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Full text of "Émile Claus"

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EMILE    CLAUS 


PAR 


Camille  LEMONNIER 


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EMILE  CLAUS 


Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  5o  exemplaires  de  luxe, 
sur  papier  Impérial  du  Japon,  à  grandes  marges,  texte 
réimposé,  numérotés  de  i  à  5o,  Ces  exemplaires  comportent, 
outre  l'illustration  de  l'édition  ordinaire,  une  lithographie 
originale  d'Emile   Claus,    intitulée   Hiver  {Matin). 

Le    présent    exemplaire    porte    le   N° 


EMILE  CLAUS 


PAR 


Camille  LEMONNIER 


COLLECTION 

DES   ARTISTES    BELGES 

CONTEMPORAINS 


BRUXELLES 

LIBRAIRIE  NATIONALE  D'ART  ET  D'HISTOIRE 

G.  VAN   OEST  &  O^ 


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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

Research  Library,  The  Getty  Research  Institute 


http://www.archive.org/details/eniileclausOOIenio 


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EMILE  CLAUS 


I 


•  La  maison  est  entre  la  grand'route  et  la  rivière, 
basse,  spacieuse  et  claire,  un  peu  loin  du  village,  par 
delà  une  douve  bordée  d'osiers,  de  spirées  et  d'eupa- 
toires.  Un  rosier  grimpe  jusqu'au  toit  et  enguirlande  de 
ses  cœurs  safranés  l'œil-de-bœuf  où  se  lit  ^^ ZoimescJiijn  » 
(rayon  de  soleil).  C'est  le  nom  de  l'habitation;  c'est  aussi 
la  dédicace  qui  la  consacre  à  la  lumière.  Un  hêtre  pourpre 
l'ombrage  de  ses  rameaux  immenses;  le  tronc  noueux 
d'un  châtaignier  se  dresse  au  bord  du  chemin  de  ronde. 
Avec  son  chenil,  ses  communs,  sa  maison  de  jardinier, 
c'est  presque,  pour  qui  la  voit  derrière  la  grille,  l'instal- 
lation d'un  paysan  gentilhomme.  Des  massifs,  des  cor- 
beilles de  fleurs,  des  vases  en  pierre  animent  le  jardin  et 
lui  donnent  un  air  de  petit  parc.  Mais  pénétrez  dans  la 
maison;  l'intérieur  en  est  simple  et  cordial.  Nattes  en 
paille,  fauteuils  d'osier,  vieux  meubles  de  campagne; 
toutes  les  tables  chargées  de  revues  et  de  cahiers  d'es- 
tampes; aux  murs  des  peintures  signées  Roll,  Thaulow, 
Le  Sidaner,  Duhem,  Buysse,  Wytsman,  Morren,  Anna 
De  Weert,  Jenny  Montigny;  sur  les  crédences  et  le 
piano,  des  Meunier,  des  Van  der  Stappen,  des  Minne. 


On  passe  du  petit  salon,  ajouré  par  un  bow-window, 
dans  la  salle  à  manger,  dont  la  large  verrière  carrée 
encadre  les  grandes  prairies  vertes  de  la  Lys,  lignées  de 
files  de  peupliers,  et  cette  pièce  à  son  tour  communique 
avec  une  autre,  vaste  et  haute,  qui  est  le  cœur  vivant  de 
la  maison  :  l'atelier. 

Un  homme,  le  maitre  de  la  maison,  nerveux,  sec  et 
agile,  le  front  nu  et  cordé  de  grosses  veines,  la  peau 
tannée  par  l'intempérie,  des  poils  gris-roux  au  menton, 
va  par  les  chambres,  descend,  passe  au  jardin,  enfile  les 
petites  allées  droites  du  potager,  débouche  sous  les 
hauts  châtaigniers  en  cercle  qui  prolongent  le  verger. 
L'heure  vermeille  pleut  sur  ses  épaules;  sa  démarche 
balancée  est  celle  du  rural  ;  il  appuie  du  talon  à  chaque 
pas  et  penche  la  tête.  Le  verger,  comme  le  parc,  comme 
le  jardin,  comme  le  potager,  s'épanouit  en  floraisons 
sauvages,  tanaisies,  eupatoires,  chardons,  qu'un  goût 
coloriste  ordonna  comme  des  tableaux.  Et  voici  au  bas 
des  rives,  dans  son  corridor  de  moires  claires,  la  méan- 
dreuse  et  limpide  Lys,  reflétant  le  grand  ciel  argenté 
des  Flandres;  voici  la  tendre  verdure  des  prés  pâturés 
par  le  troupeau  aux  couleurs  diaprées;  voici,  par  delà 
les  haies,  sous  le  foliolement  léger  des  peupliers,  les 
toits  sang-de-bœuf  des  hameaux. 

L'homme  va,  suivi  de  ses  d.eux  chiens,  s'arrètant 
ça  et  là  pour  bornoyer  du  côté  de  l'eau  et  des  prairies 
ou  pour  croquer  sur  un  carnet,  de  ce  coup  de  crayon  en 
deux  traits  qui  masse  un  objet  dans  sa  densité  d'ombre 
et  de  lumière,  l'attache  d'une  branche,  la  forme  d'un 
nuage  ou  le  ventre  lourd  d'une  vache  qui  descend  boire 
à  la   rivière.   Le  paysage  semble   le   reconnaître   :   les 


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feuilles,  en  s'év^entant,  ont  l'air  de  lui  dire  bonjour;  la 
brebis,  sous  le  pommier,  bêle  et  avance  la  tète;  jusqu'aux 
oiseaux,  dont  il  protège  les  nids,  arrivent  sautiller  au  bout 
des  branches  pour  le  voir  passer.  Et  c'est  bien  le  peintre 
des  oiseaux,  des  vaches  et  des  arbres  qui  vient  là  ;  c'est 
l'àme  claire,  heureuse,  bienveillante,  en  qui  toute  cette 
tranquille  nature  a  trouvé  sa  plus  haute  et  sa  plus 
constante  exaltation,  car  le  peintre  est  aussi  un  poète; 
il  a  le  don  lyrique  de  la  couleur  et  son  œuvre  n'est 
qu'un  long  cantique  ininterrompu  à  la  nature. 

Le  voilà  qui  longe  à  présent  la  maison  du  côté  de 
la  rivière  ;  ici  l'herbage  déborde  en  touffes  folles  où  une 
mince  sente  a  peine  à  sinuer  :  le  jardin  tout  en  or,  en 
rubis  et  en  émeraudes,  a  là  aussi  son  hymne  qui  sonne 
au  soleil  comme,  dans  l'atelier  voisin,  les  toiles  du 
maître.  Franchissez  la  porte;  vous  allez  vous  retrouver 
chez  le  bon  Dieu  des  champs. 

Il  y  a  vingt-cinq  ans  qu'Emile  Claus  rêve,  vit  et 
peint  dans  le  petit  domaine  à  la  longue  conquis  par 
son  incessant  labeur.  L'eau,  le  ciel,  la  terre  en  sont  les 
limites  naturelles  et  c'est  devenu  comme  l'extériorisa- 
tion sensible  de  son  art,  en  même  temps  que  la  forme 
matérielle  de  son  bonheur.  Le  monde  a  beau  dérouler 
par  delà  ses  prodiges  :  toute  sa  vie  si  probe  et  si  pure 
d'artiste  s'est  cantonnée  dans  la  Thébaïde  fleurie  qui 
lui  procure  la  sensation  résumée  d'un  univers.  Un  art 
comme  le  sien  se  suftit  là  où  il  y  a  du  vent  et  du  soleil  ; 
il  ne  lui  faut  pas  autre  chose,  et  ce  n'est  pas  l'étendue 
qui  peut  ajouter  à  tout  l'infini  de  la  vie  contenu  pour 
lui  dans  le  petit  espace  où  paît  une  vache,  où  chante  un 
oiseau  et  où  s'émerveille  une  âme.  Il  n'a  pas  besoin  de 


chercher  ailleurs  ces  signes  visibles  de  l'universel  et  de 
l'éternel  qui  sont  les  moissons,  les  heures,  le  recom- 
mencement des  genèses  et  le  miracle  renaissant  du 
soleil  ;  il  les  a  sous  la  main.  C'est  la  particularité  de 
son  art  que  celui-ci  est  fait  du  principe  même  de  la 
vie  et  de  ce  qui  constitue  son  simple  prodige  quotidien 
plutôt  que  de  ses  manifestations  exceptionnelles.  Il  peint 
son  jardin,  le  champ  qui  est  au  bout,  la  petite  maison 
derrière  la  haie,  les  arbres  à  l'horizon  ;  il  peint  surtout 
la  lumière  qui  leur  donne  une  sorte  de  visage  d'êtres 
vivants.  Ce  n'est  plus  de  la  seule  matière  ni  des  com- 
posés de  substances  organiques  ;  une  àme  s'est  com- 
muniquée qui  les  empreint  de  vie  et  d'intimité. 


II 


La  contrée  est  un  coin  de  cette  Oostflandre  baignée 
par  la  Lys  et  qui,  au  long  de  ses  planes  campagnes 
violettes,  groupe  autour  de  ses  clochers  de  tranquilles 
et  frais  hameaux.  Les  bordes  aux  douves  feuillagées  de 
saules  ressemblent  à  de  petites  arches  où  s'abrite  la 
tribu  des  laboureurs.  Trapues  sous  leurs  toits  quadrillés 
de  tuiles  moussues,  avec  des  fenêtres  basses  aux  vitres 
carrées  et  aux  volets  peints  en  vert,  elles  ont  un  air 
familial  et  bienveillant  parmi  leurs  vergers  où  bon- 
dissent librement  les  poulains  et  que  clôturent  des  haies 
d'aubépines.  Depuis  des  siècles,  elles  sont  là,  bordant 
les  longues  drèves  de  peupliers,  que  ravine  la  roue 
des  charrettes  et  que  martelle  le  piétinement  lourd  des 
troupeaux.  La  civilisation,  de  son  train  furieux,  passe 


sur  les  voies  ferrées  à  l'horizon  sans  qu'elles  en  soient 
changées  non  plus  que  les  champs  qui  les  entourent  et 
les  petits  sentiers  qui  mènent  à  l'étable  et  à  la  grange. 
Cette  constance  va  bien  a\"ec  des  mœurs  sédentaires  et 
patriarcales  :  l'ancêtre  lègue  à  ses  petits-enfants  une  tra- 
dition d'honnête  et  vaillant  labeur  et  ceux-ci  demeurent 
attachés  à  la  glèbe  comme  le  furent  leurs  devanciers. 

C'est  l'impression  qui  se  dégage  des  toiles  d'Emile 
Claus  :  elle  est  faite  de  durée,  de  confiance  et  de  paix. 
On  sent  qu'à  chaque  retour  du  printemps,  la  petite  arche 
des  bords  du  chemin  voit  revenir  la  colombe  avec  le  brin 
vert.  C'est  que  le  paysage,  sous  le  pinceau  d'un  grand 
artiste,  s'empreint  de  sensibilité  et  qu'il  lui  \ient  une 
âme  d'être  une  expression  d'humanité  égale  à  celle  qui 
se  propose  pour  sujet  l'homme  même. 

Tout  le  pays  ressemble  à  une  immense  bucolique  : 
dès  le  lever  du  jour,  les  airs  mugissent  et  les  vaches 
s'en  vont  le  long  des  fossés,  menées  par  l'aïeule  qui 
tricote  ou  le  gaminot  qui  siffle  dans  son  fîûtet.  Quel- 
quefois une  fillette,  de  quatre  à  six  ans,  à  elle  seule 
conduit  quatre  énormes  bêtes  attachées  l'une  à  l'autre 
par  une  corde  dont  elle  tient  les  bouts  dans  ses  petits 
poings. 

La  famille  est  prolongée  dans  ce  compagnonnage 
de  la  créature  et  de  la  bête  :  celle-ci  fait  partie  de 
la  maison  et  une  parenté  joint  l'àtre  à  l'étable.  Quand 
c'est  le  bœuf  qui,  sous  l'attelle,  travaille  avec  l'homme, 
tandis  que  derrière,  glane  l'enfant  ou  la  femme,  on 
croit  se  retrouver  aux  âges  du  laboureur  antique.  Voilà 
bien  le  sens  de  la  Flandre  rurale,  suggéré  par  son 
bucoliaste   :    avec  Théodore  Verstraete,   qu'il    ne   faut 


jamais  oublier  quand  on  pense  à  elle,  il  a  dit  la  terre,  la 
maison  et  le  coup  de  collier  fraternel. 

C'est  ici  le  pays  des  grandes  sèves  animales  ;  les 
prairies  le  long  de  la  Lys  ne  sont  qu'un  vaste  alambic 
où  le  sol  distille  des  sucs  gras  et  parfumés.  Là,  dans  un 


La  Vieille  (Croquis) 


pays  d'Arcadie,  vaguent  les  troupeaux  et  une  odeur  de 
lait  se  mêle  à  l'évent  musqué  qui  flotte  dans  l'air.  A 
l'août,  les  vaches  passent  la  rivière  et  l'on  a  alors  le 
spectacle  du  grand  Claus  aux  tons  de  pierreries  et  de 
fleurs  qui  est  au  Musée  de  Bruxelles.  De  telles  images, 


Un  combat  de  Coqs  en  Flandre  (18S2) 


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en  exaltant  le  miracle  permanent  des  genèses,  magni- 
fient aussi  l'intarissable  réservoir  d  énergie  et  de  force 
qu'alimente  un  sol  merv^eilleusement  fertile.  Le  maître 
d'Astene,  toutefois,  n'en  devait  percevoir  le  sens  total 
qu'après  une  lente  et  graduelle  initiation. 

Tout  jeune,  il  est  mêlé  à  l'humanité  rurale.  Il  naît 
à  Vive-Saint-Eloi,  en  1849,  d'une  famille  laborieuse  qui 
a  l'estime  du  village.  Ses  parents  tiennent  un  commerce 
de  poteries  près  de  la  Lys;  par  delà  s'étend  la  grande 
plaine  verte  que  dore  l'août  et  où  s'égaille  l'errance  des 
troupeaux.  Il  a  ainsi  sous  les  yeux,  dès  l'âge  tendre,  les 
claires  eaux,  les  grands  ciels  et  les  labours  qu'il  peindra 
plus  tard.  Il  mène  là,  jusqu'à  sa  douzième  année,  la  vie 
des  enfants  de  la  campagne,  mêlé  aux  petits  pâtres 
qui  cuisent  des  pommes  de  terre  sous  la  cendre,  font 
claquer  leurs  fouets  et  imitent  la  psalmodie  nasillarde 
des  chantres  à  l'église. 

Il  faut  l'entendre,  avec  son  don  merveilleux  d'imi- 
tation mimée  qui  l'égale  aux  plus  expressifs  acteurs 
naturels,  conter  son  existence  à  cette  époque.  Sec,  long, 
nerveux,  l'œil  aigu,  en  possession  d'un  sens  comique 
intense,  il  jette  alors  devant  lui,  avec  la  petite  malice 
amusée  de  se  sentir  comme  en  représentation,  des 
paroles  et  des  gestes  d'où  se  lève,  pour  l'auditeur,  la 
vue  nette  de  la  boutique  paternelle  et  de  ses  petits  coqs 
en  terre  de  pipe,  de  l'écluse  où  il  fait  ses  baignades  avec 
les  petits  rustauds  de  son  espèce,  de  ses  singulières  in- 
dustries pour  se  procurer  de  l'argent.  C'est  le  temps  de 
l'école,  des  maraudes,  des  concours  de  bourdons,  de  la 
vie  au  grand  air,  dans  la  jeune  folie  d'un  sang  un  peu 
sauvage.   A   la   maison,   la   mère  est  douce,   active  et 


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prévoyante  ;  le  père  a  un  grand  visage  de  paysan  sévère 
et  taciturne. 

