-t-ile
jamais. En eff"et, les actes du synode renferment plusieurs points (je
Rome ne se résignera jamais à sanctionner; telle, par exemple, l'imnc-
tion des laïques dans l'élection des évêques Quant à la clandestiiié
du mariage, le pape Pie X avait demandé (2) l'avis de notre patriar|ie
(i) Cf. Al-Massarrat, t. I" (1911), p. 705-707.
^ (2) Peut-être vers 1907, lorsque le même Pape promulguait le décret Ne terni
l'Amérique du Nord.
CHRONIQUE DE L ÉGLISE MELKITE 359
ichant la nouvelle législation promulguée dans le décret A^e temere. Sa
Béatitude a transmis ces désirs aux évoques de son patriarcat, et la majorité
de l'épiscopafmelkite y répondit favorablement. Aussi, durant notre
assemblée solennelle à 'Aïn-Traz, sommes-nous tombés d'accord sur ce
point, et avons-nous consenti à promulguer le décret Ne temere dans
nos diocèses (i) En ce qui touche aux droits du clergé régulier et à
ceux du clergé séculier (2), il n'a été décidé rien de bien certain » (3)
II. Au diocèse de Beyrouth,
On sait que cette éparchie est revendiquée, avec celle de Bâalbek, par
les Chouérites baladites, qui, à ce titre, font miroiter aux yeux des laïques
incompétents des droits inaliénables qui seraient consacrés par des
Bulles pontificales (!) bien difficiles à trouver. Dans l'éparchie de
Beyrouth, il n'y a qu'un seul prêtre séculier, ancien élève de Sainte-Anne,
auquel on veut bien accorder le droit d'asile. Il y dessert une petite
paroisse, ingrate s'il en fut, et où les tracasseries du métropolite actuel,
de son vicaire général à la Montagne et des nombreux Chouérites de Bey-
routh ont souvent l'air de s'unir contre lui à celles des protestants et des
orthodoxes. Mais il tient ferme depuis 1902, fidèle à son devoir, et exci-
tant le respect et l'admiration de tous ses persécuteurs. Il est arrivé à
doter cette petite paroisse d'une vaste église, d'un solide presbytère et
d'une école où une cinquantaine d'élèves — la plupart internes —
apprennent avant tout la doctrine chrétienne, puis les langues arabe,
française et anglaise, avec la grammaire, l'histoire, la littérature et les
mathématiques. Des résultats merveilleux ont déjà été obtenus par cet
enseignement, et des conversions nombreuses sont déjà venues couronner
tant de labeurs, soit dans le camp des protestants, soit dans celui des
orthodoxes. Pourquoi faut-il que les Chouérites, et à leur tête le métro-
polite de Beyrouth, créent des difficultés à cette œuvre de Dieu?
L'Eglise catholique a constamment prohibé la communication in sacris
avec toutes les communions exclues de son sein. Or, les moines choué-
rites ont trop souvent favorisé ces sortes de communications avec les
orthodoxes et les protestants. Ces abus existent actuellement dans tout
le diocèse de Beyrouth, en dépit des prohibitions du patriarche melkite
et du délégué apostolique. Seuls les Chouérites en portent la responsa-
I Evidemment, après la confirmation du synode par Rome.
(2) Il s'agit de la fameuse question des paroisses, dont le service a toujours été
revendiqué par les moines Chouérites et Salvatoriens, au grand préjudice du clergé
séculier, dont le nombre augmente de jour en jour, et qui ne trouve d'occupation
que dans les écoles.
(3) Une autre source parfaitement autorisée nous assure qu'une certaine pression
avait été exercée sur quelques membres du synode et que Rome, en l'apprenant,
a refusé de continuer l'examen des travaux conciliaires...
360 ÉCHOS d'orient
bilité. Déjà, au début du xviii® siècle, la Propagande faisait remarquei
à M^" Euthyme Saïfi qu'il était inutile de travailler à la conversion des
orthodoxes en leur faisant certaines concessions coupables sur le terrair
catholique. Plus tard, elle défendit à plusieurs reprises ces sortes de com
munications. Nous allons voir comment ces défenses sont comprise:
dans le diocèse de Beyrouth. Le bon curé dont nous avons parlé possèd(
dans sa paroisse une petite agglomération de Libanais dont la plupar
sont catholiques, d'autres orthodoxes ou protestants. Ces derniers viennen
souvent assister à la messe dans l'église catholique, et quelquefois il leu
vient l'envie de prendre une part active aux offices liturgiques. Le cur
n'a jamais souffert ce désordre. Le Vendredi-Saint de l'an 1910, un ortho
doxe se hasarda à lire les péricopes à l'àvaXoy.ov; le curé l'arrêta net, e
ordonna à un catholique de faire la lecture liturgique. Deux audacieu:
lui en firent des remontrances; il les mit à la porte et acheva les prière
avec le plus grand calme. Le lendemain, sur l'invitation du vicaire général
le curé donnait les explications de son acte, rappelant les ordonnance
romaines au sujet des communications in sacris, et lui demandait 1
punition des coupables. Le P. Joseph Hanna (i) donna raison aux oppc
sants, les excita sous main, écrivit au curé pour modérer son zèle et envoy
un moine chouérite pour célébrer la sainte messe aux délinquants
Comme de juste, le curé renvoya poliment ce moine qui s'immisça
dans les affaires de sa paroisse. Irrité, le vicaire général envoie sur-l(
champ un laïque influent qui dresse un rapport orné de vingt-trois signî
tures pour demander au métropolite de Beyrouth le renvoi du curé « qi
trouble la paix de ses paroissiens au point de les éloigner tous du giro
de l'Eglise catholique ». De son côté, le curé adresse deux longs mémoire
à son supérieur ecclésiastique; dans le premier, il lui rappelle la doctrin
romaine touchant les communications in divinis; dans le second, il
met au courant de toute l'affaire, et lui raconte les menées de ses adve;
saires. Or, voici la réponse du métropolite, que nous publions presqi
in extenso.
Mon Révérend Père,
Notre nation melkite a, de tout temps, pris l'habitude d'employer, dai
ses églises archiépiscopales, épiscopales, métropolitaines et patriarcales é
chantres schismatiques. De plus, même dans les plus grandes solennités (litu
giques), les chantres sont pris exclusivement parmi les schismatiques. Not
Eglise melkite ne reconnaît guère tous les décrets du Concile de Trente. ]f
outre, les ordonnances de la S. Cong. de la Propagande (2), que vous
citées, ne sauraient avoir force de loi dans tous les temps et dans tous les lie
Quant à nous, nous devons avant tout nous conformer aux évangiles et
(i) C^est le nom du vicaire général.
(2) Il s'agit de trois passages des Collectanea, cités dans le mémoire du curé.
CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE 36 1
pitres; or, ces écrits nous recommandent avant tout la charité; ils préconisent
i charité et la mettent au-dessus de la foi; par suite, la charité exige que nous
ccueillions ces schismatiques
En tout cela, je suis seul responsable devant Dieu. Je suis seul chargé devant
)ieu, sans aucun intermédiaire, de convertir ces schismatiques à notre Eglise
recque melkite. Par conséquent, vous devez rejeter loin de vous ce fanatisme
t ce mépris, si vous souhaitez servir les ouailles du Seigneur comme il importe
e le faire. Que si maintenant vous vous reconnaissez incapable de ramener les
éserteurs, nous ordonnons au P. Anthime(i) d'aller l.'ur dire la messe pendant
uelques jours et d'entendre leurs confessions
•J- Athanase,
métropolite de Beyrouth et Gébaïl.
Avril 1910.
Cette réponse n'émut guère le curé. Il se présenta à l'évéché pour
emander des explications; il ne fut pas reçu. A la délégation, où il alla
nsuite, on lui conseilla d'envoyer la lettre du métropolite à la Propa-
ande et au patriarche, ce qu'il fit, en joignant un long mémoire à chacun
e ces deux envois. Puis il fit publier par la revue Al-Machriq un petit
rticle touchant ces communications in sacris, et il rentra chez lui. Le
îndemain , il apprit que les Chouérites s'étaient présentés au village durant
on absence, et qu'ils avaient confessé et absous les délinquants, au plus
Drt de leur révolte contre leur curé. Justement étonné, il adressa au
icaire général des plaintes qui restèrent sans réponse. Alors il déclara
ux révoltés que les sacrements qu'ils avaient reçus des Chouérites étaient
acrilèges. Entre temps, S. B. Cyrille VIII avait adressé une excellente
éponse au curé, l'engageant à tenir ferme, et enjoignant aux délin-
uants de se soumettre aux directions de leur pasteur et de lui demander
umblement pardon. En apprenant celte nouvelle, le vicaire général prit
eur, et sa politique fit tout de suite volte-face.
Emu à son tour par les admonestations patriarcales et par l'article de
î revue Al-Machriq, le métropolite chercha un terrain d'entente en
emandantau curé de renoncera sa paroisse en échange d'une meilleure,
.e curé refusa, disant que cette retraite amènerait le triomphe du mal.
Devant cette noble attitude, le prélat se borna à recommander au curé
e réfléchir un peu à tout cela et de lui donner sa dernière réponse. Le
uré alla consulter le délégué apostolique; celui-ci lui conseilla de tenir
irme. Le métropolite alors reconnut que ces paroissiens n'étaient que
'es sauvages auxquels ne convenait que le bâton (!). Il les fit venir tous
hez lui, et leur enjoignit de demander pardon à leur curé, ce qu'ils firent
ti lui baisant la main. Mais, excités et soutenus sous main par le vicaire,
s ne se résignèrent à se présenter à l'église que lorsque tous leurs sou-
ens les eurent abandonnés! Celte triste affaire avait duré neuf mois.
n moine chouérite.
362 ÉCHOS d'orient
III. Au diocèse d'AIep.
Depuis la séparation en deux branches de la Congrégation basilienn
chouérite (1829), les religieux Alépins gèrent seuls les awqaf ou bien
legs qu'ils comptent dans la ville d'AIep, mais sous le contrôle de l'Oi
dinaire du lieu. C'est d'ailleurs ce qui se pratique à la Montagne et pai
tout où se trouvent des awqaf monastiques. A Alep, l'intendant de ce
biens était tantôt un laïque, tantôt un moine chouérite. Par suite d'un
administration louche, les moines Alépins étaient sans cesse en querel
avec le métropolite et les notables de la ville. Du vivant de M^'' Paul Haten
ces démêlés étaient sans cesse renaissants. Une fois même, ils durèrei
sept années consécutives (i 871 -1878), et ne tournèrent pas à l'avanta^
des Alépins chouérites. En 1910, le métropolite actuel, M?'' Dimitri(
Qâdi, homme pieux et conciliant s'il en fut, avait destitué l'intendai
nommé par le Général alépin, et avait remis les aipqaf aux mains d'i
autre Chouérite en résidence à Alep. Cette mesure n'avait été prise p
le métropolite qu'après cinq années de patience durant lesquelles il r
cessé de prodiguer conseils et menaces à l'ancien intendant, dont l'adn:
nistration trop intéressée causait du scandale dans la ville. Le Généi
alépin en fut irrité; d'ailleurs, il n'était pas en bons termes avec le méti
polite d'AIep. 11 eut donc recours aux lumières de son ami, le métropoli
de Beyrouth. Celui-ci s'entremit pour arranger les choses en combatta
ce qu'il appelait les prétentions antimonastiques de M^'" Qàdi, qui s'ari
geait des droits qui appartenaient à luiseuli}). Sur l'instigation du Génér
il accepta un sakkon signé et cacheté par tous les supérieurs majeurs c
Alépins, le nommant « intendant général » des awqaf que la Congre^
tion possède à Alep. Ainsi, le Général se retirait apparemment du théâ
de la lutte, mais pour en diriger sous main toutes les manœuvres.
M?'^ Athanase Sawaya savait bien que, s'il lui prenait envie de se ren
à Alep, il serait probablement prié de se retirer. Le Général alépin
présenta donc un moine à l'aspect sauvage, ancien chef de brigan
Alep, et qui rêvait toujours de revenir à ses exploits d'antan. Il s'ét
plusieurs fois signalé à Zahlé par des batailles sanglantes avec les moii
maronites, au grand scandale des fidèles. Le P. Elle Nahhas se mit de
au service du Général. M^'" Sawaya eut la naïveté d'écrire ce qui suit
métropolite d'AIep : !
La Congrégation des Alépins vient de me constituer intendant généra'M
tous les awqaf c\vJç,\\q possède à Alep; en conséquence, j'ai remis une procH-
tion officielle entre les mains du P. Elle Nahhas, et l'ai prié de se rendre à /jp
pour en prendre l'administration. I
La réponse du métropolite d'AIep fut la suivante : |
Je suis très heureux d'apprendre que la Congrégation alépine vous a co|'"
l'intendance générale des aw^d;/ qu'elle possède à Alep; c'est là une marquf ■
CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE 363
confiance en votre habileté, pour laquelle je vous fais tous mes compliments.
Quant au P. Elie Nahhas, il sera le bienvenu à Alep; mais, s'il y vient avec le
dessein que vous mentionnez, il sera suspens ipso facto sans autre forme de
procès.
Cette réponse mécontenta et le métropolite et le Général. Celui-ci
décida de faire appel au pouvoir séculier contre l'ingérence du prélat
alépin, et pour remettre l'administration des awqaf aux mains des seuls
Chouérites, en éloignant le procureur nommé par Ms' Qâdi. Le métropo-
lite de Beyrouth adhéra pleinement à cette mesure, et le P. Elie Nahhas
fut sur-le-champ expédié à Alep. Suspendu par le métropolite, il trouva
moyen de se concilier un prélat syrien catholique de passage à Alep,
M^'' Basile Qandalaft, évéque titulaire de Jaffa. Ce dernier l'accueillit avec
faveur; il disposa une chambrette dans sa propre maison, et invita le
prêtre révolté et suspens à y célébrer la messe. Le scandale en fut immense
dans la catholique ville d'Alep; M«f Qâdi en écrivit à Rome, et dénonça
le prélat syrien qui s'immisçait dans les affaires d'une autre communauté
orientale, en dépit des défenses romaines. Malgré tout, le P. Nahhas
intenta un procès au métropolite d'Alep, et, au lieu de faire agir le droit,
il recourut à des moyens peu avouables qui triomphèrent des scrupules
que pouvaient avoir des juges musulmans. Le moine alépin eut donc
gain de cause. Le métropolite appela de cette sentence à un tribunal
supérieur, invoquant avant tout son bérat d'investiture civile, qui lui
donne un droit de juridiction et de surveillance sur tous les awqaf do. son
éparchie. Le tribunal dut casser la première sentence et condamner le
P. Nahhas, qui se hâta de rentrer à Beyrouth. M^' Qâdi dénonça de nou-
veau à la Propagande ce recours au gouvernement civil contre une sen-
tence ecclésiastique, et en déplora toutes les conséquences. Mais l'entêté
Général ne se tint pas pour battu.
i
IV. Chez les Basilîens alépîns.
rès cette première victoire, le métropolite d'Alep se rendit dans la
Ville Eternelle vers la fin de juin 1910. Ce voyage remplit d'inquiétude
le Général alépin et ses subordonnés. Outre le Séminaire fondé par son
prédécesseur, le P. Théophane Badaouy, pour l'instruction et la forma-
tion des moines alépins, le Général avait aussi sapé tous les fondements
des écoles primaires des deux sexes que les Alépins entretenaient dans le
voisinage de Déir-Chir, à Makkin, à Souq-el-Gharb, à 'Alayyh, à Qou-
matié (Liban). Tout cela en haine des PP. Théophane Badaouy et Denys
'Attara (i), les deux religieux alépins alors les plus instruits et qui s'oc-
(i) A la suite de tous ces démêlés, ces deux religieux, qui seuls eussent été capables
d'introduire des réformes dans leur Congrégation, demandèrent leur exeat à la
S. Gong, de la Propagande. Le P. 'Attara, aujourd'hui curé de Port-Saïd, fait partie
364 ÉCHOS d'orient
cupaient d'introduire quelques réformes dans leur pauvre Congrégation.
Après avoir dispersé dans les paroisses les religieux capables de mener à
bien des réformes qui paraissaient urgentes, et dont il feignait de recon-
naître l'utilité, il s'employa à exciter les moines contre le P. Denys 'Attara,
qui lui créait des difficultés à cet égard. L'élection du nouveau maire de
Qoumatié, près Déir-Chir, amena des complications excessivement déli-
cates. Le supérieur de Déir-Chir devait y prendre une part active; il
demanda des instructions au Général. Celui-ci, qui militait pour un parti
protestant et schismatique, lui ordonna de voter pour le candidat de ce
dernier. Le supérieur tint à suivre sa conscience, et il favorisa le parti
catholique, qui eut le dessus. De là querelles entre les deux parties adverses.
Pour se disculper de tout reproche, le Général fit condamner le supérieur
■de Déir-Chir par le Chapitre des Assistants, et il le fit destituer. Des
troubles et des scandales épouvantables, qu'il serait trop long de raconter,
se produisirent à Déir-Chir et dans les environs. Le P. 'Altara prit h
défense du supérieur destitué. Le Général se tourna contre lui ; une nuit
les moines se ruèrent sur le P. 'Attara, et lui auraient fait un mauvai;
parti, sans l'intervention des fidèles. Le lendemain, il se retirait à Bey
routh avec le supérieur destitué, et en appelait au tribunal du métropo
lite, alors M^'^ Mélèce Fakkak. Celui-ci nomma un Comité composé d<
son vicaire général, d'un Salvatorien et d'un Chouérite pour examine
l'afifaire et donner un jugement que lui-même ratifierait ensuite. O
jugement fut de tout point défavorable au Général, qui refusa de h
reconnaître. On eut recours au patriarche actuel, qui reconnut bien h
culpabilité du Général, mais qui n'osa pas aller jusqu'au bout. Il essaj^.
cependant d'une entente; il prit à son service le supérieur destitué, e
l'envoya desservir la paroisse de Mansourah (Egypte), qui appartient au
Alépins.
Restait le P. 'Attara, qui envoyait à la Propagande mémoire sur mémoir
touchant tous les empiétements du Général. Celui-ci était soutenu par 1
patriarche. Cyrille VIII Géha se souvenait encore des insultes du métrc
polite d'Alep (i) en 1898, lors du synode de Sarba, qui porta sur le trôn
patriarcal Pierre IV Géraïgiry. II ne lui accordait aucune protection et
pressait même le Général de sévir contre lui. Le P. 'Attara partit cepei
dant pour Alexandrie, où son frère, archidiacre du clergé patriarcal, fi
un beau jour souffleté par M^' Macaire Saba, vicaire patriarcal d'Egypl
du clergé patriarcal; le P. Badaouy fait partie du diocèse de Yabroud, et il se trou
•aujourd'hui à Cordoba, dans la République Argentine, occupé, dit-il, à réunir d
fonds pour un orphelinat à Yabroud
(i) On sait que lors du fameux synode électoral de Sarba, 1898, des démêlés d'ord
monastique eurent lieu entre le P. 'Attara et M" Géha, alors administrateur apost
lique du patriarcat d'Antioche. Le P. 'Attara travailla énergiquement à recruter d
votes pour M" Géraigiry, au grand mécontentement du méiropolite d'Alep, qui aspin
déjà au patriarcat.
CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE 36=^
ce qui aggrava beaucoup les affaires. Dès lors, le P. 'Attara entra résolu-
ment en lice, et se prit à combattre le patriarche parla. parole et la plume
en pleine Egypte. Le patriarche lança contre lui la suspense; le P. 'Attara
n'en continua pas moins, et, comme il est éloquent et habile parleur, il
y créa un parti immense contre le patriarche, de sorte qu'il lui rendit la
vie bien difficile en Egypte. Cyrille VIII Géha dut se retirer à Damas,
tandis que le P. 'Attara, grâce à des laïques influents, parvenait à se faire
accepter par le délégué apostolique. Rome temporisait toujours, atten-
dant que le patriarche mît ordre à toutes ces affaires; et comme celui-ci
tardait toujours, elle lui ordonna de s'exécuter au plus tôt, car les
scandales étaient à leur comble. Enfin, on réconcilia le prêtre avec son
patriarche, et la paix se rétablit; puis, comme le P. 'Attara ne tenait
point à rentrer dans sa Congrégation alépine, pour se remettre sous les
ordres de son persécuteur, le patriarche, sur les instances du délégué apo-
stolique et de certains laïques influents, dut l'accepter dans son clergé
patriarcal. Quelque temps après, il le nommait curé de la petite paroisse
de Port-Saïd, et dans ces derniers mois, le ig novembre 191 1, il le grati-
fiait de la dignité d'archimandrite, avec faculté de porter l'épanokalimaf-
kion, la croix et l'anneau aux solennités religieuses et civiles. Preuve évi-
dente que la paix a été finalement conclue tout de bon.
Mais revenons au Général alépin, le P. Gabriel Basile. A Zer'aya,
dans un couvent de Sœurs Alépines, la supérieure travaillait à introduire
quelques réformes urgentes, à la grande joie de ses subordonnées et du
chapelain lui-même. Suivant l'ordonnance des Constitutions approuvées
par Rome, elle eut la hardiesse de demander au Général un confesseur
extraordinaire pour ses religieuses. Le Général, ennemi de toute réforme
et de tout progrès, refusa net et fit adresser de graves réprimandes à
l'abbesse. 11 écrivit même sous main à certaines Soeurs, pour les engager
à ne pas se prêter aux réformes de l'abbesse. Celle-ci ne se laissa pas inti-
mider; elle persista quand même à demander son confesseur extraordi-
naire. Le Général résolut alors de s'exécuter; mais, au lieu de lui envoyer
un prêtre étranger à la Congrégation (i), il chargea de cette fonction le
quatrième assistant; celui-ci ne fit que causer des troubles parmi les-
Sœurs. Le Général eut l'audace de s'en prévaloir plus tard, en attribuant
ces démêlés à ce qu'il appelait l'ingérence de l'abbesse dans une réforme
dont les Sœurs ne voulaient à aucun prix!
I Au Liban, un jeune prêtre instruit et plein de zèle desservait une petite
I paroisse où il avait réussi à construire un presbytère et une école parois-
; siale. Trois ans lui avaient suflS pour renouveler cette paroisse par la
I formation chrétienne des enfants, les retraites données aux parents et la
j prédication ordinaire du dimanche, ce qui ne s'y était jamais vu depuis
il) Suivant l'ordre même des Constilutions approuvées par le Saint-Siège en 1762.
^66 ÉCHOS d'orient
1766, époque de l'établissement des Chouérites dans ces parages. Le
Général ne recevait à son sujet que les meilleures nouvelles, jointes aux
plus grands éloges. Il en prit ombrage, et, comme le jeune curé s'apprê-
tait à bâtir une église pour cette paroisse, le Général s'entendit secrètemeni
avec le métropolite de Beyrouth pour le faire partir. Le curé supplia en
vain; le métropolite lui retira tout simplement la juridiction, et il essaya
de soulever les paroissiens contre lui. Ceux-ci lui firent des réponses
nobles et dignes de la formation que leur avait imprimée le curé. Devam
cette attitude pleine de grandeur, le métropolite se retira à Beyrouth,
d'où il envoya menacer le curé des censures ecclésiastiques. Ce derniei
dut quitter la paroisse au milieu des regrets de ces braves Libanais. L»
métropolite souhaitait ardemment confier cette paroisse à ses coreligion'
naires chouérites; il en envoya plusieurs pour la desservir, mais le
Libanais les renvoyèrent, et depuis huit ans déjà cette paroisse manqu'
de curé.
Quelques temps après, le Général se brouille avec son secrétaire (i), e
il le relègue au couvent de Déir-Chir, à Makkîn. Une nuit sans étoiles
vers 10 heures, les moines se ruent sur lui, lui arrachent la barbe, et 1
frappent violemment. L'intervention des Libanais sauva la victime. L
pauvre religieux fut recueilli par les fidèles de Makkîn, puis il fit appe
au délégué apostolique, qui envoya son rapport à Rome, et lui conseill.
de se retirer à Harissa, chez les missionnaires Paulistes.
A Rome, les affaires vont lentement. Entre temps avait eu lieu 1
querelle d'Alep entre le métropolite et les Basiliens alépins au sujet de
awqaf, et que nous avons racontée plus haut. M^' Dimitrios Qàdi, à 1
suite du triomphe qu'il avait remporté sur les manoeuvres du P. Elj
Nahhas, s'était rendu à Rome où, dit la revue Al-Massarrat>\\ fut accueil)
avec honneur et beaucoup de prévenances par Pie X et par le cardim
Gotti, préfet de la Propagande. M^^ Qâdi était d'ailleurs parfaitemec
bien connu et estimé à Rome.
II fit les révélations que l'on devine à l'endroit des Alépins. Il suggé
même à la Propagande l'idée de nommer elle-même le futur Génén
La Propagande désigna le P. Jean Khaouam, curé à Mansourah (Egyptt
homme d'un caractère conciliant, peu instruit, mais animé du meillel
esprit. Comme c'était l'année du Chapitre triennal, la Propagande chargé
le délégué apostolique de faire en sorte que le P. Jean Khaouam — bie
que nommé directement par elle — fût régulièrement élu par le prochai
Chapitre général du i^' novembre 1910, afin de conjurer de nouveav
troubles au sein de cette Congrégation.
(i) Un diacre qui avait passé quelques années à Sainte-Anne de Jérusalem; malhe
reusement, la formation primitive qu'il avait reçue chez les moines Alépins ne p
jamais être supplantée par celle qu'on lui donna à Sainte-Anne, et ainsi il peut êl
considéré à demi coupable de toutes les vexations exercées contre lui.
m CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE 367
A Sarba (i), on n'augura rien de bon du voyage à Rome de Me-- Qàdi;
e délégué se mit en devoir de faire droit aux désirs de Rome en com-
)attant les prétentions du Général alépin, et en faisant connaître sous
nain aux électeurs les volontés romaines. Le P. Jean Khaouam fut prié
le se préseriter en personne au Chapitre, ce qu'il n'avait point fait
lepuis 1899, époque de son départ pour Mansourah.
Le P. Gabriel Basile ne se dissimula point qu'un grand mouvement de
ésistance était dirigé contre lui; les Pères électeurs ne lui inspiraient
lucune confiance; le délégué s'était depuis longtemps déclaré contre lui;
I redouta une intervention directe de la Propagande, qui arrêterait tout
simplement le Chapitre et soumettrait la Congrégation à la visite cano-
lique romaine, ce qui est le cauchemar des moines melkites chouérites.
II eut donc recours aux lumières de ses deux mentors habituels : M^' Aga-
Dios Ma'louf, de Baâlbek, et Ms"" Athanase Sawaya, de Beyrouth. Ceux-ci
ui conseillèrent de réunir le Chapitre avant l'échéance du terme fixé par
les Constitutions. Il le fit, et les Pères électeurs — à part cinq opposés
au Général — se réunirent à Saint-Sauveur de Sarba le i" octobre 1910,
juste un mois avant l'échéance ordinaire du Chapitre général chouérite.
Tout ne se passa point, tant s'en faut, « dans un grand amour et la
meilleure tranquillité, indices des excellentes dispositions des Pères capi-
lulaires » (2). Il y eut des batailles. Tout d'abord, l'astucieux Général fit
pression sur les Pères pour décider oflîiciellement la continuation de l'af-
faire d'Alep. M»' Qâdi avait eu gain de cause; les awqaf d'Alep étaient
toujours soumis à sa juridiction — comme ils doivent l'être d'ailleurs,
— et le religieux intendant nommé par lui était toujours maintenu dans
sa charge. Le Général s'obstinait donc à envoyer de nouveau le P. Elie
Nahhas à Alep, pour intenter un nouveau procès au métropolite, dût la
Congrégation y dépenser des sommes considérables. Un acte officiel,
signé de tous, fut donc remis au P. Nahhas en ce sens. Sous la même
pression, les Pères capitulaires votèrent l'expulsion de la Congrégation
du pauvre moine, qui avait été roué de coups à Déir-Chir, et de trois
autres religieux présents à Alep, et qui avaient demandé à Rome leur
exeat par l'entremise de M?'" Qâdi. Or, les décisions du Chapitre général
sont. irrévocables (3); le P. Gabriel Basile jubilait. Ainsi, pensait-il, lors
même qu'il ne serait point réélu Général, il aurait évincé le métropolite
jd'Alep en maintenant une résistance opiniâtre contre ce qu'il appelait
« son ingérence » dans les aff'aires de la Congrégation.
(i) Résidence du Général et des supérieurs majeurs où devait se tenir le Chapitre
triennal.
(2) Al-Massarrat, t. 1" (1910-1911), p. "i^b. — Telle est la formule que Chouérites et
Salvatoriens ont employée de tout temps, malgré leurs querelles accoutumées lors
des Chapitres généraux.
(3) Suivant la teneur même des Constitutions; mais il y a moyen de les révoquer,
\si l'on veut.
368 ÉCHOS d'orient
Jusque-là, les choses allèrent au gré de l'astucieux Général. Mai
lorsque, au troisième jour, on en vint au scrutin, il fut convaincu qu
les voix n'étaient point pour lui, tant s'en faut, et il s'alita, alléguant un
indisposition. Du même coup, le Chapitre fut suspendu, mais les Père
électeurs ne se laissèrent pas intimider. Entre temps, le délégué aposto
lique envoya secrètement à Sarba un excellent prêtre pour s'informer d
ce qui s'y passait. Ce prêtre exhorta les électeurs à procéder suivant l
liberté que leur accordent leurs Constitutions.
Le Général expédia alors un courrier spécial à Chtaura — où se trouvai
alors le métropolite de Beyrouth, — avec des lettres pressantes invitan
le prélat à se présenter au plus tôt à Sarba. Celui-ci ne manqua pas d'
venir dans la nuit même, et, le lendemain, il se mit en campagne pou
acquérir à son candidat favori des votes qui s'en allaient à un autre. Le
voix avaient été d'abord partagées entre le P. Sabas Balady, le P. Jea
Khaouam et le P. Basile 'Ajjouri. Ce dernier fit preuve dune énergie pe
commune. Trois fois M^' Sawaya essaya de conférer avec lui; trois fo
il s'y refusa noblement. Enfin, il le pria poliment de ne point interven
dans une affaire qui ne le regardait pas. La paix se rétablit, et les Pèn
capitulaires, obéissant aux conseils de Rome, élurent à l'unanimité 1
P. Jean Khaouam Supérieur général et lui donnèrent les quatre assistant
suivants: les PP. Sabas Balady, Philippe Bostany, Basile 'Ajjouri <
Elle Nahhas (i).
Tout en félicitant les nouveaux élus, Al-Massarrat (2) ne manqua ps
de faire adroitement « des vœux pour le retour de cette Congrégation
sa prospérité première », aux beaux jours de Nicolas Saïgh, de Maxirr
Hakim et d'Ignace Jarbou'.
Cependant, le nouveau Général alla faire une visite au délégué api
stolique dans sa maison de campagne, à Harrissa. M^"" Giannini le pr
de mettre au plus tôt un terme à l'affaire d'Alep et à celle du moine Coi
stantin Kallal, qui avait été roué de coups à Déir-Chir et qui en ava
appelé à Rome contre l'ex-Général. Le P. Khaouam promit tout, et \
rentra à Sarba. Mais il comptait sans la rancune opiniâtre de l'ex-Généraj
Celui-ci fit observer que les décisions officielles du Chapitre sont irr
vocables et pressantes ; il gagna à sa cause le deuxième et le quatcièn
assistants, il expédia à Alep le P. Nahhas. En même temps, il faisa;
maintenir bon gré mal gré la décision du Chapitre sur l'expulsion c{
moine C. Kallal. i
A Alep, le P. Nahhas intenta un nouveau procès au métropolite, '
moyennant les mêmes manœuvres, il parvint à avoir gain de cau;
avant que le métropolite eût eu le temps de se reconnaître. Le scandai
(i) Ce dernier avait été imposé par l'ex-Général, qui ne l'avait engagé dans l'affaii
d'Alep qu'après lui avoir promis p.ir écrit la dignité de 4" assistant de la Congrégatio,
(2) Loc. cit. 1
CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE 369
jt plus grand que jamais, mais le doux et conciliant prélat se contenta
'écrire à la Propagande. On attribua ces désordres à une mauvaise admi-
istration du nouveau Général, mais le délégué apostolique n'eut pas de
eine à reconnaître d'où venait le coup, et il écrivit de même à la Pro-
agande.
Quelque temps après, il recevait l'ordre de procéder à une enquête
îgulière touchant l'affaire du moine G. Rallal, et d'en prononcer une
întence irrévocable au nom du Saint-Siège apostolique. L'ex-Général et
; métropolite de Beyrouth s'en émurent, et ils préparèrent une résistance
piniàtre. Le premier fit répondre aux injonctions du délégué, par un acte
Dllectif signé par tous les moines qui avaient trempé dans cette misé-
ible affaire, que « la Congrégation alépine n'admet point que le délégué
postolique s'immisce dans ses affaires, étant donné qu'elle est soumise
nmédiatement à l'Ordinaire melkite et 7nédiatement au patriarche mel-
itc ; en conséquence, elle se refuse à toute enquête concernant son admi-
istration et les griefs de ses subordonnés, lorsqu'elle est menée par un
jpérieur étranger (1) ». Le métropolite de Beyrouth fit répondre que
le Saint-Siège ignore la teneur même des Constitutions; par suite, il ne
DHscnt nullement à céder au délégué apostolique des droits consacrés
ar les Constitutions monastiques, et qui l'établissent seul juge de tous
is procès religieux, et le seul arbitre dans les différends. Enfin, il ne
DHsidère dans l'acte du délégué qu'une simple immixtion dans son
dministration diocésaine (1) ».
Le délégué apostolique se hâta de faire parvenir à Rome ces pièces
athentiques, et attendit une nouvelle instruction et des ordres nouveaux.
Le 14 mai 191 1, M^"" Giannini fut invité à présider les solennités du
nquantenaire des deux Congrégations de l'Immaculée-Conception et
es Enfants de Marie, que les RR. PP. Franciscains dirigent à Saïda. Le
ndemain, il en profita pour faire une visite au monastère melkite de
■éir el Moukhallès; il en fut pleinement satisfait. Ce qui le réjouit sur-
mt, ce fut le nouveau Séminaire, où se forment à une éducation vraiment
icerdotale les futurs religieux de cette excellente Congrégation, qui est
Urée résolument dans la voie des réformes. Enfin, ce qui lui alla jus-
j'au cœur, ce fut le bon esprit catholique dont sont animés tous les Sal-
.atoriens, et qui contraste si étonnemment avec cet esprit indépendant
jDot Alépins et Chouérites venaient de donner des preuves si regrettables.
je 29 mai, il s'embarquait pour la Ville Eternelle (i).
Y. La visite canonique chez les Chouérites.
JLe délégué apostolique ne tarda pas à rentrer en Syrie; mais son
pyage avait produit une pénible impression chez les Chouérites. Les
Rn vue de faire sa visite ad limina Apostolorum.
■ Iios d'Orient, t. X V. 24
370
ECHOS D ORIENT
Alépins, en particulier, étaient terrifiés, et, comme le patriarche melki
est un Alépin, ils se donnèrent un moment l'illusion qu'ils seraie:
délivrés de la visite canonique tant redoutée, et qui s'annonçait imminent
Ils écrivirent lettre sur lettre à leur prétendu sauveur, et où les craint
les plus grandes étaient mêlées aux supplications les plus touchante
S. B. Cyrille VIII Géha, ignorant encore les sentiments de Rome, s'e
força d'apaiser leurs craintes, en leur donnant l'illusion du contrair
Enfin, vers la mi-novembre, il leur déclara « que, finalement, la visi
canonique ne leur serait point imposée ». En même temps, il leur t
faisait ses meilleurs compliments.
Or, quinze jours après, le délégué apostolique recevait une longi
instruction de la Propagande ordonnant cette même visite romaine, (
le 1" décembre 191 1, la revue Al-Massarrat publiait la note plaisan
que voici : « S. S. Pie X vient de jeter ses regards bienveillants sur
Congrégation des Basiliens alépins, et, afin de mieux prendre soin de s
intérêts. Elle a nommé, pour sa visite (canonique), S. Exe. M^'' Dimitri
Qâdi, métropolite d'Alep, assisté des RR. PP. Joseph Gallant, Domii
cain, et François Farra, Franciscain. Nous demandons pour eux le secoif
divin, et pour l'honorable Congrégation le bien et la prospérité que
souhaite aussi le Père commun des fidèles. »
Cinq mois avant de prendre ces mesures si sages, le cardinal Gotti av
eu soin de les faire pressentir aux intéressés. Il avait même écrit sévè
ment au métropolite de Beyrouth et au nouveau Général alépin au m
de mai 191 1. «Votre refus opiniâtre, disait-il, de vous prêter à l'enqui
ordonnée au délégué apostolique recèle un grand fond de schisme et si
très fort l'hérésie. Nous vous engageons à changer de conduite, autremi
nous serons forcé de recourir à des mesures canoniques coercitives
Aucune amende honorable ne vint modifier ces dispositions plus qu'éc
voques, et Rome dut sévir.
Comme on le pense bien, les trois grands mécontents furent le méip-
polite de Beyrouth, l'évêque de Baâlbek et l'astucieux ex-Général aléf p.
Ce dernier conseilla même de recourir au pouvoir séculier pour bar r,
dès le début, tous les chemins à la visite apostolique. Il fut applaudi ir
ses deux mentors. Il fut désigné pour mettre à exécution le plan de gue p,
et il le fit sous le couvert de Vincognito. 11 fit donc appel aux journak,
et comme il n'est guère capable d'écrire, il paya chè}'eme?ii un de ses a i'^
laïques, parfaitement connu de ses deux mentors, et il l'engaga à publ '
dans le journal Al-Iiiihad ul 'Othmani, V « Union ottomane », un art
sous le pseudonyme des initiales arabes Kh. Z., intitulé: Epître à
d'un notable chrétien et sous sa responsabilité. Espionnage iial
23 décembre 191 1. Le qualificatif à bail mérite d'être retenu. L'an
confond grossièrement les questions religieuses avec les questions ci^>
et politiques; dans la visite apostolique, il distingue un espionnage ita!
CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE ^yi
it engage tout bon citoyen ottoman à la repousser de toutes ses forces;
nfin, il préconise les mêmes principes schismatiques que nous avons vu
elater par M^" Athanase Sawaya et l'ex-Général alépin dans leurs lettres
,u délégué apostolique, touchant « l'ingérence du Saint-Siège dans le
[ouvernement de l'Eglise orientale ». Il termine en lançant des ironies
mères aux trois Congrégations religieuses melkites « dont l'une d'elles,
près avoir subi le joug intolérable de pareille ingérence étrangère, avait
ini par s'en débarrasser pour toujours » (i).
Ces lignes malheureuses firent sensation en Syrie, notamment à Bey-
outh et au Liban. Comme on en attribuait le patronage au métropolite
le Beyrouth, celui-ci se crut découvert, et il se hâta de publier, le
17 décembre 191 1, une petite riposte où sont semées de nombreuses
;énéralités équivoques. Le journal des Pères Jésuites, Al-Bachir (2),
mblia un autre article dans le même sens, signé : « Un religieux liba-
lais », mais plus catégorique et surtout foncièrement catholique. Il eut
)Our résultat de mécontenter un laïque exalté et une pauvre hallucinée
ie Beyrouth, qui répondit en français. La revue Al-Massarrat fit bonne
ustice et des uns et des autres, mais sans aucune allusion, cela va
sans dire, aux machinations des supérieurs ecclésiastiques précités (3).
L'évoque de Baâlbek et le Général des Chouérites indigènes observèrent
m silence prudent. Mais cette attitude peu louable ne fut pas du goût des
ieux autres Supérieurs généraux des Salvatoriens et des Alépins, qui
Ireni des réponses nobles, dignes, foncièrement catholiques et foncière-
ment romaines (4).
Malgré tous les bruits de schisme qui coururent en Syrie à l'endroit
ie la visite canonique, M^'^ Giannini ne s'émut guère. Il écrivit aussitôt
lu métropolite d'Alep, pour l'inviter à se rendre à Beyrouth. M^"^ le délégué
ipostolique lui remit, en décembre 191 1, le mandat romain qui le nom-
nait visiteur apostolique pour la Congrégation des Basiliens alépins.
.e métropolite de Beyrouth, malgré sa protestation contre le pamphlet
inonyme dont nous avons parlé, essaya, de concert avec l'évéque de
iaâlbek et l'ex-Général alépin, de fomenter de nouveaux troubles, accu-
lant le Saint-Siège de leur avoir assigné comme juge leur plus mortel
nnetni.
. Sa première visite fut pour le couvent de Sarba, où se trouvaient
jncore les Supérieurs majeurs, ainsi que l'ex-Général. Une réception
jolennelle fut organisée en sa faveur. Sa bienveillance et sa douceur
ccoutumées lui concilièrent tous les coeurs; l'ex-Général lui demanda
Mlusion à la Congrégation Salvatorienne, qui fut longtemps soumise à la visite
iique dont était chargé l'évéque melkite de Saïda, un Salvatorien.
N 2 104.
■"■ H (1911-1912), p. 620-635; 701-702.
i-lles furent publiées in extenso dans Al-Massarat, p. 63i-635.
372
ECHOS D ORIENT
publiquement pardon, accusant ouvertement le métropolite de Beyrou
et l'évêque de Baâlbek de l'avoir énergiquement engagé dans la mauvai
voie qu'il avait suivie (i); il remit aussitôt à M^'' Qâdi le registre d
comptes de la Congrégation, qu'il avait refusé de livrer au nouve
Général; le P. Elle Nahhas se jeta aux pieds du visiteur apostolique, fc
dant en larmes, accusant l'ex-Général et les deux prélats d'être les vé
tables auteurs de tous les méfaits qu'il avait accomplis à Alep, et dema
dant humblement pardon. Me' Qâdi fut on ne peut plus digne, et, av
une noblesse peu commune, il déclara qu'il ne voulait rien entendre
tout le passé ; puis, sans perdre de temps, il commença la visite canoniqi
Après Sarba, ce fut le tour de Saint-Michel à Zouq-Mikaïl, où vive
une douzaine de Sœurs Alépines; puis, Notre-Dame de Zer'aya (2), n(
loin du petit village de Kafar-Taïh (Liban); ensuite, il revint à Alep, >
se trouvaient huit religieux, dont les uns avaient demandé et obtenu le
exeat à la Propagande. Actuellement, les visiteurs apostoliques sont
Egypte; ils ne tarderont pas à rentrer en Syrie pour remplir leur manc
romain le plus consciencieusement du monde.
VU Un progrès chez les Basîlîeus alépîns.
Sous la pression de la S. Gong, de la Propagande, qui destituait
P. Gabriel Basile du généralat, et ordonnait des réformes urgentes, le d
nier Chapitre général alépin, tenu au couvent de Sarba le 1" octobre 19
décréta l'ouverture d'un Petit Séminaire où seraient instruits et formés i
douzaine d'enfants alépins en qui on remarquerait des signes de vocat
religieuse. A cet effet, il fut décidé qu'on rouvrirait le vieux monast
de Saint-Isaïe, non loin de Broummana (Liban), après y avoir prati<
certaines réparations urgentes. Jusqu'à présent, rien n'a été entrepris
ce sens, mais le Petit Séminaire a commencé à fonctionner dès la [n
d'octobre 1910 à Déir-Chir Makkîn, sous la direction de deux anci'
élèves de Sainte-Anne de Jérusalem. Le 12 juillet 191 1, le R™« P. J
Khaouam avait la joie de constater d'excellents résultats obtenus, i
suite des premiers examens annuels, dans les langues arabe, français
grecque, et, le 3i août 191 1, S. B. Cyrille VIII Géha le pressait inst;
ment de donner tous ses soins à ce Petit Séminaire, car il y constatait
aussi des progrès réels, à la suite d'une courte visite à Déir-Chir. i
Depuis 1829, les Basiliens alépins n'ont eu que des velléités d'instlo-
tion religieuse et littéraire. Ils ont eu des Généraux qui se piquaient d !^
certaine habileté dans l'administration des propriétés monastiques, rii-
qui ne possédaient pas la moindre connaissance théologique, philo-
(i) Nous avons en main trois lettres qui nous l'attestent.
(2) Autre couvent de Sœurs Alépines; elles y sont au nombre de quatorze.
CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE 373
phique ou littéraire. En 1 896, le P. Théophane Badaouy essaya de remettre
en honneur ces études indispensables, et, à cet effet, il ouvrit un Grand
et un Petit Séminaire au nouveau couvent de Sarba. Sa réforme ne vécut
pas plus de deux ans, grâce aux intrigues du P. Gabriel Basile, qui,
gn 1901, donna de même le coup fatal à toutes les institutions scolaires
de son prédécesseur.
Nous souhaitons une plus longue vie au nouveau Séminaire alépin de
Déir-Chir.
YII. Au diocèse de Zahlé.
Après avoir lutté contre les prétentions schismatiques des Chouérites,
l'Eglise melkite entreprit une guerre ouverte contre les prétentions des
Francs-maçons. Ces derniers sont légion à Zahlé; ils ont tous été affiliés
lux Sociétés secrètes durant leur émigration en Amérique ou en Australie.
Rentrés dans leur patrie, ils ont essayé de participer aux sacrements de
l'Eglise, tout en demeurant affiliés à la secte. Les bons prêtres ont refusé
l'absolution, et l'excellent évêque de Zahlé, M«'^ Cyrille Moghabghab,
s'est élevé en chaire contre ces abus, a instruit dignement de leurs devoirs
tous les fidèles de son éparchie, et condamné solennellement la franc-
maçonnerie dans son diocèse.
Les sectaires lui ont reproché son intransigeance, affirmant que les
autres évêques melkites étaient plus faciles et moins persécuteurs de leurs
ouailles. Le corps épiscopal a été saisi de cette calomnie par le prélat lui-
même, qui a reçu les félicitations de ses collègues (i). Sur ces entrefaites,
un riche franc-maçon de Zahlé est mort à Beyrouth. Les sectaires l'ont
ramené à Zihlé dans un train spécial, et ont prié le prélat de procéder
à son enterrement religieux. L'évêque a refusé net, et ils ont dû l'enterrer
:ivilement, avec tous les insignes maçonniques, au grand scandale de la
tatholique ville de Zahlé.
YIII. Chez les missionnaires Paulistes de Harissa (Liban).
L'Eglise melkite catholique vient de perdre le plus méritant de ses pré-
ats en la personne du regretté Ms"" Germanos Mo'aqqad, évêque titulaire
ie Laodicée, et fondateur de la Société des Missionnaires de Saint-Paul,
i Harissa (Liban). Depuis longtemps déjà il souffrait du diabète; au mois
jle janvier dernier, il dut subir une opération à l'hôpital français de
Beyrouth; ses derniers moments ont été paisibles et profondément reli-
:;ieux. JVU-- Athanase Sawaya lui a administré les derniers sacrements
(i) Nous avons le regret de dire que trois prélats melkites se sont fait remarquer
5ar leur abstention. Ce sont : M" Agapios Ma'louf, de Baâlbek, M'' F.avien Kfouri,
.|le Homs et Yabroud, et M" Grégoire Hajjar, de Saint-Jean d'Acre.
374
ECHOS D ORIENT
avec l'indulgence plénière in articula mortis. Il a fait généreusemei
à Dieu le sacrifice de sa vie, et s'est livré aux médecins-chirurgiens,
mourut pendant l'opération, entouré de ses enfants, les Missionnaire
de Saint-Paul, le ii février 1912. A Beyrouth, il a eu des funéraill(
triomphales, auxquelles ont pris part le délégué apostolique de Syri(
S. B. M^^'" Ignace-Ephrem Rahmani, patriarche des Syriens catholique;
M»'' Athanase Sawaya. métropolite de Beyrouth; les RR. PP. Lazariste:
les RR. PP. Jésuites, les Sœurs de Charité et toutes les communauté
orientales de Syrie. Il a été inhumé dans le caveau des religieux ChoiK
rites, sous l'église cathédrale de Saint-Elie, en attendant que les Missioi
naires de Saint-Paul puissent le transférer à Harissa, après lui avoir éle\
un monument digne de lui.
Les Echos d'Orient (i)ont déjà longuement parlé de ce digne préla
de ses travaux et de sa Société de Missionnaires. Ceux-ci sont aujourd'h
au nombre de cinq. Le prélat défunt les laisse en possession d'une vas]
maison à Harissa, et d'un large terrain à Jounyé, acquis au moyen d
aumônes recueillies par les missionnaires eux-mêmes en Egypte (1
Malgré leur petit nombre et la rédaction de la revue Al-Massarrat, do
le synode de 'Aïn-Traz, 1909, les a officiellement chargés, ils trouve
moyen, aux approches du Carême, de donner des missions salutaire
tant en Egypte qu'en Syrie, à la grande satisfaction des prélats melkites ('
IX. Au Séminaire de Sainte-Anne à Jérusalem.
Depuis 19 10, la jeune revue Al-Massarrat nous entretient réguliè
ment des ordinations qui ont lieu chaque année, le 20 juillet, au Sél
naire melkite de Sainte-Anne. On sait que cette maison d'éducation sâo
dotale, confiée depuis trente ans au zèle des RR. PP. Blancs, a d
donné à l'Eglise melkite une centaine de prêtres instruits et dévoués <
travaillent sous la direction de leurs évêques respectifs. En 19 10, Ms^^'Nicé
l
Qâdi, métropolite de Bosra et Hauran, conférait les saints Ordres à di
prêtres, deux diacres et cinq sous-diacres. En 191 1, Ms'" Paul Abi-Mourp
vicaire patriarcal de Jérusalem, conférait les saints Ordres à quatre prêti
trois diacres et un sous-diacre.
Cette même année, le R. P. Féderlin, le distingué supérieur de Saii
Anne depuis 1888, à la suite de grandes fatigues, était tombé gravem
malade au mois de janvier. Après trois longues semaines passées à 1'')-
(i) C. Charon, M" Germanos Mo'aqqad et sa Société de missionnaires, dans E 0S
d'Orient, t. VIII (igoS), p. 282 sq. |
(2) Des difficultés ayant surgi au sujet de la succession du prélat défunt, S. B, Cyrille ''
a prié M^' Dimitrios Qâdi, d'AIep, de se rendre à Harissa pour les apaiser.
(3) La reyue Al-Massarrat, t. H (1911-1912), p. 721-744, publia une longue noticel;
M" G. Mo'aqqad.
CHRONIQUE DE l'ÉGLISE MELKITE 375
pital Saint-Louis de Jaffa, il est revenu à la santé, mais les Supérieurs
majeurs ont jugé prudent de le décharger complètement de la direction
du Grand Séminaire. Le R. P. Vanwaelscappel a été envoyé à Jérusalem
en qualité de supérieur du Grand Séminaire de Sainte-Anne. Le Petit
Séminaire reste toujours sous l'habile direction du R. P. Jules Ruffier,
depuis 1894.
X. — Au patriarcat meikite de Damas.
En 191 1, S. B. Cyrille VIII Géha, patriarche des melkites catholiques,
a célébré à Damas son Jubilé de vingt-cinq ans d'épiscopat (1886-1911).
A cette occasion, des solennités religieuses et littéraires ont eu lieu au
patriarcat de Damas, qui ont réjoui le prélat jubilaire, auquel le Saint-
Père a envoyé une bénédiction spéciale. En Egypte, on a fait plus.
M^'" Macaire Saba, vicaire général patriarcal, a convoqué les membres
de la Commission patriarcale égyptienne au Caire. On y a décidé la
construction d'une vaste église au Caire, sous le vocable de saint Cyrille
d'Alexandrie, patron de Sa Béatitude. Le terrain, situé dans la meilleure
partie de la nouvelle ville du Caire, et mesurant plus de i 5oo mètres
carrés, a été gracieusement cédé par la nouvelle Compagnie d'Egypte.
Les noms des bienfaiteurs doivent être inscrits dans un album richement
orné qui sera offert à Sa Béatitude, et un délai de six mois seulement
a été fixé pour l'achèvement des travaux de construction.
M. le consul de France à Damas a remis à S. B. Cyrille VIII Geha,
le 20 août 191 1, la croix de commandeur de la Légion d'honneur, au nom
de la France, qui récompense ainsi le zèle de Sa Béatitude à répandre
la langue française dans tout son patriarcat meikite. Un grand nombre
d'ecclésiastiques et de laïques ont pris part à cette solennité, qui a eu lieu
dans la vaste cour du patriarcat, et durant laquelle plusieurs discours de
circonstance ont été prononcés tant en arabe qu'en français.
Après une longue attente, S. B. Cyrille VIII s'est décidé à donner pleine
satisfaction aux Damasquins, et, en 19 10, il a nommé le R. P. Dimitri
Soukaryyé vicaire général patriarcal de Damas, avec la dignité d'archi-
mandrite, qu'il lui a conféré en même temps. M«^ Ignace Homsy, l'an-
cien vicaire patriarcal, a été prié de se retirer à *Aïn-Traz.
Jean Barbara.
Syrie.
BIBLIOGRAPHIE
NiKOS A. BÉIS, 'AvTtooXr, to-j «Uzo\ 7iO'.Y,T[xr,; » tou 'AokjtotÉXou; r.oo; xojoixix
Tou MsTswpou. Extrait de la revue 'AOr,va, Athènes, P. D. Sakellarios,
191 1, 10 pages (34-43) in-8°.
Dans cette courte étude, parue dans le tome XXIII de'AOr^va, M. Nikos
Béis compare le texte de la Poétique d'Aristote publié par Egger à Paris
en 1875 avec celui d'un manuscrit du xv® siècle du couvent météore de
la Transfiguration.
Au début de son travail il donne une liste des autres traités contenus
dans le même manuscrit, et qui sont: 1° un traité sur la métrique, dur
inconnu; 2° 'Oveipoxpiasiç de Nicéphore; 3° 'Ey/'^p'-S'-ov d'Héphestion;
4° Kuvr|Y£Tixà d'Oppien; b" llsp-. Tro-.rjTtXY,; d'Aristote; 7° lltoX épaYiVsiaç d(
Démétrius de Phalère.
F. Cayré.
E. Legrand, Bibliographie ionienne: Description raisonnée des ouvragei
publiés par les Grecs des Sept-Iles ou concernant ces îles, du xv^ siècL
à l'année igoo. Œuvre posthune complétée et publiée par H. Perno:
(Publications de l'Ecole des langues orientales vivantes). Paris, Leroux
1910. Deux volumes in-8°, ix-860 pages.
Une publication de ce genre demande des années de recherche
assidues et de patience à toute épreuve, mais les deux infatigables érudit
que sont MM. Legrand et Pernot n'ont pas reculé devant la tâche. Auss
devons-nous ménager un accueil chaleureux à ce vaste catalogue de
œuvres manuscrites ou imprimées qui constituent la littérature ionienne
Combien ces deux volumes seront utiles, ceux-là surtout le savent bie
qui s'occupent d'études bzyantines. Aucun renseignement indispensabl
ne fait défaut; on y indique même dans quelle bibliothèque se rencontren
tels ou tels ouvrages plus rares. C'est ainsi que plusieurs (p. 114, 12c
i65, etc.) sont mentionnés comme se trouvant à Kadi-Keuï, à la réda-.
tion des Echos d'Orient. Malgré quelques lacunes (par exemple, au sujt
de VAcolouthia de la Myrtidiotissa de Cérigo, les éditions de Céphalonj
et du Pirée, en 1849 et 1882, ont été omises), lacunes d'ailleurs qu'i
comblera facilement dans un appendice, cette bibliographie n'en deme
pas moins une source abondante de renseignements à laquelle on p
sera longtemps.
A. Chappet.
BIBLIOGRAPHIE
377
J. LONGNON, Chronique de Morée (i204-i3o5), publiée par la Société de
l'Histoire de France. Paris, H. Laurens, 191 1, in-8°, cxx-432 pages et
une carte. Prix : 9 francs.
Voici plus de soixante-dix ans que Buchon publia la Chronique de
Morée. Depuis cette époque, il s'est fait tant de précieuses découvertes
qu'une réédition critique de cet ouvrage s'imposait. M. Longnon a entre-
pris cette tâche et ij l'a menée à bien, après des recherches scrupuleuses
et avec un grand souci d'exactitude. Le texte est précédé d'une introduc-
tion où M. Longnon nous donne tous les renseignements capables de
nous faire comprendre le document qu'il publie. Après un aperçu histo-
rique sur la principauté de Morée et une notice sur les sources de l'histoire
de la conquête de ce pays, il étudie la Chronique elle-même, les travaux
qui ont été faits avant lui et les origines de cet ouvrage. Suit une notice
chronologique des grands feudataires de Morée et des principaux souve-
rains de Grèce. Enfin, une notice géographique accompagnée d'une carte
familiarise le lecteur avec les noms étranges donnés par les croisés à leurs
possessions d'outre-mer et dans lesquels il est bien difficile parfois de
retrouver la forme grecque. Le texte de la Chronique est suivi d'un glos-
saire et d'une table analytique de noms propres.
La Chronique de Morée, telle que vient de l'éditer M. Longnon, sera
bien accueillie de ceux qui ont à cœur d'étudier les gloires de la France
£t de retremper leurs énergies au contact de leurs ancêtres.
R. Janin.
R. HuBER, Empire oiiojnan, carte statistique des cultes chrétietis. Le
Caire, Baader et Gross (191 1). Prix: 10 marks.
Le major Huber a publié en 1910 au 1/600000 la carte statistique des
cultes chrétiens dans la partie européenne de l'empire ottoman. Il vient
de faire paraître au i/i 25o 000 celle de la partie asiatique. Ici la tâche
était plus facile que pour la Macédoine parce que la compénétration des
races et des religions y est moins grande. L'ensemble du travail donne
une idée assez exacte de ce que sont les diverses sectes chrétiennes en
3rient. Cependant il s'y est glissé des inexactitudes dont nous relèverons-
les principales, au moins pour ce qui regarde les catholiques. Les Augus-
ùns de l'Assomption n'ont ni maison, ni église, ni école à Kara-Hissar,
Ak Chéhir et Érégli, mais, par contre, ils ont une mission assez impor-
tante à Kadi-Keuï. L'auteur ne paraît pas familiarisé avec les Congréga-
ions religieuses : les Franciscains de Terre Sainte ne reçoivent pas moins
ie quatre noms différents, les Filles de la Charité sont appelées tantôt
jSœurs de Saint-Vincent, tantôt Sœurs de Charité. Ceux que M. Huber
ippelle les presbytériens ne sont-ils pas tout simplement les Prêtres de
a Mission ou Lazaristes? Malgré ces imperfections, la carte du major
378 ÉCHOS d'orient
Huber rendra beaucoup de services à ceux qui voudront connaître en
détail la mosaïque des religions dans l'empire ottoman.
R. Janin.
F. Larrivaz, s. J. Les saintes Pérégrinations de Bernard de Breyden-
bach (1483). Texte et traduction annotée. Extraits relatifs à l'Egypte
suivant l'édition de 1490. Le Caire, 1904, in-8°, 78 pages.
»
Bernard de Breydenbach, doyen de la cathédrale de Mayence, nous
parle, dans ces quelques pages, de son voyage en Egypte au retour de
Palestine en 1483. C'est une description naïve et détaillée de tout ce qu'il
a rencontré, comme en faisaient jadis les pieux pèlerins de Terre Sainte.
Le R. P. Larrivaz, dans sa traduction, a été aussi exact que possible, ei
l'élégance de son style n'en a nullement souffert.
Les notes explicatives et critiques qu'il a ajoutées au texte rendent c(
récit plus charmant encore. Les principaux points décrits sont surtou'
Matarieh, Caire-Babylone et Alexandrie. A. Chappet.
C. LiTZiCA, Catalogul manuscriptelor grecesti {Catalogue des manuscrit
grecs de la bibliothèque de l'Académie roumaine). Bucarest, Caro
Gobi, 1909. In-8°, vi-564 pages -h XV fac-similés. Prix : 12 francs.
Ceux qui s'imposent le labeur peu attrayant de cataloguer les manu
scrits des bibliothèques ont droit à la reconnaissance du monde savant
Je suis sûr que tous ceux qui parcourront le catalogue si bien ordonné de
manuscrits grecs de la bibliothèque de l'Académie roumaine, que M. Lilzic
a récemment dressé, lui diront du fond du cœur un sincère merci. L
bibliothèque roumaine est assez pauvre en manuscrits anciens. Les xi
xvi^ siècles ne sont représentés que par une cinquantaine de numéros
Mais l'abondance commence avec le xvii^ siècle. Le xviii^ a la part d
lion : près des deux tiers du nombre total, qui est de 83o. C'est dire qu
la bibliothèque roumaine se recommande à l'attention des helléniste
surtout par les pièces de la littérature grecque des trois derniers siècle:
bien que le moyen âge byzantin y tienne aussi une bonne place. L'excc
lente table des auteurs qui termine le volume facilite les recherches.
M. JUGIE.
D. D. Gerasimu Safirinu, Documente privitoare la iurburarea biser
ceasca pricinuita de legea sinodala din igog si apararea prea sfint
tului episcopal Romanului în procesul sinodal din vara anuh
igi I. Bucarest, D. C. Jonescu, 19 12, 446 pages.
L'évêque de Roman a rassemblé dans cet écrit les documents dive
relatifs à la défense de sa propre cause dans le fameux procès qui s'ei
BIBLIOGRAPHIE 379
terminé par sa destitution et celle du primat, Mp"" Athanase Mironescu.
Ces documents curieux contiennent la preuve manifeste de la culpabilité
du chef de l'Église roumaine. Comme notre correspondant de Roumanie
se charge de raconter la suite de la triste affaire Minorescu, dont il nous
a exposé les débuts l'année dernière, et qu'il a été contraint d'interrompre
jusqu'à ce jour, nous ne croyons pas nécessaire de parler plus lon-
guement de l'ouvrage de M^*" Safirinu. Signalons cependant un détail
intéressant : c'est que, d'après les griefs formulés contre l'évéque moldave,
ce dernier s'était permis d'interdire dans son éparchie toute musique
polyphonique aux enterrements des officiers même supérieurs.
En finissant ce bref compte rendu, nous exprimons le regret que pour
se défendre de l'inculpation de tendance catholique, le digne prélat ait
cru devoir affirmer, sans examen sérieux de la question, que le catholi-
cisme est une déviation du christianisme primitif. A. Catoire.
A. Valensin, Jésus-Christ et Vétude comparée des religions, conférences
données aux Facultés catholiques de Lyon. Paris, Gabalda, 1912, in-12,
222 pages. Prix : 3 fr. 5o.
Les sujets traités par M. Valensin sont : L Le problème christologique
que pose la science des religions. II. Les « Christs mythiques » et le
Christ historique. III. L'image du Christ devant le syncrétisme gréco-
romain. IV. Le Messianisme d'Israël. V. Jésus-Christ, la voie, la vérité,
la vie. Suivent: i. Cinq notes sur le Fait religieux, l'Option préalable,
r « Évangile bouddhique », la supériorité vitale de la grâce sur la loi, la
parole de l'apôtre saint Philippe : « Montrez-nous le Père et il nous
suffit»; 2. Un index des auteurs cités; 3. Un index analytique.
Le conférencier met en œuvre les derniers renseignements fournis par
l'étude des religions sur la question capitale qu'il s'est proposé d'exposer
devant un auditoire choisi. Ce genre de travail a son mérite, qui n'est pas
toujours inférieur à l'invention des documents : car, sans lui, ces derniers
courraient souvent le risque d'être inutilisables pour un grand nombre
de gens instruits. La dernière conférence, qui est la conclusion des pré-
cédentes, est à notre avis la plus intéressante de toutes. Le fait de l'Église
catholique dans laquelle seule, d'une part, l'instinct religieux de l'homme
trouve pleine satisfaction et dont cependant, d'autre part, non seulement
la morale, mais encore la foi aux mystères et aux miracles anciens et
actuels, sont tellement solidaires qu'on ne peut rien en modifier sans
les renier et en annuler l'influence religieuse; ce fait, disons-nous avec
M. Valensin, est absolument unique en son genre. L'impression qu'il
produit sur l'esprit droit est si forte que l'incrédule éclairé, s'il est sin-
cère et examine une bonne fois la chose froidement et sans prévention
personnelle, nationale ou autre, ne pourra plus désormais vivre en paix
dans son scepticisme.
^8o ÉCHOS d'orient
Malgré l'estime que nous professons pour cet ouvrage, nous nous per-
mettons de soumettre à l'auteur quelques remarques ou questions con-
cernant sa méthode et certaines de ses démonstrations :
1° M. Valensin s'exprime de façon à laisser au lecteur l'idée que la
méthode du doute scientifique suppose nécessairement le doute réel et
positif;
2° A propos de la question de l'influence exercée par le bouddhisme, le
babyionisme ou le syncrétisme gréco-romain sur le christianisme, le con-
férencier ne répond pas d'une manière, à notre avis, pleinement satisfai-
sante aux doutes qui peuvent naître dans l'esprit, à propos des légendes
de Barlaam et de Joasaph, de saint Georges, etc.
Nous pourrions chicaner le savant auteur sur d'autres points importants,
tel celui d'une déformation primordiale du christianisme, due selon les
incrédules à l'ascendant extraordinaire et si impressionnant du Christ
sur ses premiers disciples. Ici encore, nous regrettons que le professeur
lyonnais ne mette pas assez en lumière la réponse à faire à cette objection
spécieuse des ennemis de l'Église. En outre, des critiques compétents
n'admettront pas ce qui est dit dans Jésus-Christ et l'étude comparée des
religions sur le fatalisme de l'islam, le peu d'influence de l'arianisme, etc.
Nous n'insistons pas sur ces critiques, faute d'espace.
Malgré ces remarques, nous tenons à répéter que M. Valensin a fait
œuvre très utile en publiant ses conférences, et qu'en les améliorant çà el
là il rendrait cette œuvre plus utile aux apologistes catholiques.
A. Catoire.
E. Gerland, Der Mosaikschmuck der Hamburger Erloserkirche. Eir.
ikoîiographischer Versuch. Homburg, J. G. Steinhaeusser, I9ii,in-i2
52 pages. Prix : i mark. 1
A propos des mosaïques exécutées dans l'église de Homburg, le D'' Ger
land fait l'historique de ce genre de décorations et étudie d'une façor
toute spéciale les représentations du Christ que nous ont léguées le
anciens, et particulièrement les Byzantins. Onze gravures illustrent heu
reusement le texte et donnent encore plus de valeur à cette petite étude
qui en a déjà beaucoup par elle-même.
J. Iannakis.
n
A. Stockle, Spàlrômische und by^antinische Zûnfte. Leipzig, 1911
Librairie Dieterich, in-4°, x-i8o pages. Prix: 9 marks.
L'édit de l'empereur Léon le Sage sur les corporations, appelé aus
Livre du préfet, nous était connu depuis une vingtaine d'années. M. Jul
Nicole l'avait découvert et publié en 1892. Ce document faisait connaît
les corporations byzantines, jusque-là à peu près ignorées. M. Stockle
I
I
BIBLIOGRAPHIE 38 1
donne aujourd'hui une étude approfondie. Il examine en détail les pre-
scriptions de redit, la terminologie, les vingt-deux chapitres qui concernent
chacun un corps de métier, l'organisation des corporations et leurs rap-
ports avec le gouvernement. Huit index philologiques, géographiques,
topographiques, etc., complètent ce travail.
R. Janin.
Fr. Snopek, Konstaniinus-Cyrillus und Methodius die Slavenapostel,
in-8'', 472 pages. Kremsier, H. Siovak, 191 1. Prix: 10 couronnes.
Voici un livre de combat. On s'en aperçoit dès qu'on a lu le sous-titre :
U71 mot de défense aux amis de la vérité historique. Il fait partie des
œuvres publiées par l'Académie de Véléhrad, qui sont destinées à mettre
en lumière les gloires chrétiennes des Slaves et à faciliter le retour des
schismatiques à l'unité. C'est à un professeur berlinois, le D' Alexandre
Bruckner, que s'en prend M. l'abbé Snopek. Et vraiment il a beau jeu de
démolir une à une les thèses échafaudées par son adversaire. Parmi les
affirmations soutenues par le D"" Bruckner, nous découvrons des choses
nouvelles auxquelles aucun historien sérieux n'avait songé avant lui. Je
n'en cite qu'un exemple : il paraît que saint Cyrille et saint Méthode
étaient partisans de Photius et détestaient cordialement Rome! On dirait
que les Allemands, qui ont si vivement combattu les apôtres des Slaves
durant leur vie, veulent encore leur enlever leur auréole de sainteté.
Aussi, avec quel entrain, quel feu lui répond M. Snopek! Le vieil anta-
gonisme des Slaves contre les Germains lui dicte parfois des invectives
violentes, mais cette polémique est basée sur un scrupuleux souci de la
vérité, sur des recherches patientes et sur un grand esprit critique. L'au-
teur — même s'il a parfois dépassé la mesure — aura vaillamment défendu
les apôtres de sa race.
Son œuvre est un peu touffue; on y trouve trop de parenthèses histo-
riques ou théologiques, mais elle n'en sera pas moins d'une grande utilité
à ceux qu'intéressent la vie et les œuvres de saint Cyrille et de saint
Méthode.
R. Janin.
; Mélanges de la Faculté orientale de l'Université Saint-Joseph, à Beyrouth,
' t. V, fasc. I, in-8", 4i5-xxxviii pages. Beyrouth, 191 1.
Nous avons déjà dit à plusieurs reprises i^Voir Echos d'Orient, t. X,
i 1907, p. i82-i83; t. XI, 1908, p. 126-128; t. XIV, 1911, p. SS-Sg.) tout
le bien que nous pensions des savants volumes que publie périodi-
quement, sous le titre de Mélanges, la Faculté orientale de l'Université
des Pères Jésuites de Beyrouth. Parmi les travaux qui constituent le
r;î présent fascicule, deux ont déjà été signalés dans notre revue : Un monas-
382 ÉCHOS d'orient
tère éthiopien à Rome aux xv^ et xvi^ siècles, « San Stefano dei Mari »,
P. M. Chaîne; notes épigraphiques (Damas, Alep, Orfa), Noël Giron.
(Voir Echos d'Orient, t. XIV, 191 1, p. 3ii-3i2.) Il nous reste à men-
tionner les autres études de ce recueil :
La Hamâsa de Buhturi (Notes critiques, fin). P. L. Cheikho, p. 37-70.
— Le calijat de Ya^îd /<"■ (2^ fasc). P. H. Lammens, p. 79-268. — Etude
sur tJ'ois textes relatifs à l'agriculture (Isaïe, Amos). P. H. V/ilbers,
p. 269-282. — laurus et Cappadoce. PP. G. de Jerphanion et L. Jala-
BERT, p. 283-328. — Inscriptions de Séleucie et de Piérie. P. L. Jalabert,
p. 329-332. — Ibora-Ga^ioura ? Etude de géographie pontique. P. G. de
Jerphanion, p. 333-354. — Etudes de philologie sémitique. P. Paul Jouon,
p. 355-404. — Notes de lexicographie hébraïque. P. PaulJouon, p. 404-415.
— Bibliographie, p. i-xxxviii.
Cette simple énumération dit assez la variété et la richesse de ces
Mélanges où orientalistes, éxégètes, historiens, archéologues, géographes
puiseront bien des renseignements précieux. Nous attirons plus spéciale-
ment l'attention de nos lecteurs sur les notes très intéressantes et très
précises consacrées par les RR. PP. G. de Jerphanion et L. Jalabert au
Taurus et à la Cappadoce, aux inscriptions de Séleucie et de Piérie,
l'identification de la localité pontique d'Ibora. Le R. P. G. de Jerpha-
nion, qui a minutieusement exploré ces parages, ne croit pas qu'or
puisse continuer à identifier Ibora avec Gazioura. « En attendant, dit-
que l'épigraphie vienne nous fournir les seules preuves irréfutables, or
acceptera la situation dans Tach Ova. »
Il n'est pas jusqu'à la bibliographie qu'il ne faille recommander au?
amis des choses orientales, et spécialement des choses byzantines; tel
recension signée des RR. PP. Mouterde, Jalabert, de Jerphanion est uni
véritable étude critique apportant sur plus d'un point d'importantes cor
rections à l'ouvrage analysé.
S. Salaville.
H. Fr. von Kutschera, Die Chasaren. Historische Studie (Ein Nac
lass), 2* édition. Vienne, A. Holzhausen, 1910, in-8°, 271 pages.
Le baron Hugo von Kutschera, haut fonctionnaire autrichien, réorga
nisateur de la Bosnie, fort au courant des choses politiques de l'OrieB
ancien et moderne, a laissé en mourant une étude historique sur le
Khazars, peuple de race turque établi dès le v« siècle dans l'Europe orier
taie et dont l'empire eut une assez longue période de gloire et de puii
sance. L'auteur, qui n'avait aucune prétention d'érudit, a négligé d'appuyf
sur des références précises les chapitres de cette excellente monographit
et il est bien regrettable que les éditeurs n'aient pas comblé cette lacum
On n'a même pas pris soin d'insérer une table des matières quelconquf
Voici, du moins, les titres des chapitres qui constituent cet ouvrage
BIBLIOGRAPHIE
383
[. Coup d'œil historique, p. 23- 106; IL L'empire des Khazars et son orga-
lisation, p. 107-161; IIL Destinée ultérieure des Khazars, p. 162-207;
[V. Khazars et Juifs, p. 207-270. On voit, par le vague de ces titres, com-
bien il serait à désirer que quelque travailleur se donnât la tâche de
reprendre cette étude pour la rendre plus utilisable. Il faudrait y ajouter
les renvois au moins aux principales sources, détailler la table des
natières, ajouter un index alphabétique et analytique, et l'on aurait
linsi décuplé la valeur de la monographie des Khazars laissée par le
Daron von Kutschera. Tous ceux qu'intéresse l'histoire des Byzantins,
des Petchenègues, des Comans et de tant d'autres peuples apparentés aux
K-hazars, accueilleraient avec joie cette édition revue et augmentée que
nous souhaitons.
S. Salaville.
M.Maxudianz, Lepar/er arme'n/enûf'AAn (quartier bas). Paris, P. Geuthner,
191 2, in-S", xi-146 pages.
M. Maxudianz, vartabet ou archimandrite d'Etchmiadzin, docteur de
l'Université de Paris, a consacré une étude scientifique aux particularités
de la langue arménienne parlée à Akn, sa ville natale. Pour plus de pré-
cision encore, il se borne à étudier l'idiome du quartier bas de cette loca-
lité, celui du quartier haut en différant d'une manière assez notable. Akn
(en turc Eguiné) se trouve en Asie Mineure, dans le vilayet de Xarput,
sur TEuphrate; elle compte, avec les villages environnants, 20000 habi-
tants, dont 10 000 Turcs et 10 000 Arméniens, y compris les Arméno-
Grecs. Le dialecte arménien qui y est parlé mérite d'attirer l'attention des
linguistes.
D. Servière.
A. Palus, TI véa O'.aôVjxTi xaxà To paxtxavb yepoypaso [jt,£Tacppa(7[X£V7i. MépoçirpciJTo.
Liverpool, The Liverpool booksellers' C° Ltd, 1910, in-12, 257 pages.
Bien que mise en vente à Liverpool, la première édition de cette tra-
duction du Nouveau Testament (1902) avait été imprimée à Paris. La
nouvelle (troisième et quatrième mille) est imprimée à Oxford.
L'orthographe a été plus radicalement phonétisée. Ainsi M. Pallis
jn'écrit plus llauXo;, mais Ila|iÀoç ; Y,-jpa, mais -^j3pa ; aùrd;, mais àcpTo;; xai Oevà
l??Y,;(o, mais <7upw (7:opeu(jo[ji.at, Luc. xv, 18). Parfois cette orthographe
jdéconcerte le lecteur, Trpoaecpxr,, prière; ^r^rjx^dXzit ÔTi<7aPpoûç; â/xpot. Le
Itexte a parfois été modifié ou mieux redressé. Des mots ont été remplacés
par d'autres. Kal aàv xb [jpsï xô c&opxoSvexat ; l'ancienne édition avait xb paJIet
[Luc. XV, 5). M. Pallis ne dit plus TrpoaxaXsi qui traduisait déjà ffuyxaXeT
de saint Luc, mais irpoçy.aXvï de la langue démotique. Dans le Pater noster,
il a changé un mot : 7:apà yXuxcoaÉ [xa;, sed libéra nos; il disait en 1902 :
384 ÉCHOS d'orient
(xéve yXÙTcoffé [xaç. On pourrait citer cent exemples. Il semble que M. Pallis
s'est appliqué à rendre sa traduction dans un langage plus populaire
encore.
On sait que le saint synode de Grèce a interdit la traduction en langue
démotique de l'Ancien et du Nouveau Testament. Pas un catholique ne
l'en blâmera. Mais il est permis d'examiner le texte de M. Pallis au point
de vue de la traduction même. L'Evangile est bien rendu, mot à mot
pour ainsi dire, dans un langage que tous les Grecs, bourgeois, écoliers,
paysans illettrés, femmes du peuple, comprennent. J'en ai moi-môme fait
l'expérience sur huit ou neuf personnes. Seuls les professeurs et les Hel-
lènes très instruits, partisans de la xxOaps'JouTa, affectent de ne pas com-
prendre. Par contre, ces huit ou neuf personnes ne comprenaient pas le
texte reçu de l'Evangile, ou à peine; pas plus d'ailleurs que les prières
liturgiques de la messe et des Heures. On doitajouter, pour être juste,
que les Grecs sans distinction, même les illettrés, ont une répugnance
instinctive pour la traduction de M. Pallis, qui est considéré par le*
puristes comme un des mortels ennemis de l'hellénisme et de l'ortho-
doxie. C'est un fait curieux à noter.
M. Pallis, par réaction sans doute contre le texte reçu, le défigure par-
fois. Par exemple, Xâ^sTs, àoxb' vat rb xopixt [JLOJ {Marc, xiv) : hoc est coiym
meiim; même traduction dans les passages parallèles. Or, même ur
paysan dira aôfxa pour corps; xoi^y-'- signifie le tronc, du bassin au cou
par analogie seulement, un petit garçon, uae fillette. A l'opposé, peut-ètn
pour éviter les moqueries, M. Pallis conserve /oïpoi {Marc, v, 11), quant
tout le monde en Grèce dit youpoùvta. Enfin certains passages sont traduit
avec une brutalité qui semble voulue. Ainsi, dans la prière sacerdotal*
0 yiéç Tou yafxov pour 6 uiô; Tr,ç aTtwXei'aç {Joatl. XVII, 12), Xajxoç est un mO
populaire, mais deux sur trois paysans que j'interroge ne le connaisseri
pas. La langue démotique se prêtant mal à l'abstraction, c'est l'Evangil
de saint Marc qui est le mieux rendu.
