\Mm
\l
H
v^
r ~
:*
^m
\ï
ELOGE
HISTORIQUE
D E C H
E S V,
ROI DE FRANCE.
Jhmz?/ .M.
/<- n**Mir Jeuk
ELOGE HISTORIQUE
D E
Charles V,
; OI DE F RAN CE
Par M. DE VlLLETTE.
On neuf être Héros sans ravager la Terre.
/ ottaire
A PARIS.
Chez^URANGE ^rrwrwieur-uMrraire, ad Calnnet jCîtteraù'tJ?
c^Lont <l- Votre-SDamt vrùâ ta iSbmpc ' ■
£n
M. D CC. LXVII.
dvec Approbation et Permi. '.ur/i
Digitized by the Internet Archive
in 2011 with funding from
Research Library, The Getty Research Institute
http://www.archive.org/details/elogehistoriquedOOvile
LE T T R E
A M. DE VOLTAIRE
O N S I E U R,
Je ri ai jamais prétendu que cet Ouvrage
parût au grand pur ; auffi ri a- 1- il pas
été préfenté a l'Académie : il ejl le fruit
des occupations dont je me fuis fait un
régime nécejfaire à ma Janté ; le fyflême
médical auquel vous m'avez vu ajfujetti
pendant mon féjour a Ferney ne lui cfl
pas plus ejfentiel. Je vis toujours de pri-
vations j & je fuis devenu prefque frugi-
vore. Quel rôle puis-je faire oh l'on foupe,
où ton joue , où l'on veille } le parti qui
vj LETTRE
rejle efl de rentrer ehe^foi; mais > otium
fine litteris mors eft & viventis fepul-
tura. Alors je me fias mis à vous contre-
faire ; enfoncé dans la folitude de mon
cabinet >f ai écrit ; f avouerai ? avec quel-
que pudeur > que la patrie n'était pas de-
bout devant moi ? & que la juftice n'é-
tait point afïife à mes côtés , mais 9 en
revanche , le jantôme de l'ennui appuyé
fur mon balcon me difait d'une voix me"
naçante : travaille > ou fois accablé du
poids de ma chaîne. Voilà * Monsieur >
ce qui m'a engagé dans une auffî péril-
leufe carrière ; & puis > des amis j peut-
être prévenus ? un Libraire que faime j
ont furmonté mes répugnances j & mont
A M. D E V O L T A I R E. vij
de terminé à courir les rifjues de l'impref
fion.
Je mets fous votre protection ce premier
ejjai de mes Jorces. C'ejl vous j jofe le
dire > qui rriave\ donné le courage de tra-
vailler mes penfées ; vous ave\ développé
les facultés de mon entendement j j'ajou-
terai celles de mon cœur* que vous ave\
échauffé y attendri par vos préceptes j en-
core plus par ces exemples de piété géné-
reufe & active , dont j'ai été plus d'une
fois le témoin. Je ne me rappelle pas fans
émotion ces traits de votre bienfaifance.
L! infortuné Syrven m'ejl encore préfent ;
vous l'écoute^ avec une attention compa-
tiffante j répandant des larmes > effuyant
viij LETTRE A M. DE VOLTAIRE.
celles de ce refpeciable vieillard j lui don-
nant votre argent & les Je cours de votre
plume. Je ne vois plus le dieu de l'élo-
quence* celui des vers ; cefl l'ami de l'hu-
manité qui la foutunt 9 qui la confole ;
cefl le modèle de ces douces vertus qui
feraient de la terre un féjour délicieux s'il
avoit plus d imitateurs.
Si quelqu'un efl ajje%^ heureux pour
vous approcher d'aujji près que moi j il
ne pourra fe défendre des fentimens de
refpecl & d'enthoujzafme avec lej quels je
fuis j
MONSIEUR,
Votre très-humble 5t obéiflant
{erviteur ,
VlLLETTE.
ÉLOGE
HISTORIQUE
DE CHARLES V,
ROI DE FRANCE.
]Li E peuple avide du merveilleux , n eft frappé que
de ces révolutions terribles qui étonnent & changent
la face de l'Univers : cependant THiftoire des grands
événemens eft prefque toujours l'hiftoire des malheurs
2 ELOGE HISTORIQUE
publics. La Majeflé tranquille des mers, eft-elle donc
moins digne de notre admiration que l'horrible fixe-
ment des tempêtes: & ce difque immenfe de lumière
dont les retours périodiques raniment £c confolent la
Nature, n'eft-il pas un fpectacle plus ravilîànt que ces
météores enflammés, qui femblent n'éclairer le monde,
que pour mieux marquer les lieux qu'ils vont bientôt
frapper de défolation & d'effroi ?
Détournons nos regards de ces Héros fànguinai-
res , qui ont affligé l'humanité , pour contempler ces
hommes bienfaifans , qui par leurs talens & leur fa-
geife, ont éclairé ou fervi la Patrie. Au milieu d'eux ,
je vois s'élever Charles V, Roi de France ., à qui la
Nation vient aujourd'hui rendre hommage dans le
fanctuaire des Lettres & de la Philofophie. J'ofè mêler
mon foible organe aux voix éloquentes qui fe difpu-
tent l'honneur de célébrer fes vertus. C'eft moins
DE CHARLES V. 3
une aveugle témérité de ma part, qu'une jufte con-
fiance dans le mérite éclatant du prince dont j'en-
treprends l'éloge. J'ai penfé qu'un fujet fi noble 5c
fi riche par lui même , pouvoit fè pafler des refTour-
ces de l'art. Je me propofe de développer la grande
ame de Charles , & d'offrir aux rois un modèle ,
en peignant le citoyen fur le trône, Se le reflaura-
teur de fbn pays.
Athènes & Rome lui euiïent élevé des fiâmes :
n'envions point à ces républiques ces monumens de
leur admiration èvde leur reconnoiffance. Dans la ca-
pitale d'un grand royaume , digne d'être celle de
l'Univers, des hommes choifis, juges non moins dé-
licats , que les Grecs & les Romains fur le prix de
la gloire, ont trouvé de plus heureux moyens de ga-
rantir la durée des noms fameux; ils ont perfectionné
l'art d'immortalifer, en fubftituant les dons du génie
Aij
4 ELOGE
au marbre & à l'airain ; & le laurier académique aux
yeux de l'ami des arts & du citoyen fenfible , efl une
double couronne qui honore également le héros ôc
l'orateur.
PREMIERE PARTIE.