Un  jour,  il  déserte  les  jeux  :  il  a  pris  le  goût  de  la 
couleur;  il  se  procure  des  tubes  et  peint  pour  la  demeure 
paternelle  une  chasse  à  courre.  C'est  le  premier  tourment 
de  l'art.  Tous  les  dimanches,  ensuite,  par  la  pluie,  le  gel 
ou  la  canicule,  il  abat  des  kilomètres  de  route  et  va  suivre 
à  Waereghem  un  cours  de  dessin  d'après  le  plâtre.  Mais 
le  père  veut  pour  son  fils  une  condition  de  vie  sérieuse 
et  stable  :  le  jeune  «  Mil  »  est  d'abord  patronnet  chez  un 
pâtissier;  il  se  dérobe  et  le  voilà  piqueur  au  chemin  de 
fer,  sans  plus  de  goût.  C'est  alors  qu'un  grand  artiste, 
le  compositeur  Peter  Benoit,  pendant  un  de  ces  séjours 
qu'il  aimait  à  prolonger  chez  son  père,  l'éclusier  de 
Vive-St-Eloi,  s'intéresse  à  cet  enfant  éveillé  en  qui  une 
destinée  s'annonce.  Il  persuade  au  père  de  le  laisser 
partir  pour  Anvers  où  il  s'initiera  d'après  les  maîtres  et 
où,  peut-être,  il  conquérera  la  fortune. 

D'un  grand  battement  de  cœur,  le  jeune  Claus 
quitte  le  village  :  son  viatique  est  léger,  mais  la  foi 
l'accompagne.  Aussitôt  débarqué,  il  avise  à  se  créer  un 
gagne-pain,  il  entre  chez  le  père  Geefs,  un  commerçant 
d'art  qui  s'était  enrichi  dans  l'article  «saintetés»  et  four- 
nissait les  presbytères  de  tous  les  saints  et  les  saintes  du 
calendrier.  Le  voilà  peignant  le  manteau  bleu  étoile  d'or 
de  la  Sainte  Vierge,  piquant  d'un  point  clair  la  prunelle 
des  Sainte  Cécile,  lustrant  les  cheveux  des  Sainte  Véro- 
nique, brunissant  à  l'ocre  le  visage  hâlé  des  Saint  Jérôme 
et  des  Saint  Antoine.  Il  n'est  pas  moins  adroit  à  fixer  la 
nuance  cérulée  dont  s'azure,  par  au-dessus  les  person- 
nages sacrés  de  l'Ecriture,  le  ciel  des  bas-reliefs.  Le  soir 


il  dessine  le  plâtre  à  l'Académie  de  dessin.  Mais  un  jour 
il  renonce  à  sa  petite  industrie  d'enlumineur  de  paradis; 
il  suit  la  classe  de  nature  où  un  peintre  réputé  propose 
à  ses  élèves  des  chiens  pour  modèles.  Les  pauvres  bêtes 
étaient  pendues  vivantes  à  une  échelle  :  sitôt  expirées, 
on  profitait  de  leur  dernière  chaleur  pour  leur  donner  la 
pose  qu'elles  gardaient  jusqu'au  moment  où  la  décom- 
position commençait  à  empoisonner  l'air.  Le  dimanche, 
l'apprenti-artiste  s'efforçait  d'assainir  sa  vision  en  allant 
peindre  à  la  campagne. 

Il  passe  ensuite  dans  la  classe  de  torse;  il  est  second 
en  excellence  et  obtient  un  atelier.  Les  maîtres  désormais 
ont  les  yeux  fixés  sur  lui  ;  il  est  désigné  pour  le  concours 
de  Rome.  Cependant  la  vie  l'attire;  il  va  passer  des  heures 
au  port,  regardant  manœuvrer  les  équipes,  débarquer  les 
émigrants,  crever  la  bourrasque  des  ciels  d'octobre  par- 
dessus la  Tète  de  Flandre.  Après  de  tels  spectacles,  il  ne 
peut  plus  se  résigner  à  traiter  le  sujet  du  concours  dans 
sa  banalité  conventionnelle  et  quitte  l'Académie.  Il  est 
libre,  il  suit  son  instinct;  il  expose  pour  la  première  fois 
à  Gand  :  son  portrait  du  sculpteur  Joris  est  remarqué. 


III 


Ce  bont  là  ses  commencements;  il  se  cherche,  il  se 
sent  déraciné;  et  il  fait  de  petits  tableaux,  du  genre, 
du  paysage  et  surtout  du  portrait.  Il  s'est  créé  une 
spécialité;  il  peint  les  enfants,  en  travestis,  sous  le  fard 
et  les  oripeaux  bariolés  d'une  sorte  de  fête  bergamasque. 


C'est  une  période  de  succès  aimables  et  fructueux  :  il 
habite  Anvers,  il  y  a  son  atelier,  successivement  Grand' 
Place,  au  Café  du  Télégraphe,  puis  Avenue  des  Arts,  le 
même  atelier  qu'occupa  si  longtemps  Henri  De  Brae- 
keleer.  Un  goût  d'inconnu  se  jette  tout  à  coup  en 
travers  du  courant  monotone  de  sa  vie  et  lui  donne  le 
désir  du  voyage.  Les  violences  d'un  peintre  revenu 
d'Orient  avec  des  visions  de  soleils  crus  et  un  sens 
curieux  de  la  férocité  barbaresque  semblent  surtout 
l'avoir  impressionné.  En  Espagne  et  au  Maroc,  où  il 
va  passer  quelques  mois,  l'influence  de  Verlat  l'incite 
à  une  peinture  âpre,  découpée  et  lapidaire. 

Ce  ne  sont  que  de  brefs  tournants  dans  sa  carrière  : 
son  âme  sait  ce  qu'elle  veut  et  ne  sait  encore  s'exprimer. 
Il  regarde  passer  les  nuages  â  travers  la  verrière  ;  ils 
viennent  de  la  mer  et  vont  là  bas  où  va  la  rivière.  Il 
songe  à  la  vie  du  village;  il  revoit  les  hommes  et  les 
choses  de  son  enfance,  et  le  vieil  amour  se  réveille 
brusquement.  Il  part  s'établir  chez  sa  sœur,  mariée  à 
Waereghem  et  il  a  trente-deux  ans.  C'est  alors  qu'il  fait 
son  Combat  de  coqs.  La  simple  et  rude  humanité  des 
ancêtres  lui  a  fait  signe;  il  en  exprime  la  continuité 
dans  les  hommes  d'aujourd'hui,  comme  eux  adonnés 
aux  spectacles  sanglants.  Le  tableau,  très  vaste,  groupe 
sur  les  gradins  d'un  amphithéâtre  le  brasseur,  le  bou- 
cher, le  boulanger  et  les  gros  fermiers.  Au  premier 
plan,  le  grand  coq  or  et  vermillon  achève,  de  l'éperon  et 
du  bec,  son  rival  terrassé,  tandis  que,  dans  l'assistance 
sidérée,  les  visages  expriment  la  cupidité,  la  fureur, 
toutes  les  passions  sauvages  ameutées  autour  d'un  sport 
cruel  auquel  se  mêle   le  souci  du  lucre.  A  travers  la 


II 


peinture  encore  aigre,  creuse  et  lisse,  la  scène  avait  un 
accent  tranquille  et  tragique  où  se  dénonçait  le  terroir. 
Au  salon  d'Anvers,  le  Combat  est  admiré.  Paris, 
à  son  tour,  goûte  ce  fumet  barbare  de  ruralité.  C'est 
son  premier  contact  avec  la  grande  ville  qui  plus 
tard  consacrera  en  lui  l'une  des  expressions  les  plus 
originales  de  la  peinture  flamande  contemporaine. 


Croquis  pour  la  Récolte  du  Lin. 

Le  pays  l'a  repris  :  il  ne  quittera  plus  la  bonne  inspi- 
ration et  pour  lui  donner  définitivement  carrière,  il  se  fixe 
à  demeure  sur  les  bords  de  la  Lys.  Entre  la  rivière  et  la 
chaussée,  un  pavillon  de  chasse  gardait  un  air  de  mystère 
sous  ses  hêtres  et  ses  châtaigniers  :  il  le  prend  à  bail,  en 
attendant  qu'il  en  devienne  le  maitre.  Quand,  en  1886, 


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il  se  marie,  la  demeure,  jusque  là  solitaire,  s'emplit 
d'une  vie  souriante.  C'est  le  poétique  et  frais  domaine 
où,  d'une  âme  heureuse,  depuis  un  quart  de  siècle  il  se 

renouvelle  dans  sa  toujours 
jeune  et  triomphante  fécon- 
dité. Des  constructions,  se 
sont  ajoutées  au  corps  de 
logis  primitif;  l'atelier  s'est 
agrandi;  les  jardins  ont  pris 
de  l'ampleur  et  em marge 
sur  les  champs  voisins;  du 
côté  de  la  Lys,  là  où  s'a- 
marre le  bachot,  une  petite 
silve  sauvage  a  fini  par 
déferler  à  grandes  vagues 
d'or,  de  carmin  et  d'amé- 
thyste. Mais  la  maison 
même  a  gardé  l'air  simple 
et  cordial  des  premiers 
temps. 

Il  vit  là  comme  au  cœur 
même  du  pays  :  au  ponant, 
devant  lui,  la  grande  sa- 
vane blonde,  lignée  par  les 
méandres  de  l'eau  ;  au  le- 
vant,   les  champs  où,    au 

Croquis  pour  la  Récolte  du  Lin.  tcmpS   de   la   moisSOU,    s'cf- 

filent,  sous  la  lune  rose,  les  hautes  moyettes  d'argent; 
et  en  tous  sens  les  bordes,  blanches  comme  des  tèles  de 
lait,  les  haies  d'aunes,  derrière  lesquelles  paissent  les 
vaches  aux  tons  émaillés  de  bouquet,  et  les  villages  où 


i3 


sont  les  beaux  chevaux,  les  beaux  gars  et  les  belles 
filles. 

Ce  sont  les  spectacles  qui  absorberont  désormais 
son  art.  Il  expose  successivement  le  Bateau  qui  passe 
(i883),  Quand  fleurissent  les  lichnis  (1884),  le  Passage 
d'eau  et  la  Récolte  du  lin  (i885),  les  Chardons  et  le 
Vieux  Jardinier,  du  musée  de  Liège  (1886),  le  Pique- 
nique,  de  la  collection  du  Roi,  Les  Sarcleuses  et  la 
vieille  Lys  (1887),  Roseke  et  la  Rentrée  des  vaches 
(1888),  Récolte  des  pommes  de  terre  (1889).  Son  nom 
a  grandi  à  la  mesure  de  son  effort.  Quelques  années 
d'ardent  travail  y  sufiirent  et  il  a  des  amateurs;  ses 
toiles  figurent  dans  des  collections  réputées  ;  il  fait  un  art 
intelligent,  adroit,  plein  de  ressources,  avec  la  trouvaille 
du  motif  plaisant  et  de  la  jolie  attitude,  une  poétisation 
des  sites  et  des  types  qui  l'accrédite  auprès  des  âmes 
distinguées. 

Les  paysanneries  de  Bastien-Lepage,  en  ce  temps- 
là,  semblaient  avoir  mis  à  la  portée  du  public  le 
grand  art  austère  et  farouche  d'un  Millet.  S'il  ne 
fut  pas  un  «'  inventeur  »,  du  moins  il  sut  donner 
une  impression  de  vraisemblance  qui,  dans  le  vérisme 
des  figures,  se  rapprochait  de  l'accent  de  nature.  Elle 
aida  Emile  Claus  dans  ses  formations  et  peut-être  lui 
communiqua  ce  goût  d'un  réalisme  tempéré  qui  leur  fut 
commun  à  tous  deux. 

En  1889,  une  première  œuvre.  Après  le  travail, 
deux  figures  dans  la  prairie  baignée  de  soleil  couchant. 
Te  montre  soudain  attentif  au  phénomène  lumineux.  Il 
est  sur  la  piste,  c'est  la  découverte  :  il  a  vu  le  paysage 
à  hauteur  de  son  rêve;  il  a  senti  vivre  organiquement 


14 


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Le  Ponton   d'Afsné  ('1S92) 
Musée  de  Diesde 


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la  lumière  ;  la  grande  ivresse  du  monde  l'a  touché. 
Vous  le  verrez  détaché  et  marcher  par  bonds.  Le  voici 
dans  sa  Récolte  des  Betteraves,  purgeant  ce  qui  lui  reste 
des  sourdines  de  l'école.  La  toile  est  immense  :  il  semble 
qu'à  force  de  vivre  dans  l'espace,  il  veuille  faire  un  art 
à  la  mesure  de  l'espace.  Tout  un  pays  de  landes  est  là 
qui  jusqu'aux  confins  se  déroule,  dans  l'âpre  bise  de 
novembre.  A  pleins  sabots  une  équipe  de  travailleurs 
la  patrouille,  courbée  sur  les  pivots  rouges  et  bleus  que, 
de  la  bêche  et  des  mains,  il  faut  extirper  du  sol.  L'air 
sous  la  nue  ardoisée  aigrement  luisarne  :  les  attitudes 
sont  crispées  ;  une  femme  souffle  dans  ses  mains.  Et 
toute  la  campagne  rutile  sous  des  jonchées  lie  de  vin, 
vermillon,  cadmium,  beaux  morceaux  de  large  peinture, 
où  s'attestaient  la  volonté  et  la  force. 

On  fut  ému  par  ce  tableau  pathétique  :  c'était  bien 
là  un  paysage  des  Flandres;  c'étaient  bien  là  des  âmes 
rudes  et  patientes,  dans  leur  héroïsme  quotidien.  Un 
peintre,  en  peinant  lui-même  sous  l'intempérie,  avait 
exprimé  l'austère  et  religieuse  communion  de  l'homme 
et  de  la  terre.  Rude  effort  qui  d'un  coup  le  haussait 
au  rang  des  grands  manieurs  d'humanité  et  de  nature. 

Je  l'aimai  à  travers  sa  force  naissante  et  nous  nous 
liâmes  :  une  excursion  aux  pays  de  l'Escaut  et  de  la 
Lys  nous  avait  jusque  là  simplement  donné  le  goût  de 
nous  connaître  davantage.  J'écrivais  alors  La  Belgique  ; 
il  y  donna  quelques  dessins.  Notre  intimité  ne  com- 
mença qu'à  l'époque  des  Betteraves .  Je  pressentis  l'éveil 
d'un  art;  j'appréciai  la  franchise  et  la  sûreté  d'un  carac- 
tère. La  maison  ne  s'appelait  pas  encore  du  nom  qui  la 
consacre  au  soleil  ;  la  dédicace  ne  se  fit  que  plus  tard, 

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quand  lui-même  eut  accompli  les  rites  de  sa  définitive 
investiture.  Mais  une  jeune  femme  gracieuse  et  blonde 
elle-même  comme  le  soleil  déjà  parait  de  son  charme  la 
tranquille  demeure.  C'est  là  qu'avec  la  suite  des  ans, 
je  goûtai  presque  chaque  année  un  studieux  loisir. 
Astene  me  demeura  un  cher  et  constant  pèlerinage  où 
m'accueillait  la  bonne  grâce  de  l'amie,  où  l'ami,  en  se 
fortifiant  à  ma  foi,  me  fortifiait  lui-même  de  la  sienne. 
Les  jardins,  le  verger,  l'abri  spacieux  des  châtaigniers 
furent  maintes  fois  mêlés  à  mon  propre  labeur  :  j'y 
commençai  la  Fin  des  Bourgeois,  V Arche,  le  Petit 
homme  de  Dieu  ;  les  paysages  que  j'avais  sous  les  yeux 
composèrent  le  décor  de  l 'Ile  vierge  et  du  Veut  dans  les 
moulins. 