L'édition, ornée d'une belle icône byzantine, est un bijou bibliogra
phique. Les mots sans accents sont imprimés comme sur les stèle
archaïques, en caractères droits et en majuscules, ce qui rend la lecti^
courante un peu difficile pendant les premières pages. On conservera]
volume comme une rareté bibliographique, et, pour étudier le texte, ^
SQ servira de l'édition de Paris.
L. Arnaud.
984-12. — imp. p Ferox-Vrau, 3 ei S, rue Bayara, Paris, viii'. — Le gérant : K. PETrruENHT.
I
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL
CHEZ LES GRECS MODERNES
1. — Théorie et histoire.
Les Echos d'Orient ont publié l'année dernière quatre ou cinq formules
d'exorcisme contre la Baskania ou le mauvais œil, la superstition la plus
répandue qu'il y ait dans le monde grec. Avec les formules, on indi-
quait le rituel magique, gestes et instruments, aiguilles, clous de girofle,
verres d'eau, cendres, cire, huile, salive, insufflations, signes de
croix, etc., dont les sorcières, en toute bonne foi, il est nécessaire de
beaucoup insister sur ce point, se servent pour chasser la maladie ou
le mauvais sort (i).
Je voudrais développer ces notes. J'ai pu réunir une trentaine d'exor-
cismes grecs employés aujourd'hui contre la Baskania, tant inédits que
déjà publiés. Mais, imprimés ou manuscrits, ils sont également diffi-
ciles à interpréter en français. Pas de suite dans les idées, pas de style,
une langue d'une grossièreté inconcevable, des absurdités linguistiques,
des non-sens, des calembours, des jeux de mots et des drôleries, par-
fois des obscénités révoltantes mélangées à des invocations aux saints
et à des lambeaux de textes liturgiques, voilà plus qu'il n'en faut pour
décourager un traducteur. Souvent même, quand il est emprunté aux
rituels manuscrits de la Magie noire, qu'on désigne sous le nom de
Solomonikis, l'exorcisme se traîne, du commencement à la fin, dans
'infamie et l'abjection.
De juste, ce groupe-là, je le laisse de côté, ne donnant que des
':extes dont se servent de braves femmes, ignorantes et crédules, per-
suadées qu'elles font œuvre pie en chassant à leur manière la Baskania,
^ui fait d'un chrétien le jouet de la mauvaise fortune. Car les effets
n sont parfois redoutables, surtout chez les enfants. Fièvres, langueurs,
a mort même, voilà ce qui guette l'ensorcelé. Tout ou moins la mal-
hance, un accident, la non-réussite d'une entreprise, l'échec d'une
leureuse combinaison, une brouille entre amis. Un seul regard peut
out cela (2).
(1) Mars et mai, 191 1, p. 78 et 147.
(2) La Baskania, la fascinatio des Latins et la jettatiira des Italiens modernes. Les
irecs anciens emploient le mot |îâaxavoi;, d'origine inconnue, pour désigner celui
Echos d'Orient. — i5° année. — N° g6. Septembre IQ12.
386 ÉCHOS d'orient
Il est d'ailleurs curieux de voir que le clergé orthodoxe semble favo-
riser une superstition tant de fois condamnée. En effet, un exorcisme
« Eùvri eTil |3aa-5tavtav », a été inséré dans le }jLi.xpov EùyoAÔyiov. Je diî
semble, parce qu'il ne serait pas légitime de tirer argument du recuei
où \'Wyf^f\ est publiée. Le Mupôv Eù-^oA6Yt.ov ou 'Ayiao-Tàpiov tô p.£va est
comme l'indique son sous-titre, un recueil d'acolouthies et de prière"
tirées du grand Euchologe, les plus utiles au prêtre. 11 est imprimé
ajoute l'éditeur, avec la permission de la Grande Eglise du Christ, mais
ce n'est pas un livre officiel (i). Le grand Euchologe seul est reconnu
authentique par l'Eglise grecque.
Cet exorcisme, le voici :
Seigneur notre Dieu, Roi des siècles, Pantocrator et omnipotent, to
qui, par ta seule volonté, crées et transformes toutes choses, toi qui, ,
Babylone, as changé en rosée la flamme de la fournaise et qui as gard
sains et saufs les trois enfants; médecin et guérisseur de nos âmes, ferm
appui de ceux qui espèrent en toi, nous te prions et te supplions
Eloigne, mets en fuite et chasse toute activité diabolique, toute attaqi
de Satan, toute embûche, ingérence mauvaise, tout ensorcellernent pa
les yeux des hommes ma. faisants et pervers, de ton serviteur N... Et qa
ce mal lui soit arrivé à cause de sa beauté, de son courage ou de so
bonheur, ou par suite de jalousie, d'envie ou d'ensorcellement, [iatJxavK
ô Maître qui aime les hommes, étends sur lui ta puissante main et to
bras redoutable. Veille avec soin sur ta créature et envoie-lui l'ange c
paix, l'ange de force, gardien de l'âme et du corps, qui punira et chasseï
loin de lui toute volonté mauvaise, tout filtre et tout ensorcellement di
hommes méchants et pervertis. Ainsi ton serviteur, protégé par toi, chai
tera avec actions de grâces : Le Seigneur est mon secours; je ne craindf
rien. Que me fera l'homme?
On demande encore une fois la délivrance des mêmes dangers et ui
doxologie termine la prière : Par l'intercession de la Vierge, des Itirr
neux archanges et de tous les saints.
On a là en deux ou trois lignes toute la théorie de la superstitii
du mauvais œil.. Kal f, uto wpawT/jToç r, àvSpsiaç r, eÙTuy^ic/.ç r, ^tjXou- >n
qui jette un sort surtout par les yeux. Les Grecs modernes disent paaxatvw, paaxaj
[iâ(Txa(jia. Ils disent aussi y.axb (Aàti pour xaxov ô(i,(xàTiov, mauvais œil, ou plus s [
plement xb [AaTi, d'où ils ont formé en néo-grec i^aTtâ ^w, [Aan'a(r[ia [xaTt'ayjjia, etc.
(i) Mtxpbv EùxoXdyiov. Je me sers de l'édition Michel Salivéros, 5i8 pages, il
mat i3 X 6. Athènes (p. aSo). D'où vient cet exorcisme, qui n'est m dans Goarj
dans les E-jyolô^ia. de Dmitrievsky? Les prêtres grecs, m'assure-t-on, le récitent il
fréqueranaent sur les malades.
LA BASKANIA CHEZ LES GRECS MODERNES 387
aTa'.àv rscyj '/î'-pa. La phrase est incorrecte et grammaticalement inex-
icable. Les cas sont confondus et des mots manquent, mais le sens
t clair. Ce passage détonne dans la prière. On dirait qu'il y a été
corporé après coup, ajusté bon gré mal gré. Dans un exorcisme
lostique certainement plus ancien que Isj'/r, è-l jiiao-xaviav, j'ai lu
le phrase presque identique.
Ainsi la beauté, le courage, le bonheur, c'est-à-dire une louange
;cessive, une admiration trop marquée, la sympathie avouée à la vue
un homme beau, loyal, courageux ou heureux dans ses entreprises,
n'en faut pas davantage pour le livrer à l'action du charme dange-
ux. De même un regard d'envie ou de jalousie, un geste, une parole
échante, et voilà le patient ensorcelé, homme, femme ou enfant.
A une jeune mère, par exemple, une amie dit en souriant : « Quel
A enfant tu as là! » Baskanie. Pour éviter au bébé une maladie peut-
re grave, la mère, intérieurement, répondra à l'adresse de la louan-
;use : « ïxôpSa o-'xà ijiàTi.à o-ou, de l'ail dans tes yeux! » Ou encore elle
ésentera le bambin à l'amie en disant : « n-rûo-To, crache dessus. »
;lle-ci crachera avec ces mots : « Nà ut, liacrxaOrj xô rca'.o'lov. » C'est le
te de l'île de Spetsai. Au Pirée, on fait la même chose.
Autre exemple. A Athènes, une dame qui vient d'accoucher reçoit
le visite. La visiteuse la loue de sa bonne mine. Aussitôt, voici la
alade apeurée. Elle crachera trois fois sur elle-même. Qu'on lui dise,
I contraire : « Comme tu es abattue! » Et la voilà tranquille pour elle
pour son enfant.
De même aussi la beauté chez un homme ou chez une jeune fille.
Quels beaux yeux il a! » dira-t-on. Baskanie. Pour y échapper, il
jdra rompre le charme. Un geste, une amulette touchée, une parole
te à propos, plaisanterie ou trop souvent obscénité, sont des moyens
iicaces. Le fait de dire adieu, de souhaiter bon voyage à un ami qui
jiloigne peut devenir pour le malheureux une cause d'accident (i). Je
innais des Athéniens qui, chaque fois qu'ils montent sur un paquebot,
appliquent à trouver que la mer est mauvaise.
?Mais le plus souvent un simple regard suffit. Celui des vieilles femmes
%, croit-on, ensorceleur par excellence. Quand, volontairement, elles
lient le mauvais œil, on ne peut y échapper que par des exorcismes
*nt elles-mêmes ont le secret.
ji) M. Vassel, éclaircissant un passage de Pline l'Ancien, écrit : « Au temps où je
lï; tguais, j'ai constaté une croyance assez voisine chez nos marins, surtout chez ceux
't la côte bretonne, à qui c'était porter la guigne que de leur souhaiter un bon voyage. »
ivue de Philologie, 1909, p. 264.)
388 ÉCHOS d'orient
Les moyens de défense sont variés comme l'attaque. Au Pirée, a'
passage d'un pappas (prêtre), les fillettes nouent leur mouchoir ou
à défaut, le coin de leur tablier. A Athènes et à Naxos, un ouvrier qi
le matin va à son travail rentre quelques secondes chez lui si la premier
personne qu'il a rencontrée est un prêtre. Une pièce d'argent, uneamu
lette chez les paysans, une monnaie d'or parmi les sequins qui ornen
comme d'un diadème le front des paysannes, une cravate rouge à ui
enfant, une breloque de montre (or, corail), ou peu commune (den
de porc, de lion, griffe de fauve), ou curieuse (un petit singe, un poi
celet, un diablotin) sont autant de préservatifs.
Mais le meilleur de tous, c'est l'ail, m'affirme un Chimariote. « Quan
nous étrennons un costume neuf, nos femmes mettent toujours ur
gousse d'ail dans une des poches, même à notre insu. » Le fait est qu<
dans les campagnes surtout, un costume neuf attire les regards i
excite l'envie. Mais l'ail tenu dans la main éloigne toute tentativ(
Les sorcières mêmes fuient à son odeur. On en suspend au mât d(
caïques, au cou des animaux; on en glisse sous les vêtements d<
enfants. Sxopoa o-'-rà piàT'.à o-ou, pourrait tout aussi bien se traduire par
Je t'exorcise par l'ail. De tous temps, chez les Grecs, qui s'en att;
chaient une gousse à la tête, et chez les Romains, l'ail a eu cette si)
gulière fortune d'être une panacée contre la fascination.
Ou encore — et ceci rentre dans la catégorie des ysAo'.a qui combatte)
la fascination par le ridicule — la mère fera sur le visage de son enfaî
une tache de boue. Dans l'île de Corfou, la marque sera faite avec <
la terre délayée dans l'huile de la lampe qui brûle devant l'icône farr
liale. Il se peut — car qui pourra jamais donner la vraie raison de c
coutumes? — que le but poursuivi soit de déformer l'enfant, de le di«
muler, de manière que la Baskania ne s'adresse pas à lui, mais à la pi
sonne fictive créée par la tache de boue. Les primitifs n'agissent p
autrement.
Mais boue, ail, dent de porc ou nœud au mouchoir, il est des ge
qui ne songent guère à s'en servir. 11 n'en va pas de même du '^ àTxeXf
ce geste à la fois tragique et ridicule qui, à lui seul, suffirait à fai
connaître un Grec. La main bien ouverte, les cinq doigts étendus,
bras est projeté en avant avec un geste brusque dans la direction
l'adversaire. Stylet à deux pointes que le cpào-xîÀov, car le fascinatei
tout aussi bien que sa victime, peut s'en servir. 11 s'agit d'arriver
premier. Quelqu'un prévoit-il une attaque ! Vite, le cpàTX£).ov, et le vo
tranquille.
Ce geste, les Grecs le distribuent avec une inépuisable prodigali
LA BASKANIA CHEZ LES GRECS MODERNES 389
)'est à la fois un moyen d'ensorceler, une arme de défense, une injure
t une moquerie. On le fait partout. Les collégiens, au foot-ball, le font
ur leur ballon quand l'équipe rivale a réussi un coup; les joueurs de
artes le font sur la portée de leurs partenaires; un cocher mécontent
u pourboire le fera sur son client.
Je connais un jeune homme de Sparte qui, chaque fois que son profes-
eur passait à côté de lui, lançait sournoisement deux ou trois cpào-xsXov
vec ces paroles, qui sont une des imprécations de la Baskania : « irt.àT'To
xaxr, wpa, Q_ue la maie heure le prenne! » La raison? Elle est toute
impie. Le professeur lui avait mis de médiocres notes, et, à son tour,
essayait de l'ensorceler.
Un mendiant qui ne reçoit pas l'aumône attendue, deux ouvriers qui
e disputent, un bourgeois qui trouve le tramway plein, autant de
àa-xsAov. La plupart du temps, le geste est dissimulé, à peine esquissé,
éduit à trois doigts, par peur ou par politesse. Les dames le font sous
;ur tablier ou la main dans la poche, dans leur manchon, dans leur
éticule. Mme K..., d'Athènes, pour éloigner une visiteuse importune
u désagréable, la crible à la dérobée de zxx^tkzIo^. L'effet ne tarde pas
se produire, m'assure-t-elle. Inutile de discuter, elle est convaincue
le son pouvoir.
*
* »
Aucune superstition n'est plus ancienne, ni plus enracinée, ni plus
ivace dans le monde grec, ni moins discutée. Dans l'antiquité païenne,
i quelques-uns en rient, les plus sérieux moralistes, comme Plutarque,
lui lui consacre un des plus étranges dialogues de ses Quœstiones con-
ivales, s'essayent à expliquer ce mystérieux pouvoir donné à l'homme,
nême en dehors de sa volonté, de jeter un mauvais sort à autrui (i).
'our se protéger, il n'était procédé que l'on n'imaginât, à ce point
u'on peut se demander s'il est un seul rite actuel que les anciens n'aient
lis en usage. Tout à l'heure on parlera des exorcismes à dire: cracher
ur soi, lancer une moquerie, faire les cornes, faire la nique, porter
•ne amulette de corail, un bijou obscène, un anneau avec un œil,
épondre aux louanges par une imprécation, tout cela était pratiqué
ien avant le christianisme.
L'origine de cette croyance? Pour ma part, j'y vois, du moins chez
s Grecs, un aboutissant, une concrétisation populaire, pour ainsi
ire, de l'idée de la Némésis antique, cette déesse de la justice distri-
utive qui châtie l'excès de bonheur ou l'orgueil, et qui jalousement
(■) Edition Didot, voL II, p. 827. Ilepl twv xaxa^affxaivetv XeYO|ilvwv.
390
ECHOS D ORIENT
poursuit l'homme, comme si être heureux, être beau, être fier, réusî
dans ses entreprises, c'était frustrer le ciel. Mais Némésis elle-mêm
qu'est-elle? sinon le fruit de l'expérience journalière des primitifs.
ont eu tôt fait de remarquer qu'on n'était pas toujours heureux
longtemps beau ni de santé solide, que l'infortune succédait vite à
prospérité, la maladie au bien-être, la tristesse à la joie, et que l'on
s'élevait le plus souvent très haut que pour tomber plus bas. Et ne po
vant s'expliquer ces brusques changements, physiques ou moraux, c
revirements subits, ces révolutions soudaines dans le cours de le
existence, ils ont fait appel à un agent extérieur, à une déesse jalou;
à un démon équitable ou pervers, qui, au gré de son caprice, dispos
de leur destinée (i). Les Grecs d'aujourd'hui ne pensent pas autremei
sans s'en douter.
^ Le nom même de Némésis est celui de la jalousie, qui tient le mili
entre l'envie (pOôvo; et la malignité. Or, la jalousie venant par les yeu
ce sont les yeux qui en seront les agents (2).
Mais, par bonheur, jaloux ou envieux, tout ie monde n'a pas ce triî
pouvoir d'ensorceler par un regard. 11 faut être marqué. La semai
dernière, un étudiant de l'Université me racontait en riant que, revem
d'Athènes au Pirée par le tramway de Phalère, il avait rencontré u
dame amie de sa mère, qu'il l'avait saluée et que, deux minutes pi
tard, à la descente, cette dame avait choppé et failli tomber à la renve:
en s'écriant: « Ah! mon enfant, vous m'avez baskanisée! » Le 1
est que ce jeune homme a le type idéal de l'ensorceleur : un visa
osseux, maigre et allongé, la peau brune, le nez un peu arqué et
yeux très noirs encadrés par des sourcils qui se rejoignent, la che
lure d'un noir de jais. Il est Grec. Malgré lui, comme par atavisme
croit à son fatal pouvoir. Souvent, en d'autres occasions, il m'a demanû
« Vous, croyez-vous à ces choses? Et si non, comment expliquez-v*
ces coïncidences? » (3)
(i) L'exemple classique, chez les Grecs, était l'aventure, si naïvement narrée
Hérodote, de Polycrate, tyran de Samos, jetant son anneau à la mer. (Hérodote, l.
c. xxu et XXXIX.)
(2) Le fait que la croyance au mauvais œil a été constatée chez les Chaldéetrt,
Perses et les Egyptiens ne prouve pas qu'elle soit venue aux Grecs de l'extérh
Les Egyptiens surtout redoutaient la fascination. A certains jours, le 1 1 et le i
Pharmouti, par exemple, il était défendu de s'arrêter à regarder le travail des chai
L'œil humain pouvait alors déchaîner de terribles fléaux. Cf. dans G. Maspéro, Causé
d'Egypte. Paris, 1907, le chapitre : « La croyance aux jours heureux ou malheul
chez les Egyptiens. »
(3) Cf. J. C, Lawson, Modem greek folklore and ancient greek religion. Cambri<
1910, p. 9. D'après M. L..., en Attique, les yeux bleus sont fascinateurs parmi
populations d'origine albanaise. « Les paysans, écrit-il, quand je passais auprès d'(
LA BASKANIA CHEZ LES GRECS MODERNES 39 1
Un autre, à qui je fais l'éloge de son ami, que nous avons rencontré
au cours d'une promenade, crache par terre en disant : « Nà ;j.Ti -b
|jiaT!,àî^eTs, Ne lui jetez pas le mauvais œil. — Est-ce possible de ma
part? — Qui sait? »
Hier, flânant sur un quai du port du Pirée à regarder s'embarquer
des émigrants qui partent pour l'Amérique, j'entends derrière moi à
voix basse : « Tô u.y.-\ toû -an-â. Prends garde à l'œil du prêtre. » Je
me retourne et vois deux paysans qui baissent aussitôt les yeux pour
ne pas rencontrer les miens. Amusé et tout content d'expérimenter
in anima vili mon pouvoir d'ensorceler, je les fixe durant quelques
secondes. Mais ils fuient toujours mon regard et s'éloignent. Qui sait
si mes yeux n'auraient pas été pour eux une cause d'insuccès, de
maladie et de misères? Pis peut-être, un naufrage ?
La vue d'un prêtre catholique, dans une circonstance solennelle
comme le départ pour un si lointain pays, avait suffi à bouleverser l'âme
obscure de ces deux paysans, figés dans la superstition, qui est la
religion occulte de tant de villages grecs. Peut-être, avant de les
embrasser une dernière fois, leur mère, paysanne plus crédule encore,
leur avait chanté ce couplet d'une chanson klephte : « Enfant, porte-
toi bien, et que la Panaghia soit avec toi; — et que la bénédiction de
ta maman soit là pour te garder; — et que tu échappes à la baskania
et au mauvais œil ! »
Nà jjLTi <7£ TTiàvir, jâàTxatjLijLa xal xô Kaxô -ro aàx!. (i).
Je relate ces faits sans pédantisme ni fausse honte, afin de faire mieux
voir de quel poids cette superstition pèse sur l'âme grecque. Les meil-
leurs ne réussissent pas à s'en dégager. Parmi les catholiques de race
grecque, on rencontre la peur de l'ensorcellement par le mauvais
œil (2). Un prélat distingué, aussi pieux qu'instruit, élevé à la fran-
çaise et mis en garde par conséquent contre toute croyance puérile,
craignait pourtant le mauvais œil. « Vous avez mille fois raison, me
faisaient le signe de la croix. »M. L... a dû se méprendre. Les paysans agissent ainsi
ivec tous les étrangers de marque dans la crainte d'un péril possible. La couleur bleue
le ses yeux n'y était pour rien. »
(1) 'O ÇcVY)T£[ji(io(; dans les A-/]\)oz'.y.k zçixyoxjb'.x, collection ~Ayiz Hspo;, in-8». Athènes,
909. P- 92-
(2) Voici par curiosité un exorcisme contre le mauvais oeil en usage chez les catho-
iques latms de l'île de Syra. « On met cinq branchettes de rameau bénit dans un
aiceosoir; on encense le malade en récitant trois lois le Salve Regina, suivi de ces
)aroles : Le Christ Jésus est vainqueur; il dissipe tous les maux. »
i92
ECHOS D ORIENT
disait-il; toutes ces superstitions sont folie. Mais le mauvais œil
— Y croyez-vous encore? — Oui, j'y crois. » Et il me citait ou préten-
dait citer des faits singuliers, des coïncidences de mort et de maladies,
des catastrophes survenues soudain, des accidents inexplicables, qu'il
attribuait à cette redoutable puissance. « Et d'ailleurs, ajoutait-il comme
pour s'excuser, l'Eglise orthodoxe y croit et les Pères y ont cru. »
De l'Eglise orthodoxe, je ne dirai rien. Mais je ne pense pas que
l'on puisse admettre sans plus que les Pères grecs ou latins aient cru
au mauvais œil. Je ne connais pas de textes grecs qui favorisent cette
superstition. Ceux que l'on a coutume de rappeler sont des textes latins
de Tertullien, de saint Jérôme et de saint Augustin.
Or, dans le De virginibus velandis, Tertullien dit à peu près : « Ce
qu'ils appellent fascinum, nous l'interprétons du diable, et, pour se
garer contre sa jalousie, qui sont les tentations, les vierges se cou-
vriront la tête. » (i) 11 y a là un argument d'apologétique, une accom-
modation à l'opinion courante. De même, dans un texte qui semble
plus expressif: Taceat et anus iUa ne fascinet puerum (2) (il s'agit de
l'Enfant Jésus), il ne fait, comme le démontre le contexte, qu'exercei
sa verve contre l'hérétique Marcion. C'est une plaisanterie un pei
lourde, comme il s'en permet trop souvent aux dépens de l'adversaire.
De saint Jérôme, on cite moins encore : Tout juste un mot. A propos
des paroles de saint Paul, ad Gai. m, 2: Quis vos fascinavit. l'exégètf
dit en forme de commentaire : Per vulgi verhum invidiam significavit.
siciit ait Salomon : fascinatio nugacitatis obscurat bona (3).
Un passage de saint Augustin est un peu plus clair et plus embar-
rassant. Mais on ne peut en tirer qu'une chose, c'est que, de son temps
et on le sait d'abondance, les mamans et les nourrices craignaient pou
leurs bébés l'action du mauvais œil. l^idi ergo et expertus sum lelantein
parvulum : nondum loquebatur et intuebatur pallidus amaro aspectu conlaè
taneum suum. Quis hoc ignorât ? Expiare se dicunt ista maires atqiie nuiriez
nescio quibus remediis (4).
Vouloir tirer de ces textes autre chose qu'un constat, une vérificatior
de la croyance au fascinum à une époque donnée, et dire « que lej
Pères ne nient pas la réalité de l'influence mystérieuse qui inspire tan
(i) Tertulliani opéra. Edition Rigault. Paris, 1664, p. 181.
(2) De carne Christi II, même édition, p. 3o8.
(3) MiGNE, P. L., XXX, col. 811 c.
(4) Confessionutn libriXXW, édit. Knoll. Leipzig, I, 11.
(5) Dictionnaire des antiquités grecques et romaines de Daremberg et Saglio,
verbum Fascinum. — Voir aussi les mots abraxas, amuletum, magia, etc.
I
LA BASKANIA CHEZ LES GRECS MODERNES , 393
e frayeur aux hommes » (5), il semble bien que ce soit excessif,
lalheureusement, presque tous ceux qui ont écrit sur les supersti-
ions, amulettes, abraxas, fascination, magie, sorcellerie, aberrations
ultuelles, l'ont fait dans un esprit hostile au christianisme, avec des
iées préconçues et le désir secret de retrouver dans la pratique des
remiers chrétiens, et seulement épurées, toutes les croyances absurdes
u paganisme. Peu à peu, leur opinion a prévalu. Elle est aujourd'hui
eule admise dans les manuels ou les encyclopédies, et il suffit de la
iscuter pour être suspect de faire œuvre d'apologétique à contre-sens,
Incore la discuter n'est pas toujours aisé, car on n'a pas facilement
ous la main Tertullien, saint Augustin et saint Jérôme.
Les Pères Grecs, par contre, s'élèvent avec énergie contre la croyance
la Baskania. Saint Jean Chrysostome, commentant le quis vos fasci-
\avit de l'épître aux Galates, « cette envie, dont il est question ici,
it-il, comme cet œil pervers dont il est parlé dans l'Evangile, ce n'est
las une influence exercée par le regard. L'œil n'a rien de mauvais par
ui-mème; l'œil n'a qu'un office: voir » (i). Des fidèles enclins à la
uperstition, et voulant la fonder en raison, interprétaient de la Bas-
Lania le passage : Si oculus tuus fuerii nequam de saint Matthieu et
l'autres textes mal compris, celui-ci, par exemple, tiré du même évan-
jéliste : Qitce procedunt de ore ea coinquinant hominem. Ils s'ap-
myaient aussi sur un rapprochement verbal. Saint Paul, dans l'épître
lUX Romains, place les meurtriers à la suite des envieux; [xectoùç
jQôvou, îpovo'j. ^ôvoç, cp96vos, c'est presque le même mot. « Gain, dit saint
iasile, a appris du diable à connaître l'envie, et il est devenu meurtrier
le son frère Abel. » Ceci, c'est la doctrine théologique : l'envie est le
jrincipe d'innombrables péchés. Mais on devine aussi tout ce que les
ladoteuses de Byzance et de Cappadoce devaient tirer de tels rappro-
hements.
Saint Basile, lui, ne se soucie guère de pareilles billevesées. Avec
faint Jean Chrysostome, il reconnaît que le mauvais œil dont parle
l'Ecriture, c'est l'envie, la jalousie. Les Pères latins ne s'expriment pas
i 'autre façon. « Mais, conclut-il avec son réalisme ordinaire, attri-
uer un pouvoir matériel à un simple regard, c'est folie. Pour qu'un
iscinateur vous fasse du mal, il suffit, croit-on, qu'il vous regarde,
.es corps les mieux portants, des gens dans la fleur de l'âge et de la
orce se fondent, dit-on, sous l'effet de la fascination. Leur embonpoint
MO MiGNE, p. G., LXL col. 647. Cf. Cabrol, Diction, de liturg. et d'archéoL, ad verbum
AMULETTE,
394 ÉCHOS D ORIENT
disparaît entièrement, comme si quelque fluide de destruction, de coi
ruption et d'anéantissement était sorti des yeux du fascinateur...
C'est une superstition populaire, un de ces contes de vieilles femmt
comme il s'en débite dans les gynécées. »
D'après M. Perdrizet, qui rapporte et traduit ce passage, il ne semb!
pas qu'on se soit servi de l'homélie -soi cpOovou dans les études sur 1
Baskania. C'est dommage, car il serait difficile de trouver sur la croyanc
des Pères un texte plus pertinent (i).
{Â suivre.)
Louis Arnaud.
Athènes.
(i) MiGNE, P. G., XXX, col. 37^. Bulletin de correspondance hellénique, 1900, p. 29
C'est à propos d'une Inscription chrétienne de Dokimion que M. Perdrizet rappor
ce passage décisif.
L'AUTORITÉ SPIRITUELLE
DU PATRIARCHE GREC
DE CONSTANTINOPLE
Le patriarche de Constantinople est « la plus haute autorité spiri-
tuelle de l'Eglise (orthodoxe) et de la nation (grecque) ». 11 est « le
chef de tout le clergé soumis au siège œcuménique ». Ces affirmations
sont empruntées à la loi organique qui régit l'Eglise de Constantinople
depuis (862 (i). Elles paraîtront banales à plusieurs. Elles en éton-
neront d'autres, ceux qui savent l'aversion qu'éprouve pour toute auto-
rité personnelle le Grec de notre époque. 11 se défie de la responsabilité
individuelle. C'est une sorte d'instinct chez lui. Sous quelles influences
s'est-il développé à ce point? Ce n'est pas le lieu de le rechercher ici,
mais cela est. Rien ne se fait en pays grec sans ètotoott/, (commission).
Comment, dans de telles conditions, le patriarche peut-il être vrai-
ment chef? Est-ce que son caractère spirituel aurait été assez puissant
pour créer une exception? Un tel résultat eût été d'un grand mérite.
Seule une force surhumaine aurait pu résister à un courant de cette
violence. Hélas! la force a manqué. L'exception n'a pas été obtenue.
Si le patriarche de Constantinople est appelé chef, il ne l'est en fait
que de nom, même en matière spirituelle, la seule dont nous nous
occupons. Le vrai chef de l'Eglise grecque est une haute Commission,
le saint synode. Le patriarche en est tout au plus un prête-nom. Nous
en serons convaincus si nous nous rendons compte :
1° Que tout son pouvoir se réduit à ses relations avec le synode;
2° Que sur le synode il peut, au maximum, avoir une certaine
autorité « morale »;
Que cette autorité morale est encore très affaiblie par un régime
parlementaire effréné.
) (i) Cette loi organique est intitulée: Règlements généraux de l'Eglise orthodoxe.
'La partie de ces Règlements, qui concerne le gouvernement central de l'Eglise, a été
publiée par M" Petit dans la Revue de l'Orient chrétien, t. III et IV, 1898, 1899. On
trouvera les autres parties dans la SÛYXPO'^oî 'Ispapxta de G. Papadopoulos, p. 36 sq.,
jou dans des brochures séparées.
I Ces Règlements sont une sorte de constitution civile assurant aux laïques une
'influence prépondérante. Avec eux commence la période contemporaine de l'histoire
de l'Eglise de Constantinople.
396 ÉCHOS d'orient
L'Orient fait grand cas des titres poriipeux, et les Grecs les ont pro-
digués au premier dignitaire de leur Eglise. Entre tous, celui à'œcumè-
nique a le don de plaire, et le patriarche s'en pare avec une complal
sance jalouse. Personne ne songe à le lui disputer. Au reste, désormais
il appartient à l'histoire. S'il est encore pour le peuple naïf un emblèmi
glorieux, il est pour les autres un souvenir de grandes déceptions
Ce devait être un instrument de conquête. 11 aurait servi à établi
sur l'Orient chrétien une domination égale à celle que l'Occident recon
naissait à Rome (i). Il aurait même aidé, une fois l'Orient soumis
à supplanter Rome dans le monde entier (2). Le rêve, s'il a été caressé
est abandonné aujourd'hui. La domination, non pas même de tou
l'Orient, mais de la seule orthodoxie, suffirait à l'œcuménicité du trôn
"byzantin. Le titre reste cependant. Loin de le laisser tomber dans l'oubli
on en a, faute de mieux, rehaussé l'éclat par de nouveaux qualificatifs
Non content de se dire bienheureux, comme ses collègues, il s'appell
tout très saint, Travavf.wTa-roç, et fait précéder ce titre, pour le mettr
■en plus grand relief, de l'adjectif très divin, GetÔTaToç. Le tout est réur
dans cette brève formule : Sa Très Divine Toute Sainteté, le patriarch
oecuménique de la Nouvelle Rome.
Les honneurs coûtent peu et souvent rapportent moins encore. Ce
•dehors ne seraient que faux éclat, ridicule clinquant, s'ils devaient ren:
placer une autorité effective, au lieu de la mettre en évidence. Trôi
vons-nous, par delà ces belles apparences, une réalité qui leur correi
ponde?
La réponse ne peut être douteuse. Prodigues de distinctions, le
Grecs se montrent infiniment moins généreux quand il s'agit de poi
voirs effectifs. Le patriarche est peut-être, de tous les dignitaires, le pli
dénué d'autorité. Il a entièrement abdiqué devant son synode.
11 n'en fut pas toujours ainsi, il s'en faut. Avant le concile de Chalci
doine, et même après la consécration officielle du « synode permanent
par les 9^ et 17*' canons du quatrième concile, cette assemblée n'éta
qu'un tribunal ecclésiastique supérieur, une sorte de Conseil. Loin à
concentrer en lui toute l'autorité patriarcale, elle était, pour l'évêqued
Constantinople, un instrument de domination lui permettant d'étendj
au loin ses droits personnels et d'exercer une sorte de surveillai
efficace et active des métropoles. De plus, elle était entièrement à
(i) Christodoulou : Ao-/^[jiiov £5cx).y)(Tta(7T. Stxat'ou, p. 387. S. Vailhé : Dictionnaire i\
théologie catholique de Vacant-Mangenot, art. « Constantinople », col. i 334; Ech\\
d'Orient, t. XI, 1908, p. 65 sq., 161 sq. 1
(2) Pargoire, l'Eglise byzantine, p. 5o.
.'autorité spirituelle du fMTRIARCHE GREC DE CONSTANTINOPLE 397
iiscrétion; il en désignait les membres, les convoquait, les congédiait,
xerçait sur elle, en un mot, une influence active et vraie. Aussi l'évêque
le Constantinople, loin d'être amoindri par son synode, en était élevé
t rendu tout-puissant.
Aujourd'hui, c'est le contraire qui se produit. Le patriarche n'est
)lus rien, le synode est tout. Leurs rapports mutuels, imprécis à
'origine ont été déterminés, d'une façon presque brutale, par les
:.èglements de 1862. L'autorité spirituelle supérieure est devenue le
monopole exclusif d'une assemblée : « Toutes les affaires spirituelles
le la nation » sont du ressort du synode (i). Aucune exception n'est
•revue.
Peu nous importent ici les moyens lents ou rapides par lesquels
'est accomplie l'évolution, les causes qui l'ont amenée; constatons-en
î terme. Ce qui était une coutume est devenu un droit. Ce qui était
n tribunal ou un Conseil est devenu une assemblée toute-puissante.
lUtrefois, le patriarche agissait par son synode. Aujourd'hui, c'est le
ynode qui agit par le patriarche. Les rôles sont changés. L'autorité
pirituelle du patriarche se trouve réduite à ses rapports avec le synode
ont il dépend (2).
Cette dépendance, toutefois, serait plus nominale qu'effective si le
résident avait une influence vraie sur la composition de l'assemblée,
idis elle était tout entière à sa discrétion ; il en choisissait les membres,
es temps sont bien changés.
Le sentiment de l'égalité a poussé de profondes racines, et a fini par
)ut envahir. Son triomphe date des célèbres Règlements de 1861.
endant plus d'un siècle, de 1741 à 1861, il avait été refoulé par un
/stème de privilèges qui ne reconnaissait de pouvoir réel dans le synode
u'à un certain nombre de métropolites, dits gérontes, nommés par le
atriarche. A la suite d'une longue lutte, le parti égalitaire l'emporta.
>n reconnut à tous les métropolites le droit strict de gouverner à leur
)ur l'Eglise orthodoxe : « Tous les métropolitains relevant du siège
(i) Règlement organique du saint synode, i, art. i.
(2) Pour être entièrement exact, il faudrait signaler une autre grave restriction
^portée aux pouvoirs religieux du patriarche. Les Règlements généraux établissent,
itre les matières qui relèvent du Phanar une répartition trop catégorique et fausse,
s distinguent les objets spirituels de la compétence du synode, et les objets tem-
3rels confiés au Conseil mixte. Dans cette dernière classe, ils font rentrer nombre
objets, matériels en soi, il est vrai, mais spirituels par destination, tels par exemple
s biens des Eglises. C'est là une importante diminution de la compétence reli-
euse du synode, et indirectement du patriarche. Oublions cela, néanmoins, pour
i pas compliquer à l'excès cette étude, et supposons que le pouvoir spirituel du.
Uriarche se trouve entier dans ses relations avec le synode.
^^8 ÉCHOS d'orient
œcuménique ont également le droit de faire partie du saint synode,
chacun pendant deux ans, à tour de rôle. » (i)
Retenons le mot droit. Il revient souvent sur les lèvres du Grec de
nos jours. 11 marque ici la fin de l'autorité personnelle du patriarche.
Là où le droit intervient, l'autorité n'a plus que faire. Désormais, cet
important organisme administratif qu'est le synode fonctionne seul.
Le patriarche ne peut plus que le subir. Toute son autorité vient échouer
devant ce droit. L'approbation de la Porte, donnée aux Règlements,
le 27 janvier 1861, confirma officiellement cette déchéance.
Les patriarches ont essayé de se relever et de reprendre sous main
ce qu'on leur refusait en face. Ils n'y ont réussi qu'en partie. Après
trente ans de résistances, ils ont obtenu la faculté de désigner eux-
mêmes, « par ordre de mérite », àp'.TT-lvor.v, certains métropolites qui
viennent siéger au synode à la place de ceux que désignait leur rang
sur les listes officielles. « C'est là, remarque Mg'" Petit, un privilège
bien modeste sans doute, mais dont l'exercice, s'il devenait fréquent,
ne manquerait pas de rendre vaines et illusoires certaines dispositions
du Règlement. » (2) Elles permettent d'écarter des caractères antipa-
thiques et de conserver des partisans au pouvoir. Mais les protestations
qui se produisent, chaque fois que le patriarche use de ce privilège,
l'invitent à n'y pas recourir trop souvent. En fait, ainsi réduit, ce privi-
lège change peu sa situation; il doit subir le synode et en tirer le
meilleur parti possible en le présidant.
On s'imagine parfois avoir tout dit lorsqu'on a déclaré que le patriarche
est le président du synode. En fait, ce terme est des plus imprécis, et
s'applique aux attributions les plus diverses. Un président peut être un
vrai potentat, comme il peut n'être qu'un organe inerte et sans
influence. Négligeons les noms pour atteindre la réalité. Cherchonsî
par delà l'écorce, la force vitale qui doit animer tout organisme social,
l'autorité. Quelle est la part qu'assure au patriarche son titre de pré^
sident?
Les précisions apportées aujourd'hui ne laissent plus aucun doulH
sur la réponse. Deux mots, dans les lois organiques, résument les rel"
tions du patriarche et du synode : l'un est le « dépositaire du pouvo
spirituel », k^yr^-^ôc;', l'autre est « le pouvoir » lui-même, '^^yr^ (3
(i) Règl. org. du saint synode, i, art. 2.
(2) Revue de l'Orient chrétien, 1898, p. 428.
(3) Règl. org. du saint synode, i, art. i ; 11, i.
AUTORITÉ SP1R1TUE1,LE DU PATRIARCHE GREC DE CONSTANTINOPLE 399
Cette distinction est pour le moins originale; on n'a pas accoutumé
; la rencontrer dans les codes. Elle est aussi d'un sens profond,
lieux que toute explication, elle fait connaître l'état d'esprit des
jteurs de la loi touchant l'autorité. Peut-être n'en virent-ils point
portée. Mais si elle leur échappa comme naturellement, d'un jet
jontané, sans apprêt, sans étude, cela même en garantit la valeur
jychologique.
Le synode est « l'autorité spirituelle », le patriarche n'en est et n'en
îut être que le dépositaire; aucun de ses actes ne lui est vraiment
ersonnel. Ils sont tous faits par l'autorité nîême du synode. « L'autorité
j patriarche, sur toute sa circonscription patriarcale, n'est autre que
autorité même du synode, déclare M. Sakellaropoulos; il l'exerce au
om et d'après les décisions mêmes du synode. » (i)
Dans les démocraties politiques, les ministres conservent au moins
pouvoir exécutif; ils agissent en leur nom, prennent des décisions
ratiques, rendent des décrets, en un mot, gouvernent. 11 en est autre-
lent ici.
Ce n'est pas que le « chef » de l'Eglise de Constantinople n'ait pas
i devoirs spéciaux à remplir; les règlements en énumèrent plusieurs.
doit « défendre de toutes ses forces les membres du clergé qu'on
laque injustement »; — « observer et surveiller le genre de vie et
conduite du clergé, encourageant ce qui est bien , corrigeant ce
ji est répréhensible »; — « défendre de toutes ses forces les inté-
:ts généraux de l'Eglise et de la nation » (2), etc. Mais, sur aucun
; ces points, il ne doit être pris de décision pratique par un autre
ue par le synode : « Tout acte émanant du patriarche seul demeure
ins valeur. » (3)
Que le président invite le synode à telle décision ou à telle autre,
)it. Qu'il les y exhorte, rien de mieux.
Mais c'est ainsi seulement qu'il peut défendre de toutes ses forces les
térêts de l'Eglise, 11 doit agir, mais uniquement en paroles. La Consti-
ition le déclare presque d'une manière formelle, lorsqu'elle invite les
nodiques à accepter et à suivre « les sages conseils et les exhortations
1 patriarche » (4). Encore se hâte-t-elle d'ajouter qu'ils ne doivent
15, cependant, « négliger leurs devoirs sacrés » (5).
1} Sakellapopoulos : 'ExxXriO-'.adt. Stxacov, p. igS,
2) Règl. org. du saint synode, 11, art. 2, 3, 6.
3) Ibid.. I, art. 8.
4) Ibid., VA, art. 1.
(5) Ibid.
400
ECHOS D ORIENT
La même loi en donne même immédiatement des exemples frappants
S'agit-il de reprendre un abus; par exemple, un prélat a-t-il « critiqu
le patriarche avec arrogance ou en s'attaquant à sa réputation », c
qui est interdit, le patriarche ne peut que le reprendre une premier
fois avec douceur. Si l'on doit aller plus loin et adresser des remoi
trances, c'est le synode qui agit. A plus forte raison en sera-t-il ain;
lorsqu'on devra punir (i).
Autre exemple: les prélats qui quittent leur diocèse, soit pour u
séjour à Constantinople, soit pour tout autre motif, avertissent
patriarche si le congé est régulier. Ils doivent, au contraire, recour
au synode si le voyage suppose une dispense (2). 11 serait fastidieux
poursuivre cette enquête; il était cependant nécessaire d'entrer dans
détail et de proposer des textes officiels. Ils sont concluants. Le patriarcl
œcuménique ne peut prendre aucune décision pratique, du'il crie
loup, mais qu'il se garde de le frapper.
Par contre, le consentement du patriarche n'est point nécessaire
synode. Il n'aurait pas le pouvoir de l'arrêter s'il le voyait courir ai
abîmes. La condition du patriarche et celle du synode ne sont p
du tout pareilles. La loi est expresse. Elle déclare nul tout acte
premier seul. La formule est bien différente quand il s'agit du secon(
« Tout acte du synode fait à Vinsu ou en l'absence du patriarche e
nul. » (3) L'acte est valide, même s'il lui déplaît. Les décisions so
prises à la majorité des voix, et le président ne fait pencher la balan
de son côté que dans le cas d'égalité de suffrages (4), ce qui est ass
rare, le nombre des votants étant impair.
Une fois la décision adoptée, on la sanctionne si cela est nécessalr
Du sceau synodal, le patriarche n'a d'ordinaire l'avantage de posséd
que la queue. Le reste, par mesure de précaution, a été séparé, partaj
en six morceaux, confiés à chacun des six membres plus anciens <
synode (5). Les parties égarées se rejoignent, et l'on scelle le décrî
U ne reste plus qu'à le mettre en vigueur, et c'est là, à propreme
parler, le véritable office du patriarche : exécuter les ordres du synod
quels qu'ils soient. Dans toutes ses relations soit avec le gouvernemer
soit avec les autres Eglises, soit avec les métropoles, ce haut dignitaii
dont la majesté paraît imposer au monde entier, n'est que le repr
(i) Règl. or g. du saint synode, art. 3.
(2) Ibid., III, art. 4.
(3) Ibid., I, art. 8.
(4) Ibid., III, art. 5.
(5) Ibid., III, art. 8.
AUTORITÉ SPIRITUELLE DU PATRIARCHE GREC DE CONSTANTINOPLE 4OI
ntant docile d'une assemblée qui lui commande, il n'agit pas de lui-
ême; il est à la merci d'une force qui le conduit en secret, même où
ne voudrait pas. Ce ministre des Cultes le savait bien, qui disait un
ur à Mjï'" Joachim 111, venu pour plaider une cause devant lui : « L'af-
Ire, au fond, vous tient peu à cœur, patriarche effendi; mais ce sont
s prélats qui vous poussent, n'est-ce pas, patriarche? » (i). Et si
mais il lui prend envie de sortir de ce rôle de simple intermédiaire,
s'expose à d'humiliants désaveux et à pis encore, ainsi que nous le
rons tout à l'heure.
On serait tenté de conclure, avec un fidèle très dévot de l'Eglise
thodoxe, qui n'hésite pas à canoniser, sans presque faire d'exception,
s hauts prélats de son époque, dans son ouvrage sur la Hiérarchie
ntemporaine, M. Georges Papadopoulos : « Le pouvoir du patriarche
été tellement réduit, qu'il est devenu une simple machine executive
rien plus. » (2) Sans doute, le plus grand tort de cette phrase est
être profondément irrespectueuse. Peut-être est-elle aussi légèrement
cagérée.
Le patriarche ne peut avoir sur le synode une action décisive, c'est
itendu. Cependant, les règlements eux-mêmes l'invitent à exercer,
ar le bon exemple (3), par les exhortations et les conseils (4), une
îrtaine influence que des qualités personnelles supérieures pourraient
indre assez grande. Faute de terme plus précis, nous l'appellerons
autorité morale ».
j Pourquoi faut-il que ce frêle souffle de vie soit affaibli encore par
|ae autre institution, vivace entre toutes, le régime parlementaire, qui
jit du patriarche l'homme d'un parti?
[C'est un parti qui le conduit au pouvoir; c'est un parti qui l'y main-
tînt.
!La nation grecque, ou du moins la portion dirigeante de la nation,
it divisée en deux camps : le clergé et les laïques. Nous les trouvons
«1 présence dans l'élection patriarcale.
JDans ce cas, les laïques sont tout-puissants. C'est à eux, en défmi-
Ve, que revient l'élection du plus haut dignitaire spirituel. Sans doute,
\ choix définitif (troisième scrutin) est fait par les seuls membres du
V. MiLoviTCH, dans les Echos d'Orient, t. VII, 1904, p. 363.
-■^yypovoî 'Ispapyja, p. 384.
^<égl. org. du saint synode, 11, art. i, 5.
4) Ibid., m, art. i.
lîchos d'Orient, t. XV. ' 26
402 ÉCHOS D ORIENT
synode, mais ceux-ci doivent prendre leur candidat sur une liste de
trois noms dressée, à la majorité absolue des suffrages, dans une
assemblée où les laïques ont une écrasante majorité. Ils sont trois,
quatre et même cinq fois plus nombreux que les représentants du
clergé. Ils peuvent à eux seuls imposer les trois noms sur lesquels devra
tomber le choix final (i). L'élu sera donc souvent le candidat du peuple.
Nous ne disons pas toujours, parce qu'il n'est pas absolument impos-
sible aux ecclésiastiques, à force d'intrigues, de faire avancer le leur,
ou du moins d'entraver l'élection de l'adversaire. Chacun sait combler
longtemps M?' Joachim 111 a été tenu en échec par son ennemi, Ms'" Ger-
main, métropolite de Chalcédoine. Quoi qu'il en soit, le résultat est It
même, le patriarche est l'élu d'un parti.
Si du moins toute dissension disparaissait une fois l'intronisatior
faite, le mal serait encore en partie réparable. Mais cela n'est pas. L<
patriarche reste à la merci d'un parti. L'article qui prévoit, permet e
régularise la déposition du chef de l'Eglise est la cause de tout l
mal (2). 11 est d'un effet désastreux.
11 établit le Conseil et le synode juges de la conduite du patriarche
Que les deux tiers de ces deux corps lui soient défavorables et lui signi
fient de s'en aller, c'en est assez pour que le malheureux doive ré»
gner sa place et prévenir, par son départ, une déposition faite par h
sultan.
Sans doute, on ne peut en venir là, d'après la loi, que « si le patriarch
manque à ses obligations et à ses devoirs », mais ces conditions son
vagues et élastiques. Des sentiments hostiles ou favorables peuveE
étendre ou restreindre à volonté des limites si imprécises, et les oppos
tions, certes, ne feront pas défaut.
Du seul fait de son élection, nous l'avons vu, le patriarche est dé
un signe de contradiction. Sans compter les malveillances, les jalousit
les espoirs déçus, toutes choses imprévues, mais non moins réelle*
il a déjà contre lui le parti qui ne l'a point nommé. Supposé mêni
que l'union se fasse autour du nouvel élu, après sa prise de possession
le seul fait qu'il peut être déposé par son Eglise est un principe gén«
rateur de discordes et de divisions. Loin de laisser voir dans cet
décision un acte anormal auquel on ne recourt qu'à la dernière néce
site, la loi en fait une institution régulière. La présence continue c
(i) Voir, dans la Revue de l'Orient chrétien, 1898, p. 4o5 sq., le règlement toucha
l'élection du patriarche, publié par M'' Petit.
(2) Règl. org. du saint synode, i, art. 12.
.'autorité spirituelle du patriarche grec de constantinople 403
ury chargé d'examiner la manière d'agir du « chef» de l'Eglise aggrave
:ette disposition, et fait de lui une sorte de prévenu perpétuel, qui
ioit sans cesse justifier ses démarches devant ses juges. Mais comment
plaire longtemps à des partis opposés? Des intérêts contraires feront
/oir sous un jour bien différent les actes de celui qu'on surveille.
>ans doute, la conduite du patriarche n'est que l'exécution des ordres
jynodaux. Mais encore cette obéissance peut-elle être molle et lâche,
DU active et énergique; elle peut n'être pas toujours fidèle et dévier
légèrement de la ligne tracée. 11 suffirait de moins pour exciter la
défiance d'inspecteurs jaloux, d'autant plus susceptibles qu'ils se sentent
davantage les maîtres. Ainsi les oppositions ne manqueront jamais au
patriarche, et l'opposition a ici pour fin, sinon prochaine, du moins
éloignée, de se défaire de celui qui embarrasse.
La politique du patriarche devra s'inspirer de cet état de choses. 11
lui est matériellement impossible de compter sur l'appui des deux
partis. Du moins s'emploiera-t-il à les empêcher de se coaliser tous
deux contre lui. Tant que la majorité lui est fidèle dans l'une ou
l'autre assemblée, il est assuré de ne pas déchoir. Aussi la meilleure
part de ses soins et de son attention ira-t-elle à se la conserver. Si ce
chef spirituel, esclave d'un parti, est en même temps ambitieux et tient
à garder sa place, on devine tout ce qu'il consentira de complaisances
et de compromissions pour ne pas déplaire à ses protecteurs.
Heureux encore sera-t-il si, malgré tant de sacrifices, il ne voit pas
soudain sa fortune changée dans un des remous incessants du parle-
mentarisme. Chaque année, six nouveaux membres arrivent au synode,
entièrement transformé en deux ans (i). Ils viennent à leur tour,
c'est un droit dont on ne peut les frustrer que par de basses intrigues.
Ils arrivent avec leurs opinions et leurs intérêts, qui ne sont pas
lécessairement les Opinions et les intérêts de ceux d'hier. Le Conseil
st aussi renouvelé par moitié. Chaque année, quatre nouveaux membres
ont élus, et les suffrages populaires sont si capricieux, en pays grec
jjcomme ailleurs! II est impossible que des changements si profonds,
i brusques et si fréquents ne marquent pas des revirements d'opinion,
ît n'orientent pas les partis dans un sens opposé. Bientôt le patriarche
n'est plus, même dans le camp qui le soutenait hier, qu'un homme
d'une autre époque, si même il n'est pas un embarras pour ces nou-
v^eaux venus.
Pour conserver longtemps, au milieu de ce va-et-vient incessant, la
(i) Règl. org. du saint synode, i, art. 2.
404 ECHOS D ORIENT
faveur d'un parti et résister aux assauts de l'autre, le patriarche doi
vraiment être devenu une sorte d'idole, comme l'est Joachim 111, et i
doit aussi adorer le pouvoir. A combien plus forte raison serait vit(
perdu celui qui essayerait de gouverner sans intrigues, en dehors d(
tout parti, on le voit sans peine; l'entreprendre serait vouloir se tenii
sur les flots mouvants sans appui, sans soutien, en un mot être victime
de l'illusion et de l'utopie.
Mais que devient, au milieu de ces actions diverses, le faible reste
d'autorité morale que nous avions concédé au patriarche? Pour qu'elle
ne s'évanouisse pas entièrement, il faudrait des qualités dont personne
ici-bas n'est doué. L'homme sans parti ne peut se maintenir, et l'homme
d'un parti renonce à toute influence efficace sur ses adversaires qui le
détestent, et sur les siens, qui le savent leur esclave et le méprisent]
De cette étude découlent de nombreuses et importantes conclusions
Contentons-nous, pour le moment, de signaler celle-ci, qui est trè;
générale et indiscutable : l'absence de toute autorité supérieure person
nelle vraie doit avoir sa répercussion dans l'organisme tout entier. Ur
synode sans chef sera bien différent d'une assemblée conduite par ur
pouvoir respecté. Ce caractère particulier ne peut pas ne pas rejailli
swr les métropoles, et par elles jusque dans la vie paroissiale. Quel es
ce caractère? Nous essayerons de le dire plus tard.
F. Cayré.
Constantinople.
LA MISSION
« IN ADJUTORIUM COPTORUM » ('>
I
Coutt aperçu.
Il y aura bientôt vingt ans que l'Eglise copte catholique a été réor-
ganisée par Léon XIII (1895). De cette époque date une vie nouvelle,
ou, plus exactement, de nouveaux efforts en vue d'une sérieuse amélio-
ration furent alors tentés.
Elle n'est pourtant encore que le pusillus grex, mais, telle quelle, elle
mérite notre attention, et, dans un milieu musulman et schismatique,
maintient la vraie foi et l'union avec l'Eglise romaine.
Le dernier recensement de l'Egypte, qui date de 1907, mais n'a été
publié qu'en 1909 (2), permet quelques constatations intéressantes au
sujet du mouvement de la population copte catholique et de sa distri-
bution géographique.
Sur une population globale de 11 189978, dont 10269445 de
musulmans, il y a 706 322 Coptes et 1 4 376 d'entre eux sont catholiques.
Dix ans auparavant (recensement de 1897), les Coptes catholiques,
au nombre de 4630, ne représentaient que le 0,8 pour 100 de la popula-
tion chrétienne indigène. En 1907, ils en sont le 2,1 pour 100, soit un
accroissement de 1,3 pour 100, au détriment de la communauté ortho-
doxe qui, dans le même espace de temps, appauvrie par des passages
au protestantisme et des conversions au catholicisme, diminuait de
2,8 pour 100 (97,2 pour 100 à 94,4) (3).
Si l'on excepte le gouvernorat du Caire (4), où l'on compte 3 026 catho-
liques (5), c'est en Haute-Egypte qu'est le pays des Coptes catholiques.
(i) Les Echos d'Orient se sont déjà plusieurs fois occupés des Coptes. Cf. I (i{
p. 123; II (1898), p. 52; III (1899), P- 59; VI (1903), p. 270; X (1907), p. i38.
{2) The Census of Egypt taken in 1907, f° Cairo, 1909.
Populatioa totale lusuimans pour 100
(3) 1907 II 189978 10269445 91,8
1897 9717228 8992203 92,2
Coptes catholiques pour 100 Coptes protestants pour 100
1907 14576 .2,1 24710 3,5
1897 4 63o 0,8 12507 2
(4) Le gouvernorat est l'une des divisions administratives de l'Egypte. Il y a 7 gou-
ernorats et 14 moudiriehs.
(5) Dans celui d'Alexandrie, il n'y en a que 462, et, en dehors de là, aucune moudi-
ieh de la Basse-Egypte n'en compte i5o.
Copies
pour 100
706 322
6,3i
609511
6,25
Coptes orthodoxes
pour 100
667 o36
94.4
592 374
97.2
4o6 ÉCHOS d'orient
Ils y sont groupés au nombre de 10246, spécialement dans les mou-
diriehs de Minieh, d'Assiout, de Guirgueh et de Kéneh (i).
Ainsi, en dix ans, les Coptes catholiques avaient augmenté de loooo.
Ce fut la conséquence de l'intérêt que Léon XIll, soucieux du retour
de l'Orient à l'unité catholique, porta à la nation copte.
En quelques années, le rétablissement de la hiérarchie, d'importants
subsides fournis par le Pape et l'Autriche (2), le concours des mission-
naires latins permirent d'ouvrir des écoles, d'augmenter le nombre des
églises, de fournir au clergé copte quelques prêtres instruits, de faire
un apostolat fructueux auprès des orthodoxes.
Mais cette restauration elle-même fut le fruit de longs travaux anté-
rieurs, et dont il faut faire honneur aux premiers missionnaires qu"
vinrent in adjutorium coptorum. Sans le zèle de ces hommes qui, depuii
plus de deux siècles, ont fourni sans se lasser un obscur, pénible e
peu récompensé labeur, qui sait si l'on eût pu trouver, au xix^ siècle
les éléments d'une communauté. Si, en 1895, les Coptes catholique;
n'étant encore que 4000, font déjà figure, possédant églises et bien:
au soleil, c'est aux Pères Récollets qu'ils le doivent. Si le Pap<
trouve parmi leurs prêtres un patriarche et deux évêques, c'est dan:
le petit nombre de séminaristes que le collège de la Sainte-Famill
au Caire et l'Université Saint-Joseph de Beyrouth ont pu instruire e
former.
Les premiers et pendant longtemps les seuls missionnaires de
Haute-Egypte furent les Pères Franciscains Récollets (3).
Ce ne fut qu'en 1687 que la Propagande (Innocent XI) établit sou
la forme d'une vice-préfecture, dont le P. Antonio de Pisticcio fut
chef, une mission de la Haute-Egypte in adjutorium coptorum. Jusqu'à;
1697, cette mission dépendit de la custodie de Terre Sainte. Elle deviâ
alors préfecture dépendant de la Propagande.
En 1698, Louis XIV installait les Jésuites au Caire. Ils n'en sortirof
(1) Minieh, 1722; Assiout, 4352; Guirgueh, 2762; Kéneh, i i3o. C'est là aussi
véritable pays des Coptes, la «Coptie », si l'on pouvait ainsi dire. Une carte du rece
sèment de 1907 le montre d'une façon saisissante. Refoulés graduellement, les chl?
tiens n'ont offert quelque résistance à l'apostasie que loin du pouvoir central.
Cf. Annuaire statistique de l'Egypte, 191 1 (3' année), in-4'. Le Caire, Imp. nat., igi
tableau 6, population par divisions administratives et par religions, p. 40-41.
(2) Le protectorat religieux de l'Autriche sur les Coptes catholiques est aussi «
tain que ses origines sont difficiles à démêler. Ce serait un point intéressant à trait*
(3) Une partie des renseignements qui suivent est empruntée à l'opuscule Memot
storico-chronologiche délie ynissioni Francescane dell' Alto-Egitto, par Fra FoM
NATO DA Seano. Torino, tipografia Salesiana, igoS. J'en dois la communication
l'obligeance du P. Atanasio Riccardo, présidente dell' ospizio di P. Antonio, Le Ca^
LA MISSION NN IN ADJUTORIUM COPTORUM » 4O7
guère. En 1711, aucun Jésuite n'est encore allé en Haute-Egypte (i).
Les missionnaires de la Propagande (c'est ainsi qu'on appelait les
Récollets) s'établirent d'abord au Caire, dans la résidence des Pères de
Terre Sainte (couvent du Mousky), et au Vieux-Caire. La même année
(i 687), ils étaient au Fayoum, puis à Akhmin, 1691 ; à Guirgueh, 1720;
à Farshout, 1738; à Tahta, 1768 (2); àNagada; mais pendant longtemps
ils durent exercer leur ministère en secret sans pouvoir faire acte de culte
extérieur, sans compter que l'obstination naturelle des Coptes ne leur
laissait que peu d'espoir d'augmenter le nombre infime des catholiques.
lis ne furent en cela guère plus favorisés que les missionnaires vivant
au Caire (3). Les mémoires de Benoît de Maillet, qui fut pendant seize
ans (à partir de 1692) consul général de France, sont explicites à ce
sujet (4). Dans la lettre dixième « De la religion des Egyptiens », le
consul ayant noté l'obstination des Coptes, reconnaît que « c'est un
écueil contre lequel échouent tout le zèle et la charité la plus infatigable
de nos missionnaires (5) », et il continue : « II est vrai que leur persé-
vérance et leur douceur les insinuent dans l'esprit de ces peuples, et
leur facilitent un libre accès dans leurs maisons. Mais comment ne
seraient-ils pas bien reçus, puisqu'ils portent partout des consolations
pour l'esprit et des soulagements pour le corps. Ils rétablissent le calme
dans une famille affligée par leurs sages conseils et leurs pieuses exhor-
tations, souvent même par leurs aumônes Ils sont respectés poui*
leur zèle et leur désintéressement. Mais il faut pourtant l'avouer, tout
cela ne convertit point, et l'expérience apprend que les conversions,
lorsqu'il s'en fait, sont si peu sincères, qu'elles cessent aussitôt que le
motif de l'intérêt et de l'espérance qui en était le fondement vient à
disparaître. Les prétendus convertis répondent nettement, lorsqu'on
(i) Cf. Lettres éditantes et curieuses. Paris, 1780, t. IV, p. 480. Lettre du P. de
Bernât, *S. J.
(2) Ce poste est, avec celui d'Akhmin, un des plus anciens de la mission. En 1768,
il devint pour les missionnaires un lieu de résidence. Tahta est aujourd'hui le lieu le
iplus foncièrement catholique de la Haute-Egypte.
(3) Un Français qui visite l'Egypte en 1780 écrit: « Il y a (au Caire) quatre hospicôS
ie religieux qui y font la mission, et qui n'opèrent pas beaucoup. Ce sont les Corde-
iers, les Récollets, les Capucins et les Jésuites.» Relation du voyage fait en Egypte
^ar le sieur Granger en Vannée tjSo, in«ia. Paris. 1745, p. 146. Cependant, le
p. Sicard, S. J., écrit (Le Caire. 10 déc. 1722) : « Notre mission porte ici moins de
Fruits qu'au Saïd (Haute-Egypte), où il n'y a point de villes ou de villages sans
quelques maisons catholiques. » Cf. A. Rabbath, S. J., Documents inédits pour servir
ti l'histoire du christianisme en Orient, t. I", p. 184.
\ (4) Description de l' Egypte, composée sur les mémoires de M. de Maillet, ancien
(Consul de Fiance au Caire, par M. l'abbé Le Mascrier, in-4°. Paris, 1735. Cette édition
a deux paginations. La seconde, avec astérisque, commence à la neuvième lettre.
(5) Description de l'Egypte, op. cit., p. 65*.
4o8 ÉCHOS d'orient
leur reproche leur désertion : point d'argent, point d'église, Maphis
Fellou, Maphis Quenisse. On a vu ici l'église des Pères de Terre Sainte
remplie de nouveaux chrétiens dans un tems où l'on donnait assez lar-
gement aux pauvres qui s'y rendaient. 11 vint un nouveau supérieur
qui, par épargne ou par nécessité, retrancha toutes ces aumônes. L'église
fut aussitôt déserte, et le nombre des fidèles se réduisit à un petit nombre
de catholiques, nés de parents qui l'étaient déjà ou qui avaient et
nourris dès leur enfance dans les sentiments de l'Eglise romaine. Telle
est la véritable idée qu'on doit avoir de la nouvelle Eglise qui subsiste
aujourd'hui en Egypte.
» On s'efforce cependant d'entretenir le petit troupeau que l'on 2
formé avec beaucoup de tems, de travail et de dépense. On tache dt
l'étendre par la voye des mariages, des écoles et des instructions quf
Ton donne à la jeunesse. Mais, malgré tant de soins et de précautions,
si l'on y regarde de près et sans prévention, on s'apperçoit aisément qut
l'on ne tient presque rien. Le fruit de tant de peines se réduit ordinal
rement à préserver quelques anciens catholiques de la dangereuse con^
tagion de l'exemple général. » (i)
Les missionnaires cherchèrent aussi à créer les éléments d'un cierge
catholique, et, dans ce but, sur la demande d'ailleurs de la Propagande
ils purent, après beaucoup de difficultés, envoyer à Rome, pour y rece
voir une éducation et une instruction catholique, quelques jeune?
Coptes. Au xviiie siècle, le consul de France Maillet espérait peu d<
cette industrie et en appelait à l'expérience pour justifier son senti
ment (2). De fait, elle ne donna pas tout ce qu'on en attendait. Rentré;
dans leur pays, ces jeunes hommes étaient exposés à retomber soui
l'influence du milieu, et à reprendre, par la force de l'hérédité, leu.
mentalité et conscience premières. Cependant, c'est parmi eux que l'oi
put recruter les vicaires apostoliques. 11 est en tout cas assez singuli;
que les Coptes, dont on nous cite le catholicisme éprouvé, soient au
ceux qui ont vécu en dehors de l'Egypte et de l'influence du pays natal
Bechara Abulcher, mort à Rome en 1738, à vingt-quatre ans; le célèbr
Raphaël Tuky, mort aussi à Rome en 1 772, à quatre-vingts ans ; l'évêqu
de Girgeh, Antonios Flaïfel, qui s'est déclaré catholique, est obligé d
fuir à Rome pour vivre en catholique. Il y mourut en 1807, à quatre
vingt-dix-huit ans (3).
(i) Description de l'Egypte, op. cit., p. 65-66*.
(2) Cf. Description de l'Egypte, op. cit., p. 67*.
(3) Cf. Georges Macaire, Histoire de l'Eglise d'Alexandrie, in-8'. Le Caire, i!
p. 335, 347, 353.
LA MISSION « IN ADJUTORIUM COPTORUM » 409.
Au XIX® siècle, sans dédaigner d'envoyer des jeunes gens à Rome,
on pensa aussi à faire élever dans le pays ceux dont on attendait l'évan-
gélisation du pays. C'est dans ce but que la Compagnie de Jésus éta-
blit au Caire en 1879 U" P^tit Séminaire qui réunit tout de suite douze
enfants (i). Un peu auparavant, le vicaire apostolique, Mg«- Agabios
Bschai, autorisé par la Propagande, avait envoyé (187s) au Séminaire
oriental de Beyrouth (2) quelques sujets. Enfin, en 1897, une donation
importante de Léon Xlll permettait de poser la première pierre d'un
Séminaire copte à Tahta.
En 1741, eut lieu pour le catholicisme égyptien un événement impor-
tant. Jusqu'alors, les Papes s'étaient efforcés de ramener le patriarche
et son clergé et par eux leur peuple à l'unité catholique. C'avait été
en vain.
Benoît XIV ayant trouvé dans l'évêque copte de Jérusalem, Amba
Athanasios, des garanties de catholicisme, le mit à la tête de l'Eglise
copte catholique comme vicaire apostolique (4 août 1741). C'était la
première fois depuis de longs siècles que l'on pouvait parler d'Eglise
copte catholique. Jusqu'alors il n'y avait eu que des catholiques. C'était
en même temps l'annonce d'une future émancipation, quand le progrès
de la foi permettrait de reconstituer la hiérarchie.
11 y eut ainsi en Egypte simultanément une préfecture apostolique,
mission de la Propagande, confiée aux Pères Franciscains Récollets, et
un vicariat apostolique, l'Eglise copte catholique, avec un chef reli-
gieux (3); mais, jusqu'à la fin du xix» siècle, religieux missionnaires et
(i) Il a été fermé en 1907. Mais le collège de la Sainte-Famille, qui doit son origine
au Séminaire, continue à faire les frais de l'entretien d'enfants coptes, qui sont main-
tenant envoyés à Beyrouth.
(2) Le Séminaire oriental de Beyrouth a été ouvert en 1846 à Ghazir (Liban occi-
dental), transféré à Beyrouth en octobre 1875. Vingt-cinq prêtres coptes (jusqu'en 1911)
en sont sortis.
(3) Voici, à partir de 1741 jusqu'à la constitution de la hiérarchie, la liste des chefs
religieux de l'Eglise copte : vicariat apostolique.
I" Athanasios, 1741, évéque copte de Jérusalem, qui délègue à son vicaire Justus
Maraghi le soin de l'Egypte;
2' Jean Farargi;
3° Mathieu Righet, 21 avril 1788, f 1822. Il eut depuis 1814 un coadjuteur, Theodoros
Aboukarim. Nommé évéque comme son prédécesseur, il ne put, comme lui, être
'consacré faute de prélat;
4* Maximos Joued, nommé patriarche par Léon XII, septembre 1824. Il avait béné-
ficié de faux rapports faits à la cour de Rome par un ambitieux Copte. Mais cette
dignité fut sans lendemain, f 3o août i83i ;
5* Theodoros Aboukarim, i832, f 1854;
6* Athanasios Khouzam, i855, t 1864;
7' Agabios Bschai', 27 février 1866, élève de la Propagande, né au hameau de Hammas
moudirieh et markas de Guirgueh), fut, en 1878, appelé à Rome par suite de dissenti-
4IO ÉCHOS D ORIENT
prêtres coptes devaient rester confondus, ayant les mêmes postes, par-
ticipant aux mêmes ressources, officiant à tour de rôle dans les mêmes
églises, bénéficiant d'une même protection.
Vint un temps où les heurts, inévitables dans un contact journalier,
se multiplièrent, prenant aussi plus de conséquence, car, avec l'âge
avaient crû les prétentions des pupilles. Mieux valait se séparer.
Mais en laissant la jeune Eglise à elle-même, la Propagande et les
missionnaires ne lui témoignaient que de la confiance et pensaient à
la doter.
Ce fut l'objet de deux conventions passées en 1893 entre le provi-
caire apostolique des Coptes, Ms^ Antoun Kabis, et le Père préfet de
la mission de la Haute-Egypte.
La première (15 avril), en douze articles (i), concerne le Caire.
L'église de la Sainte-Famille, quartier du Mousky, darb el Baraba,
appartenant à la Propagande, est cédée à l'usage exclusif des Coptes a
beneplacito délia delta S. C. che ne ritiene la proprieta. Mais, à certains
jours de fête, les Pères Récollets continueront à y dire la messe solen-
nelle en présence du représentant de Sa Majesté Apostolique. Avec
l'église est cédée une partie du Conventino attenant à l'église.
La Convention du 16 mai concerne la Haute-Egypte. Dix postes
étaient cédés aux Coptes (2): 1° Le Vieux-Caire, poste dont la fonda-
tion remontait à 1687; 2° Tema (moudirieh de Guirgueh), une église y
avait été commencée en 1854 et terminée en 1862; 3° Tahta, une des
premières stations de la mission, comprenant église, maison et école;
40 Cheikh Zein el Dine, à une petite distance de Tahta (moudirieh de
Guirgueh), église; y Akhmin (moudirieh de Guirgueh). Cette station
ments avec son clergé. Il ne revint en Egypte après neuf ans que pour y mourir (1887).
Il avait été consacré au Caire;
8° Antoun Morcos, prêtre latin du patriarcat de Jérusalem, visiteur apostolique;
1878-1887, en même temps que Antoun Nadabo était provicaire, chef légal aux yett»
du gouvernement égyptien;
9° Simon Baraya, provicaire, août 1889-décembre 1892;
10° Antoun Kabis, provicaire, décembre 1892-1895;
1 1° Cyrille Macaire, vicaire apostolique, préconisé dans le Consistoire du 18 mars iSg!
avec le titre épiscopal de Césarée de Philippe; il fut consacré au Caire le 17 avril
sous le nom de Cyrille (il s'appelait Georges), par M" Corbelli, délégué apostolique
Le pape Léon Xlll ayant, par la Bulle Christi Domini (25 novembre 1895), rétabli U
hiérarchie et la dignité patriarcale. M*' Macaire devint administrateur apostolique e
vicaire patriarcal jusqu'au 19 juin 1899, où il était nommé patriarche. Né à Chenaine
(village de la moudirieh d'Assiout), le 19 février i863, il fit ses études au Séminaij
oriental de Beyrouth, d'où il sortit docteur en philosophie et théologie. En juin 190^
M" Macaire a dû donner sa démission, et M'' Maximos Sedfaoui, évéque de Miniâ
depuis le 29 mars 1896, a été nommé administrateur apostolique.
(i) Archives des Pères Récollets. Le Caire.
(2) FoRTUNATO DA Seano, Mcmorie storico-cronologiche, op. cit.
LA MISSION « IN ADJUTORIUM COPTORUM » 4II
remonte à 1691, Il y avait depuis 1885 une grande église à trois nefs
et une maison; 6° Hammas (moudirieh de GuirguehJ, église et maison;
70 Farshout (moudirieh de Kéneh), église; 8° Nagada (moudirieh de
Kéneh), église et maison ; 9° Garagous (moudirieh de Kéneh), église
et maison; lo» Kebli Kamoula (moudirieh de Kéneh), église et maison.
Les Pères Récollets ont présentement huit postes : au Caire, quartier
du Daher; au Fayoum; à Beni-Souef, avec dépendances à Bouche, Tama
et El Nawamdieh; à Assiout, Guirgueh, Nag-Hamadi, Kéneh et Louksor,
avec dépendances à El Salamieh Kebli et à Arment.
Ils sont aidés par les Sœurs Franciscaines missionnaires, un Institut
qui est en Egypte depuis 1859 (0» <^^ '' ^ ouvert écoles et hospices. Elles
ont à Assiout une école, un grand hôpital et un orphelinat; à Louksor,
une école et un orphelinat; à Kéneh, école et orphelinat, et àBeniSouef,
école.
A la fm de l'année 1887, les Jésuites entraient en Haute-Egypte. De
Minieh comme centre, ils rayonnent tout autour. Ils ont ouvert des
écoles. Présentement, les religieuses de Saint-Joseph de Lyon s'occupent
des filles.
Ainsi la Missio in adjutorium coptorum n'a rien perdu de son impor-
tance. Si le nombre de ses ouvriers a augmenté, les besoins ont crû
bien davantage, et longtemps encore le clergé copte, toujours peu nom-
breux (2) et pauvre, ne pourra suffire au travail des missions, de postes
à fonder, d'écoles à bâtir, et à pourvoir de maîtres. Là encore : Messis
milita, operarii pauci.
Gabriel Levenq..
Le Caire.
(i) Cf. P. Agostino MoLiNi, le Francescane Missionarie d'Egitto. Broch. in-8°.
Roma, 190g.
(2) Le P. Rolland, missionnaire, S. J., à Minieh, écrivant aux Missions catholiques
en 1895, parle d'une vingtaine de prêtres catholiques valides, et il en faudrait plus du
triple. (Cf. Missions cathol., iSgS, p. i33 sq.)
En 1905, il y a une soixantaine de prêtres. En 1910, il n'y en a pas plus.
INTERVENTION DES LAÏQUES
DANS L'ÉLECTION DES ÉVÊQUES
Dans un article précédent (i), nous avons demandé aux représen-
tants autorisés de l'histoire, du droit canonique et de la législation
ecclésiastique leur pensée concernant l'intervention des laïques dans
la gestion des biens d'Eglise. C'est à une enquête semblable que nousl
nous proposons de recourir aujourd'hui pour connaître la vérité tou-
chant l'intervention des mêmes laïques (2) dans la nomination desj
évêques durant l'antiquité et le moyen âge. Notre but est ici encore
de consulter la tradition au double point de vue de la question de faii
et de la question de droit. Le simple relevé des documents empruntés
aux historiens, aux canonistes, aux législateurs ecclésiastiques, nous mettra
à même de connaître le fait et le droit de la participation des fidèles
à l'élection de leurs chefs spirituels.
1. Historiens.
I. Thomassin. — L'illustre Oratorien résume en ces quelques ligne;
ce que l'histoire nous apprend au sujet de l'intervention des feïques dan;
l'élection des évêques durant les treize premiers siècles : « jusqu'ai
vie siècle, le peuple avait toujours part aux élections des évêques, mai;
les personnes de condition avaient le plus de poids. »
Dans l'Orient, le peuple n'avait point tant de part aux élections de;
évêques que dans l'Occident.
Le droit du peuple consistait en ce que les évêques devaient écoute
son témoignage, et qu'on ne pouvait élire un évêque malgré lui.
Le témoignage et le consentement du clergé et des peuples de la cam
pagne n'étaient pas nécessaires dans l'élection de l'évêque.
Dans l'élection, les seuls évêques pouvaient faire le discernemen
des dignes et des indignes, des plus dignes et des moins dignes.
Le concile de Nicée exigeait (3) pour l'élection d'un évêque la pré
sence du métropolitain et de tous les évêques de la province. L
Les prêtres d'Alexandrie, suivant saint Jérôme, dès l'instant de H
I
(i) Echos d'Orient, mai 191 2, p. 202-214. ^
(2) C'est-à-dire du peuple, des princes ou des notables.
(3) Can. 4.
■fN
TERVENTION DES LAÏQUES DANS l' ÉLECTION DES ÉVÊQUES 413
nort de leur évêque, procédaient à l'élection de l'un d'entre eux pour
emplir le siège épiscopal et pour prévenir les brigues du peuple.
C'était toujours le métropolitain qui faisait l'élection dans une assem-
lée synodale des évêques de la province.
Les élections se terminaient à la pluralité des voix des évêques, et
on pas du clergé ou du peuple.
En Orient, depuis l'an 300 jusqu'en 800, l'empereur, les grands et
;s évêques, le clergé et le peuple participaient à l'élection du patriarche.