11 A E prince , que les droits de fa naiffance portent
fur un trône paifible , peut aifément devenir un grand
homme : les circonftances ont déjà fait la moitié de
fa gloire. Que les premières deftinées de Charles
font différentes ! De la vie privée de dauphin, il
paffe à travers des écueils fans nombre , pour arriver
à l'empire^ & fes premiers regards en s'afTéyant fur
le trône , ne découvrent au loin & près de lui , que
des malheurs. Une adminiftration faible avait avili
6 ELOGE HISTORIQUE
l'autorité fuprême: des efprits ambitieux répandaient
le trouble dans les provinces ; les gueires étrangères,
les difcordes civiles défolaient le royaume. L,es pré-
cipices étoient creufés de toutes parts : il fallait y
tomber ou les combler ; il fallait choifir entre l'hon-
neur & la honte ; Charles fe montre, &: feul il ofe
foutenir, pour ainfi dire, des ruines immenses.
Un prince jeune , emporté par un élan de valeur
inconfidérée, en voulant braver les périls , eût peut-
être hâté fa chute , ou l'eût rendue plus terrible.
Charles fçut attendre les circonftances , les prépa-
rer , les faifir. Il n'eflaya pas d'arracher à la fortune
des fuccès qui ne devaient être que les fruits du tems.
Il fentit que l'Etat affoibli , demandait à être réparé
par dégrés ; qu'il lui fallait des fecours , dont la len-
teur afTurât la folidité ; & que s'il les précipitait , il
allait tout perdre.
Ce peuple fier, nourri dans le lein des fa&ions ,
l'Anglais avait a peine luipendu les troubles qui l'a-
DE CHARLES V. 7
gitaient, que las du repos, avide- de combats & de
fàng , il était venu porter fes armes dans cette con-
trée de la France, d'où fbriirent fès derniers conqué-
rans. Notre faibleiïe & nos pertes enflaient l'orgueil.
d'Edouard. Déjà plufieurs de nos villes maritimes'
avaient reconnu fes Loix. La plupart de ces-belles
Provinces, maintenant réunies fous un chef, étaient
fbumiies alors à des maîtres particuliers, toujours prêts ° 1
à faire des alliances dangéreufes avec les ennemis du
monarque, dont ils étaient les fondataires. Edouard
achetait leurs fecours ; le duc de Bretagne le re-
cevait dans fes ports ; le roi de Navarre lui
ouvrait de fon côté de nouvelles barrières , pour
entrer dans le cœur du royaume.
Philippe de Valois avait employé la force & la
politique pour prévenir ces malheurs. Jean II , ré-
fiflait encore ; mais fon imprudence le perdit. Battu
aux environs de Poitiers , forcé de rendre (es armes ,
il donna au peuple Anglais le fpectacle d'un roi de
8 ELOGE HISTORIQUE
France prifonnier à Londres ; l'amour de la liberté ,
ce fentiment fi naturel à l'homme , & qui doit être
plus vif fans doute dans un fbuverain , le fit plier
fous la loi d'un vainqueur fuperbe.
Charles dans cet âge où le héros s'apperçoit, mais
ne fe montre pas , Charles alors dauphin prit les ren-
nés du gouvernement. L'Etat ne vit en lui qu'un prince
jeune, d'une complexion faible, & qui n'avait que
l'ombre du pouvoir. Dépourvu des forces nécefTaires
pour fe faire refpe&er , contredit à chaque inftant ,
forcé de garder auprès de lui des hommes avides qui ,
fous prétexte de lui fervir de confeil 3 ne prenaient fon
aveu que pour la forme, Sefouvent le contraignaient
de le donner; il fut réduit à la malheureufe extrémité de
voir ruiner le royaume par des grands infidèles, qui
enhardis de la longue abfence du maître , dominaient
au milieu de l'anarchie, & travaillaient à établir leur
fortune fur les débris de l'empire. C'eft. dans ce tems
4e crife & de bouleverfement que le germe du grand
roi
DE CHARLES V, 5
roi fe développait dans Charles ; il étudiait en fdence
l'art de régner. Les fautes qu'il vit faire lui fervirent
de leçons : obligé de céder aux circonftances ; dé-
pouillé des droits de la royauté , defcendu prefque à
une condition privée, il fe trouva plus près des hom-
mes qu'il apprit à connaître , comme il apprit d'eux à
fe connaître lui-même.
Le roi de Navarre, connu par le titre affreux dont
la poiïérité l'a flétri, Charles -le -Mauvais vint fo-
menter les divifions & déployer l'étendard de la ré-
volte. Sous des dehors impofans , il renfermait une
ame atroce. D'autant plus dangereux qu'il avait
l'art de plaire & de féduire , il était naturellement
fier, libéral, éloquent & pofledait toutes les qualités
brillantes qui font des vertus dans un héros , mais
qu'il avait corrompues en les faifant fervir à fes cri-
mes. Epoux de la fille du roi , il tenta de réunir fur
le gendre la lieutenance du royaume , & le pouvoir
qui n'était dû qu'au dauphin. Il trouva facilement
B
to ELOGE HISTORIQUE
dans la capitale de ces efprits inquiets à qui pèle le
repos , & qui femblent ne tenir leur être que des
troubles.
Il exiftait alors un homme que fes attentats ont ren-
du fameux, & dont l'hifloire rappelle fans ceiTe le nom
à côté de celui de Charles, comme la nature préTente
l'or à côté de fes plus viles productions. Cet homme
était Marcel , prévôt des marchands. Le premier pas en
fortant du cercle de fes devoirs efl toujours incertain
&: timide : Marcel s'élança dans la carrière des for-
faits j il fe livra tout d'un coup & fans effort aux ex-
cès les plus monftrueux & les plus faciïléges. Il s'é-
tait déclaré chef des rebelles. Son audace lui avait
mérité les fufFr âges de la multitude toujours prête à
baifer la main qui l'écrafe lorfqu'on peut lui perfuader
que c'elt. pour la défendre. Marcel qui favait qu'une
autorité ufurpée de fans bornes ne peut long-tems hab-
iliter il elle n'efl foutenue par la force & que l'impu-
nité réfide fouvent dans la puiflance , fongea bientôt
DECHARLESV. n
à s'affocier le roi de Navarre, dans lequel il crut voir
un protecteur d'autant plus fur que ce prince étoit lui-
même chargé de l'exécration publique. Charles-le-
Mauvais ne balança pas. Audacieux dans le crime ,'
& dévoré d'ambition , il fe faifait déjà roi de France
au fond de fbn cœur. La vie du monarque & de fon
fils eut dû pour jamais anéantir Tes efpérances crimi~
nelles ; mais une mort prompte & cachée pouvait le
fervir , & il fe perfuada aifément qu'une couronne ne
pouvait échapper à Ces mains accoutumées à manier
le fer, ôv à préparer le poifon.
Plein de ces affreux projets il fe rend à Paris. Il y
fignale fon arrivée par un trait qui peint fon caractère.