Je  pus  voir  ainsi  se  développer  son  tendre  et  vir- 
gilien  génie  ;  je  le  vis  se  dépouiller  de  ses  attaches 
anciennes  et,  d'un  coup  d'aile  toujours  plus  libre, 
comme  le  vol  de  ses  abeilles,  monter  vers  la  lumière. 
S'il  aimait  peindre  la  terre  pour  elle-même,  il  se  pas- 
sionnait aussi  pour  ses  humbles  ouvriers  ;  il  disait  le 
laboureur,  le  semeur,  les  sarcleuses;  il  disait  la  moisson 
et  les  métiers  du  lin.  Parfois  il  entrait  au  foyer  des 
paysans  ou  poussait  la  porte  d'un  cabaret.  Un  goût  de 
belle  santé  rustique  lui  faisait  faire  ses  contadines  au  sang 
rouge;  il  était  attiré  parla  grâce  blonde  des  petits  enfants. 
Il  n'osait  se  risquer  encore  tout  à  fait  à  la  pleine  lumière, 
ni  à  la  pleine  nature:  l'air  était  tamisé;  il  faisait  froid 
à  l'ombre.  Quand  je  lui  disais  :  «  Ne  faites  pas  la  nature 
comme  vous  croyez  qu'elle  est,  mais  comme  vous  voulez 
qu'elle  soit»,  il  s'effarait  et  me  répondait  parce  point 
d'interrogation  :  «  Et  la  sincérité?»  Il  s'espérait  sincère 


17 


parce  qu'il  peignait  au-dessous  du  ton.  Je  répliquais: 
«  Il  faut  allier  la  sincérité  à  l'indépendance.  Jamais 
votre  palette  ne  sera  assez  claire  pour  donner  l'impres- 
sion de  l'air  et  de  la  vie  des  choses  ».  En  1890  il  vint 
passer  quelques  semaines  à  La  Hulpe,  où  j'habitais 
alors.  Ce  coin  villageois  du  Brabant,  avec  ses  eaux,  ses 
bruyères  et  ses  vallonnements,  l'enchanta  :  ce  lui  fut 
comme  im  renouvellement  de  sa  vision  habituelle.  Un 
jour  il  emporta  une  vaste  toile  et  se  mit  à  peindre 
l'étang  du  Nysdam.  Vous  la  verrez  accrochée  au  mur, 
chez  lui,  comme  un  trophée  de  guerre  et  de  victoire  : 
cela  sonna  soudain  dans  son  œuvre  la  fanfare  des  ors 
et  des  vermillons  et  préluda  aux  polyphonies  de  son 
orchestre  de  peintre.  Comme  une  torche  flambe  cet 
Automne  Wallon  et  il  en  passe  quelque  chose  dans  la 
Drève  ensoleillée,  du  musée  de  Bruxelles,  qu'il  peint  un 
an  après  (1891).  C'est  aussi  l'année  des  Ysvogels,  musée 
de  Gand,  du  Déclin  du  jour,  musée  de  Mons,  de  la 
Rosée,  de  la  Brume  en  novembre,  Galerie  du  Roi,  du 
Soleil  d'octobre,  de  la  Matinée,  musée  de  Guthenbourg, 
des  Bouleaux,  des  Derniers  rayons  {hiver).  Maintenant, 
à  chaque  pas,  il  donnait  de  la  corne,  fonçant  droit  devant 
lui,  comme  le  taureau  par  delà  les  clôtures. 

En  1892,  il  fait  son  Ponton  d'Afsné,  musée  de 
Dresde,  le  Parc  d'Oydonck,  musée  de  Courtrai,  Pâques, 
\q  Soleil  d'arrière-saison,  la  Barrière,  la  Matinée  d'oc- 
tobre. En  1893,  un  travail  furieux  lui  fait  abattre  dix- 
sept  tableaux,  parmi  lesquels  la  Levée  des  nasses, 
musée  d'Ixelles,  la  Sieste,  musée  de  Douai,  le  Midi, 
la  Vache  broutant,  un  Lever  de  lune,  \ Ecluse  d'Astene, 
Inondation,  Soirée  d'été,  Pauvres  des  champs. 


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L'année  1894  n'est  pas  moins  féconde  :  seize  toiles 
et  dans  ce  nombre  Février,  le  Faîicheitr,  la  Grand' 
route  {automne),  le  Givre,  au  Gouvernement,  Juin  [oc- 
tobre), le  Village  de  Deurle  {hiver).  Retour  du  marché, 
Lever  de  lune  {hiver),  Briquetterie  abandonnée.  Lueurs 
du  couchant  et  sa  première  Façade  ensoleillée,  sont 
autant  d'étapes  et  signalent  sa  valeur  toujours  gran- 
dissante. 


IV 


Paris  avait  été  pour  lui  l'éveilleur.  Il  y  vient 
d'abord,  en  passant  des  Salons  où  il  expose;  puis  ses 
séjours  se  prolongent.  En  1889,  il  loue  un  atelier  au 
boulevard  des  Batignolles;  il  s'y  sent  à  l'étroit  et  s'installe 
rue  Dautencourt  :  chaque  hiver,  pendant  trois  ans,  l'y 
ramène  après  ses  tranquilles  et  laborieux  étés  d'Astene. 
Cette  vie  de  fièvre  et  de  passion  l'exalte,  il  y  trouve 
l'exemple  et  la  leçon  des  maîtres.  Il  revit  les  heures 
héroïques  de  l'art  des  Manet,  des  Monet,  des  Sisley, 
des  Pizzarro,  des  Renoir.  Ceux-ci  déjà  à  cette  époque 
sont  entrés  dans  la  gloire  et  triomphent,  mais  sans 
cesser  de  combattre.  C'est  le  temps  où  d'Allemagne, 
d'Angleterre,  d'Amérique,  de  Norwège,  débarquent 
dans  la  grande  ville  des  colonies  de  peintres  nouveaux, 
conquis  à  l'art  de  la  vie  et  de  la  lumière.  Il  y  ren- 
contre Zorn,  Thaulow,  Kroyer,  Dessar,  Groenveld, 
Walhberg,  parmi  tant  d'autres.  Il  s'y  lie  avec  Duhem, 
Le  Sidaner,  Vail.   Ensemble  on  se  voit  partout  où  il 


19 


est  question  de  peinture  :  à  l'heure  de  l'absinthe,  on  se 
retrouve  chez  Julien.  Tous  sont  compagnons  d'avant- 
garde,  passionnés,  qui  pour  la  juxta-position  libre,  qui 
pour  la  division  scientifique  selon  la  méthode  de  Rod. 
Un  génie  de  renaissance  et  de  controverses  enflamme 
tous  ces  esprits  accourus  des  patries  lointaines  pour 
se  tremper  aux  sources  claires. 

Lui,  sur  les  marges  encore  de  sa  future  maîtrise, 
écoutait,  regardait,  profitait,  attentif,  clairvoyant  et 
prudent  :  sa  foi  était  vive,  tourmentée  d'espace  et  d'in- 
connu. Monet  surtout  s'avérait  l'apôtre  :  son  naturisme 
synthétique  et  grandiose  fut  l'influence  déterminante 
qui  le  mit  en  possession  de  sa  définitive  conscience  de 
peintre. 

Toute  l'évolution  antérieure  sembla  l'avoir  à  mesure 
rapproché  de  cette  heure  qui  décida  de  ses  destins.  Ce 
fut  comme  la  seconde  naissance  de  son  art  :  une  beauté 
édénique  et  fraîche  para  la  nature  :  lui-même  eut  les 
yeux  attendris  et  frais  d'un  tout  jeune  homme. 

Au  retour,  la  lumière  sera  la  vie  de  ses  toiles  et 
sa  propre  vie  :  il  peint  alors  avec  les  couleurs  élémen- 
taires ;  il  décompose  le  prisme  et  le  réfracte  à  travers 
les  tons.  Un  magnétisme  diligent  et  nerveux  accorde 
ceux-ci  avec  les  lois  de  la  chaleur  et  du  mouvement.  Et 
du  même  coup,  son  procédé  s'allège,  s'assouplit,  se  délie 
pour  lutter  avec  la  mobilité  de  l'effet  et  la  brièveté  du 
moment.  Il  lui  vient  la  belle  main  sensuelle  et  décidée 
des  vrais  amoureux  de  la  nature.  Il  devait  expérimenter 
bientôt  que  les  amateurs  et  le  public  n'entendent  pas 
être  dérangés  dans  leurs  sécurités  et  qu'un  artiste  repré- 
sente   pour  eux  une  somme  de  certitudes  immuables 


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moyennant  lesquelles  ils  consentent  à  l'acquérir.  Il 
connut  la  mévente,  l'atelier  solitaire,  les  privations,  la  vie 
réduite,  le  souci  de  l'avenir.  Lui  qui  avait  goûté  les 
succès  tant  qu'il  avait  fait  son  art  d'école,  se  retrouva 
nu  et  dépouillé  comme  à  la  période  des  débuts  pour 
n'avoir  plus  voulu  aller  qu'à  l'école  de  la  nature. 

Heures  belles  et 
douloureuses  où  le  se- 
conda le  ferme  cœur 
d'une  compagne  admi- 
rable, heures  par  les- 
quelles durement  fut 
achetée  la  conquête  de 
son  art  libéré.  Vers 
1894,  enfin,  comme 
Siegfried  allant  déli- 
vrer la  forme  immor- 
telle de  son  âme  en- 
chaînée au  bûcher  de 
la  V^alkure,  il  put  enfin 
franchir  le  cycle  su- 
prême des  épreuves. 
On  le  vit,  à  la  fois 
vainqueur  de  la  lu- 
mière et  de  la  destinée, 
;  •-  proposer  au  pays  qui 

Modèles.  l'avait  renié  sa  jeune 

gloire  de  novateur.  Chacun  crut  alors  l'avoir  décou- 
vert; sa  fortune  nouvelle  lui  conciliant  la  critique,  le 
public  et  l'Etat,  de  1893  à  1898  il  vend  le  Déclin  du 
jour,  la  Levée  des  Nasses,  le  Givre,  le  Ponton  d Afstié, 


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les  Pàqties,   la  Berge,    le  Retour  du  marché,   les  Fau- 
cheurs, la  Matinée  a' Octobre,  la  Berge  ensoleillée. 

Encore  quelques  années  et  il  sera  proclamé  le  peintre 
des  âmes  claires;  il  sera  aussi  le  peintre  des  âmes  joyeuses, 


Nuit  (Dessin.) 

et  une  Flandre  heureuse,  de  vent  haut,  de  clarté  mou- 
vante, de  tranquillité  féconde,  sonnera  chez  lui  ses  caril- 
lons de  soleil.  Extrême  originalité,  puisque  l'école  qui 
jusqu'alors  transposait,  fait  ici  de  la  lumière  immédiate. 


23 


V 


Le  voilà  sûr  de  lui;  il  a  marché  selon  son  instinct 
et  sa  ioi.  Il  manie  la  clarté;  il  l'infuse  à  ses  pâtes; 
elle  est  le  sang  et  la  vie  de  son  œuvre;  elle  devient 
l'état  d'âme  de  ses  paysages.  On  put  vérifier,  au 
Cercle  artistique  de  Bruxelles,  en  1895,  la  nouveauté 
de  son  effort.  Une  porte  s'ouvrit  sur  du  ciel,  de  l'eau, 
des  arbres;  on  se  trouva  dans  une  nature  fraîche  comme 
une  genèse;  on  perçut  le  sens  d'une  joie  imprévue  et 
qui,  chez  ce  fils  du  soleil,  allait  jusqu'à  l'ivresse.  Cepen- 
dant aucune  virtuosité;  l'ensemble  apparaissait  souriant, 
tranquille  et  grave.  A  travers  le  temps  il  naissait  à  la 
Flandre  un  peintre  qui,  d'un  génie  charmant,  recom- 
mençait le  poème  des  anthestéries  et  des  ambarvalies. 
Les  heures  et  les  saisons  tournèrent  comme  dans 
Hésiode,  belles  et  sacrées.  Toute  exaltation  est  reli- 
gieuse et  la  joie,  ici  révélée,  était  pareille  à  un  rite. 

La  lumière  flamande,  avec  ses  prismes  trempés 
aux  sels  de  la  mer,  s'égala  aux  plus  fraîches,  aux  plus 
fleuries  et  aux  plus  transparentes.  Par  quelle  aberration 
l'école  jusque  là  l'avait  peinte  opaque,  terne,  dure, 
métallique  et  gelée,  c'est  ce  qu'on  ne  pouvait  plus 
concevoir.  Elle  mouilla  chez  lui  d'une  arrosée  d'arc-en- 
ciel,  l'âpre  glèbe  primitive.  Elle  l'enveloppa  de  grâce  et 
de  force,  elle  la  sensibilisa  du  magnétisme  visible  de  la 
vie.  Elle  se  suscita  ce  qu'elle  est  en  réalité,  l'amnios  du 
monde,  l'enveloppe  fluide  et  chaude  où  celui-ci  prend 
vie  et  forme.  Du  moins  ce  fut  la  tendance  qui  dès  ce 


•24 


moment  caractérisa  l'évolution  de  l'artiste  :  en  gran- 
dissant, elle  lui  donna  sa  signification  définitive  dans 
l'art  de  son  temps. 

La  lumière  qui,  dans  la  nature,  fait  vivre  l'homme, 
les  faunes  et  les  végétaux,  n'avait  commencé  à  vivifier 
le  paysage  qu'avec  Manet,  Cézanne,  Monet,  Sisley, 
Pizzarro.  Chez  les  grands  panthéistes  antérieurs,  le  sens 
pathétique  du  paysage  plutôt  dominait.  La  simple 
lumière  naturelle  ne  vint  qu'après  le  génie  ordonnateur 
et  pompeux  d'un  Rousseau,  et  seule  la  vision  clarifiée 
de  Corot  s'en  était  rapprochée.  La  découverte  d'un  jour 
vierge,  à  l'exemple  de  celle  qui  régnait  chez  les  maîtres 
de  l'impressionnisme  français,  illustra  l'initiative  d'Emile 
Claus  en  Belgique,  bien  qu'il  n'y  eut  là,  à  proprement 
dire,  nulle  imitation  ;  sa  lumière  apparut  micassée, 
hyaline,  faite  de  petits  cristaux  irisés,  dans  une  atmos- 
phère humide  et  grasse,  différente  des  atmosphères 
françaises.  Un  œil  de  peintre,  actif  et  subtil,  en  percevait 
la  mobilité  versicolore  dans  son  éclat  peut-être  plus 
encore  que  dans  ce  qu'elle  a  de  fondant,  d'enveloppé  et 
de  moelleux.  L'ombre  ici  cessait  presque  d'exister  et 
n'était  plus  qu'une  sorte  de  clarté  mineure,  dans  le  don 
heureux  de  faire  régner  partout  la  lumière.  Même 
l'hiver,  sous  les  jeux  chatoyés  du  jour,  s'aviva  comme 
de  la  ressemblance  d'un  autre  été  gelé. 