Qtielque participation qu'on donnât au clergé et au peuple, c'étaient tou-
vurs les évêques qui avaient la souveraine autorité dans ces élections, et
utout le métropolitain (1).
C'était une ancienne coutume que le clergé et le peuple proposassent
•ois personnes. Le métropolitain ou un autre évêque qui présidait à
élection, choisissait celle qu'il jugeait la plus digne.
Au xii« siècle, suivant Balsamon (2), les évêques en choisissaient
•ois, et le métropolitain choisissait la plus digne.
Les empereurs avaient la principale autorité dans la création des
atriarches, qu'on élisait pourtant toujours.
Hn France, depuis l'an 1000 jusqu'en iioo, les évêques étaient les
rincipaux électeurs; le clergé avait plus de part à l'élection que le
euple, et les rois y consentaient.
Quand les suffrage; du clergé et du peuple de France étaient par-
igés, le métropolitain et les évêques de la province décidaient et fai-
aient l'élection.
Le peuple commença lui-même à s'exclure partout des élections par
;s violences qu'il faisait au clergé et aux évêques.
Innocent 111 et le IV^ concile de Latran exclurent de l'élection d'un
vêque (3) le peuple et le clergé; cependant, leur consentement était
ncore compté pour quelque chose (4).
2. Hergenrœther déclare à son tour : « Ainsi que nous l'avons vu,
;s premiers évêques furent nommés et institués par les apôtres. Mais
(i) Nous prions le lecteur de remarquer ce passage ainsi que les passages analogues
es autres auteurs ou des canons que nous soulignerons également. Nous soulignerons
e même les mots exprimant le mode d'intervention du peuple ou du clergé.
(2) Il semble au premier abord qu'à l'époque de ce canoniste, il y ait eu en Orient
n essai de suppression de l'intervention des notables eux-mêmes. C'est du moins
opinion de M. Sakellaropoulos, qui interprète à la lettre le texte dont parle Tho-
lassin.
(3) En Occident, car nous verrons plus loin qu'en Orient les notables substitués
eu à peu à la foule depuis le synode local de Laodicée (Phrygie), tenu vers 36o, con-
nuèrent de participer à cette élection.
(4) Thomassin, Ancienne et nouvelle discipline de l'Eglise. Paris, 1867,1. VII, p. 548.
414
ECHOS D ORIENT
on attacha de bonne heure une grande importance au témoignage des
communes; on consultait volontiers les fidèles sur le choix de leurs
pasteurs. Quand le siège épiscopal devint vacant, l'usage s'établit que
les clercs inférieurs nommèrent un des leurs, sur lequel on interrogeait
le peuple. Les évêques du voisinage s'assemblaient ordinairement au
nombre de trois, et consacraient celui qui avait été ainsi choisi par le
clergé et le peuple. » (i)
De 312 à 692, « l'ancien mode électoral (2) fut conservé dans sa
substance, mais on y fit quelques changements, surtout en ce qui
regarde la participation du peuple : 1° L'évêque était choisi par le clergé
et les fidèles, et, après l'examen canonique, confirmé par le métropoli-
tain ou par les évêques de la province; 2» d'autres fois, les évêques propo-
saient trois hommes, parmi lesquels le clergé et le peuple faisaient leur
choix; y d'autres fois encore, c'étaient le clergé et le peuple qui pro-
posaient aux évêques trois ecclésiastiques. Le peuple, avec l'approbation
du clergé, élisait souvent son évêque par acclamation. Mais comme la
charge épiscopale rapportait maintenant des honneurs et des revenus,
que les considérations humaines, les cabales amenaient souvent des
choix indignes, on restreignit l'influence des laïques sur les élections,
et on se contenta (3), en bien des cas, d'y appeler les membres les
plus notables de la commune {optimales). Quant à la nomination
proprement dite, elle appartenait toujours au clergé. Les élections
étaient souvent faites par les conciles, et en Orient (4) par les empe^''
reurs » (5).
De 814 à 1073, date de la réaction courageuse de saint Grégoire Vil/
c'en est fait en partie de la liberté des élections ecclésiastiques en Occi-
dent. « Qiiand un évêque venait à mourir, le métropolitain, avec l'assen-
timent du roi, nommait un visiteur, et l'élection était faite par le cierge
et les principaux laïques. Le métropolitain, après avoir demandé l'appro-
bation du roi, examinait l'élu, ou, quand il le trouvait indigne, en
nommait un autre avec ses suffragants, ou le laissait nommer par le
roi. Quand une élection était (absolument) contraire aux canons, les
Papes intervenaient. Mais il arrivait souvent que les rois ne laissaient
pas procéder à l'élection. » (6)
(i) Hergenrcepher, Histoire de l'Eglise, traduction de l'abbé B^let. Paris, i83o, 1. 1^
p. 474. (Première période, de i à 3i2, et ch. 1" de la deuxième période, de 3i2 à 692
(2) Relatif à la nomination des évêques.
(3) Surtout en Orient.
(4) Avec l'acceptation de l'Eglise.
(5) Op. cit., t. Il, ch. III de la deuxième période, de 3i2 à 692, p. 423.
(6) Op. cit., t. III, ch. Il de la quatrième période, de 814 à 1073, p. 3o3.
INTERVENTION DES LAÏQUES DANS l'ÉLECTION DES ÉVÊQUES 4IS
3. FuNK. — Dans son Histoire de l'Eglise (i) Funk écrit: Au début,
le choix des clercs appartenait presque exclusivement aux apôtres.
t à leurs successeurs immédiats, à cause de leur prééminence dans
Eglise. Cependant, ils tenaient aussi compte de la volonté des fidèles,
iprès la mort de ses premiers chefs, la communauté eut le droit de
hoisir elle-même son pasteur. L'élection de l'évèque appartenait en
énéral au clergé de la ville, qui soumettait ensuite son choix à Vassen'
imeiit des laïques. Au peuple et au clergé s'ajouta bientôt un troisième
icteur concourant à l'élection épiscopale. Le métropolitain et les évêques
e sa province devaient confirmer le nouvel élu, et trois évêques au
[îoins devaient assister à son sacre ».
De 313 à 692, « le mode de recrutement du corps épiscopal ne subit
las de modification profonde. On voit quelques évêques essayer de dési-
ner eux-mêmes leurs successeurs, mais ces tentatives se heurtent à l'op-
(osition des synodes, qui maintiennent le droit d'élection appartenant
la communauté. La part que le peuple prend aux élections est cepen-
lant soumise, en Orient, à des restrictions. Justinien l^'' ne laisse que
es plus importants citoyens déposer leurs suffrages (2). Le synode de
.aodicée, vers 360, cherche même à ôter au peuple tout droit d'inter-
'ention (can. 13). 11 est vrai qu'il n'y réussit pas. Le changement le
>lus considérable en cette matière se produit en Occident, dans le
oyaume des Francs En 549, le synode d'Orléans, tout en conser-
vant la procédure ordinaire de l'élection, investit le roi du droit de
onfirmer l'élu.
» En Espagne, chez les Wisigoths, le choix des évêques est confié au
ai et à l'archevêque de Tolède par le synode de cette ville, en 681. En
talie, Théodoric le Grand, après la mort du pape Jean lef (526), nomme
'ans autre forme le pape Félix IV, et le pourvoit du siège de Rome.
)epuis lors, les Ostrogoths, et après eux les Byzantins, prétendent (3)
lu droit de confirmer les élections des Papes. Cependant, pour ne pas
prolonger outre mesure les vacances, la confirmation est donnée, depuis
Constantin Pogonat et le pape Benoît II, par le représentant du pouvoir
mpérial en Italie, par l'exarque de Ravenne » (4).
Durant la période qui va de 692 à 1073, « l'élection (des évêques)
îui, dès la période précédente, n'avait gardé qu'une vaine apparence,
ist remplacée peu à peu, dans l'empire franc, par la nomination du roi.
(i) Funk, Histoire de l'Eglise, traduction de l'abbé Hemmer, t. 1", p. 87 sq.
(2) Nov. 123 a. 546, c. i; nov. iSy, a. 564, c. 2.
(3) Remarquer ce mot.
(4) Op. cit., t. !•% p. 256.
.416 ÉCHOS d'orient
Elle a lieu d'une manière régulière, depuis le x^ siècle, par la remise au
nouveau titulaire de la crosse et de Panneau, insignes qui, à la mort du
prélat, sont rapportés au roi, à qui il appartient d'en disposer v> (i).
Au dibut de la période qui s'écoule de 1073 à 1294, « un mal qui
rongeait l'Eglise attire l'attention du nouveau Pape (2); la manière
dont on pourvoyait aux vacances des sièges et aux grandes dignités
ecclésiastiques mettait l'Eglise dans une dépendance trop étroite de
l'Etat. Ce mal demandait un prompt remède, car il s'était encore
aggravé par les abus de la simonie Au synode romain du Carême
de 1075, Grégoire déclara invalide la nomination à un emploi ecclé-
siastique faite par un laïque, et menaça de censures d'abord ceux qui
recevraient ainsi des charges; puis, en 1080, ceux mêmes qui les con-
féreraient » (3).
4. Mgr DuCHESNE nous donne, à propos des élections épiscopales pen-
dant les trois premiers siècles, les renseignements précis que voici
« Régulièrement installé par l'élection des siens et l'initiation sacerdotale
qu'il recevait soit de l'Eglise-mère, soit des évêques voisins, l'évêque
était le chef indiscutable de son Eglise. » (4) Au siècle suivant, « les
évêques sont et demeurent les élus de leur Eglise; ils s'investissent
entre eux, sans que l'Etat n'ait rien à y voir ; l'élection (épiscopale)
demeure généralement libre » (5).
Au tome 111 de son ouvrage (6), le même historien constate en pas-
sant que les élections se faisaient comme par le passé. Au début du
volume (7), il parle ainsi de l'élection des évêques au temps de Théo-
dose : «Bien que dirigée par les évêques voisins; l'élection (épiscopale)
demeurait entre les mains des gens de l'endroit, peuple et clergé. Bien
entendu, comme toutes les élections et en tous les temps, celle-ci ne
se passait pas sans brigues, sans intrigues, sans conflits d'intérêts ou
d'ambitions. »
Dans ses origines du culte chrétien (8), le prélat que nous venons
de citer s'exprime ainsi au sujet de l'ordination des évêques latins a
l'époque de saint Gélase : « Les évêques que le Pape ordonnait étaient
(1) Op. cit., t. I", p. 413. Imitation de l'usage byzantin concernant l'élection du
patriarche de Constantinople. Siméon de Thessalonique, Migne, P. G., De sacrU
ordinationibus, t. CLV, col. 441.
(2) Le pape réformateur, saint Grégoire VII.
(3) Op. cit.. t. I", p. 446.
(4) Duchesne, Histoire ancienne de l'Eglise, t. I" (1906), p. 535.
(5) Op. cit., t. Il, p. 663. ."^
(6) Op. cit., t. III, p. 671. ;
(7) Op. cit., t. III, p. 24-25.
.(8) Duchesne, Origines du culte chrétien. Paris, 1898, p. 345-346.
INTERVENTION DES LAÏQUES DANS L ELECTION DES ÉVÈQUES 417
esque toujours ceux de sa province métropolitaine. Ce n'était pas lui
i les choisissait; ils étaient élus dans leurs localités (1). L'élection faite,
en dressait un procès-verbal ou décret, que signaient les notables
l'endroit, clercs et laïques; puis le futur évêque, escorté de quelques
présentants de son Eglise, se rendait à Rome Si l'élection était
;onnue régulière, et si le Pape approuvait le choix des électeurs, on
ébrait la consécration. »
11. Canonistes.
I . BÉvÉRiDGE explique de la manière suivante le canon 4 (2) du pre-
er concile de Nicée : Prcesens igitur erat (populus) ut suum de ordinandi
là « testimonium daret » et hoc, ni fallor, totum erat suffragii, quod
iternitas in episcopi electione ferebat, nimirùm « episcopi, congregati
mm diligebant, et electum proponebant populo », eut prœficiendus erat;
populus nihil haberet, quod delecto objiceret, episcoporum electioni suf-
igabatur (3) A l'appui de son commentaire, le canoniste cite le
«te connu de saint Cyprien, qui semble lui donner raison contre
ifélé, dont l'avis est que le peuple émettait toujours son vote, préala-
;ment à celui des évêques : Propter quod, diligenter de traditione
vina et apostolica observatione observandum est et tenendum, quod apud
s quoque, et f ère per provincias universas tenetur, ut ad ordinationes
*e celebrandas, ad eam plebem, cui prœpositus ordinatur, episcopi ejusdem
yvinciœ proximi quique conveniant, et episcopus diligatur « plèbe prœ-
tte », quœ singulorum vitam plenissime novit, et uniuscujusque actum
ejus conversaiione perspexit. Quod et apud nos f actum videmus in Sabini
legce nostri ordinatione, ut « de universœ Jraternitatis suffragio », et
de episcoporum qui in prœsentia convenerant », quique de eo ad vos lit-
as fecerant, « judicio », episcopatus ei deferretur, et manus ei in locum
silidis imponeretur (4). Selon Bévéridge, le témoignage du peuple
vivait ou précédait l'élection épiscopale, et même le peuple exprimait
\ C'est ce que confirme le texte même du pontifical romain dans l'avis donné aux
les par l'évèque avant l'ordination des prêtres : Neque cnim fuit frustra a patribus
titutum, ut de electione illorum, qui ad regimen altaris adhibcndi sunt, consu-
Ur etiam populus: quia de vita et conversatione prœsentandi, quod nonnumquàm
oratur a pluribus, scitur a paucis; et nccesse est, ut facilius ei, quis obedientiam
ibeat ordinato, cui assensum prœbuerit ordinando. [Pontificale romanum Cle-
ntis VIII ac Urbani VIII jussu editum inde vero a Bénédicte XIV recognitum et
ii^atum, etc. Romœ, 1818, p. 45.)
li nous citerons plus bas.
• vtRiDGE, Synodicon. Oxford, 1672, t. II, Annotationes, p. 47.
i^YPRiANi epistola LX VIII ad Clerum et plèbes in Ilispania. (Note de Bévéridge.)
Echos d'Orient, t. XV. 27
4i8 ÉCHOS d'orient
parfois son désir de voir élire tel ou tel candidat qu'il désignait au si
frage du synode : Et ftihil guident interest, utrùm « plebis testimonii
episcoporum electionem sequaiur mit prœcedat ». Si plebis enim digm
aliquem virum sibi prœponendum postiilaret et sic prœvium electioni e)
testimonium daret, eumdem episcopis eligendum proponebant (0^^*
episcopi à plèbe propositum non semper eligebant, acproinde totum electio'i
arbitrium pênes episcopos erat », usque adeo lit « multas » légère
« episcopales ordinationes et electiones » etiam celebratas « ab episcoi
sine plèbe, à plèbe autem sine episcopis nullas » (2).
L'auteur du synodikon observe que, sans doute, le canon 4 du co
cile de N cée (et il en est de même, selon nous, des canons des se
tièm et huitième conciles généraux) (3) ne mentionne pas le suffra
du peuple, pour bien montrer que l'élection pênes episcopos erat; ma
ajoute-t-it en substance, il le condamne si peu, qu'il y fa.t allusion da
sa lettre synodale adressée à l'Eglise dAlexandrie : Provebantur ii c
adsciti sunt , modo digni videantur « et populus voluerit », sujfraga,
nihilominùs ei et electionem confirmante Alexandriœ urbis episcopo (
Que telle soit la pensée du premier concile œcuménique, on le v
clairement par la lettre 67 de Synesius, relative à l'élection d'un évêqi
faite conformément au quatrième canon du concile nicéen, et où cepi
dant il est fait mention du consentement des fidèles (5).
2. Mjî'' Christodoulou enseigne que, dans l'Eglise ancienne, «
clergé et le peuple prenaient quelquefois part à l'élection épiscop
par manière d'approbation, mais que cette intervention différait totalem
de l'élection canonique proprement dite réservée aux évêques seuls.
coutume de consulter les fidèles variait selon les Eglises. En Gm
dit le prélat que nous citons, le peuple approuvait l'un des trois c
didats présentés par le synode, tandis qu'en Espagne l'assemblée
évêques choisissait le nouvel évêque sur une liste de trois proposée
le clergé et le peuple. Parfois, continue Christodoulou, le souvetC
confirmait l'élu du peuple et des évêques (comme cela arriva, au J
de Socrate, pour l'élection de saint Jean Chrysostome), ou nomt\
évêque l'un des candidats de la liste conciliaire. So:{omène raconte
Constantin désigna parfois des candidats au choix des évêques. Qîj
à l'élection des patriarches de Constantinople, elle était toujours confin
(i) C'est le cas de saint Athanase, de saint Ambroise, de saint Augustin, etc.
(2) Op. cit. Ibid., p. 47-48.
(3) Malgré l'opinion contraire de Bévéridge, dont il sera dit un mot ci-aprés.
(4) Op. cit. Ibid., p. 48.
(5) Op. cit. Ibid., p. 48-.
INTERVENTION DES LAÏQUES DANS L ELECTION DES EVEQUES 4Ï9
' l'empereur, qui leur remettait même le manteau patriarcal et la croix
1;orale » (r).
5. Van Espen (2) nie formel! riment que le synode de Laodicée, dans
canon 13 dont le texte sera transcrit plus loin, ait voulu enlever au
iple toute participation à l'élection des c'ercs. 11 montre qu'après
décision de ce synode le peuple conti ma à prendre part aux élec-
\. Sakellaropoulos. — Aux yeux de M. Sakellaropoulos, dont nous
umons l'opinion, c'est un abus d'admettre l'intervention du clergé
des laïques dans l'élection des évêques. L'admission des notables
lui semble pas plus conforme au droit traditionnel (4).
5. Selon Ms»" Milasch, la participation du peuple à l'élection des
;ques ne peut avoir en soi aucune valeur décisive, et se réduit au
iple témoignage concernant les qualités du candidat. Quant à l'évo-
ion historique de ce témoignage populaire, le prélat l'expose de la
inière suivante d'après saint Clément, saint Cyprien, les Constitutions
DStoliques. «(En général), les apôtres nommaient par ejx-mêmes les
îques. Après eux s'établit la coutume en vertu de laquelle l'élection
s évêques était soumise à l'intervention du clergé et du peuple comme
noiiis, des évêques voisins comme Juges de l'élection, et du métropolitain
mme approbateur du scrutin électoral.
» En Orient, la participation du peuple lui-même à la nomination épi-
)pale se transforma (après le iv^ siècle probablement) (5) en celle des
) Ao/.([i.;ov èxy.Xir)<Tta(TTi7.oy Sixafou. Constantinople, 1896, p. 290-296.
î) Commentarius in canones, etc., p. 161 sq.
|îj Héfélé écrit à ce propos que l'Eglise grecque a interprété sévèrement le qua-
jjne canon du premier concile de Nicée, et a voulu par suite enlever même aux
jrésentants du peuple toute participation à l'élection épiscopale. {Histoire des con-
\s, traduction Goschler-Delarc, t. 1", p. 3j5.) Bévéridge affirme aussi la chose pour
[iir et le IX* siècle, à cause du troisième canon du septième concile œcuménique
ilu vingt-deuxième canon du huitième synode générai. Mais l'interprétation de
-;e signalée plus haut touchant l'article quatrième du premier concile de Nicée
, cment applicable aux décisions des septième et huitième conciles généraux.
ailleurs, la participation des notables à l'élection des évêques est formellement auto-
e par Justinien (nov. i23}, qui décréta qu'après avoir prêté serment sur les Evao-
, ces électeurs désigneraient trois candidats au synode éparchique, lequel, à son
, choisirait le plus digne des trois. Or, on ne voit nulle part que l'Eglise byzantine
'ésisté à l'ordonnance impériale. Dans sa réponse au patriarche Marc d'Alexandrie,
amon, patriarche d'Antioche (xii° siècle), refuse au peuple toute participation à
ction épiscopale, mais ne se prononce pas contre celle des notables. Cette dernière
nrention est admise expressément comme chosi ancienne par les patriarches de
stantinople, Philothée (décret de iSjo) et Matthieu (décret de 1400). M. Sakellaro-
los, dont nous allons parler à l'instant, croit cependant que Balsamon, dans le
2 rappelé par Thomassin, rejette l'intervention des notables.
I *Exx),r;o-ii(7T'.y.ov 5i/.acov, 1898, p. 186-187. Le canoniste athénien cite en sa faveur
tarés et Balsamon.
f C'est-à-dire après le synode de Laodicée (vers 36o).
420 ÉCHOS D ORIENT
notables (i), au sujet desquels Justinien décréta qu'ils prêteraient S(
ment sur les Evangiles et désigneraient ensuite trois candidats au syno
éparchique, qui choisirait le plus digne d'entre eux.
» Dans sa réponse au patriarche Marc d'Alexandrie, Balsamon n'e
dut pas (2) les notables, dont la présence à l'élection est formelleme
admise, au xiv^ siècle, par les patriarches de Constantinople, Philoth
et Matthieu.
» A noter, qu'à côté du double mode de nomination épiscopale f
le synode seul ou par le synode, le clergé inférieur et le peuple ou
notables, l'histoire mentionne aussi comme mode finalement accej
comme légitime en soi celui de la nomination directe ou indirecte (
par l'Etat, mode qui devint une loi de l'empire byzantin, à par
d'Isaac l'Ange (xii° s.), pour certains sièges épiscopaux. Cette loi
acceptée par l'Eglise de Constantinople en 1317, sous le patriarc
Jean XII. » (4)
6. Les canonistes russes. — Chez les canonistes russes officiels
non, il existe une tendance très répandue à reconnaître l'intervent
des laïques dans l'élection des évêques, comme un droit absolu. « C<
tendance s'est manifestée en 1905 et 1906 et a trouvé peu de conl
dicteurs. L'un de ces derniers, l'archimandrite Georges, recteur
Séminaire de Tula, croit que l'Evangile n'admet pas l'intervention
peuple dans le choix des évêques. Anciennement, dit cet aute
les fidèles prenaient parfois part à cette élection et se croyaient
bonne foi investis de ce droit; mais, en réalité, la loi canonique
ignorait (5).
7. Dans le Dictionnaire de théologie catholique (6), M. Roland, de
vant la manière dont se faisaient les élections épiscopales dans l'E^
ancienn , dit: « Le choix de l'évêque relève, bien qu'à des def
divers, de tout le corps électoral; dirigé par les évêques voisin;
demeure entre les mains des gens de la cité, peuple et clergé. Aupi
qu'on peut s'en rendre compte, le choix des électeurs est respecté .,
Il est soumis en dernier ressort aux évêques, Juges et arbitres de l'^c-
(i) En Occident, les notable; et les évêques eux-mêmes commencèrent à être e
sous le pontificat de saint Grégoire VII, et l'élection fut dévolue aux Chapitre
cathédrales.
(2) Nous avons fait remarquer plus haut que M. Sakellaropoulos est d'un avis -r
(3) En d'autres termes, celui de la nomination pure et simple ou de la désigrjiOi'
{nobis nominatio).
(4) Das Kirchenrecht der Morgenlaendischen Kirche, traduit par le D' P
Mostar, igoS, p. 355-363.
(5) A. Palmieri, la Chiesa riissa. Firenze, 1908, p. 137. .,^
(6) T. IV, col. 2257-2261. :[]^
Kt
[ntervention des laïques dans l élection des évêques 421
'ion. En faveur de cet:e discipline témoigne la désignation de l'évêque
Sabinus et de saint Cyprien lui-même
» Le silence (du concile de Nicée au sujet du suffrage populaire)
îquivaut-il à une exclusion du peuple? Suivant en cela plusieurs com-
nentateurs grecs, le P. Sirmond a soutenu que le quatrième canon de Nicée
ntroduisait un droit nouveau en matière de nomination épiscopale,
nais que ce droit n'avait pas été admis de si tôt en Occident. Rien
l'est moins certain. Le concile, il est vrai n'envisage pas le
Ircit électif des fidèles. Il ne l'ignore et ne le nie pas pour autant,
)uisque, en d'autres documents, il mentionne l'intervention du
peuple. En outre, à cette époque, l'ordination se distinguant fort peu
le l'élection , le 'texte conciliaire envisage aussi bien l'une que
'autre.
» Quant à l'article 13 du synode de Laodicée, « il prescrit (simple-
> ment) que l'on ne doit pas laisser à la foule l'élection de ceux qui sont
► destinés au sacerdoce » (i).
» Trois facteurs : le clergé, le peuple et le corps épiscopal de la
)rovince intervenaient (donc) dans (le choix de l'évêque), qui n'était
)as une mince affaire et intéressait toute la cité. »
Quant à l'évêque de Rome, « il se contente de porter des décrets, de
veiller à leur application, de rappeler le peuple, le clergé, les princes
uxmêmes au respect des lois électorales ».
8. Msr TiLLOY est d'avis que, dans l'antiquité chrétienne, « lorsqu'une
iglise était vacante, les évêques voisins, assistés du clergé et de la com-
nune s'assemblaient et choisissaient celui qu'ils jugeaient le plus
ligne Le peuple désignait souvent le sujet à élire, mais l'acte consti-
utif de l'élection consistait dans l'assentiment des évêques. Cet usage
ut converti en loi par le quatrième canon du concile de Nicée (325),
|ui st.ttue que l'élection se fera par tous les évêques de la province et
era confirmée par le mélropclilain » (2).
(1) M. Roland paraît croire que le canon du concile de Laodicée est resté lettre
lorte. La vérité, croyons-nous, est que l'élimination des foules (ô'xXoi) fut lente, mais
ourtant réelle ; car, à partir de Balsamon, il n'est plus guère question que des notables
u de l'empereur byzantin. C'est contre l'intervention abusive de ce dernier et de ses
)nctionnaires que le deuxième concile de Nicée a voulu maintenir le droit exclusif
e l'Eglise à l'élection définitive, et nullement, pensons-nous, contre une intervention
lodérée de certains laïques, princes ou non, comme semble le croire M. Roland, à
i suite d'Héfélé et de Bévéridge.
Quant au droit nouveau des Latins, inauguré au xi' siècle, il peut s'expliquer par
i nécessité de refréner l'ingérence des princes et la complaisance excessive des
rinces-évèques à leur égard, aussi bien que par une interprétation stricte du canon IV
u premier concile de Nicée.
(2) TiLLOY, Traité théorique et pratique de droit canonique. Paris, 1895, t. I", p. 23i.
422
ECHOS D ORIENT
m. Lois ecclésiastiques.
Comme pour la question de l'intervention des laïques dans l'admi
nistration des biens d'Eglise, l'accord des historiens et des canoniste;
s'explique par les dispositions formelles du code ecclésiastique don
nous transcrivons, d'après Héfélé, les principaux articles relatifs au suje
que nous traitons.
1. Canon des apôtres. — i. « Episcopus » a duobus aut tribus « eph
copis ordinetur » (i).
2. Si quis « episcopus sœcularibus potestatibus » usus ecclesiam pe
ipsas obtineat, deponatur et segregentur omnes qui illi communicant.
2. Canon 20 du concile d'Arles (314): De Us qui usurpant sibi que
soli debeant episcopos ordinare, placuit ut nullus hoc sibi prœsumat « ni.
assumptis secum aliis septem episcopis ». Si tamen non potuerit septeti
« infra ires » non audeat ordinare (2).
3. Canon 4 du premier concile de Nicée : « L'évêque doit être choisi pî
tous ceux {les évêques) de l'eparchie (province); si cela n'est pas possib
à cause d'une nécessité urgente ou parce qu'il y aurait trop de chemi
à faire, trois (évêques) au moins doivent se réunir et procéder à
chéirotonie avec la permission écrite des absents. La confirmation c
ce qui s'est fait revient de droit, dans chaque éparchie, au métropol
tain. » (3)
4. Canon du concile d'Antioche (341) : « Un évêque ne peut être sac
sans synode et sans la présence du métropolitain de l'éparchie. Mên
quand le métropolitain est présent, îl est très désirable que tous s
collègues de l'éparchie soient aussi réunis; le métropolitain aura so
de les convoquer par lettres. Si tous viennent, ce sera pour le mien
si la chose est difficile, il faut qu'au moins la majorité des évêqu
soit présente ou qu'elle envoie par écrit son assentiment à l'éleclio
L'intronisation (d'un nouvel évêque) ne pourra donc avoir lieu qui
présence de la majorité des évêques de l'éparchie ou avec l'approbatif
écrite de cette majorité. Si on procède sans suivre la présente ordi
nance, le sacre sera sans valeur aucune; si, au contraire, tout se pas
(1) Il s'agit ici « aussi bien de la part que prennent Jes évêques de U provinc
l'élection épiscopale que de l'ordination qui en est le couronnement ». (Héfélé, op. c
p. 375.)
(2) HÉFÉLÉ, op. cit.,i. I", p. 190. Même observation que pour le premier canon ■
apôtres. Voir plus haut, note i.
(3) HÉFÉLÉ, op. cit., -p. 5io-5ii. Se rappeler, à propos de ce canon, la lettre circula
du concile de Nicée à l'Eglise d'Alexandrie, lettre dont nous avons cité plus haut
substance (p. 418).
INTERVENTION DES LAÏQUES DANS L ÉLECTION DES ÉVÈQUES 423
selon les règles, et si quelques-uns font de l'opposition par esprit de
iispute, le vote de la majorité décidera la question. » (i)
=,. Canon 13 du concile de Laodicée (vers 360): « Que l'on ne doit
)as laisser à la foule (oy).o'.;) l'élection de ceux qui sont destinés au
;acerdoce. » (2)
6. Règle des Constitutions apostoliciues : Congregattis in unum
Kpopuhis » cum presbyierorum cœtii et prœsentibus episcopis, die dominica,
< consentiat. Qui vero pr inceps » cœterorum episcopus est, « inierroget •>>
iresbyterorum cœtum et plebem {-zo -pto-SuTipiov xal -rèv Aaôv) an ipse sit
juem « postulant » in antistitem. Et il lis annuentibus, iterùm roget an
;< testimonium » ab omnibus habeat quod dignus sit magna illâ et illustri
)rœfectura, an quœ ad pietatem in Deum spectant, recte peregerit, an jura
^uerint ab eo adversus homines servata, an domesticœ ipsius res probe dis-
)ensatœ, an vivendi ratio integerrima. Cumque omnes simitl secundmn
;eritatem, non autem ex opinione prœjudicata, « testificati fuerini » talem
'um esse, tamqiiam sub judice Deo et Cbristo, etiam coram sancto Spiritu,
itquœ omnibus sanctis administratoriisque spiritibus, rursus tertio scisci-
entur an dignuiii vere sit ministerio, ut in ore duorum vel trium stet
mne verbum; atque iis tertio assentientibus , dignum eum esse, « petatur
ib omnibus signum assensûs ». Quo allacriter dato, audiantur. Tum,
ilentio facto, unus ex primis episcopis cum duobus aliis stans prope altare,
-eliquis episcopis ac presbyteris tacite orantibus, atque diaconis divina
•vangelia super caput ejus qui ordinatur, tenentibus, dicat ad Deum
( oi'atio ; » (3).
7. Canon 19 du quatrième concile de Tolède: « On réunira les
mciennes ordonnances indiquant quel est celui qui ne doit pas être
»rdonné évêque, et on y ajoutera que le sacre d'un évêque ne doit être
ait que le dimanche, et au moins par trois évêques. En outre, le sacre
un évêque ordinaire aura lieu dans l'endroit fixé par le métropolitain,
t le sacre du métropolitain aura lieu dans la ville métropolitaine. » (4)
8. Canon 13 du « Codex ecclesi^ï african/e » (5): Aurelius episcopus
ixit : quid ad hœc dicit sanctitas vestra ? « Ab universis episcopis »
(1) Héfélé, op. cit., t. I, p. 5io-5i I.
(2) Héfélé, op. cit., X. Il, p. 1^4.
(3) PiTRA, Juris ecclesiastici grœcorum historia et monumenta, 1864-1868, t. 1",
49-5o. L'Eglise grecque ne reconnaît pas les Constitutions apostoliques comme loi
inonique {synode in Trullo, can. 2), mais elle ne peut leur refuser la valeur d'un
pcument historique important témoignant en faveur des lois ecclésiastiques de l'an-
quité chrétienne sur un grand nombre de points, et en particulier sur celui des
ections épiscopaies.
(4) Héfélé, op. cit., t. 111, p. 621. Voir plus haut la note 1 de la page 422.
(5) Collection de Denys le Petit, Migne, P. L., t. LXVIl, col. i88.
424
ÉCHOS d'orient
dictum est : a nobis veierum statut a debere servari, sicut et inconsulii
« primate cujuslibet provincice », tam facile non prœsmnant miilti congre
gati « episcopi » episcopum or dinar e : nisi {quod si) nécessitas fiierit
très episcopi, in quocumque loco sint, ejus prœcepto or dinar e debebun
episcopum; et si quis contra suam professionem. vel subscriptionem veneri
in aliquo, ipse se honore p-ivabit.
9. Canon 3 du septième concile œcuménique (i): « Toute électioi
d'un évêque, d'un prêtre ou d'un diacie faite par un prince temporel es
frappée de nullité (2), conformément à une ancienne règle; ainsi qu
l'ordonne le quatrième canon de Nicée, Vêvêque ne peut être élu que pa
des évéques. »
10. Canon 22 du huitième concile général : « Ainsi que l'exigent le
canons, l'installation d'un évêque doit avoir lieu en vertu de l'électio
et d'un décret des évéques (3), et aucun grand du monde ne doit, soi
peine d'anathème, se mêler de cette élection, à moins qu'il n'y so
invité par l'Eglise elle-même. » (4)
11. Canon 2 du « corpus iuris » (5): « Ordinationes episcoporum >
auctoritate apostolica ab omnibus qui in eadem fuerint provincia « ep
scopis », sunt celebrandœ. Quod si omnes convenire minime poteru<
assensum tamen suis apicibus prcebeant, ut ab ipsa ordinatione anii
non desint (6).
Les conclusions suggérées par l'exposé historique et canonique';;!
que nous venons de soumettre au lecteur peuvent se ramener aj
deux que voici: La première est que l'intervention des laïques (8) da;
l'élection épiscopale durant les onze premiers siècles (9) ne se born;
pas au seul suffrage testificatif, mais que ce suffrage était, selon les c
(1) HÉFÉLÉ, op, cit., t. IV, p. 365-370.
(2) « Van Espen {Commentarius in canones, p. 460) a fait voir que ce canon n'eé
vait pas ou ne condamnait pas le droit de présentation accordé aux souverains
ou la faculté accordée à beaucoup de rois de désigner (ou de nommer) Ks évéqui
il s'attaque ;eulemcnt à cette opinion, que les princes devaient jure dominath
nommer aux places vacantes. » Héfélé, op. cit., t. IV, p. 370. La même rema
peut être faite à propos de l'intervention des notables dans l'élection ériscopale.j
(3) Voir plus haut, la note touchant le canon 3 du deuxième concile de Nicée.
il) HÉFÉLÉ, op. cit., t. IV, p. 369-370.
(5) Le canon i reproduit le 4' canon du premier concile de Nicée.
(6) Corpus juris Greg. XIII jiissu editum. Lyon, 1618, t. 1", col. 333.
(7) Canonique au double point de vue des canonistes et des canons traditi
(8) Notables ou non.
(91 Et les siècles suivants en Orient.
I
INTERVENTION DES LAÏQUES DANS L'ÉLECTION DES ÉVÊQUES 425
OU les régions, une vraie demande, désignation, approbation ou accep-
tation (1).
Mais (et c'est la seconde conclusion de notre travail), quel que fût
le mode de suffrage donné anciennement par le peuple, les notables,
les princes, la tradition, dûment consultée, n'admet pas que le vote des
laïques constituât un droit au sens absolu du mot. C'était plutôt un
simple droit de fait ou privilège, une coutume que l'Eglise dirigeante
était libre d'accepter au début et de maintenir ou de supprimer dans
la suite, si les circonstances l'exigeaient.
De même, si l'Eglise catholique a toléré certains faits abusifs, tels
que la nomination ou la confirmation faites par les souverains, il est
certain qu'elle n'a jamais accepté la chose comme un droit strict. Quand
elle s'est résignée à tolérer ces faits, elle s'est toujours proposé de les
supprimer à la première occasion favorable. C'est ainsi que S. S. Pie X
a définitivement supprimé dans l'élection papale (2) l'abus du ^eto,
dernier vestige de la confirmation des Papes par l'empereur byzantin.
Officiellement, les Eglises orientales n'ont jamais exprimé une autre
doctrine. En pratique, toutefois, ne se plient-elles pas souvent d'une
manière trop docile aux prétentions des laïques, gouvernants ou non?
Beaucoup de personnes compétentes pensent qu'il est difficile de
donner une réponse négative à cette question grave entre toutes au
point de vue canonique.
Telles sont les conclusions que nous croyons devoir formuler au
point de vue canonique touchant l'intervention des laïques dans la
nomination des évêques.
Que penser maintenant de cette intervention si les évêques sont
à la fois ordinaires diocésains et chefs civils? En principe, l'Eglise
ne songe pas à refuser à l'Etat et au peuple, si la coutume admet
intervention de ce dernier en pareil cas, le droit absolu d'être consultés
avant ou après la nomination des évêques, comme représentants du
gouvernement auprès des fidèles. Ce suffrage toutefois n'a pour objet
que les qualités purement administratives des candidats. En outre, le
droit strict du peuple et de l'Etat n'implique nullement qu'en certaines
circonstances exceptionnelles, le chef de l'Eglise ne puisse pourvoir
(1) Le suffrage des fidèles dont parlent Thomassin et M'' Christodoulou nous paraît
être plus qu'un témoignage et même plus qu'une simple désignation. Le terme de
confirmation, parfois employé, a le même sens que celui d'approbation ou d'accepta-
tion. Lorsque les évêques ne s'accordaient pas sur le choix d'un candidat et s'en
remettaient au choix du peuple, ce choix avait lieu par arbitrage.
(2) 20 janv. 1904, Constitution publiée seulement en mars 1909 dans le troisième
volume des Acta PU, p. x.
426
ÉCHOS d'orient
à la vacance des sièges épiscopaux sans consultation préalable (1)
du gouvernement et des fidèles, qui ont naturellement le droit d'ex-
poser ensuite d'une manière raisonnable les griefs qu'ils croiraient
devoir formuler au point de vue civil contre les sujets ainsi nommés (2).
A. Catoire.
Constantinople.
(i) Jugée impossible ou dangereuse.
(2) C'est ce que n'ont fait dans l'affaire arméno-catholique ni le gouvernement ottoman
ni les notables arméniens. Ceux-ci, d'ailleurs, n'étaient pas suffisamment qualifiés
pour porter plainte contre leur patriarche. Et la raison en est d'abord que si l'iradé
de 1888 reconnaît provisoirement le règlement des Arméniens catholiques, celui de
1890, obtenu par M" Azarian, retire cette reconnaissance. Une autre raison est que,
supposé même la parfaite légalité de l'assemblée nationale arméno-catholique, il est
douteux que l'élection des notables actuels et leur conduite, durant les séances de
l'assemblée nationale en question, aient été légales. Enfin, comment apprécier favora-
blement les intempérances de langage auxquelles les notables se sont laissés aller ou
qu'ils n'ont en aucune façon désavouées? En pareille occurrence, des catholiques bien
pensants se permettraient-ils de récriminer ou laisseraient-ils récriminer en leur nom
contre les empiétements qualifiés de vaticanesques de la cour romaine; oseraient-ils
dire ou laisser dire qu'un synode catholique, réuni à Rome, est célébré en pays étranger,
que Rome veut réduire l'Eglise arménienne-catholique à n'être plus qu'une fraction
de l'Eglise catholique-romaine , c'est-à-dire, croyons-nous, selon le sens erroné attaché
fréquemment en Orient à ces deux mots ou simplement au terme de catholique, à
devenir une fraction de l'Eglise occidentale et latine? etc., etc.
LES CHRÉTIENS DE SYRIE
DANS L'AMÉRIQUE DU NORD
C'en est fait des pauvres Syriens qui abandonnent leur terre natale
pour se lancer au loin à la recherche du dieu Dollar américain, et
perdre ainsi tout ce qu'ils ont de plus cher au monde : la foi et la reli-
gion ! A rencontre des autres nationalités émigrées, ils n'existent ni
comme peuples ni comme chrétiens, encore moins comme catholiques.
Aussi que de fois, durant nos courses apostoliques, n'avons-nous pas
été témoin attristé des regrets amers, des pleurs, des malédictions cour-
roucées dont ces « compatriotes du Christ Sauveur » (i) accablaient
l'Amérique et ceux qui les y avaient conduits! Après avoir assisté à une
messe célébrée dans une de ces campagnes abandonnées de l'Etat du
North Dakota, un brave Zahliote me disait, les larmes aux yeux : « Que
faisons-nous, en Amérique, dans ces prairies inhabitées? Nous y
sommes venus chercher de l'argent; dans notre pays, nous étions
plus riches, surtout nous étions riches de foi et de religion. Notre
église paroissiale était à notre portée, nous y remplissions régulière-
ment nos devoirs religieux; comme tout à Theure, nous assistions à
nos fêtes, à nos cérémonies, à nos rites orientaux, qui dilatent le cœur!
Ici, nous avons tout perdu en courant après le dollar, que nous avions
cru si facile à acquérir, et qui nous fuit toujours. Ceux qui sont un
peu plus aisés ont contracté des dettes considérables. L'Amérique est
pour les Américains! Ah! maudit soit le jour où nous avons fait nos
adieux à notre cher pays! » Et le bon vieux pleurait, pleurait toujours.
Ces sentiments sont ceux de la généralité des Syriens émigrés; mais
le plaisir de voir des pays nouveaux, l'amour du gain, et surtout l'en-
traînement, empêchent la plupart de faire des aveux semblables. Ils
sont malheureux, criblés de dettes, en dépit de leur prétendue fortune;
ils se condamnent à un travail acharné qui ne leur permet aucun repos
ni le jour ni la |nuit, et, malgré tout, on les voit aussi pauvres que
lorsqu'ils ont abordé en Amérique. De cet état de dénuement et d'ir-
réligion découle nécessairement chez eux un caractère réfractaire à
toute civilisation occidentale, et ainsi ils demeurent toujours les mêmes,
paysans bourrus et revêches comme au temps jadis. Leur vie intellec-
(i) C'est ainsi qu'ils aiment à se qualifier le plus souvent en présence des Américains.
428 ÉCHOS d'orient
tuelle est nulle; à part quelques rédacteurs de journaux arabes, tou-
jours occupés à se lancer des foudres en vue d'augmenter leur clien-
tèle, les études et même l'enseignement ne tentent aucun émigrant
syrien. Quelquefois, cependant, de petites brochures remplies d'un
I poison mortel font leur apparition à New-York; ce sont toujours des
extraits des pires romans américains, où la religion n'est pas à la place
d'honneur.
D'école arabe, même primaire, il n'en existe nulle part, et les enfants
des deux sexes fréquentent quelque temps les écoles publiques de
/ l'Etat, où ils s'efforcent d'apprendre juste assez d'anglais pour débiter
f des marchandises. Les prêtres orientaux établis en Amérique ne sau-
I raient apporter aucune amélioration à cet état de choses déplorable,
■ étant livrés à d'autres occupations plus sérieuses!!!
I. Les origines de l'émigration syrienne.
Aujourd'hui, tout le monde s'accorde à rapporter les débuts de
l'émigration syrienne à 1870-1880. Durant plusieurs années, ces
exodes passèrent presque inaperçus dans le pays, parce qu'ils n'étaient
pas effectués en masse, tels qu'ils le furent plus tard. En réalité,
cette émigration ne revêtit un caractère de régularité qu'à partir de
1892 ou 1895, et, dès lors, « il n'y eut pas un seul paquebot
des Messageries maritimes françaises » ou d'autres Compagnies ita-
liennes ou anglaises « qui n'emmenât à chaque voyage un certain
nombre de ces Syriens, parfois plusieurs centaines, entassés le plus
souvent à l'avant du bateau, dans la promiscuité que l'on devine et
avec les dangers que l'on comprend »(i).Tous les quinze jours, depuis
lors, des départs en grand nombre s'effectuèrent régulièrement à Bey-
routh ; le gouvernement turc a essayé à plusieurs reprises de s'y opposer
énergiquement, mais le bakhchich a fini, comme toujours, par triompher
de toutes ses résistances. Dès lors se formèrent à Beyrouth des Sociétés
d'émigration qui se chargeaient de ces Syriens durant tout le trajet
de la Méditerranée et de l'Atlantique, mais à des prix exorbitants.
A Marseille, à Gênes, à Naples, à Liverpool et dans d'autres ports de
mer aussi importants, des Syriens s'établirent de bonne heure pour
y tenir des hôtels — Dieu sait combien primitifs — à la disposition
de leurs compatriotes émigrants. Enfin, l'émigration vers l'Amériqui
prenant de jour en jour des proportions considérables, le Canada e
les Etats-Unis établirent, dans leurs principaux ports de mer, deî
(i) R. P. Charon, t. III, p. 719, les Patriarcats melkites.
I
LES CHRETIENS DE SYRIE DANS L AMÉRIQUE DU NORD 429
bureaux d'émigration chargés de faire passer à tout émigrant un examen
des plus minutieux, notamment au point de vue hygiénique et pécu-
niaire, avant de lui accorder la faveur de vivre sur leurs terres. Les
principaux de ces bureaux, établis en pleine mer, au port même de
New-York, font l'effroi des Syriens qui ont eu assez de chance pour
échapper aux examens sanitaires de Marseille, du Havre ou d'ailleurs.
Comme le fait très bien remarquer le R. P. Cyrille Charon (i), cette
émigration syrienne ne date pas de nos jours. Déjà, au moyen âge, des
Orientaux s'étaient établis en Occident dès le v» siècle (i); plus tard,
Lin prêtre chaldéen du xvii*^ siècle avait visité l'Amérique pour y faire
une quête en faveur de son peuple (3). Mais l'émigration syrienne
proprement dite, qui prend aujourd'hui des proportions considérables,
grâce au service militaire rendu obligatoire pour tous les chrétiens de
l'empire turc, ne remonte qu'au dernier quart du xix« siècle. On
assure même que les Syriens ne commencèrent à atteindre les rivages
des Etats-Unis qu'en 1886, en même temps que les Arméniens et les
Grecs des côtes méditerranéennes de l'Asie (4).
Contrairement à ce qu'affirment plusieurs auteurs (5), les premiers
Syriens qui abordèrent en Amérique ne furent pas des Palestiniens;
ce long trajet requérait des hommes plus audacieux et moins craintifs
que les pauvres fellahs de la Palestine, tremblant d'effroi devant le
dernier agent de la Turquie.
Aujourd'hui encore, les survivants syriens qu'on rencontre çà et
là dans les Etats-Unis ou le Canada assurent que les premiers émi-
grants furent les téméraires paysans du nord du Liban habitant le
vaste et pauvre district de Bcharrë. Ils y venaient pour mendier plus
facilement leur pain quotidien; puis, lorsqu'ils virent que les bons
Américains se laissaient prendre aisément à leurs allégations menson-
gères, ils imaginèrent de faire du commerce. C'est alors que, pour
affirmer davantage leur provenance plus ou moins réelle du pays du
Christ, ils commencèrent à importer des objets de piété en nacre
ou en bois d'olivier, travaillés à Jérusalem ou à Bethléem, qu'ils allèrent
(1) Loc. cit.
(2) Cf. L. Bréhier, Mémoire sur les colonies d'Orientaux en Occident au commen-
cement du moyen âge, du v' au vin" siècle, dans la By^antinisclie Zeitschrift, t. XII
(igoS), analysé dans la Revue de l'Orient chrétien, t. IX (1904), p. 96-106.
(3) Voir sa Relation, d'ailleurs fort exacte, publiée dans la revue Al-Machriq
t. VIII (1905), et t. IX (1906).
(4) Cf. A. Shipman, les Catholiques de rite by!{antin en Amérique, dans les Echos
d'Orient, t. XIII (1910), p. 195.
(5) Notamment J. Daher, les Syriens au Brésil, dans Al-Machriq, t. V (189S),
p. I io5 et sq., et le R. P. Charon, op. cit., t. IIl, p. 719 sq.
^
450 ÉCHOS d'orient
vendre de ville en ville aux Etats-Unis. Tous se disaient venir de
Jérusalem, où ils auraient été en butte aux persécutions des Turcs
et des infidèles musulmans. Comme ils abordaient en Amérique avec
leur costume national de paysans libanais, les habitants du Nouveau
Monde les regardaient avec curiosité. Ce qui intéressait au plus
haut point les Américains, c'était principalement le long machlah
ou 'aba, manteau qui leur couvrait tout le corps, ainsi que le turban
traditionnel roulé autour d'un tarbouche plus ou moins extravagant.
D'ordinaire, ce turban était de couleur noire ou bleue foncée; les
plus coquets, cependant, se paraient d'un turban multicolore. Les
Américains se plaisaient à prendre leur photographie avec ce même
costume syrien qu'on leur disait avoir été celui que portèrent les
disciples du Sauveur et Jésus-Christ lui-même. Ils en venaient même
jusqu'à couper les franges des machlahs ou 'abas de ces pauvres
paysans, et on leur donnait gracieusement en retour des billets de
10, 15 ou 20 dollars. A la longue, les Syriens firent mine de s'opposer
à ces larcins pieux, mais c'était en vue de hausser le prix de ce nouvel
article de marchandise; bientôt ils allèrent eux-mêmes au-devant des
pieux désirs de leur clientèle; ils leur portèrent des petites pièces d'étoffe
toutes faites, fraîchement extraites de leurs grossiers machlahs. Mais
les prix élevés qu'on y attachait, et surtout les nombreux mensonges
qu'on débitait à cette occasion, ne contribuèrent pas peu à faire mépriser
marchands et marchandise. Aussi cet article fût-il abandonné de bonne
heure, et l'on entreprit le commerce des objets en nacre ou en bois
d'olivier.
A cet effet, des commandes en grand nombre furent adressées en
Palestine avec de fortes sommes d'argent; en même temps, ces paysans
enrichis envoyaient des lettres enthousiastes à leurs parents de Bcharrë,
les invitant à venir en Amérique, mais en passant par Jérusalem et
Bethléem, pour y faire une bonne provision d'objets de piété. Les
Palestiniens, ravis, firent les commandes requises, mais ils ne man-
quèrent pas de se transporter en grand nombre sur le théâtre des
événements.
Les succès des pauvres paysans de Bcharrë produisirent une vive
sensation à Zahlé, dont les habitants, qui se piquaient alors d'une civi-
lisation plus avancée, ne manquèrent pas de s'adresser, avec un certain
dédain, le reproche de saint Augustin : « Ce qu'eux ont pu faire, ne
le pouvons-nous pas nous-mêmes? » Là-dessus, ils partirent en masse
pour l'Amérique, et aujourd'hui il n'y a pas un seul village, si petit
soit-il, où l'on ne rencontre quelque Zahliote, sans compter les grandes
LES CHRETIENS DE SYRIE DANS L AMERIQUE DU NORD 43 1
nlles, OÙ ils vivent en grand nombre. On assure qu'aujourd'hui cette
dlle de Zahlé — qui est la reine du Liban — n'a plus qu'une popu-
aiion diminuée de moitié par suite de cette émigration prodigieuse,
:t que de 30000 âmes environ, elle n'en a plus que 13000. Cependant,
lous devons dès à présent leur faire cet éloge mérité : parmi tous les
jyriens émigrés en Amérique, ce sont eux qui occupent le premier
ang tant par la brillante situation que la plupart arrivent à se faire
lans le commerce que par le respect et l'amour qu'ils ont toujours
ionservé pour leurs pratiques religieuses. En général, le missionnaire
ist bien traité par eux au double point de vue matériel et spirituel, et
I est rare que, lors de son passage, ils ne s'approchent pas des sacre-
nents après une pieuse assistance à la messe. Mais, hâtons-nous de le
lire, tout n'est point parfait, et il y a, là comme ailleurs, bien des
mibres au tableau.
Après Zahlé vinrent tous les autres villages du Liban; puis Tripoli,
)amas, Alep et la Mésopotamie envoyèrent de nombreux contingents
n Amérique. Mais depuis la publication de la nouvelle Constitution
)ttomane, qui rendait le service militaire obligatoire pour les chrétiens,
'émigration syrienne a pris des proportions considérables, notamment
. Alep, à Damas et à Beyrouth.
11 n'est pas rare de les voir se lancer, au port de Beyrouth, dans
e premier paquebot qu'ils rencontrent, ainsi qu'au Havre et dans
l'autres ports de mer européens, sans distinguer entre un bateau
narchand et un autre construit pour le transport des passagers. Par
uite de cette erreur grossière, il en est très souvent qui passent 47,
►5 et jusqu'à 90 jours en mer avant d'aborder au Nouveau Continent.
^ New-York, on les trouve faibles, maladifs, à cause des fatigues d'un
i long trajet, et on les renvoie impitoyablement par le même paquebot.
Is sont alors déposés à Marseille; mais, trop honteux de rentrer en
>yrie sans avoir acquis une fortune quelconque, ils s'embarquent pour
e Brésil, où ils traînent une misérable vie de colporteur, jusqu'à ce
lu'ils trouvent la mort soit dans un assassinat atroce, soit dans des
naladies incurables contractées au contact des marais nauséabonds qui
mllulent dans le pays. 11 ne se passe pas un jour sans qu'on lise des
ssassinats de ce genre dans les journaux arabes de New-York.
II. Les occupations des émigrés syriens.
Ceux qui arrivent à destination se hâtent de se mêler aux Syriens
léjà établis dans le pays, et, après les salutations et les visites d'usage,
Is se mettent à la recherche d'un petit logis pour s'y abriter tant bien
432
ECHOS D ORIENT
que mal. Autrefois, les agents de police les surprenaient souvent, jusqu'à
vingt et trente personnes, hommes et femmes, logés sous un même
toit, dans un appartement de lo X 5, où ils s'entassaient pêle-mêle.
On les emprisonnait tous, et on faisait payer une forte amende au maître
du logis, qui était toujours un Syrien, invitant ainsi chez lui le plus
grand nombre possible de ses compatriotes pour s'enrichir à leurs
dépens et faire concurrence à un autre Syrien établi dans le pays.
Aujourd'hui, on rencontre rarement ces sortes de logements, capables
de faire naître des épidémies, mais il ne manque jamais de ces paysans
chiches et dégoûtants qui, en dépit de leurs bénéfices, souvent consi-
dérables, consentent à habiter plusieurs ensemble des maisons si mal-
propres, que des Juifs eux-mêmes les ont en horreur. Les plus fortunés,
et qui tiennent à passer pour des Américains, louent habituellement
deux ou trois chambres; ils en réservent une, meublée à peu de frais,
pour les réceptions et les visites. Parfois même à New-York, à Chi-
cago, à Montréal, à San-Francisco et ailleurs, certains Syriens entre-
tiennent des maisons à l'américaine, aussi bien ornées que celles des
plus riches habitants du Nouveau Monde. Malheureusement, quel que
soit leur degré de richesse ou de pauvreté, tous sont parqués dans les
quartiers les plus sales, les plus vieux et les moins fréquentés de la
ville. A New-York, Washington street est leur grand centre; à Chi-
cago, c'est Sherman street; à Atlanta (Georgia), Decatur street, la rue
même où sont établis tous les nègres de la ville, etc., etc. Leur mal-
propreté est proverbiale à New-York, à Chicago, chez les Américains.
Ils vivent de très peu, chichement, à la manière libanaise ( i ). Avec toutes
ces économies et ces souffrances, ils finissent à la longue par ramasser
des sommes assez rondes. Nous dirons bientôt l'usage qu'ils en font.
Etudions, pour le moment, les professions diverses qu'ils exercent.
On peut les ramener à trois groupes principaux. Parmi les émigrants,
les uns sont colporteurs ; les autres travailleurs, les derniers commerçants.
I . Les colporteurs. — Après avoir trouvé son humble logis dans la
ville, le nouvel émigrant est vite abordé par un de ces Syriens plus
fortunés et qui ont à leur service un certain nombre de colporteurs
auxquels ils vendent la marchandise qu'ils ont importée en gros. Ce
dernier, qui prétend connaître toutes les voies conduisant à la richesse,
lui persuade de se mettre à son service. « Mais je ne puis rien vous
(i) Et non pas à la manière arabe, comme le dit le R. P. Charon, op. cit., t. 111, p. 721-
Dans les grandes villes de Syrie, les Arabes —chrétiens et musulmans— se nourrissent
beaucoup mieux que des Européens (voire même que des Américains, qui ne con-;
naissent que leur beefsteak avec quelques tranches de potatœs).
LES CHRETIENS DE SYRIE DANS L AMÉRIQUE DU NORD 433
heter pour le moment, lui répond le nouveau venu ; je n'ai pas d'argent,
il faut que je travaille quelque temps dans une fabrique quelconque
lur gagner au moins mon Naouloûn (i), et puis nous verrons. —
; craignez rien, lui répond le marchand avec une amabilité syrienne
ipreinte de compassion, voici tout ce qu'il vous faut, et soyez bien
inquille. » Sur-le-champ il lui avance les 100 dollars ou ^00 francs
îcessaires, que le nouveau venu s'empresse d'expédier en Syrie pour
mbourser l'argent emprunté à des intérêts excessivement onéreux,
retirer ses meubles et immeubles impitoyablement hypothéqués,
ingt et un jours après, le chèque arrive au Liban. On devine l'impres-
Dn produite dans le village. « Comment! se disent ces pauvres
lysans, il n'y a pas déjà deux mois qu'il est parti pour l'Amérique,
en si peu de temps il a pu ramasser ^ 000 piastres ! (2) Pourquoi
irions-nous pas de même dans ce pays de l'or? »
Tranquille au sujet de son Naouloûn, le nouvenu venu se lance dans
voie du commerce, qu'il n'avait jamais connue dans le passé, et il
: met avec zèle au service de son nouveau patron, qui a déjà conquis
>n cœur par son offre ou son avance de 100 dollars. Le patron en
>e et en abuse largement, mais à l'insu de la pauvre victime, bien
itendu. Il lui achète une bonne valise, qu'il remplit de différents
3jets de pacotille, puis il la lui remet avec un sourire significatif, et
imble lui dire : Vous voilà à l'eau, il faut nager maintenant!
Le nouvel émigrant commence alors à exercer sa profession de
)LPORTEUR, à laquelle aucun Syrien n'a échappé en abordant au Nouveau
ontinent. Primitivement, c'étaient des objets en nacre ou en bois,
îs peaux et quelques étoffes, surtout des chapelets, des croix, des
lédailles; aujourd'hui, ce sont différentes étoffes et toutes sortes
'articles à l'usage des femmes et des enfants. Toutes ces marchan-
ises sont le produit même de l'Amérique. Les colporteurs parcourent
s villages pour les débiter; ils se gardent bien de s'aventurer ainsi
ans les villes : les agents de police les saisiraient et les jetteraient en
rison après les avoir soumis à une forte amende pécuniaire.
i Ici vient la question du license à l'américaine. C'est le permis délivré
ir le gouvernement à chaque colporteur, moyennant une somme de
5, 25, 30, 50, 70, 75 et même 100 dollars, suivant les Etats; au
!i) Le Naouloûn désigne tout l'argent dépensé pour le voyage de Syrie en Amérique.
1 se rappelle que cet argent est emprunté à des intérêts onéreux.
2) Les 5oo francs ou 20 livres sterling font à peu près 3 000 piastres de la monnaie
rque; en réalité, ils font exactement 2735 piastres en Syrie, et 2800 piastres dans
ville d'Alep, où l'argent a plus de valeur.
Echos d'Orient, t. XV. 28
434 ÉCHOS d'orient
Canada, cette formalité n'existe guère. Lorsqu'un colporteur est pris
en défaut par la police, il doit payer le double, et quelquefois le triple
de- l'amende pécuniaire requise, et subir quelques jours de prison. En
le congédiant, l'agent de police lui dit avec une amabilité américaine
pleine de finesse : « Corne again, please! Revenez encore, si cela vous
plaît! » Nous en avons vu plusieurs qui payaient ainsi jusqu'à ^o et
75 dollars, quelquefois tout leur avoir, et se retirer en grommelant des
malédictions de la dernière littérature arabe. S'ils déclarent n'avoir pas
d'argent, ils sont condamnés aux travaux forcés, en compagnie des
nègres et des autres criminels, ou bien on leur confisque leurs mar-
chandises et on les congédie « en les priant de raconter aux autres
leurs mésaventures »!
A ces ventes, opérées de village en village, il se passe une scène ouj
plutôt une comédie qu'on ne nous pardonnerait pas de passer sousi
silence. Le colporteur syrien arrive chargé de ses valises; il frappe!
à la porte (i) et attend l'invitation come in, entrez. Très souvent h
Américains connaissent parfaitemeut le motif de ces visites impor-
tunes, et ils lui lancent un go on! courroucé: Allez-vous-en! Les moins
expérimentés, cependant, entr'ouvrent un tant soit peu la porte poui
jeter un regard rapide sur le nouveau venu, puis ils la ferment avt
fracas en fronçant les sourcils. Ce seul air suffit à effrayer le colpoi
teur et à le mettre en fuite. Malgré tout, il arrive parfois qu'on lu
permette l'accès de la porte. 11 entre alors sans façon, exécute maint;
signes de croix avec les cinq doigts, pour attester avant. tout qu'il es
réellement catholique. / am a catholic! I am a catbolic! fait-il à plusieur
reprises, en lançant des yeux hagards sur les gens de la maison. Puis
sans y être invité, il ouvre ses valises et étale ses marchandises; il ei
présente plusieurs pièces à la maîtresse du logis, en lui répétant
good! good! bon.
Ces pantomimes et simagrées sont accompagnées de phrases anglaise
inachevées qui achèvent le comique de la scène : « Je suis de Jéru
salem ! Les Turcs nous tuent ! Mais nous sommes catholiques
nous récitons le chapelet dans notre pays (et il met en évidence ui
chapelet suspendu au cou). Nous sommes bons catholiques (et
montre une croix qu'il porte sur lui) Mes goods (marchandises) soi
d'excellente qualité; il faut que vous m'achetiez quelque chose;...
prenez ceci, voyez cela , c'est pour votre fillette; cela va bien à voti!
(i) Sans cette précaution, le maître du logis le livre à la police et le fait incarcér|
impitoyablement. '
■
LES CHRÉTIENS DE SYRIE DANS l'aMÉRIQUE DU NORD 43^
1, etc. » En même temps, la tête joue le branle-bas; les mains, les
is s'agitent fiévreusement. Les Américains, étonnés, fixent des yeux
yards sur cet être humain dont ils voudraient se débarrasser, mais
is savoir de quelle manière. Finalement, ils lui donnent quelques
is et le mettent à la porte pour toujours. Parfois, il lui prend
/ie d'exécuter une partie de danse syrienne pour amener les Améri-
ns à lui acheter au moins quelque chose; il est alors impitoyablement
issé, et ses marchandises foulées aux pieds. Souvent il ne rencontre
e la femme à la maison, et alors des crimes abominables sont signalés
i agents de police; le gouvernement se saisit du malheureux, et la
tice suit impitoyablement son cours. Si on l'hospitalise pour la
it, c'est à rétable, dans un grenier ou en un autre endroit isolé de
maison. Autrefois, on lui offrait un bon matelas avec des draps
)prets et une excellente couverture; le lendemain, la maîtresse du
fis y découvrait avec horreur une immonde vermine. Elle jurait
irs de ne plus admettre aucun colporteur dans sa maison.
Certains Syriens ne colportent des marchandises qu'aux femmes de
luvaise vie, si nombreuses en Amérique; on comprend dès lors tous
désordres auxquels ils s'exposent.
11 n'est pas rare que plusieurs colporteurs frappent à la fois à une
;me porte, ils sont alors impitoyablement chassés, et l'on excite
Qtre eux les chiens du village. Souvent ils se suivent à petites étapes,
alors ils se diffament les uns les autres. Lorsque, par hasard, ils
tuvent des acheteurs, ils haussent le prix de leurs marchandises en
bitant une série de mensonges corroborés par les serments les plus
:rés. 11 arrive alors qu'un article coté 5 dollars ou un peu plus est
ndu 25 et 30 dollars, avec force serments auxquels se rendent les
néricains sans plus de procès.
Après ces tournées, qui durent plusieurs jours, souvent plusieurs mois,
rentrent à New-York, à Chicago ou ailleurs. S'ils ont réussi à ra-
isser une petite somme, ils en font parade devant leurs compatriotes,
=is manquer toutefois de faire le récit de leurs mésaventures (i).
fin, ils vont pouvoir se divertir à leur aise! Les uns s'en vont aux
oons (cabarets), boire bière ou whisky, et jouer à l'argent; en se
irant, ils n'ont plus rien en poche, et, le lundi suivant, ils doivent
reprendre une autre tournée! Beaucoup, hélas! au lieu de se rendre
) lis n'éprouvent aucune honte, aucune confusion à se raconter entre eux leurs
ttes anecdotes. Peu soucieux de ces déboires, ils n'en deviennent que plus hardis
Dntinuer leur œuvre. Malgré tout, cependant, ils confesseVit aisément que c'est là
n vilain métier! »
436 ÉCHOS d'orient
aux saluons, dirigent leurs pas vers les maisons publiques! Les plus
sensés expédient de leur superflu à leurs parents de Syrie. Ils font
alors preuve d'une avarice extraordinaire, menant une vie des plus
misérables, tant au point de vue de l'habillement qu'au point de vue de
la nourriture, et cela seul explique comment s'est formée la fortune
assez ronde de certains émigrants syriens. Elle a été amassée à grand'
peine, durant plusieurs années passées en Amérique.
Nous devons ajouter un mot touchant les femmes colporteuses. Elles
sont légion dans toute l'Amérique septentrionale, et Dieu sait dans
quel accoutrement Elles se lient sur le dos une grosse valise,
quelquefois deux, et parcourent ainsi, suivant la dernière mode syrienne,
les rues de Washington ou de Sherman pour se rendre à la garcj
tous les lundis matins. Elles prennent le train et s'absentent pluj
sieurs semaines. Si auprès des Américains elles ont un accès plu
facile que les hommes (i) et arrivent à vendre leurs marchandis
— toujours par les mêmes voies grimaçantes, mensongères et sac:
lèges, — leur vertu n'est jamais à l'abri de tout danger, il s'en fan
on les prend tout simplement pour des femmes publiques! « Pou
quoi colportez-vous ainsi des marchandises, leur demandent les Am
ricaines stupéfaites? C'est honteux et très dangereux pour vous;...
votre mari est obligé, de par la loi, de subvenir à tous vos besoins...
— Hélas! répondent-elles, nous sommes veuves (2), nous avons d;
petits enfants à nourrir, à élever » (3), etc., etc. Souvent elles soi
livrées à la police et emprisonnées. Là encore leur vertu est en dange
ainsi que dans les hôtels où elles se retirent pour la nuit. A lei
retour, elles racontent des choses qui écœurent; le lecteur nous pe
mettra de lui en faire grâce.
Depuis longtemps déjà, les journaux syriens de New- York et mên
quelques journaux américains ont mené une campagne retentissan
contre cette plaie de l'émigration syrienne, et très souvent depuis lor
on a publié des faits regrettables, suivis d'exhortations amicales
salutaires; jamais on n'a pu obtenir une amélioration sérieuse. Le nomt
des femmes colporteuses va toujours en augmentant, au grand préjudii
de l'honneur syrien. Cela tient à une étourderie étrange des femn"
syriennes, avides de plaisirs matériels qu'elles n'ont pu goûter da
(i) Car, en Amérique, la femme est trop bien respectée, et très souvent c'est |'
qui fait la loi.
(2) Notez que souvent leurs maris, gros et gras, mènent, à la maison, une vieli
farniente. {;
(3) Très souvent ce sont des jeunes filles qui tiennent ce langage!
LES CHRÉTIENS DE SYRIE DANS L AMÉRIQUE DU NORD 4^7
ir pays, et aussi — il faut l'avouer — à l'inertie et au manque
lonneur d'un grand nombre d'époux qui, rencontrant en Amérique
ites sortes d'aisances, se condamnent librement à une oisiveté
jpable, et permettent à leurs femmes de se rendre partout où bon
ir semble, pourvu qu'au retour elles leur remettent des dollars.
(\près ces longues absences, ajoute le journal arabe Al-Hoda, « le
juide », ils ne leur demandent point : Où ave^-vous été? mais plutôt :
mbieu de dollars appor/ei-vous? »
2. Les travailleurs. — Presque le tiers de ces pauvres émigrés
ercent heureusement des métiers plus honorables que celui de col-
rteur. On en trouve qui sont tisserands, cordonniers, menuisiers,
ideurs, typographes, tailleurs, etc. Malheureusement, les Syriens ne
illent point par leur persévérance ; on les voit souvent se transporter
une fabrique à l'autre. Cette inconstance rend les patrons excessi-
ment défiants à leur endroit, et, d'ordinaire, ils font beaucoup de
Ticultés avant de les admettre, tandis que les Italiens, les Grecs
aliènes, les Portugais, etc., sont reçus à bras ouverts. En outre, ces
Tiens n'ont jamais connu la moindre régularité; il n'est pas rare de
5 voir arriver en retard à la fabrique, lorsque toutes les portes en
nt fermées, et alors ils sont impitoyablement renvoyés. Parfois, ils
lerchent chicane au patron lui-même; ils en viennent même jusqu'à
battre; mais de pareils oublis se payent cher, on le comprend. Plu-
eurs, cependant, travaillent consciencieusement, et arrivent à gagner
ur vie et celle des leurs. Lorsque les grèves éclatent dans ces
briques, les Syriens, qui y sont en petite majorité, en sont les pre-
ières victimes; mais ils doivent se syndiquer avec les autres ouvriers,
in de n'être pas en butte à leurs tracasseries. Cependant, ils n'ont
mais été à la tête des grévistes, et le chômage ne fait point leur affaire.
Un certain nombre d'émigrants syriens préfèrent le travail à la
mnée, soit dans les constructions, soit sur les chemins de fer, soit
|ns les mines d'or et d'argent au Canada, à San Francisco et dans
tUasl^a. D'autres enfin entretiennent la propreté des rues et sont
yés grassement, à peu près 60 dollars par mois. Mais, hâtons-nous
le dire, ces ouvriers à la journée ne se trouvent pas dans tous les
ntres américains, à l'instar des Italiens, des Grecs Hellènes ou autres
ligrants, et leur nombre est excessivement restreint.
11 y a une douzaine d'années seulement, plusieurs Syriens eurent
sez de bon sens pour prendre des terres et les cultiver, notamment
ns les Etats du North Dakota, du South Dakota et de Montana. Le
iuvernement américain, désireux de peupler ces provinces désertes
438 ÉCHOS d'orient
et éloignées du littoral, cédait gratuitement des terrains très fertiles.
Un père de famille pouvait acquérir ainsi jusqu'à 160 ares, tandis
qu'une veuve ayant un ou plusieurs enfants avait droit à ^20 ares. Les
personnes célibataires avaient été exclues primitivement, mais plus tard
on leur donna la même part qu'au père de famille. Tous, cependant,
devaient rembourser quatorze dollars seulement au gouvernement (i)
et s'établir sur le terrain acquis. Après cinq ans de résidence plus ou
moins interrompue, on avait droit à enregistrer gratuitement ce vaste
terrain en son nom. A partir de ce moment, le gouvernement devenait
en mesure d'exiger une taxe quelconque annuelle pour cette nouvelle
propriété, tandis que, durant les cinq années précédentes, le nouveau
farmer ou fermier jouissait librement du terrain et de l'usufruit, sans
être inquiété par le gouvernement.
Moyennant toutes ces commodités, plusieurs Syriens, dégoûtés di
triste métier de colporteur, s'établirent ainsi dans ces déserts aban-|
donnés. Au North Dakota, ils devinrent nombreux en peu de temps
et ils formèrent un petit village d'une centaine de familles, qu'ils appe
lèrent Beyrouth. En même temps, d'autres Syriens s'établissaient ains
dans le Minnesota, et donnaient à leur nouveau village le nom c
Zahlé : mais ni Beyrouth ni Zahlé ne vécurent longtemps, comme noi
le dirons plus tard en parlant de la vie religieuse de ces orientai;
transplantés dans un pays aussi neuf et aussi matérialiste que les Etats
Unis. De nos jours, le Canada s'efforce de peupler, de la même manière
ses vastes territoires du Saskatchewan, de l'Alberta et de la Britis'
Columbia, dans le Nord-Ouest canadien. Beaucoup de Syriens s
établissent, et quelquefois ils ont la chance de découvrir des mines d'o
ou d'argent, dans leur terrain gratuitement acquis.
Ces fermiers syriens sont encore les mieux partagés de tous leur
compatriotes émigrés. Ils vivent très aisément et en bonne ententt
bien qu'ils soient séparés les uns des autres de 3, 5, 6 et 7 milles dan
le désert. Chacun possède sinon douze, du moins sept ou cinq che
vaux, plusieurs vaches, des moutons, des pourceaux et une basse-coi'
complète sur un terrain de 160 ares, souvent 320 ares, avec un
maison confortable, de grandes étables, des puits d'eau douce creust
quelquefois jusqu'à 75 pieds de profondeur, des greniers et toutes le
machines de labourage et de récolte en usage chez les Américain:
Si aujourd'hui ils sont criblés de dettes, c'est qu'ils viennent de sub
(i) Non pas comme prix du terrain, mais pour faire face aux diverses dépens |
«ausées par l'enregistrement des différents papiers aux bureaux de la municipalité.
LES CHRETIENS DE SYRIE DANS L AMERIQUE DU NORD 439
;ux années consécutives d'une sécheresse qu'ils n'ont jamais connue;
aigre tout, ils possèdent largement de quoi faire face à toutes leurs
!ttes : terres, chevaux, machines et bestiaux. Ils ensemencent surtout
1 blé, de l'orge, de l'avoine et du lin. En été, ils entretiennent un
îtit jardinet de légumes divers pour leur usage personnel, et ils se
ouvent heureux. Nous verrons plus tard les difficultés qu'éprouve
missionnaire pour les amener à faire leurs devoirs religieux; d'ail-
urs, cet isolement et cette vie constante avec leurs animaux, en plein
;sert, ne contribue pas peu à leur faire perdre tout de suite le petit
igage de pratiques religieuses importées en Amérique. Les travaux de
terre commencent pour eux vers la fm d'avril, à la fonte des neiges,
ils durent d'ordinaire jusqu'à la fm d'octobre ou à la mi-novembre,
)oque où l'hiver reparaît. La terre est excessivement fertile; ils sèment
1 mai et moissonnent en septembre, souvent en août. Lorsque la
coite est bonne, \t far mer est heureux, et il peut arriver à payer toutes
is dettes en une seule année, les banquiers sont à son service, et ils
li offrent autant d'argent qu'il souhaite; mais, quand l'année est mau-
lise, l'argent se fait rare, et il n'est cédé au pauvre laboureur que
loyennant de fortes garanties.
3. Les commerçants. — Mais hâtons-nous de parler de Y aristocratie
îs émigrés; elle comprend des husiness-men, c'est-à-dire les gens qui
! livrent au commerce, au moins en apparence. Ils ne forment pas la
ajorité, tant sans faut, et c'est à peine si on peut en compter un sur
lille. D'ordinaire, ils sont établis dans les grands centres : New-Yorlc,
hicago, Saint-Louis, Boston, Saint-Paul, New-Orléans, San-Francisco,
ontréal, Mexico, Vera-Cruz, Yucatan, Havana (Cuba), Saint-Joseph
lissouri), etc. Ils importent en gros les acticles de marchandises qu'ils
;ndent aux colporteurs attachés à leur service.
Ils prétendent imiter les Américains, dans la bonne tenue de leurs
Qres. En réalité, ils sont loin d'atteindre à cet ordre et à cette pro-
jeté qui distinguent les stores américains. Les plus aisés entre-
innent des stores de Dry goods (i) ou marchandises d'étoffes
iverses, principalement à l'usage des femmes; d'autres vendent cer-
iins articles de soie. Kimonos, pour l'exécution desquels ils occupent
\\ grand nombre de jeunes filles. Il y a deux ans seulement, trois
"ires Faour, Maronites, possédant à peu près 30000 dollars améri-
'ins, ont fondé à New-York-City, 63, Washington street, la première
.inque syrienne, sous les auspices du gouvernement de Washington.
Mot à mot marchandises sèches.
440 ÉCHOS D ORIENT
Plusieurs Syriens sont grocers, épiciers, notamment à New-York et à
Chicago, et, en cette qualité, ils importent toutes les céréales de Syrie,
toutes les liqueurs et autres spécialités qu'on ne trouve qu'en Orient;
de sorte que le Syrien, en se fixant en Amérique, peut avoir à sa portée
tout ce qu'il souhaite et faire usage de la meilleure cuisine orientale,
après laquelle il soupire sans cesse. 11 va sans dire que ces groceries ou
épiceries orientales ne tentent aucun Américain, et que seuls les Syriens
peuvent en faire leur profit. Enfin, la plupart de ceux qui ont réussi à
se faire une petite fortune (i) tiennent des candy stores ou fruit stores,
dans lesquels ils étalent quelques sucreries, des confitures, un peu de
toutes sortes de fruits, suivant la saison; des cigares américains et le
fameux ice cream ou crème de glace dont les habitants du Nouveau
Monde sont si friands. On les rencontre souvent aux détours des rue<i
un peu fréquentées, où ils sont postés dans de petites cabanes de bo:
éclairées à l'électricité ou au gaz, et mesurant très souvent i mètre sur 2
juste assez pour y abriter quelques fruits, quelques cigares, un peu de
peanuts ou pistaches et le business-man ou marchand qui se tient
debout toute la journée. Ceux qui sont plus aisés, pourtant, tiennent
dans les principales rues de la ville des magasins plus vastes et mieu
fournis, mais toujours avec la même négligence, la même malpropret
orientales. Ces sortes de stores ne chôment jamais. Les bénéfices st
font d'ordinaire les dimanches et les jours de fête; plusieurs mêm
sont ouverts la nuit comme le jour. On peut voir, dès lors, quell
triste vie mènent ces pauvres adorateurs du Dollar, au point de vu
moral et religieux. Enfin, les barbiers ou ceux qui tiennent des ras
taurants à l'usage de leurs compatriotes, assurément, ne l'emporten
en rien sur leurs émules établis en Orient.