Les prifons font ouvertes par fes ordres, & la liberté
rendue à une foule de fcélérats, en fait autant d'exécu-
teurs de fes volontés barbares : le parti de Marcel le
reconnaît pour fon appui. A l'inltant la puifTance du
dauphin ell anéantie ; (es jours mêmes font menacés.
On aceufe Charles-le-Mauvais de l'avoir empoifonné;
Bii
xi ELOGE HISTORIQUE
le cri public s'élève contre lui ; vainement chercha-t-il
à fe juflifier ; la poftérité ne l'a point abious. Il eut la
douleur & la honte de commettre un crime fans fuc-
cès : la promptitude avec laquelle le dauphin fut re-
couru arrêta l'effet du breuvage ; mais les fburces de
la vie en furent altérées ; il garda une langueur qui
continua pendant le refle de {bs jours de en accéléra
la fin.
Cependant la tyrannie victorieuie élevait fa tête
fuperbe. Chaque inftant appéfantiffait fur le dauphin
le joug de la fervitude. Envain travaillait-il à fbrtir
de l'état d'aviliflement où le tenaient [qs ennemis. On
le vit un jour fe rendre aux halles où le peuple était
affemblé , le haranguer & l'mftruire de hs intentions.
Trille & fubiime îpe&acle ! Rois de la terre , arbitres
du monde-, venez & voyez l'héritier d'un des plus
beaux trônes de l'univers , réduit à demander a Ion
peuple la liberté de le rendre heureux..
La multitude toujours touchée des marques de
DE CHARLES V. *j
bonté que lui donnent fes maîtres voulait favorifer le
dauphin : il crut d'abord que le calme le plus pro-
fond allait fuccéder au plus grand trouble , & le repos
femblait naître du tumulte: mais, comme ces vents fédi-
tieux, qui, fur la fin d'un orage, ont moins de peine à
foulever les flots encore émus par la tempête. Mar-
cel & Tes émifTaires ne tardèrent pas à rendre au peu-
pie les premières fureurs.
L'audace des rebelles augmente : le prévôt qui con-
naît le peuple & qui fait qu'on n'arrache (es applau-
difïèmens qu'autant qu'on le fubjugue & qu'on l'ef-
fraie, l'exécrable prévôt médite de nouveaux atten-
tats. Etonné de la démarche du dauphin : ne le ju->
géant pas capable d'avoir pris feul ce parti , il crut
qu'il avait été confeillé , ôc réfolut de prévenir des
tentatives dont il pourrait mal fe défendre dans la
fuite.- Ses foupçons s'arrêtent fur le feigneur de Con-
flans, maréchal de Champagne, & fur celui de Nor-
mandie Robert de Clermont. Ces héros courtifàns",
i4 ELOGE HISTORIQUE
les feuls qui ofaflènt marquer leur attachement pour
leur maître, gémiiïaient avec lui des maux de l'Etat,
& ne fe bornaient pas toujours à des vœux ftériles.
Marcel n'héfite pas à fe défaire de ces citoyens géné-
reux. Sa farouche infblence va jufqu'à les attaquer
auprès du dauphin même. Il entre dans l'apparte-
ment où ils étaient avec le prince, à qui il dit froide-
ment de ne pas s'étonner. Il appelle à lui une troupe
de fcélérats & donne fes ordres. Le maréchal de Cham-
pagne eft percé de coups -y Robert de Clermont fe ré-
fugie dans un cabinet : il l'y fait fuivre; on l'arrache de
cette retraite : il va tomber aux pieds du dauphin qui
fe trouve couvert de fon fang. Il reliait encore une
viclàme à la fureur de Marcel , & quelle vidime \
grand Dieu , maître immortel de la vie des rois ,
fouffrirez- vous qu'un fer aiïliiïin tranche des jours
aufîi précieux! Ange tutélaire de la France, veillez
fur elle ; veillez fur un jeune prince qui doit faire un
jour le bonheur d'un peuple ingrat & infenié qui rou-
DE CHARLES V. 15
trage! Charles à la merci des bourreaux, incertain
de fon fort, attend à chaque initant qu'ils portent fur
lui leurs mains parricides : mais le meurtre des deux
infortunés maréchaux paraît à Marcel un exploit aiïèz
éclattant , 6c la barbarie cède à la majeflé du trône.
Charles le vit obligé de paraître approuver la con-
duite du prévôt, & de ne pleurer qu'en fecret la perte
de deux ferviteurs fidèles ; contrainte aufll cruelle ,
peut-être , que la mort même , & la plus déplorable
pour un prince fenfible !
Le féjour du dauphin à Paris, pouvait lui devenir
funefte. Il crut devoir quitter une ville , ou triom-
phaient fes ennemis , ou {es amis, s'il en a voit encore,
n'ofàient fe montrer. Il prévoyait d'ailleurs qu'il pour-
rait trouver dans les provinces des fecours qui le met-
traient en état de faire la loi. L'audacieux Marcel efr,
étonné de fa fuite : il ne voit pour lui dans l'avenir
que des fupplices dont fes remords lui préferttent l'i-
mage effrayante : mais bientôt fa fureur l'aveugle 3 £>c
ï6 ELOGE HISTORIQUE
il croit détourner la foudre en travaillant à la grofïir,
Charles parcourt la France, fe fait connaître aux
peuples , s'en fait aimer. L'intérêt qu'infpirent fes mal-
heurs plus que l'éclat du rang fuprême , lui gagne tous
les cœurs. La tendreffe naturelle de la nation pour
fbn prince fè réveille. Tous à l'envi offrent leurs fèr-
vices à la main qui daigne effuyer leurs larmes.
Les Anglais du fein des villes qui leur étaient fou-
mifes, fe répandaient dans les campagnes qu'ils rava-
geaient : les troupes étrangères appellées pour fervir
l'état, ne recevant point cje paye fe livraient aux plus
affreux brigandages. Les villes les mieux fortifiées
n'étaient pas à l'abri de leurs incurfions. La plupart
des villages détruits ou deferts, offraient une retraite
encore moins fûre à leurs malheureux habitans. Ces
infortunés s'étaient fait une efpèce d'art de la guerre ,
art informe qui confiftoit principalement à creufer des
fofTés profonds autour de leurs demeures. Tous étaient
{ans ceffe fur leur garde. L'un d'eux en fentinelle au
haut
DE CHARLES V. 17
haut d'un clocher, portait fès regards inquiets fur la
campagne. A l'approche de l'ennemi il fbnnait l'allar-
me ; chacun courait s'armer ■> l'époux quittait fa fa-
mille; le fils s'arrachait du fein de fa mère pour aller
combattre. Ils foutenaient l'attaque , ils tâchaient de
repoufTerla force, fatisfaits également de vaincre ou
de mourir fur des brèches qu'ils n'avaient pu défen-
dre. Tels ces animaux fidèles 6c courageux que l'art
a aiïujettis aux befoins de l'homme ; lorfqu'ils font
frappés par l'odorat, des émanations, fubites d'un en-
nemi dévorant , qui s'approche fans fe laifler décou-
vrir, ils s'agitent, s'inquiètent pour le troupeau qui
leur eff. confié , tournent fans cefTe autour de l'encein-
te, avertirent du danger , s'animent au combat, 5c
s'expo{ènt,victimes volontaires, pour fauver les richef-
(es de leurs maîtres.