Tout  cela,  certes,  n'alla  pas  sans  des  critiques  assez 
vives  :  on  voulut  y  voir  un  art  plus  paradoxal  que 
spontané  :  on  parut  regretter  à  la  fois  une  perversion  de 
l'optique  usuelle  et  une  altération  du  sens  du  paysage 
selon  la  tradition.  Il  sembla  que  la  santé  de  la  vision  et 
de  la  sensation,  qui  faisait  la  joie  de  cet  art  novateur, 

25 


fût  récusée  par  une  sorte  de  fatalité  constitutive  de  tout 
voir  en  triste  et  en  noir,  comme  si  vraiment  la  lumière 
ne  dût  pas  exister  pour  l'œil  obturé  des  peintres  de 
Belgique,  comme  si  la  sensible  et  lucide  lentille  des 
yeux  de  l'artiste  y  fût  vouée  à  ne  jamais  refléter  la 
beauté  miraillée  du  prisme.  L'ancienne  école  du  paysage 
anversois  surtout  avait  vécu  sur  la  recette  des  bitumes, 
des  ocres,  des  tètes  de  mort,  des  bruns  Van  Dyck  et  des 
stil  de  grain  :  d'une  matière  épaisse,  sirupeuse  et  bornée 
elle  avait  fait  comme  la  base  de  sa  main-d'œuvre  ;  la 
gamme  des  verts  allait  du  vert  de  vessie  et  du  vert  de 
scheele  au  vert  de  Prusse  et  à  la  terre  verte;  et  le  soleil, 
d'un  jaune  de  Mars  ou  de  Naples  pendant  le  jour,  se 
confiturait  de  tons  garance  dans  la  gloire  de  ses  cou- 
chants. Ce  fut  un  bouleversement  quand  d'un  génie 
riche,  abondant  et  somptueux.  Baron,  Boulenger, 
Heymans,  Rosseels,  Courtens,  Dubois,  Verheyden, 
épuisèrent  les  formes  amples  et  énergiques  de  la  double 
contrée  flamande  et  wallonne.  On  vit  Baron,  Heymans 
et  Rosseels  s'orienter  vers  la  recherche  d'un  jour  naturel, 
gris  et  volontiers  modulé  en  sourdine  chez  le  premier, 
laiteux  et  blond  chez  le  second,  argentin  et  crayeux 
parfois  chez  le  troisième.  Même  chez  les  plus  souples  la 
lumière  restait  combinée.  Cependant,  aucun  parmi  les 
jeunes  peintres  n'avait  trouvé  encore  la  lumière  filtrée 
et  cette  limpidité  de  cristal  de  roche  qui  devaient  être 
l'évolution  complémentaire  où  la  grâce,  la  haute  vie 
déliée  du  paysage  allait  s'ajouter  à  sa  robustesse  et  à  ses 
violences. 

Avec  le  groupe  des  Vingt,  ce  fut  un  essai  nouveau  de 
la  sensibilité  :  on  expérimenta  des  procédés,  on  alterna  le 


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pointillé  et  le  tachisme,  mais  surtout  on  s'efforça  de  voir 
avec  des  yeux  frais.  L'air,  les  transparences,  les  fluides 
et  légères  atmosphères  révélés  par  l'admirable  école  des 
Impressionnistes  de  France,  se  communiquèrent  au 
paysage  wallon-flamand.  Quand  apparut  Emile  Claus, 
on  fut  aux  sources  de  la  lumière;  on  se  sentit  naître  à 
des  sensations  fraîches,  élyséennes  et  qui  renouvelaient 
les  aspects  de  la  terre,  dans  ce  pays  de  Flandre  où  il 
peignait. 


VI 


Chaque  année  l'affirmait  davantage.  Il  exposait  dans 
les  cercles,  aux  triennales,  à  l'Esthétique,  en  Belgique, 
en  France,  en  Allemagne.  Par  deux  fois,  en  1895  et  en 
1897,  il  réunit  à  Anvers,  salle  Verlat,  un  important 
choix  d'œuvres.  La  plupart  gardaient  une  signification 
nette,  comme  des  étapes  et  des  jalons.  Soleil  d^Hiver 
et  Pâques,  parmi  d'autres,  s'attestèrent  singulièrement 
des  dates.  Ici,  dans  une  ensoleillée  d'avril,  de  petites 
communiantes  de  campagne,  sous  leurs  voiles  blancs, 
ressemblaient  aux  fleurs  d'un  jardin  mystique.  On  l'y 
sentait  préoccupé  déjà  de  ce  dessin  des  ombres  en 
transparence  sur  des  surfaces  de  clarté,  où  se  signala 
toute  une  production  prochaine.  Ce  fut  le  signe  d'éveil 
d'un  esprit  en  quête  d'effets  imprévus,  de  perceptions 
avisées  et  d'instantanés  expressifs.  Mais  le  phénomène 
d'un  œil  sensible,  comme  une  plaque  métallique,  au 
passage  fugitif  des  moindres  jeux  du  prisme,  peut-être 
se  dénonça  plus  extraordinaire  encore  dans  le  Soleil 


27 


d'Hiver,  peint  en  1890,  c'est  à  dire  une  année  avant 
Pâques.  On  eut  la  sensation  d'une  de  ces  surprises  de  la 
nature  où  celle-ci  se  sensibilise  jusqu'à  l'illusion  de  la 
vie  des  êtres.  Il  n'y  avait  là  pourtant,  dans  le  frisson 
froid  de  la  nuit  approchante,  qu'une  écorce  d'arbre 
frappée  des  dernières  clartés  du  couchant.  Mais  l'ombre 


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En  Zél.\nde. 


d'un  grillage  qui  ne  se  voyait  pas,  transperçait  comme 
d'une  flamberge  noire  le  tronc  qu'on  eût  dit  martyrisé. 
Sans  nul  doute  le  peintre  avait  représenté  simplement 
un  effet  observé  sur  nature  :  seulement,  ses  yeux,  dans 
leur  acuité  subtile,  avaient  été  impressionnés  comme 
par   l'image  d'un  drame  dans   le   monde  obscur  des 


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végétaux.  Le  tableau  prit  une  valeur  de  symbole  et 
sembla  spiritualiser  l'éternel  combat  de  l'ombre  et  de  la 
lumière.  L'àme  de  la  terre  passa  :  on  crut  entendre  le 
génie  des  forêts  dans  la  mort  du  soleil. 

Ce  fut  comme  une  hallucination,  et  elle  témoigna 
de  la  passion  fraternelle  du  peintre  pour  les  arbres  ;  il 


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Zuid-Beveland. 


les  peignait  comme  des  êtres  sensibles,  vivant  aux 
confins  de  sa  propre  vie  et  pareils  sous  leur  dure  écorce 
au  paysan  tanné  et  verruqueux  dont  ils  ombragent  le 
toit  ou  bordent  le  champ.  Quand  pour  le  vulgaire,  ils 


29 


ne  sont  ensemble  que  des  essences  rustiques  et  gros- 
sières, sa  conjecture  de  poète  les  mêla  dans  une  com- 
munauté de  vie  élémentale,  comme  aux  âges  où  les 
dieux  antiques  palpitaient  sous  l'aubier.  Son  culte  para 
le  peuplier,  le  hêtre  et  le  bouleau  de  tuniques  merveil- 
leuses :  il  les  habilla  d'une  soie  d'or,  d'hyacinthe  et  de 
pourpre.  Personne  plus  que  lui,  d'ailleurs,  n'eut  le  goût 
du  beau  travail  et  de  la  belle  matière;  il  maniait  la 
couleur  avec  sensualité,  il  l'aimait  légère  et  chantante  : 
son  art  par  là  était  bien  un  art  de  joie,  fait  pour  célébrer 
les  heures  légères  du  monde. 

Mais  toute  vie  a  ses  imprévus  et  le  goût  de  la  sensa- 
tion nouvelle,  qui,  autrefois,  l'avait  poussé  vers  le  Maroc, 
lui  rend  soudain  encore  une  fois  désirable  le  départ.  En 
1895,  il  passe  une  partie  de  l'été,  en  Zélande;  et  ce 
pays,  où  les  maisons  ressemblent  à  des  jouets  peints  et 
où  les  femmes  ont  un  air  émaillé  de  coquillages,  est 
pour  lui  le  sujet  d'heures  studieuses  et  amusées.  Veere 
surtout  lui  fournit  une  ample  moisson  de  notations  à 
l'huile  et  au  pastel  {Sur  la  digue,  Toits  à  Veerc,  Quai 
de  Veerc,  Zélandaise  entre  autres.) 

Ce  japonisme  du  Nord  le  séduit  à  tel  point  que, 
l'année  suivante,  il  repart  pour  Cappellen-Bieselingen, 
près  de  Goes.  Il  y  peint  surtout  la  figure,  séduit  par 
le  costume  et  l'air  de  grands  papillons  que  donnent 
aux  femmes  les  ailes  frémissantes  des  bonnets.  Et  le 
charme  ne  faiblit  pas  :  le  voici  encore  (1897),  séjour- 
nant à  Elwoulsdijk,  petit  port  devant  Terneuzen. 
Plus  tard,  en  1899,  ce  sera  tout  un  mois  d'hiver  qu'il 
passera  à  l'Ecluse  :  il  y  fait  son  curieux  Quai,  bordé  de 
maisons  que  moirent  les  reflets  balancés  de  l'eau.  Non 

3o 


La  Ferme  (1899) 
Collection  de  M.  Xavier  Lelièvie.  Bruxelles 


loin,  Sint-Anna-ter-Muyden,  dans  sa  muette  solitude  de 
hameau  minuscule,  lui  inspire  sa  Maison  close,  comme 
filigranée  de  pâle  soleil,  avec  ses  mailles  d'ombre  ser- 
tissant l'or  éteint  des  midis  sans  chaleur.  Une  moel- 
leuse harmonie  y  fond,  en  des  nuances  de  velours  usé, 
le  vert  des  contrevents,  le  carmin  du  toit  et  la  pâleur 
rouillée  du  badigeon.  C'est  le  temps  de  sa  série  ^Enso- 
leillées, comme  il  les  baptisa.  Il  l'avait  commencée  en 
1894,  avec  son  pignon  baigné  de  soleil  d'automne  et 
auquel,  comme  à  une  treille,  se  grappaient  des  fruits 
d'ombre  irisée.  Art  de  soleil  et  d'ombre  où  l'ombre, 
dans  un  mystère  d'intimité  et  de  silence,  apparaît,  plus 
encore  que  la  lumière,  l'âme  véritable  du  tableau.  Elle 
est  le  verrou  sur  la  porte  et  la  main  qui  tire  le  verrou; 
elle  est  le  doigt  sur  la  bouche  des  choses;  elle  suggère 
la  paix,  le  songe  et  l'abandon,  comme  s'il  y  avait  là 
des  berceaux  ou  des  suaires.  Un  poète,  non  moins  qu'un 
peintre,  perçait  dans  cette  sensibilisation  de  la  matière. 
L'ombre  ici  vivait  :  elle  persillait  les  murs  des  tons  les 
plus  rares;  elle  avait  le  glissement  des  soies,  la  trans- 
parence des  mousselines,  le  découpé  d'une  guipure.  Il 
en  naissait  un  charme  frais  et  fleuri  qui  était  la  poésie 
des  plus  simples  sujets. 

Cependant  la  Hollande  ne  lui  faisait  pas  oublier  le 
pays  natal.  1895  est  l'année  de  Février,  du  Givre,  au 
musée  de  Berlin,  des  Roses  trémiéres,  au  musée  de 
Verviers.  En  1896,  il  peint  la  Sapinière,  la  Matinée 
d'octobre,  les  Semailles,  les  Pommes  au  verger.  L'année 
suivante.  Sérénité,  au  musée  d'Odessa,  Matinée  rose, 
A  l'ombre  et  un  Soleil  couchant. 

Au   Champ    de    Mars,  où   il    l'expose  à   mesure, 

3i 


cette  Flandre  si  différente  de  celle  d'un  Verwée,  d'un 
Courtens  et  d'un  Baertsoen,  apparaît  une  fête  pour  les 
yeux.  Quand  en  1898,  il  enverra  son  Zonneschijn  à 
Gand,  M.  Bénéditte,  qui  témoigna  toujours  d'un  esprit 
si  ouvert  envers  l'art  d'outre-frontière,  l'achètera  pour 
ses  collections  du  Luxembourg.  Sa  production  est 
joyeuse  et  abondante  :  elle  a  la  perfection  relative 
qu'ambitionne  le  bon  ouvrier,  et  Claus  s'y  atteste  bien 
de  sa  race  et  de  son  pays.  Il  incarne  la  contrée  natale, 
il  est  le  fils  de  la  terre  blonde  ;  elle  demeure  mêlée  à 
son  effort  d'art  et  à  sa  vie  même.  Sa  ligne  vitale,  en 
effet,  est  droite  et  nette  :  elle  part  de  la  contrée  qui 
est  entre  Courtrai  et  Gand  et  elle  y  retourne.  Toute 
sa  somme  d'humanité  et  d'art  tient  dans  un  espace 
de  quelques  lieues;  mais  ces  quelques  lieues  sont  pour 
lui  comme  la  découverte  d'un  monde  puisqu'il  s'y  dé- 
couvre lui-même.  Il  est  là  en  communion  avec  les  siens, 
avec  ceux  qui,  par  le  sang,  sont  de  sa  famille,  avec  l'autre 
aussi,  la  grande  famille  obscure  des  campagnes.  Elle 
peine  sous  l'août  et  l'octobre  ;  elle  fait  l'œuvre  des 
labours  et  des  semailles  ;  il  reconnait  en  elle  la  longue 
ascendance  qui  l'institua,  à  son  tour,  l'ouvrier  magni- 
fique de  la  terre. 

Il  va  peu  à  la  ville;  Paris  s'est  perdu  aux  horizons 
du  passé.  Comme  le  paysan  il  vit,  loin  des  compagnies, 
seul  avec  la  terre  et  le  ciel,  en  contact  avec  les  êtres  et 
les  bêtes  qui  en  figurent  les  aspects  concrets.  Sa  journée, 
commencée  à  l'aube,  finit  avec  le  soleil  :  sa  vie  d'art  se 
renferme  dans  la  courbe  enflammée  que  trace,  par-dessus 
l'horizon,  le  père  de  la  planète.  Dans  le  bois,  de  l'autre 
côté  de  l'eau,  le  loriot  flûte  ses  quatre  notes;  le  merle, 

32 


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dans  le  verger,  à  son  tour  siffle  la  joyeuse  aubade;  le 
bœuf  corne  dans  l'étable.  Et  dehors,  sous  le  matin 
moite,  fument  les  blés  si  c'est  l'été  et  les  labours  si 
c'est  l'automne;  l'hiver,  un  argent  fluide  s'évapore  des 
champs  sous  la  neige.  Le  voilà  qui  campe  son  che- 
valet, guettant  la  minute  de  l'effet,  dans  la  solitude 
claire.  Il  est  debout,  les  jarrets  écarqués;  tendu  comme 
un  arc,  il  travaille  à  hauteur  des  yeux  et  on  pourrait 
dire  à  hauteur  du  cœur,  puisque  chez  lui,  comme  chez 
les  grands  sensibles,  c'est  à  coups  de  pulsations  rapides 
qu'il  fait  son  œuvre.  Le  feutre  abaissé  sur  les  yeux,  il 
regarde,  marche,  frappe  le  sol  du  talon;  il  a  la  colère  et 
l'élan  du  taureau.  C'est  un  corps  à  corps  où  le  dieu  et 
l'homme  luttent  d'ardeur,  d'agilité  et  de  décision.  La 
lumière  ricoche  en  palets  d'or  verts  ;  un  vent  blond 
déferle  comme  une  mer  d'odeurs,  de  couleurs  et  de 
poussières  ;  et  le  ciel,  à  l'égal  d'une  grande  meule, 
tourne  vertigineux,  dans  un  incendie  pâle.  Lui,  va, 
recule,  revient,  s'allongeant,  se  ramassant,  bondissant, 
se  mouvant  dans  un  tourbillon  d'or,  de  cinabre  et  de 
vermillon,  parfois  se  couvrant  de  sa  palette  comme 
d'une  rondache,  l'appuie-main  faisant  lance  à  ses  doigts. 
C'est  bien  la  mimique  d'un  homme  vivant  sa  peinture 
et  pour  qui  la  couleur  elle-même  est  du  mouvement.  Si 
tout  le  reste  est  structure,  statique  et  géométrie,  on  peut 
admettre,  en  effet,  que  le  geste  de  la  vie  est  dans  la 
lumière  qui  bouge  et  anime  les  formes  d'un  paysage. 