Nous ne pouvons passer sous silence la « bonne manière » pai
laquelle certains marchands arrivent à se faire une petite fortune a
très peu de temps. Une fréquentation assidue des juifs de l'Amériqut
leur en a fourni le secret. Un Syrien possède-t-il un millier de
dollars, il revêt ses meilleurs habits et se dirige à la banque, 01
il place ses mille dollars à un intérêt de 3 %, rarement à 4 %. h
lendemain, il affiche de grands airs et il se présente au wholesale 01
magasin de vente en gros. Là, il achète toutes sortes de marchandise;
qu'il se fait transporter à son nouveau magasin (2); puis, lorsqu'on lu
(i) C'est-à-dire i 000 ou 2000 francs, très souvent 5oo ou 600 francs.
(2) Ce « nouveau magasin » est souvent une petite salle qui lui sert de chambre
coucher; quelquefois [elle est située dans un soubassement où il peut dérober plu
facilement les marchandises.
_A
LES CHRETIENS DE SYRIE DANS L AMERIQUE DU NORD 44 1
présente le bill ou la facture à payer, il déclare avec emphase qu'il a
mille dollars déposés récemment à la banque. Après recherches, on
s'assure de la réalité. Or, un homme qui compterait mille dollars à la
banque a droit à tenir un magasin de dix mille dollars, et il peut
emprunter des marchandises à ce prix, sans être obligé de tout payer
au comptant. Là-dessus, notre nouveau marchand signe des billets de
banque innombrables, s'engage à tout ce qu'on requiert de sa probité
et se retire. En trois semaines, il a vite fait d'expédier en dehors de la
ville certains ballots de marchandises que d'autres Syriens lui achètent
à des prix relativement bas; puis, sous prétexte que l'argent lui manque,
il s'empresse de retirer ses mille dollars de la banque; enfin, il s'en va
trouver un de ces lawyers, avoués, qui font un triste métier. 11 lui
remet un billet de dix dollars et il le prie de lui rédiger un acte officiel
par lequel il déclare sa faillite et invite les wholesalers ou marchands
en gros à venir prendre ce qui lui reste en magasin. Ces derniers
arrivent et ne trouvent que certains articles insignifiants qu'ils saisissent
quand même; à la banque, il n'y a plus aucun sou au nom de ce
malheureux; force leur est de se retirer l'angoisse dans l'âme. Quant
au Syrien, il se hâte de quitter la ville pour se retirer dans une autre
et recommencer de plus belle.
Très souvent nos émigrants recourent à un autre stratagème. Après
avoir bien fourni leur magasin de toutes sortes de marchandises, ils
l'assurent contre l'incendie et les voleurs pour une somme ordinaire-
ment assez élevée. Trois semaines après, durant une nuit sans étoiles,
ils y mettent le feu et se prennent à accuser le gaz, l'électricité ou un
bandit quelconque plus ou moins imaginaire. La Compagnie d'assu-
rance est ensuite mise en demeure de leur remettre la somme con-
venue, et les Syriens ne deviennent que plus hardis à recommencer.
C'est proprement le métier des Juifs dans les Etats-Unis!
Par tout ce qui précède, le lecteur a pu remarquer, dans le Syrien
émigré, une aptitude extraordinaire, presque innée, à mentir. Le dicton
« AH the Syrians are liars, tous les Syriens sont menteurs », se trouve
sur toutes les lèvres. Nous connaissons même plusieurs Etats où les
juges et les autres agents ministériels répugnent à instruire des
procès entre Syriens. A chacune des deux parties belligérantes ils font
payer une amende de 25 dollars, sans autre forme de procès, puis ils
les congédient avec la meilleure grâce du monde, en disant : Corne
again, please!
{A suivre.)
A. Zal'oum.
LE PREMIER LIVRE NÉO-BULGARE :
L' « ABAGAR » DE L'ÉVÊQUE STANISLAVOF (1641)
Le premier monument connu de la littérature bulgare sous la domi-
nation turque, la première brochure néo-bulgare imprimée, est l'œuvre
d'un évêque catholique du xvif siècle, Philippe Stanislavof, évêque
latin de Nicopolis sur le Danube, et célèbre apôtre des Pavlikans. Cet
opuscule est un simple recueil de prières adapté aux besoins religieux
des populations grossières et ignorantes auxquelles il était destiné. Le
titre d'Abagar qu'il porte n'est pas sans piquer assez vivement la curio-
sité. C'est un titre qui ne correspond pas à tout le contenu du livre;
il n'est occasionné que par l'insertion de la fameuse lettre apocryphe
du roi Abgar, d'Edesse, à Jésus-Christ, lui demandant de venir le guérir
d'une maladie qui le retenait au lit depuis six ans. Ce document n'est
qu'une des pièces du recueil, mais l'importance spéciale que lui attri-
buaient Stanislavof et les Pavlikans a fait donner son nom à tout l'opus-
cule. Voici d'ailleurs comment l'auteur lui-même indique, à la dernière
page du livre, la portée réelle de son œuvre :
Comme l'abeille recueille le miel et la cire de diverses fleurs odorifé-
rantes, de même Philippe Stanislavof, évêque de la grande Bulgarie, des
diff"érents écrits des Pères, a recueilli et mis en ordre des prières bienfai-
santes, cet Abagar ; il les a dédiées à son peuple bulgare pour les porter
avec soi à la place des reliques très puissantes.
Vient ensuite la date très précise de la publication du recueil.
Cet « Abagar » a été imprimé l'an 1641 de Jésus-Christ, le 6 mai, dans
la ville sainte où reposent les corps des saints Pierre et Paul, sous le
règne de notre roi Ibrahim, sous Mathieu le voïvode de Valachie, et
sous Loupoula le paisible, de la contrée de Bogdan, surnommé Vasil
Voïvoda.
(i) Qu'il me soit permis de remercier ici plusieurs de mes confrères Assomptionistes
qui ont bien voulu m'aider dans la rédaction de cette notice, en me faisant profiter
de leur parfaite connaissance de la langue et de la littérature bulgare. Je dis aussi un
respectueux merci à M. A. Teodorof, secrétaire de l'exarchat bulgare, et à M. B. Pao^
chenko, secrétaire de l'Institut archéologique russe à Constantinople. Je dois à l'ua
et à l'autre des indications bibliographiques précieuses. Voir surtout A. Teodorof|
Beulgarski knigopis (Bibliographie bulgare), dans Sbornik ^a narodni oumotvorénia^
naouka i knijnina i^dava ministerstvoto na narodnoto prosviéchténié (Recueil de^
science, d'érudition et de littérature nationale, édité par le ministère de l'Instruction
publique), t. IX. Sofia, 1893, Prilojéniê (Appendice), p. 6-9 et p. i5o-i56.
LE PREMIER LIVRE NÉO-BULGARE 443
Disons tout de suite qu'il s'agit du sultan Ibrahim i^r (1640-1648),
lu voïvode de Valachie, Mathieu Bassarabe (163 3-1 6^4), et de Basile-
e-Loup, prince de Moldavie (1634-1654).
Enfin le livre se ferme sur ces touchantes exclamations de la piété
;atholicue :
Que le saint corps du Christ soit glorifié et loué à jamais!
Jésus et Marie, je vous donne mon cœur et mon âme.
Priez pour moi, pécheur. Amen (i).
Au point de vue typographique, V Abagar présente un aspect assez
ingulier. C'est un opuscule de vingt pages grand in-8", ou plus exac-
ement de format 34 X 23, comprenant cinq feuilles pliées par le milieu
t imprimées seulement du côté intérieur, c'est-à-dire au recto, tandis
|ue le verso demeure blanc. Chaque page est divisée en deux colonnes.
,es cinq feuilles étant ainsi repliées l'une sur l'autre, les deux pages
inales se trouvent occuper le milieu de la brochure, et pour lire les
utres pages, il faut successivement se transporter en deçà et en delà
ie la feuille médiane. Voir plus loin la reproduction de cette feuille
nédiane et de la première page. L'exemplaire dont je dispose a, en
lUtre, une interversion de feuilles, la troisième ayant été par mégarde
'lacée avant la seconde ; de telle sorte que la lecture de ces curieuses
•ièces présente au premier abord quelques difficultés.
La brochure est ornée de neuf illustrations pieuses, représentations
le mystères ou de saints. Elle est sortie des presses de la Propagande,
[ans les catalogues de laquelle on la trouve inscrite à la section des
ivres bulgares, en ces termes : Preces quœdam cum novem iconibus
ylographis charactere cirilliano impressœ Romce 1641 .
Quelle a été la raison du procédé spécial d'impression adopté pour
e recueil? Quelques-uns ont supposé que les feuilles à." Abagar avaient
ité imprimées de manière à pouvoir être, par exemple, placardées aux
nurs d'une maison. D'autres ont pensé que la disposition typogra-
'hique décrite ci-dessus avait pour but de faliciter au détenteur du
ecueil le port de ces diverses pièces ou de telle et telle d'entre elles.
)n l'a vu tout à l'heure, en effet, Stanislavof dédiait ces fragments à
on peuple bulgare, pour que chacun « les portât sur soi à la place
les reliques très puissantes ». L' Abagar aurait donc été comme une
orte d'amulette chrétienne analogue aux autres talismans que portaient
u cou ou à la poitrine les Pauliciens bulgares. L'évêque de Nicopolis
(i) Voir plus loin la reproduction phototypique de cette note finale.
444
ÉCHOS DORIENT
§ ÎS,T<lU-TMH.l,faACJCT. U«1<WIIK, ^
^ l^df , Njj. wm li^ffH» . Frocnu. |
§ in(;i|(»ll<HVOA lllAKrM.lKMioi. ^
s acdWdUnfHVBITHiCcjft-.f.-JitiUll. f<
K^fTTV TVf;wfKM!f ti|jcnicj.tts 2s
, r.i!K.urutu.-:iii: Se»U's;M, è
' ,uu«CJfcKH,>«i. lj«TWI K XIMf > ^
^ n
* Ci:
avait sans doute été inspiré par la pensée de faire servir à la formation
chrétienne de ses fidèles un usage qui jusqu'alors avait favorisé davan-
tage la superstition que le véritable sentiment religieux. A cette fm, il
fit de nombreux emprunts au rituel catholique. C'est surtout de pareils
emprunts qu'est formé son
recueil. S'il y a inséré
l'épître d'Abgar et donné ce
nom atout l'ensemble, c'est
que peut-être cet apocryphe
était en vogue et en véné-
ration chez les Pauliciens
dès avant leur conversion
au catholicisme, et que peut-
être aussi le nom d'Àbagar
était employé par eux
comme désignation com-
mune de ces sortes d'amu-
lettes. L'énumération des
titres de chaque pièce et des
illustrations qui les accom-
pagnent permettra de se
faire une idée suffisante de
l'œuvre d^ Stanislavof.
En y comprenant la not^
finale qu'on a lue plus haut,
VAbagar contient vingt-cinq
pièces, dont voici la liste
par numéros et dans l'ordre
même du recueil ; les chiffres seuls ont été ajoutés.
En tête de la première page, on voit une gravure représentant le
couronnement de la Vierge par la Sainte Trinité.
1. Louange au Christ et à l'indivisible Trinité.
2. Les noms du Seigneur: celui qui craint Dieu et les porte sur soi
avec un cœur pur et un esprit éclairé aura une longue vie sur cette terre.
C'est le début d'un apocryphe très connu sur les soixante-dix nor
de Dieu.
3. Les noms de la très sainte Mère de Dieu.
4. Epitre du roi Abagar (i) écrite au Christ Notre-Seigneur.
fv&*n-.Cm.i.tÏAra!f,va;nc
ë njii'.i-i*nJTcj|), ÎX); 'K.)irr, Cïi
'Ç^ l.!-.--\i«, P|jj! KtMiiii. HcSV X»K -i
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Co, T H. J ir U
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i, t) -Sk «i» ri 1
(i) Je respecte, dans la transcription de ce mot, la graphie du recueil. Voir ci-dessûs
LE PREMIER LIVRE NÉO-BULGARE 445
5. Celui qui naît en ce monde souffre de maladies et de toutes sortes
l'infirmiiés. Prière que récite le prêtre, le maître ou un clerc [à l'occasion
l'une naissance].
Après cette prière vient une image représentant Constantin et sainte
iélène.
6. Prière pour la sainte Eglise de Dieu à réciter en tout temps.
A remarquer dans cette prière une claire allusion aux Pauliciens con-
'ertis : « et pour nos nouveaux fidèles : que Dieu ouvre leurs oreilles-
fin qu'ils puissent entendre la voix du Pasteur qui les a tirés de l'infi-
lélité par le baptême. »
7. Prière à l'heure de la mort.
Image de saint Michel archange.
8. Prière à dire au moment où l'âme quitte le corps.
Image de saint Nicolas de Myre.
9. Prière pour le voyageur.
Image représentant saint Cyrille et saint Athanase.
10. Prière pour toute nécessité.
Image de saint Georges.
11. Prière pour une femme stérile.
12. Prière pour toute femme ou tout homme tourmenté par Satan ou
)ar un sorcier. Le prêtre revêt l'habit ecclésiastique, met l'étole à son
;ou et récite cette prière.
i3. Prière contre le démon. Cette prière est très efficace.
14. Prière lue par le prêtre pour les femmes stériles.
i5. Prière ou chant du soldat conquis à Jésus-Christ non par le sabre
li le glaive ni le bouclier ou n'importe quelle armure, mais par le poids
ie la croix, qui a pouvoir même sur les égarements de Satan.
1 Cette prière n'est autre que le Pater. Mais il y manque les mots :
< Que votre règne arrive ».
16. Prière à la Sainte Vierge pour tout temps et toute heure.
C'est VAve Maria. Elle est suivie de l'image de saint Basile le Grand.
17. Prière : Louez Dieu à cause de ses bienfaits.
18. Prière : Louez Dieu à cause de sa bonté.
ans la reproduction phototypique de la première page du recueil, au bas de la
' colonne, le début de la lettre d'Abgar.
446 ÉCHOS d'orient
Ces deux prières sont tirées du psaume cxlviii. Vient ensuite l'image
de saint Dimitri.
19. Prière: Louez Dieu sans cesse dans le malheur et dans le bonheur.
Sous cette rubrique, c'est le Te Deum qui se lit.
20. Prière à réciter quand l'âme souffre.
Ce titre paraît étrange pour annoncer le Magnificat; il semblerait
dénoter chez l'auteur du recueil un élan de mysticisme assez élevé pour
glorifier Dieu jusque dans l'épreuve, et chez le peuple auquel il s'adresse
assez de prise au sens surnaturel. Le Magnificat est suivi de l'image
de saint Etienne lapidé par les Juifs.
21. Prière pour louer Dieu.
Ici c'est la doxologie par excellence ou Gloria in excelsis, que Stanis-
lavof transcrit.
22. Prière à réciter sur les malades.
Dans cette prière sont mentionnés un grand nombre de saints d'Orient
et d'Occident. On y remarque, entre autres, l'invocation de saint Etienne,
qui est nommé protecteur et gardien de la nation bulgare.
23. Prière à lire quand on a le mal de tête.
24. Prière que le prêtre récite pour toutes sortes d'infirmités.
Ce morceau correspond aux prières apocryphes publiées par Tikhou-
ravof (i).
25. En dernier lieu vient la note finale, où Stanislavof indique le
caractère de son œuvre et la date de sa publication.
*
» •*
Il existe très peu d'exemplaires de VAbagar de Stanislavof. Quatre
seulement étaient connus de ceux qui se sont occupés jusqu'ici de C£(
premier et modeste monument de la littérature néo-bulgare. 11 faut eut'
ajouter un cinquième, qui se trouve à la bibliothèque des Assomptio-;
nistes de Kadi-Keuï et que j'ai sous les yeux en rédigeant cette notice,|
Ce n'est que vers 1825 que le critique russe P. Keppen, qui avafl
sans doute vu l'exemplaire de la Propagande, le signala pour la première
fois dans les Biblio^raphitcheskié listi (Feuilles bibliographiques) {2^
Un peu plus tard, un autre exemplaire fut découvert dans la biblic
thèque de Tchertkov, en Russie (3).
(i) TiKHOURAvoF, Pamiatniki otrechénoï rouskoï litteratoury, II, 357-358.
(2) P. Keppen, Bibliographitcheskié listi, 489, 585.
(3) Vceobchtata bibliotheca Rossii. Moscou, i838, p. 610; Sakharof, Obo^rénié si
LE PREMIER LIVRE NEO-BULGARE
447
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1 Vv M'tmrrwKblJTiitlbik^df 4Ak >,
\'. Kopitar eut entre les mains un troisième exemplaire de VAbagar
luand il écrivit son article : De hulgaricis quœ in Propagandœ catalogo
ndicaniur sic : (Libri) Biilgari Stanislarov {pro Stanislavof) Philippus
piscopus Nîcopolitaiîus. Preces quœdam sine anno et in folio, ut ajunt,
iperto (i).
L'indication sine anno est fautive, puisque, comme on l'a vu plus
laut et comme on peut s'en rendre compte par la reproduction photo-
graphique de la page finale, Stanislavof précise l'année où son livre
ut imprimé à Rome. Cette date est indiquée à l'aide des lettres AXHA.
\ étant la forme slave de la lettre N, leur valeur numérique, d'après
e système emprunté aux Grecs, donnerait le chiffre de 1651. Mais cette
late ne concorde pas avec les autres données de Stanislavof concernant
es princes sous le gouvernement desquels fut imprimé le recueil. Il
uflfit de consulter l'histoire et la chronologie de ces princes, pour se
endre compte que la date 165 1 doit être corrigée en celle de 1641.
.'Abagar, est-il dit dans la note finale, a été imprimé au temps du sultan
brahim I« (1640- 1648), du voïvode de Valachie Mathieu Bassarabe
iano-rousskoï bibliog7-aphii. Saint-Pétersbourg, 1849, n' 536; Karataef, Chronolo-
'itcheskaïa rospis slaviano-roiisskikh knig, p. 82-83; Oundolskiy, Chronologitcheskii
ïuka^tel slaviano-rousskikh knig. Moscou, 1871, n° 656.
; (0 Dans llesychii glossographi discipulus et àTctYXwaaKrrr,; russus. Vienne, iSSq,
|. 45-46.
^48 ÉCHOS d'orient
(1633- 1654), et de Basile le Loup, prince de Moldavie (1634- 1654).
Le sultan Ibrahim l^"- ayant été déposé le 6 août 1648, étranglé le
18 août de la même année et remplacé par Mohammed IV (1648-1687),
les données de cette note finale ne peuvent se réaliser qu'en supposant
la date de 1641 , c'est-à-dire en corrigeant la lettre slave H (= N laquelle
= 50) en la lettre M, dont la valeur numérique correspond au chiffre 40.
Ainsi donc, bien que le texte imprimé fournisse la date de 1631
(AXNA), c'est certainement 1641 (AXMA) qu'il faut restituer.
Le professeur A. Leskien a trouvé dans la bibliothèque universitaire
de Leipzig un quatrième exemplaire de VAhagar (i).
Le cinquième exemplaire connu se trouve, avons-nous dit, à la biblio-
thèque des Echos d'Orient, à Kadi-Keui, Constantinople. Nous avons
le plaisir de présenter à nos lecteurs en reproduction phototypique la
première page du recueil, qui débute par la gravure du couronnement
de la Vierge par la Sainte Trinité, et les deux pages finales qui, comme
nous l'avons expliqué plus haut, constituent la feuille du milieu de la
brochure. Cette feuille est illustrée par l'image de saint Etienne le
premier martyr.
La langue de VAhagar est un curieux mélange de croate et de bul-
gare. C'est l'idiome que parlaient alors les Pavlikans des bords du
Danube, auxquels Stanislavof destinait son recueil. Une de ses particu-
larités les plus remarquables, c'est la confusion des lettres /;{ et ich.
On ne s'attend pas, du reste, à trouver un caractère proprement litté-
raire, dans le sens que nous donnons à ce mot en français, à cette
compilation de prières populaires, dont les titres ci-dessus énumérés
suffisent à dire la naïve simplicité. La véritable importance de VAhagar
consiste en ce qu'il est le premier livre néo-bulgare imprimé.
11 est assez intéressant de constater que cet honneur revient à une
œuvre sortie de la plume d'un évêque catholique et des presses de la
Propagande. J'espère pouvoir esquisser prochainement pour les lecteurs
des Echos d'Orient l'attachante physionomie de ce missionnaire catho
lique, dont le nom ouvre ainsi modestement l'histoire de la littérature
néo-bulgare. S. Salavili.e.
Constantinople.
(i) A. Lr.sKiEN, Abagar ein neubulgarischer Druck aus dem XVIIJahrhundert, dan
Archiv fur slaptsche Philologie, 1879, III, p. 5i8-52i. Voir encore, pour complémen
de bibliographie, l'article : Abagar pervii petchatnii pamiatnik novo-bolgarskoï lii
teratoury, dans Slavianskiy Sbornik, 1877, t. II, p. 1-12; et celui de M. Poproujenkc
Abagar, Contribution à l'histoire de la renaissance du peuple bulgare, dans 1
Bulletin de l'Académie impériale des sciences à Saint-Pétersbourg, section de 1
langue et de la littérature russe, X, 1905, p. 229-258.
CHRONIQUE DE L'ÉGLISE RUSSE
La dernière chronique de l'Eglise russe parue dans les Echos d'Orient
ate de juillet 19 lo. Nos lecteurs doivent attendre avec impatience
u'on leur parle de nouveau de cette autocéphalie qui l'emporte de
eaucoup sous tous les rapports sur ses sœurs orthodoxes, et à laquelle
n s'intéresse particulièrement en Occident. Aussi bien, cette Eglise
raverse, à l'heure qu'il est, une crise des plus graves. Il y a deux ans,
in croyait enterrés pour jamais les vastes projets de réorganisation
cclésiastique éclos aux premières brises de la liberté et tout au long
xposés dans les rapports de la Consultation préconciliaire de 1906.
)r, voici qu'à l'aurore de 191 2 le vent des réformes a de nouveau
,oufné sur la lourde embarcation du saint synode, et, ce qu'il y a de
)lus curieux, c'est que celui qui a ouvert l'outre d'Eole n'est autre que
e nouveau procureur général, M. Sabler. Un procureur du saint synode
;st une personnalité trop marquante dans l'Eglise russe pour qu'on ne
j'arrête pas un instant à contempler ses traits. Un écrivain ecclésias-
ique n'a-t-il pas écrit dernièrement « que l'histoire de l'Eglise russe,
rendant les deux derniers siècles, c'était l'histoire des procureurs géné-
aux, et que l'Eglise n'était, au fond, que leur chancellerie ». Parlons
ionc, tout d'abord, de M. Sabler.
*Le nouueaa procureur du saint synode.
Depuis la démission du célèbre Pobiédonotsef, le 17 octobre 1906, le
)OSte de haut procureur du saint synode dirigeant n'a pas eu moins
le cinq titulaires. C'est un signe des temps. Tandis que Pobiédonotsef
)résida aux destinées de l'Eglise russe vingt-cinq ans durant, le règne
ie ses successeurs n'a guère dépassé la moyenne d'un an. Le premier
ut le prince Obolenski (19 octobre 1905-26 avril 1906), un libéral
omme il en fallait alors, qui fit à un prêtre catholique l'aveu suivant :
i Je ne comprends pas que je puisse me trouver, moi laïque, à la tête
|e l'Eglise orthodoxe, et je ne conserve pour le moment ma charge
||u'avec l'intention bien arrêtée d'arriver à établir un nouvel état de
rhoses plus selon l'ordre. » {Echos d'Orient, IX, 49.) Comme il ne
tomprenait pas, on ne tarda pas à lui signifier son congé. 11 eut pour
iuccesseur une étoile filante, M. Chirinski Chikhmatof, qui passa du
\b avril au 9 juillet 1906 sans laisser de trace. Plus long fut le règne
Échos d'Orient, t. XV. ag
450 ÉCHOS D ORIENT
de M. Pierre Pétrovitch Izvolski, ancien adjoint du ministre de i'Instruc
tion publique (27 juillet 1906-5 février 1909). Pendant ces deux années
et demie, la réaction antilibérale battit son plein. Le Congrès des mis-
sionnaires de Kief, en 1908, éleva très haut la voix pour appeler au
secours de l'orthodoxie menacée. On voulut bien l'entendre en haut
lieu, mais le concile, le grand sobor de toutes les Russies, fut relégué
au nombre des chimères. On n'en parla presque plus dans la presse
ecclésiastique, malgré tout le désir qu'on en avait.
Pour des causes à nous inconnues, M. Izvolski fut remplacé, le
5 février 1909, par M. S. M. Loukianof, un honorable médecin-chirur-
gien, directeur dépuis 1894 de l'Institut de médecine expérimentale à
Saint-Pétersbourg. Sous sa haute direction, l'étranglement de la liberté
religieuse, et les tracasseries contre les cultes dissidents, en particulier
contre le catholicisme, ont continué de plus belle. Cependant, ce pra-
ticien paraît n'avoir pas réussi dans toutes ses opérations pour guérit
un organisme malade. II a été, je crois, trop médecin et pas assez chi-
rurgien. Il n'a amputé rien du tout, alors que le monde ecclésiastique
soupire généralement après l'emploi du bistouri. Voilà sans doute poui
quoi M. Loukaniof a été renvoyé avec force mercis à sa clinique,
2 mai 191 1. C'est M. Vladimir Karlovitch Sabler qui lui à succédé,
tout fait prévoir que ce sera pour longtemps.
Le nouveau titulaire n'est pas, en effet, comme ses quatre prédéces-
seurs, un homme étranger aux choses ecclésiastiques. Vingt-cinq arù^
durant, c'est-à-dire pendant tout le règne de Pobiédonotsef, il fit parti*
du personnel du saint synode, d'abord comme jurisconsulte, ensuit»
comme directeur de la chancellerie, enfin — et cela pendant plus (M
dix ans — comme adjoint de Pobiédonotsef.
Sa nomination a d'abord été accueillie avec une certaine défiance
Sa qualité d'ancien adjoint du terrible Pobiédonotsef n'était pas faiti
pour lui attirer les sympathies de ceux qui désirent des réformes. Cej
tains de ces derniers, cependant, se sont plu à rappeler qu'en une cil
constance solennelle il s'était séparé de son illustre maître et patroq
en se prononçant nettement pour la convocation du concile, et |
Gaietie de Moscou s'est empressée de saluer en lui l'homme qui allai
enfin réaliser les 'espérances de l'Eglise russe, tandis qu'au Novoi
VremicL, M. Menchikoff, représentant du groupe des sceptiques, qui es
fort nombreux, a mis le nouvel élu au défi de faire quoi que ce soiil
et lui a promis de l'inscrire au nombre des nouveaux saints russes
« malgré son origine allemande », s'il réunissait le sobor et rétablissai
le patriarcat (no 12623 du Novoïe Vremia).
CHRONIQUE DE L EGLISE RUSSE 45 I
Les premiers actes du nouveau procureur ont paru donner raison aux
)ptimistes. Sous sa direction, on a poursuivi avec entrain la réforme
le l'enseignement ecclésiastique. Le 2 avril 19 10, un nouveau règie-
nent des Académies ecclésiastiques avait été sanctionné par l'autorité
,ouveraine du tsar, et il était entré en vigueur dès le début de l'année
;colaire 1 9 10- 191 1.
Mais, de l'avis des gens compétents, cette réforme avait, dès son
)erceau, besoin d'être réformée. M. Sabler s'est employé de son mieux
i faire quelques points dans ce vêtement neuf, sans parvenir, du reste,
1 satisfaire tout le monde, car les professeurs se plaignent qu'on a aug-
nenté le travail sans élever les honoraires. Ainsi remanié, le règlement
les Académies a pu être observé dès la rentrée de 191 1. On attend
ncessamment la confirmation des nouveaux statuts des Séminaires
;t des autres écoles ecclésiastiques qu'a élaborés une Commission
ipéciale.
Mais ce n'est pas seulement l'enseignement ecclésiastique qui a
)esoin de réforme, c'est un peu tout. Or, le clergé s'obstine à répéter,
:haque fois que cela est possible, que seul un concile plénier mènera
i bien cette réforme générale. 11 ne peut se résoudre à admettre que
a fameuse assemblée préconciliaire de 1906 ait travaillé en vain.
Vl. Sabler a compris qu'il était difficile d'étouffer ces légitimes aspira-
tions, et il s'est décidé à les satisfaire, au moins provisoirement. Un
bukase du 28 février 19 12 est venu faire briller de nouveau au ciel de
jâ sainte Russie l'espoir radieux du grand concile par l'établissement
l'une Commission préconciliaire.
*La Commission préconciliaire.
Les travaux de l'Assemblée préparatoire de 1906 (Priçoustvie) ont
té publiés en quatre tomes bien fournis. 11 y a là des matériaux fort
ivers, de longs rapports comme en savent faire les Russes sur à peu
rès toutes les questions concernant la vie intérieure de l'Eglise russe,
e quoi occuper une assemblée délibérante pendant plusieurs années,
^'est pour reviser tout ce fatras, où il y a tant de bonnes choses, pour
'ier, compulser, accorder, supprimer, ajouter, amender dans le sens
oulu, en un mot pour mâcher la besogne au futur concile, que la Com-
hission préconciliaire du 28 février (Predsobormie Soviechtcbanie) a été
bblie. Elle doit aussi classer à part les questions susceptibles d'être
fanchées directement par le saint synode, ce qui est un peu vague.
. l'heure où j'écris, la Commission a déjà tenu six sessions. Les con-
■ 4^2 ÉCHOS D ORIENT
clusions adoptées sont des plus progressistes, au moins en appareno
L'assemblée est présidée par un membre du saint synode, Mgr Sergi
archevêque de Finlande. Elle doit durer jusqu'à la convocation du coi
cile. Jusqu'ici, le procureur général a toujours assisté aux sessions. Oi
été nommés membres dès le début : Mg*" Antoine, archevêque c
Volhynie, et Mgr Euloge, évêque de Chelm, pour le temps de leur pn
sence au saint synode; l'archiprêtre Timothée Boutkevitch, membi
du Conseil de l'empire; M. Michel Ostrooumov, conseiller d'Etat effecti
et M. Ivan Sokolov, professeur d'histoire gréco-orientale à l'Académ
ecclésiastique de Pétersbourg. Le secrétaire est M. Stepan Rounkevitcï
directeur adjoint de la chancellerie synodale. Le président a la liber
d'appeler à la participation des travaux de la Commission tout persoi
nage capable de rendre des services. 11 est à remarquer que M&r Ser^
et la plupart de ses collaborateurs ont fait partie de la Consultatic
de 1906.
La première session s'est tenue le 8 mars. On y a réglé l'ordre
suivre dans l'examen des questions. A la deuxième session (6 avril
on a abordé la question capitale du haut gouvernement ecclésiastiqu
Après un examen attentif des règlements en vigueur dans les autr
autocéphalies orthodoxes, spécialement dans les patriarcats orientau
la Commission a décidé la rédaction d'un projet de constitution pa
l'Eglise russe, déterminant les droits du futur patriarche — car il^
entendu qu'il y en aura un, — ses relations avec le synode qui l'as
tera, la composition et le rôle de celui-ci, la tenue des conciles péf
diques. C'est Mg^ Serge qui s'est chargé de rédiger le règlement^
question. De son côté, Mg^ Flavien, de Kiev, qui assistait aux dél
rations, s'est offert pour élaborer un autre projet concernant l'étal
sèment de nouvelles éparchies et de nouveaux vicariats dans rEg|
russe.
La troisième session (12 avril) a été aussi très importante. On
est occupé de l'administration diocésaine en s'aidant non seulemti
des rapports de l'Assemblée de 1906, mais encore des statuts en usi'?
dans les autres églises orthodoxes. j
La Commission a adopté la proposition de la Consultation précorr
liaire de diviser la Russie en sept districts métropolitains ayant p(ji'
centres, outre les trois métropoles déjà existantes (Moscou, Kievjt
Pétersbourg), Irkoutsk pour la Sibérie, Tiflis pour la Géorgie, Vila
pour les éparchies du Nord-Ouest, Kazan pour les éparchies du Nc|-
Est. Le métropolitain jouira d'une primauté d'honneur sur ses sulji-
gants, convoquera et présidera le synode de son district et veillei(a
CHRONIQUE DE L ÉGLISE RUSSE 453
'exécution de ses décisions. Au synode métropolitain appartiendra le
Iroit de pourvoir aux évêchés vacants, mais l'élection devra être con-
irmée par le patriarche et son synode, avec l'approbation du tsar. Le
[Consistoire diocésain sera remplacé par la Direction diocésaine {Epar-
ihialnoïe Pravlénie), dont les ecclésiastiques seuls pourront faire partie.
)e la Direction diocésaine sera séparé le tribunal ecclésiastique, comme
;ela se pratique dans plusieurs Eglises orientales. C'est l'évêque qui
:hoisira les membres de sa Direction, mais son choix devra être con-
irmé par le saint synode patriarcal, présidé par le patriarche.
Les quatrième, cinquième et sixième sessions (21, 27 avril, 4 mai)
)nt été consacrées à la réforme des tribunaux ecclésiastiques. La Com-
Tiission s'est prononcée nettement pour la séparation du tribunal de la
lection administrative. On distingue trois sortes de tribunaux: i" les
ribunaux des blagotchines, qui jouent un peu le rôle de juges de paix
)armi les ecclésiastiques et sont soumis à l'Ordinaire; 2° les tribunaux
liocésains, composés de membres permanents et de membres tempo-
aires, tous prêtres, choisis par l'évêque et confirmés par le synode
)atriarcal; 3° le tribunal suprême, qui est placé sous la juridiction
mmédiate du patriarche et de son synode, dont il forme une section
ipéciale.
Telles sont les principales décisions prises jusqu'à ce jour par la Com-
nission préconciliaire. Si l'on s'en tient aux apparences, si l'on fait
ittention au vocabulaire, c'est un bouleversement presque radical de
'organisation actuelle qui sera proposé aux délibérations du futur con-
fie. Mais si l'on va au fond, on s'aperçoit vite que les changements
;ont très superficiels. D'abord, on ne parle pas de supprimer le poste
i'Ober Procuror. Celui-ci continuera vraisemblablement auprès du futur
synode patriarcal les fonctions qu'il exerce maintenant auprès du saint
jynode dirigeant, et le placet du tsar sera toujours nécessaire pour les
lécisions de quelque importance. La centralisation bureaucratique per-
;istera. Il y aura un patriarche à la place d'un président du saint synode,
in synode patriarcal à la place du saint synode dirigeant, une direction
liocésaine au lieu d'un Consistoire diocésain, terme qui sent trop le
protestantisme; mais l'Eglise russe restera sous la tutelle de l'Etat; elle
>era tout comme maintenant sa prisonnière et son esclave. Et cela est
àtal. Pour qu'elle fût libre, l'Eglise russe devrait faire du patriarche
lu'on lui promet une sorte de Pape; mais de Pape, le pouvoir civil n'en
/eut à aucun prix. C'est lui-même qui est et qui restera le vrai Pape,
Qu'on ne m'accuse pas de pessimisme. Ce que je viens de dire
evient à ce qu'on lit dans un long article signé Cave, paru dernière-
454
BCHOS D ORIENT
ment dans les Tserlwvnyia yiédomosti^ organe du saint synode (nos 22
et 23 de 1912). Cet article, intitulé : Sur la constitution canonique, débute
ainsi :
A ce qu'il paraît, le préjugé que notre Eglise russe, depuis l'époque de
Pierre le Grand, spécialement depuis l'établissement du saint synode
dirigeant, n'a pas d'organisation canonique, bien plus, ne possède pas
dans l'ensemble de constitution canonique, se répand de plus en plus
parmi nous. Gela se dit au Gonseil de l'Empire et à la Douma impériale;
cela se lit dans les revues ecclésiastiques et dans la presse laïque. Sur ce
sujet, on trouve d'assez longues dissertations, même dans les réponses
des Révérendissimes des éparchies (les évêques diocésains), concernant
la réforme ecclésiastique projetée. On en parla pas mal dans la Consul-
tation préconciliaire; on en cause pas mal encore dans les conversations
privées et dans les salons. Pourtant — et à cela rien d'étonnant, — ces
dires, ces jugements et ces réclamations de « rétablissement » de la con-
stitution canonique ne reposent le plus souvent sur aucun fondement
canonique, et ne découlent d'aucune connaissance profonde des canons.
Car il n'est pas si facile que cela paraît de se faire une idée de ce qu'est
« la constitution canonique v. Pour cela, il ne suffit pas de dire que 1ê
constitution canonique est celle dont parlent les canons, car il n'est pas
facile de comprendre les canons, et il est encore plus difficile de les appli-
quer à la vie courante et aux circonstances présentes.
Là-dessus, M. Prends-Garde ic2LX c'est bien ainsi qu'il faut traduire Cave^
donne différentes définitions du « canonique » prises aux canonisteî
russes. Ces définitions sont fort intéressantes et pas du tout concor
dantes. Je n'en citerai qu'une seule, celle du professeur Bolotov, ains
conçue : « Est canonique ce qui concorde avec la pratique la plus récent*
de l'Eglise de Constantinople. » Suit un long aperçu historique sui
l'organisation ecclésiastique des premiers siècles, où l'on montre qin
le droit canon a toujours changé suivant les époques et les pays. Comm+
la Commission préconciliaire a fait souvent appel, pour motiver ses déci
sions, aux règlements des autres autocéphalies, et en particulier au
statuts de l'Eglise de Constantinople, l'auteur se paye le malin plaisi
d'établir que la constitution des autres Eglises a subi force avatars e
que les xavovia-;jLol actuels du patriarcat œcuménique, vieux de cinquant
ans, font ressembler étrangement l'Eglise de Constantinople à l'Eglis
russe. Le patriarche œcuménique, malgré ses prétentions au papisme
n'a jamais été un souverain absolu comme le Pape de Rome, c'est u
roi constitutionnel, un président de république. Si les règlements Ii
donnent juridiction sur le synode, lui-même est jugé par le synode
11 n'y a pas bien longtemps qu'un représentant de l'Eglise grecqu
CHRONIQUE DE L ÉGLISE RUSSE 4S5
affirmait que, en cas de conflit entre les membres du synode, l'affaire se
règle par voie administrative. Il est visible que tout cela rappelle notre
constitution synodale russe, et personne là-bas ne proteste contre elle.
Et M. Cave de conclure qu'au fond tout est canonique : Le « cano-
nique », ce n'est exclusivement ni le constantinopolitain, ni l'alexan-
drin, ni le carthaginois, ni le romain, ni le russe, ni le serbe, ni le
bulgare, parce que, malgré les différences et les discordances, tout cela
peut être canonique comme en fait cela l'a été. Les principes fonda-
mentaux de la constitution canonique de l'Eglise dans tous les temps
ont été les trois suivants : 1° Le gouvernement de l'épiscopat universel
remontant aux apôtres par la voie de l'ordination ininterrompue;
2^ l'organisation de l'épiscopat universel en hiérarchie locale et natio-
nale sur le plan de l'organisation civile et nationale; d'où il suit que
l'organisation de chaque Eglise autocéphale a ses particularités ; y le
maintien du principe conciliaire dans toute organisation donnée, prin-
<:ipe qui écarte tout gouvernement par un seul, car c'est l'épiscopat lui-
même, réuni en concile œcuménique, qui est l'autorité universelle
suprême.
Ces principes fondent la constitution canonique commune, 'qui s'est
exprimée de diverses manières dans l'histoire de la législation canonique
D'où il appert que la constitution canonique n'est pas immuablement
celle de Constantinople ni celle de Carthage. Ce peut être la bulgare, la
serbe et la russe. Du moment que notre constitution synodale ne contredit
pas ces principes communs et les exprime à sa manière, elle est aussi
canonique qu2 celle de l'Eglise de Constantinople à l'heure actuelle, ou
celle qu'elle avait à l'époque de Justinien. Nous ne comprenons absolu-
ment pas pourquoi nous aurions besoin d'une réforme ecclésiastique qui
nous reporterait à mille ans en arrière. Nous pouvons exister d'une
manière tout à fait canonique, en nous contentant de réorganiser et
d'améliorer la constitution synodale actuelle, qui ne s'oppose pas au
concile de toutes les Russies. S'il faut donner au métropolite qui a la
première place au synode le nom de patriarche, on peut légitimer ce
changement par des considérations d'opportunité et d'exigences pratiques,
mais non par de vagues appels à de prétendues exigences des canons. Le
nom même de patriarche ne se trouve pas dans les canons, et l'Eglise de
Carthage était canonique sans patriarche avec son unique primat.
Si l'on suppose qu'avec le patriarche l'Eglise sera aj^ranchie de l'Etat,
cela ne peut que rompre cet accord, cette symphonie (quel joli terme!)
entre l'Etat et l'Eglise qui constitue une règle fondamentale, comme nous
l'avons vu plus haut. Par ailleurs, cela peut conduire à l'asservissement
\complet de l'Eglise. Save^-vous comment on faisait un patriarche à
4s6 ÉCHOS d'orient
By^ance? En cas de vacance du siège, ïes métropolites l'éunis en synode
présentaient au basileus trois candidats, et le basileus conjîrmait l'un
d'entre eux ou proposait aux métropolites son candidat à lui.
Puis, en présence du clergé et du Sénat, il proclamait l'élu en pronon-
çant cette formule : « La grâce divine et notre Majesté impériale, qui tire
d'elle son origine, élèvent cet homme très pieux à la dignité de patriarche
de Constantinople. »
C'est ce qu'écrit l'empereur de Byzance lui-même, Constantin Porphy-
rogénète {De ceremoniis aulœ by^antinœ, ii, 14).
Voilà la verte leçon que l'organe du saint synode s'est cru obligé de
donner aux réformateurs trop pressés, et en particulier à son confrère
le Tserkovnyi Viestnik, organe hebdomadaire de l'Académie de Saint-
Pétersbourg, qu'on ne saurait trop recommander à tous ceux qui veulent
connaître la vie intérieure de l'Eglise russe. Ce périodique mène depuis
quelque temps une campagne fort habile en faveur du concile et di
patriarcat. En une série de Premiers-Paris anonymes — les articles ano-
nymes sont les plus intéressants dans les revues ecclésiastiques russes
— le Messager ecclésiastique répète sur tous les tons : « C'est le sobor,
c'est le patriarche qu'il nous faut. Sans le concile, pas de réforme pos
sible; sans le patriarche, le synode est acéphale et anticanonique. » 1
y a bien çà et là quelques petites contradictions. Tantôt on avoue can
didement que l'Eglise russe est en déficit sur quelques points de droi
canon. Tantôt on fait de pompeuses déclarations sur la perpétuelle cano
nicité de l'Eglise russe, et l'on affirme — évidemment sans y croire —
que cette Eglise a toujours su sauvegarder son indépendance vis-à-vî
de l'Etat (voir le numéro 2^ de cette année). Mais il faut pardonner cel
à ces champions hardis des réformes, et c'est sans doute sur la censur
qu'il faut rejeter la responsabilité de ces pieuses restrictions mentales
Toutes nos sympathies vont à ces vaillants qui, sans dire leur not
essayent de secouer le joug du césaropapisme. Qu'ils nous permettej
seulement de leur dire qu'ils ne peuvent échapper au césaropapisr
qu'en acceptant ce qu'ils appellent le papisme tout court. 11 est vj
que le papisme, ils l'ont en profonde horreur, mais on ne voit vraime
pas pourquoi, le joug du Pape étant toujours plus doux que celui
César, et son fardeau plus léger. L'Eglise des sept conciles ne portai
elle pas allègrement ce joug et ce fardeau?
îLa première assemblée générale de l'Edinoyiérié.
Il paraît qu'en ces derniers temps l'Eglise russe avait couru un gra\
danger par le fait de quelques Jésuites, qui avaient subrepticemei
CHRONIQUE DE L EGLISE RUSSE 4S7
passé la frontière pour convertir non pas tant les orthodoxes que ceuK
qu'on appelle les Siarovières, Staroobriadsy, Raskolniki, c'est-à-dire les
vieux-croyants, vieux-ritualistes ou schismatiques.
A Moscou, on découvrit un beau jour un vrai nid de propagandistes
avec plus de sept cents convertis, exactement 370 femmes et 332 hommes.
Un Jésuite de nationalité allemande, le P. Félix Virsinski, qui s'occupait
activement d'augmenter ce petit troupeau, fut dénoncé par des con-
vertis mal convertis, et reçut, au printemps de 191 1, l'ordre du ministre
de l'Intérieur de quitter la Russie dans le plus bref délai. Le Novoïé
Vremia, pris d'un zèle soudain pour V orthodoxie , mena une campagne
vigoureuse contre les propagandistes, et l'un de ses rédacteurs,
M. Engelhart, écrivit un article savoureux, \n\Xi\x\é Jésuites et Occultistes,
dans lequel les fils de saint Ignace sont présentés avec le plus grand
sérieux du monde comme les chefs de la confrérie occulte des marti-
nistes, destinée à faire pièce à la franc-maçonnerie et lui empruntant
son vocabulaire.
Ce qu'il y avait de plus grave, c'était — chose incroyable — que
les vieux-ritualistes manifestaient un vrai penchant pour le papisme.
On comptait déjà quelques prêtres siarovières convertis au catholicisme.
La validité de leur ordination avait été admise par les théologiens du
Vatican (i). Si ces vieux Russes commençaient à prendre le chemin
de Rome, jusqu'où n'irait-on pas? Il fallait à tout prix enrayer le mou-
vement. Prise de jalousie en voyant que ces bons raskolniks, qu'elle a
si durement traités, lui préféraient l'Eglise romaine, l'Eglise officielle,
inspirée par M. Sabler, se décida à faire un geste hardi qui prouverait
aux partisans des vieux rites que les portes de l'orthodoxie leur sont
toutes grandes ouvertes. Les principaux représentants de Y Edinoviérié
furent invités à se réunir en assemblée générale à Pétersbourg pour le
22 janvier 191 2.
On appelle Edinoviérié, en Russie, le groupe des Starovières soumis
à la hiérarchie de l'Eglise officielle, mais conservant dans son intégrité
l'ancienne liturgie slave sans les modifications introduites, au xvii^ siècle,
par le patriarche Nicon. Malgré les anathèmes portés aux conciles mos-
covites de 1656 et de 1667 contre les adversaires des réformes nico-
niennes, on songea, dès la seconde moitié du xvm^ siècle, à composer
avec eux. Certains prélats, entre autres le célèbre métropolite de
Moscou, Platon Levkhine, firent remarquer qu'il y avait lieu de dis-
(i) Cette validité n'est pas admise par l'Eglise orthodoxe, sous prétexte que l'auteur
de la hiérarchie starovière dite de Bélocrinitza, le métropolite Ambroise, était un
évéque déposé et excommunié.
4^8 ÉCHOS d'orient
tinguer entre le dogme et le rite, et qu'on pouvait bien laisser aux
dissidents leurs vieilles coutumes, pourvu qu'ils reconnussent l'auto-
rité de l'Eglise. Leur voix fut écoutée, et un oukase impérial du
27 octobre 1800 consacra l'existence officielle de VEdinoviérié. On
•comptait beaucoup sur ce compromis pour détruire le raskol. En fait,
il a misérablement échoué par la faute de l'Eglise officielle, qui a trop
parcimonieusement ménagé les faveurs à ses uniates. Les anciens rites
ont été plutôt tolérés que reconnus. On a constamment refusé jusqu'ici
de donner aux Edinovières ce qu'ils ne cessent de réclamer : un épi-
scopat distinct. Quant aux anathèmes des conciles du xvii^ siècle, on
n'a pas voulu les abroger, on s'est contenté d'en faire une exégèse
qui n'a jamais complètement satisfait les intéressés. Le saint synode
a déclaré officiellement, en 1886, que les conciles n'avaient pas con-
damné les anciens rites pris en eux-mêmes, mais seulement en tant
qu'ils pouvaient servir de symbole à des interprétations hérétiques; que
si l'on avait persécuté si durement les raskolniks, c'était uniquement
à cause de leur rébellion à l'autorité de l'Eglise. Ces explications sont
spécieuses et peuvent être vraies dans une certaine mesure, mais ces
bons Starovières se demandent toujours pourquoi on a voulu leur faire
abandonner par la force, au xvii^ siècle, des coutumes liturgiques que
l'on trouve aujourd'hui innocentes. Ils se souviennent en outre qu'au
concile de 1656, le patriarche Nicon condamna leurs ancêtres comme
hérétiques, comme si en faisant le signe de la croix avec deux doigts
ils avaient professé par là-même le nestorianisme, l'existence de deux
personnes dans le Christ. (Voir l'étude de Kapterev dans le Bogoslovski
Viestnik. octobre 1908, p. 223-221.) Ils sentent vivement la défiance
et le dédain dont ils sont l'objet de la part des orthodoxes purs, et
soupçonnent toujours chez les prélats niconiens l'arrière-pensée de les
convertir aux réformes, comme si VEdinoviérié n'était qu'une étape
pour arriver à l'orthodoxie complète.
C'est pour faire disparaître ces soupçons invétérés que M. Sabler â\
résolu la glorification solennelle des anciens rites dans une assemblée "
plénière des représentants de VEdinoviérié. Elle s'est tenue à Pétersbourg
-du 22 au 29 janvier. Il m'a été impossible de trouver dans les revues
ecclésiastiques un compte rendu complet des délibérations. Le Tser-
hovnyi yiestnik n'a donné qu'un bref résumé des séances jusqu'à^
25 janvier matin, dans son numéro du 2 février. Quant à la revue
saint synode, elle a gardé le silence jusqu'au 14 avril, et n'a parlé qi
des séances d'ouverture et de clôture, séances toute d'apparat, visible
ment organisées pour frapper l'imagination non seulement des Edini
CHRONIQUE DE L ÉGLISE RUSSE 459
vières, mais aussi et surtout des Starovières. Le 22 janvier, une messe
solennelle a été chantée selon le rituel pontifical du xvi« siècle dans
l'église édinovière de Saint-Nicolas, par M^r Antoine de Voihynie,
président de l'Assemblée, avec la concélébration de M. Siméon Chléïef,
curé de la paroisse Saint-Nicolas et douze autres prêtres édinovières,
choisis parmi les délégués. « Les chants ecclésiastiques d'autrefois,
disent les Tserkovnyia yiédomosti, le caractère même des cérémonies
exécutées à la perfection faisaient songer au temps où, en Russie,
n'existait pas encore le schisme ecclésiastique. On chantait en deux
chœurs. Quelques morceaux étaient exécutés par les deux chœurs
réunis, où l'on entendait quelques voix de femmes. » Au Te Deum qui
a terminé la cérémonie, ont été présents trois évêques et le représen-
tant du patriarche œcuménique, l'archimandrite Jacques. Pour que fût
complète la réhabilitation des anciens rites, il fallait en effet au moins
un représentant de l'Orient grec, dont les hiérarques assistèrent aux
conciles du xvii« siècle et eurent tant de part dans la rédaction des
anathèmes.
Après la cérémonie religieuse, qui, commencée à 8 h. 1/2 du matin,
ne s'est terminée que vers 2 heures de l'après-midi, a eu lieu le banquet
chez le procureur du saint synode. La grande salle du festin était magni-
fiquement décorée aux enseignes starovières. A l'un des angles, on
remarquait dans une lumière de cierges la croix de l'autel de l'église
Saint-Nicolas, l'image de Notre-Dame de Korsoun, deux bannières
modèle préniconien, et enfin le saint Evangile. Au milieu, reposant
sur un beau tapis, une longue table présentait aux regards des assistants
ébahis des livres colossaux. C'étaient les incunables de la Russie ren-
fermant les anciens rites. Les invités étaient fort nombreux. En dehors
^es 250 délégués des Edinovières, on comptait nombre de membres
du clergé officiel blanc et noir, pas moins de dix-sept prélats, entre
autres Mgr Vladimir, métropolite de Moscou, le représentant du patriarcat
Œcuménique, etc. M. Sabler était là évidemment, puisqu'il était le
(majordome. Parmi les nombreux toasts prononcés, c'est le sien qui m'a
\t plus frappé. II a déclaré que l'Edinoviérié était une institution tout à
Fait utile dans l'Eglise russe : « L'Edinoviérié, s'est-il écrié, ce n'est pas
june étape vers l'orthodoxie; ce n'est pas un pont pour passer de l'im-
perfection et de l'erreur au meilleur et au vrai, l'Edinoviérié, c'est l'or-
thodoxie même. Les liens sacrés de l'amour du Christ nous unissent tous,
nous le troupeau de la sainte Eglise orthodoxe, d'une union que rien
;ne saurait rompre. »
I On devine qu'un tonnerre d'applaudissements a dû souligner ces
460 ÉCHOS d'orient
belles paroles. Mais voici que M. le curé de Saint-Nicolas, Siméon Chleïef,
l'organisateur du Congrès, s'est levé a son tour et a profité de l'occa-
sion pour faire l'enfant terrible. Sans détour il a abordé les deux graves
problèmes qui préoccupent tous les cœurs édinovières : la création d'un
épiscopat distinct et l'abrogation des anathèmes conciliaires.
Il a rappelé que, sous le tsar Alexandre 11, les prélats les plus mar
quants de l'Eglise officielle, Arsène de Kiev, Philarète de Tchernigov,
Macaire de Moscou, s'étaient montrés favorables à l'établissement d'une
hiérarchie édinovière. Au milieu de la chaleur communicative du banquet,
le toast de M. Chleïef a bien été la douche d'eau froide, car ni le saint
synode ni son procureur ne sont disposés à accorder aux Edinovières
ce qu'ils demandent. Si les revues ecclésiastiques se sont montrées si
discrètes à nous renseigner sur les débats de rassemblée, c'est qu'on
y a discuté chaudement et en pure perte tant sur l'épiscopat que sur
les anathèmes. On a même soulevé une troisième question : celle du
changement du nom d' Edinoviérié en celui d'ancien ritualisme orthodoxe,
pravoslavnoïe staroobriadtchestvo. Sur ce dernier point, après d'ardentes
discussions, l'accord s'est fait en vue de solliciter du saint synode la
permission d'employer la nouvelle dénomination.
A en juger par une brochure qui a paru quelque temps après la clô-
ture de l'Assemblée, et dont les conclusions ont été approuvées par les
Tserkovnyia l^iédomosti {n° 19, p. 811), les Edinovières n'obtiendront
aucune de leurs demandes, et de la première assemblée générale de
V Edinoviérié de toutes les Russies, il ne restera guère que le souvenir:
des pompeuses cérémonies et du joyeux banquet qui l'ont inaugurée.)
En effet, dit M. N. Griniakine, l'auteur de la brochure en question, 1
changer le nom d' Edinoviérié en celui d'ancien ritualisme orthodoxe ferait^
nécessairement supposer que l'Eglise orthodoxe est nouvelle-ritualiste,
ce qui est un mensonge de raskolnik, contredit par l'histoire de l'an-»
tique liturgie. Demander un épiscopat édinovière ou bien une Commis-
sion édinovière auprès du saint synode paraît aussi déraisonnable
qu'anticanonique, et contraire à une religion éclairée. Ce sont les ras-
kolniks qui ont soufflé cela aux oreilles des Edinovières. Enfin, des,
savants comme N. I. Soubbotine, 1. Ph. Nilski, le P. Paul le Prussieni
ont suffisamment démontré que les anathèmes de 1656- 1667 étaient!
dirigés non contre les anciens rites, mais contre les raskolniks rebelles
à l'autorité ecclésiastique, et accusateurs de l'Eglise orthodoxe.
L'entêtement des Edinovières à maintenir leurs importunes réclama-^
tions n'a pas empêché le président de l'assemblée, Mê^r Antoine de
Volhynie, un Russe de vieille roche, point familiarisé du tout avec la
CHRONIQUE DE l' ÉGLISE RUSSE 46 I
théologie catholique, d'écrire une longue lettre à la fois doucereuse
et hautaine à tous les Starovières séparés pour les inviter à entrer en
masse dans V Edinoviérié . S'adressant aux Starovières de la hiérarchie
de Bêlocrinitza, il leur a expliqué que la persuasion qu'ils ont de la
validité des ordinations faites par le métropolite Ambroise repose
sur une hérésie latine puisée par les leurs en Autriche en même temps
que l'hérésie impie sur la conception virginale (beiciemennom = sine
semine), immaculée de la Mère de Dieu par Joachim et Anne (i).
Les Latins, continue le prélat sur un ton qui sent son Michel Cérulaire,
rejettent le sixième concile œcuménique (entendez le concile in Trullo)
et les neuf conciles locaux, ainsi que les règles canoniques des saints
Pères par lui confirmés et acceptés. Ils rejettent également trente des
quatre-vingt-cinq canons apostoliques (nous les lâchons même tous). De
plus, chez eux, il y a le jeûne du samedi; tous les prêtres sont céliba-
taires (horreur!); on y croit à la primauté du Pape; on y boit du lait les
jours de jeûne et l'on fait bien d'autres sottises.
Je pense qu'après avoir été renseignés sur ces énormités par
Mg»" Antoine, les bons Starovières ne se laisseront plus prendre par les
Jésuites et qu'ils courront en foule dans le giron de la sainte Eglise
orthodoxe. Tout de même, l'archevêque de Volhynie gagnerait à être
un peu plus moderniste.
Je n'ai encore rien dit de l'affaire Héliodore-Raspoutine-Hermogène,
ni des relations de l'Eglise et de l'Etat, ni des exploits de M. Sabler à
la Douma en faveur de l'Eglise, ni des canonisations en perspective, ni
des missions, ni des nouveaux vicariats, ni de cent autres faits divers
capables d'intéresser nos lecteurs. Ce sera pour une autre fois.
E. Martinovitch.
(1) Les Starovières de Bêlocrinitza admettent le dogme de l'ImmacuIée-Conception
dans le sens défini par Pie IX. (Voir Echos d'Orient, t. XII, p. 32 1 sq.) Vous pensez
s'ils ont dû rire de la bourde de M" Antoine.
A PROPOS D'UN BULLAIRE MARONITE
L'article qui suit a pour but de compléter notre article des Echos
d'Orient concernant la même question (i).
Au sujet du latin personnel à l'auteur du Biillarium Maronitarum ,
nous n'avons pas cru devoir parler en détail de certaines fautes, dont
la principale est signalée par M. Karalevsky à la page 466 de son article.
Quant au texte lui-même du Bullaire, il nous a très souvent semblé
mal établi; mais, n'ayant pas les documents sous la main, nous avons
préféré garder le silence.
Nous sommes heureux d'apprendre par M. Karalevsky qu'il existait
des archives vaticanes antérieures à 13 13. Le contraire nous paraissait
étonnant. Aussi n'avons-nous pas hésité à écrire : Cette partie du Bul-
laire, que nous aurions préféré voir débuter en 1182, et nous donner
quelques documents relatifs à la première conversion des Maronites, etc. (2).
En ce qui concerne les documents du Vatican (3) et les autres, nous
pensions de bonne foi que l'abbé maronite les avait réellement com-
pulsés. Nous avouons nous être trompé. 11 est vrai qu'il ne nous était
guère possible de faire vérifier les dires de l'auteur.
Nous avons donc le regret de constater que Dom Anaissi n'a pas
seulement le tort d'attaquer sans preuve les adversaires de la perpétuelle
orthodoxie des Maronites, mais qu'au point de vue critique M. Kara-
levsky a en partie raison d'appeler son ouvrage « un mauvais travail ».
En partie, disons-nous, car le docte prêtre gréco-slave nous paraît par
trop sévère en donnant à entendre que, tel qu'il est, le Bullarium Maro-
nitarum ne peut rendre un service sérieux aux savants qui n'auraient
sous la main que cet instrument de travail.
A. C.
Les lecteurs des Echos d'Orient connaissent déjà le Bullarium Maroni-
tarum récemment publié par le R^e Tobie Anaissi. Que ce livre ait pu
être appelé à rendre de très grands services, c'est ce que personne ne
contestera. Je voudrais seulement examiner ici s'il a été entrepris avec
toute la rigueur des méthodes exigées aujourd'hui pour des travaux
(i) L'Eglise maronite et le Saint-Siège (iSiS-igii), Echos d'Orient, janvier 191s
p. 28-37.
(2) Op. cit., p. 28.
(3) A partir de i3i3.
A PROPOS d'un BULLAIRE MARONITE 46}
de ce genre, et si on peut vraiment s'y fier en vue d'études historiques
ou canoniques.
En effet, lorsque l'on jette les yeux sur la préface du Bullaire, on est
tout d'abord surpris de voir énoncer l'affirmation que les archives du
Saint-Siège n'ont commencé à être tenues qu'à partir d'Innocent 111
(i 198-12 16), alors que chacun sait qu'elles ont existé dès une époque
très ancienne, et que le premier armadium de Y Archivio secreto renferme
encore trois volumes se rapportant aux pontificats de Jean Vlll (872-
882) et de saint Grégoire VII (1073- 1085), épaves de l'ancien dépôt
renfermé au moyen âge dans la iurris chartularia, incendiée durant les
troubles sans nombre du « siècle de fer ».
Comme sources de son Bullaire, le R^e Anaissi dit avoir compulsé
pendant dix ans documenta ex tabulario Sanctce Sedis, Bibliotheca
yaticana aliisqiie Urbis bibliothecis, Bullariis, historicorum libris et nostri
ipsius Hospitii-Collegii scrinio. Nous allons voir ce qu'il en est en réalité.
Dans l'immense collection des manuscrits latins du Vatican, il y en
a un qui porte le numéro 7 258, et que le Bullaire cite bien vingt-six
fois (p. 6, 13, 18, 65, 106, 116, 128, 139, 140, 142, 143, 145, 156,
157, 170, 176, 179, 180, 181, 184, 185, 186, 195, 197); deux autres
fois (p. 18, 56) la référence porte par erreur 7257; il faut lire 7258,
car le codex 7 257 est un recueil d'extraits de Pères grecs et latins,
écrit au xvii^ ou au xviip siècle, d'après des manuscrits du Vatican,
et qui ne renferme rien de maronite. Un examen attentif des documents
dont les références sont données aux pages 25, 35, 40, 52, 59, 70, 72,
76, 78, 9'i, 112 (deux pièces), 113, 115, 121, 125, 131, montre qu'ils
ont été copiés sur ce même codex 7 258, bien qu'il ne soit pas indiqué.
Cela fait donc en tout quarante-cinq pièces tirées d'un seul manuscrit
de la Vaticane. Cela méritait au moins quelques mots sur une source
aussi importante et sur sa valeur; le R^e Anaissi n'en dit pas un mot.
Le codex Vat. Lat. 5 328 est cité quatre fois (p. 76, 83, 100, 103,
auxquelles on aurait pu ajouter 87 et 97), mais on ne nous dit pas en
quoi il consiste. De même, pas la moindre bibliographie ni un mot
sur la valeur de la liste des patriarches maronites d'Antioche que l'on
it page 553 sq.
Voici maintenant ce que sont les deux codices Vat. Lat. 7 258 et 5 528.
Le codex 7 258 est un recueil composite de vingt-deux documents,
qui ont donné après la reliure un in-4'^ de 260 folios; en un mot, c'est
jLin de ces recueils de Miscellanee, comme on en rencontre tant dans
es archives romaines. Les folios 19-130, qui forment la sixième pièce
tiu recueil, portent le titre suivant :
464 ÉCHOS d'orient
Index bullarum seu Brevium apostolicorum a Romanis Poniijicibus
ad Antiochenos Maronitarum Patriarchas missarum, ab anno Domi-
nicœ Incarnaiionis MCCXV adannum MDCCVI, nempe ab Innocentio III
ad Hieremiam Patriarchatn usque ad Clemeniem XI féliciter regnantem,
seu ad Jacobum Petrum, Antiochenam sedem nunc gubernantem.
Et au folio suivant, une note nous apprend l'origine de ce recueil :
Hanc Brevium apostolicorum collectionem Romatn misit Illustrissimus
■et Reverendissimus Pater D. Simon Avodius, Damascenœ Ecclesiœ
archiepiscopus meriiissimus, Maronitarum Collegii olim alumnus
Illustrissimo Domino ac doctissimo clarissimoque viro Josepho Simonio
Assemanno (sic), Summis Pontijicibus, S. R. E. Cardinalibus, Prœsu-
libus, omnibus Urbis civibus advenisque acceptissimo, ejusdemque Col-
legii jam alumno, cum Adm. R. P. D. Paulo Israël Aleppino, monaco
(sic) Maronita Ordinis S. Antonii Magni; qui Romam appulit ad'
SS. Pétri et Marcellini Hospitium die 18 decembris, anni iyi5.
Plus loin, fol. 130 v:
Hœc omnia latine transcripsit in Canobinensi patriarchio Reverendm
■admodum Dominus Abraham Metoscita Cyprius, Maronitarum Collegii
jam alumnus, Gamblinensis postmodum ecclesiœ in Cypri insula paro
chus, ac rector.
Nous sommes donc en présence d'un essai de Bullaire maronite di'
au célèbre Joseph Simon Assémani. Il n'eût peut-être pas été mauvai
de le rappeler, surtout lorsque l'on en a si largement profité que 1'
fait le Rme Anaissi.
Les copies faites par Abraham Metochita sur les originaux conservé
à Qânoûbîn ont été exécutées avec beaucoup de soin, avec plus d
soin que la transcription de ces mêmes copies, par le Rn^^ Anaissi
comme on va pouvoir s'en convaincre tout à l'heure. De son côtt
Assémani se livra à des recherches personnelles dans les archives d
Vatican, qui, à cette époque, ne s'ouvraient que bien rarement au
profanes. Les folios 1 31-146 du même codex 7258 nous donnent u
recueil de ce genre, et l'on reconnaît sans aucune peine l'écriture d'A;
sémani. La suite s'en trouve aux folios 197-202, mais ce sont des pièce
concernant les Coptes, ce qui prouverait qu'Assémani avait des proje
encore plus vastes, et qu'il avait peut-être l'intention d'éditer un grar
Bullarium orientale. En tout cas, les folios 131-146 du même codex noi
donnent un autre recueil encore de lettres des Papes à propos des Mar
nites, extraites de la collection des conciles de Labbe, mais non pli
de la main d' Assémani. Aux folios 153-168 se trouve une copie di
A PROPOS d'un BULLAIRE MARONITE 465
ctes consistoriaux pour la préconisation du patriarche Jean Bâr-
Aakhloûf en 1608; ils manquent dans le recueil du R'ne Anaissi. Les
olios 159-177 sont un recueil fait par des mains diverses de pièces sur
es Maronites, reliées pêle-mêle ensemble; les folios 178-196 regardent
ss Coptes, ainsi que les folios 197-202, comme nous l'avons vu; sans
ouloir m'étendre sur le reste du codex, je me borne à signaler le
olio 260 : Propositio Ecclesice patriarchalis Antiochenœ nationis Maroni-
ariun in Consistorio die 27 aprilis ijo^, pour le patriarche Jacques
Aoûàd, qui manque de même au R'"'' Anaissi.
Quant au codex 5 528, il fait partie d'une série concernant les diffé-
ents collèges de Rome, et est intitulé Collegium Maroniticum. Ce
l'est rien moins que le rapport des visiteurs du collège à Sixte-Quint;
m y trouve un certain nombre de documents intéressants, entre autres
e synode de 1 580, sous le patriarche Michel Bar Yoûhannân, d'ailleurs
léjà connu depuis sa publication par le R. P. Antoine Rabbath, dans
;es Documents inédits (i).
Ce sont là les deux sources manuscrites les plus importantes du
3ullarium Maronitarum. Le R'"e Anaissi est-il allé collationner sur les
raiisumpta ou sur les minutes originales, aujourd'hui accessibles à tous,
:es copies de seconde main? Quelques vérifications m'en font fortement
iouter, comme on le verra.
On pourrait au moins supposer que le Rme Anaissi a dépouillé avec
ioin les sources déjà imprimées. J'ai voulu le vérifier en me bornant à
■.elles qu'il cite. Or, p. 406, on trouve une référence conçue d'une
nanière un peu sommaire : Theiner, éd. Florentina, 18^4, p. 1 ^^. Ce
jui veut dire : A. Theiner, démentis Xiy Pontifias Maximi epistolce et
nevia selectiora. 11 y en a plusieurs éditions; j'ai sous les yeux celle de
lilan, 1833; '^ I^'"® Anaissi n'a pas vu que le Bref Plurima paterni,
\i 6 avril 1771, est adressé à neuf évêques maronites (éd. de Milan,
'. 166). 11 est vrai qu'il est intitulé simplement: l^enerabilibus Frairibiis
biscopis Beryti, Heiiopolis, Constantin, Tripolis, Aleppi, Cœsarece, Arcœ,
ystrœet Cypri. Pour les compilateurs pressés ou distraits, le P. Theiner
urait dû évidemment ajouter Maronitis.
Parmi les sources imprimées que le R™^ Anaissi ne cite pas, mais que
3Ut le monde connaît, sauf lui, semble-t-il, il y a les deux volumes
iubliés en 1894 à Naples par Mk'" Raffaele de Martinis, et intitulés:
tencdicli Xlî^ acta, sive nondum, sive sparsim édita; il aurait pu y puiser
\. Rabbath, S. J., Documents inédits pour servir à l'histoire du christianisme
J urient. Paris, igo5, t. I", p. i52 sq.
\ /-^c/jos d'Orient, t. XV. 3o
466 ÉCHOS d'orient
non moins de six documents. De même pour les Acta Gregorii XV.
édités en 1901-1902 par D. A. M. Bernasconi; il y aurait trouvé le Bn
RenunciaHim Nobis du 10 novembre 1835.
M'étant livré à un examen consciencieux d'une partie du BuUain
que je n'ai pas continué parce qu'il aurait fallu tout refaire, et que mo
but était simplement de me rendre compte de sa valeur comme instri
ment de travail, je crois devoir en faire profiter mes lecteurs. Ce ser
en même temps la justification de tout ce que j'ai avancé jusqu'ici.
P. I : dans la référence, ajouter tome h^, et, au lieu de Maronitensi
lire: Episcopo Maronitanensi. Labbe et Cossart ont lu: In eodem moa
archiepiscopo Maronitano.
P. 2 : Cette Bulle d'Innocent III a été répétée presque mot pour me
par Alexandre IV en 1256; voir les corrections plus loin, à propc
des pages 9 sq.
P. 7, ligne 3 : au lieu de quas, lire quod. — Ligne 24, le mot Grat\
n'est pas le nom propre de l'auditeur Alexandre.
La note PUlippus prior , des pages 7-8 est du R^e Anaissi, bie
que rien ne l'indique, la référence n'est pas exacte; le Bullaire de Clur
ne renferme rien à ce sujet à l'endroit indiqué, ni même ailleurs. Quai
à la source ainsi libellée : Mosebemius, Hist. eccl. et Matheus, Pari
vol. III, p. ^ç8 {sic), en voici le sens : Mosebemius est Johann Lorej
von Mosheim (1694-17 55), historien luthérien, qui a écrit des Instii
tiones Historiœ eccJesiasticce et des Institiitiones historiœ christianœ majoré
je n'ai pas vérifié ce qu'il peut dire des Maronites. La note du R™« AnaU
est l'analyse d'une lettre du Fr. Philippe, provincial des Dominical
de Terre Sainte, écrite en 1237 à Grégoire IX. Elle se trouve dans (
chroniqueur anglais du xiif siècle, Matthceus Parisiensis ou Pan
Cf. Mattbœi Pai'is monachi Albanensis Angli historia major, juà
exempt ar Londinense i^yi Verbatim récusa , editore Willielmo IV ù
S. T. D.; Londres, 1640, in-folio, t. II, p. 440-441, ad annum i23
.P. 9, doc. 5 : le sommaire est incomplet, et l'adresse Populo Mare
tarum in PP. M. inintelligible. Comme les fautes sont nombreuses,
cite les lignes du document.
Ligne 9 : après investigabiles, ajouter sint.
Ligne 24 : avant confirmare, ajouter sua.
Ligne 74, au lieu de consuetudinibusque Ecclesiœ RomancB, lire Eccles
Romance consuetudinibus. m
Ligne 78 : au lieu de scilicet, lire videlicet. De même ligne 86»«
Ligne 80 : au lieu de Groccensis, lire Grœcensis. ^
Ligne 87 : au lieu de Epipbania Domini, le manuscrit copié fi(}ê
I
A PROPOS d'un BULLAIRE MARONITE 467
ment par Abraham Metochita, qui savait le grec, porte Epiphania, ij'spa-
banti; il est facile d'y reconnaître l'appellation du moyen âge de la fête
ie la Présentation : Hypapante, ce qui n'est autre chose que le grec
j7ra7:avTrj .
Lignes 92-93 : au lieu de consecrationis tuœ, dictœ Ecclesiœ tuœ prin-
:ipaUbus, le manuscrit porte tuœ consecrationis die, Ecclesice tuce princi-
balibus. Ligne ici, au lieu de et, lire vel.
Ligne 107 : au lieu de prœdictis, lire prœdicta.
Ligne 121 : au lieu de Ugo, le manuscrit porte Udo; c'est le cardinal
Odo de Castro Radulphi, évêque de Tusculum, mort en 1273 (Eubel).
Ligne 129 : au lieu de Ottobre, lire Ottobonus.
Ligne 133 : ajouter vero après pontificatus.
P. 13, doc. 6: dans le codex 7258, la pièce commence ex abrupto
par Nec hoc dicimus. Le titre et l'adresse ne s'y trouvent pas. Au milieu,
au lieu de prœter venim jacturam, lire prœter rerum jacturam.
P. 17, ligne 19: au lieu àt fidelium, lire Christifidelium.
Ligne 21 : au lieu de reddens, lire reddent.
P. 18, dernière ligne: au lieu de 7 2^y, lir^ 72^8.
P. 19 : toute la note Natio Maronitarum est empruntée à Wadding,
bien que cela ne soit pas indiqué.
P. 27 : dans le sommaire, les mots Marci de Flo. G. O. M. de O. ne
sont guère compréhensibles; il aurait fallu : Marci de Florentia, Guar-
iiani Ordinis Minoriim de Observantia. — Ligne 21 : au lieu de insti-
tîitos, lire constitutos. — Ligne 25 : au lieu de mitram, ccetera, lire mitram,
t cœtera.
P. 28, ligne 6 : au lieu de ut dilectissimos, lire in dilectissimos. -^
jgne 22 : au lieu de hac optima, lire bac mente et optima. — Avant-
lernière ligne, corriger Nos ea omnia sumus en Nos eo anima sutnus.
P. 29, ligne 2 : au lieu de prcefacturi, lire patefacturi simus. '—
igné 13, corriger Dilectis Filiis {Maronitis), Satutem en Dilecti Filii,
\aliUem. — Ligne 17 : au lieu de apud Biruthi, lire apud Biruthum. —
Jgne 31 : au lieu de inspirante, lire inspirasset. — Ligne 32 : au lieu
le îiobis, lire vobis.
P. 30 : les lignes 3-5 ne renferment pas moins de six fautes; il faut
es rétablir ainsi ;
Sumusque non solum avidi, sed etiam ardentes^ vobis ea indicia amoris
lostri ojferre, quibus agnoscatis bene vobis et saluti vestrœ consuluisse,
eum qui hanc vobis mentem inspiraverit.
Ligne 10 : au lieu de sint, lire fiant. — Ligne 12 : au lieu de impar-
b
468 ÉCHOS d'orient
timus, lire impariimiir. — La dernière phrase de ce document, particu-
lièrement maltraitée, doit être rétablie de cette manière :
Nos Deum Omnipotentem et misericordem supplices deprecaijiur, ui
vobis tribuat ea agere atgue perjîcere, quœ illius sanctissimœ fidei ei
omnium fidelium christianorum saluti sint oppoi'tuna.
P. 35, à la référence. Les archives de la Propagande, Miscellanee,
vol. 16, fol. 18 ^-19 v», contiennent une Morum Maronitariim relatio
per fratrem Franciscum Surianum ad SS. D. N. Leonem PP. X, dont il
existe d'ailleurs une copie plus lisible dans le même volume, fol. 23-24 v.
P. 37. On pourrait ajouter à cet endroit la Bulle De salute gregis
Dominici, du 13 des calendes de septembre 1515, par laquelle Léon X
accorde une indulgence plénière en certains jours à l'église patriarcale
des Maronites. Archives de la Propagande, Miscellanee, vol. 16, fol. 15.
P. 52, au bas: à cet endroit, le codex 7258, fol. 66, donne l'indi-j
cation que voici :
Epistola Hadriani PP. VI ad eumdem Simonem Patriarcham Maro
nitarum anno i522, mense octobris 22, quœ sic incipit : « Adrianu.
Epps, Servus servorum Dei, Venerabili Fratri Petro sedenti supn
sedem Antiochenam, salutem. » Vide Albertum Mireum, « Politiœ ecch:
siasticœ » liber secundus, cap. 3°, « De Maronitis ».
Le Rn^« Anaissi n'a pas cherché cette lettre.
P. 55, vers la fin: ce n'est pas Alexandrum de la Balle, mais bie:
le célèbre voyageur Alexandre délia Italie.
P. 36, ligne 9 : au lieu de et si simus, lire etsi scinius. — Lignes 25-26
corriger ipso assidere en isto assidue. Avant-dernière ligne, lire : Blosiu
et non Blasius.
P. 64, ligne 6 : lire Galeatus et non Galeatius. — Ligne 23 : au lie
de corrigabis servabis, lire corrigatis serveiis.
P. 65, ligne 9: au lieu de sequiretur, hortatur, lire sequeretur, boi
talus. — La ponctuation des lignes 12-13 ^st mise à rencontre d;
sens. — Ligne 26 : au lieu de attribuitur, lire attribiiito. — Ligne 3 ;
une note n'aurait pas été de trop pour expliquer le mot singuli<i
Machiademos, ou plutôt, comme porte le manuscrit, Machadenios;
s'agit des anciens et notables du peuple, en arabe 'al machaîhh. Enfi:
la date du document est fautive ; au lieu de Octobris, il faut lire Novembr.
P. 72: toute la fin de ce document, que le R'^^^ Anaissi remplai
par le signe etc., se trouve bel et bien dans le codex 7 2=^8, fol. S
ligne 7, avant la fin de la page: Utinam vero quemadmodum;
manque ainsi une page et demie.