Aux fureurs des hommes, s'étaient joints deux fléaux
du ciel, la famine & la mortalité. Des campagnes au-
trefois fertiles & riantes, n'étaient plus que de vafl.es
C
18 ELOGE HISTORIQUES
folitudes couvertes de ronces : la terre demandait en-
vain des femences ; le laboureur dans une inaction
douloureufe , pleure fur fa charue brifée , qu'il n'o-
fait entreprendre de rétablir.
Quel tableau ! quel fpe&acle pour un prince tel que
Charles ! malheureux lui-même , il fut encore plus
touché de la mifere de fbn peuple ; s'il eût toujours
été environné de courtifans Ôc de fïateurs, il n'eût
jamais apperçu l'infortune publique. Non , non , ce
n'eft. pas au fein de la gloire & du bonheur qu'on ao-
prend à s'attendrir ; les peines d'autrui ne trouvent au-
cune fenfibilité dans les cœurs qui ne les ont pas éprou-
vées : la cabane du pauvre efl loin de la majeué des
cours, & le cri de l'indigence fè diffipe dans les airs,
& ne parvient point à l'oreille des rois.
Charles , plus attendri qu'effrayé de tant de maux,
fe livre tout entier au foin d'en arrêter les progrès fu-
neftes. Bientôt les états des différentes provinces lui
offrent & lui fourniffent des reffources 3 il ramaffe des
DE CHARLES V. 19
lëcours d'hommes & d'argent , & revient à Pariai en
état de balancer le pouvoir des rebelles. Le farouche
Marcel lui ferme les portes ; le dauphin eit obligé de
combattre , comme la vague indocile qui lutte fans
fîiccès contre fès bords , la fureur des féditieux fe brife
contre la puiffance de Charles. Mais quel triomphe
pour le vainqueur ! il arrofe de fes larmes un laurier
teint du fang de fes fujets. Peuple aveugle arrête 5c
prend pitié de toi-même ; fournis par fes armes , laifTer-
toi enchaîner par ks bienfaits, & rend lui la gloire
de vaincre , en le faifant jouir du plaifir de par-
donner. Le Prévôt des marchands défefperé cherche
à mettre le comble à fa perfidie. Il allait livrer la ca-
pitale au roi de Navarre, quand le ciel, las de tant de
crimes , fufcita contre lui un citoyen fidèle , dont le
nom a mérité d'être confervé dans l'hiftoire. Jean
Maillard découvre fon miférable projet, ôcle prévient
en lui arrachant la vie.
La mort d'un ennemi aufîi vil que dangereux affura
Cij
20 ELOGE HISTORIQUE
la fortune de Charles. Il entre dans Paris avec la fé-
curité du héros. On voyait encore dans les yeux
quelques étincelles du feu de la rébellion, & le
trouble de Tamefe peignait dans tous les traits. Le dau-
phin qui le remarque avec douleur, cherche à calmer
les efprits agités. Un fujet téméraire l'approche, &
dit à haute voix que s'il en avait été cru, jamais il
ne ferait entré, & qu il f aurait empêcher qiCon ne fît
rien pour lui. Ce cri de fédition allait coûter la vie
au coupable ; mille bras étaient levés. Charles les
arrête , ôc répond tranquillement à cet audacieux :
on ne vous en croira pas beau Jire. Quelle ame eft
aiTez grande pour oublier ainfi qu'on l'offerne. Où
eft l'homme , où eft le prince qui commande à fes re£«
fentimens ! La vengeance paraît fi douce, quand elle
eft armée de tout l'appareil de la puifTance , & la
foudre échappe fi aifément à la main qui peut la lan-
cer ! Tyrans foupçonneux & cruels , apprenez à ré-
gner fur les cœurs. Charles , maître du fort des
DE CHARLES V. 21
rébelles , peut tonner fur les coupables : il effc jufte ,
s'il punit : il aime mieux être humain ; il fait grâce ;
il triomphe & pardonne.
Après ces premiers témoignages de fa bonté géné-
reufè,le dauphin entre dans tous les détails dugouver-
ment, pour en rétablir les reflorts.Le royaume était
en proie à la voracité despartifans. Ileûtfallu prendre
pour le bien public des moyens extrêmes, ni les diffi-
cultés de l'entrepriie, ni les dangers de l'exécution n'é-
taient au-deffus de fa vigilance. Mais tout lui manque.
Sa puiffance n'efl que momentanée, ôcla loi y met des
bornes qu'il refpecte & qu'il n'a jamais ofé franchir.
Il eft, l'héritier de la couronne ; mais il ne la porte pas
encore. Il fe contente d'éloigner de l'adminiflration ,
ceux que l'intrigue y a placés , & donne à la vertu
défintéreffée, ce qu'il ôte à la cupidité.
La France vit alors , pour la première fois, un mi-
niftre fils du monarque, effayer l'autorité Suprême,
& apprendre à régner. Elle ofa tout attendre d'un
22 ELOGE HISTORIQUE
prince qui fe montrait déjà fi digne de commander à
des hommes. Le moment où le père devait abondon-
ner le fceptre arriva. Jean II mourut à Londres,
Charles fe fit aufîi-tôt facrer à Reims; le jour de
fbn couronnement fut pour lui un jour de triomphe.
Puguelclin gagne une bataille, & raffure les Fran-
çais qui, fous le régne précédent , avaient fui devant
Jes ennemis.
Nous touchons aux beaux momens de la vie de
Charles. L'autorité dont il va jouir, n'eflplus un
dépôt dont il doit rendre compte. Son cœur & le Ciel
feront déformais ks fèuls Juges. Il pourra fè livrer à
fon génie 3 & employer la prudence, quifut en lui le
premier don de la Nature. Hâtons-nous de montrer
lç reflaurateur de la patrie,
i' 1
v
SECONDE PARTIE.