Eh  bien,  quelque  chose  de  l'éternelle  mobilité  du 
monde  passe  dans  la  manœuvre  d'un  tel  peintre  ;  il 
subit  le  magnétisme  universel  et  le  restitue  avec  onction 
et  force,  dans  des  pratiques  qui  caressent,  commandent 

33 


et  veulent  être  obéies.  C'est  le  maître  subjuguant  et 
attendri  qui  entend  imposer  sa  vision  aux  choses.  Il 
procède  par  à  coups  heureux  ;  les  ondes  sensibles 
courent  ;  tout  l'être  tressaille  ;  il  ne  fait  rien  qui  ne 
vienne  d'un  sursaut  de  la  vie  en  lui.  Une  ardente  et 
continue  volonté,  tel  est  bien  le  signe  de  son  oeuvre. 
Il  vibre,  il  tressaille,  il  hume  l'espace,  il  est  plein  de 
fureur  et  de  sensualité  ;  ses  meilleures  toiles  sont  des 
œuvres  d'amour,  de  grâce  et  d'énergie. 


VII 


En  1899,  il  touche  à  la  maturité  et  il  fait  son 
Passage  des  Vaches  acquis  d'abord  pour  l'Amérique  et 
qui  ensuite  est  repris  pour  le  musée  de  Bruxelles.  Elle 
est,  à  ce  moment  de  sa  vie,  comme  l'épanouissement  de 
sa  maîtrise.  Spacieuse,  d'une  pondération  habile  dans 
le  mouvement  de  ses  masses,  elle  a  la  sonorité  et  l'éclat 
de  la  vie  même  :  c'est  bien  le  tumulte  miraillé  d'une 
bousculade  où  le  troupeau,  la  rivière,  les  berges,  les 
vachers  sont  confondus.  D'un  flot  qui  déborde,  l'eau  se 
soulève  et  semble  soulever  jusque  dans  les  hautes 
couches  de  l'air  la  nage  des  énormes  croupes.  On  est 
bien,  avec  cette  vaste  bucolique,  au  cœur  de  la  Flandre 
animalière  et  rurale,  trempée  aux  eaux  fétides  et  remuée 
de  -vent,  de  clartés,  d'ondées  sous  des  atmosphères 
moites  et  prismatisées. 

Toute  l'immense  toile  chatoie  comme  un  vitrail  et 
roue  comme  une  queue  de  paon  au  soleil.  L'eau,  la 
rive,  le  ciel,  les  bêtes  sont  portés  à  une  intensité  de  la 

34 


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lumière  et  du  ton  qui  laisse  un  éblouissement  dans  les 
prunelles.  Peut-être  même  l'œuvre,  dans  son  miroite- 
ment épars,  manque-t-elle  un  peu  de  cette  concentration 
d'où  résulte  l'unité  des  grandes  compositions.  C'est 
ici  recueil  d'une  optique  hyperesthésiée.  Corot  avait 
accoutumé  de  dire  qu'un  peu  de  myopie  n'est  point 
inutile  au  peintre.  Une  rétine  trop  nerveuse  et  troj) 
aiguë,  au  contraire,  tend  à  refléter,  comme  à  travers  un 
miroir  taillé  à  facettes,  jusqu'aux  petits  éclats  micassés 
de  la  lumière,  plutôt  que  de  la  resserrer  dans  un  faisceau 
qui  en  retient  et  en  masse  les  jeux.  Il  en  peut  résulter 
alors  que  la  figure  n'atteigne  pas  à  ce  caractère  concret 
qui,  chez  un  Millet,  par  exemple,  s'accorde  si  plénière- 
ment  avec  l'héroïsme  quotidien  de  la  vie  des  champs. 
Particulièrement  au  plein  air,  la  grandeur  simple  du 
style  semble  le  rythme  naturel  de  la  figure  sous  l'action 
de  la  lumière  et  des  atmosphères  qui,  selon  les  moments, 
diffusent  ou  massent  la  silhouette. 


VIII 

En  1900,  il  peint  le  Vieux  Sapin,  la  Maison  rose,  le 
Matin  brumeux  cf  octobre,  \ Hiver  du  musée  d'Anvers. 
Son  œuvre  tourne  avec  le  chœur  des  saisons  et  varie 
selon  le  cadran  des  heures  :  il  vit  ainsi,  au  jour  le  jour, 
l'alternance  émouvante  des  agonies  et  des  renaissances 
du  monde.  Voici,  en  190 1,  le  Matin,  le  Midi,  Derniers 
rayons,  Fenaison,  Coin  de  jardin.  Route  dorée,  les 
Meules  dans  la  neige.  Rue  de  village.  Canards  au 
couchant  et   le  Verger  en  Flandre.   Ce   tranquille   et 

35 


frais  épisode  de  la  cueillette  des  pommes,  avec  son 
gars  blond  et  la  belle  fille  au  visage  vergeté  de 
vert  et  de  rose  comme  les  fruits  dont  elle  emplit  ses 
corbeilles,  l'un  et  l'autre  à  genoux  parmi  la  jonchée 
mûre  qui  émaille  les  gazons,  allégorise  les  fructifica- 
tions de  la  terre  et  l'apogée  de  la  saison.  C'est  bien  là, 
dans  le  vaste  poème  que  le  maître  dédia  à  la  terre,  une 
de  ses  strophes  les  plus  cordiales  et  les  plus  pathétiques. 
Un  charme  infini  harmonise  l'heure,  le  site  et  les  per- 
sonnages :  la  lumière  y  est  silencieuse  par  dessus  le 
saint  devoir  qui,  comme  un  rite  final,  s'accomplit.  Et 
les  branches,  lourdes  sous  leur  faix  diapré,  mêlent  à 
l'éclat  apaisé  des  derniers  soleils  les  moûts  suprêmes  du 
sang  terrestre.  Toute  l'idylle  a  la  grâce  d'une  miniature 
d'évangéliaire. 

Son  art,  à  cette  heure  de  sa  vie,  s'égale  au  beau 
verger  automnal;  une  sève  infinie  y  circule;  les  rameaux 
ploient  sous  les  fruits  et  dans  l'ombre  de  l'atelier 
s'amasse  le  trésor  des  corbeilles.  Toutes  les  minutes  du 
jour  sont  pour  lui  le  sujet  de  joies  fécondes  et  toujours 
nouvelles  :  il  part  au  matin,  la  bretelle  de  sa  boîte  à 
l'épaule,  et  va  à  l'effet.  La  journée  ensuite  est  coupée 
par  la  sieste  du  midi  et  de  nouveau  il  s'en  va  ;  toute  la 
contrée  est  pleine  de  ses  toiles  qu'il  délaisse  ou  reprend 
selon  le  sujet.  Aucune  heure  n'est  perdue,  mais  toutes 
sont  trop  brèves  pour  son  grand  amour  de  la  nature.  Et 
il  en  est  ainsi  des  jours  et  des  ans,  égaux  et  pareils  dans 
la  paix  active  de  son  incessant  labeur.  Il  semble  que  la 
maison  du  bord  de  l'eau  elle-même  se  conforme  à  son  art  : 
elle  ena  les  belles  couleurs  morales  :  le  travail  et  l'union 
des  cœurs  s'y  accordent  pour  embellir  la  vie.  Les  moments 


36 


Route  dorée  (1901) 
Collection  de  M-  Faquin.  Paris 


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difficiles  sont  passés;  la  critique,  à  l'étranger  aussi  bien 
que  dans  le  pays,  le  tient  pour  un  maître  accompli  et 
l'un  des  plus  séduisants  qui  se  soient  produits  dans  le 
paysage.  Son  atelier  est  devenu  un  lieu  de  pèlerinage 
vers  lequel  on  s'oriente  de  partout  :  le  longue  chaussée 
d'Astene  voit  passer  sous  ses  marronniers  verts  le  type 
sec  et  brusque  de  l'américain,  le  visage  pensif  de  l'alle- 
mand, la  nerveuse  silhouette  du  français,  le  bon  géant 


Croquis. 

doux  du  pays  d'Ibsen.  Ce  sont  des  peintres,  des  écri- 
vains, des  amis  de  son  art  et  de  sa  belle  conscience  de 
peintre.  Une  poignée  de  main  chaude  les  accueille  au 
seuil  du  jardin  tandis  qu'aux  côtés  du  maître,  la  com- 
pagne de  toutes  les  heures  de  sa  vie  leur  souhaite  la 
bienvenue,  parmi  les  aboiements  et  les  bonds  des  chiens 
amis.  Son  caractère  n'a  pas  varié  :  l'homme  est  resté 
simple,  sensible  et  bon;  il  jouit  de  sa  renommée  et  de 


37 


sa  force  avec  modestie,  heureux  d'accroître  chaque 
année  son  œuvre.  Comme  on  voit  selon  les  étés  la 
grange  et  le  cellier  se  combler  à  la  mesure  du  rende- 
ment, toutes  sont  fécondes,  mais  quelques-unes  mar- 
quent des  dates  privilégiées.  Telle  cette  année  1902,  où 
il  peint  la  Gelée  blancJie,  la  Barrière  ronge,  le  Matin 
d'octobre,  le  Printemps  au  verger,  la  Rivière  an  prin- 
temps, le  Coin  du  parc,  la  Fenaison,  \  Automne,  du 
musée  de  Venise.  En  igoS,  il  met  au  chevalet  V Ecluse, 
la  Drêve  d'Oydonck,  le  Pignon,  la  Fille  de  ferme,  le 
Soleil  levant,  (février).  En  1904,  c'est  la  Façade  blanche, 
les  Bords  de  la  Lys,  le  Soleil  d'hiver,  la  Récolte  du  lin, 
du  musée  de  Bruxelles. 

Son  métier  avec  le  temps  est  devenu  celui  des  grands 
peintres  ;  aucun  ne  l'emporte  sur  ses  adresses  d'improvi- 
sation et  ce  don  d'instantanéité  nécessaire  surtout  au 
peintre  de  la  nature.  Il  a  l'œil  tourbillonnant  et  dans  la 
rétine  comme  une  lentille  où  s'avive,  au  travail,  l'énorme 
lumière  éparse  du  paysage.  Tout  de  suite  il  est  prêt, 
l'âme  exaltée  et  haute,  sa  vie  entière  concentrée  aux 
miroirs  oculaires.  Oui  ne  l'a  vu  à  son  chevalet,  en 
pleine  nature,  d'une  gymnique  légère,  bondissante,  se 
prendre  corps  à  corps  avec  l'effet,  ne  sait  rien  de  la 
dépense  nerveuse  par  laquelle  un  organisme  supra- 
sensible  comme  le  sien  s'approprie  les  phénomènes 
lumineux.  D'un  tel  peintre  surtout,  il  est  permis  de 
dire  qu'il  vit  une  petite  éternité  de  volonté,  d'énergie, 
d'angoisse  et  de  triomphe  dans  le  suspens  d'un  ton 
à  un  autre. 

Je  crois  bien  que  je  n'ai  tant  aimé  l'art  de  ce  grand 
peintre  de  la  vie  que  parce  qu'il  y  a  dans  ce  qu'il  fait,  le 

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signe  du  divin.  Une  toile  de  lui  est  une  fête  comme  le 
printemps,  comme  l'été,  comme  la  virginité  des  matins, 
comme  le  calme  religieux  des  soirs. 

D'un  cours  harmonieux  et  logique,  son  talent  s'est 
développé  selon  ses  origines  et  ses  puissances  naturelles. 
Sa  peinture  serrée  et  comme  tissée  avec  des  soies,  évoque 
une  trame  d'or,  d'argent  et  de  perles.  Après  le  travail, 
Récolte  des  pommes  de  terre,  Vent  et  Soleil  n'ont  rien 
à  voir  avec  le  pointillisme,  le  tachisme  et  les  modes 
divers  de  l'impressionnisme.  Sa  manière  est  bien  fla- 
mande, dans  son  aspect  de  belle  matière  scintillante  et 
achevée,  avec  des  pleins  et  des  transparences  qui  lui 
donnent  l'éclat,  la  solidité  et  la  légèreté  des  plus 
séduisants  métiers  d'art.  Le  peintre  Artan  avait  cou- 
tume de  porter  ses  toiles  à  la  lumière  devant  une  fenêtre 
et  d'en  considérer  par  l'envers  les  alternances  fluides  ou 
solides,  comme  on  aime  palper  les  laines  et  les  soies  de 
l'envers  d'un  beau  tissu.  Ce  sont  bien  là  les  signes  de 
cette  sensualité  de  l'art  du  peintre  sans  laquelle  la 
peinture  manque  à  sa  condition  essentielle  qui  est  de 
dégager  un  riche  et  chaud  bonheur  matériel. 


IX 


1905  est  pour  notre  peintre  une  date  importante  ;  c'est 
l'année  de  son  Exposition  au  Cercle  artistique  de  Bru- 
xelles. Il  y  avait  réuni  cinquante-deux  toiles,  le  froment 
de  sa  récolte  d'art  des  dernières  années.  Comme  le  bon 
ouvrier,  au  bout  de  la  journée,  mesure  au  travail  accompli 
sa  vaillance,  il  put  mesurer  à  l'admiration  et  au  respect 

39 


universels  la  beauté  de  sa  carrière.  «Vous  êtes  l'aigle,  » 
disait  Corot  à  Rousseau  ;  et  celui-ci  répondait  :  «  Mais 
vous,  Corot,  vous  êtes  l'alouette  dont  la  chanson  monte 
toujours  plus  avant  vers  le  soleil.  »  Lui  aussi,  il  était  le 
haut  vol  d'une  aile  parmi  les  sphères  lumineuses  : 
il  avait  capté  le  secret  des  éternels  printemps  de  la 
lumière.  Il  avait  fait 
entrer  dans  l'art  un 
paysage  nouveau  ;  il 
avait  créé  une  Flandre 
des  peintres  que  la 
peinture  ignorait  en- 
core. Celle-là  apparut, 
au  Cercle,  la  joie  d'un 
beau  jardin,  épanoui 
en  ondes  d'air,  en  flo- 
raisons légères,  somp- 
tueuses et  chantantes. 
L'émerveillement  y 
apparut  la  condition 
naturelle  de  l'âme  du 
peintre.  Des  printemps,  des  étés,  des  automnes,  des 
hivers  formaient  un  cycle  enchanté  où  même  ces 
derniers,  sous  le  givre  et  la  neige,  gardaient  un  air  de 
jeunesse  immortelle.  On  fut  là  plus  près  de  celle  qu'il 
portait  dans  son  cœur  et  des  significations  de  cet  art  qui 
se  signalait  comme  un  hymne  aux  renaissances  et  l'ode 
à  la  joie  d'un  artiste  exstasié,  célébrant  les  miracles 
splendides  de  la  vie  et  répandant  le  bonheur  qu'il 
goûtait  lui-même. 