A PROPOS d'un BULLAIRE MARONITE 469
P. 75, ligne 26: au lieu de in signum, lire insigne videlicet.
P. 76, ligne 2 : après quant, ajouter eisdem. — La date est mal donnée;
1 faut aprilis et non pas atigUsti. Dans la signature, ce n'est pas
Zar{olus) Glorierius, mais Cœ(sar) Glorierius.]e néglige plusieurs fautes
le ponctuation et d'orthographe, que le lecteur pourra corriger lui-
nême. — Au bas de la même page se trouve un document non numé-
oté, sans sommaire; c'est la proposition consistoriale du patriarche
*tichel Bâr Yoûhannân, qu'il faut dater du 14 des calendes d'octobre
t non pas du 75; de plus, il manque toute la suite, qui occupe deux
>ages entières du manuscrit.
P. 77, ligne 6, avant la fm ; au lieu de scies, il faut sciens.
P. 78, ligne 7 : au lieu de etc., il aurait fallu une trentaine de lignes
[ui se trouvent dans le codex 7 258, fol. 84, vers la fm. Le R"»» Anaissi
pris tout simplement une édition du synode libanais, dont il n'indique
['ailleurs pas l'année (c'est Veditio princeps latine, imprimée par la
*ropagande en 1820) (i), et qui ne donne qu'un texte tronqué.
P. 83, ligne II : après siispensionis, ajouter hujusmodi. — Ligne 16:
,u lieu de prohibentes, lire prohibentis.
P. 84, ligne 2} : au lieu de consueverint, Wvf consueverunt.
P. 85, ligne 16: au lieu dejuliis, lire de Juliis.U s'agit de l'ancienne
nonnaie pontificale appelée giulio. — Ligne 18 : au lieu de sepulturœ,
ire sepultiiris.
P. 88, ligne i : au lieu de insinuandum, lire insummandum. — Ligne 8,
près inane, lire decernentes si secus quidquid super his... — Ligne 15 :
u lieu de cui, lire si. — Ligne 17 : au lieu de prœdictœ, etiam, lire prœ-
Hctorum et. — Ligne 25 : au lieu de etiam, lire et.
P. 89, ligne 4 : corriger Joanni enjoannis. — Ligne 7 : au lieu de et,
ire ac. — Ligne 13 : au lieu de congrue, lire congrua. — La date est
autive; au lieu de duodecimo, il faut undecimo.
P. 90, ce document, pour lequel aucune référence n'est indiquée, a
té pris dans le codex 7 258, fol. 86-87. — Ligne 11 : au lieu de eleva-
ionem missœ, lire celebrationem missœ. — Ligne 23, après corriu Evan-
elii, ajouter : ac superpellicio induio constituto super ejus humer is impo-
ens — Ligne 24 : au lieu de simili hoc, lire similibus. — Ligne 33,
re ainsi : in privilegiis sibi ab eadem Sede concessis, cum Archiepiscopalis
ominis appellatione. — Dernière ligne : au lieu de Taddeo, lire Daddeo.
P. 91, ligne I : au lieu de Reci, lire Rui:{^. — La note: // medesimo
Notaio) dello stesso tenore ne fait pas partie du texte, mais est une
{i) In-4', p. [iv]-xi-482.
470 ÉCHOS D ORIENT
addition du manuscrit. — Avant-dernière ligne, au lieu de Sedem ipsain,
lire Sedem Apostolicam. — Dernière ligne, avant quasdam, ajouter per.
P. 92, ligne 3 : au lieu de et, lire ac. — Ligne 26 : au lieu de sententiis,
lire ceriis.
P. 93, ligne 2 : au lieu de odore, lire ardore. — Ligne 9 : après scientia,
ajouter Nostra. — - Ligne 23 : au lieu de perinde ac, lire proinde ac.
P. 94, lignes 31-32 : au lieu de in posterum, mettre imponendis, qui se
trouve à la ligne suivante. Au lieu de etiam, lire et. — Lignes 34-35 :
au lieu de grasciœ, lire Grassœ-.
P. 95, ligne 18: les mots concedimus illaque eis commwticamus ne se
trouvent pas dans le manuscrit. — Ligne j} : au lieu de consolatur,.
lire consulatur.
P. 96, ligne 4 : au lieu de et loco amovendorum, lire ac loco illorum.
— Ligne 8: corriger expediens en expedire. — Lignes 13 et 32: au
lieu de etiam, lire et.
P. 97, ligne 2 : au lieu de exprimendoque valore etiam, lire exprimendo
etiam valorem. — Ligne 24 : au lieu de ohservata, lire servata; les mots
prœsentibus pro su-fficienier expressis habentes ont été ajoutés avec raison
par les éditeurs du Bullaire romain, édition de Turin, suivis par le
Rrae Anaissi; ils manquent dans le codex 5528, fol. ï2-v°, sur lequel
j'ai fait ma collation. Par contre, les clausules Nulliergo... Siquisautem.
y sont in extenso. La date est fautive : au lieu de kalendas, il faut idus.
P. 99, lignes 13-14: au lieu de rivalidari, subreptivis, obreptivis, lire
invalidari, subreptionis , obreptionis. — Ligne 21 : au lieu de imque, lire
unquam. — Ligne 36 : au lieu de clausibus, lire clausulis. — Dernière
ligne et p. 100, ligne i : au lieu de porrectas générales, il faut per clatù-
sulas générales.
P. 100, ligne 5 : au lieu de si suo, lire in siio. — Ligne 29 : au liei
de Fraxinorio, lire Fraxinovo.
P. 10 1, ligne 16: au lieu de resolvet, lire resultet. — Ligne 17: ai
lieu de annum, lire annuum. — Ligne 35 : au lieu de bis, lire lis.
P. III, ligne 1 2 : au lieu de dum morem illius geniis factiim, \vê
secundum morem illius gentis factam. — Ligne 19 : au lieu de in signunà
lire insigne. — Ligne 25 : ajouter après assignandum : et per jiuntU
tuos prœdictos ditximus destinandum.
P. 112, ligne 2 : au lieu de sollicites, lire sollicite. — Les fautes coiïl
mises dans 4a transcription de ce document montrent qu'il a été cof
non sur le registre des Archives vaticanes, comme le dit la référen^
mais bien sur le codex 7258, fol. 87.
P. 119, au milieu: la référence Ex regest. in Secret. Breviimt
A PROPOS D UN BULLAIRE MARONITE 47 I
ane bévue pour la formule bien connue : Registrata in Secretaria Bre-
vium, qui se trouve à la fin de bon nombre de Bulles.
P. 120, ligne 24: au lieu de constiiuisse, lire constitutum esse.
P. 121, ligne I : au lieu de quomodolibet, lire quetnlibet. — Ligne 12:
m lieu de perpeti, lire perpati. Ces deux fautes se trouvent bien dans
'édition du synode libanais faite par la Propagande, mais non pas
ians le codex 7258, fol. 93-96.
P. 124. Le sommaire de cette pièce est mal fait; il faudrait y ajouter :
ma vice tautum, anno 161 2. Le codex 7 258 dit plus justement : Epistola
ijusdem Pauli l^ ad Patriarcham Joannem Edettensem pro indulgentia, amw
j6i2 (fol. 93).
P. 134. L'original sur parchemin de ce document se trouve dans le
:odex 72^8, fol. 249; il suggère quelques corrections que voici:
§ i''»' : au lieu de instruantur, lire instruerentur. — | pi' des règles, à
a fin, ajouter : Omnes tamen tenentur subséquentes régulas observare. —
I 2, ajouter le titre De pietate. — | 4 : au lieu de missa, lire missam. —
1 10, ajouter le titre De studiis. Au lieu de turcam, lire turcicam.
P. 138, ligne 13 : au lieu de pascentem^ lire parentem. — Ligne 20:
lu lieu de exaudiendos, lire erudiendos. — Ligne 25 : au lieu de pepe-
mit, lire pepererunt. — Ligne 3 1 : au lieu de Pontifias, lire pontificii.
— Ligne 39: au lieu de consultari, lire consulturi.
P. 139. Le sommaire est complètement inintelligible. — Ligne 15 :
lu lieu de jejungat, lire sejungat. — Ligne 25 : au lieu de amore, lire
irmare. — Ligne 26 : le manuscrit donne bien Pater discordiarum , mais
I semble bien que le sens demande Pater misericordiarum . — Ligne 30 :
u lieu de coerere, lire coercere.
P. 140, lignes u, 12, 14: corriger vixillo, Turcorum, deservit, en
>exillo, Turcanim, disseruit. (i) — Ligne 16: mettre un point après
urare, et continuer ainsi : Ex eo prœsentem Italiœ statum —
-igné 18 : au lieu de duciiorem, lire ductorem. — Ligne 22 : au lieu de
rocuratoribus, lire proceribus. — Ligne 2} : au lieu de pro, lire pia. —
V la suite de ce document, le manuscrit mentionne (fol. 148 v») une
lUtre pièce que le R'^e Anaissi n'a pas recherchée, et dont le codex
lonne l'incipit et le desinit :
Dilectis Jiliis rectoribus catholicis Ecclesiarum Syriœ et Palestinœ,
Jrbanus PP. VIII : Dilecti Filii, salutem, etc. Contrit io et injelicitas
n viis universœ carnis. Datum Romœ, apud sanctum Petrum, die
4/ebruarii i63o, Pontijîcatus Nostri anno VIII.
(«)?(A. C.)
472 ÉCHOS D ORIENT
P. 141, dernière ligne: au lieu à.t propugnatoribus, lire propagaioribus.
P. 142, ligne 4: au lieu de Armamenioria. lire armamentaria. —
Ligne 8: au lieu de Principi, lire Princeps. — Ligne 12: au lieu de
perfrueris. Vire perfruaris. — Ligne 14: au lieu de orabis, lire iiobis.
P. 143, ligne 4 : au lieu de parte, lire partent. — Ligne 22 : au lieu
de Amairœ, lire Amirœ. — Ligne 24 : au lieu de Edensi, lire Edenensi.
P. 144, avant-dernière ligne: au lieu de regeretur, lire regetur.
A la fin de ce document, le codex ajoute : DelV istesso tenore, e con l'is-
tesse parole, Innocentio X scrive al patriarcha Giuseppe Accurense, che era
prima arcivescovo di Saida, confermandolo patriarcha. Datum Romce apud
sanclam Mariant Majorent, anno Incarnationis Dominicœ 1646, 4° Idibiis
septembris, Pontificatus Nostri anno vigesimo. — Registrata in Secretaria
Breviiim. M. Costa. Cette mention et ce document manquent.
P. 133 : dans l'adresse, lire Besbel au lieu de Sebel, et supprimer le
mot Patriarcha. — Ligne 19: au lieu de dum, lire secundum.
P. 154, ligne I : au lieu de servatione, lire reservatione . — Ligne 29 :
au lieu de fructuoso, lire gratioso.
P. 157, ligne 17 : au lieu de servos, Vntsensus. Lignes 25-26 : au lieu de
et omnibus, lire ac ovibus. — Dans la référence, ïnefol. 1^0 et non 14c.
P. 169, ligne 21 : au lieu de/, m., lire felicissimce recordationis. —
Ligne 2j : au lieu de prœstit, paternœ charitatis, lire prcestitit, paternce
quia charitatis. — Ligne 29 : corriger credituramque en creditorumque.
P. 170, ligne I : au lieu de Inde facientem, lire Indeficientem. — Ligne
3 I : au lieu de Sebel, lire Besbel.
P. 179, lignes 20 et 22: corriger ipsam en istant, et constiltari en
consulturi.
P. 184, dans le titre, il faudrait ajouter: ad decennium.
P. 185, ligne 33: au lieu de existit, lire existis. A la fm, le codex
ajoute, fol. 259 :
Idem est Brève mtssum ad ires prœdiclos, scilicet ad Cais, Chaledet.
Torbei, sed Brève mtssum ad Torbei, in principio sic habei : « Dilecté'
Fili, salutem et Apostolicam Benedictionem. Ex Romani, etc. » Et in
medio : « Nobis super hoc humiliter porrectis inclinati, ipse qui, ut]
asseris, Venerabilis Fratris moderni Archiepiscopi Tripoliiani pr<^\
rtepos existis, Auratœ Miliiiœ equitem, etc. », et in superscriptione^
« Dilecto Filio Torbei filio Jacobi Maroniiœ. »
P. 209, après la date, ajouter : Joannes Christophorus Archiepiscopi^
Amasenus.
P. 214, ligne 24 : au lieu de ceriantnr, lire lœtantur. — Lignes }2-y^
corriger impendamus et Fraternitates en impendimus et Fratres.
A PROPOS d'un BULLAIRE MARONITE 473
P. 21--,, ligne I : au lieu de cerie. lire esse. — Ligne 35 : au lieu de
volui/niis, lire iioluinms.
P. 216, ligne 5 : au lieu de anitentur, lire wiitentiir. — Ligne 1 1 : au
lieu de seatndiim, lire seciim. — Ligne 3 i : au lieu de Nec, lire ex et
supprimer le point qui est avant. — La formule apnd sanctiim Petrum.
est oubliée et le folio du codex est le 151-v".
P. 219: le codex donne ce sommaire, qui est meilleur: Poiitifex
^elum Episcopi Botrensis in resarcienda diœcesi laudat, eique facultatem
impertiendi indulgeiitiam plenariam in articulo mortis concedit. —
Ligne 24 : au lieu de obtulerunt, lire attulerimt. — Ligne 27 : corriger
Ttiisqiie et ciirasset en Fuitque et curas et.
P. 220, ligne 2 : au lieu de tuorum, lire inealiir. et unitate au lieu de
unione. — Ligne 9 : corriger largaris en largiaris.
Je n'ai pas poussé plus loin cet examen fastidieux, et je ne mentionne
ici que les fautes des documents que j'ai collationnés. Cela suffit pour
montrer la valeur de ce mauvais travail. Le Bullaire maronite est com-
plètement à refaire, et, en voyant ce bel assemblage de fautes, on ne
peut s'empêcher de sourire en lisant dans la préface ces paroles du com-
pilateur :
Statuunt atque demonstrant prœterea documeiita hœc, rem historicam
magni momenti, perperam ab adversariis, parum veritatis amicis,
negatam: id, est, perpetuus atque constans animus majorum nostrorum
in fide catholica profitenda atque tuenda, veluti rosa inter spinas, tôt
sœculorum intei'vallo atque finit arum gentium conatibus.
Tout d'abord, pour rendre cette phrase intelligible, il manque, après
atque, un mot essentiel : non obstantibus, par exemple. Ensuite, après
avoir édité des textes de cette façon, un peu plus de modération n'aurait
pas, ce semble, été de trop.
Je n'ajoute qu'un mot sur la liste des patriarches maronites qui est
donnée à la fin du volume. Elle est reproduite d'une manière abrégée,
d'après une publication du P. Jean Notain Dara'oûnî, imprimée à Rome
en 1881 et intitulée: Séries chronologica Patriarcharum Antiochiœ per
Josephum Simonium Âssemanum Syro-Maronitam , nunc primum ex codice
Vaticano édita. in-S», p. iv-43, et qui fait naturellement de saint Pierre
le premier patriarche maronite.
Je n'avais d'abord établi cet errata que pour mon usage personnel,
mais des amis ont pensé qu'il pouvait être aussi utile à d'autres; c'est
ce qui m'a déterminé à le publier.
Cyrille Karalevsky,
prêtre du rite gréco-slave.
Rome.
BIBLIOGRAPHIE
Bibliotheca hagiographica latina antiquœ et jnediœ œtatis. Supplementi
editio altéra auctior. Ediderunt Socii Bollandiani. Bruxelles, 191 1,
in-8°, viii-355 pages. Prix : 12 francs.
Bibliotheca hagiographica orientalis. Ediderunt Socii Bollandiani.
Bruxelles, Société des Bollandistes, 1910, in-8°, xxiii-288 pages. Prix:
20 francs.
Nous n'avons pas à apprendre aux lecteurs des Echos d'Orient quel
centre de haute culture et d'érudition critique est la Société des Bollan-
distes de Bruxelles. Dans le domaine de l'hagiographie, dont on sait la
grande importance pour les études historiques, ces religieux catholiques
sont des maîtres éminents dont les érudits du monde entier reconnaissent
l'autorité. Non contents de continuer, par les imposants in-folio qui
s'appellent Ac^a Sanctorum et par le recueil périodique des Analecta bol-
landiana, la grande œuvre de Bollandus, ils s'astreignent à fournir à
tous les travailleurs, dans une précieuse collection de Subsidia hagiogra-
phica, le meilleur bénéfice de leurs méthodes et de leurs recherches. C'est
le but visé et réalisé par une série déjà très riche de catalogues et de réper-
toires hagiographiques.
Nous avions déjà la Bibliotheca hagiographica latina, à la fin de
laquelle on avait inséré un supplément. On vient de nous donner de ce
supplément une seconde édition, qui en est une refonte, et qui forme un
beau volume de 36o pages. Afin d'en rendre le maniement plus commode,
on a pris soin, à l'aide de chiffres ou de caractères spéciaux, d'indiquer
de fréquents renvois à l'ouvrage auquel celui-ci sert de supplément.
L'ordre suivi est l'ordre alphabétique des noms des saints; trois saintes
anonymes sont reléguées à la fin. Puis viennent: un appendice sous ce
titre : Vitœ sanctorum brèves in unum collectœ; une importante série
d'Addenda et quelques Emendanda qui attestent une fois de plus le soin
minutieux apporté à la rédaction et à la publication de ces précieuses
notes; enfin un Index auctorum très complet et très précis.
L'Orient occupe une large place dans l'hagiographie ancienne. Les Bol-
landistes on.t déjà fourni aux esprits désireux d'explorer ce domaine une
Bibliotheca hagiographica grœca qui, parue en 1895, a eu, en 1909, les
honneurs d'une réédition, disons mieux, d'une refonte. (Voir Echos
d'Orient, t. XIII, 1910, p. 366-367.) ^^ ^- P- Peeters vient d'y ajouter une
Bibliotheca hagiographica orientalis, pour laquelle il a fait un très méri-
toire dépouillement de textes des diverses langues orientales : arméniens,
coptes, éthiopiens, syriaques, arabes, géorgiens. La méthode suivie est
toujours la même; elle vise au maximum de précision possible. Rien
:i
BIBLIOGRAPHIE 47^
n'est négligé de ce qui peut faire atteindre ce but : indications de manu-
scrits, variantes, éditions, etc. Le savant orientaliste écrit très justement
dans sa préface : Nondum enim in litteris Orientis christiani tam
beata condicione vivitur ut quantulacumque subsidia fasiidire liceat
(p. ix). Le livre est sorti des presses de l'imprimerie des Jésuites de Bey-
routh, ce qui est une recommandation de plus en faveur de son exacti-
tude typographique.
Le P. Albert Poncelet, dans sa préface à la réédition du supplément
de la Bibliotheca hagiographica latina, faisait allusion au travail con-
sidérable exigé par la publication de ce répertoire : Indicem tllum, in
quem multum iempus laboremque impendimus (p. vi). Ces mots, égale-
ment vrais des deux ouvrages que nous annonçons, étaient écrits en
décembre igii. Un mois après, le 19 janvier 1912, le signataire de cette
préface mourait à Montpellier, à l'âge de cinquante et un ans. Les études
hagiographiques ont perdu en lui un ouvrier de grande valeur.
S. Salaville.
A. Papadopoulos-Kerameus, Texte Grecesti privitoare la istoria româ-
neasca (t. XIII de la Collection Hurmu^aki : Docutnente privitoare la
istoria Românilor). Bucarest, 1909. Un vol. grand in-4°, [jlt, '-619 pages.
Prix : 25 francs.
L'infatigable éditeur de textes grecs qu'est M. Papadopoulos-Kerameus
a recueilli dans ce volume, qui forme le treizième de la collection Hur-
muzaki, publiée par l'Académie roumaine, un nombre considérable de
pièces inédites se rapportant à l'histoire politique, littéraire et religieuse
des Grecs et des Roumains sous la domination turque, depuis le xvi^ siècle.
Ces documents sont rangés sous vingt-sept divisions de longueur très
inégale et de contenu très divers. On en trouve une brève analyse dans
la préface, qui renseigne également sur leur provenance, fournit parfois
des compléments et fait connaître les auteurs. M. P. Kérameus s'arrête
surtout à un polygraphe remarquable du xv!!!"* siècle, Sévastos Kymé-
nitès, et il dresse la liste de ses oeuvres, qui ne comprend pas moins de
107 numéros.
Il serait trop long de donner une analyse détaillée de tous ces docu-
ments. Contentons-nous de signaler les principaux à l'attention des lec-
teurs. Ce sont d'abord les Histoires d'Alexandre Mavrocordatos, qui
nous livrent des renseignements fort intéressants sur la politique, la
diplomatie et les expéditions militaires des Turcs au xvii* siècle. Le Con-
stantinopolitain Aphentoulis nous fournit ensuite quelques pièces rela-
tives au séjour du roi de Suède, Charles XII, à Bender, après la conclusion
d€ la paix entre Ottomans et Moscovites. Puis viennent : le Journal de
Constantin Karatzas; des extraits de l'historiographe Athanase Comnène
Hypsilantis, précieux pour l'histoire de la littérature grecque moderne;
476 ÉCHOS d'orient
un panégyrique de Sophrone Likhoudis en l'honneur du voïvode Jean
Servanos; plusieurs panégyriques profanes et deux homélies de Sévastos
Kyménitès; Vénumération en vers des sanctuaires célèbres et des monas-
tères dédiés à la Panaghia (principalement en Grèce et en Turquie),
par César Dapontès; une liste des sultans, des grands vizirs et des voï-
vodes de Moldo-Valachie, ainsi qu'unegénéalogie des familles phanariotes,
dressées par un anonyme; un certain nombre de lettres de Mélèce Pigas,
patriarche d'Alexandrie, de Dosithée de Jérusalem et de plusieurs autres
célébrités grecques des derniers siècles; quelques lettres officielles de
patriarches oecuméniques, parmi lesquelles nous avons remarqué la lettre
d'absolution post mortem Aélivréo, par Callinique II en faveur du voïvode
Constantin Servanvoda, pièce que les théologiens de Vorthodoxie, adver-
saires des indulgences latines, ne sauraient trop méditer; les Maximes
ou Sentences du voïvode Nicolas Alexandre Mavrocordatos, qui sont fort
belles; des compléments importants à l'ouvrage déjà édité d'Athanase
Comnène Hypsilantis : Ta p-exà Tr,v aXwaiv, etc., etc.
Cette sèche et très incomplète énumération suffit à montrer que M. Papa-
dopoulos Kérameus et l'Académie roumaine ont bien mérité de la science
historique en présentant au public ce volume, qui fait grand honneur
à la collection Hurmuzaki. M. Jugie.
I. K. HoLL, Die handschrijtliche Ueberlieferung des Epiphanius {Anco-
ratus und Panarion). Leipzig, J. C. Hinrichs, 1910, in-8° iv-98 pages.
Prix : 3 marks.
!I. I. Heikel, Kritiscke Beitraege \uden Constantin-Schrijten des Euse-
bius {Eusebius Werke Band I). Leipzig, J. C. Hinrichs, 191 1, in-S",
100 pages. Prix : 3 marks 5o.
Ces deux études font partie des Texte und Untersuchungen \ur Ges-
chichte der altchristlichen Literatur de A. Harnack et C. Schmidt,
t. XXXVI, fascicules 2 et 4.
I. Celle de K. HoU est consacrée à la tradition manuscriptielle des
œuvres de saint Epiphane. Le savant critique passe successivement en
revue les deux groupes de manuscrits renfermant ces œuvres, le groupe
ancien et h groupe plus récent. Au premier groupe appartient le Vati-
canus 5o3, le Genuensis 4, le Marcianus i25, YUrbinas 17/18 et le Vindo-
bonensis suppl. gr. 9 1 . Au second se rattachent le Rhedigeranus 240, VAn-
gelicus 94 et les Parisini 833/835, leJenensis et les Laurentiani vi, 12
et Lix, 21. L'érudit philologue note avec soin les différences que présentent
<:es manuscrits et les rapports à établir entre eux. Son travail, qui est
une précieuse contribution à l'établissement critique du texte de saint Epi-
phane, se termine par un appendice sur l'inauthenticité de VAnakepha-
iaiosis.
II. C'est un travail analogue que nous donne Ivar A. Heikel au sujet
BIBLIOGRAPHIE 477
des écrits d'Eusèbe concernant Constantin. C'est M. Heikel qui a publié,
en igo2, le premier volume des œuvres d'Eusèbe dans la collection
patristique de l'Académie de Berlin. Les recensions ou études suscitées
par son édition lui ont donné occasion de revenir plus à loisir encore
qu'auparavant sur certains points, et il nous présente le résultat de ses
nouvelles recherches, qui confirment ses premières déclarations. Il étudie
tout d'abord assez longuement la célèbre oratio ad sanctorum cœtum
(dans MiGNE, P. G., t. XX, col. i23o-i3i6), pour aboutir à conclure que
ce discours n'est pas authentique, qu'il n'est « qu'un mauvais travail
d'écolier » (p. 49). Comparer avec l'opinion de dom Pfaettisch, résumée
dans Echos d'Orient, t. XII, 1909, p. 255-256. Puis M. Heikel examine
quelle est la valeur du Marcianus 340 en ce qui concerne la Vita Con-
stantini et l Oratio, présente de nouvelles collations faites sur le meilleur
manuscrit qui existe, le Vaticanus 149, étudie la composition du Laus
Constantini, et enfin les titres de chapitres. Ces derniers ne peuvent pas
être d'Eusèbe, puisqu'ils contiennent des termes étrangers à la langue de
l'historien et qui supposent une date bien postérieure. On ne saurait trop
apprécier ces « contributions critiques » d'un philologue qui compte
parmi les plus compétents. S. Salaville.
F. Ehrle, s. J., et P. Liebaert, Specimina codicum latinorum Vatica-
norum{Tabulœ in usum scholarum, III). Bonn, A Marcus et E. Weber,
1912, in-4'', XXXVI pages, 5o planches. Prix: 6 marks.
Les études paléographiques devront beaucoup à la collection de Tabulœ^
in usum scholarum dirigée par M. Hans Lietzmann, et dont le présent
ouvrage constitue le troisième volume. Le R. P. Ehrle et M. Paul Liebaert
ont uni leur collaboration pour offrir aux étudiants un choix des manu-
scrits latins du Vatican, extraits profanes ou sacrés, d'auteurs classiques
ou ecclésiastiques. Les dates de ces manuscrits s'échelonnent entre le
iv"^ siècle et la fin du xv^ Ces extraits sont reproduits en d'excellentes
planches phototypiques. Une notice est consacrée à chacune délies, don-
nant toutes les indications critiques concernant la provenance, l'époque,
l'état du manuscrit, les éditions. Quand les textes sont plus difficiles à
lire et moins connus, copie entière en est donnée. Tout est mis en œuvre
pour rendre faciles et attrayants aux étudiants les exercices de paléogra-
phie latine. D. Servière.
E. Martini, Textgeschichte der Bibliotheke des Patriarchen Photios von
Constantinopel. I Theil : Die Handschriften, Ausgaben und Uebertra-
gungen. Leipzig, G. Teubner, 191 1, in-S", i34 pages et 8 planches en
phototypie. Prix : 7 marks {Abhandlungen der philologisch-historis-
chen K lasse der kœnigl. sœchsischen Gesellschajt der Wissenscha/ten,
n" VI ).
478 ÉCHOS d'orient
On sait l'importance de la Bibliotheca de Photius comme source litté-
raire, cet ouvrage contenant les résumés des livres lus par le célèbre per-
sonnage. Or, ce recueil attend encore son édition critique. Cette édition,
M. E. Martini la prépare d'une manière très scientifique par l'étude des
manuscrits, des éditions et des traductions diverses qu'il a publiée dans
les Mémoires de la section philologique et historique de l'Académie de
Saxe, n° vi. Le docte critique y fait l'histoire du texte de la Bibliotheca
depuis le plus ancien manuscrit connu jusqu'aux éditions les plus récentes.
On y sent une précision impeccable et une maîtrise du sujet à laquelle
on peut avoir pleine confiance. Le catalogue des manuscrits dressé par
Harles, puis par Hergenrœther, est considérablement augmenté et rectifié
par M. E. Martini : vingt-quatre codices sont indiqués et décrits, qui con-
tiennent le texte intégral ou presque intégral de la Bibliotheca; vingt-
huit autres en ont des extraits plus ou moins étendus. Les deux plus
anciens manuscrits, le Cod. Marcianus grœc. 460 (A), du x« siècle, et le
Cod. Marcianus grœc. 45 1 (M), du xii« siècle, sont seuls indépendants;
tous les autres se rattachent soit à A, soit à M, soit à une combinaison
de l'un et de l'autre. Huit reproductions phototypiques des principaux
manuscrits forment un intéressant appendice à cet excellent ouvrage, dont
la continuation et l'achèvement seront salués avec grande joie par les cri-
tiques, et spécialement par les byzantinistes.
S. Salaville.
J. Behm, Die Handaujlegung im Urchristentum nach Verwendung.
Herkunft und Bedeutungin, religionsgechichtlichem Zusammenhang
untersucht. Leipzig, A. Deichert, 191 1, in-8", vi-208 pages. Prix
4 marks 5o.
Le rite de l'imposition des mains est un des rites de la liturgie chré-
tienne les plus intéressants à étudier. En usage déjà chez les Juifs, on h
voit pratiqué par Jésus-Christ dans l'Evangile ; puis, dès la première heure
par l'Eglise, qui l'emploie dans les cérémonies du baptême, de la confiri
mation, de l'ordination, de la réconciliation des pénitents et des héré
tiques. Un théologien protestant, M. J. Behm, s'est proposé de recherche:
à travers les documents de l'antiquité chrétienne les divers cas de l'emplo
de ce rite, son origine et sa signification. Les deux premières parties, plu:
positives, sont bien traitées. L'auteur a méthodiquement recueilli lei
textes et les a, semble-t-il, bien mis en valeur, d'une manière générale
bien qu'il soit loisible à chacun de n'être point toujours de son avis su
telle interprétation de détail. Mais dans la troisième partie, où il s'agit d
déterminer la signification du rite chrétien de l'imposition des mains
la mentalité protestante de l'auteur se trahit, au détriment, croyons-nous
de l'objectivité scientifique. Sans doute, il déclare bien voir dans ce rit
un signe efficace de la communication d'une vertu de vie sainte, de 1
BIBLIOGRAPHIE 479
communication de l'Esprit-Saint. Mais cette vertu de vie, cette commu-
nication de l'Esprit-Saint aurait consisté, selon le concept que M. J. Behm
prête aux premiers chrétiens, en une sorte de fluide mystérieux transmis
par l'imposition des mains (p. igS)! Sous le bénéfice des graves réserves
qu'impose une interprétation aussi tendancieuse, et, disons le mot, aussi
étrange, cette monographie mérite d'attirer l'attention des théologiens et
des liturgistes.
S. Salaville.
F. Chalandon : Jean H Comnène (1118-1143) et Manuel /" Comnène
{1143-1180). Paris, Picard, 1912, in-8", Lxiv-710 pages. Prix: 20 francs.
Depuis plus de dix ans, M. Chalandon nous faisait espérer la continua-
tion de ses études sur l'empire byzantin aux xi" et xir siècles. Le présent
volume, fruit de patientes recherches, vient heureusement mettre un
terme à cette longue attente. Les deux règnes de Jean II et de Manuel I"
Comnène y sont étudiés avec un soin minutieux; la documentation est
abondante, la critique avisée. Nous souhaitons que l'auteur nous donne
bientôt la suite de son œuvre, ainsi qu'il l'annonce dans l'avant-propos
afin que nous ayons sur l'histoire et la civilisation de Byzance au xir siècle
un tout complet. L'identification des lieux a été faite d'après les plus
récentes découvertes. Cependant il a échappé certaines petites erreurs de
détail : Pernik (p. 3gj) a conservé son ancien nom et ne s'appelle pas
Petrische; Scadra {ibid.) est Scodra ou Scutari d'Albanie. Berrhoé a
depuis longtemps abandonné son nom turc de Eski-Sagra pour le nom
bulgare de Stara-Zagora. Une singulière distraction fait dire à l'auteur
dans l'index alphabétique qui termine l'ouvrage que Chrysopolis est Scu-
tari d'Albanie, au lieu de Scutari de Bithynie, faubourg asiatique de Con-
stantinople. L'absence de cartes françaises détaillées pour l'Orient est
vraiment regrettable, car elle oblige les auteurs à se servir de cartes alle-
mandes ou anglaises qui transcrivent très imparfaitement les noms indi-
gènes. Nous le déplorons une fois de plus. C'est ainsi que l'on arrive à
écrire Lali Barga pour Lulé Bourgas, Enguri pour Angora, sandschak
pour sandjak, etc. L'auteur n'aurait-il pas bien fait de traduire pour les
profanes les noms de fonctionnaires byzantins tels que hétériarque, ves-
tiariste, éparque, skeuophulax, pansébaste, chef du kaniklée, logothète du
drome, acolouthe, logariaste, etc. ? Ces taches légères enlèvent bien peu
de mérite à une œuvre d'aussi grande valeur, qui étudie une partie de
l'histoire byzantine encore assez peu connue. Nous sommes heureux de le
reconnaître.
R. Janin.
La Palestine, guide historique et pratique avec cartes et plans nouveaux
par des projesseurs de Notre-Dame de France à Jérusalem, 2« édition.
Paris, Bonne Presse, 1912, in-i6, xL-720 pages. Prix, 10 francs.
480 ÉCHOS d'orient
La première édition de ce guide avait été saluée avec joie par les amis
des études bibliques et palestiniennes. On y trouvait une érudition tou-
jours sûre d'elle-même et toujours intéressante, une critique impartiale
— chose fort difficile pour certaines questions brûlantes, — une clarté et
une précision qui facilitaient au lecteur l'intelligence des problèmes par-
fois complexes qui se posent au sujet des Lieux Saints. La deuxième édi-
tion, depuis longtemps attendue, sera certainement mieuv accueillie
encore. Les auteurs y révèlent une fois de plus leur souci de l'exactitude
et de la saine critique. Non contents de corriger de petites erreurs de
détail qu'on leur avait signalées, ils n'ont pas hésité à refondre entière-
ment plusieurs passages pour les mettre d'accord avec les découvertes
faites depuis la première édition. C'est ainsi qu'ils ont étudié à nouveau
la question d'Emmaûs et celle du palais de Caïphe, qu'ils ont modifié
d'après les travaux les plus récents ce qui regarde la basilique de l'Eléona
au mont des Oliviers, la Jéricho primitive, le lieu du baptême de Notre-
Seigneur, Mambré, l'antique Samarie et l'église de l'Annonciation è
Nazareth. Parfois ils ont dû renoncer à quelques-unes des hypothèses
qu'ils avaient d'abord proposées dans la première édition, preuve évidente
qu'ils ont le plus grand souci de l'impartialité. D'aucuns leur reproche-
ront peut-être d'étonner la piété des pèlerins en discutant la valeur des
traditions relatives à certains sanctuaires, mais ils ont pensé avec raisor
que seules les traditions basées sur des témoignages anciens et séricu?
méritaient notre créance.
A l'étude de la Palestine, les auteurs ont eu l'heureuse idée de joindn
un travail très complet et très savant sur la Syrie centrale. Heureuse idée
disons-nous, car cette contrée appartient de droit aux pays bibliques
Enfin un appendice de 97 pages donne un aperçu des principales curio
sites qu'offre une excursion autour de la Méditerranée. Ce qu'on y trouv<
sur Naples, Athènes, Constantinople et l'Egypte suffit à renseigner le
voyageurs qui ne disposent pas de beaucoup de temps.
72 cartes et plans, dans le texte ou hors texte, dont une trentaine entiè
rement nouveaux, illustrent l'ouvrage. Les cartes ont le grand méritS
d'être très claires, de ne présenter que les indications essentielles, ce qu
en rend la lecture très facile. Nous leur ferons cependant un reproche
A première vue, on croirait que la Palestine est abondamment pourva
de routes carrossables. N'eût-il pas été préférable d'indiquer par deux trait;
les rares grand'routes et par un trait seulement les innombrables sen
tiers qui sillonnent le pays?
L'ouvrage se présente avec une élégante reliure souple, moins modes^
que sa sœur aînée et du plus heureux effet. C'est de tout cœur que nou
lui souhaitons un grand succès auprès des amis de la Palestine, car il |
mérite à plus d'un titre.
R. Janin.
992-12. — Imp. P. Ferok-Vrao, 3 et 5, rue Bayard, Fans, 6°. — Le gérant : E. Petithenry^
PHILIPPE STANISLAVOF
APOTRE DES BULGARES PAVLIKANS
AU XVir SIÈCLE
Dans un précédent article, j'ai présenté aux lecteurs des Echos d'Orient
le premier livre néo-bulgare imprimé à Rome en 1641, VAbagar de
Philippe Stanislavof, évêque catholique de Nicopolis (i). L'auteur de
ce recueil mérite mieux qu'une notice purement bibliographique. Je
voudrais aujourd'hui esquisser une biographie de ce missionnaire des
Bulgares Pavlikans au xvii« siècle.
Philippe Stanislavof était originaire d'Oréché, village catholique situé
à une dizaine de kilomètres au sud-est de Svichtov, sur les bords du
Danube. Cette localité, qui comptait alors soixante-dix maisons pavli-
kanes et environ 400 habitants, avait été convertie au catholicisme par
le Franciscain bosniaque Fra Pietro Budi da Soli, que le Pape fit évêque
de Sofia, et qui est plus connu dans les documents de l'époque sous
He nom de Salinati, 1 605-1 623. Philippe Stanislavof dut grandir au
moment où ce zélé missionnaire exerçait là son apostolat, et c'est sans
(doute par lui qu'il fut envoyé à Rome pour y faire ses études. Les
documents nous le signalent comme élève du Collegium lllyricum,
comme élève des Pères Franciscains (2), comme élève de la Propa-
gande (3). Après son ordination sacerdotale, le pape Urbain Vlll le
prit à son service en qualité de traducteur pour les langues slaves (4).
, (i) Le premier livre néo-bulgare : V « Abagar •», de l'éj'èque Stanislavof, dans
Echos d'Orient, septembre 1912, p. 442-448.
(2) E. Fermendziu, Acta Bulgariœ ecclesiastica ab a. i565 ad a. 1799, dans les
Moniimenta spectantia ad historiam Slavorum meridionalium édités par l'Académie
jougoslave de Zagreb, t. XVIII. Zagreb, 1887, p. 190. Les documents de ce précieux
recueil seront constamment utilisés au cours de ces pages. Le seul travail bulgare sur
riode et le sujet qui nous occupent est celui de M. Miletitch : /^ istoriata na beul-
• kata katolichka propaganda vo xvu vék (de l'histoire de la propagande catholique
'.ulgarie au xvu' siècle), dans la revue Beulgarski Prégled, t. I", 1894, p. 62-82,
i)0. Voir aussi la monographie du même auteur, intitulée: Nos Pavlikians.ou
Hulgares Pauliciens. Sofia, igoS. Je dois remercier ici plusieurs de mes confrères
Bulgarie qui ont bien voulu m'aider de leurs renseignements pour traiter ce cha-
■ d'histoire religieuse bulgare.
Ibid., p. 259.
Ibid. C'est Stanislavof lui-même qui donne ces renseignements au début d'un
irt envoyé par lui à la Propagande sur son diocèse de Nicopolis, en lôSg : Phi-
us Stanislaus, sacerdos sœcularis, antiquus alumnus et missionarius ejusdem
Congregationis, ac interpres linguarum coram glor. mem. Urbano Papa VIII,
'■ppido Horrese, Nicopolitanœ diœcesis, ex gente Paulianistarum.
Echos d'Orient. — i5' année. — A'" 97. Novembre 1912.
482 ÉCHOS d'orient
En septembre 1635, Elie Marinich, successeur de Fra Pietro da Sol
sur le siège de Sofia, écrivait à Rome pour demander qu'on lui envoya
le plus tôt possible Philippe Stanislavof. « Je compte sur lui, disait h
prélat, pour convertir son village natal, infesté par les erreurs pav
likanes. » (i)
La conversion opérée par Pietro da Soli était, en effet, bien loir
d'avoir été la transformation complète des habitants d'Oréché. Deu:
prêtres avaient été laissés dans le village pour y continuer l'œuvre d<
catholicisation. Mais un jour les nouveaux convertis se révoltèrent e
demandèrent qu'il leur fût permis de manger, de boire, de danser e
de s'enivrer dans l'église selon leur ancienne coutume. Le métropolit
orthodoxe de Tirnovo profita de l'occasion pour les attirer à lui, e
n'hésita pas, afin d'y parvenir, à soudoyer jusqu'aux Turcs eux-mêmes
Salinati fit tant et si bien, qu'il finit cependant par avoir le dessus
vers 1620 (2). Mais on devine bien qu'il restait encore beaucoup
travailler sur ces populations grossières.
La demande d'Elie Marinich fut agréée, car en 1636 Stanislavof
trouvait à Oréché, d'où il renseignait personnellement Rome sur le
erreurs bizarres de ses compatriotes.
Ils s'appellent Romains et papistes, écrit le nouveau missionnaire;
ne reconnaissent d'autre pasteur que le Pape. Mais quand nous lei
disons que nous avons séjourné à Rome et que nous avons vu le Pap
ils nous répondent que personne ne peut voir le Pape. Le Pape est
lointain qu'il faudrait vivre cent ans, avoir des ailes et voler pendai
cent ans pour le voir (3).
Le 15 octobre 1640, Pierre Bogdan ou Déodat, évêque de Gallipc
et coadjuteur de Sofia, trouve à Oréché 480 habitants catholiques, ui
église en bois bien misérable exigeant des réparations et de laquell
pour comble de malheur, les Turcs voulaient encore s'emparer po
en faire une mosquée. Le nombre des maisons turques s'élevait alo
à une trentaine, ce qui donnait une population musulmane de 150 pe
sonnes. C'étaient, pour la plupart, des janissaires et des gens d'influenc
attirés depuis vingt ans par la situation du village et la fécondité du st
Malheureusement, quelques Pavlikans renégats s'étaient joints à eu
Le travail ne manquait donc pas pour le missionnaire à Oréché,
les difficultés. La solide instruction qu'avait reçue Stanislavof, son zè
sa connaissance de ses compatriotes, lui permirent d'exercer unegran
(i) E. Fermendziu, op. cit., p. Sg.
(2) Ibid., p. 17-18, 86-87.
(3) Ibid., p. 42.
PHILIPPE STANISLAVOF, AP. DES BULGARES PAVLIKANS AU XVII'' S. 483
influence. Au premier synode diocésain de Sofia, tenu du 18 au
20 août 1641 dans l'église de l'Assomption, à Chiprovatz, sous la
présidence de l'évêque Pierre Bogdan, Philippe Stanislavof est nommé
parmi les témoins synodaux chargés de veiller à l'exécution des mesures
prises et d'examiner les réformes ou les améliorations à introduire
dans le diocèse. 11 est mentionné avec le titre de missionnaire aposto-
lique chez les Pavlikans.
Testes synodales Inter Paulianistas : Rêver. Dominus Pliilippus
Stanislauus, alumnus sacrœ Congregationis de propagandafide, et mis-
sionarius apostolicus {i).
Dans les souscriptions du synode, la signature de Stanislavof occupe
le quatrième rang après l'évêque, le custode de Bulgarie, qui était
aussi vicaire général, et un troisième Franciscain qui avait lui-mèlne
été custode (2). C'est dire la considération dont notre missionnaire
devait être entouré et le rôle important qu'il dut jouer.
C'était d'ailleurs quelques mois avant ce synode, le 6 mai 1641,
qu'avait été imprimé à Rome YAbagar, le recueil religieux composé par
Stanislavof à l'usage des Pavlikans.
Un détail du long rapport qu'il envoya à la Propagande la onzième année
de son épiscopat, en 1659, sur l'état de son diocèse, nous fait con-
naître quelles furent, dès 1635, sa vie et sa méthode d'apostolat. Il était
vraiment le missionnaire allant d'un endroit à l'autre, partout où les
intérêts catholiques avaient besoin d'être soutenus et fortifiés. 11 ne se
contentait pas de rayonner autour de son village natal; il passait même
le Danube et allait jusqu'en Bessarabie. L'aisance avec laquelle il parlait
le turc, le tartare et le valaque, sa connaissance parfaite des mœurs et
des coutumes des habitants de ces régions, son expérience des lieux
lui facilitaient la besogne, qui n'allait pas cependant sans de graves
ditficultés. Dans son rapport de 1659, Stanislavof avoue qu'il remplis-
sait parfois son ministère au péril de ssi w'ie, cum periculo maximovitœ{}),
moins sans doute à cause des Turcs qu'à cause des schismatiques.
Aucun prêtre catholique n'avait pénétré depuis bien longtemps en Bes-
sarabie. Dès sa première année de mission, en 1635, Stanislavof se
rendit à Akkerman pour visiter les catholiques de cette ville, petit
groupe composé de quatre familles, auxquelles venaient s'ajouter, à
certaines époques, des marchands ragusains amenés par leur négoce (4).
Il) E. Fermendziu, op. cit., p. i3i.
'î) fbid., p. i32.
Ibid., p. 265.
,4/ Ibid.
484 ÉCHOS d'orient
Bien qu'il fût muni de toutes les autorisations de la part des Turcs, il
voyageait cependant incognito, pour se conformer aux habitudes du
pays, more Turcarum, et revêtait un costume qui le faisait prendre
pour un commerçant (i).
Il semble que les missions lointaines en Bessarabie aient été moins
pénibles pour Stanislavof que l'apostolat des Pavlikans de son propre
pays et des régions environnantes. Celui-ci l'exposait à plus de vexations
de la part des Turcs, peut-être aussi à plus de trahisons de la part des
siens. C'est ce qui ressort, du moins, d'une lettre de François Soymi-
rovich, custode de Bulgarie et de Valachie, vicaire général de Sofia,
lettre écrite le 20 février 1647 (2). Il y est question, entre autres choses,
d'une dénonciation portée contre Stanislavof et d'impôts que les Turcs
veulent le forcer à payer tandis que les Franciscains en sont exempts,
Il est vrai que le témoignage de Soymirovich paraît quelque peu sujei
à caution ; car, comme nous allons le voir, son jugement sur Stanislavo
semble avoir été conditionné par des considérations personnelles oî
l'on aurait pu souhaiter plus de désintéressement.
C'est que, en effet, il était alors question de créer un nouvel évêché
celui de Nicopolis. Or, Marc Bandulovich, archevêque de Marcianopolis
appuyait la candidature de Philippe Stanislavof, proposé par les Pav
likans de Nicopolis.
Déjà, en 1643, Bogdan Bakchich, archevêque de Sofia, avait demand<
à Rome de diviser en deux diocèses la Bulgarie et la Valachie, qu
étaient jusque-là soumises ensemble à sa juridiction. C'est alors qui
Marc Bandulovich avait été désigné pour le nouvel archevêché de Mar
cianopolis, avec résidence à Silistra. Mais Bandulovich, qui s'était
paraît-il, compromis devant les Turcs, n'osait s'établir à Silistra et rési
dait à Bakaou, en Moldavie, sans jamais paraître dans la partie de soi
diocèse qui comprenait la Bulgarie du Nord-Est. Aussi proposa-t-il. l
2 juillet 1647, à ses catholiques du territoire turc, de choisir parm
leurs prêtres un candidat qu'il pût présenter à Rome pour le nouvç
évêché à créer à Nicopolis (3). Les Pavlikans choisirent Philippe Stan;
lavof, qui était très populaire parmi eux à cause de ses allures simpi
et de son habileté reconnue à se plier à toutes les circonstances.
Fendant ce temps, les Franciscains, de leur côté, portaient leu
(i) E. Ferendziu, op. cit., p. 266. Incedit tamen semper in habito mercatoris, mot
Turcarum, prout debent incedere legati principum, omnes catholici latini ritus
quicumque alii episcopi.
(2) Ibid., p. 176.
(3) Ibid., p. i8o.
W,
HILIPPE STANISLAVOF, AP. DES BULGARES PAVLIKANS AU XVII'" S. 48s
hoix sur un des leurs, François Soymirovich, et l'archevêque de Sofia
ppuyait instamment ce candidat (i). On en était là quand se répandit
e bruit de la nomination de Stanislavof. L'émoi fut grand à la custodie
le Bulgarie. L'archevêque de Sofia se hâta d'en aviser la Propagande,
t de demander, en guise de compensation, que Soymirovich lui fut
lu moins donné pour évêque auxiliaire. La piquante naïveté du document
talien permet de saisir sur le vif l'impression produite :
5 e sparsa la voce per guesti paesi, che Sig. D. Filippo Stanislao sia
^atto vescovo délie parti dei Paulianisti, la quai cosa hajatto non poca
'onfusione fra H religiosi di coiesta custodia, H quali speravano che
aràfatta la cosa seconda ch' io ho supplicato tante volte, per che tutti
oro desiderano che sia fatto vescovo padre fra Francesco Soymirovich^
jià da me et dalV altri tante volte raccomandato, quale potrebbe risedere
'ra di loro, come ancor io et altri vescovi habitamo nelle case de' reli-
giosi, che non potrà essere essendo un vescovo prête, come V. SS. Emi-
len^e sano benissimo
Scrissi una volta che se la sacra Congregai^ione non havesse voglia di
^are questo per adesso, almeno Io jaccino mio suffraganeo con aggion-
jere alla mia provisione qualche cosa, et dare a me amministrai^ione di
utto Io regno, et io havria cura di mandarlo per tutte le parti dove
>edero che sia di bisogno, et cosi resterebbe ogni cosa in pace et quiète.
Et qui per fine aspettando la risoluiione dell' Eminen^e vestre humilis-
nmamente le bacio le sacre vesti.
Chiprovat\, H 25 di Maggio 1648.
Fra PiETRO DioDATO, arcivescovo di Soffia (2).
Pour l'instant, toutes choses étaient loin d'être en paix et en repos,
n pace et qtiiete, à la custodie. Le 26 mai 1648, une autre lettre de
jrotestation partait pour Rome, signée des principaux représentants de
'Ordre des Frères Mineurs en Bulgarie. L'émotion s'y traduisait en
ermes plus vifs encore que dans la précédente. On y disait l'unanimité
les suffrages franciscains sur le choix de Soymirovich, puis l'amertume
le la déception causée par la nouvelle qui circulait sur la nomination
l'un séculier, Stanislavof.
Et stando noi sopra quelV aspettando de giorno in giorno resolutione
fella sacra Congregatione, e cio che adesso habbiamo inteso, per via di
^agusa, che Jorse tal cosa si fabbricava sopra la persona del Signor
(i) E. Fermendziu, op. cit., p. 182-184.
(2) Ibid., p. 184.
486 ÉCHOS d'orient
D. Filippo Stanislavo, invero contro la volontà di tutti noi et ancora di
questi christiani (i).
On le voit, les termes n'étaient pas révérencieux à l'excès. La lettre
se poursuivait sur un ton plutôt de diatribe que de courtoisie. L'arche-
vêque de Marcianopolis et les autres qui avaient proposé Stanislavof
y étaient accusés de ne rien connaître du pays, non sapendo del paese
niente. On y rappelait que la conversion des Pavlikans était due à des
missionnaires franciscains, et que, jusqu'à présent, c'était dans l'Ordre
des Frères Mineurs que l'Eglise avait choisi des pasteurs pour les dio-
cèses créés dans ce pays. Les auteurs de la lettre n'avaient pas réfléchi
que cette dernière raison pouvait aisément se retourner contre eux ;
puisqu'on avait déjà tant fait d'évêques franciscains, il pouvait paraître
raisonnable d'en prendre un dans le clergé séculier, d'autant que le
candidat choisi connaissait parfaitement les Pavlikans ses compatriotes
et leur contrée. Mais à la custodie bulgare on ne concevait pas qu'un
évêque pût vivre sur ce sol ni faire de bonne besogne s'il n'habitait pas
dans un couvent de Saint-François, à l'ombre des privilèges accordés
à l'Ordre par les Ottomans (2).
Ce qu'on craignait surtout à la custodie, c'était une série d'empiéte-
ments sur les droits franciscains, contre lesquels la nomination d'ui
séculier était une menace. Et l'on avertissait la Propagande que l'on m
souffrirait pas ces empiétements (3).
Quant à la personne de Stanislavof et à son activité de missionnaire
on la jugeait assez cavalièrement, A entendre les plaignants, Dor
Filippo n'aurait jamais vécu un seul jour parmi les Pavlikans, sa missior
n'aurait porté aucun fruit heureux, il se serait contenté de vagabonde
de ville en ville, d'avoir des relations avec les marchands ragusains qu
circulaient dans la région, mais sans résider vraiment chez les Pavlikans
Ce passage vaut d'être cité dans la saveur ironique du texte original
Devono di più sapere l'Eminen^e vostre che D. Filippo ibenche sia staÈ
missionarid) mai ha fatto un giorno fra H Paulichiani, ne meno fati
alcun bon frutto nella sua missione, ma sempre è andato tarabascand
per le terre e ciità,fra Signori marcanti Ragusini, came semplice prêt
(i) E. Fermendziu, op. cit., p. i85.
(2) Et sempre quando la santa Chiesa in questi paesi fa qualche prelato, o ve
covo, lo fa sempre délia nostra religione, et piii del paese: accio potesse con ma{
gior quiète et pace vipère con li sui religiosi nell' habita^ione loro sotto l'ombt
delli nostri privilegi, che habbiamo ab antiquis temporibus délia casa Ottoma»
perché altrimente non potrebbe vivere, ne fare cosa buona. Ibid., p. i85.
(3) Ibid.. p. 186.
PHILIPPE STANISLAVOF, AP. DES BULGARES PAVLIKANS AU XYII" S. 487
et noji risedeva Jra li Paulichiani ; et pot considerino che nejarà quando
sarà vescovo? Basta per hora, non vogliamo dire cosa veruna delli suoi
fatti et portamenti per esservi a vostre Eminem^e molesti et mostrarvisi
appassionati, solo lasciamo a pensareaW Emineni^e vostre. Nam sapien-
tibus est providere futura (i).
La passion se trahit dans ces lignes mêmes dont les signataires
déclarent que, pour ne point se montrer passionnés, ils se contentent
■des renseignements ci-dessus. Ils ajoutent, du reste, non sans quelque
.naïveté :
Si nous avions su que la Sacrée Congrégation voulait passer outre à la
lettre de Monseigneur notre archevêque, nous aurions, aussitôt après
notre Chapitre, envoyé un de nos religieux pour cette affaire. Ma stando
sopra quello, s' habbiamo trovato nella secca (2).
La confiance des Franciscains en leur cause était si grande, qu'ils
•osaient encore espérer.
Pero adesso habbiajno determinaîo con tanti pericoli mandare il lator
■délia présente, che insieme con il nosiro padre custode, quai' hora si
ritrova costi, attendino a mettere in esecutione suddetto negotio, accio
passino tutte le cose in pace et quiète (3).
L'espoir demeurait même si ferme, qu'on proposait à la Propagande,
en terminant, de donner une compensation à Stanislavof en l'honorant
d'une autre manière.
E se V. Eminen^e voranno poi dare al predetto D. Filippo qualche
honore, ail' Eminen\e V. non mancherà il modo et maniera d'honorarlo (4).
La Propagande maintint la nomination de Philippe Stanislavof à
'l'évêché de Nicopolis. Le 3 septembre 1648, Ms^ Pierre Bogdan se déci-
dait à écrire qu'il se réjouissait de cette nomination, bien qu'il eût désiré,
ajoutait-il, ce siège pour le P. François Soymirovich. « Dieu dispose
les choses selon sa volonté, écrivait-il d'un ton résigné; pour moi, je
ne désire rien autre que la paix et la tranquillité de ces chrétiens. » (5)
La campagne en faveur de Soymirovich aboutit à le faire nommer,
par décret du 11 juillet 1650, au siège de Prisren, puis en 1636, à
l'archevêché d'Ochrida (6).
(i) Acta Bulgariœ ecclesiastica, p. 186.
(2) Ibid. On pourrait traduire ainsi : « Mais en nous reposant sur la demande exprimée
par l'archevêque de Sofia, voici que nous nous sommes trouvés bredouilles. »
(3) Ibid.
(4) Ibid.
(5) Ibid., p. 187.
^6) Ibid., p. 211 et 254.
488 ÉCHOS d'orient
Le i«' mai 1649, un accord fut conclu entre le nouvel évèque de
Nicopolis et les Franciscains, spécialement représentés par l'archevêque
de Sofia et le custode. Le texte de cet accord, signé à Chiprovatz,
reconnaît que Mg"" Philippe Stanislavof est un homme vraiment dignej
de répiscopat, huomo veramente degno di tal dignità et honore (i). Maistl
comme il est le premier évêque choisi dans le clergé séculier, il importe]
de préciser le modus vivendi qui déterminera les rapports entre lui et
les missionnaires franciscains. Les Acta Bidgariœ ecclesiastica nous
donnent la teneur de cet accord, sous ce titre : Conventio inter episcopui
Nicopolitanum et fratres custodiœ Bulgariœ mutuo sensu approbata (2).
Se reconnaissant lui-même fils de la custodie, Stanislavof déclarait qu'il'
désirait vivre avec elle en bonne harmonie, vivere in pace et quiète con
tutti H padri (3).
En dépit de cette convention, une querelle ne tarda pas à surgir
entre l'archevêque de Sofia et l'évêque de Nicopolis, à propos des bour-
siers à faire élever en Italie. Dès l'origine de la conversion des Pavli-
kans, Pierre Salinati, premier évêque de Sofia avec résidence à Chi-
provatz, avait envoyé à Rome six enfants pavlikans, qui devaient être
instruits aux frais du Pape, puis revenir prêtres en Bulgarie, afin d'y
convertir leurs familles et leurs villages. Le succès de cette œuvre
encouragea Urbain Vlll à décider, en 1627, l'admission annuelle de six
Bulgares dans le Collegium Illyricum fondé à Lorette par Grégoire VllF
(1572-1582). La plupart de ces prêtres entraient dans l'Ordre des Fran-
ciscains. Ceux-ci avaient en main la mission de Bulgarie. Après avoir
dépendu quelque temps de la custodie de Bosnie, fondée au xiv^ siècle,
ils formaient, depuis le décret porté à ce sujet par Urbain Vlll en 1624,
une province spéciale, la province de Bulgarie, comprenant aussi la
Valachie. Sous l'autorité de l'évêque de Sofia, qui était toujours un des
leurs, les Franciscains gardaient ainsi le monopole de la propagande
catholique, recrutant leurs hommes les plus influents, évêques et cus-
todes, dans les meilleures familles de Chiprovatz, qui demeura long-
temps le centre de leur apostolat. Cet état de choses explique en grande
partie la campagne très ardente menée en faveur de Soymirovich^'^
originaire lui-même de cette importante localité. I
Or, Innocent X (1644-1655) voulut supprimer ces bourses spéciales,
qui n'avaient pas, pensait-il, beaucoup leur raison d'être, puisque ces
six enfants bulgares pouvaient fort bien, au lieu d'aller au Collegium,
(i) Acta Bulgariœ ecclesiastica, p. 190.
(2) Jbid., p. 190-192.
(3) Ibid., p. 191.
PHILIPPE STANISLAVOF, AP. DES BULGARES PAVLIKANS AU XVI^ S. 489
lllyricum, entrer au collège de la Propagande. Stanislavof espérait béné-
ficier de cette décision, obtenir la somme affectée jusqu'alors à l'en-
tretien des boursiers, et, grâce à ces ressources, construire lui-même
une école dans son diocèse. Mg'" Bogdan fut d'un avis contraire. 11 fut
décidé, en fin de compte, que chacun des deux évèques enverrait trois
enfants au Collegium lllyricum (1).
Stanislavof continuait à mener sa vie active de missionnaire. Malgré
ses difficultés avec la custodie, il avait la confiance de la Propagande.
Par lettre du 1 1 mai 1652, Innocent X lui confiait pour trois ans l'ad-
ministration de l'archidiocèse de Marcianopolis, vacant par la mort de
Bandulovich (2). Il garda cette charge de 1652 à 1655, jusqu'à la nomi-
nation de Parcevich.
Un rapport très détaillé, que Stanislavof envoya à Rome le 4 février 1659,
nous montre qu'il connaissait à fond son diocèse et celui de Marciano-
polis, si souvent parcourus par lui depuis vingt ans (3). Il y décrit sa
façon de vivre, qui est restée tout à fait celle du missionnaire.
L'évêque Stanislavof vit très pauvrement. Ses ressources lui viennent
des catholiques qui partagent avec lui leur pauvreté, lorsqu'il passe trois
jours ici, quatre jours là. Toute l'année, il parcourt ces contrées (de la
Bulgarie du Nord), célébrant la messe, administrant les sacrements, et
préchant comme un simple prêtre, sans rétributions et sans honoraires.
Pour faciliter ces voyages, il a reçu de nombreux privilèges des pachas et
kaimakams turcs, lui permettant d'aller partout, à cheval et en armes,
sous un déguisement laïque, et d'agir en toute liberté. Grâce à ces privi-
lèges, il a été à l'abri des persécutions turques. Grecs schismatiques et
Arméniens se font un plaisir de le recevoir dans leurs hôtelleries. Il peut
ainsi plusieurs fois par an visiter son diocèse et celui de Marcianopolis,
dont le défunt titulaire n'avait, durant tant d'années, osé entreprendre
une seule visite par crainte des musulmans (4).
Du vivant même de Bandulovich, Stanislavof faisait déjà cette visite,
sans avoir d'autre revenu que les quarante écus accordés annuellement
par la Propagande. Comme évêque de Nicopolis, il recevait cent écus
par an. Un des buts du rapport était précisément d'obtenir une aug-
mentation de cette subvention par trop modique (3).
C'était donc en vrai missionnaire que Stanislavof s'acquittait de ses
devoirs épiscopaux à travers tout le pays dont il avait la charge. Turcs,
(i) Acta Bulgariœ ecclesiasiica, p. 192, 202 et 223.
(2) Jbid., p. 225.
(3) Ibid., p. 259-266.
(4) Ibid., p, 266.
(5) Ibid
490 ÉCHOS D ORIENT
Grecs et Arméniens le prenaient pour un simple prêtre, et il devait
user de prudence, surtout en été, au moment où la circulation était la
plus active, afin de ne pas trahir son caractère épiscopal, ce qui aurait
sans doute gêné son ministère.
Nesciunt tamen Turcœ ipsum esse episcopum, et propterea œstivo
tempore caute properat, ne illum Grœci detegani, gui putant eum esse
simplicem sacerdotem (i).
La statistique de ses missions, envoyée par Stanislavof à la Propa-
gande, achève le tableau de cette vie d'évêque missionnaire. Nous la
résumons en une rapide nomenclature :
Nicopolis ne compte que des schismatiques et des Turcs. Deux mar-
chands ragusains, catholiques de rite latin, s'y rendent fréquemment
pour affaires.
Belleni : 700 Pavlikans catholiques.
Orêcljé, village natal de Stanislavof, compte 60 maisons pavlikanes
et 600 âmes. Les Turcs demandent 400 écus pour donner la permis-
sion de bâtir une église. On s'est contenté de construire une chapelle.
Il y a 30 maisons de Pavlikans islamisés.
Petkladent:{i, village converti par Salinati : i église, 90 maisons pav-
likanes, I 200 catholiques; 10 maisons de Pavlikans islamisés, avec une
mosquée.
Brestovet:{ : 30 maisons pavlikanes, 300 catholiques. Il y a 20 maisons
de Pavlikans islamisés, avec une mosquée.
Kosakovo : 30 maisons pavlikanes avec 250 catholiques; 10 maisons
de Pavlikans islamisés.
Teurnichevit:{a : 70 maisons pavlikanes, 250 catholiques, avec église
et école fondées par Stanislavof.
Dolni Loujani : 17 maisons pavlikanes, avec 150 catholiques; 30 mai-
sons de Pavlikans islamisés.
Gorni Loujani : 70 maisons, 800 catholiques, n'ayant pas d'église,
mais une simple chapelle privée.
Bakchévo : 20 maisons pavlikanes catholiques, 200 âmes; 30 maisons
de Pavlikans islamisés, avec une mosquée.
Téléjani : 20 maisons pavlikanes catholiques, 270 âmes.
Lovech n'a que quelques marchands catholiques.
Kalouguérit:{a : 40 maisons pavlikanes catholiques, 250 âmes.
Tirnovo : 170 catholiques, tous marchands ragusains, ayant ut
église dédiée à la Sainte Vierge.
(i) Acta Bulgariœ ecclesiastica.
PHILIPPE STANISLAVOF, AP. DES BULGARES PAVLIKANS AU XVlT S. 49 1
Marinopolt:^i : 30 maisons pavlikanes catholiques, 250 âmes.
Rousse : 9 maisons de marchands ragusains, 80 catholiques.
Silisira : 7 maisons catholiques, dont 3 de marchands ragusains;
30 âmes.
Rasgtad : 5 maisons catholiques, dont 2 de marchands ragusains,
30 âmes.
Choiimen : 17 maisons catholiques, dont 2 de marchands ragusains;
J20 âmes.
Provadia : 30 maisons catholiques, dont 5 de marchands ragusains;
470 âmes; église bâtie par Stanislavof.
yarna : 2 maisons catholiques de marchands ragusains; 25 âmes.
Baba : 7 maisons catholiques; 40 âmes.
Sma'ila et Kilia : chacun 30 catholiques.
Akherman : 4 maisons catholiques, 15 âmes, et souvent davantage
lors du passage des marchands ragusains (i).
Le rapport épiscopal entre beaucoup plus dans le détail et indique
de quelle manière se fait le service religieux dans chacune des localités
mentionnées, quelles sont les missions qui ont un curé ou un chape-
lain, celles qui possèdent un calice ou quelques ornements sacrés. La
pauvreté était vraiment extrême, et Stanislavof voulait décider la Pro-
pagande à lui donner quelques secours de plus. Déjà, le 20 juillet 1654,
il se plaignait, par l'intermédiaire du nonce de Pologne, que Rome ne
lui répondît pas (2).
Le rapport de 1659 obtint-il plus de résultats que ses précédentes
démarches? En tout cas, c'est la dernière lettre que nous ayons de Stanis-
lavof. Qiielques vagues indications de M^'Bogdan nous apprennent plus
tard qu'il fut déposé, mais sans donner ni la date ni le motif de cette
déposition. Il est probable qu'il faut en chercher la cause dans ses rela-
tions peut-être plus d'une fois imprudentes avec les Turcs, les Grecs,
les Arméniens et les marchands ragusains. Tous les catholiques influents
de ces pays, et à leur tête les deux archevêques de Sofia et de Marcia-
nopolis, Bogdan et Parcevich, travaillaient alors activement à liguer les
princes chrétiens contre les musulmans. Une indiscrétion de la part
de Stanislavof aurait pu compromettre non seulement l'œuvre de la
délivrance projetée, mais encore la cause catholique tout entière. On
aura donc profité des campagnes de Léopold L''' (1 661-1664) pour écarter
ce prélat, considéré comme gênant (3). Cependant, il devait encore
(i) Acta Bulgariœ ecclesiastica, p. 259-265.
(2) Ibid., p. 247-248.
(3) MiLETiTCH, article cité de la revue Beulgarsha Prégled, t. 1"', 1894, p. i65.
i
492 ÉCHOS D ORIENT
être évêque de Nicopolis en juin 1663, puisque, à cette date, Soymi-
rovich écrit de Raguse avoir appris de marchands moldaves que « Mon-
signor di Nicopoli », Stanislavof, se trouvait alors à Varna (i).
Pas plus que nous ne connaissons les motifs exacts de la disgrâce
de Stanislavof, nous ne possédons des détails concernant son exil. Les
Acta Bulgarice ecclesiastica contiennent une lettre de l'archevêque de
Sofia, Bogdan, adressée à la Propagande le 24 novembre 1670, et
demandant la grâce de l'évêque de Nicopolis. Celui-ci lui avait écrit
de Raguse pour se justifier et le prier de le recommander à Rome (2).
Par une coïncidence curieuse, c'est Soymirovich, son concurrent de
jadis, alors archevêque d'Ochrida, qui fut, vers 1672, nommé admi-
nistrateur temporaire du diocèse de Nicopolis (3).
Une chose des plus favorables à l'évêque déchu, c'est que, même
après la nomination d'un administrateur ecclésiastique, ses fidèles le
réclamaient avec instance. Le 23 mai 1673, '^ prêtre François Ricciardî
écrit de Raguse à Urbain Cerri, secrétaire de la Propagande, et le
supplie d'obtenir la grâce de Stanislavof; ses fidèles le réclament avec
d'autant plus d'instance que, depuis son départ, ils sont privés de
pasteur. Et il ajoute, par manière d'explication, que Soymirovich,
au lieu de résider à Rousse, conformément aux ordres de la Sacrée
Congrégation, passe presque tout son temps dans sa ville natale de
Chiprovatz (4). i
Ce document nous présente Stanislavof comme un prélat âgé et
souffrant : Questo povero prelato cosi vechio Monsig. Filippo vescovo di
Nicopoli, il quale è desiderato da queli popoli christiani (5). Les fatigues
et les souffrances avaient dû user l'évêque missionnaire, qui, en fait^
ne devait pas alors avoir dépassé de beaucoup la soixantaine. 11 mourut
sans avoir obtenu sa grâce, en 1674, la même année que les deux plus
illustres évêques bulgares catholiques, Bogdan Bakchich, archevêque
de Sofia, et Parcevich, archevêque de Marcianopolis.
En écrivant à Rome le 15 octobre 1675» pour demander un pasteur,
les fidèles du diocèse de Nicopolis, qui semblent avoir toujours aimé
Stanislavof, pouvaient déjà dire : « 11 y a longtemps que Mê^'' Philippe
a quitté ce monde » (6)
(i) Acta Bulgariœ ecclesiastica, p. 274.
(2) Jbid., p. 284.
(3) Ibid.. p. 286-287.
(4) Jbid., p. 287.
(5) Ibid.
(6) Ibid., p. 292.
PHILIPPE STANISLAVOF, AP. DES BULGARES PAVLIKANS AU XVII^ S. 493
Stéphane Kniajevich, successeur de Bogdan Bakchich sur le siège
de Sofia (1676), sacra évêque de Nicopolis son compatriote et confrère
Antoine Stéphanof (1677) (i).
Les Âcia Bulgariœ ecclesiastica renferment un dernier document,
qu'il faut mentionner à la fin de cette notice sur Philippe Stanislavof.
C'est l'acte par lequel, le 29 décembre 1745, l'impératrice Marie-Thérèse
d'Autriche confère au Franciscain Nicolas Stanislavich, dit aussi Pavlit-
chanich, évêque de Csanàd, et à ses neveux des titres de noblesse
austro-hongroise (2). Parmi les gloires de cette famille, l'évêque de
Nicopolis occupe le premier rang, et l'éloge qu'on lui décerne vaut
d'être cité, car il résume sa vie et réhabilite sa mémoire.
E cujus (familiae) gremio Philippus qiiondam Stani-Slavich, episcopus
Nicopolitanus, triginta circiter annorum periodo, in diœcesi sua com-
plures inter easque asperrimas persecutiones, ex hœresi Pauli Samosa-
theni quatuordecim castella, et in liis quindecim mille et ultra personas
memorata hœresi injectas ad fidem orthodoxam convertit, et ad ovile
Christi reduxit (3).
Un lien spécial rattachait à cet évêque missionnaire l'évêque anobli
de 1743; celui-ci avait lui-même longtemps été évêque de Nicopolis
(1728-1739) avant d'être transféré à l'évêché de Csanàd et Temesvar; de
plus, il avait amené en terre hongroise trois cents environ des familles
pavlikanes évangélisées par son ancêtre et par lui (4).
Le même document signale un neveu de notre héros, et son homo-
nyme, qui, membre de la custodie franciscaine de Bulgarie, reproduisit
pendant plus de cinquante ans la vie de missionnaire qu'avait menée
son oncle, et qui mourut en 17 13, victime de son dévouement, à l'oc-
casion d'une violente épidémie de peste (5).
(i) Acta Bulgariœ ecclesiastica, p. 293-294.
(2) Ibid., p. 380-385. Au sujet de ce Stanislavich, qui fut d'abord lui aussi missionnaire
bulgare et évêque de Nicopolis, voir les Ac^a Bulga7-iœ ecclesiastica, p. 343, 345, 3o5,
359, 369, 372.
(3) Ibid., p. 38i.
(4) E quitus tercentœ circiter familiœ, nexu fidei ductœ, studio et opéra moderni
episcopi Csanadiensis Nicolai Stani-Slavich, expensisque per familiam ejus subminis-
tratis, non solum in Valachiam, ditionem nostram, adductœ, sed etiam in Banatu
Temesiensi parte ex iina illocatœ existunt. Ibid.
(5) Ibid. : Aller vero Philippus œque Stani-Slapich ordinis pariter Minorum sancti
Francisci de Observantia provinciœ Bulgariœ religiosus, nepos a fratre suprafati
Philippi episcopi, in summis inter Turcas periculis, quinquaginta et ultra annorum
decursu prœfatum populum in fide orthodoxa conserpavit, fréquenter intra annum.
494 ÉCHOS d'orient
Ces belles figures de missionnaires méritaient bien de se trouver ainsi
associées en tête des lettres de noblesse accordées par Marie-Thérèse
à la famille pavlikane qui, en l'espace d'un siècle, avait donné à la
Bulgarie ces trois intrépides apôtres. Tous trois méritent d'être mis en
bonne place dans l'histoire des missions catholiques bulgares; le pre-
mier, Philippe Stanislavof, a en outre le droit d'être cité avec honneur
dans l'histoire de la littérature de ce pays, comme auteur du premier
livre néo-bulgare imprimé.
S. Salaville.
Constantinople.
PosT-ScRiPTUM. — Après lecture de mon article de septembre dernier:
Le premier livre néo-bulgare, V « Abagar » de l'évêque Stanislavof, le
R. P. Pierling, S. J., de Bruxelles, a bien voulu me faire savoir que la
bibliothèque slave de Bruxelles, au collège Saint-Michel, 22, boulevard
Saint-Michel, possède un sixième exemplaire de Y Abagar de Stanislavof
en état de conservation parfaite. Je remercie le docte Jésuite de son inté-
ressante communication, dont j'ai tenu à faire part, sans tarder, à nos^
lecteurs. S. S.
emendicatis vestibus, sacra missœ apparamenta humeris bajiilans dicta castella
pedester visitabat et sacra administrabat, qui anno tandem millesimo septingentesimo
decimo tertio, senio confectus, et in peste ex pura charitate expositus occubuit.
MUSULMANS MALGRÉ EUX
LES STAVRIOTES
Pendant de longs siècles, la liberté de conscience en Turquie n'a été
u'un vain mot. Quiconque avait une fois embrassé l'islamisme, de gré
u de force, s'y voyait maintenu d'une façon impitoyable par les lois
e l'empire. L'exemple le plus frappant que l'on en puisse donner est
slui des Stavriotes, ces chrétiens d'Asie Mineure qui, tout en faisant
xtérieurement profession d'islamisme, n'en restèrent pas moins atta-
hés à la religion chrétienne et qui la conservèrent malgré les persé-
utions effroyables que cette fidélité leur suscita pendant plusieurs
iècles.
Les Stavriotes (i) tirent leur nom du village de Stavra, situé dans
éparchie ecclésiastique de Chaldia (Gumuchhané)et le vilayet de Trébi-
onde. C'est là que ces soi-disant musulmans sont le plus nombreux et
u'ils ont montré le plus de courage pour revendiquer leurs droits reli-
ieux; c'est de là aussi qu'ils partirent plus d'une fois pour aller fonder
es villages dans des lieux plus retirés, afin d'y vivre à l'abri des persé-
utions. Mais ce n'est pas seulement à Stavra qu'ils sont fixés. On en
encontre dans toute la partie montagneuse qui va du Lazistan à l'em-
ouchure du Kizil-lrmak (l'Halys des anciens), et qui sépare la plaine
laritime des hauts plateaux d'Anatolie, dans les vilayets de Trébizonde,
e Sivas et d'Angora. On peut, sans être taxé d'exagération, estimer
;ur nombre à une vingtaine de mille. Peut-être même est-il plus con-
idérable; la liberté qui leur a été accordée récemment de se faire
econnaître officiellement comme chrétiens a dû révéler qu'ils étaient
ncore plus nombreux qu'on n'avait pensé.
Leur histoire n'a été racontée jusqu'ici que dans quelques brochures
Tecques inconnues du public européen et dans quelques articles de
Durnaux grecs ou étrangers. En la publiant dans cette revue, nous
Iroyons jeter une lumière nouvelle sur les souffrances que les chrétiens
l'Orient ont eu à endurer de la part du fanatisme musulman. 11 faut
emarquer, du reste, que les Stavriotes ne sont pas les seuls chrétiens
lilamisés de force qui sont restés malgré tout fidèles à la foi de leurs
(i) 11 serait peut-être plus logique de les désigner, comme on le fait parfois, sous
; nom générique de convertis {tCkoa-coi), mais nous préférons leur conserver celui
u'on leur donne le plus souvent.
496 ÉCHOS d'orient
pères. Les Spathiotes de l'Epire et d'autres encore assez peu connus
sont dans le même cas (i).
Bibliographie : Tryphon E. Evanghélidès, 'iTTopîa ty,; t.ùj-v/,},:^ Tpaze.
soùvToç. Odessa, 1898; Epaminondas Kyriakidès, Ma-topia t/,; SouijisAà.
Athènes, 1898; Périclès Triantaphyllidès, 'H ev IIôvtw sAAT.w/.r' 'f>'j),r,,
Tj TOI. Ta Ttov-r'.xà, Athènes, 1866; Journal Ilaxpis de Constantinople des
21, 22, 23, 24 janvier (v. s.) 1909 (2).
La prise de Trébizondc et ses conséquences.
L'empire grec de Trébizonde survécut de quelques années à peine
à celui de Constantinople. 11 dut alors un peu de tranquillité au fait que
Mahomet II était occupé à affermir ses conquêtes en Europe. Ce répit
ne fut pas de longue durée. Tranquille du côté de l'Occident, le vain-
queur passa en Asie dès 1460, prit Sinope et vint mettre le siège devant
Trébizonde. Abandonné par son gendre et allié Ouzoun Hassan, de la
dynastie du Mouton Blanc, maître d'une partie de l'Arménie et de la
Perse, David Comnène dut capituler au bout d'un mois de siège. La
partie aisée de la population reçut l'ordre de se transporter à Constanti-
nople pour repeupler la capitale, et les pauvres furent refoulés dans les
quartiers excentriques pour faire place aux Turcs envahisseurs. Beaucoup
s'enfuirent dans la montagne pour échapper aux vexations; ils y éta-
blirent des villages et connurent un peu de tranquillité.