JL* E'DaupIiin en parcourant la France n'avait vu
que des orages. Déjà les cœurs s'ouvraient à l'efpt>
rance, comme fur la fin d'un trille & long hyver ,
la terre ouvre fon fèin reiTerré par les frimats
aux premiers rayons d'un beau jour & fe difpofe à
recevoir la chaleur & la vie.. Maître du royaume ,
pouvant donner un libre eftbr à fon ame, Charles va
s'occuper du bonheur public, & réparer la honte 2C
les dilgraces d'un père malheureux & faible.
24 ELOGE HISTORIQUE
Les milices françaifes } malgré cette ardeur belli-
queufe qui fit dans tous les tems le caractère diftinc-
tif de la nation, n'avaient pu tenir contre les efforts
triomphans d'Edouard, parce que la valeur toute feule
ne fait pas les fuccès. Soldat, chef, politique habile,
ce prince des mêmes fers , pour ainfi dire , qu'il avait
donnés au roi Jean, avait enchaîné la victoire à fon
char : plufieurs provinces conquifes par fès armes ou
cédées par le traité de Bretigny , femblaient devoir
être pour toujours le prix de les heureux exploits.
Charles fonge d'abord à réunir à fon domaine tout
ce que les malheurs de la guerre en avaient démem-
bré. Sa prudence lui en fait prévoir les moyens : ion
génie embrafïe le préfent & s'élance dans l'avenir. Il
combine toutes fes démarches , les voit dans leurs
principes, les fuit dans leurs effets, & iè prépare à
foutenir avec courage ce qu'il a réiblu avec fa-
geflè.
A peine a-t-il régné un an que deux traités le met-
tent
DE CHARLES V. 25
tent à l'abri des hoftilites étrangères. La trêve avec
l'Angleterre efl prolongée ; c'était donner des entra-
ves au roi de Navarre qui n'ofait agir qu'à la faveur
des troubles excités par une puiffance capable de cou-
vrir Tes intrigues ténébreufes. Il le force à lui deman-
der la paix ; la Bretagne relie tranquille.
Le calme intérieur n'excite pas moins la vigilance
du monarque. Les troupes auxiliaires devenues inu-
tiles venoient d'être licenciées ; ces compagnies
n'ayant plus à fervir des intérêts divers s'étoient réu-
nies fous le même drapeau ; affez nombreufes pour
réfifter à la force 3 accoutumées aux pillages, elles
fignalaient leurs fureurs dans le royaume. Charles
s'expofera-t-il au hazard dangereux de les combattre ?
Les troupes qu'il aurait employées euflent été de nou-
velles levées , toujours trop faibles contre des bri-
gands aguerris. LaiiTera-t-il au tems & aux maladies
le foin de leur deflruclion? mais, comme une hidre re-
riaiiran.te, ce monftre compofé de tant de corps diffé-
D
i6 ELOGE HISTORIQUE
rens peut fe furvivre fans cefle ; Ces forces s'accroîtront
de fes pertes , fa chute même peut écrafer la France*
Payera-t-il leur valeur oifive en les retenant à fa folde ?
Les impôts qu'il faudrait continuer ou créer pour les
entretenir , accableraient le peuple d'un furcroît into-
lérable de mifere. La paix ceiferait d'être utile ; ou
plutôt la guerre ferait moins funefle. Le monarque
cherche à les occuper hors de fes états : fa fagefTe lui
en fait faifir les premiers prétextes.
L'Efpagne gémi/fait fous la tyrannie de Dom Pe~
dre. Henri de Tranftamare, cher à fa nation, ayoit un
parti puifTantj mais il fallait à ce prince des troupes,
& un général. Charles qui venait de traiter avec lui,
entreprend de le placer fur le trône par les mains qui
dévaluent la France. Il lui defline les compagnies, &
Duguefclin qui vaut une armée. Cet illuftre breton
eft chargé de les déterminer à paiîèr , fous fes ordres ,
en Elpagne : une fomme que Charles leur dilhïbue
féconde l'éloquence militaire du héros : elles le déci-
DE CHARLES V. i7
dent à quitter le royaume. C'eit à l'hiilorien à fuivre
la chaîne des événemens ; difbns feulement que Du-
guelclin donna une couronne à Henri, ôc affermit
celle de Ion roi.
Comme on voit un champ dégagé des couches dé-
nies d'un limon impur qu'y avaient dépofé des eaux
étrangères, offrir bientôt à l'œil enchanté & furpris
des fleurs & des moiflbns : la France délivrée des com-
pagnies reprit bientôt fon ancien luflre. Le laboureur
tranquille ôt fur de fa récolte ne craignit plus de
confier des femences à la terre. Peu d'années fuffi-
rent pour réparer le royaume. Le Français oublia fès
malheurs , & Charles rendit à la nation fa pre-
mière activité.
Le monarque donnait par degrés à l'état ce poids
qui réfifte, ôc ces forces qui peuvent agir fans ébranler
la maffe. Les fubfides continuèrent, mais leur percep-
tion réglée s en fauvant une partie des détails qui les
rendent onéreux, annonçait la fageflè du roi.
Dij
28 ÉLOGE HISTORIQUE
Le crédit public tk. particulier faifoient circuler l'a-
bondance ; la vue fublime du monarque en fe portant
fur le commerce, quelque faible qu'il fut encore, avait
remarqué fes heureufes influences. Il fallait des fiécles
pour amener les nobles & courageufès entreprifes de
ces voyageurs marchans qui ont étendu le monde fous
leurs pas. Charles s'occupe à faire valoir les produc-
tions de fon pays , les richeffes du fol 6c XaEtiyïtè na-
tionale. Il encourage ces hommes obfcurs & utiles
dont les fueurs arrofent la terre pour la fertilifer;
donne des privilèges aux négocians y reveille l'émula-
tion j l'entretient ; étend lès bienfaits fur toutes les cla£-
£es d'artifans ; 3c les anime à perfectionner leurs pro-
fefîions. C'efl: par ces détails du génie qu'il prépare le
triomphe de notre induflrie , qu'il attire l'or des na-
tions qu'une pente invincible entraîne dans les ca-
naux ouverts par le luxe ; le luxe , ce créateur des ta-
lens ck des arts, cette ame d'un grand empire. Il efl
chez un peuple puhTant Ôc riche ce qu'eu1 le feu élé-
DECHARLESV. 29
mentaire répandu dans toute la nature ; il y porte la
vie & l'action dont il eit le principe ; lui feul re'pare
plutôt & plus fùrement nos pertes que la plus fage éco-
nomie ; il n'étend fur le peuple que des rayons de
bienfaifance. Lui feul a poli la rudelTe gothique de
nos mœurs ; nous a plies à cette obéiffance fi nécef
faire à la fubordination générale , par conféquent à
notre bonheur. Peut-être même eft-ce à lui que nous
devons en partie la deftru&ion de ces maladies horri-
bles trop connues dans les annales de la nation? En
refluant des capitales dans les campagnes , il y arrive
avec cette jufle modification qui fans énerver le corps
lui procure la fanté. Qu'on ne dife pas qu'il amollit
la nobleflè françaife : nos dernières guerres prouvent
qu'elle ne craint , ni la fatigue , ni les dangers. Que
peut en effet le luxe contre cette force morale , cet en-
thoufiafme d'honneur qui elt. l'amede la partie brillante
de la nation? Le fiéclede Charles eut fes Duguelclin,
le nôtre à fes Condé : noms fi cliers à la France ôc à la
victoire.