Ce  furent,  parmi  ses  œuvres  les  plus  admirées  :  la 


Portrait  de  M.  Albyn  ^^^^•  den  Abeele. 


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Récolte  du  lin,  la  Berge,  la  Rue  de  Village,  le  Faucheur, 
le  Vieux  sapin,  X Ecluse,  le  Soleil  levant  (février),  le 
Soir  dété  (juillet),  le  Soleil  d'hiver,  le  Matin  (juin), 
Les  Ormes  du  canal  (septembre),  la  Route  des  marou- 
nicrs,  la  Matinée  rose,  la  Façade  bla)iche,  le  Verger 
en  Flandre,  la  Journée  de  soleil,  desquels,  pour  la 
plupart,  il  a  été  parlé  ici  déjà. 

Le  succès  fut  considérable  :  ceux  qui  disputaient 
encore  eurent  le  geste  par  lequel  on  se  rend,  et  quelques 
toiles  apparurent  des  apogées  :  le  Coin  de  Parc, 
\ Automne,  la  Route  dorée,  aux  polychromies  ardentes, 
et  surtout  la  Matinée  de  septembre,  offrirent  les  grandes 
allures  d'un  renouvellement  de  son  talent.  Dans  le 
frisson  frais  de  la  terre,  en  un  paysage  lamé  d'argent, 
un  toit  sous  les  hauts  peupliers  baignés  d'air  substantiel, 
et  près  de  la  haie,  une  vache  paissant  et  que  garde  une 
jeune  fille.  Rien  autre  et  c'était,  cette  Matinée,  toute  la 
Flandre  et  tout  lautomne  des  hameaux.  Une  émotion 
recueillie  émanait,  de  nature,  de  rusticité,  de  paix 
champêtre.  Comme  un  large  flot  de  lait,  s'épandait  une 
clarté  grasse  où  le  paysage  pompait  la  vie. 

Ce  fut  vraiment  ici  le  point  d'altitude  :  l'artiste 
n'avait  point  dit  encore  de  parole  plus  tendre,  plus 
douce,  plus  persuasive.  II  témoigna  cette  fois  qu'il 
n'avait  point  besoin,  comme  on  le  lui  reprocha  long- 
temps, de  peindre  le  grand  soleil  pour  faire  de  la 
lumière.  Une  fluide  clarté  d'opale,  de  légères  et  trans- 
parentes iris  aux  lueurs  de  nacre  enveloppaient  la 
naissance  du  jour  comme  l'amnios  vital.  Et  on  était 
ému  par  cette  grande  manière  large,  concrète,  définitive 
qui  s'appariait  aux  styles  les  plus  puissants  sans  rien 


41 


perdre  des  intimités  et  du  charme  antérieurs.  On  y  vit 
surtout  l'évolution  vers  une  plénitude  du  sentiment  et 
de  l'exécution  où  se  conjecturait  la  suprême  étape  d'un 
sensible  génie. 

L'exposition  du  Cercle  mit  également  en  lumière 
la  liberté  et  l'originalité  qu'il  apportait  dans  une  forme 
d'art  un  peu  particulière  :  c'est  de  ses  portraits  qu'il  est 
question.  Il  en  avait  peint  beaucoup,  dans  les  com- 
mencements, sans  laisser  présager  à  cette  époque  le 
parti  qu'en  tirerait  un  jour  son  art  de  luministe.  Un 
portrait  de  sa  femme,  qu'il  avait  peint  en  1900,  clair, 
jeune  et  frais,  notifia  un  art  heureux  de  la  ressemblance 
libre  et  vivante.  Une  artiste  qui  demeura  toujours  près 
du  cœur  de  son  art,  M"^  Jenny  Montigny,  lui  avait 
donné  l'occasion  de  représenter  un  délicat  visage,  incliné 
et  pensif  sous  l'ombre  chaude  d'un  chapeau  de  paille, 
dans  la  verdure  ensoleillée  d'un  coin  du  jardin  d'Astene. 
Il  avait  peint  aussi  le  portrait  de  cette  autre  femme  de 
talent,  M"'^  Anna  De  Weert,  assise  dans  une  barque 
et  silhouettée  entre  ciel  et  terre  sur  fond  de  nuages 
d'argent,  avec  le  dessin  fleuri  d'une  robe  lilacée, 
couleur  des  colchiques  de  la  prairie. 

Enfin,  d'une  touche  rapide,  volante,  enflammée, 
avec  la  décision  qu'il  apportait  dans  ses  grandes  œuvres, 
il  avait  exécuté  le  portrait  de  l'écrivain  qui  écrit  cette 
notice,  tel  que  le  lui  proposait,  avec  le  négligé  de  la  mise 
et  l'abandon  de  la  pose,  l'enveloppe  d'une  après-midi 
de  la  fin  d'août,  aux  rousseurs  déjà  automnales,  aux 
nébulosités  croulantes  d'un  vaste  ciel  par-dessus  les 
campagnes  demi  moissonnées.  Un  sens  symbolique  et 
spirituel  s'attachait  à  cette  image  qui  avait  été  vue  déjà 


42 


Portrait  de  M.  Camille  Lemonnier 


au  Champ  de  Mars  et  jugée  téméraire,  significative  et 
forte.  Toute  l'esthétique  pleinairiste  du  maître  s'y  attes- 
tait et  le  souple  magnétisme  de  la  main  qui  donnait  à  ses 
paysages  la  vie  électrique  des  soies  et  de  la  chair. 

Emile  Claus,  du  reste,  n'avait  jamais  cessé  d'être  un 
peintre  de  figures.  D'abord  strictes,  sèches  et  linéaires, 
se  ressentant  encore  du  dessin  d'école,  elles  deviennent, 
à  l'époque  de  la  Récolte  des  Betteraves,  de  l'humanité 
large,  exprimée  dans  ses  signes  essentiels.  On  sent  qu'il 
les  a  suivies  à  travers  les  indications  du  modèle,  les 
débrouillant  à  mesure  dans  des  séries  de  notations  où 
c'est  l'instantané  d'après  la  nature  qui,  petit  à  petit,  lui 
donne  la  précision  constructive.  Déjà  alors,  son  carnet 
de  peintre  ne  le  quitte  pas;  il  crayonne  sans  cesse, 
indiquant  d'un  trait  la  silhouette,  marquant  les  pleins 
et  les  déliés,  établissant  les  volumes  d'un  écrasi  au 
pouce  ou  par  des  hachures  serrées.  Dans  le  silence 
appliqué  de  la  petite  maison  bloquée  par  les  frimas, 
quelquefois,  l'hiver,  des  modèles,  laboureurs  et  var- 
lettes,  arrivaient  lui  poser  sous  la  lampe  des  effets  de 
clair  et  de  demi-teintes,  avec  le  lent  obscurcissement 
des  pénombres  autour  du  rayonnement  lumineux  des 
visages.  Je  connais  de  délicieux  croquis  déjeunes  femmes 
et  d'enfants  où  il  pousse  l'étude  au  crayon  jusqu'au 
dessin  d'art;  on  a  alors  ces  aspects  chatoyés  et  ces 
blondeurs  soyeuses  qui  particularisent  sa  vision  de 
peintre  et  qui,  dans  ses  légers  crayonnis,  s'égalent  à  la 
transparence  argentine  des  meilleures  pointes  sèches. 

Claus  toujours  manifesta  une  inclination  naturelle 
pour  une  certaine  grâce  :  dès  le  début,  elle  lui  fait  mul- 
tiplier les  figures  d'enfants  dans  ses  tableaux.  Il  semble 


vouloir  marquer  ainsi  ce  que  la  vue  d'une  jeune  humanité 
ajoute  de  vie  heureuse  aux  arbres,  aux  eaux  et  à  la 
maison.  Plus  tard,  il  continue  à  les  peindre  dans  les 
vibrations  de  la  lumière  comme  les  fleurs  d'un  jardin 
d'amour  et  de  vie.  C'est  pour  lui  le  sujet  d'innombrables 
idylles  qu'il  excelle  à  composer.  La  série  de  ses  façades 
aux  treillis  d'ombre  et  de  soleil,  s'anime  presque  con- 
stamment de  claires  ribambelles,  dont  les  penaillons 
semblent  tissés  de  belles  lumières  de  soie.  Rien  ne  res- 
semble moins  à  la  malpropreté  des  marmailles  villa- 
geoises ;  cela  évoque  bien  plutôt  l'or  roux  d'un  espalier 
dans  l'éclat  de  rire  du  matin.  On  sent  qu'il  a  été  séduit 
par  leurs  tons  de  pèche  et  d'abricot,  et  comme  il  est  par 
dessus  tout  un  peintre  de  la  couleur  somptueuse,  il  a 
exprimé  des  analogies  plutôt  que  la  réalité  immédiate. 
Il  en  est  de  même  pour  ses  femmes  ;  il  les  peint 
rurales  et  avenantes  :  il  leur  donne  la  santé  et  la  fraî- 
cheur. Il  n'y  a  presque  pas  de  vieilles  femmes  dans  son 
œuvre  ;  toutes  sont  jeunes,  d'une  peau  florale  et  drue, 
avec  une  joie  claire  qui  les  apparente  à  la  nuance  de  ses 
paysages  et  de  son  âme.  Le  miracle  qui  fait  sortir  des 
mains  puissantes  d'un  Alfred  Stevens  l'éternelle  jeu- 
nesse de  la  femme,  se  renouvelle  chez  lui  en  peignant  la 
fille  des  glèbes.  C'est  aussi  de  la  belle  chair  savoureuse 
et  désirable  qu'il  modèle,  toute  humide  de  nature.  L'un 
et  l'autre  sont  flamands,  du  reste,  et  ils  cèdent  à  la 
tendance  de  l'école  pour  les  choses  qui  se  peuvent  associer 
à  l'idée  du  bonheur.  On  peut  dire  que  le  belge  est  peu 
sentimental  dans  son  art  et  conforme  les  aspects  de  la 
riche  matière  qu'il  en  tire  à  son  goût  d'un  état  de  l'àme 
égal  et  confortable. 


44 


Tandis  que  Millet,  dans  sa  rudesse  farouche,  comme 
un  Saint-Jean  au  désert,  peint  des  femmes  aux  peaux 
corroyées  et  aux  os  pétrés,  ce  paysan  de  Flandre  garde 
pour  l'homme  seul  l'aspect  d'une  bête  humaine.  Il  aime 
la  contadine  potelée  et  ragoûtante,  soit  qu'il  la  peint 
pourprée  des  roses  du  vent  de  mer  (pendant  son  passage 
en  Zélande)  soit  que  plus  habituellement  il  la  repré- 
sente, aux  campagnes  de  la  Lys,    accorte,    fanant  ou 


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Effet  de  Lune  (Dessin). 


gerbant  les  javelles,  dans  sa  force  saine  de  jeune 
génisse.  Au  surplus,  le  type  qu'il  propagea  semble  fait 
des  deux  races,  sanguin,  copieux  et  blond  et  pour  l'avoir 
créé,  il  fut  à  sa  manière  un  peintre  de  la  Beauté.  Je  ne 
veux  indiquer  ici  que  quelques-unes  des  œuvres  où  il 


la  manifesta  :  Roscke,  Jitillci,  Sur  la  digne,  Leentje, 
Faneuses,  Kaatje  et  Janneke,  Verger  en  Flandre, 
Jeune  fille,  Fille  de  ferme. 


X 


Si  chez  lui  le  travail  est  rapide  et  décidé,  les  prépa- 
tions  sont  laborieuses.  Pendant  des  années,  il  porte  son 
œuvre  en  lui  :  il  ne  se  met  au  chevalet  que  quand  enfin 
elle  s'est  incorporée.  Aussitôt,  tout  son  être  s'emplit 
d'une  sorte  de  fureur  sacrée  :  «  Je  ne  suis  plus  l'homme 
qui  boit  et  mange  et  se  couche  la  nuit  venue,  me  disait-il  ; 
une  folie  me  prend,  je  me  bats  avec  mon  paysage  ».  Les 
croquis,  les  essais  de  mise  en  toile,  les  pochades  dans  la 
boîte,  qui  pour  lui  sont  comme  les  jets  d'une  germina- 
tion qui  attend  son  heure  de  soleil,  aboutissent  alors  à 
la  statique,  au  rythme  harmonieux  et  définitif.  Pour  ce 
constructeur  ingénieux  et  sûr,  la  toile  vient  au  jour 
et  s'achève  d'un  mouvement  régulier,  comme  par  la 
poussée  continue  d'un  organisme.  La  graine  ne  mûrit 
pas  avant  son  temps  et  l'été  qui  donne  le  pain,  l'automne 
qui  donne  les  fruits  obéissent  à  l'ensemble  des  lois  qui 
règlent  l'univers.  Il  ne  se  hâte  non  plus  qu'eux;  il  sait 
qu'il  faut  à  toute  chose  sa  période  de  croissance. 

Une  fois  au  travail,  il  établit  d'abord  les  masses; 
quelques  traits  au  crayon  ou  à  la  craie  lui  suffisent  et 
tout  de  suite  il  attaque  au  pinceau.  Le  champ  de  la 
toile  se  couvre  alors  de  larges  touches  emportées  qui 
sont  du  ciel,  de  l'eau  et  de  la  terre.  En  tous  sens,  elles 


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frappent,  vibrent  et  bourdonnent,  tumultueuses,  ruti- 
lantes, ailées,  comme  une  ruche  qui  s'envole,  avec  des 
trous  par  où  apparaît  la  trame.  Et  puis,  cela  se  resserre, 


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Soir  en  Ville  (Dessin\ 

s'unifie,  se  comble,  devient  de  l'air,  du  vent,  du  soleil, 
mêlés  au  geste  du  laboureur,  au  broùt  du  troupeau,  au 
croît  des  genèses.  Tout  vit,  tout  résonne,  tout  luit. 
L'œuvre  accomplie  au  grand  air,  en  pleine  nature,  est 


47 


maintenant  là  sur  le  pré  comme  un  morceau  de  vie 
réalisée,  et  le  peintre  allume  sa  pipe;  il  compare. 

Comme  le  paysan,  Claus  vit  son  œuvre  à  même 
la  terre,  bêchant,  labourant,  ensemençant  à  sa  manière 
cette  lande  que  l'autre  arrose  de  ses  sueurs.  Le  même 
soleil  les  cuit  sous  ses  feux  droits  ou  obliques  :  par 
l'ondée,  le  gel,  la  neige  ou  la  canicule,  ils  font  ensemble 
l'œuvre  fraternel.  La  peinture,  ainsi  comprise,  comme 
chez  les  grands  agraires,  les  Millet,  les  Monet,  les 
Pizzarro,  les  Sisley,  est  de  l'action.  D'une  manœuvre 
adroite  et  rapide,  il  faut  saisir  au  vol  la  lumière  tour- 
nante, l'ombre  subtile,  la  nue  fugitive.  Il  faut  être 
soi-même  de  moitié  dans  le  mouvement  continu  de  la 
nature.  C'est  le  signe  du  véritable  paysagiste  moderne. 
Pas  une  toile  qui  ne  soit  commencée  et  terminée  devant 
l'effet,  aux  heures  brèves  où  revient  celui-ci.  Le  modèle 
ne  pose  plus  comme  autrefois  ;  il  passe  ;  le  tout  est  de  le 
saisir  dans  sa  mobilité  au  moment  où  déjà  il  va  n'être 
plus.  Ce  n'est  qu'au  prix  d'un  extrême  effort,  servi  par  la 
plus  rare  sensibilité  de  l'œil  et  la  plus  apte  dextérité  de 
la  main,  qu'on  y  arrive. 