L'établissement des Turcs dans le pays eut pour le christianisme les
conséquences les plus funestes. De grandes familles donnèrent l'exemple
de l'apostasie. Le plus célèbre de ceux qui faiblirent à cette époque fut
un ancien fonctionnaire de l'empire grec de Trébizonde, le protoves-
tiaire Georges Amiroutzès (t 1465), dont les deux fils, Méhémet béy
et Iskender bey, firent dans la suite beaucoup de tort à leurs anciens
coreligionnaires (3). D'autres grandes familles quittèrent le pays pour
(i) Il faudrait peut-être y joindre les Ki^il-Bach, bien que leur christianisme soit
fortement mélangé. Ces Têtes Rouges (du turc Ki^il-Bach/ viennent sans doute des
confins de la Perse. A des coutumes musulmanes, ils joignent des pratiques religieuses
mystérieuses, dont quelques-unes rappellent les cultes étranges de certaines sectes
chrétiennes des premiers siècles. Leur nombre est considérable; certains auteurs_
l'estiment à plus d'un million. On en rencontre un peu partout en Asie Mineure.
(2) Je suis tout spécialement redevable pour ce travail au R. P. Th. Xanthopoulosj
qui a bien voulu me communiquer des notes précieuses et le résultat d'enquête^
personnelles qu'il a faites auprès des Stavriotes.
(3) Méhémet bey et Iskender bey furent les premiers musulmans qui habitèren^
Pèra. C'est à cause d'eux que les Turcs ont donné à ce faubourg de Constantinopla
le nom de Beyoglou.
MUSULMANS MALGRÉ EUX : LES STAVRIOTES 497
;ter chrétiennes, comme les Ypsilantis, les Caratzas, les Rizos, les
Durouzas, les Cantacuzène,
De 1461 à 1660, le gouvernement ne se montra cependant pas ter-
)le, et les apostasies furent assez rares. Mais en 1660 commencèrent,
ec le règne des dérébeys (1), la persécution violente et les vexations
otidiennes. Pour y échapper, les chrétiens apostasièrent en masse (2);
lutres, plus courageux, abandonnèrent leurs biens, s'enfuirent dans
itérieur du pays et s'y établirent loin des musulmans; d'autres enfin
ent semblant d'embrasser l'islamisme, mais ils restèrent en secret
achés à la religion chrétienne et la pratiquèrent autant qu'ils le
irent. Là où ils avaient pour les soutenir des évêchés et des monas-
es, les chrétiens se montrèrent constamment fidèles à leur foi,
mme dans les environs immédiats des métropoles de Trébizonde et de
laldia, et des couvents de Péristéra, de Souméla et de Vazelona. Au
ntraire, dans les villages éloignés où l'influence du clergé se faisait
3ins sentir, la majeure partie de la population se fit musulmane.
Ceux qui avaient gagné la montagne et qui se montraient très reli-
5UX essayèrent même de reprendre Trébizonde. On les appelait Matsou-
tes, soit à cause des armes primitives dont ils se servaient (de ;jt.aTa-oùxa,
mrdin), soit à cause du village de Matsouka, dont beaucoup étaient
iginaires. Un vendredi, pendant que les Turcs faisaient leur prière
ns les mosquées, ils entrèrent dans la ville à l'improviste et com-
sncèrent à l'occuper. Les Turcs coururent aux armes et n'eurent pas
aucoup de peine à refouler des envahisseurs aussi peu redoutables.
jEn 1665, la situation des chrétiens s'aggrava encore par la prise de
métropole grecque de Sainte-Sophie et de l'église de Saint-Philippe.
;n qu'un iradé du sultan Sélim II leur eût garanti la propriété de ces
ux édifices, les chrétiens en furent dépouillés. Les Turcs, qui les con-
itaient à cause de leur beauté et de leur situation avantageuse, les
avertirent en mosquées, et, comme ils rencontraient de la résistance
hs la population grecque, ils firent un horrible massacre. Cette oppo-
on et la tentative malheureuse des Matsoukates ne firent qu'accroître
) Les dérébeys étaient de grands propriétaires fonciers qui possédaient leurs terres
ime des fiefs, et pour qui les chrétiens devaient travailler. Il y avait aussi quelques
létiens parmi les dérébeys et qui luttaient contre les Turcs.
) 11 y a, dans le vilayet de Trébizonde et dans le pays d'alentour, de nombreux
iges musulmans dont les habitants sont d'origine grecque et qui parlent encore
j:rec. 11 en est particulièrement ainsi dans les régions d'Ophis (Of) et de Tonia.
reste, la population musulmane de ces régions est composée surtout de descen-
ts des renégats grecs, de Lazes et de Circassiens. Les Turcs ne se rencontrent
re que dans les villes, dans les villages de la côte, et n'ont presque pas pénétré
s l'intérieur du pays.
Échos d'Orient, t. XV. 3a
498 ECHOS d'orient
la persécution et augmenter le nombre des apostasies. Les habitants
d'Ophis et de Rizo, sans cesse opprimés par ceux d'entre eux qui étaient
devenus musulmans après la prise de Trébizonde et par les Lazes, leurs
voisins, tinrent un Conseil de prêtres et de notables pour aviser à ce
qu'il y avait à faire. On ne put s'entendre; les uns embrassèrent l'isla-
misme, les autres s'enfuirent en Moldavie et en Crimée. A la même
époque, huit mille familles s'enfuirent de Trébizonde et des villages
environnants et se réfugièrent dans les montagnes de Tonia, où elles
ne tardèrent pas à se faire musulmanes. Vingt ans plus tard, en 1683,
on vit, donnant le pire des exemples, l'évêque d'Ophis, Alexandre,
embrasser l'islamisme et devenir gouverneur de Trébizonde sous le
nom d'iskender Pacha (1).
La persécution dirigée par les dérébeys, les Lazes et les Circassiens,
tolérée ou encouragée par les autorités turques, dura au moins jus-i
qu'en 1840, et causa beaucoup d'apostasies. Elle amena aussi la fuite
de nombreux chrétiens qui se réfugièrent dans l'Archipel, en Moldavie,
en Crimée et ailleurs. Seuls les habitants de l'éparchie de Chaldij
furent peu inquiétés. C'est que les dérébeys avaient besoin de leun
talents pour l'exploitation des mines nombreuses de cette région. Cepen
dant, après la guerre russo-turque, en 1829, ils subirent le sort corn
mun, et deux mille familles, accusées d'être favorables aux Russes
durent chercher un refuge dans l'empire des tsars.
Les apostats vécurent pendant assez longtemps en bonne harmont
•avec leurs anciens frères, mais le fanatisme musulman ne tarda pas]
pénétrer chez eux avec les médressés et au contact des Lazes et des Cil
-cassiens. Ceux qui se proclamaient chrétiens et refusaient d'embrassj
la religion de Mahomet furent tracassés de toutes les manières. Quai
aux faibles, qui, par crainte de violences, faisaient extérieurement prcj
fession d'islamisme, tout en restant chrétiens en secret, ils réussireil
à vivre dans une tranquillité relative à force d'expédients. Leur situatîotJ
•cependant, ne laissait pas que d'être fort délicate et pleine de pérîlî|
Situation des Stavriotes.
Les chrétiens restés fidèles et reconnus comme tels savaient ej
général quelles étaient les croyances véritables de ces demi-apostats,
cependant jamais un seul d'entre eux, même sous l'empire de la haii
(i) Il paraît qu'il a encore à Trébizonde des descendants qui portent le ne
Houssamoglou.
MUSULMANS MALGRÉ EUX : LES STAVRIOTES 499
OU de la vengeance, ne les trahit auprès des Turcs, tant était forte
l'aversion commune pour l'infidèle. Ceux des Stavriotes qui habitaient
les villes étaient naturellement tenus à plus de réserve que les autres,
parce que les Turcs y étaient plus nombreux. Dans ce cas, il n'y avait
guère que l'évêque et quelques notables à connaître la vérité. A côté
de ces chrétiens honteux, il y en avait d'autres dont la vie n'était pas
moins en danger, et qui étaient tenus à la plus grande prudence.
C'étaient ceux qui, dans un mouvement de colère ou de passion, avaient
embrassé l'islamisme, et qui étaient revenus à de meilleurs sentiments.
Jls furent de tout temps assez nombreux, et payèrent parfois de leur
vie une audace que les Turcs regardaient comme criminelle.
C'est pendant plus de deux siècles que dura cette situation pénible
pour ces pauvres gens d'être chrétiens en secret, d'observer presque
■tous les préceptes imposés par le christianisme et d'être quand même
considérés comme musulmans par les Turcs. Ils portaient toujours deux
noms, l'un officiel et turc, sous lequel ils étaient connus des musul-
mans, et l'autre chrétien, qu'ils portaient en secret et sous lequel ils se
désignaient entre eux. Cependant, ils avaient soin de rejeter certains
noms qui rappellent trop la religion de Mahomet, comme Ali, Méhémet,
fathmé, Aiché, etc. Souvent leurs imams étaient choisis parmi eux, et,
on le conçoit, ne se montraient pas très regardants pour l'accomplis-
sement des obligations coraniques. Là où ils étaient mêlés aux Turcs,
ils entraient avec eux dans les mosquées, mais ils récitaient tout bas
-des prières chrétiennes au lieu des formules islamiques.
Ils observaient rigoureusement les jeûnes chrétiens, et il était rare
qu'ils y manquassent. C'est pendant la nuit qu'ils accomplissaient les
devoirs religieux: confessions, communions, baptêmes, mariages. Les
prêtres qui s'occupaient d'eux ne portaient pas de costume spécial;
ils vivaient au milieu des villageois, dans les mêmes conditions qu'eux,
afin de ne pas attirer l'attention des Turcs. Détail à noter, leurs églises
secrètes, quand ils en avaient, étaient toutes dédiées à saint Théodore,
[martyr. Quand un des leurs venait à mourir, ils laissaient les Turcs
et l'imam emporter le corps, et, pendant ce temps, ils récitaient l'office
des morts dans une maison du village ou dans une église chrétienne
des environs.
Partout où ils étaient mêlés aux Turcs, comme dans les villes, les
choses se passaient forcément ainsi; mais, dans les villages où ils habi-
taient seuls ou avec des chrétiens reconnus comme tels, ils prenaient
moins de précautions, pratiquaient plus ouvertement leur religion, tout
en veillant à ne pas être surpris par un Turc de passage. Dans certains
500
ÉCHOS d'orient
endroits, ils avaient même des cimetières distincts de ceux des musul-
mans.
En général, les vrais imams ne se rendaient dans les plus populeux
de ces villages que pendant le ramazan. Si quelqu'un venait à y mourir
pendant sa présence dans la localité, on s'arrangeait pour éloigner
l'encombrant personnage pendant quelques heures, en lui faisant faire
une promenade, ou par tout autre moyen. Durant son absence, on se
hâtait de faire au défunt des funérailles chrétiennes. On se gardait bien
ensuite de dire que quelqu'un était mort. Un imam qui, pendant vingt
ans, était venu passer le temps du ramazan dans le village de Kroum
disait que le climat était excellent, et il le recommandait volontiers aux
santés délicates parce que, pendant vingt ans, il n'y avait jamais trouvé
ni un malade ni un mort (!).
Non contents de pratiquer la religion chrétienne, les Stavriote;
s'adonnaient au prosélytisme, sans doute comme compensation d(
l'obligation où ils étaient de cacher leur religion. Ceux qui habitaien
les villes épousaient autant que possible des jeunes filles musulmanes
tandis qu'ils donnaient très rarement les leurs aux Turcs. Un Stavriot(
qui avait la faiblesse de marier sa fille à un musulman était profon
dément méprisé par les autres, qui cessaient toute relation avec lui.
ne se considéraient point comme mariés après la cérémonie que l'iman
présidait à la mosquée; ils s'efforçaient, à l'aide de leurs parents
de leurs amis, de catéchiser peu à peu la jeune fille, lui révélaient qu'i
étaient en réalité chrétiens, et, par des promesses ou des menaces
arrivaient à la faire baptiser. Alors seulement avait lieu la cérémoni
du mariage devant le prêtre.
Cependant, la conscience de ces pauvres gens n'était point compl
tement rassurée. Dans leurs maisons ou dans les églises, quand
pouvaient y pénétrer, lorsqu'ils levaient leurs regards vers les icônes
il leur semblait que les grands yeux du Christ et la face sévère qu
lui donne l'iconographie byzantine leur reprochaient leur manque
courage devant la persécution. Ils recherchaient les chrétiens instruit
et leur demandaient de leur expliquer ce que signifiaient au juste ce
paroles de l'Evangile : « Celui qui me reniera devant les hommes,
le renierai moi aussi devant mon Père », et si ce texte s'appliquait à eu)
Revendications infructueuses.
L'apparition du Tanzimat de Gulhané (3 novembre 1839) ^'^ ^^^^^
à peu près partout les persécutions. Osman Pacha, gouverneur de Tn
bizonde, appliqua le décret impérial avec justice et fermeté; il réuss
.£.
I
MUSULMANS MALGRÉ EUX I LES STAVRIOTES 5OI
<nfin à assujettir les dérébeys jusque-là récalcitrants. Les Stavriotes
n'obtinrent cependant pas d'être reconnus comme chrétiens.
LeHatti Humayoun du 18 février 1856 produisit une nouvelle détente.
Haireddin Pacha était alors gouverneur de Trébizonde. Profitant de la
liberté de conscience que la loi reconnaissait à tous les habitants de
l'empire, les Stavriotes commencèrent de se proclamer ouvertement
chrétiens. Ce fut surtout dans les villages de Kroum et de Matsouka,
<ie réparchie de Chaldia, que se produisit ce mouvement. Celui qui le
suscita par sa courageuse initiative fut Pétros Sabba Sidéropoulos, cavas
de Fabri, consul italien de Trébizonde. Le 14 mai 1856, il alla au palais
du gouverneur faire solennellement profession de foi chrétienne.
Haireddin Pacha le laissa en paix, peu soucieux sans doute de faire
intervenir un consul européen dans l'application du Hatti Humayoun.
Le fait ne tarda pas à être connu dans les villages les plus reculés. Les
Stavriotes s'enhardirent jusqu'à envoyer des requêtes pressantes au
gouvernement impérial et aux puissances (1), Les Turcs, que ce mou-
vement inquiétait, firent échouer les unes et les autres. Afin d'éviter
•de nouvelles tracasseries, les Stavriotes durent se cacher de nouveau
ipour pratiquer la religion chrétienne.
Pendant cinquante ans encore ils subirent cette situation pénible,
soumis au service militaire et assujettis à la loi du Chéri comme les
vrais musulmans. La Constitution de 1876 et le traité de Berlin n'ap-
portèrent aucun changement, pas plus que les plaintes périodiques des
autorités religieuses du Phanar. Le régime hamidien ne permit pas aux
Stavriotes de faire valoir les raisons qu'ils avaient de vivre en chré-
tiens. Ceux de l'Ak-Dagh firent à leurs dépens la dure expérience des
inconvénients qu'il y a à revendiquer ses droits sous un régime turc.
Les Stavriotes de l'Ak-Dagh.
Parmi tous les Stavriotes, ce furent sans contredit ceux de l'Ak-Dagh
•qui eurent le plus à souffrir au cours du siècle dernier.
C'est vers 1832 qu'un certain nombre d'entre eux, habitant alors les
villages de Stavra et de Kroum, ayant trouvé que leurs terres n'étaient
(i) Joseph Ricard, de Marseille, secrétaire du consulat de Russie de Trébizonde,
aida beaucoup les Stavriotes dans leurs démarches. Ce fut lui qui rédigea toutes leurs
requêtes.
Un autre Français leur avait déjà prêté son concours quelques années auparavant.
André Masson, né d'un père français et d'une mère grecque qui l'éleva dans la religion
orthodoxe, fut d'abord chancelier du consulat de France de Trébizonde, puis drogman
des consulats d'Angleterre de Trébizonde et de Césarée. Il mourut à Trébizonde en
janvier 1854.
502 ~ ÉCHOS D ORIENT
pas assez fertiles, pénétrèrent plus avant dans l'Asie Mineure avec des^
chrétiens des environs, et vinrent s'établir dans l'Ak-Dagh, chaîne de
montagnes qui s'étend à la fois dans les deux vilayets de Sivas et d'An-
gora. Ils y fondèrent les villages de Sin-Maden, Ak-Dagh et Boular-
Maden. Les Turcs, qu'ils voulaient éviter, ne tardèrent pas à les
rejoindre et à les espionner. Quand les Stavriotes, se basant sur le fait
qu'ils étaient inconnus dans le pays, se présentèrent au mudir pour se
faire inscrire comme chrétiens, les Turcs les dénoncèrent. Le mudir,
Déli Hasséki, vieux janissaire fanatique, refusa d'accéder à leur demande
et les menaça de toutes sortes de vexations. Pour avoir la paix, ces-
pauvres gens se résignèrent à reprendre leur ancienne manière de
vivre, musulmane en public, chrétienne en secret. Leur fidélité à la
religion n'en fut pas ébranlée ; ils allaient jusqu'à déterrer leurs morts,
pour les ensevelir dans les cimetières chrétiens des environs.
En 1876, la Constitution proclama la liberté de conscience. Les Sta-
vriotes crurent le moment propice pour se faire reconnaître comme-
chrétiens. Le jour de Pâques, ils se rendirent publiquement à l'église, et
aux soldats turcs, étonnés de les voir agir ainsi, ils déclarèrent fièrement
qu'ils étaient chrétiens et qu'ils mourraient chrétiens. Le kaimakam fit
comparaître le mouktar (maire) et les principaux notables, les menaça
de violences, et, finalement, comme il ne pouvait triompher de leur:
résistance, il les fit jeter en prison. Loin d'intimider la population, cet'
acte ne fit qu'exciter son courage; elle entoura le konak et demandai
à grands cris l'élargissement des prisonniers. Après avoir vainement
rappelé que la loi musulmane interdisait sous^ peine de mort de rede-'
venir chrétien, le kaimakam renvoya la foule sans se décider à sévirt
contre elle.
Les Stavriotes ne se découragèrent pas. Ils adressèrent leur profession
de foi au Phanar, et demandèrent qu'on agît auprès du ministère pour
qu'ils fussent reconnus officiellement comme chrétiens. Le patriarche
Joachim III n'obtint rien, la Chambre fut dissoute et la Constitution,
remisée pour trente ans; le règne personnel d'Abdul-Hamid commen-;
çait. Tout était donc remis en question. Cependant, le kaimakam.^
ordonna que ceux qui voulaient se faire inscrire comme chrétiens vinssent
se déclarer. Ce n'était là qu'un piège pour découvrir ceux qui ne
s'étaient pas encore compromis. Le seul résultat obtenu par toutes ces
démarches — il était d'ailleurs appréciable — fut que les Stavrioteî
purent fréquenter librement les églises, envoyer leurs enfants dans les
écoles grecques et contracter des mariages avec les chrétiens. Mais, con
sidérés comme musulmans, ils étaient toujours tenus au service militaire,
MUSULMANS MALGRÉ EUX ! LES STAVRIOTES ^O)
Hn 1899, nouvelle persécution. Cambour, mutessarif de Yuzgat,
essaie du chantage; il s'offre à les faire inscrire comme chrétiens,
moyennant la modeste somme de deux cents livres turques. Les Sta-
vriotes refusent prudemment. Furieux de se voir découvert, Cambour
les dénonce à son protecteur, Memdouh Pacha, ministre de l'Intérieur,
en lui disant que les Stavriotes sont riches et qu'on peut leur extorquer
beaucoup d'argent. Le ministre envoie des ordres sévères, déplace le
kaïmakam de l'Ak-Dagh, qui ne se montre pas assez souple, et envoie
sur les lieux un de ses hommes de confiance, ismaïl Hakki. Les deux
principaux chefs du village sont envoyés à Yuzgat, emprisonnés et battus
parce qu'ils refusent de donner les cinq cents livres qu'on leur demande,
puis conduits à Angora, et de là dans un village éloigné, à Tchorba.
Ni les réclamations du métropolite grec d'Angora ni celles des consuls
de France et d'Angleterre ne réussissent à les faire délivrer. A toutes
les démarches tentées par le patriarche de Constantinople, le gouver-
nement turc répond en envoyant l'ordre d'inscrire comme Turcs tous
ceux qu'on n'avait pas recensés comme tels. C'est le signal de nouvelles
persécutions et d'emprisonnements. Les takrirs du patriarche restent
sans réponse. Alors les autorités ecclésiastiques recourent à la seule
puissance que veuille encore écouter Abdul-Hamid : les ambassades.
Dans une réunion des représentants de la France, de l'Angleterre, de
l'Italie et de la Russie, on décide de charger des réclamations à pré-
senter M. Zinovief, ambassadeur de Russie, que sa qualité d'orthodoxe
désignait plus spécialement pour cette mission.
Aux représentations que celui-ci fait entendre contre les violences
exercées sur les Stavriotes de l'Ak-Dagh, le grand vizir oppose les déné-
gations les plus formelles, demande qu'on lui donne des preuves des
faits incriminés, puis refuse d'examiner celles qu'on lui présente. Pen-
dant ce temps, il envoie l'ordre d'inscrire tous les Stavriotes de l'Ak-
Dagh comme musulmans, afin de bien prouver qu'ils sont Turcs. Le
gouvernement russe ne s'avoue pas vaincu par tant de mauvaise foi.
En avril 1900, il demande au sultan de faire élargir immédiatement tous
les Stavriotes exilés et emprisonnés. Après bien des hésitations, les
ministres turcs en informent Abdul-Hamid, qui fait relâcher tout le
monde. Les prisonniers peuvent enfin revenir chez eux après plusieurs
mois d'exil et de tortures.
Cinq ans plus tard, les tracasseries recommencent à propos du recen-
sement, parce qu'on veut obliger les Stavriotes à se faire inscrire comme
musulmans. Le 28 février (v. s.) 1905, le kaimakam les convoque,
et, sur leur refus d'obéir à l'ordre qu'il leur communique, il retient six
504 ÉCHOS D ORIENT
d'entre eux et les envoie sous escorte à Yuzgat. Quant à ceux qui
restent, il les presse de toutes façons pour les faire obéir; la prison
et la bastonnade n'amènent aucun résultat. Memdouh Pacha, qui veut
venger son précédent échec, envoie l'ordre de transférer les exilés de
Yuzgat à six heures de là, dans le village de Makhal, afin de les sous-
traire à l'influence des chrétiens. Pour les faire céder, on leur offre des
emplois et des décorations, on les menace enfin de les envoyer à
Sinope; les prisonniers ne se laissent pas ébranler. On les dirige alors
sur Sinope, mais l'escorte s'arrête à Tchoroum, et c'est là qu'ils attendent
la fin de leurs tribulations.
Pendant ce temps, les prisonniers d'Ak-Dagh sont envoyés à Angora
avec le prêtre Kyrillos Caratzas, désigné comme l'organisateur de la
résistance. Le temps passe en démarches infructueuses, et plusieurs
meurent en prison. Enfin, le patriarche obtient que les Stavriotes se
fassent inscrire sous le nom qu'ils voudront. Le gouvernement y con-
sent volontiers; c'est pour lui le moyen de connaître ceux qui n'ont
pas encore osé se déclarer. A chacun des noms chrétiens dont on leur
présente de longues listes, les Turcs accolent un nom musulman au
hasard, et tous les Stavriotes sont de nouveau enregistrés comme Turcs.
Quand les exilés reviennent au mois d'août, ils apprennent qu'eux aussi
ont été inscrits comme les autres. La situation était donc pire que
jamais. Il fallut la révolution de 1908 et la proclamation de la Consti-
tution pour amener une solution satisfaisante, encore se fit-elle attendre
plus de deux ans.
Solution de la question stavriote.
Aussitôt que la Constitution fut sortie du sommeil léthargique où la
maintenait depuis trente-deux ans le despotisme d'Abdul-Hamid, les
Stavriotes s'agitèrent de nouveau pour revendiquer la liberté religieuse
tant de fois accordée et tant de fois retirée, lis adressèrent des télé-
grammes pressants à la Sublime Porte, au Comité jeune-turc et au
patriarche grec. Ils en reçurent les meilleures promesses, dont les effets
se firent attendre pendant de longs mois. Le 24 février 1909, le vali de
Trébizonde s'adressait lui aussi au gouvernement pour demander quelle_
devait être sa conduite dans cette affaire. La réponse mit treize nwis
lui parvenir, le régime jeune-turc n'étant guère plus expéditif en affaire
que son prédécesseur. Entre temps, les Stavriotes qui avaient quitté H
Turquie pour éviter le service militaire adressaient au président de la
Chambre, Ahmed Riza, une pétition dans laquelle ils demandaient l'am-
é
MUSULMANS MALGRÉ EUX : LES STAVRIOTES 5OS
nistie complète et la permission de rentrer dans leur pays. Le député
grec de Trébizonde appuya leur demande. De leur côté, les Stavriotes
de l'Ak-Dagh envoyaient, le 2^ juin (v. s.), une nouvelle supplique au
saint synode pour dénoncer les obstacles que les Turcs mettaient à la
libre pratique de la religion chrétienne.
Le gouvernement finit par s'émouvoir de tant de réclamations. Dans
une circulaire du 24 mars 19 10, adressée aux autorités civiles de Tré-
bizonde, il déclarait reconnaître les Stavriotes comme chrétiens et
demandait qu'on les inscrivît comme tels. Pour bien montrer sans
doute qu'on vivait toujours en Turquie, le gouverneur de Trébizonde
ne communiqua cette décision au métropolite de cette ville que neuf
mois plus tard, le 29 décembre 1910. Le métropolite informa immédia-
tement le patriarcat, et celui-ci envoya des instructions aux métropolites
de Chaldia (Gumuchhané) et de Colonia (Kara-Hissar-Charki). Les Sta-
vriotes avaient enfin gain de cause, mais ils avaient acheté par plusieurs
siècles de souffrances la liberté religieuse et expié durement la faiblesse
de leurs ancêtres.
R. Janin.
Constantinople.
L'ÊVÊCHÉ DE SKIATHOS
(I)
C'est avec le plus vif plaisir que j'ai lu dans les Echos d'Orient de
novembre 1903 l'article du savant et regretté P. Pargoire sur les évêques
de Skiathos et de Skopelos au xviii« siècle. Des recherches personnelles
m'ont permis de compléter quelque peu la liste des titulaires du siège
de Skiathos.
Une inscription découverte par le savant allemand Ulrich, il y a
quarante-neuf ans, nous donne le nom d'un évêque inconnu jusqu'alors.
Elle est taillée sur un rocher, à gauche de l'entrée du port, à l'endroit
où la carte anglaise marque trois croix (2). Ses dimensions sont de
o«i,025 sur oin,o6. Elle est ainsi conçue : MNAEO 6 àvuô | Tatoç x (k)
ptaxapt-to I TaTOç a». | tt'Itxqttoç | STpà-o)v | a'.x twv \ | oûov al' | xt'.tî
jjLwXo'v (3).
L'inscription est bien antérieure à la conquête vénitienne de 1207, et
peut remonter aux premiers siècles du christianisme. Cette opinion est
basée tant' sur le nom archaïque de l'évêque Straton, que sur le texte
même de l'inscription. Déjà Hiéroclès (dans son Svnecdème, p. 7) et
Burckhard (643, 2-5) font mention, au vi^ siècle, de la métropole de
Larissa en Thessalie, dont dépendait un ancien évêché suffragant du
nom de Skiathos.
De cette époque, nous ne connaissons que le nom de Démétrius,
évêque de Skiathos, qui siégeait en 530 (4). Après Straton, dont la vie
(i) Bibliographie : Buondelmonti, p. 129-131, n. 73, -jb, 77. Tournefort, II, i5o
lettre X. Pouqueville, Voyage de la Grèce, II, 357, 408-411; VI, 3oo, 3 10. Fiedler, II
2-85. Ross, Reisen des Kônigs Otto, II, 32, 42, 5o. Ulrich^ Reisen iind Forschungen
II, 238. BuRSiAN, Géographie von Griechenland, II, 384. Lebègue, Revue archéologique
1873; XXV, 173. H. Belle, Tour du monde, 1876, 173. Abegg, Reise auf den Griechis^
chen insein Eubia, Skiathos und Skopelos, dans Ausland, 1874, 427-433. P. Girard
Antiquités des Sporades septentrionales, dans le Bulletin de correspondance hellé
nique, 1879, p. 59-69, 180-190. Philippson, Beitrœge ^ur Kentniss der Griechischet
Inselwelt. Gotha, 1901, p. 124. Fredrich, Skiathos und Peparethos, 1906. S. Mai*
RAKis, Die Meeres-Algen der Insel Skiathos, 1887. R. Rhangabé, 'E)v/,r,vtxà, III, 48-5É
(2) Les restes de ce môle, qui disparaissent à peu prés sous les flots, gênent beaucouf
la navigation, aussi est-ce le vœu de tous qu'on fasse disparaître ce dangereux écueil
(3) Le très saint et bienheureux évêque Straton a bâti le môle à ses frais.
(4) Voir T. E. EùayY£/i5ou, '0 y_poffTiavt(7i;.o; bi Taï; KyxXâo-'.v, 'Epixo-JTroXii;, i(
p. 7. Le Quien, Oriens christianus. II, col. io3, 106, 118, i23. Pd(),/r,-rioTXYi, Sûv
Ta-j'jxa Twv Oettov xat tepûv xavôvwv, v° p. 482, où il s'agit de l'évêque Bardanés, qu
coopéra à la réinstallation de Photius. Je signale aussi en passant un titulaire d'
Skopelos, dont le siège devait plus tard être uni à celui de Skiathos, Reginus, don
le nom est latin, quoiqu'il porte la forme et la terminaison grecques 'Pr^Yivo
= (BaaO.Eioc). Ce prélat aurait pris part au concile de Sardique en 347, et serait mor
L EVÈCHÉ DE SKIATHOS SO7
et l'époque ne sont pas connues avec précision, nous trouvons un évêque
de Skopélos (avant que ce siège fût uni à celui de Skiathos) non inséré
dans la liste connue des évêques de ces îles, et nommé Anastasius (i).
Tel est le nom que nous lisons sur une inscription trouvée pendant la
construction du clocher, près du tombeau de cet évêque, situé auprès
d'une mosaïque à côté de l'église cathédrale de Skiathos, dédiée à la
Nativité de Notre-Dame. Voici le texte de cette inscription :
fl»oêy,9cis "ô cpp'.XTOV xal è'u-'jpov ê'^ua toG 3wpY,o-a[ji£vou XpÎTTOU to t^J;
£-'.Txo--^<; àç'ltojjia 'Avao-raa-uo tw svOàSe x£t.[X£vo) ja-rj -roÀfjiyjaTiç è-iêàÀa».
ys'.oa, ToCÎ àvaTX£uaa-|j.ôv 7zoif,a-ai T'.va £v TtjiSs Tcj) tÔttw' £jÇàui£vo<; Se aâXÀov
'j-ïz auToG 7; ÂuyvaTTTYÎTa»; 7, xal -poT'^opàv Tj •l<xku.ool7.y TOU'Taç £v)oo!,s
Taeioç Trapà toG StoTrîooç TT'.TTÔTaTa», ào£Àoal (sîV) (2),
Cet évêque vivait sous l'empereur byzantin Nicéphore Botoniatès,
comme l'indique le style médiéval du texte cité plus haut, et comme
le prouve une autre inscription encastrée aujourd'hui dans l'église de
r « Episcopi », à Skopélos :
fc'AvExawlaQr, £x 6y.^^ti)y 6 Ô£los ojtoç xal 7càvT£7:T0<; vaoç tti? 'rTiepayiaç
AsT-oivr,; r,jji.(ôv 0£OtÔxo!j t'Jv to^ç 7tav£ucpYÎjji.ot.ç ôa)5£xa xopucpaCot.? 'A7To[a]-
TO/.o'.ç ajjia Tw £v àvio'.? STTupîStov, £7rl 'AvaTTaatou to'j £7ri,TXÔ7rou t-?Îç 7:apoû-
T(\q vyÎtO'J -xoTziAtov £x TîôQoi» UTOp tjLvr,a'r,ç xal àc5£a-£(oç sxouTitov T£ xal
àxO'JT'ltov àaapT/ifxàTtov, o-cstiç È'to'J!; £7ïI êao-0.£Îaç NuTjoôpou toÙ BoTav-
TjàTOj (3), c'est-à-dire en l'an 1078.
En se basant sur la date de cette inscription, il faut donc. supposer
que l'union des deux évêchés de Skiathos et de Skopélos s'est accomplie
après le règne de Nicéphore, quoique nous n'ayons aucune autre preuve
le 25 février 362, sous Julien l'Apostat. Son corps aurait été apporté à Skopélos et
enterré dans un couvent du même nom. Son tombeau, qui existe encore, a été décrit
par le professeur N. Georgaras de Skopélos, dans VEnez-ripii; napvaexdoû, 1906, t. IX,
19728. Cf. C. Fredrich, Skiathos und Peparethos, dans les Mitteiliingen des deutschen
Archàoligischen Instituts ^u Athen, 1906, t. XXXI, p. 9g.
[\] Cesarius Dapontés fait mention de cet évêque dans son ouvrage Kf,Tio; Xapt'twv,
édit. G. Sophoclès, p. 166, et il en est aussi fait mention dans une note inscrite sur
une feuille d'un nomocanon de la bibliothèque de l'école ^hellénique de Skopélos :
|ô âT:;(7xo7:oî 'AvaiTTciasoc k'y.Tto-e xbv aytov SuupîSwva, to'j; àY^ouç 'AnoffxéXouç xal Tr^-^ âjtc-
<ixo7:r,v ÈTîl Ntxriçôpou toû BoTave-.àTou. Ce nomocanon a malheureusement disparu de
l'endroit indiqué.
■ (2) Frère très croyant, si tu crains le sanctuaire terrible et environné de flammes
du Christ qui a donné la dignité épiscopale à Anastase qui repose ici, n'ose pas porter
la main et reconstruire en ce lieu, mais prie plutôt pour lui, fais brûler une lampe
ou donne une offrande ou récite une psalmodie et ainsi tu trouveras grâce auprès du
Sauveur.
j (3) Ce saint et très auguste temple de notre sainte Dame, Mère de Dieu, ainsi que
! celui des douze célèbres coryphées, les apôtres et celui de saint Spyridon, a été
construit entièrement par Anastase, évêque de cette île de Skopélos, en mémoire et
pour la rémission de ses péchés volontaires et involontaires, l'an 6586, sous le règne
de Nicéphore Botoniatès.
5o8 ÉCHOS D ORIENT
de la vérité de cette hypothèse. Malgré mes efforts et mes recherches
prolongées dans les documents, je n'ai pu parvenir à fixer l'époque où
s'accomplit cette union.
Quoi qu'il en soit, nous trouvons les deux évêchés unis au xvii^ siècle,
comme l'indique un acte du patriarcat œcuménique. M. Papadopoulos-
Kérameus signale comme évêque de Skiathos-Skopelos le nommé Ignace,
qui souscrivit une pièce patriarcale du 7 mars 1621. C'est à cette date
que commence la liste du R. P. Pargoire. Aux noms publiés dans les
Echos d'Orient, il faut en ajouter deux autres. Mathieu succéda à Denys
le 5 décembre 1777, comme il l'écrit lui-même dans une note que le
Df Georgaras a publiée dans le Néoç 'EAÀT,vo[jLvrîii.oL»v (i).
'Ev Tw a'i;OvO) BsxsjjLêpiou e' hr^\yzy r; y!.pwT(ovLa aou elç Tùpvaêov Trapo
TOÛ 7:aV!.£p 077-0 'J Xal iT£êaT|Jl.'.OTàTOU [i-Ol OSTTTÔTr, xal VSpOVTr, àv'lw AapiTTTiC
xw [JLOÎ, xw M£A£7'lto £x êaT',À£uoiJTr,ç xal yjSinv z\^ rr^y Tairô'.vr.v £7^^TX0^^^J^
SxotcéXo'J 'lavo'japîoy y' xal ÈjA-n/ixa e[ç to xovàxtov Eupôv ajTO yoplç [j.Tcapùo
xtvà 7roI(j) vspov jjly^te yoÀ'.àpt.ov ottou £lvai tÔv ^vxpÔTcpov. "EyeivEV p
ytpwTwvia jjlo'j ]xe o).).a 7rou-:î^£'la 17 rjXOt, S£xa I-z'zol. 'YTz6z>t^x jAupia xaxc
àirô SuTTYiylaç xal twv Ttpoo-TaTcUWVTWv. Aèv eupr.xa wç ypàœo) T'IuoTa tJ^i
ETTio-xoTTr,?. Aw TOTTO!, [ji.£ £l7rav OTi sys», : 6 Evaç eU tÔ Mt-ya/vàxT, tÔ p£Ûp.c
xal 6 aAo; xapTr, sic cô xapaêoTO'àx'.Tpi.a, àyp'-TTOç, 'Ew^ Ttopa iy (er
marge) [a£v (c'est-à-dire £yo[ji£v) ypôvo'. 17(2). Ce qui montre que ce peti
document a été écrit en 1794. Nous savons, d'autre part, que Mathiei
a occupé ce siège jusqu'en 1797. Déjà, en février de la même année
avait pris possession de l'évêché de Skiathos-Skopelos (3) le nomm<
Eugène, comme nous lisons dans les triptyques de l'église de la Nativiti
de Jésus-Christ : 1797 tIaÔov 6 Eoylvio; àpyi£p£Ù^ £v jjL/jVt, ©Eupouapw'j. Ce
évêque est le dernier des Sporades du Nord pendant la dominatioi
turque, comme le rapporte le R. P. Œconomos(4). Après la constitutioi
de la Grèce en Etat libre, le 20 novembre 1833, par décret roya
Eugène reçut à nouveau cet évêché, qu'il gouverna jusqu'à sa mort
(i) Voir MaypoyopSâTEîo; BtgÀ'.o9r,xr,, t. l", p. 174.
(2) Le 5 décembre 1777 ma consécration eut lieu à Tournavo des mains du très sain
et très vénérable évêque, le saint de Larissa, M*' Meletios, originaire de la capitale
et j'arrivai dans mon humble évêché de Skopélos le 3 janvier et j'allai au conak où j
ne trouvai ni une cruche pour boire de l'eau ni la moindre cuiller. Ma consécratlo
se fit avec dix-sept cierges en tout. J'eus à supporter mille maux à cause de la pauvre'
et de mes protecteurs. Je n'ai rien trouvé dans mon évêché, comme je l'écris. On n\
dit qu'il y a deux endroits : un au ruisseau Michalaki, l'autre non chrétien, en fac
au lieu du naufrage.
(3) Au territoire de l'évêché de Skiathos-Skopelos fut ajoutée la ville de Trikkéf
(Tp'.y.xépwv), située vis-à-vis de Skiathos, sur le promontoire du même nom.
(4) Ta ffw;îd(X£va âjcy.XYjtrtatTxtxà o-yyypàfjiîxaTa, B' 6-E. Kocptvcwtrj;, 'H 'Ey./.>,r|(T(a vr
'EX).â8o;, p. 6-8. S. A. CEconomos, 'H vfjo-oç IleTcàpriÔoî. léna, i883, p. 29-30.
l'évêché de skiathos S09
en 1841. Depuis lors, le siège resta vacant et portait le numéro 33 dans
le syntagmatarion.
Le 9 juillet 1852, une loi réduisit les dix sièges permanents et les
quarante provisoires du royaume à vingt-quatre. Le troisième était celui
de Chalcis, qui comprenait : Xérochorion, Skiathos, Skopelos et Halo-
nesos. Beaucoup plus tard, en 1900, un décret royal du 22 janvier rat-
tacha Skiathos à la nouvelle nomarchie de Magnésie, avec l'évêché de
Démétrias. Mais onze ans après, en 191 1, la nomarchie de Magnésie
étant abolie, Skiathos fit de nouveau partie du diocèse de Chalcis et
Carystie.
Dr Tryphon E. Evangelidès.
Volo (Thessalie).
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS OEIL
CHEZ LES GRECS MODERNES "
11. — Exorcismes guérisseurs
Voici maintenant quelques xorkia que j'ai traduits aussi littéralement
que possible, en les accompagnant de courtes notes explicatives. Ils
sont en usage aujourd'hui dans les pays grecs, de Corfou à l'Asie
Mineure. 11 se peut même qu'un texte, que l'on croit employé seule-
ment à Athènes, serve aux incantations d'une brave guérisseuse du
Magne. A dessein, et malgré les occasions qui s'offraient, j'ai évité les
comparaisons faciles avec les coutumes de l'antiquité grecque ou avec
les productions similaires des peuples qui ont été en contact avec les
Byzantins, Roumains, Serbes, Bulgares ou Russes. Constantinople ou
Athènes ne leur ont pas donné, hélas! que la foi orthodoxe. Ainsi,
rien ne ressemble plus à un exorcisme athénien que certains exorcismes
de la Russie méridionale. 11 est vrai que Tuchmann rapporte des exor-
cismes hindous qu'on dirait fabriqués dans un village du Péloponèse (2).
C'est pourquoi l'origine de ces productions, l'époque et le point de
départ, à les chercher on perd trop sa peine. Mais beaucoup remontent
très loin sans doute, plus haut que les rituels gnostiques, qui eux-
mêmes dérivent des recueils magiques païens. Depuis que par des pro-
cédés ténébreux l'homme a cherché à agir sournoisement sur autrui,
il s'est vu opposer des armes de même nature; les exorcismes ont contre-
balancé les incantations, annulé leurs redoutables effets. Ils ont été
chez tous les peuples l'accessoire obligé de la contre-magie, les formules
congrûment récitées étant aussi nécessaires que les gestes mêmes. Au
cours des siècles, ils se sont usés, déformés, fragmentés, reconstitués
en formules nouvelles plus étranges encore, comme à quelques kilo-
mètres d'Athènes, sur la plage du Vieux Phalère, ces galets sortis d'un
simple caillou, et que la mer, par le jeu de ses vagues sur la grève, a
amenuisés, arrondis, rendus méconnaissables et parfois brisés, pour
(i) Y OIT Echos d'Orient, septembre 1912, p. 385-394.
(2) La Fascination, dans Méliisine, à partir de i885. Vaste enquête et dépouillemei
complet de toutes les sources depuis les anciens jusqu'au Roman d'un spahi, <
Pierre Loti, par exemple. Mais M. Tuchmann ne connaît pas les Grecs moderne!
ses sources s'arrêtent aux voyageurs du commencement du xix* siècle. Cf. Mélusin
III, p. 25l.
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL CHEZ LES GRECS MODERNES SI I
€11 refaire ces pierres curieuses que les pêcheurs ramassent. 'Aaaà,
uàxas, 0'J|Jiôv ^iap-jy ï'^'^yJ.z x-juaT». -Ôvto'j y,o' op£<.)v xop'j'ir.T'., chantait
déjà le poète inconnu des Orphica. Ce n'est pas d'aujourd'hui que les
guérisseuses grecques s'essayent à envoyer la maladie dans l'abîme de
la mer ou sur le sommet des montagnes (i).
Le moyen âge byzantin les a pour ainsi dire christianisés. A la place
des dieux et des éons de la hiérarchie gnostique, il a mis les Bienheu-
reux, les saints guérisseurs, comme saints Cosme et Damien, la Pana-
ghia, Notre-Seigneur lui-même. Il en a fait ces compositions étranges
que l'on connaît. Mais, comme je le montrerai plus tard, le fond est
demeuré païen. 11 les a parfois associés à des pratiques vraiment chré-
tiennes : signes de croix, assistance à la messe, jeûnes ou pèlerinages
<jui eux-mêmes ont des origines suspectes. Et c'est ce qui, pour les
byzantinologues et les théologiens, en fait le grand intérêt.
Ces notes, et d'autres semblables sur les superstitions de toute sorte
•qui sont la moitié de la religion des paysans, aideront, je l'espère, à
dessiner mieux la physionomie religieuse du peuple grec. A la fois
religieux et superstitieux, il est également attaché à l'orthodoxie et à
des coutumes que l'orthodoxie même depuis des siècles condamne.
Peuple illogique et déconcertant pour nous, Latins, d'idées nettes et
d'esprit raisonneur et qui d'instinct réprouvons les pratiques supersti-
tieuses. Le Grec, non.
Le P. Delehaye, qui a tant étudié l'hagiographie populaire, estime
qu'il est d'une intellectualité religieuse inférieure à la nôtre (2). C'est
possible. Quoi qu'il en soit, j'ai recueilli péniblement ces textes et une
centaine d'autres analogues, non par vaine curiosité ni par esprit de
chicane et de moquerie, mais avec le sincère désir de travailler à le
mieux faire connaître.
►ans un village, un bébé est malade. Au lieu d'appeler un médecin,
[ont elle se méfie comme d'un sorcier dangereux, et qui le plus sou-
vent habite loin et coûte fort cher, la mère appellera une commère
guérisseuse, brave femme presque toujours, pieuse orthodoxe, et qui
vit de son petit métier d'exorciste volontaire. Celle-ci arrive, cause,
(i) Orphica. Edition Eug. Abel, fragm. 19. Partout d'ailleurs, en Russie, en Hon-
grie, en Bulgarie, on envoie la maladie dans la mer et sur les montagnes. Cf. Tlch-
MANN, dans Mélusine, vi, p. 284.
(2| Analecta Bollandiana, igio, p. 460, à propos du livre de M. Lawson et d'un
ouvrage analogue de M'" Hamihon : Greek saints and their festivals, 1910.
512 ÉCHOS D ORIENT
examine l'enfant, fait l'importante, prône ses recettes. Mais voici que
de toute sa petite bouche le malade a bâillé. Signe infaillible, il est
ensorcelé par le mauvais œil. La conjuration commence.
Voici celle en usage à Guioumoultsinas, village grec de la Thrace.
Tout en frottant le bébé d'huile, la femme dit:
Une biche a mis bas; — dans le champ, elle a conduit son faon; — les
mâles le virent, — les femelles le virent ; — ils le virent et l'ensorcelèrent.
— Né de sa mère, nourri par sa mère, guéri par le Christ et la Panaghia.
— Une biche a mis bas neuf faons; — des neuf, huit demeurèrent; —
puis des huit, sept; puis des sept, six; puis des six, cinq; puis des cinq^
quatre; puis des quatre, trois; puis des trois, deux; puis des deux, un;
— enfin, pas un. — Le Christ et la Panaghia ont dit: Qu'il naisse et
qu'il grandisse (l'enfant), et que la maladie parte de sa cervelle, de ses
vingt ongles, sur les collines et les montagnes, là où le coq ne chante
pas, où le chat ne miaule pas, où le levain ne lève pas (i).
On a ici un exemple curieux du style des exorcismes. Insanités et
piété superstitieuse. La guérisseuse croit à son pouvoir. Elle est égale-
ment persuadée, puisque l'enfant a bâillé, qu'il souffre à cause d'une
œillade méchante, d'une malédiction ou d'une parole imprudente. Mais
elle ne sait pas ce qu'elle débite, vite, à voix basse, et sans même
chercher à comprendre. Ce sont tout à la fois des âneries, des morceaux
de conjurations gnostiques qui se sont conservées, on se demande
comment, à travers les âges, ou encore des fragments méconnaissables
de prières liturgiques.
En Attique, la même conjuration se fait. L'opérateur récite : « 11 y
avait une fois neuf frères, et de neuf il en resta huit , et de un
aucun », en tenant avec force des deux mains une main du malade, et
en appuyant sur le pouls.
Dans l'île de Céphalonie, la mère de l'enfant saura si oui ou non h
maladie vient de la Baskania. Voici le procédé :
Tu verses de l'eau dans une assiette, et, avec la main, tu fais trois fois
le signe de la croix sur l'assiette, en disant : Christ, Panaghia, saint Jean^
et le nom de l'enfant. Puis tu trempes le doigt dans l'huile de la veilleuse
qui brûle devant l'icône de la Panaghia, et tu en fais tomber une goutte
dans l'assiette. Si vraiment l'enfant a été ensorcelé, fjLaTtadfxÉvoç, la goût
d'huile, en tombant, se diluera à travers l'eau; sinon, elle flotter]
au-dessus.
î
(i) Publié dans Aaoypaifia, 1910, p. 405. A£LO-iSat(j,ovtai xat Bn(7iôxi\i.0'nç ouvViôstl
rxtûU|j.ouXTÇtva; ttï; @paxr,ç, par St.-Kyriakidis, n° 3j.
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL CHEZ LES GRECS MODERNES 513
Alors il est facile de le guérir (i).
Cette façon de faire est, de toute évidence, superstitieuse. Elle est
générale en Grèce. Les paysans de Thessalie, m'assure-t-on, agissent
de même en l'occurrence.
On peut noter à ce propos la coutume, très répandue en Grèce, de
prendre de l'huile de la lampe qui brûle devant l'icône d'un saint
vénéré. A plusieurs reprises à l'église de Sainte-Barbe, près de Daphni,
j'ai vu des paysannes tremper dans une des lampes du sanctuaire une
bourre de coton, et l'enfermer avec soin dans une petite boîte de fer.
C'était sans nul doute pour faire des onctions à un malade et obtenir
ainsi sa guérison.
Pour les hommes ou les femmes, l'exorcisme classique se fait par
l'épreuve des clous de girofle. Trois clous de girofle sont exposés à la
flamme d'une bougie, ou même un seul clou. Du nombre et du mode
des crépitements, on conclura à la Baskania et au remède.
A Guioumoultsinas, par exemple, on se sert d'un seul clou. On le
perce avec une aiguille, et on l'expose à la flamme du cierge de la nuit
de Pâques. Au préalable, on a tracé un signe de croix avec le clou en
disant trois fois : « S'il est ensorcelé, que le clou de girofle crève et
que s'en aille sa maladie, » Puis on prononce le nom du patient et l'on
met le clou dans la flamme, et quand il est lui-même enflammé, on
dit : « J'ai parlé pour toi. » Si le clou éclate en crépitant, on conclut
à la Baskania (2).
A Volo, à Athènes, du fond du Péloponèse jusqu'à Constantinople,
c'est-à-dire c'ans tout le monde grec, c'est, avec de légères modifica-
tions, la même conjuration, dont on retrouve l'équivalent dans les
i rituels magiques de Babylone et des Védas.
Ces trois exorcismes rentrent dans la catégorie de ce qu'on peut
I appeler superst tions liturgiques. C'est ce qui en fait l'intérêt. Voici
' un type d'exorcisme simplement magique. On notera pourtant que
; presque tous les membres de phrase ont été incorporés à des exor-
cismes dits liturgiques.
I 11 est en usage à Athènes avec plusieurs autres, qui mettent en scène
iNotre-Seigneur et les anargyres Cosme et Damien.
I Sors des soixante-deux veines de cette fille N... et de toutes ses articu-
ilations, et va dans les profondeurs de la mer, et va mesurer le sable de
(i) Aaoypaqjsa, 1910, p. 466. "Oxav \).%zii^ov:Ai xà (xtxpà TiatStà.
(2) St. Kyriakidis, loc. cit., n" 46.
Échos d'Orient, t. XV. 33
514 ÉCHOS D ORIENT
la mer, où personne ne mange d'herbe, et retourne en arrière. Sors des
soixante-deux veines de cette fille pour aller sur les montagnes, sur les
collines, dans le Tartare, derrière le soleil, où le chien n'aboie pas, ttoù
fffftouXoç Se [îaut^si; mange sa chair et bois son sang, et reviens le soixante-
neuf d'août (i).
Dans l'île de Crète, on trouve la même conjuration. La première
ligne est incompréhensible. « ràlips 6apjj.s, yàlips xa!.fji£ Txri ^avaTTpocpr.s-
vuyé. Va dans les montagnes et sur les sommets fouiller pour trouver
le nuage noir, pour le manger et le boire, et le faon du cerf noir pour
le brûler, et laisse le serviteur de Dieu N... » (2)
Une autre dit : « Va trouver le monstre sauvage, bois son sang et
mange sa chair. »
M. Tuchmann a publié un exorcisme crétois analogue à ceux-ci,
mais plus long, du fait qu'il a, par mégarde peut-être, réuni en un seul
deux exorcismes bien différents. Il se pratique avec trois grains de se!
et un mouchoir qui diminue de longueur à mesure que la guérisseuse
récite (3).
Singulière allure et singulières images. Ces exorcismes sont tout
entiers d'origine païenne, comme beaucoup de ceux qui ont été con-
servés par les Solomonikis, et qui sont très souvent dans ce style. J'y
reviendrai à propos d'un exorcisme liturgique attribué à saint Grégoire,
le plus extraordinaire de ceux que j'ai pu lire, deux cents environ (4).
Ces imprécations et ce geste de chasser la maladie dans des lieux<
inaccessibles : le fond de la mer, les montagnes et les pics escarpés,
sont fréquents dans les conjurations des anciens Grecs. On connaît
aussi ce proverbe : ô'tcok al IXaipoi xà xépaxa à7ro[3à)vXoua-w (3).
Avec l'exorcisme suivant, on revient au culte superstitieux de Notre-
Seigneur, de la Sainte Vierge et des saints. 11 m'a été donné par une
paysanne de l'île d'Egine.
ri
(i) Rapporté par M. Politis, dans A. I. E, i883. Ai àdO^veiat xarà roù; M-Jôou; toû
'EXXrjvtxoû Xaou, p. g. Le 69 août signifie peut-être jamais, comme, en France, la semaine
des quatre jeudis.
(2) AaoYpaç^a, 1909, p. 368.
(3) Mélusine, vi, 284. La sorcière compte ici soixante-douze veines, et, à la fin de
l'épreuve, le mouchoir se trouve de six doigts plus court, par suite d'un habile pliage.
(4) Voici, d'après Tuchmann, Mélusine, vi, 284, un exorcisme en usage chez lesj
paysans de Serbie: «Va-t'en, petite maladie, dans la forêt et dans l'eau, vers les hau-
teurs les plus élevées, dans les abîmes les plus profonds, là où le coq ne chante pas,
où la poule ne glousse pas. » Bien que la preuve soit impossible à faire, on peut êtrej
assuré que cet exorcisme est traduit du grec. Ainsi pour beaucoup.
(5) « Où les cerfs jettent leurs bois », pour dire une chose impossible à atteindre!
ou à trouver. Pline aussi raconte que les cerfs au moment de perdre leurs cornes se[
retirent dans les solitudes les plus inaccessibles. Naturalis Historia, VIII, 5o.
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL CHEZ LES GRECS MODERNES 515
La Panaghia, la Vierge se leva, mit sa belle robe et s'assit sur son
trône. Les anges passèrent et la virent, et l'ensorcelèrent, xat tyj fxaTiiaave.
Le Christ l'interrogea : « Qu'as-tu, ma Mère, même plus glorieuse que
moi ? — Je me suis levée, j'ai mis ma belle robe et je me suis assise sur
mon trône. Et les anges ont passé; ils m'ont vue et ils m'ont ensorcelée.
— Prends-moi la main et mon couteau, et souffle trois fois et ça te
passera.
La guérisseuse souffle trois fois sur le malade.
La Panaghia et les anges sont traités, on l'avouera, de façon cava-
lière. Les paysans n'en ont cure. Pour eux, le mauvais œil a une telle
puissance, que la Mère de Dieu peut en souffrir. Quelle conception de
la gloire des anges peuvent avoir les paysans qui écoutent telles
folies? Je pense que la scène a lieu sur la terre du vivant de la Sainte
Vierge. Notre-Seigneur lui-même agit comme un vulgaire magicien.
11 prend un couteau noir et ordonne de souffler trois fois. Le couteau
à manche noir et à double tranchant est d'un emploi habituel chez les
sorciers grecs. Si le manche est fait d'une corne noire de bouc, rien
ne pourra résister à son action magique.
L'action de souffler trois fois pour chasser les puissances des ténèbres
est un geste liturgique très fréquent chez les orthodoxes. D'après les
rubriques de VEuchologe, le prêtre grec, durant les cérémonies du bap-
tême, souffle trois fois sur le visage de l'enfant, trois fois sur l'eau,
trois fois sur la bouche, sur le front et sur la poitrine de l'enfant, trois
fois sur la burette qui contient l'huile. Au Rituel romain, on trouve
également ce geste dans la cérémonie du baptême.
Comme pour l'emploi de l'huile de la lampe d'une icône il y a, dans
cette triple insufflation, dénaturation d'un rite symbolique de l'Eglise.
Dans la même île d'Egine, on emploie également cet exorcisme très
court : « Deux yeux l'ont ensorcelé, et trois le guérissent, le Père, le
Fils et le Saint-Esprit. » Simple calembour, que la traduction ne peut
rendre. La formule doit être répétée trois fois.
Le diable est le singe de Dieu. Il n'est pas jusqu'à cette coutume de
répéter trois fois une formule, qui ne soit d'origine liturgique. Dans
le rituel du baptême orthodoxe, en effet, le prêtre à trois reprises,
dans les Eùyal qui suivent la catéchèse, répète trois fois une phrase,
celle-ci par exemple, qui est le début d'une longue oraison : « Que
toutes les puissances adverses soient brisées par le signe de ta croix (i).
(i) C'est la troisième des grandes oraisons qui est prononcée sur l'eau.
5i6 ÉCHOS d'orient
Ces deux x&rkia d'Egine sont brefs. Un jeune Athénien m'ay
confié que sa tante avait une formule infaillible qui l'avait guéri li-
même, je la lui demandai. La voici. C'est une véritable incantatio
Elle est assez longue, d'autant qu'il faut la répéter trois fois.
N..., né [de Dieu, guéri par Dieu {ter). Panaghia excellente, exorc
tout mal, toute rencontre, tout souffle, toute maladie, toute Baskari
Que [les sacrements, les liturgies, les onctions saintes, la sainte Eue
ristie guérissent N... de son mal. Grand est le nom de la sainte Trini
grand^est le nom de tous les saints, et tous les saints. Saints anargyi
médecins et thaumaturges, vous avez reçu gratis, accordez gratis à ?
— O Dieu, manifeste ta puissance! Exorcise tout mal, toute rencon
tout souffle, toute Baskania. — Le bâton du Christ, il l'a pris p Ér
oreiller; le Christ qui va le couvrir de son ombre, le Christ à sa tête je
Saint-Esprit dans son âme, le chœur des apôtres en cercle autour de in
corps. Eh! dame Madeleine, comment seule dors-tu? — Non, mon ;î-
gneur Christ, N... ne dort pas seul. Il y a Pierre, il y a Paul, il y a ^s
douze 'apôtres. — Il tombe; il fait le signe de la croix. Le Christ la
Panaghia et Dieu, voilà son remède.
.
Le bâton du Christ, dans l'idée du compositeur, c'était peut-êtr
baculus pastoralis'j\e l'évêque orthodoxe, ou même le tau ou la four le
dont les caloyers se servent pour s'appuyer durant les longs off :s
du chœur. In casu, c'est moins encore. Le jeune homme me l'a av lé
avec candeur : « Ma tante ne comprend pas, mais c'est le texte. 11
le lire trois fois, sans omettre un seul mot. »
Suit une description d'icône byzantine, peut-être la dormition dpa
Sainte Vierge. Puis un dialogue entre le Christ et la Madeleine,
l'on retrouve mentionné avec plus de précision dans d'autres adjja-
tions. A l'origine, c'était un couplet de chanson populaire, du g<
des complaintes que les paysannes chantent encore le Vendredi-Sî
Notre-Seigneur s'étonnait que Madeleine dormît quand il allait moi
Et la pécheresse répondait: « Hélas! Seigneur, je ne suis pas la st
Voyez Pierre, Paul et les apôtres. » Malgré le ton de familiarité
naïve complainte était gracieuse et touchante. On voit ce que les e
ciseurs en ont fait : un non-sens et une absurdité.
re
it.
r.
e.
la
br-
f"
Au Pirée, une vieille femme, contre dix sous et la promesse q
ne s'en servirait pas, a consenti à livrer sa recette.
Le Christ, le Saint-Esprit et la dame Panaghia. Elle fut troilee
comme elle allaitait le Christ. Et le fleuve inonda les marais, eles
arbres furent ^déracinés. Michel l'archange passa et interrogea : « acl
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL CHEZ LES GRECS MODERNES 5 17
«tt ce mal ? — C'est un enfant baptisé, confirmé et remis i pieu.
Eiilève-nioi mon mal loin de toi. Jette-le dans les pcofoodecus de la mer,
D est venu à rebours, qu'il parte à rebours. »
La rubrique ajoute : « Répète ces paroles trob fiws, fêtant d'abord
issaré que c'est un garçon, parce que l'exorcisme n'agit pas quand
c'est une fille. Tu le fais avec trois grains de sel, et, quand tu as fini,
ta encenses le malade. » Voilà des instructions précises!
L'exorcisme est intéressant à cause de la phrase qui interrompt Sou-
dan le dialogue : « C'est un enfant » Un habitant de TripoGtsa,
en Arcadie, après l'avoir lue, m'a dit : « Chez nous, lonqo'aprês la
cérémonie du baptême le parrain rapporte l'enÊuit à la mère, 0 pro-
nonce ces mêmes paroles : So*j —TzxZiZta Tuvj'^Lrâza. -rô î^t»*, j»atsr:ï;yxi»»,
s xzl Toû feov îTopaowjiivo, « Commère, je te rends ton en£uit;
u ^ cLc baptisé, confirmé et remis à Dieu. » C'est l'accoaniiodalîoii
populaire d'un passage du rituel de XapdoHsis, qui parachève dcz les
orthodoxes l'ixoÀou^'la toJ ^xzrzlr'xxzoi (l)-
Cène formule mi-liturgique, nous la retrouvons dans un
rn usage dans l'île de Corfou.
Saints anaig3rres du Christ, les premiers médecins du mmide, qui avez
^Béri beaucoup de malades, guérissez encore N..., qui a été baptise, coo-
Stmc et remis à Dieu, dont tous les cheveux scmt comptés, «Ssz soépt
fmspgisviii. Et s'il est ensorodé soit par on homme, smt par une
qat s'en aille la Baskania, la peur, la teneur, la mauvaise renomnie.
Cet 2^>pel aux anargyres Cosme et Damîoi, on le répcie dans
■■ groupe d'exordsmes. Les deux mar^rs, en tBtt, sont, en pojs
grecs, les guérisseurs attitrés de nombreuses maiadirs. Le i* iMi>f€uiiMe
est le jour de leur fête. Des deux canons de Vartèms de leur *i nftif !■■,
f le premier a été composé par le Damascène, le dwnrièmr peut-être par
* Joseph l'Hymnographe. L'invocation que les bonnes fenuocs apprlmt
le tropaire des anargyres, et qu'elles arrangent ftêgmimmcnt à leor
é tetaisie, est Vapolytikùm de Ve^ténmos, choisi sans doute à caose des
'online mots. U est toujours pénible d'avoir à pofer on médecni, co»-
aditfîon ou remèdes. "A-pAi 'Avirpjp»! wà ^mtfxmttsrmi, csiaaê&arsIiE
I "à; xs^sv^îx; T,uûv - Ztazshc» DiApszs, «Modcv o«c£ t«j>^. « Saônts anaigynes
et thaumaturges, guérissez nos mala<fies. Vous avez reçu gratis»
î donnez gratis. »
>^ p«n«s ae dnwadett pas loajows qae cette oér6aoaie sok oOGhrie.
5i8 ÉCHOS d'orient
Les voici de nouveau invoqués, en compagnie d'autres bienlieureux,
dans cet autre exorcisme de Corfou.
Saints anargyres, les premiers médecins du monde, qui avez guéri
nombreux malades, guérissez encore N... La Baskania, la jalousie, l'envie,
enlevez-la de son cœur, de ses membres et des os de son corps. Femme,
homme; homme, femme. Saints anargyres et thaumaturges Cosme et
Damien, les premiers médecins du monde; sainte Paraskévi et saint Pan-
talémon, que guérisse et sorte la Baskania 1 Qu'elle aille dans les mon-
tagnes sauvages, dans les plaines désertes, où le coq ne chante pas, où la
poule ne glousse pas. S'il est ensorcelé par une femme, qu'il soit exorcisé
par moi et guéri par moi; s'il est ensorcelé par un homme, qu'il soit
exorcisé par moi et guéri par moi (i).
La xorhistra reçoit du malade un morceau de broderie qu'elle roule
entre ses doigts et le signe du signe de la croix en répétant le xorki
trois fois.
Tous ces motifs, invocations aux bienheureux, fantaisiste anatomie
du corps humain, les montagnes, le chant du coq et le gloussement
de la poule nous sont déjà connus. On notera ici, plus encore que
dans l'exorcisme précédent, les précautions prises pour désensorceler.
Plus haut on a eu un exemple de xorki qui, sur une fille, n'aurait pas
d'effet. Ici la sorcière se met en garde contre les ruses de la maladie.
Homme ou femme, qu'elle qu'en soit la cause, il faut qu'elle s'en aille.
Malgré l'habileté des guérisseuses qui, aux moindres indices : bâil-
lements, salive, rougeur du nez, position du corps, excellent à décou-
vrir le sexe du jettatore, il est souvent malaisé de dire avec certitude
d'où provient la maladie. Il arrive parfois qu'on se fascine soi-même.
Un Grec de Sparte, de figure assez peu avenante, faut-il ajouter, me
l'a confié un jour où lui-même se sentait malade. « Se regarder à loisir;
dans une glace, se trouver beau et se le dire, c'est jouer un jeu très^l
dangereux. » Pourquoi nos coquettes de France n'ont-elles pas cette
salutaire terreur du miroir? De même, une glace dans laquelle s'est
réfléchi un cadavre peut ensorceler les familiers de la maison.
Les deux exorcismes suivants ont été dérobés par ruse à une vieille
paysanne de l'île de Kéa, dans les Cyclades. Un jeune homme, sur
mon conseil, je l'avoue à ma honte, lui fit accroire que sa sœur était
(i) Cet exorcisme et le précédent ont été publiés par M. Kabasilas, Aaoypoiçta,
191 1, p. 648.
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL CHEZ LES GRECS MODERNES 5I9
malade du mauvais œil. Emue et prise de compassion, la brave femme
lui communique en secret ce premier exorcisme (i).
Jésus-Christ triomphe et dissipe le mal; la Panaghia s'éveille. Qu'il
s'en aille dans le buisson et dans la plaine, et dans l'abîme de la mer;
là il mangera, là il boira, là il tombera, là il se perdra.
La rubrique note : « On prend trois clous de girofle. Avec le pre-
mier on fait très lentement un signe de croix sur la figure du patient,
puis avec les deux autres de la même manière. Après quoi, on récite
à voix basse et distinctement l'incantation. »
Amusantes ces rubriques d'exorcismes, plus parfois que les textes
eux-mêmes. Elles fournissent, le cas échéant, la justification et l'excuse
de l'insuccès. Tel malade n'a pas été guéri; c'est la conséquence d'une
distraction, d'une inadvertance, de l'omission d'un geste ou d'une
parole mal prononcée. Jamais la famille ne s'en prendra à la guérisseuse.
Ces gestes répétés agissent sur l'imagination du malade et sur son
entourage, car les prières, personne ne les comprend ni ne les écoute.
Tous sont trop absorbés par le spectacle un peu fantastique de cette
vieille femme qui s'agite et se démène autour du lit en promettant la
guérison. Quand j'avais sept ans, je vis un soir dans ma famille un
rebouteur remettre en place une cheville déboîtée. 11 marmotta des
oraisons, dessina sur la jambe une quinzaine de signes de croix depuis
le genou jusqu'aux orteils, et se mit au travail, s'interrompant fré-
quemment pour tracer de nouveaux signes cabalistiques et jargonner
des formules magiques. Pendant de longs mois je restai convaincu que
la guérison avait été obtenue non par l'habile massage du praticien,
mais par les signes mystérieux que, du pouce, il traçait d'un air inspiré
sur la jambe malade.
Dès qu'il s'agit de superstitions, la plupart des Grecs ont toujours
sept ans. Toute leur vie, jusqu'à la vieillesse, ils croiront à la mysté-
rieuse puissance des rites inventés par les sorcières de Byzance, et
transmis presque intacts dans les villages les plus reculés à travers
les siècles.
Le lendemain, la paysanne demandait avec inquiétude si la jeune
fille était guérie. Ayant reçu l'assurance qu'une amélioration avait été
constatée depuis la veille, pour hâter la guérison elle livra ce deuxième
exorcisme.
(1) On sait l'extrême difficulté qu'il y a à se procurer ces formules qui, une fois
publiées, disent les commères, perdent leur pouvoir magique. 11 faut ruser, avoir de
la patience, et toujours se servir d'un intermédiaire.
520 ÉCHOS D ORIENT
On doit le répéter neuf fois. Puis, ayant pris quelques grains de sel
et neuf rameaux de buis, on jette le tout au feu.
Ail vert, hibou, chouette, avec des mamelles de tortue, avec du lait de
serpent. Celui qui a ensorcelé N..., un clou dans ses yeux. Si c'est un
homme, que les yeux lui sortent; si c'est une femme, qu'elle se casse
la jambe.
Les liturgistes goûteront le suivant, qui sans aucun doute provient
d'un Euchologion manuscrit du moyen âge. Une femme d'Egine s'en
sert avec succès. Elle ne se doutera jamais que, étant publié, il a perdu
sa valeur curative.
Seigneur, Dieu Sabaoth, après l'avoir illuminé et être allé à sa ren-
contre, tu as donné à Moïse par ta divine grâce les tables de la Loi sur
le mont Sinaï. Sur le Thabor, Seigneur, tu t'es transfiguré, brillant
comme un soleil dans la nuée lumineuse, en présence des saints apôtres
Pierre, Jean et Jacques; et l'on entendit du haut du ciel une voix qui
disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui je me complais. » —
Ton humble servante, Seigneur, te supplie, au nom de ton Fils unique,
de guérir ton serviteur N... de toute fièvre, érésipèle, fièvre des marins, |
mal de dents, ophtalmie {dix mois incompréhensibles, on devine
qu'il s'agit de maladies contractées dans l'eau), maladie des nerfs, maladie
des articulations et toute espèce des quatorze fièvres. Par l'intercession
de ta Mère très pure et du très saint apôtre, des archanges Michel, Gabriel
et Raphaël; des hiérarques Basile le Grand, Grégoire le Théologien et
Jean Chrysostome; de saint Georges, du grand martyr Démétrius, de la
martyre Marine et de sainte Anastasie la Thaumaturge; par l'intercession
des trois Enfants sauvés de la fournaise, des saints Nicolas, Karalambos,
Eleuthère et tous les saints. Nous te prions, guéris ton serviteur N... —
Saints anargyres, thaumaturges et médecins de l'univers, guérissez votre
seiviteur malade. Vous avez reçu gratis, accordez-nous gratis saguérison.j
— Un te fascine, deux te fascinent, trois te guérissent : le Père, le Fils et
le Saint-Esprit.
Depuis plusieurs siècles peut-être, cette prière se transmet par tra-
dition orale. Le texte à peu près indéchiffrable qu'on m'en a donné a
été écrit en orthographe phonétique par une paysanne. Mais, grossiè-
reté de langage mise à part, il est, dans Y Euchologion Méga, des oraij
sons qui ne la valent pas. La finale seule, qui a été sûrement ajoutéf
avec le tropaire des anargyres, donne à l'ensemble une allure d'Ej^^V
superstitieuse. La prière elle-même est ce qu'on peut appeler une 'Eu'/V
passe-partout, c'est-à-dire servant pour toutes les maladies, car le plu!
souvent les paysans ne savent pas au juste de quoi ils souffrent.
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL CHKZ LES GRECS MODERNES 52 I
Enumérant toutes les maladies connues, la sorcière a chance d'exor-
ciser la véritabl?. On ferait la même remarque à propos des exorcismes
à dire sur les brebis malades; sont énumérées parfois jusqu'à vingt
espèces de fièvres. Ici, il y en a une dizaine, plus les quatorze incon-
nues. Ce qui, dans la pensée de l'exorciseuse et des paysans rattache
cette prière au groupe que nous étudions, c'est que, par eux, la cause
de la maladie est attribuée à l'action du mauvais œil.
Les personnages invoqués sont assez connus, sauf l'higoumène Anas-
tasie, qui est nommée la dernière. Née à Egine, elle y vécut dans la
prière, au cours du ix^ siècle, y dirigea avec succès un monastère et
mourut, dit sa légende, au milieu de ses caloyères, en récitant des
psaumes. Son office est au propre du diocèse latin d'Athènes, à la date
du 7 septembre, mais les Grecs célèbrent sa mémoire le 18 avril. Une
acolouthia en grec d'école a été récemment imprimée en son honneur.
Mais à Egine on ne sait rien d'elle, ni de son monastère, ni de ses
reliques. Elle y a seulement dans une église une belle icône que l'on
orne de fleurs le jour de sa fête (i).
On reconnaîtra dans l'exorcisme suivant, en usage dans l'île de
Sériphos, la phrase liturgique déjà signalée deux fois.
Venez, Christ et Panaghia, et Saint-Esprit; la terré s'ouvrit et les mon-
tagnes se fendirent. Anges et archanges, je te confie ton serviteur N...
confirmé, baptisé et remis au Christ de la cime à la racine. Que le mal
ne se pose sur lui ni un jour, ni une heure, ni une demi-heure.
Trois jeunes gens de vingt ans que je connais ont été traités pour
la Baskania. Le premier, à l'âge de douze ans, par un papas qui récita
l'exorcisme de VEuchologion mikron. Le deuxième se rappelle seulement
avoir entendu bredouiller le tropaire des anargyres; des autres paroles,
il n'a rien compris. L'exorciseuse avait fait l'épreuve des trois gouttes
d'huile dans une soucoupe pleine d'eau, puis elle avait jeté le mélange
dans la rue, ajoutant que si un passant, homme ou femme, marchait
sur la terre mouillée par ce liquide, il « prendrait pour lui-même le
mauvais œil ». Quant au troisième, qui n'avait que huit ans, il a tout
oublié, mais à maintes reprises sa mère l'a assuré qu'étant très malade,
il avait été guéri par le traitement de la Baskania. Le deuxième, qui
a perdu toute foi positive à l'orthodoxie, attribue l'influence pernicieuse
du mauvais œil à la puissance magnétique de certains individus. Beau-
(1) 'AxoXouôt'a xal pto; tt^ç 'Aôava<Ttaç tt]; 'AtYtviiTt6oç, in-8% 16 pages. Athènes, 1897.
522
ECHOS D ORIENT
coup de Grecs pensent de même, tant est enracinée en eux cette
absurde croyance.
Voici encore le tropaire des anargyres et une invocation au Sairft-
Esprit mélangés à d'insipides fadaises.
Saints anargyres et thaumaturges, qui êtes les médecins du monde,
guérissez votre serviteur N... — Le petit de l'ânesse, que sept yeux ne le
voient pas. — L'Esprit-Saint, le Bon, qui dissipe toute maladie. Si c'est
le mati (l'œil), qu'il devienne poussière qui tourbillonne; si ce n'est pas
le mati, qu'il devienne croix.
La rubrique est plus déconcertante, si possible. « En disant ces
paroles, tu jettes dans un verre d'eau trois gouttes d'huile, et si c'est
le mali, elles se diluent. Alors tu trempes tes doigts dans le verre, après
y avoir mis quelques grains de sel, et tu asperges le malade de la tête
aux pieds, en comptant 5, 10, 15, 20, 25, 30, 35, 40. »
Ce galimatias est à l'usage des commères de l'île d'Ydra.
Dans la Mort du Pallihare, qui est peut-être son chef-d'œuvre e»
prose, le poète Kosti Palamas fait un remarquable emploi de la super-
stition du mauvais œil comme motif littéraire (i). Un Vendredi-Saint,
Mitros Roumeliotis, pêcheur du village de Thalassokori, ayant glissé
sur un quartier de citron, s'est cassé une jambe et démis la rotule. Le
médecin est appelé; puis un rebouteur cupide et madré, Kabanitsas,
qui, dans toute la Roumélie et jusque dans la moitié de la Morée,
jouit d'une universelle renommée ; enfin le chirurgien Kouzounopoulos
qui, durant cinquante jours, aux frais de la mère de Mitros, veuve de
Dimos, mange, boit et dort à l'égal d'un pacha et disparaît. Mais la
jambe ne guérit pas, la gangrène s'y est mise. Le rebouteur et le chi-
rurgien ont, contre argent comptant, changé en maladie mortelle un
accident que le repos eût vite réparé.
Les semaines s'écoulent. La veuve de Dimos « depuis plusieurs mois
réfléchissait beaucoup. Lentement une idée envahissait son cerveau.
On avait jeté un sort à son fils La mère de Morfo, Yaroufalia, qui
tire les cartes et exorcise les démons, avait donné le mauvais œil à son
fils. Le sachant fiancé à. Phroso de MéHssi, elle avait voulu le nettoyer,
Morfo, sa fille, éconduite et jalouse, ajoutaient les commères amies» ■
(i) Traduit en français par Jean d'Argos. Athènes, 1907; brochure 20/12 de 55 pages.
J'ai parfois cité littéralement cette remarquable traduction.
LA BASKANIA OU LE MAUVAIS ŒIL CHEZ LES GRECS MODERNES 525
avait écrit, sur son conseil, le nom du pêcheur parmi ceux des morts»
et avait fait déjà célébrer pour lui un service funèbre au bout de trois,
de neuf, de quarante jours; de trois, de six mois, au bout de l'an
enfin. Ces envoûtements sont infaillibles, et celui qui en est l'objet
peut se considérer comme perdu ».