30 ELOGE HISTORIQUE
Charles qui voyait une rupture inévitable avec
Edouard 6c qui craignait de charger l'état du malheu-
reux fardeau des fubfides , amafiak pendant la paix
l'or qui paie la valeur £c acheté les fuccès ; ies yeux
fans celle ouverts fur l'Angleterre épiaient tous les
mouvemens de fon ennemi ; Ton ame généreufe s'é-
chauffait de la noble ambition de relever l'éclat de fa
couronne. Les provinces de la domination Anglaife
murmuraient contre leur maître : celles qui avoienc
été cédées par le traité de Bretigmy gémiffaient fous
lin joug étranger, tous les vœux demandaient une
révolution. La Guienne ofa la première faire enten-
dre fa voix.
Edouard dans un calme trompeur , fatigué de fa
gloire, ou dédaigneux de fès conquêtes, s'abandonnait
au repos. Il ne vit point , ou méprifa la foudre qui fe,
formait lentement fur fa tête.
Les feigneurs de la Guienne arrivent à Paris : c'é-
toit pour Charles un moment heureux que celui où
DE CHARLES V. 31
ils imploroient le fecours de fbn bras ; ennemi de cette
diflîmulation dont la politique a fait fi injuflement la
vertu des fouverains; toujours jufle au fond de fon
cœur, il ne craignît point de leur ouvrir fbn cœur. Il
fè plaignît d'Edouard, en roi qui avait à fbutenir la
majefté du trône, Se les droits de fès vafTeaux à dé-,
fendre.
Tout annonçait la guerre à la France; la fortune;
les conjonctures , les démarches prudentes & fages du
monarque ne promettaient que des triomphes. Henri
de CafHlle , ceint du bandeau des rois, reconnoiiïait
par un nouveau traité qu'il le devait à la main de
Charles , & s'engageait par reconnaiiïance à le fé-
conder avec une flotte confidérable. Le prince de
Galles était dans un état de langueur qui lui avait
fait perdre toute fon activité. Cependant c'était le bras
le plus puiiïant qu'Edouard put armer pour fa querelle.
L'éloge des fouverains de l'Europe eft prefque tou-
jours l'apologie des guerres qu'ils ont entreprifes ou
3z ELOGE HISTORIQUE
foutenues, car la politique qui travaille à affermir leur
trône, ne peut conferver ce malheureux équilibre de
puilTance que par des chocs meurtriers. Je n'aurai
point à excuier Charles de fes conquêtes. Son ambi-
tion fut jufle 3 & jamais prince ne mérita mieux fes
fuccès. Je n'aurai pas non plus à le montrer à la tête
des troupes ; alTez d'autres héros ont trempé leurs
mains dans le fang, & repofé fur des champs de car-
nage & de mort. Ceft la gloire de Charles d'avoir
triomphé fans combattre. Ceft, de fon palais , c'eft au
milieu de fa cour que Charles trace le vol de la vic-
toire & qu'il. le fixe. Il ne commande pas lui-même j
mais il fçait choifir fes généraux. Il dirige les mouvez
mens de les armées , & veille en même-tems fur fes
peuples. Il arrête les brigandages , réprime les défor-
dres tumultueux des marches, fi deftructifs pour les
villes 8c les campagnes j il n'expofe pas le foldat qui
défend la patrie à ces actions décifives , d'abord incer-
taines, toujours funeftes dans les revers j & fon coeur:
paternel,
DE CHARLES V. 35
paternel dicte un code de difcipline militaire, pour af-
furer au citoyen paifible un pain qu'il trempe fouvent
de Tes larmes en faifant des vœux pour l'Etat. Il re-
garde la guerre comme un gouffre immenfe où vont fe
perdre fans retour le lang & les richefTes de la nation j
comme un monflre dévorant à qui ii faut fouflraire le
plus de fès malheureufes victimes. Il n'ordonne pas
de livrer des batailles , mais de fatiguer l'ennemi , de le
fùivre, de le harceler , de le détruire par degré , & ii
montre ainfi à la terre que la fagelTe qui commande eft
au-deffus de la valeur qui exécute.
Edouard prépare une armée dans Londres, & déjà,
nos troupes font dans Abbeville. Le Ponthieu leur
eft ouvert de toutes parts. Chaque rencontre eft un
combat, chaque combat une victoire ; pour elles dans
le Languedoc le duc d'Anjou a les mêmes ennemis
& les mêmes avantages. Une partie du Rouergue 6c
du Querci retourne à la France.
Fiennes après foixante ans de travaux , venait do
34 ELOGE HISTORIQUE
remettre l'épée de Connétable. Il avait nommé au
roi Duguefclin , comme le plus digne de la porter.
Ce choix était déjà celui de Charles : le vrai mérite
n'échappe pas aux regards d'un grand homme. Du-
guefclin qui jouiiïait auprès de Henri des hon-
neurs que mérite celui qui donne un trône, efl
rappelle. Il vole à la voix de fon roi , prêt à l'aider
de fon bras 8t de fes confcils. Le héros modefle re-
fufa d'abord l'épée -, mais docile aux ordes de fon
maître, il l'accepte, en l'aifurant de fon zèle & de
fa fidélité , & le fuppliant de ne jamais ajouter foi aux
délateurs, fans l'avoir entendu. Charles le lui promit.
Heureux le fujet qui peut tenir ce langage à fon roi \
Plus heureux encore le monarque qui ne s'ofîènfe
point de cette défiance d'un cœur qui lui en: dévoué !