Je  me  rappelle  quelles  difficultés  lui  suscita 
l'établissement  de  la  grande  toile,  le  Passage  des 
Vaches,  sous  les  coups  de  lumière  d'une  après-midi 
d'août.  Le  troupeau  entrait  dans  la  rivière  et  abordait 
à  l'autre  rive  :  la  nage  ne  durait  que  quelques  minutes 
pendant  lesquelles  ricochait,  sur  les  cornes  et  les 
croupes,  l'effet  de  soleil  proposé.  Le  peintre  avait  fait 
aménager  sa  barque  pour  y  pouvoir  caler  son  vaste 
châssis;  et  il  se  tenait  là,  debout,  secoué  par  les  remous, 
dans  le  tumulte  de  l'eau,  du  soleil  et  des  énormes  bêtes. 


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Portrait  de  M"*^  Jennv  Montigny 


pareilles  à  des  monstres  fabuleux.  Le  plancher  de  la 
barque  était  vraiment  chaque  jour  le  théâtre  d'un 
exploit  :  la  palette  et  les  pinceaux  à  la  main,  il  se  lançait, 
posait  quelques  touches,  se  reculait,  avançait  de  nouveau 
comme  pour  une  joute.  Sa  rapidité  était  merveilleuse; 
dans  le  temps  d'un  éclair,  sa  vision  embrassait  les 
masses,  les  pleins,  les  saillies,  le  jeu  des  lumières. 
La  rivière,  aux  reflets  des  robes  lustrées  par  le  soleil, 
roulait  de  l'or,  des  émeraudes,  des  topazes  et  en  tous  sens 
il  frappait  ses  accents  ;  à  mesure,  la  toile  s'éclaboussait 
de  tons  qui  étaient  des  échines,  des  ventres  et  des 
naseaux  fumants. 

Il  avait  choisi  le  moment  où  les  vaches,  encore 
groupées  près  de  la  rive,  ne  sont  pas  toutes  descendues 
à  l'eau,  oii,  à  mi-fanons  immergées,  elles  lappent  le 
flot  ou  cornent  vers  l'autre  bord.  C'est  alors  que  les 
vachers,  avec  des  moulinets  de  triques  pour  les  faire 
avancer,  passent  à  leur  tour  dans  la  barque.  Malheu- 
reusement tout  l'épisode  tenait  dans  une  suite  de  mou- 
vements liés  et  brefs,  d'une  rapidité  extrême  :  chacun 
de  ceux-ci  était  un  tableau  et  tous  ensemble  donnaient 
l'impression  d'un  vaste  cinéma.  Claus,  on  peut  le  dire, 
fit  là  cent  tableaux  où  l'unique,  qui  devait  leur  survivre, 
toujours  se  poursuivait  et  enfin  s'acheva.  Le  troupeau 
débarqué,  la  rivière  petit  à  petit  se  pacifiait  et  la  séance 
encore  une  fois  était,  jusqu'au  lendemain,  terminée. 

C'est  là  que  je  pus  apprécier  sa  décision  tout  à  la 
fois,  son  opiniâtreté  et  sa  patience.  Comme  le  meunier 
qui  replie  sa  toile  en  attendant  le  vent,  il  s'en  rapportait 
au  lendemain  et  donnait  de  la  rame  pour  regagner 
le  logis. 


49 


XI 


Une  passion  d'art  véritable  ne  dédaigne  aucun 
mode  d'expression  ;  en  chacun  réside  une  approximation 
différentielle  des  visées  de  l'artiste  et  c'est  toujours  le 
même  foyer  de  l'âme,  mais  comme  à  travers  un  jeu 
de  verres  tournants  où  elle  se  colore  de  reflets  variables. 
Claus,  qui  aquarella  d'une  virtuosité  preste,  devait 
marquer  surtout  sa  prédilection  pour  les  notations 
rapides  et  nerveuses  du  pastel,  plus  conformes  à  sa 
sensibilité  impressionniste.  Ses  adresses  y  furent  incom- 
parables :  tandis  que  l'aquarelle,  sommaire,  indocile  et 
terne,  refroidissait  sa  vision,  le  pastel,  brillant  et  délié, 
fut  pour  lui  comme  une  improvisation  de  son  art  de 
peintre.  Il  sut  fixer  son  charme  fragile  et  approximatif; 
il  eut,  en  pulvérisant  ses  légers  crayons,  la  grâce  et  la 
sûreté  de  main  qu'il  mettait  dans  ses  toiles.  Sa  peinture 
aux  gammes  hautes  et  vibrantes,  parut  trouver  là  de 
naturelles  correspondances.  Il  s'essaya  une  première 
fois  lors  du  voyage  en  Zélande,  en  1896  ;  la  chair 
sanguide  des  femmes,  le  tulipage  des  robes,  l'émail  des 
paysages,  les  moiteurs  d'un  air  diapré  lui  fourni- 
rent le  sujet  de  croquades  déliées  où  passa  toute  la 
fraîcheur  de  ses  huiles.  Ce  fut  pour  lui  la  conquête  d'une 
joie  nouvelle  qu'il  ne  délaissa  plus.  Rentré  au  pays, 
il  multiplia  les  matins,  les  crépuscules,  la  plaine,  les 
meules,  les  hameaux.  Il  sembla  qu'il  y  eût  là,  pour  son 
œil  et  sa  main,  comme  le  délassement  d'un  jeu.  Quand, 
en   1898,   il  alla  passer  deux  mois  à  Bordighera,  les 


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Croquis  d'après  un  ami  sculpteur.  _^      '-'i^<^>*c-t/'C 


ondes  bleues  et  les  prismes  du  ciel  l'éveillèrent  à 
une  émotion  de  la  lumière  qu'il  manifesta  presque 
également  dans  le  pastel  et  la  peinture.  Plus  récem- 
ment, à  la  fin  de  1906,  il  connut  Venise  :  elle  exalta 
sa  sensibilité  sans  la  modifier;  un  magnétisme  apparia 
son  âme  à  celle  d'une  race,  comme  la  sienne  sortie 
des  eaux. 

C'est  sur  cette  date  que  j'arrête  le  présent  essai  :  elle 
concorde  avec  le  plein  épanouissement  de  la  maturité 
chez  le  maître  qui,  en  Belgique,  depuis  trois  ou  quatre 
lustres  s'attesta  le  jaillissement  continu  d'une  source 
d'art  et  de  nature.  Le  temps  qui  pour  les  autres  hommes 
n'attend  pas  la  soixantaine,  est  demeuré  sans  prise 
sur  sa  jeunesse  d'art,  à  mesure  rafraîchie  à  l'éternelle 
Jouvence. 

Zoimeschijn !  Ce  nom  dont  il  baptisa  sa  maison  de 
peintre,  ne  résume-t-il  pas  toute  son  esthétique  et  l'in- 
fluence qu'elle  eut  sur  l'école?  C'est  une  tradition  nou- 
velle qui  avec  lui  s'instaure  :  elle  sort  de  ses  recherches, 
de  son  isolement,  de  son  immense  labeur  ininterrompu, 
de  son  beau  courage  sans  défaillance  aux  heures  les  plus 
dures.  Une  foi  sacrée,  un  esprit  religieux  l'animent; 
il  offre  l'exemple  d'un  grand  cœur  battant  près  du  cœur 
de  la  terre  et  à  qui  la  terre  se  confie. 

Emile  Claus  aura  connu  la  joie  de  voir  fructifier  sa 
leçon  d'art.  Comme  le  pasteur  d'abeilles,  il  a  mené  la 
ruche  vers  les  rives  en  fleurs  où  le  miel  se  fait  des  esprits 
subtils  de  la  vie.  Et  l'essaim,  à  son  tour,  s'est  répandu 
dans  la  lumière,  d'un  vol  ardent  et  jeune. 


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CATALOGUE 
DE  L'ŒUVRE  D'EMILE  CLAUS 


1879  Place  de  la  Commune,  Anvers  (Pluie). 

App.  à  M.  John  Maddockx,  Bradford. 

1880  Richesse  et  pauvreté. 

App.  à  M.  Aloyse  Verbeke,  Gand. 

1882     Combat  de  coqs  en  Flandre. 

i883     Le  Bateau  qui  passe. 

App.  à  M.  le  duc  de  Camposelice,  Anvers- 

1884     Quand  fleurissent  les  lichnis. 

App.  à  M.  John  W.  Aitken,  New- York. 

i885     Passage  d'eau. 

App.  à  M.  Frédéric  Belpaire,  Anvers. 

»       Récolte  du  lin. 

App.  à  M.  Maurice  Metdepenninghen,  Gand. 

»       Les  chardons. 

App.  à  M.  Beernaert,  Ministre  d'Etat,  Bruxelles. 

»       Le  vieux  jardinier. 

Musée  de  Liège. 

1886     Automne. 

App.  à  M.  d'Oultremont,  Bruxelles. 


53 


i886     Faneuse. 


»       Le  Garde-barrière. 


Crépuscule. 


1887     Rentrée  des  vaches. 


»       Coin  de  ferme. 


»       Pique-nique. 


Les  sarcleuses  de  lin. 


»       La  vieille  Lys. 


1888     Rozeke. 


App.  à  M.  Carbonnel,  Tournai. 


App.  à  M.  Hêle,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Halot,  Bruxelles. 


App.  à  M.  John  Maddockx,  Bradford. 


App.  à  M»":  Leyueii,  Anvers. 


App.  à  S.  M.  le  Roi  des  Belges. 


Musée  d'Anvers. 


App.  à  M.  Xavier  Le  Lièvre,  Bruxelles. 


»  Rentrée  des  vaches. 

»  Chemin  de  l'école. 

1889  Les  petits  voleurs. 
»  Après  le  travail. 
»  Récolte  de  pommes  de  terre. 

1890  Vent  et  soleil. 


App.  à  M.  John  Maddockx,  Bradford. 
App.  à  M.  Cramer,  Bruxelles. 
App.  à  M.  John  Maddockx,  Bradford. 
App.  à  M.  Graef,  New-York. 
App.  à  M.  Max  Bouvet,  Paris. 
App.  à  M.  John  Maddockx,  Bradford. 


iSgo  Récolte  des  betteraves. 

"  Soleil  d'hiver  (Parc). 

»  Juillet. 

"  Fin  d'une  belle  journée. 

«  Causerie. 

»  Coup  de  vent. 

»  Automne  (La  Hulpe). 

i8gi  Derniers  rayons  (Hiver). 

>>  La  drève  ensoleillée. 

>'  IJsvogels. 

»  La  pèche  l'hiver. 

«  Déclin  du  jour. 

«  Ma  maison  (pastel). 

»  Soleil  d'octobre. 

»  Hiver. 


App.  à  M.  Xavier  Le  Lièvre,  Bruxelles. 


Hôtel  du  Gouvernement,  Gand. 


App.  à  M.  de  Surmont,  Tourcoing. 


App.  à  M.  Aerts,  Anvers. 


Musée  de  Bruxelles. 


Musée  de  Gand. 


Musée  de  Mons. 


App.  à  M.  Ch.  Vander  Stappen,  Bruxelles. 
App.  à  M.  Max  Bouvet,  Paris. 
App.  à  M.  Max  Bouvet,  Paris. 

55 


iSgi  Dans  la  rosée. 

»  Bouleaux. 

»  Epoque  des  Foins. 

»  Le  vieux  (pastel). 

»  Neige. 

»  Fenaison. 

»  Matinée  (canards  dans  la  rosée) 

»  Brumes  de  novembre. 

1892  Soleil  d'arrière-saison. 

»  Pâques. 

»  Le  Ponton  d'Afsné. 

»  La  barrière. 

»  Bords  de  la  Lys- 

»  Matinée  d'octobre. 

«  Au  parc  d'Oydonck  (décembre). 


App.  à  M.  Claeys-Boûûaert,  Gand. 


App.  à  M.  Edmond  Seiruys,  Menin. 


App.  à  M.  Herman  Wiener,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Gossen,  Anvers. 


Au  Musée  de  Guthenbourg. 
App.  à  S.  M.  le  Roi  des  Belges. 


App.  à  M.  Stern,  Berlin. 


Au  Musée  de  Dresde. 


App.  à  M.  Max  Bouvet.  Paris. 


App.  à  M.  Stern,  Bruxelles. 


Musée  de  Courtrai. 


56 


1893  L'Ecluse  d'Astene  (février). 

»  Innondation. 

»  Levée  de  lune. 

»  La  levée  des  nasses. 

»  Midi. 

»  Matinée. 

»  Pauvres  des  champs. 

»  Diguette  fleurie. 

»  Manske. 

»  Vache  broutant. 

»  Labour. 

»  Bords  de  la  L3's. 

»  Printemps  fleuri. 

»  Portrait  de  M.  A.  Terrjn. 

»  Soirée  d'été  (au  verger). 


App.  à  M.  Maiiier,  Bruxelles. 
App.  à  M.  Marlier,  Bruxelles. 


Musée  d'Ixelles. 


App.  à  M.  Boels,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Warnants.  Bruxelles. 


App.  à  M.  A.  Devliegere,  Courtrai. 


App.  à  M.  Adolphe  Ide,  Anvers. 

App.  à  M.  Ad.  Huj'brechts,  Anvers. 

App.  à  M.  HuberstuU,  Anvers. 

App.  à  M.  Lemaire,  Anvers. 

App.  à  M.  Sauvage,  Anvers. 


App.  à  M.  Gossen,  Anvers. 


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1893     Coin  de  ferme. 


App.  à  M.  Roger,  Tournai. 


»       Récolte  des  pommes  de  terre. 

App.  à  M.  Maurice  De  Weert,  Gand 


»  La  sieste. 

1 894  Février. 

»  Faucheur. 

»  Grande  route  (automne). 

»  Givre. 

»  Juin. 

»  Clair  de  lune. 

»  Chemin  des  blés. 

»  Octobre. 

»  Village  de  Deurle. 

»  Retour  du  marché. 

»  Levée  de  Lune. 


Musée  de  Douai. 

App.  à  M.  Georges  Petit,  Paris. 

App.  à  M.  Ad.  Huybrechts,  Anvers. 

App.  à  M.  Jacques  Wiener,  Bruxelles. 

App.  au  Gouvernement. 

App.  à  M.  de  Laveleye,  Bruxelles. 


App.  à  M.  A.  Deviiegere,  Courtrai. 
App.  à  M.  John  Maddockx,  Bradford. 

App.  à  M.  Samuel,  Bruxelles. 
App.  à  M.  Schleisinger,  Bruxelles. 


App.  à  M"^  la  comtesse  de  Tallenay.  Bruxelles. 
»       Briquetterie  abandonnée. 


58 


i894  Façade  ensoleillée. 

»  Lueur  au  couchant. 

»  Chemin  des  blés. 

»  Heyst. 

»  Coin  de  ferme. 

1895  Lilas. 

»  Brumes  du  soir. 

»  A  l'étude  (mon  portrait). 

I)  Roses  trémières. 

»  Maison  ensoleillée. 

»  Toits  à  Veere. 

»  Matinée  de  rosée. 

"  Sur  la  digue  (Veere). 

»  Ma  maison  (Neige). 

>)  Février  (Givre). 


App.  à  M.  Ma.\  Everaerts,  Paris. 

App.  à  M.  de  Gottal,  Anvers. 

App.  à  M.  Edm.  Huybrechts,  Anvers. 