C'est d'ailleurs ce que répond une sorcière de Patras à la veuve, après
avoir examiné avec attention les cheveux du blessé. « Ton fils ne peut
guérir. On l'a terriblement envoûté; les Arméniennes (les fées) lui en
veulent. Une d'elles, en le voyant, a porté envie à sa beauté, l'a poussé,
l'a renversé, l'a blessé. » Une Juive de Jannina, convertie à l'ortho-
doxie, devine également que les coupables sont les fées. Elle ordonne,
comme la première, des herbes calmantes; tente l'épreuve du soulier
sur le toit durant la nuit, et conclut : « La guérison est impossible. Si,
dès le début, on avait eu recours aux exorcismes au lieu de s'adresser
aux médecins, il aurait été sauvé. »
Mais à Lépante vit un devin fameux. Taria Tarela, ami de la veuve,
s'en va le trouver, chargé d'argent, de lettres, d'objets appartenant à
Mitros. La réponse est aussi désespérante. « Prends-en ton parti, mon
ami. Il ne faut pas demander l'impossible. Mitros est la victime d'en-
voûtements terribles, d'esprits malfaisants. Dès aujourd'hui vêtez-vous
de noir. »
Et le même jour du Vendredi-Saint, le beau pallikare, que des vil-
lages voisins les paysans venaient par bandes les jours de fête voir
danser les danses klephtes, après une année de douleurs atroces,
expira. Morfo, la perverse et curieuse jeune fille, se glisse furtivement
dans la maison où les femmes échevelées chantent autour du cadavre
les myrologuis. A sa vue, la mère éclate, mais Morfo, avant qu'on ait
pu la saisir disparaît, évanouie comme un mauvais rêve, comme un
démon enchanté. « Ah ! bourreau, c'est toi qui l'as tué! Que n'ai-je un
fusil pour te tirer dessus! Mais qu'importe! tu ne l'as pas eu, puisque
la Mort l'a enlevé. »
M. Kosti Palamas affirme qu'il a recueilli ce dramatique récit sur les
lèvres de sa nourrice, paysanne simple et illettrée. Enjolivées ou non,
ces pages sont un témoin exact et précis des croyances populaires.
L'aventure banale du pallikare Mitros blessé à la jambe, soigné par un
médecin habile qui recommande le repos et la patience, et envenimant
comme à plaisir sa plaie par des recettes de charlatans; puis recourant
aux exorcismes et à la sorcellerie, dans la persuasion que son mal est
524 ÉCHOS D ORIENT
-dû à la jalousie d'une jeune fille évincée; sa mère et ses amis s'asso-
ciant à lui dans la poursuite folle de sorcières ; celles-ci se retranchant
derrière le pouvoir mystérieux des envoûtements et la malveillance des
fées, et attribuant leur impuissance à guérir au manque de confiance
du malade, qui a eu la fâcheuse idée de recourir d'abord au médecin,
au lieu de se faire exorciser; malgré ces rebuts et ces échecs, le pêcheur
et sa mère allant trouver un autre guérisseur; finalement, tout le vil-
lage, la jeune fille elle-même, convaincus que Mitros meurt de baskanie;
voilà, pour qui connaît la vie des paysans grecs, autant de détails réels.
Dans les villages du Magne ou de la Stéréa-Hellas, combien de jeunes
gens tués ainsi bêtement depuis des siècles, comme le pallikare Mitros,
par leur famille même ! C'est le côté tragique et odieux de la supersti-
tion. 11 serait malaisé, je crois, de trouver une illustration plus appro-
priée à cette étude sur la Baskania chez les Grecs orthodoxes modernes.
Louis Arnaud.
Athènes.
Il
BULLETIN DE THÉOLOGIE ORIENTALE
I. La primauté romaine et le clergé oriental au VII^ siècle. —
II. Grégoire Palamas et le palamismë. — III. Etudes sur la théologie
orthodoxe. — IV. La doctrine de la satisfaction dans l'Eglise russe.
— V. La Pénitence et l'Extrême-Onction dans l'Eglise grecque. —
VI. L'idée morale des dogmes de la Trinité, de l'Incarnation et de
la Rédemption d'après un théologien russe. — VIL Le dogme
chrétien au point de vue apologétique d'après un théologien russe.
— VIII. L'Encyclopédie théologique russe.
La théologie orientale — et par ce mot nous entendons spécialement
la théologie de l'Eglise byzantine et de ses filles, les Eglises autocéphales
actuelles — commence à attirer l'attention des Occidentaux. Il faut s'en
réjouir. Trop longtemps peut-être la controverse protestante a cbsorbé
l'activité de nos apologistes et de nos polémistes, et l'on a un peu oublié
qu'en dehors des disciples de Luther et de Calvin, il existait d'autres
chrétiens tout aussi intéressants, plus loin de nous par la longitude, mais,
plus près par leurs croyances, leurs rites et leur discipline. En dehors du
premier volume de la Theologia dogmatica orthodoxa du R. P. A. Pal-
mieri, que nos lecteurs connaissent déjà par le long compte rendu que
nous lui avons consacré (i), il a paru en ces dernières années, sur la
théologie orientale, un certain nombre d'ouvrages et de monographies
qui méritent d'être signalés. De ces études, les unes sont dues à des
plumes catholiques, d'autres à des plumes orthodoxes. Si les premières
sont facilement accessibles à tous nos lecteurs, les secondes peuvent en
rebuter plus d'un par la langue en laquelle elles ont été écrites. Ce sera
pour nous une raison de donner de ces dernières une analyse plus
détaillée.
Voici d'abord une monographie déjà vieille d'une dizaine d'années,^
qui n'est pas dans le commerce et qui mériterait d'y être, sur la Primauté
romaine et le clergé oriental au vn« siècle {5go-yi5){2). L'auteur, M. l'abbé
L. Andrieux, l'a présentée comme thèse pour le doctorat à la Faculté
libre de droit canonique de Paris. C'est dire qu'il traite surtout son sujef
(i) Voir Echos d'Orient, novembre ign, p. 321-332.
(2) L. Andrieux, la Primauté romaine et le clergé oriental au vu* siècle (590-715).
Le Puy, Prades-Freydier, 1903, in-8% vni-i5o pages.
526 ÉCHOS d'orient
du point de vue canonique. Mais vraiment ce point de vue, attendu qu'il
s'agit du vii« siècle, paraît un peu superficiel. Ce n'est un mystère pour
personne qu'il n'existait pas à cette époque de lois canoniques fixes
réglant les rapports du Pape avec le clergé oriental. Le concile de Sar-
dique avait bien déterminé la procédure à suivre dans les cas d'appel,
mais, dans le fait, cette procédure, tout en étant consignée dans les col-
iections canoniques, était restée à peu près lettre morte. Le Pape inter-
venait dans les affaires des Eglises orientales quand et comme il le jugeait
à propos, et cela arrivait presque toujours lorsque la foi était en jeu. C'est
bien la conclusion générale qui se dégage du travail de M. L. Andrieux,
travail fort consciencieux, dénotant une lecture attentive des sources,
mais dont l'allure naturelle est entravée par le souci de manœuvrer sur
un terrain canonique inexistant. Aussi, c'est surtout par son contenu
dogmatique que cette étude présente de l'intérêt.
Un premier chapitre nous apprend quelle idée on se faisait de la pri-
mauté romaine au vu* siècle, tant en Occident qu'en Orient. Cette pri-
mauté, une primauté effective et non purement honorifique, était partout
reconnue, et on lui attribuait généralement une origine divine. Certains
Orientaux cependant affectaient d'ignorer cette origine pour cacher le
calcul de leurs ambitions. Ces tentatives, qui avaient déjà commencé au
concile de Constantinople, en 38 1, allèrent en s'accentuant au cours de
la controverse monothélite, et trouvèrent leur expression la plus auda-
cieuse dans les canons du concile in Trullo (en 691, non en 692, comme
il est dit p. 89). C'est pourquoi nous ne saurions souscrire à la conclusion
de l'auteur, p. 29, « qu'au vu* siècle l'idée romaine fit de grands progrès
en Orient ». Nous croyons, au contraire, qu'il y eut recul prononcé.
« L'époque type des anciennes relations de l'Evêque de Rome avec
l'Eglise d'Orient » (p. i) n'est pas le vu* siècle, mais la période qui va de
l'affaire de saint Jean Chrysostome à la fin du schisme d'Acace. Telles
affirmations qui se rencontrent dans ce premier chapitre comme dans les
suivants décèlent une connaissance incomplète de la doctrine et de
l'exercice de la primauté dans les siècles précédents.
Le chapitre deuxième étudie les relations du Pape avec les patriarches
orientaux. Après avoir parlé des manœuvres des patriarches de Constan-
tinople pour s'égaler au Pontife romain et lui disputer la préséance, l'au-
teur s'attache à montrer que le Pape n'intervenait pas d'une manière
habituelle dans la nomination des patriarches orientaux et la confir-
mation de leur élection. D'après lui, « quoi qu'on en ait dit, l'usage dei
lettres synodales n'impliqua jamais, ni de la part des patriarches une
demande, ni de la part des Papes l'octroi d'une confirmation quelconque >;
(p. 59). L'affirmation est peut-être un peu trop radicale. Nous concédons
volontiers à l'auteur que les formalités canoniques de la nomination e
de la confirmation n'étaient pas en usage; mais il ne faut pas oublier qu(
BULLETIN DE THÉOLOGIE ORIENTALE ^27
le Pape était universellement considéré comme le centre de la commu-
nion ecclésiastique, et que, dès lors, ses réponses aux lettres synodales
des patriarches constituaient comme une sorte de confirmation implicite
de l'élection de ceux-ci. Ce qui le prouve, c'est que chaque fois qu'un
patriarche était suspect d'hérésie, le Pape s'assurait de son orthodoxie
avant de l'accepter à sa communion. On a même deux ou trois exemples
de confirmation en termes exprès. Il ne convient donc pas de dire « que
le Pape ne jouissait pas du droit de confirmer l'élection des patriarches ».
Il avait parfaitement ce droit, mais il n'en usait formellement qu'en de
rares circonstances, quand les intérêts de la foi l'exigeaient.
Pour établir que l'Evêque de Rome n'avait aucune part dans l'élection
des patriarches, l'auteur nous paraît citer à contre-sens un passage d'une
lettre du pape Martin I" à Pantaléon. Dans cette lettre, le Pape déclare
qu'il a nommé Etienne de Dora son vicaire, pour établir dans le patriarcat
de Jérusalem des évêques, des prêtres et des diacres, embarrassé qu'il a
été de donner un patriarche au siège de Jérusalem : Quoad potestas nobis
dejuit, ad promopendum patriarcham Hierosolymorum (en grec : êo "6'so^
•:Tpa/0-r,vai Trarptao/TiV 'l£po<ToXu[JL03v I^TjTropTjtrajxev. Mansi, X, 821). M. Andrieux
entend cet embarras d'une impuissance canonique : « Je ne saurais
nommer un patriarche de Jérusalem, déclare sans ambages le pape
Martin I" à Pantaléon. » (P. 40.) Cette interprétation jure avec tout le con-
texte. Comment le Pape, qui se croyait le droit d'exercer par son vicaire
les fonctions patriarcales dans le diocèse de Jérusalem, se serait-il senti
impuissant à pourvoir au siège de cette ville, alors que, dans cette même
lettre à Pantaléon, saint Martin I®"" affirme avoir reçu de Dieu la mission
de venir au secours des Eglises en détresse? Evidemment, le Pape veut
parler d'une impuissance de fait tenant aux circonstances, non d'une
impuissance de droit.
Ajoutons qu'on ne voit pas pourquoi les Papes, qui, de l'aveu de
M. Andrieux, se sont permis parfois de déposer des patriarches orientaux,
auraient reculé devant une nomination.
Au VII® siècle, les évêques, le bas clergé et les moines orientaux entre-
tiennent avec l'Evêque de Rome des rapports relativement fréquents.
C'est ordinairement pour demander aide et protection contre les persé-
cutions et les abus des patriarches inféodés à la politique religieuse des
empereurs. Ces appels constituent une des preuves les plus frappantes
de l'universelle juridiction du Pape. Tout comme de nos jours, de
simples prêtres en appelaient directement au Saint-Siège des décisions
de leurs supérieurs immédiats. Les moines faisaient de même. L'auteur
cite même un exemple d'appel d'une décision du sixième œcuménique.
Les appelants, le prêtre Anastase et le diacre Léonce, obtinrent gain de
cause auprès du pape Léon II (ch. m).
L'Evêque de Rome exerçait aussi son autorité tant sur les conciles
528 ÉCHOS d'orient
particuliers que sur les conciles généraux. Le cas du pape Honorius
condamné par le vi« concile n'y contredit pas, comme l'auteur le fait bien
ressortir, encore qu'il soit porté à exagérer l'importance du fait en y
voyant une manifestation du vieux droit public ecclésiastique. Malgré
les attitudes contradictoires prises par eux aux deux conciles de 680 et
de 691, les Orientaux s'accordèrent toujours à reconnaître la nécessité
pour un concile œcuménique d'être confirmé par le Pape. Delà les inutiles
instances qu'ils firent pour obtenir la confirmation du concile in Trullo
(ch. iv).
Le cinquième et dernier chapitre sur les agents du Saint-Siège en
Orient : apocrisiaires, légats, vicaires, achève de montrer comment à
cette époque, où l'on était déjà si près du schisme, l'Evêque de Rome exer-
çait en Orient une véritable primauté de juridiction sur tous les membres
de l'Eglise. Et dire que les théologiens orthodoxes affectent encore de
nos jours de croire et ne craignent pas d'enseigner que la primauté tut
une invention du pape saint Nicolas I", au milieu du ix« siècle! 11 esta
souhaiter que M. l'abbé Andrieux livre au public à leur intention une
édition revue et augmentée de sa thèse, débarrassée de toutes les préoc-
cupations canoniques qui entravent sa marche triomphante sur le terrain
dogmatique, le seul important, le seul réel aussi d'après nous. Dans cette
future édition, on aimera trouver un peu plus de conformité à l'usage
reçu dans la transcription des noms propres grecs. Ainsi, Serge et Cyr
pourront devenir sans inconvénient Sergius et Cyrus, à moins qu'on ne
préfère dire Serge, Cyr et Pyrrhe! De même Sophronius pourrait être
transformé en Sophrone. Dora sonnera mieux que Dor, et les Blakhernes
que Blacherna.
*
* *
La monographie de M. Grégoire Papamikhaïl, directeur du Phare
ecclésiastique (i), sur « saint Grégoire Palamas » (2) est, comme l'ouvra
précédent, une thèse présentée en igoS à l'Académ e ecclésiastique de Sain
Pétersbourg pour le diplôme de fin d'études, et publiée l'an dernier avec
retouches et additions. L'auteur a voulu mettre en relief le rôle joué par
Grégoire Palamas dans la controverse hésychaste du xiv« siècle, et il y a
assez bien réussi. Mais c'a été un peu aux dépens des autres protagonistes,
tels que Barlaam, Acindyne et Nicéphore Grégoras. Palamas étant pour
M. Papamikhaïl le champion de l'orthodoxie — M. Papamikhaïl est, ai
xx^ siècle, un des rares et peut-être le seul palamite qui existe encore, —
(i) Organe du patriarcat orthodoxe d'Alexandrie.
(2) 'O ayto? rpY)Y(5ptoî TlaXap-a;. Alexandrie, imprimerie patriarcale, 191 1, in-8°, vffi
238-xi pages. Prix : 5 francs. Grégoire Palamas fut canonisé solennellement au synoJ
constantinopolitain de i368 par son ancien ami, le patriarche Philothée. D'abord fix|
au 14 novembre, sa fête fut, dans la suite, transportée au II" dimanche de Carême
dimanche de l'Orthodoxie.
BULLETIN DE THÉOLOGIE ORIENTALE 529
il était inévitable que les antipalamites fussent par lui assc? malmenés.
De fait, le Calabrais est passablement noirci dans son tableau. Il nous le
présente comme une sorte de propagandiste aux intentions machiavé-
liques, cherchant par tous les moyens à discréditer le monachisme atho-
nite. qui contrecarrait ses projets unionistes. Car. aux yeux de M. Papa-
mikhaïl, un des grands torts de Barlaam et des autres adversaires de
Palamas fut ce que j'appellerai le latinophronisme, la tendance à faire
■cesser le schisme et à s'unir avec Rome. La haine quelque peu farouche
que le directeur du Phare ecclésiastique ^or\.e au catholicisme lui a rendu
impossible une appréciation exacte et sereine des événements, des per-
sonnes et des doctrines.
C'est ainsi qu'il n'a fait aucun effort sérieux pour saisir la pensée du
Calabrais et de ses disciples: Acindyne, Démétrius Cydonius, etc., qui
n'était pas autre chose que la doctrine de saint Thomas d'Aquin sur l'es-
sence et les attributs de Dieu, doctrine actuellement professée par les
théologiens orthodoxes, tels que le Grec Androutsoset le Russe Sylvestre.
Il est vrai que M. Papamikhaïl considère cette doctrine comme une
hérésie (p. 100^, sans se préoccuper de savoir comment il pourra s'en-
tendre avec ses confrères en orthodoxie, mais n'est-ce pas un peu parce
qu'il juge de l'enseignement des antipalamites d'après les déductions
fantaisistes de Grégoire Palamas?
La doctrine hésychaste elle-même touchant l'essence divine, la lumière
thaborique et les autres opérations divines n'est pas exposée avec toute
la précision désirable. Quelle sorte de distinction Palamas et ses disciples
admettaient-ils entre l'essence de Dieu et ses opérations? L'auteur ne le
dit n lie part d'une manière claire. Je sais que le problème est délicat,
mais il est capital et bien capable de tenter la curiosité d'un jeune théo-
logien.
Des citations des écrits de Palamas données dans l'ouvrage, on peut
déduire les conclusions suivantes sur la doctrine du grand docteur
hésvchaste :
I" Les opérations ou énergies divines (êvéoyetat, Oeottjtsç) sont distinctes
de l'essence divine et entre elles comme les personnes de la Trinité sont
distinctes de l'essince divine et entre elles;
2^ L'essence divine est en elle-même imparticipable et Inaccessible aux
créatures, même d'une manière surnaturelle. Les créatures ne peuvent
participer qu'aux opér tions divines, qui sont éternel es, incréées et infé-
rieures en quelque manière à l'essence ;
3° Un défaut capital du système palamite est de ne pas distinguer dans
l'action divine le point de départ et le point d'arrivce, l'acte divin con-
sidéré en Dieu et l'effjt créé qu'il produit au dehor> ;
4° La grâce et la gloire (c'est-à-dire la participation à la lumière divine,
ou lumière thaborique) sont quelque chose d'incréé. Ceux qui participent
Échos d'Orient, t. XV. 34
?,?^
ECHOS D ORIENT
à celte lumière méritent de recevoir les attributs divins. On peut les appeler
éternels, incréés, divins Qi dieux (àvap/ot, àxTi^xoi, àioio'., ôeïo;, Osot);
5° La lumière thaborique peut être vue, non pas naturellement, mais
surnaturellement, par les yeux du corps.
Il faut ajouter que Grégoire Palamas a couvert de son approbation les
pratiques mécaniques peu décentes employées par les moines athonites
pour se procurer la vision de la lumière thaborique. D'après lui, la loi
de péché dont parle l'Apôtre ayant toute sa force concentrée dans le
nombril, il convient que l'homme spirituel, pour mieux réagir contre
elle, concentre aussi sur ce point toutes ses énergies par un regard tixe et
continu, qui empêche les divagations de l'esprit. Par cette méthode, on
arrive à enfermer l'esprit dans le cœur, qui est son siège naturel. La
rétention de la respiration contribue aussi à ce résultat d'une manière
efficace, car, dit Palamas, « il arrive parfois que la chaleur et la ferveur
de l'esprit s'échappent par le nez d'une manière ineffable ». (Voir p. -j^
et 196-197.) Le prophète Elle aurait usé déjà de ces procédés de contem-
plation.
Disons à ce propos que M. Papamikhaïl, qui accepte tout du palamisme
comme faisant bloc avec l'Orthodoxie, même la concentration sur le
nombril (1), cherche à montrer que ces drôleries mystiques furent pour
l'ascèse orientale non une déviation, mais une rénovation et la reprise
d'une tradition ancienne, dont le secret commençait à se perdre au
moment où Grégoire le Sinaïte aborda à l'Athos. Inutile de dire qu'il
n'arriva pas à prouver sa thèse et à faire des hésychastes du xiv^ siècle les
fidèles disciples des grands mystiques orientaux des siècles précédents.
Même si l'authenticité d'un sermon attribué à Siméon le nouveau théo-
logien, où la manœuvre hypnotisatrice est décrite, était établie, cela nf
reporterait pas plus haut qu'au xi'^ siècle l'invention du secret pour voi^
la lumière thaborique, secret dont on cherchera vainement la trace dans
les écrits des anciens ascètes qui ont illustré l'Eglise orientale. L'archi*
mandrite Thémistoclis Stauros a donc eu raison d'affirmer que les prart
tiques hésychastes du xiv^ siècle constituaient une adultération de la
mystique des anciens, et M. Papamikhaïl a été bien mal inspiré de lu
chercher querelle sur ce point.
Palamas n'a pas seulement écrit sur la lumière thaborique; il a aussi
bataillé contre les Latins et s'est occupé en particulier de la question d^
la procession du Saint-Esprit. Quoi qu'en puisse penser M. Papamikhaïl^
il ne me paraît pas démontré qu'il ait nié ce qui fait le fond du dogme
catholique de la procession du Saint-Esprit ab utroqiie. Il considère, en
effet, la troisième personne de la Trinité comme l'amour réciproque du
(i) Voir son compte rendu de l'ouvrage de M. Thémistoclis X. Stauros, sur la con
troverse hésychaste, dans la Nsà Skov, t. IV (1906), p. 565, où la doctrine de Palama:
même Trepl ■zr\^ et; tov 6i;,5a>.bv (juy/'-îv-pwaîwç xoy vovl est déclarée opôoSoïciTârr,-
BULLETIN DE THEOLOGIE ORIENTALE 53 I
Père et du Fils, leur commun baiser, leur aspiration commune, compa-
raison chère à la théologie latine : "éo<.); tiç àTîôpoYiTo; toù revvT,Topoç tcûoç tôv
Aoyov. ('•) y.<x\ b Aoyo; yoY,~a'. r.zo; tov Tewt-^tocx.
Il est regrettable que l'auteur n'ait pas donné un résumé complet de
toute la théologie du docteur hésychaste. Ses nombreuses homélies sont
riches de contenu dogmatique. On y trouve en particulier des affirmations
très claires sur la primauté de saint Pierre et l'Immaculée Conception de
la Mère de Dieu.
Dans le chapitre m de son ouvrage, M, Papamikhaïl a fait des efforts
louables pour débrouiller l'histoire de la controverse hésychaste et en
marquer le développement progressif. S'il n'a pas réussi à éclaircir com-
plètement la question des synodes de l'année 1341, il a émis du moins
une hypothèse très plausible. Ce qu'on peut lui reprocher, c'est de n'avoir
pas suffisamment mis en lumière l'influence des événements politiques
sur la marche de la querelle. Ainsi on aura quelque peine à admettre que
la régente Anne Paléologine se soit tournée vers le palamisme, après 1347,
par une conviction bien arrêtée et non pour des motifs politiques. L'au-
teur se montre aussi trop crédule en acceptant sans discussion les miracles
attribués à Palamas.
Le dernier chapitre consacré à l'analyse des ouvrages de Palamas est
fort intéressant, bien que la liste des écrits inédits ne soit pas complète.
Malgré ses erreurs, le docteur hésychaste fut l'un des théologiens et des
orateurs les plus remarquables du xiv^ siècle byzantin. Une étude appro-
fondie de sa doctrine présenterait le plus grand intérêt pour l'histoire de
la théologie byzantine. Nous souhaitons qu'après ce premier essai qui,
malgré les imperfections signalées, possède une réelle valeur, M. Grégoire
Papamikhaïl nous donne dans un avenir prochain l'ouvrage définitif que
le monde savant attend encore sur la théologie de Grégoire Palamas.
La première série des Etudeis sur la théologie orthodoxe (i) de Dom
Placide de Meester est un recueil d'articles publiés en ces dernières années
dans la Revue bénédictine. L'auteur y résume l'enseignement des princi-
paux manuels de théologie dogmatique actuellement en usage dans les
Séminaires des Eglises autocéphales sur les traités suivants : De Deo
uno, trino, créante et gubej'nante. Ces Etudes ne donnent qu'une idée
très imparfaite de la pensée théologique des milieux orthodoxes à l'heure
actuelle, par le fait qu'elles ne font connaître que les thèses des manuels
classiques, thèses qui sont loin d'être admises par tous les orthodoxes
qui s'occupent de théologie. Car il règne une grande variété de doctrines
et d'opinions dans les Eglises autocéphales sur à peu près toutes les ques-
(i) D. Placide de Meester, O. S. B., Etudes sur la théologie orthodoxe. Première
série. Abbaye de Maredsous, 191 1, in-8°, ii-iry pages.
532
ECHOS D ORIENT
lions qui n'ont pas été définies par les sept conciles oecuméniques. On
ne s'en douterait guère en lisant les Etudes de D. Placide de Meester. Ce
qui leur manque, c'est l'ampleur de l'information, i es coups d'œil qui
sont jetés çà et là sur la théologie du passé n'embrassent qu'un horizon
fort restreint : Nicolas Coursoulas, Eugène Boulgaris et son élève, Atha-
nase de Paros, voilà à peu près les seuls représentants de la théologie
grecque aux xvii* et xviii^ siècles, que l'on signale, en dehors des confes-
sions de foi.
Un seul point a été traité d'une manière satisfaisante : la doctrine
actuelle des théologiens russes et grecs sur l'état primitif de l'homme et
le péché originel (p. yy-ioS, à peu près le quart de l'ouvrage). Ceux qui
s'occupent de théologie orientale sauront gré à l'auieur d'avoir donné,
en vingt-huit pages, un résumé clair d'un ouvrage qui ne l'est guère; je
veux parler du De doctrina Russorum de statu justitiœ originalis, de
M. l'abbé Matulewicz. Par contre, ce qui est dit de la prédestination est
tout à fait insuffisant.
L'auteur paraît considérer la confession de foi de Métrophane Crito-
poulos comme un livre symbolique de l'Eglise orthodoxe, malgré les
protestations réitérées des théologiens de cette Eglise contre cette manière
de vo'r. Je me demande aussi où il a trouvé que le symbole de saint
Athanase jouit d'un grand crédit dans l'Eglise grecque (p. 28, n. 3). Pour-
quoi l'expression «enseignement trinitariste », au lieu de: «enseigne-
ment trinitaire », et que peut bien être « un triangle ou\ert » (p. 49)?
On ne connaît point de patriarche de Constantinople qui se soit appelé
Grégoire VII (p. 3, n. 5). Christianskoié Tchtenie doit se traduire par la
Lecture chrétienne et non par les lectures chrétiennes (p. 8, n. 2). L'aperçu
historique sur la controverse du Filioque abonde en lacunes et en inexac-
titudes (p. 33-35). C'est ainsi qu'on fait écrire une lettre aux Espagnols,
au vi^ siècle, par le pape saint Martin I", lettre qui aurait scandalisé les
habitants de Constantinople, au témoignage de saint Maxime.
*
* *
Des quatre chapitres qui constituent l'excellente monographie du
R. P. A. Bukowski sur la satisfaction pour les péchés d'après la doctrine
de l'orthodoxie russe (i), les deux premiers avaient déjà paru dans les
Weidenauer Studien, t. II et III. Ils traitent respectivement de l'ensei-
gnement des confessions de foi et des théologiens russes sur la satisfaction
principale fournie par le Rédempteur et la satisfaction secondaire qui
(i) Alois Bukowski, S. J., Die Genugtuung fur die Siinde nacli der Auffassung
d r ssischen Orthodoxie. Ein Beitrag ^ur Wiirdigung der Lehrunterschiede
xwischen der morgenlœndisch-orthodoxen und der roemisch-Katholischen Kirche,
t. XI, 1" cahier des Forschungen \ur christlichen Literatur und Dngmengeschichte.
Paderborn, F. Schœningh, igii, in-8°, viii-212 pages. Prix : 6 marks.
BULLETIN DE THÉOLOGIE ORIENTALE S33
est à la charge de l'homme pécheur en union avec Jésus-Christ, soit avant,
soit après la justification. Ces deux chapitres ayant déjà été analysés
dans cette revue {Echos d'Orient, t. XIII, 19 [o, p. 3i2-3i3), nous jugeons
inutile d'y revenir. Nous nous contenterons seulement de rappeler que,
d'après les théologiens russes actuels, la pénitence ou épitimie imposée
par le confesseur pour les péchés pardonnes n'est aucunement satisfac-
toire, mais seulement médicinale.
Le chapitre m est un court aperçu sur la polémique des théologiens
russes contre la doctrine catholique des indulgences ou, pour parler plus
exactement, contre les absurdités gratuitement prêtées à l'Eglise catho-
lique par des esprits nébuleux, qui ont brodé sur un canevas fourni par
les protestants allemands. La doctrine des indulgences est, en effet, l'une
de celles que les théologiens orthodoxes en général, et les théologiens russes
en particulier, travestissent de la manière la plus invraisemblable. Des
exemples feront comprendre. Un certain Vinogradof écrivait récemment
dans son catéchisme à l'usage des gymnases (Moscou, 1908) : « Les indul-
gences sont des attestations écrites du pardon des péchés données moyen-
nant finance. Il y a des indulgences plénières, celles qui s'étendent à toute
la vie et à tous les péchés, les péchés à venir comme les péchés passés,
et des indulgences partielles, qui ne remettent qu'une partie des peines
et ne délivrent du souci de ses péchés que po jr quelques jours ou quelques
années. » (P. i35.) Un autre, M. Malinovski, qui vient d'écrire un cours
de théologie, nous apprend que « la Sacrée Pénitencerie fut instituée pour
délivrer à tous les solliciteurs, d'après un tarif précis et détaillé, des bil-
lets d'absolution » (p. iSy). Le même cite, à l'appui d'autres affirmations
tout aussi étranges, le témoignage d'un rédacteur du Rouskoié Slopo,
qui, ayant vu affiché au portail de la cathédrale d'Amiens le tarif des
chaises, crut qu'il s'agissait du tarif des indulgences, et s'empressa d'an-
noncer à grands fracas sa découverte à toutes les Russies. Un tronc pour
les pauvre'î, suspendu tout près de l'affiche, avait été pris pour le coffret
où l'on déposait le prix de ses péchés. Il fallut un démenti de l'évéque
^'Amiens, envoyé à un prêtre catholique de Pétersbourg, pour détruire
la légende. La rectification n'était pas encore parvenue aux oreilles de
r. Malinovski, quand il a publié sa dogmatique.
Tout n'est pas aussi anodin cependant dans les attaques des ihéolo-
Igiens russes contre nos indulgences. Certains, à la suite de Macaire,
jurent la conclusion qui ressort logiquement de la négation de la peine
temporelle due au péché pardonné et du caractère sati-factoire des épiti-
mies. L'indulgence portant sur la rémission de la peine temporelle, il est
évident que si celle-ci n'existe pas, celle-là n'a plus de raison d'être.
1 Relativement à la satisfaction d'outre-tombe, objet du chapitre iv, les
théologiens russes et leurs livres symboliques ne s'entendent que sur
deux points : 1° Certaines âmes qui n'ont pas été admises à la béatitude
534 ÉCHOS D ORIENT
aussitôt après leur mort peuvent y parvenir grâce à l'intercession des
vivants; 2" ces âmes ne peuvent rien pour améliorer leur sort; leurs souf-
frances elles-mêmes ne contribuent en rien à leur délivrance; celle-ci est
uniquement procurée par les prières de l'Eglise. Tous les autres pro-
blèmes que soulève l'existence d'une catégorie intermédiaire de défunts
entre les élus et les damnés à perpétuité reçoivent les solutions les plus
divergentes. D'après les uns, sont susceptibles d'être délivrées seulement
es âmes de ceux qui n'ont pas tait pénitence de leurs péchés mortels
pardonnes; d'après d'autres, le péché contre le Saint-Esprit seul est un
obstacle insurmontable à l'efficacité des prières de l'Eglise. Celles-ci
n'ont qu'une valeur impétra'oire, non une valeur satisfactoire. Elles
s'adressent à la miséricorde de Dieu, non à sa justice. Certains admettent
la possibilité pour les âmes pécheresses d'une amélioration et d'un per-
fectionnement n oral progressif, grâce au concours divin provoqué par
le; prières de l'Eglise.
D'accord pour rejeter l'existence d'un feu matériel purificateur et le
mot « purgatoire », nos théologiens sont très divisés quand il s'agit de
formuler positivement leur doctrine sur la situation des âmes appelées
à bénéficier de l'intervention des vivants. Les uns nient catégoriquement
l'existence de tout état et de tout lieu intermédiaires entre le ciel et l'enfer.
Le contingent des délivrés est pris sur la population de l'enfer. Les autres
ne diffèrent que par la terminologie de l'enseignement de la théologie
catholique, la question du feu mise à part, question, du reste, très secon-
daire et nullement définie. On les voit diviser l'enfer en deux comparti-
ments : l'un, l'hadès, reçoit les âmes qui conservent l'espoir de voir Dieu
avant le jugement dernier; l'autre, la géhenne, est pour les damnés pro-
prement dits.
L'étude du R. P. Buchowski est très bien menée, amplement docu-
mentée, conçue dans un esprit irénique qui en rendra la lecture suppor-
table aux théologiens dont elle expose fidèlement les doctrines. Trois
petites remarques seulement. L'auteur paraît croire (p. 11 5) que les théo-
logiens orthodoxes n'attaquèrent les indulgences latines que postérieu-
rement au concile de Florence. Ce n'est pas tout à fait exact. On trouve
déjà des sorties contre elles dans Siméon de Thessalomque (t 1429).
Parmi les théologiens russes du xviii® siècle qui ont nié la peine tempo-
relle, on a oublié de signaler Gabriel, métropolite de Novgorod. Enfin, .
il n'est pas démontré que la confession de Dosithée rejette la doctrine de"
la satispassîo. Plusieurs indices permettent, au contraire, de conclure
que Dosithée a varié sur ce point et que, en 1672, il était latinophrone.
Sur la brochure de M. Constantin Rhallis : les Sacrements de Pét
tence et d'Euchelaîon {l Extrême-Onction) d'après le droit canonigut
BULLETIN DE THÉOLOGIE ORIENTALE 5 ^t;
e l'Eglise orthodoxe orientale (r), nous serons très bref, parce que l'au-
teur y effleure à peine les questions dogmatiques. Parlant des épitimies,
M. Rhallis a soin de nous dire que ce ne sont que des peines médicinales
n'ayant aucun caractère satisfactoire, et qu'elles ne font point partie inté-
grante du sacrement. C'est la doctrine actuellement régnante aussi bien
chez les Grecs que chez les Russes (2).
Là où l'accord cesse entre eux, c'est sur le sujet de VEuckelaion. Tandis
que les Russes, à l'exemple des catholiques, n'administrent ce sacrement
qu'aux malades, les Grecs — et M. Rhallis ne fait pas exception — l'ac-
cordent indistinctement aux bien portants et aux malades (3).
Contrairement à un certain nombre de théologiens grecs, l'auteur
admet qu'un seul prêtre peut, en cas de nécessité, administrer validement
l'Fuchelaion (p. 114).
Au point de vue canonique et pastoral, la brochure de M. Rhallis est
fort intéressante. L'auteur connaît bien la théologie morale catholique et
lui emprunte beaucoup pour tracer les devoirs du « père spirituel » ou
confesseur. Il résout aussi à la manière de nos casuistes un certain
nombre de questions relatives à la confession. Il s'étend très longuement
sur l'obligation pour le confesseur de garder le secret. Tout cela paraît
bien idéal, quand on sait comment se pratique la confession en pays grec.
L'c puscule de M. Rhallis a ceci de particulier, que les notes y tiennent
plus de place que le texte courant. On n'en compte pas moins de 273
pour 125 pages.
*
L'idée morale des dogmes de la Très Sainte Trinité, de la divinité de
Jésus-Christ et de la Rédemption, tel est le titre d'un opuscule de
M*^' Antoine, archevêque de Volhynie et de Jitomir, que M. le comte
A.-iVl. du Chayla a entrepris de traduire en français d'après la troisième
édition russe (4). On a vite fait de s'apercevoir, en parcourant ces quelques
pages, qu.' M. du i hayla n'était pas l'homme désigné pour cette traduc-
tion, attendu que la langue française a encore pour lui trop de secrets. Et
c'est vraiment dommage que, la pensée du théologien russe n'étant pas
toujours d'une limpidité de cristal, le jargon de M. du Chayla con ribue
encore à l'obscurcir.
Malgré tout, le Lcteur français arrivera à cueillir sur ce terrain brous-
sailleux quelques belles et profondes pensées. Ms'^ Antoine met très bien
(i) Constantin M. Rhallis, Tlepl xwv [lUŒTYipfwv tyj; (ASTavota; xal toû eù/eXa^ow xarà
To 5;y.a'.ov rr,c ôp6o8(i?ou àvaToX-.XYÏî êxicXrifffai:. Athènes, imprimerie de l'Hestia, igoS,
in-8°, n-125 pages. Prix : 5 trancs.
(2) Voir mon artioe : la Peine temporelle due au péché, d'après les théologiens
orthodoxes. Echos d'Orient, t. IX (1906), p. 3ii sq.
(3) Voir l'anicle du R. P. Jacquemier, l'Extrême-Onction che^ les Grecs, Echos
d'Orient, t. II (1899), P- '9^ sq.
(4) In-8% 63 pages. Paris, H. Welter, 1910. Prix : 2 francs.
5^6 ÉCHOS d'orient
en lumière la portée morale du dogme de la Trinité, qui nous révèle la
loi de l'amour et nous apprend à combattre les tendances égoïstes et.
individualistes de notre nature. Quant au dogme de la rédemption^]
il constitue un stimulant permanent à la vie parfaite et lève l'énigme de-
la souffrance. Seu e la croyance en Jésus rédempteur peut inspirer àj
l'homme la force de se vaincre lui-même, de triompher du monde, dei
ne pas se laisser abattre par la souffrance. En développant ces idées,
M.^' Antoine a malheureusement le tort de croire qu'il en a le monopole,
que les catholiques, « revenus au concept de la loi froide et du devoir,
méprisent le senti meni d'amour comme quelque chose de sensuel et
d'étranger à un esprit libre »; que « la pratique de l'amour chrétien n'était
pas selon le cœur des rudes tcolastiques du mo\\n âge » (p. 28); qu'en
Occident « s'est obscurci le concept du combat ascétique chrétien »
(p. 34), etc.
Un appendice intitulé : En quoi la foi orthodoxe se distingue-t-elle des
conjessions occidentales i^ nous révèle que M^'' Antoine a appris à con-
naître l'Occident dans les écrits du théologien slavophile Khomiakof. On
sait que ce personnage, d'une orthodoxie fort douteuse, est célèbre par
ses tirades grandiloquentes et creuses contre l'Occident, c'est-à-dire contre
le catholicisme et aussi le protestantisme. Me' Antoine marche résolument
sur ses traces. Ecoutez ce petit morceau :
Le Seigneur ordonne le pardon intégral, mais la morale occidentale requiert
la vengeance et l'efiFusion du sang. Le Seigneur commande de s'humilier et de
se compter plus que tous pécheur {sic, style du Chayla); l'Occident place
au-dessus de tout « le sentiment de la dignité personnelle ». Le Sei,t;neur veut
que nous nous réjoui sions quand on nous insulte et nous chasse; l'Occident
exige « la réparation d'honneur ». Le Seigneur et les apôtres nomment l'urgueil
« diabolique»; les Occidentaux l'appellent « nobles e ». Le de nier m ndiant
russe distingue mieux le bien du mal que ne le discernent les moralistes d'une
culture pourtant m Uenaire, ainsi tristement mélangeant des fragments de
christianisme avec le mensonge du classicisme.
A la base de toute-, ces erreurs gît l'mintelligence de cette simple vérité : que
le christianisme est une religion ascétique, une doctrine de la graduelle élimi-
nation des passions, des procédés et des conditions d'acquisition des vertus.
Ces conditions sont intérieures, incluses dans des actes de l beur moral et
données de l'extérieur, en forme de croyances dogmatiques et d'actions cul-
tuelles de reconnaissance qui possèdent une destination unique : guérir la pec-
cabilité humaine et nous exhausser vers la perfection (p. 53).
Ces quelques li;_nes sont un assez joli échantillon et de la manière de
l'auteur et du style du traducteur. 11 est étonnant qu'après la fustigation
exemplaire administrée par Vladimir Solovief aux slavophiles, il se
trouve encore en Russie des théologiens de cette force (i).
(i) Comme échantillon de la prédication russe contemporaine, M. du Chayla nous
donne un sermon de M'' Antoine, prononcé le i" octobre 1909 à l'occasion de la con-
BULLETIN DE THÉOLOGIE ORIENTALE 537
Très différent de Mg"" Antoine par les tendances, la tournure d'esprit,
la culture iniellectuelle est M. l'archiprêtre Sviétlof, qui vient de publier
la troisième édition revue et augmentée du premier volume de sa Dog-
matique chrétienne exposée au point de vue apologétique (i). Entre lui
et l'archevêque de Volhynie, il y a comme un abîme, et — faut-il le dire
— l'abîme est tout à l'avantage de M. Sviétlof. Esprit vigoureux, original,
ennemi de l'ornière, clair, logique, au courant de ce qui s'écrit en Occi-
dent sur la philosophie, l'exégèse et la théologie, il se pose hardiment
dans l'introduction de son ouvrage en « balayeur » de la théologie russe
officielle, de la théologie privilégiée, comme il l'appelle. Y aurait-il donc
des scories dans cette théologie? Il paraît que oui, et il faut féliciter
M. Sviétlof d'avoir osé le dire. Cette audace est d'autant plus méritoire
que l'auteur sait par expérience qu'en Russie le métier de théologien
n'est pas facile. Pendant vingt-cinq ans, il a suivi « la carrière épineuse
de l'activité théologique »; il lui a fallu une patience « de martyr con-
damné au gibet » pour rester fidèle au service de la théologie :
Pendant tout ce temps, dit-il, il m'a été donné de tout éprouver On a
parlé de moi en bien, on en a parlé en mal. Si l'intérêt ou une sotte vanité
avaient conduit ma plume, j'aurais réussi à plaire à tout le monde; je me seais
attiré les faveurs de la masse, j'aurais eu les sourires de tous. Mais des motifs
tout autres m'ont inspiré dans mon dur labeur, et m'ont donné pendant ces
vingt-cinq ans assez de force pour porter la croix de mon activité scientifique
consacrée au service de l'Eglise (p. xxn).
Je remercie Dieu, continue-t-il, de ce que, au milieu des circonstances into-
lérables dans lesquelles s'est déployée mon activité théologique, j'ai réussi a ne
suivre que la voix de ma conscience et de mes convictions. Je le remercie de
ce que pas une seule ligne de mes écrits n'a réjoui une seule fois les champions
de l'obscurantisme et de la violence, et de ce que j'ai toujours soulevé leur bile
et leur fureur.
Puis, s'adressant à ceux qui « ont bien parlé de lui » — il a trouvé de
ceux-là tant dans la haute hiérarchie que parmi les théologiens, qui lui
ont dit leur approbation par lettres secrètes, — il leur exprime si recon-
naissance et sollicite leurs prières. 11 ne s'illusionne pas sur l'accueil qui
attend certains remaniements faits à la présente éjition de son ouvrage;
plusieurs y verront non des « améliorations», mais des « aggravations »;
mais il ne s'en soucie pas : l'approbation de certaines gens n'est-elle pas
le pire des blâmes (p. xxi)?
Que dit donc de si grave M. Sviétlof, et comment fait-il son métier de
sécration de l'église érigée à Moscou en mémoire des victimes de la lutte révolution-
naire. Le discours ne manque pas de souflle, mais on y trouve aussi du pathos.
M. du Chayla veut nous convaincre, par ce spécimen, qu'on prêche beaucoup en
Russie. Mais il oublie qu'une Hirondelle ne fait pas le prmtemps.
(i) P. A. Sviétlof, Khrislianskoïé Viérooutchenie p apologhetitcheskom i\logenii,
t. 1,3* édit. Kiev, igio, in-8°, xxiii-721-vi pages. Prix: 3 roubles, 5o kopeks.
1538 ÉCHOS d'orient
balayeur? L'espace nous manque pour en parler tout au long, et nous
devons nous contenter d'un rapide aperçu.
Tout d'abord, M. Sviétlof reproche à la théologie officielle de ne pas
mettre suffisamment en lumière les vérités dogmatiques, de n'en point
donner une idée claire et précise, de n'en point découvrir le contenu et
le sens caché. Les théologiens officiels, tels Macaire et l'évêqne Sylvestre,
se contentent d'apporter de longues enfilades de textes scripturaires et
patristiques. et oublient d'éclaircir la notion dogmatique et de la rendre
accessible à la raison dans la mesure du possible.
Un défaut p us grave consiste à mélanger le dogme avec les opinions
théologiques, à accorder aux livres symboliques des Eglises particulières
une valeur égale aux décisions des conciles œcuméniques. L'auteur donne
quelques exemples intéressants. Les théologiens officiels tra tent d'hérésie
la doctrine latine de la procession du Saint-Esprit a Pâtre Filioque ou
per Filium, alors que cette doctrine a été enseignée par plusieurs Pères
de l'Eglise latine et de l'Eglise grecque, qu'aucun concile œcuménique
n'a dirimé la question, et que la procession du Saint-E>prit a Pâtre solo
a été introduite dans l'Eglise orientale sans l'autorité de lEglise univer-
selle; que, d'ailleurs, d'excellents orthodoxes admettent le per Filium
au sens de la procession éternelle. Ainsi en va-t-il de presque toutes les
innovations dogmatiques reprochées à l'Eglise romaine. Du point de vue
orthodoxe, ce sont des opinions particulières, non des hérésies. La pri-
mauté et l'infaillibilité du Pape elles-mêmes ne sauraient être traitées
d'hérésies p oprement dites; ce sont tout au plus des erreur > réfutées par
l'histoire, des erreurs d'ordre pratique et canonique plutôt que des erreurs
spéculatives.
M. Sviétlof s'élève avec force contre les tentatives de certains théolo-
giens de mettre l 'S confessions de Moghila et de Dosi hee et le caté-
chisme de Philarète sur le même rang que l'enseignement des conciles
œcuméniques. On n'entend point, dans ces documents, la voix de l'Eglise
universelle, mais seulement la voix d'Eglises particulières. On doit les
contrôler sur la doctrine des sept conciles.
L'Eglise universelle n'est donc point l'Eglise gréco-russe? En aucune
façon, répond catégoriquement M. Sviétlof. L'Eglise universelle est con-
stituée par l'ensemble des confessions chrétiennes, y compris le protes
tantisme, du moins le protestantisme orthodoxe. Toutes les confessions
s'entendent sur les points essentiels, 11 n'y a de divergences que sur des
points secondaires. Même entre l'orthodoxie orientale et le protestan-
tisme orthodoxe, il n'y a point de différence essentielle (p. 2o5). L'unité
visible de l'Eglise universelle, ce que l'auteur appelle le corps,- n'existe
plus depuis le schisme; mais l'unité invisible, l'âme, persévère. Or, l'âme
l'emporte sur le corps. Comme l'âme est en quelque manière indépen-
dante du corps et peut subsister sans lui, de même l'Eglise universeii
BULLETIN DE THEOLOGIE ORIENTALE S ?9
nvisible est en quelque façon indépendante dans son existence de ce
ui constitue son organisation visible. Mais la rupture de l'unité visible
st un grand mal, un mal qu'il faut faire cesser. L'union des Eglises est
lécessaire, et tout chrétien doit y travailler.
L'Eglise gréco-russe n'est donc qu'une partie de l'Eglise universelle,
/auteur estime que c'est la meilleure, bien qu'il ne soit pas absolument
ertain que Dieu soit de son avis (p. 225). Si l'on compare, dit-il, les
iverses Eglises particulières à des vaisseaux, l'Eglise orthodoxe sera un
;rand transatlantique de fabrication anglaise, le catholici>^me romain un
[rand vapeur océanien de fabrication russe, le protestantisme un vapeur
lu Volga, les sectes des chaloupes marines (p. 225). La comparaison est
uggestive, mais nous ne voyons pas pourquoi M. Sviétiof fait sortir
lotre vapeur des chantiers de Kronstad.
Pour réaliser l'union des Eglises, de nouveaux conciles œcuméniques
ont nécessaires. M. Sviétiof n'est pas de ceux qui se figurent que les
ept premiers conciles œcuméniques ont tout défini. Il reconnaît, au
ontraire, qu'ils n'"nt pas touché à une foule de graves questions qui
livisent les Eglises particulières. De nouveaux conciles œcuméniques les
héologiens officiels se passent volontiers, parce qu'ils se font du dogme
me conception erronée, en prenant pour devise le canon de saint Vincent
le Lérins : Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus credilum est.
>ette règle est loin d'être un critère suffisant et. prise à la lettre, ten-
Irait à nier tout véritable progrès dogmatique. Or, le dog ne, tout en
estant substantiellement identique à lui-même, passe par les phases
l'un véritable développement. A l'origine, ce peut n'être qu'un gland;
LU point d'arrivée, c'est un chêne. Il ne faut pas confondre, du reste, le
logme avec la révélation. Une vérité révélée ne devient un dogme que
orsqu'elle est proposée par l'Eglise universelle.
Telles sont, parmi les thèses que développe M. Sviétiof dans son
)uvrage, celle> qui nous ont paru les plus susceptibles d'intéresser le lec-
eur. Evidemment, elles ne sont pas toutes acceptables pour nous, mais
l fait bon trouver un théologien orthodoxe qui soit conséquent avec les
îrincipes de Vorihodoxie, et détermine logiquement la position de celle-ci
ns-à-vis du catholicisme et du protestantisme. Que Icn Egl ses occiden-
jales soient tombées dans l'hérésie, voilà, affirme M. Svieilol, ce qui n'a
5as été démontré et ce qui ne peut l'être. Où est, en effet, pour les ortho-
ioxes, le concile œcuménique qui a tranché les questions pendantes
ntre les diverses confessions chrétiennes? Cette simple léfllexion suffit
i faire crouler par la ba^e le mur des divergences dogmatiques élevé par
a fausse orthodoxie pour abriter le schisme. Il est curieux aussi de con-
tater que plusieurs théologiens russes contemporains — car M. Sviétiof
l'est pas le seul — ne considèrent plus leur Eglise comme étant l'Eglise
iniverselle, la seule véritable Eglise établie par Jésus-Christ.
540
ECHOS D ORIENT
La solution que donne notre théologien à cette question de l'Eglise
universelle est vraiment par trop libérale. Il fait trop bon marché du
corps de l'Eglise pour ne s'attacher qu'à son âme. La théologie catho-
lique distingue, elle aussi, entre le corps et l'âme de l'Eglise, mais elle
n'admet pas que le corps ait disparu par le fait du schisme grec. Le corps
est resté dans celle des Eglises qui garde la physionomie de l'Eglise des
septconciles,c'est-à-Jiredans l'Eglise catholique, qui continue, à l'exemple
de l'ancienne Eglise, de reconnaître l'Evéque de F'ome comme le centre
de la communion ecclésiastique et le docteur infaillible de la foi.
En plusieurs endroits de son livre, M. Sviétiof fait voir qu'il n'a qu'une
connaissance imparfaite de certains points de la doctrine catholique.
Cela se remarque surtout quand il parle des indulgences et delà primauté
romaine, et qu'il lance contre nos théologiens l'accusation de juridisme.
Visiblement, ses rapports avec M. Michaud et les vieux-catholiques lui
ont faussé la perspective sur les catholiques tout court. Nous ne doutons
pas qu'une étude plus attentive et plus personnelle du catholicisme ne
modifie certaines de ses idées et ne le mette sur la voie qui a conduit
Vladimir Solovief jusquaux pieds du successeur de Pierre, chef visible
de la seule véritable Eglise.
*
Le tome XII de V Encyclopédie théologique russe, paru en 191 1 (i), ne
comprend pas moins de 210 articles, distribués dans 900 colonnes in-S''.
Comme dans les tomes précédents, la théologie dogmatique n'y tient
qu'une place assez restreinte. Le plus grand nombre des articles est pris
par les biographies d'écrivains ecclésiastiques et l'histoire des institutions.
L'étude la plus intéressante est celle qui est consacrée aux livres sym-
boliques (/sTn/g-Ziz ijmèo/îïc/zesAai-î) des diverses confessions chrétiennes
(107 colonnes). Deux auteurs se sont partagé le travail : M. Paul Pono*
maref traite des livres symboliques en général et des livres symboliques
de l'Eglise russe; M. Vladimir Kérenskii passe en revue les livres sym-
boliques de l'Eglise catholique, des confessions protestantes et du vieux-
catholicisme. L'un et l'autre sont d'accord pour refuser l'infaillibilité et
l'œcuménicité aux livres symboliques de l'Eglise russe, c'est-à-dire aux
confessions de foi de Moghila et de Dosithée et au catéchisme de Phila-
rète. C'est aussi, nous l'avons vu, la position adoptée par M. Sviétiof.
M. Kérenskii fait remarquer avec raison que seule l'Eglise romaine pos-
sède des livres symboliques au sens strict du mot, c'est-à-Jire des recueils
de décisions dogmatiques considérées comme obligatoires et infaillibles. \
Il est vrai que bon nombre de théologiens orthodoxes ne sont pas de ||
l'avis de M. Kérenskii en ce qui concerne l'Eglise gréco-russe, mais
(i) N. N. Gloubskovskii, Bogoslovskaïa entsiclopediia, t. XII [Knighi-Konstanti-
nopol). Saint-Pétersbourg, 191 1, in-S", xi-982 colonnes.
BULLETIN DE THÉOLOGIE ORIENTALE S4I
celui-ci n'en a cure et ne signale même pas l'opinion contraire à la sienne.
Nous aurions pas mal de petites remarques à faire sur l'histoire des
livres symboliques russes, écrite par M. Ponomaref. Bornons-nous à
quelques-unes. Le synode de Jassy eut lieu en 1642 et non en 1643. La
première édition de la Confession de Pierre Moghila, par Panaghioti,
parut non en 1662, mais en 1667, comme l'a établi M. Legrand dans sa
Bibliographie hellénique. 11 est vrai que ce dernier ouvrage n'est pas
même indiqué dans la bibliographie. En parlant de la confession de
Dosithée ou Lettre des patriarches, l'auteur aurait pu s'exprimer un peu
plus clairement sur les corrections et suppressions que Philarète fit subir
à ce document en le traduisant en russe en i838. Il se contente de dire
que la traduction n'est pas littérale.
A M. Kérenskii, nous signalerons que le pape Léon X était mort
en 1529, et que Sixte V n'a pu vivre en 1687, puisqu'il a régné de i585
à iSgo. Il n'est pas exact non plus que le catéchisme romain constitue,
pour l'Eglise catholique, un livre symbolique proprement dit au même
titre que les décrets du concile de Trente. Pour parler en style russe, il
y a des théologoumènes dans ce catéchisme. On se demande pourquoi
l'auteur présente l'Index catholique comme une entrave à l'activité scien-
tifique. Les Russes, qui ont tant à souffrir de leur censure draconienne,
devraient s'interdire absolument de médire de notre Index.
L'article consacré aux Congrégations de l'Eglise catholique, exact dans
l'ensemble, l'est moins dans les détails. On a fait aux Assomptionistes
l'honneur de deux colonnes, dans lesquelles on insiste surtout sur leur
apostolat en Orient. Les Echos d'Orient sont signalés comme très hos-
tiles aux Eglises grecques. Pourvu seulement que nous ayons l'amitié des
Russes! L'auteur a trouvé le moyen d'écrire deux fois Notre-Dame de
Grance au lieu de Notre-Dame de France, et de parler de l'ouvrage de
Zola sur Lourdes, à propos des pèlerinages organisés par les Assomptio-
nistes. Pour ne pas terminer sur le nom de Zola notre bulletin théolo-
gique, signalons encore le long article sur Constantinople (44 col.), qui
intéressera plus les touristes que les théologiens.
M. JUGIE.
Constantinople.
CHRONIQUE
DES ÉGLISES ORIENTALES
Arméniens
Catholiques
La crise religieuse. — La crise de l'Eglise arménienne catholique
dure toujours. Aucune mesure de rigueur n'a pu faire revenir les
révoltés sur leurs décisions anticanoniques. Le ler juin, le Conseil
national a été excommunié par le Pape, mais ses membres prétendent
que cette sentence est nulle, Rome étant mal informée. Formule com-
mode qu'ont employée de tout temps les hérétiques et les schisma-
tiques. Le patriarche, expulsé de son palais depuis plus de six mois,
vit très modestement au presbytère où il s'est retiré, mais il ne cède ni
devant les menaces ni devant les tracasseries des membres du Conseil.
Ces derniers ont mis la main sur les bâtiments du Séminaire, ce qui
a empêché la retraite ecclésiastique qu'on devait y donner. Ils ont
accaparé aussi le collège Saint-Grégoire l'illuminateur, et Me»' Terzian
a dû sévir. 11 a détendu aux parents, sous peine de péché grave, d'en-
voyer leurs enfants à ce collège, et ordonné aux confesseurs de leur
refuser l'absolution s'ils passaient outre à cette défense. Les laïques
ne sont pas les seuls à créer des difficultés au patriarche. Le clergé,
tant régulier que séculier, est loin d'être unanime à le soutenir ou à
lui être simplement soumis. Le 13 septembre, un prélat, M^'" Paul
Gazrighian (i), et un simple prêtre, M. G. Badouhassian, ont été
déclarés suspens a divinis.
Comment se terminera cette crise malheureuse ouverte depuis plus
d'un an? D'aucuns prétendent que la démission de Ms'' Terzian apla-
nirait toutes les difficultés. C'est là une erreur grossière. Ce qui est en
jeu, ce n'est pas la personne du patriarche, c'est un principe. Tant que
les membres du Conseil national n'admettront pas les décisions cano-
niques, il est inutile de chercher une solution pacifique. La querelle faite
à Mg»" Terzian recommencera avec un autre patriarche. Or, il paraît bien
difficile que ces messieurs du Conseil se soumettent; la plupart n'ont
(i) M" Gazrighian a fait sa soumission au bout d'une dizaine de jours.
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES ^4^
de catholique que le nom, trois sont même notoirement francs-maçons.
Et voilà les défenseurs des droits de l'Eglise nationale ! 11 faudra sans
doute prendre des mesures de rigueur encore plus dures; un certain
nombre des opposants iront grossir les rangs des Arméniens grégo-
riens, après quoi l'Eglise arménienne catholique, redevenue libre, pourra
enfin s'organiser sérieusement avec des règlements conformes au droit
canon et surtout scrupuleusement mis en pratique, ce qui n'a pas été
jusqu'ici. R, Janin.
Grégoriens.
La question du bérai. — Les Arméniens n'ont décidément pas à se
féliciter de l'ère constitutionnelle ouverte par la révolution du 24 juillet
1Q08. Cependant ils l'avaient appelée de tous leurs vœux et avaient tra-
vaillé de toutes leurs forces à son avènement. Leur alliance avec le ■
Comité Union et Progrès ne leur a pas procuré les avantages qu'ils en
attendaient.
il y a quelques mois, le ministère jeune-turc envoya au rKruveau
patriarche arménien grégorien de Constantinople son bérat d'investi-
ture. Mgi' Archarouni le reçut avec d'autant plus de plaisir qu'on le lui
avait fait attendre plus longtemps. Quelle ne fut pas sa stupeur quand
il s'aperçut qu'on avait modifié le texte habituel. Au lieu de mettre
« nation arménienne », on avait mis « communauté arménienne », ce
qui a une tout autre signification. De même on avait passé sous silence
les privilèges du patriarche. Aussitôt Mf»' Archarouni renvoya le bérat
à la Sublime Porte en déclarant qu'il ne pouvait pas l'accepter dans sa
forme nouvelle. Les jeunes-Turcs, qui ont la rage de tout ottomaniser,
trouvaient que le texte ancien était incompatible avec la souveraineté
nationale! Le moment était bien choisi de faire une pareille réforme et
d'exciter contre le gouvernement les colères d'une population chrétienne.
Mais les Jeunes-Turcs, bien qu'aux prises avec les Albanais, les Italiens
?t les peuples balkaniques, n'estinrent pas qu'il faille s'attirer les sym-
pathies de leurs sujets non musulmans.
Massacres d'Arménie. Démission du patriarche. — Les meurtres qui
ne cessent d'ensanglanter l'Arménie ont trouvé un écho chez les Armé-
liens de la capitale. A plusieurs reprises le patriarche a fait des démarches
)ressantes auprès du gouvernement pour obtenir les réformes tant de
bis annoncées et la répression du brigandage dans les vilayets d'Asie
vlineure. On lui a toujours répondu par des promesses de mesures
énergiques, de sanctions sévères, et les massacres ont continué. Le
eudi 5 septembre, Mk' Archarouni se rendit une dernière fois à la
r^44 ÉCHOS d'orient
Sublime Porte pour exprimer les doléances de son peuple. « Le patriarche
a ajouté que la nation arménienne croyait que la continuation de cet
état de choses en Anatatolie ne pouvait être que la conséquence ou de
l'incapacité du gouvernement à apporter un remède à ces maux, ou
bien du mauvais vouloir. Comme il ne croyait pas que le gouvernement
soit incapable, alors naturellement c'était à la seconde supposition qu'il
fallait s'arrêter. Mfi'' Archarouni a conclu que, devant cet état de choses,
il ne restait au patriarche qu'à fermer les portes du patriarcat et à
en remettre les clés au gouvernement. » (i) Une fois de plus le grand-
vizir lui fit des promesses qui n'eurent pas le don de le satisfaire.
Quinze jours plus tard, le patriarche mit à exécution le projet dont
il avait menacé le gouvernement. Le 20 septembre, près de leur église
de Galata, les notables arméniens grégoriens tinrent une assemblée
nombreuse pour étudier la situation faite à leurs coreligionnaires d'Asie
Mineure. Le président, Hodjassian effendi, déclara, en ouvrant la
séance, qu'il venait de trouver sur le bureau de l'assemblée la démis-
sion écrite du patriarche et celle du Conseil mixte chargé de l'admi-
nistration des affaires de la communauté. Après une discussion assez
vive, un ordre du jour, voté à une grande majorité, approuva les deux
démissions, décida que l'on procéderait à l'élection d'un nouveau Con-
seil mixte, mais laissa en suspens la question de la succession patriar-
cale. Celle-ci ne fut réglée que plus tard. Une nouvelle réunion de l'As-
semblée nationale fut tenue à Galata, le 1 1 octobre. La Commission
chargée d'étudier le cas conclut au refus de la démission. Aussitôt l'as-
semblée décida, à l'unanimité, que l'on ferait des instances auprès du
patriarche pour le faire revenir sur sa détermination. Le 13, M^'»' Archa-
rouni déclara que, prenant en considération les démarches faites auprès
de lui, il retirait sa démission.
Les Turcs pourront-ils ou voudront-ils faire les réformes demandées?
Les événements qui se déroulent actuellement en Orient pourraient
bien les y obliger, pour le plus grand avantage des chrétiens de l'em-
pire, et des Arméniens en particulier. R. J.
Bulgares
Orthodoxes,
L'Eglise de Bulgarie a, en cette année 19 12, agité, sans les résou
deux questions d'un intérêt vital pour son avenir. Nous nous conti
(i) La Liberté, journal français de Constantinople.
I
1
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 545
terons aujourd'hui de les signaler rapidement aux lecteurs, dans l'es-
poir que les Echos d'Orient leur fourniront plus tard des détails cir-
constanciés sur ces incidents.
Le schisme bulgare. — L'Eglise bulgare orthodoxe est encore consi-
dérée officiellement au Phanar comme schismatique. Cela date de 1872.
Au printemps dernier, on a essayé, et en Bulgarie, et en Grèce, et en
Russie, de lever les difficultés qui séparent les deux peuples et de sceller
leur union. L'entreprise était hasardeuse. Pour croire à son succès, il
aurait fallu ignorer la situation des deux ennemies.
Une Eglise orthodoxe est essentiellement une organisation nationale,
poursuivant, sous l'étendard religieux, le bien de la nation. Malgré la
sentence d'excommunication qui la Irappa en 1872, ou plutôt grâce
à elle, la jeune Eglise bulgare a pu se développer elle-même et atteindre,
par ses propres moyens, la fin qu'elle poursuit, la conquête à la nation
bulgare des populations indécises de Thrace et de Macédoine. Le mot
schismatique a aussi une portée spéciale en corrélation avec Eglise.
C'est un épouvantail religieux, sans doute, mais son but pratique
dernier est un avantage national. On ne se bat plus en Orient pour
des intérêts spirituels. Le Phanar maintient sur le front bulgare cette
épithète outrageante, d'abord pour effaroucher les âmes timides et les
retenir dans le bercail, mais surtout parce que cela lui permet d'opposer
à la hiérarchie bulgare, toujours grandissante en Thrace et en Macédoine,
une hiérarchie grecque plus nombreuse, combattant pour l'hellénisme.
La lutte se poursuit. Elle ne s'achèvera que le jour où les deux pro-
vinces seront sans contestation à l'une ou à l'autre des deux nations
rivales. D'ici lors, malgré tous les agissements moscovites, ni la Bul-
garie ne consentira à retirer de Constantinople son exarque et ses
métropolites des villes qu'ils occupent, ni les saints canons ne per-
mettront au Phanar la moindre concession pratique tant que l'hellé-
nisme aura des intérêts discutés en Turquie d'Europe.
En attendant, les deux nations et les deux Eglises peuvent continuer
à s'unir contre les Turcs. C'est leur avantage, mais qu'on se garde de
compromettre cette entente en portant la question sur des points aussi
brûlants que celui du schisme. C'est ce que, fort sagement, l'on
a pensé et déclaré dans les milieux officiels de Grèce et de Bulgarie.
Aussi le projet, qui a fait couler de l'encre durant plusieurs mois, n'est
pas sorti de la presse.
L'unité de l'Eglise bulgare. — Une autre controverse a tout naturel-
lement surgi -de celle du schisme, c'est celle qui concerne l'unité de
l'Eglise bulgare.
Echos d'Orient, t. XV. 35
^46 ECHOS d'orient
Même depuis la création du royaume indépendant, les orthodoxes
bulgares de Turquie et de Bulgarie ne forment qu'une seule Eglise.
L'article 39 de la Constitution revisée consacre officiellement cette unité.
Un synode permanent, réuni à Sophia, administre les provinces libres,
tandis que le chef, au moins nominal de toute l'Eglise, l'exarque,
réside à Constantinople, où sa présence est nécessaire pour favoriser la
propagande nationale en Thrace et en Macédoine. Depuis la procla-
mation de la Constitution turque, l'exarque a établi à ses côtés, à
Constantinople, un synode composé des métropolites bulgares de la
Thrace et de la Macédoine, et un Conseil laïque analogue à ceux qui
fonctionnent aux patriarcats grec, arménien grégorien ou arménien
catholique. Jusqu'à présent, les Turcs ont refusé de reconnaître cette
institution.
Les rapports mutuels des deux autorités de Sophia et de Constan-
tinople n'ont jamais été déterminés bien en détail. Cependant, des pré-
cisions sont de[plus en plus nécessaires, surtout à la suite des créations
récentes. Le synode de Sophia, appuyé sur les plus orthodoxes théories
byzantines, décida, l'an dernier, que l'exarque n'était, devant ses col-
lègues, que le primus inter pares, et n'avait qu'une primauté d'hon-
neur (i). Cette autorité, si faible fût-elle, suffisait à maintenir extérieu-
rement l'unité, et concentrait sur l'exarque toutes les aspirations natio-
nales vers la grande Bulgarie.
Mais voici que, cette année, la haute assemblée ecclésiastique de
Sophia désire et demande pour l'Eglise du royaume bulgare la sépa-
ration complète de celle de Turquie. Seuls, semble-t-il, des motifs
d'ordre personnel ou un excessif esprit de corps ont pu l'incliner à cette
décision. Les intérêts les plus évidents de la nation lui sont opposés.
Aussi la presse, surtout la presse nationaliste, s'engagea-t-elle dans le
débat pour blâmer l'initiative du synode. Un ministre déclara au Matin
de Sophia que la question de l'unité de l'Eglise bulgare étant une ques-
tion politique, le synode était incompétent pour en traiter. L'exarque
lui-même est de cet avis. Ne disait-il pas, peu de jours plus tard, que
seule une intervention du gouvernement pourrait déterminer la nature
des rapports qui doivent exister entre l'exarchat et le synode.? Des
négociations ont été engagées. Deux conseillers laïques de l'exarchat,
MM. Démoff et Mirtcheff, sont allés à Sophia pour traiter de cette
importante affaire avec les milieux intéressés.
Mais depuis lors ont surgi de graves événements, gros de cons
(1) Echos d'Orient, 1912, t. XV, p. 169-170.
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 547
<îuences et pour la nation et pour l'église bulgares. Le sort des armes
^ura sa répercussion jusque dans le domaine religieux.
F. C.
Grecs
Orthodoxes
I. Les quatre patriarches orthodoxes docteurs en théologie.
11 est peut-être un peu tard pour signaler la distinction dont l'Uni-
versité d'Athènes, à l'occasion des fêtes du soixante-quinzième anni-
versaire de sa fondation, a voulu honorer les quatre patriarches ortho-
doxes de Constantinople, d'Alexandrie, d'Antioche et de Jérusalem.
Nous n'y reviendrions pas, si nous n'y trouvions une occasion d'ob-
server la manière dont ces titres ont été accueillis par les intéressés.
Le bulletin officiel du patriarcat d'Alexandrie, le Pantainos (i), rap-
porte in intenso la lettre de chaleureux remerciements adressée par le
patriarche de Constantinople au doyen de la Faculté de théologie
d'Athènes, M. Mésoloras, qui lui avait communiqué officiellement sa
nomination et l'eu avait félicité. La réponse du patriarche d'Antioche
est aussi reproduite. Celle de Mf."" Damien, de Jérusalem, est oubliée
pour les raisons canoniques que l'on sait : Mg»" Damien est toujours con-
sidéré, en Egypte, comme déchu de sa charge (2).
Ces deux lettres sont suivies, dans le Pantainos, d'une remarque
rsèche, courte, mais qui en dit long : le Pape et patriarche d'Alexandrie
n'a pas répondu. Cependant, Ms"" Photios n'est pas en froid avec Athènes,
■comme il l'est avec Jérusalem. 11 s'est fait représenter aux fêtes, et
a répondu à l'invitation de M. Lambros, recteur de l'Université, par une
lettre cordiale et enthousiaste. Autres sont les raisons de son abstention.
Elles sont aisées à comprendre pour qui sait combien Ms?'" Photios est
jaloux de conserver son indépendance vis-à-vis des laïques. 11 aura été
froissé, et à bon droit, de voir des professeurs séculiers adresser aux
patriarches, qui sont en matière de doctrine les vrais docteurs dans
4'Eglise, un certificat de compétence théologique. Voici, à titre de
curiosité, les termes mêmes de la lettre adressée par M. Mésoloras au
patriarche de Jérusalem pour lui décerner son brevet. Les termes en
sont suggestifs :
(0 ITàvraivo;, 21 juin 1912, p. 385, 386.
g(2) Echos d'Orient, 1912, t. XV, p. 180, 264.
548 ÉCHOS d'o.rient
« L'Ecole de théologie de l'Université capodistriaque, prenant en
considération (i) vos combats pour notre Eglise orthodoxe, a décidé,.
dans sa séance du 21 mars, de vous proclamer docteur honoraire en
théologie.
» En vous félicitant à ce sujet, nous baisons pieusement la main de
Votre Béatitude, et nous vous demandons vos prières et votre béné-
diction. » (2)
Le plus étonnant de l'aventure sera que l'initiative des Athéniens
n'en ait pas offensé d'autres que le patriarche d'Alexandrie. Mais-
Mt'i" Joachim 111, pour s'en froisser, était sans doute trop à la joie de
n'avoir plus à craindre qu'un membre du synode vienne jamais lui.
redemander ironiquement de montrer son titre de docteur.
IL Biens dédiés en Bessarabie.
La controverse des biens dédiés est depuis longtemps close en Rou-
manie. Elle sommeillait en Russie, depuis quelque temps, lorsqu'une
décision récente est venue la rouvrir.
Peut-être le centenaire du traité de Bucarest et de la cession de la
Bessarabie au tsar (1812) a-t-il paru une époque favorable pour com-
pléter la sécularisation de cette province. On sait que les débuts de cette-
œuvre remontent à 1873. Les revenus des couvents qui devaient être
consacrés {dédiés) aux Lieux Saints (entendez aux monastères grecs
orthodoxes de Palestine, de l'Athos, de la Thrace et de la Macédoine)-
ne furent pas confisqués brutalement comme en Roumanie. Le gou-
vernement russe s'établit administrateur des propriétés, s'adjugea à lui-
même les trois cinquièmes de leur revenu net, ne laissant que les deux
cinquièmes à leur destination primitive. En pratique, cependant, il se
montrait bon prince, et le plus souvent se contentait d'un cinquième
pour payer les frais d'entretien (3). Cette conduite débonnaire semble^
devoir prendre fm. Dernièrement, avant de se séparer pour les vacances,,
les députés de la Douma ont voté à la hâte une loi qui diminue encore-
d'un cinquième la part des revenus à fournir aux Lieux Saints. Le-
Conseil a sanctionné la loi, qui va êtie mise à exécution.
Les motifs de cette résolution ne sont pas produits, mais ils ne-
doivent guère être différents de ceux que développèrent, en 1898, les-
(i) C'est nous qui soulignons ces passages.
(2) Néa Stciv, 1912, mars-avril, p. 814.
(3) Vailhé, art. Consiantinople, dans le Dictionnaire de théologie catholique
col. 1499, i5oo.
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 549
Novosti de Saint-Pétersbourg, et que l'on trouvera résumés dans les
■Echos d'Orient de 1899, avec la réponse indignée qu'y fit un Grec dans
•une brochure sensationnelle (i).
L'exarque du Saint-Sépulcre à Moscou a fait entendre d'énergiques
•protestations, qui sont restées sans résultat. Le saint synode de la
Grande Eglise a aussi adressé au tsar une dépêche où elle exprimait
ses plaintes. Elles étaient d'ailleurs prévues et n'ont pas abouti.
Pour hausser le caractère de ces protestations et leur donner la portée
■d'une grande manifestation, certains organes orthodoxes ont dit que le
patriarche de Constantinople avait démissionné par suite de la décision
•moscovite. C'était exagéré. Sans doute la crise patriarcale y est rattachée,
mais d'un lien très ténu, comme on pourra s'en rendre compte.
III. DÉMISSION DU PATRIARCHE DE CoNSTAXTINOPLE.
C'est un événement très banal en soi, q,ue la démission de Me»' Joa-
chim 111 et le retrait de cette démission deux jours plus tard. C'est une
pure manœuvre parlementaire. Nous n'y insisterions pas, si cette scène
ne venait à point nommé confirmer une étude récemment parue dans
les Echos d'Orient sur l'autorité spirituelle du patriarche (2). C'est en
effet aux institutions que nous nous en prendrons surtout. Sans doute
nous pourrions, avec les Grecs eux-mêmes, aller plus haut et dire que
« si le patriarche démissionne très souvent, la cause en est dans les
déplorables ambitions des clercs et des laïques qui l'entourent » (3),
ou, avec le même organe, accuser « V envie, la bassesse et Vétroitesse
d'horizon » du synode (4). Mais de tels propos ne sont permis qu'à de
bons laïques orthodoxes, qui font la leçon au clergé, tant les dévore le
zèle de la maison de Dieu. 11 nous suffira à nous de remarquer à quels
pauvres stratagèmes ce chef spirituel est condamné à recourir pour se
donner un peu d'autorité sur les évêques qui l'entourent. On peut les
résumer en deux mots : il donne sa démission, comptant sur le
dévouement des conseillers laïques; ceux-ci, en effet, obligent les pré-
lats récalcitrants à venir le supplier de remonter sur le trône patriarcal.
Voici le détail des faits. Nous les rapportons d'après la Proodos (5),
journal tout dévoué à la personne du patriarche.
(1) Echos d'Orient, t. III, 1899-1900, p. 1 18-122. Cf. Revue de l'Orient chrétien,
agoo, t. V, p. 1-18.
■ (2) Echos d'Orient, septembre 19 12, p. 395-404.
(3) 'Ay.pÔTio),'. ; (d'Athènes), citée dans la Proodos, 29 juillet (v. s.) 1912.
H4) Ibid., 3i juillet {v. s.) 1912.
(5) Proodos, 18, 19, 20, 25 juillet (v. s.) 1912.
550 ÉCHOS d'orient
A la suite de la décision russe touchant les biens dédiés de Bessarabie,
le synode envoya seul au tsar la dépêche de protestation dont nous
avons parlé. Le Conseil se plaignit de n'avoir pas été consulté sur une
question de son ressort. La plainte fut discutée en séance synodale, et
inscrite, avec la discussion, au procès-verbal. Le mardi 30 juillet, ce
procès-verbal était relu au synode avant d'être envoyé au Conseil en
guise de réponse. Dans la lecture, fut rapportée la phrase suivante du
patriarche : « Cette décision du Conseil, outre qu'elle est illégale, n'est
pas droite, au point de vue affectueux et moral. » (Traduction littérale.)
Aussitôt le métropolite de Brousse, président du Conseil, se leva et
demanda au patriarche de retirer ces paroles ou de les expliquer. Le
patriarche répondit que sa phrase avait été «faussée », et aussitôt rentra
dans ses appartements. Invité à deux reprises par le synode à revenir
présider la séance, il s'y refusa et enfin envoya sa démission écrite dans
un pli cacheté qui devait être ouvert en présence des deux corps réunis.
Le soir même, il se retira à sa maison de campagne, pour attendre les
wénements.
On le voit, la cause de l'incident est insignifiante, et c'est là une des
faiblesses de la Grande Eglise, que cette facilité avec laquelle un dissen-
timent futile peut dégénérer en crise grave. Y avait-il eu préméditation,
et avait-on à dessein changé la phrase de Sa Sainteté pour la rendre plus
dure et provoquer une démission nouvelle? Nous l'ignorons. En tout
cas, nous voyons dès lors très clairement les deux partis en présence.
Les laïques du Conseil mixte, qui cependant devaient être les
offensés, restent fidèles au patriarche. Du côté opposé sont les membres
du synode, un seul excepté; même s'ils n'ont pas provoqué la crise
à dessein, ils comptent bien la mettre à profit pour essayer, une fois de
plus, de faire tomber Mb^'" Joachim 111. C'est dans la réunion générale des
deux corps que la partie va se jouer. Fixée d'abord au lendemain, elle
fut retardée à la demande des conseillers, qui se proposaient d'agir sur
le patriarche et d'obtenir qu'il revienne sur sa décision.