Mais tandis que Charles réunit à fa couronne le
duché de Guienne ôc les fiefs poffédés par Edouard
uC le prince de Galles. Quel eft ce héros qui va cher-
cher l'Anglais caché dans le Maine & l'Anjou ? De
DE CHARLES V. 35
quel air intrépide il marche aux combats ! C'efl la
noble affurance de la victoire. O ma patrie ! C'eft
Duguefclin ! c'efl ton vengeur. Je le reconnais au feu
de fès regards , à la force de fon bras. Avec quelle
ardeur il fe précipite fur les ennemis ! Comme il les
fuit par-tout, où ils fe répandent ! Il fe multiplie pour
ainfi dire fur leurs pas. Solda-: & capitaine, il déploie
tour à tour tout ce que peuvent la valeur & l'expé-
rience. Tantôt il cherche à les furprendre, tantôt il
les attaque à force ouverte : qu'ils occupent des pof-
tes avantageux, qu'ils foient reflferrés dans leur camp ;
il les joint , les combat , les met en fuite , & va ai-
feoir les trophées de fes batailles fur les murs de plu-
fieurs villes & de plufieurs forterefTes. Grand homme !
digne à jamais de l'admiration de ton pays ? Tu met
ritais alors cet éloge du plus beau génie de la France ,
6c de l'écrivain le plus célèbre , dont les fiécles ayent
à fe vanter , lorfqu'il a comparé à cette première cam-
pagne celle qui couvrit Turenns d'une gloire immor*
telle. E ij
36 ELOGE HISTORIQUE
Les revers publics , la' douleur domeftique , tous
les malheurs fondaient fur Edouard. Il perdait ks con-
quêtes ; la reine venait d'expirer, & fon fils forcé de
repaflèf en Angleterre, allait finir, au milieu de Lon-
dres, une vie languiiTante, que l'image importune des
défaflres qui l'avaient pourfuivi, devait rendre encore
plus douloureufe. Edouard forme un projet que l'or-
gueil Anglais peutfeul concevoir & faire excufer.
Opiniâtre & dangereux ennemi de mon roi ! Tu
dis dans ton cœur fïiperbe ; je couvrirai la mer de mes
flotes nombreuiès; j'armerai la main du dernier de mes
fujets; j'irai porter à la France les coups les plus ter-
ribles. Cette ville ingrate & fe'ditieufe , la Rochelle
va tomber la première fous le poids de mes vengean-
ces. Oeil à travers la flamme & le fang, que je me
frayerai une route à la capitale. Je déchirai fon fein,
j'armerai contre Charles le roi de Navarre. Le duc
de Bretagne fécondera mes efforts; je ferai de Henri
de Caflille un de ks ennemis. Roi téméraire ! l'Eipa-
DE CHARLES V. 37
gne , fidelle à fes traités , va détruire cette flotte for •
midable. Tes vaifTeaux font pris, brûlés ou coulés à
fond. Tes vains fecours ne retarderonr pas la prifè de
Thouars : tu t'arracheras au repos , pour te mettre
à la ttte d'une nouvelle armée ; mais tu feras obligé
de te renfermer dans tes ports ; les vents contraires
t'écarteront de nos côtes , & t'enchaîneront longtems
au rivage ; contraint de céder aux élémens , plus
encore à la fagefle de Charles, tu t'écrieras dans
les convulfions du défefpoir : jamais roi n'a moins
armé, & jamais roi ne nia donné tant à' occupation.
France compte déformais fur les plus flgnalés avan-
tages ! Ton rival de fortune & de gloire , Edouard
n'efl plus, vois tes foldats marcher fous l'étendard de
la victoire , parcourir le Languedoc &. la Guienne en
conquérans, & porter les derniers feux de la guerre,
dans les dernières retraites des Anglois. Cent trente
places prifes ou rendues font de nouveaux fruits de leur
valeur. Déjà parle de fe rendre le commandant de
38 ELOGE HISTORIQUE
Caflelrandon. Caflelrandon , barrière puifTante des
ennemis, tu ne pourras te défendre des coups d'un
héros 3 mais hélas î Pourquoi faut -il que tu fois le
terme fatal de fes exploits ! Pourquoi la cruelle des-
tinée vient-elle l'arrêter devant tes murs, <k l'arracher
à fon triomphe ! Qu'il me foit permis de dérober quel-
ques momens à l'éloge de Charles, pour nous en-
tretenir de Duguefclin , ami de fon roi , défenfeur de
la patrie j il a droit au laurier des couronnes du mo-
narque.
Cet homme , à qui une longue fuite de comman-
demens & de victoires avait acquis la plus haute ré-,
putation, partageait avec fes foldats les fatigues & les
hafards de la guerre : les travaux du fiége avaient
forcé le commandant à faire une capitulation condi-
tionelle. Le terme fixé arrive, & Duguefclin atteint
d'une maladie mortelle , touchait à (es derniers mo-
mens. Cliîîbn , compagnon d'armes du connétable,
va fommer le gouverneur : je n'ai rien promis qu'à, votre
DE CHARLES V. 39
général, répond-t-il , qu'il vienne. CliflTon retourne au
camp, ex déjà Duguefclin a ceffé de vivre. Le com-
mandant apprend qu'il n'eft plus . . . O refpeét, ! O
empire irréfiftible ce facré de la vertu ! Ce brave guer-
rier à la tête de fa troupe , marche vers la tente du
héros , & dépofe en pleurant, aux pieds de fen cer-
cueil , les clefs de (a place. O Duguefclin ! il n'a rien
manqué à ta gloire, les hommages & les regrets des
ennemis, les larmes de ton roi, la douleur 6c le deuil
de la Fiance ont honoré ton courage. Charles a
payé tes fervices du prix le plus flatteur pour un fujet.
Tes cendres font renfermées dans le tombeau de nos
rois : tes mânes repofent avec leurs mânes auguftes,
& le marbre qui les couvre oiTre ton nom parmi ceux
de ces maîtres du monde.
La perte d'un feul homme parut balancer les pros-
pérités de la France; mais Charles lui confeiva cet
éclat de fupériorité , qu'il avait donné à Ces armes f
2c quelque nuages ne troublèrent pas la férénité des
beaux jours qu'il lui avait rendus.
4o ELOGE HISTORIQUE
Pour achever ce tableau des guerres du monarque,'
je ne craindrai pas de le montrer ; s'égarant dans les
routes d'une fauffe politique , & faif ant de vains ef-
forts pour aflervir la Bretagne. Il efl fi difficile de
mettre des bornes à (es triomphes, quand la fortune
fèmble n'en pas fixer à nos efpérances ; & la voix du
flatteur qui , fans cefle retentit à l'oreille des rois ,
porte dans les cœurs une illufion fi douce , dont le
plus fage a tant de peine à fe défendre ! Charles
efl féduit par un miniflre indigne de fa confiance $
mais quel prince pourrait feul foutenir le poids
de l'autorité, fans en être accablé ? Heureux fes
peuples fi, dans le choix des modérateurs de fa puif.
fànce, l'intérêt de la nation l'emporte fur l'intérêt de
fa vanité ; fi l'homme du roi efl en même tems l'hora-
de l'état ; & fî le miniflre avide de la vérité, épris de
l'amour du bien public, a le courage de fervir fa pa-
trie fbuvent malgré elle j s'il fait des traités , pour for-
cer les ennemis à la. paix, plus jaloux de paraître oi^
fif
*
D E C H A R L E S V, 41
ïif au milieu du calme , que de fe rendre nécefTaire
au milieu des troubles de la guerre ; s'il attaque des
préjuges gothiques , fubftitue à d'antiques réglemeng
des réglemens , plus utiles & plus propres à la conf-
titution préfente. Enfin fi ce miniftre s'élève par la
force de fon ame autant au -défais des vaines cla-
meurs & des murmures féditieux, de quelques hommes
toujours inquiets ou mécontens , qu'il eft au-deffus
d'eux par la première place de l'état, & le rang ho-
norable qu'il tient dans le cœur de ion roi.