Collection  Mans,  Musée  d'Ixelles. 
App.  à  M.  John  Maddock.K,  Bradford. 
App.  à  M.  Wouters-Dustin.  Bruxelles. 


Musée  de  Verviers. 


App.  à  M.  Raej'mackers,  Mons. 


App.  à  M.  Isaye,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Jean  Worth,  Paris. 


App.  à  M.  Le  Bœuf,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Coquelin  cadet,  Paris. 


Musée  de  Berlin. 


59 


iSgS     Hiver  (pastel). 


i8g6    Zélandaises. 


Sapinière. 


«       Matinée  d'octobre. 


»       Pommes  au  verger. 


App.  à  M.  Neujean,  Liège. 


App   à  M.  Michielssens,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Xavier  Le  Lièvre,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Georges  Moreau,  Paris. 


»       Leentje  (pastel  en  Zélande). 


Quai  à  Veere  (pastel  en  Zélande). 


»  Au  puits. 

y>  Faneuse. 

y>  Fille  de  ferme. 

»  Quai  à  Veere. 

»  Maison  à  Veere. 

»  Les  semailles. 

1897  Ensoleillée. 


App.  à  M.  Octave  Goeminne,  Deinze. 


App   à  M.  Ernest  de  Surmont,  Tourcoing. 


App.  à  M™e  Hanimann,  Paris. 


App.  à  M.  Willebeek  Lemair,  Rotterdam. 


App.  au  peintre  Robert  Monks,  Boston. 


I 


»       Sérénité. 


Musée  d'Odessa. 


1897     Dans  les  prairies. 

»       Matinée  rose. 

App.  à  M"e  Anna  Boch,  Bruxelles. 

»       A  l'ombre. 

App.  à  M™<'  Hanimann,  Paris. 

»       Couchant  (pastel). 

App.  à  M™=  la  duchfisse  d'Ursel,  Oostcamp. 

»       Soir. 

App.  à  M.  Letocart,  Mons. 

»       Kaatje  et  Janneke. 

App.  à  V.  A.  Sir  W.  H.  Wills,  Bart,  Bristol. 

»       Printemps  (Marronnier  en  fleurs). 

i8g8     La  berge. 

App.  à  M™«  Koster,  Haarlem. 

»       La  grange  ensoleillée. 

App.  à  M.  Paqiiin,  Paris. 

»       La  Ferme. 

App.  à  M.  Xavier  Lelièvre,  Bruxelles. 

»       Maison  rose  ensoleillée. 

»       Claire  journée  d'automne. 

App.  à  M.  Louis  Damman,  Aertselaer. 

"       La  chapelle  (Bordighera). 


>'       Ampélio. 
»       Bordighera. 


Musée  de  Port- Adélaïde. 


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iSgg  Journée  de  soleil. 

»  Gelée  blanche. 

»  Vaches  traversant  la  Lys. 

»  Maison  close. 

»  Famille  flamande. 

»  Jour  de  nettoyage  (Zélande). 


Musée  de  Gand. 


App.  à  M.  Wouters-Diistin,  Braxelles. 


Musée  Royal  de  Bruxelles. 


App.  à  M.  Georges  Moreau,  Paris. 


»       Portrait  de  M"""  Anna  Deweert. 


»  Quai  à  l'Ecluse. 

»  Maison  Zonneschijn. 

1900  Portait  de  ma  femme. 

»  Le  vieux  sapin. 

»  Hiver  (Matin). 

»  Eté  à  l'Ecluse. 

«  Rue  de  Village, 

'>  Maison  rose. 


App.  à  M.  Schleisinger,  Bru-xelles. 
Musée  du  Luxembourg,  Paris. 


App.  à  M.  Jean  Laroche,  Gand. 


Musée  d'Anvers. 


App.  à  M.  Jan  Van  Ryswyck,  Anvers. 


App.  à  M.  Bour.  Paris. 


62 


igoo  Canard  au  couchant. 

»  Eveil  de  Printemps. 

»  Canal  de  Damme. 

»  Les  Meules. 

9  Matin  brumeux. 

)'  Chemin  de  village. 

»  Le  Verger. 

»  Soleil  d'octobre. 

1901  Matin. 

»  Fillette- 

»  Midi. 


App   à  M.  Nicolas  Van  Haaren,  Nimègue. 


App.  à  M.  Charles  Tardieu,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Théo  Hannon,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Jean  Laroche,  Gand. 


App.  à  M.  Julhis  Hoste,  Bruxelles. 


App.  à  M.  Van  Stolk,  Rotterdam. 
App.  à  M.  Franchomme,  Bruxelles. 
App.  à  M.  Philippe  Wolfers'  Bruxelles. 


App.  au  docteur  Widmer  Territet,  Suisse. 
»       Derniers  ra3'ons  (Deurle). 

»       Capucines. 

»       Verger  en  Flandre. 

»       Maison  dans  la  neige. 


63 


igoi  Azalées. 

»  Fenaison. 

"  Route  dorée. 

»  Coin  de  jardin. 

»  Jeune  fille  (Martha). 

»  Petit  sentier  (givre). 

1902  Printemps  au  verger. 

»  Rivière  au  printemps. 

»  Coin  de  parc. 

»  Gelée  blanche. 

)'  Automne. 

»  Fenaison. 

»  Printemps. 


App.  au  peintre  Sauter,  Londres. 


App.  à  M.  Paquin,  Paris. 


App.  à  M.  Marcel,  Paris. 


App.  à  M.  J°au  Laroche,  Gand. 


App.  à  M.  Jacques  Feyerick,  Gand 


App.  à  M.  Masson,  Paris. 


App.  au  chevalier  Bayet,  Bruxelles. 

App.  à  M.  Louis  Hanicart,  Bruxelles. 

Musée  de  Venise. 

App.  à  M.  Baetens,  Bruxelles. 


App.  h  la  famille  Constantin  Meunier,  Bruxelles. 
»        Portrait  de  M"*^  Jenny  Montigny. 


»       Bords  de  rivière. 


App.  à  M™^  la  comtesse  de  Tallenay,  Bruxelles. 


64 


igoa  Matin  d'octobre. 

1)  Barrière  rouge. 

1903  Jeu  de  lumière. 

»  Ecluse. 

»  Fille  de  ferme  (Celina). 

»  I,e  hêtre. 

»  Février  (Le  petit  pont). 

»  Pignon. 

»  La  drève  d'Oydonck. 

»  Pommiers  en  fleurs. 


App.  à  M.  Joseph  De  Blieck,  Alosl. 
App.  à  M.  Callebaut.  Alost. 


App.  à  M.  Jacques  Feyerick,  Gand. 

App.  à  M.  Wouters'Dustin,  Bruxelles. 

App.  à  M.  Gustave  Caiels,  Gand. 

App.  à  M.  Gustave  Carels,  Gand. 

App.  à  M.  Nonne,  Gand. 

App.  à  M.  Gustave  Carels,  Gand. 


App.  à  M.  Georges  Braun,  Gand. 
»       Portrait  de  Camille  Lemonnier. 

»       Soleil  levant  (Février). 


»       Vaches. 

"       Lueur  du  couchant. 
1904     Faucheur. 


App.  à  M.  Tillemans,  Bruxelles. 
App   à  M.  Alfred  de  Lanier,  Gand. 


65 


1904     Bords  de  la  Lys. 


»       La  façade  blanche. 


"       Route  de  marronniers. 


»       Récolte  du  lin. 


»       Matinée  de  septembre. 


Apj).  a  M.  Raphaël  Duflos,  Paris. 


App.  au  peintre  Alfred  Verhaeren. 


App.  à  M.  Delbruyère,  Mons. 


.Musée  Royal  de  Bruxelles. 


»       Soleil  d'hiver  (La  Lys). 


App.  au  peintre  Georges  Morren,  Anvers. 


»       Les  ormes  au  canal. 


»       Dans  les  prairies. 


»       Soir  d'été. 


1904     Matinée  de  mai. 


Les  foins. 


»       Matinée  de  juin. 


App.  à  M.  Désiré  Maas,  Anvers. 


App.  à  M..  Marquât,  Ostende. 


66 


BIBLIOGRAPHIE 


Poi.  DE  Mont  :  De  Vlaamsche  School.  Antwerpen. 

Léonce  Ducatii.i.on  :  Dietsche  Warande,  i8ç3.  Gent. 

Edmond  L.  de  Taeye  :  Les  artistes  belges  contemporains. 

Bruxelles. 

PoL  de  Mont  :  F.lsevier's,  S-''<'  Jaargaiig,  Aflevering  VIII. 

Amsterdam. 

Emile  \'erhaeren  :  The  Magazine  of  Art,  July  i8g8. 

London. 

Gabriel  Mourey  :  T/ie  Studio.  London. 

Fol  de  Mont  :  The  Artisi.  London. 

SiGNOR  :  Dietsche  Warande  &>  Bel/art,  Jimi  iço2.        Brugge. 

Gabriel  Mourey  :  Les  peintres  de  la  Vie.  Paris. 

J.-E.  Whitby  :  The  Magazine  of  Art,  March  iço3.     London. 

V'iTTORio  PiCA  :  Emporinm,  ottobre  içoS.  Bergame. 

Wynfort-Dewhurst  :  Impressionist  Paintaing,  IÇ04. 

London. 

Camille  ÎMauclair  :  La  Revue  Bleue.  Paris. 

Henri  Hymans  :  Meister  der  Farte,  iço3.  Leipzig. 

Camille  Lemonnier  :  L'École  belge  de  peinture,  i83o-iço5. 

Bruxelles,  1906. 


67 


TABLE  DES  ILLUSTRATIONS  DANS  LE  TEXTE 


Pages 

La  Vieille  (Croquis) 6 

Croquis  (Canards) 7 

Croquis  pour  la  Récolte  du  Lin 12 

Croquis  pour  la  Récolte  du  Lin i3 

Dessin  d'après  la  Récolte  des  Betteraves 16 

Sous  LA  Lampe  (Dessin) 21 

Modèles 22 

Nuit  (Dessin) 23 

En  Zélande 28 

Zuid-Beveland 29 

Croquis  (Vache) 37 

Portrait  de  M.  Albvn  Van  den  Abeele 40 

Effet  de  Lune  (Dessin) 45 

Soir  en  Ville  (Dessin) 47 

Croquis  d'après  un  ami  Sculpteur 5i 


TABLE  DES  PLANCH-ES  HORS  TEXTE 


Quai  a  Veere.  Pastel  (1897) En  frontispice. 

Portrait  d'ÉMiLE  Claus En  regard  page  i 

Maison  Zonneschijn  (1899) »  2 

Portrait  de  la  Mère  de  l'Artiste  (1872)     ....  »  4 

Un  Combat  de  Coqs  en  Flandre  (1882).     ...  n  6 

Le  Pique-Nique  (1890) »  8 

ROZEKE  (1890) »  10 

Vent  et  Soleil  (1890) /)  12 

Le  Ponton  d'Afsné  (1892) »  14 

Pâques  (1892) »  14 

Midi  (iSgS) »  16 

Le  Village  de  Deurle  (1894) »  18 

A  l'Ombre  (1897) »  20 

Kaatje  et  Janneke  (Zuid-Beveland,  1897).     .     .  »  22 

Quai  a  Veere  (1897) »  24 

Ampélio,  pêcheur  de  la  Méditerranée  (1898)    .     .  »  26 

La  Berge  (1898) »  28 

La  Ferme  (1899) "  3o 

Famille  Flamande  (1899) «  32 

Vaches  traversant  la  Lys  (1899) »  34 

Rue  de  Village  {1900) »  34 

Route  DORÉE  (1901) »  36 

Matin  (1901) »  36 

Verger  en  Flandre  (1901) »  38 

Fille  de  Ferme  (j9o3) »  40 


69 


La  Drève  d'Oydonck  (igoS) En  regard  page        40 

Portrait  de  Camille  Lemonnier »  42 

Portrait  de  Mme  Anna  De  Weert »  44 

Portrait  de  M"ic  Ém.  Claus «  46 

Portrait  de  M'ie  Jenny  Montigny »  48 

Coin  de  Parc  (igoS)    ....          »  5o 

Les  Ormes  au  Canal  (1904) »  5o 

L'Écluse  d'Astene  (1904) »  '  32 

La  Récolte  du  Lin  (1904) »  52 


70 


TABLE  DES  MATIERES 


Pages 

Emile  Claus  (Étude) i 

Catalogue  de  l'Œuvre  d'Emile  Claus 53 

Bibliographie 67 

Table  des  illustrations  dans  le  texte 58 

Table  des  planches  hors  texte .  69 

Table  des  matières 71 


71 


Collection  des  Artistes  Belges 
Contemporains 

Volwnes  parus  dans  la  même  collection  : 

FERNAND  KHNOPFF 

PAR 

L.  DUMONT-WILDEN 

Un  volume  contenant  33  planches  hors  texte,  en  héUo- 
gravure,  en  phototypie  et  en  typogravure,  et  une  vingtaine 
de  reproductions  dans  le  texte. 

PRIX  :  10  FRANCS 

Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  5o  exemplaires  de  luxe,  sur 
papier  Impérial  du  Japon,  texte  réimposé,  numérotés  de  i 
à  5o.  Ces  exemplaires  contiennent  une  pointe  sèche  originale 
signée  de  Fernand  Khnopff  et  une  reproduction  en  héliogra- 
vure de   «  l'Impératrice  ». 

Prix  des  exemplaires  de  luxe  :  40  Francs. 


Vient  de  parait^-e  : 

EUGÈNE  LAERMANS 


PAR 

GUSTAVE   VANZYPE 


Un  volume  contenant  28  planches  hors  texte,  en  tj'pogravure, 
et  14  reproductions  dans  le  texte. 

Prix  :  7  fr.  50. 

Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  25  exemplaires  de  luxe,  sur  papier 
Impérial  du  Japon,  texte  réimposé,  numérotés  de  i  à  25.  Ces 
exemplaires  contiennent  deux  eaux-fortes  originales  de  Laermans, 
en  double  état,  l'un  sur  papier  du  Japon,  l'autre  sur  papier  de 
Hollande. 

Prix  des  exemplaires  de  luxe  :  40  francs. 


Vient  de  paraître  : 

QUATRE  ARTISTES  LIÉGEOIS 

A.  RASSENFOSSE  —   Fr.  MARÉCHAL 
A.    DONNAT    —    Em.    BERCHMANS 

PAR 

MAURICE  DES  OMBIAUX 


Un  volume  contenant  48  planches  hors  texte,  en  typogravure, 
d'après  les  tableaux,  dessins,  eaux-fortes,  etc.,  des  artistes  sus- 
mentionnés, sous  couverture  dessinée  par  Em.  Berchmans. 

Prix  :  7  fr.  50. 

Il  a  été  tiré  de  cet  ouvrage  5o  exemplaires  de  luxe,  sur  papier 
Impérial  du  Japon,  texte  réimposé,  numérotés  de  i  à  5o.  Ces 
exemplaires  contiennent  une  pointe  sèche  originale  de  A.  Rassen- 
fosse,  et  une  eau-forte  originale  de  Fr.  Maréchal,  de  A.  Donnay 
et  de  Em.  Berchmans. 

Prix  des  exemplaires  de  luxe  :  40  francs. 


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Al  vat  De  boschman  Plant 

ÇEDIJE  VOORHET  LAVD 


ANVERS 
IMPRIMERIE    J,-E.    BUSCHMANN",    REMPART    DE    LA    PORTE    DU    RHIN,     l5 


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HIVER  (Matin) 
Lithographie  originale  d'E.MlLE  ClauS 


(niJBM)  H3V1H 
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