Le synode se garda bien de prendre part à la démarche. C'est le
jeudi ler août que synodiques et conseillers s'assemblèrent. Ils avaient
été convoqués pour « prendre connaissance officielle de la démissiorr
du patriarche, et procéder aux autres formalités prévues ». Le pli qui
la contenait fut décacheté et lu. II était ainsi conçu : « Pour des raisons,
de conscience, volontairement, sans violence, nous nous démettons aujour^
d'hui du poste d'archevêque de Constantinople et de patriarche œci
ménique, mais non de la dignité épiscopale, que nous désirons porte
canoniquement jusqu'à notre dernier soupir. »
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES S^I
Aussitôt après la lecture, un membre du Conseil, M. Pantziris, déposa
sur la table du président une autre lettre, obtenue la veille de Mt-'- Joa-
chim 111. Le patriarche y remerciait M. Pantziris de son attachement et
de ses bons sentiments, et déclarait vouloir réfléchir jusqu'au lundi
suivant sur la question de sa dén.lssion. Ainsi le prélat, après avoir
déclaré à tous, sur tous les tons, que sa volonté était immuable,
inflexible, irrévocable , avait enfin cédé. 11 n'attendait plus qu'une
demande officielle.
Les membres du synode furent un peu desappointés, bien qu'ils
dussent s'attendre à cette issue. Aussi une discussion des plus vives
s'engagea-t-elle aussitôt sur le fond même de la question : accepte-
rait-on ou non la démission? Les conseillers voulaient une demande
officielle pour en obtenir le retrait. Le synode s'y refusait absolument.
Ne pouvant se faire écouter, cinq membres du Conseil se retirèrent et
allèrent attendre dans la salle voisine. L'assemblée, dès lors, n'était
plus en nombre suffisant pour prendre une décision valide. Condamnés
à l'impuissance, les synodiques se soumirent, rappellèrent les con-
seillers, et acceptèrent leur proposition d'une démarche officielle.
Quatre délégués, deux membres du synode et deux du Conseil
allèrent prier le patriarche de vouloir bien, en raison de l'état critique
des circonstances, retirer sa démission. « L'état critique des circon-
stances » triompha des « raisons de conscience ». Achille, enfin, laissa
tomber son courroux et promit, sans conditions, de rentrer le soir
même au palais.
Qui sortit vainqueur de ces escarmouches? Mg^ Joachim 111? On ne
voit guère en quoi. C'est sans conditions qu'il revint, et pour s'en-
tendre encore rappeler à l'ordre dès la première séance synodale. Le
métropolite de Brousse l'invita sans détours à se conformer désormais
aux saints canons et aux règlements nationaux qui déterminent les
rapports du patriarche et du synode. 11 n'y répondit que par un terne
appel ù l'oubli du passé. Quant au synode, il n'en fut pas amoindri,
pour la raison qu'on ne peut guère l'amoindrir davantage; du moins
dut-il avouer une fois de plus son impuissance devant le Conseil. Et
s'il est, de ces faits, une conclusion qui s'impose, c'est la constatation
palpable, évidente, de la mainmise du corps laïque sur la Grande Eglise-
I
IV. Caisse de la hiérarchie.
Cette institution nouvelle a pour but d'améliorer l'état du haut clergé
byzantin. A en croire certains organes orthodoxes, cette situation serait
des plus précaires. Est-ce vrai de l'ensemble? Nous ignorons jusqu'à
552
ECHOS D ORIENT
quel point. En tout cas, cela est compréhensible d'une spéciale caté-
gorie de prélats qui a son importance, au moins numérique, les évêques
démissionnaires.
D'après la Proodos (i), il n'y aurait pas moins de 20 métropolites et
de 6 simples évêques mis ainsi en disponibilité, pour les 87 métropoles
et les lôévêchésque compte le patriarcat. Sur ce nombre, six seulement
se sont retirés d'eux-mêmes; les autres ont été déposés pour des
raisons d'ordre moral ou administratif. D'après le même journal, tous
ces déchus vivotent assez misérablement. Ils reçoivent sans doute une
pension de la Caisse nationale, mais il est bien évident qu'ils ont été
réduits à la portion congrue.
Les autres prélats semblent moins à plaindre. Métropolites et évêques
tirent de leur éparchie des revenus au moins suffisants. Si les chiffres,
fixés par les Règlements généraux (2) de 1860, correspondent encore
à la réalité, les plus favorisés reçoivent 100 000 piastres (près de
20000 francs); très rares sont ceux qui ont moins de 20000 piastres
(4000 francs); la moyenne des traitements est de 50000 piastres
(10 000 francs). Les droits casuels, qui varient suivant les diocèses et
les personnes, ne sont pas compris dans ces évaluations. Cependant,
la Proodos (3) constate que <^ la vie de la plupart des prélats n'est pas
rose au point de vue économique ». Ces inconvénients doivent être
réels, puisque l'on éprouve la nécessité d'y remédier par une institution
nouvelle.
C'est le synode qui en a pris l'initiative et a décidé la fondation,
vers le début du mois de mai. Il a voté et fait sanctionner par le
patriarche un règlement particulier. Comme de juste, c'est une Com-
mission ou éphorie qui administre la Caisse. Le président actuel est
Mgi- Vaphidès, de Didymotichos.
Cette Caisse hiérarchique sera, pour le haut clergé, ce qu'est pour le
clergé inférieur \2i Caisse sacerdotale, rétablie par Constantin V, en
1897 (4). Elle se constitue de même, par des cotisations obligatoires.
Tous les évêques ont été taxés pour une somme annuelle proportionnée
aux revenus de leur éparchie. 11 faudra longtemps encore avant que soit
réuni le capital nécessaire pour produire les heureux fruits qu'on en
attend : Carpent poma nepotes. Du moins les prélats semblent-ils le
(i) TIpooôo;, 7 avril 1912.
(2) Règlements généraux, publiés par M'^' L. Petit dans Colléctio Conciliorum de
Mansi, t. XL, col. 555 558; cf. Vailhé, dans le Dictionnaire de théologie catholique,
art. Constantinople, col. 1462.
(3) Ilpdoôo;, 28 avril 1912.
(4) Vailhé, art. Constantinople, dans le Dictionnaire de théologie, col. 1481.
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES 553
craindre. Aussi la Vérité ecclésiastique a-t-elle dû les inviter à plusieurs
reprises à verser au plus tôt leur quote-part.
Nous souhaitons à cette institution nouvelle plein succès dans le but
qu'elle poursuit, et qui est d'assurer au haut clergé grec une plus grande
indépendance morale, en procurant son indépendance économique.
Dans la Vérité ecclésiastique (i), M. Ch. Philippidès reconnaît que « si
l'Eglise catholique est encore toute-puissante et lutte avec succès contre
toute sorte de courants et de flots, elle le doit et à l'incomparable
discipline qui règne en elle, et à son indépendance économique ».
L'auteur propose aux siens de se rendre forts en se rendant ainsi indé-
pendants. 11 a raison, mais le vrai secret de la force catholique est dans
cet esprit de discipline qui ne peut exister que sous une autorité réelle,
supérieure et personnelle. Cette tête est absente dans l'Eglise ortho-
doxe, et une si grave lacune peut rendre nuls les bienfaits mêmes de
l'indépendance économique et morale.
M. Philippidès sera un jour, nous le craignons, forcé de le recon-
naître, s'il veut être sincère jusqu'au bout. F. C.
Roumains
Catholiques
Création d'un diocèse de rite grec-catholique en Hongrie, à Hajdu-
Dorogh. — Le Saint-Siège a pris, cet été, une décision appelée à avoir,
dans l'empire austro-hongrois et même au delà de ses frontières, un
retentissement considérable; c'est la création, en Hongrie, d'un diocèse
nouveau de rite grec pur. Pour en faire saisir toute la portée, un cer-
tain nombre de détails préliminaires doivent être rappelés brièvement.
L'empire austro-hongrois possède plus de cinq millions de catholiques
de rite oriental. Tous, jusqu'à présent, n'avaient de grec que le rite.
Pour la langue, les uns, les Ruthènes, employaient le slavon, et, les
iautres, les Roumains, se servaient de leur langue nationale, le roumain.
La plus grande partie de la population ruthène habite l'Autriche, la
iîalicie, où se trouvent près de 3 500000 fidèles organisés en une pro-
vince indépendante, composée de trois diocèses seulement, l'arche-
vêché de Lemberg et les deux évêchés suffragants de Przemyschl et
Itanislawow. En Hongrie, les Ruthènes sont bien moins nombreux,
nais mieux organisés hiérarchiquement, puisque une population de
)^oooo fidèles seulement est répartie aussi en trois diocèses: Munkacs,
(i) 'Ey.y.),r,<Tta(7Ti-/.T, 'A),r,Octa, 2 juin 1912, p. 194.
=,^4 ECHOS D ORIENT
Kreutz et Eperiès. II est vrai que ces éparchies ne forment pas, comme
en Autriche, une province indépendante. Les susceptibilités hongroises
n'ont pas même permis de les rattacher à l'archevêché de même rite
de Lemberg. Elles sont placées sous la haute juridiction du primat latin
de Gran. La plupart de ces fidèles sont établis au nord de la plaine
hongroise, sur le versant méridional des Carpathes.
C'est en Hongrie aussi que se trouvent les catholiques roumains, ils
y sont presque deux fois plus nombreux que les Ruthènes, environ
I 200 ooG, disséminés dans la partie orientale, la montagneuse Transyl-
vanie et les abords de la plaine. Ils forment une province ecclésiastique
indépendante de quatre diocèses. L'archevêché estFogaras, sur les fron-
tières de la Roumanie, et les diocèses suffragants sont Nagy-Varad,
Szamos-Ujvar et Lugos.
Hajdu-Dorogh, la ville qui vient d'être dotée d'un évêché, se trouve
au centre de la grande plaine hongroise, un peu au nord de Debreczen,
à peu près à égale distance des pays proprement ruthènes (Nord) et
roumains (Sud-Est). C'est évidemment cette position intermédiaire qui
l'a fait choisir pour centre du nouveau diocèse grec, composé d'anciens
fidèles ruthènes ou roumains. Sans doute, le grec est loin d'être connu
du peuple et même du clergé de ces régions, mais ils ont oublié aussi,
dit-on, leur langue nationale ancienne. Grâce surtout aux progrès con-
sidérables du madgyar, beaucoup ne comprennent plus le slavon ou le
roumain de la liturgie. Qu'ils reviennent donc à la langue primitive de
leur rite, le grec ancien.
Tel est le but du nouveau diocèse : réunir sous la même juridiction
les catholiques de rite byzantin dont la majorité parle hongrois. La Bulle
d'érection Christ l fidèles grœci ritus (i), du 8 juin 191 2, est formelle
à ce sujet. C'est pour ce motif qu'on lui a adjoint des paroisses très
éloignées parfois de Hajdu-Dorogh, comme Budapest, Mako, Nagy-
Varad : Qiium tamen ipsarum fidèles fere omnes hungarice loquantur,
peropportunum visum est eas novœ erectce diœcesi adjungere atque aggre-
gare. II en est de même des 35 paroisses enlevées au diocèse de Fogaras.
Le Saint-Siège est décidé à ne jamais permettre l'usage liturgique d'une
nouvelle langue, le hongrois par exemple, et c'est aussi pour prévenir
cet abus que la création nouvelle a été décidée. Enfin, la Bulle men-
tionne un dernier motif qui a sa valeur : ut « arctiora reddantur vincula
qtiibus Regnum Apostolicum Sancti Stephani devincitur cathedrœ Aposto-
lorum Principis ».
(i) Acta Apostolicœ Sedis, vol. IV, i" juillet 1912, p. 429-435.
CHRONIQUE DES EGLISES ORIENTALES S S S
Le nouveau diocèse aura i6o paroisses; une seule est soustraite à l'ar-
chevêché latin de Gran, celle de Budapest; 76 sont tirées des deux dio-
cèses ruthènes du nord de la Hongrie, Eperiès (8 paroisses) et surtout
Munkacs (68 paroisses); enfin, les 83 autres, le plus grand nombre,
viendront des éparchîes roumaines, 44 de Nagy-Varad (Gross-Werein),
le diocèse le plus proche de Hajdu-Dorogh; 4 de Szamos-Ujvar, au
milieu de la Transylvanie, et 35 de Fogaras, à l'extrémité orientale de
la Hongrie, près de la Roumanie. Ces dernières paroisses, très éloi-
gnées, seront administrées par un vicaire nommé et institué par l'évêque
de Hajdu-Dorogh,
Nous n'avons pas à entrer dans le détail des décisions pratiques
prises par le Saint-Siège pour l'érection du nouveau diocèse. Notons
seulement les plus importantes.
La langue liturgique est le grec ancien. La langue populaire ne sera
admise que dans les cérémonies extra-liturgiques, comme cela se pra-
tique dans les églises latines. Le grec ne sera obligatoire que dans trois
ans, afin de laisser aux prêtres le temps de l'apprendre. D'ici lors, ils
pourront continuer à célébrer, comme par le passé, en leur langue
respective, slave ou roumaine; quant au hongrois, il reste interdit,
puisqu'il n'a jamais été admis dans la liturgie.
Hajdu-Dorogh est placé sous la juridiction et la dépendance de la
Propagande et fait suffragant du siège latin de Gran, comme les trois
diocèses ruthènes de Hongrie.
Le gouvernement s'est formellement engagé {pacto se obstrinxii) à
soutenir et à aider tous les évêques futurs de Hajdu-Dorogh, et à faire
toutes les dépenses utiles pour l'érection de ce diocèse et l'aménagement
des édifices que suppose l'organisation régulière d'un siège épiscopal.
Orthodoxes
La crise religieuse roumaine. — Les Echos d'Orient ont appelé ainsi,
on s'en souvient, les divisions profondes créées en Roumanie par un
essai trop radical de réforme ecclésiastique (i). Que l'Eglise roumaine
eût besoin de réforme, tout le monde en convenait. Mais le remède
que l'on proposait pour la guérir était pire que le mal. On voulait
changer la loi synodale (2) qui le régit depuis 1872 dans un sens pres-
bytérien, et constituer à côté, et presque au-dessus du saint synode, un
Haut Conseil ecclésiastique composé de représentants du clergé inférieur
(i) Jean-Marie, Echos d'Orient, 1910, t. XIII, p. 48.
(2) M" L. Petit, dans le Conciliorum CoUectio de Mansi, t. XLII, col. 219.
556 ÉCHOS d'orient
et même de laïques. C'était aller contre les principes, si ondoyants
soient-ils, de l'Eglise orthodoxe elle-même. La lutte qui s'ensuivit,
conduite par Mg"" Safirim, évêque de Roman, amena la déposition de
l'archevêque de Bucarest, M^'' Mironesco.
Le siège est resté vacant jusqu'à la fin de mars 191 2. Alors l'évêque
de Husi, Më' Conon, a été élu archevêque et primat de Roumanie.
Dans son premier discours, Mg^ Conon a encore rappelé les maux dont
souffre son Eglise, surtout l'incapacité intellectuelle et morale du clergé.
Il en signale la cause dans l'insuffisance de la loi du 20 mai 1893, qui
s'occupe spécialement du clergé séculier et des Séminaires. Enfin, il
compte sur l'appui moral et matériel de l'Etat, et engage celui-ci à
mettre au service de l'Eglise les capitaux ecclésiastiques qui sont en sa
possession.
Peu de temps après cette élection, le projet de réforme si radical
présenté en 1909 a été modifié légèrement. Le Haut Conseil ecclêsias-
Hque malheureusement n'est pas supprimé, mais il devient une sorte
de bureau consultatif dépendant du ministère des Cultes ou du saint
synode, qui lui confient, chacun dans son ressort, diverses matières
à étudier ou à examiner. Ses avis et décisions ne peuvent être appliqués
qu'après l'approbation du ministère ou du synode.
Peut-être ces précisions et concessions suffiront-elles à calmer les
scrupules de l'opposition et permettront-elles à l'Eglise roumaine et
au gouvernement de passer aux autres réformes proposées. Qui pour-
rait affirmer, en effet, que l'institution nouvelle, ainsi entendue, soit
vraiment incompatible avec les principes si fiexibles de l'Eglise orthodoxe?
F. C.
Ruthènes
Catholiques
Nomination ifun évêque ruthène au Canada. — Rome vient de nommer
pour le Canada un évêque régionnaire de rite et de nationalité ruthène.
L'élu est M. Nicolas Budka, préfet du Séminaire archiépiscopal de
Lemberg, en Galicie.
Cette décision répond à un réel besoin. Elle continuera l'œuvre,
commencée aux Etats-Unis, de l'institution d'une hiérarchie chargée d^
veiller spécialement sur les fidèles de rite oriental émigrés en Ai
rique. Les Slaves y sont déjà très nombreux. Les Echos d'Orient
publié, en 19 10 (i), la traduction d'une étude que M. Shipman a c(
{\) Echos d'Orient, 1910, t. XIII, p. 173.
CHRONIQUE DES ÉGLISES ORIENTALES SS7
sacrée à ce sujet dans The catholic Encyclopedia (i). C'est aux Etats-
Unis que l'émigration ruttiène a été le plus intense. En 1908, il y avait
de 350000 à 400000 fidèles de ce rite, en comprenant dans ce chitfre
les Slovaques et les Croates Slovènes de rite byzantin. C'est à eux que
devait d'abord songer le Saint-Siège. En 1907, il leur envoya un évêque
régionnaire avec juridiction sur tous les Ruthènes des Etats-Unis et,
par l'importante Constitution apostolique Ea semper de septembre 1907,
régla la situation générale du rite grec en Amérique.
C'est une œuvre analogue que fait aujourd'hui le Saint-Siège au
Canada, par le Bref (2) Ojficium stipremi Apostolatus, du i 5 juillet 191 2.
Dans ce pays, les Ruthènes sont bien moins nombreux cependant
qu'aux Etats-Unis. En 1908, d'après M. Shipman, ils étaient de 45000
à 50000. Ce chiffre est certainement dépassé aujourd'hui. 11 est assez
important pour mériter la nomination d'un évêque, dont la présence
ne pourra que hâter et faciliter l'organisation des communautés de
fondation récente.
Le nouvel évêque doit: i" exercer une pleine juridiction personnelle
sur tous les fidèles du rite ruthène du Canada, présents et futurs,
sous la seule dépendance du délégué apostolique; 2" établir sa rési-
dence ordinaire dans la ville de Winnipeg. F. Cayré.
PosT-ScRiPTUM. — Un acte du Saint-Siège autorisant tous les fidèles à communier
dans n'importe quel rite. — Que nos lecteurs nous permettent d'ajouter, à la fin de
cette chronique des Eglises orientales, la mention d'un important document du Saint-
Siège dont nous comptons leur présenter prochainement le texte intégral avec une
traduction française. Les Acta Sanctœ Sedis du 3o septembre 1912 (t. IV, n» 18
p. 609-617) ont publié la Constitution apostolique Tradita ab antiquis, sous ce titre
qui, à lui seul, en indique déjà la disposition principale et la haute portée religieuse :
De sanctissima Eucharistia prumiscuo rilu sumenda. L'acte porte la date du 14 sep-
tembre 1912. En attendant que tous nos lecteurs puissent avoir sous les yeux ce très
intéressant document, duquel le Souverain Pontife se promet les plus heureux résul-
tats pour la grande cause de l'union des Eglises, nous croyons utile de faire connaître
ici sans retard la teneur de la disposition principale formant le troisième article du
dispositif final. Il y est dit :
Omnibus fidelibus cujusvis ritus datur facultas ut. pietatis causa, Sacramentum Eucharisticum
quolibet ritu confectum suscipiant (p. 6i6).
Tout fidèle, de quelque rite qu'il soit, est autorisé, môme pour simple motif de dévotion, à rece-
voir le Sacrement Eucharistique consacré dans n'importe quel rite.
Cette mesure, dit le Pape, « sera utile, non seulement pour enflammer l'ardeur de
la piété parmi les catholiques d'Orient, mais encore pour confirmer leur mutuelle
concorde » par la participation commune au Pain unique qui est le sacrement de
l'unité. De telles paroles, venant d'une autorité si auguste, expriment trop bien nos
propres aspirations, pour que nous ne soyons pas empressés à applaudir de tout
notre cœur à ce nouvel acte du Vicaire de Jésus-Christ.
S. Salaville.
(i) The catholic Encyclopedia, t. VI, p. 744-752.
(2) Acta Apostolicœ Sedis, vol. IV, 3i août 1912, f. 555-556.
BIBLIOGRAPHIE
Fr. Mourret : Histoire générale de l'Eglise. — V. La Renaissance et la
Réforme. Paris, Bloud, 3« édition, 1910, in-S», 604 pages. Prix: 7 fr. 5o.
— Yl. L'Ancien Régime. Paris, Bloud, 4* édition, 191 1, in-8°, 594 pages.
Prix : 7 fr. 5o.
Sous le titre très précis : la Renaissance et la Réforme, l'auteur ne se
contente pas de nous retracer les diverses phases de l'histoire de l'Eglise
au xv« et au xvi® siècle; il prend les événements au pontificat de Boni-
face VIII et les suit jusqu'au xvii^ siècle (i 294-1 600). L'ouvrage comprend
trois parties: 1° Décadence de la chrétienté sous l'influence des légistes,
de l'humanisme païen et du grand schisme d'Occident, décadence qui
rend les réformes nécessaires; 2° révolution protestante qui prétend
réformer l'Eglise en se passant de l'Eglise; 3" réforme catholique par le
concile de Trente, et une effloraison magnifique d'Ordres religieux.
M. l'abbé Mourret a utilisé les travaux les plus récents et les plus sérieux,
particulièrement ceux du P. Denifle au sujet de Luther, ce qui donne à
son ouvrage une grande valeur scientifique, mais qui n'embarrasse pas
son style clair et rapide. Nous lui ferons un petit reproche : celui de ne
s'être pas assez occupé des Eglises orientales. La formation de l'Eglise
russe et la fondation du patriarcat de Moscou, entre autres choses, méri-
taient de le retenir quelque peu. Cette lacune sera regrettée par ceux qui
s'intéressent aux vieilles chrétientés de l'Orient.
Par ancien régime, les démagogues entendent volontiers tout ce qui
a précédé 1789. Ce n'est pas l'avis de M. Mourret ni des meilleurs histo-
riens. Il faut simplement entendre par là le régime politique et social
des nations européennes pendant les deux derniers siècles qui ont précédé
la Révolution. L'auteur nous montre la Renaissance catholique com-
mencée au XVI* siècle, continuant son œuvre bienfaisante dans la doctrine,
la piété, la rénovation du clergé, les oeuvres de charité et les missions
étrangères. Puis nous assistons à la lutte de l'Eglise contre les doctrines
hétérodoxes : protestantisme, gallicanisme, jansénisme, quiétisme. Il
nous semble que M. Mourret a fait une place trop restreinte au josé-
phisme, qui a cependant beaucoup contribué à la Révolution, et dont
s'inspirent, peut-être sans le savoir, beaucoup de persécuteurs modernes.
Le chapitre consacré aux Eglises orientales, bien qu'il soit d'inégale
valeur dans ses diverses parties, donne toutefois une idée juste de la vie
religieuse en Orient aux xvii* et xviii* siècles. Il serait faux cependant de
croire que les controverses dogmatiques chez les Grecs se sont bornées
aux doctrines protestantes et à la rebaptisation des Latins. Il eût été bon
aussi d'ajouter quelques mots sur l'apostolat catholique dans les pays de
BIBLIOGRAPHIE 559
langue grecque, apostolat très intense et très fructueux, particulièrement
celui des Pères Jésuites dans l'Archipel.
R. Janin.
F. Prat, s. J., la Théologie de saint Paul. Deuxième partie. Paris,
G. Beauchesne, 191 2, in-S", viii-579 pages. Prix : 7 fr. 5o.
Le R. P. Prat nous livre dans ce second volume sur la théologie de
saint Paul une magnifique synthèse de la doctrine du grand Apôtre. Par
l'harmonieuse disposition des parties comme par la plénitude du con-
tenu, par la clarté de l'exposition et l'élégance du style comme par l'ori-
ginalité de la pensée, alliée à une érudition consommée, par la richesse
et la précision des détails comme par les lumineuses vues d'ensemble,
cet ouvrage nous paraît réaliser toutes les conditions du chef-d'œuvre. Il
est de ceux qui resteront et qu'on n'aura pas envie de refaire. Car le
P. Prat a fouillé les épîtres pauliniennes dans tous les sens. On sent, en
le lisant, qu'il s'est assimilé la doctrine de l'Apôtre, qu'il a fait un effort
prodigieux pour en saisir l'idée centrale et pour faire converger autour de
cette idée les éléments variés de l'Evangile paulinien.
Cette idée-mère, le P. Prat la formule ainsi : « Le Christ Sauveur
associe tout croyant à sa mort et à sa vie. Le Christ Sauveur définit la
personne du rédempteur; c'est le Messie, l'envoyé, l'agent et le manda-
taire de Dieu, le pontife de l'humanité coupable, le nouvel Adam chargi
par Dieu de réparer l'œuvre du premier. Tout croyant spécifie le sujet
de la rédemption — universel en puissance, sans distinctions, exclusions
ni privilèges — et indique en même temps la condition essentielle du
salut : la foi. L'union à la mort et à la vie du Christ résume k plan
rédempteur conçu par le Père dès l'éternité, exécuté au tournant des
siècles par le Fils qui, se solidarisant avec nous et nous unissant avec lui
par un lien d'identité mystique, fait passer sur lui ce qui est à nous et
sur nous ce qui est à lui. » (P. 55.) De cette conception, l'auteur tire
logiquement le plan de son ouvrage. I. Préhistoire de la rédemption
(L'humanité sans le Christ. L'initiative du Père). II. La personne du
\rédempteur (Le Christ préexistant. Relations du Christ préexistant.
IJésus-Christ). III. L'œuvre de la rédemption (La mission rédemptrice.
|La mort rédemptrice. Les effets immédiats de la rédemption). IV. Les
\fanaux de la rédemption (La foi et la justification. Les sacrements.
JL'FIglise). V. Les fruits de la i-édemption (La vie chrétienne. Les fins
[dernières).
Telles sont, avec le livre premier, consacré au paulinisme (conceptions
modernes, notion vraie), les grandes divisions de cette synthèse, qui défie
tout compte rendu et qu'il faut lire en entier pour en saisir toute la
beauté et toute la richesse. L'auteur a rassemblé là tout ce qu'on a écrit
de meilleur sur la doctrine de saint Paul, en y ajoutant son apport per-
t^6o ÉCHOS d'orient
sonnel, qui est considérable. Les vues neuves et originales abondent, en
effet, qui montrent dans le P. Prat un théologien très averti, un exégète
d'une rare pénétration, un philologue rompu à toutes les nuances de
l'expression et de la pensée. Le philologue et l'érudit se révèle surtout
dans les vingt-cinq longues notes distribuées à la fin des chapitres. Ce
sont autant de petites monographies très denses de contenu, qui aident à _
mieux comprendre les données synthétiques. Signalons enfin les tables^!
générales qui terminent le volume, et qui comprennent : i° Un sommaire
analytique de dix-huit pages très serrées; 2" une bibliographie de quatorze
pages; 3° une table exégétique; 4" un index philologique. Nous souhai-
tons de tout cœur à la Théologie de saint Paul le succès qu'elle mérite.
Elle contribuera certainement dans une large mesure au renouvellement
et au progrès de la théologie tout court.
M. JUGIE.
E. Mangenot, Dictionnaire de théologie catholique, fascicules XXXV-
XXXIX {Equipoque-Extrême-Onction). Paris, Letouzey, I9ii-i9[2.
Prix : 5 francs le fascicule.
Des articles très étendus, dont quelques-uns enjambent sur deux ou
même sur trois fascicules, nous ont mis un peu en retard avec le Dic-
tionnaire de théologie catholique. Force nous sera de nous borner à une
rapide énumération des principales notices. A la théologie dogmatique et
morale ressortissent plus directement les articles : Equivoque, col. 386-
388 (C. Antoine); Erreur doctrinale et Erreur empêchement de mariage,
col. 435-456 (E. Valton); Eschatologie (E. M^angenot); Esclavage, col. 457-
520 (J. Dutilleul); Espérance, col. 605-676 (S. Harrent); Esprit-Saint,
col. 676-829 (A. Palmieri); Essence, col. 83i-85o (A. Michel); Etats de
vie, col. 905-911 (C. Antoine); £'/ern//e, col. 912-921 (A. Michel); Eucha.
ristie, col. 989-1452 (C. Ruch, G. Bareille, R. S. Bour, F. Vernet, J. de
Ghellinck, E. Mangenot, F. Jansen); Eve, col. 1640-1655 (E. xMangenot);
Evidence, col. 1725-1731 (J. Bouché); Ex cathedra, col. 1731-1734
(L. Godefroy); Expérience religieuse, col. 1786-1868 (H. Pinard); Expli-
cite et Implicite, col. 1868-1871 (A. Michel); Extase, col. 1871-1896
(A. Hamon); enfin le début de l'article Extrême-Onction.
C'est le R. P. A. Palmieri qui a rédigé l'article Esprit-Saint. 11 étudie
successivement: 1° la divinité du Saint-Esprit; 2" sa procession du Père
et du Fils; l'une et l'autre d'après l'Ecriture, les Pères, les conciles et les
théologiens. Ces colonnes compactes abondent en renseignements pré-
cieux, bien qu'ils soient présentés d'une manière un peu trop touffue.
Les belles études du P. de Régnon sont largement mises à contribution,
même aux endroits où il est échappé au docte Jésuite quelques inexacti-
tudes. Ainsi, col. 793-794, pour suivre trop fidèlement son guide, le
R. P. Palmieri suppose, comme lui, qu'Apollinaire enseignait que le
BIBLIOGRAPHIE z,Sï
Saint-Esprit est une créature du Fils. Voir M. Jugie, Neslorius et la
controverse nestorienne, Paris, 191 2, p. 279-280. Les onze colonnes de
bibliographie sur la question de la procession du Saint-Esprit n'éton-
neront pas ceux qui sont tant soit peu au courant des controverses qu'elle
a suscitées, et l'on saura gré au R. P. Palmieri d'avoir dressé cette longue
liste.
Pour les articles Eucharistie et Accidents eucharistiques, sept colla-
borateurs se sont partagé la besogne. Le sacrement y est étudié successi-
vement dans l'Ecriture, chez les Pères, d'après les monuments chrétiens,
du w" au xii« siècle, au xii« en Occident, du xiii'' au xv« siècle, au concile
de Trente, du xvi'= au xx« siècle. Vient enfin l'étude sur les accidents
eucharistiques. C'est la matière de plusieurs volumes qui se trouve ainsi
réunie pour la plus grande commodité des travailleurs. Dans la subdivision
y Eucharistie d'après les Pères, on se contente parfois de références qui
nous ont paru par trop sobres. Ainsi, col. 1139, un alinéa de deux lignes
se trouve libellé comme suit: « 7" A Rome. — Saint Hippolyte, voir
A. d'ALÈs, la Théologie de saint Hippolyte. Paris, 1906, p. 147-150. »
Maints lecteurs préféreraient certainement un résumé, si bref, fût-il, des
pages auxquelles on les renvoie.
Au droit canon appartiennent des articles comme Etat, col. 879-905
(E. Valton); Etrangers, col. 982-989 (C. Antoine); Evêques, col. i656-
1725 (F. Pratet E. Valton); Excommunication, col. 1734-1744 (E. Valton);
Exorcisme et Exorciste, col. 1762-178G (J. Forget); Extravagantes,
col. 1896-1897 (A.Villien); — à l'exégèse, les notices de E. Mangenot sur
les livres d'Esdras et Néhémie, d'Esiher, de Y Exode, et sur Y Evangile;
celle de E. Amann sur les Evangiles apocryphes; — à l'histoire de la
théologie les articles Erasme, Erigène, Estius, Ethnophrones, Eucher,
Euchites, Eudes, Eudoxe et Eudoxiens; les monographies des Papes du
nom d'Etienne et Eugène; les articles Eugenicos (Jean), Eunomius,
Eusèbe, Eustathe, Eustrate, Euthymius Zigabène, Eutychès et Euty-
chianisme, Evagre. Plusieurs de ces notices sont signées par des rédac-
teurs de cette revue; signalons notamment la monographie d'Eutychès et
de l'Eutychianisme, col. 1582-1C09, due à la plume du R. P. Jugie.
A l'Eglise d'Espagne sont consacrés deux articles. Dans le premier,
M. Legendre expose l'état religieux actuel de cette Eglise, col. 553-593.
Dans l'autre, le R. P. Dominique de Caylus, Capucin de Burgos, fait une
monographie des sciences sacrées en Espagne depuis le moyen âge,
col. 593-603.
Cette trop aride énumération suffit à dire une fois de plus l'abondance
de renseignements très utiles et puisés aux meilleures sources, qu'on trou-
vera dans ce recueil. On lui a déjà reproché des empiétements sur le Dic-
tionnaire d'histoire et de géographie ecclésiastiques et sur le futur Dic-
tionnaire de droit canon. Je veux bien que l'information historique et
Echos d Orient, t. XV. 36
562 ÉCHOS d'orient
canonique soit fort recommandable aux théologiens, mais ne pourrait-on
pas, dès à présent, réserver complètement à ces deux derniers répertoires
des articles qu'il sera nécessaire d'y insérer comme étant de leur ressort?
Le Dictionnaire de théologie catholique gagnerait, à cette mesure, de la
place et du temps.
S. Salaville.
J. TiXERONT, Histoij'e des dogmes dans l'antiquité chrélienne, t. III :
La fin de l'âge patr'istique (430-800). Paris, Gabalda, 1912, in-12,
583 pages. Prix : 3 fr. 5o.
Ce troisième volume d'un ouvrage dont l'éloge n'est plus à faire étudie
la fin de l'âge patristique, que l'auteur clôt pour l'Orient à saint Jean
Damascène et à la controverse iconoclaste; pour l'Occident, à Alcuin et
à la controverse adoptianiste. Après un aperçu général sur la théologie
grecque du v^ au vu* siècle, vient l'exposé en cinq chapitres des grandes
controverses christologiques. M. Tixeront n'est pas de ceux à qui le Livre
d'Héraclide a persuadé que Nestorius n'était pas nestorien. Il retrouve
dans cet ouvrage tout l'essentiel du nestorianisme classique, bien que sa
conception de l'unique prosôpon admis par l'hérésiarque manque de
netteté. Utilisant les conclusions de la récente étude de M. Lebon sur
le monophysisme sévérien, il distingue le monophysisme eutychien du
monophysisme sévérien, et à cela il n'y a rien à redire. Par contre, les
vues du savant Belge sur la terminologie cyrillienne nous paraissent plus
que contestables, et il est regrettable que M. Tixeront les ait adoptées
sans contrôle suffisant. Nous ne croyons pas non plus que le concile de
Chalcédoine ait été le premier à violer la défense du concile d'Ephèse en
mettant en circulation le symbole dit de Constantinople (p. 48, n. i),
pour la bonne raison que le concile d'Ephèse n'avait et ne pouvait avoir,
dans le cas, l'intention de lier les conciles futurs.
Les palinodies du pape Vigile dans l'affaire des trois chapitres sont for-
tement mises en relief. Le lecteur catholique aimerait bien trouver, après
l'exposé de la difficulté doctrinale qu'elles soulèvent, les éléments d'une
solution. Le cas du pape Honorius aurait aussi mérité, semble-t-il, plus
qu'une simple note.
Les diverses phases de la querelle monothélite sont fort bien racontées.
Quant à la définition même du monothélisme de Sergius et de l'Ec-
thèse, certains trouveront qu'elle ne sort pas nécessairement des textes.
Le monothélisme de Sergius esi-il autre chose qu'un point particulier du
monophysisme sévérien, et n'y aurait-il pas lieu de distinguer entre un
monothélisme verbal et un monothélisme réel, tout comme on dis-
tingue un monophysisme verbal et un monophysisme réel?
Le chapitre vu résume les données de la tradition grecque en dehors
de la doctrine christologique. C'est l'un des plus denses du volume. Cer-
1
I
BIBLIOGRAPHIE 1^63
laines questions, comme la primauté romaine et la mariologie, auraient
pu être traitées un peu plus longuement. On ne dit rien, par exemple, de
la doctrine de saint André de Crète sur l'Immaculée Conception et l'As-
somption. L'auteur croit que Théodore de IMopsueste et Théodoret ont
nié la procession du Saint-Esprit a Filio etper Filium. Il nous est impos-
sible d'être de son avis. Le symbole de Théodore ne vise, selon toute appa-
rence, que l'erreur de Macédonius, et il serait facile d'apporter des textes
de Théodoret qui établissent qu'il n'a pu rejeter le per Filium des Pères
grecs antérieurs, et que lui aussi a en vue l'hérésie pneumatomaque.
Les chapitres viii et ix sont consacrés à la théologie latine. La contro-
verse semi-pélagienne est racontée assez longuement. L'auteur montre
bien comment l'Eglise, tout en approuvant les grandes thèmes de saint
Augustin sur la grâce, a refusé d'adopter officiellement les conséquences
■extrêmes de l'augustinisme relativement à la prédestination.
La controverse des images et la théologie de saint Jean Damascène
occupent les chapitres x et \i. A propos de la doctrine de saint Jeafi
"Damascène sur le canon scripturaire, M. Tixeront écrit : « Saint Jean
reproduit, d'après saint Epiphane, le canon de l'Ancien Testament, les
livres de la Sagesse et de V Ecclésiastique exclus. Son canon du Nouveau
Testament concorde avec notre canon actuel. » (P. 485.) Ceci n'est pas
tout à fait exact. Il est bien vrai que le Damascène donne le canon hébreu
de l'Ancien Testament d'après saint Epiphane, mais il est vrai aussi qu'il
•cite dans ses ouvrages plusieurs deutérocanoniques comme écriture
inspirée. Quant au canon du Nouveau Testament, saint Jean y fait rentrer
les canons dits apostoliques. Un peu plus loin, p. 5i3, l'auteur écrit:
« On remarque! a que saint Jean Damascène ne parle ni de la prière pour
les morts ni du purgatoire. » Or, M. Franz Diekamp a établi, en igoS,
l'authenticité du Wiy. to)v h Tiln-si xsxoLaY,aÉvwv, où la question de la prière
pour les morts est traitée ex professa.
Un dernier chapitre donne un court aperçu sur la théologie latine sous
«Charlemagne. Puis vient une conclusion résumant à grands traits les
développements de la doctrine catholique depuis l'apparition de l'aria-
nisme. Ainsi se termine cette Histoire des dogmes, qui est incontesta-
blement un ouvrage fort bien conçu, reflétant à un haut degré les qualités
littéraires de l'esprit français. On se tromperait cependant si l'on croyait
1 que toutes les affirmations en sont irréformables, et qu'elles nous li\Tent
tous les secrets de la patristique. Il y a encore dans ce domaine bien des
découvertes à faire ou à retrouver dans les travaux de nos savants devan-
ciers des xvii» et xviii^ siècles. Car il nous semble que M. Tixeront a
.accordé trop de confiance à certaines études contemporaines de valeur
fort contestable et n'a pas assez feuilleté Petau, Thomassin et les pré-
faces des grands éditeurs des ouvrages des Pères.
M. JUGIE.
564 ÉCHOS d'orient
E. DE Backer, Sacramentutn : le mot et l'idée représentée par lui dans-
les œuvres de Tertullien (XXX« fascicule du recueil de travaux publiés
par les membres des conférences d'histoire et de philologie de l'Uni-
versité de Louvain). Paris, A. Picard, 191 1, in-S», xx-392 pages. Prix:
8 francs.
Le titre de cet ouvrage n'indique qu'un tiers à peine de son contenu,
c'est-à-dire la première partie. Les trois autres qui suivent traitent : a) de
l'initiation au christianisme dans l'antiquité chrétienne, spécialement
d'après les ouvrages de Tertullien; b) des initiations dans les mystères,
païens; c) des principales analogies des mystères chrétiens et des mystères,
païens. L'auteur a réuni d'abondants matériaux, mais des matériaux dispa-
rates sans lien entre eux, qui font de son travail un recueil plutôt qu'un
livre. Le mot sacramentum, dans Tertullien, a été pour lui l'occasion de
parler de toute sorte de choses : de l'initiation chrétienne dans le Nouveau
Testament, de la doctrine de Tertullien sur les sacrements, sur les fins
dernières, sur la soteriologie, des principaux mystères païens avec leurs,
rites, leurs doctrines et leurs effets, etc. On trouve des chapitres d'une
ou deux pages seulement. Donc, ouvrage fort érudit, utile à consulter,,
mais mal composé.
M. JUGIE.
J. Bricout, Où en est l'histoire des religions ? t. II : Judaïsme et chris^
tianisme. Paris, Letouzey et Ané, 191 1, in-8", 589 pages. Prix : 7 fr. 5o^
Le tome 1" de cet ouvrage a fait l'an dernier l'objet d'un compte rendu-
dans les Echos d'Orient. Le tome II, qui n'a pas tardé à paraître, vient
heureusement compléter la série des études entreprises dans le précédent..
Des auteurs connus pour leur compétence en ces matières y ont collaboré
avec succès. Enumérons les sujets traités : J. Touzard, la Religion
d'Israël; J. Vénard, les Origines chrétiennes; P. Battifol, le Christian
nisme et le monde antique, de la fin du i®"" siècle au concile de Nicée;
J. Bousquet, les Divers schismes d'Orient ; E. Vacandard, l'Eglise latine
du IV® au XV® siècle; J. Bricout, le Christianisme de la Réforme à nos-
Jours; J. Bricout, Conclusion.
Je ne m'arrêterai qu'à l'étude du regretté chanoine Bousquet. En moins-
de soixante pages, il a réussi à donner sur les divers schismes orientaux-
une idée aussi exacte que claire, ce qui n'est pas un mince mérite aux
yeux de celui qui connaît un peu les Eglises orientales. 11 a évidemment
fait la meilleure part au principal de ces schismes, le schisme grec, qui
a entraîné loin de Rome la moitié de l'Europe. M. Bousquet a fort bien
remarqué que ce n'est ni sur Photius ni sur Michel Cérulaire qu'il faut
faire retomber la principale faute du schisme, les causes en étaient plus
anciennes et plus profondes : intrusion du pouvoir civil dans les affaires
BIBLIOGRAPHIE 565
•ecclésiastiques, ambition des patriarches de Constantinople, antipathie
des Byzantins pour tout ce qui n'était pas grec, etc. Les autres schismes
ne sont pas négligés cependant. L'auteur en donne une histoire suffisante,
bien que nécessairement un peu rapide. Le paragraphe consacré à l'état
actuel des Eglises orientales et à la vie religieuse qu'on y rencontre est
plein de judicieuses remarques. Peut-être eût-il été bon de donner quelques
aperçus sur l'émiettement de ces Eglises, leur situation géographique,
leur importance numérique, etc. Je relève aussi quelques inexactitudes
■de détail. Ainsi, p. 348, il n'est rien moins que sûr que le chef religieux
■des Arméniens se soit appelé catholicos dès le iv« siècle; p. 356 : les Mel-
kites 'ne se servent pas de l'arabe seul dans la liturgie, ils emploient
aussi, et de plus en plus, le grec. R. Janin.
A. PÉPHANÈs, SuvTOfjLo; 'ExxXY,aia<TTtxrj 'laropta, 1. 1". Athènes, A. Dialesma,
191 1, 180 pages in-S".
Cette histoire sera divisée, comme celle de D. Kyriakos, qui lui sert de
modèle, en quatre parties : la première s'étend de l'an i à 3 1 3 ; la deuxième,
de 3i3 à 860; la troisième, de 860 à 1453; enfin la quatrième de 1453 à
nos jours.
Le premier volume comprend les deux premières périodes. Trois mots
suffisent à apprécier ce petit manuel : c'est une thèse orthodoxe, déve-
loppée d'une manière oratoire, sans la moindre allure scientifique et
•critique.
Voici, choisi entre cent, un spécimen du genre. Saint Pierre « alla à
Rome, dit-on, xarà xtva kiùcr^^ '^'hv-f\^ »» P- 37. Et douze lignes plus bas,
saint André « enseigna en Scythie, en Cappadoce, à Byzance, où il établit
Stachys premier évêque ». Pas le moindre doute sur ce fait, point de réfé-
rences non plus; cela laisse à l'auteur plus de liberté avec les faits et les
citations.
Son orthodoxie même est-elle immaculée? On peut se le demander
quand on le voit, p. 90, reprocher à Justinien d'avoir fermé les écoles
païennes d'Athènes et d'avoir ainsi éteint la gloire de cette ville immor-
telle. C'est que M. Péphanès, ici et dans le cours de son travail, estime
l'hellénisme au moins à l'égal de la religion. F. Cayré.
A. DuFOURCQ, Histoire de l'Eglise du xi« au xiv* siècle. Le christianisme
et l'organisation féodale (1049-1300). Dans la collection l'Avenir du
christianisme (Le passé chrétien), 3« édition. Paris, Bloud, 191 1, in-i6,
458 pages. Prix : 3 fr. 5o.
M. Dufourcq n'est pas de ceux qu'un vaste labeur effraye. Il peut à lui
seul entreprendre une collection d'ouvrages historiques sans nuire à ses
autres travaux. En trois chapitres (c'est bien peu pour plus de 400 pages).
^66 ÉCHOS d'orient
il fait le tableau de l'Eglise au moyen âge, et un tableau complet, depuis
les luttes de Rome contre les entreprises du pouvoir civil et les con-
flits de doctrine jusqu'aux rroindres œuvres sociales et à l'architecture»
Malheureusement, il n'y a guère dans son ouvrage que les matériaux néces-
saires à une aussi vaste étude. La majeure partie du livre — au moins les
trois cinquièmes — est une suite de notes rédigées en style télégraphique,
bourrées, il est vrai, de faits et de citations, mais qui donnent plutôt l'im-
pression de fiches patiemment cataloguées. Il y a aussi tel titre qui cho-
quera plus d'un catholique. M. Dufourcq croit-il donc que le christianisme
a péri pendant la soi-disant période de ténèbres qu'on appelle le haut
moyen âge? On se le demande quand on lit le titre du chapitre i"" r
la Résurrection du christianisme. Souhaitons que les occupations de
M. Dufourcq lui laissent assez de loisirs pour lui permettre de rédiger
d'une façon plus complète les volumes qu'il doit encore publier.
R. Janin.
H. LiETZMANN, By\antinische legenden. léna, 191 1. Eugen Diederich^,
102 pages in-4^.
Voici un livre pour le moins original. Un titre à traits d'argent sur une
couverture rouge pâle attire, dès l'abord, le regard du lecteur. Bientôt, au
dedans, des caractères gras, à l'aspect légèrement archaïque, imprimés
sur un papier épais et mat d'une blancheur jaunissante, l'étonnent
davantage encore. Des figures grimaçantes, égarées en tête de certaines
légendes, sans doute pour leur servir d'illustration, accentuent la première
impression.
Si, malgré tout, on prend connaissance du contenu, on se trouve en
présence d'une traduction allemande de légendes byzantines. L'auteur
a voulu présenter quatre types différents des récits dont s'édifiaient les
moines byzantins. Ce sont : 1° la vie de saint Daniel Stylite, p. i-52;
2° la vie de saint Martinien, p. 53-62; 3° la vie de saint Syméon le Fou,
p. 63-8 1 ; 4° enfin des glanures dans le Pré spirituel de Moschus, p. 82-99.
En dehors des deux pages de notes très sommaires qui terminent le
volume^ on trouve, en marge, quelques rares dates, aussi étonnées de se
trouver dans cet isolement que les numéros de la pagination d'être relé-
gués au bas des feuillets.
Au demeurant, la science n'a rien à glaner en ce recueil. L'auteur n'a
eu d'autre but que la vulgarisation. F. Cayré.
Cl. Huart, Histoire des Arabes, t. I", in-8". Paris, Geuihner, 1912.
iv-38i pages. Prix: 10 francs. |
La compétence bien connue de M. Huart dans les questions qui touchent
à l'islamisme vient de se manifester une fois de plus dans le premier
BIBLIOGRAPHIE ^67
volume de l'histoire des Arabes. Après avoir donne sur l'Arabie les
notions géographiques, ethnographiques, etc., qui forment comme le
cadre de son travail, il étudie l'histoire de la presqu'île arabique d'abord
avant Mahomet. Cette période est de toutes la moins connue, et l'auteur
a raison de n'y pénétrer qu'à tâtons. La vie de Mahomet et l'établissement
de l'islamisme occupent comme de raison une bonne partie du livre.
L'expansion de la religion et de la puissance musulmanes est étudiée
jusqu'au xi« siècle de notre ère.
M. Huart, s'étant proposé de donner au public un manuel d'histoire,
a renoncé à y mettre des notes et des références; il a préféré indiquer à la
fin de chaque chapitre la bibliographie du sujet. Les lecteurs qui voudront
étudier certaines questions de plus près regretteront certainement cette
absence totale de notes qui compliquera leur tâche. Disons cependant que
l'ouvrage y gagne en clarté. Le récit simple, alerte, ne s'arrête pas aux
détails et ne se charge pas de considérations générales, mais il ne les
néglige pas non plus quand le besoin s'en fait sentir. Nous ne doutons
pas que l'ouvrage de M. Huart ne soit bien accueilli de ceux qui voudront
avoir une histoire du monde arabe à la fois scientifique et accessible aux
profanes. R. Janin.
K. RhaI.LIS, 11e si T(ov À'. Tav £'.(•) V xari xô /. avov. /côv oixa; ov tYjÇ
ôiOoooço'j àvaToÀ'./'.Y,? ' ExxXY,(7t'aî . Achènes, SakcUarios, rgio.
On trouve, dans cette brochure de vingt-six pages, un court aperçu sur
les processions d'après le droit ecclésiastique byzantin. Ce qu'elles sont,
comment elles se divisent, quel ordre on y observe, qui a le droit d'y par-
ticiper et qui peut les réglementer, telles sont les questions auxquelles il
est répondu d'une façon d'ailleurs assez brève. Mais ce qui donne à cette
publication son cachet particulier, ce sont les longues notes instructives
qui développent le texte et y ajoutent de précieux renseignements.
A. Chappet.
A. ScHMiDTKE, Neue Fragmente und Untersuchungen i(u den juden-
christlichen Evangelien. Ein Beitrag j(ur Literaiur und Geschichle der
Judenchristen. Leipzig, J.-G. Hinrichs, 191 1, in-8^ viii-3o2 pages.
Prix : 10 marks. Collection Texte und Untersuchungen..... de A. Har
NACR et C. ScHMiDT, t. XXXVll, fasc. 1.
M. Alfred Schmidtke consacre un important travail à l'étude de
quelques nouveaux fragments des Evangiles judéo-chrétiens. Après avoir
exposé ces fragments, il passe en revue les textes des Pères grecs et de
saint Jérôme concernant les recueils auxquels ils sont empruntés : Evan-
gile des Hébreux, Evangile des Ebionites, Evangile des Nazaréens.
Papias, Hégésippe, Eusèbe de Césarée, Apollinaire de Laodicée, saint
^68 ÉCHOS d'orient
Epiphane sont tour à tour interrogés, et le texte attesté par eux est com-
paré avec celui que connaît saint Jérôme. Un dernier chapitre (p. 287-302),
intitulé : Die Varianten des na^arœischen Matthœusiextes, fournit une
liste de variantes qui sera appréciée des exégètes. Nous ne pouvons que
signaler ici cette utile contribution à la littérature et à l'histoire des
judéo-chrétiens. S. Salaville.
O. VON Gebhardt, E. von Dobschutz, Die Aklen der edessenischen
Bekenner Gurjas, Samonas und Abibos. Leipzig, J. G. Hinrichs, 191 1,
in-8°, Lxviii-264 pages. Prix : 12 marks. (Même collection, t. XXXVII,
fasc. II.)
Le fondateur de la collection Texte und Untersuchungen, M. Oscar
von Gebhardt, avait déjà bien mérité des études d'hagiographie ancienne
par sa Passio S. Theclœ. Sa mort est venue interrompre les grands ser-
vices que cet éminent critique aurait pu rendre encore. Fort heureuse-
ment, M. Ernst von Dobschutz a pu tirer de la succession littéraire du
savant défunt la présente publication : les Actes des martyrs d'Edesse,
Gurjas, Samonas et Abibos, sous Diodétien et Licinius. Une intro-
duction très érudite étudie le texte syriaque de ces Actes, les textes grecs,
la traduction latine, Venkomion ou panégyrique d'Aréthas de Gésarée,
les textes des ménologes ou des synaxaires. Pour l'époque de la compo-
sition des Actes (dernier tiers du iv^ siècle), ainsi que pour l'appréciation
de leur valeur, M. Ernst von Dobschutz adopte le jugement de Heisen-
berg et de Noeldeke. G'est dire que, contrairement à l'avis de Baronius,
Moesinger, Bedjan, Bickell, R. Duval, Mkertschian, Gonybeare et Burkitt,
il conclut plutôt à leur peu de valeur historique. L'introduction se ter-
mine par un chapitre sur le culte des martyrs d'Edesse et un index des
initia.
Vient alors l'édition des textes. La traduction allemande du texte
syriaque tient le haut de la page, tandis que le texte grec court au-dessous,
p. 1-99. Suivent deux recensions grecques plus récentes, dont la seconde
est celle de Métaphraste, p. 101-199. Puis la traduction latine, p. 200-209;
enfin le texte grec de l'enkomion d'Aréthas de Gésarée, et les textes des
ménologes ou synaxaires, avec la mention du martyrologe romain au
i5 novembre. Un index des citations bibliques, des noms propres, de^
termes grecs, ainsi qu'une liste de corrections et d'additions, en même
temps qu'ils témoignent du soin minutieux apporté à cet excellent travaili ■•
faciliteront les moyens de le consulter et de l'utiliser.
S. Salaville.
G. Barth, Die Interprétation des Neuen Testaments in der Valentinia-f
nischen Gnosis. Leipzig, J.-G. Hinrichs, 191 1, in-8°, iv-ii8 pages.|
Prix : 4 marks. (Même collection, t. XXXVII, fasc. III.) ■
BIBLIOGRAPHIE 09
M. C. Barth étudie, dans cet ouvrage, l'exégèse du Nouveau Testament
dans la gnose valentinienne. On sait que les gnostiques valentiniens s'ef-
forçaient de trouver dans l'Ecriture la confirmation de leurs doctrines. Il
faut savoir gré au docte critique d'avoir fait un peu de lumière au milieu
de ces élucubrations d'une exégèse fort dévergondée. Les travailleurs qui
auront à s'occuper de la pensée gnostique recourront volontiers aux
savantes explications de M. C. Barth. L'index des citations bibliques
permet d'avoir d'un seul coup d'oeil le tableau des principaux passages
sur lesquels portait l'exégèse valentinienne.
S. Salaville.
Hélène S. Svorounou. MtxfafrtaTtxbv YjjxspoÀôY'.ov, 191 2, t. VI. Samos,
imp. du M'.xpatTtaT'.xôv r^^j.zyo'kôyiov, 1912, 400 pages in-8'\
11 est plus que temps de présenter aux lectiurs des Echos d'Orient
un calendrier de 19 12. Les quelques mots tardifs que nous lui pourrons
consacrer seront au moins une recommandation pour le volume de 1913.
Nous devons, en effet, féliciter l'auteur. M'"'' Svorounou a su captiver
l'intérêt et obtenir la variété nécessaire dans ces sortes de compositions,
sans tomber dans ces légèretés plus que frivoles qui les déparent trop
souvent. Elle a su joindre l'utile à l'agréable.
L'agréable, ce sont les contes et les récits qui forment le fond du volume ;
ce sont aussi ces poésies de toute sorte et de toute valeur qui relient les
divers paragraphes et ménagent les transitions.
L'utile mériterait de nous arrêter davantage. Je néglige la plupart des
biographies qui n'ont guère qu-'un intérêt local. Au point de vue archéo-
logique, une longue étude avec photographies, sur les fouilles de Per-
game en 1909 et 1910, doit surtout être signalée, p. 363. L'article le plus
développé est consacré au Mont Athos, p. i65 à 190. Il est extrait de l'ou-
vrage de Cosmas, moine de saint Paul, sur la /£p(jovT,(To; xou 'Ayiou
"Oiou;. Après plusieurs pages de dithyrambe, on y trouve, sur la date
de la fondation, le nombre des moines et des manuscrits des vingt grands
monastères, des détails précis, sinon toujours critiques: par exemple, la
fondation de Vatopèdt, en 32i, est plus que douteuse; de même pour
celle de Xiropotamos et de quelques autres.
Enfin, diverses études sur des coutumes locales attireront sans doute
l'attention des amis du folklore oriental.
F. Cayré.
TABLE DES MATIÈRES
QUINZIÈME ANNÉE 1912
L — Sommaire des livraisons.
/. Janvier. — N° Q2.
I. A nos lecteurs, La Rédaction 5^
II. Lettre de S. S. Pie X aux Arméniens catholiques après leur concile
de Rome à
III. La terminologie christologique de saint Cyrille d'Alexandrie,
M. JUGIE ^ 12
IV. L'Eglise maronite et le Saint-Siège (1213-1911), A. Catoire 28.
V. Epigraphie de Jérusalem, J. Germer-Durand 38
VI. Le moine Job, S. Pétridès 40-
VII. L'Eglise melkite au xviii» siècle : l'intrusion de Jauhar, P. Bacel 49
VIII. Un ancien bourg de Cappadoce : Sadagolthina, S. Salaville 61
IX. Le nouvel évéque grec catholique : M^"" Isaïe Papadopoulos,
S. Salaville 64
X. Les chrétiens de Turquie et la question scolaire et militaire,
F. Cayré 6Ô-
XI. Bibliographie 80
//. Mars. — N° g3.
I. M»"" Louis Petit, archevêque d'Athènes et délégué apostolique en
Grèce, S. Salaville 97
IL Ecrits de M^"- Louis Petit io5
III. Formation du patriarcat d'Aniioche. — I. Avant le concile de Nicée,
S. Vailhé 109
IV. La « prière des septs dormants », Le texte grec actuel et le texte
grec primitif, L. Arnaud 1 1 5
V. Les Juifs dans l'empire byzantin, R. Janin 1 26
VI. Le moine Alexandre de Chypre (vi« s.), S. Salaville i34
VIL La vierge Myrtidiotissa à Cérigo et son office, A. Chappet i38
VIII. La basilique Sainte-Marie la Neuve à Jérusalem, L. Dressaire 146
IX. L'homme créé à l'image de Dieu, d'après Théodoret de Cyr et
Procope de Gaza, E. Montmasson 1 54
X. Chronique des Eglises orientales unies et non unies : Arméniens,
Bulgares, Grecs (Alexandrie, Chypre, Constantinople, Grèce,
Jérusalem), Gréco-Arabes, Roumains 16S
XI. Bibliographie 184
TABLE DES MATIÈRES ^y I
///. .\/c7/. — X" 04.
I. Formation du patriarcat d'Aniioche. — II. Après le concile de Nicée,
S. Vailhé iq3
II. L'intervention des laïques dans la gestion des biens d'Eglise,
A. Catoibe i.,,2
ni. La vie et les œuvres d'Euthyme Zigabène, iVl, Jugie 2i5
IV. L'Eglise melkite au xvii.« siècle : nouvelles intrigues de Jauhar,
P. Bacel 226
V. La basilique Sainte-.Marie la Neuve à Jérusalem. — II. Emplacement
de Sainte-Marie la Neuve, L. Dressaire 284
VI. La « nation latine » de Constantinople, A. Trannoy 24(3
VII. Glanures dans les manuscrits des Météores, N. Béis 267
VIII. Chronique des Eglises orientales unies et non unies: Arméniens,
Bulgares, Coptes, Grecs (Alexandrie, Chypre. Constantinople,
Jérusalem), Serbes de Carlovitz, de Dalmatie et du Monténégro. 260
IX. A propos du nouvel archevêque d'.-Vthènes, M^"' Petit, S. Salaville. 278
X. Rectification 280
XI. Bibliographie 282
IV. Juillet. — A'" 9.5.
I. Origines chrétiennes de la Géorgie, R. Janin 289
II. Un essai de correction des livres liturgiques grecs, L. Arnaud 3oo
III. L'Eglise melkite au xvni* siècle: la lutte du patriarche Jauhar et du
métropolite Germanos Adam (1759-1794), P. Bacel 309
IV. Le voyage de l'empereur Manuel Paléologue en Occident (i 399-1403),
M. JUGIE 322
V. La franc-maçonnerie et l'Eglise grecque, E. Nésiotès 333
VI. Glanures dans les manuscrits des Météores, N. Béis 342
VIL L'Eglise de Serbie de 1909 à 1912, E. Goudal 345
Vin. Chronique de l'Eglise melkite, Jean Barbara 356
IX. Bibliographie 376
V. Septembre. — .Vt> (j6.
I. La Baskania ou le « mauvais œil » chez les Grecs modernes,
L. Arnaud 385
II. L'autorité spirituelle du patriarche grec de Cons.antinople, F. Cayré. 395
III. La Mission in adjutorium Coptorum, G. Levenq 4o5
IV. Intervention des laïques dans l'élection des évéques, A. Catoire 412
V. Les chrétiens de Syi ie dans l'Amérique du Nord, A. Zal'oum 427
VI. Le premier livre néo-bulgare : VAbagar de l'évêque Stanislavof
(1641), S. Salaville 442
VII. Chronique de l'Eglise russe, E. Martinovitch 449
VIII. A propos d'un buUaire maronite, C. Karalevsky 462
IX. Bibliographie 474
572
TABLE DES MATIERES
VI. Novemh^e. — TV" gj.
I. Philippe Stanislavof, apôtre des Bulgares Pavlikans au xvii® siècle,
S. Salaville 48 1
II. Musulmans malgré eux : les Stavriotes, R. Janin 495
III. L'évêché de Skialhos, T. E. Evangélidès 5o6
IV. La Baskania« ou le mauvais œil» chez les Grecs modernes, L. Arnaud. 5 10
V. Bulletin de théologie orientale, M. Jugie 525
VI. Chronique des Eglises orientales unies et non unies : Arméniens,
Bulgares, iGrecs, Roumains, Ruthènes, R. Janin et F. Cayré 542
VII. Un acte du Saint-Siège autorisant la communion dans n'importe
quel rite, S. Sal.wille 55/
VIII. Bibliographie 558
IX. Table des matières 570
II. Liste alphabétique des auteurs.
Arnaud (L.). — La « prière des sept dormants ». Le texte grec actuel et
le texte grec primitif 1 15
— Un essai de correction des livres liturgiques grecs 3oo
— La Baskania ou le « mauvais oeil » chez les Grecs modernes 385 5 10
Bacel (P.). — L'Eglise melkite au xviii® siècle : l'intrusion de Jauhar 49
— L'Eglise melkite au xviii* siècle : nouvelles intrigues de Jauhar 226
— L'Eglise melkite au xviu® siècle : la lutte du patriarche Jauhar et du
métropolite Germanos d'Alep (i 759-1794) 3og
Barbara (J.). — Chronique de l'Eglise melkite 356
Béis (N.). — Glanures dans les manuscrits des Météores 257 342
Catoire (A.). — L'Eglise maronite et le Saint-Siège (i3i3-i9ii) 28
— L'intervention des laïques dans la gestion des biens d'Eglise 202
— Intervention des laïques dans l'élection des évêques 412
Cayré (F.). — Les chrétiens de Turquie et la question scolaire et militaire. 66
— L'autorité spirituelle du patriarche grec de Constantinople 395
— Chroniques 168, 171, 263 542
Chappet (A.). La vierge Myrtidiotissa à Cérigo et son office i38
Dressaire (L.). — La baislique Sainte-Marie la Neuve à Jérusalem 146 234
Evangélidès (T.-E.). — L'évêché de Skiathos 5o6
Germer-Durand (J.). — Epigraphie de Jérusalem 38
GospoDiNOF (H.). — Chronique : Bulgares 169 262
GouDAL (E.). — L'Eglise de Serbie de 1909 à 19 12 345
Janin (R.). — Les Juifs dans l'empire byzantin 1 26
— Origines chrétiennes de la Géorgie 289
— Musulmans malgré eux : les Stavriotes 495
— Chronique : Arméniens 166, 260 542
JuGiE (M.). — La terminologie christologique de saint Cyrille d'Alexandrie. 12
— La vie et les œuvres d'Euthyme Zigabène 2 1 5
— Le voyage de l'empereur Manuel Paléologue en Occident (1399-1403). 322
TABLE DES MATIÈRES ^J }
JuGiE (M.) — Bulletia de théologie orientale 525
— Chronique des Eglises serbes 271
Karalevsky (C). — A propos d'un buUaire maronite 462
Levenq (G.). — La Mission in adjutorium Coptorum 4o5
Martinovitch (E.). — Chronique de l'Eglise russe 449
MoNTMASS N (E). — L'homme créé à l'image de Dieu, d'après Théodoret
ce Cyr et Procope de Gaza 154
Nésiotès (E.). — La franc-maçonnerie et l'Eglise grecque , 333
Petit (M^'' L.). — Ses écrits io5
PÉTRiDÈs (S.). — Le moine Job 40
Pie X. — Lettre aux Arméniens catholiques après leur concile de Rome.. 6
Rédaction. — A nos lecteurs 5
— Rectification 280
Salâville (S.). — Un ancien bourg de Cappadoce : Sadagolthina 61
— Le nouvel évêque grec catholique : Mb"" Isaïe Papadopoulos 64
— M^'' Louis Petit, archevêque d'Athènes et délégué apostolique en
Grèce 97
— Le moine Alexandre de Chypre (vi^ s.) 1 34
— A propos du nouvel archevêque d'Athènes, M*"" Petit 278
— Le premier livre néo-bulgare : l'Abagar de l'évêque Stanislavof,
( 1641) 442
— Philippe Stanislavof, apôtre des Bulgares Pavlilcans au xvii* siècle.. 481
— Un acte du Saint-Siège autorisant la communion dans n'importe
quel rite 55/
Trannoy (A.). — La « nation latine » de Constantinople 246
Vailhé (S.). — Formation du patriarcat d'Antioche 109 193
Zai *oum (A.). — Les chrétiens de Syrie dans l'Amérique du Nord 427
III. Bibliographie.
Agrain (R.). — Quarante-neuf lettres de saint Isidore de Péluse. Edition
critique de l'ancienne version latine contenue dans deux manu-
scrits du concile d'Ephèse 8S
Andrieux (L.). — La première Communion : Histoire et discipline.
Textes et documents. Des origines au xx" siècle 86
— La primauté romaine et le clergé oriental au vn^ siècle {Bgo-jiS). 525
Andolin (G.). — Catalogo de los codices latinos de la real biblioleca del
Escoria l ' °4
AuFHAusER (J.-B.). — Die Heilslehre des hl. Gregor von Nyssa 281
Bâcha (C). — Le deuxième centenaire de la fondation du monastère
des religieux Basiliens de Saint-Sauveur 86
Backer (E. de). — Sacramentum : le mot et l'idée représentée par lui
dans les œuvres de Tertullien ^64
Barth (C). — Die Interprétation des Neuen Testaments in der Valenti-
nianischen Gnosis= Texte und Untersuchungen ;,ur Geschichte
der altchristlichen Literatur, t. XXXVIIl, fasc. 3 56^
574
TABLE DES MATIERES
Behm (J.). — Die Handaujlegung im L'rchristentum nach Verwendung,
Herkunft und Bedeutiingen religionsgeschichtlichen Zusam-
menhang untersucht 478
BÉis (N.). — Voir Diobouniotis ^5
Béis (N.). — 'AvaYvto(7£'.î xal xaTaTalsiç êu^avTtvwv p.o).u6So6o-J>.).wv 88
— Was ist die sogenannte ô^JpuYxoî Schrift? 189
— 'AvaYvwffEtç yçi.(jx\.rxviVM\ èmypaçwv AX-^vir.;,, 0£(T7Hwv, Msyâpwv, Koptvôoy
xal "ApYoy; xal TtapexêoXal el; raûra; l8g
— N£0£)>Xr,vixà ÔTiiiwSri ao-jxaTa, âx j(£tpoxoi?Mv xwStxoJv 19O
— 'AvTtêoXri Toy « IlEpl iroir;Tixfj; » to-j 'ApcffTOTAoy; Trpb; xwSixa toù MsTcwpou. Syô
Bibliotheca hagiographica latina antiquœ et mediœ œtatis. Siipple-
menti editio altéra et auctior 474
Bibliotheca hagiographica orientalis 474
Bock (J.-P.). — Die Brotbitte des Vaterunsers. Ein Beitrag ^iir Vers-
taendnis dièses Universlgebetes und einschlaegiger patristisch-
liturgischer Fragen 284
BoNNASSiEUX (F.-J.). — Les Evangiles synoptiques de saint Hilaire de
Poitiers 93
Bpézol (Georges). — Les Turcs ont passé là. Recueil de documents, dos-
siers, rapports, requêtes, protestations, suppliques et enquêtes
établissant la vérité sur les 7nassacres d'Adana de i gOQ 94
Bricout (J.). — Oii en est l'histoire des religions? T. II : Judaïsme et
Christian isnie 564
BuKOWSKi (A.). — Die Genugtuung fur die Sûnde nach der Aufassung
der russischen Orthodoxie 532
Cabrol (F.) et Leclercq (H.). — Dictionnaire d'archéologie chrétienne
et de liturgie, fascicule XXV : Chapelle-Char lemagne i85
Celier (L.). — Les Dataires du w" siècle et les origines de la Daterie
apostolique i< j >
Chalandon (F.). — Jean II Comnène (/ / 18-1 143) et Manuel I" Comnène
(/ 143-1 180) 479
Diobouniotis (C.) et Béis (N.). — Hippolyts Schrift ûber die Segnungen
Jakobs, Hippolyts Daniel commentar in Handschrift Ji" 5/3 des
Meteoronklosters 85
DuFOURCQ (A.). — Histoire de l'Eglise du xi* au xiv^ siècle. Le christia-
nisme et l'organisation féodale (1049-1300) 565
DuMiTRESCU (A.-T.). — Relation sur les ruines de la colonie Romula de
Dacie 88
DussAUD (R.). — Les civilisations préhelléniques dans le bassin de la
mer Egée 189
Ehrle (F.) et LiEBAERT (P.). — Specimina codicum latinorum Vatica-
norum (Tabulae in usum Schoi-arum III) 477
■ EuSTRATIADÈS (S.). — E-jayyéXtov Mapîa; xf,; na),x'.o)-OYi'va; 87
Falls (J.-C,-E.). — Drei Jahre in der libyschen Wûste 82
Gebhardt(0. Von) et von Dobschutz (E.). — Die Akten der edessenischen
Bekenner Gurj'as, Safnonas und Abibos = Texte und Untersu-
chungen ^ur Geschichte der altchristlichen Literatur,i. XXXVII,
fasc. 2 563
J
TABLE DES MATIÈRES S75
•GÉDÉON (M.). — 'KTîÎTrifia à'vYpacpa xvaçepôiiEva si; TX èy.y.).r|(TcaTTiy.à YjiAôiv St'y.ata. 82
Gerland (E.). — Der Mosaikschmuck der Hamburger Erloserkirche.
Ein ikonographischer Versuch ^ 38o
<jROVEs Campbell (F.-W.). — A Little Orthodox Manual of prayers of
the Hoir Orthodox catholic Church 92
Globoukovsk.1i (N. N.). — Bogoslovskaia enîsiclopedia, i. XII (Knighi
Konstantinopol) 540
Hi'iKEL (I.). — Kritische Beitraege \u den Constantin-Schriften des Euse-
bius (Eiisebius Werke Band I) = Texte und Untersuchitngen
\ur Geschichte der altchristlichen Literatiir, t. XXXVI, fasc. 4.. 476
MoLL (K.). — Die handschriftliche Ueberlieferung des Epiphanius
{Ancoratiis und Panarion). Texte und Unters., XXXVI, 2 476
HuART (Cl.). — Histoire des Arabes, t. I^"" 566
Hubert (M.). — Die Wander légende von der Siebenschlaefern. Eine
literargeschichtliche Untersuchung 80
HuBER (R.). — Empire ottoman, carte statistique des cultes chrétiens . . . 377
Jean-Baptiste de San-Lobenzo (R. P.). — Saint Polycarpe et son tombeau
sur le Pagus; notice sur la ville de Smyrne 89
K.LOSTERMANN (E.). — Origcnes, Eustathius von Antiochien und Gregor
von I\yssa ûber die H exe von Endor 287
K.UTSCHERA (H.-Fr. von). — Die Cha^aren. Hislorische Studie 382
Larrivaz (F.). — Les saintes pérégrinations de Bernard de Brevdenbach
(1483) 378
Leclebc (H.). — (Voir Cabrol) i85
Legrand (E.). — Bibliographie ionienne : Description raisonnée des
ouvrages publiés par les Grecs des Sept-Iles ou concernant ces
îles, du xv^ siècle à l'année 1 goo 376
Liebaert (P.). — (Voir Ehrle) -^ 477
Lietzmann (H.). — 'By^antinische Legenden 566
Linder (J.). — Die Heilige Schrift fur das Volk erklaert. Geschichte
des Alten Bundes 94
LiTZiCA (G.). — Catalogul manuscriptelor grecesti {Catalogue des manu-
scrits grecs de la bibliothèque de l'Académie roumaine) 378
LoNGNON (J.). — Chronique de Morée (i204-i3o5) 377
Mangenot (E.). — Les Evangiles synoptiques 91
— Dictionnaire de théologie catholique, fasc. XXXV-XXXIX [Equi-
voque-Extrême-Onction) 56o
Marsay (E. de). — De l'authenticité des livres d'Esther et de Judith 286
Martini (E.). — Textgeschichte dèr Bibliotheke des Patriarchen Photios
von Constantinopel. I Theil : Die Handschriften, Ausgaben und
Uebertragungen 47^
Maxudianz (M.). — Le parler arménien d'Akn (quartier bas) 383
Meester (D.-P. de). — Etudes sur la théologie orthodoxe, i"^ série 53 1
Mélanges de la Faculté orientale de l'Université Saint-Joseph à Beyrouth,
t. V, fasc. 1 38i
MouRRET (F.). — L'Eglise et le monde barbare 83
— La Renaissance et la Réforme 558
— L'Ancien Régime 558
\J'
r.'i'^
TABLE DES MATIERES
ŒcONOMIDÈS (D.)- — S£oaaT07r&-J).£to? àywv, sy.Oeai; t/,? àyojvoôiy.ou âjîtTpoTrei'a;. 92
Oquet (J.). — Manuel de prières à l'usage des fidèles de rite grec 84
OriMANian (M.). — L'Eglise^ arménienne 81
La Palestine, guide historique et pratique avec caries et plans nouveaux
par des professeurs de Notre-Dame di France à Jérusalem 480
PalliS (A.). — 'H via oiaôïîxï) xaxà tÔ ^aTixavo yepévpaço \i.s~a.<fipa.(j\i.iyr,. Mipo;
7:pwT0 ; 383
Papadopoulos-Kékameus (A.), — Texte Grecesti privitoare la isloria
româneasca 475
Papamirhail (Gr.). — 'O âyto; TpriYopto; ria)>a[j.âc (1296-1360) 628
PÉPHANÈS (A.). — SùvTO[Jioi; 'E-/.y.),r,(Tta(TTiy.r, 'I(7T0pta, t. 1 565
PhoKILIDÈS (J.). — Xpy(T(7t7rou npôdêuTépou 'lepodoX-jiJiwv iyxo'jfAtov s'.c tôv "Ay.
MâpTupa 0£(58wpov, ext Sa xal twv OaufiàTiov a-jtou [xeptxY) ôtr|YY)(Tic 83
Polîtes (N.-G.). — 'EXXr,vtXTi gtSXtoypacpta. Ka-ràXoyoç twv èv 'E)lâ8: r, utto
'EXXiQvwv àXXaxou èxSoÔévxwv oiêXîwv ành xo'û k'xo; 1907 1 84
Prat (Fr.). — La théologie de saint Paul. Deuxième partie 559,
Khallis (K.). — riepl Twv XtTaveiwv xarà t'o xavovtxôv Sixaiov zf,ç op6o5d|ov> àvaxo-
XtXY); 'ExxXv](7Îa; 567
— Ilepl Tôiv lAUff-criptwv T-riÇ p.c-avoia; xal 10Z e-jysXat'oy xaTx xô Sizatov ■zf^i
ôp9o86$ou àvaxoXtxfiî £xxXr,(Tia; 534
RoBERTSON (A. -T.). — Grammaire du grec du Nouveau Testament 280
Rouet de Journel (M.-J.). — Enchiridion patristicuin 28S
RuECKER (A.). — Die Lukas-Homilien des Hl. Cyrill von Alexandrien.
Ein Beitrag ^iir Geschichte der Exégèse 287
Safirinu (D.-D.-C). — Documente privitoae la turburarea bisericeasca
pricinuita de legea sinodala din 1 909 si aparareaprea sfintitului
episcopal Romanului in procesul sinodal din vara anului
1911 378
Savio (T.). — La questione del papa Libéria 89
— Nuovi studi su lia questione di papa Libéria 90
— Punti controversi nella questione del papa Libéria 90
Schermann (T.). — Der liturgische Papyrus von Dêr-Baly^^eh. Eine
Abendmahlsliturgie des Ostermorgens i85
ScHMiDTKE (A.). — Neue Fragmente und Untersuchungen ^u den juden-
christlichen Evangelien. Ein Beitrag ^ur Literatur und Ges-
chichte der Judenchristen 568
Snopek (Fr.). — Konstantinus-Cyrillus und Methodius die Slavenapostel. 38i
Stockle (A.). — Spœtrœmische und By^antinische Zûnfte 38oJ
SviETLov (P. A.). — Kristianska'ié Vêraoutchénié v apologhetitcheskan
i^logenii 53/1
SvoRONOU (H. -S.). — Mtxpao-'.aTjxov •^(x.epoXôyiov 1912 56ç
Texte und Untersuchungen !^ur Geschichte der altchristlichen Lite-
ratur 85, i85, 476, 56Î
Thibaut (J.-B.). — Monuments de la notation ekphonétiqiie et neumatique
de l'Eglise latiyie 186
TixERONT (J.). — Histoire des dogmes dans l'antiquité chrétienne 562: j
TouRNEBizE (F.). — Histoire politique et religieuse de l'Arménie 81
Valensin (A.). — Jésus-Christ et l'étude comparée des religions 379^
1485-12. — Imp. p. FERON-^'RAU, 3 et 5, rue Bayard, Paris, 8'. — Le gérant : A. Faigle.
Echos d'Orient
V.15 (1912)