Charles s'abandonne légèrement à l'injufte ambi-
tion d'ajouter une province àfes conquêtes; mais il con^
naît bientôt qu'il s'eft trompé , & l'homme n'éclipfe
pas longtems le héros,
Préfentons maintenant le plus grand fpe&acle, le plus
intérefTant pour l'humanité celui d'un- fouverain, qui:
travaille à la félicité de vingt millions d'hommes , qui
aïïure à fon empire le calme , l'abondance r à fes fuo-'
cefièurs, l'héritage brillant d'une couronne,
42 ELOGE HISTORIQUE
Charles, père & monarque, partage les foins
avec une tendrefïè égale entre les enfans & fes peu-
ples. Il le fait en même-tems le légiflateur du royau-
me & des rois. Il règle les dotes des filles de France
& les appanages des Princes de fon fang , en fixant
par un fameux edit la majorité de nos rois à quatorze
ans, il obferve que les fujets font plus fournis aux
volontés d'un maître qu'au pouvoir pafTager d'un ré-
gent. Inflruit par Ces propres difgraces des malheurs
fbuvent attachés à une adminiilration précaire, il arrête
ainii l'ambition toujours plus avide & plus audacieu-
£è dans les crifès d'une minorité ; il foutient par fa loi
îa faiblelTe d'un monarque enfant , &■ fe place éter-»
nellement à côté de lui fur le trône.
Sa piété éclairée & jamais iuperftitieuie , ( c'efl
fans doute Ion plus bel éloge ) rendit dans tous les
teins à la religion & aux minières des autels , le re£
pect qui leur efl dûj l'hommage de fbn cœur au Dieu
de Ces pères fut toujours pure.
DE CHARLES V. 4$
L'églilè , fous fon règne , fut divifée par un long
fchifme. Les fucceffeurs de Pierre , les vicaires d'un
Dieu de paix , tonnaient à l'envi fur le monde chré-
tien. Charles au milieu des foudres facrées que fa
lançaient des pontifes ambitieux, fit entendre la voix
des docteurs de la France. Avant que de s'engager
dans la querelle du facerdoce , il confulta les prélats
& les théologiens de fon royaume.
Quelques héréfies s'étaient répandues dans le Dau-
phinéj des inquifiteurs cruels verfaient à grands flots
le fang des malheureufes victimes de l'erreur. Char-
les perfuadé que le créateur de cet univers en efl en
même-tems le père ; & que l'être éternel ne feroit pas
le Dieu grand , le Dieu bon , s'il n'étoit infini dans
fa clémence 3 Charles éteignit les bûchers, &. arrêta
le zèle fanguinaire de ces pieux homicides.
La licence, fille impure de la guerre, la débauche
qui abrutit & dégrade l'homme, qui le conduit lente-
ment avant le teins au ton ! eau chargé d tés
44 ELOGE HISTORIQUE
& de misères tous les vices monflrueux qui naiflent de
l'oifiveté &de l'ignorance, fe cachèrent devant la fé-
vérité des mœurs du prince , & la décence publique
honora fbn fiècle.
Paris, aujourd'hui la ville de l'Univers, lui doit
fès premiers embelliiïemens ; la bibliothèque du roi
fès premières richeiTes; il ra(Tembla jufqu'à neuf cens
volumes 3 collection immenfè pour le tems ; il ranima
les fciences &. les arts , accueillit & protégea les fa-
vans. Céfar, Tite-Live, Suétone^ Valere, Maxime,'
Jofeph , qu'il fit traduire , furent étonnés de parlée
une Langue étrangère.
Les rois , fes prédéceffeurs , peu délicats fur le choix
des fujets, avaient avili les marques de diflin&ion
deflinées à la nobleiïè guerrière : Charles fut rendre
à la chevalerie fbn ancien éclat , & le courage feul
eut droit à les récompenfes honorables.
h,QS monnoyes altérées furent réduites à leur jufte
Valeur, Ôc la bonne foi du prince alTura la fortune
D E C H A R L E S V. 45
des particuliers. Il fie longtems la guerre , mais le cri
de la douleur publique ne fe mêla point au chant de
fes victoires.
O ma patrie ! ta gloire 5c tes profpérités tenaient
a la vie de Charles. La mort , ce terme commun à
tout ce qui exifle, vint l'enlever trop tôt à fes fujets.
Ce moment funefle fut pour eux une calamité. Cha-
que citoyen le pleura comme des enfans chéris pieu*
rent un père de famille.
Mortels, demi Dieux fur la terre, princes, rois,
conquerans 3 vous qui voyez le monde à vos pieds ,
environnez de vos flatteurs, éblouis de l'éclat de votre
puifTance, vous ne jettez peut-être pas afTez vos re-
gards dans l'avenir ! ayez aujourd'hui le courage
d'arracher le bandeau qui vous aveugle , & diflipez
les prefliges de l'adulation & du menfbnge. Envain ,
vous cachez-vous fous les titres impofans & fuperbes
de grands ÔC d'invincibles; l'illufion efl: peu durable,
£ç la louange pafTagere. Ingénieux à vous apprécier
46 E L O G E H I S T O R I Q U E, &c.
à votre mort, nous nous hâtons de vous dépouiller
de tous les noms faflueux que votre orgueil avait ufur-
pés. Contemplez ce héros qui n'efl: plus, & qu'il de-
vienne à jamais votre modèle. La gloire dont il jouit
efî indépendante de la fortune. Il fut honoré pendant
fa vie par le fufTrage unanime de (es voifins & de fes
ilijets, du furnom de Sage, & la poftérité la plus
reculée applaudira toujours avec de nouveaux trans-
ports d'admiration à ce titre augufte , que la main
de la renommée à gravé autour de fon diadème.
F I N.
NOTRE-DAME DU SUES CLIN.
ni <2_
ÇjXbuobt
o
,
JÊ^^i
VA
S
à
•MA
A
.